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French Pages 240 [234] Year 2007
ÉLECTIONS EN GUINÉE Technologie électorale et imbroglio juridique
© L'HARMATTAN, 2007 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected]
ISBN : 978-2-296-03168-5 EAN : 9782296031685
Maître Togba ZOGBELEMOU
ÉLECTIONS EN GUINÉE Technologie électorale et imbroglio juridique
L'Harmattan
Etudes Africaines
Collection dirigée par Denis Pryen et François Manga Akoa Déjà parus Simon-Pierre E. MVONE NDONG, Bwiti et christianisme, 2007. Simon-Pierre E. MVONE NDONG, Imaginaire de la maladie au Gabon, 2007. Claude KOUDOU (sous la direction de), Côte d’Ivoire : Un plaidoyer pour une prise de conscience africaine, 2007. Antoine NGUIDJOL, Les systèmes éducatifs en Afrique noire. Analyses et perspectives, 2007. Augustin RAMAZANI BISHWENDE, Ecclésiologie africaine de Famille de Dieu, 2007. Pierre FANDIO, La littérature camerounaise dans le champ social, 2007. Sous la direction de Diouldé Laya, de J.D. Pénel, et de Boubé Namaïwa, Boubou Hama-Un homme de culture nigérien, 2007. Marcel-Duclos EFOUDEBE, L’Afrique survivra aux afropessimistes, 2007. Valéry RIDDE, Equité et mise en œuvre des politiques de santé au Burkina Faso, 2007. Frédéric Joël AIVO, Le président de la République en Afrique noire francophone, 2007. Albert M’PAKA, Démocratie et société civile au CongoBrazzaville, 2007. Anicet OLOA ZAMBO, L’affaire du Cameroun septentrional. Cameroun / Royaume-Uni, 2006. Jean-Pierre MISSIÉ et Joseph TONDA (sous la direction de), Les Églises et la société congolaise aujourd’hui, 2006. Albert Vianney MUKENA KATAYI, Dialogue avec la religion traditionnelle africaine, 2006. Guy MVELLE, L’Union Africaine : fondements, organes, programmes et actions, 2006. Claude GARRIER, Forêt et institutions ivoiriennes, 2006 Nicolas MONTEILLET, Médecines et sociétés secrètes au Cameroun, 2006.
À la mémoire de : - notre père Togba Ilé qui a consacré sa vie à l’épanouissement intellectuel de ses enfants. - mon épouse Cécile qui m’a accompagné dans mes travaux recherches à l’Université d’Abidjan. À ma sœur Louise en souvenir des retrouvailles familiales de ce jour béni de juin 1999 à Paris. Que Dieu en soit loué !
9 Avant-propos La présente étude a été conduite dans un esprit aussi scientifique que possible : les matériaux sont constitués essentiellement de la législation en vigueur, des articles de journaux et des publications dans la presse guinéenne du Ministère en charge de l’organisation des élections (résultats électoraux, déclarations du Ministre, réponses du Ministère aux réactions des partis politiques) et des partis politiques et de leurs leaders (interviews, déclarations, discours…). À cette documentation, il convient d’ajouter la déclaration de la CENA et le rapport exhaustif de la commission nationale d’observation des élections. Délibérément, ont été écartés autant que possible les résultats des enquêtes et autres informations non consignés dans un support écrit. Aussi, il importe de noter qu’en dehors des déclarations communes (FRAD) ou individuelles (UPR, UFR, UFDG, PDG-RDA) de partis politiques, l’UFR est le seul parti ayant publié dans la presse des documents (échanges de correspondances avec le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation et lettres adressées à la CENA, plaintes déposées auprès des commissions administratives de centralisation de votes des communes de Kaloum et de Matam à Conakry) de nature à exposer la technologie électorale dans ses différentes formes, l’abondance de sa production s’expliquant par ses démêlés avec l’administration en charge des élections. L’auteur profite de cette mise en point pour exprimer sa profonde gratitude à Michèle Sonah Koundouno de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de ConakrySonfonia pour ses observations et suggestions ; son regard critique de sociologue a été d’un apport certain.
10 Un grand merci aussi à Pierre Guy Delamou pour sa grande disponibilité, qui s’est chargé de la tâche harassante de la saisie et des corrections. Puisse cette étude contribuer à développer l’esprit civique du Guinéen par une prise de conscience des dangers de la technologie électorale, à l’encourager dans la promotion de la démocratie, préalable à l’édification d’un État de droit en Guinée et à la construction d’une société économiquement prospère dans l’intérêt exclusif des populations et non d’une nomenklatura.
11 INTRODUCTION Pour justifier sa défaite à une élection législative dans sa circonscription, un homme politique ivoirien de premier plan a déclaré, il y a quelques années, qu’il ne maîtrisait pas la « technologie électorale ». Et depuis, l’expression a fait recette pour malheureusement prendre la signification péjorative de fraude électorale. La fraude électorale est un phénomène social grave en tant qu’elle porte atteinte à la régularité et la sincérité du vote. Concomitante au développement du suffrage universel dont elle est la sœur jumelle, pour reprendre l’expression de JeanPhilippe Immarigeon, elle « apprivoise depuis toujours ce monstre aveugle et indéterminé qu’est le peuple…, elle assure surtout la pérennité de certaines rentes de situation… ; elle seule sait domestiquer son chenapan de frère lorsque tous les autres artifices ont échoué » 1. Comi M. Toulabor la fait remonter au XIXe siècle en France et aux élections d’après-guerre dans les colonies françaises, après 1945 2. En Guinée, en remontant dans le temps, la fraude électorale serait apparue avec le premier mandat électif du premier Président guinéen, Sékou Touré. En effet, le 02 août 1953, ce dernier est déclaré élu conseiller territorial de Beyla après que ____________________ 1 : Cf. Jean-Philippe Immarigeon : « Autopsie de la fraude électorale » Stock, Paris, 2000 pp. 228 et 229 ; 2 : Cf. Comi M.Toulabor : « Fraudes électorales et « démocratie coloniale » au Togo. Cas d’une implantation du vote en colonie » in « Voter en Afrique. Comparaisons et différenciations » sous la direction de Patrick Quantin, l’Harmattan, Paris, 2004.pp.185 à 187.
12 les résultats de l’élection gagnée par Douty Camara, fils du chef de Beyla, ont été changés suite au débarquement dans la localité de Bernard Cornut-Gentil, Gouverneur Général de l’AOF, et Félix Houphouët-Boigny, Président ivoirien du RDA 3. La question a perdu de l’intérêt après les indépendances à la faveur du monopartisme qui a déterminé la vie politique en Afrique au cours des trois décennies qui ont suivi. Et même lorsque des élections « disputées » étaient organisées au sein du parti unique (la Côte-d’Ivoire avec le PDCI-RDA de 1980 à 1990), la contestation portait plus sur la personne des candidats que sur l’organisation et le déroulement des scrutins. La culture politique ambiante de l’époque constituait un obstacle véritable à l’institutionnalisation du vote à l’émergence d’une identité citoyenne fondée sur l’individualisme et non sur le communautarisme. ____________________ 3 : Cf. Camara Kaba 41 : « Dans la Guinée de Sékou Touré, cela a bien eu lieu », l’Harmattan, Paris, 1998 p.51. Les conseillers territoriaux étaient les membres des assemblées territoriales, nouvelle appellation à partir de 1952, des conseils généraux à caractère politique, qui avaient été créés dans les territoires de l’AOF, après la seconde guerre mondiale, par un décret du 25 octobre 1946. Ces assemblées avaient des compétences notamment en matière de budget, d’impôts et de services locaux. Cf. François Luchaire : « Droit outre-mer et la coopération ». Coll. Thémis, PUF, Paris 1965 p.173 ; Henri Grimal : “La décolonisation 1919-1963” Coll U, A. Colin, Paris 1965 pp. 336 et suiv.
13 En 1990, le contexte électoral africain était ainsi caractérisé par l’extrême brièveté de l’expérience électorale, la longue domination de régimes de parti unique et l’absence subséquente d’élection réellement concurrentielle 4. Avec la restauration du multipartisme qui a eu pour conséquence l’organisation d’élections opposant les candidats ou listes de candidats investis par des partis politiques différents, la contestation a changé d’objet : l’accent est mis moins sur la personne des candidats que sur la régularité du processus électoral, de la révision des listes électorales au décompte des voix après le vote. La fraude électorale a retrouvé une nouvelle jouvence avec cette nouvelle donne : contestée dans son existence par les pouvoirs en place, elle est régulièrement alléguée après les consultations électorales, par l’opposition politique confortée dans sa position par les résistances mentales à l’alternance politique. La Guinée ne fait pas exception, qui vient d’en faire la démonstration avec les élections locales (communale et communautaire) du 18 décembre 2005. Organisées dans le cadre de la décentralisation territoriale initiée par le Président Lansana Conté, ces élections ont été largement « gagnées » par le Parti de l’Unité et du Progrès (PUP), parti au pouvoir (81,58 % des communes et 79,54 % des communautés rurales de développement ou CRD), opposé pour la circonstance à 15 autres partis politiques dont les principaux partis d’opposition (RPG, UFR, UPR, UFDG, UPG, UNPG). ____________________ 4 : Cf. Daniel Compagnon : « Pour une analyse multidimensionnelle du processus électoral africain.
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Dans sa forme actuelle, la décentralisation territoriale est une technique récente dans l’histoire de l’administration publique guinéenne : elle est consécutive à l’option libérale opérée après la mort de Sékou Touré en 1984. En effet, le 22 décembre 1985, soit une vingtaine de mois après la prise du pouvoir par l’armée favorisée en 1984 par les dissensions au sein du BPN du PDG-RDA, parti État guinéen, dans la gestion de la succession de Sékou Touré, le Président Lansana Conté a déclaré, dans un discoursprogramme devenu le projet de société de son parti, le PUP, ce qui suit : « Le district doit regrouper des villages qui ont tissé entre eux des liens étroits, souvent fondés sur des relations de parenté ou d’alliance, et qui ont l’habitude d’organiser leur vie quotidienne sur des bases collectives… Les districts doivent permettre aux populations de gérer en toute liberté leur mode de vie traditionnelle. Mais leur taille est insuffisante pour entreprendre des actions de développement économique… Entre districts voisins se créeront progressivement de nouvelles solidarités et leurs populations prendront conscience de la nécessité de se regrouper au sein d’unités plus vastes. Ce seront les communautés rurales de développement…Parallèlement au niveau des villes, des communes seront créées à partir des quartiers. Historicité, comparaison et institutionnalisation » in « Voter en Afrique : comparaisons et différenciations » op.cit.p.63.
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Ces nouvelles collectivités s’administreront librement et auront à leur disposition des ressources suffisantes pour leur assurer une réelle autonomie financière ». Cette déclaration va connaître une mise en œuvre avec l’ordonnance nº 079/PRG/86 du 25 mars 1986 portant réorganisation territoriale de la République de Guinée et institution des collectivités décentralisées, qui confère, en son article 5, la personnalité morale et l’autonomie financière à la communauté rurale de développement (CRD) et à la commune urbaine. Deux autres ordonnances nº 019/PRG/SGG/90 du 21 avril 1990 et nº 092/PRG/SGG/90 du 22 octobre 1990 porteront organisation et fonctionnement respectivement des communes et des CRD. La 3ème constitution du 23 décembre 1990 de la Guinée indépendante (articles 88 et 89), modifiée par le référendum constitutionnel du 11 novembre 2001, a, à côté des collectivités territoriales (régions, préfectures, souspréfectures, quartiers et districts), érigé les CRD et les communes urbaines en collectivités locales qui « s’administrent librement par des conseils élus sous le contrôle d’un délégué de l’État qui a la charge des intérêts nationaux et du respect des lois » 5. ____________________ 5 : Pour les communes, la tutelle de l’État est assurée par le Gouverneur de Conakry pour les communes de la ville de Conakry et par le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation pour les communes de l’intérieur (article 16 de l’ordonnance du 21 avril 1990), ce dernier est relayé à l’intérieur par les Préfets (articles 3 et 24 du décret nº 081/PRG/SGG/87 du 19 juin 1987).
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Les élections locales (communale et communautaire) du 18 décembre 2005, les secondes après les consultations de 1991 pour les CRD, et les quatrièmes après les scrutins de 1991, 1995 et 2000 pour les communes, s’inscrivent dans le cadre de la politique de décentralisation, limitée du fait que les régions et les préfectures ne disposent pas encore d’assemblées délibérantes élues. La décentralisation implique la prise en compte de la notion d’affaires locales, par opposition à celle de l’État, que l’on entend faire gérer dans un esprit de solidarité propre aux personnes vivant dans le territoire déterminé 6. C’est ce qu’exprimait le Président Lansana Conté dans son discoursprogramme précité du 22 décembre 1985 : « Nous faisons le choix d’une société fondée sur les solidarités naturelles mises au service du développement. Renforcer ces solidarités là où elles existent encore, c’est l’objet de la décentralisation ». Mais au-delà de cette notion d’intérêts locaux, le choix de la technique de décentralisation procède d’une option idéologique plus fondamentale : le virage libéral pris après la _________________________________________________ Pour les CRD, elles relèvent de l’autorité de tutelle centrale qu’est le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, et de la tutelle rapprochée assurée par les Gouverneur de régions, Préfets et Sous-Préfets (article 51 de l’ordonnance du 22 octobre 1990). Cette pluralité de contrôle peut être source d’asphyxie des CRD, ce qui serait contraire à l’esprit de la décentralisation, et surtout du discours-programme du 22 décembre 1985 du Président Lansana Conté. Un nouveau code des collectivités locales a été adopté à l’Assemblée Nationale en mai 2006. 6 : Cf. André Laubadère, Jean-Claude Vénézia et Yves Gaudemet : « Traité de droit administratif », tome 1,12ème éd., LGDJ, Paris 1992 pp. 105106 ; René Degni-Ségui : « Droit administratif général », tome 1, éd. CEDA, Abidjan 2002 pp. 59-60 ;
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chute du régime révolutionnaire de la première République guinéenne. En effet, « du point de vue politique, la ligne de partage est entre les régimes libéraux, qui respectent les libertés locales comme les autres libertés, et les régimes autoritaires qui vont naturellement à la centralisation » 7. Le Président Lansana Conté ne disait pas autre chose quand il déclarait dans son discours précité que « les actuelles circonscriptions territoriales ont servi au précédent régime à imposer l’intervention du pouvoir politique central dans tous les actes de la vie quotidienne. Elles seront progressivement supprimées et remplacées par des unités plus conformes aux vœux et aux besoins des populations, ainsi qu’aux réalités culturelles et économiques du pays ». Ainsi, la décentralisation administrative, corollaire du libéralisme politique et économique, se réalise, entre autres, par le libre choix des représentants des collectivités décentralisées, donc par la démocratie politique qui doit être réelle et non formelle. Fort curieusement en Guinée, le pouvoir politique conçoit la démocratie politique comme un produit d’importation. Aussi, parlant à la convention de son parti, le PUP, dont il est le Président d’honneur en violation de l’article 33 de la constitution qui interdit au Président de la République toute responsabilité dans un parti politique 8, le Président Lansana Conté déclara, le 13 septembre 2003, à propos des principaux leaders des partis d’opposition issus dans leur quasi-totalité ____________________
7 : Sur la signification politique de la décentralisation, cf. Jean Rivero et Jean Waline : « Droit administratif », 15ème éd., Précis Dalloz, Paris, 1994, p. 275. Voir aussi René Chapus : « Droit administratif général » tome 1, 12ème éd., Paris 1998 pp. 371-372. Sur le cas guinéen, lire Alhassane Condé : « La décentralisation en Guinée : une expérience réussie » L’Harmattan Paris 2003.
18 de la diaspora guinéenne : « Ils viennent d’arriver. Dès que les élections passent, s’ils ne gagnent pas, ils s’en vont. Quand les élections s’approchent, ils reviennent. Ils croient que ce sont les moutons qui sont en Guinée. S’ils ne peuvent pas venir en Guinée, sauf en qualité de Président, alors, ils vont pourrir à l’extérieur. Ils ne viendront pas ici. Parce qu’on ne nommera pas un étranger comme Président. Les gens à double nationalité, à double tout… Ils viennent ici parce que la Guinée est libre, disponible. La Guinée est disponible, mais c’est pour les Guinéens, pas pour les étrangers. Qu’ils viennent souffrir, travailler avec nous. Au lieu d’aller prendre les idées en Europe, aux États-Unis et venir les imposer ici. Cela ne marchera pas. Nous sommes chez nous » 9. Auparavant, le 23 août 2003, au cours d’un meeting au siège de son Parti, le PUP, le Président Lansana Conté s’était exprimé sur l’origine de son pouvoir : « Donc moi, ce n’est pas le PUP qui a fait de moi le Président de la Guinée… Je suis devenu Président avant que vous ne commenciez à voter. C’est la volonté de Dieu que nous suivons, si Dieu veut un jour que je quitte la tête de la Guinée, il le fera, mais personne ne le saura. S’il ne l’a pas voulu, que les gens ____________________ 8 : Lors d’un meeting au siège du PUP le 23 août 2003, le Président Lansana Conté a déclaré : « Mon parti, le PUP, ce n’est pas quelqu’un qui l’a créé. Je vous l’ai dit à plusieurs reprises. C’est moi seul qui l’ai créé. Ce sont sept partis réunis qui ont formé le PUP « in » « La nouvelle tribune » nº 222 du 26 août 2003 p.4. Sur les exilés guinéens, lire Djibril Kassomba Camara : « La diaspora guinéenne » L’Harmattan Paris 2003. 9 : Cf. l’hebdomadaire « Le démocrate » nº 188 du 16 au 22 septembre 2003 p.4
19 fassent ce qu’ils veulent, qu’ils se battent partout, qu’ils aillent en Amérique, en France ou n’importe où pour aller comploter, le complot sera déballé au grand jour ici » 10. Les déclarations présidentielles que dessus ont été faites à la veille de l’élection présidentielle du 21 décembre 2003 à l’issue de laquelle le Président Lansana Conté a été réélu avec un score de 95,63 %, face à un seul candidat, Mamadou Bhoye Barry 10 bis, leader de l’UNP, petit parti de la majorité présidentielle, dont la candidature a été suscitée par le pouvoir pour éviter au Président Lansana Conté la position de candidat unique, après la décision de boycott des leaders de l’opposition ; ces déclarations expriment les conceptions du pouvoir et de la démocratie véhiculées par le régime guinéen : le pouvoir vient de Dieu ; s’opposer au pouvoir, c’est s’opposer à la volonté de Dieu, donc se condamner à l’enfer. « Celui qui dit qu’il me trahit dans mon gouvernement, Dieu va le trahir », a déclaré le Président Lansana Conté le 23 août 2003 au cours du meeting précité. Cette conception du pouvoir don de Dieu dérive sur une acception patrimoniale du pouvoir : la confusion entre les biens publics et les biens personnels du chef explique en partie la gabegie financière qui caractérise la gestion de l’État guinéen11. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter le Président Lansana Conté devant les commerçants le 28 août 2003 : « C’est moi qui ordonne les exonérations. Qui parmi ____________________ 10 : Cf. l’hebdomadaire « La nouvelle tribune nº 222 du 26 août 2003 p.3. 10 bis : Il vient d’être nommé Ministre de l’Enseignement PréUniversitaire et de l’Éducation Civique à la faveur d’un remaniement ministériel intervenu le 29 mai 2006. 11 : Jean-François Bayart préfère parler de politique du ventre. Cf. : « l’État en Afrique. La politique du ventre » Fayard, Paris 1989. Sur le néo-patrimonialisme du pouvoir, cf.
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vous n’est pas venu me voir. Ah ! j’ai tel bateau, j’ai tel bateau, et j’ordonne l’exonération, ce n’est pas vrai, toi ? »12. Il s’exprimera dans le même sens à la convention de son Parti, le 13 septembre 2003, après avoir été désigné candidat à l’élection présidentielle du 21 décembre 2003 : « Je viens de demander deux mille mètres cubes de granit de toutes catégories à la société qui exploite le granit à Manéah, Coyah. Le bonhomme se permet de me dire qu’il faut que je paie comptant. Et j’ai dit au Ministre des Mines « Je ne paie pas, il s’en va ». Si vous entendez que je les ai chassés, sera pour ça. Le granit c’est moi. Ils ont exploité pendant combien de temps, ils vendent. Vous ne voyez pas qu’ils se foutent de moi ? Si je n’ai pas de granit, vous allez entendre que c’est fermé. Il n’y a pas quelque chose qui est en Guinée qui n’appartient pas aux Guinéens. Je suis le Président d’ici. Je demande ce service pour faire des travaux, eux me disent de payer comptant. C’est son père qui a acheté ici ? » 13. Il n’est donc pas étonnant que la planche à billets fonctionne pour faire face aux besoins financiers croissants de l’État, le trésor public creusant ainsi son endettement auprès de la banque centrale ; la dette était estimée officiellement à 770 milliards de francs guinéens en 2004 14.
_________________________________________________ Jean-François Médard : « La spécificité des pouvoirs africains » in Revue Pouvoirs « Les pouvoirs africains » 1983 nº 25 pp. 15 à 21 ; Daniel Bourmaud : « La politique en Afrique » Montchrestien, Paris, 1997 pp.57 et suiv. 12 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 223 du 03 septembre 2003 p.3. 13 : Cf. « Le démocrate » nº 188 du 16 au 22 septembre 2003 p. 4. 14 : Cf. le discours de clôture de la session budgétaire 2004 du Président de l’Assemblée nationale, Aboubacar Somparé in « La nouvelle tribune » nº 246 du 10 février 2004 p.4.
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Quant à la démocratie multipartite, produit d’importation, elle est, pour le régime, la recette utilisée par les anciens exilés pour perturber, voire détruire la cohésion sociale 15. Dès lors, apparaissent tous les ressorts véritables de toute consultation électorale en Guinée : il faut garantir au pouvoir le contrôle de tous les rouages de l’État. Car, « l’élection, c’est la révolution permanente ; il convient donc de l’encadrer, d’éviter que les gouvernants ne soient soumis aux caprices d’un électorat supposé instable, voire franchement caractériel » 16. Cette volonté de contrôle qui s’est manifestée le 18 décembre 2005, l’a été de tout temps : aux communales de 2000 avec 32 communes pour le PUP sur 38 et aux législatives de 2002 avec 85 députés pour le PUP sur 114. Le Président Lansana Conté avait, le 09 juin 2002, à Mamou lors du lancement de la campagne du PUP pour ces législatives, donné le ton en ces termes : « Nous sommes venus vous confier, parce que c’est vous les détenteurs du pouvoir, nous sommes venus vous demander d’accepter les 114 députés qu’on vous propose… Vous m’avez mis au pouvoir je souhaite que ces gens-là travaillent avec moi. Si vous ne les prenez pas pour m’aider, je vais avoir les reins brisés. C’est pour cela il me faut ces hommes avec lesquels on peut travailler et non pas avec des grands intellectuels qui viennent avec leurs connaissances ____________________ 15 : Dans sa version originale, la constitution du 23 décembre 1990 avait institué un bipartisme, mais le pouvoir a dû, sous la pression de leaders politiques rentrés d’exil, procéder à une révision constitutionnelle pour instaurer un multipartisme intégral. Cf. la loi organique n°L/91/003 du 23 décembre 1991 portant modification du nombre des partis susceptibles d’être constitués. 16 : Jean-Philippe Immarigeon : « Autopsie de la fraude électorale », op. cit. p.229.
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qui ne pourront pas nous servir parce que les connaissances quand ça dépasse la limite, ça ne sert personne. Je préfère ceux qui peuvent patauger… C’est selon le pourcentage du vote que vous allez avoir assez des députés. Les uninominaux, si vous voulez vous me donner les 38 uninominaux, c’est-àdire les 33 préfectures plus les 5 communes de Conakry. L’autre fois, j’avais dit ça, ça s’est exécuté à Conakry, j’ai dit que je veux les cinq maires de Conakry, si vous me donnez les députés, vous allez voir dans un an, votre pays va savoir, votre population va savoir » 17. En raison du décor politique ainsi planté et du peu d’égard pour le droit à l’occasion des élections, quelles qu’elles soient, toutes les manœuvres de fraude sont permises. Les élections communale et communautaire du 18 décembre 2005 n’ont pas fait exception. Et pourtant, la loi organique n°L/91/012 du 23 décembre 1991 portant code électoral (modifiée par les lois organiques n°L/93/038/CTRN du 20 août 1993 et n°L/95/011/CTRN du 12 mai 1995) et son décret d’application n°D/91/263/PRG/SGG du 27 décembre 1991 ____________________ 17 : Lire la déclaration du Président Lansana Conté dans l’observateur. Avant le scrutin législatif de 2002, René Zoumanigui, député PUP et ancien Vice-Président de l’Assemblée Nationale à l’époque, avait déjà indiqué ce score en ces termes : « Aux prochaines législatives, nous aurons au moins 85 sièges. » in « L’indépendant » nº 380 du 13 juillet 2000, p. 3. Aboubacar Somparé, Secrétaire Général du PUP et Président du groupe parlementaire PUP/PCN à l’époque, a renchéri ainsi qu’il suit : « Nous avons pris assez de précautions cette fois-ci pour ne pas que les transfuges que nous avons connus de la première législature se répètent, je l’espère. C’est pourquoi d’ailleurs on s’est donné une marge de sécurité de 9 députés au moins. » in « La nouvelle tribune » nº 164 du 16 juillet 2002 p. 5.Avec cette sur- représentation, le PUP peut adopter tous les textes proposés par le Gouvernement, un vote négatif des députés de l’opposition n’ayant aucun effet.
23 peuvent garantir des élections sincères et démocratiques : la transparence qu’ils prescrivent pour l’organisation et le déroulement du scrutin est de nature à assurer la crédibilité de tout scrutin. Organisés selon un scrutin de liste majoritaire à un tour pour les communes (article L113 code électoral) et un scrutin de liste proportionnel pour les CRD (article L102 code électoral), les scrutins du 18 décembre 2005 avaient un enjeu politique réel : la démocratie à la base avec l’élection de 3210 conseillers dont 613 pour 38 communes et 2597 pour 303 CRD.18. Aussi, ils ont mobilisé 16 partis politiques dont le parti au pouvoir, le PUP, et les principaux partis de l’opposition, l’UFR de Sidya Touré, le RPG de Alpha Condé, l’UPR de feu Siradiou Diallo, l’UFDG de BÂ Mamadou, l’UPG de Jean-Marie Doré et l’UNPG de Saliou Bella Diallo 19. L’opération électorale a coûté plus de 15 milliards de francs guinéens aux partenaires au développement20 qui faisaient de la régularité de ces consultations une condition de déblocage de l’enveloppe A du 9ème FED de plus de 200 millions d’euros 21. Comme il sera démontré ci-après, ils ne
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18 : Ces chiffres diffèrent de ceux donnés par le Ministre 15 jours avant les scrutins dans un point de presse : il a indiqué qu’il s’agira d’élire 4399 conseillers dont 836 pour les communes et 3563 pour les CRD. Cf. « La nouvelle tribune » nº 338 du 06 décembre 2005 p.5. 19 : Cf. déclaration du Ministre après le scrutin in « La nouvelle tribune » n° 342 du janvier 2006 p. 5. 20 : Il s’agit de l’Union Européenne, du Japon, du Canada, du PNUD et de l’Allemagne. Cf. le mensuel « L’Économiste » nº 049, décembre 2005 p.4 21 : Cf. l’interview de l’Ambassadeur de l’Allemagne à Conakry in « La nouvelle tribune » nº 330 du 11 octobre 2005 p. 6. Le même diplomate avait déclaré précédemment que « tout harcèlement contre l’opposition politique pourrait retarder la reprise du
24 mettront pas longtemps pour déchanter 22. Car, ainsi que le disait déjà le Président Lansana Conté dans son discoursprogramme précité : « Aujourd’hui, le parti (de Sékou Touré) a disparu, mais le système est toujours là. Il se loge dans les ruines de l’État et de l’économie. Pour l’en chasser, il faut faire de profondes réformes. Cela ne se fera en un jour, ni sans efforts. La période de transition sera difficile ». Mais cela dure déjà 20 ans. Dans ses formes matérielles, la technologie électorale observée tout le long du processus qui a conduit aux scrutins du 18 décembre 2005, présente un visage diversifié (I). À ce constat, s’ajoute la confusion juridique qui a présidé aux rapports entre les structures administratives chargées d’intervenir dans le déroulement des élections et au règlement dans des conditions peu amènes du contentieux électoral : l’interférence entre les compétences des structures et la complexité des modes de règlement administratif et juridictionnel des litiges n’ont guère contribué à la transparence des scrutins (II). Enfin, il importera de tirer les enseignements des consultations afin d’en dégager la signification politique réelle dans le cadre du régime guinéen (III). _________________________________________________ dialogue avec l’Union Européenne » in « La lance » nº 384 du 05 mai 2004 p.7. 22 : Cf. interview de Sidya Touré, leader de l’UFR in “La lance” nº 471 du 04 janvier 2006 p.8.
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Chapitre I Du phénomène de la technologie électorale La fraude électorale, fraude à la loi électorale 23, est organisée dans l’intention de nuire aux concurrents politiques : elle prend diverses formes de manœuvre déloyale à l’occasion des compétitions électorales. Tout aussi diversifiées sont ses causes qui peuvent être de nature politique ou administrative, voire juridique. Ces causes sont imputables aussi bien au pouvoir à travers le ministère en charge de l’organisation des élections qu’aux partis politiques de la majorité comme de l’opposition. Avant d’examiner les formes et les causes de la technologie électorale, il y a lieu de relever trois innovations introduites à l’occasion de ces scrutins : il s’agit du bulletin unique, de l’urne transparente et de l’observation des élections par des ONG nationales organisées et formées par le PNUD, la Guinée n’étant pas à sa première expérience de commission électorale nationale avec la CENA.24. I- Les différentes formes de la technologie électorale Dans une étude publiée en avril 2005 par le journal burkinabé « Sidwaya »25, les méthodes anti-démocratiques utilisées en Afrique pour gagner l’élection, ou se maintenir au pouvoir,
____________________
23 : Sur la notion de fraude, Cf. Jacques Ghestin et Gilles Goubeaux : « Traité de droit civil. Introduction générale » LGDJ, Paris 1977 pp.622 et suiv. 24 : Contrairement à ce qu’a prétendu le Ministre avant de proclamer les résultats. Cf. « la nouvelle tribune » nº 342 du 03 janvier 2006 p.5 25 : On retrouve cette étude dans l’hebdomadaire guinéen « Le démocrate » nº 290 du 13 décembre 2005 pp.3 et 4 et nº 291 du 20
26 ont été minutieusement exposées 26. Par les techniques employées avant, pendant et après les scrutins du 18 décembre 2005, la Guinée a enrichi le tableau. Ces techniques sont renforcées dans leurs effets par le recours à des structures administratives et institutions dont la neutralité devrait être assurée : il en est ainsi des administrations publiques et privées et des ligues islamiques. Les menaces de licenciement ou d’affectation, les intimidations de toutes sortes et l’utilisation des moyens de l’État complètent la panoplie, le tout en violation de l’article L56 du code électoral. La déclaration de l’ANP du 22 novembre 2005, la déclaration du 30 novembre 2005 de Bâ Mamadou, Président de l’UFDG dans l’observateur, l’interview de Sidya Touré, Président de l’UFR et la déclaration faite par son parti le 02 janvier 2006, le mémorandum du 21 décembre 2005 de quatorze partis politiques dont treize sur les seize présentant des listes de candidats aux scrutins du 18 décembre 2005 et la déclaration de l’UPR du 30 décembre 2005 exposent une kyrielle de techniques de fraude dont la grossièreté prouve à suffisance _________________________________________________ décembre 2005 p.54 : certaines de ces méthodes sont directement organisées par le pouvoir en place au profit du parti qui le soutien alors que d'autres sont le fait les partis politiques impliqués dans le scrutin. 26 : Déjà dans les territoires d’outre-mer français, on a pu relever quatre techniques principales : l’établissement des listes électorales, le truquage des décomptes, la rémunération d’électeurs qui vont de bureau en bureau pour voter à la place des autres et l’achat pur et simple des votes. Cf. Comi M.Toulabor, op. cit. pp. 200-203.
27 que les scrutins ont été organisés pour satisfaire la consommation de l’opinion internationale, en particulier celle des bailleurs de fonds 27. 1- Les techniques utilisées avant le vote Ces techniques couvrent une gamme variée d’opérations antérieures ou d’actes préparatoires des scrutins : elles vont de la révision des listes électorales à l’établissement et la distribution des cartes électorales, la confection du bulletin unique et les difficultés rencontrées par les partis d’opposition pour faire admettre leurs listes de candidats et conduire leur campagne électorale. En application des dispositions du code électoral précité, seuls les électeurs inscrits sur les listes électorales dans une circonscription électorale participent au scrutin. Car « l’électeur n’est pas un nomade. Le droit de vote est un droit dont tous doivent disposer : c’est une liberté publique fondamentale, attachée à la nationalité, mais, assez paradoxalement, également au lieu de résidence » 28. La confection et la révision de ces listes opposent de façon permanente les partis d’opposition aux autorités administratives en charge de l’organisation des élections. À l’occasion des scrutins du 18 décembre 2005, il a été créé, le ____________________ 27 : Cf. - « La nouvelle tribune » n° 337 du 29 novembre 2005 p.5 et n° 343 du 10 janvier 2006 pp.3 et 4. - « L’enquêteur » nº 93 du 24 novembre au 08 décembre 2005 p.3. - « L’observateur » nº 293 du 05 décembre 2005 p.3. - « Les échos » nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 p.11 et - « L’observateur » nº 295 du 26 décembre 2005 p.2. - « Le démocrate » nº 293 du 03 janvier 2006 p.8. 28 : Jean-Philippe Immarigeon : « Autopsie de la fraude électorale »,
28 op. cit. p.34.
10 octobre 2005, une commission nationale électorale autonome (CENA) dont les attributions concernent, entre autres, la supervision et le contrôle des processus électoraux et l’ensemble des opérations s’y rapportant, de la révision des listes électorales jusqu’à la proclamation des résultats (article 8 du décret). L’impossibilité d’appliquer cette disposition a été le premier point d’achoppement entre le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation et les partis d’opposition : en effet, la révision des listes électorales organisée par le Ministère était achevée depuis des mois quand la CENA a été créée. La contestation des conditions de révision des listes électorales par l’administration et l’impossibilité pour la commission d’y apporter la moindre correction ont créé un doute certain sur la fiabilité des listes dans le milieu des partis d’opposition. Comme l’a déclaré Bâ Mamadou, Président de l’UFDG, le 30 novembre 2005, « la CENA ayant été installée après la révision des listes électorales, n’a pu vérifier si elles ont été effectivement mises à la disposition des mairies et CRD ». Les développements qui suivent montreront la pertinence des réserves émises par les partis d’opposition, eu égard au nombre d’électeurs inscrits dans certains bureaux de vote, comme les bureaux ouverts dans les camps militaires. Dans sa lettre du 30 novembre 2005 adressée à la CENA, l’UFR expose avec force détails la situation dans la Commune de Kaloum à Conakry. Dans le quartier Sans-fil, sur 9450 électeurs inscrits, 5289 le sont au compte du Camp Samory Touré, soit plus de la moitié du corps électoral de la
29 Commune ; dans ce camp, siège l’État-major général des Armées et le Président de la République y dispose d’un logement. Au quartier Boulbinet, la caserne de la Gendarmerie Nationale enregistre 1909 inscrits en 2005 contre 400 en 2000. Au bataillon autonome de la sécurité présidentielle où il n’y a ni famille, ni centre d’hébergement, les militaires n’y allant la journée que pour le service, on a ouvert les bureaux de vote n° 13 (918 inscrits), nº 14 (1010 inscrits) et nº 15 (673 inscrits). La Commune de Kaloum, principal centre d’affaires et siège de la Présidence de la République, de tous les Ministères et tous les états-majors militaires (sauf l’armée de l’air) et de la Gendarmerie, a connu un gonflement inattendu de son corps électoral, qui comprendrait ainsi plus du tiers de l’effectif des forces armées nationales. Cette pratique illégale de transfert d’électeurs ou d’inscription d’électeurs fictifs est généralement réalisée dans les grands centres urbains et les zones rurales que le pouvoir en place n’entend pas perdre. Elle explique les votes multiples par un électeur et les bourrages d’urnes en présence des représentants du parti au pouvoir et, naturellement, en l’absence de ceux de l’opposition, avec l’assistance active des chefs de quartiers ou de districts nommés par l’administration du territoire 29, et quelquefois des services de sécurité. ____________________ 29 : Jusqu’au référendum constitutionnel du 11 novembre 2001, les chefs de quartiers et de districts étaient élus conformément à l’article 101 du code électoral. On comprend mieux aujourd’hui le sens de la révision intervenue : des chefs élus ne peuvent être des agents acquis pour la fraude électorale.
30 La constitution des listes de candidats a enregistré quelques obstacles majeurs. Ainsi, au motif que les alliances électorales de partis ne sont pas consacrées par le code électoral, la CENA s'est opposée à la constitution des listes d’union, obligeant ainsi les partis intéressés à se mettre sous la bannière de l’un d’entre eux. Cette attitude de la CENA conforme à une interprétation constante du code électoral par le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation depuis l’élection législative de 1995, freine l’élan unitaire au sein des militants de l’opposition : l’utilisation des couleurs d’un seul parti, si elle n’est pas bien expliquée aux militants, peut décourager la mobilisation autour de la liste d’union pendant la campagne électorale et le vote. Les résultats du scrutin communal du 18 décembre 2005 à Fria et à Télimélé ont constitué des exceptions : à Fria, par exemple, face à la liste PUP (9.120 voix), la liste UPR (9.850 voix) comprenant en outre des militants de l’UFDG, du RPG, de l’UFR et de l’UPG, a été déclarée élue 30. Les partis d’opposition se sont aussi largement plaints de la distribution sélective des cartes électorales et de l’exigence de pièces non prévues par les textes ou difficiles à obtenir dans les CRD dans un laps de temps trop court par rapport à la date du scrutin. En application des articles L35 et L37 à L39 du code électoral, chaque électeur reçoit une carte électorale établie par l’administration, distribuée par la commission administrative constituée par le Gouverneur de Conakry ou les Préfets à l’intérieur du pays : la carte identifie l’électeur et indique le lieu de son bureau de vote. ____________________ 30 : Cf. « La lance » nº 470 du 28 décembre 2005 p.11 ; « La nouvelle tribune » nº 342 du 03 janvier 2006 p.6.
31 Dans les faits, en lieu et place des commissions administratives, la distribution des cartes électorales a été assurée directement par les Préfets, Sous-Préfets, Présidents de CRD et chefs de quartiers et de districts. Aussi, la distribution s’est faite de façon sélective dans les centres urbains et zones rurales jugées favorables à l’opposition quand, dans le même temps, des lots de cartes étaient confisqués aux fins de votes multiples par des électeurs commis à la tâche le 18 décembre 2005, jour des scrutins 31. Par ailleurs, les articles L3, L5 et L8 du code électoral définissent la qualité d’électeur ; quant à l’article L104 applicable aux élections communale et communautaire, il dispose que la déclaration faite collectivement et présentée par un des candidats figurant sur la liste, est signée de chaque candidat avec indication expresse : -
des noms, prénoms surnoms éventuels, date de naissance, profession et domicile de chaque candidat ; du nom de la commune ou de la CRD ; du programme qui sera développé pendant la campagne électorale.
L’article R44 précise que la déclaration doit comporter : -
le nom du parti politique ayant investi la liste ; les noms et prénoms profession, adresse, date et lieu de naissance du candidat ainsi que l’identité du mandataire.
____________________ 31 : Cf. mémorandum du 21 décembre 2005 de 14 partis de l’opposition, in « les échos » nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 p.11.
32 En application de ces textes, le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation a, dans un communiqué du 04 novembre 2005, exigé la production par chaque candidat des pièces suivantes : une demande manuscrite, une copie de la carte d’identité nationale, un certificat de résidence, un extrait de casier judiciaire datant de moins de trois (3) mois et quatre (4) photos d’identité. Les partis du Front Républicain pour l’Alternance Démocratique (FRAD) ont contesté, le 07 novembre 2005, ces exigences énoncées à quelques jours de l’expiration du délai de dépôt des listes de candidats. La contestation tirait argument de ce que le communiqué du Ministre : -
violait la loi électorale qui n’exigerait que des mentions et non la production de pièces ;
-
ne tenait pas compte des réalités du pays, à savoir l’éloignement de beaucoup de CRD des chefs-lieux de préfecture (parfois plus de 120 km) et l’absence dans ces zones rurales de téléphone, d’électricité, de photographe, de tribunal, de commissariat et même parfois de moyens de transport, en dehors des jours de marché 32.
De plus, comme indiqué dans le communiqué du 04 novembre 2005, ces pièces devaient être fournies au plus tard le 17 novembre 2005, soit dans un délai de 12 jours. ____________________ 32 : Cette situation est reconnue par la CENA dans sa déclaration post électorale du 31 décembre 2005, in « La nouvelle tribune » nº 343 du 10 janvier 2006 p.2.
33 Le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation a répondu, le 08 novembre 2005, que les pièces exigées déterminent la qualité d’électeur, condition de l’éligibilité. Dans une lettre du 12 novembre 2005, le FRAD a, à nouveau, insisté sur l’obstacle que constituent les pièces exigées, eu égard par ailleurs au coût d’établissement de la carte d’identité nationale, de l’extrait de casier judiciaire et des photos 33. À l’analyse, il convient d’indiquer qu’à l’exception des quatre (4) photos d’identité dont la production était sans intérêt, la carte d’identité nationale comportant déjà une photo, les autres exigences du Ministre n’étaient pas dénuées de tout fondement : elles font la preuve de la nationalité guinéenne du candidat, de la jouissance de ses droits civils et politiques (article L35), de sa résidence pendant au moins six (6) mois (article L8) ; elles établissent qu’il n’est pas sous le coup de certaines condamnations, sauf réhabilitation (article L8). Il reste cependant que le contrôle sélectif de la production des pièces exigées a entraîné le rejet de bon nombre de listes de candidats de l’opposition quand les listes du PUP étaient toujours considérées en règle, ce qui explique, entre autres, que ce dernier parti ait été le seul à présenter des listes de candidats dans les 341 circonscriptions électorales (303 CRD et 38 communes). Conformément à l’article L104, ces listes de candidats sont déposées dans les préfectures pour les communes et, par délégation, dans les sous-préfectures pour les CRD. L’article ____________________ 33 : Sur l’échange de correspondances entre le FRAD et le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, Cf. « Les échos » n° 97 du 16 au 29 novembre 2005 p.5.
34 L109 dispose à cet égard que tout rejet d’une liste doit être motivé et notifié dans un délai de dix (10) jours à compter de la date de dépôt ; il peut faire l’objet d’un recours devant le Tribunal de Première Instance ou la justice de paix de la localité, dans un délai de dix jours à compter de la date de notification du Préfet. La décision de la juridiction saisie, qui n’est susceptible d’aucune voie de recours, doit intervenir dans un délai de cinq (5) jours ; elle est notifiée immédiatement aux parties intéressées et au Préfet qui enregistre la candidature du candidat ou de la liste, si la juridiction en a décidé ainsi. Dans les faits, les refus et rejets de listes étaient systématiques et les motivations et notifications écrites rares, si bien qu’un parti comme l’UFR a dû, le 26 novembre 2005, écrire au Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation une lettre de laquelle il ressort qu’à la date de la saisine du Ministre, 50 % des listes de ce parti étaient rejetés. Le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation a, dans une réponse du 28 novembre 2005, fourni des explications sur les rejets. Une réponse qui n’en valait pas une pour diverses raisons : -
la loi électorale ne confère pas au Ministre compétence pour motiver et notifier les rejets de listes : le Ministre aurait dû renvoyer la question aux Préfets et en les instruisant de se conformer à la loi en motivant et en notifiant les rejets de listes ;
-
la lettre du Ministre ne constitue pas la notification légale permettant la saisine de la juridiction compétente en application de l’article L 104 du code électoral ;
35 -
le Ministre n’a pas donné les informations sur toutes les circonscriptions visées dans la lettre de protestation de l’UFR datée du 26 novembre 2005 34.
Le Ministre s’est contenté de fournir les informations données par les Préfets car, en 48 heures, il ne pouvait faire la moindre enquête fiable en organisant sur le terrain, dans dixsept (17) Préfectures, l’audition des responsables locaux du parti plaignant ; il ne pouvait procéder de la sorte puisque les Préfets et Sous-Préfets exécutaient les instructions reçues, sous peine d’être révoqués de leurs fonctions après le scrutin. Dans sa lettre réponse du 28 novembre 2005, le Ministre a avancé une série de motifs de rejet : expiration du délai de dépôt des listes de candidatures, dépôt de listes sans dossiers individuels des candidats, dossiers incomplets, certificats de résidence irréguliers etc. La lettre ministérielle appelle deux observations : -
il est impensable que des partis comme l’UFR qui ont rappelé, à maintes reprises, le respect de la législation électorale au Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation et à la CENA commettent les erreurs les plus élémentaires ;
-
il est curieux que seul le PUP ait été capable de fournir des listes conformes aux textes en vigueur ; il n’est pas plus ancien que le RPG, l’UFR ou l’UPR 35 : ____________________ 34 : La lettre de l’UFR visait 3 communes et 54 CRD alors que le Ministre n’a fourni ses explications que sur les 3 communes et 46 CRD. 35 : L’UPR résulte de la fusion de l’UNR et du PRP ayant présenté des candidats à l’élection présidentielle de 1993.
36 créés tous en 1992, après l’adoption de la charte des partis politiques, le 23 décembre 1991, ils ont déjà tous participé à des consultations électorales organisées sur la base du même code électoral promulgué en même temps que la législation sur les partis politiques. La réalité est que, dans la grande majorité des cas, les rejets relevaient tout simplement de manœuvres administratives bien orchestrées : quand la liste n’a pas été rejetée purement et simplement sans motif, suprême expression de la puissance publique, le mandataire de la liste a été ballotté entre différents responsables administratifs chargés de l’élection pour alléguer un dépôt hors délai ; parfois, la liste est rejetée parce que le parti qui la présente ne figure pas sur la liste des partis autorisés pour la circonstance dans la circonscription électorale36 ; il est même arrivé que des listes régulièrement déposées contre récépissé soient restituées aux responsables locaux de partis37. La conséquence de cette cuisine politico-administrative a été que sur 341 circonscriptions électorales, le PUP, parti au pouvoir, a présenté 341 listes, l’UPR 102, le RPG 101, l’UFR 79, l’UFDG 14, l’UPG 3, le PPG et l’ANP cinq (5) chacun, l’UNPG 3, le PDG-RDA 2 et le PEG, l’UNP, l’UFD, le PRPAG, l’UDS et le PUD un chacun 38. Ainsi, le PUP s’est retrouvé seul à présenter des listes dans 115 CRD sur 303 et dans les deux (2) communes de Forécariah et Dubréka sur 33. ____________________ 36 : Cf. les lettres de protestation adressées par l’UFR au MATD les 18,19 et 26 novembre 2005. 37 : On cite cet exemple cocasse du sous-préfet adjoint de Dionfo qui, après avoir reçu la liste UFR et délivré récépissé, est allé la glisser nuitamment sous la porte du mandataire de liste après le retour des sous-préfets du chef-lieu de préfecture de Labé. 38 : « Le démocrate » nº 289 du 06 décembre 2005 p.5 ; « La croisade » nº 0113 du 23 décembre 2005 p.2.
