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French Pages 526 [627] Year 2015
Institut d'Etudes Politiques de Paris ECOLE DOCTORALE DE SCIENCES PO Programme doctoral sociologie politique et politiques publiques Centre d’études européennes Doctorat en science politique
Négocier l’asymétrie Les politiques extérieures européennes au regard des relations entre acteurs marocains et européens du gouvernement des migrations
Nora El Qadim
Thèse dirigée par Mme Virginie Guiraudon, Directrice de recherche CNRS, Institut d’études politiques de Paris
Soutenue le 9 décembre 2013 Jury : M. Didier Bigo, Maître de conférences des universités HDR, Institut d’études politiques de Paris Mme Virginie Guiraudon, Directrice de recherche CNRS, Institut d’études politiques de Paris (directrice de thèse) M. Pierre Lascoumes, Directeur de recherche CNRS, Institut d’études politiques de Paris M. Frédéric Mérand, Professeur de science politique à l’Université de Montréal (rapporteur) M. Nizar Messari, Associate Professor, Al Akhawayn University, Ifrane M. Alexis Spire, Directeur de recherche CNRS, Université de Lille II (rapporteur)
Résumé Cette thèse porte sur les relations entre le Maroc et l’Union européenne autour des questions migratoires depuis 1999, en particulier sur les négociations depuis 2003 d’un accord de réadmission, c’est-à-dire d’un accord organisant le retour forcé de migrants en situation irrégulière. À partir d’une approche postcoloniale, ce travail questionne l’eurocentrisme des analyses existantes des politiques extérieures de l’UE. L’objectif est de pluraliser les sujets des négociations internationales. Ceci passe d’abord par une étude de l’historicité et de la complexité institutionnelle des politiques migratoires marocaines. Ceci passe aussi par une analyse sociologique des pratiques de résistance des acteurs étatiques marocains aux pressions de l’Union européenne et des pays européens dans le domaine des politiques migratoires. Nous montrons ainsi que les négociations ne relèvent pas seulement du domaine des high politics, mais font aussi partie des pratiques quotidiennes d’acteurs administratifs engagés dans des luttes concurrentielles nationales et internationales. C’est dans ces luttes quotidiennes que transparaît la capacité d’action des acteurs marocains et la remise en cause de l’asymétrie des relations avec les pays européens. Mots-clés : Négociations asymétriques ; politiques migratoires ; accord de réadmission ; politiques européennes ; études postcoloniales ; sociologie de l’action publique ; relations internationales ; Maroc ; Union européenne
Summary This dissertation examines Morocco-EU negotiations on migrations since 1999, and specifically since 2003, when both partners started negotiating a readmission agreement. The purpose of such an agreement is to make it easier to deport undocumented migrants. Using a postcolonial approach, this work questions existing analyses of the EU’s external policy and their Eurocentric tendencies. The objective is to pluralize the subjects of international negotiations. The first step towards this objective is to study the historical and institutional complexity of Moroccan as well as European actors. A second important step is to offer a sociological analysis of resistance practices of Moroccan actors to pressures from the EU and European countries. I demonstrate in this work that negotiations, far from being limited to the realm of high politics, are part of the day-to-day practices of administrative actors who are engaged in national and international competition. It through the analysis of everyday contestations that one can understand the agency of Moroccan actors and the ways in which they constantly question the asymmetry of their relationships with European countries. Keywords: asymmetrical negotiations; migration policies; readmission agreement; European policies; postcolonial studies; public policy analysis; international relations; Morocco; European Union.
Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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Je ne saurais assez remercier Virginie Guiraudon, ma directrice de thèse. Ma reconnaissance est à la mesure de ses encouragements, de sa curiosité, de sa disponibilité et de ses relectures jusqu’aux derniers moments de ce travail, de ses conseils et de sa compréhension. Je la remercie surtout de m’avoir toujours fait confiance. J’aimerais remercier par ailleurs tous et toutes les anonymes qui ont bien voulu m’accorder de leur temps pour répondre à mes questions au cours de ces années à Rabat, Paris ou Bruxelles, ainsi que les personnes qui m’ont facilité l’accès au terrain et à certains entretiens : Nezha Alaoui, Naïma Senhaji, JB, et Renaud Dehousse. Je n’aurais pas pu commencer cette thèse sans le soutien de Pierre Lascoumes, grâce à qui j’ai rencontré Virginie Guiraudon, et Patrice Duran pendant les premiers pas de la constitution des dossiers et pour l’obtention d’un financement. L’École doctorale de Sciences Po et le Centre d’études européennes m’ont également fourni un appui financier qui m’a permis d’aller sur le terrain ou de participer à des conférences Ce travail est le fruit d’une réflexion mûrie par les échanges avec d’autres. Je souhaite donc remercier toutes celles et ceux avec qui j’ai eu des discussions plus ou moins longues sur ma thèse et/ou qui ont commenté mon travail en cours et/ou m’ont encouragée à poursuivre : Sara Casella Colombeau, Jean-Pierre Cassarino, Olivier Clochard (merci aussi pour les cartes!), Hein de Haas, Clara Egger, Federica Infantino, Elspeth Guild, Choukri Hmed, Julien Jeandebosz, Frédéric Mérand, Pierre Muller, Yves Schemeil, Alexis Spire, Yves Pascouau, Manuela Picq et Claire Zalc. Je voudrais profiter de cette occasion pour remercier Sylvie Rivière, grâce à qui j’ai découvert les sciences sociales il y a une bonne quinzaine d’années. Par la suite, les enseignements suivis en master 2 à Sciences Po ont été une excellente façon d’entamer une réflexion en sociologie de l’action publique. Je remercie tout particulièrement Nicolas Jabko pour ses encouragements et Philippe Bezes, dont je tiens le goût de l’administration. Le Centre d’études européennes a constitué un environnement propice à la discussion. Merci à Sophie Jacquot, Pierre Muller et Olivier Rozenberg d’avoir organisé l’accueil des doctorante-s. Le CEE n’a pas été qu’un lieu de discussions savantes, il est aussi un lieu de vie et d’échanges en tous genres avec la petite communauté des doctorant-e-s : derniers blogs sur la vie de thésard-e, derniers bons plans de la SNCF, dernières bonnes blagues de la vie politique – et j’en passe. Merci donc à ces compagnon-ne-s de galère, celles et ceux de la salle « du haut » et de celle « du bas ». Merci aussi à Samia Saadi, Katia Rio et Linda Amrani pour leur sourire constant et leur soutien, qui contribue à faire du CEE un « vrai labo ». Merci également à celles et ceux du CERAPS, ma deuxième maison, et plus généralement de Lille, pour leur accueil souvent impromptu et les soirées à bâtons rompus passées ensemble
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pendant les deux dernières années de cette thèse : Julien O., Mathilde et leurs colocs, Julie A., Kevin, Raf, Sidonie, Aurore et les colocs, Corinne. Je suis également reconnaissante à l’équipe du CERIUM pour son accueil chaleureux à Montréal quelques mois pendant la rédaction de cette thèse. Je remercie celles et ceux qui m’ont ouvert leur porte – et m’ont souvent bien nourrie! – pendant ce séjour. Mener une recherche dans trois pays suppose aussi d’avoir des ami-e-s hospitalier-e-s! Merci donc à celles et ceux qui m’ont accueillie au cours de mes différents séjours à Rabat et à Bruxelles : Souad, Tina, Anna, JB, Marie M. et François. Les autres ami-e-s éparpillés à droite à gauche m’ont également accueillie, ou soutenue par leurs courriels, sérieux ou pas, leurs cartes postales, ou par leurs visites. Merci Hélène R., Juliette, Mark, Hélène N. (enfin, d.F.), Édouard, Helen, Başak, Shea, Sofiane, Christian M., Kerry-Jane, Suroor, Antoine, Yumna et Selim! Une pensée aussi pour Basile, Damdoum, Est et Ouest, dont les photos m’ont souvent fait sourire ces derniers mois. Merci aussi aux ami-e-s qui étaient là, et dont le soutien a été encore plus précieux que je n’aurais pu l’imaginer, surtout pendant les derniers mois de cette thèse : Jérôme, Thomas D., Sandrine, Thomas TG, Yann, Émilie, Marie T., Aurélia et Aurélie. Merci pour les agendas culturels, la motivation piscine et les projections maison, pour le soutien téléphonique et pour les pizze e ficchi. Pour les relectures de dernière minute, je suis infiniment reconnaissante à Aurélia, Yann, Sandrine, Manuela, Jean-Marie et Brigitte, et surtout à Jérôme, Julien J. et Catherine, à qui je dois au moins leur pesant de cornes de gazelle. À Thomas D., c’est une piscine olympique de cornes de gazelle que je dois. - Catherine, merci d’avoir été là. Enfin, toute ma gratitude va à mes parents. À mon père pour son soutien, pour les westerns et pour m’avoir toujours poussée à être indépendante. À ma mère pour le yoga, pour Naples, pour les mots qu’elle n’a pas prononcés autant que ceux qu’elle a prononcés.
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Mapped waters are more quiet than the land is, lending the land their waves’ own conformation : and Norway’s hare runs south in agitation, profiles investigate the sea, where land is. Are they assigned, or can the countries pick their colors? –What suits the character or the native waters best. Topography displays no favorites; North’s as near as West. More delicate than the historians’ are the map-makers’ colors. Elizabeth Bishop, “The Map”, North & South, 1946
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Table des matières TABLE DES MATIERES.......................................................................................................................................... 9
LISTE DES FIGURES, TABLEAUX ET ENCADRES .................................................................................................17 A -‐ FIGURES ............................................................................................................................................................................ 17 B -‐ TABLEAUX ........................................................................................................................................................................ 17 C -‐ ENCADRES ........................................................................................................................................................................ 18 LISTE DES ABREVIATIONS ET ACRONYMES .......................................................................................................19
INTRODUCTION GENERALE ...............................................................................................................................23 A -‐ CONSTRUCTION DE L’OBJET .......................................................................................................................................... 25 1) La « réadmission » : la constitution d’un enjeu de contrôle territorial national dans les relations internationales............................................................................................................................................... 26 2) Intégration européenne et externalisation des politiques européennes ........................................... 31 3) Le cas des négociations sur la réadmission entre le Maroc et l’Union européenne ...................... 34 B -‐ PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES .............................................................................................................................. 40 1) Problématique.............................................................................................................................................................. 40 2) L’hypothèse de la gouvernance externe ........................................................................................................... 41 3) L’hypothèse d’une capacité d’action des acteurs des pays tiers ............................................................ 41 4) Organisation de la recherche................................................................................................................................. 42 C -‐ DE L’EXTERNALISATION A LA « DECOLONISATION » DES ETUDES SUR LA POLITIQUE EXTERIEURE DE L’UE : ETAT DE LA LITTERATURE ET CADRE D’ANALYSE ............................................................................................................ 43
1) De l’Union européenne comme « puissance » à la « gouvernance externe » .................................... 44 Les limites de la « puissance normative ».............................................................................................................. 44 Gouvernance externe et externalisation : des explications euro-‐centriques de la politique extérieure de l’UE............................................................................................................................................................. 46 2) Questionner l’asymétrie : pour une « décolonisation » de l’étude de la politique extérieure de l’UE.......................................................................................................................................................................................... 49 La remise en cause de l’asymétrie dans l’analyse des négociations sur les politiques migratoires .................................................................................................................................................................................................. 51
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Stratégies pour « décoloniser » l’étude de la politique extérieure de l’UE.............................................. 54 3) Une approche sociologique des pratiques internationales ...................................................................... 61 Une approche sociologique de l’UE et des négociations ................................................................................. 61 Analyser les négociations sur la réadmission par les pratiques diplomatiques et administratives .................................................................................................................................................................................................. 65 D -‐ PROTOCOLE D’ENQUETE : ARTICULER DES SOURCES ASYMETRIQUES .................................................................. 68 1) Trois terrains pour l’étude des négociations.................................................................................................. 69 2) Le travail d’entretien................................................................................................................................................. 74 E -‐ PLAN DE LA THESE .......................................................................................................................................................... 83
PREMIERE PARTIE : DECONSTRUIRE LES DISCOURS SUR LA NEGOCIATION COMMUNAUTAIRE DES RETOURS FORCES ..........................................................................................87
CHAPITRE 1 : RETOURS FORCES ET ASYMETRIE DANS LES RELATIONS BILATERALES...................................91 A -‐ LES FORMES ASYMETRIQUES DE LA COOPERATION SUR LES RETOURS FORCES DANS LES RELATIONS ENTRE LE MAROC ET LES PAYS EUROPEENS ....................................................................................................................................... 93 1) Les « accords de réadmission » : une forme située de la coopération Maroc-‐pays européens sur les retours forcés. ..................................................................................................................................................... 94 Les formes variées de la coopération sur la réadmission............................................................................... 97 Coopération technique et constitution de la « réadmission » comme objet de négociations ......... 99 2) Coûts politiques asymétriques : le poids des pays « d’origine » dans la détermination des formes de la coopération. ...........................................................................................................................................106 B -‐ LES MOTS DE LA READMISSION : RECIPROCITE SYMBOLIQUE ET LEGITIMITE JURIDIQUE ................................111 1) Fictions de réciprocité et paradoxes de l’asymétrie..................................................................................112 2) Argumentations juridiques, enjeux pratiques. ............................................................................................117 C -‐ LES LIMITES DE LA COOPERATION BILATERALE ......................................................................................................120 1) Négocier la mise en œuvre ...................................................................................................................................121 2) Nouvelles exigences et construction d’un discours européen sur la réadmission.......................126 D -‐ CONCLUSION ..................................................................................................................................................................130
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CHAPITRE 2 – LA DELEGATION DE LA READMISSION : MULTIPLICATION DES ACTEURS ET CONCURRENCES INTRA-EUROPEENNES ..................................................................................................................................... 133
A -‐ LA DELEGATION DE LA READMISSION : UNE MISE EN SCENE DE LA RATIONALITE............................................136 1) Discours sur l’efficacité et diversité des intérêts. .......................................................................................136 2) Une délégation par tâtonnements au cas par cas. ......................................................................................140 B -‐ L’AMBIGUÏTE DU MANDAT ET LA REMISE EN CAUSE DE LA LEGITIMITE DE LA COMMISSION..........................146 1) Un mandat ambigu et contesté. ..........................................................................................................................147 Une compétence partagée : controverses et interprétations......................................................................147 Le Conseil et la Commission : affinités électives et tensions.......................................................................152 2) La question de la responsabilité des négociations : évitement du blâme et remise en cause de la Commission..................................................................................................................................................................157 C -‐ READMISSION ET ENJEUX INSTITUTIONNELS AU SEIN DE LA COMMISSION : LA COMPETENCE EXTERNE DANS L’EMERGENCE ET LE DEVELOPPEMENT DE LA DIRECTION GENERALE EN CHARGE DES AFFAIRES INTERIEURES.
................................................................................................................................................................................................162 1) « Dimension externe » des affaires intérieures ou relations extérieures ? La réadmission, une compétence disputée au sein de la Commission. .............................................................................................163 2) Des concurrences institutionnelles autour de la « dimension externe »..........................................167 D -‐ TENSIONS INTERNES ET EMPOWERMENT DES PAYS TIERS. ..................................................................................174 1) L’impact des concurrences organisationnelles au sein de la Commission. .....................................175 2) Les dissensions entre la Commission et les États membres : une opportunité pour les pays tiers.......................................................................................................................................................................................180 E -‐ CONCLUSION ..................................................................................................................................................................186
CHAPITRE 3 – NEGOCIATIONS ET METAPHORE MARCHANDE: A LA RECHERCHE D’INCITATIONS .............. 189 A -‐ READMISSION ET CONTREPARTIES FINANCIERES: LES FAUSSES EVIDENCES DE LA METAPHORE MARCHANDE ................................................................................................................................................................................................190 1) Principe contesté et détours rhétoriques. .....................................................................................................197 2) Une catégorie difficile à mobiliser pour les négociateurs européens................................................199 Des instruments divers et mouvants .....................................................................................................................199 Difficultés des négociateurs et requalification des financements.............................................................207 3) Fluidité et ambiguïté du statut des financements ......................................................................................210 4) Des contreparties financières insuffisantes..................................................................................................217 B -‐ NEGOCIATIONS ET EMBOITEMENT DES ENJEUX: EXTENSION ET LIMITES DE LA METAPHORE MARCHANDE 221
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1) Les clauses de réadmission : un emboîtement tactique visible............................................................223 2) Des emboîtements discrets ..................................................................................................................................227 3) Discours et retournements des emboîtements ...........................................................................................231 C -‐ CONCLUSION ..................................................................................................................................................................237 CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE............................................................................................................................237
DEUXIEME PARTIE : PLURALISER LES SUJETS : LES ACTEURS MAROCAINS DES NEGOCIATIONS .......................................................................................................................................... 241
CHAPITRE 4 – LA CONSTRUCTION DES POLITIQUES MIGRATOIRES MAROCAINES : POLITIQUES INTERNATIONALES, OBJECTIFS INTERNES ..................................................................................................... 245
A -‐ LA MISE EN PLACE D’UNE POLITIQUE MAROCAINE D’EMIGRATION (1963-‐1989)..........................................247 1) Conventions de main d’œuvre et asymétrie initiale..................................................................................248 2) Le développement d’une politique marocaine d’émigration et ses enjeux .....................................250 « Exporter » des travailleurs pour éviter la révolte ........................................................................................251 Contrôler les émigrés à distance .............................................................................................................................252 B -‐ SPECIALISATION ET CONCURRENCES INSTITUTIONNELLES (1990-‐2013).......................................................257 1) Les créations institutionnelles de Hassan II : une réponse nouvelle aux mêmes objectifs (1990-‐1999). ....................................................................................................................................................................261 2) Mohammed VI : reconfigurations et nouvelles institutions (1999-‐2013).......................................266 C – POLITIQUES EUROPEENNES, ENJEUX MAROCAINS (1999-‐2013) ......................................................................273 1) Devenir un « pays de transit » : les enjeux politiques d’une catégorie euro-‐centrique .............275 2) Politiques européennes et administrations marocaines .........................................................................279 Les transformations de la « dimension extérieure » des politiques migratoires marocaines......280 La loi 02-‐03 et le rôle croissant du ministère de l’Intérieur dans les politiques migratoires marocaines. .......................................................................................................................................................................283 Concurrences pour la coordination des politiques migratoires marocaines et études des migrations .........................................................................................................................................................................288 D -‐ CONCLUSION ..................................................................................................................................................................295
CHAPITRE 5 – DES EXIGENCES MAROCAINES : « APPROCHE GLOBALE », « FACILITATION DES VISAS » ET RESPECT INTERNATIONAL .............................................................................................................................. 297
A -‐ REFUSER L’ACCORD DE READMISSION : DISCOURS ET EVITEMENT ......................................................................299
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1) Des « lignes rouges » marocaines ......................................................................................................................299 2) L’évitement, ressource des faibles en situation d’asymétrie.................................................................304 B -‐ EMBOITEMENTS SUBSTANTIELS ET « APPROCHE GLOBALE » ..............................................................................309 1) Le refus d’une approche purement sécuritaire et la promotion de l’approche globale.............311 2) Expériences bilatérales et « approche globale » .........................................................................................314 Des expériences bilatérales .......................................................................................................................................315 Emboîtements substantiels et uploading.............................................................................................................320 3) L’ « approche globale » : une réponse polysémique aux demandes des pays d’origine ............324 L’approche globale en 2005.......................................................................................................................................324 L’approche globale en 2011 : la formalisation des trois « piliers » ..........................................................327 C -‐ FACILITATION DES VISAS ET DIGNITE DANS LES RELATIONS INTERNATIONALES .............................................329 1) La facilitation des visas : une revendication des acteurs marocains..................................................330 Un emboîtement substantiel entre facilitation des visas et réadmission..............................................331 Facilitations des visas et aménagements du soupçon systématique .......................................................334 2) Des revendications par comparaison : le regard tourné vers l’Est .....................................................337 3) Demandes de respect et dignité dans les négociations internationales ...........................................339 « Dignité » et « fermeté » : une logique émotionnelle des revendications sur la facilitation des visas......................................................................................................................................................................................342 Files d’attente et hogra : une logique morale de la dignité ..........................................................................344 D -‐ CONCLUSION ..................................................................................................................................................................347
CHAPITRE 6. DEPLACER LA FOCALE : DES USAGES MAROCAINS DE L’EUROPE ET DE L’INTERNATIONAL .. 349 A -‐ POLITIQUES EUROPEENNES ET CONCURRENCES INSTITUTIONNELLES AU MAROC ..........................................351 1) Le cas des programmes de migrations de travail .......................................................................................353 2) Des concurrences internationales.....................................................................................................................358 B -‐ ADMINISTRATIONS MAROCAINES ET RESSOURCES INTERNATIONALES. .............................................................362 1) Une implication internationale des acteurs marocains. ..........................................................................363 2) Forums internationaux et légitimité ................................................................................................................368 Des experts nationaux dans les arènes internationales ................................................................................369 Légitimité internationale, enjeux administratifs nationaux ........................................................................374 3) Les ressources internationales dans les négociations avec l’UE..........................................................377 C -‐ POLITIQUES MIGRATOIRES ET DIMENSION REGIONALE .........................................................................................383 1) Le processus de Rabat : une solution au dilemme africain du Maroc................................................384 2) Le Maroc comme « leader » régional................................................................................................................389 D -‐ CONCLUSION ..................................................................................................................................................................394 Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE ...........................................................................................................................395
TROISIEME PARTIE : RELATIONS BILATERALES ET MISE EN ŒUVRE : ESPACE DE NEGOCIATION ET DE CONTESTATION ............................................................................................... 399
CHAPITRE 7 – PRATIQUES BILATERALES DE COOPERATION ET DE CONTESTATION................................... 403 A -‐ RESILIENCE DU BILATERAL : AMBIGUÏTE DE LA DELEGATION ET ARGUMENTATION .......................................404 1) Une délégation ambiguë ........................................................................................................................................406 2) Argumenter la poursuite de négociations bilatérales ..............................................................................408 Accord formel de réadmission contre mise en œuvre des retours forcés.............................................409 Des arguments juridiques...........................................................................................................................................411 Répondre aux demandes marocaines ...................................................................................................................415 Une « relation spéciale »..............................................................................................................................................416 B -‐ DES PRATIQUES BILATERALES : NEGOCIATIONS ET CONTESTATIONS DES INSTRUMENTS DE LA COOPERATION SUR LES RETOURS FORCES .................................................................................................................................................419
1) Officier de liaison immigration et concurrences européennes.............................................................420 Les officiers de liaison immigration, diplomates quotidiens de la mise en œuvre des retours forcés ...................................................................................................................................................................................421 La difficile mise en réseau des officiers de liaison européens : concurrences et diversité des offres de coopération....................................................................................................................................................428 2) Comptes et décomptes de la réadmission : les statistiques de la coopération. .............................432 Mesurer la coopération sur la réadmission. .......................................................................................................434 Les statistiques comme espace des négociations internationales............................................................438 C -‐ CONCLUSION ..................................................................................................................................................................445
CHAPITRE 8 : PARTENARIAT POUR LA MOBILITE ET CONDITIONNALITE : UN COMPROMIS FLEXIBLE ...... 447 A -‐ RESISTANCES DES ÉTATS MEMBRES A LA FACILITATION DES VISAS AVEC LE MAROC .....................................450 1) Le domaine des visas : une compétence disputée. .....................................................................................451 2) Réticences européennes et nationales dans les négociations avec le Maroc..................................453 « Risque migratoire » et logique de population ................................................................................................454 Une question de confiance .........................................................................................................................................458 B -‐ L’ADOPTION DU PRINCIPE DE CONDITIONNALITE : UN COMPROMIS INTERNE A L’UE POUR REPONDRE AUX REVENDICATIONS MAROCAINES........................................................................................................................................460
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1) Une conditionnalité qui ne dit pas son nom..................................................................................................462 2) Ambiguïté et usages de la conditionnalité .....................................................................................................471 C -‐ LA SIGNATURE DU PARTENARIAT POUR LA MOBILITE (2013) : FLEXIBILITE ET COMPROMIS.......................476 1) Proposition européenne, prudence marocaine ...........................................................................................477 2) Des engagements flexibles....................................................................................................................................482 Des engagements peu contraignants .....................................................................................................................483 Des engagements à la carte........................................................................................................................................485 D -‐ CONCLUSION ..................................................................................................................................................................489 CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE ..........................................................................................................................490
CONCLUSION GENERALE ................................................................................................................................. 493 A -‐ ARGUMENT DE LA THESE .............................................................................................................................................493 B -‐ POSSIBLES APPROFONDISSEMENTS DE LA RECHERCHE .........................................................................................495 1) Comparer les relations des acteurs étatiques d’autres pays. ................................................................496 2) Acteurs étatiques et acteurs non-‐gouvernementaux des politiques migratoires ........................497 C -‐ PRINCIPAUX APPORTS DE LA RECHERCHE ................................................................................................................499 1) Négocier au quotidien.............................................................................................................................................500 2) Une analyse symétrique de l’asymétrie ..........................................................................................................501
LISTE DES ENTRETIENS .................................................................................................................................. 505
SOURCES PRIMAIRES ...................................................................................................................................... 511 A -‐ ACCORDS ET TRAITES INTERNATIONAUX .................................................................................................................511 B -‐ ACCORDS, CONVENTIONS ET PROCES-‐VERBAUX CONSULTES AU MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES ET DE LA COOPERATION (RABAT) .........................................................................................................................................512
C -‐ MAROC ............................................................................................................................................................................513 1) Décrets, dahirs et lois..............................................................................................................................................513 2) Discours et ouvrages royaux ...............................................................................................................................514 3) Autres institutions....................................................................................................................................................514 D -‐ UNION EUROPEENNE....................................................................................................................................................515 1) Traités............................................................................................................................................................................515 2) Commission Européenne ......................................................................................................................................515 3) Conseil de l’Union européenne et ses formations ......................................................................................518 4) Conseil Européen......................................................................................................................................................520
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5) Cour de Justice des Communautés européennes........................................................................................520 6) Divers.............................................................................................................................................................................521 E -‐ FRANCE ...........................................................................................................................................................................521 1) Législation, questions et rapports au Parlement et au Sénat ................................................................521 2) Gouvernement ...........................................................................................................................................................522 3) Archives Weil..............................................................................................................................................................524 F -‐ AUTRES PAYS .................................................................................................................................................................524 G -‐ ORGANISATIONS INTERNATIONALES ET INTERGOUVERNEMENTALES : DOCUMENTS DIVERS ET PAGES WEB. ................................................................................................................................................................................................524 H -‐ PRINCIPAUX RAPPORTS D’ONG UTILISÉS ................................................................................................................526 I -‐ PRESSE ET PRESSE EN LIGNE : RESSOURCES PRINCIPALES .....................................................................................526 1) Maroc ou Marocains à l’étranger .......................................................................................................................526 2) France ............................................................................................................................................................................526 3) Autres.............................................................................................................................................................................526 J -‐ PRINCIPAUX SITES INTERNET .......................................................................................................................................526
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................................. 527
ANNEXES ......................................................................................................................................................... 553
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Liste des figures, tableaux et encadrés A - Figures Figure 1 – Nombre d’actes enregistrés dans le domaine des migrations dans la base de données juridiques du ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, par thème (1955-2009, Allemagne, Espagne, France, Italie) __________________________________________________________________________282 Figure 2 - Le Service de sécurité intérieure au sein de l'Ambassade de France à Rabat (à partir de 2010) ______________________________________________________________________________________________________________422
B - Tableaux Tableau 1 – Interceptions de migrants irréguliers entre 2000 et 2007 d’après le ministère de l’Intérieur marocain______________________________________________________________________________________________ 37 Tableau 2 – Principaux pays d’origine des ressortissants de pays tiers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire dans l'Union européenne (données arrondies) en 2008 et 2012, d'après Eurostat ____________________________________________________________________________________________________________ 38 Tableau 3 - Nombre d'ordres de quitter le territoire prononcés / de personnes ayant quitté le territoire suit à un tel ordre pour des ressortissants marocains, par État membre, 2008-2009, d’après les données Eurostat. ___________________________________________________________________________________ 70 Tableau 4 - Principaux moments de l'enquête de terrain ___________________________________________________ 73 Tableau 5 - Entretiens menés pour l'enquête _________________________________________________________________ 75 Tableau 6 - Accords de réadmission entre le Maroc et les pays européens _______________________________ 96 Tableau 7 – Avantages et inconvénients de la coopération informelle sur la réadmission selon les parties concernées ______________________________________________________________________________________________109 Tableau 8 - Taux de délivrance des laissez-passer consulaires dans les délais par les consulats marocains en France, selon les autorités françaises________________________________________________________123 Tableau 9 – Répartition selon les États membres, des votes pour les pays tiers à prendre en compte en priorité pour une politique de réadmission communautaire, Document SCIFA 1999 __________________142 Tableau 10 – Nombre de voix recueillies par les différents pays tiers pour une politique de réadmission communautaire, Document SCIFA 1999 ______________________________________________________143 Tableau 11 - Budgets destinés au Maroc pour des projets liés aux migrations _________________________194 Tableau 13 - Instruments permettant de financer des projets liés aux migrations (2000-2013) ____200 Tableau 14 - Les projets relevant de la catégorie "gestion de la migration" dans les programmes indicatifs nationaux _____________________________________________________________________________________________210 Tableau 15 - Chronologie des rounds de négociation de l'accord de réadmission ______________________227
Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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Tableau 15 – Principales institutions étatiques en charge des politiques migratoires au Maroc ____260 Tableau 17- Participant-e-s marocain-e-s aux différents Forums mondiaux sur la migration et le développement (2007-2012) ___________________________________________________________________________________372 Tableau 17- La comptabilité des laissez-passer consulaires au Ministère de l'intérieur en France__437
C - Encadrés Encadré 1 – Chronologie de la délégation des négociations sur la réadmission à l’Union européenne _____________________________________________________________________________________________________________________134 Encadré 2 – Les attributs du mandat de délégation entre principal et agent ___________________________146 Encadré 3 - Les accords de pêche dans la relation Maroc – Union européenne _________________________232 Encadré 4 - Politique extérieure de l'UE et migrations dans les relations avec le Maroc ______________274 Encadré 5 - La réflexion sur les liens entre migrations et développement : le cas français____________315 Encadré 6 – « L'affaire Annajat » ______________________________________________________________________________356 Encadré 7 – L’émergence d’une réflexion internationale sur les migrations ____________________________363 Encadré 8 – Le HCR au Maroc __________________________________________________________________________________365 Encadré 9 – La « politique africaine » du Maroc_____________________________________________________________387
Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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Liste des abréviations et acronymes ACP
Pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique
Aeneas (UE)
Programme of the European Union for financial and technical assistance to third countries in the area of migration and asylum
AFD
Agence française de développement
AFIS
Automated Fingerprint Identification System (Système d'identification automatique par empreintes digitales)
AGMM
Approche globale de la question des migrations et de la mobilité (UE)
AIDCO
Office de coopération EuropeAid (UE)
AMERM
Association marocaine d’études et de recherches sur les migrations (Rabat, Maroc)
AMF
Association des Marocains en France
ANAPEC
Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences (Maroc)
ATMF
Association des travailleurs marocains en France
BCP
Banque centrale populaire du Maroc
CCDH
Conseil consultatif des droits de l’Homme
CCME
Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (Maroc)
CEMM
Centre d’études sur les mouvements migratoires maghrébins (Oujda, Maroc)
CJUE
Cour de justice de l’Union européenne
CUDM
Centre UNESCO « Droits et Migrations » (Maroc)
DCI
Development and cooperation instrument (instrument de coopération et développement) (UE)
DCI
Direction de la coopération internationale (France)
DG
Direction générale (UE)
DG DEV
Direction générale Développement (UE)
DG DEVCO
Direction générale Développement et coopération EuropeAid (depuis 2011) (UE)
DG HOME DG JAI
Direction générale Affaires intérieures (depuis 2010) (UE) Direction générale Justice et affaires intérieures (jusqu’en 2004) (UE)
Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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DG JLS DG RELEX
Direction générale Justice liberté et sécurité (2004-2010) (UE) Direction générale Relations extérieures (UE)
DGSN
Direction générale de la sûreté nationale (Maroc)
FMI
Fonds monétaire international
Frontex
Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures
GADEM
Groupe antiraciste de défense et d'accompagnement des étrangers (Maroc)
GISTI
Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (France)
HCDH
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme
HCR
Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
HLWG
Groupe de Haut-Niveau sur l’asile et les migrations (High-Level Working Group on Asylum and Migration) (Conseil de l’UE)
ICC
Instructions consulaires communes (UE)
ICMPD
Centre International Migratoires
IRES
Institut royal des études stratégiques (Maroc)
KMAN
Comité des travailleurs marocains Marokkaanse Arbeiders in Nederland)
LPC
Laissez-passer consulaires
MAEC
Ministère des affaires étrangères et de la coopération (Maroc)
MCCME
Ministre chargé de la Communauté marocaine résidant à l’étranger
MD
Migrations et développement (association, France, Maroc)
MIIINC
Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement (France)
MIIINDS
Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du développement solidaire (France)
MRE (ou RME)
Marocains résidant à l'étranger
NIROMP
New international regime for orderly movements of people
pour
Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
le
Développement
des
des
Politiques
Pays-Bas
(Komitee
20
OFII
Office français de l’immigration et de l’intégration
OIM
Organisation internationale des migrations
OIT
Organisation internationale du travail
OLI
Officier de liaison immigration
OUA
Organisation de l'unité africaine
PAF
Police aux frontières (France)
PEV
Politique européenne de voisinage
PIN
programme indicatif national (UE)
PNUD
Programme des Nations Unies pour le développement
RASD
République arabe sahraouie démocratique
RPUE
Représentation permanente (ici, de la France) auprès de l’UE
SCIFA
Comité stratégique sur l’immigration, les frontières et l’asile (Strategic Committee on Immigration, Frontiers and Asylum) (Conseil de l’UE)
SCTIP
Service de coopération technique internationale de police (France)
SEAE
Service européen pour l’action extérieure (UE)
SGAE
Secrétariat général des affaires européennes (France)
SIVE
Système intégré de vigilance extérieure (Espagne)
SSI
Service de sécurité intérieure (France)
Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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Introduction générale Cette thèse porte sur les relations entre le Maroc et l’Union européenne autour des questions migratoires depuis 1999, en particulier sur les négociations d’un accord de réadmission depuis 2003. Elle remet en cause l’idée d’une « gouvernance externe » européenne en examinant les discours et les pratiques de résistance des acteurs étatiques marocains aux pressions de l’Union européenne et des pays européens dans le domaine des politiques migratoires. Les migrations font l’objet de négociations internationales depuis le XIXème siècle, et l’implication d’organisations internationales distinctes des États n’est guère nouvelle – on trouve des traces de cette implication dès le début du XXème siècle (Rosental 2006). A partir des années 1980, les coopérations entre États européens sur les migrations se multiplient. Ces coopérations sont formalisées dans le cadre de l’Union européenne (UE) avec l’entrée en vigueur du traité de Maastricht en 1992. Les questions migratoires apparaissent alors dans le champ de compétences de l’Union européenne dans le cadre du domaine dit de la justice et des affaires intérieures. Elles sont maintenues dans le troisième pilier (intergouvernemental) jusqu’à la signature du traité d’Amsterdam en 1997. L’entrée en vigueur de ce dernier au 1er mai 1999 marque leur incorporation au sein du premier pilier « communautaire », y compris pour ce qui relève de la réadmission, autrement dit de la coopération sur les retours forcés. C’est dans ce contexte qu’émerge un discours des acteurs européens sur la « dimension externe » des politiques migratoires européennes. Ce discours est porté par des acteurs institutionnels. Il est aussi diffusé à la fois par des acteurs militants qui dénoncent les politiques européennes, et par la plupart des recherches universitaires sur le sujet, sous le vocable d’ « externalités » (Lavenex et Uçarer 2002; 2004), de « gouvernance externe » (Lavenex et Schimmelfennig 2009) ou encore d’ « externalisation » (Boswell 2003 ; Geddes 2005 ; Guild, Carrera, et Balzacq 2008 ; Audebert et Robin 2009 ; Bigo et Guild 2010). Ces termes désignent un processus dans lequel l’UE délègue la mise en œuvre de ses politiques migratoires à des pays extérieurs, notamment les pays voisins et les pays dits d’origine. Ils permettent ainsi de rendre compte de l’enrôlement croissant des autorités de pays non-
Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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européens dans les procédures d’asile européennes (Guild 2006), dans le contrôle des frontières de l’Union européenne (Pastore 2002 ; Gabrielli 2007 ; Paoletti et Pastore 2010 ; Bigo et Guild 2010 ; Streiff-Fénart et Poutignat 2010) ou encore dans les logiques d’enfermement des étrangers (Belguendouz 2005 ; Bernardot 2008). Le raisonnement commun aux discours militants et aux discours savants sur l’externalisation est le suivant : l’externalisation serait le reflet de l’imposition d’une logique sécuritaire dans le traitement des questions migratoires par l’UE et ses États membres aux pays tiers, en particulier aux pays tiers réputés d’origine partageant une frontière maritime ou terrestre avec l’Union. Un communiqué du réseau associatif Migreurop en août 20131 évoque ainsi la façon dont le Maroc « exécute avec zèle les exigences de l’UE, qui se défausse ainsi allègrement de ses responsabilités, sans se soucier des conséquences de cette externalisation ». L’objectif de Migreurop est avant tout de faire pression sur les politiques européennes et sur celles des différents États européens : ceci peut en partie expliquer cette focalisation sur la responsabilité européenne dans la « chasse aux étrangers » qui a lieu au Maroc. Ainsi ce communiqué, bien que publié en réaction à des arrestations massives de migrants au nord du Maroc en juillet 2013, paraît peu après la signature d’un accord de coopération sur les migrations entre le Maroc et l’Union européenne, alors même que les arrestations et les violences à l’encontre des migrants au Maroc ont connu une recrudescence dès 20122. Cependant, si l’on considère les pays d’origine comme de simples exécutants des politiques migratoires européennes, comment expliquer dès lors que plusieurs d’entre eux, tels que la Libye de Kadhafi, le Mali, ou encore l’État marocain, ne cèdent pas facilement à toutes les demandes européennes dans le domaine des politiques migratoires ? En dépit de la domination apparente d’une Union européenne plus forte d’un point de vue économique et militaire, comment se fait-il que les gouvernements des pays d’origine résistent, dans une 1
« Communiqué de presse: Au Maroc, la chasse aux étrangers tue et pendant ce temps, l’UE négocie et se tait ». Migreurop, 2 août 2013. http://www.migreurop.org/article2272.html [consulté le 13 août 2013]. 2 « Recrudescence de la répression envers les migrants au Maroc Une violence qu’on croyait révolue. Communiqué du CMSM (Conseil des migrants subsahariens au Maroc) et du GADEM (Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants). », 11 septembre 2012. http://www.gademasso.org/Recrudescence-de-la-repression,142 [consulté le 13 septembre 2013]. Le seul communiqué de presse publié par Migreurop en 2012 au sujet de la situation au Maroc relaye un communiqué du Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants (GADEM) marocain au sujet de l’arrestation du coordinateur d’une association de défense des migrants et de différentes menaces et violences à l’encontre de responsables associatifs : MIGREUROP. « Communiqué de presse conjoint : Pour la libération du coordinateur du CMSM et la fin de la répression ciblée contre des membres d’associations de migrants au Maroc », 24 octobre 2012. http://www.migreurop.org/article2203.html [consulté le 13 septembre 2013]. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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certaine mesure, en ne signant pas tous les accords souhaités par les pays européens ou en ne mettant pas en œuvre les mesures demandées ? En refusant de signer un accord de réadmission pendant dix ans, les autorités marocaines ont affirmé leur capacité de résistance dans les négociations avec l’Union européenne au sujet du contrôle des migrations. Depuis 2002, l’UE négocie en effet des accords de réadmission avec un certain nombre de pays tiers ; ces accords sont considérés comme un élément essentiel de l’externalisation des politiques migratoires européennes. Un tel accord permettrait de faciliter le renvoi vers le Maroc de migrants marocains en situation irrégulière sur le territoire européen ainsi que de migrants non-marocains qui auraient « transité » par le territoire marocain avant de pénétrer sur le sol de l’UE. Or, bien que des négociations pour un tel accord aient été lancées en 2003, il n’a pas encore été conclu au moment de l’écriture de cette thèse. Comment dès lors expliquer ces résistances ? Elles entrent en effet en contradiction avec l’idée d’un mouvement unilatéral d’externalisation ou de sous-traitance des politiques européennes aux pays d’origine. Cette thèse cherche à répondre à cette question à partir du cas des négociations entre le Maroc et l’UE sur les migrations, et en particulier des négociations de l’accord de réadmission. Nous montrerons que cet enjeu recouvre en réalité un questionnement théorique plus large sur la politique extérieure de l’Union européenne d’une part, et sur les relations internationales postcoloniales d’autre part. Dans cette introduction, nous verrons d’abord comment l’objet de cette thèse a été délimité. Nous présenterons notre problématique et nos hypothèses de recherches. Nous examinerons ensuite comment la question a été traitée par la littérature existante et nous expliciterons notre cadre d’analyse. Enfin, nous présenterons notre protocole d’enquête avant d’expliciter le plan notre travail.
A - Construction de l’objet L’objet principal de cette thèse concerne les négociations autour des retours forcés de migrants en situation irrégulière de l’Union européenne vers le Maroc. Elles se sont concentrées sur un accord de réadmission, c’est-à-dire un accord visant à faciliter les retours forcés de migrants en situation irrégulière vers leurs pays d’origine ou des pays par lesquels ils sont passés, en cours de négociation entre l’UE et le Maroc depuis 2003. Cet objet peut paraître restreint, car il s’articule autour d’un microcosme spécifique. Pourtant, ces années de recherche nous ont convaincu que même un objet microscopique peut permettre de poser et de
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répondre partiellement à une question macrologique (Sawicki 2000). Ces négociations sont particulièrement intéressantes parce qu’elles sont caractéristiques de relations internationales asymétriques dans lesquelles la partie la moins puissante résiste aux pressions de la partie a priori la plus puissante. En ce sens, elles interrogent les présupposés des acteurs européens de la politique extérieure de l’UE, mais aussi les analyses concomitantes de cette politique, souvent basées sur des postulats implicitement eurocentriques. Le point de départ de cette thèse est l’analyse du microcosme bureaucratique et diplomatique qui se constitue autour de la négociation de l’accord de réadmission. Le terme de « réadmission » est celui employé par les acteurs impliqués dans les négociations : plus qu’un retour forcé, il désigne un objet administratif et international historiquement construit. C’est en tant qu’objet de négociations – diplomatiques, mais aussi administratives – que nous nous y intéresserons. Nous verrons d’abord en quoi ces accords constituent un objet pour l’étude des relations internationales. Nous examinerons ensuite les accords de réadmission en tant qu’enjeu central des politiques extérieures de l’Union européenne dans le domaine des migrations et dans les politiques avec les pays frontaliers – du « voisinage ». Enfin, nous expliciterons l’intérêt du cas des négociations avec le Maroc pour l’étude des relations internationales asymétriques.
1) La « réadmission » : la constitution d’un enjeu de contrôle territorial national dans les relations internationales La réadmission, terme utilisé par les acteurs administratifs pour désigner le retour forcé de migrants en situation irrégulière, constitue avant tout un objet de négociations entre les États. Nous verrons d’abord comment la réadmission a progressivement été construite comme un enjeu de souveraineté étatique depuis le XIXème siècle. Puis nous verrons comment les accords de réadmission se sont multipliés à partir des années 1990, et sont passés du principe de réciprocité à une asymétrie de fait entre les États contractants. Expulsion, déportation, retour ou rapatriement forcé, éloignement, réadmission : autant de termes désignant différentes nuances des politiques de déplacements forcés de population. Dans ces déplacements internationaux s’exprime la puissance coercitive des États sur les individus. A l’époque contemporaine, les retours forcés de migrants vers leur pays d’origine sont devenus une forme courante de ces déplacements contraints de populations. Ils sont liés à l’exercice de la souveraineté étatique, qui passe à partir du XIXème siècle par le « monopole
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étatique des ‘moyens légitimes de circulation’ » (Torpey 2006). On peut voir dans l’exil et l’expulsion des pauvres les ancêtres des retours forcés actuels : les procédures contemporaines de renvoi des migrants en situation irrégulière apparaissent alors comme des politiques destinées à contrôler le profil de la population, à intervenir sur le marché du travail, mais surtout à renforcer un mécanisme de gouvernementalité et d’exercice du pouvoir (Walters 2002, 280). Ceci peut permettre de comprendre l’obsession de certains gouvernements à rendre leurs politiques migratoires plus strictes et à mettre en place et à perfectionner les politiques de retours, volontaires ou forcés. En Europe de l’Ouest, à la fin des années 1960 et au cours des années 1970, la question du retour des migrants est posée en termes économiques, parallèlement à la question de la conversion des relations coloniales avec de nombreux pays d’origine. Les discours politiques posent alors le retour des migrants comme une solution au chômage. Cependant, il est encore largement question, jusqu’aux années 1980, d’inciter les migrants à rentrer chez eux, plutôt que de les y renvoyer par la force, notamment en leur proposant des aides financières (Weil 1991 ; Viet 1998 ; Laurens 2009). Bien que la dimension « volontaire » de ces retours puisse être débattue, c’est surtout dans les années 1990 que les « migrations irrégulières » – « clandestines » ou « illégales » sont les termes qui sont alors privilégiés – émergent comme « problème » de politique publique, auquel des « solutions » doivent être apportées. Cette expression désigne à la fois les franchissements irréguliers des frontières et la présence d’étrangers en situation irrégulière, c’est-à-dire ne disposant pas d’une autorisation de séjour. Nous l’emploierons dans ce travail pour désigner non pas un phénomène mais un objet des politiques publiques, par exemple dans l’expression «
lutte contre les migrations
irrégulières ». L’une des « solutions » dans le cadre de ces politiques de lutte contre les migrations irrégulières a été la mise en place de contrôles plus stricts des frontières et de la circulation des migrants à travers la mise en place d’abord de bordereaux d’entrée, puis de visas. Une autre de ces solutions consiste à envisager des procédures de retour forcé des étrangers considérés comme non autorisés. Or, le retour forcé d’un-e migrant-e nécessite la plupart du temps la coopération de l’État dont il ou elle est originaire (Ellermann 2008 ; 2009). Ceci en fait, sous le vocable de la « circulation des personnes » puis de la « réadmission », un objet de négociations internationales. À partir de la fin des années 1990, avec la communautarisation
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progressive des politiques migratoires, la réadmission devient aussi un enjeu des relations extérieures de l’Union européenne, comme nous le verrons plus loin. La « réadmission » est fréquemment présentée comme une obligation coutumière du droit international, dérivée, comme le terme l’indique, du principe d’admission des individus sur un territoire et du droit des individus à retourner dans leur pays (Coleman 2009 ; Cassarino 2010b). L’obligation pour les États de réadmettre leurs ressortissants apparaît dans les traités dès le début du XIXème siècle. Par la suite, le traité du Gotha, une convention multilatérale entre États allemands signée en 1851, garantit l’assistance des pauvres mais représente surtout un engagement de la part des États signataires, à réintégrer sur leur territoire leurs ressortissants pauvres (Rosental 2011). Ce traité constitue ainsi la base d’une argumentation juridique selon laquelle la réadmission de leurs ressortissants est une obligation coutumière des États. Malgré l’échec du protocole adopté sur la question à la conférence de codification du droit international de la Haye en 19301, cette conférence est généralement considérée comme une preuve de l’établissement d’une obligation internationale de réadmission, et la mise en place de l’obligation de réadmission figure dans plusieurs traités du XIXème siècle et d’entre-deux-guerres. (Hailbronner 1997). Cette affirmation fait cependant partie d’une argumentation normative qui vise à asseoir la réadmission comme obligation des États : en effet, comme le souligne Paul-André Rosental, si l’expulsion d’un étranger constitue une expression de la souveraineté étatique2, « elle en représente aussi la limite puisqu’elle suppose l’accord de l’État d’origine » (Rosental 2011, 370), accord qui ne va nullement de soi. La signature d’accords visant à réguler ou faciliter le renvoi de migrants vers leurs pays d’origine atteste tant de la reconnaissance par les États de l’obligation de réadmettre que de la difficulté à faire respecter celle-ci. Les traités du XIXème siècle et d’entre-deux-guerres apparaissent ainsi comme les précurseurs d’accords internationaux qui se multiplient dans les années 1950 et 1960, et qui visent tous à régir le renvoi de migrants vers leur pays d’origine. Ces accords sont fréquemment décrits comme la « première génération » des accords de réadmission (Bouteillet-Paquet 2003)3. En réalité, d’une part comme nous l’avons vu, ces
1
Un protocole est adopté malgré les réserves de certains États, mais il n’a jamais été mis en œuvre. Pour une discussion de la notion de souveraineté et des usages du terme, voir Walker 2006. 3 Voir aussi par exemple le rapport des Consultations intergouvernementales pour l’asile, les réfugiés et les politiques migratoires en Europe, en Amérique du Nord et en Australie, qui décrit les accords des années 1990 comme une « seconde génération » : INTER-GOVERNMENTAL CONSULTATIONS FOR ASYLUM, 2
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accords ne sont nullement les premiers du genre ; d’autre part, ces accords ne sont pas désignés par le terme de « réadmission », ni au XIXème siècle, ni dans les années 1950 et 1960. On parle au XIXème siècle, comme dans le traité du Gotha de 1851 d’une « obligation réciproque de recevoir les individus » qu’un État « trouverait nécessaire d'expulser de son territoire »1, et, dans les années 1950 et 1960 de « prise en charge des personnes à la frontière »2. La dénomination « accords de réadmission » date des années 1990. Certains accords portent encore d’autres titres, comme l’accord par échange de lettres entre le Maroc et la France de 1993, qui concerne « la circulation des personnes ». Cependant, le terme de « réadmission » se généralise. Un accord de réadmission franco-espagnol est par exemple conclu sous ce titre en 19883, et le terme de réadmission apparaît également dans l’accord conclu entre l’Espagne et le Maroc en 19924. Les années 1990 apparaissent comme la grande période des accords de réadmission. On en compte 302 signés pendant cette décennie, contre 18 entre 1950 et 19905. On peut ainsi dénombrer, fin 1999, cent trente accords de réadmission conclus entre les quinze États membres de l’UE, l’Islande, la Norvège d’une part, et cinquante-huit États tiers d’autre part (Kruse 2006)6. Cette différence dans les termes employés n’est pas seulement une différence de vocabulaire : les enjeux que recouvrent les accords de réadmission des années 1990 diffèrent largement de ceux des années 1950-1960 et encore plus de ceux du XIXème siècle. En effet, ces derniers concernent essentiellement les ressortissants des États signataires. En revanche, à partir des années 1950, les accords concernent aussi les étrangers qui ont « transité » par le
REFUGEE AND MIGRATION POLICIES IN EUROPE, NORTH AMERICA AND AUSTRALIA (2002). IGC Report on readmission agreements, janvier, p.9. 1 GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG (1855). Arrêté royal grand-ducal du 21 février 1855, relatif à l’accession du Grand-Duché à la Convention de Gotha. 2 Voir par exemple l’accord de 1960 entre les États du Benelux (Denoël 1993) ou encore l’accord franco-suisse de 1965 (Accord du 30 Juin 1965 entre le Conseil fédéral suisse et le gouvernement de la République française relatif a la prise en charge de personnes à la frontière (avec Échange de Notes)). 3 Cité dans MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR (2004). Décret N°2004-226 du 9 Mars 2004 portant publication de l’accord entre la République française et le Royaume d’Espagne relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière, Signé à Malaga Le 26 Novembre 2002, entré en vigueur le 21 Décembre 2003, JORF, 16 mars. 4
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1992). Accord entre le Royaume du Maroc et le Royaume d’Espagne relatif à la circulation des personnes et le transit et la réadmission des étrangers qui pénètrent d'une façon illégale (Acuerdo entre el Reino de Marruecos y el Reino de España relativo a la circulacion de personas, el transito y la readmision de extranjeros entrados ilegalmente), s.n., 13 février. 5 INTER-GOVERNMENTAL CONSULTATIONS FOR ASYLUM, REFUGEE AND MIGRATION POLICIES IN EUROPE, NORTH AMERICA AND AUSTRALIA (2002), op.cit., p.9. 6 La plateforme Return migration Development Platform (RDP) recense les accords de réadmission ou liés à la réadmission et en propose des représentations graphiques sous forme de « toiles » ou de réseaux (Annexe 3). Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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territoire d’un État signataire mais n’en sont pas des ressortissants (Denoël 1993 ; Coleman 2009). Le contrôle étatique du territoire est alors d’autant plus un enjeu que l’État qui désire renvoyer un étranger en situation irrégulière doit obtenir l’accord d’un État dont cet étranger n’est pas le ressortissant. Deux différences fondamentales séparent les accords des années 1950-60 de ceux des années 1990. D’une part, le contexte économique et politique des politiques migratoires : dans les décennies d’après-guerre, les pays européens sont plutôt demandeurs d’immigration, et les accords sur les retours forcés conclus entre eux ne visent donc que des cas relativement marginaux ; au contraire, dans les années 1990, les accords sont inclus dans le cadre de politiques migratoires restrictives et bien plus médiatiques. Ceci signifie que la visibilité des politiques nationales liées aux migrations et donc des politiques de retour est plus importante. D’autre part, une autre différence fondamentale concerne le type de pays avec lesquels ces accords sont signés. En effet, dans les années 1950-60, les accords étaient conclus entre des pays aux statuts économiques similaires : ils étaient donc des accords réciproques, chaque État signataire pouvant être amené à renvoyer un étranger en situation irrégulière vers l’autre État et réciproquement. En revanche, dans les années 1990, les accords de réadmission sont très souvent conclus entre des pays d’immigration et des pays d’émigration. Des rapports de domination apparaissent également à travers l’insertion de clauses de réadmission dans des accords commerciaux, par exemple dans les accords de Cotonou avec le groupe de pays Afrique-Caraïbes-Pacifique (Coleman 2009) : ceci signifie que la réadmission est insérée dans des négociations sur d’autres sujets. En d’autres termes, les accords de réadmission font partie du dispositif décrit par Aristide Zolberg (1989, 406) pour qui, « dans un monde caractérisé par des conditions largement variables, les frontières internationales servent à maintenir l’inégalité mondiale ». Ainsi, de nombreux accords sont conclus entre des États d’Europe de l’Ouest et d’autres d’Europe centrale ou orientale (Coleman 2009). La réciprocité n’est souvent pas incluse dans le texte des accords, et lorsqu’elle l’est, demeure largement fictive. Les accords de réadmission sont bien plutôt l’engagement d’un État à accepter le retour des migrants estimés indésirables par un autre. La capacité d’un État à décider qui entre et sort reste considérée comme un élément important de sa capacité de contrôle du territoire. Ceci est d’autant plus vrai lorsque ces accords sont négociés avec des pays qui ont, par le passé, été colonisés par des États européens. C’est pourquoi la négociation d’accords de réadmission est
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un exercice difficile. Bien que de nombreux accords de réadmission officiels aient été conclus, la pratique des retours forcés repose encore largement sur des accords plus informels entre les polices des différents pays impliqués. Ce type d’arrangements est même de plus en plus courant et, dans certains cas, favorisé par rapport aux accords de réadmission formels (Cassarino 2007b). Les négociations ont alors lieu à un niveau différent, et concernent plutôt les retours forcés en tant que pratique. La réadmission a donc été constituée progressivement en tant qu’objet de négociations internationales. Il s’agit non seulement d’un enjeu qui a gagné en importance quantitative dans les relations internationales, mais aussi d’un enjeu dont la signification a varié au cours du temps. Le terme de réadmission, qui sera employé tout au long de cette thèse, ne désigne donc pas tant le processus effectif des retours forcés que ces retours en tant qu’objet de l’administration étatique et de négociations internationales. Enfin, la réadmission en tant qu’objet de relations internationales prend également un sens nouveau lorsqu’elle est négociée en situation d’asymétrie. La question de la réciprocité – ou non – des accords est fondamentale pour comprendre en quoi les accords de réadmission ont pris une importance qui peut paraître disproportionnée dans les relations entre les États européens et les pays frontaliers. Ceci est d’autant plus vrai que la question de la réadmission a connu une intégration progressive au sein des compétences – de nature intergouvernementale puis communautaire – de l’UE.
2) Intégration européenne et externalisation des politiques européennes La réadmission en tant qu’enjeu international a gagné en visibilité et en importance avec la communautarisation progressive de certaines négociations. En effet, au cours des années 1990, les États membres ont accru leur coopération sur les questions migratoires, y compris sur le retour des migrants en situation irrégulière. Parallèlement, ils ont développé une politique européenne envers les pays frontaliers de l’UE. Pour le cas du Maroc dans le cadre d’une politique méditerranéenne à partir de 1995, puis de la politique dite « de voisinage » à partir de 2004. La réadmission est entrée dans le domaine de compétences de la Commission européenne en 1999, avec l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam. La négociation d’accords de réadmission multilatéraux est alors devenue partie intégrante de la politique extérieure de l’Union européenne. En tant que telle, elle est à la fois un enjeu interne à l’UE dans la mesure où elle pose une question de renforcement des compétences de la Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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Commission, et un enjeu par rapport aux relations internationales dans le domaine des migrations, puisque l’alliance des États européens renforce l’asymétrie avec les pays du Sud, puisque l’ensemble des pays « dominants » sont alliés dans les négociations. La plus grande partie des accords de réadmission sont le fait d’États européens : selon un rapport de la Consultation inter-gouvernementale sur les politiques d’asile et de migration, 89% des accords de réadmission dans le monde ont été conclus par des États européens : on peut donc voir la signature d’accords de ce type comme un phénomène européen. Cependant, parmi les pays européens, les disparités sont grandes et un petit nombre d’États concentrent la plus grande part de l’activité dans ce domaine : la France, l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche et l’Italie1. Parmi ces accords au début des années 2000, les accords multilatéraux sont peu nombreux. Cependant, parallèlement à la « renaissance » (Coleman 2009) des accords de réadmission bilatéraux dans les années 1990, une politique commune de « lutte contre les migrations illégales » est développée au niveau européen : cette politique est d’abord présentée comme une mesure compensatoire à l’ouverture des frontières internes, puis comme une coordination nécessaire des efforts face à un « risque migratoire » accru (Bigo 1996 ; Guiraudon 2003). C’est dans ce cadre que la question du retour forcé des migrants en situation irrégulière est abordée au niveau européen. Un premier accord multilatéral « relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière » est conclu entre les États liés par l’accord de Schengen et la Pologne en 19912. En 1994, le Conseil adopte un modèle commun pour les accords de réadmission conclus par les États membres avec des pays tiers3. Des clauses de réadmission sont progressivement insérées dans certains accords d’association avec des pays tiers. Les prérogatives européennes sur le sujet sont renforcées par le traité d’Amsterdam. Enfin les États membres décident, lors du Conseil de Tampere en 1999, de déléguer la négociation de certains accords de
1
Ce rapport dénombre ainsi 2 accords de réadmission signés par les États-Unis, 4 par l’Australie et 12 par le Canada, tandis que la moyenne des accords conclus par les États européens est d’environ 25. Au sein de l’Europe, les variations sont également importantes : on dénombre par exemple 5 accords pour le Portugal ou l’Islande, mais 44 pour la France, 34 pour l’Allemagne ; 29 pour la Suisse ; 24 pour l’Italie et l’Autriche ; et 14 pour l’Espagne ou la Suède. INTER-GOVERNMENTAL CONSULTATIONS FOR ASYLUM, REFUGEE AND MIGRATION POLICIES IN EUROPE, NORTH AMERICA AND AUSTRALIA (2002), op.cit. 2 PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE (1994). Décret No 94-49 Du 12 Janvier 1994 Portant Publication de L’accord Relatif à La Réadmission Des Personnes En Situation Irrégulière (ensemble Une Déclaration Commune et Un Procès-verbal), Signé à Bruxelles Le 29 Mars 1991, JORF n°16 , 20 janvier 1994. 3
CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE (1996a). Recommandation du Conseil du 24 juillet 1995 concernant les principes directeurs à suivre lors de l’élaboration de protocoles sur la mise en œuvre d’accords de réadmission, Journal officiel des Communautés européennes, n° C 274/25, 19 septembre, p. 25-33. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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réadmission à la Commission. En septembre 2000, les premiers mandats de négociation sont délivrés à la Commission, pour des négociations avec le Maroc, le Sri Lanka, la Russie et le Pakistan (Coleman 2009). Cependant, en dépit de cette décision du Conseil, la répartition des compétences entre États membres et Commission reste problématique. Elle constitue un enjeu important dans les relations entre la direction générale des affaires intérieures, dont l’existence est formalisée en 1999, et les États membres : en effet, il en va de la définition des compétences de cette direction dans le domaine des affaires extérieures. La réadmission prend alors une importance croissante dans les relations avec certains pays tiers, perçus comme des sources potentielles d’émigration ou des routes de passage vers le territoire de l’Union européenne, et constitue l’essentiel des négociations sur les migrations avec les États non-membres. La justification derrière la délégation de la réadmission par les États membres à la Commission est d’augmenter les chances de conclure un accord de réadmission avec des pays tiers récalcitrants. Ceux-ci sont en effet réticents à signer de tels accords, en particulier au sujet des clauses concernant le retour forcé de migrants qui ne sont pas leurs ressortissants, mais qui auraient « transité » par leur territoire avant leur arrivée dans l’Union européenne. Il s’agit donc d’une part de regrouper le poids des États membres dans les négociations, d’autre part de conclure des accords valables pour l’ensemble du territoire de l’Union européenne, étant donné la quasi-absence de contrôles aux frontières internes. Cependant, cette négociation de l’ensemble de l’Union avec des États tiers exacerbe encore davantage l’asymétrie constatée dans les accords de réadmission bilatéraux des années 1990 : celle-ci ne repose plus seulement sur l’asymétrie de fait entre des pays d’immigration et des pays d’émigration ou de transit, ni sur les inégalités économiques et militaires qui y sont souvent associées, mais aussi sur l’asymétrie d’un accord qui engage plusieurs États d’un côté à un seul État de l’autre. La question de la réadmission est donc non seulement un enjeu des relations internationales, mais elle est aussi un enjeu pour l’intégration européenne, et notamment pour la construction d’une politique extérieure européenne, en particulier dans « le voisinage » de l’UE (Jeandesboz 2011). Si la Commission a connu réussi à signer seize accords de réadmission avec des pays tiers à ce jour (voir annexe 5), certains États continuent de refuser de signer ou même, comme l’Algérie, de négocier un tel accord. En dépit de l’accentuation de l’asymétrie des négociations, la partie dominée a priori ne cède pas toujours facilement. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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3) Le cas des négociations sur la réadmission entre le Maroc et l’Union européenne Le cas des négociations sur la réadmission entre le Maroc et l’Union européenne est particulièrement intéressant étant donné la longueur de ces négociations : celles-ci durent en effet depuis 2003, soit plus de dix ans. Ceci est particulièrement étonnant étant donné l’importance des liens économiques et politiques entre le Maroc et certains États membres et l’UE, et la coopération bilatérale de longue date sur le sujet des migrations avec certains de ces États. Ce cas vient donc questionner la politique européenne en matière de réadmission, la politique de voisinage et plus généralement la politique extérieure de l’Union européenne et leurs prémisses, tout autant que les présupposés analytiques sur les relations internationales asymétriques. Les relations économiques du Maroc avec les pays d’Europe de l’Ouest sont fortes, en particulier avec les anciennes puissances coloniales, notamment la France, dont le protectorat sur le territoire marocain a duré de 1912 à 1956. En 2012, les importations en provenance de la France représentaient 12,5% des importations marocaines, tandis que l’Espagne devançait ce pays comme premier fournisseur du Maroc cette même année ; les exportations marocaines vers la France constituaient 22,6% des exportations marocaines1. De plus, de nombreuses entreprises européennes sont installées au Maroc2. Le poids économique des États européens sur le Maroc ne fait donc pas de doute. A ceci s’ajoutent des aides au développement importantes de la part de ces États et de l’Union européenne. L’UE a notamment développé une coopération dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen à partir de 1995, avec un accord d’association signé en 1996 et entré en vigueur en 20003 : sur la période 1995-2006, 1,6 milliard d'euros ont ainsi été destinés à des projets au Maroc, ce qui fait de ce pays le premier bénéficiaire de l'assistance de l'Union européenne parmi tous les partenaires méditerranéens4. La dépendance de l’économie marocaine par rapport aux pays européens pourrait théoriquement être considéré comme un facteur puissant pour convaincre l’État marocain de conclure un accord de réadmission avec l’Union européenne. 1
« Les relations économiques franco-marocaines », La France au Maroc, 24 juillet 2013. « Les péripéties du business français au royaume », Lakome.fr, 3 avril 2013. 3 Accord Euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part, Journal officiel des Communautés européennes, L 70, 18 mars 2000. 4 « Maroc », Développement et coopération Europeaid, 30 avril 2013. http://ec.europa.eu/europeaid/where/neighbourhood/country-cooperation/morocco/morocco_fr.htm [consulté le 3 septembre 2013] 2
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La réticence marocaine à signer, et même à négocier un accord avec l’UE peut sembler d’autant plus surprenante étant donné la collaboration de longue date avec plusieurs États membres sur les questions migratoires. En effet, cette collaboration commence dès les années 1960, lorsque plusieurs conventions de main d’œuvre sont signées entre le Maroc et l’Allemagne, la France, la Belgique ou encore les Pays-Bas. Ces conventions donnent lieu à une émigration marocaine importante, nourrie par ailleurs par de nombreuses migrations en dehors de ces conventions, notamment celles des personnes qui arrivent en tant que touristes mais trouvent un emploi et restent en Europe. Dès 1968, on peut dénombrer 84 000 Marocains en France, 21 000 en Belgique, 18 000 en Allemagne et 13 000 aux Pays-Bas. Dans les années 1980 et 1990, l’Espagne et l’Italie deviennent également des destinations de choix. En 2007, pour une population d’environ 30,6 millions de personnes, 2,837 millions de personnes marocaines étaient enregistrées dans les consulats marocains de ces pays, dont 1,131 million en France, 547 000 en Espagne, 379 000 aux Pays-Bas, 285 000 en Italie, 278 000 en Belgique, et 130 000 en Allemagne. Bien que l’émigration vers l’Amérique du Nord et les pays du Golfe se soit développée dans les années 1990, l’Europe de l’Ouest reste la destination privilégiée des émigrés marocains (H. de Haas 2005 ; Fargues 2008, 249). Jusqu’aux années 1970, la coopération entre l’État marocain et les différents États européens prend essentiellement la forme de négociations au sujet des droits des migrants marocains, notamment en termes de droits sociaux et familiaux. A partir du milieu des années 1970, suite à l’adoption de politiques d’immigration restrictives dans plusieurs pays européens, la question du retour – d’abord volontaire pour les migrants réguliers, puis forcé pour les migrants irréguliers – est posée, ainsi que celle du contrôle de l’entrée aux frontières. Les retours forcés sont codifiés par des accords plus ou moins formels avec plusieurs États, notamment la France, l’Espagne et l’Allemagne. Avec l’Espagne, un accord de réadmission formel est conclu en 1992, mais les relations tendues avec ce pays, notamment autour de conflits territoriaux, rendent sa mise en œuvre difficile (Marrero Rocha 2005). La place de la réadmission dans les relations bilatérales avec certains pays européens a également gagné en importance au cours des années 1990 avec l’augmentation du nombre de Marocains en situation irrégulière, dont certains franchissent la frontière irrégulièrement, à bord de bateaux qui traversent le détroit de Gibraltar. A cela s’ajoute la transformation du Maroc en « pays de transit », selon l’expression consacrée pour parler de pays par lesquels passent des migrants venus de plus loin. Le Maroc a ainsi connu une immigration venue
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essentiellement de pays situés plus au sud, en partie à cause des restrictions à l’immigration de la part des pays européens. Suite à la mise en place de systèmes de visas plus exigeants (Guild et Bigo 2003a) et au renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne dans les années 1990, le nombre de migrants tentant d’atteindre le territoire des États membres en passant irrégulièrement les frontières (plutôt qu’en arrivant en tant que touriste, par exemple) a augmenté (Collyer 2006; H. de Haas 2007a). Le Maroc, qui se trouve à seulement quatorze kilomètres des côtes espagnoles dans le détroit de Gibraltar, partage aussi des frontières terrestres avec l’Espagne, qui occupe les deux enclaves de Ceuta et Melilla dans le nord du Maroc : le pays apparaît donc comme un point de passage privilégié. S’il est difficile d’évaluer les chiffres de ces franchissements irréguliers des frontières (Collyer 2006; H. de Haas 2007a; 2008), l’émergence de ces migrations, combinée à la mise en place de contrôles accrus sur les côtes méditerranéennes, notamment à partir de 1999, a d’abord conduit à une augmentation des interceptions de migrants irréguliers, marocains et étrangers dans cette zone. Le « Système intégré de vigilance extérieure » (SIVE), un système de surveillance des frontières maritimes, est mis en place par l’Espagne et la France en Méditerranée. Le sud du Maroc a ensuite également été concerné, avec un nombre croissant de passages depuis la côte marocaine en direction des îles Canaries au début des années 2000, et SIVE est également développé dans les Canaries à partir de 20031. L’augmentation du nombre de migrants interceptés entre la fin des années 1990 et le début des années 2000 est visible dans le tableau ci-dessous. Il est difficile de savoir si elle est le résultat d’une augmentation des tentatives de passage ou de l’intensification du contrôle des frontières. Le ministère de l’Intérieur marocain donne ainsi les chiffres présentés dans le tableau ci-dessous. Il faut tenir compte de cette difficulté dans l’usage des statistiques gouvernementales, qui portent sur les interceptions, et non sur le nombre de passages, qui reste impossible à déterminer. Ces statistiques portent donc autant sur les activités étatiques de contrôle des frontières que sur les traversées de migrants.
1
« Sistema Integrado de Vigilancia Exterior », Guardia http://www.guardiacivil.es/es/prensa/especiales/sive/ [consulté le 3 septembre 2013]. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
Civil,
2012.
36
Année
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
Marocains 9850
13 002
16 100
12 400
9 353
7 914
7 091
6 619
Étrangers
14 395
15 000
15 300
23 851
17 252
21 894
9 469
7 830
Total
24 245
28 002
31 400
36 251
26 605
29 808
16 560
14 449
Tableau 1 – Interceptions de migrants irréguliers entre 2000 et 2007 d’après le ministère de l’Intérieur marocain1
Ce phénomène de traversées en mer n’est pas spécifique au Maroc, en Méditerranée, et des embarcations partent également d’Algérie, de Tunisie et de Libye. La couverture médiatique de ces traversées lors d’interceptions ou d’arrivées sur les côtes des pays européens renforce l’aspect spectaculaire de ces traversées. La dimension de spectacle médiatique s’accroît, dans le cas du Maroc, avec le récit de « l’assaut » donné par un millier de migrants subsahariens aux barrières de barbelés entourant les enclaves de Ceuta et Melilla en septembre 2005 et de la répression des autorités espagnoles et marocaines2. Ces événements participent de la focalisation de l’attention politique en Europe sur le phénomène du passage des frontières depuis le Maroc. A la fin des années 1990, le Maroc apparaît parmi les pays prioritaires pour une action de l’Union européenne dans le domaine des migrations : il est identifié ainsi par le Comité de haut niveau sur les migrations et l’asile (High-level working group HLWG) au sein du Conseil, chargé en 1999 de déterminer les pays prioritaires dans ce domaine. Cette action se concentre essentiellement dès le départ sur le contrôle des frontières et sur la question de la réadmission. Le Maroc fait partie des premiers mandats de négociation délivrés par le Conseil à la Commission, et les négociations commencent en 2003. Cependant, en 2010, après quinze rounds de négociation, l’accord de réadmission n’est toujours pas signé, alors même que le Maroc est parmi les premiers pays vers lesquels les États membres de l’Union européenne cherchent à renvoyer des migrants irréguliers, comme le montre le tableau suivant.
1
D’après le tableau présenté dans Fargues 2008, p.251. Voir BLANCHARD, Emmanuel et C. CHARLES et al. (2006). Guerre aux migrants : Le livre noir de Ceuta et Melilla. Migreurop.
2
Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
37
2008
2012
Albanie
78845
Maroc
35810
Maroc
46075
Pakistan
35635
Afghanistan
39950
Afghanistan
28465
Irak
33905
Algérie
22860
Algérie
20765
Bangladesh
20270
Inde
19060
Tunisie
18530
Chine
18495
Albanie
16850
Pakistan
16855
Inde
15400
Turquie
15715
Russie
14535
Tunisie
14635
Serbie
14475
Tableau 2 – Principaux pays d’origine des ressortissants de pays tiers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire dans l'Union européenne (données arrondies) en 2008 et 2012, d'après Eurostat1
Le Maroc figure ainsi comme l’une des priorités des pays européens dans le domaine de la réadmission. La résistance des négociateurs marocains est donc surprenante, étant donné le poids des relations économiques avec les États membres et l’Union européenne, ainsi que la coopération préalable avec plusieurs États membres sur la question du contrôle des migrations et des retours forcés. Cette résistance est similaire à celle d’autres pays « voisins » de l’Europe, notamment l’Algérie qui refuse de négocier un accord de réadmission européen. De même, les négociations avec la Turquie ont commencé en 2005, plus de deux ans après l’obtention d’un mandat par la Commission, ont duré presque sept ans, et l’accord n’a pas encore été ratifié par la Turquie2. Étant donné l’asymétrie des exigences posées par les accords de réadmission, cette réticence n’est guère surprenante. En revanche, le Maroc ne dispose pas, comme l’Algérie, de ressources en hydrocarbures importantes qui pourraient peser dans ses relations avec les pays européens et l’Union européenne. Par ailleurs, le cas de la Turquie est aussi particulier, puisque ce pays dispose de la perspective d’adhésion à l’UE, qui pourrait fonctionner comme une incitation puissante, ce qui n’est pas le cas du Maroc.
1
Tableau réalisé à partir des données Eurostat sur les ressortissants de pays tiers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire (c’est-à-dire d’une décision administrative ou judiciaire en ce sens). Les données dans ce domaine sont disponibles pour 2008-2012. Eurostat, Third country nationals ordered to leave - annual data (rounded) [migr_eiord], 2013. 2 L’accord trouvé en 2011 a été signé en 2012, mais n’a pas encore été ratifié : « Readmission Agreement between the EU and Turkey Initialled », European Council on Refugees and Exiles Weekly Bulletin, 29 juin 2012 ; « Turkish concerns over EU readmission agreement still unresolved », Today’s Zaman, 11 août 2013. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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Enfin, le cas du Maroc est particulièrement intéressant parce que sa diplomatie a développé un discours spécifique sur les politiques migratoires et les relations avec l’Afrique subsaharienne. En dépit d’un nombre important de concessions européennes dans les relations avec le Maroc, l’accord de réadmission, régulièrement mentionné comme l’une des attentes importantes, en particulier dans le domaine des migrations, n’est toujours pas signé. Ce n’est qu’en 2013, avec la signature d’un partenariat pour la mobilité, que les négociations sur le sujet reprennent. En revanche, un certain nombre des demandes marocaines sur les migrations ont été satisfaites, notamment l’adoption d’une « approche globale » des migrations en 2005 par l’Union européenne et l’accord européen pour des négociations autour de la facilitation des visas en 2013. Le refus des négociateurs marocains de signer l’accord de réadmission n’a pas non plus conduit à un ralentissement dans la relation globale entre le Maroc et l’Union européenne : le « statut avancé », sorte d’accord d’association poussé, a été adopté pour le Maroc en 2008, par exemple ; un accord libéralisant davantage le commerce agricole a obtenu l’accord du Parlement européen début 2012 ; et des négociations pour un « accord de libre échange complet et approfondi » ont commencé en 20131. De plus, les négociations sur la réadmission sont intégrées à un ensemble plus global de coopération autour des migrations, dont la lutte contre les « migrations irrégulières » constitue un pan important mais pas unique : ainsi, un certain nombre d’initiatives ont été déployées et renforcées dans le domaine des migrations régulières (de travail notamment) et de l’encouragement des liens entre migrations et développement. Tout ceci conduit à interroger l’asymétrie des relations entre le Maroc et l’Union européenne, et à questionner le fonctionnement des relations de domination entre États. Pour conclure, nous avons choisi d’étudier dans cette thèse le cas des négociations sur la réadmission car celle-ci, en tant qu’objet des relations internationales, soulève l’enjeu de négociations asymétriques entre les États, renforcé par la délégation des négociations à l’Union européenne. Le cas des négociations avec le Maroc montre que l’asymétrie initiale ne se traduit pas nécessairement par l’accord pur et simple de la partie la moins favorisée a priori. Il questionne donc à la fois les rapports de force entre États et l’idée selon laquelle « l’Union fait la force » (Meunier 2005). Or, les analyses qui se sont penchées sur le cas de la résistance marocaine à la signature d’un accord de réadmission avec l’Union européenne se 1
EL MAHJOUB, Rouane (2013). « Maroc-UE. Vers un accord de libre-échange complet et approfondi », Le Matin, 1er mars. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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sont essentiellement concentrées sur l’insuffisance des incitations offertes par l’UE face à un « intérêt marocain » : ces explications, focalisées sur l’Union européenne et le processus de construction d’une politique extérieure, prennent rarement en compte la difficulté d’user d’incitations dans les négociations d’une part, et la construction complexe de « l’intérêt marocain » d’autre part.
B - Problématique et hypothèses Après avoir défini notre objet, nous pouvons maintenant formuler plus précisément notre problématique et formuler des hypothèses, avant de présenter brièvement le déroulement de notre recherche.
1) Problématique Le cas des négociations sur la réadmission entre le Maroc et l’Union européenne interroge la politique extérieure de l’Union européenne et la dimension asymétrique de la politique de voisinage élaborée dans ce cadre. Comment expliquer la difficulté des négociations avec certains États ? Répondre à cette question suppose de se pencher sur des mécanismes internes à l’Union européenne, autrement dit de répondre à la question de l’influence des processus de mise en place et d’évolution de
la politique extérieure
européenne sur les négociations. Cela suppose cependant aussi de répondre à la question de l’influence des relations avec les pays tiers sur la définition des politiques extérieures européennes. En dépit de l’asymétrie de départ qui caractérise les relations de l’Union européenne avec les pays voisins, la capacité d’action des acteurs étatiques de ces pays dans ces relations ne doit pas être négligée. Plus généralement, nous entendons à travers le cas des négociations sur la réadmission examiner des négociations en situation d'asymétrie, afin de montrer comment la partie la moins favorisée peut user de divers moyens dans diverses arènes pour résister aux exigences de la partie la plus favorisée et faire entendre ses revendications. Nous refusons ainsi de concevoir la politique extérieure de l'Union européenne seulement comme la projection à l'extérieur d'une politique européenne unifiée, en nous intéressant à la diversité des acteurs engagés dans cette politique, tant dans l'UE que dans les pays avec lesquels les acteurs européens interagissent.
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2) L’hypothèse de la gouvernance externe Une première hypothèse pour expliquer la difficulté des négociations européennes sur la réadmission avec certains États, dont le Maroc, consiste à voir les limites à la capacité de négociation de la Commission dans les limites de la délégation des compétences au sein de l’Union européenne. Elle explique donc les difficultés de la politique extérieure de l’Union européenne par des enjeux essentiellement internes, reposant essentiellement sur des rivalités entre États membres et Commission. Cette hypothèse reposerait en partie sur les explications en terme de « gouvernance externe » (Lavenex 2004 ; Lavenex et Schimmelfennig 2009), que nous examinerons plus loin dans cette introduction. Celle-ci repose essentiellement sur le postulat d’un lien entre coordination des politiques migratoires internes et politique extérieure européenne des migrations. Dans cette recherche, nous examinons donc les liens entre la communautarisation des questions migratoires et les négociations européennes. Ceci passe notamment par une analyse des contraintes institutionnelles posées par les débats sur la délégation de compétences (Meunier 2005). Cependant, cette hypothèse rencontre selon nous plusieurs limites pour répondre à la question posée par le cas des négociations sur la réadmission. D’une part, les enjeux internes qui contraignent le « pouvoir de négociation » des négociateurs de la Commission, s’ils sont centrés autour de rivalités avec les États membres, concernent aussi des questions de concurrences internes à la Commission. La question posée n’est donc pas seulement celle de la délégation de compétences dans le domaine de la politique extérieure, mais aussi une question organisationnelle (Boswell 2003). D’autre part, l’explication des difficultés des négociations par les contraintes imposées aux négociateurs de la Commission par les États membres reprend largement le discours des acteurs de la Commission euxmêmes, sans véritablement le questionner. Enfin, cette hypothèse envisage la politique extérieure comme une politique intérieure, et ne s’interroge donc pas sur le rôle du positionnement des pays voisins sur l’évolution de cette politique.
3) L’hypothèse d’une capacité d’action des acteurs des pays tiers Nous proposons donc de considérer une hypothèse alternative, à partir des positions et des préférences de chacune des parties, sans tenir pour acquise la position des négociateurs marocains : ainsi, le niveau de priorité et l’homogénéité ou non des préférences de chaque partie jouent un rôle important. Du côté européen, l’enjeu de l’accord de réadmission est peu
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visible, mais pour des raisons organisationnelles et politiques – les politiques migratoires étant largement médiatisées et faisant l’objet de débats politiques importants depuis les années 1980 – il constitue une priorité pour les négociateurs de la direction générale des affaires intérieures. En revanche, ce niveau de priorité n’est guère partagé par les représentants des États membres ou par les acteurs du Service européen d’action extérieure. Du côté marocain, l’accord de réadmission ne constitue pas une priorité : d’une part, très visible médiatiquement, il est aussi impopulaire. D’autre part, il est considéré comme un enjeu secondaire dans les relations avec l’Union européenne et les États membres par rapport aux relations commerciales, par exemple. De plus, si les acteurs des différentes administrations s’accordent sur le refus de signer l’accord européen, cette homogénéité doit être expliquée. Nous examinerons donc l’hypothèse selon laquelle il ne suffit pas de regarder les acteurs européens et des États membres pour comprendre l’évolution de la politique extérieure européenne. C’est la convergence de ces facteurs qui rend difficiles les négociations. Ces deux dimensions examinées pour chaque partie et mises en relation permettent de comprendre que l’externalisation des politiques migratoires européennes est confrontée à une résistance de la part des pays tiers. Bien que cette hypothèse continue de reposer sur une explication des relations internationales en termes de préférences, elle tient compte des positions différenciées des différents acteurs des relations internationales en fonction d’un enjeu spécifique, et non de façon abstraite, ce qui est essentiel pour le développement d’une ontologie relationnelle des relations internationales (Mérand et Pouliot 2008, 611).
4) Organisation de la recherche Afin de répondre à la question de la résistance marocaine en dépit de l’asymétrie des relations de départ en examinant chacune de ces deux hypothèses, nous organiserons notre recherche en trois mouvements. Dans la première partie, nous chercherons d’abord à déconstruire l’idée d’une partie européenne unifiée dans les négociations avec le Maroc : cela passera d’abord par une déconstruction des discours sur les accords de réadmission communautaire comme mode de coopération standard pour les retours forcés, puis par une analyse du processus de délégation et de la question des incitations par les négociateurs européens. Cette première partie se concentre donc essentiellement, à travers une analyse des acteurs européens, sur un examen de la première hypothèse mise en avant ici. Elle montre
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notamment comment les discours décrivant un passage linéaire des politiques internes aux politiques externes doivent être remis en cause. Nous montrerons donc aussi, dans cette première partie, comment cette remise en cause laisse une place pour l’étude de la capacité d’action des acteurs étatiques marocains. La deuxième partie de cette thèse se concentrera plus spécifiquement sur ces acteurs marocains. A partir d’une historicisation des politiques et des institutions marocaines des migrations, nous envisagerons le Maroc en tant que sujet complexe des politiques internationales. Nous envisagerons ainsi les revendications portées par les acteurs administratifs marocains comme des discours autonomes. L’examen de la capacité d’action de ces acteurs passera par une étude des luttes concurrentielles entre les différents acteurs bureaucratiques engagés dans la définition des politiques migratoires marocaines et des usages différenciés qu’ils font des politiques européennes et internationales. Enfin, la dernière partie de ce travail se penchera sur l’imbrication entre négociations bilatérales sur les retours forcés et négociations d’un accord communautaire de réadmission. Elle montrera d’abord comment la mise en œuvre des retours forcés constitue un autre espace de négociation et de contestation pour les acteurs étatiques marocains, puis comment le partenariat pour la mobilité proposé au Maroc en 2011 et conclu en juin 2013 constitue un compromis entre négociations bilatérales et communautaires qui tient compte des revendications des acteurs marocains. Le choix de cette organisation pour étudier nos hypothèses découle en grande partie du cadre d’analyse que nous avons choisi et que nous explicitons à présent.
C - De l’externalisation à la « décolonisation » des études sur la politique extérieure de l’UE : état de la littérature et cadre d’analyse L’étude du cas des négociations sur la réadmission entre le Maroc et l’UE permet de remettre en cause une littérature sur la politique extérieure de l’Union européenne qui repose sur une analyse unilatérale de cette politique. Les recherches sur la « gouvernance externe » notamment, bien que fondées sur une étude des relations européennes avec des pays pour la plupart « dominés » (Sayad 1991), ne questionne pas le rôle de l’asymétrie dans la construction de cette politique. Or, plusieurs études des négociations sur les migrations ont souligné que les pays du Sud avaient, dans certains cas, instrumentalisé ce sujet, avec plus ou
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moins de succès, face à l’UE et aux pays européens. À partir de ce constat, nous exposerons ici comment notre réflexion entend contribuer à une décolonisation de l’étude des politiques extérieures européennes.
1) De l’Union européenne comme « puissance » à la « gouvernance externe » Notre questionnement s’inscrit dans une réflexion existante sur l’influence de l’Union européenne à l’extérieur de ses frontières. L’idée d’une puissance normative de l’UE, développée pour rendre compte de l’influence européenne en dépit de moyens militaires liés a été critiquée à partir des années 1990 en raison notamment de sa dimension prescriptive, mais aussi eurocentrique. L’idée de gouvernance externe a notamment été développée en réponse à la première critique de cette explication et met en avant une approche plus sociologique de la politique extérieure de l’UE et le rôle des structures internes sur la définition de cette politique. L’idée de gouvernance externe prétend répondre au caractère prescriptif des analyses de la puissance européenne mais reste elle-même profondément normative dès lors qu’elle n’interroge pas la question des relations asymétriques, et reproduit l’eurocentrisme des analyses en termes de puissance civile ou normative. Les limites de la « puissance normative » Les débats sur la conceptualisation de l’UE comme acteur international, entamés dès les années 1980, se sont développés dans les années 1990 (Bull 1982 ; Allen et Smith 1990 ; Manners 2002 ; Bretherton et Vogler 2006)1. La réflexion sur le rôle international de l’Union européenne s’est largement structurée autour d’un débat sur l’importance de la puissance militaire d’une part, et les possibilités d’une influence non-militaire de l’Union, à travers la notion de « puissance civile » introduite par François Duchêne (1973) d’autre part. L’idée de « puissance normative » en a été l’héritière. Elle a cherché à répondre aux critiques réalistes de l’idée de puissance civile (Bull 1982), notamment en proposant la possibilité d’une puissance idéelle ou idéologique de l’Union européenne. La diffusion de normes de démocratie, de droits de l’Homme et d’État de droit promues par l’UE serait ainsi possible par différents mécanismes de transfert (Manners 2002). Ce raisonnement a été étendu à d’autres normes, par exemple la paix, le développement durable ou la non-discrimination, avec l’idée que l’Union européenne aurait donc une préférence pour la « norme » plutôt que pour la 1
Pour une revue de littérature, voir Petiteville 2002.
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« force » et aurait ainsi développé des modes de « gouvernance » alternatifs (Laïdi 2005). Ceci signifierait, dans le domaine de politiques migratoires, que l’Union européenne serait à même d’exporter son approche auprès de ses voisins et plus généralement des pays tiers grâce à la persuasion et à la négociation d’accords régionaux. Plusieurs critiques sont adressées à cette conception de la puissance européenne (Orbie et Versluys 2009), mais on peut distinguer deux critiques centrales pour notre propos : l’une porte sur la normativité de cette approche, l’autre insiste plus particulièrement sur l’eurocentrisme de cette normativité. Ainsi, on peut mettre en avant la dimension prescriptive de cette approche qui évacue les cas où l’Union européenne ne respecte pas ses fondements normatifs. Ainsi, la notion de « puissance normative » apparaît plutôt comme un élément utile dans les représentations de l’UE par ses propres acteurs que comme une réalité (Manners 2010). Dans le cas des politiques migratoires, il peut sembler difficile d’envisager l’Union européenne comme un modèle normatif dans le domaine du respect des droits de l’Homme et des migrants. Les exigences européennes – de l’UE ou des États membres – aux pays tiers pour le contrôle des migrations ont pu conduire à des violations graves des droits de l’Homme dans des pays où ces violations sont moins soumises au contrôle judiciaire : le gouvernement italien, puis l’UE, ont par exemple demandé la coopération du gouvernement de Kadhafi malgré l’enfermement et les maltraitances subies par les migrants renvoyés en Libye1 ; ou encore lorsque les autorités marocaines reconduisent des migrants à la frontière avec l’Algérie et les abandonnent sans eau ni vivres dans le désert2. La deuxième critique est centrale pour notre argument : on peut en effet critiquer l’eurocentrisme de l’approche de l’Union européenne comme « puissance normative ». En effet, cette idée prête à l’Europe des normes largement partagées ailleurs et pose l’UE comme modèle. L’idée de l’Union européenne comme « puissance normative » semble, quelles qu’en soient les versions, reposer sur le présupposé selon lequel l’Europe serait devenue un modèle normatif pour le reste du monde (Petiteville 2011). Or, si les explications en termes de
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Voir par exemple HUMAN RIGHTS WATCH (2009). Pushed Back, Pushed Around. ; KRAFFT, Raphaël (2011). « Quand l’Italie traitait les migrants venus de Libye comme du bétail », Rue89, 2 avril ; ou encore VOGT, Andrea (2012). « Italy violated human rights by returning migrants to Libya, Court rules”, The Guardian, February 23. 2 Voir par exemple GROUPE ANTIRACISTE D’ACCOMPAGNEMENT ET DES DÉFENSE DES ÉTRANGERS ET MIGRANTS. Les droits humains des migrant(e)s subsaharien(ne)s au Maroc, 2010 et Feliu Martínez 2009. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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gouvernance externe tentent de répondre à la première critique, elles ne tiennent guère compte de la seconde.
Gouvernance externe et externalisation : des explications euro-centriques de la politique extérieure de l’UE Le débat sur l’influence ou non de l’Union européenne en dehors de ses frontières est ainsi marqué par une dimension normative importante. C’est pourquoi d’autres recherches ont choisi de se pencher sur la construction de la politique extérieure de l’UE et les mécanismes d’action de cette politique plutôt que sur son effectivité ou non. La notion d’externalisation a alors été mise en avant. Celle-ci décrit deux réalités distinctes, mais particulièrement visibles dans le domaine de la sécurité intérieure et des politiques migratoires : d’une part, l’exportation de problématiques des affaires intérieures vers la politique extérieure de l’Union européenne ; d’autre part, l’exportation vers des pays non-membres de politiques européennes (Wolff 2007). L’étude de ces deux dimensions est liée. Sandra Lavenex a ainsi développé l’idée selon laquelle l’UE exporte ou « externalise » son modèle endogène de sécurité intérieure dans le but d’élargir son territoire d’influence sans ouvrir ses « frontières institutionnelles » – ni physiques. La notion de « gouvernance externe » de l’Union européenne, en adaptant la logique néo-fonctionnaliste du spill-over (E. B. Haas 1958) à la politique extérieure de l’UE, lui permet ainsi de rendre compte du passage de certains objets de politique intérieure vers la politique extérieure de l’Union européenne. Ceci est en particulier le cas des politiques migratoires, sur lesquelles Sandra Lavenex base ses premiers travaux (2002 ; 2004). Les analyses de la « gouvernance externe » de l’UE se penchent donc sur les enjeux internes à la construction européenne dans la mise en place de la politique extérieure. L’un des objectifs est d’aller à l’encontre des approches réalistes des relations internationales qui aboutissent à souligner les lacunes de l’actorness international de l’UE mais ne sont pas satisfaisantes pour expliquer les relations de l’Union européenne avec ses voisins (Lavenex et Mérand 2007). Les approches en termes de « gouvernance externe » cherchent à sortir des cadres de pensée de l’État unitaire dans l’analyse de l’action extérieure de l’Union européenne, pour au contraire, à travers une perspective institutionnaliste, comprendre la variété des relations de l’UE avec les pays tiers. Cette approche s’est particulièrement
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penchée sur les pays « voisins » de l’Union européenne, que la promesse d’une accession à l’UE soit envisagée ou non (Lavenex et Wichmann 2009 ; Lavenex et Schimmelfennig 2009). Les relations extérieures de l’UE sont ainsi analysées comme en continuité avec les structures internes. La perspective de la gouvernance externe se concentre particulièrement sur une re-conceptualisation des frontières de l’action de l’UE, soulignant que la construction de la politique extérieure de l’UE porte autant sur les formes de l’intégration européenne que sur le rôle de l’Union à l’extérieur (Lavenex et Schimmelfennig 2009, 792‑795). L’étude des politiques migratoires a ainsi occupé une place de choix dans le développement de l’idée de « gouvernance externe », en particulier par Sandra Lavenex (Lavenex et Uçarer 2002 ; Lavenex et Uçarer 2004 ; Lavenex 2006). Ces analyses permettent donc de déconstruire l’idée selon laquelle la politique extérieure de l’UE doit être examinée à l’aune des politiques étrangères nationales. Elles montrent également que la construction d’une politique migratoire communautaire ne relève pas de l’évidence mais est, au contraire, le résultat de compromis dans lesquel l’extra-territorialisation d’une partie des politiques migratoires satisfait l’ensemble des acteurs européens. Cependant, ces approches nous ont paru insatisfaisantes pour expliquer les négociations sur la réadmission entre le Maroc et l’Union européenne. D’abord parce que l’expansion de la gouvernance interne en dehors des frontières de l’Union européenne est analysée comme un processus linéaire : les résistances à l’externalisation ne sont pas examinées en tant que telles mais apparaissent plutôt comme le résultat de conflits internes à l’Union européenne – les États membres ne permettant ainsi pas à la Commission de disposer d’incitations suffisantes dans ses négociations avec les pays tiers (Lavenex 2006). Or, si ces aspects sont importants à prendre en compte, il nous semble important pour l’étude d’une relation d’examiner l’autre partie des négociations. Par ailleurs, la plupart des travaux se réclamant de la « gouvernance externe », et tout particulièrement sur le thème des migrations, se concentrent sur une analyse des textes officiels produits par les institutions européennes. Si les premières analyses en la matière mettaient en avant des outils et une réflexion d’inspiration sociologique (Lavenex et Uçarer 2002 ; Lavenex 2006 ; Lavenex et Mérand 2007), il devient désormais difficile de distinguer l’analyse des discours tenus par les acteurs étudiés (Lavenex et Wichmann 2009 ; Kunz, Lavenex, et Panizzon 2011). Si les conditions de mise en œuvre sont parfois prises en compte dans l’analyse des politiques envers les pays candidats (Schimmelfennig et Sedelmeier 2004),
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elles sont fréquemment négligées dans l’étude des relations avec les autres pays et dans l’étude des politiques migratoires1. Enfin, la principale limite de cette approche pour l’étude des négociations Maroc-UE réside dans l’absence de prise en compte de l’asymétrie des relations qu’elle étudie. Bien que le concept de gouvernance externe ait été développé dans le cadre de travaux sur les relations européennes avec ses « voisins », moins puissants pour la plupart, la dimension asymétrique de la relation de l’UE avec les pays tiers est soulignée mais n’est guère étudiée en tant que telle. En effet, la perspective de la gouvernance externe cherche à remettre la notion d’interdépendance, ou plus précisément, les perceptions d’interdépendance, au cœur de l’analyse. La notion d’ « interdépendance complexe »2 est également la base des développements plus récents sur la « gouvernance mondiale » (Betts 2009 ; Betts 2011b) ou « multi-niveaux » des migrations (Kunz, Lavenex, et Panizzon 2011) qui se penchent sur l’imbrication entre politiques nationales, régionales et internationales. Bien que l’asymétrie de ces relations d’interdépendances, tant sur le plan économique que militaire ou politique soit mentionnée (Lavenex 2004, 682, 695), elle n’est jamais examinée en tant que telle. Les variations dans les relations aux pays tiers sont essentiellement envisagées à la lumière de leurs perspectives ou non d’adhésion à l’UE (Lavenex et Schimmelfennig 2009). Cependant, l’asymétrie signifie dans bien des cas une domination de l’UE sur ses voisins, à des degrés divers : elle va de relations avec d’anciennes colonies d’États membres dont l’UE est le partenaire économique principal et peut s’apparenter à une forme de néo-colonialisme, aux relations de l’UE avec la Russie, dans lesquelles l’asymétrie peut être remise en cause. Or, les études qui se sont intéressées à l’externalisation des politiques migratoires dans les pays tiers ont montré que cette externalisation était largement liée à une sécurisation croissante des migrations (Huysmans 2000). C’est la représentation des migrants comme des menaces potentielles pour l’Union européenne qui a conduit à adopter des politiques visant à empêcher l’arrivée de ces migrants sur le territoire européen et facilitant leur retour lorsqu’ils y accèdent. En ce sens, le terme d’externalisation permet de souligner la relation de domination entre des normes sécuritaires de contrôle des migrations adoptées dans l’Union européenne et les pays tiers vers lesquels l’UE tente d’exporter ces normes (Guiraudon et 1
On peut noter à cet égard le travail de Daniel Wunderlich (2009 ; 2010 ; 2012) sur la mise en œuvre des politiques migratoires européennes en Ukraine et au Maroc, qui s’inspire en partie des approches en termes de gouvernance externe mais se concentre sur la mise en œuvre. 2 Empruntée à la réflexion des relations internationales sur « l’interdépendance complexe » (Keohane et Nye 1977). Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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Lahav 2000 ; Boswell 2003 ; Geddes 2005 ; Guild, Carrera, et Balzacq 2008 ; Bigo et Guild 2010). Les analyses des accords de réadmission sont ainsi fréquemment décrites comme l’imposition d’objectifs européens à des pays tiers qui subissent cette externalisation (Gabrielli 2007 ; 2008 ; Audebert et Robin 2009 ; Coleman 2009). Mais, comme le souligne Pınar Bilgin, la littérature sur l’Union européenne et ses « voisins » dans le domaine de la sécurité laisse en général trop peu de place aux perspectives des acteurs de ces pays « voisins » (Bilgin 2009). Ceci est également le cas dans les analyses des relations entre le Maroc et l’Union européenne au sujet des migrations (Elmadmad 2004 ; Belguendouz 2005). Dans ces écrits, le rôle des gouvernements locaux est fréquemment implicitement un rôle de complicité ou de soumission mais il n’est jamais explicité en tant que tel. Ceci est le cas alors même qu’il s’agit de chercheurs qui connaissent parfaitement bien le contexte local et qui ont extensivement publié sur les politiques migratoires au Maroc. Le rôle du gouvernement marocain dans les politiques migratoires n’est donc négligé que dans sa relation asymétrique avec l’Europe. En ce sens, la littérature sur l’externalisation des politiques migratoires européennes reste euro-centrique et ne permet que partiellement d’expliquer l’évolution des politiques européennes. En effet, en envisageant les pays tiers comme les « objets » des politiques européennes, elle néglige la capacité d’action des pays tiers moins puissants que les pays européens. Elle évacue ainsi la possibilité d’une relation à deux directions entre les politiques de ces pays et les politiques européennes, notamment l’éventualité d’une influence de ces pays dans les négociations et sur l’évolution des politiques européennes. S’il ne s’agit pas ici de nier l’existence de politiques d’externalisation des contrôles migratoires et leurs effets, l’objectif de cette thèse est précisément, en remettant au cœur de l’analyse l’asymétrie des relations entre l’Union européenne et le Maroc, de montrer l’existence d’une capacité d’action des acteurs des pays du Sud. Pour ce faire, nous nous appuierons sur une littérature théorique qui vise à « décoloniser » l’étude des relations internationales afin de proposer une « décolonisation » de l’étude de la politique extérieure de l’UE.
2) Questionner l’asymétrie : pour une « décolonisation » de l’étude de la politique extérieure de l’UE Les négociations sur la réadmission, et plus généralement sur les politiques migratoires, entre les pays dits de destination et les pays dits d’origine ont lieu dans le cadre de relations
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profondément asymétriques : asymétrie militaire et économique, mais aussi, dans bien des cas, asymétrie liée à une histoire coloniale. Ignorer ces rapports de domination revient à les occulter et à négliger une dimension essentielle des relations de l’Union européenne avec les pays dits voisins. Nous nous intéresserons dans cette thèse au fonctionnement de cette asymétrie et notamment aux remises en cause du rapport de domination par les acteurs d’un pays du Sud, ou d’un pays dominé. Nous nous inspirerons pour cela des tentatives de « décolonisation » des relations internationales, qui soulignent qu’il convient pour décoloniser la discipline non seulement de prêter attention aux voix des dominés, mais aussi de questionner les outils théoriques utilisés afin de laisser la place à des outils qui ne soient pas contraints par le contexte spécifique de l’émergence de la discipline. En ce sens, nous proposons dans cette thèse de « décoloniser » l’étude de la politique extérieure de l’UE, c’està-dire d’articuler les positions des différents sujets qui y sont impliqués, et non seulement celle des sujets dominants, et de nous détacher dans la mesure du possible des approches eurocentrées de cette politique. Notre analyse se fondera notamment sur une remise en cause d’une conception de l’asymétrie comme une situation fixe, dépendant des ressources ou caractéristiques des États considérés. Nous aborderons plutôt l’asymétrie en pratique, comme un processus relationnel en mouvement (Mérand et Pouliot 2008). Dans cette perspective, nous utiliserons certaines oppositions binaires : Nord/Sud, Europe/pays non-européens1, pays de destination/pays d’origine de façon interchangeable, afin de désigner les pôles de ce rapport de domination. Notre propos n’est toutefois pas d’utiliser ces dichotomies comme des outils d’analyse, mais d’en faire un objet de réflexion. Ces oppositions binaires sont en effet des constructions qui soulèvent chacune des problèmes distincts. Les termes de Nord et Sud désignent par un vocabulaire géographique un phénomène qui ne l’est pas. La définition de l’Europe n’est guère certaine géographiquement, ne recouvre pas la géographie EU-ropéenne, et un certain nombre de pays « non-européens », comme les pays d’Amérique du Nord ou d’Asie orientale, ne sont pas des pays du « Sud ». Enfin, la dichotomie entre « pays de destination » et « pays d’origine » peut largement être remise en cause dans la mesure où ces pays ne remplissent
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L’opposition États membres/pays tiers n’est pas listée ici car la catégorie de « pays tiers », la plus courante dans le jargon de l’UE, recouvre une catégorie juridique qui ne dénote pas nécessairement l’asymétrie. Par ailleurs, nous avons choisi d’utiliser l’expression « pays tiers », bien qu’elle soit caractéristique d’un langage « indigène », dans la mesure où il facilite la désignation des différents partenaires des négociations. Notons qu’elle peut aussi désigner les pays autres que le Maroc, par exemple lorsqu’il est question de la réadmission des « ressortissants de pays tiers » par le Maroc, c’est-à-dire de migrants non-marocains. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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rarement qu’une seule de ces « fonctions » : non seulement leur statut principal en tant que pays « émetteur » ou « récepteur » de migrants peut varier dans le temps, mais il n’est pas rare que certains pays cumulent les deux1. Chacun de ces termes regroupe par ailleurs une diversité de cas particuliers et hétérogènes sous une étiquette commune, gommant ainsi les nuances et les différences au sein de chacune de ces catégories. Cette thèse entend montrer comment ces oppositions sous-tendent les réflexions des acteurs, qui ne les questionnent pas nécessairement. Il ne s’agit pas d’essentialiser le contenu de ces termes, mais d’utiliser les représentations de ces oppositions afin de remettre en cause leur évidence et le fonctionnement de la domination internationale. Enfin, les termes de dominant/dominé s’appliquent généralement plutôt à des individus ou à des groupes sociaux qu’à des États : il s’agit ici d’un raccourci pour décrire une relation telle que déterminée par des attributs militaires, économiques et historiques. Sayad (1991) emploie ainsi les expressions de pays dominant et pays dominé pour décrire les relations entre pays d’origine et pays de destination. Or, notre analyse du cas de la résistance des acteurs marocains aux exigences des pays européens s’appuie ainsi sur une littérature qui souligne l’importance de tenir compte de la capacité d’action des acteurs « dominés » dans les relations internationales. Nous verrons d’abord comment le cas des négociations sur les migrations est particulièrement propice à une remise en cause de l’idée d’externalisation unilatérale des politiques migratoires européennes : en effet, plusieurs travaux ont montré que l’enjeu migratoire avait pu être instrumentalisé par certains pays « d’origine » ou « de transit » lors de négociations avec les pays européens et l’UE. Puis nous verrons comment les réflexions menées sur l’étude des relations internationales post-coloniales pourront nous permettre d’approfondir une telle analyse. La remise en cause de l’asymétrie dans l’analyse des négociations sur les politiques migratoires Plusieurs travaux ont remis en cause, directement ou indirectement, l’idée d’une puissance des pays de destination qui s’imposerait aux pays d’origine, à partir de l’analyse des négociations sur les migrations, puis plus précisément sur le contrôle des migrations et la réadmission. Elles rejoignent ainsi les conclusions des analyses sur les négociations en situation d’asymétrie, qui ont développé la notion de « contre-stratégie », mettant ainsi en 1
La catégorie de « pays de transit », développée au cours des années 1990 et 2000 pour désigner des pays comme le Maroc ou la Turquie, ne décrit que partiellement cette situation, en se concentrant sur un trajet perçu comme linéaire. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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avant la capacité d’action et la marge de manœuvre de la partie dominée dans les négociations (Rubin et Zartman 2000 ; Salacuse 2000 ; Daoudy 2006). Les premiers éléments de cette remise en cause consistent à souligner que les gouvernements ou les élites des pays d’origine ont intérêt à l’émigration d’une partie de la population, qui leur permet de répondre à des problèmes économiques et politiques (Miller 1978). Abdelmalek Sayad, quant à lui, insiste d’une part sur la domination de la France sur ses anciennes colonies dans les négociations sur les migrations et les conventions qui en découlent (Sayad 1991) ; mais renvoie d’autre part dos à dos pays d’origine et pays de destination dans leur mépris des migrants : en négociant entre États, les autorités des deux pays contournent les migrants, qui ne sont dès lors jamais représentés dans les relations d’État à État (Sayad 1999, 124‑132) . Plusieurs études plus récentes ont également examiné les politiques des pays d’origine et leur rôle dans l’organisation de l’émigration (Brand 2006 ; Iskander 2010). De plus, plusieurs travaux ont montré que les pays d’origine pouvaient dans certains cas exercer des pressions sur les pays de destination. Il peut s’agir de pressions pour l’ouverture des frontières à l’immigration, ce qui permet d’envoyer plus d’émigrés vers ces pays. Il peut aussi s’agir d’expulsions ou de déportations de masse, utilisées comme « instruments pour déstabiliser ou gêner la politique étrangère des adversaires » (Teitelbaum 1984, 438)1. De même, Kelly Greenhill examine l’instrumentalisation diplomatique des migrations et identifie ainsi des « armes de migration massive ». A partir du recensement d’une cinquantaine de cas depuis le début des années 1950, l’auteure montre que l’instrumentalisation des migrations ne se limite pas aux gouvernements des pays du Nord, et que dans bien des cas, les pays du Sud ont réussi à obtenir des concessions grâce à un « chantage » à la « pression migratoire ». (Greenhill 2010). Il est d’ailleurs intéressant que Kelly Greenhill commence son ouvrage en évoquant en introduction le cas des négociations entre la Libye de Mouammar Kadhafi et Bruxelles en 2004-2006 pour la levée des sanctions économiques et la reprise des programmes de coopération avec l’Union européenne : les menaces d’ouvertures des frontières libyennes, laissant ainsi des migrants originaires de pays africains plus au sud passer vers le territoire européen, auraient ainsi joué un rôle important dans les négociations. En effet, le cas des 1
Michael Teitelbaum donne l’exemple de l’expulsion de milliers de Vietnamiens d’origine chinoise à la fin des années 1970. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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négociations sur les migrations en Méditerranée a conduit plusieurs chercheurs à remettre en cause l’idée d’une asymétrie inhérente aux relations entre pays européens/UE et pays du sud de la Méditerranée. Ainsi, Jean-Pierre Cassarino appelle ainsi en 2005 à : rompre avec vision tenant pour acquis le fait que la participation [des États méditerranéens non-membres] ait été dictée par des pressions exercées par l’UE et ses États membres. En fait, cette conjecture est basée sur une relation de cause à effet qui ne reflète pas bien les raisons et l’ampleur de leur réactivité. De plus, cette conjecture tend à négliger le fait que de nombreux [États méditerranéens non-membres] se sont préoccupés depuis longtemps du besoin de gérer les migrations et de la réponse à apporter aux migrations illégales et au trafic d’êtres humains1 (Cassarino 2005, 228) Il souligne de plus, à partir des cas tunisien et marocain, que les gouvernements des pays d’origine ont pu « capitaliser » sur leur participation à la gestion conjointe des flux migratoires et au contrôle des frontières, et accroître leur capacité de négociation face à l’UE, pour l’accès à des aides financières et à l’aide au développement (2005, 230). Jean-Pierre Cassarino développe, à partir de ce constat, l’idée d’un « empowerment » des pays d’origine face aux pays de destination européens grâce à l’instrumentalisation du thème des migrations, et en particulier des négociations autour des accords de réadmission. Selon lui, les gouvernements des États du sud de la Méditerranée, prenant conscience de l’autorité que leur donnaient les demandes européennes dans le domaine des retours forcés, ont utilisé leur position stratégique, ce qui a eu une influence sur la façon dont les accords de réadmission sont négociés (2010b, 16‑17). Plusieurs recherches parviennent à des conclusions similaires en examinant plus précisément les mécanismes de ce changement dans l’asymétrie des relations, comme celle d’Emanuela Paoletti, qui se concentre sur le cas des relations entre l’Italie et la Libye : à partir de l’analyse de documents officiels et d’entretiens conduits en Italie, mais aussi en Libye, elle montre comment le gouvernement libyen a pu profiter de la sécurisation italienne et européenne des migrations. En instrumentalisant les négociations sur les migrations, il est parvenu à gagner en crédibilité sur la scène internationale, à renouer des relations avec les pays européens et la coopération avec l’UE. Emanuela Paoletti propose ainsi l’idée d’une « migration de la puissance » des pays européens vers la Libye grâce à l’enjeu migratoire (Paoletti 2010 ; 2011). Nous avons également proposé une analyse similaire des négociations marocaines avec l’Espagne et l’Union européenne, en reprenant l’expression de « rente 1
Notre traduction. Sauf indication contraire, lorsque des documents en langue étrangère sont cités, nous sommes responsables de la traduction. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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géographique » utilisée par Ali Bensaâd1 (El Qadim 2010). Ces études permettent ainsi de montrer que les situations d’asymétrie ne sont pas immuables, et que des négociations sectorielles peuvent remettre en cause la puissance de la partie dominante. Cependant, bien que ces recherches soulignent le rôle des négociations autour des migrations dans la perturbation de l’asymétrie, elles se concentrent sur les négociations en haut lieu. Les entretiens conduits par Emanuela Paoletti ne sont ainsi utilisés que pour retranscrire et analyser un « discours officiel » des autorités libyennes. De même, alors même que Cassarino souligne par ailleurs « l’informalisation » croissante des discussions sur la réadmission, son analyse de concentre sur les documents publics disponibles à travers la Commission européenne ou le Conseil. Il faudrait, pour examiner finement le fonctionnement de cette remise en cause de l’asymétrie, s’intéresser plus précisément aux acteurs des pays du Sud qui mènent les négociations. Il ne s’agit pas seulement de transcrire le discours officiel porté par ces acteurs, mais d’examiner la diversité de ces discours et les enjeux concurrentiels qu’ils recouvrent. De plus, ces analyses reposent sur l’idée d’un « intérêt » des gouvernements des pays du Sud face aux pays européens, mais ne questionnent pas la façon dont cet intérêt est construit : le cadre de réflexion reste celui de l’État unitaire, ce qui pose problème pour l’analyse de l’Union européenne, puisque les conflits entre États membres y sont nombreux, mais aussi pour l’analyse des positionnements diplomatiques des pays tiers, constitués eux aussi d’institutions multiples et influencés par une diversité de contraintes internes. Bien que, dans le cas des accords de réadmission, les inconvénients pour les pays d’origine semblent a priori clairs, il convient d’ouvrir la « boîte noire » des négociations, afin de déconstruire à la fois l’idée d’un « intérêt européen » et celle d’un « intérêt des pays d’origine ». Enfin, bien que ces travaux remettent en cause l’idée d’une externalisation unilatérale imposée par les pressions européennes, et s’ils envisagent la possibilité d’une influence des pays du Sud sur les négociations auxquelles ils participent, ils n’envisagent pas la possibilité que les résistances aux politiques migratoires européennes puissent influencer le développement même de ces politiques. Stratégies pour « décoloniser » l’étude de la politique extérieure de l’UE Les théories des relations internationales offrent des éléments de réflexions utiles pour dépasser ces limites dans l’analyse des politiques européennes. On peut d’une part considérer 1
BENSAÂD, Ali (2005). « Le Maghreb pris entre deux feux », Le Monde, 29 octobre ; et « Les brûleurs de frontières », Libération, 28 mai 2008. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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que les outils développés par les approches sociologiques des relations internationales pourraient permettre de mieux comprendre certaines dynamiques liées à la souveraineté étatique au sein de l’Union européenne (Bigo 1996 ; Saurugger 2008 ; Mérand 2011). On peut d’autre part noter que ce rejet des relations internationales pour parler de politique extérieure est symptomatique d’une absence de prise en compte des pays vers lesquels cette politique est pourtant dirigée. Nous souhaitons en particulier montrer comment les réflexions menées dans le domaine des relations internationales et des security studies sur la domination et l’asymétrie internationales, notamment dans le cadre du tournant post-colonial, peuvent constituer des apports essentiels à l’analyse des relations que l’Union européenne entretient avec les pays dits « tiers ». En effet, les critiques envers « l’eurocentrisme » des relations internationales peuvent s’appliquer encore plus justement aux études de l’Union européenne : les travaux qui s’intéressent aux relations entre l’UE et les pays du Sud, quand ils se penchent sur ces pays et non seulement sur les enjeux intra-européens de la politique extérieure européenne, se concentrent la plupart du temps sur la question de l’influence européenne, c’est-à-dire de « l’efficacité » de cette politique et de sa mise en œuvre. Pour comprendre la remise en cause de l’asymétrie ou ses variations dans certaines négociations avec les pays du Sud, l’approche relationnelle préconisée par les approches post-coloniales des relations internationales permet de définir plusieurs stratégies de décolonisation pour l’étude de la politique extérieure de l’UE. Le point de départ de cette thèse réside dans une volonté de rendre compte de la capacité d’action des dominés dans les relations internationales, et s’inspire des analyses des subaltern studies (Guha 1983 ; Guha et Spivak 1988) ainsi que des travaux de James Scott, qui mettent en avant la capacité d’action des dominés face aux dominants (Scott 1985; 1990). Ces approches portent cependant sur des groupes sociaux dominés, et non sur des États ou des élites étatiques. Mohammed Ayoob propose certes un « réalisme subalterne » : il s’agit d’adapter les études subalternes, qui se concentrent sur la capacité d’action des classes dominées – ou subalternes – à la « société des États », dans laquelle les « États du tiers monde, plutôt que les classes subalternes, forment l’élément subalterne quintessentiel (...), étant donné leur relatif manque de pouvoir et leur situation en tant que grande majorité du système international » (Ayoob 2002, 41). Bien que la proposition d’Ayoob tente de donner une place aux acteurs dominés, son analyse ne repose pas sur les expériences quotidiennes de groupes dominés, mais prend pour objet les États post-coloniaux comme entités unitaires : or,
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le gouvernement de ces États est constitué d’élites qui sont loin d’être en position dominée dans leur pays. De plus, en reprenant le postulat réaliste qui place au centre des relations internationales les États, conçus comme des entités unitaires, et bien qu’il souligne la nécessité de tenir compte des facteurs domestiques dans les pays du tiers monde, Ayoob néglige la diversité des acteurs internationaux – acteurs non-étatiques, mais aussi des acteurs étatiques variés et parfois en concurrence pour la définition des politiques étrangères (Barnett 2002). En dehors des débats importants sur les considérations épistémologiques des subaltern studies et leur remise en cause aussi bien des catégories d’analyse que des pratiques des recherches en sciences sociales « occidentales »1 et qui ne sont pas directement l’objet de notre approche, il nous est apparu qu’il convenait pour analyser des relations internationales entre des États de ne pas nous appuyer directement sur des travaux analysant des relations entre groupes sociaux, même s’ils ont constitué une étape préliminaire dans la construction de notre réflexion sur l’asymétrie. Dès lors, si l’on peut retenir de la proposition d’Ayoob de considérer les gouvernements des pays du Sud en tant que « sujets » des relations internationales, il est fructueux d’aller audelà d’une simple affirmation quant à l’autonomie des intérêts des pays du Sud. En ce sens, le développement des approches d’inspiration constructivistes dans le domaine des relations internationales et des security studies nous aide à penser les relations entre Sud et Nord. Arlene Tickner (2003) souligne ainsi l’importance de « penser les relations internationales différemment », à partir des pays du tiers-monde ou de la périphérie : il s’agit, selon elle, de dépasser les apories de l’étude des relations internationales en y intégrant des perspectives différentes, venues d’ailleurs, ce qui doit permettre une réflexion sur les notions de culture, d’hybridité et de vie quotidienne et leur importance dans l’analyse des relations internationales. Certains auteurs se penchent en particulier sur la capacité d’action des acteurs des pays anciennement colonisés dans les relations internationales, comme le fait par exemple Partha Chatterjee (1997) à partir d’une étude du nationalisme au Bengale. Diverses approches abordent la question des relations post-coloniales ou (néo)impériales sous des angles différents, mais nous estimons ici qu’il sera utile pour notre analyse, plutôt que de chercher des distinctions d’ordre théorique entre elles, de nous attacher à les distinguer pragmatiquement par les stratégies qu’elles mettent en œuvre et qui nous intéressent directement. 1
Voir par exemple Bertrand 2007.
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Nous reprenons ici trois des six « stratégies » identifiées par Meera Sabaratnam dans le but d’opérationnaliser la « décolonisation de l’étude des relations internationales » : (1) déconstruire les représentations de « l’Occident » comme sujet (rationnel) opposé au reste du monde qui ne serait que l’objet de politiques occidentales ; (2) en lien avec cette déconstruction, cette thèse propose de pluraliser les sujets potentiels des relations internationales, notamment en analysant celles-ci depuis différents points de vue ; (3) enfin, une dimension importante de l’analyse consistera à déplacer les présupposés psychologiques des « sujets » des relations internationales : ceux-ci anthropomorphisent implicitement les États comme des êtres rationnels et donnent une trop faible importance à la dimension émotionnelle des relations internationales (Sabaratnam 2011)1. Nous présenterons ainsi différents travaux portant sur la décolonisation des relations internationales ou des security studies selon leurs apports par rapport à ces stratégies. Nous verrons comment ces stratégies peuvent s’appliquer à l’étude de la politique extérieure de l’UE et aux négociations entre le Maroc et l’Union européenne en général, et à celle sur les migrations et la réadmission en particulier, pour permettre d’envisager les variations de l’asymétrie. La première des stratégies que nous souhaitons poursuivre dans cette thèse consiste donc à déconstruire l’Occident en tant que sujet rationnel opposé au reste du monde. Comme le soulignent Patrick Jackson et Daniel Nexon (1999), ou encore Yosef Lapid, la dimension « processuelle » de l’analyse est complémentaire de l’analyse « relationnelle ». La démarche d’analyse « processuelle » consiste notamment à examiner l’historicité des identités (Lapid 2001). Plutôt que de tenir les données d’une relation comme des constantes, il s’agit de montrer comment elles évoluent dans le temps en fonction des interactions induites par une relation. Déconstruire l’idée d’une identité occidentale ou européenne autonome apparaît ainsi comme une étape nécessaire à l’analyse relationnelle des relations internationales. On peut, par exemple, voir comment la politique extérieure de l’UE constitue un enjeu organisationnel important pour les différentes directions générales au sein de la Commission européenne (Boswell 2003) ; ou encore comment la relation avec les pays « voisins » est instrumentalisée dans le cadre de différentes logiques au sein de l’UE (Jeandesboz 2007; 2011) ou constitue un 1
Les trois autres « stratégies » identifiées par Sabaratnam consistent à « exposer les façons dont les cadrages conceptuels à la fois des relations internationales [en tant que discipline] et des politiques internationales expriment et renforcent des relations sujet-objet hiérarchiques entre d’anciens peuples colonisateurs et colonisés, en dépit de l’acte politico-légal de décolonisation » (p.786) ; critiquer les cadres mêmes de pensée et d’écriture, et principalement une conception de l’Histoire qui lie modernité et Europe (p.788-789) ; enfin, le recouvrement de sujets proprement politiques dans les contextes historiques et contemporains des anciens pays colonisés, c’est-à-dire notamment envisager le rôle des mobilisations collectives (p.791-792). Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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enjeu pour la construction organisationnelle et professionnelle de l’UE (Buchet de Neuilly 2005). Mettre en avant la construction des objectifs et des politiques extérieures de l’UE permet de ne pas la présenter comme une unité fermée et rationnelle dans son action face à des pays extérieurs. Notre analyse se concentrera donc largement sur la déconstruction du discours rationaliste de la politique de réadmission européenne, qui présente la délégation des négociations à l’UE comme un choix « rationnel » des États membres et le déroulement de ces négociations comme sous-tendues par des choix européens « rationnels » face à des pays tiers difficiles Cette stratégie ne serait cependant guère suffisante pour explorer la dimension relationnelle sans une deuxième stratégie : comprendre la politique extérieure de l’UE de manière relationnelle exige en effet de pluraliser les sujets de cette politique. Il s’agit en un sens de poursuivre le projet de l’historien Dipesh Chakrabarty (2000) de « provincialiser l’Europe ». Les analyses sociologiques des relations internationales ont souligné l’importance de prendre en compte la dimension relationnelle, c’est-à-dire l’analyse des hiérarchies en tant que systèmes de positions relatives (Jackson et Nexon 1999; Lapid 2001; Mérand et Pouliot 2008; Bigo 2011). Dans le cas qui nous intéresse, ceci nous amène à ne pas considérer les pays extérieurs comme de simples objets ou récipiendaires des politiques européennes, mais comme des sujets à part entière des relations internationales. Tarak Barkawi et Mark Laffey soutiennent ainsi que : manquer d’étudier le puissant et le faible ensemble, comme des protagonistes conjointement responsables de l’Histoire, paralyse la capacité des relations internationales et des security studies à faire sens des politiques internationales en général et des relations Nord-Sud en particulier. (Barkawi et Laffey 2002, 333) Ils montrent notamment que la focalisation des explications de la crise des missiles à Cuba de 1963 sur le jeu entre les grandes puissances états-unienne et soviétique ne rend pas compte d’un facteur fondamental, celui des motivations du gouvernement cubain, qui a accepté la pose de missiles par l’URSS sur son territoire. Il faut donc tenir compte de l’interaction entre « le faible » et « le puissant » pour comprendre leur constitution mutuelle. Ils attirent en particulier l’attention sur les diverses façons dont la résistance des « faibles » influence le déroulement des événements (Barkawi et Laffey 2002, 345‑46). Cette injonction à la prise en compte de la capacité d’action des « faibles » semble cependant insuffisante si elle ne s’accompagne pas, dans l’analyse des relations internationales, de la déconstruction des États, notamment ceux des pays du Sud, comme Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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entités unitaires. Il est en effet nécessaire d’analyser leur position sur le plan international comme le résultat d’un « contexte » interne : ce contexte ne doit pas être envisagé comme un simple enchaînement logique de causes et d’effets, mais plutôt comme un environnement complexe traversé de tensions et de concurrences. Roxanne Lynn Doty remarque en effet que l’une des façons de dénier la marge de manœuvre du Sud dans ses relations avec le Nord a été un processus de négation : « La négation a construit les différentes régions constituant le ‘tiers-monde’ comme des pages blanches attendant d’être couvertes par des écrits occidentaux, comme un ‘peuple sans histoire’ (…) »1 (Doty 1996, 11). Il s’agira donc de tenir compte des travaux montrant l’existence d’une politique d’émigration de la part des pays d’origine, comme ceux de Sayad (2007) ou de Zolberg (1991), mais aussi des travaux qui ont montré la complexité de ces politiques et plus généralement des politiques régulant les liens entre les pays d’origine et leurs émigrés : nous pensons notamment au travail de Natasha Iskander, qui compare dans son ouvrage Creative State (2010) les cas marocain et espagnol, et montre que ces États ont dû faire preuve de « créativité » pour inventer de nouveaux moyens de contrôler leurs émigrés puis de maintenir des liens avec eux. Il s’agit ici de montrer comment cette « créativité » dans le domaine des politiques s’applique aussi aux négociations avec l’Union européenne. En effet, l’approche relationnelle passe aussi par une analyse de la diversité des institutions locales et de la construction de leur positionnement face à l’UE. Malgré l’homogénéité des discours des acteurs marocains sur le refus de la réadmission, on distingue des nuances dans les arguments mis en avant. Le rôle important d’orientation politique et de décision en dernier ressort joué par la monarchie marocaine ne doit pas conduire à négliger les concurrences qui peuvent exister entre différents groupes, notamment entre différentes élites et entre différentes administrations. Il est intéressant à cet égard de noter qu’une grande part de l’argumentation de Dipesh Chakrabarty (2000) pour « provincialiser » l’Europe se fonde sur une étude des élites bengalies. Nous nous inspirerons ici notamment des analyses d’Yves Dezalay et Bryant Garth, qui montrent comment les élites du Sud participent pleinement à la circulation mondiale des idées, qu’ils interprètent et instrumentalisent pour des objectifs internes, individuels et institutionnels. Ces élites, qui agissent en tant qu’intermédiaires et courtiers d’idées extérieures, font aussi circuler leurs interprétations au niveau international (Dezalay et Garth 2002; 2011). Ce dernier élément est particulièrement intéressant pour 1
Ceci a notamment permis, selon Doty, de construire l’entreprise coloniale comme une mission civilisatrice, salvatrice et modernisatrice et non de conquête et d’exploitation. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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envisager la capacité d’action des acteurs étatiques marocains dans les relations avec l’Union européenne : nous verrons en effet qu’ils ne font pas que « résister » à l’externalisation des politiques européennes, mais qu’ils proposent également des alternatives. En ce sens, une approche relationnelle devrait aussi permettre de montrer une influence des idées défendues par les acteurs marocains sur le développement des politiques européennes. Enfin, la dernière stratégie que nous souhaitons mettre en œuvre pour « décoloniser » l’étude de la politique extérieure de l’Union européenne envers les pays du Sud consiste à prendre au sérieux les discours des acteurs du Sud. Ceci peut sembler être une évidence. Pourtant, Romain Bertrand, qui propose une histoire « symétrique » de la colonisation de la Malaisie et de Java par les Hollandais, a montré comment les perceptions et les points de vue des colonisés – y compris de leurs élites – avaient été oubliés du récit historique qui en était fait habituellement. Il montre aussi comment leurs discours et leurs interprétations reposent sur des systèmes de valeurs distincts des systèmes de leurs colonisateurs (Bertrand 2011). Cet exemple montre que la délégitimation des discours des acteurs du Sud, si elle passe en grande partie par leur oubli, passe aussi par un mépris pour des modes de réflexion différents. Meera Sabaratnam souligne ainsi que l’émergence de considérations sur les dimensions émotionnelles et psychiques des politiques internationales1 dans les analyses de relations internationales, par exemple dans la « théorie culturelle des relations internationales » de Richard Lebow (2009), tend implicitement à anthropomorphiser les États et, dans le même temps, à les doter d’une « subjectivité/psyché rationaliste, masculiniste ». Sabaratnam suggère donc de tenir compte des façons dont le sujet présumé des politiques internationales s’identifie lui-même et comment cette image est notamment construite dans la relation aux autres (Sabaratnam 2011, 793). Dans le cas qui nous intéresse, il s’agira notamment de prendre au sérieux les discours développés par les acteurs administratifs et diplomatiques marocains : d’une part parce que ces discours constituent une pratique diplomatique importante, qui joue un rôle essentiel dans la relation aux acteurs européens ; d’autre part parce que ces discours révèlent des systèmes de valeurs et une logique morale dont il convient de tenir compte. Nous nous intéresserons particulièrement aux revendications formulées par les acteurs marocains dans les négociations : les idées de « dignité » et de « respect » y apparaissent comme importantes. L’analyse de cet enjeu de dignité s’inscrit dans 1
Qui reposent sur une conception de tradition néo-aristotélicienne – et donc occidentale – séparant le corps et l’esprit. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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la lignée des travaux sur la reconnaissance dans les relations internationales (Honneth 2013 ; Lindemann et Saada 2013). Il s’agit donc de ne pas discréditer ces revendications portant sur la dignité, soit en les renvoyant dans l’ordre du discours tactique (et donc insincère), soit en les disqualifiant comme peu déterminantes. Il convient au contraire d’envisager leur importance alors même qu’elles ne s’intègrent pas à un cadre de réflexion rationaliste. Nous nous inspirerons ici des travaux d’Edward Thompson (1971) sur les économies morales comme élément important des contestations, aspect qui a d’ailleurs inspiré les travaux de James Scott (1985 ; 1990) mentionnés plus haut sur la résistance des faibles. Cette dimension « morale » n’est cependant pas spécifique aux acteurs dominés. On pourrait ainsi souligner la présence d’arguments de ce type parmi les acteurs de l’UE ou des États membres dans la prise de décision au sujet de la politique extérieure, qui repose également sur une « économie morale » spécifique, mais occultée par une argumentation sur la rationalité.
3) Une approche sociologique des pratiques internationales Les négociations constituent un pan de l’action publique, et en tant que telles, nous avons pris le parti d’utiliser une approche sociologique de l’action publique pour les étudier. Cette approche repose sur les recherches développées depuis les années 1990 dans les études sur l’Union européenne. Elle reposera également ici sur une analyse des négociations en tant que pratiques des acteurs, à la fois dans le cadre des rounds de négociations et en dehors. Une approche sociologique de l’UE et des négociations Les approches sociologiques permettent de dépasser le questionnement sur la nature étatique ou internationale de l’UE en s’interrogeant plutôt sur les différents acteurs impliqués dans les politiques européennes. Le développement de travaux s’interrogeant sur les origines « micro » des phénomènes d’intégration européenne dans les années 1990 vient en ce sens donner une place aux acteurs organisationnels à différents niveaux d’analyse. Ces travaux élaborent ainsi sur la base des explications néo-fonctionnalistes de l’intégration européenne, qui reposent sur des analyses macro de la supranationalisation dans certains domaines comme résultant de l’intégration préalable d’autres domaines de politiques – notamment les enjeux économiques (Favell et Guiraudon 2011). Ces approches sociologiques de l’Union européenne sont extrêmement diverses, et trouvent leur origine à la fois dans un certain scepticisme vis-à-vis des études dominantes au sein des études européennes et de l’intérêt Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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nouveau de sociologues traitant des objets sociologiques spécifiques pour les questions européennes. Malgré leur diversité, on peut retenir de ces approches d’une part une insistance sur le rôle de l’interprétation des discours et des pratiques des acteurs, d’autre part une remise en cause de perspectives centrées à l’origine sur l’État unitaire. Les approches sociologiques de l’Union européenne insistent sur la nécessité, selon les termes de Christian Lequesne et Andy Smith, d’étudier les politiques publiques non en tant que telles mais « comme des composants de configurations spécifiques de l’action publique » (Lequesne et Smith 2006, 171). Ceci signifie que l’étude des politiques européennes ne doit pas être distincte de l’étude d’autres politiques publiques, mais doit au contraire incorporer les outils conceptuels et théoriques de la sociologie de l’action publique. Il s’agit en d’autres termes de normaliser l’étude des politiques européennes, et en particulier dans le cas qui nous intéresse la politique extérieure, fréquemment considérée comme spécifique ou distincte : en effet, l’idée même de « gouvernance externe », si elle insiste sur le lien qui existe entre interne et externe, se fonde sur le postulat d’une spécificité de la politique extérieure. L’adoption d’une démarche à la fois inductive et interprétative de l’intégration européenne doit permettre de se distancier du discours des acteurs, ou, selon l’expression de Virginie Guiraudon, de « contribuer à la compréhension de l’espace sociopolitique européen tel qu’il peut être observé et non rêvé » (Guiraudon 2000b). Comme le montrent Marc Abélès et Irène Bellier dans leur étude anthropologique de la Commission européenne, le langage et le développement de « cultures » institutionnelles jouent un rôle essentiel dans les dynamiques communautaires (Abélès et Bellier 1996). Il s’agit ainsi pour nous notamment d’aller au-delà des catégories discursives employées par les acteurs afin d’en exposer la construction. Cela est le cas dans notre étude de la « gouvernance externe », mais aussi de termes récurrents dans la discussion des négociations, notamment les « incitations » et la « conditionnalité ». De même, l’étude des acteurs marocains des négociations, si elle doit s’attacher comme nous l’avons dit plus haut à « prendre au sérieux » leurs discours, ne doit pas pour autant négliger d’analyser la façon dont ils sont formulés par les acteurs. Un autre apport des approches sociologiques des politiques européennes a consisté à les envisager la question des enjeux de pouvoirs entre les différents acteurs de l’Union européenne. Ceci a principalement consisté à aborder l’UE « en termes de champs, c’est-àdire un ensemble d’univers de pratiques différenciées qui structurent les luttes de position des acteurs qui les composent » (Guiraudon 2000b). Cet intérêt pour les luttes de pouvoir
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correspond à des réflexions développées par une sociologie néo-institutionnaliste, par exemple dans les travaux de Neil Fligstein (Fligstein 2008), dont on peut souligner certains parallèles avec un courant de la sociologie française (Mérand 2008). En effet, le questionnement sur les luttes de pouvoirs des élites s’est également largement développé en France, plaçant la question de la domination et des acteurs – plutôt que des institutions – au cœur de son analyse. Ainsi, en France, une analyse des configurations du pouvoir s’est développée à partir de travaux sur la sociologie des professionnels ou de domaines spécifiques, par exemple les travaux de Didier Bigo sur la police (Bigo 1996). Elle s’est largement constituée autour de travaux d’inspiration bourdieusienne. C’est le cas par exemple de la sociologie développée par Didier Georgakakis sur « le champ de l’Eurocratie » (Georgakakis 2012) ; ou encore d’Antonin Cohen ou Yves Dezalay, dont les travaux sur la sociologie politique des champs transnationaux trouvent dans l’Europe un objet d’étude pertinent puisqu’il s’agit d’un « espace social transnational à la croisée des champs du pouvoir nationaux où s’affrontent de multiples stratégies politiques, bureaucratiques, économiques, juridiques et académiques, qui ne se limitent pas aux relations diplomatiques interétatiques » (Cohen, Dezalay, et Marchetti 2007, 5; Cohen et Vauchez 2010). Cette approche ne restreint pas son objet à l’Union européenne ou à l’Europe, mais bien aux champs transnationaux et aux luttes qui les traversent. Ils se sont notamment inspirés de travaux issus des études internationales, par exemple ceux d’Yves Dezalay et Bryant Garth mentionnés plus haut sur les processus d’internationalisation. La sociologie politique « française » de l’Europe repose notamment en grande partie, comme les travaux de ces deux auteurs, sur une analyse prosopographique des parcours et des carrières des acteurs. L’intérêt des approches sociologiques pour notre analyse réside donc dans l’injonction à restituer et analyser la matière et la complexité des relations entre le Maroc et l’UE au sujet de la réadmission. Elles permettent notamment de questionner les délimitations établies entre politique intérieure et extérieure, y compris au Maroc, et de considérer les institutions comme des objets d’enquête et non comme des variables indépendantes. Ces approches nous sont donc utiles pour analyser des négociations qui n’ont pas lieu entre États, ni même entre un État (le Maroc) et l’Union européenne, mais entre différents acteurs. De chaque côté, il n’y a pas une représentation étatique unifiée par le ministère des Affaires étrangères ou le Service européen d’action extérieure. Les acteurs du ministère de l’Intérieur marocain et ceux de la direction générale des affaires intérieures sont les principaux négociateurs de l’accord de
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réadmission auquel nous nous intéressons. Ceci est caractéristique des négociations dans bien des domaines, mais signifie d’une part qu’elles sont le fait d’acteurs qui, pour certains, suivent le dossier depuis plusieurs années, voire le début des négociations ; d’autre part que ces négociations comportent une dimension perçue comme « technique » et non seulement diplomatique, et sont suivies par des « techniciens » – en l’occurrence des juristes, des spécialistes de « l’intérieur » ou même des migrations, et non des diplomates spécialisés en fonction de régions géographiques. De plus, les négociateurs officiels ne sont pas les seuls impliqués dans les négociations. En nous intéressant aux acteurs et aux enjeux de pouvoir qui traversent le domaine de la « dimension extérieure » des migrations dans l’Union européenne, nous avons compris qu’il fallait élargir la définition des négociations sur la réadmission. En effet, celles-ci n’ont pas seulement lieu lors des rounds de négociation – eu nombre de quinze entre 2003 et 2010 – mais aussi dans les relations plus quotidiennes : la réadmission est aussi négociée dans la mise en œuvre des retours forcés, puisque ceux-ci ont lieu, soit dans le cadre d’accords bilatéraux existant entre certains États membres et le Maroc, soit en dehors, dans le cadre de l’obligation implicite du droit international dont nous avons parlé plus haut. Plutôt que de parler de motivations de façon abstraite, il s’agira donc d’examiner les représentations des acteurs, c’est-à-dire la façon dont les individus font sens du monde concret dans lequel ils vivent (Mérand 2011). Ces représentations des acteurs sont intimement liées à des relations et à des jeux de pouvoir, ce qui constitue le dernier apport de ces approches sociologiques à notre thèse. En effet, ces dernières accordent une place importante à l’explication des mécanismes de la domination : notre analyse se concentre non pas sur une relation dans laquelle la position relative de chaque partie par rapport à l’autre est à la fois implicite et fixe, mais sur l’explication des mécanismes de fonctionnement de l’asymétrie internationale et de ses variations. En revanche, notre approche se démarque de la sociologie politique bourdieusienne de l’UE par le protocole d’enquête mis en place, et notamment la place de la démarche prosopographique. Nous recourrons occasionnellement à des éléments concernant les parcours professionnels des acteurs rencontrés, mais en laissant de côté l’étude du capital social et l’étude des biographies relationnelles. Ce choix est lié à des considérations sur l’accès au terrain, notamment à l’asymétrie dans l’accès aux données selon les différents terrains et aux considérations pratiques qui régissent l’enquête, sur lesquelles nous reviendrons plus loin. Il est aussi lié à la formulation d’un questionnement portant plutôt sur les pratiques des acteurs dans leurs interactions.
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Analyser les négociations sur la réadmission par les pratiques diplomatiques et administratives Nous envisageons donc d’examiner les négociations entre le Maroc et l’Union européenne sur la réadmission et les migrations au prisme des outils conceptuels et théoriques de l’analyse sociologique de l’action publique. L’un des écueils de cette approche résidait pour nous dans le risque de plaquer des catégories d’analyse eurocentrées – de par leur origine – sur un contexte différent, le contexte marocain. La concentration de notre analyse sur les pratiques des acteurs est une réponse que nous avons trouvée à ce risque : partir des pratiques constitue donc ici à la fois un moyen de développer une approche sociologique inductive et un garde-fou contre des interprétations eurocentiques des négociations sur la réadmission et des liens entre l’UE et les « pays tiers ». L’attention aux pratiques permet également, en donnant de la matière à l’analyse, d’envisager la remise en cause de l’asymétrie comme une activité routinière des acteurs dominés au sein d’une relation de domination donnée. En l’occurrence, elle nous permet de voir comment les acteurs diplomatiques ou administratifs marocains remettent en cause les politiques migratoires extérieures de l’Union européenne de façon récurrente à travers leurs pratiques discursives et matérielles. Les approches sociologiques ont aussi étudié les pratiques en empruntant largement aux travaux de Pierre Bourdieu, ainsi qu’à ceux de Michel Foucault. Les pratiques peuvent relever d’un spectre d’activités très variées : elles sont donc plutôt définies par la façon dont elles structurent les comportements et dont ceux-ci les structurent en retour. La sociologie de l’action publique s’est par exemple inspirée des travaux de Michel Foucault pour proposer une étude de la dimension pratique des politiques publiques, par exemple à travers la notion d’instrument développée par Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès (2005), et qui nous sera utile dans un chapitre portant sur les négociations autour des instruments de mise en œuvre de la réadmission. Quant aux études de relations internationales, elles ont également connu un « tournant pratique », entamé par des recherches post-stucturalistes et poursuivi par des travaux d’inspiration bourdieusienne1. Comme le soulignent Emmanuel Adler et Vincent Pouliot : L’une des principales conséquences épistémologiques du fait de prendre au sérieux les pratiques est de concrétiser les débats universitaires sur les politiques mondiales [par exemple entre politiques comparées ou internationales, ou encore 1
Pour une revue de littérature plus détaillée sur ce sujet, voir (Adler et Pouliot 2011; Forget et Rayroux 2012).
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entre gouvernance globale et relations internationales] afin de scruter empiriquement le processus par lequel certaines de ces performances compétentes produisent des effets dont la nature touche les politiques mondiales. En d’autres termes, l’échelle d’analyse – globale, internationale, transnationale, régionale, organisationnelle, infra-étatique, locale, etc. – est en elle-même une question de pratique : il est préférable de laisser la définition de ce qui compte comme une pratique internationale ou pas aux praticiens eux-mêmes dans leur performance réelle des politiques mondiales. (Adler et Pouliot 2011, 6) L’intérêt pour les pratiques nous permet de ne pas partir de présupposés sur l’intérieur ou l’extérieur de l’UE, sur la « gouvernance » ou les relations internationales, sur les caractéristiques ou les spécificités de l’échelle européenne, mais bien plutôt de comprendre comment les acteurs agissent pour développer, réguler, subvertir ces relations. Adler et Pouliot définissent les pratiques dans l’article cité ci-dessus comme des performances compétentes : ceci signifie d’une part que les pratiques sont des performances, c’est-à-dire qu’elles n’existent pas en dehors de leur déroulement ; d’autre part que ces performances sont « compétentes », c’est-à-dire porteuses d’un sens social reconnaissable, et donc qu’elles s’appuient sur des connaissances contextuelles et lient ensemble ordre discursif et ordre matériel. Ainsi, les pratiques sont constituées conjointement de dimensions matérielles et signifiantes, individuelles et structurelles, continues et changeantes. De plus, s’intéresser aux pratiques permet de ne pas seulement s’interroger sur l’intentionnalité, les buts, croyances ou raisons des acteurs, mais aussi de questionner le sens dont sont porteuses les pratiques en elles-mêmes dans leurs réalisations. Ceci ne signifie pas qu’il ne faut pas étudier la réflexivité des acteurs sur leurs pratiques, ceci signifie qu’il faut aussi tenir compte des significations dont sont porteuses leurs pratiques en tant que telles. Cependant, cette définition laisse de côté les relations de pouvoir et de domination qui marquent les pratiques. Celles-ci ne peuvent pas être envisagées comme de simples accessoires isolés : elles cristallisent au contraire des luttes de pouvoir symbolique, des hiérarchies sociales passées qu’elles incarnent et perpétuent. Étudier les pratiques passe donc d’abord par une historicisation de ces luttes, puis par une analyse de la façon dont les pratiques ont été utilisées ou transformées dans le cadre de ces luttes (Leander 2011). Plus que des « performances compétentes », les pratiques doivent donc être envisagées comme les façons de faire et d’agir des acteurs dans des contextes de concurrences. L’analyse des pratiques est donc déterminante pour notre projet d’approche relationnelle des négociations internationales. En effet, celles-ci peuvent être examinées
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comme des pratiques, comme le soulignent Emmanuel Adler et Vincent Pouliot, qui illustrent leur argument par une analyse des travaux de Schelling sur la négociation (ou le marchandage : bargaining) (notamment Schelling 1960). D’après eux, les négociations sont des pratiques en tant qu’elles sont « compétentes », puisqu’elles sont structurées et visent à obtenir une coordination et reposent sur des signaux signifiants (menaces, incitations etc.). Elles requièrent par ailleurs un usage actif de la communication verbale (ce qui souligne la dimension performative du discours) et non verbale, et en tant que telles reposent sur une compréhension et des références communes. Enfin, l’analyse du marchandage et des négociations place la question les pratiques du pouvoir au centre de l’analyse (Adler et Pouliot 2011, 11‑13). La question des relations de pouvoir est en effet centrale à notre analyse mais ne doit pas être examinée simplement dans le cadre négociations diplomatiques : l’intérêt de l’approche par les pratiques est précisément selon nous de montrer l’existence de pratiques de négociations internationales en dehors du contexte diplomatique. En ce sens, notre analyse des pratiques nous permet de questionner la « fausse dichotomie » entre des acteurs spécialisés dans l’international et d’autres dans le national (Bigo 2011) : en prenant pour point de départ les pratiques des acteurs, nous observons que les négociations et la contestation des politiques européennes ne sont pas le seul fait des diplomates marocains, mais sont au contraire partagées par une diverses élites bureaucratiques engagées dans des luttes nationales et internationales. Enfin, comme le soulignent Jana Hönke et Michael-Markus Müller (2012), l’étude des pratiques est essentielle pour comprendre les phénomènes de circulation internationale pluridirectionnelles, les processus d’appropriation, de traduction, mais aussi de contestation des modèles et éventuellement la transformation subversive des modes des politiques transnationales, en particulier dans un contexte post-colonial. Leur analyse permet donc spécifiquement de se pencher sur les phénomènes de subversion des ordres établis, c’est-àdire non des formes de résistance collective organisée et explicite, mais des modes de résistance plus discrets et qui peuvent passer par l’instrumentalisation des politiques existantes. Dans le cas étudié par cette thèse, nous verrons en effet que la résistance aux politiques européennes d’externalisation des politiques migratoires passe par différents canaux, mais qu’elle relève largement de la subversion quotidienne des idées, notamment à travers des réinterprétations.
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Pour conclure, les analyses en termes de « gouvernance externe » sont insuffisantes pour expliquer les évolutions de la politique extérieure de l’Union européenne sur les migrations avec le Maroc. L’idée d’externalisation, fréquemment mise en avant pour décrire les pressions européennes liées à la sécurisation des migrations suppose de même implicitement la projection d’une volonté européenne sur les pays tiers. Or, plusieurs travaux ont relevé la façon dont les négociations sur les migrations avaient été instrumentalisées avec succès par les gouvernements de certains pays du Sud afin d’obtenir des concessions. Leurs explications s’arrêtent cependant à une vision relativement unitaire des États du Sud et des partenaires de négociation. Les réflexions menées en relations internationales pour tenter d’en « décoloniser » l’étude constituent un apport fructueux dans l’étude de la politique extérieure de l’Union européenne, et nous permettent d’envisager trois « stratégies » pour développer une analyse relationnelle de cette politique dans le cas des négociations avec le Maroc sur les migrations. Dans ce cadre, l’étude des pratiques s’est révélée être une base essentielle pour l’analyse des négociations entre le Maroc et l’Union européenne sur la réadmission et les migrations. D’une part parce qu’elle nous permet de tenir compte des discours dans leur dimension performative, et des usages qui en sont faits par les différents acteurs, donc de se distancier de ces discours tout en les prenant au sérieux. D’autre part, parce qu’elle permet d’analyser des modes de négociations diversifiés, par exemple l’évitement, le retardement, ou encore, en dehors du domaine officiel des négociations par la contestation du cadre de la mise en œuvre régulière des retours forcés. Enfin, la concentration sur les pratiques nous permet d’examiner précisément les mécanismes de remise en cause discrète de l’asymétrie dans les relations entre le Maroc et l’Union européenne par l’ensemble des acteurs étatiques marocains.
D - Protocole d’enquête : articuler des sources asymétriques Afin de répondre à notre problématique, nous avons choisi de mener une enquête de terrain dans trois « pôles » : Bruxelles pour les institutions européennes, Rabat pour les institutions marocaines, et Paris afin d’examiner l’imbrication entre relations bilatérales (État membre-Maroc), relations UE-Maroc et relations UE-État membre. Dans chaque cas, nous avons articulé l’analyse de sources orales et écrites diverses. L’accès aux acteurs ainsi qu’aux
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sources écrites a été marqué par les défis qui caractérisent de nombreuses recherches en sciences sociales, en particulier lorsqu’elles se penchent sur des objets considérés comme « sensibles » par bon nombre des acteurs concernés : ceci était le cas de ces négociations sur la réadmission, les migrations étant un sujet politiquement sensible d’une part, les négociations n’étant pas encore terminées d’autre part. Cependant, le principal défi que nous avons rencontré a consisté à faire sens des disparités dans l’accès aux acteurs et aux sources en fonction des institutions et des terrains. En ce sens, l’asymétrie de pouvoir initiale entre Nord et Sud a en quelque sorte été répliquée dans un accès différentié au terrain : nous avons donc mis en œuvre des stratégies différentiées pour accéder aux sources en fonction des institutions et des lieux. Nous expliquerons d’abord pourquoi nous avons choisi ces trois « pôles » d’enquête, en particulier le terrain français, la façon dont ils s’articulent et les chemins que nous avons choisis pour y accéder. Puis nous présenterons notre travail d’entretiens et expliciterons l’usage que nous en ferons. Enfin, nous exposerons le travail que nous avons réalisé sur les sources écrites et le statut différent accordé à ces sources en fonction des terrains.
1) Trois terrains pour l’étude des négociations Notre enquête a eu lieu à Rabat, Bruxelles et Paris. Nous avons en effet choisi de nous pencher sur les institutions européennes, marocaines et françaises en charge des négociations – ou du suivi des négociations – sur la réadmission et les migrations. Le choix de la France comme étude de cas d’un État membre a été fait pour des raisons tenant à l’existence de relations fortes entre ce pays et le Maroc, y compris dans le domaine des migrations. La France, ancienne puissance coloniale au Maroc, reste le premier partenaire économique et commercial du Maroc comme nous l’avons vu plus haut. Nous avons également vu qu’elle est le pays qui accueille le plus grand nombre de Marocains à l’étranger – environ 1,3 millions, sur une population à l’étranger de 3,6 millions en 2010, d’après les chiffres du ministère marocain des Affaires étrangères (donc sans doute plus si on tient compte des personnes qui ne sont pas enregistrées auprès des consulats, notamment en raison de leur double nationalité)1. De plus, la présence de Marocains, même si elle était moins importante que celle des Algériens, y est ancienne puisqu’elle avait commencé avant même la signature d’une convention de main d’œuvre en 1963.
1
BOUMNADE, Ilham (2011). « 4,2 millions de Marocains, citoyens du monde », L’Economiste, 28 juillet.
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L’Espagne est fréquemment mentionnée comme un partenaire important des politiques migratoires par les acteurs institutionnels marocains, et la référence à l’Espagne nous a conduit à considérer ce pays comme un autre terrain possible dans un État membre. En effet, l’Espagne est l’État européen qui prononce et exécute le plus d’ordres de quitter le territoire à l’encontre de Marocains, comme le montre le tableau suivant. PAYS/ ANNÉE Espagne France Italie Belgique Pays-Bas Allemagne Autriche Portugal Grèce Royaume-Uni
2008 17 325 9 505 11 520 4 060 2 545 320 180 180 145 125
2008 2009 2009 2010 2010 2011 2011 2012 9 300 15 625 8 990 12 445 9 060 13 085 8 990 11 005 2 115 8 795 2 180 8 005 1 715 7 065 1 205 6 630 1 075 9 450 830 7 900 745 4 095 510 4 770 265 4 220 250 4 255 295 7 430 300 7 820 360 2 570 305 1 685 285 1 575 205 950 200 355 160 360 170 410 195 385 15 220 25 280 25 270 15 230 55 105 20 125 20 100 15 100 35 220 20 1 645 120 2 955 215 2 720 90 150 80 135 75 180 90 145
2012 8 365 1 060 1 135 390 280 110 20 0 410 75
Tableau 3 - Nombre d'ordres de quitter le territoire prononcés / de personnes ayant quitté le territoire suit à un tel ordre pour des ressortissants marocains, par État membre, 2008-2009, d’après les données Eurostat1.
L’Espagne prononce en effet un nombre important d’ordres de quitter le territoire à des ressortissants marocains, qu’ils soient interceptés directement au moment de leur arrivée ou plus tardivement sur le territoire. De plus, une proportion beaucoup plus importante de ces ordres est suivie de départs : ceci est lié à une charge de la preuve au sujet de la nationalité des migrants, facilitée lorsque les personnes sont interceptées directement lors de leurs tentatives d’accès au territoire espagnol. Mais cela semble aussi indiquer une coopération relativement bonne avec les autorités marocaines, en tous cas entre 2008 et 2012. La coopération sur les migrations a commencé à la fin des années 1980, un accord de réadmission a même été conclu en 1992 – mais sa mise en œuvre n’a pas commencé avant 2002. Au cours des années 2000, la coopération frontalière pour le contrôle des frontières s’est aussi approfondie entre le Maroc et l’Espagne, qui est aujourd’hui l’un des principaux pays impliqués dans les projets de l’Union européenne avec le Maroc sur les migrations. Cependant, outre des raisons pratiques dans la conduite de notre enquête, c’est précisément le faible taux d’ordres exécutés qui rend le cas français intéressant : il semblerait 1
Les cases grisées concernent les « personnes ayant quitté le territoire suite à un ordre de le quitter ». Il s’agit pour la plupart de retours forcés. Tableau réalisé d’après les données Eurostat : EUROSTAT (2013). Ressortissants de pays tiers ayant quitté le territoire suite à une obligation de quitter - données annuelles (arrondies) [migr_eirtn], et Third country nationals ordered to leave - annual data (rounded) [migr_eiord]. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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en effet que ce pays soit celui qui ait le plus « intérêt » à faire aboutir les négociations européennes, puisque il prononce le plus d’ordres non exécutés à l’encontre de ressortissants marocains. Or, si l’on constate une implication importante des acteurs français dans les négociations sur la réadmission, celle-ci est aussi marquée par l’historicité des relations entre les deux pays. En effet, la relation entre la France et le Maroc est aussi caractéristique des relations de domination internationale marquées par la colonisation1. Ainsi, les négociations sur les migrations entre le Maroc et la France sont établies depuis l’indépendance, font l’objet de réunions régulières et sont les plus développées parmi les relations avec les pays européens. Le nombre d’actes enregistrés par le ministère marocain des affaires et de la coopération dans le domaine des migrations (accords, conventions, protocoles, mémorandums d’entente, mais aussi procès-verbaux de réunions) dans sa base de données juridiques entre 1956 et 2009 est de 444 pour la France (325 pour l’Allemagne, 263 pour l’Espagne et 127 pour l’Italie). La France est aussi le pays le plus fréquemment cité par les acteurs marocains quand il s’agit de politiques migratoires, ainsi que par les acteurs de la Commission pour expliquer les relations avec le Maroc. Ceci relève en partie de la dimension post-coloniale très marquée des relations entre les deux pays, y compris symboliquement, avec l’omniprésence de la France dans le discours des acteurs marocains – comme d’ailleurs dans la presse marocaine lorsqu’il s’agit de migrations. Dans le cadre d’un questionnement sur l’asymétrie, il nous a paru important de nous concentrer sur l’État membre de l’UE le plus présent et influent au Maroc. Nous avons donc choisi de nous concentrer sur le cas de la France, tout en tenant compte, lorsque cela était nécessaire, des relations marocaines avec d’autres pays européens, comme l’Espagne. Le choix de la France comme troisième « pôle » de notre étude étant clarifié, il convient à présent de préciser que ces « pôles » n’ont pas été étudiés uniquement sous l’angle des acteurs institutionnels qui y sont majoritaires, mais bien en inter-relation : ceci signifie que nous avons rencontré des acteurs au sein de la Représentation permanente de la France et de la Délégation marocaine à Bruxelles, des fonctionnaires de la Délégation de l’Union européenne et de l’Ambassade française à Rabat, ainsi que des diplomates marocains à Paris.
1
Alors même que l’Espagne a également occupé – et continue d’occuper – des territoires considérés comme marocains. Les relations entre les deux pays sont marquées par des tensions au cours des années 1990 et au début des années 2000, liées notamment à des enjeux territoriaux – au sujet des enclaves espagnoles de Ceuta et Mellila, mais aussi par rapport au Sahara occidental, épine de politique internationale dans le pied marocain – qui ont rendu les relations entre les deux pays très variables. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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Nous avons commencé notre enquête de terrain au Maroc en octobre-novembre 2009, après quelques entretiens exploratoires en mai 2009. Ce choix résultait en partie de considérations pratiques : le terrain marocain étant le plus difficile d’accès pour nous, tant géographiquement que pour la prise de contact avec les acteurs, il nous a semblé judicieux de commencer par là. Mais il était surtout une conséquence de la volonté de partir du point de vue « du Sud » pour aborder par la suite les autres terrains avec cette perspective, et il faisait donc partie de l’idée d’une « décolonisation » ou du moins d’un décentrage de notre regard. C’est par exemple ce point de départ qui a confirmé la nécessité de travailler sur un terrain français. Pour ce premier contact avec le terrain marocain, nous avons obtenu un « stage » au ministère des Affaires étrangères et de la coopération (MAEC), grâce à notre réseau social. La direction des affaires consulaires et sociales ou celle des affaires européennes n’acceptant pas de stagiaire à ce moment-là, nous avons demandé à être rattachée à la direction des affaires juridiques et des traités (DAJT), en charge de la rédaction légale des accords et de leurs archivages. Il s’agissait essentiellement de gagner un accès plus facile aux différents acteurs du ministère ou même d’autres institutions. En effet, ce stage ne consistait en aucune tâche concrète et on ne pourrait nullement le classer du côté de l’observation, mais il nous a permis d’avoir accès plus facilement aux acteurs pour des entretiens – puisque nous avions été approuvée par la hiérarchie – et de pouvoir consulter la base de données juridiques du ministère. Nous reviendrons plus en détail sur ces aspects un peu plus loin. Nous avons également profité de ces deux mois pour assister à une conférence internationale organisée en octobre 2009 au MAEC sur le thème de « l’impact de la crise sur les migrations » : ceci a été l’occasion d’établir des contacts pour des entretiens ultérieurs avec des acteurs d’institutions marocaines et internationales. A ce premier terrain marocain se sont ajoutés des séjours réguliers – environ une fois par an – et notamment en septembre 2010 et en juin 2012. Ce suivi s’est révélé d’autant plus important que les révolutions arabes de 2011 ont entrainé certains changements dans les politiques européennes, y compris migratoires, envers le Maghreb, et nous ont donc placée en situation d’étudier une quasi-expérience en temps réel sur notre terrain : en effet, l’observation des relations entre Maroc, UE et États membres sur les migrations à la suite de ces événements nous a permis de confirmer ou d’infirmer nos hypothèses. Les deux autres terrains étant plus faciles d’accès, notre enquête y a été menée de façon plus sporadique entre 2010 et 2012.
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L’analyse quasi-expérimentale des développements qui ont suivi les révolutions arabes de 2011 a ainsi été possible. Tableau 4 - Principaux moments de l'enquête de terrain Mai 2009
Rabat : prise de contact et entretiens préparatoires.
Octobre-novembre 2009
Rabat : « stage » au ministère des affaires étrangères et de la coopération ; entretiens et recherche de documentation.
Juin 2010
Bruxelles : entretiens
Septembre 2010
Rabat : entretiens
Mai-juin 2011
Paris : entretiens
Février 2012
Bruxelles : entretiens
Mars-avril 2012
Paris : entretiens
Juin 2012
Rabat : entretiens
Précisons que notre travail de terrain ne porte pas sur les migrants eux-mêmes, leurs conditions de vie, leurs mobilisations etc. : ces aspects ont été traités ou font l’objet de recherches en cours sur ces aspects spécifiques au Maroc ou dans d’autres pays du Maghreb1. Sur le trois terrains, nous nous sommes concentrée sur les acteurs institutionnels des administrations étatiques, européennes, ou des organisations internationales. Quelques entretiens informels ont été réalisés avec des acteurs associatifs, notamment au Maroc et en France, mais, s’ils sont impliqués dans un grand nombre de questions sur les migrations, en particulier la défense des droits des immigrés « subsahariens » au Maroc et sur les questions de contrôle des frontières et de sécurisation des migrations, ces acteurs sont peu présents pour ce qui relève des retours forcés. De plus, leur action sur la question des retours forcés relève en grande partie de la création d’une documentation et repose sur une large publicisation de ces informations. C’est notamment le cas du réseau associatif Migreurop, dont une grande partie de l’activité consiste à cartographier le contrôle des frontières et l’enfermement des migrants, et dont un groupe travaille en particulier sur la question de la réadmission. Nous avons assisté à quelques réunions de ce groupe à partir d’avril 2009 et une inscription sur la liste de diffusion nous a permis de recevoir les informations sur les autres réunions de travail, 1
On notera par exemple les travaux de Mehdi Alioua sur les migrants subsahariens au Maroc (Alioua 2005; 2007), ou encore ceux réalisés dans le cadre du projet Migrations de retour au Maghreb organisé par l’institut européen de Florence (Cassarino 2007a). Le Centre Jacques Berque à Rabat a également développé un programme « Migrations et frontières » dans le cadre duquel plusieurs chercheurs poursuivent leurs recherches sur l’immigration au Maroc. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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ainsi que d’autres documents répertoriés par les participants et utilisés dans le cadre des actions de Migreurop. Ces éléments ont donc participé de notre enquête sans en constituer le cœur. Celle-ci a en effet plutôt reposé sur les discours institutionnels et les discours des acteurs relevant d’organisations étatiques, européennes ou internationales, et recueillis à travers des entretiens et l’analyse de sources écrites.
2) Le travail d’entretien Si Philippe Bongrand et Pascale Laborier ont souligné que l’usage des entretiens relevait d’un « impensé méthodologique » dans l’analyse des politiques publiques en France, c’est pourtant cet outil qui nous a semblé le plus à même de répondre à notre questionnement. En effet, les entretiens répondent à deux objectifs importants dans cette thèse. D’une part, il s’agissait d’obtenir des informations sur un processus de négociations relativement opaque : les négociations étant encore en cours, il n’y a pas ou peu de sources écrites institutionnelles sur le processus de négociation de l’accord de réadmission UE-Maroc. Les entretiens ont offert des possibilités d’accès à des informations factuelles que nous avons recoupées soit avec des sources écrites transmises par les acteurs lorsque cela était possible ou bien publiées après nos entretiens, soit avec d’autres entretiens. Les entretiens ont donc joué un rôle informatif que la distanciation par rapport au discours des acteurs et à leurs interprétations ne doit pas nous faire minimiser. D’autre part, en partant du postulat que les négociations constituent des pratiques, il nous a semblé essentiel de comprendre comment les acteurs de ces négociations les envisageaient en recueillant leurs discours. Après une rapide présentation des entretiens, nous exposerons les éléments de difficulté ou de diversité dont nous avons dû tenir compte à la fois pour le déroulement de notre enquête et pour notre analyse, notamment une relative asymétrie de l’accès aux acteurs en fonction des terrains présentés plus haut. Nous avons conduit soixante-neuf entretiens semi-directifs entre octobre 2009 et avril 2013 à Rabat, Bruxelles et Paris, avec essentiellement des acteurs relevant des institutions étatiques, européennes ou d’organisations internationales1. Le tableau suivant présente la répartition globale de ces entretiens selon ces critères2. 1
Liste des entretiens après la conclusion de la thèse. Nous n’y avons pas comptabilisé trois entretiens préparatoires menés à Rabat en mai 2009, ainsi que des entretiens informels menés tout au long de notre recherche ; en revanche, nous avons comptabilisé deux échanges téléphoniques qui ont permis un suivi de certains acteurs.
