Essai sur la mesure des quantités économiques 9783111400891, 9783111038056


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French Pages 209 [212] Year 1972

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TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION. Rôle des mathématiques et de la précision de la mesure dans la science économique
PREMIÈRE PARTIE. Les mesures effectives: agrégats et indices
INTRODUCTION
CHAPITRE I. L'addition de grandeurs hétérogènes
CHAPITRE II. L'addition des grandeurs hétérogènes
CHAPITRE III. Les formules d'indices
CHAPITRE IV. Quelques réflexions sur l'histoire du nombre
Conclusion de la première partie
DEUXIÈME PARTIE. De l'utilisation des mesures dans certains problèmes de l'économétrie
INTRODUCTION
CHAPITRE V. Les fonctions de production
CHAPITRE VI. Les fonctions de production
CHAPITRE VII. Le problème de l'agrégation
CONCLUSION GÉNÉRALE
Index des noms cités
Bibliographie
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Essai sur la mesure des quantités économiques
 9783111400891, 9783111038056

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ESSAI sur la

M E S U R E DES Q U A N T I T É S ÉCONOMIQUES

ESSAI SUR LA MESURE DES QUANTITÉS ÉCONOMIQUES

par JACQUELINE FOURASTIÉ Maître-Assistante au Conservatoire National des Arts et Métiers.

ÉCOLE

PRATIQUE

DES

HAUTES

ÉTUDES



VI*

SECTION

L A B O R A T O I R E D ' É C O N O M ÈTRI E CONSERVATOIRE NATIONAL D E S A R T S ET

MÉTIERS

et

DU

ÉTUDES ET MÉMOIRES 68 1972 - MOUTON et Cie PARIS - LA HAYE

DU MÊME AUTEUR Les formules d'indices de prix, calculs numériques et commentaires théoriques, collection " Etudes et Mémoires " de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, n° 61, A. Colin, 1966. Documents pour l'élaboration d'indices du coût de la vie en France de 1910 à 1965, en collaboration avec Rémy Alasseur et Jean Guilhem, sous la direction de Jean Fourastié, collection " Etudes et Mémoires " de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, n° 66, Mouton 1970. Les indices statistiques, Principes élémentaires, Dunod. Paris, 1969.

©

1972, École Pratique des Hautes Études MOUTON et Cie

TABLE

DES

MATIÈRES

INTRODUCTION Rôle des mathématiques et de la précision de la mesure dans la science économique L'économie est une science L'expression mathématique Science et mesure sont-elles liées ? L'économie et les mathématiques L'économie et l'observation La précision et l'erreur Le calcul et la mesure dans les sciences expérimentales Calcul et algèbre Les mesures de longueur Autres mesures Les systèmes d'unités Notion d'erreur

1 1 3 5 9 13 13 13 14 15 16 17

PREMIÈRE PARTIE Les mesures effectives : agrégats et indices INTRODUCTION Toute mesure risque de transformer l'objet à mesurer Compter, c'est abstraire, et perdre de l'information

25 26

CHAPITRE I L'addition de grandeurs hétérogènes (partie théorique) I. L'addition des quantités physiques, en unités physiques — le poids — l'équivalence énergétique ou calorifique II. Calcul d'une moyenne d'indices élémentaires III. Utilisation de la valeur — notion de valeur — la valeur ajoutée — prix courants — prix constants — méthode « chaîne »

29 30 30 31 32 32 33 33 35 36

V

— prix relatifs — prix-or — prix réels ou prix salariaux — francs constants IV. Comparaisons internationales V. Application à la mesure de la productivité Conclusion Remarque : précisions de vocabulaire

38 38 38 39 41 42 43 44

CHAPITRE Π L'addition des grandeurs hétérogènes (calculs numériques) I. Exemples simplifiés A. Calcul par l'équivalence en énergie a) Mesure par l'équivalence en énergie b) Mesure par l'équivalence calorifique c) Mesure en équivalent charbon B. Exemple général a) Calcul à l'aide d'une moyenne d'indices élémentaires b) Utilisation de la valeur Prix courants Prix constants Méthode « chaîne » Prix relatifs Prix-or Prix réels (ou salariaux) Francs constants c) Récapitulation des résultats trouvés sur l'exemple général II. Exemples de calculs effectués par l'I.N.S.E.E III. Comparaisons internationales IV. Conclusion des chapitres I et II

47 47 47 48 48 49 50 51 51 51 53 53 54 55 56 57 60 61 65

CHAPITRE III I. II. III. IV.

VI

Les formules d'indices Généralités sur les indices synthétiques Les moyennes simples Indices de Laspeyres et de Paasche et indices dérivés Les indices chaîne •— divergences dues au sens de la chronologie •— indice chaîne de Divisia — divergences entre l'indice chaîne et l'indice à base fixe : influence d'un indice élémentaire — réflexions sur la généralisation — généralisation statistique — formule d'Ogburn

67 68 69 72 72 74 75 78 81 83

— indice des prix à la consommation familiale Conclusion du chapitre III Annexe

85 85 93

CHAPITRE IV Quelques réflexions sur l'histoire du nombre I. La notion de nombre A. Notion de nombre, liée à la mesure —- les primitifs — les Égyptiens — les Chinois — les chiffres romains et l'ancienne numération grecque — les fractions dans la science arabe du Moyen Age.. B. L'étude du nombre en soi — chez l'homme primitif — en Mésopotamie — l'Inde — les Mayas — les Hébreux — la Grèce Conclusion II. La quantité - L'addition — L'objet — L'addition — La multiplication — Le nombre, le cardinal et l'ordinal — La quantité — Le collectif Conclusion de la première partie

95 96 96 97 99 100 101 101 102 102 103 103 103 103 104 105 105 106 107 109 109 110 113

DEUXIÈME PARTIE De l'utilisation des mesures dans certains problèmes de l'économétrie Introduction de la seconde partie Les attitudes de recherche Vocabulaire et concepts de base Ajustement

117 118 121

CHAPITRE V Les fonctions de production (partie théorique) I. La fonction de production telle qu'on la traite dans quelques publications économiques de grande notoriété « Éléments d'économétrie » de M. René Roy « Technique économique et gestion industrielle » de M. J . Lesourne « Le calcul économique » de M. J . Lesourne « L'équilibre et la croissance économique » de M. L. Stoléru « Théorie macro-économique » de M. R.G.D. Allen « An introduction to econometrics » de L.R. Klein

125 126 127 128 128 129 130 VII

« Traité d'analyse économique » de M. R. Dehem « Les agents économiques » de M. J. Dumontier Conclusion II. Les formules classiques de fonction de production La fonction de production à coefficients constants La fonction de Cobb-Douglas La fonction C.E.S Autres tentatives La fonction de production de Solow . . . ·. La fonction à deux trends du C.E.P.R.E.L Le V« Plan La fonction C.E.S.-Y.E.S III. Historique de la fonction de Cobb-Douglas La mesure de Q, Κ et L pour chaque point Séries chronologiques ou séries sectorielles L'utilisation d'une régression multiple Les résultats obtenus par Douglas et ses collaborateurs IV. Critiques sur la fonction de Cobb-Douglas Critique de Menderhausen Critique de Menderhausen et de Phelps Brown Critique de J. Tinbergen Critique de Phelps Brown Conclusions de R. Fruit Nos critiques Conclusion

130 131 131 132 132 133 133 133 133 134 135 135 136 137 137 138 138 140 140 141 141 142 142 143 144

CHAPITRE VI Les fonctions de production (Applications) I. « Sources et origines de la croissance française au milieu du XX e siècle » par MM. Berthet, Dubois, Carré et Malinvaud La production intérieure brute Progrès de la production Population totale, population active et productivité du travail . Le capital Transformation des structures Effets combinés des divers facteurs physiques de croissance.... Résultats : les composantes du taux de croissance de la production Conclusion II. Le modèle de fonction de production du V e Plan français III. « Why growth rates differ. Postwar experience in nine western countries » par Edward F. Denison, assisté de J.P. Poulier IV. « Estimating production functions and technical change from micro data » par Vidar Ringstad V. « Estimation d'une fonction de production pour l'industrie française » par J. Mairesse et A. Saglio VIII

147 150 150 151 152 152 152 153 153 154 156 157 160

VI. « L a croissance française. U n essai d'analyse économique causale » de MM. Carré, Dubois et Malinvaud V I I . Conclusion

163 165

CHAPITRE VII Le problème de l'agrégation I. Position du problème

167

II. « L'agrégation dans les modèles économétriques » par M. E. Malinvaud III. « Sur des questions d'agrégation en économétrie » par A. Nataf .. IV. « Le problème de l'agrégation. U n essai de synthèse » par

168 174

MM. F.B. Denizot et V. Lévy-Garboua V. Applications pratiques VI. Conclusion

178 181 185

CONCLUSION Index des noms cités Bibliographie

GÉNÉRALE

187 195 197

IX

INTRODUCTION

GENÉRALE

BOLE DES MATHÉMATIQUES ET DE LA PRÉCISION DE LA MESURE DANS LA SCIENCE ÉCONOMIQUE Cette introduction a pour but de mettre en évidence les problèmes de fond qui sont posés par la mesure des quantités économiques. On s'accorde de plus en plus à parler de « science économique » ; qu'entend-on par là ? Est-ce dire que l'économie doit trouver une expression mathémathique pour traduire toutes ses informations ? Cela signifie-t-il que toutes sont mesurables ? Avec quelle précision ? Comment s'y juxtaposent, s'y opposent, ou s'y combinent les modèles rationnels et les modèles expérimentaux ? On peut comparer la science économique aux autres sciences. Deux parties sont envisagées dans cette introduction. Dans la première, nous avons voulu mettre en évidence d'une part ce qui est mathématique et fait l'objet de l'économétrie, et d'autre part ce qui peut être considéré comme objet de science sans être forcément lié à une mesure chiffrée. Dans la seconde partie, on traite de la précision et de l'erreur, en dégageant les problèmes spécifiques à l'économie, et ceux qui concernent toutes les sciences. L'ÉCONOMIE EST UNE SCIENCE. L'expression mathématique. Dans une certaine mesure, une même conception de la science est sous-jacente dans nos esprits, c'est à peu près celle d'Auguste Comte. Les mathématiques (') représentent en quelque sorte un sommet, et toutes les sciences doivent trouver une expression mathématique, au point qu'on les classe selon l'ordre dans lequel elles arrivent à cette sorte de maturité. « Au terme de leur évolution, les sciences dites expérimentales seront aussi (1) Le mot « mathématiques » est, dans toute cette partie, pris au sens des « mathématiques anciennes ». Les « mathématiques modernes » ont fait naître une conception plus vaste de la mathématique, sur laquelle nous reviendrons à d'autres occasions.

1

rationnelles que les mathématiques, et elles seront déductives comme elles » 0). C'est déjà ce que Kant affirme : « La seule science qui mérite proprement ce nom est celle dont la certitude est apodictique ( 2 ) ; la connaissance qui ne peut contenir qu'une certitude empirique est ce qu'on n'appelle qu'improprement un savoir. Un ensemble de connaissances, lorsqu'il est systématique, peut déjà par là même recevoir le nom de science ; bien plus lorsque la liaison de la connaissance de ce système est un enchaînement de principes et de conséquences, il peut recevoir le nom de connaissances rationnelles » ( 3 ). En ce sens, Kant affirme que la chimie ellemême, dont les principes sont empiriques, est un art systématique plutôt qu'une science. On constate donc que l'esprit humain assimile souvent science et rationalité, rationalité et mathématique. La science mathématique semble ainsi constituer l'instrument privilégié de l'élaboration de toute science. « Aujourd'hui, en effet, la science mathématique est bien moins importante par les connaissances très réelles et très précieuses qui la composent directement, que comme constituant l'instrument le plus puissant qu'on puisse employer dans la recherche des phénomènes naturels » ( 4 ). Les savants s'étonnent de l'accord si parfait entre le réel et les mathématiques : « les mathématiques s'accordent avec la réalité physique de la manière la plus détaillée » ( s ). « La nature est la réalisation des idées mathématiques les plus simples qu'on puisse imaginer. Je suis convaincu qu'on peut découvrir, grâce à des constructions purement mathématiques, les concepts et les lois raccordés les uns aux autres qui donnent la clé des phénomènes naturels. L'expérience peut suggérer les concepts mathématiques idoines, mais il est très certainement impossible de les en déduire. Certes, l'expérience demeure le seul critère de l'utilité d'une construction mathématique en physique ; mais le principe créateur réside dans la mathématique. En un certain sens, je tiens pour avéré que la pensée pure est capable d'appréhender le réel, comme les Anciens l'ont rêvé » ( e ). Si l'on admet cette définition de la science, il est bien certain que l'économie ne se trouve qu'à un stade pré-scientifique, si jamais elle doit arriver un jour à l'état de science. C'est probablement cette conception qui a fait dire à M. Léontieff que Maxwell ne comprendrait rien aux discussions des physiciens de notre temps, mais que Stuart Mill serait au contraire à l'aise avec les économistes actuels. Ceux-ci « ne se contentent (1) P. FOULQUIÉ, Logique, l'Ecole, Paris, 1953, p. 136. (2) Apodictique, dit Littré : « terme d'école, démonstratif, évident ». ( 3 ) KANT, Premiers principes métaphysiques de la science de la nature, p. 4 , Alean, 1891. (4) A. COMTE, Cours de philosophie positive, 2' leçon, tome III, cité par FOULQUIÉ, Logique, op. cit. (5) J. PIAGET, Introduction à l'Epistémologie génétique, I, P.U.F., Paris, 1950, p. 53-54. ( 6 ) EINSTEIN « On the method of Theoretical Physic », Ρ , 2 7 0 . Cité par Gérard HOLTON, Science et Synthèse, U.N.E.S.C.O. Gallimard (coll. Idées), Paris, 1 9 6 7 . Il convient de dire qu'Einstein ne s'est pas toujours exprimé avec la même netteté et la même certitude. Nous reviendrons évidemment sur cette question.

2

pas tous de cet état de choses. Quelques-uns des plus grands noms modernes de l'Economie politique — Léon Walras, Vilfredo Pareto, Irving Fisher — se sont efforcés d'appliquer les méthodes quantitatives pour attaquer la quantité énorme de données qui sont partie intégrante de toute vraie signification économique. Mais, jusqu'à présent, la majorité des économistes professionnels n'a pas encore adopté ces méthodes. Ce n'est pas dû seulement à la rigueur rébarbative des mathématiques. La vérité est que de telles méthodes ont rarement produit des résultats substantiellement supérieurs à ceux obtenus par la procédure traditionnelle. Dans une science empirique, après tout, les résultats seuls comptent. La plupart des économistes continuent à s'appuyer sur leur « intuition professionnelle » et leur « sain jugement » pour établir le rapport entre les faits et la théorie de l'économie » 0). Il est bien certainement souhaitable que la quantification soit systématiquement utilisée : et à ce point de vue, ce que M. Léontieff disait en 1952 ne peut plus être dit aussi rigoureusement en 1971, car de très grands progrès ont été réalisés dans le sens qu'il souhaitait. Les statistiques des Nations et des entreprises se perfectionnent de jour en jour, et sont de plus en plus utilisées. Mais de plus en plus, on rencontre deux catégories d'économistes, ceux qui prennent comme base le rationnel, et ceux qui partent de l'expérimental. Science et mesure sont-elles liées? La notion de mesure, la traduction du réel par des chiffres n'est pas naturelle à l'homme ( 2 ). Si aujourd'hui encore on demande à des parents éthiopiens combien ils ont d'enfants, ils donnant la liste des prénoms en faisant le compte. « Liée à la sensation, 1& connaissance vulgaire se contente facilement de la qualité des choses : une robe est rouge ou bleue ; le temps est chaud ou froid. Sans doute, elle utilise aussi la notion d'intensité : un rouge plus vif qu'un autre ; la chaleur d'aujourd'hui est plus lourde que celle d'hier. Le cultivateur vous dira que sa récolte a été bonne ou mauvaise, meilleure que celle de l'année précédente, mais encore médiocre ; il pourrait faire des comparaisons exactes, mais cela ne l'intéresse pas. Le dédain des chiffres s'observe même dans le cas où la précision pourrait assurer de meilleurs résultats. Par exemple, dit le fondateur de l'évolutionnisme philosophique, Herbert Spencer, « les cuisiniers ne peuvent souffrir les poids et les balances, ils préfèrent les poignées et les (1) W. LÉONTIEFF, Revue Banque, M.

FLAMANT

et

M.

PERROT,

Documents

avril

1952. Cité par J.M. JEANNENEY. R. BARRE,

Economiques,

P.U.F.,

Paris,

1958,

p.

118.

(2) Un chapitre spécial du présent travail traite de la notion de nombre, et de la lenteur de sa formation dans l'esprit humain (cf. p. 95). Le mot « science » est entendu dans un sens très général. D'après Larousse, c'est un « ensemble bien organisé de connaissances relatives à certaines catégories de faits ou de phénomènes ». Nous nous attacherons surtout à « l'organisation » de ces connaisances, qui est plus ou moins un élément commun à toutes les disciplines scientifiques.

3

pincées, et ils considèrent cela comme ime atteinte à leur adresse, si vous avancez que des mesures définies vaudraient mieux » (Principes de psychologie, t. II, p. 404, Baillères, 1875) » ('). Cependant, il est bien certain qu'avec des évaluations trop vagues, il est impossible de faire œuvre scientifique ! Quand on regarde l'histoire des sciences, on trouve d'innombrables exemples des progrès qu'a pu faire faire à l'une ou à l'autre l'invention ou l'exploitation d'un instrument de mesure : ainsi l'utilisation systématique de la balance de précision en chimie par Lavoisier, l'introduction du thermomètre et du baromètre en physique, l'invention du micromètre à fil mobile en astronomie... ( 2 ). Cependant, il est possible de faire œuvre scientifique sans toujours faire des mesures, car tout ce qui est objet d'observation, donc de science, n'est pas mesurable. L'œuvre considérable de Jean H. Fabre ( 3 ) est celle d'un observateur minutieux et précis, et représente une contribution fondamentale à l'entomologie, mais elle ne contient aucune mesure : tout au plus apprenons-nous que tel insecte creuse la terre « plus d'un mètre », et avonsnous des gravures représentant tel coléoptère, « grandeur nature » ou « grossi un tiers » ! Fabre aurait pu donner plus de chiffres, ce qui n'aurait pas été sans intérêt, mais ime série de mesures serait de toute manière insuffisante pour traduire la vie des insectes. Ce qui est vrai des sciences naturelles sera plus vrai encore des sciences humaines : dès que le vivant intervient, une très grande partie du réel échappe à la quantification, ou tout au moins transcende toute tentative de l'appréhender par des chiffres. En économie, où il s'agit du comportement des hommes, quantité de mécanismes ne sont pas liés à des mesures chiffrées. Il peut être intéressant de se reporter à la tentative d'A. Niceforo qui voulait estimer quantitativement l'affirmation essentiellement qualitative : « un pays est plus civilisé qu'un autre » ( 4 ). A. Niceforo énumère quantité d'indices possibles, depuis la consommation de la houille jusqu'au nombre de condamnés en cours d'assise, en passant par le nombre des suicides, celui des naissances et celui des élèves de l'école primaire, mais tout cela ne donne qu'une

(1) P. FOULQUIÉ, Logique, l'Ecole, Paris 1953, p. 354. (2) Cf. plus loin pages 13 et suivantes, à propos de la précision des mesures, quelques réflexions sur des instruments employés dans diverses sciences. 1951.

(3) Souvenirs entomologiques,

édition définitive, dix volumes, Delagrave, Paris,

(4) Les indices numériques de la civilisation et du progrès, Flammarion, Paris, 1921.

M. Jacques DELORS renouvelle NICEFORO sans la même ambition de synthèse et de classement dans Contribution à une recherche sur les indicateurs sociaux : études effectuées... sous la direction de Jacques DELORS, assisté de Jacques BAUDOT, Paris, S.E.D.E.I.S.,

4

1971.

représentation bien partielle, et impossible à synthétiser ( l ). Ainsi, dès que l'on aborde les sciences humaines et les sciences de la vie, tout n'est pas mesurable, et bien souvent on n'a encore rien dit quand on a donné des chiffres. En économie, la mesure n'est pas toujours fondamentale, ce qui n'empêche pas qu'elle est souvent nécessaire, par exemple en matière de prix, de salaires, de pouvoir d'achat, et en matière de planification, dès que l'on envisage des objectifs, des contrôles d'efficacité, etc. Par ailleurs, l'un des objectifs essentiels de ce travail sera de montrer que même pour les éléments de l'économie appartenant au domaine du quantifiable, il n'y a très souvent pas de mesure absolue : selon les méthodes de calcul employées on obtient des chiffres parfois fort différents, pour décrire la même réalité.

L'Économie et les Mathématiques. Les mathématiques, en tant que langage de la science chiffrée, viennent tout naturellement à la suite des mesures existantes. Leur introduction systématique en économie est donc relativement récente, mais elle est rapide. On peut ( 2 ) attribuer à Cournot le premier essai d'utilisation de la méthode mathématique en économie dans les Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses (1838). Une deuxième tentative eut lieu avec Walras : Eléments d'Economie politique pure (1878), point de départ d'un courant très théorique dont Pareto est l'un des grands noms. C'est en 1930 que la Société internationale d'Econométrie fut créée. « Parmi les précurseurs de cette nouvelle science, citons l'économiste norvégien R. Frisch, les Anglais A.L. Bowley et R. Stone, les Américains C.F. Roos et H. Schultz, l'Allemand J. Marchai et plus particulièrement les économistes français F. Divisia et R. Roy. Il y eut encore H. Houtteker, L.R. Klein, R. Solow, T.L. Koopman, H.D.A. Wold, H. Theil et G. Tintner » (3). ( 1 ) M. Jacques DUMONTIER dans son « Rapport présenté au nom du Conseil Economique et Social » : Le système d'indicateurs du VIe plan, du 10 mai 1972, fait allusion au livre de Niceforo, en insistant sur la nécessité d'indicateurs sociaux pour compléter les indicateurs économiques trop globaux, comme la croissance du Produit National Brut: « Un essai a été tenté, en ce sens, par la revue anglaise «The Economist» de fin décembre 1971. Deux séries de dix indicateurs dits « négatifs » (densité de population, divorces, morts par accidents de la route, meurtres, mortalité infantile, impôts sur le revenu) et six indicateurs dits « positifs » (mariages jeunes, densité médicale, voitures particulières, prolongation de la scolarité, confort du logement, densité téléphonique) ont été retenus pour tenter une comparaison du niveau et des conditions de vie entre neuf pays par addition des classements obtenus par chaque pays pour chacun des critères. »

(2) Pour un résumé de l'histoire des incursions de la méthode mathématique dans les sciences économiques, voir Jan TINBERGEN, La Planification, Hachette, Paris, 1967, p. 220-222. (3) J a n

TINBERGEN,

op.

cit.,

p.

222.

5

« L'économétrie (étymologiquement : mesure de l'économie) peut être définie comme étant une technique de recherche qui, pour la solution d'un problème concret, met en œuvre les ressources appropriées de l'analyse mathématique, appliquant celles-ci aux diverses données statistiques disponibles à propos du phénomène qui fait l'objet de la recherche » ('). Il est important de souligner l'insistance des fondateurs sur le lien du raisonnement économétrique avec les problèmes rencontrés dans la pratique. « Au lieu de partir de postulats généraux et abstraits, elle part de faits observés et exprimés numériquement, statistiquement, afin de parvenir à des conclusions de caractère concret, donc vérifiables dans la réalité » ( 2 ). Le processus employé est schématiquement le suivant : à partir du réel, on construit un modèle mathématique ; on le vérifie ensuite statistiquement (ou on le rejette). « Vaste dialogue entre les faits et les hypothèses, la méthode voit échanger son point de vue de loin en loin, de qualitatif en quantitatif. Elle est d'abord qualitative et spéculative, centrée sur la mise au banc d'essai, les hypothèses touchant les facteurs à invoquer pour le modèle. Ensuite, quantitative et analytique pour préciser les paramètres et les adapter numériquement aux équations. A la fois quantitative et synthétique, elle l'est en dernier lieu lorsqu'il lui appartient de découvrir les facteurs essentiels du modèle et de pronostiquer leur évolution » ( 3 ). L'économétrie est donc, dans son essence, destinée à établir les relations mathématiques qui existent entre les mesures des quantités économiques. Tous les économistes ne sont pas économètres, et d'ailleurs les économètres ne prétendent pas couvrir le champ de l'économie. Mais économistes et économètres s'accordent à considérer la science mathématique comme un instrument indispensable. « Pour tester la cohérence logique d'une théorie et en dégager le véritable contenu, lorsqu'elles considèrent des grandeurs reliées les unes aux autres d'une manière quelque peu complexe, les mathématiques peuvent constituer un instrument inégalable, et à vrai dire irremplaçable. Elles permettent en effet de désigner d'une manière précise, par des symboles, les grandeurs que font intervenir une théorie, et de matérialiser par des relations les dépendances qu'elle suppose exister entre ces grandeurs. Toute hypothèse introduite doit être nécessairement explicitée. La formulation mathématique a l'inappréciable avantage de forcer l'esprit à la réflexion et à la précision. Elle donne la possibilité de découvrir toutes les conséquences, et rien que les conséquences des hypothèses admises, et par suite, de mettre complètement en évidence leur contenu effectif » (4). (1) Dictionnaire des Sciences Economiques, publié sous la direction de Jean ROMEUF, P.U.F., Paris, 1956, au mot « Econométrie ». (2) A. MARCHAL, Méthode scientifique et science économique, Paris, Médicis, I, 1952, p. 236. (3) B. CHAIT, « Sur l'Econométrie », Revue de l'Institut de Sociologie, n° 2, Bruxelles, 1949. (4) M. ALLAIS, « L'Economique en tant que Science », Revue d'Economie Politique, 1968, p. 13. 6

En même temps, la plupart des auteurs en soulignent les dangers : «... En termes volontairement schématiques : les mathématiques nous sont utiles dans la mesure où elles peuvent nous aider comme la statistique, la sociologie, la psychologie, l'histoire, etc. — à comprendre l'économie et à exprimer son fonctionnement. Elles sont dangereuses dans la mesure où leur maniement abusif nous incite à construire une science fictive, en dehors du réel » 0). L'adéquation au réel apparaît donc à tous comme nécessaire, mais non toujours réalisée. M Marentz cite Jay W. Forrester : « Dans de nombreux articles de revues spécialisées, on trouve davantage des exercices de logique formelle que la recherche de solutions utiles à des problèmes réels. L'article, bien souvent, affirme, dans un paragraphe d'introduction, des hypothèses dont la validité est douteuse, adoptées sans justification, puis, sur ces bases formelles mais irréelles, on construit une solution mathématique qui veut expliquer le comportement du système examiné » ( 2 ). M. Maurice Allais renforce cette affirmation : « Des théories souvent magnifiques du point de vue esthétique sont construites à partir d'hypothèses douteuses, ou même en contradiction avec les faits. Si du point de vue logique, elles sont suffisamment difficiles, et si les solutions données combinent, sur le plan mathématique, la rigueur avec l'élégance, elles peuvent faire illusion et connaître un grand succès... Une théorie, logiquement inconsistante et contredite par les faits, n'offre généralement, sur le plan scientifique tout au moins, qu'un danger limité, car son insuffisance peut être facilement décelée. Mais ce n'est pas le cas de certaines théories mathématiques dont la compréhension de la partie purement logique exige de tels efforts que trop souvent le lecteur épuisé n'a plus la force suffisante pour exercer son esprit critique a univeau des hypothèses comme à celui des résultats, et réaliser que du point de vue de l'analyse des faits ces théories ne reposent que sur du sable » (3). Bien souvent, on fait des hypothèses simplificatrices qui donnent de l'élégance à la théorie mathématique, mais ces hypothèses ne sont pas vérifiées par le réel ; le docteur Yates, dans son allocution présidentielle du 19 juin 1968 à la Royal Statistical Society, a dénoncé la course aux « papiers théoriques » qui sévit chez les statisticiens mathématiciens et on pourrait ajouter le$ économistes mathématiciens : « Le problème est auto-générateur : M A. publie ime note théorique qui peut donner lieu soit à contestation, soit à prolongements. Le papier est un stimulant pour MM. B. et C., qui orientent leurs recherches sur les mêmes voies, et c'est ainsi qu'en quelques années on voit se bâtir toute irne littérature sur un tel sujet... Cela est assez mauvais en soi : il en résulte que nos publications statistiques s'agitent autour d'une importante quantité de choses sans intérêt. Mais il y a des conséquences plus néfastes, (1) A. PIETTRE, « L ' a b u s d e l a t h é o r i e p u r e », Le Monde,

5-4-67.