37 Le récapitulatif des listes de candidats par parti interpelle par ailleurs l’observateur politique, eu égard au classement de l’UFR par rapport au RPG et à l’UPR. Trois explications peuvent être avancées. La première tient à la décision des partis du FRAD, de l’UPR et l’UFDG de constituer des listes d’union, une décision politiquement salutaire pour l’opposition 39 : elle justifie à Conakry la décision de l’UFR de ne présenter de listes de candidats que dans les communes de Kaloum et Matam, celles de Ratoma, Matoto et Dixinn ayant été laissées respectivement à l’UFDG, au RPG et à l’UPG. Malheureusement dans les faits, cette décision n’a pas produit les effets escomptés du fait d’une indiscipline au sein de ladite opposition 40. Ainsi, alors que l’UFR s’abstenait à Dixinn, les autres partis de l’opposition se livraient à une foire d’empoigne, obtenant selon les statistiques officielles, les résultats suivants face au PUP : PUP 20.508
PPG 558
RPG 5.786
UFDG 3.121
UNPG 988
UPR 4.723
UPG 579
Ce duel « fratricide » a été observé un peu partout dans les circonscriptions de l’intérieur, à quelques exceptions près (Télimélé, Fria), quand les listes n’ont pas été refusées ou rejetées. ____________________ 39 : Cf. « L’enquêteur » nº 91 du 27 octobre au 10 novembre 2005 p.2. 40 : Elle expliquerait que Jean-Marie Doré, leader de l’UPG, sentant la cause perdue, se soit désintéressé de la campagne électorale à Dixinn, préférant aller soutenir l’UPR à Labé. Par ailleurs, dans une interview accordée après les scrutins, Bah Oury, Secrétaire Général de l’UFDG a fait grief à l’UPR de cette indiscipline dans les communes de Ratoma, Pita, Mamou et Kindia. Cf. « La lance » nº 472 du 11 janvier 2006 p.8.
38 La seconde explication, et la principale, réside dans la volonté du pouvoir en place de démontrer à l’opinion nationale et internationale que, l’UFR sortie des oubliettes par l’adhésion en l’an 2000 de l’ancien Premier Ministre, Sidya Touré, n’a pas l’audience nationale qu’on lui prête. Or, contrairement aux deux partis de l’opposition classés devant elle et caractérisés, en dehors de Conakry la capitale, par une implantation régionale marquée, (la Moyenne-Guinée pour l’UPR et la Haute-Guinée pour le RPG, y compris les ressortissants de ces régions installés dans les autres préfectures du pays), l’UFR est, à l’image du PUP, le second parti à dimension véritablement nationale. Deux faits suffisent à l’établir : -
les 79 listes de candidats UFR acceptées par le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation sont réparties sur l’ensemble des quatre régions naturelles de la Guinée, et les résultats officiels placent ce parti en seconde position après le PUP à Tougué et Mali en Moyenne-Guinée et en troisième position à Dinguiraye et Siguiri en HauteGuinée ;
-
les tournées politiques en juin-juillet 2005 de Alpha Condé du RPG et Sidya Touré de l’UFR confirment davantage l’audience prêtée à l’UFR : alors que Sidya Touré parcourait toutes les quatre régions naturelles du pays, visitant les populations et ses militants dans les communes et nombre de sous-préfectures, Alpha Condé s’est contenté de meetings en Guinée Forestière et en Haute-Guinée.
Enfin, il importe de souligner que l’acharnement des structures de l’administration du territoire contre l’UFR a été particulièrement agressif en Guinée-Forestière, en Moyenne-
39 Guinée et en Basse-Guinée : le nombre de correspondances échangées 41 en dit long sur la réaction de ce parti à ce qu’il a considéré comme une volonté délibérée de l’exclure à terme du jeu politique ou, à tout le moins, de neutraliser de son ascension dans l’opinion publique : le parti a enregistré dans ces trois régions le plus grand nombre de refus de ses listes de candidats, notamment pour l’élection communautaire 42. Cette offensive de l’administration contre l’UFR qui n’est pas nouvelle 43, s’inscrit en droite ligne de la répression menée
____________________ 41 : Il y a eu plus de 6 lettres de protestation envoyées par l’UFR au Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation entre le 18 novembre et le 18 décembre 2005, non compris 2 lettres du FRAD datées des 07 et 12 novembre 2005. Le Ministre s’est efforcé, comme il a pu, de répondre à toutes ces correspondances. 42 : Par exemples, toutes les listes dans les CRD de Macenta (9 sur 9) et N’Zérékoré (7 sur 7), en Guinée Forestière ; dans les CRD de Forécariah (3 sur 5) et de Gaoual (2 sur 4), Télimélé (2 sur 4) en Basse-Guinée ; dans les CRD de Mamou (4 sur 6), de Labé (4 sur 4) et de Lélouma (3 sur 4) en Moyenne-Guinée. Cf. la lettre de protestation du 26 novembre 2005. 43 : Aux communales de 2000, dans la ville de Conakry, des listes UFR ont été déclarées irrecevables parce que des personnes y figurant étaient membres du PUP et y occupaient parfois des fonctions, ce qui pour le Gouverneur de l’époque, M’Bemba Bangoura, constituait une violation de l’article 27 de la loi organique portant charte des partis politiques. En l’espèce, le Gouverneur reprochait à ces personnes d’avoir quitté le PUP sans avoir préalablement présenté leur démission dudit Parti, comme si dans un Parti de masse comme le PUP, l’adhésion était subordonnée au dépôt d’une demande écrite. Cf. les lettres nº 160, 163 et 164 du 02 juin 2000 et nº 166 du 05 juin 2000 adressées par le Gouverneur de Conakry au Secrétaire Général de l’UFR in « La chronique » nº 1 du 06 juin 2000.
40 contre son leader, Sidya Touré, poursuivi pour complot et tentative d’assassinat du Président Lansana Conté en 2004 44. À l’occasion des élections du 18 décembre 2005, les techniques de fraude ont été raffinées au point de falsifier les logos de parti, encore cette fois de l’UFR 45. La falsification a pris la forme, soit d’une suppression pure et simple du logo en face de l’appellation « UFR » (communes de Lélouma, Dinguiraye et de Gueckédou et CRD de Kollet dans Télimélé), soit d’une altération du logo, le cercle à fond blanc contenant une daba et l’inscription « UFR » en caractères apparents étant remplacés par un cercle au fond à demi bleu recouvrant dans cette partie la daba, symbole de l’UFR dont la lettre « U » était seule visible (commune de Dalaba et CRD de Banankoro dans la préfecture de Kérouané). Pourtant, par lettre du 24 novembre 2005, le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation avait demandé aux partis politiques ____________________ 44 : Cf. arrêt nº 08 du 21 juillet 2004 de la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Conakry prononçant la nullité de tous les actes d’instruction établis dans le cadre de la procédure de fausse déclaration en douane, faux et usage de faux, attention et complot contre l’autorité de l’État intentée contre Ibrahima Capi Camara, Baïdy Aribot, Rouguy Barry, Sidya Touré et Colonel Mamadou Toto Camara in « La nouvelle tribune » nº 271 du 03 août 2004 pp. 6-7. Christian Lestavel, le complice français des initiateurs du complot, est passé à l’aveu, le 29 avril 2006 dans l’émission « Tout le monde en parle » de la chaîne de télévision française France 2 ; à l’occasion, il a présenté son livre « La loutre », de son nom de code de collaborateur. 45 : Cf. la reproduction en couleur des logos falsifiés de l’UFR sur les bulletins de vote unique dans la CRD de Banankoro (Kérouané) et dans les communes de Lélouma et de Gueckédou, in « Les échos » nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 pp. 1 et 11. Il y a eu aussi le cas de la commune de Dalaba.
41 participant aux scrutins du 18 décembre 2005, de déposer, au plus tard le vendredi 25 novembre 2005 à 13 heures, le spécimen de l’emblème ou du symbole de chaque Parti en vue de l’impression des bulletins de vote. Et tous les Partis se sont exécutés. La falsification du logo affecte la régularité du bulletin de vote unique : elle constitue une infraction sanctionnée par l’article L195 du code électoral, dans le cas d’espèce, par une peine d’emprisonnement de six mois à un an et d’une amende de 250.000 à 500.000 GNF, sanctions assorties de l’interdiction du droit de voter et d’être éligible pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. Malgré une lettre UFR du 15 décembre 2005 protestant contre la manœuvre, le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation ne réagira que le 26 décembre 2005, après une nouvelle protestation postélectorale de l’UFR en date du 23 décembre 2005 : les militants de ce Parti avaient pu saisir à Gueckédou, lors des scrutins du 18 décembre 2005, des bulletins falsifiés de l’UFR qu’ils ont ramenés à leur Direction nationale. Dans sa réponse embarrassée, le Ministère a prétendu que les bulletins de vote en cause n’étaient que des rebuts et que ce genre de malfaçon entraîne toujours un retrait des bulletins affectés, accusant au passage l’UFR de tactique politicienne. Malheureusement pour le Ministère, au lieu d’être jetés dans des poubelles, les rebuts d’impression étaient bien dans des bureaux de vote au moment de leur saisie46. ____________________ 46 : Sur cet échange de correspondances, voir « les échos » nº 101 du 18 au 31 janvier 2006 p.9.
42 Les irrégularités constatées dans la confection du bulletin de vote unique portent atteinte au droit de vote des militants du Parti concerné, qui ne pourront reconnaître la case où exprimer leur vote pour leur Parti ; il s’agit d’un fait grave quand on connaît le niveau d’analphabétisme de la population guinéenne, notamment dans les CRD : il y avait là une cause d’annulation pure et simple de tous les bulletins comportant des falsifications de logo. Pour compléter l’éventail des techniques de fraude avant le scrutin, il importe d’ajouter les faits suivants : -
l’installation tardive des commissions électorales de surveillance, ce qui ne leur a pas permis de contrôler, avant le 18 décembre 2005, l’état de préparation des scrutins47 ;
-
la validation tardive de listes de candidats : ainsi les militants et responsables de l’UFR n’ont été informés de la validation de leurs listes dans les CRD de Gougoudjè et de Sogolon (Préfecture de Télimélé) que la veille des scrutins, le 17 décembre 200548 : le Parti n’ayant pas fait campagne, ses militants n’ont pas été incités à se rendre aux urnes ;
-
l’interdiction de faire campagne en dehors du siège des Partis d’opposition ; telle a été la décision du SousPréfet de Banankoro (Préfecture de Kérouané)49 : l’objectif visé est de limiter l’impact du message ____________________ 47 : La CENA créée par décret du 10 octobre 2005 n’a pu se déployer à temps avec la mise en place de ses structures locales. 48 : Cf. Mémorandum des partis de l’opposition du 21 décembre 2005 in « Les échos » nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 p.11. 49 : Cf. Mémorandum des partis de l’opposition op. cit.
43 politique du Parti sur les électeurs de la localité, de neutraliser de ce fait son effet mobilisateur. Tout cet arsenal de manœuvres frauduleuses a fonctionné dans une ambiance de campagne électorale marquée par l’intimidation et les menaces de mutation des fonctionnaires figurant sur les listes de l’opposition ou soucieux de l’application de la loi 50 et la mobilisation par les ministres de tous les cadres administratifs déployés dans toutes les circonscriptions électorales pour la cause du PUP, avec l’utilisation massive des biens de l’État (véhicules et moyens financiers). 2- Les techniques utilisées pendant le vote. Le mémorandum des partis de l’opposition du 21 décembre 2005, les déclarations UPR du 30 décembre 2005 et UFR du 02 janvier 2006, les réclamations des listes UFR de Kaloum et Matam (Conakry) et l’interview de Bah Oury, Secrétaire Général de l’UFDG, illustrent, avec parfois des détails choquants pour la conscience civique, les techniques utilisées lors des scrutins du 18 décembre 2005 51. Elles peuvent cependant être regroupées en quatre catégories suivant qu’elles concernent l’identification de l’électeur, l’installation des bureaux de vote et leur accès aux délégués des partis politiques et les votes multiples. En application des articles L21 et L78 du code électoral, l’électeur doit, à son entrée dans la salle de vote, présenter sa carte électorale qui est estampillée ou visée dans la case ____________________ 50 : Cf. Le journal « l’œil » nº 195 du 14 au 20 juin 2000 p.9. 51 : Cf. - « Les échos » nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 pp. 6, 7 et 11 - « La nouvelle tribune » nº 343 du 10 janvier 2006 pp. 3 et 4 - « La lance » nº 472 du 11 janvier 2006 p. 8 et 9.
44 prévue à cet effet avec mention de la date du scrutin. Il doit en outre décliner son identité par la production de l’un des documents ci-après : la carte d’identité nationale, le passeport, le livret militaire, le livret de pension civile ou militaire, la carte d’étudiant ou d’élève de l’année scolaire en cours, la carte consulaire, l’attestation délivrée par le chef de district et contresignée par deux notables du district dans les districts ruraux. Du contenu de ces textes, il ressort clairement que l’attestation d’identité par un chef de district ne peut servir que dans un scrutin communautaire. Tel n’a pas été le cas le 18 décembre 2005. En effet, si du fait des difficultés matérielles et financières (éloignement des commissariats de police chargés de la délivrance des cartes d’identité nationale, coût de ces cartes pour des paysans), la délivrance des attestations d’identité se justifie en milieu rural, le recours à de tels documents n’est ni autorisé par la loi, ni justifié dans les communes urbaines. Or, force est de constater qu’il en a été fait un usage abusif lors du scrutin communal du 18 décembre 2005 : les chefs de quartiers des communes ont été habilités à établir des attestations d’identification dont la délivrance sélective n’a profité qu’aux électeurs favorables au PUP. Pire, il s’est trouvé que, par exemple, dans le secteur 4 du quartier Manquepas dans la Commune de Kaloum à Conakry, l’un des deux témoins chargés d’identifier l’électeur, était candidat sur la liste PUP dans ladite commune 52. Ces attestations ____________________
52 : Cf. les attestations d’identification délivrées le 18 décembre 2005 à MBemba Camara, Abdourahmane Diallo, Mamadou Sanoussi et Mamadou Camara par le chef de quartier Manquepas, Mohamed
45 d’identification délivrées illégalement et sans aucune rigueur, ont favorisé, entre autres, les votes multiples. Car rien n’empêchait un électeur détenant une carte d’identité de se faire établir une attestation d’identification. L’usage irrégulier et abusif des attestations d’identification et des procurations et les entraves à l’accès libre des électeurs aux attestations d’identification ont été relevés par la mission d’observation nationale dans son rapport préliminaire du 22 décembre 2005, confirmé par le rapport définitif de janvier 2006. Conformément à l’article L71 du code électoral, il est créé un bureau de vote pour 1.000 électeurs au maximum, et le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation fixe par arrêté la liste des bureaux de vote 30 jours avant le scrutin. Les articles L74 alinéa 2 et 82 alinéa 3 autorisent les candidats à se faire représenter dans les bureaux de vote. Les isoloirs ne doivent pas être placés de façon à dissimuler au public les opérations électorales (article L76 alinéa 2). Deux lacunes se dégagent de ces textes, qui seront exploitées à des fins de fraude électorale : la loi n’interdit pas expressément au Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation l’installation de bureaux de vote dans certains lieux, même si l’alinéa 5 de l’article L72 dispose que le Ministère devra veiller à une bonne répartition des bureaux de vote à l’intérieur d’une même circonscription ___________________________________________________________ Lamine Camara, et signées en qualité de témoin par Amadou Sylla, candidat sur la liste PUP : voir « Les réclamations de la liste UFR à Kaloum », in « Les échos » nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 p.6.
46 électorale ; elle ne confère pas non plus la qualité de membre des bureaux de vote aux représentants des partis présentant des candidats ou listes de candidats : l’article L71 indique que chaque bureau de vote est composé de 5 membres désignés par arrêté du Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation sur proposition des Préfets qui doivent choisir parmi les électeurs de la circonscription, à l’exclusion des candidats et de leurs parents en ligne directe ou par alliance jusqu’au quatrième degré, et l’article 72 alinéa 6 précise que les Présidents des bureaux de vote sont choisis parmi les cadres de l’État connus pour leur probité, leur intégrité et leur bonne moralité. Avant de revenir sur les questions du lieu d’installation et du statut des délégués des partis politiques, il faut relever déjà que les prescriptions de l’article 72 alinéa 6 sont contestables car la probité, l’intégrité et la bonne moralité ne sont pas des qualités que peuvent seuls présenter les cadres de l’État, elles s’observent chez les individus dans toutes les couches sociales. Par ailleurs, limiter le choix des Présidents des bureaux de vote aux seuls cadres de l’État ouvre la porte aux pressions du pouvoir sur les bureaux de vote dans la mesure où la désignation est faite par le Ministère parmi les électeurs proposés par les Préfets. L’élection étant organisée par le Ministère et non par une CENI, le statut de fonctionnaire des Présidents de bureaux de vote en fait des agents aux ordres. S’agissant du lieu d’installation des bureaux de vote, la loi confère une liberté de choix au Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, même s’il doit veiller à une bonne répartition des bureaux dans chaque circonscription électorale. Cependant, pour une question de sincérité du vote, certains endroits, malheureusement choisis
47 pour les scrutins du 18 décembre 2005, auraient dû être évités. Il s’agit d’abord des camps militaires et des structures paramilitaires : ainsi du camp Almamy Samory (6 bureaux totalisant 5.189 inscrits), de l’État-Major de la Gendarmerie (2 bureaux avec 1.899 inscrits), du Bataillon Autonome de la Sécurité Présidentielle (3 bureaux avec 2.601 inscrits), de l’État-Major de la Marine Nationale (2 bureaux totalisant 458 inscrits) et de la Direction Nationale des Douanes, tous dans la Commune de Kaloum ; dans la Commune de Matoto, le camp Alpha Yaya Diallo et l’Etat-Major de l’Air ont abrité aussi des bureaux de vote 53. Il convient à cet égard d’observer, qu’exception faite du Camp Samory, de la Gendarmerie et du Camp Alpha Yaya Diallo, tous les autres lieux ne sont pas habités. La conclusion est fort simple : les personnes y inscrites n’étaient que des électeurs fictifs, la résidence étant une des conditions d’inscription sur la liste électorale d’une circonscription (article L5 du code électoral), et les militaires, douaniers et autres personnes commises à la tâche se sont chargés de les d’identification grâce aux attestations représenter illégalement établies. Il a été aussi constaté l’ouverture de bureaux de vote aux sièges locaux du Parti au pouvoir, le PUP : il en a été ainsi ____________________ 53 : Cf. la déclaration de Bâ Mamadou, Président de l’UFDG faisant état de sa protestation au sein du Camp Samory à la vue d’un électeur muni de 12 cartes d’électeur et qui s’apprêtait à voter. Une protestation qui a conduit sur les lieux le Général Kerfalla Camara, Chef d’État-major des forces armées nationales et le Colonel Kandet Touré, Directeur de Cabinet du Ministère de la Défense. in « Le lynx nº 717 du 19 décembre 2005 p.2.
48 dans les quartiers Kouléwondy (bureau nº 1) et Almamya (bureau nº 12) dans la commune de Kaloum à Conakry. Tous ces faits ont été dénoncés avant le 18 décembre 2005 à la CENA sans réaction de sa part. Aux irrégularités ci-dessus évoquées, il y a lieu d’ajouter deux autres techniques tout aussi efficaces que les autres. Il s’agit : -
d’une part, du transfert de bureau de vote : ainsi le bureau de vote nº 11 (871 inscrits) initialement prévu au Collège du Château-d’eau dans le quartier Almamya s’est retrouvé dans la cour de la Direction Nationale des Douanes dans la Commune de Kaloum à Conakry ; l’électeur inscrit ignorant le nouveau lieu d’installation de son bureau de vote, il ne peut voter et il sera facile de disposer de sa voix par la technique la plus appropriée ;
d’autre part, de l’installation d’urnes fictives : tel a été le cas, par exemple, à Matam Lido (Commune de Matam à Conakry), de la concession de feu El Hadj Baba Sylla qui a abrité une urne fictive, où le chef de quartier Amara Bangoura et Hadja Aïssata Sylla dite « Sinafakhè », candidate sur la liste communale PUP, remplissaient eux-mêmes les enveloppes et distribuaient les attestations d’identification ; certaines anomalies graves observées lors du dépouillement et du transport des urnes n’étaient simplement que la conséquence directe de l’existence de ces urnes fictives 54. ____________________ -
54 : Sur toutes ces questions, cf : la lettre de l’UFR du 30 novembre 2005
49
p.4
adressée à la CENA in « Les échos » nº 99 du 16 au 23 décembre 2005
En ce qui concerne la représentation des partis politiques dans les bureaux de vote, aucun parti politique ne renonce à cette faculté donnée par la législation électorale, mais son usage se heurte parfois à des obstacles qui relèvent tout simplement de la tracasserie administrative, et cela à dessein. En effet, la journée du 18 décembre 2005 a enregistré des faits tout aussi inattendus que grossiers à l’ouverture des bureaux de vote comme au cours du déroulement des scrutins. Pour empêcher les délégués des partis politiques d’assister au démarrage des opérations de vote, un stratagème a été conçu : demander à ceux-ci d’aller faire viser par les chefs de quartier l’ordre de mission délivré à eux par le Parti mandant alors que lesdits documents étaient déjà visés par la Mairie 55 ; leur absence est mise à profit, après le début du scrutin, pour glisser dans les urnes les bulletins de vote préparés pour les besoins de la technologie électorale. Un fait difficile à _________________________________________________ le mémorandum du 21 décembre 2005 des partis d’opposition in « Les échos » n° 100 du 03 au 17 janvier 2006 p.11 ; la déclaration UPR du 30 décembre 2005 in « La nouvelle tribune » nº 343 du 10 janvier 2006 p. 3 ; les réclamations des listes UFR de Kaloum et de Matam (Conakry) in « Les échos » nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 pp. 6 et 7. 55 : Ainsi Aboubacar Yattara et Aboubacar Sylla, délégués UFR dans les bureaux de vote n° 5 et 11, munis chacun d’un ordre de mission de la fédération UFR de Kaloum daté du 06 décembre 2005 et visé à la Commune de Kaloum le 16 décembre 2005, ont dû aller, le 18 décembre 2005, jour du scrutin, faire viser leurs ordres de mission par le chef du quartier Manquepas, Mohamed Lamine Camara. Le scénario s’est reproduit dans le quartier Boulbinet de la même Commune avec le chef de quartier Oumar Thorez Touré. Cf. la plainte de la liste UFR de Kaloum in « Les échos » nº 100 du 03
50 au 17 janvier 2006 p.6.
contester par les représentants des partis, à leur retour, s’ils ont trouvé à temps le chef de quartier, plusieurs électeurs ayant déjà accompli leur devoir civique : les urnes ne devant être ouvertes qu’à la clôture du scrutin, ils ne peuvent demander à compter le nombre de bulletins dans les urnes pour faire une comparaison avec le nombre d’électeurs ayant émargé la liste électorale à leur retour dans les bureaux de vote. N’ayant pas la qualité de membre des bureaux de vote, les délégués des partis politiques, surtout ceux de l’opposition, ont un pouvoir d’intervention limité ; ils sont tout au plus des témoins gênants, ce qui explique que, non-signataires des procès-verbaux de dépouillement, ils peuvent simplement y porter leurs observations ou réserves (article L85 alinéa 2 du code électoral). À ces faits, il faut ajouter le traitement peu courtois, voire brutal dont certains délégués de partis trop regardants sur l’application des textes ont fait l’objet : ils ont parfois fini la journée du 18 décembre 2005 hors des bureaux de vote 56 et ce, par un usage abusif des pouvoirs de police des Présidents de bureau de vote prévus par l’article L73 du code électoral. Cette agressivité sera confortée par une mauvaise interprétation de l’arrêté nº 5496/MATD/CAB/2005 du 08 novembre 2005 portant composition des commissions centrales et commissions sous-préfectorales de recensement des votes, comme on le verra plus loin lors de la centralisation des résultats. ____________________ 56 : Cf. les réclamations des listes UFR de Kaloum et de Matam, op. cit.
51
Toutes ces irrégularités ont eu pour conséquence directe le bourrage des urnes et les votes multiples, notamment par des mineurs 57, des électeurs « nomades » en mission dans les bureaux de vote choisis 58 et surtout des chefs de famille acquis à la cause. Elles seront poursuivies dans leurs effets par les manœuvres qui ont précédé la proclamation des résultats. 3- Les techniques utilisées après le vote. Elles concernent le dépouillement des bulletins, regroupement des urnes et la centralisation des voix.
le
Diverses méthodes ont été employées. Mais d’une façon générale, le dépouillement s’est effectué en l’absence de la plupart des délégués des partis, en particulier de ceux de l’opposition, ou quand ils ont été présents, ils n’ont pu avoir accès aux fiches de résultats ou faire admettre leurs réserves et observations. ____________________
57 : Cf. les faits observés dans le quartier de Mafanco-centre, à l’école publique Alexandre Bouré à propos du vote d’enfants de 12-13 ans in « Le national » n° 31 décembre 2005 p. ; de même le témoignage du Sous-Préfet de Sanguiana (Kouroussa) où eurent lieu des incidents sanglants (blessés par armes à feu utilisées par des militaires) in « Solidarité » n° 009 du 17 janvier 2006 p.2 et l’interview du Préfet, Charles André HABA, de Kouroussa, dans sa version des faits de Sanguiana qui confirme le vote des enfants mineurs, in « L’observateur » nº 296 du 02 janvier 2006 p. 4. 58 : La déclaration UPR du 30 décembre 2005 cite deux cas topiques de vote multiples : au bureau nº 6 au Camp Alpha Yaya Diallo, un agent en uniforme aurait voté pour 150 personnes ; au bureau nº 7 à l’État-Major de l’Armée de l’Air, un autre aurait utilisé 220 bulletins. Par ailleurs, la réclamation de la liste UFR de Matam révèle qu’une famille Traoré de Boussoura a disposé de 60 cartes pour 20 électeurs.
52 En application des articles L82 à L92 du code électoral, le dépouillement a lieu dans chaque bureau de vote immédiatement après la clôture du scrutin, en présence des représentants des partis politiques ou des candidats, lesquels ont le droit de consigner leurs observations sur les procèsverbaux de dépouillement : le résultat du scrutin est rendu public et, à ses frais, tout représentant de parti politique peut prendre copie du procès-verbal de recensement des résultats provisoires. Chaque Président de bureau de vote transmet, par la voie la plus rapide, à la commission de recensement de la circonscription électorale l’un des trois exemplaires du procès-verbal de dépouillement avec les pièces qui doivent être annexées 59. La Commission de recensement procède à la centralisation des résultats en présence des représentants des partis politiques et transmet un exemplaire de son procès-verbal au Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation. Conformément à l’article L73 du code électoral, le Président du bureau de vote dispose du pouvoir de police à l’intérieur du bureau de vote et peut en expulser toute personne qui ____________________ 59 : Alors que le 3ème exemplaire du procès-verbal de dépouillement est conservé à la Sous-Préfecture ou à la Préfecture selon le type d’élection, le 2ème exemplaire est adressé au Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation avec les pièces énumérées à l’article L87. L’intérêt de cette communication par les bureaux de vote n’est pas évident dans la mesure où l’article L89 prescrit à la Commission de recensement d’adresser un exemplaire du procès-verbal de centralisation des voix au Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation. Il y a là un double emploi
53 peut perturber le déroulement des opérations de vote. Par ailleurs, nulle force armée ne peut, selon le texte, sans son autorisation, être placée dans la salle de vote, ni à ses abords immédiats, ni y intervenir de quelque manière que ce soit. Au regard de ces règles très précises, certains comportements et actes observés le 18 décembre 2005 ont manifestement surpris. Dans les faits, le dépouillement dans plusieurs bureaux de vote s’est effectué en l’absence de délégués expulsés le plus souvent pour avoir protesté contre les violations de la loi électorale, ou suite au transfert des opérations de dépouillement dans des lieux inconnus, ou au domicile du chef de quartier pour cause d’absence de courant électrique. Quand ce fut le cas, seuls les chefs de quartier et les responsables du PUP ont pu y assister. Dans de telles conditions, il était exclu que les délégués des partis d’opposition puissent obtenir des fiches de résultats. Le comble a été atteint lorsque des membres de la CECA au niveau de la Commune de Kaloum ont été empêchés _________________________________________________ comportant un risque de manipulation des chiffres au Ministère chargé de donner les résultats du scrutin. Le 2ème exemplaire devrait être laissé à la disposition des représentants des partis politiques, qui s’organiseraient pour en faire des copies, à défaut pour le législateur d’instituer un système de procès-verbaux par calque. À l’occasion du contentieux des élections présidentielle et législative, le défaut par les requérants de produire des copies des procès-verbaux signés entraîne systématiquement le rejet de leur action en contestation des résultats des bureaux de vote. Cf. la déclaration de Hamidou Salif Kané, ancien Président de la CENI du Niger in « La lance » nº 463 du 09 novembre 2005 p.8 (renvoi nº 144 infra).
54 d’accéder aux salles de dépouillement dans le quartier Sandervalia par la police qui interdisait l’accès des lieux 60. Le dépouillement effectué dans cette ambiance est l’occasion rêvée de modifier les résultats, d’invalider les bulletins des partis à « éliminer » ou à « ridiculiser ».61. S’il est opportun de se soucier de la sécurité des urnes lors de leur transfert vers les lieux de centralisation en faisant escorter les convoyeurs par les forces de l’ordre, la présence de celles-ci dans les salles de centralisation n’est ni légale, ni justifiée. Ce fait a été constaté à maints endroits : à Siguiri, à Mandiana où le recensement des voix a eu lieu au camp militaire des Rangers (corps d’élite de l’Armée guinéenne). À Boké, le bloc administratif où siégeait la Commission de centralisation était encerclé par les gendarmes et les policiers, les délégués des partis d’opposition étaient empêchés d’accompagner les Présidents des bureaux de vote au lieu de la centralisation ; certains de ces Présidents de bureaux n’avaient aucun scrupule à remplir leur fiche de dépouillement dans la cour du bloc administratif 62. ____________________ 60 : Il s’agit de Maître Maurice Sâa Tolno, avocat à la Cour, et Abdourahamane Telly Touré, membre de la CECA, représentation communale de la CENA dans la commune de Kaloum. Cf. « Les échos » nº 101 du 18 au 31 janvier 2006 p.7. 61 : Dans un interview post-électorale, Sidya Touré a ainsi déclaré que dans le quartier Manquepas, dans la Commune de Kaloum, son parti, l’UFR, a vu plus de 1450 votes émis en sa faveur invalidés, in « Mutation » nº 01 du 13 janvier 2006 p. 3. Sur l’ensemble de la question, voir le mémorandum précité des partis d’opposition, les déclarations précitées de l’UPR et de l’UFR. 62 : Cf. le mémorandum précité des partis d’opposition daté du 21 décembre 2005, in « Les échos » n° 100 du 03 au 17 janvier 2006 p. 11 ; la déclaration de Alpha Kabiné Magassouba, Secrétaire fédéral UFR de Siguiri in « Solidarité » nº 009 du 17 janvier 2006 p. 3 ; « Le lynx » nº 718 du 26 décembre 2005 p.6.
55 La centralisation des résultats par circonscription électorale a été des plus défectueuses par les conditions de transfert, l’identité des participants à la centralisation et certains actes posés à l’occasion et qui portaient gravement atteinte à la régularité et à la sincérité du vote. Des dépôts tardifs des procès-verbaux de dépouillement ont ainsi été enregistrés : rien ne justifiait que dans la capitale Conakry, certaines Commissions de centralisation aient reçu les procès-verbaux 12 à 24 heures après la clôture du scrutin. La plainte de la liste UFR de Matam que le juge président de la Commission a refusé de recevoir, fourmille de détails croustillants 63. Par ailleurs, l’absence parfois des délégués des partis de l’opposition enlève tout crédit aux résultats de la centralisation. Elle a conduit à des inversions des résultats 64, ou à l’affectation de résultats à des listes fictives comme à Siguiri avec une prétendue liste UFD 65, le tout en violation de l’article L88 alinéa 3 qui interdit la modification des résultats arrêtés par les bureaux de vote. ____________________
63 : Dans le quartier Boussoura (Commune de Matam) à Conakry, Mohamed Sylla dit Janski, conseiller du Gouverneur de Conakry, n’a déposé les procès-verbaux de 8 bureaux de vote que le lundi 19 décembre 2005 à 6 heures du matin, soit 12 heures après la clôture du scrutin. Dans la même commune, certains bureaux ont transmis leurs résultats 24 heures après, cf. la réclamation de la liste UFR de Matam in « Les échos » nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 p. 7. Bien évidemment, ce temps est mis à profit pour la manipulation des chiffres. 64 : Dans un interview au journal « Mutation » (nº 01 du 13 janvier 2006 p. 3), Sidya Touré a évoqué le fait que dans le quartier Manquepas, dans la Commune de Kaloum, à Conakry, plus de 1450 bulletins de vote en faveur de son parti, l’UFR, ont été annulés. 65 : Selon le tableau officiel des listes de candidats, l’UFD ne présentait qu’une liste à Kindia où il a obtenu officiellement 3635 voix, se classant au 2ème rang après le PUP et avant l’UPR. Fort
56 Toutes ces irrégularités ont été aggravées par une mauvaise interprétation de l’arrêté ministériel du 08 novembre 2005 portant composition des commissions centrales et commissions sous-préfectorales de recensement des votes : le Ministre n’ayant pas expressément indiqué que les délégués des partis avaient accès aux travaux desdites commissions, certains membres de ces commissions, au détriment des partis d’opposition, ont conclu très rapidement à l’exclusion de ces délégués. Naturellement, l’exclusion ne visait pas les délégués du PUP, parti au pouvoir. L’interprétation était d’autant erronée et malintentionnée que l’alinéa 2 de l’article L88 du code électoral dispose expressément que le recensement des votes est effectué, en présence des représentants des candidats ou des listes de candidats par une commission administrative centrale désignée par le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation et présidée par un magistrat de l’ordre judiciaire désigné par la Cour Suprême. Multiforme dans ses manifestations, la technologie électorale l’est aussi dans ses causes. Le « mystère de la représentation » 66 qui sous-tend le vote de chaque citoyen dans une démocratie fait de chaque électeur le souverain. On comprend dès lors que tout soit mis en œuvre pour orienter le sens de chaque bulletin jeté dans l’urne, au grand dam de l’expression libre et sincère qui confère légitimité à tout élu. _________________________________________________ curieusement, les mêmes résultats officiels le donnent candidat à Siguiri où il est crédité de 331 voix, cf. « la nouvelle tribune » nº 342 du 03 janvier 2006 p. 8 et la déclaration de Alpha Kabiné Magassouba, Secrétaire fédéral UFR de Siguiri in « Solidarité » nº 009 du 17 janvier 2006 p. 3 : lors du dépouillement, la liste avait eu 325 voix et non 331 à la proclamation des résultats officiels. 66 : Cf. Jean-Philippe Immarigeon, op. cit. p.17.
57 II- Les causes administratives et politiques de la technologie électorale. Dans les réponses données au nom du Gouvernement, le 03 octobre 2005 67, au mémorandum du 12 juillet 2005 signé par 29 partis politiques, à l’exception des partis du FRAD (Dyama, PDA, RPG, UFR, et UPG) et de l’UPR 68, le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation a insisté sur la nécessité d’éviter une confusion des rôles entre l’organisateur du scrutin, les candidats, les électeurs et les contrôleurs ou superviseurs. À l’analyse, la fraude électorale est le résultat : -
d’une part, de l’action délibérée de l’administration en charge de l’organisation des scrutins et des autres agents de l’État intervenant à quelque niveau que ce soit dans le déroulement des consultations électorales ;
-
et d’autre part, de la passivité ou de la division ou désorganisation des autres intervenants dans le processus électoral, qu’il s’agisse des partis politiques ayant investi les candidats ou listes de candidats ou de la Commission de supervision des votes.
1- L’absence de neutralité de l’Administration et de ses agents. Aux termes de l’article 23 de la constitution du 23 décembre 1990, « quiconque occupe un emploi public ou exerce une ____________________ 67 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 330 du 11 octobre 2005 pp. 4 et 5. 68 : L’UPR avait motivé son refus de signer par le fait que la commission
fonction publique est comptable de son activité et doit
58 respecter le principe de neutralité du service public. Il ne doit user de ses fonctions à des fins autres que l’intérêt de tous ». Contenu dans la loi fondamentale guinéenne, le principe de neutralité du service public a une valeur constitutionnelle 69. Le principe a une double portée : « il signifie, d’une part, que son gestionnaire doit négativement s’abstenir dans ses rapports avec ses usagers, ses agents ou ses fournisseurs de tout comportement les favorisant ou à l’inverse les défavorisant pour des motifs dénués de rapport avec l’objet même de l’activité exercée ; il implique, à l’inverse, que le titulaire du service soit tout à fait indifférent à ces considérations et qu’il adopte un comportement aussi objectif que possible, de façon à respecter l’ensemble des croyances et des convictions » 70. Il est une condition essentielle de l’effectivité du caractère universel, direct, égal et secret conféré au suffrage par l’article L1 du code électoral ; il est un déterminant de la régularité du scrutin tel que prescrite par l’article L2 dudit code et soumise au contrôle des Cours et tribunaux. _________________________________________________ électorale proposée n’était pas réellement autonome. Cf. « L’observateur » nº 278 du 17 août 2005 pp. 5 et 6. 69 : Le Conseil constitutionnel français a reconnu cette valeur constitutionnelle au principe dans sa décision du 23 juillet 1996, statut de France Télécom. 70 : Renan Le Mestre : « Droit du service public » Gualino éditeur Paris 2005 p. 390. Sur les arguments en faveur de la neutralité de l’administration (garantie pour les libertés publiques, gestion administrative par des agents nommés en fonction de leur compétence), lire Bernard Gournay : « Introduction à la science administrative. Les administrations publiques dans les sociétés contemporaines » Librairie Armand Colin, Paris 1966 pp.236-237. Sur la subordination politique de l’administration, cf. Jacques Chevallier : « Science administrative » 3è éd. PUF, Paris 2002 pp.262 et suiv.
59 Le principe de neutralité impose à la fois aux agents de l’Administration abstention et objectivité. Et cela est particulièrement important pour l’exercice des libertés politiques garanties par la loi fondamentale : l’exercice de la souveraineté nationale par l’élection des représentants et la consécration du suffrage universel (article 2), la participation des partis politiques à l’expression du suffrage (article 3), la liberté d’opinion politique et de son expression (article 7), la liberté d’association, donc d’adhésion au parti politique de son choix (article 10). C’est pour garantir l’application effective du principe de neutralité que l’article 33 de la constitution dispose que « la charge du Président de la République est incompatible avec l’exercice de toute autre fonction publique ou privée, même élective. Il doit notamment cesser d’exercer toutes responsabilités au sein d’un parti politique ». En clair, le Président de la République, chef de l’Exécutif (article 38 et 39 de la constitution) et chef de l’Administration publique (article 40 de la constitution), doit être au-dessus de la mêlée politique. Fort malheureusement, telle n’est pas la situation dans le régime guinéen actuel : le Président Lansana Conté, chef de l’État et de l’Exécutif monocéphale, est Président honoraire du PUP. En fait, il est le Président fondateur, comme il l’a déclaré le 23 août 2003 au siège du Parti : il en est le chef de l’exécutif, celui qui autorise et finance la tenue de tous les congrès, conventions et conférences nationales, ainsi que toutes les actions politiques d’envergure. Cette situation inconstitutionnelle entraîne d’une part, que certains cadres de l’État cumulent leurs fonctions administratives avec des responsabilités dans les instances du PUP et, d’autre part, que
60 les fonctionnaires sont transformés en agents électoraux du Parti présidentiel. Dans une déclaration publiée dans la presse en 2005 avant les scrutins du 18 décembre 2005 71, les Partis politiques membres du FRAD avaient dénoncé le lien organique entre certains hauts cadres de l’État et les structures du PUP. Des exemples fournis, il se dégage le tableau suivant : Organismes dirigeants du PUP Bureau Politique National
Gouverneurs de région 2 Préfets 2
Comité Central 2
Comité Bureaux National de Fédéraux Jeunes 3
1 7
%
62,5 % 36,3 %
Ainsi 62,5 % des 8 Gouverneurs de région et 36,3 % des 33 Préfets sont membres des organismes dirigeants du PUP. À ces hauts fonctionnaires, il faut ajouter les Secrétaire Généraux de Préfecture membres des bureaux fédéraux du PUP et les Sous-Préfets et secrétaires communautaires membres des Comités Directeurs de ce Parti. L’engagement politique de ces hauts cadres de l’Administration territoriale fait d’eux des agents électoraux plus efficaces que les militants les plus mordus, en raison de leur double qualité d’organisateur des élections dans leur ressort territorial et de chef hiérarchique des agents publics en fonction dans la circonscription électorale relevant de leur ____________________ 71 : Cf. « L’observateur » n° 281 du 05 septembre 2005 p.2.
61 autorité. C’est ce qui a fait déclarer à Sidya Touré. « Le PUP n’a plus rien sur le terrain. La réalité que nous connaissons, c’est l’Administration qui veut voter à la place du PUP » 72. Et le leader de l’UFR ne croyait pas si bien dire, conforté qu’il est dans ses appréhensions par les propos de Dansa Kanté, Gouverneur de Boké, après les scrutins du 18 décembre 2005 : « Nous (le PUP) avons perdu la commune de Boffa remportée par l’UFR. Nous avons perdu Fria qui a été gagnée par l’UPR. Le PUP a gagné à Boké, Gaoual et Koundara » 73. L’engagement de l’Administration territoriale aux côtés du PUP est une constance des élections guinéennes ainsi qu’il ressort de cette déclaration faite à l’occasion des communales 2000 par Abou Chéri Camara, à l’époque Gouverneur de Boké, actuellement en poste à Mamou : « Chaque vote qu’on fera à Boké, le PUP doit le gagner, sauf si nous sommes des vauriens. Nous refuserons qu’un autre Parti soit élu à Boké…On n’est pas contre un parti. Mais on ne veut pas qu’un autre parti triomphe en présence du PUP à Boké »74. Abdoulaye WADE, Président de la République du Sénégal, a justement employé à ce sujet l’expression de « partiadministration »75. Excès de zèle ou engagement conscient, les hauts cadres de l’Administration territoriale font parfois preuve d’une agressivité gratuite à l’égard des partis d’opposition et de ____________________ 72 : Cf. « L’Humanité » nº 30 du 17 novembre 2005 p.7. 73 : Cf. « Le lynx » nº 718 du 26 décembre 2005 p.6. 74 : Cf. « L’œil » nº 195 du 14 au 20 juin 2000 p. 9. 75 : Cf. son ouvrage : « Un destin pour l’Afrique » Michel Lafon, Paris 2005. p.44.
62 leurs leaders. L’expression de Hassan Sanoussi, Préfet de Gaoual en 2003 est à cet égard d’une crudité déconcertante : « Demandez à l’UFR si le Parti a des représentants dans cette Préfecture… L’UPR a un groupe de 20 personnes, c’est terminé. Le RPG n’a qu’un seul individu qui monte et descend sur la moto… L’opposition est libre d’aller à Gaoual tenir ses meetings, faire sa campagne. N’importe quel opposant qui va dans ma préfecture pour tenir des propos injurieux à l’endroit du Chef de l’État, des membres du Gouvernement ou à mon endroit, je le ferai tendre par mes agents. Je lui donne 50 coups et je le laisse partir. Je ne porte pas plainte. La procédure est trop longue. Moi, on ne m’insulte pas. Je suis le représentant du pouvoir, le pouvoir du Général Lansana Conté » 76. Ces cadres administratifs sont encouragés dans leur attitude par les rencontres régulières avec les responsables du PUP qui, à l’occasion, transmettent les messages, voire les instructions politiques. Ainsi, avant les scrutins du 18 décembre 2005, et pour les besoins de la confection des listes du Parti, le Secrétaire Général du PUP, Sékou Konaté a conféré avec les Préfets des régions de Mamou, Faranah et N’Zérékoré, un fait dénoncé par le FRAD dans une lettre du 12 novembre 2005 adressée au Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation 77. ____________________ 76 : Cf. « L’indépendant plus » nº 156 du 02 juin 2003 p.5. 77 : Il faut noter que ces rencontres sont favorisées par la structure du PUP qui est parallèle à celle de l’État : le comité de base du Parti correspondant au quartier ou au village, le comité directeur à la sous-préfecture, la fédération à la Préfecture, seule la région n’a pas été prévue. Ainsi le PUP est organisé sur le modèle du PDG-RDA dans son statut de Parti-État sous la Révolution, en application de la constitution guinéenne du 14 mai 1982. Sur cette articulation entre le Parti et l’Administration territoriale, lire Gérard Conac : « Les institutions administratives des États
63 Pour bien comprendre ce genre de comportement, il faut partir d’une réalité : le fonctionnaire guinéen n’a pas de garantie de carrière, encore moins un profil de carrière, en dépit de l’existence de la loi n°L/2001/028/AN du 31 décembre 2001 portant statut général des fonctionnaires, qui a remplacé l’ordonnance n°048/PRG/SGG du 08 octobre 1959. La Guinée vit dans une ambiance frauduleusement organisée de parti dominant, pour ne pas dire de parti unique, combinée avec une privatisation du pouvoir et ses corollaires de personnalisation et de patrimonialisation des rapports publics : « les affaires publiques étant gérées en faveur d’une finalité privée, la politique et l’Administration deviennent sources d’avantages économiques »78. Pour participer au partage du gâteau public, l’agent administratif doit faire preuve d’une loyauté à toute épreuve et, bien évidemment, la part de gâteau sera proportionnelle au degré d’engagement ou de zèle, ou mieux de démagogie, car il n’est pas rare d’entendre l’agent soutenir en privé le contraire de son discours public. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que la démagogie, le clientélisme, le népotisme, les considérations ethniques et autres deviennent les critères de nomination et d’avancement des agents, en lieu et place des règles gouvernant la fonction publique nationale : pour avoir une promotion ou se maintenir à son poste, il faut évoluer _________________________________________________ francophones d’Afrique noire » Economica, Paris, 1979, pp. L111 et suiv. ; sur le cas précis de la Guinée, lire Alpha Ousmane Barry : « Parole futée, peuple dupé. Discours et révolution chez Sékou Touré » L’Harmattan, Paris 2003 pp. 57 et suiv. ; Dmitri Georges Lavroff : « Les systèmes constitutionnels en Afrique noire. Les États francophones » Ed. A. Pedone, Paris, 1976 pp. 206 et suiv. 78 : Jean-François Médard : « La spécificité des pouvoirs africains », op. cit. p.19.
