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French Pages 281 [288] Year 1969
DICTIONNAIRE DES MESSIANISMES
Cet ouvrage a été publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique
DIEUX D'HOMMES DICTIONNAIRE des Messianismes et Millénarismes de l'Ère Chrétienne par
HENRI DESROCHE avec la collaboration de M. L. LETENDRE, M. R. MAYEUX J. GUIART, M. I. PEREIRA DE QUEIROZ
MOUTON Paris · La Haye 1969
DU MÊME A U T E U R
Inspirations religieuses et structures temporelles. Paris, Editions Ouvrières, 1948 (en collab.). Signification du Marxisme. Editions Ouvrières, 1949. Les Shakers américains. D'un néo-christianisme à un pré-socialisme. Paris, Editions de Minuit), 1955. Une communauté de travail de la banlieue parisienne. Editions de Minuit, 1955 (en collab.). Etudes sur la tradition française de Γ Association ouvrière. Editions de Minuit, 1956 (en collab.). Les Ejidos mexicains. Editions de Minuit, 1956 (en collab.). (Les Cahiers manuscrits de Fourier). Fouriérisme écrit et fouriérisme pratiqué. Editions de Minuit, 1957 (en collab.) Au pays du Kibboutz. Essai sur le secteur coopératif israélien. Bâle, Editions de l'U.S.C., 1960. Coopération et Socialisme. Eléments sociographiques du secteur coopératif polonais. Paris, B.E.C.C., 1960. Marxisme et Religions. Paris, P.U.F., coll. «Mythes et Religions», 1962. Coopération et Développement. I: Mouvements coopératifs et stratégie du développement. P.U.F., Coll. «Tiers Monde», 1964. Planification et Volontariat dans les Développements coopératifs. Editions Mouton, 1964 (en collab.). Mouvements coopératifs en Afrique noire et Madagascar. Paris, Editions du Ministère de la Coopération, 1965 Socialismes et sociologie religieuse, Paris, Editions Cujas, 1965. Coopération agricole et Développement rural. Actes du Colloque international de Tel-Aviv, Mars 1965. Editions Mouton, 1966 (en collab.). Sociologies Religieuses. P.U.F., 1968.
© 1969 MOUTON ET ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES - IMPRIMÉ EN HOLLANDE
TABLE D E S M A T I È R E S
Dieux d'hommes. Contribution à une sociologie de l'Attente Les hommes de l'Attente Genèse d'une messialogie Les Cycles messianiques Typologies du messianisme Le matériel imaginaire du messianisme-millénarisme : chiffres, figures et paraboles VI. La Dialectique des messianismes et la catégorie de l'échec
INTRODUCTION:
1
I. II. III. IV. V.
2 7 11 16
DICTIONNAIRE DES MESSIES
22 32 43
Ouvrages souvent cités
266
ANNEXE Ι :
Tableau récapitulatif des notices par siècle et par aire géographique
267
Tableau récapitulatif général
280
ANNEXE H :
INTRODUCTION
D I E U X D'HOMMES Contribution à une sociologie de VAttente
«Chacun doit avoir sa propre foi comme son propre visage». LAVATER
Ce dictionnaire a été un essai. A en relire les colonnes, au moment d'écrire son introduction, je serais tenté de conclure, en langage de rugby, que Vessai n'est pas transformé en but. Et pour trois raisons. Des vicissitudes techniques l'ont fait séjourner trop longtemps dans les frigidaires d'éditeurs hésitants avant que la présente édition ne l'accueille. Pendant ce même temps, l'actualité documentaire menait grand train et livrait de nouveaux matériaux qu'il n'a guère été possible d'intégrer. Enfin, de toute manière, l'entreprise s'avérait peu à peu si géante, mettait en jeu tant de compétences si diverses, dans des aires culturelles si nombreuses et si variées, que seul le travail d'une équipe élargie aurait pu en venir à bout avec la pertinence qu'un tel projet réclame. Faute de mieux, nous livrons cette première ébauche comme une matière grossière à laquelle, dans une édition ultérieure, une coopération internationale et interdisciplinaire devrait donner sa forme en transformant l'essai en but. Ce n'est qu'une «glaise d'attente». L'éditeur a bien voulu envisager pour ce premier texte un tirage spécial de cent exemplaires numérotés qui seront imprimés en grandes marges et seulement au recto. Nous destinons ces cent exemplaires à la centaine de collaborateurs nouveaux qui, de par le monde, accepteraient de contribuer, peu ou prou, à une édition collective: soit en améliorant - dans leurs textes ou leurs bibliographies - les fiches que nous avons déjà rassemblées ici, soit en collectant et rédigeant les fiches supplémentaires qui s'imposent. Il ne se passe pas de semaine, en effet, sans qu'une nouvelle fiche ne se propose à notre attention ou sans qu'un oubli flagrant ne vienne nous infliger un regret. Hier, un collègue me fait remarquer l'absence de tel traité patristique notoire. Aujourd'hui, un ami ethnologue me fait déplorer la vacuité de notre dossier sur le messianisme Eskimo. Demain, la célébration du deuxième centenaire de Robert Owen fera remarquer notre impardonnable omission à l'égard de ce patriarche d'un socialisme conçu pourtant par lui comme un « Millenium in practice »... etc., etc. C'est pourquoi - et dès maintenant - cette présente édition voudrait être surtout un appel à la correspondance ou au colloque, appel adressé à tous les collègues, chercheurs et spécialistes, qui accepteraient de se 1
DIEUX D'HOMMES
joindre à nous pour forger ensemble une édition collective moins imparfaite que celle-ci.1 D'ores et déjà, cette introduction doit rendre hommage à la petite équipe dont le travail a permis ces premiers relevés. Mes collègues Jean Guiart (E.P.H.E. Ve section) et Maria Pereira de Queiroz (Université de Sao Paulo) ont fait apport de leur compétence bien connue dans le double domaine d'une part des messianismes océaniens, d'autre part des messianismes brésiliens : les fiches concernant ces deux aires sont dues à leur plume ou à leur laboratoire. Deux collaboratrices du Groupe de Sociologie des Religions (Centre National de la Recherche Scientifique) - M. L. Letendre et M. R. Mayeux - se sont, d'autre part, particulièrement vouées et dévouées à d'importants travaux de dépouillement, de fichage, de lecture d'épreuves, de bibliographie ou de tabulation chronologique: sans leur opiniâtreté ce dictionnaire aurait difficilement vu le jour. A tous je devrais commenter plus largement ma gratitude, si ce commentaire même n'impliquait une fallacieuse distanciation en laissant supposer que ces collaborations auraient été périphériques. En réalité elles ont été centrales et avant que le label soit à l'ordre du jour du C.N.R.S., nous avons réalisé ensemble quelque chose comme une R.C.P., c'est-à-dire une recherche coopérative sur programme. J'exprime ma gratitude en tout cas auC.N.R.S. dont le concours a permis à l'éditeur d'affronter cette publication.
I. LES HOMMES DE L'ATTENTE C'est une bonne fortune d'écrire cette introduction en un moment où nous apprenons enfin qu'on envisage la publication des œuvres complètes de Marcel Mauss. C'est, en effet, sur un fragment de celui-ci que se greffe depuis plusieurs années, le projet de mettre en perspective sociologique notre invraisemblable compilation empirique. II s'agit du fragment final d'une communication présentée par Marcel Mauss, et qui se trouve être une première description de ce que nous nommerons une «sociologie de l'Attente». Voici l'essentiel de ce texte : «... permettez-moi de vous signaler l'un des phénomènes sur lesquels nous avons besoin de vos lumières, dont l'étude est la plus urgente pour nous, et qui précisément suppose cette considération de la totalité de l'homme: son corps, ses instincts, ses émotions, ses volontés et ses perceptions et son intellection: Γ attente, que nous autres sociologues ou zélateurs de la psychologie collective ne confondons pas avec l'attention... L'attente est l'un des phénomènes de la sociologie les plus proches à la fois du psychique et du physiologique, et c'est en même temps l'un des plus fréquents.