(2) Industrial dynamics, John Urley, 1961, p. 3, cité dans Le Monde, 5-4-67. (3) M. ALLAIS, « L'Economique en tant que Science », Revue d'Economie Politique, 1968, p. 16.

7

parce que quelques-uns au moins des auteurs de ces papiers sont suffisamment passionnés par leur sujet pour l'inclure dans leur enseignement et pour orienter les candidats au doctorat à poursuivre des recherches dans les mêmes directions » (*). En soi, cette recherche mathématique n'est pas à proscrire, elle peut contribuer à élaborer des langages logiques, à clarifier des concepts ; il peut y avoir des mathématiques pures qui devancent l'étude du réel, comme la géométrie riemannienne a permis la théorie de la relativité. Mais il est important de voir qu'il s'agit de mathématiques, et non d'économie ; cette distinction n'apparaît pas toujours suffisamment, et bien des théories « économétriques » sans lien établi avec le réel gagneraient à être versées au dossier de la recherche mathématique ; cela éviterait parfois l'illusion d'une progression en économie, aisément entretenue par certaines incompétences et la révérence de la plupart des économistes à l'égard des formulations algébriques. En matière économique, le « critère » de Pareto, si souvent cité par M. Maurice Allais est fondamental : « C'est toujours un phénomène concret qui décide si une théorie doit être acceptée ou repoussée. Il n'y a pas, et il ne peut pas y avoir d'autre criterium de la vérité que son accord plus ou moins parfait avec les phénomènes concrets » (2). *

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L'économie n'est pas la seule science où le raisonnement rationnel est utilisé et continue à subsister en dehors du réel. Par exemple, jusqu'au XVIII e siècle, des physiciens refusaient d'avoir un laboratoire, car un « laboratoire sert à fabriquer, la science consiste à contempler » ( 3 ). Et pourtant, Léonard de Vinci avait dit, quelques deux siècles auparavant : « Il me paraît, à moi, que ces sciences sont vaines et pleines d'erreurs qui ne sont pas nées de l'expérience, mère de toute certitude, et qui ne se terminent pas par une expérience définie » (4). Mais il ne suffit pas d'affirmer le principe ; on peut voir vers quel genre de raisonnement il pouvait dériver parfois : l'Histoire de la Science traduit un raisonnement classique au XVIIe siècle en langage moderne : « Je tiens une cigarette à la main ; j'allume mon briquet, la flamme monte, j'ouvre la main et la cigarette tombe. Il y a donc deux sortes de corps, les graves qui tombent par nature, les légers qui par nature montent. En interprétant cette donnée de l'expérience par la raison, je vais pouvoir déterminer le terme de leur mouvement : les graves sont surtout formés de terre, ils tendent donc par sympathie vers le centre de la Terre qui est aussi le centre du monde ; les légers sont surtout formés de feu, par sympathie ils tendent vers le cercle de la lune qui est de feu... » ( s ). Cette 1969.

(1) Cité dans le Bulletin trimestriel

de la Société de Statistiques de Paris, mai

(2) V. PARETO, Manuel d'Economie Politique, 1909, p. 16. (3) Histoire de la Science, Encyclopédie de la Pléiade, sous la direction de Mau-

r i c e DAUMAS, N . R . F . , 1957, p . 371.

(4) Cité dans Histoire de la Science, op. cit., p. 454. (5) Histoire de la Science, op. cit., p. 380.

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citation pose à la fois le problème du raisonnement et celui de l'observation. Quant au raisonnement, disons seulement qu'il ne nous paraît, à nous, dérisoire, que parce que, deux siècles après qu'il a été exprimé, nous sommes à l'avance persuadés de la fausseté de ce qu'il prétend démontrer.

L'Économie et l'Observation. Au sens moderne du mot, il faut donc bien distinguer science et logique ; qui dit science doit dire « science expérimentale ». Nous avons déjà fait allusion à plusieurs reprises au lien de l'économie avec le réel. Cependant, dans ce domaine, aucune expérimentation, au sens technique du mot, n'est possible. On ne peut mettre un pays, ni même irne entreprise ou un consommateur, deux fois dans les mêmes conditions. Mais la démarche fondamentale n'est pas l'expérimentation mais l'observation, le contact avec le réel. En effet, il est impossible d'expérimenter en économie, c'est-à-dire d'organiser des conditions dans lesquelles un phénomène peut se présenter à l'état pur ou se répéter dans des conditions exactement identiques. On ne peut qu'observer, c'est-à-dire examiner les faits tels qu'ils se présentent, sans pouvoir influer sur eux, en tous cas sans pouvoir les recréer (sauf rares exceptions). Nous sommes dans la situation où aurait été Galilée s'il avait dû attendre qu'un objet tombe de la tour de Pise. Cette démarche a été résumée par Claude Bernard : « D'abord, le savant doit avoir une idée qu'il soumet au contrôle des faits, mais, en même temps, il doit s'assurer que les faits qui servent de point de départ ou de contrôle à son idée sont justes et bien établis » ( l ). M. Jacques Dumontier a posé le problème de l'expérimentation en économie : « D'après Pirou, il faudrait abandonner l'idée d'expérimentation en économie ; l'impossibilité d'arriver à dégager des lois économiques par l'expérimentation tient à deux obstacles dont le principal est l'extrême complexité des faits à soumettre à l'expérience. On ne peut toujours provoquer une expérimentation mais, parfois, l'expérimentation dite indirecte peut être aussi satisfaisante que l'expérimentation directe. Pirou dit que le savant ne peut se servir d'expériences qui ne sont pas fréquemment répétées. Mais répétition n'est pas identité... (on doit se contenter d'observations). » Il y a dans le fait de préparer soi-même son expérience deux éléments de valeur inégale, et dont on apprécie mal les poids respectifs. Le premier est de créer le phénomène à observer ; cette condition n'est pas réalisée dans l'expérience indirecte : on n'a pas choisi, pour voir leurs réactions, le moment où les gens consommeraient moins d'alcool, où ils auraient moins de charbon... » Le deuxième élément d'importance est d'avoir prévu le résultat à l'avance, et de le comparer, ime fois l'expérience faite, à celui qu'on avait (1) Introduction à l'Etude de la Médecine expérimentale, 1™ partie, chapitre I, 6, 1865.

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prévu. Or, ce phénomène est celui qui est possible en économie (à certaines conditions)..., et c'est lui qui fait le fondement de l'expérience, qui n'est pas de pouvoir provoquer une évolution déterminée, mais de la prévoir et de la comparer aux résultats effectifs. S'il s'agit de la dévaluation, par exemple, l'on peut dire que dans quinze jours, tel ou tel phénomène se produira. Si la prévision se réalise, il y a expérience... » (*). Si on limite la définition de la science à la recherche de lois permanentes, là non plus, l'économie ne peut guère prétendre au titre de science. Mais on peut lui faire une place si on divise le domaine de la science « en trois grands secteurs : celui ou l'on peut expérimenter (exemple, la physique classique) ; celui où l'on ne peut qu'observer, mais où l'observation révèle l'existence ou la permanence de réalités stables ou identiques dans le temps (exemple, l'astronomie d'hier et d'aujourd'hui) ; celui où l'on ne peut qu'observer, mais où l'observation ne révèle jamais ou ne révèle que rarement l'existence de réalités rigoureusement identiques à elles-mêmes (exemple, les sciences humaines, l'économie)... Dans ce troisième secteur, on se trouve dans la nécessité de comparer, à défaut d'événements identiques, des événements analogues dont on s'efforcera de dégager les facteurs communs, malgré la présence certaine et inéluctable de facteurs qui ne le sont pas » ( 2 ). Donc, le but de la science économique est de dégager des régularités, des mouvements de fond, qui apparaissent au milieu d'une réalité complexe. La chimie n'était guère plus avancée à la fin du XVIe siècle, quand M. Lémery affirmait : « le plomb est un métal rempli de souffre et d'une terre bitumeuse qui le rend molasse et fort pliant ; il y a apparence qu'il contient du mercure ; ses pores sont assez semblables à ceux de l'étain : on l'appelle Saturne à cause des influences qu'on dit qu'il reçoit de la planète de ce nom » ( 3 ). Mais, depuis, les chimistes sont parvenus à isoler les corps purs et c'est ainsi qu'ils ont dégagé les lois générales. De même, les physiciens sont parvenus à étudier la chute des corps sans qu'aucun autre phénomène n'intervienne, en faisant tomber des corps dans le vide. L'économiste reçoit tout pêle-mêle, et lui n'a pas d'espoir de pouvoir intervenir pour isoler l'un des facteurs et voir quelle est son influence. Parfois, souvent même, son désir de résultats synthétiques l'amènera à mélanger des « corps purs », c'est-à-dire des prix ou des quantités relatifs à un seul élément, pour en faire un agrégat ou un indice : en effet, en même temps que tous les facteurs interviennent à la fois, l'économiste se trouve devant une quantité énorme d'informations qu'il est impossible de connaître à la fois, et qu'il faut bien résumer — comme on peut — ou plutôt comme on croit naturel de le faire. (1) Jacques DUMONTIER, Observation Economique, cours professé à l'E.N.O.E.S. et à l'Ecole d'Application de l'I.N.S.E.E., Paris, P.U.F., 1950, p. 11-12. ( 2 ) Jean FOURASIIÉ, Les conditions de l'esprit scientifique, Col. Idées, Gallimard, Paris, 1966, p. 135. ( 3 ) Cours de Chimie, cité dans Chimie et Chimiste, par R . MASSAIN, Magnard, Paris, 1955, p. 92.

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Une science purement fondée sur l'observation n'est pas naturelle à l'homme. Comme l'affirme R. Lenoble (') : « On parle encore couramment comme si l'observation pouvait réformer nos idées, comme si elle suffisait pour nous tirer de nos rêves, et l'on ne voit pas qu'il faut d'abord réformer ses idées pour apprendre à observer. Les idées ne sont pas superposées à la perception ; en réalité elles la fabriquent ». « Nous ne savons voir d'habitude que ce que nous connaissons déjà » ( 2 ). Et, en même temps, une idée préconçue est un stimulateur souvent nécessaire à l'observation. Il faut croire qu'on est loin d'admettre que le réel est le guide essentiel, unique, de la formation d'un modèle mathématique en économie, puisque M. Maurice Allais est obligé, sur des exemples précis, de formuler des principes qui paraissent évidents : « Les hypothèses ne doivent pas être choisies en fonction d'une théorie, c'est la théorie qui doit être choisie, de manière que ses hypothèses soient en accord avec les données de l'observation. Une théorie ne doit pas être retenue en fonction de la beauté esthétique des mathématiques qu'elle utilise et des théorèmes qu'elle démontre, mais en fonction d'un seul critère, l'analyse des faits et sa conformité avec les données de l'observation, et à conformité égale avec l'observation, la préférence doit être donnée à la théorie la plus simple » ( 3 ). Par ailleurs ( 4 ), en économie comme en certains domaines de la physique (principe d'incertitude d'Heisenberg), il peut arriver que le fait même de mesurer un élément ait une influence sur cette mesure. Sans nous attarder à l'exemple trop classique des prix bloqués de l'indice des « 213 articles » en France, on peut observer que beaucoup de décisions politiques sont influencées par le fait qu'elles risquent de faire monter ou baisser u n indice du coût de la vie ou un indice de la production industrielle. Récemment, M. Ota Sik, dénonçant la politique économique de la Tchécoslovaquie avant janvier 1968, a insisté sur le rôle de l'indice de la production dans le choix de la production elle-même, ceci indépendamment des vraies nécessités du pays. « Le critère fondamental d'une élaboration du plan p a r directives, est un critère primitif, celui de l'indice de la production brute, en d'autres termes, le volume de la production exprimé en prix de gros. On calculait, à partir de cet indice de volume, l'indice de la productivité du travail. Les prix qui servaient de base à ces calculs n'étaient pas créés par le marché mais par le centre bureaucratique, ce qui veut dire que des produits hautement rentables étaient sous-évalués, tandis que d'autres produits, avec une capacité de concurrence minimale, étaient considérés comme des produits rentables ; comme l'augmentation des salaires, des primes, était liée à ce critère simpliste, il n'est donc pas étonnant que les (1) (2) française, (3) impasses française (4)

Essai sur la notion d'expérience, Vrin, 1943, p. 44. R. LERICHE, La Chirurgie, discipline de la connaissance, p. 215, (La Diane 1949). Les théories de l'Equilibre économique général et de l'efficacité maximale — récentes et nouvelles perspectives, « Congrès des Economistes de langue », Revue d'Economie Politique, mai 1971, p. 378. Cf. ci-dessous, p. 25.

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entreprises, dans leur course vers un volume de production supérieur, aient fabriqué des produits concordant avec lui » (*). Donc, il peut arriver que ce qui devrait servir simplement d'instrument de mesure influence ce qui est à mesurer. ••*

En résumé, l'habitude de parler de « science économique » ne doit pas faire illusion. Il s'agit d'une « science humaine » dans laquelle une partie notable échappe à la notion stricte de « science exacte », car elle n'est pas quantifiable et ne peut trouver une expression exactement rationnelle. C'est dans ce sens que conclut M. Maurice Allais, après avoir souligné l'importance du développement de la méthode scientifique en économie : « L'Economique tend à se transformer en une science véritable qui se fonde sur l'analyse statistique des faits, sur des théories dont la cohérence logique peut être vérifiée, et sur la confrontation de ces théories avec des données d'observation. Il y a à cela quatre raison essentielles : » — la première, c'est que les économistes sont en mesure de construire des théories, dont la cohérence logique peut être testée, lorsqu'il est nécessaire, grâce à l'utilisation de cette partie de la logique que constituent les mathématiques ; » — la deuxième, c'est que les faits sont de mieux en mieux connus. Nous disposons d'une masse d'informations incomparablement plus riche et plus compréhensible que jamais auparavant ; » — la troisième raison, c'est que les techniques disponibles pour l'analyse et le traitement numérique des données de l'observation, les techniques de la statistique et du calcul par ordinateurs, ont elles-mêmes considérablement progressé dans ces vingt-cinq dernières années ; » — La quatrième raison, c'est qu'à partir de certaines théories, et des informations et des techniques disponibles, on a pu mettre en évidence, en Economique comme en Physique, des régularités indiscutables. » Constater cette possibilité objective de transformation de l'Economique en une science véritable ne signifie naturellement pas que l'Economique, dans son état actuel, et prise dans son ensemble, puisse déjà être considérée comme une science. Peut-être même... ne pourra-t-elle jamais y réussir totalement, tant sa matière première est liée à des intérêts et à des idéologies » ( 3 ). Nous irions volontiers plus loin que M. Allais dans l'affirmation de l'impossibilité de cette « réussite » totale, car l'économie, avant d'être liée à des intérêts et à des idéologies, est liée à l'ensemble de la vie des hommes, de leur comportement, de leur culture, de leur conception même de la vie, ceci à l'échelle individuelle comme à l'échelle collective. Or, comme nous l'avons rappelé plus haut, beaucoup de ces « événements » échappent à une (1) Ota SIK, La vérité sur l'économie tchécoslovaque, Paris, Fayard, 1969. (2) M. ALLAIS, « L'Economique en tant que Science », Revue d'Economie tique, 1968, p. 2.

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Poli-

mesure précise et même à une description solide qui puisse être à la fois analytique et synthétique. Il faut ajouter que notre notion de « rationnel » évolue au fur et à mesure que notre connaissance du réel augmente. Jusqu'au début du siècle, était rationnel ce qui était déterminé ; maintenant, nous acceptons facilement l'aléatoire. Nous allons jusqu'à admettre qu'il est « rationnel » que la vitesse de la lumière soit indépendante de la vitesse du système de référence — ce qui était absurde selon la « logique » vulgaire. Peut-être seronsnous amenés, par l'évolution même des sciences, à accroître encore très fortement le champ de la rationalité.

LA PRÉCISION ET L'ERREUR. Empruntons à l'Histoire de la Science une description des handicaps de la science jusqu'au XVIIe siècle, faute d'instrument de mesure : « Pour connaître les corps, on n'a que ses yeux ; pour juger du froid ou du chaud, on n'a que sa peau. De plus, toute loi scientifique ou presque suppose une mesure du temps. Or, au XVIe siècle encore, bien rares, en dehors des souverains, ceux qui possèdent une montre. En 1564, Viret parle de ces coqs que les gens d'armes emportent toujours avec eux, « lesquels de nuit leur servent d'horloge ». Un siècle plus tard, lorsqu'en 1647 Mersenne fait des expériences sur la chute des corps du haut du dôme de Saint-Pierre de Rome, il s'aperçoit avec désespoir qu'on ne peut pas mesurer le temps de chute avec précision, parce qu'on n'arrive pas à synchroniser exactement les montres. Les unités de mesure varient non seulement d'un pays à l'autre, mais d'une province à l'autre, de sorte que le même Mersenne, lorsqu'il lit le récit de certaines expériences de Galillée, n'en est pas plus avancé car il ne sait pas de quelles unités s'est servi le savant italien... Un autre instrument, mental celui-là, fait encore plus gravement défaut. L'usage des chiffres arabes n'est pas encore généralisé à la Renaissance. Or, essayez seulement de diviser MDCXXII par VI. Comme c'est commode ! » ('). Les sciences physiques ont été très longues à acquérir des instruments de mesure suffisants. Nous allons en prendre quelques exemples rapides. Nous verrons ensuite le rôle de la notion « d'erreur » dans ces mêmes sciences. L'économie nous apparaîtra alors comme ayant les mêmes difficultés, et quelques autres.

Le calcul et la mesure dans les sciences expérimentales. Calcul et algèbre. L'exemple de la division en chiffres romains est très évocateur ! Jusqu'au début du XIII e siècle, le monde occidental ignorait les chiffres (1) Encyclopédie de la Pléiade, sous la direction de Maurice DAUMAS, N.R.F., 1957, p. 374. Nous nous sommes beaucoup servi de ce livre dans les pages qui suivent.

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arabes ; c'est Léonard de Pise, dit Fibonacci, qui les introduit en 1200 dans son Liber abaci..., et l'usage a été long à se répandre. Les calculateurs étaient des spécialistes exceptionnels ; ils usaient d'instruments rudimentaires comme des bouliers ou des jetons. La première machine à additionner est celle de Pascal (1642), ce qui n'empêche pas que la première machine à calculer de construction et d'usage pratique n'est réalisée qu'en 1822 (Thomas de Colmar !) Neper invente les logarithmes qui vont faciliter la multiplication et la division, et surtout les calculs de puissances et de racines, en 1614. Le calcul est déjà une opération du langage mathématique. Parallèlement, la naissance de l'algèbre se réalise lentement. Pacioli, à la fin du XVe siècle, parvient à étudier des équations du second degré d'une façon assez générale. Mais les quantités connues sont toujours numériques, et il écrit ses équations : censo e cose egual a numero c'est-à-dire la somme de l'inconnue (cose) et de son carré (censo) égale à un nombre donné. Il est d'ailleurs frappant de voir que Jordanus Nemorarices, au XIII e siècle, avait pourtant introduit l'habitude de représenter les nombres arbitraires par des lettres (il ne s'agissait pas encore d'un calcul littéral, car le produit de deux facteurs désignés chacun par des lettres était, par exemple, représenté par une autre lettre)... Difficulté de communication, et surtout probablement lenteur à s'adapter à des moyens nouveaux qu'on a du mal à reconnaître comme plus valables que ce à quoi on est habitué... C'est à Viète, à la fin du XVIe siècle, qu'on peut attribuer les premiers travaux de véritable algèbre, car il s'achemine vers des formules générales, permettant de résoudre une fois pour toutes les problèmes de même type. On est encore assez loin des notations actuelles, mais il désigne les inconnues par des voyelles et les données par des consonnes. L'équation du second degré la plus générale s'écrit : Β in Aq + C in A aeq D Pas de signe X qui est remplacé par in, ni de signe = (aeq). Le carré est désigné par Aq (q, abréviation de quadratum). Devant la peine que l'humanité a eu à se de calcul qui nous paraissent maintenant les s'étonner qu'elle soit dès maintenant capable l'univers où elle vit (bien qu'on sache que c'est à cet univers) !

donner ainsi les instruments plus élémentaires, on peut de dire tant de choses sur encore bien peu par rapport

Les mesures de longueurs. En jetant un coup d'œil sur la dernière édition du dictionnaire Larousse, on ne trouve que quelques restes de l'extraordinaire complexité des imités de longueurs qui a duré au moins jusqu'à la Révolution. 14

Il y a, par exemple, trois sortes de « mille », dont les longueurs sont différentes : mille terrestre statute mile 1,6093 km mille marin britannique nautical mile 1,8532 km 1,852 km mille marin américain U.S. nautical mile Il faudrait multiplier cela à l'infini, puisqu'il y existait des unités de longueurs différentes dans chaque pays, presque dans chaque ville. C'est au point que Mersenne, au XVIIe siècle, donne dans son traité de la Vérité des Sciences, en dépliant, un fac-similé du pied de roi dont il s'est servi. L'idée d'une mesure universelle des longueurs avait cheminé pendant plusieurs siècles : on proposait la longueur du pendule battant la seconde — encore fallait-il savoir si cette longueur était constante en tous les points de la Terre — puis une fraction de méridien terrestre. Des mesures du méridien avaient été réalisées en 1669-1670 par l'Abbé Picard, entre NotreDame de Paris et Notre-Dame d'Amiens ; elles ont été renouvelées et complétées le long du méridien de Paris par Delambre et Méchain (17921798), sur l'ordre de l'Académie des Sciences, dans le but de déterminer l'unité de longueur étalon. Les variations de la définition de l'étalon de longueur en France évoquent les exigences de plus en plus grandes de la science en matière de précision. Le 10 décembre 1799 (19 brumaire an VIII), le mètre est défini comme la 10 millionième partie du quart du méridien terrestre. Un étalon en platine est construit, à l'aide des mesures de Delambre et Méchain. Des mesures plus précises du méridien terrestre firent découvrir que l'étalon était plus court d'environ 0,2 millimètre que le mètre théorique. Il était impossible de corriger cette erreur, et le 11 juillet 1903, le mètre était défini comme la distance moyenne à 0 °C des axes de deux traits parallèles tracés sur le prototype international, en platine irridié, sanctionné par la Conférence Internationale des poids et mesures tenue à Paris en 1889, et déposé au Pavillon de Breteuil. La France possédait la copie n° 8 de ce prototype (maintenant au Conservatoire National des Arts et Métiers) ; il a été l'étalon de mesure en France jusqu'en 1963. Mais les exigences de la précision augmentaient sans cesse, notamment en ce qui concerne les mesures de longueurs d'onde, et on pouvait craindre que la règle de platine irridiée, malgré toutes les précautions, ne varie. En 1963, une nouvelle définition du mètre est décidée : ce sera « 1 650 763,73 longueurs d'onde dans le vide de la radiation correspondant à la transition entre les niveaux 2 pio et 5 ds de l'atome de krypton 86 ». Autres mesures. On pourrait continuer à s'étendre sur la lente progression de la Science vers la précision des instruments de mesure. Signalons rapidement que le temps n'était mesuré dans l'antiquité que par le gnomon, sorte de style dressé verticalement dont l'ombre indiquait l'heure. Le sablier et la clepsydre ont été également seuls utilisés jusqu'au XIVe siècle, où sont apparues les horloges mécaniques. « Ces instruments ne don15

naient pas encore des indications très précises ; celles-ci suffisaient pourtant aux besoins d'une époque où le mode de vie n'impliquait pas le respect d'horaires très serrés » 0). On peut se demander cependant si l'existence de moyens plus précis n'aurait pas modifié et les horaires de l'homme moyen et les méthodes du savant. Au XVIIe siècle apparaissent les horloges à pendules (Huygens) et les montres à spirales. Ce fut un trait de génie de Galilée d'utiliser le plan incliné pour étudier la chute des corps, faute de moyens assez précis pour mesurer le temps de chute à la verticale. Depuis, le développement de la science et ses exigences ont imposé successivement les horloges astronomiques, puis l'horloge à quartz. Le mouvement de la Terre apparaît trop irrégulier pour définir l'unité de temps : la seconde légale est « la fraction 1/31 556 925,9747 de l'année tropique pour 1900, janvier 0, à 12 heures de temps des éphémérides » (décret du 3 mai 1961) ; la seconde de temps atomique en diffère très légèrement et est définie par une horloge à quartz contrôlée par un résonateur. Pour estimer le chaud ou le froid, les savants n'ont eu bien longtemps que leurs sensations. Des thermoscopes apparurent à la fin du XVIe siècle : la dilatation de l'air dans un ballon à long col était repérée à l'aide d'une goutte d'eau se déplaçant dans le col. La dilatation de l'eau, puis celle de l'alcool furent utilisées, mais il ne pouvait y avoir de thermomètre que si l'on déterminait des points fixes : on parla de la température d'une cave profonde pour le point le plus bas, de celle de la fusion du beurre ou de l'étain pour le point le plus haut ! L'échelle centigrade a été établie par Celsius en 1742, l'aimée même où Michelli du Crest proposait pour le point le plus bas la température des caves de l'Observatoire de Paris ! Ces quelques considérations historiques confirment combien la notion de mesure est difficile pour l'esprit humain, et combien est lente l'évolution vers la précision. Mais les scientifiques deviennent de plus en plus exigeants et en même temps sont amenés à mieux connaître les erreurs dues aux limites de leurs instruments. Avant d'aborder cette question des erreurs, disons un mot des systèmes d'unités.

