Espace national et déséquilibre monétaire

Thèse d'économie d'Erik Orsenna

244 23 5MB

French Pages 296 [297] Year 1977

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Table of contents :
Couverture
Remerciements
Sommaire
Introduction
PREMIÈRE PARTIE. LE PÉRIL
I. La mesure du déséquilibre extérieur
II. L'influence extérieure et la création monétaire
DEUXIÈME PARTIE. LA RÉPONSE
III. Déséquilibre monétaire et balance des paiements
IV. Espace national et mobilité des capitaux
Conclusion générale
Bibliographie
Couverture
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Espace national et déséquilibre monétaire

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erik arnoult

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fCONOMIE O'AUJOURO'HUI

ESPACE NATIONAL ET DÉSÉQUILIBRE MONÉTAIRE

ÉCONOMIE D'AUJOURD'HUI COLLECTION DIRIGÉE PAR PIERRE TABATONI

ESPACE NATIONAL ET DÉSÉQUILIBRE MONÉTAIRE ERIK ARNOULT Chargé de co11rs à l' U,iiuersité de Rouen .\!aitre rie co11(érences à l'l11stitut d'Etudes Politiques de Paris et ,i l'Ecole Nonnale Supüiwre

The rÎt'er

Ï$

wilhin ru, the sea is ail about us (T. S. Eliot, The Dry Salvages)

~ PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, BOULEVARD SAINT•GERMAIN, P.\RIS

Remercicmcn ts Cet ouvrage constitue la version très largement modifiée et développée d'une thèse soutenue le 6 février 1975, devant un jury composé de llladame Lydia Beauvais, de Messieurs les Professeurs Raymond Barre, Paul Coulbois, Bernard Ducros et présidé par le Professeur Jean-Louis Guglielmi. C'est à lui que vont mes premiers remerciements pour son appui permanent, à tous les stades de la recherche. Une telle étude n'aurait pu être menée à son terme sans l'accueil exceptionnel que j'ai reçu à la Banque de France. notamment en la personne de Monsieur E. Bouvier, Directeur adjoint à la Direction générale des Services étrangers, et de Messieurs M. Galy et D. Plihon. Qu'ils veuillent trouver ici l'expression de ma profonde reconnaissance.

Ce travail enfin est issu pour une large part des discussions engagées quotidiennement avec mes amis, notamment J.-H. Lorenzi et A. Parguez dans le cadre de l'IRIS, mais aussi J. Bourlès et D. Bourgeois. Je voudrais qu'ils sachent ma gratitude et ma fidélité.

Dépôt légal. - l '° édition : 2' trimestre 1977 © 197î, Presses Universitaires de France Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays

Sommaire

INTRODUCTION,

9

PREMIÈRE PARTIE

LE PÉRIL CHAPITRE PREMIER. -

La mesure du déséquilibre extérieur, 19

À / Le solde monétaire, I

20

I Principe,

20 1 / L'apport théorique traditionnel, 20 - 2 / La complexité des balances modernes, 22.

I La position monétaire extérieure,

II

27

1 / La po.ïtion monétaire extérieure du secteur bancaire, 28 - 2 / La position monétaire extérieure du •ecteur public, 38 - 3 / Relations entre les position• monétaires extérieure• du •ecteur bancaire el du •ecteur public, 39. 111

Le solde de la balance, la variation des réserves et la masse monétaire, 43 1 / Variation de la ma••e monétaire et variation de• réserve•, 46 2 / L'indépendance entre mas•e monétaire et variation des ré1erve•, 49.

B / La contrepartie extérieure, 53 I

I La position extérieure des banques, 54 1 / Les relation• ai·ec les correspondants, 54 - 2 / Position vis-à-vis de la clientèle, 65.

II

I La

contrepartie extérieure, 75 1 / Construction, 75 - 2 / Evolution, 19.

Conclusion, 86

6

Espace national et déséquilibre monétaire

CHAPITRE II. -

L'influence extérieure et la création monétaire, 89

A / L'offre e;,rogène et l'approche monétariste, 90 1

L'approche monétariste de la création monétaire, 93 1 / La base, 93 - 2 / Le multiplicateur, 102.

I Critique

n

de l'approche monétariste, 110

1 / L'approche du multiplicateur, 110 - 2 / Les in,uffiaances de l'intégration des variable a extérieures, 127.

B / Le principe de compenaation, 136 I

I Les

ambiguïtés du concept de compensation, 137 1 / Le cadre théorique, 138 - 2 / La traduction comptable, 14•!.

I Les

II

phénomènes de compensation en France, 148 1 / 1960-1967 : la compensation interne, 159 - 2 / Janvier 1968 août 1969: la compensation exogène, 163 - ,1 / 1970-1973: la compensation externe, 167.

Conclusion, 173 CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE,

175

DEUXIÈME PARTIE

LA RgPONSE CHAPITRE III. -

Déséquilibre monétaire et balance des paiements, 179

A / Un solde « dynamique • de la balance des paiements : la demande de réserves internationales, 180 1

Première analogie : la demande d'encaisses, 183 1 / La demande de réaervea internationales et les importations, 184 2 / Une fausse analogie, 185.

11 1

Deuxième analogie : la demande de réserves bancaires, 187 1 / Les variables explicatives, 188 - 2 / Les résultats des tests économétriques, 191 - 3 / Les limites de l'analogie, 191.

111 1

Demande de réserves et masse monétaire, 193

B / Les mouvements de capitaux, 196 1

II

L'approche par le marché des changes, 199 1 / Le choix des variables, 199 - 2 / Critique de cette approche, 203.

I L'approche

macroéconomique, 208

1 / Les réponses aux mesures restrictive, internes, 210 - 2 / Les modèles macroéconomique,, 212.

7

Sommaire C / L'approche monétaire, 215 1

Le jeu des identités, 216 1 / Variation des réserves et monnaie centrale, 216 - 2 / L'absorption et le déséquilibre monétaire, 217.

I Le

n

principe d'ajustement, 219 1 / Implications monétaires du déséquilibre extérieur, 219 - 2 / Déséqriilibre monétaire et rééquilibrage de la balance, 220.

I Les modalités de régulation,

III

223

1 / Le choix du régime de change, 223 - 2 / La mise en œuvre Je l'ajustement, 224.

Conclusion, 226 CHAPITRE IV. -

Espace national et mobilité des capitaux, 229

A / Du « marché monétaire » au déséquilibre de financement, 230 1

De l'approche monétaire à l'approche du financement, 230 1 / Une perspective très agrégée, 230-2 / Une approche restrictive, 237.

n

I De

l'optique du tâtonnement à celle du déséquilibre, 239 1 / Un marché clos en déséquilibre, 241 - 2 / Un déséquilibre conflictuel, 245.

B / Mobilité imparfaite des capitaux et frontières internes, 24 7 1 Politique monétaire et substitution interne, 248

1 / Politique monétaire et variation de la vitesse, 249 - 2 / Politique monétaire et réponses différentielles, 250. II

I Politique monétaire et substitution externe, 251 1 / Le recours à l'extérieur et la substitution d'objectifs, 251 -2 / L'extérieur inégal, 253.

C / Espace national et contrainte extérieure, 256 1

Les frontières de l'espace national, 256 1 / Une frontière multiple, 257 - 2 / Frontière unique extérieure, 258.

II

el

contrainte

I Contrainte extérieure et dynamique des espaces, 261 1 / L'espace d'expansion, 261 - 2 / L'espace d'information, 264 3 / L'espace de régulation, 270.

Conclusion, 273 Conclusion générale, 275 BIBLIOGRAPHIE,

281

Introduction

Firmes apatrides et vagues spéculatrices : pour l'espace national, l'image de l'extérieur est menaçante. - L'internationalisation du capital limite l'autonomie des Etats, ordonne les restructurations. - La mobilité des capitaux obère la régulation conjoncturelle, restreint le champ de la politique économique. Mais si l'action des « grandes unités interterritoriales » appartient, dans l'analyse économique, à la logique même du mode de production capitaliste, les mouvements de capitaux semblent relever de la seule spéculation, d'une sorte de mousse perverse, comme étrangère au système, errant d'un pays à l'autre au gré des anticipations. Monnaie-voile, monnaiemasque, au mieux il est possible de lire dans les facéties monétaires l'annonce de crises réelles. Fascinés par ce monde de reflets, certains économistes n'en veulent point quitter les entrelacs et discuteront à perdre souffie des dernières subtilités arithmétiques des droits de tirage spéciaux. D'autres, préoccupés d'abord par les structures de production, se désintéressent d'une surface où le symbole le dispute au simulacre. Pourtant, le déséquilibre monétaire d'un espace national ouvert n'est pas simple phénomène superficiel : il s'y révèle, certes, mais s'y agencent également les fonctionnements et les

10

Espace national et déséquilibre monétaire

contradictions d'un système économique. L'extérieur et la monnaie, loin de se faire l'un l'autre la courte échelle vers l'oubli du réel, ne peuvent, ensemble, qu'y revenir. Telle est la duplicité de la monnaie, masque et pouvoir. Telle est l'ambivalence de l'altérité : distance et attirance. En effet, tout système peut entretenir avec le monde extérieur deux types de relations : système d'abord équilibré, il reçoit le choc d'un stimulus externe. Du vertige, de la surprise naissent des réactions de défense ou de compensation qui dévoilent la logique de l'ensemble ; système en déséquilibre, l'extérieur lui devient recours. Un tel appel, outre qu'il avoue le déséquilibre, est d'autant plus riche en significations que plus nombreuses sont les réponses qui lui sont apportées. Le monde monétaire extérieur possède ainsi deux visages successifs selon les époques, ou bien superposés : celui du péril ; et celui de la réponse. A ce double visage correspondent deux conceptions de la crise : exogène, aléatoire, comme sur le soleil, les taches de W. S. Jevons 1 • Endogène et signifiante, comme sur la terre, les glissements et ruptures périodiques d'écorce.

1 / Le péril et l'altérité

La logique du péril monétaire commence par un appauvrissement : la lancinante présence du monde extérieur, la multiple menace de fuite ou d'invasion se trouvent résumées par un solde de balance, un flux net de liquidités. Tout semble se passer comme si toute réalité extérieure avant de pénétrer dans l'espace national devait se changer en monnaie. C'est à travers la grille complexe des statistiques monétaires 1. The solar period and the price of corn, 1875, in Investigations in currency and finance, Londres, 1909.