Attente, toute une partie du droit. Emmanuel Lévy l'a bien démontré: le droit de responsabilité civile est une attente; mais la violation des lois, le crime, n'est qu'une infraction à l'attente, car les gens 1. Sur leur demande nous pouvons leur faire parvenir un exemplaire du tirage spécial sur lequel ils pourront porter soit leurs amplifications, soit leurs corrections, soit leurs compléments. Une partie importante du travail collectif pourrait ainsi s'élaborer d'abord par correspondance. Nous envisageons, après cette élaboration, de réunir un colloque ad hoc pour confronter ces contributions. Toute la correspondance à ce sujet peut être adressée directement à: Centre de Recherches Coopératives, Ecole Pratique des Hautes Etudes, Vlè section. 7 avenue Franco-Russe, Paris VTIè. 2
LES H O M M E S D E L'ATTENTE
s'attendent toujours à ce que ni les lois ni les choses ne changent. Et l'idée d'ordre n'est que le symbole de leurs attentes déçues et satisfaites. M. Bergson a développé l'idée en ce qui concerne le comique. Elle est déjà dans Aristote; celui-ci proposait la théorie si simple et si juste de la purification, au fond de la purgation de l'attente, qui justifie de nombreux rites et l'emploi - autrefois rituel - du comique et du tragique. Toute une immense part des effets de l'art, du roman, de la musique, des jeux, tout l'exercice des passions fictives, remplacent ainsi chez nous les sombres drames de la passion réelle, barbare, antique ou sauvage. Même les faits économiques sont par tout un côté des phénomènes d'attente : la loterie, la spéculation, le crédit, l'escompte, la monnaie (dont on croit qu'elle courra) correspondent à des attentes. Au point de vue de la sociologie générale, on pourrait citer les états de tension populaire; ce qu'on appelle la tension diplomatique ; le « garde-à-vous » du soldat dans les rangs ou au créneau. En technologie, voyez l'anxiété qui accompagne la plupart des travaux techniques. En particulier l'étude de l'attente et de l'illusion morale, les démentis infligés à l'attente des individus et des collectivités, celle de leurs réactions est féconde... Une bonne description psychologique et surtout physiologique nous permettra de mieux décrire ces «anxiétés vagues » - on les croit folles - ces images précises qui les remplacent, et ces mouvements violents et ces inhibitions absolues que l'attente cause en nous. Ces faits sont rares dans cette vie heureuse, laïque et civile qui fut la nôtre. Mais la guerre nous a fait sentir et vivre durement des expériences de ce genre. Elles devaient être et elles sont encore infiniment plus fréquentes dans les vies des hommes qui nous entourent et dans celles de ceux qui nous ont précédés. Enfin, l'attente est un de ces faits où l'émotion, la perception, et plus précisément le mouvement et l'état du corps conditionnent directement l'état social et sont conditionnés par lui. Comme dans tous les faits que je viens de vous citer, la triple considération du corps, de l'esprit et du milieu social doivent aller de pair. Si l'un de vous, messieurs, voulait bien nous éclairer sur des faits de ce genre, je ne croirais pas avoir ce soir abusé de votre... attente et vous auriez comblé la mienne».2 A vrai dire, cette référence à Marcel Mauss intervient ici a posteriori. Et ce n'est pas Mauss, mais Newmann - dans son sermon Watching que je citerai tout à l'heure - qui attira mon attention sur la spécificité sociologique de ce phénomène de l'Attente. Quoi qu'il en soit, ce Dictionnaire est bien un premier répertoire des Hommes de l'Attente et on aurait grand tort de le considérer comme un répertoire tératologique. Certes, les phénomènes étranges, inaccoutumés, anomiques y foisonnent. Mais nous savons aussi que le normal n'est qu'un noyau très mince, nimbé de marges anomiques et déviantes et si, comme on l'a dit, une science n'avance que par ses marges, il est possible aussi que le phénomène humain et plus particulièrement le phénomène religieux n'avancent eux aussi que par leurs marges. Faute de leur stimulation latérale et inquiétante, le phénomène s'inscrit purement et simplement, sinon dans la quiétude, du moins dans une absence d'inquiétude sur son absence d'inquiétude, dans le sens où Newmon annonçait qu'il y a lieu de s'inquiéter de ne s'inquiéter point. Certes, beaucoup des faits, personnages, mouvements, collectés ici relèvent de l'imaginaire et côtoient l'utopie. Mais précisément, l'imaginaire représente un côté créateur de la conscience théorique et pratique. Et ce n'est pas déprécier cette sociologie de l'attente que de la classer comme une partie prenante à une sociologie de l'imaginaire. Ce l'est d'autant moins, s'agissant de phénomènes religieux. S'il est un invariant dans les variables indéfinies rencontrées dans les définitions de la religion, 2. M. MAUSS. Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie. Communication présentée le 10 Janvier 1924 à la Société de Psychologie. 3
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c'est la dichotomie relevée par toute une tradition dans cette définition même; tout se passe comme si le phénomène religieux s'avérait ambigu ou du moins laissait percevoir en lui un double palier: ceux qu'on a distingués en opposant le sentiment religieux et la religion (Schleiermacher, Β. Constant), la religion à'effervescence et la religion d'administration (E. Durkheim), la religion de première main et la religion de seconde main (W. James), la religion close et la religion ouverte (H. Bergson), les religions v/vantas et les religions en conserve (R. Bastide), etc. Or l'étude des phénomènes messianiques est précisément l'étude du fait religieux comme sentiment vécu, comme acte effervescent, comme religion de première main dans une société qui s'ouvre fût-ce par effraction - , comme sursaut de vie ou refus de mourir pour un groupe social qu'une société dominante, faute de ce sursaut ou faute de refus, logerait tout au plus dans les conserves de sa mémoire ou dans les réserves de son territoire. Elle finit généralement par l'y placer d'ailleurs. Mais, comme le souligne J. P. Sartre, «le passé est toujours en sursis» et contre l'histoire déjà historialisée il est toujours loisible à l'historien comme au sociologue de recueillir de nouvelles dépositions. Ce faisant, une sociologie de l'attente confine à une sociologie de la contestation. Mais nous savons aussi que cette sociologie fait partie de la sociologie tout court, y compris de la sociologie religieuse, y compris même le cas où celle-ci se bornerait à une sociologie fonctionnelle.3 Mais cette sociologie des messianismes doit en entrée de jeu renoncer à être une théologie ou même une philosophie. Elle doit traverser les plaines maussades de l'empirisme comparatif. Et ici ces plaines sont immenses. Dans la controverse marxiste sur les origines du christianisme deux conceptions se sont - ici comme ailleurs - affrontées: la conception «mythologiste» pour laquelle Jésus le Christ (Messie) fut un personnage mythique rétroactivement historicisé; la conception «historiciste», pour laquelle le même personnage fut au contraire un personnage historique ultérieurement mythifié. A un tenant de la première tendance (le soviétique R. Khazdan) le marxiste anglais A. Robertson, pouvait à juste titre rétorquer: «Il y eut non pas un, mais, vraisemblablement, plusieurs Messies en Judée pendant le premier siècle». Et on pourrait ajouter, il y eut non seulement plusieurs messies au premier siècle de notre ère; mais dans les siècles ultérieurs, y compris le vingtième, il y eut, il y a des dizaines, probablement des centaines de personnages ou de mouvements messianiques ou millénaristes. Ce fait, en lui-même, n'apporte rien d'ailleurs, ni pour ni contre le caractère soit mythique soit historique du personnage messianique dont le christianisme tire son nom. Il permet seulement d'envisager éventuellement sur une base empirique, inductive et comparative, donc sur une base sociologique, le phénomène messianique 1) comme phénomène, 2) comme phénomène central (de première main) dans l'émergence du christianisme, 3) éventuellement dans l'émergence du phénomène religieux sinon en général, du moins dans l'aire abrahamique. Qu'une telle démarche pose une question latérale à la lecture théologique du même phénomène, c'est certain. Que cette question soit mal venue ou bien venue ce n'est pas au sociologue d'en juger et tel ou tel théologien en jugera sans doute différemment. L'un d'entre eux ne jugeait pas une telle question malvenue, au cours d'un entretien diffusé récemment. Voici la question et voici sa réponse : 3. Cf.H.D. Sociologies Religieuses. Paris. P.U.F. 1968, ch. ΙΠ. 4