Les systèmes d'unités. Ce qui précède montre que, vers la fin du siècle dernier, on était déjà capable de réaliser certaines mesures physiques assez précises. En même temps, l'usage de l'instrument mathématique se généralisant, on donnait de plus en plus souvent aux lois physiques une expression mathématique. Très vite, la nécessité d'une cohérence entre ces équations est apparue, car tes coefficients numériques constants qui interviennent dans les formules algébriques dépendent des unités choisies. (1) Histoire de la Science, op. cit., p. 52. 16

En 1881, le système C.G.S. (centimètre, gramme, seconde) fut adopté. Le 2 avril 1919, il a été complété à l'aide du système M.T.S. (mètre, tonne, seconde), dont l'inspiration n'était pas très différente. Un système plus complet, dans lequel intervient une unité de masse et non de poids, a été adopté en 1960 par la Conférence internationale des Poids et Mesures : le système S.I. (système international), dont les unités de base sont : le mètre, le kilogramme-masse, la seconde, l'ampère, le degré Kelvin et la candela. Une réflexion analogue est pour le moment absente des publications d'Econométrie dont nous avons connaissance. Beaucoup d'équations sont données sans aucune indication sur les unités utilisées (il ne s'agirait pas ici tant de l'unité proprement dite : franc, kilo... que de la technique employée pour la mesure, et du système statistique de référence : prix courants, prix constants se référant à telle date, procédure de calcul de tel service statistique, pour tel pays, à telle date, etc.). Dans la deuxième partie de ce travail, une tentative d'étude systématique sera faite de ces points capitaux. Or, il est important de remarquer qu'en matière économique, ce n'est pas tellement un étalon de mesure qui est nécessaire, mais un système d'étalons. En effet, le prix d'une marchandise à une date donnée, dans un pays donné, par exemple, ne suffit pas ; il faut se donner le système formé par l'ensemble des prix de toutes les denrées à cette date et dans ce pays. Il en sera de même des quantités consommées ou produites, etc. Cette recherche d'un système d'étalons de grandeur semble pratiquement absente des réflexions des économistes. Nous aurons à insister cependant sur sa nécessité à plusieurs .reprises.

Notion d'erreur. Il n'est pas toujours évident pour les hommes que des mesures sont nécessaires, mais à partir du moment où ils citent un chiffre, ils ont ime forte tendance à le prendre comme un absolu. Des générations de bacheliers sont formés, par l'étude de la physique, à ne jamais donner une mesure sans indiquer en même temps l'erreur maximum qui a pu être commise en l'élaborant. Cela ne les empêche pas ensuite d'utiliser ou de calculer quantité de chiffres comme s'ils étaient absolument exacts jusqu'à la dernière décimale ! Pourtant, si on se reporte à un manuel déjà ancien de physique pour la classe de Mathématiques 0), on trouve en tête du livre un chapitre sur l'incertitude des mesures, dont voici un passage important : « La mesure d'une grandeur ne peut être qu'approchée pour les raisons suivantes : I o Précision limitée des appareils de mesure. On ne pourra connaître le centième de millimètre par exemple dans la mesure d'une longueur faite avec une règle graduée en millimètres. (1) Physique, classe de Mathématiques Elémentaires, Paris, 1958, p. 7 et 8.

EVE

et

PESCHARD,

Magnard,

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2° Erreurs inévitables d'exécution (erreurs accidentelles). Par exemple, la coïncidence entre le zéro de la règle et l'origine de la longueur est plus ou moins bien assurée. 3° Erreurs dans le fonctionnement ou la grandeur des appareils de mesure (erreurs systématiques). « REMARQUE. — Dans certains cas, l'imprécision relative à la définition même de la grandeur limite l'approximation de la mesure. S'il s'agit de mesurer la longueur d'une table dont les côtés ne sont pas rigoureusement parallèles et dont les bouts sont arrondis, il serait illusoire de chercher à obtenir la précision du dixième de millimètre, ou même du millimètre. La longueur d'une pièce d'étoffe peut varier considérablement suivant qu'elle est plus ou moins tendue : il serait absurde de chercher une très grande précision dans les mesures de ce genre. » Tout cela relève du simple bon sens, mais le bon sens est-il vraiment la chose du monde la mieux partagée ? Dans sa passionnante histoire de la physique, Physique et Physiciens ('), R. Massain ne cite qu'un seul calcul d'erreur, effectué par Prago en 1822 dans la détermination de la vitesse du son, ce qui montre que ce genre de démarche n'est pas si naturel aux savants eux-mêmes ! M. Oskar Morgenstern fait à ce propos une remarque fort importante qui tend à montrer que le problème est plus crucial encore en sciences économiques qu'ailleurs : « On observe de façon fondamentale que au moins toutes les sources d'erreurs qui se rencontrent dans les sciences naturelles, se rencontrent aussi dans les sciences sociales ; en d'autres termes, les problèmes statistiques des sciences sociales ne peuvent dans tous les cas être moins sérieux que ceux des sciences naturelles. En réalité, la situation est beaucoup plus compliquée, et demande donc un examen des plus détaillés. En conséquence, le traitement des erreurs d'observation dans les sciences sociales doit être au moins aussi extensif, et les normes au moins aussi sévères que ceux utilisés dans les sciences naturelles. En fait, néanmoins, on s'y préoccupe beaucoup moins des erreurs que dans les autres domaines. C'est là, sans aucun doute, une des raisons pour lesquelles les sciences sociales ont connu un développement plutôt incertain » ( 2 ). Cependant, la terminologie s'est précisée ( 3 ), ce qui donne une plus grande rigueur à la notion d'erreur elle-même ; d'après les fiches du Dictionnaire de Mathématiques de l'Association des Professeurs de Mathématiques (« Erreur » et « Incertitude », 1968) : « L'erreur est la « différence entre la valeur estimée a' d'un nombre et sa valeur exacte a : Δα = a' — a. Cette différence peut être positive ou néga(1) Magnard, Paris (sans date). (2) Précision et incertitude des données économiques, Dunod, Paris 1972, p. 7. (3) Nous retenons celle que recommande l'Association des Professeurs de Mathématiques de l'Enseignement Public. Cette association déconseille les locutions antérieurement usitées d'« erreur relative » ou d'« erreur absolue », à cause de leur ambiguïté. 18

tive suivant que l'estimation a' est faite par excès ou par défaut... La différence opposée a — a' = Ca s'appelle correction. »... la valeur exacte des erreurs expérimentales est, par nature, inconnue; souvent même on ignore leur sens... Pratiquement, ce qui détermine la précision d'une mesure ou d'un calcul, c'est une quantité positive εα appelée incertitude qui est un majorant de | Δα|. » Taux d'erreur : ... c'est pour αφ 0, le quotient : Δα ta = — a « On emploie aussi le pourcentage d'erreur, égal à 100 ta %. On appellera g taux d'incertitude un majorant T e de ta; on peut écrire mais pratiquement

M

ε on est amené à le prendre égal à —^r; pareillement on emploie le pourcentage \a I d'incertitude égal à 100 T 0 %. » Il est fondamental de comprendre ce qui domine le problème : c'est que a n'est pas connu et ne peut l'être, puisque toute mesure est un a'. Un praticien prendra pour a une valeur moyenne donnée par tous les a' connus. C'est sans doute la seule valeur expérimentale qui puisse être donnée à a. On sait donc bien qu'en quelque domaine que ce soit, il n'existe pas de mesure rigoureuse. On ne peut envisager comme mesure humaine d'une grandeur qu'un nombre qui a une haute probabilité d'être approché à η % près par toute autre mesure humaine. On ne connaît jamais exactement une longueur, a fortiori on ne connaît jamais exactement un revenu national; mais on peut élaborer des nombres qui en donnent une idée approximative : c'est beaucoup mieux que rien. Avec des moyens très grossiers, on obtient parfois des résultats très utiles : la loi de Mariotte a été réalisée avec les moyens limités dont ce physicien disposait; elle n'est qu'approximative, mais elle a beaucoup servi à la progression de la science. Mais il ne faut pas avoir la « mystique » des décimales, et donner à un résultat une apparence de précision illusoire. MM. Pierre Massé et Pierre Bernard l'affirment avec force à propos du taux d'expansion : « Il ne faut donc pas avoir la hantise du taux d'expansion, et encore moins la superstition des décimales. Dans l'état actuel de la science et de l'information, nous ne pouvons pas régler ou prédire le rythme d'expansion à 0,1 ou 0,2 % près. Le bon usage des statistiques ne peut se faire sans précaution. C'est le cas de répéter avec Valéry que ceux qui voient les choses trop exactement ne les voient pas exactement » (1). M. Oskar Morgenstern renchérit : « Il devrait ... être clair a priori que la plupart des statistiques économiques ne devraient pas être énoncées de la façon dont elles le sont couramment, prétendant à une précision qui est (1) Les Dividendes du Progrès, Seuil, Paris, 1969, p. 7. 19

probablement complètement hors d'atteinte, et qui n'est même pas exigée la plupart du temps. Les modifications du pouvoir d'achat des consommateurs sont notées et considérées sérieusement, jusqu'au dernier milliard, si ce n'est plus loin (c'est-à-dire des variations de moins de un demi pour cent!); les indices de prix de gros ou de détail sont donnés avec deux décimales, même s'il y a tant d'étapes de calcul que les seules erreurs d'arrondi détruisent un tel degré de précision. Des chiffres de plusieurs millions de chômeurs sont indiqués jusqu'aux derniers milliers (c'est-à-dire des centièmes de un pour cent de « précision »!) alors qu'on peut certainement discuter des 100 000, et même dans certains cas des millions (*). » Tout ceci est donné sans aucune référence, quelle qu'elle soit, à l'erreur d'observation... Le revenu national et le pouvoir d'achat des consommateurs ne peuvent probablement pas être connus actuellement sans une erreur entre ± 10 et ± 15 % » (2). En matière d'économie comme ailleurs, la précision est donc toujours difficile, et doit être en progression incessante. Mais en économie, plusieurs problèmes spéciaux augmentent cette difficulté. D'abord, il convient de savoir exactement ce que l'on mesure sans double emploi. Ce que disait en 1791 celui qui a introduit en chimie les pesées systématiques et rigoureuses, reste toujours valable : « Le produit ou le revenu territorial d'un grand empire peut être envisagé sous différents rapports; et de ces différents rapports naissent une foule de considérations importantes. » Le produit territorial, considéré dans son ensemble, est la somme de toutes les productions du sol, de tout ce qui croît sur le sol et aux dépens du sol, soit pour l'usage des hommes, soit pour l'usage des animaux. » Ainsi, non seulement les pâturages et les fourrages qui croissent dans les prairies sont un produit territorial, mais la génisse et le poulain qui s'y élèvent, mais l'augmentation de valeur du bœuf qui s'y engraisse, les accrus des bestiaux, le lait, le beurre, les fromages qui proviennent des vaches qui s'y nourrissent, sont véritablement un produit du territoire. » Mais, c'est dans l'évaluation de ce produit en argent, dans son estimation en valeur numéraire, qu'il est aisé de se tromper. Dans presque tous les essais de ce genre, on a fait une foule de doubles et de triples emplois; on a fait entrer en compte deux ou trois fois la même valeur. On est arrivé à des résultats faux et exagérés » (3). (1) (Note de M. MORGENSTERN.) « A côté de cela, une erreur probable de 2 ou 3 pour cent est considérée comme suffisamment petite dans de nouvelles et décisives mesures de la stabilité des mouvements des planètes, dans le cadre de l'examen de la validité de la théorie de la relativité! Cf. G. M. CLEMENCE (U.S. Naval Observatory), « Relativity Effects in Planetary Motion », Proc. Amer. Phil. Soc., vol 93, p. 532. » (2) Précision et incertitude des données économiques, Dunod, Paris, 1972, p. 8. (3) LAVOISIER, De la richesse territoriale du Royaume de France, mémoire adressé à l'Assemblée Nationale, 1791. Cité par J. M. JEANNENEY, R. BARRE, M. FXAMANT et

M. PERROT, Documents économiques, P.U.P., Paris, 1958, p. 115 à 117.

20

Nous verrons plus loin que ce n'est pas le seul problème qui se pose quand on veut ainsi estimer des agrégats caractéristiques de l'économie d'un pays. En effet, additionner des produits si divers est très délicat; on passe le plus souvent, comme le suggérait déjà Lavoisier, par une estimation en valeur, mais on peut obtenir des résultats fort différents selon la façon dont on définit cette estimation. Les « erreurs » commises sont alors beaucoup plus fortes que celles qui peuvent résulter simplement de l'usage d'un instrument de mesure en physique, et elles sont très difficiles à chiffrer. Or la mesure semble indispensable actuellement à la science économique. Que signifierait une étude sur l'économie française qui ignorerait par exemple les résultats groupés dans un Annuaire de l'I.N.S.E.E. ? Chaque chapitre de cet annuaire, de la climatologie à l'étude des valeurs en bourse, en passant par l'étude des prix, des productions et des consommations, pose des problèmes de choix de la méthode de calcul. La mesure des quantités économiques touche à tous les domaines de l'économie et a des répercussions fondamentales sur toutes les hypothèses de travail.

Au terme de cette introduction, on peut être convaincu que les possibilités que l'homme a de connaître le réel sont très grandes, mais qu'elles ont des limites. Mais nous pouvons dire avec Pascal que c'est déjà beaucoup de savoir qu'on est ignorant : « Les sciences ont deux extrémités qui se touchent : la première est la plus pure ignorance naturelle où se trouvent tous les hommes en naissant. L'autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu'ils ne savent rien, et se rencontrent en cette même ignorance d'où ils étaient partis. Mais c'est une ignorance savante qui se connaît ». En même temps, comme le disait M. Henri Guitton au Congrès des Economistes de langue française de 1967, on doit se rapprocher de la perfection tout en vivant dans l'imperfection.

Le présent travail comporte deux parties. La première partie porte sur des mesures effectives en économie : agrégats et indices; la seconde traite de l'utilisation de ces mesures dans certaines formules de l'économétrie. Il est impossible de parler à la fois de tous les problèmes de mesure en matière économique; nous nous sommes donc limités à deux de leurs aspects, les mesures effectuées, et leur application en économétrie. En outre, à l'intérieur de ces parties, un choix a dû être fait : dans la première partie, il n'est question que des agrégats et des indices, considérés comme typiques des efforts de synthèse des mesures partielles qu'on effectue en économie; les problèmes pratiques posés par ces mesures partielles (collecte d'un prix par exemple) sont presque totalement passés sous silence. 21

Les conséquences en économétrie des difficultés de mesures ne sont pas les seules qu'ü faudrait aborder; cependant, nous n'avons parlé que d'elles dans la seconde partie, parce qu'il nous semblait que c'était un domaine où les mises en garde étaient particulièrement urgentes. Il était impossible de traiter de toutes les formules économétriques : ici encore, un choix a été effectué : les fonctions de production nous ont paru pouvoir servir d'exemple-type ; le problème de l'agrégation a l'intérêt de mettre en plus en évidence des difficultés purement mathématiques. Ι/Ά conclusion ne sera guère optimiste : malgré tous les efforts effectués depuis des années, il reste des impossibilités ou de graves lacunes dans les méthodes de mesure et d'agrégation des quantités économiques.

Je tiens à remercier tout particulièrement mon père, Jean Fourastié, qui a provoqué, suivi, stimulé ces recherches tout au long de ces dernières années. Je voudrais exprimer également ma reconnaissance à M. Dugué qui a bien voulu diriger ce travail, ainsi qu'à MM. Dumontier, Girault et Ville qui ont accepté de faire partie du jury, et qui m'ont communiqué leurs très intéressantes observations. Les citations que contient le texte et la bibliographie qui se trouve à la fin du volume montrent tout ce que je dois à de nombreux auteurs. Je voudrais également remercier tout le personnel du Laboratoire d'Économétrie du Conservatoire National des Arts et Métiers, dont la sympathie m'a épaulée dans ce travail, particulièrement M. Alasseur qui a rédigé une annexe, effectué le graphique et les dessins et relu les épreuves, Mmes Perrissin et Pellion et Mlle Assai qui ont assuré la dactylographie, ainsi que le personnel de l'Imprimerie Villain et Allais, particulièrement MM. Villain et Wagner qui a réalisé, avec beaucoup de soin et de rapidité, l'impression de ce volume. « Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d'où il est tiré, et l'infini ou il est englouti. « Que fera-t-il donc, sinon d'apercevoir quelques apparences au milieu des choses ? Toutes choses sont sorties du néant et portées jusqu'à l'infini. Qui suivra ces étonnante démarches ? L'Auteur de ces merveilles les comprend. Tout autre ne peut le faire » O. PASCAX,

(1)

22

PASCAL,

Pensées, Ed. Pléiade, n° 84.

PREMIÈRE PARTIE

LES MESURES EFFECTIVES AGRÉGATS ET INDICES

INTRODUCTION

N'importe quel enfant peut faire aujourd'hui une division; or il a fallu les efforts d'une longue suite de très grands esprits pour établir la règle qu'emploie cet enfant. Jean FOURASTIÉ L'introduction de cet ouvrage a insisté sur la difficulté de toute mesure, dans quelque domaine que ce soit. Cette première partie voudrait introduire le lecteur dans le vif du sujet, en mettant en évidence les difficultés de la mesure des quantités économiques. Deux exemples simples et courants ont été choisis, les agrégats et les indices (1). On pourra voir qu'il existe quantité de manières de calculer les uns et les autres, et que les résultats de ces calculs sont souvent très divergents. L'impossibilité — même dans des cas simples — d'une mesure absolue doit être constatée. Cette impossibilité pose des questions quant à l'utilisation et la signification des grandeurs figurant dans des formules économétriques. Ces questions seront posées dans la seconde partie. Beaucoup de travaux des économistes sont conditionnés par des problèmes de mesure : celles de la production industrielle ou de la production nationale, de la consommation, de l'emploi, de la productivité, du progrès technique, du coût de la vie ou du niveau des prix...; et la comparaison dans le temps et l'espace de ces mesures s'impose presque toujours. Toute mesure risque de déformer ou de transformer l'objet à mesurer. En physique, on connaît le principe d'incertitude d'Heisenberg : une particule électronique est modifiée par sa mesure même; on la met en évidence dans une chambre à gaz en l'éclairant, et ce faisant, on la transforme. De même, bien des mesures en physiologie exigent la mort de l'animal observé. (1) Ces deux procédés de calcul sont ceux dont les conséquences sont les plus importantes, à notre avis, sur les résultats économiques. Nous rejoignons ici M. Max BAI/CERNSPERGER et Mme Françoise DANET, dans l'appendice I : L'incertitude des mesures effectuées en comptabilité nationale, de La Croissance de la Production 1960-1980, O.C.D.E., déc. 1970. 25

En économie, on va retrouver un phénomène analogue : Calculer un agrégat de la comptabilité nationale revient à « arrêter » la vie du pays à une certaine date, et à privilégier certains éléments : cette difficulté se retrouvera plus loin à propos des prix courants et des prix constants. Par ailleurs, le regroupement des produits ou des consommations comporte une part d'arbitraire; l'un des groupements classiques en Primaire, Secondaire et Tertiaire n'est pas sans poser des questions pour les produits limites; on a même parfois utilisé un secteur Quaternaire. D'autres regroupements, comportant aussi des difficultés, sont nécessaires. 1/analogie avec le principe d'Heisenberg est plus nette encore lorsqu'un agrégat ou un indice est calculé à l'aide de certains produits choisis comme représentatifs de l'ensemble. he risque alors est très grand que l'État ou les producteurs aient un comportement spécial vis à vis de ces produits choisis. C'est ainsi que l'I.N.S.E.E. est amené à donner fort peu de précision sur les éléments qui composent l'indice du coût de la vie; sinon — comme cela s'est vu surtout pour l'indice des « 213 articles » — leur prix peut être l'objet, de la part de l'Etat, d'une réglementation particulièrement rigoureuse et donc rester fixe, alors que celui des autres produits qu'ils sont censés représenter varie. Compter, c'est abstraire, et perdre de l'information. On sait que la notion de nombre a été très longue à se former dans l'histoire de l'humanité. Il faut en effet constater une correspondance terme à terme des éléments, ce qui, en termes d'aujourd'hui, peut s'exprimer en recherchant si deux ensembles ont même cardinal. I^a correspondance s'est faite assez souvent avec les doigts de la main (d'où une représentation des nombres chez certains peuples primitifs par les doigts) (1). Il est important de souligner que cette abstraction qui en vient à représenter un ensemble par son cardinal, correspond à une perte d'information. L'Ethiopien qui, encore maintenant, répond à une question concernant le nombre de ses enfants en énumérant chacun d'eux, considère chaque enfant comme une personne particulière. Quand nous disons que Jacques et Paul sont deux enfants, nous oublions les très nombreuses différences qui peuvent exister entre eux, (les deux enfants ne sont pas interchangeables) et nous ne gardons qu'un infime renseignement qui leur est commun : ce sont des enfants. Ceci exige en même temps l'existence d'un concept terminologique : ici la notion d'enfant commune à Jacques et Paul. Prenons d'autres exemples. Si l'on veut décrire des arbres, il faudrait dire qu'il y a un tilleul de 20 ans, puis un hêtre, puis un autre tilleul plus jeune, puis un marronnier... C'est déjà abstraire que de dire le nombre de (1) Voir l'introduction p. 3. Nous désignons encore deux objets par le mot « paire » et deux êtres par le mot « couple ». C'est un reste d'un temps où il fallait des mots différents pour désigner deux objets ou deux hommes ; le mot abstrait « deux » n'existait pas. Le chapitre IV de cette partie contient une réflexion, une interrogation sur la question de l'histoire de la formation du nombre chez l'homme. 26

tilleuls ou de marronniers. E t on arrive à une abstraction supplémentaire si l'on dit : ce bois comprend mille arbres. Ce qui est plus exact, c'est rémunération du début; mais Dieu seul peut tout embrasser d'un seul regard ; l'homme se perd dans le détail, et ne verra finalement plus rien en lisant l'énumération de mille arbres différents. Dire seulement qu'il y a mille arbres, c'est mutiler la réalité. On se trouve devant une limite de l'homme qui ne peut avoir qu'une « pensée unique » à la fois (1). Une œuvre scientifique devrait normalement comporter à la fois des mesures et des observations. Ces dernières ne sont pas toujours chiffrables. Certains travaux sont uniquement orientés vers l'observation (c'est le cas — déjà signalé — de l'entomologie pratiquée par J.H. Fabre). En fait, mesure et observation sont nécessaires et se complètent. En économie particulièrement, il convient de ne pas s'appuyer uniquement sur des chiffres; ils sont d'ailleurs si nombreux qu'il serait possible de s'y perdre, mais il faut les étayer par l'observation et la réflexion (2). En effet, en économie, les grandeurs à mesurer sont souvent ouvertement hétérogènes; c'est le cas de celles qui sont groupées dans un agrégat ou un indice. L,a perte d'information est alors particulièrement sensible. Quelques exemples vont en être donnés : d'abord au niveau théorique : cas où on peut se servir de quantités physiques et cas où on se sert de la « valeur ». Les chapitres suivants donneront des exemples de calculs chiffrés effectivement réalisés. Iye but des trois premiers chapitres de cette partie est de répondre aux questions suivantes, ou plutôt de constater qu'elles n'ont pas de réponse : Quelle est la signification statistique d'un agrégat, comme celui de la production intérieure brute? Quels types d'étalon (monnaie, salaires...) peuvent être employés pour ajouter les uns aux autres des produits aussi divers que le pain, les automobiles et l'électricité? Quelles conséquences sur les variations d'un agrégat ou d'un indice peuvent avoir les étalons choisis ? Existe-t-il un étalon idéal ?

e (1) Cf. Jean FOURASTIÉ, La Grande Métamorphose du XX siècle, P.U.P., Paris, 1962, repris dans Idées majeures, collection « Médiation », Gontier, Paris.