2
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Tableau 5 - Entretiens menés pour l'enquête Rabat Fonctionnaires ou diplomates 20 marocains Fonctionnaires ou diplomates 4 français Fonctionnaires ou diplomates 3 européens Acteurs d’organisations 2 internationales Autres (anciens fonctionnaies, 2 associatifs) TOTAL 31
Bruxelles 2
Paris 1
Total 23
2
14
20
16
1
20
0
0
2
0
2
4
20
18
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La plupart de ces entretiens ont duré entre 45 minutes et 1 heure 30. La plupart ont été menés en français, certains en anglais à Bruxelles. Un seul entretien a été mené intégralement en arabe à la demande de notre interlocuteur1. Cependant, plusieurs de nos interlocuteurs marocains ont parlé un français ponctué d’expressions en dialecte marocain (darija) : nous avons indiqué ces passages dans les extraits cités. La plus grande partie des entretiens a été faite avec des acteurs des ministères ou départements de l’Intérieur et des Affaires étrangères ou européennes (dans le cas français). Les acteurs d’autres institutions ont également été abordés lorsque celles-ci sont apparues importantes pour la compréhension soit des négociations, soit du contexte des négociations. Ils n’ont volontairement pas été menés au départ au niveau des responsables politiques, c’est-à-dire des ministres ou des commissaires européens, bien que nous ayons, vers la fin de notre recherche, réalisé deux entretiens de ce type. La plupart de nos entretiens ont été réalisés au niveau intermédiaire de l’administration, avec des fonctionnaires ou des diplomates en charge de programmes ou de zones géographiques spécifiques (desks dans les ministères des Affaires étrangères, par exemple) ou leurs supérieurs immédiats. Un petit nombre d’entretiens a été réalisé avec de hauts fonctionnaires ou diplomates, à un stade avancé de leur carrière. Enfin, un très petit nombre d’entretiens a été mené avec des personnes en charge de la rédaction juridique ou du secrétariat. Nous avons donc pris le parti de nous focaliser sur les bureaucraties, notamment afin de nous concentrer sur les pratiques de ces acteurs qui assurent un suivi quotidien des dossiers. Par ailleurs, nous avons également interrogé deux responsables associatifs. 1
Nous avons dans ce cas pu poser nos questions en français quand cela était nécessaire, notre maîtrise de l’arabe, en particulier de l’arabe standard (et non dialectal) qu’utilisait cette personne de façon assez formelle, étant limitée. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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Pour les acteurs étatiques, européens et des organisations internationales, il a dans certains cas été difficile de dépasser la restitution d’un discours autorisé. Une dimension importante de ce phénomène chez les plus impliqués dans les négociations était liée aux fait que les négociations sur la réadmission étaient toujours en cours au moment de nos entretiens. Dans certains cas, nous avons clairement ressenti l’impression que nous étions envisagée comme une messagère pour la partie adverse : en effet, que notre travail soit publié rapidement ou que nous rencontrions d’autres personnes, certaines formulations semblaient surtout destinées à être entendues par d’autres. A l’inverse, dans d’autres cas, il s’agissait pour les négociateurs de ne pas révéler leur « dernier prix » avec trop de précisions – par exemple les directives de négociation données par le Conseil à la Commission. En revanche, l’accès aux acteurs, à la fois pour obtenir des entretiens puis pour les « faire parler » s’est révélé très différencié en fonction des terrains, de même que le type de personnes qui acceptaient le plus facilement de nous rencontrer et de nous parler. Alors que pour les administrations françaises et européennes, une grande partie des informations sur les individus en poste se trouvent en ligne (figurent au moins un contact téléphonique ou un courriel), le travail d’identification des acteurs sur le terrain marocain a plutôt fonctionné grâce à des personnes-ressources1. Après avoir repéré les personnes ou les départements à contacter, il a fallu dans presque tous les cas à Rabat passer par une recommandation – y compris pour l’ambassade française ou la délégation de la Commission – ce qui n’était pas le cas à Paris ou Bruxelles. Par ailleurs, alors qu’il a été relativement facile d’accéder à des acteurs du ministère des Affaires étrangères et de la coopération marocain à Rabat et à Bruxelles, cela s’est révélé extrêmement difficile à Paris : les différents consulats marocains se sont montrés très réticents, et l’ambassade nous a fait venir une fois pour finalement annuler le rendez-vous, et une deuxième fois pour nous faire passer d’un interlocuteur à un autre (l’un des interlocuteurs était la personne que nous savions en charge du dossier mais qui a nié l’être et a refusé de nous parler). Ceci était d’autant plus surprenant que nous les contactions en ayant déjà été approuvée par le MAEC puisque nous y avions fait un stage, et que la prise de contact avec la délégation marocaine à Bruxelles s’est faite sans problème par deux fois. De même, le
1
Le site http://www.service-public.ma, qui inclut un annuaire de l’administration, ne permet pas toujours d’accéder à un numéro de téléphone ou un courriel, et ceux-ci ne garantissent pas toujours d’accéder à un contact.
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ministère de l’Intérieur marocain a été extrêmement difficile à joindre : la plupart de nos autres interlocuteurs ont tenté de nous décourager ou nous ont prévenue que « les gens de l’Intérieur » étaient très méfiants. Nous avons finalement obtenu un entretien qui a dû être conduit « hors les murs », dans un contexte informel et dans un temps limité. Pour résumer, nous avons parlé à beaucoup de diplomates marocains, beaucoup de personnes du ministère de l’Intérieur en France et des affaires intérieures à Bruxelles. Dans ces deux derniers cas, ceci reflète la concentration des négociations sur la réadmission dans ces départements ; au Maroc, le ministère de l’Intérieur est en charge de la négociation, mais cultive aussi une culture du secret, que nous n’avons pas retrouvée aussi importante à Paris ou à Bruxelles. Cependant, les négociations sur la réadmission sont intégrées à un ensemble de questions sur les migrations qui est également suivi de près par le ministère des Affaires étrangères. De plus, une fois les entretiens obtenus, dans les administrations françaises et européennes, la seule restitution de discours autorisés était fréquente, en particulier auprès des acteurs de la Commission et surtout du Secrétariat du Conseil de l’UE. Finalement, ce sont les personnes les plus proches du terrain qui nous ont donné le plus d’informations précises et ont semblé nous parler le plus librement. Dans les administrations marocaines, ceci n’a pas été le cas. Ce qui est dû à une hiérarchie très marquée, mais aussi au statut peu clair des informations : nous reviendrons sur cet aspect au sujet des sources écrites, mais, pour résumer, dans un monde administratif relativement opaque, la liberté ou non de révéler des informations – y compris certaines connues de tous – est une façon de signifier son pouvoir. Il a donc fallu soit chercher des personnes à des postes plus élevés – tout en courant le risque, pour les postes les plus élevés, de s’en tenir à des généralités – ou bien compter sur une introduction personnelle. Notre présentation en tant qu’étudiante de Sciences Po a sans doute été utile pour la plupart des entretiens, mais un certain nombre de nos interlocuteurs marocains ont pensé que nous cherchions à obtenir un emploi, et il fallait donc les détromper afin de poursuivre l’entretien. Par ailleurs, alors que le genre n’a pas semblé constitué un critère déterminant dans nos entretiens auprès des administrations françaises et européennes, nous avons constaté que cet élément avait compté dans les administrations marocaines : nous avons conduit plusieurs entretiens très détaillés et poussés avec des femmes très diplômées, diplomates ou hautes-fonctionnaires en milieu ou fin de carrière, et qui avaient en général une expérience dans plusieurs institutions, et souvent en lien avec une organisation internationale, et dont la parole était la plus libre avec nous – mais sans doute aussi par ailleurs. Sans
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affirmer que le genre était déterminant dans ces rencontres1, notre profil de jeune femme poursuivant des études était nettement valorisé par ces interlocutrices. Sur les autres terrains, nos interlocuteurs les plus jeunes se sont souvent révélés très loquaces, de même que les plus âgés. Il était plus difficile d’obtenir une parole libre de la part de personnes en milieu de carrière. Cependant, alors que les plus âgés nous ont parlé avec plaisir de leur carrière passée, les plus jeunes étaient plus hostiles à ce type de questions. « S’imposer aux imposants » (Chamboredon et al. 1994) n’a donc pas toujours facile, et, dans l’ensemble, cela a été plus facile d’une part avec les types d’acteurs identifiés ci-dessus, d’autre part au fur et à mesure que notre recherche avançait et que nous approfondissions notre connaissance du sujet et des différents acteurs. Ces difficultés et les craintes de certains de nos interlocuteurs nous ont conduit d’une part à ne pas enregistrer les entretiens – nos premiers interlocuteurs ayant refusé, nous avons décidé de ne pas enregistrer les suivants. Elles nous ont également conduit à anonymiser les entretiens : nous indiquons ainsi l’appartenance institutionnelle de nos interviewés le plus précisément possible sans compromettre leur anonymat. De même, les informations concernant le genre ont été supprimées car, combinées à l’appartenance institutionnelle, elles permettraient d’identifier à coup sûr certaines personnes, et nous avons adopté le masculin pour désigner toutes les personnes rencontrées – la majorité de nos entretiens ayant été menés avec des hommes. Plutôt que de choisir des prénoms masculins imaginaires aux femmes (les prénoms « mixtes » sont relativement rares au Maroc), nous avons choisi, afin d’identifier les propos de chacun des interlocuteurs, de référencer nos entretiens en les numérotant dans l’ordre de leur réalisation.
Sources écrites : donner un sens à des accès différentiés Cette thèse repose également largement sur un travail de dépouillement de sources écrites, dont le corpus est très hétérogène. Il varie notamment en fonction des différents « pôles » de notre enquête, selon des critères d’accessibilité : ouverture ou non à l’extérieur, documents en ligne ou non ; mais aussi en fonction de la clarté ou non de ces critères. Nous avons dû faire face à une asymétrie dans l’accès aux sources écrites, encore plus prononcée 1
Nous avons aussi rencontré une diplomate marocaine qui s’est excusée d’un rendez-vous manqué en nous parlant de sa fausse-couche mais qui nous a ensuite dirigée vers quelqu’un d’autre pour l’entretien : dans ce cas, la proximité de genre appelait la confidence personnelle mais nullement une confiance professionnelle. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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que pour l’accès aux acteurs et les entretiens. Nous présenterons d’abord les sources consultées et le statut que nous leur accorderons, avant de préciser les enjeux de cette asymétrie. Nous avons rassemblé quatre types de sources écrites : les documents officiels, les documents étatiques ou européens non-officiels, les documents produits par d’autres institutions sur le sujet, et enfin la presse. La catégorie des documents officiels comporte ellemême une variété de sources : les accords et traités internationaux, mais aussi les législations nationales ou européennes, disponibles en ligne pour la plupart. Les documents non-officiels sont également de plusieurs types : documents transmis par les acteurs eux-mêmes et concernant directement leur activité (listes de projets, statistiques, procès-verbaux de réunions notamment), mais aussi les documents auxquels nous avons pu avoir accès à travers des recherches archivistiques en France et au Maroc (procès-verbaux de réunions, par exemple). Nous avons par exemple à cet égard consulté en 2010 les archives de Patrick Weil, conservées au Centre d’histoire de Sciences Po1, ce qui nous a permis d’avoir accès aux procès-verbaux des réunions de réflexion puis de suivi du premier accord par échanges de lettres sur la circulation des personnes entre le Maroc et la France (1983) depuis la suppression des visas en 1957, ainsi que les discussions sur la mise en place de retours volontaires et les pratiques de retours forcés. De même, nous avons pu consulter la base des données juridiques du ministère des Affaires étrangères à Rabat au cours de notre stage sur place. La catégorie des documents produits par d’autres institutions rassemble les sources publiées mais non commercialisées, notamment les rapports provenant soit des institutions étatiques ou européennes
soit
d’organisations
internationales,
inter-gouvernementales
ou
non-
gouvernementales. La plupart de ces documents sont disponibles en ligne. Enfin, la dernière catégorie de sources écrites utilisées concerne les articles de presse. Si nous avons conservé une distance critique par rapport à ces sources, il s’agissait ici principalement pour nous d’obtenir des données chronologiques (visites de chefs d’État, contexte), plutôt que d’analyser le traitement de la question par la presse – ceci est uniquement pris en compte dans le cadre de la discussion de la visibilité différenciée des accords de réadmission. Au Maroc, les 1
« Ce fonds traite de la politique d'immigration en France de 1981 à 1986 et plus particulièrement sous le ministère de Georgina Dufoix (G. Dufoix a été secrétaire d'État auprès du ministère des Affaires Sociales et de la Solidarité nationale, chargée de la famille, de la population et des travailleurs immigrés de 1983 à 1984 puis Ministre des Affaires Sociales et de la Solidarité nationale de 1984 à 1986). » Site internet du Centre d’histoire de Sciences Po, Paris : http://chsp.sciences-po.fr/fond-archive/weil-patrick [consulté le 13 septembre 2013]. Patrick Weil a été chef de cabinet du secrétaire d’État à la Sécurité sociale, puis aux Immigrés, entre 1981 et 1982. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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quotidiens ainsi que certains hebdomadaires ont été consultés. Un grand nombre de ces articles est disponible en ligne. En France, le même type de journaux et de magazines a été consulté, essentiellement par des recherches sur des bases de données électroniques. Enfin, concernant plus spécifiquement l’Union européenne, certains médias spécialisés ont été consultés, comme le site internet EurActiv. Ajoutons également à ces sources de presse écrite des sources audio ou vidéo, notamment des entretiens de presse avec des acteurs des négociations disponibles sur internet. Le premier apport des sources écrites pour cette recherche a été de permettre l’objectivation des paroles des acteurs recueillies dans les entretiens. En effet, la consultation des sources écrites nous a permis à la fois de préparer les entretiens en amont, afin d’acquérir une connaissance du sujet permettant de préparer les bonnes questions, puis pendant le déroulement de l’entretien d’approfondir certains aspects abordés par les acteurs. Elle nous a également permis, en aval des entretiens, de contextualiser les discours des acteurs et de vérifier certaines informations transmises à l’oral se sont révélées incomplètes ou imprécises. Cependant, l’objectivation des sources orales n’a pas été le seul usage que nous avons fait des sources écrites. Nous les avons également analysées en tant que productions des institutions. D’une part parce que les documents en eux-mêmes, en particulier des documents similaires comparés les uns aux autres selon leurs versions dans le temps, peuvent être révélateurs des rapports de forces entre différentes institutions ou acteurs. Une comparaison des textes des différents accords de réadmission ou accords régulant les retours forcés conclu par le Maroc avec différents pays européens nous permet par exemple d’examiner les enjeux d’asymétrie dont sont porteurs ces accords (chapitre 1). Nous avons également comparé les différentes versions de « l’approche globale », une approche des politiques migratoires adoptée par l’UE en 2005, au cours du temps, afin de montrer comment sa définition avait était progressive et quels étaient les enjeux de lutte autour de cette définition (chapitre 5). Enfin, les catégories utilisées dans les statistiques de coopération sur la réadmission font ellesmêmes l’objet de négociations et constituent un autre lieu de la contestation des acteurs marocains sur ce sujet (chapitre 7). D’autre part, une autre dimension des sources en tant que productions des institutions réside dans l’asymétrie que nous avons rencontrée dans l’accès aux sources écrites officielles. Ainsi, chaque institution ne produit pas les mêmes types de documents et ne le diffuse pas de la même façon. Tandis que la Commission tend à produire un grand nombre de documents publics, ceci est moins fréquent pour les différents États. De
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plus, dans le cas marocain, le rapport des acteurs aux archives était marqué par une incertitude sur le statut des documents. Plusieurs éléments ont pu constituer une source d’asymétrie dans notre approche des sources marocaines : nous avons en effet essentiellement consulté les articles en langue française. Cependant, ceci ne constitue pas une limite essentielle car la plupart des sources marocaines officielles, non officielles et de presse existent en français, encore plus sur les sujets liés aux relations avec l’Union européenne ou avec la France. Pour les rares sources non traduites, par exemple les débats parlementaires, nous nous sommes appuyée sur des sources secondaires1. Une cause plus fondamentale d’asymétrie dans l’accès aux sources a été le statut différent accordé aux archives en fonction des institutions et des terrains. Si le statut de la documentation non diffusée publiquement est rarement certain et fixe, preuve en est l’existence de procédures dérogatoires auprès des institutions étatiques françaises ou des institutions européennes2, le Maroc ne disposait quant à lui pas d’un système d’Archives nationales accessibles pour la recherche jusqu’à juin 20133. Si certains documents sont accessibles en ligne, notamment les bulletins officiels, intégralement mis en ligne depuis avril 2007, les recherches n’y sont pas aussi aisées que dans les bases de données législatives française ou européenne4. Il n’existait pas de référence officielle quant au statut des archives au moment de notre enquête. La méfiance de certains acteurs étatiques marocains lors des entretiens ou le refus de donner certaines informations pourtant peu secrètes peuvent ainsi être rapprochés de l’incertitude sur le statut des sources écrites, à laquelle nous avons dû faire face lors de notre stage au ministère des Affaires étrangères et de la coopération. En effet, lors de notre premier jour de stage, nous avons été installée devant un poste informatique sur lequel nous avons pu consulter librement la base de données juridiques du ministère – nous avons alors téléchargé un certain nombre de documents. Cependant, le lendemain, on nous a informé que nous ne pouvions pas avoir accès à tous les documents de la base : notre accès à cette base de données a par la suite été largement restreint et la personne qui nous avait
1
Par exemple une analyse de Katharina Natter au sujet des débats parlementaires (2012), ainsi que sur les fréquents rapports établis par Abdelkrim Belguendouz pour ses analyses dans ses publications ou pour des médias en ligne. 2 Possibilité d’adresser une demande de dérogation aux Archives nationales en France, une demande de documents dont l’accès est « restreint » auprès du Secrétariat du Conseil de l’UE. 3 La création d'Archives nationales a fait l'objet d'une loi en 2007, et le premier bâtiment pour l’accueil du public a été inauguré le 10 juin 2013. 4 Notamment parce qu’il s’agit de documents pdf scannés. La recherche est possible uniquement pour les titres des décrets ou des dahirs (décrets royaux).
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accueillie a demandé notre clé usb afin d’en effacer les données téléchargées la veille et désormais considérées comme « sensibles ». Nous nous sommes certes posée la question de l’utilisation de ces données – que nous avions conservées par ailleurs – pour cette thèse, mais, après avoir découvert que certains des documents effacés étaient mis en ligne par les autorités des autres pays contractants, nous avons décidé de les utiliser pour notre analyse, sans toutefois les reproduire intégralement en annexe. Nous pouvons d’ailleurs contraster cette anecdote avec celle d’un diplomate du Quai d’Orsay qui, suite à l’une de nos questions sur la coopération marocaine sur la réadmission, ouvre un dossier pour nous donner des statistiques tout en moquant les restrictions excessives sur l’information dont il suspecte ses collègues du ministère de l’Intérieur1. Cet épisode nous paraît révélateur d’une asymétrie dans le traitement des sources écrites par les différentes institutions que nous avons approchées : entre des institutions très documentées – parfois à l’excès, ce qui rend tout aussi difficile l’analyse – et des institutions jalouses de leur documentation au point de refuser de divulguer des documents publics par ailleurs. Cette asymétrie reflète le statut différent de l’information en fonction des institutions et des acteurs, mais permet aussi de comprendre la focalisation de la recherche sur les institutions produisant le plus grand nombre de documents facilement accessibles : la Commission européenne et les institutions de l’UE. Notre enquête a donc aussi consisté à tenter de dépasser cette asymétrie pour trouver tant des entretiens auprès d’acteurs des institutions marocaines que des sources écrites produites par les institutions étatiques de ce pays. Pour conclure, ce travail de thèse repose essentiellement sur un travail d’entretiens et une analyse de sources écrites dans trois « pôles » géographiques des relations examinées : Rabat, Bruxelles et Paris. Le choix de travailler sur les pratiques nous a conduit à nous concentrer pour le travail d’entretien sur des fonctionnaires dont le sujet des migrations ou des relations avec le Maroc ou l’Union européenne constituait un travail quotidien. Cependant, dans l’accès aux entretiens comme aux sources écrites, les différents terrains sont marqués par une asymétrie qu’il convient de garder à l’esprit pour le reste de l’analyse.
1
« C’est top secret, j’ai pas le droit de vous dire mon chiffre, c’est ça ? » Entretien n°47, Direction d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 28 juin 2011. Les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur nous ont transmis ces statistiques sans problème. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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E - Plan de la thèse L’objet de cette thèse est de répondre à la question de savoir pourquoi et comment la négociation d’un accord de réadmission entre le Maroc et l’Union européenne dure depuis dix ans, et ce malgré l’asymétrie entre les deux parties. En d’autres termes, il s’agit de comprendre comment fonctionne la politique extérieure de l’UE en tenant compte de l’asymétrie des relations sur lesquelles elle se fonde et qu’elle tente de perpétuer sans les questionner. Nous avons présenté plus haut trois « stratégies de décolonisation » de l’étude de la politique extérieure de l’UE : déconstruire les représentations ou les analyse de l’Union européenne comme un sujet homogène et rationnel opposé au reste du monde, pluraliser les sujets potentiels des relations internationales en analysant différents point de vue, et enfin, par conséquent, déplacer la focale vers les acteurs des pays du Sud. Le plan de notre thèse s’attache à mettre en œuvre ces stratégies dans ses deux premières parties. La troisième se concentre sur l’imbrication des relations bilatérales et multilatérales dans les négociations. La première partie s’attachera donc à déconstruire l’idée d’une politique extérieure européenne comme continuation fonctionnelle des politiques intérieures. Dans le chapitre 1, nous examinerons d’abord les accords de réadmission bilatéraux pré-existants : nous analyserons ainsi leur diversité et la façon dont ils sont caractéristiques d’une asymétrie entre les parties signataires, bien que celle-ci n’y soit pas toujours explicite. Nous montrerons également comment la signature d’un texte ne constitue nullement une garantie de sa mise en œuvre, ce qui a constitué une plainte récurrente des États européens auprès des autorités marocaines au sujet des retours forcés. Les exigences de formalisation des accords de la part de certains États européens ainsi que la volonté d’inclure une clause sur la réadmission des « ressortissants de pays tiers » – autrement dit des non-marocains étant passé par le territoire marocain avant leur arrivée sur le territoire européen – ont constitué des limites importantes aux politiques de retours forcés poursuivies par notamment la France et l’Espagne. Le chapitre 2 se penche ainsi sur la façon dont ce récit sur les limites des négociations bilatérales constitue la base des discours français et européens sur la réadmission. Cependant, une analyse des dynamiques organisationnelles à l’œuvre montre que les modélisations de la délégation en termes de recherche d’efficacité ne peuvent expliquer ni la délivrance d’un mandat de négociation d’un accord de réadmission avec le Maroc à la Commission en 2000, ni la forme de ce mandat et la répartition des compétences. Les divergences entre certains États membres et la Commission, ainsi que les concurrences
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internes à la Commission, constituent du point de vue des négociateurs marocains une multiplication des arènes de négociation qui offre des opportunités. Enfin, le chapitre 3 se penche sur la question des incitations, financières et tactiques, fréquemment présentées comme la raison de l’échec ou de la longueur des négociations. Nous montrons que ces arguments reposent sur une perception mécanique des incitations : celles-ci sont non seulement difficiles à identifier clairement en tant que telles, mais elles sont également difficiles à mobiliser par les négociateurs. De plus, les liens entre les négociations sur la réadmission et d’autres sujets ont dans certains cas été créés ou saisis par les négociateurs marocains. La représentation de la Commission comme négociant pour les États membres avec comme seul problème des moyens limités ne permet donc pas d’expliquer la longueur des négociations. Nous montrons également que l’hétérogénéité des acteurs européens suscite des opportunités pour les négociateurs marocains. La deuxième partie se penche plus précisément sur les acteurs marocains : les négociateurs de l’accord de réadmission, mais aussi les autres acteurs impliqués dans les relations avec l’UE autour des migrations. Il s’agit par là de pluraliser les sujets des relations internationales et de se pencher sur le « pays tiers » non pas comme une entité homogène représentée par un gouvernement homogène, mais plutôt dans sa complexité, notamment en tenant compte de l’historicité de ses politiques et de la multiplicité des acteurs qui y sont engagés. Ceci permet également de considérer les discours des acteurs étatiques marocains, leur insertion dans le domaine international, et la façon dont ces acteurs ont légitimé certaines de leurs revendications. Le chapitre 4 se penche ainsi sur la construction des politiques migratoires marocaines, pour montrer que, depuis l’indépendance, l’État marocain ne s’est guère montré passif : les politiques migratoires mises en place répondaient largement à des objectifs économiques et politiques internes. Une facette importante de ces politiques a consisté à mettre en place des institutions spécialisées dans les politiques migratoires, ce qui a généré, dans certains cas, des logiques concurrentielles. La prééminence du ministère de l’Intérieur dans les négociations ne peut donc nullement être tenue pour acquise, et les acteurs d’autres institutions mettent en avant des discours différents. Cependant, comme le montre le chapitre 5, l’ensemble des acteurs marocains s’accorde sur un refus d’accepter un accord de réadmission européen aux conditions proposées par l’UE. Des discours distincts sont développés à ce sujet, articulés d’une part autour du respect de la souveraineté étatique marocaine, d’autre part du refus d’une
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approche purement sécuritaire. Des revendications sont donc formulées pour une « approche globale », ce qui correspond à un vocabulaire adopté par l’Union européenne, ainsi que pour la création d’un lien plus fort entre lutte contre les migrations irrégulières et migrations régulières, sous la forme de facilitations de visas pour certaines catégories de voyageurs marocains. La comparaison entre la politique extérieure de l’UE à l’Est et au Sud joue à cet égard un rôle important dans la construction de l’argumentation des négociateurs marocains, constamment réitérée dans les relations avec les pays européens et les institutions de l’UE. Ce chapitre se penche finalement sur une dernière forme des revendications marocaines : en effet, l’argumentation diplomatique marocaine s’est concentrée sur des demandes de « respect de la dignité » de l’État marocain. Or, cette demande ne doit pas être envisagée comme une tactique de retardement, mais plutôt comme une remise en cause des rapports asymétriques entre l’Union européenne et le Maroc. Enfin, le chapitre 6 décentre encore le regard par rapport aux politiques européennes en montrant d’une part comment celles-ci constituent des ressources matérielles et symboliques qui peuvent être utilisées par les administrations marocaines dans des jeux internes, d’autre part comment ces ressources ne sont pas uniques. En effet, les acteurs étatiques marocains ont pu, dans le cadre d’une socialisation
au
sein
des
organisations
internationales,
influencer
les
discours
« internationaux » sur les politiques migratoires, mais aussi acquérir une légitimité internationale et un vocabulaire spécifique utiles à la fois dans le jeux des concurrences nationales et dans les négociations avec l’Union européenne. Ceci a notamment conduit les acteurs diplomatiques marocains à développer l’idée d’un Maroc comme « leader régional », en lien avec les préoccupations africaines de l’État marocain. La deuxième partie de cette thèse aura donc montré la complexité existant dans un « pays tiers » et pris au sérieux les discours portés par ces acteurs : ceci permet d’envisager le Maroc non pas comme un simple objet d’une politique européenne d’externalisation, mais bien comme un sujet multiple des relations internationales engagé dans une remise en cause de leur asymétrie par des moyens principalement discursifs. La troisième et dernière partie de cette thèse se penche plus précisément sur l’imbrication entre négociations bilatérales (entre un État membre et le Maroc) et multilatérales (entre l’Union européenne et le Maroc) sur la réadmission. Elle montre comment la remise en cause de l’asymétrie des relations Nord-Sud par les acteurs marocains passe par différents canaux, mais aussi comment cette remise en cause aboutit à une
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adaptation de la politique extérieure de l’Union européenne. Le chapitre 7 se concentre sur le cas des relations entre administrations marocaines et françaises pour la mise en œuvre des retours forcés. Nous y montrons d’une part comment la réadmission continue de se jouer, malgré la compétence exclusive de la Commission pour les négociations, dans la pratique des retours forcés : la mise en œuvre constitue une arène supplémentaire de négociations. Or, les acteurs diplomatiques marocains ont également développé une subversion de l’asymétrie des relations France-Maroc : à travers une contestation des catégories statistiques utilisées pour la mesure de la coopération sur la réadmission, ils ont tenté de remettre en cause l’évaluation française de cette coopération, et réussi à faire adopter de nouvelles catégories statistiques. Enfin, le chapitre 8, en guise d’épilogue, se concentre sur les conséquences des révolutions arabes de 2011 sur notre objet, et montre comment le résultat a été un compromis entre les différents acteurs impliqués plutôt qu’un changement brutal des orientations de la politique extérieure de l’UE. Nous montrons ainsi que ces événements ont constitué une fenêtre d’opportunité pour des projets préexistants, et ont permis aux acteurs de la Commission européenne de trouver un compromis à la fois avec les États membres et le Maroc : la signature d’un « partenariat pour la mobilité » répondant à certaines exigences marocaines a ainsi été assorti de la mise en place d’une « conditionnalité » dans les relations avec les pays du sud de la Méditerranée et de flexibilité dans la participation des États membres. En ce sens, les revendications marocaines dans le cadre des négociations sur la réadmission ont aussi joué un rôle dans l’évolution de la répartition des compétences au sein de l’Union européenne.
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Première partie : Déconstruire les discours sur la négociation communautaire des retours forcés
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L’objectif de la première partie de cette thèse est d’appliquer l’une des stratégies identifiées en introduction pour « décoloniser » l’étude de la politique extérieure de l’Union européenne et de ses politiques migratoires : il s’agit de déconstruire l’idée d’une Europe homogène et unifiée ainsi que celle d’une rationalité et d’une linéarité dans la prise de décision et le processus d’intégration européenne. Dans le cas de la politique de réadmission – la négociation d’accords de réadmission communautaires avec des pays tiers – les discours d’acteurs européens ainsi que les analyses universitaires sur le sujet mettent en avant l’idée selon laquelle la délégation des négociations serait une solution adoptée par les États membres pour répondre aux limites de la coopération bilatérale. Les difficultés rencontrées dans la coopération bilatérale sont attribuées à la réticence des pays d’origine et à l’absence d’incitations suffisantes de la part des pays européens. La délégation à l’Union européenne permettrait donc de réunir les forces des États membres afin de gagner en force de persuasion face aux pays d’origine. Cependant, ce discours repose sur plusieurs présupposés qui ne sont que rarement interrogés. Tout d’abord, l’idée selon laquelle les accords de réadmission sont le seul ou le meilleur moyen de coopérer avec les pays d’origine pour effectuer des retours forcés. Ensuite l’idée selon laquelle le refus des pays d’origine serait lié à un manque de persuasion de la part des pays de destination. La délégation des négociations à l’Union européenne serait donc le résultat d’une volonté des États d’augmenter leur force de persuasion. Enfin, ce discours repose sur une conception des pays d’origine, mais aussi des pays d’accueil et de l’UE, comme des entités homogènes. L’objectif de la première partie de cette thèse est de remettre en cause ces différents présupposés et de déconstruire ce récit imaginaire des négociations sur la réadmission, en particulier dans sa dimension rationnelle et linéaire. Le Chapitre 1 interroge ainsi l’idée selon laquelle les accords de réadmission sont le moyen de coopération par excellence sur les retours forcés. À partir d’une analyse des différents textes signés par le Maroc, il s’agit de montrer la diversité des formes de coopération sur le sujet et le rôle des gouvernements des pays d’origine dans la détermination de ces formes. Les conséquences de l’asymétrie intrinsèque de cette coopération seront prises en compte pour comprendre la construction d’une argumentation juridique européenne sur le sujet. Cependant, les exigences de formalisation de la coopération de la part des pays européens, notamment sur la question de la réadmission des « ressortissants de pays tiers », a
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constitué une limite importante à la mise en œuvre de la coopération sur les retours forcés avec le Maroc. Le Chapitre 2 cherche quant à lui à déconstruire idée que la délégation des négociations à l’Union européenne serait le résultat d’une volonté des États membres d’augmenter leur force de persuasion. Le processus de délégation résulte largement d’étapes successives et son déroulement a été influencé par les enjeux entre États membres et la Commission et les enjeux internes à la Commission européenne. Enfin, le Chapitre 3 cherche à remettre en cause l’idée selon laquelle les incitations financières et tactiques constituent un arsenal européen pour la persuasion des pays d’origine. Or, il est difficile de les isoler d’un contexte global de coopération pour l’analyse. Il s’agit non seulement de montrer que ce type d’incitations n’est pas nécessairement recherché par les pays d’origine, mais que ces incitations sont en réalité difficiles à mobiliser par les négociateurs en faveur d’un enjeu malgré tout considéré comme secondaire.
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Chapitre 1 : Retours forcés et asymétrie dans les relations bilatérales Comme nous l’avons vu en introduction de cette thèse, l’usage du terme de « réadmission » est relativement récent : les accords des années 1950-1960 portaient plutôt sur la « prise en charge des personnes à la frontière », et l’appellation de « réadmission » s’est généralisée dans les années 1990. Les acteurs rencontrés sur le terrain font ainsi pour la plupart référence aux « accords de réadmission bilatéraux » qui existent entre le Maroc et un certain nombre de pays européens. Cependant, la consultation de la base de données juridiques du ministère des Affaires étrangères et de la coopération (MAEC) à Rabat nous apprend que la plupart des accords auxquels font référence nos interlocuteurs quand ils parlent de « réadmission » ne portent pas officiellement ce nom. Parmi les accords que nous avons recensés, un seul comporte cette mention dans son titre. Les autres parlent de « reconduite aux frontières » ou encore d’« éloignement ». Certains évoquent plutôt la « coopération policière » autour de ces sujets. De plus, tous ne sont pas des « accords », mais on compte aussi des « accords par échange de lettres » ou bien des « procès-verbaux » de réunions spécialisées. Jean-Pierre Cassarino, dont les travaux se concentrent sur les politiques migratoires européennes, en particulier les accords de réadmission, a ainsi parlé d’une « informalisation » de ces accords (Cassarino 2007b). Cependant, cet argument suppose de comparer les textes signés par le gouvernement marocain à partir des années 1990 à un standard qui serait celui des accords signés à partir des années 1950-1960 entre pays européens. D’une part, ces accords ne s’appelaient pas non plus nécessairement ainsi. Mais surtout, d’autre part, cette comparaison suppose de considérer ces accords comme une norme ou un standard. Or, ceci est problématique pour deux raisons. La première est le constat que ces accords sont beaucoup moins nombreux, nous l’avons vu dans l’introduction, que les accords plus récents : il paraît donc difficile de considérer comme un standard des textes qui sont en réalité peu nombreux. La seconde raison est que la réciprocité est une caractéristique essentielle de ces accords entre pays européens, alors que les accords des années 1990 et 2000 sont marqués par une asymétrie fondamentale entre les signataires. Or, l’asymétrie – et les processus de son occultation – ne doit pas être négligée dans l’étude
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des conventions internationales, encore plus lorsqu’il s’agit de conventions sur les migrations dans un contexte post-colonial (Sayad 1991). Plutôt que d’être implicites dans l’analyse, les relations de domination internationale doivent donc être prises en compte dans l’examen des formes de la coopération sur les retours forcés. Si l’inventaire des accords, que l’on retrouve dans la plupart des analyses de la réadmission (Cassarino 2010a ; 2010b ; Coleman 2009 ; Panizzon 2011), constitue un préalable essentiel à l’étude de ces accords, il nous semble également essentiel de nous pencher, lorsque cela est possible, sur le texte de ces accords, non pour en faire une analyse purement juridique (Coleman 2009) ou normative, mais afin d’éviter de considérer comme « standards » des textes qui ne sont en réalité que des variantes de procédés d’expulsion historiquement déterminés (Walters 2002). Cette précaution est selon nous essentielle afin de comprendre les formes que prend la coopération internationale pour les retours forcés et les relations de domination qui y transparaissent. L’objectif de ce chapitre est donc double : d’une part il s’agit de montrer que, lorsque les acteurs sur notre terrain, mais aussi les analyses qui sont faites de ces politiques, parlent de « réadmission », ils désignent en réalité une multiplicité de dispositifs dont les accords de réadmission ne sont que l’une des formes – celle que l’Union européenne poursuit au niveau communautaire depuis 2000. Cette déconstruction n’est pas purement linguistique, mais permet, en ne considérant pas cette forme de coopération comme « standard », de remettre en cause le récit selon lequel le processus de délégation des négociations sur la réadmission à l’Union européenne est le résultat d’un processus linéaire d’extension des accords de réadmission. D’autre part, une analyse des textes conclus entre le Maroc et les pays européens permettra de mettre à jour les formes de la domination – son évidence ou son occultation – et donc d’entamer une réflexion sur le rôle des gouvernements des pays d’origine dans les formes que prend la coopération sur les retours forcés. Il s’agit également de montrer les limites rencontrées par ces formes de coopération. Précisons ici que, pour l’argument de ce chapitre seulement, nous considérerons les États comme des unités homogènes : la mention d’un « intérêt » des États ou des gouvernements, bien que difficile à définir dans le cadre des relations internationales (Kratochwil 1982; Finnemore 1996), doit être comprise en ce sens. Comme nous le verrons dans le reste de cette thèse, cette homogénéité gouvernementale ne doit pas être tenue pour acquise, et les discours des différents acteurs étatiques sur
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l’opportunité ou non de conclure un accord de réadmission ou d’effectuer des retours forcés sont partagés. Dans une première partie, nous examinerons les différentes formes que prend la coopération marocaine pour les retours forcés avec les pays européens. Nous verrons ainsi ce que l’asymétrie des accords de réadmission signifie en termes d’acceptabilité pour chacune des parties. La visibilité politique est en effet fondamentale pour les gouvernements du pays d’origine et des pays d’accueil pour expliquer les formes prises par la coopération. Dans un deuxième temps, nous nous pencherons plus précisément sur les textes de la coopération afin d’analyser l’asymétrie qui y est en jeu, les processus d’occultation de cette asymétrie ainsi que ses enjeux légaux et pratiques. Enfin, la dernière partie de ce chapitre examine les limites de la coopération bilatérale pour les retours forcés : d’abord en remettant en cause l’idée qu’un accord de réadmission correspond à une mise en œuvre de la coopération ; puis en examinant les nouvelles exigences des États européens en matière de retours forcés et l’opposition qu’elles rencontrent au Maroc. Ces limites constituent en effet la base des discours européens sur la délégation des négociations à l’Union européenne.
A - Les formes asymétriques de la coopération sur les retours forcés dans les relations entre le Maroc et les pays européens La plupart des travaux sur les négociations européennes autour des politiques migratoires mentionnent les « accords de réadmission » comme un instrument de prédilection de la politique de contrôle migratoire des pays européens depuis les années 1990 (Guiraudon 2001; Mrabet 2003; Lavenex 2006; Gabrielli 2008; Coleman 2009). La plupart de ces travaux incluent en réalité dans cette catégorie des documents très diversifiés de par leur dénomination comme de par leur statut. Jean-Pierre Cassarino a ainsi souligné une « informalisation » croissante des accords de réadmission. Les accords qu’il qualifie de « non standards » seraient ainsi favorisés par les États en raison de leur faible visibilité, de la possibilité de les renégocier plus facilement, et du faible coût de la défection pour les signataires (Cassarino 2007b). Si cet argument fait sens dans une perspective historique de long terme, il ne tient pas compte de la différence entre des accords passés sur le principe de la réciprocité et des accords asymétriques. Une analyse du cas du Maroc à partir de la liste des accords marocains – plutôt qu’à partir de la liste des accords européens – permet de montrer que les « accords de réadmission » en tant que tels sont en réalité plutôt rares, et de tenir compte de l’asymétrie dans le choix des formes de la coopération. Ce n’est donc pas tant une Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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« informalisation » qu’il faudrait expliquer, mais plutôt l’existence de quelques accords formels, qui font figure d’exception. En effet, le coût de la visibilité des accords de réadmission n’étant pas le même pour les deux parties engagées, on pourrait s’étonner de ce que le gouvernement marocain ait jamais accepté d’en conclure. L’asymétrie de ces accords implique également une asymétrie des enjeux pour chacune des parties, qu’il convient d’examiner. Nous verrons donc dans un premier temps comment les accords de réadmission constituent une forme parmi d’autres – et pas la plus courante – de la coopération marocaine avec les pays européens sur les retours forcés. Puis nous examinerons dans un second temps les critères de visibilité, de possibilité de renégociation ou de défection, mais de façon différenciée en fonction des États et de leurs relations, c’est-à-dire en tenant compte de l’asymétrie aussi dans les enjeux des accords de réadmission pour les pays d’accueil et les pays d’origine.
1) Les « accords de réadmission » : une forme située de la coopération Maroc-pays européens sur les retours forcés. Un examen des différents textes régulant la coopération sur les retours forcés entre le Maroc et les pays européens montre que les accords de réadmission ne sont ni une forme ancienne, ni la forme dominante de cette coopération. L’inventaire des « accord liés à la réadmission » réalisé dans le cadre de la Return Migration and Development Platform (RDP) coordonnée par Jean-Pierre Cassarino à l’Institut universitaire européen de Florence constitue une ressource importante pour l’étude de la coopération sur les retours forcés1. Il permet notamment de réaliser la cartographie d’une coopération largement invisible. Les textes régissant la coopération sur les retours forcés sont en effet difficiles à répertorier car il s’agit souvent de procès-verbaux non publiés dans la documentation officielle. Cependant, cet inventaire est aussi caractérisé par deux limites qui sont liées. D’une part, il se base sur « la contribution de nombreuses personnes, entre autres des fonctionnaires d’institutions nationales et internationales, qui ont bien voulu transmettre des informations et documents ou bien répondre à des requêtes non officielles ». Il repose donc largement sur des sources informelles, anonymes, et non vérifiables. D’autre part, les textes recensés sont
1
Consultable en ligne : http://rsc.eui.eu/RDP/fr/research/analyses/ra/ [consulté le 1er septembre 2013]. Le projet initial était le MIREM, MIgration de REtour au Maghreb, entre 2005 et 2008.
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répartis dans de larges catégories : « les accords standards », qu’il s’agisse d’accords bilatéraux de réadmission ou de protocoles d’application d’un accord européen, et les « accords non standard », qui incluent les accords en matière de coopération policière comportant une clause sur la réadmission, les memoranda d’entente, les ententes ou arrangements administratifs, et les échanges de lettres (Cassarino 2013). Ces catégories ont certes le mérite de déconstruire celle d’ « accord de réadmission », mais n’offrent pas d’information précise quant aux titres exacts des documents ou aux signataires, ou encore sur la place occupée par la question de la réadmission dans le texte. Or, pour analyser la coopération sur les retours forcés dans le cas précis du Maroc, il nous a paru important de chercher à vérifier les données offertes par cette base de données et à identifier les acteurs impliqués dans les négociations autour de cette coopération. L’accès à la base de données juridiques du ministère des Affaires étrangères et de la coopération à Rabat (MAEC) nous a permis de combler certaines lacunes de l’inventaire réalisé dans le cadre de la plateforme RDP ; et inversement, cet inventaire recensait certains documents qui ne figuraient pas dans la base de données du MAEC et que nous avons pu trouvé grâce à quelques recherches supplémentaires. Certains documents figurant dans cet inventaire n’ont par ailleurs pas été trouvés1, ce qui nous amène à nous interroger sur la validité de ces informations. Une analyse plus spécifique des textes montre ainsi que les documents régulant précisément les retours forcés – et s’apparentant ainsi le plus aux « accords de réadmission » tels qu’ils sont habituellement décrits – ne sont pas nécessairement ceux mentionnés par les acteurs ou l’inventaire de la plateforme RDP. De plus, cette analyse nous permet aussi de constater qu’il n’y a pas un modèle d’accord de réadmission qui serait un standard, mais que la coopération sur les retours forcés est un processus de coopération internationale en construction. Les acteurs impliqués, le niveau de la coopération et le contenu varient donc dans le temps et selon les pays qui négocient avec le Maroc. Nous examinerons donc d’abord les différentes formes prises par la coopération, avant de nous pencher plus précisément sur le contenu de ces textes.
1
Notamment un accord avec l’Allemagne du 1er juin 1998 : nous avons trouvé des procès-verbaux de réunions à cette période, mais aucun accord à cette date.
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Date
1983-1993
13/02/1992
1315/01/1993
22/04/1993
21/10/1993
20/03/1997
22/04/1998
27/07/1998
07/09/1999
30/05/2000
23/12/2003
06/03/2007
24/09/2011
Pays
France
Espagne
France
Pays-Bas
Belgique
Allemagne
Allemagne
Italie
Portugal
France
Espagne
Espagne
Royaume-Uni
Espagne : Délégué du gouvernement pour les étrangers et l’immigration./ Maroc : Directeur général des affaires intérieures
Ministres de l’Intérieur
Ministres de l’Intérieur / de l’Administration interne
Ministres des Affaires étrangères
Représentants du Gouvernement (signatures sans mention de nom ni de poste)
Représentants des Ministères de l’Intérieur
Délégations de membres de plusieurs ministères (intérieur, affaires étrangères, affaires sociales, emploi…)
Ministres de l’Intérieur
Représentants des Ministères des affaires extérieures/étrangères
Signataires
Tableau 6 - Accords de réadmission entre le Maroc et les pays européens
Memorandum d’entente
« Accord de coopération dans le domaine de la prévention de l'émigration illégale de mineurs non accompagnés, leur protection et leur retour concerté »
« Memorandum d’entente sur le rapatriement assisté des mineurs non-accompagnés »
« Accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Maroc relatif à la coopération en matière de sécurité (ensemble un échange de notes) »
« Accord de coopération entre le Gouvernement du Royaume du Maroc et le Gouvernement de la République portugaise en matière de contrôle des frontières et des flux migratoires »
« Accord entre le Royaume du Maroc et la République italienne sur la reconduite aux frontières des ressortissants des deux pays et sur le transit pour l'éloignement »
« Procès-verbal entre le Gouvernement du Royaume du Maroc et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif à l’identification et à la délivrance de laissez-passer consulaires »
« Procès-verbal entre le ministère fédéral de l’intérieur de la République fédérale d’Allemagne et le ministère de l’intérieur du Royaume du Maroc sur l’identification et la délivrance de laissezpasser consulaires »
Procès-verbal
Procès-verbal
« Procès-verbal » : « Questions d’intérêt commun relatives à la circulation et au séjour des ressortissants de chacun des deux États sur le territoire de l’autre »
« Accord entre le Royaume du Maroc et le Royaume d’Espagne concernant la circulation des personnes et le transit et la réadmission des étrangers qui pénètrent d'une façon illégale »
« Accord sous forme d’échange de lettres relatif à la circulation des personnes »
Sujet / titre
Signé
Accord signé non entré en vigueur
Accord en vigueur
Accord entré en vigueur, Révisé en 2004 ? (données RDP) Accord entré en vigueur
Accord signé entré en vigueur le 18 juin 1999
Procès-verbal, entré en vigueur le 1er juin 1998.
Procès-verbal.
Procès-verbal d’une rencontre de délégations marocaine et française
Accord provisoire, partiellement appliqué à partir de 2004.
Echange de lettres entré en vigueur 1984 (avenant en 1993).
Statut
Les formes variées de la coopération sur la réadmission Le Tableau 6 présente les différents textes liés à la réadmission signés par le Maroc. Il a été réalisé en croisant les données recensées dans l’inventaire de la plateforme RDP et les données auxquelles nous avons pu accéder sur la base de données juridiques du MAEC : lorsque le titre précis du texte n’est pas indiqué dans le tableau, nous n’avons eu connaissance de ce document que par le biais de l’inventaire RDP1. On constate tout d’abord que la plupart des textes sur les retours forcés recensés sont signés avec des États du Sud de l’Europe, les plus concernés par l’entrée irrégulière de migrants qui arrivent directement depuis le Maroc, qu’il s’agisse de ressortissants marocains ou d’autres nationalités. On peut ensuite constater qu’un seul texte porte officiellement le titre d’ « accord de réadmission ». On remarque en premier lieu que le terme de réadmission apparaît relativement peu. Sur les neuf textes liés à la réadmission recensés dans la base juridique du Ministère des affaires étrangères, il apparaît une seule fois. On trouve sinon des termes équivalents, tels « rapatriement », « retour » ou « reconduite à la frontière ». Les termes plus généraux de « circulation des personnes » apparaissent à trois reprises ; cette expression laisse penser que ces textes ne se concentrent pas uniquement sur la réadmission. De même, on trouve l’expression « contrôle des frontières et des flux migratoires », également plus générale, mais dans une version plus sécuritaire, orientée vers le contrôle. Certains textes abordent, parallèlement au retour ou à la réadmission, d’autres dimensions des circulations migratoires, à travers « la circulation des personnes » ou la « prévention de l’émigration illégale ». Enfin le titre de certains textes se concentre sur les modalités précises de la réadmission, c’est-à-dire sur « l’identification et la délivrance de laissez-passer consulaires ». De plus, les ministères en charge de la coopération sur la réadmission varient selon les textes : on retrouve principalement le ministère de l’Intérieur, mais aussi le ministère des Affaires étrangères. Dans certains cas, les ministères des Affaires sociales ou de l’Emploi sont également impliqués, lorsque des questions de séjour sont abordées ou lorsqu’il s’agit d’un accord concernant des mineurs. Cette diversité des noms de la réadmission et des ministères signataires montre qu’il n’existe pas un modèle d’accord de réadmission, ni même un modèle 1
Soit que nous n’en ayons pas trouvé trace dans la base de données juridiques du MAEC, soit que le texte soit postérieur à notre consultation de cette base.
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de coopération dans le domaine de la réadmission. Cette coopération sur la codification des procédures des retours forcés se construit progressivement à partir des années 1980 avec la France, des années 1990 avec d’autres États européens. Enfin, sur les neuf textes liés à la réadmission recensés dans la base juridique du Ministère des affaires étrangères à Rabat, quatre sont désignés par le terme « accord ». On trouve aussi un « accord sous forme d’échange de lettres », revu une fois par le même moyen ; on trouve également un « mémorandum d’entente » et trois procès-verbaux de réunions qui font office de référence. Cette diversité a été interprétée comme le signe d’une « informalisation » croissante de la réadmission (Cassarino 2007b, 187). Cependant, un accord par échange de lettres n’est a priori en rien moins « formel » qu’un accord habituel : sa validité juridique dépend plutôt de sa publication. Le statut de ce type de texte n’est pas très clair auprès des acteurs : la dimension confidentielle ou non de ces textes est peu précise auprès des acteurs rencontrés, qui ne nous les ont donc jamais communiqué au cours d’entretiens, comme ils ont pu le faire d’autres documents. Cette incertitude transparaît dans le cas de l’accord par échange de lettres entre le Maroc et la France sur la circulation des personnes de 1993, le plus fréquemment mentionné par les acteurs pour parler de la coopération « qui fonctionne bien » sur le sujet : il a en effet a été publié au Journal officiel français1 ; il consiste par ailleurs en une modification sur un point d’un accord datant de 1983 qui est également disponible sur la base des traités du ministère des Affaires étrangères français2 ; mais, côté marocain, le texte n’a pas été publié au Bulletin officiel (ce qui est le cas de la plupart des documents recensés dans la base de données juridiques du MAEC), et le document fait partie de ceux auxquels il nous a été donné accès sur place puis qui ont été effacés de notre clé usb par un fonctionnaire le lendemain, sous prétexte que les « accords par échanges de lettres » faisaient partie des accords confidentiels. On a donc une asymétrie entre un État qui rend l’accord visible et un autre qui évite cette mise en visibilité. Ceci est un indice du rôle différencié de la visibilité de ces textes pour les gouvernements des pays de d’accueil et ceux des pays d’origine. 1
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1993). Décret n°93-850 du 15 juin 1993 portant publication de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc portant modification de l’accord du 10 novembre 1983 relatif à la circulation des personnes, signé à Paris le 25 février 1993 (MAE9330024D), JORF, n°138, 17 juin (Annexe 8).
2
Accord en forme d’échange de lettres entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Maroc relatif à la circulation des personnes, signé à Paris le 10 novembre 1983 (19830040), Publi. hors J.O, O.N.U., vol. 1367, p. 185 « 1984 ; 19 » (Annexe 7).
Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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Au final, ce type de textes reste relativement « formel » par rapport à un type de textes qui n’était pas recensé par l’inventaire de la plateforme RDP avant 2013, et qui ne l’est désormais que partiellement : les procès-verbaux de réunions. Ceux-ci concernent la mise en œuvre de textes déjà adoptées ou d’obligations reconnues, et ne semblent pas à cet égard constituer des actes politiques formels. Ces textes se concentrent par ailleurs sur une dimension plus technique de la réadmission ou de la circulation des personnes, des questions d’identification et de délivrance des laissez-passer. Ce type de textes présente l’avantage, en se concentrant sur des dimensions techniques, d’être relativement peu visible, tout en traitant des mêmes questions qu’un accord de réadmission, dans certains cas plus précisément que les accords officiels. Cependant, ces textes ne sont pas une spécificité récente, une tendance à « l’informalisation », dans le cas du Maroc, mais ils constituent au contraire l’une des premières formes de coopération mise en place sur la question des retours forcés : ils concernent le choix d’une action au niveau de la mise en œuvre plutôt qu’au niveau des négociations diplomatiques. Coopération technique et constitution de la « réadmission » comme objet de négociations Il convient également de se pencher, lorsque c’est possible, sur le contenu des textes régulant les retours forcés. On observe alors une coopération bricolée, en fonction des interlocuteurs et du contexte : les mesures détaillées sur les retours forcés (documents nécessaires, délais de réponse, prise en charge etc.) font dans tous les cas plutôt l’objet de négociations entre ministères de l’Intérieur, mais à des niveaux variés et avec une visibilité plus ou moins importante. Nous analysons ici les provisions principales et la forme des différents textes signés par le Maroc avec les pays européens dans les années 1990 et 2000. Le premier accord de réadmission conclu par le Maroc date de 1992, il a été conclu avec l’Espagne. Cependant, cet accord n’a pas véritablement été mis en œuvre pendant dix ans, puis de façon épisodique, avant d’être mis en œuvre plus régulièrement, en particulier pour l’une de ces clauses spécifiques, à partir de 2002. La coopération sur les retours forcés est en réalité passée par le biais de procès-verbaux pour la plupart des pays européens. C’est le cas par exemple avec la France. Il n’existe pas à proprement parler d’accord de réadmission franco-marocain. Celle-ci est généralement considérée comme étant réglée par des accords par échanges de lettres au sujet de la circulation des personnes, conclus entre les Ministères des affaires étrangères français et marocains en 1983 et 1993 déjà mentionnés. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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Cette question n’est pourtant pas abordée directement dans les accords par échange de lettres de 1983 et de 1993. En 1983, l’accord répond à un double objectif : préserver la liberté de circulation pour les séjours de moins de trois mois tout en faisant obstacle à l’installation de migrants irréguliers (Costa-Lascoux 1986). Ce document se concentre sur deux éléments : d’une part, prévenir l’immigration irrégulière de Marocains en France ; d’autre part, préciser les mesures techniques liées à la mise en place d’une carte de débarquement à deux volets. La question de la prévention de l’immigration irrégulière est abordée en premier, à travers un article. Il est ainsi indiqué que : Les autorités marocaines prendront les mesures d’information et les dispositions propres à éviter que ne se mettent en route à destination de la France des ressortissants marocains susceptibles de rechercher un établissement en France dans des conditions non conformes aux règles applicables en la matière.1 Il est frappant au passage de constater que les expressions « immigration irrégulière » ou « illégale » ne font pas encore partie du vocabulaire de la réglementation des migrations. L’expression utilisée pour désigner ce type d’immigration mentionne cependant l’existence de « règles applicables à la matière » et isole une catégorie de la population à soupçonner. Le document s’attache ensuite à détailler les dispositions relatives à la carte de débarquement à deux volets. Ce système, prédécesseur des visas, instaurés en 1986 pour les ressortissants des pays du Maghreb, a fait l’objet de nombreuses discussions bilatérales au début des années 19802, et était destiné à tenir un compte et à identifier les personnes qui restaient sur le territoire français plus longtemps que pour la période déclarée au moment de l’entrée3. L’accord de 1993 ne modifie dans l’accord de 1983 qu’un alinéa sur la des documents nécessaires à l’entrée sur le territoire français. Ces accords franco-marocains par échanges de lettres de 1983 et 1993 ne sont donc pas des « accords de réadmission », mais surtout, ils n’abordent même pas la question du retour, forcé ou volontaire, des personnes qui seraient restées sur le territoire français au-delà de leur droit au séjour. Pourquoi, dans ce cas, sont-ils la référence citée par les acteurs 1
Accord en forme d’échange de lettres entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Maroc relatif à la circulation des personnes, signé à Paris le 10 novembre 1983 (19830040), op. cit. (Annexe 7)
2
Plusieurs procès-verbaux de réunions consultés dans les archives Weil font état de ces discussions.
3
Un volet est conservé par la police aux frontières, l’autre est remis avec le passeport au voyageur. Celui-ci doit rendre ce volet lors de sa sortie du territoire. Ceci permet ainsi à la police aux frontières d’évaluer et d’identifier les voyageurs qui ne sont pas repartis après expiration de leur droit au séjour, grâce aux volets dont la partie remise au voyageur n’a pas été récupérée.
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français et marocains sur le sujet ? Parce qu’ils mettent d’abord en place un système qui crée une « immigration irrégulière » et permet de parler de la question du retour des migrants en situation irrégulière ; et parce qu’ils constituent le cadre de coopération dans lequel la politique de retour forcé est discutée par la suite, à travers la mise en place de comités ou de commissions mixtes pour le suivi de la mise en œuvre. Ceci montre que l’importance des textes ne dépend pas seulement de leur contenu, mais aussi de l’usage qui en est fait dans les pratiques des acteurs : les accords par échange de lettres sont ainsi devenus des éléments des discours français et marocains sur la réadmission alors même qu’ils ne contiennent aucune mention de ce sujet. En effet, d’une part la carte de débarquement à deux volets a permis à l’administration française de mettre en place une comptabilité de l’immigration irrégulière. En 1986, un procès-verbal de la Commission mixte prévue par l’accord de 1983 mentionne ainsi un nombre de volets restés isolés (59 960) entre les mains de l’administration française1. D’autre part, ces accords prévoient des réunions pour cette Commission mixte, ce qui permet de discuter de la mise en œuvre des mesures prévues dans l’accord, mais aussi d’aborder de nouvelles questions relatives à la « circulation des personnes ». C’est ainsi que la question du retour de migrants ne disposant pas de papiers d’identité est abordée directement au cours des années 1990 lors d’une réunion de délégations interministérielles des deux parties. En effet, c’est le procès-verbal d’une rencontre de délégations en janvier 1993 qui règle précisément, parmi d’autres questions, les modalités des retours forcés. Ce procès-verbal mentionne clairement, sous l’intitulé 3, le thème de la réadmission ou de la « Coopération en matière de délivrance de laissez-passer consulaires » : Compte tenu de l’intensité de la circulation des personnes entre le Maroc et la France, il est apparu nécessaire, dans l’intérêt des ressortissants de chacun des deux États régulièrement établis sur le territoire de l’autre, de coopérer plus étroitement sur certaines questions relatives à l’immigration, dans le respect des droits et garanties prévus par les lois et règlements en vigueur. À cet égard, les deux Parties sont convenues d’améliorer l’application des mesures d’éloignement exécutoires prononcées à l’encontre des ressortissants des deux États.2 1
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1986). Procès-verbal de la Commission mixte prévue par l’accord Franco-marocain du 10 Novembre 1983 sur la circulation des personnes, s. n., 15 avril.
2
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1993). Procès-verbal : une délégation marocaine et une délégation française se sont rencontrées à Paris les 13, 14 et 15 janvier 1993 pour examiner les questions d’intérêt commun relatives à la circulation et au séjour des ressortissants de chacun des deux États sur le territoire de l’autre, s.n.
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C’est donc à travers des questions techniques, détaillées sur plus de deux pages, qu’est abordée cette question qui n’est pas encore nommée « réadmission », mais plutôt « éloignement ». Ces détails précisent la procédure à suivre pour la demande et la délivrance de laissez-passer consulaires : documents faisant preuve de la nationalité des personnes identifiées comme marocaines, délai de délivrance par les autorités consulaires, organisation d’auditions en cas de doute sur la nationalité. La question n’est donc pas traitée par un accord formel, ratifié, publié, dans le cas des relations avec la France, et ce dès les années 1990, mais plutôt à travers les réunions techniques prévues pour la mise en œuvre d’un accord plus général. D’autres pays européens abordent également cette question avec le Maroc dans le courant des années 1990 par le biais de simples réunions. C’est le cas de la Belgique et des Pays-Bas, pour lesquels l’inventaire de la plateforme RDP recense des procès-verbaux en 1993. C’est aussi le cas de l’Allemagne. Là encore, la question est traitée dans un cadre informel : deux procès-verbaux en 1997 et 1998 font état de ce souci de renvoyer les migrants marocains en situation irrégulière vers leur pays d’origine. Ces procès-verbaux « relatif[s] à l’identification et à la délivrance de laissez-passer consulaires » entre l’Allemagne et le Maroc fixent les conditions précises de délivrance des laissez-passer consulaires, qui doivent permettre à l’Allemagne de reconduire les Marocains en situation irrégulière vers le Maroc1. Ces textes contiennent des dispositions similaires au procès-verbal avec la France, excepté un délai d’examen de la demande de laissez-passer par les autorités marocaines fixé à huit semaines (article 3(4)), et une mention de réadmission par les autorités allemandes en cas d’erreur sur la nationalité (article 5). Si ces textes sont aussi des procès-verbaux de réunions, ils sont néanmoins plus formalisés que le procès-verbal de 1993 avec la France. En effet, la présentation ressemble plus à celle d’un accord formel, avec une organisation du document par articles, plutôt que par de simples paragraphes, et une page de garde précisant les parties liées par le document. On constate d’ailleurs que le texte de 1997, qui lie les ministères de l’Intérieur des deux pays, apparaît comme un brouillon du texte de 1998, qui concerne quant à
1
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1997). Procès-verbal entre le Ministère fédéral de l’Intérieur de la République Fédérale d’Allemagne et le Ministère de l’Intérieur du Royaume du Maroc sur l’identification et la délivrance de laissez-passer consulaires, s.n., 20 mars ; MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1998a). Procès-verbal entre le Gouvernement du Royaume du Maroc et le Gouvernement de la République Fédérale d’Allemagne relatif à l’identification et à la délivrance de laissez-passer consulaires, s. n., 22 avril, entré en vigueur le 1er juin 1998.
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lui les gouvernements allemand et marocain (et non plus simplement les ministères de l’Intérieur). Ceci remet donc en cause la distinction entre texte formel et informel. Ces textes ne diffèrent d’ailleurs guère des textes des accords « officiels » : celui avec l’Espagne de 19921, et un autre signé avec l’Italie en 19982. Celui-ci n’est pas entré en vigueur, si l’on en croit la base de données du MAEC, bien qu’un protocole additionnel de 1999 soit indiqué comme entré en vigueur. Ceux-ci sont similaires par leur contenu aux procès-verbaux de réunions avec la France ou l’Allemagne : il s’agit de fixer les détails de la procédure de demande et de délivrance des laissez-passer consulaires. Les délais de réponse sont fixés à deux ou cinq jours (en fonction des preuves transmises). Nous examinerons dans le chapitre suivant la recommandation du Conseil au sujet d’un accord type bilatéral3, qui a pu jouer un rôle dans cette harmonisation et dans l’idée des accords de réadmission comme « standard ». On peut souligner ici que la mise en place d’un « modèle » ou d’un accord standard, issus des négociations répétées et menées en parallèle par les acteurs marocains avec différents pays européens est antérieure au Conseil européen de Tampere de 1999, qui décide de la délégation des négociations de certains accords à l’Union européenne. Cependant, ce « modèle » n’est pas totalement harmonisé. On note dans les accords avec l’Espagne et avec l’Italie la présence d’une thématique qui n’est pas abordée dans les textes examinés plus haut : celle des migrants ressortissants de pays tiers. Trois articles leur sont consacrés dans l’accord italo-marocain de 1998 (articles 4-6), à travers la mention du « transit pour l’éloignement », c’est-à-dire de la possibilité de procéder à la procédure d’éloignement en passant par le territoire de « la Partie contractante requise ». L’accord antérieur avec l’Espagne aborde ce thème encore plus directement, puisqu’il lui est en réalité quasiment entièrement consacré : en effet, le premier article mentionne « les nationaux de pays tiers étant entré illégalement sur le territoire de [l’État requérant] à partir du territoire de 1
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1992). Accord entre le Royaume du Maroc et le Royaume d’Espagne relatif à la circulation des personnes et le transit et la réadmission des étrangers qui pénètrent d'une façon illégale (Acuerdo entre el Reino de Marruecos y el Reino de España relativo a la circulacion de personas, el transito y la readmision de extranjeros entrados ilegalmente), s.n., 13 février. (Annexe 6).
2
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1998b). Accord entre le Royaume du Maroc et la République italienne sur la reconduite aux frontières des ressortissants des deux pays et sur le transit pour l’éloignement, s.n., 27 juillet.
3
CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE (1996). Recommandation du Conseil du 30 novembre 1994 concernant un accord type bilatéral de réadmission entre un État membre et un pays tiers, Journal officiel des Communautés européennes, n° C 274/25, 19 septembre, p.20-24.
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l’État requis ». Il s’agit donc dans cet accord de faire réadmettre à un État des ressortissants d’un autre État, suite à leur passage par son territoire. Cette question des migrants « de transit » prend par la suite de l’ampleur dans les années 2000. Si le contenu de ces accords diffère des procès-verbaux par cette mention du transit, ou des accords par échange de lettres par les catégories de population concernées, il n’en diffère guère par les détails de procédure qui sont abordés. Quelle est donc la différence entre un accord « formel » et la codification de la coopération par le biais de simples réunions consignées dans des procès-verbaux? La différence ne réside pas nécessairement dans les résultats de la mise en œuvre : en effet, les accords formels ne sont pas nécessairement mis en œuvre, comme le montre le cas de l’accord avec l’Espagne, qui n’a pas été mis en œuvre pendant une dizaine d’années. Pour cet accord comme pour celui avec l’Italie, c’est notamment la clause de réadmission des « ressortissants de pays tiers » qui pose problème pour la mise en œuvre, nous verrons plus loin pourquoi. Un autre type d’accord formel a été signé avec l’Espagne en 2007 et concerne le « retour concerté » des mineurs, mais, en raison de la situation particulière de cette population et des obligations internationales liées au respect des droits de l’enfant, ces accords traitent aussi de « la prévention de l’émigration illégale » et de la protection de ces mineurs non accompagnées. Par ailleurs, cet accord, non ratifié, avait été précédé d’un « mémorandum d’entente » sur le même sujet, mais qui se concentrait uniquement sur la question du retour. Enfin, on trouve des accords de coopération policière liés, plus ou moins directement, à la réadmission. Ceux-ci portent directement sur la mise en œuvre des retours forcés, et contiennent des dispositions similaires aux accords de réadmission. Celles-ci sont cependant généralement intégré à un cadre plus large, soit sur le « contrôle des migrations », soit de coopération policière sur d’autres sujets. Un accord conclu avec le Portugal en 1999 porte sur la coopération en matière de contrôle des frontières et des flux migratoires1 et un accord de coopération policière est conclu avec le France en 20012. Ces derniers sont classés, selon la 1
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1999). Accord de coopération entre le Gouvernement du Royaume du Maroc et le Gouvernement de la République portugaise en matière de contrôle des frontières et des flux migratoires, s.n., 7 septembre.
2
Dahir n°1-00-321 du 15 moharrem 1422 (10 avril 2001) portant publication de l’accord fait à Paris le 30 mai 2000 entre le gouvernement du Royaume du Maroc et le gouvernement de la République française relatif à la coopération en matière de sécurité », Bulletin officiel du Royaume du Maroc, n°4958, 2001 (Annexe 10). L’inventaire de la plateforme RDP ne recense pas cet accord, mais un accord sur ce sujet du 1er mai 2001 dont nous n’avons pas trouvé trace.
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typologie de la plateforme RDP, dans la catégorie des accords « non standards », moins visibles que des accords de réadmission en tant que tels. Cependant, ces accords sont tout à fait officiels et publiés au bulletin officiel. En revanche, la question des retours forcés n’y est pas abordée directement. L’accord avec le Portugal, c’est-à-dire celui qui se concentre sur le contrôle des frontières et des flux migratoires, est très bref (six courts articles) et planifie plutôt de façon très générale des échanges d’information et de données, des échanges d’expérience et une assistance technique dans le domaine des contrôles frontaliers, ainsi que l’organisation de stages et de colloques sur le sujet. Quant à l’accord conclu avec la France, il ne porte pas spécifiquement sur les migrations ou le contrôle des frontières : « la lutte contre l’immigration irrégulière et la fraude documentaire s’y rapportant » ou encore « la lutte contre la traite des êtres humains » (un sujet parfois traité sous le chapitre de la lutte contre l’immigration irrégulière) ne constituent que deux items parmi treize. L’accord prévoit en revanche la mise en place d’un « comité mixte de coopération en matière de sécurité ». De même, l’accord avec le Portugal prévoit que : Pour évaluer la coopération régie par le présent accord, les deux Parties constitueront une Commission Mixte. Cette Commission se réunira régulièrement une fois par an, alternativement au Maroc et au Portugal pour l’analyse des travaux en cours et l’évaluation des résultats obtenus dans le domaine de la coopération et de l’assistance technique. La mise en place de la coopération passe aussi par la mise en place de comités de ce type, destiné à « l’évaluation de la coopération », c’est-à-dire par une institutionnalisation de la coopération à travers de groupes de suivi et des réunions régulières. On a ainsi une routinisation de la coopération sur les questions de contrôle des frontières et de gestion des flux migratoires. Cet accord formel peut en réalité faire espérer au Portugal de parvenir à des procès-verbaux du type de ceux conclus avec la France ou l’Allemagne, et qui fixent les détails plus spécifiques de la réadmission. Il fait ainsi passer la question de la réadmission dans le domaine de la coopération au niveau technique et non politique. On constate donc que, dans le cas du Maroc, on ne peut pas vraiment parler d’une croissance de la part des accords « non standards ». Les « accords de réadmission » officiels constituent l’exception plutôt que la règle pour la coopération sur les retours forcés des pays européens avec le Maroc depuis les années 1990. Il n’y a donc pas tant « informalisation des accords de réadmission » qu’une préférence constante pour un traitement de ces questions au niveau technique de suivi de la coopération.
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2) Coûts politiques asymétriques : le poids des pays « d’origine » dans la détermination des formes de la coopération. Pourquoi cette préférence pour une coopération sur les retours forcés par des réunions dans le cadre de la mise en œuvre d’accords plus génériques, plutôt que pour des accords formels ? Il a été souligné que la technicisation d’un enjeu permet de le dépolitiser, c’est-àdire de désarmer les conflits potentiels autour des changements (Bezes 2007). Cependant, étant donné l’asymétrie de la réadmission, cette préférence pour une gestion technique et informelle de la réadmission, liée à une volonté de rendre cet enjeu moins visible, n’est pas la même en fonction des pays que l’on observe. Nous tenterons dans un premier temps de définir plus précisément les voies de l’invisibilisation de la réadmission, avant de nous intéresser aux raisons des préférences des États. Jean-Pierre Cassarino emprunte une définition de l’informel à Charles Lipson. On pourrait ainsi considérer comme informels des accords qui, « manquent, à un degré plus ou moins fort, d’un imprimatur plein et de la plus haute autorité, qui est donné le plus clairement lors de la ratification de traités » (Lipson 1991 : 498). S’il nous semble utile de distinguer le degré d’engagement d’un État, qui diffère selon le type de texte et le processus de signature et/ou de ratification (différents selon les États), ce seul critère est insuffisant pour opérer une distinction entre coopération formelle et informelle. Que dire en effet de certains types de coopération classés par Cassarino dans la catégorie des accords « non standards », comme les accords de coopération policière ? Il s’agit pourtant bien d’accords signés par les plus hautes autorités compétentes en la matière, à savoir les ministres de l’intérieur, et publiés au Bulletin officiel. En revanche, la réadmission n’y est pas abordée directement, comme nous l’avons vu : ces accords posent plutôt les bases d’une coopération régulière à travers la mise en place de comités de suivi. La coopération précise sur la réadmission repose essentiellement sur le travail de comités de ce type, qui fait l’objet de procès-verbaux, dont le statut est effectivement relativement informel. Cependant, y compris dans ce cas, on a vu que certains procès-verbaux adoptaient une apparence très formelle et ressemblaient à des accords, même si les signataires ne sont que des représentants des ministères ou des gouvernements, et non des membres du gouvernement. Ce qui caractérise véritablement la coopération sur la réadmission, c’est donc plutôt le fait qu’elle soit réglée au niveau de la mise en œuvre plutôt qu’au niveau des négociations diplomatiques. Si on ne peut donc pas nécessairement parler de textes informels puisque tous ne le sont pas, on peut cependant parler d’une dimension
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informelle de la coopération sur la réadmission. Nous préfèrerons donc parler de « coopération informelle » que de « textes » ou « d’accords informels ». Comment expliquer dès lors la prédominance de ce type de coopération dans le domaine de la réadmission ? Pour Cassarino, qui applique l’analyse de Lipson au cas précis de la coopération pour la réadmission, les gouvernements préfèrent de tels accords informels pour trois types de raisons : tout d’abord, leur faible visibilité publique ; ensuite, la possibilité de constamment les renégocier ; enfin, le coût plus faible d’une éventuelle défection. Si Cassarino souligne l’asymétrie des relations entre les pays européens et leurs voisins, puisque les accords de réadmission établissent des obligations réciproques mais induisent en réalité des coûts et bénéfices différents pour les deux parties (Cassarino 2007b : 182-183), les conséquences de cette asymétrie sur les différents critères retenus restent à examiner. Or, faible visibilité, flexibilité et possibilité de défection n’ont pas le même intérêt pour les deux parties, quand il s’agit de réadmission. Le critère de visibilité est lié à la notion de coût politique. Si cette question est abordée lorsqu’il s’agit d’expliquer les politiques migratoires des pays d’accueil1, rares sont les travaux qui évoquent cette question pour les pays d’origine (Ellermann 2008; 2009) Pour les gouvernements européens, une faible visibilité constitue un manque à gagner potentiel, puisqu’ils ne pourront pas publiciser cette réussite diplomatique. Cependant, les retours forcés peuvent être rendus visibles par d’autres biais, par exemple la mise en avant de statistiques comme l’a montré la mise en place d’un objectif quantitatif de reconduites à la frontière en France dès 2003, très publicisée en 2007 au moment de l’élection présidentielle2. Au contraire, la faible visibilité d’une coopération informelle constitue un avantage pour le gouvernement marocain, qui n’a ainsi pas besoin de se justifier auprès d’une opinion publique qui pourrait percevoir ces accords comme une concession aux pays européens. En cela, le traitement technique des questions de réadmission peut révéler une volonté d’euphémiser les enjeux politiques. Or, pour le gouvernement marocain, la saillance des questions de migrations est grande, et en particulier la situation des Marocains à l’étranger. Les négociations d’accords de réadmission sont largement relayées dans les médias avec des titres 1
Pour un exemple récent sur les politiques migratoires et de contrôle des frontières internationales (c’est-à-dire les négociations avec d’autres États sur le sujet), voir (Rodier 2013).
2
MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR, DE LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE ET DES LIBERTÉS LOCALES (2003). Circulaire n°NOR/INT/D/03/00105/C sur l’amélioration de l’exécution des mesures de reconduite à la frontière, s.n., 22 octobre. Disponible sur : www.gisti.org/IMG/pdf/norintd0300105c.pdf [consulté le 2 septembre 2013].
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« chocs » : le gouvernement marocain est ainsi accusé de « brader » la question des immigrés ou d’« impuissance » face à une Europe « frileuse »1. Ces articles couvrent non seulement la signature d’accords lorsqu’il y en a, mais aussi le déroulement des négociations diplomatiques. Les négociations de mise en œuvre font elles aussi l’objet d’articles relativement détaillés lorsque des informations sont accessibles aux journalistes. Un article du quotidien L’Économiste en 2003 couvre par exemple la venue d’une délégation espagnole du ministère de l’Intérieur au Maroc pour la discussion des conditions de mise en œuvre de l’accord de 19922. Or, sur le sujet des contrôles migratoires et des retours forcés, les concessions marocaines sont interprétées par une partie de la population en termes d’humiliation ou d’atteinte à la dignité (Chattou, Aït Ben Lmadani, et Diopyaye 2012). Ailleurs qu’au Maroc, le cas du refus malien de signer un « accord de gestion concertée » incluant une politique de retours forcés avec la France montre bien que la question des retours forcés est sensible dans les pays d’origine : des manifestations ont même lieu au Mali et devant le consulat du Mali à Paris lorsque des négociations prennent place sur le sujet, et le refus malien est interprété dans les médias en termes de résistance et de maintien de la dignité nationale3. Pour résumer, s’il est important pour les gouvernements des pays européens de mener des politiques de retours forcés visibles, cette visibilité ne passe pas nécessairement par la signature d’accords. En revanche, pour le gouvernement marocain, la visibilité des retours forcés n’est guère souhaitable, car elle renvoie une image de faiblesse par rapport aux pays européens. De plus, la notion de visibilité pose aussi la question de la mise en œuvre, en lien avec les possibilités de renégociation. Il est difficile de distinguer clairement pour chaque partie les avantages ou inconvénients de cette possibilité dans la coopération informelle. En effet, plus le statut d’un accord est officiel, plus il est difficile de négocier les conditions de sa mise en œuvre. Antje Ellerman a montré que, pour les pays d’accueil qu’elle étudie (l’Allemagne et 1
A titre d’exemples : GROTTI, Laetitia (2003). « Le Maroc brade la question des immigrés », Tel Quel, mars ; « La lutte contre l’émigration clandestine : une priorité nationale », Le Matin du Sahara, 21 décembre 2003 ; MOHAMMADI, Benhamed (2006). « Conférence de Rabat sur la migration et le développement : dialogue de sourds entre une Europe « Frileuse » et une Afrique « Impuissante » », La Gazette du Maroc, 17 juillet ; JAABOUK, Mohamed (2006). « Maroc-Espagne : vers de nouveaux accords sur l’immigration », Libération. 14 août ; BELGUENDOUZ, Abdelkrim (2013). « UE-Maroc : partenariat de mobilité ou de réadmission ? », Le Matin, 6 juillet.
2
EL HASSOUNI, Abdelmohsin (2003). « Maroc-Espagne: l’accord de réadmission retardé », L’Economiste, 2 mai.
3
Voir par exemple au moment des négociations en janvier 2009 : « Bamako refuse une nouvelle fois « l’immigration choisie » », RFI.fr, 10 janvier 2009.
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les États-Unis), le coût ou le bénéfice de la visibilité ou non de la réadmission pour différents acteurs varie selon la séquence du cycle, entre la signature d’un accord et sa mise en œuvre (Ellermann 2009). On peut également établir cette distinction dans le cas des pays d’origine. Pour le gouvernement marocain, si le coût politique de la signature d’un accord de réadmission est fort, la mise en œuvre de politiques de réadmission ne l’est pas nécessairement. De plus, la mise en œuvre d’un accord formel et visible est plus coûteuse politiquement que celle d’une coopération informelle. La question est dès lors, pour les pays européens, de déterminer si leur préférence va à un accord de réadmission officiel, visible, mais difficile à négocier et sans doute encore plus à mettre en œuvre, ou à des types de coopération politiquement moins visibles, mais plus facilement mis en œuvre – et qui peuvent être publicisés sous forme de statistiques par la suite. Cette plus grande facilité de mise en œuvre repose notamment sur la possibilité de constamment renégocier des dispositions techniques, par exemple les délais de délivrance des laissez-passer. L’informalité constitue donc en ce sens un déplacement de l’espace des négociations. Enfin, le faible coût de la défection est très clairement un avantage pour le pays émetteur, c’est-à-dire ici le Maroc, qui pourra ainsi refuser de coopérer pour réadmettre ses ressortissants sans entacher sa réputation internationale, et un inconvénient pour les pays demandeurs de laissez-passer. Le tableau suivant résume les deux variables principales qui opposent les deux parties concernées quant au choix du mode de coopération : Pays d’origine
Pays d’accueil
Faible visibilité publique
Avantage
Inconvénient
Coût plus faible de la défection
Avantage
Inconvénient
Tableau 7 – Avantages et inconvénients de la coopération informelle sur la réadmission selon les parties concernées En distinguant le rôle des différentes variables de la coopération informelle en fonction des parties, on s’aperçoit que celle-ci est plutôt à l’avantage des pays d’origine. Ces avantages peuvent expliquer pourquoi pour les gouvernements qui acceptent de réadmettre leurs ressortissants préfèrent le faire de façon informelle. Les pays européens ne favoriseraient dans ce cas l’informel qu’à défaut de pouvoir convaincre leurs partenaires au Sud de signer des accords formels. La forme de la coopération sur la réadmission est donc largement déterminée par la résistance du gouvernement marocain à une mise en visibilité de l’enjeu, et sa volonté
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de garder la main sur la mise en œuvre de cette coopération en fonction du contexte intérieur et extérieur. Finalement, le fait étonnant n’est pas tant l’importance relative d’une coopération informelle que l’existence de quelques accords de réadmission formels. En effet, à un moment donné, certains pays européens ont cherché à formaliser la coopération avec les pays d’origine. En réalité, les deux types de coopération résultent des mêmes logiques : il s’agit pour les pays européens de trouver des solutions pratiques à des problèmes pratiques dans la mise en œuvre de leur politique interne de contrôle de l’immigration. Ainsi, la recherche d’accords formels résulte de deux causes principales. D’une part, un problème qui émerge dans les années 1990 concerne des migrants qui ne fournissent aucun moyen d’identification, et dont il est difficile de déterminer l’origine. La signature d’accords de réadmission est alors conçue comme un moyen de codifier la coopération des pays d’origine dans la reconnaissance de leurs ressortissants. L’Allemagne s’engage par exemple dans la négociation et la signature de 19 accords ou actes de coopération bilatéraux entre 1992 et 2001, au nombre desquels un acte avec le Maroc (Ellermann 2008, 174‑176). Il s’agit du procès-verbal que nous avons décrit plus haut, mais son inclusion dans la liste des accords ou des actes de réadmission du côté allemand montre qu’il s’agissait pour cette partie de formaliser la coopération : cela souligne d’ailleurs encore une fois les limites d’une catégorisation en termes d’accords formels ou informels. D’autre part, il s’agit de trouver des modalités pratiques permettant de reconduire plus facilement les migrants irréguliers vers leur pays d’origine, par exemple en créant des possibilités de transit des migrants lors de la reconduite ou bien en incluant dans la coopération la réadmission de ressortissants d’États tiers. Ces domaines de coopération ne sont pas habituellement considérés comme faisant partie des obligations internationales des États. Or c’est principalement sur ces aspects que portent les accords négociés par l’Espagne et l’Italie avec le Maroc. Le développement de la coopération informelle résulte de la même logique. Etant donné les difficultés de mise en œuvre de la coopération formelle, le passage par des méthodes plus informelles est conçu comme un contournement des difficultés pratiques. En Allemagne, par exemple, après l’échec des accords de réadmission, les fonctionnaires des ministères de l’Intérieur ont cherché à développer la coopération directe avec leurs homologues dans les pays d’origine (plutôt que de passer par les voies diplomatiques) et à créer des liens stratégiques avec les ambassadeurs de ces pays (Ellermann 2008, 180‑183). Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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De même, on peut comprendre le développement d’accords de coopération policière comme un moyen pour les ministères de l’Intérieur de développer une coopération directe plutôt que de passer par des négociations diplomatiques. Pour conclure, la coopération informelle offre aux fonctionnaires des pays de destination comme des pays d’origine la possibilité de renégocier fréquemment les termes de leur coopération, notamment les aspects pratiques de la mise en œuvre. Cependant, le coût politique de la réadmission ne pesant que sur les pays d’origine, les avantages d’une coopération informelle, moins visible que la signature d’accords de réadmission, sont encore plus importants pour ces pays. De plus, leurs gouvernements cherchent à conserver une marge de manœuvre dans la mise en œuvre des retours forcés, et donc une possibilité de défection. Ainsi, la domination des formes de coopération informelle répond aux attentes des pays d’origine plus qu’à celles des pays de destination. Étant donné l’asymétrie de l’enjeu de la réadmission, si les pays de destination ont réussi à mettre l’enjeu sur la table des négociations (formelles et informelles), certains pays d’origine comme le Maroc ont réussi à obtenir la forme de coopération qui leur convenait le mieux. Si la question de la visibilité de la réadmission est cruciale pour expliquer ces choix, l’analyse ne doit pas négliger la représentation de l’asymétrie à travers les formes de coopération, notamment la dimension discursive et symbolique des différents types d’actes signés par les pouvoirs marocains.
B - Les mots de la réadmission : réciprocité symbolique et légitimité juridique La plupart des recherches existantes se fondent sur une liste de documents, ou des mentions d’accords existants, plutôt que sur le texte de ces documents. Ceci est dû à deux causes principales : d’une part, de nombreuses analyses s’intéressent au phénomène de la réadmission dans sa globalité, plutôt qu’à des accords spécifiques. Ces analyses cherchent avant tout à expliquer la prise d’importance puis les évolutions de cet enjeu depuis les années 1990 (Cassarino 2007b ; 2010a), ou à replacer ce phénomène dans le cadre plus global de la gouvernance externe de l’Union européenne (Lavenex 2006 ; Lavenex et Wichmann 2009). On trouve quelques analyses plus précises des textes des accords, mais il s’agit surtout d’analyses juridiques, et qui se concentrent sur les accords formels, en particulier les accords conclus par l’Union européenne (Coleman 2009 ; Panizzon 2011 ; 2012). D’autre part, de
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nombreux accords sont de nature informelle et sont par nature difficiles à détecter, car ils ne sont pas publiés dans des documents officiels, comme nous l’avons vu plus haut. Par ailleurs, le texte des accords, y compris des accords formels, n’est pas toujours facilement disponible et consultable dans le cas de relations bilatérales, l’enjeu de la réadmission étant souvent considéré comme sensible. Pourtant, une fois trouvés, ces textes en disent long sur l’enjeu de l’asymétrie dans la coopération sur les retours forcés. Une spécificité remarquable des accords « formels » réside dans leur formulation en termes de réciprocité : les textes qui ne sont pas destinés à des publications officielles ne s’embarrassent pas, pour leur part de cette nuance, et la direction des retours forcés, des pays européens vers le Maroc, y est clairement visible. Dès lors, l’intérêt de se concentrer sur un pays d’origine, c’est-à-dire un pays qui n’est pas demandeur d’accords de réadmission mais qui n’y a au contraire que peu d’intérêt, est précisément de comprendre les dynamiques de l’asymétrie qui s’expriment dans ses accords, aussi bien dans la forme juridique qu’ils prennent que dans le contenu et les formulations. Les textes consultés révèlent ainsi une évolution de l’asymétrie et de sa représentation depuis les années 1990. Une analyse approfondie de la variété de la coopération dans le domaine de la réadmission permet ainsi de comprendre l’évolution de cet enjeu ainsi que les enjeux symboliques qui lui sont attachés. Nous verrons dans un premier temps comment l’expression de l’asymétrie varie en fonction des accords, avant de voir comment la formulation des accords recouvre des enjeux liés à une argumentation juridique sur les obligations de réadmission.
1) Fictions de réciprocité et paradoxes de l’asymétrie La question de l’asymétrie des relations entre pays d’origine et pays d’accueil des migrants et de sa représentation est déjà soulignée par Abdelmalek Sayad au sujet des relations entre la France et l’Algérie : Cette dissymétrie [entre pays d’immigration et pays d’émigration] apparaît d’autant plus nettement, donc est d’autant plus grande et d’autant plus conflictuelle, que les deux partenaires s’accordent et s’évertuent à masquer, à se masquer à eux-mêmes et à se masquer mutuellement, la vérité de leur relation ; que chacun des partenaires feint de croire – c’est la condition implicite pour pouvoir contracter – au caractère bilatéral et même réciproque de la relation contractuelle dont ils conviennent, relation qui n’est bilatérale que dans les formes, le temps du contrat, et qui n’est réciproque qu’en théorie (…). Le pays dominé (le pays d’émigration) s’efforce, dans la mesure de ses moyens,
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politiques, économiques, voire techniques et intellectuels (…), de réduire l’écart ou la distorsion dont il est victime ; le pays dominant (le pays d’immigration) semblant ignorer l’avantage intrinsèque qu’il doit à sa position de dominant peut, lui aussi, accepter des concessions, soit par condescendance, soit parce qu’elles lui rapportent des avantages d’une autre nature (…), visant de la même manière à réduire en apparence le décalage, voire à nier l’inégalité des rapports et, par là même, à nier la violence qui les habite. (Sayad 1999, 125) Sayad souligne ici que chacune des parties cherche à dissimuler l’asymétrie des relations et donc à simuler la réciprocité. L’étude de la coopération sur les retours forcés semble être un cas d’étude intéressant de cette dissimulation – ou non – des rapports de force, car elle est un moment où le caractère indésirable des migrants d’un État est rendu particulièrement visible. Or, si certains des textes étudiés sont en effet formulés de façon réciproque, cela n’est pas le cas de tous les textes. La visibilité apparaît là encore comme un critère déterminant. De plus, à la différence de la dissimulation dénoncée par Abdelmalek Sayad, les acteurs marocains rencontrés mettent plutôt en avant l’asymétrie à la fois des relations entre le Maroc et les pays européens, et des accords de réadmission. Ils développent une réflexion sur ce sujet dans laquelle la résistance aux exigences européennes est valorisée. Les formulations présentes dans les accords ne mènent pas une existence autonome, mais sont à relier à l’usage que font les acteurs de l’idée de réciprocité, c’est-à-dire de la façon dont ils présentent ou contestent cette réciprocité. Nous avons vu qu’il existe des accords plus ou moins visibles autour de la réadmission, et que leurs contenus diffèrent. Il est aussi intéressant de comparer la façon dont la relation d’asymétrie transparaît dans ces différents textes : dans les accords informels, et sans doute à cause de leur faible visibilité, la relation d’asymétrie est beaucoup plus clairement perceptible. Au contraire, dans les accords plus officiels, on observe un discours de l’égalité et de la réciprocité. Or, si l’on considère qu’une étude des éléments discursifs et rhétoriques va de pair avec une analyse relationnelle des relations internationales (Lapid 2001), il est essentiel de s’intéresser à la formulation finale des textes négociés et aux enjeux qu’elle recouvre. Il apparaît ainsi que les procès-verbaux désignent très clairement quel État sera « requérant » et quel État sera celui qui devra délivrer des laissez-passer consulaires pour la réadmission de ses ressortissants1. Le procès-verbal entre le Maroc et la France, par exemple, 1
Quelle que soit l’asymétrie entre les États, les migrants n’apparaissent quant à eux jamais que comme des objets de ces textes et accords, ils n’ont pas voix au chapitre. Les négociations de textes et de procédures qui les Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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dans la partie sur la « coopération en matière de délivrance de laissez-passer consulaires » semble dans un premier temps maintenir les apparences d’un texte égalitaire : « les deux Parties sont convenues d’améliorer l’application des mesures d’éloignement exécutoires prononcées à l’encontre des ressortissants des deux États ». Cependant, dès la phrase suivante, il apparaît clairement que le Maroc sera le pays conduit à réadmettre ses ressortissants : « À cette fin, elles ont arrêté les dispositions suivantes pour accélérer l’identification des ressortissants marocains en vue de la délivrance de laissez-passer consulaires »1. Quant au procès-verbal établi avec la République fédérale d’Allemagne, il est encore plus clair, puisque dès son préambule, après une phrase sur les « bonnes relations bilatérales entre les deux pays », le sujet du procès-verbal est abordé sans détours par la mention : « Désireux d’accélérer la procédure d’identification et de reconduite des ressortissants marocains devant quitter l’Allemagne ». Dans la suite du texte, il est uniquement fait référence à la délivrance de laissez-passer consulaires par les autorités marocaines2. En revanche, les accords plus officiels, destinés à la publication, comme ceux signés avec l’Espagne et l’Italie, mentionnent systématiquement les « parties contractantes », la « partie requérante » (celle qui cherche à renvoyer un étranger) et « l’autre partie contractante » (celle qui accepte de réadmettre des personnes sur son territoire)3, ou, dans la version espagnole, « el estado requirente » et « el estado requerido »4. On retrouve ce type de formulations dans les accords européens de réadmission déjà signés. Les préambules des accords de réadmission conclus par l’Union européenne contiennent d’ailleurs une mention explicite de la réciprocité, par exemple dans l’accord signé avec l’Ukraine en 2007 : DÉSIREUX d'établir, au moyen du présent accord et sur une base de réciprocité, des procédures rapides et efficaces d'identification et de rapatriement des personnes qui ne remplissent pas, ou ne remplissent plus, les conditions d'entrée, de présence et de séjour sur le territoire de l’Ukraine ou de l'un des États membres
concernent pourtant directement se font sans qu’à aucun moment ils ne soient représentés. Ceci confirme le constat d’Abdelmalek Sayad selon lequel « les émigrés (pour l’un [État]) et les immigrés (pour l’autre) ne sont ici, en définitive, que la « matière première » d’un phénomène dont les États sont tenus de débattre » (Sayad 1999, 128). 1
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1993). Op. cit.
2
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1998a). Op. cit.
3
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1998b). Op. cit.
4
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1992). Op. cit.
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de l'Union européenne, et de faciliter le transit de ces personnes dans un esprit de coopération1 Faisant fi de la réalité de l’asymétrie des relations entre Union européenne et pays d’origine, cette mention standardisée apparaît dans l’ensemble des accords de réadmission conclus par l’Union européenne. Ainsi, si les deux types de textes sont tournés vers des considérations opérationnelles, les accords formels doivent respecter une narration symétrique, tandis que les procès-verbaux ne s’embarrassent pas de précautions rhétoriques. La réciprocité est donc un élément symbolique important : il convient dans un accord international, que les dispositions adoptées ne réitèrent pas une asymétrie économique et politique. Or, cette dimension rituelle de la réciprocité n’oblitère pas totalement l’asymétrie. Celle-ci apparaît par exemple dans l’accord maroco-espagnol à travers la mention d’un « déséquilibre financier résultant de la réadmission des étrangers expulsés » : l’accord prévoit ainsi d’organiser la discussion de compensations (art.11). De plus, l’asymétrie est très présente dans les réflexions présentées par les acteurs marocains. Ceux-ci soulignent l’asymétrie entre le Maroc et les pays européens, mais insistent également sur l’autonomie de leur pays. Certains insistent notamment sur la souveraineté du Maroc, et rejettent l’idée que le Maroc exécuterait simplement les ordres européens. Ainsi, un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur marocain : Il ne s’agit pas pour le Maroc d’être le ‘gendarme de l’Europe’, non, il s’agit de nous protéger nous-mêmes et d’assumer nos responsabilités en tant que pays crédible sur la scène internationale.2 Cette expression de « gendarme de l’Europe », si elle n’a pas été appliquée qu’au Maroc3, a été dans ce contexte utilisée principalement par les critiques de la politique européenne : c’est un universitaire engagé, Abdelkrim Belguendouz, qui intitule l’un de ses ouvrages Le Maroc non africain, gendarme de l’Europe en 2003. Après les événements de Ceuta et Melilla, on retrouve également l’expression dans le milieu associatif, par exemple dans le rapport du réseau Migreurop sur ces événements4. Fréquemment utilisée auparavant pour parler de la
1
« Accord entre la Communauté européenne et l’Ukraine sur la réadmission des personnes », Journal Officiel de l’Union Européenne, n°L332, 18 décembre 2007 (Annexe 11).
2
Entretien n°21, Direction des migrations, Ministère de l’Intérieur, Rabat, 26 novembre 2009.
3
Elle a par exemple été utilisée pour qualifier la Russie de Nicolas Ier, considéré comme « le protecteur des trônes et des autels d’Europe » au XIXe siècle (Martin 2010).
4
MIGREUROP (2006). Guerre aux migrants : le livre noir de Ceuta et Melilla, juin, p.81.
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Libye1, l’expression est ainsi popularisée pour désigner le rôle du Maroc. La tonalité péjorative de l’expression n’échappe pas aux acteurs administratifs marocains, qui récusent la qualification, tout comme l’avait fait la Libye auparavant2. Le refus de ce qualificatif est ainsi intégré par le Ministère de l’intérieur marocain qui s’adresse lors de l’entretien, aux critiques de la société civile et du monde universitaire. De plus, le refus des acteurs administratifs marocains de qualifier le Maroc de « gendarme de l’Europe » indique aussi une volonté de marquer une autonomie par rapport aux pays européens, et d’affirmer une capacité de négociation. La fin de la phrase souligne d’ailleurs que le Maroc, s’il renforce le contrôle de ses frontières, le fait avec des objectifs propres (« il s’agit de nous protéger nous-mêmes ») et de façon autonome (« et d’assumer nos responsabilités »), en tant qu’État souverain dans un cadre global qui dépasse les relations avec les pays européens (« en tant que pays crédible sur la scène internationale »). Cette idée d’une utilisation de la question migratoire pour améliorer la crédibilité internationale de l’État a également été mise en avant dans le cas de la Libye de Kadhafi (Paoletti 2010; Paoletti et Pastore 2010). En dépit de ces affirmations, et malgré la formulation des accords en termes réciproques, lors de nos entretiens, les acteurs administratifs marocains soulignent l’asymétrie intrinsèque des accords de réadmission. Ainsi, un fonctionnaire du Ministère de l’emploi marocain déclare : « Un accord de réadmission avec l’Union européenne ? Ça serait juste un accord dans l’autre sens »3. Même remarque au Ministère des affaires étrangères et de la coopération : « Ah, l’accord de réadmission… C’est dans un seul sens, vous comprenez ce que je veux dire ? »4. Ce qui est souligné dans ces entretiens, c’est l’unilatéralité de fait des accords de réadmission : il est en effet peu probable que le Maroc les utilise pour renvoyer vers chez eux des ressortissants européens qui se trouveraient en situation irrégulière sur son territoire5. Le discours des acteurs administratifs marocains est empreint d’ambivalence, puisqu’ils mettent en avant l’autonomie marocaine, comme nous l’avons vu plus haut, tout en dénonçant l’asymétrie réelle des accords de réadmission. La différence entre les deux 1
Comme c’est le cas dans le rapport MIGREUROP cité ci-dessus, par exemple.
2
Mouammar Khadafi avait lui-même renié cette expression en décembre 2004 (Lahlou 2005 : 13).
3
Entretien n°2, Direction de l’emploi, Ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle, Rabat, 15 octobre 2009.
4
Entretien n°6, Direction des affaires juridiques et des traités, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 22 octobre 2009.
5
Bien que la question ait été abordée récemment, à la suite de la crise économique espagnole et de l’installation sans permis de séjour de ressortissants espagnols sur le territoire marocain. Voir BARROUX, Rémi (2013). « Miguel, Marina, Carlotta... ces Espagnols qui fuient la crise au Maroc », Le Monde, 20 juin. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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arguments provient de l’appartenance institutionnelle de ces fonctionnaires. Au ministère de l’Intérieur, l’autonomie de la politique marocaine est mise en avant, afin de répondre aux accusations d’être le « gendarme de l’Europe » et de défendre des priorités sécuritaires marocaines par rapport aux pays européens. Au contraire, au ministère de l’Emploi ou des Affaires étrangères et de la coopération, en soulignant l’asymétrie des accords de réadmission, les fonctionnaires préparent une argumentation à destination des pays européens. Ainsi, la question de l’asymétrie n’est pas occultée dans la coopération sur les retours forcés : en dépit des formulations de réciprocité dans les accords les plus « formels », les acteurs marocains placent la question de l’asymétrie au cœur de leurs interprétations. La formulation des accords de réadmission apparaît alors comme un enjeu essentiellement symbolique. Cependant, il convient de souligner que le langage des accords participe aussi d’une argumentation juridique visant à légitimer les politiques de retours forcés.
2) Argumentations juridiques, enjeux pratiques. Sachant que la réciprocité est largement fictive, le langage de la réciprocité n’a pas seulement une fonction symbolique ou rituelle : il s’agit aussi d’adopter le langage du droit international et d’inscrire les accords de réadmission dans cette logique. La réciprocité s’intègre ainsi à une argumentation juridique plus large présentant les accords de réadmission comme la clarification d’obligations préexistantes. Cette argumentation tend à mettre en avant l’égalité des obligations des États face à un droit international, avec pour objectif de renforcer la position des pays qui cherchent à effectuer des retours forcés, alors que leurs exigences se font de plus en plus grandes. Ceci est particulièrement le cas dans le cadre des négociations européennes, qui constituent précisément l’objet de cette thèse. Il existe en effet des désaccords autour de l’existence ou non d’une obligation implicite du droit international pour les États de réadmettre leurs propres ressortissants : si l’idée d’une obligation coutumière du droit international est largement développée par les acteurs institutionnels comme par des théoriciens du droit international, elle est également remise en cause. Nous avons vu en introduction que le traité du Gotha de 1851 est fréquemment considéré comme la base d’une obligation coutumière des États en ce sens (Hailbronner 1997; Coleman 2009). Or, cette idée fait partie d’une argumentation juridique qui vise à faire reconnaître cette obligation alors qu’elle n’est inscrite dans aucun texte. On retrouve cette argumentation juridique dans les discours des institutions européennes, par
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exemple dans les Conclusions du Conseil européen de Tampere qui rappellent que les différents pays « d’origine et de transit » doivent « satisfaire à leurs obligations en matière de réadmission à l'égard de l'Union et des États membres »1. Les accords de réadmission à négocier ne seraient donc que des instruments de facilitation d’obligations déjà existantes. La répétition constante de cet argument du droit international vise à légitimer une base juridique incertaine. En effet, l’obligation de réadmission ne figure dans aucun texte du droit international, mais se fonde sur un raisonnement dérivé, à partir du principe de souveraineté des États sur leur territoire et leurs frontières, en particulier le droit des États de décider qui admettre et qui expulser de leur territoire. On trouve ainsi deux obligations coutumières en lien avec ce principe : l’obligation de réadmettre ses ressortissants et, à l’inverse, une obligation qui restreint les possibilités de renvoi de migrants irréguliers pour les pays de destination, le principe de non-refoulement, c’est-à-dire l’interdiction de procéder à une reconduite si une personne risque de subir des traitements dégradants ou inhumains dans le pays vers lequel elle est renvoyée. Par ailleurs, l’obligation de réadmission est également fréquemment associée aux droits de l’Homme, c’est-à-dire au droit de retourner dans son pays, garanti par l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948) et dans l’article 12(4) de la Convention des Nations Unies sur les droits civils et politiques (1966). L’obligation de réadmission est ainsi souvent décrite comme le symétrique du droit humain de quitter un pays (Panizzon 2012, 107‑108). On retrouve ce type d’argumentation juridique dans d’autres organisations inter-gouvernementales, comme l’OIM. Sur son site internet, la réadmission est présentée de la façon suivante : L’obligation des États d’accepter le retour de leurs ressortissants est généralement reconnue comme une norme coutumière du droit international. Cette obligation n’est pas mentionnés explicitement dans un traité international mais découle du droit des États à expulser les étrangers indésirables. Pour que ce droit soit effectif, un autre État doit permettre à l’individu d’entrer. Très logiquement, c’est l’État d’origine qui doit permettre à l’individu de revenir. Cette obligation apparaît dans certains documents au niveau international, par exemple le programme d’action du Caire de 1994. (…) Cependant, ce programme d’action est un instrument noncontraignant. Afin de clarifier cette obligation, les États de retour et les États d’origine concluent de plus en plus souvent des accords bilatéraux connus sous le nom d’ « accords de réadmission »2 1
CONSEIL EUROPÉEN (1999). Conseil européen de Tampere. Conclusions de la Présidence, Tampere, 15 octobre, IV-26, disponible sur : http://www.europarl.europa.eu/summits/tam_fr.htm [consulté le 2 septembre 2013].
2
IOM. « International Migration Law », http://www.iom.int/jahia/page563.html [consulté le 30 avril 2012].
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Ainsi l’OIM, une organisation inter-gouvernementale qui s’est reconvertie au cours des années 1990 et 2000 dans le « contrôle des migrations » (Georgi 2010), présente ici un argument largement repris par les pays de destination des migrants irréguliers. S’il est admis qu’aucun document formel ne reconnaît ce devoir des États, l’argumentation repose sur l’exemple d’un document qui n’a pas de valeur contraignante. L’usage d’une formulation soulignant l’évidence du raisonnement (« Most logically ») suscite un effet de persuasion qui n’est guère soutenu par l’argumentation, et qui vise à faire accepter l’asymétrie des procédures de réadmission. Les accords de réadmission sont décrits comme un moyen de « clarifier » cette obligation coutumière du droit international alors qu’il s’agit en réalité de renforcer une interprétation du droit. Les États européens et l’Union européenne sont confrontés à deux problèmes pour leur argumentation sur les accords de réadmission comme élément de codification d’obligations existantes : d’une part, l’existence d’une obligation coutumière est contestée ; d’autre part, il est considéré que, si une obligation existe, les accords de réadmission ne devraient pas être nécessaires. En ce qui concerne la contestation de l’obligation coutumière de réadmission, on la trouve au sein même du Conseil de l’UE. Une opinion du service juridique du Conseil de 1999 affirme en effet : On peut douter qu’en l’absence d’un accord spécifique à cet effet [la réadmission] entre les États concernés, un principe général de droit international existe par lequel ces États seraient dans l’obligation de réadmettre leurs propres nationaux si ces derniers ne souhaitent pas revenir dans leur État d’origine.1 Le service juridique donne ainsi une interprétation selon laquelle l’obligation de réadmission ne concernerait que des retours volontaires. L’idée que les accords de réadmission ne feraient que codifier des obligations existantes est donc remise en cause y compris pour les ressortissants des États concernés (et non des ressortissants de pays tiers) à l’intérieur même du Conseil. A l’opposé, une autre ligne d’argumentation défend l’idée selon laquelle les accords de réadmission ne devraient pas être nécessaires : en effet, certains considèrent qu’une obligation du droit international existante ne devrait nullement nécessiter la signature d’un accord, qui serait en quelque sorte tautologique. L’existence des accords de réadmission peut donc être interprétée soit comme la conséquence de l’absence de normes internationales, 1
« It is doubtful that in the absence of a specific agreement to this effect between the States concerned, a general principle of international law exists which would oblige those States to readmit their own nationals if they do not wish to return to their country of origin », COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION (1999). Legal service opinion : standard readmission agreement between the member states of the European Union, of the one part, and a third country, of the other part, 6658/99, March 10, p.4. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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soit comme vidant de sa substance une norme internationale existante (Aleinikoff et Chetail 2003). Il serait donc contre-productif de chercher à obtenir des accords de réadmission, puisque cette entreprise nierait même l’existence d’une obligation de droit international. Dans ce cas, il conviendrait soit de traiter de la question de la réadmission par des voies informelles – ce qui semble être le cas comme nous l’avons vu – soit de négocier des accords de réadmission avec l’ensemble des pays d’origine, afin que l’existence d’un accord avec un État ne soit pas équivalente à une dispense d’obligation pour les autres États. Quand les États choisissent de tenter de formaliser la coopération par le biais de textes les plus officiels et visibles possibles, l’affirmation de réciprocité n’est donc pas seulement symbolique. Elle fait aussi partie d’une opération de légitimation de la réadmission dans le droit international, par l’utilisation d’un langage juridique dont la réciprocité fait partie. Cette argumentation en faveur d’une coopération formelle sur les retours forcés, qui fait des accords de réadmission un standard, se combine à un discours sur les limites de la coopération bilatérale qui légitime l’implication de l’Union européenne dans les négociations internationales sur le sujet.
C - Les limites de la coopération bilatérale Nous avons montré que les accords de réadmission sont une forme parmi d’autres de la coopération pour les retours forcés, et qu’ils ont progressivement été construits comme un standard de coopération dans les discours officiels européens. Les discours sur la nécessité de la délégation à l’Union européenne, que nous examinerons plus précisément dans le prochain chapitre, mettent notamment en avant les limites de la coopération bilatérale. Pourtant, dans cette coopération bilatérale, les accords formels rencontrent tout autant de limites que les modes de coopération moins formels. On peut donc remettre en cause le discours qui rationnalise la poursuite d’accords de réadmission communautaires pour pallier les limites de la coopération bilatérale en soulignant que ces limites n’affectent pas seulement la coopération informelle. Nous verrons d’abord comment la mise en œuvre de la coopération sur les retours forcés est variable et limitée, avant de nous intéresser à l’émergence des demandes européennes de « réadmission des ressortissants de pays tiers » et aux résistances qu’elles ont rencontrées.
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1) Négocier la mise en œuvre L’idée d’une « informalisation » de la réadmission repose sur l’idée que le coût de la défection est plus grand lorsque les accords sont plus « formels » ou officiels. Cependant, la mise en œuvre de la délivrance de documents de voyage pour les retours forcés par le Maroc semble tout autant, voire plus laborieuse, dans le cas des accords « formels » que dans le cas des textes de coopération moins formels. Si le conflit d’intérêts fondamental entre le pays expulsant, d’une part, et l’expulsé et le pays dont il ou elle a la nationalité d’autre part, permet d’expliquer la rareté des accords de réadmission formels, la signature d’un accord n’est en aucun cas la garantie d’une coopération efficace. En effet, les négociations ne sont pas uniquement un préalable à la signature d’un accord : la mise en œuvre des accords et les modalités de cette mise en œuvre sont aussi le lieu de négociations. Dans le cas d’un accord informel, les garanties de mise en œuvre sont a priori faibles. On peut ici prendre l’exemple du procès-verbal régissant la réadmission entre la France et le Maroc. Celui-ci ne semble pas satisfaire les exigences françaises en termes de retours forcés. On trouve, dans les rapports annuels au Parlement français établis à partir de 20041, des récriminations concernant la délivrance de laissez-passer consulaires par les pays d’origine des migrants. Les inquiétudes concernant ce sujet sont mentionnées dès le premier rapport : La principale cause d’échec, quant à leur exécution [les décisions d’éloignement], reste l’absence de documents de voyage. À cet égard, l’administration est largement dépendante des administrations consulaires. Ainsi, le constat dressé au long des dernières années montre une dégradation régulière du taux de délivrance des laissez-passer consulaires (LPC) ; le taux de 28,76% pour 2003 n’est pas satisfaisant : il signifie que seulement 4773 LPC ont été délivrés pour 16 597 sollicités.2 Dès ce premier rapport, un taux de délivrance des laissez-passer consulaires est calculé et mentionné, et une « dégradation régulière » de ce taux est indiquée – bien qu’aucun chiffre antérieur ne soit cité à l’appui. Les accords de réadmission sont mentionnés dans la suite du texte comme une solution pour l’obtention de ces laissez-passer consulaires dans les délais ne dépassant pas la durée maximale de rétention des étrangers. Les chiffres ne sont pas détaillés par pays. En 2006, si le rapport se félicite de l’amélioration globale de la coopération dans ce
1
« Les orientations de la politique de l’immigration », établies en application de l’article 1er de la loi du 26 novembre 2003, puis de l’article L.111-10 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
2
PREMIER MINISTRE (2004). Rapport au Parlement : les orientations de la politique de l’immigration. Premier rapport établi en application de l’article 1er de la loi du 26 novembre 2003, p.12.
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domaine, un tableau des États les moins coopératifs est inclus : le Maroc y apparaît en 2006, avec des taux de délivrance compris entre 33,44% et 41,22% en 2005-20061. En 2007, le Maroc apparaît encore dans le tableau des pays les moins coopératifs, bien que des efforts de ces pays soient soulignés dans ce rapport, avec des taux de délivrance compris entre 36,5% et 41,22% entre 2005 et 20072. Le Maroc apparaît encore dans la liste des « 14 pays dits ‘peu coopératifs’ » dans le rapport sur l’année 2008, malgré un taux de délivrance dépassant les 40% pour le premier semestre 20083. Lors d’entretiens menés en 2011, la coopération sur ce sujet avec le Maroc était qualifiée de « nettement améliorée »4, et le taux de délivrance de laissez-passer consulaires supérieur au taux de délivrance moyen5. Cependant, il semble qu’à cette période, l’évaluation par les acteurs se faisait sur la base de chiffres portant sur l’année 2008 ; lors des entretiens conduits en 2012 au Ministère de l’intérieur, c’est au contraire un « taux tendanciellement en baisse depuis quatre ans » qui est mis en avant6. Le tableau statistique qui nous a été remis au Secrétariat général à l’immigration7 indique ainsi un taux de 28,14% pour 2011.
1
SECRÉTARIAT DU COMITÉ INTERMINISTÉRIEL DE CONTRÔLE DE L’IMMIGRATION (2006). Rapport au Parlement : les orientations de la politique de l’immigration. Troisième rapport établi en application de l’article L.111-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, p.135.
2
SECRÉTARIAT DU COMITÉ INTERMINISTÉRIEL DE CONTRÔLE DE L’IMMIGRATION (2007). Rapport au Parlement : les orientations de la politique de l’immigration, p.131 et 153-154.
3
SECRÉTARIAT DU COMITÉ INTERMINISTÉRIEL DE CONTRÔLE DE L’IMMIGRATION (2008). Rapport au Parlement : les orientations de la politique de l’immigration, p.103.
4
Entretien n°47, Direction d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 28 juin 2011.
5
Entretien n°44, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 24 mai 2011.
6
Entretien n°58, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Paris, 14 mars 2012.
7
Entretiens n°59 et 60, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 20 mars 2012.
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2005 Taux de délivrance
2006
37,87% 36,5%
2007
2008
2009
39,3%
42,03% 37,9%
2010
2011
30,8%
28,14%
Tableau 8 - Taux de délivrance des laissez-passer consulaires dans les délais par les consulats marocains en France, selon les autorités françaises1 Ce taux de délivrance, régulièrement mentionné comme un point de friction dans les relations franco-marocaines sur les migrations2, est le point de référence pour les autorités françaises pour évaluer la coopération marocaine sur la réadmission. Malgré une amélioration de ce taux entre 2005 et 2008, il est de nouveau considéré comme insuffisant par les autorités françaises3. La mise en œuvre d’un procès-verbal de réunion entre délégations ministérielles semble donc laisser des possibilités importantes de défection, de non mise en œuvre des mesures adoptées. Cependant, la signature d’accords formels ne constitue pas, dans le cas du Maroc, une meilleure garantie. Le cas des différents accords conclus avec l’Espagne illustre bien la distance qui sépare un accord formel de sa mise en œuvre effective. Cette distance résulte notamment de l’insertion des accords de réadmission dans le contexte plus large des relations bilatérales, c’est-à-dire d’autres domaines, soit concernant les migrations (par exemple les travailleurs migrants en situation régulière) ou des domaines complètement différents (par exemple l’économie, la pêche ou des différends territoriaux). Des accords dans plusieurs domaines sont généralement négociés et signés en même temps, comme le montre une liste des accords entre le Maroc et l’Espagne4. Or, ce contexte continue de peser une fois un accord signé, pour négocier sa mise en œuvre effective et ses modalités. Il reste en effet, après la signature d’un accord, des possibilités de négocier la mise en œuvre, notamment sur des points de détail qui n’étaient pas abordés dans l’accord formel. Ainsi, l’accord de réadmission avec l’Espagne, bien qu’il ait été conclu dès 1992, n’a pas été appliqué avant 2004.
1
Sources : PREMIER MINISTRE (2004), op.cit. ; SECRÉTARIAT DU COMITÉ INTERMINISTÉRIEL DE CONTRÔLE DE L’IMMIGRATION (2006, 2007, 2008), op.cit. et documents transmis (entretiens n°58, 59, 60, op.cit.)
2
Entretien n°12, Ministère de la Communauté marocaine résidant à l’étranger, Rabat, 9 novembre 2009 ; entretien n°61, Ambassade du Maroc, Paris, 10 avril 2012 ; entretiens n°58-59-60 op.cit.
3
Nous reviendrons plus précisément sur l’évaluation de la coopération dans le chapitre 7.
4
Répertoire juridique, MAEC, Maroc.
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Il est difficile d’expliquer la stagnation de la situation pendant une dizaine d’années, puis son soudain déblocage apparent. La stagnation est sans doute plutôt due à la faiblesse des incitations qui auraient pu pousser le Maroc à appliquer cet accord provisoire de 1992. De plus, l’économie espagnole, en particulier le secteur agricole a largement bénéficié, pendant des années, de la main d’œuvre bon marché que représentent les migrants irréguliers. Des deux côtés de la Méditerranée, les raisons de réduire la population des migrants irréguliers en Espagne n’étaient donc pas si fortes qu’il pourrait sembler à première vue. Cependant, l’augmentation du nombre de migrants arrêtés dans le détroit de Gibraltar, atteignant plus de 10000 personnes en l’an 2000, a contribué à l’intensification d’un discours nationaliste défavorable à l’immigration. En dépit d’une diminution notable des migrants arrêtés dans le détroit de Gibraltar, suite à la mise en place en 2000 d’un nouveau système de surveillance des frontières, le Système intégré de vigilance extérieure (SIVE), le thème de la lutte contre les migrations irrégulières a pris de l’ampleur en Espagne au début des années 2000, avec les premières arrivées de migrants irréguliers par l’Atlantique, sur les îles Canaries. Quant au Maroc, la volonté de garder de bonnes relations avec ses voisins européens, principaux partenaires commerciaux et économiques, ainsi qu’avec l’Union européenne, est une incitation constante à la négociation. Il convient toutefois de ne pas négliger le contexte politique de la relation maroco-espagnole au début des années 2000. Les contentieux sont en effet nombreux et divers, comme l’explique Immaculada Marrero Rocha (2005). Il y a d’abord la question économique soulevée par la pêche et l’agriculture : celle-ci s’est posée après le transfert de compétences en ce domaine du gouvernement espagnol vers la Commission européenne en 1996. Les négociations étant transférées au niveau européen, le Maroc a revu à la hausse ses exigences de compensation pour les accords de pêche. Par ailleurs, l’acceptation espagnole des accords de libre-échange avec la Méditerranée a créé parmi la population, en particulier les agriculteurs, un ressentiment important contre le Maroc. La question du Sahara occidental est aussi un contentieux qui réapparaît périodiquement dans les relations entre Maroc et Espagne : l’Espagne soutient la position de l’ONU1, alors que le Maroc souhaiterait que le gouvernement espagnol soutienne l’incorporation de ce territoire au Maroc. Enfin, l’affaire de l’îlot de Perejil/Leila, situé au nord du Maroc, et dont la souveraineté est disputée par les deux pays, a ressurgi en 2002, lorsque l’occupation de l’îlot 1
Celle-ci propose une autonomie territoriale avec la création de certaines institutions sahraouies, pendant cinq ans, puis un référendum d’autodétermination avec une liste d’électeurs établie par l’ONU.
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par douze gendarmes marocains a brisé le statu quo. Une médiation américaine a permis d’éviter la confrontation militaire entre le Maroc et l’Espagne. Les contentieux entre Maroc et Espagne prennent donc dans certains cas une dimension européenne et internationale (Marrero Rocha 2005). Cependant, les années 2000 ont vu le réchauffement des relations entre les deux pays, d’une part après l’arrivée de Mohammed VI au pouvoir au Maroc en 1999 et celle de José Luis Rodriguez Zapatero en Espagne en 2004, d’autre part après les attaques terroristes sur les deux pays (en 2003 à Casablanca, en 2004 à Madrid) qui suscitent une coopération dans ce domaine et dans le domaine de la « sécurité » en général (El Qadim 2010 : 103-108). Les questions migratoires s’intègrent dès lors dans ces préoccupations, d’autant plus facilement que la réadmission s’intègre au volet de la coopération policière. Cependant, même au cours des années 2000, la mise en œuvre de l’accord de réadmission signé en 1992 entre les deux pays reste variable. Il arrive que les autorités marocaines refusent de réadmettre des citoyens1. De plus, la mise en œuvre des modalités des différentes clauses de l’accord font l’objet de discussions sur les conditions de mise en œuvre. Par exemple, l’accord porte sur les migrants entrés en Espagne de façon irrégulière, notamment par bateau. La discussion porte alors sur la façon de savoir qu’un bateau provient bien du Maroc. Un article dans la presse marocaine rapporte ainsi : Gonzalez [le délégué du gouvernement espagnol pour l'immigration et les affaires des étrangers venu en mission au Maroc], a déclaré que « la délégation espagnole n'est pas du tout satisfaite du déroulement des discussions ». Et d'ajouter: « Pourtant, les différentes réunions du groupe de travail sur l'immigration avaient abouti à des résultats concrets, raisonnables, applicables et acceptés par les deux parties ». Il se réfère précisément à la dernière réunion du groupe de travail, tenue à Malaga le 3 mars 2003.Selon Gonzalez, Rabat serait revenue sur plusieurs aspects de l'accord. Rappelons que celui-ci prévoit tout d'abord le renvoi vers le Maroc de toutes les embarcations dont les propriétaires sont Marocains. (…) Première réserve marocaine : préciser la définition du terme « embarcation ». L'accord devrait déterminer de manière exacte les types de bateaux concernés. Pour les Espagnols, le problème de la définition ne fait que retarder l'application
1
De même ou symétriquement, l’Espagne ne met pas toujours en œuvre les accords de main d’œuvre conclus avec le Maroc. Elle suspend ainsi unilatéralement le traité sur le recrutement de travailleurs migrants signé avec le Maroc en juillet 2001. Cet accord prévoyait notamment la création d’une commission destinée à sélectionner 20 000 travailleurs marocains pour les embaucher en Espagne en 2002 dans les mêmes conditions que des Espagnols (Marrero Rocha 2005). Cette suspension unilatérale a eu lieu juste avant le début de négociations sur le contrôle des migrations irrégulières, sans doute comme un moyen de pression sur le gouvernement marocain. Si les raisons derrière la décision espagnole ne sont pas claires, cette suspension est un exemple qui montre bien comment l’application d’un accord ou d’un traité ne découle pas nécessairement de sa signature.
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de l'accord. En outre, Rabat a insisté sur la manière d'identifier la provenance de ces embarcations.1 Cet exemple montre bien que chaque terme peut devenir l’objet de désaccords et de négociations au moment de la mise en œuvre, y compris lorsqu’il existe un accord de réadmission formel. Ici, c’est le terme d’ « embarcation » qui est questionné. L’irritation du délégué espagnol transparaît, puisque cette discussion ne vise selon lui qu’à retarder la mise en œuvre de l’accord – signé onze ans auparavant. Il s’agit pour le moment de noter que la signature d’un accord de réadmission formel ne garantit nullement sa mise en œuvre, et pas plus que les modes de coopération informels. Quel que soit le type d’accord ou de texte régissant les retours forcés, la mise en œuvre des modalités adoptées n’est jamais garantie. Elle peut même être meilleure dans le cadre d’une coopération informelle que dans celui d’une coopération formelle2. Il convient cependant de noter que la question de la mise en œuvre achoppe particulièrement sur la clause de réadmission des « ressortissants de pays tiers », qui ne figure que dans les accords « formels ».
2) Nouvelles exigences et construction d’un discours européen sur la réadmission Le discours selon lequel le recours à l’Union européenne visait à pallier les manques de la coopération bilatérale repose surtout sur l’émergence de nouvelles exigences de la part des pays européens quant à la réadmission de « ressortissants de pays tiers ». Il s’agit, dans le cas où des accords formels existent, de parvenir à la mise en œuvre de cette clause, et dans les cas où un tel accord n’existe pas, d’obtenir une clause à ce sujet. Nous avons vu en introduction que des clauses à ce sujet faisaient partie des accords intra-européens des années 1950 et 1960. Cependant, à la différence de la question de la réadmission des ressortissants d’un État donné, l’idée selon laquelle il existerait une obligation coutumière pour les États d’accepter le retour de ressortissants d’un autre État qui seraient passé par leur territoire n’est guère développée. Il a été proposé que le principe de bon voisinage et l’idée d’une responsabilité étatique pour un « dégât » causé à un autre État 1
EL HASSOUNI, Abdelmohsin (2003). « Maroc-Espagne : l’accord de réadmission retardé », L’Économiste, 2 mai.
2
Nils Coleman note par exemple que les Pays-Bas utilisent très peu d’accords de réadmission formels ; dans certains cas, ils en disposent comme solution de recours, en cas de dysfonctionnement de la coopération informelle (Coleman 2009, 60).
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pourraient constituer une base légale coutumière pour une obligation légale de réadmission des ressortissants de pays tiers. Cependant, ceci n’a jamais été matérialisé par des pratiques unifiées régulières (Hailbronner 1997; Panizzon 2012). Or, les États européens considèrent que les accords de réadmission doivent inclure cette clause. Ceci transparaît par exemple dans le spécimen d’accord de réadmission adopté en 1994 dans une recommandation du Conseil aux États membres pour leurs accords avec des pays tiers. Ce spécimen inclut en effet une clause à ce sujet : Réadmission des ressortissants de pays tiers franchissant la frontière extérieure. 1. La partie contractante dont il est établi ou valablement présumé qu’une personne ne remplissant pas les conditions d’entrée ou de séjour en vigueur a franchi la frontière extérieure pour entrer sur le territoire de la partie contractante requérante réadmet cette personne sans formalité à la demande de la partie contractante requérante.1 Dès lors, la croissance du nombre d’entrées irrégulières sur le territoire des pays européens (largement due au rétablissement ou à la mise en place du régime des visas pour les ressortissants de nombreux pays dont étaient originaires bon nombre de migrants) pousse les États membres à rechercher ce type de coopération avec les pays tiers. Ceci est le cas y compris lorsqu’il n’existait pas d’accord formel, et lorsque les États n’ont pas de frontières directes. Ainsi, la France cherche à faire accepter le principe de la réadmission des ressortissants de pays tiers par le Maroc alors même que les migrants qui traversent les frontières irrégulièrement arrivent rarement sur son sol directement depuis le Maroc, et qu’elle dispose en tout état de cause d’un accord de réadmission pour les renvoyer vers l’Espagne : Chaque Partie contractante réadmet sur son territoire, à la demande de l'autre Partie contractante et sans formalités, le ressortissant d'un État tiers qui ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions d'entrée ou de séjour applicables sur le territoire de la Partie contractante requérante pour autant qu'il est établi que ce ressortissant est entré sur le territoire de cette Partie après avoir séjourné ou transité par le territoire de la Partie contractante requise.2
1
CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE (1996). Recommandation du Conseil du 30 novembre 1994, op.cit. MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (2004). Décret n°2004-226 du 9 mars 2004 portant publication de l’accord entre la République française et le Royaume d’Espagne relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière, signé à Malaga le 26 novembre 2002 (MAEJ0430014D), JORF, n°64, 16 mars, disponible sur : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000600233&dateTexte=&categorieLien =id [consulté le 2 septembre 2013]. Cet accord remplace un accord datant de 1988 sur la prise en charge à la frontière des personnes en situation irrégulière.
2
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Un accord franco-italien similaire1, signé en 1997, comporte la même clause. Si l’asymétrie est moins flagrante dans le cas de ces accords, il n’en reste pas moins que ces deux pays au sud de la France, avec leurs frontières maritimes et terrestres extérieures à l’espace Schengen, sont sans doute plus concernés par cette clause, ainsi que par celle établissant la possibilité d’un transit pour l’éloignement de migrants en situation irrégulière. Les pays européens disposent donc d’un modèle de coopération sur la réadmission et cherchent à obtenir le même type d’accord avec les pays au sud de la Méditerranée. Or, l’Espagne et l’Italie ont précisément obtenu la signature d’accords de réadmission incluant une telle clause avec le Maroc. Cependant, la mise en œuvre des accords achoppe particulièrement sur ce point, y compris lorsque le reste des mesures est appliqué. Un article de presse indique en 2004 que le Maroc a accepté, pour la première fois, « le rapatriement de trente immigrés clandestins subsahariens arrêtés quelques jours auparavant par la police espagnole sur l’île de Fuerteventura, dans les îles Canaries »2. Cependant, ceci ne constitue pas la reconnaissance par les autorités marocaines de la clause à ce sujet pour une mise en œuvre régulière par la suite. Comme nous l’expliquait un fonctionnaire du Ministère des affaires étrangères et de la coopération : L’accord avec l’Espagne a été signé dans une certaine conjoncture dans les années 1990. La nécessité de l’appliquer est apparue dans les années 2000, dans un contexte différent. L’application serait ingérable pour le Maroc, parce que le transit a été beaucoup plus important dans ces années-là.3 Ici, la mise en œuvre de la clause concernant les ressortissants de pays tiers, initialement incluse dans l’accord, est clairement présentée comme impraticable à travers une exégèse du texte : cette clause aurait été liée au contexte des années 1990, où son application aurait été possible, mais dans un nouveau contexte, l’accord devrait être ré-interprété – c’est-à-dire sa mise en œuvre renégociée. Ainsi, en 2012, lorsque le Maroc accepte le retour de 83 migrants parvenus sur un îlot espagnol, le ministre des Affaires étrangères espagnol remercie le Maroc pour son « geste extraordinairement généreux » et affirme que « c’est la première fois dans
1
MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR (2000). Décret n°2000-652 du 4 juillet 2000 portant publication de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière (ensemble une annexe), signé à Chambéry le 3 octobre 1997. JORF, n°160, 12 juillet.
2
NAJIB, Abdelhak et Karim SERRAJ (2004). « Le Maroc a dit « oui ! » », La Gazette du Maroc, 1er mars. Entretien n°20, Direction des affaires consulaires et sociales, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 26 novembre 2009.
3
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l’histoire »1. La question de la création d’un précédent est de nouveau posée, d’autant plus que cette fois-ci, la procédure a été publique. En dépit de l’accord signé avec l’Espagne, le retour forcé de migrants non-marocains vers le Maroc ne va donc pas de soi : les autorités marocaines ne l’ont pour le moment accepté qu’à titre exceptionnel, de façon aléatoire et discrètement. La question de la réadmission des « migrants de transit », des « Subsahariens », ou encore, selon le terme employé dans les négociations, des « ressortissants des pays tiers » est l’enjeu principal des négociations d’un accord européen. Cette focalisation sur la gestion des ressortissants des pays tiers ne se cantonne pas au domaine de la réadmission : des politiques de renforcement des frontières destinées à les empêcher d’atteindre le territoire européen ont également été développées, focalisées sur les traversées en mer au large de Gibraltar ou vers les îles Canaries, ou encore autour des enclaves de Ceuta et Melilla. C’est cet ensemble de politiques qui a pu conduire certains à qualifier le Maroc de « gendarme de l’Europe » (Belguendouz 2003). Cependant, la réadmission de ces « ressortissants des pays tiers » est l’un des points sur lesquels les pays européens, puis la Commission européenne, insistent dans les négociations avec les Marocains. Cette obsession européenne relève de deux aspects. Tout d’abord, ce volet de réadmission des migrants d’États tiers n’est présent que dans les accords de réadmission formels. Or ceux-ci, on l’a vu, sont très peu nombreux. On pourrait pourtant considérer que cette clause intéresse principalement les pays dans lesquels ces migrants arrivent directement, c’est-à-dire principalement l’Espagne ou l’Italie, qui disposent déjà de tels accords. Cependant, et c’est le second point, même lorsqu’un accord de réadmission formel existe, même lorsque le reste de l’accord est plus ou moins mis en œuvre, le volet concernant la réadmission des ressortissants des États tiers est celui sur lequel les pays européens, en l’occurrence l’Espagne, peinent le plus à obtenir une coopération. La clause concernant la réadmission des ressortissants des pays tiers est donc un point difficile entre les pays européens et le Maroc. Le discours sur la délégation des négociations sur la réadmission à l’Union européenne repose largement sur cet argument. Cependant, étant donné l’existence de cette clause dans le cadre d’accords formels, mais l’absence d’une mise en œuvre régulière, l’argument selon lequel un accord européen comportant une clause similaire serait une solution semble moins crédible. 1
« Margallo alaba la « generosidad » de Marruecos al aceptar a los migrantes de Isla de Tierra y busca una solución duradera », Europapress.es, 6 septembre 2012 ; CHAUDIER, Julie (2012). « Le Maroc va-t-il devoir « réadmettre » tous les Subsahariens clandestins de Sebta et Mélilia ? », Yabiladi.com, 6 septembre. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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D - Conclusion L’objet de ce chapitre était de déconstruire les discours européens sur les accords de réadmission comme solution aux réticences des pays d’origine à accepter et mettre en œuvre les retours forcés : d’une part en montrant que ce qui est présenté comme une norme de coopération n’est en réalité qu’une solution située de codifier les retours forcés ; d’autre part en montrant comment l’asymétrie de cette coopération, souvent mentionnée mais rarement examinée plus avant, implique pour les relations bilatérales sur les retours forcés ; enfin, en mettant à jour le travail de construction d’une argumentation juridique en faveur des accords de réadmission. Un premier apport de ce chapitre est d’effectuer un travail de documentation des textes réglementant la coopération sur les retours forcés à partir, entre autres, de sources marocaines. Ce travail montre que la signature d’accords de réadmission est un instrument minoritaire dans la coopération marocaine sur les retours forcés. Nous en avons conclu que les préférences du gouvernement marocain expliquaient au moins en partie le choix du type de coopération étant donné la dissymétrie des avantages et des inconvénients de chaque méthode pour les pays d’accueil et le pays d’origine. Un deuxième apport de ce chapitre réside dans l’analyse de l’asymétrie dans la coopération sur les retours forcés à partir d’une analyse des textes et des interprétations des acteurs : si l’asymétrie est visible dans les textes qui ne sont pas destinés à la publication, le langage de la réciprocité est utilisé de façon rituelle ou symbolique dans les accords de réadmission officiels. Cependant, la réciprocité est aussi un élément important dans le cadre d’une argumentation juridique déployée par les acteurs des pays européens – et de l’Union européenne – afin d’inscrire la réadmission dans l’ordre du droit international. Enfin, il s’agit ici de remettre en cause les discours européens sur les accords de réadmission comme solution aux limites de la coopération bilatérale sur les retours forcés. Un examen de la mise en œuvre des textes montre que les accords formels de réadmission ne sont pas nécessairement plus efficaces que des dispositifs moins contraignants, mais concernant directement les détails de la mise en œuvre. Dès lors, l’objectif principal de la poursuite d’un accord de réadmission communautaire réside dans la question du retour forcé des « ressortissants de pays tiers », ces migrants étant passés par le territoire marocain avant d’arriver dans un pays européen. Le prochain chapitre se penchera justement sur le processus
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de délégation des négociations à l’Union européenne et la déconstruction des arguments et des dynamiques qui le sous-tendent.
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Chapitre 2 – La délégation de la réadmission : multiplication des acteurs et concurrences intraeuropéennes Dans le cadre de cette première partie, qui cherche à déconstruire les discours de rationalisation de l’action européenne, nous avons d’abord montré, dans le chapitre précédent, que l’argument qui présente les accords de réadmission comme une solution pour la coopération sur les retours forcés fait partie d’un discours visant à légitimer les politiques migratoires européennes. Ce discours repose en grande partie sur l’idée selon laquelle le poids de l’Union européenne pourrait permettre de pallier les limites de la coopération bilatérale. Ce chapitre déconstruit plus précisément le discours selon lequel la délégation des négociations de l’accord de réadmission à l’Union européenne est un moyen pour les États membres de gagner en efficacité dans les négociations. Le point de départ de ce chapitre est une discussion du modèle rationnel « principalagent » de la délégation à l’Union européenne1 (Pollack 1997) : après une présentation de cette explication de la délégation, nous remettons en cause l’idée selon laquelle « l’Union fait la force » (Meunier 2005). Il s’agit en effet de montrer que, comme dans le cas des négociations commerciales (Meunier et Nicolaïdis 2006), l’Union européenne est une entité traversée de conflits et de concurrences internes. L’intégration des politiques migratoires résulte en grande partie des stratégies d’acteurs nationaux (Guiraudon 2000c), mais elle entraîne aussi des concurrences internes à la Commission européenne (Boswell 2008), auxquelles n’échappe pas la politique de retours forcés. La politique extérieure dans le domaine de la réadmission n’est donc pas une projection linéaire des politiques internes, comme pourrait le laisser croire une analyse en termes de gouvernance externe, mais bien le résultat de luttes et de compromis internes. Une analyse organisationnelle des négociations sur la réadmission montre que la diversité des acteurs impliqués et leurs concurrences permettent d’expliquer les conditions et le processus de délégation. Plus encore, il s’agira de montrer comment la délégation devient en elle-même un objet de négociations internes. En ce sens, la délégation doit être analysée à travers les pratiques et les discours des acteurs
1
Pour une revue de littérature sur le sujet, voir Kassim et Menon 2003.
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européens et des États membres. Les acteurs développent en effet différents discours afin de légitimer leurs positions sur la question et leurs pratiques de négociations. Nous envisagerons aussi ces discours comme un moyen, dans certains cas, d’éviter ou de reporter le blâme (Weaver 1986) de la lenteur des négociations. La délégation de la réadmission apparaît alors comme un processus continu, une négociation évolutive entre les acteurs européens. Celle-ci est alors présentée comme une chronologie linéaire, dont les principales étapes sont rassemblées dans l’encadré ci-dessous. Encadré 1 – Chronologie de la délégation des négociations sur la réadmission à l’Union européenne1 Novembre 1994 : adoption par le Conseil d’une recommandation concernant un « accord type bilatéral de réadmission entre un État membre et un pays tiers ». Octobre 1997 : le Traité d’Amsterdam crée l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Il accorde à la Communauté européenne, via le Conseil, des compétences internes dans ce domaine et sur la base de l’article 63(3)b du Traité instituant la Communauté européenne, qui spécifie : « Le Conseil (…) arrête : (…) des mesures relatives à la politique d'immigration, dans les domaines suivants : (…) immigration clandestine et séjour irrégulier, y compris le rapatriement des personnes en séjour irrégulier ». Mise en place au sein du Conseil du Comité stratégique sur l’immigration, les frontières et l’asile (SCIFA) dans le cadre de l’établissement de l’aire de justice, liberté et sécurité. Le Comité a la responsabilité générale de la coopération pour une politique européenne commune de l'asile et des migrations. Le groupe prépare chaque mois les dossiers discutés par le Coreper II pour le Conseil « Justice et affaires intérieures ». Décembre 1998 : création par le Conseil des affaires générales du Groupe de haut-niveau sur l’asile et les migrations (High-level working group on asylum and migration, HLWG). Octobre 1999 : Conseil européen de Tampere : les États membres réaffirment la nécessité pour la Commission d’intégrer les migrations et l’asile dans la politique extérieure. Ils décident de déléguer la négociation de certains accords de réadmission. Juin 2000 : Conseil européen de Santa Maria de Feira : les États membres considèrent la conclusion d’accords de réadmission européens comme une priorité de la politique externe du domaine de justice et affaires intérieures, aux côtés du renforcement du contrôle des frontières Septembre 2000 : les premiers mandats de négociation sont délivrés à la Commission pour le Maroc, le Sri Lanka, la Russie et le Pakistan. Décembre 2004 : une décision du Conseil2 fixe la procédure de vote à la majorité qualifiée pour les accords de réadmission à partir du 1er janvier 2005. Décembre 2007 : le Traité de Lisbonne : 1
D’après Van Selm 2003 ; Coleman 2009 ; Giùffre 2011 ; Van Vooren 2011 ; Schout et Wolff 2012.
2
CONSEIL (2004). Décision du Conseil du 22 décembre 2004 visant à rendre la procédure définie à l’article 251 du traité instituant la Communauté européenne applicable à certains domaines couverts par la troisième partie, titre IV, dudit traité, 2004/927/CE, Bruxelles.
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- donne officiellement à l’Union la possibilité de négocier des accords de réadmission1. Article 79(3) : « l’Union peut conclure avec des pays tiers des accords visant la réadmission, dans les pays d’origine ou de provenance, de ressortissants de pays tiers qui ne remplissent pas ou qui ne remplissent plus les conditions d’entrée, de présence ou de séjour sur le territoire de l’un des États membres » - clarifie la procédure et les étapes à suivre pour la négociation et la signature de ce type d’accord, par les articles 207 et 218. L’article 207 confirme que la procédure à suivre pour ces accords est la procédure ordinaire, avec vote à la majorité qualifiée au Conseil et accord du Parlement européen. Enfin, à travers cette analyse, l’objectif de ce chapitre est de montrer comment les modalités de la délégation, mais aussi les dynamiques institutionnelles, entre États membres et Commission comme au sein même de la Commission, ont multiplié les arènes de négociations et créé des opportunités pour les pays tiers dans les négociations au sujet de la réadmission. L’asymétrie fondamentale des accords de réadmission, qui fait que ces pays voisins n’ont aucun souhait de signer ces accords sans contreparties significatives, combinée aux concurrences dans l’Union européenne, a créé une marge de manœuvre inattendue pour les pays tiers. Nous commencerons par présenter la mise en place de la délégation sur la réadmission. Notre analyse montrera que les discours des acteurs sur la quête d’efficacité dans les politiques de retours forcés recouvrent en réalité des intérêts étatiques diversifiés. Le choix de la délégation ainsi que le choix des pays tiers pour lesquels un mandat de négociation serait donné à la Commission européenne résulte plus d’un processus par tâtonnements que d’un processus linéaire rationnel. La deuxième partie de ce chapitre portera sur les concurrences internes au sujet de la répartition des compétences. Elle montrera comment la délégation fait l’objet d’interprétations divergentes entre les acteurs des États membres et ceux de la Commission. Elle s’attachera ensuite à expliquer comment les discours des acteurs étatiques sur la délégation tendent à reporter le blâme de la lenteur des négociations sur la Commission européenne. La troisième partie montrera comment la réadmission constitue un enjeu organisationnel important au sein de la Commission pour la direction générale des Affaires intérieures, en charge des négociations. La concurrence de différents services pour le contrôle de la « dimension externe » des politiques migratoires rend le succès des négociations d’autant plus important pour cette direction générale. Enfin, la dernière partie du chapitre 1
Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne. Journal officiel, n°C 306, 13 décembre 2007, art. 79(3).
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examinera les conséquences de ces concurrences dans les négociations avec les pays tiers. Elle montrera ainsi comment les concurrences organisationnelles et les dissensions entre la Commission et les États membres constituent des opportunités pour les pays tiers.
A - La délégation de la réadmission : une mise en scène de la rationalité. Afin d’expliquer la diversification des arènes de négociation sur la réadmission, il convient d’analyser le processus de délégation des négociations d’un accord formel avec certains pays tiers par les États membres à l’Union européenne. La plupart des acteurs interrogés mettent en avant la rationalité de cette décision, l’Union européenne ayant plus de poids que les États membres isolés face aux pays tiers. Ce discours est repris par un certains nombres d’analyses universitaires sur le sujet de la réadmission (Coleman 2009 ; Cassarino 2010b). De même, le modèle principal-agent ne remet pas en cause la rationalité du principal dans son choix d’avoir recours à un agent. Or, dans le cas de l’Union européenne, on a en réalité des principaux multiples – les États membres. Ceux-ci ont des intérêts divers. Le choix de la délégation des négociations n’est pas nécessairement évident pour les fonctionnaires et les gouvernements de chacun des États membres. Il résulte plutôt d’un processus de négociations au sein du Conseil, certains États membres étant très actifs et très intéressés par des négociations européennes. En analysant les documents du Conseil et de différents groupes de travail au moment du choix de la délégation des accords de réadmission, entre 1999 et 2000, on perçoit que cette décision est loin d’être aussi évidente qu’elle le paraît dans le discours des acteurs. Elle résulte plutôt d’un activisme de certains États membres en particulier. De même, le choix des pays pour lesquels un mandat de négociation serait délivrée à la Commission ne recoupe pas nécessairement les préférences des États membres, mais est plutôt le résultat de tâtonnements successifs réalisés par les groupes de travail chargés de l’étude de ce sujet et d’un compromis trouvé entre différents États membres.
1) Discours sur l’efficacité et diversité des intérêts. Lorsque l’on essaye de comprendre les raisons de la délégation, on comprend que, pour les acteurs rencontrés, la réponse à cette question découle de ce que nous avons examiné au chapitre précédent : les difficultés de négociation et de mise en œuvre des accords de réadmission bilatéraux sont souvent décrites comme un moteur de la communautarisation. Les
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États membres auraient cherché à unir leurs forces et à européaniser les négociations afin de gagner en influence. Cet argument est fondamental pour comprendre le choix de déléguer les négociations commerciales avec les États-Unis, par exemple (Meunier 2000 ; 2005). Ces explications sont souvent reprises par les études universitaires sur le sujet de la réadmission. Ainsi, Nils Coleman, dans son ouvrage dédié à la politique européenne de réadmission (2009), conclut que l’élément décisif dans la motivation des États à autoriser la Commission à négocier en leur nom a plutôt été l’espoir de pouvoir peser plus fermement sur les pays tiers, notamment grâce au poids économique de la Communauté. Cependant, cette interprétation semble limitée étant donné les difficultés de la Commission à négocier certains accords, comme celui avec le Maroc. Il ne s’agit pas ici de savoir si l’argument de l’efficacité a réellement été décisif en 1999-2000 au moment de la décision du Conseil de déléguer certaines négociations, ou s’il est simplement une interprétation des acteurs au moment de notre enquête. Nous examinerons ce discours sur l’efficacité supposée supérieure de l’Union européenne par rapport aux États membres en tant que registre d’interprétation utilisé par des acteurs pris dans des conflits entre différentes organisations. On retrouve en effet l’argument du gain d’efficacité dans le discours de la plupart des acteurs interrogés. Il est important pour comprendre l’un des argumentaires développés par les acteurs nationaux et pour expliquer, au sein de la Commission, la délégation de la négociation de ces accords à la Commission européenne. En effet, des pays qui ne parviennent pas à négocier seuls des accords bilatéraux incluant toutes les dispositions qu’ils souhaiteraient – y compris la réadmission des ressortissants de pays tiers – ont pu espérer, au début des années 2000, gagner en influence dans les négociations. Certains États membres insistent dès lors pour qu’un accord communautaire comprenne cette clause. Ainsi que nous l’indique un conseiller « Justice et affaires intérieures » à la Représentation permanente de la France à Bruxelles en juin 2010, « quand on parle de ressortissants de pays tiers, c’est difficile. Or c’est la valeur ajoutée d’un accord communautaire »1. Ce conseiller présente ici cet argument en se plaçant en représentant d’un intérêt des États membres, ou du moins plus précisément de la France. Il évoque d’abord la difficulté des négociations sur la question des « ressortissants des pays tiers », adoptant au passage un vocabulaire administratif influencé par le vocabulaire communautaire, qui parle de « pays tiers », plutôt que l’expression courante de « migrants de transit ». Il indique par là 1
Entretien n°29, Service Justice et affaires intérieures, Représentation française auprès de l’UE, Bruxelles, 22 juin 2010.
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qu’il parle bien du détail des négociations des accords de réadmission. Cette difficulté est évoquée pour expliquer, immédiatement après, que sa résolution serait l’apport d’une approche communautaire. L’expression de « valeur ajoutée », empruntée au domaine économique, est fréquemment employée dans les documents du Conseil pour désigner les bénéfices attendus de la communautarisation d’un domaine. On la trouve par exemple au sujet de différents aspects de la politique migratoire dans une Communication de la Commission sur le développement d’une politique commune de lutte contre l’immigration clandestine en 2003, à la fois comme principe de répartition budgétaire et comme argument pour le développement de l’utilisation de données biométriques1. Le programme adopté au Conseil européen de La Haye utilise ce critère de « valeur ajoutée » comme principe de sélection des sujets pour lesquels il doit y avoir une action communautaire dans le domaine de la politique extérieure : Tous les moyens dont dispose l’Union, y compris les relations extérieures, doivent être exploités d’une manière intégrée et cohérente pour mettre en place l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Il convient de tenir compte des lignes directrices suivantes : l’existence de politiques internes comme paramètre majeur justifiant le besoin d’une action extérieure ; le besoin d’une valeur ajoutée par rapport aux actions menées par les États membres ; la contribution aux objectifs politiques généraux de la politique extérieure de l’Union ; la possibilité d’atteindre les objectifs dans une période de temps raisonnable ; la possibilité d’une action à long terme.2 L’expression de « valeur ajoutée » est donc communément utilisée comme l’un des critères décisifs pour la communautarisation de la politique extérieure, aux côtés du lien avec les politiques internes et d’autres critères d’« efficacité » comme « la possibilité d’atteindre les objectifs dans une période de temps raisonnable ». Elle permet donc d’inscrire l’argumentation dans une rhétorique de choix rationnel, qui est celle mise en avant par les acteurs rencontrés : puisqu’un accord communautaire peut avoir une « valeur ajoutée », les représentants des États membres auraient fait le choix de la délégation en connaissance de cause, et selon un intérêt national supposé. Ce type d’argumentation semble venir à l’appui d’une explication selon le modèle du principal-agent (Pollack 1997), puisque les États membres (le principal), ou du moins certains 1
COMMISSION EUROPÉENNE (2003). Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil en vue du Conseil européen de Thessalonique sur le développement d’une politique commune en matière d’immigration clandestine, de trafic illicite et de traite des êtres humains, de frontières extérieures et de retour des personnes en séjour irrégulier. COM(2003) 323 final, Bruxelles, 3 juin.
2
CONSEIL EUROPÉEN (2005). Le programme de La Haye : renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l’Union européenne. 2005/C 53/01, Journal officiel de l’Union européenne, 3 mars (adopté en 2004), p.14.
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États membres, principalement la France et l’Espagne dans le cas du Maroc, auraient chargé la Commission (l’agent) de négocier les accords de réadmission en pensant qu’elle serait plus efficace. Pourtant, au vu des documents de travail du Conseil de 1999, ce discours sur le gain en efficacité de la délégation des négociations sur les accords de réadmission s’est construit progressivement : il est en réalité le résultat final d’un processus de concertation du Conseil. En effet, un compte-rendu des contributions au Groupe de Haut-Niveau sur l’asile et les migrations (High-Level Working Group on Asylum and Migration – HLWG)1 d’octobre 19992 montre la diversité des opinions en jeu sur plusieurs questions concernant l’européanisation des accords de réadmission. Plusieurs aspects donnent lieu à des divergences. Tout d’abord, tous les pays ne considèrent pas la conclusion d’accords de réadmission nécessaire : Five Member States (IRL, L, A, S and UK) expressed reservations as to the need for readmission agreements or clauses, or commented that they have not concluded any such bilateral agreements.3 Ainsi, pour l’Irlande, le Luxembourg, l’Autriche, la Suède et le Royaume-Uni, l’utilité ou le besoin d’accords de réadmission ou même de clauses concernant la réadmission ne sont pas évidents, principalement parce que ces pays sont peu concernés par l’immigration irrégulière, ou, pour le Royaume-Uni, parce que des Mémorandums d’entente, plus informels, sont préférés. Un second point de divergence concerne le choix entre clauses et accords de réadmission. La question est clairement posée aux États membres : seule la Belgique répond directement que des accords de réadmission seraient préférables à des clauses de réadmission. La plupart des pays favorables semblent privilégier les clauses de réadmission, c’est-à-dire l’inclusion de la réadmission dans des accords sur d’autres sujets, comme les accords commerciaux, sans toutefois être défavorables aux accords de réadmission4. Quant à la France, elle ne s’est pas prononcée sur la question.
1
Pour une représentation de la place du HLWG ainsi que du Comité stratégique sur l’immigration, les frontières et l’asile (SCIFA) dans le processus de prise de décision au sein du Conseil (Annexe 12).
2
COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION (1999a). Summary report of member states’ contributions on readmission questions. 7609/1/99, Brussels, May 3.
3
Ibid., p.3.
4
Nous reviendrons sur l’utilisation de clauses de réadmission dans le chapitre 3. Voir aussi Coleman 2009, chapitre 8.
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139
En analysant ce document, l’argument de l’efficacité supérieure de la Commission pour la négociation d’accords de réadmission, ou même sur le besoin d’accords de réadmission, n’apparaît donc pas comme un point d’accord initial des États membres, mais plutôt comme le résultat d’un processus négocié, auquel participent activement des groupes spécialisés au Conseil. On voit bien ici comment la multiplicité des principaux engagés dans la relation de délégation complexifie le modèle principal-agent. Le résultat final, loin d’exprimer une préférence rationnelle, résultant de l’agrégation des préférences des États membres, est plutôt le fruit de négociations entre ces États, et surtout d’un processus de tâtonnement, au cours duquel le choix de la délégation est fait au cas par cas et selon les États intéressés. Les États membres ne font donc pas un choix global de déléguer la négociation d’accords de réadmission à la Commission européenne, mais plutôt, lorsqu’il s’agit de zones géographiques ou de pays plus précisément, plusieurs États membres manifestent leur intérêt pour des clauses ou des accords de réadmission communautaires. Or, le choix de pays ou de zones « prioritaires » en 1999 et 2000 a été le résultat, malgré l’élaboration de critères de choix et un vote des États, d’ajustements successifs plus que d’un processus rationnel.
2) Une délégation par tâtonnements au cas par cas. Le processus qui a conduit les États membres à déléguer la négociation d’accords de réadmission à la Commission à partir de 2000, et à choisir certains pays en priorité ne suit pas un déroulement linéaire. On peut parler, comme dans le cas de la mise en place de l’espace Schengen et des « visas Schengen », plutôt que de « laboratoire » (Monar 2001), de « bricolage » (Bigo et Guild 2003). En effet, le choix des premiers pays pour lesquels un mandat a été délivré à la Commission n’est pas tant le résultat d’une hiérarchisation transparente des enjeux que celui de négociations entre les États membres, avec notamment la prise en compte des intérêts des plus virulents sur le sujet. Le processus de choix, entamé par une procédure volontairement transparente reposant sur le vote des États membres, aboutit finalement à un résultat ne correspondant pas au vote, et qu’il semble difficile d’expliquer par des arguments mettant en avant une rationalité parfaite des États membres. La Commission européenne a reçu ses premiers mandats de négociation dans ce domaine en septembre 2000. La réflexion sur la négociation des accords de réadmission au niveau communautaire est entamée dès 1994-1995, avec l’adoption par le Conseil d’un
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modèle d’accord de réadmission1 (Peers 2011, 586) et par l’insertion de clauses concernant ce sujet dans certains accords d’association (Coleman 2009 : 211-222). Le renforcement des prérogatives européennes par le traité d’Amsterdam est le préalable à la décision des États membres lors du Conseil de Tampere en 1999 de déléguer la négociation de certains accords de réadmission. Comme nous l’avons vu, le choix de la délégation n’est pas un transfert de compétence global. Le domaine de la dimension externe des politiques internes ne dépend pas directement de la Commission. En effet, celle-ci ne peut agir qu’après l’octroi d’un mandat ou de directives de négociations par les États membres. Dans le cas des accords de réadmission, l’étape suivante a donc été la sélection d’un certain nombre de pays pour lesquels un mandat de négociations est ensuite donné à la Commission. Celle-ci n’a donc pas les prérogatives de négocier tous les accords de réadmission, mais seulement ceux des pays sélectionnés par les États membres. Le Comité stratégique sur l’immigration, les frontières et l’asile (SCIFA) – un comité mis en place en 1999 dans le cadre de l’établissement de l’aire de justice, liberté et sécurité2 – a tenté, à partir d’octobre 1999, d’identifier des intérêts communs aux différents États membres. La méthode initiale adoptée semble a priori transparente : chaque État membre avait droit à cinq votes pour choisir, parmi une pré-sélection de 29 pays, sa « hit-list ». Le choix de ce terme, qui désigne habituellement en anglais une liste d’objectifs à atteindre, et plus précisément d’obstacles à éliminer, traduit encore une fois le recours à une rhétorique de l’efficacité pour décrire l’action communautaire. Il est également utilisé plus ou moins officiellement soit par les États membres soit par les institutions européennes dans d’autres domaines d’action européenne, par exemple l’environnement3. De plus, l’usage de ce vocabulaire dénote aussi une perception des pays tiers comme des obstacles, puisque ce sont eux qui vont figurer sur ces hit-lists. En dépit de l’apparente linéarité d’un choix compilant les listes respectives des États membres, atteindre un accord par cette méthode de la « hit-list » se révèle difficile, comme le montre les tableaux ci-dessous présentant les résultats du vote. 1
CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE (1996). Recommandation du Conseil du 30 novembre 1994 concernant un accord type bilatéral de réadmission entre un État membre et un pays tiers, Journal officiel des Communautés européennes, n°C 274/25, 19 septembre, p.20-24]. CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE (1996a). Recommandation du Conseil du 24 juillet 1995 concernant les principes directeurs à suivre lors de l’élaboration de protocoles sur la mise en œuvre d’accords de réadmission, Journal officiel des Communautés européennes, n°C 274/25, 19 septembre, p.25-33.
2
COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION (2006). SCIFA mandate, 7123/06, Brussels, March 8.
3
Par exemple dans le cas des régulations sur l’eau (Blöch 2004).
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Tableau 9 – Répartition selon les États membres, des votes pour les pays tiers à prendre en compte en priorité pour une politique de réadmission communautaire, Document SCIFA 19991
1
COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION (1999c). Outcome of proceedings, strategic committee on immigration, frontiers and asylum meeting 16 November 1999, 13888/99, December 7 (Annexe 13). L’Autriche semble avoir fait l’objet d’une erreur de saisie, puisque huit votes sont comptabilisés alors qu’ils sont limités à cinq par État membre. Nous ne commenterons donc pas le fait qu’un vote autrichien pour le Maroc soit répertorié dans ce document, car cela est de plus en contradiction avec les déclarations autrichiennes dans les réunions du HLWG.
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Tableau 10 – Nombre de voix recueillies par les différents pays tiers pour une politique de réadmission communautaire, Document SCIFA 1999 En effet, les préférences des États membres sont extrêmement diversifiées, et chacun des pays tiers pré-sélectionnés obtient au moins une voix. Plusieurs solutions sont envisageables afin de coordonner les États membres dans une situation de ce type. Dans le cas de mise en place d’une liste « noire » des pays dont les ressortissants sont soumis à une obligation de visa1, chaque État membre avait pu ajouter des pays sur la liste, aboutissant à une liste exhaustive des « peurs respectives » mises en commun (Bigo et Guild 2003). Dans le cas qui nous occupe ici, le processus aboutissant au choix de certains pays comme prioritaires pour la négociation d’accords de réadmission est moins transparent. En septembre 2000, les premiers États pour lesquels le Conseil autorise la Commission à négocier des accords de réadmission sont le Pakistan et la Russie (qui avaient chacun recueilli cinq voix lors du vote organisé par le SCIFA), le Sri Lanka (qui en avait obtenu trois), et le Maroc (qui en avait obtenu seulement deux). Le mandat pour la Chine, qui avait obtenu le plus grand nombre de voix (7), n’est délivré qu’en novembre 2002. Les intérêts des États membres sont très diversifiés selon la présence de ressortissants des différents pays tiers sur leur territoire, mais aussi selon les degrés de coopération variés de ces pays tiers, qui dépendent de la spécificité historique et de la qualité des relations avec chaque État. L’explication avancée pour cet écart entre le vote des États membres et le choix final est que le Comité stratégique sur l’immigration, les frontières et l’asile avait résolu de tenir compte de facteurs additionnels, parmi lesquels les recommandations du HLWG. Le compterendu de contributions des États membres aux travaux du HLWG de mai 19992 montre que le Maroc figure parmi les préoccupations de plusieurs États membres. Le SCIFA affirme 1
Le règlement 539 fixant ces listes est adopté en mars 2001 par le Conseil.
2
COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION (1999a). Summary report of member states’ contributions on readmission questions, op.cit.
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également tenir compte du contexte politique plus général facilitant d’éventuelles négociations et de la position spécifique d’États membres confrontés à des problèmes avec des pays tiers spécifiques. Ceci permet de comprendre que le choix final du Conseil ne recoupe que partiellement les priorités de la « hit-list » (Coleman 2009 : 139-141). Alors que dans le cas de la constitution des listes des pays dont les ressortissants devaient être soit soumis à l’obligation de visas soit exemptés, les acteurs européens visent d’abord à l’exhaustivité de la liste (Bigo et Guild 2003), dans le cas du choix des pays pour un mandat de négociation sur la réadmission, ils sélectionnent certains pays. Selon les documents du Comité stratégique, ses membres tiennent compte des équilibres entre les demandes des différents États membres, plus ou moins pressants sur le sujet. Parmi les plus pressants dans le compte-rendu des contributions au HLWG en mai 1999, on retrouve la France, l’Espagne et l’Allemagne. Or, parmi eux, seule l’Espagne vote pour la négociation en priorité d’un accord communautaire avec le Maroc. En réalité, les critères pris en compte dans le choix de ces quatre premiers pays ne sont pas explicités dans les documents concernant cette question, et il est difficile d’expliquer comment s’est fait le choix final. Il semble que, derrière une apparence de vote démocratique et de critères clairs, la décision finale ait en réalité reposé sur quelques États membres plus intéressés. Dans le cas du Maroc, plusieurs États membres avaient rapporté des difficultés de coopération pour la réadmission des Marocains et de ressortissants de pays tiers, y compris lorsque des accords formels existaient. Ainsi, le rapport du Secrétariat du Conseil au HLWG en mai 1999 mentionne : Four Member States (DK, I, A, and FIN) stated that they had not experienced any difficulties in returning individuals to Morocco. Three further Member States (F, L and S) mentioned minor problems in the level of co-operation by the Moroccan authorities. Spain stated that it has no difficulty in returning Moroccan nationals, but that there is very little co-operation for the readmission of third-country nationals who have travelled through Moroccan territory. Four Member States (GR, L, P and UK) mentioned specific problems in relation to the return of individuals to Morocco. (…) Belgium made a general comment as to the lack of co-operation from the authorities in the country in question.1
1
Ibid., p.8.
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Le Maroc est, avec la Somalie, la zone géographique pour laquelle le plus grand nombre d’États membres rapportent des problèmes de coopération pour la réadmission, parmi les cinq zones identifiées. On retrouve la France et l’Espagne et les points de contention identifiés plus haut, c’est-à-dire la mise en œuvre de la réadmission (pour la France notamment) et la question de la réadmission des ressortissants de pays tiers (pour l’Espagne). Cependant, ce ne sont pas les pays qui rencontrent le plus de difficultés, sans doute malgré tout parce qu’ils ont des accords, même partiellement fonctionnels. La Grèce, le Luxembourg, le Portugal (qui signe un accord de coopération en matière de contrôle des frontières et des flux migratoires avec le Maroc plus tard, en septembre 1999) et le Royaume-Uni dénoncent quant à eux des problèmes récurrents de coopération pour la réadmission. Pourtant, parmi ces pays, seule l’Espagne a voté pour le Maroc lors du vote organisé par le SCIFA1. Les problèmes de mise en œuvre de la réadmission, qu’il existe ou non des accords, sont donc bien parmi les arguments principaux avancés par le HLWG puis le SCIFA pour la délégation des négociations à la Commission européenne. Le choix du Maroc comme l’un des premiers pays pour lequel un mandat serait délivré à la Commission semble en tous cas plutôt reposer sur ces arguments que sur des demandes expresses des États membres. On retrouve donc le registre de l’efficacité accrue de la Commission par rapport aux États. En dépit de ces arguments reposant sur une rhétorique rationaliste, l’ensemble du processus de sélection et de délégation relève plutôt de tâtonnements ou de débrouille – muddling through (Lindblom 1959) – que d’une stratégie élaborée à l’avance. Une explication en termes de principal-agent ne permet pas de rendre compte de ce processus, même lorsque la multiplicité des « principaux » est prise en compte. En effet, la décision de déléguer ne correspond pas à la somme de leurs préférences, ni même à un compromis négocié, mais plutôt au résultat d’un processus par étapes et ajustements. Des critères ont été fixés, puis n’ont pas été respectés, et certains États membres ont pesé plus que d’autres dans la décision. Finalement, le résultat ne répond pas nécessairement aux attentes de tous les États membres. De plus, l’évolution des négociations avec les différents pays choisis est variable : le cas de la lenteur des négociations avec le Maroc est fréquemment cité pour illustrer l’inefficacité de la Commission. On assiste donc à l’émergence d’un deuxième registre d’interprétation de la délégation, qui, plutôt que d’y voir un gain en termes d’efficacité, la décrit comme un obstacle 1
La deuxième voix comptabilisée correspondrait à l’Autriche, mais il s’agit vraisemblablement d’une erreur de saisie (voir note de bas de page présentant le tableau ci-dessus).
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à l’action des États membres. Or, ce registre rhétorique ne peut être compris que dans le contexte plus global d’un questionnement sur la légitimité de la Commission européenne à négocier des accords de réadmission avec les pays tiers.
B - L’ambiguïté du mandat et la remise en cause de la légitimité de la Commission. Dans les cas de délégation des négociations extérieures par les États membres à la Commission européenne, on peut identifier plusieurs variables permettant d’expliquer le déroulement et la conclusion de négociations avec des pays tiers, notamment, la flexibilité du mandat (qui dépend de sa nature) et l’autonomie de l’agent, c’est-à-dire l’implication plus ou moins fortes des principaux dans les négociations (Nicolaïdis 1999 ; Meunier 2000 ; 2005). Encadré 2 – Les attributs du mandat de délégation entre principal et agent Flexibilité (étape d’autorisation) : cet attribut désigne le caractère formel du mandat, c’està-dire le degré de précision ou de généralité des instructions délivrées par les principaux. Ceux-ci peuvent donner des instructions sur un but à atteindre sans plus de précisions, ou spécifier précisément les concessions acceptables ou non. Autonomie (étape de la représentation) : cet attribut concerne le degré d’implication des principaux dans la négociation, aux côtés de l’agent. Il mesure la possibilité pour chaque principal d’intervenir individuellement (et non collectivement, comme c’est le cas pour la flexibilité, l’étape d’autorisation nécessitant un accord entre les principaux). Autorité (étape de la ratification) : cet attribut désigne la capacité de l’agent à faire des promesses au nom des principaux. Le mandat peut autoriser de plus ou moins larges possibilités pour l’agent. L’autorité dépend en grande partie de la procédure de ratification utilisée et de l’incertitude de cette procédure. D’après Nicolaïdis 1999 et Meunier 2000, 2005.