64 dans l’un des multiples réseaux ou être protégé par un baron du régime 79 ; il n’y a aucun rapport nécessaire entre le grade et l’emploi 80. La gestion des carrières relève dès lors du domaine de l’empirisme qui « s’entend de l’action qui s’appuie exclusivement sur l’expérience habituelle sans aucune référence aux prescriptions méthodiques et théoriques » 81, l’expérience habituelle n’étant en l’espèce que la somme des pratiques découlant de la privatisation du pouvoir. La situation déteint négativement sur la population et donne souvent au Guinéen le visage d’un être à double facette (opposant au régime la nuit, griot le jour), ignorant la honte et l’honneur tant que l’intérêt personnel est en jeu ; la quête permanente du quotidien obligeant, il a ainsi perdu toute capacité d’initiative et de réflexion prospective. Il est un fait que les luttes pour surmonter la rareté des biens matériels, dans ses formes de pénuries, de disettes et de difficultés
____________________ 79 : En Guinée, un médecin, un professeur de lycée, un ingénieur d’agriculture peut devenir Gouverneur de région ou Préfet, sans préparation administrative préalable. Ce qui rappelle l’adage révolutionnaire de la 1ère République selon lequel le bon militant peut tout faire. À l’époque, des illettrés politiquement très engagés ont pu accéder à des postes élevés dans les différentes structures de l’État et même au Gouvernement. 80 : Cf. Alain-Serge Mescheriakoff : « L’ordre patrimonial : essai d’interprétation du fonctionnement de l’Administration francophone subsaharienne » in Revue française d’administration publique 1987 n° 42 pp. 112 et suiv. 81 : Cf. Moïse Nembot : « Le glas de la fonction publique dans les États d’Afrique francophone » L’Harmattan, Paris, 2000 p.142.
65 d’approvisionnement « se révèlent être, de plus en plus, le lieu par excellence où se constituent, et le sujet économique et le sujet politique » 82. Le problème de la neutralité de l’Administration territoriale est un véritable nœud gordien dans le jeu politique guinéen : sa solution entraîne inévitablement la disparition du système en place, donc la mort politique de ses animateurs. En dehors du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, le faible niveau de décentralisation administrative du pays (uniquement les communes et les CRD), fait des gouverneurs de région et des préfets les échelons d’une machine administrative très centralisée qui déploie sa chape de plomb sur l’ensemble du territoire national : les régions et les préfectures ne sont pas dotées d’organes délibérants élus au suffrage universel. En effet, en application de l’article 1er du décret nº D/95/025 du 06 février 1995 organisant les régions administratives en Guinée, le Gouvernorat est, entre autres, le cadre de coordination et de contrôle des activités des services déconcentrés de l’État ; l’article 2 du décret confie la direction de la région au Gouverneur quand l’article 6 en fait, avec pouvoir disciplinaire, le supérieur hiérarchique des Préfets. Or, ceux-ci ont une autorité directe sur les chefs de service des administrations civiles de l’État dans leurs circonscriptions (article 19 alinéa 2 de l’ordonnance nº 079/PRG/86 du 25 mars 1986 portant réorganisation territoriale en République de Guinée). ____________________ 82 : Cf. Achille Mbembé : « Des rapports entre la rareté matérielle et la démocratie en Afrique subsaharienne » in revue Sociétés africaines et diaspora n° 1 mars 1996 pp.13 et 15.
66 Par ailleurs, en application de l’article 16 alinéa 2 de l’ordonnance nº 019/PRG/90 du 21 avril 1990 portant organisation et fonctionnement des communes, les Gouverneurs et les Préfets assurent la tutelle rapprochée des communes en lieu et place du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation. Il en est de même des CRD placées sous l’autorité des Gouverneurs, Préfets et Sous-Préfets (article 51 de l’ordonnance nº 092/PRG/90 du 22 octobre 1990 portant organisation et fonctionnement des CRD. De cette présentation, il ressort que les Gouverneurs de région et les Préfets, maillons essentiels de la pyramide de l’administration du territoire, sont dotés d’une autorité certaine. Dès lors, leur engagement pour la cause d’un parti politique, fausse indiscutablement le jeu politique, que l’on se situe ou non en période électorale. Aussi, Jean-Marie Doré, leader de l’UPG, n’avait pas tort, en 2004, de dire à Sékou Konaté, Secrétaire Général du PUP, devant le Gouvernorat de N’Zérékoré : « Voici tes électeurs », désignant du doigt, à l’occasion, le Gouverneur et le Préfet de N’Zérékoré. Désapprouvée par les partis autres que le PUP, l’implication politique de l’Administration a été fermement condamnée dans certains milieux religieux 83. Les lettres-circulaires nº 002/MATD/CAB du 03 janvier 2005 et nº 0737/MATD/CAB du 29 juillet 2005 avaient fait naître un espoir, celui d’une décrispation politique devenant une ____________________ 83 : Lire la déclaration de condamnation du Conseil Chrétien de Guinée regroupant les Catholiques, les Protestants et les Anglicans dans « La lance » nº 406 du 06 octobre 2004 p. 5.
67 réalité : l’organisation et le déroulement des scrutins du 18 décembre 2005 ainsi que les résultats qui en sont issus ont vite fait déchanter. 2- La distinction factice entre Guinéens de l’intérieur et Guinéens de la diaspora. En 1984, à la prise du pouvoir par l’Armée, les orientations données par le Comité Militaire de Redressement National (CMRN) présidé par le Président Lansana Conté ont fait rêver et laissé présager d’un avenir radieux avec le retour souhaité et annoncé dans la mère-patrie des Guinéens qui s’étaient exilés, fuyant les affres du régime révolutionnaire de Sékou Touré : la maîtrise des réalités par les Guinéens restés en place et l’apport des expériences positives de développement par les éléments de la diaspora devaient, une fois combinés, ouvrir la voie à la construction d’une Guinée nouvelle. Un signal fort est donné avec la nomination de Jean-Claude Diallo, résidant en Allemagne, en qualité de Secrétaire d’État aux affaires étrangères et à la coopération internationale chargé des Guinéens de l’extérieur par ordonnance nº 329/PRG/SGG du 18 décembre 1984 84. L’expérience d’un poste ministériel consacré à la diaspora sera malheureusement de courte durée avec la suppression du poste le 22 décembre 1985 par une ordonnance nº 321 de la même date, laquelle avait nommé Jean-Claude Diallo au poste de Ministre délégué auprès du Président de la République chargé de l’information et de la culture, poste dont il démissionnera à la faveur d’une mission à l’étranger. ____________________ 84 : D’autres cadres guinéens exilés en Afrique et en Europe feront aussi leur entrée au Gouvernement.
68 Comme évoqué ci-dessus, la diaspora guinéenne est composée d’individus ayant quitté le pays entre 1958 et 1984 pour diverses raisons : fuite de la répression politique, recherche de conditions de vie meilleures, reprise et poursuite des études scolaires et universitaires à l’étranger etc… Au regard des contraintes politiques et matérielles très dures (pour ne pas dire plus) subies par les Guinéens restés sur place, le retour des éléments de la diaspora a été perçue comme l’expression d’un certain opportunisme : à l’époque de la vache maigre (le régime révolutionnaire de la première République), ils étaient partis, à l’heure de la vache grasse (le régime libéral du Président Lansana Conté), ils reviennent ; ce ne sont pas des patriotes, ils sont guidés par leurs intérêts personnels. Une telle perception n’a eu d’autre effet que de créer un climat malsain entre les Guinéens de l’intérieur et ceux de l’extérieur. À la décharge des premiers, il importe de reconnaître avec honnêteté la part de responsabilité des seconds : beaucoup de Guinéens de l’intérieur ont été choqués par l’attitude « arrogante » de leurs frères rentrant d’exil, non pas en fils recherchant leur intégration à la communauté nationale, mais en donneurs de leçons. De fait, l’hostilité entre les deux groupes sociaux n’a pu être évitée, eu égard à la culture politique acquise sous l’ancien régime, culture faite de fierté et de suffisance car, disait-on, la révolution procurait tout, le bien-être matériel et le savoir. L’hostilité sera malheureusement exploitée par la classe politique après l’adoption de loi fondamentale par le référendum du 23 décembre 1990 et le vote par le Conseil Transitoire de Redressement National (CTRN) des lois organiques n°L/91/002 et n°L/91/003 du 23 décembre 1991
69 autorisant le multipartisme ouvert et fixant le statut des partis politiques. Intervenant à la convention de son parti, le PUP, le 13 septembre 2003, où il a accusé les Guinéens de la diaspora d’être à la solde de l’étranger, le Président Lansana Conté les opposa aux Guinéens de l’intérieur : « Eux, ils sont GuinéensÉtrangers et nous, nous sommes simplement Guinéens » 85. Cette catégorisation qui revient de façon récurrente dans les propos du Président Lansana Conté a provoqué en 2001 une réaction indignée de feu Siradiou Diallo, à l’époque Président de l’UPR : « Le chef de l’État doit être respecté et dans son honneur et dans sa dignité. Mais lui, chaque fois qu’il prend la parole, c’est pour nous traiter des vauriens, des bandits, des criminels avec qui il ne doit pas discuter… Ce n’est pas parce que nous sommes allés vivre à l’étranger pour sauver notre tête de l’Ancien Régime qu’il va dire que nous ne sommes pas des Guinéens. Mais au moment où nous nous faisions les campagnes pour le référendum 58, où il était lui ? Il était en Algérie, il faisait la guerre pour la France… Il est allé en Algérie au moment où nous, nous faisions campagne ici. L’indépendance de ce pays, c’est nous autres. Nous nous sommes battus dans cette campagne. Moi, j’étais secrétaire d’un bureau de vote chez moi… J’ai fait des campagnes contre les anciens combattants qui promettaient la victoire du oui au référendum du 28 septembre 1958. Le Président Lansana Conté n’a jamais été là-bas » 86. En fait, cette hostilité, entretenue d’un côté par la volonté de se maintenir au pouvoir et de l’autre par le désir d’y accéder, s’explique. Lorsqu’il annonce en octobre 1989 son intention ____________________ 85 : Cf. « Le démocrate » nº 188 du 16 au 22 septembre 2003 p.4. 86 : Cf. « L’œil » nº 214 du 25 au 31 octobre 2001 p.6.
70 d’instaurer un État de droit en Guinée, le Président Lansana Conté propose, entre autres, l’instauration du bipartisme dans une phase expérimentale 87. L’idée consacrée dans l’article 95 alinéa 1er de la nouvelle constitution adoptée par référendum le 23 décembre 1990, va provoquer les plus vives réactions. La contestation du système bipartisan venait de l’opposition animée principalement à l’époque par les anciens exilés rentrés au pays à la faveur du changement de 1984 : ces derniers dont certains avaient dirigé à l’étranger des mouvements d’opposition au régime de Sékou Touré, conscients des dissensions internes qui les avaient divisés et paralysés dans leur action de libération de la Guinée du régime révolutionnaire, craignaient que l’un des partis soit créé et soutenu par le Président Lansana Conté alors qu’ils ne pouvaient s’entendre dans le second parti. C’était cela la motivation inavouée mais réelle. L’opposition a été si forte, officiellement au nom de la liberté et de la démocratie, que le CTRN a dû se résoudre à adopter la loi organique n°L/91/003 du 23 décembre 1991 autorisant immédiatement le multipartisme intégral. La création du PUP a confirmé les appréhensions de la diaspora opposée au bipartisme. Aussi, fondé par le Président Lansana Conté mais dirigé par son homme de confiance du moment, El Hadj Boubacar Biro Diallo 88, le PUP a trouvé en face de lui les principaux partis de l’opposition conduits par ____________________ 87 : Cf. Djibril Kassomba Camara : « L’enjeu de la recomposition du paysage politique » in Dominique Bangoura (sous la dir.) : « Guinée : l’alternance politique à l’issue des élections présidentielles de décembre 2003 » L’Harmattan, Paris, 2004 pp. 210-211. 88 : Son choix a été commandé par la nécessité d’un dosage ethnique : le Président Lansana Conté étant Soussou, le Secrétariat Général du Parti est revenu à un Peulh et des postes de Secrétaires Généraux
71 d’anciens exilés : l’UNR avec Bâ Mamadou, le PRP avec Siradiou Diallo 89, le RPG avec Alpha Condé, le parti Djama avec Mansour Kaba, l’UPG avec Jean-Marie Doré 90 ; l’UFR dirigée par un autre ancien exilé, Bakary Goyo Zoumanigui, ne prendra son ampleur actuelle qu’en 2000 avec l’adhésion de l’ancien Premier Ministre Sidya Touré. L’élection présidentielle de 2003 ayant été boycottée par l’opposition, celles de 1993 et 1998 permettent d’illustrer la présence active des anciens exilés dans la compétition pour le pouvoir, comme il ressort du tableau ci-dessous : Présidentielle du 05 décembre 1993 Lansana Conté (PUP) Alpha Condé (RPG) Mamadou Bhoye Bâ (UNR) Siradiou Diallo (PRP) Faciné Touré (UNPG) Mansour Kaba (Djama) Ismaïla Mohamed Ghassim Ghussein (PDG-RDA) Jean-Marie Doré (UPG)
Présidentielle du 14 décembre 1998
Lansana Conté (PUP) Alpha Condé (RPG) Mamadou Bhoye Bâ (UNR) Jean-Marie Doré (UPG) Charles- Pascal Tolno (PPG)
Ainsi, 62, 5 % des candidats en 1993 et 60 % en 1998 étaient issus de la diaspora guinéenne. _________________________________________________ adjoints ont été confiés à la Haute-Guinée avec Sékou Konaté, et à la Guinée Forestière avec Germain Doualamou. 89 : Avant l’élection présidentielle de 1998, l’UNR et le PRP ont fusionné pour former l’UPR qui aura comme candidat à l’élection présidentielle de 1998 Mamadou Bhoye Bâ. La limite d’âge de 70 ans prévue à l’époque pour la candidature à la Présidence de la République avait justifié le désistement de Siradiou Diallo en sa faveur. 90 : En exil depuis des années en Europe, en particulier à Genève où il a travaillé au BIT, Jean-Marie Doré est rentré plutôt au pays avant 1980. Il peut être cependant classé parmi les représentants de la diaspora.
72 Aucun changement structurel notable dans le sens d’un infléchissement de la position de la diaspora n’a pu être observé. Si Siradiou Diallo est décédé et que l’UPR est présidée aujourd’hui par Bah Ousmane (Guinéen de l’intérieur), Diallo Bah Assitou, la veuve de Siradou Diallo, est devenue Vice-Présidente du Parti 91 ; Bâ Mamadou a quitté l’UPR pour prendre la Présidence de l’UFDG ; Alpha Condé, Mansour Kaba et Jean-Marie Doré sont toujours à leur poste ; l’UFR est devenue le principal adversaire du pouvoir sous la présidence de Sidya Touré, ancien exilé et ancien Premier Ministre, comme en témoigne le refus et le rejet massifs de ses listes de candidats lorsdes scrutins du 18 décembre 2005, notamment en Basse-Guinée et en Guinée Forestière. Qualifiés de Guinéens-Étrangers, accusés d’ingratitude et de perturbation de la cohésion sociale 92, le Président Lansana Conté a fixé le sort des présidentiables de la diaspora dans sa ____________________ 91 : La désignation de la veuve de Siradiou Diallo à la Vice-Présidence de l’UPR a entraîné la démission du Parti de Saliou Bella Diallo et de ses partisans : celui-ci est devenu le Président de l’UNPG le 27 novembre 2005. Cf. « La lance » nº 466 du 30 novembre 2005 p.9. 92 : Le 03 juin 2000, à l’annexe du stade du 28 septembre, et pour arrêter la saignée de militants dont il était victime au profit de l’UFR depuis l’adhésion à ce parti de Sidya Touré, ancien Premier Ministre, le PUP a organisé un grand meeting en présence du Président Lansana Conté venu à la rescousse. Évoquant directement le cas de Sidya Touré, le Président déclara : « Je n’ai pas ramené Sidya Touré en Guinée, il est revenu chez lui. Je n’ai jamais décidé de créer un parti avec lui… Ce n’est pas sa faute, c’est la mienne puisque c’est moi qui l’ai approché de moi ». Et de confier à Dieu le sort des anciens Ministres passés à l’UFR : « Qu’Allah les paie » Cf. « La chronique » nº 01 du 06 juin 2000 p. 3. Accusé d’être un soutien de Sidya Touré, j’ai quitté le Gouvernement, quatre jours après le meeting, soit le 07 juin 2000 à la faveur d’un remaniement ministériel.
73 déclaration précitée du 13 septembre 2003 à la convention du PUP : « on ne nommera pas un étranger comme Président ». Il s’ensuit donc que la fraude massive observée lors des scrutins du 18 décembre 2005 s’inscrit dans la logique de la neutralisation de la diaspora dans sa volonté de s’installer dans les différentes sphères de l’État. Cela est important dans un pays où l’occupation des postes de responsabilité politique est une source d’avantages matériels déterminant le train de vie, surtout qu’en Guinée, la création de la richesse pour le citoyen n’a jamais été la préoccupation première des dirigeants depuis l’indépendance en 1958 : la politique du ventre est érigée en système de gouvernement, elle permet de maintenir le citoyen en laisse. Or, dans une démocratie, la fraude électorale est le moyen efficace de se maintenir au pouvoir, le citoyen affamé jouant le rôle de complice. 3- La division des partis d’opposition En dépit des déclarations d’intention 93, l’opposition ne présente pas un front uni tant dans les propos 94 que dans les ____________________ 93 : Cf. les déclarations de Jean-Marie Doré, leader de l’UPG : - « il faut que l’opposition guinéenne minore ses divergences pour privilégier l’urgence » in « Les échos » n° 67 du 22 au 28 mars 2004 pp. 8 et 9 ; - « le FRAD est plus que jamais vivant » in « L’enquêteur nº 85 du 04 au 18 août 2005 pp. 3 et 4. 94 : Cf. - la déclaration de Bâ Mamadou, Président l’UFDG, ayant quitté le FRAD pour le dialogue avec certains partis suite à ce qu’il a considéré comme des concessions gouvernementales : « Si Alpha Condé a été accueilli à l’aéroport le 03 juillet dernier, C’est parce qu’on a négocié » in « L’observateur » nº 277 du 08 août 2005 p.2. - la déclaration de Jean-Marie Doré : « Il n’y a plus de FRAD, le
74 actes 95, notamment ceux posés lors des scrutins du 18 décembre 2005. La décision de constituer des listes d’union a été peu respectée : tantôt des partis ont refusé la constitution de la liste commune dans leur zone d’influence, espérant ainsi obtenir un conseil communal à leur entière dévotion, tantôt des listes concurrentes ont été présentées, comme dans la commune de Dixinn à Conakry où une liste commune conduite par l’UPG et soutenue en particulier par l’UFR était opposée à cinq autres listes présentées par le RPG, l’UPR, l’UFDG, l’UNPG et le PPG, soit six listes d’opposition affrontant celle du PUP. Pour comprendre cette division de l’opposition guinéenne, il faut avoir à l’esprit une réalité bien établie : si le Président Sékou Touré est mort au pouvoir, c’est en raison des dissensions qui minaient l’opposition extérieure à son régime. Et ces dissensions n’avaient d’autres mobiles que la volonté de chaque chef de mouvement d’opposition de devenir le Chef de l’État guinéen après le renversement du régime révolutionnaire. Tant et si bien qu’après avoir obtenu la restauration du multipartisme en 1992, chacun de ces leaders est devenu chef de parti : Bâ Mamadou, ancien responsable de l’OULG a créé l’UNR, feu Siradiou Diallo, ancien leader du RGE, a fondé le PRP, Alpha Condé, ancien dirigeant du MND, s’est, le premier, manifesté sur le terrain, en fondant le RPG ; Jean-Marie Doré, rentré plus tôt d’exil, a pris la _________________________________________________ FRAD est terminé » in « L’enquêteur » nº 94 du 8 au 22 décembre 2005 p.4. 95 : Les tiraillements entre l’UFR et le RPG pour l’utilisation du stade préfectoral de N’Zérékoré pour des meetings organisés le même jour en juillet 2005 en sont une illustration. Cf. « La lance » nº 450 du 10 août 2005 p. 5.
75 direction de l’UPG. D’autres dissidents de l’opposition extérieure (surtout des anciens du RGE) se sont manifestés avec le Parti Djama de Mansour Kaba et l’UFR de Bakary Goyo Zoumanigui. Seul Sidya Touré, issu de la diaspora, se présente aujourd’hui comme un homme dont la carrière politique a débuté véritablement en l’an 2000 à la tête de l’UFR ; il ne suscite jalousie qu’en raison de son audience grandissante dans le pays 96. Ainsi donc, les ressentiments personnels que nourrissent les opposants guinéens les uns à l’égard des autres sont de nature à faire le lit du PUP : ils sont incapables de contrecarrer les manœuvres frauduleuses organisées par le pouvoir, à chaque consultation électorale, en faveur de son Parti. Et pourtant l’unité d’action est porteur d’espoir : les résultats des communales 2005 à Fria en constituent l’illustration parfaite. L’opposition regroupée sous les couleurs de l’UPR a obtenu 9850 voix contre 9120 voix pour le PUP : par sa composition (7 UPR, 6 UFDG, 4 RPG, 4 UFR et 2 UPG) 97, la liste a été un élément très fort pour la mobilisation de l’électorat. Outre les sept communes acquises (sur 38) selon les résultats officiels, les listes communes de l’opposition auraient permis, en fonction du scrutin de liste majoritaire à un tour appliqué, d’obtenir quatre communes supplémentaires, ainsi qu’il résulte du tableau ci-dessous : ____________________ 96 : Sur l’opposition guinéenne à l’extérieur sous l’ancien régime, cf. Bah Thierno : « Mon combat pour la Guinée », Karthala, Paris 1996. 97 : Cf. « La lance » nº 470 du 28 décembre 2005 p.11.
76 PUP OPPOSITION UPR UNPG RPG UFR UFDG 3854 654 Kissidougou 4442 870 8973 8788 1625 Labé 9735 5565 6118 Mamou 2634 2315 2531 Pita La division de l’opposition regrettée par certains de ses responsables 98 a permis la victoire du PUP dans ces communes, comme l’a reconnu Baniré Diallo, membre du BPN du PUP et Président du groupe parlementaire PUP/PAA : « Il faut dire qu’à Kaloum, Lélouma et Dalaba, nous sortons vainqueurs, par contre, à Labé, Pita et Mamou, si l’opposition avait pu taire ses contradictions, nous tombions » 99 ; il a fait le même constat pour Kissidougou. En poussant plus avant l’analyse, il est facile de constater que l’effet mobilisateur de la liste d’union sur l’électorat aurait permis un renversement de majorité en faveur de l’opposition dans les trois communes ci-après où la différence de voix entre la liste PUP et celles de l’opposition est respectivement de 132, 219 et 73 voix : ____________________ 98 : Cf. l’interview de Bah Oury, secrétaire Général de l’UFDG : « Nous n’avons pas eu le retour de l’ascenseur, parce que nous avions préconisé à Ratoma, à Pita, à Mamou et même à Kindia, que les listes convergent. Nous avions donné mandat à nos représentants de travailler pour que cela puisse être possible. Du côté de la direction de l’UPR, nous avons constaté que ça n’était pas leur volonté, ni leur point de vue. Nous avons payé, aussi bien qu’eux pour cette attitude. Voyez qu’au-delà du pouvoir, nous de l’opposition avons notre propre responsabilité » in « La lance » nº 472 du 11 janvier 2006 p.8. 99 : Cf. « La lance » nº 473 du 18 janvier 2006 p.9.
77 PUP Beyla 3.188 Gueckédou 4.246 6.897 Mali
OPPOSITION UFR UPR RPG 2.097 2.487 1.441 861 5.963
ANP 959
UPG 99
Il était donc possible à l’opposition malgré toute la technologie électorale utilisée, de doubler le nombre de communes qui seraient obtenues par elle. Pour mesurer la gravité de la désunion de l’opposition, il importe d’avoir par ailleurs à l’esprit la division sociogéographique de la Guinée. En effet, le pays est divisé en quatre régions naturelles bien distinctes et, en dehors de la Guinée Forestière où existent plusieurs ethnies chacune avec sa langue propre, les autres régions (Basse-Guinée, MoyenneGuinée et Haute-Guinée) correspondent à des réalités ethniques : il y a trois langues dominantes, respectivement le soussou, le pular et le malinké 100. Or, en dehors du PUP et de l’UFR dont la répartition géographique des listes de candidats en fait des partis à dimension nationale, les principaux partis de l’opposition ont une assise régionale : l’UPR, l’UFDG et l’UNPG en Moyenne-Guinée, le RPG et le parti Djama en Haute-Guinée, l’UPG et le PPG en Guinée-Forestière ; l’ANP recrute essentiellement dans la population Konianké à cheval entre la Guinée-Forestière et la Haute-Guinée. Cette réalité de la vie politique guinéenne est confirmée par les leaders politiques. Au lendemain des communales 2000, Aboubacar Somparé, actuel Président de l’Assemblée
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100 : L’homogénéité socio-culturelle est cependant plus forte en Moyenne et Haute-Guinée ; la richesse de la Guinée forestière et la présence de la capitale et de la mer en Basse-Guinée y ont attiré les ressortissants de toutes les régions du pays.
78 Nationale, à l’époque Secrétaire Général du PUP et Président du groupement parlementaire PUP/PCN, a reconnu que « le procès du professeur Alpha Condé a contribué à la victoire du PUP en Haute-Guinée » 101. Les résultats des communales 2005 illustrent le propos, car le RPG a pu, malgré la fraude massive organisée par le pouvoir, gagner trois communes (les deux chefs-lieux de région, Kankan et Faranah, et la commune de Kouroussa). Jean-Marie Doré, leader de l’UPG a été encore plus explicite à l’occasion des scrutins du 18 décembre 2005 : « …J’ai dit que la seule façon de faire les listes pour que nous gagnions, pour que ce soit correct, c’est de se conformer à la réalité politique en Guinée, c’est le fait que les partis ont des bases régionales. Que ça vous plaise ou pas, c’est comme ça. L’UFR prospère sans conteste en Basse-Guinée. Le RPG prospère sans conteste en Haute-Guinée. Et l’UPG est implantée en Forêt » 102. Des propos excessifs qui ne correspondent pas à la réalité en ce qui concerne l’UFR au niveau de l’opposition. Le mode de création dans leur grande majorité des partis sur la base d’un régionalisme sur fond d’ethnicité 103 constitue un danger pour l’opposition guinéenne dans la mesure où, dans ses différentes composantes, elle peut exprimer, sous la ____________________ 101 : Cf. « L’indépendant » n° 382 du 27 juillet 2000 p.3. 102 : Cf. « L’enquêteur » n° 94 du 8 au 22 décembre 2005 p.5. 103 : Sur l’impact de l’ethnicité en Afrique, lire Patrick Chabal et JeanPascal Daloz : « L’Afrique est partie ! Du désordre comme instrument politique » Economica, Paris, 1999 pp. 75 à 81. La situation a conduit Ismaël Condé, leader du PRPAG, parti se réclamant du régime de Sékou Touré, à déclarer que « quand les syndicats parlent peuple et nation, les partis politiques, eux, continuent de parler ethnie et région ». Cf. « La nouvelle tribune nº 360 du 30 mai 2006 p.5.
79 pression des militants, les antagonismes socio-historiques que le pays a connus. Il suffit de rappeler les conflits sanglants entre Soussous et Peulhs à Conakry dans les années 57, les suites douloureuses de l’échec du coup d’État du colonel Diarra Traoré pour la communauté malinké, les affrontements sanglants lors des communales 1991 à N’Zérékoré entre autochtones (Kpèlè, manon et autres) et allogènes malinké et Konianké. L’appartenance ethnique est parfois utilisée comme un critère déterminant la couleur politique. Saliou Bella Diallo, Président du l’UNPG, a ainsi expliqué comment par incompatibilité d’humeur les militants originaires de la Basse-Guinée, de la Haute-Guinée et de la Guinée Forestière, ont quitté l’UPR 104. La situation politique de la Côte-d'Ivoire rappelle ainsi chaque jour la fragilité du cas guinéen 105, avec ses risques d’implosion sociale. Du côté du pouvoir, les rivalités de clans à forte odeur ethnique paralysent aujourd’hui l’appareil de l’État, jusque dans la sphère gouvernementale ; la presse publique ou privée n’est pas aussi épargnée, qui exprime souvent, de façon malicieuse, des prises de position dont le parti-pris ne trompe aucun observateur de l’actualité politique guinéenne 106.
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104 : Cf. « La lance » nº 475 du 1er février 2006 p.8. 105 : Cf. Jean-Pierre Dozon : « La Côte-d’Ivoire entre démocratie, nationalisme et ethnonationalisme » in Politique africaine.2000 nº 78 pp.45 et suiv. 106 : Lire aussi avec intérêt les inconvénients du multipartisme guinéen analysés par Djibril Kassomba Camara, à savoir la mauvaise évaluation par les leaders de l’opposition de leur image en Guinée, l’ignorance du terrain, le caractère personnalisé des partis d’opposition, l’absence d’un programme cohérent de gouvernement. Cf. « L’enjeu de la recomposition du paysage politique » op. cit. pp. 211 et suiv.
80 Dans un tel contexte socio-politique, simplement reconnu et non institutionnalisé comme en Grande-Bretagne où « l’opposition de sa Majesté » 107 jouit d’un statut légal, l’opposition guinéenne doit se ressaisir si elle veut jouer un rôle politique majeur, constituer une alternative crédible face à un « parti attrape-tout » comme le PUP, sans projet de société précis en dehors du discours-programme du 22 décembre 1985 du Président Lansana Conté, qui recrute sa clientèle politique dans l’ensemble du corps social 108, comme il vient d’en faire la démonstration en reprenant à l’UPR toutes les communes de la Moyenne-Guinée grâce au soutien actif de l’appareil administratif d’État. L’opposition doit en particulier combattre l’idée d’une rotation des ethnies au pouvoir 109 : l’article 1er de la constitution du 23 décembre 1990 proclame que la Guinée est une et indivisible ; c’est tout le sens de l’esprit républicain que l’opposition doit faire sien. Les drames humains des pays des Grands Lacs en Afrique centrale sont là pour enseigner que le partage du pouvoir sur des bases ethniques peut conduire à des dérapages aux conséquences imprévisibles. ____________________ 107 : Sur le statut de l’opposition, cf. Charles Debbasch et Jean- Marie Pontier : « Introduction à la politique » 5è éd. Dalloz 2000 pp. 383 et suiv. La constitution sénégalaise de 2001, consacre son article 58 à l’opposition, mais il ne s’agit que d’une simple réaffirmation par la constitution du rôle des partis politiques. 108 : Sur la notion de parti attrape-tout, voir Jean-Marie Denquin : « Science politique » PUF Paris 1985 pp. 283-284. 109 : Dans un meeting tenu à Faranah pendant la campagne pour l’élection présidentielle de décembre 1993, Bâ Mamadou a déclaré : « Les Malinkés ont gouverné la Guinée pendant vingt-six ans, les Soussous pendant neuf ans. C’est maintenant notre tour, à nous les Peulhs, de gouverner. » Cité par Cheikh Yérim Seck : « Afrique : le spectre de l’échec » L’Harmattan, Paris, 2002 p.193.
81 Au-delà donc des brimades dont elle peut souffrir de la part du pouvoir, l’opposition africaine manifeste d’une manière générale des faiblesses 110. Celle de la Guinée doit en prendre conscience et organiser une lutte collective autour d’un programme commun de gouvernement capable d’emporter l’adhésion des populations. C’est à ce prix qu’elle pourra faire échec aux manœuvres tendant à empêcher l’alternance politique : seule l’action résolue d’un front uni peut enrayer la fraude électorale. Le succès de l’entreprise implique que les partis de l’opposition cessent d’être de simples machines électorales (sélection des candidats, mobilisation des soutiens aux candidats, choix des dirigeants politiques) pour être des agents politiques porteurs d’idées nouvelles, engagés pour l’intégration sociale 111 : un projet porteur d’espoir doit suivre la critique de la conduite des affaires par les tenants du pouvoir. Unie, elle pourra, comme au Mali 112, obliger le gouvernement à respecter ses engagements et surtout à inscrire son action dans le cadre des lois républicaines. Pour ____________________ 110 : Voir Cheikh Yérim Seck, op. cit. pp.181 et suiv. 111 : Sur le rôle des partis politiques, lire Jean-Marie Denquin : « Science politique » op.cit.pp.296 et suiv. ; Philippe Braud : « Sociologie politique » 7è édition LGDJ, Paris, 2004 pp.448 et suiv. 112 : En 1992, un des principaux partis de l’opposition au régime ADEMA n’hésita pas à lancer un défit officiel : « Nous ne vous donnons que six mois ». Cf.Pascal Baba Couloubaly : « Le Mali d’Alpha Oumar Konaré. Ombres et lumières d’une démocrate en gestation » L’Harmattan, Paris 2004 p.21.
82 l’instant, cette unité relève du rêve au regard des derniers actes posés par certains partis de l’opposition 113, à savoir : -
le retour de l’UPR à l’Assemblée Nationale, le 05 avril 2006, au nom du refus de l’aventurisme politique après avoir participé, en mars 2006, à la concertation nationale des forces vives qui a proposé un régime transitoire pour assurer la succession du Président Lansana Conté ;
-
le nouveau plan de sortie de crise adopté par l’UFD au cours de son congrès des 08 et 09 avril 2006 après avoir souscrit aussi aux conclusions du rapport de la commission politique de la concertation nationale des forces vives ;
-
la proposition faite le 10 avril 2006 par Jean-Marie Doré, leader de l’UPG, d’appliquer l’article 34 de la constitution confiant, en cas de vacance, l’intérim de la Présidence de la République au Président de l’Assemblée Nationale, ce après soutenu la proposition d’un régime de transition au sein du FRAD qu’il a quitté ;
-
le retrait du PRPAG de la concertation nationale des forces vives en raison des attaques contre le PDGRDA, parti État de la première République, attaques contenues dans les documents produits par la
____________________ 113 : Sur la position de l’UPR, lire le discours de Bah Ousmane, Président du parti à l’ouverture de la session des lois de l’Assemblée Nationale le 05 avril 2006 in « L’enquêteur » nº 103 du 13 au 27 avril 2006 pp. 5 et 6 ; l’incohérence politique de la décision et les réactions diverses qu’elle a suscitées, ont obligé l’UPR à faire, le 17 mai 2006, une mise au point dans lequel le
83 rencontre, et de l’opposition entre l’idéologie socialiste défendue par le parti et le libéralisme soutenu par les autres partis. 4- La faible présence de la CENA et des observateurs nationaux L’observation des élections du 18 décembre 2005 a été assurée d’une part, par la Commission Électorale Nationale Autonome CENA) créée le 10 octobre 2005 et, d’autre part, par une mission nationale d’observation. Ces structures devaient couvrir l’ensemble des 8614 bureaux de vote installés dans les 341 circonscriptions électorales. Dans sa déclaration du 21 décembre 2005 114, la CENA a exposé son organisation composée de 22 membres ; elle avait constitué 8 équipes régionales et mis en place 38 commissions Électorales Communales Autonomes (CECA) totalisaient 208 membres et 303 Commissions Électorales Locales Autonomes (CELA) réunissant 1161 membres dans les CRD, soit un effectif de 1391 membres. _________________________________________________ parti affirme que « la déliquescence de l’État conduit aujourd’hui plus qu’hier à la nécessité d’une transition démocratique », une transition dont le dispositif d’exécution serait convenu entre les acteurs politiques et la société civile, sous la direction du Président de l’Assemblée Nationale, chargé de l’intérim de la Présidence de la République en cas de vacance conformément à l’article 34 de la constitution. Cf. « L’indépendant » nº 683 du 25 mai 2006 p.5. La proposition se démarque sur ce point des conclusions politiques de la concertation nationale des forces vives. S’agissant de l’UFD, de l’UPG et du PRPAG, se référer à « la Lance » nº 485 du 12 avril pp. 2 et 9 et à la « nouvelle tribune » nº 360 du 30 mai 2006 p.5. 114 : Cf. « La nouvelle Tribune » nº 343 du 10 janvier 2006 p.2.
84 Au niveau national, la CENA était composée à égalité (7 membres) de représentants de la majorité présidentielle et de l’opposition, de 5 membres de la société civile et de 3 représentants de l’administration. Aux niveaux communal et communautaire, chaque commission présidée par un représentant de la société civile, comprenait un représentant de l’administration et un représentant de chaque parti politique présentant une liste de candidats. En excluant les 22 membres de la CENA, les 1369 autres membres des CECA et CELA devaient couvrir chacun une moyenne de 6 bureaux de vote. Apparemment, la couverture ne devait souffrir la moindre défaillance, mais la supervision étant une opération collective et compte tenu des distances à parcourir en une seule journée dans les CRD, souvent d’accès difficile, la transparence et la régularité recherchée n’ont pu être atteintes. Il y a lieu de signaler aussi l’inégale répartition de la charge de supervision des scrutins : ainsi dans la commune de Kaloum, à Conakry, les 7 membres de la CECA devaient visiter 95 bureaux de vote 115. La faible présence des membres de la CENA a été regrettée par la mission d’observation nationale dans son rapport préliminaire du 22 décembre 2005 116 et son rapport définitif de janvier 2006. Cette mission était composée de 400 membres issus de 26 organisations de la société civile dont l’ordre des avocats de Guinée, une centrale syndicale (l’USTG) et le syndicat libre ____________________ 115 : Cf. les observations de certains membres de la CECA de Kaloum sur les élections du 18 décembre 2005 in « Les Échos » nº 101 du 18 au 31 janvier 2006 pp.5 à 7. 116 : Cf. « L’enquêteur » nº 95 du 27 décembre 2005 au 05 janvier 2006 p.2.
85 des enseignants et chercheurs de Guinée (SLECG). Sa mise en place a été initiée par le PNUD en collaboration avec le Ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation, l’UNESCO, l’USAID, le Canada et l’Union Européenne ; la formation des observateurs s’est faite avec l’appui technique de IFES, la Fondation Internationale pour les systèmes électoraux 117. En tenant compte du nombre des bureaux de vote, chaque observateur devait suivre le déroulement du vote dans 26 bureaux au moins. Une véritable gageure car ces observateurs qui étaient en formation du 7 au 15 décembre 2005, ne pouvaient manifestement, en 48 heures, être déployés sur le terrain et en mesure de contrôler la distribution des cartes électorales et l’installation effective des bureaux de vote avec tout le matériel nécessaire sur l’ensemble du territoire national. Par la création de la CENA et l’organisation d’une mission d’observation nationale, le pouvoir guinéen a voulu donner aux scrutins du 18 décembre 2005 un label de transparence et régularité, pour satisfaire la curiosité de l’opinion internationale. Car, comme il en a l’art 118, il n’a pas permis à ces structures d’assumer la plénitude de leurs attributions. ____________________ 117 : Cf. « La lance » nº 465 du 23 novembre 2005 p.9. 118 : Un exemple récent en donne une illustration : par décret nº D/2005/037/PRG/SGG du 20 août 2005 portant conditions d’implantation et d’exploitation de stations de radiodiffusion et de télévision privées, le gouvernement guinéen a libéralisé l’espace audio-visuel. Mais l’arrêté d’application nº 2005/4470/MI/CAB du 14 septembre 2005 et les cahiers de charges du 13 octobre 2005 ont imposé des conditions telles que jusqu’à ce jour, aucune radio libre n’a pu émettre, encore moins une station de télévision privée.
86 Depuis 1990, la Guinée s’est dotée d’institutions républicaines et d’un arsenal juridique très moderne dont le fonctionnement régulier et l’application correcte devraient pouvoir garantir un développement harmonieux du pays et assurer un niveau de vie décent aux populations. C’est là un standard minimal, c’est ce que Robert Badinter, ancien Président du Conseil Constitutionnel français, appelle les principes de l’État de droit démocratique 119. Mais des obstacles de tous ordres (juridiques, administratifs, sociopolitiques…) empêchent de donner consistance à l’État de droit 120. ____________________ 119 : Cf. Robert Badinter : « Quelques réflexions sur l’État de droit en Afrique » in Gérard Conac (sous la dir.) : « l’Afrique en transition vers le pluralisme politique » Economica, Paris 1993 p.9. 120 : Répondant à une question sur le bilan qu’il ferait de la situation des droits de l’homme, le Président Lansana Conté a déclaré : « Je ne sais pas ce que c’est que les droits de l’homme. Je n’aime pas en parler. Vous, je vous respecte. J’exige que vous me respectiez. Les droits de l’homme ne sont pas écrits par l’homme mais par Dieu. Vous êtes catholique ? Prenez la Bible et vous trouverez que vous n’avez pas le droit de faire du mal à quelqu’un. Dans ma religion, le Coran ne me donne pas le droit de faire du mal à quelqu’un. Cela me suffit pour vivre. Je n’ai pas besoin d’un livre écrit par un homme…Si j’agis bien, c’est parce que j’ai appris ce que mes parents m’ont inculqué, parce que j’ai peur de Dieu. Ce n’est pas une question de démocratie, de droits de l’homme, tout ce que vous racontez dans le monde… Les droits de l’homme, ce n’est pas mon problème. Je n’ai jamais reçu quelqu’un des droits de l’homme, parce qu’il ne connaît pas mieux les droits de l’homme que moi. » in Jeune Afrique Économie du 30 novembre au 13 décembre 1998 pp.107 et 108. Curieuse déclaration car la constitution guinéenne de 1990 élaborée à l’initiative du Président Lansana Conté, contient un titre II (articles 5 à 23) consacré aux libertés, devoirs et droits fondamentaux du citoyen. Sur les obstacles à la consolidation de l’État de droit en Afrique, lire Nahm-Tchougli Mipamb : « Renouveau constitutionnel et État de droit en Afrique de l’ouest francophone » in. La voix de l’intégration juridique et judiciaire Africaine, 2003 nº 3 et 4 pp.123 et suiv.
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Chapitre II Des scrutins sur fond d’imbroglio juridique Tirant les leçons des consultations électorales antérieures, le Président Lansana Conté a, dans son message de nouvel an 2001, déclaré ce qui suit : « J’invite une fois de plus le PUP à prendre toutes les initiatives requises pour continuer le dialogue avec les autres partis politiques, et de n’occulter dans leurs débats, aucun sujet. Si les consultations à ce niveau aboutissent à un consensus, le Gouvernement accueillera avec bienveillance leurs recommandations » 121. Quelque temps auparavant, en novembre 2000, feu Siradiou Diallo, leader de l’UPR, affirmait dans une interview que « notre Comité Central a jugé non satisfaisante la manière dont a été installé le Haut Conseil aux Affaires Électorales. Celui-ci ne dispose d’aucune autonomie par rapport au pouvoir en place. Si un tel organe supervise les élections, ce serait laisser le scrutin aux mains des préfets et des souspréfets. Nous avons été victimes de beaucoup de fraudes. C’est la raison qui pousse nos militants à nous demander de ne pas prendre part aux élections dans les conditions actuelles. Mais si un dialogue franc est engagé, cela nous permettra d’aboutir à la constitution d’une commission nationale électorale indépendante ou à un Haut Conseil aux affaires électorales autonome par rapport à l’Administration et disposant suffisamment de pouvoir pour gérer des élections régulières et transparentes » 122. Réagissant positivement au discours de nouvel an 2001 du Président Lansana Conté, la Coordination de l’opposition démocratique (CODEM) et l’UFR ont, dans une déclaration
____________________
121 : Cf. « Horoya » nº 5530 du 02 janvier 2001 p.2. 122 : Cf. « Les Échos » nº 29 du 14 au 20 novembre 2000 p.6.
88 du 11 janvier 2001, proposé les conditions d’un bon dialogue, à savoir la définition exacte du cadre du dialogue, l’élaboration d’un ordre du jour tenant compte des préoccupations des différentes parties, la détermination des modalités pratiques du déroulement du dialogue et de mise en œuvre des recommandations qui en seraient issues 123. Le dialogue engagé a abouti, le 15 septembre 2003, à la signature par 33 partis politiques dont le PUP d’un mémorandum énumérant les préalables au dialogue, arrêtant les thèmes du dialogue et indiquant les garanties de mise en œuvre des résultats du dialogue 124. Contrairement au discours de nouvel an 2001 du Président Lansana Conté, le Gouvernement ignorera superbement le mémorandum du 15 septembre 2003. En revanche, il organisera la reprise du dialogue entre le PUP et les autres partis, mais dans des conditions qui vont pousser les principaux partis d’opposition (RPG, UFR, UPR, Djama, PDA tous membres du FRAD), à l’exception de l’UPR 125, à ne pas y participer. En effet après avoir créé un comité interministériel présidé par le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, le Gouvernement a refusé que le dialogue se déroule entre la majorité présidentielle et l’opposition. ____________________
123 : Cf. « Le Soleil » nº 51 du 11 janvier 2001 p.7. 124 : Cf. « La Nouvelle tribune » nº 226 du 23 septembre 2003 p. 2. 125 : L’UPR qui a participé au dialogue, n’a pas signé le mémorandum en raison de l’absence d’autonomie réelle de la CENA proposée. Cf. « Réflexions de l’UPR sur le rapport des partis politiques du 12 juillet 2005 relatif aux élections » in « L’enquêteur » nº 86 du 18 août au 1er septembre 2005 p.6.