1ntroduction

11

et de la balance des paiements que l'on observe la transmutation, que l'on en distingue les agents ordonnateurs, instituts d'émission, mais aussi banques de second rang. L'ana1yse campe alors sur les frontières : elle s'interroge sur les contours de ]a masse monétaire domestique, elle repère et c1asse, se1on Jeur nature, ]es mouvements et ]es marchés de capitaux internationaux, elle perçoit les manifestations concrètes et quotidiennes des dérèglements du système monétaire mondia], elle compare l'efficacité relative des divers modes d'iso]ement et de protection de J'espace nationa1. Un te1 espace paraît n'avoir pour limite qu'un seul poste : Je solde monétaire de la balance des paiements. Réduit à un seul chiffre, Je monde extérieur, par ailleurs inexistant, ne jouit que d'une existence très lointaine, au sens propre utopique. Le péril monétaire est d'abord celui d'une altérité quasiment pure. Au flux net de capitaux, la structure nationa]e va répondre comme à un choc externe qui bou1everserait les modes usuels de régulation. Alors, le péril peut prendre deux formes, à deux niveaux différents d'analyse; deux manières opposées de remettre en cause le caractère exogène de l'offre de monnaie :

-

-

péril inflationniste : les entrées de devises, amplifiées par un processus mu1tiplicatif, vont entraîner un accroissement de la masse monétaire. La tendance à la hausse des prix est ainsi expliquée par ]a théorie quantitative associée à l'image de l'extérieur - bouc émissaire. N'étaient ces flux importuns, les autorités contrô1eraient parfaitement la création de liquidités et donc ]'évolution des prix. Le déséquilibre est deux fois extérieur au système : il n'a sa cause que dans la monnaie et la monnaie n'est volage que du fait imprévisible de l'étranger; péril théorique : les entrées de devises, amorties par un mécanisme de compensation, entraînent seulement une substitution entre les sources de création monétaire. A la limite, rien ne change : une fois pénétré dans Troie, le cheva1 est convié à la fête nationa1e. Le système s'adapte avec souplesse aux intrusions comme aux départs. L'extérieur ne paraît pas menaçant. Le presbytère n'a rien perdu de son

12

Espace national et déséquilibre monétaire charme, ni la masse monétaire de son cheminement habituel. Ce primat de la demande n'est pas une invention récente. Dès la fin du x1ve siècle, Nicolas Oresme1 s'élève contre cette conception abstraite de la « monnaie du prince » qu'une simple décision officielle peut altérer. Plus de cent cinquante ans avant Thomas Gresham 2, il affirme que la mauvaise monnaie chasse toujours la bonne3•

Les mercantilistes vont également introduire, dans la théorie monétaire, le point de vue de la demande. Mais au lieu de considérer comme Oresme et Gresham le thésauriseur, ils s'intéressent au producteur. L'augmentation des moyens de paiement est certes liée à l'accroissement du niveau général des prix4 , mais aussi au nécessaire financement de l'industrie et du commerce5. Un tel débat de hiérarchie et d'identification entre les deux fonctions d'offre et de demande de monnaie renvoie aux enjeux véritables : Il s'agit moins de trancher en faveur exclusive de l'une ou l'autre thèse, l'offre ou la demande, la multiplication ou la compensation, ce qui n'aurait guère de sens, que d'accuser volontairement les différences pour que se révèle l'essence des mécanismes. Il s'agit moins de la possibilité de la politique monétaire (caractère contrôlable ou non de l'offre de monnaie),

1. N. ÛRESME, évêque de Lisieux, mort en 1382, auteur d'un Traité de la première invention des monnaies. Voir sur ce point E. BRIDREY, La théorie de la monnaie au XIV• siècle; Nicolas Ore•me, thèse, Caen, 1906. 2. T. GRESHAM, Information touching the fall of Exchange, 1558. 3. Cf. A. LANDRY, Euai économique sur les mutations de• monnaies dans l'ancienne France de Philippe le Bel à Charles VII, Paris, H. Champion, 1910 (surtout pp. 134135). 4. Cf. J. BODIN, Réponses aux paradoxes de M. de Malestroit touchant l'enchérissement de toute• choses, 156.8, édité à Paris, 1932 ; sur !'influence des idées de Bodin comme d'ailleurs sur tout le mercantilisme, consulter le livre fondamental de E. HECKSHER, Men:antilism (traduit du suédois), Londres, Allen & Unwin, 1934, t. 11, IV• partie, chap. III. 5. Cf. par exemple bien avant D. HUME, L'analyse de Bouteroue, Recherches curieuses des monnaies de France, 1666, p. 7 : • Le Prince doit ... avoir pour fin l'utilité de son Etat et pour fondement la proportion plus généralement gardée entre le• métaux daru lea paya où ses aujela ont le plus de commerce. •

Introduction

13

que de sa réelle influence : • action sur le niveau général des prix par gestion d'une quantité globale de liquidités, la répartition demeurant neutre, parfaitement proportionnelle ; • ou, la quantité globale restant constante, allocation différente des ressources. En effet, à la modification dans les origines de la création monétaire correspondra un changement dans les affectations, un glissement parmi les bénéficiaires. Alors les agents sortent de l'anonymat tandis que s'éclaire le visage de l'extérieur : si les mécanismes internes s'ajustent avec aisance aux choix venus d'ailleurs, pourquoi, à l'inverse, ne pas chercher à l'extérieur des réponses aux déséquilibres domestiques ?

2 / La répome et la trahison

- Lutter contre la baisse tendancielle du taux de profit ( exportations de capitaux). - Réaliser la plus-value (exportations de biens). - Compter sur la demande étrangère pour soutenir la croissance ou sur les aides et dons divers pour financer le développement. Nombreuses sont les réponses du monde extérieur aux déséquilibres nationaux, multiples les justifications ou condamnations d'un tel recours. A l'évidence, ces réponses n'ont pas le même langage ni le même soubassement théorique : l'espoir de l'aubaine (les dons, la reprise en Allemagne) s'oppose à la logique d'un système (sauver le taux de profit). L'optique du pays s'affronte à celle des agents. Dans la première hypothèse, il semble exister en complément à la neutralité de la monnaie une neutralité de l'ouverture 1 : à un déséquilibre national répondrait une situation de sens inverse d'un autre pays sans que soit modifié aucun des deux ensembles structurels.

1. Cette neutralité pourra être dynamique : ainsi devraient • s'harmoniser , les croiuances des pays industriels et du Tiers Monde.

14

Espace national et déséquilibre monétaire

L'analyse des relations économiques extérieures intéressée non pas seulement par les Etats mais aussi par les firmes multinationales met au contraire l'accent sur les tendances conflictuelles, les procès de concentration ... Le concept unique de frontière masque en fait l'articulation dialectique entre frontières internes (hiérarchie entre agents, lieu même de la concentration) et frontière externe (hiérarchie entre pays, lieu de la politique économique). En effet, toute ouverture d'une économie, tel Horace avec les Curiaces, étire et sépare les agents, les uns profitant de l'accroissement de l'espace, les autres restant fixés à leurs places et conditions antérieures (tel est le statut de la mobilité imparfaite du capital, de l'accès inégal aux marchés internationaux de l'euro-dollar et des euro-émissions). La réponse de l'extérieur n'est pas seulement la preuve de l'originalité, de la dissemblance des deux espaces. Elle entraîne en chacun d'eux la rupture de l'illusion d'homogénéité, la constitution de frontières et de hiérarchies internes. Sous la tendance générale à l'égalisation des taux de profit, l'ouverture des frontières, par exemple la création du Marché commun, entraîne, à l'intérieur des branches, un double processus de dispersion des conditions de production entre les grandes et les petites unités et d'accélération de la concentration. Comme l'image d'une brèche renvoie à celle de rempart, le péril renforce la réalité de la frontière externe. Au contraire, les hiérarchies entre agents, la présence de l'extérieur comme réponse dissolvent, dispersent le concept de frontière : entre des frontières internes dressées entre des résidents et des frontières externes abaissées par l'échange, la logique hésite. Dans cette optique, les phénomènes monétaires ne jouent plus seulement la partition quelque peu subalterne des bouffons de comédie, révélateur des contradictions, annonciateur de la crise... Ils deviennent un des mécanismes moteurs du déséquilibre, à l'articulation : de la création des frontières internes (procédures inégalitaires de financement) et de la gestion de la frontière externe (politique macroéconomique de la parité, réglementations micro-économiques des changes).

Introduction

15

Ainsi, dans la coulisse, on échange les rôles : la politique monétaire de contrôle global des liquidités se fait l'auxiliaire efficace du procès de concentration tandis que les banques de second rang héritent d'une large part de la fonction d'ajustement du marché des changes autrefois remplie par les instituts d'émission. Ainsi la théorie monétaire se doit de déplacer ses en1eux et ses méthodes : Il ne suffit pas, comme dans la représentation désormais traditionnelle du déséquilibre, d'introduire de faux prix sur un marché par ailleurs respecté, animé par des agents interchangeables. La hiérarchie et l'identité des agents sont premières, elles débordent toujours la logique des marchés dont les frontières, à l'image de celles de la monnaie, flottent. - De même, au-delà des débats sur le régime de changes ou des enquêtes sur le solde de la balance, l'économie monétaire internationale est un lieu d'analyse privilégié de la crise, des contradictions du mode ancien de régulation.

PREMIÈRE PARTIE

LE PÉRIL Plus loin encore, une ligne continue d'un rouge vif : c'était celle qu'on avait depuis long-

temp• acceptée d'un accord tacite pour ligne frontière.

(J.

GRACQ,

Le Rivage des Syrie•.)

De manière générale, l'approche traditionnelle de l'offre de monnaie en économie ouverte est xénophobe. Du moins, l'extérieur l'inquiète : il vient troubler des mécanismes domestiques dont l'ordonnance et les fantaisies mêmes rassuraient. Cette inquiétude est d'autant plus grande que le péril est mal connu. En l'absence des banques, la mesure de l'influence extérieure nette sur la masse monétaire interne est simple : il suffit d'examiner la variation des réserves officielles. Le développe• ment des marchés internationaux, les flux incessants de capitaux obligent à prendre en compte l'activité des institutions financières. Ainsi, la contrepartie extérieure, proposée dans le premier chapitre, mesure l'étendue de la contagion étrangère sur les liquidités nationales. Elle représente une sorte de « solde monétaire » de la balance des paiements. Une fois le cheval accueilli dans Troie, comment se comporte la ville à son égard ? les uns pensent que se déclenche un mécanisme multiplicateur; les autres estiment que le système est assez sage pour compenser de lui-même les entrées indésirables (ou les sorties regrettées).

18

Le péril

Mais le sens causal demeure semblable : c "est à travers le solde de la balance que s'intègre à la création monétaire l'influence nette extérieure Solde (chapitre Ier). Masse monétaire (chapitre Il). L'extérieur ne possède qu'un visage, celui de l'altérité dont s'accommode, mal ou bien selon les cas, l'espace monétaire national. Pour la politique économique, l'enjeu théorique est d'importance : il y va du caractère même de l'offre de monnaie : exogène; non contrôlable ; ou principalement endogène.

CHAPITRE PREMIER

La mesure du déséquilibre extérieur

Dans un pays planifié où serait à l'extrême centralisée la gestion des devises, la mesure du déséquilibre extérieur serait tâche aisée : la variation des réserves officielles mesurerait exactement l'influence nette sur la masse monétaire interne de l'ensemble des relations économiques du pays avec l'étranger1 . La présence et le rôle actif des banques sur les marchés internationaux de capitaux rendent un tel schéma caduc. Deux voies sont alors possibles pour expliciter, dans la grille des statistiques disponibles, cette fonction croissante des banques : soit, en demeurant fidèle à la balance des paiements, tenter de dégager un solde monétaire ; soit, en choisissant au contraire une approche directe de la monnaie, essayer de bâtir une véritable contrepartie extérieure. Cette seconde démarche sera la nôtre, quitte à relever, dans le courant de l'analyse, les postes comptables qui ne méritent pas notre confiance. 1. D'une façon générale, il existe deux manières de concevoir l'analyse comptable: - soit l'on part du réel et l'on essaie, il partir de son observation méthodique, d'améliorer les outils d'analyse existants : bilans, comptes nationaux ou balance des paiements ; - soit l'on considère comme acquise cette étape préliminaire et toute l'attention du chercheur se reporte sur l'état comptable lui-même qui paraît refléter le monde réel avec suffisamment de fidélité pour que l'analyse ne soit pas fondamentalement faussée.

20

Le péril

A / LE SOLDE MONÉTAIRE

Si l'approche habituelle ne retient que les derniers postes de la balance, pour construire un véritable solde monétaire il importe de relever quelque peu la « ligne » : il faut passer de l'optique des règlements officiels à celle de la position monétaire extérieure.

I

j

LE PRINCIPE

Depuis plusieurs siècles, les relations sont connues qui unissent les variations de la balance commerciale aux fluctuations des réserves. A partir de cet apport théorique traditionnel, les analyses modernes confrontées à la multiplication et à la complexité croissante des opérations internationales, notamment dans le domaine des mouvements de capitaux, s'efforceront d'en présenter une image la plus complète possible. Ainsi, aujourd'hui, la balance des paiements « enregistre systématiquement toutes les transactions économiques intervenues, pendant une période déterminée, entre les résidents de l'espace territorial et ceux d'autres espaces territoriaux »1 • Il ne sera plus alors aussi aisé de déduire d'une simple lecture de la balance l'influence nette des relations économiques d'un pays avec l'extérieur sur sa masse monétaire interne.

1 / L 'appore ehéorique tradieionnel

A une balance commerciale positive correspond une entrée de monnaie ; au contraire le numéraire sort du pays lorsque la balance devient défavorable. Ce « principe » n'est évidemment pas une acquisition récente de la science économique : les 1. Maurice BYÉ, Relalion.s économique• internationalea, Paris, Dalloz, 1965, p. 37.