Nous reviendrons ici sur la flexibilité1, c’est-à-dire sur le mandat qui est donné à la Commission pour les négociations autour de la réadmission, d’autant plus que ce mandat a longtemps fait l’objet de controverses, ainsi que sur l’autonomie de l’agent. Si la question de la nature du mandat a largement été résolue par le Traité de Lisbonne, une certaine ambiguïté demeure autour de la répartition des compétences et de l’autonomie de la Commission dans les négociations, et l’autonomie de l’agent reste débattue. De plus, du côté des États membres comme de celui de la Commission, les acteurs se saisissent du langage juridique pour tenter d’asseoir la légitimité de leur position.
1
Nous reviendrons sur les deux autres attributs, l’autonomie et l’autorité, plus loin dans ce chapitre et dans le chapitre 3.
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Nous montrerons dans un premier temps comment ces controverses influencent le déroulement des négociations. Dans un second temps, en nous intéressant aux discours des acteurs de la Commission et des États membres, notamment la France, et aux dynamiques organisationnelles, nous verrons que la délégation sert également un rôle indirect : elle permet aux États membres d’éviter le blâme de la lenteur ou de l’échec des négociations en le reportant sur l’Union européenne.
1) Un mandat ambigu et contesté. Malgré la confirmation par le Traité de Lisbonne, signé en 2007 et entré en vigueur le 1er décembre 2009, de la compétence de la Commission dans le domaine de la réadmission, la nature de cette compétence fait toujours l’objet de controverses. Ces controverses sont en grande partie liées à l’ambiguïté du rôle de la Commission dans la dimension externe des politiques internes (Nugent 2010, 396‑397). Plusieurs éléments entrent en ligne de compte dans ces controverses et s’articulent autour de deux thèmes : d’une part la question de l’exclusivité ou non de cette compétence de la Commission ; d’autre part la question de l’autonomie de la Commission par rapport aux États membres lors des négociations.
Une compétence partagée : controverses et interprétations. La relation entre la Commission les États membres sur les questions migratoires est apparue comme une relation spéciale, marquée notamment par une plus grande influence des États membres et posant la question du degré d’autonomie de la Commission dans les relations extérieures sur ce sujet. Les compétences données par les États membres à la Commission européenne en matière d’accords de réadmission dépendent comme on l’a vu plus haut des mandats de négociations, au cas par cas selon les pays tiers concernés. Ces directives sont confidentielles, mais elles fixent, selon un fonctionnaire français, « des lignes rouges »1. Ces directives contiennent également des informations sur les incitations que la Commission peut utiliser. Cependant, malgré l’existence de ces directives et la pratique de négociations autour de la réadmission, ainsi que la conclusion de certains accords, la question de la compétence de
1
Entretien n°29, Service Justice et affaires intérieures, Représentation française auprès de l’UE, Bruxelles, 22 juin 2010.
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la Commission dans ce domaine est régulièrement abordée par les acteurs lors des entretiens. Ces commentaires reposent avant tout sur une interprétation juridique des Traités. Jusqu’au Traité de Lisbonne, la compétence de la Commission à négocier la dimension externe des politiques migratoires, était une compétence implicite, c’est-à-dire qu’elle découlait en principe de l’existence d’une compétence explicite sur le plan interne. Ceci a donné lieu à des débats sur la nature de cette compétence, exclusive ou partagée, jusqu’à ce que la Cour de justice européenne clarifie que le fait qu’une compétence soit implicite n’influençait pas la nature de la compétence1 (Cremona 2011 ; Van Vooren 2011). Ceci souligne cependant l’ambiguïté qui existe quant à l’exclusivité ou non des compétences liées à la négociation de la réadmission. Or, il est essentiel pour les différents acteurs impliqués d’affirmer leur position par une interprétation des Traités et du droit, à travers un langage juridique qui s’est progressivement imposé comme la lingua franca de l’Union européenne et comme une ressource stratégique essentielle pour ses acteurs (Cohen et Vauchez 2010). Tandis que la Commission affirme sa compétence exclusive à négocier et conclure des accords de réadmission, les États membres et le Conseil interprètent plutôt l’article 63(3)b du Traité d’Amsterdam, qui accorde à la Commission une compétence implicite dans ce domaine2, comme la mise en place d’une compétence partagée (Coleman 2009, 75 ; Cassarino 2010b, 16). Ainsi, le Conseil Justice et Affaires intérieures de mai 1999 donne très clairement son interprétation de l’article 63(3)b en ce sens. Après une mention de cet article et une affirmation de l’importance d’une politique communautaire dans ce domaine, les Conclusions du Conseil poursuivent : Dans les cas appropriés, le Conseil mandatera la Commission pour mener des négociations avec des pays tiers en vue de la conclusion d'accords de réadmission. Les accords de réadmission de la Communauté ne sont cependant pas indissociablement liés, d'une manière générale, à la réalisation de l’objectif communautaire concernant le rapatriement des personnes en séjour irrégulier. Il y a lieu d’apprécier à chaque fois si tel est le cas. Il s’agit en l’occurrence de déterminer si un accord bilatéral de réadmission conclu par un État membre avec un pays tiers pourrait entraîner des distorsions pour d’autres États membres. Par conséquent, la compétence de la Communauté pour ce qui est de conclure des accords de 1
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (2006). Compétence de la Communauté pour conclure la nouvelle convention de Lugano concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, avis de la Cour (séance plénière), Avis 1/03, 7 février.
2
Traité d’Amsterdam modifiant le Traité sur l’Union Européenne, les Traités instituant les Communautés Européennes et certains axes connexes (97/C 340/01), Journal Officiel, n°C 340, 10 novembre 1997 (signé le 2 octobre 1997).
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réadmission n’est pas une compétence exclusive. Un État membre peut toujours conclure un accord de réadmission avec un pays tiers tant que la Communauté n'a pas conclu d'accord avec ledit pays ou n’a pas arrêté de mandat de négociation en vue d’un tel accord.1 Un premier point est affirmé : la compétence de la Commission dépend du mandat que lui donne le Conseil, et c’est à celui-ci d’apprécier s’il y a lieu ou non de délivrer ce mandat, selon les pays concernés. La compétence est donc, du point de vue du Conseil, partagée, au sens où la Commission n’est chargée des négociations que pour les pays pour lesquels le Conseil la mandate. Les États membres restent dont compétents en bilatéral dans les autres cas, et plus encore, y compris « tant que la Communauté n’a pas conclu d’accord avec ledit pays ». Cette phrase cherche donc à asseoir la possibilité pour les États membres de conclure des accords de réadmission avec des pays tiers alors même que la Commission est engagée dans des négociations. Mais le Conseil affirme encore plus la persistance des compétences nationales : Dans certains cas, les États membres peuvent même conclure des accords bilatéraux alors qu’un accord communautaire a été conclu ou que des négociations ont été engagées, par exemple lorsque l’accord communautaire ou le mandat de négociation ne contient que des déclarations générales relatives à la réadmission alors qu’un ou plusieurs États membres souhaiteraient des arrangements détaillés sur la question.2 La seule limite posée à la compétence des États, selon le Conseil, serait un cas où des accords bilatéraux entreraient en conflit avec des accords communautaires : « les États membres ne peuvent plus conclure d’accords si ceux-ci risquent de porter préjudice à des accords existants de la Communauté »3. Cependant, la Commission continuait d’interpréter cet article comme une compétence partagée, mais qui devenait exclusive dès lors qu’un mandat avait été délivré (Coleman 2009, 80). Si le Traité de Lisbonne a clarifié la situation en mentionnant explicitement la réadmission comme une compétence partagée dans l’article 79(3), la question de la répartition de cette compétence reste d’actualité. Finalement, les États membres et la Commission mettent désormais en avant un compromis autour du principe de « coopération loyale ». Il est 1
CONSEIL JUSTICE ET AFFAIRES INTERIEURES (1999). 2184e Session du Conseil Justice et affaires intérieures, Bruxelles, 27 et 28 mai, Press Release, 8654/98 (Presse 168), p.8, Disponible sur : http://europa.eu/rapid/press-release_PRES-99-168_fr.htm [consulté le 2 septembre 2013].
2
Ibid.
3
Ibid.
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intéressant de noter que ce compromis fait reposer la répartition des compétences entre États membres et Commission sur un principe juridique qui correspond à une tentative de formalisation d’un principe moral. De plus, il reste également ambigu, puisqu’il est difficile d’évaluer la sincérité d’une partie. Au vu de l’article 4(3) du Traité sur l’Union européenne, selon lequel « les États membres facilitent l’accomplissement par l’Union de sa mission et s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union »1, le compromis de fonctionnement est que la compétence est partagée uniquement pour les États tiers pour lesquels aucun mandat n’a été délivré à la Commission (Coleman 2009, 83), ce qui rejoint l’article 2(2) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (Cassarino 2010b : 17) qui mentionne, « les États membres exercent leur compétence dans la mesure où l’Union n'a pas exercé la sienne »2. C’est en effet ce compromis que semblent retenir les acteurs sur le terrain. Dans le discours des fonctionnaires nationaux et européens en charge de ces dossiers, chaque partie se réfère au droit pour chercher à établir la légitimité de sa position. La « force du droit » (Bourdieu 1986) résulte ici du recours à une langue commune fondée sur des bases juridiques. À la Commission, on parle par exemple d’un « gentlemen’s agreement », selon lequel les « États font ce qu’ils veulent jusqu’à ce que la Commission reçoive le mandat »3. Plusieurs éléments participent ici à un effet d’universalisation du discours : l’usage du présent de l’indicatif, qui érige implicitement une pratique au statut de règle ; ou encore l’expression « gentlemen’s agreement », qui fait référence à une « valeur trans-subjective présupposant l’existence d’un consensus éthique » (Bourdieu 1986, 5). Quant aux fonctionnaires français, ils mentionnent pour la plupart l’impossibilité pour la France de négocier son propre accord de réadmission avec le Maroc en raison du mandat donné à la Commission européenne, mais soulignent un flou juridique autour de cette question. Ceci ne signifie pas pour autant que les différents États membres se privent de négocier certains aspects de la coopération sur les retours forcés en bilatéral4. Par ailleurs, la Commission européenne négocie et conclue des accords de réadmission mais ne s’occupe pas de mise en œuvre (Cassarino 2010b, 18), comme l’a affirmé très 1
Ibid., TUE art. (3).
2
Ibid., TFUE art. 2(2).
3
Entretien n°28, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 22 juin 2010.
4
Nous analyserons ce phénomène plus avant dans le chapitre 7.
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clairement le Représentant spécial en charge de la réadmission à la DG RELEX, Karel Kovanda, en 2006 : La politique de retour de l’UE implique une dimension interne autant qu’une dimension externe. Quant à savoir qui est responsable de quoi, et jusqu’où mon mandat s’étend, il est impératif de distinguer scrupuleusement les deux. Les politiques et les accords de réadmission communautaires relèvent de la dimension externe. Ils établissent des obligations réciproques qui lient la Communauté d’une part et le pays partenaire d’autre part. Mais une fois l’accord négocié, la responsabilité de la Communauté s’achève. Sa mise en œuvre au jour le jour, la décision effective de renvoyer une personne et l’opération effective que cela implique – tout ceci est entièrement de la compétence de nos États membres.1 Cette distinction, si elle distingue a priori clairement deux phases des politiques de réadmission, vise aussi à limiter la responsabilité et le rôle de la Commission européenne. Là encore, l’usage du présent de l’indicatif renforce un effet d’universalisation, et les tournures passives (« agreements fall under », « an agreement is negotiated ») contribuent à un effet de neutralisation. Les termes « impératif » et « scrupuleusement » constituent quant à eux l’énonciateur en sujet d’autorité. Or, comme on l’a vu au chapitre précédent, la question de la mise en œuvre est précisément une question sensible : un accord de réadmission signé ne signifie pas nécessairement une mise en œuvre facile. Pourtant, cette distinction permet également à la Commission de trouver un compromis avec les États membres sur la question de la répartition des compétences de négociations. En effet, à partir de cette distinction entre accord et mise en œuvre, un compromis régulièrement évoqué par les acteurs consiste à considérer que les accords bilatéraux préexistants serviront de protocoles de mise en œuvre une fois l’accord communautaire signé2. Sur cette base, les États membres peuvent donc continuer à discuter de la mise en œuvre des accords, formels ou informels, dont ils disposent déjà, tout en attendant la signature d’un éventuel accord communautaire qui inclurait des clauses additionnelles et favorables, notamment la clause de réadmission des migrants ayant « transité » par le pays tiers. Finalement, on voit ici, à travers ces controverses sur la répartition des compétences, que si les États membres ont délégué la négociation des accords de réadmission en espérant un plus grand poids de l’Union européenne face à leurs partenaires extérieurs, ils n’ont toutefois pas renoncé à continuer leur action en bilatéral dans ce domaine. Le compromis 1
KOVANDA, Karel (2006). « The foundations, benefits and challenges of the EU readmission policy », eurasylum, April, http://www.eurasylum.org/Portal/April2006.htm, [consulté le 19 août 2012].
2
Cet aspect sera développé dans le chapitre 7.
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institutionnalisé par le Traité de Lisbonne est celui d’une compétence partagée, avec une exclusivité de la Commission pour les États pour lesquels un mandat aurait été délivré. Cependant, les États membres continuent d’agir en bilatéral y compris avec les pays pour lesquels la Commission a reçu des directives de négociations. Ces actions concernent notamment la mise en œuvre de la réadmission, et seraient par la suite intégrables dans le cadre communautaire comme protocoles de mise en œuvre. Cette complexité de la répartition des compétences est l’une des sources des tensions entre Commission et États membres sur la réadmission ; elle offre aussi une diversité d’opportunité pour les pays tiers, qui peuvent, lors de diverses négociations dans des arènes différentes, demander des contreparties variées. Enfin, cette complexité est également révélatrice de la spécificité du lien entre les États membres et la DG JLS en particulier, au sein de la Commission.
Le Conseil et la Commission : affinités électives et tensions. En dépit de ces controverses sur la répartition des compétences dans le domaine de la réadmission – et plus généralement dans le domaine de la lutte contre les migrations irrégulières – les États membres ont sur ce sujet un interlocuteur de choix au sein de la Commission. En effet, de nombreux domaines couverts par la Direction générale Justice et affaires intérieures (DG JAI – la DG JAI est transformée en DG Justice liberté sécurité – JLS – en novembre 2004, puis en DG HOME en 2010), une direction générale relativement récente, ont relevé de la méthode intergouvernementale. Or, le vote à l’unanimité constitue une contrainte pour les négociateurs, puisqu’il a tendance à amplifier la position de l’État membre le plus conservateur par rapport au changement proposé (Meunier 2000 ; 2005). Même lorsque la procédure ordinaire s’applique, comme c’est désormais le cas, l’autonomie de la Commission en matière de réadmission est limitée car les principaux sont très impliqués dans la négociation. Au regard de nos résultats, les fonctionnaires de la JLS/HOME tiennent en effet compte des positions des États membres bien plus que dans d’autres directions générales au sein de la Commission, notamment la DG relations extérieures. L’autonomie de cette DG JLS/HOME n’est pas limitée uniquement par l’implication importante des principaux dans les négociations. Il est important de tenir compte également des contraintes institutionnelles de l’organisation. Comme le montre Emek Uçarer (2001), la DG JAI a commencé par être une direction très peu autonome et largement soumise aux désirs des États membres en raison de contraintes d’ordre constitutionnel (le type de mandat Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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et de délégation), mais aussi institutionnelles (les ressources dévolues). Elle analyse le rôle de la Task Force et de la Commission entre les Traités de Maastricht et d’Amsterdam, et montre comment les demandes de la Commission dans le domaine de la justice et des affaires intérieures se concentrent pendant cette période sur une recherche d’autonomisation1. Le Traité d’Amsterdam, suivi du Conseil européen de Tampere, ont représenté un renforcement constitutionnel et institutionnel de la Commission dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, et notamment de la réadmission, comme on l’a vu plus haut. Uçarer conclut à une autonomisation croissante de la Commission dans ce domaine. Le Traité de Lisbonne semble encore renforcer ce mouvement. Si on se concentre en particulier sur le domaine de la réadmission, les articles 207 et 218 établissent les procédures à suivre. L’article 207 établit les différentes étapes des relations entre le Conseil et la Commission pour les négociations : Si des accords avec un ou plusieurs pays tiers ou organisations internationales doivent être négociés et conclus, (…) la Commission présente des recommandations au Conseil, qui l'autorise à ouvrir les négociations nécessaires. Il appartient au Conseil et à la Commission de veiller à ce que les accords négociés soient compatibles avec les politiques et règles internes de l’Union. Ces négociations sont conduites par la Commission en consultation avec un comité spécial désigné par le Conseil pour l’assister dans cette tâche et dans le cadre des directives que le Conseil peut lui adresser. La Commission fait régulièrement rapport au comité spécial, ainsi qu’au Parlement européen, sur l’état d’avancement des négociations.2 Ainsi, le travail de la Commission est clairement présenté comme devant être encadré par un comité spécial désigné par le Conseil. Cela n’est guère étonnant dans le cadre de la comitologie et de la volonté des États membres de contrôler les pouvoirs de la Commission. Bien que les comités de comitologie ne soient pas uniquement un instrument de contrôle de l’agent par les États membres (Pollack 2003), et que les membres de la Commission y jouent un rôle important (Dehousse 2003), la mise en place d’un tel comité souligne la volonté de contrôle des négociations par les États membres. D’autant plus que l’article 207 confirme que la procédure appliquée doit être le vote à la majorité qualifiée, utilisé depuis le 1er janvier
1
Notamment le remplacement du vote à l’unanimité par un vote à la majorité qualifiée au Conseil (afin d’accélérer la prise de décision), la possibilité d’utiliser des instruments législatifs plus contraignants (directives), et l’exclusivité du droit d’initiative à la Commission.
2
Traité de Lisbonne, op. cit., art. 217.
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2005 pour les accords de réadmission1, ce qui diminue le pouvoir de chaque État membre face à la Commission dans ce domaine. En effet, les contraintes imposées par l’agent ne servent ici nullement comme ressource à l’agent négociateur. La « conjecture de Schelling » suppose que les contraintes externes au négociateur, le fait qu’il ait les mains liées, peuvent servir dans la négociation à faire accepter un compromis à la partie opposée (Schelling 1960 ; Putnam 1988 ; Meunier 2000 ; 2005). Nous n’observons pas du tout cette situation dans le cas des accords de réadmission : lorsque l’asymétrie de l’accord proposé est telle que la partie opposée n’a aucun intérêt à modifier le statu quo et que l’autorité (autrement dit les contreparties disponibles) du négociateur est faible, les contraintes externes au négociateur ne constituent nullement une ressource pour celui-ci. Le partage des compétences accentue encore ce phénomène. Les fonctionnaires de la Commission cherchent donc plutôt d’une part à augmenter leur autorité, c’est-à-dire leur capacité à faire des promesses crédibles de contreparties, comme nous le verrons un peu plus loin dans ce chapitre, d’autre part à améliorer leur autonomie, c’est-à-dire leur capacité à mener des négociations en limitant l’implication des principaux. Si on constate en effet une dynamique d’autonomisation de la Commission dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, y compris dans le domaine de la réadmission, les fonctionnaires de la Commission – même au sein de la direction dont il est question – soulignent plutôt la dépendance de la DG JLS/HOME par rapport aux États membres, et revendiquent leur autonomie. Ainsi, l’un d’entre eux, alors même qu’il affirme que « la Commission est le seul négociateur », décrit ainsi le mandat de délégation et la procédure de négociation : La réadmission est une compétence de l’Union. La Commission demande l’autorisation de négocier. Le Conseil donne les instructions. Puis il y a un retour vers le Conseil, d’abord de façon informelle. En théorie, on pourrait ne pas revenir vers le Conseil, mais simplement adopter la proposition de signature. Maintenant ça se passe un peu différemment : on négocie en coopération avec le Conseil. Avant de finir, on retourne vers le Conseil et les États membres.2 La description de la procédure par des phrases courtes, au présent de l’indicatif, semble décrire un processus linéaire réglé par le droit. Cependant, cet entretien souligne la différence 1
Traité de Lisbonne, op. cit., art. 218(6)a. Quant à l’article 218, il précise la procédure à suivre et renforce le rôle du Parlement européen, puisque celui-ci doit désormais approuver les accords de réadmission et non plus se cantonner à un avis consultatif. Le renforcement du rôle du Parlement européen n’est pas nécessairement souhaitable du point de vue de la Commission, mais il va de pair avec l’adoption de la procédure ordinaire.
2
Entretien n°27, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 22 juin 2010.
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entre l’autonomie formelle de la Commission et sa dépendance réelle envers le Conseil dans la négociation des accords de réadmission, puisqu’elle doit malgré tout convaincre les États membres d’accepter les termes de l’accord négocié. À l’inverse d’un élargissement progressif des compétences de la Commission comme résultat d’un effet d’engrenage ou d’une « creeping competence » (Pollack 1994), l’entreprenariat de la Commission rencontre dans ce cas de la politique de réadmission peu de succès, et les États membres gardent un contrôle important sur les négociations. Cependant, la mise en avant de ce lien spécifique entre la DG JLS/HOME et le Conseil est parfois ambiguë. C’est le cas dans le discours tenu par un fonctionnaire qui, après quelques années à la DG RELEX, fait désormais carrière à la DG HOME. En comparant les deux directions générales, il affirme : Il y a une différence essentielle : les États membres sont beaucoup plus présents à la DG JLS. C’est une DG qui fait de la politique et qui doit rendre des comptes aux États membres et au Parlement. La DG RELEX a surtout un rôle de coordination, d’intégration des politiques migratoires dans les politiques extérieures, un rôle d’animation des réseaux et d’information, à travers les desks politiques sur les États tiers. La nature du travail est différente. Ici on est directement exposés aux critiques.1 On voit bien que le discours est double : d’une part, il présente la dépendance envers les États membres comme un poids ; mais d’autre part, cette dépendance est aussi présentée comme la contrepartie d’un rôle plus « politique », qui semble toucher plus avant aux contenus, par opposition à la DG RELEX qui semble ici cantonnée à un rôle formel et instrumental d’organisation et de communication. Cette distinction recoupe la distinction entre technique et politique, caractéristique du discours des acteurs de l’Union européenne et elle constitue une ressource dans leur quête de légitimité (Smith 2010) régulièrement convoquée lorsqu’il s’agit de la réadmission, comme nous le verrons un peu plus loin dans ce chapitre. Il est essentiel pour les acteurs de se positionner par rapport à cette distinction, afin d’euphémiser ou au contraire de souligner la nature politique de leur travail. De plus, cette distinction est ici essentialisée par l’expression la « nature du travail », qui, bien que floue, souligne une différence qui serait constitutive des identités institutionnelles. Pour autant, le discours de cet acteur est ambigu, et remet en cause le contrôle des États membres sur les négociations,
1
Entretien n°26, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 21 juin 2010.
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comme le montre une vive réaction au terme « mandat », pourtant synonyme, au sein des institutions européennes, de « directives » : En principe, ça n’est pas le mot de ‘mandat’, mais ce sont des ‘directives’ de négociation. Le mandat oblige le mandaté, alors que nous, les directives doivent nous permettre en principe une marge de manœuvre. Mais les États membres sont de plus en plus présents.1 Dans cet extrait, ce fonctionnaire affirme la flexibilité de l’agent, puisqu’il porte sur la nature du mandat délivré par les principaux. La question de la nature du mandat ayant été réglée par les Traités et les mandats déjà délivrés, il s’agit en réalité d’un plaidoyer pour l’autonomisation de la Commission par rapport au contrôle des États membres. Cependant, il est intéressant de constater que son argumentation, qui adopte le langage du droit, repose en réalité sur une distinction linguistique qui n’est pas fondée sur une distinction juridique. Elle lui permet d’introduire par une nuance de vocabulaire, la distinction entre « mandat » et « directives », l’idée d’indépendance de la Commission. En même temps, il affirme aussi clairement que cette autonomie n’est pas réalisée dans les faits, puisque « les États membres sont de plus en plus présents ». Ce fonctionnaire s’est finalement engagé, lors de l’entretien, dans un plaidoyer en faveur, non pas tant d’une plus grande autonomie de la DG JLS et de la Commission, que dans l’extension des prérogatives de la direction générale, ce qui lui permettrait d’améliorer son autorité, c’est-à-dire les contreparties qu’elle peut proposer aux partenaires extérieurs. Les entretiens révèlent donc des tensions sous-jacentes entre les États membres et la Commission sur la question de la réadmission. La DG JLS a été dès le départ une direction relativement dépendante du Conseil et des États membres. Bien qu’elle se soit progressivement autonomisée au cours des années 2000, ses membres cherchent toujours à se détacher du contrôle des États membres, qui restent très présents. Or, ces revendications entendent notamment répondre aux critiques émanant des États membres. Ceux-ci ont en effet trouvé, à travers la délégation à la Commission, un moyen d’éviter le blâme lorsque la coopération sur la réadmission ne fonctionne pas.
1
Ibid.
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2) La question de la responsabilité des négociations : évitement du blâme et remise en cause de la Commission. Nous avons vu que les raisonnements qui avaient poussé les États membres à déléguer la négociation de certains accords de réadmission à la Commission reposaient principalement, au départ, sur une recherche d’efficacité et sur l’idée que l’Union européenne aurait plus de poids face aux pays tiers. Mark Pollack (1997) souligne, dans son analyse des différents modes de délégation à l’Union européenne, que l’une des limites des approches fonctionnalistes de la délégation consiste à supposer que les institutions choisies sont celles qui réaliseront le mieux la tâche qui leur est déléguée et qu’elles sont choisies pour cette raison. Or, dans le cas de la délégation des négociations sur la réadmission, le choix de la délégation à l’Union européenne semble révéler un pari sans risque des administrations des États membres plutôt qu’une confiance absolue dans le travail de la Commission. L’hypothèse fonctionnaliste, l’idée de l’efficacité des négociations européennes, peut ici être renforcée par la conclusion de plusieurs accords de réadmission communautaires : en effet, jusqu’à présent, sur les vingt-et-un mandats de négociations reçus, la Commission a conclu seize accords de réadmission1, y compris avec des pays tiers considérés comme « difficiles » comme la Russie, avec qui un accord a été signé en 2006. Cependant, certains pays, comme le Maroc n’ont toujours pas signé ces accords, alors même que le premier round des négociations a eu lieu en 2003. De plus, certains pays comme l’Algérie ou la Chine, refusent de commencer les négociations sur ce sujet. Toutefois, cette situation présente également des avantages pour les États membres, qui ne confirment pas l’hypothèse fonctionnaliste. Les administrations des affaires intérieures peuvent en effet blâmer la Commission européenne pour ces lenteurs ou ces échecs. De plus, pour les États membres les plus intéressés par l’accord de réadmission avec le Maroc, c’est-à-dire la France et l’Espagne, ils disposent déjà de modes de coopération plus ou moins formels sur la réadmission avec ce pays. Ils peuvent donc essayer d’améliorer la mise en œuvre de leurs accords formels ou informels, tout en laissant la Commission européenne négocier un accord formel plus général et plus difficile à obtenir, avec la clause concernant la réadmission des migrants ayant « transité » par le
1
Voir : COMMISSION EUROPÉENNE (2011). Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil : évaluation des accords de réadmission par l’UE. COM(2011) 76 final, Bruxelles, 23 février ; EUROPEAN COMMISSION (2012). Statement by EU Commissioner Cecilia Malmström on the initialling of the EU-Turkey readmission agreement. MEMO/12/477, Brussels, June 21 ; et la liste des accords européens en matière de réadmission mise à jour en 2013 (Annexe 5).
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territoire du pays tiers concerné. Ainsi, la délégation permet aussi aux administrations des États membres de déployer des stratégies d’évitement du blâme. Le concept d’évitement du blâme développé par Kent Weaver (1986) permet de comprendre comment la question de la délégation de la réadmission a pu recouvrir, autant que des questions d’efficacité, des enjeux de légitimité de la Commission européenne. Kent Weaver développe l’idée de blame-avoidance dans une analyse des comportements des élus. Dans un contexte où les gouvernements élus ont fait de la lutte contre l’immigration irrégulière une promesse de campagne, la réadmission, malgré sa faible visibilité est un signe politique utile : c’est en effet l’un des seuls indicateurs d’une action pour la lutte contre la présence de migrants irréguliers déjà présents sur le territoire. La signature d’un accord peut être mise en avant par les gouvernements pour montrer que l’État est actif dans ce domaine, tandis que sa mise en œuvre n’est visible médiatiquement que dans les statistiques sur le nombre de reconduites à la frontière. Cependant, le gain politique de la signature d’un accord de réadmission est faible ; les gains de la mise en œuvre de la réadmission, y compris sur la base d’accords informels, sont plus importants. La responsabilité de la réadmission est dévolue aux administrations des affaires intérieures en charge de renvoyer les migrants irréguliers dans leur pays d’origine ou dans un pays « de transit ». Cependant, celles-ci peuvent aussi chercher à « éviter le blâme » ou les responsabilités afin de se concentrer sur d’autres activités. Or, obtenir du Maroc un accord de réadmission officiel incluant une clause de réadmission des migrants ayant transité par son territoire n’est pas une tâche aisée. Dans le cas des administrations françaises, déléguer les négociations à la Commission européenne a permis, tout en « tentant le tout pour le tout », de se concentrer sur les questions de mise en œuvre de l’« accord informel » existant, sans se préoccuper de la négociation d’un accord formel plus contraignant. La délégation apparaît donc bien comme une solution optimale pour les administrations françaises dans le cas du Maroc. Un conseiller français des affaires intérieures à Bruxelles, rencontré en 2010, déclarait à propos de la France et de la clause sur la réadmission des ressortissants des pays tiers :
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On ne peut pas le faire. On ne fait pas le poids. Même s’ils le font parfois [réadmettre des ressortissants des pays tiers], c’est un gentlemen’s agreement, ça n’est pas officiel.1 L’expression « gentlemen’s agreement » est ici utilisée, non pas comme chez le fonctionnaire européen cité plus haut pour se rapporter à une éthique et légitimer l’accord officieux, mais au contraire pour souligner le caractère officieux et irrégulier de ces pratiques. On retrouve ici l’argument selon lequel les États membres recherchent, à travers la délégation à la Commission, le poids (notamment économique) de l’Union européenne. Cependant, étant donné le type d’asymétrie de notre cas d’étude, on peut ici se demander si ce fonctionnaire sous-estime à dessein l’importance des relations politiques et économiques entre la France et le Maroc, ou si, basé à Bruxelles et travaillant uniquement sur des questions européennes, il a peut-être tendance à surestimer l’importance de l’Union européenne pour la politique extérieure française. Les fonctionnaires français sont en effet habituellement très conscients de la relation privilégiée que leur pays entretient avec le Maroc. De plus, nous l’avons vu, en 2010, la plupart des entretiens en France mentionnaient une bonne coopération sur la réadmission avec le Maroc, sur la base de chiffres sur l’année 2008 : l’idée que la France « ne fait pas le poids » semble donc très influencée par un point de vue bruxellois. Enfin, la France n’a pas réellement besoin de cette clause avec ce pays, puisque le cas de la réadmission de migrants irréguliers de pays tiers ayant transité par un territoire se pose plutôt avec les pays limitrophes, comme l’Espagne ou l’Italie, à l’intérieur de l’espace Schengen. En fait, ce conseiller aux affaires intérieures à la Représentation française, chargé de vérifier ce que négocie la Commission dans le domaine de la réadmission, et surtout, de bloquer les accords insatisfaisants, souligne les raisons de la délégation, pour ensuite blâmer la Commission pour la lenteur des négociations. En effet, après avoir affirmé que la France ne « faisait pas le poids », il remarque : Et puis ils ont le mandat, on ne peut rien faire. Par exemple la Belgique voudrait faire des choses avec l’Algérie, mais la Commission a le mandat, donc on ne peut pas.2 La délégation sert ici de justification, puisque le mandat interdit aux États membres, dans le compromis trouvé comme on l’a vu plus haut, de négocier en parallèle. Et ce alors même que les administrations nationales ne sont pas inactives en bilatérales : elles se concentrent 1
Entretien n°29, Service Justice et affaires intérieures, Représentation française auprès de l’UE, Bruxelles, 22 juin 2010.
2
Ibid.
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simplement plutôt sur la mise en œuvre de la réadmission, ou sur des processus informels1. Si l’argument de la recherche d’un gain d’efficacité a guidé les premiers pas de la délégation des négociations sur la réadmission, l’européanisation de cette question remplit désormais également une autre fonction : le mandat donné à la Commission permet de blâmer celle-ci pour cet échec, alors même que les États membres jouent un rôle important dans la définition des possibilités de négociations. La délégation serait ainsi un moyen de « pass the buck », dans le cadre d’une stratégie d’évitement du blâme selon la terminologie de Weaver : il s’agit d’éviter le blâme en transférant la responsabilité à un autre acteur. Ce transfert du blâme repose en partie sur des arguments récurrents dans les critiques de la Direction générale JLS : à savoir la jeunesse et le manque d’expérience de la DG JLS ou plus généralement de la Commission dans ce domaine. À la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne (RPUE), le discours sur la Commission remet clairement en cause son rôle : On lui a donné les lignes rouges. Il faut qu’elle négocie, c’est son boulot ! Mais ils n’ont pas d’expérience, ils avaient mis un Hollandais, maintenant c’est un Polonais…2 Après avoir résumé ce que signifient les directives de négociations, c’est-à-dire ici un transfert des responsabilités (« c’est son boulot »), la nationalité des personnes en charge des négociations – il s’agit en fait des personnes en charge de la partie juridique et technique des négociations – est mentionnée pour sous-entendre que ces personnes ne connaissent pas leur interlocuteur marocain, à la différence sans doute des Français. Cette utilisation des nationalités s’inscrit dans la persistance de représentations stéréotypées selon des lignes nationales chez les praticiens de l’Europe (Abélès 2005). Ici, ces stéréotypes sont sousentendus, et se combinent à une représentation de plusieurs éléments : poids (économique, militaire) du pays mentionné, expérience de ce pays dans le domaine des politiques migratoires, et expérience dans les relations avec les pays au sud de l’Europe. Ils révèlent une représentation ethnocentrique de l’Union européenne, qui néglige par exemple l’importance des migrations aux Pays-Bas et l’expérience de ce pays dans le domaine des politiques migratoires, ou encore l’importance de la Pologne dans les relations extérieures de l’Union 1
Nous examinerons plus avant ces modes de coopération pour le cas des relations entre la France et le Maroc dans le chapitre 7.
2
Entretien n°29, Service Justice et affaires intérieures, Représentation française auprès de l’UE, Bruxelles, 22 juin 2010.
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européenne à l’Est. Ces stéréotypes sont utilisés ici pour délégitimer la Commission, qui aurait choisi de mauvais interlocuteurs pour les négociations avec les Marocains. On retrouve ce discours sur les limites de la Commission au Secrétariat général des affaires européennes à Paris. Dans cette organisation en charge de coordonner les différents ministères français afin de défendre une position commune au Conseil, les négociations sont suivies de près, et les fonctionnaires se montrent critiques envers la Commission. Précisant qu’il s’agit d’une appréciation personnelle, l’un deux déclare ainsi : La Commission ne négocie pas très bien sur ce sujet : ils battent tout de suite en retrait. Ce qu’ils proposent dans l’évaluation1, c’est d’évacuer les sujets qui fâchent pour se concentrer sur le reste.2 Cette fois-ci, ce ne sont ni les ressources humaines de la Commission qui sont remises en cause, ni le manque d’expérience, mais plutôt une attitude dans les négociations. Se dégage en filigrane une opposition avec un positionnement plus ferme des États membres et de la France, qui ne veulent pas « évacuer les sujets qui fâchent ». S’ajoute également à ces critiques une remise en cause des compétences de la Commission en raison de son éloignement du terrain, puisqu’elle ne s’occupe pas de la mise en œuvre. À la Représentation française à Bruxelles, par exemple, on décrit une Commission inexpérimentée dans la mise en œuvre des accords : Ça fait sept ans qu’on négocie, mais les dernières bases de l’accord ne nous conviennent pas. La Commission veut conclure, mais l’accord ne serait pas applicable. La Commission n’a pas l’expérience pratique de la mise en œuvre.3 Le manque d’expérience de la mise en œuvre est ici évoqué pour justifier un désaccord entre certains États membres et la Commission, en guise d’explication de ce qui est perçu comme un problème dans les négociations européennes. Cet argument reprend une rhétorique du sens commun dénonçant une « Eurocratie » (Georgakakis 2012) technocratique et éloignée des réalités, pour expliquer les tensions créées par la délégation des négociations sur la réadmission. En effet, il s’agit ici à la fois de justifier les blocages des États membres sur les propositions de signature de la Commission, et de reporter le blâme sur la Commission et la DG en charge des négociations.
1
Il s’agit de l’évaluation publiée en février 2011 : COMMISSION EUROPÉENNE (2011). op. cit.
2
Entretien n°40, Secteur libre circulation des personnes, Secrétariat général aux affaires européennes, Paris, 18 mai 2011.
3
Entretien n°29, Service Justice et affaires intérieures, Représentation française auprès de l’UE, Bruxelles, 22 juin 2010.
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En conclusion, la délégation des négociations sur la réadmission, adoptée sur la base d’un gain d’efficacité grâce au poids diplomatique supérieur de l’Union européenne, donne lieu à des négociations continues entre la Commission, en particulier la Direction générale JLS en charge du dossier, et les États membres, sur la question de la nature du mandat, qui détermine la flexibilité de la Commission, et sur l’autonomie de la Commission dans les négociations. Si les compétences de la Commission dans ce domaine ont été progressivement renforcées et institutionnalisées, l’implication des États membres dans les négociations reste forte. Finalement, la délégation des négociations sur la réadmission s’avère utile aux États membres, que les négociations aboutissent ou non. En effet, dans les cas où elles sont longues ou peu concluantes, la responsabilité est reportée sur la Commission, qui est donc blâmée pour ces échecs. Dans le même temps, les États membres peuvent tenter d’améliorer de façon informelle la mise en œuvre des accords formels ou informels dont ils disposent déjà. Pendant ce temps, la Commission tente de continuer les négociations, y compris avec les pays récalcitrants comme le Maroc, et de convaincre les États membres de lui laisser plus d’autonomie et d’autorité en élargissant les contreparties possibles. Si les relations entre États membres et Commission sont importantes pour comprendre cette dynamique, la persistance et l’entreprenariat de la Commission dans le domaine ne peuvent s’expliquer qu’en tenant compte également des dynamiques organisationnelles internes à la Commission.
C - Réadmission et enjeux institutionnels au sein de la Commission : la compétence externe dans l’émergence et le développement de la Direction générale en charge des affaires intérieures. Au moment même où ont lieu ces débats et où les États membres se posent la question de la délégation de la réadmission, une nouvelle Direction-générale est officialisée et chargée de cette « dimension externe » des politiques migratoires. L’histoire de la DG Justice et affaires intérieures1 est intimement liée à cette « dimension externe » et donc à la réadmission, même si celle-ci ne constitue qu’une partie de ses activités. Si l’européanisation et la communautarisation progressive des politiques migratoires sont parfois décrites par certains acteurs comme « une conséquence de domaines de politiques intégrées garanties par le Traité
1
Pour rappel : la DG JAI est transformée en DG Justice liberté sécurité – JLS – en novembre 2004, puis en DG HOME en 2010.
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de Rome » (Lewis et Spence 2010, 84)1, ce discours téléologique sur l’évolution des prérogatives occulte partiellement la dimension conflictuelle de la délégation : conflits entre États membres et Commission, mais aussi au sein de la Commission entre différentes directions générales. Or la création de cette direction générale peut tout d’abord être décrite comme une affirmation des fonctionnaires nationaux des départements de la justice ou de l’intérieur contre les diplomates : l’inclusion d’une « dimension externe » est donc un élément de cette lutte. D’autre part, cette Direction générale était aussi, en 1999-2000, une organisation naissante, en quête d’effectifs et de financements : la « dimension externe » a pu jouer un rôle dans cette recherche de financement, et créer des tensions avec d’autres Directions générales. Ces conflits s’articulent notamment sur des conceptions distinctes de la façon de mener les relations avec les pays tiers. S’ils ont mené à l’affirmation des questions migratoires dans l’ensemble des relations extérieures, ils ont aussi, en créant un agent dont l’intérêt à obtenir la signature d’accords de réadmission est plus fort que celui des États membres, conduit à une adaptation de la rhétorique des politiques migratoires européennes propice aux pays tiers.
1) « Dimension externe » des affaires intérieures ou relations extérieures ? La réadmission, une compétence disputée au sein de la Commission. Les contraintes nationales croissantes, à partir des années 1980, avaient pu pousser les fonctionnaires nationaux en charge du contrôle des migrations à chercher d’autres arènes, afin de contourner ces contraintes (Guiraudon 2000c). On peut voir la communautarisation du domaine immigration et asile tout autant comme une victoire de la Commission que comme une revanche « des diplomates » nationaux sur les personnels des départements de justice et affaires intérieures, puisque le Traité était négocié par des fonctionnaires des départements des affaires étrangères qui avaient vu leur rôle réduit par le processus de Schengen. Cependant, l’importance croissante des aspects « externes » des politiques migratoires, notamment à la suite des initiatives lancées par le HLWG, a également donné une place aux fonctionnaires des affaires intérieures dans des forums diplomatiques auxquels ils n’avaient pas nécessairement accès auparavant, notamment à l’occasion de négociations pour
1
Richard Lewis était un haut fonctionnaire de la Commission européenne entre 1974 et 2003 ; David Spence est ministre conseiller pour le service d’action extérieure de l’Union européenne depuis 2011.
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l’inclusion de clauses de réadmission1 (Guiraudon 2003). En réalité, le domaine de la réadmission constitue le principal élément de la « dimension externe » des politiques migratoires pour laquelle la Commission a obtenu certaines prérogatives. On peut distinguer deux aspects de cette « dimension externe » : d’une part, l’exportation au-delà des frontières de l’UE des instruments « classiques » de contrôle des migrations, notamment le contrôle des frontières et des mesures de prévention du franchissement irrégulier des frontières ; d’autre part, la coopération avec les pays dits d’origine et de transit pour le retour des migrants en situation irrégulière. L’« externalisation » des politiques migratoires concerne donc bien plutôt les aspects restrictifs et sécuritaires. Si l’européanisation apparaît bien comme le résultat de dynamiques bureaucratiques nationales, où les départements des affaires intérieures ont cherché à gagner en influence en passant par l’arène européenne, l’« externalisation » de ces politiques de contrôle des migrations serait une conséquence directe de la logique d’extension de cette approche restrictive (Boswell 2003). Or, le premier aspect mentionné, celui de l’exportation des mesures « classiques » de contrôle des migrations, se compose essentiellement de programmes de coopération policière ou de « capacity-building », avec formations et financements à la clé. Ce type d’actions est prisé par les États membres, et il est relativement facile de convaincre les pays tiers d’y participer, même si cela ne va pas nécessairement de soi. C’est le cas du Maroc, qui a participé à différents programmes européens et bilatéraux destinés à renforcer le contrôle de ses frontières – vers l’Union européenne notamment, mais aussi vers ses voisins africains. Toutefois, le deuxième aspect, celui des accords de réadmission, est plus délicat par l’asymétrie fondamentale de ces accords. La dimension diplomatique de ces négociations y est donc plus forte. Tout comme il n’y avait pas de raison a priori de s’attendre à ce que la politique des visas dépende des départements des affaires intérieures, étant donné que les ministères des affaires extérieurs gèrent la délivrance des visas dans les consulats (Guiraudon 2003), le fait que la DG JAI soit en charge des négociations sur la réadmission est loin d’être une évidence. D’ailleurs, si dans de nombreux domaines, la Commission, à travers la DG Justice et affaires intérieures, s’est révélée pro-active, demandeuse de prérogatives, il est difficile de trouver la 1
C’est le cas par exemple en février 2000 lors des négociations pour la révision de la Convention de Lomé, qui régit les relations avec les pays ACP. Pour plus de détails sur l’usage des clauses de réadmission, voir le chapitre 3 de cette thèse.
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trace d’une telle activité au départ dans le cas de la réadmission. Cependant, une fois la question de la délégation de la réadmission abordée, la DG s’est efforcée de défendre cette prérogative, face aux États membres, mais aussi face aux autres Directions générales de la Commission. En effet, si la réadmission est présentée dans ce cadre comme une coopération directe entre différents services des affaires intérieures, l’implication des ministères des affaires étrangères dans la mise en œuvre, notamment via les consulats et les ambassades, est également importante, bien que rarement mise en avant lors des entretiens. Dans le cadre européen, les prérogatives concernant ce domaine auraient donc tout aussi bien pu revenir à la DG RELEX, en charge des relations extérieures. L’adoption de la « dimension externe » de coopération européenne par la DG Justice et affaires intérieures (Boswell 2003), l’inclusion de la réadmission et la place importante qu’elle occupe dans cette « dimension externe », correspondent donc bien à une victoire des affaires intérieures sur les affaires extérieures. Au sein de la nouvelle DG HOME, une division s’occupe des négociations et de leurs aspects juridiques et techniques, mais une autre s’occupe des aspects plus diplomatiques, notamment parce que, comme nous le verrons plus loin, la négociation de la réadmission est liée à d’autres sujets comme la coopération pour le contrôle des frontières. En 2009 la « dimension externe » est répartie entre une unité « relations extérieures élargissement » au sein de la direction « affaires générales », une unité « aspects internationaux de la politique de migration et des visas » au sein de la direction « immigration et asile », et une unité « gestion des frontières et politique de retour » au sein de la direction « migrations et frontières ». Dès 2010, les personnes en charge des négociations et que nous rencontrons pour des entretiens appartiennent à une unité de la DG JLS en charge des « aspects internationaux des politiques en matière de migrations ». En 2012, cette division est placée directement sous le Directeur général, et elle s’occupe de tous les aspects des politiques de la Direction qui impliquent des contacts avec les pays tiers ; seule l’unité « gestion des frontières et politique de retour » perdure au sein de la direction « migrations et frontières ». Cependant, bien que la question de la réadmission soit gérée par la DG JAI, qui a développé des compétences administratives spécifiques dans ce domaine, la question de la responsabilité des négociations est fréquemment brouillée dans les discours des différents acteurs. Ainsi, c’est à la DG JLS elle-même qu’un fonctionnaire nous affirmait en 2010 : « La
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Commission a le mandat, et la DG RELEX ou la DG Elargissement1 ont un rôle de leadership, mais pour les compétences techniques, c’est la DG JLS »2. Le rôle de la DG JLS est souligné comme étant le principal, puisque les compétences techniques sont valorisées, tout en indiquant le « leadership », un terme du jargon de l’Union européenne emprunté à l’anglais pour signifier la responsabilité officielle, au même titre que l’expression « chef de file » dans ce même jargon, revient à une autre Direction. Ce « leadership » de la DG RELEX est contrasté par les « compétences techniques » de la DG JLS, qui sont ici présentées comme le contenu ou la réalité des négociations, comme une source de légitimité de cette Direction générale. On retrouve ici le clivage, souvent formel, entre le « technique » d’une part et le « politique » d’autre part, omniprésent dans le discours des praticiens européens. La frontière entre ces deux dimensions est fréquemment brouillée (Fouilleux, de Maillard, et Smith 2004). C’est aussi le cas de ces négociations. Ainsi, un autre fonctionnaire de la DG JLS qualifie la situation d’« arrangement interne » : En principe, le chef de file c’est RELEX, mais c’est nous en réalité. Ils ont un représentant3 pour la réadmission à RELEX, mais de fait on gère les niveaux techniques et politiques, et pour la liaison avec la global approach etc, ça, c’est nous.4 Cette fois-ci, la DG JLS est présentée comme chargée à la fois du politique et du technique pour la réadmission, dans la pratique (« en réalité », « de fait »). Le terme de chef de file, appliqué à la DG RELEX, la relègue ici à un rôle purement formel (« en principe »), sans aucune légitimité par rapport au dossier. Cependant, quelques jours plus tard, un fonctionnaire de la DG RELEX nous indique quant à lui que le chef de file est la DG JLS, mais il précise également : « toutefois, nous sommes associés de façon très proche, par exemple pour l’assistance financière et technique »5. L’argumentaire est ici inversé, la responsabilité « politique » des négociations étant placée sur la DG JLS, tandis que l’aspect technique est réservé à la DG RELEX. Enfin, selon un autre fonctionnaire de la DG RELEX, celle-ci est surtout en charge de l’organisation des réunions et est en contact avec la DG JLS à travers les desks de chaque pays plutôt que thématiquement sur les migrations6. Il semble qu’il existe en 1
Si les négociations ont lieu avec des pays candidats.
2
Entretien n°22, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 15 juin 2010.
3
Un « représentant spécial en charge de la réadmission ».
4
Entretien n°27, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 22 juin 2010.
5
Entretien n°25, DG Relations extérieures, Commission européenne, Bruxelles, 21 juin 2010.
6
Entretien n°32, DG Relations extérieures, Commission européenne, Bruxelles, 24 juin 2010.
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effet un « arrangement interne », la DG JLS étant le chef de file des négociations de facto, mais chaque Direction générale semble se renvoyer la balle de la responsabilité officielle des négociations, tout en soulignant la centralité de son apport technique. Le clivage « technique/politique » apparaît donc bien ici comme une ressource discursive engagée dans une lutte pour la légitimité institutionnelle (Fouilleux, Maillard, et Smith 2005 ; Smith 2010). Elle est utilisé ici par les acteurs afin de dépolitiser leurs responsabilités, la technicité étant présentée comme une source de légitimation. Finalement, les fonctionnaires marocains mentionnent quant à eux plus la DG JLS que la DG RELEX lorsqu’il s’agit de réadmission. Les fonctionnaires de la DG JLS sont davantage présents sur ce sujet, mais la DG RELEX assure un rôle de contact diplomatique et de coordination avec les autres aspects de la politique extérieure. Les dimensions politiques et techniques sont difficiles à distinguer, brouillées. La question de la compétence de la Commission sur la réadmission est donc étroitement liée à la naissance de la DG JLS. Pour cette dernière, la réadmission constitue un élargissement de ses compétences en matière migratoire à la « dimension externe ». Cependant, à cause précisément de cette dimension externe, la répartition des compétences entre la Direction générale en charge des relations extérieures et la DG JLS est contestée. Si la situation semble à peu près résolue, le flou autour de la responsabilité des négociations montre l’existence de conflits entre la DG JLS et la DG RELEX sur la place que doit occuper la réadmission dans la relation globale avec les pays tiers et sur la façon dont la question doit être approchée. Or, en envisageant l’ambiguïté comme un élément permettant le compromis et comme un élément à part entière du processus décisionnel, l’ambiguïté sur le clivage technique/politique apparaît ici une façon de gérer ce conflit, qui recouvre de fortes concurrences organisationnelles.
2) Des concurrences institutionnelles autour de la « dimension externe ». Le conflit entre la Direction générale en charge des affaires extérieures et celle en charge des affaires intérieures sur les compétences en matière de réadmission se superpose à des concurrences qui concernent également d’autres directions générales. Ces concurrences se traduisent aussi par des effets concrets en termes d’effectifs et de modes de financement, mais elles sont également le résultat d’approches différentes des migrations, en lien avec des
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objectifs différents. Ces concurrences permettent de comprendre les divergences organisationnelles internes à la Commission sur la négociation de la réadmission. Dès sa naissance, le champ d’action de la DG JAI croise les prérogatives d’autres directions générales, comme la DG Emploi, relations industrielles et affaires sociales (alors DG V) ou la DG Marchés intérieurs et services (alors DG XV), qui ont également la charge de questions transnationales. Une partie des effectifs de la nouvelle direction générale proviennent d’ailleurs de cette même DG XV, ce qui permet de renforcer les effectifs avec du personnel expérimenté et de gagner une « mémoire institutionnelle » remontant au-delà du traité d’Amsterdam ou même de Maastricht (Uçarer 2001, 12). Sur les aspects « dimension externe » des politiques migratoires, c’est essentiellement avec la DG RELEX et la DG DEV que des recoupements peuvent se produire. Cependant, ces directions ne se départent pas de leurs prérogatives au profit de la DG JAI, mais continuent d’en assurer certains aspects, ce qui donne lieu à des concurrences et à des conflits sur les approches à adopter. Avant la création officielle de la DG JAI, le domaine de la justice et des affaires intérieures était couvert au sein du Secrétariat de la Commission par une structure spécialisée, une Task force. Cependant, celle-ci n’était constituée à sa création, en 1995 (Lewis et Spence 2010, 106), que de cinq personnes sous la direction d’un Conseiller hors classe1 et la justice comme les affaires intérieures étaient considérées comme des domaines non prioritaires. Cette Task force a été placée directement sous la responsabilité de la Commissaire Anita Gradin et de son cabinet et elle s’occupait de trois domaines : les drogues, la coopération judiciaire et enfin l’immigration, l’asile et les frontières extérieures. Le personnel était composé de fonctionnaires nouvellement recrutées ou d’experts nationaux détachés pour trois ans. La Task force devait constamment faire face au manque d’effectifs et de moyens, y compris lorsque ses effectifs atteignaient 70 personnes (Geddes 2000 ; Uçarer 2001 ; Lewis et Spence 2010). Au moment du Traité d’Amsterdam, la communautarisation des questions d’asile et d’immigration, qui donne à la Commission de nouvelles compétences dans ce domaine, conduit à la décision de créer une Direction générale spécifique2. Cette transformation de la Task force en Direction générale s’accompagne d’un emménagement dans de nouveaux locaux, et constitue la justification de la demande adressée par le Commissaire Antonio Vitorino au Conseil pour une augmentation des effectifs à 250 personnes. Celle-ci se fait 1
Titre bureaucratique accordé à quelqu’un qui ne peut officiellement être nommé directeur général.
2
Cette décision est précipitée par les événements menant à la démission de la Commission Santer.
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progressivement. Un an après sa création, 180 personnes travaillent pour cette DG JAI, ce qui correspond environ au triple des effectifs de la Task force avant la transition, puis, deux ans après sa création, cette nouvelle Direction générale compte 220 personnes. À la fin des années 2000, avant la division de la DG en deux, le personnel se compose de 481 personnes (Lewis et Spence 2010). Après la division de la DG JLS en 2010, la nouvelle DG HOME emploie environ 300 personnes1. Bien qu’il s’agisse toujours de la plus petite direction générale, l’augmentation rapide des effectifs de la DG JAI/JLS/HOME est corrélée à l’élargissement de ses compétences. Or, si certaines étaient de nouvelles compétences pour la Commission (celles liées à la drogue, par exemple), dans le cas de la « dimension externe » des politiques migratoires, les compétences de cette Direction générale pouvaient recouper des prérogatives pré-existantes d’autres Directions générales. Nous avons vu que la répartition des compétences concernant la réadmission restait floue entre la DG JLS et la DG RELEX, bien que le dossier soit gérée en majorité par la DG JLS. Cette concurrence sur les questions extérieures est également visible dans les difficultés de la DG JLS à disposer d’un budget pour ses actions dans ce domaine. Ainsi, au départ, tout comme le Groupe de haut-niveau sur l’asile et les migrations (HLWG) au Conseil, la DG JLS ne disposait pas de fonds propres, et devait s’appuyer, pour la mise en œuvre de ses plans d’actions avec les différents pays tiers, sur des fonds de la DG Développement et de la DG Relations extérieures. Lorsque le HLWG obtient un petit financement au 2001, la Commission plaide aussi pour une augmentation du budget de la DG JLS (Boswell 2003). La question du financement de la dimension externe est toujours l’objet de concurrences au sein de la Commission. Les fonctionnaires de la DG JLS regrettent en effet de ne pas avoir à leur disposition un instrument financier autonome et conséquent. Un fonctionnaire nous explique ainsi : Nous n’avons pas d’instruments financiers pour le développement, mais nous avons des instruments financiers pour l’assistance. Tout cela n’est pas conçu dans le cadre actuel [des négociations]. Nous espérons que le Parlement comprenne qu’on a besoin des moyens de nos politiques.2 La DG JLS ne peut donc pas, lors des négociations sur la réadmission, parler de questions de développement, puisqu’elle ne contrôle pas l’instrument financier qui est lié à ce domaine. Lors de cet entretien, ce fonctionnaire met donc en avant les financements pour 1
European Commission, « DG HOME at a glance : Mission & History », European Commission Home Affairs, 2010, http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/index_en.htm [page consultée le 10 décembre 2010].
2
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« l’assistance », c’est-à-dire l’assistance financière et technique liée à des thèmes particuliers, dans le cas qui nous occupe, à la réadmission. La remarque sur le Parlement – qui doit donner son accord au budget de la Commission – présente une argumentation qui met en avant, encore une fois, la dimension « technique » (les financements, « les moyens ») des politiques, et surtout, qui présente la DG JLS comme manquant de moyens pour remplir des objectifs ambitieux. On voit donc que la question des finances est loin d’être anodine, pour la DG JLS comme pour n’importe quelle autre organisation. Un peu plus tard, à la suite de la demande de précisions sur les instruments financiers de la réadmission, ce fonctionnaire cite le programme AENEAS ou encore son successeur, l’instrument de coopération et développement (DCI) « Migrations et asile »1, avant de préciser : « C’est nous, en position de leadership, qui nous occupons de définir les priorités dans le cadre de ces instruments »2. Cette déclaration ne contredit pas les demandes d’augmentation de moyens : alors que la DG JLS dispose d’un budget qui peut largement être influencé par ses objectifs – les « instruments thématiques » – ses représentants continuent de demander une augmentation des budgets mis à leur disposition. Les concurrences organisationnelles transparaissent de nouveau avec la question du leadership qui apparaît encore une fois. Étant donné l’ambiguïté de la répartition des prérogatives, cette position de chef de file est rejetée au profit des « compétences techniques » dans certains contextes, dans d’autres elle est au contraire mise en avant afin de pouvoir prétendre à l’orientation des choix budgétaires. On a donc un plaidoyer constant pour une augmentation des financements des activités de la DG JLS liées à la dimension externe, sur lequel nous reviendrons plus en détail dans le chapitre 3, afin d’examiner la répartition des financements et de questionner le lien établi par les acteurs entre financements et négociations. Notons ici que ce plaidoyer est concomitant de concurrences organisationnelles au sein de la Commission entre différentes directions générales. En effet, dans le domaine du « contrôle des migrations » en général et de la réadmission en particulier, la Direction générale en charge de l’aide au développement (DG DEV) a également joué un rôle important, mais qui a été négocié dès le départ. En effet, l’« externalisation » progressive des politiques migratoires européennes a d’abord été poussée par les États membres dès le début des années 1990, en particulier pour les aspects les plus 1
Le programme AENEAS est un instrument thématique spécifiquement dédié aux migrations mis en place en 2004-2006. Le Programme thématique « Migrations et asile » lui a succédé. Le budget en a d’abord été établi pour la période 2007-2010 dans le cadre des perspectives financières 2007-2013. Nous verrons dans le chapitre suivant comment les fonds de ces programmes viennent appuyer les question de réadmission.
2
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restrictifs. L’intégration de cette « dimension externe » par la Commission a été soutenue en particulier par la Task Force justice et affaires intérieures, mais aussi, après le Conseil européen de Tampere en 1999, par les États membres dans leur ensemble, qui ont réaffirmé la nécessité pour la Commission d’intégrer les migrations et l’asile dans la politique extérieure à plusieurs Conseils européens1. Tandis que pour la DG JLS, le contrôle des migrations constituait une dimension fondatrice, l’intégration de cette dimension par d’autres directions générales signifiait une reconsidération des priorités politiques, notamment pour la DG RELEX et la DG DEV. La DG RELEX, en charge des relations avec les pays tiers (à l’exception des pays de la zone ACP, qui relèvent de la DG DEV), s’occupe de la politique étrangère de sécurité commune (PESC), de la politique européenne de voisinage (PEV), des questions de démocratisation, de droits de l’homme, d’environnement, de politique énergétique et de prévention des conflits. L’intégration des aspects externes des politiques migratoires impliquait donc la réorientation des priorités en particulier avec les pays dits d’origine ou de transit en Europe de l’Est, dans les Balkans et en Afrique du Nord. Or, les fonctionnaires de la DG RELEX se représentent les relations avec ces pays comme la construction à long-terme d’une confiance et d’une coopération mutuelle, répondant aux préoccupations de tous les partenaires. Ces représentations étaient encore plus marquées à la DG DEV, dont l’action se construit sur un discours altruiste autour de la réduction de la pauvreté et de la promotion des droits de l’Homme, de l’égalité et de la démocratie. L’idée selon laquelle l’assistance financière devait être réorientée pour servir les objectifs des politiques migratoires européennes pouvait potentiellement se heurter à la philosophie de l’organisation. Comme le montre Christina Boswell (2008), si la DG JAI a réagi aux injonctions des États membres par une adaptation complète (full adaptation), la DG RELEX a préféré opter pour un découplage institutionnel (institutional decoupling) et la DG DEV, après des réticences initiales, pour une réinterprétation de ces exigences. En effet, la DG JAI a 1
Par exemple dans les conclusions des CONSEILS EUROPÉENS de Feira (2000), Laeken (2001), Séville (2002), Thessalonique (2003), dans le programme de La Haye (2004) ou encore à une réunion spéciale des chefs d’État organisée par le Présidence britannique à Hampton Court en octobre 2005. EUROPEAN COUNCIL (2000). Presidency Conclusions. Santa Maria da Feira European Council, n°200/1/00, 19 June ; EUROPEAN COUNCIL (2001). Presidency Conclusions. European Council Meeting in Laeken, n°00300/1/01, 14 December ; EUROPEAN COUNCIL (2002). Seville European Council. Presidency Conclusions, n°13463/02, 19-20 October (printed 1/10/2003) ; EUROPEAN COUNCIL (2003). Thessaloniki European Council. Presidency Conclusions, n°11638/03, 19 and 20 June (printed 1/10/2003) ; COMMISSION EUROPÉENNE (2005a). Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen : priorités d’action en vue de relever les défis liés aux migrations. Première étape du processus de suivi de Hampton Court. COM(2005) 621 final, Bruxelles, 30 novembre.
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rapidement embrassé l’agenda de la « dimension externe » des politiques migratoires, en adaptant sa rhétorique mais aussi sa structure formelle, avec une nouvelle unité en charge des relations extérieures, et l’organisation de consultations inter-services avec d’autres directions générales. Les fonctionnaires en charge de cette question ont également cherché à développer les relations avec la DG DEV et la DG RELEX afin de les encourager à intégrer les questions migratoires dans leurs actions. En tant que DG jeune, son champ d’action était encore en construction, et ses membres étaient conscients de la nécessité de répondre aux signaux envoyés par l’environnement institutionnel. De plus, l’idée de coopérer avec les pays tiers sur des approches de long-terme pouvait correspondre à l’approche plutôt progressiste de la direction générale, par rapport aux approches traditionnelles de contrôle des migrations à court-terme. Cependant, le DG RELEX et la DG DEV étaient plus réticentes. La DG RELEX a choisi de se conformer formellement aux exigences des États membres, notamment en créant dès 2001 un poste de coordinateur des questions migratoires, décliné dans les années suivantes dans les différentes unités régionales. Cependant, l’interprétation de Tampere choisie à la DG RELEX met en avant le développement de nouvelles formes de coopération sur le sujet ; ceci permet de laisser à la DG JAI le soin d’aborder les aspects des politiques répressives, et évite que cette DG n’impose son agenda. La DG RELEX a donc choisi le « découplage institutionnel », afin de préserver son autonomie. Enfin, la DG DEV, après un rejet initial des exigences du Conseil, a choisi, notamment à la suite des événements de Ceuta et Melilla en 2005 et de leurs conséquences dans l’approche de l’Union européenne, de réinterpréter ces exigences. Les politiques migratoires sont donc devenues des politiques de « mobilité ». De plus, les financements dédiés aux politiques migratoires ne peuvent être attribués qu’à des projets qui remplissent des objectifs de développement selon la définition relativement stricte des objectifs du millénaire. Ainsi, la DG DEV peut être considérée comme un élément important de l’adoption par l’Union européenne de « l’approche globale » en 2005, qui considère que les différents aspects des politiques migratoires doivent être menés de front. Cependant, bien que l’on retrouve effectivement cette rhétorique mettant en avant la dimension positive des migrations, la dimension sécuritaire est également prise en compte, puisque, comme nous le déclarait un fonctionnaire de la DG Développement et coopération en 2012 : On essaye de pousser sur la dimension positive, on peut tirer des avantages des migrations, et les maximiser ; et de minimiser les aspects négatifs. (…) Au Maroc,
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c’est un cas un peu spécifique : l’idée c’est de faciliter la signature d’un accord de réadmission, de rajouter de l’huile. (…) On ne s’occupe pas directement des négociations des partenariats, (…) mais parfois on met un appui financier pour le partenariat.1 Si l’on retrouve ici le « découplage institutionnel » décrit par Christina Boswell, on voit bien que la distinction entre les différents aspects des politiques migratoires externes est parfois brouillée, notamment dans l’attribution des moyens. L’utilisation de l’expression « rajouter de l’huile », en installant la métaphore de l’engrenage ou des rouages, montre que la possibilité d’envisager les financements de projets de développement comme une incitation dans les négociations n’est pas étrangère à la DG DEV. On retrouve bien cependant la volonté de se détacher de la négociation de la dimension sécuritaire (« on ne s’occupe pas directement »). De plus, la DG DEV est présentée comme surplombant ces négociations, puisqu’elle peut décider, « parfois », mais selon des considérations qui ne sont pas explicitées, de fournir un financement pour aider la DG HOME. En dépit de ce discours distinguant aspects positifs et aspects négatifs des migrations, la dimension sécuritaire des négociations avec les pays tiers est donc bien prise en compte par la DG DEV. La prise en compte de cette préoccupation sécuritaire est perceptible dans la généralisation d’un discours qui normalise la lutte contre les migrations irrégulières. Y compris à la DG DEV, en dépit d’une insistance sur les migrations régulières et le lien entre migrations et développement, on affirme, comme préalable à toute déclaration positive, et comme une concession, qu’il faut « continuer à ne pas accepter les migrations irrégulières, c’est normal »2. De l’autre côté, le vocabulaire de l’ « approche globale », fortement influencée par les considérations liées au développement, est également un passage obligé pour les fonctionnaires de la DG HOME. Il semblerait donc qu’un compromis se soit constitué autour de l’idée « d’équilibre » des approches, nécessairement classifiées en tant que « sécuritaires », « négatives » ou « de développement », « positives ». Pour conclure, la Direction générale en charge des affaires intérieures, relativement nouvelle dans le traitement de questions extérieures, par rapport à d’autres directions générales plus anciennes comme la DG Relations extérieures ou la DG Développement, a tenté de s’imposer comme organisation dans le traitement de cette question, créant des 1
Entretien n°49, DG Développement et coopération, Commission européenne, Bruxelles, 1er février 2012.
2
Ibid.
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tensions avec les Directions générales plus anciennes. Les concurrences institutionnelles, notamment en termes de répartition des compétences et des moyens, se combinent à des objectifs divers et à des représentations différentes des relations extérieures. Bon nombre de ces conflits, il convient de souligner, dans le cadre de notre argumentation, portent sur la façon d’interagir avec les pays tiers. Ils résultent non seulement d’objectifs organisationnels différents et de priorités distinctes, mais aussi de modes de justification différents, qui reflètent la façon dont les relations avec les pays tiers sont perçues. Or, la généralisation du « vocabulaire institutionnel »1 (Greenwood et Suddaby 2005, 43) de l’approche globale, plus proche de la logique de la DG DEV, indique, plutôt qu’un alignement sur les objectifs de cette direction générale, une volonté de montrer la prise en compte des intérêts des pays tiers.
D - Tensions internes et empowerment des pays tiers. On peut généralement considérer les difficultés de coordination de l’Union européenne comme une limite à sa puissance, comme pour la politique commerciale externe de l’UE (Meunier et Nicolaïdis 2006). Cette limite peut constituer, du point de vue des négociateurs des pays tiers, une opportunité. Dans le cas qui nous intéresse ici, un empowerment des pays tiers par la mise en avant du dossier du contrôle des migrations a été noté (Cassarino 2010a). Il s’agit de montrer ici que cet empowerment n’est pas que le résultat d’une focalisation de l’UE ou des États membres sur le sujet, mais qu’il est aussi influencé par les difficultés de coordination entre les États membres et la Commission d’une part, entre les différentes organisations à l’intérieur de la Commission d’autre part. Dans un premier temps, nous verrons comment le fait qu’une organisation particulière, la DG JLS, tienne particulièrement à signer des accords de réadmission, puisqu’il en va de la légitimité de ses prérogatives internationales, donne encore plus de poids à cet empowerment. Alors que les acteurs administratifs d’un pays comme le Maroc, s’ils sont nombreux, arrivent facilement à adopter une position commune sur la réadmission, les acteurs européens sont moins unifiés. D’abord, dans le cadre de la négociation d’accords communautaires, on constate des divergences entre différentes administrations. Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons à la combinaison de ces luttes intra-Commission avec les divergences entre
1
C’est-à-dire des structures de mots, des expressions et des significations utilisées pour articuler une logique particulière ou des modes d’interprétation de la réalité.
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les États membres et la Commission. Si ce sont les États membres, à travers le Conseil, qui donnent à la Commission le mandat de négociations, la DG JLS se montre parfois plus désireuse de conclure des accords de réadmission que les États membres eux-mêmes – ou certains États membres en particulier. Pour les pays tiers qui négocient avec l’Union européenne, cela constitue autant d’opportunités de faire avancer leurs idées et leurs exigences, puisque la DG JLS va se montrer plus favorable à certaines de leurs demandes, dans l’objectif de parvenir à obtenir leur signature. Elle va donc tenter de convaincre les États membres d’accepter les exigences des pays tiers, se faisant en quelque sorte l’avocate des pays tiers auprès du Conseil. Les fonctionnaires de la DG JLS embrassent ce rôle d’autant plus volontiers que ces exigences peuvent mener à l’élargissement de leurs prérogatives.
1) L’impact des concurrences organisationnelles au sein de la Commission. Lewis et Spence notent les dissensions internes à la Commission qui ont pu servir les intérêts des pays tiers (Lewis et Spence 2010, 102‑103) : Comme le disait Fortescue en 2002, « les autres services ont pris conscience que la Commission avait désormais une direction générale à part entière gérant un nouveau domaine, et dont le travail empièterait sans doute sur le leur ». Certaines DG puissantes, comme celle des Relations extérieures et celle du Développement n’ont pas seulement été obligées de s’accommoder à ce nouveau domaine de politiques, mais ont aussi essayé d’y affirmer une certaine juridiction, ce qui n’est pas passé inaperçu aux yeux des partenaires internationaux de la Commission. Dans certains cas, des pays tiers ont exploité les différences d’opinion perçues au sein des services de la Commission. Clairement, faire preuve d’un manque de cohérence nuit à la position de négociation de la Commission et mine sa crédibilité. Au-delà des concurrences que nous venons de décrire, il est intéressant de lire cette analyse venant de praticiens de la Commission1. Le positionnement normatif oriente l’analyse vers les possibilités d’amélioration des politiques extérieures de la DG JLS. Or, le constat de ces concurrences institutionnelles est suivi de la menace d’un renforcement des pays tiers à cause des divisions internes à la Commission. Si « certains cas » sont évoqués, aucune précision n’est donnée quant aux mécanismes qui permettraient à un État tiers « d’exploiter les différences d’opinion perçues entre les différents services de la Commission ». Nous avons vu que les concurrences institutionnelles étaient liées à la répartition des compétences et des 1
Comme mentionné plus haut, Richard Lewis était un haut fonctionnaire de la Commission européenne entre 1974 et 2003 et David Spence est ministre conseiller pour le service d’action extérieure de l’Union européenne depuis 2011.
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budgets, ainsi qu’à une approche différente des questions migratoires. Ces différences se traduisent dans les discours des acteurs sur les actions des autres services, mais aussi dans une volonté de mettre en avant des aspects différents des relations avec le Maroc. Les acteurs marocains ont donc pu trouver des alliés au sein de la Commission pour faire avancer leur vision par rapport à une approche focalisée sur le contrôle des frontières et la réadmission. Bien que « l’approche globale » se soit imposée dans les discours des acteurs de l’Union européenne sur les politiques migratoires, les conflits entre les différentes directions générales persistent et suivent toujours les mêmes lignes de fracture. À la DG RELEX, notamment, les critiques à l’encontre de la DG JLS et de son obsession de la réadmission dans les relations extérieures sont, ouvertement ou à demi-mot, fréquentes, et montrent une volonté de se démarquer des objectifs sécuritaires. Ainsi, un haut fonctionnaire affirme en 2010 : Je ne peux pas aller dans un pays du voisinage sans qu’on me dise « On a besoin de visibilité : on veut des facilitations de mobilité ». Nous, on pousse pour ça, sans ignorer les contraintes de sécurité (avec l’assistance technique et financière pour la gestion intégrée des frontières). Mais la DG JLS, ce sont des compétences jeunes. [Il mentionne un poste similaire qu’il a occupé dix ans plus tôt dans un pays d’Amérique du Sud], je n’aurais jamais osé parler de problèmes consulaires ; au Maroc, j’en parlais tous les deux jours. J’ai constaté une évolution. À la DG JLS, ils ont une vision plus sécuritaire.1 Cet extrait soulève plusieurs points qui montrent l’adaptation du discours de la DG RELEX aux exigences du Conseil de tenir compte des questions migratoires. En effet, avant de mentionner la vision « sécuritaire » de la DG JLS, ce haut fonctionnaire se met d’abord en scène dans une position d’écoute des partenaires des pays tiers. Dans cette position, c’est le terme de « mobilité » qui est employé, plutôt que celui de « migrations »2, ce qui montre une adaptation du vocabulaire à ces pays partenaires. La dimension de contrôle est amenée comme une concession réaliste à des exigences extérieures légitimes (« sans ignorer les contraintes de sécurité »), avant une remise en cause de la DG JLS qui passe par la mention de son manque d’expérience (« des compétences jeunes »), un argument que l’on retrouve dans la plupart des remises en cause de la légitimité de cette direction. La réadmission, mais aussi les facilitations de visas pour les ressortissants des pays tiers, sont dépréciés à travers l’expression de « problèmes consulaires », qui semble faire référence à de petites questions
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Entretien n°30, DG Relations extérieures, Commission européenne – Ancien de la Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Bruxelles, 24 juin 2010.
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Nous reviendrons sur ce changement dans le vocabulaire institutionnel européen dans les chapitres 5 et 8 de cette thèse.
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techniques de mise en œuvre, plutôt qu’à des orientations générales de politique de coopération qui devraient être l’objet d’un poste de son niveau. Enfin, cette évolution vers l’intégration de préoccupations « consulaires » dans les relations extérieures est imputée à la DG JLS et à sa vision plus « sécuritaire ». Celle-ci est donc indirectement opposée, dans de tels discours, à l’écoute des demandes des pays tiers, et donc à la coopération selon le modèle des diplomates. Un autre fonctionnaire de la DG RELEX, en charge des questions migratoires, répond longuement à la question des divers projets en cours avec le Maroc sur les questions migratoires : au lieu de citer des projets, il compare l’approche de la DG JLS et de la DG RELEX, opposant d’un côté une approche sécuritaire et restrictive, de l’autre une approche équilibrée : Notre responsabilité ici est de nous assurer qu’il y a une cohérence au sein de la DG RELEX sur l’approche des questions migratoires, et que nos priorités de politique étrangère ne contredisent pas des priorités internes. Nous ne nous soucions pas de la réadmission mais de nos relations avec le Maroc. La réadmission n’en est qu’une partie. Ce ne sont pas les gens de la DG RELEX qui fixent les lignes rouges, les conditions de réadmission. Mais nous voulons être certains que la réadmission n’occulte pas d’autres priorités. Nous devons nous assurer que les politiques migratoires n’entrent pas en contradiction avec d’autres priorités externes, qu’elles sont toutes bien équilibrées et incluent la promotion de canaux légaux de migration et une bonne synergie entre développement et migration.1 La DG RELEX est ici présentée comme l’organisation qui assure la cohérence des politiques, notamment entre différents domaines, mais aussi entre les différentes politiques migratoires : les aspects de coopération sur les migrations régulières et le développement sont mises en avant. Dans cet extrait, ce fonctionnaire se réfère très clairement à une division organisationnelle à l’intérieur de la Commission. En insistant sur le groupe de la DG RELEX, dans lequel il se s’inclut, par l’usage du pronom « nous », il s’oppose implicitement à la DG JLS. Les termes utilisés pour décrire les objectifs des politiques migratoires pour la DG RELEX s’inscrivent dans le vocabulaire de « l’approche globale », avec une insistance sur les migrations légales et la « synergie » entre développement et migration. L’usage de ce vocabulaire s’oppose habituellement au vocabulaire centré sur le contrôle et les objectifs « sécuritaires ». Cet entretien met en avant une représentation dans laquelle les objectifs de chaque DG sont fondamentalement distincts : pour la DG RELEX la priorité est le maintien de bonnes relations avec les pays tiers – bien que l’on puisse s’interroger sur ce qui définit de 1
Entretien n°32, DG Relations extérieures, Commission européenne, Bruxelles, 24 juin 2010. Notre traduction de l’anglais.
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« bonnes relations » – tandis que pour la DG JLS, la priorité est d’obtenir une coopération sur la lutte contre les migrations irrégulières, en particulier à travers la signature d’accords de réadmission. Son succès dans le domaine de la réadmission est en quelque sorte le garant de sa légitimité dans la « dimension externe », et doit lui permettre d’asseoir ses prérogatives internationales. En un sens, la DG JLS doit, à travers le succès des négociations sur la réadmission, faire la preuve de sa dimension internationale et de la légitimité de l’inclusion dans ses compétences de la « dimension externe ». L’asymétrie fondamentale des accords de réadmission est là encore soulignée, mais se retourne, en un sens : on voit bien que l’une des deux parties attache beaucoup plus d’importance à la signature de cet accord que l’autre. Dans le cas qui nous occupe, la Commission européenne, et plus précisément la DG JLS ou HOME, y attache beaucoup plus d’importance que le Maroc ou les autres pays tiers. C’est l’une des variables à prendre en compte pour explique l’empowerment des pays tiers à travers les questions migratoires. Les exigences des acteurs des pays d’origine recoupent dès lors des concurrences internes à la Commission. Ceci transparaît également dans une anecdote que nous raconte l’ancien Commissaire européen des affaires intérieures : Je vous raconte même une blague : (…) mon collègue [du développement] qui était danois, et qui avait une vision très spéciale de ces choses-là, du développement, il (…) refusait de laisser entrer ces sujets [migratoires] dans les négociations sur le développement. Et c’est à la demande des Africains, par exemple, que la question a été inscrite. Il est revenu une fois du Lagos, du Nigéria, et il m’a dit : « Tu as fait une conspiration contre moi parce que tu as rassemblé cinq gouvernements africains, tous m’ont dit qu’ils voulaient avoir l’immigration dans l’agenda. » J’ai dit « Non, écoute, j’ai rien fait, j’ai parlé avec personne, c’est une évidence, c’est une évidence que les flux migratoires deviennent une question globale, et donc c’est fort compréhensible que les pays d’origine veuillent aussi avoir le sujet sur la table et avoir un mot à dire là-dessus ». Et donc ça a pris presque trois ans à persuader l’establishment du développement d’accepter que les migrations devraient aussi être un sujet qui figure sur la table des négociations.1 Le récit de l’opposition entre DG JLS et DG DEV passe ici par l’anecdote. Cette opposition est renforcée par une opposition suivant les origines nationales sont présentées comme une explication de conceptions différentes, ici de l’aide au développement : pour le Commissaire aux affaires intérieures, espagnol, il faudrait mêler négociations sur la dimension répressive et aide au développement ; pour le Commissaire au développement, danois, il faudrait que les deux dimensions soient séparées. Ceci décrit également une préoccupation plus grande des 1
Entretien n°66, ancien du cabinet du Commissaire Justice et aux Affaires intérieures, Paris, 28 juin 2012.
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Espagnols pour le contrôle des migrations. Cependant, cet extrait est intéressant parce qu’il présente les demandes des pays tiers comme importantes dans la définition de la politique de développement. Bien que l’idée d’une « conspiration » soit rejetée, l’intervention des pays tiers apparaît aussi comme instrumentale dans les luttes internes à la Commission, qui portent sur des conceptions de l’aide au développement, mais surtout sur la répartition des compétences et des pouvoirs, à travers la mise à l’agenda des différents enjeux. Certes, les demandes des gouvernements des pays africains rencontrés par le Commissaire au développement sont avant tout une réaction à la mise en avant d’exigences répressives, notamment avec l’inclusion d’une clause de réadmission dans l’accord de Cotonou signé en 2000 ; mais ce récit montre aussi comment les rivalités internes à la Commission peuvent potentiellement être utilisées par les pays d’origine, et, comme le soulignent Lewis et Spence (2010), les pays tiers peuvent dans certains cas tirer profit de ces dissensions. Cependant, cet empowerment ne passe cependant pas nécessairement par une stratégie des États tiers basée sur ces dissensions organisationnelles. Ainsi, lors des entretiens avec les acteurs marocains, la distinction entre les différentes Directions générales de la Commission n’est jamais mentionnée. On trouve plutôt la distinction entre les États membres et la Commission, et, dans un cas1, une mention spécifique du Parlement européen. Dans l’ensemble, les expressions utilisées sont plutôt celles de « Commission européenne », ou même « Union européenne ». Malgré cette absence de référence à des différences organisationnelles, tous les acteurs marocains rencontrés opposent une approche « sécuritaire » ou de « contrôle des migrations » à une « approche globale ». Dès lors, la diversité des approches au sein de la Commission leur fournit des alliés stratégiques. La formulation des revendications marocaines selon une terminologie qui met en avant des valeurs liées aux politiques de développement est donc un moyen de faire appel à des soutiens potentiels au sein de la Commission, et des autres administrations, y compris nationales, dans les pays européens2. Plutôt qu’un usage des différences organisationnelles au sein de la Commission, ce sont des différences de valeurs qui sont mises en avant par les acteurs marocains à propos de ces négociations. Ceux-ci soulignent en revanche fréquemment les divergences entre les approches de différents États membres et le positionnement de la Commission européenne. Le flou 1
Entretien n°52, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 6 février 2012.
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Nous verrons dans les chapitres 5 et 6 comment les acteurs marocains font usage de ce concept pour exprimer leur position.
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juridique qui entoure les directives de négociations et qui, s’il est censé avoir été résolu par le Traité de Lisbonne, n’en continue pas moins de peser sur les questionnements des acteurs. Les fonctionnaires de la DG JLS doivent justifier leur approche tant auprès des autres directions générales qu’auprès des États membres, ce qui pose la question non plus des raisons mais des conditions de délégation des négociations sur la réadmission.
2) Les dissensions entre la Commission et les États membres : une opportunité pour les pays tiers. Dans la plupart des entretiens à la DG JLS/HOME, les fonctionnaires semblent répondre indirectement aux critiques des États membres. Tout d’abord, ils peuvent insister sur les succès de la Commission et sur la légitimité des mandats de négociation, en reprenant l’argumentation sur l’efficacité supérieure de l’Union européenne par rapport aux États membres seuls. Cependant, un deuxième type de réponse consiste à adresser des critiques aux États membres : ces critiques concernent notamment le manque de soutien des États membres dans les négociations et leur indécision. Enfin, les acteurs de la Commission concluent par une revendication récurrente : un élargissement de leurs compétences, pour inclure le domaine des migrations légales et pouvoir ainsi proposer des contreparties aux pays tiers. Si l’on considère la nature de la relation de délégation entre les États membres et la Commission, il s’agit donc d’une revendication concernant l’autorité de l’agent, c’est-à-dire sa capacité à faire des promesses crédibles de contreparties. En contradiction avec une explication fonctionnaliste de la délégation, on voit bien ici qu’en effet, l’agent à qui la réadmission a été déléguée développe ses propres préférences et adopte des rôles nouveaux, qui n’avaient pas nécessairement été prévus au moment de la délégation (Pierson 1996 ; Pollack 1997). À partir de là, les pays tiers, qui sont plutôt demandeurs de politiques de migrations légales, trouvent dans les fonctionnaires de la Commission les meilleurs avocats auprès des États membres pour la mise en place de facilitations de mobilité à l’échelle européenne. Il est intéressant de constater que l’on retrouve à la Commission européenne le discours sur l’efficacité de l’européanisation de la réadmission. Un membre de la DG Justice et affaires intérieures expliquait d’ailleurs le mandat et l’intérêt des États membres par deux éléments de
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« valeur ajoutée » de la Commission : la clause concernant les ressortissants des pays tiers, et le suivi de la mise en œuvre des accords. Selon lui : Les États ne sont pas intéressés dans 100% des cas quand les accords bilatéraux fonctionnent bien. Mais ces accords concernent les nationaux, et les États veulent une clause sur les États tiers. Ça n’est que pour ça, qu’ils sont intéressés, mais les discussions sont longues, avec le Maroc. Ou alors il existe des accords bilatéraux, mais qui ne marchent pas du tout, par exemple entre la Grèce et la Turquie, ou de façon très limitée, comme entre l’Allemagne et le Maroc. C’est la question des systèmes de monitoring. Nous on a plus de poids qu’en bilatéral, pour le monitoring, comme on fait par exemple pour les accords avec la Russie.1 Dans cet extrait, ce fonctionnaire européen tient à souligner les raisons qui poussent les États membres à avoir recours à la Commission, et reprend l’argument du poids supérieur de l’Union européenne. Du côté de la Commission, donc, comme du côté de la France, le discours des acteurs met en avant l’intérêt du mandat européen pour résoudre les deux écueils rencontrés par la coopération bilatérale et identifiés plus haut : la réadmission des ressortissants des pays tiers et la mise en œuvre des accords signés. Cependant, étant donné la lenteur des négociations avec le Maroc, cet argument ne semble pas suffire au fonctionnaire européen qui nous parle. Il y ajoute une capacité accrue de mise en œuvre, qui viendrait aussi selon lui du poids de l’Union européenne. L’usage du terme « monitoring », typique du jargon communautaire, pour parler du suivi de la mise en œuvre, montre encore une volonté de souligner les compétences et l’apport spécifique de l’Union européenne y compris du côté de la mise en œuvre, alors même que, comme on l’a vu, la mise en œuvre ne fait pas partie des responsabilités de la Commission. En effet, il n’y pas de budget spécifique lié à la mise en œuvre, mais plutôt pour des mesures d’accompagnement ou des programmes connexes. De plus, dans le cas mentionné ici, celui de la Russie, la Commission a délégué la mise en œuvre de l’accord de réadmission à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), ce qui a donné une grande influence à cette organisation sur le contenu de la politique menée (Korneev 2011). Le « monitoring » mentionné est donc plutôt un rôle de supervision dans le cadre d’une délégation multi-niveaux. De même, un autre fonctionnaire de la direction JLS tente en 2010 de défendre l’efficacité des accords communautaires une fois conclus, c’est-àdire de leur mise en œuvre : Pour connaître la mise en œuvre, il faut attendre le rapport de la Commission [prévu pour fin 2010, publié en février 2011]. Les accords dont importants parce qu’ils simplifient la tâche des pays tiers. Je ne sais pas s’ils sont bien mis en œuvre 1
Entretien n°27, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 22 juin 2010.
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ou pas, mais je pense que paradoxalement, l’effet le plus important, c’est que le seul fait de signer a un effet protectif sur le terrain : les migrants ne choisissent pas leur chemin comme ça, donc ils choisissent les pays dans lesquels ils ne seront pas renvoyés. (…) C’est d’abord une protection pour les pays tiers qui les signent ! Je ne serais pas surpris que les chiffres de réadmis soient minimes.1 Ne pouvant s’avancer sur la mise en œuvre effective des accords, ce fonctionnaire choisit en quelque sorte de botter en touche, puisque selon lui l’effet le plus important est justement de rendre la mise en œuvre inutile, en tous cas pour la réadmission des migrants « de transit », puisque la signature d’un accord communautaire aurait un effet dissuasif. Cette affirmation s’intègre dans un contexte où la « gestion des migrations » par les organisations internationales s’intéresse de plus en plus à l’organisation de campagnes d’information pour les migrants potentiels, sans tenir compte du fait que les mécanismes générant les migrations sont peu susceptibles d’être influencés par la diffusion d’information négative sur la migration (Nieuwenhuys et Pécoud 2007). Elle repose sur l’idée, contestable, que la circulation de l’information serait parfaite. Cette confiance dans la circulation de l’information vers les migrants se fonde sur une représentation des migrants « comme des acteurs rationnels qui prendraient des décisions individuelles sur la base d’un examen des différentes options disponibles », alors que les théories de la migration insistent au contraire sur l’enchâssement des décisions individuelles dans des stratégies collectives familiales ou communautaires (Pécoud 2010). Ce discours semble être ici en partie destiné aux pays tiers, puisque l’accord de réadmission est présenté comme à leur avantage. Il tente de retourner l’asymétrie fondamentale de ces accords en les présentant comme un bénéfice pour les pays tiers. Mais il est aussi destiné à montrer que les accords communautaires sont efficaces. Il ne s’agit pas ici de savoir si cela est ou non le cas, mais de constater que les acteurs de la DG JLS tentent de défendre le travail de la Commission sur le terrain de l’efficacité et des effets, y compris au niveau de la mise en œuvre. Une autre façon de se légitimer consiste, pour les acteurs de la Commission, à critiquer les États membres et leurs positions. Ainsi, l’évaluation des accords de réadmission publiée en 2011 par la Commission pointe du doigt les États membres à plusieurs reprises. Tout d’abord pour des aspects concernant la mise en œuvre : Une majorité d’États membres appliquent les accords de réadmission de l’UE pour la totalité de leurs retours, tandis que d’autres continuent de recourir aux accords bilatéraux qu’ils avaient conclus avant l’entrée en vigueur de l’accord de 1
Entretien n°22, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 15 juin 2010.
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réadmission de l’UE. (…) L’application divergente des accords de réadmission de l’UE porte grandement atteinte à la crédibilité de la politique de l’UE en matière de réadmission à l’égard des pays tiers, qui sont censés appliquer les accords de réadmission de l'UE correctement.1 Ce passage remet en cause l’idée selon laquelle les accords bilatéraux constituent des protocoles d’application aux accords communautaires, mais plus généralement, il accuse les États membres de porter atteinte à l’Union européenne, et de ne pas respecter leur partie du contrat. Le rapport continue d’ailleurs en menaçant les États membres dans la recommandation qui suit, la deuxième du rapport : Les États membres doivent appliquer les accords de réadmission de l’UE pour l’ensemble des retours auxquels ils procèdent. La Commission veillera rigoureusement à la bonne mise en œuvre des accords de réadmission de l’UE par les États membres et, le cas échéant, envisagera une action en justice lorsque cette mise en œuvre est incorrecte ou inexistante.2 Ici, les États membres sont non seulement pointés du doigt, mais ils sont aussi menacés d’une action en justice devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). On a donc effectivement un cas d’agent qui développe ses propres préférences par rapport à ses principaux, et qui adopte des rôles nouveaux, qui n’avaient pas nécessairement été prévus au moment de la délégation : dans ce cas, ces préférences en viennent même à s’opposer fermement à certains États membres en les menaçant de poursuites. Une autre critique apparaît également dans cette évaluation : le manque de souplesse des États membres, notamment sur la question des délais de réponse exigés3. Cependant, cette question, ainsi que celle de l’utilisation ou non de l’accord par les États membres, n’apparaissent pas lors des entretiens à la Commission. La principale critique qui revient à l’égard des États membres est aussi présente dans ce rapport de la Commission : elle consiste en réalité à mettre en avant des revendications de la Commission. En effet, la plupart des acteurs de la DG JLS se plaignaient, en 2010, de ne pas avoir les moyens de négocier les accords de réadmission. L’évaluation de la Commission évoque « l’absence de mesures d’incitations », qu’elles soient du domaine des migrations légales ou financières, et formule la recommandation suivante : 1
COMMISSION EUROPÉENNE (2011). Op. cit.
2
Ibid., p.5.
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Ibid., p.9-10.
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L’UE devrait intégrer les quatre principales mesures d’incitation dont elle dispose (les divers outils d’action liés aux visas, l’assistance financière, la boîte à outils de l’approche globale de la question des migrations et la migration légale) dans une offre cohérente qui devrait être présentée au pays partenaire à l’entame des négociations. Il convient de ne plus proposer de directives de négociation autonomes en matière de réadmission. (…) À l’avenir, les directives de négociation d’accords de réadmission devraient mentionner les mesures d’incitation que l’Union entend offrir, notamment lorsque ces directives comportent une clause relative aux ressortissants de pays tiers (…).1 En d’autres termes, la Commission demande ici aux États membres de lui donner la possibilité d’offrir des contreparties aux pays tiers, notamment en termes de migrations légales, mais aussi financièrement. Ceci correspond donc à une demande d’augmentation du budget alloué à la négociation des accords de réadmission, mais aussi à une extension des prérogatives de la Commission dans le domaine de la migration légale. Ces critiques et ces revendications correspondent à ce qui transparaît dans les entretiens comme une dénonciation du « double jeu » des États membres. Ainsi, un fonctionnaire de la DG JLS répond de cette façon à la question de savoir si certains États sont plus impliqués que d’autres dans les négociations des accords de réadmission : C’est les Français et les Espagnols, essentiellement. Mais ils jouent aussi un double jeu. Au début des années 2000, ils étaient demandeurs parce qu’ils avaient besoin d’une soupape. Les gouvernements de droite avaient fait des promesses sur les migrations. Ce sont des choses assez difficiles à faire, donc on se tourne vers la Commission. Et en même temps, la Commission qui était au début de l’extension de son domaine de compétences, cherchait à se rendre utile. Mais le problème, c’est que les États tiers ne demandent pas des choses dans les domaines agricoles ou du commerce, mais ils veulent des facilités de mobilité, ce qui relève pour l’essentiel des États membres.2 Au-delà de l’accusation à l’encontre des États membres, confirmée plus loin dans l’entretien par une mention de certains États qui « bloquent » les accords négociés par la Commission parce qu’ils ont leurs propres accords bilatéraux, ce discours contient aussi une interprétation de l’histoire de la relation entre la Commission et les États membres, et des revendications pour une extension du domaine de compétences. Celle-ci est d’ailleurs implicitement présentée comme naturelle, puisqu’au moment de la délégation de la réadmission, la Commission n’était qu’au « début de l’extension de son domaine de compétences ». La faute de la lenteur des négociations est donc rejetée sur les États membres, qui ne veulent pas 1
Ibid., p.9.
2
Entretien n°26, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 21 juin 2010.
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déléguer largement le domaine des facilités de mobilité. La question de la facilitation des migrations régulières est progressivement devenue cruciale dans les négociations sur la réadmission1 : elle répond à l’enjeu de trouver des contreparties ou des incitations pour les négociations. Cependant, ces demandes rejoignent également un agenda institutionnel dont les premières lignes ont été tracées dès les débuts de la DG JAI/JLS/HOME. En effet, les demandes des pays tiers servent ici à la Commission à demander une extension de ses prérogatives. Mais les tensions entre la Commission et les États membres, ainsi que le besoin de légitimation de la DG JLS dans son action extérieure servent aussi les pays tiers. Du côté de la DG JLS à la Commission, les négociateurs des pays tiers trouvent des interlocuteurs à leur écoute, puisqu’ils ont un plus grand intérêt que les acteurs nationaux à conclure un accord de réadmission. De plus, les tensions sur les compétences respectives des États membres et de la Commission créent des espaces supplémentaires de négociations pour les pays tiers, puisque la Commission négocie un accord formel, mais que les États membres cherchent à améliorer la coopération bilatérale. Autant d’occasions pour les négociateurs des pays tiers – et dans le cas du Maroc, il s’agit dans les deux espaces des mêmes négociateurs, des fonctionnaires du Ministère de l’intérieur – de présenter des demandes et de formuler des revendications. Les acteurs marocains insistent notamment, lors des entretiens, sur l’importance de l’approche globale, et de ne pas traiter uniquement des questions sécuritaires. Notamment dans les interactions avec la Commission, ils exigent des contreparties à la réadmission dans le domaine des migrations régulières. Le discours d’un fonctionnaire de la délégation marocaine auprès de l’UE à Bruxelles rejoint ainsi les revendications de la Commission : Ce qui a été communautarisé, ce n’est pas la migration légale, mais seulement les migrations illégales. C’est l’essentiel des débats. Mais nous espérons que, comme pour d’autres pays, la Commission soit mandatée pour des négociations sur les facilitations de visas.2 Cet extrait montre une adoption du vocabulaire européen, avec l’idée de communautarisation et de mandat. Si cette adoption peut sembler naturelle pour des acteurs en charge des relations avec l’Union européenne, elle ne va pas nécessairement de soi étant donné les trajectoires de ces fonctionnaires, qui ont pu être affectés à des ambassades dans d’autres États ou auprès
1
Nous l’examinerons en détail dans le chapitre 5.
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Entretien n°23, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 16 juin 2010.
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d’organisations internationales. Surtout, cette adoption montre l’insertion dans un agenda communautaire qui affecte les relations entre États membres et Commission. La mise en avant de cette revendication par les acteurs marocains montre aussi que la communautarisation des accords de réadmission a constitué une opportunité pour formuler d’autres revendications. Cette opportunité est d’autant plus réelle que ce sujet a gagné en importance, avec l’émergence d’un acteur pour qui la signature de ces accords constitue un enjeu de légitimité.
E - Conclusion Nous avons montré que le choix des États membres de déléguer les négociations externes sur la réadmission à la Commission européenne, présenté par les acteurs et par une partie de la littérature comme le résultat d’un choix rationnel visant à accroître la pression sur les pays tiers, était en réalité le résultat de compromis trouvés par tâtonnements entre des intérêts très divers des États membres. Ce compromis n’a guère effacé les dissensions entre les États membres, notamment la France, et la Commission. Celles-ci se traduisent par un discours des acteurs des États membres qui font de la délégation un moyen d’éviter le blâme lorsque les négociations sont difficiles, et par un plaidoyer des acteurs de la Commission, en particulier de la Direction générale en charge des affaires intérieures, pour un élargissement de leurs compétences. De plus, cette Direction générale, relativement jeune, a également dû trouver sa place parmi les différentes directions de la Commission et défendre sa légitimité à exercer une compétence externe dans le domaine des migrations. Ces enjeux de légitimation sont extrêmement présents dans les discours des acteurs que nous avons rencontrés, qui utilisent un langage juridique et une distinction entre des rôles techniques et juridiques afin de justifier leurs actions et leurs revendications. Finalement, si la déconstruction de l’idée d’une Europe homogène et rationnelle est un premier objectif, il s’agissait surtout de montrer ici que la diversité des acteurs européens et les concurrences créées par la multiplication de ces acteurs peuvent susciter des opportunités pour les négociateurs des pays tiers comme le Maroc. En effet, alors que les acteurs européens ont des difficultés à se coordonner pour les négociations des accords de réadmission et des questions liées à la réadmission en général, un seul département est en charge de ces négociations au Maroc, et la position des acteurs marocains rencontrés, si elle peut varier sur certains aspects, est uniforme pour refuser la signature d’un accord de réadmission avec l’UE.
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Or, les explications de ce refus proposées par les acteurs européens et la littérature se concentrent sur les incitations : qu’il s’agisse d’incitations financières ou d’autres types. L’idée est que les négociateurs de la Commission ne disposent pas d’un pouvoir ou de « leviers » suffisants pour les négociations. Le prochain chapitre se penche sur cette question afin de montrer que les présupposés qui sous-tendent ces explications négligent la difficulté à mobiliser des fonds ou des actions pour un objectif précis par des négociateurs. En effet, les négociations sur la réadmission n’ont pas lieu dans le cadre d’un marchandage à deux termes (réadmission contre incitations), mais sur un processus à long terme impliquant une pluralité d’enjeux diplomatiques, dans lesquels financements ou actions peuvent revêtir une pluralité de significations.
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Chapitre 3 – Négociations et métaphore marchande: à la recherche d’incitations Nous avons vu dans le chapitre précédent en quoi la réadmission est un enjeu de luttes concurrentielles entre les acteurs des États membres et ceux de la Commission, ainsi qu’au sein de la Commission entre les acteurs de différentes directions générales. Ces luttes s’étendent aux négociations sur la réadmission à travers la question des moyens disponibles pour les négociateurs, notamment des incitations qu’ils peuvent ou non mobiliser pour convaincre les acteurs des pays tiers d’accepter un accord. Or, si les négociations sont décrites comme un marchandage, la diversité des acteurs impliqués nous amène à questionner la logique rationnelle qui sous-tend cette image. La littérature sur l’externalisation des contrôles migratoires et la politique de réadmission de l’Union européenne repose sur l’idée que, pour convaincre les pays tiers de signer ou de coopérer, l’Union européenne est forcée de « payer » en offrant soit des financements, soit des contreparties dans d’autres domaines (par exemple des facilités commerciales) (Lavenex 2002; Coleman 2009; Cassarino 2010b). Cette idée concorde avec les représentations que se font les acteurs européens, notamment à la Commission, des négociations. On trouve cette image, plus généralement, dans la littérature qui s’intéresse aux relations extérieures de l’Union européenne avec son « voisinage » ou les pays candidats. La littérature sur la « gouvernance externe » classe même ces contreparties selon leur pouvoir de conviction, partant des contreparties financières jusqu’à la perspective d’adhésion à l’UE (Schimmelfennig et Sedelmeier 2004 ; Schimmelfennig 2007 ; Lavenex et Schimmelfennig 2009). On retrouve cette idée y compris dans les recherches sur les politiques migratoires qui remettent en cause l’idée d’une externalisation unilatérale et sans résistance vers les pays tiers (Cassarino 2010a ; Paoletti 2010 ; 2011). Qu’il s’agisse d’incitations financières ou d’emboîtements tactiques (Haas 1980), c’està-dire de liens établis dans les négociations entre deux sujets distincts au départ, les analyses tiennent la plupart du temps pour acquis le fonctionnement des négociations selon le principe marchand de l’échange, comme s’il suffisait de prendre la décision d’offrir telle ou telle contrepartie pour pouvoir la mobiliser de façon effective. Or, notre enquête de terrain nous a conduit à dénaturaliser la métaphore marchande sous-jacente à la plupart des analyses des
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négociations sur la réadmission. D’une part parce que les contreparties financières se sont avérées difficiles à identifier, à la fois en raison de la polysémie des labels et de l’ambiguïté de leur statut. D’autre part parce que les négociateurs européens de l’accord de réadmission n’ont pas la maîtrise des instruments financiers ou tactiques qu’ils souhaiteraient utiliser. Ces instruments sont eux-mêmes l’objet de luttes internes. Enfin, parce que les acteurs des pays d’origine, en l’occurrence les diplomates et les négociateurs marocains peuvent aussi, dans certains cas, utiliser des emboîtements tactiques : il est donc souvent difficile d’identifier le sens d’un emboîtement entre deux enjeux. Par conséquent, l’objectif de ce chapitre est de déconstruire l’image de la négociation sur la réadmission comme marchandage ou comme simple échange marchand. Nous examinerons d’abord les contreparties financières, pour comprendre comment, si leur principe s’est imposé dans les négociations sur la réadmission, elles sont difficiles à utiliser pour les négociateurs, et, dans tous les cas, sont considérées comme insuffisantes par les acteurs marocains. La deuxième partie du chapitre sera consacrée à l’idée des emboîtements tactiques comme mode de négociation, c’est-à-dire à l’idée que certains enjeux seraient utilisés comme monnaie d’échange pour obtenir la signature d’un accord de réadmission ou la coopération sur les retours forcés. Après un examen d’un cas où cet emboîtement est rendu visible, le cas des clauses de réadmission dans les accords commerciaux, nous montrerons que l’usage des emboîtements tactiques n’est pas si évident qu’il pourrait sembler. De plus, si les négociateurs européens peuvent mobiliser des emboîtements tactiques, ceux-ci peuvent également constituer des instruments de négociation pour les diplomates marocains.
A - Réadmission et contreparties financières: les fausses évidences de la métaphore marchande La divergence des intérêts des parties en présence dans ces négociations pousse à poser la question des contreparties à la signature d’un accord de réadmission. L’idée selon laquelle le Maroc attend des contreparties est fréquente dans les discours sur l’accord de réadmission tenus tant par les praticiens que dans les études scientifiques sur le sujet. Du côté des fonctionnaires, elles apparaissent très fréquemment. Au Conseil, par exemple : « They know that they offer a significant agreement for the EU, so it doesn’t come for free, especially on the issue of Sub-Saharans. They are trying to obtain the maximum »1. Ici, l’accent est mis sur 1
Entretien n°24, DG Justice et affaires intérieures, Secrétariat général du Conseil de l’Union européenne, Bruxelles, 21 juin 2010. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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la partie adverse et sur la valeur de l’accord pour l’Union européenne, et le thème des contreparties est abordé à travers le vocabulaire de l’échange marchand et, encore une fois, la formulation et l’usage du présent de l’indicatif font de cette constatation une loi générale et quasi-naturelle : une chose de valeur n’est pas gratuite. L’enjeu des migrants « Subsahariens », c’est-à-dire de la réadmission des ressortissants de pays tiers, qui est un point de contention majeur dans ces négociations, et « la valeur ajoutée » d’un accord européen pour les représentants de certains États membres, est mentionné ici comme la raison principale des demandes de contreparties. Les acteurs rencontrés donnent régulièrement des exemples de financements compensant les efforts demandés au Maroc. L’idée que les leviers économiques sont des ressources décisives dans les relations internationales est aussi répandue dans les analyses scientifiques. Bien qu’elles ne soient ni la seule, ni la principale ressource dans le champ de la diplomatie politique, et qu’elles ne soient pas nécessairement faciles à mobiliser dans ce cadre (Buchet de Neuilly 2011), les ressources financières sont généralement perçues comme une incitation puissante. Elles sont fréquemment évoquées dans le cadre des accords de réadmission européens, et elles sont distinguées des contreparties non-financières. Les analyses existantes des négociations, par exemple celles de Nils Coleman (2009, 39) ou de Jean-Pierre Cassarino (2010a, 6‑8), soulignent qu’en raison de l’asymétrie initiale des accords de réadmission, qui bénéficient plutôt aux États demandeurs, les États requis attendent des compensations, soit financières, soit non-financières, c’est-à-dire qu’il convient de tenir compte du contexte global pour comprendre quels autres éléments ont pu constituer des incitations à la signature d’accords de réadmission. La mise en place de contreparties semble en effet nécessaire dans le cadre de négociations asymétriques où chaque partie tente de défendre au mieux ses intérêts. La dénonciation de l’asymétrie initiale des accords de réadmission par les acteurs marocains passe notamment par des demandes répétées de compensations. Cependant, ce type de contreparties est la plupart du temps très rapidement écarté comme une explication facile mais insuffisante, sans autre forme de procès, après une description des instruments disponibles dans l’Union européenne et une simple mention des financements les plus importants ou les plus visibles, ceux qui sont cités par les acteurs de façon récurrente. Ceci est dû en partie à l’évidence que revêt l’idée de contrepartie financière, mais aussi à la difficulté à retracer précisément les financements en question. En effet, si les différents budgets sont disponibles, ils peuvent d’une part constituer un maquis relativement
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dense étant donné la diversité des types de financements selon les périodes ; d’autre part, il est difficile d’établir avec certitude qu’un financement constitue une « contrepartie », destinée précisément à un échange contre des mesures de lutte contre les migrations irrégulières ou la signature d’un accord de réadmission. Il suffit à cet égard de constater qu’un certain nombre de financements ont été attribués au cours des années 2000 au Maroc ou à des projets concernant le Maroc sans pour autant que l’accord de réadmission soit signé. Avant de déclarer que les compensations financières sont insuffisantes, il conviendrait donc de s’y intéresser d’un peu plus près. En effet, on constate que le vocable de « contreparties financières » recouvre en réalité une catégorie très hétérogène, tant par rapport à l’origine du financement que par rapport à ses destinataires et au type de projets choisis. De plus, il est difficile de rassembler des informations précises sur ces contreparties financières. Tout d’abord, parce que l’identification des financements qui correspondent à des contreparties n’est pas évidente, notamment parce que les acteurs n’ont pas toujours intérêt à les présenter comme telle : doit-on considérer que tous les projets liés aux migrations sont des contreparties à l’accord de réadmission et à une politique de contrôle des frontières marocaines ? Ou bien certains projets correspondent-il plutôt à une aide au développement ? Ensuite, parce que les financements utilisés proviennent de lignes budgétaires diverses, qui varient au cours du temps. La distinction dans les budgets européens entre instruments thématiques et instruments géographiques rend parfois difficile la mobilisation de financements comme contreparties par les négociateurs, et l’identification de ces financements pour l’analyse. Le Tableau 11 ci-dessous recense les différents financements sur le sujet entre 2001 et 1
2010 . Étant donné qu’il n’existe pas de document recensant ces différents financements sur toute la période, nous avons dû faire reposer notre analyse sur une dizaine de documents rassemblés par des biais divers, certains n’étant pas disponibles en ligne mais nous ayant été remis lors d’entretiens. Certains documents indiquent des montants différents pour un même projet (nous avons alors retenu le plus récent), d’autres constituent une mise à jour et reprennent certains projets déjà existants mais dont le financement a été augmenté. De plus, plusieurs projets concernent une région géographique ou un thème et non un seul pays : nous avons décidé ici de ne pas retenir ces projets, alors même qu’une partie de ces financements a sans doute été destinée au Maroc. Enfin, la plupart des projets associent des États membres ou 1
Les derniers financements recensés correspondent à des décisions de 2007.
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d’autres partenaires, c’est-à-dire des financements complémentaires, qui ne sont pas comptabilisés ici. Par conséquent, la constitution de ce tableau des budgets destinés à des projets liés aux migrations constitue un ensemble de choix des financements à prendre en compte ou non, sur la base de documents eux-mêmes sélectifs. En effet, d’un point de vue institutionnel, c’est-à-dire pour les besoin des rapports financiers et des budgets des différentes organisations impliquées, notamment de la direction générale des Affaires intérieures, répertorier les financements de cette façon ne fait pas sens : les institutions européennes n’organisent pas leurs rapports financiers en termes de « contreparties », ni sur le long terme, mais par plans indicatifs nationaux de cinq ans, ou programmes thématiques spécifiques. Deuxièmement, ces financements ne peuvent pas tous être interprétés comme des contreparties directes dans le cadre des négociations sur l’accord de réadmission ou des demandes européennes d’un meilleur contrôle des frontières marocaines. Ils correspondent cependant tous à des projets liés aux migrations, et pour la plupart à des instruments thématiques mobilisés dans le cadre des politiques migratoires avec le « voisinage » ; or ces instruments sont souvent présentés par les acteurs européens comme ayant été conçus pour faciliter la coopération des pays voisins sur les politiques migratoires, notamment le contrôle des frontières et le retour des migrants irréguliers. Troisièmement, ces fonds ne sont pas tous destinés à l’État marocain, mais s’adressent au contraire à une diversité d’acteurs nongouvernementaux ou internationaux qui bénéficient de financements via les instruments thématiques. S’il y a contrepartie financière, on ne saurait donc parler d’une contrepartie directe, de fonds directement disponibles pour le gouvernement négociateur. Enfin, les rapports concernant l’utilisation de ces financements ne sont pas tous accessibles, il est donc difficile de savoir quels en sont les destinataires finaux – par exemple, lorsque le gouvernement marocain reçoit un financement important pour le renforcement de la sécurité de ses frontières, à quelles entreprises sont commandés les équipements. Il est difficile de à ces questions. Cependant, si l’on parle de contreparties financières, il convient de tenter de les examiner le plus précisément possible. Nous verrons d’abord que les négociateurs européens sont insatisfaits de leur accès à des financements, malgré les divers instruments budgétaires existants. Puis nous examinerons différents projets mis en place grâce à ces financements, et reviendrons sur la question de leur statut de contrepartie. Enfin, nous montrerons que les acteurs marocains trouvent insuffisantes des contreparties de ce type.
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193
1 500 000
450 421
665 980
1 055 315
2001
2001
2001
2002
1 319 144
1 139 680
570 640
3 600 000
463 352
Montant total (en euros)
B7-667
B7-667
B7-667
B7-667
B7-667
Instrument budgétaire
"Migration management": 2002/HLWG/06: IOM-socio economic development of migration prone areas
"Migration management, fighting illegal migration": 2001/HLWG/103: French MoI/National police: financial and technical assistance for combating illegal migration.
"Migration management": HLWG/2001/119: Int Ent: support to entrepreneurs of Moroccan origin residing in Europe in setting up economic activities in Morocco.
"Migration management": 2001/HLWG/103: AFD: development of the country of origin by Moroccans residing in France and through rural tourism and the creation of SME.
"Migration management, fighting illegal migration": HLWG/2001/118: GED-DPG: technical equipment and training for border control, fighting illegal immigration and detection of falsified documents.
Thème
Italie
France
Pays-Bas
France
Espagne
Pays associés
Ce tableau ne tient pas compte des projets destinés à plusieurs pays dont le Maroc. Il a été réalisé sur la base des documents suivants : EUROPEAN COMMISSION (2002a). Communication from the Commission to the Council and the European Parliament : integrating migration issues in the European Union’s relations with third countries. COM(2002) 703 final, Brussels, 3 December, Annex 2 ; COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION. List of selected projects HLWG, 2001, 2002 et 2003 ; COMMISSION EUROPÉENNE (2001). Maroc : Document de stratégie 2002-2006 et Programme indicatif national 2002-2004. Bruxelles, 6 décembre, disponible sur : http://eeas.europa.eu/morocco/csp/02_06_fr.pdf [consulté le 2 septembre 2013] ; COMMISSION EUROPÉENNE (n.d.). Aeneas Programme. Programme for financial and technical assistance to third countries in the area of migration and asylum. Overview of projects funded 2004-2006, disponible sur : http://ec.europa.eu/europeaid/what/migration-asylum/documents/aeneas_2004_2006_overview_en.pdf [consulté le 2 septembre 2013] ; DELEGATION DE LA COMMISSION EUROPEENNE AU ROYAUME DU MAROC (n.d.). Programmes en cours dans le domaine de la migration financés par l’UE au Maroc, documents transmis lors des entretiens n°11 (2009) et n°34 (2010) à la Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Rabat. Lorsque différents documents indiquaient des montants différents pour certains projets, le montant retenu est celui mentionné dans le document le plus récent. Les projets finançant plusieurs pays dans la région et dont le financement national spécifique n’était pas précisé n’ont pas été comptabilisés (ex : projet SEAHORSE).
1
376 276
(en euros)
Contribution CE
2001
Année
Tableau 11 - Budgets destinés au Maroc pour des projets liés aux migrations1
1
1 999 999
1 196 000
868 214
1 012 313
865 423
2004
2004
2004
2005
2005
1 081 779
1 988 306
1 085 268
1 495 000
3 104 978
1 111 645
AENEAS
AENEAS
AENEAS
AENEAS
AENEAS
MEDA
MEDA
MEDA
B7-667
"Irregular migration": MIGR/2006/120-280: Lutte contre l'immigration illégale et le traffic des êtres humains à travers la participation des familles victimes de l'émigration clandestine, des associations orgaisées de la société civile et des institutions locales
"Irregular migration": MIGR/2006/120-243: Barcelona-Tangier Programme of co-operation and co-development with Morocco for the training of minors who have embarked, or are considered embarking, on an unaccompanied migration process
"Legal migration": MIGR/2005/103-573: Promotion d'une migration responsable à travers les circuits légaux dans la région de Tadla Azilal
"Labour migration":MIGR/2005/103-564: Programme de gestion intégrée de l'immigration saisonnière entre la région de Benslimane et la province de Huelva
"Return and reintegration": MIGR/2005/103-417 Accompagnement à l'amélioration des conditions d'accueil et de protection des mineurs de 14 ans regroupés en provenance du territoire de la Communauté de Madrid
"Roots": Développement Provinces du Nord
"Migration management, fighting illegal migration": fight against illegal migration by supporting improvement of management of border controls, contrôle frontalier.
"Migration management": Organisation migration légale, appui à la circulation des personnes
"Migration management": 2002/HLWG/23: COOPI -il migrante Moroccochino in Italiacome agente di sviluppo Cooperazione
Région espagnole
Région espagnole
Région espagnole
Italie
Les lignes grisées en italique ne sont pas comptabilisées dans le total, car les montants des programmes ultérieurs reprennent ces budgets et les comptabilisent dans leur total.
70 000 000
2004
5 000 000
40 000 000
1
889 316
2003
2002
2002
67 625 000
1 497 305
1 199 537
2006
n.d.
n.d.
192'169'742
561 975
2006
Total
719 949
2006
34 000 000
5 000 000
2005
2005-2006
686 719
2005
702 733
899 936
625 345
n.d.
n.d.
Politique de voisinage
AENEAS
AENEAS
Politique de voisinage
Politique de voisinage
AENEAS
Création d'un environnement favorable permettant de profiter des effets positifs de la migration pour le développement de la région de l'Oriental du Maroc
Faciliter la création d'entreprises au Maroc grâce à la mobilisation de la diaspora marocaine installée en Europe ("FACE-Maroc")
Gestion des contrôles frontaliers (ministère de l'intérieur, Maroc, 2007-2010)
"Migration and development": MIGR/2007/130-391: Women migration from Morocco to EU: a warp yarn for the development (2008-2010)
"Migration management":MIGR/2007/130-076: Promotion des principes et des valeurshumanitaires de lutte contre les actes de racisme et de xénophobie à l'égard des migrants
Développement des Provinces du Nord
Appui institutionnel à la circulation des personnes (ANAPEC)
"Migration management": MIGR/2006/120-284: Renforcement et intégration du Centre d'accueil des migrants (subsahariens) dans une dynamique locale et régionale
France, Espagne
1) Principe contesté et détours rhétoriques. L’opportunité ou non de fournir aux pays d’origine des migrants des contreparties en échange de la signature et de la mise en œuvre d’accords de réadmission, si elle peut sembler a priori évidente, est discutée à Bruxelles comme dans les États membres. Le Conseil a également pendant longtemps refusé le principe de compensations pour la signature d’accords de réadmission (Coleman 2009 : 38). En effet, dans le cadre des négociations bilatérales, les États européens refusent en général l’attribution de compensations en échange d’un accord de réadmission, à l’exception de l’Italie. Le Conseil a également pendant longtemps refusé le principe de compensations pour la signature d’accords de réadmission (Coleman 2009 : 38). L’idée qui sous-tend ce refus est qu’il ne devrait pas y avoir de compensations pour la simple mise en œuvre d’une obligation du droit international. Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre de cette thèse, le principe même des accords de réadmission est parfois remis en cause par certains acteurs, à partir d’une rhétorique mettant en avant la réadmission comme obligation implicite et informelle du droit international. L’objectif des accords de réadmission ne serait donc que de faciliter le respect de cette obligation par des pays peu coopératifs. La mise en place d’une compensation reviendrait donc à nier l’existence d’une obligation de droit international. On trouve des traces de ce raisonnement dans les documents européens. Une proposition de 2002 relative à un programme d’aide au retour mentionne par exemple : Il importe également que l'Union européenne examine toutes les possibilités de recours à des instruments appropriés disponibles dans le cadre des relations extérieures de l'Union pour faire progresser les négociations avec les pays tiers sans mettre en péril la position juridique fondamentale, selon laquelle la réadmission de ses propres ressortissants est une obligation non négociable incombant à tout État.1 La défense d’une obligation informelle du droit international selon laquelle les États doivent accepter le retour de leurs ressortissants est ici désignée par l’expression « position juridique fondamentale », qui montre que le type de négociations porte des enjeux symboliques importants pour les États européens. En effet, cette « position juridique fondamentale » est 1
CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE (2002). Proposition relative à un programme d’aide au retour, Bruxelles, 25 novembre, §64.
Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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déjà affaiblie par le choix de négocier des accords de réadmission (alors même que l’obligation de réadmettre est, selon cette position, « non négociable »), il s’agit donc de ne pas la compromettre encore plus en acceptant le principe de contreparties. Le terme d’ « instrument » qui est employé n’est d’ailleurs pas synonyme de contrepartie : non seulement sa consonance est plus « technique », mais il n’est pas sous-tendu par l’idée d’un échange. De plus, la forme de ces « instruments » n’est pas spécifiée, puisque l’objet de ce paragraphe est justement d’indiquer qu’elle doit être déterminée, et que plusieurs « possibilités » existent. Tandis que nos interlocuteurs évoquent fréquemment des « contreparties »1, des « gains »2, des « moyens »3, ou encore des « coûts » et des « bénéfices »4, et donc un registre marchand, les documents des institutions européennes utilisent plutôt un registre managérial et mentionnent ces « possibilités » sous des termes divers : il s’agit d’offrir des « incitations »5, ou encore de « stimuler » la coopération en proposant des « mesures compensatoires » 6, expression qui est une évocation directe de l’idée de contreparties. Si l’Union européenne examine malgré tout ces « possibilités » de contreparties en 2002, c’est principalement à cause de la demande de réadmission des ressortissants de pays tiers, qui ne fait l’objet, elle, d’aucune obligation, même informelle, de droit international. Or, ces ressortissants sont mentionnés dans le document cité ci-dessus, comme « des ressortissants d'autres pays dont le transit par les pays tiers en question peut être établi »7. C’est aussi sur cette base que l’accord bilatéral entre l’Espagne et le Maroc contient la
1
Entretien n°30, DG Relations extérieures, Commission européenne – Ancien de la Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Bruxelles, 24 juin 2010.
2
Entretien n°22, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 15 juin 2010.
3
Entretien n°26, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 21 juin 2010.
4
Entretien n°25, DG Relations extérieures, Commission européenne, Bruxelles, 21 juin 2010.
5
COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION (2011). Draft council conclusions defining the European Union strategy on readmission. 10543/1/11, Brussels, 27 May.
6
COMMISSION EUROPÉENNE (2003). Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil en vue du Conseil européen de Thessalonique sur le développement d’une politique commune en matière d’immigration clandestine, de trafic illicite et de traite des êtres humains, de frontières extérieures et de retour des personnes en séjour irrégulier. COM(2003) 323 final, Bruxelles, 3 juin.
7
CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE (2002). Proposition relative à un programme d’aide au retour, Bruxelles, 25 novembre, §14.
Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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mention de compensations financières1. Le principe de compensation financière, bien que contesté, est donc accepté plus facilement à partir du moment où l’accord porte également sur le retour forcé des « ressortissants de pays tiers ». Cela ne signifie pas pour autant que l’usage de contreparties financières pour la négociation d’un accord de réadmission est facile.
2) Une catégorie difficile à mobiliser pour les négociateurs européens. Une première difficulté lors de l’analyse des financements des projets liés aux migrations réside dans la diversité des budgets dont ils sont issus, et dans les modifications des règles d’utilisation de ces budgets au cours du temps. Ceci signifie que les négociateurs de l’accord de réadmission au sein de la DG JAI/JLS/HOME2 ont pu rencontrer des difficultés à mobiliser des ressources à utiliser comme contreparties. Si des financements spécifiques ont été prévus dans ce domaine à partir de 2001, il reste complexe de les utiliser uniquement dans le cadre des négociations. De plus, la structure des financements a progressivement été modifiée. Au final, les négociateurs se retrouvent dans la situation des le cas des diplomates étudiés par Yves Buchet de Neuilly (2011, 197), pour qui « l’éventuelle capacité (…) à faire de la puissance économique une puissance politique réside pour l’essentiel dans le contrôle indirect des ressources économiques et financières ». En effet, les ressources financières qu’ils pourraient utiliser dépendent non seulement de décisions des États membres en amont, mais aussi de la coopération d’autres Directions générales.
Des instruments divers et mouvants Le tableau ci-dessous recense les différents instruments, depuis 2000, auxquels pourraient, en théorie, avoir recours les négociateurs de l’accord de réadmission pour engager des contreparties financières.
1
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1992). Accord entre le Royaume du Maroc et le Royaume d’Espagne relatif à la circulation des personnes et le transit et la réadmission des étrangers qui pénètrent d'une façon illégale (Acuerdo entre el Reino de Marruecos y el Reino de España relativo a la circulacion de personas, el transito y la readmision de extranjeros entrados ilegalmente), s.n., 13 février, art.11. Voir aussi le Chapitre 1.
2
Nous désignerons la Direction générale des Affaires intérieures selon ces trois abréviations successives lorsque l’enjeu décrit concerne la DG tout au long des années 2000. Le détail des changements de dénomination sont donnés dans le chapitre 2.
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Dates
Type d’instrument
Montant
MEDA II
2000-2006 Régional
5,35 milliards d’euros
Ligne budgétaire B7-667
2001-2003 Thématique
42,5 millions d’euros
AENEAS
2004-2006 Thématique
120 millions d’euros
Instrument voisinage
2007-2013 Régional
12 milliards d’euros
Instrument thématique
2007-2013 Thématique
384 millions d’euros
Tableau 12 - Instruments permettant de financer des projets liés aux migrations (2000-2013) Les premiers financements destinés à des projets directement liés aux migrations au Maroc apparaissent dans le cadre du programme MEDA II. Ce programme est destiné à des mesures financières et techniques pour soutenir le partenariat euro-méditerranéen lancé par le processus de Barcelone en 1995, et n’est pas dédié à un objet particulier – ni donc à une Direction générale spécifique – ce qui en fait, selon le langage de la Commission européenne, un « instrument régional ». Le règlement mettant en place le programme MEDA I comporte, dans la liste des objectifs de « développement économique et social durable », la lutte contre les migrations irrégulières et le « rapatriement des résidents illégaux »1. Cependant, aucun projet en ce sens n’est développé, ni dans la catégorie « migration », ni dans celle « justice et police » avant l’adoption de MEDA II, où un projet est développé dans chacun de ces secteurs au Maroc pour un total de 45 millions d’euros (Natorski 2008, 46‑47), ainsi que la poursuite d’un important projet de développement des Provinces du Nord, intégré dans le Programme indicatif national pour le Maroc à la stratégie de lutte contre l’émigration2. Sur les 524,5 millions attribués au Maroc3, au moins 22% du budget de ce programme sont dédiés directement ou indirectement aux migrations. Cependant, en dépit de la prise en compte d’objectifs liés aux migrations dans ces programmes MEDA, les financements sont régionaux, et ne sont pas dédiés à ce secteur particulier, et ne sont pas contrôlés par une 1
COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION (1996a). Council regulation on financial and technical measures to accompany (MEDA) the reform of economic and social structures in the framework of the euro-mediterranean patrnership. EC 1488/96 (adopted July 23, 1996), Official Journal, L 187, 1 July 1998. Annex II.
2
COMMISSION EUROPÉENNE (2001). Maroc : Document de stratégie 2002-2006 et Programme indicatif national 2002-2004. Bruxelles, 6 décembre, p.47, disponible sur : http://eeas.europa.eu/morocco/csp/02_06_fr.pdf [consulté le 2 septembre 2013].
3
« EuropeAid Programmes et projets Méditerranée : Maroc », Europa - EuropeAid, http://ec.europa.eu/comm/europeaid/projects/med/bilateral/morocco_fr.htm [consulté le 8 octobre 2006].
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2006.
200
Direction générale spécifique. Les documents de stratégie puis les programmes indicatifs nationaux, sont élaborés par les services de la Commission en partenariat avec le pays concerné et les États membres1. Bien que les ressources disponibles soient relativement importantes (4,685 milliards d'euros pour MEDA I, dont 3,4 engagés ; 5,35 milliards d’euros pour MEDA II), les choix de répartition des financements selon les secteurs doivent donc être faits. En somme, un instrument financier de ce type est difficile à mobiliser par les représentants de la DG JAI/JLS/HOME dans le cadre de négociations spécifiques. La création d’une ligne budgétaire dédiée aux migrations, le premier « instrument thématique », dont l’utilisation n’est pas nécessairement réservée à une Direction générale mais dont le contenu est orienté en fonction d’un sujet plus ou moins spécifique, est venue en partie résoudre ce problème. En effet, à partir de 2001, les membres de la DG JAI/JLS/HOME ont eu, la possibilité d’utiliser une ligne budgétaire spécifique, créée pour soutenir la coopération avec les États tiers dans le domaine du contrôle des migrations, en particulier avec les pays déclarés comme prioritaires par le High level working group – et donc avec lesquels la négociation d’accords de réadmission est alors envisagée. Les trois domaines d’action définis pour cette ligne budgétaire dans le document cadre pour les actions préparatoires en 2001 sont : premièrement, le soutien au développement de systèmes d’asile et de gestion des migrations ; deuxièmement, la prévention et la lutte contre les migrations irrégulières ; enfin, les politiques de retour sont également mentionnées. Dans ce domaine, les financements doivent servir à : soutenir le retour volontaire dans les pays d’origine et à renforcer leur capacité à faire face à leurs obligations de réadmission envers l’Union européenne et les États membres, y compris par un soutien à des mesures d’accompagnement intégrées aux accords de réadmission conclus entre la Communauté et les pays tiers.2 Ce cadre stratégique est donc non seulement clairement orienté vers « la lutte contre les migrations irrégulières » et la « gestion des migrations », mais il prévoit aussi spécifiquement la possibilité de financer des « mesures d’accompagnement » pour les accords de réadmission. Si « l’obligation de réadmission » est ré-affirmée dans la même phrase, la possibilité d’intégrer des mesures d’accompagnement ouvre la voie à des possibilités d’offrir des 1
Ibid., p.3.
2
EUROPEAN COMMISSION (2001). Framework for Preparatory Actions. Budget Line « Co-operation with Third Countries in the Area of Migration (B7-667) », Communication from Commissioner Vitorino to the Commission, Brussels.
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contreparties financières – bien que limitées ici aux « mesures d’accompagnement » – aux pays tiers. Cependant, la mobilisation de ces financements s’est également avérée épineuse. Dès 2002, le cadre stratégique répartit les objectifs en fonction des zones géographiques. Dans les objectifs listés, la réadmission n’apparaît pas directement, mais simplement à travers la mention « retour des ‘migrants égarés’ dans les pays de transit », qui reste très vague. Les objectifs orientés vers le Maghreb et l’Afrique se concentrent plutôt sur l’analyse, le dialogue, et le co-développement1 – qui était absent du document l’année précédente. Un rapport de la Commission fin 2002 contient ainsi comme un plaidoyer en faveur de l’utilisation de cette ligne budgétaire pour : fournir une aide spécifique à la préparation et la mise en œuvre des accords de réadmission par les pays tiers, visant à renforcer son assistance technique et financière et, ce faisant, à encourager une meilleure gestion des flux migratoires.2 Bien que le thème de la réadmission apparaisse dans le document mettant en place la ligne budgétaire en 2001, il est un objectif parmi d’autre, parmi les autres objectifs liés au contrôle des migrations. Il reste donc difficile pour la Direction générale en charge des affaires intérieures d’utiliser les financements comme des contreparties – au sens strict du terme – de la réadmission. Enfin, en 2003, les actions sont séparées en trois catégories : « gestion des migrations », « protection internationale dans les pays tiers », et « lutte contre les migrations illégales ». La réadmission ré-apparaît dans le cadre de cette dernière catégorie, avec une possibilité de « soutien ciblé dans le cadre de la réadmission »3. Si le chef de file de cette ligne budgétaire est la DG JAI, l’instrument budgétaire s’est donc adapté au fil des ans, à une demande de cohérence de la part des institutions impliquées, notamment les délégations de la Commission dans les pays concernés. La DG JAI doit aussi prendre garde à ne pas recouper des activités menées par les DG affaires étrangères (DG RELEX) et développement (DG DEV), qui doivent à partir du début des années 2000 intégrer les questions migratoires à leurs préoccupations. Les priorités définies dans les cadres stratégiques le sont en effet en fonction 1
EUROPEAN COMMISSION (2002). Framework for Preparatory Actions. Budget Line « Co-operation with Third Countries in the Area of Migration (B7-667) », Communication from Commissioner Vitorino to the Commission, Brussels.
2
EUROPEAN COMMISSION (2002a). Op. cit., p. 27.
3
EUROPEAN COMMISSION (2003). Framework for Preparatory Actions in 2003. Budget Line « Cooperation with third countries in the area of migration » (all actions not including Afghanistan) (B7-667), Brussels.
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des réponses aux appels d’offres, qu’il est difficile de contrôler. Peu sont venues directement des pays tiers, qui n’ont pas fait preuve d’un grand intérêt pour ces financements. (Coleman 2003 :123-124). Dans le cas du Maroc, les projets financés par la ligne budgétaire B7-667 sont portés par des agences de développement ou des ONG d’États membres (Espagne, France, Pays-Bas, Italie). De plus, les projets se sont heurtés, lors de la mise en œuvre, à une réception mitigée de la part des pays tiers, comme l’indique l’évaluation finale : en effet, dans tous les domaines, l’une des deux difficultés principales réside pour les chefs de projets, de difficultés à travailler avec les autorités locales1. Enfin, le financement consacré à cette ligne budgétaire reste modeste : 10 millions d’euros en 2001, 12,5 millions en 2002, 20 en 2003, soit 42,5 millions d’euros en tout2. Cette ligne budgétaire a été prolongée à travers le programme Aeneas, qui couvre la période 2004-2006. La proposition de la Commission en 2003 montre que la DG JAI/JLS/HOME cherche à pérenniser un financement autonome : Sans préjuger des résultats de la révision des documents stratégiques par pays, la Commission a également estimé que la ligne budgétaire B7-667 consacrée à la coopération avec les pays tiers dans le domaine de la migration devait être sensiblement renforcée et venir compléter les mesures susceptibles d’être dégagées lors de la révision des documents spécifiques par pays, l’objectif poursuivi étant de financer des actions spécifiques et ciblées dans le domaine de l’immigration qui s’ajouteraient à celles financées par les lignes budgétaires consacrées au développement en général.3 Les documents stratégiques par pays concernent les financements régionaux (dans le cas du Maroc, les financements MEDA). Il s’agit donc ici pour la DG JAI/JLS/HOME d’affirmer la nécessité d’un financement qui ne soit pas lié à ces financements régionaux, mais qui soit spécifiquement dédié aux migrations – tout en admettant, dans la dernière partie de ce paragraphe, que les budgets régionaux peuvent également contenir des projets liés à ce domaine. Cette volonté de pérenniser des fonds autonomes est étroitement liée à la négociation des accords de réadmission, comme le montre la suite de cette communication :
1
CENTRE FOR STRATEGY & EVALUATION SERVICES LLP (2007). Evaluation of preparatory actions B7-667 - Cooperation with third countries in the area of migration, Sevenoaks, November, p.71 et p.91.
2
EUROPEAN COMMISSION (2006). Communication from the Commission to the European Parliament and the Council : thematic programme for the cooperation with third countries in the areas of migration and asylum. COM(2006) 26 final, Brussels, January 25.
3
COMMISSION EUROPÉENNE (2003), op. cit., p.14-15.
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L’objectif général de cet instrument financier sera à l’avenir de répondre, de manière spécifique et complémentaire, aux besoins des pays tiers d’origine et de transit dans leurs efforts en vue d’assurer une meilleure gestion des flux migratoires et, en particulier, de stimuler les pays tiers dans leur préparation à la mise en œuvre des accords de réadmission conclus ou à conclure avec la Communauté ou à les accompagner dans la mise en œuvre elle-même.1 Si l’objectif général est lié à la « gestion des flux migratoires », la question de la réadmission apparaît centrale. Le verbe « stimuler » évite le terme d’incitation ou de contrepartie, mais il s’agit bien ici de négocier les accords de réadmission (ceux « à conclure ») puis leur mise en œuvre, notamment à travers des mesures d’accompagnement, puisqu’il s’agit de « les accompagner dans la mise en œuvre ». L’adoption du règlement fondant le programme Aeneas2 en mars 2004 satisfait effectivement cette demande d’un financement autonome, par rapport aux financements régionaux. La réadmission figure en bonne place dans ce règlement, puisqu’elle est l’un des cinq objectifs mentionnés : les deux premiers objectifs concernent les « migrations légales », un autre concerne l’asile, et enfin les deux derniers concernent la prévention des « migrations illégales » et la réadmission3. On retrouve donc ici les mêmes classifications que dans la ligne budgétaire B7-667. Cependant, dans le préambule de ce règlement, les « migrations illégales » occupent une place prépondérante, et la question de la réadmission est mise en avant : pour la « meilleure gestion des flux migratoires », il s’agit « en particulier, de stimuler les pays tiers dans leur préparation à la mise en œuvre des accords de réadmission ou de les assister dans la mise en œuvre elle-même »4. Cependant, le règlement créant le programme Aeneas accroît le contrôle des choix budgétaires par les États membres, puisque l’article 9 précise que la procédure à suivre est celle fixée par une décision du Conseil de 1999, selon laquelle la Commission doit être assistée d’un comité composé de représentants des États membres et présidé par un représentant de la Commission5. L’existence d’un budget dédié, spécifique à la dimension externe des politiques migratoires
1
Ibid., p.15.
2
CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE (2004a). Règlement (CE) n°491/2004 du Parlement européen et du Conseil du 10 Mars 2004 établissant un Programme d’assistance technique et financière en faveur de pays tiers dans le domaine des migrations et de l’asile (AENEAS). Journal officiel, L 80, 18 mars 2004.
3
Ibid art.2.
4
Ibid., art.7.
5
Ibid., art.9, qui se réfère à la procédure établie par : COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION (1999b). Council Decision of 28 June 1999 laying down the procedures for the exercise of implementing powers conferred on the Commission. 1999/468/EC, Official Journal, L 184, July 17, art.4.
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est donc renforcée, mais la DG JAI/JLS/HOME perd une marge d’autonomie dans le contrôle de ce budget, puisqu’elle doit partager le processus décisionnel avec les États membres. A partir de 2007, le programme Aeneas est transformé en programme thématique de coopération « migrations et asile » dans le cadre des perspectives financières 2007-2013. Ce nouvel instrument s’inscrit dans la lignée des instruments thématiques précédents, et se concentre aussi sur la gestion des flux migratoires. On retrouve, comme dans le programme Aeneas, des domaines d’activités liés aux migrations régulières et à l’asile. La réadmission est incluse dans le domaine d’activités de la lutte contre les migrations irrégulières : la lutte contre l'immigration clandestine et l'aide à la réadmission des immigrants clandestins, y compris entre pays tiers, et en particulier la lutte contre les filières clandestines d'immigration et la traite d'êtres humains, les mesures visant à décourager l'immigration clandestine et à sensibiliser les personnes aux risques qu'elle comporte, l'amélioration des capacités dans le domaine de la gestion des frontières, des visas et des passeports, y compris la sécurité des documents, l'introduction de données biométriques et la détection des documents falsifiés, la mise en œuvre effective des accords de réadmission conclus avec la Communauté et des obligations découlant des accords internationaux, et l'aide aux pays tiers pour gérer l'immigration clandestine et coordonner leurs politiques.1 On voit cependant bien ici que la réadmission apparaît comme un élément des politiques de contrôle de l’immigration plutôt que comme un objectif en soi. Alors que dans le cas de la ligne budgétaire B7-667 en 2001, la réadmission était l’un des trois domaines d’activités, au côté de la gestion des migrations et de l’asile d’une part et de la lutte contre les migrations irrégulières d’autre part, en 2006 elle n’est qu’un aspect parmi d’autres de la lutte contre les migrations irrégulières, dans le cadre du programme thématique. La concurrence avec d’autres objectifs rend plus difficile la mobilisation de financements uniquement pour la réadmission. De plus, si le budget global du programme thématique est plus important2 que celui du programme Aeneas, le programme est cette fois-ci inclus dans un instrument général de « financement de la coopération au développement ». Ceci signifie que, bien que
1
CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE (2004a). Op. cit.
2
CONSEIL DE L’UNION EUROPEENNE (2011). Règlement (UE) no1341/2011 du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 modifiant le règlement (CE) no1905/2006 portant établissement d’un instrument de financement de la coopération au développement. Journal officiel de l’Union européenne, L 347, 30 décembre.
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l’institution chef de file soit, selon nos entretiens en 20101, la DG JLS, en partenariat avec la DG RELEX, le financement est intégré à une logique de développement. De plus, en 2010, la DG JLS doit également tenir compte de l’Office de coopération EuropeAid (AIDCO), une agence créée en 2001 pour gérer la mise en œuvre les instruments d’aide extérieure – et donc pour les superviser. Bien qu’elle ne soit pas en charge de la définition des orientations stratégiques, cette agence joue un rôle dans la détermination de l’usage des financements. Elle a été fusionnée avec la DG DEV en 2011 pour devenir la Direction générale Développement et coopération – EuropeAid. Alors que la DG DEV ne se chargeait pas, avant 2011, des politiques en lien avec le Maroc, puisqu’elle se spécialisait dans les relations d’aide au développement avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, sa fusion avec EuropeAid signifie qu’elle a désormais un rôle à jouer dans les relations avec le Maroc. Une direction est ainsi spécialisée, au sein de la direction générale, dans la politique de voisinage. Elle est cependant placée sous la direction d’un Commissaire distinct, chargé de l’élargissement et de la politique européenne de voisinage. Ce changement signifie que, pour les négociations avec le Maroc, la Direction générale en charge du développement a désormais un rôle plus direct à jouer, et doit donc d’autant plus être prise en compte par les acteurs des affaires intérieures. Enfin, à partir de 2007 aussi, un nouvel instrument géographique a été mis en place : l’« instrument européen de voisinage et de partenariat », qui remplace les anciens programmes TACIS (pour les pays de l’est) et MEDA (pour les pays méditerranéens). L’idée de ce nouvel instrument est de promouvoir des actions bilatérales comme par le passé, mais aussi des actions transfrontalières aux frontières extérieures de l’Union européenne. Il comporte également une dimension migratoire, puisque l’article 2 du règlement mettant en place cet instrument liste, parmi les domaines de coopération possibles : q) veiller à une gestion frontalière efficace et sûre; r) soutenir les réformes et renforcer les capacités dans des domaines tels que la justice et les affaires intérieures, y compris l'asile, la migration et la réadmission, et les actions destinées à combattre et à prévenir la traite des êtres humains ainsi que
1
Entretien n°26, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 21 juin 2010.
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le terrorisme et le crime organisé, y compris son financement, du blanchiment d'argent et de la fraude fiscale.1 Les actions liées aux migrations et même plus spécifiquement à la réadmission sont donc possibles à travers cet instrument aussi, bien que, comme le programme MEDA, il soit a priori moins facilement mobilisable que les programmes thématiques par le DG HOME. Dans le cas du Maroc, le cadre stratégique pour la période 2007-2013 et le programme indicatif national 2011-2013 n’indiquent d’ailleurs aucun financement spécifiquement dédié aux migrations. Difficultés des négociateurs et requalification des financements Les acteurs de la DG JLS rencontrent des difficultés à mobiliser ces financements en particulier de par les tensions entre eux et les acteurs de la DG DEV. Ces tensions tiennent notamment au rôle tenu par la DG DEV : même si cette direction n’était pas en charge des projets de développement en lien avec le Maroc avant 2011 – elle l’est depuis via la direction en charge de l’élargissement et du voisinage, qui dépend politiquement d’un Commissaire spécifique – son rôle est important pour la définition des politiques de négociation sur les migrations en général, y compris sur la réadmission. Or, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, la DG DEV a répondu aux injonctions d’intégrer les objectifs des politiques migratoires européennes à son travail en ré-interprétant ces objectifs, et en consacrant les financements dédiés aux politiques migratoires qu’à des projets qui remplissent des objectifs de développement selon la définition relativement stricte des objectifs du millénaire (Boswell 2008). Ces tensions autour des questions de financement sont perceptibles dans les entretiens conduits à Bruxelles. En 2010, par exemple, un fonctionnaire de la DG JLS répond à la question de la coordination des financements en distinguant plutôt les différents instruments financiers dont la Direction dispose pour promouvoir des projets liés aux migrations : Il ne faut pas regarder ça en termes de qui fait quoi, mais d’instruments financiers. (…) Aeneas est un programme autonome qui a une double base juridique : le développement, et la coopération avec les pays tiers. Mais on pouvait aussi promouvoir l’intérêt de l’Union européenne. Aujourd’hui, il y a une refonte de ces 1
CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE (2006). Règlement (CE) n°1638/2006 du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 2006 arrêtant des dispositions générales instituant un instrument européen de voisinage et de partenariat, Journal officiel de l’Union européenne, L 310, 9 novembre, art.2.
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instruments : le nouvel instrument, le programme thématique, est placé dans l’instrument de coopération au développement, donc c’est purement développement. Cela peut nous poser des problèmes quand on veut financer des projets qui ne sont pas des projets de développement. On peut toujours recourir à ce programme, mais on nous demande des comptes.1 La négation du rôle des chefs de file ou des coordinateurs des financements est un moyen de mettre en avant l’autonomie de la DG JLS pour son financement. D’une part, un « intérêt de l’Union européenne » est opposé aux thèmes du développement et de la coopération : cet « intérêt » représente pour notre interlocuteur des préoccupations sécuritaires liées au contrôle des frontières et des flux migratoires, des préoccupations défendues par sa Direction générale. D’autre part, sa crainte porte aussi sur le risque qu’on « demande des comptes » à la DG JLS sur l’usage des financements. Cela signifie qu’il est plus difficile de mettre en place de simples mesures d’accompagnement à un accord de réadmission, même si ce thème est inclus dans la politique de voisinage, sans mettre en place des programmes de protection des migrants et de leurs droits ou des programmes de développement. Il est aussi significatif que ce fonctionnaire nous parle d’un « nouvel instrument », en 2010, pour désigner un programme mis en place en 2007. Il s’agit du délai lié à la mise en œuvre des programmes et des budgets, mais cela montre aussi que la question des financements et de leur contrôle n’est pas résolue. D’autant plus qu’en 2010, on arrive au terme du cadre stratégique 2007-2010, ce qui signifie que les discussions concernant le cadre 2011-2013 sont en cours. D’ailleurs, dans la suite de l’entretien, qui porte sur les financements dans le cadre de la nouvelle Direction générale Affaires intérieures tout juste annoncée au moment de l’entretien, notre interlocuteur répond : J’aimerais qu’on garde un instrument qui puisse nous permettre de garder une approche équilibrée. Mais il est possible qu’on soit obligés de recourir à un fonds de la DG Développement… mais eux devraient gérer leurs fonds uniquement dans une perspective de développement. Ca me semblerait dommage. Eux aussi voudraient garder l’approche à dimension sécuritaire, pour garder la main.2 « Une approche équilibrée » signifie ici une approche des migrations qui ne soit pas purement développementale, mais qui comporte également des éléments de contrôle des frontières et de gestion des flux. Il reprend ici une expression utilisée par les opposants à une approche purement sécuritaire, qui revendiquent au contraire, lorsqu’ils parlent d’approche « équilibrée », l’inclusion de projets concernant les migrations légales et le développement. Il 1
Entretien n°26, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 21 juin 2010.
2
Ibid.
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s’agit de présenter les intérêts de la DG JLS de façon moins frontale – tout comme il évoquait auparavant « l’intérêt de l’Union européenne » pour parler de la dimension de contrôle – un aspect des politiques migratoires européennes qui est contesté par une multiplicité d’acteurs, y compris au sein de l’Union européenne et de la Commission. Toujours selon cet entretien, un compromis entre la Commission et le Parlement permet d’utiliser 10% de l’instrument de développement et de coopération pour « d’autres choses que le développement ». Or, le risque, selon cet entretien, est que l’instrument thématique soit complètement absorbé par un département en charge avant tout du développement. Notre interlocuteur envisage avec crainte la renégociation de l’instrument thématique : « dans le cadre des négociations sur l’instrument à venir, on pourrait être critiqués ». Finalement, les actions liées à la réadmission et à la lutte contre l’immigration irrégulière figurent bien parmi les cinq domaines d’actions identifiés dans le document de stratégie 2011-20131, et en 2012, la perspective de mesures d’accompagnement n’est pas exclue par le DG DEVCO2. Pour conclure, la question des contreparties financières à un accord de réadmission est complexe en premier lieu parce que les négociateurs ont eu des difficultés à mobiliser puis à contrôler des financements spécifiques. Il est donc difficile de déterminer avec certitude si un projet est financé dans le cours des négociations en tant que contrepartie à un accord potentiel, ou simplement en tant que projet de développement. Le poids des projets de développement, y compris dans le programme thématique pensé au départ comme un instrument des politiques de contrôle des migrations, montre que les revendications des pays tiers, qui demandent une prise en compte des migrations légales et du développement, également portées par certaines organisations au sein de la Commission, notamment la DG DEV, ont porté leurs fruits. Certains projets sont présentés par les acteurs et les documents comme des projets phares de la coopération Maroc-UE dans le domaine des migrations – y compris de son contrôle – mais leur statut de contrepartie reste également ambigu.
1
COMMISSION EUROPÉENNE (2010). Programme thématique « Coopération avec les pays tiers dans le domaine des migrations et de l’asile ». Document de stratégie pluriannuel 2011-2013. Bruxelles, p.12, disponible sur : http://ec.europa.eu/europeaid/what/migration-asylum/index_fr.htm [consulté le 2 septembre 2013].
2
Entretien n°49, DG Développement et coopération, Commission européenne, Bruxelles, 1er février 2012.
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3) Fluidité et ambiguïté du statut des financements Un deuxième obstacle à l’analyse des contreparties financières réside dans la diversité et la variabilité des dénominations des financements européens. On trouve les termes « appui institutionnel », « appui budgétaire » et « mesure d’accompagnement », mais la distinction entre les contenus de ces projets est souvent difficile. Ces catégories ne sont pas des catégories statistiques ou comptables exclusives, mais plutôt des dénominations qui dépendent en grande partie du type d’aide et du destinataire. Le tableau recensant les financements liés aux migrations contient une grande partie de projets portés par des ONG suite à des appels d’offres européens. Il est difficile d’envisager ces projets comme des contreparties à un accord signé par le gouvernement marocain1. Cependant, à partir de 2002, les programmes indicatifs nationaux recensent trois projets dans la catégorie « émigration » ou « gestion des migrations ». Ces projets sont encore constamment mentionnés lors de nos entretiens entre 2009 et 2012. Une analyse de la façon dont ils sont présentés dans les documents européens et par les acteurs lors des entretiens montre qu’il reste difficile de les qualifier purement et simplement de contreparties. Appui institutionnel de lutte contre l’immigration illégale
67.625 millions d’euros
Appui institutionnel à la circulation des personnes
5 millions d’euros
Stratégie pour le développement des Provinces du Nord
70 millions (2002-2004) 34 millions (2005-2006)
Total
176.625 millions d’euros
Tableau 13 - Les projets relevant de la catégorie "gestion de la migration" dans les programmes indicatifs nationaux Le financement le souvent cité, le plus visible dans la négociation UE-Maroc sur la réadmission, concerne un « appui institutionnel ». Il constitue une catégorie de financement dont la désignation le rapproche de l’aide au « développement de capacités », comme le nomme un fonctionnaire français : si la réadmission lui apparaît comme un « devoir » pour le Maroc, les acteurs français (ou européens ?) sont selon lui « prêts à donner de l’aide et à 1
Bien que des liens personnels puissent en théorie exister entre le personnel de certaines ONG et le gouvernement marocain.
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développer les capacités administratives dans le domaine des migrations »1. Il s’agit d’aider les institutions marocaines à mettre en place un programme encouragé par l’Union européenne. La désignation utilisée ne met pas particulièrement en avant le coût de l’accord pour le Maroc, mais semble plutôt souligner l’aide apportée par l’Union européenne. Dans ce cadre, le financement cité de façon récurrente par les acteurs interrogés sur le cas marocain à Bruxelles et à Rabat en 2009 et 2010 est lié à un projet d’appui institutionnel au contrôle des frontières, pour une aide d’un montant de 67 millions d’euros – soit 700 millions de dirhams environ. Celui-ci est fondé sur un projet pilote existant, créé et mené par les gouvernements français et espagnol en 1999 et opérationnel depuis 2001 : le « Système intégré de vigilance extérieure » (SIVE). Ce projet a conduit, grâce à la collaboration marocaine, à la mise en place d’outils technologiques pour la détection des migrants qui tentent d’atteindre l’Espagne sans les documents requis, par bateau en Méditerranée et à proximité des Canaries. Les 40 millions alloués par l’Union européenne le sont pour la construction d’un système de surveillance des frontières avec radars et équipements de haute technologie sur la côte nord du pays. Ces financements apparaissent dans ce cas comme des compensations légitimes pour le Maroc, qui tente en effet de répondre aux attentes européennes, notamment par l’adoption d’une législation plus stricte à l’encontre des migrants irréguliers et des « passeurs ». Elles sont aussi décrites comme un moyen de développer les capacités marocaines de contrôle des frontières, car celui-ci est coûteux. Le financement européen de ce projet avait initialement été lancé en 2003 pour un montant de 40 millions d’euros pour « favoriser une meilleure gestion des flux migratoires par une lutte plus efficace contre l'immigration clandestine », puis 30 millions d’euros avaient été ajoutés « au solde du programme de soutien au développement institutionnel et à la mise à niveau de la stratégie migratoire du Gouvernement marocain » – dont environ 2.5 millions consacrés à l'assistance technique pour l'exécution du programme, « ce qui porte le total du programme lui-même à 67.625.000 euros (700 millions de dirhams) »2. Ce programme est décrit dans la documentation européenne :
1
Entretien n°29, Service Justice et affaires intérieures, Représentation française auprès de l’UE, Bruxelles, 22 juin 2010.
2
« La Commission renforce par un appui budgétaire au Maroc la nouvelle stratégie marocaine de lutte contre les migrations clandestines », European Commission Press Release, Bruxelles, 23 août 2006.
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Programme intégré (par le biais d’un appui budgétaire) de mise à niveau globale de la stratégie migratoire du Gouvernement marocain. L’objectif de ce programme d’urgence qui vise à une meilleure gestion des flux migratoires et un renforcement de la lutte contre les migration clandestine [sic].1 Il est intéressant de constater que l’accord de réadmission n’est pas mentionné ici, puisque c’est la « stratégie migratoire du Gouvernement marocain » qui est en jeu. Cette formulation passe sous silence l’important intérêt de l’Union européenne au développement de cette « stratégie migratoire », que les différents acteurs européens espèrent pouvoir influencer. Le programme est qualifié « d’urgence » au moment de sa réévaluation car, peu après les événements extrêmement médiatisés de Ceuta et Melilla, le contrôle des frontières marocaines est aussi important pour les Européens que la réadmission. Cependant, en dépit de ce silence sur le sujet, ce programme d’appui au renforcement des frontières était vu, selon un ancien de la Délégation européenne à Rabat, comme une contrepartie financière à l’accord de réadmission2. Il est le financement européen le plus important dans le domaine des migrations au Maroc, avec celui dédié au développement des Provinces du Nord3. Au Maroc, un financement équivalent à 700 millions de dirhams est publicisé : il est ainsi présenté dans les journaux marocains4, qui mentionnent un financement européen accordé à un programme du gouvernement marocain (« le programme d'urgence de soutien au développement institutionnel et à la mise à niveau de la stratégie migratoire présenté par le gouvernement »). Cependant, cet article précise aussi que « l'appui européen accordé au Maroc intervient quelques jours après que L'Espagne et l'Italie aient exigé une implication supplémentaire de l'UE pour stopper les flux migratoires », impliquant ainsi qu’il s’agit d’une contrepartie à une participation accrue du Maroc aux efforts de contrôle des frontières (mais pas à la réadmission en particulier). L’ambiguïté sur le statut de « contrepartie » de ce type de financement est donc entretenue de chaque côté : alors que les acteurs envisagent clairement, lors des entretiens, ce financement comme une contrepartie à la coopération marocaine, le langage utilisé dans les documents le présentant contourne toute formulation qui irait en ce sens. 1
DÉLÉGATION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE AU ROYAUME DU MAROC (n.d.). Programmes en cours dans le domaine de la migration financés par l’UE au Maroc. p.10.
2
Entretien n°30, DG Relations extérieures, Commission européenne – Ancien de la Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Bruxelles, 24 juin 2010.
3
Ce projet de développement, bien qu’il ne soit pas centré directement sur les migrations, est présenté dans les documents européens comme visant à réduire le potentiel d’émigration de cette région marocaine.
4
Par exemple EL MAHJOUB, Rouane (2006). « L’UE accorde 700 millions de dirhams au Maroc pour lutter contre l’immigration clandestine », Le Matin, Rabat, 23 août.
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Un autre projet « d’appui institutionnel » est fréquemment mentionné, alors même que le budget européen qui lui est consacré est beaucoup moins important, puisqu’il s’élève à 5 millions d’euros : il s’agit d’un appui institutionnel au développement d’une dimension internationale de l’agence marocaine pour l’emploi, afin de faciliter l’émigration régulière de Marocains vers l’Europe. Lancé en 2005, dans le cadre de l’ANAPEC, l’agence marocaine pour l’emploi, il fait suite à un programme espagnol, soutenu par l’Union européenne à hauteur de 1 196 000 euros en 2004 et plus spécifiquement dédié à la « gestion intégrée de l'immigration saisonnière entre la région de Benslimane et la province de Huelva ». Ce programme est considéré comme un exemple de réussite dans le domaine des migrations régulières et de l’emploi, une preuve que la relation entre l’Union européenne et le Maroc sur la question migratoire ne se focalise pas uniquement sur la dimension sécuritaire. Si ce projet semblerait a priori correspondre à des demandes marocaines concernant les migrations régulières, qui sont des demandes très fortes comme nous le verrons plus loin, ce projet est plutôt le résultat d’une proposition européenne, car il concerne en réalité plutôt un nombre relativement limité de travailleurs et des travailleuses non qualifié-e-s, pour des migrations saisonnières (Plewa 2009) : la réception faite au projet au Maroc est plutôt mitigée au départ1. Ce désintérêt initial du Maroc pour le projet montre que les financements européens ne sont pas toujours les bienvenus : leur usage comme « contrepartie » est aussi limité par le contenu spécifique des financements, qui ne correspond pas nécessairement aux demandes de l’État marocain.
Les « mesures d’accompagnement » sont un autre type de financement fréquemment mentionné. Celles-ci visent habituellement, par exemple dans le cadre des programmes de recherche et développement, à contribuer à la réalisation d'un programme spécifique, afin de permettre d'atteindre ou de fixer des objectifs stratégiques. Dans le cas des négociations pour l’accord de réadmission avec le Maroc, il s’agissait essentiellement de favoriser la coopération opérationnelle pour le contrôle des frontières. Ces contreparties relèvent dans ce cas de demandes marocaines. Il est intéressant de constater que le vocabulaire utilisé par les acteurs marocains pour désigner ces contreparties financières reprend les termes ayant cours 1
Entretien n°65, Conseil de la communauté marocaine à l'étranger, Rabat, 10 juin 2012. Nous reviendrons sur cet aspect plus loin.
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au sein des institutions de l’Union européenne. Ainsi, un fonctionnaire du Ministère marocain des affaires étrangères indique : « La nouveauté par rapport à cet accord, c’est que le Maroc a demandé des mesures d’accompagnement qui devront être intégrées à l’accord »1. À la date de cet entretien, si les demandes de contreparties ne sont en réalité pas « nouvelles », elles sont désormais formulées dans le vocabulaire des budgets européens. Or, ce vocabulaire permet d’euphémiser l’échange que recouvrent ces « mesures d’accompagnement » : ce terme laisse en effet penser qu’il s’agit plus d’une aide à financer le coût de la réadmission que d’une contrepartie. Le fonctionnaire insiste ici sur la demande du Maroc de formaliser ces contreparties, comme des « mesures d’accompagnement » directement liées à l’accord de réadmission, plutôt que comme des programmes négociés en parallèle mais distincts. Cette demande permet non seulement d’obtenir plus facilement d’éventuelles aides financières, mais aussi de faire reconnaître officiellement par la partie européenne que la signature de l’accord a un coût pour le Maroc. Cependant, le contenu de ces demandes de mesures d’accompagnement n’est pas toujours très clair. Les mesures d’accompagnement peuvent concerner des domaines variés et liés à la réadmission de façon indirecte. Selon un fonctionnaire de la Commission, les demandes marocaines de mesures d’accompagnement concernent par exemple le développement régional, ou encore l’accompagnement à la réintégration des personnes après leur retour2. Ces « mesures d’accompagnement » sont une catégorie extrêmement large, qui recouvre surtout des projets de développement. Dans le cadre du programme MEDA, censé permettre des « mesures d'accompagnement financières et techniques à la réforme des structures économiques et sociales dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen »3, plusieurs projets liés aux migrations sont lancés. Le projet de développement le plus emblématique est celui des Provinces du Nord. Le coût de ce programme est de 104 millions d’euros sur l’ensemble de la période prise en compte ici. Dans le cas du développement des Provinces du Nord, la dimension de contrepartie n’est pas nécessairement visible : il s’agit plutôt pour les Européens de traiter les causes premières (ou les « racines », d’où le terme « Roots » qui est inclus dans 1
Entretien n°17, Direction de l’UE, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 19 novembre 2009.
2
Entretien n°26, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 21 juin 2010.
3
COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION (1996a). Council regulation on financial and technical measures to accompany (MEDA) the reform of economic and social structures in the framework of the Euro-Mediterranean Partnership. EC 1488/96 (adopted July 23, 1996), Official Journal, L 187, 1 July 1998.
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le nom du premier projet) de l’émigration marocaine. Le gouvernement marocain, à travers le Ministère de l’équipement et du transport, est le bénéficiaire de ce financement, qui est destiné principalement à l’amélioration du réseau routier dans cette partie du pays, dans les programmes indicatifs nationaux de 2002-2004 puis de 2005-2006. Le projet des Provinces du Nord est particulièrement intéressant à observer dans les documents, car c’est un projet de long terme, qui recouvre plusieurs programmes indicatifs nationaux, et on voit que sa caractérisation change au fil du temps. En effet, des projets en direction de cette région existent dès le programme MEDA I, et 45% des financements de ce programme concernent cette région, mais ils ne sont pas structurés en fonction de la zone géographique (Belguendouz 2005). Cependant celle-ci est présentée comme une forte zone d’émigration, mais aussi une région très enclavée, peu développée, et dans laquelle la culture du cannabis est très présente (Zouiri 2011, 96‑97). L’émigration est donc seulement une cause parmi d’autres de l’intérêt européen pour cette région. Dans le Document de stratégie 2002-2006, le projet de développement des Provinces du Nord est explicitement intégré à la catégorie des projets « Emigration », dans le volet « Social et humain »1. Cette dimension est de nouveau précisée dans le passage présentant le projet dans le Programme indicatif national 2002-20042. Cependant, dans le programme indicatif national (PIN) 2005-2006, bien que le projet soit toujours classé dans la catégorie des projets migratoires, la mention de la région comme zone d’émigration disparaît du descriptif détaillé3. Enfin, le programme indicatif national suivant (2007-2010) comporte également un financement du réseau routier de cette région (pour 25 millions d’euros), sous l’intitulé « Extension projet Rocade », mais ce programme n’est pas intégré à la catégorie des financements liés aux migrations – qui n’existe pas en tant que telle dans ce programme – mais dans la catégorie « Priorité économique »4. Dans le même programme indicatif, un autre programme de développement des infrastructures est développé (25 millions d’euros également), mais sous le vocable 1
COMMISSION EUROPÉENNE (2001). Op. cit., p.25.
2
Ibid., p.47.
3
COMMISSION EUROPÉENNE (2004). Partenariat Euro-Med. Maroc : Programme indicatif national 20052006, Bruxelles, p.8 et p.24-25, disponible sur : http://eeas.europa.eu/morocco/csp/nip_05_06_fr.pdf [consulté le 2 septembre 2013].
4
COMMISSION EUROPÉENNE (2006). Instrument européen de voisinage et de partenariat. Maroc : Programme indicatif national 2007-2010. Bruxelles, p.32. Nous n’avons pas comptabilisé ce projet dans le tableau.