LES HOMMES DE L'ATTENTE QUESTION: VOUS avez signalé tout à l'heure que la théologie pouvait être facilement déductive, mais que, dans une autre phase, en utilisant les différents apports, contributions, questions des sciences humaines, elle tend à prendre une allure plus propice à l'observation. Je voudrais savoir si cette ouverture peut aller jusqu'à la formation d'une théologie que j'appellerai inductive. Je vous pose un problème précis. Nous avons parlé tout à l'heure des religions révélées, des religions messianiques comme le christianisme. Prenons le cas du messianisme. Pensez-vous qu'il soit possible de parvenir à une théologie inductive du messianisme, c'est-à-dire sur une base comparative? Je viens de terminer un dictionnaire des messies, messianismes et millénarismes de l'ère chrétienne, toute une population de phénomènes où des personnages se donnent comme messies, ont une conscience messianique, soit qu'ils se la donnent eux-mêmes, soit qu'elle leur soit conférée par leur entourage. Vu de l'extérieur, ce phénomène messianique tel qu'il se manifeste dans cette population statistique - qui lorsqu'elle sera élaborée pourrait atteindre un millier de cas - ne diffère pas apparemment du phénomène messianique du premier siècle de notre ère. Pensez-vous qu'une théologie inductive puisse s'élaborer sur la base d'une telle population, donc une base comparative, pour approfondir la connaissance même du Messie pour le croyant. Car ma démarche, comme je viens de la décrire, est une démarche qui peut être pratiquée par le croyant ou par le non-croyant sans aucun jugement de valeur ni de qualification ni de disqualification sur le Christ comme Messie... RÉPONSE: Ce que nous avons dit tout à l'heure à propos de cette théologie qui entre dans le dialogue au sens psychologique et théologique du mot, m'invite à donner une réponse très favorable. Je pense, en effet, que le lieu intelligible, le lieu humain de ce messianisme - qui est un cas excellent - c'est l'expérience des hommes dans cette immense vague messianique, multiforme, et qu'il y a là une espèce de préfiguration, de sorte que le messianisme chrétien au lieu de combattre comme il l'a fait très souvent les autres messianismes, y trouve, au contraire, une espèce de préparation. La méthode inductive va évidemment à l'encontre d'une espèce de déduction abstraite à partir de l'éternité; il y a ainsi une sorte d'anti-éternisme dans la théologie actuelle, qui peut aller un peu trop loin, mais qui me paraît une très, très saine réaction. Et le cas que vous donnez - celui du messianisme - est un très beau cas pour illustrer, car je pense que c'est un phénomène humain de très grande envergure et le messianisme dit «chrétien » est un des éléments et il s'éclairera par les autres messianismes au lieu de les combattre.1
Quoi qu'il en soit, ce n'est pas le projet de ce dictionnaire, ni de cette introduction, de s'aventurer sur des pistes ainsi ouvertes. Il s'agit encore une fois d'un travail préparatoire, sociographique. «Faire des dénombrements entiers», stipulait Descartes. «Compter tout ce qui peut être compté», réitère Gabriel Le Bras. A vrai dire, notre dénombrement aura certainement été trop timide. A relire l'ensemble on s'aperçoit en effet que Γ «ère chrétienne» stipulée dans le titre est assez peu explorée dans son premier ou même son deuxième siècle. Rien sur Bar Kochba si cher à David Ben Gourion. Rien sur la demi-douzaine de Messies juifs répertoriés pourtant déjà par Wallis. Rien sur le Maître de Justice. Tout se passe comme si notre rédaction avait éprouvé simultanément attirance et effroi devant une approche plus circonstanciée du phénomène archétypique, où notre civilisation a pourtant puisé et le calendrier de son ère et le label de sa religion dominante, puisque l'épithète «chrétienne» appliquée à cette ère et à cette religion n'est que l'adaptation française d'un mot grec, lui-même version grecque d'un mot hébreu, lequel définirait cette ère ou cette religion chrétiennes comme l'ère ou la religion messianiques et que les chrétiens sont identiquement des messianistes. Le tremendum semble l'avoir emporté sur le fascinons. Nous souhaitons que dans une autre édition le mouvement soit 4. Entretien avec le Père M. D. Chenu au cours de «l'Heure de Culture française» dans l'émission «Religions et Méthodes Scientifiques Modernes», du 26 mars 1968. 5
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inversé en intégrant plus résolument non seulement les messianismes judéo-chrétiens, mais les messianismes pré-chrétiens. Ce recul serait meilleure position encore pour appréhender l'avancée de l'Attente jusque dans les sources les plus secrètes des formes les plus modernes du Christianisme, voire du Catholicisme. Dans cette genèse, Léon Bloy ne fut-il pas parmi les plus marquants; or ne demeure-il pas, à l'instar d'un prophète de l'Ancien Testament, un étrange, un opiniâtre, un forcené personnage de l'Attente? «.Car il est bien certain que je suis fait pour attendre sans cesse et pour me ronger en attendant. Depuis plus d'un demi-siècle je ri ai pas été capable d'autre chose... J'ai une faim et une soif si furieuses de la Gloire de Dieu sur la Terre que je compte les jours comme un insensé... Et pourtant quelqu'un doit venir, quelqu'un d'inoui que j'entends galoper au fond des abîmes... J'attends les Cosaques et le Saint Esprit...» C'est dans cette Attente avivée, frénétique, exaspérée, brûlante que se circonscrit sans doute la première moitié du phénomène messianique, celle qui lui est commune avec le phénomène religieux surtout sous sa forme effervescente décrite par Durkheim, celle des cultes de possession, en lesquels la vie sociale se théâtralise et où les personnes présentes et participantes se trouvent «montées» par une personnification sacrée. Montées, conduites, possédées, saisies, ex-tasiées. La tradition messianique ne dit guère autre chose lorsqu' elle dit: ointes, selon la signification étymologique du mot grec et du mot hébreu. Ointes, c'est-à-dire pénétrées, imprégnées, massées, imbibées en même temps qu'embellies, assouplies, roborées, rendues, selon les cas, admirables ou athlétiques, prêtes pour les victoires de la beauté ou de la force. En ce sens déjà un «Messie» c'est un homme saisi par le dieu, tel un épiderme saturé par l'huile qu'une main patiente et inexorable lui malaxe et lui mêle : et ce dieu qui est à la fois huile et main est aussi le sacré à l'état sauvage. Mais à la différence des cultes de possession qui s'assouvissent dans l'instantanéisation d'un transport individuel ou collectif, le phénomène messianique dure dans le temps. Il dure avec le temps. Il compte sur le temps. Le temps s'étire entre l'attente et son exaucement. L'exaucement lui-même prendra du temps. Car le messianisme, s'il est le fait d'une humanité attendante est aussi, et complémentairement, le fait d'une humanité attendue, et, de part et d'autre, cette humanité est celle d'un homme monté par le dieu. Dans cette configuration, le temps n'est plus que cet espace entre l'attendant et l'attendu·, l'espace d'une création, l'espace d'un cycle non répétitif, l'espace du millénaire limité et illimité, qui est peutêtre l'archétype d'un temps où, non seulement, les choses durent, mais où elles entrent en évolution, voire en révolution. Qui sait même si les cultes de possession n'auront pas été quelque chose comme un messianisme immédiat des sociétés sans développement, alors que les messianismes auront été ou seront des cultes de possession - à échéance toujours remise - des sociétés en développement? Qui sait même si entre le projet de développement, et son inquiétude d'une part et, d'autre part, une certaine conscience messianique ou para-messianique au moins participée ne passe pas comme une connivence analogue à celle que Max Weber apercevait-et ce ne serait alors qu'une variable particulière - entre l'éthique protestante professionnelle - le métier comme mission - et le projet de l'entreprise capitaliste. Quoi qu'il en soit, le messianisme ne «prend»-comme on dit d'un feu qu'il «prend»,-que lorsque cette attente et cet exaucement, cet attendant et cet attendu se rapprochent dans la densité sociale au point de former pôle négatif et pôle positif entre lesquels jaillit l'étincelle. Lorsqu'elle jaillit, un homme- dieu est 6
GENÈSE D'UNE MESSIALOGIE
devenu un dieu d'hommes, une attente d'hommes s'exauce dans l'arrivée du dieu. Car il arrive, comme on dit que le printemps «arrive». Et même s'il n'arrive pas encore, il est imminent et cette imminence est hâtée par l'adjuration: «Que ton règne arrive. Sur la Terre comme au Ciel». Non pas que l'homme cesse d'être homme pour devenir le dieu, mais que, plutôt, le dieu cesse d'être le dieu des au-delà des hommes pour oindre l'homme et sa terre et ses royaumes dès maintenant et ici bas. Heavens on Earth. Que le dieu arrive. Que le dieu nous arrive. Et qu'il soit un dieu d'hommes.