La mesure du déséquilibre extérieur

21

premiers commerçants, aux âges les plus reculés de l'Histoire, devaient déjà en avoir une notion intuitive. On pourrait, certes, à travers }'Antiquité et le Moyen Age, retrouver trace de telles analyses, mais il faut attendre la fin du xv1e siècle et les premiers signes du déclin futur de l'empire espagnol pour que cette constatation pratique devienne l'objet de réflexions théoriques qui, depuis, n'ont guère cessé. Dans ce climat de chrysohédonisme, l'important, c'est l'acquisition de richesses et le commerce, s'il n'est pas le seul moyen d'acquérir de l'or, apparaît vite comme le meilleur. Dès 1568, Jean Bodin, dans ses Réponses aux paradoxes de 1\f. de Malestroit touchant l'enchérissement de toutes choses, développe une distinction qui sera reprise plus tard, en plus amples détails, par Richard Cantillon 1 et François Véron de Fort-Bonnais2 ; l'Espagne avait profité directement du métal découvert dans ses mines d'Amérique ; la gloire et la puissance en étaient résultées, mais sans que s'accroissent les industries ni les forces vives du pays : l'empire de Charles Quint et de Philippe II ne put résister à la hausse des prix. Au contraire, c'est par le commerce, les trafics du Levant, les activités de la place de Lyon que la France voit arriver en ses caisses les ors du Mexique et du Pérou. Ainsi, à l'époque comme aujourd'hui3, mais par des voies différentes, la préoccupation majeure concernait un surcroît de monnaie venue de l'extérieur. A ce stade de l'analyse, il n'est pas encore temps d'essayer d'expliquer les conséquences de cet afHux métallique sur les prix et l'équilibre de la balance des paiements. Il convient d'abord de lever les ambiguïtés linguistiques ou conceptuelles ; à cet égard, une citation de Colbert prouve, s'il en était besoin, que le principe énoncé plus haut n'est pas si simple, ni si définitif qu'on pouvait le croire en première lecture. « Il n'y a qu'une même quantité d'argent qui roule dans l'Europe et qui est augmentée de temps en temps par celui qui vient des Indes occidentales ; il est certain que, pour augmenter les 150 millions qui roulent dans le public de 20, 30 ou 50 mill. Richard CANTILLON, Essai ourla nature du commerce en général, pp. 219-249, publié en 1755, vingt et un ans après la mort de l'auteur. 2. F. VÉRO!'l DE FonT-BONNAIS, Recherches et considérations, t. 11, pp. 575 sq. 3. Cf. Paul MARSIN, Les doctrine• monitaires etfinancièru en France aux XVI• et XVII• ,iècles, Pari!, 1925.

22

Le péril

lions, il faut bien qu'on le prenne aux Etats voisins ... et il n'y a que le commerce seul et tout ce qui en dépend qui puisse produire ce grand effet »1 • Telles sont, clairement explicitées, les théories monétaires qui inspirent la politique commerciale mercantiliste : pour augmenter la masse monétaire interne, il s'agit de s'approprier, par tous les moyens du commerce, la plus grande part possible de la quantité, quasi invariable, d'argent « qui roule dans l'Europe». En termes algébriques et comptables, le schéma n'est guère compliqué : Si X représente les exportations, M les importations, AG la variation de la quantité d'or détenue par le pays et A.U8 la variation de la masse monétaire, la relation est immédiate :

X- M

= ô.G = ô.Ms·

La balance, quant à elle, ne possède que deux postes : le poste commercial, qui dégage un solde positif ou négatif; le poste métallique, conséquence du précédent, qui enregistre les modifications dans la quantité d'or possédée par le pays.

2 / La complexité du balance& modernu

Assurément, les balances des paiements modernes ne s'en tiennent plus à cette vision simplifiée d'une réalité qui, par ailleurs, a beaucoup gagné en complexité. Ainsi, les postes « courants », du dessus de la ligne, se sont peu à peu multipliés. Mais ce sont les postes monétaires, appartenant au-dessous de la ligne, qui doivent surtout nous retenir ici 2 • La balance des paiements entre la France et l'extérieur, telle qu'elle est construite par le ministère de l'Economie et des Finances (direction du Trésor) et la Banque de France

l. Lettres, instructions el mémoires de Colbert, t. VII, édités par P. CLÉMENT, Paris, p. 239. 2. Cf. M. de MOURGUES, Le marché monitaire dans le aystèmefinancier fronçai•, Paris, PUF, 1971, pp. 223 et suiv.

La mesure du déséquilibre extérieur

23

(direction générale des Services étrangers), se divise en trois parties dont nous présentons un état résumé : Titres - Postes - Rubriques

1.

Biens et services A. B. -

Exportations et Importations Services Total des biens et services

11. -

Dons et autres transactions unilatérales A.

Secteur privé Secteur public

B. -

Total des dons et autres transactions Ill. -

Mouvements de capitaux Ill. A.

A1. A2. A3.

111.B. B1. B2. B3.

Capitaux à long terme Secteur privé non bancaire Secteur bancaire Secteur public Capitaux à court terme et liquides (1) Secteur privé non bancaire Secteur bancaire Secteur public

Courtage international Règlements multilatéraux Erreurs et Omission

Total général ( 1 ) Une inscription en crédits correspond à une diminution des avoirs ou à un accroissement des engagements, et réciproquement pour une inscription en débits.

Cette balance étant construite selon le principe de comptabilité en partie double, le total des crédits doit, par définition, et sous réserve d'un poste d'ajustements (erreurs et omissions), être égal au montant des débits. Il s'agit donc de retenir le solde le plus significatif pour l'analyse que l'on veut mener, à savoir l'influence des relations avec l'extérieur sur la création monétaire interne. Sans revenir sur ce problème de « ligne », analysé en détail

24

Le péril

dans des recherches récentes1, il convient de s'interroger sur le bien-fondé de la solution retenue par la comptabilité française. La position monétaire extérieure de la France, en d'autres termes, le solde de la balance des paiements, représente la variation des avoirs et engagements extérieurs du secteur public et du secteur bancaire (postes III. B2 et III. B3 du tableau général précédent). Ainsi, les capitaux à court terme et liquides du secteur privé non bancaire (poste III.BI), comme les erreurs et omissions, sont rejetés au-dessus de la

ligne. a / Capitaux à court terme et liquides du secteur pri1,é non bancaire Il paraît logique d'exclure les capitaux à long terme de la position monétaire extérieure : leur nature, en effet, est bien différente de celle des capitaux à court te1me. Ils réalisent des opérations économiques, dont la fonction n'est pas de financer le solde de la balance. Bien au contraire, ces mouvements de capitaux à long terme nécessitent un financement 2 • Il n'en est pas de même pour les capitaux à court terme du secteur privé non bancaire : ils représentent un moyen de financement de la balance des paiements; il n'y aurait donc aucune raison logique de les exclure de la position monétaire extérieure. Les deux arguments présentés par les services spécialisés du Trésor et de la Banque de France, et qui président à l'inscription au-dessus de la ligne de ces capitaux du secteur privé non bancaire, sont d'•ordre théorique et pratique. - Théoriquement, en effet, le dessous de la ligne rassemble les montants mobilisables plus ou moins directement par la Banque centrale pour gérer, sur le marché des changes, la position du franc vis-à-vis des autres devises. Aucun contrôle ne se pouvant exercer sur le secteur privé non bancaire, ses

I. P. DELFAUD, Lea mouvements de capitaux à court terme et la balance des paiements, thèse ronéotée, Université de Bordeaux I, 1971 ; et P. LAMBERT, Les déséquilibres de la balance des paiements, thèse ronéotée, Université de Paris I, 1974. 2. Cependant, comme nous le verrons plus tard (cf. la définition du • solde monétaire • à la fin de ce chapitre), ces capitaux à long terme ne doivent pas être exclus de l'analyse monétaire. En effet, les banques s'engagent souvent dans des opérations de tran•formation avec l'étranger, empruntant à court terme pour prêter à long terme. Ainsi l'analyse des capitaux très liquides ne peut être séparée de celle des mouvements à plus long terme.

La mesure du déséquilibre extérieur

25

capitaux sont naturellement exclus de la pos1t10n monétaire extérieure. Il convient de noter que cet argument n'est théorique que par dépit, c'est-à-dire par manque de savoir statistique et donc par impossibilité de contrôler ces mouvements de capitaux. - D'autre part, il semble que, pratiquement, ces capitaux privés non bancaires ne représentent qu'un faible montant : peu de sociétés françaises seraient assez impliquées dans le commerce international pour ressentir le besoin d'ouvrir un compte permanent à l'étranger1 • Mais surtout, la réglementation des changes interdit de tels comptes « directs » dont on ne peut aisément mettre en œuvre le contrôle. Cette optique, déjà difficilement acceptable pour la France, perd toute réalité pour des pays comme les Etats-Unis où l'importance des sociétés multinationales n'est plus à démontrer.

b / Le poste d'ajustement : les Erreurs et omissions Le recensement des postes représentant des mouvements de capitaux à court terme serait incomplet sans une analyse, rapide, de la rubrique « Erreurs et omissions », inscrite en dernière ligne de la balance des paiements. A côté des mouvements de capitaux pris en compte directement dans la balance (postes III. B 1 et III. B2)2, il existe des inscriptions directes soit au travers d'autres rubriques dissimulant leur vraie nature3 , soit par contrepartie, dans le poste « Erreurs et omissions », puisque le système comptable retenu est celui de la partie double. Dans certains cas, ce poste d'ajustement, comme nous le verrons dans notre étude économétrique sur l'Allemagne, reflète bien mieux les variations de flux monétaires à court terme que ne peuvent le faire les postes officiels III.BI et III.B2. Il existe également certains mouvements de capitaux à 1. Il faut pourtant noter qu'il existe des • marchés d'application •, procédure par laquelle un agent national peut utiliser les devises qu'il détient à l'étranger pour effectuer directement certains règlements. Cette transaction s'effectue sous le contrôle d'intermédiaires agréés. 2. Rappelons que le poste III.BI décrit les mouvements de capitaux à court terme du secteur privé non bancaire, tandis que le poste III. B2 décrit ces mêmes mouvements lorsqu'ils sont engagés par les banques. 3. Cf. P. DELFAUD, op. cil., p. 22.

26

Le péril

court terme qui, n'étant pas déclarés, ne sont en aucune manière recensés dans la balance. Mais ces opérations se compensent quant à leurs règlements monétaires de contrepartie et n'influencent donc pas le solde de la balance. Ainsi, la distinction entre le dessus et le dessous de la ligne, le courant et le monétaire, les opérations autonomes et leurs contreparties ... n'est pas univoque. Dans l'espace économique actuel, le principe général demeure : à une balance positive correspond bien un afflux monétaire. Mais il est très délicat, sinon impossible, de repérer exactement, dans la balance des paiements, le solde des flux monétaires avec l'extérieur, en d'autres termes l'influence directe de l'extérieur sur la masse monétaire interne. - D'une part, il faut noter que certaines opérations n'affectent pas, ou affectent avec un certain retard, la position monétaire extérieure. Dans le commerce international, l'usage est de consentir délais et crédits : l'exportateur va donc, durant un certain temps, posséder une créance sur l'étranger qui ne sera pas retenue dans les comptes extérieurs, puisque la balance des paiements est construite sur le principe des règlements et non celui des transactions1 • La position monétaire ne sera pas modifiée, alors que la situation monétaire interne, en raison des conditions spéciales de mobilisation de ces crédits à l'exportation, se trouvera, elle, immédiatement affectée. On peut aussi remarquer que le délai, séparant la transaction de modification correspondante de la position monétaire, peut encore augmenter lorsque l'exportateur soit conserve de par lui-même les devises qu'il a reçues, soit les fait virer à un compte à l'étranger. Au contraire, le règlement à l'étranger en monnaie nationale, qui accentue encore ce phénomène de pipe-line2 , est pris en compte par la position monétaire qui ne regroupe pas seulement les variations des avoirs en devises, mais aussi les modifications de la position en francs. Ainsi, tout en nous fournissant une bonne approximation, 1. Une balance des paiements française est construite depuis 1970 selon le principe des transactions. Cette date, située au cœur de la période d'analyse, nous a contraint d'utiliser, par souci de cohérence, la balance des règlements. 2. Cf. Claude PIERRE-BROSSOLETTE, Les réserves de change et la position monétaire extérieure, in Monnaie el balance du paiements, A. Colin, 1972, p. 24.