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« Désenclavement de populations isolées : Infrastructures routières sociales »1 : la distinction entre les Provinces du Nord – pour lesquelles l’objectif de limiter la « forte propension à l'émigration vers l'Europe » est mentionné – et le reste du pays continue donc d’exister, alors même que le financement n’est plus affiché comme participant à la lutte contre les migrations irrégulières. La structure de répartition reste donc similaire, mais les désignations ont changé. Enfin, le programme indicatif 2011-2013 ne distingue pas particulièrement cette région et ne comporte aucun projet orienté vers les migrations. D’éventuels financements sur ce sujet sont mentionnés comme envisageables en cas de déblocage des négociations sur la réadmission2. La dimension de contrepartie des projets est réaffirmée par leur absence dans ce programme et l’élément de conditionnalité qui est introduit. Cependant, l’aide au développement du Nord du pays reste un axe important de la coopération : en effet, le projet « Appui aux dynamiques de développement intégré des Provinces et territoires ruraux du Nord » est l’un des trois projets principaux détaillés dans des « fiches actions » associées au programme d’action annuel de 2011, avec une contribution européenne de 19 millions d’euros3. Les variations dans la qualification d’un même projet montrent que les acteurs européens peuvent faire évoluer la classification d’un financement ou d’un projet en fonction de leurs interlocuteurs marocains, mais aussi de contraintes institutionnelles internes. Ainsi, un fonctionnaire de la Délégation de la Commission à Rabat évoque cette fluidité ou cette ambiguïté du classement des projets : C’est toujours un peu limite. Qu’est-ce que c’est que travailler sur la migration ? Personne ne sait vraiment. Par exemple le projet à Settat4, c’est un projet de développement. C’est très transversal.5 Si notre interlocuteur souligne ici l’ambiguïté ou les difficultés de classement de certains projets, qui seraient dues à leur dimension « transversale » (les projets étant partagés entre 1
Ibid., p.35.
2
COMMISSION EUROPÉENNE (2010a). Instrument européen de voisinage et de partenariat. Mid-term review of the country strategy paper morocco 2007-2013 and National Indicative Program 2011-2013, Bruxelles, disponible sur: http://eeas.europa.eu/sp/index_en.htm [consulté le 2 septembre 2013].
3
COMMISSION EUROPÉENNE (2011b). Décision d’exécution de la Commission du 10/08/2011 approuvant le programme d’action annuel 2011 en faveur du Maroc à financer au titre de l’article 19 08 01 du budget général de l’Union européenne. Annexe : fiche action pour le Maroc. C(2011) 5690 - PE/2011/5543, Bruxelles, 10 août, disponible sur : http://ec.europa.eu/europeaid/documents/aap/2011/aap_2011_mar_fr.pdf [consulté le 2 septembre 2013].
4
Il s’agit d’un projet Italie-Maroc financé par l’UE dans le cadre du programme AENEAS, pour le soutien à la création d’entreprises par des femmes au Maroc ou migrantes marocaines en Italie.
5
Entretien n°34, Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Rabat, 23 septembre 2010.
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plusieurs directions générales), cette ambiguïté peut également servir à requalifier certains financements en fonction des exigences politiques du moment. Ainsi, au début des discussions avec le Maroc sur la dimension externe des politiques migratoires européennes et la réadmission, au moment où la nouvelle DG JAI/JLS/HOME réclamait des financements, le projet de développement des Provinces du Nord a été étiqueté en tant que projet « migrations ». Certains programmes ont pu être intégrés à une dimension migratoire alors même que celle-ci n’était pas l’unique dimension du projet. Cette catégorie est devenue inévitable dans la rédaction des programmes indicatifs nationaux. Progressivement, à mesure que les discussions sur le rôle des différents instruments financiers et leurs rapports aux différents aspects des politiques migratoires, cette catégorie s’est effacée, pour finalement ne plus apparaître que comme conditionnelle. On peut dès lors se demander dans quelle mesure ces projets peuvent vraiment jouer un rôle de contrepartie dans le cadre de négociations sur la réadmission. Si l’élément de conditionnalité introduit dans le dernier programme indicatif national semble aller dans ce sens, on voit que les projets développés dépendent également d’autres logiques (économique, développement rural par exemple), qui peuvent également être mises en avant quand la dimension migratoire n’est plus de mise. On constate donc que l’ambiguïté des financements par rapport à l’accord de réadmission ou à une politique marocaine de contrôle des migrations, est constante. Ils ne sont jamais désignés comme des contreparties dans les documents officiels. Pourtant, nos entretiens montrent que c’est ainsi qu’ils sont perçus par les différents acteurs. Les demandes marocaines montrent en particulier que l’enjeu de reconnaissance de l’asymétrie de l’accord de réadmission notamment, et donc de la nécessité de contreparties, est bien présent. Enfin, ces contreparties financières sous forme de projets divers ne sont pas toujours accueillies avec enthousiasme du côté marocain, où les acteurs les considèrent la plupart du temps comme insuffisantes.
4) Des contreparties financières insuffisantes Si l’on cumule le montant des trois principaux projets qui sont financés par l’Union européenne dans le domaine des migrations et qui bénéficient directement à l’État marocain, on parvient à un total de 176.625 millions d’euros (177.66 en comptabilisant les deux projets initiaux financés par la ligne budgétaire B7-667). En ajoutant les projets qui ont bénéficié à des ONG ou à des organisations internationales, ce montant atteint 192 millions d’euros sur Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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une période d’une dizaine d’années. A titre de comparaison, le budget du Ministère de l’Intérieur en 2012 s’élève à 20,56 milliards de dirhams1, soit 1,8 milliards d’euros. Le secteur du tourisme au Maroc a représenté en 2011 5,1 milliards d’euros2. Les sommes consacrées aux différents projets migratoires bénéficiant directement à l’État marocain sur plusieurs années peuvent donc paraître à la fois relativement importantes l’année où elles sont dépensées, et minimes sur le long terme. Pour les acteurs de l’administration marocaine, notamment les négociateurs de l’accord de réadmission, ce montant est insuffisant. Ainsi, un fonctionnaire du Ministère de l’intérieur marocain nous parlait en 2009 de l’appui institutionnel à son ministère : Aujourd’hui, le coût du contrôle aux frontières est d’environ 100 millions d’euros. Il y a une mobilisation politique efficace, et les résultats sont le fruit des efforts exclusifs du Maroc. Il y a les 67 millions d’euros de l’UE, mais ce sont des clopinettes ! C’était une première expérience, uniquement faite pour inspirer la confiance. C’est un appui stratégique : il ne faut pas le voir uniquement sous l’aspect comptable, mais comme la solidarité concrète de deux partenaires.3 Quel que soit le coût réel du contrôle des frontières pour le Maroc, qu’il est très difficile d’évaluer, cet extrait d’entretien est intéressant parce qu’il met en scène une contradiction que l’on retrouve dans le discours de la plupart des acteurs marocains : d’une part, ce fonctionnaire souligne l’asymétrie entre des demandes européennes de contrôle des frontières et des efforts qui sont consentis par le Maroc (« les efforts exclusifs du Maroc ») ; d’autre part, il positionne le Maroc comme un pays qui interagit avec les pays européens sur un pied d’égalité (« la solidarité concrète de deux partenaires »). Cette contradiction apparente repose en réalité sur un aspect central qui est également mentionné dans ce passage : une contestation des modes de comptabilisation des pays européens dans le domaine des migrations (« il ne faut pas le voir uniquement sous l’aspect comptable »). Enfin, l’usage du mot d’argot, « clopinettes », rend particulièrement bien compte du mépris affiché de notre interlocuteur pour le financement européen. Pour lui, ce financement obtenu en 2003 n’est qu’un début, « une première expérience », mais devrait se poursuivre par un partenariat. 1
MINISTÈRE DE L’ÉCONOMIE ET DES FINANCES (Rabat) (2013). Projet de Loi Finances vu par la MAP, Rabat, disponible sur : http://www.finances.gov.ma/portal/page?_pageid=53,18190057&_dad=portal&_schema=PORTAL [consulté le 2 septembre 2013].
2
AFP (2012). « Maroc : le tourisme représente 7% Du PIB », Le Figaro, 27 novembre.
3
Entretien n°21, Direction des migrations, Ministère de l’Intérieur, Rabat, 26 novembre 2009.
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On retrouve ce mépris pour les financements européens chez plusieurs de nos interlocuteurs marocains dans d’autres institutions. A la Délégation marocaine auprès de l’UE, on compare le traitement réservé à l’Europe de l’est à ceux réservés aux pays du sud de la Méditerranée et au Maroc : « C’est flagrant. (…) Et puis financièrement, c’est différent, c’est pas du tout les mêmes proportions ! »1. La comparaison est amenée sur le terrain du financement, ce qui soutiendrait l’argument selon lequel les contreparties financières peuvent compter. Cependant, ici notre interlocuteur semble plutôt voir dans les financements un indice de l’implication différente de l’Union européenne dans ses relations avec les pays à l’est et les pays au sud de la Méditerranée, un indice de sa bonne (ou de sa mauvaise) volonté à l’égard de différents pays, de différentes zones géographiques. Enfin, un autre interlocuteur au Maroc, qui suit les relations avec l’Union européenne sur le sujet des migrations depuis plusieurs années, notamment au sein du Ministère de l’emploi puis du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger, affiche un manque d’enthousiasme similaire à propos des financements européens. Nous évoquons alors la négociation d’une nouvelle proposition européenne en 2012, le « partenariat pour la mobilité »2 : La seule chose qui nous inquiète un peu, c’est qu’il y a peu de fonds pour la coopération, et ça les deux parties en sont conscientes. Mais la Commission dit qu’il y a 360 millions quelque part. Je suis sûre que s’il y a un projet sécuritaire, il y aura des financements. 3 Notre interlocuteur relève avant tout ici l’opacité des financements européens disponibles. Là encore, il semble difficile de parler de contrepartie ou même de mesure d’accompagnement si les fonds disponibles ne sont pas annoncés dès le départ. Cependant, la Commission ferait miroiter un financement possible, relativement important, puisqu’il est supérieur à l’ensemble des financements reçus jusqu’à présent. Enfin, la mise en avant des facilités de financement pour un éventuel « projet sécuritaire » témoigne d’une méfiance envers l’Union européenne et les politiques mises en place. Il s’agit ici de souligner la propension de l’UE à financer de préférence des projets de contrôle des migrations. D’ailleurs, lorsque nous évoquons au cours
1
Entretien n°52, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 6 février 2012.
2
Cette proposition de partenariat et ses suites font l’objet du dernier chapitre de cette thèse.
3
Entretien n°65, Conseil de la communauté marocaine à l'étranger, Rabat, 10 juin 2012.
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de l’entretien la question du financement du projet international de l’ANAPEC, le montant limité accordé à ce projet et sa durée limitée sont soulignés : Le financement était normal, pour le fonctionnement. Le problème, toujours, des projets européens, c’est la pérennité. (…) Aujourd’hui pour les formations, on n’a plus les fonds.1 Une fois encore, cet interlocuteur fait part d’une déception par rapport aux financements européens. Après avoir rappelé que, dans le cadre du projet avec l’ANAPEC, ces financements n’étaient pas extravagants et ont simplement permis le fonctionnement du projet, il indique que ce projet ne fonctionne plus de la même façon aujourd’hui – ces formations avant le départ des candidats ne sont plus effectuées dans le cadre de l’ANAPEC. C’est donc la vision de court terme des financements européens qui est dénoncée à travers cette remarque. Pour conclure, l’idée selon laquelle les négociations sur la réadmission seraient un marchandage dans lequel les contreparties financières joueraient un rôle important est mise à mal pour plusieurs raisons : tout d’abord les difficultés à identifier avec certitude des financements qui seraient directement utilisées dans les négociations ; ces difficultés sont liées aux difficultés des négociateurs à mobiliser des financements soutenant explicitement et directement leurs objectifs. Les financements n’apparaissent en effet pas comme des objets clairement définis, mais comme des objets fluides et ambigus, enjeux à la fois des luttes concurrentielles au sein de la Commission et des négociations avec le Maroc. Au final, ils ne jouent pas seuls un rôle déterminant dans ces négociations, les acteurs étatiques marocains les estimant de toute façon insuffisants par rapport au coût de la réadmission. Les analyses existantes soulignent d’ailleurs généralement l’utilisation d’autres enjeux comme « monnaie d’échange » dans les négociations. Or, tout comme l’instrument financier, l’instrument « tactique » est rarement examiné en détail dans le cas des négociations sur la réadmission.
1
Ibid.
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220
B - Négociations et emboîtement des enjeux: extension et limites de la métaphore marchande Les incitations financières ne sont pas les seules à composer l’image des négociations comme des marchandages. Dans le cas de la réadmission, la plupart des analyses soulignent d’une façon ou d’une autre le lien opéré lors des négociations entre le contrôle des migrations et la politique commerciale ou les aides au développement (Lavenex 2002; Mrabet 2003; Coleman 2009, 39; Cuttitta 2010). Quels que soient les termes utilisés – marchandages, tradeoff, chantage – ces analyses se concentrent la plupart du temps sur des emboîtements opérés par la partie européenne, et cherchent à montrer comment ce mouvement participe d’une externalisation des contrôles migratoires (Lavenex 2002; 2006), dans certains cas afin de dénoncer une instrumentalisation des projets européens à des fins sécuritaires (Belguendouz 2005). Cependant, rares sont les analyses précises des mécanismes par lesquels fonctionnent ces marchandages. Si Emanuela Paoletti s’intéresse aux marchandages entre la Libye et l’Italie, peu d’analyses se penchent en détail sur la question. Ces marchandages sont donc souvent mentionnés mais ils sont rarement examinés. On peut, en suivant Ernst Haas (1980), identifier des emboîtements tactiques (tactical linkages), c’est-à-dire un lien établi dans les négociations entre des questions qui n’ont a priori rien à voir entre elles (par exemple l’accord de réadmission et un accord commercial). Ernst Haas distingue ce type d’emboîtement des emboîtements substantiels (substantive linkages) qui se produisent sur la base de développements cognitifs autour de connaissances consensuelles sur un sujet et un objectif approuvé par tous les partenaires (par exemple entre l’accord de réadmission et les quotas de migrants saisonniers). Tandis que les emboîtements substantiels ont été relativement fréquemment examinés dans le domaine des migrations (Mrabet 2003; Belguendouz 2005; Kunz et Lavenex 2008; Betts 2009; 2011), les analyses des négociations tiennent généralement pour acquis le principe des emboîtements tactiques. Or, si dans le cas des clauses de réadmission intégrées aux accords commerciaux, l’emboîtement est rendu visible, il convient de questionner l’évidence de ces marchandages tactiques. Tout d’abord parce que les preuves sont loin d’être évidentes : en effet, ces emboîtements tactiques peuvent être difficiles à repérer, car ils font souvent partie d’une diplomatie peu visible, de négociations officieuses. Lorsque deux accords sont négociés en
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parallèle, les parties ont souvent peu intérêt à divulguer les termes exacts de l’échange. En dehors des clauses de réadmission ou encore d’une mise en scène des emboîtements à travers l’usage du principe de « conditionnalité »1, les emboîtements tactiques sont rarement publicisés. De plus, lors des entretiens avec les négociateurs et les diplomates, l’idée selon laquelle « une bonne diplomatie est une diplomatie que ne s’affiche pas »2 est répandue. Nous proposons une démonstration à partir d’une part d’une analyse croisée des chronologies de négociation des accords de réadmission et d’autres accords, ce qui permet d’établir des corrélations ; d’autre part de l’interprétation qu’en donnent les acteurs, ce qui permet d’analyser d’éventuels liens de causalité. De plus, les analyses des emboîtements tactiques laissent penser à un automatisme de ces emboîtements, en fonction des intérêts des parties, prises dans leur globalité. Cependant, comme dans le cas des incitations financières, la mobilisation des ressources tactiques par les négociateurs d’un accord de réadmission peut se révéler difficile. En effet, ils doivent convaincre leurs collègues dans d’autres directions générales de lier leurs négociations à celles sur la réadmission. Or, la concurrence entre différentes directions générales recouvre des conflits dans la hiérarchisation des priorités. Également associés aux négociations sur les migrations, les « diplomates » de la Direction générale des relations extérieures (aujourd’hui du service d’action extérieure de l’UE) privilégient une approche plus générale de la relation avec un pays : dans le cas du Maroc, ils déclarent ainsi privilégier le maintien de relations cordiales et les accords commerciaux à un accord de réadmission. Ils doivent ainsi constamment hiérarchiser les priorités lorsqu’il existe des conflits entre plusieurs objectifs. Cette hiérarchie n’est jamais fixe et rarement explicite, elle dépend au contraire du contexte politique, mais aussi des relations de pouvoir entre les différents acteurs européens. Enfin, le sens de l’emboîtement n’est pas nécessairement évident. Les emboîtements tactiques consistent à lier temporairement des questions, grâce à la possibilité pour des acteurs de rendre leurs menaces ou leurs incitations crédibles. Ce type d’emboîtement se base a priori sur la possibilité pour l’une des deux parties d’offrir des ressources suffisantes pour pousser l’autre à accepter un accord auquel elle n’a pas intérêt. Cependant, nous verrons qu’il n’est 1
Nous reviendrons sur ce principe et son utilisation dans le chapitre 8.
2
Entretien n°2, Direction de l’emploi, Ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle, Rabat, 15 octobre 2009.
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pas toujours simple d’identifier la partie à l’origine d’un emboîtement tactique : si la partie européenne a lié accords commerciaux et réadmission, nous verrons que le faible intérêt de la partie marocaine pour cet accord a pu lui permettre d’utiliser en retour la perspective de la signature d’un accord de réadmission pour tenter d’obtenir une coopération européenne dans d’autres domaines. Les interprétations présentées par les acteurs sont donc aussi importantes que la réalité des tactiques utilisées : elles permettent de comprendre la façon dont ces emboîtements sont autant le fait de tactiques plus ou moins préparées que le résultat d’une construction par les acteurs dans le cadre de leurs relations globales. Nous analyserons dans un premier temps l’utilisation par les acteurs de l’Union européenne de clauses de réadmission dans le cadre de différents accords. Nous examinerons ensuite la chronologie des rounds de négociation de l’accord de réadmission. Enfin, nous nous intéresserons aux discours des acteurs marocains à partir de l’étude d’une « crise » dans les relations UE-Maroc au début de l’année 2012 : ce cas montre la difficulté qu’il y a à établir quels sont les acteurs des emboîtements tactiques et le fonctionnement de ces emboîtements. Ils apparaissent autant comme un moyen d’incitation utilisé par les acteurs européens dans les négociations que comme un mode de résistance des acteurs marocains aux exigences européennes.
1) Les clauses de réadmission : un emboîtement tactique visible Il existe dans le cas des négociations sur la réadmission un exemple très visible d’emboîtement tactique : à l’origine, le mode de négociation le plus courant de ces accords a consisté pour l’Union européenne à inclure des clauses de réadmission dans les accords d’association, signés entre l’UE et les pays tiers. Dans ce cas, l’Union européenne tente d’user de son pouvoir économique pour atteindre des objectifs de politique migratoire. Ces accords concernent les pays candidats en Europe centrale et orientale et en Méditerranée, ainsi que certains pays méditerranéens dans le cadre de la politique euro-méditerranéenne. Des accords de stabilité et d’association ont également été conclus avec certains pays des Balkans. Enfin, des accords de partenariats ont été signés avec les pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP), sur la base des accords de Cotonou signés en 2000. Ce type d’accords inclut en général un accès préférentiel aux marchés européens (avec un objectif de libéralisation du commerce, à terme), une coopération économique et technique variée, des aides financières européennes, un dialogue politique et, pour certains pays, la promesse d’une adhésion à l’UE. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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La dimension de dialogue politique concerne essentiellement des questions de droits de l’Homme, de démocratie, et de coopération culturelle. Dans les années 1960 et 1970, les clauses liées aux migrations dans ce type d’accords – avec la Turquie en 1963, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie en 1976 – concernaient plutôt le statut des travailleurs de ces pays dans les pays européens (Lavenex 2002). C’est dans les années 1990 que ce dialogue politique a été élargi à des enjeux de contrôle migratoire. Avant la mise en place d’une compétence communautaire dans le domaine de la réadmission, dès 1995, des clauses concernant ce sujet ont été ajoutées aux accords d’association avec les pays tiers. L’accord d’association signé avec le Maroc en 2000 comporte, comme celui avec la Tunisie, de nouvelles clauses. Ainsi, dans le chapitre concernant les dispositions relatives aux travailleurs, qui préexiste à cet accord, un article est ajouté et précise que : « les dispositions du présent chapitre ne sont pas applicables aux ressortissants de l’une des parties qui résident ou travaillent illégalement sur le territoire du pays d’accueil »1. De plus, l’article 69-3c liste, dans les sujets de « dialogue régulier » : « les problèmes relatifs (…) à l’immigration clandestine et aux conditions de retour des personnes en situation irrégulière au regard de la législation au séjour et à l’établissement applicable dans le pays hôte »2. Enfin, un autre article mentionne parmi les actions prioritaires « la réduction de la pression migratoire » et « la réinsertion des personnes rapatriées en raison du caractère illégal de leur situation au regard de la législation de l’État considéré »3. A la différence de l’accord de Cotonou avec les pays de la zone ACP4, la réadmission n’est donc pas mentionnée directement dans cet accord, mais elle est abordée à travers le thème de la collaboration au retour des personnes en situation irrégulière. Plus généralement, c’est la coopération au contrôle des migrations qui mise en avant, y compris des actions permettant 1
Accord Euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part, Journal officiel des Communautés européennes, L 70, 18 mars 2000, art.66, disponible sur : http://eurlex.europa.eu/JOHtml.do?uri=OJ:L:2000:070:SOM:fr:HTML [consulté le 2 septembre 2013].
2
Ibid., art. 69-3c.
3
Ibid., art. 71-1a et b.
4
Accord de partenariat entre les membres du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d’une part et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, signé à Cotonou le 23 juin 2000 Protocoles - Acte final - Déclarations. 2000/483/CE, Journal Officiel, L 317, 15 décembre 2000, disponible sur : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:22000A1215%2801%29:FR:NOT [consulté le 2 septembre 2013]. L’article 13-5c convient d’une obligation pour les États de réadmettre leur ressortissant et prévoit la négociation d’accords de réadmission incluant les ressortissants de pays tiers et les apatrides.
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d’éviter l’émigration. Ce type de clause apparaît comme un préalable à la mise en place d’une clause plus générale de « gestion conjointe des flux migratoires » : le principe est adopté lors du Conseil européen de Séville1 et est intégré aux accords de coopération signés par la suite (Peers 2006; Coleman 2009). L’idée selon laquelle une clause de réadmission doit être intégrée aux accords internationaux persiste, comme le montre son inclusion dans le « statut avancé » accordé au Maroc en 2008 dans le cadre de l’accord d’association. Dans la déclaration de l’Union européenne, la nécessité de conclure un accord de réadmission est clairement indiquée : Tout en rappelant les efforts entrepris par le Maroc en matière d'immigration illégale, l’Union européenne regrette que les négociations sur un accord de réadmission n’aient pas pu être conclues depuis la dernière session du Conseil d’Association. L’UE réaffirme l’importance qu’elle attache à la conclusion prochaine de cet accord, qui ouvrira de nouvelles possibilités de développement de la coopération avec le Maroc y compris dans le contexte du dialogue sur le renforcement des relations bilatérales.2 La forme est différente par rapport à une clause concernant la réadmission ou la gestion des migrations dans un accord d’association : l’emboîtement des enjeux entre de potentielles aides au développement et d’autres formes de coopération et la signature de l’accord de réadmission est directement suggéré dans ce paragraphe. De même, l’accord de libre-échange complet et approfondi, dont les négociations ont commencé en avril 2013, devrait contenir une clause de réadmission3. L’issue-linkage ou d’emboîtement des enjeux est donc régulièrement utilisé par les institutions européennes dans le cadre des accords généraux avec des pays tiers, dont le Maroc, pour promouvoir le principe de contrôle des migrations. Cependant, la mise en place de ce type de clauses n’a pas eu l’effet escompté. Par exemple, au moment de la renégociation des accords de Cotonou en 2010, l’Union européenne n’est pas parvenue à imposer une révision de l’article 13, qui portait sur la réadmission. Alors que la Commission souhaitait 1
EUROPEAN COUNCIL (2002). Seville European Council. Presidency Conclusions, n°13463/02, 19-20 October (printed 1/10/2003), par.33.
2
CONSEIL D’ASSOCIATION UE-MAROC (2008). Statut avancé d’association UE-Maroc (déclaration de l’Union européenne), Luxembourg, 13 octobre, par.26, disponible sur : http://www.statut-avance.com/laccord [consulté le 2 septembre 2013].
3
TOHRY, Fatima-Zahra (2013). « Maroc-Union Européenne : c’est parti pour un accord « Nouvelle Génération » », L’Economiste, 23 avril.
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inclure des modalités pratiques sur la réadmission, les pays ACP s’y sont fermement opposés, et seule une déclaration commune sur un engagement à « mettre en place les modalités de cette coopération renforcée » a pu être adoptée1. De plus, on peut se demander ce qu’il en est de cet emboîtement dans le cadre de négociations plus spécifiques, par exemple dans le cadre de la négociation d’un accord commercial sur des produits précis. Dans ce cas, les emboîtements sont peut-être plus efficaces, mais plus difficiles à repérer car ils ne sont pas formalisés dans les textes. Ils font partie d’une diplomatie moins visible, mais sans doute présente, comme le suggère la Communication sur le développement d’une politique commune en matière d’immigration clandestine et de retour des personnes en séjour irrégulier de 2003, qui propose l’adoption de « mesures compensatoires » dans une variété de domaines tels que « l'intensification de la coopération économique, le développement des échanges commerciaux, une aide plus soutenue au développement, un accès plus aisé aux marchés ou des préférences tarifaires »2. Cependant, plus qu’un emboîtement, on voit ici un plaidoyer de la Direction générale JLS/JAI/HOME en faveur d’un emboîtement des enjeux, afin de gagner des incitations dans d’autres domaines. Si les conclusions du Conseil en 2004 incluent dans les incitations à la signature d’accords de réadmission « des mesures dans tous les domaines communautaires »3, il reste difficile pour la DG JAI/JLS/HOME de convaincre les autres Directions générales et les États membres de créer des liens entre une politique de contrôle des migrations et d’autres domaines de coopération. Ceci fait jusqu’à aujourd’hui l’objet de discussions au Conseil comme à la Commission, avec notamment un questionnement autour du principe de conditionnalité, que nous aborderons dans le dernier chapitre de cette thèse. Il convient cependant ici de s’interroger sur l’usage et le fonctionnement d’éventuels emboîtement tactiques en dehors des clauses de réadmission.
1
PARLEMENT EUROPÉEN (2010). Questions parlementaires : Réponse donnée par M. Piebalgs au nom de la Commission. E-2960/2010 ; « L’UE et les ACP révisent l’accord de Cotonou », AFP / Jeune Afrique, 20 mars 2010.
2
COMMISSION EUROPÉENNE (2003a). Op. cit., p.15.
3
COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION (2004). Draft council conclusions on the priorities for the successful development of a common readmission policy, 13758/04, November 2, par.4.
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2) Des emboîtements discrets Au-delà des clauses de réadmission ou de contrôle des frontières intégrées à des accords commerciaux ou d’association, l’emboîtement tactique de différents enjeux ne peut être conçu comme unilatéral. Comme le notent Emanuela Paoletti et Feruccio Pastore à partir de l’exemple libyen (2010), plusieurs pays utilisent les migrations comme un outil de leur politique étrangère. Cependant, les emboîtements tactiques non formalisés sont par définition plus difficiles à saisir qu’une clause de réadmission. On imagine mal les pays dits d’origine ou de transit demander l’inclusion d’une clause sur le commerce dans un accord de réadmission. La négociation de l’accord de réadmission s’intègre néanmoins dans le cadre beaucoup plus large des relations UE-Maroc. Les négociations se déroulent généralement autour « d’éléments saillants », les rounds de négociation, et « d’éléments moins visibles, telles les luttes consécutives de pouvoir autour de problématiques indirectement liées » (Daoudy 2006, 68). Dans le cas qui nous occupe, les éléments saillants, les rounds de négociation, ne sont pas des événements annoncés publiquement. Ils ne sont pas des événements secrets, mais ils ne font pas non plus l’objet d’annonces spécifiques. Seuls des entretiens permettent de retracer le processus de négociations. Étant donné la longueur de ce processus, il est important de mettre en relation autant que possible la chronologie des négociations avec la chronologie des relations entre l’union européenne et le Maroc, mais aussi avec la chronologie d’événements internes au Maroc.
Tableau 14 - Chronologie des rounds de négociation de l'accord de réadmission1 Date
03/ 2000 09 / 2000 01/2002 -10/ 2003 02/ 2002 09/ 2002
Rounds de négociation de l’accord
Autres événements
Entrée en vigueur de l’accord d’association (signé en 1996) Mandat de négociation de l’accord de réadmission délivré à la Commission par le Conseil Réexamen du volet agricole de l’accord d’association – Nouvel accord agricole signé en 12/ 2003 Affaire Annajat au Maroc (voir chapitre 6) Élections législatives au Maroc – ré-élection de la coalition gouvernementale
1
Pour les dates des rounds de négociation : entretien n°67, Entretien téléphonique, DG Affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 31 janvier 2013.
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03/2003 04/ 2003 05/ 2003 09/ 2003 11/ 2003
UFSP-Istiqlal Lancement de la Politique européenne de voisinage Round 1 Attentats terroristes à Casablanca Round 2 Adoption des lois 02-03 (entrée et séjour des étrangers) et 03-03 (lutte contre le terrorisme) au Maroc
04/ 2004 05/ 2004 06/ 2004 12/2004 01/ 2005 04/ 2005 07/ 2005 10/ 2005 11/2005 09-10/ 2005
Round 3
12/ 2005 01/ 2006 05/ 2006 07/ 2006
Round 9 Round 10 Round 11
12/ 2006 02/ 2007 07/ 2007 09/ 2007
Document de stratégie sur la Politique européenne de voisinage Round 4 Round 5 Round 6 Round 7 Plan d’action UE-Maroc Round 8 Lancement du processus euro-méditerranéen de la conférence de Barcelone Tentatives d’escalade des clôtures des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au nord du Maroc par des migrants africains. Plusieurs sont tués. Madrid et Rabat se rejettent la responsabilité.
Première conférence euro-africaine sur la migration et le développement – « Lancement du processus de Rabat » Accord « Open Sky » (domaine aérien) Round 12 Conseil d’association UE-Maroc et Programme indicatif national 2007-2010 Élections législatives au Maroc – Victoire du parti gouvernemental conservateur Istiqlal Statut avancé Deuxième conférence euro-africaine sur la migration et le développement, Paris.
10/ 2008 11/ 2008 01/ 2009 10/ 2009 07/ 2010 10/ 2010 02/ 2011
Round 13 Round 14
10/ 2011
Partenariat pour la mobilité
Programme indicatif national 2011-2013 Round 15
11/ 2011 11/ 2011 12/ 2011 02/ 2012
03/2013 03/ 2013
Partenariat pour la mobilité
Début du mouvement du 20 février au Maroc (manifestations remettant en cause le fonctionnement du régime) « Dialogue sur la mobilité » : proposition par la Commission européenne au Maroc de Partenariat pour la mobilité. Troisième conférence euro-africaine sur la migration et le développement, Dakar – Adoption de la « stratégie de Dakar » Elections législatives au Maroc – Victoire du Parti de la Justice et du Développement (PJD, parti islamiste) Rejet du renouvellement de l’accord de pêche par le Parlement européen Vote de l’accord sur la libéralisation des échanges entre l'Union européenne et le Maroc pour les produits agricoles et de la pêche par le Parlement européen et accord pour la participation du Maroc à certains programmes communautaires. Conclusion des négociations en vue de la signature d’un Partenariat pour la mobilité Lancement des négociations sur un accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA)
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06/ 2013
Partenariat pour la mobilité
Signature du Partenariat pour la mobilité (voir chapitre 8)
On peut séparer l’analyse de cette chronologie en deux périodes : d’une part, la période 2003-2010, durant laquelle ont lieu des rounds de négociation de l’accord de réadmission à proprement parler. Puis, aucun accord n’ayant été trouvé lors des derniers rounds de 2009 et 2010, la période 2010 à 2013, durant laquelle tout l’enjeu a consisté pour les acteurs européens à « faire revenir » les Marocains « à la table des négociations »1 de l’accord de réadmission. Entre 2003 et 2010, l’analyse de la chronologie des rounds de négociation permet de souligner des corrélations entre la négociation de l’accord de réadmission et d’autres accords. Ainsi, les premiers rounds, en 2003, ont lieu parallèlement au réexamen du volet agricole de l’accord d’association. La négociation continue à des intervalles réguliers et fréquents en 2004 et 2005, en parallèle du lancement de la Politique européenne de voisinage et de son Plan d’action pour le Maroc. Si on observe une longue interruption des négociations entre 2007 et 2009, c’est qu’un accord de principe est trouvé, et que la discussion passe au niveau technique pendant deux ans. Durant cette interruption, de nombreuses réunions techniques ont lieu afin de discuter des détails logistiques d’un accord2. Cette période correspond également à la négociation du « statut avancé », obtenu par la Maroc en 2008. Ce statut reste un simple accord de principe, une feuille de route pour l’approfondissement de la coopération entre le Maroc et l’union européenne, jusqu’à la mise en place de négociations pour un « plan d’action pour la mise en œuvre du statut avancé » en 2010. Cependant, ce statut correspond à l’affirmation d’une volonté européenne d’approfondir la coopération avec le Maroc, et prévoit l’intégration progressive du pays au marché commun européen. Il est présenté comme une victoire par les autorités et les médias au Maroc, par exemple comme permettant « de bénéficier de toutes les attributions d’un pays membre, sauf la participation aux institutions politiques de l’Union »3. La formule du président de la Commission Romano Prodi au sujet des pays du sud de la Méditerranée, « tout sauf les institutions », est reprise par le Ministre
1
Entretien n°51, DG Affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 3 février 2012.
2
Entretien n°67, Entretien téléphonique, DG Affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 31 janvier 2013.
3
KERDOUDI, Jawad (2012). « Réussir le statut avancé », Le Matin, 5 mars.
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marocain des affaires étrangères Taïeb Fassi Fihri pour décrire ce statut avancé1. Sachant que le roi Hassan II avait demandé l’adhésion du Maroc à la CEE en 1987, ce qui, malgré le refus essuyé, avait constitué un symbole fort des ambitions marocaines par rapport à l’Union, le fait que le pays soit le premier à obtenir le « statut avancé », réclamé depuis 20042, est décrit lors des entretiens comme un objet de grande satisfaction. Malgré certaines réserves au sujet de la mise en œuvre de l’accord, les acteurs administratifs marocains rencontrés mentionnent ce statut avec fierté, en particulier par comparaison avec l’Algérie et la Tunisie3. Comme nous l’avons vu plus haut, ce statut avancé contient un article sur la nécessité de signer rapidement un accord de réadmission. Un diplomate français indique d’ailleurs que la question s’est posée de savoir si le statut avancé devait être accordé bien que l’accord de réadmission n’ait pas été signé4. Cependant, plusieurs difficultés émergent pour interpréter ces corrélations. D’une part, l’influence possible d’autres éléments, notamment des événements imprévisibles. Ainsi, les attentats terroristes qui ont eu lieu à Casablanca en 2003 ou les événements survenus à Ceuta et Melilla en 2005 ont pu influencer le cours des négociations. Dans ce cadre, les négociations avec l’Union européenne sur l’accord de réadmission se poursuivent, mais la question de l’équilibre des politiques migratoires entre aspects sécuritaires et développement est accentuée par les acteurs marocains et influence la suite des négociations. La chronologie des rounds de négociation ne peut donc pas être interprétée à la seule lumière des emboîtements tactiques avec des accords commerciaux ou d’accords de coopération. Il convient de tenir compte également d’événements externes au processus de négociation pour expliquer les périodes d’accélération ou de ralentissement des négociations. En dehors des clauses de réadmission, les corrélations temporelles observées ne peuvent pas être interprétées comme des emboîtements tactiques au sens strict. La réadmission s’intègre à l’ensemble des relations Maroc-UE et ne conditionne pas le reste de la coopération.
1
« Le Maroc obtient le « statut avancé » auprès de l’UE », L’Express, 14 octobre 2008.
2
« L’Europe octroie un statut avancé à Rabat », RFI.fr, http://www.rfi.fr/actufr/articles/106/article_73438.asp [consulté le 10 mars 2012].
12
octobre
2008,
3
La Tunisie a obtenu le statut avancé quatre ans plus tard, en 2012. Au moment des entretiens en 2009, le Maroc est le seul pays à avoir obtenu ce statut.
4
Entretien n°46, Direction de l’Union européenne, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 16 juin 2011.
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De plus, la notion d’emboîtements tactiques suppose une direction des emboîtements. L’accord de réadmission apparaîtrait ainsi soit comme une condition posée par l’UE pour la signature d’autres accords, soit comme un outil des diplomates marocains, qui menaceraient de ne pas signer cet accord pour en obtenir d’autres. Or, il peut être difficile de distinguer ces deux dimensions. Seules les interprétations des événements par les acteurs de chaque partie peuvent permettre de comprendre les liens entre la réadmission et d’autres domaines de négociations. La deuxième période de la chronologie est particulièrement intéressante à cet égard, puisqu’elle correspond à un moment de reconfiguration des négociations sur la réadmission et connaît parallèlement une phase de « crise » dans les relations Maroc-UE au cours de laquelle nous avons pu mener des entretiens.
3) Discours et retournements des emboîtements Seuls les discours des acteurs permettent d’interpréter la chronologie des négociations sur la réadmission pour en déduire d’éventuels emboîtements tactiques. Or, ces discours montrent que si le lien entre réadmission et accords commerciaux a été initié par l’UE dans le cadre des accords d’association, ce lien est également utilisé par les acteurs marocains. Entre le 15ème round en octobre 2010 et l’accord autour d’un Partenariat pour la mobilité au printemps 2013, tout l’enjeu a consisté pour les acteurs européens, comme nous l’avons noté plus haut, à faire revenir les Marocains à la table des négociations de l’accord de réadmission. La solution formulée par la Direction des affaires intérieures a consisté à offrir un « partenariat pour la mobilité », c’est-à-dire une forme d’emboîtement substantiel des enjeux. Celui-ci inclurait un accord de réadmission, mais dans un cadre plus large de coopération sur les migrations, y compris avec une possibilité de libéralisation partielle du régime des visas1. Cependant, si ce partenariat a finalement été signé en 2013, la réception initiale de la proposition par la diplomatie marocaine était plutôt méfiante. Au moment de nos entretiens au début de l’année 2012, une attitude sceptique domine. On peut attribuer cette méfiance à une longue expérience des négociations sur le sujet de la réadmission, mais aussi à des événements dans d’autres domaines de coopération avec l’Union européenne.
1
Nous reviendrons plus en détail sur cette proposition dans le dernier chapitre de cette thèse.
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En effet, l’année 2012 a constitué à cet égard un test pour l’observation de l’imbrication tactique des négociations, en particulier à cause de l’échec de la reconduction d’un accord important, l’accord de pêche entre le Maroc et l’UE. Au début de l’année 2012, deux accords importants entre le Maroc et l’UE doivent être votés au Parlement européen : le renouvellement d’un accord de pêche et un accord de libéralisation des produits de l’agriculture et de la pêche. Encadré 3 - Les accords de pêche dans la relation Maroc – Union européenne1 Jusqu’à l’entrée de l’Espagne et du Portugal dans la CEE en 1986, le droit de pêche des flottes espagnoles et portugaises dans les eaux territoriales marocaines est gouverné par des traités bilatéraux. Après l’accession de ces deux États, des négociations pour un accord global de pêche avec le Maroc sont initiées. En 1988, la Communauté européenne et le Maroc signent un accord de pêche de quatre ans, qui bénéficie principalement à des chalutiers espagnols et portugais, sans restriction sur les quantités ou les espèces. En échange, le Maroc impose une période d’un mois de repos biologique pour la protection des espèces et 282 millions d’écus. En 1992, le Maroc parvient à de meilleures conditions dans un nouvel accord : 310 millions d’écus de compensation et une période de repos biologique prolongée. Cependant, les deux parties mettent fin à l’accord avant la date fixée à cause de désaccords sur l’utilisation des licences. Le Maroc refuse de délivrer des licences de pêche pour les chalutiers européens pendant plusieurs mois. Après de nouvelles négociations, un nouvel accord de pêche est conclu en novembre 1995 entre l'UE et le Maroc, en conjonction avec l’accord d’association. La période de repos biologique est encore allongée, et la compensation financière est de 355 millions d’écus, auxquels s’ajoutent 145 millions d’écus pour le développement du secteur de pêche industrielle, la recherche marine et la formation des pêcheurs marocains. À l’époque, cet accord de pêche était le plus important jamais signé entre l'UE et un pays tiers. Le Maroc signale cependant qu’il ne souhaite pas renouveler l’accord, qui arrive à expiration en 1999, afin de développer son secteur national de pêche et de préserver ses ressources halieutiques. Les flottes espagnoles et portugaises sont lourdement affectées. On peut se demander si à ce moment-là, l’insistance espagnole sur la question des migrations n’est pas liée à ce dossier (Belguendouz 2005). L’UE considère qu’elle pourrait exercer des pressions via les négociations sur l’accord d’association et le programme MEDA, mais signe dès 1998 son plus gros accord de pêche avec la Mauritanie.
1
A partir des documents suivants : COMMISSION EUROPÉENNE (2012). Maroc : accord de partenariat dans le secteur de la pêche ; « Accord de pêche UE-Maroc : prorogation rejetée et appel à un meilleur accord. », Parlement Européen Actualité, 14 décembre 2011, disponible sur : http://www.europarl.europa.eu/news/fr/pressroom/content/20111213IPR34070/html/Accord-de-p%C3%AAcheUE-Maroc-prorogation-rejet%C3%A9e-et-appel-%C3%A0-un-meilleur-accord [consulté le 13 juin 2013]; « Accords de pêche UE-Maroc », MEDEA - Institut européen de recherche sur la coopération méditerranéenne et euro-arabe, disponible sur http://www.medea.be/fr/pays/maroc/accords-de-peche-ue-maroc/ [Pages web consultées le 12 février 2013].
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En dépit de ces difficultés, un nouvel accord est négocié et entre en vigueur en février 2007, pour une durée de quatre ans renouvelables : en échange d’une contribution financière de 36,1 millions d’euros par an, dont 13,5 millions destinés à soutenir une politique de pêche durable au Maroc, le Maroc a délivré des autorisations de pêche à des navires provenant de onze États membres. Le premier protocole annexé à l'accord a expiré le 27 février 2011, mais un second protocole, qui reprend quasiment les mêmes conditions que son prédécesseur l’avait prolongé d’un an. En décembre 2011, le Parlement européen a décidé de ne pas approuver la conclusion de l'accord. Les eurodéputés mettent en avant plusieurs raisons pour expliquer leur vote : le faible rapport coût-bénéfice pour l'Union européenne, l'exploitation excessive des espèces qui vivent près des fonds marins, la contribution très limitée des fonds européens au développement de la politique de pêche locale, et de doutes sur les avantages de l’accord pour la population locale du Sahara occidental. Ce dernier argument est crucial pour comprendre la réaction marocaine. La question du Sahara occidental, cette ancienne colonie espagnole annexée par le Maroc en 1975, sous le règne d’Hassan II, est un enjeu fondamental de la politique intérieure et étrangère marocaine. La pêche internationale dans les eaux territoriales de cette région a posé la question de la souveraineté marocaine dès les années 1970 (Mundy et Zunes 2010, 82). Pour les eurodéputés qui se sont opposés au renouvellement, l'accord ne prend pas suffisamment en compte les intérêts de la population du Sahara occidental. Selon le site du Parlement européen, « les députés ont également appelé la Commission à garantir que le nouveau protocole respecte pleinement les lois internationales et soit avantageux pour toutes les populations concernées, en particulier le peuple sahraoui ». Or, il ne s’agit pas seulement de la situation socioéconomique de la population locale : le renouvellement d’un accord de pêche incluant les eaux territoriales au large du Sahara occidental équivaudrait à une reconnaissance tacite de la « marocanité » de cette région de la part de l’Union européenne. Les négociations sur le contenu du « partenariat pour la mobilité » devaient commencer en janvier 2012, comme nous le confie « desk Maroc » au Service européen pour l’action extérieure (SEAE) en février : En janvier, on aurait dû commencer les négociations. Mais il y a eu un petit problème avec l’accord de pêche. (…) Les États-membres ont marqué leur accord à la Commission pour lancer les négociations pour un accord de libre-échange approfondi et complet. Avec le Maroc, on a déjà un accord sur la libéralisation des produits de l’agriculture et de la pêche. Et puis en décembre 2011, il y a eu l’horrible épisode des sessions parlementaires. On a passé des heures pour essayer de convaincre les parlementaires. Le protocole pour l’accord de pêche rejeté a jeté un froid dans nos relations. Le Ministre des affaires étrangères a annoncé qu’ils allaient réfléchir à l’avenir des relations bilatérales. L’accord de pêche était passé à la Commission, mais a été rejeté en plénière. Il y a eu une réaction à vif des Marocains. (…) C’est clair que si l’accord sur l’agriculture est rejeté, il y aura plus qu’un froid, un gros souci pour le lancement des négociations sur l’accord de libre-
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échange approfondi, et pour les négociations en cours sur la libéralisation des services.1 La première chose qui transparaît dans cet extrait, c’est à quel point la thématique des migrations apparaît comme secondaire : la question des accords de libéralisation est visiblement bien plus centrale, vue du SEAE, que celle de la réadmission ou de la gestion des migrations. Ces arguments sont donnés pour expliquer le report des négociations sur les migrations, mais ce sont plutôt celles sur le libre-échange qui sont ensuite évoquées et développées par notre interlocuteur. En effet, la question de l’ouverture des marchés est centrale dans les relations extérieures de l’Union européenne, en particulier avec les pays voisins, et elle est au cœur de la relation avec le Maroc, dans l’accord d’association comme dans le statut avancé. Un deuxième élément important de cet extrait concerne un autre accord, qui est aussi important dans cette relation : l’accord de pêche. Le refus de renouveler cet accord par le Parlement européen alors que le nouvel accord était soutenu par la Commission est évalué très négativement (« l’horrible épisode des sessions parlementaires »). C’est avant tout le conflit institutionnel entre le Parlement et la Commission qui est problématique ici, le fait que la Commission doive passer beaucoup de temps pour « convaincre les parlementaires ». Ce conflit institutionnel est de nouveau souligné par la précision selon laquelle le texte avait été approuvé par la Commission, mais avait été rejeté publiquement, en assemblée plénière, par le Parlement. Enfin, les conséquences de ce rejet sont détaillées : une déclaration du Ministre des affaires étrangères du Maroc, Taïeb Fassi-Fihri, d’abord. Celui-ci avait en effet déclaré que ce rejet conduisait à s’interroger sur « l'opportunité d'une réévaluation globale de son partenariat avec l'UE », alors que « des négociations sont en cours avec l'UE dans le cadre de perspectives mutuellement prometteuses sur d'autres volets de coopération »2. Si Taïeb Fassi-Fihri évoque sans aucun doute ici les négociations sur un accord de libre-échange approfondi, on pourrait également inclure les négociations sur les migrations dans cette déclaration. Les conséquences négatives du vote du Parlement sur les relations UE-Maroc sont réitérées par notre interlocuteur lorsqu’il évoque une « réaction à vif » des Marocains (ceux-ci ont exigé le départ immédiat des bateaux de pêche européens présents dans leurs eaux territoriales), expliquée dans la suite de l’entretien par le lien entre 1
Entretien n°55, Service européen pour l’action extérieure, Bruxelles, 7 février 2012.
2
« Accord de pêche : coup de froid entre le Maroc et l’Union Européenne », RFI/AFP, décembre 2011, http://www.rfi.fr/afrique/20111215-accord-peche-coup-froid-entre-le-maroc-union-europeenne [consulté le 10 mai 2012].
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cet accord de pêche et l’enjeu du Sahara occidental. Enfin, il évoque un prochain vote du Parlement européen pour un autre accord, celui sur les produits agricoles, et les conséquences d’un potentiel rejet sur l’ensemble de la relation avec le Maroc. On ne perçoit pas tant ici un issue-linkage spécifique entre la question des migrations et d’autres domaines, mais plutôt une conditionnalité de toute la relation entre Bruxelles et Rabat attachée au vote sur l’accord agricole. Ces deux accords – pêche et agriculture – sont également évoqués par le diplomate en charge du dossier des migrations à la Délégation marocaine auprès de l’UE, dès le début d’un entretien pendant la même période. En réponse à une question très générale pour savoir depuis quand cette personne est en charge du dossier, c’est toute l’évolution de la proposition de « partenariat pour la mobilité » qui est développée, puis : Nous avons un partenariat stratégique, nous somme dans le statut avancé, nous avons d’autres accords en cours. L’accord de pêche est bloqué. Pour l’accord sur l’agriculture, les perspectives ne sont pas très heureuses. On attend le vote du 14 février. Il y a des enjeux politico-politiques qui bloquent. Mais ceux qui veulent faire leur marché dans le partenariat avec le Maroc, ça ne nous intéresse pas.1 L’affirmation de l’insertion des enjeux de pêche et de marché agricole dans une relation globale est un moyen de constituer un emboîtement entre ces questions et l’ensemble de la relation entre le Maroc et l’Union européenne – y compris les questions migratoires. Le rappel immédiat de ces votes récents ou en cours montre leur importance au regard du dossier des migrations qui était évoqué dans la question. Le pessimisme qui ressort de cet extrait (« les perspectives ne sont pas très heureuses ») permet de souligner le rôle du vote sur les produits agricoles qui est attendu – une date précise est mentionnée – avant de poursuivre sur les autres dossiers. La coopération marocaine semble donc suspendue à ce vote. La dénonciation du vote négatif sur l’accord de pêche est d’ailleurs vigoureuse, avec l’usage de l’adjectif « politico-politiques », qui donne un sens extrêmement péjoratif à la notion de politique – surtout dans la bouche d’un diplomate – et qui vise ici les arguments relatifs au Sahara occidental. Enfin, l’emboîtement des enjeux ne pourrait être mieux exprimé que par la métaphore marchande : l’Union européenne, ou ses parlementaires, ne peuvent pas « faire leur marché dans le partenariat » – par exemple en coopérant sur les migrations mais non sur l’accord de pêche ou l’ouverture du marché des produits agricoles. Cependant, il est difficile 1
Entretien n°52, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 6 février 2012.
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de savoir si la formulation très claire de ce qui sonne comme un principe marocain (« ça ne nous intéresse pas »), avec l’usage de la première personne du pluriel pour désigner l’État marocain, sur un ton définitif, doit être attribuée à une spécificité de notre interlocuteur, à un effet de contexte (l’entretien a lieu entre deux votes importants et suite au vote négatif sur la pêche), ou à une évolution de la relation générale entre Bruxelles et Rabat. L’accord sur la libéralisation des échanges entre l'Union européenne et le Maroc pour les produits agricoles et de la pêche est finalement voté le 16 février 2012, malgré une résolution tenant compte des réticences de certains députés et une nouvelle mise en avant d’arguments concernant le Sahara occidental, notamment par José Bové, qui était rapporteur et qui a retiré son nom du rapport après le vote en plénière1. Par ailleurs, le 14 février, le Parlement avait donné son accord pour la participation du Maroc à certains programmes communautaires, ce qui constitue une étape importante dans l’évolution de la politique de voisinage avec ce pays2. Ce n’est sans doute pas la perspective d’un blocage sur le dialogue migratoire qui a poussé les parlementaires à ces votes – ou la Commission à faire pression sur eux pour arriver à ce résultat. D’autres enjeux de la relation entre le Maroc et l’Union européenne sont plus centraux. Les entretiens montrent que l’enjeu de la réadmission et du contrôle des migrations est dépendant d’autres négociations y compris pour les acteurs européens et marocains en charge de la question des migrations. S’il y a emboîtement des enjeux alors, contrairement aux souhaits des négociateurs de la DG JAI/JLS/HOME, l’accord de réadmission n’est pas assez central pour que les autres Directions générales s’en préoccupent, mais son poids symbolique est assez important pour que les négociateurs marocains menacent de ne pas le signer. Pour conclure, les emboîtements tactiques des questions de contrôle des migrations avec d’autres enjeux sont pratiqués de façon visible par l’UE à travers la pratique des clauses de réadmission dans les accords d’association et certains accords commerciaux. Cependant, dans le cas du Maroc, l’inclusion de cette clause n’a pas accéléré la signature d’un accord de réadmission. La plupart des études des négociations sur la réadmission supposent l’existence 1
PARLEMENT EUROPÉEN (2012). « Feu vert pour l’accord de libéralisation entre l’UE et le Maroc », Communiqué de presse, 16 février, http://www.europarl.europa.eu/news/fr/newsroom/content/20120216IPR38354/html/Feu-vert-pour-l'accord-de-libéralisation-entre-l'UE-et-le-Maroc [consulté le 15 septembre 2013].
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BEN MARZOUQ, Aziz (2012). « Programmes communautaires, Strasbourg dit oui à la participation marocaine », L’Economiste, février.
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d’autres emboîtements tactiques sans en administrer de preuve convaincante. Une analyse de la chronologie des rounds de négociations permet en effet de montrer que la question de la réadmission s’intègre dans une relation Maroc-UE plus générale, mais elle ne permet pas de montrer un lien causal entre les négociations sur la réadmission et d’autres négociations. Finalement, seules les interprétations proposées par les acteurs administratifs et diplomatiques peuvent permettre de comprendre ces emboîtements. Ce sont ces discours qui constituent la matière des emboîtements tactiques. Or, on s’aperçoit que l’emboîtement tactique opéré par l’Union européenne à travers les clauses de réadmission est utilisé par les acteurs marocains, qui menacent de bloquer la coopération sur les migrations – entre autres – entre deux votes sur des accords économiques au Parlement européen. Dans ce cadre, le refus de la réadmission apparaît en effet comme l’une des menaces crédibles que les acteurs marocains peuvent formuler, mais elle reste une dimension parmi d’autres des relations avec l’UE.
C - Conclusion Nous avons montré dans ce chapitre que les négociations sur la réadmission entre le Maroc et l’Union européenne ne peuvent pas être envisagées sous le prisme d’une métaphore marchande dans laquelle contreparties financières et emboîtements tactiques constitueraient une monnaie d’échange. Les contreparties financières s’avèrent difficiles à mobiliser pour les négociateurs européens de l’accord, et constituent l’enjeu de concurrences internes à la Commission. De plus, elles sont considérées comme largement insuffisantes par les négociateurs et les diplomates marocains. Quant aux emboîtements tactiques, ils sont également difficiles à mobiliser, mais surtout, ils peuvent constituer une arme à double tranchant, dans la mesure où ils peuvent également être utilisés par les acteurs marocains.
Conclusion de la première partie Notre objectif dans cette partie était de déconstruire l’idée d’un processus rationnel de délégation et de décision au sein de l’Union européenne en matière de réadmission, autrement dit l’image de l’UE comme acteur homogène et sujet rationnel des négociations communautaires sur les retours forcés. Il s’agissait ainsi d’entamer la « décolonisation » de
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l’étude de la politique extérieure de l’Union européenne dans le cas des accords de réadmission et des politiques de contrôle des migrations à partir de l’une des « stratégies de décolonisation » présentées en introduction : cette stratégie vise à déconstruire l’image de l’Occident comme sujet rationnel opposé au reste du monde, qui ne serait que l’objet de politiques occidentales. Ainsi, notre premier chapitre a montré que l’idée même de conclure des accords de réadmission n’était pas, contrairement aux discours des acteurs et aux nombreuses analyses sur le sujet, l’unique mode de coopération pour les retours forcés. Les politiques de retours forcés ont fait l’objet de négociations bilatérales, dans le cas du Maroc et des pays européens depuis les années 1980, dans lesquelles les accords de réadmission ne sont qu’un mode de coopération. L’asymétrie dont sont porteuses les politiques de retours forcés expliquent en grande partie les formes prises par la coopération – accords de réadmission ou signature de procès-verbaux au cours de réunions plus informelles. Les différentes implications de ces formes de coopération pour les gouvernements des pays d’accueil et des pays d’origine doivent donc être prises en compte dans l’analyse. Cette asymétrie explique également les limites de la coopération bilatérale, notamment les difficultés de mise en œuvre et le refus marocain d’accepter les retours forcés de ressortissants de pays tiers. Le deuxième chapitre cherchait ainsi à déconstruire l’idée selon laquelle la communautarisation des négociations était une simple réponse aux limites rencontrées par la coopération bilatérale : d’une part en montrant que le processus de délégation n’était pas un processus linéaire rationnel, d’autre part en montrant comment la réadmission était l’enjeu de luttes concurrentielles entre les acteurs de la Commission et ceux des États membres, mais aussi au sein de la Commission entre les acteurs des différentes directions générales. Il s’agissait aussi de montrer comment ces concurrences inhérentes au processus de délégation avaient créé des opportunités pour les négociateurs marocains à travers la multiplication des arènes de négociation et des acteurs impliqués. Enfin, le troisième chapitre a cherché à dénaturaliser la métaphore marchande qui sous-tend les analyses des négociations à travers une remise en cause de l’évidence des incitations financières et tactiques. Dans le cas des incitations financières, non seulement elles sont difficiles à mobiliser par les négociateurs, mais il peut être difficile de les utiliser en tant que contreparties directes d’un accord de réadmission. Quant aux emboîtements tactiques, ils sont également difficiles à mobiliser par les négociateurs et peuvent également être utilisés
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par les négociateurs et les diplomates marocains pour remplir leurs propres objectifs de politique étrangère. Le cas des emboîtements tactiques met particulièrement en évidence l’existence des acteurs marocains comme sujets des négociations, et non comme simples objets passifs des exigences européennes. Dans le cas de la réadmission, la relative homogénéité des acteurs marocains sur le sujet, autour du refus de signer un accord comprenant une clause de réadmission des ressortissants de pays tiers, a permis de mettre en avant des revendications extensives. Cette homogénéité ne doit cependant pas conduire à simplifier à outrance les acteurs marocains en charge des migrations. La construction de la position et des discours marocains sur le sujet ainsi que leurs usages dans les négociations avec l’Union européenne et dans le cadre d’enjeux nationaux ou régionaux feront l’objet de la seconde partie de cette thèse.
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Deuxième partie : Pluraliser les sujets : les acteurs marocains des négociations
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Nous avons proposé, dans la première partie de cette thèse, de contribuer à la « décolonisation » de l’étude de la politique extérieure de l’Union européenne en questionnant la narration qui en est donnée par les acteurs et par certaines études : nous avons ainsi remis en cause l’idée selon laquelle les accords de réadmission seraient le mode « standard » de coopération sur les retours forcés et la délégation à l’Union européenne une conséquence logique des limites rencontrées par la coopération bilatérale. Nous avons également montré que l’utilisation d’incitations financières ou tactiques dans les négociations ne relevait pas de l’évidence. Nous avons relevé l’existence de discours relatifs aux politiques européennes chez les acteurs marocains. Cette deuxième partie se concentre plus précisément sur ces acteurs. L’objectif de cette partie est d’appliquer deux des stratégies identifiées pour « décoloniser » l’étude des relations internationales à l’étude des négociations d’un accord de réadmission entre le Maroc et l’UE. Il s’agit d’une part de pluraliser les sujets potentiels des relations internationales, ici en introduisant une analyse de la partie marocaine ; il s’agit d’autre part de prendre au sérieux les discours des acteurs marocains sur les politiques migratoires et les négociations. Au lieu de considérer le Maroc comme un « pays tiers » homogène, nous examinerons donc dans cette partie sa complexité, notamment en tenant compte de l’historicité de ses politiques et de la multiplicité des acteurs qui y sont engagés. Les analyses de la politique extérieure de l’Union européenne en termes de « gouvernance externe » (Lavenex 2006 ; Lavenex et Schimmelfennig 2009) ont tendance à considérer les « pays tiers », quand il ne s’agit pas de grandes puissances et a fortiori lorsqu’il s’agit d’anciennes colonies de certains des États membres, comme le terrain de l’externalisation des politiques européennes. Si une place est faite à des considérations sur le contexte des négociations et de mise en œuvre de ces politiques, la capacité d’action des acteurs des pays d’origine est rarement prise en compte. Dans le cas des analyses des négociations sur la réadmission, l’analyse en termes d’externalités ou d’externalisation prévaut également (Lavenex 2002 ; Belguendouz 2005 ; Coleman 2009 ; Kunz, Lavenex, et Panizzon 2011). Certaines études ont cependant souligné l’existence d’une capacité d’action des diplomaties des pays du Sud dans le cadre de ces négociations, à travers une instrumentalisation de la question migratoire (Cassarino 2010a ; Paoletti 2010 ; 2011). Cependant, y compris dans ces analyses, les pays d’origine apparaissent comme homogènes et leurs « intérêts » comme une variable indépendante qui n’est pas décomposée ou questionnée.
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Il s’agit donc ici d’accorder une attention particulière à la complexité des politiques migratoires marocaines et des différents acteurs qui y sont impliqués ; en d’autres termes, de mener, sur le modèle de l’ « histoire symétrique » de la colonisation (Bertrand 2011), une analyse « symétrique » des négociations sur la réadmission. Ainsi, il s’agit de prendre au sérieux les discours des acteurs marocains, c’est-à-dire de mettre en avant la logique de ces discours, sans disqualifier les arguments qui n’entrent pas dans le cadre d’une analyse rationaliste en termes d’incitations financières ou tactiques. Nous verrons donc comment les différents acteurs marocains, en particulier les diplomates, ont mis en avant un emboîtement substantiel (E. B. Haas 1980 ; Betts 2011a) des enjeux migratoires, c’est-à-dire qu’ils ont créé un lien de sens entre différents domaines des politiques migratoires. De plus, les revendications portées par les acteurs marocains s’articulent autour d’un discours mettant en avant l’idée de « dignité » : ces revendications ne doivent pas seulement être envisagées au prisme de l’usage tactique ou stratégique qui peut en être fait – ralentir les négociations ou obtenir une autre concession, par exemple – mais aussi comme un élément important des représentations des acteurs. Les diplomates marocains, ainsi que d’autres acteurs administratifs, mettent en avant ce que l’on pourrait appeler une « économie morale » (Thompson 1971) des négociations internationales sur les retours forcés, fondée non pas sur l’idée d’une « obligation » de réadmission du droit international, mais sur la nécessité de reconnaître et de respecter la « dignité » des États (Honneth 2000 ; Lindemann et Saada 2013). Ces éléments discursifs constituent un mode important d’expression de la capacité d’action des acteurs marocains et de remise en cause de l’asymétrie des relations avec l’Union européenne. Le chapitre 4 se penche ainsi sur la construction des politiques migratoires marocaines, afin de montrer que l’État marocain est actif dans ce domaine depuis l’indépendance : les politiques migratoires répondent ainsi à des objectifs économiques et politiques internes. Celles-ci se sont traduites à partir des années 1990 par la création de plusieurs institutions spécialisées dans les migrations, ce qui a pu susciter des concurrences pour la répartition des compétences et la définition des politiques. L’importance du ministère de l’Intérieur dans les négociations sur la réadmission est ainsi également liée à des enjeux internes pour les acteurs de ce ministère. Le chapitre 5 se concentre sur les discours adoptés par les acteurs marocains dans les négociations avec l’UE sur les migrations. Il montre ainsi que, si les acteurs
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marocains refusent tous l’accord de réadmission européen aux conditions proposées par l’UE, ils développent des discours variés sur le sujet. Certains mettent en avant la souveraineté étatique marocaine, tandis que d’autres insistent sur le refus d’une approche purement sécuritaire. Leurs revendications se structurent autour d’un « emboîtement substantiel » des enjeux migratoires, pour la création d’un lien plus fort entre lutte contre les migrations irrégulières et migrations régulières. Ceci prend d’abord la forme de discours pour une « approche globale », puis d’exigences de facilitations de visas. Enfin, ce chapitre examine l’argumentation diplomatique marocaine sur le « respect de la dignité » de l’État marocain comme une remise en cause des rapports asymétriques entre l’Union européenne et le Maroc. Enfin, le chapitre 6 analyse les politiques européennes comme une ressource parmi d’autres pour les acteurs administratifs et étatiques marocains. D’abord en montrant que ces politiques constituent des ressources matérielles et symboliques qui peuvent être utilisées par les acteurs des administrations marocaines pour légitimer leur rôle, et dans le cadre des concurrences entre différentes organisations. Puis en montrant que ces acteurs ont accès à d’autres arènes internationales, notamment par le biais des organisations internationales : ceci leur permet de gagner une légitimité au Maroc, mais fournit également des ressources dans les négociations avec l’Union européenne, en particulier autour de l’idée du Maroc comme « leader régional ».
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Chapitre 4 – La construction des politiques migratoires marocaines : politiques internationales, objectifs internes Pour comprendre le déroulement des négociations sur la réadmission entre l’Union européenne et le Maroc, il est essentiel de ne pas considérer les pays dits d’origine comme des « pages blanches » : bien que soumis à des relations internationales asymétriques avec les pays dits de destination, les gouvernements des pays d’origine ont développé des politiques qui répondent à des objectifs autonomes. Pour comprendre la politique migratoire marocaine actuelle et le positionnement des négociateurs marocains face à l’Union européenne depuis le début des années 2000, il est donc important de tenir compte de l’histoire marocaine des politiques migratoires, et notamment des institutions en charge d’organiser l’émigration ou les liens avec les populations émigrées. En effet, une grande partie de l’analyse des politiques migratoires s’est concentrée sur les politiques d’immigration (Brubaker 1991 ; Hollifield 1997 ; Guiraudon 2000a), y compris lorsque la perspective adoptée est « globale » (Cornelius, Martin, et Hollifield 1994). Les pays d’origine ont majoritairement été abordés du point de vue des conséquences de l’émigration, par exemple de l’émigration qualifiée (Baldwin 1969) ou bien de l’impact des transferts d’argent des migrants vers leurs familles1. L’étude des politiques d’émigration est apparue plus tardivement, constituant selon les termes d’Aristide Zolberg une « exit revolution » (2007). Ces premières analyses se sont concentrées sur l’histoire de ces politiques plutôt que sur ses développements les plus récents (Torpey 2006 ; Green et Weil 2007). Plus récemment, certains travaux se sont penchés sur l’étude des évolutions récentes des politiques d’émigration de certains pays, en lien avec leur dimension historique (H. de Haas et Vezzoli 2011), par exemple dans le cas des pays arabes ou du Maghreb (Brand 2006 ; Fargues 2013), du Mexique et du Maroc (Iskander 2010). Il s’agit ici de tenir compte de ces analyses afin de comprendre le lien qui peut être établi entre l’existence de politiques actives d’émigration et les négociations avec l’Union européenne sur la réadmission en particulier et plus généralement sur les migrations.
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Pour une revue de la littérature sur ce sujet, voir De Haas 2010.
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Les principaux acteurs des négociations sur la réadmission sont des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur essentiellement, ainsi que des diplomates. En cela, l’organisation des négociations est parallèle à celle que l’on trouve dans les États membres ou au sein de la Commission. Cependant, la domination du ministère de l’Intérieur dans les négociations ne constitue pas une évidence, car d’autres administrations sont impliquées plus ou moins directement dans les négociations, à travers les liens qui sont créés entre négociations sur la réadmission et d’autres enjeux migratoires. Pour comprendre l’émergence de ces liens et les exigences marocaines dans les négociations, il faut envisager le Maroc en tant que partie complexe, structurée par une histoire politique et institutionnelle. Toujours en lien avec l’idée qu’il faut « décoloniser » l’étude de la politique extérieure de l’UE et des relations avec les pays d’origine, ce chapitre est donc une première étape pour constituer le Maroc comme sujet des relations internationales, et non comme simple objet des politiques européennes. L’objectif de ce chapitre est double : il s’agit d’une part de montrer que l’État marocain a activement construit des politiques migratoires depuis son indépendance, en grande partie par rapport à des objectifs politiques et économiques internes ; il s’agit, d’autre part, de montrer que cette histoire a donné lieu à une complexité institutionnelle. Les politiques européennes ne constituent donc pas une simple « externalisation » mais interagissent avec des enjeux politiques et institutionnels locaux. Il ne s’agit pas ici de nier l’existence de ces nouveaux enjeux ni le rôle de la dimension sécuritaire ou de contrôle dans leur prise d’importance. Il s’agit en revanche de montrer que ces nouveaux enjeux et les politiques européennes qui y sont liées s’inscrivent au Maroc dans un cadre institutionnel préexistant et structuré par des enjeux intérieurs autant qu’extérieurs. La première partie de ce chapitre se penche sur l’histoire marocaine des migrations : même au temps de l’émigration de main d’œuvre des années 1960 et 1970, on peut considérer que l’État marocain menait une politique d’émigration active. Nous n’avons pas fait de recherche historique pour ce travail. Cependant, il est essentiel, dans l’économie générale de cette thèse, de rappeler que les politiques actuelles s’inscrivent dans une histoire longue. Bien que ces études historiques existent, elles sont largement ignorées dans les recherches sur les négociations entre le Maroc et l’Union européenne. L’analyse historique reposera donc en grande partie sur une littérature qui s’est développée dans les années 2000 autour de cette idée (Brand 2006 ; Iskander 2010). Elle montre que, jusqu’à la fin des années 1980, les
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préoccupations majeures du gouvernement étaient le contrôle économique et politique des émigrés. La deuxième partie examine, toujours principalement à partir de la littérature, la période de 1990 à 2013 : celle-ci est caractérisée par un traitement étatique de la relation avec les émigrés marocains qui repose essentiellement sur la création de nouvelles institutions. La fin du règne de Hassan II est toujours caractérisée par une certaine défiance à l’égard des émigrés. L’enjeu de leur participation à la vie politique et économique marocaine prend de l’importance. Si le début du règne de Mohammed VI constitue une rupture dans l’attitude gouvernementale à l’égard des émigrés, la politique menée à partir de 1999 repose également en grande partie sur la création d’institutions spécialisées. La multiplication des institutions en charge des migrations suscite des concurrences bureaucratiques autour de la définition des compétences de chaque administration. Enfin, la dernière partie de ce chapitre repose sur notre terrain au Maroc et sur les données recueillies au ministère des Affaires étrangères et de la coopération à Rabat. Elle montre les conséquences de cette complexité institutionnelles dans les relations avec l’Union européenne : les politiques européennes ont bien une influence sur les politiques marocaines, mais s’inscrivent avant tout dans un jeu politique et institutionnel interne. La catégorisation du Maroc en tant que « pays de transit » et l’interprétation par les administrations marocaines des politiques européennes a permis au ministère de l’Intérieur de renouveler son rôle dans ce domaine, mais les politiques européennes suscitent aussi des concurrences autour de la définition des politiques migratoires marocaines.
A - La mise en place d’une politique marocaine d’émigration (19631989) Les premières vagues d’émigration marocaine ont lieu dans un contexte colonial, alors que le Maroc est un protectorat français. Malgré l’indépendance obtenue en 1956, le Maroc reste largement dépendant de l’ancien colonisateur, pour ses échanges économiques notamment. Aujourd’hui, en dépit de la mondialisation et de l’investissement d’acteurs transatlantiques dans l’économie marocaine, le pays dépend encore beaucoup des pays européens et en particulier de la France pour son économie, qu’il s’agisse de ses importations, de débouchés pour ses exportations agricoles et minières, ou encore de l’implantation d’entreprises étrangères sur son sol. L’asymétrie entre le Maroc et ses partenaires européens,
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qui plus est rassemblés dans le cadre de l’UE, est donc manifeste. L’analyse des politiques migratoires doit donc tenir compte de cette caractéristique. Pour autant, cette asymétrie fréquente entre les pays d’origine et les pays de destination des migrants ne signifie pas que les pays d’origine comme le Maroc restent inactifs. Il existe des politiques d’émigration qui reposent dès leur mise en place sur des objectifs internes et externes. C'est le cas par exemple des conventions de main d'œuvre, initiées par les pays de destination, mais qui constituent aussi les premiers éléments d'une politique d'émigration : en effet, le gouvernement marocain n’y répond favorablement qu’à partir du moment où ces conventions remplissent des objectifs internes. Ceci pointe la nécessité de prendre en compte les enjeux internes dans la mise en place de politiques d’émigration. Après un examen des conventions de main d’œuvre signées dans les années 1960 par le gouvernement marocain, nous nous intéresserons aux conditions dans lesquelles ces conventions ont été signées et aux objectifs internes qu’elles remplissaient. Elles constituent dès lors la base d’une politique d’émigration fondée sur le contrôle économique et politique des populations.
1) Conventions de main d’œuvre et asymétrie initiale Dans les années 1960, moins de dix ans après son indépendance en 1956, le Maroc conclut une série d’accords de main d’œuvre avec des pays européens : avec la République fédérale d’Allemagne et la France en 1963, la Belgique en 1964, et les Pays-Bas en 19691. Ces conventions répondent avant tout à des demandes de la part de ces pays européens, dont les industries manquent de main d’œuvre. Comme l’indique le préambule de la convention avec la Belgique, les pays européens sont, en cette période de prospérité économique et de développement industriel, « désireux de faciliter le recrutement des travailleurs marocains pour les besoins des industries ». Abdelmalek Sayad a vu dans ce type de conventions la 1
Base de données de la Direction des affaires juridiques et des traités, MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1963a). Convention entre le gouvernement du royaume du Maroc et le gouvernement de la République Fédérale d’Allemagne concernant l’emploi temporaire des travailleurs marocains dans la République Fédérale d’Allemagne, 21 mai ; MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1963b). Convention de main d’œuvre entre le Maroc et la France, 1er juin ; MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1964). Convention entre le Maroc et la Belgique relative à l’occupation de travailleurs marocains en Belgique, février ; MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1969). Convention Entre le gouvernement du royaume du Maroc et le royaume des Pays-Bas concernant le recrutement et le placement des travailleurs marocains aux Pays-Bas, 14 mai.
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manifestation même d’une relation dissymétrique, qui n’est « bilatérale que dans les formes » et « réciproque qu’en théorie » : en effet, selon lui, les émigrés-immigrés sont considérés comme des produits importés par les pays d’accueil, et « le pays d’émigration se trouve totalement démuni et dépendant lorsqu’il s’agit d’assurer la défense de leur situation dans le pays étranger où ils se trouvent » (Sayad 1991). Cette conception est en partie confirmée par une analyse des textes de ces conventions, consultés dans la base de données juridiques du ministère des Affaires étrangères et de la coopération à Rabat. En effet, ces conventions évoquent les migrants comme s’il s’agissait de marchandises, et prévoient des conditions et des critères de sélection de ces derniers, ainsi que le rôle des employeurs, des autorités du pays de destination et des autorités marocaines dans ce processus : celui-ci s’apparente véritablement à un accord d’importation et d’exportation de main d’œuvre. De plus, le retour des migrants, lorsque leur travail n’est plus utile, est également évoqué dans des termes semblables : certaines des conventions (Belgique, PaysBas) envisagent le rapatriement vers le Maroc en cas de rupture de contrat ou lorsque les travailleurs ne remplissent plus « les conditions pour un séjour régulier » (Allemagne), et, dans le cas de la convention avec l’Allemagne, il est même prévu que ce rapatriement soit opéré aux frais de l’État marocain. Enfin, la convention allemande, dont le titre met déjà en avant l’idée d’une immigration temporaire, précise que « la législation allemande ne prévoit pas d’allocations familiales ni d’assurance-maladie pour les membres de la famille ayant leur domicile ou leur résidence habituelle à l’étranger »1 : il s’agit en effet du seul accord qui ne prévoit pas de possibilité pour les familles des travailleurs de rejoindre ces derniers. Cependant, certains éléments viennent invalider l’analyse de Sayad, qui présente les gouvernements des États « fournissant » la main d’œuvre comme totalement démunis dans la négociation des conventions de main d’œuvre. Tout d’abord, on observe que les conventions marocaines, à l’exception de celle avec l’Allemagne, contiennent des clauses précisant que les travailleurs marocains ont accès aux mêmes prestations sociales, aux assurances maladie et chômage notamment, que les travailleurs nationaux. S’il est difficile de savoir dans quelle mesure ces droits sont ensuite respectés, la présence de ces clauses atteste d’une volonté de la partie marocaine de défendre les futurs émigrés. Ceci est d’autant plus compréhensible que l’ensemble des conventions comportent une clause précisant que les travailleurs marocains 1
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peuvent librement transférer leurs salaires vers le Maroc. Ces clauses peuvent certes être analysées comme « quelques profits maigres et illusoires et très immédiats » (Sayad 1991), mais elles montrent aussi l’existence d’un intérêt étatique des pays d’émigration dans la négociation de ces accords. En fin de compte, l’analyse de Sayad repose largement sur le cas algérien, considérée comme « exemplaire » (c’est-à-dire rassemblant toute les caractéristiques du phénomène d’immigration), mais dans lequel la colonisation et ses effets ont été bien plus profonds que dans le cas du protectorat marocain. De plus, cette conception repose également sur l’argument selon lequel l’émigration est le résultat du sous-développement, qui crée une population prête à émigrer, et que ce sous-développement est lui-même le résultat de la colonisation (Sayad 1999). Pour Sayad, la relation de domination de la France à ses anciennes colonies la place en situation de « choix », maîtrisant le choix des partenaires et le contrôle des offres. Or, cette théorie repose sur l’idée que plus un pays est « pauvre » et « dominé », plus l’immigration provenant de ce pays est « avantageuse », notamment de par son prix sur le marché du travail (Sayad 1991) ; pourtant, comme le note Sylvain Laurens, l’intérêt d’une immigration pour un pays ne se limite pas au prix, mais aussi à sa productivité et à ses qualifications (Laurens 2009). De plus, les pays « dominés » comme les pays « dominants » apparaissent comme des acteurs unifiés dans leurs démarches. Cette analyse gomme ainsi non seulement les conflits internes aux pays qui cherchent à faire venir des immigrés, mais aussi aux pays d’origine, dont les gouvernements peuvent aussi avoir un intérêt à l’émigration et au contrôle des départs.
2) Le développement d’une politique marocaine d’émigration et ses enjeux Si les conditions de mise en place des conventions de main d’œuvre résultent en effet en grande partie de la colonisation, il convient cependant de ne pas minimiser les enjeux internes pour les gouvernements des pays d’émigration. S’intéresser à la capacité d’agir de ces gouvernements permet de mettre en avant leurs objectifs dans la signature de ces conventions. Nous nous appuierons ici largement, pour la partie historique, c’est-à-dire pour l’étude de la naissance de la politique d’émigration marocaine, sur des sources secondaires. Celles-ci soulignent notamment comment la mise en visibilité de la relation étatique avec les migrants, et plus généralement les politiques migratoires marocaines, ont été le résultat de
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réponses politiques à des moments précis, et ont servi des objectifs politiques internes. Ceci est le cas dans la mise en place des conventions de main d’œuvre comme dans les efforts qui ont suivi pour contrôler les émigrés marocains à distance. « Exporter » des travailleurs pour éviter la révolte Les conventions de main d’œuvre ont été décrites comme un moyen pour le Maroc de résoudre un problème d’excès de main d’œuvre. Pourtant, Laurie Brand examine ainsi les différents plans quinquennaux marocains et note que l’émigration n’est pas mentionnée comme une solution éventuelle au problème du chômage avant le plan quinquennal de 196872 (Brand 2006). L’analyse de Natasha Iskander soulève le même paradoxe en soulignant qu’un certain nombre d’États européens, notamment la France, avait plusieurs fois approché le Maroc depuis son indépendance pour négocier des programmes de main d’œuvre, sans succès : la réaction du gouvernement marocain avait été peu enthousiaste et sans aucun engagement. L’année 1963 apparaît donc à cet égard comme un renversement de la politique existante, le gouvernement marocain se montrant soudain ouvert aux propositions européennes. Les conventions de main d’œuvre étaient en réalité un élément clé de la réponse du jeune roi Hassan II à une crise politique majeure à laquelle il était confronté en 1963. En effet, « l’exportation » de travailleurs correspond avant tout dans les années 1960 à des objectifs de politique interne pour le roi Hassan II, qui est confronté à cette époque à une violente contestation politique. Les accords de main d’œuvre conclus avec les pays européens sont ainsi en grande partie la conséquence d’une alliance avec les élites rurales contre les classes moyennes urbaines. Ces dernières sont porteuses d’un projet d’industrialisation du pays et contestent la constitution adoptée en 1962, qui concentre les pouvoirs entre les mains du roi. En dépit des manœuvres électorales et politiques d’Hassan II, la révolte urbaine continue de gronder et culmine finalement en 1965 avec des émeutes à Casablanca, Fès et Rabat, réprimées dans le sang. Le roi décrète alors l’état d’exception. Il abandonne les projets d’industrialisation, qui auraient bénéficié aux classes moyennes urbaines, au profit d’un modèle basé sur l’agriculture commerciale et qui favorise les grands propriétaires terriens (Daoud et Engler 1981). En repoussant indéfiniment les projets de redistribution des terres, cette alliance supposait aussi le maintien dans la pauvreté d’une part importante de la population rurale. Cependant, si cette pauvreté s’avérait trop forte, elle risquait de générer des contestations politiques. Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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Les accords de main d’œuvre ont donc constitué la réponse de la couronne à la pauvreté rurale, permettant l’exportation d’une partie de cette pauvreté, tout en assurant une source de revenus pour les populations restantes à travers les transferts d’argent des migrants. Le texte des conventions de main d’œuvre laisse d’ailleurs au ministère marocain de l’Emploi le soin d’organiser en grande partie le recrutement. La répartition géographique des recrutements suggère que l’État marocain a utilisé les données démographiques détaillées contenues dans le plan quinquennal abandonné de 1960-64 pour diriger le recrutement vers les zones rurales, en particulier celles dans lesquelles le surplus de main d’œuvre était le plus fort, comme les régions autour de Meknès ou Oujda. De plus, les recruteurs, en particulier belges et allemands, ont été dirigés vers les zones perçues comme agitées, notamment le Rif, usant ainsi de la tactique coloniale qui consistait à utiliser l’émigration pour affaiblir l’opposition. Les Rifains étaient ainsi surreprésentés dans les recrutements de travailleurs à la fin des années 1960. La mention de l’émigration dans les plans quinquennaux de 1968-72 et 1973-77 montre que le gouvernement marocain était satisfait des résultats de cette politique (Iskander 2010). Ainsi, la signature et la mise en œuvre des conventions de main d’œuvre répondaient tout autant aux besoins des industries européennes qu’à ceux du pouvoir marocain. Par la suite, un enjeu majeur a été de contrôler ces populations émigrées. Contrôler les émigrés à distance La préoccupation de l’État marocain et du jeune roi Hassan II envers les émigrés se concentre dans les années 1960 et surtout 1970 principalement sur deux points : l’un est de préserver des canaux d’émigration – et donc des possibilités d’« exporter » de la main d’œuvre et de générer des retours d’argent ; l’autre est d’éviter la contagion politique internationale, et donc des troubles internes, dans un contexte où l’autorité du roi est régulièrement contestée. Ce contrôle étatique ne concerne pas seulement les migrants partis dans le cadre des conventions de main d’œuvre, mais aussi une population importante de Marocains partis en tant que « touristes » vers les pays européens et restés sur place pour occuper un emploi. Les instruments déployés consistent dans tous les cas à établir un contact régulier avec les migrants afin de contrôler ces populations : ils visent d’abord directement à maintenir ou améliorer le niveau des retours d’argent et à orienter ces flux financiers, puis se focalisent sur le contrôle politique des émigrés eux-mêmes.
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Les premiers instruments mis en place en lien avec les émigrés concernent donc les renvois d’argent. Ceux-ci passaient au départ essentiellement par des réseaux informels, ce qui impliquait pour les migrants de payer de nombreux intermédiaires souvent peu fiables en plus de la commission de change. La Banque centrale populaire du Maroc (BCP) a donc été chargée par le ministre des Finances en 1968 d’organiser un système de rapatriement des fonds qui permettrait de les soumettre au contrôle étatique. En 1969, la BCP s’engage dans une stratégie d’accompagnement à travers l’opération « Travailleurs marocains à l’étranger » : celle-ci consiste essentiellement à envoyer le personnel bancaire directement auprès des migrants afin de les accompagner dans les bureaux de postes et l’ensemble des démarches administratives, inaccessibles à certains en raison de leur analphabétisme et du mépris des guichetiers. Cette stratégie donne rapidement des résultats. En 1968, seuls 8,7% des transferts d’argent des travailleurs marocains passaient par des banques. En 1969, moins d’un an après le lancement de l’opération, 16 550 migrants avaient ouvert un compte, et leurs dépôts représentaient 9% des dépôts de la BCP. Les renvois d’argent passant par la BCP représentent à ce moment-là un quart de l’ensemble des transferts vers le Maroc ; 30% en 1970 ; en 1974, ils en représentent la moitié, soit 2% du PIB (Brand 2006 ; Iskander 2010). La deuxième préoccupation du pouvoir marocain est de contrôler les activités politiques des émigrés. En effet, si les travailleurs marocains étaient appréciés des employeurs européens en raison de leur docilité, le rapprochement des travailleurs avec les exilés politiques et les étudiants marocains puis leurs mobilisations répétées inquiètent les autorités marocaines. Les mouvements de gauche et d’extrême-gauche sont particulièrement importants dans les dynamiques de participation politique transnationale, et s’organisent à l’étranger sous forme de sections informelles de partis politiques marocains, actives dans les mouvements associatifs et syndicaux. Ces mouvements sont marqués par une opposition plus ou moins frontale au roi Hassan II, et sont liés à la participation d’étudiants ou d’anciens étudiants marocains, politiquement socialisés pendant leurs études au Maroc, avant la migration. En Belgique, par exemple, les mouvements de gauche et d’extrême-gauche marocains organisent de nombreuses activités (Martiniello et Bousetta 2008). En France, l’association des Marocains en France (AMF) est fondée en 1960 à l’initiative de Mehdi Ben Barka, chef exilé de l’Union nationale des forces populaires, un parti créé après la scission avec le parti lié à l’indépendance (l’Istiqlal) jugé trop conservateur. En quelques années, les
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étudiants de l’AMF cherchent à créer des liens avec les travailleurs marocains. Le mouvement de mai 1968 offre des possibilités de dialogue entre ces deux populations. Ainsi, les ouvriers marocains, peu intégrés par les syndicats français aux manifestations de 1968, participent activement aux mobilisations du début des années 1970, notamment aux grèves de 1971-1972 dans les usines automobiles (Pitti 2004). Aux Pays-Bas dans les années 1960 et 1970, le Comité des travailleurs marocains des Pays-Bas (KMAN) et d’autres mouvements de gauche, notamment une section locale de l’Union nationale des étudiants marocains, travaillent de concert avec les forces d’opposition marocaine. La résistance aux Amicales est plus forte que dans les autres pays européens (van Heelsum 2002). Le roi Hassan II s’inquiète de ces mouvements, d’autant plus qu’il échappe à deux tentatives de coups d’État successives en 1971 et 19721. De plus, à la suite d’une grève de mineurs à Khouribga à la fin de 1971, les grandes villes marocaines, Casablanca, Rabat, Fès, connaissent des grèves étudiantes et ouvrières au début de l’année 1972. Enfin, moins d’un an plus tard, la monarchie doit faire face à une tentative d’insurrection armée dans les montagnes du Moyen-Atlas, dénoncée par le gouvernement comme un complot fomenté par l’opposition de gauche (Vermeren 2002). Il y a donc une double inquiétude de la part du gouvernement marocain. D’une part, il s’inquiète des mobilisations en Europe qui menacent le système d’exportation de main d’œuvre en remettant en cause l’image des travailleurs marocains. Cette crainte est d’autant plus prononcée qu’en 1972, la France, principale destination des travailleurs marocains, met en place des régulations pour limiter l’afflux de migrants. Les circulaires Marcellin-Fontanet, appliquées à partir de septembre 1972, soumettent la délivrance de cartes de séjour à la possession d'un contrat de travail d'un an et d'un logement « décent ». Elles provoquent une série de conflits : des grèves de la faim « pour les papiers », un peu partout en France et des recours en justice devant le conseil d'État. De même, en Allemagne, le gouvernement s’inquiète des tensions et des risques politiques causés par l’immigration et, après une grève des étrangers dans une usine Ford en 1973, interdit les nouvelles entrées de travailleurs étrangers originaires de pays en dehors de la CEE. Certains voient leurs permis de travail et de résidence leur être retirés alors même qu’ils n’ont pas été renvoyés par leur employeur. 1
Le coup d’État de Skhirat 1971 et le coup d’État des aviateurs 1972, tous les deux organisés par des militaires proche du Palais royal (Penell 2000 ; Vermeren 2002).
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Aux Pays-Bas, le droit au séjour des étrangers était soumis à condition, et, en cas de chômage, le permis de séjour était fréquemment annulé et l’étranger renvoyé vers son pays d’origine s’il ne trouvait pas un emploi dans les trois mois. Le fait de recevoir une aide sociale ou de « porter atteinte à l’ordre public » étaient également considérés comme des raisons légitimes pour un retour forcé, ce dernier motif étant utilisé lorsque les étrangers utilisaient leur droit à la liberté d’expression. Les années 1970 et 1971 sont marquées par la publication de deux rapports officiels dans lesquels la formule « les Pays-Bas ne sont pas un pays d’immigration » est répétée, et en 1974, le gouvernement publie un mémorandum sur la politique d’immigration qui vise à restreindre le nombre de travailleurs étrangers, notamment en encourageant les retours volontaires (Guiraudon 2000a, 54‑59). D’autre part, c’est aussi la « contagion politique » par les émigrés qui est redoutée : les mobilisations politiques de ceuxci conduiraient aux mobilisations populaires sur le territoire marocain. Le contrôle politique des émigrés apparaît ainsi comme nécessaire au maintien de l’ordre au Maroc, et il est perçu comme une nécessité pour l’État marocain. Son implication est progressive. Dans un premier temps, dans la première moitié des années 1970, les autorités marocaines tentent de supprimer les comportements considérés comme séditieux à travers l’établissement d’amicales. La première de ces associations est établie en 1973 à Paris. Présentées comme des associations de travailleurs, leur objectif global est de maintenir les liens des expatriés marocains avec leur pays d’origine, de les informer sur des changements qui pourraient les affecter, et de fournir certains services sociaux et dans certains cas religieux. Elles sont en réalité plutôt des extensions des consulats et des ambassades, voire de la police secrète. Dans un second temps, au début des années 1980, à la suite d’une rupture entre le mouvement des émigrés et la gauche marocaine, les autorités marocaines envisagent les mobilisations émigrées comme un enjeu politique distinct, faisant peser ses propres menaces, notamment un tarissement des transferts d’argent. L’implication des amicales passe alors par des tactiques d’intimidation et elles travaillent parfois de concert avec les autorités françaises pour casser des mobilisations de travailleurs, comme par exemple lors des grèves chez Citroën en 1982 (Brand 2006). Ceci explique leur mauvaise réputation auprès des émigrés marocains. Enfin, au cours des années 1980, les autorités marocaines doivent affronter de nouveaux événements : les fermetures d’usines et les renvois massifs, les mobilisations des émigrés qui les accompagnent, ainsi qu’un mouvement de rébellion
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populaire au Maroc dû à l’augmentation des prix alimentaires, après un plan d’ajustement structurel imposé par le Fonds monétaire international. Cette rébellion est plus importante dans les régions d’émigration du Rif et du Souss. Ne pouvant supprimer les mobilisations des émigrés, le gouvernement marocain opte pour une stratégie de cooptation, c’est-à-dire qu’il sélectionne certains chefs de file des contestations pour certains postes, afin de calmer la mobilisation. Cette stratégie est également liée à des revendications de représentation politique des émigrés. Ainsi, en 1984, pour les premières élections parlementaires en presque dix ans, cinq sièges sont réservés à des représentants de la communauté marocaine à l’étranger. Malgré l’organisation d’un vote dans les consulats, les élections sont entachées d’irrégularités, et les élus choisis par le gouvernement : il s’agit de participants ayant mené les mouvements ouvriers du début des années 1980, mais aux opinions politiques modérées. La question de la représentation politique des émigrés marocains devient d’autant plus pressante que, à la fin des années 1980, les émigrés peuvent accéder à la vie politique du pays d’accueil dans bien des cas : aux PaysBas, par exemple, à travers l’adoption du droit de vote et de l’éligibilité des résidents étrangers aux élections locales en 1985. Le roi Hassan II appelle d’ailleurs les Marocains à ne pas participer aux élections communales de 1986 dans ce pays (Rath 1988). Ailleurs en Europe, par exemple en Belgique (Martiniello et Bousetta 2003), certains Marocains peuvent également prendre part à la vie politique grâce à la double nationalité des émigrés ayant acquis la nationalité du pays d’accueil ou de Marocains nés en Europe mais conservant la nationalité de leur pays d’origine. La stratégie de cooptation du gouvernement marocain est d’autant plus mal reçue en Europe. Dans l’ensemble, la politique marocaine de contrôle des émigrés est un échec et est dénoncée par les travailleurs marocains à l’étranger. Par ailleurs, en France, en 1981 la législation d’exception s’appliquant aux associations étrangères est supprimée, permettant à des associations locales de voir le jour. Celles-ci sont de plus en plus liées au mouvement de mobilisation des enfants d’émigrés, comme le mouvement Beur en France. Au milieu des années 1980, après plusieurs années de refus de la nationalité française, l’ATMF commence à défendre la naturalisation. Le roi Hassan II se dit « déçu » par les amicales en 1985, mais condamne fermement le mouvement en faveur de la naturalisation, de droits électoraux et de l’intégration. Cependant, les demandes de naturalisation progressent rapidement, passant par
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exemple en France d’environ 3 000 en 1988 à environ 12 000 par an à partir de 1992. Enfin, l’échec de la politique marocaine se traduit également, à partir de 1986, par une baisse des transferts d’argent vers le Maroc – ceux-ci diminuent, à valeur constante, de 20% entre 1986 et 1988 – et une diminution des dépôts à la Banque centrale populaire. Les dépôts des émigrants dans cette banque n’ont jamais retrouvé leur niveau du début des années 1980 (Iskander 2010). Cette analyse permet de souligner deux points importants pour l’étude des politiques migratoires actuelles. D’une part, elle montre qu’il est essentiel de tenir compte des enjeux internes au Maroc et la capacité d’action des acteurs étatiques marocains pour comprendre la forme que prennent les politiques migratoires extérieures des pays européens. L’analyse d’Abdelmalek Sayad selon laquelle les pays d’origine sont totalement dominés dans la mise en place des politiques d’immigration peut donc être complétée : bien que contraints par l’asymétrie fondamentale des relations avec les pays européens, le gouvernement marocain a mis en place une politique d’émigration marquée par des objectifs propres. En revanche, le constat fait par Sayad d’une relation entre États d’émigration et d’immigration qui ne tient pas véritablement compte des migrants, mais relève plutôt d’une « complicité objective » qui cherche avant tout à maintenir l’ordre dans chacun des pays (Sayad 1999), parfois aux dépens des migrants, peut également s’appliquer au gouvernement marocain, dont l’objectif prioritaire dans les politiques d’émigration a avant tout été le contrôle des populations. D’autre part, cette analyse montre que l’État marocain s’est très rapidement intéressé aux émigrants et aux migrations : les politiques actuelles reposent donc sur cette histoire, sur une expérience, et sur les institutions qui ont pris en charge le dossier. On observe d’ailleurs le développement de plusieurs institutions en concurrence dans le domaine des politiques migratoires au Maroc, qu’il est nécessaire d’examiner pour comprendre les interactions actuelles avec les gouvernements européens et l’UE.
B - Spécialisation et concurrences institutionnelles (1990-2013) Pour comprendre les discours des négociateurs et diplomates marocains dans les négociations avec l’Union européenne, que nous examinerons dans le chapitre 5, il est important de comprendre comment l’action du ministère de l’Intérieur et du ministère des Affaires étrangères est liée à un ensemble de préoccupations sur les migrations, qui ont donné
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lieu à la création de différentes institutions également liées aux négociations plus générales sur les migrations. On observe en effet, à partir des années 1990, par un double mouvement : d’une part, une spécialisation croissante, avec la création de plusieurs institutions dédiées aux migrations ; d’autre part l’émergence de concurrences institutionnelles entre les différentes organisations créées, et dans certains cas entre ces nouvelles organisations et les administrations plus anciennes. Dès lors, si l’influence des relations bilatérales et des politiques européennes sur les dynamiques institutionnelles est importante, elle n’intervient pas sur une page blanche, mais en interaction avec des institutions dont les enjeux ne sont pas seulement externes, mais aussi liés à des enjeux politiques et bureaucratiques internes. Plusieurs ministères marocains interviennent dans les négociations sur la réadmission avec l’Union européenne que nous examinons dans cette thèse, tout comme plusieurs directions générales à la Commission européenne. Il s’agit essentiellement du ministère de l’Intérieur et du ministère des Affaires étrangères et de la coopération (MAEC). Celui-ci est traditionnellement en charge d'une part de l'organisation des négociations avec les États étrangers, d'autre part de la représentation du Maroc à l'étranger à travers les ambassades et des relations consulaires avec les émigrés. De même, le ministère de l'Intérieur, un autre des ministères dits « de souveraineté »1, est traditionnellement impliqué dans l'organisation de l'émigration – notamment à travers le contrôle de la délivrance des passeports – et le contrôle politique des émigrés. Cependant, l’action de ces ministères s’insère dans le cadre plus large des politiques migratoires et des négociations sur ces politiques, dans lequel plusieurs autres ministères et organisations interviennent. Le Tableau 15 présente les différentes institutions impliquées dans les politiques migratoires marocaines et dans les négociations internationales sur le sujet. Ainsi, le ministère du Travail puis de l’Emploi, en charge des conventions bilatérales de recrutement intervient dans les négociations sur les migrations, en particulier sur les conventions de main d’œuvre et les conditions sociales des travailleurs marocains à l’étranger. La Caisse nationale de sécurité sociale, en charge des conventions bilatérales
1
Cette expression désignant les ministères régaliens est apparue au début des années 1990 au Maroc, lors de la mise en place d’un gouvernement d’alternance. Les négociations entre le roi et la coalition politique d’opposition (Koutla) ont notamment porté sur la répartition de ces « ministères de souveraineté », définis dans un premier temps comme la Primature, l’Intérieur, les Affaires étrangères et la Justice, auxquels ont été ajoutés plus tard les Habous (affaires islamiques), l’administration de la Défense nationale et le Secrétariat général du gouvernement.
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régissant la sécurité sociale des travailleurs marocains à l’étranger, est rattaché à ce ministère1 (Belguendouz 2006, 5). De plus, le ministère des Habous et des affaires islamiques est également impliqué dans les relations religieuses avec les émigrés (Bruce 2013). A partir de 1990, des institutions spécialisées sont mises en place, dédiées aux relations avec les Marocains à l’étranger. Il s’agit toujours de maintenir des liens avec cette population, mais il ne s’agit plus uniquement d’un contrôle politique ou financier comme c’était le cas auparavant. Il s’agit plutôt de prendre en compte simultanément les dimensions économiques, culturelles et religieuses des relations avec les Marocains à l’étranger afin de satisfaire une population qui s’est largement diversifiée. La dimension politique de ces relations est également prise en compte mais reste problématique. Le roi Hassan II semble effectuer un revirement en 1990, en considérant que les bénéfices économiques de l’émigration doivent désormais aussi bénéficier aux émigrés. Cependant, les institutions qu’il met en place sont instables et dépendent d’aléas politiques. En 1999, avec la mort de Hassan II et l’arrivée du jeune Mohammed VI au pouvoir, les émigrés et leurs liens avec le Maroc font l’objet d’une nouvelle évaluation. Ils ne sont plus seulement considérés comme une source de devises, mais aussi comme une source d’idées et de compétences utiles au développement économique du pays. Pourtant, on observe, dans les deux cas, la persistance des thématiques développées au cours des années précédentes : maintenir des liens économiques avec les émigrés et assurer un contrôle politique sur le territoire. De plus, Mohammed VI adopte en partie les mêmes solutions que son père, notamment la création de nouvelles institutions. L’ensemble de la période est par ailleurs marquée par une implication croissante des migrants « par le bas », notamment dans l’organisation du développement rural, et un objectif gouvernemental de contrôle des mobilisations. Après une présentation des nouvelles institutions créées par Hassan II et de leur contexte politique, nous examinerons les institutions créées par Mohammed VI et leurs enjeux politiques et institutionnels. Enfin, nous nous intéresserons à l’implication croissante des émigrants dans les politiques marocaines à travers les initiatives de développement, et à la façon dont le gouvernement marocain a tenté de limiter ou de canaliser ces efforts.
1
La Caisse nationale de sécurité sociale a été sous tutelle du ministère de la Santé pendant une période, avant d’être de nouveau rattachée au ministère de l’Emploi.
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Banque populaire (à partir de 1968, via le ministère des Finances)
(1973-années 1990)
Amicales
INSTITUTIONS CREEES OU IMPLIQUEES SOUS HASSAN II AVANT 1989
Agence de développement social (1999)
Fondation Hassan II (1990)
Bank Al-Amal (1989)
Ministre délégué chargé de la communauté marocaine résidant à l’étranger (MCCME) (1990-95)
Sous-secrétariat chargé de la communauté marocaine résidant à l’étranger (1995-97)
INSTITUTIONS CREEES OU IMPLIQUEES SOUS HASSAN II A PARTIR DE 1989
Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) (fondé en 1990 ; commission d’enquête sur les événements de Ceuta et Melilla de 2005 ; consultation sur la représentation des MRE en 2006)
Centres régionaux d’investissement (depuis 2002)
Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (2007)
Fondation Mohammed V (1999)
Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences (ANAPEC) (2000)
Ministre délégué chargé de la communauté marocaine résidant à l’étranger (MCCME) (2007)
Ministre délégué chargé de la communauté marocaine résidant à l’étranger (MCCME) (20022007)
Direction de la migration et de la surveillance des frontières (2004)
INSTITUTIONS CREEES OU IMPLIQUEES PAR MOHAMMED VI
Tableau 15 – Principales institutions étatiques en charge des politiques migratoires au Maroc (en gras, les plus impliquées dans les relations avec l’UE et les pays européens entre 1999 et 2013)
Ministère des Habous et des affaires islamiques
Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS)
Ministère de l’Emploi
Premier Ministre
Division des affaires consulaires et sociales (DACS)
Ministère des Affaires étrangères et de la coopération
Ministère de l’Intérieur
MINISTERES ET DEPARTEMENTS LIES AUX QUESTIONS MIGRATOIRES
1) Les créations institutionnelles de Hassan II : une réponse nouvelle aux mêmes objectifs (1990-1999). L’adoption d’une nouvelle stratégie de gestion des relations avec les Marocains à l’étranger est le résultat de la baisse tendancielle des transferts d’argent vers le Maroc à partir de 1986, ainsi que de l’augmentation des taux de naturalisation, à l’encontre de l’opinion négative du roi Hassan II. Ce changement est aussi le résultat de l’évolution de la structure de la population marocaine à l’étranger : dans les années 1960 et 1970, il s’agissait essentiellement d’hommes seuls, peu qualifiés, et dont le retour était envisagé. Dans les années 1990, la population marocaine à l’étranger est bien plus diverse. Tout d’abord, l’installation plus permanente des travailleurs a donné lieu à des regroupements familiaux et surtout à la naissance d’enfants sur le sol européen. Cette « seconde », et, plus tard, « troisième génération » sont considérées comme marocaines par les autorités du pays d’origine de leurs parents1. De nombreux Marocains émigrent également et épousent des personnes de cette deuxième génération. Par ailleurs, les migrants choisissent désormais de nouvelles destinations, comme l’Espagne et l’Italie : entre 1980 et 2004, la population marocaine résidant officiellement dans ces pays est passée de 20 000 à 650 000. Parmi les Marocains à l’étranger, la proportion de ceux résidant en France, en Belgique et aux Pays-Bas a donc tendanciellement diminué. De plus, à partir des années 1990, une proportion croissante de la population émigrée est composée de migrants irréguliers, ce qui a conduit à une altération progressive de la position gouvernementale marocaine sur le sujet de l’émigration irrégulière. En outre, de plus en plus de migrants proviennent des villes plutôt que des campagnes, et sont plus qualifiés. Enfin, les femmes émigrent de plus en plus pour travailler, et non plus uniquement dans le cadre du regroupement familial (H. de Haas 2007a ; Iskander 2010). En dépit de ces changements, le gouvernement de Hassan II cherche toujours à maintenir et renforcer les liens avec cette population marocaine en Europe. Il adopte donc une nouvelle approche, qualifiée par Natasha Iskander (2010, 157) de « nouvelle stratégie audacieuse » et par Abdelkrim Belguendouz (2006) de « saut qualitatif ». Celle-ci consiste notamment à créer un ensemble d’institutions spécifiquement dédiées aux relations avec les
1
Et souvent également par celles du pays de destination, notamment lorsque le droit de la nationalité est régi par le principe du jus sanguinis, en Allemagne par exemple.
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Marocains à l’étranger, non pas uniquement dans leur dimension économique ou de main d’œuvre, mais aussi dans leurs composantes sociale, culturelle et religieuse. Si les amicales étaient censées, jusqu’à cette date, remplir ces fonctions, elles avaient été largement décrédibilisées par le contrôle politique qu’elles exerçaient et leur collaboration avec l’État français contre les mobilisations de travailleurs1. En juillet 1990, Hassan II décide ainsi de créer un interlocuteur unique pour ceux qui sont désormais désignés par l’expression « Résidents marocains à l’étranger » ou « Marocains résidant à l’étranger » (MRE), en lieu et place des « Travailleurs marocains à l’étranger ». Il s’agit d’un ministre délégué auprès du Premier ministre et chargé des affaires de la communauté marocaine résidant à l’étranger. Ce nouveau ministère rassemble ainsi un ensemble de fonctions qui étaient jusque-là dispersées : il est chargé du traitement de divers aspects économiques et sociaux, de l’encouragement de la vie associative, de l’étude des mouvements migratoires marocains, ainsi que de la négociation et du suivi des accords bilatéraux et internationaux ayant trait à la communauté marocaine à l'étranger et de la représentation du Maroc sur les sujets migratoires dans les organisations et conférences internationales2. La nomination de Raffiq Haddaoui en tant que ministre délégué en juillet 1990 intervient quelques semaines après la création de la fondation Hassan II, en vertu d’une loi de 1989. Celle-ci est dédiée au soutien culturel, religieux et social des MRE3, et est financée par ceux-ci directement, à travers la suppression de la prime de fidélité de 2,5% qui existait auparavant pour les inciter à envoyer des devises. Bien que l’objectif de cette fondation ait été de renouer les liens avec les Marocains à l’étranger, le gouvernement n’abandonne pas ses habitudes de contrôle : les vingt-sept membres du comité directeur sont nommés par l’État, avec au moins treize représentants des amicales4. Cette contradiction est significative des 1
Le déclin des amicales est assumé par le gouvernement, à travers la voix du ministre chargé de la communauté marocaine résidant à l’étranger Raffiq HADDAOUI. Celui-ci affirme en effet dans une interview au Matin du Sahara en 1991 que « les Amicales et leurs méthodes d’action (…) ne sont plus adaptées à la situation, les autorités des pays d’accueil elles-mêmes souhaitent voir les Marocains disposer d’associations plus ouvertes pour leur permettre de dialoguer avec elles ». De plus, en 2005, l’Instance Equité et Réconciliation, chargée de solder la période des « années de plomb » du règne de Hassan II, estime dans son rapport que les activités des amicales doivent être suspendues en raison des atteintes portées aux droits des migrants marocains (Belguendouz 2006).
2
Décret n°2-91-98 du 18 hija 1413 (9 Juin 1993) relatif aux attributions et à l’organisation du ministère des Affaires de la communauté marocaine résidant à l’étranger, Bulletin Officiel du Royaume du Maroc, 1993.
3
Loi 19-89 promulguée par le dahir du 13 Juillet 1990, portant sur la création de la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger, Bulletin Officiel du Royaume du Maroc, 1990.
4
Ibid.
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tensions qui sous-tendent la politique marocaine à l’égard des émigrés à la fin des années 1980 et au cours des années 1990. Par ailleurs, on peut noter la création en 1989 d’une banque, la Bank al Amal, dédiée à l’accompagnement des projets d’investissement des Marocains de l’étranger au Maroc. Celle-ci montre bien la combinaison entre les soucis politiques et économiques du gouvernement, puisque de nombreux présidents d’amicales siègent à sa direction. Bien que les trois institutions soient en principe distinctes, elles fonctionnent de fait comme une seule institution : Raffiq Haddaoui est à la fois ministre délégué et président de la fondation Hassan II ; les deux institutions utilisent les mêmes bâtiments et leurs budgets ont tendance à se mêler ; de plus, la fondation et le ministère recrutent des investisseurs potentiels lors de leurs déplacements à l’étranger. A l’inverse des efforts antérieurs de maintenir aspects politiques et économiques séparés, ces institutions brouillent les distinctions entre les dimensions politique, économique et culturelle de la vie des émigrés. Le ministère et la fondation organisent ainsi de nombreux déplacements et conférences à l’étranger pour rencontrer les migrants, en se concentrant principalement sur les meilleurs moyens d’impliquer ces derniers plus directement dans le développement économique marocain. L’une de ces conférences est par exemple organisée dans le cadre du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) : le programme Tokten1 porte en effet sur les transferts de connaissances à travers les expatriés, ce qui rejoint à ce moment-là les préoccupations du gouvernement marocain. Le ministère organise également la publication d’un magazine appelé Rivages, en référence aux deux rives de la Méditerranée, ainsi que la diffusion de lettres d’information. La fondation Hassan II est quant à elle en charge de l’organisation de cours d’arabe et de culture marocaine pour les enfants des émigrants, de camps de vacances pour ces enfants, et de l’opération Transit. Celle-ci concerne le soutien logistique du million de Marocains de l’étranger qui reviennent au Maroc pour l’été chaque année, et doivent passer par le port espagnol d’Algésiras et le port marocain de Tanger, ce qui créé de longues files d’attente pouvant atteindre plusieurs jours. Initiée en 1988 à titre d’essai en partenariat avec le gouvernement espagnol, cette opération est formalisée sous le nom d’opération Transit en 1991 et devient rapidement le symbole le plus visible de la prise en compte par le gouvernement marocain des demandes de ses émigrés (Belguendouz 2006 ; Brand 2006 ; Iskander 2010). 1
« Transfer of knowledge through expatriate nationals ».
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Cependant, ces activités ont ouvert la porte à la manifestation de critiques envers le gouvernement. Le magazine Rivages publie ainsi régulièrement des commentaires qui impliquent indirectement des critiques, par exemple sur la difficulté à investir au Maroc en raison de la lourdeur bureaucratique et de la corruption. De même, l’éloge de l’action d’associations de migrants dans certaines régions rurales porte en elle une critique de la négligence étatique de ces régions. Raffiq Haddaoui rompt également avec la politique antérieure en critiquant, même légèrement, les amicales et en ne condamnant pas tous les migrants irréguliers1. Bien que le roi Hassan II ait modifié sa position sur la naturalisation (en encourageant désormais la double nationalité), et sur l’intégration dans les pays de destination (considérant à partir de 1989-90 qu’elle est la garante des transferts d’argent et des investissements, plutôt qu’un danger pour le lien avec le Maroc) (H. de Haas 2007a), il continue de camper sur une position ferme, affirmant même en 1996 dans un entretien au Figaro son opposition à l’émigration. Les contradictions et les tensions qui parcourent la politique à l’égard des émigrés transparaissent dans les variations de la représentation politique des MRE, ainsi que dans les évolutions institutionnelles du ministère des MRE et de la fondation Hassan II. Le début des années 1990 est marqué par une recrudescence de la défiance étatique à l’égard des émigrés. Ainsi, en 1992, à l’occasion d’une nouvelle constitution qui étend les pouvoirs du parlement, les cinq sièges réservés à la représentation des MRE, mis en place en 1984, sont supprimés. La politique gouvernementale est alors défendue par Haddaoui, mais celui-ci est remplacé en 1994 par Ahmed El Ouardi, un bureaucrate perçu comme plus docile. Ceci est le résultat de la politique active de Haddaoui et d’une concurrence du ministère délégué avec le ministère des Affaires étrangères et de la coopération. De hauts fonctionnaires de ce ministère se montraient en effet jaloux du portfolio de Haddaoui et n’appréciaient guère ses critiques à l’encontre de « leurs » amicales. Dès 1995, le ministère délégué est transformé en sous-secrétariat au sein du ministère des Affaires étrangères, puis il est complètement supprimé en 1997. Parallèlement, le budget de la fondation Hassan II est réduit, et celle-ci est cantonnée au développement de liens culturels et à l’opération Transit. Aspects économiques et politiques sont donc de nouveau séparés. La Fondation Hassan II reste la principale institution dans la
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Tandis que le roi Hassan II réitérait son opposition catégorique à tout type de migration irrégulière, Haddaoui établissait une distinction entre les émigrants irréguliers récents et ceux qui étaient installés en Europe depuis longtemps et avait donc famille et enfants à charge.
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relation du gouvernement avec ses émigrants : l’opération Transit prend une importance croissante au cours des années 1990, sous le nouveau nom d’opération Marhaba (Bienvenue)1. Cependant, plus qu’un forum de dialogue avec les migrants, elle est l’instrument pour le roi Hassan II de la promotion d’une nouvelle approche : les migrants y sont décrits comme ses enfants plutôt que comme ses sujets. La victoire du principal parti d’opposition de centre-gauche USFP (Union socialiste des forces populaires) aux élections de 1997, qualifiée d’alternance, ne change pas vraiment la donne. La question des Marocains à l’étranger est d’abord mise de côté, avant d’être abordée par le biais d’un comité interministériel peu dynamique (Belguendouz 2006 ; H. de Haas 2007a ; Iskander 2010). On retrouve cette ambiguïté entre ouverture et fermeture dans la politique menée envers les régions rurales d’émigration. Pendant la période des « années de plomb », les régions du Souss et du Rif, considérées comme rétives au développement, sont particulièrement négligées par les investissements publics. Mais au cours des années 1980, les usines Péchiney, en pleine restructuration, offrent aux salariés licenciés des fonds pour lancer leurs entreprises dans la vallée d’Argentière. Quelques travailleurs migrants d’Afrique du Nord bataillent pour obtenir de tels financements pour des actions dans leurs pays d’origine. Ils fondent l’association Retour et développement en 1986 et obtiennent gain de cause. Renommée Migrations et développement (MD) en 1987, elle conduit avec succès des projets de préélectrification rurale dans le Souss. Pendant ce temps-là, le programme d’électrification gouvernemental, financé et supervisé par la Banque mondiale, avance très peu. Le gouvernement marocain fait alors appel à des agences gouvernementales françaises, qui recommandent de procéder à la pré-électrification des villages – c’est-à-dire sans raccordement au réseau national. Un tel programme est lancé, avec la collaboration d’ingénieurs français qui développent des liens avec MD, qui avait développé une expertise dans ce domaine. Par ce biais, des contacts informels sont établis entre l’association de migrants et le ministère de l’Intérieur marocain. Au cours des années 1990, et face aux difficultés rencontrées par le gouvernement pour développer les réseaux électrique et routier ainsi que la distribution d’eau, l’État marocain passe de la réticence à un examen attentif des projets de MD. En 1999, l’Agence de développement social est créée : elle est dédiée à l’usage de fonds étrangers, provenant principalement de l’UE et de la Banque mondiale, pour 1
Dont le slogan est « Marhaba bikoum fi biladkoum » (bienvenue à vous dans votre pays) ou « fi watanikoum » (dans votre patrie).
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le financement d’organisations locales, y compris les associations. L’un des objectifs est alors d’éviter l’autonomisation des associations villageoises du réseau de MD. On retrouve donc dans les politiques rurales menées par les différents gouvernements sous Hassan II les enjeux économiques liés à l’utilisation des transferts d’argent des migrants ainsi que le souci du contrôle politique des émigrés et de ces régions considérées comme instables. Les politiques adoptées composent donc avec l’existence d’un réseau associatif fort, mais cherchent aussi à contrôler son action et son influence (Lacroix 2009 ; Iskander 2010). Pour conclure, la période des années 1990 sous le règne de Hassan II est marquée par des hésitations et des contradictions dans la définition et la mise en œuvre d’une politique à l’égard des émigrés, entre ouverture politique et économique et tradition de contrôle. Les créations institutionnelles et leurs évolutions sont significatives : deux institutions spécialisées sont créées, mais l’une disparaît après quelques années, tandis que l’autre voit son budget réduit. L’objectif de contrôle politique et économique des émigrés reste prééminent. L’arrivée de Mohammed VI au pouvoir, si elle ne remet pas fondamentalement en cause les objectifs des politiques à l’égard des migrations, altère quelque peu les formes de ces politiques.
2) Mohammed VI : reconfigurations et nouvelles institutions (19992013) L’arrivée de Mohammed VI sur le trône se traduit par le passage d’une approche centralisée à une mise en avant de la planification économique et du développement local. Dans ce cadre, les Marocains à l’étranger sont perçus comme des acteurs créatifs plutôt que comme de simples fournisseurs de ressources – notamment financières. Lors de son premier discours du Trône en 1999, Mohammed VI indique qu’il accordera un « intérêt particulier » à la communauté marocaine à l’étranger et à ses problèmes1. Deux ans plus tard, en 2001 que Mohammed VI annonce l’adoption d’une « nouvelle approche » lors du discours du Trône2. Le discours donné à l’occasion de la fête de la jeunesse quelques semaines plus tard revient plus précisément sur cette nouvelle approche : celle-ci passe par une amélioration des services offerts aux Marocains à l’étranger (les émigrés eux-mêmes, aussi bien que la deuxième ou troisième génération de Marocains à l’étranger). Les services consulaires sont évoqués, ainsi
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MOHAMED VI (1999). Discours du trône de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, 30 juillet.
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MOHAMED VI (2001a). Discours à l’occasion du deuxième anniversaire de l’intronisation de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, 30 juillet. Nora El Qadim– « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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que les services économiques visant à faciliter les transferts et les investissements. Une révision des structures de la fondation Hassan II est également annoncée1. En effet, l’opération Transit/Marhaba, emblématique de l’action de cette fondation, avait été transférée dès 2000 à la fondation Mohammed V, créée en 1999 et chargée de la lutte contre la pauvreté. Contrairement à l’interprétation qu’en donne Abdelkrim Belguendouz (2006), pour qui il ne faut pas voir ce transfert comme le résultat d’une « concurrence » mais plutôt comme le fruit d’une rationalisation du travail de plusieurs institutions, on peut voir dans ce transfert le symptôme si ce n’est de concurrences du moins de questionnements et de tensions dans la répartition des compétences entre les différentes institutions. En effet, l’idée même d’une « rationalisation du travail » dans le domaine des politiques migratoires repose sur le présupposé selon lequel il existerait une manière plus « rationnelle » de répartir les compétences quant aux émigrés. Or, la construction même d’une cohérence ou d’une rationalité des politiques publiques fait l’objet de luttes et de concurrences institutionnelles et politiques. Le transfert de l’opération Marhaba à la fondation Mohammed V peut donc être interprété comme le résultat d’une mise en visibilité par le roi Mohammed VI du travail de cette nouvelle fondation qu’il avait créée en 1999. Il s’agit par ailleurs également de travailler à la coordination des politiques envers les Marocains à l’étranger : le discours du Trône de 2002 qualifie ainsi la répartition des compétences entre les différents organismes concernés de « démarche cohérente, intégrée et porteuse »2. La restructuration de la fondation Hassan II assigne donc à cette fondation, en plus des fonctions d’enseignement et d’activités culturelles qu’elle remplissait, des tâches qui avaient jusque-là été mises de côté notamment en raison de la critique implicite des administrations marocaines dont elles étaient porteuses : la fondation est ainsi chargée du règlement rapide des litiges administratifs et juridiques que peuvent rencontrer les Marocains de l’étranger avec les administrations marocaines, ainsi que de l’assistance juridique de cette population. La fondation est également chargée de renforcer les partenariats avec les associations de migrants, dimension qui avait été précédemment mise en veille, comme nous l’avons vu plus haut.
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MOHAMED VI (2001b). Discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI à l’occasion du 48e anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple et de la fête de la jeunesse, 21 août.
2
MOHAMED VI (2002). Discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI à l’occasion du troisième anniversaire de l’accession du Souverain au Trône de ses glorieux ancêtres, 30 juillet.
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Un autre résultat de cette volonté royale de mettre en place une politique nouvelle et cohérente est la (re)création en novembre 2002 au sein du gouvernement de Driss Jettou d’un ministère chargé de la communauté marocaine résidant à l’étranger. Ce nouveau ministère diffère de sa première mouture à plusieurs égards. D’abord, parce que la ministre Nezha Chekrouni est déléguée auprès du ministère des Affaires étrangères et de la coopération, et non directement auprès du Premier ministre. De plus, elle ne dispose ni d’un organigramme ni d’un budget autonomes. En réalité, l’action de ce nouveau ministère est surtout une action de mise en visibilité médiatique. Cependant, en 2007, après la victoire du parti de l’Istiqlal, Mohammed Ameur est nommé ministre chargé de la communauté marocaine résidant à l’étranger, mais directement auprès du Premier ministre. De plus, alors que la première version du ministère est supprimée, le décret relatif à ses attributions et à son organisation n’est pas abrogé : ceci permet, en 2007, de s’appuyer sur ce décret pour la création rapide de la refonte de la nouvelle version du ministère1. Le budget de cette institution est très limité en 2008, notamment parce qu’une grande partie de ce budget est consacré aux activités de la fondation Hassan II (Belguendouz 2009 ; Wunderlich 2009). De plus, la définition des compétences du ministère chargé de la Communauté marocaine à l’étranger (MCCME) ne fait pas l’unanimité : elle est contestée d’une part, comme lors de la création du premier ministère des MRE, au sein du ministère des Affaires étrangères et de la coopération, d’autre part à la fondation Hassan II. Ainsi, au sein du ministère des Affaires étrangères, les compétences de la Division des affaires consulaires et sociales (DACS), en charge des relations consulaires avec les émigrés, recoupent en grande partie celles du nouveau ministère. Un fonctionnaire du ministère chargé de la Communauté marocaine à l’étranger rencontré en 2009 affirme avec force la complémentarité des deux institutions : Le ministère ne va pas se substituer à la DACS. Sa mission c’est le renforcement des services sociaux des consulats, nous nous intégrons dans le cadre d’un dispositif constitué par les consulats et les associations. (…) On travaille directement avec la DACS et avec les consulats, (…). Ce sont des questions relationnelles. Les Consuls ont compris que nous travaillons pour les mêmes objectifs. Il n’y a pas de lourdeurs administratives. C’est une très bonne chose.2 1
Décret N°2-07-1320 Du 15 hija 1428 (26 Décembre 2007) portant délégation d’attributions et de pouvoirs au ministre délégué auprès du premier ministre, chargé de la communauté marocaine résidant a l’étranger, Bulletin Officiel du Royaume du Maroc, n°5592, 2008.
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Entretien n°12, Ministère de la Communauté marocaine résidant à l’étranger, Rabat, 9 novembre 2009.
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Pourtant, la description du rôle du ministère de la Communauté marocaine à l’étranger par les fonctionnaires qui y travaillent diffère relativement peu de celle du rôle de la DACS. Malgré cette affirmation, ce fonctionnaire cherche également à affirmer l’existence et la croissance du MCCME comme nécessaires, en les présentant comme une conséquence naturelle de la croissance de la population marocaine à l’étranger. Nous avons pourtant vu que d’autres institutions avaient été créées, notamment la fondation Hassan II, et que l’existence d’un ministère dédié était loin d’être une évidence du point de vue du ministère des Affaires étrangères. La création du deuxième ministère de la Communauté marocaine à l’étranger au sein de ce ministère apparaît comme une tentative d’apaiser d’éventuelles critiques, mais le passage du ministre délégué auprès du chef du gouvernement indique que les liens entre les Affaires étrangères et le ministère chargé de la Communauté marocaine à l’étranger ne sont pas si évidents. De plus, cette restructuration évoquée en 2009 concerne également des enjeux de répartition budgétaire entre le ministère chargé de la Communauté marocaine à l’étranger et la fondation Hassan II1, qui ne sont résolus qu’en 20122. Un « comité permanent de coordination » est mis en place pour coordonner les deux institutions. En réalité, il s’agit pour la fondation Hassan II d’éviter une trop grande remise en cause de l’opacité de son fonctionnement3, et pour le ministère d’affirmer son rôle de coordination des différentes institutions, puisque le plan gouvernemental prévoit de « renforcer les mécanismes de coordination » (Belguendouz 2012). Les fonctionnaires du ministère chargé de la Communauté marocaine à l’étranger cherche d’autant plus à affirmer son rôle de coordinateur des politiques migratoires marocaines que sa refondation s’est accompagnée de la création d’une autre institution, destinée pour sa part à la représentation des Marocains résidant à l’étranger. Le Conseil de la
1
Le budget du MCCME étant largement consacré à la fondation Hassan II, le MCCME disposait finalement d’un budget minime pour son propre fonctionnement. Ainsi, pour l’année 2008, il disposait d’un budget de164,52 millions de dirhams, dont 150 millions devaient subventionner la fondation Hassan II, ce qui laissait au ministère 14,52 millions pour le fonctionnement, auxquels venaient d’ajouter 10 millions d’investissement (Belguendouz 2009).
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Le MCCME et la fondation Hassan II ont en effet signé un accord de coordination et de partenariat au service des Marocains résidant à l’étranger le 21 novembre 2012, entre le nouveau ministre Abdellatif Maâzouz et le président délégué de la fondation.
3
A la suite notamment de problèmes financiers liés à un arriéré de 213 millions de dirhams apparu en 2012, dû à la non prise en considération des droits liés à la carrière des enseignants de langue arabe à l’étranger.
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communauté marocaine à l’étranger (CCME) est en effet créé en décembre 20071. Il est la réponse du roi Mohammed VI à la question persistante de la représentation politique des Marocains à l’étranger, restée en suspens depuis la suppression des sièges dédiés au Parlement en 1992. Le parti de l’Istiqlal avait en effet déposé un projet de loi en juin 2004 proposant la création d’un Conseil supérieur des Marocains résidant à l’étranger. Si cette proposition n’est jamais programmée pour un passage en Commission, elle relance le débat. Mohammed VI annonce lors d’un discours en 2005 la création d’un Conseil supérieur de la communauté marocaine à l'étranger2. En 2006, un projet de loi fait l’objet de débats agités, parallèlement à la question du vote et de l’éligibilité des Marocains résidant à l’étranger au Parlement : les critiques formulées à l’égard du projet portent surtout sur la faible indépendance du Conseil par rapport au gouvernement et sur les modes d’élection et de nomination de ses membres. Un an après son discours sur la création d’un Conseil, le roi confie donc au Conseil consultatif des droits de l'Homme (CCDH) le soin de mener une consultation avec l’ensemble des parties concernées3. Le CCDH organise une consultation qui est critiquée pour son manque de transparence, mais rend cependant un avis consultatif en 2007. En novembre, le roi annonce la création du CCME, une institution consultative et prospective, dont les membres sont nommés4. La nomination de Driss El Yazami, un militant des droits de l’Homme exilé en France entre 1977 et 19945 avant de faire partie de l’Instance Equité et Réconciliation en 2004, n’apaise guère les critiques formulées à l’égard du CCME (Belguendouz 2009b). Le CCME dispose d’un budget indépendant et plus important que celui du ministère chargé de la Communauté marocaine résidant à l’étranger. De plus, ses liens directs avec le Palais royal en font, en dépit de son statut purement consultatif, un organe important dans la définition des politiques migratoires marocaines (Wunderlich 2009, 142‑143). 1
Dahir n°1-07-208 du 10 hija 1428 (21 décembre 2007) portant création du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, Bulletin officiel du Royaume du Maroc, 2008.
2
MOHAMED VI (2005). Discours de Sa Majesté le Roi à l’occasion du 30e anniversaire de la Marche Verte, 6 novembre .
3
MOHAMED VI (2006). Discours de Sa Majesté le Roi à l’occasion du 31e anniversaire de la Marche Verte, 6 novembre.
4
MOHAMED VI (2007). Discours de Sa Majesté le Roi à l’occasion du 32e anniversaire de la Marche Verte, 6 novembre.
5
AÏT AKDIM, Youssef (2012). « Driss El Yazami, de Mao à M6 », Jeune Afrique, mis en ligne le 26 juin 2012 [consulté le 6 septembre 2013].
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Enfin, l’un des points de rupture principaux de la politique du roi Mohammed VI par rapport à la politique de son père concerne le traitement des zones rurales et des minorités qui en sont issues. Outre la reconnaissance officielle des langues et des cultures non-arabes (en particulier amazigh) originaires de ces régions, Mohammed VI visite, quelques mois après son accession au trône, la région du Rif, dans laquelle son père avait refusé de se rendre à partir de la rébellion de 1958. Cette visite accompagne un programme de développement économique dans lequel les régions rurales du Rif et du Souss ne sont plus considérées comme des zones « inutiles » (par opposition à la catégorie de « Maroc utile », héritée de la période coloniale), mais comme des régions nécessitant un investissement spécifique. Or, ces zones rurales ayant été des sources privilégiées d’émigration, elles ont également fait l’objet de projets associatifs de développement, sur lesquels Mohammed VI escompte appuyer sa politique. Mohammed VI inscrit son action dans la continuité du mouvement de développement, engagé dès le milieu des années 1980, mais en même temps qu’il met le développement des régions rurales à l’agenda, il s’appuie plus directement sur le travail associatif des émigrés décrit plus haut1. Il créé notamment des centres régionaux d’investissement qui visent à promouvoir l’entreprenariat en général et les initiatives des émigrés en particulier. L’objectif de ces centres est de créer un interlocuteur unique pour les investisseurs potentiels, et de répondre aux récriminations des émigrants à propos de la corruption et du manque de transparence des administrations marocaines. Ces centres ont ainsi pu constituer des espaces de dialogues entre les pouvoirs locaux et les migrants, tout en permettant d’orienter les investissements des migrants en fonction des objectifs de développement identifiés par le gouvernement (Lacroix 2009 ; Iskander 2010). Pour résumer, l’action de Mohammed VI dans le domaine de la gestion des migrations se concentre largement sur la relation avec les émigrés et la création de nouvelles institutions ou le remaniement d’anciennes institutions. En plus du ministère des Affaires étrangères, du ministère de l’Emploi, et de la fondation Hassan II, déjà impliqués dans le dossier des migrations, le CCME, ainsi qu’un ministère dédié aux MRE sont désormais également impliqués. De plus, d’autres institutions sont créées qui, sans être purement dédiées aux migrations, impliquent également une action dans ce domaine. C’est le cas au niveau local,
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Le rapprochement entre Migrations et Développement et les autorités marocaines, via la fondation Mohammed V, est facilité par une crise interne qui bouleverse le fonctionnement de l’association et par le désengagement de l’UE.
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des centres d’investissement régionaux, et au niveau national de la fondation Mohammed V, mais aussi de l’Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences (ANAPEC), créée en 2000 et dont les compétences comprennent en principe le placement à l’international. Son action dans ce domaine se limite en réalité en grande partie à l’organisation de migrations saisonnières, comme nous le verrons plus loin dans ce chapitre. Cette agence relève cependant du ministère de l’Emploi. Ceci suscite des tensions dans la définition des compétences et des budgets de chaque institution et montre la spécialisation institutionnelle de certaines organisations dans des thématiques spécifiques à l’intérieur du domaine plus large des politiques migratoires, comme c’est le cas par exemple des centres d’investissement régionaux mis en place par Mohammed VI. Pour conclure, à partir du début des années 1990, le gouvernement marocain répond aux enjeux posés par les changements de la population marocaine à l’étranger par la mise en place d’institutions dédiées. Bien que l’arrivée de Mohammed VI au pouvoir se caractérise par de nouvelles inflexions, notamment dans la façon d’envisager la position des émigrants, les réponses apportées continuent de passer par la création d’organisations spécifiques. L’émergence de la thématique migrations et développement ainsi que l’attention portée par le nouveau roi à ces enjeux dans les zones rurales du royaume montrent que, malgré l’émergence de thèmes et de questions différentes, les politiques marocaines liées aux migrations continuent de poursuivre des objectifs internes. Il ne s’agit plus désormais de promouvoir de simples transferts d’argent, mais plutôt un investissement productif ou de développement. Le traitement des zones rurales est ainsi exemplaire de la transformation de la relation étatique aux populations émigrées et de l'encastrement entre enjeux internes et externes. Comme le montre le Tableau 15, ces institutions créées, restructurées, supprimées, recréées, se sont superposées, donnant lieu à des tensions, des concurrences et des compromis pour la définition des compétences et des budgets de chacune. Si ces administrations sont en principe soumises à un objectif national qui paraît largement dépendre de la volonté royale, la diversité institutionnelle et les tensions qui traversent ce domaine étatique pointent le rôle des administrations dans la définition et l'inflexion des politiques migratoires marocaines. C’est dans ce cadre que s’insèrent les politiques extérieures de l’UE : loin de rencontrer une page blanche au Maroc, elles interagissent avec un domaine structuré et traversé de tensions internes. Nora El Qadim– « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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C – Politiques européennes, enjeux marocains (1999-2013) Nous avons montré comment les politiques migratoires marocaines s’étaient progressivement construites en lien avec les politiques d’immigration des pays européens, mais surtout par rapport aux objectifs internes de développement économique et de contrôle politique. Cette construction est notamment passée par la mise en place d’institutions spécialisées dans le domaine des migrations et des relations avec les émigrés. Nous avons présenté les institutions créées par Hassan II puis par Mohammed VI dans ce domaine. Il ne s’agit pas ici de nier le rôle des politiques des États européens ou des politiques européennes dans la définition des politiques migratoires marocaines, mais d’analyser la façon dont elles s’inscrivent dans un paysage institutionnel marqué par des enjeux internes. En effet, le domaine des politiques migratoires était dès le départ lié à des négociations avec d’autres États, qu’il s’agisse de négocier des conventions de main d’œuvre ou les conditions d’accès de l’État marocain à ses émigrés pour le maintien de liens politiques et culturels. L’influence des politiques européennes sur les développements institutionnels et politiques dans le domaine des migrations au Maroc est indéniable. À partir des années 1990, la construction de politiques migratoires européennes a influencé le développement des relations internationales du Maroc autour des migrations. Il ne s’agit ici ni de présenter les nombreux travaux existant sur la construction d’une politique européenne des visas ou de contrôle des frontières ni d’analyser les politiques extérieures mises en place par l’UE pour tenter de surveiller ses frontières et de limiter la population étrangère en situation irrégulière (Favell 1998 ; 2000 ; Geddes 2000 ; Guiraudon 2000c ; 2003 ; Guild 2006 ; Menz 2011). Il s’agit plutôt de souligner que la mise en place de politiques européennes actives envers les pays d’origine, décrite dans l’Encadré 4, a effectivement eu des conséquences. Cependant, à la différence de la plupart des travaux sur l’externalisation dans les pays d’origine en général et au Maroc en particulier, il ne s’agit pas seulement de se poser la question de la mise en œuvre des politiques migratoires européennes extérieures (Lavenex et Uçarer 2002 ; Pastore 2002 ; Belguendouz 2005 ; Wunderlich 2010 ; 2012), mais surtout de souligner que les politiques de l’UE, comme celles des pays européens auparavant et jusqu’à aujourd’hui, ne sont pas adoptées indifféremment dans un vide institutionnel et politique : au contraire, elles sont négociées et discutées par rapport à des objectifs de politique interne, mais aussi par rapport à un secteur institutionnel en construction – tout autant que ceux de l’UE et des pays européens – traversé par des tensions et des concurrences endogènes. Nora El Qadim– « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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Encadré 4 - Politique extérieure de l'UE et migrations dans les relations avec le Maroc1 Les premières initiatives européennes liées aux migrations dans les relations extérieures remontent au début des années 1990. En 1992, par exemple, une aide financière de 463 millions d’écus est votée par le Parlement européen quelques jours après l’annonce de mesures de lutte contre l’émigration marocaine irrégulière. Cette politique s’insère dans le cadre d’une réflexion européenne plus large sur les relations avec les pays d’origine, en particulier avec les pays d’Europe de l’Est et les pays méditerranéens. La première initiative méditerranéenne impliquant plusieurs pays européens est le Dialogue 5+5, lancé en 1990 à Rome entre cinq pays de la rive nord et cinq pays de la rive sud de la Méditerranée. Elle porte sur la coopération économique et politique en Méditerranée occidentale. Peu d’activités sont cependant lancées avant 2001. A partir de cette date, les migrations font partie intégrante du Dialogue 5+5, à travers des conférences spécialisées organisées entre 2002 et 2010. Une conférence sur ce sujet se tient ainsi à Rabat en 2003. Si ce Dialogue n’a pas de Secrétariat officiel, il est facilité par l’Organisation Internationale des Migrations (OIM). Le Dialogue 5+5 s’intègre ainsi au système des Processus Consultatifs Régionaux (PCR) liés à l’OIM. Ce dialogue reste cependant largement informel. En revanche, le Partenariat euroméditerranéen ou Processus de Barcelone, inauguré en 1995, place la question des migrations au cœur de la réflexion européenne sur les relations avec les pays méditerranéens. A la différence du Dialogue 5+5, l’Union européenne y est directement représentée. Le Maroc occupe une position importante dans ce processus, et c’est dans ce cadre qu’est signé l’accord d’association entre les Communautés européennes, les différents pays européens, et le Maroc le 26 février 1996. Cependant, en partie à cause de sa complexité, mais aussi à cause d’un acte fondateur qui n’était pas un engagement légal, mais un cadre purement politique, le partenariat de Barcelone a eu une efficacité limitée, par rapport aux objectifs ambitieux qu’il s’était fixé et le partenariat a souvent été vu comme un instrument mené par les Européens. Dans la déclaration de Barcelone, les migrations sont à peine évoquées. Ceci peut d’ailleurs expliquer les échecs initiaux des politiques migratoires dans ce cadre. La coopération sur les migrations a commencé à apparaître comme un point important de ce processus à partir des années 2000. Dans le programme de coopération MEDA I mis en place par l’UE de 1995 à 1999, le thème des migrations apparaît peu. Cependant, il fait partie intégrante du programme MEDA II de 2000 à 2006. Ainsi, en 2005, pour le dixième anniversaire de la déclaration de Barcelone, alors que l’Union européenne cherchait à réactiver le partenariat euro-méditerranéen, les migrations en sont devenues le quatrième secteur-clé. Cette politique méditerranéenne de l’UE est progressivement intégrée à une initiative est lancée en 2003 lors du Conseil européen de Copenhague, qui entérine la perspective d’un nouvel élargissement de l’UE. Cette initiative est formellement baptisée « politique européenne de voisinage » en 2004 et les premiers plans d’action par pays sont 1
Réalisé à partir de LEMOINE, Maurice (1992). « Pourquoi les pateras du désespoir ? Les naufragés de la migration vers le Nord », Le Monde diplomatique, décembre ; KLEIN-SOLOMON, Michele (2005). International Migration Management through Inter-State Consultation Mechanisms, Geneva, International organisation for migrations, p.A7 ; Déclaration de Barcelone, Conférence Euro-Méditerranéenne de Barcelone, 1995 ; EUROPEAN COMMISSION. « The Euro-Mediterranean Partnership » [site consulté en février 2009] ; COMMISSION EUROPEENNE (2003). L’Europe élargie – voisinage : un nouveau cadre pour les relations avec nos voisins de l’Est et du Sud. COM(2003) 104 final, 11 mars ; ainsi que Huysmans 2000 ; Guiraudon 2000c ; Pastore 2002 ; Lannon et Van Elsuwege 2004 ; Emerson et Noutcheva 2005 ; Bigo 2006 ; Jeandesboz 2007, 2010.
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adoptés en février 2005. L’enjeu des migrations est essentiel dans la PEV : il s’agit soit de permettre un développement économique des pays frontaliers de l’Union européenne afin de permettre à terme une ouverture des frontières, soit d’assurer le contrôle des frontières et des migrations considérées comme indésirables. Cette dernière interprétation est particulièrement présente dans le développement d’une « dimension externe » du domaine de la sécurité intérieure au sein de la Direction générale des affaires intérieures. De plus, on peut lier l’intensification de cette « dimension externe » des politiques migratoires à la sécurisation progressive des migrations, en particulier à partir du constat que des acteurs nationaux de la sécurité intérieure ont pu trouver dans l’espace européen des arènes plus propices au développement de politiques sécuritaires.
Nous examinons ici les conséquences de ces politiques sur les institutions marocaines en charge des migrations. Nous nous pencherons d’abord sur la redéfinition du Maroc comme « pays de transit » et la façon dont les acteurs étatiques marocains ont adopté cette redéfinition. Puis nous verrons que l’impact des politiques européennes a largement concerné les institutions préexistantes et leur implication dans les négociations internationales sur les migrations.
1) Devenir un « pays de transit » : les enjeux politiques d’une catégorie euro-centrique L’un des effets majeurs des politiques européennes sur les politiques migratoires marocaines n’est pas le résultat des programmes européens de politique extérieure, mais plutôt de la mise en place d’un espace Schengen de contrôles sur l’entrée dans cet espace. En effet, l’une des principales conséquences de la mise en place progressive de visas pour l’entrée dans différents pays européens, et en particulier en Espagne, ainsi que de la concentration européenne sur les « frontières extérieures » de l’espace Schengen, a été la transformation de certains pays aux frontières de l’Europe, comme la Turquie ou le Maroc, en espaces de transit. Cette transformation correspond à la fois à des changements dans les possibilités de mobilité des migrants et à une catégorisation qui s’intègre à la représentation du territoire européen et de son « voisinage ». En effet, la qualification du Maroc comme « pays de transit » et non plus seulement « pays d’origine » se répand progressivement dans les années 2000. L’expression est utilisée par l’ensemble des acteurs rencontrés, et certains y ajoutent la qualification plus récente de « pays de destination », étant donné l’accroissement de la population étrangère venue d’autres pays africains. Or, si l’expression de « pays de transit » est fréquemment reprise, cette
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transformation est présentée comme une conséquence de la situation géographique du Maroc : le pays étant frontalier du territoire de l’Espagne – frontières terrestres pour les enclaves de Ceuta et Melilla, maritimes dans le détroit de Gibraltar et vers les Canaries – il serait la dernière étape avant l’Union européenne pour des migrants originaires de pays plus au sud. La notion de « pays de transit » est cependant apparue pour désigner le simple passage de migrants par le territoire des pays frontaliers de l’Union européenne, mais surtout pour désigner des espaces dans lesquels les migrants se trouvent de façon plus ou moins longue en attendant de passer vers un pays européen. L’usage de ce vocabulaire a donc renforcé l’image d’un territoire européen unifié pris d’assaut par des migrants qui n’attendraient que l’occasion de pouvoir y accéder. Les représentations graphiques des « routes migratoires » mettent d’ailleurs en scène cette conception selon laquelle le territoire européen est le point focal et le but ultime des mouvements humains (Walters 2010). On retrouve cette conception y compris chez les acteurs marocains, par exemple au ministère des Affaires étrangères et de la coopération : Le Maroc a toujours été considéré comme un pays émetteur, et jusqu’aux années 1990, il n’y avait pas de vision claire des choses. (…) C’est aussi à cette époque que les pays de Schengen ont fermé leurs frontières. Ca a créé un autre type de migrations, les migrations illégales, à cause du visa. Les pays d’Afrique ont aussi eu des visas imposés. Ca a créé une nouvelle génération de migrants : les migrants illégaux marocains à l’étranger, et les migrants illégaux étrangers au Maroc. Schengen n’est pas le seul facteur, il y a aussi la proximité de Schengen du Maroc, avec Ceuta et Melilla.1 Notre interlocuteur adopte ici un discours similaire au discours européen, mais, à la différence de la plupart des autres personnes rencontrées en Europe comme au Maroc, il souligne le rôle de la généralisation des visas pour les ressortissants des pays africains liée à la mise en place de l’espace Schengen. En effet, l’émergence et l’accroissement du phénomène des « migrations irrégulières », c’est-à-dire de la traversée des frontières sans les documents requis, sont liés à la mise en place des visas. La France adopte par exemple une exigence de visas pour les ressortissants des pays d’Afrique du Nord en 1986. A cette époque, les Marocains peuvent cependant encore voyager librement vers l’Espagne. Ce pays adopte la même exigence pour les ressortissants marocains en 1991, parallèlement à l’accession de
1
Entretien n°13, Direction des affaires consulaires et sociales, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 9 novembre 2009.
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l’Espagne au traité de Schengen1 (Zapata-Barrero et De Witte 2007). Le Maroc devient alors, par effet ricochet, « pays de transit », statut qui était jusque-là celui de l’Espagne. Bien que le rapprochement la mise en place de l’espace Schengen et celle des visas soit régulièrement fait, il met sur le même plan migrations des Marocains et migrations à travers le Maroc de ressortissants d’autres pays africains. Malgré la mise en perspective historique, l’argument géographique de la proximité entre le Maroc et l’espace Schengen (désigné par le terme de « Schengen » seul) est présent et permet à cet acteur d’expliquer la présence de migrants irréguliers au Maroc. Cette population est envisagée ici comme étant « en transit », cherchant avant tout à aller en Europe. Enfin, cet extrait est également caractéristique du rapprochement opéré dans les discours sur les migrations « de transit » entre transit et illégalité. L’utilisation de cette catégorie permet aux acteurs étatiques et internationaux de criminaliser et victimiser un type de population dans un même mouvement, puisque ces migrants sont considérés comme « illégaux », n’ayant pas les documents requis, mais aussi comme des victimes des réseaux de traite ou de passeurs (Bredeloup 2012). Cette configuration triangulaire (pays de destination/ pays de transit/ pays d’origine) reconduit en réalité l’approche bipolaire et simpliste entre pays de destination et pays d’origine. Elle néglige la réalité complexe des parcours migratoires, et d’abord le fait que les pays qualifiés de « transit » sont fréquemment des pays de destination à part entière, comme cela a été le cas de la Turquie à partir des années 1990, où des réfugiés sont arrivés d’Irak et d’Iran ; ou encore le cas la Libye, où des migrants venaient chercher un emploi (Bredeloup et Pliez 2006 ; H. de Haas 2008 ; Bredeloup 2012 ; Collyer, Düvell, et de Haas 2012). De même, les études portant sur les migrants « sub-sahariens » – une expression peu précise devenue synonyme de migrants « de transit » dans le contexte marocain – au Maroc montrent que les raisons expliquant leurs parcours sont autant économiques que politiques : dans ce cas, le sol marocain constitue pour certains un refuge relativement sûr par rapport à leur pays d’origine (Barros et al. 2002 ; Alioua 2005 ; Collyer 2006). De plus, en se concentrant sur les mouvements irréguliers, ce concept nie la réalité des migrants en situation irrégulière dans l’espace européen, qui ont pour la plupart prolongé leur séjour au-delà de la durée autorisée par leur visa plutôt que franchi la frontière sans papiers (H. de Haas 2008). De même, au
1
Le statut de « zones-frontières » est également attribué à ce moment-là aux enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, avec des dispositions spéciales pour le commerce bilatéral avec les régions marocaines voisines de Tetouan et Nador.
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cours des années 1990, les figures du haraga (littéralement, « celui qui brûle », sous-entendu ses papiers) et des pateras, ces bateaux qui essayent de traverser le détroit de Gibraltar chargés de Marocains et de migrants d’origines diverses1, avaient nié la réalité d’une émigration très diversifiée et qui prend aussi d’autres routes (Peraldi et Rahmi 2007). En outre, la construction de l’espace Schengen s’est aussi accompagnée de contrôles accrus aux frontières, par exemple en Espagne, avec le projet SIVE : le « Système intégré de vigilance extérieure ». Le projet, mené par les gouvernements français et espagnol et grâce à la collaboration marocaine du ministère de l’Intérieur, et soutenu par les institutions européennes, a conduit à la mise en place d’outils technologiques pour la détection des « migrations irrégulières » d’abord en Méditerranée, puis, à la suite de l’apparition de tentatives de traversée vers les Canaries, au large de ces îles. Ce contrôle accru des frontières transforme de fait le Maroc en pays « de transit » et même « d’immigration » en bloquant de fait une partie des migrants qui souhaitent partir vers l’Espagne sur le territoire marocain. La mise en place des catégories de migrants et de pays « de transit » est donc le résultat d’une politique européenne de contrôle des frontières qui a des effets réels sur les dynamiques migratoires et sur les populations migrantes au Maroc. Or, cette catégorisation a d’abord été refusée par les acteurs politiques et administratifs marocains, selon certains des acteurs européens rencontrés. L’un d’entre eux identifie 2002 comme l’année d’un changement de la position officielle de l’État marocain à ce sujet2. Cette date ne s’accompagne d’aucune explication au cours de l’entretien, et le premier financement européen destiné au contrôle des frontières marocaines date de 2001 ; cette période correspond aussi à la médiatisation croissante de la présence de migrants au Maroc. Quant aux acteurs marocains rencontrés, tous affirment que le Maroc est devenu un pays « de transit ». Un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur marocain date cette tendance du début des années 2000 : L’immigration reste un épiphénomène, qui va crescendo depuis 2000. Ce sont des réseaux structurés. En 2003 on a eu un effet de ciseaux : il y a plus d’étrangers que de Marocains au départ. Ca a changé la physionomie, les modes opératoires, les réseaux sont plus structurés.3 1
Le nombre d’arrestations dans le détroit de Gibraltar a constamment augmenté au cours des années 1990. Voir par exemple LAHLOU, Mehdi (2005). « Migrations irrégulières transméditerranéennes et relations Maroc-Union Européenne », XXVe Congrès International de la Population. Migrations irrégulières : mesures, déterminants, conséquences et implications politiques, Tours, p.7.
2
Entretien n°11, Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Rabat, 3 novembre 2009.
3
Entretien n°21, Direction des migrations, Ministère de l’Intérieur, Rabat, 26 novembre 2009.
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Ici, la présence de migrants sur le territoire marocain est reconnue mais immédiatement minorée, considérée comme un « épiphénomène ». Elle n’est également reconnue que dans la mesure où elle permet de minorer l’émigration irrégulière des Marocains, puisqu’un « effet de ciseaux » est constaté à partir de 2003. La redéfinition de la géographie des migrations permet de distinguer les migrants marocains, y compris irréguliers, des autres migrants irréguliers. Au final, l’adoption de l’idée du Maroc comme « pays de transit » par le gouvernement marocain est officialisée en 2003, avec l’adoption d’une loi régulant l’émigration et l’immigration et condamnant les migrations irrégulières. Pour conclure, la concentration des pays européens et de l’UE sur le contrôle des frontières et des migrations (par la mise en place d’un système de visas et par la surveillance des frontières) a eu des effets réels sur le Maroc, notamment une augmentation de la présence de migrants originaires de pays situés au sud du Sahara. Il y a donc bien des conséquences aux politiques migratoires européennes. Cependant, celles-ci s’insèrent au Maroc dans un cadre institutionnel préexistant et structuré par des enjeux internes autant qu’externes.
2) Politiques européennes et administrations marocaines La présence de migrants cherchant à atteindre le territoire espagnol via le Maroc est rendue encore plus visible dans les médias internationaux par les événements de Ceuta et Melilla en 2005 : entre le 27 et le 29 septembre, la nuit, un millier de migrants subsahariens ont lancé depuis le nord du Maroc un assaut massif contre les barrières de barbelés qui entourent Ceuta et Melilla, grâce à des échelles de fortune. Selon la Guardia Civil espagnole, environ 200 personnes auraient réussi à franchir les barrières, tandis qu’une dizaine de personnes sont mortes, blessées, étouffées ou accrochées aux barbelés. Des événements de ce type se sont reproduits au mois d’octobre 20051. Bien que ce mode de passage vers le territoire espagnol ait été fréquent en 2004 et dans le courant de 2005, et que de tels événements se reproduisent régulièrement depuis cette date, l’ampleur de « l’attaque » autant que celle de la répression ont été largement relayées dans les médias européens et marocains.
1
AMNESTY INTERNATIONAL (2005). Le Maroc, l’Union européenne et l’Espagne dans le domaine de l’asile et du contrôle des flux migratoires, Paris : AMNESTY INTERNATIONAL section française, p.3.
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De nombreuses ONG ont depuis dénoncé la répression policière très dure de ces migrants, et le fait que la Guardia civil et la police marocaine utilisent des armes contre ces migrants1. Ces événements rendent visible la présence de migrants sur le territoire marocain et leurs tentatives de passages transfrontaliers, mais ils rendent aussi visible ce qui est alors appelé l’externalisation des politiques migratoires européennes vers le Maroc. Le Maroc a été décrit comme une victime des politiques d’externalisation de l’Union européenne, mais aussi comme le « gendarme de l’Europe ». Si les politiques européennes ont bien influencé les politiques marocaines, elles ne l’ont pas fait dans un désert institutionnel. Les relations internationales marocaines dans le domaine des migrations sont basées sur la prise en compte d’enjeux internes et portent au départ principalement sur la prise en compte de la présence de populations marocaines à l’étranger dans les relations avec les pays de destination. Elles sont essentiellement coordonnées par le ministère des Affaires étrangères. Nous verrons d’abord comment l’émergence d’autres enjeux, notamment des enjeux de contrôle portés par les pays européens et l’UE au cours des années 1990, a conduit à un ré-ordonnancement des priorités et à des transformations de la législation marocaine. Puis nous verrons comment ces transformations ont permis au ministère de l’Intérieur de reprendre une place plus importante dans les politiques migratoires marocaines. Les transformations de la « dimension extérieure » des politiques migratoires marocaines Comme nous l’avons vu plus haut, les migrations sont un enjeu des relations internationales marocaines depuis les années 1960, d’abord à travers la négociation et la signature de conventions de main d’œuvre. Bien que ces relations internationales soient l’objet du travail des différents ministères compétents, en fonction du sujet – par exemple le ministère de l’Emploi en ce qui concerne les conventions de main d’œuvre – le ministère des Affaires étrangères et de la coopération (MAEC) prend part à la plupart des discussions, au moins en tant qu’organisateur. La base de données de la Direction des affaires juridiques et des traités du MAEC recense ainsi les actes internationaux plus ou moins formels : traités internationaux mais aussi procès-verbaux de réunions, protocoles financiers, arrangements techniques, échanges de lettres. Nous avons consulté cette base de données lors de notre 1
Le dernier en date, publié par le réseau MIGREUROP, recense les rapports d’ONG antérieurs : BLANCHARD, Emmanuel et C. CHARLES et al. (2006). Guerre aux migrants : Le livre noir de Ceuta et Melilla. Migreurop, p.105.
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terrain au ministère en 2009. Si l’on observe les actes enregistrés par le MAEC depuis 1955 dans le domaine des migrations, on peut recenser des thèmes diversifiés : accords de main d’œuvre et, en lien, accords sur les conditions de séjour et de travail mais aussi discussions sur l’état civil, le statut des personnes et de la famille, l’enseignement de la langue arabe et la coopération consulaire à l’étranger, accords sur la sécurité sociale ou la double imposition, et enfin, actes concernant la circulation des personnes et les visas, ainsi que les douanes et la surveillance des frontières. A partir des données enregistrées pour les deux premiers pays ayant signé des conventions de main d’œuvre (France et Allemagne) et de deux pays plus récents de destination des Marocains (Espagne et Italie), nous avons rassemblé ces différents documents en trois catégories, présentées dans la figure ci-dessous : la première concerne la gestion de l’emploi des Marocains à l’étranger (catégorie « emploi » sur le graphique) ; la seconde concerne leurs conditions sociales (sécurité sociale, statut des personnes et de la famille, dimension culturelle ; catégorie « social » sur le graphique) ; enfin, la dernière concerne le contrôle de la circulation et la surveillance des frontières (catégorie « sécuritaire/contrôle »). Entre 1955 et 2009, le nombre de documents concernant les migrations enregistrés pour ces pays varie de 0 (plusieurs années, essentiellement entre 1955 et 1970) à 11 (en 1993), sachant que le nombre annuel total de documents enregistrés pour ces pays dans tous les domaines est en moyenne de 181. Sur l’ensemble de la période et avec ces quatre pays, les documents enregistrés concernant les migrations représentent environ 14% du total2 de l’activité du ministère des Affaires étrangères, ce qui n’est pas négligeable. On observe une augmentation des activités du ministère dans le domaine des migrations entre 1991 et 2001. Sur l’ensemble de la période, ce sont les activités du domaine social qui sont les plus régulières et les plus nombreuses. La dimension extérieure des politiques migratoires marocaines concerne donc avant tout la question des migrants marocains à l’étranger, leur statut, celui de leur famille, leur imposition et leur sécurité sociale. Les activités dans ce domaine augmentent entre 1991 et 2001. Cependant, on observe également à cette période une augmentation du nombre d’actes enregistrés dans le domaine de la surveillance des frontières et du contrôle des migrations. Cette augmentation peut être
1
Il varie entre 1 (1955) et 42 (1991).
2
145 sur 1014, soit 14,29% des documents enregistrés entre 1955 et 2009 pour l’Allemagne, la France, l’Espagne et l’Italie. Etant donné qu’il s’agit de chiffres annuels relativement peu élevés, les proportions annuelles ne sont guère indicatives.
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attribuée aux politiques européennes et à leur insistance sur le contrôle de la circulation des personnes.
Figure 1 – Nombre d’actes enregistrés dans le domaine des migrations dans la base de données juridiques du ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, par thème (1955-2009, Allemagne, Espagne, France, Italie) Quant au domaine de l’emploi, la signature d’accords à ce sujet est relativement sporadique, et le ministère des Affaires étrangères ne semble pas impliqué dans les discussions sur leur mise en œuvre. On peut cependant remarquer que des accords de ce type sont signés en 1999 et en 2005 : il s’agit d’accords pour le recrutement d’une main d’œuvre saisonnière dans le sud de l’Espagne et en Italie. Si ces accords s’apparentent aux conventions de main d’œuvre des années 1960, visant des populations également peu qualifiées, ils constituent un nouveau type d’accords, concernant des populations très restreintes, pour des périodes précises, et avec des conditions de retour. Ces accords sont également largement liés aux politiques de contrôle des pays européens, dans la mesure où ils sont envisagés comme
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une monnaie d’échange parallèlement aux demandes de contrôle des migrations faites au gouvernement marocain1. Ces transformations de la « dimension extérieure » des politiques migratoires marocaines montrent que la focalisation des pays européens sur les questions de contrôle des migrations s’est traduite par des discussions et des négociations accrues avec le Maroc dans ce domaine. Ceci a conduit à des évolutions institutionnelles spécifiques dans le secteur marocain en charge des migrations : si ces changements sont largement le résultat de l’évolution des politiques européennes, ils se combinent aux réflexions plus globales dans un secteur institutionnel en construction. La loi 02-03 et le rôle croissant du ministère de l’Intérieur dans les politiques migratoires marocaines. En février 1999, le ministre de l’Intérieur Driss Basri affirme, devant une délégation parlementaire française, que « au plan marocain, l’émigration clandestine est au niveau zéro »2. A ce moment-là, le ministère de l’Intérieur marocain nie toute migration irrégulière et refuse de se consacrer au contrôle des conditions d’émigration. Or, en 2003, une loi de lutte contre l’émigration et l’immigration irrégulières est adoptée, loi dans laquelle le ministère de l’Intérieur joue un rôle fondamental. Comment expliquer ce retournement du discours de l’Intérieur marocain, en quelques années ? A la suite de la remise en cause profonde du ministère de l’Intérieur qui a suivi la mort de Hassan II et l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI, notamment les accusations de violations graves des droits de l’Homme, la question du contrôle des migrations a pu apparaître comme une ressource importante pour le ministère de l’Intérieur, qui y a trouvé un cheval de bataille bénéficiant du soutien de l’Union européenne. Les politiques migratoires européennes ont donc permis au ministère de l’Intérieur marocain d’élargir son champ d’action dans le domaine des migrations par rapport aux autres ministères et organisations. La transformation du Maroc en « pays de transit » et les pressions européennes pour le contrôle des migrations, qui transparaissent dans l’augmentation du nombre de discussions et d’accords sur le sujet enregistrés dans la base de données du MAEC, ont eu des effets réels au Maroc : d’abord sur le plan juridique, avec l’adoption d’une nouvelle loi de contrôle des 1 2
La logique et le déroulement de ces marchandages seront examinés en détail plus loin. Cité dans Belguendouz 1999, p.174.
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migrations ; ensuite sur le secteur institutionnel des politiques migratoires, en replaçant le ministère de l’Intérieur au cœur du dispositif. Ce ministère est en effet l’interlocuteur privilégié des autorités européennes en matière de contrôle des frontières et des personnes, et a notamment pu bénéficier de financements dédiés à ce domaine. La loi 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et à l’immigration irrégulières1 (Annexe 15) est adoptée le 11 novembre 2003 et publiée au bulletin officiel le 20. Elle règlemente la migration au Maroc avec ses deux volets d’immigration et d’émigration, et se penche sur l’immigration et l’émigration illégales pour les sanctionner. L’article 42 prévoit ainsi une amende de 2 000 à 20 000 dirhams2 et un emprisonnement de un à six mois ou l’une des deux peines seulement pour toute personne qui a pénétré ou a tenté de pénétrer sans document de voyage en cours de validité ou qui s’est maintenue sur le territoire au-delà de la durée autorisée par son visa. L’article 50 prévoit quant à lui une amende de 3 000 à 10 000 dirhams et un emprisonnement de un à six mois ou l’une des deux peines seulement pour l’émigration dire clandestine. De plus, les articles 51 et 52 punissent l’aide à l’immigration ou à l’émigration irrégulières d’amendes et de peines de prison bien plus élevées : une amende de 50 000 à 500 0003 dirhams dans tous les cas, assortie de six mois à trois ans d’emprisonnement, portés à deux à cinq ans pour les employés ou agents des forces publiques ou services de transports. La peine est portée à 500 000 dirhams à un million de dirhams d’amende ainsi qu’une peine de prison de dix à quinze ans si ces faits sont habituels. Une analyse juridique de ce texte souligne qu’il « décolonise » le droit marocain des migrations : l’adoption d’une nouvelle loi permet ainsi de rompre avec des lois héritées du protectorat français. De plus, le texte « organise » ce droit en rassemblant des articles qui étaient auparavant éparpillés dans plusieurs textes (Elmadmad 2004), comme le soulignait le ministre de la Justice Mohamed Bouzoubaâ dans son discours présentant le texte au Parlement en juin 2003. Cependant, selon le ministre de l’Intérieur Mostafa Sahel, le cadre de la loi est celui de : L’adéquation de la législation en la matière avec les conventions internationales relatives aux droits des émigrés et des étrangers résidant d’une manière illégale, 1
Dahir n°1-03-196 ramadan 1424 (11 novembre 2003) portant promulgation de la loi n°02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et à l’immigration irrégulières, Bulletin Officiel du Royaume du Maroc, n°5162, 2003.
2
Soit environ 180 et 1 800 euros.
3
4 480 à 44 800 euros environ.
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d’une part, et du respect de l’engagement pris par le Maroc à l’égard de ses partenaires dans le domaine de la lutte contre l’émigration…1 On trouve dans cette déclaration à la fois une affirmation de l’autonomie du droit marocain, à travers la référence aux conventions internationales et aux droits des migrants, et les traces de l’influence européenne sur la politique marocaine, même si cette influence est ici désignée comme un « engagement » du Maroc et évoquée en termes de partenariat. Cette influence européenne fait partie des principales critiques adressées à la loi au moment de son adoption (voir par exemple Belguendouz 2003). La « décolonisation » du droit semble en effet céder le pas à une forme de néo-colonialisme, puisque le texte reprend plusieurs dispositions de la loi française sur le sujet, procédant à un « copier-coller » quasi-littéral à tendance répressive de l’ordonnance française d’après-guerre régulant le droit des étrangers2. De plus, la loi est critiquée car, à la différence du droit français, les mesures répressives ne s’accompagnent d’aucune garantie sur les modes de recours et le respect des droits humains, et ne prévoit aucune disposition pour le regroupement familial. La loi prévoit de plus des possibilités de rétention des étrangers, y compris un éventuel décret concernant la mise en place de centres spécifiques (Elmadmad 2004 ; Belguendouz 2005 ; Natter 2012 ; 2013). Bien que cette loi soit largement le résultat de pressions européennes sur le Maroc, il convient de souligner qu’elle répond également à des préoccupations internes de contrôle des personnes et de leur circulation liées à la lutte contre le terrorisme. On retrouve ainsi un lien créé par les acteurs policiers notamment entre terrorisme et migration, qui constitue une part importante du phénomène de sécurisation des migrations en Europe (Bigo 1998b). En effet, en réponse aux pressions internationales pour la lutte contre le terrorisme, le gouvernement avait introduit début 2003 une loi en ce sens, qui était critiquée par les défenseurs des droits de l’Homme au Maroc. Les attentats terroristes à Casablanca le 16 mai 2003, qui ont fait quarante-cinq morts et une centaine de blessés3, ont annihilé les critiques, et la loi est rapidement adoptée en juin 20034. Ceci ouvre alors la voie à l’adoption d’un agenda orienté 1
« La lutte contre l’émigration clandestine : une priorité nationale », Le Matin du Sahara, 21 décembre 2003.
2
L’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, modifiée et complexifiée au cours du temps, a constitué la base du droit des étrangers en France jusqu’aux années 2000.
3
« Maroc : les attentats de Casablanca ont fait 45 morts (nouveau bilan) », AFP Infos Françaises, 16 août 2003.