(2) Voir : « Méthodes de programmation dans le V e Plan », Études et Conjonctures, n° 12, déc. 1966, p. 26 « Dans une optique « sectorielle » et en se situant aussi au double plan de l'analyse et de la politique économique, les projections globales peuvent apparaître essentiellement comme des intermédiaires de calculs. Les grandeurs globales proviennent souvent de l'agrégation d'éléments hétérogènes et leur signification économique peut de ce fait être limitée. Les travaux détaillés présentent l'avantage de permettre d'intégrer une très grande quantité d'informations quantitatives, mais aussi qualitatives ; ils n'ont pas la rigidité et la pauvreté du contenu en information des modèles économétriques globaux. » Il semble bien, finalement, que les deux démarches, globale et sectorielle, ne doivent pas être considérées comme opposées, mais comme complémentaires, chacune d'entre elles ayant sa signification et son utilité propres, et la confrontation de l'une avec l'autre permettant d'étayer plus solidement la projection (remise en cause des projections globales par les projections détaillées et inversement). »

27

Chapitre I

L'ADDITION DE GRANDEURS HÉTÉROGÈNES Partie théorique Ce premier chapitre examinera du point de vue théorique la constitution d'agrégats en économie. Il y a des quantités de manières de réaliser un agrégat d'ordre économique; nous en examinerons quelques-unes : 1. L'addition de quantités physiques en unités physiques : poids, équivalent énergie. 2. ha. constitution d'indices synthétiques à partir d'indices élémentaires. 3. I/utilisation de la valeur (valeur ajoutée, prix courants, prix constants; sur cette méthode se greffe une « méthode chaîne »); l'utilisation d'un étalon : prix relatifs, prix-or, prix réels ou salariaux; la méthode des francs constants. Nous terminerons par quelques considérations sur les comparaisons internationales, et sur les applications de la mesure des agrégats à la mesure de la productivité. Ce chapitre, qui s'efforce de mettre en évidence les concepts et les problèmes théoriques qu'ils posent est suivi d'un autre qui a pour objet d'appliquer les différentes méthodes résultant de ces concepts à un exemple numérique simple. Les chapitres ι et n ne doivent donc pas être séparés. I. L'ADDITION DES QUANTITÉS PHYSIQUES, EN UNITÉS PHYSIQUES. On peut dire qu'un tilleul et un sapin constituent deux arbres et on peut additionner certaines quantités économiques en utilisant ce même type d'abstraction. Les quantités physiques auxquelles on a pensé sont : le nombre d'objets, leurs dimensions et leur poids, leur énergie. Pratiquement, on se limitera ici à la considération des poids et de l'équivalent énergétique, quoique les nombres d'objets soient utilisés en économie, notamment pour les objets manufacturés. 29

— Le poids. Un premier procédé qui vient à l'esprit est de dire qu'un kilogramme de charbon et un kilogramme de fruits font deux kilogrammes de marchandises. Ce procédé est fort légitime s'il s'agit par exemple d'envisager le transport de ces marchandises; mais, s'il s'agit d'apprécier l'activité économique, il est évident qu'il doit être refusé : « ce qu'on cherche à mesurer c'est la variation de la production considérée dans son ensemble. Bien que les productions particulières soient exprimées en unités différentes, il ne serait évidemment pas impossible de ramener tous les chiffres en poids en vue de les additionner. On obtiendrait ainsi le tonnage global de la production. C'est ce qu'on fait, d'ailleurs, dans la statistique de commerce extérieur pour les marchandises importées ou exportées. Mais il suffit de réfléchir un instant pour comprendre qu'une expression de cette nature ne pourrait satisfaire l'esprit... » (*) Dugé de Bernonville propose alors la solution par la valeur. Nous reviendrons sur ces questions. — L'équivalence énergétique ou calorifique (2). On pourrait penser qu'au moins dans certains domaines particuliers, le problème de l'addition des productions physiques peut recevoir une solution objective. En fait, il n'en est rien. Prenons l'exemple de l'énergie. Peu importe, semble-t-il, qu'une Nation ait peu de charbon si elle a une importante production d'électricité hydraulique. I,e problème est simple en apparence ; il suffit de définir une échelle de valeur permettant de transformer toutes les formes d'énergie en tonnes d'équivalent charbon (tEc) par exemple celle qui est définie dans l'Annuaire Statistique de la France (1968) : Electricité : 1 000 kWh Combustible solide : l t Pétrole brut : 1 t Produits pétroliers : 1 t Gaz naturel : 1 000 thermies

0,4 tEc 1 tEc 1,4 tEc 1,5 tEc 0,15 tEc

De telles équivalences semblent bien résoudre notre problème. Cependant il existe deux embûches dans le calcul. Σ,Ά première est due aux doubles emplois possibles. Nous retrouverons ce problème un peu plus loin en définissant la « valeur ajoutée » d'un produit. Ici, il s'agit de ne pas compter deux fois le charbon tiré de la mine et le gaz obtenu avec ce même charbon, ou l'électricité obtenue dans une centrale thermique également à partir du charbon. Il faut donc faire la distinction fondamentale entre énergie primaire et énergie dérivée ou secondaire, et ne compter que la première. (1) DUGÉ DE BERNONVHJ,E, Initiation à l'analyse statistique, Paris, 1939, p. 51. (2) Voir Jean FOURASTIÉ, « Mesure de l'énergie », Encyclopédie l'Ère atomique, tome X, René Kister, Genève, 1959, p. 7 et 8 ; « Évolution de la production industrielle pendant l'année 1957 », Études statistiques, supplément trimestriel du Bulletin mensuel de statistique, n° 3, juillet-septembre 1958, p. 58-59; et Annuaire Statistique de la France, I.N.S.B.E., 1968. 30

La deuxième embûche est plus grave car on se trouve devant un problème scientifiquement insoluble. Le choix de l'unité de calcul n'est pas aussi simple que le tableau ci-dessus pourrait le faire penser. E n fait, il y a deux types d'équivalences possibles basées soit sur le pouvoir énergétique, soit sur le pouvoir calorifique. Le plus souvent on se sert de la forme dominante d'énergie, qui est presque toujours le charbon; mais les taux d'équivalence ne sont pas constants, ce qui oblige à reconnaître la valeur relative de toute équivalence. On peut voir que l'I.N.S.E.E. retient trois coefficients d'équivalence pour l'électricité : avant 1948 : 1 000 kWh valaient 0,7 tEc, puis 0,6 t E c et actuellement ils valent 0,4 t E c ; dès qu'on se place sur une période un peu longue, tous les coefficients varient; ils dépendent non seulement de la qualité des produits, qualité qui varie dans le temps et dans l'espace, mais surtout des rendements (nombre de kWh produits par la combustion de 1 t de charbon dans une centrale, ...) qui changent avec les techniques mises en œuvre (dans le temps et dans l'espace) et modifient les coefficients (1). Ainsi, même dans ce cas particulier, le recours aux quantités physiques ne permet pas de mesure absolue. Nous allons voir que dans les cas les plus généraux, on se heurte à des difficultés de même type, mais encore plus importantes. Π. CALCUL D'UNE MOYENNE D'INDICES ÉLÉMENTAIRES. Pour éviter toute difficulté de mesure, le plus simple semblerait de recourir à des indices élémentaires, représentant chacun la variation de l'un des produits (que ce soit en prix, ou en poids ou en n'importe quelle unité). On ferait ensuite la moyenne de ces indices élémentaires. Les indices feront l'objet du chapitre n i de cet ouvrage, mais ils peuvent être cités ici pour mémoire, comme représentant une des possibilités qu'ont les statisticiens pour tourner la difficulté qui fait l'objet du présent chapitre : additionner une automobile, une tonne de blé et une heure d'enseignement... Citons de nouveau Dugé de Bernonville (2) : « Supposons, par exemple, que l'on se propose de représenter par un indice unique les variations de la production industrielle générale d'un pays, en admettant que les informations statistiques soient suffisamment développées pour suivre le volume de production de chaque industrie considérée isolément. Cette production, au cours d'une année, par exemple, sera exprimée en tonnes pour la fonte, en mètres pour les tissus, en paires pour les chaussures, etc.; mais si on peut généralement, sans trop de difficulté, construire un indice simple pour chacune des industries particulières, comment opérer pour en déduire un indice unique, représentant les variations de la production globale? » On veut, sans doute, déterminer une moyenne de tous les indices simples, de tous les nombres relatifs correspondants aux différentes industries. Or ü y a une infinité de moyennes. Si les nombres relatifs sont suffisamment (1) Voir exemple numérique p. 47. (2) Initiation à l'analyse statistique, Paris, 1939, p. 50-51.

31

groupés, un type quelconque de moyenne permettra une représentation approximative de l'ensemble. Mais si, comme il arrive souvent, les nombres relatifs particuliers sont notablement dispersés, la signification d'une moyenne ainsi conçue pourra être très problématique. » Même dans les cas où les nombres relatifs ne sont pas trop dispersés, les types variés de moyennes possibles donnent en fait des résultats différents. Surtout le choix de la base pose un problème insoluble, car l'étude porte sur des structures de production divergentes, et donc des moyennes également divergentes. Par ailleurs, utiliser des indices ne peut servir que dans le cas où l'on désire comparer un agrégat pour deux années ou deux pays. Ce moyen ne peut pas servir à connaître le nombre absolu qui représenterait par exemple la production industrielle d'un pays à une date fixée. Et l'indice global obtenu n'a pas de signification « physique », en ce sens qu'il n'est pas le rapport de deux expressions ayant un sens concret. m . UTILISATION DE LA VALEUR. I^e mieux serait de pouvoir additionner les « valeurs » des différentes composantes de la production. Mais ce n'est pas si simple de voir même ce que ce mot signifie, et encore moins de l'utiliser pour faire des comparaisons. — Notion de valeur. Dans le langage courant, l'idée de « valeur » semble être une propriété intrinsèque d'un objet : « tel bijou a de la valeur ». Or il est très difficile de préciser ce qu'est cette valeur. Un caillou peut avoir « de la valeur » aux yeux d'un enfant, même s'il n'a aucune valeur marchande. Il en sera de même de beaucoup de souvenirs dont la « valeur » n'est due qu'à la personne qui les a utilisés, ou aux circonstances qu'ils rappellent. Tout ceci est impossible à chiffrer objectivement. On se trouve obligé de remplacer cette notion de « valeur » presque philosophique par la notion de « valeur monétaire », c'est-à-dire le coût des objets, leur -prix (*) tel qu'il est utilisé dans les échanges. Dans la suite de cette partie, les différentes tentatives faites pour utiliser cette valeur monétaire seront décrites. (1) I (t) étant les prix et les quantités de chaque article, considérés comme fonction du temps. Tous les biens et services qui ont donné lieu à une transaction pendant la période dt doivent figurer dans l'indice : il s'agit en effet d'un indice monétaire; la forme est analogue à celle de l'indice de L,aspeyres, mais non la conception profonde. En supposant que les f (t) et qJ (t) soient des fonctions continues et dérivables du temps, on peut construire un indice chaîne instantané : _ ,

fo9(.t)dt

D,/o = « avec :

ψ (0 =

p'3 (t) est la dérivée de f modifiée :

Σ?'o

r ( o

i Σt·

σν

i

m es"

-. -h • " Í - O O

O Ov »•H

VII

rt

rtN^noin

000

I—

n : valeur ajoutée, à prix constants, dans l'industrie (branche II), λα • main-d'œuvre employée dans l'industrie, Κα : capital, à prix constants, de l'industrie, q0, ßlt β2, β3 : coefficients constants. ß3 est l'élasticité de la production par rapport à la main-d'œuvre; β 2 , l'élasticité de la production par rapport au capital; ß l t le coefficient de « trend temporel ». La fonction C.E.S.-V.E.S. (2). Il est impossible de rendre compte de toutes les formules de fonction de production qui existent, car il y en a un très grand nombre. Nous signalons seulement une des plus récentes en date, celle proposée par MM. Tanguy de Biolley et Jean Parlinck : elle a l'avantage, selon les valeurs des paramètres, de permettre de retrouver plusieurs des autres fonctions existantes. Pour l'élaboration de cette formule, les auteurs sont partis de la fonction de production S.M.A.C. ( 3 ) :

(α, η et θ : paramètres à estimer, 0 < α < 1). L,a formule qu'ils ont retenue est à l'élasticité de substitution constante (C.E.S.) ou variable (V.E.S.) selon les valeurs des paramètres :

(y et β sont de nouveaux paramètres).

Il est intéressant de voir que presque tous les utilisateurs, jusqu'à une époque récente, se servent de la fonction de Cobb-Douglas, quoiqu'on en ait inventé beaucoup d'autres! (1) Cf. « Méthodes de programmation dans le V e Plan », Études et Conjoncture, n° 12, décembre 1966, p. 38 Pour plus de détails, voir ci-dessous, ρ 154. (2) « Une famille de fonctions de production à élasticités de substitution variables ou constantes », par Tanguy de BIOLI

β

ΣΒ ( 2 )

α + β

0,81 0,78 0,73 0,63

± ± ± ±

0,15 0,14 0,12 0,15

0,23 0,15 0,25 0,30

± ± ± ±

0,06 0,08 0,05 0,05

1,04 0,93 0,98 0,93

0,51 0,62 0,62 0,63 0,61 0,76 0,63

± ± ± ± ± ±

0,03 0,02 0,02 0,02 0,03 0,02

0,43 0,33 0,31 0,34 0,37 0,25 0,34

± ± ± ± ± ±

0,03 0,02 0,02 0,02 0,02 0,03

0,94 0,95 0,96 0,97 0,98 1,01 0,97

0,84 0,78

± 0,34 ± 0,12

0,23 0,20

± 0,17 ± 0,08

1,07 0,98

0,52 0,53 0,59 0,64 0,49 0,74 0,62 0,59 0,65 0,60

± ± ± ± ± ± ± ± ±

0,47 0,49 0,34 0,38 0,49 0,25 0,31 0,27 0,34 0,37

± ± ± ± ± ± ± ± ±

0,99 1,02 0,93 1,00 0,98 0,99 0,93 0,86 0,99 0,97

0,05 0,05 0,05 0,04 0,04 0,08 0,08 0,07 0,01

0,05 0,05 0,04 0,04 0,04 0,11 0,10 0,09 0,03

(1) Les résultats présentés sont extraits de l'article cité de P . H . DOUGLAS : « Are there laws of production? », American Economic Review, mars 1948, pp. 12 et 16, et rassemblés par R. F R U I T : « La fonction de production de Cobb-Douglas », Revue Économique, 1962, n° 2, p. 214-215. (2) σ α et σ3 désignent les erreurs standard relatives aux valeurs α et β. (3) Il s'agit ici de l'étude initiale. Cependant, les chiffres ont été recalculés à partir de la formule Q = b · L a · Κ'3 tandis qu'à l'origine on avait testé Q = b • La · K1-« D'autre part, diverses modifications ont été apportées : 1° La définition des variables est inchangée par rapport à l'étude de 1928; 2° Les employés sont pris en considération au même titre que les ouvriers, pour déterminer la valeur de L, l'indice de la production a été modifié, on utilise celui de Day-Thomas; 3° La valeur de L tient compte du nombre d'heures de travail effectuées et non du nombre d'ouvriers au travail pendant l'année; 4° L'influence du temps a été éliminée, chaque indice annuel étant exprimé en pourcentage de son « trend ».

Suite de la légende page précédente. m

On constate sur le tableau une nette différence entre les séries chronologiques et les séries sectorielles, en ce qui concerne les erreurs types des coefficients α et β. Quand il s'agit de séries chronologiques, les erreurs types sont de l'ordre de 15 pour des coefficients de l'ordre de 80, ou 6 sur des coefficients de l'ordre de 23, donc de l'ordre de 1/4 à 1/5. Pour les séries sectorielles par contre, les erreurs types sont très faibles, de l'ordre de 2 ou 3 pour des coefficients a et β qui sont de l'ordre l'un et l'autre de 50. Ceci se retrouve dans toutes les applications, que ce soit aux États-Unis, en Australie, à Victoria ou en Nouvelles-Galles du Sud. Aucun résultat n'est donné à propos de la constante A. Or, si on change de technique, A doit changer. Il y a là une question à étudier. Il serait intéressant de savoir également si la taille de l'erreur type constatée sur les séries chronologiques tient à la longueur de la période, ou s'il y a déjà des erreurs types importantes sur une période plus courte. IV. CRITIQUES SUB LA FONCTION DE COBB-DOUGLAS. Ces critiques sont assez nombreuses et certaines sont violentes. Critique de Menderhausen t1). I/a première est celle de H. Menderhausen, dès 1928. Il a dit qu'il y a une sorte d'instabilité statistique, car il y a « multicollinéarité » entre les trois séries de logarithmes; si on les prend deux à deux il y a corrélation linéaire très forte. D'après lui, les coefficients de corrélation linéaires sont les suivantes : entre log Ρ et log 1, : 0,91 entre log Ρ et log C : 0,93 entre log I, et log C : 0,91 Par conséquent, quand on prend les trois séries ensemble, au lieu d'avoir des points dans des plans ajustés différents, on a des points pratiquement alignés. 1/ajustement qui consiste à déterminer le plan qui passe le plus près possible de ces points aboutit à une indétermination; c'est pratiquement ce qui a été dit plus haut en exprimant que les plans à ajuster sont presque parallèles, et que par conséquent une très petite erreur peut faire aboutir à un plan tout à fait différent. Menderhausen s'est servi des données brutes qu'avait utilisées le Professeur Douglas et a calculé ce que l'on obtiendrait si l'on supprimait certaines années : le nouveau résultat est différent de ce que Douglas avait trouvé en prenant ces années en compte. Les années que Menderhausen a supprimées lui apparaissent comme aberrantes (crises et reprise) sur l'exemple (1) Econometrica, avril 1938, p. 143 : «ONthe signifiance of Pr. DOUGLAS production function ». 140

américain de 1928 (de 1899 à 1922). L'auteur a obtenu 0,96 pour α au lieu de 0,76 et 0,13 pour β au lieu de 0,25. 1/instabilité statistique dont la formule de Cobb-Douglas fait montre ainsi, enlève beaucoup de poids aux résultats. Critique de Menderhausen et de Phelps Brown ( 1 ). Une autre critique affirme que le coefficient β n'est pas autre chose que le rapport du taux de croissance du produit par tête, au taux de croissance du capital par tête : il y a donc dépendance entre la valeur de β et par conséquent celle de α et la période étudiée. Cet argument ne vaut que pour les séries chronologiques, mais il est grave. Précisons un peu; Menderhausen a exprimé les taux de croissance a, b, c, de la production, du travail et du capital en fonction du temps : log Ρ = at

log I, = bt

log C = ct

La relation de Cobb-Douglas permet d'écrire : at = α · bt + β · ct

d'où : a —c b - c

α= τ

,

et

.

β=

a —b r c - b

On pourrait à la limite arriver à des cas où la part du travail serait négative (si on considère β = 1 — α) quand l'évolution de la production ne se trouve pas située entre celle du travaû et celle du capital. L'ajustement d'une fonction de Cobb-Douglas par une série chronologique se trouve ainsi n'avoir aucun fondement. Il faut se contenter de séries sectorielles. Il s'agit là de l'argument « temps ». Celui-ci n'est pas formulé en termes de changement des techniques et de progrès technique, mais c'est bien cela qui est en cause. Douglas semble croire que β est un coefficient d'élasticité du travail; or β est quelque chose comme le rapport des pentes des séries chronologiques; ces pentes sont variables avec l'état de la technique, par conséquent, β varie avec le temps. Un ajustement qui ne tient pas compte de cette variation ne peut être considéré comme valable. Critique de J. Tinbergen (2). Les autres critiques que nous examinerons s'adressent aux séries sectorielles. Parmi elles, la plus nette est celle de Tinbergen qui aboutit à affirmer que la fonction ajustée par le Professeur Douglas n'est pas une fonction de production. (1) Phelps BROWN, « The meaning of the fitted Cobb-Douglas function », Quaterly Journal of Economics, 1957, p. 546. (2) « Professor Douglas' Production function », Revue de l'Institut International de Statistique, 1942, livres 1-2, p. 37-48.

141

Si le rapport entre le capital et le travail n'est pas le même d'une industrie à l'autre, ce n'est pas à cause des variations des rapports de prix des facteurs — le capital et le travail coûtent le même prix, en principe, quelque soit le secteur, dans un pays donné — mais à cause de phénomènes purement techniques; il est normal de penser que le progrès technique joue différemment selon les secteurs. Un ajustement correct ne devrait pas alors faire intervenir plusieurs secteurs, mais un seul. Ce secteur unique pourrait être observé dans plusieurs pays où le capital par tête d'habitant serait différent. M.T. Barna est revenu sur cette critique : il pense qu'il n'y a aucune raison pour que les coefficient A et α soient les mêmes pour toutes les branches d'industrie Critique de Phels Brown (2). Le produit étant hétérogène, la mesure de la production est difficile à réaliser. Le recours à la « valeur » modifie la signification de la fonction. « Pour chaque industrie, la valeur nette de la production doit être la « valeur ajoutée », c'est-à-dire l'autre aspect comptable de l'agrégat des gains du travail et du capital. Or, malgré quelques divergences, les taux de salaire et les taux de rémunération du capital effectivement pratiqués par les différentes branches n'ont pas d'écarts suffisants par rapport à la moyenne nationale pour empêcher l'existence d'une corrélation assez forte entre la valeur ajoutée des entreprises et le produit obtenu en affectant les quantités de travail et de capital des taux de rémunération moyens » (3). Le coefficient α de la fonction de Cobb-Douglas est ainsi lié aux taux de salaire; les raisons de ce lien ne tiennent pas à la réalité intrinsèque de chaque industrie, mais seulement à la méthode de calcul. Conclusions de M.R. Fruit (4). La formule de Cobb-Douglas sous sa forme initiale : Q = AI/'K 1 "", présente de sérieuses limites. D'abord, le temps modifie la valeur de oc, ce qui interdit théoriquement l'ajustement par des séries chronologiques. La formule telle qu'elle est ne tient pas compte des variations du rapport capital-travail dues au progrès technique. Ensuite, la valeur de α n'est pas la même d'une industrie à l'autre : en effet, la croissance économique n'est ni uniforme ni homogène; il est donc difficile d'attribuer à ce coefficient une valeur qui soit acceptable pour l'ensemble de la production nationale. (1) T . BARNA, « Du capital envisagé comme variable économique », Cahiers du Séminaire d'Économétrie, n° 5, Paris, 1959. (2) « The meaning of the fitted Cobb-Douglas function », Quaterly Journal of Economics, 1957, p. 546. (3) et (4) R. FRUIT, « La Fonction de Production de Cobb-Douglas », Revue Économique, p. 222 et 227.

142

En fait, on ne connaît jamais qu'un seul point de la fonction de production : à une date donnée, pour un pays ou une entreprise donnés. Or, pour pouvoir faire un ajustement par la méthode des moindres carrés, il faudrait une quantité de points (et il n'est même pas dit que l'unique point dont on dispose est exactement sur la courbe de production!). Pour obtenir ces points : — ou bien on prend des firmes du même type, ou la même firme à des dates très rapprochées. Dans ce cas, on peut peut-être admettre qu'il y a une seule fonction de production; mais il y a de fortes chances pour que les points obtenus soient très rapprochés. Il est possible que les différences soient plus facilement imputables à des erreurs aléatoires qu'à des divergences réelles. 1/ajustement n'aura donc aucune valeur. — ou bien on envisage des firmes différentes, ou une période plus longue. On risque alors d'ajuster une courbe qui n'est plus une fonction de production, mais qui tient compte du progrès technique, ou qui passe « au mieux » (moindres carrés) par des points n'ayant rien à voir les uns avec les autres : ces points correspondraient en fait à plusieurs fonctions de production. Nos critiques. L,es critiques précédentes sont très pertinentes, et suffisent à elles seules à mettre en cause la fonction de Cobb-Douglas. On s'étonne de voir que cependant, même dans la période récente, de nombreuses applications dont il sera fait état au chapitre suivant, utilisent la formule de Cobb-Douglas. Ajoutons quelques réflexions, dans l'ordre du présent écrit. Un des problèmes majeurs, et qui n'a pas été suffisamment souligné est celui de la méthode de mesure des différents éléments qui interviennent dans la formule : la Production, le Capital et le Travail. Ces auteurs disent que l'idéal est que chacun soit mesuré en quantités physiques, mais ceci n'apparaît pas possible car on ne possède pas les données suffisantes, et surtout parce qu'il n'est pas possible d'additionner des unités qui ne sont pas de même nature. Quand le Professeur Douglas et les autres auteurs expliquent leurs méthodes de calcul, ils disent qu'ils ont employé un indice pour la production (en tout cas à l'échelle nationale; à l'échelle micro-économique, on prend les valeurs ajoutées). Pour le capital, ils donnent peu de précision; ils recourent comme allant de soi à l'évaluation du capital et de la production en valeur monétaire, mais ils ne disent pas quels sont les prix employés pour estimer le capital (prix courants, prix constants... et de quelle période?). Le travail est estimé en nombre de travailleurs, ou d'heures de travail. On peut se poser la question de savoir ce qui se passerait si on employait d'autres critères et unités de mesure : si on pouvait estimer la production autrement que par un indice forcément très imparfait, si on employait tel ou tel type de prix courant ou de prix constant, de telle ou telle date. On retrouve ici le problème de l'addition, tel qu'il a été posé au début de cet ouvrage. Ce point capital demanderait tout un développement et n'a pratiquement été 143

traité ni par le Professeur Douglas, ni par ses continuateurs, ni même par ses critiques. Si l'on change de système de prix, il n'y a aucune raison pour qu'on trouve la même fonction, ni même une formule de même type. Il est à peu près impossible de prouver ce que nous affirmons là, car, par la méthode des moindres carrés, on peut toujours trouver une fonction ayant la formule de celle de Cobb-Douglas. Mais rien ne prouve que cette fonction rend compte effectivement des variations de la production en fonction du travail et du capital. Par ailleurs, contrairement à ce qui se passe en physique, il n'y a pas simple changement dans les constantes quand on change de système de prix : rien ne permet de dire quel sera le résultat de la nouvelle formule en fonction de l'ancienne.

CONCLUSION. Il existe quantité de formules théoriques de fonctions de production. Aucune ne paraît avoir une supériorité bien nette sur les autres, ce qui risque de faire émettre un doute sur la valeur même de la notion de fonction de production : s'il existait une relation bien déterminée entre la production et les facteurs de production, cette relation aurait une formulation mathématique bien définie. Or ce n'est pas le cas. Il serait même nécessaire de remettre en cause l'hypothèse généralement admise que la production dépend de deux facteurs, le capital et le travail. Il n'y a aucune raison pour que la production ne dépende que de ces deux facteurs; par ailleurs, ceux-ci sont mal définis. Le mot « capital » désigne quantité de réalités différentes ; par « travail », on entend une réalité plus facile à cerner, mais qui cependant recouvre des qualités variées de labeur humain : c'est abusivement qu'on assimile une heure de travail fournie par un individu à une heure de travail fournie par un autre individu, ou même par le même individu à un autre moment. Certains des auteurs que nous avons cités envisageaient plus de deux facteurs de production ; il est regrettable que les formules courantes ne tiennent pas compte de cette hypothèse. Surtout, on suppose que le droit d'écrire une formule dont les facteurs sont aussi mal définis existe... Il faudrait peut-être remettre en cause ce droit. Ajoutons une réflexion importante de M. André 1,. A. Vincent : « I,e reproche essentiel qu'on peut faire aux fonctions de production n'est pas seulement de s'éloigner un peu trop des réalités, c'est aussi et surtout de ne pas distinguer suffisamment entre relations comptables et relations causales. » ... Les relations comptables sont toujours exactement satisfaites, mais elles sont incapables de nous renseigner sur les principales causes des phénomènes... » Quant aux relations causales, elles visent à expliquer un fait ou un ensemble de faits aussi complètement que possible. Rien ne nous permet de 144

dire que ces relations soient toujours entièrement chiffrables, d'autant plus qu'elles ont souvent des fondements psychologiques... » (*) On bâtit des relations causales sur des relations comptables insuffisantes. Par ailleurs, il n'est pas inutile de revenir sur la question de la mesure des grandeurs. L,a seule mesure qui serait valable serait une mesure en quantités physiques; or on serait amené à tenir compte d'une multitude de variables, ce qui serait pratiquement irréalisable. Il est nécessaire d'être conscient que toutes les mesures qui sont réalisées pour pallier à cette difficulté comportent une part d'arbitraire. On estime en général les facteurs en valeur monétaire : il ne faudrait jamais perdre de vue que cette estimation dépend du choix de la méthode (voir les chapitres ι et n de notre première partie). Il serait important de rechercher qu'elle est l'influence du choix du système d'étalons de valeurs sur la forme même de la formule d'une fonction de production. Contrairement à M. André h. A. Vincent, nous aurions tendance à reprocher d'abord aux fonctions de production de s'éloigner un peu trop des réalités !

(1) « Les fonctions de Production ont-elles encore quelque avenir? », Revue Économique, vol. X X I , n° 5, sept. 1970, p. 864-865. 145

CHAPITRE

VI

LES FONCTIONS DE PRODUCTION Applications

Il existe un certain contraste entre la littérature théorique sur les fonctions de production, qui est très abondante, et les applications pratiques de ces fonctions, qui sont relativement rares. Quelques écrits récents sont des réflexions théorico-pratiques sur les fonctions de production (*) ; sans toujours donner d'applications directes, ils mettent en évidence les différents problèmes posés par un calcul pratique, et ne sont pas sans mettre en évidence de nombreuses réserves. Les principaux résultats de la fonction de Cobb-Douglas, obtenus en 1948, ont été réunis par le Professeur Douglas dans son article précité, et sont donnés dans le chapitre précédent. Nous avons réuni dans le présent chapitre quelques applications détaillées des fonctions de production. Nous espérons ainsi que le lecteur pourra se faire une idée de l'intérêt de ces applications, et en même temps des problèmes qu'elles posent, et de la valeur de précision et de description du réel qu'on peut leur attribuer. I. SOURCES ET ORIGINES DE LA CROISSANCE FRANÇAISE AU MILIEU DU XX e SIÈCLE (-') par

MM.

BERTHET,

DUBOIS,

CARRÉ

et

MALINVAUD.

