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French Pages 173 [181] Year 2001
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Epicure et les épicuriens
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Epicure et les épicuriens TEXTES CHOISIS PAR JEAN BRUN
Presses Universitaires de France
DU �ME AUTEUR Les stoïciens (Textes choisis et traduits), P.U.F., 5• M., 1974. Le stoïcisme, P.U.F., 7• éd., 1976 (coll. • Que sais-je ? », n° 770). L'épicurisme, P.U.F., 5• éd., 1974 (coll. • Que sais-je ? », n° 810). Platon et l'Académie, P.U.F., 5• éd., 1974 (coll. « Que sais-je ? », n° 880). Socrate, P.U.F., s• éd., 1973 (coll. • Que sais-je ? •, n° 899). Aristote et le Lycée, P.U.F., 3• M., 1970 (coll. • Que sais-je ? •, n° 928). Kierkegaard, L'Existence, textes traduits par P. TISSEAU et choisis par
Jean BRUN, P.U.F., 3• éd., 1972 (coll. « Les Grands Textes »).
Héraclite, ou le Philosophe de l'éternel retour, Editions Seghers, 1965
(épuisé).
Empédocle, ou le Philosophe de l'amour et de la haine, Editions Seghers,
1966 (épuisé).
Les présocratiques, P.U.F. _, 2• éd., 1973 (coll. • Que sais-je ? », n° 1319).
* Les conquêtes de l'homme et la séparation ontologique, P.U.F., 1961 (Biblio
thèque de Philosophie contemporaine).
La main et l'esprit, P.U.F., 1963 (Bibliothèque de Philosophie contem
poraine) (épuisé).
La main, Editions Delpire, 1968 (Diffusion Gallimard). Le retortr de Dionysos, 1re éd., Desclée & C1•, 1969; 2• éd., revue et
augmentée, Les Bergers et les Mages, 140, boulevard Saint-Germain, Paris 6°, 1976. La nudité humaine, A. Fayard, 1973.
Les vagabonds de l'Occident, L'expérience du voyage et la prison du Moi,
Desclée & C1•, 77, rue de Vaugirard, Paris 6°, 1976.
A la recherche du Paradis perdu, Lausanne, 1978. Les Rivages du Monde, Desclée & C1 •, 77, rue de Vaugirard, Paris 6•, 1979. Les Masques du Désir, Paris, Buchet-Chastel, 1981.
UBN 2 13 037183 3 6° édition mise à jour: 4• trimestre 1981 © Presses Universitaires de France, 1961 108, Bd Saint-Germain, 75006 Paris
AVERTISSEMENT LES TEXTES Selon Diogène Laërce, l'œuvre d'Épicure ne comprenait pas moins de 300 titres, dont un De la nature en 37 livres. De cet œuvre immense il nous reste fort peu de chose : 1) Diogène Laërce nous a conservé : une lettre à Hérodote, qui traite de la physique, une lettre à Pythoclès (d'une authenticité contestée) qui traite des météores, une lettre à Ménécée qui parle de la morale. Dans l'ouvrage de Diogène Laërce, ces trois lettres sont suivies de 40 sentences d'Épi cure (ou extraites de l'œuvre d'Épicure par un disciple) connues sous le nom de Maximes p;incipales (xuptcxt 86/;cxt) ; 2) En 1888, K. Wotke découvrit, dans un manuscrit de la Bibliothèque du Vatican, 81 maximes d'Épicure, quelques• unes • d'entre elles se trouvaient déjà dans les Maximes principales.
3) Les fouilles entreprises à Herculanum mirent à jour une bibliothèque épicurienne contenant le De la nature d'Épicure, mais l'état de l'ouvrage n'a pernùs qu'une publication de fragments très mutilés. Les éditions principales de ces textes sont les suivantes : H. UsENER, Epicurea (Leipzig, 1887) (cette édition sert toujours d'édition princeps, elle contient les lettres et Maximes principales ainsi que toute la doxographie d'Épicure); rééd. Rome, 1963. K. WoTKE, Gnomologium Vaticanum (in Wiener Studien, t. X, 1888). B. BIGNONE, Epicuro, Opere, Frammenti, Testimonanze (trad. con introd. e commen.) (Bari, 1919). P. von der MüHLL, Epicuri epistulae tres et ratae sententiae a
Laertio Diogene servatae, accedit gnomologium Epicurum Vaticanum (Leipzig, 1922). Cyril BAILBY, Epicurus, the extant remains (Oxford, 1926)
(texte, apparat critique, notes et traduction en anglais). A. VOGLIANO, Epicuri et Epicureorum scripta in Hercula nensibus papyris servata (Berlin, 1928).
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ÉPICURB ET LBS ÉPICURIBNS
- I frammenti del XIV libro 1tept qiuaeooç di Ep.' (Bologne, 1932). C. J. de VoGBL, Greek philosophy, a collection of texts with notes and explanations, vol. III : The Hellenistic Roman period (Leiden, 1959). Epicuro, opere, introduzione, testo critico, traduzione e note di Graziano ARruGHETTI (Turin, 1960).
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Les principales traductions françaises sont les suivantes : .O. HAMELIN a traduit les trois lettres d'Épicure dans la Revue de métaphysique et de morale, 1910, p. 397 sq. A. ERN0UT et L. ROBIN ont donné une traduction des lettres et maximes d'Épicure dans le t. I de leur commen taire au De rerum natura de Lucrèce. ÉPlCURB, Doctrines et maximes, traduites et accompagnées d'une note sur le clinamen, par Maurice SoL0VINE (Paris, 2281 après Épicure). .. DIOGÈNE LAËRCE, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres, trad. de R. GENAILLE, Paris, 1941 (liv. X), t. II, p. 197 sq. Marcel CONCHE, Epicure, lettres et maximes, Villers sur-Mer, Éditions de Mégare, 1977.
*
Disci�les d'Épicure : Diogenis Œnoandensis fragmenta, ordinavit et cxplicavit, J. WILLIAM, Leipzig, 1907. A. GRILLI, Diogenis Œnoandensis fragmenta, Milano, 1960. Martin FERGUS0N SMITH, Thirteen new Fragments of Diogenes of Œnoanda, Wien, 1974. PHILODÈME, De Vitiis liber decimus, Leipzig, 1853. - De pietate, liv. I, Berlin, 1879. - De Musica, Bonn, 1881-1884. - Ilept o!xovoµ(ocç, Leipzig, 1857. - De ira, Leipzig, 1914. - Ilept mxpp"l)a(w;, Leipzig, 1914. - Ilepl 1tot"l)µi:h·oov, Paris, 1840. - Ilepl -roü &yoc8oü � , à cause d'un certain mouvement en nous-mémes, qui est lié à la représentation intuitive, mals qui cependant possède une particularité qui engendre l'erreur (Glose).