4
Dahir n°1-03-140 du 26 rabii I 1424 (28 mai 2003) portant promulgation de la loi n°03-03 relative à la lutte contre le terrorisme, Bulletin Officiel du Royaume du Maroc, n°5114, 2003.
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vers le contrôle sécuritaire, y compris dans le domaine des migrations, et limite les critiques liées au respect des droits de l’Homme1 (Düvell et Vollmer 2009 ; Natter 2012). Le ministère de l’Intérieur, moins prééminent dans la vie politique marocaine depuis l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI, revient sur le devant de la scène. Nous avons pour le moment peu évoqué le ministère de l’Intérieur marocain. Pourtant, il occupe une place essentielle dans le système politique marocain en particulier dans les années 1980 et 1990, lorsque Driss Basri est ministre de l’intérieur (Vermeren 2002, 84‑86). Il occupe également une place essentielle dans les politiques migratoires. Il joue d’abord, notamment dans les années 1960 et 1970, un rôle de régulateur d’émigration, par le biais du contrôle de l’attribution des passeports. En effet, avant la mise en place des visas, et alors que nombre de parcours d’émigration se font en dehors des conventions de main d’œuvre, c’est avant tout l’obtention d’un passeport qui conditionne le départ des migrants potentiels. La délivrance d’un passeport est le résultat soit du clientélisme, soit de corruption, soit du souhait de se débarrasser d’une personne, et parfois d’une combinaison de ces trois facteurs (Leveau 1989, 115). Le ministère de l’Intérieur intervenait également dans le contrôle politique des émigrés au travers des amicales, décrites plus haut (Belguendouz 2006 ; Brand 2006). Au cours des années 1990, avec l’émergence du phénomène d’émigration irrégulière, le rôle du ministère de l’Intérieur s’est concentré sur la surveillance des frontières. Cependant, celle-ci se concentre plutôt sur les phénomènes de trafics de drogue, notamment dans le Nord du pays, et sur la surveillance de la frontière contestée du Sahara occidental2. Le souci de contrôle des frontières n’est donc pas nouveau pour le ministère de l’Intérieur marocain lorsque grandissent les pressions des pays européens, puis de l’Union européenne. Le projet SIVE en est le premier élément, avec de faire participer les forces marocaines au contrôle des frontières. Des financements importants sont alloués directement au ministère de l’Intérieur marocain pour la construction d’un système de surveillance des frontières avec radars et équipements de haute technologie sur la côte nord du pays, mais aussi au sud pour éviter l’entrée au Maroc de migrants irréguliers venus d’autres pays. Ces financements permettent
1
Voir à ce sujet EL SARAFI, Ali, « Après le choc des attentats de Casablanca. Tour de vis sécuritaire au Maroc », Le Monde diplomatique n°592, no 7 (1er juillet 2003).
2
Un « mur des sables » (berm) équipé de systèmes de surveillance y est construit dans les années 1980.
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donc au ministère de l’Intérieur de développer les capacités marocaines de contrôle des frontières en général, et pas seulement pour le contrôle des migrations. L’importance grandissante du ministère de l’Intérieur dans les politiques migratoires marocaines au cours des années 2000 se traduit par la création d’une « direction de la migration et de la surveillance des frontières » au sein du ministère en 2004. Cette direction est chargée « de la mise en œuvre opérationnelle de la stratégie nationale en matière de lutte contre le trafic des êtres humains et la surveillance des frontières ». Elle comprend une division de « recherches et d’investigation » ainsi qu’une division de « la logistique opérationnelle »1. Bien que la direction de la coopération internationale comprenne une division en charge des flux migratoires, la dimension internationale des migrations est de fait laissée au soin de la nouvelle direction des migrations. D’ailleurs, en 2005, Khalid Zerouali, alors directeur de la coopération internationale depuis 2003, est nommé à la tête de la direction de la migration et de la surveillance des frontières2. Son nom est cité lors de tous les entretiens menés à Rabat dès lors qu’il s’agit de négociations internationales relatives au contrôle des migrations, ainsi que le nom de son « adjoint », Aziz Jilali Sghir, chef de division au sein de la direction. Enfin, la création d’un « observatoire national de la migration » est également prévue au sein du ministère de l’Intérieur par un décret concomitant à la création de cette direction spécialisée, en décembre 2004. Cet observatoire doit « contribuer à l’élaboration d’une stratégie nationale en matière de migration », et il est notamment chargé de « centraliser les informations liées à la migration ». Son assemblée plénière rassemble en principe des représentants de l’ensemble des ministères impliqués, y compris le ministère des Affaires étrangères et de la coopération, le ministère de la Justice et le ministère de l’Emploi3. Cependant, cet observatoire ne semble pas encore avoir été réellement mis en place (Belguendouz 2009).
1
Décret n°2-04-750 du 14 kaada 1425 (27 décembre 2004) modifiant et complétant le décret n°2-97-176 du 14 chaabane 1418 (15 décembre 1997) relatif aux attributions et à l’organisation du ministère de l’intérieur, Bulletin Officiel du Royaume du Maroc, n°5280, 2004.
2
« Nouvelles nominations à l’administration centrale. Biographie des nouveaux nominés », Aujourd’hui le Maroc, 22 juin 2005, http://www.aujourdhui.ma [consulté le 10 février 2012]
3
Décret n°2-04-751 du 14 kaada 1425 (27 décembre 2004) portant création d’un Observatoire national de la migration, Bulletin Officiel du Royaume du Maroc, n°5280, 2004.
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La sécurisation des politiques migratoires marocaines est donc en partie une conséquence des politiques européennes de visas et de contrôle des frontières européennes, ainsi que des pressions européennes (et des pays européens comme l’Espagne et la France) sur le Maroc pour le contrôle des frontières marocaines. Pour autant, l’adoption d’une loi destinée à la lutte contre les migrations irrégulières et la mise en place d’une direction spécialisée au sein du ministère de l’Intérieur correspondent à un renforcement des contrôles et de l’orientation sécuritaire du gouvernement après une période d’ouverture initiale au moment de l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI. L’influence des politiques européennes s’insère donc dans un contexte local complexe et dans un secteur institutionnel en construction. En ce sens, la création d’une direction spécialisée et d’un observatoire de la migration au ministère de l’Intérieur s’intègre à un questionnement plus large sur la cohérence et la coordination des politiques migratoires marocaines. Concurrences pour la coordination des politiques migratoires marocaines et études des migrations La multiplicité des acteurs institutionnels en charge des migrations au Maroc laisse perplexes les acteurs européens et internationaux présents au Maroc. Cette perplexité occulte à la fois le fait que cette multiplicité n’est pas plus forte qu’elle ne l’est dans les pays d’accueil, et le fait qu’il existe des concurrences entre ces différents acteurs. Il s’agit donc de montrer ici comment les politiques migratoires européennes rencontrent des enjeux administratifs marocains propres. Si le ministère de l’Intérieur occupe une place prépondérante, cette place est contestée, notamment par les acteurs diplomatiques. La plupart des représentants d’organisations internationales ou de l’UE rencontrés formulent des critiques à cet égard et appellent de leurs vœux une meilleure coordination des politiques migratoires marocaines. C’est par exemple le cas à la délégation de l’UE à Rabat : Ce que nous essayons de faire, c’est justement d’encourager le Maroc à élaborer une stratégie globale, mais c’est difficile, notamment en raison de la transversalité et de la multiplicité des acteurs.1 Ces remarques dénotent sans nul doute un certain paternalisme de la part de ces acteurs internationaux, qui jugent les systèmes nationaux en fonction de systèmes qu’ils estiment faire référence. Les analyses historiques ont en effet montré que la coordination des politiques
1
Entretien n°11, Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Rabat, 3 novembre 2009.
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migratoires au sein d’un État était loin d’être une évidence (Spire 2005 ; Douki, Feldman, et Rosental 2006 ; Laurens 2009). Ces demandes, décrites comme répondant à un besoin de coordination, peuvent aussi apparaître comme une forme d’intrusion dans le travail des administrations marocaines. Pourtant, on retrouve aussi ce discours parmi les acteurs marocains rencontrés. À une question sur la politique migratoire marocaine, un interlocuteur nous répond ainsi : « Le Maroc n’a pas de stratégie migratoire. Koul’ouahed aândou [chacun a] sa stratégie. Le Maroc n’a pas une politique migratoire »1. C’est ici le manque de coordination des différentes administrations sur le sujet qui est dénoncé. L’usage d’une expression en dialecte marocain pour dire que chacun a sa stratégie insiste sur l’isolement des différentes unités. On rencontre ce type de réponse dans diverses administrations, notamment dans celles en charge des liens avec les Marocains à l’étranger, mais aussi au sein du ministère des Affaires étrangères et de la coopération. Plusieurs acteurs soulignent alors la mise en place d’une réflexion sur le sujet et une réorganisation de la répartition des compétences, par exemple à travers la mention d’une commission interministérielle2. La recherche de « cohérence » ne se fait cependant pas sans la persistance de concurrences sur la direction de cette stratégie. Ainsi, au ministère de l’Intérieur : La direction des migrations a vocation à être le coordinateur de la stratégie politique migratoire marocaine. Elle coordonne la problématique des migrations dans sa globalité : la lutte contre les migrations clandestines, le séjour des étrangers, la coopération internationale, avec le groupe mixte Maroc-Espagne, la négociation de l’accord de réadmission avec l’UE, les groupes ad hoc, par exemple sur les mineurs. Il y a une uniformisation du discours, et le travail avec le ministère des affaires étrangères est efficace.3 Il s’agit ici à la fois de légitimer l’existence de la direction de la migration et de la surveillance des frontières et d’affirmer son rôle de « coordination » des politiques migratoires marocaines : ceci signifierait que le ministère de l’Intérieur serait le chef de file des questions migratoires dans tous les domaines, y compris les relations extérieures. La mention d’une « uniformisation des discours » montre que la relative homogénéité des 1
Entretien n°1, Personne ayant travaillé au Ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle et au Bureau international du travail à Rabat, Rabat, 1 octobre 2009.
2
3
Entretien n°12, Ministère de la Communauté marocaine résidant à l’étranger, Rabat, 9 novembre 2009. Entretien n°21, Direction des migrations, Ministère de l’Intérieur, Rabat, 26 novembre 2009.
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discours sur la réadmission par exemple, n’est pas uniquement la conséquence de l’asymétrie manifeste d’un tel accord et d’intérêts objectifs : elle est aussi le résultat d’un travail sur ce discours, mené de concert par le ministère de l’Intérieur et le ministère des Affaires étrangères. C’est d’ailleurs entre ces deux ministères que la coopération est la plus proche sur le sujet des migrations dans le domaine des relations extérieures, mais elle donne aussi lieu à des tensions. Depuis Bruxelles, un diplomate marocain décrit ainsi la répartition des tâches : Le Ministère de l’intérieur s’occupe du volet technique etc. Pour la vision stratégique c’est le Ministère des affaires étrangères qui coordonne avec tous les ministères impliqués. Chacun a sa propre compétence, le ministère des MRE, le Ministère de l’intérieur sur le volet sécuritaire, surveillance. (…) [S’ils sont difficiles à joindre c’est parce qu’] ils mystifient leur propre travail.1 Cette fois-ci, le ministère de l’Intérieur apparaît relégué au « technique », tandis que la coordination ou la « vision stratégique » sont décrites comme relevant du MAEC. La distinction des rôles des ministères s’opère aussi clairement sur un lien entre cette dimension « technique » du ministère de l’Intérieur et son orientation « sécuritaire », perçue de façon extrêmement négative par ce diplomate. Ceci apparaît notamment lorsqu’après avoir mentionné la difficulté à entrer en contact avec ce ministère lors de notre terrain, la culture du secret qui prévaut au sein de ce ministère est qualifiée de « mystification ». On retrouve là une opposition entre administration de l’intérieur et diplomates qui n’est pas propre au cas marocain mais que l’on retrouve par exemple au sein des États membres européens (Guiraudon 2000c ; 2003). On voit donc comment, dans un contexte marqué par des reconfigurations institutionnelles fréquentes autour des migrations, il existe des concurrences pour le contrôle de l’orientation stratégique des politiques migratoires marocaines dans les relations extérieures. Malgré ces concurrences, malgré les remarques sur l’hétérogénéité des politiques migratoires et des institutions en charge de ces politiques au Maroc, les acteurs marocains des principaux ministères concernés par les négociations internationales (Communauté marocaine résidant à l’étranger, Intérieur, Affaires étrangères) insistent sur le travail de coordination des politiques migratoires fourni au cours des années 2000. Cette insistance montre que cette coordination est aussi un enjeu de légitimité sur la scène internationale. L’affirmation de la coordination des politiques migratoires marocaines
1
Entretien n°52, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 6 février 2012.
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apparaît aussi comme un moyen de répondre à des standards internationaux. C’est le cas notamment lorsque le représentant du ministère de l’Intérieur affirme : Jusqu’en 2007, on avait une stratégie orientée tâches, où chaque acteur travaillait seul, et qui donnait de bons résultats. En 2007, on a adopté une stratégie orientée processus. Par exemple dans la lutte contre le trafic d’êtres humains, il faut s’occuper de la prévention aussi, auprès des catégories vulnérables, et dans la lutte il faut distinguer entre les victimes et les trafiquants, et il y a aussi une dimension de protection, il faut les protéger, les réhabiliter, les soutenir. Le comité interministériel s’occupe de la synchronisation des acteurs sectoriels.1 On note ici que trois éléments sont associés : nouvelle gestion publique, respect des droits de l’Homme et coordination des politiques. L’usage de termes issus de la nouvelle gestion publique, avec le passage d’une « stratégie orientée tâches » à une « stratégie orientée processus », souligne l’idée d’efficacité. On voit ici que cette dimension est liée à l’intégration de standards internationaux de respect des droits de l’Homme, à travers les thématiques de « la lutte contre le trafic d’êtres humains », de « prévention » et de « protection », ainsi qu’à travers la distinction de « catégories vulnérables » ou de « victimes », qui permet de légitimer des politiques sécuritaires par des standards de protection. Ceci est lié au travail d’organisations internationales sur les migrations au Maroc ainsi qu’à la participation des acteurs administratifs marocains à divers forums internationaux2. La coordination des politiques publiques est mise en avant par la mention de l’interministériel et de la « synchronisation ». Or, les organismes de recherche mis en place dans les différentes institutions, censés apporter un élément de réflexivité aux politiques marocaines, participent eux-mêmes à la complexification du champ. En effet, outre l’Observatoire inexistant créé en principe au sein du ministère de l’Intérieur, chaque institution évoquée ici dispose de son propre organisme de recherche. C’est le cas notamment de la fondation Hassan II et du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, qui s’est particulièrement investi dans la recherche afin de jouer son rôle consultatif3. Là encore, l’enjeu de définition des politiques migratoires est important,
1
Entretien n°21, Direction des migrations, Ministère de l’Intérieur, Rabat, 26 novembre 2009.
2
Nous examinerons les enjeux de cette dimension internationale pour les relations entre le Maroc et l’UE dans le domaine des migrations dans le chapitre 6.
3
Entretien n°15, Conseil de la Communauté marocaine à l’étranger, Rabat, 13 novembre 2009 et entretien n°64, Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, Rabat, 10 juin 2012.
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comme le montre le communiqué de presse annonçant l’accord trouvé entre la fondation Hassan II et le ministère des MRE en 2012 : Les deux institutions œuvrent pour conformer leurs interventions respectives à une vision stratégique commune. Pour ce faire, elles supervisent avec le concours du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger et l’Institut royal des études stratégiques, la réalisation d’une étude nationale destinée à renforcer la collaboration entre les parties prenantes et à asseoir une politique nationale relative à la question des flux migratoires à l’horizon 2030.1 La dimension prospective de la recherche sur les migrations au Maroc est clairement mise en avant dans cet extrait, puisque les institutions sont appelées à collaborer dans le but d’élaborer une politique nationale en commun. Cependant, l’organisme de recherche de la fondation Hassan II n’est pas évoqué, et cette entreprise est placée sous la direction du CCME et de l’Institut royal des études stratégiques (IRES). Cet institut de recherche dédié aux études prospectives a été créé en 2007 afin d’exercer des fonctions de veille, de think thank et de forum2. Là encore, la définition de l’institution en charge de la coordination ne va pas de soi. On voit donc concrètement le rôle important attribué par le gouvernement marocain au CCME dans le domaine de la recherche sur les migrations, puisqu’il est associé à l’institut de recherches prospectives proche du Palais. Or, ce domaine n’est pas non plus hermétique aux influences extérieures, en particulier européennes. Le CCME, qui a, par définition, un pied au Maroc et l’autre à l’étranger, a ainsi mené des projets de recherche financés en partie par l’Union européenne ou la Suisse3. De même, l’influence de l’UE et des organisations internationales se fait sentir au Maroc dans le développement universitaire de la question des migrations. L’émergence d’enseignements et de formations spécialisés dans un domaine est un signe essentiel de la professionnalisation, et donc de l’institutionnalisation d’un enjeu. Or cette spécialisation rend particulièrement visible les interactions entre le secteur des politiques migratoires marocaines et les enjeux 1
Communiqué de presse reproduit dans Belguendouz 2012.
2
Selon le site internet de l’IRES, « le Maroc a choisi d’appréhender la complexité dans sa globalité et de développer une expertise orientée vers l’anticipation », http://www.ires.ma/fr/ires/lires-en-bref [consulté le 1er août 2013].
3
C’est le cas par exemple du projet « Beyond irregularity » mené entre 2011 et 2013, financé par la COMMISSION EUROPEENNE et la Suisse et mené par l’Institut pour la recherche en politiques publiques (IPPR), un think thank britannique, en collaboration avec le CCME et plusieurs institutions dont le Centre de recherche sur la migration de Sussex et la Plateforme internationale pour la coopération sur les migrants sans papier (PICUM) de Belgique. CONSEIL DE LA COMMUNAUTÉ MAROCAINE A L’ÉTRANGER (2013). « Présentation au CCME des deux études du projet « Beyond Irregularity » », http://www.ccme.org.ma/fr/activites/31833 [consulté le 1er septembre 2013].
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internationaux de ces politiques. En effet, certains chercheurs et certaines chercheuses se sont spécialisés dans la recherche et l’enseignement sur ce sujet. On peut citer par exemple Mohamed Berriane à l’université Mohammed V à Rabat, qui, après avoir travaillé sur le rôle du tourisme dans le développement local au Maroc, a étudié à partir des années 1990 l’impact de l’émigration sur les régions marocaines. L’institutionnalisation de la recherche sur les migrations au Maroc est liée aux transformations des politiques marocaines d’émigration et de gestion des relations avec les Marocains de l’étranger, et à l’ouverture des possibilités politiques dans ce domaine. Elle est aussi liée, en parallèle, à la mise en avant de ce thème par les acteurs européens dans les relations avec le Maroc. Plusieurs chercheurs et chercheuses qui s’étaient penchés sur l’émigration marocaine se sont intéressés à l’enjeu des politiques migratoires pour le Maroc dans le cadre des relations avec l’Union européenne. C’est le cas de chercheurs comme Abdelkrim Belguendouz, dont les premières publications remontent aux années 1980 et dont les recherches fournissent une base factuelle importante de ce chapitre ; ou encore Mehdi Lahlou, de l’Institut national de statistique et d’économie appliquée, qui s’intéresse au sujet à partir du milieu des années 1990. Par ailleurs, plusieurs centres de recherches dédiés à la question des migrations sont créés, comme le Centre d’études sur les mouvements migratoires maghrébins (CEMM) en 1990 à l’université Mohammed Ier d’Oujda, ou l’Association marocaine d’études et de recherches sur les migrations (AMERM) en 1994 à l’université Mohammed V à Rabat. Celle-ci est créée et animée, entre autres, par Mohamed Khachani et Houria Alami M’Chichi, qui se penche également sur les enjeux de développement et de genre. A Casablanca, une chaire UNESCO « migrations et droits humains » est créée en 2001 à l’Université Hassan II Aïn Chock et Khadija Elmadmad, professeure de droit, responsable de l’unité de formation et de recherches sur « Migration et droits » à la faculté des sciences juridiques, économiques et sociale de l’université de Casablanca et présidente du centre d’études et de recherches en migration et droits humains au sein de la même faculté, est nommée titulaire de cette chaire. En décembre 2012, cette chaire est fusionnée avec l’Association « Migrations et droits » pour la création d’un Centre UNESCO « Droits et migrations » (CUDM), autorisé par la Commission Nationale Marocaine pour l’Education, les Sciences et la Culture, et qui mêle en principe études théoriques et pratique de la défense des droits des migrants. Le développement de recherches et d’enseignements spécialisés dans les migrations au Maroc est en partie lié à des coopérations et à des financements internationaux. Les
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organisations internationales comme l’UNESCO s’intéressent donc de près à la question des migrations au Maroc. La chaire UNESCO est soutenue par le ministère marocain des Droits de l’Homme et travaille en principe avec la fondation Hassan II, mais elle est également soutenue par le Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCR) ainsi que par le British Council. De même, la plupart des projets présentés sur le site internet de l’AMERM sont menés en partenariat avec des agences étatiques issues de pays européens, comme l’Institut de recherche pour le développement (France), des fondations indépendantes, par exemple la fondation suisse Population, migration et environnement, ou encore par la Commission européenne. Les financements européens à la recherche sur ce thème au Maroc peuvent être directs, mais passent plus fréquemment par le financement d’institutions de recherche européennes et un partenariat. C’est le cas de l’Institut universitaire européen à Florence, qui mène plusieurs projets liés à l’étude des migrations au Maroc : le Migration policy centre, dirigé par Philippe Fargues, mène les projets du Consortium for Applied Research on International Migration (CARIM). Celui-ci est co-financé par l’Union européenne dans le cadre des projets de développement, et en particulier dans les programmes méditerranéens de l’UE (MEDA). La plupart des chercheurs et chercheuses marocain-e-s citée-s plus haut y ont participé, par exemple par la publication de rapports au sein de ce projet : c’est le cas de Abdelkrim Belguendouz, Khadija Elmadmad, Mohamed Khachani et Mehdi Lahlou1. Certains d’entre eux participent également au projet sur les migrations de retour au Maghreb (MIREM) mené par Jean-Pierre Cassarino également à l’Institut universitaire européen de Florence : le projet de recherche « Action collective de soutien à la réintégration des migrants de retour dans leur pays d’origine », pour lequel Mehdi Lahlou et Mohamed Khachani ont écrit des rapports, était par exemple cofinancé par l’Institut Universitaire Européen et l’Union Européenne. Les chercheurs et chercheuses marocain-e-s impliqué-e-s ont donc pu, en se spécialisant dans la recherche sur les migrations, bénéficier de financements européens et dans le même temps bénéficier du capital symbolique qu’apporte dans le milieu universitaire marocain la collaboration avec des organismes européens ou internationaux. La réflexion sur la mise en place d’une stratégie migratoire marocaine ou sur la « coordination » ou la « synchronisation » des politiques migratoires est influencée par 1
Ces publications sont consultables en ligne sur le site du CARIM, http://www.carim.org/ [consulté le 1er août 2013].
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l’émergence de la dimension sécuritaire de ces politiques et les pressions européennes en ce sens. Elle s’intègre cependant dans un domaine en construction dans lequel les diverses institutions créées au cours du temps se sont superposées et doivent négocier la répartition de leurs compétences. L’un des objectifs principaux de ces efforts de coordination est de donner à l’État marocain une légitimité internationale dans les discussions avec les États européens sur les migrations. Le développement de la recherche sur le sujet est un indice supplémentaire de la structuration de l’enjeu des politiques migratoires au Maroc : là aussi, le rôle des financements européens et des collaborations internationales est important. Enfin, le développement de recherches dans une optique d’évaluation et de prospective, en particulier dans le cadre du CCME, participe également de l’entreprise de légitimation nationale et internationale de l’État marocain dans le domaine des politiques migratoires.
D - Conclusion Pour conclure, il apparaît que le gouvernement marocain a mis en place des politiques d’émigration dès la signature des premières conventions de main d’œuvre dans les années 1960. Celles-ci se concentrent au départ essentiellement sur le contrôle politique du territoire et économique des migrants. Progressivement, la question du contrôle politique des migrants apparaît également comme essentielle au pouvoir marocain. Dans les années 1990, avec le début d’une ouverture politique relative, Hassan II répond aux enjeux posés par les phénomènes migratoires et les émigrés. A son arrivée au pouvoir, Mohammed VI poursuit cette politique et crée de nouvelles institutions spécialisées dans les migrations. Les diverses organisations impliquées dans la gestion des migrations marocaines se superposent ainsi au cours du temps, ce qui suscite parfois des concurrences et des discussions sur la répartition des compétences. La mise en avant de la dimension de contrôle des migrations par les pays européens à partir du milieu des années 1990 dans le cadre des relations bilatérales et dans le cadre des politiques méditerranéennes ou de voisinage de l’Union européenne a eu des conséquences sur le territoire marocain : d’abord, sa transformation – réelle et discursive – en « pays de transit ». Les pressions européennes sur le gouvernement marocain ont joué un rôle important dans les adaptations législatives et institutionnelles des années 2000. Cependant, les politiques européennes ont rencontré un cadre institutionnel préexistant, déjà développé, avec une structuration interne : il convient dès lors d’examiner les relations avec ce cadre plutôt que de
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supposer une mise en œuvre linéaire. La sécurisation des politiques migratoires est, par exemple, largement portée par les politiques européennes, mais elle rencontre aussi les objectifs internes d’un ministère de l’Intérieur redynamisé par les attentats de Casablanca en 2003. L’analyse du secteur institutionnel marocain permet de comprendre plus précisément comment les acteurs marocains ont pu, dans une certaine mesure, tirer partie des négociations avec l’UE. Or, ces négociations se sont essentiellement concentrées sur la question de la réadmission, c’est-à-dire des retours forcés de migrants en situation irrégulière. L’analyse de la diversité institutionnelle marocaine dans le domaine des migrations permet de comprendre que les discours marocains sur les migrations, s’ils peuvent sembler relativement homogènes, résultent en réalité d’une réflexion menée par diverses administrations dans des directions différentes. Il convient à présent d’examiner plus précisément ce discours et la formulation d’exigences marocaines face aux demandes européennes de contrôle des migrations.
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Chapitre 5 – Des exigences marocaines : « approche globale », « facilitation des visas » et respect international Ce chapitre est le deuxième élément dans notre argumentation sur la pluralisation des sujets des relations internationales et la mise en avant de la capacité d’action des acteurs marocains dans les négociations. Nous avons montré dans le chapitre précédent que le gouvernement marocain a activement développé des politiques migratoires depuis l’indépendance du pays, notamment à partir des années 1990 par la création d’institutions spécialisées dans les migrations. Ceci a donné lieu à une multiplication des acteurs impliqués dans les négociations autour des migrations. Dès lors, une étude des négociations sur la réadmission avec l’Union européenne doit tenir compte des principaux négociateurs, à savoir les acteurs du ministère de l’Intérieur et les diplomates du ministère des Affaires étrangères et de la coopération, mais aussi du développement de discours marocains sur les migrations au sein d’un ensemble institutionnel impliqué plus ou moins directement dans les négociations. Il s’agit donc ici de prendre au sérieux les discours des acteurs marocains en examinant le contenu et la forme de leurs revendications, et les mécanismes qui leur ont permis de se faire entendre. L’influence des États extra-européens dans la définition des politiques migratoires externes de l’UE est généralement rapidement mentionnée, sans que les modalités de cette influence ne soient examinées. Ainsi une analyse de la politique française de « développement solidaire » note que cette expression « proviendrait d’un souhait du président du Sénégal estimant que le codéveloppement n’était pas un accord d’égal à égal et se trouvait trop fortement associé à des retours forcés de migrants » (Gabas 2009). Sandra Lavenex et Nicole Wichmann remarquent que l’approche globale telle qu’elle est définie par l’Union européenne a été « fortement influencée par des échanges avec des officiels marocains » (Lavenex et Wichmann 2009, 94) en particulier au cours des négociations sur la réadmission (Wichmann 2007, 13). Cependant, les mécanismes par lesquels cette influence passe ne sont pas explicités. Pour ce faire, les discours des acteurs marocains doivent être analysés non pas seulement en tant que paroles, mais en tant que pratiques à part entière des relations avec l’Union européenne. En effet, ces discours sont un moyen de retarder la signature d’un accord de réadmission et de formuler de revendications, donc un contenu. De plus, ces discours ne
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sont pas uniquement concentrés sur un contenu concret, mais portent aussi sur une dimension symbolique importante sur la place de l’État marocain par rapport à l’Union européenne. L’objectif de ce chapitre est double : il porte d’une part sur l’explication des mécanismes de la résistance de l’État marocain aux pressions de l’Union européenne ; il cherche, d’autre part, à donner une place aux considérations morales et symboliques dans l’analyse des négociations. Ce chapitre montre donc d’abord que les acteurs marocains résistent dans une certaine mesure aux pressions européennes, en développant un discours alternatif sur les politiques migratoires, et en utilisant les moyens discursifs dans le cadre d’une tactique d’évitement (Wallihan 1998). Il s’agit, à travers une réflexion sur la pratique des négociations, d’envisager celles-ci non pas nécessairement comme un moyen de parvenir à un accord, mais comme un moyen de mettre en avant des revendications. Un autre élément d’explication de l’influence des discours marocains concerne par ailleurs l’imbrication entre les négociations avec l’UE et les pratiques de coopération bilatérale existantes. Les demandes marocaines sont alors soutenues par des transferts de politiques publiques au sein de l’Union européenne (Börzel 2002 ; Bulmer et Padgett 2005) et par les usages que font les acteurs de certains États membres de l’Europe (Jacquot et Woll 2004 ; 2010). Dans un deuxième temps, ce chapitre montre, à travers une analyse des revendications sur la « facilitation des visas », que la dimension symbolique de la circulation doit être prise en compte pour comprendre les demandes répétées de respect de la part des acteurs marocains. Il s’agit dans ce cas, à partir d’une littérature adaptant l’idée de reconnaissance aux relations internationales (Honneth 2013 ; Lindemann et Saada 2013), de souligner l’importance de la dimension morale de l’argumentation portée par les acteurs marocains sur la place internationale du Maroc. Ceci doit permettre de donner une place aux considérations symboliques dans les négociations sur la réadmission. La première partie de ce chapitre porte sur l’argument principal du refus de signer l’accord de réadmission : ce refus porte d’abord sur l’affirmation d’une autonomie de l’État marocain et le respect du droit international. Les acteurs marocains ont donc « évité » la signature de l’accord, tout en poursuivant les négociations, soit pour l’accord, soit pour la reprise des discussions à partir de 2010. Ces négociations constantes leur ont ainsi permis de mettre en avant des revendications spécifiques. La deuxième partie du chapitre porte sur le contenu de ces revendications, notamment le refus d’une approche purement sécuritaire et la formulation de liens entre le contrôle des migrations irrégulières et d’autres domaines des Nora El Qadim– « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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politiques migratoires. Ces revendications sont également soutenues, à travers des expériences bilatérales préalables, par certains États membres, ce qui a conduit à l’adoption par le Conseil de l’ « approche globale » en 2005. Le contenu de cette approche reste cependant ambigu. La dernière partie du chapitre se penche précisément sur une revendication présentée par les acteurs marocains comme une conséquence de l’approche globale : la négociation d’un accord de « facilitation des visas » parallèlement aux négociations sur la réadmission. Nous verrons alors comment ces revendications sont porteuses d’une charge symbolique sur la place du Maroc par rapport à l’Union européenne.
A - Refuser l’accord de réadmission : discours et évitement La longueur des négociations sur l’accord de réadmission entre l’UE et le Maroc est habituellement attribuée aux limites du « pouvoir de négociation » de la Commission. Il est vrai que, comme nous l’avons vu, un certains nombres de conflits internes à l’UE sur les incitations financières et tactiques à mobiliser rendent plus difficiles les négociations. Cependant, ces difficultés sont aussi liées à la position adoptée par les négociateurs marocains, qui font usage de leur capacité d’action dans ces négociations. La durée de ces négociations dans le temps souligne leur dimension processuelle et nous pousse à examiner les discours portés par les acteurs de chaque partie en tant que pratiques de négociation. La position des négociateurs marocains se définit d’abord par des limites posées aux exigences européennes et l’affirmation d’une autonomie de la politique migratoire européenne. L’argument principal se concentre ici sur le contrôle de l’État marocain sur son territoire et le respect du droit international. Les négociations sont également marquées par le fait que la signature d’un accord n’est pas un objectif prioritaire pour la partie marocaine : cela leur a permis d’utiliser une stratégie d’évitement afin d’obtenir des concessions européennes dans d’autres domaines.
1) Des « lignes rouges » marocaines Malgré les pressions européennes et les différentes formes d’incitations mises en avant au cours des négociations et détaillées dans le chapitre 3, les négociateurs marocains continuent de refuser la signature d’un accord de réadmission. Pourtant, en 2007, d’après nos entretiens, les négociations avaient presque abouti, et il ne restait que des éléments « techniques » à régler. Ceci signifie qu’ils ne donnent pas lieu à des « rounds » de
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négociation, mais plutôt à des allers-retours plus informels entre les personnes chargées de déterminer ces aspects, ce qui est le cas entre 2007 et 20091. Mais en dépit de la caractérisation, formulée par des acteurs européens, des éléments de dissension comme des points « techniques » (et donc, implicitement, non « politiques »), les acteurs marocains considèrent ces désaccords comme des désaccords politiques. Il s’agit pour eux d’affirmer l’autonomie et la souveraineté marocaine. Le diplomate en charge du dossier à la délégation marocaine à Bruxelles nous parle ainsi de « lignes rouges »2. Cette expression, également utilisée à la Représentation permanente française pour désigner les exigences des États membres par rapport à la Commission, permet ici d’affirmer la responsabilité des autorités marocaines, puisqu’il « n’y a pas de problème » de principe pour remplir les obligations de réadmission, mais aussi l’autonomie des négociateurs marocains par rapport aux exigences européennes. Les points de blocage des négociations évoqués à la fois par les acteurs européens et marocains concernent principalement trois sujets : tout d’abord la question des délais de réponse lors d’une demande de réadmission ; la question de la réadmission des ressortissants de pays tiers ; et enfin la question du coût de la coopération et des incitations proposées par l’UE. La question des délais est plutôt évoquée par les acteurs français lorsqu’ils décrivent les négociations européennes sur la réadmission. Certains États membres insistent particulièrement sur l’obtention de délais de réponse courts (deux ou trois semaines) car ils ne peuvent pas garder les migrants irréguliers en rétention au-delà d’un certain temps, dans le cas de la France 45 jours, par exemple : ils désirent donc obtenir un laissez-passer consulaire, c’est-à-dire un document reconnaissant que la personne concernée est marocaine, le plus rapidement possible. Or, les acteurs marocains insistent tous sur la nécessité de respecter une procédure afin de vérifier l’identité des migrants et sur le temps que cette procédure peut nécessiter3. Le point concernant la réadmission des ressortissants de pays tiers, et ses implications pour le Maroc, est peut-être le plus ambigu des trois points abordés ici. Les acteurs européens (et des États membres) soulignent tous que cette question est un « point de blocage ». Quant
1
2 3
Voir le chapitre 3 pour la chronologie des rounds de négociation. Entretien n°52, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 6 février 2012. Nous reviendrons en détail sur cette procédure dans le chapitre 7.
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aux acteurs marocains, bien que leur discours sur la réadmission soit relativement homogène et se concentre sur un refus de plier inconsidérément aux exigences européennes, on trouve certaines variations sur ce sujet. Certains acteurs marocains mettent en avant un refus catégorique, de principe, de réadmettre des ressortissants d’autres États, car il s’agit d’affirmer la souveraineté marocaine ; tandis que d’autres, les plus impliqués dans les négociations, acceptent le principe de la réadmission de ressortissants de pays tiers, mais demandent des preuves de « transit » par le Maroc. Ainsi, un fonctionnaire du ministère de l’Emploi marocain, qui n’est pas directement impliqué dans les négociations affirme : « On a une position très claire : on prend les Marocains, mais on ne prend pas les autres. On ne peut pas être le dépositoire1 de l’Europe »2. Le refus de réadmettre des ressortissants de pays tiers est attribué ici à un refus d’être le « dépotoir » de l’UE : les migrants irréguliers principalement subsahariens sont donc comparés à des détritus rejetés par l’Europe, qui assignerait donc le Maroc à un statut de second choix. Cette violence symbolique envers ces migrants, qui sont aussi physiquement maltraités par les autorités marocaines, est ici un moyen d’affirmer la légitimité du Maroc à décider de qui peut ou non être présent sur son territoire. Cependant, les négociateurs marocains évoquent plutôt un accord de principe, mais un désaccord sur le type de preuves recevables pour établir qu’un migrant est effectivement passé par le Maroc. Cette question de la preuve du passage par le territoire marocain est citée par l’ensemble des acteurs impliqués dans les négociations, en Europe et au Maroc. La position marocaine consiste à exiger des preuves tangibles de passages. Selon les termes d’un diplomate marocain : Il est différent d’accepter pour le Maroc qu’une personne est passée sur la base d’un ticket de bus ou d’un T-shirt ‘made in Morocco’. Nous on insiste sur la preuve la plus formelle. Le visa serait une preuve évidente. Nous notre insistance c’est que la preuve soit formelle. Un cachet d’entrée serait aussi une preuve formelle.3
1
Bien que la personne qui s’exprime ici maîtrise très bien le français, il ne s’agit pas de sa langue maternelle. Si le terme dépositoire existe, on suppose qu’il est ici utilisé par erreur au lieu du terme dépotoir.
2
Entretien n°63, ANAPEC international (Casablanca), Rabat, 9 juin 2012.
3
Entretien n°20, Direction des affaires consulaires et sociales, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 26 novembre 2009
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Les négociateurs européens avaient au départ inclus les titres de transport marocains dans la liste des éléments de preuve de passage d’un migrant non-marocain par le Maroc1. Quant à l’exemple du T-shirt, il est difficile de savoir s’il se fonde sur une véritable demande ou si c’est une exagération destinée à tourner en ridicule les demandes européennes. En tout état de cause, les seules preuves considérées comme « formelles » (ce terme est répété comme pour insister sur son importance) ici sont des documents officiels qui démontreraient un accord des autorités marocaines pour l’entrée de ces migrants au Maroc : un visa ou bien un cachet sur le passeport. Ceci signifie que la liste des « réadmissibles » potentiels est limitée à ceux entrés de façon régulière au Maroc, ce qui est à l’opposé du but recherché par les négociateurs européens. De plus, la question de la réadmission de ces étrangers relance d’autres enjeux. A la délégation marocaine à Bruxelles, ceci est exprimé parmi un ensemble de questions liées au sujet de la réadmission des ressortissants d’autres pays : On est prêts à réadmettre nos nationaux, mais le problème c’est les ressortissants des pays tiers, sur la flagrance, les conditions, les droits de l’Homme, les mécanismes.2 On voit bien ici que la question est liée aux enjeux de preuves (« la flagrance »), mais aussi aux conditions du retour, y compris le respect des droits de l’Homme, qui est systématiquement évoqué par nos interlocuteurs marocains. Dans tous les cas, le refus de la réadmission des ressortissants de pays tiers est aussi lié au refus des conséquences envisagées d’une telle clause. Plusieurs de nos interlocuteurs mentionnent ainsi la question des « camps » : On n’a pas encore décidé avec l’UE comment se passera la gestion de la réadmission des ressortissants de pays tiers. On ne veut pas de camps, mais de l’éducation, formation, et le retour vers les pays d’origine.3 Les « camps » mentionnés se réfèrent à des idées évoquées par certains États membres, comme une proposition de Tony Blair en 2003 de mettre en place des « centres » dans certains pays, frontaliers de l’UE ou non, afin de traiter les demandes d’asile4. En dépit de 1
Entretien n°27, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 22 juin 2010.
2
Entretien n°52, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 6 février 2012.
3
Entretien n°17, Direction de l’UE, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 19 novembre 2009.
4
TRAVIS, Alan (2003). « Shifting a Problem Back to Its Source », The Guardian, 5 février.
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l’existence de camps pour les étrangers qui viennent d’arriver sur le territoire marocain1, les autorités marocaines refusent l’installation de camps de demandeurs d’asile ou de centres de rétention, préalables à des reconduites à la frontière vers les pays d’origine de ces migrants. De même, les négociateurs du ministère de l’Intérieur sont très clairs sur le refus marocain de mettre en place de visas pour les migrants en provenance de certains pays d’Afrique : Les reconduites à la frontière se font dans le cadre juridique de la loi 02-03, avec des préalables judiciaires, des procédures. (…) Mais on reste ferme : pas de visa, pas de centre de rétention, c’est la position officielle, claire et nette.2 Il apparaît ici que la présence de migrants en situation irrégulière sur le territoire marocain est effectivement gérée avec des instruments similaires aux instruments européens, à travers une loi largement inspirée du droit français3. Surtout, la position marocaine est affirmée comme « claire et nette », et le refus se concentre sur deux éléments : refus de mettre en place des visas pour les ressortissants des pays africains, et refus de créer des centres de rétention. Ce refus est lié à des enjeux de politique étrangère du Maroc, qui cherche à garder de bonnes relations avec les pays africains4, mais il est aussi lié au coût de la réadmission, et au coût additionnel que constituerait la réadmission de ressortissants de pays tiers. La question du coût de la réadmission est d’ailleurs abordée plus généralement dans le cadre d’une argumentation sur le coût du contrôle des migrations. Nous avons vu dans le chapitre 3 que les incitations financières offertes par l’UE sont considérées comme insuffisantes. Mais le coût évoqué par les acteurs marocains n’est pas seulement financier : En plus il y a la question financière, le coût pour le Maroc de la formation d’outils matériels et humains à mettre en place. (…) Nous on dit stop, on a une grande frontière, mais on ne nous donne pas les outils pour faire face. Si le Maroc se retrouve avec tout à charge, et en plus sa propre sécurité mise en danger. Les centres de rétention, c’est pas possible au niveau budgétaire, mais aussi au niveau politique.5
1
Selon la carte des principaux lieux de détention, établie par le réseau MIGREUROP. Cette carte précise aussi : « Au Maroc, de nombreux commissariats de police ou gendarmerie sont utilisés comme des lieux de détention, lors des rafles à l’encontre des migrants ». MIGREUROP (2012). Carte Des Camps, Cinquième Édition, décembre.
2
Entretien n°21, Direction des migrations, Ministère de l’Intérieur, Rabat, 26 novembre 2009.
3
A ce sujet, voir Belguendouz 2003 et Elmadmad 2009b.
4
Nous reviendrons sur cette question dans le chapitre 6.
5
Entretien n°52, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 6 février 2012.
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Le coût financier du contrôle des migrations est rappelé et ses différentes dimensions (« outils matériels et humains »), mais aussi le coût « politique » pour le Maroc. « Sa propre sécurité » est « mise en danger » : cet argument n’est pas explicité plus avant, mais il reprend le registre sécuritaire du contrôle des migrations, sans doute pour expliquer que la présence de migrants irréguliers sur le territoire marocain, due à la politique européenne, représente un « danger » pour le pays. Quant aux centres de rétention, leur coût politique est mis en avant : cet argument n’est pas non plus précisé plus avant, mais de tels centres sont perçus comme ayant un coût politique extérieur (dans les relations avec les pays africains), ainsi qu’un coût intérieur, à travers leur coût financier et symbolique. Leur construction représenterait en effet une matérialisation du rôle de « gendarme de l’Europe » que les acteurs administratifs marocains rejettent. Les « lignes rouges » des négociateurs marocains correspondent donc à un ensemble de contraintes internes et externes, ainsi qu’à une affirmation de l’autonomie marocaine, au moins symbolique, dans les négociations. Les négociations ne servent donc pas toujours être de parvenir à un accord, mais permettent aux acteurs marocains de mettre en avant leurs revendications.
2) L’évitement, ressource des faibles en situation d’asymétrie La position des négociateurs marocains a plutôt consisté jusqu’à présent à éviter la signature de l’accord, en acceptant les offres européennes de compensations tout en les jugeant insuffisantes, et en insistant sur des points techniques et symboliques sur lesquels ils refusent de céder. L’asymétrie initiale d’un accord de réadmission, c’est-à-dire le fait que cet accord ne bénéficierait en réalité qu’à une seule des deux parties, signifie aussi un déséquilibre de l’intérêt à négocier des deux parties. Dans le cas qui nous occupe ici, le Maroc n’a a priori aucun intérêt à négocier cet accord. Comme nous l’affirmait un fonctionnaire du Ministère de l’Emploi : « Il ne faut pas être naïf, on ne revoit pas un accord quand on est en position de faiblesse. Tous les pays émetteurs sont en position de faiblesse »1. Bien qu’il s’agisse dans cet entretien principalement d’autres types accords liés aux migrations – les accords de main d’œuvre – c’est au cours de ce même entretien que l’unilatéralité des accords de réadmission est dénoncée : la faiblesse de la position marocaine par rapport aux questions 1
Entretien n°2, Direction de l’emploi, Ministère de l’emploi et de la formation professionnelle, Rabat, 15 octobre 2009.
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migratoires est clairement affirmée. Pourtant, les acteurs marocains ont accepté d’engager les négociations. On peut raisonnablement s’étonner de la coopération initiale du Maroc, c’est-àdire de sa participation aux négociations : en effet, en dépit de la relation de pouvoir inégale entre l’Union européenne et les pays du Sud de la Méditerranée, d’autres pays ont refusé d’entamer les négociations, notamment l’Algérie, pour laquelle la Commission a reçu un mandat de négociations en novembre 20021. Mais dans le même temps, ils ne facilitent guère la tâche des négociateurs européens, en refusant certains aspects des exigences européennes et en posant des demandes toujours plus difficiles à satisfaire. Pour quelles raisons ont-ils pu accepter de négocier, et pourquoi continuent-ils ? Le concept d’ « évitement opportuniste » permet de répondre à cette question. James Wallihan (1998) part du constat que, dans un certain nombre de situations, l’une des deux parties est engagée dans une négociation dans le but même d’éviter de parvenir à un accord2. Ceci est nuancé dans le cas de l’évitement « mou », ou opportuniste (opportunistic (soft) avoidance), au cours duquel l’objectif principal du négociateur n’est pas nécessairement de parvenir à un accord, même si celui-ci n’est pas exclu. Pour le Maroc, qui a déjà signé d’autres accords de réadmission par le passé, la signature d’un accord de plus n’est pas nécessairement exclue. Cependant, l’objectif de la négociation est plutôt de prolonger le contact et la discussion avec les acteurs européens sur les questions migratoires. Il est souvent délicat d’identifier avec certitude l’évitement : Sans preuve tangible ou information de l’intérieur sur les raisons de l’évitement, il est impossible de déterminer de façon certaine les raisons, ou même l’existence, de l’évitement. (…) L’incapacité à détecter l’intentionnalité d’éviter un accord préserve la meilleure solution de rechange3 de la partie qui évite. (Wallihan 1998, 263)
1
Bien que dans ce cas, l’importance de ce pays pour l’approvisionnement énergétique de l’Europe lui donne une marge de manœuvre supplémentaire.
2
Wallihan distingue entre « évitement dur » et « évitement mou ». Dans le cas de l’évitement dur (demand (hard) avoidance), l’une des deux parties préfèrerait le statu quo ou une autre alternative à la négociation, mais elle doit néanmoins satisfaire des demandes externes (fortes pressions de l’adversaire en situation d’asymétrie, opinion publique ou motivations de politique interne, par exemple) qui la pressent de négocier de bonne foi. Elle prend donc le parti de mimer cette bonne foi en acceptant de négocier, mais en présentant des demandes auxquelles elle sait que la partie adverse ne peut pas répondre positivement.
3
La théorie des négociations avance le concept de meilleure solution de rechange (Best alternative to a negotiated agreement – BATNA) : on ne négocie que pour obtenir un résultat meilleur que celui que l’on obtiendrait sans accord (Fisher et Ury 1983). Nora El Qadim– « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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Il est en effet difficile, dans le cas des négociations Maroc-UE sur la réadmission, de prouver que les acteurs ont intentionnellement adopté une stratégie d’évitement. Nous ne cherchons donc pas ici à répondre à la question de l’intentionnalité : les négociations étant toujours en cours, les acteurs ne révèlent pas leurs objectifs – et leur meilleure solution de rechange, autrement dit le compromis qu’ils seraient prêts à accepter – lors d’un entretien avec une chercheuse. La participation même des acteurs marocains aux négociations vise à faire preuve de bonne foi, ils ne peuvent donc pas affirmer qu’ils n’ont aucune intention de signer cet accord. L’un des négociateurs marocains de l’accord au Ministère de l’Intérieur, insiste avant tout sur les mesures adoptées par le Maroc dans différents domaines (asile, trafic des enfants, séjour des étrangers), avant de répondre à la question de l’accord de réadmission en soulignant que : C’est difficile parce que c’est humain. Le Maroc est intransigeant sur le respect des droits de l’Homme et l’acquis de nos compatriotes (…). Il faudrait que le respect des droits de l’Homme soit assuré.1 Il n’est donc jamais question pour les négociateurs de déclarer haut et fort que le Maroc n’est pas vraiment intéressé par cet accord : que cela soit le cas ou non, un bon négociateur ne révèlerait pas sa meilleure solution de rechange. De plus, affirmer le désintérêt pour les négociations irait à l’encontre de la décision d’y participer. Il s’agit donc plutôt d’affirmer que les exigences européennes sont inacceptables. La difficulté des négociations n’est pas attribuée ici à une réticence marocaine, mais à des exigences européennes fantasques et peu respectueuses des droits de l’Homme. Un tel discours présente d’ailleurs des arguments se rapportant à la question de la souveraineté marocaine (au sujet des preuves de passage des ressortissants de pays tiers), mais aussi des arguments qui se rattachent à un discours des droits de l’Homme qui contraint fortement les acteurs européens, et qui est donc susceptible d’être pris en compte par des alliés européens dans d’autres institutions (les Directions générales en charge du développement ou des relations extérieures, ou des députés européens, par exemple). L’expression « stratégie d’évitement » ne préjuge donc pas de l’intentionnalité, mais se fonde plutôt sur les résultats concrets des négociations jusqu’à présent. En effet, en 2013, après 15 rounds de négociation depuis 2003, l’accord de réadmission n’a toujours pas été conclu, et les négociations ont été interrompues en 2010. C’est donc la reprise des 1
Entretien n°21, Direction des migrations, Ministère de l’intérieur, Rabat, 26 novembre 2009.
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négociations qui a elle-même été négociée jusqu’en juin 2013, date à laquelle il a été convenu de les relancer. Or, la partie marocaine a bénéficié de la poursuite des négociations, en demandant des contreparties toujours plus importantes. Plusieurs fonctionnaires européens présentent quant à eux des analyses qui montrent qu’ils perçoivent très fortement la réticence marocaine à négocier et qu’ils tentent d’en tenir compte. A la Représentation française auprès de l’UE, le sujet de la réadmission est qualifié de « pas très attractif pour le partenaire »1. A la Direction générale JLS, les hésitations des parties adverses sont décrites comme inhérentes à la négociation des accords de réadmission : Chaque pays a une approche différente. Certains sont très catégoriques, comme l’Algérie ou la Turquie. D’autres disent oui pendant six ans mais en fait non. C’est un peu plus aléatoire.2 Dans les deux cas, la réticence marocaine est euphémisée par l’usage de formules détournées : un sujet « pas très attractif », un processus « aléatoire ». Le cas du Maroc, qui a donc choisi d’accepter les négociations et de donner un accord de principe tout en continuant à refuser la signature de l’accord en l’état, s’approche ici de la définition d’une stratégie d’évitement. Il est contrasté avec le cas de pays qui se sont montrés complètement opposés à un accord de réadmission, l’Algérie – qui n’a toujours pas accepté de commencer les négociations – et la Turquie – qui a depuis signé un accord de réadmission (mais avec qui le processus de négociation avait stagné entre 2006 et mi-2009). Si cette variété des choix de négociations des différents États est présentée comme inévitable, une explication à leur réticence est donnée, un peu plus loin lors de l’entretien, sur le ton de l’évidence : « Aucun État raisonnable ne veut signer un accord qui lui impose quelque chose »3. Cette formulation présente la position marocaine comme une nécessité rationnelle, et montre en tout état de cause que la réticence des pays d’origine à signer les accords de réadmission est analysée par les acteurs européens comme naturelle, et surtout, que ces acteurs en tiennent en compte dans leur façon d’aborder la question de la réadmission. C’est lorsque le discours des acteurs européens s’adapte que l’on peut le mieux observer comment ils prennent en considération les réactions marocaines. Ainsi, le fonctionnaire en charge du dossier migrations à la Délégation de l’UE au Maroc affirme : 1
Entretien n°29, Service Justice et affaires intérieures, Représentation française auprès de l’UE, Bruxelles, 22 juin 2010.
2
Entretien n°22, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 15 juin 2010.
3
Ibid.
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« C’est une relation de dialogue politique plus que de texte »1. Il s’agit ici d’une façon de justifier la lenteur des négociations sans disqualifier la partie marocaine, tout en valorisant les résultats obtenus par la Commission jusque lors. A la fin de ce même entretien, dans le couloir, cette lenteur est de nouveau évoquée, mais le terme de réticence, proposé par notre question2, est refusé : Hmm, disons qu’il s’agit plutôt d’une implication variée selon les types de coopération. Ca marche bien dans le domaine de la coopération au développement, de l’envoi de Marocains à l’étranger… Mais dans le domaine des contrôles frontaliers etc, c’est plus difficile, parce que ça touche à d’autres questions, à l’intégrité territoriale, au Sahara etc, c’est le Ministère de l’Intérieur.3 Là encore, la réaction marocaine aux négociations est décrite comme naturelle, à partir de justifications tenant à la nature du sujet. L’expression « implication variée » apparaît ici comme un euphémisme pour désigner le désintérêt marocain pour l’accord de réadmission, au profit d’autres aspects des politiques migratoires. Les acteurs européens sont d’ailleurs de plus en plus conscients de leur position de demandeurs par rapport au Maroc. En février 2012, lors de notre deuxième campagne d’entretiens à Bruxelles, les négociations sur la réadmission n’avaient guère avancé par rapport à 2010 (aucun nouveau round de négociations n’avait eu lieu), malgré des développements significatifs dans le domaine des politiques migratoires en discussion, notamment à la suite des révolutions arabes dans la région du Maghreb4. Durant les entretiens menés à ce moment-là à la DG HOME ou au Conseil5, l’accent n’est pas du tout mis sur cet accord, et le sujet n’est jamais abordé spontanément, contrairement aux entretiens réalisés en 20106. Si, en cohérence avec le concept de meilleure solution de rechange, le pouvoir dont jouit une partie dans une négociation est effectivement d’autant plus important que cette partie n’a rien à perdre en quittant cette négociation, les négociateurs européens ont pris la 1
Entretien n°11, Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Rabat, 3 novembre 2009.
2
« Comment expliqueriez-vous cette réticence ? »
3
Entretien n°11, Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Rabat, 3 novembre 2009.
4
Ces développements feront l’objet du dernier chapitre de cette thèse.
5
Entretien n°50, DG Affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 2 février 2012 ; entretien n°56, Secrétariat du Groupe de travail de haut niveau pour les migrations et l’asile (HLWG), Conseil de l’Union européenne, Bruxelles, 7 février 2012.
6
Entretien n°22, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 15 juin 2010 ; entretien n°24, DG Justice et affaires intérieures, Secrétariat général du Conseil de l’Union européenne, Bruxelles, 21 juin 2010 ; entretien n°26, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 21 juin 2010.
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mesure du pouvoir marocain au cours de ces deux années sans activités. Ainsi, un fonctionnaire de la DG HOME en charge des négociations nous décrit la situation : La situation est bloquée depuis 2010. On discute des conditions pour revenir à la table des négociations. C’est pour ça que [mon collègue] vous a dit qu’il parlait peu de réadmission. Politiquement et stratégiquement, c’est difficile. On doit déjà se mettre d’accord pour coopérer.1 Ici, ce qui est délicat à mentionner pour cet acteur n’est pas tant le fait que la situation soit bloquée depuis 2010 – ce blocage est loin d’être un secret – mais plutôt le fait que les acteurs européens se trouvent dans une situation où ils doivent convaincre la partie adverse de participer à la négociation – de « revenir à la table des négociations ». Cet enjeu est lié de très près à la question des contreparties de la réadmission, mais on voit bien ici que les négociateurs marocains peuvent dans une large mesure jouer le tout pour le tout, puisqu’ils ont peu ou rien à perdre en ne participant pas aux négociations. On observe donc bien, de la part des acteurs marocains, une stratégie d’évitement. Cette stratégie peut être qualifiée d’opportuniste (soft avoidance) parce qu’elle a conduit à négocier d’autres choses, notamment des compensations et des contreparties. Mais cette stratégie s’est aussi révélée particulièrement efficace pour la promotion d’une approche différente des questions migratoires.
B - Emboîtements substantiels et « approche globale » Le 27 et 28 octobre 2005, un Conseil européen informel est tenu à Hampton Court, afin d’aborder les sujets de l’Europe sociale, de l’innovation, et de la mondialisation. Ce Conseil informel a donc lieu un mois après le premier assaut massif de Ceuta et Melilla, enclaves espagnoles au nord du Maroc, par des migrants subsahariens. Les chefs d’État ou de gouvernement européen y invitent à adopter une « approche globale » des migrations, et la Commission européenne est chargée du suivi de cette approche. Un mois plus tard, elle présente une communication2, qui est approuvée par le Conseil européen de Bruxelles en décembre3. 1
Entretien n°51, DG Affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 3 février 2012.
2
COMMISSION EUROPÉENNE (2005a). Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen : priorités d’action en vue de relever les défis liés aux migrations. Première étape du processus de suivi de Hampton Court. COM(2005) 621 final, Bruxelles, 30 novembre. (Annexe 16).
3
CONSEIL EUROPÉEN (2005). Conclusions de La Présidence, n°15914/1/05.
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L’adoption par l’Union européenne de l’approche globale est liée à la défense de certaines « solutions » par les États membres, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent. La position des acteurs étatiques des pays d’origine constitue un autre facteur important de cette décision, à travers deux aspects. Le premier est le refus d’une approche purement sécuritaire. Le deuxième concerne ce que Haas (1980) nomme des « emboîtements substantiels », c’est-à-dire des liens établis entre deux domaines contigus qui établissent une relation de sens entre ces deux domaines. Or, de tels emboîtements sont visibles dans les discours des négociateurs marocains – et d’autres pays d’origine, par exemple la Turquie. Au moment de l’adoption de l’approche globale, les États membres répondaient ainsi en partie aux demandes portées par les diplomaties de ces pays. Cependant, ces emboîtements substantiels ne sont pas des idées formulées uniquement lors des négociations avec l’Union européenne : elles reposent également sur des expériences bilatérales et des pratiques déjà établies de coopération sur les migrations, notamment autour de l’organisation de migrations de saisonniers en échange d’une coopération sur le contrôle des frontières et les retours forcés. L’adoption de l’approche globale apparaît donc comme le résultat d’un processus relationnel dans lequel sont impliquées les acteurs administratifs et politiques des États membres, du Maroc et d’autres pays d’origine, et de la Commission. Nous examinerons donc ici à la fois les discours des acteurs marocains, notamment leur refus d’une approche purement sécuritaire, et le lien entre ces discours et les expériences bilatérales. Celles-ci reposent également, par ailleurs, sur des réflexions au sein des États sur les liens entre migrations et développement d’une part, et sur les politiques de retours forcés d’autre part. L’approche globale européenne est donc le résultat de la conjonction entre les revendications des pays d’origine et un phénomène de transfert des politiques des États membres vers l’Union européenne. Les mécanismes de ce transfert seront examinés plus en détail sur la base des analyses des transferts dans l’Union européenne (Börzel 2002 ; Bulmer et Padgett 2005) et à l’identification d’usages de l’Europe par les acteurs nationaux (Jacquot et Woll 2004 ; 2010). Les différentes influences à l’origine de l’adoption de l’approche globale expliquent le flou relatif de cette approche : ceci laisse par la suite une relative flexibilité aux acteurs pour son interprétation et explique que l’approche globale continue à faire l’objet de négociations pour la définition de son contenu. Nous verrons dans un premier temps comment les discours marocains mettent en avant le refus d’une approche purement sécuritaire dans leurs revendications d’une approche Nora El Qadim– « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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globale. Dans un second temps, nous analyserons le rôle des expériences bilatérales dans la promotion de ces discours et les dynamiques triangulaires (États membres, pays d’origine, UE) dans l’adoption de l’approche globale en 2005. Enfin, nous examinerons les évolutions dans la définition de l’approche globale entre 2005 et 2011, entre élargissement géographique du traitement des migrations et liens thématiques entre plusieurs domaines.
1) Le refus d’une approche purement sécuritaire et la promotion de l’approche globale L’emboîtement substantiel entre contrôle des migrations et aide au développement ou promotion de la mobilité, les trois « piliers » de l’approche globale adoptée par l’UE en 2005, est largement lié aux exigences formulées par les négociateurs des pays dits d’origine ou de transit. Les autorités marocaines, en particulier en dehors du ministère de l’Intérieur, se sont montrées particulièrement revendicatrices dans ce domaine, et les acteurs marocains rencontrés soulignent le rôle important du Maroc dans la définition et l’adoption de l’approche globale. En réalité, les enjeux de développement ou de mobilité mis en avant le sont surtout au nom du refus d’une approche purement sécuritaire des migrations. On trouve ce refus au plus haut niveau de l’État marocain dès les premières mentions d’un accord de réadmission communautaire. En effet, les premiers travaux du Groupe de haut-niveau asile et migrations (HLWG) au Conseil de l’UE sont accueillis par un refus marocain d’adhérer au plan élaboré par ce groupe lors du conseil d’association d’octobre 2000, réitéré en juin 2001 au cours d’une audience accordée par le roi Mohammed VI au commissaire européen aux relations extérieures (Valluy 2007). Ce refus se traduit ensuite à tous les niveaux politiques et administratifs, par une mise en avant des dimensions de développement et de mobilité des migrations. Ceci est le cas dans nos entretiens avec des diplomates marocains à Rabat comme à Bruxelles : Pour nous, c’est vrai, on essaye de lutter contre les migrations illégales, mais en même temps, on invite les pays du Nord à aborder la question des migrations dans sa dimension sécuritaire mais aussi humanitaire, sociale et humaine en général.1 Pendant longtemps, on sentait que ce qui intéressait plus l’UE c’était les migrations illégales. On a commencé à étudier la question migratoire sous un
1
Entretien n°13, Direction des affaires consulaires et sociales, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 9 novembre 2009.
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angle plus large, c’est l’approche globale. On essaye, mais jusqu’à présent c’est surtout la réadmission qui focalise.1 Dans ces deux entretiens, la dimension sécuritaire est acceptée, mais elle est considérée comme insuffisante. Les dimensions que ces diplomates appellent à prendre en compte ne sont pas nécessairement précisées, mais il s’agit avant tout de déplacer le regard des aspects sécuritaires et de contrôle vers d’autres aspects. C’est avant tout en ce sens qu’est comprise l’approche globale. Celle-ci est présentée dans les deux cas comme une invitation faite par le Maroc aux « pays du Nord » ou à l’UE. L’Union européenne, au contraire, est considérée comme encore « focalisée » sur la question de la réadmission. Ce refus passe aussi par une critique des moyens financiers consacrés au contrôle des frontières, par opposition à d’autres domaines : Ils ont fait des efforts, daru [ils ont fait] les efforts sur la lutte contre les migrations irrégulières. Aandhoum [ils ont] un projet de 70 millions d’euros avec l’Intérieur. Aarfti ch’hal [tu sais combien] ? Un matériel très sophistiqué, les caméras infrarouges hta l’oiseaux migrateur lidayiz ta ichoufouh [les caméras voient jusqu’au moindre oiseau migrateur qui passe]. On a fait des efforts. Mais pour lutter contre les migrations irrégulières, il faut aussi travailler sur la migration légale. A chaque fois, on demandait des offres concrètes, des opportunités à donner aux gens pour les dissuader de partir irrégulièrement. Mais en développement local il y a peu de choses.2 Ici, si l’on perçoit une certaine admiration pour le montant du projet de contrôle des frontières, l’effet comique produit par l’introduction d’un oiseau migrateur dans les capacités de détection du matériel « très sophistiqué » fourni au ministère de l’Intérieur tourne en ridicule l’écart entre ce financement et les montants peu élevés consacrés au développement local. De plus, on voit bien ici que l’argumentation sur la nécessité de traiter des questions de développement repose sur une représentation des migrations en termes de causes « pushpull », c’est-à-dire que les migrants auraient été tout simplement chassés par la pauvreté et attirés par les emplois, dans l’élaboration d’un projet migratoire rationnel. On retrouve ce postulat dans tous les discours marocains sur les migrations, par exemple dans cette interview accordée par l’ambassadeur du Maroc auprès de l’Union européenne à une radio maghrébine belge :
1
Entretien n°23, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 16 juin 2010.
2
Entretien n°63, ANAPEC international (Casablanca), Rabat, 9 juin 2012.
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Quand vous avez un Tanzanien, ou un Ghanéen, ou un Ivoirien ou un Marocain… qui essaye au péril de sa vie de traverser le détroit de Gibraltar ou par une quelconque route essaye d’atteindre entre guillemets ‘l’eldorado’ européen, il le fait pas pour aller visiter le Manneken-Pis à Bruxelles ou ou ou… ou la tour Eiffel. Il y va parce qu’il va chercher un travail qu’il ne trouve pas chez lui. Donc il y a une problématique de développement. Et donc c’est en travaillant sur la façon de pouvoir donner des programmes de développement à ces pays-là qu’on peut réguler l’immigration clandestine.1 On voit ici que c’est la pauvreté ou l’absence d’emplois qui sont identifiées comme les causes principales de l’émigration, et que les projets de développement sont conçus comme un remède à ces causes. Bien que cette logique puisse être remise en cause (H. de Haas 2007b ; 2010), elle sous-tend largement les raisonnements des acteurs marocains et européens, et renforce le contraste établi entre l’image du migrant et celle des populations « mobiles », libres de traverser les frontières et intéressées par le tourisme2. Il est d’ailleurs intéressant de constater ici que la défense marocaine des projets de développement ne concerne pas seulement le Maroc, mais l’ensemble des pays dits d’origine, ceux d’où vient la majorité des migrants irréguliers présents au Maroc. On constate donc que les acteurs marocains en dehors du ministère de l’Intérieur, en particulier les diplomates, promeuvent aussi un emboîtement substantiel entre lutte contre les migrations irrégulières et politiques de développement. Les thèmes « emboîtés » sont d’ailleurs très divers. Ainsi, le diplomate en charge du dossier à la Délégation marocaine à Bruxelles affirme, en 2010 : La réadmission est un thème qui focalise les relations en ce moment, mais pour le Maroc, notre intérêt ne se limite pas à traiter de la migration illégale. C’est un thème complexe et multi-dimensionnel. Il y a aussi la migration légale. La majorité des migrations sont légales. La migration doit être conçue comme un moyen de co-développement. Il faudrait traiter, dans le cadre de l’approche globale, de l’aspect humanitaire, aussi pour la migration illégale. Sinon pour nous c’est aussi le brain drain. Le meilleur moyen, c’est de coordonner les efforts par rapport à la migration légale. Nous ne nions pas l’utilité des mesures sécuritaires (…) mais ça n’est pas un moyen unique ni suffisant. Il faudrait aider à dynamiser le développement des régions.3
1
« Menouar Alem ambassadeur au Maroc auprès de l’UE : l’immigration », Radio AlManar, décembre 2012. http://www.almanar.be/index.php/news/5-actualites-internationales/1240-menouar-alem-ambassadeur-du-marocaupres-de-lue-limmigration.html [consulté le 5 juin 2013].
2
3
Sur cette dichotomie, voir par exemple Favell 2009. Entretien n°23, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 16 juin 2010.
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On trouve ici une opposition entre des politiques sécuritaires, de contrôle (« la réadmission », « la migration illégale », les « mesures sécuritaires ») et une « approche globale » qui n’est pas définie mais qui comporte un « aspect humanitaire », « la migration légale », ainsi que le « co-développement » et le « développement des régions ». Le « multi-dimensionnel », « l’approche globale » et le « co-développement » sont valorisés. De plus, l’éclectisme de l’argumentation est frappant dans cet extrait1 : aspect humanitaire, développement et promotion des migrations « légales » sont abordés très rapidement. Ce qui est formulé ici et que l’on retrouve dans tous nos entretiens au Maroc, c’est avant tout un refus de la focalisation sécuritaire de l’UE. La position marocaine dans les négociations sur les migrations avec l’Union européenne repose donc sur l’affirmation d’une autonomie par rapport aux exigences européennes à travers le refus d’un traitement purement sécuritaire des migrations. La mise en avant de l’idée d’une « approche globale » ou du co-développement intervient dans ce contexte. Il ne s’agit cependant pas d’une idée nouvelle : elle se fonde en partie sur l’expérience marocaine dans les relations bilatérales. Les acteurs marocains appuient ainsi en ce sens leur argumentation sur certains États membres.
2) Expériences bilatérales et « approche globale » L’adoption de l’approche globale en 2005 répond donc en partie aux demandes formulées par les acteurs des pays dits d’origine ou de transit, en particulier certains pays comme le Maroc ou le Sénégal. Il faut ajouter à la dimension discursive de ces exigences une dimension pratique, qui repose sur l’expérience des négociations bilatérales. Dans ces négociations, des emboîtements substantiels ont déjà été construits entre migrations et développement, lutte contre les migrations irrégulières et migrations régulières. Les expériences bilatérales constituent dès lors un élément dans l’argumentation en faveur de l’ « approche globale », qui n’est pas portée par les acteurs marocains seulement auprès des institutions européennes, mais aussi auprès de certains États membres. L’adoption de l’approche globale au sein de l’Union européenne apparaît alors comme la conjonction des exigences marocaines et des besoins des acteurs de certains États membres. 1
Le thème du brain drain, c’est-à-dire de la fuite des cerveaux, bien qu’il ait été présent dans l’analyse des migrations et des politiques migratoires dans les années 1970 et 1990 (H. de Haas 2010), est très rarement évoqué dans les documents européens ou par les acteurs rencontrés. Il s’agit ici pour ce diplomate de rappeler que le Maroc aussi est affecté par les migrations, et qu’il n’en tire pas seulement profit.
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Des expériences bilatérales Le lien entre migrations régulières et retours forcés, abordé dans le cadre de la définition européenne de l’approche globale, est également présent dans les années 1980 dans les relations franco-marocaines, et à partir de la fin des années 1990 dans les relations du Maroc avec l’Espagne ou même l’Italie. Les négociations sur le contrôle des migrations à partir des années 1980 dans le cas de la France, des années 1990 dans les cas espagnols et italiens, conduisent les gouvernements européens à repenser des idées développées en Europe sur l’aide au développement à partir des années 1960, et dont le contenu varie largement en fonction du contexte économique et politique. La réflexion française sur le sujet est particulièrement intéressante pour notre étude, d’abord parce que la France constitue dans les années 1980 la principale source d’aide au développement et le principal partenaire économique du Maroc, et abrite la plus grande population marocaine à l’étranger ; ensuite parce que la France occupe une place importante dans l’émergence de l’aide au développement européenne (Dimier et Hamborg 2005 ; Dimier 2006). D’autres pays développent cependant une réflexion en ce sens, en particulier, pour les relations avec le Maroc, l’Espagne et l’Italie à partir des années 1990. Encadré 5 - La réflexion sur les liens entre migrations et développement : le cas français La réflexion sur les liens entre migrations et développement commence dès les années 1960 au sein de la Caisse centrale de coopération économique (la future Agence française pour le développement). Fortement influencé par une approche « tiers-mondiste », son directeur général, André Postel-Vinay, prône une approche « globale » des migrations et du développement, soulignant par exemple le rôle des migrants dans les transferts de compétences (Laurens 2009, 103). Après le tiers-mondisme des années 1960, les analyses du lien entre migration et développement adoptent un ton « pessimiste » dans les années 1970, avec l’adoption de politiques migratoires restrictives : elles insistent sur les risques développementaux associés aux migrations, principalement à travers la fuite des cerveaux. La question du retour des migrants est encore présente, mais se focalise sur la question de leur (ré)intégration dans le pays d’origine (H. de Haas 2010). Les réflexions des hautsfonctionnaires conduisent à la séparation, au sein du ministère des Finances, des questions jusque-là partiellement liées d’immigration et de coopération financière avec les pays d’émigration (Laurens 2009, 112‑113). Au moment où la question des retours et des retours forcés commence à se poser de façon plus pressante, dans les années 1980, les financements dédiés aux migrations et ceux liés au développement sont donc séparés. L’échec de la politique d’aides au retour mise en place à la fin des années 1970 conduit le gouvernement français à relancer la réflexion sur le lien entre les migrations et le développement. En 1997, l’universitaire Sami Nair est chargé par la gauche nouvellement revenue au pouvoir de préparer un rapport « sur la politique de codéveloppement liée aux flux
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migratoires »1 (Lacroix 2009, 9‑10). Le terme de « codéveloppement », apparu au début des années 19802, devient la politique officielle du gouvernement français pour le traitement de la question des migrations et du développement. L’objectif central du « codéveloppement » est de faire participer les migrants au développement des pays d’origine, notamment en valorisant leurs capacités professionnelles, intellectuelles, et financières. Le thème des transferts d’argent des migrants vers leur pays d’origine se greffe à ses réflexions, en France et ailleurs (H. de Haas 2010). Cependant, bien que le rapport précise que « la politique de codéveloppement liée aux flux migratoires n'a pas pour but de favoriser le ‘retour’ des immigrés chez eux s'ils n'en ont pas la volonté »3, l’idée du retour programmé comme objet des migrations y transparaît clairement. L’idée de codéveloppement fait l’objet de critiques en raison de cette filiation avec les aides au retour (Daum 1998). Le codéveloppement est défini dans les années 2000 par des comités interministériels comme « outil de développement mais aussi comme instrument de gestion des flux migratoires »4 (Pommeret 2010). La création du ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement (MIIINC ou MIIINDS5) en 2007 renforce ce lien entre codéveloppement et contrôle des flux migratoires en intégrant les deux dimensions dans un même cadre institutionnel. Le décret de création définit ainsi les attributions du MIIINC en matière de codéveloppement, notamment la participation, en liaison avec les services ministériels concernés, à la définition et à la mise en œuvre des autres politiques de coopération et d'aide au développement qui concourent au contrôle des migrations »6. Le contrôle des migrations désigne ici de façon générale la lutte contre les migrations irrégulières, c’est-à-dire la coopération autour du contrôle des frontières ainsi que les retours. Une autre attribution du ministère consiste à élaborer, négocier, et suivre l’application des « accords de gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement », dont le premier a été signé en 2006 avec le Sénégal. Ces accords comportent trois « volets » : « l'organisation de la migration légale, la lutte contre l'immigration clandestine et le développement solidaire »7. Dans ces accords, érigés en modèles de la coopération sur les migrations avec les pays dits d’origine et/ou de transit, « la lutte contre l’immigration clandestine » concerne le 1
NAIR, Sami (1997). Rapport de bilan et d’orientation sur la politique de codéveloppement liée aux flux migratoires. Paris : Mission interministérielle « Migrations/Codéveloppement », Ministère des Affaires étrangères.
2
Jean-Pierre Cot, Ministre délégué chargé de la coopération et du développement de 1981 à 1982, aurait été le premier à utiliser l’expression en 1981 (Pommeret 2010).
3
Ibid., p.3.
4
Réunion du 5 décembre 2006, citée dans SENAT. TASCA, Catherine et Jacques PELLETIER, Bernard BARRAUX (2007). Le co-développement à l’essai. Rapport d’information n°417 (2006-2007) fait au nom de la Commission des Affaires étrangères. Paris , juillet.
5
La mention « codéveloppement » est remplacée par « développement solidaire » en mars 2008, le ministère devient le MIIINDS.
6
MINISTÈRE DE L’IMMIGRATION, DE L’INTÉGRATION, DE L’IDENTITÉ NATIONALE ET DU CODÉVELOPPEMENT (2007). Décret n°2007-1891 du 26 décembre 2007 portant organisation de l’administration centrale du Ministère de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement. JORF, n°0303, NOR: IMIK0774348D (30 décembre).
7
MINISTERE DE L’INTERIEUR (2012). « Présentation générale des accords bilatéraux », Interieur.gouv.fr. http://www.interieur.gouv.fr/Le-secretariat-general-a-l-immigration-et-a-l-integration-SGII/Immigration/Lesaccords-bilateraux/Presentation-generale-des-accords-bilateraux [consulté le 19 mars 2013].
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contrôle des frontières, la lutte contre la fraude documentaire, mais surtout, et en grande partie, des arrangements sur les retours forcés. Si ces accords portent sur le « développement solidaire », l’un des volets mis en avant est celui de la « migration légale ». Or, ce volet correspond à une approche qui voit dans les possibilités de migrations légales offertes au pays signataire une incitation à la lutte contre les migrations irrégulières. Il prolonge, en ce sens, l’utilisation des accords de mains d’œuvre ou de quotas de travailleurs comme incitations au contrôle des migrations dans les relations avec les pays d’origine. La réflexion sur le lien entre migrations et développement forge donc un vocabulaire qui est présent dans les politiques européennes des années 2000. Elle ne transparaît cependant pas dans les négociations initiées sur les retours forcés dans les années 1980. Les archives consultées montrent qu’à cette période, un lien est plutôt établi entre migrations régulières et contrôle des migrations irrégulières. Il n’existe pas encore à ce moment-là de document réglementant la circulation des personnes, mais seulement une convention de main d’œuvre, signée en 1963. Une Commission mixte est prévue par l’article 14 de cette convention pour son suivi. Or, les procès-verbaux des réunions de suivi de cette convention montrent que des questions de contrôles frontaliers et de réadmission sont abordées dans le cadre d’une discussion sur les migrations de travail. En 1982, par exemple, tandis que d’un côté « la Délégation marocaine exprime les inquiétudes qu’elle ressent à la suite de nombreux refoulements de ressortissants marocains aux frontières françaises », de l’autre : la Délégation française donne volontiers acte à la Délégation marocaine que le refoulement par voie autoritaire de Marocains non reconnus comme tels ne doit pas se renouveler, (…) mais elle appelle l’attention sur le problème des délais excessifs demandés par les autorités marocaines pour effectuer les vérifications nécessaires et délivrer les laissez-passer.1 À une époque où le régime des visas n’était pas encore instauré, on voit bien dans cet exemple et dans les autres procès-verbaux de réunions franco-marocaines sur le sujet que c’est la partie française qui lie la question des migrants irréguliers à celle des migrants réguliers et de la convention de main d’œuvre. Il s’agit pour le gouvernement français de mettre en place un meilleur contrôle des frontières et de pouvoir renvoyer les personnes en situation irrégulière vers leur pays d’origine. C’est seulement à partir de l’accord par échange de lettres de 1983 sur la circulation des personnes que des réunions spécifiques sont dédiées à la question de la circulation des personnes. Celles-ci se concentrent sur le contrôle des migrations, et la question de la main d’œuvre n’apparaît plus directement dans ces discussions1. Dans les 1
Procès-verbal - Quatrième réunion de la Commission mixte prévue à l’article 14 de la Convention de Main d’Oeuvre du 1er juin 1963, Rabat (3-4 juin 1982)/ Paris (9-11 novembre 1982). Archives Weil, Centre d’histoire de Sciences Po, Paris, Carton WE43(1).
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années 2000, la question du contrôle des migrations irrégulières est devenue centrale dans les relations bilatérales, et les migrations régulières sont elles-mêmes envisagées par ce prisme. D’autres pays ont envisagé la possibilité d’utiliser les questions de migrations régulières, en particulier de travailleurs, comme une contrepartie dans les négociations sur la réadmission et la mise en œuvre des accords existants. Ainsi, l’Italie a mis en place un système de quotas en 1998 par la loi-cadre 286/98 (loi « Turco-Napolitano »), amendée en 20022. Chaque année, un décret du président du Conseil fixe, après consultations des partenaires sociaux et des régions, des quotas nationaux, qui sont ensuite répartis par province et par type d’emploi. Ce système est utilisé comme une incitation pour les pays dont l’Italie espère obtenir la coopération sur le contrôle des migrations. Ainsi, en 2005, l’ensemble des quotas de travailleurs migrants autorisés à s’installer en Italie était de 159 000. Parmi eux, 79 500 ressortissants des nouveaux États membres, et 79 500 de ressortissants d’États tiers. Au sein de cette catégorie, 20 800 autorisations étaient réservées à des pays avec lesquels la collaboration sur la question de l’immigration était considérée bonne – c'est-à-dire des pays qui avaient conclu ou s’apprêtaient à conclure un accord en matière d’immigration et de réadmission. 2500 travailleurs marocains étaient ainsi autorisés à venir en Italie cette annéelà3. Pour 2007, ce chiffre était de 45004. Après une suspension en 2008 pour cause crise économique, ce chiffre était de nouveau le même pour 20115. Pour 2012, le décret du Conseil des ministres ne fixe pas de quotas par pays, mais un chiffre de 35 000 pour un groupe de pays tiers (dont le Maroc)6, alors qu’à la fin de l’année 2011, la possibilité d’une nouvelle
1
Archives Weil, Centre d’histoire de Sciences Po, Paris : Cartons WE43 et WE44.
2
Loi 189/02 du 30 juillet 2002, dite Bossi-Fini.
3
ASSEMBLÉE NATIONALE. Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne, Thierry MARIANI (2005). Rapport d’information sur le Livre vert sur une approche communautaire de la gestion des migrations économiques (COM(2004)811 final / E2813) et sur les expériences de certains pays de l’OCDE en matière de migrations à des fins d’emploi. Paris, p.48-49.
4
« Italy : quota for migrant workers set », Statewatch News Online, 2007, http://www.statewatch.org/news/ [consulté le 10 avril 2012].
5
« Immigration : 4 500 postes pour les travailleurs marocains en Italie », Aujourd’hui le Maroc, 5 janvier 2011, http://www.aujourdhui.ma/imprimer/?rub=actualite&ref=80123 [consulté le 8 mars 2012].
6
RÉPUBLIQUE ITALIENNE. Decreto del Presidente del Consiglio dei Ministri. Programmazione transitoria dei flussi d’ingresso dei lavoratori non comunitari stagionali e di altre categorie nel territorio dello Stato per l’anno 2012. 13 mars 2012.
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interruption pour cause de crise avait été évoquée1. Ces fluctuations attirent l’attention sur l’une des critiques majeures2 qui a été adressée à ce système : sa dimension incitative est mise à mal par les autres paramètres qui entrent en ligne de compte dans l’établissement des quotas, notamment la situation économique et les besoins du marché du travail. Ceci peut aboutir à sous-estimer le besoin en main d’œuvre pour inciter un pays tiers à coopérer plus (Paoletti 2010, 74‑76). L’Espagne a également mis en place des programmes dans le domaine de la migration régulière, depuis 1993, mais ces « contingents » de travailleurs permanents et saisonniers ne correspondraient qu’à 10% des permis de travail délivrés à des étrangers3. Cependant, le système qui a été le plus mis en avant dans les années 2000 dans le cadre des relations avec le Maroc a été celui de la « contratación en origen ». Dans ce modèle, développé par la municipalité de Cartaya dans la région de Huelva, les travailleurs saisonniers sont recrutés directement dans le pays d’origine. Les employeurs jouent un rôle important dans le processus. Le premier pays choisi pour ce programme, en 2006, a été le Maroc, parce que le pays : était la plus grande source et point de transit des migrations vers l’Espagne, les coûts de recrutement de main d’œuvre y étaient faibles, et la base légale pour le recrutement était pré-existante grâce à l’accord bilatéral de 2001 sur les migrations. Le programme était aussi censé avoir un impact positif sur les relations bilatérales. (Plewa 2009, 355‑356) Les acteurs marocains mettent régulièrement en avant cet accord pour le recrutement de saisonniers4, ou plus précisément de saisonnières5. La mise en place de ce programme était décrite et perçue comme un geste en échange de la bonne coopération sur le contrôle des frontières et la réadmission. Ces programmes sont d’ailleurs par la diplomatie marocaine 1
« Immigration : l’Italie pourrait suspendre les recrutements de travailleurs hors Europe en 2012 », Libération. Casablanca, 30 novembre 2011, http://www.libe.ma/Immigration-L-Italie-pourrait-suspendre-les-recrutementsde-travailleurs-hors-Europe-en-2012_a23261.html [consulté le 2 septembre 2012].
2
Voir par exemple le rapport de la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne, présenté par Thierry MARIANI, op.cit., p.48.
3
Ibid., p.52.
4
Entretien n°1, Personne ayant travaillé au Ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle et au Bureau international du travail à Rabat, Rabat, 11 octobre 2009 ; entretien n°17, Direction de l’UE, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 19 novembre 2009 ; entretien n°18, Direction européenne, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 20 novembre 2009.
5
En effet, l’accent avait été mis sur le recrutement de femmes avec enfants, un critère censé garantir le retour de ces travailleuses dans leur pays à la fin de leur contrat.
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comme des expériences menées avec succès par le Maroc1. On a donc bien un emboîtement de divers enjeux migratoires : d’un côté les aspects de contrôle des migrations irrégulières, de l’autre la promotion des migrations régulières. Cet emboîtement correspond en partie à des marchandages ponctuels : quotas de travailleurs en échange de contrôle des frontières et de mise en œuvre de la réadmission. Par ailleurs, il remplit aussi des fonctions internes importantes : bien que le dispositif initial ne soit pas d’inspiration marocaine, certains acteurs marocains ont un intérêt à organiser l’emploi de leur population à l’étranger, comme nous le verrons dans le chapitre 6, et certaines modalités de mise en œuvre ont été discutées et négociées avec le Maroc, notamment dans le cas de l’Espagne (Plewa 2009, 356‑358) ; quant aux pays européens, les offres italiennes et espagnoles sont aussi le résultat des besoins de main d’œuvre et d’enjeux nationaux ou régionaux qui rendaient ce système attractif. Mais cet emboîtement est aussi substantiel car il correspond à la construction d’un discours qui créé du sens dans les liens entre politique d’immigration régulière et lutte contre les migrations clandestines. L’analyse du thème du codéveloppement et des expériences de quotas de travailleurs permet en partie de comprendre l’adoption de l’approche globale par les institutions européennes. Emboîtements substantiels et uploading Le rôle des expériences bilatérales entre le Maroc et certains États membres est visible dans l’adoption de l’approche globale en 2005. En ce sens, celle-ci constitue aussi un cas intéressant pour l’étude des transferts dans le cadre de l’UE. En effet, les différents piliers de l’approche globale recoupent les différents aspects mis en avant dans les approches française et espagnole de la coopération avec les pays méditerranéens. Nous nous intéressons ici aux mécanismes et aux instruments de ce transfert. Les transferts correspondent à « un processus dans lequel des idées, des politiques, des arrangements administratifs ou des institutions dans un système politique influencent des
1
« M. Alem a tenu à préciser que le Maroc tenait beaucoup à cette approche globale en matière de traitement de la question de la migration, compte tenu des résultats concluants auxquels elle a abouti, relevant que les expériences de migration circulaire et temporaire qu’a menées le Maroc sur le plan bilatéral avec certains pays européens, notamment l’Espagne, apportent la preuve que la migration légale peut être un moyen efficace de lutte contre la migration clandestine », in MAP (2013). « Le Royaume est pour une approche globale, régionale et humaine de la migration », Le Matin, Casablanca, 7 juin, http://www.lematin.ma/journal/Le-Royaume-estpour-une-approche-globale-- regionale-et-humaine-de-la-migration/183344.html [consulté le 2 juillet 2013].
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développements de politiques publiques dans un autre système politique » (Dolowitz et Marsh 1996, 344). Les analyses des transferts dans le cadre de l’UE identifient trois principaux types de mécanismes d’européanisation, selon le degré de contrainte pour les États membres. Le cas de l’approche globale regroupe différents instruments, qui reposent à la fois sur des mécanismes de transferts horizontaux, par apprentissage, et sur des mécanismes de « chargement » (uploading) des politiques nationales vers l’UE. Ce type de transfert permet en effet aux États membres de minimiser le futur coût légal et administratif d’adaptation à une politique européenne, tout en permettant d’aborder des questions transnationales (Bulmer et Padgett 2005 ; Börzel 2002). Si cet uploading repose largement sur l’argumentation et sur un transfert d’idées quant à la façon de « gérer les migrations », il correspond aussi à des tentatives des États membres les plus concernés par le contrôle des migrations aux frontières sud de bénéficier des possibilités offertes par l’UE tout en limitant l’intrusion des politiques européennes sur leurs politiques nationales, notamment en matière d’immigration légale. Une partie de l’approche globale telle qu’elle est conçue en 2005 repose sur le transfert d’instruments précédemment mis en place dans les relations bilatérales ou multilatérales (entre plusieurs États européens et des États au sud de la Méditerranée). Ce transfert passe essentiellement par deux mécanismes concrets : d’une part, le financement de projets proposés par des États membres ; d’autre part, une mise à l’agenda de cette approche spécifique questions migratoires par certains États. En effet, avant même l’adoption de l’approche globale, certains projets menés par des États membres avec le Maroc avaient pu bénéficier de financements européens, et avaient été intégrés aux programmes européens MEDA et Aeneas1, avant l’adoption de l’approche globale, et qui ont été intégrés à celle-ci au moment de sa mise en place. Ceci a permis aux États de bénéficier d’un soutien financier de l’UE tout en transférant des préoccupations nationales dans l’arène européenne. Ceci a également permis aux acteurs des institutions européennes en charge d’organiser des activités dans le domaine des politiques migratoires et des politiques de voisinage de bénéficier de l’expérience des États membres et d’instruments de coopération déjà mis en place, au moins partiellement. On retrouve ici un « usage » de l’Europe par des acteurs nationaux : Sophie Jacquot et Cornelia Woll soulignent en effet l’existence de « pratiques et d’interactions politiques qui s’adaptent et se redéfinissent en se 1
Ces programmes et les financements qui les accompagnent ont été examinés dans le chapitre précédent.
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saisissant de l’Europe comme d’un ensemble d’opportunités diverses » (Jacquot et Woll 2004, 9). Cette idée nous paraît s’appliquer à la relation des autorités en charge des politiques migratoires en France et en Espagne avec les politiques européennes, notamment dans les cas d’utilisation de financements européens. Ceci correspondrait, selon la typologie proposée par Sophie Jacquot et Cornelia Woll, à un usage « stratégique » de l’UE, dans lequel un instrument financier est utilisé par les acteurs institutionnels. Ainsi, Le SIVE, le « Système intégré de vigilance extérieure » évoqué plus haut, a été mis en place dès 1998 par l’Espagne, avec une implication financière de la France. L’Espagne a alloué à ce projet 200 millions d’euros pour 1999, et c’est pendant la présidence espagnole de l’Union en 2002 qu’un financement européen à hauteur de 40 millions d’euros a été mis en place (Lutterbeck 2006), dans le cadre du plan indicatif national du partenariat Euro-Med pour le Maroc pour 2002-20041. On retrouve ce transfert par le biais du financement de projets spécifiques lors de la mise en place du système de recrutements de saisonniers : parallèlement à un financement national et provincial, l’Espagne a obtenu un financement à hauteur de 1,196 million d’euros dans le cadre du programme Aeneas. L’Espagne a donc pu avoir recours à l’Union européenne pour un soutien financier lui permettant de mener une action bilatérale. De plus, pour le Maroc, l’incitation à participer était renforcée par la perspective d’une extension de ce type de programmes à d’autres pays européens (Plewa 2009, 355‑356). Les pays au sud de l’Europe ont donc influencé la politique européenne envers les pays tiers qui sont leurs voisins immédiats à travers l’obtention de financements avant l’adoption de l’approche globale. Un autre mécanisme de transfert par négociation apparaît dans la mise à l’agenda des politiques migratoires extérieures par les représentants de certains États membres, notamment à l’occasion de Conseils européens, formels ou informels. Ainsi, à la réunion informelle de Hampton Court en 2005, les représentants français et espagnols mettent le sujet à l’agenda, après les événements de Ceuta et Melilla. Jacques Chirac mentionne ce point dans sa conférence de presse : Nous avons évoqué (…) les perspectives et les efforts qui doivent être faits sur le plan européen dans le domaine de l’immigration. Nous avions une position commune que nous avions élaborée avec le président du Conseil des ministres espagnol, M. Zapatero, après les drames que nous avons vus à Ceuta et à Melilla, 1
Cette somme a par la suite été complétée par 27 millions d’euros additionnels (voir Chapitre 3).
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qui ne sont pas un problème espagnol ou marocain, mais un problème mondial et, en tous les cas, au moins européen et qui exige une prise de conscience approfondie et une réponse. Et là, nous avons eu un débat intéressant.1 Le président français développe ensuite une analyse qui ajoute les efforts de développements aux contrôles des frontières. La France est ici présentée comme à la tête des efforts européens pour développer une autre approche des migrations, avec l’Espagne. Si les deux pays ont connu des désaccords, notamment à la suite de la régularisation massive opérée par l’Espagne début 20052, ils sont ici présentés comme menant la même politique de coopération alliant lutte contre les migrations irrégulières et aide au développement. De même, les voyages du vice-président espagnol De La Vega à Bruxelles et à Helsinki en 2006, ou encore les efforts du premier ministre Zapatero lors de la réunion informelle de Lahti en octobre 2006 pour mettre l’immigration à l’agenda du Conseil européen de décembre peuvent être interprétés en ce sens. Les demandes espagnoles à ce moment-là concernent une augmentation des financements accordés à l’agence Frontex (dont les opérations constituent en quelque sorte un prolongement du système SIVE), des accords de réadmission européens, et la création d’agences de travail européennes dans les pays d’origine (Zapata-Barrero et De Witte 2007). L’Espagne ne tente donc pas uniquement de convaincre le Maroc de coopérer, mais doit aussi convaincre les autres pays européens, ce qui ne va pas toujours de soi. Pour conclure, l’argumentation des acteurs marocains en faveur d’une approche globale repose sur une expérience des négociations menées dans le cadre des relations bilatérales. Cette expérience conduit également à la conjonction entre les discours et exigences des diplomates marocains et les demandes institutionnelles de certains États membres, particulièrement impliqués dans les relations avec le Maroc et les pays africains. L’adoption de l’approche globale en 2005 répond donc aux exigences marocaines, et elle est particulièrement encouragée par certains États membres qui en ont déjà promu les instruments pour leur propre usage et qui utilisent déjà son vocabulaire. Cependant, la définition de « l’approche globale » est hésitante en 2005 : elle ne répond en réalité que partiellement aux exigences marocaines et évolue au cours du temps, largement influencée par les
1
« Hampton Court - Conférence de presse de M. Chirac suite à la réunion informelle des chefs d’État de l’UE », 27 octobre 2005, http://ambafrance-uk.org/Hampton-Court-Conference-de-presse [consulté le 2 mars 2011].
2
FERENCZI, Thomas (2006). « Des pays européens critiquent la régularisation de sans-papiers en Espagne », Le Monde, 25 mai.
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préoccupations des États membres les plus actifs dans le domaine des migrations en Méditerranée et en Afrique.
3) L’ « approche globale » : une réponse polysémique aux demandes des pays d’origine L’adoption de « l’approche globale » en 2005 est le résultat à la fois des demandes des pays dits d’origine ou de transit et de la transposition d’expériences bilatérales à l’Union européenne. Le vocabulaire employé est largement influencé par les réflexions sur le lien entre migration et développement menées dans certains États membres. Il est aussi influencé par une réflexion promue au sein des organisations internationales, notamment au sein des Nations Unies, par la Commission mondiale sur les migrations internationales, sur laquelle nous reviendrons plus en détail dans le chapitre 61. Il s’agit ici de montrer comment la définition de cette approche a varié au cours du temps et a donc laissé une place importante aux interprétations des différents acteurs, y compris des acteurs administratifs et politiques marocains. En effet, la polysémie de l’adjectif « global » a permis à l’expression de prendre des sens différents en fonction des périodes et des acteurs impliqués dans la discussion. Il est intéressant à ce titre de comparer l’approche globale telle que présentée par la Commission européenne en 2005 et en 2011 : tandis qu’en 2005, l’expression vise à regrouper diverses action mais désigne essentiellement l’extension géographique du traitement des migrations, en 2011 elle décrit plutôt l’articulation de différents « volets » ou « piliers » dans le traitement de la question. L’approche globale en 2005 On retrouve dans cette communication l’idée d’une « approche cohérente et intersectorielle » et d’une promotion des « synergies entre la migration et le développement »2. Le principe de travailler sur les migrations régulières est également
1
On retrouve cette idée d’approche globale, inspirée du domaine médical ou de l’enseignement des langues et également utilisée dans le management, et dans d’autres politiques publiques. Il s’agit dans la plupart des cas de souligner à la fois la nécessité de lier plusieurs dimensions d’une question et l’aspect international d’une politique. Une approche globale a par exemple été adoptée en 2013 par les ministres de l’Intérieur de la Méditerranée occidentale pour la lutte contre le terrorisme. Le domaine de la défense fait également l’objet d’une réflexion en ces termes.
2
COM (2005)621 final, op.cit., p.2.
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présent, puisqu’il s’agit aussi de permettre, « en coopération avec les pays tiers, de tirer parti des avantages de l’immigration légale »1 ; mais il est renvoyé à un plan spécifique dans un temps futur2. Différents thèmes sont ainsi abordés, en plus du contrôle des migrations, qui fait l’objet des plus longs développements : « les transferts/remises de fonds » par les migrants, « la gestion des flux migratoires et des compétences », ainsi que l’intégration dans les pays de destination3. Ceci s’inscrit dans le cadre de l’expansion d’un discours managérial des migrations qui met en avant l’idée d’une gestion des flux migratoires permettant aux pays de destination, d’origine et aux migrants de bénéficier des migrations (Geiger et Pécoud 2010). Pour le Maroc, les thèmes mentionnés sont la lutte contre la traite des êtres humains, la coopération au contrôle des frontières et la signature d’un accord de réadmission4. Cependant, si ces thèmes sont présents en 2005, ils ne structurent pas le développement de l’approche globale telle que définie alors. En effet, le document est organisé selon un principe géographique qui laisse transparaître les cercles concentriques qui régissent les représentations de l’Union européenne : les actions possibles sont en effet divisées entre l’insertion dans une réflexion « mondiale », la coopération entre les États membres, le dialogue et la coopération avec les pays d’origine en Afrique, et la coopération avec les pays voisins. Ces cercles concentriques correspondent à une plus ou moins grande proximité géographique, mais aussi à une échelle de coopération avec l’UE dont la géométrie est variable (Balzacq 2007). Chacun d’entre eux est révélateur de la conception de la coopération extérieure sur les migrations dans le cadre des institutions européennes. Tout d’abord, dans le document de la Commission, l’expression « approche globale » est la traduction de l’anglais « comprehensive approach », comme c’était le cas dans les conclusions de la Présidence du Conseil de Tampere en 1999, dans lesquelles l’expression était déjà présente5. Un acteur politique de la Commission évoque également l’idée de
1
CONSEIL EUROPÉEN (2005). Conclusions de La Présidence, 15914/1/05, op.cit., par.8.
2
COM (2005)621 final, op.cit., p.2.
3
Ibid., p.7-8.
4
Ibid., p.9.
5
Ibid., p.2, et CONSEIL EUROPÉEN (1999). Conseil européen de Tampere. Conclusions de la Présidence. Tampere, 15 et 16 octobre 1999, http://www.europarl.europa.eu/summits/tam_fr.htm [consulté le 2 septembre 2013], par.11.
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« vision holistique » qui était présente avant l’approche globale1. C’est seulement dans les conclusions du Conseil européen de Bruxelles en décembre 2005 que les expressions « approche globale » et « global approach » sont utilisées comme équivalentes2. Cependant, l’usage de l’expression en anglais ou en français entretient une ambiguïté : en effet, le terme anglais « global » est habituellement traduit par l’adjectif « mondial », par exemple dans le cas de la réflexion sur les migrations lancée par les Nations Unies au sein d’une « Commission mondiale » (Global Commission) en 2003. En 2005, dans le premier document de la Commission, l’expression désigne donc autant l’extension géographique que la thématique de l’approche globale. Cette ambiguïté est d’autant plus forte que le document se concentre en réalité sur l’Afrique et la Méditerranée. Ce cadrage géographique est précisé rapidement dans le document de la Commission, tout en mentionnant les efforts déployés avec les pays de l’Est pour « gérer les flux migratoires », mais n’est nullement expliqué. Il est le résultat d’une volonté de réaction rapide aux événements de Ceuta et Melilla, et entérine la distinction entre « voisinage » à l’Est et voisinage au Sud. La réflexion mondiale est en réalité assez peu prise en compte, puisque le document précise que « sans nier la dimension mondiale du phénomène migratoire », il convient d’envisager « trois types de mesures », qui concernent des zones géographiques distinctes. Après une rapide mention de la réflexion mondiale sur le sujet, la coopération entre États membres est abordée, et concerne surtout la dimension de contrôle, notamment à travers l’agence FRONTEX. Les pays africains sont ensuite abordés en tant que pays d’origine, et ce sont des actions de dialogue et de développement qui sont envisagées. Enfin, les « pays voisins » sont pris en compte en tant que « pays d’origine et pays de transit », et la conclusion d’accords de réadmission est mise en avant dans le cadre de la coopération avec cette zone. Pour résumer, l’approche globale telle que mise en forme dans les documents européens de 2005 est organisée en fonction des différentes zones géographiques et de la perception de leur position dans des parcours migratoires dont l’Union européenne serait le centre de convergence : les États membres sont envisagés uniquement en tant que pays de destination, les États africains non-méditerranéens uniquement en tant que pays d’origine, et les pays méditerranéens « voisins » en tant que pays d’origine et de transit. Cette 1
Entretien n°66, ancien du cabinet du Commissaire Justice et aux Affaires intérieures, Paris, 28 juin 2012.
2
CONSEIL EUROPÉEN (2005). Conclusions de La Présidence, 15914/1/05, op.cit.
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classification géographique persiste par la suite dans la description des actions liées aux migrations, même si elle est parfois brouillée par la complexité et le déplacement des parcours migratoires, qui résulte en partie des politiques de contrôle européennes (Düvell 2006). L’approche globale en 2011 : la formalisation des trois « piliers » La description de l’approche globale n’est progressivement plus articulée à cette géographie des parcours migratoires, mais plutôt à des catégories d’actions. Cette redéfinition progressive répond en partie à des conflits au sein du Conseil et au sein de la Commission sur son interprétation : les services de l’Intérieur mettent en avant la dimension de contrôle des migrations, tandis que les « diplomates » tentent de promouvoir les autres dimensions (Jeandesboz 2011, 344‑348). En 2011, le document présentant un bilan et une dimension prospective de l’approche globale est beaucoup plus long (30 pages au lieu de 10 en 2005), et l’approche globale a désormais son abréviation : l’AGMM (en anglais GAMM) est « l’approche globale de la question des migrations et de la mobilité »1 – le thème de la « mobilité » étant fondamental dans la redéfinition de la politique extérieure des migrations à partir de 2011, comme nous le verrons dans le dernier chapitre. Avant d’aborder les aspects « opérationnels », une partie de cette communication est dédiée à la question des priorités géographiques. L’une des recommandations mentionne ainsi que « l’AGMM devrait réellement avoir une envergure mondiale »2. La communication prend donc acte du fait que l’AGMM n’était pas véritablement « mondiale », mais le reste du texte précise aussi que la coopération internationale doit suivre un « principe de différentiation »3 des différentes partenaires, et souligne le rôle des dialogues régionaux et bilatéraux4. Par ailleurs, ce texte apparaît comme un plaidoyer de la Commission en faveur d’un emboîtement accru des questions migratoires dans l’ensemble des relations extérieures : À cet égard, bien que des progrès considérables aient été accomplis depuis 2005, il convient de déployer davantage d’efforts pour mettre pleinement à profit toutes 1
COMMISSION EUROPEENNE (2011c). Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité Économique et social des régions : approche globale de la question des migrations et de la mobilité, COM(2011)743 final, Bruxelles, 18 novembre.
2
Ibid., p.11. En gras dans le texte.
3
COM(2011)743 final, op.cit., p.9-10.
4
L’expression désigne ici les dialogues entre l’UE et un pays particulier, par opposition aux dialogues régionaux, qui concernent l’UE et plusieurs autres pays.
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les synergies potentielles entre ces politiques, de même qu’avec la politique commerciale.1 Si les emboîtements tactiques sont aussi mentionnés dans ce document, notamment à travers l’évocation de la politique commerciale, le document se concentre sur des emboîtements substantiels. En effet, il est articulé autour de quatre « priorités thématiques » ou « piliers », qui organisent la présentations des « priorités opérationnelles », et reprennent des thèmes déjà abordés : « l’organisation et la facilitation de l’immigration légale et de la mobilité », « la prévention et la réduction de l’immigration clandestine et de la traite des êtres humains », la promotion de la protection internationale et le renforcement de la dimension extérieure de la politique d’asile », « la maximisation de l’impact des migrations et de la mobilité sur le développement »2. Les dimensions de contrôle sont insérées entre les dimensions des migrations légales d’une part, et migrations et développement d’autre part3. Plus que l’extension géographique, c’est cette organisation en « piliers » qui correspond à la définition de l’approche globale par les différents acteurs rencontrés, tant à Paris et à Bruxelles qu’à Rabat. Cette communication de 2011 est donc le maillon d’une chaîne de circulation des idées sur la coopération autour du développement, qui intègre largement les expériences nationales de différents pays européens, en particulier les plus impliqués dans les relations avec les pays africains. Pour conclure, l’approche globale apparaît à la fois comme une tentative de répondre aux demandes des pays d’origine, en échange d’une coopération au contrôle des migrations qui inclut la signature d’accords de réadmission, et comme le transfert de politiques bilatérales au sein de l’Union européenne. Cependant, si la formalisation de ces trois « volets » ou « piliers » de l’approche globale est largement reprise par les acteurs marocains lors de nos entretiens, nous avons constaté que la dimension « migration et développement », présente dans l’argumentation sur les causes des migrations, est bien moins mise en avant que l’idée d’un lien entre contrôle des migrations irrégulières et promotion des migrations 1 2
Ibid., p.4. Ibid., p.8. En gras dans le texte.
3
Sur le thème de l’asile, les termes en gras ne doivent pas faire oublier les autres éléments, notamment la politique d’externalisation de l’asile, désignée ici par l’euphémisme « dimension extérieure », et qui peut être envisagée comme un élément des politiques de rejet des migrants en dehors du territoire européen (Valluy 2007 ; Audebert et Robin 2009). De même, il ne s’agit pas ici de « lutte » contre les migrations irrégulières, mais de « prévention » et de « réduction ».
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régulières. L’approche globale ne constitue ainsi qu’une base pour des demandes portant sur la « facilitation des visas », autrement dit sur la circulation des Marocains vers les pays de l’Union européenne.
C - Facilitation des visas et dignité dans les relations internationales La « facilitation des visas » est un thème qui est d’abord apparu au cours des négociations d’accords de réadmission avec la Russie et l’Ukraine : la facilitation est alors envisagée à partir de 2004 comme une incitation, alors que les négociations, entamées en 2000 et 2002 respectivement, sont dans l’impasse. Julien Jeandesboz note la contiguïté entre facilitation et réadmission dans la construction de la politique européenne de voisinage. Il montre également comment cette question est l’enjeu de conflits entre différents services et différents États membres au sein de l’Union européenne (Jeandesboz 2011, 344‑348). Il est important de souligner que la question est posée, par les acteurs des États membres notamment, de savoir si la facilitation des visas doit systématiquement être utilisée dans les négociations d’accords de réadmission avec des pays tiers, et nous reviendrons sur cette question dans le dernier chapitre de cette thèse. Notons pour le moment que la facilitation des visas n’est tout d’abord pas envisagée pour le Maroc. Or, elle devient progressivement une revendication clairement mise en avant par les acteurs marocains dans les négociations et plus généralement dans les discours sur les politiques migratoires et les relations avec l’Union européenne. Il ne s’agit pas ici d’examiner comment la facilitation des visas est discutée au sein de l’Union européenne mais de montrer en quoi elle constitue une revendication portée par les acteurs marocains – les négociateurs de l’accord de réadmission et les diplomates, ainsi que les acteurs suivant les négociations de plus loin. Il s’agit plutôt ici de comprendre ce qui est en jeu sous l’appellation « facilitation des visas » : de quoi s’agit-il et pourquoi cette revendication en particulier ? Nous souhaitons montrer que cette revendication ne porte pas sur le contenu d’un accord de facilitation des visas, puisqu’il concernerait des populations qui bénéficient déjà, dans une certaine mesure, d’une mobilité relativement facile, mais plutôt sur une dimension symbolique. Les revendications sur la facilitation des visas sont envisagées comme un test pour évaluer le respect européen de la « dignité » marocaine. Nous nous appuierons ici sur les réflexions développées autour des théories de la reconnaissance (Honneth 2013 ; Lindemann et Saada 2013), ainsi que sur les réflexions autour de la notion
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d’identité dans l’étude des relations internationales (Guillaume 2010), pour examiner le sens de ces revendications. Nous commencerons dans un premier temps par montrer comment les acteurs marocains formulent les revendications sur la facilitation des visas dans le cadre des négociations avec l’Union européenne et en quoi consisterait cette facilitation. Nous verrons dans un second temps comment ces revendications résultent largement de la dénonciation d’un traitement différentiel par l’Union européenne de ces « voisins » au Sud et à l’Est, avant de finalement montrer en quoi ces discours sous-tendent des demandes de respect et de reconnaissance.
1) La facilitation des visas : une revendication des acteurs marocains Le principe de la facilitation des visas est posé par le programme du Conseil européen de La Haye en 2004. Le Conseil européen : invite le Conseil et la Commission, en vue de l'élaboration d'une approche commune, à se demander s'il serait judicieux, dans le cadre de la politique de réadmission de la CE, de faciliter la délivrance au cas par cas de visas de court séjour aux ressortissants de pays tiers, lorsque c'est possible et sur une base réciproque, au titre d'un véritable partenariat dans le domaine des relations extérieures couvrant notamment les questions liées aux migrations.1 La facilitation des visas est ici envisagée comme une incitation dans le cadre de la négociation d’un accord de réadmission. Une réunion du Groupe de haut-niveau sur les migrations (HLWG) en 2005 confirme ce principe, et indique l’adopter afin « d’éviter des réponses coup par coup basées exclusivement sur les pressions des pays tiers »2. On voit ici que la dynamique des incitations à la réadmission répond aussi à des revendications de la part des pays tiers. L’objectif de la facilitation des visas est donc de réguler le type d’incitations disponibles : la facilitation ne peut être envisagée que lorsqu’un accord de réadmission existe ou est en cours de négociation – le statut de l’accord de réadmission reste ouvert et fait visiblement l’objet de discussions entre États membres dont certains demandent une réserve d’examen. Cependant, la réadmission est posée comme un élément nécessaire mais non suffisant à la mise en place de facilitations de visas, ce qui laisse la place à d’autres critères et 1
CONSEIL EUROPÉEN (2005). Le programme de La Haye : renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l’Union européenne. Journal officiel de l’Union européenne, 2005/C 53/01, 3 mars (adopté en 2004).
2
COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION (2005). HLWG on Migration and asylum. Common Approach on Visa Facilitation 15012/05 VISA 297 RELEX 694, November 28.
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surtout à la négociation sur les pays qui pourraient en bénéficier. Or, si le thème de la « facilitation des visas » revient fréquemment lors de nos entretiens au Maroc comme à Bruxelles dès 2009, son principe n’est directement négocié qu’à partir de 2011 ; un « partenariat pour la mobilité » envisageant les négociations sur ce sujet en parallèle aux négociations sur la réadmission est conclu en juin 20131. Elle est envisagée comme une incitation nécessaire à la négociation de l’accord de réadmission avec le Maroc, et fait l’objet de revendications clairement formulées par les acteurs marocains. Les analyses de la facilitation des visas ont montré que celles-ci pouvaient constituer une incitation puissante dans les relations entre l’UE et les pays du voisinage dans le domaine des affaires intérieures et du contrôle des migrations, y compris lorsque l’incitation a priori plus importante de l’adhésion existait. Cette incitation « sectorielle » a ainsi été particulièrement efficace pour la négociation d’accords de réadmission avec les pays des Balkans. Cette efficacité reposerait sur l’avantage concret que présente une circulation vers l’UE facilitée et sur la visibilité politique des accords de facilitation pour les gouvernements des pays tiers (Trauner 2009a ; 2009b). L’idée a été avancée que, étant donné cette efficacité, la signature d’un accord de facilitation en échange d’un accord de réadmission était devenue un « modèle » de négociation pour l’Union européenne (Trauner et Kruse 2008). Cependant, l’analyse du cas marocain montre d’une part que la généralisation des négociations sur les facilitations de visas n’allait pas nécessairement de soi pour les acteurs européens : elle est aussi le résultat de demandes formulées par les pays tiers. D’autre part, le cas du Maroc montre que ces demandes sont autant formulées en raison des facilités concrètes qu’un accord de facilitation procurerait que par comparaison avec les autres pays tiers : il convient donc de ne pas négliger la dimension symbolique des facilités de circulation, qui procurent des avantages concrets mais agissent surtout comme un indicateur du statut international de l’État concerné. Un emboîtement substantiel entre facilitation des visas et réadmission L’usage de la facilitation des visas comme incitation pour la négociation d’un accord de réadmission avec le Maroc est une demande des acteurs de la direction générale des affaires intérieures, qui indiquent répondre par là à une demande marocaine. Cependant, les acteurs européens, et encore moins les États membres, ne sont pas tous favorables à cette demande. 1
Voir le Chapitre 8.
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Cette revendication est avant tout portée par les acteurs marocains. En 2010, un diplomate marocain à Bruxelles affirme ainsi, par exemple, que le Maroc « insiste actuellement » pour lancer des discussions sur le sujet et pour qu’un mandat de négociations soit délivré à la Commission européenne1. Cette insistance passe par la formulation de revendications lors de rencontres avec les représentants du Conseil ou des États membres, mais elle passe aussi par une mention du sujet dès que l’opportunité s’en présente. Un membre de la Délégation de la Commission à Rabat affirme ainsi en 2010 que la question de la facilitation des visas est abordée au cours d’autres négociations par les diplomates marocains : Ca n’est pas le lieu de négociation des facilitations de visas, c’est clairement une autre négociation. Alors ils nous l’ont mis plusieurs fois dans les négociations sur les services, pour signaler que c’est un thème important.2 Les négociations sur les services, qui dépendent de la très importante direction générale en charge du commerce, ont donc pu être le lieu de revendications sur la mobilité : en effet, à partir de la question de la libéralisation des échanges commerciaux, la libéralisation des services suppose une mobilité des travailleurs dans ce secteur. Pourtant, notre interlocuteur, qui suit les affaires intérieures, y voit des enjeux distincts. En revanche, le lien établi par les négociateurs marocains entre négociations sur la réadmission et facilitation des visas est accepté par la plupart des acteurs de la Commission européenne comme un moyen d’avancer la réadmission. Par exemple, un fonctionnaire de la direction générale des affaires extérieures nous assure ainsi être « convaincu » que, selon son « avis personnel », « si cet accord [pour la facilitation des visas] on l’avait, tout le reste serait plus facile »3. Cependant, les acteurs marocains voient pour la plupart ce lien comme substantiel4, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas seulement pour eux d’un marchandage tactique, mais d’enjeux liés par un sens logique ou une causalité. Non seulement car il s’agit dans les deux cas de migrations, mais aussi parce qu’ils établissent un lien de causalité entre facilitation de la mobilité et lutte contre les migrations irrégulières. En 2012, par exemple, alors que la perspective des négociations sur la facilitation se précise mais n’est pas encore 1
Entretien n°23, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 16 juin 2010.
2
Entretien n°35, Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Rabat, 23 septembre 2010.
3
Entretien n°25, DG Relations extérieures, Commission européenne, Bruxelles, 21 juin 2010.
4
Selon la définition de la typologie de Haas (1980) présentée plus haut.
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assurée, un acteur du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, impliqué dans le suivi des négociations, affirme : La question de la facilitation des visas est aussi une question importante parce que… ça peut aussi être une solution au retour. (…) En tous cas on n’a pas l’intention de signer l’accord de réadmission sans ça. Mais nous on fait de la réadmission depuis des années.1 On trouve ici l’affirmation selon laquelle le Maroc met déjà en œuvre le principe de réadmission2 - l’accord de réadmission porterait donc sur des demandes en un sens illégitimes, celles qui concernent les migrants non-marocains. Surtout, on retrouve la formulation de revendications dans le sens d’une approche « globale », puisque la facilitation est « aussi » importante, c’est-à-dire aussi importante que la lutte contre les migrations irrégulières. Elle est d’ailleurs présentée comme une solution aidant le retour : la logique sous-jacente est que plus il est facile de circuler entre le Maroc et l’Union européenne, moins il y a de migrations non-autorisées, et surtout moins les migrants sont tentés de rester sur le territoire européen puisqu’ils peuvent revenir facilement si besoin est. La facilitation des visas est donc envisagée comme une alternative plutôt qu’un complément à une politique de contrôle des migrations irrégulières. Cette déclaration est faite au cours de l’année 2012, alors que la proposition de négocier la facilitation des visas a déjà été faite au Maroc, à travers une proposition de « partenariat pour la mobilité ». Cependant, les acteurs marocains font preuve de méfiance par rapport à cette proposition. Cette méfiance est due à une précision des revendications marocaines : ceux-ci souhaitent obtenir la facilitation des visas en échange de la réadmission, mais ils souhaitent négocier les deux accords en même temps et non successivement. C’est le sens de l’affirmation de notre interlocuteur ci-dessus : « on n’a pas l’intention de signer l’accord de réadmission sans ça ». La négociation de la facilitation des visas est donc envisagée comme une incitation tactique par les acteurs de la Commission européenne, et comme un enjeu substantiellement lié à la lutte contre les migrations irrégulières par les acteurs marocains. Il ne fait pas de doute que la facilitation des visas est la principale revendication mise en avant par les acteurs marocains et l’incitation considérée comme la plus efficace par les acteurs européens au cours de nos premiers entretiens en 2009 et 2010. Pourtant, au final, l’expression de « facilitation
1
Entretien n°65, Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, Rabat, 10 juin 2012.
2
A ce sujet, voir le Chapitre 7.
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des visas » est souvent employée sans que ne soit clarifié ce qu’elle recouvre exactement. Il convient donc de se pencher sur le contenu des accords de facilitation existants entre l’UE et d’autres États, et sur les enjeux que recouvrent les revendications marocaines à ce sujet. Facilitations des visas et aménagements du soupçon systématique La « facilitation des visas » désigne un « arrangement par lequel la délivrance de visas aux voyageurs de bonne foi est facilitée ou accélérée par des dérogations aux procédures normales »1. Dans le contexte de l’Union européenne, il s’agit en réalité d’une dérogation aux instructions consulaires communes (ICC), adoptées en 2005, et qui uniformisent les procédures et les conditions de délivrance des visas de courte durée pour tous les États de l’espace Schengen. Ces instructions reposent sur un système de profilage basé sur la définition de groupes à risque selon de critères de nationalité et de statut : les ressortissants des pays appartenant à une « liste négative » (en pratique, la grande majorité des pays du monde)2, et, au sein de ce groupe, ceux dont le profil est considéré comme « à risque » : les personnes au statut économique et social instable, comme les chômeurs, les artistes ou encore les étudiants. Chaque dossier est ensuite examiné au cas par cas (Guild et Bigo 2003b ; 2003c ; Infantino 2010). Le visa Schengen et l’uniformisation des procédures renforcent ainsi une logique du « soupçon systématique » (Bigo 1998b), caractéristique de la sécurisation progressive des politiques migratoires européennes. Les accords de facilitation des visas ne transfèrent pas un État dans la catégorie des pays exemptés de visas, et ne suppriment donc pas le soupçon qui pèse sur sa population. En revanche, ils aménagent le soupçon : le critère déterminant n’est dès lors plus la nationalité, mais le statut du demandeur. En effet, pour certaines catégories de personnes, un visa doit être automatiquement délivré si les pièces nécessaires sont présentées. La liste de ces pièces est fixe et allégée. Les catégories concernées varient selon les accords, et vont de onze catégories différentes dans le cas de l’accord signé avec la Fédération de Russie en 20063, à dix-huit 1
EUROPEAN COMMISSION. BONIFACE, Jérôme et Mara WESSELING, Kevin O’CONNELL, Adriana RIPOLL SERVENT (2008). Visa Facilitation Versus Tightening of Control : Key Aspects of the Enp. Brussels, p.15.
2
Au sujet de la constitution par les États membres de l’UE de listes de pays pour les obligations de visas, voir (Guild et Bigo 2003a).
3
Agreement Between the European Community and the Russian Federation on the Facilitation of the Issuance of Visas to the Citizens of the European Union and the Russian Federation, Official Journal of the European Union, 2007.
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catégories pour les accords avec le Monténégro et l’Albanie signés en 20071. Les principales catégories visées sont les personnes qui voyagent pour affaires, les membres de délégations officielles, les participants à des événements scientifiques, sportifs, culturels ou artistiques, ainsi que les membres de la famille de résidents légaux, et, dans certains cas, les personnes malades et nécessitant un traitement à l’étranger. On trouve également des catégories moins fréquemment mentionnées dans les entretiens ou les articles sur le sujet : les conducteurs de convois ferrés ou de cargos, les personnes souhaitant se rendre sur la tombe militaire ou civile d’un parent. Les accords ouvrent également la possibilité de délivrer des visas à entrées multiples pour les personnes voyageant régulièrement et relevant d’un nombre plus restreint de catégories. Les accords sont normalement basés sur le principe de réciprocité, mais étant donné l’absence de demande de visas pour les ressortissants de l’UE dans la plupart des États concernés, seul l’accord avec la Russie est formulé ainsi. On retrouve la même asymétrie que celle qui existe dans les accords de réadmission. Pour les catégories de personnes visées par les accords, seuls les documents inscrits dans les accords sont nécessaires à l’obtention d’un visa, ce qui supprime en principe l’exigence d’une évaluation du dossier et la marge discrétionnaire des consulats2. Pour les Marocains, ceci pourrait représenter un avantage important : en effet, le Maroc est le septième pays en nombre de demandes de visas de court séjour déposées dans des consulats Schengen, après la Russie (loin devant les autres), l’Ukraine, la Chine, la Turquie, la Biélorussie et l’Inde, et avant l’Algérie : 269 875 demandes en 2009 et 359 657 en 2011. Le taux de refus de visas pour les demandes de ressortissants marocains était de 11,5% en 20113. Sachant qu’un refus de visa est gardé en mémoire dans une base de données partagée entre les différentes autorités consulaires des États Schengen, et que certains candidats s’auto-éliminent car ils connaissent les conditions d’évaluation des dossiers, on pourrait imaginer que bon nombre de Marocains pourraient bénéficier d’un accord de facilitation.
1
Agreement Between the European Community and the Republic of Albania on the Facilitation of the Issuance of Visas, Official Journal of the European Union, 2007 et Agreement Between the European Community and the Republic of Montenegro on the Facilitation of the Issuance of Visas, Official Journal of the European Union, 2007.
2
Voir par exemple, sur les différences entre consulats français : LA CIMADE (2010). Enquête sur les pratiques des consulats de France en matière de délivrance des visas, Paris.
3
EUROPEAN COMMISSION (2012). Directorate-general Home affairs Unit B.3 Visa policy, Overview of Schengen Visa Statistics 2009-2011.
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Pourtant, comme l’indique un diplomate de l’ambassade de France à Rabat, « la France pense qu’il y a déjà beaucoup de facilités de circulation, que c’est déjà facile pour les Marocains »1. On retrouve ce sentiment chez certains diplomates marocains, qui précisent par exemple que « la France donne beaucoup de visas »2. C’est qu’en réalité les catégories concernées par les facilitations de visas bénéficient déjà de facilités de circulation, notamment les plus fréquemment citées lors des entretiens : les hommes d’affaires, les chercheurs, les étudiants inscrits dans un pays européen. Les plus importantes catégories qui pourraient potentiellement bénéficier de la facilitation sont les membres de la famille de résidents ne disposant pas de larges moyens financiers, ainsi que les participants à des événements culturels, artistiques ou sportifs, puisque dans ces cas les conditions de revenus ou de moyens ne seraient plus demandées. Or, ces catégories ne sont pas celles mentionnées par les acteurs marocains lors de nos entretiens. En réalité, il s’agirait surtout de simplifier la procédure pour les personnes qui obtiennent déjà des visas relativement facilement : bien qu’elles puissent en général trouver des moyens d’éviter les queues et l’attente au consulat, les exigences de plus en plus drastiques d’un entretien peuvent rendre la procédure pénible, et irriter des personnes peu habituées à ce genre de traitement au sein de leur pays. La question des files et de l’attente était d’ailleurs l’une des raisons pour l’adoption d’instructions consulaires communes, mais elle reste un sujet de plaintes de la part des Marocains amenés à demander des visas (Infantino 2010 ; Chattou, Aït Ben Lmadani, et Diopyaye 2012). La facilitation des visas, au final, viendrait seulement renforcer une dichotomie entre les catégories soumises au soupçon permanent d’être un « risque migratoire », et celles, socioéconomiquement favorisées, qui en sont exemptes. On peut ainsi parler, avec Julien Jeandesboz (2011, 354‑372), de la mise en place d’une « logique censitaire » où la marge discrétionnaire des agents au guichet de délivrance des visas est « modulée » mais non supprimée. Ceci pourrait expliquer le fait que seuls des fonctionnaires européens voient ces facilitations comme un enjeu politiquement visible et utile pour le gouvernement marocain. Ainsi, l’un d’entre eux décrit la facilitation des visas comme un élément « très attractif pour les politiques [des pays d’origine], parce que c’est très visible politiquement »3, et un autre 1
Entretien n°36, Conseiller politique, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010.
2
Entretien n°62, Direction européenne, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 8 juin 2012.
3
Entretien n°27, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 22 juin 2010.
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nous apprend qu’il ne peut pas aller dans un pays du voisinage sans qu’on lui dise : « On a besoin de visibilité, donc de facilitations de la mobilité »1. Ceci renvoie à l’idée d’une visibilité politique du gouvernement des migrations, que nous avons développée dans le chapitre 1. Les fonctionnaires et négociateurs marocains, eux, n’évoquent guère cet aspect. D’ailleurs, les articles de la presse marocaine sur le sujet ne s’étendent guère sur la facilitation des visas2. La presse marocaine souligne ainsi essentiellement le fait que le Maroc est le premier pays de la région à signer un tel accord. Nos interlocuteurs expliquent quant à eux plutôt les revendications sur la facilitation des visas par une logique de statut de l’État marocain par rapport à l’Union européenne.
2) Des revendications par comparaison : le regard tourné vers l’Est Les acteurs marocains justifient leurs revendications sur les facilitations de visas comme une évolution naturelle des relations entre l’UE et le Maroc et font la comparaison avec le traitement des « voisins » de l’Est. Pour un grand nombre d’acteurs marocains rencontrés, la revendication sur la facilitation des visas est liée aux innovations introduites par l’Union européenne dans son rapport à certains pays de l’Est. La différence dénoncée par les acteurs marocains porte essentiellement sur l’exigence européenne de signer un accord de réadmission avant de négocier la facilitation des visas, alors que les négociations sur les deux sujets ont pu avoir lieu en parallèle avec d’autres pays. Ainsi, un diplomate marocain pose la question : « L’UE estime qu’on doit terminer la réadmission avant la question des visas. Mais ils ont fait parallèlement avec d’autres pays, pourquoi pas avec le Maroc ? »3. La formulation 1
Entretien n°30, DG Relations extérieures, Commission européenne – Ancien de la Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Bruxelles, 24 juin 2010.
2
Quelques articles des journaux arabophones s’étendent plus en détail sur les bénéfices de la facilitation des visas, en reprenant un communiqué de l’agence marocaine de presse MAP en mars 2013 : MAP (2013). « Maroc-UE : Accord politique sur un Partenariat pour la mobilité », Le Matin, 1er mars. Un article du 1er juin 2013 dans Al Massae mentionne, citant Cecilia Malmström, que le Maroc est le premier pays de la Méditerranée du sud à signer un tel accord, sans entrer dans plus de détails sur le contenu de l’accord (http://www.marocpress.com/almassae/article-263156.html, consulté le 30 septembre 2013). La presse marocaine francophone se concentre quant à elle sur l’accord de réadmission : BEN MARZOUQ, Aziz (2013). « Migration : Rabat et Bruxelles d’accord pour la facilitation des visas », L’Economiste, 1er mars ; GUEGUEN, Christophe (2013). « UE-Maroc : facilitation de visas contre accord de réadmission », Lakome.com, 9 juin ; EL JADIDI, Rime (2013). « Controverse autour du partenariat pour la mobilité », Le Soir-Echos, 11 juin ; KABBAJ, Marouane (2013). « Facilitation de visas contre réadmission d’immigrés clandestins », Maroc Hebdo International, 14 juin ; BELGUENDOUZ, Abdelkrim (2013). « UE-Maroc : partenariat de mobilité ou de réadmission ? », Le Matin, 6 juillet.
3
Entretien n°17, Direction de l’UE, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 19 novembre 2009.
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interrogative pose clairement cette différence de traitement comme une injustice. On retrouve le même sentiment chez le diplomate en charge des négociations à Bruxelles : C’est flagrant : dans les partenariats pour la mobilité avec les pays de l’Est, ils sont déjà avancés. Il y a déjà des facilitations ou l’annulation des visas, parallèlement à des négociations sur la réadmission. Avec le Maroc on dit ‘non, d’abord la réadmission, puis on met des conditions, des sous-conditions’. Et puis les financements c’est différent, c’est pas les mêmes proportions.1 La comparaison avec les pays du voisinage à l’Est est un préalable pour expliquer l’absence de confiance dans la négociation. La bonne foi des négociateurs européens est attaquée, puisque l’exigence de la signature préalable de l’accord de réadmission est décrite comme une première condition, à laquelle viendraient s’ajouter d’autres conditions et « sous-conditions » si le Maroc obtempérait. Un sentiment d’injustice transparaît dans ces propos : la « flagrance » des différences observées les fait apparaître comme des inégalités injustifiées. De plus, à la dénonciation de la différence de traitement dans les négociations des facilitations de visas s’ajoute celle des différences de financements : celle-ci n’est d’ailleurs pas explicitée, et, s’il est vrai que l’instrument géographique pour la politique de voisinage prévoit un plus large budget pour l’Est (348,57 millions d’euros) que pour le Sud (288 millions) pour 201120132, par exemple, on peut se demander s’il s’agit réellement d’une différence « de proportions », d’autant plus qu’il est plus difficile d’évaluer la répartition géographique des instruments thématiques. La différence entre voisinage à l’Est et voisinage au Sud sur la facilitation des visas est donc interprétée comme le symptôme d’une préférence ou d’un favoritisme des acteurs européens pour l’Est. On retrouve ce sentiment chez l’ensemble des acteurs marocains rencontrés, qui dénoncent une préférence européenne pour l’Est visible dans la politique d’élargissement, qui se ferait au détriment des pays au Sud. Certains interlocuteurs poussent même l’argumentation jusqu’à la libre circulation des personnes : certains mentionnent en effet la libéralisation de la circulation comme un horizon à long terme, résultat « naturel » de l’évolution des relations du Maroc avec l’UE. La libéralisation de la circulation apparaît comme le prochain objectif des diplomates marocains, comme celui en charge du dossier des migrations à Bruxelles, qui affirme en 2012, au moment de la négociation du partenariat pour la mobilité : 1
Entretien n°52, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 6 février 2012.
2
EU Neighbourhood Info Centre, « About the ENPI », http://www.enpi-info.eu/main.php?id_type=2&id=402 [consulté le 5 août 2013].
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Ils mettent un peu la carotte : on va pouvoir négocier, éventuellement, la facilitation, mais qu’est-ce qu’il y a dedans ? Avec le Kazakhstan, l’Ukraine, ils ont fait une libération (sic !) complète, malgré le potentiel migratoire. Ca n’est pas encore claire si les facilitations seront négociées avant ou après, j’ai rendez-vous (…) demain, on va parler de ça, on va voir concrètement c’est quoi, techniquement.1 L’incitation proposée à partir de 2011, qui répond en principe aux demandes marocaines, est remise en cause par la question de savoir si l’accord de réadmission doit être signé avant le début des négociations sur la facilitation, mais aussi par la question du contenu « concret », « technique » d’un éventuel accord de facilitation : c’est dans ce cadre que la libéralisation de la circulation est mentionnée, comme ayant déjà été proposée à d’autres pays (ce qui est le cas pour l’Ukraine, mais pas pour le Kazakhstan). Si les revendications marocaines sont forgées par la comparaison, on peut s’attendre à ce que la libéralisation de la circulation soit la prochaine demande formulée dans le cadre des négociations sur les migrations. Pour conclure, les facilitations de visas peuvent effectivement être analysées comme une incitation efficace dans le cadre de la négociation d’accords de réadmission, puisqu’elles font partie des revendications des pays d’origine comme le Maroc. En revanche, il est important de déconstruire l’évidence de ces demandes : les facilitations de visas n’apporteraient pas seulement des avantages concrets pour la circulation de – certains – marocains ; leur visibilité politique est aussi liée à une dimension symbolique. Les négociateurs et diplomates marocains insistent particulièrement sur les facilitations de visas en grande partie parce que celles-ci ont déjà été utilisées avec les pays de l’Est. Du point de vue des acteurs marocains, cela montre que négocier accord de réadmission et accord de facilitation en parallèle est possible. Tout refus européen de mener les négociations en parallèle est donc interprété comme le signe d’une préférence pour le voisinage à l’Est, et donc comme un manque de respect pour les pays du Sud en général et le Maroc en particulier. La question du respect et de la dignité, autrement dit du statut international des Marocains et du Maroc en tant qu’État, ne doit donc pas être négligée.
3) Demandes de respect et dignité dans les négociations internationales Axel Honneth (2013) propose de s’intéresser à l’idée de reconnaissance dans les relations entre les États, c’est-à-dire à « l’arrière-plan moral » qui sous-tend ces relations. Il 1
Entretien n°52, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 6 février 2012.
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souligne notamment la quête de légitimation des acteurs étatiques ainsi que la dimension symbolique de la politique étrangère. L’interprétation de la politique des États selon un modèle de recherche rationnelle de l’intérêt (financier ou tactique) limite donc l’étude de la dimension symbolique des relations internationales. Le concept de reconnaissance est ainsi transposé du domaine de la philosophie ou de la psychologie aux études de sociologie politique : le désir de reconnaissance renverrait alors à la manière dont un acteur cherche à valoriser sa propre image auprès des autres acteurs et d’obtenir, au minimum, un traitement conforme aux normes qui définissent ce que signifie le respect dans les relations sociales. La reconnaissance au sens positif est, de ce fait, toujours une relation intersubjective constituée par la congruence entre l’image de soi revendiquée par l’acteur et l’image renvoyée par d’autres (Lindemann et Saada 2013, 17‑18) Dans l’étude des relations entre le Maroc et les pays européens ou l’Union européenne, il serait donc important d’examiner la place revendiquée par les acteurs marocains et l’image que leur renvoient les politiques européennes. Le risque ici est cependant, comme le souligne Axel Honneth lui-même, celui d’une personnification ou d’une anthropomorphisation des États. On peut cependant, avec Thomas Lindemann et Julie Saada, répondre qu’il existe des normes légales et morales dans un système international qui pense les États comme sujet du droit international : la sacralisation de l’État dans ce système et la persistance de la métaphore corporelle dans la description des États rendent l’analyse des analogies psychologiques indispensable au moins sur le plan discursif. Par ailleurs, on peut souligner qu’une entité institutionnelle abstraite peut revêtir une valeur affective abstraite pour les personnes qui en sont responsables. On rejoint en ce sens les conclusions d’une géographie politique qui s’intéresse aux identités collectives liées aux lieux et aux représentations géopolitiques (Dijkink 1996). Dans ce cadre, la politique étrangère peut être définie comme un instrument de construction de l’identité nationale (Campbell 1998). Or, « l’identité » d’un État en tant qu’identité collective doit être abordée de façon processuelle, comme le produit d’une construction dialogique, dans laquelle le rapport aux autres États est fondamental (Guillaume 2010). Enfin, un troisième argument en faveur de l’usage du concept de reconnaissance dans l’étude des relations internationales consiste à identifier l’existence d’émotions collectives, en particulier autour des « offenses » faites à l’État ou aux symboles nationaux (Lindemann et Saada 2013, 18‑20). Par ailleurs, l’usage du concept d’ « économie morale » développé par Edward Thompson (1971) puis par James
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Scott (1985) dans son analyse des « armes des faibles » et de la résistance quotidienne des dominés, peut permettre une prise en compte de la dimension morale des phénomènes de résistance des « dominés » en situation d’asymétrie. Ceci est d’autant plus vrai que les discours des acteurs administratifs marocains sur le sujet reprennent un discours habituellement tenu par ceux qui sont les victimes du soupçon systématique des gouvernements européens, notamment autour de l’idée de dignité. La question des négociations sur la facilitation des visas et sur la réadmission, et plus généralement la question de la liberté (ou non) de circulation, est un cas particulièrement intéressant pour l’étude de la dimension symbolique des relations internationales. Il ne s’agit pas en effet ici d’un conflit ouvert, mais de négociations de longue date, dans un contexte postcolonial. La libre circulation y apparaît comme un étalon de la reconnaissance des États et de relations de domination : en effet, les citoyens de l’Union européenne peuvent se rendre dans de nombreux pays sans visas, tandis que ceux de la plupart des pays du monde ont besoin d’un visa pour entrer dans l’un des États de l’espace Schengen. La carte des pays dont les ressortissants sont soumis à une obligation de visa (Annexe 17) dessine ainsi une topographie de la reconnaissance internationale, ou plutôt européenne, des États. Le principe de réciprocité qui sous-tend en théorie le droit international n’est donc pas respecté, et l’asymétrie entre États est accentuée par cette asymétrie de la liberté de circulation. On perçoit ici à la fois la « logique émotionnelle » et la « logique morale » identifiées par Thomas Lindeman et Julie Saada dans leur analyse de la reconnaissance. La logique émotionnelle se caractérise par la dénonciation d’une offense faite à l’État marocain et à ses citoyens à travers le refus de négocier les facilitations de visas ; quant à la logique morale des revendications marocaines, elle transparaît dans la dénonciation d’une injustice par rapport aux normes de la « politique de voisinage » énoncées par l’Union européenne elle-même, dans un traitement différentiel de l’Est et du Sud ; et plus généralement de l’injustice entre les personnes qui peuvent circuler librement dans le monde et les autres. La question de la facilitation des visas attire donc notre attention sur le rôle des représentations dans les négociations internationales. En effet, les revendications des acteurs marocains sur la facilitation des visas révèlent des revendications moins directes qui portent sur la « dignité » : c’est alors la dignité de la population qui est visée, à travers son droit à la circulation, mais aussi la dignité de l’État, c’est-à-dire son statut international. Nous souhaitons ici nous intéresser à cette idée de dignité pour montrer qu’elle joue un rôle Nora El Qadim– « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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opératoire dans les négociations. Les objectifs visés par les négociateurs marocains ne sont pas seulement des objectifs concrets à court terme : sont en jeu également des objectifs à long terme, ainsi que la redéfinition du statut international de l’État marocain. Cette exigence symbolique permet de comprendre pourquoi les incitations financières ou même tactiques sont difficiles à employer dans la négociation des accords de réadmission ; elle permet aussi de montrer que, si la facilitation des visas peut être une incitation efficace, c’est aussi parce que la liberté de circulation des ressortissants d’un État constitue un indicateur du statut international de ce pays. L’idée de dignité appliquée aux négociations sur les migrations renvoie non seulement à la nécessité de satisfaire des exigences politiques internes liées aux représentations populaires des relations entre le Maroc et les pays européens et à la défense des Marocains à l’étranger, elle renvoie aussi à une catégorie fréquemment employée par les fonctionnaires marocains dans leurs récits des négociations avec l’Union européenne. Elle repose sur des interprétations des relations entre l’UE et le Maroc au prisme d’une histoire coloniale et postcoloniale. Bien que l’asymétrie des relations entre ces deux entités soit reconnue, elle est considérée comme illégitime et est à ce titre remise en cause. « Dignité » et « fermeté » : une logique émotionnelle des revendications sur la facilitation des visas Un fonctionnaire au secrétariat du High level working group on migration (HLWG) au Conseil nous a confié, au détour d’un couloir après notre entretien : « Dans le fond, ce que veulent les Marocains, c’est avant tout du respect »1. Cette idée est formulée avec un étonnement, et indique que la remise en cause de l’asymétrie des relations entre le Maroc et l’Union européenne a aussi une dimension symbolique importante. On peut constater que cette dimension symbolique est présente dans les revendications marocaines, et s’affirme au cours des années dans le domaine des migrations. Non seulement à travers la résistance à la signature d’un accord de réadmission, mais aussi à travers une remise en cause des institutions européennes et de leurs interactions avec le Maroc. La question de la réadmission apparaît ainsi au cœur de cette remise en cause, qui passe notamment par une demande de respect.
1
Entretien n°56, Secrétariat du Groupe de travail de haut niveau pour les migrations et l’asile (HLWG), Conseil de l’Union européenne, Bruxelles, 7 février 2012.
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Ainsi, lors d’une interview radiophonique en 2012, Menouar Alem, l’ambassadeur du Maroc auprès de l’UE affirme au sujet de l’accord de réadmission : « Donc on a été très très fermes là-dessus, et nous avons dit : ‘C’est pas une question d’argent. Euh… C’est une question de de de… d’histoire, de dignité’ »1. Le rôle des incitations financières, pourtant souvent considérées comme cruciales, est ici minimisé. Surtout, Menouar Alem souligne une dimension symbolique des relations entre le Maroc et l’UE. La mention de l’histoire reste ici ambigüe : peu avant dans l’entretien, l’ambassadeur a mentionné l’histoire de la Méditerranée comme bassin de circulation ouverte, ainsi que le rôle de Marocains dans l’armée française au cours de la Seconde Guerre mondiale. On peut également y voir la référence à l’histoire de la domination coloniale de certains États européens sur le Maroc. Quoi qu’il en soit, la « dignité » désigne ici une représentation de la relation de pouvoir entre les deux entités. Cette idée de dignité ou de respect passe aussi par une demande de prise en compte du Maroc en tant qu’État complexe et qu’interlocuteur à part entière. Le diplomate en charge du dossier des migrations à la mission permanente à Bruxelles affirme en 2012 : Le Maroc n’a plus envie d’être le pays sur lequel la nouvelle Europe fait l’expérience de ses propres institutions. Si c’est pour expérimenter le bras de fer entre les institutions européennes, c’est pas notre problème, c’est pas au Maroc de rectifier tout ça. Nous avons aussi une opinion publique, une société civile, des priorités, des choix stratégiques.2 Le « bras de fer » entre institutions européennes fait ici directement référence au refus de renouvellement de l’accord de pêche par le Parlement européen en décembre 2011, peu avant cet entretien. Ce refus a été perçu comme une offense faite à l’État marocain, d’autant plus qu’il avait été justifié par des enjeux portant sur le Sahara occidental3, un symbole national important de l’indépendance marocaine et un enjeu pour la reconnaissance internationale du Maroc. Cependant, le propos est élargi à une affirmation générale sur les relations entre le Maroc et l’Union européenne, qui affirme avec force l’autonomie des politiques marocaines par rapport aux enjeux internes de l’UE, et semble ainsi reconquérir une égalité symbolique du pays. Le rappel de l’existence d’enjeux internes proprement marocains (« une opinion publique, une société civile, des priorités, des choix stratégiques ») peut être une façon de renforcer la position des négociateurs en affirmant qu’ils ont des contraintes. Mais il s’agit 1
« Menouar Alem ambassadeur au Maroc auprès de l’UE : l’immigration », op.cit.
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Entretien n°52, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 6 février 2012.
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Voir le chapitre 3 pour le détail des enjeux de cet accord.
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surtout ici d’affirmer une autonomie et une égalité symbolique, d’autant plus que la mention de l’opinion publique et de la société civile permet de souligner qu’il s’agit d’un pays démocratique. Files d’attente et hogra : une logique morale de la dignité Un sentiment d’injustice important est présent dans la dénonciation du traitement différentiel entre « voisinage » à l’Est et au Sud, comme nous l’avons vu plus haut. Un article de presse marocain analyse ainsi la signature du partenariat pour la mobilité en juin 2013 comme le résultat de la « fermeté marocaine », indiquant spécialement que : La partie marocaine a réclamé un traitement ‘au moins équivalent’ à celui réservé aux ressortissants des pays partenaires de l'est de l'Europe, comme la Moldavie ou l'Ukraine.1 Le sentiment d’injustice par rapport aux pays de l’Est transparaît particulièrement dans la retranscription de demandes de traitement ‘au moins équivalent’ : c’est bien la valeur de l’État marocain qui a été remise en cause par le traitement différentiel accordé à ses citoyens, et les revendications d’un traitement qui pourrait ou devrait être même meilleur que celui de ces pays prennent la forme d’une réponse à une offense morale. Cependant, c’est plus généralement l’imposition de restrictions à la circulation des citoyens qui est perçue comme une injustice. Certains diplomates marocains soulignent, en particulier lors d’interventions médiatiques, les difficultés que pose le régime des visas aux individus et l’humiliation qu’il constitue, ajoutant ainsi une touche personnelle ou humaine à leurs revendications : C’est difficile pour une personne, d’être dans un consulat, pendant quatre heures, à faire la queue pour l’obtenir, et quelques fois il est, il est (grimace), il est touché dans sa dignité de présenter une demande de visa parce qu’il veut aller voir sa famille, parce que il veut aller participer à une conférence, parce que il est académicien invité par telle université, ou même quelques fois ça s’est passé, c’est un homme politique qui est… qui se voit refuser un visa.2 Les difficultés pratiques à l’obtention d’un visa (le déplacement au consulat, la file d’attente), ne sont pas les principaux enjeux, ici. Menouar Alem, ambassadeur du Maroc auprès de l’Union européenne utilise de nouveau le terme de dignité au cours de cet entretien 1
BEN MARZOUQ, Aziz (2013). « Migration : Rabat et Bruxelles d’accord pour la facilitation des visas », L’Economiste, 1er mars .
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« Menouar Alem ambassadeur au Maroc auprès de l’UE : l’immigration », op.cit.
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radiophonique : si ce mot se rapportait, comme nous l’avons vu plus haut, à l’État marocain, il est ici lié aux personnes, à la population. Les cas choisis sont représentatifs des catégories qui seraient touchées par la facilitation des visas. Le soupçon systématique européen, à travers l’idée de risque migratoire, est dénoncé à travers ces cas comme illégitime, et le refus de visas comme une atteinte à la dignité. C’était par exemple le cas en Bulgarie, avant la suppression de l’exigence de visas : comme le montre Elena Jileva (2003), les humiliations répétées de demandeurs de visas, notamment des artistes reconnus, ont fait de la question des visas un enjeu politique important et extrêmement visible en Bulgarie à la fin des années 1990. Il ne faut donc pas négliger le rôle des visas comme symbole d’une atteinte illégitime à la fierté des individus, et de là, à la fierté nationale, dans les représentations politiques au Maroc et dans d’autres pays d’origine. En effet, la question des migrations, des visas, de la liberté de circulation fait partie des enjeux publics visibles pour le gouvernement marocain, et constitue un élément symbolique du statut international de l’État. Une enquête récente menée par trois chercheurs (Chattou, Aït Ben Lmadani, et Diopyaye 2012) par des entretiens collectifs au Maroc a par exemple montré que les visas européens étaient perçues par certains citoyens marocains comme une forme de « hogra » : ce terme désigne le mépris de l’État envers les citoyens, et plus généralement une humiliation, une injustice, une atteinte à la dignité. Il a été particulièrement mis en avant lors des révolutions arabes, mais il est très présent auparavant dans les contestations envers l’autorité de l’État. Il est également utilisé par les Marocains à l’étranger pour dénoncer leur traitement par leur pays d’origine et réclamer le droit de vote au Maroc1. Il est récurrent dans le discours des jeunes chômeurs ou diplômés questionnés pour l’enquête évoquée ci-dessus, qui porte plus précisément sur les révolutions arabes et les migrations internationales. Il évoque à la fois la situation des chômeurs, leur exclusion, le rapport aux institutions étatiques marocaines, mais aussi européennes. La notion renvoie donc à la fois au mépris des personnes, à un enjeu politique de mépris de la démocratie, et à une forme de mépris international qui transparaît dans les restrictions de la circulation. Les auteurs de cette étude constatent que les conditions d’attribution des visas par les pays européens est envisagée par les enquêtés comme une sorte de « hogra », une injustice collective. Les
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Par exemple lors de manifestations devant le consulat marocain à Bruxelles en 2008 et les années suivantes : MAACHI, Nezha (2008). « Les MRE contre l’Hogra devant l’Ambassade du Maroc à Bruxelles », 24 octobre, http://www.yabiladi.com/article-politique-1577.html [consulté le 30 septembre 2013].
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rapports inégalitaires qui se manifestent dans la politique des visas et d’immigration sont interprétés comme une forme de racisme. Les restrictions à la circulation des personnes sont donc vues comme une atteinte au droit et à la dignité des personnes. Les enquêtés expriment donc l’idée que la réciprocité des visas, c’est-à-dire que le Maroc mette en place des visas pour les touristes européens, permettrait de « rehausser la tête, de préserver notre dignité ». Pour l’une des personnes rencontrées par ces chercheurs, même si le tourisme doit en pâtir : Le Maroc gagnera en s’imposant comme un partenaire qui est capable de négocier aussi selon ses intérêts et suivant les revendications légitimes de son peuple. Actuellement le Français par exemple quand il vient chez nous il est bien traité et nous si on a un jour la chance d’aller chez eux on est mal traité. L’application de la réciprocité des visas, même si ce n’est pas la solution, permet d’équilibrer les rapports politiques.1 L’inégalité de traitement des ressortissants marocains en France et des Français au Maroc est perçue par cette personne comme le signe d’une asymétrie de pouvoir des États. La mise en place de la réciprocité des visas est décrite comme une solution symbolique, qui apparaît comme la solution pour un rééquilibrage des relations internationales. La récente mise en place de la réciprocité des visas par le Sénégal pour les ressortissants européens, présentée comme une mesure souveraine mettant à égalité les deux territoires, indique que cet enjeu largement symbolique2 fait l’objet de débats internes et est perçu comme un signe de la fierté nationale et du positionnement international de l’État. Pour conclure, les revendications portant sur la facilitation des visas ne sont pas anodines. Bien qu’elles puissent apporter des avantages réels à une partie de la population, ces avantages sont limités et concernent une population en réalité déjà mobile. Ces revendications portent donc surtout sur le statut international du Maroc en tant qu’État légitime. Le degré de liberté de circulation internationale des citoyens apparaît ainsi comme un indicateur du statut international de l’État. Les arguments moraux mis en avant dans le refus marocain de négocier un accord de réadmission sans négociations sur la facilitation des visas portent sur la « dignité ». Ils montrent l’importance de tenir compte des logiques émotionnelle et morales
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F., 28 ans, cité dans Chattou, Aït Ben Lmadani et Diopyaye 2012, p.9.
2
La mise en place d’un visa payant promet certes à l’État des rentrées d’argent, mais elle est aussi largement contestée par les professionnels du tourisme qui y voient le risque d’une baisse de leur activité. A ce sujet, voir BA, Mehdi (2013). « Sénégal : réciprocité des visas, même tarif pour tous », Jeune Afrique, 1er juillet , ou CESSOU, Sabine (2013). « Les Sénégalais ravis de voir les Français payer le « visa de la réciprocité » », Libération, 7 août.
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des relations internationales dans l’analyse des négociations. Les politiques migratoires jouent un rôle important dans le cadre de ces logiques.
D - Conclusion Nous avons montré dans ce chapitre comment les acteurs marocains défendent des exigences dans le cadre des négociations sur l’accord de réadmission avec l’UE. D’abord à travers la mise en avant de « lignes rouges », ce qui correspond à un discours porté par l’ensemble les diplomates et les négociateurs de l’accord du ministère de l’Intérieur sur l’autonomie de l’État marocain. Ce discours légitime le refus de signer, tandis que la poursuite des négociations ou des discussions pour poursuivre les négociations permet de formuler des revendications. La formulation de revendications constitue donc un deuxième élément important pour comprendre la capacité d’action des acteurs marocains : la résistance aux demandes européennes ne passe pas seulement par le refus, mais aussi pas la formulation de propositions de politiques et de demandes. Si les éléments financiers sont présents dans ces revendications, et si, comme nous l’avons vu dans le chapitre 3, des liens tactiques peuvent dans certains cas être établis, les revendications se concentrent surtout sur l’établissement d’un lien logique entre différents aspects des politiques migratoires ou définis comme tels : le contrôle des migrations irrégulières ne serait ainsi qu’une dimension des politiques migratoires, qu’il faudrait compléter par un encouragement au développement et surtout des migrations régulières. Cette argumentation, combinée au poids des expériences bilatérales et aux mécanismes de transfert par certains États membres de leurs politiques bilatérales au sein de l’UE, a conduit à l’adoption de l’ « approche globale » par les institutions européennes en 2005. Cependant la définition de cette approche continue de faire l’objet d’interprétations divergentes. Ainsi, les acteurs marocains ont mis en avant une nouvelle revendication : celle de négocier un accord de « facilitation des visas » parallèlement aux négociations sur la réadmission. Cette revendication est présentée comme s’intégrant à l’approche globale dans la mesure où elle concerne la dimension des migrations régulières. Cependant, l’apport symbolique d’un accord de facilitation des visas serait sans doute plus important que son apport pratique. L’argumentation des acteurs administratifs marocains, au ministère des Affaires étrangères et dans les autres administrations en charge des migrations, met notamment en avant une demande de respect de la dignité des citoyens marocains et,
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indirectement, de la dignité de l’État marocain – en particulier par comparaison avec le traitement européen du « voisinage » à l’Est. Ce chapitre, en se concentrant sur les discours mis en avant par les acteurs marocains, a montré comment ces discours constituaient un élément important des pratiques de négociation. Il a aussi montré que le processus de construction progressive de ces discours était marqué par une dimension relationnelle, c’est-à-dire par les influences réciproques des discours marocains et européens – à la fois des institutions européennes et de certains États membres. Cette analyse nous permet donc principalement de pluraliser les sujets potentiels des négociations sur la réadmission, notamment en ne considérant pas la position des négociateurs marocains comme une variable indépendante exogène, mais en tenant compte de la capacité d’action – discursive et tactique – de ces acteurs. Un autre apport de ce chapitre réside dans la remise en cause du postulat rationnel qui sous-tend habituellement l’analyse des négociations, y compris dans la notion d’emboîtement substantiel. Sans réfuter les usages tactiques de certaines revendications, notamment à travers l’évitement et la poursuite des négociations, nous avons montré l’existence d’une dimension symbolique des revendications, en particulier celles concernant la facilitation des visas. Cette demande apparaît comme moyen de défendre la « dignité » des citoyens marocains et, à travers eux, de l’État, montre l’existence d’une logique morale des revendications marocaines. Cette idée sert d’argument pour légitimer les demandes marocaines, mais elle est également significative d’une « économie morale » autour d’une conception de la reconnaissance entre États et d’une remise en cause de l’asymétrie des relations entre l’Union européenne et le Maroc. Notre démonstration s’est pour le moment concentrée sur la capacité d’action des acteurs marocains dans le cadre des relations avec l’Union européenne et les États membres. Il convient à présent de poursuivre cette démonstration en montrant que les acteurs marocains entretiennent des relations avec d’autres pays que les pays européens. Le prochain chapitre déplace ainsi la focale de l’analyse dans deux directions : d’une part, en se concentrant sur le champ marocain, il s’intéresse aux enjeux institutionnels intérieurs des politiques migratoires européennes ; d’autre part, en élargissant le cadre d’analyse, il examine le rôle des arènes internationales dans la construction et la promotion des discours des acteurs marocains sur les migrations.
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Chapitre 6. Déplacer la focale : des usages marocains de l’Europe et de l’international Dans le cadre de la deuxième partie de cette thèse, qui cherche à pluraliser les sujets potentiels des négociations internationales sur les migrations en examinant les pays d’origine comme sujets à part entière de ces négociations, nous avons d’abord montré dans le chapitre 4 que l’État marocain avait activement développé, depuis l’indépendance, des politiques migratoires, liées principalement à des enjeux nationaux. Les créations institutionnelles lancées dans les années 1990 ont donné naissance à un ensemble d’organisations et d’acteurs impliqués dans les politiques migratoires, y compris dans les négociations avec l’Union européenne et engagés, dans une certaine mesure, dans des luttes concurrentielles. Le chapitre 5 examinait les discours des acteurs marocains sur les négociations avec l’Union européenne et la formulation de revendications. Celles-ci portent notamment sur le renforcement des politiques dans le domaine des migrations régulières, mais elles sont aussi chargées d’une dimension plus symbolique liée à l’idée de dignité de l’État marocain et de ses citoyens. Ce chapitre poursuit l’objectif de se concentrer sur les acteurs marocains, mais en déplaçant cette fois-ci la focale au-delà des relations Maroc-Union européenne. D’abord vers le contexte national, en s’intéressant aux usages que font ces acteurs des politiques européennes – c’est-à-dire en envisageant ces dernières comme des ressources pour des objectifs nationaux ou internationaux pour les acteurs marocains. Mais aussi en montrant comment les divers acteurs marocains ont aussi su se saisir de cadres d’action intergouvernementale pour mieux se positionner à la fois vis-à-vis de leurs concurrents nationaux et de leurs interlocuteurs européens. Nous montrerons que nous sommes encore une fois ici très loin d’un tête-à-tête entre deux monolithes que seraient le Maroc et l’Union européenne. Les analyses des relations extérieures de l’UE dans le domaine des migrations s’intéressent peu à la question de la mise en œuvre. Lorsque la question est abordée, elle est souvent examinée sous l’angle de l’écart entre les projets et la mise en œuvre effective (Wunderlich 2009 ; 2010 ; 2013). Alors que les analyses en termes de gouvernance externe, en particulier celles portant sur l’élargissement, donnent une place aux contextes locaux de la mise en œuvre (Schimmelfennig et Sedelmeier 2004 ; Schimmelfennig 2007), ceux-ci ne sont envisagés que du point de vue du succès ou de l’échec des politiques européennes. L’enjeu est
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donc ici de poser la question en des termes différents, c’est-à-dire de ne pas questionner le succès ou l’échec des politiques européennes, mais plutôt la façon dont les acteurs marocains envisagent, reçoivent et usent de ces politiques pour leurs propres objectifs. Ceci nous amène à nous interroger sur la présence d’autres acteurs et d’autres ressources, notamment les organisations internationales et intergouvernementales, dans le domaine des politiques migratoires. Bien qu’un ensemble de publications récentes souligne la construction d’une « gouvernance multi-niveaux » des migrations qui inclut le mondial (Betts 2011b ; Kunz, Lavenex, et Panizzon 2011), les organisations internationales sont rarement prises en compte dans les analyses des politiques migratoires externes de l’UE, ou alors essentiellement pour questionner soit leur contribution à la mise en œuvre des politiques européennes (Valluy 2007a ; 2007b ; Wunderlich 2012b), soit les conséquences de leur implication sur les évolutions des politiques européennes (Channac et Thouez 2006; Geiger et Pécoud 2010b). Nous nous intéresserons ici à ces organisations encore une fois en nous concentrant sur les pratiques des acteurs marocains, donc plutôt aux ressources alternatives que peuvent constituer ces organisations qu’à leur rôle de mise en œuvre des politiques européennes. L’objectif de ce chapitre est donc de montrer qu’un pays dit d’origine ne peut pas être considéré, dans sa relation avec les pays d’accueil, uniquement à l’aune de cette relation. Un déplacement du regard vers les pratiques multiples des acteurs est fondamental pour comprendre le déroulement des négociations sur la réadmission qui sont l’objet de cette thèse. A travers une étude des usages de l’Union européenne par les acteurs marocains dans le cadre de luttes concurrentielles nationales et de l’implication de ces acteurs dans les arènes internationales,
nous
proposons
une
analyse
de
l’internationalisation
des
élites
bureaucratiques et de leurs luttes. Plusieurs auteurs ont en effet souligné le rôle des « conditions sociales de la circulation internationale des idées » (Bourdieu 2002), en montrant par exemple le rôle des circulations internationales des individus dans un secteur et la construction de réseaux (Bigo 1996), ou encore en montrant que l’internationalisation des élites correspondait à une internationalisation des luttes nationales (Dezalay 2004). Yves Dezalay et Bryant Garth (2002 ; 2011) ont ainsi montré comment dans le cas de relations Nord-Sud, les élites cosmopolites, y compris du Sud, pouvaient constituer des « agents doubles d’une double circulation » à travers l’usage qu’ils faisaient de certaines idées dans leurs luttes concurrentielles nationales et internationales.
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Dans cette perspective, l’Union européenne apparaît comme une ressource ou arène parmi d’autres et on observe, de plus, que certains acteurs marocains usent des arènes et des ressources des organisations internationales, dans un contexte local d’une part, et dans leur argumentation face aux acteurs européens d’autre part. Cette argumentation est liée à l’idée d’une place internationale du Maroc en tant que « leader » régional. Elle est ainsi liée à des enjeux de concurrences internationales et aux enjeux symboliques examinés dans le chapitre 5. La distinction entre politique interne et politique externe a été remise en cause dans l’étude de la politique extérieure de l’UE par l’idée de « gouvernance externe » à travers l’idée de la politique extérieure comme continuation de la politique intérieure (Lavenex 2006 ; Lavenex et Schimmelfennig 2009), bien que cette idée continue de s’appuyer sur cette distinction. Une littérature critique a remis en cause l’idée même d’une séparation entre politique intérieure et politique extérieure, par exemple dans le domaine de la sécurité (Bigo 2001 ; 2006) et du contrôle des frontières (Lutterbeck 2005). Dans le cas des politiques migratoires marocaines, en examinant les implications différenciées des acteurs étatique dans les arènes internationales, nous en appréhenderons mieux les enjeux nationaux. Nous verrons dans une première partie, à travers l’étude du cas de l’agence pour l’emploi marocaine et de sa collaboration avec l’Union européenne, comment l’UE peut constituer une ressource dans un jeu concurrentiel national et international. Nous appliquerons ainsi l’idée d’« usages de l’Europe » (Jacquot et Woll 2004 ; 2010) non pas aux acteurs d’un État membre mais à ceux d’un « pays tiers ». Cette analyse s’intègre ainsi plus généralement à celle développée dans la deuxième partie de ce chapitre d’une internationalisation des luttes concurrentielles nationales. Nous examinerons là la participation des acteurs marocains aux arènes internationales et comment celles-ci offrent des ressources dans ces luttes concurrentielles, ainsi que dans les négociations sur les migrations avec l’Union européenne. Enfin, la dernière partie du chapitre analysera la façon dont un enjeu non-européen est promu par les acteurs marocains dans les négociations avec l’UE, celui de la place régionale de l’État marocain, c’est-à-dire des relations avec les pays africains et du Maghreb.
A - Politiques européennes et concurrences institutionnelles au Maroc Putnam a souligné l’existence d’un « jeu à deux niveaux » (Putnam 1988) dans la définition de la politique étrangère d’un État, c’est-à-dire que le gouvernement doit tenir
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compte des contraintes extérieures, mais aussi de l’opinion publique et d’enjeux politiques internes. Nous avons vu dans le chapitre 4 que les politiques migratoires marocaines répondaient en effet depuis le début à des préoccupations de politique nationale comme le chômage ou la pauvreté de certaines populations. De plus, le contexte national est également marqué par la création de diverses administrations spécialisées au cours du temps, qui ont parfois dû entrer en concurrence afin de définir leurs prérogatives et de continuer à exister. On ne peut donc comprendre la mise en œuvre des politiques migratoires européennes au Maroc sans s’intéresser aux enjeux internes des décisions qu’elles impliquent. À partir du cas de l’Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences (ANAPEC), nous montrerons ici que les acteurs externes à l’Union européenne peuvent également faire usage des ressources offertes par l’UE pour leurs propres objectifs. A cet égard, la notion d’usage de l’Europe proposée par Sophie Jacquot et Cornelia Woll (2004 ; 2010), peut s’appliquer comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent aux usages financiers de l’UE par différents États membres dans le cadre de leurs programmes migratoires, elle peut également dans une certaine mesure permettre de décrire les relations qu’entretiennent des acteurs de pays extérieurs à l’UE avec les institutions européennes. Sophie Jacquot et Cornelia Woll soulignent que la notion d’usage permet de se concentrer sur la capacité d’agir (agency) des acteurs : en évitant de les traiter comme de simples « courroies de transmission », on peut comprendre comment ils choisissent de prendre part ou non, de s’approprier ou d’ignorer les dynamiques européennes (Woll et Jacquot 2010, 116). Il s’agit ici de montrer que certaines administrations marocaines font aussi usage des propositions européennes à des moments et selon des modalités qui leur convenaient. Les analyses en termes d’externalisation de la politique migratoire européenne tendent à sous-estimer la capacité d’agir des acteurs des pays tiers qui subissent les pressions européennes. En dépit de ces pressions et de l’asymétrie initiale de la relation, ces acteurs choisissent de s’approprier – ou d’ignorer, comme dans le cas de la réadmission – les politiques européennes en tenant compte d’un ensemble de facteurs, y compris des facteurs internes. A ces usages nationaux des ressources européennes s’ajoute la promotion d’un rôle international pour certaines administrations. En d’autres termes, les agents engagés dans des luttes concurrentielles le sont autant au sein de l’État marocain qu’à l’international. Ainsi notre analyse ne tiendra pas seulement du tête-à-tête entre acteurs des institutions européennes et acteurs des institutions marocaines, mais aussi de la façon dont les acteurs marocains Nora El Qadim– « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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envisagent leur action et leur rôle au-delà de l’Union européenne, dans le cadre d’une « internationalisation des luttes nationales » (Dezalay 2004). L’analyse ne doit donc se restreindre ni aux pratiques nationales, ni aux pratiques en lien avec l’Union européenne, mais bien envisager un espace international des pratiques des acteurs institutionnels marocains. A partir du cas de l’Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences (ANAPEC), l’agence publique pour l’emploi créée au Maroc en 2000, nous entendons dans un premier temps examiner les usages faits par l’administration locale des programmes européens et l’autonomie relative de ces usages. Dans un second temps, nous nous pencherons, toujours dans le cas de l’ANAPEC, sur la dimension internationale des luttes nationales.