La mesure du déséquilibre extérieur

27

la variation de la position monétaire extérieure > au cours de la période). Dans ces conditions, il apparaît économiquement plus significatif, en même temps que plus simple, d'adjoindre à la ligne « Or et devises » la position globale du secteur bancaire vis-àvis de l'extérieur, incluant non seulement les relations des banques françaises avec les correspondants étrangers, mais aussi les opérations réalisées avec la clientèle non résidente. Dans le schéma traditionnel du Conseil national du Crédit, cette activité extérieure du secteur bancaire n'était pas oubliée. Nous savons par exemple que les relations avec les correspondants étaient enregistrées dans un poste « Divers ». De même, les prêts et les emprunts des banques françaises aux clients non résidents sont déjà comptabilisés dans le tableau de la masse monétaire et de ses contreparties. La modification suggérée plus haut entraînerait donc des doubles emplois. C'est pourquoi il nous faut maintenant examiner séparément les avoirs et les engagements des banques nationales vis-à-vis de la clientèle non résidente, étudier leur importance et leur évolution, déterminer enfin leur place comptable dans la nouvelle présentation.

a / Les crédits aux non-résidents I / Evolution historique. Il nous faut d'abord remarquer que sont inclus dans les crédits aux non-résidents non seulement les prêts au sens strict, mais également les billets étrangers conservés par les banques pour leurs opérations de change manuel et les effets escomptés, libellés en devises et tirés sur des non-résidents. La variation du montant de ces effets prit, à certaines époques, comme nous allons le voir, des proportions importantes.

68

Le péril Crédit$ aux non-réûden1$, par trimestre (unité : milliard de francs)

17 16 15 14 13 12 11 10 9

8

7 6 5 4 3

2

0

1960

1961

1962

1963

1964

1969

1970

1971

1972

Source : Chiffres fournis par la Direction générale des Services étrangers la Banque de France.

L'évolution des crédits octroyés aux non-résidents peut être divisée en deux étapes successives : - Dans la première période, qui s'étend de 1960 à 1969, deux traits significatifs méritent d'être notés • d'une part, les prêts consentis aux clients étrangers négligeables en 1960 (environ 300 millions de francs) se sont régulièrement accrus, et notamment durant les deux dernières années 1968 et 1969, où les taux de progression d'une année sur l'autre ont atteint 50 % et 40 % pour un montant d'environ 6 milliards à la fin du mois de décembre 1969 ; • d'autre part, les prêts en francs, pour des préoccupations évidentes de balance des paiements, ont toujours été étroitement surveillés et limités par les autorités natio-

La mesure du déséquilibre extérieur

69

nales. C'est ainsi par exemple qu'une circulaire de la Banque de France du 3 décembre 1968, déjà mentionnée à propos des correspondants, interdit les prêts en francs : les banques devaient ramener leurs créances au niveau atteint le 3 septembre de la même année. C'est pourquoi la plupart des prêts consentis à des nonrésidents furent libellés en devises et non pas en monnaie nationale. - Mais la seconde période est, économiquement, beaucoup plus significative, car elle montre l'interdépendance étroite des politiques monétaires dans l'Europe actuelle : • en ce qui concerne les prêts eux-mêmes accordés par les banques françaises à leurs clients étrangers, ils servirent souvent à tourner les restrictions de crédit instituées dans les pays voisins. En 1970, par exemple, les entreprises allemandes ont accru leurs emprunts nets chez les banques françaises de 170 millions. Il convient d'ailleurs de noter que, sur cc montant, 124 millions furent livrés directement en monnaie allemande. Cette tendance s'est poursuivie, en déclinant, jusqu'au mois de mars 1972, c'est-à-dire jusqu'à l'institution du« bardepot n qui gênait considérablement le recours des entreprises allemandes à des financements extérieurs. De même, la clientèle suisse, emprunteme en sa propre monnaie durant l'année 1971 et le début de 1972, fut contrainte de rembourser ses dettes lorsque les emprunts extérieurs durent être soumis à l'approbation de la Banque nationale; • l'escompte d'effets en devises tirés sur l'étranger permit également de contourner l'obstacle des limitations de crédit. Mai~, cette fois, les bénéficiaires en furent les résidents français qui pouvaient ainsi se procurer des liquidités échappant aux mesures d'encadrement.

La progression des effets escomptés correspond donc exactement à la sévérité des autorité~ monétaires : En 1970, le crédit est limité, les effets escomptés passent de 374 à 675 millions de dollars us, ce qui représente tout de même 3 712 millions de francs environ. Les effets libellés en Deutsche Mark jouissent d'une grande faveur puisqu'ils repré-

70

Le péril

sentent le tiers de l'ensemble, contre un peu moins de 50 % pour les effets libellés en dollars, dont la part diminue par rapport aux années précédentes. L'encadrement du crédit ayant été levé le 23 octobre 1970, les effets escomptés n'ont plus le même rôle de financement à jouer. Ils n'augmentent que de 672 millions de dollars (en janvier) à 789 millions en décembre. Au contraire, en 1972, les entreprises françaises qui, dans l'ensemble, ont besoin de ressources, présentent à l'escompte leurs billets étrangers dont le montant, dans le portefeuille des banques, s'élève ainsi à plus de 920 millions de dollars en fin d'année. Il serait ainsi possible de prolonger l'analyse, en des termes comparables, pour l'année 1973. Au cours de l'année 1974, la progression de ces effets fut d'abord très vive 25 % en six mois), pour se ralentir ensuite, mais la logique du mécanisme demeure la même : desserrer quelque peu l'étau de l'encadrement du crédit.

(+

II / La nouvelle contrepartie : les crédits à l'économie interne. - Dans la présentation traditionnelle de la masse monétaire et de ses contreparties, les crédits octroyés aux non-résidents sont inclus dans le poste « Crédits à l'économie », qui ne distingue donc pas entre :

crédits à l'économie interne ; crédits alloués à une clientèle étrangère. Dans la nouvelle structure comptable suggérée plus haut, la position extérieure du secteur bancaire (correspondants et clientèle) est ajoutée à la ligne nombreuses régressions ont tenté de prouver la stabilité du multiplicateur, tandis que d'autres travaux s'efforçaient de démontrer la réalité statistique de la théorie inverse. Mais ces controverses ont très vite dépassé le seul niveau économétrique et la querelle devint bientôt méthodologique et purement théorique. Dans ce contexte, la critique des timides essais d'intégration des variables extérieures dans l'offre de monnaie prend une signification particulière : elle met clairement à jour les insuffisances de l'approche monétariste, le manque de définition des variables, l'absence de précision des mécanismes de transmission, et, par voie de conséquence, la limite des cc vérifications >> économétriques entreprises.

1 / L'approche du multiplicateur

La critique de cc l'approche du multiplicateur développée sur trois fronts successifs :

>>

peut être

d'une part, les résultats économétriques, même s'ils s'avèrent parfois positifs pour les Etats-Unis, ne peuvent être étendus à des pays comme la France ou l'Allemagne fédérale;

Influence extérieure et création monétaire

lll

d'autre part, la méthode de la forme réduite suscite de larges réserves, car eHe résume arbitrairement les canaux par lesquels s'exerce l'influence de la base et de la masse monétaire. Une méthodologie du cheminement ou le maintien de la forme structurelle devient alors nécessaire ; enfin, la théorie du mécanisme de l'offre de monnaie impliquée par l'approche du multiplicateur ne correspond pas, le plus souvent, à la réalité.

a / Les résultats économétriques La plupart des modèles de l'offre de monnaie partent, nous l'avons vu, de la forme simple suivante :

M=mB où M est la masse monétaire ; B est un agrégat de réserve, en général une expression de la base, et m un multiplicateur monétaire.

Le grand avantage, pédagogique pourrait-on dire, de cette équation, c'est de pouvoir exprimer et résumer clairement les deux thèses en présence. - Pour les monétaristes, les variations de la masse monétaire sont commandées par les variations de la base que contrôle la Banque centrale, en d'autres termes, m est fixe et B varie. - Pour leurs adversaires, les fluctuations de la masse monétaire dépendent surtout du comportement des banques et du public, de leurs ajustements successifs de portefeuille. Ainsi, le multiplicateur m est appelé à varier, ce qui limite l'impact des fluctuations de B. Dans ce cadre, de très nombreuses études ont été entreprises, tant en France qu'aux Etats-Unis, pour confirmer ou infirmer l'une ou l'autre hypothèse. I / Les recherches américaines. - Les études économétriques américaines, qui sont les plus complètt:s, concernent les trois principaux aspects du problème :

le rôle de la Banque fédérale (FED) dans les variations de la base;

112

Le péril l'importance relative des modifications de la base et de celles du multiplicateur dans le processus d'offre de monnaie; enfin, les liens qui existent entre les variations du muh iplicateur et celles de la base.

-

La Banque centrale et les variations de la base

Il est évidemment très important de dégager, de l'ensemble de la base, les éléments sur lesquels la Banque centrale peut agir. De la possibilité de résoudre ce problème dépend, en particulier, le succès de notre tentative d'intégration de l'extérieur dans un processus algébrique d'offre de monnaie. Nous y reviendrons donc, en détail, au cours des paragraphes suivants. Moins préoccupés que nous par les questions extérieures, de nombreux économistes ont pourtant tenté d'apprécier le rôle de la FED dans le-s variations de la base. Karl Bruuner1 , par exemple, a établi une corrélation spectrale entre la base monétaire d'une part, et ses principaux éléments d'autre part, crédits de la FED ou autres sources. Les résultats indiquent clairement que c'est l'action de la FED qui s'avère prépondérante tant en cc qui concerne les mouvements saisonniers de la base que ses mouvements cycliques. P. Cagau, dans l'optique du livre de A. Schwartz et M. Friedman2 , a entrt>pris des recherches comparables pour la période 1875-19553 • A long terme, il apparaît que les variations de la base tiennent à deux éléments principaux : la croissance du stock d'or détenu par la ou les banques centrales, et les crédits par elle(s) alloués. Cagan en conclut un peu vite que les autorités monétaires disposent ainsi de tous les moyens leur permettant de contrôler la progression de la hase. En effet, il est difficile d'admettre que les variations des réserves internationales soient parfaitement contrôlables et contrôlées. De plus, comme nous le verrons, c'est oublier les mécanismes de 1. K. BRUNNER, The Role of Money and Monetary Policy, FRB St-Louis, juillet 1968, p. 18. N. B. - Brunner, dans son article, ne précise pas la méthode de • corrélation spectrale • qu'il utilise. Cf. également A. MELTZER, in Controlling Money, FRB St-Louis, mai 1969, pp. 16-24. 2. M. FRIEDMAN et A. SCHWARTZ, A monetary history of the United States, 1867-1960, Princeton, 1963. 3. P. CAGAN, Delerminanls and Effects of Changes in the J\,[oney Stock, NBER, Columbia University Press, 1965, pp. 13-21.