89 Ce second round de dialogue, à la convenance du Gouvernement, se termina par un mémorandum du 12 juillet 2005 126. Au contraire du mémorandum du 15 septembre 2003 qui préconisait la création d’un organe indépendant chargé de gérer tout le processus électoral, celui du 12 juillet 2005 a prévu la création d’une commission électorale autonome par voie législative (première et douzième propositions). Dans sa réponse du 03 octobre 2005 127, à deux mois et demi des scrutins communal et communautaire, le Gouvernement s’est contenté de promesses. N’ayant pris aucun engagement pour les consultations du 18 décembre 2005, il a créé par voie réglementaire des organes dont les conflits d’attributions seront source à la fois d’une paralysie institutionnelle et d’une confusion juridique réelles. Les seules recommandations des différentes phases du dialogue des partis, qui ont connu une application effective, restent le bulletin unique et l’urne transparente. Pour comprendre cette attitude du Gouvernement qui frise le mépris pour les partis politiques en tant qu’elle exprime un autoritarisme certain, il importe de se remémorer le sort réservé au droit dans tous les régimes guinéens depuis 1958. I- Le droit en Guinée : un instrument du pouvoir politique À l’instar d’autres institutions sociales 128, le droit n’a jamais été une contrainte pour le pouvoir en Guinée, et cela depuis 1958 : dans ces conditions, la légalité en tant que qualité ____________________ 126 : Cf. « L’observateur » nº 278 du 17 août 2005 pp. 5-6. 127 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 330 du 11 octobre 2005 pp. 4-5. 128 : Après avoir combattu les religions animiste, chrétienne et musulmane (élimination physique en 1960 de El Hadj Lamine
90 de ce qui est conforme à la loi 129, ne constitue plus une limite à l’action de l’Administration, laquelle peut s’en affranchir pour des considérations politiques ou idéologiques. _________________________________________________
août
Kaba, imam de Coronthie, emprisonnement de Mgr Tchidimbo, interdiction des rites sacrés en Guinée forestière…) dès après l’indépendance, Sékou Touré a fait une véritable mue religieuse à partir de 1973, ce qui avait pour lui trois avantages : l’Islam devenait un nouveau support idéologique, lui offrant de nouvelles tribunes, comme l’OCI, et lui apportant des aides financières substantielles en provenance du monde arabe. Cf. Maurice Jeanjean : « Sékou Touré. Un totalitarisme africain » L’Harmattan Paris 2004 pp.90 et suiv. Sékou Touré achèvera son revirement, un mois avant sa mort, avec la circulaire du 26 février 1984 disposant que : «Tous les textes de récitation que les maîtres font apprendre aux élèves de 1ère et 2ème cycles doivent désormais être des sourates ou des versets du saint Coran ». Le Président Lansana Conté continue l’œuvre notamment avec la création des institutions d’inspiration islamique comme le waqf (loi du 25 novembre 1997 relative à l’institution caritative du waqf), l’érection du Secrétariat Général de la Ligue Islamique Nationale en département ministériel (décret du 08 mars 2004 nommant El Hadj Abdoul Karim Dioubaté en qualité de Ministre Secrétaire Général de la Ligue et décret du 09 décembre 2004 portant organisation et attributions dudit département. Sur cette politisation de l’Islam, on peut citer la récente lettre-circulaire par laquelle le Ministère Secrétariat Général de la Ligue Islamique Nationale a demandé de lire le saint Coran 10 fois par semaine, chaque vendredi, du 05
au 09 décembre 2005 ; mais avant le début de ces prières, il a été prescrit d’immoler un taureau, le 07 août 2005 à 10 heures, devant les bureaux de tous les gouvernorats, préfectures et mairies sur l’ensemble du territoire. Cf. « L’enquêteur » nº 86 du 18 août au 1er septembre 2005 p. 3. Le remaniement ministériel du 29 mai 2006 a supprimé la mention « ministère » mais le Secrétaire Général de la Ligue Islamique Nationale conserve son rang de Ministre. 129 : Cf. G. Vedel : « Droit administratif ». Coll. Thémis, PUF Paris 1980 pp. 354-360.
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Parlant de la justice en 1977, Sékou Touré a soutenu la subordination de la justice, donc du droit, dans une formule crue : « La justice est l’un des reflets les plus fidèles de tout régime politique donné. Ainsi, à tout régime, sa conception de la justice » 130. Cette conception confirmait l’orientation donnée à la réforme judiciaire au lendemain de l’indépendance. Sékou Touré déclarait à l’époque : « Il s’agit de transformer, de rénover, de reconvertir aussi bien la matière que l’esprit de la justice, et c’est là l’objectif d’un Parti dans le domaine de la justice d’État qui ne doit être considéré comme indépendant des autres domaines de l’État et isolé des conditions économiques et politiques du pays… Les magistrats de la République Démocratique de Guinée dans leur délicate fonction, doivent incarner et exprimer la morale sociale de la nation, car chacun des actes est interprété par le peuple, non pas en fonction de telle disposition du code pénal ou de telle conséquence de procédure, mais seulement en fonction de ses propres conceptions sociales et spirituelles, de ses aspirations politiques et morales » 131. Le régime du Président Lansana Conté ne s’est pas démarqué de cette conception de la justice, donc du droit, par culture politique, malgré l’option pour le libéralisme politique, or, ce régime repose sur deux fondations principales, la justice et la démocratie politique. Quelques exemples pris en matière électorale suffiront à établir la persistance de cette résistance ____________________ 130 : Cité par Maurice Jeanjean : « Sékou Touré un totalitarisme africain » op. cit. p.84. 131 : Cf. Sékou Touré : « Expérience guinéenne et unité africaine » Présence africaine, Paris, 1962 pp.517-518.
92
mentale au changement, tant et si bien qu’il n’est pas exagéré de dire que la Guinée fait du libéralisme dans un moule révolutionnaire. Le 19 juillet 2000, après l’élection des conseils communaux, le Président Lansana Conté a procédé à la nomination des maires des Communes de Conakry en violation des articles 69 et 71 de l’ordonnance nº 019/PRG/SGG/90 du 21 avril 1990 portant organisation et fonctionnement des communes, qui disposent que les maires sont élus parmi les conseillers communaux par lesdits conseillers, donc au second degré 132. Le tableau des élections organisées depuis 1993 donne une autre image de la place du droit dans le régime guinéen. Scrutins
Présidentielles
Législatives Communales
Communautaires
5 décembre 1993 14 décembre 1998 21 décembre 2003
11 juin 1995 30 nov. 2002
18 décembre 2005
25 juin 2000 18 déc. 2005
De ce tableau, il ressort que si la durée de 5 ans du mandat présidentiel (avant d’être portée à 7 ans par le référendum constitutionnel du 11 novembre 2001) a été respectée, il n’en a pas été de même de la durée du mandat des députés (5 ans) et des conseils communaux (4 ans). L’explication de ce comportement politiquement insolite de la part du pouvoir guinéen pourrait résider dans le caractère présidentialiste du régime 133. Dans un tel régime, le Président ____________________ 132 : Cf. « Le globe » nº 85 du 25 juillet 2000 p. 3. 133 : Sur la notion de régime présidentialiste, Cf. Jean Gicquel : « Droit constitutionnel et institutions politiques » 9ème éd., Montchrestien Paris, 1987 pp. 149-150 ; Pierre Roy : « La Guinée à l’aube de l’État de droit. La loi fondamentale du 31 décembre 1990 » in
93 de la République est la pierre angulaire de l’édifice constitutionnel : il faut donc veiller à respecter la légalité de son statut et à garantir sa légitimité aux plans interne et externe, or, cela passe par une élection à la période prévue par les textes ; peu importe les conditions d’organisation et de déroulement du scrutin, seule la dénomination formelle de l’acte électoral compte. Les autres institutions et structures de l’État étant subordonnées au pouvoir présidentiel, celui-ci dispose à sa guise de leur statut constitutionnel (Assemblée Nationale) ou législatif (communes). Il est toujours possible trouver des arguments pour justifier le report de l’élection, de façon à permettre son organisation à un moment favorable pour le régime, c’est-à-dire à un moment où les éléments de la technologie électorale sont réunis. Un troisième exemple peut être cité avec l’affaire Aliou Guissè qui a opposé le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation à l’UFR à l’occasion de _________________________________________________ Penant 1992 nº 809 p. 138 ; Arnaud de Raulin : « La constitution guinéenne du 23 décembre 1990 » in Revue juridique et politique, indépendance et coopération, nº 2, avril-juin 1992 pp. 182 et suiv. Ce régime se caractérise par la primauté présidentielle, le gouvernement et le parlement étant réduits au rôle d’exécutants ou de relais. Cette situation résulte de ce que le chef de l’État, élu au suffrage universel direct, bénéficie aussi d’une majorité élue selon ses choix. Se rappeler la déclaration citée plus haut du Président Lansana Conté le 09 juin 2002 à Mamou au lancement de la campagne du PUP pour les législatives 2002 ; se référer aussi à certaines dispositions de la loi fondamentale de 1990 notamment l’article 24 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, les articles 38 et 39 faisant du Président de la République le chef de l’Exécutif, l’article 59 énumérant le domaine de la loi, l’article 76 relatif au droit de dissolution de l’Assemblée Nationale par le Président de la République, l’article 67 traitant du pouvoir d’initiative législative du Président de la République.
94 l’élection communale du 18 décembre 2005 à Siguiri, affaire rendue publique par la diffusion dans la presse des correspondances échangées 134. En effet, dans une lettre du 25 novembre 2005 adressée au Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, l’UFR dénonce, entre autres irrégularités, la présence sur la liste PUP aux communales du 18 décembre 2005 à Siguiri de Aliou Guissè, Sous-Préfet de Doko, du Directeur Préfectoral de l’Éducation et du Directeur Préfectoral du Développement rural et de l’environnement. Dans sa réponse du 30 novembre 2005, le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation soutient que Aliou Guissè, ex-Sous-préfet de Doko est régulièrement affecté à la Préfecture de Siguiri en qualité de chargé de l’organisation des collectivités décentralisées et que les directeurs préfectoraux de l’éducation, du développement rural et de l’environnement ne sont pas dans les cas d’inéligibilité prévus par la loi. Cette réaction du Ministère est fortement critiquable. Mais avant, il importe d’observer relativement au cas de Aliou Guissè qu’en période électorale où le Ministère a l’impérieux devoir d’inspirer confiance, la moindre précaution aurait été, en répliquant à l’UFR, de faire la preuve de l’affectation par la production de l’acte administratif de mutation ; il ne s’agit pas d’un document confidentiel puisqu’il est destiné à être publié au Bulletin Officiel ou au Journal Officiel de la République. ____________________ 134 : Cf. « Les échos » nº 99 du 16 au 23 décembre 2005 p.5.
95 Cela étant, le Ministère a erré doublement tant au regard de la position administrative de Aliou Guissè par rapport aux collectivités décentralisées que dans la qualification du statut électoral des deux directeurs préfectoraux. En sa qualité de chargé des collectivités décentralisées, donc des communes, Aliou Guissè ne devrait pas figurer sur la liste de candidats du PUP aux communales à Siguiri. En tant que fonctionnaire d’autorité à la Préfecture en charge de la tutelle rapprochée des communes, il ne peut être à la fois contrôleur et contrôlé. Dans le cas des deux Directeurs Préfectoraux, le problème qui était posé n’était pas juridique, il était politique : il ne s’est pas agi pour l’UFR de contester l’éligibilité de ces deux hauts cadres de l’Administration : ils n’étaient pas dans l’un des cas d’inéligibilité et d’incompatibilité prévus par les articles 38 à 44 de l’ordonnance nº 019/PRG/SGG/90 du 21 avril 1990 sur les communes. La question posée au sujet de l’ex-Sous-Préfet de Doko et des deux Directeurs Préfectoraux relevait de la moralité des élections, donc la sincérité du scrutin : un haut cadre de la Préfecture chargée de la tutelle rapprochée des communes, ne peut être membre d’un Conseil Communal (cf. article 3 alinéa 2 et 24 du décret nº 081/PRG/SGG/87 du 19 juin 1987 déterminant les conditions de nomination et les attributions des Préfets, des Secrétaires Généraux de Préfecture, des Sous-Préfets et des Sous-Préfets Adjoints). S’agissant des deux Directeurs Préfectoraux dont le choix n’était pas fortuit, ce sont les supérieurs hiérarchiques des agents de l’administration (enseignants, agents de la vulgarisation et de la promotion rurale) très influents auprès des populations. Et cela a de l’importance dans une élection
96 communale tant dans la ville proprement dite que dans les districts ruraux qui lui sont rattachés pour former le territoire communal. Les menaces d’affectation ou de suspension proférées contre les agents récalcitrants ou tentés par les idées des partis politiques de l’opposition ne sont un secret pour personne en Guinée. La préoccupation majeure de l’UFR tenait de ce fait à la crédibilité du scrutin qui passe par la neutralité de l’Administration ; celle-ci commence par l’absence des hauts cadres en fonction des listes de candidats dans les localités où ils exercent. Le caractère malsain du fait, voire son opportunisme, était évident d’autant que, dès leur élection, ces cadres peuvent partir de la localité, au gré des affectations administratives. La neutralité politique de l’Administration est une exigence constitutionnelle découlant des articles 23 et 33 précités de la Loi fondamentale dont les textes très clairs ne souffrent aucune autre interprétation. De plus, la moralité des élections n’est pas une vue de l’esprit, elle est consacrée par le décret nº D/039/PRG/SGG/2005 du 10 octobre 2005 portant création de la CENA : l’article 2 du décret fait de la CENA « le garant moral de la régularité du scrutin et de la sincérité du vote ». Il s’agit donc d’une préoccupation majeure de l’État que les services publics en charge de l’organisation des élections doivent satisfaire. Or, tel ne semblait pas être l’objectif poursuivi à Siguiri. II – La concurrence formelle des organismes administratifs d’assistance électorale. Les scrutins du 18 décembre 2005 ont été précédés de la création d’une Commission Électorale Nationale Autonome (CENA) et de commissions préfectorales et commissions
97 sous-préfectorales de recensement des votes. Dans les faits, l’article L2 du code électoral faisant du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation l’autorité administrative qui organise les élections, n’a pas été modifié avant la création de la CENA ; celle-ci a été dès lors confrontée dans l’exercice de ses attributions aux commissions administratives de recensement des votes créées en application de l’article R46 du code électoral par le Ministère : elle sera neutralisée, se confinant dans un rôle d’observation quand elle a pu être présente sur le terrain, faisant alors doublure à la mission d’observation nationale. 1- L’inégalité de statut juridique des organismes administratifs d’assistance électorale. Créés par voie réglementaire (décret du 10 octobre 2005 pour la CENA et arrêté du 08 novembre 2005 pour les commissions de centralisation), les organismes en question assistent le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation pour l’ensemble du processus électoral en ce qui concerne la CENA, et pour le recensement des voix après le vote pour les commissions administratives de centralisation. 1-1-
La Commission Électorale Nationale Autonome (CENA).
Avec la création de la CENA le 10 octobre 2005, la Guinée est à sa 4ème expérience de commission électorale depuis l’entrée en vigueur du code électoral en décembre 1991. C’est à croire que chaque Ministre chargé d’organiser des élections s’est cru obligé de créer sa structure : Alsény René Gomez a
98 eu sa Commission Nationale Électorale 135, Zaïnoul Abidine Sanoussi son Haut Conseil aux Affaires Électorales 136, Moussa Solano son Conseil National Électoral137 et Kiridi Bangoura sa Commission Électorale Nationale Autonome 138. La formule de la CENA a été jugée acceptable par le Gouvernement qui s’était systématiquement opposé à celle d’une commission électorale indépendante, pourtant proposée dans le mémorandum précité du 15 septembre 2003 signé par 33 partis dont les plus représentatifs de l'opinion nationale, à savoir le PUP, parti au pouvoir, l’UPR, l’UFR, l’UPG, l’UFDG, RPG et le PDG-RDA. 139. Bah Oury, Secrétaire Général de l’UFDG a tenté de justifier l’option pour la CENA dans une interview 140 ; il a avancé trois arguments : - la CENA résulterait d’un consensus qui s’est dégagé au cours d’un voyage à l’île de Gorée au Sénégal, voyage organisé par l’Ambassade du Canada en Guinée et auquel ____________________ 135 : Cf. décret nº 93/228/PRG/SGG du 08 décembre 1993 rectifiant le décret nº D/93/196/PRG/SGG portant création, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale Électorale. 136 : Cf. décret nº 197/PRG/SGG du 21 septembre 1998 portant création, attributions organisation et fonctionnement du Haut Conseil aux Affaires Électorales. 137 : Cf. décret nº 040/PRG/SGG/2002 du 19 avril 2002 portant création attributions, organisation et fonctionnement du Conseil National Électoral. 138 : Cf. décret nº 039/PRG/SGG/2005 du 10 octobre 2005 portant création, attribution, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale Électorale Autonome. 139 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 226 du 23 septembre 2003 p. 2. 140 : Cf. « L’observateur » nº 286 du 10 octobre 2005 p. 5.
99 ont pris part, outre des éléments de la société civile, sept partis politiques (le PUP, l’UFDG, le PDG-RDA, le RPG, l’UFR, l’UPR et l’UPG) : le consensus reposerait sur le fait que la constitution confiant l’organisation des élections au Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, une commission électorale indépendante rencontrerait le veto du pouvoir ; - le Mali a échoué dans son expérience de commission indépendante en raison de ce que le Ministère de l’intérieur s’était placé hors du processus électoral pour respecter l’indépendance de la commission électorale ; - il faut dissocier la fonction de gestionnaire de celle de contrôleur ou d’auditeur. Pour intéressante qu’elle soit, l’argumentation de Bah Oury n’est pas convaincante. D’abord, en avançant la distinction entre gestionnaire et contrôleur du processus électoral, Bah Oury a repris les propos du ministre Kiridi Bangoura, répondant le 03 octobre 2005 141, au mémorandum précité du 12 juillet 2005 142. Dans le cadre de la CENI, il y a une gestion collégiale de toutes les opérations du processus électoral par toutes les parties prenantes et la CENI, la composition de celle-ci étant conçue de manière à représenter les principales sensibilités du pays. Et cette collégialité trouve son fondement dans la démocratie participative, gage de bonne gouvernance politique. Ensuite, les difficultés de fonctionnement de la commission électorale indépendante au Mali ne peuvent justifier le rejet ____________________ 141 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 330 du 11 octobre 2005 pp. 4-5. 142 : Cf. « L’observateur » nº 278 d'août 2005 p. 5-6.
100 de la proposition en Guinée. En politique, comme les malades en médecine, chaque pays est un cas d’espèce, tout simplement parce que les réalités politiques diffèrent d’un État à un autre. Le Mali n’étant pas la Guinée, l’expérience valait la peine d’être tentée ; elle aurait donné l’occasion à la classe politique de faire des pas dans le sens du consensus, compte tenu de l’intolérance qui marque le débat politique 143. Le Niger a bien une CENI qui fonctionne, malgré certaines difficultés d’ordre matériel. De passage à Conakry, Hamidou Salif Kané, magistrat de profession, et Président de la CENI du Niger de 2003 à 2005 a été très clair, répondant au journal guinéen « La lance » à la question de savoir s’il y a eu des tentatives de triche : « C’était difficile, parce que nous avons des commissions électorales, au niveau local, avec la même composition qu’au niveau national. Donc, là où tous les partis politiques se retrouvent, il est difficile de tricher. Vous avez le parti au pouvoir et les partis d’opposition au sein de la même structure. Les gens se contrôlent mutuellement. Nous avons mis en place un système au niveau de nos différents procèsverbaux de façon à ce que chacun des membres des bureaux de vote et les délégués des partis politiques puissent avoir un exemplaire du procès-verbal dûment signé pour qu’il n’y ait pas lieu à contestation » 144. Enfin, il importe de relever que ce n’est pas la constitution qui a confié au Ministère de l’Administration du Territoire et ____________________
143 : Le FRAD avait présenté une proposition de CENI lorsque le projet de décret créant la CENA a été diffusé. Lire aussi Cheick Sako : « L’enjeu de la création d’une Commission Électorale Nationale Indépendante » in Dominique Bangoura (sous la direction) : « Guinée : l’alternance politique à l’issue des élections présidentielles de décembre 2003 », op. cit. pp.227 à 231. 144 : Cf. « La lance » nº 463 du 09 novembre 2005 p. 8.
101 de la Décentralisation l’organisation des élections, mais le code électoral en son article L2 alinéa 1er. C’est pourquoi tant dans le mémorandum du 15 septembre 2003 que dans celui du 12 juillet 2005, les partis politiques participants avaient recommandé la révision du code électoral. Le mémorandum de 2005 est plus précis : il a prévu la modification du code électoral pour voir substituer dans l’article L2 la CENA au Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, les attributions, la composition, le mandat, l’organisation et le fonctionnement de ladite commission étant fixés par la loi. Aussi, la création en 2005 de la CENA par voie réglementaire avant toute modification du code électoral est surprenante d’autant que la recommandation a été faite au Président de la République, après les « leçons tirées des élections organisées de 1993 à 2003 » et au titre « des conditions d’une élection libre, transparente, juste et crédible ». En fait, le rejet de la proposition d’une CENI obéit plutôt à des mobiles politiques : éviter un renversement du régime par les urnes, car la CENI comporte en elle les germes de l’alternance politique. Et le Gouvernement, en s’opposant à la proposition, n’a fait qu’exécuter la position du Président Lansana Conté exprimée dès 1998. Répondant à la question de l’autorité chargée de l’organisation du scrutin présidentiel de 1998, le Président déclara : « Le Ministère de l’Intérieur. Certains ont voulu que la Commission soit indépendante. Mais indépendante de qui ? Et on ne m’a pas donné les raisons valables pour qu’elle soit indépendante. Le débat s’est fait au niveau du Ministère de l’Intérieur, pas à mon niveau. Finalement, le consensus s’est fait sur la nécessité de créer cette commission. Mais elle ne peut être indépendante. Dans un pays souverain, on connaît les institutions qui sont indépendantes : l’Assemblée, la Cour Suprême, l’Exécutif, le
102 Conseil National de la Communication, le Conseil Supérieur de la magistrature etc… On ne peut pas en créer d’autres. S’il y a trop de personnes indépendantes, il va y avoir l’anarchie » 145. Une déclaration on ne peut plus claire. Dans sa réponse au mémorandum du 12 juillet 2005 sur la question de la révision du code électoral, et après avoir rappelé les précédentes commissions électorales et indiqué qu’il ne saurait y avoir de confusion entre les différents rôles d’organisateur, de candidats, d’électeurs, de contrôleurs ou superviseurs et les recours, le Gouvernement a renvoyé au premier trimestre 2006 l’examen de la révision du code électoral avec en prime le problème de l’institutionnalisation de la CENA par voie législative. En raisonnant ainsi qu’il précède, le Gouvernement, à travers le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, a tout simplement erré. En effet, contrairement à la CENA du 10 octobre 2005, les précédentes commissions électorales n’avaient pas de personnalité juridique : il s’agissait de simples commissions administratives placées auprès du Ministre en charge de l’organisation des élections, jouant le rôle d’assistantes techniques. Leur création n’a donc jamais porté atteinte à l’autorité dudit Ministre ainsi que dispose l’article L2 alinéa 1er de la loi électorale. Il n’en va pas de même de la CENA du 10 octobre 2005 dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. ____________________ 145 : Cf. Jeune Afrique Économie du 30 novembre au 13 décembre 1998 p. 106.
103 En tant que telle, la CENA est un organe indépendant du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation dès lors qu’aucune disposition du décret du 10 octobre 2005 ne la place expressément sous la tutelle du Ministère. Il y a donc eu manifestement violation de l’article 2 alinéa 1er du code électoral dans la mesure où ce texte dispose clairement que ce ministère est l’autorité administrative compétente pour organiser les élections. Par ailleurs, en conférant la personnalité juridique et l’autonomie financière à la CENA, le décret du 10 octobre 2005, en son article 1er alinéa, a classé celle-ci au nombre des structures décentralisées (territoriales ou techniques) de l’État. Or, en l’espèce, la CENA n’est ni une entreprise publique à caractère sociétaire, ni un établissement public à caractère industriel et commercial, tels qu’organisés par l’ordonnance nº 91/025/PRG/SGG du 11 mars 1991 portant cadre institutionnel des entreprises publiques. La CENA n’est pas non plus un établissement public à caractère administratif en raison de la nature politique de ses attributions. En effet, la loi n°L/93/021/CTRN du 06 mai 1993 portant cadre institutionnel des établissements publics à caractère administratif dispose, en son article 3, que « le décret portant création d’un établissement public administratif détermine avec précision : -
son caractère éducatif, scientifique, culturel, social, sanitaire ou personnel ; sa mission ; l’autorité chargée de la tutelle ; ses principales structures et leurs attributions générales ; les ressources qui lui sont attribuées et les charges qu’il doit supporter.
104 Le décret de création fixe en outre l’organisation d’ensemble de l’établissement et ses statuts. » De ce texte, il résulte que l’établissement public à caractère administratif n’a pas une mission politique et qu’il est soumis à tutelle. Or, la CENA s’occupe exclusivement des élections qui, par essence, ont un caractère politique, qu’il s’agisse des élections communautaire, communale, législative ou présidentielle. Dans tout État organisé, toute élection a un caractère politique dès lors qu’il s’agit de choisir les représentants habilités à parler au nom de la collectivité humaine (CRD, Commune, État) qui vote. La CENA constitue une nouvelle catégorie d’établissement public dont la création relève du domaine de la loi qui en fixe les règles en application de l’article 59 de la loi fondamentale : le recours à un décret pour sa création viole la loi fondamentale. Créée par décret en violation de la constitution et du code électoral, la CENA a un statut ambigu, même si par sa composition paritaire 146, elle peut inspirer confiance. Et la ____________________ 146 : Dans le projet de décret créant la CENA (article 17), il était prévu qu’au niveau national, la CENA comprend les représentants des partis politiques engagés dans les élections, 5 représentants de la société civile et 2 représentants de l’Administration. Suite à une réaction des partis politiques, l’article 18 du décret du 10 octobre 2005 a organisé comme suit la composition de la CENA au niveau national : 7 représentants des partis politiques de la majorité, 7 représentants de l’opposition, 5 représentants de la société civile et 3 représentants de l’Administration. Le Gouvernement acceptait ainsi une distinction qu’il avait refusé d’admettre lors des discussions entre partis politiques ayant conduit aux mémorandums cités plus haut.
105 confusion savamment entretenue autour de son statut juridique a déteint sur l’accomplissement de sa mission : elle a été supplantée par les commissions administratives de recensement. 1-2-
Les Commissions centrales et commissions souspréfectorales de recensement des votes.
Après avoir fait créer la CENA par décret présidentiel, le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation a, sur le fondement des articles L88, L104 et R46 du code électoral, pris l’arrêté nº 5496/MATD/CAB/2005 du 08 novembre 2005 portant composition des commissions centrales et commissions sous-préfectorales de recensement des votes. La référence à l’article L104 du code électoral dans les visas de l’arrêté est sans intérêt pour la simple raison qu’il traite essentiellement du dossier de candidature à déposer à la souspréfecture ou à la préfecture. Seuls les articles L88 et R46 visés par l’arrêté sont exclusivement relatifs à la commission de recensement des votes. Ils sont ainsi rédigés : Article L88 : Le recensement des votes d’une circonscription électorale sera le décompte des résultats de vote présentés par les différents bureaux de la circonscription électorale. Le recensement des votes est effectué représentants des candidats ou des listes une commission administrative centrale Ministre chargé de l’Intérieur et présidée
en présence des de candidats par désignée par le dans tous les cas
106 par un magistrat de l’ordre judiciaire désigné par la Cour Suprême. Les résultats arrêtés par chaque bureau de vote et les pièces annexées ne peuvent en aucun cas être modifiés. Article R46 : Le magistrat chargé de présider la commission de recensement général des votes visée à l’article L88 est nommé par arrêté du Ministre chargé de l’Intérieur sur proposition du Premier Président de la Cour Suprême formulée au plus tard trente-cinq jours avant celui du scrutin. Ladite commission comprend en outre quatre membres désignés sur proposition du Préfet formulée dans les mêmes délais. L’arrêté du Ministre chargé de l’Intérieur nommant pour chaque Préfecture les membres desdites commissions, est pris au plus tard trente jours avant la date de l’élection. De ces textes, il résulte que : -
le décompte des résultats de votes des différents bureaux de vote est assuré par une commission administrative de centralisation constituée par le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation ;
-
le décompte des voix est effectué en présence des représentants des candidats ou des listes de candidats ;
-
les résultats de votes de chaque bureau ne peuvent être modifiés, y compris les pièces y annexées ;
107 -
l’arrêté ministériel désignant les commissions de centralisation est pris au plus tard 30 jours avant la date du scrutin.
Aussi, l’arrêté du 08 novembre 2005 aurait dû, pour éviter toute interprétation tendancieuse de la loi et conformément à l’esprit et à la lettre de celle-ci, indiquer dans un article 2, que les commissions de centralisation siègent en présence des représentants des listes de candidats. Par ailleurs, il est à noter la composition irrégulière de la commission centrale au niveau des communes de Conakry et de l’intérieur : contrairement au contenu de l’arrêté du 08 novembre 2005, l’article R46 ne prévoit pas, en son alinéa 2, la représentation du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, au surplus en tant que Vice-Président de la commission. Seuls doivent être représentés le Gouvernorat de Conakry pour les commissions de la capitale et les Préfectures pour les commissions de l’intérieur. Il est dès lors facile de déduire que le délégué du Ministère avait la mission de faire appliquer les instructions dudit département. Le mode indicatif utilisé par le législateur ne laisse aucun doute sur le caractère obligatoire de la présence des représentants des listes de candidats : leur absence est un motif d’annulation du décompte dans la circonscription électorale considérée. Par ailleurs, la certitude de cette interprétation s’appuie sur ce que : -
la révision du code électoral en 1993 a exclu, à l’article L88, la présence des présidents des bureaux
108 de vote et maintenu celle des représentants des candidats ou des listes de candidats ; -
l’article L88 dispose que le procès-verbal de recensement, qui est un document récapitulatif, est établi en double exemplaire en présence des candidats ou de leurs représentants (sans avoir cependant un droit de signature) ;
-
en application de l’article L91, tout candidat ou son représentant dûment habilité, a le droit, dans les limites de sa circonscription électorale, de contrôler toutes les opérations de vote, de dépouillement des bulletins et de décompte des voix, dans tous les locaux où s’effectuent ces opérations. Il peut inscrire au procès-verbal toutes observations ou contestations sur le déroulement des opérations.
Les articles L82 et L88 prévoient la présence des représentants des listes de candidats dans les bureaux de vote et les commissions de centralisation. Le silence de l’arrêté du 08 novembre 2005 n’a aucun effet restrictif, l’arrêté ayant une valeur juridique inférieure à celle de la loi organique portant code électoral. Ainsi donc, au plan institutionnel et à l’occasion des scrutins du 18 décembre 2005, deux organismes ont été créés, dont l’un (commission de recensement des votes) est prévu par le code électoral, et l’autre (la CENA) ne l’est pas, et parce qu’établi pour « distraire » l’opinion publique, pour faire croire surtout aux partenaires au développement que les consultations électorales sont organisées dans un cadre consensuel. Voilà qui explique l’effacement de la CENA lors des scrutins communal et communautaire de décembre 2005.
109 2- La paralysie fonctionnelle de la CENA Le décret du 10 octobre 2005 a confié à la CENA des missions étendues dont l’accomplissement effectif aurait permis d’obtenir des résultats électoraux reflétant largement les tendances du corps électoral. En effet, la CENA avait pour attributions de : Article 2 : La Commission Électorale Nationale Autonome veille à la recherche et à la mise en œuvre des voies et moyens permettant de parvenir à des élections régulières dans la paix et la quiétude. À ce titre elle : ] Participe à toutes les phases du processus électoral ; ] Conseille et assiste les autorités chargées d’organiser les élections et contrôle la bonne exécution des travaux relatifs aux opérations électorales ; ] Bénéficie du concours des services de l’Administration et peut saisir en tant que de besoin, les autorités administratives pour toutes mesures nécessitant l’intervention des forces de l’ordre. Article 8 : La Commission Électorale Nationale Autonome a pour mission de : ] Superviser et contrôler le processus électoral et l’ensemble des opérations s’y rapportant de la révision des listes électorales jusqu’à la proclamation des résultats ; ] Veiller à l’exécution correcte sur le terrain de toutes les dispositions légales et réglementaires relatives au processus électoral.
110 Elle veille en particulier à ce que les parties prenantes au processus, notamment les partis politiques et l’administration, soient en état d’exercer les obligations, droits et prérogatives qui leur sont reconnus par la loi. Les attributions ainsi définies pouvaient être assurées par l’effet de la personnalité juridique et de l’autonomie financière dont a été dotée la CENA par l’article 1er alinéa 2 du décret du 10 octobre 2005 147, à l’instar des établissements publics de l’État. En tant qu’organisme indépendant du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, la CENA devait pouvoir assumer ses responsabilités. Tel n’a pas été le cas. En premier lieu, le statut de la CENA comportait en lui une cause de paralysie : il y avait en effet une contradiction à faire d’une institution dotée de la personnalité juridique, le garant moral d’une élection : la personnalité juridique, donc l’autonomie juridique, implique un pouvoir de décision et de sanction dont la seule limite réside dans le principe de la spécialité. Par ailleurs, sa création par décret sans modification de l’article L2 du code électoral confiant l’organisation des élections au Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation remettait en cause son indépendance souhaitée 148. ____________________ 147 : Dans le projet de décret, il n’était pas prévu de conférer la personnalité juridique à la CENA. La question se pose donc bien du pourquoi de ce rajout dont le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation a refusé d’assumer les conséquences juridiques. 148 : Sur l’analyse de Kaké Makanéra Al Hassan soutenant la thèse de l’indépendance de la CENA, analyse erronée au regard de l’article L2 du code électoral, des faits et de la déclaration même du Président de la CENA du 05 janvier 2006 (voir supra renvoi 156), cf. le journal « Mutation » nº 04 du 06 avril 2006 p.3.
111 En second lieu, les circonstances de la création de la CENA ne pouvaient lui permettre d’exercer toutes les attributions qui lui étaient dévolues pour les élections communale et communautaire du 18 décembre 2005. Créée pour participer à toutes les phases du processus électoral, la CENA l’a été après la révision des listes électorales effectuée sous la conduite seule du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation. Or, la révision de la liste électorale est une phase très importante du processus électoral : elle détermine la qualité d’électeur et le nombre d’inscrits aptes à participer à la consultation électorale. C’est ce que Jean-Philippe Immarigeon a exprimé dans des formules bien à propos : « …Le seul lien entre les votants, celui où le corps électoral est assemblé, est ce document administratif que l’on appelle la liste électorale… La liste électorale est la pierre angulaire de la démocratie et lui est consubstantielle… La liste électorale est devenue le seul et unique document établissant le droit d’un citoyen à voter. La carte nationale d’identité, tout autre justificatif de votre nationalité et même la présentation de la carte d’électeur elle-même ne vous donneront aucun droit à participer au scrutin si votre nom n’apparaît pas sur la liste électorale, avec un numéro d’ordre dans un bureau de vote. Ne pas être inscrit sur une liste électorale revient à ne pas être citoyen ; à l’inverse, la suppression des droits civiques se matérialise par la radiation de la liste électorale. Les conditions dans lesquelles elle est établie n’en sont que plus déterminantes ». Et l’auteur poursuit à propos du nombre des électeurs : « Ce nombre est tout à la fois le dimensionnement de la communauté de citoyens et la garantie que le vote majoritaire exprimera la volonté générale en théorie » 149. ____________________
149 : Cf. Jean-Philippe Immarigeon : « Autopsie de la fraude électorale » op. cit. pp. 24 à 26.
112 C’est cette importance de la liste électorale que l’Union Européenne avait bien perçu et qui avait fait dire à Hans Dahlgren, représentant de la Présidence de l’Union Européenne et chargé des questions de l’Union du fleuve Mano au sujet de la Guinée, ce qui suit : « La révision des listes électorales, les droits de l’opposition à participer à la campagne électorale sont les conditions de participation de l’Union Européenne aux législatives prochaines » 150, celles du 30 juin 2002. Aussi, la CENA ne pouvant assurer la couverture de tout le processus électoral conduisant aux scrutins du 18 décembre 2005, elle ne pouvait en garantir la moralité. Un organisme public doté de la personnalité juridique, procédant de la décentralisation technique ou par services, ne peut déléguer ses attributions à une structure de l’Administration centrale, à savoir le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation qui s’est chargé de la révision des listes électorales en 2004 : selon les techniques normales de l’organisation administrative, la structure administrative centrale doit jouer le rôle d’autorité de tutelle et non être délégataire des attributions de la structure décentralisée. La situation n’a été que la conséquence administrative directe de la création de la CENA par voie réglementaire et non par voie législative en modifiant l’article L2 alinéa 1er du code électoral, et cela postérieurement à la révision des listes électorales. Le ministère ne pouvait ignorer la nécessité de créer cette commission en prévision des échéances communale et communautaire de 2005 dans la mesure où la Guinée en a fait l’expérience en 1993, 1998 et 2002 et que le mandat des conseils communaux élus en juin 2000 avait expiré en juin 2004. Il ne serait pas exagéré de suspecter le ____________________
150 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 134 du 11 décembre 2001 p. 5.
113 Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation d’un acte délibéré consistant à assurer la révision des listes électorales en dehors de tout contrôle externe gênant : ainsi, la manipulation des listes est aisée, comme il l’a été lors des scrutins du 18 décembre 2005 151. En troisième lieu, la CENA n’a pu empêcher ou corriger les violations flagrantes de la législation électorale. Deux exemples suffisent à étayer cette carence de la CENA : les modalités d’installation des bureaux de vote dans des lieux devant être neutres et de distribution des cartes d’électeurs et des attestations d’identification. S’agissant de l’installation des bureaux de vote et des inscriptions sur les listes électorales, la CENA a été saisie par une lettre de l’UFR datée du 30 novembre 2005 et dans laquelle ce Parti a dénoncé l’installation des bureaux de vote dans les camps militaires et de gendarmerie mais aussi et surtout dans deux sièges du PUP dans les quartiers Kouléwondy et Almamya, dans la commune de Kaloum où le PUP parti au pouvoir, présentait une liste de candidats. L’UFR a aussi dénoncé la mise à disposition dans les garnisons militaires des fiches d’émargement des électeurs qui ne doivent être obligatoirement livrées que le jour du vote en même temps que les urnes. À cela s’ajoutait l’augmentation du nombre d’inscrits dans les bureaux de vote dépendant des camps militaires, augmentation anormale par rapport aux statistiques lors des consultations communales de ____________________ 151 : Dans sa déclaration du 30 novembre 2005, Bâ Mamadou, Président de l’UFDG, avait dénoncé l’impossibilité pour la CENA de superviser la révision des listes électorales. Cf. « L’observateur » nº 293 du 05 décembre 2005 p.3.
114 2000 ; à titre d’exemple, l’UFR a indiqué dans sa lettre que sur 9.450 inscrits dans le quartier Sans-Fil, 5.289 l’étaient au compte du camp Samory 152. À ces irrégularités graves, la CENA n’a pas répondu en dépit des dispositions très claires de l’article 9 du décret qui prévoit qu’elle veille à la neutralité des fonctionnaires de commandement et des services de maintien d’ordre et à l’installation des bureaux de vote exclusivement dans des lieux neutres, publics et d’accès facile ; son inaction est attestée par les griefs contenus dans les réclamations de la liste UFR présentées à la commission administrative de recensement des votes à Kaloum 153. L’indifférence « forcée » de la CENA s’est manifestée aussi à l’égard de l’usage, irrégulier dans les communes, et abusif dans toutes les circonscriptions électorales des attestations d’identification et des procurations ; elle n’a pu assurer le libre accès de tous les électeurs auxdites attestations et cartes d’électeurs dans les quartiers et CRD. Tous ces faits qui rentraient dans les attributions de la Commission électorale (article 2, 8, 13 et 14 du décret de création) ont été relevés par la mission d’observation nationale qui était sur le terrain avec les membres de ladite commission et de ses démembrements. En quatrième lieu, et en violation des articles 2, 8, 9 et 15 du décret, la CENA a été exclue des opérations de recensement des votes : elle n’a pu contrôler comme de règle ni la sécurité de l’acheminement des procès-verbaux aux lieux de centralisation des résultats, ni le déroulement de la centralisation des résultats. Ce fait n’est que la conséquence logique de l’arrêté du 08 novembre 2005 organisant les ____________________ 152 : Cf. « Les échos » nº 99 du 16 au 23 décembre 2005 p. 4. 153 : Cf. « Les échos » nº 100 du 03 au 17 janvier 2005 p. 6.
115 commissions administratives de recensement des votes ; il a été vertement dénoncé par l’opposition 154. Il a déjà été indiqué à ce sujet que, le 18 décembre 2005, certains membres de la CENA n’ont pu même assister au dépouillement des voix : il en a été ainsi à l’école primaire Federico Mayor du quartier Sandervalia, dans la Commune de Kaloum, deux membres de la CECA, représentation communale de la CENA, n’ont pu assister au dépouillement, l’accès étant interdit par la police, et ce malgré la présentation de leur badge 155. De ce qui précède, on déduit aisément que la CENA a servi de « faire-valoir ». Le Président de l’institution, Docteur Rachid Touré 156, ne dit pas le contraire : après avoir mis les résultats électoraux du 18 décembre 2005 à l’avantage du Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation et de ses collaborateurs, il déclare, le 05 janvier 2006, à l’occasion des vœux de nouvel an organisés par la Commission : « La CENA avec ses 1391 éléments était bien présente sur le terrain, dans tous les coins du pays. Et ils ont fait leur travail. C’est parce qu’on était trop présents partout qu’on ne nous a pas vus… Les résultats proclamés par le Ministre sont ceux sortis des urnes » 157.
____________________
154 : Cf. la déclaration de Bâ Mamadou, Président de l’UFDG, lors d’un meeting électoral le 15 décembre 2005 à Ratoma (Conakry) in « Le lynx » nº 717 du 19 décembre 2005 p. 7. 155 : Cf. « Les échos » nº 101 du 18 au 31 janvier 2006 p. 7. 156 : À l’exception de la première commission de 1993 présidée par feu Fofana Khalil, les commissions de 1998, 2002 et 2005 ont été toutes présidées par Dr. Rachid Touré, présenté chaque fois au titre de la société civile par la CODEM en 1998, par le PUP en 2002 et par le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation en 2005. 157 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 343 du 10 janvier 2006 p. 2.
116 La déclaration du Président de la CENA confirme que : -
d’abord le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation est l’organisateur légal des élections : c’est donc à dessein que, contrairement aux recommandations des mémorandums des 15 septembre 2003 et 12 juillet 2005, la CENA a été créée par un décret et non par une loi ;
-
souffrant d’un handicap juridique résultant de son statut, la commission n’a pu assurer les attributions à elle dévolues par son décret de création ;
-
ensuite, la commission n’a exercé aucun contrôle sur les résultats publiés par le Ministre puisque ce sont ceux sortis des urnes gérées par le Ministère : cela signifie que si la commission avait pu jouer son rôle, elle aurait, à partir des dépouillements dans les bureaux de vote et lors de la centralisation des votes devant les commissions administratives, procéder à des corrections de résultats ;
-
enfin, dire que les membres de la CENA n’ont pas été vus parce qu’ils étaient trop présents sur le terrain constitue un aveu manifeste : par un raisonnement a contrario, le Président de la Commission confirme l’ineffectivité de la présence des membres de son institution sur le terrain, ce qui a été constaté par la mission d’observation nationale.
117 Le discours du Président de la CENA était à l’image de la déclaration « plate » faite par l’institution le 31 décembre 2005, laquelle a conclu en ces termes : « la commission électorale nationale autonome déclare que le scrutin du 18 décembre 2005 s’est déroulé dans des conditions globalement satisfaisantes » 158. Dans une expression qui frise la pitié, le journaliste Azoca BAH a décrit la marginalisation de la CENA dans la salle où le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation publiait les résultats : « Tout porte à croire que la CENA récemment créée n’aurait pas été impliquée dans la gestion des résultats officiels. Docteur Rachid Touré est entré dans la salle discrètement. Il n’avait même pas reçu le document récapitulatif des résultats définitifs. Lequel se trouvait entre les mains des membres du Gouvernement présents, le Président du CNC et certains cadres du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation. Tout le long de la lecture des résultats par Kiridi Bangoura, Docteur Rachid Touré prenait note » 159. Pourtant la CENA est destinée à être permanente jusqu’en 2010, année de la prochaine élection présidentielle après les législatives de 2007 et les communales et communautaires de 2009, si la durée des mandats est respectée. C’est ce qui justifie l’allocation à la CENA, après le 18 décembre 2005, de la somme de 500 millions de francs guinéens, qui servira, selon son Président, à régler les dettes léguées par le Haut Conseil aux Affaires Électorales de 1998 et le Conseil National Électoral de 2002 pour 200 millions de francs, et à couvrir les charges de fonctionnement de la CENA de 2005 jusqu’à la fin de l’année 2006 pour le reliquat de 300 millions ____________________ 158 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 343 du 10 janvier 2006 p. 2. 159 : Cf. « La lance » nº 470 du 28 décembre 2005 p. 11.
118 de francs guinéens. Dans une Guinée en crise aigüe, il est difficile de comprendre l’opportunité d’un tel financement public pour garantir la permanence d’une structure administrative dont l’inutilité a été constatée. S’agissant d’une institution « faire-valoir », un journal ne s’est pas trompé en posant la question suivante : « 500 millions de francs guinéens à la CENA : exécution budgétaire ou corruption ? » 160. III- L’organisation déroutante du contentieux des élections communale et communautaire D’une manière générale, et comme en France 161, diverses juridictions, différentes par la nature de leurs attributions, interviennent dans le règlement du contentieux des élections, qu’il s’agisse de : -
la contestation des décisions des commissions administratives d’inscription ou de radiation des listes électorales (Tribunal de Première Instance ou Justice de Paix en application des articles L16, L17, L18 et L28 du code électoral) ;
-
la régularité de la campagne électorale et de l’égalité de traitement des candidats dans les médias publics (Cour Suprême en sa chambre administrative et constitutionnelle en application de l’article L62 du code électoral) ;
____________________
160 : Cf. « Les échos » nº 102 du 20 février au 1er mars 2006 pp. 4 et 5. 161 : Cf. Jean-Philippe Immarigeon : « Autopsie de la fraude électorale » op. cit. pp. 109 et suiv. L’auteur montre qu’en France, trois ordres de juridiction s’occupent des listes électorales : les juges civil, pénal et administratif ; le juge de l’élection est le Conseil d’État (municipales, régionales, européennes) ou le Conseil Constitutionnel (législatives, présidentielles).
119 des comptes de campagne pour les élections législatives et présidentielles (Cour Suprême en sa chambre des comptes en vertu des articles L185, L187 et L188 du code électoral) ; -
des infractions à la législation électorale (tribunal de première instance ou justice de paix conformément aux articles L189 à L212 du code électoral) ;
-
du contentieux de l’éligibilité : le tribunal de première instance et la justice de paix pour les communales et les communautaires (article L109 du code électoral) et la chambre administrative et constitutionnelle de la Cour Suprême pour les législatives et les présidentielles (article L163 du code électoral) ;
-
du contentieux de l’élection : le tribunal de première instance et la justice de paix pour les communautaires (articles L110 à L112 du code électoral) et la chambre administrative et constitutionnelle de la Cour Suprême pour les communales, les législatives et les présidentielles (article 30 de la loi fondamentale, articles L110, L111, L153, L154, L173 du code électoral et article 100 et 101 de la loi organique n°L/91/008 du 23 décembre 1991 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour Suprême).
Dans les méandres de ce maquis judiciaire, l’électeur contestataire d’une inscription ou d’une radiation sur la liste, d’une éligibilité ou d’une élection trouvera difficilement sa voie. Pourtant il est possible de simplifier l’organisation juridictionnelle du contentieux électoral. Ainsi, tout contentieux de la liste électorale resterait confié au Tribunal de Première Instance et juge de Paix.