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[5 1] Et les images qu'on voit, par exemple, dans un miroir, celles qui apparaissent dans le sommeil, celles qui sont contenues dans certaines notions de l'entendement, ou dans les autres critères, n'auraient pas de ressemblance avec les objets appelés réels et vrais, si ceux-ci ne les émet taient pas. Et l'erreur n'existerait pas, si nous n'éprouvions dans notre intérieur un certain mouvement qui est certes lié à la faculté imaginative, mais qui cependant présente une particularité distinctive ; si celle-ci n'est pas confirmée ou est infirmée, nous sommes dans l'erreur, mais si elle [52] est confirmée ou n'est pas infirmée, nous sommes dans le vrai. Il importe beaucoup de retenir ce principe, afin que les critères évidents ne soient pas détruits et que l'erreur, étant raffermie comme la vérité, ne mette tout en désordre. L'oufe
L'audition aussi a pour cause un courant partant d'un objet, qui produit soit un phonème, soit un son, soit un bruit ou une affection auditive quelconque. Ce courant se propage par parties semblables, qui gardent entre elles un certain rapport et une unité caractéristique, laquelle se rattache à l'objet émetteur et produit, le plus souvent, la sensation qui lui correspond, ou rend simplement manifeste (5 3] l'existence de l'objet extérieur. Car, sans un certain rapport avec celui-ci, une sensation de ce genre ne pourrait pas naître. Il ne faut pas, par conséquent, croire que l'air même soit modelé par la voix ou par des sons semblables - il s'en faut de beaucoup qu'il puisse en subir cette influence -, mais que la percussion qui se produit en nous, aussitôt que nous émettons un son, engendre une poussée de certains corpuscules qui forment un courant du même genre que le souffle, lequel nous procure la sensation auditive. L'odorat
Notons encore que, de même que l'objet sonore, l'objet odorant ne pourrait jamais produire de sensation, s'il ne , s'en détachait certaines particules propres à exciter l'organe olfactif : les unes d'une manière désordonnée et désagréable, les autres d'une manière ordonnée et agréable.
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III. - Propriétés des atomes
[54] Il faut en outre admettre que les atomes n'ont aucune autre qualité phénoménale en dehors de la pesan teur (�cxpoç), de la grandeur (µfys8oç), de la forme (axijµcx) et de tout ce qui est nécessairement inhérent à cette dernière. Car toute qualité change, les atomes, par contre, ne subis sent aucun changement, puisqu'il faut qu'il reste dans les dissolutions des composés quelque chose de solide et d'indissoluble, qui aura pour effet que les changements ne • finiront pas en non être et ne viendront pas du non être, mais, dans beaucoup de corps, des déplacements des atomes et aussi de leur augmentation et de leur diminution. Il en résulte avec nécessité que les éléments qui se dépla cent sont indestructibles et ne possèdent rien de la nature changeante ; ils ont des masses (oyxouç) et des formes [55) propres, qui sont nécessairement permanentes. Dans les choses, en effet, qui se transforment sous nos yeux, la forme est considérée comme leur étant inhérente ; mais il n'en est pas des qualités comme de cette dernière, qui disparais sent entièrement du corps qui change. Il ne faut pas croire non plus, si l'on ne veut pas se mettre en contradiction avec le témoignage des phénomènes, que les atomes puissent avoir toutes les grandeurs possibles (1) ; mais il faut admettre une certaine variété de ces dernières. • [5 6) En accordant ceci on pourra mieux expliquer les affec tions et les sensations. Il n'est même d'aucune utilité, pour rendre compte de la variété des qualités, de supposer l'existence de toute grandeur possible ; car alors il devrait y avoir des atomes visibles, ce qui ne s'est jamais produit et on ne voit pas comment cela pourrait jamais se produire. Il ne faut pas en outre croire qu'il puisse exister, dans le corps limité, des atomes en nombre infini et de n'importe • 'quelle grandeur. Il devient ainsi nécessaire non seulement de rejeter la divisibilité en parties de plus en plus ténues à l'infini, pour éviter que tout ce qui existe ne devienne débile et que nous ne soyons forcés, dans nos conceptions des masses atomiques, d'anéantir les choses à force de les réduire, mais aussi de ne pas admettre que, dans les corps (I) C'était le point de vue de Démocrite.
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limités, le passage d'un point à un autre puisse se faire à l'infini, ni même d'une partie à une partie toujours plus petite. . [57] Si quelqu'un s'avisait de dire qu'un corps fini contient des atomes en nombre infini et de n'importe quelle grandeur, on serait dans l'impossibilité de le compren dre. Car, comment un tel corps pourrait-il encore être d'une grandeur finie ? Il est, en effet, évident que les atomes en nombre infini doivent avoir une certaine grandeur ; or, quelles que soient leurs grandeurs, celle du corps devra de même être infinie. Étant donné, d'autre part, que le corps limité a une extrémité discernable, bien qu'elle ne soit pas visible en soi, on ne peut pas concevoir que celle qui vient à sa suite ne soit pas de même caractère et qu'en passant ainsi successivement d'une extrémité à une autre on puisse de la sorte aller, par la pensée, à l'infini. [58] Le minimum sensible (I) ne doit être conçu, ni comme étant de même nanu-e que le corps permettant le passage d'une partie à une autre, ni comme en étant complè tement différent, mais comme ayant une certaine commu nauté avec lui. Mais quand, par suite de la ressemblance résultant de cette dernière, nous croyons y distinguer quelque partie en deçà et au delà, ce doit être un minimum semblable qui se présente à nous. Nous considérons ces minima, en commençant par le premier, successivement et non dans l'ensemble, ni comme parties contiguës à d'autres, mais dans leur nature particulière et mesurant les grandeurs, étant plus nombreux dans les grandeurs considérables et moins nombreux dans les grandeurs moindres. Il faut supposer que le minimum dans l'atome est quelque chose [59] d'analogue. Car, bien qu'il soit manifeste qu'il se distingue du minimum sensible par sa petitesse, l'analogie est la même. C'est, en effet, par analogie avec les objets • sensibles que nous avons affirmé que l'atome a une gran deur, en réduisant la petitesse à l'extrême. (x) Épicure distingue entre le minimum sensible ("'o ÈÀ&;(tICURE ET LBS ÉPICURIENS
*
Si Dieu voulait écouter les vœux des hommes, il y a longtemps que tous auraient péri, étant donné qu'ils demandent sans cesse beaucoup de choses qui sont nuisibles à leurs semblables, [Us., 388.]