Une publication de MM. Berthet, Dubois, Carré et Malinvaud : « Sources et origines de la croissance française au milieu du x x e siècle » a certai(1) J . DE BANDT, « Les fonctions de Production », Cahier I.R.E.P., n° 2, Cujas, décembre 1970. Vidar RINGSTAD, Estimating Production Functions and technical change from micro data. An Exploratory Study of individual Establishment Time-Series from Norvegian Mining and Manufacturing 1959-1967, Central Bureau of Statistics of Norway, Oslo, 1971. (2) BERTHET, DUBOIS, CARRÉ et MALINVAUD, ronéoté, I . N . S . E . E . (date probable 1963). 147

nement appelé de la part des auteurs eux-mêmes de nombreuses réserves, car elle porte la mention « rédaction provisoire de la première partie », et n'a pas été communiquée au public, même dans la salle de lecture de l'I.N.S.E.E., sauf depuis très peu de temps. Ce texte n'a jamais été publié que sous forme ronéotypée; les auteurs ont dû penser longtemps pouvoir améliorer leur première rédaction Mais M. Stoléru (2) a reproduit une partie de ce document, sans faire état de ce caractère provisoire qu'avaient voulu lui donner les auteurs, ni des nombreuses réserves qui apparaissent dans leur texte. Pour aboutir à l'élaboration de cet ouvrage, il y a eu une sorte de course « aux papiers » (3) : Denison avait écrit un premier volume sur la croissance aux États-Unis (4) en employant la méthode que nous allons décrire. Devant son succès, l'équipe de l'I.N.S.E.E. a renchéri avec la même méthode. Denison a fait un nouveau livre depuis (6), où il est plus sûr encore de sa méthode puisque d'autres l'ont employée. C'est un phénomène qu'on rencontre très souvent : le premier auteur a peut-être quelques doutes, mais publie quand même; le suivant a beaucoup moins de doutes, car il a un prédécesseur; dans la dernière édition de Denison, enfin, nous n'avons pas vu trace d'hésitation sur la méthode. Celle-ci apparaît d'ailleurs tellement comme allant de soi qu'elle n'est pas exposée de façon détaillée dans l'ouvrage que nous analysons. Elle consiste à prendre la dérivée logarithmique de la fonction de Cobb-Douglas :

Ce procédé donne aux calculs une grande facilité. Surtout, pensent les auteurs, on n'a même pas besoin de se préoccuper des unités de mesure, puisqu'il s'agit de rapports. C'est ainsi qu'ils calculent

l'augmentation relative de la

production nationale, ce qu'ils appellent la croissance économique. C'est simple, une fois qu'on a admis la formule. Mais, à notre avis, le problème fondamental est la valeur de cette formule. Il nous semble également évident que les rapports tels que ^

sont loin d'être indépendants du système étalon de mesure.

Avant de donner quelques explications sur les calculs, on peut s'arrêter aux conclusions qui nous semblent mettre en cause précisément l'usage de la (1) Cette amélioration a été réalisée depuis que ces lignes ont été écrites. L'ouvrage « définitif » ainsi rédigé est analysé au paragraphe VI, p. 163. (2) STOtÉRtr, L'équilibre et la croissance économique, Dunod, Paris, 1967, p. 293. (3) Cf. notre introduction p. 7. (4) E. DENISON, The sources of economic growth in the United-States, Committee for Economic Development, 711 Pith avenue. New York, 1962. (5) E. DENISON, assisted by J.P. PornjER, Why growth rates differ, Postwar experience in nine western countries, The Brooking Institution, Washington, 1967. 148

formule. L,e résultat définitif de la recherche des quatre auteurs est que, sur la période étudiée (1949-1963), la croissance de la production intérieure brute a été de 5,1 %. L,es explications qu'ils parviennent à donner en calculant les variations relatives de Κ et de représentent au total 2,5 % de cette croissance. Ce qu'ils appellent « facteurs résiduels » (non expliqués) représente 2,6 %... (*) Ainsi, d'après la formule que les auteurs utilisent, la production aurait dû augmenter de 2,5 % ; en fait, elle a augmenté de 5,1 %, donc de plus du double de ce qu'annonce le modèle mathématique. Pour nous, cela infirme radicalement le modèle. Or, les auteurs paraissent continuer à juger celui-ci favorablement. MM. Berthet, Dubois, Carré et Malinvaud affirment simplement que si l'on avait pu préciser un peu la croissance de la main-d'œuvre, par exemple (elle est déjà décomposée en : emploi dans les branches; durée du travail; qualité — âge et sexe — ; éducation; migrations agricoles) ou la croissance du capital (pour laquelle il y a eu également une soigneuse décomposition), on aurait réussi à expliquer la totalité de la croissance. Ils affirment (p. 221) que le « résidu » provient du fait que le développement de l'instruction, l'amélioration dans l'allocation des ressources productives, le progrès technique ou le progrès de l'organisation indépendamment des équipements, n'interviennent pas suffisamment. Sans doute! mais peut-on à la fois dire qu'une fonction est largement incomplète et quelle est valable ? Bien sûr, en améliorant les calculs, on diminuerait le « résidu », mais il y a toutes chances qu'on ne modifierait pas substantiellement les ordres de grandeur. Or, est-il possible de penser à la fois qu'une formule annonce le chiffre de 2,5 au lieu du chiffre 5,1 et qu'elle est représentative du réel ? Quels résultats devrait-on obtenir pour que les auteurs répudient leurs formules? De tels écarts entre les valeurs estimées et les valeurs réelles semblent totalement aberrants du point de vue mathématique. Avec de tels principes, une équation du type : χ = 2 t + 4 t2

pourrait représenter la loi de la chute des corps tout aussi bien que :

En effet, il y aurait un écart entre ce qu'on trouverait et la réalité, mais il suffirait de dire que cet écart est dû à des éléments résiduels ! Notons cependant l'intérêt très grand de la recherche effectuée par (1) Entre 1951 et 1963, la croissance est de 4,9 % par an et les facteurs résiduels représentent 2,3 %. Entre 1913 et 1963, la croissance est de 2,1 % dont 1,1 % restent inexpliqués (p. 218). 149

MM. Berthet, Carré, Dubois et Malinvaud : le détail de leurs calculs représente un travail considérable et peut contribuer à améliorer notre connaissance de la croissance économique. Nous donnons dans ce qui suit ce qui importe à notre sujet de leur méthodologie (1). La production intérieure brute. Les quatre auteurs ne donnent aucune précision sur les chiffres retenus pour la production intérieure brute. Ils utilisent très probablement les données de la Comptabilité Nationale, mais nous aurions aimé des précisions (prix courants? prix constants?...). Le taux de croissance de la production intérieure brute qui représente la « croissance française », est ici considéré comme connu exactement; or il est important de savoir qu'une erreur relativement minime sur les données brutes entraîne une importante variation du taux de croissance. M.O. Morgenstern a calculé que si le chiffre de la première période est de 5 % trop faible, un taux de croissance de 1,8 % est transformé en 12,5 %. « Si on inverse les signes, le taux de croissance devient de — 7,9 %. » (2) Progrès de la production. Les progrès de la production sont d'abord étudiés, par l'intermédiaire d'un indice de Fisher, sur quatre périodes : 1896-1913, 1929-1953, 1929-1938, 1949-1963. θ étant l'année courante, et t l'année de base, les v¡ représentent les valeurs ajoutées et les q¡ les volumes de production réalisés dans la branche i, les indices t et θ précisent l'année. Le Laspeyres est :

L'hypothèse faite est que chaque branche doit intervenir avec une pondération proportionnelle à la part des ressources productives primaires qu'elle emploie. Si ait et vit sont d'une part l'activité (nombre d'heures de travail fournies) et d'autre part la valeur ajoutée par heure de travail dans la branche i durant l'année t :

ν.

(1) Le but de notre ouvrage étant d'étudier les méthodes de la mesure des quantités économiques, nous ne donnons que les résultats numériques globaux. S'il ne peut se

référer à l'ouvrage d e MM. BERTHET, CARRÉ, DUBOIS e t MALINVAUD, le lecteur pourra

trouver les principaux résultats numériques dans STOI.ÉRU : L'équilibre et la croissance économique, Dunod, Paris, 1967, p. 273 et suivantes. (2) Précision et Incertitude des données économiques, Dunod, Paris, 1972, p. 264265. 150

Les indices d'activité sont connus pour les années repère (1913, 1929, 1938, 1963). On en déduit II, et de la même façon l'indice de Paasche; l'indice de Fisher peut alors être calculé. IVhypothèse ne joue que dans la détermination des coefficients de pondération. Les auteurs estiment donc qu'elle doit suffire pour une évolution correcte des indices. Population totale, population active et productivité du travail. Parmi les facteurs explicatifs des variations de la production apparaissent la structure de la population par sexe, ou par âge, et l'évolution des comportements d'activité. Soient a (t), m (t), / (t), mi (t), ji (t) le taux d'activité globale, les taux d'activité globaux masculin et féminin, les taux d'activité masculine et féminine à l'âge i, l'année t; p (t) et q (t) la proportion d'hommes et de femmes dans la population totale en l'année t, et fi¡ (t) et q¡ (t) les proportions d'hommes et de femmes, d'âge i. On compare à l'année 1954. On trouve : a (0 - a (54) = t (9

(54) [j>i (0 - fit (54)]} + q (i) {£/, (54) [ ? i (t) - q, (54)]} ' + t (9 {Σ-Pi (0 Κ (0 - « ι (54)]} + q (t) {Zìi (9 Ifi (9 - ft (54)]} + m (54) ifi (0 - fi (54)] + / (54) [q (t) - q (54)]

Les deux premiers termes représentent une imputation de ce qui, dans la différence des taux entre l'année t et l'année 1954 est dû à la modification de la structure ; les deux suivants constituent ce qui est dû à l'évolution des taux d'activité. La somme des deux derniers termes constitue l'imputation, dans cette différence, de ce qui s'explique par les modifications de la structure de la population totale par sexe. On affecte à chaque personne active un poids (une qualité) fonction soit de son âge, soit de son sexe, soit de son niveau d'éducation (1). Pour cela on se sert des différences observables dans la rémunération du travail, significative des différences d'âge, de sexe et d'éducation. On suppose que les coefficients sont fixes, ce qui est discutable sur cette longue période. Les trois facteurs sont considérés indépendamment les uns des autres : il est assez difficile de voir ce qui dans la rémunération du travail est imputable à l'un plutôt qu'à l'autre de ces facteurs. Il faut tenir compte de l'action de ces facteurs sur la collectivité prise dans son ensemble. Les auteurs parviennent, à partir de ces principes, à établir des échelles relatives aux trois facteurs. Par exemple, pour le sexe, le coefficient est 1 pour les hommes et 0,8 pour les femmes. ( 1 ) Ceci revient à faire des corrections pour essayer de préciser le concept de travail, et pour mesurer le travail. Or on peut penser que le travail est insuffisamment défini pour avoir vraiment le droit d'être introduit dans une formule. 151

La conclusion de l'étude est que la population active est pratiquement restée fixe en France depuis le début du siècle. La croissance de la production est donc due uniquement à une amélioration de la productivité; celle-ci n'est imputable que pour une faible part à la progression de la qualité de la population active.

Le capital. Les calculs sont assez complexes, et au dire même des auteurs, assez douteux. Nous n'entrerons pas dans le détail.

Transformation des structures. La transformation des structures de l'appareil productif est étudiée à partir des structures professionnelles de la population active, de la structure des exploitations agricoles, et de la structure des établissements industriels et commerciaux.

Effets combinés des divers facteurs physiques de la croissance. • C'est dans ce chapitre qu'intervient la fonction de production. Les auteurs font le rapport de deux fonctions de production de Cobb-Douglas, pour exprimer l'indice de la production d'une période par rapport à une autre. Ils estiment, non sans discussion, le coefficient α de la fonction de CobbDouglas à 0,7, comme rapport entre la valeur de la rémunération du travail et celle de la production :

(avec S, taux de rémunération du travail, P, prix des produits, N, facteur travail, Q, production). A l'aide de ce coefficient a, un indice de la productivité totale est calculé. Il faut encore faire une correction relative à la qualité du capital ; celle-ci est délicate. Les auteurs admettent que la conception des équipements productifs est l'objet d'un progrès technique s'efïectuant à taux constant y, en sorte qu'un équipement de un milliard construit l'année t a la même productivité qu'un équipement de (1 + y)'~6 milliards construit l'année Θ. L'effet de la productivité par branches est calculé selon la même méthode, mais, pour l'ensemble de l'industrie, on procède de façon un peu différente. Les facteurs de production ne sont pas toujours employés avec la même intensité : suivant que la demande est plus ou moins pressante, les entreprises sont amenées à utiliser leur main-d'œuvre et leur capital en les occupant de façon plus ou moins marquée pour la production immédiate. Pour saisir l'influence de ce facteur, on introduit dans la fonction de production le rapport u t entre les demandes d'emploi non satisfaites et les offres d'emploi non satisfaites... 152

La fonction de production devient : Qt = ?ô N t

e1"

On écrit cette fonction sous forme logarithmique, et on calcule la régression multiple de log — par rapport à log ut et t. Le résultat est assez imprécis car les écarts-types des différents coefficients sont importants. Il reste à tenir compte des effets des déplacements des facteurs de branche à branche; il s'agit fondamentalement des migrations professionnelles. On peut se faire une idée des productivités marginales à l'aide des taux de rémunération ; mais il reste la durée du travail, le nombre de femmes, de cadres... Le problème des migrations agricoles est particulièrement délicat.

Résultats : les composantes du taux de croissance de la production. E n tenant compte de tous ces facteurs — et on se rend bien compte qu'il s'agit là d'un travail immense — les auteurs parviennent à décomposer le t a u x de croissance de la production de la manière suivante : TABLEAU X

Taux de croissance de la production Composante dont l'effet est évalué

1913 à 1963

1949 à 1963

1951 à 1963

Production intérieure brute ..

2,1 %

5,1 %

4,9 %

Emploi dans les branches .. Durée du travail Qualité du travail Migrations professionnelles . Capital Qualité du capital Total « expliqué » Résidu

— 0,1 — 0,3 + 0,1 + 0,2 + 0,5 + 0,6 1,0 1,1

— 0,2 + 0,1 + 0,3 + 0,4 + 0,8 + 1,1 2,5 2,6

-0,1 —

+ + + +

0,3 0,4 0,9 1,1 2,6 2,3

Conclusion. Nous avons tenu à exposer les méthodes de calcul de façon assez détaillée, de façon à mettre le lecteur en présence des énormes difficultés que rencontre le praticien chaque fois qu'il désire faire une mesure de production. Même si 153

on choisit une formule aussi simple en apparence que celle de Cobb-Douglas, on est amené à tenir compte d'une multitude d'éléments dont les implications sont importantes. Chaque élément pose des problèmes de calcul ; on est amené à faire des hypothèses simplificatrices, car la réalité est impossible à appréhender statistiquement dans sa totalité : ces hypothèses sont plus ou moins douteuses. Le résultat d'ensemble est forcément entaché des erreurs faites sur chaque élément. Il est alors difficile de se faire une idée de sa valeur. Il reste à rendre hommage aux auteurs qui ont tenté de réaliser un travail aussi gigantesque, et en ce qui concerne l'ouvrage précis que nous venons d'étudier, à regretter qu'un tel travail n'ait pu être complété et corrigé, comme le voulaient visiblement les auteurs au moment de l'élaboration de ce « document provisoire ». Mais le problème fondamental de la méthodologie du calcul et de l'emploi de la fonction de production risque de disparaître en partie au milieu de la complexité des détails. Pour nous, le résultat le plus sensible du travail des quatre auteurs, c'est l'importance du « résidu » qu'il fait apparaître, importance qui, à nos yeux, dénonce l'inadéquation de la fonction de Cobb-Douglas à la réalité observée. Π. LE MODÈLE DE FONCTION DE PRODUCTION DU Ve PLAN FRANÇAIS. Le V e Plan a représenté un essai de modélisation de l'ensemble de l'activité nationale. La modélisation s'est poursuivie lors du VI e Plan, avec le modèle physico-financier. Nous nous limitons ici à l'étude de la fonction de production du modèle du V e Plan. Cette fonction est encore du type Cobb-Douglas. Dans chacune des 29 branches (1), pour 1970, la valeur ajoutée brute à prix constants Vj (production) a été reliée aux facteurs investissement (p¡ et travail X¡, par deux relations : " ( K I I / 2 ( l u / 3

avec : (1) D'après Études et Conjonctures, n° 12, décembre 1966, «Méthodesde programmation dans le V e Plan », p. 45 et 123. Cf. ci-dessus p. 135. 154

va : : v2, v3, v4 : ßi> ß2> ßi '• ψηι, φιιι, πιιι :

valeur ajoutée dans les industries agricoles et alimentaires; valeur ajoutée dans les services du logement ou loyer; valeurs ajoutées dans les branches : 2, industries autres qu'alimentaires; 3, services; 4, commerce; coefficients de la fonction de production dans l'industrie (branche II) ; coefficients de la fonction de production dans les services (branche I I I ) ;

e t c o m m e variables

An, Am : KH : ψηι :

:

population active dans les branches I I et I I I ; capital disponible dans l'industrie (branche II) ; formation brute du capital fixe dans la branche I I I .

Pour les branches 2, 3 et 4 et le loyer, la production est liée à la maind'œuvre par une relation de la forme Vj = uj A,·, l'indice j désignant la branche. Les deux premières variables sont considérées, dans ce bloc de projection, comme variables exogènes, la population active étant alors un résultat. Pour l'ensemble, on obtient la relation : v3

+

v

*r

-

= πιπ Am

On obtient aussi une relation donnant la formation brute de capital fixe dans les services : φπι = ψηι + ψηι (Am — Am)

Il est difficile de juger cette méthode, qui représentait un effort nouveau et certainement intéressant puisque c'était la première fois qu'un effort aussi systématique était fait pour donner un modèle comme base à la réflexion prévisionnelle. Dans les résultats, la croissance prévue pour la production était de 5 % : or la productivité a augmenté plus qu'il n'a été prévu. A cause de la concurrence internationale, ce n'est pas la production qui a vu son taux de croissance devenir plus important, mais au contraire le chômage (x) : « Cette divergence entre le taux (de productivité) prévu et le taux moyen observé en 1966 et 1967 a suffi pour que, la production atteignant mais ne dépassant pas les volumes prévus, l'emploi industriel se réduise de 0,2 % au lieu de s'accroître de 1,8 % comme l'annonçait le Plan » (2). Le modèle physico-financier du VI e Plan ne comporte pas de fonction p. 367.

(1) Cf. L. STOï,ÉRU, L'équilibre et la croissance économique, 3 e éd., Dunod, 1970 (2) Jean FOURASTIÉ, « Productivité et Emploi », Le Figaro, 5 janvier 1969. 155

de production. C'est par un autre détour qu'est estimée la production. Nous ne traiterons donc pas ici du modèle « phy-fi » malgré son grand intérêt.

m . WHY GROWTH BATES DIFFER. POSTWAR EXPERIENCE IN NINE WESTERN COUNTRIES, by Edward

P . DENISON,

assisted by

J . P . POULIER

I,es principes et les procédés de calcul employés sont, pour leur fondement, exactement ceux qui ont été exposés à propos de l'ouvrage de MM. Berthet, Carré, Dubois et Malinvaud : emploi d'une fonction de production de Cobb - Douglas, représentée par sa dérivée logarithmique. Nous n'entrerons pas dans le détail du calcul, qui présente pourtant, comme celui des précédents, un vif intérêt. Signalons seulement les principaux facteurs retenus : Facteur travail : niveau de population active, durée du travail, structure par âge et sexe, structure par qualification professionnelle, migrations agricoles. Facteur capital : productif : niveau d'investissement productif et des stocks, logement : niveau d'investissement logement, à l'étranger : investissement à l'étranger. M. E. Denison ajoute à ces facteurs classiques des « facteurs de taille » qui expliquent la plus grande partie de la croissance. Ceux-ci sont de trois sortes : — la taille du marché : un marché de taille accrue permet d'avoir une taille de l'appareil de production plus économique; — la structure des prix : si la taille du marché augmente, la structure des prix à la consommation se modifie; — l'ouverture des frontières, qui équivaut à une croissance de la taille du marché. Dans les résultats, les « facteurs résiduels » jouent encore un grand rôle; ils n'atteignent plus l'ordre de grandeur de 50 % de la variation observée, mais environ 25 % ; cela est encore considérable, et, à notre avis, absolument inadmissible. Un résumé de l'explication de la croissance dans les différents pays est donné dans le tableau suivant : (1) The Brooking Institution, Washington, 1967. Voir le résumé fait par M. STOIÎÉRU : L'équilibre et la croissance économique, Dunod, 1970, 3 e éd., p. 368 et suivantes.

156

TABLEAU X I Sources de la croissance de 1955 à 1962 Facteurs

U.S.A.

Taux de croissance du revenu national 3,01 % Facteur travail Population active Durée du travail Struct, par âge et sexe . Struct, p. qualification . Migrations agricoles....

4,11 %

Facteur capital Capital productif Capital logement Capitaux a l'étranger . .

1,16

Facteurs de taille Rendements croissants . Structure des prix Ouv. des frontières . . . .

0,09 0,06 0,12 0,29 0,91 1,35

1,00

0,79 0,03 0,02 0,84

0,45 0,43 0,08

0,30 — —

0,30 0,76

4,82 %

0,89 0,08 0,03

0,42 0,25 0,06 0,73

France

0,57 0,26 0,08 0,23 0,54

0,73 0,20 0,08 0,52 0,25 1,22

Facteurs résiduels

Europe occidentale

0,96 0,99

Allemagne

GrandeBretagne

5,39 %

2,56 %

1,13 — 0,45 0,15 0,11 0,66 1,60 1,46 0,16 — 0,05 1,57

0,54 0,46 0,07 1,07 1,56

5,78 %

0,37 -0,30 0,02 0,30 0,09 0,44

0,20 0,03 0,05 0,40 1,44 2,12

0,57 0,06 0,17 0,80

0,55 0,70 0,10 1,35 0,87

Italie

0,74 0,11 -0,05 0,80

0,28 0,15 0,02 0,45 0,87

0,60 0,80 0,16 1,56 1,30

IV. ESTIMATING PRODUCTION FUNCTIONS ÄND TECHNICAL CHANGE FROM MICRO DATA, by Vidar RINGSTAD (*). Il existe un assez grand nombre d'applications numériques de la fonction de production. Il est impossible de se référer ici à toutes. Outre une récente étude de l'I.N.S.E.E. qui fera l'objet du paragraphe suivant, nous avons choisi une étude norvégienne, qui a l'intérêt — assez rare — de partir des données micro-économiques (2). Après avoir fait un éloge bien senti de la fonction de production C.E.S., M. Vidar Ringstad est obligé pratiquement de conclure qu'il ne peut l'utiliser, car il est impossible de la ramener à une forme linéaire. Il emploie donc la (1) « An exploratory Study of individual Establishment Time-Series from Norvegian Mining and Manufacturing. 1959-1967 ». Central Bureau of Statistics of Norway, Oslo, 1971. (2) 907 firmes sont étudiées, regroupées en 15 branches. 157

forme que prend cette fonction quand l'élasticité de substitution est égale à 1, c'est-à-dire la fonction de Cobb-Douglas; ainsi, malgré des velléités d'utiliser une autre formule, M. Ringstad est contraint par les difficultés du calcul, à se servir de celle-là. Il l'écrit : V = a 0 1 / K p e"

(a)

V représente la valeur ajoutée, L, Κ, α et β ont la signification habituelle, a 0 est une constante, u est une variable résiduelle statistique. On peut y ajouter une autre relation : £ =

(δ)

W représentant le taux de salaire et ν une variable résiduelle statistique, a¡ une constante et b l'élasticité de substitution (supposée voisine de 1). Sous cette forme, on obtient des relations linéaires en logarithmes. Le premier chapitre (après le chapitre liminaire) est un examen des données. Deux problèmes se posent : la critique des données existantes, et la recherche approximative des données manquantes. Au sujet du second problème, une intéressante étude est faite sur les firmes dont on ne connaît pas le capital à certaines dates : l'auteur se refuse à interpoler la moyenne des autres firmes, et élabore un modèle détaillé. On constate la difficulté de l'opération par le nombre de « trous » qu'il est ainsi impossible de boucher, les résultats obtenus sortant de l'intervalle de confiance possible. Signalons une remarque faite en passant, qui n'est d'ailleurs pas la base de tous les calculs : il vaut parfois mieux « deviner » que de ne rien faire du tout! Il faut estimer simultanément les équations (a) et (b) pour les entreprises considérées. Le « prix » de l'élimination du biais dû à cette simultanéité est élevé, puisque les erreurs de mesure interviennent. Les estimations pourraient être faites par la méthode des moindres carrés : une méthode indirecte (I.L.S. : Indirect Least Squares) qui consiste à estimer non les coefficients eux-mêmes, mais des coefficients qui se déduisent de a, β et b en combinant les équations (a) et (b) (mises sous forme logarithmique), ne convient pas, car elle est très sensible (si une erreur est au hasard, les biais sont importants). Si on utilise la méthode « ordinaire » des moindres carrés (O.L.S. : Ordinary Least Squares), il s'introduit un biais supplémentaire, du fait que le travail est endogène; elle est cependant préférable, car elle est plus « robuste » vis-à-vis des erreurs des données. Cette méthode est encore très pauvre par rapport au résultat escompté ; il y a un moyen de la « sauver », en la combinant avec l'analyse de la covariance : si l'on a deux ou plusieurs observations par établissement, on peut, par analyse de covariance, éliminer les composantes spécifiques à l'établissement dans le terme d'erreur ; le biais dû à la simultanéité sera alors moindre ; le malheur est que le biais dû aux erreurs de mesure est plus sérieux. D'autres méthodes sont alors passées en revue. Des résultats sont donnés pour chacune. Pour l'ensemble des industries, les coefficients et leurs erreurstypes (entre parenthèses) sont : 158

TABLEAU XII Principaux résultats sur les coefficients de la fonction de Cobb-Douglas Avec le nombre d'heures de travail

Méthode

ox.s

ß=

0,272 (0,007)

pour

ß=

0,397 ε = 1 (0,004) parhypothèse

Facteur carré pour α OX.S. pour β

ß=

0,354 (0,004)

Méthode Klein Wald . . .

ß=

0,433 (0,006)

Facteurs α et β

carrés

Si on utilise le salaire total

ß=

0,178 (0,007)

ε = 0,997 (0,004)

ε = 0,957

ß=

0,323 (0,004)

ε = 0,926

ε = 1,036

ß=

0,410 (0,004)

ε = 1,013

ε 0) = 0,994 (0,005)

(>) Élasticité d'échelle. Nous avons reproduit ces résultats sans entrer dans le détail pour mettre en évidence la différence dans les résultats due au procédé de calcul employé. Pour β on passe du simple au double; et l'erreur-type ne rend absolument pas compte de cette différence. On rencontre ici la grande difficulté de tout calcul économétrique : il n'existe pas de méthode qui convienne absolument, sans hésitation... Or, nous constatons une fois de plus que suivant le procédé choisi, on obtient des résultats qui n'ont pratiquement rien à voir les uns avec les autres. Une autre estimation peut encore être faite en utilisant les développements de la fonction C.E.S. jusqu'au second ordre, donc en prenant de cette fonction une approximation plus précise que celle de Cobb-Douglas : log V = α log L +

β log

Κ +

y (log

Κ - log L) 2

Au total, il n'y a pas de solution pleinement satisfaisante. Celle qui paraît la meilleure, étant donnés les chiffres dont disposait M. Ringstad, consiste à faire des types d'estimations différents pour l'élasticité du capital et celle du travail (par des moyennes de carrés). A propos des changements techniques, d'autres formes de fonction de production sont encore proposées, ainsi que des tests qui permettent théoriquement de juger la valeur des formules. On voit que l'imagination de l'auteur n'est pas à court pour les méthodes ; mais il rencontre une limite invincible, celle des données. Une difficulté plus 159

grande serait de choisir la « meilleure » méthode; l'auteur s'y refuse, avec raison. Il serait bon que toutes les études économétriques actuelles donnent, comme celle-ci, des quantités de résultats qui permettent de se faire une idée de la « fourchette » dans laquelle peuvent se trouver les valeurs exactes — en supposant qu'elles existent. L,e tableau que nous avons reproduit ci-dessus ne donne qu'une infime partie des résultats publiés en général pour 15 branches de l'industrie. Malgré les divergences, l'auteur parvient — en comparant les divers tableaux qu'il a élaborés — à dégager des particularités pour chaque branche. V. « ESTIMATION D'UNE FONCTION DE PRODUCTION POUR L'INDUSTRIE FRANÇAISE » i1) p a r J . MAIRESSE e t A . S AGUO.