II. GENÈSE D'UNE MESSIALOGIE On a défini le messianisme comme «essentiellement la croyance religieuse en la venue d'un Rédempteur qui mettra fin à Vordre actuel des choses, soit de manière universelle, soit pour un groupe isolé et qui instaurera un ordre nouveau fait de justice et de bonheur».5 Pratiquement, le terme messianisme revêt souvent une signification voisine du terme «millénarisme », le millénarisme étant le mouvement socio-religieux dont le messie est le personnage. Les deux concepts, en tout cas, impliquent une liaison essentielle des facteurs religieux et des facteurs sociaux, du spirituel et du temporel, des valeurs célestes et des valeurs terrestres, aussi bien dans le désordre, dont ils préconisent l'abolition, que dans l'ordre nouveau dont ils annoncent l'instauration. A la différence du prophète, qui se réclame seulement d'une mission reçue de Dieu, ou de l'Agent surnaturel suprême, la messianité implique un lien d'identification plus poussé avec ce Dieu, généralement un lien de parenté : si le prophète est uni au Dieu par un lien électif, le messie est uni à Dieu par un lien natif. L'étymologie des termes «messie» et «messianisme»,6 semblerait montrer que l'Occident a connu le personnage et la doctrine qu'ils désignent sous l'influence d'Israël et du christianisme.7 Cependant, les idées et les faits recouverts par ces mots dépassent largement l'aire judéochrétienne. Ainsi le terme «messianisme» recouvre en réalité deux concepts distincts: un concept théologique normatif lié à la proclamation de l'unicité messianique du fondateur du christianisme (tous les autres personnages messianiques étant classés comme pseudo-messies, prémessies ou faux messies); un concept sociologique comparatif appuyé sur une population de situations relevées dans l'histoire des religions, situations où un personnage fondateur d'un mouvement historique de libération socio-religieuse s'identifie ou est identifié à une Puissance suprême «émettant» sur l'ensemble de l'histoire des religions comme des sociétiés. a. Sens théologique. Il est le fait de l'aire culturelle à dominante chrétienne. Dans son sens absolu, le messianisme désigne ici l'ensemble des croyances juives relatives au Messie promis dans l'Ancien Testament. Dans un sens moins strict, il s'applique aux enseignements ou aux mouvements qui promettent la venue d'un envoyé de Dieu appelé à rétablir sur terre la justice et l'innocence premières. A l'intérieur de cette signification, les controverses ont surtout porté 5. Hans Kohn, art. Messianism, in The Encyclopedia of Social Sciences, New York, The Macmillan Comp., t. 9. 6. Hébreu : mâshtakh ; grec : christos (l'Oint) ; latin : messias. 7. Christianisme = religion du christos. 7
EIEUX D'HOMMES sur le contenu de ce messianisme: controverses entre la tradition chrétienne du Messie «déjà venu» et la tradition juive du Messie «encore attendu». Controverses à l'intérieur de la tradition chrétienne: d'une part - surtout dans une tradition patristique des trois premiers siècles attente futuriste d'un retour messianique en gloire et en majesté pour l'instauration d'un millénium terrestre; d'autre apart - surtout après saint Augustin - prédominance des thèses prétéristes: thèse de la révélation close, fixation du retour messianique aux moments de la fin du monde et d'une unique résurrection, identification du régime ecclésiastique avec le royaume en transition..., etc. Bien que parvenue à une position dominante, la seconde conception n'a cependant cessé d'être investie par des filières de dissidences surgies autour des trois grandes confessions chrétiennes (catholicisme, protestantisme, orthodoxie). b. Sens historico-sociologique. En ce sens, le messianisme représente le fonds commun des doctrines qui promettent le bonheur parfait sur terre, sous la direction d'une personne, d'un peuple, d'un parti, de mouvements collectifs, au sein desquels les réformes tant ecclésiastiques que politiques, économiques ou sociales sont présentées sous la forme d'ordres ou de normes identifiés à des «missions», voire à des «émissions» divines. Ce bonheur peut d'ailleurs, selon les cas, être présenté sociologiquement, soit sous la forme d'un radical retrait du monde, soit sous la forme d'une non moins radicale transformation de ce même monde, tandis que psychologiquement, il peut être situé tantôt au sommet mystique d'une bienheureuse délectation, tantôt dans les âpres profondeurs d'un ascétisme de néantisation, tantôt au confluent de cette exaltation et de cette abnégation: «Toto y nada. »; voire un nihilisme. Ce «messianisme» considéré comme mouvement à caractère essentiellement constructif et transformateur, comme «force agissante, vivante et pratique» (comme le définit Hans Kohn), est le domaine spécifique de l'investigation sociologique. Jusqu'à une date relativement récente, peu de tentatives avaient été faites pour une sociologie générale des messianismes comparés. L'approche la plus fournie avait été offerte par les deux ouvrages de Wilson D. Wallis: Les messies chrétiens et païens (1918) et surtout Les messies et leur rôle dans la civilisation (1943). Mais depuis une vingtaine d'années on a assisté à une spectaculaire réactivation dans cette étude scientifique des messianismes - à laquelle nous proposons de donner le nom de messialogie. Un des foyers les plus saisissants a sans doute été constitué par le foyer océanien avec la luxuriance de ses cultes du Cargo ou de l'avion miracle. On sait comment dans les supputations de tels cultes, les richesses dont le débarquement est escompté sur un quai ou un terrain d'atterrissage dûment préparé, seront remises non plus aux Blancs mais aux autochtones, car les Ancêtres auront repris aux Blancs les secrets d'une prospérité et d'une abondance qui étaient bien à eux, in ilio tempore, en ce temps bienheureux qui précéda la colonisation européenne. Les travaux de Guiart, Worsley (et de beaucoup d'autres) ont dessiné la géographie de ces attentes multiformes dans l'aire océanienne. Parallèlement, des phénomènes analogues étaient relevés dans les grandes aires de développement, en particulier en Afrique avec les revendications de Dieux noirs ou de Christs noirs, et en Amérique du Sud avec l'orchestration eschatologique de jacqueries en chaîne. Les Indiens de l'Amérique du Nord avaient déjà connu ces paroxysmes avant leur parquage en réserves, et les Chinois avaient eu leurs Taïping avant que 8
GENÈSE D'UNE MESSIALOGIE
leurs insurrections ne se cristallisent en Révolution. Ainsi d'un bout du monde à l'autre, protestations ou révoltes sociales apparaissent à la fois amorcées et masquées dans une revendication religieuse: revendication d'hommes qui postulent un Dieu qui soit le leur, et ceci s'opère soit par l'apparition de ce Dieu dans un personnage (messianisme), soit dans son annonce imminente par un messager (prophétisme), soit dans l'avènement d'un règne ou d'un royaume (millénarisme) antécédents ou conséquents à une telle apparition (post ou pré-millénarisme) : une telle revendication implique d'ailleurs par chocs en retour les postulats d'une politique d'émancipation sociale, économique et nationale. Cette constellation de phénomènes contemporains ou quasi contemporains (certains pouvaient ou peuvent même être observés) a concentré sur elle une série plus ou moins concertée de recherches, et ces recherches elles-mêmes allaient se prolonger dans deux dimensions. La dimension historique. Car l'intérêt ainsi éveillé sur les messianismes de la géographie ou de la conjoncture allait se répercuter sur les messianismes de l'histoire, malgré des oblitérations attribuables à leur classement sommaire par des cultures dominantes dans des catégories tératologiques: filières médiévales étudiées par N. Cohn et E. Werner; filières juives aux cadences tellement continues; filières des Left-Wingers anglo-saxons; filières concentriques à la Révolution française; filières nationalistes européennes; filières du socialisme utopique (avec en particulier ses messianismes féminins), etc. Un peu partout au creux de ces vagues et aux points où elles se ramassent in statu nascendi, se laissait déceler en clair ou en filigrane l'acte messianique, avec ou sans son personnage historique, historicisé ou historialisé, avec