1) Le cas des programmes de migrations de travail Nous avons vu dans le chapitre 4 comment les préoccupations migratoires européennes, avec la lutte contre le terrorisme, ont joué un rôle dans le retour du ministère de l’Intérieur au premier plan. En effet, ce ministère, qui occupait une place fondamentale dans le système politique marocain jusqu’aux années 1990, avait vu son rôle questionné par les revendications des victimes des « années de plomb », lancées dès 1998, et accentuées au moment de l’accession au trône de Mohammed VI (Vermeren 2002, 84‑86 ; Vairel 2004). On peut également trouver des cas d’usages nationaux de l’Europe dans d’autres organisations gouvernementales. Les évolutions de la participation de l’ANAPEC aux programmes européens offre ainsi un cas d’étude éclairant des dynamiques à l’œuvre dans les négociations avec l’Union européenne. L’un des trois « piliers » de l’approche globale, décrite dans le chapitre 5, concerne l’organisation des migrations de travail. Il est important pour les acteurs européens de développer des projets dans ce domaine afin de présenter une autre image que celle d’une préoccupation sécuritaire. Malgré les revendications marocaines en termes de « migrations légales » ou de « migrations de travail », la forme de la participation de l’État marocain à des projets dans ce domaine était loin d’être acquise. En effet, l’État marocain s’était progressivement désengagé de l’organisation de l’émigration à partir des années 1980, pour se concentrer sur le maintien des liens avec la population émigrée et l’encadrement des transferts de fonds à partir des années 1990. L’organisation de l’émigration se cantonnait à des accords bilatéraux dont la plupart des acteurs rencontrés déclarent l’efficacité. Un projet européen Nora El Qadim– « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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d’appui institutionnel cherchant à développer une organisation spécifique dans le domaine de l’organisation de l’émigration régulière, n’était donc pas nécessairement le bienvenu, puisque les autorités marocaines recherchaient plutôt des opportunités concrètes pour des travailleurs, comme celles offertes dans le cadre bilatéral. Le fameux projet d’appui institutionnel évoqué par l’ensemble des acteurs rencontrés pour illustrer le succès de la coopération entre l’UE et le Maroc dans le domaine des migrations régulières a en réalité été le résultat de la combinaison de deux éléments. Il constitue d’abord un uploading de politiques des États membres vers l’Union européenne. Mais il est aussi une forme de réponse du gouvernement marocain à un moment de crise politique interne, liée à des contestations récurrentes autour du chômage et de l’accès à l’emploi dans l’espace politique et social marocain. Un service public à l’emploi, l’ANAPEC, a été créé et développé au Maroc à partir de 2000. Cette agence comprend également dès le départ dans ses missions le placement à l’international. Le projet européen d’appui institutionnel à l’organisation de l’émigration régulière de travail, qui prévoit au départ la création d’un nouvel organisme, est donc accueilli avec peu d’intérêt lors des premières prospections menées par les institutions européennes. D’une part parce que les acteurs du ministère de l’Emploi estiment que les structures nécessaires sont déjà en place, et que l’organisation de l’émigration n’est pas une priorité, par exemple par rapport à l’attraction et à la régulation de l’« offshoring »1 d’activités par les entreprises européennes, notamment dans le domaine des télécommunications. D’autre part parce qu’il existe déjà des programmes bilatéraux de collaboration, par exemple pour le recrutement de travailleurs saisonniers, avec des pays européens. Même si ceux-ci bénéficient parfois d’un soutien européen, comme c’est le cas du programme espagnol d’immigration saisonnière dans la province de Huelva, les relations bilatérales étaient considérées comme satisfaisantes dans ce domaine. Un ancien fonctionnaire du ministère de l’Emploi résume ainsi cette préférence pour le statu quo : Avant (…), il y avait eu la signature d’un accord de migration saisonnière avec l’Espagne. C’est l’un des meilleurs accords pour le Maroc, il définit très précisément toutes les conditions. Tous les pays européens ont voulu faire comme l’Espagne, mais sans signer d’accord. On a fait des projets avec la Corse, la région PACA, le Languedoc-Roussillon. Nous mêmes on ne voulait pas signer de nouveaux accords, parce que renégocier un accord voulait dire qu’on pouvait perdre
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C’est-à-dire la délocalisation des activités de service ou de production de certaines entreprises vers des pays à bas salaire.
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des avantages. Autant travailler avec de vieux accords, même obsolètes, que renégocier et perdre des avantages.1 On retrouve cette affirmation selon laquelle les anciens accords constituent un cadre suffisant et la renégociation serait risquée, notamment en position de faiblesse, que nous avions trouvée également au ministère de l’Emploi. En somme, même quand les autorités marocaines s’intéressent à des systèmes d’organisation de l’émigration, la formalisation de cette coopération n’est pas nécessairement souhaitable. Soit les accords existants offrent un cadre suffisant, soit une coopération informelle est organisée. L’accord de migration saisonnière avec l’Espagne était donc vu comme une exception plutôt qu’une règle, et n’aurait été accepté qu’en raison des conditions jugées avantageuses pour le Maroc. La proposition de l’UE d’un financement pour une agence à l’émigration a donc d’abord été perçue comme inutile, et répondant uniquement à des objectifs européens. L’ancien fonctionnaire du ministère de l’Emploi décrit ainsi les interactions entre la Commission et les fonctionnaires marocains au sujet de ce projet d’appui institutionnel à l’organisation de l’émigration : Ce projet, en fait, il faut restituer comment il est né. Nous avons eu pendant quelques années, à chaque fois ils nous rabâchaient. La dernière personne qui est venue, [mon collègue] a failli la jeter par la fenêtre ! Ça, les Européens ils ont oublié, ils venaient nous dire : ‘On a 5 millions pour créer un centre d’émigration au Maroc’. Pour nous, il était hors de question de créer une autre organisation. Et puis je suis parti à l’ANAPEC. Et puis il y a eu l’affaire Annajat.2 Ce fonctionnaire décrit une réticence, au ministère de l’Emploi, à accepter ce financement européen. La raison principale indiquée ici est le refus de donner lieu à une nouvelle création institutionnelle, dans un champ marocain de la gestion des migrations déjà très occupé3. Ce discours traduit également une volonté de rappeler aux acteurs européens que les Marocains n’étaient pas en position de demandeurs par rapport à cette agence. Le positionnement adopté est donc celui d’un accord donné à une demande européenne, décrite comme agaçante et proche du harcèlement, plutôt que d’une exigence marocaine. Il va ainsi à l’encontre des représentations de ce financement comme une contrepartie demandée par le Maroc en échange du contrôle des migrations. Pourquoi les administrations marocaines ont-elles
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Entretien n°65, Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, Rabat, 10 juin 2012. Entretien n°65, Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, Rabat, 10 juin 2012 Voir à ce sujet le chapitre 4.
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finalement participé au projet ? Pour ce fonctionnaire, c’est « l’affaire Annajat » qui a constitué un point tournant pour la forme de l’implication des autorités dans l’organisation de l’émigration. Encadré 6 – « L'affaire Annajat »1 Cette expression désigne un scandale qui a éclaté au Maroc en 2002 et qui a remis en cause le ministre de l’Emploi de l’époque (et futur Premier ministre), Abbas El Fassi, ainsi que l’ANAPEC. La société émiratie Al Najat Marine Shipping L.L.C. est accusée d’avoir escroqué des milliers de jeunes chômeurs marocains par l’entremise de l’ANAPEC. En effet, cette société avait lancé une offre de recrutement de 30 000 Marocains pour des postes à bord de bateaux de plaisance, et elle avait pour cela signé un agrément avec l’ANAPEC. Aucune qualification professionnelle n’était spécifiée, mais l’aptitude physique devait être vérifiée par un examen médical obligatoire dans une clinique privée de Casablanca, pour un coût de 900 dirhams. Cependant, dans le courant de l’année, les contrats censés arriver n’arrivent pas. Le gouvernement s’aperçoit que la société Al Najat n’a aucune existence juridique. Entre 47 000 et 80 000 personnes, selon les différentes sources, ont été escroquées, à travers ces visites médicales obligatoires. A la veille des élections législatives de 2002, les manifestations et les protestations de ces victimes se multiplient, l’affaire fait scandale. Plusieurs des victimes se sont par la suite suicidées. Une commission spéciale est créée en décembre 2002 pour enquêter sur l’affaire, mais aucun rapport n’a jamais été rendu. Les questions posées dans les journaux portent sur l’organisation de l’arnaque et le rôle de la clinique privée impliquée. Mais c’est surtout la responsabilité de l’État qui est engagée, à travers l’ANAPEC, celle du ministre de l’Emploi, ainsi que celle du Premier ministre d’alors, Abderrahman Youssoufi, également président du conseil d’administration de l’ANAPEC. Ce d’autant plus que l’ambassadeur marocain aux Émirats arabes unis affirme avoir prévenu du risque d’arnaque. L’ANAPEC n’avait pas non plus pris en compte des avertissements venus de différentes sources nationales et internationales qui signalaient des opérations semblables dans d’autres pays (Kenya, Syrie, Jordanie). « L’affaire Annajat » resurgit régulièrement dans les médias depuis 2002 : en 2003, lorsque les cliniques privées remettent en cause les conditions de passation du marché des examens médicaux ; en 2005, lors du premier suicide de l’une des victimes ; en 2006, lorsque deux victimes déposent plainte contre Abbas el Fassi pour « escroquerie » et « nondénonciation » ; en 2011, lorsque le procès de la clinique incriminée a lieu. L’expression est 1
À partir des sources suivantes : BENTAK, Mostafa (2002). « Anapec / Société Annajat : une arnaque de 72 Millions de DH ? », L’Economiste, 4 octobre ; BENTAK, Mostafa (2003). « Les cliniques privées creusent dans l’affaire Annajat », L’Economiste, 6 février ; « Création d’une commission spéciale pour l’examen de l’affaire « Annajat » », Atlas Vista, 19 décembre 2002 ; SAÏB MUSETTE, Mohamed et Monia BENJEMIA, Khadija ELMADMAD, Azzouz KERDOUN (2006). Rapport sur les législations relatives à la migration internationale au Maghreb central, Genève : Bureau international du travail, p.11 ; JOUHARI, Noureddiine (2006). « L’affaire Annajat, c’est quoi au fait ? », Maroc Hebdo International, 28 septembre ; RERHAYE, Narjis (2007). « Une nouvelle affaire « Annajat » évitée de justesse : les détails d’une tentative d’arnaque annoncée », Libération, 27 décembre ; BENTALEB, Hassan (2011). « La clinique par laquelle le scandale est arrivé trainée en justice : l’affaire Annajat refait surface », Libération, 27 avril.
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aussi utilisée pour désigner toute tentative d’arnaque à l’émigration par l’emploi, par exemple en 2007 par le « Al Tomooh Group » à Casablanca. Ce scandale remet en cause le travail de l’ANAPEC deux ans après sa création, et à travers cette agence, le rôle du ministère de l’Emploi et de l’État. Selon nos entretiens, c’est donc à la suite de ce scandale que l’offre européenne est acceptée : Quand je suis rentrée [de Londres, où les représentants du ministère de l’Emploi marocain était censés rencontrer les responsables de la société émiratie], j’ai été voir [mon collègue] et je lui ai dit : « Tu te rappelles que l’UE voulait faire un centre ? Peut-être on peut faire autre chose ? » On m’a dit : « Comment, mais vous êtes folle, en pleine affaire Annajat ? » Et moi je leur disais : « Justement, il faut qu’on apprenne, qu’on puisse identifier les offres ». Ensuite ils m’ont appelé, deux ou trois mois après, et on a identifié des experts.1 S’il s’agit pour cet acteur de mettre en avant son rôle personnel dans la mise en place du projet « européen » de l’ANAPEC, ce récit permet aussi de comprendre en quoi l’Union européenne a pu constituer une ressource pour les acteurs du ministère de l’Emploi marocain, avec un objectif avant tout interne. Il montre bien comment la possibilité de financement européen a été mobilisée en fonction d’une chronologie interne plutôt qu’européenne. Il montre aussi comment la proposition européenne, celle d’un centre d’émigration distinct, a été ré-interprétée en fonction des besoins internes, en l’occurrence des besoins de formation et de légitimation de l’ANAPEC après la remise en cause de son travail causée par « l’affaire Annajat ». Les acteurs marocains du ministère de l’Emploi et du gouvernement ont donc fait, selon la typologie de Sophie Jacquot et Cornelia Woll (2004 ; 2010), à la fois un usage stratégique de l’Europe – à travers l’utilisation des ressources financières et institutionnelles de l’UE – et cognitif, à travers le recours à une expertise européenne. Mais la participation au projet de l’UE remplit bien ici également une fonction de légitimation, puisqu’il s’agit de promouvoir une action internationale du ministère de l’Emploi marocain afin de faire la démonstration d’une réaction à la suite d’une remise en cause politique. Le programme international de l’ANAPEC ne peut donc être envisagé ni comme une demande formulée par les acteurs marocains, ni comme une incitation – financière ou autre – pour la coopération marocaine sur le contrôle des migrations et la réadmission, puisque la partie marocaine n’était pas intéressée, initialement. L’offre européenne a été intégrée par les acteurs marocains pour des objectifs de 1
Entretien n°65, Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, Rabat, 10 juin 2012.
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politique interne au moment où cela leur convenait. Ceci ne signifie pas qu’il n’a pas servi les objectifs extérieurs de la diplomatie marocaine, c’est-à-dire la politique européenne du Maroc. En effet, tous comme les acteurs européens citent ce programme pour évoquer des dimensions non-sécuritaires de la coopération sur les migrations, les acteurs marocains de divers départements, en particulier les diplomates, se sont emparés du programme international de l’ANAPEC pour en faire un élément dans une argumentation sur l’approche globale et le rôle que le Maroc doit occuper dans cette approche. En revanche, la participation des acteurs marocains aux politiques migratoires européennes ne peut pas être expliquée sans une étude des usages qu’ils font de ces politiques. Ainsi, la capacité d’action des acteurs administratifs marocains transparaît dans l’usage qu’ils font des politiques européennes dans les luttes concurrentielles nationales : l’exemple de la mise en place du programme d’appui institutionnel à la circulation des personnes dans le cadre de l’ANAPEC montre que la mise en œuvre des politiques européennes dépend aussi du contexte national et d’enjeux nationaux pour les acteurs marocains, qui choisissent d’ignorer ou de s’approprier les politiques européens en fonction de leurs besoins. Si les politiques européennes constituent des ressources importantes dans le cadre national, elles sont aussi en lien avec des luttes bureaucratiques internationales.
2) Des concurrences internationales Le cas de l’ANAPEC est également éclairant pour examiner les concurrences internationales entre différentes élites. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 5, le fait que le Maroc soit « le premier pays » à obtenir le statut avancé en 2008, ou « le premier pays d’Afrique du Nord » à obtenir de négocier la facilitation des visas, est régulièrement mentionné par nos interlocuteurs ainsi que dans les médias. Il est un élément de la dimension symbolique, de l’idée de dignité mise en avant par les acteurs. Cependant, il est aussi un élément de concurrences entre des administrations nationales en cours d’internationalisation. Le cas de la ré-invention de l’ANAPEC à l’international est intéressant car on y trouve à la fois cette volonté de se démarquer par rapport à des pays similaires et celle de se positionner comme un modèle international par rapport à des agences similaires dans d’autres pays d’origine. On perçoit dès 2008 au ministère de l’Emploi une volonté de se démarquer des autres pays dits d’origine à travers une mise en avant du professionnalisme de l’ANAPEC. Un
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fonctionnaire de la direction de l’Emploi nous présente ainsi les projets internationaux de cette agence : Il y a un projet financé dans le cadre de l’UE entre l’Italie et le Maroc et l’Égypte. Il s’est avéré qu’en Égypte, chaque fonctionnaire a envoyé un membre de sa famille, il n’y a pas de structure d’intermédiation. Mais au Maroc, on a le souci de répondre aux demandes des employeurs, c’est pour ça qu’il y a l’ANAPEC.1 Il s’agit ici de distinguer la gestion de projet marocaine de celle de l’Égypte. Les accusations de népotisme formulées à l’égard des fonctionnaires de ce pays visent donc surtout à légitimer le rôle « d’intermédiation » rempli par l’ANAPEC, et par extension, le rôle de cette structure à l’international. La légitimation de cette intermédiation ne repose d’ailleurs pas sur un argument d’équité par rapport aux demandeurs d’emploi marocains, mais plutôt sur un argument de satisfaction des employeurs (européens) : cet argument s’intègre ainsi parfaitement à ce que Antoine Pécoud et Martin Geiger nomment une approche néo-libérale des migrations, dans laquelle la gestion des migrations est « fondamentalement une question de rendre les migrations économiquement profitables » (Geiger et Pécoud 2010, 14). On peut distinguer ici la volonté d’être le « bon élève » de l’Europe, qui s’accompagne d’une mise en avant des compétences spécifiques par rapport à d’autres pays d’origine. Pourtant, en 2012, ce type d’argument est aussi lié, ce qui pourrait paraître contradictoire, à l’affirmation d’une autonomisation relative par rapport à l’UE. Maintenant l’ANAPEC n’est plus dans une posture de demande d’assistance technique, belaâks [au contraire] : en 2010, on a eu une proposition dans le cadre de Migration et Asile pour un programme d’appui vers quatre pays, la Tunisie, l’Algérie, l’Égypte, la Mauritanie, avec le Parlement européen et l’OFII [Office français de l’immigration et de l’intégration] (…). Il s’agit de partager l’expérience de l’ANAPEC et de les aider à professionnaliser leur service public d’emploi. (…) C’est pour ça que j’étais en Égypte et en Mauritanie. Les Français ont été en Algérie et en Tunisie. (…) On va réaliser une coopération triangulaire. C’est la première fois qu’il y a un service public d’emploi du Sud de la Méditerranée impliqué dans le consortium, c’est une forme de reconnaissance que le projet MEDA, il a fonctionné.2
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Entretien n°14, Direction de l’emploi, Ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle, Rabat, 10 novembre 2009.
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Entretien n°63, ANAPEC international (Casablanca), Rabat, 9 juin 2012.
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Le projet évoqué ici est le projet TEAM, lancé en octobre 2011 pour « professionnaliser les services publics de l’emploi des pays dans la gestion des migration de travail »1. La description officielle du projet décrit le Maroc comme un pays cible au même titre que les autres. Pourtant, le premier élément que l’on peut souligner dans cet entretien est une affirmation de l’autonomisation de l’ANAPEC décrite comme n’étant plus dans une posture de demande, mais capable au contraire de se positionner à l’égal des pays européens et de former les autres pays dans le domaine des services publics à l’emploi. La répartition géographique des pays laisse à la France ses anciennes colonies les plus proches et le Maroc est donc considéré comme capable d’assurer la formation dans les autres pays2. De même, le concept de « coopération triangulaire » évoqué ici pourrait désigner une coopération entre l’UE, un État membre, et des États tiers, mais son utilisation joue sur l’ambiguïté et semble représenter le Maroc comme un pôle intermédiaire entre l’UE d’une part et les autres États tiers d’autre part. Enfin, un dernier élément consiste à présenter cette compétence de l’ANAPEC comme un résultat du projet européen, c’est-à-dire du financement à un appui institutionnel mis en place en 2006 dans le cadre de MEDA II : le Maroc serait ainsi arrivé au niveau requis, puisque le programme « a fonctionné », et pourrait donc désormais prétendre à devenir lui-même formateur. En réalité, l’ANAPEC peine à développer de nouveaux projets internationaux d’émigration, selon l’aveu d’un ancien fonctionnaire3. Elle rencontre, de plus, des critiques internes, car les programmes développés avec l’Espagne et l’Union européenne sont considérés comme discriminatoires. Un interlocuteur qui a participé aux panels de 1
RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE DE MAURITANIE, Ministère délégué auprès du ministre d’État à l’Éducation nationale chargé de l’emploi, de la formation professionnelle et des technologies nouvelles (2012). Journée gouvernance de la migration du travail, décembre. http://www.emploi.gov.mr/SETN/Actualites/actfr18122012.htm [consulté le 23 mai 2013].
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Cette perception semble partagée par les acteurs français du projet, en tous cas lors de leurs réponses à la presse marocaine : « Après un diagnostic établi dans chaque pays, l’étape Marrakech du programme TEAM a voulu insuffler une dynamique d’engagement de tous les participants. Elle sera suivie par d’autres pour la formation des services publics d’emploi en marketing à l’international. Il faudra d’abord mettre à niveau l’ensemble des pays. « En effet, deux blocs de pays se distinguent » selon Jalil Erik Sadiki, chef de projet TEAM à la direction veille, prospective et affaires internationale au Pôle Emploi. Ainsi, « le Maroc et la Tunisie qui tirent vers le haut où les organisations des services publics d’emplois sont suffisamment rodées et un autre bloc composé de l’Egypte, Mauritanie, Algérie ou il reste beaucoup à faire » ». BERRISSOULE, Badra (2012). « Migrations professionnelles : très forte demande d’une Europe vieillissante », L’Économiste, 25 juin. La distinction entre deux blocs de pays place en effet le Maroc dans une position intermédiaire. Cependant, la Tunisie est également évoquée, alors qu’au cours de l’entretien avec le fonctionnaire de l’ANAPEC, elle apparaît dans une position moins favorable que le Maroc.
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Entretien n°65, Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, Rabat, 10 juin 2012.
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recrutement lors de ces projets nous raconte par exemple, pour dénoncer cette discrimination opérée par les recruteurs européens, le cas d’une jeune fille qui s’était présentée pour être recrutée pour la cueillette des fraises, mais qui n’avait pas été retenue parce qu’elle avait été considérée comme célibataire et trop jolie, et qu’en prime elle parlait l’espagnol1 : ce qui pourrait être pris en compte comme une qualification recherchée est ici retenu contre la candidate, car on estime que cela multiplie le « risque migratoire ». Un ancien fonctionnaire, qui se décrit pourtant comme étant partiellement à l’origine du développement international de l’ANAPEC, présente un bilan très critique des différents projets, en dénonçant notamment l’hypocrisie des administrations européennes : C’est avec les fonds de ce projet qu’on a commencé à recruter des femmes avec des conditions de recrutement très discriminatoires : des femmes mariées, divorcées ou veuves, mais surtout avec des enfants en bas âge. Très rapidement, au bout de deux ans, le taux de retour était de plus de 90%. C’est là que l’ANAPEC est devenue la référence. La France a refusé de travailler sur ce modèle et de prendre les enfants en otage, comme ils disaient. Mais ils ont appliqué ce modèle, mais avec des hommes du Sud (…). L’ANAPEC c’est une expérience qui a plu aux Européens. Ce qui plaisait aux Européens, c’est cette histoire de presque 100% de retour.2 On voit bien ici qu’il s’agit surtout de dénoncer le choix des « Européens » (c’est-à-dire les Espagnols et les Français, mais aussi les organisations de l’UE) de favoriser un dispositif discriminatoire, avec une focalisation sur le taux de retour et les moyens d’obtenir un taux de retour maximal, mais la critique rejaillit également sur l’ANAPEC. Il est donc d’autant plus important pour cette organisation de se positionner comme un exemple international : Le troisième aspect, le plus important, c’est la promotion et la commercialisation dial [de] l’ANAPEC. C’est très politique : comment s’introduire et se positionner dans les marchés, tout simplement capter les marchés ? Tout cela a nécessité un certain nombre de déplacements en Europe, la présence dans les salons, la recherche de partenariats. C’est très important. Ce qu’on fait à l’international dépasse de loin ce qu’a fait l’ANAPEC en général. On est connus des Philippines au Canada. Tout le monde veut faire comme nous.3 Cette fois, l’ANAPEC est clairement présentée comme une organisation qui cherche à gagner de nouveaux marchés afin de se développer dans le domaine de la formation des services 1
Entretien n°1, Personne ayant travaillé au Ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle et au Bureau international du travail à Rabat, Rabat, 11 octobre 2009.
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Entretien n°65, Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, Rabat, 10 juin 2012. Entretien n°63, ANAPEC international (Casablanca), Rabat, 9 juin 2012.
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publics à l’emploi – et non dans la recherche d’employeurs potentiels pour les demandeurs d’emplois. Ainsi, sont soulignés la dimension internationale de cette recherche, mais aussi les partenariats internationaux et finalement le fait que l’ANAPEC serait considérée comme un modèle, par les pays dits de destination, à l’image du Canada et par les pays dits d’origine, comme les Philippines. Les acteurs de l’ANAPEC se positionnent en conséquence par rapport à des luttes concurrentielles internationales pour l’expertise sur les services publics à l’emploi dans les pays d’origine. Pour conclure, le cas du service public à l’emploi marocain, dont la création est relativement récente, montre comment les politiques migratoires européennes peuvent constituer des ressources pour les acteurs administratifs des pays d’origine dans le cadre de luttes concurrentielles nationales et internationales. Cette pluralisation des sujets potentiels permet d’identifier d’autres enjeux que ceux des acteurs européens. Or, la dimension internationale des politiques migratoires transparaît également dans le développement par les acteurs marocains de liens sur le sujet avec les organisations internationales.
B - Administrations marocaines et ressources internationales. Si l’on s’intéresse à la capacité d’agir des acteurs administratifs et diplomatiques des pays dits d’origine ou de transit, on peut se poser la question des ressources dont disposent ces acteurs. Dans le cas des négociations sur la réadmission et le contrôle des migrations, les acteurs marocains disposent d’avantages importants dans leur faible intérêt pour la signature d’un accord et d’un horizon temporel bien plus long que les acteurs européens. Mais ils disposent aussi de ressources cognitives et symboliques importantes à travers leur participation à une réflexion internationale sur les migrations. Les analyses de la présence des organisations internationales actives au Maroc dans le domaine des migrations se sont concentrées sur les modes d’implication de ces organisations internationales ou inter-gouvernementales, notamment le lien entre ces organisations et l’UE, et sur les conséquences de leur implication (Elmadmad 2009a ; Belguendouz 2009 ; Valluy 2007a ; Valluy 2007b ; Valluy 2009). D’autres ont analysé le rôle de ces organisations dans la mise en œuvre des politiques migratoires européennes dans les États non-membres, particulièrement sur le rôle de ces organisations en tant que facilitatrices de communication et de mise en réseaux (Valluy 2007b ; Wunderlich 2012a). Nora El Qadim– « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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Or, les analyses de la circulation des idées ont montré que celles-ci ne suivaient pas un sens unique, mais faisaient au contraire l’objet de circulations diverses entre différentes élites nationales. Yves Dezalay et Bryant Garth parlent ainsi de « double circulation » (Dezalay et Garth 2011) et montrent que les idées qui circulent peuvent aussi être utilisées par ces élites afin de poursuivre des « stratégies internationales » dans le cadre de concurrences nationales (Dezalay et Garth 2002). Il s’agit ici, d’une part, de montrer que l’internationalisation constitue une ressource parmi d’autres dans les stratégies de légitimation interne des élites marocaines, dans un contexte de prolifération organisationnelle autour des migrations, où les prérogatives de chaque organisation sont parfois difficiles à distinguer. D’autre part, on montrera comment l’implication des organisations internationales dans les politiques migratoires marocaines et celle des acteurs diplomatiques et administratifs marocains dans les organisations internationales, ont fourni des ressources importantes à l’argumentation des acteurs marocains. Ceux-ci ont ainsi pu formuler les exigences marocaines dans les négociations avec l’UE dans un vocabulaire « international », qui a largement participé au renforcement de leur argumentation.
1) Une implication internationale des acteurs marocains. Les forums trans-gouvernementaux jouent un rôle important dans la circulation des normes et des idées. Dans le domaine des migrations, de récents travaux ont souligné l’importance de certaines organisations spécifiques et des forums internationaux sur les migrations qui se sont multipliés dans le courant des années 2000. Ces forums ont constitué de nouvelles arènes pour les acteurs marocains, leur permettant à la fois de promouvoir leurs idées et d’acquérir une légitimité internationale. Dans cette même période, les organisations internationales spécialisées ont développé des activités au Maroc ; celles-ci se révèlent être largement influencées par l’agenda de l’UE. Encadré 7 – L’émergence d’une réflexion internationale sur les migrations Bien que la réflexion des organisations internationales sur les migrations soit relativement ancienne, notamment à travers le travail du Bureau international du travail (Douki, Feldman, et Rosental 2006 ; Rosental 2006 ; 2011), c’est au cours des années 1990 qu’émerge l’idée d’une nécessité de traiter les divers aspects des migrations en parallèle. Une réflexion est alors initiée par certaines organisations internationales, notamment à partir de la création de la Commission des Nations Unies sur la gouvernance mondiale en 1993 et de la conférence du Caire en 1994, puis du projet NIROMP (New international regime for orderly movements of people), lancé en 1997 par le Fonds des Nations Unies pour la population et les
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Pays-Bas, la Suède et la Suisse et qui servit de base à la stratégie de l’Organisation internationale des migrations (OIM). Au tournant du millénaire, « soudainement, les migrations étaient partout où l’on regardait, dans le système des Nations-Unies et au-delà » (Newland 2005), c’est-à-dire que les migrations étaient devenues un sujet jugé digne d’attention à l’échelle internationale. En 2003, une Commission mondiale sur les migrations internationales est lancée par les Nations Unies et examine précisément la question du lien entre migrations et développement. Dans son rapport, publié en 2005, elle envisage à long terme la création d’une Organisation mondiale des migrations. En attendant, le Geneva migration group (GMG), qui rassemblait depuis 2003 le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), l’OIM, l’Organisation internationale du travail (OIT) et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), devient en 2006 un Global migration group et il est élargi à six autres organisations, dont l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) ou encore la Banque mondiale. Un forum international, le Dialogue de haut niveau des Nations Unies sur les migrations internationales et le développement, est lancé en 2006, ainsi qu’un forum intergouvernemental, le Forum mondial sur la migration et le développement, dont la première réunion a lieu en juillet 2007 (Geiger et Pécoud 2010, 2‑4 ; Martin 2011 ; Pécoud 2013). Selon le Représentant spécial du Secrétaire général, la création de ce Forum mondial a permis d’amener les pays du Nord et du Sud à la table des négociations, en soulignant qu’une coopération « win-win » des migrations était possible : les premiers bénéficieraient d’une meilleure « gestion des migrations » (c’est-à-dire le contrôle des flux), tandis que les seconds pourraient profiter du développement et d’un accès privilégié, bien que limité, aux marchés du travail au Nord (Betts 2011a, 95). Cette conception s’est élargie aux migrants, avec l’avènement d’une coopération « win-win-win », qui met en avant une approche libérale des migrations, sous le vocable de la mobilité, où les trois pôles, pays de destination, pays d’origine et migrants doivent être « gagnants ». Cette conception est particulièrement portée par l’Organisation internationale des migrations. Celle-ci, en rivalité avec le HCR depuis les années 1990, cherche avant tout à accroître son autonomie, alors même qu’elle dépend des États pour son financement : ceci a conduit à l’adoption d’une logique budgétaire par projets, inspirée du secteur privé, dans laquelle l’organisation est dépendante du succès des projets pour sa survie et son expansion. Elle est de nature intergouvernementale et reprend à ce titre des agendas étatiques qui mettent l’accent sur le contrôle des migrations via des programmes de « prévention des migrations irrégulières » (Georgi 2010). L’avènement de la logique libérale du « win-win-win » est donc lié de près à une logique étatique qui vise avant tout à contrôler les flux et à maximiser les profits tirés des migrations (Geiger et Pécoud 2010). Si les organisations internationales présentes au Maroc depuis les années 1980, comme l’Organisation internationale du travail ou le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) ont des activités liées aux migrations depuis un temps relativement long, y compris dans le cadre des projets de coopération euro-méditerranéens comme le
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Dialogue 5+51, c’est aussi dans les années 2000 que le travail des organisations internationales sur ce thème s’est développé, notamment avec le développement des activités du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et de l’OIM. Cette présence a familiarisé les fonctionnaires des différentes administrations marocaines à différentes argumentations internationales. Celles-ci ont permis le renforcement des revendications pour une approche qui ne soit pas uniquement sécuritaire, notamment à travers l’usage d’un vocabulaire « international », centré sur la défense des droits des migrants, sur le lien migrations-développement, et sur une approche régionale et internationale. L’organisation internationale la plus visible dans le domaine des migrations au Maroc dans les années 2000 a été le HCR. Non seulement son activité était liée aux très médiatisés « migrants subsahariens », mais il a aussi été contesté en tant qu’exécutant de la politique européenne d’externalisation de l’asile. Encadré 8 – Le HCR au Maroc Le HCR était présent au Maroc depuis 1959, principalement pour des réfugiés algériens, et sur la base d’un dahir de 1957 sur la reconnaissance des réfugiés. A partir de 1965, cette présence se concrétise par la création d’une délégation honoraire officielle2 composée d’un « simple délégué honoraire, notable marocain, peu spécialisé dans le domaine de l’asile et des réfugiés et [d’]un assistant réalisant le travail administratif d’information du siège international à Genève et de suivi des 272 réfugiés reconnus par le HCR au Maroc ». Cette présence était informelle, c’est-à-dire que le HCR ne disposait pas d’un accord de siège avec le Maroc, puisque la législation locale prévoyait la mise en place d’un droit d’asile depuis la ratification de la Convention de Genève en 1956. Le bureau, installé à Casablanca, est alors peu sollicité. En novembre 2004, le délégué honoraire est remercié et la délégation est réinstallée à Rabat, dans une villa cossue louée par le PNUD (Valluy 2007b). Le HCR commence alors un travail différent, avec des demandeurs d’asile d’origine essentiellement subsaharienne, mais de façon informelle, toujours sans accord de siège, ce qui créé des tensions avec les autorités marocaines, étant donné la visibilité médiatique de ces migrants (Wunderlich 2009, 149‑150). Un accord de siège est conclu en 2007, qui permet au HCR de travailler, a priori, en collaboration avec les autorités marocaines, rassurées par l’adaptation des récépissés délivrés aux demandeurs d’asile qui doit permettre d’éviter la fraude et les « faux demandeurs ». Malgré cela, les tensions entre le HCR et le gouvernement marocain persistent, d’autant plus que la présence même du HCR porte une accusation implicite envers le gouvernement marocain, dont la politique d’asile est inexistante. 1
Entretien n°1, Personne ayant travaillé au Ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle et au Bureau international du travail à Rabat, Rabat, 11 octobre 2009.
2
Entretien n°8, Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Rabat, 27 octobre 2009.
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Comme le montre bien Jérôme Valluy (2007b; 2007a), le HCR a participé à la genèse de l’externalisation de l’asile que l’UE tente de mettre en place et, le renouvellement de sa présence au Maroc ainsi que le travail qu’il mène à Rabat, ont bénéficié de financements européens. Son travail peut donc être analysé comme un élément de la politique européenne d’externalisation de l’asile et du contrôle des migrations. La position du HCR est cependant ambigüe, car le discours mis en avant est celui d’une défense des droits des migrants. Malgré le discours de défense des droits de l’Homme mis en avant par le HCR, cette ambiguïté est dénoncée par des associations d’aide aux migrants au Maroc, qui accusent l’organisation de faire le jeu du contrôle des migrants sans réellement aider à améliorer le statut des réfugiés et des demandeurs d’asile1. Quant à l’OIM, elle met plutôt en avant un discours sur la nécessité d’une approche régionale et internationale des questions migratoires. Le Maroc est membre de cette organisation intergouvernementale depuis 1998, et l’OIM est présente dans ce pays depuis 2001, mais essentiellement à travers des actions menées dans le cadre des ministères nationaux (Wunderlich 2009, 150‑151), comme le ministère des Droits de l’Homme. En 2006, un accord de siège est conclu, et l’OIM commence à développer un programme d’activités plus conséquent, autour de trois axes. Un chargé de programme évoque ainsi les activités de l’OIM sur place : [un axe conerne] la prévention des migrations irrégulières, des Marocains et des migrants de transit : avec l’Entraide nationale, le Ministère du développement social, de la famille et de la solidarité, dans la région de Nador, Beni Mellal, Khribga, on a développé des services pour les jeunes. Un [autre] axe pour les ressortissants légaux du Maroc déjà à l’étranger. Et enfin, un axe pour le renforcement institutionnel sur le thème des migrations.2 Le choix des actions de l’OIM résulte avant tout de sa logique de fonctionnement budgétaire par projet. La participation du gouvernement marocain peut expliquer le deuxième axe, celui des ressortissants marocains à l’étranger, puisqu’il s’agit de favoriser les investissements de ces migrants au Maroc. Cet objectif s’intègre aussi parfaitement aux programmes d’aide au développement des pays dits de destination comme la France, qui cherchent à mobiliser des capitaux à travers les transferts d’argent des migrants. Enfin, l’axe de renforcement
1 2
Entretien n°8, Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Rabat, 27 octobre 2009. Entretien n°3, Mission de l’Organisation internationale des migrations, Rabat, 21 octobre 2009.
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institutionnel satisfait à la fois les États membres de l’organisation, et les interlocuteurs internationaux de l’OIM, qui travaillent régulièrement avec des organisations internationales. Il s’agit en effet de promouvoir la formation de fonctionnaires spécialisés dans les migrations au sein des administrations marocaines, ainsi que de promouvoir la participation des Marocains à des dialogues internationaux. Par ailleurs, une grande partie de l’activité de l’OIM au Maroc a été consacrée à un programme d’aide au retour volontaire des migrants subsahariens financé par différents pays européens (Allemagne, Royaume-Uni, Belgique, Espagne, Italie, Norvège, Pays-Bas, Suisse) ainsi que par la Commission européenne. Ce programme a donné lieu au rapatriement de 2994 migrants en situation irrégulière entre fin 2005 et avril 2010. Ce programme est remis en cause en 2012-2013 par manque de financement. Un programme parallèle participe au retour volontaire de Marocains dans leur pays, il a concerné 267 personnes entre 2007 et 20121. Comme dans d’autres pays (Geiger 2010), l’organisation agit en tant qu’émissaire de l’UE, mais parvient à la fois à se présenter comme la défenseure des intérêts de l’État dans lequel elle agit et à promouvoir sa conception auprès de l’Union européenne et de la Commission. Le vocabulaire mis en avant lors de notre entretien avec un membre du personnel de l’OIM est donc celui de la protection des migrants, de la « prévention », du lien entre migrations et développement2, bien que l’OIM ne gère directement aucune initiative sur ce thème au Maroc. C’est surtout le PNUD qui a largement élaboré sur ce thème, et qui a réaffirmé son action dans le domaine des migrations au Maroc à travers la mise en œuvre de l’Initiative conjointe pour le développement, un programme lancé en 2008 et financé par la Commission européenne ainsi que par l’Agence suisse pour le développement et la coopération. L’approche privilégiée dans cette initiative est une approche « par le bas », c’est-à-dire à travers le développement d’actions locales, qui étaient déjà le mode d’action privilégié du PNUD ; mais il s’agit aussi de « renforcer parmi les administrations locales sélectionnées les
1
SYSTÈME DES NATIONS UNIES AU MAROC (2009). Un projet novateur de retour volontaire. . http://www.un.org.ma/spip.php?article599 [consulté le 27 mai 2013] ; SYSTÈME DES NATIONS UNIES AU MAROC (2012). L’OIM au Maroc. http://www.un.org.ma/spip.php?article70 [consulté le 27 mai 2013] ; BENTALEB, Hassan (2013). « Rapatriement volontaire de 180 migrants clandestins. Le manque de fonds handicape le travail de l’OIM », Libération, 30 avril.
2
Entretien n°3, Mission de l’Organisation internationale des migrations, Rabat, 21 octobre 2009.
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capacités à rendre effectifs les liens entre migrations et développement »1 et de construire des réseaux de réflexion sur le sujet, y compris entre organisations internationales, puisque l’OIM, le HCR, l’OIT, ainsi que le Fonds des Nations Unies pour les populations et l’ONUFemmes participent au projet. Finalement, l’action des organisations internationales au Maroc dans le domaine des migrations a été largement favorisée par des financements de l’Union européenne. Ces organisations apparaissent donc comme des ressources de la politique européenne d’externalisation du contrôle des migrations. Cependant, ces organisations internationales ou intergouvernementales ont également recours à l’UE comme à une ressource parmi d’autres, notamment les financements directs par des États. Ceci explique le positionnement ambigu de ces organisations, entre défense des droits des migrants, actions « migrations et développement » et actions de prévention des migrations irrégulières ou d’aide au retour. Néanmoins, dans le cadre de leurs actions, ces organisations déploient un registre spécifique, que les acteurs administratifs et diplomatiques marocains redéployent pour la défense de la position marocaine dans le cadre des négociations avec l’UE.
2) Forums internationaux et légitimité Après avoir analysé la façon dont l’Union européenne pouvait constituer une ressource pour les acteurs marocains et donc focalisé notre analyse sur les enjeux institutionnels nationaux, nous avons montré l’existence d’une internationalisation des concurrences organisationnelles. On constate de façon similaire une dimension internationale dans les négociations sur les migrations, c’est-à-dire un rôle de l’implication internationale des acteurs marocains dans les arènes internationales. Celles-ci sont essentiellement constituées d’organisations internationales ou intergouvernementales qui ont développé des réflexions et des projets dans le domaine des migrations à partir des années 1990 et en particulier au cours des années 2000. Nous avons vu que le domaine institutionnel des politiques migratoires au Maroc s’était construit progressivement depuis les années 1960, avec la création de nombreuses institutions dans les années 1990. La difficulté à distinguer les attributions de certaines de ces organisations, la disparition puis réapparition de certaines institutions, le passage de certaines 1
«À propos de l’initiative », Migration for Development, 2012, http://www.migration4development.org/fr/content/%C3%A1-propos-linitiative [consulté le 27 mai 2013].
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prérogatives de l’une à l’autre : tous ces éléments indiquent l’existence de luttes concurrentielles. Dans ce contexte, le domaine international apparaît comme une ressource, d’une part pour des individus qui font carrière dans « les migrations » en se spécialisant et en mettant en avant leurs compétences et leurs connaissances dans ce domaine, d’autre part pour des organisations dont les membres cherchent à affirmer la légitimité. Nous verrons que ces deux aspects sont parfois difficiles à distinguer. En effet, les différents acteurs administratifs cherchent aussi à renforcer la légitimité de leur organisation pour renforcer leur position professionnelle et leurs perspectives de carrière. Leurs « stratégies internationales » (Dezalay et Garth 2011, 7) mêlent ainsi objectifs nationaux et internationaux. Nous envisagerons ici le rôle de l’internationalisation des acteurs marocains dans le domaine des migrations sous deux angles complémentaires. La participation de ces acteurs indique tout d’abord une contribution à la formulation des concepts mobilisés dans le cadre des organisations internationales sur les migrations et les politiques migratoires. D’autre part, cette participation permet aux différents acteurs d’acquérir des ressources discursives et symboliques qu’ils mobilisent ensuite dans le cadre de luttes concurrentielles nationales comme dans le cadre des négociations avec l’Union européenne. Ainsi, les différents forums internationaux de réflexion sur les migrations offrent aux acteurs marocains à la fois la possibilité de participer à l’élaboration des politiques internationales et l’occasion de s’approprier un vocabulaire spécifique, dans le registre des actions internationales.
Des experts nationaux dans les arènes internationales L’un de nos interlocuteurs, en charge de la réflexion générale sur les migrations au sein du ministère des Affaires étrangères et de la coopération (MAEC), tient par exemple à replacer l’action marocaine dans un cadre mondial. Il insiste sur la participation marocaine aux forums mondiaux dès le départ. Évoquant le Commission mondiale sur les migrations internationales, il indique ainsi, « en 2003, la Commission mondiale a réuni 19 experts, dont Madame Belarbi. Le Maroc en a fait partie »1. Aïcha Belarbi est effectivement l’une des 19 experts internationaux réunis par cette Commission. Bien qu’elle ne représente pas techniquement le Maroc en son sein, les origines géographiques des experts montre le souci 1
Entretien n°20, Direction des affaires consulaires et sociales, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 26 novembre 2009.
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de diversifier les membres de cette Commission. De plus, cette professeure de sociologie est aussi invitée en tant qu’ancienne secrétaire d’État à la coopération et ancienne ambassadrice du Maroc auprès de l’Union européenne1. La présence de cette experte est interprétée par notre interlocuteur comme une participation du Maroc à la Commission. Il s’agit ici autant d’une participation à la réflexion mondiale sur les migrations que d’une mise en visibilité de cette participation. L’implication des acteurs administratifs marocains dans les arènes internationales est ainsi perçue comme permettant la défense de leurs objectifs à l’échelle internationale et l’appropriation d’un vocabulaire international. On peut montrer qu’elle est ainsi l’un des lieux de la circulation des idées internationales. Cette participation passe par différents biais : la présence au sein des organisations internationales, donc aux différents forums ou commissions organisés ; mais aussi la collaboration avec des organisations internationales implantées au Maroc menant des projets liés aux migrations. Nous nous concentrerons ici sur deux cas : d’abord la participation d’acteurs marocains au Forum mondial sur les migrations et le développement, forum intergouvernemental créé en 2007 ; puis l’organisation par le système des Nations Unies au Maroc d’un « Groupe thématique migration », destiné à coordonner les différents acteurs des politiques migratoires marocaines et à susciter un dialogue interministériel et international. On retrouve la volonté de mettre en avant la participation à une réflexion mondiale chez certains des acteurs rencontrés. Par exemple au ministère de la Communauté marocaine résidant à l’étranger, où la participation d’un représentant du ministère au Forum mondial sur la migration et le développement à Athènes est mise en avant, ainsi que le projet marocain d’accueillir le Forum en 2012, qui, selon notre interlocuteur, « montre l’importance qu’accorde le Maroc à la politique migratoire »2. En réalité, la participation marocaine s’est révélée régulière mais variable, d’après les listes de participants présentes sur le site du Forum mondial. En 2007, lors du premier Forum à Bruxelles, un seul participant représente le Maroc : il s’agit de Youssef Amrani, alors directeur général des relations bilatérales au 1
GLOBAL COMMISSION ON INTERNATIONAL MIGRATION (2005). Migration in an interconnected world : new directions for action.
2
Entretien n°12, Ministère de la Communauté marocaine résidant à l’étranger, Rabat, 9 novembre 2009. Ce projet d’accueillir le Forum mondial est également mentionné au cours de l’entretien n°20 au ministère des Affaires étrangères. Cependant, le Maroc a retiré sa proposition en novembre 2010 (voir ROTHER, Stefan (2011). « Who would have guessed ? Mauritius will host 2012 GFMD », Gfmd2011, 19 septembre, http://gfmd2011.wordpress.com/2011/09/19/who-would-have-guessed-mauritius-will-host-2012-gfmd/ [consulté le 28 mai 2013]).
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ministère des Affaires étrangères et de la coopération, chargé de la coordination générale du dossier migrations dans ce ministère. En 2008, à Manille, cet ambassadeur est de nouveau présent, ainsi que quatre autres participants marocains du ministère des Affaires étrangères, du ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger (MRE) et de l’ANAPEC. En 2011, en Suisse, on retrouve des représentants des mêmes ministères, ainsi qu’un représentant du ministère de l’Intérieur. De plus, l’organisation du Forum s’est étoffée d’une série de réunions préparatoires, auxquelles participent également des acteurs marocains. Le Maroc a par exemple organisé en 2011, à Taroundant1, une réunion thématique sur la contribution des associations de migrants au développement. Le tableau ci-dessous permet de visualiser les acteurs gouvernementaux marocains qui ont participé à ce Forum. Il montre que le ministère des Affaires étrangères et le ministère chargé des MRE sont les plus présents dans ces réunions. Le ministère de l’Intérieur, malgré la création d’une Direction des migrations avec un observatoire des migrations, n’est représenté qu’une seule fois. De plus, ce tableau permet de voir que certains acteurs se spécialisent dans le suivi de ce processus de réflexion internationale : les cases marquées en gras indiquent les personnes qui ont participé plus d’une fois à un Forum mondial. Ceci révèle la spécialisation de certaines carrières, sur laquelle nous reviendrons plus loin. La participation des acteurs marocains à ce type de forums leur permet de promouvoir leurs approches. Le Maroc est en effet membre du groupe d’évaluation du Forum mondial, et organise aussi des réunions thématiques, en particulier sur les sujet de la participation des migrants au développement, les mobilités saisonnières, ou encore co-préside un groupe de travail ad hoc qui s’intéresse au rôle des processus consultatifs régionaux et des processus interrégionaux dans la connexion migration-développement2. Dans le même temps, cette participation, et encore plus la participation répétée de certains, assure à la fois l’inscription des actions marocaines dans un registre international ou « global », la comparaison d’expérience et la mise en place de réseaux internationaux.
1
Une ville du sud-ouest du Maroc.
2
Ibid.
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Bruxelles 2007 Manille 2008
Athènes 2009
Mexico 2010 Suisse 2011
Maurice 2012
Noms des participant-e-s Youssef AMRANI Youssef AMRANI Mohammed BENJABER Kamal HAFID Abdellatif LFARAKH Ghita ZOUGGARI Ali EL MHAMDI Azzouz SAMRI Mohammed ELTRAB Mohammed BERNOUSSI Mohammed EL HADI Azzouz SAMRI Autres ? n.d. Mohammed BERNOUSSI Omar HILALE Aziz JILALI (SGHIR) Talal JENNANE Mohammed BERNOUSSI Mohammed BENJABER Omar HILALE +1 Anonyme ? n.d.
Poste et institution Secrétaire général, MAEC Secrétaire général, MAEC Chef de service, MAEC Directeur général, ANAPEC Statisticien Chargée d’études, Ministère des MRE Directeur, Division des affaires consulaires et sociales (DACS), MAEC Mission permanente à Genève, MAEC Chef de division, Ministère des MRE Secrétaire général, Ministère des MRE Ambassadeur à Athènes Mission permanente à Genève, MAEC n.d. Secrétaire général, Ministère des MRE Représentant permanent à Genève Chef de division, Ministère de l’Intérieur Chef de service, MAEC Secrétaire général, Ministère des MRE Chef de division, DACS, MAEC Représentant permanent à Genève n.d.
Tableau 16- Participant-e-s marocain-e-s aux différents Forums mondiaux sur la migration et le développement (2007-2012)1 Cette familiarisation des acteurs marocains avec une approche « internationale » des migrations a également lieu au Maroc même. Nous avons montré plus haut comment la présence des organisations internationales spécialisées dans le travail sur les migrations s’est renforcée au cours des années 2000. Or les interactions avec les acteurs administratifs marocains sont nombreuses dans le cadre des projets menés par ces organisations internationales. De plus, en décembre 2006, le système des Nations Unies au Maroc a créé un « Groupe thématique migration », sous la présidence du HCR et dont le PNUD assure le secrétariat. L’objectif général pour ce groupe est de mettre en œuvre « une meilleure gestion des flux migratoires respectueuse des droits humains », à travers la mise en place d’un « forum de discussion, [d’]échange d’information et d’analyse », l’« élaboration d’un cadre
1
Tableau réalisé grâce à divers documents de présentation des différentes éditions du Forum, disponibles sur le site internet : « Documents Library », Global Forum on Migration and Development, n.d. https://www.gfmd.org/en/docs [consulté le 28 mai 2013]. La liste des participants pour le Forum tenu à Mexico en 2010 n’est pas disponible en ligne. On ne trouve mention, dans les autres documents du Forum pour cette année-là, que d’un seul représentant marocain, membre de la mission permanente à Genève.
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stratégique » et une « programmation conjointe » entre partenaires institutionnels et membres de la société civile1. Sous la houlette de ce Groupe thématique, le représentant du HCR au Maroc entreprend de faire le tour de l’ensemble des ministères marocains impliqués dans les questions migratoires, y compris de certains ministères qui n’y sont pas encore impliqués. En effet, en plus des organisations internationales du système des Nations Unies2, les ministères de l’Intérieur, des Affaires étrangères et le ministère chargé des MRE participent au Groupe thématique, ainsi que des ministères qui apparaissent moins dans le reste de notre travail, car leur action ne concerne pas une dimension internationale des migrations, mais plutôt la situation des migrants au Maroc, comme le ministère de la Justice, ou encore le ministère de l’Éducation nationale ou celui de la Santé3. Il y a donc un entreprenariat actif des acteurs internationaux pour tenter de rassembler leurs interlocuteurs dans un seul cadre. Ceci offre aux acteurs des administrations marocaines d’autres opportunités d’argumentation en faveur de leurs objectifs. De plus, la participation à ce Groupe thématique constitue un autre lieu d’appropriation par les acteurs marocains du registre international, tout en leur permettant d’influencer les orientations des organisations internationales. On retrouve d’ailleurs certains des participants au Forum mondial dans ce Groupe thématique, comme Youssef Amrani, secrétaire général du MAEC qui intervient lors d’une réunion en 2008, ou encore Aziz Jilali Sghir, qui est le représentant du ministère de l’Intérieur pour les aspects internationaux des migrations. On peut donc voir les organisations internationales comme les exécutantes de la politique européenne d’externalisation des contrôles migratoires, mais ces acteurs de la mise en œuvre ne sont pas neutres, elles constituent aussi des arènes de participation pour les administrations marocaines, ainsi que des lieux de familiarisation à « l’international », à la fois par la création de réseaux et par la familiarisation avec une forme d’argumentation propre
1
Cadre Stratégique « migrations » du GROUPE THÉMATIQUE MIGRATION DU SYSTÈME DES NATIONS UNIES AU MAROC (2008). Genèse, objectifs, activités, présentation powerpoint à l’atelier de réflexion MAEC-SNU, Rabat, 24 décembre. Document remis lors de l’entretien n°8, Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Rabat, 27 octobre 2009.
2
Les organisations qui participent sont les suivantes : PNUD, HCR, BIT, UNFPA, UNICEF, UNIFEM, CEA (Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique), ONU Sida, OIM.
3
Les ministères participant sont les suivants : MAEC, Ministère de l’Intérieur, Ministère de la Justice, Ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle, Ministère de la Santé, Ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de la formation des cadres et de la recherche scientifique, Ministère du Développement social, de la famille et de la solidarité, Ministère chargé des Marocains résidents à l’étranger, Conseil de la Communauté marocaine à l’étranger.
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aux activités des organisations internationales. La position diplomatique marocaine face à l’UE ne peut être expliquée sans tenir compte de cette complexification d’un champ des migrations en construction au Maroc. Dans ce cadre, l’arène internationale apparaît comme une source de légitimation aussi bien nationale, entre les différentes institutions, qu’internationale, dans les négociations. Légitimité internationale, enjeux administratifs nationaux Il s’agit ici d’analyser la façon dont l’implication dans des arènes internationales fournit aux acteurs des ressources qu’ils peuvent utiliser dans le cadre de luttes concurrentielles nationales entre différentes organisations étatiques. Ces luttes sont caractérisées par des stratégies de carrières individuelles, mais aussi par des concurrences entre les acteurs de différentes organisations pour la répartition de certaines compétences, qu’il peut s’avérer difficile d’isoler. En effet, certains individus se spécialisent dans les politiques migratoires et deviennent ainsi des « experts » au sein de leur organisation. Comme pour les universitaires, l’accès à l’international peut constituer une ressource importante pour le parcours de certains acteurs, qui mènent souvent une grande partie de leur carrière dans une même institution. Plusieurs de nos interlocuteurs mentionnent ainsi des études à l’étranger, avant même que la question ne leur soit posée : en France, le plus souvent, mais aussi aux États-Unis ou au Canada1. La participation à des événements internationaux peut également appuyer des stratégies individuelles – au-delà du bénéfice du voyage défrayé et des per diems accordés pour tout déplacement. Elle signale aussi, même si de nombreuses interventions peuvent se faire en français étant donné la présence de participants francophones, une maîtrise de la langue anglaise. Si celle-ci peut sembler évidente chez les diplomates, elle ne l’est pas toujours dans d’autres organisations, surtout dans les générations les plus âgées, dans un contexte où la langue des élites a longtemps été le français. La participation à un Forum mondial donne une légitimité au sein de l’institution et à l’extérieur. Elle est d’ailleurs mentionnée au cours des entretiens, comme preuve d’une expertise reconnue à l’international. Le cas de la participation à ce Forum est révélateur. On
1
Entretien n°1, Personne ayant travaillé au Ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle et au Bureau international du travail à Rabat, Rabat, 11 octobre 2009 ; entretien n°2, Direction de l’emploi, Ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle, Rabat, 15 octobre 2009 ; entretien n°62, Direction européenne, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 8 juin 2012.
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observe ainsi, dans le tableau plus haut, que si la Mission permanente à Genève semble assurer le suivi du dossier, certaines personnes reviennent, comme Mohammed Benjaber au ministère des Affaires étrangères, qui participe de nouveau au Forum mondial malgré un changement de poste, ou encore Mohammed Bernoussi, secrétaire général du ministère chargé des MRE entre 2009 et 2013, qui y a participé au moins trois fois. Ces individus deviennent ensuite, au sein de leur organisation, des spécialistes de la question « migrations et développement » à l’international. Ces « stratégies internationales » individuelles sont toutefois difficiles à distinguer de « stratégies internationales » institutionnelles. En effet, ces parcours recoupent les parcours d’institutions contestées, en voie de réhabilitation, ou bien qui ont gagné relativement récemment certaines prérogatives. C’est le cas par exemple de la Division des affaires consulaires et sociale (DACS) : nous avons vu plus haut que la création du ministère de la Communauté marocaine résidant à l’étranger avait été perçue comme une menace pour cette division du ministère des Affaires étrangères1 ; mais son rôle est également difficile à affirmer au sein même du MAEC. En effet, bien qu’en charge de la gestion des relations avec les Marocains à l’étranger et de la négociation des aspects « consulaires et sociaux » avec les autorités des différents pays d’installation, la DACS n’avait nullement comme rôle la réflexion stratégique et la coordination des relations internationales sur les migrations. Or, à partir de 2009, le diplomate officieusement chargé de cette réflexion directement auprès du secrétaire général du ministère est muté en consulat. C’est à cette période que des mutations sont opérées à la DACS. Selon un diplomate d’une autre direction du MAEC, à ce momentlà : Tout le dossier migration est parti à la DACS. (…) La migration fait partie des questions traitées dans un cadre plus global. Avant, le secrétaire général suivait la Conférence de Rabat, sa mise en œuvre etc, mais daba [maintenant] tout a été confié à la DACS, aussi pour le dialogue euro-africain.2 Ce changement correspond donc à un repositionnement qui conduit d’une part à attribuer le « dossier migration » à une direction particulière, d’autre part à revaloriser le travail de la DACS, qui se concentrait sinon sur des questions consulaires peu valorisées par rapport à la dimension stratégique de la diplomatie. Ainsi, selon l’intéressé au sein de cette direction :
1
Voir le chapitre 4.
2
Entretien n°17, Direction de l’UE, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 19 novembre 2009.
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« ma présence ici souligne la volonté de rassembler ces volets. La DACS est maintenant l’interlocuteur des autres départements sur les migrations »1. On voit bien la volonté de ce diplomate de se positionner, et de positionner la DACS comme acteur central des politiques migratoires internationales marocaines, au sein du MAEC, mentionné avant cette phrase, mais aussi par rapport au ministère de l’Intérieur, mentionné juste après et enfin par rapport au ministère chargé des MRE. Or, au début de cet entretien, notre interlocuteur avait longuement évoqué la dimension « globale » et internationale des migrations et son expérience à la mission permanente du Maroc à Genève ainsi qu’au service des questions globales au MAEC. L’expérience auprès des organisations internationales apparaît ainsi comme une ressource pour légitimer la centralisation de la réflexion stratégique du MAEC sur les migrations au sein de la DACS ainsi que la personne qui occupe le poste. De même, le positionnement international sur la question migrations et développement est devenu une ressource importante dans le jeu interne. Lorsque le HCR, qui préside le « Groupe de travail migrations » examiné plus haut, engage une recension « des propositions des partenaires nationaux relatives au cadre stratégique du groupe de travail » en 2008, seuls le MAEC et le ministère de la Communauté marocaine résidant à l’étranger évoquent pour l’un le « renforcement des actions de co-développement dans les régions ou pays d’origine », pour l’autre l’« intégration de la dimension migratoire dans les politiques de développement économique et social » et l’« encouragement de l’apport (financier et savoir faire) de la diaspora marocaine ». Dans ce document, si le ministère de l’Emploi évoque le renforcement des capacités de l’ANAPEC, aucune mention n’est faite du lien migrations-développement2. Pourtant, dans une présentation Powerpoint donnée à une réunion préparatoire du Forum mondial migrations et développement, le directeur du placement à l’international de l’ANAPEC évoque cette question3. Outre le fait qu’il est étonnant que ce soit un représentant de l’ANAPEC qui soit invité ou envoyé à cette réunion sur ce sujet, ce document est révélateur de la logique institutionnelle qui sous-tend la participation à ces événements
1
Entretien n°20, Direction des affaires consulaires et sociales, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 26 novembre 2009.
2
« Tableau récapitulatif des propositions des partenaires nationaux relatives au cadre stratégique du groupe de travail migration (GTM) », novembre 2008 (document interne transmis par un acteur du HCR).
3
TAZI, Abdelali (2012). « ANAPEC » presented at the institutional perspectives on migration mainstreaming. GFMD preparatory workshop on « Factoring migration into development planning », Maurice, 13 juin (Annexe 18).
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internationaux. Tout d’abord par la prolifération des logos institutionnels : celui de l’ANAPEC, évidemment, mais aussi ceux du Forum mondial et de la Confédération suisse, qui a co-organisé la réunion. La présentation entend dès le départ s’atteler à la question posée pour cette réunion, et annonce que « le Maroc est engagé sur des questions de développement et de migration ». Il s’agit ensuite de montrer que « l’ANAPEC est au cœur du programme national de développement », puis de mettre en scène la centralité de l’ANAPEC dans les politiques migratoires. En effet, dans un schéma qui présente les différentes institutions en charge des migrations et leurs attributions, l’ANAPEC apparaît au centre. Elle est ainsi en lien avec toutes les autres institutions (MAEC, ministère de la Communauté marocaine résidant à l’étranger, Fondation Hassan II, ministère de l’Emploi). Mais surtout, elle passe, par la vertu d’une représentation graphique, du statut d’institution périphérique, ou du moins dépendante du ministère de l’Emploi, à celui d’institution centrale dans le champ marocain. La présentation se poursuit par un questionnement sur l’implication de la diaspora dans les projets de développement, rôle normalement dévolu à la Fondation Hassan II ou au ministère chargé des MRE. Enfin, la dernière partie de la présentation est intitulée, « quel est l’avantage comparatif de notre institution vis-à-vis des autres parties prenantes nationales ? ». Il s’agit ici de promouvoir l’ANAPEC par rapport à d’autres institutions marocaines dans les relations avec l’extérieur. Pour conclure, l’implication des acteurs marocains dans les arènes internationales de discussions sur les migrations, soit par la participation à des forums spécialisés, soit par la collaboration avec des organisations sur place, fournit des ressources internationales – discursives et symboliques – qui peuvent servir dans un contexte national où la concurrence entre les organisations en charge des migrations est forte. Ces ressources internationales jouent un rôle essentiel dans le développement d’une argumentation « marocaine » sur les migrations face à l’Union européenne.
3) Les ressources internationales dans les négociations avec l’UE Depuis l’adoption de l’approche globale en 2005, la dimension « globale » ou mondiale est également plus exploitée par les acteurs marocains dans le cadre de leurs relations avec l’UE. Cela est visible lorsque des projets aux financements « mixtes » sont mis en œuvre par des organisations internationales, par exemple l’Initiative conjointe, évoquée plus haut. Mais cela est surtout visible dans les positionnements des acteurs, rencontrés entre 2009 et 2012,
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sur l’approche globale. On peut en effet constater sur cette période relativement courte certaines constantes et certaines évolutions. La première constante est la référence à l’insertion du système marocain dans un système mondial et la référence au travail des organisations internationales. L’un des représentants du ministère de l’Intérieur sur les questions migratoires affirme ainsi lors de notre entretien en 2009 : « On développe des pratiques, une expérience, qu’on partage dans le cadre du Dialogue 5+5 (…), du Dialogue migration des Nations unies. »1 On voit ici que les organisations internationales sont liées à un partage d’expériences et de pratiques. De même, au MAEC, outre la Commission mondiale, le travail de plusieurs organisations internationales est évoqué. Deux arènes différentes sont mentionnées : le Dialogue de haut niveau des Nations Unies, et le Forum mondial migrations et développement. Et la participation marocaine est soulignée, soit à travers l’envoi d’une délégation, soit à travers la mention du projet d’accueil d’un Forum mondial2, rappelée également par un interlocuteur au Ministère de la Communauté marocaine résidant à l’étranger3. Les références au cadre international passent aussi par la mention de conventions internationales ratifiées par le Maroc. Par exemple le membre de la Direction des migrations au ministère de l’Intérieur revient sur le protocole additionnel de la convention de Palerme contre le trafic des enfants.4 Il s’agit encore ici de montrer les progrès réalisés pas le Maroc par rapport à des normes internationales reconnues de tous. De même, en 2012, un ancien du ministère de l’Emploi qui s’occupe désormais du suivi des négociations pour le Conseil consultatif des Marocains à l’étranger (CCME), donne l’adhésion aux conventions internationales comme l’une des raisons pour lesquelles « le Maroc est devenu fort en négociations » : parce qu’il a su harmoniser son cadre avec les conventions internationales. C’est ces conventions qui le bloquaient. Mais elles sont ratifiées. Quand les Européens [parlent de] droit d’asile, on a pu leur dire : « On l’a ! Il est dans la Constitution, on travaille dessus, il ne manque plus qu’une structure ».5
1
Entretien n°21, Direction des migrations, Ministère de l’Intérieur, Rabat, 26 novembre 2009.
2
Entretien n°20, Direction des affaires consulaires et sociales, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 26 novembre 2009.
3
Cité plus haut. Le Maroc retire cette proposition en 2010.
4
Entretien n°21, Direction des migrations, Ministère de l’Intérieur, Rabat, 26 novembre 2009.
5
Entretien n°65, Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, Rabat, 10 juin 2012.
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Ici, la participation aux conventions internationales, alliée avec une nouvelle Constitution, adoptée en 2011 à la suite des mouvements de contestation1, est évoquée directement comme une source de légitimité face aux Européens, et une ressource dans les négociations sur les migrations. Un deuxième élément constant de recours au travail des organisations internationales dans les discours des acteurs marocains est la fréquence des références aux droits de l’Homme et à l’asile, liées à la question des conventions internationales. Bien que l’asile soit dans les documents l’un des volets identifiés dans le cadre de l’approche globale, il disparaît fréquemment des discours des acteurs, qui se concentrent sur les volets migration régulière, migration irrégulière, migration et développement. Malgré l’adoption généralisée de ce triptyque, les acteurs Marocains font beaucoup plus souvent référence aux droits de l’Homme. Le sujet est évoqué par rapport au traitement des migrants par les pays européens, afin d’expliquer le refus de signer l’accord de réadmission par exemple : « il faudrait que ça se fasse dans le respect des droits de l’Homme »2, déclare ainsi le membre de la direction des migrations au ministère de l’Intérieur, pourtant peu réputé pour son respect de ces droits. Le diplomate en charge du dossier migrations à Bruxelles en 2012 évoque également à trois reprises la nécessité de respecter les droits de l’Homme dans la gestion des migrations3. Il s’agit de répondre indirectement aux critiques subies par les autorités marocaines sur le traitement des demandeurs d’asile et des réfugiés, en particulier à la suite des événements de Ceuta et Melilla en 2005, mais aussi à la suite de l’extension du travail du HCR. D’abord en légitimant les réticences marocaines sur la mise en place d’un statut de réfugié (qui doit respecter la « souveraineté marocaine »4), puis en 2012, en affirmant que le droit d’asile est désormais inscrit dans la Constitution5. Ces références aux droits de l’Homme et à l’asile sont la conséquence du travail du HCR, financé par l’Union européenne, au Maroc. Celui-ci a agit comme une contrainte sur le gouvernement marocain mais il a aussi, dans le même temps, renforcé l’argumentation des négociateurs marocains, qui citaient déjà leurs participations à des conventions internationales auparavant, mais qui peuvent désormais arguer de leur respect 1
Notamment le « Mouvement du 20 février ».
2
Entretien n°21, Direction des migrations, Ministère de l’Intérieur, Rabat, 26 novembre 2009.
3
Entretien n°52, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 6 février 2012.
4
Ibid.
5
Article 30 de la Constitution marocaine adoptée en 2011.
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du droit d’asile pour demander une plus grande protection des droits des migrants par l’Union européenne. Quant aux changements observés dans l’usage des références internationales face à l’UE, ils sont aussi liés à une transformation progressive, à partir de 2009, des profils des diplomates en charge des questions migratoires qui sont les interfaces directes avec Bruxelles sur ces questions. Deux cas révèlent en effet le remplacement de profils « consulaires » par des profils plus « genevois ». L’un est en poste à la Direction des affaires consulaires et sociales, dans une division des « études et conventions », dont les attributions ont été élargies après le départ en consulat de la personne chargée du suivi général de la question des migrations auprès du secrétaire général du MAEC. Ce diplomate, rencontré informellement peu avant son départ en 2009, travaillait ainsi sur la question migratoire sous la responsabilité du secrétaire général du MAEC Youssef Amrani1. Il avait fait carrière dans l’administration marocaine, n’accédant au ministère des Affaires étrangères qu’assez tardivement. Il avait ensuite occupé un poste en ambassade, puis un desk régional. Le diplomate nommé en 2009 au nouveau poste de la DACS est quant à lui passé par la Mission permanente à Genève, puis par le service Questions globales à la direction des organisations internationales. De même, à Bruxelles, le conseiller politique en charge des migrations à la Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne rencontré en 2009 avait auparavant occupé des postes en consulat. S’il était passé par la division de l’UE avant d’occuper ce poste à Bruxelles, son expérience reste plutôt consulaire et plutôt centrée sur les pays européens. En revanche, le diplomate qui le remplace n’a de cesse d’évoquer son expérience de travail « aux Nations Unies », dans un programme local au Maroc. Il s’agit de deux postes d’importance intermédiaire dans la hiérarchie diplomatique et non de postes hautement visibles comme les postes d’Ambassadeur, mais cette évolution révèle une association accrue au sein du MAEC de la question des migrations avec le travail des organisations internationales, plutôt qu’avec les relations bilatérales ou simplement les relations avec l’Union européenne. L’usage de la référence aux organisations internationales fait par ces diplomates est également révélateur, puisqu’il s’agit autant, dans leur cas, de légitimer les actions du gouvernement marocain que de critiquer l’Union européenne. Ainsi, le diplomate de la 1
Le parcours de Youssef Amrani a d’ailleurs également un profil « bilatéral », puisqu’il a été consul général à Barcelone dans les années 1990 avant d’être ambassadeur dans une variété de pays d’Amérique latine et centrale, puis d’occuper le poste de directeur général des relations bilatérales au MAEC de 2003 à 2008 et celui de secrétaire général du ministère entre 2008 et 2011.
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DACS, en charge du suivi des conventions internationales, mentionne la ratification par le Maroc d’une convention de l’Organisation internationale du travail : Il y a la convention sur les droits des travailleurs migrants de 1990, de l’ONU, suivie par le Comité des droits de l’Homme, qui distingue entre irréguliers et réguliers. On était le deuxième pays à la ratifier, en 1993. Peu de pays l’avaient ratifiée au départ. Maintenant il y en a environ 40, mais pas les pays d’accueil en Europe.1 Cette convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, entrée en vigueur en 2003 après avoir atteint le seuil de vingt ratifications, a en effet surtout été acceptée par des pays d’émigration. Il s’agit donc par cette phrase de dénoncer indirectement une hypocrisie des pays d’accueil, dont les gouvernements insistent sur le respect des droits de l’Homme dans leurs relations avec le Maroc dans d’autres domaines, mais qui ne s’attachent guère autant à la question des droits humains lorsqu’il s’agit de migrants. On retrouve cette critique chez d’autres diplomates au sein de la Direction des affaires consulaires et sociales : Si tu vas parler à des Européens, ils te disent que le Maroc ne respecte pas ses obligations etc. Mais eux ils refoulent les personnes sans document directement, à Algésiras. Les pays d’accueil essayent souvent d’expulser les migrants avec le moindre coût possible. Mais c’est pas correct.2 Cette fois-ci, la dénonciation du double discours des « Européens » – en l’occurence les autorités espagnoles qui s’occupent de la surveillance des frontières, mais aussi les autres États membres et de l’UE, via la participation de l’agence Frontex à cette surveillance – dans leur usage de la question des droits de l’Homme est dénoncée plus directement et sert à légitimer les actions des autorités marocaines. Cette dénonciation est également à rattacher aux revendications liées à un sentiment d’injustice et examinées dans le chapitre 5 : l’application d’un double standard par « les Européens », qui jugent les actions gouvernementales marocaines plus durement que leurs propres actions, relèverait en ce sens d’une injustice et d’une offense. Ce point de vue critique assimile dans certains cas organisations internationales et Union européenne, comme lorsque le conseiller politique à Bruxelles dénonce les deux
1
Entretien n°20, Direction des affaires consulaires et sociales, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 26 novembre 2009.
2
Entretien n°13, Direction des affaires consulaires et sociales, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 9 novembre 2009.
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systèmes : « vous savez, j’ai travaillé aux Nations Unies : les projets, les chantiers, sont le fondement de leur propre existence »1. Au moment de l’entretien, il s’agit de dénoncer l’écart entre les discours européens sur les migrations, le nombre de communications et de nouveaux projets et une réalité jugée décevante – d’autant plus qu’étant donné le récent rejet par le Parlement européen du renouvellement de l’accord de pêche, ce diplomate adopte une posture sceptique vis-à-vis des propositions de la Commission. La mention d’une expérience auprès des Nations Unies sert donc surtout à exprimer une familiarité avec le travail de coopération internationale. Plus loin au cours du même entretien, ce conseiller utilise la référence aux Nations Unies de façon à critiquer les politiques européennes : Rien n’est précis, il n’y a pas de propositions concrètes, pas de calendrier. Pas de mécanisme d’appropriation, et il y a aussi la question des capacités d’absorption. (…) Il faudrait intégrer le genre, les droits de l’Homme, les migrations, comme ils font aux Nations Unies, mais l’UE ne le fait pas.2 La dénonciation de ce qui est décrit comme une inconséquence de la Commission, incapable de présenter des éléments « concrets » quant au « partenariat pour la mobilité », proposé au Maroc en 2011 et sur lequel nous reviendrons dans le dernier chapitre de cette thèse. Cette dénonciation est suivie d’une référence à des concepts issus de la gestion et utilisés entre autres par les organisations internationales comme la Banque mondiale dans le cadre de la mise en place de projets et de financements pour désigner les relations entre instigateurs d’un projet et réception locale : « mécanisme d’appropriation », « capacités d’absorption ». De même, l’idée que les migrations, comme le genre ou d’autre thématiques, devraient être « intégrées » renvoie à l’idée de « mainstreaming », c’est-à-dire l’idée de tenir compte de la dimension migratoire dans la gestion de projets sur d’autres sujets. Il s’agit effectivement d’une réflexion menée dans le cadre des Nations Unies : le Global migration group a par exemple publié en 2010, avec l’OIM, un manuel intitulé « Mainstreaming migration into development planning: a handbook for policy-makers and practitioners »3. La référence aux organisations internationales apparaît donc comme un moyen de critiquer des politiques européennes jugées insuffisantes. La participation marocaine au travail de réflexion 1
Entretien n°52, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 6 février 2012.
2
Ibid.
3
GLOBAL MIGRATION GROUP (2010). Mainstreaming migration into development planning: a handbook for policy-makers and practitioners. http://publications.iom.int/bookstore/index.php?main_page=product_info&products_id=661 [consulté le 1er juin 2013].
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international sur les migrations permet donc de mobiliser des ressources cognitives, c’est-àdire des concepts sur des façons de faire ou d’aborder la question, autant que des ressources de légitimation. Pour conclure, il apparaît que l’Union européenne peut être utilisée comme une ressource stratégique et de légitimation pour des enjeux nationaux au Maroc, mais aussi que ces ressources ne sont pas les seules à prendre en compte pour comprendre la définition des politiques migratoires marocaines et leur évolution. La présence des organisations internationales dans le champ marocain des politiques migratoires, bien que largement liée aux politiques européennes, fournit des arènes supplémentaires pour faire avancer leurs conceptions des politiques migratoires, comme le montre la participation d’acteurs administratifs et politiques marocains à diverses initiatives. De plus, cette participation leur fournit également des ressources, essentiellement cognitives et de légitimation, dont ils peuvent faire usage dans le cadre de concurrences internes au sein du champ marocain des politiques migratoires, mais aussi dans les négociations et les prises de position face à l’Union européenne. Or, ces prises de position sont liées à une argumentation qui tient compte de préoccupations non seulement internes et en lien avec les politiques européennes, comme nous venons de le voir, mais aussi avec une préoccupation régionale ou africaine présente dans le discours des diplomates et d’autres fonctionnaires marocains.
C - Politiques migratoires et dimension régionale Les deux premières parties de ce chapitre sont consacrées à l’usage par les acteurs administratifs marocains des ressources – financières, mais surtout cognitives et de légitimation – fournies par les institutions européennes et les organisations internationales. Nous avons montré comment les ressources fournies par l’Union européenne dans le cadre des programmes sur les migrations pouvaient être mobilisées par les acteurs marocains en fonction de logiques organisationnelles et nationales – et non nécessairement liés à une conception des politiques migratoires en lien avec l’Europe. Nous avons aussi vu le rôle des organisations internationales dans la construction d’une argumentation face aux acteurs européens. Il s’agit ici de mettre en perspective la politique européenne du Maroc par un déplacement de la focale. Ce déplacement permet d’observer l’insertion marocaine dans un cadre régional et africain. Comme le soulignent Nizar Messari et Michael Willis (2003, 152) :
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Au-delà des intérêts économiques et sociaux qui lient le Maroc à l’Europe, le Maroc se définit aussi comme appartenant aux mondes arabe, islamique et africain. Ces différentes dimensions identitaires ont toutes été exprimées dans des aspects de la politique étrangère marocaine. Cependant, les auteurs soulignent que ces dimensions sont insuffisantes pour comprendre la politique étrangère marocaine. Ils identifient deux dimensions supplémentaires : une dimension magrébine (liée à l’idée de Grand Maghreb) et une dimension états-unienne. Dans nos entretiens et de nos sources, nous avons surtout identifié deux de ces aspects : la dimension africaine et la dimension maghrébine. Celles-ci transparaissent notamment dans l’idée du Maroc comme leader régional. Il ne s’agit pas ici d’étudier la façon dont les acteurs administratifs et diplomatiques marocains utilisent le vocabulaire global et régional pour mettre en avant cette revendication. Nous verrons d’abord comment le « processus de Rabat », une initiative de coopération « euro-africain » lancée en 2006, répond partiellement aux préoccupations africaines de la diplomatie marocaine. Dans un second temps, nous montrerons comment ces préoccupations sont liées à des ambitions régionales défendues auprès de l’Union européenne.
1) Le processus de Rabat : une solution au dilemme africain du Maroc Un élément souvent négligé dans l’analyse des négociations entre le Maroc et l’Union européenne concerne le positionnement du Maroc par rapport à l’espace africain. Nous avons vu le rôle des représentations géographiques de l’espace qui transparaissent dans la définition de « l’approche globale », avec une Union européenne placée au centre de cercles concentriques. Nous avons aussi vu plus haut que la réadmission des ressortissants d’autres États, essentiellement africains, était un élément qui posait problème pour les négociateurs marocains : les principaux arguments mis en avant concernent la souveraineté de l’État marocain ou sont liés à l’établissement de la preuve de transit. Nous allons à présent montrer que d’autres considérations entrent en compte dans ce refus de la réadmission des ressortissants non-marocains. Ces considérations sont liées aux relations entre le Maroc et les pays africains. On peut en effet interpréter l’engagement marocain dans « le processus de Rabat » comme un moyen de résoudre l’ambiguïté de sa position par rapport à l’Afrique et à l’Europe. En effet, ce « processus euro-africain sur la migration et le développement » a largement été
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poussé par les acteurs marocains, à la suite de l’adoption de l’approche globale. La première conférence euro-africaine sur la migration et le développement s’est tenue à Rabat en juillet 2006. Elle a rassemblé les ministres et représentants de plus d’une cinquantaine de pays et de la Commission européenne et a donné lieu à l’adoption d’une déclaration et d’un plan d’action. Cette déclaration promeut une approche des migrations sous l’angle du développement, ainsi qu’un renforcement des capacités de gestion « des flux migratoires » et de lutte contre les migrations irrégulières, mais aussi une politique d’intégration active et de lutte contre la xénophobie et le racisme dans les pays d’accueil1. Depuis, une conférence a été organisée à Paris en 2008 et une autre à Dakar en 2011. La Stratégie de Dakar, adoptée à ce moment-là, défend une approche organisée autour des « trois piliers de l’Approche Globale des Migrations, à savoir l’organisation de la migration légale, la lutte contre la migration irrégulière et le renforcement des synergies entre migration et développement »2. Un projet de soutien, financé par la Commission européenne, est mis en œuvre par le Centre international pour le développement des politiques migratoires (ICMPD) et la Fondation internationale et pour l’Ibéro-Amérique d’Administration et de Politiques Publiques3. L’implication dans ce processus et son lancement à Rabat – donc le maintien du nom de la capitale marocaine dans l’appellation ultérieure de l’initiative – ont constitué des éléments importants dans une argumentation des acteurs marocains en faveur d’un rôle régional du Maroc et d’une politique en lien avec d’autres pays africains et non seulement avec des pays européens. En effet, les représentations mises en avant par l’administration marocaine hésitent entre l’image d’un Maroc « non-africain », pour reprendre l’expression utilisée par Abdelkrim Belguendouz (2003), autrement dit un Maroc quasi-européen, et l’image d’un Maroc solidaire de l’Afrique. Nous avons montré comment les représentations de l’espace marocain ont progressivement évolué vers l’image d’un espace « de transit »4, et désormais même « d’immigration ». Or, ces représentations donnent aussi un sens à la dimension africaine du Maroc, puisqu’elles font sortir le Maroc du territoire africain pour l’isoler en territoire intermédiaire. Dès lors, l’Afrique est effectivement constituée comme un 1
Partenariat euro-africain pour la migration et le développement, Déclaration de Rabat, 2006.
2
Stratégie de Dakar, Troisième conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement, 2011.
3
« Soutien au processus de Rabat sur la migration et le développement », Processus euro-africain sur la migration et le développement, 2013.
4
Voir le chapitre 4.
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territoire à part, séparé du Maroc. C’est ce qui transparaît par exemple lorsqu’un fonctionnaire de la direction des migrations au ministère de l’Intérieur affirme : « il y a cinq routes venant d’Afrique subsaharienne, dont celle d’Afrique de l’Ouest, de la Méditerranée de l’Ouest. Notre pays est le dernier rempart ! »1. Dans le cadre des discours mettant en avant une « Europe passoire » et arguant en faveur d’une nécessité de renforcer les contrôles frontaliers, les « cinq routes » venant d’Afrique subsaharienne mettent en scène des migrations venues d’ailleurs que du Maroc pour « s’infiltrer » en Europe. L’image forte du « dernier rempart » brouille ce discours avec celui de « l’Europe forteresse », habituellement utilisé pour dénoncer la sécurisation de l’immigration (Bigo 1998a). L’objectif est ici clairement de légitimer une certaine sécurisation des migrations, y compris sur le territoire marocain. Mais le Maroc est présenté comme faisant partie de l’Europe, puisqu’il serait sa dernière barrière de protection. On retrouve chez plusieurs interlocuteurs marocains cette image d’un Maroc intermédiaire entre l’Europe et l’Afrique, mais pas véritablement africain. Pourtant, ces représentations sont brouillées par des discours qui, à l’inverse, soulignent la proximité du Maroc avec les pays africains au sud du Sahara, la dimension africaine du Maroc, parfois au cours d’un même entretien. Lors de l’entretien au ministère de l’Intérieur cité plus haut, ce même interlocuteur affirme également : On a de très bonnes relations [avec les pays africains]. Aujourd’hui il y a une revendication de la dimension africaine. On coopère sur les retours volontaires : on les extirpe des trafics, on donne une assistance médicale etc.2 Même si l’affirmation de « très bonnes relations » avec l’Afrique est illustrée par un exemple de coopération pour le retour de migrants vers leurs pays d’origine, cet argument est également mobilisé un peu plus loin pour expliquer le refus marocain de réadmettre des ressortissants d’autres États et les enfermer dans des camps, ou encore le refus de mettre en place des visas pour l’entrée des ressortissants de pays d’Afrique de l’Ouest au Maroc. Ainsi, le discours officiel, tel qu’on peut le trouver par exemple dans un entretien accordé à un magazine par le directeur de la migration et de la surveillance des frontières au ministère de l’Intérieur, Khalid Zerouali : Nous, à la limite, on veut que l’Europe vienne, en priorité, en aide à nos amis africains. Notre vocation africaine nous permet aujourd’hui d’agir comme un pont 1
Entretien n°21, Direction des migrations, Ministère de l’Intérieur, Rabat, 26 novembre 2009.
2
Ibid.
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entre l’Europe et l’Afrique. Nous avons une grande expérience dans la coopération Sud-Sud. Nous pouvons donc véhiculer et encadrer cette assistance vers nos frères africains.1 Le registre de la solidarité et de l’amitié maroco-africaine permet d’inscrire le Maroc dans l’espace africain. Cependant, cette affirmation de solidarité est ambigüe puisque dans le même temps, la « vocation africaine » du Maroc sert à décrire le pays comme un « pont » entre l’Europe et l’Afrique, et donc à le détacher partiellement du continent africain. De même, la mise en avant de la « grande expérience » de la coopération permet de situer le Maroc du côté de ceux qui organisent ou qui « encadrent » l’aide, plutôt que du côté de ceux qui la reçoivent. Cette représentation des liens entre l’Afrique, le Maroc et l’UE était déjà présente dans le discours du roi Hassan II, qui comparait le Maroc, dans ses mémoires en 1976, « à un arbre dont les racines nourricières plongent profondément dans la terre d’Afrique et qui respire grâce à son feuillage bruissant aux vents d’Europe »2. Ces représentations reposent cependant sur la réalité d’échanges économiques, culturels et politiques importants pour le Maroc. En effet, la relation marocaine avec les pays d’Afrique subsaharienne peut largement être lue au prisme de la question du Sahara occidental ; de plus, bien que les relations économiques avec les pays africains restent limitées, les investissements marocains ne doivent pas être sousestimés. Encadré 9 – La « politique africaine » du Maroc3 Le Sahara occidental constitue un enjeu essentiel dans la définition de l’identité nationale marocaine et l’affirmation du pouvoir monarchique (Messari 2001). Le Sahara occidental est occupé depuis 1884 par les Espagnols et a fait l’objet d’une longue dispute entre le Maroc et la Mauritanie. En 1975, le roi marocain Hassan II organise la « marche verte » pour « reconquérir » le territoire. Le Sahara occidental est alors revendiqué par le Maroc, mais aussi par la République arabe sahraouie démocratique (RASD), proclamée par le Front Polisario en 1976. L’Algérie est impliquée dans le conflit en 1976, ce qui explique les tensions qui demeurent jusqu’à aujourd’hui entre le Maroc et l’Algérie. La position officielle de celle-ci est de ne pas formuler de revendications territoriales sur le Sahara occidental, mais 1
EL GHISSASSI, Hakim et Aziz RIFKI (2007). « L’immigration illégale, entretien avec Khalid Zerouali, gouverneur, directeur de la Migration et de la surveillance des Frontières au Maroc », Sezame.
2
HASSAN II (1976). Le Défi. Mémoires. Paris : Albin Michel, p.189. Bien que cette phrase soit souvent citée pour illustrer le positionnement marocain par rapport à l’Europe et à l’Afrique, il faut souligner qu’elle est suivie de la mention d’une extension « horizontale », vers l’est, avec lequel le Maroc entretient des liens religieux et culturels. Nous ne nous attarderons pas ici sur cette dimension qui influence relativement peu le positionnement du Maroc par rapport à l’UE sur les questions migratoires.
3
Réalisé à partir de Vermeren 2002 ; Antil 2003 ; Barre 2004 ; Wippel 2004 ; Berriane 2009.
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de soutenir la RASD. Cependant, le Maroc accuse l’Algérie de soutenir le Front Polisario. La politique saharienne du Maroc est sévèrement jugée par de nombreux pays africains, car elle va à l’encontre des principes de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) : le principe d’autodétermination et le principe d’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Dans un premier temps, le royaume a boycotté les pays ayant reconnu la RASD. Mais la RASD est accueillie au sein de l’OUA en 1982, ce qui conduit le Maroc à quitter l’organisation en 1985. Après cette date, le Maroc cherche plutôt à nouer des alliances avec différents États qui ont reconnu la RASD, comme l’Angola, le Cap-Vert ou le Bénin. En 1986, l’Agence marocaine pour la coopération internationale (AMCI) est créée, au départ pour la formation de cadres étrangers. À partir du milieu des années 1990, les relations diplomatiques avec l’Afrique s’intensifient. Puis, avec l’effondrement du bloc soviétique, de nombreux pays abandonnent une gestion fondée sur le marxisme-léninisme et cherchent à attirer les investissements étrangers. C’est l’occasion pour le Maroc de mener une politique liant organes gouvernementaux et opérateurs économiques. L’Omnium nord africain, par exemple, premier groupe industriel et financier privé marocain, intervient dans les domaines allant de l’agro-alimentaire aux services bancaires, en passant par le secteur minier, en Guinée, au Mali, au Burkina-Faso et au Niger. La Royal Air Maroc a quant à elle a pris des participations dans Air Sénégal, et opère de nombreux vols en direction d’Afrique de l’Ouest et vers l’Europe ou l’Amérique. Enfin, les rapprochements bancaires sont également nombreux. Si le volume des échanges continue à ne représenter qu’environ 2% du commerce extérieur marocain, ces développements traduisent des liens économiques accrus. Par ailleurs, le Maroc poursuit une politique africaine en dehors de l’OUA, en accueillant les sièges d’organisations internationales africaines, entre autres la Banque africaine pour le développement, et se fait le porte-parole des pays endettés. Le roi Mohammed VI promeut également l’idée d’une intégration régionale avec l’Afrique de l’Ouest, à travers un projet de liaison terrestre avec Nouakchott et Dakar (ce qui préjuge aussi d’un règlement favorable du dossier du Sahara occidental) ; et à travers un rapprochement douanier et commercial, via un accord préférentiel de commerce et d’investissement signé en 2000 avec les membres de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest qui envisage une abolition partielle des droits de douane. Le Maroc espère ainsi devenir une plaque tournante pour les entreprises internationales cherchant à pénétrer le marché africain. Enfin, des liens humains et culturels avec les pays africains se sont également développés au cours des dernières années, par exemple à travers la présence de plus en plus nombreuse d’étudiants originaires d’Afrique francophone pour la plupart. Ils étaient 1 040 inscrits dans des établissements publics en 1994, mais 4 477 en 2004. À la fin des années 2000, le nombre d’étudiants inscrits dans des établissements publics et privés était estimé à plus de 10 000. L’idée que la diplomatie marocaine cherche à ménager ses partenaires africains est présente chez les acteurs rencontrés, tant marocains qu’européens. Ainsi, lorsqu’un fonctionnaire de la Commission en poste à la délégation de l’UE à Rabat mentionne que « par rapport aux partenaires africains, la conclusion d’un accord de réadmission n’est pas facile,
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politiquement »1, ce qui est désigné ici à demi-mots, c’est bien la question du Sahara occidental, et plus largement la rivalité entre le Maroc et l’Algérie. Selon cette interprétation, la diplomatie marocaine n’a pas intérêt à perdre le soutien des États africains sur le dossier du Sahara occidental, ce qui pourrait se produire si le Maroc adoptait une politique trop restrictive face à leurs migrants, par exemple en instaurant des visas à la suite de la signature d’un accord de réadmission. Symboliquement, les autorités marocaines seraient réticentes à signer un accord de réadmission alors que l’Algérie n’en signe pas. Ces dimensions sont également présentes dans le discours d’un diplomate marocain à Bruxelles, en charge du dossier des migrations : On a nos propres priorités, nos partenaires au Sud. On est déjà critiquées par certains voisins au Sud. Déjà quand on négociait la réadmission, on était le seul pays d’Afrique du Nord à être dans des négociations. Maintenant il y a la Tunisie et l’Égypte, mais il faudrait déjà qu’ils aient des institutions.2 On retrouve ici d’une part l’enjeu africain, avec les « partenaires au Sud », sans précision sur le rôle de ces partenaires. D’autre part, on retrouve la dimension de comparaison régionale, avec la comparaison avec la Tunisie et l’Égypte, avec lesquelles l’UE a engagé après 2011 des partenariats dans le domaine des migrations. Dénigrer les institutions de ces pays revient encore une fois à mettre en avant la singularité marocaine et à souligner l’autonomie politique du pays par rapport à l’UE. Ainsi, il convient de tenir compte, en plus des préoccupations nationales ou européennes des acteurs marocains, de leurs préoccupations « africaines » ou régionales. Celles-ci sont d’autant plus importantes à examiner qu’elles font partie d’une argumentation des acteurs marocains – essentiellement des diplomates, mais pas uniquement – en faveur d’un rôle de « leader » régional. Cette argumentation souligne l’existence de concurrences internationales des élites bureaucratiques autant que politiques.
2) Le Maroc comme « leader » régional Le Maroc entretient des relations complexes avec les autres pays du Maghreb, notamment l’Algérie. Les acteurs européens aiment d’ailleurs souligner le rôle de la concurrence entre voisins, notamment avec l’Algérie, pour expliquer les difficultés de
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Entretien n°35, Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Rabat, 23 septembre 2010. Entretien n°52, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 6 février 2012.
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négociation de l’accord de réadmission1. Quant aux acteurs marocains, ils s’expriment parfois sur cette concurrence, par exemple lorsque l’un d’eux souligne que les négociations sur le statut avancé ont eu lieu dans le secret le plus complet « sinon, la Tunisie et l’Algérie vont aussi s’y mettre »2. De même, ces pays sont fréquemment critiqués, en particulier après les révolutions de 2011, afin de mettre en avant la « stabilité » marocaine. Dans ce cadre, on constate une divergence entre les interprétations européennes et marocaines du processus de Rabat. Les acteurs européens l’interprètent en effet comme l’une des facettes de l’approche globale adoptée par l’UE et de la politique européenne de voisinage. Ainsi, le processus de Prague, lancé en 2009 sur la base de coopérations existantes, est conçu comme son pendant pour l’Europe de l’Est et l’Asie centrale3. Du point de vue de la représentation géographique, ce processus confirme en effet pour eux la position intermédiaire du Maroc entre l’Union européenne et l’Afrique et son statut mixte de pays d’origine, de transit et éventuellement de destination. Cependant, pour les acteurs marocains, le processus de Rabat est le garant d’une approche nouvelle, promue par le Maroc, et dans laquelle ce pays joue un rôle essentiel. Cette approche repose sur deux éléments essentiels : l’approche globale et ses trois « piliers », d’une part ; une approche « régionale » d’autre part. Si nous avons vu comment les acteurs marocains avaient promu l’approche globale, nous nous concentrerons ici sur la dimension « régionale » qu’ils mettent en avant. Le traitement « régional » des migrations ne date pas du processus de Rabat, puisqu’il était l’objet des politiques migratoires menées dans le cadre du Dialogue 5+5 ou du Partenariat euro-méditerranéen ; mais ces dialogues séparaient les espaces maghrébins et africains. Or, les acteurs marocains affirment avec force la nécessité de tenir compte des pays africains, et ce d’autant plus depuis que le Maroc est identifié comme un pays « de transit » et potentiellement « de destination ». Ainsi, un diplomate à la division des affaires consulaires et 1
Par exemple, entretien n°11, Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Rabat, 3 novembre 2009 ; entretien n°30, DG Relations extérieures, Commission européenne – Ancien de la Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Bruxelles, 24 juin 2010 ; ou encore entretien n°46, Direction de l’Union européenne, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 16 juin 2011.
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Entretien n°2, Direction de l’emploi, Ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle, Rabat, 15 octobre 2009.
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Ceci transparaît notamment dans les entretiens suivants : entretien n°49, DG Développement et coopération, Commission européenne, Bruxelles, 1er février 2012 et entretien n°50, DG Affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 2 février 2012. Le « support organisationnel » du processus de Prague est également fourni par l’ICMPD (2011). « Le processus de Prague & la base de données de connaissances du projet BMP », European Migration Network. http://www.emnbelgium.be/node/952 [consulté le 8 juin 2013].
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sociales compare la situation marocaine à celle du Mexique, « le Mexique devient aussi un pays de destination. Il a un souci de déculpabilisation. Il est très strict, voire radical à ce niveau-là. Il y a beaucoup de régionalité dans la problématique »1. On voit là encore le rôle des forums internationaux dans la réflexion sur les migrations au Maroc, puisque le Mexique est mentionné ici en tant qu’organisateur du Forum mondial sur la migration et le développement. La « déculpabilisation » est ici liée au rejet du statut simple de « pays d’origine », et il s’agit donc pour ces pays de mener une réflexion sur les causes profondes des migrations, mais aussi sur leurs diverses origines et donc de tenir compte de la « régionalité » de la problématique. Ce thème de la régionalité, très présent dans le cadre des réflexions internationales, est repris par les acteurs marocains pour présenter le processus de Rabat. Ce principe de régionalité est ainsi érigé en principe par les acteurs marocains au même titre que « l’approche globale » et ses « trois piliers ». L’ambassadeur du Maroc auprès de l’Union européenne évoque d’ailleurs ces deux principes de pair, en présentant le rôle marocain comme essentiel dans leur adoption : Avec nos partenaires européens, on a eu des difficultés à faire accepter cela. Mais euh… le Maroc a organisé en 2006 une conférence régionale qui a été le déclenchement d’un changement, je dirais presque assez radical de la position de l’Union européenne vis-à-vis de cette question. Lorsque nous avons organisé cette conférence à Rabat, nous avons dit qu’il fallait la voir sous le prisme développement, sécuritaire certes, et régional.2 On peut tout d’abord noter que le Maroc est présenté comme l’initiateur de la conférence. Si celle-ci était une initiative marocaine et espagnole, soutenue par la France3, c’est principalement le rôle marocain qui est retenu ici, ce qui est facilité par l’organisation de la conférence dans la capitale du royaume. De plus, la conférence apparaît comme l’élément déclencheur d’un changement « radical » dans l’approche européenne des migrations. Ce changement est défini par la prise en compte du développement, mais aussi par la prise en compte de la dimension régionale. Bien que les récits de la conférence de Rabat au moment
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Entretien n°20, Direction des affaires consulaires et sociales, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 26 novembre 2009.
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« Menouar Alem ambassadeur au Maroc auprès de l’UE : l’immigration », op.cit.
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MOHAMMADI, Benhamed (2006). « Conférence de Rabat sur la migration et le développement : dialogue de sourds entre une Europe « frileuse » et une Afrique « impuissante » », La Gazette du Maroc, 17 juillet ; « Conférence euro-africaine sur l’immigration », Toute l’Europe, 10 juillet 2006.
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de son déroulement aient plutôt insisté sur le manque d’engagement des pays européens, plusieurs années après cette conférence apparaît comme le début d’une nouvelle approche des migrations, centrée sur la prise en compte de tous les pays concernés1. Ceci apparaît aussi dans nos entretiens, où nos interlocuteurs mettent en scène une insistance marocaine pour la prise en compte de la dimension régionale : On a bien expliqué qu’il fallait que le Maroc soit impliqué, mais aussi les pays voisins. (…) Il faut prendre en compte les pays voisins. S’il n’y a pas la même coopération avec les autres pays, le Maroc va être confiné à remplir cette tâche de gendarme de l’Europe.2 La position des acteurs marocains décrite ici est une position d’autonomie, qui leur permet d’être dans une posture d’explication : l’explication traduit ici en réalité des exigences marocaines afin de poursuivre les négociations3. Le terme de voisin désigne les pays africains aussi bien que les autres pays du Maghreb, avec qui une « même coopération » doit être amorcée. Cette exigence de coopération avec les autres pays est également clairement associée à une formulation de l’autonomie du Maroc, qui refuse ainsi d’être « confiné » au rôle de « gendarme de l’Europe ». Notons de plus que ce terme appartient au vocabulaire européen, qui désigne les pays frontaliers comme le « voisinage » de l’Europe. L’usage de ce terme attire notre attention sur la position que défendent les acteurs marocains pour leur pays. En effet, bien que le thème de la solidarité entre pays du Sud, mis en avant par le discours marocain puisse rappeler le registre de mouvements comme celui des non-alignés4, il s’agit bien pour les acteurs marocains de distinguer leur pays des autres pays africains afin de
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Voir par exemple MOHAMMADI, Benhamed (2006). « Conférence de Rabat sur la migration et le développement : dialogue de sourds entre une Europe « frileuse » et une Afrique « impuissante » », La Gazette du Maroc, 17 juillet. La conférence est également critiquée pour sa dimension gouvernementale, qui ne tient pas compte des migrants. Une Conférence Non Gouvernementale Euro-Africaine sur les migrations, les droits fondamentaux et la liberté de circulation est d’ailleurs organisée le 30 juin-1er juillet 2006 à Harhoura (au sud de Rabat) par des acteurs de la société civile d’Afrique Subsaharienne, d’Afrique du Nord et d’Europe. Ils adoptent le Manifeste de Rabat, qui demande notamment l’annulation des accords de réadmission, la suppression des visas de court séjour, la fermeture des lieux d’enfermement et l’annulation de la dette des pays du Sud. (Conférence non gouvernementale Euro-Africaine, Manifeste non gouvernemental euro-africain sur les migrations, les droits fondamentaux et la liberté de circulation, 2006. http://www.gisti.org/doc/actions/2006/rabat/manifeste.html [consulté le 8 juin 2013]).
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Entretien n°65, Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, Rabat, 10 juin 2012.
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A la suite d’une nouvelle proposition de la part de l’UE en 2011, que nous examinerons dans le dernier chapitre de cette thèse.
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Auquel le Maroc appartient depuis 1961.
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revendiquer un rôle de « leader régional ». A la question de l’évolution du processus de Rabat, le diplomate marocain en charge du dossier migrations à Bruxelles répond, en 2012 : La dernière réunion a eu lieu au Sénégal, le processus est en cours. Maintenant justement, comme ils veulent faire ça d’abord avec le Maroc, puis avec les pays d’Afrique… Mais c’est des espaces différents. Le processus de Rabat c’est pour parler de différentes problématiques.1 Il s’agit ici de rejeter la mise en œuvre des mêmes politiques dans tous les pays : le processus de Rabat est dès lors présenté comme un forum, un espace de discussion et de partage, plutôt que comme un processus rassemblant le Maroc dans le même groupe que les autres pays africains. Les « espaces différents » doivent être, selon cette perspective, abordés de façons différentes. Cette perspective met en avant un rôle de chef de file régional pour le Maroc. Selon les termes d’un ancien fonctionnaire du ministère de l’Emploi : Je pense que l’UE a beaucoup plus intérêt à travailler avec le Maroc pour qu’il soit une sorte de leader en Afrique du Nord, mais à travailler sur des projets qui soient régionaux. Un peu comme les pays d’Afrique de l’Ouest. Nous, nous n’avons pas de véritable coopération. Avec l’Algérie, bon c’est politique, mais si on pouvait travailler au niveau de la région, travailler sur l’axe mobilité-développement, on n’aurait plus ce regard tourné vers l’Europe (…). Il faut travailler au niveau régional.2 Le rôle de « leader » évoqué ici concerne l’Afrique du Nord plutôt que l’Afrique dans son ensemble, puisque l’absence de coopération au Maghreb est évaluée à l’aune de la coopération en Afrique de l’Ouest. Cet extrait montre que la notion de travail « régional » reste ambiguë quant à son extension géographique, tantôt appliquée à l’Afrique de l’Ouest, Maghreb inclus, tantôt restreinte à l’Afrique du Nord. En revanche, le Maroc apparaît clairement comme candidat au statut de chef de file et ce malgré son différend historique avec l’Algérie. La notion de coopération régionale apparaît donc comme un moyen de ré-affirmer l’autonomie des pays du Sud, de ne plus être « tourné vers l’Europe », mais elle est aussi une façon de positionner le Maroc non plus comme un « le gendarme » ou le « bon élève » de l’Europe, mais comme un chef de file, un « leader » régional. Pour conclure, nous avons montré dans cette dernière partie que les revendications marocaines dans le domaine des politiques migratoires visent une position plutôt que des 1
Entretien n°52, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 6 février 2012.
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objets précis. Il s’agit en effet de devenir le partenaire privilégié de l’UE et un chef de file régional dans la mise en œuvre de l’approche globale. L’impulsion du processus de Rabat permet aux acteurs marocains de revendiquer ce rôle tout en se présentant comme solidaires des autres pays africains, car les relations avec ces pays sont aussi importantes pour la politique marocaine. Ces revendications traduisent ainsi une volonté d’affirmer une autonomie par rapport aux politiques européennes. Elles traduisent aussi dans le domaine des migrations les ambitions marocaines plus générales, liées à l’idée d’une défense de la « dignité » marocaine, examinée dans le chapitre précédent et qui transparaissent à d’autres occasions, par exemple dans la négociation du statut avancé obtenu en 2008.
D - Conclusion L’objet de ce chapitre était de montrer que les acteurs marocains disposent d’une capacité d’agir face aux acteurs européens. En somme, nous avons montré ici que la politique externe de l’UE ne peut être expliquée sans se pencher sur les positions adoptées par les partenaires externes de l’Union, même lorsque ceux-ci sont relativement peu puissants. Pour comprendre la mise en œuvre des politiques européennes dans les pays tiers, il convient en effet de s’intéresser au contexte interne de ces pays. Le cas du Maroc montre que les acteurs administratifs d’un pays tiers peuvent faire usage des politiques européennes au moment et selon des modalités qui leur conviennent. En ce sens, ils peuvent dans une certaine mesure choisir d’ignorer ou d’adopter ces politiques en fonction de leurs propres intérêts. La politique européenne externe des migrations n’est donc pas le fruit d’une construction linéaire eurocentrique, mais plutôt la conjonction d’idées formulées par des acteurs des États membres ou des organisations européennes, avec les revendications portées par les acteurs des pays tiers et les usages qu’ils font des propositions européennes. Dans ce cadre, il est utile de tenir compte de l’insertion des relations entre l’UE et le Maroc dans un cadre plus global. Bien que la présence d’organisations internationales dans le domaine des migrations au Maroc soit largement le résultat des politiques européennes, ces organisations, ainsi que différents forums internationaux, fournissent aux acteurs marocains des arènes pour faire avancer leurs idées et des ressources cognitives et symboliques importantes dans leurs négociations face à l’Union européenne.
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Enfin, la position marocaine dans les négociations sur les migrations tend à formuler une revendication en termes de reconnaissance plutôt que de contenu : il s’agit pour les acteurs marocains de positionner le Maroc comme un chef de file africain ou maghrébin, dans le domaine des politiques migratoires et plus largement face à l’Union européenne. Cette revendication est un moyen pour la diplomatie marocaine de ménager les relations avec les pays africains, tout en formulant des ambitions européennes de plus en plus claires. Il s’agit d’affirmer la possibilité de traiter d’égal à égal avec les pays européens et donc, à terme, de les rejoindre, en particulier dans le domaine de la circulation des personnes, comme nous le verrons plus loin. Ceci vient renforcer l’argument présenté dans le chapitre précédent qui souligne l’importance des enjeux symboliques dans les politiques migratoires.
Conclusion de la deuxième partie Nous avions montré dans une première partie que la négociation d’un accord de réadmission communautaire ne résultait pas d’un processus linéaire de délégation de la coopération sur les retours forcés à l’Union européenne. Nous avions également examiné l’idée d’« incitation », qu’il s’agisse d’incitations financières ou de liens tactiques entre différents sujets, et remis en cause l’évidence de leur utilisation dans les négociations pour un accord de réadmission. Il s’agissait, dans le cadre de notre objectif de « décolonisation » de l’étude de la politique extérieure de l’UE, de déconstruire l’idée d’une politique fondée sur la rationalité et sur une continuité linéaire entre politique interne et externe. Cette deuxième partie était consacrée aux acteurs marocains des négociations, dans le but de montrer leur capacité d’action. En analysant les acteurs étatiques marocains, nous avons ouvert la « boîte noire » des politiques migratoires marocaines et ainsi montré comment les acteurs du Sud étaient également des sujets et non seulement des objets des relations internationales et des politiques extérieures de l’UE. Le premier chapitre de cette partie (chapitre 4) se penchait sur l’historicité des politiques migratoires marocaines, afin de montrer que le gouvernement marocain a activement construit des politiques d’émigration depuis son indépendance et, à partir des années 1990, créé de nouvelles institutions spécialisées dans les politiques migratoires. Dès lors, les politiques migratoires européennes et leur sécurisation croissante dans les années 1990 ne rencontrent pas une « page blanche », mais des acteurs marocains engagés dans des
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luttes concurrentielles. Le deuxième chapitre de cette partie (chapitre 5) s’est concentré sur les discours des acteurs marocains dans les négociations avec l’UE sur les migrations. Nous avons ainsi montré que l’évitement des négociateurs marocains, c’est-à-dire la participation aux négociations sans que la signature de l’accord soit l’objectif premier, mais aussi le rejet de l’accord de réadmission par les autres acteurs marocains se concentraient sur des arguments d’autonomie des politiques marocaines et sur le refus d’une approche purement sécuritaire. Dès lors, l’ensemble des acteurs marocains défendent un « emboîtement substantiel » entre différents domaines des migrations, qui a largement influencé, en conjonction avec les expériences bilatérales menées avec certains États membres, l’adoption de l’approche globale des migrations par les institutions européennes en 2005. L’ambiguïté dans la définition de cette approche a permis aux acteurs marocains de mettre en avant des revendications dans le domaine des migrations régulières, en particulier la facilitation des visas. Ces revendications laissent également transparaître une dimension symbolique des négociations sur les migrations, autour d’une idée de la « dignité » marocaine et de la place de l’État marocain à l’international. Enfin, le dernier chapitre de cette partie (chapitre 6) déplace la focale de l’analyse en s’intéressant à l’implication des acteurs marocains dans d’autres arènes et enjeux internationaux. Les politiques européennes apparaissent ainsi comme des ressources parmi d’autres dans le cadre de luttes concurrentielles nationales et internationales des acteurs marocains. Les organisations internationales leur fournissent d’autres ressources, notamment discursives, qui sont également mobilisées dans le cadre des négociations avec l’Union européenne. Enfin, ce déplacement de focale permet aussi de prendre en compte les préoccupations africaines et régionales du Maroc, qui transparaissent dans les négociations avec l’UE sous la forme d’une revendication de la place de « leader » régional. Cette partie nous a donc permis de mettre en avant la pluralité des acteurs des négociations sur les migrations et sur la réadmission. Elle a également permis de remettre en cause la métaphore marchande qui sous-tend les analyses des négociations sur la réadmission, à travers une déconstruction de la notion d’incitations financières et tactiques. De plus, nous mis en avant l’importance des facteurs symboliques, formulés en termes de dignité, dans la remise en cause de la domination européenne par les acteurs étatiques marocains. Enfin, à travers l’analyse des usages marocains de l’Europe et de l’international, nous avons examiné la capacité d’action et de résistance de ces acteurs. La troisième partie posera la question de l’influence effective des tactiques d’évitement, de l’usage de ressources internationales et des
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résistances et revendications discursives marocaines, principalement par le biais de l’analyse de l’imbrication entre relations bilatérales avec des États membres et relations avec l’Union européenne.
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Troisième partie : Relations bilatérales et mise en œuvre : espace de négociation et de contestation
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Dans la première partie de ce travail, nous avons remis en cause l’idée selon laquelle les politiques extérieures européennes résultaient d’un processus interne linéaire et rationnel. Nous avons montré que la négociation d’un accord de réadmission par l’Union européenne était le résultat d’un processus non linéaire. La délégation des négociations à la Commission et la mobilisation d’ « incitations » censées permettre d’augmenter le pouvoir de persuasion des négociateurs européens se sont avérées difficiles, en raison de la réticence des États membres et de concurrences internes à la Commission européenne. La deuxième partie de ce travail avait pour objectif de pluraliser les acteurs des négociations sur les migrations et de s’intéresser à des revendications ne satisfaisant pas nécessairement les critères de rationalité parfaite. En examinant les acteurs étatiques marocains des négociations et leur capacité d’action, nous avons montré que les difficultés étaient également dues à la formulation de revendications d’un autre type par les négociateurs marocains. Celles-ci portent essentiellement sur la mise en place ou le renforcement de politiques en faveur des migrations régulières et mettent en avant l’idée d’une dignité nationale et d’une place de « leader » régional pour le Maroc. Elles ne répondent pas uniquement aux politiques européennes : elles sont également largement le résultat d’enjeux nationaux et de luttes concurrentielles nationales et internationales des élites étatiques marocaines. L’objectif de cette troisième partie est d’évaluer la portée et les limites de ces revendications et de la capacité d’action des acteurs marocains dans les négociations sur les migrations avec l’Union européenne et les pays européens. Il s’agit ici donc de se demander comment la capacité d’action des acteurs marocains se traduit dans les négociations. Nous avons déjà vu, dans le chapitre 5, que ces revendications avaient joué un rôle dans l’adoption par l’Union européenne de l’approche globale des migrations en 2005. Nous partirons ici du constat que l’évitement de la signature d’un accord de réadmission communautaire ou la promotion de revendications dans le domaine des migrations régulières par les négociateurs marocains n’empêchent pas la poursuite de la coopération sur les retours forcés. Ceci nous conduit à nous interroger sur les pratiques de cette coopération. La littérature sur les pratiques dans les relations internationales a souligné que les négociations pouvaient être analysées en tant que pratiques (Adler et Pouliot 2011). Il s’agit ici d’étendre la définition de ce qui constitue des négociations internationales en étudiant la mise en œuvre en tant qu’espace de négociations, et non seulement d’application – efficace ou
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non – des accords conclus. Il s’agit également de voir en quoi ces pratiques sont utilisées ou transformées dans le cadre de luttes (Leander 2011) pour la définition des politiques migratoires et de la place des différentes administrations nationales. Or, la mise en œuvre des retours forcés relève de pratiques bilatérales, entre les autorités des États membres et celles de l’État marocain. Comme dans les autres aspects des politiques de lutte contre les migrations irrégulières, l’Union européenne est rarement directement impliquée, y compris lorsqu’elle fournit des financements. Il convient donc de s’intéresser conjointement aux relations bilatérales et aux pratiques de coopération sur le terrain dans le cadre de ces relations. En examinant plus précisément l’imbrication entre négociations bilatérales (entre un État membre et le Maroc) et multilatérales (entre l’Union européenne et le Maroc) sur la réadmission, cette partie montre comment la remise en cause de l’asymétrie des relations Nord-Sud par les acteurs marocains passe par différents canaux et aboutit à une adaptation de la politique extérieure de l’Union européenne dans le domaine des migrations. Le premier chapitre de cette partie (chapitre 7) porte ainsi sur les relations bilatérales à partir du cas des relations entre la France et le Maroc. Il s’agit tout d’abord d’examiner comment les fonctionnaires français justifient la poursuite de négociations avec les autorités marocaines dans le domaine des politiques migratoires. Il s’agit surtout, dans un second temps, d’examiner la façon dont les pratiques de coopération sur le terrain constituent une diplomatie du quotidien et donc d’autres espaces de contestation pour les acteurs étatiques marocains. Enfin, le dernier chapitre (chapitre 8) se penche sur les changements dans les négociations Maroc-UE sur les politiques migratoires après les révolutions arabes. Celles-ci ont constitué une opportunité politique pour la Commission. Nous montrons comment un compromis a été trouvé par la proposition et la signature d’un « partenariat pour la mobilité » répondant aux exigences de certains des États membres les plus exigeants et des négociateurs marocains, autour d’une terminologie et d’un contenu ambigus et de l’intégration de la coopération bilatérale dans le cadre européen.
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Chapitre 7 – Pratiques bilatérales de coopération et de contestation Nous avons montré dans les chapitres précédents comment la délégation des négociations d’un accord de réadmission à l’Union européenne résultait en partie des besoins des États membres concernant la mise en œuvre d’arrangements existants. Nous avons ensuite étudié l’étalement dans le temps des négociations avec le Maroc, lié à la fois aux concurrences internes à l’Union et à la formulation d’un contre-discours marocain sur les politiques migratoires dans le cadre des négociations : « l’évitement » marocain de la signature d’un accord a permis aux acteurs administratifs et gouvernementaux marocains de tirer partie de ces négociations. Cependant, cette longueur des négociations a aussi créé des insatisfactions parmi les bureaucrates des États membres chargés de la mise en œuvre des retours forcés, et la persistance de l’approche bilatérale s’en est trouvée renforcée. L’objectif de ce chapitre est d’examiner les discours et les pratiques du bilatéralisme dans la coopération sur la réadmission, afin de montrer comment cette coopération bilatérale continue dans les faits, à partir du cas de la coopération entre la France et le Maroc sur la réadmission. Dans le domaine des études européennes ou bien de la « gouvernance des migrations », certaines recherches se sont penchées sur l’articulation entre les relations bilatérales et les relations extérieures de l’Union européenne dans ce domaine (Cassarino 2010b ; 2011 ; Panizzon 2011 ; 2012). Ces travaux soulignent la convergence des politiques nationales et des politiques européennes vers des objectifs de contrôle et de lutte contre l’immigration irrégulière, mais ils posent aussi la question de savoir si bilatéralisme et multilatéralisme sont complémentaires et se renforcent mutuellement du point de vue des États européens et de l’UE, ou s’ils constituent au contraire un affaiblissement de la position européenne, ou bien un risque pour les droits de l’Homme. Cependant, ces travaux se basent essentiellement sur une analyse des accords et de l’évolution des positions nationales sur les politiques européennes. Si l’analyse des politiques européennes est essentielle à la compréhension de la dimension extérieure de la politique migratoire nationale, il est cependant fondamental de ne pas négliger la dimension pratique de la coopération. Ainsi, si l’on parle d’un bilatéralisme « résilient » dans le domaine de la
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réadmission, en quoi consiste exactement ce bilatéralisme ? Que signifie dans les faits la coopération policière ? Ce bilatéralisme est-il une réaction aux « échecs » de l’Union européenne ou concerne-t-il un autre niveau des politiques étrangères, celui de la mise en œuvre ? L’objectif de ce chapitre est donc de comprendre l’articulation entre la politique bilatérale de la France et la politique extérieure de l’Union européenne dans le domaine des migrations – et en particulier de la réadmission – à travers une analyse de la matérialité de la coopération internationale sur ce sujet. Nous avons vu dans le chapitre que cette coopération pouvait prendre la forme de textes divers. Nous verrons ici que cette variété permet de comprendre comment le bilatéralisme continue de jouer un rôle essentiel, dont le statut par rapport aux négociations européennes n’est pas toujours clair. Nous verrons comment les acteurs français développent une argumentation juridique afin de légitimer la poursuite d’une action bilatérale. Dans un deuxième temps, nous examinerons les instruments (Lascoumes et Galès 2005) et les pratiques de la politique de coopération sur la réadmission, en nous penchant sur deux instruments spécifiques : les officiers de liaison immigration et les statistiques de la coopération sur la réadmission. Le cas des officiers de liaison permet de questionner la distinction entre diplomatie et mise en œuvre. Dans le cas des statistiques, nous verrons notamment en quoi les « politiques de calcul » suscitent la contestation (Barry 2002) et permettent la formulation d’argument niant la consistance des mesures statistiques (Desrosières 1992). Cette analyse nous permet ainsi de montrer comment ces pratiques du bilatéralisme constituent également des espaces de négociations dans lesquels les acteurs marocains développent des demandes et des contre-discours spécifiques.
A - Résilience du bilatéral : ambiguïté de la délégation et argumentation Dès lors que le processus de négociation d’un accord formel de réadmission européen est lancé, à travers la délivrance d’un mandat de négociation à la Commission européenne, la question qui se pose aux États membres est la suivante : comment améliorer la coopération bilatérale en attendant la signature de l’accord ? Il s’agit à la fois d’agir dans l’attente de la signature d’un accord plus favorable, et d’améliorer la mise en œuvre des arrangements existants. Jean-Pierre Cassarino évoque ainsi une « résilience » du bilatéralisme dans le
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domaine de la réadmission (Cassarino 2011) : le constat de la persistance d’actions visant à améliorer la coopération bilatérale sur la réadmission, en dépit de l’implication croissante de la Commission européenne dans ce domaine, conduit à la distinction entre la poursuite d’un accord formel à l’échelle européenne et la poursuite d’une coopération plus opérationnelle en bilatéral. Marion Panizzon (2011 ; 2012) évoque quant à elle un bilatéralisme « revisité » dans le cadre d’une gouvernance multi-niveaux, et examine la question de la répartition des compétences d’un point de vue juridique, en posant la question de savoir si le principe de subsidiarité doit ou non s’appliquer aux accords de réadmission. En effet, bien que l’inclusion des accords de réadmission dans les compétences de la Commission ait été consacrée, par le traité de Lisbonne, on constate que les États membres continuent de négocier certains aspects des retours forcés, y compris avec des pays pour lesquels la Commission a un mandat de négociations. La France a par exemple tenté de lancer la négociation d’un « accord de gestion concertée » au Maroc en avril 2010, des « discussions bilatérales franco-marocaines relatives à la circulation des personnes » ont eu lieu en juin 2010 et une autre réunion s’est tenue le mois suivant1. Or, les accords de gestion concertée conclus jusqu’à présent par la France comportent tous un volet de « lutte contre l’immigration clandestine » qui inclut les retours forcés2. Si la proposition n’a guère été publicisée par l’administration française, ça n’est pas seulement parce que l’administration marocaine n’a pas donné suite, c’est aussi parce que la légitimité de telles négociations par rapport aux négociations européennes n’est pas assurée. Nous verrons ici dans un premier temps en quoi la répartition des compétences sur la négociation de la réadmission peut être considérée comme ambiguë, avant d’analyser les discours des acteurs français du ministère des Affaires étrangères et du ministère de l’Intérieur français justifiant la poursuite de relations bilatérales.
1
Entretien n°44, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 24 mai 2011 et entretien n°47, Direction d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 28 juin 2011.
2
Le premier a été signé en 2006 avec le Sénégal. Ils comportent, selon la définition du Ministère de l’Intérieur, trois volets : « l’organisation de la migration légale, la lutte contre l’immigration clandestine et le développement solidaire ». MINISTERE DE L’INTERIEUR (2012). « Présentation générale des accords bilateraux », Interieur.gouv.fr. http://www.interieur.gouv.fr/Le-secretariat-general-a-l-immigration-et-a-l-integrationSGII/Immigration/Les-accords-bilateraux/Presentation-generale-des-accords-bilateraux [consulté le 19 mars 2013].
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1) Une délégation ambiguë La délégation des compétences pour la négociation d’un accord de réadmission à la Commission européenne, que nous avons examinée dans le chapitre 2, a abouti, avec l’article 79(3) du Traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009 à la formalisation de la compétence de la Commission européenne dans ce domaine. Cette compétence est cependant partagée, et fait l’objet d’un compromis autour de l’idée de « coopération loyale », dans lequel les accords pour lesquels un mandat de délégation existe relèvent uniquement de la Commission, et les États membres doivent la soutenir pleinement dans les négociations. Ceci exclut donc la négociation d’accords bilatéraux entre un État membre et un pays tiers comme le Maroc, pour lequel la Commission a reçu des directives de négociations. Pourtant, nous avons vu que la question s’est posée au sein de l’administration française et qu’un accord bilatéral plus général a été proposé au Maroc. Or, ce questionnement et cette proposition reposent sur un débat existant sur l’articulation entre accords bilatéraux et accords communautaires de réadmission, qui concerne au départ l’articulation avec d’un accord européen avec des accords préexistants. Ce débat touche différents domaines et différentes situations. La question a par exemple pu se poser pour les accords d’investissement conclus par certains États avant leur adhésion à l’Union européenne1. Dans le domaine des politiques migratoires, la question est par exemple apparue régulièrement dans les débats sur les régulations concernant les travailleurs étrangers (Callovi 1992). Dans le domaine de la réadmission, le questionnement sur le partage des compétences ne semble pas encore complètement résolu pour les juristes, comme le montrent les analyses proposées par exemple par Nils Coleman (2009) ou Marion Panizzon (2012). Celles-ci soulignent ainsi que la jurisprudence doit être prise en compte pour interpréter l’article 79(3) du TFUE qui cite la réadmission parmi les compétences explicites de la Commission2. Marion Panizzon compare ainsi différentes interprétations, comme les 1
A ce sujet, voir par exemple Simon 2010.
2
Notamment les avis 1/75 et 1/76 de la Cour de justice des Communautés européennes, qui peuvent être interprétés comme renforçant le principe d’une compétence exclusive de la Commission soit lorsque des concurrences internes menacent la cohérence d’une politique européenne vis-à-vis de l’extérieur, soit lorsqu’un accord international est nécessaire à la poursuite des objectifs du Traité. COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES (1975). Avis de la Cour du 11 novembre 1975. 1/75 et COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES (1977). Avis de la Cour du 26 avril 1977. 1/76. Cependant, cette interprétation est contestée, par exemple par une interprétation de l’article 79(3) du TFUE dans le cadre de l’article 4(2)j, qui précise que les compétences partagées s’appliquent à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. De même, la mention des accords de réadmission bilatéraux aux côtés des accords communautaires, dans Nora El Qadim– « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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conclusions du Conseil en 1999 et la définition de la stratégie de réadmission par le Conseil en 2011. En effet, les premières insistaient sur la compétence partagée pour la réadmission, en maintenant la possibilité pour les États membres de négocier des accords bilatéraux « tant que la Communauté n'a pas conclu d'accord avec ledit pays ou n'a pas arrêté de mandat de négociation en vue d'un tel accord »1 ; tandis que la stratégie de 2011 établirait l’exclusivité de la Commission en indiquant que les accords bilatéraux « que dans la mesure où ils sont compatibles avec les accords de réadmission conclus par l'UE ou s'ils sont prévus par ceuxci »2. Cependant, cette analyse mêle deux situations qui sont fréquemment distinguées dans l’analyse présentée par les acteurs : la négociation d’accords en bilatéral une fois le mandat de négociations donné à la Commission d’une part, et le maintien ou non des accords préexistants une fois conclu un accord communautaire d’autre part. En 1999, les Conclusions du Conseil répondent à la première question. Or, celle-ci semble aujourd’hui résolue dans les discours des acteurs, qui mettent en avant une compétence exclusive de la Commission dès lors qu’un mandat de négociations lui a été délivré. En revanche, la stratégie de 2011 se penche sur la question des accords ou des arrangements bilatéraux préexistants dans le cadre d’un accord européen : or, cette question fait encore l’objet de débats internes qui on pu dans certains cas ralentir les négociations. Cette distinction est cruciale dans l’interprétation que donnent les acteurs pour deux raisons : la première, c’est que le débat sur l’articulation entre les accords existants et les futurs accords européens permet de justifier des exigences élevées de la part des États membres ; la seconde raison est que c’est aussi cet argument qui conduit à une distinction entre les accords et leur mise en œuvre, permettant ainsi aux États membres de maintenir ou de reconquérir leur marge de manœuvre dans la conduite des relations extérieures sur le sujet des retours forcés. En effet, les acteurs rencontrés reconnaissent très facilement l’exclusivité de la compétence européenne à négocier : comme nous l’avons dit dans le chapitre 2, cela peut même leur permettre d’éviter le blâme et de se décrire comme étant placés dans une situation le préambule de la Directive Retour, comme « nécessaires pour faciliter le processus de retour » peut être interprétée dans le sens d’une compétence partagée. 1
CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE (1999). 2184e Session du Conseil Justice et affaires intérieures, Bruxelles, 27-28 mai, 8654/98, p.8.
2
CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE (2011). 3096e Session du Conseil justice et affaires intérieures, Conclusions du Conseil définissant la stratégie de l’UE en matière de réadmission, Luxembourg, 9 juin.
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délicate, réduits à l’inaction. Ils reprennent dans la plupart des cas les arguments de la Commission pour expliquer les raisons d’une compétence exclusive. Ces arguments sont formulés en termes d’efficacité. En revanche, les acteurs mettent aussi en avant la nécessité pour les États membres – dans le cas qui nous intéresse, la France – de conserver le bénéfice des accords ou des arrangements bilatéraux existants.
2) Argumenter la poursuite de négociations bilatérales La plupart des fonctionnaires et diplomates français rencontrés rappellent que la négociation d’un accord bilatéral n’est pas possible. Ainsi, au Secrétariat général des affaires européennes, l’institution en charge de coordonner les différents ministères français pour l’adoption d’une position commune dans l’arène européenne, un fonctionnaire affirme : « Il y a une obligation de résultats. La Commission estime que des négociations en bilatéral seraient susceptibles de ruiner ses négociations »1. Si l’on perçoit ici une distanciation de notre interlocuteur par rapport à l’argument de la Commission, l’exclusivité de la compétence de négociation est expliquée par un principe d’efficacité, celui de l’ « obligation de résultats » qui incombe à la Commission. L’ensemble des fonctionnaires français rencontrés présente cette impossibilité de négocier un accord de réadmission en bilatéral à partir du moment où la Commission a un mandat de négociations. Cependant, certains tentent, lors des entretiens, de justifier la proposition faite au Maroc d’un accord de gestion concertée, et la plupart argumentent en faveur de la poursuite d’une coopération bilatérale incluant des discussions sur la réadmission. On peut recenser quatre types d’arguments mis en avant : le premier établit une distinction entre les accords formels négociés par la Commission et le domaine de la mise en œuvre des retours forcés ; le second type d’arguments développe une interprétation juridique de la répartition des compétence autour de cette distinction ; le troisième type d’arguments porte sur la préférence supposée des interlocuteurs marocains pour les relations bilatérales ; enfin, le dernier type d’arguments, en lien avec cette idée d’une préférence marocaine pour le bilatéral, porte sur la « spécificité » de la relation entre la France et le Maroc.
1
Entretien n°41, Secteur libre circulation des personnes, Secrétariat général aux affaires européennes, Paris, 18 mai 2011.
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Accord formel de réadmission contre mise en œuvre des retours forcés Nous avons vu dans le premier chapitre de cette thèse que les accords de réadmission n’étaient pas nécessairement mis en œuvre. Les questionnements sur l’articulation entre accords ou arrangements bilatéraux et accord communautaire portent précisément sur la question de la mise en œuvre et de l’efficacité d’un accord de réadmission européen. La dimension juridique et la dimension opérationnelle de l’accord de réadmission sont séparées dans l’analyse présentée par les fonctionnaires et diplomates français. La dimension « opérationnelle » se concentre en particulier sur une clause de l’accord de réadmission, celle concernant les délais. Les divergences d’objectifs entre États membres, présentées dans le chapitre 2, demeurent au-delà du moment de la délégation, lorsqu’il s’agit d’approuver ou de rejeter un accord auquel la Commission parvient avec un État tiers. Le fait de disposer d’un accord de réadmission plus ou moins fonctionnel constitue en effet aussi une incitation à avoir des exigences plus élevées pour un éventuel accord communautaire. S’il est d’abord étonnant de constater que les États les plus intéressés par l’accord de réadmission européen sont aussi ceux qui s’opposent le plus fermement à la signature d’un accord, cette opposition s’explique par le faible intérêt des administrations de ces États pour un accords sans « valeur ajoutée ». Ainsi, à la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne, un fonctionnaire français nous parle de la Commission en marquant une forte opposition à son action : Ils veulent passer en force, juste pour avoir un résultat à montrer, mais c’est n’importe quoi ! (…) On s’est coordonnés avec l’Espagne plusieurs fois pour bloquer la Commission qui voulait passer en force. S’il le faut, on mobilise l’Allemagne pour bloquer l’accord.1 La distinction entre accord formel et efficacité transparaît clairement ici. Notre interlocuteur se plaint de ne pas avoir eu connaissance de l’accord que la Commission souhaitait soumettre au Conseil rapidement et directement, mais d’avoir reçu l’information par le biais du Secrétariat général aux affaires européennes, c’est-à-dire sans doute par l’intermédiaire d’un autre ministère. Il décrit donc l’action de la Commission européenne comme une action illégitime : les représentants de la Commission auraient tenté de faire accepter aux États
1
Entretien n°29, Service Justice et affaires intérieures, Représentation française auprès de l’UE, Bruxelles, 22 juin 2010.
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membres un accord inacceptable, de « passer en force »1. Or, du point de vue français, « c’est n’importe quoi » : il s’agit là encore de repousser le blâme sur la Commission en soulignant l’incompétence des négociateurs. Cet interlocuteur nous apprend aussi un peu plus tard que la France s’est « coordonnée » avec l’Espagne à plusieurs reprises pour bloquer des accords considérés comme insuffisants, voire a pu faire recours à l’Allemagne. Or, l’Espagne et la France sont régulièrement mentionnées comme étant parmi les pays les plus liés au Maroc, et les plus intéressés par un accord de réadmission. Ces deux pays étaient intéressés par un accord de réadmission européen pour améliorer la mise en œuvre de la coopération bilatérale et pour l’inclusion des migrations de transit dans l’accord. A partir du moment où ces deux conditions ne sont pas remplies, ils n’ont aucun intérêt à un accord communautaire et se satisfont de leurs accords bilatéraux. Il est d’ailleurs révélateur à cet égard que l’Allemagne soit également mentionnée comme une alliée possible pour bloquer un accord communautaire avec le Maroc, étant donné que ce pays dispose aussi d’un procès-verbal sur la réadmission avec le Maroc2. Si ces pays, en particulier l’Espagne et la France, sont les plus intéressés par l’amélioration de la coopération sur la réadmission avec le Maroc, ce sont aussi eux qui sont les plus exigeants par rapport au nouvel accord. On l’a vu, l’un des enjeux fondamentaux de la délégation à l’Union européenne concernait la réadmission des migrants dits « de transit »3. Un autre enjeu essentiel concerne l’articulation avec accords existants. Comme on nous l’explique au Quai d’Orsay : En théorie, un accord européen remplace et annule les accords pré-existants. Dans les négociations avec le Maroc, nous avons souhaité que les États membres puissent continuer à appliquer les accords bilatéraux s’ils sont plus favorables. C’est quelque chose que la Commission conteste, mais quelle est l’utilité des négociations sinon ?4 1
Ceci peut sembler surprenant, puisque l’accord doit de toute façon être approuvé par le Conseil, mais si l’on garde en tête le fait que le vote se fait à la majorité qualifiée depuis 2005 pour les accords de réadmission, on peut supposer qu’un passage en force consisterait pour la Commission à s’assurer d’un nombre de votes suffisants avant de présenter le projet pour discussion. Voir CONSEIL (2004). Décision du conseil du 22 decembre 2004 visant à rendre la procédure définie à l’article 251 du traité instituant la communauté européenne applicable à certains domaines couverts par la troisieme partie, titre IV, dudit traité, 2004/927/CE, Bruxelles.
2
L’Allemagne est par ailleurs fréquemment mentionnée par différents acteurs comme adoptant une position très stricte à l’égard de l’immigration irrégulière, même si ses inquiétudes porteraient plutôt sur une immigration venue de l’est.
3
Chapitre 4.
4
Entretien n°45, Direction de l’Union européenne, Service des politiques internes et des questions institutionnelles, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 14 juin 2011.
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C’est donc la dimension pratique – ou son absence – des accords qui est soulignée ici. Les fonctionnaires français distinguent ainsi entre un accord formel de réadmission et son utilité pour la mise en œuvre effective des retours forcés. En effet, les accords bilatéraux tiennent compte des spécificités des États membres : par exemple, dans le cas de la France, la question de la réadmission des migrants ressortissants de pays tiers par le Maroc est une question de principe plus qu’un souci réel et direct ; en revanche, la question des délais de réponse de l’administration marocaine pour la délivrance de laissez-passer consulaires est un souci particulier pour la France comme pour l’Espagne, en raison des durées de rétention maximales des étrangers en situation irrégulière relativement courtes, par rapport à d’autres États européens. La durée de rétention a fait l’objet de controverses internes en France, passant de 12 à 32 jours en 2003 et à 45 jours en 20111. En Espagne, cette durée est passée de 40 à 60 jours2. La question des délais est présentée par tous les fonctionnaires français rencontrés comme cruciale, en raison des « délais de rétention les plus courts »3 de la France. La distinction entre accord formel et besoins pratiques des États membres pour la mise en œuvre des retours forcés constitue donc le premier élément dans l’argumentation des fonctionnaires français en faveur d’une poursuite des négociations bilatérales. Elle est par ailleurs combinée à une interprétation juridique de la répartition des compétences Des arguments juridiques Les fonctionnaires français développent pour la plupart une argumentation juridique autour de la poursuite de négociations bilatérales plus ou moins formelles sur les retours forcés. Un diplomate français nous assure avoir réussi à « faire passer » la possibilité de faire prévaloir un accord bilatéral sur un accord communautaire dans les Conclusions du Conseil4. 1
Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile - Version consolidée au 21 février 2013, art. L551-1 à L555-3 ; « France Detention Profile ». Global Detention Project, 2009. http://www.globaldetentionproject.org/countries/europe/france/introduction.html [consulté le 20 mai 2011] ; « Les associations dénoncent les effets de la nouvelle loi sur l’immigration », Agence France Presse, 12 octobre 2011.
2
« Spain Country Profile ». Global Detention Project, 2013. http://www.globaldetentionproject.org/countries/europe/spain/introduction.html#c2018 [consulté le 18 septembre 2013]. L’adoption de la Directive retour en décembre 2008, qui fixe la durée maximale de rétention à dix-huit mois, a servi de justification aux gouvernements cherchant à augmenter la durée de rétention lorsque celle-ci était largement inférieure à cette limite, par exemple en France ou en Espagne.
3
Entretien n°45, Direction de l’Union européenne, Service des politiques internes et des questions institutionnelles, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 14 juin 2011.
4
Ibid.
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Cependant, ceci relève d’une interprétation en son sens de ces Conclusions. En effet, les dernières en date au moment de l’entretien, et sans aucun doute les plus pertinentes à ce sujet, concernent précisément la définition d’une stratégie de l’UE en matière de réadmission. Or, deux conclusions mentionnent le rôle des relations bilatérales dans les négociations. L’une d’elle évoque justement l’articulation entre les accords préexistants et les accords européens dans ce domaine : Le Conseil appelle les États membres à mettre en œuvre les accords de réadmission conclus par l'UE qui sont en vigueur. Les accords et arrangements bilatéraux existants ne peuvent être appliqués que dans la mesure où ils sont compatibles avec les accords de réadmission conclus par l'UE ou s'ils sont prévus par ceux-ci étant donné qu'il est extrêmement important d'assurer l'efficacité et la crédibilité de la politique de l'UE en matière de réadmission vis-à-vis des pays tiers. (…) Le Conseil invite les États membres à continuer de soutenir pleinement la Commission, au niveau tant politique que diplomatique, durant les négociations (y compris grâce à leurs relations bilatérales avec le pays tiers concerné) et à lui apporter leur expertise nationale1 Si ces conclusions laissent une possibilité d’appliquer un accord ou un arrangement bilatéral, offrant ainsi une concession aux États membres qui en disposent déjà, elles constituent aussi une reconnaissance de la prévalence de l’accord européen puisque ces accords doivent soit « être compatibles », soit être « prévus » dans le cadre de cet accord. Elles semblent donc plutôt destinées à rassurer la Commission européenne, puisque ce sont « l’efficacité et la crédibilité de la politique de l’UE » qui sont déclarées prioritaires. Il s’agit donc d’un compromis entre la Commission et le Conseil sur ce sujet. Ces Conclusions du Conseil font suite à une évaluation des accords de réadmission présenté par la Commission en février 2011, qui avait pointé du doigt le fait que certains États membres continuent d’utiliser leurs accords de réadmission bilatéraux au lieu d’utiliser les accords européens2. Elles répondent aussi à des questions pratiques qui se sont posées aux acteurs nationaux et européens. Ainsi, nos interlocuteurs français font fréquemment référence
1
CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE (2011). 2807e session du Conseil justice et affaires intérieures. Conclusions du Conseil définissant la stratégie de l’UE en matière de réadmission, §2 et 7, op.cit. (les italiques sont de notre fait).
2
COMMISSION EUROPÉENNE (2011a). Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil : évaluation des accords de réadmission par l’UE. COM(2011) 76 final, Bruxelles, 23 février, p.4 (2.2).
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au cas de l’accord de réadmission avec le Viêt-Nam1. Ainsi, au Quai d’Orsay, on insiste surtout sur l’embarras juridique de la situation posée : Juridiquement le mandat doit nous interdire toute négociation, donc on ne pas conclure d’accord contraignant juridiquement. Dans le cas du Viêt-Nam, sur les aspects matériels la négociation est séparée. Juridiquement ça n’est pas très stable, on est sur un fil.2 Tandis qu’au SGAE, c’est la solution trouvée qui est évoquée : On a eu l’interrogation quand on était très avancés dans les discussions, par exemple sur le Viet Nam. Il a fallu notifier à la Commission que l’accord bilatéral ne serait que le protocole d’application.3 On constate ici un glissement progressif opéré lors des entretiens, entre une situation d’accords préexistants et une situation de négociations parallèles, que les acteurs savent ne pas avoir le droit de mener. Ce glissement est ici opéré par la mention de discussions « très avancé[e]s ». Par ailleurs, ce cas souligne le flou juridique et pratique qui existe autour de la répartition des compétences : les acteurs parlent d’un mandat de négociations, alors que le Conseil n’a jamais délivré de mandat de négociations pour un accord de réadmission avec le Viêt-Nam : en réalité, la situation est celle d’un accord-cadre de partenariat et de coopération entre l’Union européenne et le Viêt-Nam, qui inclut une clause de réadmission4. Cet accord était en cours de négociation au moment de nos entretiens en 2011 et au moment de la conclusion d’un arrangement bilatéral, sous la forme d’un mémorandum d’entente sur la réadmission, en juin 20115. Le calendrier des négociations autant que le flou juridique par rapport à la question du mandat européen ont permis de continuer la négociation bilatérale,
1
Entretien n°40, Secteur libre circulation des personnes, Secrétariat général aux affaires européennes, Paris, 18 mai 2011 ; entretien n°44, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 24 mai 2011 ; entretien n°45, Direction de l’Union européenne, Service des politiques internes et des questions institutionnelles, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 14 juin 2011.
2
Entretien n°45, Direction de l’Union européenne, Service des politiques internes et des questions institutionnelles, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 14 juin 2011.
3
Entretien n°40, Secteur libre circulation des personnes, Secrétariat général aux affaires européennes, Paris, 18 mai 2011.
4
Framework agreement on comprehensive partnership and cooperation between the European Union and its member States, of the one part, and the Socialist Republic of Viet Nam, of the other part, 27 June 2012.
5
MINISTERE DE L’INTERIEUR (2011). « Circulaire n°NORIOCL1122877C. Mémorandum relatif à la coopération en matière de réadmission de leurs nationaux en séjour irrégulier entre le ministère de l’intérieur, de l’outre mer, des collectivités territoriales et de l’immigration de la République française et le ministère de la sécurité publique de la République socialiste du Vietnam et ses annexes 1 et 2. », 17 août.
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mais les acteurs français retiennent surtout une solution qu’ils peuvent appliquer à d’autres situations et qui peut permettre de mener des négociations bilatérales en parallèle aux négociations européennes : l’idée selon laquelle un accord bilatéral peut constituer le protocole d’application de l’accord européen. On retrouve donc la distinction entre accord formel et mise en œuvre effective, avec la catégorie de « l’opérationnel », dans les entretiens afin de justifier des négociations parallèles aux négociations de l’Union européenne. Le raisonnement mis en avant par les acteurs français est le suivant : puisque les accords européens peuvent préciser que des arrangements bilatéraux serviront de protocoles d’application, comme c’est le cas par exemple dans les premiers accords signés par l’Union européenne, avec Hong Kong, Macao et le Sri Lanka (Schieffer 2003, 353), la négociation sur les aspects « opérationnels » peuvent être entamées ou poursuivies. Cependant, au ministère de l’Intérieur, on observe dans les entretiens sur le sujet une hésitation sur la description de ce qui était proposée au Maroc dans le cadre des accords de gestion concertée. L’affirmation de l’un de nos interlocuteurs au ministère de l’Intérieur est représentative des discours tenus par les acteurs français que nous avons rencontrés : La question de l’articulation avec l’accord européen a été évoquée. La règle c’est que les accords de réadmission sont négociés sur la base d’un mandat. A partir de ce moment-là, les États membres ne sont pas habilités à négocier des accords bilatéraux. On pourrait toujours poursuivre [un accord de gestion concertée] sur la partie mobilité, travail, mais pour la réadmission il y aurait une articulation à trouver. Ce qui se passe souvent, c’est qu’il reste des détails à préciser, les protocoles d’application. On a eu l’exercice l’an dernier avec la Russie et avec la Serbie. On peut imaginer qu’en cas de signature, l’accord deviendrait le protocole d’application.1 On voit là encore un raisonnement par analogie : à partir de cas pour lesquels l’accord de réadmission communautaire a été signé plusieurs années auparavant, en 20072, la question des protocoles de mise en œuvre est décrite comme anticipée par la proposition d’un accord de gestion concertée – bien que l’incertitude demeure quant au contenu exact de la proposition, celle-ci n’ayant pas été poursuivie. On retrouve cependant là encore, comme préalable à toute 1
Entretien n°44, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 24 mai 2011.
2
Accord entre la Communauté européenne et la Fédération de Russie sur la réadmission, JO, L 129/40, 17 mai 2007 et Accord entre la Communauté européenne et la République de Serbie concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier, JO, L 334/46, 19 décembre 2007.
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possibilité d’articulation, une affirmation de l’exclusivité de la compétence européenne. Ces raisonnements sont ensuite proposés sur le mode hypothétique pour le Maroc, sans doute parce que l’accord européen et la proposition française bilatérale sont bloqués à ce momentlà. Dans tous les cas, les interprétations offertes par les acteurs administratifs français insistent sur la possibilité de poursuivre une coopération bilatérale en dépit du mandat de négociation délivré à la Commission européenne. Elles sont renforcées par deux autres arguments, qui portent plutôt sur la spécificité des relations avec le Maroc. Répondre aux demandes marocaines La question de l’articulation entre les accords existants avec un accord européen s’est posée très concrètement au cours des négociations avec le Maroc, essentiellement à cause, nous l’avons vu, de la question des délais de réponse aux demandes de laissez-passer. Cette question a été abordée dès les premières négociations d’accords de réadmission par l’Union européenne (Schieffer 2003). Les difficultés de la Commission pour négocier ce point expliquent que en partie la question de l’articulation entre les accords bilatéraux et un accord européen, comme nous l’avons vu plus haut. Elle est accentuée par un prétendu refus marocain d’accepter une multiplicité de régulations. Un interlocuteur au ministère de l’Intérieur nous indique par exemple que « Les Marocains souhaiteraient maintenir les accords bilatéraux même si le droit européen est censé primer »1. La mention d’une préférence marocaine pour le bilatéral permet ainsi de minimiser le conflit entre les États membres qui disposent déjà d’arrangements bilatéraux et la Commission. Certains diplomates marocains expriment en effet une préférence pour les relations bilatérales : L’UE veut un accord [de réadmission], fait la pression, mais les relations bilatérales fonctionnent très bien ! (…) Quel intérêt on a à communautariser, nous, quand on a plein de possibilités en bilatéral ? 2 3 1
Entretiens n°59, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 20 mars 2012.
2
Entretien n°62, Direction européenne, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 8 juin 2012.
3
Cependant, cette position n’est pas partagée par tous les diplomates marocains. L’un d’eux affirme : « Pour nous, cet accord avec l’UE doit abroger les accords bilatéraux » (Entretien n°17, Direction de l’UE, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 19 novembre 2009). Cette divergence s’explique largement par les appartenances institutionnelles de ces diplomates, l’un étant en charge des relations bilatérales avec les pays de l’Europe du Sud, tandis que l’autre est en charge des relations avec l’Union européenne.
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L’argument présenté par ce diplomate est d’abord celui de l’efficacité, puisque les accords bilatéraux « fonctionnent très bien ». S’y ajoute l’idée d’un intérêt marocain à avoir une multiplicité d’interlocuteurs en bilatéral plutôt que de négocier seulement avec l’Union européenne. Bien que cet argument ne soit pas très courant dans nos entretiens, il réapparaît lors des négociations d’un partenariat pour la mobilité dans l’année 20131. La position diplomatique marocaine, qu’elle résulte d’une volonté de bénéficier d’une multiplicité d’interlocuteurs ou simplement d’un agacement – perceptible dans de nombreux entretiens – face à l’incapacité des « Européens » à se coordonner, est donc aussi un argument mis en avant par les fonctionnaires français pour justifier la poursuite de relations bilatérales sur la réadmission. Cet argument laisse aussi transparaître une volonté de préserver plus globalement une relation bilatérale considérée comme privilégiée. Une « relation spéciale » Le dernier élément qui transparaît, moins directement que les autres, dans l’argumentation présentée par les fonctionnaires en diplomates français en faveur de la poursuite de relations bilatérales directes sur les retours forcés parallèlement aux négociations communautaires pour un accord de réadmission, porte sur la conception qu’ils ont des relations entre la France et le Maroc. Ils considèrent ainsi que la France défend le Maroc auprès de l’Union européenne dans de nombreux domaines. Le dossier du Sahara occidental est par exemple mentionné par différents diplomates français2 comme un enjeu important dans la relation avec le Maroc. En effet, il s’agit d’une question extrêmement conflictuelle, sur laquelle l’Espagne a tendance à soutenir le Front Polisario3 et la France à soutenir le Maroc. Bien que l’enjeu n’en soit pas directement économique, c’est une question qui est traitée par les Nations Unies et son Conseil de 1
Un article de presse rapporte ainsi : « la Commission souhaite (…) l’abrogation des accords bilatéraux sur la réadmission une fois que l’accord européen aura été conclu. Le Maroc ne veut pas en entendre parler dans la mesure où il estime que les accords bilatéraux, à l’instar de celui signé avec Madrid, fonctionnent bien. » BEN MARZOUQ, Aziz (2013). « Migration : Rabat et Bruxelles d’accord pour la facilitation des visas », L’Economiste, 1er mars.
2
Notamment entretien n°36, Conseiller politique, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010 (pour qui le dossier du Sahara occidental est même « son bébé ») ; entretien n°46, Direction de l’Union européenne, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 16 juin 2011 et entretien n°47, Direction d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 28 juin 2011.
3
Le mouvement politique et armé qui lutte contre le contrôle marocain du Sahara occidental.
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sécurité : participer à sa résolution peut donc être prestigieux. Or, les acteurs français affichent une position très favorable au Maroc, et se vantent de défendre les intérêts marocains auprès de l’Union européenne, ou, comme nous le disait l’un de nos interlocuteurs au Quai d’Orsay : « En ce qui concerne le Maroc, les relation franco-marocaines sont très bonnes. La France fait figure d’ambassadeur du Maroc à Bruxelles. »1 Ou encore, dans les termes d’un autre diplomate : Les relations politiques [avec le Maroc] se font à très haut niveau et sont très diffuses. Ce sont des relations humaines, les sociétés sont très imbriquées. Au niveau économique, les entreprises françaises sont extrêmement présentes au Maroc (…). Ces relations sont connues à Bruxelles, on passe toujours pour les amis du Maroc à Bruxelles. En même temps on assume pleinement. Ca ne veut pas dire qu’on ne parle pas des choses qui fâchent, mais on essaye de trouver des solutions qui conviennent aux deux parties. Partout où on peut les défendre on les défend, dans la limite de nos intérêts.2 Il est difficile de déterminer dans quelle mesure ces affirmations de soutien sont influencées par le cadre de l’entretien : les personnes interrogées pensent sans doute avoir à faire à une personne « favorable » au Maroc, en raison du sujet de cette thèse sur les relations avec ce pays aussi bien que de suppositions sur les origines géographiques de son auteure. A la Commission européenne, le rejet systématique par la France de concessions dans le cadre de la négociation de l’accord de réadmission est parfois perçu à l’opposé, comme un antagonisme entre la France et le Maroc3. Cependant, la réalité des liens historiques, culturels et économiques entre les deux pays ne doit en effet pas être négligée. Les acteurs marocains perçoivent également les Français (et les Espagnols, dans une certaine mesure) comme des soutiens auprès de l’Union européenne, y compris et en particulier en ce qui concerne les politiques migratoires4. Nous avons vu par exemple dans le chapitre 5 comment ces deux États avaient constitué des alliés dans la promotion de « l’approche globale » auprès de l’UE. Ici, l’opposition française à tout accord de réadmission jugé insuffisant fait sans doute partie « des choses qui fâchent », mais
1
Entretien n°46, Direction de l’Union européenne, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 16 juin 2011
2
Entretien n°47, Direction d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 28 juin 2011.
3
Entretien n°50, DG Affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 2 février 2012.
4
Entretien n°62, Direction européenne, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 8 juin 2012.
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on peut aussi supposer que les acteurs français et marocains se satisfont très bien de la coopération bilatérale. De plus, la formule « dans la limite de nos intérêts » pose une limite à cette défense du Maroc auprès de l’Union européenne. Un certain paternalisme à l’égard du Maroc transpire aussi dans ces extraits, l’ancien protectorat y apparaissant comme un protégé de la France. Cette sorte de « special relationship » décrite entre le Maroc et la France est aussi un élément important pour comprendre le recul français par rapport à l’accord européen : malgré les difficultés de mise en œuvre des arrangements pour la réadmission dans les années 1990 et au début des années 2000, un espace de coopération bilatérale reste ouvert et potentiellement plus favorable à la réalisation d’objectifs concrets. L’argument quant à la spécificité de la relation France-Maroc, implicitement fondé sur l’histoire coloniale entre les deux pays, fait donc partie des arguments mobilisés par les diplomates français pour justifier la poursuite de discussions bilatérales.
Pour conclure, une analyse des discours tenus par les acteurs administratifs français sur la question de la répartition des compétences entre l’Union européenne et les États membres dans le domaine de la réadmission montre que cette répartition continue à faire l’objet de conflits. Efficacité, interprétations du droit, demandes marocaines et relation spéciale entre le Maroc et la France sont les principaux arguments évoqués par les fonctionnaires et les diplomates français pour justifier la coopération bilatérale sur les retours forcés malgré le mandat de négociation délivré à la Commission européenne. L’argument de l’efficacité et l’argument juridique distinguent accords de réadmission et mise en œuvre des retours forcés, et établissent une distinction entre accord communautaire et les protocoles de mise en œuvre afin de légitimer la poursuite de la coopération et de négociations bilatérales. Ainsi, l’idée d’une coopération « opérationnelle » dans la mise en œuvre a permis des négociations autour de la mise en œuvre des textes de coopération existants et le déploiement de dispositifs bilatéraux de coopération. Ces négociations ont également constitué une autre arène pour les acteurs étatiques marocains, qui y ont trouvé d’autres possibilités de faire entendre leurs arguments.
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B - Des pratiques bilatérales : négociations et contestations des instruments de la coopération sur les retours forcés Les analyses de la coopération sur la lutte contre les migrations irrégulières se sont concentrées sur les accords signés, sur les projets tels qu’ils sont décrits dans les documents et les discours officiels, ainsi que sur les variations entre ces discours. C’est aussi le cas des textes qui proposent l’hypothèse d’une résilience du bilatéralisme, notamment à travers une présentation des « accords liés à la réadmission » qui continuent d’être conclus en bilatéral (Cassarino 2011 ; Panizzon 2012). Très peu d’attention a été accordée aux perceptions des acteurs, mais aussi aux instruments effectivement mis en place. Nous avons montré comment les acteurs français proposent des interprétations du droit qui leur permettent de légitimer la poursuite d’une coopération bilatérale à travers la distinction entre les accords et leur mise en œuvre. Mais en quoi consiste au juste cette mise en œuvre ? Quels instruments et quelles pratiques constituent la matière de la coopération sur la réadmission et le contrôle de l’immigration irrégulière ? Le cas de la coopération bilatérale entre la France et le Maroc sur le contrôle des migrations irrégulières et les retours forcés nous permet d’étudier les instruments de la coopération. Ces instruments sont des dispositifs techniques et sociaux qui organisent des rapports entre une puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont ils sont porteurs (Lascoumes et Galès 2005, 13). L’étude des instruments permet de révéler des représentations spécifiques des enjeux traités, mais elle permet aussi de s’intéresser à la façon dont les acteurs interprètent ces instruments, comment ils peuvent les contester ou leur donner de nouvelles utilisations. Deux instruments sont ici examinés : d’une part, la mise en place et le travail d’un officier de liaison immigration français au Maroc ; d’autre part, le développement de statistiques de la coopération. Dans les deux cas, nous verrons comment ces instruments cherchent à influencer le comportement des acteurs marocains au niveau « technique », donc bien moins visible que la signature d’accords de réadmission. L’analyse de ces instruments permet aussi de mettre en avant, au-delà des discours sur une politique européenne de lutte contre les migrations irrégulières et de réadmission, la persistance de logiques et même de concurrences nationales, avec une coopération européenne très peu visible dans les pratiques. Enfin, elle permet aussi de voir comment ces pratiques constituent également des espaces de
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négociations et de contestations pour les acteurs marocains de différents ministères (Intérieur et Affaires étrangères).
1) Officier de liaison immigration et concurrences européennes. Le premier instrument permettant une coopération sur la question de la réadmission et plus généralement du contrôle de l’immigration irrégulière concerne les Ministères de l’intérieur, à travers l’envoi d’un officier de liaison immigration (OLI) au Maroc. Si l’envoi d’officiers de liaison par la police est relativement récent dans l’histoire de la police, il n’est pas une particularité française ou européenne (Bigo 1996 ; Bowling 2009). Cependant, dans le cas de la France, l’histoire du système des officiers de liaison est un héritage de la politique coloniale. Comme l’indique le blog de la Police Nationale : Le service de coopération technique internationale de police (SCTIP) a été créé en 1961, au moment de la mise en œuvre du processus de décolonisation en Afrique francophone afin d'apporter l'assistance des cadres de la police française aux États nouvellement indépendants.1 C’est également ainsi que nous est présenté ce service à l’ambassade de France à Rabat2, ce qui semble indiquer une conscience de cette histoire et de son insertion dans un cadre postcolonial. Cependant, les anciennes colonies ne sont pas les seules destinataires de ces officiers de liaison3. De plus, d’autres pays ont également développé l’envoi d’officiers de liaison à l’étranger. Didier Bigo a étudié le développement d’activités de police au-delà des frontières, et leur interconnexion croissante dans le cadre de la construction européenne : il a observé une « transnationalisation des bureaucraties de contrôle », liée à la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue et l’immigration irrégulière. Une grande partie de ces activités se concentre sur le contrôle des frontières (Bigo 1996). L’envoi d’officiers de liaison spécialisés dans l’immigration s’est quant à lui rapidement développé dans les années 1990 (Lutterbeck 2005). Si le développement d’un réseau international qui dépasse les frontières européennes est fréquemment évoqué, la plupart des analyses se concentrent sur la construction d’une
1
« Service de coopération technique internationale de police », Policenationale.fr, 2010.
2
Entretien n°38, Service de sécurité intérieure, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010.
3
« Implanté dans 100 pays au travers de 97 services de sécurité intérieure (SSI) et de trois antennes, le réseau du SCTIP couvre 154 pays, certains SSI ayant une compétence régionale ». Une vidéo de présentation du SCTIP présente sur la même page web développe l’exemple de l’officier de liaison à Londres dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. « Service de coopération technique internationale de police », Policenationale.fr, 2010.
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coopération européenne dans ce domaine, y compris lorsque le rattachement national des officiers de liaison est précisé (Bigo 1996 ; 2006 ; Samers 2004 ; Lutterbeck 2005 ; Clochard 2010 ; Casella Colombeau et Clochard 2012). Or, on peut constater la persistance de coopérations bilatérales à ce niveau aussi, d’autant plus que certains pays conservent des liens privilégiés avec ces États tiers. Comme dans le cas du contrôle des frontières (Darley 2008 ; Jeandesboz 2010), la formalisation d’une coopération européenne recouvre la persistance de logiques nationales. Le cas de l’officier de liaison immigration envoyé au Maroc révèle des enjeux de coopération et de souveraineté qui se définissent largement dans un cadre bilatéral. On y voit également transparaître, à travers les négociations menées par ces officiers au sujet de la mise en œuvre, une diplomatie du quotidien et des pratiques. Les officiers de liaison immigration, diplomates quotidiens de la mise en œuvre des retours forcés La coopération policière internationale pose la question de la souveraineté de l’État qui accueille des agents étrangers (Bigo 1996 ; Bowling 2009). C’est aussi le cas pour un officier de liaison immigration, qui doit mettre en balance les objectifs de son pays avec les limites posées par le ministère de l’Intérieur du pays qui l’accueille et les objectifs propres de ce partenaire. Si la présence de l’officier de liaison français au Maroc est présentée par l’ambassade comme reposant un équilibre entre les deux partenaires, elle répond bien plus aux objectifs de la France qu’à des demandes marocaines. En développant une coopération quotidienne sur le terrain, l’objectif des autorités françaises est de former les services marocains à la lutte contre les migrations irrégulières et d’améliorer les résultats pour la France, en partie dans le domaine des retours forcés. A partir de 2004, les relations bilatérales entre le Maroc et la France dans le domaine de la sécurité intérieure entre les deux pays sont structurées autour de trois objectifs : la lutte contre le trafic de drogues, contre le terrorisme et contre l’immigration clandestine. Aux officiers de liaison sur les stupéfiants s’ajoute donc, à partir de 2005, un officier de liaison immigration1.
1
BELLAL, Essaïd et Jean-Paul GOUREVITCH, Abdel-ilah JENNANE, Benoît THERY (2007). Evaluation de la coopération maroco-française (1995-2005) - Rapport final. MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES ET DE LA COOPERATION DU ROYAUME DU MAROC / MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES DE LA REPUBLIQUE FRANÇAISE, 15 mai ; DE VILLEPIN, Dominique (2004). Allocution au 14e Colloque annuel du SCTIP, 10 septembre. Au moment de nos entretiens, il n’y a aucun conseiller sûreté et migration français implanté dans un aéroport au Maroc – ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a aucune coopération dans les aéroports. Aucun officier de liaison spécialisé dans la lutte contre le terrorisme n’est mentionné dans la documentation ou lors des entretiens.
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Figure 2 - Le Service de sécurité intérieure au sein de l'Ambassade de France à Rabat (à partir de 2010)1 Il appartient à un Service de sécurité intérieure (SSI) au sein de la Direction de la coopération internationale (anciennement le Service de coopération internationale et technique, SCTIP, appellation qui est encore celle utilisée par les membres du SSI rencontrés à Rabat). Cependant, comme le montre la figure ci-dessus, le Service de sécurité intérieure relève d’une double autorité : à la fois la police (donc le ministère de l’Intérieur) et la
1
Cette figure ne représente pas une relation hiérarchique entre le ministère de l’Intérieur et le ministère des Affaires étrangères, mais entre le ministère de l’Intérieur et le Service de sécurité intérieure, qui agit au sein de l’ambassade. Le Service de coopération internationale et technique (SCTIP) de la police nationale et les services de la gendarmerie ont été rapprochés au sein de la Direction de la coopération internationale (DCI) en septembre 2010, placée sous une double autorité. Les acteurs du SSI, rencontrés justement au moment de ces transformations, utilisent cependant uniquement le terme SCTIP. « Arrêté du 27 août 2010 relatif aux missions et à l’organisation de la direction de la coopération internationale », Journal officiel de la République française, 2010.