* Il est inutile de demander aux dieux ce qu'on peut se procurer par soi-même. (ÉP., 65.)
* Épicure pense que les hommes acquièrent la notion de dieu par des visions • pendant le sommeil. Car, quand de grandes images à forme humaine leur apparaissaient pen dant le sommeil, ils conjecturaient qu'il devait aussi y avoir dans la réalité de telles images à forme humaine. (SBXT. EMPIR., Adv. dogm., III (math., IX), 25 [Us., 353].)
* Épicure soutient que les dieux ont des formes humaines, mais qu'ils ne sont saisissables que par la raison, à cause de l'extrême ténuité des simulacres qui nous en proviennent. (AET., I, 7, 43 [Us., 355].)
* Ils [les dieux] sont doués de voix et nouent des relations familières. • Car, dit-il [Épicure], ils ne jouiraient pas d'une félicité supérieure et ne seraient pas plus à l'abri de la dissolution, si nous les concevions comme étant privés de voix et incapables de converser entre eux, ressemblant ainsi à des hommes muets. » (PHILOD., De victu deor., VH 1, VI, c. 13 [Us., 35 6].)
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Épicure n'admet ni démons, ni héros. (AET., I, 8 [Us., 393].)
*
Tu te refuses aussi à croire que les dieux habitent aucune des régions du monde. Les dieux sont des substances déliées que les sens ne peuvent apercevoir, que l'âme elle-même saisit à peine. Si donc ils se dérobent au contact
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de nos mains, ils ne doivent toucher aucun des objets soumis à notre tact, puisqu'il est interdit de toucher à ce qui est intangible de sa nature. Leur séjour doit donc être bien différent du nôtre, et aussi subtil que leurs corps ; vérité que je prouverai dans la suite avec plus d'étendue. Dire que les dieux ont établi en notre faveur le bel ordre de la nature, que par conséquen_t nous devons bénir et croire immortel l'ouvrage de leurs mains, et que c'est un crime de saper par des discours audacieux les fondements de cet édifice indestructible que la sagesse divine a construit · pour l'espèce humaine, de pareilles fables, ô Memmius ! sont le comble de la folie. Quel bien notre reconnaissance pouvait-elle procurer à ces êtres immortels et fortunés, pour les déterminer à faire de nos plaisirs communs la fin de leurs travaux ? Tranquilles de toute éternité, quel nouvel intérêt, au bout d'un si grand nombre de siècles, aurait pu leur faire souhaiter de changer d'état ? Le chan gement n'est désirable que pour ceux dont le sort est mal heureux ; mais dans des êtres qui, durant les siècles précé dents, n'avaient jamais connu l'infortune, et dont la vie coulait dans une sérénité continuelle, qui aurait pu allumer le désir de la nouveauté ? Dira-t-on qu'ils languissaient dans les ténèbres et dans l'abattement, jusqu'au moment où l'on vit briller l'éclat de la nature naissante ? Et nous-mêmes, était-ce un malheur pour nous de n'être pas nés ? Quiconque est entré dans le séjour de la vie doit désirer d'y rester, tant que la douce volupté l'y retient ; mais à qui n'a jamais goûté le plaisir d'exister, qu'importe de n'être point venu au monde ? D'ailleurs, pour faire le monde et les hommes, d'où les dieux en ont-il tiré le modèle et l'idée même de l'homme, sans laquelle ils ne pouvaient concevoir clairement le projet qu'ils voulaient exécuter ? Qui leur a fait connaître les qualités des atomes, et ce que peuvent leurs différentes combinaisons, sinon la marche même de la nature ? Car, depuis une infinité de siècles, les éléments innombrables de la matière, frappés par des chocs étrangers, entraînés par leur propre poids, se sont mus avec rapidité, se sont assemblés de mille façons diverses, ont enfin tenté toutes les combinaisons propres à former des êtres ; de sorte qu'il n'est pas surprenant qu'à la fin ils aient rencontré l'ordre·
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et les mouvements dont notre monde est le résultat, et qui le renouvellent tous les jours. Mais quand même je ne connaîtrais pas la nature des éléments, j'oserais assurer, à la simple vue du ciel et de la nature entière, qu'un tout aussi défectueux n'est point l'ouvrage de la Divinité (1). D'abord ce globe qu'environne la voûte céleste est en grande partie occupé par des montagnes et des forêts abandonnées aux bêtes féroces, par des rochers stériles, d'immenses marais, et la mer, dont les vastes circuits res serrent les continents. Presque deux parties de ce même globe nous sont interdites par des ardeurs brûlantes et les glaces continuelles qui les couvrent. Ce qui reste de terrain, la nature, abandonnée à elle-même, le hérisserait de ronces; si l'industrie humaine ne luttait sans cesse contre elle, si le besoin de vivre ne nous forçait à gémir sous de pénibles travaux, à déchirer la terre par l'empreinte du soc, à féconder la glèbe et à dompter le sol ingrat, pour exciter les germes qui ne peuvent d'eux-mêmes se développer et se montrer au jour. Encore trop souvent ces fruits conquis par tant de travaux, à peine en herbe ou en fleurs, sont brûlés par des chaleurs excessives, emportés par des orages subits, détruits par des gelées fréquentes, ou tourmentés par le souffle violent des aquilons. Et les bêtes féroces, ces cruels ennemis du genre humain, pourquoi la nature se plaît-elle à les multiplier et à les nourrir sur la terre et dans les ondes ? Pourquoi chaque saison nous apporte-t-elle ses maladies ? Pourquoi tant de funérailles prématurées ? Semblable au matelot que la tempête a jeté sur le rivage, l'enfant qui vient de naître est étendu à terre, nu, incapable . de parler, dénué de tous les secours de la vie, dès le moment que la nature l'a arraché avec effort du sein maternel pour lui faire voir la lumière : il remplit de ses cris plaintifs le lieu de sa naissance ; et il a raison sans doute, le malheureux à qui il reste une si vaste carrière de maux à traverser. Au contraire, les troupeaux de toute espèce et les bêtes féroces croissent sans peine ; ils n'ont besoin ni du hocher bruyant, ni du langage enfantin d'une nourrice caressante, ni de (1) Tout Je passage qui début� ici est une critique du finalisme stoïcien.