Influence extérieure et création monétaire

113

compensation qui peuvent s'établir entre les différents éléments de la base. Il faut cependant noter que les relations internationales, surtout durant cette période, n'ont pas exercé une grande influence sur la masse monétaire des Etats-Unis, étant donné la faible importance des soldes extérieurs relativement au montant des liquidités internes. En définitive, malgré ces incertitudes et ces imprecISions, il semble acquis que la Banque centrale, du moins aux EtatsUnis, exerce sur la hase monétaire une action déterminante. Ce n'est donc pas sur ce point que la controverse est la plus vive. Au contraire, l'hypothétique stabilité du multiplicateur est au cœur du débat. -

L'importance relative des modifications de la base et de celles du multiplicateur

Pour tenter d'apprécier cette importance relative, deux sources d'études ont été entreprises. Les premièies tentent une comparaison globale entre le rôle des variations de B et celui des modifications intervenues au cours de la période dans le multiplicateur. Ainsi Brunner et Meltzer établissent que les changements de la base expliquent plus de 85 % des mouvements de la masse monétaire. De plus, grâce aux résultats de deux cents mois, dont le dernier était mars 1965, ils ont pu extrapoler leurs relations et estimer des taux de progression de la masse monétaire fort peu éloignés de la réalité (juillet 1966 jusqu'à septembre 1969) 1• Mais cette présentation globale, chère aux monétaristes, n'est pas suffisante : il faut la modifier, compléter par des études plus particulières concernant les facteurs susceptibles d'entraîner une variation de la valeur du multiplicateur. Sans entrer à nouveau dans les détails de la structure de ce multiplicateur, il convient de remarquer l'apport très précieux du débat monétariste en ce domaine. Contraints d'abandonner ou de spécifier les modèles très agrégés s'ils voulaient parvenir

1. Cf. A. MELTZER, Controlling Money, FRB St-Louis Review, mai 1969, pp. 16 à 24; et MEIGS et WoLMAN, Central Banks and Moncy Supply, FRB Saint-Louis

Ret•iew, août 1971, p. 19. Et également K. BRUNNER, The Role of Money and Monetary Policy, FRB St-Louis Revieu·, juillet 1968, pour une méthode différente mais des résultats semblables.

114

Le péril

à un résultat valable, les théoriciens ont orienté leurs recherches vers les mécanismes pratiques de la gestion des banques. Ainsi, des dizaines de publications ont analysé les deux ratios qui exercent une influence fondamentale sur la stabilité, ou l'instabilité, du multiplicateur : le rapport entre la quantité de monnaie fiduciaire détenue par le public et le montant des dépôts d'une part, la relation entre les dépôts et les réserves d'autre part. En ce qui concerne le premier rapport, l'importance des effets saisonniers ou cycliques s'avère fondamentale : dans la période qui précède la récession, par exemple, la demande de monnaie s'accroît pour diminuer durant la récession ellemême ... Les incertitudes viennent surtout du second rapport, qui intéresse directement le mode de gestion des banques. Les informations fournies en ce domaine dépendent évidemment du système monétaire et financier de référence, et certaines données vérifiées aux Etats-Unis se trouveraient infirmées dans d'autres pays. De telles différences institutionnelles se rencontrent comme autant d'obstacles à toutes les étapes d'une tentative de généralisation du processus d'offre de monnaie. En d'autres termes, les acquis, en ce domaine, sont rarement exportables. Pourtant, les résultats concernant le système bancaire sont assez révélateurs d'une certaine permanence des principes de gestion. En dépit de la multiplicité des types de banques (city banks et country banks, membres du Federal System ou libres), la stabilité du rapport réserves/dépôts apparaît comme très remarquable. Toutes les études convergent vers cette conclusion1 • La relative permanence de ce rapport n'implique pas, contrairement à ce que l'on a longtemps pensé 2, une passivité des banques face aux actions de la Banque centrale. Elle impose un certain nombre d'ajustements dont il faudra préciser les mécanismes, et spécialement dans le cadre d'un marché des capitaux ouvert sur l'extérieur. Il convient aussi de remarquer 1. Cf. notamment G. BENSON, An Analysis and Evaluation of Alternative reserve requirement plans, Journal of Finance, Dec. 1969, pp. 849-870; Jerry L. JORDAN, Elementsof Money Stock determination, FRB Saint-Loui• Review, Oct.1969, pp. 10-19. 2. Cf. W. CmCK, The Genesis of Bank Deposits (1927, Economica}, in Reading in Monetary Theory, New York, ed. Lutz & Mints, 1951, p. 51.

Influence extérieure et création monétaire

ll5

que la plupart de ces travaux précisent mal le type de réserves qu'ils utilisent, ce qui laisse une incertitude qu'il importera de lever. -

L'influence des variations de l'agrégat de réserve sur le multiplicateur

Un dernier problème économétrique, qui n'a guère été soulevé jusqu'à présent, concerne la possibilité d'une relation entre la base et le coefficient multiplicateur. En effet, s'il existe un effet de cc feed-back », tel que

m =f(B)

(1)

en d'autres termes, si le multiplicateur est influencé par les variations de la base, la masse monétaire peut difficilement être calculée avec certitude à partir de la relation traditionnelle

M=mB

(2)

Ce risque n'est pas simple hypothèse d'école. Il existe dès que la demande des banques pour des réserves supplémentaires devient élastique au taux d'intérêt. Si la Banque centrale, en utilisant l'open market, achète des titres publics, donc augmente la masse monétaire en circulation, et exerce sur les taux d'intérêt une influence à la baisse, les réserves supplémentaires des banques vont augmenter. En ce cas, la base va s'accroître, mais cette augmentation va entraîner une diminution de la valeur du multiplicateur ... Cette relation possible, et même probable, entre l'agrégat de réserve et le multiplicateur, va donc réduire l'influence sur la masse monétaire des actions menées par la Banque centrale. Ainsi, les résultats des études économétriques américaines, très favorables à l'approche du multiplicateur, doivent être interprétés avec prudence ; les interdépendances entre les variables et les canaux par lesquels s'exerce l'influence des mesures de politique monétaire ne sont pas, en effet, suffisamment explicitées1 . Les analyses monétaristes du système français souffrent, en général, des mêmes lacunes. Mais, de plus, les résultats économétriques sont loin de prouver la stabilité du multiplicateur. l. Cf. A. MELTZER, The Behaviour of the French Money Supply, 1938-1954, Journal of Polirical Economy, juin 1959, pp. 276-291.

116

Le péril

II / Les études monétaristes concernant la France. La seule analyse économétrique appliquée au cas français et favorable à l'approche du multiplicateur concerne les années 1938-1954. Durant cette période, en effet, le multiplicateur se révèle être fixe et les variations de la base permettent d'expliquer dans une large mesure (R2 = 0. 99) l'évolution de la masse monétaire. Mais deux remarques peuvent limiter la portée de ces résultats.

d'une part, une simple extrapolation, du type M 1 +t = (1 K) .Mt, k étant le taux de progrcs~ion moyen pour la période, permet d'obtenir des développée à l'origine par les généticiens 2 pour étudier les problèmes d'hérédité. En sociologie, la causalité n'est pas aussi claire qu'en génétique, c'est pourquoi il serait déjà très appréciable de connaître l'importance relative de chaque cheminement dans les corrélations que l'on ohserve3 • En toute hypothèse, il importe de distinguer avec le plus grand soin les relations impliquant une véritable causalité de celles qui ne sont que simples corrélations. Par exemple dans le schéma suivant4, la variable Z est déterminée par X, Y et r, tandis que X et Y sont liées entre elles par une corrélation. L'originalité des travaux d'Anderson et Jordan 5 tient à

1. Cf. R. FRISCH, l'éditorial d'Econometrica, 1933. 2. Cf. S. WRIGHT, Path Coefficients and Path Regrcssions, Biometrics, 1960, cité par FISHER et SHEPPARD, op. cil. 3. Cf. R. BoUDON, A Method of linear Causal Analysis, American Sociological Reuiew, 1965, cité par FISHER et SHEPPARD. 4. Extrait de G. FISHER et D. SHEPPARD, op. cit., p. 117. 5. ANDERSON et JORDAN, Monetary and Fiscal Actions: a test oftheir relative importance in economic stabilization, FRB St-Louis Rei•iew, 1968, pp. Il à H; et Monetary and Fiscal Actions. Comment-Reply, FRB St-Louis Review, 1969, pp. 12-16.

122

Le péril

Corrélation

leur utilisation de ces premiers résultats dans l'analyse monétaire. Pour eux, il faudrait compléter la méthode de régression classique par cette c< analyse de cheminement ». En d'autres termes, aux coefficients couramment utilisés des variables explicatives devraient s'ajouter des > dont il est possible de donner la présentation résumée suivante 1 Soit :

y = b1 X1

+ b2 X2 + u

( 1)

où y est endogène, x 1 et x 2 sont exogènes. Si l'on note par S les différents écarts types, S 0 se rapportant à y 1 ; S 1 se rapportant à x 1 ; S 2 correspondant à x 2 ,

il est possible de réécrire l'équation ( 1) ainsi

y S1 b2 S2 X2 S., S - S- S1 +S- -+S2 S S., b1

0 -

X1

0



U

0



(2)

0 •

Il suffit de diviser les deux membres par S0 et de multiplier et diviser chaque terme du second membre par l'écart type correspondant. Nous avons défini nos « coefficients de cheminement » ~ : f3 1a est le coefficient f3 de x 1 par rapport à y/Sa. [3 20 est le coefficient [3 de x 2 par rapport à y/Sa, f3,a est le coefficient [3 de u par rapport à y/ Sa,

Posons maintenant :

Y; 1. Cf. FISHER et SrrEPPARD, op. cil., p. 118.

et

Influence extérieure et création monétaire

123

l'équation (2) devient :

(3) Pour utiliser l'équation (3) dans notre analyse du cheminement, il suffit d'en tirer la relation suivante :

R2 =

+ ~~o + 2~10-~2o·r12•

~io

R2

représente, comme c'est l'usage, la part de la variance totale de y expliquée par la relation ( 1). Ce pourcentage d'explication est égal à la somme des coefficients de cheminement ~10 et ~20 plus un terme d'interaction. En ce qui concerne ce terme d'interaction, on peut montrer que, r étant le coefficient de corrélation usuel,

rw

=

~10

r20

=

~20

+ +

r12 ~20 r21 ~10·

Toute cette méthode du cheminement ne prend sens et utilité que lorsqu'il existe une relation entre les deux variables exogènes. Dans le cas contraire, une simple régression précédée d'une corrélation de contrôle donnerait les mêmes résultats. • Supposons, en effet, qu'il n'y ait aucune interaction entre x 1 et x 2 • Dans ce cas, r 12 et r 21 sont tous deux égaux à zéro, et :

= r20 = r10

~10

~20·

En d'autres termes, toute l'influence de X 1 s'exerce directement sur Y, sans passer par X 2 , de même que tout l'impact de X 2 atteint Y directement. Une simple analyse de corrélation, dont le résultat aurait été :

p.,,.,,= 0 nous permettrait d'atteindre, plus rapidement, aux mêmes conclusions. • S'il existe au contraire une corrélation entre X 1 et X 2 , ~ 10 mesurera l'effet direct de X sur Y, mais son effet indirect sera décrit par r12 ~20

=

r10- ~10

124

Le péril

c'est-à-dire 1) effet de X 1 sur X 2 , mesuré par r 12 ; 2) effet de X 2 sur Y, mesuré par ~20 • Par rapport à la simple analyse de corrélation, la cc méthode du cheminement n représente un progrès, car : elle permet de quantifier les parts directes et indirectes prises dans l'explication de la variable endogène par les différentes variables exogènes ; elle précise les relations de causalité qui n'apparaissent pas clairement au début de la recherche. Cette méthode, venue de la génétique par les voies détournées de la sociologie, prendra sûrement de grands développements en économie. Mais elle semble particulièrement féconde pour l'analyse monétaire clans laquelle les problèmes d'influence sont généralement fort complexes, et que ne peuvent résoudre les anciens modèles, en dépit de leurs améliorations constantes.

c / Critique théorique du multiplicateur L'approche du multiplicateur, rappelons-le, décrit de la manière suivante le mécanisme de création de monnaie par les banques : un excédent de liquidités reçu par le système bancaire permet d"accroître les crédits à l'économie d'un multiple de cet excédent. Seulement trois étapes sont donc impliquées dans ce processus, comme le montre le schéma suivant Variation : - des devises - de la circulation fiduciaire - des réserves obligatoires (etc.)

-

Variation de la liquidité bancaire

Variation (amplifiée du montant du multiplicateur) des crédits distribués

Ce schéma semble difficilement acceptable : en effet, il ne correspond pas aux mécanismes réels de la création monétaire ; car deux variables de première importance y sont oubliées.