120 Quant au contentieux de la campagne électorale ou né à l’occasion des candidatures (formalités de dépôt, éligibilité…) et de l’élection proprement dite, compétence serait dévolue à une seule juridiction. L’idée a l’avantage d’uniformiser la jurisprudence électorale. Mais elle implique une réforme juridictionnelle consistant, soit dans la suppression de la Cour Suprême au profit de trois à quatre hautes juridictions dont l’une serait chargée du contentieux électoral, soit dans la restructuration de la Cour Suprême actuelle avec la création d’une chambre constitutionnelle distincte de la chambre administrative, avec des compétences étendues. En attendant, force est de constater qu’en l’état actuel de la législation électorale, l’organisation des contentieux des élections communale et communautaire crée une confusion certaine dans l’esprit de l’électeur. 1- L’organisation confuse du contentieux des élections communale et communautaire Dans un pays où le droit a toujours été considéré comme un épiphénomène, organiser différemment le règlement des litiges liés à l’éligibilité et à l’élection est source de difficulté dans la détermination des juridictions compétentes. Le Comité Directeur de la Section RPG de Siguiri en a donné une preuve. Le 20 décembre 2005, la justice de paix de Siguiri a déclaré irrecevable la requête dudit Comité Directeur contestant les résultats électoraux dans les CRD de Kinièbakoura et de Siguirinin et son incompétence pour l’élection dans la commune de Siguiri. Après avoir saisi la Cour Suprême des mêmes griefs, le Comité Directeur a adressé une nouvelle
121 réclamation au Président Lansana Conté par lettre du 26 janvier 2006 162. 1-1- L’unification au niveau du contentieux de l’éligibilité. En application des articles L109 et L116 du code électoral régissant le contentieux de l’éligibilité aux élections communale et communautaire, tout rejet d’une liste de candidats doit être motivé et notifié dans un délai de dix jours francs à compter de la date de dépôt. Le rejet peut faire l’objet d’un recours devant le Tribunal de Première Instance ou la justice de paix, dans un délai de deux jours francs à compter de la date de notification du Préfet. La juridiction saisie statue dans un délai de cinq jours francs et notifie immédiatement la décision aux parties intéressées et au Préfet qui enregistre la liste de candidats, si telle est la décision judiciaire, laquelle n’est susceptible d’aucune voie de recours. Par la simplification des procédures d’introduction des instances contentieuses, le législateur a facilité aux citoyens et aux partis politiques l’initiation des actions tendant à protéger les droits à eux reconnus en matière électorale. Cependant, la multiplication du nombre de juridictions à saisir (10 Tribunaux de Première Instance et 26 Justices Paix), crée un risque sérieux d’interprétation et d’application différentes, voire fortement divergentes, du code électoral. ____________________ 162 : Cf. « La nouvelle » nº 069 du 13 au 27 février 2006 p.4.
122 1-2- La distinction injustifiée au niveau du contentieux de l’élection. 1-2- 1- Le contentieux de l’élection communautaire. Sur le fondement des articles L91, L111 et L112, tout candidat ou son représentant dûment habilité a le droit, dans les limites de sa circonscription électorale, de contrôler toutes les opérations de vote, de dépouillement de bulletins et de décompte des voix, dans tous les locaux où s’effectuent ces opérations. Il peut inscrire au procès-verbal du bureau de vote toute observation ou contestation sur le déroulement des opérations. Le contentieux qui peut naître à l’occasion est soumis à l’examen de la commission administrative sous-préfectorale de vérification et de centralisation des résultats. Cette commission qui statue conformément à l’article L110, rend sa décision dans un délai de cinq jours à compter de la saisine, sans frais de procédure, après simple avertissement donné à toutes les parties intéressées. La décision est susceptible de recours devant le Tribunal de Première Instance ou la Justice de Paix qui statue aussi dans un délai de cinq jours. Le jugement rendu, insusceptible de toute voie de recours, est notifié aux parties intéressées et transmis au Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation. En cas d’annulation, de nouvelles élections sont organisées dans les soixante jours suivant la décision d’annulation. 1-2-2- Le contentieux de l’élection communale. Il est régi à la fois par le code électoral (article L110 et L111) dans sa partie administrative, et par la loi organique du 23
123 décembre 1991 sur la Cour Suprême (article 101) dans sa partie juridictionnelle. En effet, la décision de la commission administrative de centralisation de la commune peut être l’objet d’un pourvoi devant la Cour Suprême, à l’initiative du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation ou des parties intéressées dans un délai d’un mois à compter de la décision attaquée, sous peine d’irrecevabilité. Le pourvoi est formé par simple requête enregistrée au greffe de la Cour Suprême ; il est notifié, dans les deux jours qui suivent, par le greffier à la partie adverse, par lettre recommandée avec accusé de réception ou par voie administrative. À partir de la notification, la partie adverse a un délai de quinze jours pour produire son mémoire en défense au greffe de la Cour Suprême. Passé ce délai, la Haute Juridiction porte l’affaire à l’audience et statue sans frais. La question se pose à la lumière de ce qui se passe devant la Cour Suprême de la raison de l’exclusion du contentieux de l’élection communautaire de la compétence de la Haute Juridiction. Elle est d’autant pertinente que, conformément aux articles R37 alinéa 2 et R44 du code électoral, les listes de candidats sont présentées par des partis politiques 163 disposant de moyens humains et matériels leur permettant de gérer une procédure devant la Cour Suprême. ____________________ 163 : Ces dispositions de la partie réglementaire du code électoral excluent en principe le dépôt de liste de candidats par des personnes non investies par un parti politique. Si les articles L117 et L159 prescrivent que seuls les partis politiques peuvent déposer des déclarations de candidature aux élections législatives et présidentielles, les articles L104 à L107 applicables aux élections communautaire et communale ne prévoient pas cette restriction. Juridiquement, le décret d’application ne pouvait introduire une telle
124 À cette question, s’ajoute une autre interrogation : celle du sens de l’article 100 de la loi organique sur la Cour Suprême. Selon ce texte, dans les affaires relevant de la compétence du Tribunal de Première Instance, le délai pour se pourvoir est de dix jours, sous peine d’irrecevabilité. Le texte appelle certaines observations. Le fait de ne pas viser la justice de paix est-il le résultat d’un oubli ou d’un acte délibéré ? Dans la seconde hypothèque, l’exclusion n’a pas de sens dans la mesure où il a été exposé plus haut que le Tribunal de Première Instance et la justice de paix ont les même attributions en matière électorale (contentieux de l’éligibilité pour les communautaires et les communales et contentieux de l’élection pour les communautaires). La seconde observation concerne la nature du recours devant la Cour Suprême. S’agit-il d’un pourvoi en cassation ? La réponse est négative. Car, en excluant le contentieux de l’élection des communales porté directement devant la Cour Suprême après que la Commission administrative de centralisation ait délibéré, dans les autres contentieux (éligibilité des communautaires et communales et élection des conseillers communautaires), les Tribunaux de Première Instance et Justice de Paix se prononcent par des jugements insusceptibles de toute voie de recours. _________________________________________________ limitation, s’agissant d’une matière (garantie des libertés et de droits fondamentaux et droits civiques) dans laquelle la loi fixe les règles et non simplement les principaux fondamentaux (article 59 de la loi fondamentale) : le gouvernement, par voie réglementaire, ne pouvait donc ajouter de nouvelles conditions à celles prévues dans la partie législative du code électoral.
125 Manifestement, l’article 100 de la loi organique sur la Cour Suprême en ajoute à la confusion « organisée » autour du contentieux des élections communautaire et communale, et ce d’autant que, contrairement à l’article 101 de ladite loi organique, il n’identifie ni les demandeurs, ni l’objet du contentieux. La seule hypothèse d’application de ce texte ne peut être que le contentieux des listes électorales (inscription et radiation), en application des articles L27 et L28 du code électoral : en effet le code n’a pas expressément exclu un recours contre les jugements rendus en la matière. Cela suppose cependant que la saisine de la Cour Suprême soit étendue aux décisions rendues par les Juges de Paix qui, dans leur ressort territorial et dans cette matière, sont aussi compétents, que les Tribunaux de Première Instance. Les développements qui précèdent justifient amplement une révision du code électoral, bien que ce ne soit pas le seul domaine où le texte pose des problèmes. Après une expérience établie depuis près de quinze ans, une adaptation du code s’impose, la bonne qualité d’un texte ne suffit pas toujours à garantir sa bonne application, surtout par des juges dont l’indépendance n’est pas assurée. 2- La gestion « frileuse » du contentieux électoral dans les juridictions. Rappelant les juridictions concernées, il convient d’indiquer la Cour Suprême et les Tribunaux de Première Instance et Justices de Paix. Leurs attributions, organisation et fonctionnement sont régis, d’une part, par la loi organique n°L/91/008 du 23 décembre 1991 sur la Cour Suprême, et d’autre part, par la loi n°L/95/021/CTRN du 06 juin 1995
126 portant réorganisation de la justice en République de Guinée, modifiée par la loi n°L/98/014/AN du 16 juin 1998. Quant au statut des magistrats de ces juridictions, il résulte des lois organiques n°L/91/010 du 23 décembre 1991 portant création du Conseil Supérieur de la magistrature et n°L/91/011 du 23 décembre 1991 portant statut de la magistrature. Des textes d’application ont été pris en 2005164 ; il s’agit notamment des décrets : -
n° D/2005/09/PRG/SGG du 1er mars 2005 portant application de la loi organique sur le Conseil Supérieur de la magistrature ;
-
n° D/2005/010/PRG/SGG du 1er mars 2005 portant application de la loi organique sur le statut de la magistrature ;
-
nº D/2005/012/PRG/SGG du 1er mars 2005 portant création et fonctionnement de la Commission d’avancement et de discipline des magistrats du parquet et de l’administration centrale.
En attendant la mise en application des nouveaux textes, il est regrettable de constater : + l’impunité qui gangrène le système judiciaire en raison notamment de l’ineffectivité du fonctionnement des instances disciplinaires ; ____________________ 164 : Les réformes que nous avons initiées entre 1996 et 2000, ont été arrêtées après notre départ du gouvernement ; reprises, améliorées et complétées par le Ministre Mamadou Sylla dit Syma, à partir de 2003, elles ont abouti aux textes de 2005.
127 + l’alignement des magistrats sur le régime général de la fonction publique en matière de salaires 165, or, le juge n’est pas un fonctionnaire ordinaire puisqu’il a pour mission de dire ce qui est censé être la vérité dans la société ; il doit être à l’abri des besoins primaires, c’est la première condition de la lutte contre sa corruption ; + le magistrat guinéen n’a pas de profil de carrière : les avancements ne sont pas fonction du rendement et les nominations aux postes des juridictions ne tiennent pas compte des grades ; c’est la porte ouverte à toutes sortes de pratiques peu amènes auxquelles il est recouru pour obtenir des promotions, c’est la cause première de la servilité du magistrat guinéen, de sa subordination aux autorités étatiques 166. Telle est la condition du magistrat qui a la charge de régler le contentieux électoral : il préside les commissions centrales de recensement des votes pour le contentieux dans sa phase administrative (article L88 du code électoral) ; il statue par des décisions ayant autorité de la chose jugée dans la phase juridictionnelle du contentieux. ____________________ 165 : En 1998, sur les 87 magistrats (Cour Suprême exceptée) des Cours et tribunaux de Conakry, seulement 6 avaient un salaire atteignant 300.000 francs guinéens alors qu’ils totalisaient chacun au moins 20 ans d’ancienneté. Par ailleurs, il n’est pas rare de voir des juges les matins au bord des rues, attendant un taxi ou transport en commun, en même temps que la population urbaine, pour se rendre dans les juridictions. 166 : Même les Préfets et Gouverneurs de région n’hésitent pas à donner des instructions au juge de leur ressort territorial. La fermeture en 2005 de la Justice de Paix de Dubréka par des gardes communaux sur ordre du Préfet de la localité, acte resté impuni, est un exemple éloquent.
128 Il n’est donc pas surprenant que le magistrat fasse preuve d’une certaine frilosité, soucieux qu’il est plus de la préservation de ses droits et surtout de son poste dans son tribunal que de l’application correcte de la loi électorale, donc de la régularité du vote 167. La gestion judiciaire du contentieux dans la commune et les CRD de Forécariah est symptomatique de cette « peur » d’appliquer la loi : si le juge a eu le « courage » d’annuler les rejets des listes UFR dans les CRD de Kaback et de Kakossa, il a par contre confirmé le rejet des listes de ce Parti dans la commune de Forécariah et dans la CRD de Maférinyah, ce qui a permis de garantir le succès de la liste PUP, seule en compétition dans la commune. Pourtant le motif du rejet de la liste UFR aux communales fondé sur l’absence de résidence à Forécariah de deux candidats de la liste ainsi qu’il résulte de la requête introductive d’instance de l’UFR du 22 novembre 2005 était inexact. Quant à la CRD de Manférinyah, son intérêt pour le pouvoir tient à ce qu’elle abrite les plantations du Président Lansana Conté ; une usine de jus de fruits y a fonctionné à la faveur des grandes plantations d’ananas. En somme, l’objectif du pouvoir soutenu par l’appareil judiciaire reste le contrôle des principaux centres urbains et des grosses CRD, locomotives de leurs préfectures. Le texte d’une lettre de notification est suffisamment expressif de l’état d’esprit des juges. Il est en effet écrit dans la lettre de notification nº 50/JP/FOR/2005 du 29 novembre 2005 du juge de paix de Forécariah le texte suivant : « J’ai
____________________
167 : C’est le lieu de rappeler la mésaventure du juge Sékou Kourouma dit Castro en juin 2000 au lendemain de la prise de fonction de mon successeur : menacé, il a été finalement relevé de ses fonctions de juge de paix de Mafanco à Conakry pour avoir refusé d’exécuter l’ordre d’invalider la liste UFR aux communales 2000 conduite par Rougui Barry dans la commune de Matam..
129 l’honneur de vous notifier que suite à votre requête aux fins d’annulation d’une décision de rejet de liste de candidature à l’élection communale du 18 décembre 2005, mon tribunal après examen, statuant en matière électorale a confirmé la décision de rejet conformément aux dispositions des articles L5, L104, L107 et L109 du code électoral ». Cette expression appelle quelques observations : -
s’il est prescrit par l’article L109 alinéa 3 de notifier la décision du tribunal aux parties intéressées et au Préfet, il n’est pas obligatoire que la lettre de notification soit signée du juge en personne, la notification par le greffier en chef suffit ;
-
la loi prescrit la notification de la décision intégrale et non simplement de son dispositif : il est important pour le requérant, mandataire de la liste, de connaître les motifs de la décision de confirmation ou d’infirmation de la décision préfectorale de rejet de la liste ; tel n’est pas le cas dans l’exemple cité ;
-
l’expression du juge participe de la personnalisation des institutions publiques à tous les niveaux des structures étatiques : le tribunal qu’il préside n’est pas sa « chose » mais une institution de la République.
La peur qui hante le juge guinéen s’est manifestée même dans les commissions administratives : la plupart des contestations ont été rejetées quand bien même elles étaient motivées. Dans la commune de Matam, la juge, présidente de la commission administrative de recensement, a même refusé de recevoir la
130 plainte de la liste UFR, ce qui a provoqué une marche de protestation des femmes UFR 168. Ce refus s’apparente à un déni de justice condamné par l’article 10 du code civil guinéen. L’inquiétude face à ce phénomène est d’autant préoccupante que la même subordination politique du juge guinéen s’observe à la Cour Suprême, en sa chambre constitutionnelle et administrative. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter l’arrêt nº 07/CCA/CS du 11 novembre 2003 de la chambre constitutionnelle et administrative de la Cour Suprême arrêtant et publiant la liste des candidats à l’élection du Président de la République le 21 décembre 2003. Cet arrêt a déclaré irrecevable les candidatures de Mohamed Lamine Soumah, Mamadou Telly Diallo, Ibrahima Condé, El Hadj Oumar Sylla, Ismaël Condé et Charles Pascal Tolno et recevables les candidatures de Mamadou Bhoye Barry et Lansana Conté 169. De cet arrêt, il résulte que le candidat Lansana Conté est né en 1934 à Loumbaya (Dubréka) et qu’il a produit, entre autres pièces : -
une copie du certificat en date du 12 mai 1959 du bureau de recrutement national tenant lieu d’acte de naissance ;
-
un certificat médical en date du 04 novembre 2003 établi et délivré par une commission médicale du CHU Ignace Deen, le déclarant apte à la candidature ;
____________________ 168 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 341 du 27 décembre 2005 p.5. 169 : Cf. l’arrêt in « La nouvelle tribune » nº 234 du 18 novembre 2003 pp. 6-7.
131 un acte mise en disponibilité spéciale, de durée limitée et renouvelable du Général Lansana Conté. Avant de commenter les deux dernières pièces, il est curieux de constater que le candidat Lansana Conté qui a pu faire un extrait du bulletin nº 03 de son casier judiciaire, délivré par la justice de paix de Dubréka, n’ait pas pu se faire établir par la même juridiction un jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance, en lieu et place du certificat du bureau de recrutement national (militaire) daté du 12 mai 1959. L’observation générale qui se dégage de l’arrêt de la Haute Juridiction est celle d’une analyse superficielle conduite à dessein. En effet, s’agissant de l’état de santé des candidats à la Présidence de la République, l’article L160 dispose que les candidats doivent produire un certificat de visite et de contrevisite datant de moins de trois mois. Ce type de document est établi par deux médecins différents nommément identifiés, l’un fait la visite et l’autre la contre-visite. Une interprétation littérale et stricte de ce texte, aux termes très clairs, conduit à dire que ne remplit pas cette condition le candidat qui, comme Lansana Conté, produit un certificat établi par une commission médicale dont les membres ne sont même pas identifiés dans l’arrêt de la Cour Suprême. La Haute Juridiction ne l’ignorait pas puisqu’elle a fait grief au candidat Oumar Sylla de n’avoir pas versé son certificat de visite et de contre-visite au dossier de la procédure. En ce qui concerne la mise en disponibilité spéciale 170, force est de constater que si en 1993, cette possibilité existait, le ____________________ 170 : Conseiller Juridique à l’époque du PUP avec le bâtonnier Abdoul Kabélé Camara, lors du contentieux électoral portant sur les
132 candidats Lansana Conté n’ayant pas encore atteint la limite d’âge de 60 ans des officiers généraux 171, l’intéressé ne pouvait plus bénéficier de ce statut en 1998 et 2003 : ou il prenait sa retraite de l’armée pour être candidat, ou il était inéligible du fait de son statut militaire. La Cour Suprême s’est abstenue de faire cette analyse ; et pourtant, avant l’élection présidentielle du 14 décembre 1998 à laquelle il était candidat, le Président Lansana Conté a déclaré à la presse : « J’ai l’âge de la retraite. Après la Présidence de la République, je m’occuperai de mes affaires. Je n’ai aucun problème dans ce domaine » 172. Face à une analyse juridique aussi poussée, la Cour Suprême aurait-elle pu déclarer irrecevable la candidature du Général Lansana Conté ? 173. Cela relève de l’hypothèse d’école avec cette Cour qui s’est évertuée à éliminer tous les candidats _________________________________________________ candidatures, j’ai eu l’initiative du recours à ce statut prévu par les textes, pour répondre à la contestation de la candidature de Lansana Conté par les partis d’opposition : il s’agissait de permettre à celui-ci d’être candidat sans prendre sa retraite de l’Armée afin de conserver son audience sur la grande muette. Et j’ai rédigé le projet de décret. Cf. le décret nº 197/PRG/SGG/93 du 11 octobre 1993 portant mise en disponibilité spéciale du Général Lansana Conté. 171 : Cf. l’ordonnance nº 042/PRG/SGG : 87 du 28 mai 1987 portant statut général des officiers (article 60 à 62) et l’ordonnance nº 070/PRG/SGG/90 du 25 juillet 1990 portant statut particulier des officiers (article 17). 172 : Cf. « Jeune Afrique Économie » du 30 novembre au 13 décembre 1998 p. 108. 173 : Il faut par ailleurs, indiquer que la recevabilité de la candidature du Président Lansana Conté en 2003 se posait à un autre niveau que celui de la constitution du dossier. La révision constitutionnelle du 11 novembre 2001 réalisée par référendum et qui a supprimé la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels, est intervenue après la réélection du Président Lansana Conté le 14 décembre 1998 pour un second mandat ; il a donc été réélu sous
133 gênants en 2003. Ainsi, on peut lire, dans son arrêt, cette expression caractérisée par un flou artistique avéré, à propos du candidat Oumar Sylla : « Que la validité de l’extrait de naissance et du certificat de nationalité de l’intéressé joints audit dossier est fort contestable » 174. Quand un dossier de candidature comporte des pièces, il appartient à l’organe chargé du dossier de statuer sur la validité des pièces produites : dans ce cas, ou celles-ci sont régulières, ou elles ne le sont pas. Si l’appréciation de la validité ressortit à la compétence d’un autre organe, celui qui doit se prononcer sur la candidature doit surseoir à statuer face à une question préjudicielle. La Cour Suprême ne ___________________________________________________________
l’empire de l’ancienne rédaction de l’article 24 de la loi fondamentale : il était frappé en 2003 par la limitation du nombre de mandats. Pour y échapper, il aurait fallu réviser la constitution avant le 14 décembre 1998. La candidature de 2003 n’a été politiquement possible que grâce au système de « parti dominant » organisé au profit du PUP. Sur un tout autre registre, Maître Bassirou Barry, ancien Ministre de la Justice, avocat à la Cour, a stigmatisé « l’embrouillamini juridique », selon ses termes, qui a présidé à l’élection présidentielle de 2003 : la présentation du projet de révision constitutionnelle n’a pas respecté la procédure de l’article 91 de la constitution d’une part, et, la suppression du plafond d’âge de 70 ans dans la constitution n’a pas été suivie d’une modification de l’article L157 du code électoral indiquant l’âge-plafond de 70 ans au nombre des conditions d’éligibilité. Cf. « Aspects juridiques de l’élection présidentielle à travers le code électoral guinéen » in « L’enquêteur nº 24 du 02 au 17 avril 2003 p.10. 174 : L’expression rappelle celle de nationalité floue employée en 2000 par la Cour Suprême ivoirienne à propos de la nationalité ivoirienne de l’ancien Premier Ministre Allassane Dramane Ouattara, leader du RDR. Cf. arrêt n° E 0001-2000 du 06 octobre 2000 de ladite Cour Suprême.
134 pouvait dès lors déclarer les pièces contestables sans en donner les motifs, alors qu’elle y attachait les effets de l’irrégularité. Le comble de l’inféodation politique de la chambre constitutionnelle et administrative de la Cour Suprême sera atteint au cours de la cérémonie de prestation de serment du Président Lansana Conté, le 19 janvier 2004. Après avoir reçu le serment de ce dernier, le Président de la Cour Suprême, feu Alphonse Aboly, magistrat du siège de son état, ne se contentera pas de donner acte au Procureur Général de ses réquisitions, au Président Lansana Conté de son serment et le renvoyer à l’exercice de ses fonctions ; il fera, dans un discours dithyrambique, le bilan des réformes politiques et économiques de l’élu depuis le coup d’État de 1984, employant à l’occasion, à trois reprises, le mot « plébiscite » pour qualifier l’élection présidentielle du 21 décembre 2003. La formule n’était pas heureuse pour la circonstance, car un régime plébiscitaire est un régime de personnalisation du pouvoir 175 : fondateur du PUP, parti « majoritaire » à l’Assemblée Nationale, le régime du Président Lansana Conté est un régime de concentration des pouvoirs, du moins jusqu’à la dégradation actuelle de son état de santé 176. La condition juridique du magistrat guinéen pose le problème plus général de l’indépendance de la justice. Celle-ci est-elle assurée par une autorité judiciaire ou constitue-t-elle un ____________________ 175 : Cf. Bernard Chantebout : « Droit constitutionnel et science politique » 17ème éd., A. Colin, Paris 2000 pp. 436-437. 176 : L’état de santé actuel du Président Lansana Conté a conduit à une diffusion du pouvoir entre des clans qui, par leurs luttes intestines, paralysent l’appareil d’État.
135 pouvoir judiciaire ? Les constitutions guinéennes de 1958 (article 35) et de 1982 (article 82) traitaient de l’autorité judiciaire ; la loi fondamentale de 1990, comme la plupart des constitutions africaines de la génération 90 177, a retenu la formule du pouvoir judiciaire, certainement pour marquer, dans l’esprit démocratique, la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Mais organiser l’existence formelle d’un pouvoir est une chose, en assurer le fonctionnement effectif est une autre. Car, comme l’a écrit le professeur Jean du Bois de Gaudusson, « une caractéristique de la justice en Afrique découle beaucoup plus de l’écart existant entre les principes juridiques et leur application que de l’originalité de ses principes. Le passé africain n’a guère préparé les États, ni les gouvernants, devenus indépendants, au principe de la séparation des pouvoirs ». 178. La parenté, voire la filiation culturelle, liant le régime du président Lansana Conté à celui du président Sékou Touré 179 ____________________ 177 : Cf. la constitution camerounaise révisée du 18 janvier 1996 (article 37), la constitution révisée du Burkina-Faso de 1997 (article 124), la constitution béninoise de 1990 (article 125), la constitution ivoirienne de 2000 (article 101) et la constitution sénégalaise de 2001 (articles 88 et 91), encore que dans le cas du Sénégal, la formule du pouvoir judiciaire a été constamment consacrée depuis la constitution de mars 1963 ainsi que l’exprimait à l’époque le Président Léopold Sédar Senghor : « À l'heure où l'on commence à insinuer que les trois pouvoirs ne sont en réalité que deux, le pouvoir judiciaire n’étant qu’une autorité, nous restons profondément fidèles à notre attachement au triptyque traditionnel. » in Jean du Bois de Gaudusson : « Le statut de la justice dans les États d’Afrique francophone » in Afrique contemporaine nº 156 (spécial), 1990 p. 8. 178 : Cf. Jean du Bois de Gaudusson : « Le statut de la justice dans les États d’Afrique francophone » op. cit. pp. 7-9. 179 : Dans une interview donnée au magazine « Construire l’Afrique » (n° 22 mars-mai 1995 p.), feu Sénaïnon Béanzin,idéologue, ministre
136 donne toute son actualité à la circulaire du 02 juillet 1963 élaborée par ce dernier. Il y était écrit : « Tout en obéissant aux techniques particulières, il est bon de rappeler que le service de la justice ne constitue pas une chose à part, que les magistrats ne constituent pas un corps indépendant des autres organes de l’État… Il est également nécessaire de rappeler aux magistrats que pour harmoniser divers aspects d’une justice sociale, ils doivent informer avant jugement les responsables (politiques et administratives) de toute poursuite susceptible en raison des circonstances d’avoir une répercussion fâcheuse sur le climat politique ou l’opinion publique » 180. Ainsi une conclusion simple s’impose : la subordination politique de la justice guinéenne contribue largement à pérenniser le phénomène de la technique électorale ; or, « l’existence d’un appareil judiciaire performant et indépendant du pouvoir exécutif comme du parlement est…
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dans les différents gouvernements de Sékou Touré jusqu’à sa mort en 1984, donne un éclairage en parlant, entre autres, des acteurs du coup d’État du 03 avril 1984 : « … Lansana Conté n’était pas dans le coup. Il avait même envoyé des émissaires pour nous conseiller de donner suite aux revendications des militaires afin qu’ils n’aient aucun prétexte pour bouger. Je pense que Lansana Conté ne voulait pas du coup. Il n’en voulait pas parce que c’est Sékou Touré qui a fait de lui un homme. Il était simple tirailleur dans l’Armée française en Afrique du Nord… ». Maligui Soumah porte la même appréciation : « Lansana Conté, colonel de Sékou Touré devenu Général de brigade, est le prototype du produit du PDG (…), il a été formé dans la mouvance de ce parti et conserve encore les réflexes d’un militant chevronné de ce Parti-Etat » in « Guinée : de Sékou Touré à Lansana Conté » L’Harmattan, Paris 2004 p. 103. 180 : Citée par Jean du Bois de Gaudusson, op. cit. p. 8.
137 un enjeu essentiel pour l’institutionnalisation du vote comme pour sa portée démocratique » 181. ____________________ 181 : Cf. Daniel Compagnon : « Pour une analyse multidimensionnelle du processus électoral africain. Historicité, comparaison et institutionnalisation » in « Voter en Afrique : comparaisons et différenciations », op.cit.p.64.
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Chapitre III Des enseignements des scrutins du 18 décembre 2005. Les élections communale et communautaire sont des élections de proximité. Inscrites dans le cadre de la décentralisation territoriale, elles sont appelées à mobiliser le maximum de citoyens dans la mesure où elles leur offrent l’occasion de choisir les représentants devant prendre en charge la gestion de leur vie locale ; le nombre de circonscriptions électorales (341) en est l’illustration parfaite. Les scrutins du 18 décembre 2005 n’ont cependant pas provoqué l’engouement attendu. Les causes de la faible participation des populations peuvent se rattacher généralement à la technologie électorale, mais des raisons plus spécifiques doivent être recherchées et analysées. Par ailleurs, les consultations de 2005 ont produit des effets indéniables sur les partis politiques : d’abord par les modes de scrutin utilisés pour les résultats, le mode de candidature étant, dans les deux cas, celui du scrutin de liste : ce sera l’occasion de vérifier, en l’espèce, les conséquences du scrutin de liste majoritaire ou proportionnel généralement dégagées en droit constitutionnel ; puis par les résultats officiels proclamés : la diffusion de ces résultats a créé une onde de choc dans les partis d’opposition, plus enclins aujourd’hui à parler d’unité d’action, au-delà de leurs divergences, face à un pouvoir pour lequel le vernis démocratique de son régime est de la poudre jetée aux yeux de l’opinion internationale. Ce que feu Siradiou Diallo, leader de l’UPR décédé en 2004, traduisait, le 06 septembre 2003, à RFI dans cette phrase : « Nous sommes convaincus qu’il
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(Lansana Conté) n’acceptera jamais de faire des élections régulières » 182. El Hadj Boubacar Biro Diallo, Président de l’Assemblée Nationale de 1995 à 2002, exprimera, en 2003, la même idée dans une formule plus élevée : « L’alternance n’aura jamais lieu par les urnes tant que le Président Lansana Conté est là » 183. Enfin, il importera de conduire la réflexion à un niveau plus politique pour s’interroger sur la signification réelle des scrutins de 2005 devant les commentaires, analyses et constats divergents des acteurs du processus électoral : il n’est pas sans intérêt de poser la question de savoir s’il y a eu élection le 18 décembre 2005. En effet, la question mérite réflexion au regard des normes de valeur universelle que véhicule la démocratie politique : il est communément admis que le vote doit être libre, secret et sincère 184, ce dernier caractère étant destiné à préserver le vote des fraudes et autres manœuvres qui ont pour effet de dénaturer l’expression de l’électeur. ____________________ 182 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 224 du 09 septembre 2003 p.7. 183 : Cf. « L’enquêteur » nº 39 du 30 octobre au 13 novembre 2003 p.5. 184 : Cf. Jean Gicquel : « Droit constitutionnel et institutions politiques » op. cit. pp. 175 à 177. Dans une formule similaire, Patrick Quantin posait la question « de savoir si l'on est autorisé à donner le même nom à des choses aussi différentes que les élections qui se déroulent sur ce continent (africain) et à celles qui fondent la légitimité des vieilles démocraties occidentales ». Cf. : « Voter en Afrique : quels paradigmes pour quelles comparaisons ? » in « Voter en Afrique : comparaisons et différenciations » op. cit. p.11.
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I- La faible participation des électeurs. Dans un système d’élections disputées, la liberté de vote « se manifeste non seulement par la préférence accordée à un candidat parmi ceux qui se présentent, mais aussi par la faculté de mettre un bulletin blanc dans l’urne ou même de ne pas participer à l’élection… Le droit ainsi reconnu à un citoyen de ne pas prendre part au scrutin signifie, non seulement qu’il lui est permis de marquer de l’éloignement pour la chose politique, mais aussi de manifester son désaccord sur les bases fondamentales de la société » 185. La non-participation, synonyme d’abstention, est donc un acte hautement politique dans une élection locale, car si on peut la comprendre dans une élection nationale (Président de la République, Assemblée Nationale), elle se justifie moins dans une élection communale ou communautaire qui trouve son intérêt dans la participation des habitants de la localité concernée à la gestion des affaires locales, et dans le cas de la Guinée, cette participation se réalise d'abord par l’élection des conseils communaux et des conseils communautaires. La participation enregistrée dans ces conditions en 2005 exprime un désaveu des populations vis-à-vis du processus électoral186. 1- L’exposé et l’analyse des taux de participation. Selon les statistiques officielles, sur 5.013.446 électeurs inscrits, seuls 58,15 % ont voté 187 : ce taux, calculé au niveau national, est faible pour la raison politique évoquée ci-dessus. ____________________ 185 : Cf. Jean Gicquel, op.cit.p.175. 186 : Cf. l’interview de Sidya Touré, leader de l’UFR in « La lance » nº 471 du 04 janvier 2006 p.8. 187 : Cf. « La lance » nº 470 du 28 décembre 2005 p. 11.
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Toutefois, il est variable selon les régions comme le montrent les tableaux ci-dessous établis à partir des résultats publiés dans la presse concernant les élections communales 188. Taux de participation par région administrative Conakry Boké Kindia Labé Mamou Faranah Kankan N’Zérékoré 35,92 % 50,58 % 67,73% 54,93% 54,63 % 38,51 % 39,38 % 37,16 %
NB : le taux de Conakry est le taux moyen des 5 communes.
Taux de participation des chefs-lieux de région administrative Conakry Boké Kindia Labé Mamou Faranah Kankan N’Zérékoré 35,92 % 50,05% 40,16% 32,97 % 45,47 % 33,77 % 25,88 % 26,63 %
La région de Conakry exceptée, le premier tableau donne les taux moyens de 59,15 % pour la Basse-Guinée (BokéKindia), 54,78 % pour la Moyenne-Guinée (Labé-Mamou), 38,94 % pour la Haute-Guinée (Kankan-Faranah), 37,16 % pou la Guinée Forestière (N’Zérékoré). Ces taux de participation mis en rapport avec les voix obtenues par les partis politiques, confirment l’ancrage régional du RPG en Haute-Guinée où, malgré toutes les méthodes de fraude utilisées, le parti a pu arracher les deux chefs-lieux de région (Kankan et Faranah) et la commune de Kouroussa 189. Il en est de même de l’UPR et l’UFDG en Moyenne-Guinée où leurs mauvais résultats, en termes de communes obtenues, s’expliquent par l’effet du scrutin de liste majoritaire et les rivalités qui ont sous-tendu la ____________________
188 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 342 du 03 janvier 2006 pp. 6 à 9. 189 : Par l’élection de Baba Alimou Barry comme maire de Faranah, le RPG a voulu prouver qu’il n’est pas un parti régional ou à caractère ethnique. Cf. « L’indépendant » nº 671 du 23 février 2006.
143 mobilisation de leurs militants, en dépit d’un taux de participation atteignant la moyenne. Cette rivalité reproduit l’opposition qui a existé entre l’UNR et le PRP avant leur fusion qui a donné naissance à l’UPR 190. La Basse-Guinée est la seule région naturelle ayant un taux moyen proche de 60 %. C’est une région traditionnellement favorable au pouvoir en place, sa composition socio-ethnique étant un atout majeur. Il faut cependant noter que le succès électoral enregistré par le PUP dans la région tient en particulier au rejet d’un nombre important de listes UFR, à l’image de ce qui s’est produit en région forestière. En Guinée forestière (la préfecture de Kissidougou étant rattachée à la région administrative de Faranah), autre base traditionnelle du pouvoir, on a enregistré le taux de participation le plus faible, avec 37,16 %. Fut-elle locale, le caractère politique de toute élection disputée par les partis politiques explique qu’il y a eu là l’expression d’une désaffection des populations de cette région. Il est à rappeler que, le 18 décembre 2005, il n’y avait pas de listes indépendantes ; conformément à la législation en vigueur, toutes les listes de candidats devaient être investies par des partis politiques. Dès lors, dans une région durement éprouvée par les conséquences des guerres civiles au Liberia et en Siérra-Léone, pays limitrophes, mal desservie en voies de communication routière, mal servie dans le budget ____________________ 190 : Il fallait s’y attendre avec l’adhésion de Bâ Mamadou, ancien Président fondateur de l’UNR et ancien Président d’honneur de l’UPR, à l’UFDG dont il assume à présent la présidence. Aux communales à Mamou, l’UPR et l’UFDG ont obtenu respectivement 5.565 et 6.118 voix ; à Pita, les chiffres sont de 2.312 et 2.581 voix.
144 national d’investissement, sans grand projet industriel 191 et représentée dans les sphères de l’État par une élite composée principalement de fonctionnaires préoccupés par la préservation de leur poste, de leur situation de rente, le taux de participation ne pouvait qu’être faible : dans la conscience collective régionale, voter pour la liste PUP aux communale et communautaire, c’est voter pour le régime en place soutenu par le PUP. Ici encore, comme en Basse-Guinée, le succès de ce Parti s’explique par la conjugaison de deux facteurs : la technologie électorale 192 et le rejet de la plupart des listes dirigées par l’UFR. ____________________
191 : En 2004, la région ne bénéficiait que de 3 % du budget national d’investissement contre 23 % dans le gouvernorat de Conakry, 11,6 % en Guinée Maritime hors Conakry, 10,73 % en Haute Guinée et 1,82 % en Moyenne Guinée (Cf. « La nouvelle tribune » nº 246 de 2004, « L’enquêteur » nº 47 de 2004 et « La lance » nº 375 de 2004). La société Soguipah de Diecké (Yomou) a toujours préféré les plantations industrielles de palmier au lieu des plantations villageoises : son impact sur le niveau de vie de la population est nul. La Société Forêt-Forte détenant le monopole de l’exploitation forestière dans la zone et dont la ratification du contrat a été obtenue au forceps à l’Assemblée Nationale (les députés UPR ayant quitté l’hémicycle en guise de protestation), s’attaque actuellement aux dernières réserves forestières. Cf. la lettre ouverte du 06 avril 2006 adressée au Président de l‘Assemblée Nationale par la Commission d’organisation de la Concertation Nationale des Forces Vives de mars 2006 (in « Le populaire » nº 81 du 18 avril 2006 p. 6.) et dans laquelle cette structure a dénoncé les méthodes utilisées par le Président du Parlement pour faire ratifier la convention entre l’État et la société Forêt Forte. Charles Pascal Tolno, Président du PPG, originaire de la Guinée forestière, a accusé, dans une interview, le Président de l’Assemblée Nationale d’avoir « pris la tête de la destruction du patrimoine forestier » in « La lance » nº 487 du 26 avril 2006 p. 8. 192 : Seule la victoire du PUP aux communales de N’Zérékoré a été indiscutable en raison de la personnalité du maire sortant, Cécé Loua, qui conduisait la liste : c’est un homme de consensus
145 accepté par les citoyens de la commune, toutes tendances politiques
Quant à la région de Conakry composée des cinq communes de Conakry, sa situation est similaire à celle des chefs-lieux de région dont les taux de participation sont inscrits dans le second tableau. À l’exception de Boké, chef-lieu d’une région bénéficiaire d’importants investissements miniers (zones industrielles de Sangarédi et Kamsar pour la CBG, projet sidérurgique de Global Alumina en voie d’exécution), toutes les autres principales villes de la Guinée, y compris la capitale Conakry, ont des taux de participation oscillant entre 25,88 % et 45,47 % : leurs populations durement frappées par la crise économique du pays, ont préféré s’abstenir plutôt que de cautionner une opération électorale dont l’issue était certaine, la victoire du PUP. La paupérisation très avancée dans les zones urbaines explique le taux d’abstention élevé. La grève générale déclenchée le 27 février 2006 par l’inter-syndicale CNTG-USTG et qui a paralysé toute l’administration publique et entraîné la fermeture de tous les magasins et commerces, transformant la capitale en ville morte, traduit le ras-le-bol des populations face à leur misère quotidienne. 2- Les raisons de la faible participation des électeurs. La faible participation électorale enregistrée le 18 décembre 2005 est le résultat de l’effet conjugué de facteurs qui tiennent tant au pouvoir en place qu’aux partis engagés dans la compétition : les urnes ont été boudées par manque de _________________________________________________ confondues et dont l’audience dépasse les limites du territoire communal. Le taux de participation aurait été plus élevé si l’intéressé avait été en tête de liste d’un autre parti : en effet, pour 105.610 électeurs inscrits, la commune n’a enregistré que 28.121 votants, soit un taux de participation de 26,63 %.
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confiance dans les résultats ou par défaut d’impact du discours électoral sur l’électorat qui, parfois, ne se reconnaissait pas dans la liste présentée. 2-1- Le manque de confiance dans les résultats électoraux. Les communale et communautaire du 18 décembre 2005 n’ont pas drainé du monde dans les bureaux de vote : pour beaucoup d’électeurs, les résultats étaient connus d’avance, la victoire du PUP. L’électeur Pépé Soropogui de N’Zérékoré l’a déclaré sans ambages à l’envoyé de l’hebdomadaire « Le lynx » : « Tant que c’est ce régime qui organise des élections, je ne voterai pas. Le résultat est d’avance connu. C’est le PUP qui va gagner. Alors pourquoi se fatiguer ? Aucun membre de ma famille n’a voté » 193. Et André Loua, dans le district de Pamporé (CRD de Koulé) de renchérir : « Voter ou pas, le résultat est le même. C’est le PUP qui va gagner. Je préfère aller travailler dans mon champ » 194. Un autre électeur rapporté par le journal « La nouvelle tribune » abonde dans le même sens : « Pratiquement depuis que j’ai atteint l’âge de la majorité, je n’ai jamais voté, parce que dans le passé, selon mes propres constats, les résultats d’une élection dans notre pays n’ont guère reflété la réalité des urnes. Donc, il vaut mieux laisser les militants du PUP voter entre eux et prendre toutes les communes » 195. Les constatations faites par les électeurs le jour du vote ont accru leur méfiance dans la sincérité des scrutins. Ainsi à la question de savoir pourquoi que dans la CRD de Koulé (Préfecture de N’Zérékoré), il n’y avait que deux partis en ____________________ 193-194 : Cf. « Le lynx » nº 718 du 26 décembre 2005 p. 15.
147 195 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 340 du 30 décembre 2005 p. 3.
lice, Badé Sakouvogui, président de bureau de vote, répond : « L’autorité nous a dit qu’il n’y a que le PUP et l’UPG. Les autres sont écartés, je ne sais pas pourquoi » 196. C’est dans ce sens qu’il faut, par exemple, interpréter le faible taux de participation à Macenta (33,47 % : la liste UFR-RPG aux communales a été rejetée au profit d’un autre parti d’opposition, l’ANP, dont l’audience limitée ne gênait nullement le PUP en roue libre (13.604 pour le PUP et 1.441 pour l’ANP). À une autre question relative au fait que deux bureaux de vote de ladite localité portent le même nº 5, Roger Piantoni, président de l’un des bureaux, déclare : « Nous ne savons pas comment cela est arrivé. Allez voir l’autorité » 197. De ces déclarations, il se dégage aisément que, d’une part les militants des partis écartés ne se sont pas rendus aux urnes, et, d’autre part, que les électeurs ne retrouvant pas leurs bureaux de vote, ont préféré tranquillement retourner à domicile. En cette période de misère rampante, tout est motif à éloignement de la chose politique. La mission d’observation nationale a ainsi relevé dans son rapport définitif de janvier 2006 que le mauvais découpage des bureaux de vote et la non-conformité des numéros des bureaux inscrits sur les cartes d’électeurs et ceux inscrits sur les listes électorales ont causé des désagréments au sein des votants qui étaient obligés de faire des kilomètres à pied dans le but de retrouver les bureaux de vote correspondants ; elle a affirmé que ces cas ont été observés à N’Zérékoré et Faranah, certainement pas les seuls cas observables. ____________________ 196 : Cf. « Le lynx » nº 718 du 26 décembre 2005 p.15. 197 : Cf. « Le lynx » nº 718 du 26 décembre 2005 p.15.
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2-2- La composition sociologique des listes de candidats. Une réalité demeure encore vivace en Afrique : l’influence de l’origine ethnique ou régionale du candidat à une élection sur l’électorat considéré. Elle est un élément déterminant de la composition de toute liste de candidats et son importance grandit à mesure de l’éloignement de la capitale. Deux exemples peuvent servir d’illustration. À Kissidougou, le RPG, très influent, dans la zone, n’a pu mobiliser tous ses militants aux communales compte tenu de la composition de sa liste : sur 25 candidats, il ne figurait qu’un seul Kissien, peu représentatif. C’était une erreur politique à ne pas commettre dans une localité peuplée dans des proportions semblables de Kissiens et de Malinkés. En effet, dans la conscience des populations de l’intérieur du pays, il n’existe pas de territoire communal ; le maire, lorsqu’il est autochtone, est considéré comme ayant autorité sur l’ensemble du territoire préfectoral, lequel est placé administrativement sous la direction d’un fonctionnaire de l’État, le plus souvent originaire d’une autre région du pays, donc d’une autre ethnie. Il n’est donc pas rare de voir les habitants des Sous-Préfectures venir soumettre leurs problèmes au maire au lieu de s’adresser au Sous-Préfet ou au Préfet. Le résultat à Kissidougou a été clair : 4.442 voix pour le PUP contre 3.854 pour le RPG, le taux de participation étant de 20,25 %. À Guéckédou, au cœur de la Guinée Forestière, la liste de 25 candidats du PUP ne comportait que 10 Kissiens, un Toma, un Kpellè et un Lélé, soit 13 candidats originaires de la région. Le résultat a été une participation très faible : 13,99 %. La population Kissi s’est consolée de ces 13 sièges en raison de la tête de liste Fara Robert Millimono. Mais l’élection d’un allogène, Touré Mory, comme maire, a
149 provoqué, les 20 et 21 février 2006, des manifestations violentes qui ont fait deux morts et des dégâts matériels importants 198, obligeant à l’annulation ladite élection 199. Car, il ne faut pas l’oublier, si la tête de liste n’est pas de droit le maire, celui-ci devant être élu au second degré par les conseillers communaux, elle l’est politiquement dans l’esprit des électeurs, et ce d’autant que sa personnalité contribue largement à l’échec ou au succès de la liste. 2-3- L’inadaptation du discours électoral. Elle découlait d’un défaut de maîtrise par les acteurs politiques de la campagne électorale de la nature réelle d’une élection locale : outre qu’il s’agit d’une consultation populaire très personnalisée, les débats d’une élection communale ou communautaire portent sur les conditions de vie concrètes des populations, sur leur environnement, la résolution des problèmes sanitaires et scolaires, sur les questions de pistes rurales, sur l’aménagement des quartiers dans les villes avec les marchés, les espaces verts et les terrains de sport, sur l’organisation de la jeunesse et des transports publics (taxis), la gestion des domaines ruraux, sur les questions de sécurité, sur la solidarité entre les habitants avec les possibilités de jumelage, sur la création de petites activités porteuses d’emplois pour les jeunes. Toutes questions qui rentrent dans les attributions des conseils communaux et des conseils communautaires en applications des ordonnances nº 019/PRG/SGG/90 du 21 avril 1990 (communes) et nº 092/PRG/SGG/90 du 22 octobre 1990 (CRD). ____________________ 198 : Cf. « L’indépendant nº 671 du 23 février 2006 p.3. 199 : L’élection qui a été reprise, a conduit à l’élection d’un autochtone Kissien, Jacques Sâa Léno, au poste maire.