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vêtements différents pour les différentes saisons. Il ne leur faut ni armes pour défendre leurs biens, ni forteresses pour les mettre à couvert, puisque la terre et la nature fournissent à chacun d'eux toutes choses en abondance. (LUCRÈCE, • V, v. 146-234.)
*· La divination.
Il rejette complètement la divination, aussi bien dans le
Petit Épitomé que dans ses autres écrits. Car l'art de prédire
l'avenir n'existe pas, et, même s'il existait, il ne serait pas possible de diriger les choses à venir au gré de notre volonté. Voilà ce qu'il dit au sujet de la conduite dans la vie, ailleurs il s'exprime là-dessus d'une façon plus détaillée. (DIOGÈNE • LAËRCB, X, 135.)
*
De rien Épicure ne se moque autant que de la prédiction des événements futurs. (Cic., De nat. deor., II, 65, 162 [Us., 395, p. 261, 8].) La piété.
Sacrifions pieusement et honnêtement, selon les conve nances, et accomplissons tout le reste selon les coutumes, sans nous laisser troubler dans nos opinions concernant les choses les plus parfaites et les plus augustes. Nous l'exigeons en vertu de l'opinion que j'ai exprimée ; il devient de la sorte possible à l'être mortel de vivre à la manière [d'un dieu]. (PHILOD., De sanct., VH2, II, 108, 9 [Us., 387].)
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La divinité n'a pas besoin de vénération, mais il nous est naturel de la vénérer au plus haut degré par des conceptions pieuses, ensuite conformément à ce qui nous a été en partie transmis par les ancêtres. (PHILOD., De musica, VH 1, I, c. 4, 6 [Us., 386].)
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Le sage, dit Épicure, adorera les dieux. (PHILOD., De sanct., VHz, II, 108 [Us., 12].)
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* Mais il apparaîtra qu'Épicure a observé toutes les prescriptions et qu'il a recommandé aux amis de le faire, n,on pas en vertu des lois, mais en vertu de causes physiques. C'est le propre de la sagesse, dit-il dans l'ouvrage Sur la manière de vivre, de prier, non pas parce que les dieux se fâcheraient, si nous ne le faisions pas, mais en vertu de l'idée que la Nature nous surpasse par la force et l'impor tance. (PHILOD., De sanct., VH 2, II, II O [Us., 13].)
* Maintenant quelle cause a répandu chez tous les peuples de la terre la croyance de l'existence des dieux, a rempli les villes d'autels, a institué les cérémonies religieuses, ces pompes augustes partout en usage aujourd'hui, • et qui précèdent toutes les entreprises importantes ? Quelle est aussi l'origine de ces sombres terreurs dont les mortels sont pénétrés, qui tous les jours élèvent de nouveaux temples sur toute la face de la terre et instituent des fêtes en l'honneur des immortels ? C'est ce qu'il n'est pas difficile d'expliquer. Dès ces premiers temps, les hommes voyaient, même en veillant, des simulacres surnaturels, que l'illusion du som meil exagérait encore à leur imagination. Ils leur attribuaient du sentiment, parce que ceux-ci paraissaient mouvoir leurs membres et parler d'un ton impérieux, proportionné à leur port majestueux et à leurs forces démesurées. Ils les supposaient immortels, parce que, la beauté des dieux étant inaltérable, ces fantômes célestes se présentaient toujours à eux sous les mêmes traits, et parce que, avec des forces aussi grandes, on ne croyait pas qu'aucune action destructive pût jamais triompher d'eux. On ne doutait pas non plus qu'ils ne fussent parfaitement heureux, parce que la crainte de la mort ne leur inspirait aucune alarme, et parce qu'on leur voyait en songe opérer un grand nombre de merveilles sans aucune fatigue de leur part. D'un autre côté, les hommes, en remarquant l'ordre constant et régulier du ciel et le retour périodique des saisons, ne pouvaient pénétrer les causes de ces phénomè nes ; ils n'avaient d'autre ressource que d'attribuer tous ces
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effets aux dieux, et d'en faire les arbitres souverains de la nature. Ils placèrent la demeure et le palais des immortels dans les cieux, parce que c'est là que le soleil et la lune paraissent faire leur révolution, parce que de là nous viennent le jour et la nuit, et les flambeaux errants qui brillent dans les ténèbres, les feux volants, les nuages, la rosée, les pluies, la neige, les vents, la foudre, la grêle et le tonnerre rapide au murmure menaçant. Hommes infortunés d'avoir attribué tous ces . effets à la divinité et de l'avoir armée d'un courroux inflexible ! Que de gémissements il leur en a dès lors coûté ! Que de plaies ils nous ont faites I Quelle source de larmes ils ont ouverte à nos descen dants 1 La piété ne consiste pas à se tourner souvent, la tête voilée, devant une pierre, à fréquenter tous les temples, à se pros terner contre terre, à élever ses mains vers les statues des dieux, à inonder les autels du sang des animaux, à enchaîner les vœux à d'autres vœux, mais bien plutôt à regarder tous les événements d'un œil tranquille. En effet, quand on contemple au-dessus de sa tête ces immenses voûtes du monde et ces étoiles qui brillent dans l'azur éthéré, quand on réfléchit sur le cours réglé du soleil et de la lune, alors une inquiétude que les autres maux de la vie semblaient avoir étouffée se réveille tout à coup au fond des cœurs ; on se demande s'il n'y aurait pas quelque divinité toute puissante qui mût à son gré ces globes éclatants. L'igno rance des causes rend l'esprit perplexe et vacillant : on recherche si le monde a eu une origine, s'il doit avoir une fin, jusqu'à quand il pourra supporter la fatigue continuelle • d'un mouvement journalier, ou si, assuré par les dieux de l'immortalité, il pourra pendant une infinité de siècles braver les efforts puissants d'une éternelle durée. Mais, outre cela, quel est le cœur qui ne soit pas troublé par la crainte des dieux ? Quel est l'homme dont les membres glacés d'effroi ne se traînent, pour ainsi dire, en rampant, lorsque la terre embrasée tremble sous les coups redoublés de la foudre, lorsqu'un murmure épouvantable parcourt tout le ciel ? Les peuples et les nations ne sont-ils pas consternés, et le superbe despote, frappé de crainte, n'em brasse-t-il pas étroitement les statues de ses dieWt, trem-
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blant que le moment redoutable ne soit arrivé d'expier ses actions criminelles, ses ordres tyranniques ? Et quand les vents impétueux, déchaînés sur les flots, balayent devant eux le commandant de la flotte avec ses légions et ses éléphants, ne tâche-t-il pas d'apaiser la Divinité par ses vœux, et d'obtenir à force de prières des vents plus favo rables ? Mais en vain : emporté par un tourbillon violent, il n'en trouve pas moins la mort au milieu des écueils ; tant il est vrai qu'une certaine force secrète ·se joue des événements humains et paraît se plaire à fouler aux pieds la hache et les faisceaux ! Enfin, quand la terre entière vacille sous nos pieds, quand les villes ébranlées s'écroulent ou menacent ruine, est-il surprenant que l'homme plein de mépris pour sa faiblesse, reconnaisse une puissance supérieure, une force surnaturelle et divine qui règle à son gré l'univers ? (LUCRÈCE, V, v. 1 161-1240.)