ou sans son royaume, belliciste ou pacifiste, micro- ou macromillénaire. L'autre dimension est comparative. Elle a donné lieu à une enquête en cours publiée dans différentes livraisons des Archives de Sociologie des Religions? Dès le début de cette enquête nous avions formulé, sinon un questionnaire, du moins un guide dont le libellé peut aider à préciser le contenu des thèmes pour une recherche éventuelle. I. Dimensions d'une sociographie Les études publiées, bien que visant plusieurs phases historiques et plusieurs continents, n'en sont pas moins un échantillonnage ultrarudimentaire sur la distribution du phénomène messianisme-millénarisme dans l'histoire et la géographie. Pour un ou deux seulement on a tenté d'évoquer un réseau (messianismes océaniens) ou un cycle (millénarisme utopique nord-américain). Est-il possible à partir de ces membra disjecta d'évoquer d'autres réseaux, d'autres cycles? D e souligner l'importance de tel ou tel ? D'amorcer une nomenclature générale de ces réseaux et de ces cycles? Ou du moins d'indiquer à partir de quels inventaires existants et moyennant quels compléments pourrait-être établie ou approchée une telle nomenclature? II. Typologie des personnages (messianiques) et des groupements (messianiques, millénaristes) Des typologies de groupements ont été proposées par tel ou tel collaborateur: messianismes réussis et messianismes échoués, immanentistes et imminentistes, violents et pacifistes, micro-sociologiques et macro-sociologiques, etc... Par ailleurs se proposent des distinctions classiques (pré- et post-)... Voyezvous la possibilité d'attirer l'attention sur tel ou tel type? de proposer une classification d'un ensemble de types? de souligner soit une logique interne de mutation d'un type à l'autre, ou d'une phase à l'autre 8. A.S.R.4. p. 3-157; 5. p. 3-120; 7. p. 3^14; 9. p. 105-110; 14.p. 77-122; 16. p. 73-76,105-124; 17. p. 113-134 18. p. 147-152; 19. p. 51-116; 20. p. 89-118;24.p. 17-82,105-120... 9
DIEUX D'HOMMES (messianismes d'attente, de présence, de tradition...), soit une logique externe de passage d'un type de groupement messianique à un autre type de groupement religieux ou ecclésiastique? ou au contraire de réviser des typologies déjà proposées? Pouvez-vous proposer des reflexions semblables sur la typologie des Personnages messianiques, (ainsi que para ou méta-messianiques)? leurs liens ou leurs différenciations avec des personnages voisins (Héros, Prophète)? La manière dont ils prennent figure (historicité, mythe...)? Enfin quelle interférence discerner entre personnages et groupements (millénarismes sans messianismes ou au contraire) ? III. Signification religieuse des messianismes-millénarismes a. Messianismes et christianismes. Certains font du messianisme-millénarisme un apport spécifiquement udéo-chrétien et suggèrent que le phénomène se déclencherait surtout avec l'expansion du christianisme (rôle des missions...). D'autres au contraire pensent que le christianisme est lui-même antimessianique et anti-millénariste et avancent des raisons qui d'ailleurs peuvent différer. D'autres enfin distinguent des aires géographiques ou des phases historiques introduisant à un discernement entre des types de christianismes... éventuellement cotés par des jugements de valeur. Quelle serait votre opinion à ce sujet? b. Messianismes-millénarismes et religions non chrétiennes. Pensez-vous que ce phénomène se retrouve dans toutes les grandes religions? ou au contraire qu'il existe une grande religion où son absence soit typique? ou bien qu'il est caractéristique seulement des dissidences ou des hétérodoxies in statu nascendïl Peut-on trouver quelques indications sur ce que serait ce chapitre de religions comparées... ? Ce chapitre peut-il aller jusqu'à inclure la non-religion elle-même? Si oui, moyennant quels discernements? c. Les deux séries de questions précédentes (a et b) tout en envisageant surtout Vextension du phénomène, impliquent déjà une approche de sa compréhension. Est-il possible d'aller plus loin? Sur trois points en particulier: 1. le discernement entre ce que de tels faits religieux peuvent présenter d'aberrant de marginal, d'anomique, etc., d'une part, et d'autre part ce que leurs conduites effervescentes peuvent recéler de central et de fondamental comme démarche religieuse; 2. la nature de leur éventuelle priorité ou au contraire la nature de leur éventuelle éclipse ou absence dans une série religieuse donnée (en particulier rapports entre le «royaume » messianique et les institutions ecclésiastiques antérieures ou postérieures); 3. le diagnostic enfin à porter sur leur éventuelle sécularisation théorique ou pratique (théosophies ou philosophies de l'histoire ou du progrès, socialismes utopiques, fondations microsociologiques, mouvements de révolte sociale, émergence de nationalismes, etc...) IV. Corrélations socio-culturelles Depuis Max Weber, beaucoup d'hypothèses ont été émises sur la nature de ces corrélations: déguisement insurrectionnel, réactions violentes à la frustration, contre-acculturations, aspirations culturelles involuées, protestations religieuses à l'état pur, ou au contraire mystification ou mythification, etc... Sans parler des jugements de valeur qui tendent à regrouper et à classer ces faits ou du moins certains d'entre eux comme autant de chapitres soit dans l'histoire passée d'une erreur, soit dans la préhistoire d'une vérité à venir. Sur ces points on retrouve naturellement les problèmes épistémologiques posés à la sociologie des religions et à son mode de connaissance: en particulier, réductibilitéou irréductibilité du fait religieux à une connaissance «du dehors » tel que la souhaitait Durkheim. Etant admis - au niveau d'un minimum apparemment commun - une interrelation entre le fait religieux et les faits sociaux, comment discerner, définir, classer ou approfondir une telle inter-relation dans le domaine des faits du messianisme-millénarisme? C'est d'ailleurs à la suite et d a n s la coulée de cette enquête que le présent dictionnaire a été conçu à toutes fins comparatives. 10
LES CYCLES MESSIANIQUES
Cette tentative n'est pas la seule. Elle doit beaucoup aux tentatives qui l'ont accompagnée ou qui l'ont précédée. Nommons du moins: le colloque de Chicago sur «les rêves millénaires en action» 9 ; l'ouvrage maintenant bien connu de V. Lanternari sur Les mouvements religieux des peuples opprimés10, l'ouvrage de G. Guariglia11, ainsi que quelques autres dont la fréquence de citations a justifié l'emploi d'un sigle.12 Parmi ceux-ci on remarquera l'importance de deux œuvres adventistes: les Lacunziana de A. F. Yaucher et d'autre part la grande encyclopédie de Froom. Leur importance ici n'est pas fortuite: elle constitue si l'on peut dire la troisième dimension de cette étude comparative. Si les messianismes de la conjoncture étudiée par les ethnographes ont, par choc en retour, attiré l'attention sur les messianismes de l'histoire - peutêtre injustement bloqués dans les tiroirs de l'hérésiologie et aujourd'hui réhabilités par les historiens de la religion - ce premier chassé-croisé ne pouvait pas ne pas avoir un autre choc en retour: la prise en considération de la tradition adventiste, elle-même exhumée et examinée par elle-même. Non pas que ce dictionnaire ait pour prémisses une sociologie crypto-adventiste. Mais l'adventisme constituant une des traditions centrales d'un messianisme conséquent, la perspective comparative eût été partiale et partielle si elle s'était conçue en ignorant les chaînons selon lesquels une telle tradition s'est perçue. A étendre ainsi la glane dans des champs aussi disparates - même s'ils renvoient constamment l'un à l'autre - il devient de plus en plus difficile, voire impossible de nouer la gerbe. Un tel geste serait aujourd' hui une performance illusoire. Le langage messianique (ou messialogique) exigerait simultanément une morphologie et une syntaxe. A peine ce dictionnaire offre-t-il une morphologie, tout au plus un lexique. Quant à la syntaxe, à peine en trouvera-t-on une ébauche dans les lignes qui suivent. Décidément, la messialogie, si elle doit être une science des religions, ou même un simple département dans l'une de ces sciences, est encore une science ou un département au berceau.