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gendarmerie (passée du ministère de la Défense au ministère de l’Intérieur en 2010). Le site de la Police nationale qui présente le Service de sécurité intérieure distingue trois types de coopération : la coopération opérationnelle, qui concerne la « recherche ouverte de renseignements » ; la coopération technique, qui « se traduit par l'élaboration et la mise en œuvre de programmes de formation, de séminaires d'étude, de fourniture d'équipements en liaison avec les directions et services de la police et de la gendarmerie nationales » ; et la coopération institutionnelle, qui consiste à participer à des réunions d’experts dans des enceintes inter-gouvernementales ou internationales1. Les agents du Service de sécurité intérieure de l’ambassade de France à Rabat distinguent quant à eux essentiellement un rôle opérationnel et un rôle technique et ne sont pas concernés pas la coopération institutionnelle. On ne retrouve donc pas ici la distinction utilisée par les acteurs administratifs entre le technique et le politique, ce qui est sans doute dû à l’appartenance organisationnelle des membres du Service de sécurité intérieure. Ceci ne signifie pas pour autant que ce service ne joue aucun rôle politique. Ce rôle politique passe par une négociation des objectifs de la présence étrangère au Maroc. L’objectif, pour les acteurs français, est d’avoir un rôle direct dans le contrôle des migrations, c’est-à-dire de « l’opérationnel ». Cependant, la question de la souveraineté se pose avec acuité. La coopération « technique » est donc conçue comme une incitation à la coopération opérationnelle. Dans les termes d’un membre du Service de sécurité intérieure (SSI) de l’ambassade de France à Rabat : « On propose une coopération technique pour construire une coopération opérationnelle »2. On voit bien ici comment la relation entre ces deux dimensions de l’action du SSI sont perçues. Cette idée que le technique, c’est-à-dire essentiellement les formations proposées aux autorités marocaines, peut servir d’incitation à la coopération marocaine est directement liée à la question de la souveraineté marocaine telle qu’elle est perçue par les acteurs. Dans ce cadre, la présence des autorités françaises est décrite comme une intrusion qui doit être négociée, marchandée : Si on est tolérés, c’est parce qu’on essaye de créer un équilibre entre ce qu’on demande en matière opérationnelle et ce qu’on donne en matière technique. On organise une quarantaine de formations par an sur tous les sujets, par exemple la détection de faux-papiers ou bien la création d’un groupe RAID. 3 (…) On n’est pas 1
« Service de coopération technique internationale de police », Policenationale.fr, 2010.
2
Entretien n°38, Service de sécurité intérieure, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010.
3
Le RAID (Recherche, assistance, intervention, dissuasion).est une unité d’élite de la police nationale française.
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une œuvre de bienfaisance. Le technique est le levier de l’opérationnel. Pour nous c’est notre monnaie d’échange. 1 Le fait que cet interlocuteur parle d’une « tolérance » marocaine pointe précisément l’enjeu de la souveraineté marocaine. En effet, il ne va pas de soi pour un État d’accepter la présence de forces policières et militaires étrangères sur son territoire. La « tolérance » est en fait l’accord donné par les autorités marocaines à cette présence. « L’opérationnel » est aussi clairement décrit, encore une fois, comme l’objectif français, et « le technique » comme une demande marocaine, à travers la métaphore économique de la « monnaie d’échange ». Cette métaphore rappelle également la métaphore marchande présente dans les négociations sur la réadmission. Elle montre également que le discours mobilisé par les agents sur le terrain correspond au langage politique des négociations, et non seulement à l’aspect technique dont ils se prévalent. En ce sens, les agents du Service de sécurité intérieure, bien que relevant de la police ou de la gendarmerie, sont aussi des diplomates. Dans ce contexte, le rôle de l’officier de liaison immigration (OLI) est décrit comme essentiellement opérationnel. Ainsi, l’OLI décrit lui-même la décision d’implanter un officier à Rabat comme résultant d’une « perspective opérationnelle »2. L’attaché de sécurité intérieure le décrit ainsi : C’est un spécialiste, un technicien. C’est un policier qui a travaillé aux PAF [Police aux frontières] pendant une grande partie de sa carrière, il est ici pour créer avec police marocaine les conditions d’une bonne collaboration entre la France et le Maroc pour mieux contrôler les flux migratoires, détecter les filières de migrations clandestines. C’est le conseiller des autorités marocaines.3 Ici, le « technicien » ne s’oppose pas à l’opérationnel, mais il est utilisé comme synonyme de spécialiste, et s’oppose donc plutôt à des agents plus généralistes. Les tâches qui sont décrites restent relativement vagues, mais sont bien opérationnelles, puisqu’il s’agit de s’impliquer directement dans les opérations de contrôle. Son expérience à la Police aux frontières en France, en garantissant une connaissance du terrain, permet de légitimer son rôle au Maroc. Le terme de « conseiller » est plus ambigu : s’il désigne ici un conseil opérationnel, sur le terrain, il pointe aussi une dimension plus politique du travail de l’OLI. Il est d’ailleurs intéressant de constater que l’OLI se définit à l’inverse lui-même comme ayant une 1
Entretien n°38, Service de sécurité intérieure, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010.
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Entretien n°39, Service de sécurité intérieure, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010.
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Entretien n°38, Service de sécurité intérieure, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010.
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« compétence plutôt généraliste », par opposition aux conseillers sûreté et migrations implantés sur les plateformes aéroportuaires dans d’autres pays1. Pour décrire son rôle « opérationnel », l’OLI insiste sur son rôle de liaison : Je fais l’interface entre les services de police marocains et français pour la recherche sur des documents français (pour les Marocains) ou sur les filières, les enquêtes (pour les Français). Il y a un volet judiciaire : sur les réseaux, la fabrication de faux-papiers etc, et un volet identification : par rapport à la migration irrégulière de Marocains.2 Son rôle concerne donc différents aspects de la lutte contre les migrations irrégulières. Au cours de l’entretien, il insiste essentiellement sur ce qu’il nomme ici le « volet judiciaire », c’est-à-dire un travail d’enquête sur les réseaux ou les filières d’émigration irrégulière, et surtout sur son travail autour des faux papiers. La question de la réadmission entre dans la deuxième catégorie d’actions mentionnée ici, le « volet identification ». L’OLI évoque le rôle « opérationnel » qu’il peut avoir dans le domaine de la réadmission : On a constaté que les demandes allaient parfois plus vite quand on saisissait un officier SCTIP sur place. (…) Pour certaines populations, quand ce sont des demandes urgentes, on passe par le canal du SCTIP, mais ça concerne environ une vingtaine de demandes par an.3 La dimension diplomatique du travail de l’officier de liaison immigration transparaît dans cet extrait. L’OLI souligne le rôle d’intercesseur qu’il peut être amené à jouer auprès des autorités marocaines. S’il nous informe sur le rôle « opérationnel » de l’OLI ou du Service de sécurité intérieure dans la délivrance des laissez-passer nécessaires à la réadmission, ce passage montre aussi le rôle des contacts informels dans la mise en œuvre de la coopération dans ce domaine. Bien que des procès-verbaux ou des protocoles sur la réadmission existent, les contacts fréquents entre les administrations respectives de chaque pays permettent de faciliter la mise en œuvre quand c’est nécessaire. Cependant, l’OLI s’attache à souligner que ces demandes sont relativement rares et réservées aux cas « urgents », sans toutefois expliciter ce qui caractérise ces cas et comment l’urgence est définie.
1
Entretien n°39, Service de sécurité intérieure, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010.
2
Ibid.
3
Ibid.
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Ce rôle d’intercesseur peut s’avérer nécessaire, selon l’OLI, en raison des lenteurs de la procédure officielle, qui passe par les voies diplomatiques. Il décrit ainsi le cheminement d’une demande de laissez-passer au sein de la police marocaine : Les démarches d’identification prennent du temps. Jusqu’en 2007, le fichier était semi-automatisé. En 2008, la carte d’identité nationale électronique a été accompagnée par un fichier automatisé, avec une base criminelle d’environ 2 millions de personnes, et qui est aussi alimentée par un fichier civil (7-8 millions de personnes). L’ensemble des fichiers constitue un fichier AFIS [Système d'identification automatique par empreintes digitales], un système mis en place par les Américains. La DGSN [Direction générale de la sûreté nationale] consulte le fichier automatisé, puis semi-automatisé. Tout devrait être automatisé d’ici environ 4 ans. Il y a des avancées en termes d’identification. Mais les réponses sont retransmises en France par le canal diplomatique, c’est long.1 Notre interlocuteur aborde ici directement des détails concernant les outils matériels utilisés par la police marocaine pour identifier une personne. Ceci lui permet de souligner la lenteur de la procédure et la mise en place de nouveaux outils afin de l’accélérer. « Le canal diplomatique », c’est-à-dire le passage par les Ministères des affaires étrangères, est décrit comme une cause additionnelle de ralentissement de la transmission des laissez-passer. La description donnée ici occulte d’ailleurs toute une partie du processus, qui passe d’abord par les consulats marocains en France. Selon un fonctionnaire du Ministère des affaires étrangères et de la coopération (MAEC) marocain, en l’absence de documents d’identité, la personne chargée du dossier au consulat marocain en France prend les empreintes digitales des personnes à réadmettre et les transmet à la sûreté nationale pour vérification. Un « agent carte d’identité nationale » relevant de la Direction générale de la sûreté nationale, en détachement au MAEC, est présent dans chaque consulat2. Ces demandes de laissez-passer sont donc décrites comme des procédures routinières, mais qui nécessitent une base matérielle importante, surtout pour être rapides. Or, l’intervention du Service de sécurité intérieure et de l’OLI n’est pas qu’opérationnelle, dans ce contexte. En effet, les connaissances de notre interlocuteur ne proviennent pas simplement de discussions, mais d’un travail des autorités françaises en vue de l’amélioration de ces bases de données, afin de faciliter l’identification des personnes. L’officier de liaison ne mentionne 1
Ibid.
2
Entretien n°6, Direction des affaires juridiques et des traités, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 22 octobre 2009.
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cependant aucun rôle des autorités françaises dans la mise en place et l’automatisation de ces bases de données. Pourtant, comme le mentionne l’attaché de sécurité intérieure : « L’OLI s’occupe en premier lieu de l’opérationnel, mais fait aussi le relais sur l’info, sur ce qu’il faudrait faire pour les formations et la coopération technique »1. On voit ici qu’il est en réalité difficile de séparer complètement l’opérationnel et le technique, la participation aux activités de la police marocaine et sa formation. Dans le cas de l’identification, les acteurs marocains nous parlent d’ailleurs plutôt de « problèmes d’identification pour l’Union européenne ». Un fonctionnaire de la Division des affaires consulaires et sociales au MAEC mentionne ainsi les progrès dans l’identification au Maroc dans le cadre de la coopération avec les pays de l’Union européenne : Dans la lutte contre l’immigration irrégulière, (…) il y a des problèmes d’identification pour l’Union européenne. Ca fait partie des volets de coopération : des cours de police, l’établissement de documents de voyage modernes (…). C’est en cours. On a la nouvelle carte d’identité nationale (depuis 2007 ou 2008), le passeport biométrique c’est pour bientôt.2 Les progrès dans les systèmes d’identification sont ici largement attribués aux pressions de l’Union européenne, mais ont aussi fait l’objet de formations. S’il n’est donc pas certain que la France ait donné ces formations, on voit que la coopération technique, présentée comme une demande marocaine et une monnaie d’échange, répond en réalité aussi à l’objectif européen – et particulièrement français et espagnol – de réduire les délais de délivrance des laissez-passer consulaires. La coopération bilatérale sur le terrain autour de la réadmission prend donc des formes diverses, mais pour lesquelles la distinction faite par les acteurs entre l’opérationnel – qui servirait les objectifs français – et le technique – qui répondrait aux demandes marocaines – ne semble pas toujours applicable. Il s’agit en fait de créer des contacts quotidiens sans lesquels la mise en œuvre des accords signés ne semble pas possible. En ce sens, l’officier de liaison immigration joue un rôle diplomatique de négociation de la mise en œuvre des arrangements existants entre le Maroc et la France. Bien qu’un accord de réadmission européen soit en cours de négociation, et que la coopération pour le contrôle des migrations
1
Entretien n°38, Service de sécurité intérieure, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010.
2
Entretien n°20, Direction des affaires consulaires et sociales, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 26 novembre 2009.
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soit l’un des axes de la coopération européenne, la mise en œuvre de la coopération continue de se faire essentiellement dans le cadre de relations bilatérales.
La difficile mise en réseau des officiers de liaison européens : concurrences et diversité des offres de coopération La coopération dans le domaine de la lutte contre les migrations irrégulières a pris une forme européenne à travers la mise en place de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex). Les opérations menées par Frontex impliquent généralement des forces de police ou des forces militaires (marine) nationales. La mise en œuvre européenne de la lutte contre les migrations irrégulières passe donc d’abord par la coopération bilatérale. Si l’Union européenne a pu partiellement financer l’équipement de contrôle des frontières marocaines1, elle s’est fondée sur une collaboration élaborée d’abord en bilatéral, à travers la mise en place du Système intégré de vigilance extérieure (SIVE) adopté en 1999 et lancé à Algésiras en 2002 (Carling 2007). Les opérations conjointes de police aux frontières ont en réalité eu lieu grâce à une collaboration entre l’Espagne et le Maroc. Ainsi, l’OLI français à Rabat déclare : Les Marocains n’ont absolument aucun contact avec Frontex. Ils font plutôt du bilatéral, avec l’Espagne, surtout : des patrouilles mixtes, des commissariats communs (à Tanger et Algésiras). Ils ont eu une réunion de haut niveau il y environ un mois et demi.2 L’OLI français évoque ici la coopération entre la Guardia civil espagnole et la Gendarmerie royale marocaine. Cependant, il semble que cette coopération bilatérale soit progressivement passée sous la supervision générale de Frontex (Sánchez-Montijano et Zaragoza Cristiani 2013). Il est intéressant de noter deux éléments dans cette réponse de l’OLI français à la question d’une coopération maroco-européenne opérationnelle sur le contrôle des migrations irrégulières. D’une part, il souligne que la coopération européenne avec les pays tiers dans ce domaine ne se fait pas au niveau de la mise en œuvre opérationnelle de la surveillance des frontières. D’autre part, il indique une coopération du Maroc avec l’Espagne, qu’il suit de près, puisqu’il est au courant des réunions qui ont lieu. Cette dernière remarque sous-tend 1
Voir à ce sujet le chapitre 6. L’Union européenne a consacré 67,625 millions d’euros à l’appui institutionnel à la lutte contre l’immigration illégale.
2
Entretien n°39, Service de sécurité intérieure, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010.
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également l’existence d’une concurrence plus que d’une coordination entre les différents États membres sur le terrain. Les officiers de liaison immigration sont avant tout des officiers nationaux. En dépit d’un règlement du Conseil, qui formalise en 2004 l’idée d’un réseau européen d’OLI dans les pays tiers1, et d’une décision de la Commission en 2005 qui impose la remise régulière d’un rapport sur les activités de ce réseau sous un format unifié2, les rivalités entre différents pays européens se font sentir. Dans nos entretiens, l’Espagne est fréquemment mentionnée comme partenaire dans la lutte contre les migrations irrégulières, mais aussi rivale pour l’accès aux autorités marocaines. L’OLI commente ainsi les activités espagnoles au Maroc : Par rapport à l’Espagne, nous à la DCI notre spécialité c’est le retour en sécurité intérieure. Les Espagnols étaient plus dans le stratégique, dans leur relation avec le Maroc, pas tellement sur l’opérationnel, pour sécuriser l’axe, il n’y avait pas spécifiquement d’officier de liaison. Mais eux aussi ont un souci avec l’aéroport Mohammed V. Il y en a un qui est arrivé il y a deux-trois mois, il est en attente de l’accord des autorités marocaines pour aller sur l’aéroport. (…) Les patrouilles mixtes c’est uniquement la Guardia Civil. Nous on ne travaille pas avec eux, mais uniquement avec la police et la gendarmerie [marocaines].3 Il s’agit bien ici de comparer les pratiques espagnoles et les pratiques françaises sur le terrain. Aucune définition précise de la notion de « retour en sécurité intérieure » – ou de son mode de calcul ! – n’est donnée, elle semblerait correspondre au rapport entre le coût de la coopération extérieur et le gain produit par cette coopération pour la sécurité intérieure (qui n’est ellemême pas définie). Cette expression est employée à plusieurs reprises par les deux membres rencontrés dans le Service de sécurité intérieure de l’ambassade à Rabat. Elle correspond à un discours managérial sur la sécurité intérieure, qui légitimerait l’action à l’extérieur des frontières uniquement par leur intérêt pour la sécurité du territoire français. Cependant, la distinction établie entre « retour en sécurité intérieure » et « stratégique » semble très superficielle, d’autant plus que les Espagnols ont développé une coopération opérationnelle active notamment avec la mise en place de patrouilles mixtes aux frontières. Ce passage confirme cependant que les activités de coopération des Espagnols avec le Maroc pour le 1
CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE (2004). Règlement (CE) n°377/2004 du Conseil, du 19 février 2004, relatif à la création d’un réseau d’officiers de liaison « Immigration ».
2
COMMISSION EUROPÉENNE (2005). Décision de la Commission du 29 septembre 2005 relative au format uniforme des rapports sur les activités des réseaux d’officiers de liaison « immigration » ainsi que sur la situation dans le pays hôte en matière d’immigration illégale (2005/687/CE).
3
Entretien n°39, Service de sécurité intérieure, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010.
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contrôle des frontières et des migrations fait l’objet d’un intérêt important, voire d’une surveillance, de la part des acteurs français de la sécurité intérieure. Un autre membre du Service de sécurité intérieure nous parle d’ailleurs de la coopération technique française avec le Maroc en mentionnant la primauté de la France dans ce domaine : La demande de coopération technique est forte. Notre stratégie au Maroc c’est d’y répondre massivement. On est les premiers au Maroc. De loin. Loin derrière il y a l’Espagne, puis le Royaume-Uni, les États-Unis. En plus du reste il y a des enjeux d’influence.1 La coopération « technique » est encore une fois présentée comme une demande marocaine, mais la réponse à cette demande est aussi décrite comme un enjeu « d’influence » : assurer la formation technique de la police marocaine permet de promouvoir des normes et une façon de pratiquer le contrôle des populations, les enquêtes. Cela permet aussi de tisser des contacts qui favorisent ensuite la coopération « opérationnelle ». La « réponse » française est d’ailleurs présentée comme une « stratégie », c’est-à-dire que les enjeux d’influence sont des enjeux géo-stratégiques. On perçoit également dans la formulation une certaine fierté ou du moins une satisfaction à être « les premiers ». L’Espagne, pays européen frontalier du Maroc et ayant aussi des relations marquées par une histoire coloniale, est placée en deuxième position, viennent ensuite le Royaume-Uni et les États-Unis, pour qui le Maroc constitue un enjeu important surtout dans le domaine de la lutte contre le terrorisme2. Pour le Service de sécurité intérieure de l’ambassade de France à Rabat, le bilatéralisme est aussi une réponse aux demandes marocaines : « Sur certains sujets, il peut y avoir une coopération européenne. Mais les Marocains préfèrent le bilatéral au multilatéral. Ils préfèrent faire leur marché eux-mêmes »3. On retrouve ici la métaphore marchande. Pourtant, s’il est vrai que les acteurs marocains rencontrés questionnent parfois la nécessité ou
1
Entretien n°38, Service de sécurité intérieure, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010.
2
« En juillet 2004, le Maroc recevait le statut d’allié majeur non-OTAN, permettant notamment la levée de restrictions sur certaines ventes d’armements et, la même année, un accord de libre-échange, entré en vigueur au 1er janvier 2006, était également signé ». La première session d’un dialogue stratégique entre les États-Unis et le Maroc a officiellement été lancée en septembre 2012. TISSERON, Antonin (2012). « Les États-Unis sont-ils en train de mettre l’Europe à la porte du Maghreb ? », Atlantico.fr, 14 septembre 2012 http://www.atlantico.fr/decryptage/etats-unis-sont-en-train-mettre-europe-porte-maghreb-antonin-tisseron481667.html [consulté le 8 décembre 2012]. Pour la relation entre le Maroc et les États-Unis, voir aussi Messari 2001,White 2005.
3
Entretien n°38, Service de sécurité intérieure, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010.
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l’intérêt d’un accord de réadmission européen, il est difficile de savoir quelle est leur position dans le domaine de la coopération technique, étant donné la difficulté à rencontrer des fonctionnaires du Ministère de l’intérieur. Le fonctionnaire rencontré évoque beaucoup plus la coopération avec l’Espagne que celle avec la France, notamment avec la constitution d’un groupe migration mixte1 qui a permis d’organiser le développement de patrouilles et de commissariats en commun2. En revanche, le fonctionnaire de ce Ministère auquel nous avons parlé n’a guère souhaité répondre à des questions détaillées sur le contenu de la coopération. Il convient donc de considérer avec prudence l’idée que les Marocains « préfèrent faire leur marché eux-mêmes » dans le domaine de la coopération technique, même si elle semble confortée dans le domaine des négociations d’accords. Quelle que soit la réalité des demandes marocaines de coopération bilatérale en « sécurité intérieure », cet argument sert aussi à légitimer la faiblesse de la coopération européenne. Rejeter la responsabilité du bilatéralisme sur « les Marocains » permet de ne pas poser la question de la responsabilité française – ou espagnole, ou belge etc – dans la persistance des relations bilatérales et le faible développement d’une coopération européenne. Si « sur certains sujets, il peut y avoir une coopération européenne », la lutte contre les migrations irrégulières, mais surtout la réadmission, ne font pas nécessairement partie de ces sujets. La coopération européenne n’est jamais présentée comme une évidence. En effet, la coopération avec d’autres pays européens peut être perçue comme contraignante, comme c’est le cas dans la description qu’en donne l’officier de liaison immigration : Ici il y a plusieurs officiers de liaison. Il y a une semaine, on a eu une réunion organisée à l’initiative de la Belgique (en charge de la présidence de l’Europe). On a une obligation de se réunir plusieurs fois par an pour communiquer.3 Dans ce cas, la coopération européenne est donc décrite comme une contrainte, une « obligation » et se limite d’ailleurs à « communiquer » plutôt qu’à se coordonner. La source ou la nature de cette « obligation » ne sont pas explicitées, cependant elle est liée dans ce passage à l’Union européenne, à travers la mention de la présidence de l’Union européenne par la Belgique. 1
Entretien n°21, Direction des migrations, Ministère de l’Intérieur, Rabat, 26 novembre 2009.
2
En 2012, deux centres de coopération policière maroco-espagnol ont été inaugurés à Tanger et à Algésiras, en Espagne. « Ouverture de deux centres de coopération sécuritaire entre le Maroc et l’Espagne à Tanger et Algesiras », L’Opinion, 30 mai 2005 ; BABA ALI, Amal (2012). « Les Echos quotidien dans les coulisses du centre de coopération policière maroco-espagnol », Les Echos, 2 août.
3
Entretien n°39, Service de sécurité intérieure, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010.
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Quant à l’attaché de sécurité intérieure, s’il ne présente pas la coopération européenne sous l’aspect de la contrainte, il met en avant des tentatives de mise en commun des ressources des différents États membres, plutôt qu’une coopération organisée au niveau européen : « On gagnera ou on gagnerait sûrement à terme à essayer d’avoir une coopération européenne, pour ne pas s’apercevoir que d’autres font les mêmes formations »1. On voit que l’idée d’une coopération européenne résulte ici d’un souci de nature quasi-économique : il s’agit de ne pas proposer des formations superflues et, comme dans le cas de l’organisation de charters européens (Clochard 2010), de mutualiser les moyens. Ce souci se combine à l’enjeu d’influence mentionné par ce même interlocuteur au cours de l’entretien : il s’agit en effet de proposer une offre de formation qui présente un intérêt suffisant pour être attractive aux yeux des fonctionnaires du Ministère de l’intérieur marocain. Pour conclure, la coopération bilatérale dans le domaine de la réadmission sur le terrain prend la forme de contacts réguliers avec les autorités marocaines dans sa dimension « opérationnelle », et de mise en place de formations sur la lutte contre les migrations irrégulières dans sa dimension « technique », même si la distinction entre ces deux dimensions est parfois difficile. Au final, il s’agit pour les acteurs français de la sécurité intérieure de diffuser leurs pratiques, mais aussi d’entretenir des relations fréquentes avec les services marocains, afin d’assurer des canaux pour leur influence. Dans ce cadre, la présence d’officiers de liaison d’autres États membres est perçue comme une concurrence plutôt que comme un soutien dans le cadre d’une coopération européenne. Pour les fonctionnaires français, il s’agit avant tout d’assurer un « retour en sécurité intérieure » de leurs actions à l’étranger. L’insistance du Service de sécurité intérieure sur ce concept attire notre attention sur la dimension managériale développée dans la coopération internationale sur le contrôle des migrations. On retrouve également cette dimension dans les relations entre le Ministère de l’intérieur français et le Ministère des affaires étrangères et de la coopération marocain.
2) Comptes et décomptes de la réadmission : les statistiques de la coopération. Le second instrument mis en place dans la coopération sur la question de la réadmission est un instrument de mesure de cette coopération utilisé par le Ministère de l’intérieur français 1
Entretien n°38, Service de sécurité intérieure, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010.
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dans le travail avec les autorités consulaires marocaines en France. Cet instrument est un pourcentage de délivrance des laissez-passer demandés par les autorités du pays d’origine, appelé « taux de délivrance ». Il constitue une tentative de quantification de la coopération des pays d’origine, qui doit permettre de « faire pression » sur les fonctionnaires de ces pays pour améliorer cette coopération. L’utilisation d’instruments quantitatifs dans le domaine des relations internationales n’est pas limitée à la réadmission, mais concerne également le reste de la coopération sur la sécurité intérieure. L’usage répété par les deux fonctionnaires du Service de sécurité intérieure de l’ambassade de France à Rabat de la notion de « retour en sécurité intérieure » en est un autre exemple. L’utilisation d’outils quantitatifs dans l’évaluation de la coopération internationale s’inscrit dans le courant de la nouvelle gestion public (New public management) qui a émergé notamment au Royaume-Uni dans les années 1980 (Aucoin 1990 ; Dunleavy et Hood 1994) ; et qui s’est imposé en France dans les années 2000 (Bezes 2005). Il s’agit d’utiliser des instruments de gestion issus du secteur privé dans le public, avec pour objectif une amélioration de la productivité et de l’efficacité du travail des fonctionnaires. L’utilisation des outils quantitatifs a fréquemment été décrite comme une tentative de dépolitisation d’enjeux potentiellement conflictuels (Desrosières et Kott 2005 ; Vigour 2006 ; Bezes 2007). Nous avons également montré, dans le chapitre 1, comment la préférence des États membres pour une coopération directe sur la réadmission, au niveau de la mise en œuvre, permettait, en se concentrant sur les aspects techniques de cette coopération, d’euphémiser la dimension politique des négociations sur le sujet. Cependant, l’analyse de la coopération sur la réadmission montre que l’usage d’instruments de mesure quantitatifs ouvre également de nouveaux espaces de contestation. Alain Desrosières (1992, 143) note que « l’inscription d’une mesure dans un système de négociations et d’institutions relativement stabilisées (…) peut fournir des arguments pour nier la consistance de certains indicateurs statistiques ». De même, Andrew Barry (2002), dans son étude des « politiques de calcul », souligne la fragilité de ce qu’il appelle les « régimes métrologiques » : la mise en place d’instruments techniques de mesures et l’organisation de ces mesures créent de nouvelles contraintes pour les acteurs et en cela prêtent le flanc à la critique. C’est précisément ce qui s’est produit dans le cas du « taux de délivrance » des laissez-passer consulaires (LPC).
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Mesurer la coopération sur la réadmission. Au début des années 1980, alors que la France a officiellement fermé ses frontières à l’immigration au début des années 1970, une partie non-négligeable des discussions francomarocaines sur la circulation des personnes tourne autour de l’entrée et de la sortie du territoire. Dans ce contexte, la mise en place d’une carte à deux volets1 en 1983 puis celle du visa en 1986 (Costa-Lascoux 1986) sont des tentatives pour limiter l’installation irrégulière de Marocains sur le sol français. La mise en place de ces documents marque aussi la naissance d’une comptabilité spécifique des refus ou des accords de visas et des personnes entrées mais non ressorties2. C’est dans ce cadre que la question des retours forcés émerge comme une question de coopération. Au départ, on constate qu’elle est abordée à ce moment-là au cas par cas et la question des délais de délivrance est soulevée. On trouve par exemple dans les dossiers du Secrétariat d’État aux immigrés un courrier du préfet du Gard faisant état de difficultés avec le consulat du Maroc pour l’obtention d’un laissez-passer consulaire3. Dans les réunions bilatérales, la question est abordée de façon générale. C’est ainsi qu’en 1982, la Commission mixte liée à la Convention de main d’œuvre de 1963 décide de mettre en place un « groupe d’experts des deux pays » pour étudier le « problème » de la délivrance des laissez-passer consulaires par le Maroc4. Cependant, en janvier 1984, ce groupe d’experts ne s’est toujours pas réuni, principalement à cause du faible enthousiasme des autorités marocaines à ce sujet5. A ce moment-là, la question des laissez-passer consulaires reste marginale dans les relations bilatérales sur l’immigration, qui sont surtout marquées par la question du retour volontaire ou de la « réinsertion » des travailleurs marocains licenciés dans l’automobile. Si on trouve des
1
Présentée dans le chapitre 1.
2
Par exemple, la question de la fiabilité des statistiques des flux est soulevée et liée notamment à la difficulté de comptabiliser les flux touristiques. Voir Note Massot au sujet de la connaissance statistique des flux et les relations entre la France et les trois pays du Maghreb, avril 1983. Archives Weil, Centre d’histoire de Sciences Po, WE21.
3
Lettre du Préfet du Gard au Ministre des Relations Extérieures faisant état de difficultés avec le Consulat du Maroc à Montpellier, 31 juillet 1985. Archives Weil, Centre d’histoire de Sciences Po, WE44.
4
Procès-verbal, Quatrième réunion de la Commission mixte prévue à l’article 14 de la Convention de main d’œuvre du 1er juin 1963, 3-4 juin 1982 (Paris), 9-11 novembre 1982 (Rabat). Archives Weil, Centre d’histoire de Sciences Po, WE43.
5
Lettre de Claude Cheysson à Georgina Dufoix, 10 janvier 1984. Archives Weil, Centre d’histoire de Sciences Po, WE43(3).
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statistiques concernant des sujets divers liés aux migrations, les laissez-passer consulaires ne font pas encore l’objet d’un décompte précis. La première mention du « taux de délivrance » que nous avons retrouvé concerne l’année 20001. Tel que défini par le Ministère de l’intérieur français, ce taux correspond au pourcentage de laissez-passer consulaires délivrés par rapport au nombre de demandes. Ce taux apparaît ainsi dans le premier rapport au Parlement sur les orientations de la politique d’immigration2 en 20043, qui mentionne également une faible évolution depuis 2001, et figure dans chacun des rapports annuels produits depuis lors. Dès le deuxième rapport4, qui porte sur l’année 2005, une sous-partie spécifique du chapitre sur l’immigration irrégulière est consacrée à la question de la délivrance des laissez-passer consulaires, à grand renfort de chiffres, principalement les « taux de délivrance ». Un taux de délivrance général figure également à partir de 2005 dans la synthèse qui ouvre ces rapports. En tant que production étatique, la fonction des statistiques (et des différentes définitions des catégories) réside principalement dans les interprétations qu’en font les différents acteurs (Thévenot 1979). Or, dans le cas des statistiques sur la délivrance des laissez-passer consulaires, les acteurs adoptent des discours très variables sur des chiffres qui, eux, varient relativement peu. Nous avons vu dans le chapitre 4 à propos des différents fonctionnaires de la Place Beauvau ou du Quai d’Orsay que ceux-ci se disaient relativement satisfaits de la coopération du Maroc jusqu’en 2008 (où le taux de délivrance des LPC est de 42,03%), mais que, lorsqu’ils avaient à disposition des chiffres plus récents (en 2011, ce taux est de 28,14%), ils remettaient en cause la bonne volonté des autorités marocaines. Les fonctionnaires français mettent également fréquemment en avant les différences de taux de délivrance selon les consulats marocains en France. Ainsi, en 2011, ce taux était de 41% au consulat de Dijon, de 16% au consulat de Colombes, de 24% à Lyon, de 52% à Bordeaux5… Ces chiffres nous sont donnés lors d’un entretien pour souligner des différences considérées 1
MARIANI, Thierry (2006). « Question n°99926 (Réponse) », JO, 22 août 2006, 8750. La question et la réponse concernent la délivrance des laissez-passer consulaires par l’Inde.
2
Etabli en application de l’article 1er de la loi du 26 novembre 2003.
3
PREMIER MINISTRE (2004). Rapport au Parlement : les orientations de la politique de l’immigration. Premier rapport établi en application de l’article 1er de la loi du 26 novembre 2003, Paris.
4
SECRETARIAT DU COMITE INTERMINISTERIEL DE CONTROLE DE L’IMMIGRATION (2006). Rapport au Parlement : les orientations de la politique de l’immigration.
5
Entretiens n°59 et 60, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 20 mars 2012.
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comme trop importantes, et significatives d’une « mauvaise volonté » de certains consulats. Dans l’ensemble, c’est plutôt cette expression d’insatisfaction que l’on retrouve dans l’usage des statistiques de délivrance des laissez-passer consulaires. A ce titre, l’étude de la présentation des statistiques de délivrance des LPC dans les neuf rapports annuels est éclairante, et montre en partie comment la construction des statistiques et de leur interprétation est dirigée vers les négociations avec les pays d’origine. Le premier constat, en analysant ces différents rapports1, est que l’interprétation qui en est donnée est toujours négative : la délivrance des LPC connaît une « dégradation régulière » (2004), une « érosion » (2008, 2009), une « baisse tendancielle » (2010, 2011, 2012), ou a « nettement régressé » (2007). Lorsqu’il y a une évolution positive du taux de délivrance, celle-ci est immédiatement nuancée : pour les pays les moins coopératifs, la progression est « réelle, mais limitée » ou « la tendance favorable ne s’est pas confirmée » (2005). Ainsi, si le taux global de délivrance des LPC a progressé en 2010, cette augmentation n’est mentionnée dans le rapport sur 2011 que comme une « légère progression » suivie d’une baisse (2012). De plus, les comparaisons sont rarement faites sur une période de plus de deux ou trois ans, ce qui ne permet pas de comparer les taux actuels avec les taux du début des années 2000. Ainsi, lorsque nous demandons au service des statistiques du Ministère de l’intérieur depuis quand ces statistiques existent, on nous répond qu’elles le sont depuis 2005, alors que le premier rapport annuel qui les mentionne date de 2004 et porte sur l’année 20032. Quelle que soit la raison de cette indication erronée, elle montre surtout que la mémoire institutionnelle sur ce sujet est relativement courte, ce qui permet d’adopter une interprétation négative des statistiques.
1
PREMIER MINISTRE (2004). Rapport au Parlement : les orientations de la politique de l’immigration, op. cit. Puis SECRETARIAT DU COMITE INTERMINISTERIEL DE CONTROLE DE L’IMMIGRATION (2006). Rapport au Parlement : les orientations de la politique de l’immigration, op. cit. et rapports annuels jusqu’en 2011. Le rapport pour 2012 : SECRETARIAT DU COMITE INTERMINISTERIEL DE CONTROLE DE L’IMMIGRATION (2012). Rapport au Parlement : les chiffres de la politique de l’immigration et de l’intégration.
2
Echange de courriels avec le Département des statistiques, des études et de la documentation, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, avril 2013.
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Nombre de
Taux global de
Taux de
Nombre LPC
Taux de
laissez-passer
délivrance
délivrance
demandés au
délivrance du
demandés
(%)
dans des délais
Maroc
Maroc dans les
utiles (%)
délais utiles (%)
2003
16 597
28,76
n.d.
1193
n.d.
2004
n.d.
35,16
n.d.
n.d.
2005
n.d.
47,3
45,73
37,87
2006
n.d.
43,9
42,09
2007
14558
37,4 ou 39 36,1
1696
36,5
1732
39,3
( ?) 2008
14012
34,6
32,3
1801
42,03
2009
12219
34,6
31,3
n.d.
37,9
2010
10668
35,7
32,7
n.d.
30,8
2011
8350
32,2
29,5
892
28,14
2012
n.d.
n.d.
n.d.
765
29,67
Tableau 17- La comptabilité des laissez-passer consulaires au Ministère de l'intérieur en France1 De même, les données brutes sur le nombre de laissez-passer consulaires ne sont jamais mentionnées dans les commentaires, ce qui élude la diminution constante du nombre de demandes, qui est très importante dans le cas du Maroc, puisque le nombre de demandes en 2012 représente moins de la moitié des demandes en 2006. Enfin, aucun commentaire n’est donné sur la diminution de l’absence de LPC comme cause d’échec de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière : ainsi, l’absence de LPC a représenté en 2011 7,80% du total des causes d’échec de l’éloignement d’étrangers en situation irrégulière (2012), alors que ce chiffre était de 35,5% en 2010 (2011). Cette diminution est certes sans doute due à l’extension de la durée de rétention à 45 jours en juillet 2011, mais les chiffres des années
1
D’après les Rapports annuels : les orientations (ou les chiffres) de la politique de l’immigration (2004-2012) ; SENAT. BERNARD-REYMOND, Pierre (2009). Immigration - La gestion des centres de rétention administrative peut encore être améliorée - rapport d’information fait au nom de la commission des finances, juillet ; un document remis lors des entretiens n°59 et 60, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 20 mars 2012 ; Statistiques transmises par courriel le 16 mai 2013 à la suite de l’entretien n°69, Entretien téléphonique, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 7 mai 2013 (Annexe 20) ; Spire 2004.
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précédentes ne sont même pas repris dans le rapport sur l’année 2011 (2012). On observe d’ailleurs dès le rapport sur l’année 2006 (2007) l’émergence d’une nouvelle catégorie, celle des LPC délivrés en temps utile, c’est-à-dire avant la fin du délai de rétention. A partir de cette année-là, c’est ce taux qui est donné comme référence, et non celui des LPC délivrés au total par les pays d’origine (dans les délais et hors délais). Cette nuance, ajoutée comme une pensée après-coup ou un correctif dans les statistiques, attire notre attention sur l’usage qui est fait de ces statistiques comme « outil de preuve » (Desrosières 2008) dans les relations avec les pays d’origine. Comme nous l’indiquait l’officier de liaison immigration à Rabat au sujet du nombre d’interceptions en Méditerranée, qui avait diminué mais dont il souhaitait nuancer ou remettre en cause la baisse : « On a des chiffres, mais on est là pour dire que la pression existe encore »1. Les chiffres ne sont donc considérés comme valables pour les acteurs français que lorsqu’ils montrent une mauvaise coopération de la part des pays d’origine, permettant ainsi d’exiger une amélioration. Les statistiques comme espace des négociations internationales Pourquoi la production de chiffres sur la délivrance des laissez-passer consulaires estelle importante pour comprendre les relations bilatérales sur la réadmission ? Parce qu’elle s’accompagne d’une utilisation par les acteurs politiques et administratifs français dans leurs relations avec leurs interlocuteurs dans les pays d’origine, dont le Maroc. Ces statistiques sont avant tout destinées à être des « outils de preuve » dans le cadre des négociations internationales. Cependant, cet usage des statistiques ouvre aussi un espace de négociations et de contestations pour les acteurs des pays d’origine. On voit encore une fois ici comment, dans les relations internationales, la délimitation entre les aspects techniques et politiques ne sont pas fixes, mais dépendent surtout des usages que font les acteurs des différentes questions. En effet, à partir du milieu des années 2000, la dimension politique de ces chiffres est visible dans l’action du gouvernement – et non plus seulement de groupes d’experts au niveau technique : ils sont utilisés afin de « faire pression » sur les pays estimés « peu coopératifs ». Dès 2005, le Comité interministériel de contrôle de l'immigration dresse une liste de dix pays qui sont « invités à être plus coopératifs en matière de délivrance de laissez-passer consulaires » sous peine de représailles dans l’attribution des
1
Entretien n°39, Service de sécurité intérieure, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010.
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visas1. Le rapport annuel portant sur cette année-là mentionne quant à lui que ce sont les « 12 pays jusqu’alors les moins coopératifs (…) qui ont fait l'objet de démarches diplomatiques à l'automne 2005 ». Nicolas Sarkozy, Ministre de l’intérieur, évoque directement la question des laissez-passer consulaires et des taux de délivrance en 2006 avec les préfets et lors de ses déplacements au Mali ou au Sénégal2. Lors d’entretiens au Secrétariat général à l’immigration en 2011 et en 2012, c’est une liste de huit pays peu coopératifs qui est évoquée3. En septembre 2011, cette liste noire est utilisée pour un rappel à l’ordre public des pays concernés4 : Claude Guéant, alors Ministre de l’intérieur, réunit leurs ambassadeurs pour les inciter à plus de coopération dans ce domaine5. Si les entretiens nous révèlent que cette liste noire a été essentiellement composée à partir du taux de délivrance, la presse évoque aussi la durée moyenne d’attente pour la délivrance des laissez-passer consulaires : une mention destinée cette fois-ci à justifier l’allongement de la durée de rétention en France en 20116. Mais la délimitation d’un groupe de pays dit peu coopératifs résulte ne résulte donc pas tant d’une logique statistique que d’une logique politique, qui vise les pays avec lesquels une négociation sur le sujet est envisagée, à la façon de la « hit list » établie en 1999 par le Comité stratégique sur l’immigration, les frontières et l’asile (SCIFA) du Conseil de l’Union européenne pour décider des pays prioritaires pour la négociation d’un accord de réadmission européen7. Comme on nous l’indique au Ministère de l’intérieur : Il faut raisonner en termes de demandes : s’il y a peu de demandes et un mauvais taux, on les laisse tranquilles. Et puis il y a des considérations politiques, stratégiques : on ne va pas enquiquiner la Tunisie, l’Inde ou la Russie comme on
1
« Huit séries de mesures pour contrôler l’immigration », Associated Press, 31 juillet 2005.
2
COROLLER, Catherine (2006). « Ces papiers qui manquent pour expulser les sans-papiers », Libération, 26 juillet.
3
Entretien n°44, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 24 mai 2011 ; entretien n°58, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 14 mars 2012.
4
Ces pays sont le Mali, la République démocratique du Congo, le Congo, l’Angola, la Mauritanie, le Pakistan, le Bangladesh et le Sénégal.
5
« Immigration : Guéant va « exercer des pressions » sur huit pays d’origine », LePoint.fr, 1er septembre 2011 [consulté le 2 décembre 2012] ; LECLERC, Jean-Marc (2011). « Clandestins : ces pays qui ne jouent pas le jeu », Le Figaro, 2 septembre.
6
Ibid.
7
Voir le chapitre 3.
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embête le Bangladesh !1 Il est intéressant ici de voir comment l’importance du taux de délivrance est nuancée par l’importance quantitative des demandes. De plus, cette hiérarchie traduit également des rapports de domination distincts, selon l’importance stratégique de l’État considéré, révélant au passage une représentation du monde dans laquelle la Tunisie se trouve dans la même catégorie que de grandes puissances comme l’Inde ou la Russie : ce qui est pris en compte ici, c’est l’importance et la variété des relations avec ces différents pays pour la France. Les usages des statistiques avec ces différents pays dépendent donc de cette représentation, mais aussi de la façon dont les pays d’origine reçoivent ces statistiques et y répondent. En effet, si ces statistiques sur les laissez-passer consulaires sont destinées par les autorités françaises à faire pression sur les autorités des pays d’origine, elles ouvrent aussi des espaces de contestation pour ces pays. L’utilisation récurrente de ces chiffres fournit aussi aux acteurs des pays d’origine le moyen de contester l’évaluation qui est faite de leur coopération. C’est notamment le cas du Maroc. Les fonctionnaires rencontrés ne parlent que rarement de raisonnements politiques derrière la délivrance ou non des laissez-passer, et nient, dans la plupart des cas, délibérément refuser de délivrer un laissez-passer consulaire à un citoyen marocain. On pourrait pourtant penser que des considérations économiques ou politiques pourraient être prises en compte. Un enjeu économique apparaît dans un seul de nos entretiens : lors d’un entretien au MAEC, un collègue de notre interlocuteur (en charge des accords avec les pays de l’Union européenne à la Direction des affaires juridiques, et qui évoque, grâce à son expérience consulaire, les procédures de délivrance des laissez-passer) qui se trouve à ce moment-là dans le même bureau, glisse une remarque : Il est parfois de l’intérêt du Marocain que le consulat ne délivre pas ce laissezpasser rapidement, parce que la police doit le laisser partir. Dans certains cas, comme il est préférable de conserver les transferts d’argent etc, le consulat dit qu’il n’a pas de nouvelles de la sûreté nationale.2 Notre interlocuteur l’interrompt rapidement pour préciser que cela est rare, « surtout en France où il y a une bonne coopération ». Cependant, une telle préférence peut être envisagée.
1
Entretien n°58, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 14 mars 2012.
2
Intervention d’un collègue au cours de l’entretien n°6, Direction des affaires juridiques et des traités, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 22 octobre 2009.
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De plus, elle pourrait aussi être influencée par un travail de lobbying d’associations représentant les Marocains installés en France. En effet, quelques actions ont été organisées, par exemple en 2009, lorsque l’Association des travailleurs maghrébins de France et d’autres associations de défense des droits des migrants ont organisé une manifestation devant l’ambassade marocaine pour dénoncer une « politique de complicité active avec le gouvernement français dans les expulsions »1. La délivrance de laissez-passer consulaires apparaît comme un symbole de cette « complicité active ». Un responsable associatif dénonce ainsi la collusion des pays d’origine avec la politique de Nicolas Sarkozy, et affirme, par les différentes actions menées avoir « mis un grain dans la machine ». Cependant, il présente également un discours très négatif sur la diplomatie des pays d’origine en général, y compris du Maroc. Tout dépendrait, selon lui, de l’ambassadeur en place, mais la réponse habituelle aux demandes associatives porte sur la classification de ces retours dans le domaine des affaires d’État2. Le coût d’un laissez-passer consulaire délivré n’est donc pas seulement un coût économique (le manque à gagner des transferts d’argent du migrant vers sa famille au Maroc), mais aussi un coût politique pour les autorités marocaines. Cet arbitrage entre la réponse aux demandes du pays d’accueil et les éventuels bénéfices économiques n’est pourtant pas du tout mis en avant par les acteurs marocains que nous avons rencontrés. On trouve donc plutôt une affirmation de la bonne volonté des autorités marocaines dans la coopération pour le retour forcé. Plusieurs des fonctionnaires marocains que nous avons rencontrés, au Ministère des affaires étrangères et de la coopération ou dans d’autres administrations, sont passés par les services consulaires de ce ministère à un moment donné. Ils évoquent la question des statistiques sur les laissez-passer consulaires pour dénoncer les pratiques françaises de décompte. C’est le cas par exemple d’un fonctionnaire du Ministère de la Communauté marocaine résidant à l’étranger, qui évoque son expérience dans un consulat marocain dans le Sud de la France. Il conteste les méthodes de calcul françaises à deux égards : d’une part, certaines personnes ne devraient pas être décomptées par la France, car les autorités d’un pays voisin ont déjà obtenu un laissez-passer consulaire. Selon lui, ces personnes sont « interpellés pour augmenter les chiffres ». D’autre part, cet acteur évoque en détail un problème de « ventilation des statistiques » : 1
« Troisième rassemblement contre le racket sur les cotisations sociales des travailleurs-euses sans-papiers ! Contre la complicité des consulats des pays d’origine. Ensemble devant l’ambassade du Maroc », 21 avril 2009. http://atmf.org/Troisieme-rassemblement-Contre-le [consulté le 18 avril 2013].
2
Entretien n°68, Association des travailleurs maghrébins de France, Paris, 23 avril 2013.
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Par exemple sur cent personnes interpellées, ils font cent demandes aux trois consulats : marocain, tunisien et algérien. Il y en a peut-être une dizaine qui sont marocains. On délivre six laissez-passer sur cent. Quatre sont probablement marocains, mais c’est à vérifier. Mais quatre-vingt-dix ne sont pas du tout marocains ! Mon collègue algérien, s’il délivre trente laissez-passer (sur soixante Algériens), il a 30%. Donc les Marocains ne sont pas coopératifs ! Les pays concernés le savent, mais il leur faut un bouc émissaire. (…) C’est de la malhonnêteté intellectuelle !1 Cet extrait est éclairant à plus d’un titre. Tout d’abord, notre interlocuteur se positionne dans une dimension technique en évoquant un problème de « ventilation des statistiques » (qui est plutôt dans ce cas un problème de ventilation des demandes), une expression utilisée en statistique pour désigner la représentativité d’un échantillon. L’usage d’une expression indigène lui permet de légitimer son propos sur le plan technique. Deuxième élément à relever : les autres pays maghrébins apparaissent comme un point de comparaison important, et leur présence permet aussi de rejeter le blâme, en dénonçant leur mauvaise volonté ou coopération. Enfin, c’est la méthode de calcul française qui est dénoncée : la base de calcul (l’ensemble des demandes envoyées) est remise en cause, car elle servirait selon cet entretien uniquement à désigner « un bouc émissaire » à l’échec de la politique d’éloignement. La solution proposée est de réduire la base de calcul aux demandes portant effectivement sur des personnes marocaines. Cette revendication souligne un enjeu central de la coopération, celui de la confiance entre les parties. En effet, les acteurs marocains affirment que seules certaines des demandes concernent des Marocains, mais selon les fonctionnaires du Ministère de l’intérieur français, les acteurs algériens ou tunisiens tiennent des discours similaires. Cette échelle de la coopération se transforme donc en espace de négociations, à travers la remise en cause des modes de calcul. Cette remise en cause se traduit dans les actes par un engagement des niveaux consulaires élevés, voir des Consuls eux-mêmes, dans la discussion sur les statistiques de délivrance. Le fonctionnaire qui évoquait la « ventilation des statistiques » nous rapporte ainsi une anecdote : J’ai été interpellé sur cette question, l’Ambassadeur a été convoqué au Quai d’Orsay. J’ai décidé d’accompagner l’agent de carte d’identité nationale et son collègue pour l’audition au centre de rétention. Ils étaient étonnés, mais je leur ai dit de faire comme d’habitude. Sur dix demandes, trois étaient marocains. Les autres ne l’étaient pas du tout, je suis affirmatif à ce sujet. A la fin, l’agent carte d’identité nationale rentre d’habitude au Consulat puis envoie le résultat aux autorités. J’ai dit 1
Entretien n°12, Ministère de la Communauté marocaine résidant à l’étranger, Rabat, 9 novembre 2009.
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‘non, allons voir tout de suite la direction’, c’était une directrice. Elle était très étonnée. Je lui ai dit ‘à partir de maintenant ça sera comme ça, on vous donnera tout de suite les résultats, les laissez-passer seront faits dans la journée pour les Marocains. Mais les sept autres ne sont pas marocains, je suis affirmatif’. Puis (…) je leur ai expliqué que je délivrais 100% des laissez-passer aux Marocains, et non 30% dans ce cas, puisque les autres n’étaient pas marocains ! (…) A partir de maintenant, il faut faire les statistiques comme ça. La directrice m’a dit bien sûr, vous avez raison.1 On voit d’abord ici que la question des laissez-passer consulaires suscite la convocation de l’Ambassadeur – ce type d’action est aussi évoqué par les fonctionnaires français, qui y voient un moyen de rappeler à l’ordre les autorités des pays d’origine. Ceci conduit au déplacement inhabituel de notre interlocuteur sur le terrain. Le déplacement d’un fonctionnaire de haut niveau est décrit comme un gage de confiance, et permet de montrer une autorité face aux demandes françaises. La coopération et surtout sa rapidité sont ensuite mises en scène dans la description d’une action diligente pour la délivrance des laissez-passer. C’est ensuite l’argumentation sur les statistiques qui est mise en scène à travers le récit de la discussion avec la directrice du centre de rétention. La conclusion de l’anecdote renforce la position de ce fonctionnaire, puisqu’il affirme que la directrice du centre lui a donné raison. A l’ambassade du Maroc à Paris, on retrouve la même dénonciation de la comptabilité française : Les Français ils comptabilisent… quand par exemple ils présentent une personne qui n’est pas marocaine, eux ils comptabilisent ça comme un refus, une réponse négative, alors que c’est un non-lieu. Les Français comptabilisent comme si c’était de notre faute, alors que ça n’est pas de la mauvaise foi !2 Cette fois-ci l’argumentation est plus resserrée, et se concentre autour de l’idée qu’il faut comptabiliser les refus de délivrance à des non-Marocains dans le taux de réponse. L’usage du terme de non-lieu place cette argumentation dans le domaine du droit, et la comptabilité française apparaît alors comme une injustice. Il s’agit bien là encore de montrer la « bonne foi » des autorités marocaines, de renforcer la confiance dans les relations entre les parties. En somme, l’argument présenté par les acteurs marocains consiste à défendre le calcul d’un taux de réponse plutôt que d’un taux de délivrance des laissez-passer consulaires. Ces différents récits montrent que l’usage des statistiques sur la délivrance des laissez-passer consulaires a ouvert un nouvel espace de négociations pour les acteurs marocains, qui ne 1
Ibid.
2
Entretien n°61, Ambassade du Maroc, Paris, 10 avril 2012.
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consiste pas à contester le bien fondé du principe des retours forcés, mais plutôt à contester l’évaluation de la coopération. Or, ces dénonciations ne sont pas restées sans effet. Si peu de fonctionnaires français au Ministère de l’intérieur abordent cette dimension, un fonctionnaire du bureau en charge du suivi des demandes de laissez-passer consulaires évoque spontanément ces désaccords avec les Marocains, et admet : C’est vrai que nous on a une lecture plus restrictive : pour la préfecture il y a un laissez-passer ou il n’y en a pas. Pour les Marocains, c’est plutôt il y a coopération ou pas. Donc on a essayé d’améliorer un peu la présentation des chiffres. On travaille avec mon sous-directeur et un consulat en particulier, celui de Pontoise, pour mettre en place une matrice statistique plus fine qu’avant, avec le taux de réponse pour les dossiers documentés ou non, les réponses dans les délais et horsdélai etc. Pour le moment c’est à l’échelle d’un seul consulat et d’une seule préfecture.1 La mise en place de cette expérience montre que les acteurs français doivent, malgré la position dominante de la France dans le jeu international, tenir compte du contre-discours (Scott 1990) développé par les acteurs marocains. La création d’un groupe de travail marque l’institutionnalisation de ce questionnement dans la coopération. La mesure de la coopération devient elle-même un objet de coopération. Ainsi, la revendication sur la distinction entre les demandes « avec documents », c’est-à-dire lorsqu’un quelconque document (photocopies des pièces d’identitié, notamment) permettant d’attester de la nationalité de la personne à renvoyer est présenté, et les demandes « sans documents », lorsque l’identification doit se faire par d’autres moyens, a abouti : dans les statistiques de 2011-2012, ces deux catégories sont distinguées2 (Annexe 20). De plus, ces catégories n’ont pas été adoptées uniquement pour le Maroc, mais pour l’ensemble des statistiques sur la délivrance des laissez-passer consulaires3. Cette expérience était encore unique en 2012 au moment de notre entretien. Selon notre interlocuteur, elle aurait été envisagée avec la Tunisie, mais des marchés passés pour des équipements biométriques en 2011 ont retardé la question des laissez-passer consulaires à plus tard. Elle aurait aussi été envisagée pour la Côte d’Ivoire, l’Inde, le Vietnam. Comme 1
Entretien n°58, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 14 mars 2012. Il ne nous a pas été possible de joindre le consulat de Pontoise à ce sujet.
2
Statistiques transmises par courriel le 16 mai 2013 à la suite de l’entretien n°69, Entretien téléphonique, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 7 mai 2013.
3
Ibid.
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dans le cas des revendications sur « l’approche globale »1 au niveau « politique », les acteurs marocains se révèlent très actifs dans la formulation d’un contre-discours au niveau « technique » de la mise en œuvre. Cependant, une fois ce contre-discours entendu, les diplomates marocains n’ont guère cherché à poursuivre la discussion sur ce point. Selon notre interlocuteur au ministère de l’Intérieur français, les contacts directs avec le consulat et l’ambassade se sont avérés difficiles, et des tentatives de contacts passant par le ministère des Affaires étrangères et de la coopération à Rabat ont été lancées pour obtenir un dialogue supplémentaire2. Ceci montre encore une fois que les retours forcés sont une préoccupation asymétrique, ancrée dans les politiques migratoires européennes et des États membres et chez les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur en France, plutôt que chez les fonctionnaires et diplomates marocains. Ainsi, l’étude des instruments de coopération que sont l’officier de liaison immigration et les statistiques sur la réadmission permet de remettre en cause la distinction faite par les acteurs entre le niveau « politique » des négociations et le niveau « technique » de la mise en œuvre. En effet, on voit que ces instruments constituent en eux-mêmes des espaces de négociation de la coopération. Ils ont d’autant plus été investis par les acteurs français que le niveau « politique » d’un accord formel n’était plus accessible. Or, cette dimension diplomatique de la mise en œuvre a également été investie par les acteurs étatiques marocains, qui ont pu jouer sur les concurrences entre États membres dans le domaine des offres de coopération policière, ou encore mettre en place un contre-discours efficace sur la comptabilité de la coopération sur les retours forcés.
C - Conclusion Pour conclure, si on peut parler d’une résilience du bilatéralisme dans les politiques de réadmission des États européens, l’analyse des discours des fonctionnaires et des diplomates français et des pratiques de la coopération montre que ce bilatéralisme concerne surtout la mise en œuvre des retours forcés. D’une part, les acteurs français proposent une interprétation 1
Voir le chapitre 5.
2
Entretien n°69, Entretien téléphonique, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 7 mai 2013. Ceci reflète notre propre expérience pour l’accès au terrain : les contacts avec les consulats et l’ambassade se sont révélés étonnamment difficiles, d’autant plus que nous avions déjà été approuvée par le ministère des Affaires étrangères et de la coopération à Rabat à travers le stage que nous y avions réalisé.
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juridique qui présente la coopération technique comme un moyen de pallier ou de compléter l’action de l’Union européenne, jugée insuffisante ou trop peu efficace. D’autre part, des instruments de coopération sur cette question continuent d’être mis en place et négociés. Ainsi, la mise en œuvre bilatérale constitue un espace de négociations sur les politiques migratoires, dans lequel les officiers de liaison immigration et les fonctionnaires marocains de l’Intérieur sont les diplomates des pratiques quotidiennes. Dans le cas des statistiques, un espace de négociations a été constitué par la contestation des catégories utilisées par les diplomates marocains. Cette contestation, bien que concernant essentiellement les autorités consulaires, a été également été portée par des niveaux hiérarchiques plus élevés au sein de l’ambassade du Maroc à Paris. Elle a conduit l’administration française de l’Intérieur à modifier les catégories de comptabilisation de la coopération sur la réadmission. L’idée d’un contre-discours des acteurs dominés d’une relation (Scott 1990) et la démonstration d’une capacité d’action des acteurs étatiques marocains dans les négociations sur la réadmission, explorés dans la partie précédente, sont donc également pertinentes dans l’analyse des pratiques quotidiennes de coopération sur les retours forcés, dans le cadre de relations bilatérales. Les catégories statistiques sont apparues comme un domaine propice aux pratiques de contestation (Desrosières 1992 ; Barry 2002). La poursuite de négociations bilatérales dans le cadre d’arrangements existants pose la question de l’articulation ou de l’imbrication entre ces négociations bilatérales et les négociations communautaires d’un accord de réadmission. Nous verrons dans le dernier chapitre comment les développements des négociations de l’Union européenne avec le Maroc sur la gestion des migrations entre 2011 et 2013 constituent un compromis qui tient compte à la fois des revendications marocaines et des réticences de certains États membres.
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Chapitre 8 : Partenariat pour la mobilité et conditionnalité : un compromis flexible Nous avons montré dans les chapitres précédents comment les fonctionnaires des ministères de l’Intérieur de certains États membres les plus intéressés par un accord de réadmission communautaire étaient aussi les plus réticents à un compromis à tout prix avec le Maroc (chapitres 2, 3 et 7). Nous avons également montré dans le chapitre précédent comment les fonctionnaires et les diplomates de certains États membres, parmi lesquels la France, poursuivaient des relations bilatérales avec le Maroc sur les retours forcés, principalement dans le cadre de négociations portant sur la mise en œuvre d’arrangements existants. Parallèlement, les fonctionnaires européens de la direction générale des Affaires intérieures poursuivent leur quête d’incitations pour leurs négociations. Ainsi, à partir de 2007, les « partenariats pour la mobilité » sont une solution proposée par la Commission européenne au problème du manque d’incitations dans les négociations sur la réadmission avec les pays tiers1. Des partenariats sont rapidement conclus avec le Cap-Vert et la Moldavie en 2008, suivis de la Géorgie en 2009 et de l’Arménie en 2011. Ils constituent un engagement mutuel entre l’Union européenne, certains États membres, un pays tiers, dans le cadre d’un document juridiquement non contraignant : États membres et Union européenne offrent des incitations dans le domaine des migrations régulières et du développement, tandis que les pays tiers s’engagent à coopérer dans la lutte contre les migrations irrégulières, en particulier à travers la réadmission. Cependant, au moment de nos premiers entretiens, plusieurs États membres refusent de proposer un tel partenariat au Maroc. Or, un partenariat pour la mobilité incluant des négociations sur la facilitation des visas est proposé au Maroc en octobre 2011, puis conclu en juin 2013 entre le Maroc, l’Union européenne et neuf États membres, sous la forme d’une déclaration conjointe. Ce chapitre se penche sur les évolutions des négociations entre l’Union 1
Voir COMMISSION EUROPEENNE (2007). Communication de la commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions relative aux migrations circulaires et aux partenariats pour la mobilité entre l’union européenne et les pays tiers. COM(2007) 248 final. Bruxelles, mai.
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européenne et le Maroc sur la réadmission entre 2011 et 2013. Les révolutions en Tunisie, en Egypte et en Libye en 2011 ont constitué un choc exogène important pour les politiques extérieures européennes, et ont conduit à l’adoption d’une nouvelle stratégie communautaire pour le « voisinage » au Sud. Nous avons pu mener de nouveaux entretiens pendant cette période, notamment en 2012 à Bruxelles et à Rabat, ce qui nous a permis de vérifier certaines des hypothèses développées dans cette thèse. Les discours institutionnels européens présentent une « réaction » à un « afflux soudain » de migrants, avec de nouvelles propositions de la part de la Commission européenne pour une « meilleure coopération »1. Les partenariats pour la mobilité sont les pièces maîtresses de cette « nouvelle » approche et de cette « nouvelle ère de dialogue et de partenariat »2. Des chercheurs ont quant à eux souligné les limites de ce changement, en montrant notamment que l’approche sécuritaire reste dominante dans la politique migratoire extérieure européenne. Celle-ci n’a donc pas véritablement changé, mais s’est simplement adaptée à un choc exogène (Fargues et Fandrich 2012; Carrera 2013; Carrera, Parkin, et den Hertog 2013). Dans les deux cas, les pays d’origine ne sont pris en compte que dans la mesure où ils constituent un facteur exogène sur les politiques européennes. Si les conséquences des révolutions pour les migrations et les politiques migratoires dans les pays d’origine ont été analysées (De Haas et Sigona 2011; Fargues 2013), peu d’attention a été accordée au rôle des revendications des gouvernements de ces pays dans les négociations avec l’Union européenne et dans les évolutions des politiques européennes. Ceci est dû d’une part aux conséquences politiques importantes sur l’Union européenne dans le domaine des migrations, avec la remise en cause de la libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen par la France en avril 2011, suite aux arrivées de ressortissants tunisiens en Italie (Basilien-Gainche 2011). Ceci est dû d’autre part au cas tunisien, dont le nouveau gouvernement apparaissait fragile face à l’UE, et plus généralement à une prise en compte limitée de la capacité d’action des acteurs étatiques des pays d’origine. Pourtant, comme l’ont montré les chapitres précédents, les revendications et la capacité d’action s’expriment par différents biais et doivent donc être pris en compte, y compris dans l’analyse des négociations après 2011. 1
Voir par exemple un communiqué de presse de la Commission : EUROPEAN COMMISSION (2011a). A winwin immigration policy, 21 novembre, http://ec.europa.eu/news/external_relations/111121_en.htm [consulté le 10 septembre 2013].
2
EUROPEAN COMMISSION (2011). Southern Mediterranean : towards a new era of dialogue and partnership MEMO/11/330, 24 mai. http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-11-330_en.htm?locale=FR [consulté le 10 septembre 2013].
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L’objectif de ce chapitre est de montrer, à la suite des chapitres précédents qui ont mis en exergue les revendications marocaines et leur fonctionnement, que les exigences marocaines dans le domaine de la facilitation des visas ont conduit à une négociation interne à l’Union européenne, entre les États membres et la Commission, sur la répartition des compétences dans ce domaine. Si la réaction européenne aux événements politiques en Tunisie, en Egypte et en Libye a pu constituer une opportunité pour le Commission, celle-ci a aussi cherché à rassurer les États membres à travers l’adoption du principe de conditionnalité dans la politique de voisinage et pour la dimension extérieure des politiques migratoires en Méditerranée. Cependant, ce terme, central dans l’interprétation des négociations, est ambigu et compris différemment par différents acteurs. Il donne lieu à une méfiance de la part des acteurs marocains. Dès lors, le partenariat pour la mobilité a dû être négocié, entre octobre 2011 et juin 2013, afin de répondre aux exigences de tous les signataires. Les négociations des accords de réadmission et de facilitation sont associées, mais la négociation de l’accord de facilitation n’est pas conditionnée à la signature de l’accord de réadmission. Ceci constitue un compromis entre les exigences de certains États membres et les demandes marocaines. Les négociateurs de la Commission européenne ont ainsi adopté une position de médiation et proposé un compromis fondé sur l’ambiguïté des termes utilisés et sur le travail bilatéral de certains États membres. Nous verrons d’abord, dans une première partie, pourquoi les États membres refusaient jusqu’en 2011 de proposer des partenariats pour la mobilité aux pays du sud de la Méditerranée. Dans une deuxième partie, nous nous intéresserons au terme de « conditionnalité », qui apparaît en 2011 dans les documents européens sur les politiques migratoires extérieures alors qu’il en avait précédemment été absent. Nous verrons qu’il est apparu comme un moyen de répondre aux revendications des pays d’origine concernés tout en rassurant les ministères de l’Intérieur des États membres. Enfin, la dernière partie analysera le partenariat pour la mobilité conclu entre le Maroc et l’Union européenne en juin 2013, ce qui permettra de montrer en quoi ce partenariat constitue un compromis qui repose en grande partie sur les expériences bilatérales et dont la dimension symbolique est importante.
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A - Résistances des États membres à la facilitation des visas avec le Maroc Nous avons vu dans le chapitre 2 que la délégation des négociations sur la réadmission engendrait des tensions entre les États membres et la Commission sur la répartition des compétences. Nous avons également montré, dans le chapitre 3, comment la mobilisation des incitations financières et tactiques pouvait se révéler difficile pour la direction générale des affaires intérieures (DG JLS/HOME), en charge de la négociation. Une fois le principe de la facilitation des visas comme monnaie d’échange de la réadmission posé par le Conseil européen de La Haye en 20041, puis adopté par le Groupe de haut niveau sur les migrations en 20052, la facilitation des visas apparaît comme une incitation efficace, en particulier après la conclusion des premiers partenariats pour la mobilité à partir de 2006 avec des pays d’Europe orientale (Trauner et Kruse 2008). A partir de ce moment, les documents présentés par la Commission montrent que la DG JLS/HOME cherche à obtenir des compétences dans le domaine de la facilitation des visas pour l’ensemble des pays avec lesquelles elle négocie un accord de réadmission, en particulier les pays du voisinage méditerranéen. Ainsi, en 2006, la communication de la Commission relative au renforcement de la politique européenne de voisinage (PEV) indique que : L’Union devrait être disposée à engager des négociations sur la réadmission et l’assouplissement des formalités de délivrance des visas avec chaque pays de la PEV faisant l’objet d’un plan d’action, dès lors que certaines conditions préalables auront été satisfaites.3 Cette affirmation est, dès 2006, un plaidoyer pour que le principe de la facilitation des visas soit étendu à d’autres pays que les premiers concernés, en particulier ceux du voisinage Sud, avec lesquels des plans d’action existent depuis plusieurs années. Cependant, comme dans le cas des incitations financières, et surtout des incitations tactiques, la DG JLS/HOME doit convaincre les acteurs d’autres institutions de lui accorder des possibilités dans un domaine qui ne relève pas au départ de ses prérogatives. Or, dans le 1
CONSEIL EUROPÉEN (2005). Le programme de La Haye : renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l’Union européenne. Journal officiel de l’Union européenne, 2005/C 53/01, 3 mars (adopté en 2004).
2
COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION (2005). HLWG on Migration and asylum. Common Approach on Visa Facilitation 15012/05 VISA 297 RELEX 694, November 28.
3
COMMISSION EUROPÉENNE (2006a). Communication de la commission au Conseil et au Parlement européen relative au renforcement de la politique européenne de voisinage. COM(2006)726 final, Bruxelles, 4 décembre.
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cas de la négociation sur la réadmission avec le Maroc, les États membres sont longtemps réticents à déléguer leur compétence sur les visas à la Commission. Cette réticence s’explique d’abord par une réticence générale à déléguer des prérogatives qui peuvent s’avérer utiles dans le cadre des relations bilatérales. Nous verrons dans un second temps que, tout comme le cas des négociations avec l’Europe de l’Est a influencé les revendications marocaines1, la réflexion des acteurs étatiques nationaux de l’UE, en particulier au sein des ministères de l’Intérieur, repose largement d’une part sur une distinction entre voisinage au Sud et à l’Est, d’autre part sur ce qui est décrit comme une expérience des négociations communautaires avec le Maroc.
1) Le domaine des visas : une compétence disputée. Les tentatives de la DG JLS/HOME pour convaincre les États membres de lui accorder des compétences dans le domaine des migrations régulières en général, et de la facilitation des visas en particulier, y compris pour le Maroc, ne sont guère nouvelles, mais s’intègrent dans l’histoire de la direction générale. En effet, comme nous l’avons vu dans le chapitre 2, cette direction générale relativement jeune a cherché au cours des années 2000 à étendre ses prérogatives. La politique d’admission, c’est-à-dire le gouvernement des entrées sur le territoire européen à travers la politique des visas et des permis de séjour, ne fait guère exception. Selon un ancien commissaire européen aux affaires intérieures, une politique d’admission coordonnée faisait partie des projets de la direction générale dès le départ2, mais rencontrait « peu d’enthousiasme » de la part des États membres3. Notre interlocuteur vise essentiellement ici les politiques d’immigration, c’est-à-dire l’installation de ressortissants étrangers à plus ou moins long terme, mais la politique des visas est intégrée à ces premiers projets de la direction générale des affaires intérieures. L’absence de coordination européenne sur les politiques d’admission est décrite comme un frein majeur aux négociations avec les pays tiers : Écoutez, tel que je vous l’ai dit, la décision sur l’admission est restée entre les mains des États membres, individuellement, donc on n’a jamais réussi à faire un pool d’admissions, précisément parce que les États ont refusé notre proposition 1
A ce sujet, voir le chapitre 5.
2
COMMISSION EUROPÉENNE (2000). Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen – Politique communautaire en matière d’immigration. COM (2000) 757 final, Bruxelles, 22 novembre.
3
Entretien n°66, ancien du cabinet du Commissaire Justice et aux Affaires intérieures, Paris, 28 juin 2012.
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d’une coordination des politiques d’admission. Donc le levier [de négociation] de l’admission de l’immigration légale n’était pas dans les mains de la Commission, n’était pas dans les mains de l’Union européenne.1 Les instructions consulaires communes et un système informatique partagé pour les visas n’ont été mis en place qu’en 2005, après le départ de Vitorino. On voit donc que la question des migrations légales comme levier de négociation se posait déjà, alors même que les pays de l’espace Schengen n’avait pas encore abordé la question de la délivrance des visas. De plus, on voit qu’elle s’intègre alors plus généralement à la réflexion sur « les migrations légales » comme incitations, c’est-à-dire également aux migrations de travailleurs ou de saisonniers. Or, si ce type de projet a été intégré à « l’approche globale », c’est finalement la facilitation des visas qui est apparue comme l’incitation la plus efficace dans les négociations menées par la Commission. On retrouve donc, dans nos entretiens, ce reproche adressé aux États membres par les fonctionnaires de la Commission au sujet de leur refus de donner des compétences à la Commission dans le domaine des migrations régulières en général et des facilitations de visas en particulier. A la DG JLS/HOME, un fonctionnaire en charge des négociations sur la réadmission se plaint de la séparation entre ces négociations et d’autres enjeux migratoires : La politique extérieure de l’Union [dans le domaine des migrations] a commencé avec la réadmission, mais ça ne marche pas, l’approche unidimensionnelle. (…) Le problème c’est la séparation des négociations, le partage des compétences. On n’a pas de liberté de négociations dans d’autres domaines. C’est tout l’enjeu du mandat sur les facilitations de visas.2 La revendication concernant la facilitation des visas n’est pas formulée comme une critique adressée aux États membres, mais plutôt comme le résultat d’une analyse de la situation, puisque « ça ne marche pas ». Ce discours s’appuie également ici sur la rhétorique de l’approche globale, officiellement adoptée par l’Union européenne en 2005, et qui rejette une approche uniquement sécuritaire des migrations (« l’approche unidimensionnelle »). On voit bien ici qu’il s’agit d’un enjeu institutionnel important pour la DG JLS/HOME, car l’obtention de prérogatives dans le domaine de la facilitation des visas lui permet non seulement d’élargir ses compétences dans la « dimension externe » des politiques migratoires, mais aussi, si les facilitations se révèlent en effet fonctionner avec tous les pays tiers pour la négociation d’accords de réadmission, de faire la preuve de son efficacité. Nous avons vu en 1
Ibid.
2
Entretien n°27, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 22 juin 2010.
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effet que celle-ci était remise en cause dans certains cas par les acteurs des États membres : ceux-ci, plutôt que de parler des incitations dont dispose la Commission pour ses négociations, préfèrent blâmer la jeunesse et le manque d’expérience de la direction générale des affaires intérieures1. Cependant, les fonctionnaires de la Commission insistent sur l’absence de leviers de négociations et expliquent la réticence des États membres à leur déléguer la facilitation des visas par une volonté de garder un levier pour leurs propres relations bilatérales avec les pays tiers. Un membre de la direction générale des affaires extérieures explique ainsi en 2010 : Les États membres sont réticents [à nous laisser commencer les négociations sur la facilitation des visas], parce que c’est une arme bilatérale qu’ils préfèrent garder en bilatéral, plutôt que de passer sous le toit européen, ce qui les dépouillerait de cette arme.2 La facilitation n’est pas décrite ici comme une incitation, ou un levier, comme c’est le cas dans la plupart des entretiens, mais comme une « arme » : ce terme est révélateur de la force qui est attribué à la facilitation des visas pour les négociations. Il est aussi un indicateur des tensions entre la Commission et les États membres sur la question de la répartition des compétences dans le domaine de la politique extérieure en général. Pour résumer, l’une des explications du refus de certains États membres de déléguer la négociation de la facilitation des visas à la Commission réside sans nul doute dans la question du partage des compétences dans les relations externes, et dans une méfiance plus générale des États à l’égard de la politique extérieure européenne : il s’agit de pouvoir bénéficier des avantages de l’union, sans toutefois perdre le contrôle des relations bilatérales avec des pays tiers, notamment ceux avec lesquels il existe des liens particuliers, comme c’est le cas entre la France ou l’Espagne et le Maroc.
2) Réticences européennes et nationales dans les négociations avec le Maroc En dépit des réticences des États membres telles que décrites par les acteurs de la Commission européenne, la facilitation des visas a bien été confiée à la Commission pour certains pays d’Europe de l’Est et des Balkans. Comment dès lors expliquer la réticence 1
Entretien n°29, Service Justice et affaires intérieures, Représentation française auprès de l’UE, Bruxelles, 22 juin 2010. Voir le chapitre 3.
2
Entretien n°30, DG Relations extérieures, Commission européenne – Ancien de la Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Bruxelles, 24 juin 2010.
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particulière des États membres dans le cas du Maroc et d’autres pays du Sud de la Méditerranée ? Étant donné que les États membres les plus intéressés par la réadmission vers ce pays – l’Espagne et la France – ont, au cours des années 2000, poursuivi des collaborations bilatérales pour améliorer la mise en œuvre des arrangements ou des accords dont ils disposent déjà avec le Maroc, on peut supposer que le résultat de la négociation européenne leur importe finalement relativement peu. Une autre explication est celle fournie par les acteurs marocains, qui voient simplement dans la différence de traitement entre le voisinage à l’Est et au Sud la trace d’une préférence européenne pour l’Est1. Un examen du cas français, à partir des entretiens menés en 2009 et 2010 essentiellement à Paris, permet d’analyser les arguments mis en avant par les acteurs nationaux pour leur résistance à offrir au Maroc la facilitation des visas. Il apparaît alors d’une part que des distinctions entre Est et Sud entrent en effet en ligne de compte, mais d’autre part que ces considérations s’intègrent à des réflexions sur le calendrier et le déroulement des négociations, qui mettent en avant la question de la confiance dans les négociations internationales. « Risque migratoire » et logique de population Pınar Bilgin (2004) souligne, à partir d’une étude du cas turc, un possible retour d’une « géopolitique civilisationnelle » dans les discours européens sur les pays méditerranéens. De même, Federica Bicchi et Mary Martin (2006) ont montré que la question de la distance culturelle avec les différents pays tiers sous-tendait la réflexion des politiques et fonctionnaires de l’Union européenne et encore plus des États membres, de façon plus ou moins consciente. Si certains tentent de se défaire de cette approche, ça n’est pas le cas de tous. Le cas des politiques migratoires et des retours forcés est particulièrement intéressant à cet égard, car on y retrouve ce qu’Alexis Spire (2005, 111‑141) nomme, dans le cas de la politique d’immigration française, une « logique de population »2, qui distingue une immigration « visible » – ce qui sous-entend moins « assimilable » – d’une immigration moins visible – et donc plus « assimilable ». La notion de « risque migratoire » utilisée par nos interlocuteurs souligne l’importance de ces questionnements dans la constitution des politiques migratoires extérieures de l’Union européenne. On note cependant des différences 1
Voir à ce sujet le chapitre 5.
2
Ce terme désigne la constitution de la population comme enjeu politique. Plusieurs courants existent au sein de cette logique, mais c’est en son nom que la sélection des étrangers selon l’origine occupe progressivement une place de plus en plus importante dans la politique migratoire française d’entre-deux-guerres.
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dans l’usage de cet argument, qui recoupent partiellement les appartenances institutionnelles de nos interlocuteurs. La plupart des acteurs français rencontrés distinguent ainsi Est et Sud, et cette distinction est également largement utilisée par les acteurs de la Commission, qu’ils l’attribuent aux États membres ou qu’ils se l’approprient. Ils sont conscients du rôle de la comparaison avec l’Est dans les revendications marocaines. Comme nous l’indiquait à propos de la facilitation des visas un membre de la délégation de la Commission européenne à Rabat rencontré en 2010 : « Ils voient ce qui se passe à l’Est »1. Autrement dit, les revendications marocaines sont décrites comme calquées sur l’avancée des négociations avec certains pays à l’Est. Cette constatation est souvent utilisée pour discréditer les revendications marocaines, à partir de l’idée qu’il convient de distinguer Est et Sud. Bien que certains acteurs nient l’existence d’une différence de traitement entre voisinage à l’Est et au Sud, tous voient une différence fondamentale entre l’Est et le Sud. Ainsi, un fonctionnaire de la direction générale en charge de l’aide au développement, qui argumente par ailleurs contre les approches sécuritaires des migrations, répond à notre question sur le sujet : Déjà, c’est con à dire, mais il y a une différence physique. Avec l’Est, il n’y a pas la problématique des bateaux qui débarquent avec des migrants très visibles. Les migrants de l’Est, on ne les voit pas. Ils n’arrivent pas en bateau, et ils se mélangent à la population. C’est une bonne question, mais ça ne me vient pas à l’esprit, on travaille de la même façon.2 Avant d’affirmer travailler « de la même façon » dans les deux cas, ce qui revient à nier tout « favoritisme »,
ou
tout
élément
qui
pourrait
laisser
suspecter
une
approche
« civilisationnelle », ce fonctionnaire affirme une différence « physique » entre le voisinage à l’Est et au Sud. Cette différence physique, présentée comme une évidence (« c’est con à dire »), est basée d’une part sur la géographie, puisque les frontières avec le Maroc seraient maritimes (ce qui laisse de côté les frontières terrestres entre le Maroc et l’Espagne à Ceuta et Melilla). La visibilité – c’est-à-dire l’attention médiatique et politique – des migrants du Sud est attribuée au franchissement irrégulier des frontières, et plus précisément à l’arrivée par bateau (alors même que ces modes d’entrée dans les pays européens reste minoritaires). D’autre part, l’invisibilité des migrants de l’Est par rapport à ceux du Sud est également 1
Entretien n°35, Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Rabat, 23 septembre 2010.
2
Entretien n°49, DG Développement et coopération, Commission européenne, Bruxelles, 1er février 2012.
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attribuée au fait qu’ils se « mélangent à la population » : ce sont donc des critères physiques basés sur le phénotype et l’apparence qui sont établis comme déterminants. La visibilité des migrants permet ainsi à ce fonctionnaire d’expliquer le degré d’acceptabilité de chaque population. Tout en se défendant indirectement de toute accusation d’une approche civilisationnelle ou racialisée dans son travail, ce fonctionnaire fait référence à une logique de population qui distingue des migrants « visibles » de migrants moins « visibles ». D’autres acteurs européens et nationaux reconnaissent quant à eux plus clairement une différence de traitement des voisinages Sud et Est. C’est le cas lorsqu’un fonctionnaire de la DG JLS/HOME affirme que la facilitation des visas « c’est bien, mais avec certains pays, pas avec tout le monde. Sinon ça n’est pas la peine d’avoir des visas ! »1. La distinction entre différents pays est ici attribuée au principe même des visas, c’est-à-dire à la volonté de contrôler les frontières. Cependant, aucun critère de distinction entre ces pays n’est avancé. De même, un diplomate français parle d’une « approche différentiée » entre voisinage à l’Est et au Sud, décrivant une politique plus libérale envers l’Est et le Caucase, et plus stricte avec le Sud2 : il s’agit ici d’un constat descriptif plus que d’une explication. Cette distinction entre Est et Sud est fréquemment attribuée aux perspectives d’adhésion différentes pour les pays de chaque région. Un fonctionnaire de la Commission affirme ainsi : Et puis on a des frontières terrestres à l’Est. Certains partenaires à l’Est ont quand même dans leurs têtes la perspective d’adhésion. Par exemple la Moldavie, c’est le meilleur élève, ils sont au taquet, ils ont une perspective claire. Ce sont des différences qualitatives.3 Dans ce cas, c’est le statut d’un État par rapport à l’Union européenne qui est présenté comme déterminant, à la fois pour les décisions de l’UE et pour les réponses du pays tiers, pour qui la perspective d’adhésion agirait comme une puissante incitation. Cependant, on peut noter que cette différence politique est intimement liée à un discours naturalisant, qui fait de la géographie – à travers la mention des frontières terrestres – la base du projet politique européen. L’expression « différences qualitatives » s’oppose ainsi à une conception dans laquelle les différences entre Est et Sud seraient de simples différences de degré.
1
Entretien n°27, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 22 juin 2010.
2
Entretien n°46, Direction de l’Union européenne, Ministère des affaires étrangères, Paris, 16 juin 2011.
3
Entretien n°50, DG Affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 2 février 2012.
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Cette dimension normative du discours sur la différence entre voisinage Est et Sud apparaît fréquemment de manière implicite lors des entretiens. Par exemple, le conseiller des affaires intérieures à la Représentation française estime que la « facilitation des visas est possible avec l’Est, mais pas avec le Sud »1. Cette fois-ci, la distinction entre les deux régions est donnée avec un objectif normatif, sans autre explication, et simplement suivie d’un rappel de la lenteur des négociations avec le Maroc. Ceci montre à quel point la différence entre Est et Sud peut être, dans certains cas, naturalisée et légitimée par le discours des acteurs. On retrouve alors une logique de population sous-jacente à l’argumentation, comme lorsqu’un diplomate français évoque un « risque migratoire » en provenance des pays du Sud de la Méditerranée plus pressant pour la France qu’en provenance de l’Est pour expliquer le « déséquilibre entre le Sud et l’Est »2. Au final, la plupart des acteurs européens et nationaux rencontrés mentionnent ou reconnaissent l’existence d’une différence de traitement entre le voisinage à l’Est et au Sud. Il s’agit dans la plupart des cas de constater un fait accompli, mais leur argumentation repose sur des représentations géographiques racialisées de l’Union européenne, qui distinguent une immigration « visible » d’une immigration « invisible ». La distinction entre frontières maritimes et terrestres, en naturalisant les différences mises en place entre voisinage Est et Sud de l’Union européenne, apparaît ainsi comme un euphémisme de la « logique de population » qui sous-tend les politiques d’immigration nationales et européennes. Cependant, si cette logique est importante pour expliquer les réticences initiales de certains États membres avec le Maroc, elle n’est pas suffisante pour comprendre comment celles-ci ont été dépassées. D’abord, parce qu’elle n’est pas présente chez tous les acteurs rencontrés dans les administrations françaises, en particulier au ministère des Affaires étrangères, alors qu’elle est partagée par certains acteurs de la Commission, qui cherchent pourtant à obtenir cette compétence pour leur négociation avec le Maroc et insistent sur la dimension des migrations régulières dans l’approche globale. De plus, la facilitation des visas ne correspond pas à une ouverture complète des frontières : elle est une mesure largement symbolique, qui bénéficie surtout aux catégories de population déjà mobiles dans les pays d’origine3. La distinction 1
Entretien n°29, Service Justice et affaires intérieures, Représentation française auprès de l’UE, Bruxelles, 22 juin 2010.
2
Entretien n°45, Direction de l’Union européenne, Service des politiques internes et des questions institutionnelles, Ministère des affaires étrangères, Paris, 14 juin 2011.
3
Voir le chapitre 5.
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entre voisinage au Sud et à l’Est ne suffit donc pas à expliquer la position française sur la facilitation des visas avec le Maroc. D’autres éléments permettent de comprendre les négociations internes à l’Union européenne sur la facilitation envisagée simplement comme une incitation. Une question de confiance Le principal débat entre les États membres et la Commission sur la facilitation des visas avec le Maroc ne porte pas tant sur la question de savoir si elle doit être envisagée que sur le moment où elle doit être envisagée. Selon le fonctionnaire de la direction générale des affaires extérieures cité plus haut, le problème avec la facilitation des visas c’est que « certains États membres veulent d’abord avoir l’accord de réadmission, mais le Maroc veut faire les négociations en parallèle »1. Plutôt que de parler d’une différence entre voisinage Est et Sud, les fonctionnaires de la Commission et les diplomates français mettent en avant la durée des négociations et les expériences passées dans ce domaine, qui font de la confiance un enjeu essentiel. Ainsi, pour un fonctionnaire de la direction générale des affaires intérieures : Les demandes sont très claires, ils veulent des opportunités de mobilité. Le problème c’est la configuration qui dure depuis sept ans, donc on a envie de dire : ‘donnez-nous d’abord la réadmission, et après on verra’. Maintenant les États membres n’ont pas envie.2 Ici on voit bien que le problème de cette négociation n’est pas, selon cet acteur, la situation géographique du Maroc, mais plutôt un enjeu de confiance fondé sur l’expérience passée : la longueur des négociations conduit à la méfiance et le comportement des négociateurs marocains conduirait ainsi à l’impatience des États membres. De même, le fonctionnaire en charge du dossier à la direction générale des affaires intérieures, s’il reconnaît une différence entre voisinage à l’Est et au Sud, insiste sur le calendrier des négociations avec le Maroc, et sur le rôle de l’expérience préalable avec les pays de l’Est : Déjà on vient de commencer. On n’est pas au même niveau, en termes de mise en œuvre. (…) Après, au niveau de la facilitation des visas, il y a la possibilité de les mettre à égalité. La libéralisation des visas, comme avec les Balkans, c’est de la 1
Entretien n°25, DG Relations extérieures, Commission européenne, Bruxelles, 21 juin 2010.
2
Entretien n°26, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 21 juin 2010.
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science-fiction ! D’autant plus qu’avec les problèmes de mise en œuvre, ça a refroidi certains États membres. Mais la facilitation c’est intéressant.1 On retrouve ici trois arguments : d’abord la différentiation géographique entre frontières terrestres et maritimes ; puis la perspective d’élargissement qui agirait comme une incitation efficace ; enfin, le calendrier : le fait que des expériences aient déjà été menées mais rencontrent des « problèmes de mise en œuvre » rend de futures négociations plus difficiles2. Si la possibilité d’une égalisation dans le domaine de la facilitation des visas est introduite, l’inégalité entre les deux voisinages est ré-affirmée par le refus de la « libéralisation des visas », c’est-à-dire de la suppression des visas et de la libéralisation de la circulation. La mention d’une telle libéralisation peut paraître surprenante, notamment parce qu’il ne s’agit pas d’une revendication directe des acteurs marocains : il s’agit pour les interlocuteurs européens de bien distinguer facilitations des visas et libéralisation de la circulation afin de ne pas générer des exigences trop fortes de la part des négociateurs marocains. Pourtant, la libéralisation de la circulation à long terme n’est pas exclue par tous les diplomates nationaux. Ainsi, un diplomate français affirme, au sujet de la facilitation des visas : C’est en cours de négociation. La position française, c’est que nous, jusqu’à présent, on est prêts à offrir la facilitation des visas pour les pays du Sud et éventuellement la libéralisation de la circulation. En revanche, contrairement aux pays de l’Est, on ne veut pas de négociations en parallèle, mais d’abord les accords de réadmission.3 Il est d’autant plus intéressant de noter que, alors même que la posture adoptée est plutôt restrictive, la libéralisation de la circulation est envisagée comme un horizon éventuel. Cependant, si celle-ci semble envisagée comme une possibilité logique, et le principe de la facilitation des visas accepté, le principal enjeu de l’argument porte sur la nécessité d’obtenir ou non l’accord de réadmission avant de parler de facilitations.
1
Entretien n°50, DG Affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 2 février 2012.
2
De même, un diplomate français déclare que : « on a fait beaucoup de concessions en 2008-2009 avec le partenariat oriental ; aujourd’hui on freine sur la libéralisation des visas avec l’Est », entretien n°45, Direction de l’Union européenne, Service des politiques internes et des questions institutionnelles, Ministère des affaires étrangères, Paris, 14 juin 2011.
3
Ibid.
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Pour conclure, malgré les revendications marocaines avant 2011, des négociations sur la facilitation des visas n’étaient pas envisageables, du point de vue des acteurs des États membres, en particulier pour les plus impliqués dans les politiques migratoires envers le Maroc, tant que l’accord de réadmission n’était pas signé. Ce refus était basé à la fois sur une réticence à élargir les prérogatives de la Commission dans ce domaine, sur une distinction entre voisinage à l’Est et voisinage au Sud, et sur des interprétations des négociations sur la réadmission avec le Maroc. Les acteurs français soulignent, en particulier, que l’accord de réadmission doit être signé avant que des négociations sur la facilitation des visas puissent être lancées. Or, comme nous l’avons vu dans le chapitre 5, cette exigence de calendrier est perçue comme illégitime par les acteurs marocains, pour qui la comparaison avec l’Europe de l’Est rend apparent un problème de manque respect pour la dignité de l’État marocain par l’Union européenne. En ce sens, les événements de 2011 constituent une opportunité pour ces acteurs, mais surtout pour les négociateurs de la Commission, qui trouvent une occasion de créer un compromis.
B - L’adoption du principe de conditionnalité : un compromis interne à l’UE pour répondre aux revendications marocaines Le partenariat pour la mobilité proposé au Maroc est un compromis à la fois avec le Maroc, puisqu’il répond aux demandes marocaines sur la facilitation des visas, et avec les États membres : il satisfait en effet les exigences des États membres réticents à déléguer leurs compétences à l’Union européenne. Le principe de conditionnalité, proposé par la Commission en mai 2011 et adopté par le Conseil peu après, est l’un des éléments essentiels de ce compromis. En effet, l’apparition du terme de « conditionnalité » dans le cadre des relations avec les pays méditerranéens sur les migrations en 2011 est étonnante. Ce terme désigne un système dans lequel le versement d’aides ou l’accès à des bénéfices au respect de certaines exigences. Il peut en ce sens apparaître comme une simple description de la mise en place d’incitations. Les acteurs distinguent fréquemment entre conditionnalité positive, dans laquelle des récompenses sont offertes, et conditionnalité négative, dans laquelle des mesures de rétorsion sont adoptées, ou des incitations retirées. De plus, la conditionnalité peut être ex ante, lorsque les incitations sont versées avant la réalisation des exigences, ou ex post, lorsqu’elles le sont seulement une fois les exigences remplies. Ces nuances permettent donc a
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priori de décrire n’importe quel processus de négociation comprenant des incitations. Pourtant, définitions et usages du terme font débat dans le cadre de l’Union européenne, et le terme n’était que rarement utilisé pour parler des négociations sur la réadmission avec les pays du sud de la Méditerranée, et jamais dans un document écrit. Son apparition dans une communication de la Commission en mai 2011 fait donc date. Cette communication précise en effet : Une telle collaboration [entre l’UE et les pays d’origine et de transit] devrait aussi se fonder sur le principe de conditionnalité appliqué aux questions de migration afin d'encourager nos partenaires à s'engager réellement à prévenir les flux migratoires irréguliers, à gérer leurs frontières de manière efficace et à coopérer aux politiques de retour et de réadmission des migrants irréguliers.1 La conditionnalité est envisagée comme une incitation pour que les pays tiers s’engagent « réellement ». Elle est donc envisagée comme une marque de fermeté. Mais ce discours s’adresse aussi aux États membres, ce qui est visible dans la répétition du terme, plus loin dans le document : Le dialogue doit avoir pour but de mettre en place des partenariats de mobilité, assortis d'une conditionnalité appropriée, et d'aider les pays partenaires à renforcer leurs capacités dans les domaines liés à la gestion des flux migratoires.2
La conditionnalité est cette fois-ci associée aux partenariats pour la mobilité, et marque une réserve sur un engagement en ce sens. Nous allons montrer que les acteurs de la Commission cherchent à ce moment-là à convaincre les États membres de proposer des partenariats pour la mobilité et cherchent à travers ce terme à donner des garanties de fermeté tout en s’inscrivant dans la révision de la politique de voisinage. Nous verrons en premier lieu comment et pourquoi la plupart des acteurs européens refusent d’abord l’usage de ce terme pour parler des négociations sur la réadmission. Nous examinerons dans un second temps les raisons qui ont poussé les acteurs de la Commission et en particulier de la direction générale en charge des affaires intérieures à
1
COMMISSION EUROPÉENNE (2011a). Communication sur la migration. COM(2011) 248 final, Bruxelles, 4 mai, p.4.
2
Ibid., p.19.
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utiliser ce terme en 2011. Enfin, nous verrons que l’apparition du terme ne préjuge nullement du sens que lui donnent les acteurs ni des usages qu’ils en font par la suite.
1) Une conditionnalité qui ne dit pas son nom Nous avons vu précédemment que l’Union européenne utilisait des incitations pour tenter d’obtenir du Maroc la signature d’un accord de réadmission : « instruments » financiers ou autres, « contreparties »1, tous ces termes désignent une négociation dans laquelle le versement d’une aide financière ou la mise en place de certains dispositifs dépendent de la coopération marocaine. Cependant, le terme de conditionnalité est non seulement absent des documents évoquant la recherche d’incitations et de contreparties, mais récusé par la plupart des acteurs européens ou français rencontrés avant 2011. Nous faisons ici l’hypothèse que ce refus est lié à l’histoire de l’usage de ce terme par certaines organisations internationales et dans l’Union européenne, et aux différents sens que le terme a pu avoir. C’est dès lors un terme connoté et difficile à utiliser dans les relations avec le Maroc. Ainsi, en 2003-2004, les documents de la Commission et du Conseil qui abordent la question de l’insuffisance des incitations mises en place pour la négociation des accords de réadmission mentionnent ainsi l’idée de mettre en place des contreparties, mais n’utilisent pas le terme de conditionnalité2. Ceci est aussi le cas de documents plus tardifs, y compris lorsque ces documents recommandent la mise en place de mesures de représailles face aux pays refusant de coopérer. Ainsi, le programme de Stockholm de 2010 n’utilise pas le mot, bien qu’il inclut la possibilité de représailles en cas de coopération insuffisante de la part d’un pays tiers : Sur cette base, le Conseil devrait définir une stratégie renouvelée et cohérente en matière de réadmission, tenant compte de l'ensemble des relations avec le pays concerné, y compris une approche commune à l'égard des pays tiers qui ne coopèrent pas pour ce qui est de réadmettre leurs ressortissants.3
1
Voir le chapitre 3.
2
Par exemple, COMMISSION EUROPÉENNE (2003). Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil en vue du Conseil européen de Thessalonique sur le développement d’une politique commune en matière d’immigration clandestine, de trafic illicite et de traite des êtres humains, de frontières extérieures et de retour des personnes en séjour irrégulier. COM(2003) 323 final, Bruxelles, 3 juin, ou encore, COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION (2004). Draft council conclusions on the priorities for the successful development of a common readmission policy, 13758/04, November 2.
3
CONSEIL EUROPÉEN (2010). Le programme de Stockholm — Une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens (2010/C 115/01).
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Le document évoque ainsi à mots couverts, après des années de négociation avec certains pays et les demandes répétées de la part de la Commission pour mettre en place d’autres incitations, notamment la facilitation des visas, la possibilité de mettre en place des mesures de rétorsion lorsque les États avec lesquels l’Union européenne négocie ne coopèrent pas – sans qu’il ne soit précisé s’il s’agit de coopération pour la signature d’un accord ou pour sa mise en œuvre. Il s’agirait donc de conditionnalité négative. Mais là encore, le terme n’apparaît nulle part dans le document. De même, les personnes interrogées à Bruxelles et à Paris n’utilisent que rarement ce mot avant 2011, et lorsque nous les questionnons à ce sujet, elles refusent de dire qu’il s’agit de conditionnalité, et réfutent même le terme lorsque nous l’employons. Un fonctionnaire de la direction générale des affaires étrangères a spontanément utilisé le terme de conditionnalité lors d’un entretien, après une question sur les autres enjeux négociés avec le Maroc dans le domaine des migrations : il a ainsi indiqué que la DG Relex était prête à entamer les négociations sur d’autres sujets (c’est-à-dire sur la facilitation des visas), mais que « la conditionnalité [était] très forte sur l’accord de réadmission »1. Il s’agit cependant du seul usage spontané du terme que nous avons rencontré à la Commission. De plus, lorsqu’une question était posée au sujet de la « conditionnalité », la plupart de ces acteurs la contournent, affirmant par exemple : Ce sont plutôt les Marocains qui jouent de ça [projets sur les migrations régulières] comme condition. (…) On a tendance à faire miroiter ça aussi. Quand on arrive dans la dernière phase de négociation, on joue de certaines choses, mais pas comme dans le contexte de 2002, où les Espagnols voulaient une conditionnalité systématique sur les accords de réadmission.2 Bien que le terme de conditionnalité soit utilisé pour désigner une approche défendue par un État membre précis à une période précise, une distinction est ici établie entre une conditionnalité « systématique » et le jeu habituel des incitations : ceci laisse entendre que la négociation est plus flexible que ce que la conditionnalité impliquerait. De plus, acteurs marocains et des États membres sont renvoyés dos à dos pour leur usage de conditions dans les négociations. De même, un fonctionnaire de la Représentation permanente de la France à Bruxelles contourne la question en affirmant : « pour nous, la réadmission n’est pas une
1
Entretien n°25, DG Relations extérieures, Commission européenne, Bruxelles, 21 juin 2010.
2
Entretien n°26, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 21 juin 2010.
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conditionnalité mais un devoir, comme pour les transporteurs aériens »1. En faisant référence à l’argument juridique selon lequel l’obligation de réadmettre ses propres ressortissants est un devoir des États, ainsi qu’aux amendes infligées aux transporteurs aériens depuis les années 19902, cet acteur tente de neutraliser l’un des enjeux principaux de la négociation, à savoir la question de la réadmission des migrants ayant « transité » par le territoire du pays tiers. Il tente ainsi de neutraliser la dimension conflictuelle des demandes européennes. Ce dernier argument est également intéressant parce que, malgré le rejet du terme de conditionnalité, il introduit, à travers la notion de « devoir » et la comparaison avec les compagnies aériennes, la possibilité de mettre en place des sanctions – et non seulement des incitations – dans le cadre des négociations sur la réadmission, ce qui s’apparente à l’idée de conditionnalité négative. Ainsi, en dehors d’un seul cas à la direction générale des affaires extérieures de la Commission, l’ensemble des acteurs interrogés avant 2011 récusent le terme de conditionnalité pour parler des négociations sur la réadmission avec le Maroc. En raison de son ambiguïté, les acteurs européens préfèrent l’éviter, et sont mal à l’aise lorsqu’ils y sont confrontés pour décrire les relations avec le Maroc sur les migrations. En effet, le terme est à la fois utilisé par les institutions financières internationales dans leurs programmes en direction des pays en développement, et par l’Union européenne pour organiser le processus d’adhésion de nouveaux États membres. L’usage de la conditionnalité par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale a été critiqué en raison de la concentration de ce mécanisme sur les pays en développement et d’une idéologisation de la conditionnalité (Babb et Carruthers 2008). La conditionnalité est d’ailleurs décrite par les acteurs marocains, suite à son adoption officielle dans la politique de voisinage européenne en 2011, comme un affront. Quant à l’Union européenne, la question de l’usage de la conditionnalité dans les relations avec les pays en développement se pose dès les débuts de la direction générale en charge de l’aide au développement en 1958 et dans les années 1960. Elle est un enjeu des oppositions entre différents courants – et différents États membres dominants en son sein – au cours des années 1980 et 1990 (Dimier et Hamborg 2005; Dimier 2006). L’idée de conditionnalité continue de poser problème au sein de la direction générale en charge de l’aide au développement, surtout 1
Entretien n°29, Service Justice et affaires intérieures, Représentation française auprès de l’UE, Bruxelles, 22 juin 2010.
2
Voir Guiraudon et Lahav 2000.
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quand elle est utilisée pour d’autres objectifs que la démocratisation ou la transparence. L’usage de l’aide au développement ainsi que de la conditionnalité reste difficile pour les diplomates européens dans leurs négociations avec des pays tiers (Buchet de Neuilly 2011). Enfin, la conditionnalité a également adopté un sens très spécifique dans le cadre de l’élargissement de l’Union européenne et du processus d’adhésion de nouveaux États membres. Les critères de Copenhague pour l’adhésion à l’UE ont ainsi été adoptés en 1993. La conditionnalité désigne alors le transfert de certaines règles de l’Union européenne et leur adoption par des États non-membres (Schimmelfennig et Sedelmeier 2004). Ainsi, le terme de conditionnalité en est venu à être associé, dans le cadre de l’Union européenne, au processus d’adhésion d’un État membre. Etant donné les ambitions marocaines, y compris symboliques, dans ce domaine, à travers la demande formelle d’adhésion déposée par le roi Hassan II en 1987, ou plus récemment à travers l’obtention du « statut avancé », on peut comprendre les réticences initiales des acteurs européens à employer le terme de conditionnalité dans le cadre des négociations sur les migrations avec le Maroc. Pour résumer, le terme de conditionnalité n’apparaît ni dans les documents européens sur la « dimension externe » des migrations ni dans les entretiens à Bruxelles ou Paris conduits avant 2011. Lorsque le terme est évoqué, les acteurs européens et français tendent à contourner son utilisation. En raison de ses usages passés, le terme apparaît comme un terrain miné pour les acteurs européens dans le cadre de leurs relations avec les pays du Sud. Étant donné cette réticence, et l’insistance de certains de nos interlocuteurs à récuser l’usage de ce terme, son apparition dans un document de la Commission en 2011 est étonnante. Elle apparaît en réalité comme une garantie donnée à certains États membres en échange du mandat sur la facilitation des visas.
L’adoption du principe de conditionnalité par la Commission en 2011 apparaît donc comme un changement important dans la façon d’aborder les négociations sur les migrations avec les pays tiers. Ce changement est en réalité une concession aux exigences de fermeté de certains États membres, dont la France, en échange de l’accord de ces États pour le lancement de négociations sur des partenariats pour la mobilité – incluant notamment la facilitation des visas – avec les pays du Sud de la Méditerranée.
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Nous avons vu que l’idée de conditionnalité pouvait poser problème au sein de la Commission. Les débats sur son utilisation reflètent également des débats qui prennent place entre les différents États membres, et qui résultent eux-mêmes de débats internes. Dans le cas de la France, les demandes de conditionnalité sont relativement récentes, notamment dans le domaine des migrations. Ces demandes françaises sont elles-mêmes le résultat de la réflexion menée par le ministère de l’Immigration créé en 2007 et transformé en secrétariat général à l’immigration au sein du ministère de l’Intérieur en 2010, sur les négociations avec les pays d’origine. En effet, la position de l’administration française, qu’il s’agisse des diplomates ou des acteurs en charge du développement, rejette a priori tout usage de la conditionnalité. Véronique Dimier le montre pour les débuts de la direction générale en charge de l’aide au développement au sein de la Commission européenne, largement sous influence française à travers son directeur général Jacques Ferrandi (Dimier 2006). Au début des années 2000, alors que l’Espagne et le Royaume-Uni défendent le principe de conditionnalité, non seulement au sein de la direction générale en charge de l’aide au développement, mais aussi pour les négociations autour des migrations, la France s’y oppose. Selon l’ancien commissaire européen à la justice et aux affaires intérieures : [A] cette époque là, (…) il y avait une division entre les États membres de l’Union européenne. Il y avait des États membres tels que le Royaume-Uni, qui voulaient clairement mettre la conditionnalité sur les négociations commerciales et d’accès au marché, (…) à la lumière du comportement des États tiers sur l’immigration. Blair est même arrivé à proposer une sorte de cadre de classification des États selon leur disponibilité de coopérer en matière de lutte contre l’immigration illégale, et donc de retirer les conséquences dans ce domaine-là. Mais il y avait des États qui s’opposaient farouchement à une telle approche (…). L’Espagne, aussi, à l’époque c’était Aznar, l’Espagne était aussi favorable. Il y avait des États qui étaient en faveur mais étaient plus discrets, tels que l’Allemagne. Et il y en a d’autres qui s’opposaient, tels que la France. (…) A l’époque, ils s’opposaient.1 Les divisions internes à l’Union européenne, entre différents États membres, portent sur donc sur l’usage de la conditionnalité. L’opposition entre une méthode « française » d’aide au développement, fondée en grande partie sur les relations personnelles (Dimier 2006), et les exigences espagnoles, transparaît donc au Conseil. Elle reproduit l’opposition sur la conditionnalité au sein de la direction générale en charge de l’aide au développement dans la mise en place de la « dimension externe » des migrations au début des années 2000, donc 1
Entretien n°66, ancien du cabinet du Commissaire Justice et aux Affaires intérieures, Paris, 28 juin 2012.
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dans les débats entre départements des affaires intérieures. Cette opposition se joue au sein du Conseil et lors de Conseils européens. Tony Blair défend, dans le cadre du Conseil européen de Séville en 2002, la conditionnalité de l’aide aux pays d’origine en fonction de leurs efforts pour limiter l’arrivée de demandeurs d’asile en Europe. La proposition de conditionnalité est reçue favorablement par l’Espagne, qui défend cette approche pour l’aide au développement, ainsi que, selon notre interlocuteur, par l’Allemagne, qui garde une préoccupation récurrente pour sa frontière orientale. La relation entre José María Aznar et Tony Blair, renforcée par la lutte contre le terrorisme, joue un rôle important dans la mise en place de l’agenda européen de développement d’une dimension extérieure des affaires intérieures (Wolff 2007). Cependant, cette demande ne fait pas l’unanimité dans l’administration britannique : le directeur du département de l’aide au développement évoque une mesure « moralement répugnante », tandis que le secrétaire d’État aux affaires étrangères Jack Straw exprime quelques réserves. Au sein de l’Union européenne, ce sont notamment la France et la Suède qui s’opposent à ce moment-là à la mise en place de sanctions sur les pays d’origine1. Le secrétaire d’État aux affaires étrangères britannique précise d’ailleurs que ce qui a été évoqué est seulement une conditionnalité « positive », c’est-à-dire que les pays coopératifs recevraient des aides additionnelles de la part de l’Union européenne. En réalité, l’idée d’une évaluation des États selon leur degré de coopération met aussi en avant l’idée de possibles sanctions. La formulation adoptée pour les conclusions du Conseil de Séville est suffisamment ambigüe pour permettre le compromis entre les différents États : « une coopération insuffisante de la part d'un pays pourrait rendre plus difficile l'approfondissement des relations entre le pays en question et l'Union »2. Aucune sanction n’est évoquée, et la menace reste vague. Si la France s’oppose ainsi à la conditionnalité pour les négociations sur le contrôle des migrations avec les pays tiers au début des années 2000, les diplomates et fonctionnaires 1
« Blair wins support on immigration », The Telegraph, June 21, 2002, http://www.telegraph.co.uk/news/1397930/Blair-wins-support-on-immigration.html [consulté le 13 août 2013]. Dans son discours à Séville, Jacques Chirac affirme : « je suis heureux que, finalement, on ait adopté une approche à la fois équilibrée et humaine de ce problème, comme la France le souhaitait, une approche fondée sur le dialogue, sur la concertation, sur l’incitation et non pas sur la sanction ou la conditionnalité » dans PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE (2002). Conférence de presse de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur les résultats du Conseil européen, notamment sur la lutte contre l’immigration clandestine, la réforme du Conseil, le respect du Pacte de stabilité budgétaire par la France et le statut de l’outre-mer, l’élargissement de l’UE et le Proche-Orient, Séville, 22 juin.
2
CONSEIL EUROPÉEN (2002). Conclusions de la Présidence (13463/02), 22 juin, p.11.
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français rencontrés en 2011 expriment au contraire une exigence française de fermeté, avec une position en faveur de la conditionnalité. Pour la plupart, ce changement est dû à une décision impulsée par le président de la république Nicolas Sarkozy lui-même, à partir de la « crise » franco-italienne qui a suivi les événements politiques en Tunisie, en Libye et en Egypte. Ainsi, un diplomate raconte : Après les révolutions dans le monde arabe, la mobilité a été mise en avant comme un moyen de récompenser les efforts démocratiques, avec l’idée que c’était par les échanges humains qu’on allait consolider la démocratie, un peu comme après la chute du mur de Berlin. Mais après la crise migratoire tunisienne à Lampedusa, on a fait le constat indéniable qu’il fallait stopper les flux dès les pays de départ. On a adopté une nouvelle conditionnalité. C’est le président Sarkozy qui a poussé pour ça, vous pouvez voir dans sa lettre avec Berlusconi au président de la Commission européenne après le sommet franco-italien : il y a dans cette lettre l’idée que la conditionnalité européenne doit être un aspect de la coopération politique. Le principe a été accepté par la Commission.1 Cet extrait est intéressant à plusieurs égards : d’abord, parce qu’on y retrouve une comparaison entre voisinage Est et Sud, à travers la mention de la chute du mur de Berlin. Cette comparaison entre révolutions dans le monde arabe et chute du mur de Berlin est très fréquente en 2011. Cependant, elle est ici utilisée pour réaffirmer une distinction entre les deux phénomènes, puisque les flux migratoires qui ont résulté des révolutions arabes sont décrits comme une « crise migratoire ». Il est également intéressant de noter que la France, à travers son président Nicolas Sarkozy, est décrite comme centrale dans la mise en avant de ce principe de conditionnalité, qualifiée de « nouvelle ». Or, la lettre de Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi n’utilise pas ce terme, bien que les efforts de lutte contre l’immigration irrégulière y soient décrits comme une « condition préalable » à un partenariat2. Enfin, l’adoption du principe de conditionnalité par la Commission est présentée comme un résultat direct des demandes françaises et italiennes – alors même que nous avons vu que c’était la France qui s’opposait depuis plusieurs années à ce principe. On retrouve un récit similaire au
1
Entretien n°45, Direction de l’Union européenne, Service des politiques internes et des questions institutionnelles, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 14 juin 2011.
2
« Proposons à nos partenaires du sud de la Méditerranée un partenariat global et ambitieux mais n’hésitons pas à faire d’une détermination concrète de leur part à concourir à nos efforts contre l’immigration illégale une condition préalable et une donnée intrinsèque de ce partenariat » dans PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE et PRÉSIDENT DU CONSEIL DES MINISTRES DE LA RÉPUBLIQUE ITALIENNE (2011). Lettre de MM. Nicolas Sarkozy, Président de la République et Silvio Berlusconi, Président du Conseil des ministres de la République italienne, adressée à MM. Herman Van Rompuy, Président du Conseil européen et José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne, sur un nouveau partenariat entre l’Union européenne et les pays du sud de la Méditerranée et sur une sécurité renforcée au sein de l’espace Schengen, avril.
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secrétariat général aux affaires européennes, où l’on nous précise que « la Commission commence à accepter l’idée, par exemple dans sa communication du 4 mai1, le message commence à passer »2. Ce type de récit tend non seulement à présenter une interprétation biaisée du rôle de la France dans le positionnement de l’UE sur le principe de conditionnalité appliqué aux négociations sur les migrations, mais il présente aussi à tort la « crise migratoire » tunisienne comme la cause de l’adoption de ce principe. En réalité, si l’on peut voir ces événements comme le déclencheur de cette nouvelle position européenne de la France, on peut aussi noter que le principe de conditionnalité correspond à un changement graduel dans l’approche française des migrations avec les pays tiers, notamment avec la mise en place des accords de gestion concertée à partir de 2006-20073. Ces accords, qui lient la coopération sur la lutte contre les migrations irrégulières à celle sur les migrations régulières et sur le développement, sont présentés par les acteurs français rencontrés comme le modèle des partenariats pour la mobilité européens, ou tout du moins comme des textes similaires. De plus, l’adoption de ces accords et l’usage de financements destinés au développement ont fait débat au sein de l’administration française et au sein de l’Agence française pour le développement, en 200620074. Les diplomates français gardent en mémoire les négociations du statut avancé du Maroc en 2008 : ainsi, selon l’un d’entre eux « en 2008, on voulait conditionner le statut avancé, mais au moment de la présidence française, on a un peu viré notre cuti, on a cédé aux pressions marocaines pour accorder le statut avancé quand même »5. Cette expérience est décrite sous un prisme négatif, la France cédant aux « pressions marocaines » pour le statut avancé, sans aucune garantie pour la signature d’un accord de réadmission en dehors de la clause insérée dans le statut avancé en faveur de la négociation et de la signature de cet accord. L’insistance française sur la conditionnalité en 2011 est donc aussi le résultat de la longueur des négociations et d’une expérience qui a conduit à limiter la confiance dans les promesses marocaines sur le sujet de l’accord de réadmission. Ainsi, la conversion française à 1
COMMISSION EUROPÉENNE (2011a). Communication sur la migration, op.cit.
2
Entretien n°40, Secteur libre circulation des personnes, Secrétariat général aux affaires européennes, Paris, 18 mai 2011.
3
Voir chapitre 5.
4
Entretien n°33, Ancien du Bureau stratégie et pilotage de l’aide au développement, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 22 juillet 2010.
5
Entretien n°46, Direction de l’Union européenne, Ministère des affaires étrangères, Paris, 16 juin 2011.
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la conditionnalité dans le cadre de la négociation des accords de réadmission européens avec les pays méditerranéens peut aussi être interprétée comme le résultat d’une évolution progressive, y compris au niveau national. L’adoption du principe de conditionnalité par la Commission dans sa communication du 4 mai 2011 peut donc être comprise comme une concession faite à certains États membres, qui refusaient jusque-là de donner à la direction générale des affaires intérieures des compétences dans le domaine de la facilitation des visas. Pour pouvoir proposer des partenariats pour la mobilité aux pays du sud de la Méditerranée, la Commission a donc choisi de mettre en avant ce principe de conditionnalité. Selon un fonctionnaire de la direction générale des affaires intérieures : « Le Conseil a accepté de nous donner un levier [de négociation], mais la conditionnalité c’est sa valve de sécurité, avec l’idée que sinon la Commission donne toujours tout gratis »1. L’idée selon laquelle la Commission serait plus généreuse que certains États membres ne le souhaiteraient dans la négociation des accords de réadmission fait en effet partie des reproches récurrents adressés par les acteurs français à la DG JAI/HOME2. Cette idée transparaît aussi dans la mise en avant par le Conseil, à partir de 2007, du principe de « pas d’accord à tout prix » – c’est-à-dire « pas d’accord à n’importe quel prix » : ce principe est notamment invoqué pour refuser de donner de nouveaux mandats de négociation à la Commission européenne3. Il est également invoqué en juillet 2011 dans l’évaluation française de l’approche globale européenne sur les migrations pour expliciter le principe de conditionnalité qui y est mentionné4. Facilitation des visas et partenariats pour la mobilité en échange de la conditionnalité, soit une position plus ferme dans la gestion des incitations, voilà donc le compromis trouvé entre la Commission et les États membres. En ce sens, les relations avec les pays tiers ou la « dimension externe » des migrations peuvent influencer des débats internes à l’UE et la répartition des compétences au sein des institutions européennes. Cependant, une fois adopté, le principe de conditionnalité reste ambigu. 1
Entretien n°51, DG Affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 3 février 2012.
2
Voir le chapitre 2.
3
Ce principe est mentionné dans CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE (2007). 2807e session du Conseil justice et affaires intérieures, conclusions du Conseil concernant l’évaluation des progrès accomplis et des résultats obtenus dans les négociations d’accords communautaires de réadmission avec les pays tiers, Luxembourg, 13 juin. Il est indiqué qu’il faut « continuer à appliquer » ce principe, alors même que nous n’en trouvons pas mention dans des documents antérieurs. On peut supposer que cette question a jusque-là fait l’objet de discussions informelles.
4
SECRÉTARIAT GÉNÉRAL AUX AFFAIRES EUROPÉENNES (2011). Réponse française au questionnaire de la consultation relative à l’approche globale sur les migrations, juillet.
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2) Ambiguïté et usages de la conditionnalité Nous avons vu plus haut comment la Commission utilise le terme de conditionnalité dans sa communication sur la migration en mai 2011. Or, si le mot apparaît, il n’est pas véritablement défini dans ce document. Il est simplement suivi, lors de sa deuxième occurrence dans le document, de la mention d’incitations dans le domaine des migrations régulières et du développement. La mise en place de ces incitations est conditionnée à la coopération dans la lutte contre les migrations irrégulières : La mise en œuvre des partenariats de mobilité sera subordonnée à un réel engagement des pays tiers concernés à réadmettre les migrants irréguliers qui ne sont pas autorisés à rester sur le territoire des États membres et à prendre des mesures efficaces de prévention des migrations irrégulières (…).1 Cette explication s’apparente à une conditionnalité positive, dans laquelle les incitations sont offertes si et seulement si le pays tiers coopère. Aucune mention n’est faite de sanctions en cas de non coopération. Or, lorsque le Conseil reprend le terme au mois de juin 2011, il l’interprète différemment : Le Conseil rappelle qu'il convient de continuer à observer le principe "pas d'accord à tout prix". Il faudrait appliquer le principe de la conditionnalité de manière appropriée, notamment en supprimant les mesures d'incitation et en introduisant certaines autres mesures lorsqu'un pays tiers ne coopère pas pour s'acquitter effectivement de son obligation de réadmission (…).2 Pour le Conseil, les sanctions font donc pleinement parti du principe de conditionnalité. Si leur définition est laissée relativement floue, puisqu’il s’agit de supprimer les incitations et de « certaines autres mesures », leur principe est clairement énoncé, et s’accompagne de la critique récurrente à l’égard de la Commission qui, à travers toutes les incitations qu’elle voudrait fournir, chercherait l’accord « à tout prix ». On constate donc un désaccord entre la Commission et le Conseil, une fois le principe de conditionnalité édicté, sur la définition de ce principe. Son ambiguïté de départ, entre conditionnalité positive ou négative, conditionnalité ex ante ou ex post, laisse la place à des interprétations différentiées. Les acteurs de la 1
COMMISSION EUROPÉENNE (2011a). Communication sur la migration, op.cit., p.19.
2
CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE (2011). 2807e session du Conseil justice et affaires intérieures. Conclusions du Conseil définissant la stratégie de l’UE en matière de réadmission, Luxembourg, 9 juin, p.4.
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Commission ont ainsi cherché à obtenir un compromis avec les États membres. Ils apparaissent dès lors dans ce cadre comme des représentants de la « culture du compromis » analysée par Marc Abélès et Irène Bellier (1996). Or, plusieurs auteurs ont souligné le rôle du langage et de son ambiguïté dans la construction du compromis (Edelman 2001; Palier 2005), y compris dans le cadre de la construction européenne (Hoffmann 1995). Elle n’en reste pas moins une source de conflits potentiels a posteriori (Jegen et Mérand 2013), dans ce cas, une fois le principe de conditionnalité adopté. On constate en effet que les fonctionnaires français et ceux de la Commission interprètent ce principe différemment ; de plus, on observe aussi des nuances dans les interprétations en fonction du centre d’intérêt de ces différents acteurs. Selon l’un des fonctionnaires de la DG HOME en charge des négociations avec le Maroc, la conditionnalité : C’est un de ces mots-clés où chacun comprend ce qu’il veut et où s’il y a un problème, c’est le mot lui-même qui est à l’origine des problèmes. Pour nous c’est un package global, pour les États membres, parfois, c’est une conditionnalité renversée, il faut d’abord signer l’accord de réadmission pour négocier le reste. Mais dans les conclusions du Conseil, ils semblent présupposer que les leviers sont déjà là !1 C’est bien l’ambiguïté de la terminologie qui est ici pointée du doigt. Pour cet acteur de la Commission, plutôt favorable à une conditionnalité exclusivement positive, la conditionnalité négative est « renversée », c’est-à-dire qu’elle correspond à une déviation par rapport à ce qu’il considère être la définition initiale. Cette ambiguïté a certes permis d’atteindre un compromis entre le Conseil et la Commission, mais elle continue de faire l’objet de débats, en particulier dans la mise en œuvre, alors que la Commission considère qu’on ne peut pas retirer des sanctions que l’on n’a pas encore accordées – et continue donc de plaider pour que les États membres lui donnent plus d’incitations – les « leviers ». Ainsi, le diplomate français en charge du dossier des migrations auprès de l’UE adopte une interprétation stricte de la conditionnalité. Il met en avant l’importance du cas par cas, le fait que l’usage de la conditionnalité dépend du pays concerné et du cadre, mais il précise aussi qu’elle peut signifier des incitations (la facilitation des visas, des fonds, une coopération douanière), mais aussi des mesures de rétorsion : celles-ci consisteraient notamment à retirer
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Entretien n°51, DG Affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 3 février 2012.
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les incitations1. Cependant, ce diplomate, en charge de la thématique des affaires intérieures, se concentre sur le dossier des migrations et de la gestion des frontières, en lien avec les fonctionnaires du secrétariat général à l’immigration. Au sein du ministère des Affaires étrangères, le diplomate en charge de l’ensemble des relations avec le Maroc dans le service des affaires européennes présente une interprétation plus nuancée de la conditionnalité, non pas en refusant de parler de conditionnalité négative, mais en concentrant son interprétation sur les critères de démocratisation. Selon lui, les Allemands et « l’Europe du Nord » défendent une conception dans laquelle les aides doivent largement être conditionnées à l’organisation d’élections libres et transparentes et résume cette approche : « pas de doigts, pas de chocolat ». Les « pays de l’Est » suivraient cette approche, mais, au contraire des acteurs d’Europe du Nord qui « y croient » (à la promotion des principes démocratiques), ils auraient peur que plus d’aides soient versées aux pays méditerranéens aux dépens de l’Europe de l’Est. Enfin, les pays « d’Europe du Sud et latins », dont la France, défendraient l’idée d’une conditionnalité partielle, qui tiendrait compte de la démocratisation mais aussi d’autres critères2. L’approche française et « latine » est donc présentée comme plus globale, plus compréhensive, que les approches se focalisant sur la démocratisation, ce qui permet de légitimer la mise en place de la participation à la lutte contre les migrations irrégulières comme critère de la conditionnalité. On retrouve à la Commission cette interprétation plus englobante, qui tente d’insérer la conditionnalité sur la réadmission et les contrôles migratoires dans le cadre plus général de la conditionnalité au sein de la politique européenne de voisinage envers la Méditerranée. Cependant, les fonctionnaires de la Commission insistent tous sur la dimension positive de la conditionnalité, et refusent ou craignent la conditionnalité négative, et ce y compris à la direction générale des affaires intérieures. Ainsi, un fonctionnaire de cette direction nous confie, début 2012 : Moi personnellement je suis assez peu convaincu. J’ai peur que ça crée des problèmes. Avec l’article 8 [des conclusions du Conseil JAI de juin 2011], j’ai peur personnellement que quelqu’un puisse venir nous voir pour nous dire que puisque le Maroc ne coopère pas, on puisse retirer les incentives. Ça serait un retour au
1
Entretien n°45, Direction de l’Union européenne, Service des politiques internes et des questions institutionnelles, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 14 juin 2011.
2
Entretien n°46, Direction de l’Union européenne, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 16 juin 2011.
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point de départ.1 On voit bien ici comment l’interprétation en termes de conditionnalité négative donnée par le Conseil au principe de conditionnalité adoptée par la Commission est rejetée, y compris dans la direction générale en charge d’améliorer la coopération sur la réadmission. Il s’agit ici d’un rejet instrumental, puisque ce fonctionnaire craint principalement de ne pas parvenir à négocier sur de telles bases, il craint donc la réaction des pays tiers, notamment du Maroc. Cependant, on trouve aussi au sein de la Commission une résistance à l’interprétation négative du principe de conditionnalité, notamment à la direction générale en charge de l’aide au développement. Dans ce cas, la résistance se fonde surtout sur la difficulté de mise en œuvre de ce principe : Ça n’a pas encore changé quoi que ce soit, ce sont des mécanismes qui se matérialisent dans la durée. (…) Ce qui risque de se passer à plus long terme, c’est que progressivement on réduise les fonds prévus pour appuyer le gouvernement marocain. Ou alors on donne plus aux pays qui font beaucoup. (…) La conditionnalité négative est difficile à mettre en œuvre, à gérer. Par exemple si mon fils travaille bien, s’il me ramène un 12, mais que moi j’espérais un 16… Ça peut avoir un impact sur le programme thématique, mais de façon positive, via un projet ciblé. (…) Il faut faire la différence entre ce qui est écrit, c’est l’expression d’un volonté, on leur dit ‘écoutez les gars…’ et la réalité. On ne va pas leur dire ‘bande de petits coquins, vous n’avez pas signé, on ne vous parle plus’. On espère plutôt qu’ils vont voir ce qui se passe en Tunisie.2 Ce discours est caractérisé par une grande prudence par rapport au principe de conditionnalité, en particulier négative. C’est surtout la difficulté d’évaluation et de mise en œuvre qui est visée. Si l’exemple de l’enfant ramenant une note décevant sur son bulletin laisse bien transparaître le paternalisme qui teinte les meilleures intentions de l’aide au développement européenne (puisqu’il s’agit d’encourager et non de punir), on note aussi chez ce fonctionnaire un rejet de méthodes considérées trop brutales : la conditionnalité négative est ainsi tournée en ridicule à travers l’exemple d’une punition qui sonne plus comme une dispute dans une cour d’école que comme un dialogue entre États. Le bénéfice de la conditionnalité est donc plutôt attribué à une conditionnalité positive qui permettrait de faire la démonstration des bénéfices de la coopération aux pays tiers par l’exemple – en l’occurrence l’exemple tunisien. Dans tous les cas, les acteurs de la Commission rapportent le principe de conditionnalité 1
Entretien n°51, DG Affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 3 février 2012.
2
Entretien n°49, DG Développement et coopération, Commission européenne, Bruxelles, 1er février 2012.
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à la révision de la politique de voisinage de mai 2011 – alors même que la communication sur les migrations est publiée avant – et au principe de « more for more » adoptée dans ce cadre1. Ce langage managérial, qui transparaît dans l’idée de « meilleure gouvernance » ou encore de « partenariat gagnant-gagnant » défendue par le Président de la Commission José Manuel Barroso2, est caractéristique de l’évolution des politiques migratoires vers une approche gestionnaire (Geiger et Pécoud 2010b). Ici, bien que le principe de conditionnalité concerne a priori plutôt le processus de démocratisation, et vise à encourager les efforts en ce sens à la suite des révolutions, il permet aux acteurs européens d’intégrer le principe de conditionnalité adopté par la Commission et le Conseil en des termes différents au sein d’une approche plus générale des relations de voisinage. Il permet même, dans certains cas, de légitimer une conditionnalité négative ou presque. Cependant, cette conditionnalité négative continue de faire débat, y compris dans le domaine plus général de la démocratisation et de la révision de la politique de voisinage. Comme nous l’indique un conseiller spécial au sein du Service européen pour l’action extérieure : Il y a des discussions en interne actuellement au sein de la Commission sur la mise en œuvre de ce principe. ‘More for more’, ça veut aussi dire ‘less for less’. C’est là où je trouve ça stupide. Il faudrait plutôt dire ‘Tu travailles pas, je vais t’aider à travailler mieux’.3 La conditionnalité négative est ici remise en cause, et ce diplomate plaide également pour, dans la pratique, un usage de la conditionnalité positive plutôt que des sanctions. On retrouve, comme à la direction générale en charge de l’aide au développement, une comparaison avec une relation paternaliste, dans laquelle le Maroc serait comparable à un enfant qui ne travaille pas assez. Cette comparaison montre aussi la prégnance des conceptions du développement fondées sur des relations de dialogue de personne à personne plutôt que sur des critères quantitatifs.
1
« La coopération et les échanges seront considérablement renforcés, conformément à l’approche « more for more » (selon laquelle les pays allant plus loin et plus vite dans leurs réformes pourront compter sur un soutien plus important de la part de l’UE) ». COMMISSION EUROPÉENNE ET HAUTE REPRÉSENTANTE DE L’UNION EUROPÉENNE POUR LES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET LA POLITIQUE DE SÉCURITÉ (2011). Communication conjointe au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions. Une stratégie nouvelle à l’égard d’un voisinage en mutation. COM(2011) 303, Bruxelles, 25 mai.
2
Voir par exemple BARROSO, José Manuel Durão (2011). « Union européenne et Méditerranée du Sud : sur la voie d’un partenariat gagnant-gagnant SPEECH/11/315 », Discours pour les study days of the European People’s Party (EPP), Palerme, 6 mai.
3
Entretien n°53, Conseiller spécial, Service européen pour l’action extérieure, Bruxelles, 6 février 2012.
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En dépit de l’adoption du principe de conditionnalité, les fonctionnaires des trois directions générales ou services concernées – affaires intérieures, développement et coopération, et service d’action extérieure – expriment donc une même réticence face au principe de conditionnalité. Son adoption est présentée comme un choix politique, effectué au niveau du cabinet de la Commissaire aux affaires intérieures et en lien avec le Conseil et les États membres, plutôt que comme une décision promue par l’administration1 2, réitérant ainsi une opposition entre politique et technique, récurrente comme nous l’avons déjà vu dans le langage des fonctionnaires de la Commission.
Les acteurs rencontrés nuancent le terme de conditionnalité de la même façon, par l’idée d’une conditionnalité positive plutôt que négative. L’adoption du principe de conditionnalité par le Commission est donc conçue comme un élément symbolique en direction des États membres plutôt que comme un changement radical de la politique extérieure dans le domaine des migrations. Cependant, le symbole n’agit pas qu’en direction des États membres : l’adoption du principe de conditionnalité est également remarqué par les diplomates et fonctionnaires marocains, qui interprètent la proposition européenne de « partenariat pour la mobilité » à la lumière du discours européen sur les politiques migratoires.
C - La signature du partenariat pour la mobilité (2013) : flexibilité et compromis. En dépit du compromis interne à l’Union interne – compétence sur la facilitation des visas avec le Maroc pour la Commission, conditionnalité comme garantie pour les États membres – le partenariat pour la mobilité proposé au Maroc en 2011 n’est conclu qu’en 2013. En réalité, les partenariats pour la mobilité sont une formule relativement vague, une « boîte 1
Entretien n°51, DG Affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 3 février 2012.
2
Bien que les acteurs politiques de la Commission fassent également preuve de circonspection face à la politique de fermeture des frontières, comme le montre cet extrait d’un discours de la Commissaire aux affaires intérieures Cecilia Malmström en 2012 : « En 2011, L’UE a raté une opportunité historique de démontrer son attachement envers les fondements sur lesquels elle s’est construite. C’est comme si nous leur avions dit : « c’est fantastique que vous vouliez faire la révolution et que vous souhaitiez embrasser la démocratie mais, de grâce restez [à tout prix] là où vous êtes parce qu’ici nous devons faire face à une crise économique » ». MALMSTRÖM, Cecilia (2012). « Responding to the Arab Spring and rising populism : the challenges of building a European migration and asylum policy SPEECH/12/312 », Harvard University’s Minda de Gunzburg Center for European Studies, Boston, 30 avril.
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vide »1, dont le contenu doit lui-même être négocié. Autrement dit, il s’agissait de négocier les conditions d’un retour à la table de négociation de l’accord de réadmission des acteurs marocains. Après la proposition de la Commission européenne au Maroc, le partenariat est donc défini progressivement entre 2011 et 2013, afin que les différentes parties concernées puissent parvenir à un accord : la Commission, le Maroc, mais aussi les États membres impliqués. Nous montrerons d’abord que la proposition européenne suscite initialement de l’intérêt, mais aussi une certaine méfiance de la part des acteurs marocains, principalement en raison du lien établi entre facilitation des visas et accord de réadmission et de la formulation du principe de conditionnalité dans les documents européens. Dans un second temps, nous verrons que la « flexibilité » du partenariat – le fait qu’il ne constitue pas un engagement juridique ferme, la possibilité de coopérations bilatérales, le choix pour les États membres de participer ou non – a constitué un élément important pour parvenir à sa signature. Enfin, étant donné la date récente de la signature de ce partenariat avec le Maroc au moment de la rédaction de cette thèse, nous verrons, en guise d’épilogue, les premières conséquences de ce partenariat sur les politiques migratoires marocaines.
1) Proposition européenne, prudence marocaine L’attitude des négociateurs marocains, mais plus largement des fonctionnaires marocains en lien avec l’Union européenne, peut être caractérisée comme une attitude de réserve et de prudence face aux propositions européennes. En effet, nous avons vu que les exigences marocaines concernent à la fois des points spécifiques, qu’il s’agisse d’aides financières, de mesures d’accompagnement spécifique ou de mesures dans le domaine des migrations régulières, et la conduite générale des négociations. Bien que le partenariat pour la mobilité réponde a priori à ces attentes, l’imprécision des propositions initiales des acteurs européens suscite avant tout la prudence chez les diplomates marocains. Nous verrons ici d’abord comment les acteurs marocains interrogés expriment pour la plupart une méfiance à l’égard des propositions européennes. Ceci est d’autant plus vrai que la coordination entre les différents acteurs européens est parfois difficile, ce qui est souligné dans les critiques adressées à l’Union européenne. Dans un second temps, nous verrons en quoi les craintes des
1
Entretien n°32, DG Relations extérieures, Commission européenne, Bruxelles, 24 juin 2010.
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fonctionnaires de la Commission quant à l’usage de conditionnalité négative s’expliquent par les réactions des acteurs marocains. Après la proposition d’un partenariat pour la mobilité au Maroc en 2011, les différents acteurs marocains rencontrés en 2012 se montrent prudents. Un fonctionnaire de l’ANAPEC explique par exemple que cette proposition est peu concrète, de prime abord : On a commencé à entendre ce mot [de partenariat pour la mobilité] depuis 20082009, mais on ne savait pas ce qu’il y avait dedans. Ils sont très forts pour les concepts. Par exemple la migration circulaire. (…) Mais le partenariat pour la mobilité, faites-le d’abord âandkoum, âad tjiou âandna [faites-le d’abord chez vous, après seulement venez chez nous]. Un jour un Français m’a appelé pour recruter des bûcherons qui travailleraient dans les Pyrénées, mais c’était pas possible, parce que c’était à cheval entre la France et l’Espagne. Le partenariat pour la mobilité, eux ils mettent d’abord en avant la réadmission, dakchi lsîib [c’est ça qui est difficile].1 Trois éléments sont présents ici. Le premier concerne la dénonciation des propositions européennes : « les concepts » s’opposent ici implicitement à un contenu véritable et sont considérés comme vides de sens – ou alors comme ayant un sens différent de celui que lui donnent les acteurs marocains. La « migration circulaire » est un exemple intéressant : nous avons vu qu’il avait été promu avec l’approche globale, et qu’il se composait dans ce cadre essentiellement de la promotion de migrations de saisonniers pour l’agriculture. Or, il s’agit d’un terme qui a d’abord été développé, dans les années 1990 en Europe, dans le cadre de réflexions sur le transnationalisme et la mondialisation « par le bas », et qui se trouve mobilisé dans les cadres nationaux puis dans le cadre européen pour désigner en réalité une forme d’encadrement des migrations (Mésini 2009). Les migrations circulaires sont ainsi décrites comme un processus « gagnant-gagnant-gagnant », pour le pays d’accueil, pour le pays d’origine, et pour les migrants eux-mêmes (Geiger et Pécoud 2010a). Cette expression de « migrations circulaires », lorsqu’elle est employée dans le cadre des politiques européennes, prend un sens différent selon les acteurs qui l’interprètent. Pour les acteurs européens, il s’agissait de migrations saisonnières, alors que les acteurs marocains y voyaient plutôt la liberté de circulation pour certains migrants (à travers des visas à entrées multiples, par exemple). En ce sens, la « mobilité » est le dernier concept en date dans la panoplie des concepts européens : ce terme est en effet désormais préféré au terme de migrations, notamment parce 1
Entretien n°63, ANAPEC international (Casablanca), Rabat, 9 juin, 2012.
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qu’il connote la liberté plutôt que la dimension sécuritaire qui est souvent attachée aux « migrations » - qui indiquent parfois, sans que cela soit indiqué, les « migrations irrégulières ». Le deuxième élément présent ici consiste en une critique du manque de coordination au sein de l’Union européenne, notamment entre différents États membres. En effet, chaque État restant décisionnaire concernant la délivrance de permis de travail à des ressortissants de pays tiers, il peut être difficile pour un migrant de travailler dans deux pays européens, y compris au sein de l’espace Schengen – et, comme c’est le cas dans l’exemple donné, dans une zone frontalière. Ce manque de coordination est un argument pour la mise en cause de la capacité de l’UE à tenir ses engagements envers le Maroc : étant donné les difficultés internes de l’Union européenne, il semble probable que des obstacles viennent s’opposer à la mise en place d’un partenariat permettant une véritable mobilité des Marocains. Enfin, le dernier élément souligné est la persistance des préoccupations sécuritaires de l’Union européenne, principalement autour de l’accord de réadmission : il s’agit pour cet acteur de montrer qu’il n’est pas dupe de la mise en avant de la « mobilité » à travers la proposition d’un partenariat. L’ensemble du partenariat apparaît plutôt comme une forme d’incitation à la négociation de l’accord de réadmission que comme l’adoption d’un nouveau paradigme européen de gestion des migrations. On retrouve ces éléments chez la plupart des acteurs marocains rencontrés, en particulier la question du manque de coordination des institutions européennes et celle de la focalisation sécuritaire. Le manque de coordination européen est dénoncé, d’autant plus que, comme nous l’avons vu précédemment1, la coordination des politiques migratoires marocaines a été un aspect important à la fois des exigences européennes et internationales et de la réflexion marocaine. L’insistance sur le travail de coordination des politiques marocaines révèle donc, en creux, les problèmes européens à ce sujet. Ainsi, un diplomate marocain insiste sur cette question : « Même une politique migratoire commune n’a pas été votée. (…) Ils ont des problèmes de coordination, pour se mettre d’accord entre eux »2. Ce manque de coordination désigne les désaccords entre les différentes institutions européennes mais aussi une absence de communautarisation de la dimension non-sécuritaire des politiques migratoires, comme le révèle un autre extrait de ce même entretien :
1
Voir le chapitre 4.
2
Entretien n°52, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 6 février 2012.
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C’est ce qu’on réclamait à chaque fois : ‘Vous voulez nous proposer des politiques communautaires, mais quand il s’agit de la migration, vous restez dans vos politiques nationales’.1 Le travail de coordination des politiques migratoires marocaines permet donc d’adresser des critiques à l’Union européenne et à ses propositions, et ainsi de remettre en cause l’asymétrie des relations Maroc-UE en questionnant la crédibilité des acteurs européens. De plus, ces critiques sont étroitement liées à la critique de l’obsession sécuritaire de l’UE, puisque c’est dans ce domaine principalement, en ce qui concerne la « dimension externe » des migrations, que les politiques ont été communautarisées. En critiquant les désaccords internes à l’Union européenne, les acteurs marocains exigent aussi une intégration de dimensions nonsécuritaires dans la gestion européenne des migrations. Cette méfiance à l’égard des propositions européennes est accentuée par la mention de la conditionnalité dans la révision de la politique de voisinage et dans les travaux de la Commission et du Conseil sur les migrations. Ainsi, un diplomate marocain à Bruxelles exprime son malaise par rapport à ce terme. : Ils présentent ça avec un package, mais c’est de la conditionnalité quand même, avec le more for more. La conditionnalité, ça change. Nous on ne comprend pas. Parce que le Maroc est déjà au diapason. Nous avons déjà avancé, on a des groupes de travail, une réflexion sur les droits de l’Homme, etc. Le Maroc a lui-même entamé un processus de réforme depuis le nouveau roi. Alors la conditionnalité [grimace], ce sont des paramètres qui nous mettent mal à l’aise.2 La conditionnalité apparaît donc comme un élément gênant et qui ne tiendrait pas suffisamment compte des progrès déjà accomplis par le Maroc – à travers les « groupes de travail », la « réflexion sur les droits de l’Homme » et « le processus de réforme ». La conditionnalité est donc interprétée comme une sanction illégitime. Dans ce cadre, le partenariat pour la mobilité est discuté et vu comme devant être fermement négocié, en particulier les conditions de la mise en œuvre3. La dimension symbolique du terme de conditionnalité transparaît dans cette réaction : nous avons vu que les revendications marocaines portaient autant sur des incitations financières ou sur des contreparties dans le domaine des migrations que sur une exigence de respect de la « dignité »4. La conditionnalité 1
Ibid.
2
Entretien n°52, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 6 février 2012.
3
Ibid.
4
Voir chapitre 5.
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met à mal cette dignité en formalisant une relation de domination et de pouvoir, dans laquelle l’une des parties peut menacer l’autre. Or, c’est précisément cette domination qui est contestée par les acteurs marocains : la négociation reste ouverte, mais sa forme doit être compatible aux exigences de réciprocité, même symbolique. Dès lors, une fois le partenariat pour la mobilité proposé en octobre 2011, il est présenté à la diplomatie marocaine, puis examiné par un comité ad hoc. En décembre 2011, un séminaire d’information est organisé pour les représentants de l’administration marocaine au siège du ministère des Affaires étrangères et de la coopération à Rabat1. Plusieurs réunions sont organisées par la suite. En mai 2012, une délégation européenne présente des documents informels de discussion à une délégation marocaine, qui réagit par une demande de dissociation entre négociations sur la facilitation des visas et négociations de l’accord de réadmission2 : si une telle demande peut paraître surprenante étant donné l’insistance marocaine à négocier ces deux accords en parallèle plutôt que de signer d’abord l’accord de réadmission, elle n’est pas contradictoire avec ces exigences antérieures. En effet, dans les deux cas, il s’agit bien de refuser la conditionnalité établie entre accord de réadmission et facilitation des visas : d’abord en refusant que l’accord de réadmission soit un préalable aux discussions sur la facilitation ; puis en refusant que les deux négociations soient liées. Il s’agit toujours de justifier, sur le plan des négociations internationales, le refus d’une approche purement sécuritaire. Malgré l’expression de cette prudence au cours de l’année 2012, un compromis est finalement trouvé, puisque qu’un partenariat pour la mobilité est finalement conclu en juin 2013. L’un des éléments essentiels de ce compromis est la flexibilité offerte par le texte de ce partenariat aux États membres et à l’État marocain.
1
CONSEIL DE LA COMMUNAUTÉ MAROCAINE A L’ÉTRANGER (2011). Séminaire d’information pour les représentants de l’administration marocaine. Le dialogue sur la migration, la mobilité et la sécurité : concept, enjeux et potentiel de coopération. Document transmis lors d’un entretien au CCME. 2
La délégation se compose d’un membre de la direction générale des affaires intérieures, d’un membre du secrétariat général du Conseil, d’un représentant des droits de l’Homme de la Commission – accompagnés de l’ambassadrice du Danemark et de deux membres de la délégation européenne à Rabat. Elle discute de la proposition européenne avec une délégation marocaine comprenant l’ensemble des institutions concernées : le ministère des Affaires étrangères et de la coopération, le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Justice, la délégation interministérielle aux droits de l’Homme, le ministère de l’Emploi, le ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger et le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger. Cf Entretien téléphonique, Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Rabat, 7 juin 2012 et document transmis lors de l’entretien n°65, Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, Rabat, 10 juin 2012. Nora El Qadim– « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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2) Des engagements flexibles Nous avons vu dans le chapitre 1 que l’une des raisons qui avaient donné lieu à un développement des arrangements ou à des accords de coopération policière plutôt que des accords de réadmission résidait dans le plus faible coût de la défection, lié à une faible visibilité. Ceci rend d’autant plus difficile la négociation d’un accord – formel – de réadmission européen. Le partenariat pour la mobilité répond en quelque sorte à cette limite en formalisant les possibilités de non-participation et de défection. Pour les acteurs de la Commission, le maître mot des partenariats est la « flexibilité ». Au cours de la négociation de ce partenariat pour la mobilité, un diplomate marocain évoque cette question de flexibilité : Eux disent que le partenariat pour la mobilité, c’est beaucoup de flexibilité (…). C’est un travail qu’ils font déjà sur la mobilité. Mais en même temps ils font le système d’information des visas, les empreintes digitales, pour la sécurité ils imposent beaucoup de choses. On donne d’une main on reprend de l’autre. Ils proposent la mobilité, mais dans quelles conditions ? C’est ce qu’on est en train de voir, pour que chaque partenaire en bénéficie.1 La flexibilité est ici interprétée en fonction du contenu du partenariat : elle est envisagée à la fois avec méfiance, notamment à cause de l’objectif principalement sécuritaire de l’Union européenne et des pays européens, mais aussi comme un avantage, puisque le contenu du partenariat peut être négocié. Alors même que le partenariat est avant tout un engagement à poursuivre la coopération, son contenu fait l’objet d’une négociation qui vise à minimiser l’asymétrie, ou du moins à maximiser les bénéfices pour l’État marocain et ses administrations. Or, si la flexibilité porte bien sur la définition de thèmes de coopération et de projets spécifiques, elle concerne aussi la forme juridique même du partenariat et la contrainte qu’elle fait peser sur les signataires. Nous verrons d’abord en quoi la possibilité de défection est intégrée à l’accord et constitue un avantage à la fois pour le Maroc et pour les États membres, avant de nous pencher sur la flexibilité offerte aux États membres – et indirectement au Maroc – pour la participation au partenariat, et qui permet d’envisager la poursuite de coopérations bilatérales sur des contenus spécifiques.
1
Entretien n°52, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 6 février 2012.
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Des engagements peu contraignants Tout d’abord, les partenariats pour la mobilité constituent un engagement formel, visible et public, sous la forme d’une déclaration conjointe, mais ils sont aussi noncontraignants juridiquement, ce qui est garanti, plus encore que par la forme de la déclaration conjointe, par l’insertion d’une clause à ce sujet. Le dernier article de la déclaration, comme pour les autres partenariats pour la mobilité signés par l’Union européenne, précise ainsi : « Les dispositions de la présente déclaration commune et de son annexe n’ont pas pour objectif de créer des droits ou obligations juridiques relevant du droit international »1. Etant donné la méfiance réciproque des signataires de la déclaration, cette clause peut permettre à la Commission de convaincre à la fois les négociateurs marocains et ceux des États membres. On constate de même que le texte de la déclaration conjointe ne constitue ni un accord de réadmission ni un accord de facilitation des visas, mais un engagement à négocier de tels accords. Ainsi, l’article 12 précise que les signataires s’engagent à poursuivre la coopération dans le domaine de la réadmission, et l’article 13 concerne plus précisément l’accord de réadmission. Les parties s’engagent ainsi à : Reprendre les négociations entre l'UE et le Maroc pour la conclusion d'un accord de réadmission équilibré, prévoyant des dispositions relatives aux ressortissants des pays tiers ainsi que des mesures d’accompagnement et conciliant le souci de l’efficacité opérationnelle avec l’exigence du respect des droits fondamentaux des migrants. Promouvoir une coopération active et efficace auprès de tous les partenaires régionaux sera essentiel pour soutenir les efforts dans ce domaine.2 Cet article apparaît comme un engagement a minima des négociateurs marocains, qui s’engagent à revenir à la table des négociations : ceci ne constitue nullement qu’un accord sera trouvé rapidement, ni qu’il sera mis en œuvre de façon effective. La mention du « respect des droits fondamentaux des migrants », nécessaire dans toute discussion formelle sur la réadmission, peut également fournir un point de discussion aux négociateurs marocains qui peuvent ainsi évoquer l’impossibilité pour l’Union européenne de refouler des migrants qui demanderaient l’asile. La Commission européenne et les États membres ont certes obtenu la mention des ressortissants des pays tiers, mais continuent de proposer des « mesures d’accompagnement ». De plus, la dernière phrase de cet article constitue une concession aux 1
Déclaration conjointe établissant un partenariat de mobilité entre le royaume du Maroc et l’Union européenne et ses États membres, Luxembourg, 7 juin 2013, art.46, p.12.
2
Ibid., art.13, p.7.
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demandes marocaines d’une approche « régionale » – c’est-à-dire notamment tenant compte de l’Algérie. Cependant, on peut en dire de même en ce qui concerne les engagements européens. Le premier article de la déclaration mentionne en effet la poursuite de « l’amélioration » des « prestations consulaires » pour les procédures de délivrance des visas Schengen, et le second concerne la facilitation des visas à proprement parler : Poursuivre la coopération entre les États membres de l'UE et le Maroc sur la simplification des procédures d'accès et de séjour régulier (y compris par la possibilité d'émettre des visas à entrées multiples et de plus longue durée, et de concéder des exemptions des frais de dossiers pour certaines catégories de personnes).1 Sont précisées ici les dimensions qui seront discutées dans le cadre de l’accord de facilitation des visas, sans toutefois que les « catégories de personnes » concernées ne soient listées. Pour les États membres, l’avantage est que cette incitation est véritablement symétrique à l’accord de réadmission, au sens où ils peuvent aussi négocier sans parvenir à un accord, de même qu’ils peuvent créer des problèmes dans la mise en œuvre une fois l’accord signé. C’est peutêtre par cet aspect que la facilitation des visas peut constituer une incitation efficace, d’autant plus que la déclaration conjointe précise que : Les parties signataires considèrent que les éléments contenus dans les différents axes de ce partenariat seront mis en œuvre selon une approche équilibrée et globale et constituent un ensemble, notamment les accords de facilitation des visas et de réadmission.2 Cet article constitue un compromis : d’un côté, il s’agit d’une concession de la part de la partie marocaine, puisque, nous l’avons vu, les négociateurs insistaient pour que la facilitation des visas ne soit pas conditionnée à l’accord de réadmission ; mais de l’autre, il s’agit surtout d’une concession de la part des États membres qui refusaient de commencer à négocier la facilitation des visas avant que l’accord de réadmission ne soit conclu. La formulation place ce compromis dans le cadre de l’approche globale, et permet ainsi de l’inscrire dans un processus de long terme. Les engagements pris de chaque côté dans le cadre de cette déclaration conjointe sont donc suffisamment importants pour que chaque partie y voit un compromis et suffisamment flexibles pour que les signataires soient incités à signer. Il s’agit plus d’un accord pour 1
Ibid., art.2, p.5.
2
Ibid., art.39, p.11.
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commencer des négociations que d’engagements formels sur la réadmission et la facilitation des visas. Des engagements à la carte Le deuxième aspect « flexible » des partenariats pour la mobilité réside dans la possibilité, prévue dès la communication de la Commission sur les partenariats pour la mobilité en 2007, d’intégrer les coopérations bilatérales au cadre européen de coopération. Le texte commence en effet par souligner la nature juridique complexe des partenariats pour la mobilité : La nature juridique des partenariats pour la mobilité sera forcément complexe, du fait de la diversité de leurs composants, dont certains relèveront de la compétence communautaire et les autres, de celle des États membres. »1 Ceci est le premier élément abordé dans le texte, avant même le contenu des partenariats. Ceci souligne encore une fois que l’enjeu des partenariats pour la mobilité est tout autant l’incitation des pays tiers que la répartition des compétences entre États membres et UE. Dans ce cadre, les accords bilatéraux sont envisagés comme une forme d’incitation utile pour les négociations communautaires. Ainsi, la communication prévoit que les accords facilitant les migrations régulières – à l’époque, il s’agit du thème des « migrations circulaires » – puissent être intégrés au cadre communautaire, ceci afin de « générer des synergies bénéfiques à toutes les personnes concernées »2. Le partenariat pour la mobilité conclu avec le Maroc en 2013 concerne l’Union européenne et seulement neuf États membres participant : l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la Suède et le Royaume-Uni. La Commission n’a donc nullement eu besoin de convaincre l’ensemble des États membres de participer, mais seulement un nombre limité d’États. On retrouve les pays les plus impliqués dans les relations avec le Maroc sur le sujet des migrations, comme la France, l’Espagne ou l’Italie, et les Pays-Bas, ainsi que des pays qui généralement adoptent une position stricte dans le cadre de l’Union européenne sur les migrations, comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Ceci est clairement envisagé comme un avantage par les négociateurs de la Commission 1
COMMISSION EUROPÉENNE (2007). Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions relative aux migrations circulaires et aux partenariats pour la mobilité entre l’union européenne et les pays tiers. COM(2007) 248 final. Bruxelles, mai, p.3.
2
Ibid., p.14.
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européenne1. Du côté des acteurs administratifs marocains, bien qu’une inquiétude sur la disponibilité des fonds pour les différents projets soit formulée, la flexibilité que donne la possibilité de « signer des projets avec différents pays » est aussi envisagée comme un avantage2. Ainsi, l’annexe de la déclaration conjointe est au moins aussi importante que la déclaration elle-même. Les différentes « grandes orientations » et les « initiatives horizontales » de la déclaration y sont déclinées à travers des projets spécifiques – dont le financement n’est pas précisé, mais où les partenaires européens sont listés. Cette annexe constitue ainsi un document de travail « en cours de finalisation », et comporte une « série d’activités que l’Union européenne et ses États membres sont prêts à organiser, à financer ou à co-financer pour réaliser ce partenariat »3. Il s’agit donc de mettre en œuvre concrètement le partenariat pour la mobilité. Les projets listés sont séparés en deux grandes parties : la première concerne les nouveaux projets (à partir de mars 2013), la deuxième les « projets en cours », c'est-à-dire les projets préexistants au partenariat. D’une part, ceci coordonne l’ensemble des projets européens existants dans un seul cadre et donc de renforcer ce qui pourrait être décrit comme une « approche globale ». D’autre part, ceci permet d’intégrer un certain nombre de projets bilatéraux dans le cadre de la coopération européenne, et donc d’utiliser ces projets bilatéraux dans le cadre de la négociation européenne et d’encourager la coopération entre les différents États membres. La réadmission apparaît ainsi comme un projet de l’UE – sous l’item de la reprise des négociations – soutenu par les Pays-Bas. On voit donc que les pays les plus impliqués dans la discussion de la réadmission – la France et l’Espagne – se concentrent sur une coopération opérationnelle dans ce domaine. Les Pays-Bas, un pays où l’immigration marocaine est importante, mais qui a peu développé d’initiatives bilatérales sur la réadmission, est le pays le plus présent sur les nouveaux projets sur ce sujet. Son ministère de la Justice, à travers le service rapatriement et départ, prévoit ainsi un projet d’ « échange de bonnes pratiques dans le cadre de la réadmission (p.ex. détermination d’identité/nationalité des étrangers) » et un autre de soutien dans la mise en œuvre d’un accord de réadmission européen, en particulier en ce qui concerne les retours forcés d’ « Africains subsahariens » – 1
Par exemple entretien n°50, DG Affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 2 février 2012.
2
Par exemple entretien n°65, Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, Rabat, 10 juin 2012.
3
Déclaration conjointe établissant un partenariat de mobilité entre le royaume du Maroc et l’Union européenne et ses États membres, op.cit. Annexe, p.16.
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c’est bien ce terme et non celui de « migrants de transit » qui est employé - et qui porte également sur les procédures d’identification, ainsi que sur une coopération éventuelle avec les pays d’origine de ces migrants pour l’organisation de « retours volontaires assistés » (ce qui s’inscrit dans la continuité d’un projet déjà lancé par l’OIM)1. Les nouveaux projets proposés par la France et l’Espagne concernent quant à eux plutôt les échanges d’information dans la lutte contre l’immigration irrégulière : ainsi, pour la France, il s’agit d’organiser des stages d’immersion réciproques « dans le but de favoriser l’échange d’informations à caractère opérationnel ». On retrouve là l’obsession « opérationnelle » des services de police français impliqués dans la lutte contre les migrations irrégulières au Maroc2. Il en est de même pour le Portugal, qui dispose également déjà d’un accord de coopération policière dans le domaine de la lutte contre les migrations irrégulières avec le Maroc. De plus, un grand nombre de projets existants sont listés pour la France et l’Espagne dans la catégorie de la prévention et de la lutte contre l’immigration irrégulière, notamment la mise en place d’officiers de liaison espagnols et français dans les aéroports marocains. De même, ces deux pays ont déjà mis en place des projets de facilitation des procédures de délivrance des visas ainsi que des projets de promotion des migrations régulières. Nous avons vu, dans le chapitre précédent, l’ambivalence des acteurs policiers nationaux sur la coopération européenne pour la dimension « opérationnelle » : malgré les cadres de coopération existants et l’objectif de coordonner leurs efforts afin de ne pas fournir un travail inutile, un sentiment d’être en concurrence face aux autorités marocaines était aussi exprimé. Le partenariat pour la mobilité renforce cette coopération : l’un des articles concernant la mise en œuvre précise ainsi que « les signataires réaffirment leur intention de coopérer au niveau opérationnel »3. Bien que la coopération soit affirmée dans cet article, il assure aussi aux États membres la préservation de prérogatives nationales pour la dimension « opérationnelle ». En somme, le projet européen de réadmission a été relativement délaissé par les États membres qui opèrent le plus de retours forcés vers le Maroc, car ceux-ci disposent déjà de cadres plus ou moins formels de coopération sur le sujet et se sont concentrés sur la dimension « opérationnelle » des retours forcés et du contrôle des migrations. Des projets bilatéraux de facilitation des visas et de la circulation ont également déjà été développés par 1
Ibid., Annexe, p.20-21.
2
Voir à ce sujet le chapitre 7.
3
Déclaration conjointe établissant un partenariat de mobilité entre le royaume du Maroc et l’Union européenne et ses États membres, op.cit., art.43, p.12.
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ces États, et font partie de leurs négociations bilatérales. Le partenariat pour la mobilité apparaît donc comme un moyen pour la Commission de s’appuyer sur les initiatives bilatérales des États membres, et aux États membres de soutenir à peu de frais les négociations européennes sans remettre en cause leurs relations bilatérales. Quant au Maroc, cela lui permet d’étendre la réflexion sur la facilitation des visas à l’ensemble de l’Union européenne, de poursuivre les projets bilatéraux existants, de promouvoir de nouveaux projets en lien avec le développement1. Pour conclure, la réaction initiale des acteurs marocains à la proposition européenne d’un partenariat pour la mobilité a été la méfiance : la mise en avant de la conditionnalité dans les documents européens sur la politique de voisinage et sur les politiques migratoires en 2011 et les réticences de certains États membres à négocier la facilitation des visas constituaient autant d’obstacles aux yeux des acteurs marocains. Le partenariat pour la mobilité, qui consiste principalement à établir un cadre de négociations pour les accords de réadmission et de facilitation des visas en les accompagnant d’autres projets sur les migrations régulières et sur « migration et développement », a donc lui-même dû être négocié pendant presque deux ans. Il constitue ainsi un compromis satisfaisant à la fois les acteurs des États membres et les acteurs marocains. La conclusion du partenariat en juin 2013 devrait ainsi permettre à la direction générale des affaires intérieures de la Commission européenne de reprendre les négociations sur l’accord de réadmission en disposant des « leviers de négociation » qu’elle réclamait. La flexibilité du partenariat pour la mobilité a sans nul doute été essentiel pour convaincre les différents signataires : il s’agit à la fois d’un cadre juridiquement peu contraignant et d’un cadre permettant la poursuite de coopérations bilatérales, préservant ainsi les compétences des États membres tout en les insérant dans le cadre européen des négociations. Les partenariats pour la mobilité répondent aux résistances des États membres à poursuivre la communautarisation de leurs compétences. Cependant, le comportement des acteurs marocains au cours de la négociation de l’accord de réadmission a aussi joué un rôle dans la répartition des compétences entre les États membres et la Commission : les différents acteurs européens ont dû trouver des solutions pour répondre aux exigences marocaines tout en satisfaisant la volonté des acteurs nationaux, en particulier ceux des États les plus 1
Le CCME propose par exemple des projets de dialogue interculturel, de recherche dans le domaine des migrations, sur la lutte contre les discriminations et enfin sur le renforcement de la mobilisation des compétences.
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impliqués dans les relations avec le Maroc, de conserver des compétences nationales. En ce sens, la capacité d’action des acteurs marocains a non seulement influencé les politiques extérieures européennes, mais aussi la répartition des compétences entre États membres et Commission et l’adoption d’une solution « à la carte » dans ce domaine au sein de l’Union européenne.
D - Conclusion Ce chapitre a proposé une analyse des politiques migratoires extérieures de l’UE avec les pays méditerranéens entre 2011 et 2013 qui ne repose pas sur un questionnement en termes de changement ou de continuité, mais qui examine la façon dont les acteurs européens – en particulier les négociateurs au sein de la Commission européenne – se sont emparés des événements pour obtenir un compromis autour du partenariat pour la mobilité. Un tel partenariat a en effet été proposé au Maroc en 2011, incluant la possibilité de négociations sur la facilitation des visas, alors que cette possibilité avait été jusque là refusée par les États membres les plus impliqués dans les relations sur les migrations avec le Maroc. Ce compromis repose sur plusieurs termes et dispositions ambigus. D’abord, l’adoption de la conditionnalité, qui apparaît comme une garantie pour les États membres, mais qui est interprétée par les fonctionnaires de la Commission uniquement en termes d’incitations positives. D’autre part, le partenariat pour la mobilité est également un objet ambigu. Juridiquement non contraignant, ce qui est un avantage pour l’ensemble des signataires, il est un compromis flexible ; de plus, la participation des États membres est libre, et organisée en fonction de projets spécifiques. Ceci leur permet de s’impliquer – et de financer – uniquement certains projets, et de poursuivre des relations bilatérales. De même que, dans le domaine des politiques agricoles, où il était difficile pour les États membres de renoncer à leurs compétences, l’idée d’une compétence partagée a pu constituer un compromis entre la Commission et les États membres, les partenariats pour la mobilité sont un compromis sur la répartition des compétences pour la « dimension extérieure » des politiques migratoires. Cependant, ce compromis tient également compte des partenaires extérieurs, c’est-àdire des pays tiers. La nécessité de trouver un compromis a été largement influencée par la résistance de certains pays tiers comme le Maroc à signer des accords de réadmission. Le cas du Maroc est particulièrement exemplaire, puisqu’il s’agit du premier pays non européen à
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obtenir un « partenariat pour la mobilité » incluant la négociation de la facilitation des visas. Ceci permet de souligner la dimension largement symbolique de ce partenariat. Premièrement parce que la facilitation des visas, principale mesure mise en avant par les autorités marocaines, est un objectif conçu en termes symboliques, par rapport à une idée de dignité, plutôt que pour son contenu. Deuxièmement, parce que ces mesures de facilitation sont d’abord négociées de façon expérimentale avec des États membres – la France et l’Espagne – avec qui une telle réflexion avait été lancée dans le cadre des relations bilatérales. Il en est de même pour la plupart des projets inclus dans le « partenariat pour la mobilité ». Comme l’approche globale, il est présenté par tous les acteurs impliqués comme un succès de leur initiative (dans le cas de la Commission et des États membres) ou de leur capacité de négociation (pour les acteurs étatiques marocains), alors qu’il est principalement constitué d’éléments préexistants.