LA . MORALE . To �8Lx6v LBTTRB A MBNBCÉB SUR LA MORALE
Épicure à Ménécée salui. La philosophie
[122] Quand on est jeune il ne faut pas hésiter à s'adonner à la philosophie, et quand on est vieux il ne faut pas se lasser d'en poursuivre l'étude, Car personne ne peut soutenir • qu'il est trop jeune ou trop vieux pour acquérir la santé de l'âme. Celui qui prétendrait que l'heure de philosopher . n'est pas encore venue ou qu'elle est déjà passée, ressem blerait à celui qui dirait que l'heure n'est pas encore arrivée d'être heureux ou qu'elle est déjà passée. Il faut donc que le jeune homme aussi bien que le vieillard cultivent la philo sophie : celui-ci pour qu'il se sente rajeunir au souvenir des biens que la fortune lui a accordés dans le passé, celui-là pour être, malgré sa jeunesse, aussi intrépide en face de l'avenir qu'un homme avancé en âge. Il convient ainsi de s'appliquer assidftment à tout ce qui peut nous procurer la félicité, s'il est vrai que quand elle est en notre possession nous avons tout ce que nous pouvons avoir, et '.que quand elle nous manque nous faisons tout pour l'obtenir. Les d1'eux
(123] Tâche, par conséquent, de mettre à profit et d'appli quer les enseignements que je n'ai cessé de t'adresser, en te pénétrant de l'idée que ce sont là des p,;incipes nécessaires J, BRUN
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pour vivre comme il faut. En premier lieu, regarde la divi nité comme un être immortel et bienheureux, ce qu'indique déjà la façon ordinaire de la concevoir. Ne lui attribue rien qui soit en opposition avec son immortalité ou incompatible avec sa béatitude. Il faut que l'idée que tu te fais d'elle contienne tout ce qui est capable de lui conserver l'immor talité et la félicité. Car les dieux existent et la connaissance qu'on en a est évidente, mais ils n'existent pas de la façon - dont la foule se les représente. Celle-ci ne garde jamais à leur sujet la même conception. Ce n'est pas celui qui rejette les dieux de la multitude qui doit être considéré [124) comme impie, mais celui qui leur attribue les fictions de la foule. En effet, les affirmations de cette dernière ne reposent pas sur des notions évidentes, mais sur des conjec tures trompeuses. De là vient l'opinion que les dieux causent aux méchants les plus grands maux et qu'ils octroient aux bons les plus grands biens. Toujours prévenus en faveur de leurs propres vertus, les hommes approuvent ceux qui leur ressemblent et considèrent comme étrange ce qui diffère de leur manière d'agir. La mort Familiarise-toi avec l'idée que la mort n'est rien poUl' nous, car tout bien et tout mal résident dans la sensation ; or, la mort est la privation complète de cette dernière. Cette connaissance certaine que la mort n'est rien poUl' nous a pour conséquence que nous apprécions mieux les joies que nous offre la vie éphémère, parce qu'elle n'y ajoute pas une durée illimitée, mais nous ôte au contraire le désir d'immortalité. En effet, il n'y a plus d'eff1'oi dans la vie pour celui qui a [125] réellement compris que la mort n'a rien d'effrayant. Il faut ainsi considérer comme un sot celui qui dit que nous craignons la mort, non pas parce qu'elle nous afflige quand elle arrive, mais parce que nous souffrons déjà à l'idée qu'elle arrivera un jour. Car si une chose ne nous cause aucun trouble par sa présence, l'inquiétude qui est attachée à son attente est sans fondement. Ainsi, celui des maux qui fait le plus frémir n'est rien pour nous, puisque tant que nous existons la mort n'est pas, et que quand la mort est là nous ne sommes plus. La mort n'a, par conséquent, aucun rapport ni avec les vivants ni avec les morta, étant
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donné qu'elle n'est rien pour les premiers et que les derniers ne sont plus. La foule tantôt fuit la mort comme le plus grand des [126] maux, tantôt < la désire > comme le terme < des misères > de la vie. < Le sage, par contre, ne fait pas fi de la vie > et ne craint pas la mort, car la vie ne lui est pas à charge et il ne considère pas la non-existence comme un mal. En effet, de même qu'il ne choisit certainement pas la nourriture la plus abondante, mais celle qui est la plus agréable, pareillement il ne tient pas à jouir de la durée la plus longue, mais de la durée la plus agréable. Celui qui proclame qu'il appartient au jeune homme de bien vivre et au vieillard de bien mourir, est passablement sot, non seulement parce que la vie est aimée [de l'un aussi bien que de l'autre], mais surtout parce que l'application à bien vivre ne se distingue pas de celle à bien mourir. Plus sot est encore celui qui dit que le mieux · c'est de ne pas naître, Mais lorsqu'on est né, de franchir au plus vite les portes de !'Hadès (1).