III. LES CYCLES MESSIANIQUES L'aire des messianismes ne se confond pas mais interfère largement avec celle des religions. Comme le remarque Wallis, si les Messies ont été plutôt rares dans le shintoïsme, le taoïsme, le confucianisme, ils ont été nombreux dans le judaïsme, l'islam et le christianisme... Le même Wallis relève des traces de messianisme dans l'ancienne Égypte et à Sumer. Il estime même
9. «Millenial Dreams in Action. Essays in comparative study», Comparative Studies in Society and History, Mouton and Co, 1962,230 p. 10. Milan, 1960. Paris 1962. En outre, ajouter les compléments proposés ultérieurement maintenant par V. LANTERNARI. «Syncrétismes, messianismes, néo-traditionalismes en Afrique Noire». A.S.R., 19, p. 99-116 et A.S.R. 21, p. 101-110: Id. «Les Black Muslims. Du messianisme populaire à l'institution bourgeoise». A.S.R. 24, p. 105-120. M. Prophetismus und Heilserwartungsbewegungen als völkerkundliches und religionsgeschichtliches Problem. Horn-Vienne, Berger, 1959. 12. Voir p. 266 la liste des ouvrages souvent cités 11
DIEUX D'HOMMES
qu'il n'est pas absent de cette religion de soumission qu'est le bouddhisme (attente des Bodhisattvas et particulièrement du millième et dernier Bouddha à venir, dont l'apparition provoquerait l'instauration d'un Age d'Or). Quant à la religion zoroastrienne, elle entretenait spécialement la croyance en la naissance miraculeuse d'un descendant du prophète, descendant qui inaugurerait un règne de salut lié à des supputations millénaristes. En Extrême-Orient, les religions chinoises ont vu apparaître périodiquement sur leurs franges toute une tradition de sociétés secrètes et conspiratrices souvent liées à des jacqueries, et - à partir peut-être de l'imprégnation chrétienne - il n'est pas rare de relever des syncrétismes dont le noyau contient quelque espérance ou quelque supputation messianique.13 Le fait messianique a cependant connu son développement le plus important et le plus original sur le terrain judéo-chrétien. Pour la période préchrétienne, Lagrange l'a étudié dans un ouvrage qui demeure classique: Le messianisme chez les juifs. Cependant la découverte des manuscrits du désert de Juda a ravivé l'attention tant sur l'éventualité d'un messianisme pacifiste et ésotérique (celui des Esséniens ou essénisants, étudié par Dupont-Sommer) que - par contrecoup - sur l'existence d'un messianisme zélote (rappelé par O. Culmann). Pour expliquer ce messianisme juif préchrétien, on a souvent évoqué l'influence des bouleversements du VII e siècle, la référence à la période davidique de la royauté étant de plus stimulée par l'eschatologie des peuples orientaux approchés dans l'exil. Mais d'autres historiens comme A. Lods relèvent, déjà avant cette période, une espérance messianique dans la religion populaire.14 A partir de l'ère chrétienne, le messianisme juif et le messianisme chrétien se différencient. W. D. Wallis a pu consacrer un chapitre de son investigation aux messies juifs. Ceux-ci ont été nombreux, en effet, non seulement autour des origines chrétiennes, mais ultérieurement de siècle en siècle. A. Silver15 en a présenté également une large rétrospective, allant des messies juifs préchrétiens et immédiatement postchrétiens (Bar Kochba et la grande révolte de 135), jusqu'aux précurseurs du sionisme contemporain: Moïse de Crète au Ve, Seréne le Syrien au VII e , Abou Isa d'Ispahan au VIII e , le messianisme juif égyptien au IX e , les messies de Cordoue et de Fez au XII e , David Alroy en Azerbaïdjan au XII e , Abraham Aboulafia de Sicile au XIII e , Isaac Louria qui proclama sa messianité à Safed en Galilée au XVI e , David Reubeni et Salomon Molcho à travers l'Europe occidentale au XVI e , le messianisme juif fixé sur Cromwell et la Révolution anglaise au XVII e ... L'énorme odyssée de Sabattai Zevi (XVIIe) dans l'Europe orientale et le Proche-Orient sera suivie de vicissitudes animées en particulier par J. Frank (1726-1791) et autres messies mineurs d'origine polonaise. La vie même de Th. Herzl, le fondateur du sionisme mondial, n'est pas exempte d'une certaine infiltration messianiste. Et encore aujourd'hui, D. B. Gourion aime à rappeler comment la restauration de l'État juif renoue avec la tradition de Bar Kochba, et à récuser, a posteriori, l'interprétation assimilation13. Cf. les études de CHESNEAUX et E. P. BOARDMAN, «Millenary Aspects of theTaïping Rebellion (1851-1864)» ¡n "Millenial Dreams...", PO. cit., pp. 70 et suiv. 14. Cf. A. Lons, Histoire de la littérature hébraïque et juive, Paris, Payot, 1950, passim, et plus particulièrement tous les chapitres consacrés à la littérature prophétique et apocalyptique aux différentes périodes. 15. A. SILVER, History of Messianic speculation in Israël. 12
LES CYCLES MESSIANIQUES
niste (dépérissement du judaïsme dans l'universalisme chrétien) développée par l'apôtre Paul. L'Islam, cette troisième grande religion, rattachée au Père des Croyants, Abraham, a été interprétée par certains comme une certaine branche du messianisme judéo-chrétien ou, du moins, de sa dimension apocalyptique d'établissement d'un royaume (de Dieu) sans église. «La mission de Mahomet est une page, la plus inattendue et la plus décevante pour les juifs, des antiques espérances messianiques »16. En tout cas, ce messianisme est un fait17, et il a proliféré dans «l'hétérodoxie musulmane» comme dans «l'hétérodoxie» chrétienne.18 Sa plus célèbre manifestation est l'attente du Madhi qui a donné naissance à de multiples mouvements répertoriés brièvement par Wallis19. Certains de ces mouvements, peut-être plus spectaculaires ou plus récents, sont en tout cas plus connus: par exemple, le babisme et le baha'isme.20 On a même suggéré que la doctrine islamique générale du Madhi pourrait représenter la conception la plus proche du messianisme juif, hors de l'aire spécifiquement judéo-chrétienne. Une interprétation générale a parfois avancé que le fait messianique serait si essentiellement lié à la tradition judéo-chrétienne, que ce fait n'aurait pu ou ne pourrait surgir en d'autres aires religieuses que par contamination et syncrétisme. Cette interprétation est surtout basée sur les effervescences messianiques souvent déclenchées dans la mentalité religieuse de pays sousdéveloppés par le message missionnaire catholique ou protestant (une controverse récente instituée par Andersson a même tenté de départager l'influence respective de ces deux confessions dans ces déclenchements). Cette interprétation ne saurait cependant prétendre à une généralité. Ce qui par contre semble certain, c'est que le fait messianique est particulièrement riche, ou bien que cette richesse est particulièrement mieux connue dans les aires culturelles où le christianisme est devenu religion dominante. On a déjà mentionné le cycle primitif des messies judéochrétiens : bien que leur identité et leur histoire ne soient connues souvent que par des allusions, leur nombre a paru assez éloquent pour représenter un argument sérieux contre l'exégèse mythologique, généralement défendue par des historiens soviétiques. On a mentionné également le messianisme impliqué dans toute la tradition patristique du second retour, ou du second avènement, instaurateurs du millénium. On sait que l'augustinisme ecclésiologique, puis l'augustinisme politique disputèrent victorieusement à cette tradition sa prétention à l'orthodoxie, et qu'à partir de cette mutation - expliquée selon certains par le passage du christianisme au statut d'une religion dominante dans l'Empire - les messianismes chrétiens trouvèrent surtout leur source et leur patrie dans les dissidences plus ou moins hétérodoxes. Dans cette tradition ultérieure, on doit néanmoins dénombrer des cycles fort divers. On en relèvera ici seulement quelques-uns : Le messianisme chez les juifs, op. cit., pp. 326 et suiv. Vidée messianique dans l'islamisme, Francfort, 1903. 18. Cf. BLOCHET, Messianisme dans l'hétérodoxie musulmane. 19. WALLIS, op. cit., chap. VI: «Madhi, Mohammeddan Messiah», pp. 82 et suiv. 20. Etudiés par P.-L. BERGER, A.S.R., 4, p. 93 et. ss. 1 6 . LAGRANGE,
17.