Influence extérieure et création monétaire

125

I / Une approche irréaliste. Deux reproches, d'ordre temporel ou chronologique, sont généralement adressés au multiplicateur1 : en premier lieu, l'approche par le multiplicateur suppose une expansion limitée de la masse monétaire, du fait d'un accroissement des liquidités bancaires qui jouent le rôle de multiplicande. Or, la masse monétaire se développe suivant un rythme généra1ement régulier. Il faudrait donc imaginer que la monnaie centrale fournie aux banques par l'Institut d'Emission progresse à un rythme éga1ement soutenu, ce qui ne correspond guère à la réa1ité, étant donné, notamment, les importantes fluctuations de devises qui peuvent se produire d'un mois sur l'autre; en second lieu, le multiplicateur implique une antériorité de la création de monnaie centrale sur l'accroissement des crédits octroyés par les banques commercia1es. En réalité, ces deux créations sont simultanées. Il semble même à la plupart des banquiers que la recherche des dépôts et la distribution de crédits précèdent le recours éventuel à la Banque d'Emission pour obtenir un surcroît de monnaie centralc2 •

En effet, à la différence des banques américaines, les institutions financières européennes ne disposent pa~, en généra1, de liquidités excédentaires ; au contraire, elles sont structurellem~nt endettées auprès de la Banque centra1e. Présentée de cette manière, cette différence institutionnelle n'est pas essentielle et ne suffit pas à condamner l'application en Europe du modèle monétariste : une diminution de l'endettement peut être considérée comme équivalente à une augmentation de l'excédent. Plus déterminant pour la critique du multiplicateur est l'oubli, dans l'ana1yse de la création monétaire, de deux mécanismes essentiels : le comportement de la demande de monnaie ; - et le rôle joué par le portefeuille des banques. 1. Cf. J. DAVID, Le comportement du système bancaire et l'évolution de la masse monétaire, Bu,letin trimestriel de la Banque de France, n° l, novembre 1971, p. 44. 2. Cf. P. BERGER, Emission monétaire et multiplicateur de crédit, revue Banque n° 331, juillet-août 1974, pp. 692-693.

126

l,e péril

II / Une approche incomplète. L'hypothèse du multiplicateur suppose une certaine dépendance des banques vis-à-vis du montant de monnaie centrale qu'elles détiennent. En d'autres termes, elles ne peuvent augmenter facilement et rapidement cette encaisse. Ce système implique plus précisément trois conditions :

l'intervention de la Banque centrale sur le marché monétaire n'est pas automatique chaque fois qu'une banque de second rang présente un titre à la vente. L'Institut central agit donc de sa propre initiative ; le placement ou l'endettement à court terme à l'étranger ne joue guère de rôle ; enfin, les banques n'ont pas l'habitude ou pas les moyens (lorsque le taux d'escompte est très nettement supérieur au cours du marché) de s'endetter auprès de la Banque centrale1 • Lorsque ces trois conditions sont réunies, les liquidités secondaires des banques n'ont que peu d'importance dans les mécanisme,; de la création monétair comme point de départ, ne semblent pas très significatifs.

n / La revanche des mécanismes de transmission. - Comme nous l'avons noté, l'intérêt, mais aussi le danger du calcul des élasticités, réside dans la possibilité d'éviter une analyse précise des mécanismes de transmission. Si la base est supposée dépendre du taux d'intérêt, il est facile d'évaluer la réponse de la masse monétaire à une variation du taux d'intérêt sans connaître pour autant les chemins et les détours de cette influence. Cependant, le plus souvent, l'interprétation des élasticités implique le recours à certaines hypothèses concernant les mécanismes de la transmission. Ainsi, K. Brunncr2 montre, au moyen de savants calculs d'éla~ticité, que la politique monétaire n'exerce qu'une faible influence sur les taux d'intérêt si l'interdépendance des différents marchés monétaires nationaux et intemationaux est très importante. La politique monétaire, dans un tel contexte, devrait donc être considérée comme inefficace. Brunner refuse le pessimisme d'une telle conclusion. Il existe en effet, affirme-t-il, un autre canal emprunté par la politique monétaire, les variations du prix des valeurs mobilières dont l'élasticité par rapport aux actions des autorités n'est jamais nulle. 1. E(M, Bn) = 1-q avec: e(m, i) q = e(p, i) - e(P, i) avec e:(m, i) : élasticité du multiplicateur monétaire par rapport au taux d'intérêt; e:(p, i) : élasticité du multiplicateur d'avoirs par rapport au taux d'intérêt; e(P, i) : élasticité du portefeuille du public par rapport au taux d'intérêt. 2. Cf. K. BRUNNER, op. cil., 1973, pp. 148-149.

134

Le péril

Ainsi, grâce à ce renfort de dernière minute, la politique monétaire est sauvée de la défaite. Un tel raisonnement s'approche donc beaucoup de la pétition de principe. III / La période de référence. - Comme dans tous les cas où les calculs s'étendent sur un grand nombre d'années, une valeur moyenne, en l'espèce une élasticité moyenne, n'a guère de signification. La valeur du coefficient

C':>

18

12

~i S.:,

C':>

-

-

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>, ,.:,

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C':>

......

C':>

......

C':> -.

......

10

10

12

11

1~

-----· ------

16

9

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C':>

-

C':> -.

-

5

16

18

18

14

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C':>

~;,)

,_

"""""

-------- ----

Si l'on excepte l'aberration de 1969, sur laquelle nous reviendrons, et les pointes du début et de la fin de la période (1961, 1962, 1970, 1971, 1972), les taux ne s'écartent guère du rythme annuel moyen (13 %). Malgré cette remarquable régularité, il est possible de noter de légères fluctuations dans le taux de croissance. Ces infléchissements et ces reprises semblent se retrouver d'année en année. Accroissement moyen de la masse monétaire ( en ~,~)

Premier trimestre

-----

0,9

Quatrième trimestre

Troisième trimestre

Deuxième trimestre

4,1

------

4,9

3

%

5 4

Le graphique ci-contre illustre le mode de croissance moyen de la masse monétaire au cours d'une année.

3 2

0

II

III

!V

Influence extérieure et création monétaire

155

L'hypothèse cyclique est largement confirmée par le tableau ci-avant qui présente les accroissements moyens, trimestre par trimestre, d'une période de treize années (1961 à 1973). Cette composante saisonnière s'avérant régulière, l'idée de compensation n'est pas remise en cause. En effet, une telle stabilité du rythme de progression de la masse monétaire suggère des interactions particulièrement profondes et permanentes entre les trois contreparties. Ainsi, l'évolution comparée des créances sur le Trésor et de la contrepartie extérieure confirme l'existence de nombreux phénomènes de compensation, notamment en 1960, 1961, 1962, 1968, 1969, 1972, 1973. Au contraire, en ce qui concerne les crédits, on note le parallélisme presque parfait avec la mas1,e monétaire. Les crédits à l'économie représentent, en effet, une part sans cesse croissante du total des contreparties (59,3 % en 1963, 85,1 % en 1973) ; une faible augmentation, du moins relativement à leur importance, permet de eompen~er par exPmplc une hémorragie de devises. Ainsi, pour 1968, la ligne illustrant la progression des crédits ne subit aucune modification majeure, tandis que s'effondre la contrepartie extérieure ; la première explication, sans préjuger de l'analyse purement économique, tient aux ordres de grandeurs tels que les prend en compte l'échelle semilogarithmique. Durant ces mois de crise, une perte de devises de 10 milliards représente environ le tiers de la contrepartie extérieure, tandis qu'une augmentation équivalente des crédits ne se traduit que par un accroissement de 5 % de la contrepartie correspondante. Une analyse détaillée des compensations implique donc l'abandon des logarithmes pour ne se préoccuper que des variations absolues de chacune des trois contreparties dans le cadre temporPl précédemment choisi pour l'étude des corrélations : -

1960-1967: janvier 1968 - septembre 1969; octobre 1969 - Mccmbre 1973.

2

3

10

2

3

6~ 4

8

1960

1961

1962

--------------

-

- -

1963

1964

------------

-----~---------------------

102~ - - - -

2

3

4

6

8

103

1965

---

--

1966

1967

Echelle semi- logarithmique

Contrepartie extérieure

Créances sur le trésor

Crédits à 1· économie

Masse monétaire

Vuriations des contreparties de la masse monétaire fra"{aise de 1960 à 1973, par trimestre (unité : milliard de francs)

2

10

2

2

3

4

1968

-----

Source

1969

1971

-------- .......,,

Créances sur le trésor ~--Or et devises

1972

1973

1974

1975

Echelle semi- logarithmique

Graphique établi d'après les données fournies par la Banque de France.

1970

__ ,,,_

_ . ~ - - - - - - - - - Contrepartie extérieure



0

-15

-10

1961

, 1 , t'

1960

1 ' '

1

1

1

1962

1

1gE Créances s;!_le t r ~

-10

1gE Contrepartie extérieure

-10

10

1

Crédits à r économie interne 0----

40 50~ 30 20

-10

Masse monétaire

------..

10

30 40~ 20

1963

Source

1964

L...L..l

1-L.....I

1966

L..L..L

L..L..L

1967

L....I...J.

1968

1969

L....L....l

1970

1--L....I

1971

L..J-1

J.......L...l

1973 1972

L....I...J.

'v"""

Graphique établi d'après les données fournies par la Banque de France.

1965

~

(unité : milliard de francs)

Variations absolues de la masse monétaire et de ses contreparties, par trimestre

Influence extérieure et création monétaire

159

1 / 1960-1967 : la compensation interne

De 1960 à 1967, les variations de la masse monétaire du fait de l'extérieur sont demeurées faibles et extrêmement régulières. En effet, de mars 1960 à septembre 1966, l'accroissement trimestriel moyen de la contrepartie extérieure a été égal à 900 millions de francs. Et les avoirs extérieurs n'ont pas subi de fluctuations trop importantes puisque la hausse maximum intervenue entre mars et juin 1962 n'atteignit que 2 milliards 400 millions de francs, tandis que la baisse de septembre 1962 ne clépa~sa pas 260 millions. Chaque année, l'amélioration de notre position extérieure entraîna un surplus de liquidités d'environ 3 milliards et demi, soit à peu près une augmentation annuelle de la masse monétaire de 2 °/4. Ce n'est donc pas avec la contrepartie extérieure qu'il faut chercher des phénomènes de compensation. Il serait, en effet, vain de comparer la progression des crédits avant et après 1960 pour en déduire l'éventuelle influence négative de cet afflux de devises : l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle, le début du Marché commun, le rétablissement de la convertibilité du franc, autant de règles nouvelles qui rendent illusoires des comparaisons trop fines entre la fin de la IVe République et le début de la Ve. Au contraire, entre les deux contreparties internes (crédits à l'économie et créances sur le Trésor) se produisent de nombreuses compensations. Sans y insister, car tel n'est pas notre propos, il importe de remarquer, la relation inverse, quasi permanente, unissant les deux contreparties internes au cours de la période, comme le montre le graphique de la page précédente ; et la confirmation de l'hypothèse cyclique, non seulement pour la période 1960-1961, mais également pour les années suivantes. a / Les formes de la compensation L'évolution comparée des deux courbes (créances sur le Trésor, crédits à l'économie interne) montre la fréquence des cas de corrélation négative.