Ce travail de MM. Mairesse et Saglio est, à notre connaissance, la dernière recherche en date sur l'estimation d'une fonction de production à l'échelle macro-économique, en France. Il a été effectué surtout à l'occasion de variantes du modèle physico-financier du VI e Plan. C'est essentiellement un modèle prévisionnel. Une partie théorique assez longue vise à justifier l'emploi d'une fonction de production de la forme de Cobb-Douglas, et à expliquer l'évaluation des séries statistiques retenues. Le premier point est l'utilisation d'une fonction à facteurs substituables. Il existe en effet des modèles qui séparent le capital et le travail; il est clair, comme cela ressort tout particulièrement de l'étude de M. Dumontier, ci-dessus p. 131, que ces deux facteurs ne sont pas indéfiniment substituables. Iyes auteurs retrouvent cependant un modèle de projection séparée pour le capital et le travail : iv, f t κ , r< (où Q„ I/,, K, sont respectivement les volumes de la production, du travail et du capital prévus pour l'année t; p, et rt sont les tendances de la productivité du travail et du capital). Cette formulation pourrait suffire pour une esquisse simple; elle doit être remplacée ou complétée par une spécification à facteurs substituables dès lors qu'on étudie des variantes de croissance. On peut dire que les autres formules usuelles, ou celles qui s'en déduisent, n'apparaissent pas préférables à la fonction de production de Cobb-Douglas : Q,=A,

17,

Κ,1"«

(A, est un « terme temporel dit de productivité totale ou de progrès technique » qu'on ajuste sur une tendance exponentielle (1 + y)1 multipliée par un facteur résiduel d'erreur ε,; il s'agit donc d'une fonction de Cobb-Douglas dynamisée). (1) Par J. MAIRESSE et A. SAGUO, Annales de l'I.N.S.E.E., n° 6, janvier-avril 1971. 160

E n fait, pour exprimer les contraintes technico-économiques de la production sur le moyen terme, il serait nécessaire d'écrire les investissements sous la forme : I» = «o Q« + «i 0,-1 +

Qt-2 ». + c + η,

(«o, au a2 ..., c sont des paramètres à estimer; η, est le terme d'erreur). I/a fonction de Cobb-Douglas ne répond pas tout à fait à cette exigence, car le facteur A ( présente encore des fluctuations et reste corrélé avec la croissance de la production. « De même que le coefficient marginal de capital ne peut être regardé comme un véritable coefficient technique, il n'est pas assuré non plus... que la fonction estimée de Cobb-Douglas puisse être considérée réellement comme indiquant le domaine virtuel des choix techniques entre les proportions des facteurs qui permettent de maintenir et de développer la production » (p. 86). h a fonction de Cobb-Douglas décrit plutôt les variations réelles observées, ce qui est un avantage s'il y a eu dans le passé des modifications dans le rythme de substitution du travail. On constate une fois de plus qu'il n'est pas de formule parfaite! C'est en définitive la « moins mauvaise » qu'on est amené à choisir. « Les problèmes d'estimation expliquent le choix d'une formule aussi simple parmi celles proposées pour une fonction de production à facteurs substituables. Ils tiennent, d'une part, aux insuffisances des statistiques : définitions et mesures délicates, nombre réduit d'observations et collinéarité entre les diverses séries. Ils traduisent d'autre part certaines difficultés intrinsèques d'estimation pour les caractéristiques telles que l'élasticité de substitution et le paramètre caractérisant la variation des rendements d'échelle » (p. 96). On néglige donc les consommations intermédiaires et la qualité des facteurs; le progrès technique est considéré comme ayant un développement régulier, indépendamment des autres facteurs. Tout ceci fait évidemment perdre de l'information, mais les auteurs pensent que ces hypothèses sont admissibles et les précédents en cette matière montrent qu'il n'est guère possible d'agir autrement. Se pose comme toujours la question de réunir les statistiques nécessaires sur la période d'étude de 1951 à 1968. Pour le capital, une estimation chronologique a été faite; les « sorties » sont calculées selon une loi log-normale; il est délicat de faire une telle estimation, car la durée moyenne et l'écart-type des investissements sont difficiles à connaître. Les « entrées » sont déduites de la F.B.C.F. de la comptabilité nationale ; un problème d'indices, difficile à résoudre, se pose ici, pour l'évaluation à prix constants. Pour le travail, on utilise les statistiques de durée hebdomadaire moyenne du travail, corrigée de l'incidence des journées de grève et des congés annuels. L,a production retenue est la « production potentielle » qui aurait été réalisée en cas de pleine utilisation des facteurs; l'enquête conjoncturelle de l'I.N.S.E.E. auprès d'un échantillon de chefs d'entreprise permet de l'estimer en donnant le pourcentage P, d'entreprises qui travaillent à la limite de leur capacité. Par pondération on en déduit U ( , estimation de l'accroissement relatif de production qui pourrait être obtenu 161

par la pleine utilisation des équipements et des effectifs. Des corrections et des rétropolations sont faites, en utilisant la régression entre U t et le pourcentage P„ et en éliminant des fluctuations vraisemblablement artificielles. Les autres statistiques sont plus assurées. « La qualité et l'interprétation des résultats économétriques ne sauraient être dissociées de celles des séries statistiques qui ont permis de les obtenir » (p. 95). Pour l'estimation de la fonction elle-même, on fait bien entendu une régression linéaire sur les logarithmes. Comme le test de Durbin et Waston conduit à rejeter l'hypothèse d'indépendance des erreurs, on est amené à préférer la forme : = ( ! - « ) (A, - h)+ 7 + 1t où qt, l„ k, sont les taux de croissance de la production, de la main-d'œuvre et du capital. Différents ajustements ont été réalisés, d'abord avec la capacité c, de la production représentant qt : (g, -

h)

(ct - lt) = 0,34 (k, - lt) + 4,3 (0,13) (0,7)

R 2 = 0,31 D =1,7

puis avec cette capacité non corrigée. l t peut être représenté par la variable activité, ou être corrigé de l'incidence du nombre de jours de grève. Les résultats sont sensiblement différents, les derniers donnent même un coefficient négatif pour (1 — a). On peut introduire la variable U ( ou la variable H, comme variable supplémentaire du modèle à estimer; de même, on peut utiliser les indicateurs de goulot d'équipement E„ ou le rapport M, des demandes et des offres d'emploi non satisfaites, ou considérer comme facteur le seul capital productif formé par les équipements en matériel, etc. Au total, un grand nombre d'estimations sont proposées. Donnons à titre indicatif les valeurs de (1 — a) qui apparaissent : 0,34; 0,48; 0,12; - 0 , 0 7 ; - 0 , 2 3 ; 0,07; 0,31; 0,30; 0,09; 0,38; 0,48; 0,31; 0,34; 0,43; 0,35; 0,14. L'ajustement qui a la préférence des auteurs est celui qui a été indiqué ci-dessus en clair. Mais on ne peut s'empêcher d'être effrayé de l'incidence du choix de l'un des ajustements plutôt qu'un autre. Le coefficient de régression et le coefficient D ne permettent de rejeter qu'un petit nombre de ces ajustements. De plus l'ajustement retenu est fragile, car si l'on supprime une ou deux années, même proches de l'estimation on trouve une équation sensiblement différente. La conclusion qui a pu être retenue de ces calculs pour les projections sur la période 1971/1975 du VI e Plan est : « un accroissement du rythme de substitution du capital au travail de 1 % par an par rapport à la tendance longue entraînerait un accroissement de la productivité du travail d'environ 0,35 % par rapport à sa tendance » (p. 108). Mais le « flou » attaché à la détermination de la tendance longue de la productivité du travail est d'environ 0,5 % ! 162

E n conclusion, les auteurs remarquent qu'ils retrouvent des résultats usuels : la croissance du capital par personne ne rend compte que d'environ 25 % de la croissance de productivité du travail; l'élasticité de la production par rapport au capital est de l'ordre de 1/3. Mais ce qui est plus important, ce sont les limites des résultats obtenus. On pourrait peut-être les repousser en améliorant les mesures, également en faisant des calculs au niveau de chaque branche de l'industrie, et enfin en travaillant directement sur les données élémentaires d'entreprises. VI. LA CROISSANCE FRANÇAISE. UN ESSAI D'ANALYSE ÉCONOMIQUE CAUSALE DE L'APRÈS-GUERRE (») d e M M . CARRÉ, DUBOIS e t

MALINVAUD.

Nous avions à peine écrit, au début de ce chapitre, qu'il était regrettable que MM. Berthet, Dubois, Carré et Malinvaud n'aient pas pu donner suite à leur étude sur la croissance que nous apprenions la publication de ce livre qui répond exactement à cette attente. Il nous a donc semblé nécessaire d'ajouter in extremis ce paragraphe. Ce livre est un travail extrêmement important (700 pages). Son optique est moins uniquement quantitative que celle du ronéotypé qui a été analysé au paragraphe I. Son objectif fondamental semble être une réflexion « littéraire » sur les causes de la croissance accompagnée du maximum de quantification possible. Notre but n'est pas d'entrer dans le détail, d'ailleurs fort intéressant, de cette réflexion, mais de regarder la partie quantitative et plus précisément celle qui s'appuie sur la notion de fonction de production. I/es méthodes de calcul et la fonction de production retenues sont les mêmes que dans l'essai de 1963. Les formulations mathématiques sont moins détaillées, mais celles qui sont exprimées sont identiques à celles qui ont été rapportées précédemment. Un seul fait nouveau nous apparaît comme vraiment important par rapport à notre sujet : le « résidu » qui semblait précédemment une partie inexpliquée de la croissance, et qui semblait à cause de cela dramatiquement important, reçoit une explication qui ne nous était pas apparue à la lecture de l'essai (ni d'ailleurs du livre de M.E. Denison) : tous les autres facteurs de croissance ayant été mesurés, ce qui reste est applicable à l'effet du progrès technique. Notons que les critiques qui avaient été faites au paragraphe I subsistent : si on arrivait à estimer mieux les facteurs, le résidu serait plus faible. Il faudrait donc se poser la question : dans quelle mesure le résidu est-il imputable au progrès technique, et dans quelle mesure est-il imputable à d'autres facteurs, insuffisamment ou pas du tout estimés? 1/ouvrage part de la supposition que la formule de Cobb-Douglas meis sous forme logarithmique est valable; on peut ainsi additionner les taux de croissance. Nous avons déjà émis des réserves sur cette hypothèse. (1) CARRÉ, DUBOIS et MAWNVAUD, Seuil, rédigé après l'ensemble du chapitre.

1972.

Ce paragraphe est un additif, 163

Les résultats numériques d'ensemble sont donnés dans le tableau suivant. Pour la période de 1913 à 1963, ils sont comparables à ceux de l'étude provisoire, et n'ont été rectifiés que pour quelques postes. Par contre, apparaissent de nouvelles périodes, plus récentes.

TABLEAU XIII Analyse du taux de croissance de la production française (en % par an) (i) Sous-périodes Composante dont l'effet est évalué

Période 19511969

Production intérieure brute .. 5,0 Emploi dans les branches (nombre d'hommes-année) . Durée du travail — 0,1 Qualité du travail âge, instruction et intensité du travail) 0,4 Migrations professionnelles 0,6 Volume du capital net . . . 1,1 Rajeunissement du capital 0,4 Intensité de la demande . 0,1 Total expliqué Résidu

2,5 2,5

19511957

19571963

4,7

5,1

— 0,2 —



0,4 0,5 0,8 0,3 0,3 2,1 2,6

0,4 0,6 1,1

0,4

— 0,1 2,4 2,7

Très longue période 1913-1963 19631969 5,1

2,1

0,3 -0,3

-0,1

0,5 0,5 1,3 0,4 0,1

2,8 2,3

— 0,3 0,6 0,3 0,5 — —

1,0 1,1

(J) P- 275·

Vexamen de ce nouveau livre confirme ce que nous avons écrit à la lecture du premier : la fonction de Cobb-Douglas ne décrit pas correctement le réel. Il est tout à fait juste que le progrès technique joue un rôle primordial dans la croissance; c'est d'ailleurs la thèse qu'a défendue notre père dès 1945 (x). Alors, il serait normal de le faire intervenir comme facteur dans la fonction de production, ce qui n'a pas été fait jusqu'à présent. (1) L'Économie Française dans le monde, Collection « Que sais-je ? », P.U.P., Paris, ire éd., 1945; Le Grand Espoir du XXe siècle, P.U.P., Paris, 1« éd.. 1949, réimprimé, « Idées », Gallimard. 164

ν π . CONCLUSION.

Beaucoup de fonctions de production ont été calculées, nous n'avons pu en retenir ici que quelques-unes. Ce sont celles qui figurent dans les principales publications sur le taux de croissance de la production, et quelques autres prises dans des études sur la fonction de production proprement dite qui ont l'intérêt de fournir plusieurs résultats. Au terme de ce chapitre, deux aspects paraissent dominer la situation : 1. La difficulté qu'éprouvent les économètres à réunir les données statistiques satisfaisantes. Ce point rejoint la première partie de la présente étude : les questions de mesure dominent en économie, et les mesures agrégées qui sont nécessaires pour toute élaboration de fonction de production macroéconomique, sont parfois impossibles à connaître et parfois douteuses. Les auteurs dont nous avons passé en revue les travaux n'insistent pas beaucoup sur l'une des questions qui s'est posée pour eux, celle de la mesure à prix courants ou à prix constants. Il semble qu'ils aient tous supposé que l'unique méthode possible consiste à évaluer les différents volumes à prix constants, avec tous les problèmes que cela pose, et qui ont été soulevés aux chapitres ι et il. Pourtant, du point de vue théorique, la fonction de production aurait dû être évaluée en quantités physiques. 2. La variété des ajustements possibles. Les études de M. Ringstad et de MM. Mairesse et Saglio donnent l'une et l'autre quantité de fonctions de production ajustées. Les méthodes qui ont présidé à leur élaboration sont très distinctes : la première étude donne des variantes qui sont essentiellement de l'ordre de la méthodologie statistique; la deuxième base au contraire ses variantes sur la multiplicité des valeurs qui peuvent être attribuées aux variables. Il nous a semblé intéressant de les rapporter toutes deux, car il y a là une complémentarité : on peut en retenir qu'il ne faudrait jamais utiliser une fonction de production sans avoir présent à l'esprit qu'avec un petit changement — légitime — dans les données ou dans les méthodes statistiques, on aurait une fonction tout autre. La formulation des fonctions de production a été une de celles que nous avons privilégiées pour une application des réflexions générales de la première partie de ce travail. Ce choix nous a permis de voir qu'en effet les questions de mesure sont fondamentales. Peut-être pouvons-nous regretter qu'il n'existe pas de réflexion suffisante sur les unités qui doivent intervenir dans des formules comme celles de Cobb-Douglas : il semble que les auteurs se contentent d'essayer de réunir des statistiques homogènes sur une certaine période, et d'appliquer une méthode de régression linéaire (ou une méthode du même genre). Il serait intéressant de connaître des fonctions de production calculées selon les mêmes méthodes, mais avec des unités différentes, par exemple avec plusieurs années de base pour les calculs en francs constants. Il est assez frappant de voir que ce problème de la mesure, et en particulier du choix de l'année de base des francs constants, n'apparaît absolument 165

pas dans les textes qui ont été analysés ici. Personne ne semble avoir conscience que la croissance de la P.I.B., par exemple, n'est pas la même lorsqu'elle est appréciée en francs constants de 1956, et lorsqu'elle est appréciée en francs constants de 1962 (*). MM. Denison, Carré, Dubois et Malinvaud semblent considérer comme des absolus les taux de croissance de la production intérieure brute, sans se rendre compte qu'ils ont privilégié des bases (et ils ne disent que rarement lesquelles ils ont choisies) ; si d'autres bases avaient été retenues, les taux de croissance auraient été différents, et donc aussi les explications de la croissance. Loin d'avoir considéré ces contraintes, les auteurs en viennent parfois, pour des raisons de simple commodité ou de disponibilité des données, à mesurer les différents éléments d'une fonction de production avec des systèmes de francs constants n'ayant pas la même année de base. Répétons-le : le choix de l'année de base met le modèle mathématique en question. A chaque année de base correspond, une formulation différente du modèle. Autrement dit, aucun modèle mathématique ne peut être valable quelle que soit l'année de base choisie pour l'évaluation des quantités économiques qui y figurent.

(1) M. P. H m , a utilisé quatorze méthodes de mesure pour la croissance, en considérant onze pays. Il conclut : « Un examen détaillé des méthodes en usage montre qu'il est utopique de croire que ces taux de croissance peuvent être mesurés avec ime grande précision. » (La mesure de la production en termes réels, O.C.D.E., février 1971, p. 45.) 166

C H A P I T R E VII

LE PROBLÈME DE L'AGRÉGATION Parmi les problèmes posés par les économètres, nous avons choisi celui de l'agrégation, car il a un caractère théorique particulièrement accentué : on trouve une assez abondante littérature sur les principes. Par contre, les applications sont assez rares, à notre connaissance, et présentent de grandes difficultés. C'est un domaine où les théoriciens sont amenés à faire de nombreuses hypothèses, et ces hypothèses ne correspondent pas toujours à la réalité. I^e problème de l'agrégation est ainsi un problème qui, du point de vue des mathématiques fur es, a reçu de nombreux développements; la thèse de Nataf qui sera analysée ici en est un excellent exemple; mais du point de vue de la pratique, on se heurte encore à de graves difficultés. Contrairement à ce qui a été fait précédemment, un seul chapitre sera consacré au problème de l'agrégation, car les applications pratiques, connues de nous, qui présenteraient un intérêt suffisant, sont trop peu nombreuses pour donner lieu à la rédaction d'un chapitre qui leur soit propre. I. POSITION DU PROBLÈME. Nous avons précisé dans l'introduction de cette deuxième partie les différents sens que l'on peut donner au mot agrégation. Ici il ne sera question qu'accessoirement de la constitution d'agrégats; ce qui est en question, c'est le passage d'un modèle micro-économique à un modèle macro-économique. On part donc d'un modèle détaillé, par exemple, celui qui, par un très grand nombre de fonctions analytiques, représente la demande ou la fonction de consommation de chaque consommateur, ou les fonctions de production de chaque entreprise, et l'on veut obtenir un modèle résumant toutes ces équations de demande, ou toutes ces fonctions de production; il est désirable que les variables du second modèle soient des résumés (éventuellement des agrégats ou des indices) des variables du premier : ici il s'agirait de la demande de l'ensemble des consommateurs, ou de la production nationale. On passe d'un modèle détaillé concernant chacun des agents individuels à un modèle simplifié concernant l'ensemble des agents. Il suffit de réfléchir à ce problème pour constater combien il est complexe. 167

Nous avons déjà dû dresser un constat d'échec quand il s'agissait seulement de résumer des éléments différents en un seul agrégat ou un seul indice... Or ici ce sont des équations qu'il s'agit de résumer. Un des aspects fondamentaux de l'agrégation est donc la perte d'information que représente le passage d'un modèle micro-économique (qui, théoriquement, pourrait comporter des milliers d'équations) au modèle macro-économique correspondant (1). Cette perte d'information ne nous semble pas avoir été suffisamment mise en évidence jusqu'ici, dans la mesure où ce problème est posé sous une forme trop purement mathématique. Mais on est obligé d'admettre que l'agrégation est une opération irréversible : il est possible de passer du modèle micro-économique au modèle macro-économique, mais non de partir du modèle macro-économique pour revenir au modèle micro-économique; c'est donc que le modèle détaillé n'est pas tout entier contenu dans le modèle simplifié. Le problème même de l'adéquation des modèles au réel devrait se poser. Bien des études sont faites séparément, en élaborant mathématiquement des modèles d'une part, et en expérimentant d'autre part; on vérifie ensuite l'adéquation par des méthodes comme l'analyse de la variance. Pour l'ensemble du problème de l'agrégation, il semble que la théorie précède la pratique. Cela n'est pas anormal. Encore faut-il que la pratique (c'est-à-dire la confrontation du modèle avec le réel sensible) suive effectivement et que les conséquences en soient tirées. Deux études seront particulièrement analysées ici : celle, très générale, de M. E. Malinvaud sur « l'agrégation dans les modèles économétriques », qui nous semble résumer très clairement le problème qui se pose, et un exemple de solution mathématique : la thèse de A. Nataf « Sur des questions d'agrégation en Econométrie ». Nous ferons ensuite allusion à une autre étude très générale, plus récente, faite dans l'esprit de l'article de M. Malinvaud. Π. « L'AGRÉGATION DANS LES MODÈLES ÉCONOMÉTRIQUES » par M. E .

M A U N V A U D ( 2 ).

Cet important article semble être l'un des exposés les plus clairs et les plus détaillés sur ce que représente l'agrégation. Nous résumons particulièrement le début qui nous semble fondamental. 1/agrégation, entendue dans son sens le plus général, concerne le passage d'un ensemble de lois élémentaires à une loi globale entre agrégats représentatifs. Il s'agit de représenter un modèle par un autre ; chacun de ces modèles, par définition, doit correspondre à une théorie cohérente et complète, et « consiste dans une représentation formelle d'idées ou de connaissances (1) « Aucune simplification n'est possible si on ne veut courir le risque d'aucune imprécision », E . MAUNVAUD. « L'agrégation dans les modèles économétriques », Cahiers du Séminaire d'Économétrie, n ° 4 , C N . R . S . , 1956, p. 9 8 .

(2) Cahiers du Séminaire d'Économétrie, n ° 4 , C . N . R . S . , 1 9 5 6 , p. 6 9 e t suivantes.

168

relatives à un phénomène ». Le modèle détaillé fait passer des variables exogènes X 0 aux variables endogènes Y 0 par des équations qui seront représentées par /„; le modèle simplifié, qui est le point d'aboutissement, fait passer des variables X aux variables Y par des équations /. Les fonctions g et h, fonctions d'agrégation, font passer des X 0 aux X, et des Y 0 aux Y (*). Le schéma ci-dessous est très évocateur. X,0

fo

*

/

v

Y

0

modèle détaillé

modèle simplifié

La constitution d'un indice du coût de la vie est un exemple de constitution de modèle agrégé. Théoriquement, elle implique l'existence d'un champ de choix défini pour les consommateurs, c'est-à-dire celle d'un modèle détaillé qui permettrait de déterminer le coefficient multiplicateur que l'on cherche à partir des prix, des quantités consommées et des revenus. En fait, personne n'a la possibilité matérielle de déterminer ce modèle détaillé : on lui substitue un modèle simplifié qui permet de calculer l'indice à l'aide d'une formule simple, mais au prix d'une certaine imprécision. Soulignons cette impossibilité matérielle

de connaître

le modèle détaillé

: bien des réflexions t h é o r i q u e s s u r

l'agrégation supposent connus des modèles micro-économiques qui sont en fait impossibles à formaliser, car ils devraient comporter des milliers ou des millions d'équations sur lesquelles on n'a en fait aucune information. Le modèle détaillé est théoriquement « la réalité »; sa forme de modèle exprime la connaissance que nous en avons. g et h, dans leur conception la plus générale, ne sont pas forcément des formules de constitution d'agrégats. Quelles sont les conditions théoriques que doivent remplir ces fonctions? D'abord, la fonction d'agrégation h doit être telle que : y 1 = y2 ou h(yl) = h(yl) si et seulement si y¿ et représentent des valeurs qui soient pratiquement équivalentes du point de vue de l'utilisateur. Une agrégation qui satisfait à cette condition est dite intrinsèque. Nous ne voyons pas très bien comment se traduit concrètement cette condition qui s'explique du point de vue théorique : h devant servir à résumer les variables, yi doit faire intervenir plusieurs de ces variables à la fois; il est alors bien difficile d'isoler ce que signifie h ou bien le « résumé » consiste simplement à remplacer toutes les variables (1) Il ne faut pas penser que les fonctions / et g· sont de simples sommations. Elles pourraient avoir cette forme s'il s'agit par exemple d'additionner la population active, ou certains types de production mais non s'il s'agit par exemple des clients d'une entreprise (une même personne peut être cliente dans plusieurs entreprises). 169

« pratiquement équivalentes » par une seule : on est bien loin de la forme d'un agrégat. Par ailleurs, l'agrégation des variables instrumentales X et X 0 se conçoit seulement comme un moyen de procéder en deux étapes : résolution du modèle simplifié, et retour au modèle détaillé, puisque la décision doit finalement être arrêtée dans tous les détails. On est donc amené à supposer l'existence d'une fonction g inverse de g. Cette seconde condition ne nous semble pas non plus bien réaliste, car si g représente ne soit-ce que simplement une sommation, g n'existe pas. A travers la littérature économique, il est visible que, pour les statisticiens, « le problème de l'agrégation provient de la nécessité de présenter dans le cadre d'un modèle simple le monde économique complexe dans lequel nous vivons. Les hypothèses théoriques ne sont jamais rigoureusement satisfaites; mais la représentation de la réalité peut être choisie de façon à s'approcher le plus possible de leur domaine de validité. Il faut alors comparer les caractéristiques logiques du schéma adapté à ce que l'on sait des mécanismes économiques dans leur complexité. Ici le modèle simplifié est donc bien défini, tandis que le modèle détaillé n'existe pas ou plutôt s'identifie avec le monde économique dans ses multiples aspects » (1). Pour les économistes, l'agrégation est un moyen d'enrichir largement la théorie des modèles économiques. « Elle devrait permettre tout à la fois de déterminer comment doit être défini le modèle simplifié, quelle règle adopter pour le calcul des agrégats, quels procédés appliquer dans l'estimation statistique, quelles conclusions tirer des résultats pour notre connaissance des structures économiques détaillées. » ' Les différents auteurs ne sont pas d'accord sur les données du problème. Iy. Klein se donne les modèles détaillé : / 0 et simplifié : /, et cherche g et h; si g et A n'existent pas, les modèles sont incompatibles ; M. Malinvaud pense que se donner / est se donner justement ce que l'on cherche! K. May se donne /0, g et h, et cherche / tel que : /fe(*o)] =A[/o(*o)]

V*0

C'est meilleur, à ce que pense M. Malinvaud mais il est préférable de se donner seulement / 0 , le modèle détaillé, et de chercher g, h et / (2). Un exemple classique est l'agrégation intrinsèque dans les modèles linéaires. On suppose que l'on a : Ν variables exogènes, réparties en η groupes (1,... i..., n) : xih, M variables endogènes, réparties en m groupes (1,... /..., m) : yjk. On suppose que les coefficients de pondération sont tous égaux à 1, ce qui revient à choisir de façon particulière les unités dans lesquelles les xlh sont mesurés. Les fonctions d'agrégation, intrinsèques, sont : N, Mj = Σ

x

Λ=1

u>

νi = Σ Vjk

*=1

(1)