FRIEDLÄNDER,
13
DIEUX D'HOMMES
1. Le cycle impérial dominé par le mythe de V empereur des derniers jours, mythe affecté non seulement au culte de Charlemagne (cf. Folz), mais ultérieurement aux représentants de telle ou telle dynastie, et particulièrement virulent dans les controverses sur le leadership des croisades (cf. Alphandéry et Dupront) ; 2. Le cycle populaire du non-conformisme médiéval. N. Cohn en a présenté une excellente rétrospective depuis les premiers messianismes médiévaux comme ceux des Tanchelmites, jusqu'au règne messianique de Jean de Leyde dans le millénarisme égalitaire de Münster assiégée. E.Werner (Pauperes Christi) en a étudié quelques chaînons. Leur paroxysme est sans doute atteint dans la grande guerre des Paysans allemands étudiée par F. Engels, et chez son leader Thomas Münzer dont Ernst Bloch socianalyse la théologie de la révolution: chaînon important si, comme le propose Karl Mannheim, c'est en lui que le soulèvement chiliastique médiéval et la révolution moderne furent structuralement intégrés. 3. Le cycle de la postréforme, plus particulièrement chez certains Left-Wingers - Levellers, Diggers, premiers Quakers -, connecté avec la Révolution politique et industrielle anglaise ou chez certains conventicules piétistes allemands. Quelques éléments présentés par W. D. Morris,21 peuvent servir de plaque tournante pour l'approche de cette population complexe dont chaque échantillon demande à lui seul toute une bibliographie spécifique. 4. Probablement un cycle plus typiquement janséniste, étrangement lié au triple thème de la conversion des juifs, de leur retour en Judée et de la reconstruction du temple, (cf. A G I E R , ETTEMARE, D E G O L A , F E R N A N V I L L E , H O O B I G A N T , M E R A U L T , L E GROS... etc.... etc....). 5. Un cycle missiologique catholique escomptant des chrétientés du Nouveau Monde (latinoaméricain) soit la rechristianisation de l'Ancien monde, soit le coup d'arrêt à une perversion du christianisme impliquée et véhiculée par la colonisation (cf. Jerome de Mendieta). Ce messianisme catholique d'inspiration joachimite ou iniguiste a même pu, en certains cas, rencontrer des formes de messianisme autochtone, comme le suggère Maxime Haubert dans son analyse missiologique des réductions Guaranis.22 6. Le cycle à'Amérique du Nord du XVII e au XIX e siècle. Il représente souvent l'aboutissement de la post-réforme sur le terrain des micro-expériences sociales qui ont représenté vraisemblablement le chaînon intermédiaire entre dissidences religieuses et socialismes utopiques (cf. Labadistes, Kelpiens, Ephrata, Shakers, Rappites, Zoarites, etc. etc.) 7. Le cycle russo-polonais. A partir de la situation ecclésiologique créée par le Raskol, on relève mainte effervescence messianiste dans les sectes russes.23 A partir de la situation politique créée par le partage de la Pologne, des messianismes divers (Towianski, Mickiewicz) annonceront la résurrection de la nation victime. 8. Le cycle de la Révolution française. Cette Révolution a été interprétée comme un événement messianique non seulement en France (Suzette Labrousse, Pontard et son Journal prophé-
21. W. D. MORRIS, The Christian origins of Social Revolt. Londres, 1949. 22. M. HAUBERT, L'oeuvre missionnaire des Jésuites au Paraguay, 1585-1768. (Thèse de doctorat de 3° Cycle), 1966.
23. Cf. KOWALESKI, in A.S.R., 5, pp. 108 et ss., et SARKISYANZ, Russland und der Messianismus des Orients, 1955. 14
LES CYCLES MESSIANIQUES
tique), mais aussi et peut-être surtout dans le christianisme anglo-saxon plus ou moins héritier des Left-Wingers.24 9. Les cycles postrévolutionnaires. On en discerne deux. Celui du Grand Monarque ou du Monarque fort, lié à des tentatives pour la réhabilitation ou la restauration de certaines lignées monarchiques (vintrasisme). Celui des Nouveaux christianismes, annonciateurs d'une ère «messiaque» à travers les courants français, anglais ou allemands du socialisme utopique.25 10. Les cycles contemporains des pays sous-développés. Trois aires surtout s'offrent ici à l'attention: a. L'aire océanienne, explorée par J. Guiart et P. Worsley. On a même pu établir une première géographie de ces dizaines de messianismes océaniens véhiculés à travers les cultes du cargo.26 b. L'aire africaine sud-saharienne. C'est le domaine des messianismes noirs analysés par G. Balandier et, entre autres, par Andersson. S'y ajoutent les messianismes sud-africains (plutôt prophétismes que messianismes), examinés par B. Sundkler et J. Eberhardt... Sur l'ensemble, l'ouvrage plus ancien de K. Schlosser est en voie d'être renouvelé par les contributions et les échanges présentés au Colloque spécifique de Bouaké (Côte-d'Ivoire) en octobre 1963. c. L'aire sud-américaine à laquelle ont été consacrées de nombreuses études, citées, reprises, prolongées ou renouvelées dans les contributions de M.-I. Pereira de Queiroz, R. Bastide, A. Métraux. A ces aires, où les faits messianiques se présentent avec une étonnante densité, il conviendrait d'adjoindre d'une part celle de l'Italie du Sud, explorée récemment par Hobsbawn,27 et enfin celle de l'Amérique du Nord, que ce soit pour ses messies indiens du siècle dernier,28 ou que ce soit pour ses messies noirs contemporains.29 Il n'existe pas encore aujourd'hui d'inventaire systématique des faits messianiques à travers ces différents cycles de l'ère chrétienne, et M. Eliade a même pu écrire que: «Yinterprétation historico-religieuse de ces micro-religions millénaristes est à peine commencée ». On peut néanmoins obtempérer à son invite lorsqu'il écrit à la suite: «Tous ces phénomènes ne deviennent complètement intelligibles que dans la perspective de Γ histoire des religions. » C'est à cette perspective historique et comparative que se réfèrent sinon l'interprétation, du moins les classifications ou propositions de classifications qui suivent.
24. Pour une nomenclature de ces prophéties identifiant la Révolution française à un certain millénium, cf. H.D. Socialismes et Sociologie Religieuse, p. 45-49. 25. Cf. H.D. «Messianismes et Utopies», m Socialismes et Sociologie Religieuse, p. 119-142. 26. Cf. A.S.R., 5, pp. 38-47. 27. E. J. HOBSBAWN, Primitive rebels, Manchester, 1959. 28. Cf. R. H. Lo WIE, loc. cit. 29. Bibliographie in C. BRADEN, These also believe. 15
IV. TYPOLOGIES DU MESSIANISME Les matériaux élaborés aujourd'hui sur les faits messianiques non chrétiens et chrétiens se présentent certes en ordre dispersé, et avec des contenus hétérogènes. Cependant leur premier et élémentaire rassemblement laisse concevoir comment, à partir de cette sociographie descriptive, une certaine typologie du phénomène messianique pourrait s'élaborer. Trois lignes se présentent: typologie des personnages, typologie des nouveaux règnes, typologie des supputations. 1. Typologie des personnages: a. Le personnage historiquement présent Il peut être soit prétendant, soit prétendu. Le prétendant à la messianité se réclame généralement, comme il a été dit, d'un lien natif avec la puissance divine suprême, maîtresse de l'histoire universelle. Il est son père, sa mère, son fils et son épouse, etc., ou encore, sous la forme d'un être redivivus, le Dieu lui-même ou l'Ancêtre divin. Dans tous les cas la prétention personnelle à la messianité s'accompagne d'une certaine autodéification. Cette prétention peut être explosive (à la suite d'un songe, d'une révélation); elle est le plus souvent progressive: on est d'abord messager, envoyé, prophète du dieu, et c'est peu à peu seulement, que la conscience de la mission se métamorphose en conscience de la messianité. Cette prétention enfin peut être exclusive (messianité d'un individu) ou partagée (messianité d'une lignée, d'une ethnie ou d'une ecclesiola...). Le Messie prétendu ne revendique pas lui-même le titre de Messie. Ce titre lui est attribué soit par le cercle, soit par la postérité de ses disciples. A la limite, ce cercle ou cette postérité non seulement lui attribuent le titre de Messie, mais encore lui confèrent ou lui inventent son historiographie ou son historialisation. Le plus souvent, cependant, cette attribution subséquente se greffe sur un personnage historiquement présent, mais dont la conscience n'était encore que celle d'un chargé d'une mission divine, sans prétendre lui-même à la conscience proprement messianique. La conscience collective précède ainsi et catalyse la prétention de la conscience individuelle à la messianité. L'individu est d'abord messie prétendu avant d'être messie prétendant. Au terme, la prétention messianique est partagée, l'attribution collective étant individuellement entérinée par le personnage. Avant d'en arriver là, bien des cas peuvent se présenter: celui de la prétention en suspens («vous dites que je suis messie, c'est votre affaire, n'attendez pas de moi que je l'entérine ou que je le récuse»).30 Il y a le cas de la prétention cultivée, comme on le voit dans les relations entre Tanchelm et les tanchelmites. Il y a le cas de la prétention provoquée. De ce point de vue, le dossier des messianismes offrirait des éléments capitaux pour l'étude des divers «cultes de la personnalité». b. Le personnage historiquement absent Ce sont les cas où le phénomène messianique repose soit sur une historicisation subséquente, soit sur une sublimation perspective ou rétroactive. Certaines constantes se laissent repérer. La plus fréquente est celle-ci: le personnage messianique ne se laisse définir et désigner que par la présence de l'anti-personnage ou anti-Messie (antichrist) ou même par l'imminence et la surabondance des événements qui constituent un anti-type du royaume messianique (thème 30. Cf. Father Divine, in C. BRADEN, op. cit. 16