[127] S'il parle ainsi par conviction, pourquoi alors ne sort-il pas de la vie ? Car cela lui sera facile, si vraiment il a fermement décidé de le faire. Mais s'il le dit par plai santerie, il montre de la frivolité en un sujet qui n'en - comporte point. Il convient de se rappeler que l'avenir n'est ni entièrement en notre pouvoir ni tout à fait hors de nos prises, de sorte que nous ne devons ni compter sur lui, comme s'il devait arriver sûrement, ni nous priver de tout espoir, comme s'il ne devait certainement pas arriver. Différentes sortes de désirs
Il faut se rendre compte que partni nos désirs (èm6uµCo:L) les uns sont naturels (cpuatxo:C), les autres vains (xEVo:l), et que parmi les premiers il y en a qui sont nécessaires (&vo:y xo:îo:L) et d'autres qui sont naturels seulement. Partni les nécessaires il y en a qui le sont pour le bonheur (e:ûao:LµovCo:), d'autres pour la tranquillité continue (à.ox);11alo:) du corps, [128l d'autres enfin pour la vie même. Une théorie non erronée de ces désirs sait en effet rapporter toute préférence (r) Vers (427) de Théognis de Mégare, poête . élégiaque, qui vivait dans la seconde moitié du vr• siêcle.
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et toute aversion à la santé du corps et à la tranquillité < de l'âme >, puisque c'est là la perfection même de la vie • heureuse. Car tous nos actes . visent à écarter de nous la souffrance et la peur. Lorsqu'une fois nous y sommes parvenus, la tempête de l'âme s'apaise, l'être vivant n'ayant plus besoin de s'acheminer vers quelque chose qui lui manque, ni de chercher autre ·chose pour parfaire le bien • de l'âme et celui du- corps. C'est alors en effet que nous • . • éprouvons le besoin du plaisir quand, par suite de son absence, nous éprouvons de la douleur ; < mais quand nous ne souffrons pas >, nous n'éprouvons plus le besoin . du plaisir. Le plaisir Et c'est pourquoi nous disons que le plaisir est le commen [129] cement et la fin de la vie heureuse. C'est lui en effet . que nous avons reconnu comme bien principal et conforme à notre nature, c'est de lui que nous partons pour déterminer ce qu'il faut choisir et ce qu'il faut éviter, et c'est à lui que nous avons finalement recours lorsque nous nous servons de la sensation comme d'une règle pour apprécier tout bien qui s'offre. Or, précisément parce que le plaisir est notre bien principal et inné, nous ne recherchons pas tout plaisir ; il y a des cas où nous passons par-dessus beaucoup de plaisirs s'il en résulte pour nous de l'ennui. Et nous jugeons beaucoup de douleurs préférables aux plaisirs, lorsque des souffrances que nous avons endurées pendant - longtemps il résulte pour nous un plaisir plus élevé. Tout plaisir est ainsi, de par sa nature propre, un bien, mais tout . plaisir ne doit pas être recherché ; pareillement, toute douleur est un mal, mais toute douleur n� doit pas être (130] évitée à tout prix. En tout cas, il convient de décider de tout cela en comparant et en examinant attentivement ce qui est utile et ce qui est nuisible, car nous en usons parfois avec le bien comme s'il était le mal, et avec le mal comme s'il était le bien. Se suffire à soi-même et se contenter de peu C'est un grand bien, à notre sens, de savoir se suffire à soi-même, non pas qu'il faille toujours vivre de peu, mais afin que, si nous ne possédons pas beaucoup, nous sachions
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nous contenter de peu, bien convaincus que ceux-là jouis sent le plus de l'opulence qui ont le moins besoin d'elle. Tout ce qui est naturel est aisé à se procurer, mais tout ce qui est vain est difficile à avoir. Les mets simples nous procurent autant de plaisir qu'une table somptueuse, si [1 3 1] toute souffrance causée par le besoin est supprimée. Le pain d'orge et l'eau nous causent un plaisir extrême, si le besoin de les prendre se fait vivement sentir. L'habitude, par conséquent,- de vivre d'une manière simple et peu coûteuse offre la meilleure garantie d'une bonne santé ; elle permet à l'homme d'accomplir aisément les obligations nécessaires de la vie, le rend capable, quand il se trouve de temps en temps devant une table somptueuse, d'en mieux jouir et le met en état de ne pas craindre les coups du sort. Quand donc nous disons que le plaisir est notre but ultime, nous n'entendons pas par là les plaisirs des débauchés ni ceux qui se rattachent à la jouissance maté rielle, ainsi que le disent les gens qui ignorent notre doctrine, ou qui sont en désaccord avec elle, ou qui l'interprètent dans un mauvais sens. Le plaisir que nous avons en vue est caractérisé par l'absence de souffrances corporelles et de troubles de l'âme. [132] Ce ne sont pas les beuveries et les orgies continuelles, les jouissances des jeunes garçons et des femmes, les pois sons et les autres mets qu'offre une table luxueuse, qui r engendrent une vie heureuse, mais la raison vigilante, qui rt:cherche minutieusement les motifs de ce qu'il faut choisir et de ce qu'il faut éviter et qui rejette les vaincs opinions, grâce auxquelles lè plus grand trouble s'empare des âmes. De tout cela la sagesse (cpp6vl)mç) est le principe et le plus grand des biens. C'est pourquoi elle est même plus précieuse que la philosophie, car elle est la source de toutes les autres vertus, puisqu'elle nous enseigne qu'on ne peut pas être heureux sans être sage, honnête et juste, < ni être sage, honnête et juste sans être heureux. Les vertus, en effet, ne font qu'un avec la vie heureuse et celle-ci est inséparable d'elles. [133] Conçois-tu maintenant que quelqu'un puisse être supérieur au sage, qui a sur les dieux des opinions pieuses, qui est toujours sans crainte à la pensée de la mort, qui
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• est arrivé à comprendre quel est le but de la nature, qui sait pertinemment que le souverain bien est à notre portée et facile à se procurer et que le mal extrême, ou bien ne dure pas longtemps, ou bien ne nous cause qu'une peine légère,
Destin et hasard Quant au destin, que certains (1) regardent comme le [134] maître de tout, le sage en rit (a) . En effet, mieux vaut encore accepter le mythe sur les dieux que de s'asservir au destin des physiciens. Car le mythe nous laisse l'espoir de nous concilier les dieux par les honneurs que nous leur rendons, tandis que le destin a le caractère de nécessité inexorable. En cc qui concerne le hasard (-rux1l), le sage ne ie considère pas, à la manière de la foule, comme un dieu, car rien n'est accompli par un dieu d'une façon désordonnée, ni comme une cause instable. Il ne croit pas que le hasard distribue aux hommes, de manière à leur procurer la vie heureuse, le bien ou le mal, mais qu'il leur fournit les éléments des grands biens ou des grands [135] maux. Il estime qu'il vaut mieux mauvaise chance en raisonnant bien que bonne chance en raisonnant mal. Certes, ce qu'on peut souhaiter de mieux dans nos actions, c'est que la réalisation du jugement sain soit favorisée par le hasard . . Médite, par conséquent, toutes ces choses et celles qui . sont de même nature. Médite-les jour et nuit, à part toi et avec ton semblable. Jamais alors ni en état de veille ni en songe, tu ne seras sérieusement troublé, mais tu vivras comme un dieu parmi les hommes. Car celui qui vit au Inilieu de biens impérissables ne ressemble en rien à un être mortel. (DIOGÈNE LAËRCB, X, 122-135.)