160

Le péril

Au cours de dix trimestres, on assiste à une forte augmentation des crédits accompagnée d'une stagnation des créances sur le Trésor, voire d'une diminution : -

Décembre Décembre Décembre Décembre

1960 1961 1962 1963

-

Décembre Décembre Décembre Décembre

1964 1965 1966 1967

- A l'inverse, à la fin de six trimestres, on note un fort accroissement des créances sur le Trésor correspondant à un net ralentisscmf'nt de la croissance des cr{>dits : -

Septemhre 1961 Mars 1962 Septembre 1963

-

~lars 196,1 Septembre 196~ Mars 1966

En définitive, les phénomènes de compensation apparaissent très fréquemment durant cette période puisque sur huit années et trente et un trimestres 1 il est possible de répertorier seize cas typiques de compensation dans un sens ou dans un autre. Mais la grande régularité des résultats précédents suggère également la présence d'un phénomène cyclique double, à la fois pour les crédits, et pour les créances sur le Trésor : l'évolution saisonnière de la masse monétaire devient alors, toutes choses étant égales par ailleurs, c'est-à-dire la contrepartie extérieure demeurant constante ou régulièrement croissante, la somme algébrique de ces deux cycles.

b / L'hypothèse cyclique En effet, on remarque pour les mêmes mois des variations affectées d'un même signe. C'est ainsi que les crédits à l'économie augmentent fortement en juin mais surtout en décembre, tandis que les créances sur le Trésor s'accroissent particulièrement en septembre. Le phénomène n'est pas réservé à la seule période de 19601967, mais se trouve vérifié également pour les années suivantes, au moins pour les crédits à l'économie. Les créances sur le Trésor, après 1967, subissent des fluctuations relativement moins régulières. Le tableau suivant, construit pour les treize années 1961 à 1973, montre la présence d'une certaine compensation cyclique I. Le premier trime~tre de 1960 étant exclu.

Accroissements trimestriels moyens ,les deux contreparties internes (1961-1973) (en milliards de francs) Premier trimestre

Deu-

Troi-

xième

sième

trimestre

trimestre

Crédits à l'économie interne : - variation absolue moyenne - variation moyenne en %

0,3 0,1

8,9 4,5

6,7 3,6

19,7

Créances sur le Trésor : variation absolue moyenne - variation moyenne en °/o

0,06 0,3

0,7 1,5

3 5,6

-2,4 -3,8

Quatrième trimestre

8

La compensation cyclique : accroissement trimestriel moyen des deux contreparties internes ( unité : milliard de francs) 15

10

5

0

-5::-........----.,--.l..-----,--L-----,--Jl..-.---l"trimestre

ll"trimestre

lll"trimestre

rv•trimestre

Source : Graphique établi d'après les données fournies par la Banque de France. E. ARSOL1 LT

6

162

Le péril

au cours de l'année, les crédits à l'économie et les créances sur le Trésor n'augmentent pas dans des proportions comparables, aux mêmes trimestres. Comme l'illustre le graphique précédent, le cycle des créances sur le Trésor contredit celui des crédits à l'économie. Entre le premier et le deuxième trimestre, les crédits augmentent fortement tandis que les créances sur le Trésor demeurent à peu près stables. Puis les dettes de l'Etat s'accroissent vivement alors que diminue le rythme de progression des crédits. Enfin, au dernier trimestre, les créances sur le Trésor diminuent en moyenne de 2 milliards 400 millions de francs et les crédits, au contraire, augmentent de plus de 15 milliards et demi. Le rythme des crédits suit assez fidèlement les variations saisonnières de l'activité économique qui sont bien connues aujourd'hui. Il n'est donc pas utile d'y revenir. Au contraire, les fluctuations des créances sur le Trésor dépendent de facteurs institutionnels ou coutumiers dont nous ne décrirons que le plus important. Chaque année, à la fin de l'été, les collectivités locales, de par la structure de leurs recettes, se trouvent à court d'argent. Le Trésor public leur vient alors en aide. Corrélativement, les créances du système bancaire sur le Trésor augmentent. Dès le mois de novembre, les collectivités locales peuvent commencer à rembourser leurs emprunts ce qui permet au Trésor de se désendetter à son tour. Ainsi, la résultante de ces deux cycles, en d'autres termes, la somme des variations des contreparties internes, suit donc une progression trimestrielle plus régulière, les mouvements des créances sur le Trésor compensant, au moins en partie, les brutales accélérations des crédits à l'économie. Pourtant, si ce phénomène de compensation cyclique apparaît bien être le facteur dominant les variations de la masse monétaire entre 1960 et 1967, durant les années suivantes, la composante extérieure joue un rôle qui ne peut plus être négligé.

Influence extérieure et création monétaire

163

2 / Janvier 1968 • août 1969: la compensation exogène

Entre janvier 1968 et août 1969, la position monétaire de la France vis-à-vis de l'extérieur (telle que la décrit la 1c contrepartie extérieure ») s'est dégradée de 27,6 milliards de francs. Or, durant ces vingt mois, en dépit de cette importante ponction, la masse monétaire française s'est accrue d'environ 40 milliards. Il importe donc d'analyser en détail l'évolution des deux contreparties internes qui ont permis cette compensation.

a / L'évolution des crédits à l'économie La contrepartie extérieure ne diminuant que de 100 millions de francs au cours des quatre premiers mois de 1968, le point de départ le plus significatif apparaît être le mois même de la crise, le mois de mai. Nous disposons ainsi de deux séries de références mai-décembre 1968 : huit mois, et janvier-août 1969 : huit mois également. Etant donné la chute brutale des avoirs sur l'extérieur, la vérification du principe de compensation impliquerait une accélération dans la progression des crédits distribués. - Première période: mai-décembre 1968: Durant les deux trimestres qui suivent immédiatement les H événements » sociaux et politiques du mois de mai, les crédits à l'économie interne augmentent de 23,5 milliards de francs, ce qui représente un accroissement de 13 %1 , 1. Le chiffre exceptionnel de l'année 1968 tout entière (22,6 % de progression des crédits) retenu généralement comme preuve d'une compensation par accroissement brutal des crédits, n'est pas significatif: il intègre deux périodes différentes : - les cinq mois avant la crise, durant lesquels la croissance des crédits est, en 1968, extrêmement soutenue : 8 % contre 1,7 en 1970, 5,3 % en 1971 et 1972, et 3,3 % en 1973; - et les sept derniers mois de l'année, c'est-à-dire les mois de crises.

164

Le péril Au cours des mêmes mois, les crédits se sont accrus :

------------------------~---Années Evolution en

%

1966

1967

1970

1971

1972

1973

+ 15

+ 16

+ 16

-1- 16

+ 18

+ 17,5

Bien loin de s'accroître plus vite pour compenser la perte de devises, les crédits ont donc vu leur progression ralentir au cours de la deuxième moitié de l'année 19681 • - Les résultats sont moins nets pour la seconde période comprise entre janvier et août 1969 durant laquelle les crédits ont augmenté de 9 %2 (18 milliards) Année~ Evolution en

%

1967

1970

1971

1972

1973

+9

+ 4,7

+ 8,6

+ 12,9

+ 7,8

Sans représenter une accélération décisive de l'octroi de crédits, ce taux de 9 % correspond, pourtant, à une progression importante. En résumé, sur l'ensemble de la période critique (janvier 1968 août 1969) les crédits à l'économie augmentent, certes, mais à un rythme ralenti, surtout en 1968. Il ne faut donc pas s'attendre à trouver dans cette contrepartie le secret de la compensation des pertes de devises.

b / L'évolution des créances sur le Trésor Au contraire des crédits, les créances sur le Trésor se sont accrues dans des proportions très supérieures à la moyenne, aussi bien en 1968 qu'en 1969. - Durant les huit derniers mois de 1968, les créances sur le Trésor ont augmenté, en effet, de plus de 9,5 milliards de francs, ce qui correspond à un accroissement d'environ 18 %, 1. Il faut également noter qu'après les fortes augmentations du début de l'automne, la Banque de France avait réagi : le 12 novembre, le taux de l'escompte passe de 5 à 6 %, le 15 novembre les réserves obligatoires augmentent, le 19 décembre enfin, le contrôle du crédit est décidé et immédiatement appliqué. 2. Malgré le contrôle du crédit, cf. note précédente.

165

Influence extérieure et création monétaire

Ce taux représente un record pour une période similaire au cours des années postérieures ou immédiatement antérieures : Années

1965

Evolution en%

1966

1967

1970

0

+ 13

+11

1971

1972

1973

-3

- De même, au cours des huit premiers mois de 1969, les créances sur le Trésor continuent de s'élever à un rythme soutenu: 6,7 milliards de francs, soit 11 % contre 2 % en 1967, 5 % en 1966 et 4 % en 1970.

c J Les caractères de la compensation Il semble donc, comme le montrent également les graphiques des pages suivantes, que les pertes de devises aient été compensées par des hausses très importantes des créances sur le Trésor, notamment aux mois de juin 1968, mars et juin 1969. Les crédits à l'économie, dont la progression a baissé de mai à août 1968, se sont redressés par la suite mais sans atteindre des accroissements exceptionnels. Dans ces conditions, la masse des crédits représentant alors environ 72 % de l'ensemble des contreparties (contre seulement 21 % pour les créances sur le Trésor), l'augmentation des avances à l'Etat n'a pas suffi pour contrecarrer l'influence négative des sorties de devises. C'est ainsi que la masse monétaire ne s'est accrue que de 5 % durant les huit derniers mois de 1968, contre Années (mai-déc.)

1966

1967

1970

1971

1972

1973

Evolution en %

+6

+ 8,8

+11

+ 10

+ 10

+ 10

De même, au cours des huit premiers mois de 1969, la progression de la masse monétaire fut nettement inférieure à celle des années précédentes ou suivantes, durant une même période : Années (janv.-août)

1967

1969

1970

1971

1972

1973

Evolution en %

+ 8

+ 3,6

+ 8

+ 10,4

+ 11,6

+ 8,7

Variations absolues de la maue monétaire, 1968 à 1970, pnr mois

10 15~ 5 0

-5

10 15~ 5 0

-5

10 15~

Créances sur le trésor

5 0

-5

Contrepartie extérieure

10 15~ 5 0

-5

Crédits à l'économie interne

10 ,s~ 5 0 Contrepartie extérieure

-5

10

15~ 5

0

-s

Contrepartie extérieure 1

1

1

'

1

1 1

1

1

,

1

1

1 1

1 1

1 1

,

1 1

1

1

1

1

,

1 ,

1 ,

1 1 1

1

2 3 4 5 6 7 8 91011121 2 3 4 5 6 7 8 91011121 2 3 4 5 6 7 8 9101112 1968 1969 1970

Source : Graphique établi d'après les données fournies par la Banque de France.

Influence extérieure et création monétaire

167

En résumé, deux éléments caractérisent cette période : d'une part, l'étude graphique et statistique confirme les résultats de l'analyse des corrélations : la détérioration de la contrepartie extérieure se trouve compensée principalement par une hausse importante des créances sur le Trésor, et, accessoirement, par une très légère accélération des crédits à l'économie interne (surtout vers la fin de la période) ; d'autre part, cette compensation demeure imparfaite dans la mesure où la masse monétaire augmente, mais à un rythme nettement inférieur au taux que l'on peut considérer comme normal ou, du moins, habituel. En dépit de leur faible importance relative (la contrepartie extérieure ne représente, au mois d'avril 1968, que 12 °Ici du total des contreparties), les relations extérieures peuvent donc exercer sur l'évolution des liquidités internes une influence assez profonde pour demeurer sensible après divers phénomènes de compensation. Bien que moins significative à cet égard, la période suivante (1970-1973) confirme cette assertion.

3 / 1970-1973 : la compensation externe

A partir de la dévaluation du franc, intervenue le 10 août 1969, la position extérieure de la France s'améliore régulièrement. Ainsi, la contrepartie extérieure égale à 4,46 milliards en août 1969 atteint 32,l milliards de francs en décembre 1973. La seule période de baisse prolongée s'étend de juillet à août 1973, trois mois durant lesquels la contrepartie extérieure diminue de 2,3 milliards de francs. La série > et du solde mais la variation des réserves de change est présentée dans une perspective dynamique, non plus comme de simples conséquences comptables mais comme la résultante de décisions plus ou moins autonomes, selon les cas. Apparaît alors une liaison, économétriquement vérifiée, entre le besoin de réserves internationales et l'évolution monétaire interne. - L'analyse des flux de capitaux à court terme. - Le statut des mouvements de capitaux est particulier: tantôt ces flux sont rejetés au-dessous de la ligne et participent explicitement au financement du cc déséquilibre ))' tantôt ils errent au-dessus de la ligne au gré des différentiels d'intérêt et des anticipations de change. Mais la fonction des mouvements de capitaux se révèle plus complexe puisque, dans le cadre de marchés monétaires et financiers nationaux et internationaux de plus en plus intégrés, ils répondent aux besoins de financement des économies domestiques. 1. Cf. ,upra, premim partie.