Conclusion de la troisième partie Cette partie constitue une observation des développements les plus récents des politiques au prisme de la « décolonisation » des politiques extérieures de l’Union européenne effectuée dans les parties précédentes. Elle montre notamment que les développements actuels dans les relations Maroc-UE-États membres sur les politiques migratoires ne peuvent être compris sans une analyse à la fois des mécanismes politiques et institutionnels au sein de l’Union européenne, et de la capacité d’action des acteurs étatiques marocains. La chapitre 7 a ainsi montré que le phénomène de « résilience du bilatéral », dont l’existence a été soulignée par Jean-Pierre Cassarino, ne constituait pas un moment particulier dans une évolution linéaire de la délégation à l’Union européenne, mais été lié à des débats sur la répartition des compétences et les modes de délégation présents dès le départ. À partir du cas français, nous avons examiné les discours des acteurs nationaux sur la poursuite de relations bilatérales dans le domaine de la réadmission en dépit du mandat de négociation attribué à la Commission. La persistance d’activités bilatérales dans le domaine des retours forcés n’est pas lié à une « informalisation » des accords de réadmission, mais plutôt à la poursuite de pratiques fondées sur des arrangements sur la mise en œuvre entre services de police plutôt que sur des accords formels. La distinction entre accords et instruments de la mise en œuvre permet ainsi la poursuite de discussions bilatérales sur les retours forcés,
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parallèlement aux négociations communautaires pour un accord. La mise en œuvre bilatérale constitue donc, à ce titre, un autre espace de négociations et, pour les acteurs étatiques marocains – principalement les diplomates – un autre espace de contestation et de mise en avant de revendications autonomes. Le chapitre 8 a quant à lui poursuivi la démonstration sur le rôle des revendications marocaines, en montrant comment ces revendications avaient influencé le type de compromis trouvé entre la Commission et les États membres. Un partenariat pour la mobilité a été proposé au Maroc en dépit des réticences initiales des acteurs des États membres grâce à la mise en avant du principe de conditionnalité et à la définition du partenariat en des termes flexibles, permettant une participation « à la carte » des États membres et la poursuite de projets bilatéraux dans un cadre européen. Par rapport au projet de « décoloniser » l’étude des politiques extérieures de l’UE, cette partie a continué à montrer la capacité d’action des acteurs marocains en se penchant à la fois sur la multiplicité des espaces – et des acteurs – de négociation et de contestation et sur les modalités des négociations. La capacité d’action des acteurs marocains apparaît notamment dans leurs usages de la coopération bilatérale : en dépit du principe de coordination des officiers de liaison immigration européens, les concurrences entre États membres permettent aux acteurs marocains de l’Intérieur de bénéficier d’offres diversifiées de formation ; de plus, les diplomates ont contesté avec succès les méthodes de quantification de la coopération sur les retours forcés par les autorités françaises. Enfin, la capacité d’action des acteurs marocains est également apparue dans le cadre des négociations avec l’Union européenne pour un partenariat sur la mobilité de par l’influence des résistances marocaines, combinées à celles des États membres, sur la formule de coopération retenue. Cette partie nous a également permis de poursuivre une analyse des modalités des négociations, en montrant comment l’ambiguïté des terminologies, déjà présente dans le cas de l’approche globale adoptée en 2005, permettait de parvenir à un compromis. Les revendications marocaines sont ainsi satisfaites par l’inclusion de facilitation des visas, alors même que cette facilitation reste largement symbolique en ce qu’elle concerne principalement des élites déjà mobiles. Cette dimension symbolique ne doit cependant pas être négligée, dans la mesure où elle concerne, comme nous l’avions montré, l’idée d’une dignité des Marocains et, à travers eux, de l’État marocain et de sa place dans le système international.
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Conclusion générale Ce travail de thèse a proposé de renouveler l’étude des politiques extérieures européennes à partir de la mise en œuvre de stratégies de « décolonisation » de l’analyse. Nous avons pour cela choisi de partir d’un objet restreint, le cas des négociations sur la réadmission entre le Maroc et l’Union européenne, afin de questionner l’idée d’une externalisation pure et simple des politiques migratoires vers les pays d’origine et de déployer notre analyse autour des différents enjeux que recouvrait cet objet. Nous avons ainsi montré que, si les politiques européennes contraignaient en grande partie les politiques marocaines dans le domaine des migrations, les acteurs étatiques marocains ne sont pas dénués de capacité d’action. Nous conclurons ce travail par un rappel de nos principaux arguments, puis nos développerons plusieurs possibilités d’approfondissements de notre analyse, avant de présenter les principales contributions de cette thèse.
A - Argument de la thèse L’argument principal de cette thèse portait sur la « décolonisation » de l’étude des politiques extérieures européennes. Trois stratégies de décolonisation ont été identifiées à cet effet et nous ont permis d’une part de déconstruire l’idée d’un processus de délégation linéaire des compétences sur les retours forcés à la Commission européenne, d’autre part l’image des pays d’origine comme des « pages blanches » ouvertes aux politiques européennes, en considérant les acteurs marocains comme des acteurs à part entière et en « prenant au sérieux » leurs discours. La première partie de cette thèse s’est attachée à la déconstruction d’un discours sur l’Union européenne ou l’Europe comme sujet rationnel. Nous avons d’abord montré que les accords de réadmission, présentés comme le mode de gestion « standard » des retours forcés, étaient un mode de coopération historiquement situé et minoritaire dans les archives marocaines. La question de l’asymétrie, inhérente à ces accords, est une interrogation qui transparaît à travers les différentes formes prises par la coopération – types d’accords ou d’arrangement – ainsi que dans les formulations et les clauses retenues. Dans l’ensemble, les
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formes de la coopération sur les retours forcés ne sont pas explicables sans tenir compte du point de vue des administrations et des politiques des pays d’origine. Nous avons ensuite montré comment le processus de délégation des négociations sur la réadmission à l’Union européenne a été tâtonnant plutôt que linéaire, et marqué par des concurrences entre différents groupes d’acteurs institutionnels, entre les États membres et la Commission européenne et au sein même de la Commission. Ces concurrences marquent également les négociations, puisqu’elles rendent difficiles la mobilisation d’ « incitations », financières et tactiques. Ces difficultés soulignent aussi que les négociations ne doivent pas non plus être envisagées au prisme de la métaphore marchande : les financements qui peuvent être mobilisés en tant qu’incitations pour les négociations ne sont pas univoques et peuvent avoir d’autres objectifs, de même qu’il est difficile d’identifier les liens entre différentes négociations. Ainsi, le choix de négocier des accords de réadmission communautaires est le résultat d’un processus par tâtonnements plutôt que d’une évolution linéaire, et il reste marqué par de fortes concurrences entre différents acteurs européens. La deuxième partie, centrale à notre argument, a poursuivi la décolonisation de l’étude des politiques extérieures européennes dans le domaine des migrations en pluralisant les sujets potentiels de ces politiques. En effet, en nous penchant sur les acteurs marocains, nous avons montré le lien entre une histoire de politiques actives d’émigration et de contrôle des migrants, la création d’institutions spécialisées et la réception de la « dimension extérieure » des politiques migratoires européennes. Nous avons de plus montré comment les acteurs marocains avaient au cours du temps développé des discours et des revendications spécifiques face aux différents acteurs européens. Ces revendications sur les liens entre lutte contre les migrations irrégulières et promotion des migrations régulières, ou entre migrations et développement, sont intégrées dans des négociations bilatérales aussi bien que dans les négociations communautaires, et sont l’un des éléments expliquant l’adoption de l’approche globale en 2005 par l’Union européenne. De plus, les acteurs marocains portent aussi certaines revendications, notamment autour de la facilitation des visas, qui soulignent la dimension symbolique des négociations. Celle-ci est liée à une idée de dignité nationale. Enfin, la dernière partie de cette thèse consistait à analyser l’articulation entre négociations bilatérales et négociations avec l’Union européenne. Il s’agissait de montrer que les dernières évolutions en date dans les négociations, au moment de la rédaction de cette thèse, doivent être comprises à la lumière des explications précédentes. Ainsi, la « résilience » Nora El Qadim– « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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du bilatéralisme est une conséquence de l’ambiguïté de la répartition des compétences entre États membres et Commission d’une part, et doit être interprétée à la lumière de notre démonstration sur les différents types de coopération sur les retours forcés et la distinction entre signature d’accords formels de réadmission et mise en œuvre des retours forcés. De même, les négociations autour du partenariat pour la mobilité proposé au Maroc en 2011 et conclu en 2013 ne peuvent être comprises qu’en tenant compte à la fois des enjeux entre la Commission et les États membres et des revendications marocaines et de leurs relations bilatérales. Le partenariat apparaît ainsi comme un compromis ambigu entre les trois pôles de ces relations, intégrant nombre de projets bilatéraux et n’accordant des concessions sur la facilitation des visas qu’au prix de la promotion d’une conditionnalité elle-même définie de façon ambiguë. Notre démonstration a donc montré l’importance de prendre en compte les acteurs des pays tiers, y compris de pays a priori dominés, pour comprendre l’évolution des politiques extérieures européennes. Ces acteurs influencent non seulement le contenu de ces politiques, mais aussi les équilibres entre différents acteurs européens et des États membres et la répartition des compétences entre ces différents acteurs. En ce sens, nous avons pluralisé non seulement les sujets potentiels des relations internationales, mais aussi les sujets potentiels des politiques européennes.
B - Possibles approfondissements de la recherche Cette recherche a rencontré des limites, liées principalement à la temporalité de l’enquête ou à l’accès au terrain, et a donc dû laisser certaines idées de côté. Parmi elles, plusieurs comparaisons auraient été intéressantes afin de vérifier nos hypothèses à partir d’autres cas. Les limites et les apports de la comparaison internationale et transnationale à la sociologie de l’action publique ont été discutés et soulignés (Sartori 1991). La comparaison s’impose aujourd’hui comme un passage obligé de cette discipline, en particulier pour l’étude des politiques européennes. Dans le domaine des politiques migratoires, la comparaison entre le Maroc et le Mexique fait par exemple désormais figure de comparaison classique (Kimball 2007; Iskander 2010; de Haas et Vezzoli 2013). Nous avions donc envisagé cette possibilité. Cependant, la volonté de nous concentrer sur la dimension relationnelle du cas que nous avons examiné nous avait conduit à l’idée de comparer non pas des cas nationaux, mais
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plusieurs relations triangulaires. Il ne s’agissait donc pas d’une comparaison internationale ni même transnationale (Hassenteufel 2005), mais bien de comparer différents types de relations internationales. Deux types de comparaisons seraient éclairants à ce titre. D’une part, une comparaison géographique, à partir d’une autre relation triangulaire entre États et Union européenne, apporterait sans doute un éclairage sur notre questionnement. D’autre part, une comparaison entre les dynamiques des acteurs étatiques que nous avons étudiées et celle des acteurs non-étatiques permettrait d’élargir notre propos.
1) Comparer les relations des acteurs étatiques d’autres pays. Nous avons concentré notre analyse sur les négociations entre le Maroc, l’Union européenne et la France. Au moins deux comparaisons géographiques seraient envisageables, en modifiant différents pôles du triangle. Une première option serait de mettre le rôle des acteurs marocains dans les politiques marocaines en regard avec le rôle d’autres acteurs de pays avec lesquelles l’Union européenne a négocié des accords sur les migrations. Plusieurs études se sont concentrées sur la comparaison entre des pays du « voisinage » de l’UE à partir de la dichotomie Est/Sud : c’est le cas du travail de Daniel Wunderlich (2009) sur les politiques migratoires européennes, qui compare la mise en œuvre de ces politiques au Maroc et en Ukraine, ou encore de celui de Julien Jeandesboz (2011), qui a mené un travail de terrain sur le « voisinage » au Maroc et en Moldavie. Partant de l’idée d’identifier une capacité d’action des acteurs des pays tiers, un autre cas de négociations difficiles nous semble intéressant. La Turquie, par exemple, a longtemps évité la signature d’un accord de réadmission et, malgré sa signature en juin 2012, cet accord n’a toujours pas été ratifié en Turquie. Les débats ont porté en grande partie sur la question de la négociation de facilitations de visas1, et ce malgré la perspective d’adhésion à l’Union européenne. Le cas des politiques migratoires en Turquie, en particulier en lien avec les politiques européennes est également largement étudié (Kirişci 2002 ; 2004 ; 2008 ; Biehl 2009 ; Ozcurumez et Şenses 2011). Pourtant, la comparaison entre le Maroc et la Turquie est moins fréquente2 (Düvell et Vollmer 2009). Il serait intéressant de mener cette comparaison 1
« EU insists Turkey to sign readmission before visa deal ». Today’s Zaman, 14 décembre 2012. http://www.todayszaman.com/news-301129-eu-insists-turkey-to-sign-readmission-before-visa-deal.html [consulté le 11 octobre 2013]. 2 On peut également noter la recherche de doctorat de Benjamin Bruce en cours de réalisation au moment de la rédaction de cette thèse, sur la gestion religieuse des populations émigrées marocaines et turques par leurs gouvernements respectifs.
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en examinant notamment la dynamique des relations à l’Union européenne et le développement de résistances ou de contre-discours, en se concentrant sur la capacité d’action des acteurs étatiques turcs. Comme le Maroc, la Turquie est un pays dont les enjeux régionaux et internationaux dépassent les relations avec l’Union européenne ou les pays européens. De plus, l’historicité (y compris dans le domaine des migrations) et la complexité institutionnelle de l’État turc influencent sa politique étrangère, tiraillée entre les valeurs d’audace et de prudence (Mufti 1998 ; 2009). L’Allemagne ou la Grèce serait dans ce cas des États membres à intégrer dans l’analyse des relations triangulaires : l’Allemagne en raison de liens historiques avec la Turquie et de l’émigration turque vers ce pays, la Grèce en raison de conflits aux frontières, entre autres autour des migrations. Une deuxième option aurait été de comparer notre cas d’étude à une relation triangulaire entre le Maroc, l’Union européenne et un autre État membre. Le cas de l’Espagne, évoqué en introduction et à plusieurs reprises dans ce travail, aurait été particulièrement intéressant. Un terrain espagnol permettrait de comprendre comment les acteurs marocains usent de façons différenciées des relations avec différents États membres, mais aussi d’examiner plus précisément la façon dont les administrations des États membres coopèrent ou entrent en concurrence. Il ne s’agirait donc pas seulement de comparer deux relations triangulaires, mais d’envisager un réseau de relations complexes entre tous les acteurs concernés. Ainsi, prendre en compte les acteurs administratifs et diplomatiques d’autres États permettrait d’enrichir la réflexion proposée ici et de renforcer ou nuancer nos conclusions. Cependant, les deux options présentées ici concernent des acteurs étatiques, et laissent de côté des acteurs qui sont également peu étudiées dans ce travail, les migrants et les acteurs militants.
2) Acteurs étatiques et acteurs non-gouvernementaux des politiques migratoires Nous nous sommes intéressée dans ce travail à des relations de domination internationale entre des élites bureaucratiques européennes et des élites bureaucratiques marocaines. Les effets de la coercition étatique sur la circulation des personnes et les résistances à cette coercition ne sont pas traitées en tant que telle. Migrants et migrantes sont
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donc très peu présent-e-s dans ce travail, à cause de notre choix de nous concentrer sur des activités étatiques ou européennes de contrôle des migrations. Or, le travail associatif sur les politiques de contrôle des migrations a pris de l’ampleur au Maroc au cours des années 2000. De plus, les mobilisations de la société civile – Marocains à l’étranger, mais aussi association de défense des droits des migrants au Maroc – ont gagné en visibilité au cours de notre enquête. Des recherches existent ou sont en cours sur les migrants et la société civile au Maroc1 (Alioua 2005; Alioua 2007) : il serait intéressant de s’interroger sur les liens entre ces mouvements et les politiques migratoires marocaines nationales et internationales. Ceci semble d’autant plus important qu’une partie importante de la réflexion marocaine sur les politiques migratoires porte désormais sur les migrants présents au Maroc. Un autre intérêt d’une telle étude aussi, cependant, d’examiner les processus relationnels de mouvements associatifs. Ainsi, les associations marocaines de défense des droits des migrants prennent pour certaines modèles sur des associations européennes : le Groupe antiraciste de défense et d'accompagnement des étrangers (GADEM) prend par exemple pour modèle le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés en France (GISTI) et a bénéficié du travail de volontaires internationaux envoyés par cette association. Cette association participe, avec d’autres, au réseau transnational Migreurop, une association de droit français fondée en 2005 et qui se veut un réseau associatif qui se veut transnational et euro-africain. Il existe également des liens entre ces associations et des associations transnationales plus anciennes d’émigrés marocains comme l’Association des travailleurs maghrébins en France. Par ailleurs, des associations de migrants au Maroc se développent, comme l’Association des ressortissants sénégalais au Maroc, le Conseil des migrants subsahariens au Maroc ou encore le Collectif des communautés subsahariennes au Maroc. Enfin, comme dans le cas des administrations et des acteurs étatiques, on note l’implication d’acteurs non spécialisés dans les migrations, comme l’Association marocaine des droits humains ou encore l’association altermondialiste Attac Maroc, travaillant ellesmêmes dans le cadre de réseaux transnationaux. Or, on peut se demander si les acteurs de ce tissu associatif connaissent aussi des luttes concurrentielles, de quelle nature sont ces concurrences, et comment national et international s’articulent dans ces luttes. On peut 1
Des recherches en ce sens sont notamment en cours dans le cadre du programme « Mouvements migratoires et espaces transfrontaliers » dirigé par Mehdi Alioua au Centre Jacques Berque de Rabat.
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également s’interroger sur les dynamiques asymétriques entre des associations européennes disposant de ressources financières plus importantes et les associations marocaines. De plus, on peut se demander si ces acteurs portent les mêmes discours ou mettent en avant différents arguments, quelles sont leurs pratiques et les liens entre ces pratiques. Enfin, on peut se demander dans quelle mesure la voix des migrants est représentée au sein de ces associations et comment associations de migrants et associations de défense des droits des migrants travaillent ensemble. Ce travail semble d’autant plus important qu’un rapport de la Commission nationale des droits de l’Homme soulignait en septembre 2013 les violations des droits de l’Homme subies par les migrants dans le cadre des politiques de contrôle des migrations1. Ce rapport a donné lieu à un discours royal annonçant la régularisation des migrants irréguliers au Maroc2. Ceci faisait suite à plusieurs cas de migrants tués ou malmenés par la police marocaine largement publicisés en 2013, et au dépôt d’un projet de loi punissant le racisme en juillet 20133 qui a également attiré l’attention sur les populations migrantes au Maroc. On peut aussi se demander quel rôle a pu jouer la mobilisation associative dans ces décisions, et comment leur plaidoyer en faveur des migrants au Maroc s’articule à une critique des politiques migratoires européennes. Ainsi, les limites de ce travail constituent aussi des perspectives de recherche pour un approfondissement des arguments développés ici et un élargissement du questionnement. Ces perspectives pourront selon nous bénéficier des apports plus généraux de cette recherche à l’étude des politiques migratoires et des politiques extérieures européennes.
C - Principaux apports de la recherche Cette thèse apporte deux contributions importantes à l’étude des négociations internationales et de la politique extérieure européenne. La première est d’ordre 1
CONSEIL NATIONAL DES DROITS DE L’HOMME (2013). Conclusions et recommandations du rapport: « Etrangers et droits de l’Homme au Maroc: pour une politique d’asile et d’immigration radicalement nouvelle ». Rabat, septembre 2013. http://www.ccdh.org.ma/spip.php?article10313 [consulté le 11 octobre 2013]. 2 « Régularisation des migrants :Le Maroc vers “une politique responsable et pionnière” ». Aufaitmaroc.com, 11 septembre 2013. http://www.aufaitmaroc.com/actualites/maroc/2013/9/11/le-maroc-vers-une-politiqueresponsable-et-pionniere_215133.html [consulté le 11 octobre 2013]. 3 HARIT, Fouad (2013). « Maroc : vers une loi contre le racisme envers les Noirs ? » Afrik.com, 22 juillet. http://www.afrik.com/maroc-vers-une-loi-contre-le-racisme-envers-les-noirs [consulté le 11 octobre 2013]. Nora El Qadim– « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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méthodologique, la seconde la remise en cause de l’eurocentrisme des études des politiques européennes.
1) Négocier au quotidien L’une des principales questions posées par cette thèse concerne l’étude des négociations internationales. Cette thèse a selon nous montré l’importance d’étudier les négociations non pas seulement au niveau (géo)politique ou au niveau des diplomates, mais chez un ensemble d’acteurs étatiques. Ainsi, en partant des négociations d’un seul accord, entre un nombre restreint de parties, plutôt que d’une analyse comparée des négociations sur la réadmission, nous avons montré comment un objet a priori restreint permet de révéler les dynamiques de relations internationales de domination. Une utilisation des outils conceptuels et méthodologiques de la sociologie, en particulier de la sociologie de l’action publique, nous avons montré comment une étude en profondeur d’un objet restreint permettait de questionner les analyses des négociations. Ce travail a notamment permis de déconstruire les évidences admises sur ces négociations, par exemple sur les accords de réadmission comme forme de coopération « standard ». Un travail d’historicisation et d’analyse des textes nous a ainsi permis, plus qu’une simple analyse juridique des textes des accords ou des arrangements conclus, de questionner les enjeux politiques de ces textes et de les replacer dans un temps plus long que les études habituelles des négociations sur la réadmission. Un autre exemple concerne la métaphore marchande ou de l’analogie entre marchandages et négociations. On peut en effet se demander si cette métaphore est vérifiable et opérationnelle. Le chapitre 3 a bien montré l’imbrication des différents enjeux et le rôle des usages des négociations par les différents acteurs institutionnels, mais surtout la difficulté des acteurs à mobiliser ce qui est censé constituer leur monnaie d’échange pour les négociations. Ce résultat de notre recherche est aussi lié à la concentration de notre enquête sur les différents acteurs des négociations et sur leurs pratiques. Ceci nous a permis de montrer comment les négociations n’étaient pas que l’objet de politiques au plus haut niveau, d’un marchandage entre les plus hauts dignitaires des États ou de l’Union européenne. Plusieurs chapitres ont montré comment différents espaces de négociation s’imbriquaient les uns aux autres : le chapitre 2 sur la délégation, le chapitre 5 sur les revendications marocaines et l’approche globale, le chapitre 7 sur les relations bilatérales et le chapitre 8 sur le partenariat
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pour la mobilité ont par exemple montré l’imbrication entre espaces de négociations bilatéraux et négociations communautaires ; le chapitre 6 a quant à lui montré le rôle des espaces internationaux de négociations, à la fois pour la promotion de discours étatiques marocains sur les migrations et les politiques migratoires, et pour la mobilisation de ressources pour les négociations avec l’Union européenne. De plus, le chapitre 7, qui examine les relations bilatérales entre la France et le Maroc autour de la mise en œuvre des retours forcés, a montré que la mise en œuvre d’arrangements existants générait d’autres espaces de négociation – et donc de contestation et de résistance quotidienne. La diversité des acteurs et des pratiques des négociations montrent que, comme l’étude de l’action publique, l’étude des relations internationales, en particulier l’étude de la politique extérieure de l’Union européenne, gagnerait à adopter une approche par les pratiques quotidiennes des acteurs administratifs (et non pas seulement diplomatiques).
2) Une analyse symétrique de l’asymétrie La contribution principale de notre thèse porte selon nous sur l’analyse des politiques européennes. Notre travail pointe en effet du doigt l’eurocentrisme de nombreuses analyses de l’Union européenne : cet eurocentrisme est d’autant plus problématique que l’on s’intéresse aux politiques extérieures de l’Union européenne. Si les « grandes puissances » sont généralement prises en compte, les pays moins importants ou dominés par les pays européens, encore plus lorsqu’il s’agit d’anciennes colonies de certains États membres, sont la plupart du temps considérées comme des « pages blanches » ouvertes à l’application des politiques européennes. Ceci est le cas autant des analyses reproduisant les discours institutionnels européens que des analyses critiques des politiques extérieures européennes. Les pays tiers ne sont souvent pris en compte qu’en tant qu’ils constituent un contexte d’application des politiques européennes. En prenant pour point de départ des analyses qui ont mis en exergue la façon dont les négociations sur les migrations se révélaient propices à un exercice de la capacité d’action des gouvernements des pays tiers (Paoletti 2010; 2011; Cassarino 2010a), nous avons cherché à approfondir ces analyses en examinant plus précisément le fonctionnement de cette capacité d’action. Tout d’abord, par une étude de son ancrage historique et institutionnel (chapitre 4), puis par un examen des luttes concurrentielles, nationales et internationales, des différents acteurs administratifs nationaux engagés dans les politiques migratoires (chapitres 4 et 6).
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Nous avons ainsi montré qu’un déplacement de la focale permettait de comprendre la capacité d’action des acteurs étatiques marocains : la sécurisation des migrations répond par exemple en partie à des objectifs des politiques publiques nationales (chapitre 4), tandis que des enjeux internationaux ou régionaux (chapitre 6) influencent également les politiques migratoires marocaines. Notre analyse a reposé sur une étude des « armes des faibles », notamment des tactiques d’évitement (chapitre 5) et de contestation des catégories de pouvoir des dominants (chapitre 7). Nous avons cependant aussi montré en quoi les négociations internationales dépassaient ces tactiques de résistance quotidienne par le développement d’un contre-discours autonome, lié à des luttes concurrentielles nationales et internationales entre différents groupes d’acteurs (chapitre 6). L’étude des négociations en situation d’asymétrie ne peut donc se contenter d’observer les tactiques déployées par les dominés, mais doit reposer sur une historicisation des différentes parties impliquées et une analyse de la complexité des relations entre les divers acteurs impliqués (chapitre 4). Ceci doit permettre de tenir compte d’éléments qui ne rentrent pas nécessairement dans les catégories d’analyse du marchandage, notamment les revendications portant plutôt sur une dimension symbolique que sur des bénéfices immédiats (chapitre 5). L’approche par les pratiques, dont les apports ont été détaillés ci-dessus du point de vue de la méthode, nous a également amener à examiner la façon dont les acteurs marocains utilisent l’Europe comme une ressource stratégique et symbolique dans le cadre de luttes concurrentielles nationales, comme c’est le cas du service public à l’emploi marocain par exemple (chapitre 6). Ceci constitue un élément central dans l’étude de la capacité d’action de ces acteurs. Il s’agit aussi de comprendre comment cette capacité d’action influence non seulement les politiques extérieures européennes, mais aussi la répartition les compromis entre États membres et Commission au sein de l’Union européenne (chapitre 8). Par un déplacement de la focale, nous remettons donc en cause les analyses en termes de « gouvernance externe » (Lavenex 2004 ; Lavenex et Schimmelfennig 2009) ou aux analyses institutionnalistes rationnelles (Meunier 2005 ; Meunier et Nicolaïdis 2006), qui font des enjeux institutionnels internes à l’Union européenne la variable déterminante des politiques extérieures de l’UE. Notre démarche s’inscrit ainsi dans la lignée des analyses sociologiques de l’Union européenne et de l’international (Bigo 1996 ; Guiraudon 2003; Favell et Guiraudon 2011 ; Mérand 2011) en questionnant la distinction même entre Nora El Qadim– « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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politiques intérieures et extérieures de l’UE (Bigo 2001; 2006), notamment par l’analyse de l’imbrication entre politiques bilatérales et politiques communautaires dans le domaine des migrations. Nous avons souhaité poursuivre ces analyses en les appliquant également aux acteurs d’un pays tiers, mais aussi en posant la question des relations de domination et de contestation entre l’UE ces pays. Si cet agenda de recherche a parfois été identifié (Bilgin 2009), il ne fait à notre connaissance l’objet d’aucune étude systématique et approfondie. C’est en ce sens que des approches postcoloniales des relations internationales et des études de sécurité (Doty 1996; Barkawi et Laffey 2002; Bilgin 2010; Sabaratnam 2011) nous ont inspirée et permis de proposer une étude des relations asymétriques entre l’Union européenne qui tienne compte des acteurs marocains et non seulement des acteurs européens. Sur le modèle d’un récit historique symétrique ou d’une « histoire à parts égales » (Bertrand 2011), nous proposons donc une sociologie politique à parts égales de la politique extérieure européenne, y compris lorsque celle-ci est marquée par des relations de domination. Il s’agit autrement dit de réaliser une analyse symétrique de l’asymétrie.
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Liste des entretiens Note : nous donnons le plus de précisions possibles sur le poste occupé par chacun-e de nos interlocuteur-trice tout en tentant de ne pas compromettre leur anonymat. Le degré de précision de ces informations varie donc en fonction de la taille des institutions et du nombre de personnes rencontrées dans chacune d’elles. Entretien n°1, Personne ayant travaillé au Ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle et au Bureau international du travail à Rabat, Rabat, 11 octobre 2009. Entretien n°2, Direction de l’emploi, Ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle, Rabat, 15 octobre 2009. Entretien n°3, 21 octobre 2009.
Mission
de
l’Organisation
internationale
des
migrations,
Rabat,
Entretien n°4, Direction des affaires juridiques et des traités, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 22 octobre 2009. Entretien n°5, Direction des affaires juridiques et des traités, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 22 octobre 2009. Entretien n°6, Direction des affaires juridiques et des traités, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 22 octobre 2009. Entretien n°7, Direction des affaires juridiques et des traités, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 23 octobre 2009. Entretien n°8, Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Rabat, 27 octobre 2009. Entretien n°9, Groupe antiraciste de défense et d’accompagnement des étrangers et des migrants, Rabat, 28 octobre 2009. Entretien n°10, Conseil consultatif des droits de l’Homme, Rabat, 2 novembre 2009. Entretien n°11, Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Rabat, 3 novembre 2009. Entretien n°12, Ministère de la Communauté marocaine résidant à l’étranger, Rabat, 9 novembre 2009. Entretien n°13, Direction des affaires consulaires et sociales, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 9 novembre 2009.
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Entretien n°14, Direction de l’emploi, Ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle, Rabat, 10 novembre 2009. Entretien n°15, Conseil 13 novembre 2009.
de
la
Communauté
marocaine
à
l’étranger,
Rabat,
Entretien n°16, Pôle de la promotion économique, Fondation Hassan II, Rabat, 19 novembre 2009. Entretien n°17, Direction de l’UE, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 19 novembre 2009. Entretien n°18, Direction européenne, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 20 novembre 2009. Entretien n°19, Enseignement des langues et cultures d’origine, Fondation Hassan II, Rabat, 25 novembre 2009. Entretien n°20, Direction des affaires consulaires et sociales, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 26 novembre 2009. Entretien n°21, Direction des migrations, Ministère de l’Intérieur, Rabat, 26 novembre 2009. Entretien n°22, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 15 juin 2010. Entretien n°23, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 16 juin 2010. Entretien n°24, DG Justice et affaires intérieures, Secrétariat général du Conseil de l’Union européenne, Bruxelles, 21 juin 2010. Entretien n°25, DG Relations extérieures, Commission européenne, Bruxelles, 21 juin 2010. Entretien n°26, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 21 juin 2010. Entretien n°27, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 22 juin 2010. Entretien n°28, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 22 juin 2010. Entretien n°29, Service Justice et affaires intérieures, Représentation française auprès de l’UE, Bruxelles, 22 juin 2010. Entretien n°30, DG Relations extérieures, Commission européenne – Ancien de la Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Bruxelles, 24 juin 2010.
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Entretien n°31, DG Justice et affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 24 juin 2010. Entretien n°32, DG Relations extérieures, Commission européenne, Bruxelles, 24 juin 2010. Entretien n°33, Ancien du Bureau stratégie et pilotage de l’aide au développement, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 22 juillet 2010. Entretien n°34, Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Rabat, 23 septembre 2010. Entretien n°35, Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Rabat, 23 septembre 2010. Entretien n°36, Conseiller politique, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010. Entretien n°37, Conseiller politique, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010. Entretien n°38, Service de sécurité intérieure, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010. Entretien n°39, Service de sécurité intérieure, Ambassade de France au Maroc, Rabat, 24 septembre 2010. Entretien n°40, Secteur libre circulation des personnes, Secrétariat général aux affaires européennes, Paris, 18 mai 2011. Entretien n°41, Secteur libre circulation des personnes, Secrétariat général aux affaires européennes, Paris, 18 mai 2011. Entretien n°42, Secteur libre circulation des personnes, Secrétariat général aux affaires européennes, Paris, 18 mai 2011. Entretien n°43, Secteur libre circulation des personnes, Secrétariat général aux affaires européennes, Paris, 18 mai 2011. Entretien n°44, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 24 mai 2011. Entretien n°45, Direction de l’Union européenne, Service des politiques internes et des questions institutionnelles, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 14 juin 2011. Entretien n°46, Direction de l’Union européenne, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 16 juin 2011.
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Entretien n°47, Direction d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, Ministère des Affaires étrangères, Paris, 28 juin 2011. Entretien n°48, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l'Intérieur, Paris, 12 juillet 2011. Entretien n°49, DG Développement et coopération, Commission européenne, Bruxelles, 1er février 2012. Entretien n°50, DG Affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 2 février 2012. Entretien n°51, DG Affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 3 février 2012. Entretien n°52, Délégation du Maroc auprès de l’Union européenne, Bruxelles, 6 février 2012. Entretien n°53, Conseiller spécial, Service européen pour l’action extérieure, Bruxelles, 6 février 2012. Entretien n°54, Service action extérieure, Représentation française auprès de l’UE, Bruxelles, 6 février 2012. Entretien n°55, Service européen pour l’action extérieure, Bruxelles, 7 février 2012. Entretien n°56, Secrétariat du Groupe de travail de haut niveau pour les migrations et l’asile (HLWG), Conseil de l’Union européenne, Bruxelles, 7 février 2012. Entretien n°57, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l'Intérieur, Paris, 7 mars 2012. Entretien n°58, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 14 mars 2012. Entretien n°59, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 20 mars 2012 Entretien n°60, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 20 mars 2012 Entretien n°61, Ambassade du Maroc, Paris, 10 avril 2012. Entretien téléphonique, Délégation de la Commission européenne au Royaume du Maroc, Rabat, 7 juin 2012 Entretien n°62, Direction européenne, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Rabat, 8 juin 2012. Entretien n°63, ANAPEC international (Casablanca), Rabat, 9 juin 2012.
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Entretien n°64, Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, Rabat, 10 juin 2012. Entretien n°65, Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, Rabat, 10 juin 2012. Entretien n°66, ancien du cabinet du Commissaire Justice et aux Affaires intérieures, Paris, 28 juin 2012. Entretien n°67, Entretien téléphonique, DG Affaires intérieures, Commission européenne, Bruxelles, 31 janvier 2013. Entretien n°68, Association des travailleurs maghrébins de France, Paris, 23 avril 2013. Entretien n°69, Entretien téléphonique, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l’Intérieur, Paris, 7 mai 2013.
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Sources primaires A - Accords et traités internationaux Accord du 30 Juin 1965 entre le Conseil fédéral suisse et le gouvernement de la République française relatif a la prise en charge de personnes à la frontière (avec Échange de Notes) Accord en forme d’échange de lettres entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Maroc relatif à la circulation des personnes, signé à Paris le 10 novembre 1983 (19830040), Publi. hors J.O, O.N.U., vol. 1367, p. 185 « 1984 ; 19 » Déclaration de Barcelone, Conférence Euro-Méditerranéenne de Barcelone, 1995. Accord Euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part, Journal officiel des Communautés européennes, L 70, 18 mars 2000, disponible sur : http://eurlex.europa.eu/JOHtml.do?uri=OJ:L:2000:070:SOM:fr:HTML [consulté le 2 septembre 2013]. Accord de partenariat entre les membres du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d’une part et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, signé à Cotonou le 23 juin 2000 - Protocoles - Acte final - Déclarations. 2000/483/CE, Journal Officiel, L 317, 15 décembre 2000, disponible sur : http://eurlex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:22000A1215%2801%29:FR:NOT [consulté le 2 septembre 2013]. Accord en forme d’échange de lettres entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Maroc relatif à la circulation des personnes, signé à Paris le 10 novembre 1983 (19830040). Publi. hors J.O, O.N.U., vol. 1367, p. 185 « 1984 ; 19 », disponible sur : http://www.diplomatie.gouv.fr/traites/affichetraite.do?accord=TRA19830040 [consulté le 2 septembre 2013]. Partenariat euro-africain pour la migration et le développement, Déclaration de Rabat, 2006. Agreement Between the European Community and the Russian Federation on the Facilitation of the Issuance of Visas to the Citizens of the European Union and the Russian Federation, Official Journal of the European Union, 2007. Accord entre la Communauté européenne et la Fédération de Russie sur la réadmission, JO, L 129/40, 17 mai 2007. Accord entre la Communauté européenne et la République de Serbie concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier, JO, L 334/46, 19 décembre 2007. Agreement Between the European Community and the Republic of Albania on the Facilitation of the Issuance of Visas, Official Journal of the European Union, 2007.
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Agreement Between the European Community and the Republic of Montenegro on the Facilitation of the Issuance of Visas, Official Journal of the European Union, 2007. Stratégie de Dakar, Troisième conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement, 2011. Framework agreement on comprehensive partnership and cooperation between the European Union and its member States, of the one part, and the Socialist Republic of Viet Nam, of the other part, 27 June 2012. Déclaration conjointe établissant un partenariat de mobilité entre le royaume du Maroc et l’Union européenne et ses Etats membres, Luxembourg, 7 juin 2013.
B - Accords, conventions et procès-verbaux consultés au ministère des Affaires étrangères et de la coopération (Rabat) MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1963a). Convention entre le gouvernement du royaume du Maroc et le Gouvernement de la République Fédérale d’Allemagne concernant l’emploi temporaire des travailleurs marocains dans la République Fédérale d’Allemagne, 21 mai. MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1963b). Convention de main d’œuvre entre le Maroc et la France, 1er juin. MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1964). Convention entre le Maroc et la Belgique relative à l’occupation de travailleurs marocains en Belgique, février. MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1969). Convention Entre le gouvernement du royaume du Maroc et le royaume des Pays-Bas concernant le recrutement et le placement des travailleurs marocains aux Pays-Bas, 14 mai. MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1986). Procès-verbal de la Commission mixte prévue par l’accord Franco-marocain du 10 Novembre 1983 sur la circulation des personnes, s. n., 15 avril. MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1992). Accord entre le Royaume du Maroc et le Royaume d’Espagne relatif à la circulation des personnes et le transit et la réadmission des étrangers qui pénètrent d'une façon illégale (Acuerdo entre el Reino de Marruecos y el Reino de España relativo a la circulacion de personas, el transito y la readmision de extranjeros entrados ilegalmente), s.n., 13 février. MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1993). Procès-verbal : une délégation marocaine et une délégation française se sont rencontrées à Paris les 13, 14 et 15 janvier 1993 pour examiner les questions d’intérêt commun relatives à la circulation et au séjour des ressortissants de chacun des deux États sur le territoire de l’autre. s.n.. MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1997). Procès-verbal entre le Ministère fédéral de l’intérieur de la République Fédérale Nora El Qadim– « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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d’Allemagne et le Ministère de l’Intérieur du Royaume du Maroc sur l’identification et la délivrance de laissez-passer consulaires. s.n., 20 mars. MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1998a). Procès-verbal entre le Gouvernement du Royaume du Maroc et le Gouvernement de la République Fédérale d’Allemagne relatif à l’identification et à la délivrance de laissezpasser consulaires, s. n., 22 avril, entré en vigueur le 1er juin 1998. MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1998b). Accord entre le Royaume du Maroc et la République italienne sur la reconduite aux frontières des ressortissants des deux pays et sur le transit pour l’éloignement, s.n., 27 juillet. MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION (Rabat) (1999). Accord de coopération entre le Gouvernement du Royaume du Maroc et le Gouvernement de la République portugaise en matière de contrôle des frontières et des flux migratoires. s.n., 7 septembre.
C - Maroc 1) Décrets, dahirs et lois. Loi 19-89 promulguée par le dahir du 13 Juillet 1990, portant sur la création de la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger, Bulletin Officiel du Royaume du Maroc, 1990. Décret n°2-91-98 du 18 hija 1413 (9 Juin 1993) relatif aux attributions et à l’organisation du ministère des affaires de la communauté marocaine résidant à l’étranger, Bulletin Officiel du Royaume du Maroc, 1993. Dahir n°1-00-321 du 15 moharrem 1422 (10 avril 2001) portant publication de l’accord fait à Paris le 30 mai 2000 entre le gouvernement du Royaume du Maroc et le gouvernement de la République française relatif à la coopération en matière de sécurité, Bulletin officiel du Royaume du Maroc, n°4958, 2001. Dahir n°1-03-140 du 26 rabii I 1424 (28 mai 2003) portant promulgation de la loi n°03-03 relative à la lutte contre le terrorisme, Bulletin Officiel du Royaume du Maroc, n°5114, 2003. Dahir n°1-03-196 ramadan 1424 (11 novembre 2003) portant promulgation de la loi n°02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et à l’immigration irrégulières, Bulletin Officiel du Royaume du Maroc, n°5162, 2003. Décret n°2-04-750 du 14 kaada 1425 (27 décembre 2004) modifiant et complétant le décret n°2-97-176 du 14 chaabane 1418 (15 décembre 1997) relatif aux attributions et à l’organisation du ministère de l’intérieur, Bulletin Officiel du Royaume du Maroc, n°5280, 2004. Décret n°2-04-751 du 14 kaada 1425 (27 décembre 2004) portant création d’un Observatoire national de la migration, Bulletin Officiel du Royaume du Maroc, n°5280, 2004.
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Annexes •
Annexe 1 : Pays de destination des émigrés marocains, d’après les chiffres des pays de destination (n.d.)
•
Annexe 2 : Pays de destination des émigrés marocains, d’après les chiffres du pays d’origine (n.d.)
•
Annexe 3 : Représentation graphique de la « toile » ou du réseau des accords et arrangements liés à la réadmission entre les États membres, la Croatie, l’Islande, la Norvège et la Suisse et les pays tiers, février 2013.
•
Annexe 4 : Liste des accords ou arrangements marocains liés à la réadmission tels que recensés par la Return Migration and Development Platform.
•
Annexe 5 : Liste des accords européens en matière de réadmission tels que recensés par la Return Migration and Development Platform.
•
Annexe 6 : Accord entre le Royaume d’Espagne et le Royaume du Maroc relatif à la circulation des personnes, au transit et à la réadmission des étrangers entrés illégalement, signé le 13 février 1992 à Madrid.
•
Annexe 7 : Accord en forme d'échange de lettres entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Maroc relatif à la circulation des personnes, signé à Paris le 10 novembre 1983.
•
Annexe 8 : Décret n°93-850 du 15 juin 1993 portant publication de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc portant modification de l'accord du 10 novembre 1983 relatif à la circulation des personnes, signé à Paris le 25 février 1993.
•
Annexe 9 : Accord de coopération entre le Gouvernement du Royaume du Maroc et le Gouvernement de la République Portugaise en matière de contrôle des frontières et des flux migratoires, 7 septembre 1999.
•
Annexe 10 : Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc relatif à la coopération en matière de sécurité (ensemble un échange de notes), signé à Paris le 30 mai 2000.
•
Annexe 11 : Accord de réadmission UE-Ukraine.
•
Annexe 12 : Le cadre institutionnel de la prise de décision au sein du Conseil en matière de migrations (avant le Traité de Lisbonne, 2009, en ce qui concerne les divisions par piliers).
•
Annexe 13 : Résultat des travaux du Comité stratégique sur l’immigration, les frontières et l’asile, 16 novembre 1999, 13888/99, Conseil de l’Union européenne.
•
Annexe 14 : Carte du Système intégré de surveillance extérieure (SIVE) espagnol en 2008.
•
Annexe 15 : Loi n° 02-03 relative à l'entrée et du séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l'émigration et l'immigration irrégulières.
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•
Annexe 16 : Commission européenne. Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen. Priorités en vue de relever les défis liés aux migrations : Première étape du processus de suivi de Hampton Court. COM (2005)621 final, Bruxelles, 30 novembre 2005.
•
Annexe 17 : Carte des pays dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa Schengen et des consulats des États membres dans les pays tiers, 2012.
•
Annexe 18 : Présentation powerpoint de l’ANAPEC au Global forum on migration and development, 12-13 juin 2012 (extraits – p. 1-7 ; 15-18 ; 21 ; 23).
•
Annexe 19 : Carte des officiers de liaison européens (Belgique, France et RoyaumeUni) dans le monde.
•
Annexe 20 : Statistiques de délivrance des laissez-passer consulaires par le Maroc à la France pour 2011, par consulat.
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Annexe 1 : Pays de destination des émigrés marocains, d’après les chiffres des pays de destination (n.d.) Source : site internet du Consortium for Applied Research on International Migration (CARIM), http://www.carim.org/index.php?contentid=89&callTopic=1 [consulté le 10 septembre 2013].
Annexe 2 : Pays de destination des émigrés marocains, d’après les chiffres du pays d’origine (n.d.) Source : site internet du Consortium for Applied Research on International Migration (CARIM), http://www.carim.org/index.php?contentid=89&callTopic=1 [consulté le 10 septembre 2013].
Annexe 3 : Représentation graphique de la « toile » ou du réseau des accords et arrangements liés à la réadmission entre les États membres, la Croatie, l’Islande, la Norvège et la Suisse et les pays tiers, février 2013. Chaque nœud est pondéré en fonction du nombre d’accords conclus par cet État. Source : site internet de l’inventaire des accords liés à la réadmission, Return migration and Development Platform (RDP), http://rsc.eui.eu/RDP/research/analyses/ra/ [consulté le 10 septembre 2013].
Annexe 4 : Liste des accords ou arrangements marocains liés à la réadmission tels que recensés par la Return Migration and Development Platform (mise à jour en 2013) Source : http://rsc.eui.eu/RDP/fr/research/analyses/ra/maroc/ [consulté le 30 septembre 2013]. Les accords avec la Belgique, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, ainsi que l’accord avec le Portugal de 2004, et les accords avec l’Espagne de 2012 ont été ajoutés à l’inventaire lors de la mise à jour de 2013. Présentation des accords et arrangements : Les accords standard de réadmission incluent : - Les accords bilatéraux de réadmission signés (‘S’) et entrés en vigueur (‘V’) ; - Les protocoles d’application (‘IP’) conclus entre chaque Etat membre de l’Union Européenne (UE) et les pays tiers, dans le cadre des accords en matière de réadmission de l’UE ; Les accords non standard incluent : - Les accords en matière de coopération policière (‘CP’) comportant une clause sur la réadmission/le renvoi des étrangers en situation irrégulière ; - Les memoranda d’entente (‘ME’) ; - Les ententes ou arrangements administratifs (‘AA’) ; - Les échanges de lettres (‘EL’).
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Annexe 5 : Liste des accords européens en matière de réadmission tels que recensés par la Return Migration and Development Platform Source : http://rsc.eui.eu/RDP/fr/research/analyses/ra/european-union/ [consulté le 30 septembre 2013]. Mise à jour: février 2013 Pays tiers Albanie Algérie Arménie Azerbaidjan Biélorussie Bosnie-Herzégovine Cap-Vert Chine* Géorgie Hong Kong Macao Macédoine (FYROM) Moldavie Monténégro Maroc Pakistan Russie Serbie Sri Lanka Turquie Ukraine
Mandat novembre 2002 novembre 2002 décembre 2011 décembre 2011 février 2011 novembre 2006 juin 2009 novembre 2002 septembre 2008 avril 2001 avril 2001 novembre 2006 décembre 2006 novembre 2006 septembre 2000 septembre 2000 septembre 2000 novembre 2006 septembre 2000 novembre 2002 juin 2002
Date de signature 14 avril 05
Entrée en vigueur 1 mai 2006
18 octobre 2012
18 septembre 2007 18 avril 2013
1 janvier 2008
22 novembre 2010 27 novembre 2002 13 octobre 2003 18 septembre 2007 10 octobre 2007 18 septembre 2007
1 mars 2011 1 mars 2004 1 juin 2004 1 janvier 2008 1 janvier 2008 1 janvier 2008
26 octobre 2009 25 mai 2006 18 septembre 2007 4 juin 2004 21 juin 2012 18 juin 2007
1 décembre 2010 1 juin 2007 1 janvier 2008 1 mai 2005 1 janvier 2008
* Accord sur le statut de destination approuvée (ADS): L’accord entre l’Union Européenne (UE) et la Chine ne constitue pas un véritable accord européen en matière de réadmission. En effet, il s’agit d’un mémorandum d’entente relatif à l’entrée des touristes chinois sur le territoire des Etats-membres de l’UE. Toutefois, l’article 5 du mémorandum comporte un ensemble de mesures demandant à la Chine de réaccepter les nationaux dont le titre de séjour est arrivé à expiration et de coopérer dans le cadre de leur réadmission.
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Annexe 6 : Accord entre le Royaume d’Espagne et le Royaume du Maroc relatif à la circulation des personnes, au transit et à la réadmission des étrangers entrés illégalement, signé le 13 février 1992 à Madrid. Source : site internet du Boletín Oficial del Estado (Espagne), document BOE-A-1992-8976, http://www.boe.es/diario_boe/txt.php?id=BOE-A-1992-8976 [consulté le 30 septembre 2013]. TEXTO ACUERDO ENTRE EL REINO DE ESPAÑA Y EL REINO DE MARRUECOS RELATIVO A LA CIRCULACION DE PERSONAS, EL TRANSITO Y LA READMISION DE EXTRANJEROS ENTRADOS ILEGALMENTE En el marco de la cooperación instaurada entre el Reino de España y el Reino de Marruecos y de los lazos históricos que unen a los dos pueblos y para responder a la preocupación común de coordinar los esfuerzos destinados a poner fin al flujo migratorio clandestino de extranjeros entre España y Marruecos, Las dos Partes han acordado lo siguiente: CAPITULO PRIMERO Readmisión de extranjeros Articulo 1 Las autoridades fronterizas del Estado requerido readmitirán en su territorio, a petición formal de las autoridades fronterizas del Estado requirente, a los nacionales de países terceros que hubieren entrado ilegalmente en el territorio de este último procedente del de Estado requerido. Articulo 2 La readmisión se efectuará si se aprueba, por cualquier medio, que el extranjeros cuya readmisión se solicita proviene efectivamente del territorio del Estado requerido. La solicitud de readmisión deberá ser presentada en los diez días posteriores a la entrada ilegal en el territorio del Estado requerido. En ella se harán constar todos los datos disponibles relativos a la identidad, a la documentación personal eventualmente poseída por el extranjero y a las condiciones de su entrada ilegal en el territorio del Estado requirente, así como cualquier otra información de que se disponga sobre el mismo. Cuando la readmisión es aceptada, se documenta mediante la expedición por las Autoridades de frontera del Estado requerido de un certificado o de cualquier otro documento en el que se hace constar otro documento en el que se hace constar la identidad y, en su caso, la documentación poseída por el extranjero en cuestión. Articulo 3 No hay obligación de readmisión: a) Para los nacionales de Estados terceros que tengan fronteras comunes con el Estado requirente; b) Para los extranjeros que hubiesen sido autorizados a permanecer en el territorio del Estado requirente con posterioridad a su entrada ilegal; c) Para los extranjeros que, en el momento de su entrada en el territorio del Estado requirente, estén en posesión de un visado o de un permiso de estancia concedido por dicho Estado o que, con posterioridad a su entrada, han obtenido del mismo un visado o un permiso de estancia; d) Para las personas a quienes el Estado requirente haya reconocido la condición de refugiado de acuerdo con la Convención de Ginebra de 28 de julio de 1951. Articulo 4 El Estado requirente readmitirá en su territorio a aquellos extranjeros cuya readmisión haya solicitado y obtenido del Estado requerido, cuando, por comprobaciones posteriores a su expulsión, resulte que se encontraban, en el momento de su entrada en el territorio del Estado requerido, en alguna de las situaciones señaladas en el artículo 3. Articulo 5 El Estado requerido se asegurará de que los extranjeros readmitidos son enviados lo antes posible a su Estado de origen o al Estado donde comenzaran su viaje, en la medida en que no tengan derecho a permanecer en el territorio del Estado requerido. CAPITULO II Tránsito para la expulsión de extranjeros Articulo 6
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Cada una de las Partes contratantes, previa petición de la otra Parte, podrá aceptar la entrada y el tránsito por su territorio para su expulsión de los nacionales de países terceros, cuando la continuación del viaje y su admisión en el Estado de destino estén plenamente aseguradas. Cada una de las Partes contratantes, previa petición de la otra Parte, podrá aceptar igualmente el tránsito para su expulsión de los nacionales de terceros países por la zona internacional de aquellos aeropuertos que se señalen en las mismas condiciones indicadas en el párrafo anterior. El tránsito por vía aérea podrá efectuarse, en su caso, bajo la custodia de las Autoridades de policía del Estado requirente. El Estado requirente readmitirá inmediatamente en su territorio a los extranjeros cuya expulsión esté en curso cuando el país de destino rechace su entrada. Articulo 7 La solicitud de tránsito para la expulsión de nacionales de países terceros se tramitará directamente entre las Autoridades que se señalen a estos efectos por los Ministerios del Interior de ambas Partes. En la solicitud de tránsito para la expulsión se harán constar los datos relativos a la identidad, la documentación personal poseída por el extranjero, su estancia en el territorio del Estado requirente y las condiciones de su paso por el territorio del Estado requerido. Articulo 8 El tránsito para la expulsión podrá ser denegado: a) Cuando el extranjero tenga prohibida la entrada en el Estado requerido; b) Cuando el extranjero pueda ser acusado o esté condenado por un Tribunal Penal en el Estado requerido, por hechos anteriores al tránsito; c) Cuando el extranjero pueda ser acusado o esté condenado por un Tribunal Penal en el Estado de destino, por hechos anteriores al tránsito; d) Cuando el extranjero corra riesgo de sufrir malos tratos en el Estado de destino; e) Cuando el tránsito se solicite para la expulsión de nacionales de los países del Magreb miembros de la UMA. CAPITULO III Otras disposiciones Articulo 9 El presente Acuerdo se entiende sin perjuicio de las obligaciones de readmisión de nacionales de países terceros que resulten de la aplicación de las disposiciones de otros Acuerdos bilaterales o multilaterales. Articulo 10 Correrán por cuenta del Estado requirente: Los gastos de transporte hasta la entrada en el Estado requerido de las personas cuya readmisión se solicite. Los gastos de transporte hasta el Estado de destino de las personas para las que se autorice el tránsito. El Estado requirente asumirá también los gastos de regreso de la persona no admitida. Articulo 11 Se crea un Comité mixto hispano-marroquí que, bajo la autoridad de los Ministros del Interior, resolverá todos los casos litigiosos que puedan derivarse de la aplicación del presente Acuerdo y hará un seguimiento de la aplicación de las disposiciones del mismo. El Comité Mixto examinará las modalidades y criterios de una compensación de los desequilibrios financieros derivados de la readmisión de extranjeros expulsados. Este Comité organizará la asistencia mutua en el desarrollo de los dispositivos de control fronterizo, sobre todo en lo que respecta al equipamiento y formación de personal de control de fronteras. Articulo 12 De acuerdo con la legislación española y con los Convenios internacionales en materia de libre circulación de personas de los que España es parte, los ciudadanos marroquíes legalmente residentes en el territorio de los Estados miembros de la Comunidad Europea podrán, sin necesidad de visado, acceder y circular libremente a través del territorio español durante un período máximo de tres meses. Articulo 13 Las autoridades españolas y marroquíes cooperarán en el marco apropiado en la organización de los flujos migratorios entre los dos países, en la medida en que aquellos sean necesarios, garantizando siempre los derechos sociales de los trabajadores afectados. Articulo 14 Los Ministerios del Interior de las Partes contratantes podrán establecer y, en su caso, modificar la lista de los puestos fronterizos en que se podrá efectuar la readmisión y la entrada en tránsito de nacionales de países terceros,
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así como la lista de los aeropuertos que podrán ser utilizados para el tránsito de los extranjeros expulsados en su viaje hacia el Estado de destino. Las Partes contratantes se notificarán mutuamente por vía diplomática las citadas listas y sus eventuales modificaciones. Articulo 15 Las Partes contratantes podrán proponer, en el marco del Comité Mixto creado por el artículo 11, todas las modificaciones y mejoras que se consideren necesarias para la mejor aplicación de este Acuerdo y para la salvaguardia de los intereses nacionales de las dos Partes contratantes. Articulo 16 El presente Acuerdo entrará en vigor treinta días después de que ambas Partes contratantes se hayan notificado el cumplimiento de los requisitos constitucionales para su ratificación. El Acuerdo se aplicará provisionalmente a partir de la fecha de su firma. La vigencia del presente Acuerdo será de tres años, renovable por tácita reconducción por períodos de igual duración. El presente Acuerdo podrá ser denunciado en todo momento por cualquiera de las Partes. La denuncia surtirá efecto a los tres meses de su notificación a la otra Parte. Hecho en Madrid, a trece de febrero de mil novecientos noventa y dos, en dos ejemplares originales, redactados en lengua española y árabe, siendo ambos textos igualmente auténticos. Por el Reino de España JOSE LUIS CORCUERA CUESTA, Ministro del Interior Por el Reino de Marruecos DRISS BASRI, Ministro del Interior y de Información El presente Acuerdo se aplica provisionalmente desde el 13 de febrero de 1992, fecha de su firma, según se establece en su artículo 16. Lo que se hace público para conocimiento general. Madrid, 17 de marzo de 1992. El Secretario general Técnico, Aurelio Pérez Giralda.
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Annexe 7 : Accord en forme d'échange de lettres entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Maroc relatif à la circulation des personnes, signé à Paris le 10 novembre 1983 Source : Base des Traités et Accords et de la France, http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/Traites/Accords_Traites.php [consulté le 30 septembre 2013].
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Annexe 8 : Décret n°93-850 du 15 juin 1993 portant publication de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc portant modification de l'accord du 10 novembre 1983 relatif à la circulation des personnes, signé à Paris le 25 février 1993. Source : http://www.legifrance.gouv.fr [consulté le 30 septembre 2013]. JORF n°138 du 17 juin 1993 page 8586 DECRET Décret n° 93-850 du 15 juin 1993 portant publication de l'accord sous forma d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc portant modification de l'accord du 10 novembre 1953 relatif à la circulation des personnes, signé à Paris le 25 février 1993 (l) NOR: MAEJ9330024D Le Président de la République, Sur le rapport du Premier ministre et du ministre des affaires étrangères, Vu les articles 52 à 55 de la Constitution ; Vu le décret n° 53-192 du 14 mars 1953 modifié relatif à la ratification et à la publication des engagements internationaux souscrits par la France ; Vu le décret n° 84-376 du 18 mai 1984 portant publication : 1° de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation des personnes, signé à Paris le 31 août 1983 ; 2° de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc relatif à la circulation des personnes, signé à Paris le 10 novembre 1983 ; 3° de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne relatif à la circulation des personnes, signé à Paris le 31 août 1983, Décrète : Art. 1er. - L’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc portant modification de l’accord du 10 novembre 1983 relatif à la circulation des personnes, signé à Paris le 25 février 1993, sera publié au Journal officiel de la République française. Art. 2. - Le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française. ACCORD SOUS FORME D’ÉCHANGE DE LETTRES ENTRE LE GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ET LE GOUVERNEMENT DU ROYAUME DU MAROC PORTANT MODIFICATION DE L’ACCORD DU 10 NOVEMBRE 1983 RELATIF A LA CIRCULATION DES PERSONNES MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES Paris le 25 février 1993. M. Abbés El Fassi. Ambassadeur du Royaume du Maroc, Paris Monsieur l’Ambassadeur, Dans le cadre de la mise à jour du régime de circulation des ressortissants marocains en France et des ressortissants français au Maroc, il est apparu qu’il y avait lieu de confirmer le dispositif qui résulte de l’accord sous forme d’échange de notes des 14 et 15 août 1957 et de l’accord sous forme d’échange de lettres du 10 novembre 1983 ainsi que de la note verbale du Gouvernement français en date du 11 octobre 1986, à l’exception des dispositions relatives à l’attestation d’accueil, qui, à l’expérience, n’apparaît pas fournir des garanties suffisantes quant aux conditions d’hébergement des familles marocaines en France. En conséquence, j’ai l’honneur de vous proposer de modifier l’accord du 10 novembre 1983 dans les termes suivants :
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Le troisième alinéa du 2 - de l’échange de lettres du 10 novembre 1983 est remplacé par les dispositions ci-après : « Les ressortissants marocains venant en France pour une visite familiale ou privée devront également présenter un certificat d’hébergement émanant de la personne au domicile de laquelle ils se proposent de résider pendant leur séjour en France. Toutefois, sont dispensés du certificat d’hébergement le conjoint et/ou les enfants mineurs des ressortissants marocains titulaires d’une carte de résident ou d’une carte de séjour temporaire. » Si cette proposition rencontre l’agrément de votre Gouvernement, la présente lettre ainsi que la réponse que vous voudrez bien m’adresser constitueront l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc, qui entrera en vigueur le jour de sa signature. Je vous prie d’agréer, Monsieur l’Ambassadeur, l’assurance de ma haute considération. Le directeur des Français à l’étranger et des étrangers en France, ISABELLE RENOUARD AMBASSADE DU ROYAUME DU MAROC EN FRANCE Paris, le 25 février 1993. Madame Isabelle Renouard, Directeur des Français à l’étranger et des étrangers en France, ministère des affaires étrangères Madame le Directeur, J’ai l’honneur d’accuser réception de votre lettre rédigée ainsi qu’il suit, par laquelle vous me faites part du désir du Gouvernement français de modifier le troisième alinéa du 2° de l’échange de lettres du 10 novembre 1983 : « Monsieur l’Ambassadeur, « Dans le cadre de la mise à jour du régime de circulation des ressortissants marocains en France et des ressortissants français au Maroc, il est apparu qu’il y avait lieu de confirmer le dispositif qui résulte de l’accord sous forme d’échange de notes des 14 et 15 août 1957 et de l’accord sous forme d’échange de lettres du 10 novembre 1983 ainsi que de la note verbale du Gouvernement français en date du 11 octobre 1986, à l’exception des dispositions relatives à l’attestation d’accueil, qui, à l’expérience, n’apparaît pas fournir des garanties suffisantes quant aux conditions d’hébergement des familles marocaines en France. « En conséquence, j’ai l’honneur de vous proposer de modifier l’accord du 10 novembre 1983 dans les termes suivants : « Le troisième alinéa du 2o de l’échange de lettres du 10 novembre 1983 est remplacé par les dispositions ci-après : « «Les ressortissants marocains venant en France pour une visite familiale ou privée devront également présenter un certificat d’hébergement émanant de la personne au domicile de laquelle ils se proposent de résider pendant leur séjour en France. « «Toutefois, sont dispensés du certificat d’hébergement le conjoint et/ou les enfants mineurs des ressortissants marocains titulaires d’une carte de résident ou d’une carte de séjour temporaire.» « Si cette proposition rencontre l’agrément de votre Gouvernement, la présente lettre ainsi que la réponse que vous voudrez bien m’adresser constitueront l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc, qui entrera en vigueur le jour de sa signature. « Je vous prie d’agréer, Monsieur l’Ambassadeur, l’assurance de ma haute considération. » J’ai l’honneur de vous faire savoir que cette proposition recueille l’agrément des autorités marocaines, votre lettre et ma réponse constituent sur ce point un accord entre nos deux Gouvernements. Je vous prie d’agréer, Madame le Directeur, l’assurance de ma haute considération. L’Ambassadeur, ABBES EL FASSI Fait à Paris, le 15 juin 1993. FRANÇOIS MITTERRAND Par le Président de la République : Le Premier ministre, ÉDOUARD BALLADUR Le ministre des affaires étrangères, ALAIN JUPPÉ
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Annexe 9 : Accord de coopération entre le Gouvernement du Royaume du Maroc et le Gouvernement de la République Portugaise en matière de contrôle des frontières et des flux migratoires, 7 septembre 1999. 1) Source : Diário da República Electronico, Decreto n.º 35/2004, http://www.dre.pt/ [consulté le 30 septembre 2013]. ACCORD DE COOPÉRATION ENTRE LE GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE PORTUGAISE ET LE GOUVERNEMENT DU ROYAUME DU MAROC EN MATIÈRE DE CONTRÔLE DES FRONTIÈRES ET DES FLUX MIGRATOIRES. Le Gouvernement de la République Portugaise et le Gouvernement du Royaume du Maroc: Réaffirmant leur volonté de renforcer les relations d'amitié et de coopération entre les deux pays; Animés par la volonté de renforcer la coopération bilatérale dans le domaine du contrôle des frontières et des flux migratoires; Soulignant la nécessité de développer la coopération bilatérale en vue de lutter efficacement contre l'immigration illégale; Adhérant pleinement aux conventions internationales et dans le respect des conventions bilatérales et multilatérales et des législations des deux pays: ont convenu de ce qui suit: Article 1 Ayant en vue l'amélioration permanente de l'action de leur services compétents dans les domaines relevant du champ du présent accord, les deux Parties s'engagent à échanger leur expérience en matière de contrôle des frontières, de maîtrise des flux migratoires et de lutte contre l'immigration illégale. Article 2 Les deux Parties, dans le respect des législations nationales et des accords internationaux, y compris ceux qui concernent l'échange des données personnelles, favoriseront le développement de la coopération dans les domaines du contrôle des frontières et de la lutte contre l'immigration illégale et l'exploitation criminelle du phénomène des flux migratoires. Cette coopération comprendra notamment: a) L'échange d'informations en temps réel concernant le contrôle des frontières, la gestion des flux migratoires et la lutte contre l'immigration illégale; b) L'échange des données relatives aux documents faux ou contrefaits et des connaissances technologiques en matière de lutte contre les faux papiers et les papiers falsifiés; c) L'échange d'expériences et l'assistance technique pour améliorer la gestion des contrôles frontaliers; d) L'organisation de stages, conférences et colloques. Article 3 En vue de faciliter la coopération entre les autorités compétentes du Ministère de l'Administration Interne du Portugal et du Ministère de l'Intérieur du Maroc, des points de contact pourront être désignés et, au besoin, des officiers de liaison pourront être échangés. Article 4 Pour évaluer la coopération régie par le present accord, les deux Parties constitueront une Commission mixte. Cette Commission se réunira régulièrement une fois par an, alternativement au Portugal et au Maroc pour l'analyse des travaux en cours et l'évaluation des résultats obtenus dans le domaine de la cooperation et de l'assistance technique. Article 5 Nora El Qadim – « Négocier l’asymétrie » - Thèse IEP de Paris – 2013
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Le présent accord entrera en vigueur le jour où les deux Parties s'informeront mutuellement par voie diplomatique d'avoir accompli les formalités requises par leur législation interne. Article 6 Cet accord est conclu entre les deux Parties pour une durée d'un an à partir de la date de son entrée en vigueur. Il sera successivement prorogé par tacite reconduction, sauf dénonciation par écrit, sous réserve d'un préavis de six mois, transmis à l'autre Partie par voie diplomatique. Fait à Tanger, le 7 septembre 1999, en deux exemplaires dans chacune des langues portugaise, arabe et française, chaque texte faisant également foi. En cas de différend d'interprétation, la version française prévaudra. Pour le Gouvernement de la République Portugaise: Jorge Paulo Sacadura Almeida Coelho, Ministre de l'Administration Interne. Pour le Gouvernement du Royaume du Maroc: Driss Basri, Ministre d'État, Ministre de l'Intérieur.
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Annexe 10 : Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc relatif à la coopération en matière de sécurité (ensemble un échange de notes), signé à Paris le 30 mai 2000. Source : Décret no 2001-374 du 25 avril 2001, http://www.legifrance.gouv.fr [consulté le 30 septembre 2013]. Voir aussi Dahir n°1-00-321 du 15 moharrem 1422 (10 avril 2001) portant publication de l'accord fait à Paris le 30 mai 2000 entre le gouvernement du Royaume du Maroc et le gouvernement de la République française relatif à la coopération en matière de sécurité http://www.sgg.gov.ma/historique_bo.aspx?id=982 consulté le 30 septembre 2013]. JORF n°101 du 29 avril 2001 page 6841 texte n° 18
DECRET Décret no 2001-374 du 25 avril 2001 portant publication de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc relatif à la coopération en matière de sécurité (ensemble un échange de notes), signé à Paris le 30 mai 2000 (1) NOR: MAEJ0130028D Le Président de la République, Sur le rapport du Premier ministre et du ministre des affaires étrangères, Vu les articles 52 à 55 de la Constitution ; Vu le décret no 53-192 du 14 mars 1953 modifié relatif à la ratification et à la publication des engagements internationaux souscrits par la France, Décrète : Art. 1er. - L'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc relatif à la coopération en matière de sécurité (ensemble un échange de notes), signé à Paris le 30 mai 2000, sera publié au Journal officiel de la République française. Art. 2. - Le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française. ACCORD ENTRE LE GOUVERNEMENT DE LA REPUBLIQUE FRANÇAISE ET LE GOUVERNEMENT DU ROYAUME DU MAROC RELATIF A LA COOPERATION EN MATIERE DE SECURITE (ENSEMBLE UN ECHANGE DE NOTES) Le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc, ci-après dénommés « les Parties », Convaincus de l'importance de la coopération dans la lutte contre le terrorisme, le trafic illicite de stupéfiants, l'immigration irrégulière et les autres formes graves de criminalité organisée ; Tenant compte de l'ensemble des accords signés entre les deux pays et soucieux de resserrer leurs liens d'amitié et de coopération ; Considérant que cette coopération doit être renforcée dans l'intérêt des deux pays, sont convenus de ce qui suit : Article 1er Dans le respect des législations nationales, « les Parties » mènent une coopération opérationnelle et technique et s'accordent mutuellement assistance dans les domaines suivants : 1o La lutte contre le terrorisme ; 2o La lutte contre le trafic illicite des stupéfiants, des substances psychotropes et de leurs précurseurs chimiques ; 3o La lutte contre la criminalité organisée internationale ; 4o La lutte contre le trafic illicite d'armes, de munitions, d'explosifs et de matières nucléaires, de composés chimiques et de produits bactériologiques ; 5o La lutte contre les infractions à caractère économique et financier, et notamment le blanchiment de fonds ; 6o La lutte contre la traite des êtres humains ; 7o La lutte contre les faux et les contrefaçons ; 8o La lutte contre le trafic des biens culturels et des objets d'art volés ;
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9o La lutte contre l'immigration irrégulière et la fraude documentaire s'y rapportant ; 10o La sûreté des moyens de transport aériens, maritimes et terrestres ; 11o La police technique et scientifique ; 12o L'ordre public ; 13o La formation des personnels. Cette coopération peut être étendue à tous les domaines qui se révéleront utiles. Article 2 Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, « les Parties » échangent : a) Des informations relatives aux actes de terrorisme projetés ou commis, aux modes d'exécution et aux moyens techniques utilisés pour l'exécution de tels actes ; b) Des informations relatives aux groupes de terroristes et aux membres de ces groupes qui prévoient, commettent ou ont commis des actes terroristes sur le territoire de l'une des « Parties » et portent atteinte aux intérêts de l'autre « Partie » ; c) Des renseignements actualisés relatifs aux menaces terroristes, aux techniques et structures d'organisation ; d) Leurs expériences et leurs connaissances technologiques en matière de sûreté des transports aériens, maritimes et des chemins de fer, dans le but d'adapter constamment les mesures de sécurité prises dans les aéroports, les ports et les gares, au niveau de la menace terroriste. Article 3 En vertu du présent Accord, chaque « Partie » coopère avec l'autre selon sa législation nationale et conformément aux dispositions pertinentes des conventions des Nations unies et particulièrement de la Convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes signée à Vienne le 19 décembre 1988 et ratifiée par les deux pays. A cet effet, les Parties procèdent à des échanges : a) D'informations relatives aux personnes participant au trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, aux méthodes utilisées par celles-ci, à leurs caches et à leurs moyens de transport, aux lieux de provenance, de transit, d'acquisition et de destination des stupéfiants et des substances psychotropes ; b) D'informations opérationnelles sur les flux du trafic international illicite des stupéfiants et des substances psychotropes et du blanchiment de fonds en résultant ; c) De résultats des analyses en criminalistique dans les domaines du trafic illicite des stupéfiants, des substances psychotropes et de leur abus ; d) D'échantillons de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs pouvant faire l'objet d'abus, ou d'informations techniques sur les prélèvements effectués, dans le respect des législations nationales ; e) De renseignements opérationnels relatifs au contrôle et au commerce licite de stupéfiants, de substances psychotropes et de leurs précurseurs susceptibles d'être détournés à des fins illicites. Article 4 Dans le cadre des règles juridiques de leur pays respectif, les deux Parties coopèrent pour la prévention et la répression des autres formes graves de criminalité internationale. Cette coopération concerne notamment : - le trafic d'armes et des explosifs ; - la lutte contre l'immigration irrégulière ; - la lutte contre le trafic des documents faux ou falsifiés ; - la traite des êtres humains ; - la lutte contre la contrefaçon et le faux monnayage ; - la lutte contre le trafic des véhicules volés ; - la lutte contre le trafic des biens culturels et des objets d'art volés ; - le blanchiment de fonds. A ces fins : a) Les Parties se communiquent les informations relatives aux personnes et aux organisations soupçonnées d'y prendre part ; b) Les Parties se communiquent les informations relatives aux méthodes et aux nouvelles formes de la criminalité internationale. Dans ce cadre, chaque Partie peut mettre à la disposition de l'autre, à sa demande, des échantillons ou des objets et les informations relatives à ceux-ci ; c) Les Parties prennent les mesures policières d'assistance réciproque en personnel et en matériel permises par la législation de leur Etat si elles apparaissent nécessaires pour la mise en oeuvre du présent Accord ; d) Les Parties échangent les résultats des recherches qu'elles mènent en matière de police technique et scientifique et s'informent mutuellement de leurs méthodes d'enquête et de leurs moyens de lutte contre la criminalité internationale.
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Article 5 La coopération technique concernant les domaines définis à l'article 1er du présent Accord a pour objet principal : a) La formation générale et spécialisée ; cette coopération peut prendre la forme d'envoi en stage, en séminaire ou en visite d'étude de cadres spécialistes et techniciens dans les instituts ou écoles de formation de l'autre Partie ; b) L'échange de spécialistes dans le but d'acquérir des connaissances professionnelles de haut niveau et d'étudier les moyens, méthodes et techniques modernes de lutte contre toute les formes de criminalité utilisés par l'autre Partie ; c) Le conseil et l'assistance technique en matière d'équipements, d'organisation et de méthodes des services ; d) L'échange de documentation spécialisée dans le domaine de la sécurité. Article 6 La coopération dans les domaines mentionnés dans le présent Accord est menée par l'intermédiaire des organismes et des personnes que les Parties auront désignés par écrit à cet effet. Pour les personnes, cette désignation ne peut devenir effective que sur agrément préalable de la Partie hôte qui, à tout moment, peut y mettre fin si des raisons sérieuses le justifient. Article 7 Chaque Partie se réserve le droit de ne pas donner suite entièrement ou partiellement à une demande, de ne pas accorder son soutien ou de ne pas prendre une mesure de coopération lorsque cela est susceptible de porter atteinte à son droit national, de mettre en danger sa sécurité ou de nuire à ses intérêts vitaux. Article 8 Dans le cadre du présent Accord, la transmission et l'utilisation de données personnelles doivent avoir lieu conformément aux règles juridiques en vigueur dans les deux pays. La Partie d'accueil ne peut utiliser les données qui lui sont transmises que selon les conditions mutuellement établies et dans le but recherché par leur transmission. Article 9 Les Parties assurent la protection de toutes les données personnelles et traitent en particulier confidentiellement les données que la Partie d'origine considère comme telles. Les demandes personnelles remises ne peuvent être communiquées à une Partie tierce que sur autorisation de la Partie d'origine. L'effacement des données personnelles communiquées dans le cadre de cet accord est effectué conformément à la législation du pays d'origine des données. Article 10 Chaque Partie garantit le traitement confidentiel des informations qualifiées comme telles par la législation de l'autre Partie. Les documents et informations techniques transmis dans le cadre du présent Accord ne peuvent être retransmis à un pays tiers sans l'approbation de l'autorité compétente de la Partie d'origine. Article 11 En vue d'atteindre les objectifs prévus dans le présent Accord et de mettre en oeuvre la coopération ainsi décrite, il est créé un « comité mixte de coopération en matière de sécurité ». Le comité se réunit annuellement ou à la demande de l'une ou l'autre Partie. Le comité mixte peut créer en cas de nécessité des groupes de travail spécialisés. Les réunions ont lieu alternativement en France et au Maroc. Le comité établit la programmation budgétaire annuelle nécessaire à la mise en oeuvre de la coopération. Cette programmation fait ressortir la contribution de chaque Partie dans la limite de ses disponibilités budgétaires. Article 12 Les litiges résultant de l'interprétation et de l'application du présent Accord sont soumis au comité mixte et font, en cas de nécessité, l'objet de négociations entre les deux Parties par voie diplomatique, conformément aux principes fondamentaux du droit international. Article 13 Chaque partie peut dénoncer le présent Accord à tout moment par notification écrite à l'autre Partie. Cette dénonciation prend effet six mois après sa date de notification. Elle n'affecte pas les actions en cours de réalisation, sauf décision contraire commune des deux Parties. Article 14 Le présent Accord est conclu pour une durée indéterminée entre les deux Parties qui s'informent mutuellement par voie diplomatique de l'accomplissement des procédures nationales requises pour l'entrée en vigueur du présent Accord. Des amendements à cet accord peuvent être adoptés dans les mêmes formes que le présent texte.
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En foi de quoi, les représentants des deux Parties, dûment autorisés à cet effet, ont signé le présent Accord et y ont apposé leur sceau. Fait à Paris, le 30 mai 2000, en deux exemplaires, chacun en langues française et arabe, les deux textes faisant également foi. ECHANGEDENOTES ENTRE LE GOUVERNEMENT DE LA REPUBLIQUE FRANÇAISE ET LE GOUVERNEMENT DU ROYAUME DU MAROC RELATIF A L'ENTREE EN VIGUEUR DE L'ACCORD REPUBLIQUE FRANÇAISE AMBASSADE DE FRANCE AU MAROC No 6154/AL L'Ambassade de France au Maroc présente ses compliments au Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération et a l'honneur de lui faire savoir, en complément de leurs échanges de notes no 5475/AL du 8 novembre 2000 et no 3771 du 23 novembre 2000, qu'un accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc, relatif à la coopération en matière de sécurité, a été signé par les deux ministres de l'intérieur, à Paris, le 30 mai 2000. La rédaction de l'article 14 de cet Accord ne fixe pas avec précision sa date d'entrée en vigueur. Aussi l'Ambassade de France propose-t-elle que cet Accord prenne effet le premier jour du deuxième mois suivant la date de réception de la seconde notification, les Parties ayant à s'informer de l'accomplissement des procédures nationales requises. Si cette proposition rencontre l'agrément du Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, la présente note et sa réponse pourront constituer un accord sous forme d'échanges de notes complétant l'Accord cité ci-dessus. L'Ambassade de France au Maroc saisit cette occasion pour renouveler au Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération les assurances de sa haute considération. Rabat, le 18 décembre 2000. ROYAUME DU MAROC MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES ET DE LA COOPERATION DIRECTION DES AFFAIRES JURIDIQUES ET DES TRAITES Le Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération présente ses compliments à l'Ambassade de France à Rabat et a l'honneur d'accuser réception de sa note verbale no 6154/AL du 18 décembre 2000 relative à la fixation de la date d'entrée en vigueur de l'Accord maroco-français de coopération en matière de sécurité, signé à Paris le 30 mai 2000. Le Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération a également l'honneur d'informer l'Ambassade que la proposition contenue dans ladite note qui consiste à ce « que cet Accord prenne effet le premier jour du deuxième mois suivant la date de réception de la seconde notification » rencontre l'agrément de la Partie marocaine. Le Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération saisit cette occasion pour renouveler à l'Ambassade de France à Rabat l'assurance de sa haute considération. Rabat, le 8 janvier 2001. (1) Le présent accord entrera en vigueur le 1er mai 2001. Jacques Chirac Fait à Paris, le 25 avril 2001. Par le Président de la République Le Premier ministre, Le ministre des affaires étrangères, Lionel Jospin Hubert Védrine Pour le Gouvernement de la République française : Jean-Pierre Chevènement, Ministre de l'intérieur, Pour le Gouvernement Ministre de l'intérieur du Royaume du Maroc : Ahmed El Midaoui,
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Annexe 11 : Accord de réadmission UE-Ukraine 20070618 Accord entre la Communauté européenne et l’Ukraine sur la réadmission des personnes LA COMMUNAUTÉ EUROPÉENNE, ci-après dénommée "la Communauté", et L’UKRAINE, ci-après dénommées "les parties contractantes", DÉTERMINÉES à renforcer leur coopération afin de combattre plus efficacement l’immigration illégale, PRÉOCCUPÉES par l’augmentation significative de l’activité des groupes criminels organisés dans le domaine du trafic de migrants, DÉSIREUSES d’établir, au moyen du présent accord et sur une base de réciprocité, des procédures rapides et efficaces d’identification et de rapatriement en toute sécurité et en bon ordre des personnes qui ne remplissent pas, ou ne remplissent plus, les conditions d’entrée et de séjour sur le territoire de l’Ukraine ou de l’un des États membres de l’Union européenne, et de faciliter le transit de ces personnes dans un esprit de coopération, CONSIDÉRANT que, dans les cas appropriés, l’Ukraine et les États membres de l’Union européenne devraient faire tout leur possible pour renvoyer les ressortissants de pays tiers et les apatrides entrés clandestinement sur leurs territoires respectifs dans les États d’origine ou de résidence permanente de ces personnes, RECONNAISSANT la nécessité de respecter les droits de l’homme et les libertés, et soulignant que le présent accord est sans préjudice des droits et des obligations de la Communauté, des États membres de l’Union européenne et de l’Ukraine découlant de la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 et du droit international, notamment la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, la convention du 28 juillet 1951 et le protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés, le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 et les instruments internationaux sur l’extradition, RAPPELANT qu’il est de l’intérêt commun de l’Ukraine et de la Communauté de coopérer en matière de réadmission et de facilitation des déplacements réciproques, CONSIDÉRANT que les dispositions du présent accord, qui relève du titre IV du traité instituant la Communauté européenne, ne s’appliquent pas au Royaume de Danemark, conformément au protocole sur la position du Danemark annexé au traité sur l’Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne, SONT CONVENUES DE CE QUI SUIT: Article 1 Définitions Aux fins du présent accord, on entend par: a) "parties contractantes": l’Ukraine et la Communauté; b) "État membre": tout État membre de l’Union européenne, à l’exception du Royaume de Danemark et de la République d’Irlande; c) "ressortissant d’un État membre": toute personne possédant la nationalité d’un État membre, au sens de la définition communautaire; d) "ressortissant d’Ukraine": tout personne possédant la nationalité ukrainienne; e) "ressortissant d’un pays tiers": toute personne possédant une nationalité autre que la nationalité ukrainienne ou que celle de l’un des États membres; f) "apatride": toute personne dépourvue de nationalité; g) "autorisation de séjour": tout titre, de quelque type que ce soit, délivré par l’Ukraine ou l’un des États membres, donnant le droit à une personne de séjourner sur son territoire. Ne sont pas couvertes par cette définition les autorisations temporaires de rester sur le territoire qui sont accordées dans le cadre du traitement d’une demande d’asile ou d’une demande d’autorisation de séjour; h) "visa": une autorisation délivrée ou une décision prise par l’Ukraine ou l’un des États membres, nécessaire pour entrer sur le territoire ou transiter par celui-ci. Cela n’inclut pas le visa de transit aéroportuaire; i) "État requérant": l’État (l’Ukraine ou l’un des États membres) qui présente une demande de réadmission au titre de l’article 5, ou une demande de transit au titre de l’article 11 du présent accord; j) "État requis": l’État (l’Ukraine ou l’un des États membres) qui est destinataire d’une demande de réadmission au titre de l’article 5, ou d’une demande de transit au titre de l’article 11 du présent accord; k) "autorité compétente": toute autorité nationale de l’Ukraine ou de l’un des États membres chargée de la mise en œuvre du présent accord, conformément à son article 16;
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l) "région frontalière": un périmètre de 30 kilomètres par rapport à la frontière terrestre commune à un État membre et à l’Ukraine, ainsi que le territoire des ports maritimes, y compris les zones douanières, et des aéroports internationaux des États membres et de l’Ukraine. SECTION I OBLIGATIONS DE RÉADMISSION Article 2 Réadmission de ses propres ressortissants 1. L’État requis réadmet sur son territoire, à la demande de l’État requérant et sans autres formalités que celles précisées dans le présent accord, toute personne qui ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions d’entrée ou de séjour applicables sur le territoire de l’État requérant, lorsqu’il est prouvé, conformément à l’article 6 du présent accord, que cette personne est un ressortissant de l’État requis. Cette disposition s’applique également à toute personne qui, après son entrée sur le territoire de l’État requérant, a renoncé à la nationalité de l’État requis sans acquérir celle de l’État requérant. 2. L’État requis établit sans délai le document de voyage nécessaire à la personne dont la réadmission a été acceptée, pour une période de validité d’au moins six mois, et ce indépendamment de la volonté de la personne d’être réadmise. Si, pour des raisons juridiques ou factuelles, l’intéressé ne peut être transféré au cours de la période de validité du document de voyage initialement délivré, dans les quatorze jours calendaires, l’État requis prolonge la validité du document de voyage ou, le cas échéant, délivre un nouveau document de voyage ayant la même période de validité. Si, dans les quatorze jours calendaires, l’État requis n’a pas délivré le document de voyage, prolongé sa validité ou, le cas échéant, renouvelé ce document de voyage, il est réputé accepter le document arrivé à expiration. Article 3 Réadmission des ressortissants de pays tiers et des apatrides 1. L’État requis réadmet sur son territoire, à la demande de l’État requérant et sans autres formalités que celles précisées dans le présent accord, tout ressortissant de pays tiers ou apatride qui ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions d’entrée ou de séjour applicables sur le territoire de l’État requérant, lorsqu’il est prouvé, conformément à l’article 7 du présent accord, que cette personne: a) a pénétré illégalement sur le territoire des États membres en arrivant directement du territoire de l’Ukraine ou a pénétré illégalement sur le territoire de l’Ukraine en arrivant directement du territoire des États membres; b) détenait, au moment de son entrée, une autorisation de séjour en règle délivrée par l’État requis; ou c) détenait, au moment de son entrée, un visa en cours de validité délivré par l’État requis et a pénétré illégalement sur le territoire de l’État requérant en arrivant directement du territoire de l’État requis. 2. L’obligation de réadmission énoncée au paragraphe 1 ne s’applique pas dans les cas suivants: a) le ressortissant du pays tiers ou l’apatride n’a effectué qu’un transit par un aéroport international de l’État requis; ou b) l’État requérant a délivré au ressortissant du pays tiers ou à l’apatride, avant ou après son entrée sur son territoire, un visa ou une autorisation de séjour, pour autant que: i) cette personne ne soit pas en possession d’un visa ou d’une autorisation de séjour délivré(e) par l’État requis, d’une durée de validité plus longue; ou ii) le visa ou l’autorisation de séjour délivré(e) par l’État requérant n’ait pas été obtenu(e) au moyen de faux documents ou de documents falsifiés; c) le ressortissant du pays tiers ou l’apatride n’a pas besoin de visa pour entrer sur le territoire de l’État requérant. 3. En ce qui concerne les États membres, l’obligation de réadmission énoncée au paragraphe 1, points b) et/ou c), incombe à l’État membre ayant délivré le visa ou l’autorisation de séjour. Si deux États membres ou plus ont délivré un visa ou une autorisation de séjour, l’obligation de réadmission énoncée au paragraphe 1, points b) et/ou c), incombe à l’État membre ayant délivré le document assorti de la plus longue période de validité ou, si l’un ou plusieurs de ceux-ci ont déjà expiré, le document qui est toujours en cours de validité. Si tous les documents ont déjà expiré, l’obligation de réadmission énoncée au paragraphe 1, points b) et/ou c), incombe à l’État membre qui a délivré le document dont la date d’expiration est la plus récente. Si aucun document de cette nature ne peut être présenté, l’obligation de réadmission visée au paragraphe 1 incombe à l’État membre dont le territoire a été quitté en dernier lieu. 4. Lorsque l’État requis a répondu positivement à la demande de réadmission, l’État requérant délivre à la personne qui en est l’objet un document de voyage reconnu par l’État requis. Si l’État requérant est un État membre de l’Union européenne, ce document est le document de voyage de l’Union européenne établi aux fins d’éloignement, selon le
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formulaire-type prévu dans la recommandation du Conseil de l’Union européenne du 30 novembre 1994 (annexe 7). Si l’État requérant est l’Ukraine, ce document est le certificat de retour ukrainien (annexe 8). Article 4 Réadmission par erreur L’État requérant reprend en charge toute personne réadmise par l’État requis s’il est établi, dans un délai de trois mois après le transfert de l’intéressé, que les conditions définies à l’article 2 ou 3 du présent accord n’étaient pas remplies. Dans de tels cas, les règles procédurales du présent accord s’appliquent mutatis mutandis, et l’État requis communique également toutes les informations disponibles concernant l’identité et la nationalité réelles de la personne à reprendre en charge. SECTION II PROCÉDURE DE RÉADMISSION Article 5 Demande de réadmission 1. Sous réserve du paragraphe 2, tout transfert d’une personne devant être réadmise sur la base de l’une des obligations énoncées aux articles 2 et 3 suppose la présentation d’une demande de réadmission à l’autorité compétente de l’État requis. 2. Si la personne à réadmettre est en possession d’un document de voyage ou d’une carte d’identité en cours de validité et, s’il s’agit d’un ressortissant de pays tiers ou d’un apatride, d’un visa ou d’une autorisation de séjour en cours de validité délivré(e) par l’État requis, le transfert de la personne peut avoir lieu sans demande de réadmission ou communication écrite de l’État requérant à l’autorité compétente de l’État requis. 3. Sans préjudice du paragraphe 2, si une personne a été appréhendée dans la région frontalière de l’État requérant dans les quarante-huit heures suivant son franchissement illégal de la frontière nationale (ports maritimes et aéroports compris), en provenance directe du territoire de l’État requis, l’État requérant peut présenter une demande de réadmission dans les deux jours suivant l’arrestation de cette personne (procédure accélérée). 4. Cette demande comporte les informations suivantes: a) les renseignements individuels sur la personne à réadmettre (par exemple, les nom, prénoms, date et lieu de naissance, sexe et le dernier lieu de résidence); b) les moyens de preuve de la nationalité, les conditions de réadmission des ressortissants de pays tiers et des apatrides. 5. Lorsque c’est nécessaire, la demande de réadmission doit également comporter les informations suivantes: a) une déclaration indiquant que la personne à transférer peut avoir besoin d’assistance ou de soins, sous réserve que l’intéressé ait donné son consentement exprès à cette déclaration; b) toute autre mesure de protection ou de sécurité qui peut être nécessaire dans le cas d’un transfert individuel. 6. Un formulaire commun à utiliser pour les demandes de réadmission figure à l’annexe 5 du présent accord. Article 6 Moyens de preuve de la nationalité 1. La qualité de ressortissant de l’État requis visée à l’article 2, paragraphe 1, du présent accord peut être: a) prouvée par l’un des documents énumérés à l’annexe 1 du présent accord, même si sa période de validité a expiré. Si ces documents sont présentés, l’État requis reconnaît la nationalité sans autre enquête complémentaire. La preuve de la nationalité ne saurait être fournie au moyen de faux documents ou de documents falsifiés; b) établie à partir de l’un des documents énumérés à l’annexe 2 du présent accord, même si sa période de validité a expiré. Si ces documents sont présentés, l’État requis considère la nationalité comme établie, sauf à apporter la preuve contraire à la suite d’une enquête à laquelle ont participé les autorités compétentes de l’État requérant. La nationalité ne saurait être établie au moyen de faux documents ou de documents falsifiés. 2. Si aucun des documents énumérés aux annexes 1 et 2 ne peut être présenté, la représentation diplomatique compétente de l’État requis interroge la personne à réadmettre dans un délai maximal de dix jours calendaires, afin d’établir sa nationalité. Le délai commence à courir à la date de réception de la demande de réadmission. Article 7 Moyens de preuve concernant les ressortissants de pays tiers et les apatrides 1. Les conditions de réadmission des ressortissants de pays tiers et des apatrides visés à l’article 3, paragraphe 1, point a), du présent accord peuvent être:
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a) prouvées par l’un des documents énumérés à l’annexe 3A du présent accord. Si ces documents sont présentés, l’État requis reconnaît l’entrée illégale, en provenance de son territoire, sur le territoire de l’État requérant (ou des États membres, si l’État requis est l’Ukraine); b) établies à partir de l’un des documents énumérés à l’annexe 3B du présent accord. Si ces documents sont présentés, l’État requis mène une enquête et donne une réponse dans un délai maximal de vingt jours calendaires. En cas de réponse positive ou en l’absence de réponse à l’expiration du délai, l’État requis reconnaît l’entrée illégale, en provenance de son territoire, sur le territoire de l’État requérant (ou des États membres, si l’État requis est l’Ukraine). 2. Le caractère illégal de l’entrée sur le territoire de l’État requérant, visé à l’article 3, paragraphe 1, point a), du présent accord, est établi par l’absence, dans les documents de voyage de l’intéressé, du visa ou d’une autre autorisation de séjour requis pour entrer sur ce territoire. Une déclaration dûment motivée de l’État requérant selon laquelle l’intéressé a été interpellé sans avoir en sa possession les documents de voyage, le visa ou l’autorisation de séjour exigés fournit de la même façon un commencement de preuve de l’irrégularité de l’entrée, de la présence ou du séjour. 3. Les conditions de réadmission des ressortissants de pays tiers et des apatrides visés à l’article 3, paragraphe 1, points b) et c), du présent accord peuvent être: a) prouvées par l’un des documents énumérés à l’annexe 4A du présent accord. Si ces documents sont présentés, l’État requis reconnaît le séjour de l’intéressé sur son territoire sans autre enquête complémentaire. b) établies à partir de l’un des documents énumérés à l’annexe 4B du présent accord. Si ces documents sont présentés, l’État requis mène une enquête et donne une réponse dans un délai maximal de vingt jours calendaires. En cas de réponse positive, ou à défaut de preuve contraire, ou en l’absence de réponse à l’expiration du délai, l’État requis reconnaît la présence de l’intéressé sur son territoire. 4. De faux documents ou des documents falsifiés ne sauraient fournir la preuve des conditions de réadmission des ressortissants de pays tiers et des apatrides. Article 8 Délais 1. La demande de réadmission doit être présentée à l’autorité compétente de l’État requis dans un délai maximal d’un an après que l’autorité compétente de l’État requérant a eu connaissance du fait qu’un ressortissant de pays tiers ou qu’un apatride ne remplissait pas ou ne remplissait plus les conditions d’entrée, de présence ou de séjour en vigueur. Il n’y a pas d’obligation de réadmission si la demande de réadmission concernant ces personnes est présentée après l’expiration du délai prescrit. Lorsque des obstacles factuels ou juridiques s’opposent à ce que la demande soit présentée en temps voulu, le délai est prolongé, sur demande, de trente jours calendaires au maximum. 2. À l’exception des délais mentionnés à l’article 7, paragraphe 1, point b), et à l’article 7, paragraphe 3, point b), l’État requis répond sans délai à une demande de réadmission et, dans tous les cas, dans les quatorze jours calendaires suivant la date de réception de la demande. Lorsque des obstacles factuels ou juridiques s’opposent à ce qu’il soit répondu à la demande en temps voulu, le délai est prolongé, sur demande dûment motivée, jusqu’à trente jours calendaires au maximum dans tous les cas. 3. En cas de demande de réadmission présentée selon la procédure accélérée (article 5, paragraphe 3), la réponse doit être donnée dans les deux jours ouvrables suivant la date de réception de la demande. Si nécessaire, sur demande dûment motivée de l’État requis et après accord de l’État requérant, le délai de réponse à la demande peut être prolongé d’un jour ouvrable. 4. En l’absence de réponse dans les délais mentionnés aux paragraphes 2 et 3 du présent article, le transfert est réputé approuvé. 5. Les motifs du refus opposé à une demande de réadmission sont précisés à l’État requérant. 6. Lorsque l’accord a été donné ou, le cas échéant, après expiration des délais mentionnés au paragraphe 2, l’intéressé est transféré sans délai dans les conditions convenues par les autorités compétentes conformément à l’article 9, paragraphe 1, du présent accord. À la demande de l’État requérant, ce délai peut être prolongé aussi longtemps que les obstacles juridiques ou pratiques au transfert l’exigent. Article 9 Modalités de transfert et modes de transport 1. Avant le rapatriement d’une personne, les autorités compétentes de l’État requérant et de l’État requis prennent des dispositions par écrit et à l’avance en ce qui concerne la date de transfert, le point d’entrée, les escortes éventuelles et d’autres informations concernant le transfert. 2. Tous les moyens de transport, que ce soit par voie aérienne, terrestre ou maritime, sont autorisés. Le transfert par voie aérienne ne se fait pas obligatoirement par l’intermédiaire des transporteurs nationaux de l’État requérant et de l’État requis et peut s’effectuer dans le cadre de vols réguliers et de vols charter. Si une escorte est nécessaire, cette
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dernière ne se limite pas aux personnes autorisées de l’État requérant, pour autant qu’il s’agisse de personnes autorisées d’Ukraine ou de tout État membre. SECTION III OPÉRATIONS DE TRANSIT Article 10 Principes 1. Les États membres et l’Ukraine s’efforcent de limiter le transit des ressortissants de pays tiers et des apatrides aux cas dans lesquels ces personnes ne peuvent être directement rapatriées vers l’État de destination. 2. L’État requis autorise le transit de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides à condition que la poursuite de leur voyage dans d’autres États de transit éventuels et que leur réadmission par l’État de destination soient garanties. 3. Le transit des ressortissants de pays tiers ou des apatrides a lieu sous escorte si l’État requérant le demande. La procédure applicable aux opérations de transit sous escorte est fixée dans les protocoles d’application prévus à l’article 16. 4. L’État requis peut refuser le transit: a) si le ressortissant du pays tiers ou l’apatride court un risque réel d’être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants ou encore à la peine de mort, ou d’être persécuté en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social particulier ou de ses opinions politiques dans l’État de destination ou dans un autre État de transit; ou b) si le ressortissant du pays tiers ou l’apatride doit faire l’objet de poursuites ou de sanctions pénales dans l’État requis ou dans un autre État de transit; ou c) pour des raisons de santé publique, de sécurité nationale ou d’ordre public, ou en raison d’autres intérêts nationaux de l’État requis. 5. L’État requis peut révoquer une autorisation qu’il a délivrée si les circonstances visées au paragraphe 4 du présent article, qui sont de nature à empêcher l’opération de transit, se produisent ou viennent à être connues ultérieurement, ou si la poursuite du voyage dans d’éventuels États de transit ou la réadmission par l’État de destination n’est plus garantie. Article 11 Procédure de transit 1. Toute demande de transit doit être adressée par écrit à l’autorité compétente de l’État requis et contenir les informations suivantes: a) le type de transit (par voie aérienne, terrestre ou maritime), son itinéraire, les autres États de transit éventuels et l’État de destination finale; b) les renseignements individuels concernant l’intéressé (nom, prénoms, nom de jeune fille, autres noms utilisés/sous lesquels il est connu ou noms d’emprunt, date de naissance, sexe et, si possible, lieu de naissance, nationalité, langue, type et numéro du document de voyage); c) le point d’entrée envisagé, la date du transfert et le recours éventuel à des escortes; d) une déclaration précisant que, du point de vue de l’État requérant, les conditions visées à l’article 10, paragraphe 2, sont remplies et qu’aucune raison justifiant un refus en vertu de l’article 10, paragraphe 4, n’est connue. Un formulaire commun à utiliser pour les demandes de transit est joint à l’annexe 6 du présent accord. 2. Dans les dix jours calendaires suivant la réception de la demande, l’État requis informe l’État requérant par écrit de son consentement à l’opération de transit, en confirmant le point d’entrée et la date d’admission envisagée, ou l’informe du refus de transit et des raisons de ce refus. 3. Si l’opération de transit s’effectue par voie aérienne, la personne à réadmettre et les éventuelles escortes sont dispensées de l’obligation d’obtenir un visa de transit aéroportuaire. 4. Sous réserve des consultations mutuelles, les autorités compétentes de l’État requis soutiennent les opérations de transit, en particulier par une surveillance des personnes concernées et la fourniture des équipements appropriés à cet effet. SECTION IV COÛTS Article 12 Coûts de transport et de transit Tous les frais de transport engagés jusqu’à la frontière de l’État de destination finale dans le cadre des opérations de réadmission et de transit effectuées en application du présent accord sont à la charge de l’État requérant, de même
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que les frais de transport et d’entretien engagés par l’État requis pour le retour des personnes prévu à l’article 4 du présent accord. Cette disposition est sans préjudice du droit des autorités compétentes des États membres et de l’Ukraine de récupérer le montant de ces coûts auprès de la personne à réadmettre ou de tiers. SECTION V PROTECTION DES DONNÉES ET CLAUSE DE NON-INCIDENCE Article 13 Protection des données 1. La communication de données à caractère personnel n’a lieu que pour autant que cette communication soit nécessaire à la mise en œuvre du présent accord par les autorités compétentes d’Ukraine ou d’un État membre, selon le cas. Pour la communication et le traitement de données à caractère personnel dans un cas précis, les autorités compétentes d’Ukraine se conforment à la législation ukrainienne pertinente, et les autorités compétentes d’un État membre se conforment aux dispositions de la directive 95/46/CE et de la législation nationale adoptée par cet État membre en application de ladite directive. 2. En outre, les principes suivants s’appliquent: a) les données à caractère personnel doivent être traitées loyalement et licitement; b) les données à caractère personnel doivent être collectées dans le but spécifique, explicite et légitime de la mise en œuvre du présent accord et ne pas être traitées ultérieurement, par l’autorité qui les communique ou celle qui les reçoit, de manière incompatible avec cette finalité; c) les données à caractère personnel doivent être adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement; en particulier, les données à caractère personnel communiquées ne peuvent porter que sur les informations suivantes: i) les renseignements individuels concernant la personne à transférer (nom, prénoms, autres noms utilisés/sous lesquels elle est connue ou noms d’emprunt, sexe, état civil, date et lieu de naissance, nationalité actuelle et nationalité antérieure éventuelle); ii) le passeport, la carte d’identité, le permis de conduire ou d’autres pièces d’identité ou documents de voyage (numéro, période de validité, date de délivrance, autorité et lieu de délivrance); iii) les haltes et itinéraires; iv) d’autres informations nécessaires à l’identification de la personne à transférer ou à l’examen des exigences en matière de réadmission prévues dans le présent accord; d) les données à caractère personnel doivent être exactes et, le cas échéant, mises à jour; e) les données à caractère personnel doivent être conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire à la réalisation des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement; f) tant l’autorité qui communique les données que l’autorité destinataire prennent toute mesure utile pour garantir selon le cas la rectification, l’effacement ou le verrouillage des données à caractère personnel dont le traitement n’est pas conforme aux dispositions du présent article, en particulier parce que les données ne sont pas adéquates, pertinentes et exactes ou qu’elles sont excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées. Cela inclut la notification à l’autre partie contractante de toute rectification, de tout effacement ou de tout verrouillage; g) sur demande, l’autorité destinataire informe l’autorité ayant communiqué les données de l’utilisation qui en a été faite et des résultats obtenus; h) les données à caractère personnel ne peuvent être communiquées qu’aux autorités compétentes. Leur transmission ultérieure à d’autres organes nécessite le consentement préalable de l’autorité les ayant communiquées; i) l’autorité qui communique ces données et l’autorité destinataire sont tenues de procéder à un enregistrement écrit de la communication et de la réception des données à caractère personnel. Article 14 Clause de non-incidence 1. Le présent accord n’affecte pas les droits, obligations et responsabilités de la Communauté, des États membres et de l’Ukraine qui découlent du droit international et, en particulier, de toute convention internationale ou de tout accord auxquels ils sont parties, notamment ceux mentionnés dans le préambule. 2. Aucun élément du présent accord n’empêche le retour d’une personne en vertu d’autres dispositions formelles ou informelles. SECTION VI MISE EN ŒUVRE ET APPLICATION
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Article 15 Comité de réadmission mixte 1. Les parties contractantes se prêtent mutuellement assistance pour l’application et l’interprétation du présent accord. À cette fin, elles instituent un comité de réadmission mixte (ci-après dénommé "le comité") chargé: a) de suivre l’application du présent accord et d’échanger régulièrement des informations sur les protocoles d’application établis par les différents États membres et l’Ukraine en vertu de l’article 16; b) de formuler des propositions et d’émettre des recommandations aux fins de modification du présent accord; c) de décider des modalités de mise en œuvre nécessaires à son application uniforme. 2. Les décisions du comité sont contraignantes pour les parties contractantes. 3. Le comité se compose de représentants de la Communauté et de l’Ukraine. La Communauté est représentée par la Commission, assistée d’experts des États membres. 4. Le comité se réunit, si nécessaire, à la demande de l’une des parties contractantes. 5. Le comité arrête son règlement intérieur. Article 16 Protocoles d’application 1. L’Ukraine et un État membre peuvent élaborer des protocoles d’application définissant les règles relatives: a) à la désignation des autorités compétentes; b) aux points de passage frontaliers destinés au transfert des personnes; c) au dispositif de communication entre les autorités compétentes; d) aux modalités de retour dans le cadre de la procédure accélérée; e) aux conditions applicables au rapatriement sous escorte, y compris au transit sous escorte des ressortissants de pays tiers et des apatrides; f) aux autres moyens et documents nécessaires à la mise en œuvre du présent accord; g) aux modalités de récupération des coûts visés à l’article 12 du présent accord. 2. Les protocoles d’application visés au paragraphe 1 n’entreront en vigueur qu’après leur notification au comité prévu à l’article 15. 3. L’Ukraine s’engage à appliquer toute disposition relative au paragraphe 1, point d), e), f) ou g) stipulée dans un protocole d’application conclu avec un État membre également dans ses relations avec tout autre État membre, à la demande de ce dernier. Article 17 Position à l’égard des accords bilatéraux de réadmission conclus par les États membres 1. Sous réserve du paragraphe 2 du présent article, les dispositions du présent accord prévalent sur les dispositions de tout accord bilatéral ou autre instrument juridique contraignant relatif à la réadmission des personnes conclu ou susceptible d’être conclu, en application de l’article 16, entre un État membre et l’Ukraine, dans la mesure où les dispositions de ces accords ou instruments sont incompatibles avec celles du présent accord. 2. Les dispositions relatives à la réadmission des apatrides et des ressortissants de pays tiers stipulées dans les accords bilatéraux ou autres instruments juridiques contraignants conclus entre un État membre et l’Ukraine demeurent applicables pendant la période de deux ans prévue à l’article 20, paragraphe 3. SECTION VII DISPOSITIONS FINALES Article 18 Application territoriale 1. Sous réserve du paragraphe 2 du présent article, le présent accord s’applique au territoire sur lequel le traité instituant la Communauté européenne est applicable et au territoire de l’Ukraine. 2. Le présent accord ne s’applique pas au territoire du Royaume de Danemark. Article 19 Modifications de l’accord Le présent accord peut être modifié et complété d’un commun accord des parties contractantes. Les modifications et ajouts font l’objet de protocoles distincts, qui font partie intégrante du présent accord, et entrent en vigueur conformément à la procédure fixée à son article 20. Article 20 Entrée en vigueur, durée et dénonciation de l’accord 1. Le présent accord est ratifié ou approuvé par les parties contractantes conformément à leurs procédures respectives.
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2. Sous réserve du paragraphe 3 du présent article, le présent accord entre en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant la date à laquelle les parties se notifient mutuellement le terme des procédures visées au paragraphe 1. 3. Les obligations énoncées à l’article 3 du présent accord ne deviennent applicables que deux ans après la date visée au paragraphe 2 du présent article. Durant cette période de deux ans, elles ne s’appliquent qu’aux apatrides et aux ressortissants des pays tiers avec lesquels l’Ukraine a conclu des traités ou des accords bilatéraux de réadmission. Conformément à l’article 17, paragraphe 2, les dispositions relatives à la réadmission des apatrides et des ressortissants de pays tiers stipulées dans les accords bilatéraux ou autres instruments juridiques contraignants conclus entre un État membre et l’Ukraine demeurent applicables pendant cette période de deux ans. 4. Le présent accord est conclu pour une durée indéterminée. 5. Chacune des parties peut dénoncer le présent accord en notifiant officiellement son intention à l’autre partie. Le présent accord cesse d’être applicable six mois après cette notification. Article 21 Annexes Les annexes 1 à 8 font partie intégrante du présent accord. Fait à Luxembourg, le dix-huit juin deux mille sept, en deux exemplaires, en langues allemande, anglaise, bulgare, danoise, estonienne, espagnole, finnoise, française, grecque, hongroise, italienne, lettone, lituanienne, maltaise, néerlandaise, polonaise, portugaise, roumaine, slovaque, slovène, suédoise, tchèque et ukrainienne, chacun de ces textes faisant également foi. Pour la Communauté européenne Pour l’Ukraine -------------------------------------------------20070618 ANNEXE 1 LISTE COMMUNE DES DOCUMENTS RELATIFS À LA NATIONALITÉ [article 6, paragraphe 1, point a)] - passeport, quel qu’en soit le type (national, diplomatique, de service, collectif et de remplacement, y compris les passeports de mineurs), - carte d’identité nationale (y compris les cartes temporaires et provisoires), - livret et carte d’identité militaires, - livret professionnel maritime, livret de batelier et passeport maritime, - certificat de citoyenneté et autres documents officiels mentionnant ou indiquant la nationalité. -------------------------------------------------20070618 ANNEXE 2 LISTE COMMUNE DES DOCUMENTS RELATIFS À LA NATIONALITÉ [article 6, paragraphe 1, point b)] - photocopie de l’un des documents énumérés à l’annexe 1 du présent accord, - permis de conduire ou photocopie du permis, - extrait de naissance ou photocopie de ce document, - carte de service d’une entreprise ou photocopie de cette carte, - déclaration d’un témoin, - déclaration de l’intéressé et langue qu’il ou elle parle, y compris les résultats de tout test officiel effectué pour établir la nationalité de la personne. Aux fins de la présente annexe, le terme "test officiel" désigne un test demandé ou effectué par les autorités de l’État requérant et validé par l’État requis, - tout autre document susceptible de permettre d’établir la nationalité de l’intéressé. -------------------------------------------------20070618 ANNEXE 3 LISTE COMMUNE DES DOCUMENTS CONCERNANT LES RESSORTISSANTS DE PAYS TIERS ET LES APATRIDES (article 7, paragraphe 1) 20070618 ANNEXE 3A
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- déclarations officielles faites aux fins de la procédure accélérée, en particulier par des agents habilités des postesfrontières qui peuvent attester que l’intéressé a franchi la frontière directement de l’État requis vers le territoire de l’État requérant, - billets nominatifs de compagnies aériennes, ferroviaires, fluviales, maritimes ou d’autocars attestant la présence de l’intéressé sur le territoire de l’État requis ainsi que l’itinéraire qu’il a parcouru entre ce dernier et le territoire de l’État requérant (ou des États membres, si l’État requis est l’Ukraine), - listes de passagers de compagnies aériennes, ferroviaires, fluviales, maritimes ou d’autocars attestant la présence de l’intéressé sur le territoire de l’État requis ainsi que l’itinéraire qu’il a parcouru entre ce dernier et le territoire de l’État requérant (ou des États membres, si l’État requis est l’Ukraine). 20070618 ANNEXE 3B - déclarations officielles faites, en particulier, par les agents des postes-frontières de l’État requérant et d’autres témoins qui peuvent attester que l’intéressé a franchi la frontière, - documents, certificats et notes diverses (par exemple, notes d’hôtel, cartes de rappel de rendez-vous chez le médecin/dentiste, titres d’accès à des établissements publics/privés, contrats de location de voitures, reçus de cartes de crédit, etc.) montrant clairement que l’intéressé a séjourné sur le territoire de l’État requis, - informations montrant que l’intéressé a recouru aux services d’un guide ou d’un agent de voyage, - déclaration officielle faite par l’intéressé dans le cadre d’une procédure judiciaire ou administrative. -------------------------------------------------20070618 ANNEXE 4 LISTE COMMUNE DES DOCUMENTS CONCERNANT LES RESSORTISSANTS DE PAYS TIERS ET LES APATRIDES (article 7, paragraphe 2) 20070618 ANNEXE 4A - visa et/ou autorisation de séjour en cours de validité, délivré(s) par l’État requis, - cachet d’entrée/de sortie ou inscription similaire dans le document de voyage de l’intéressé ou autre preuve de l’entrée/de la sortie. 20070618 ANNEXE 4B Photocopie de l’un des documents énumérés dans la partie A.
-------------------------------------------------20070618 ANNEXE 5
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-------------------------------------------------20070618 ANNEXE 6
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-------------------------------------------------20070618 ANNEXE 7 DOCUMENT DE VOYAGE DE L’UNION EUROPÉENNE ÉTABLI À DES FINS D’ÉLOIGNEMENT (selon le formulaire-type prévu dans la recommandation du Conseil de l’Union européenne du 30 novembre 1994) -------------------------------------------------20070618 ANNEXE 8 CERTIFICAT DE RETOUR UKRAINIEN --------------------------------------------------
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Annexe 12 : Le cadre institutionnel de la prise de décision au sein du Conseil en matière de migrations (avant le Traité de Lisbonne, 2009, en ce qui concerne les divisions par piliers) Source : Schéma reproduit à partir de Wunderlich 2009, p.115.
Il existe un groupe de travail dédié aux retours forcés. Les discussions sur les politiques de négociations en matière de réadmission ont principalement lieu au sein du Groupe de haut niveau sur l’asile et les migrations (HLWG – High level working group on asylum and migration) pour la « dimension extérieure » et du Comité stratégique sur l’immigration, les frontières et l’asile (SCIFA – Strategic Committee on Immigration, Frontiers and Asylum) pour la dimension « affaires intérieures ». Le sujet combine donc les deux aspects et concerne donc à la fois le Conseil des Ministres des affaires intérieures et le Conseil des Affaires étrangères.
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Annexe 13 : Résultat des travaux du Comité stratégique sur l’immigration, les frontières et l’asile, 16 novembre 1999, 13888/99, Conseil de l’Union européenne COUNCIL OF THE EUROPEAN UNION Brussels, 7 December 1999 13888/99 LIMITE ASIM 49 OUTCOME OF PROCEEDINGS of : Strategic Committee on Immigration, Frontiers and Asylum dated : 16 November 1999. 1. The agenda as set out in telex 4893 dated 5 November 1999 was adopted with the addition of the item raised under “Other Business” (see point 5 below). 2. Eurodac 12582/99 EURODAC 19 The outcome of the Committee’s discussions on this item is set out in 13052/99. 3. Community re-admission agreements (identification of the five countries with which such agreements should be negotiated) The Committee held an exchange of views on this item on the basis of the table set out in the Annex showing the list of countries with which Member States have proposed to conclude Community readmission agreements. While all delegations agreed that the table was a useful basis for further discussion in this area, many of them felt the number of nominations in the table should not be the only factor to be taken into consideration in order to determine whether negotiations should be entered into with a given country. The following considerations were made : - a careful analysis of the appropriateness of a readmission agreement with each of the countries on the list should be undertaken, including consultations with the relevant second pillar bodies - account needed to be taken of the work already done in this area in the framework of the High Level Working Group on Asylum and Migration which had identified, in the Action Plans it had drawn up and which had been adopted by the General Affairs Council in October 1999, the need for readmission agreements to be negotiated with Morocco, Pakistan (in the Action Plan for Afghanistan) and Sri Lanka - the Common Strategy on Russia and the draft common strategy on Ukraine called already for the conclusion of readmission agreements - readmission agreements could be counterproductive in certain cases; replacing well- functioning practical cooperation with a formal set of rules would lead to delays due to the need to adhere to precisely formulated procedures - account should be taken of the specific position of Member States facing particular problems with certain of the countries on the list - a stand alone readmission agreement would prove difficult to negotiate in isolation and should be seen in a broader political context. The Committee agreed to return to this issue at a later stage on the basis of the table and of the above considerations. 4. Follow-up to the Tampere European council Informal technical working paper The Presidency drew the Committee’s attention to the informal technical working paper drawn up by the Presidency together with the Commission services and the Council Secretariat with the aim of assisting delegations and future Presidencies in their planning for the implementation of the Treaty of Amsterdam, the Vienna Action Plan and the conclusions of the Tampere European Council. The Netherlands delegation, while finding the document a useful tool for guiding future work, noted that no deadline had been assigned to some of the actions contained in the document and wondered when the Commission would be in a position to present to the Council the “Scoreboard” referred to in the Tampere European Council conclusions. The Commission representative indicated that his Institution hoped to be able to make a presentation of the Scoreboard at the December 1999 session of the Justice and Home Affairs Council. 5. Other business
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The Presidency informed the Committee that the forthcoming meeting with Turkey, already evoked during the Committee’s previous meeting, would take place in Helsinki on 26 November 1999. ANNEX
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Annexe 14 : Carte du Système intégré de surveillance extérieure (SIVE) espagnol en 2008 Source : http://geoconfluences.ens‐lyon.fr/doc/etpays/Medit/MeditDoc.htm [consultée le 13 septembre 2013]
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Annexe 15 : Loi n° 02-03 relative à l'entrée et du séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l'émigration et l'immigration irrégulières Titre Premier : De l'entrée et au séjour des étrangers au royaume du Maroc Chapitre Premier : Dispositions générales Article Premier : Sous réserve de l'effet des conventions internationales dûment publiées, l'entrée et le séjour des étrangers au Royaume du Maroc sont régis par les dispositions de la présente loi. On entend par " étrangers ", au sens de la présente loi, les personnes n'ayant pas la nationalité marocaine, n'ayant pas de nationalité connue, ou dont la nationalité n'a pas pu être déterminée. Article 2 : Sous réserve de la réciprocité, les dispositions de la présente loi ne sont pas applicables aux agents des missions diplomatiques et consulaires et à leurs membres accrédités au Maroc, ayant le statut diplomatique. Article 3 : Tout étranger débarquant ou arrivant sur le territoire marocain est tenu de se présenter aux autorités compétentes, chargées du contrôle aux postes frontières muni d'un passeport délivré par l'Etat dont il est ressortissant, ou de tout autre document en cours de validité reconnu par l'Etat marocain comme titre de voyage e cours de validité et assorti, le cas échéant, du visa exigible, délivré par l'administration. Article 4 : Le contrôle effectué à l'occasion de la vérification d'un des documents visés à l'article 3 cidessus peut, également, porter sur les moyens d'existence et les motifs de la venue au Maroc de la personne concernée et aux garanties de son rapatriement, eu égard notamment aux lois et règlements relatifs à l'immigration. L'autorité compétente, chargée du contrôle aux postes frontières, peut refuser l'entrée au territoire marocain à toute personne qui ne remplit pas ces obligations ou ne satisfait pas aux justifications prévues par les dispositions ci-dessus ou par les lois et règlements relatifs à l'immigration. L'accès au territoire marocain peut également être refusé à tout étranger dont la présence constituerait une menace pour l'ordre public ou qui fait l'objet soit d'une interdiction du territoire soit d'une expulsion. Tout étranger auquel est opposé un refus d'entrée a le droit d'avertir ou de faire avertir la personne chez laquelle il a indiqué qu'il devait se rendre, le consulat de son pays ou l'avocat de son choix. L'étranger auquel est opposé un refus d'entrée au territoire marocain peut être maintenu dans les locaux prévus au premier alinéa de l'article 34 ci-dessous. La décision prononçant le refus peut être exécutée d'office par les autorités compétentes chargées du contrôle aux postes frontières. Chapitre Il : Des titres de séjour Article 5 : Les titres de séjour sur le territoire marocain sont : - la carte d'immatriculation ; - la carte de résidence. Article 6 : L'étranger en séjour sur le territoire marocain, âgé de plus de dix-huit ans, doit être titulaire d'une carte d'immatriculation ou d'une carte de résidence. L'étranger, âgé de seize à dix-huit ans, qui déclare vouloir exercer une activité professionnelle salariée, reçoit, de plein droit, une carte d'immatriculation si l'un de ses parents est titulaire de la même carte. L'étranger peut, dans les autres cas, solliciter une carte d'immatriculation. Sous réserve des conventions internationales, les mineurs âgés de moins de dix-huit ans dont l'un des parents est titulaire d'un titre de séjour, ceux parmi ces mineurs qui remplissent les conditions prévues à l'article 17 ci-dessous, ainsi que les mineurs entrés au territoire marocain pour y suivre des études sous couvert d'un visa de séjour d'une durée supérieure à trois mois, reçoivent, sur leur demande, un document de circulation qui est délivré dans des conditions fixées par voie réglementaire. Article 7 : Les titres de séjour sont soumis, lors de leur délivrance, de leur renouvellement ou de leur duplication, aux droits de timbre prévus par la section IV de l'article 8 du chapitre III du livre II du décret
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n° 2-58-1151 du 12 joumada II 1378 (24 décembre 1958) portant codification des textes sur l'enregistrement et le timbre. Section Première : De la carte d'immatriculation Article 8 :L'étranger désireux de séjourner sur le territoire marocain est tenu de demander à l'administration, dans les conditions et selon les modalités déterminées par voie réglementaire, la délivrance d'une carte d'immatriculation renouvelable, qu'il doit détenir ou être en mesure de présenter à l'administration dans un délai de 48 heures. La carte d'immatriculation est remplacée provisoirement par le récépissé de la demande de délivrance ou de renouvellement de ladite carte. Article 9 : Sont dispensés de souscrire à une demande de carte d'immatriculation : 1) outre les agents et membres des missions diplomatiques et consulaires visés par l'article 2 ci-dessus, leurs conjoints, leurs ascendants et leurs enfants mineurs ou non mariés vivant sous leur toit : 2) les étrangers séjournant au Maroc pendant une durée maximale de 90 jours, sous couvert d'un titre régulier de voyage. Article 10 : La carte d'immatriculation emporte autorisation de séjour pour une durée de 1 à 10 ans au maximum, renouvelable pour la même période, selon les raisons invoquées par l'étranger pour justifier son séjour sur le territoire marocain à l'administration marocaine compétente. L'étranger doit déclarer aux autorités marocaines le changement de son lieu de résidence dans les délais et selon les formes fixés par voie réglementaire. Article 11 : Lorsque la carte d'immatriculation est refusée ou retirée, l'étranger intéressé doit quitter le territoire marocain dans le délai de 15 jours, à compter du jour de la notification du refus ou du retrait par l'administration. Article 12 :L'étranger doit quitter le territoire marocain à l'expiration de la durée de validité de sa carte d'immatriculation, à moins qu'il en obtienne le renouvellement ou que lui soit délivrée une carte de résidence. Article 13 : La carte d'immatriculation délivrée à l'étranger, qui apporte la preuve qu'il peut vivre de ses seules ressources et qui prend l'engagement de n'exercer au Maroc aucune activité professionnelle soumise à autorisation, porte la mention " visiteur ". La carte d'immatriculation délivrée à l'étranger qui établit qu'il suit au Maroc un enseignement ou qu'il y fait des études et qui justifie de moyens d'existence suffisants, porte la mention " étudiant". La carte d'immatriculation délivrée à l'étranger désirant exercer au Maroc une activité professionnelle soumise à autorisation et qui justifie l'avoir obtenue, porte la mention de cette activité. Article 14 : La carte d'immatriculation peut être refusée à tout étranger dont la présence au Maroc constitue une menace pour l'ordre public. Article 15 : L'octroi de la carte d'immatriculation peut être subordonné à la production par l'étranger d'un visa de séjour d'une durée supérieure à trois mois. Section Il : De la carte de Résidence Article 16 : Peut obtenir une carte dite carte de résidence, l'étranger qui justifie d'une résidence sur le territoire marocain, non interrompue, conforme aux lois et règlements en vigueur, d'au moins 4 années. La décision d'accorder ou de refuser la carte de résidence est prise en tenant compte notamment des moyens d'existence dont l'étranger dispose, parmi lesquels les conditions de son activité professionnelle et, le cas échéant, des faits qu'il peut invoquer à l'appui de son intention de s'établir durablement sur le territoire marocain. La carte de résidence peut être refusée à tout étranger dont la présence sur le territoire marocain constitue une menace pour l'ordre public. Article 17 : Sous réserve de la régularité du séjour et de celle de l'entrée au territoire marocain, et sauf dérogation, la carte de résidence est délivrée : 1 - au conjoint étranger d'un ressortissant de nationalité marocaine ; 2 - à l'enfant étranger, d'une mère marocaine, et à l'enfant apatride d'une mère marocaine, qui ne bénéficie pas des dispositions de l'article 7 (1°) du dahir n° 1-58- 250 du 21 safar 1378 (6 septembre 1958) portant code de la nationalité marocaine si cet enfant a atteint l'âge de majorité civile, ou s'il est à la charge de sa
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mère, ainsi qu'aux ascendants étrangers d'un ressortissant marocain et de son conjoint, qui sont à sa charge ; 3 - à l'étranger, qui est père ou mère d'un enfant résident et né au Maroc, et qui a acquis la nationalité marocaine par le bienfait de la loi, dans les deux ans précédant sa majorité, en application des dispositions de l'article 9 du dahir n° 1-58-250 du 21 safar 1378 (6 septembre 1958) précité, à la condition qu'il exerce la représentation légale de l'enfant, le droit de garde ou qu'il subvienne effectivement aux besoins de cet enfant ; 4 - au conjoint et aux enfants mineurs d'un étranger titulaire de la carte de résidence. Toutefois, à leur majorité civile, les enfants peuvent solliciter individuellement une carte de résidence conformément aux conditions requises ; 5 -à l'étranger qui a obtenu le statut de réfugié en application du décret du 2 safar 1377 (29 août 1957), fixant les modalités d'application de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, ainsi qu'à son conjoint et à ses enfants mineurs ou dans l'année qui suit leur majorité civile ; 6- à l'étranger qui justifie par tous moyens avoir sa résidence habituelle au Maroc depuis plus de quinze ans ou depuis qu'il a atteint, au plus, l'âge de dix ans ou qu'il est en situation régulière depuis plus de dix ans. Toutefois, la carte de résidence ne peut être délivrée dans les cas ci-dessus mentionnés, si la présence de l'étranger au Maroc constitue une menace pour l'ordre public. Article 18 : L'étranger doit déclarer aux autorités marocaines le changement de son lieu de résidence dans les délais et selon les formes fixés par voie réglementaire. La carte de résidence d'un étranger, qui aura quitté le territoire marocain pendant une période de plus de deux ans est considérée périmée. Section III : Du refus de délivrance ou de renouvellement d'un litre de séjour Article 19 : La délivrance d'un titre de séjour est refusée à l'étranger, qui ne remplit pas les conditions auxquelles les dispositions de la présente loi subordonnent la délivrance des titres de séjour ou qui, sollicitant la délivrance d'une carte d'immatriculation au titre de l'exercice d'une activité professionnelle, n'est pas autorisé à exercer celle-ci. Le titre de séjour peut être retiré si : - l'étranger ne fournit pas les documents et justifications prévus par voie réglementaire ; - le détenteur du titre fait l'objet d'une mesure d'expulsion ou d'une décision judiciaire d'interdiction du territoire marocain. Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, l'intéressé doit quitter le territoire marocain. Article 20 :L'étranger dont la demande d'obtention ou de renouvellement d'un titre de séjour a été refusée ou qui s'est vu retirer, ce titre peut formuler un recours devant le président du tribunal administratif en sa qualité de juge des référés dans le délai de quinze (15) jours suivant la date de notification de la décision du refus ou du retrait. Le recours mentionné au premier alinéa ci-dessus n'empêche pas la prise d'une décision de reconduite à la frontière ou d'expulsion conformément aux chapitres III, IV et V du Titre Premier de la présente loi. Chapitre III : De la Reconduite à la Frontière Article 21 : La reconduite à la frontière peut être ordonnée par l'administration, par décision motivée, dans les cas suivants : 1 - si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire marocain, à moins que sa situation n'ait été régularisée postérieurement à son entrée ; 2 - si l'étranger s'est maintenu sur le territoire marocain au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée au territoire marocain, sans être titulaire d'une carte d'immatriculation régulièrement délivrée ; 3 - si l'étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou a été retiré, s'est maintenu sur le territoire marocain au-delà du délai de 15 jours, à compter de la date de notification
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du refus ou du retrait ; 4 - si l'étranger n'a pas demandé le renouvellement de son titre de séjour et s'est maintenu sur le territoire marocain au-delà du délai de 15 jours, suivant l'expiration du titre du séjour ; 5 - si l'étranger a fait l'objet d'une condamnation par jugement définitif pour contrefaçon, falsification, établissement. sous un autre nom que le sien ou défaut de titre de séjour ; 6 - si le récépissé de la demande de carte d'immatriculation qui avait été délivré à l'étranger lui a été retiré ; 7 - si l'étranger a fait l'objet d'un retrait de sa carte d'immatriculation ou de résidence, ou d'un refus de délivrance ou de renouvellement de l'une de ces deux cartes, dans les cas où ce retrait ou ce refus ont été prononcés, en application des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, en raison d'une menace à l'ordre public. Article 22 : La décision de reconduite à la frontière peut, en raison de la gravité du comportement l'ayant motivé, et en tenant compte de la situation personnelle de l'intéressé, être accompagnée d'une décision d'interdiction du territoire, d'une durée maximale d'un an, à compter de l'exécution de la reconduite à la frontière. La décision prononçant l'interdiction du territoire marocain constitue une décision distincte de celle de reconduite à la frontière. Elle est motivée et ne peut intervenir qu'après que l'intéressé ait présenté ses observations. Elle comporte de plein droit reconduite à la frontière de l'étranger concerné. Article 23 : L'étranger, qui fait l'objet d'une décision de reconduite à la frontière, peut, dans les quarantehuit heures suivant la notification, demander l'annulation de cette décision au président du tribunal administratif, en sa qualité de juge des référés. Le président ou son délégué statue dans un délai de 4 jours francs à compter de la saisine. Il peut se transporter au siège de l'instance judiciaire la plus proche du lieu où se trouve l'étranger, si celui-ci est retenu en application de l'article 34 de la présente loi. L'étranger peut demander au président du tribunal administratif ou à son délégué le concours d'un interprète et la communication du dossier, contenant les pièces sur la base desquelles la décision attaquée a été prise. L'audience est publique ; elle se déroule en présence de l'intéressé, sauf si celui-ci, dûment convoqué, ne se présente pas à l'audience. L'étranger est assisté de son avocat s'il en a un. Il peut demander au président ou à son délégué la désignation d'office d'un avocat. Article 24 : Les dispositions de l'article 34 de la présente loi peuvent être appliquées dès l'intervention de la décision de reconduite à la frontière. Cette décision ne peut être exécutée avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures suivant sa notification ou, si le président du tribunal administratif est saisi, avant qu'il n'ait statué. Si la décision de reconduite à la frontière est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues à l'article 34 ci-dessous, et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce qu'une décision relative à sa situation soit de nouveau prononcée par l'administration. Le jugement du président du tribunal administratif est susceptible d'appel devant la chambre administrative de la Cour suprême dans un délai d'un mois à compter de la date de notification. Cet appel n'est pas suspensif. Dès notification de la décision de reconduite à la frontière, l'étranger est immédiatement mis en mesure d'avertir un avocat, le consulat de son pays ou une personne de son choix. Chapitre IV : De l'expulsion Article 25 :L'expulsion peut être prononcée par l'administration si la présence d'un étranger sur le territoire marocain constitue une menace grave pour l'ordre public sous réserve des dispositions de l'article 26 cidessous. La décision d'expulsion peut à tout moment être abrogée ou rapportée. Article 26 : Ne peuvent faire l'objet d'une décision d'expulsion : 1 - l'étranger qui justifie par tous moyens qu'il réside au Maroc habituellement depuis qu'il a atteint au plus l'âge de six ans ; 2 - l'étranger qui justifie par tous moyens qu'il réside au Maroc habituellement depuis plus de quinze ans ; 3 - l'étranger qui réside régulièrement sur le territoire marocain depuis dix ans, sauf s'il a été étudiant
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pendant toute cette période ; 4 - l'étranger, marié depuis au moins un an, avec un conjoint marocain ; 5 - l'étranger qui est père ou mère d'un enfant résidant au Maroc, qui a acquis la nationalité marocaine par le bienfait de la loi, en application des dispositions de l'article 9 du dahir n° 1 -58-250 du 21 safar 1378 (6 septembre 1958) précité, à condition qu'il exerce effectivement la tutelle légale à l'égard de cet enfant et qu'il subvienne à ses besoins ; 6 - l'étranger résidant régulièrement au Maroc sous couvert de l'un des titres de séjour prévus par la présente loi ou les conventions internationales, qui n'a pas été condamné définitivement à une peine au moins égale à un an d'emprisonnement sans sursis ; 7 - la femme étrangère enceinte ; 8 - l'étranger mineur. Aucune durée n'est exigée pour l'expulsion si la condamnation a pour objet une infraction relative à une entreprise en relation avec le terrorisme, aux moeurs ou aux stupéfiants. Article 27 : Lorsque l'expulsion constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou pour la sécurité publique, elle peut être prononcée par dérogation à l'article 26 de la présente loi. Chapitre V : Dispositions communes à la reconduite à la frontière et à l'expulsion Article 28 : La décision prononçant l'expulsion d'un étranger peut être exécutée d'office par l'administration. Il en est de même de la décision de reconduite à la frontière, qui n'a pas été contestée devant le président du tribunal administratif ou son délégué en sa qualité de juge des référés, dans le délai prévu à l'article23 de la présente loi, ou qui n'a pas fait l'objet d'une annulation en première instance ou en appel, dans les conditions fixées au même article. Article 29 : L'étranger qui fait l'objet d'une décision d'expulsion ou qui doit être reconduit à la frontière, est éloigné : a) à destination du pays dont il a la nationalité, sauf si le statut de réfugié lui a été reconnu ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; b) à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; c) à destination d'un autre pays, dans lequel il est légalement admissible. Aucune femme étrangère enceinte et aucun mineur étranger ne peuvent être éloignés. De même, aucun étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements inhumains, cruels ou dégradants. Article 30 : La décision fixant le pays de renvoi constitue une décision distincte de la mesure d'éloignement elle-même. Le recours contre cette décision n'a pas d'effet suspensif dans les conditions prévues à l'article 24 si l'intéressé n'a pas formé le recours prévu à l'article 28 ci-dessus contre la décision d'expulsion ou de reconduite prononcée à son encontre. Article 31 : L'étranger qui fait l'objet d'une décision d'expulsion ou qui doit être reconduit à la frontière et qui justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire marocain en établissant qu'il ne peut regagner son pays d'origine ou se rendre dans un autre pays, pour les raisons indiquées au dernier alinéa de l'article 29, peut, par dérogation à l'article 34 ci-dessous, être astreint à résider dans les lieux qui lui sont fixés par l'administration. Il doit se présenter périodiquement aux services de police ou à ceux de la gendarmerie royale. La même mesure peut, en cas de nécessité urgente, être appliquée aux étrangers qui font l'objet d'une proposition d'expulsion émanant de l'administration. Dans ce cas, la mesure ne peut excéder un mois. La décision est prise, en cas d'expulsion, par l'administration. Article 32 : Il ne peut être fait droit à une demande de relèvement d'une interdiction du territoire ou d'abrogation d'une décision d'expulsion ou de reconduite à la frontière, présentée après l'expiration du délai de recours administratif, que si le ressortissant étranger réside hors du Maroc. Toutefois, cette disposition ne s'applique pas pendant la période où le ressortissant étranger subit au Maroc une peine privative de liberté ou fait l'objet d'une décision d'assignation à résidence prise en application de l'article 31.
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Article 33 : L'étranger qui a fait l'objet d'une mesure administrative de reconduite à la frontière et qui saisit le président du tribunal administratif, en sa qualité de juge des référés, peut assortir son recours d'une demande de sursis à exécution. Chapitre VI : Dispositions diverses Article 34 : Peut être maintenu, s'il y a nécessité absolue, par décision écrite et motivée de l'administration, dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pendant le temps strictement nécessaire à son départ, l'étranger qui : 1 - n'est pas en mesure de déférer immédiatement à la décision lui refusant l'autorisation d'entrer sur le territoire marocain ; 2 - faisant l'objet d'une décision d'expulsion, ne peut quitter immédiatement le territoire marocain; 3 - devant être reconduit à la frontière et qui ne peut quitter immédiatement le territoire marocain. L'étranger est immédiatement informé de ses droits, par l'intermédiaire d'un interprète, le cas échéant. Le procureur du Roi est immédiatement informé. Les sièges des locaux visés au présent article et les modalités de leur fonctionnement et de leur organisation sont fixés par voie réglementaire. Article 35 : Quand un délai de vingt-quatre heures s'est écoulé depuis la décision de maintien de l'étranger, le président du tribunal de première instance ou son délégué est saisi en sa qualité de juge des référés par l'autorité compétente. Il lui appartient de statuer par ordonnance, en présence du représentant du ministère public, après audition du représentant de l'administration, si celui-ci dûment convoqué est présent, de l'intéressé en présence de son avocat, s'il en a un, ou ledit avocat dûment averti, sur une on plusieurs des mesures de surveillance et de contrôle nécessaires au départ de l'intéressé. Les mesures visées sont : 1 - la prolongation du maintien dans les locaux visés au premier alinéa de l'article 34 ci-dessus ; 2 - l'assignation à résidence après remise aux services de police ou de la gendarmerie royale du passeport et de tous documents justificatifs de l'identité. Un récépissé valant justification de l'identité et sur lequel est portée la mention de la mesure d'éloignement en instance d'exécution, est délivré à l'intéressé. L'ordonnance de prolongation du maintien court à compter de l'expiration du délai de vingt-quatre heures, fixé au premier alinéa ci-dessus. L'application de ces mesures prend fin au plus tard à l'expiration d'un délai de 15 jours à compter de l'ordonnance mentionnée ci-dessus. Ce délai peut être prorogé d'une durée maximale de dix jours par ordonnance du président du tribunal de première instance ou du magistrat délégué, en sa qualité de juge des référés, et dans les formes indiquées ci-dessus, en cas d'urgence absolue ou de menaces d'une particulière gravité pour l'ordre public. Il peut l'être aussi lorsque l'étranger n'a pas présenté à l'autorité administrative compétente le document de voyage permettant l'exécution des mesures prévues aux 1er et 2e alinéas du présent article et que des éléments de fait montrent que ce délai supplémentaire est de nature à permettre l'obtention de ce document. Lesdites ordonnances sont susceptibles d'appel devant le premier président de la cour d'appel ou son délégué, qui est saisi sans formes et doit statuer, le délai courant à compter de sa saisine, dans les quarante-huit heures. Outre l'intéressé et le ministère public, le droit d'appel appartient au wali et au gouverneur. Ce recours n'est pas suspensif. Il est tenu, dans tous les locaux recevant des personnes maintenues au titre de l'article 34 et du présent article, un registre mentionnant l'état civil de ces personnes ainsi que les conditions de leur maintien. Ils font l'objet de toutes mesures et opérations permettant leur identification. Article 36 : Pendant toute la durée du maintien de l'étranger, le procureur du Roi est tenu de se transporter sur les lieux, vérifier les conditions du maintien et se faire communiquer le registre prévu au dernier alinéa de l'article 35 ci-dessus. Pendant cette même période, l'intéressé peut demander l'assistance d'un interprète, d'un médecin ou d'un avocat et peut, s'il le désire, communiquer avec le consulat de son pays ou avec une personne de son choix ; il en est informé au moment de la notification de la décision de maintien. Mention en est faite sur le registre, prévu ci -dessus, émargé par l'intéressé.
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Article 37 : Lorsque l'entrée au territoire marocain par voie aérienne ou maritime est refusée à un étranger, l'entreprise de transport qui l'a acheminé est tenue de ramener cet étranger, sans délai, à la requête des autorités compétentes chargées du contrôle aux postes frontières, au point où il a commencé à utiliser le moyen de transport de cette entreprise ou, en cas d'impossibilité, dans le pays qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou en tout autre lieu où il peut être admis. Les dispositions de l'alinéa précédent sont applicables lorsque l'entrée au territoire marocain est refusée à un étranger en transit : 1 - si l'entreprise de transport qui devait l'acheminer dans le pays de destination ultérieure refuse de l'embarquer ; 2 -si les autorités du pays de destination lui ont refusé l'entrée et l'ont renvoyé au Maroc. Lorsqu'un refus d'entrée a été prononcé pour défaut de l'un des documents visés à l'article 3 ci-dessus, et à compter de la prise de la décision, les frais de séjour de l'étranger, pendant le délai nécessaire à son réacheminement, ainsi que les frais de réacheminement, incombent à l'entreprise de transport qui l'a débarqué au Maroc. Article 38 : L'étranger qui arrive au territoire marocain, par voie maritime ou aérienne, et qui n'est pas autorisé à y entrer, ou demande son admission au titre de l'asile, peut être maintenu dans la zone d'attente du port ou de l'aéroport pendant le temps strictement nécessaire à son départ ou à l'examen tendant à déterminer si sa demande n'est pas manifestement infondée. La zone d'attente est délimitée par l'administration. Elle s'étend des points d'embarquement et de débarquement à ceux où sont effectués les contrôles de personnes. Elle peut inclure, sur l'emprise du port ou de l'aéroport, un ou plusieurs lieux d'hébergement assurant aux étrangers concernés les prestations nécessaires. Le maintien en zone d'attente est prononcé pour une durée qui ne peut excéder quarante-huit heures par une décision écrite et motivée de l'administration. Cette décision est inscrite sur un registre mentionnant l'état civil de l'intéressé ainsi que la date et l'heure de la notification de la décision de maintien. Elle est portée, sans délai, à la connaissance du procureur du Roi. Elle peut être renouvelée dans les mêmes conditions et pour la même durée. L'étranger est libre de quitter à tout moment la zone d'attente pour toute destination située hors du territoire marocain. Il peut demander l'assistance d'un interprète et d'un médecin et communiquer avec un avocat ou toute personne de son choix. Le maintien de l'étranger en zone d'attente au-delà de quatre jours, à compter de la décision initiale, peut être autorisé par le président du tribunal de première instance ou un magistrat du siège délégué par lui, en sa qualité de juge des référés pour une durée qui ne peut être supérieure à huit jours. L'autorité administrative expose dans sa saisine les raisons pour lesquelles l'étranger n'a pu être rapatrié ou, s'il a demandé l'asile, il n'a pu être admis et le délai nécessaire pour assurer son départ de la zone d'attente. Le président du tribunal ou son délégué statue après audition de l'intéressé, en présence de son avocat s'il en a un, ou celui-ci dûment averti. L'étranger peut également demander au président ou à son délégué le concours d'un interprète et la communication de son dossier. L'ordonnance rendue par le président ou son délégué est susceptible d'appel sans formes devant le premier président de la Cour d'appel ou son délégué. Celui-ci doit statuer sur l'appel dans les quarante-huit heures, de sa saisine. Le droit d'appel appartient à l'intéressé, au ministère public et au représentant de l'autorité administrative locale. L'appel n'est pas suspensif. A titre exceptionnel, le maintien en zone d'attente audelà de douze jours peut être renouvelé, dans les conditions prévues au 5e alinéa du présent article, par le président du tribunal de première instance ou son délégué, pour une durée qu'il détermine et qui ne peut être supérieure à huit jours. Pendant toute la durée du maintien en zone d'attente, l'étranger dispose des droits qui lui sont reconnus au présent article. Le procureur du Roi ainsi que le président du tribunal de première instance ou son délégué, peuvent se rendre sur place pour vérifier les conditions de ce maintien et se faire communiquer le registre mentionné au 3e alinéa du présent article. Si le maintien en zone d'attente n'est pas prolongé au terme du délai fixé par la dernière décision de maintien, l'étranger est autorisé à entrer sur le territoire marocain sous couvert d'un visa de régularisation de huit jours. Il devra avoir quitté le territoire marocain à l'expiration de ce délai, sauf s'il obtient une autorisation provisoire de séjour ou un récépissé de demande de la carte d'immatriculation.
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Les dispositions du présent article s'appliquent également à l'étranger qui se trouve en transit dans un port ou un aéroport si l'entreprise de transport qui devait l'acheminer dans le pays de destination ultérieure refuse de l'embarquer ou si les autorités du pays de destination lui ont refusé l'entrée et l'on renvoyé au Maroc. Toutefois l'étranger résidant au Maroc, quelle que soit la nature de son titre de séjour, peut être obligé par décision de l'administration, de déclarer à l'autorité administrative son intention de quitter le territoire marocain et de fournir à ladite autorité ce qui justifie son respect de cette obligation. Article 39 : Tout étranger résident au Maroc, quelle que soit la nature de son titre de séjour, peut quitter librement le territoire national à l'exception de l'étranger à l'encontre duquel est prononcée une décision administrative l'obligeant à déclarer à l'autorité administrative son intention de quitter le territoire marocain. Chapitre VII : Circulation des étrangers Article 40 : L'étranger doit être en mesure de présenter à toute réquisition des agents de l'autorité et des services chargés du contrôle, les pièces et documents sous le couvert desquels il est autorisé à séjourner sur le territoire marocain. Lorsqu'un étranger est autorisé à séjourner au Maroc, sous couvert d'un titre de voyage revêtu d'un visa requis pour les séjours n'excédant pas trois mois, ce visa peut être annulé si l'étranger exerce au Maroc une activité lucrative, sans avoir été régulièrement autorisé, ou s'il existe des indices concordants permettant de présumer que l'intéressé est venu au Maroc pour s'y établir, ou si son comportement trouble l'ordre public. Article 41 : Sous réserve des dispositions de l'article 40 ci-dessus, les étrangers séjournent et circulent sur l'ensemble du territoire marocain. Toutefois, lorsqu'un étranger non titulaire de la carte de résidence doit, en raison de son attitude ou de ses antécédents, être soumis à une surveillance spéciale, l'administration peut lui interdire de résider dans une ou plusieurs provinces ou préfectures ou lui indiquer, à l'intérieur de ces dernières, une ou plusieurs circonscriptions de son choix. Mention de la décision est portée sur le titre de séjour de l'intéressé. Les étrangers visés à l'alinéa précédent ne peuvent se déplacer en dehors de la zone de validité de leur titre de séjour sans être munis d'un sauf-conduit délivré par les services de police ou, à défaut, ceux de la gendarmerie royale. Chapitre VII : Dispositions pénales Article 42 : Est puni d'une amende de 2.000 à 20.000 dirhams et d'un emprisonnement de un mois à six mois, ou de l'une de ces deux peines seulement, tout étranger pénétrant ou tentant de pénétrer sur le territoire marocain, en violation des dispositions de l'article3 de la présente loi, ou qui s'est maintenu sur le territoire marocain au-delà de la durée autorisée par son visa, sauf cas de force majeure ou excuses reconnues valables. En cas de récidive, la peine est portée au double. L'autorité administrative peut, toutefois, eu égard aux impératifs découlant de la sécurité et de l'ordre public, expulser l'étranger vers le pays dont il est ressortissant ou vers un autre pays, selon le souhait formulé par l'intéressé. Article 43 : Est puni d'une amende de 5.000 à 30.000 dirhams et d'un emprisonnement de un mois à un an, ou l'une de ces deux peines seulement, tout étranger qui réside au Maroc sans être titulaire de la carte d'immatriculation ou de la carte de résidence prévues par la présente loi. En cas de récidive, la peine est portée au double. Article 44 : Est puni d'une amende de 3.000 à 10.000 dirhams et d'un emprisonnement de un mois à six mois, ou de l'une de ces deux peines seulement, tout étranger dont la carte d'immatriculation ou la carte de résidence est arrivée à expiration et qui ne formule pas, dans les délais prescrits par la loi, une demande de renouvellement, sauf cas de force majeure ou d'excuses reconnues valables. En cas de récidive, la peine est portée au double. Article 45 : Est puni d'un emprisonnement de six mois à deux ans tout étranger qui se sera soustrait ou qui aura tenté de se soustraire à l'exécution d'une décision d'expulsion ou d'une mesure de reconduite à la
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frontière ou qui, expulsé ou ayant fait l'objet d'une interdiction du territoire marocain, aura pénétré de nouveau sans autorisation sur ce territoire. En cas de récidive, la peine est portée au double. Le tribunal peut, en outre, prononcer à l'encontre du condamné l'interdiction du territoire marocain pour une durée de deux à dix ans. L'interdiction du territoire marocain emporte de plein droit reconduite à la frontière à l'expiration de la peine d'emprisonnement du condamné. Article 46 : Est puni d'une amende de 3.000 à 10.000 dirhams et d'un emprisonnement de trois mois à un an, ou de l'une de ces deux peines seulement l'étranger, qui n'a pas rejoint dans les délais prescrits la résidence qui lui est assignée en vertu des dispositions de l'article31 ou qui, ultérieurement, a quitté cette résidence sans autorisation. Article 47 : Est puni d'une amende de 1.000 à 3.000 dirhams, l'étranger qui n'a pas déclaré le changement de son lieu de résidence, conformément au 2e alinéa de l'article 10 et au 1er alinéa de l'article 18 ci-dessus. Est puni d'une amende de 3.000 à 10.000 dirhams et d'un emprisonnement de trois mois à un an, ou de l'une de ces deux peines seulement l'étranger, qui a établi son domicile ou qui séjourne dans une circonscription territoriale en infraction aux dispositions de l'article 41. Article 48 :Est puni d'une amende de 5.000 à 10.000 dirhams par passager, le transporteur ou l'entreprise de transport, qui débarque sur le territoire marocain, en provenance d'un autre pays, un étranger démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité. L'infraction est constatée par un procès-verbal établi par un officier de police judiciaire. Copie du procèsverbal est remise au transporteur ou à l'entreprise de transport intéressée. Le transporteur ou l'entreprise de transport a accès au dossier. Il est mis à même de présenter ses observations écrites dans un délai d'un mois. L'amende prévue au présent article n'est pas infligée lorsque : 1 - l'étranger qui demande l'asile a été admis sur le territoire marocain ou lorsque la demande d'asile n'était pas manifestement infondée ; 2 - le transporteur ou l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés, au moment de l'embarquement, ou que les documents présentés ne comportent pas un élément d'irrégularité manifeste ; 3 - le transporteur ou l'entreprise n'a pu procéder, au moment de l'embarquement, à la vérification du document de voyage et, le cas échéant, du visa des passagers empruntant ses services, à condition d'avoir justifié d'un contrôle à l'entrée sur le territoire marocain. Article 49 : Toute personne condamnée est dans le cas de récidive si elle a commis l'un des actes mentionnés aux articles 42 à 48 ci-dessus durant les cinq ans qui suivent la date d'un jugement ayant acquis la force de la chose Jugée prononcé à son encontre pour des actes similaires. Titre II : Dispositions Pénales Relatives à L'émigration et L'immigration Irrégulières Article 50 : Est punie d'une amende de 3000 à 10.000 dirhams et d'un emprisonnement de un mois à six mois, ou de l'une de ces deux peines seulement, sans préjudice des dispositions du code pénal applicables en la matière, toute personne qui quitte le territoire marocain d'une façon clandestine, en utilisant, au moment de traverser l'un des postes frontières terrestres, maritimes ou aériens, un moyen frauduleux pour se soustraire à la présentation des pièces officielles nécessaires ou à l'accomplissement des formalités prescrites par la loi et les règlements en vigueur, ou en utilisant des pièces falsifiées ou par usurpation de nom, ainsi que toute personne qui s'introduit dans le territoire marocain ou le quitte par des issues ou des lieux autres que les postes frontières créés à cet effet. Article 51 : Est puni d'un emprisonnement de deux ans à cinq ans et d'une amende de 50.000 à 500.000 dirhams toute personne, qui prête son concours ou son assistance pour l'accomplissement des faits visés ci-dessus, si elle exerce un commandement des forces publiques ou en fait partie, ou qu'elle est chargée d'une mission de contrôle, ou si cette personne est l'un des responsables ou des agent ou employés dans les transports terrestres, maritimes ou aériens, ou dans tout autre moyen de transport, quel que soit le but de
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l'utilisation de ce moyen de transport. Article 52 : Est puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans et d'une amende de 50.000 à 500.000 dirhams, quiconque organise ou facilite l'entrée ou la sortie des nationaux ou des étrangers de manière clandestine du territoire marocain, par l'un des moyens visées aux deux articles précédents, notamment en effectuant leur transport, à titre gratuit ou onéreux. Le coupable est puni de la réclusion de dix ans à quinze ans et d'une amende de 500.000 à 1.000.000 de dirhams lorsque les faits prévus au premier alinéa du présent article sont commis de manière habituelle. Sont punis des mêmes peines les membres de toute association ou entente, formée ou établie dans le but de préparer ou de commettre les faits susvisés. Les dirigeants de l'association ou de l'entente, ainsi que ceux qui y ont exercé ou qui y exercent un commandement quelconque, sont punis des peines prévues par le deuxième alinéa de l'article 294 du code pénal. S'il résulte du transport des personnes dont l'entrée ou la sortie clandestine du territoire marocain est organisée, une incapacité permanente, la peine prévue au premier alinéa ci-dessus est la réclusion de quinze à vingt ans. La peine est la réclusion perpétuelle, lorsqu'il en est résulté la mort. Article 53 : En cas de condamnation pour l'une des infractions prévues au présent titre, la juridiction doit ordonner la confiscation des moyens de transport utilisés pour commettre l'infraction, qu'ils soient utilisés pour le transport privé, public ou à la location, à condition que ces moyens de transport soient la propriété des auteurs de l'infraction, de leurs complices ou des membres de l'association de malfaiteurs, même ceux qui n'ont pas participé à l'infraction, ou la propriété d'un tiers, qui savait qu'ils ont été utilisés ou seront utilisés pour commettre l'infraction. Article 54 : La personne morale reconnue coupable de l'une des infractions prévues au présent titre est punie d'une amende de 10.000 à 1.000.000 de dirhams. En outre, la personne morale est condamnée à la confiscation prévue à l'article 53 ci-dessus. Article 55 : La juridiction peut ordonner la publication d'extraits de sa décision de condamnation dans trois journaux, expressément désignés par cette juridiction. Elle peut également ordonner l'affichage de cette décision à l'extérieur des bureaux de la personne condamnée ou des locaux occupés par elle, aux frais de celle-ci. Article 56 : Les juridictions du Royaume sont compétentes pour statuer sur toute infraction prévue par le présent titre, même lorsque l'infraction ou certains éléments constitutifs de cette infraction ont été commis à l'étranger. La compétence des juridictions du Royaume s'étend à tous les actes de participation ou de recel même si ces actes ont été commis en dehors du territoire marocain par des étrangers. Titre III : Dispositions transitoires Article 57 : Les personnes titulaires d'un titre de séjour doivent en demander le renouvellement dans un délai de 6 mois à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi. Les personnes qui séjournent au Maroc, en violation des dispositions de la présente loi, doivent demander la régularisation de leur situation dans un délai de deux mois à partir de la date de son entrée en vigueur. Passée cette date, les peines prévues ci-dessus leur seront applicables. Article 58 : La présente loi, entre en vigueur à compter de la date de sa publication au Bulletin officiel. Elle abroge toutes les dispositions relatives aux mêmes objets, notamment celles du : - Dahir du 7 chaabane 1353 (15 novembre 1934) réglementant l'immigration en zone française du Maroc ; - Dahir du 21 kaada 1358 (2 janvier 1940) réglementant le séjour de certaines personnes ; -Dahir du 19 rabii Il 1360 (16 mai 1941) relatif aux autorisations de séjour ; - Dahir du 1er kaada 1366 (17 septembre 1947) relatif aux mesures de contrôle établies dans l'intérêt de la sécurité publique ; - Dahir du 16 moharrem 1369 (8 novembre 1949) portant réglementation de l'émigration des travailleurs marocains. __________ Le texte en langue arabe a été publié dans l'édition générale du " Bulletin officiel " n° 5160 du 18 ramadan 1424 (13 novembre 2003).
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Annexe 16 : Commission européenne. Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen. Priorités en vue de relever les défis liés aux migrations : Première étape du processus de suivi de Hampton Court. COM (2005)621 final, Bruxelles, 30 novembre 2005
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Annexe 17 : Carte des pays dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa Schengen et des consulats des États membres dans les pays tiers, 2012 (Atlas des migrants)
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Annexe 18 : Présentation powerpoint de l’ANAPEC au Global forum on migration and development, 12-13 juin 2012 (extraits – p. 1-7 ; 15-18 ; 21 ; 23)
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Annexe 19 : Carte des officiers de liaison européens (Belgique, France et RoyaumeUni) dans le monde
Annexe 20 : Statistiques de délivrance des laissezpasser consulaires par le Maroc à la France pour 2011, par consulat. Source : Statistiques transmises par courriel le 16 mai 2013 à la suite de l’entretien n°69, Entretien téléphonique, Direction de l’immigration, Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration, Ministère de l'Intérieur, 7 mai 2013.
16‐ CHARENTE
2B‐ HAUTE CORSE
21‐ COTE D'OR 25‐ DOUBS 52‐ HAUTE MARNE 58‐ NIEVRE 89‐ YONNE
10‐ AUBE
Dpt
2 0 4
3
0
4
4
0
0 0 1
1 0 0
0
Ddes avec doc
1 5 8
2
4
41
40
1
2 2 14
1 5 1
3
Ddes sans doc
3 5 12
5
4
45
44
1
2 2 15
2 5 1
3
Total des demandes
2 0 8
4
1
12
12
0
0 1 3
1 0 1
0
Délivrance de LPC dans délai
0 1 1
0
0
0
0
0
0 0 0
0 0 0
0
Délivrance de LPC hors délai
1 3 2
0
0
32
31
1
0 0 2
0 2 0
0
Refus de LPC
0 1 1
1
3
1
1
0
2 1 10
1 3 0
En attente ou sans réponse 3
66,67 0 66,67
80
25
26,67
27,27
0
0 50 20
50 0 100
0
Taux de délivrance dans délai
66,67 20 75
80
25
26,67
27,27
0
0 50 20
50 0 100
0
Taux de délivrance global
2A‐ CORSE DU SUD
17‐ CHARENTE MARITIME 19‐ CORREZE 24‐ DORDOGNE 33‐ GIRONDE
CONSULATS DU MAROC TAUX DE DELIVRANCE 2011 Consulat
Consulat général à Dijon Total Consulat général à Dijon Consulat général à Bastia Total Consulat général à Bastia Consulat général à Bordeaux
Total Consulat général à Bordeaux Consulat général à Colombes Total Consulat général à Colombes Consulat général à Lille Total Consulat général à Lille Consulat général à Lyon Total Consulat général à Lyon Consulat général à
01‐ AIN
59‐ NORD 62‐ PAS DE CALAIS 80‐ SOMME
02‐ AISNE
92‐ HAUTS DE SEINE
91‐ ESSONNE
47‐ LOT ET GARONNE 79‐ DEUX SEVRES 86‐ VIENNE
0 0 1 0
1
0 14
6 7
1
12
6
6
1 12
1
1
17 1 0 1
2
4 29
24 1
0
60
30
30
2 26
1
3
17 1 1 1
3
4 43
30 8
1
72
36
36
3 38
2
4
0 0 1 0
2
0 20
14 6
0
12
9
3
1 20
2
2
0 0 0 0
0
0 0
0 0
0
3
3
0
0 2
0
0
6 1 0 0
1
0 9
8 1
0
24
18
6
0 6
0
0
11 0 0 1
0
4 14
8 1
1
33
6
27
2 10
0
2
0 0 100 0
66,67
0 46,51
46,67 75
0
16,67
25
8,33
33,33 52,63
100
50
0 0 100 0
66,67
0 46,51
46,67 75
0
20,83
33,33
8,33
33,33 57,89
100
50
24,49
40 20 50
24,49
50
40 20 50 25
50
5 6 2 12
1
1 2 1 0
0
0 0 0 12
0
4 2 3 49
1
10 10 6 37
2
6 6 4 12
2
4 4 2
0
26‐ DROME 38‐ ISERE 42‐ LOIRE 63‐ PUY DE DOME 69‐ RHONE 73‐ SAVOIE 74‐ HAUTE SAVOIE 04‐ ALPES DE HAUTE
Marseille Total Consulat général à Marseille Consulat général à Montpellier Total Consulat général à Montpellier Consulat général à Orléans Total Consulat général à Orléans Consulat général à Paris Total Consulat général à Paris
75‐ PARIS
28‐ EURE ET LOIR 37‐ INDRE ET LOIRE 41‐ LOIR ET CHER 45‐ LOIRET
18‐ CHER
30‐ GARD 34‐ HERAULT 66‐ PYRENEES ORIENTALES
12‐ AVEYRON
PROVENCE 05‐ HAUTES ALPES 06‐ ALPES MARITIMES 13‐ BOUCHES DU RHONE 83‐ VAR 84‐ VAUCLUSE
16
16
2 6
0
2
1
1
23
10 13 0
0
2 2 5
0
0
1
117
117
1 10
0
4
5
0
82
21 24 36
1
15 20 142
80
25
0
133
133
3 16
0
6
6
1
105
31 37 36
1
17 22 147
80
25
1
22
22
2 5
1
0
1
1
26
7 7 11
1
4 9 59
37
8
0
1
1
0 1
0
0
1
0
5
1 0 4
0
0 0 0
0
0
0
43
43
0 0
0
0
0
0
16
7 0 9
0
8 10 61
43
0
0
67
67
1 10
0
6
4
0
58
16 30 12
0
5 3 27
0
17
1
16,54
16,54
66,67 31,25
#DIV/0!
0
16,67
100
24,76
22,58 18,92 30,56
100
23,53 40,91 40,14
46,25
32
0
17,29
17,29
66,67 37,5
#DIV/0!
0
33,33
100
29,52
25,81 18,92 41,67
100
23,53 40,91 40,14
46,25
32
0
Consulat général à Pontoise Total Consulat général à Pontoise Consulat général à Rennes Total Consulat général à Rennes Consulat général à Strasbourg Total Consulat général à Strasbourg Consulat général à Toulouse
31‐ HAUTE GARONNE
11‐ AUDE
55‐ MEUSE 57‐ MOSELLE 67‐ BAS RHIN 68‐ HAUT RHIN
54‐ MEURTHE ET MOSELLE
35‐ ILLE ET VILAINE 44‐ LOIRE ATLANTIQUE 49‐ MAINE ET LOIRE 53‐ MAYENNE
29‐ FINISTERE
60‐ OISE 76‐ SEINE MARITIME 78‐ YVELINES 95‐ VAL D'OISE
27‐ EURE
12
2
2 1 7 1 13
2
0 2
0
0
0
2
7 4 17
4 1
1
32
2
0 3 6 3 13
1
1 7
1
1
4
0
16 7 32
2 6
1
44
4
2 4 13 4 26
3
1 9
1
1
4
2
23 11 49
6 7
2
21
2
1 0 4 0 6
1
0 2
0
0
1
1
2 6 12
0 3
1
1
0
0 0 1 0 1
0
0 1
0
0
1
0
1 0 1
0 0
0
5
0
0 0 1 1 2
0
0 0
0
0
0
0
2 1 4
0 1
0
17
2
1 4 7 3 17
2
1 6
1
1
2
1
18 4 32
6 3
1
47,73
50
50 0 30,77 0 23,08
33,33
0 22,22
0
0
25
50
8,7 54,55 24,49
0 42,86
50
50
50
50 0 38,46 0 26,92
33,33
0 33,33
0
0
50
50
13,04 54,55 26,53
0 42,86
50
Total Consulat général à Toulouse Consulat général à Villemomble Total Consulat général à Villemomble Total
13
8
4
1
23
2 1
1
0 5
719
67
13
31
23
42
2 1
0
2 3
892
80
21
35
24
65
4 2
1
2 8
251
13
7
4
2
27
1 2
0
0 1
21
3
0
1
2
3
0 0
0
0 2
255
36
10
26
0
8
0 0
0
0 3
365
28
4
4
20
27
3 0
1
2 2
28,14
16,25
33,33
11,43
8,33
41,54
25 100
0
0 12,5
30,49
20
33,33
14,29
16,67
46,15
25 100
0
0 37,5
32‐ GERS 64‐ PYRENEES ATLANTIQUES 65‐ HAUTES PYRENEES 81‐ TARN 82‐ TARN ET GARONNE
93‐ SEINE SAINT DENIS 94‐ VAL DE MARNE 173
77‐ SEINE ET MARNE