(I) n s'agit naturellement des Storciens. (a} < Ailleurs il dit que certaines choses sont produites par la n�té >, d'autres par le hasard, d'autres enfin par nous-mêmeS: Et c'est pourquoi la nécessité règne souverainement, tandis que le hasard est inconstant et que notre volonté ne reconnaît aucune autorité extérieure, ce qui fait que le blâme et son contraire s'adressent à elle (Scholie).
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[136] Sa conception du plaisir diffère de celle des Cyré naïques. Ceux-ci, en effet, n'admettent pas le plaisir stable (xoc-ra.aTI)µa.-rtx-fi), mais seulement le plaisir mobile (lv XLVl)a&L), Épicure soutient qu'il y a des plaisirs de l'âme aussi bien que des plaisirs du corps. Cette opinion se trouve exprimée dans l'ouvrage intitulé Sur ce qu'il faut choisir et sur ce qu'il faut éviter, dans celui qui porte le titre Sur le but de la vie, dans le premier livre de l'ouvrage intitulé Sur la mani�re de vivre et dans la lettre adressée aux amis de Mytilène. Et c'est ce qu'affirment aussi Diogène dans le dix-septième livre de ses Traités choisis et Métrodore dans le Timocrate en disant : on peut concevoir le plaisir comme résidant soit dans le mouvement soit dans le repos. Mais :8picure s'exprime ainsi dans son ouvrage intitulé Sur et qu'il faut choisir : la parfaite tranquillité de l'âme (ataraxie) et l'absence de douleur sont des plaisirs stables, tandis que la joie et la gaîté sont des plaisirs mobiles. [137] Il diffère en outre des Cyrénaïques en ce que ceux-ci soutiennent que les souffrances du corps sont plus pénibles que celles de l'âme, étant donné que les criminels ne sont touchés que par le châtiment corporel. Épicure, au contraire, affirme que ce sont les souffrances de l'âme qui sont plus pénibles. La chair, en effet, ne souffre que du présent, tandis que l'âme souffre du passé, du présent et de l'avenir. Il suit de là que les plaisirs de l'âme sont aussi plus grands que ceux du corps. Epicure prouve que le plaisir est le but de la vie par le fait que les etres vivants, dès qu'ils sont nés, se complaisent dans le plaisir et évitent toute peine, et cela par une réaction purement physique, sans aucune intervention du raisonnement. C'est ainsi que, par l'effet du sentiment personnel, nous fuyons la douleur, comme le fait par exemple Héraclès quand, dévoré par la tunique,
il pousse des cris déchirants et hurle de douleur ; les rochers tout autour, les promontoires montagneux des Locriens et les hauteurs d'Eubée font entendre un son gémissant (1).
[138 ) C'est pourquoi il faut acquérir les vertus pour les plaisirs qu'elles nous procurent et non pour elles(I) SoPHOCLE, Les T,acllinien!JU,
v. 787-8.
ÉPICURE BT LBS ÉPICURIENS mêmes, comme on apprécie la médecine pour la santé qu'elle nous donne. Diogène [de Tarse] dit la même chose dans le vingtième livre de ses Traités choisis et affirme également que l'éducation s'étend sur toute la durée de la . vie. Épicure soutient en outre que seule la vertu est insé parable du plaisir, tandis que tout le reste peut en être séparé, comme par exemple la nourriture. (DIOGÈNE LAËRCB, X, 135-138.)
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Ils disent qu'il y a deux affections : le plaisir et la douleur, que tout être vivant éprouve ; le premier est conforme à la nature, la dernière lui est étrangère. A leur aide on peut distinguer parmi les choses celles qu'il faut choisir et celles qu'il faut éviter. (DIOGÈNE LAËRCB, X, 34.)
* La limite de la grandeur des plaisirs est l'élimination de tout ce qui provoque la douleur. Là en effet où se trouve le plaisir, et aussi longtemps qu'il s'y trouve, il y a absence de douleur ou de chagrin, ou des deux à la fois. (ÉP., III.)
* Le principe et la racine de tout bien, c'est le plaisir du • ventre (71 Tijç ycxa-rpbç 718ov-fi) ; c'est _à lui que se ramènent et les biens spirituels et les valeurs supérieures. (ATI-ŒN., Deipnosoph., XII, p. 546/ [Us., 409].)
* Le parfait état de la chair et l'espoir justifié qu'on le , conservera toujours offrent à ceux qui sont capables de réflexion la joie la plus grande et la plus constante. (PLUT., Contra Epic. beat., 4 [Us., 68].)
* Aucun plaisir n'est en soi un mal, mais certaines choses capables d'engendrer des plaisirs apportent avec elles plus de maux que de plaisirs. (ÉP., VIII.)
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* Si tout plaisir pouvait s'accumuler, s'il persistait dans le temps et s'il était attaché à tout l'agrégat atomique, ou aux principales parties de notre nature, alors les plaisirs ne différeraient pas entre .eux. (ÉP., IX.)
* Si les choses qui procurent des plaisirs aux gens dissolus pouvaient délivrer l'esprit des angoisses qu'il éprouve au sujet des phénomènes célestes, de la mort et des souffrances; · et si en outre elles nous enseignaient la limite des désirs, nous ne trouverions rien à reprendre en eux, puisqu'ils seraient comblés de plaisirs sans aucun mélange de douleur • • ni de chagrin, lesquels constituent précisément le mal. · (ÉP., X.)