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Fort curieusement, et de la part de tous les animateurs politiques de la campagne électorale, ce sont des discours désaxés, déconnectés du contexte, qui ont été tenus, du genre : « il n’y a pas de courant électrique, d’eau, de téléphone ». Comme si une commune ou une CRD en Guinée avaient les moyens de tels investissements. À défaut de programme à présenter, l’attention a porté sur le passé de certaines têtes de liste, surtout quand elles ont assumé des fonctions politiques antérieureurement. La tête de liste PUP à Dinguiraye Commune a même pu tenir ces propos : « Le Chef de l’État a donné à chacun de nous ce qu’il y a de plus précieux au monde, la paix » 200. Comme s’il faisait campagne au cours d’une élection nationale. Cette déclaration explique la représentation sur les affiches et les tee-shirts de l’effigie du Président Lansana Conté pour le PUP et de celle des leaders politiques pour les autres partis présentant des listes de candidats. La déclaration post-électorale du PDG-RDA datée du 17 janvier 2006 201 est une illustration parfaite de l’inadaptation du discours électoral. En guise de critique des élections du 18 décembre 2005, ce parti évoque juste « l’excès de zèle de certains administrateurs et policiers locaux » et attribue le taux d’abstention élevé « à l’état de pauvreté générale que subit douloureusement l’écrasante majorité des Guinéennes et des Guinéens et qui ne fait que s’aggraver de jour en jour par la faute d’une minorité des enfants de ce pays chargée de sa gestion administrative et économique avec pour tactique de se maintenir à tout prix à des postes stratégiques afin de mieux se servir et desservir le pays et son peuple ». Le PDG____________________ 200 : Cf. « L’observateur » nº 295 du 26 décembre 2005 p.9. 201 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 345 du 24 janvier 2006 p.3.
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RDA accompagne son constat d’une énumération des faits qui traduisent la condition de vie très difficile des populations : pénurie d’eau potable et d’électricité, chute libre du pouvoir d’achat avec la flambée incontrôlée des prix de toutes les denrées de première nécessité, manque notoire de moyens de transport en commun, corruption institutionnalisée, chômage chronique des personnes valides, difficultés d’accès aux soins de santé et aux médicaments de première nécessité. Il ne s’agit véritablement pas d’une déclaration que peut faire un parti politique qui a participé et qui a été battu à l’élection communale, dans les deux communes, Mandiana (avec 223 voix) et Faranah (avec 808 voix) où il a présenté une liste de candidats. Dans une élection locale, le concept d’électeur rationnel ou d’électeur stratège acquiert tout son sens, qui cherche à tirer le maximum d’utilité de son vote, c’est-à-dire à « obtenir de son vote une incidence optimale sur ses conditions concrètes d’existence », car, outre le choix des représentants, la participation populaire a pour effet, en légitimant les gouvernants, de faciliter l’exercice de leur pouvoir 202. Le parti politique qui ne l’a pas compris court tout droit à la défaite électorale. II- Les effets des scrutins sur les partis politiques. Ils doivent s’apprécier à deux niveaux : d’abord au niveau de modes de scrutin utilisés pour les résultats, qui diffèrent selon les deux scrutins organisés le 18 décembre 2005 ; puis au niveau de la réaction provoquée chez les partis d’opposition par les résultats officiels publiés, l’ampleur de la technologie ____________________ 202 : Cf. Philippe Braud : « Sociologie politique » op. cit. pp. 214 et 384.
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électorale organisée délibérément par le pouvoir ne pouvait qu’obliger les leaders politiques à sortir de leur torpeur, à revoir, pour certains, leur collaboration politique avec le régime. 1- Les effets découlant des modes de scrutin. Dans sa rédaction initiale, le code électoral, en ses articles L102 et L113, avait prévu l’élection des conseils communaux et conseils communautaires au scrutin de liste proportionnel à un tour. En 1995, une modification de l’article L113 a introduit le scrutin de liste majoritaire à un tour pour les conseils communaux. Ce changement de mode de scrutin pour les communales résulte des constats faits au cours de la réunion des gouverneurs, préfets et maires organisée par le Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité à Conakry les 30 et 31 janvier et les 1er et 2 février 1995. Dans le procès-verbal, il est mentionné notamment : « Les faiblesses constatées dans le fonctionnement des communes de la ville de Conakry et de ses quartiers, faiblesses dues essentiellement : -
au contexte socio-politique difficile ; à la mésentente au sein des conseils communaux ; à l’insuffisance et à la mauvaise gestion des ressources financières, au manque de constance dans l’encadrement et le suivi des collectivités par la tutelle » 203.
____________________ 203 : Cité par Alhassane Condé : « La décentralisation en Guinée. Une expérience réussie », op. cit. p. 246.
153 Ces constats étaient-ils de nature à motiver un changement de mode de scrutin ? La question est d’autant pertinente qu’il fallait apprécier les difficultés de fonctionnement des communes en 1995, notamment sur le plan politique, à l’aune du contexte de leur élection en 1991. À l’époque les conseils communaux avaient été élus dans un cadre non-concurrentiel où les questions de personne, en particulier la personnalité du maire, comptaient beaucoup plus que le programme de développement communal ; or, avec l’avènement du multipartisme en 1992, les conseillers communaux se sont opposés par leur choix politique. Modifier le mode de scrutin dans ces conditions en mai, à moins de deux du renouvellement des conseils communaux, en juin 1995, ne s’expliquait pas. Il aurait fallu organiser le renouvellement sur la base du scrutin de liste à la proportionnelle et suivre l’expérience de fonctionnement des conseils avant d’en tirer les conséquences, d’autant que le système proportionnel est le mode qui doit permettre la participation effective des différentes sensibilités politiques à la gestion des affaires locales. L’observation est confortée par le fait que, parallèlement, le scrutin proportionnel a été maintenu pour l’élection communautaire, comme si en milieu rural, l’individu était politiquement plus sage, plus allergique aux débats politiques, donc aux contradictions. 1-1- L’injustice du scrutin majoritaire à un tour. Ce mode de scrutin attribue la totalité des sièges du conseil communal à la liste qui a obtenu la majorité simple des voix, c’est-à-dire le plus de suffrages exprimés. Le système a le mérite de la simplicité puisqu’il permet de dégager une majorité politique, il a l’inconvénient d’exclure les autres partis de l’organe délibérant à élire ; il est surtout
154 brutal et peut conduire à l’élection d’une liste minoritaire dans l’opinion 204. Le tableau ci-dessous illustre suffisamment la critique. Kissidougou Labé Pita Mamou
Liste PUP
Total listes concurrentes 4.442 5.378 (UPR+RPG+UFR) 8.973 10.413 (UPR+UNPG) 2.634 4.893 (UPR+UFDG) 9.735 11.683 (UPR+UFDG)
Le tableau établit avec netteté le caractère minoritaire de la représentativité de la liste PUP, pourtant élue, un fait que Baniré Diallo, membre du BPN du PUP et Président du groupe parlementaire de ce parti, reconnaissait implicitement quand il déclarait à la presse que si l’opposition avait su taire ses divergences, son parti aurait perdu l’élection dans ces quatre communes 205. Les effets négatifs du mode de scrutin sont aggravés par les conflits de personnes au sein des conseils élus lors de la désignation des maires au second tour du suffrage. Les oppositions ont été particulièrement vives au sein du PUP. À N’Zérékoré, on a enregistré cinq candidats du Conseil Communal PUP au poste de maire ; des maires élus ont été contestés à Dixinn, à Gueckédou. À Siguiri, l’après victoire du parti au pouvoir sera difficile à gérer en raison de la bataille féroce qui a eu lieu autour du poste de maire 206. Du fait de ces luttes de personnes, rien ne garantit donc la cohésion, le bon fonctionnement futur des conseils communaux. Il y a là une illustration des limites de l’effet ____________________ 204 : Cf. Pierre Pactet : « Institutions politiques et droit constitutionnel » 22ème éd., A. Colin. Paris 2003 pp. 99 et suiv. 205 : Cf. « la nouvelle tribune » nº 473 du 18 janvier 2006 p. 9. 206 : Sur la situation à Siguiri, lire « Le lynx » nº 723 du 30 janvier 2006 p. 12.
155 positif attribué au scrutin majoritaire, à savoir la constitution d’une majorité politique homogène dans les organes délibérants, évitant « l’instabilité » ou « l’immobilisme dans l’incohérence », selon les expressions de Michel Debré 207. C’est l’injustice du mode de scrutin majoritaire qui, combinée avec la technologie électorale décrite précédemment dans ses différentes formes, a conduit à la sur-représentation du PUP dans les communes, ainsi qu’il résulte des statistiques ciaprès : Nombre de communes obtenues par parti PUP RPG UPR UFR UFDG
Nombre de communes
En pourcentage du total des communes
31 3 2 1 1
81,58 % 7,89 % 5,26 % 2,63 % 2,63 %
L’écart est trop grand pour traduire l’expression sincère des électeurs des communes pour l’observateur averti de la scène politique guinéenne. À titre d’exemples, nul ne peut contester l’audience de l’UFR dans les communes de Boké, Kaloum, Macenta ou Matam ; dans le même sens, la « défaite » de l’UPR au profit du PUP dans toutes les communes de la Moyenne-Guinée a de quoi surprendre, les crises qui ont affecté la cohésion de ce parti ne peuvent être la seule explication. La victoire du PUP sur le RPG est tout aussi surréaliste dans les communes de Siguiri, Kérouané et Mandiana. ____________________ 207 : Cité par Claude Leclercq : « Droit constitutionnel et institutions politiques » 5ème éd., Litec, Paris, 1987 p.189.
156 Aussi, dans l’esprit de la participation qui sous-tend la décentralisation territoriale, un retour au scrutin de liste proportionnel est souhaitable. 1-2- L’effet participatif dévoyé du scrutin proportionnel. Appliqué à l’élection des conseils communautaires, le 18 décembre 2005, il a donné des résultats allant dans le sens de la participation politique élargie dans les CRD où le pouvoir a toléré au moins trois listes, et ce en dépit de la fraude organisée. Résultats dans quelques CRD Partis PUP
CRD Gueasso Kolabounyi Guendenbou Sangarédi Kiniéran Brouwaltapé Timbo Yendè Millimou Karfamoriah Senko Nabou Samaya Gougoudjè Sinta Parawo Tokounou
5 5 4 6 4 3 3 7
OPPOSITION UPR UFR 2 1 8 3 5 4 1 1 3 1
3 6 2 9 6 5 6 2
1 2 1 0 0 2 2 1
0 1 2 1
RPG 0 1 2 4 1 5 3 4 0
6
UFDG
3 1
157 Ainsi, dans le système proportionnel, obtiennent des sièges non pas seulement les listes de candidats qui ont obtenu le plus de voix, mais la quasi-totalité des listes de candidats en concurrence, et ce en proportion des voix acquises lors du vote : l’objectif est d’aboutir à la représentation d’une large majorité de courants politiques, majoritaires et minoritaires208. Et dans cette logique, la majorité peut revenir à n’importe quel parti : le tableau a ainsi montré que, dans certaines CRD, le PUP a été mis en minorité, même si dans ce cas, le PUP a été parfois imposé à la Présidence du Conseil communautaire. Par la représentation large de l’opinion, le scrutin proportionnel, qualifié de plus juste et plus démocratique, repose sur la participation c’est-à-dire sur l’idée qu’ « aucun ne doit être, a priori, éliminé du processus décisionnel : l’objectif est moins de rechercher les mécanismes les plus efficaces à la prise de décision, que de déterminer les moyens de rendre celle-ci possible par l’association des acteurs impliqués plutôt qu’une césure majorité-minorité, qui donne à la majorité et à elle seule le droit de décider (même si c’est dans le respect des droits de la minorité), la participation organise ou tente d’organiser des relations consensuelles »209. Ainsi, au-delà de la reconnaissance du couple majorité-minorité, donc du respect de la minorité, le système proportionnel recherche la collaboration de la majorité avec la minorité 210. ____________________ 208 : Cf. Claude Leclercq : « Droit constitutionnel institutions politiques » op.cit.p.182. 209 : Cf. Yves Mény et Marc Sadoun : « Conception de la représentation et représentation proportionnelle » in Revue Pouvoirs 1985 nº 32 p.12. 210 : Claude Leclercq : « Le principe de la majorité » A. Colin. Paris 1971 pp. 74 et suiv.
158 Il y a là une condition sine qua non de la démocratie locale qui n’a pas pour moteur essentiel des idéologies politiques opposées : c’est le cadre de gestion des problèmes de la vie quotidienne des habitants d’une localité (commune) ou d’un espace territorial de dimension très réduite et dans lequel priment les relations humaines fondées sur les lignages (CRD). En considération des éléments ci-dessus, seule la technologie électorale, notamment dans ses formes antérieures au vote qui ont permis aux listes PUP d’être seules en lice dans 115 CRD sur les 303, a permis de dévoyer le sens de la représentation attendue du système proportionnel lors du scrutin communautaire du 18 décembre 2005, ainsi qu’il ressort du nombre de CRD contrôlées par les partis politiques, nombre Par ailleurs, les figurant dans le tableau ci-dessous. pourcentages doivent être analysés en tenant compte de ce que sur les 303 CRD, le PUP a obtenu 126 CRD sur les 188 où il y a eu effectivement compétition. Nombre de CRD PUP 241 RPG 35 UPR 19 1 UFR 1 UPG 1 ANP
En pourcentage du total des CRD (303) 79,54 % 11,55 % 06,27 % 0,33 % 0,33 % 0,33 %
NB. Ces chiffres ne tiennent pas compte de cinq CRD non attribuées à un parti : la composition du Conseil Communautaire y est marquée par la mise en minorité du PUP par l’UPR et l’UFR (CRD de Sangaredi), par le RPG et l’UFR (CRD de Kiniéran et Guendenbou) et par l’UPR et l’UFDG (CRD de Brouwaltapé et Timbo : les pourcentages sont donc calculés par rapport à 98, 35 % des CRD.
Le fait est d’autant regrettable que suite à la décision de l’UPR de suspendre sa participation aux travaux de l’Assemblée Nationale, en réaction aux résultats des élections locales de 2005, le Président de ladite Assemblée a déclaré
159 dans la presse : « Vous savez que l’Assemblée peut fonctionner sans l’UPR. Nous avons la majorité requise pour cela. Mais pour la crédibilité des débats de notre session et pour la crédibilité même du gouvernement, il est souhaitable que l’UPR soit présente à cette session. Parce que s’il n’y a pas d’opposition, il n’y a pas d’objectivité a priori. Même si ce n’est pas le cas, mais a priori, on suppose qu’il y aurait une sorte de monologue et l’Assemblée devient une caisse à résonance » 211. Au-delà de la représentation déformée de l’opinion par le jeu de la technologie électorale, le système proportionnel a produit, lors du scrutin communautaire du 18 décembre 2005, un effet pervers, fort limité toutefois ; il a permis à la liste UPR comprenant uniquement des candidats originaires de la Moyenne-Guinée (9 sur 9) d’avoir un siège dans la CRD de Yendè-Millimou (Préfecture de Kissidougou) : la répartition des sièges y a été de 7 sièges pour le PUP, un pour le RPG et un pour l’UPR. Par déduction, il apparaît que, s’il était nécessaire en 1995 de modifier le mode de scrutin en optant pour le scrutin majoritaire, la révision était plus justifiée dans les CRD où la composition socio-ethnique de la population est beaucoup plus homogène que dans les communes urbaines. Mais l’esprit de la décentralisation territoriale ne plaide pas en faveur d’un tel changement puisque avec le temps et l’évolution des mentalités, le brassage des populations finira par réduire l’effet politique négatif du phénomène observé à Yendè-Millimou, voire supprimer le phénomène lui-même. ____________________ 211 : Cf. interview in « L’enquêteur » nº 98 du 02 au 16 février 2006 p.6.
160 2-
Les réactions des partis d’opposition découlant des résultats électoraux officiels.
Elles ont été observées à trois niveaux. La publication des résultats officiels a d’abord provoqué une décision inattendue, celle de l’UPR de suspendre sa participation aux travaux de l’Assemblée Nationale et de la CENA ; ensuite, un mouvement tendant au regroupement des partis d’opposition au-delà du FRAD s’est fait jour. Enfin, une action soutenue par la base se dessine en faveur de retrouvailles de trois partis opérant à partir de la Moyenne-Guinée, l’UPR, l’UFDG et l’UNPG. 2-1-
La suspension de la participation de l’UPR aux travaux de l’Assemblée Nationale et de la CENA.
Suite à la publication des résultats officiels des scrutins du 18 décembre 2005, l’UPR a décidé, le 04 janvier 2006, de suspendre sa participation aux travaux et autres activités de l’Assemblée Nationale et de la CENA. Pour comprendre le sens de la décision et sa portée politique, il importe de rappeler que depuis le scrutin communal du 25 juin 2000, l’UPR gérait cinq communes (Dalaba, Koundara, Labé, Mali et Pita), toutes situées dans sa zone d’influence politique habituelle, le Foutah ou Moyenne-Guinée. En 2002, elle a été avec l’UPG, le principal parti d’opposition ayant accepté de participer au scrutin législatif du 30 juin de cette année, elle en est sortie avec 20 sièges à l’Assemblée Nationale. Et le fait que l’UPR ait siégé au Parlement depuis 2002, à l’opposé de l’UPG qui a refusé d’occuper les trois sièges qui lui avaient été octroyés, a donné à l’Assemblée Nationale un label de représentativité du peuple guinéen.
161 En 2005, la technologie électorale a fait perdre à l’UPR au profit du PUP toutes ses communes de la Moyenne-Guinée ; le parti se retrouve avec deux communes (Télimélé et Fria) qu’elle n’a gagnées qu’avec le soutien des autres partis d’opposition aux deux listes communes dirigées par elle. Ce qui a fait dire, dans une réaction indignée, à Diallo Bah Assiatou, Vice-Présidente de l’UPR (veuve de Siradiou Diallo), après avoir rappelé que l’opposition n’a que 7 communes sur 38 : « c’est un peu comme un jeu d’enfants, lorsque deux enfants jouent aux billes, si l’un s’accapare de toutes les billes, le jeu ne peut pas continuer. Pour que le jeu continue, il est indispensable qu’il restitue certaines… Notre acte signifie que nous sommes acculés et la balle est dans leur camp. On ne peut pas être victime et bourreau à la fois… Chaque fois qu’on leur fait confiance, ils nous roulent dans la farine… Notre objectif est de jouer le jeu démocratique »212. Avec le retrait de l’UPR, l’Assemblée Nationale s’est retrouvée être un Parlement monocolore avec un seul groupe parlementaire, le groupe PUP/PAA. Aussi la décision a suscité des réactions diverses. À la CENA où l’UPR a trois représentants, Yamoussa Cissé, Secrétaire de ladite Commission, ne comprend pas la décision, invoquant l’indépendance et l’impartialité des membres de l’institution : « une fois qu’ils ont prêté serment, il n’y a plus de représentants de la société civile, de l’administration, ni de partis politiques. Nous formons un groupe » 213. ____________________ 212 : Cf. son interview in « L’indépendant » nº 670 du 16 février 2006 p.3. 213 : Sur la déclaration de Yamoussa Cissé de la CENA, lire « L’indépendant » nº 665 du 12 janvier 2006 p. 3.
162
La réaction du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation par son Secrétaire Général, El Hadj Amadou Biro Diallo, est plus énergique : « Si ce n’est pas pour des positions politiques que je comprends parfaitement, je ne vois pas en quoi les élections locales du 18 décembre 2005 peuvent amener quelqu'un à quitter l’Assemblée Nationale qu’il a intégrée depuis 2002. Je ne vois pas les relations entre les deux élections » 214. Quant au PUP, après avoir réagi, avec ironie et mépris, il a adopté un ton plus conciliant, et même délibérément plus élogieux pour l’UPR. En effet, selon Baniré Diallo, membre du BPN du PUP et Président du groupe parlementaire PUP/PAA, la décision de l’UPR est contraire à la démarche légale et n’a aucune effectivité : « Nous considérons qu’ils sont au stade de l’intention. Ils connaissent la démarche légale qui consiste à écrire officiellement au Président de l’Assemblée Nationale. Mais ils ne l’ont pas fait, ils continuent à venir au bureau travailler. S’ils étaient déterminés, ils auraient fermé leur bureau et remis la clef au Président de l’Assemblée… Cela peut avoir des conséquences, mais cette décision peut avoir beaucoup plus de conséquences pour eux » 215. La décision a été mise à exécution malgré les multiples démarches et autres tractations politiques. Par la voix de El Hadj Aboubacar Somparé, Président de l’Assemblée ____________________
214 : Sur la réaction du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, lire « L’indépendant nº 665 du 12 janvier 2006 p.3 ; le journal « Solidarité » nº 10 du 02 février 2006 p.3. 215 : Cf. « L’indépendant » nº 665 du 12 janvier 2006 p.3. Selon certains opposants à la décision, l’UPR perdait ses 2 sièges au Parlement de la CEDEAO. Pire, sur 300 employés au Parlement, 150 seraient de l’UPR, mais l’argument a été démenti.
163 Nationale, ancien Secrétaire Général du Parti, le 08 février 2006, à l’ouverture de la session parlementaire sur le budget, le PUP a dû adopter un ton plus sage, faisant appel à l’esprit de dialogue imprimé à l’UPR par son premier Président, feu Siradiou Diallo, qui a fait l’objet d’un hommage appuyé. À l’occasion, le Président Somparé a notamment déclaré : « S’il n’existe pas d’élection parfaite dans l’absolu, la contestation politique est aussi un droit. Nous sommes en face d’une constante aussi vieille que le monde : toute société politique s’organise autour du couple autorité-contestation. Dans toutes les sociétés, des plus archaïques aux sociétés technétroniques, l’établissement et le maintien du pouvoir implique toujours, quelles que soient ses formes, l’inégalité de privilège. Il existe toujours une inégalité entre gouvernants et gouvernés et, par conséquent, privilège au bénéfice des premiers qui alimente ce que l’on appelle, dans une perspective d’anthropologie politique, la contestation. Mais toutefois, la contestation ne doit pas être un phénomène de blocage, mais plutôt créateur de tension positive permettant le progrès… Au nom de tous les députés, je prie instamment l’UPR de reprendre sa place dans ce forum de discussion qu’est l’Assemblée Nationale, les différentes sensibilités doivent continuer de collaborer, ce n’est pas seulement la paix entre vainqueur et vaincus d'hier : c’est l’alliance pour le consensus et le progrès…L’UPR a offert à des moments historiques et particulièrement sensibles au monde l’image d’une Guinée consensuelle, d’une classe politique nationale d’accord sur l’essentiel pour le bonheur de son peuple. Leçon bien sublime que la postérité retiendra d’elle. La dignité de cette attitude constante a su répondre à la majorité du peuple guinéen. À plusieurs occasions, vous avez donné une grande leçon à l’administration et à toutes les formations politiques et un exemple utile à l’affermissement de la paix… » Et le Président Somparé de conclure en ces termes, à l’adresse des responsables et militants UPR : « Vous avez jusque-là mené
164 des contestations purement politiques et dans l’esprit de la morale républicaine. Nous voulons maintenant qu’ensemble, en tant qu’élus, nous créions le cadre d’un dialogue objectif, humain et fraternel… Votre attitude conditionnera fortement l’avenir immédiat de notre pays » 216. L’analyse sémantique du discours de El Hadj Aboubacar Somparé appelle au moins quatre observations majeures. En déclarant, dans le contexte électoral guinéen marqué par une volonté réelle du pouvoir de ne pas organiser des scrutins transparents, qu’il n’existe pas d’élection parfaite, le Président Somparé légitime la technologie électorale. Il rappelle le discours du Président Lansana Conté, le 13 septembre 2003, à la convention du PUP qui venait de le désigner comme candidat à l’élection présidentielle du 21 décembre 2003. Parlant des États occidentaux qui envoient des Guinéens pour perturber la quiétude politique de leur pays, le Président Conté s’est exprimé en ces termes : « Ils ont fait des élections chez eux. Nous savons que ces élections n’ont pas été transparentes. Nous, nous faisons tout pour que tout le monde s’exprime. Mais puisque, ce n’est pas leurs agents qui ont gagné, ils critiquent toujours les Gouvernements qui ne se soumettent pas à leurs lois. Moi, je ne me soumettrai à personne. Je suis rebelle. Celui qui peut s’entendre avec la Guinée, la condition est qu’on nous laisse tranquilles décider de notre sort. Celui qui veut nous aider sur ce qu’on a décidé, il est libre. Celui qui ne veut pas ne ____________________ 216 : Lire le texte du discours in « Le populaire » nº 75 du 13 février 2006 p. 5 et « L’indépendant » nº 670 du 16 février 2006 p. 3. Et des extraits in « Le lynx » nº 725 du 13 février 2006 p. 5.
165 pas nous aider, qu’il n’essaie pas de nous aider, qu’il n’essaie pas de nous mettre les bâtons dans les roues. Ça ne marchera pas »217. Dans un point de presse fait le 1er décembre 2005 et faisant écho au Président Lansana Conté, le Secrétaire Général du PUP, Sékou Konaté, lancera, en prémonition de la fraude électorale généralisée qui allait avoir lieu le 18 décembre 2005 : « Soyez sûrs que pour la Communauté internationale une élection n’est crédible que si l’opposition gagne » 218. Le Président Lansana Conté se référait certainement à la première élection du Président américain, Georges W. Bush Junior, en l’an 2000, après les problèmes de décompte des voix dans l’État de Floride. Une interprétation erronée reprise bien souvent par nombre de dignitaires du régime guinéen, car s’il y a eu des blocages exposés publiquement, lesquels blocages résultaient des difficultés du décompte, c’est bien parce que l’élection présidentielle était transparente aux USA. Par ailleurs, l’interprétation procède d’une manière négative de se définir, de se comporter : ce n’est pas parce qu’un État a organisé des élections jugées irrégulières qu’il faut l’imiter ; le mimétisme, positif ou négatif, n’est-il pas en soi une atteinte à la souveraineté si chère aux dirigeants guinéens ? La seconde observation est relative au privilège qui par nature s’attacherait à la position des gouvernants face à celle des gouvernés : le privilège justifierait les violations de la loi et autres abus d’autorité commis par les gouvernants aux dépens des gouvernés. Tenir un tel discours ne signifie rien d’autre que soutenir le refus de l’alternance politique. Cela est d’autant évident chez le Président Somparé qu’il situe sa ____________________ 217 : Cf. « Le démocrate » nº 188 du 16 au 22 septembre 2003 p. 4. 218 : Cf. « L’enquêteur » nº 94 du 08 au 22 décembre 2005 p. 3.
166 réflexion dans l’évolution anthropologique des peuples, des sociétés archaïques aux sociétés des nouvelles technologies actuelles, une évolution qui serait marquée par la permanence des privilèges des gouvernants et son corollaire, la contestation. En d’autres termes, il y a des groupes sociaux qui ont vocation naturellement au commandement et d’autres qui n’aspirent qu’à être commandés. En cela, le Président Somparé s’appuie sur l’idée que la contestation de ces derniers ne doit pas être source de blocage mais de tension positive permettant, selon lui, le progrès. Comment ne peut-il pas y avoir blocage quand l’humiliation politique est portée à son comble, comme c’est le cas de l’UPR après le 18 décembre 2005, un parti traité hier de « parti-collaborateur », aujourd’hui payé en monnaie de singe 219 ? Face à cette situation, l’observateur politique est ____________________ 219 : Le journaliste Abou Bakar, envoyé spécial de l’hebdomadaire « La lance » explique les circonstances de la défaite de l’UPR aux communales à Labé (8.788 voix) face au PUP (8973 voix), l’UNPG ayant obtenu 1625 voix : « Aux environs de 3 heures du matin, à la préfecture, les responsables de la centralisation recherchaient partout le président du bureau de vote nº 2. Il est introuvable. Ni chez lui, ni ailleurs. Une délégation constituée d’un journaliste, d’un observateur, d’un membre de la CECA et d’un agent de sécurité a fait le tour de la ville. Un inconnu, soi-disant délégué de l’UPR dans ce bureau de vote ne s’est pas présenté au dépouillement. À mi-chemin, il a remis sa fiche des résultats à un tiers qui l’a déposée. Cette fiche est favorable au PUP. La délégation citée ci-haut est allée ouvrir le bureau de vote nº 2 de Hooré Saala, pour comparer les chiffres. Les chiffres portés au tableau noir ne correspondaient pas à ceux de la fiche déposée à la centralisation. Confusion. Le Président du bureau de vote et l’auteur de la fiche fictive demeurent introuvables. L’UPR ne se souvient pas du nom de son délégué dans ce bureau. Voilà désormais trois inconnues. En dépit de tout, le PUP est sacré victorieux. L’UPR a porté plainte devant le tribunal de Labé ». Cf. « La lance » nº 469 du 21 décembre 2005 p.11.
167 interloqué d’entendre le Président de l’Assemblée Nationale parler de jugement équitable, « celui qui tient compte des revendications et des intérêts, le plus souvent contradictoires, des différents partenaires sociaux ». La troisième observation concerne la demande à faite l’UPR « de tirer le rideau sur les évènements incriminés dont il serait trop difficile en ce moment particulier d’apprécier correctement toutes les circonstances au moyen d’éléments probants ». Comment le Président Somparé a-t-il pu demander à l’UPR de rejoindre l’hémicycle dès lors qu’il a douté de la véracité des faits à l’origine de la décision de boycott de l’UPR ? Estce le temps qui, selon lui, est à prendre en considération en politique, qui établira la vérité et rétablira l’UPR dans ses droits ? Dans l’intervalle, ce Parti continuera d’avaler des couleuvres, celles du pouvoir et de son parti, le PUP. Enfin, parlant de « dialogue objectif, humain et fraternel » dont le cadre doit être créé par eux, les élus députés, le Président de l’Assemblée Nationale laisse perplexe. En effet, l’Assemblée Nationale est composée pour plus des deux tiers de ses membres de députés issus du PUP. Le 15 septembre 2003 et le 12 juillet 2005, ce parti a signé avec d’autres partis, en conclusion d’un dialogue suscité par le pouvoir lui-même, des mémorandums qui n’ont pas connu une application effective face au refus manifeste du gouvernement du Président Lansana Conté. Dans ces conditions, quel serait l’impact ou la finalité d’un dialogue au sein d’une assemblée qui n’a aucune influence sur le Gouvernement et l’administration publique ? Le Président Somparé ne déclarait-il pas lui-même, le 27 septembre 2004, à l’ouverture de la session budgétaire 2005
168 de l’Assemblée Nationale : « Je n’ai pas le sentiment que nous nous acquittons suffisamment et avec détermination de notre devoir de censure qui, pourtant, est de première importance dans notre mission » 220. La proposition sent l’odeur de l’appât politique. En décidant dans ces conditions de reprendre sa place dans l’hémicycle, le 05 avril 2006, l’UPR s’y est laissée certainement prendre. En tout cas, sa crédibilité, et même sa survie après le Président Lansana Conté risquent d’en dépendre. Car le motif de la décision tenant au refus de l’aventurisme politique à un moment où le pays traverse une période particulièrement préoccupante et difficile, selon les termes du discours de Bah Ousmane, Président du parti, est en contradiction avec les conclusions du rapport politique de la concertation nationale des forces vives à laquelle l’UPR a participé en mars 2006 221. Cette décision de l’UPR a restauré la distinction entre opposition modérée, proche du pouvoir, et opposition radicale. Du coup, la différenciation entre majorité présidentielle et opposition devient un exercice laborieux. Dans le même sens, et au cas où les partis du FRAD décidaient de siéger à la CENA, la répartition de 14 sièges, à égalité, entre la majorité présidentielle et l’opposition poserait problème au regard du classement de l’UPR ? ____________________ 220 : Cf. discours d’ouverture in « La nouvelle tribune » n° 280 du 05 octobre 2004 p.4. 221 : Cf. texte du discours in « L’enquêteur » n° 103 du 13 au 27 avril 2006 pp. 5 et 6.
169 2-2- La relance de l’esprit unitaire au sein de l’opposition. Dans une conférence de presse tenue le 29 octobre 2005, le FRAD a décidé de sa participation aux communale et communautaire du 18 décembre 2005. Son porte-parole d’alors, Jean-Marie Doré, leader de l’UPG, s’en est expliqué : « Aucune de nos conditions, pour la tenue d’une élection transparente et crédible, n’a été prise en compte. Mais nous irons aux élections pour apporter les preuves de la fraude, à ces bailleurs, auxquels nous sommes attentifs, puisque c’est leurs fonds engagés et détournés par le gouvernement de Lansana Conté que la Guinée est tenue à rembourser un jour ou l’autre » 222. Le FRAD ne s’était donc pas auto-piégé, comme il a été écrit dans l’hebdomadaire « La lance », puisqu’il n’a pas fait, par exemple, de la commission électorale indépendante, bien qu’il en ait fait la proposition au Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, un motif de refus d’aller aux élections : il a choisi d’aller « pour apporter la preuve de la fraude planifiée par le gouvernement ». C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre la conférence de presse convoquée le 19 décembre 2005, au lendemain des consultations électorales. En dehors de l’absence de l’UPR et de l’UPG 223, la rencontre a enregistré la présence de partis comme le PPG de Charles Pascal Tolno, l’UNPG de Saliou Bella Diallo, l’ANP de Moussa Sagno 224 et le PUD de Ditinn ____________________ 222 : Cf. « La lance » nº 462 du 02 novembre 2005 p.9. 223 : La conférence était organisée au siège de l’UFDG dont les relations avec l’UPR sont assez froides ; quant à l’UPG, son leader avait précédemment déclaré son retrait du FRAD. 224 : L’ANP siège à l’Assemblée Nationale au sein du groupe parlementaire PUP/PAA avec ses deux députés.
170 Diallo, lesquels ont participé, à l’exception des membres du FRAD au dialogue politique qui a produit le mémorandum du 12 juillet 2005, ignoré par le gouvernement. L’onde de choc a été telle que même les partis qui manifestaient une certaine souplesse à l’égard du pouvoir ont vite déchanté. Elle a fait dire à Alpha Condé, à la rencontre : « j’ai eu l’impression que ces élections traduisent les rivalités entre les Ministres dans la guerre de positionnement dans l’entourage présidentiel. Sinon, je me demande en quoi ces élections locales changent quelque chose au mandat du Président. Tout se passe finalement comme si c’est à lui qu’on a fait du mal avec ce scandale électoral qui s’apparente à un sabotage. Mais, finalement, ils nous ont arrangés, en prouvant encore une fois que ce système ne peut pas changer. Ce qui force l’opposition à l’unité » 225. Cette déclaration de Alpha Condé permet de préciser l’enjeu politique des scrutins du 18 décembre 2005 : la fraude massive observée à l’occasion s’explique par la volonté des aspirants à la succession de se positionner pour l’après-Conté, ce qui nécessite le contrôle, et même la vassalisation de la majorité des élus locaux 226. Car, ainsi que le remarque justement Bah Oury, Secrétaire Général de l’UFDG : « Le vrai problème de ce pays (la Guinée), il y a une élite, il y a un gouvernement qui ne se soucient guère de l’intérêt national »227. ____________________
225 : Cf. « La lance » nº 469 du 21 décembre 2005 p.3. 226 : Dans la perspective de l’après-Conté, un sondage auprès de certains élus dont l’engagement dans le PUP est considéré comme douteux, a déjà commencé. 227 : Cf. « L’observateur » nº 301 du 06 février 2006 p.4.
171 Face à un tel défi, l’opposition guinéenne est condamnée à l’union, à défaut de réaliser son unité, si elle veut influer un jour sur le devenir de la Guinée. Le souhait a déjà gagné l’UPR ainsi que l’affirmait Thierno Ousmane Diallo, membre du bureau exécutif du Parti : « Nous, nous souhaitons que toute l’opposition se retrouve pour des actions ponctuelles, sans considérations mesquines pour apporter le changement dans ce pays » 228. C’est dans cette optique qu’il faut situer la concertation nationale des forces vives de Guinée, tenue du 17 au 20 mars 2006 à Conakry et à laquelle ont participé une quinzaine partis de l’opposition ou associés à la majorité présidentielle et la société civile 229. Bah Oury, secrétaire Général de l’UFDG, a expliqué la motivation et les résultats attendus de cette concertation : « Également les partis politiques se sont rendus compte que, divisés ils ne pourront absolument rien. Je pense que les élections communales nous ont permis de comprendre la nécessité de nous unir pour aller de l’avant…À l’occasion de cette rencontre, nous allons, entre autres, essayer de comprendre pourquoi ce fort taux ____________________ 228 : Cf. « La lance » nº 476 du 08 février 2006 p.9. 229 : L’idée de cette concertation aurait été évoquée avant le 18 décembre 2005 entre Bâ Mamadou (UFDG), Sidya Touré (UFR) et Alpha Condé (RPG) à Paris ; Jean Marie Doré (UPG) qui n’avait pas été associé à la rencontre, s’en est offusqué et a décidé de quitter le FRAD. Cf. l’interview de Bâ Mamadou in «L’observateur » nº 289 du 31 octobre 2005 p.2. Cependant selon Sidya Touré, il s’est agi simplement d’un échange d’idées sur la situation guinéenne au cours d’un dîner à trois pour décrisper l’atmosphère entre eux (Cf. interview in «L’enquêteur » nº 93 du 24 novembre au 08 décembre 2005 p.3). Le choc consécutif aux résultats électoraux du 18 décembre 2005 a accéléré la tenue de la concertation nationale.
172 d’abstention. La concertation nationale permettra aux partis politiques de trouver des solutions politiques, surtout une approche pour une sortie de crise afin d’éviter à la Guinée de sombrer dans le chaos ». Bâ Mamadou, Président de l’UFDG a tenu à préciser la nature et l’objet de la rencontre : il s’agira d’une simple concertation nationale et non d’une conférence nationale, comme on en a vu au Bénin et ailleurs ; la revendication ne portera pas sur un changement de régime, ni une alternance obligatoire mais les partis politiques, y compris le PUP, la société civile, le gouvernement, l’armée, les opérateurs économiques discuteront pour chercher des solutions à la situation de la Guinée 230. Bah Oury s’est à juste raison montré confiant dans les chances de succès de la rencontre : « …Je pense qu’il y a une nouvelle donne. Il y a des personnes ressources et des éléments des partis politiques qui disent qu’ils ne peuvent plus se permettre de continuer à errer comme ça. Il faut nécessairement transcender les clivages actuels pour envisager autrement l’avenir » 231. En dépit de ces assurances, la concertation nationale n’a pas enregistré la participation des confessions religieuses et des forces armées ; elle a même été boycottée par l’Assemblée Nationale, le PUP et l’UPG, seul le Conseil Économique et Social a été représenté par une délégation dirigée par son Président, Michel Kamano, à la cérémonie d’ouverture. ____________________ 230 : Cf. interview in « L’observateur » nº 303 du 20 février 2006 p.7. Lire aussi l’avis de Alpha Condé lors d’un point de presse à Dakar, le 19 janvier 2006, publié in « L’observateur » nº 300 du 30 janvier 2006 p. 2. Pourtant l’impopularité du régime, démontrée par la grève générale du 27 février au 03 mars 2006, peut justifier la tenue d’une conférence nationale, comme ce fut le cas de l’exemple béninois. Cf. Yves Mény (sous la dir.de) : « Les politiques du mimétisme institutionnel. La greffe et le rejet » L’harmattan, Paris 1993 p. 174. 231 : Cf. « L’observateur » nº 301 du 06 février 2006 p. 4.
173 L’UPG a défini sa position avant de connaître les conclusions de la concertation nationale. Selon son leader, Jean-Marie Doré, « le meilleur document est celui de sortie de crise que nous avons élaboré, et ce document reste d’actualité. Je ne sais pas pourquoi on l’abandonne au profit d’un forum qui, dans sa forme, n’est que du réchauffé… Cette concertation, c’est pour amuser la galerie. Ce qu’on entreprend au Palais du Peuple est une façon de noyer le poisson et de distraire les Guinéens… » 232. L’ouverture de la concertation a souffert des tracasseries administratives habituelles tendant à saboter sa tenue (refus du Ministère des Affaires Étrangères de remettre leur lettre d’invitation aux diplomates étrangers en poste à Conakry, fermeture de la salle de conférence du Palais du Peuple jusqu’à 9 heures du matin le 17 mars 2006, jour de l’ouverture, alors que les invités et les participants attendaient à la porte, annonce radiodiffusée d’une crise de leadership au sein de l’UNPG participant à la rencontre…) 233. L’enjeu psychologique de la concertation nationale pour le citoyen guinéen a été bien campé par le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats, Maître Abdoul Kabélé Camara : « Personne n’ose dire la vérité et ne la recherche. Ceux qui ____________________ 232 : Cf. « La lance » nº 482 du 22 mars 2006 p.3. Dans la logique de son retrait du FRAD et de la non-participation de son parti à la concertation nationale des forces vives, Jean-Marie Doré vient de demander l’application de l’article 34 de la constitution en proposant d’obliger le Président de l’Assemblée Nationale, El Hadj Aboubacar Somparé, à saisir la Cour Suprême aux fins de constatation de la vacance de la Présidence de la République pour cause d’ « invalidité physique et mentale » du Président Lansana Conté (in « La Lance » nº 485 du 12 avril 2006 p.2). Véritable coup de sabre dans la mer de Conakry, s’il en fallait un ! 233 : Cf. « Le lynx » nº 730 du 20 mars 2006 p.7 ; « Le démocrate » n° 304 du 28 mars 2006 p.5.
174 l’ont ne la dise pas et ceux qui la disent ne sont pas écoutés… Nous sommes à une phase de l’évolution en Guinée où la vérité signifie combattre le gouvernement ou le parti auquel l’on n’appartient pas. Et l’option de survie aidant, les gens se recroquevillent sur eux-mêmes » 234. Des rapports produits par la rencontre qui a regroupé 15 partis politiques, y compris l’UPR (à l’exception du PUP et de l’UPG), et la société civile 235, le rapport de la commission politique a le plus retenu l’attention de l’opinion publique. Il y est proposé la mise en place de : -
un Gouvernement d’Union Nationale qui sera composé d’éléments issus de toutes les Forces vives de la Nation (Partis Politiques, Société Civile et Forces Armées). Ce Gouvernement sera présidé par une personnalité consensuelle ;
-
un Conseil National de la République faisant fonction de parlement composé de représentants des Partis Politiques, de la Société Civile et des Forces Armées ;
-
une Cour Constitutionnelle, un Conseil d’État et une Cour de Cassation à la place de la Cour Suprême pour une indépendance et un bon fonctionnement du système judiciaire ;
-
une Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) chargée d’organiser et de gérer l’ensemble du processus électoral (en amont et en aval jusqu’à la proclamation des résultats provisoires) ; ____________________ 234 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 350 du 21 mars 2006 p.5. 235 : Deux autres rapports concernent les questions économiques et socio-culturelles.
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un Conseil National de la Communication pour une libéralisation effective des ondes sur l’ensemble du Territoire national.
Il a été par ailleurs proposé que : -
les membres du gouvernement d’union nationale et des organes de la transition ne pourront en aucun cas être candidats à l’élection présidentielle mettant fin à la période de transition ;
-
le mandat du Gouvernement d’Union Nationale comprendra entre autres : + la mise en place d’un programme de restructuration de l’Administration et de relance de l’économie nationale ; + la révision de la constitution à faire adopter par référendum ; + le recensement général et exhaustif de la population à l’issue duquel la CENI élaborera le fichier électoral ; + l’organisation de l’élection présidentielle ;
-
la durée de la transition ne saurait dépasser 18 mois, le régime transitoire devant fonctionner sous la surveillance d’un observatoire international installé à Conakry et composé des représentants de la CEDEAO, de l’Union Africaine et de l’ONU 236.
____________________
236 : Lire le texte du rapport in « La nouvelle tribune » nº 350 du 21 mars 2006 p.5 ; « La lance » nº 482 du 22 mars 2006 p.4 ; « L’indépendant » nº 674 du 23 mars 2006 p.3 ; « L’espoir » nº 128 du 06 au 20 avril 2006 p.5. Les conclusions politiques de la concertation nationale ont déjà fait l’objet d’une
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Par son contenu, le rapport de la commission politique a provoqué de vives réactions. Le 05 avril 2006, à l’ouverture de la session des lois du Parlement, le Président Somparé a notamment justifié l’absence de son institution par le fait que non seulement les organisateurs n’ont pas créé les conditions d’une libre expression de toute la classe politique mais aussi et surtout ils contestent la légitimité de l’Assemblée Nationale ; il déclara notamment que « il ne s’agissait pas d’une concertation mais plutôt d’un contrat d’adhésion à clause léonine », faisant allusion au fait que les conclusions du rapport de la commission politique de la concertation nationale des forces vives reprenait la quasi-totalité du plan de sortie de crise du FRAD 237. La réaction du Président du Conseil Économique et Social, Michel Kamano, a été plus tranchée : « La mise en place d’un Gouvernement d’union nationale, alors qu’un gouvernement régulier est en place, la mise en place d’un Conseil National de la République faisant fonction de parlement, l’institution d’une Cour Constitutionnelle, d’un Conseil d’État et d’une Cour de cassation, en lieu et place de la Cour Suprême, sont autant de mesures anticonstitutionnelles qui risquent de faire sombrer le pays dans un cataclysme que les rédacteurs du rapport déclarent vouloir éviter » 238. _________________________________________________ résolution du Comité Afrique de l’Internationale Socialiste qui a apporté son soutien au schéma de sortie de crise. Cf. « Le diplomate » nº 191 du 09 mai 2006 p.2. 237 : Cf. « L’enquêteur » nº 103 du 13 au 27 avril 2006 p.2. 238 : Cf. « La lance » nº 483 du 29 mars 2006 p. 5.
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Au niveau des partis politiques de la majorité présidentielle, les protestations de la Cause Commune et du PUP ont été enregistrées. Dans une déclaration publiée le 24 mars 2006, le Bureau Exécutif de la Cause Commune a soutenu que l’objectif inavoué de la concertation nationale des forces vives est d’élaborer « une stratégie de renversement du régime par la voie anti-constitutionnelle en remettant en cause toutes les institutions de la République » 239. La veille, le 23 mars 2006, au siège de son Parti, le Secrétaire Général du PUP, Sékou Konaté, a lancé à brûle-pourpoint face à ses militants des accusations graves contre les participants à la concertation nationale : « Les prétendues forces vives de la nation ont produit un document qu’on avait prévu ici. Je vous avais dit que c’est une conférence nationale déguisée. Aujourd’hui, il est prouvé que ce rapport de la commission politique est un coup d’État civil. Un coup d’État constitutionnel. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés, sans réagir à cela » 240. Dans un article pour le moins laudatif paru dans l’hebdomadaire « Jeune Afrique » et intitulé « La solution Somparé », le journaliste André Payenne a fait la biographie du Président de l’Assemblée Nationale, Aboubacar Somparé, soutenu la thèse de l’inconstitutionnalité des propositions de la concertation nationale des forces vives avant de centrer le ____________________
239 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 351 du 28 mars 2006 p.2. 240 : Cf. « Le lynx » nº 731 du 27 mars 2006 p.7 ; lire la déclaration de condamnation du PUP du 27 mars 2006 in « L’espoir » nº 128 du 06 au 20 avril 2006 p.5.