(1) Ibid. p. 88. (2) Ce qui est assez frappant, c'est le caractère théorique de ces hypothèses. On « se donne » des fonctions. En fait, qu'a-t-on dans le réel ? 170

Le modèle détaillé est supposé linéaire : Vjk = Σ ajk,¡h xih + bjk + Ejk lh

VÄ e [1, ... My],

V/ e [1, ... m\

les aJktih et bjk sont des constantes numériques; les e jk sont des erreurs aléatoires, indépendantes des x¡h, de moyennes nulles. 1/ agrégation des variables endogènes donne : yi = Σ aj.ih Xih + h + εJ ih

V/ e [1, ... m ]

Pour que la théorie de l'agrégation intrinsèque rende possible l'emploi des variables exogènes agrégées définies par (1), il faut et il suffit que : Σ x'ih = Σ x"h h h

Vi ε [1, ... η] => Σ ahih x'ih = Σ Η* ih ih

x'ih

Vj ε [1, -

w]

Ceci est réalisé si : ^ = "ih

iq

v i e [1, ...η],

VA, q e [1, ... N ¡ ]

Si les χΛ sont libres de prendre toutes les valeurs possibles, il faut : a hih = a h i V¿ e [1, ... n~] Vj e [1, ... m] VA e [1, ... M,] L,e modèle agrégé prend donc la forme : y¡ = Σ Hi i

xi

+ bi + SJ

V/ 6 [1, ... m\

« Les conditions requises pour l'agrégation intrinsèque sont donc très restrictives, puisqu'elles impliquent soit que les variables exogènes agrégées aient une composition fixe, soit que les coefficients structurels a Jtih soient les mêmes pour toutes les variables exogènes détaillées regroupées dans un même agrégat. » On voit donc que même dans le cas simple de l'agrégation linéaire, celui le plus usuellement traité (1), les conditions d'agrégation sont très restrictives et rarement réalisées. On a par cet exemple une idée des conditions draconiennes qui devront être imposées à un modèle usuel, non linéaire. On est donc amené à élargir le champ de l'agrégation, en admettant des erreurs. Si l'on a le schéma ci-dessous, pour estimer la valeur de l'agrégation, il faudrait comparer y 0 et y. C'est impossible, car ces deux variables ne font pas partie du même ensemble. On cherche les éléments y0 de Y dont l'image par A est y; ils forment le sous-ensemble Ch (y). On peut dire que l'erreur qui résulte de l'agrégation est égale à l'écart entre y 0 et l'ensemble des valeurs de Cfc (y), puisque l'agrégation ne permet pas de distinguer entre elles : on la (1) Cf. H. ThEU,, Linear aggregation in economic relations, University of Chicago, Amsterdam, 1965; P. MAHNET, « Une étude d'économie synthétique : le « modèle » de Léontiefï », Revue d'Économie Politique, 1950. 171

mesurera en définissant une pseudo-distance sur Y ; l'agrégation sera d'autant meilleure que les éléments de Cft (y) seront en moyenne plus « près » de _y0. fo

Y X

yo

-> y

De la même manière, on définit des agrégats « représentatifs » à une erreur minima près. Pour les variables exogènes, on remplace les variables détaillées xlt x2 ... x„ trop nombreuses par quelques grandeurs plus simples ζ y, ζ 2 ... zq, qui, sans décrire parfaitement les premières, peuvent leur être substituées dans les études synthétiques : x¡ = gi *2> ···> zq) + e¡ V» e [1, ... w] Ces agrégats sont représentatifs si les e¡ sont des termes résiduels toujours faibles, et les g¡ des fonctions connues. Alors, si /0 est une transformation continue (encore une condition restrictive !) on peut écrire : Vo = fo [ f ( * i , «a. ···. z9)l + 1 où η est un terme résiduel petit quand ε est faible. 1/existence d'agrégats représentatifs pour les variables exogènes implique souvent l'existence de semblables agrégats pour les variables endogènes : avec :

y0 = h (yu yz, - , yJ + ν yi = f{x i, *a. ···. z¡*¡ + i + «;]

m (x, y) = ì £ [«,

m

(x¡, χ) + m (a¡, λ;)]

Iyes coefficients de régression sont : m (x¡, χ) m (χ )

Sj = x¡ - r¡x

avec : - Zγ h * = !> H η

-η Σ^ s¡* = 0 -M

d'où les estimations de a et b : n

i

n

ι m (x )

£

l v . 1^ Λ , l v [ . -m{Ei,x) 1 = ~L bi + ~Lai$i + «Σhi - * γ » ι η i »iL m (χ2) J A dans les espérances mathématiques de â et de b, le dernier terme disparaît, car il est linéaire en e i t ; d'où : b

cov

173

Donc, par rapport à la moyenne des coefficients structurels microA économiques, les coefficients estimés α et b présentent des erreurs systématiques A A qui disparaissent seulement si cov (a, r) et cov (a, S) sont nulles. Il y a erreur, par exemple, si les individus qui se caractérisent par une valeur élevée de a¡ sont aussi ceux pour lesquels les variations de x¡ sont les plus fortes, c'est-àdire si les riches ont un revenu instable... Ce procédé, d'après l'auteur, donne des résultats souvent peu différents de ceux qu'on aurait obtenus en utilisant le modèle détaillé. Ceci nous semble possible, mais cela suppose cependant la connaissance de ce modèle détaillé, dont nous avons déjà dit qu'elle est pratiquement irréalisable, sauf peut-être si l'on ne considère que quelques individus. (Même dans ce cas, l'hypothèse que le modèle est linéaire est bien restrictive.) On utilise en général ce genre d'estimation pour prévoir les variations de y qui résulteront des variations de x. On peut mesurer l'erreur de prévision pour une période future où t = Θ, comme la somme de quatre termes : — le premier dépend des είβ. « Il affecte les prévisions à l'aide du modèle simplifié de la même façon que celles qui auraient été effectuées à l'aide du modèle détaillé »; — le second dépend des valeurs passées de e it ; — le troisième dépend de l'erreur ζ1{ sur xlt : (xit = r¡xt + $i + Ci()

Il n'existerait pas si on utilisait le modèle détaillé, mais est rarement important. — le quatrième dépend de ζίβ\ il est notable, et représente la perte la plus grave dans la substitution de l'un des modèles à l'autre. Ces dernières remarques sont importantes, car il s'agit de la recherche de la perte d'information due à l'emploi du modèle macro-économique à la place du modèle micro-économique. Ce qui est regrettable, c'est qu'on ne puisse pas dire grand-chose d'un modèle non linéaire. Tous les calculs et les exemples de cet article sont faites sur des modèles linéaires ... ce n'est pas la faute de M. Malinvaud, mais de la nature même des problèmes d'agrégation! Nous verrons avec l'ouvrage de Nataf que même si on ne suppose pas la linéarité, on est amené à faire des hypothèses extrêmement restrictives, et finalement moins réalistes encore que cette linéarité. m . « SUB DES QUESTIONS D'AGRÉGATION EN ÉCONOMÉTRIE » p a r A . NATAF (*).

Cet ouvrage est un exemple du traitement purement mathématique du (1) Thèse d'état en mathématiques, Imprimerie J. et R. Sennac, Paris, 1954. 174

problème de l'agrégation; il fait certainement faire un progrès sensible aux mathématiques en tant que telles ; mais nous allons en quelque sorte le trahir en essayant de voir dans quelle mesure les théories élaborées peuvent servir dans la pratique. Nous serons alors amenés à critiquer les hypothèses, ce qui, du point de vue pratique, met en cause le résultat obtenu par Nataf. 1/ouvrage comporte quatre démonstrations principales; nous les passerons en revue, puis nous reviendrons plus en détail sur la première, afin d'examiner les hypothèses, à titre d'exemple. — Nataf suppose d'abord que chaque technique de production peut se représenter par une seule fonction de production, pourvue de dérivées du premier ordre. Ces fonctions de production doivent avoir une forme très particulière pour que l'agrégation soit possible : elles doivent pouvoir se ramener à des sommes de termes concernant chacun des catégories économiques différentes, et qui sont les mêmes pour toutes les fonctions. — Ensuite, il se place dans le cadre de la théorie des choix. 1/agrégation n'est possible quels que soient les revenus des consommateurs que si leurs surfaces d'indifférences se déduisent linéairement les unes des autres (à partir de surfaces de « base » pour chaque consommateur qui peuvent être sans relation). — Dans une deuxième partie, Nataf restreint les classes de fonctions considérées. Il étudie les possibilités d'agrégation dans le cas où tous les revenus sont égaux; ce problème n'est pas résolu, mais ramené à un système d'équations aux dérivées partielles dont on connaît une propriété générale. — Il étudie également la forme que prennent les relations entre certains agrégats de produits et de facteurs de production lorsque les fonctions de production élémentaires sont linéaires. En examinant ces diverses parties, on est encore une fois frappé de la restriction des hypothèses; passons-les en revue. Il existe peu de fonctions de production micro-économiques : si quelques-unes possèdent des dérivées du premier ordre, aucune ne concerne une technique de production et ne se présente comme une somme de termes concernant chacun des catégories économiques différentes ; il serait intéressant de chercher à construire de telles fonctions et de voir si elles sont réalistes. Nous reviendrons sur le détail de cette hypothèse. De même, les surfaces d'indifEérence de chaque consommateur sont mal connues ou inconnues; il n'y a aucune raison qu'elles se déduisent linéairement les unes des autres, ce qui signifierait que la consommation de chaque produit augmente proportionnellement au revenu ; on sait au contraire qu'il existe des saturations (en matière alimentaire notamment) et que de nouveaux besoins apparaissent (services surtout). L'hypothèse que les revenus sont égaux, comme le souligne l'auteur lui-même, peut correspondre à certaines catégories socio-professionnelles; elle n'est donc pas dépourvue de sens; malheureusement l'auteur n'arrive pas à une solution complète. Quant à supposer que les fonctions de production 175

élémentaires sont linéaires, c'est une hypothèse qui est parfois faite (et d'ailleurs, prendre une fonction de Cobb-Douglas, c'est choisir une fonction de production linéaire en logarithmes); cela pose des problèmes de complémentarité ou de substituabilité des facteurs qui sont difficiles à résoudre. De toutes façons, ce problème n'a pas reçu non plus une solution mathématique complète, et c'est sous forme « expérimentale » qu'on pourra rechercher les fonctions agrégées. Reprenons la première partie, et donnons les détails des hypothèses. Celles-ci sont empruntées à Laurence R. Klein (1), mais Nataf a pu résoudre complètement le problème que Klein n'avait résolu que dans des cas particuliers. On considère A entreprises, désignées par l'indice α (a e [1, 2, ... A]), produisant des biens xix de nature x¡ (i e [1, ... ra]), grâce à l'utilisation des services nJa de r qualités de main-d'œuvre, et zka de S qualités de capitaux. Il y a une seule fonction technique de production par firme a, notée : nm: rlx, ..., r,x) = 0 pour a e [1, ... A] Cette fonction F a admet des dérivées partielles des xix par rapport aux njx et zkx. Arrêtons-nous déjà devant cette hypothèse. I,a fonction de production considérée est complexe, puisqu'elle fait intervenir m produits : les fonctions que nous avons rencontrées jusqu'ici, à l'échelle micro-économique, ne faisaient intervenir qu'un seul produit. Il n'y a aucune raison qu'il soit possible de rassembler les différents produits en une seule fonction de production ; il serait plus naturel de penser qu'il y a une fonction de production par produit, quitte à ce qu'il existe certaines liaisons entre ces fonctions, dues aux contraintes de main-d'œuvre et de capital... Il est regrettable qu'il n'existe pas, du moins à notre connaissance, de fonction effectivement calculée représentant F a . Les fonctions agrégées sont désignées par : X = G (Xu, ..., Xml', ·••', X 1A , ..., XmA) Ν = H(nlu

..., nri\

...; n1A, ..., nrA)

Ζ = I (ZJJ,

..., zti)

...; z1A, ...,

z,A)

Ce sont donc des indices ou des agrégats au sens large, représentant chaque groupe de variables. Il s'agit de rechercher les conditions nécessaires et suffisantes pour qu'il existe une fonction : Φ (Χ, Ν, Ζ) = 0 (1) « Macro economics and the theory of behavior », Econometrica, vol. XIV, n° 2, ap. 1946. 176

Chaque fonction F e permet le calcul d'un xia au moins : désignons-le, au besoin grâce à un changement de notation, par xla\ on obtient A équations de la forme : Xla

/« (X2a>

=

···

Xmx'·

nlx>

···

nn>

zlx>

···

z «a)

En remplaçant les xla par leur valeur dans X , et en reportant dans Φ, en écrivant ensuite que les dérivées de Φ par rapport aux seules variables indépendantes sont identiquement nulles, on obtient le système d'équations aux dérivées partielles :

SXjg

dxix

ÔG _ dx¡*_ _3G_ 3*1.

i β [2, ..., ni]

α e [1, ..., A ]

dxu 3H dnia = dnu dxlx ~ dH dnJx dnjP

dG δχ1β 80 dxla

i, i ell,

... r]

a., β e [1, ... A]

dxla dzlx _ dxTß= dzjß

dG dxlß dG dxu

¿ , / e [ l , ... r]

α, /?e [1, ... A ]

SI dzlx dl 8zjß

C'est ce système que Nataf intègre avec succès, trouvant, comme il a déjà été dit, que les fonctions F a doivent pouvoir se ramener à des sommes de termes dont chacun n'intéresse que des catégories économiques disjointes et qui sont les mêmes pour toutes les fonctions. Pour reprendre notre critique, il semble que de baser toute une recherche sur les dérivées partielles de fonctions qui, dans la réalité, ne sont ni continues ni dérivables, est un peu hasardeux. Nous savons en effet que toutes les formules de fonctions de production ne sont que des approximations, et donc leurs dérivées sont des approximations encore plus grandes. Les formules connues d'agrégats ou d'indices ont en général des dérivées, mais nous avons vu combien ces formules résument mal la réalité ; on peut donc s'interroger sur le sens de leurs dérivées. Au total, il nous semble qu'une telle démonstration n'est valide que dans des conditions qui sont assez rarement vérifiées dans la réalité; elle constitue un document dont la valeur mathématique n'est pas à contester, mais dont l'application pratique n'est pas évidente. Il serait possible de reprendre dans le même esprit les points de départ des autres démonstrations de Nataf. Le bref résumé que nous en avons donné 177

au début de ce paragraphe et cet exemple nous semblent suffisamment exprimer l'esprit de notre réflexion. ** *

Les deux exemples de l'article de M. Malinvaud et de la thèse de Nataf nous semblent assez évocateurs de la littérature théorique actuelle sur le problème de l'agrégation. Il aurait pu être intéressant de reprendre quelques considérations sur l'agrégation linéaire, dont M. H. Theil s'est fait le spécialiste incontesté, mais il nous semble que cela n'apporterait pas grand'chose de plus : il s'agit d'un exemple encore très théorique, et dont le raccordement avec le réel se fait mal, dans un cas qui est un peu moins difficile que le cas général, mais dont il importe de souligner ici qu'il n'a pas toujours de solutions : en fait, même dans ce cas, l'agrégation n'est possible qu'au prix d'hypothèses très restrictives. IV. « LE PROBLÈME DE L'AGRÉGATION. UN ESSAI DE SYNTHÈSE » par MM. F.-B. Denisot et V. Lévy-Garboua (*). MM. François-Bernard Denizot et Vivien Lévy-Garboua font, quinze ans après M. Malinvaud une synthèse dans l'esprit de celle que nous avons analysée au paragraphe II. Les définitions du problème sont les mêmes. Elles admettent simplement une représentation formelle plus moderne que celle que pouvait donner M. Malinvaud, en 1956 : le modèle détaillé M 0 fait partie d'un ensemble ΛΟ>0, et le modèle simplifié M appartient à Jl>. On définit les applications A de jK>0 dans JC, qui forment l'ensemble &. Le problème de l'agrégation consiste à savoir si Λ est vide ou non. La position du problème est celle de l'article de M. Malinvaud. Pour que A ne soit pas vide, il faut et il suffit (avec les mêmes notations que M. Malinvaud) que, pour tout /, et pour tout couple x¡, et x2 de E 0 (ensemble des variables exogènes du modèle détaillé), l'implication suivante soit vérifiée :

Ceci n'est pas le cas en général. Il faudrait que l'une des conditions suivantes soit vérifiée : — que g soit une injection. Cela supposerait qu'il y n'ait pas plus de variables dans le modèle détaillé que dans le modèle simplifié, ce qui est absurde, — que h soit une constante. Ce cas est sans intérêt. (1) Revue Économique, 1972. 178

Les auteurs affirment donc clairement qu'en dehors de ces cas, il n'y a pas d'agrégation possible au sens strict. On élargit alors le problème, en supposant que le modèle M est une correspondance, et non plus une fonction. U n exemple, qui apparaît presque simpliste en regard des considérations qui précèdent, mais qui nous semble plus réaliste, est celui où les fonctions g et A sont de simples sommations, / une fonction affine, yt = at + b, xit et où le modèle M 0 fait correspondre à un vecteur de revenus ..., xn) un vecteur de consommations individuelles (y i t ..., yn). Dans ce cas : a [ / ( * ) ] = Σ a > + Σ bixi i=l »=1 II sauf dans le cas exceptionnel où les b¡ sont tous égaux, Y = £ yt n'est pas fi i= 1 une fonction de X = Σ χ ι· A u total, à un X donné, on peut faire correspondre i=l une infinité de Y ; c'est une correspondance, ou une application multivoque. Cette correspondance ne nous paraît pas avoir d'intérêt en soi : le seul résultat pratique est de montrer que Y est compris entre deux valeurs : ¿e¡ + XMnó¡(X) + U U et les u¡ sont des variables aléatoires, avec : Y

χ = 1=1 Σ *«

=Σ yi i=l

1/agrégation permet d'associer à un X donné une infinité de valeurs de Y, comprises entre des limites Y x et Y 2 . Un critère simple permettant de choisir un modèle simplifié approché consiste à prendre comme correspondance φ (X) la moyenne Υχ des valeurs de Y correspondant à X pour les différentes distributions de revenus [xlt ..., x„) de même somme X. L,a semi-distance correspondante est :

J

h U

ç>(X) J

β(χ)= (1) p est l'ensemble des parties. 180

dx χ

(x)

+

u]àx

On prend donc une probabilité uniforme des revenus, et on choisit pour Y sa moyenne de probabilité. Sur cet exemple, on peut avoir une idée de ce que les auteurs appellent une agrégation « approchée ». D'autres exemples précisent cette notion dans des cas particuliers. h a suite de l'article nous intéresse moins directement, car elle est consacrée à la façon dont l'estimation des modèles vient compliquer le schéma précédemment établi. En fait, on ne connaît pas le modèle « vrai », on l'estime. La conclusion mérite d'être retenue : « Dire qu'il n'y a pas de passage entre la micro-économie et la macro-économie telles qu'elles sont étudiées en général est une chose, dire que ce passage ne sera jamais possible en est une autre. » Nous voulons bien partager l'optimisme de MM. Denizot et I^évyGarboua, mais force est de reconnaître qu'en attendant des progrès à venir, le problème de l'agrégation, même d'un point de vue purement théorique, se heurte à de quasi-impossibilités et à des difficultés même s'il s'agit seulement d'approximation. 1/article qui vient d'être analysé a l'avantage de mettre cela en évidence d'une façon plus claire que les autres écrits sur cette question. Devant cette impossibilité théorique, il n'est pas étonnant que les applications pratiques soient rares. Notre quête d'exemples concrets de problèmes d'agrégation résolus a probablement été très insuffisante. En tout cas, nous ne pouvons faire état que de peu d'applications dont la plupart sont des constats, sinon d'échecs, du moins de difficultés non encore surmontées. V. APPLICATIONS PRATIQUES. Signalons une remarque fondamentale de M. Stoléru (1). En cherchant une relation entre grandeurs macro-économiques, on se pose, par exemple, la question : y a-t-il un rapport constant entre l'augmentation de consommation et l'augmentation de revenu? Il est facile de voir que, même si ce rapport existe pour chaque individu, il n'existe pas forcément pour la collectivité. Si on considère simplement deux fractions de la population, d'indices 1 et 2, C étant la consommation et Q la production, et qu'on leur attribue des rapports constants, mais différents : = 0,7 AQi AC2 = 0,8 AQ2 au total, on obtient : ^

= 0,7 0 ! + 0 , 8 Q 2

(1) L'équilibre et la croissance économique, Dunod, Paris, 1967, p. 20. 181

Selon que l'accroissement de revenu est réparti plus ou moins également entre les deux types de consommateurs, le rapport ^ ^ peut prendre toute valeur Δζ> comprise entre 0,7 et 0,8. h a loi de consommation, applicable à chacun des groupes, ne s'applique à l'ensemble que si la répartition des revenus reste à peu près stable. « D'une manière plus générale, les relations macro-économiques n'ont de sens que dans la mesure où la composition des agrégats est relativement stable. » ** *

Un assez grand nombre d'applications ne pose aucun problème véritable, dans la mesure où les fonctions d'agrégation sont de simples sommations (éventuellement de logarithmes, ce qui donne lieu à des moyennes géométriques). Nous en avons un exemple, parmi d'autres, dans l'ouvrage déjà étudié de M.V. Ringstad (1). Il part de fonctions de production du type : Vit = xxit + β zlt + uit où yit, xit et zit sont les logarithmes respectivement de la valeur ajoutée, du travail et du capital; uit est un terme aléatoire. La fonction agrégée a la forme : y, = α xt + β ζ, + ut où : 1

pour :

ν ι ι

r = y, χ, ζ

L'auteur remarque que c'est une fonction de production macro-économique de forme très peu usuelle, justement parce qu'elle fait intervenir les moyennes géométriques des différents facteurs de production. Cette agrégation a aussi un curieux effet sur l'indice de prix de la production qui se trouve correspondre à l'usage de la formule de Paasche. Au fond, nous disions que ce procédé ne « pose aucune problème » car c'est la forme des fonctions micro-économiques qui commande la forme de la fonction macro-économique, et toutes les conséquences... Seulement, le résultat est une fonction de production des plus bizarres ! *

(1) Estimating

Production

Functions

*

*

and Technical Change from, Micro

Central Bureau of Statistics of Norway, Oslo, 1971, p. 143. 182

Data,

Un problème d'agrégation qui rejoint les problèmes de constitution d'agrégats est celui que pose la formation de la matrice de Léontieff ( λ ). 1/obligation de diviser l'économie en un certain nombre de secteurs revient à regrouper les données statistiques dans ces différents secteurs. La variable micro-économique se trouverait au niveau de l'usine, ou même d'une partie d'usine. Le modèle détaillé comporterait un secteur pour chaque bien, et même pour chaque bien produit par chaque usine; le flux total du bien i sortant serait X ; , avec : X ( = fn (XO ... + fik (X Ä ) ... + fin (x„) + Y ; Y ¡ é&nt le reste de ce bien allant normalement à la consommation. Les fonctions fik sont en général considérées comme linéaires : fik (X-k) = aik Xk

Si on a à réunir en un seul secteur h deux secteurs initiaux k et k', on se heurte à une difficulté : les flux sont des biens matériels ; ils ne sont pas additionnables, puisqu'ils ne sont pas de même nature physique. M. P. Maillet conclut alors : « pour pouvoir additionner les flux X t et X t ·, il faut les mesurer à l'aide d'une unité commune, qui ne peut être que monétaire. On est ainsi conduit inexorablement, quoiqu'on envisage des flux matériels, à les mesurer en volume et non en quantités physiques. » Le problème est de savoir si la fonction fih du secteur agrégé sera vraiment une fonction de structure. La fonction fih est une moyenne des fonctions fik et fik·, puisque le flux X A est la somme — en valeur — des flux Xk et Xk.. « Lorsque la quantité Xh varie, la fonction fih ne peut rester la même que si les proportions respectives des flux partiels (Xk et Xk) dans le flux total X A restent constantes. » Les flux doivent donc rester « homothétiques ». Cette condition est peut-être vérifiée à très court terme. Il est bien évident qu'elle cesse de l'être à plus long terme. L'agrégation qui est à la base du modèle de Léontieff n'est plus alors valable qu'approximativement. Telle qu'elle est, elle rend cependant de grands services. *

*

*

Il arrive que le problème de l'agrégation se pose sous la forme de la réduction d'une matrice (2). Soit une matrice P, (G χ H), représentant le modèle détaillé. On se donne également une matrice carrée M, (HxH), positive et symétrique. M est définie de telle manière que tr (PMP') représente un gain ou une utilité, c'est-à-dire que M représente une série de poids ou de relations (1) D'après : « Une étude d'économie synthétique : le « modèle » de Léontieff », par Pierre MAHAET, Revue d'Économie Politique, novembre-décembre 1950, p. 669-693. (2) Walter D. FISHER, « Simplification of economic Models », Econometrica, vol. 34, η» 3, juillet 1966.