180

La réponse

- L'approche monétaire de la balance des paiements. Une telle perspective tente de se présenter comme globale et synthétique : elle ne considère plus le solde de la balance en lui-même, ni pour eux-mêmes les mouvements de capitaux. Elle s'intéresse à la liaison logique et nécessaire entre déséquilibre réel, déséquilibre monétaire et déséquilibre extérieur. Ces trois approches de la balance par les soldes (dynamiques) ; par les flux1 (compensatoires) ; et par les identités (globales) à bien des égards diffèrent et prêtent le flanc à de nombreuses critiques. Mais dans ces divers cadres théoriques, la présence du monde extérieur ne se réduit pas à l'évolution d'une contrepartie, création monétaire et balance des paiements demeurent étroitement articulées.

A/ Un solde« dynamique» de la balance des paiements : LA DEMANDE DE RÉSERVES INTERNATIONALES

Dans l'imagerie traditionnelle, la balance des paiements ressemble à une construction dont les étages ne commuwqueraient pas entre eux. Ainsi que l'illustre le tableau simplifié ci-contre, chaque poste ou, du moins, chaque niveau (les biens, les capitaux à long termes, les capitaux à court terme) est influencé principalement par un groupe original de variables. A cette conception étagée de la balance des paiements correspond une perspective éclatée des politiques économiques : à chaque poste, à chaque ligne de la balance doit, à la limite, répondre un ensemble de mesures spécifiques. Cette approche ne I. li s'agit de l'approche, par les flux de capitaux, de la balance des paiements. Paradoxalement, nous verrons qu'une telle étude implique une analyse par les stocks et non par les flux (cf. infra, section B). La contradiction entre flux et stock n'est donc qu'apparente, elle se réfère à des niveaux différents d'analyse.

181

Déséquilibre monétaire et balance des paiements Titre11 de la balance

Variables principales

Biens

Prix relatifs Différentiel de taux d'intérêt Variation anticipée du taux de change

+

Capitaux à long terme

Capitaux à court terme

+

+ +

devient synthétique qu'au moment de tracer la ligne, de choisir un solde, de décider de la manière dont il sera financé. Une telle conception met l'accent sur la dimension essentiellement ex post de la balance : il s'agit d'apprécier le plus exactement possible 1 l'influence nette des relations extérieures d'un pays sur son stock monétaire interne. Ce solde, considéré dans son acception la plus restreinte et la plus mécanique, n'est généralement constitué que des seules réserves officielles. C'est ce solde, par essence dépendant et nullement autonome, qu'une importante lignée théorique analyse en termes actifs de gestion de portefeuille, de demande de réserves. En dépit de ce paradoxe, bien que limitée dans ses résultats chiffrés et critiquable dans ses méthodes, une telle approche est riche d'analogies et de correspondances suggérées. Des mercantilistes aux experts de la Société des Nations 2 ou du Fonds monétaire international, il existe toute une tradition de la pensée économique qui s'applique à répondre aux questions posées par les réserves internationales, leur utilisation, leur importance et leur répartition. Depuis une dizaine d'années, dans le cadre des multiples tentatives de réforme du système monétaire international, l'ampleur du problème s'est accrue. Il ne s'agit plus seulement I. Cf. supra, première partie. 2. Cf. League of Nations, Interim report of the Gold Delegation to the Financial Commiteee, Genève, 1930.

182

La réponse

de l'or, ni même de monnaies nationales ayant rôle de réserves, mais de la création ex nihilo de nouvelles liquidités internationales. L'offre de telles réserves n'est plus déterminée, comme dans le régime d'étalon-or, par la quantité de métal disponible. D'autre part, la double menace de l'inflation et de la récession devient chaque jour réalité plus lancinante. Il importe donc de définir, avec toute la précision possible, les besoins en réserves internationales des différents pays. Ainsi, la demande de liquidités semble remplacer la contrainte de l'or dans la détermination du niveau de croissance des réserves internationales. Cette fonction de demande est généralement décrite à deux niveaux : au niveau mondial et au niveau national. La demande mondiale de réserves demeure, en dépit des nombreuses études qui lui furent consacrées 1, une notion bien vague et qui ne concerne pas directement notre propos. Au contraire, l'analyse de la demande de réserves internationales exprimée par un pays particulier devrait permettre, tout en repérant un certain nombre d'erreurs méthodologiques significatives, d'aborder sous un jour nouveau l'influence des relations extérieures sur la masse monétaire. A priori, il peut sembler étrange d'exprimer les variations des réserves par une fonction de demande. En effet, les fluctuations de la position monétaire extérieure du secteur public apparaissent plus comme la conséquence nette des relations du pays avec l'extérieur que comme l'expression d'un désir. La plupart du temps, les autorités souhaitent seulement détenir un montant minimum de réserves qui les mette à l'abri de mouvements spéculatifs imprévus, de détériorations brutales de la balance commerciale. D'autre part, l'allocation des réserves entre les diverses I. Cf., par exemple, CLOWER and LIPSEY, The present state of International Liquidity Theory, American Economie Review, May 1968, pp. 586-595. FLEMING, Toward À•seuing the Need for International Re,ervn, Princeton University, Essay n° 58, février 1967. MACHLUP, The Need for l\lonetary Reserves, Banca Nazionale del Lavoro Quarter/y Review, sept. 1966, pp. 175-222. KEMP, World Reserve Supple• mentation, in International Reserves : Needs and Availability, IMF, Wa• hington, 1970, pp. 3-11.

Déséquilibre monétaire et balance des paiements

183

formes disponibles dépend moins de critères purement économiques, de processus très subtils de « maximisation d'utilité » que de décisions politiques. Ainsi en est-il pour les swaps, ainsi en fut-il pour la France du général de Gaulle qui, aux dollars, préférait l'or. Dans ces conditions, toute une série de modèles expliquant les variations du montant des réserves et de leur composition par de purs mécanismes d'ajustements de portefeuille ne semble pas apporter à la solution du problème une contribution décisive 1 • En ce domaine,l'application des théories de J. Tobin et H. Markowitz2 ne paraît pas d'une grande utilité car la réalité des comportements ne correspond guère aux schémas théoriques proposés. Cette limite, importante, n'est pas la seule. En effet, les chercheurs de ces dernières années semblent s'être donné le mot pour construire leur modèle de demande de réserves internationales sur des comparaisons fallacieuses ou des variables explicatives partielles. Ainsi, après avoir comparé cette demande de liquidités internationales à la demande d'encaisses réelles ; puis à la demande de réserves, telle que l'expriment les banques; les travaux les plus récents font dépendre des variations de la seule offre de monnaie les fluctuations des réserves.

I

I PREMIÈRE

ANALOGIE

:

LA DEMANDE D'ENCAISSES

La comparaison entre les deux fonctions de demande de monnaie et de demande de réserves internationales peut sembler, à première vue, riche d'enseignement. En effet, la demande 1. Cf. en particulier, KENEN, Reserve Asset Preferences of Central Banks and Stability of the Gold Exchange Standard, Princeton University, Essay n° 10, 1963. MAKIN, The composition of International Reserve Holdings, The Problem of Choice lnvolving Risk, American Economie Review, déc. 1971, pp. 818-832. STEKLER et PIEK.ARZ, Reserve asset Composition for Major Central Banks Oxford Economie Papers, juillet 1970, pp. 260-274. ' 2. H. MARKOWITZ, Portfolio Selection : E;fficienl diversification of lnvestments, New York, Wiley, 1959. J. TOBIN, Liquidity Preference as Behavior Toward Risk, Review of Economie Studies, février 1958, pp. 65-86.

184

La réponse

d'encaisses est un des domaines favoris de l'analyse économique. L'application aux réserves de ces schémas théoriques aujourd'hui très complets paraît donc s'imposer. En fait, la théorie employée pour justifier ces modèles hâtifs est très fruste : il s'agit seulement d'une nouvelle version de la théorie quantitative de la monnaie dans laquelle les importations auraient remplacé le revenu comme mesure des transactions. Ainsi est supposée une relation stable entre la demande de monnaie et le volume des transactions (c'est-à-dire en l'espèce des importations) exprimés en prix courants. En d'autres termes, la demande de réserves internationales dépend des importations de la même manière que, pour les ménages ou pour les firmes, la demande d'encaisses réelles dépend du revenu. C'est dans cet esprit que de très nombreux tests ont été effectués, dont la validité théorique reste, pour le moins, discutable.

I / La demande de réserves internationales et le& importations

La majeure partie des travaux sur la demande des réserves internationales, qu'ils concernent un pays particulier sur une longue période ou l'échantillon de quelques nations significatives, utilisent les importations comme variable explicative1 . Les moins sophistiqués, c'est-à-dire en général les plus anciens, analysent seulement la stabilité du rapport fondamental :

R

k=IM (R étant les réserves et IM les importations)

Ainsi, par exemple, R. Triffin remarque, à partir d'un échantillon représentatif des principales nations industrialisées, que le coefficient k tend à diminuer au cours de ces cinquante dernières années ; 1. Cf. par exemple, CLARK, Demand for International Reserve& : A crou Country Analysis, Canadian Journal of Economies, février 1970, PP: 577-~94. KELLY, The Demand for International Reserves, American Economie RevulW, septembre 1970, pp. 655-667.

Déséquilibre monétaire et balance des paiements

185

que le montant désiré serait égal à 40 % ; qu'à partir de 30 %, la majorité des pays mettent en œuvre des politiques sévères tendant à retrouver leur montant antérieur; que 20 % est considéré comme un plancher1. Mais curieusement, en dépit de la multitude des modèles ou des simples rapports arithmétiques qui utilisent toujours les importations, la méfiance semble grandir et se développer en même temps sur trois plans : d'une part, un certain nombre d'études officielles se méfient de l'utilisation d'un seul rapport ou d'une seule variable indépendante pour exprimer les besoins en réserves des différents pays 2 ; c'est pourquoi de nombreux auteurs utilisent d'autres variables explicatives avec lesquelles, souvent, ils obtiennent de meilleurs résultats qu'avec les importations3 ; enfin, l'attention est portée sur les régressions elles-mêmes pour tenter d'éliminer le plus possible les simples tautologies que masquent des formulations mathématiques plus ou moms complexcs 4 • Mais ces critiques, pour importantes qu'elles soient, ne remettent pas en cause l'analogie supposée exister entre la demande leurs économies par les prix et le., taux de change. Une telle stratégie d'homogénéité pourrait entrer en contradiction avec la logique des firmes multinationales. En fait, non seulement cette politique d'écluse s'avère inefficace pour résister aux effets de structure et de domination, mais elle aggrave les différences en favorisant les processus cumulatifs. De plus, la gestion globale des liquidités internes, généralement associée à ces politiques monétaires extérieures, accentue le procès de concentration : elle maintient les différences entre agents par le biais des frontières horizontales, des mobilités imparfaites des capitaux ; héritant, à la mort du système monétaire international, d'une part importante de la fonction d'ajustement des changes, les banques recueillent aussi les risques attachés à ce rôle : de crise en crise, il leur faut à leur tour se concentrer. Les principaux agents des politiques monétaires, les banques, suivent alors une logique dont l'assiette ne correspond plus guère à l'espace national. S'il existe des contradictions entre les espaces nationaux et le processus d'internationalisation du capital, elles ne se révèlent ni ne s'expriment au niveau des politiques économiques actuellement menées. Bien au contraire, le mode de régulation

Conclusion générale

279

glohalr choisi favorise les deux mécanismes articulés de conrrn• tration et d'internationalisation. On peut toujours déduire, cles frémissements du voile monétaire, les forces qu'il masque. Et comme ces objets réels collés sur les tableaux cubistes, le monde extérieur rappelle aux rêveries d'harmonie dome.,tiquc, aux songeries de régulation globale et neutre, que les antagonismes existent et des conflits d'enjeux essentiels.

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ABRÉVIATIONS

AER CJE

A nterican Econon1ic Review

Canadian Journal of Eco·

JPE QJE

namic.s

noniics

IER

I nlernational Economie Re· view

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