178 débat sur la personne de ce dernier, bénéficiaire de la légalité constitutionnelle, et il écrit : « Il est donc devenu l’homme à mettre hors jeu, celui qu’il faut à tout prix discréditer. Au risque de faire le lit de l’Armée, qui n’a pas l’habitude, elle non plus, de s’embarrasser de la constitution » 241. Aussi légitimes soient-elles, ces réactions sont marquées du sceau de l’erreur d’analyse et d’une perception tronquée, de bonne ou mauvaise foi, du contexte politique guinéen. Dans une lettre ouverte du 06 avril 2006 adressée au Président de l’Assemblée Nationale, la commission d’organisation de la concertation nationale des forces vives a relevé certaines inexactitudes affirmées par ce dernier dans son discours d’ouverture précité du 05 avril 2006. Entre autres, la commission a relevé que : -
la concertation nationale n’était pas organisée par le FRAD (6 partis) mais par 15 partis politiques dont la liste a été remise en mains propres au Président de l’Assemblée en même temps que sa lettre d’invitation ;
-
il ne s’agissait pas, à la concertation nationale, de se prononcer sur un projet global mais plutôt d’engager un débat ouvert, ce qui a été fait avec la participation de plusieurs personnalités, les résolutions adoptées étant le résultat de ces échanges fructueux et libres ;
____________________ 241 : Cf. « Jeune Afrique » nº 2359 du 26 mars au 1er avril 2006 pp. 48 et 49. Il importe de préciser qu’en application de l’article 34 de la loi fondamentale, le Président de l’Assemblée Nationale assume, en cas de vacance, l’intérim de la Présidence de la République : il doit, dans un délai maximum de 60 jours, organiser une nouvelle
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tous les acteurs politiques et de la société civile de la Guinée ont été contactés dès les premiers jours de l’initiative, en janvier 2006, en particulier le PUP qui a reçu, à son siège, quatre délégations, non compris les contacts téléphoniques et les bons offices.242.
Au-delà de ces précisions de la commission d’organisation de la concertation nationale, les réactions aux conclusions de la rencontre sont critiquables, au moins à trois niveaux. En premier lieu, à la concertation nationale des forces vives, il ne s’est pas agi pour les organisateurs d’élaborer une stratégie de renversement d’un régime constitutionnel fonctionnant selon les normes légales et, contrairement à ce qu’a soutenu le leader de l’UPG, Jean-Marie Doré, le forum n’avait nullement l’allure d’une répétition des propositions de sortie de crise présentées en juillet 2004 par le FRAD ; les discussions ont été élargies à la société civile qui a pris une part active à la rencontre 243. De plus, les conclusions des travaux ne constituent que des propositions devant permettre une restructuration de l’État dans son organisation, ses règles de fonctionnement et ses finalités, car nul ne conteste que l’État guinéen est en situation de crise politique et économique totale. _________________________________________________ élection présidentielle. Pendant ce temps, il ne peut recourir au référendum, prononcer la dissolution de l’Assemblée Nationale, prendre l’initiative d’une révision constitutionnelle et exercer le droit de grâce (article 35 de la constitution). 242 : Cf. le texte de la lettre in « Le populaire » nº 81 du 18 avril 2006 p. 6 et des extraits in « La lance » nº 486 du 19 avril 2006 p. 2. 243 : Cf. l’interview de Sidya Touré in « L’indépendant » nº 674 du 23 mars 2006 p.3.
180 En second lieu, présenter les résultats de la concertation nationale comme étant dirigés contre le Président de l’Assemblée Nationale, Aboubacar Somparé, dénote une méconnaissance des réalités politiques guinéennes. Le Parlement qu’il préside n’est pas aussi représentatif qu’il paraît : à son élection en 2002, les partis de l’opposition ont boycotté le scrutin, ceux qui ont accepté d’y participer (l’UPR et l’UPG) n’ont pas eu les sièges escomptés (20 pour l’UPR et 3 pour l’UPG contre 85 pour le PUP), au point que l’UPG a refusé depuis de participer aux travaux de l’Assemblée Nationale. Par ailleurs, il est établi aujourd’hui, à la lumière simplement des scrutins du 18 décembre 2005, que la classe dirigeante actuelle a fait la preuve de son incapacité à promouvoir la démocratie tant au niveau national qu’au niveau local, à construire en Guinée un État de droit que l’éminent juriste, Carré de Malberg, définissait, en 1920, comme « un État qui, dans ses rapports avec ses sujets et pour la garantie de leur statut individuel, se soumet lui-même à un régime de droit, et cela en tant qu’il enchaîne son action sur eux par des règles, dont les unes déterminent les droits réservés aux citoyens, dont les autres fixent par avance les voies et moyens qui pourront être employés en vue de réaliser les buts étatiques : deux sortes de règles qui ont pour effet commun de limiter la puissance de l’État, en la subordonnant à l’ordre juridique qu’elles consacrent » 244. Dans le cadre de la présente étude, il faut donc dire que le régime de l’État de droit doit être conçu pour permettre aux citoyens la jouissance et l’exercice des droits et libertés qui leur sont reconnus par la constitution de 1990, en son titre II, ____________________ 244 : Cf. R. Carré de Malberg : « Contribution à la théorie générale de l’État » tome I, Sirey, Paris, 1920 pp.488-489.
181 et par toutes les lois en vigueur. C’est à cela que tendent les conclusions de la concertation nationale des forces vives de mars 2006 : définir les nouvelles bases du jeu politique guinéen. Un tel objectif n’est dirigé contre personne, d’autant que l’élection présidentielle qui suivrait serait ouverte à tous les citoyens guinéens. Par ailleurs, l’article 35 de la loi fondamentale n’interdit au Président de l’Assemblée Nationale assurant l’intérim de la Présidence de la République ni d’être candidat à l’élection présidentielle, ni de remanier le gouvernement dès sa prise de fonction. Dans ces conditions, il n’est pas exclu qu’il procède à une restructuration du gouvernement afin d’y placer ses hommes qui se chargeraient, comme d’habitude, de faire sa campagne électorale, avec les moyens de l’État, notamment le concours actif de l’Administration publique. Ainsi, serait assurée la continuité de la politique actuelle, les mêmes hommes succédant au Président Lansana Conté et à son équipe. En troisième lieu, relativement à la critique tenant à l’inconstitutionnalité des propositions de la concertation nationale, il importe de souligner que d’un point de vue juridique, « la base de la puissance étatique, c’est le statut organique de l’État, sa constitution » 245. Mais au-delà du fait que la constitution est un texte juridique, elle est avant tout un acte politique en tant qu’elle détermine l’organisation et le fonctionnement d’une société politique, l’État, dans laquelle une distinction est faite entre les gouvernants et les gouvernés. Or, aucune constitution au monde n’a une valeur biblique ou coranique : la référence à Dieu dans certaines constitutions
____________________
245 : Cf. R. Carré de Malberg, op. cit. p. 57.
182 n’en transforme pas leurs règles en messages divins 246 ; toutes les règles constitutionnelles sont des produits humains en tant qu’elles consignent les modalités d’organisation et d’exercice du pouvoir, conçues par les hommes pour garantir l’harmonie et la cohésion des sociétés politiques dans lesquelles ils vivent. Aussi, toute constitution peut être révisée, voire abrogée, pour tenir compte de l’évolution des mentalités socio-politiques et des changements de régime qui peuvent en résulter. À ce titre, la France a connu, depuis 1789, excepté le régime conventionnel de 1793 et le régime de Vichy de 1940, six constitutions monarchiques au moins 247 et cinq constitutions républicaines 248. Après de multiples révisions de sa seconde constitution de 1963, le Sénégal s’est doté d’une nouvelle constitution en 2001. La constitution ivoirienne de 1960, maintes fois modifiée, a fait place au régime de transition militaire de 1999, puis à une nouvelle constitution en 2000. Le Bénin a connu trois constitutions : la constitution de 1960 qui a consacré la naissance de l’État du Dahomey, la constitution de 1977 qui a institué le régime révolutionnaire ____________________
246 : Cf. la constitution algérienne de 1989 révisée en 1996, en son article 2 déclarant l’islam comme religion d’État et en son article 9 interdisant les pratiques contraires à la morale islamique ; idem de la constitution égyptienne de 1971 révisée en 1980 en son article 2 (l’Islam est la religion d’État et les principes de la loi islamique constituent la source principale de législation). En dépit de cette référence religieuse, l’Algérie est déclarée République démocratique et populaire (article 1er) et l’Égypte est qualifiée d’État socialiste démocratique (article 1er). 247 : Il s’agit des constitutions de 1791 et 1799, des Chartes de 1814 et 1830 et des constitutions de 1852 et 1870. 248 : Il s’agit des constitutions de 1795 (au III), 1848, 1875, 1946 et 1958.
183 marxiste-léniniste béninois et celle de 1990 qui a fait suite à la Conférence nationale souveraine et marqué l’option pour le libéralisme politique. Quant à la Guinée, sa première constitution de 1958 a été rédigée à la hâte pour les besoins de la reconnaissance internationale du nouvel État, elle n’a connu aucune effectivité politique 249, si bien qu’en 1982, a été adoptée une seconde constitution plus conforme à la réalité politique du moment, celle du Parti-État révolutionnaire du PDG-RDA. Après une période de transition militaire (1984-1990), le référendum constitutionnel du 23 décembre 1990 a doté le pays de la loi fondamentale actuelle marquant l’option pour la démocratie libérale. Ainsi donc, les changements constitutionnels proposés lors de la concertation nationale des forces vives ne sont ni inédits en Guinée, ni inconstitutionnels. Tout dépendra donc de la capacité des forces vives, notamment les partis politiques, à ____________________
249 : D’inspiration libérale, la constitution guinéenne de 1958 était destinée à la consommation étrangère : présenter à l’opinion internationale la Guinée dans les formes classiques d’un État moderne pratiquant le parlementarisme ; telle était la justification de dispositions constitutionnelles comme le domaine illimité de la loi (article 9) et la responsabilité du Président de la République devant l’Assemblée Nationale (article 24). Il faut rappeler ici que Sékou Touré a siégé au Palais-Bourbon sous la 4ème République française. Dans les faits, la constitution de 1958 était inadaptée à l’idéologie révolutionnaire qui avait pour effet de déterminer le fonctionnement de l’État en marge des règles constitutionnelles. L’ineffectivité de la constitution, en tant que phénomène sociologique, trouvait sa cause dans une omniscience de l’idéologie officielle. Sur l’effectivité et l’ineffectivité de la règle de droit, cf. Jean Carbonnier : « Flexible droit. Textes pour une sociologie du droit sans rigueur » 4è éd., LGDJ, Paris, 1979 pp. 99 à 102.
184 obtenir leur mise en œuvre, d’autant que les propositions sont faites dans le souci d’une gestion pacifique de la succession du Président Lansana Conté : les risques de déstabilisation consécutive à la disparition de ce dernier inquiètent tant l’opinion nationale que les États voisins et les institutions internationales (CEDEAO, Union Africaine et ONU) ; la Guinée reste en effet le dernier garant de la stabilité dans la sous-région ouest-africaine, sa déstabilisation politique pourrait réveiller les foyers de guerre civile dans nombre des six États voisins, eu égard surtout au fait particulier que, de part et d’autre des frontières, habitent des populations appartenant aux mêmes ethnies. La cause semble donc entendue : seul un mouvement d’ensemble, coordonné, peut permettre à l’opposition d’obtenir les changements nécessaires pour placer la Guinée sur orbite vers une société démocratique. 2-3- La tendance au réaménagement de l’espace politique de la Moyenne-Guinée. Avant les scrutins du18 décembre 2005, et à l’exception de la présence du PUP et de l’UFR, l’espace politique de la Moyenne-Guinée était tenu par trois partis : l’UPR, l’UFDG et l’UNPG avec la particularité que les deux derniers partis sont dirigés par des anciens de l’UPR, à savoir El Hadj Bâ Mamadou, ancien leader-fondateur de l’UNR qui a fusionné avec le PRP de feu Siradiou Diallo pour former l’UPR dont il a été le Président d’honneur, et Saliou Bella Diallo qui a quitté l’UPR après qu’il ait été écarté de la Vice-Présidence du Parti qui est revenue à Diallo Bah Assiatou, veuve de Siradiou Diallo.
185 C’est dans ce contexte que s’est tenu après la proclamation des résultats, une réunion de la jeunesse UPR-UFDG-UNPG, le 04 janvier 2006, pour évoquer la création d’un grand parti politique 250. L’annonce le même jour de la décision de boycott de l’UPR traduit bien la frustration des militants des trois formations politiques depuis l’annonce des résultats définitifs des élections le 28 décembre 2005 par le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation. L’idée d’un rapprochement des trois partis sera confirmée par Saliou Bella Diallo au journal « Le démocrate » 251 ; il précisera par la suite la position de son parti, après avoir évoqué les causes qui, selon lui, ont conduit à la crise au sein de l’UPR née de la fusion du PRP, de l’UNR et du RNP : « Moi, je pense que personne ne serait opposé à une concertation si elle est constructive. Si elle consiste à faire un diagnostic impartial de la réalité. Aller jusqu’au diagnostic causal pour voir ce qui a engendré l’éclatement. Situer les responsabilités en vue de prendre les mesures, les dispositions qui s’imposent pour pouvoir bâtir quelque chose de viable, avec tous les garde-fous nécessaires. Il ne s’agit pas pour moi de retourner. Retourner où ? Puisque l’UPR d’avant, ce n’est pas l’UPR d’aujourd’hui. C’est plutôt recréer quelque chose qui existait. Il n’y a aucune formation politique, actuellement qui puisse nous dire « Revenez ». Il s’agit de se conformer à la réalité. L’UFDG, l’UPR et l’UNPG doivent se concerter de façon constructive afin d’aboutir à quelque chose de réaliste et de durable. Personne ne s’opposerait à cela. En tout cas, pas l’UNPG » 252. ____________________ 250 : Cf. « Le populaire » nº 74 du 26 janvier 2006 p.3. 251 : Cf. « Le démocrate » nº 294 du 10 janvier 2006 p. 3. 252 : Cf. interview in « La lance » n° 475 du 1er février 2006 p.8.
186 Tout en reconnaissant la nécessité d’une concertation des trois partis, la déclaration de Saliou Bella Diallo soulève la question de l’objet du regroupement : alliance ou fusion de partis. Dans sa déclaration rapportée précédemment par le journal « Le démocrate » du 10 janvier 2006, l’intéressé avait déjà exclu l’hypothèse de la fusion, qu’il a confirmée cidessus en écartant l’idée d’un retour à l’UPR. Une réaction compréhensible si la fusion doit se faire par l’absorption des deux autres partis par l’UPR ; or, une fusion par création d’un nouveau parti autre que l’UPR est tout à fait plausible. Mais en prélude à l’objet de la concertation, se pose d’abord la question de sa forme sur laquelle Bah Oury, Secrétaire Général de l’UFDG s’est exprimé : « …Il n’y a pas eu de négociations entre nous. Mais, il y a des groupes informels qui agissent en toute autonomie et qui souhaitent une certaine convergence entre les responsables et les éléments de ces trois partis. Ils se réunissent indépendamment des partis, ils ont leur propre agenda, leur propre calendrier. Ce sont des discussions informelles qui n’engagent pas, à l’heure actuelle, les partis politiques en tant que tels, que nous ne décourageons pas, mais au contraire que nous encourageons. Vous savez, ce qui est important dans tout cela, il faut que les militants, les citoyens s’emparent de la chose politique et ne laissent pas la chose politique entre les mains des dirigeants politiques » 253. Des déclarations des acteurs politiques, il ressort que si l’idée d’une rencontre des trois formations politiques est partagée par tous, la forme pour y parvenir reste à déterminer : les groupes dit informels qui se réunissent doivent-ils rechercher l’organisation d’une rencontre des leaders de partis ou ____________________
253 : Cf. interview in « L’observateur » nº 301 du 06 février 2006 p.4.
187 doivent-ils y être associés, dans une espèce de conférence générale des formations concernées. La démarche est conditionnée par les a priori face au choix entre la fusion ou l’alliance des partis. Et ces a priori sont faits d’abord de la confiance que se font les responsables politiques. Or, de ce point de vue, le bât blesse. Dans une interview à l’hebdomadaire « L’observateur », Bâ Mamadou, Président de l’UFDG (après son départ de l’UPR), dans son franc-parler habituel, répliqua, sans détours, à une question sur la sincérité, à son égard, de la fusion qui a donné naissance à l’UPR : « Effectivement, la fusion UNR-PRP a été vraiment un échec pour moi. Je me suis laissé bêtement avoir » 254. Dans le même registre, Thierno Ousmane Diallo, membre du Bureau Exécutif de l’UPR, n’est pas tendre avec leurs adversaires politiques. Réagissant à la déclaration de Saliou Bella Diallo (UNPG) selon laquelle il était le second bailleur de fonds de l’UPR, Thierno Ousmane Diallo répond vertement : « Moi, j’ai pitié de lui en fait. Il a démissionné parce qu’il voulait être Vice-Président. Et il s’est trouvé qu’il n’était pas le mieux indiqué. Voilà ! Maintenant, s’il a été accueilli par des gens moins exigeants que nous, c’est tant mieux pour lui. Il voulait être Vice-Président de l’UPR, maintenant, il est Président d’un autre parti. Ben, qu’il nous fiche la paix ! Mais, s’il veut continuer à parler, qu’il parle si ça l’amuse. Mais, je le reprends, on ne peut pas être bailleur de fonds d’un parti et se faire éjecter de ce parti du jour au lendemain ». Et de poursuivre sur les intentions de l’UPR : « L’UPR est un train qui marche. On n’attellera pas nos wagons à un autre parti. Si des gens veulent de notre ____________________ 254 : Cf. « L’observateur » nº 289 du 31 octobre 2006 p. 2.
188 collaboration, on s’assoit et on discute… L’UPR n’a pas éclaté. C’est un train en marche. Des passagers sont descendus, d’autres sont montés. Et on a un bon conducteur. Le train est plein. Ainsi va la vie… Nous avons géré les humeurs du FRAD. On les connaît tous, donc c’était facile. Beaucoup d’entre eux se sont trompés en pensant que le départ du doyen Bâ Mamadou allait tuer l’UPR. Ils ont été désagréablement surpris. Ils se sont rendus compte que ce n’était pas le cas et qu’ils ne peuvent rien envisager sans associer l’UPR » 255. L’idée d’une restructuration de l’espace politique en Moyenne-Guinée par un regroupement de l’UPR, de l’UFDG et de l’UNPG, peu importe la finalité (alliance ou fusion), se heurte d’abord à un obstacle psychologique : les initiateurs devront entreprendre de rétablir la confiance entre les responsables politiques pour avoir quelques chances de succès. Car, si les problèmes matériels peuvent trouver facilement solution quand les moyens adéquats, financiers notamment, sont disponibles, il en va autrement des questions de personnes : la suspension, le 22 mars 2006, de 12 militants par le Bureau fédéral de l’UPR de Labé pour cause de contacts politiques avec l’UNPG de Saliou Bella Diallo, est de nature à encourager les résistances au rapprochement 255 bis. Pour que l’idée fasse des progrès, il faudra que les leaders politiques fassent taire leurs rancœurs et rancunes, qu’ils fassent preuve de hauteur de vue et élèvent le niveau du débat politique. L’amour propre et la politique ne font pas bon ménage. ____________________ 255 : Cf. interview in « La lance » n° 476 du 08 février 2006 p.9. 255 bis : Cf. « Le démocrate » nº 311 du 23 mai 2006 p.3.
189 III- La signification des scrutins du 18 décembre 2005. Les résultats officiels des communale et communautaire de 2005 ont donné le PUP largement vainqueur avec l’obtention de 81,58 % des communes et le contrôle de 79,54 % des CRD. Face à ces chiffres, et en raison de la pauvreté généralisée qui sévit dans le pays et qui a été l’objet principal des discours électoraux, le PUP pouvait-il connaître un tel succès électoral ? En d’autres termes y a-t-il eu véritablement élection ? La question est pertinente au regard de ce qui s’est passé le 18 décembre 2005. Dans « un parti pris nominaliste consistant à considérer les choses ainsi qu’elles se nomment elles-mêmes, ou, du moins ainsi qu’en parlent ceux qui en sont les acteurs », il n’y a aucun doute qu’il y a eu élection. Dans un autre sens, « l’interrogation sur l’acte de vote, et sur la signification de celui-ci, passe par la vérification de conditions préalables » 256, celles qui sont de nature à garantir une élection libre, transparente et sincère. Cette seconde approche est importante pour un pays comme la Guinée qui a besoin de retrouver, après la rupture de 1958, le chemin de la démocratie libérale, condition de son développement. Ce n’est pas trop dire à l’écoute du Président de l’Assemblée Nationale, Aboubacar Somparé, le 05 janvier 2006, lors de la présentation des vœux du personnel de l’administration parlementaire : il a souhaité que « l’année 2006 soit vraiment l’année de libération de la Guinée ». Et de poursuivre : « nous allons rester dans un confort ne varietur, en train de nous contempler, dans la bêtise et dans l’arriération. Pendant ce temps, le monde progresse. On va
____________________
256 : Cf. Patrick Quantin : « Voter en Afrique : quels paradigmes pour quelles comparaisons ? », op. cit. p. 13.
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se réveiller un matin et trouver que nous sommes derrière »257. Si ce n’est déjà le cas avec le classement de la Guinée au 156ème rang de l’indice de développement humain du PNUD en 2005 258. La fraude qui a émaillé les consultations de 2005 est très vieille en Guinée et dans les autres États africains : elle a accompagné dans les années 59 les modes de scrutin dont l’utilisation a permis d’exclure l’opposition politique du jeu ou d’empêcher sa naissance, ce qui a facilité l’instauration du parti unique. Le fait a été qualifié de « déformation des institutions françaises » après les indépendances, consciemment à travers des textes constitutionnels et législatifs ou spontanément dans le cadre du fonctionnement des régimes politiques 259. Dans le cas de la Guinée, il est à souligner que l’article 4 de la constitution du 10 novembre 1958 disposait que « le Parlement est constitué par une Assemblée Nationale unique dont les membres sont élus sur une liste nationale » : il a joué un rôle déterminant dans l’instauration du monopartisme. La difficulté d’enrayer le phénomène tient à la divergence de points de vue des acteurs du processus électoral quant à l’appréciation de la sincérité des résultats électoraux. Les scrutins de 2005 n’ont pas échappé à la controverse. Mais au____________________ 257 : Cf. le discours intégral in « Le lynx » nº 720 du 09 janvier 2006 p.5. 258 : Ce classement n’est pas exact puisque selon le représentant du PNUD, M’Baranga Gasarbwé, « le rapport 2005 présente davantage la situation de 2003 que la réalité ». Sinon, le classement de la Guinée devant le Sénégal (157ème), le Mali (174ème) et même avant le Nigéria, ne s’explique pas. Cf. « La nouvelle tribune » nº 331 du 18 octobre 2005 pp.2 et 3. 259 : Cf. Albert Mabileau et Jean Meyriat (sous la direction de) : « Décolonisation et régimes politiques en Afrique noire », A. Colin, Paris 1967 pp. 31-32.
191 delà des différences d’interprétation du vote, une réalité est constante en Guinée : l’espace politique est organisé au profit d’un système qui affiche une vocation naturelle à la direction du pays. 1- Les réactions des intervenants dans le processus électoral. Ils sont de deux catégories : d’un côté, il y a les acteurs principaux qui organisent les élections ou présentent des candidats ou listes de candidats et, de l’autre, les acteurs qui accompagnent le processus électoral en finançant les opérations ou en observant son déroulement. 1-1- Les acteurs principaux du processus électoral. Il s’agit du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation et des partis politiques de la majorité comme de l’opposition. Dans une conférence de presse tenue le 03 décembre 2005, le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation a notamment déclaré : « Seize partis politiques issus de toutes les sensibilités présentent des candidats. Aucune interférence de la part des autres acteurs ne doit entraver l’évolution des compétitions dans cette conquête des suffrages », les autres acteurs étant, selon lui, les électeurs, l’organisateur légal (le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation), les cours et tribunaux et le contrôleur conventionnel, la CENA260. ____________________ 260 : Cf. « Le démocrate » nº 289 du 06 décembre 2005 p. 5.
192 Lors de la proclamation des résultats, le 28 décembre 2005, le Ministre mentionnera des innovations apportées à l’organisation des élections (le bulletin unique, l’urne transparente, l’observation nationale et la CENA avec ses démembrements) avant de se féliciter du « climat politique rasséréné, propice à la tenue d’élection paisible, juste et crédible » 261. Interrogé par la presse après le scrutin, le Ministre déclarera que « l’insuffisance majeure, c’est l’utilisation des attestations d’identification qui, sur le plan légal et réglementaire, pallient l’inexistence dans la plupart des cas, de cartes d’identité pour les citoyens électeurs » 262. Pourtant la loi électorale (article L21) est très claire : l’attestation d’identification ne peut être utilisée que dans une élection communautaire, or, le 18 décembre 2005, elle l’a été même dans les communes. Et le Ministre proposera, à l’occasion, la délivrance gratuite des cartes d’identité. Devant les observateurs nationaux, lors de la présentation de leur rapport provisoire du 22 décembre 2005, après les félicitations d’usage, il contestera l’une des lacunes de l’organisation des scrutins relevée, à savoir la non-conformité entre les numéros des bureaux de vote inscrits sur les cartes d’électeur et ceux des listes d’émargement, demandant des preuves dans le rapport définitif, le Ministre a soutenu que l’hypothèse d’une telle défaillance administrative est impossible au regard des techniques de saisie informatiques263. Dans son rapport définitif de janvier 2006, la mission d’observation nationale citera les préfectures de N’Zérékoré et Faranah où cette anomalie a été constatée. ____________________ 261 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 342 du 03 janvier 2006 p.5. 262 : Cf. interview in « La nouvelle tribune » nº 341 du 27 décembre 2005 p.3. 263 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 341 du 27 décembre 2005 p.2.
193 Dès le 19 décembre 2005 déjà, au lendemain des scrutins, le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation déclara que les élections se sont déroulées dans le calme, la sérénité et la convivialité et qu’il n’y a pas eu de plaintes auprès de la CENA, des observateurs nationaux, des ambassades et des organisateurs internationaux 264. L’auto-satisfaction ainsi prématurément manifestée par le Ministère faisait fi des délais légaux pour contester la régularité des scrutins et de la compétence exclusive des commissions administratives de centralisation des votes et des juridictions en matière de contentieux électoral (article L110 à L112 du code électoral et article 101 de la loi organique sur la Cour Suprême). Le Ministre sera relayé dans son appréciation positive des consultations du 18 décembre 2005 par ses cadres administratifs comme : -
son assistant chargé de la communication, Taliby Camara, qui a usé du droit de réponse du ministère à une déclaration de Rougui Barry, tête de liste UFR aux communales de Matam, un mauvais usage puisqu’on n’y trouve aucune réponse aux griefs de la liste UFR à Matam 265 ; il publiera aussi un autre article intitulé : « Les raisons des faibles performances de l’opposition aux élections communales et communautaires du 18 décembre 2005 » 266 ;
- le Préfet de Siguiri 267. _____________________ 264 : Cf. « La lance » nº 469 du 21 décembre 2005 p.2. 265 : Cf. « Le diplomate » nº 176 du 17 janvier 2006 p.3. 266 : Cf. « L’observateur » nº 298 du 16 janvier 2006 p.2. 267 : Cf. « Solidarité » nº 09 du 17 janvier 2006 p.5.
194 Au niveau du PUP, à défaut d’une déclaration officielle du Parti sur les consultations de 2005, certaines personnalités individuellement se sont exprimées sur un ton de satisfaction totale comme le Ministre de l’Économie et des Finances, Mady Kaba Camara et le député Abdoulaye Camara 268, le maire de Kindia, Mamadou Dramé 269. L’expression la plus politique est venue de Baniré Diallo, membre BPN du PUP et Président du groupe parlementaire PUP/PAA : « Le défi majeur du PUP a été gagné lors de ces élections communales et communautaires. Le verdict des urnes a prouvé que le Parti de l’Unité et du Progrès existe bel et bien sur l’ensemble du territoire national et c’est un véritable parti national » 270. L’homme politique ne relevait là rien de spécifique au PUP à la suite des consultations du 18 décembre 2005 : c’est la logique même qu’un parti gouvernemental soit représenté sur l’ensemble du territoire national ; le contraire serait surprenant. Encore qu’être parti du pouvoir n’implique pas être majoritaire dans l’électorat, ce que les scrutins de 2005 auraient démontré s’ils avaient été quelque peu crédibles. Dans les rangs de l’opposition, les expressions n’ont pas manqué pour qualifier les élections communale et communautaire : « cuisine électorale » pour Sidya Touré de l’UFR 271, « hold-up électoral » pour l’UPR 272, « brigandage ____________________
268 : Cf. « La nouvelle marche » nº 74 du 16 janvier 2006 pp. 2 et 6. 269 : Cf. « Le National » nº 31 de décembre 2005 p.4. 270 : Cf. « La lance » nº 473 du 18 janvier 2006 p. 8. C’est dans cette interview qu’après sa première réaction virulente contre la décision de boycott de l’UPR (« L’indépendant » nº 665 du 12 janvier 2006 p. 3), Baniré Diallo a adopté un ton plus conciliant. 271 : Cf. interview in « La lance » nº 471 du 04 janvier 2006 p.8. 272 : Cf. « L’observateur » nº 297 du 09 janvier 2006 p. 2.
195 électoral » pour Alpha Condé du RPG 273. Ces expressions renvoient le modèle théâtral d’explication du vote en Afrique, qui met « l’accent sur l’exclusion et l’impuissance des citoyens électeurs », ce qui se traduit par une césure entre metteurs en scène (le pouvoir) et spectateurs (les citoyens), présumés passifs, privés de toute possibilité d’initiative dans la joute électorale et voués à la discipline 274. Au sujet de sa participation aux scrutins de décembre 2005, l’opposition a intrigué une certaine opinion, se remémorant encore le boycott de l’élection présidentielle de décembre 2003. Elle s’en est expliqué avant le vote, ainsi que l’a fait Alpha Condé sur les ondes de RFI le 02 novembre 2005 : « …Nous allons aux élections parce qu’il ne faut pas qu’on dise que nous, nous sommes des pessimistes ou des extrémistes etc. Certains pensent qu’il y a eu des avancées et que le gouvernement fera des élections honnêtes. Nous, nous disons, non ! Mais si on ne va pas aux élections, on ne pourra pas faire la démonstration que le gouvernement ne fera ____________________ 273 : Cf. Point de presse in « L’observateur » nº 300 du 30 janvier 2006 p. 2 ; Lire aussi la lettre ouverte des partis d’opposition du 05 janvier 2006 aux partenaires au développement in « L’indépendant » nº 668 du 02 février 2006 p. 5. 274 : Cf. Maurice Enguéléguélé : « Le paradigme économique et l’analyse électorale africaniste : piste d’enrichissement ou source de nouvelles impasses ? » in « Voter en Afrique : comparaisons et différenciations » op. cit. pp. 76-77. L’auteur note cependant qu’il ne faut pas surestimer la césure d’autant qu’à la faveur des transitions démocratiques des années 1990, le pouvoir africain se heurte de plus en plus à des concurrents ; il a fait aussi la critique des modèles du « vote de solidarité » et du « vote comme expression d’un rite » avant de tenter une explication sur le mode du « vote expression d’une transaction » qui repose sur deux interrogations : pourquoi les élections votent-ils ? Pourquoi se déplacent-ils aux urnes ?
196 jamais des élections transparentes. Nous savons que le gouvernement fera des fraudes. C’est en ce moment que chacun sera édifié » 275. Sidya Touré, Président de l’UFR, confirmera ce choix délibéré de l’opposition, le 29 décembre 2005, après les élections : « Non ! Nous ne regrettons pas. Nous avons souhaité participer à ces élections, pour faire la démonstration qu’aujourd’hui, le pouvoir ne peut pas organiser des élections transparentes en Guinée dans les conditions actuelles » 276. C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre deux textes produits par l’opposition. Il s’agit de : -
la déclaration de 13 partis d’opposition, à l’exception de l’UPR, de l’UPN et de l’UPG, en date du 21 décembre 2005, demandant l’annulation des élections du 18 décembre 2005 et l’organisation d’une concertation nationale entre toutes les parties intéressées pour la relance du processus de démocratisation du pays (partis politiques, société civile, institutions républicaines, conseil interreligieux, forces de sécurité et de défense 277 ;
-
la lettre ouverte des partis politiques aux partenaires au développement du 05 janvier 2006, signée par douze (12) partis politiques, à l’exception de l’UPG, de l’UDS, du MDP et de l’UFD, mais avec cette fois la participation de l’UPR et de l’UPN 278 : les partis ____________________
275 : Cf. Transcription de l’interview in « Le lynx » nº 711 du 07 novembre 2005 p.10. 276 : Cf. interview in « La lance » n° 471 du 04 janvier 2006 p.8. 277 : Cf. « L’observateur » nº 296 du 02 janvier 2006 P.5 ; « Les échos » nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 P.11. 278 : Cf. « Les échos » nº 101 du 18 au 31 janvier 2006 p.4.
197 signataires ont attiré l’attention des partenaires au développement sur les graves irrégularités et fraudes qui ont entaché le processus électoral, rappelé leur demande d’annulation des scrutins du 18 décembre 2005 et indiquer les conditions pour l’organisation d’élections transparentes (création d’une commission électorale indépendante, gratuité de la carte nationale d’identité, recensement général de la population avec la participation active des partis politiques). Au passage, les partis ont relevé la mobilisation des Ministres et des fonctionnaires de l’État et l’utilisation des biens et autres moyens de l’État pour assurer la campagne du PUP. 1-2- Les acteurs secondaires du processus électoral Innovation des scrutins du 18 décembre 2005, une mission nationale d’observation a été organisée avec l’appui technique et financier des partenaires au développement (Canada, Union Européenne, USAID, UNESCO, PNUD) et de l’ONG IFES ; elle a mobilisé 26 ONG nationales (ONG de défense des droits, syndicats, ordre des avocats, conseil national des organisations de la société civile de Guinée etc...). Dans cette catégorie des observateurs, doit être classée la CENA : le manque d’autonomie juridique réelle à l’égard du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation et l’existence de commissions administratives chargées du recensement des votes l’ont marginalisée dans le suivi du déroulement des opérations électorales. Son rapport du 31 décembre 2005, sans intérêt, si ce n’est celui de déclarer les scrutins globalement
198 satisfaisants, a confirmé son inféodation au Ministère 279 : cette institution budgétivore n’a même pas été capable de répondre aux plaintes qui lui étaient adressées, ainsi que l’a regretté Sidya Touré dont le parti, l’UFR, a saisi la CENA de plusieurs correspondances 280. Après une déclaration préliminaire du 22 décembre 2005 281, la mission nationale d’observation a produit son rapport définitif en janvier 2006. La mission avait le double objectif de soutenir le processus démocratique en Guinée en défendant le développement de la pratique électorale, mais aussi de témoigner des conditions de l’organisation et du déroulement des élections communale et communautaire. Ses 400 membres ont été déployés dans les huit régions administratives pour une couverture de 3.222 bureaux de vote. Après avoir relevé quelques acquis comme les innovations apportées en 2005 à l’organisation électorale, la mission a constaté nombre d’insuffisances similaires aux formes de technologie électorale analysées précédemment. La qualité du rapport conduit à regretter que la mission nationale n’ait pas été précédée d’une phase préparatoire consistant dans « l’envoi d’une mission d’évaluation qui détecte les principaux problèmes avant la tenue du scrutin, comme par exemple la fiabilité des listes électorales » 282. ____________________ 279 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 343 du 10 janvier 2006 p. 2 ; « L’observateur » nº 298 du 16 janvier 2006 p.5. 280 : Cf. interview in « La lance » n° 471 du 04 janvier 2006 p.8. 281 : Cf. « L’enquêteur » nº 95 du 27 décembre 2005 au 05 janvier 2006 p.2. 282 : Cf. « Le lynx » nº 718 du 26 décembre p.3.
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Quant aux bailleurs de fonds ou partenaires au développement, ils n’ont jamais fait mystère de leur intention de voir la Guinée œuvrer à l’instauration d’une démocratie politique conforme à son option libérale. C’est dans cette optique que, déjà en 2003, peu avant le scrutin présidentiel de décembre 2003, l’Ambassadeur d’Allemagne en Guinée déclarait : « Quand les élections ne sont pas effectivement contrôlées par tous ceux qui y participent, ce n’est pas une démocratie » 283. En 2004, le même diplomate s’exprimera dans le même sens à propos du soutien de l’Union Européenne : « La condition est que le scrutin soit supervisé par un organisme indépendant et que tous les partis soient d’accord avec les résultats » 284. Dans le même sens, le 29 septembre 2004, lors de la présentation de ses lettres de créance au Président Lansana Conté, l’Ambassadeur des USA, Jackson Mc Donald, déclare : « Mon action sera guidée par trois principes de base : les valeurs démocratiques, l’État de droit et la dignité humaine » 285. Le Gouvernement guinéen et l’Union Européenne se sont rencontrés à Bruxelles en 2004. Au cours de cette rencontre destinée à relancer leur coopération bilatérale dans le cadre de l’Accord UE/ACP de Cotonou de juin 2000, le Gouvernement guinéen a produit un mémorandum dans lequel il s’était engagé, entre autres, à organiser des « élections locales pluralistes et transparentes sur la base du consensus attendu du dialogue politique programmé ». Ce dialogue organisé avec la participation des partis politiques, à ____________________ 283 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 220 du 12 août 2003 p.1. 284 : Cf. « La lance » nº 384 du 05 mai 2004 p.7. 285 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 280 du 05 octobre 2004 p.2.
200 l’exception des partis du FRAD, a abouti au mémorandum du 12 juillet 2005 dont les propositions n’ont nullement préoccupé le Gouvernement 286. Pourtant, en conclusion de son mémorandum présenté à Bruxelles, le Gouvernement guinéen a souhaité le rétablissement des relations normales à travers la reprise de l’aide budgétaire de 11,4 millions d’euros suspendus, l’utilisation des reliquats des 6ème, 7ème et 8ème FED dans les respect des règles de procédure, sans y inclure une quelconque conditionnalité et la signature du PIN pour permettre à la Guinée de jouir d’un traitement équitable. C’est à croire que tous les engagements étaient pris dans le seul but d’obtenir des financements de l’Union Européenne.287. Par ailleurs, peu avant les scrutins de décembre 2005, le Canada a fermé son ambassade en Guinée. La décision était consécutive à la publication de l’ « énoncé de politique internationale du Canada ». En application de cette orientation prise par le gouvernement canadien, son aide bilatérale directe va être concentrée jusqu’en 2010, par le biais de l’Agence Canadienne de Développement International, sur 25 pays dans le monde dont 14 en Afrique, à l’exclusion de la Guinée. La liste a été établie sur la base de deux critères cumulatifs : le niveau de pauvreté (revenu ____________________ 286 : Cf. le texte du mémorandum du 12 juillet 2005 in « L’observateur » nº 278 du 17 août 2005 p. 5 et la réponse gouvernementale in « La nouvelle tribune » nº 330 du 11 octobre 2005 pp. 4-5. 287 : Sur la mise en place des institutions avec l’unique préoccupation d’avoir l’aval de la communauté internationale, lire F. Eboussi Boulaga : « Les conférences nationales en Afrique noire » Karthala, Paris 1993 p.96.
201 national moyen inférieur à 1000 $US) et la capacité d’utiliser efficacement l’aide, ce qui implique des conditions de bonne gouvernance économique et politique 288. Au regard des engagements pris à Bruxelles, de la demande des ambassadeurs de l’Union Européenne faite au Gouvernement « d’œuvrer davantage pour que l’Administration reste neutre » 289 et du retrait d’un partenaire privilégié comme le Canada, la question se pose de l’objectif poursuivi par le Gouvernement en organisant la mascarade électorale du 18 décembre 2005. Cela explique que la lettre ouverte du 05 janvier 2006 signée de 12 partis d’opposition dont le RPG, l’UFR, l’UPR, l’UNPG et l’UFDG, ait eu un écho au sein de l’Union Européenne. En effet, en 2004, il avait été décidé à Bruxelles que « le 9ème FED sera signé une fois que des progrès suffisants auront été constatés par le Conseil, notamment dans la préparation et la réalisation des scrutins pour des élections locales et législatives libres et transparentes ». Avec les résultats contestables et contestés des élections locales de décembre 2005, la réaction de l’Union Européenne a été nette : « Il faut que la Guinée s’active dans la préparation des élections législatives pour signer le 9ème FED » 290. ____________________ 288 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 327 du 20 septembre 2005 p.3. 289 : Cf. déclaration de l’Ambassadeur d’Allemagne en Guinée in « La lance » nº 478 du 22 février 2006 p.9. 290 : Cf. le compte-rendu d’un entretien accordé par Luc Sérieux, responsable des affaires économiques à la délégation de l’Union Européenne en Guinée in « L’indépendant » nº 668 du 02 février 2006 p. 5. L’ensemble des concours financiers attendus de Bruxelles au titre des 6ème, 7ème, 8ème et 9ème FED s’élève à environ 215 millions d’euros dont 93 millions au titre de l’enveloppe A du 9ème FED. Cf. aussi « L’économiste » nº 50 de janvier 2006 p. 2.
202 L’interprétation de cette attitude des bailleurs comme étant la manifestation de pressions politiques extérieures, contraires au principe de la souveraineté des États, n’est pas partagée par tous. Patrick Quantin soutient, en effet, que « l’extraversion des sociétés africaines et de leurs systèmes politiques ne datent pas de 1989. Et l’existence de différentes variétés de régimes autoritaires sur le continent était tout autant le résultat de pressions externes qui, non seulement se gardaient d’exercer des sanctions, mais, à l’occasion, apportaient un soutien décisif, en matière financière, militaire ou policière à ces régimes. Les importations forcées de doctrines de démocratisation sont à l’évidence des ingérences ; mais elles ne violent pas plus l’autonomie ou la souveraineté des régimes politiques africains ou la culture des sociétés africaines que l’appui apporté aux régimes nondémocratiques antérieurs » 291. Face à cette réalité, l’attitude du Gouvernement s’explique difficilement. Ne faut-il pas y voir l’illustration du combat d’arrière-garde d’un système en déclin ?. 2- L’œuvre de l’instinct de conservation d’un système politique. Pour comprendre les élections locales dans leur environnement culturel, il faut se rappeler que l’option libérale du régime du Président Lansana Conté exprimée dans le discours-programme du 22 décembre 1985 résultait d’un constat politique : la décomposition du système de parti unique du PDG-RDA, Parti-État révolutionnaire, une ____________________ 291 : Cf. Jean-Pascal Daloz et Patrick Quantin (sous la direction) : « Transitions démocratiques africaines » Karthala, Paris 1997 p.11.
203 décomposition provoquée de l’intérieur et non imposée par des pressions extérieures. C’est ce qui a permis à l’armée de prendre le pouvoir sans effusion de sang. Et le choix ainsi opéré a été l’œuvre des hommes formés sous la Révolution et qui en ont été des animateurs actifs. Il n’y a donc pas eu en 1984-1985 une nouvelle révolution contre le régime de la Première République : le moule révolutionnaire ancien est resté en place avec les mêmes hommes, il n’a pas explosé, il n’a pas été cassé. C’est dans ce contexte politico-culturel que vont être entreprises les réformes économiques et politiques sous la pression, cette fois, des bailleurs de fonds. Car, si jusqu’en 1984, le système politique guinéen pouvait être considéré comme fermé, l’option libérale l’a obligé à l’ouverture, même si la classe politique issue de l’ancien régime et auteur de l’option, assume mal toutes les implications du libéralisme politique et économique 292. Il n’est donc pas excessif d’affirmer avec Francis Akindès que le processus de démocratisation est « la conséquence politique de l’application des PAS. Par le biais de ceux-ci, on a tenté de ruiner les « habitus » politiques d’omniprésence et d’omnipotence de l’État dus à l’extension excessive de son rôle économique » 293. L’analyse s’adapte parfaitement à la Guinée en raison de l’imbrication totale entre fonction politique et fonction ____________________ 292 : Sur la distinction systèmes politiques fermés et ouverts, cf. JeanMarie Denquin : « Science politique » op. cit. p. 157. 293 : Cf. Francis Akindès : « La transformation des lieux de pouvoir en Afrique Sub-saharienne sous les contraintes de la mondialisation » in « Puissance et impuissance de l’État. Les pouvoirs en question au Nord et au Sud », sous la direction de Sophia Mappa, Karthala, Paris 1996 p. 369.
204 économique depuis l’indépendance du pays. Mais la situation s’est compliquée avec le réveil d’un paramètre latent, l’ethnicité. La combinaison de tous ces facteurs chapeautée par le quasiretrait du Président Lansana Conté de la scène politique en raison de son état de santé, a conduit à une dilution du pouvoir au sein de multiples réseaux. Des clans fondés le plus souvent sur des considérations socio-ethniques se combattent à visage découvert, notamment dans la presse, à tous les échelons de l’État. Les finances publiques dépendant en partie des concours extérieurs, l’accord minimal des clans se fait sur le principe de la tenue des élections pour attirer les fonds des partenaires au développement. L’organisation des consultations électorales poursuit dès lors deux objectifs : conserver la confiance des bailleurs de fonds et se maintenir en pratiquant la fraude électorale. Évidemment, à ce jeu de dupes, seul le trompeur se trompe. Les réactions des partis d’opposition et des partenaires au développement après le 18 décembre 2005 sont suffisamment expressives. L’élection est détournée de sa finalité : il ne s’agit plus d’assurer des choix politiques (de projet de société ou de représentants) mais de garantir la pérennité d’un système prébendier. Car, comme l’écrit Achille Mbembé à propos de l’Afrique subsaharienne, « on continue d’avoir, du pouvoir, une représentation et une pratique qui font de celui-ci un avoir ou, très souvent, un butin que les détenteurs doivent conserver par tous les moyens et à tout prix » 294. L’élection est une source d’enrichissement. Sinon, pourquoi refuser la ____________________ 294 : Cf. Achille Mbembé, op. cit. p.14.