183

entre les paramètres détaillés. On cherche à réduire H à J (J < H). Pour cela, il suffit de définir une matrice Ί \ (J*H) : ™

/ I ... 1 0 ... 0 0 ... 0 ... 0 \ / 0 ... 0 1 ... 1 0 ... 0 ... 0 \ \ 0 ... 0

0 ... 0 0 ... 1 ... 1/

le nombre de 1 dans chaque ligne est égal au nombre de colonnes de Ρ qui doivent être réunies en un seul groupe. Les matrices réduites sont alors : M = Ti MT;

JxJ

et : Ρ

GxJ

=PMT1'M"1

L'agrégation de M est une simple sommation des lignes et des colonnes de M selon la répartition, et Ρ est obtenue en faisant des sommes pondérées des colonnes de P, les poids étant fonction des éléments de M. Si le coût est défini par : r = tr PMP'

- tr Ρ M

P'

Il faut trouver une manière de regrouper telle que le coût soit minimum. M. Fisher propose une méthode progressive qui consiste à agréger d'abord deux colonnes de P, puis de nouveau deux, etc. Deux exemples concrets sont donnés, malheureusement avec assez peu de détails. L'auteur montre que deux études antérieures (*) auraient pu être traitées avantageusement en suivant ses méthodes. Pour le 2 e exemple, il donne les matrices de départ, et les regroupements qu'imposent ses conditions; le modèle représente l'économie nationale; les 14 variables prédéterminées peuvent être résumées en six groupes. ** *

Une intéressante étude sur les biais introduits par les méthodes d'agrégation a été faite par George E. Frick et Richard Andrews (2). Ils comparent les résultats obtenus pour la production du lait en étudiant 51 fermes du New Hampshire et du Maine. Le biais est estimé à partir d'une étude exhaustive sur les 51 fermes. Les quatre méthodes d'agrégation consistent à regrouper (1) C.B. MAC GUISE, An Illustrative application of economic analysis, Chapter 8 of C.J. HITCH and R.N. MAC KEEN, The Economics of Defense in the nuclear Age, Harvard University Press, Cambridge, 1960, et A.S. GOIJDBERGER, Impact Multipliers and Dynamic Properties of the Klein-Goldberger Model, North Holland Publishing Company, Amsterdam, 1959. (2) « Aggregation bias and four methods of summing farm supply functions », Journal of Farm Economics, vol. 47, n° 3, august 1965, p. 696-700. 184

avant l'étude les fermes selon divers critères (taille et ressources). I,es résultats (quantité de lait selon les prix) sont donnés selon les cinq méthodes, „et leur différence évaluée à partir de l'étude exhaustive. L,es pourcentages moyens d'erreur d'estimation varient entre 6,6 % et 17,7 %, ce qui de toutes façons est important. (I,a méthode qui donne le biais le plus faible a par ailleurs un certain nombre d'inconvénients.) Ce qui nous paraît frappant ici, c'est que l'agrégation est réduite à un simple regroupement, sans artífice de calcul, et que le biais soit déjà considérable. Il est à craindre que lorsqu'on emploie des « méthodes d'agrégation » plus élaborées, on aboutisse à des biais beaucoup plus considérables. VI. CONCLUSION. Ce qui est remarquable, dans l'étude du problème de l'agrégation telle qu'elle s'est présentée à nous à travers la bibliographie dont nous avons pu disposer, c'est la différence entre les études théoriques et la pratique. Il semble que ce problème en soit resté à un niveau théorique, et que les seules applications pratiques qu'il ait reçues soient de simples additions. Il nous a paru important, en conséquence, de parler de ce problème dans un ouvrage consacré à la mesure des quantités économiques. E n effet, trop souvent, les difficultés relatives à la mesure sont (ou semblent) absentes des travaux économétriques; or, dans le cas de l'agrégation, on se trouve justement dans un domaine typique où de nombreuses études sont faites d'un point de vue purement abstrait : on peut alors se livrer à d'intéressantes réflexions mathématiques; mais, jusqu'ici, ces considérations mathématiques n'ont pu aboutir à des calculs concrets, à la fois à cause des difficultés de mesure proprement dites et parce que les fonctions qu'on rencontre — si elles existent — ne se plient pas aux conditions mathématiques que le théoricien voudrait leur imposer. Nous ne voulons pas dire pour cela que toutes les études théoriques sur l'agrégation ont été inutiles : il est possible qu'avec le temps elles aboutissent à des réalisations pratiques. Ce que nous avons voulu souligner, c'est qu'elles ne se sont pas donné comme condition l'applicabilité au réel, et que par conséquent elles ne sont pas d'une utilisation immédiate dans les calculs concrets. Dans la pratique, on reste devant une sorte d'impasse, une incapacité de résumer des modèles détaillés (qui, s'ils existaient réellement, comporteraient peut-être des milliers d'équations), une incapacité même de les connaître. Il reste une voie très importante ouverte à la recherche, mais, à notre avis, cette voie ne pourra aboutir que si ceux qui la suivent ont un propos de plus en plus ferme de construire des modèles adéquats au réel, c'est-à-dire de ne jamais poser des équations sans qu'elles aient un support concret.

185

CONCLUSION GÉNÉRALE Au terme de ce travail, on peut être convaincu des difficultés réelles de la mesure en matière économique. Les seuls chiffres dont le caractère objectif (au sens des sciences physiques) peut être affirmé (ou au moins accepté) sont du type prix d'un objet donné à une date donnée, quantité physique d'un produit bien déterminé considéré comme homogène, constaté à une date donnée, revenu à une date donnée d'un individu et peut-être d'une entreprise, nombre d'heures de travail fournies par un individu... Dès qu'il s'agit de récapituler, d'agréger, de résumer, ou même simplement d'additionner (voir les difficultés du recensement de la population en France), on se heurte à une difficulté fondamentale : selon la méthode employée, les résultats diffèrent, sans qu'on puisse affirmer que certaines méthodes sont erronées, ou même simplement que certaines d'entre elles sont meilleures (ou moins mauvaises) que d'autres. A la limite, les seules mesures dont on pourrait se servir sont donc les miliers de prix, de quantités physiques, de revenus..., dont l'esprit humain est incapable de faire la synthèse. Il ne serait alors, bien entendu, pas possible d'élaborer des lois. Le tableau que nous venons de présenter, décrit, à notre sens la réalité. Il est cependant légitime que les économistes, les statisticiens et les économètres n'acceptent pas d'en rester là. Ils font la synthèse des chiffres qu'ils connaissent, ce sont les agrégats et les indices ; ils en déduisent des lois et des modèles mathématiques, outils de plus en plus nécessaires pour la prévision économique. Ce sur quoi nous avons voulu attirer l'attention dans les pages qui précèdent est que ces agrégats et ces modèles ne constituent en rien un absolu : il ne faut pas leur attribuer une autre valeur que celle d'un essai; ils sont peut-être ce qui, pour un cerveau humain, représente le moins mal un aspect préalablement défini de la réalité, mais restent cependant loin d'être capables de représenter convenablement la réalité ou même seulement cet aspect du réel. On obtient ainsi un résultat imprécis, parmi quantité d'autres également possibles qui eux aussi sont incapables de prétendre à une description objective de la réalité. Il est essentiel de constater qu'il existe une grande différence entre le réel et la formulation mathématique qui cherche à l'appréhender. Il ne suffit pas de connaître les techniques mathématiques et de les appliquer systématiquement. En effet, les modèles formulés à l'aide de ces techniques ne tiennent compte le plus souvent que d'une faible part de la réalité, et leur complication 187

même risque de masquer leur insuffisance : les difficultés mathématiques accaparent la pensée de ceux qui y travaillent; il ne leur reste plus alors suffisamment de recul pour avoir conscience de tout ce qui échappe à leur modèle. Il y a des cas bien clairs où les mathématiques suffisent. Dans une discipline apparentée à l'économie, comme les mathématiques financières, tout est chiffré et réglé, en principe sans ambiguïté. C'est théoriquement aussi le cas de la comptabilité, quoique la question des amortissements ne soit pas simple, et que des difficultés apparaissent dès qu'on veut comparer deux années l'une par rapport à l'autre. Dans les autres domaines, la partie la plus difficile consiste à donner une expression mathématique aux problèmes concrets ; on peut ensuite, par l'application des techniques mathématiques, résoudre ces problèmes. Il est donc nécessaire de : — Préciser les ensembles auxquels on a affaire (il y a beaucoup d'ensembles mal définis, comme celui des « gens intelligents », ou celui de nos « amis », et même, comme le fait remarquer M. Dumas (*), celui des automobiles produites par une entreprise, selon qu'on les compte à l'entrée ou à la sortie de la chaîne, ou à la sortie de l'usine. — Trouver les certitudes qui existent. Les relations certaines sont assez rares en économie. Cependant, il peut en exister, par exemple, entre le temps d'utilisation d'une machine et sa production (sous réserve de pannes !) ou entre le prix et la quantité d'une marchandise... Il convient de mettre en garde contre certaines tentations : par deux points, on peut toujours faire passer une droite, et par η points, une courbe de degré η — 1 ; cela ne veut pas dire qu'on a établi une relation causale ni même explicative ou descriptive; il n'y a aucune raison pour que la courbe ainsi obtenue passe par le (η + l)ème point que l'observation du réel mettra en évidence dans l'avenir! Une connaissance scientifique exige un raisonnement, appuyé sur l'expérience, qui permette d'affirmer que telle ou telle relation existe entre les données. — Si aucune relation certaine n'apparaît, il peut y avoir une relation statistique, c'est-à-dire vraie en moyenne. Le type en est la corrélation linéaire. Ici encore, il convient d'être prudent, car s'il existe un bon coefficient de corrélation entre deux variables, cela signifie qu'elles évoluent « en gros » dans le même sens, mais cela ne suffit pas à démontrer qu'elles dépendent l'une de l'autre. De même, pour n'importe quelle valeur d'une moyenne χ et d'un écarttype σ, on a une loi de Laplace-Gauss (χ, σ) ; or, il ne suffit pas qu'on connaisse la moyenne et l'écart-type d'une série pour que celle-ci suive une loi de LaplaceGauss ! Cela ne veut pas dire qu'il n'existe jamais de relation, mais seulement qu'il ne faut pas se hâter trop vite — à l'aide d'une technique mathématique — d'en établir une. (1) 188

L'Entreprise

et la Statistique,

Dunod, Paris.

— S'il n'y a aucune certitude, ni aucune relation statistique, on peut chercher des probabilités. La plupart des éléments qui se présentent dans la vie sont du domaine de l'incertain. Parmi ceux-ci, quelques-uns — rares — se présentent de façon exactement analogue aux jeux du hasard : les fréquences observées peuvent être assimilées à des probabilités. Un exemple typique est celui du sexe des enfants à la naissance : on a observé qu'il naissait toujours 506 garçons pour 1 000 enfants, et ceci depuis très longtemps et dans tous les pays; on peut alors dire qu'un enfant à naître a 506 chances sur 1 000 d'être un garçon, et 494 chances d'être une fille. A partir de ce fait, constaté comme loi scientifique expérimentale, on peut élaborer correctement des modèles mathématiques qui représentent la structure des familles de 1, 2,..., η enfants. Mais le plus souvent, les fréquences elles-mêmes ne sont pas stables : elles peuvent varier progressivement (comme par exemple les taux de mortalité pour le calcul d'une espérance de vie), ou avoir de brusques variations; en effet, certains événements peuvent tout modifier (un dérèglement de machine si on considère la proportion de pièces défectueuses qu'elle produit). Le passage est d'ailleurs plus complexe que les lignes qui précèdent ne le laissent entendre. En effet, ü faut une succession d'efforts pour ramener l'aléatoire au déterminé, le quasi-aléatoire à l'aléatoire, le « conditionné » au quasi-aléatoire, l'inconnu au conditionné. — Tout ce qui n'a pu être pris en compte après que ces essais ont été faits échappe totalement à la formalisation mathématique. Beaucoup de ce qui est humain ou spirituel est dans ce cas. La liberté humaine, le comportement de l'homme, celui même de l'animal, la pluie et le beau temps..., sont imprévisibles, et échappent pratiquement à tous les calculs. Il se peut que la part de ce qui ne peut être formalisé du point de vue mathématique diminue à cause de nouvelles techniques ; mais elle ne pourra pas être réduite à néant.

On a tenté, dans l'introduction de cette thèse, d'analyser les tâtonnements inévitables dans l'élaboration des sciences; cet essai nous conduit à poser une question : en sommes-nous en économie au même stade que nos ancêtres en calorimétrie quand ils n'avaient que leur toucher pour évaluer « le chaud » ou « le froid » ? Sommes-nous comme Pythagore qui a dû construire des carrés sur les côtés d'un triangle rectangle, et mesurer leur surface en les divisant en carrés plus petits, pour vérifier expérimentalement son célèbre théorème ? Il s'agit d'un problème grave : chacun sait qu'il n'y a pas eu de véritable science chimique avant l'utilisation de la balance, peut-il y avoir une véritable science économique sans mesure absolue? Au regard du mathématicien, l'économiste est un peu comme quelqu'un qui voudrait étudier des surfaces et qui, non seulement ne connaîtrait pas le mètre, mais n'aurait même pas la possibilité de fabriquer un étalon de longueur : il en serait réduit à superposer les surfaces qu'il rencontrerait, et, si leur forme était favorable, il pourrait 189

en comparer deux en en déclarant une « plus grande », ou « plus petite » que l'autre. L,a situation de l'économie est sans doute plus sérieuse, car, s'il est possible de parler de rapports numériques entre surfaces, nous en arrivons de plus en plus à cette conclusion qu'en science économique, il est impossible de dire, par exemple : tel P.I.B, est deux fois plus grand que tel autre. Il serait intéressant à ce propos de voir s'il existe en économie des grandeurs que l'on puisse ainsi superposer pour les comparer, ha réponse est certainement oui. On peut comparer des unités monétaires : en 1972 des francs de 1972, ceci sans ambiguïté. On peut aussi mettre en relation entre elles des heures de travail, mais ici intervient la « qualité » : le travail d'un homme à une certaine date n'est jamais exactement celui d'une autre. De même, on peut comparer des quantités physiques d'un même produit; encore faut-il admettre pour cela l'homogénéité du produit ; or, deux kilos de pommes de terre ne sont jamais identiques, même s'ils proviennent du même champ et α fortiori s'ils viennent de contrées différentes, et si ce sont des espèces distinctes... Il faut alors faire abstraction de la qualité. Notons que la physique même doit abstraire ainsi : quand elle compare les surfaces de deux tables, elle ne se demande pas si elles sont en chêne ou en matière plastique. De toutes façons, ces essais de « superposition » ne semblent pas pouvoir aller loin. On reste devant un « fouilli » énorme de chiffres (qu'on n'est d'ailleurs même pas toujours capable de rassembler), sur la grandeur desquels on ne peut faire que des comparaisons vagues, chacune tributaire de l'étalon de mesure, étalon toujours arbitraire. Ce qui est essentiel, c'est que, dans les sciences physiques, les mesures sont, dans leurs valeurs relatives, indépendantes du ou des étalons choisis; tandis qu'en économie, ces valeurs relatives dépendent du système d'étalons, et aucun système d'étalons ne peut être privilégié, objectivement. Plus généralement, l'orientation de l'économie vers la quantité ne peut être poursuivie sans une profonde réflexion. En effet, il faut considérer les unes après les autres les divergences de résultats qu'apportent les différents systèmes d'étalons de mesure, et les divers types de formules. L,es conséquences que ces divergences entraînent pour la formulation des modèles mathématiques doivent ensuite être tirées : un modèle est relatif à un système étalon. Surtout, les modèles qui existent ne se réfèrent pas à des mesures précises, mais à des ordres de grandeur, parfois à 10 ou 20 % près, ou même moins précis. Or.Jte fait d'employer un modèle mathématique, si élaboré soit-il, n'apporte aucune précision à des données insuffisantes. « Même au point de vue exclusivement théorique, l'usage des mathématiques n'ajoute rien à la rigueur des démonstrations; si les prémisses sont erronées, les mathématiciens en tirent des conclusions tout aussi erronées que celles qu'en tirerait la logique ordinaire » ** *

ρ. IX.

190

(1) Vilfredo PARETO, Introduction de la Théorie de l'Échange, d'Antonio OSARIO

Nous avons conscience que tout ce qui a été dit dans cette thèse vise plutôt à critiquer les mesures existantes qu'à proposer des mesures objectives. Y a-t-il des solutions possibles ? Disons d'abord que l'économie est une science jeune, qu'elle n'a pas dit son dernier mot, et qu'il est probable que de nouvelles solutions interviendront. E n attendant, nous nous permettons d'attirer l'attention des praticiens sur trois suggestions. — La première consisterait à décrire des agrégats, comme le P.I.B., par leur structure et non par leur «volume». Le «volume» n'existe pas objectivement, ce n'est qu'une illusion de notre esprit. Par contre, la structure en prix courants est une réalité objective. On peut, notamment, connaître la structure de la production, celle des prix, et celle de la population active. Cette solution a l'avantage d'être vraiment organique. Elle est dans la ligne des mathématiques modernes, car elle est plus proche de la notion d'ordre que de la notion de quantité. Peut-être serait-il possible de fonder une économétrie des structures? — La seconde suggestion, sans être du tout parfaite, pourrait apporter des améliorations à la situation actuelle. Elle consisterait à proposer, au moins périodiquement, un système d'étalons unique à tous les économistes et statisticiens. Si pendant quelques années, tous les calculs en France étant réalisés en « francs constants de 1970 » en même temps qu'en francs courants, certaines comparaisons deviendraient possibles. Ce ne serait pas parfait, car il y aurait des doutes sur la manière de transformer les francs courants en francs constants, mais on aurait un élément de référence. De même, au plan international, les distorsions entre les résultats de mesure pourraient utilement être mises en évidence, si, par exemple, tous les économistes et statisticiens du monde acceptaient de conduire toutes leurs mesures d'une même décennie selon quatre systèmes d'étalonnage : 1) 2) 3) 4)

prix prix prix prix

nationaux courants, nationaux de l'année 0, U.S.A. de l'année 0, de l'Inde de l'année 0.

De ce fait, des instruments d'analyse utiles se trouveraient mis en évidence. Cependant on peut remarquer que les difficultés concernant les coefficients de conversion seraient grandes. Soulignons bien que ce recours à un système d'étalons, national ou international, ou à plusieurs, ne peut être qu'un complément du calcul en monnaie courante qui est le seul véritablement exact, tout en étant strictement incomparable aux années voisines et aux autres pays. — La troisième suggestion nous semble par contre indispensable. Chaque fois qu'est publié un agrégat, un indice, a fortiori lorsqu'un modèle mathématique est exposé, il faut donner -plusieurs solutions et non une seule, et préciser sur quel système d'étalons chaque mesure repose. Il est très grave de donner, par exemple, un indice du coût de la vie avec des décimales, alors qu'on sait qu'il suffirait d'employer une autre formule pour avoir un résultat 191

différent de plusieurs points (1). On ne devrait jamais publier un indice ou une fonction économiques seuls; il faudrait plutôt donner une fourchette de variations qui indique entre quelles valeurs se situe le plus probablement la réalité. On ne pourrait plus affirmer : la production a augmenté de 5,2 % par an, mais : elle a augmenté d'un pourcentage qui se situe entre 3,5 et 6 % par an. Actuellement, nous sommes devant une apparence de précision qui dissimule, même aux yeux de ceux qui effectuent les calculs, une connaissance en fait très approximative. Il y a une sorte d'entraînement du calcul mathématique qui fait qu'on donne facilement avec deux décimales la moyenne arithmétique de nombres connus seulement à une unité près; cet entraînement est plus fort encore quand il s'agit d'opérations mathématiques plus complexes. Il est nécessaire d'y résister à tout prix. Deux étapes nous semblent utiles pour aboutir à ce résultat : — reconnaître l'existence des erreurs, — estimer ces erreurs. M. Oskar Morgenstern insiste sur ces deux points. D'abord, il n'est pas déshonorant pour un statisticien ou même pour un gouvernement de reconnaître que les statistiques publiées comportent des erreurs : « Une publication et une large discussion d'estimations quantitatives d'erreurs (dignes de confiance) devraient faire preuve d'une forte efficacité dans la réduction de ces erreurs, et en même temps dans la mise en garde du public pour ce qui est de leur utilisation à des buts scientifiques et, peut-être, aussi politiques... » Iya réforme fondamentale qui devra intervenir consiste à forcer le gouvernement à cesser de publier des chiffres avec la prétention qu'ils soient dénués d'erreur. De tels chiffres n'existent pas, quoique le juriste puisse en penser, et quoique puisse affirmer le producteur de statistiques économiques » (2). « Il semble naturel à un membre du Congrès que le nombre de vaches soit calculé jusqu'à la dernière vache dans chaque comté de son district, bien que du point de vue national il serait tout à fait satisfaisant de n'en connaître que le premier chiffre. De même les hommes d'affaire demandent souvent que les projections statistiques globales, basées sur des échantillons, soient détaillées à un degré qui dépasserait le pouvoir de toute technique statistique connue, même en l'absence d'erreur d'échantillonnage. Il n'est pas facile de faire admettre l'idée qu'une statistique avec une erreur connue n'est pas nécessairement inutilisable, ni réalisée de façon incompétente. Mais s'il devient possible d'apprécier quel coût énorme entraîne toute amélioration de détail, alors, il sera nécessaire (1) Sans entrer dans les détails de la querelle, nous pouvons dire que les discussions du début de l'année 1972 sur les différences entre l'indice du coût de la vie de l'I.N.S.E.IÎ. et celui de la C.G.T. sont trop passionnées politiquement pour avoir été centrées sur les problèmes fondamentaux qui doivent expliquer les divergences : choix de la formule (chaîne ou l,aspeyres) et choix des prix. (2) Précision et incertitude des données économiques, Dunod, Paris, 1972, p. 110.

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de faire un choix délibéré entre la valeur de toute information supplémentaire d'une certaine sorte, et son coût » Ensuite ces erreurs doivent être estimées, et leur estimation publiée : « I,a plus grande étape qui puisse être accomplie, rapidement même, est peutêtre d'insister pour que les statistiques économiques ne soient publiées qu'avec une estimation de leur erreur. Même si ce n'était qu'une estimation grossière, cela produirait un effet appréciable. Ceux qui élaborent et ceux qui utilisent les statistiques économiques doivent tous deux éviter d'avoir des exigences qui ne puissent trouver un support scientifique. I,a publication des estimations d'erreur aurait ime influence profonde sur la situation globale » (2). *

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Nous avons conscience que ces quelques suggestions ne résolvent absolument pas le problème grave que nous avons voulu soulever. Notre ambition se réduit simplement à montrer l'inquiétude du mathématicien en présence d'utilisations souvent abusives des mathématiques, ha science économique en est à un stade où aucune mesure n'a un caractère absolu; il y a danger, pour elle et pour les mathématiques, à assimiler les mesures économiques à celles qui existent dans d'autres sciences, et qui sont objectives, c'est-à-dire indépendantes dans leurs valeurs relatives du système d'étalons choisi. Y aura-t-il une solution à ce problème de mesure? Bien certainement, l'avenir le montrera. Mais il faut dire que cette science touche à l'humain, et que l'humain dépasse toute tentative de mesure.

« Qu'est l'homme que tu en prennes souci? A feine le fis-tu moindre qu'un dieu, Le couronnant de gloire et de splendeur. » (Psaume 8 )

Le présent travail a fait l'objet d'une thèse en d'État en mathématique soutenue le 8 décembre 1972.

(1) Ibid., p. 10-11; c'est nous qui soulignons. (2) Ibid., p. 280. Cf. J. PRÉVÔT, " Caractères de validité de l'expression de la production en videur dans les calculs de productivité ", 28 e Session de l'Institut International de Statistique, Rome, 1955.

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INDEX DES NOMS CITÉS (Les numéros désignent les pages de l'ouvrage). AGLIETTA M., 122. ALASSEUR R., 22, 32, 81, 93. ALLAIS M., 6, 7, 8, 11, 12, 120. ALLEN R.G.B., 129. ANDREWS R., 184. ARROW K.J., 133, 135, 179. ASSAL J., 22. BALL J., 122. BALTERNSPERGER M., 25. BANDT (J. DE), 147. BARNA T., 142. BARRE R., 3, 20, 33. BAUDOT J., 4. BENARD J., 134. BERNARD C., 9. BERNARD P., 19, 42. BERTHET P., 147, 149, 150, 163. BIOLLEY (T. DE), 135. BOWLEY A.L., 5. BRONFENBRENNER M., 136. BROWN P., 141, 142. BRUNHES B., 34. CANTOR, 109. CARRE J.J., 147, 149, 156, 163, 166. CELSIUS 0., 16. CHAIT B., 6. CHENERY H.B., 133, 135. CLEMENCE G.M., 20. COBB C.W., 125, 132, 133, 136, 137. COLMAR (T. DE), 14. COMTE Α., 1, 2. COURNOT Α., 5. COURTHEOUX J.P., 34, 35, 38, 39, 42. CREST (M. DU), 16.

DROBISCH, 71. DUBOIS, P., 147, 149, 156, 163, 166. DUGE DE BERNONVILLE, 30, 31, 41. DUGUE D., 22. DUMAS R., 188. DUMONTIER J„ 5, 9, 22, 68, 131, 160. DURBIN, 162.

EDGEWORTH, 71. EINSTEIN Α., 2. EUCLIDE, 104, 106, 107. EVE, 17.

FABRE J.H., 4, 27. FELTONONYI N.B., 42. FIBONACCI, 14. FISHER I., 3, 71, 93. FISHER W.D., 183. FLAMANT M., 3, 20, 33. FONTAINE C„ 32, 38. FORRESTER J.W., 7. FOULQUIE P., 2, 4. FOURASTIE Jacqueline, 32, 35, 49, 67. 72, 81, 85.

FOURASTIE Jean, 10, 22, 25, 27, 30,

32, 35, 38, 39, 42, 47, 49, 81, 95, 155, 164.

FRICK G.E., 184. FRISCH R., 5. FRUIT R., 136, 139, 142.

GALILEE G., 9, 13, 16, 121, 122. GILBERT M., 41, 61, 63. GIRAULT M., 22. GOLDBERGER A.S., 184. GUILHEM J., 32, 81. GUITTON H., 21. GUNN G.H., 136.

DANET F., 25. DAUMAS M., 8, 13. DAYRE J., 42. DELAMBRE J., 15. DEHEM R., 130. DELORS J., 4. HANDSAKER H.L., 136. DENISON E., 64, 148, 156, 163, 166. HEISENBERG W„ 11, 25. DENIZOT F.B., 178. HILL T.P., 36, 89, 166. DIVISIA F., 5, 74. HITCH C.J., 184. DIOPHANTE, 104. HOLTON G., 2. DOYLE P., 122. DOUGLAS P.H., 121, 125, 132, 133, 136, HOUTTEKER H., 5. HUYGENS C., 16. 137, 138, 140, 143, 147.

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JEANNENEY J.M, 3, 20, 33,

PAASCHE, 40, 67, 69. PACIOLI, 14. PARETO V., 3, 5, 8, 190. PARLINCK J., 135. KANT E., 2. PASCAL B., 14, 21, 22. KLEIN L.R., 5, 120, 130, 170, 176, 184. PELLION F., 22. KOEPP P., 62. PERRISSIN M„ 22. KOOPMAN T.L., 5. PERROT M., 3, 20, 33. KRAVIS I.B., 41, 61, 63. PESCHARD, 17. PHILIPS A.W., 122. PIAGET J., 2. LAROUSSE P., 3, 14, 109. PICARD J., 15. LASPEYRES, 40, 67, 69, 75, 87, 192. PIETTRE Α., 7. LAVOISIER Α., 4, 20, 33. PIROU, 9. LEMERY M., 10. POULLIER J.P., 64, 148, 156. LENOBLE R., 11. PRAGO, 18. LEONTIEFF W., 2, 3, 171, 183. PREVOT J., 193. LERICHE R., 11. PYTHAGORE, 189. LESOURNE J., 127, 128. LEVY-GARBOUA V., 178. LITTRE, 2. RINGSTAD V., 147, 157, 165, 182. ROBERT P., 109. ROMEUF J., 6. MAC GUISE C.B., 184. ROOS C.F., 5. MACHLUP F., 44, 45, 118, 119. ROY R„ 5, 126, 127. MAC KEEN R.N., 184. MAILLET P., 171, 183. MAIRESSE J., 160, 165. SAGLIO Α., 160, 165. MALINVAUD E., 147, 149, 163, 166, 168, SCHALLER F., 34. 178. SCHULTZ Η., 5. MARCHAL Α., 6. SIDGWICK, 71. MARCHAL J., 5. SIK O., 11. MARCEZWSKI J., 36, 37, 41. SINGER-KEREL J., 85, 87. MARENTZ M., 7. SOLOW R., 5, 133, 134, 135. MARIOTTE E., 19. SPENCER H„ 3. MARKOVITCH, 36, 41. STOLERU L., 33, 34, 39, 128, 133, 148, MASSAIN R„ 10, 18. 150, 155, 156, 181. MASSE P., 19, 42. STONE R„ 5. MAXWELL J., 2. MAY K„ 170. MECHAIN P., 15. TATON R., 96. MENDERHAUSEN H„ 121, 140, 141. THEIL H., 5,