*. Le plaisir dans la chair ne peut s'accroître une fois que la douleur causée par le besoin est supprimée, il peut seulement se diversifier. Et la suprême joie de l'esprit vient de l'investigation de ces choses et de celles de même nature, qui lui , ont causé les plus grandes inquiétudes. (ÉP., XVIII.)
* La chair considère les plaisirs comme étant illimités, et il faudrait un temps infini pour la satisfaire. Mais l'en tendement, qui a déterminé le but et les bornes de la chair, et qui nous a délivrés de la crainte à l'égard de l'éternité, nous a procuré une vie parfaite et nous n'avons plus besoin d'une durée infinie. Il ne fuit cependant pas le plaisir et, quand les circonstances nous obligent à sortir de la vie, il ne se croit pas privé de ce que la vie offrait de mieux. (ÉP., XX.)
* Aucun plaisir n'est en soi un mal, mais certaines choses capables de nous procurer des plaisirs apportent avec elles plus de maux que de plaisirs. (ÉP., 5 0.)
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* Ce n'est pas le - ventre qui est insatiable, comme le croit la multitude, mais la fausse opinion qu'on a de sa capacité indéfinie. {ÉP., 59.)
*· Dans toutes les autres occupations, la jouissance vient à la suite des travaux accomplis avec effort, mais en philo sophie le plaisir est simultané à la connaissance. Cc n'est pas, en effet, après la recherche que nous éprouvons de la joie, mais pendant la recherche m!me. {ÉP., 27.)
* La chair demande impérieusement de ne pas souffrir de la faim, de la soif et du froid. Celui qui est à l'abri de ces besoins et qui a l'espoir de l'être dans l'avenir peut rivaliser de félicité avec Zeus. {ÉP., 33.)
* Je m'épanouis de plaisir corporel en me nourrissant de pain et d'eau et je méprise les plaisirs, non pour eux-m!mes, mais à cause des ennuis qui les suivent. (STOB., Fior., XVII, 34 [Us., 1 8 1).)
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Vous avez pris soin de moi d'une façon divine et magnifique en m'envoyant du blé, et vous m'avez montré des mar ques de générosité qui s'étendent jusqu'au ciel. (ÉP., A ldo mlnle (1), apud PLUT., Contra Epic. beat., 15 [Us., 1 83) .)
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Je prêche des plaisirs durables (-i)8ovaç auvextiç) et non des vertus creuses et vaines qui font naître l'espoir d'obtenir des avantages mêlés de trouble. (8P., A Anaxarqiu [Us ., n6].) (r ) Disciple d'Épicure naW de Lampsaque, c'est à lui qu'Épicure adressa une de ses demi� lettres avant de mourir (cf. p. 24).
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* Il faut estimer le beau, les vertus, et autres choses semblables, s'ils nous procurent du plaisir, autrement non. (ATHBN., Deipnosoph., XII [Us.� 70] .)
* Les grandes souffrances te font périr en peu de temps et les souffrances chroniques ne sont pas grandes. (PLUT., De poet. aud., c. 14 [Us., 447] .)
* La douleur ne persiste pas longtemps dans la chair ; celle qui est aiguë dure très peu de temps, et celle qui est supportable, mais qui surpasse le plaisir de la chair, dure peu de jours. En effet, les maladies qui se prolongent permettent à la chair d'éprouver plus de plaisir que de douleur. (EP., 3 .)
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Certaines douleurs physiques peuvent nous servir à nous mettre en garde contre les douleurs de m�mc nature. (EP., 73,) . .
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Celui qui connaît parfaitement bien les limites que la vie nous trace sait combien il est facile de se procurer cc qui supprime la douleur, causée par le besoin, et rend la vie tout entière parfaite, de sorte qu'il n'a plus besoin de choses dont l'acquisition exige l'effort. (EP., XXI.) ,.
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Nous naissons une fois et il ne faut pas s'attendre à naitre encore une fois ; il s'ensuit, par conséquent, que la durée éternelle n'existe en aucune façon. Toi donc qui n'es pas maître du lendemain, tu diffères de jouir I Nous consumons notre vie à force d'attendre et chacun de nous meurt à la tâche. (ÉP., 14.)
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Le temps infini contient le même plaisir que le temps fini, si seulement on en mesure les homes par la raison. (ÉP,, XIX, et 22,)
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La douleur ne dure pas d'une façon continue dans la chair. Celle qui est extrême dure très peu de temps, et celle qui surpasse à peine le plaisir corporel ne persiste pas longtemps. Quant aux maladies qui se prolongent, elles permettent à la chair d'éprouver plus de plaisir que de douleur. (ÉP., IV.)
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Le sage, dit Épicure, oppose un sourire dédaigneux à l'excès de souffrances physiques qu'il endure parfois. (PLUT., Contra Epic. beat., 3 [Us., 600].)
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Toute douleur doit être traitée avec dédain ; celle qui nous fatigue à l'extrême ne dure que peu de temps, et celle qui persiste longtemps dans la chair ne • produit qu'une peine légère. (ÉP., 4.) . · ·• • . .• .
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Épicure dit : « Quand j'étais malade je ne m'entretenais · • . avec personne des souffrances de mon pauvre corps, je n'en parlais jamais à ceux qui venaient me voir. Mais je · · continuais à m'occuper des questions principales de la nature et cherchais surtout à savoir comment l'esprit, qui prend part aux mouvements qui affectent le corps, peut être exempt de trouble et garder le bien qui lui est propre. Et je ne fournissais pas non plus aux médecins l'occasion de s'enorgueillir de leurs procédés, car même alors je considérais ma vie comme belle et heureuse. » (MARC AURÈLE, IX, 41 [Us., 191].)
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N'accusons pas la chair d'être la cause des grands maux, et ne rejetons pas nos détresses sur les événements. (PORPH., ad Marc., 29 [Us., 445].)
·* Le sage ne souffre pas plus quand il est mis à la torture que lorsque son ami < la subit > . (ÉP., 56.)
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* La nature est faible contre le mal et non contre le bien, car les plaisirs contribuent à sa conservation, les douleurs à son dépérissement. (ÉP., 37.)
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