205 mise en place d’une commission électorale indépendante si ce n’est pour assurer la gestion des fonds électoraux ou attribuer les marchés juteux d’acquisition du matériel électoral et de financement des opérations électorales à des hommes d’affaires prête-noms ou sous contrôle ? Sinon, comment expliquer que des fournisseurs de matériel électoral pris en « sandwich » dans de prétendus conflits de compétence opposant les organisateurs des scrutins, ne soient pas payés ou le soient après des années ? Le système politique guinéen actuel donne ainsi raison à Maurice Duverger qui écrivait : « Presque tous les systèmes des sociétés sous-développés sont autoritaires. La microdémocratie à l’échelle tribale ou urbaine n’est plus adaptée aux exigences des États nationaux » 295. C’est donc très justement que Sidya Touré, leader de l’UFR, a pu dire, sur les antennes de RFI, au lendemain des élections locales de décembre 2005 : « Je pense plutôt à des clans qui se partagent le pouvoir, notamment beaucoup de clans mafieux, qui partagent les revenus du pays. Je dirais, c’est ceux-là aujourd’hui, qui manipulent le système… Donc ce sont ces clans-là qui constituent le système » 296. Alpha Condé, Président du RPG, abondera dans le même sens, le 19 janvier 2006 à Dakar, lors d’un point de presse, répondant à une question sur l’exclusion ethnique : « Ce n’est donc pas un problème d’ethnies, mais bien un problème de groupes mafieux faisant de l’ethno-stratégie leur cheval de bataille. ____________________ 295 : Cf. Maurice Duverger : « Sociologie de la politique », PUF, Paris 1973 p. 413. 296 : Cf. transcription de l’interview in « Lance » nº 469 du 21 décembre 2005 p.2.
206 Aucune ethnie n’est exclue en Guinée et aucune ne le sera »297. La situation a inspiré un journaliste indépendant, Kayoko Doré, qui a qualifié le gouvernement guinéen de « puzzle d’affairistes, âpres au gain et peu soucieux des conditions d’existence de leurs compatriotes » 298. Ainsi, c’est avec raison que Jean-François Bayart soutient que l’État post-colonial en Afrique se présente comme « un rhizome, plutôt que comme un ensemble radiculaire. Pour être doté d’une historicité propre, il ne se déploie pas sur une seule dimension, à partir d’un tronc génétique, tel un chêne majestueux qui plongerait ses racines dans l’humus fondamental de l’histoire. Il est multiplicité protéiforme de réseaux dont les tiges souterraines relient des points épars de la société » 299. Quant à Jean-Jacques Raynal, il affirme plutôt que l’État post-colonial africain a vécu jusque-là « en entretenant la fiction d’un implant juridique européen dans la société africaine » 300. Il importe cependant de préciser, dans le cas d’espèce guinéen, que le tohu-bohu des luttes de clans respecte l’esprit centralisateur qui a déterminé le fonctionnement de l’État depuis l’indépendance et le caractère présidentialiste du régime actuel : son action se répercute au cœur de l’État et son influence part du sommet pour gangrener toute la société politique qui s’en retrouve paralysée. ____________________ 297 : Cf. « L’observateur » nº 300 du 30 janvier 2006 p. 2. 298 : Cf. « La lance » nº 485 du 12 avril 2006 p.3. 299 : Cf. Jean-François Bayart : « L’État en Afrique de droit et du ventre, op. cit. p. 272. 300 : Cf. Jean-Jacques Raynal : « Conférence nationale, État de droit et démocratie. Quelques réflexions à propos d’une occasion manquée » in Dominique Darbon et Jean du Bois de Gaudusson (sous la dir. de J.) : « La création du droit en Afrique » Karthala, Paris, 1997 p. 15 p.
207 Le système politique guinéen ainsi en difficulté a peur, même de son ombre. Telle peut être l’explication du verrouillage des élections, des tracasseries administratives et autres ennuis rencontrés par les leaders politiques lors de leurs tournées politiques à l’intérieur, malgré des instructions officielles contenues dans des circulaires de janvier et juillet 2005 301. La décrispation observée en Guinée par le Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations-Unies pour l’Afrique de l’Ouest, Ahmed Ould Abdallah 302, n’aura pas produit tous ses effets. ____________________ 301 : Sur le cas de la tournée de Sidya Touré en juillet 2005 (refus des stades préfectoraux, interdiction de la publicité des meetings, intimidation des militants par les autorités administratives et les services de sécurité…), cf. « Les échos » nº 96 du 1er au 14 novembre 2005 p. 5 ; « La lance » nº 400 du 10 août 2005 p.5. 302 : Cf. « Les échos » nº 92 du 29 août 2005 p. 9.
209
Conclusion La situation politique actuelle de la Guinée relève d’une question de fond, celle de la démocratie, de la volonté réelle de conduire le pays sur le chemin du développement ainsi que le commande l’option libérale prise depuis 1984. Mais la culture politique héritée du passé 303 et l’assise militaire du pouvoir 304 illustrent avec évidence le blocage à la fois mental et institutionnel. La lecture du message de nouvel an 2001 du Président Lansana Conté à son parti, le PUP, en ____________________ 303 : Dans une interview au journal « La lance », l’écrivain guinéen, Thierno Monenembo a décrit cet héritage culturel de façon poignante : « Nos Chefs d’État croient qu’ils sont vraiment invincibles par rapport à la révolution du monde. Je ne sais dans quel monde, ils croient vivre. En tout cas, leur manière de penser et d’agir n’a rien à voir avec ce qui se fait au 21ème siècle. C’est des gens qui n’ont jamais réussi à être des chefs d’État, mentalement ce sont des chefs de village. Ils n’ont pas compris que l’État moderne est un principe, et que sans institutions, il n’y a pas d’État moderne » in « La lance nº 450 du 10 août 2005 p. 7. 304 : Arnaud de Raulin et Eloi Diarra ont parlé à ce propos de « surpuissance de l’armée » dans « La transition démocratique en Guinée » in Gérard Conac (sous la dir.de) : « l’Afrique en transition vers le pluralisme », Economica, Paris, 1993 p. 322. À ce propos que, voyageant dans la nuit du 29 au 30 novembre 2002 pour l’Arabie Saoudite et le Japon (étape supprimée), le Président Lansana Conté a réuni les officiers supérieurs le 28 novembre 2002 pour leur confier le pays pendant son absence. Dans le même sens, ses propos tenus le 1er novembre 2003 à l’occasion du 45ème anniversaire de l’armée, sont assez révélateurs. S’adressant aux militaires, il leur dit : « Je ne veux pas que parmi nous, certains prennent des fusils pour attaquer à des moments où il ne faut pas et sans droit… Alors je vous conseille tous de rester calmes, ici, on fait ce que le chef dit, seul le règlement. Et dans l’armée guinéenne, moi j’ai toujours raison sur vous. Vous obéissez ce que je dis et vous réussissez. Si vous n’obéissez pas ce que je dis, vous vous trompez, et vous allez avoir des malédictions, j’en suis
210 dit long sur le vécu politique : « Moi, je n’ai pas d’opposants, c’est le Parti qui a des opposants. Moi je suis le Président de la République, donc je n’ai pas d’opposants. Tous les Guinéens travaillent sous mes ordres. Celui qui ne veut pas, tu vas ailleurs. Je ne veux pas que quelqu’un dise qu’il faut qu’on s’entende, il faut qu’on fasse le dialogue. Je suis d’accord entre les Partis, pas avec le Président » 305. Le propos ne s’explique ni juridiquement, ni politiquement. Sur le plan juridique, le Président de la République, élu au suffrage universel, ne peut « fermer la porte » au dialogue avec les partis politiques qui sont les représentants légaux des électeurs qui l’ont porté à la magistrature suprême, la législation électorale guinéenne interdisant les candidatures individuelles ou libres aux élections politiques nationales ou locales. Politiquement, le Président Lansana Conté est le Président du PUP : toute discussion entre le PUP et les autres partis politiques ne peut aboutir à des résultats fiables qu’avec son aval. Son implication est d’autant nécessaire que l’exécution des décisions issues d’un dialogue politique nécessite toujours l’intervention du gouvernement et de l’administration publique dont il est le chef constitutionnel. _________________________________________________ sûr ». in « La lance » nº 232 du 04 novembre 2003 p. 3. Annoncées par RFI le 21 mars 2006, mais démenties après par l’intéressé, les rencontres entre le Président de l’Assemblée Nationale et des groupes d’officiers, après l’évacuation sanitaire du Président Lansana Conté en Suisse, prouvent, avec certitude, l’assise militaire du pouvoir, lequel ne repose donc sur aucun parti politique solidement implanté dans le pays, une confirmation de ce que la victoire du PUP, le 18 décembre 2005, est bien le résultat de la fraude électorale. 305 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 87 du 09 janvier 2001 p.2.
211 L’espoir est toutefois permis car, ainsi que le notait JeanYves Calvez, à propos des régimes politiques africains : « Le présidentialisme n’est pas synonyme de régime fort et stable : le régime n’est fort et stable que par la personnalité qui se trouve à la barre ». Il y a là « un pouvoir qui tient très largement aux qualités du détenteur, un pouvoir encore peu les apparences institutionnalisé, malgré constitutionnelles » 306. Et cet espoir, c’est celui d’un changement ou d’une mutation du système politique guinéen, s’il en a encore les ressources morales, car « nous ne pouvons pas demeurer en marche de l’histoire, des grandes avancées de notre temps. Il nous faut résolument tourner le dos à l’esprit du Parti-Etat et de l’idéologie totalitaire, pour adopter la démocratie pluraliste, avec tous ses avantages et inconvénients. En particulier, nous devons accepter d’organiser des élections totalement libres, régulières et transparentes, avec toutes les conséquences que cela implique, notamment en matière de liberté de mouvement et d’expression des acteurs de la vie politique… Les agents de l’État, à quelque niveau qu’ils se situent, doivent accepter la neutralité clairement édictée par la Loi fondamentale dans leur comportement de tous les jours vis-à-vis des acteurs politiques » 307. Cette déclaration faite par El Hadj Boubacar Biro Diallo, Président de l’Assemblée Nationale le 30 mars 2002, à la clôture de la session budgétaire 2002 du Parlement et à la veille de l’élection législative du 30 juin 2002, exprime la ligne politique minimale qui devrait emporter le consensus de la classe politique guinéenne. Il faut effacer l’image d’une _____________________
306 : Cité par Roger-Gérard Swartzenberg : « Sociologie politique » 5ème éd. Montchrestien, Paris, 1998 p. 250. 307 : Cf. « Le démocrate » nº 114 du 1er au 07 avril 2002 p.3.
212 Guinée engluée « dans l’épaisseur d’un autoritarisme indéracinable » 308 ; il faut rompre avec les méthodes de gouvernement fondées sur le népotisme, le clientélisme et l’affairisme, avec pour corollaire la privatisation de l’administration publique 309. À cet effet, les élections ne doivent pas contribuer « à pérenniser les identifications et les allégeances antérieures » mais elles doivent « favoriser l’émergence d’une culture civique » 310. Il faut pour cela vaincre les résistances mentales au changement 311 car, en Guinée, si la transition institutionnelle a progressé avec les structures mises en place dans le cadre de la Loi fondamentale de 1990, la transition au plan des mentalités est à peine amorcée 312. Une telle évolution passe par un changement des hommes, condition d’un changement des idées, à défaut pour la classe dirigeante actuelle de réaliser sa propre mutation intellectuelle. C’est en ce moment-là que sonnerait le glas pour le système politique. Sidya Touré, Président de l’UFR, a pu, sans détours, déclarer au journal « L’enquêteur » : « La seule solution, c’est changer le système » 313. ____________________ 308 : Cf. Daniel Bourmaud : « La politique en Afrique », op. cit. p.142. 309 : Cf. Charles Robert Dimi : « La tribu contre l’État en Afrique » in Alternatives Sud, Volume II (1995) 2 p. 149. 310 : Cf. Daniel Bourmaud, op. cit. p. 142. 311 : Pierre Van Den Boogaerde, chef de la mission conjointe FMIBanque Mondiale déclarait, en 2004, à propos de l’économie guinéenne : « Il y a certainement des attitudes qui se sont installées qu’il y a lieu de changer. Ce qui ne va pas être facile, parce qu’il y a des gens qui résistent au changement » in « Le lynx » nº 636 du 31 mai 2004 p.4. 312 : Dans son article précité (p.86), Maurice Enguéléguélé classe la Guinée au nombre des États (Tchad, Togo, Ouganda, Zimbabwé, Côte-d’Ivoire, Guinée Équatoriale) où la transition est bloquée ou inachevée. 313 : Cf. « L’enquêteur » nº 93 du 24 novembre au 08 décembre 2005 p.
213 Les élections à venir doivent donc déboucher sur le renouvellement de la classe politique avec l’apparition d’une nouvelle élite politique soutenue par des démocrates vrais car, comme l’écrit Guy Hermet, « il n’est pas de démocratie durable sans démocrates, c’est-à-dire sans citoyens à la fois désireux et capables d’y jouer un rôle en même temps actif et responsable » 314. Doit être abandonnée l’idée que les populations africaines sont « amorphes et analphabètes, inaptes par culture au choix individuel puisque enserrées une fois pour toutes dans les logiques clientélistes de l’intérêt matériel immédiat » 315. La légitimité découlant d’une élection ne doit pas être considérée comme un blanc-seing pour la gabegie : « un régime de liberté est (…) un régime au sein duquel toute légitimité est toujours susceptible de remise en question » 316. Il devra s’agir d’une élite citoyenne qui devra se démarquer de ses prédécesseurs, en se détournant de la logique du « c’est à notre tour de manger » 317. Dans cette optique l’idée d’un régime transitoire à mettre en place après le Président Lansana Conté doit être soutenue et défendue. Sur la question des réactions ont déjà eu lieu. ____________________ 314 : Cf. Guy Hermet : « Culture et démocratie » UNESCO-Albin Michel, Paris 1993 p. 191. 315 : Cf. Daniel Compagnon : « Pour une analyse multidimensionnelle du processus électoral africain. Historicité, comparaison et institutionnalisation » in « Voter en Afrique Comparaisons et différenciations », op. cit. p. 54. 316 : Cf. Achille Mbembé, op.cit.p.14. 317 : Cf. Patrick Chabal et Jean-Pascal Daloz : « L’Afrique est partie ! Du désordre comme instrument politique » op. cit. p. 47 ; JeanPascal Daloz : « Les approches élitaires comme nécessaire antidote » in Jean-Pascal Daloz (sous la dir.) : « Le (non-) renouvellement des élites politiques en Afrique Sud-Saharienne » CEAN 1999 p. 19.
214 L’ONG « Collectif pour une transition démocratique en Guinée (COTRADEG) a produit un manifeste daté du 18 janvier 2006 dans lequel elle fait des propositions intéressantes, mais sa position sur la direction de la transition n’est pas acceptable, elle est source de blocage institutionnel ou, encore, de détournement de but de la transition 318. Bâ Mamadou, Président de l’UFDG a fait justement remarquer, à ce propos : « Eux, ils veulent absolument qu’on respecte la constitution en désignant le Président de l’Assemblée pour diriger cette période de transition tout en décrétant qu’il ne va pas utiliser la constitution complètement puisqu’il va renoncer à diriger le pays et il va mettre un Premier Ministre qui va gérer le pays et préparer des élections libres et transparentes. Il faudrait donc que Somparé accepte de renoncer à ses prérogatives constitutionnelles et s’il ne renonce pas et qu’on l’oblige, ce n’est plus la peine de respecter la constitution. Et si vous respectez la constitution, il faut garder les institutions » 319. L’objection du leader de l’UFDG est confortée par l’expérience des négociations inter-ivoiriennes tendant à mettre fin à la situation de guerre civile prévalant dans le pays depuis le 19 septembre 2002. Le fait qu’à Marcoussis, les parties ivoiriennes n’aient pas convenu de l’abrogation de la constitution du 1er août 2000, véritable pomme de discorde dans le pays, et donc la dissolution des institutions qui en sont issues, a largement contribué à retarder la solution de la ____________________
318 : Cf. le texte du manifeste in « L’observateur » nº 300 du 30 janvier 2006 pp. 6-7. 319 : Cf. interview in « L’observateur » nº 303 du 20 février 2006 p.7 ; de même la déclaration de l’UFDG du 14 avril 2006 : « Après Conté : comment obtenir une alternance viable » in « L’observateur » nº 309 du 19 avril 2006 p.7 et « La nouvelle tribune » nº 354 du 18 avril 2006 p.4.
215 crise : l’une des parties fonde ses actions sur la constitution et l’autre rejette les décisions des institutions mises en place dans le cadre de ladite constitution, et ce jusqu’à la mise en place du Groupe International de Travail (GIT) par la Communauté internationale conduite par l’ONU. Au regard de ces observations, la proposition faite par le FRAD, lors d’une conférence de presse le 10 septembre 2005, au siège de l’UPG, est plus adaptée à l’objectif d’un renouvellement de la classe politique guinéenne, voie dans laquelle s’est engagé le Bénin en mars 2006 avec l’élection à la magistrature suprême de Yayi Boni, nouveau venu sur la scène politique béninoise. Il s’agit de mettre en place un gouvernement de transition constitué d’éléments issus de toutes les forces vives civiles de la nation (partis politiques, société civile) et dirigé par un Président et un Premier Ministre choisis de façon consensuelle et qui ne seraient pas candidats aux élections législatives et présidentielles ; la concertation nationale des forces vives de mars 2006 y a ajouté les forces armées 320. Ces élections devraient être organisées, dans tous leurs aspects, par une commission électorale nationale indépendante 321. La grande question reste celle du passage pacifique (en l’absence de toute intervention militaire) du régime de la ____________________ 320 : Nouvel acte d’indiscipline au sein de l’opposition, l’UFD qui a participé à la concertation nationale des 17 au 20 mars 2006, a présenté à son congrès des 8 et 9 avril 2006, un plan de sortie de crise excluant l’armée et la surveillance de la période de transition par un Comité International, ce qui a provoqué une réaction indignée de Alpha Condé (RPG) et de Bâ Mamadou (UFDG). Cf. « La lance » nº 485 du 12 avril 2006 p.9. 321 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 326 du 13 septembre 2005 p. 2 ; « Les échos » nº 93 du 16 au 30 septembre 2005 pp. 3-4.
216 constitution de 1990 à un régime transitoire. Par une sorte de comparaison, il est possible de mettre en rapport la situation actuelle de la Guinée, un État en pleine déconfiture, avec celle de la France en 1958. En effet, le régime français de la 4ème République, né d’un compromis constitutionnel 322, était très vite apparu comme un régime des partis, qui n’a pu efficacement faire face à la fois aux contraintes de la reconstruction d’après-guerre, malgré l’aide américaine dans le cadre du plan Marshall, et aux guerres coloniales, d’abord la guerre d’Indochine relayée, après la défaite de Diên Biên Phu en mai 1954, par la guerre d’Algérie déclenchée le 1er novembre 1954 323. Pour éviter la pression de la rue et surtout que l’insurrection militaire déclenchée en Algérie le 13 mai 1958, ralliée par la Corse le 24, ne débouche sur un coup d’État militaire, le Président de la République française, René Coty, a fait appel, le 29 mai 1958, au général de Gaulle, en retrait des affaires publiques depuis 1946 ; celui-ci forma un gouvernement dans lequel se retrouvaient aussi bien des hommes de gauche (comme Guy Mollet) que de droite (comme Antoine Pinay) 324. ____________________ 322 : Cf. Georges Vedel : « Droit constitutionnel » Sirey, Paris 1949 p.313. 323 : Sous la 4ème République française, loin de diriger la majorité parlementaire, le gouvernement était à sa remorque. Ainsi, de la formation du cabinet Ramadier le 22 janvier 1947 à la constitution du cabinet Pflimlin le 14 mai 1958, il y a eu 20 gouvernements, avec une durée moyenne de 6 mois. Cf. Michel-Henri Fabre : « Principes républicains de droit constitutionnel », 2è éd. LGDJ, Paris 1970 pp. 291-292. 324 : Cf. Arnaud Teyssier : « La Vè République 1958-1995. De de Gaulle à Chirac » Ed. Pygmalion-Gérard Watelet, Paris 1995 pp. 23 et suiv.
217 À la disparition du Président Lansana Conté, la scène politique guinéenne présentera le même visage que celui de la France en mai 1958, c’est-à-dire le visage de l’échec du système d’un parti, le PUP, qui a, à travers son Président, géré seul la Guinée depuis sa création en 1992, à la seule différence notable, dans cette hypothèse, de l’absence en Guinée d’un Président de la République qui proposerait l’homme chargé de conduire la transition. Avec un brin d’optimisme, il est permis d’espérer que, dans un sursaut patriotique, l’Assemblée Nationale actuelle, composée aux trois quarts de députés membres du PUP, réagisse comme son homologue français avec la loi du 03 juin 1958, en adoptant, elle aussi, une loi qui permette « le passage d’une république à une autre sans qu’à l’origine de ce changement ne se trouve une révolution, une insurrection, une invasion, ou une défaite et surtout sans, qu’entre ces deux républiques, ne s’écoule un délai plus ou moins long pendant lequel les valeurs républicaines ne disparaissent au profit de régimes non démocratiques » 325. De la sorte, l’Assemblée Nationale serait l’auteur d’un acte pré-constituant qui à la fois précèderait et participerait à l’élaboration de façon déterminante d’une nouvelle constitution ou, à défaut, d’une révision profonde de la loi fondamentale de 1990. Dérogeant à la procédure de révision instituée par l’article 91 de la constitution, la loi énoncerait les principes devant encadrer le travail de la commission constitutionnelle spéciale qui serait mise en place 326. ____________________
325 : Cf. Willy Zimmer : « La loi du 03 juin 1958 : contribution à l’étude des actes pré-constituants » in Revue du droit public 1995 n° 2 p. 383. 326 : La loi française du 03 juin 1958 avait énoncé cinq principes : le suffrage universel comme source du pouvoir dont découlent les pouvoirs législatif et exécutif, la séparation des pouvoirs, la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement,
218 L’immanence des résistances mentales au changement et l’incapacité de la classe politique actuelle à se remettre en cause confèrent à la proposition le caractère d’une hypothèse d’école. Dès lors, apparaît tout l’intérêt de la structure permanente paritaire de 30 membres (50 % pour la société civile et 50 % pour les partis politiques) avec un Bureau Exécutif de sept membres présidée par la société civile, proposée lors de la concertation nationale des forces vives de mars 2006. Chargée de préparer le passage de l’éventualité à la réalité de la vacance de la Présidence de la République, la structure permanente serait le cadre idéal du choix de l’homme qui, sans bénéficier d’une légitimité historique comme le Général de Gaulle, serait celui autour duquel se ferait la mobilisation populaire pour la transition et qui aurait, par son aura personnelle, la mission de former et de diriger le gouvernement de transition 327. En raison du contexte sociologique guinéen, le choix d’un homme issu d’une minorité ethnique serait idéal 328. Si l’opposition du système politique du PUP devait faire obstacle à l’exécution d’un tel schéma, il ne resterait plus que _________________________________________________ l’existence d’une autorité judiciaire indépendante à même d’assurer le respect des libertés essentielles et les rapports de la République avec les peuples qui lui sont associés. 327 : En ce sens, la déclaration précitée de l’UFDG du 14 avril 2006 intitulée : « Après Conté : comment obtenir une alternance viable ». 328 : Il y a quelques années, brossant le portrait-robot de l’homme capable d’assurer la transition après le Président HouphouêtBoigny qui n’avait pas désigné de successeur officiel, j’avais, entre autres, proposé le critère de l’homme issu d’une ethnie minoritaire. Cf. Togba Zogbélémou : « L’intérim de la Présidence de la République en Côte-d’Ivoire (analyse juridique et impact politique) » in Penant 1988 nº 797 p. 233.
219 la solution d’une transition conduite par l’Armée. Ce ne serait une première ni en Guinée (le régime du CTRN de 1991 à 1993), ni en Afrique (le Mali et la Guinée-Bissau ont déjà donné l’exemple, la Mauritanie est sur la voie). L’objectif premier de la transition, en dehors de l’organisation des élections, serait de réaliser un consensus sur les bases de la société politique guinéenne, un consensus qui « porte sur les règles du jeu plus que sur la nature des joueurs et les modalités des parties » 329. Il importe en effet d’arriver à « une véritable institutionnalisation de l’opération électorale, par-delà les gouvernements successifs, de telle façon que ces règles s’imposent de plus en plus à l’ensemble des acteurs et qu’ils se sentent coresponsables de leur respect scrupuleux » 330. Il s’agit de bâtir « une démocratie consensuelle » capable, selon Michel Doo-Kingue, de mobiliser le peuple massivement pour la réalisation des objectifs sur lesquels une large majorité s’est prononcée ou qui ont pu être négociés entre les différents partis représentés au parlement 331. ____________________ 329 : Cf. l’opinion de Maurice Duverger sur la notion de consensus in Revue Pouvoirs 1978 nº 5 p.27 (numéro spécial consacré au consensus). 330 : Cf. Daniel Compagnon : « Pour une analyse multidimensionnelle du processus électoral africain » op. cit. pp.62-63. 331 : Cf. Michel Doo- Kingué : « Quelle démocratie en Afrique ? » Les Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal, 1999 p. 194. Bertrand Badié et Pierre Birnbaum utilisent aussi l’expression de démocratie consociationnelle pour désigner un système politique dans lequel « les conflits se règlent à l’amiable, les multiples groupes apaisant leurs différends dans un esprit de concession et de tolérance et non à travers l’application du principe de la majorité ». Cf. « Sociologie de l’État » Grasset, Paris, 1982 p. 234.
220 Cette démocratie seule permettra aux Guinéens de rompre avec la pratique de la complotite, maladie congénitale des régimes politiques guinéens. Car « complot et démocratie sont antinomiques. Le complot n’intervient que dans un contexte de non-démocratie, dans les régimes autocratiques et totalitaires. On en parle moins là où l’État de droit et la démocratie composent l’environnement de la vie politique, économique » 332. Elle seule permettra à la Guinée de s’engager sur la voie d’un développement véritable capable d’élever le niveau des populations. Car, il ne sert à rien de clamer urbi et orbi que la Guinée est un scandale géologique si la ressource minière ne peut être transformée en ressource budgétaire publique avec, à la clé, une incidence réelle sur le revenu du citoyen. Il ne sert à rien de dire que la Guinée est le château-d’eau de l’Afrique quand il n’y a pas d’eau dans les robinets pour boire et se laver, quand il n’y a pas d’électricité pour éclairer les rues et les maisons et soutenir le développement industriel 333 . La situation actuelle de la Guinée appelle ses populations à un véritable « sursaut patriotique », ainsi que les y invitait l’UFDG dans sa déclaration du 28 septembre 2004 334. Car, c’est sur les débris du moule révolutionnaire que se construira une société démocratique guinéenne. L’éclosion observée aujourd’hui d’une société civile qui commence à s’affirmer dans le paysage socio-politique devrait y contribuer de façon ____________________
332 : Cf. Kayoko Doré : « Démocratie et complots sont antinomiques » in « Le lynx » nº 636 du 31 mai 2004 p.3. 333 : À l’ouverture de la session budgétaire 2005, le 27 septembre 2004, le Président de l’Assemblée Nationale, El Hadj Aboubacar Somparé, a déclaré : « Depuis de nombreuses années, jamais les populations guinéennes n’ont été autant éprouvées » in « La nouvelle tribune » nº 280 du 05 octobre 2004 p.4. 334 : Cf. « La nouvelle tribune » nº 280 du 05 octobre 2004 p. 3.
221 significative : la mission nationale d’observation des élections locales du 18 décembre 2005 et la grève générale organisée par l'inter-syndicale CNTG-USTG du 27 février au 3 mars 2006, avec un succès total 335, constituent les premières actions visibles de cette société civile en mouvement. Les partis politiques, tous bords confondus, devraient en tirer toutes les conséquences dans une perspective non pas de récupération politicienne, mais d’intégration des aspirations des populations dans leurs projets de société. Cette évolution est nécessaire pour remettre de l’ordre dans la gestion des affaires publiques, pour mettre fin à la cacophonie qui caractérise le fonctionnement des institutions républicaines, qui paralyse l’État 336 : elle est déterminante pour le comportement des ministres et autres hauts cadres administratifs, elle est de nature à consolider la démocratie locale. ____________________ 335 : Cf. Jeune Afrique n° 2357 du 12 au 18 mars 2006 pp.38-39. Lire le texte du protocole d’accord tripartite (Gouvernement PatronatSyndicats) du 03 mars 2006 in « Le démocrate » nº 301 du 07 mars 2006 p.5 ; « La nouvelle » nº 071 du 15 au 21 mars 2006 pp. 67 ; « La nouvelle tribune » nº 348 du 07 mars 2006 pp. 4-5. 336 : Le comble de cette cacophonie a été atteint, le 05 avril 2006, avec le décret de cette date qui a annulé un autre décret de la veille (04 avril) ayant formé un nouveau gouvernement sur proposition du Premier Ministre, Cellou Dalein Diallo, lequel a été démis de ses fonctions pour faute lourde par un décret du même jour. Cf. « L’indépendant » nº 676 du 06 avril 2006 pp.5-6 ; « Mutation » nº 04 du 06 avril 2006 p. Sur la relation des faits des 04 et 05 avril 2006, lire l’article de Cheikh Yérim Seck dans « Jeune Afrique » n° 2361 du 09 au 15 avril 2006 pp. 34-35 et le journal guinéen « Le populaire » nº 80 du 10 avril 2006 p.6. Le remaniement ministériel du 29 mai 2006 a supprimé le poste de Premier Ministre au profit de 6 ministères d’État coordonnant les activités de groupes de ministères.
222 BIBLIOGRAPHIE I- Ouvrages 1- Ouvrages relatifs à la Guinée Bah. (Th.) : « Mon combat pour la Guinée » Karthala Paris 1996. Bangoura (sous la direction D.) : « Guinée : l’alternance politique à l’issue des élections présidentielles de décembre 2003 » L’Harmattan, Paris 2004. Barry (A.O.) : « Parole futée, peuple dupé. Discours et révolution chez Sékou Touré ». L’Harmattan, Paris 2003. Camara (D.K.) : « La diaspora guinéenne » L’Harmattan Paris 2003. Camara (Kaba 41) : « Dans la Guinée de Sékou Touré, cela a bien eu lieu « L’Harmattan, Paris, 1998. Condé (A) : « La décentralisation en Guinée. Une expérience réussie » L’Harmattan, Paris 2003. Jeanjean (M.) : « Sékou Touré. Un totalitarisme africain » L’Harmattan, Paris 2000. Soumah (M.) : « Guinée : de Sékou Touré à Lansana Conté » L’Harmattan, Paris 2004. Touré (S.) : « Expérience Guinéenne et Unité africaine » Présence africaine, Paris, 1962. 2- Ouvrages généraux Badié (B.) et Birnbaum (P.) : « Sociologie de l’État » Grasset. Paris 1982. Bayart (J.F.) : « L’État en Afrique. La politique du ventre « Fayard Paris 1989 Bourmaud (D.) : « La politique en Afrique » Montchrestien Paris 1997.
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227 République en Côte-d’Ivoire (analyse juridique et impact politique) » in Penant n° 797 juin-octobre 1988. III- Journaux consultés 1- Journaux guinéens La Nouvelle Tribune : nº 87 du 09 janvier 2001 ; nº 164 du 16 juillet 2002 ; nº 220 du 12 août 2003 ; nº 222 du 26 août 2003 ; nº 223 du 03 septembre 2003 ; nº 224 du 09 septembre 2003 ; nº 226 du 23 septembre 2003 ; nº 271 du 03 août 2004 ; nº 278 du 17 août 2005 ; nº 280 du 05 octobre 2004 nº 246 du 10 février 2004 ; nº 330 du 11 octobre 2005 ; nº 326 du 13 septembre 2005 ; nº 327 du 20 septembre 2004 ; nº 331 du 18 octobre 2005 ; nº 341 du 27 décembre 2005 ; nº 342 du 03 janvier 2006 ; nº 343 du 10 janvier 2006 ; nº 348 du 07 mars 2006 ; nº 350 du 21 mars 2006 ; nº 351 du 28 mars 2006 ; nº 354 du 18 avril 2006 ; nº 360 du 30 mai 2006. La Chronique : nº 1 du 06 janvier 2000. Horoya : nº 5530 du 02 janvier 2001. Les Échos : Nº 29 du 14 au 20 novembre 2000 ; nº 67 du 22 au 28 mars 2004 ; nº 97 du 16 au 29 novembre 2005 ; nº 99 du 16 au 23 décembre 2005 ; nº 100 du 03 au 17 janvier 2006 ; nº 101 du 18 au 31 janvier 2006 ; nº 102 du 20 février au 1er mars 2006. L’économiste : n° 049 décembre 2005 ; n° 050 janvier 2006. La Lance : nº 232 du 04 novembre 2003 ; nº 280 du 05 octobre 2004 ; nº 384 du 05 mai 2004 ; nº 406 du 06 octobre 2004 ; nº 450 du 10 août 2005 ; nº 462 du 02 novembre 2005 ; nº 463 du 09 novembre 2005 ; nº 465 du 23 novembre
228 2005 ; nº 466 du 30 novembre 2005 ; nº 469 du 21 décembre 2005 ; n°470 du 28 décembre 2005 ; nº 471 du 04 janvier 2006 ; nº 472 du 11 janvier 2006 ; nº 473 du 18 janvier 2006 ; nº 475 du 1er février 2006 ; nº 476 du 08 février 2006 ; nº 478 du 22 février 2006 ; nº 482 du 22 mars 2006 ; nº 483 du 29 mars 2006 ; nº 485 du 12 avril 2006 ; nº 486 du 19 avril 2006 ; nº 487 du 26 avril 2006. L’Enquêteur : nº 24 du 02 au 17 avril 2003 ; nº 39 du 30 octobre au 13 novembre 2003 ; nº 85 du 04 au 18 août 2005 ; nº 86 du 18 août au 1er septembre 2005 ; nº 91 du 27 octobre au 10 novembre 2005 ; nº 93 au 24 au 24 novembre au 08 décembre 2005 ; nº 94 du 08 au 22 décembre 2005 ; nº 95 du 27 décembre 2005 au 05 janvier 2006 ; nº 98 du 02 au 16 février 2006 ; nº 103 du 13 au 27 avril 2006. L’Indépendant : nº 382 du 27 juillet 2000 ; nº 156 plus du 02 juin 2003 ; nº 665 du 12 janvier 2006 ; nº 668 du 02 février 2006 ; nº 670 du 16 février 2005 ; nº 671 du 23 février 2006 ; nº 674 du 23 mars 2006 ; nº 676 du 06 avril 2006 ; nº 677 du 13 avril 2006 ; nº 683 du 25 mai 2006. Le Démocrate : n° 114 du 1er au 07 avril 2002 ; nº 188 du 16 au 22 septembre 2003 ; nº 289 du 06 décembre 2005 ; nº 290 du 13 décembre 2005 ; nº 294 du 10 janvier 2006 ; nº 301 du 07 mars 2006 ; nº 304 du 28 mars 2006 ; nº 311 du 23 mai 2006. L’espoir : nº 128 du 06 au 20 avril 2006. Le Populaire : nº 74 du 26 janvier 2006 ; nº 75 du 13 février 2006 ; nº 80 du 10 avril 2006 ; nº 81 du 18 avril 2006. L’œil : nº 195 du 14 au 20 juin 2000 ; nº 214 du 25 au 31 octobre 2001.
229 Le Soleil : nº 51 du 11 janvier 2001. Le Diplomate : nº 191 du 09 mai 2006. L’Observateur : nº 277 du 08 août 2005 ; nº 278 du 17 août 2005 ; nº 281 du 05 septembre 2005 ; nº 289 du 31 octobre 2005 ; nº 295 du 26 décembre 2005 ; nº 296 du 02 janvier 2006 ; nº 300 du 30 janvier 2006 ; nº 301 du 06 février 2006 ; nº 303 du 20 février 2006 ; nº 309 du 17 avril 2006. La Croisade : nº 113 du 23 décembre 2005. L’Humanité : nº 30 du 17 novembre 2005. Le National : n° 31 décembre 2005. Le globe :
Nº 85 du 25 juillet 2000.
Solidarité : nº 009 du 17 janvier 2006 ; nº 10 du 02 février 2006. Le Lynx : nº 636 du 31 mai 2004 ; nº 711 du 07 novembre 2005 ; nº 720 du 09 janvier 2006 ; nº 723 du 30 janvier 2006 ; nº 725 du 13 février 2006 ; nº 717 du 19 décembre 2005 ; nº 718 du 28 décembre 2005 ; nº 730 du 20 mars 2006 ; nº 731 du 27 mars 2006. La nouvelle : nº 069 du 13 au 27 février 2006 ; nº 071 du 15 au 21 mars 2006. Mutation : nº 01 du 13 janvier 2006 ; nº 04 du 06 avril 2006.
230 2- Journaux étrangers Jeune Afrique Économie : du 30 novembre au 13 décembre 1998. Jeune Afrique : nº 2357 du 12 au 18 mars 2006 ; nº 2359 du 26 mars au 1er avril 2006 ; nº 2361 du 09 au 15 avril 2006. Magazine « Construire l’Afrique » n° 22 mars-mai 1995. IV- TEXTES UTILISÉS 1- Constitution-Loi Organique-Loi OrdinaireOrdonnance -
Ordonnance nº 048/PRG/SGG du 08 octobre 1959 portant statut général de la fonction publique ; Constitution du 14 mai 1982 ; Ordonnance nº 329/PRG/SGG du 18 décembre 1984 ; Ordonnance nº 321/PRG/SGG du 22 décembre 1985 ; Ordonnance nº 079/PRG/86 du25 mars 1986 portant réorganisation territoriale de la République de Guinée et institution des collectivités décentralisées ; Ordonnance nº 042/PRG/SGG/87 du 28 mai 1987 portant statut général des officiers ; Ordonnance n° Ord. Nº 019/PRG/SGG/90 du 21 avril 1990 portant organisation et fonctionnement des communes ; Ordonnance nº 070/PRG/SGG/90 du 25 juillet 1990 portant statut particulier des officiers ; Ordonnance nº 092/PRG/SGG/90 du 22 octobre 1990 portant organisation et fonctionnement des communautés rurales de développement ; Loi fondamentale du 23 décembre 1990 ;
231 -
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Ordonnance nº 91/025/PRG/SGG du 11 mars 1991 portant cadre institutionnel des entreprises publiques ; Loi organique nº L/91/003 du 23 décembre 1991 portant charte des partis politiques ; Loi organique nº L/91/003 du 23 décembre 1991 portant modification du nombre des partis susceptibles d’être constitués ; Loi organique nº L/91/008 du 23 décembre 1991 portant attribution, organisation et fonctionnement de la Cour Suprême ; Loi organique nº L/91/010 du 23 décembre 1991 portant création du Conseil Supérieur de la magistrature ; Loi organique nº L/91/011 du 23 décembre 1991 portant statut de la magistrature ; Loi nº L/93/021/CTRN du 06 mai 1993 portant cadre institutionnel des établissements publics à caractère administratif ; Loi nº L/95/021/CTRN du 06 juin 1995 portant réorganisation de la justice en République de Guinée, modifiée par la loi nº L/98/014/AN du 16 juin 1998 ; Loi nº L/97/97/037/AN du 25 novembre 1997 relative à l’institution caritative du waqf ; Loi organique nº L/91/012 du 23 décembre 1991 portant code électoral modifiées par les lois organiques nº L/93/038/CTRN du 20 août 1993 et nº L/95/011/CTRN du 12 mai 1995 ; Loi constitutionnelle du 11 novembre 2001 adoptée par référendum ; Loi nº L/2001/028/AN du 31 décembre 2001 portant statut général des fonctionnaires ;
232 2 - Décrets -
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Décret nº 81/PRG/SGG/87 du 19 juin 1987 déterminant les conditions de nomination et les attributions des secrétaires généraux de préfecture, des sous-préfets et sous préfets-adjoints ; Décret nº D/91/263/PRG/SGG du 27 décembre 1991 portant application du code électoral ; Décret nº 93/228/PRG/SGG du 08 décembre 1993 rectifiant le décret nº D/93/196/PRG/SGG portant création, organisation et fonctionnement de la Commission Électorale Nationale ; Décret nº D/95/025/PRG/SGG du 06 février 1995 organisant les régions administratives en Guinée ; Décret nº 197/PRG/SGG du 21 septembre 1998 portant création, attributions, organisation et fonctionnement du Haut Conseil aux Affaires Électorales ; Décret nº 040/PRG/SGG/2002 du 19 avril 2002 portant création, attributions, organisation et fonctionnement du Conseil National Électoral ; Décret nº 197/PRG/SGG/93 du 11 octobre 2003 portant mise en disponibilité spéciale du Général Lansana Conté ; Décret nº D/2004/019/PRG/SGG du 08 mars 2004 nommant El Hadj Abdoul Karim Dioubaté en qualité de Ministre Secrétaire Général de la Ligue Islamique Nationale ; Décret nº D/2004/087/PRG/SGG du 09 décembre 2004 portant organisation et attribution du Ministre Secrétaire Général de la Ligue Islamique Nationale ; Décret nº D/2005/09/PRG/SGG du 1er mars 2005 portant application de la loi organique sur le Conseil Supérieur de la magistrature ;
233 -
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Décret nº D/2005/010/PRG/SGG du 1er mars 2005 portant application de la loi organique sur le statut de la magistrature ; Décret nº D/2005/012/PRG/SGG du 1er mars 2005 portant création et fonctionnement de la Commission d’avancement et de discipline des magistrats du parquet et de l’administration centrale ; Décret nº D/2005/037/PRG/SGG du 20 août 2005 portant condition d’implantation et d’exploitation de stations de radiodiffusion et de télévision privées en République de Guinée ; Décret nº 039/PRG/SGG/2005 du 10 octobre 2005 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de la Commission Nationale Électorale Autonome (CENA) ; Décret nº D/2006/005/PRG/SGG du 07 mars 2006 portant confirmation de l’attribution de la quatrième licence de télécommunication cellulaire à la Société AREEBA-SA ; Décret nº D/2006/010/PRG/SGG du 05 avril 2006 annulant le décret nº D/2006/009/PRG/SGG du 04 avril 2006 portant restructuration du gouvernement ; Décret nº D/2006/011/PRG/SGG du 05 avril 2006 démettant le Premier Ministre de ses fonctions.
3- Arrêtés -
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Arrêté nº 2005/4470/MI/CAB du 14 septembre 2005 portant application du décret relatif aux conditions d’implantation et d’exploitation de stations de radiodiffusion et de télévision privées en République de Guinée ; Arrêté nº 5496/MATD/CAB/2005 du 08 novembre 2005 portant composition des commissions
234
-
préfectorales centrales et commissions souspréfectorales de recensement des votes ; Arrêté nº A/2006/1040/PM/CAB du 03 mars 2006 portant annulation de la convention de concession du 31 août 2005 attribution la quatrième licence de télécommunication cellulaire.
4 - Circulaires -
Lettre nº 002/MATD/CAB du 03 janvier 2005 ; Lettre nº 00737/MATD/CAB du 29 juillet 2005.
235 Table des matières Avant-propos
9
Introduction
11
Chapitre I- Du phénomène de la technologie électorale
25
I-
II-
Les différentes formes de la technologie électorale
25
1- Les techniques utilisées avant le vote 2- Les techniques utilisées pendant le vote 3- Les techniques utilisées après le vote
27 43 51
Les causes administratives et politiques de la technologie électorale
57
1- L’absence de neutralité de l’Administration et de ses agents 2- La distinction factice entre Guinéens de l’intérieur et Guinéens de la diaspora 3- La division des partis d’opposition 4- La faible présence de la CENA et des observateurs nationaux Chapitre II- Des scrutins sur fond d’imbroglio juridique
57 67 73 83 87
I-
Le droit en Guinée : un instrument du pouvoir politique
89
II-
La concurrence formelle des organismes administratifs d’assistance électorale
96
236 1- L’inégalité de statut juridique des organismes administratifs d’assistance électorale 97 1-1- La Commission Électorale Nationale Autonome (CENA) 97 1-2- Les Commissions centrales et commissions sous-préfectorales de recensements des votes 105
III-
2- La paralysie fonctionnelle de la CENA
109
L’organisation déroutante du contentieux des élections communale et communautaire
118
1- L’organisation confuse du contentieux des élections communale et communautaire 120 1-1- L’unification au niveau du contentieux de l’éligibilité 121 1-2- La distinction injustifiée du niveau 122 du contentieux de l’élection 1-2-1- Le contentieux de l’élection communautaire 122 1-2-2- Le contentieux de l’élection communale 122 2- La gestion frileuse du contentieux électoral dans les juridictions 125 Chapitre III- Des enseignements des scrutins du 18 décembre 2005 I-
La faible participation des électeurs
139 141
237 1- L’exposé et l’analyse des taux de participation 2- Les raisons de la faible participation des électeurs
141 145
2-1- Le manque de confiance dans les 146 résultats électoraux 2-2- La composition sociologique des listes de candidats 148 2-3- L’inadaptation du discours électoral 149 II-
Les effets des scrutins sur les partis politiques 151 1- Les effets découlant des modes de scrutin
152
1-1- L’injustice du scrutin majoritaire à un tour 153 1-2- L’effet participatif dévoyée du scrutin proportionnel 156 2- Les réactions des partis d’opposition découlant résultats électoraux officiels
160
2-1- La suspension de la participation de l’UPR aux travaux de l’Assemblée 160 Nationale et de la CENA 2-2- La relance de l’esprit unitaire au sein 169 de l’opposition 2-3- La tendance au réaménagement de l’espace politique 184 de la Moyenne-Guinée III-
La signification des scrutins du 18 décembre 2005
189
238
1- Les réactions des intervenants dans le processus électoral 1-11-2-
Les acteurs principaux du processus électoral Les acteurs secondaires du processus électoral
2- L’œuvre de l’instinct de conservation d’un système politique
191 191 197 202
Conclusion
209
Bibliographie
222
Table des matières
235
L'HARMATTAN, ITALIA Via Degli Artisti 15 ; 10124 Torino L'HARMATTAN HONGRIE Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest L'HARMATTAN BURKINA FASO Rue 15.167 Route du Pô Patte d’oie 12 BP 226 Ouagadougou 12 (00226) 50 37 54 36 ESPACE L'HARMATTAN KINSHASA Faculté des Sciences Sociales, Politiques et Administratives BP243, KIN XI ; Université de Kinshasa L’HARMATTAN GUINÉE Almamya Rue KA 028 En face du restaurant le cèdre OKB agency BP 3470 Conakry (00224) 60 20 85 08 [email protected] L’HARMATTAN CÔTE D’IVOIRE M. Etien N’dah Ahmon Résidence Karl / cité des arts Abidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan 03 (00225) 05 77 87 31 L’HARMATTAN MAURITANIE Espace El Kettab du livre francophone N° 472 avenue Palais des Congrès BP 316 Nouakchott (00222) 63 25 980 L’HARMATTAN CAMEROUN BP 11486 Yaoundé (00237) 458 67 00 (00237) 976 61 66 [email protected]