TYPOLOGIES DU MESSIANISME
du «débordement de la coupe»). Mais on trouve également d'autres «formules» relativement fréquentes selon les types de messages messianiques. Elles représentent pour ainsi dire un calcul des degrés de l'absence. En voici quelques-unes : 1. Le personnage est venu mais personne ne le connaît. A la limite, il ne se connaît pas luimême. 2. Il est venu mais il demeure caché, seuls quelques-uns le connaissent. 3. Il n'est pas encore venu mais il est imminent (attente et supputations concernant la mère). 4. Il est venu, mais il est reparti et il attend pour reparaître. 5. Il est là, il attend, mais ceux pour qui il est venu ne veulent pas le reconnaître. 6. Il est définitivement ailleurs, mais sa place doit demeurer libre, et personne ne saurait l'occuper..., etc. c. Les vicaires du personnage Entre la présence ou l'absence historique, radicalement différenciées, il y a place, on le voit déjà, pour bien des solutions intermédiaires. Elles peuvent se regrouper autour de la conception d'une présence vicariale, antécédente, concomitante ou subséquente. Les types de personnages les plus fréquemment rencontrés sous cette rubrique sont les suivants: le prédicateur-ascète itinérant (c'est souvent ce personnage, qui, sous la pression de la conscience et de l'effervescence collectives, se hissera ou sera hissé jusqu'à la conscience messianique) ; le prophète ou simplement la prophétie; le précurseur (sans parler du «postcurseur» revendiqué par Ch. Fourier); l'allié consentant (le plus souvent un lieutenant habilité à être le bras séculier de la démarche messianique); l'allié malgré lui (le fléau de Dieu); enfin le pontife théocrate.31 2. Typologie des règnes ou des royaumes messianiques. Même si ces nouveaux règnes impliquent toujours un lien entre des facteurs religieux et des facteurs sociaux, également nouveaux, leur accent peut être placé à tel ou tel niveau. Voici quelques-uns de ces niveaux : a. Religieux ou ecclésiologique Le messianisme est alors dominé par un projet de réforme religieuse, ou culturelle, mais ce projet n'est pas sans s'accompagner d'une grève socio-religieuse plus ou moins radicale à l'égard du monde existant. Au minimum: grève des «cultes» dominants. A la limite, vente de tous les biens et refus du travail, comme on le voit dans l'expectation adventiste primitive. Le plus souvent, engagement dans une vie «hors du monde» par fondation de conventicules. b. Politique. L'établissement de dynasties, l'avènement de régimes ou même l'éclosion des nationalités s'accompagnent souvent de spéculations et de dimensions messianiques ou paramessianiques. Elles s'observent par exemple dans l'histoire de la France, de l'Allemagne ou de l'Italie, de la Pologne, de la Russie. Ce fait rejoint et prépare le phénomène des droits divins accordés à l'autorité politique, phénomènes si souvent étudiés par l'histoire des religions. c. Economico-social Comme l'histoire des nationalités, l'histoire des révoltes sociales offre souvent une affabula3 1 . CF.
la stratégie de J. de LEYDE à Münster. 17
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tion messianique. On a même prétendu32 que la Révolution soviétique elle-même avait pu reposer sur une affabulation de ce genre. Le fait en tout cas est particulièrement clair, lorsque la révolte sociale se conjugue avec la lutte pour l'indépendance nationale, comme dans les messianismes contemporains en pays sous-développés océaniens ou africains.33 d. Sexuel et familial Le nouveau règne est souvent conçu comme étant celui où il n'y aura plus «ni homme ni femme». Cette conception donne à son tour naissance à des variantes dans les régimes proposés: ascétisme monastique ou néo-manichéen, affinitarisme libertaire, ou combinaisons mixtes avec des prescriptions variables portant sur l'endogamie, l'exogamie, la polygamie (Mormons) ou le mariage plural (Oneidistes); à la limite affabulations sur l'androgynie.34 e. Naturiste L'ambition du nouveau règne peut encore porter plus loin et vouloir affecter des régimes encore plus fondamentaux : régimes de la consommation alimentaire (tabous ou anti-tabous de tels aliments) ou vestimentaire (adamites, doukhobors, naked cults)·, régime de reproduction (fréquence du thème des Vierges-Mères); ou même régime de la mort et de l'immortabilité (métempsychose, résurrections successives, autorité du personnage ou de l'anti-personnage redivivus). f. Cosmique Le nouveau règne peut enfin s'étendre au monde végétal, animal et astral, et rejoindre les prédictions poétiques, profanes ou sacrées de l'Age d'Or: économie d'abondance, paix universelle, modification des climats, redressement de l'axe terrestre, nouveaux rapports des vivants et des morts..., etc. A ce stade, la sociologie du messianisme rejoint la sociologie de l'utopie. Cette diversité de niveaux est cependant traversée par un trait à peu près constant: celui du retour ou de la répétition. Le nouveau règne messianique est une réédition en avant d'un régime plus ou moins identique expérimenté en arrière. Cette référence peut être celle d'une fondation antérieure: celle du christianisme dit primitif·, celle d'une période économico-sociale d'avant les catastrophes déplorées, celle d'un monde originel (Paradis perdu) ; ou celle du monde, submergé par la colonisation ou les guerres, des ancêtres vertueux et indépendants... Il est rare que dans sa nouveauté même, le règne messianique n'en appelle pas du présent à un passé lointain, inconnu, oublié, ou inconscient pour fonder son projet d'avenir. C'est ce qu'a relevé, entre autres, A. Métraux dans son analyse des messies sud-américains: «Les peuples assujettis, dont les cultures et les croyances sont écrasées par la conquête d'envahisseurs, ont tendance à transformer leur nostalgie d'un passé heureux en des rêves dynamiques orientés vers un futur 32. Cf. SARKISYANZ, op. cit. En un sens analogue G. GURVITCH croyait pouvoir avancer: «Bien que n'appartenant à aucune religion, je me permettrai tout de même de faire remarquer que la théologie russe de l'immanence du Saint-Esprit à l'humanité, qui implique l'appel à l'humanité pour aider Dieu à continuer de créer le monde me paraît beaucoup plus proche du collectivisme et qu'elle est peut être un des secrets du communisme en Russie... ». in Revue de l'Institut de Sociologie (Bruxelles), n°2-3,1967, p. 30. 33. C'est ce qu'a voulu souligner sur une large documentention la thèse de V. LANTERNARI, op. cit. 34. Cf. M. ELIADE « Méphistophélès et Androgyne ou le mystère de la totalité »in Méphistophélès et Γ Androgyne, Gallimard, 1962, pp. 95 et suiv. En particulier sa mise en perspective de cette affabulation dans la continuité du thème mystique de la coîncidentia oppositorum.
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qui leur restituera leur gloire première et confondra leurs ennemis» (loc. cit.). M. Eliade a opportunément systématisé ce thème de la réédition, qui est aussi celui de la coïncidence entre un point oméga et le point alpha.35 3. Typologie des supputations Les deux typologies précédentes se retrouvent et se redistribuent dans quelques classifications communes aux « personnages » et aux « royaumes ». Elles sont proposées ici à titre rudimentaire : a. Messianismes et millénarismes A. H. Silver (op. cit.) remarque: «On doit se souvenir que ce n'est pas le Messie qui introduit le millénium. C'est l'inévitable avènement du millénium qui amène avec lui le Messie et ses activités correspondantes. Le Messie fut attendu autour du second quart du premier siècle parce que le millénium était imminent. Avant ce temps il n'était pas attendu car, selon la chronologie d'alors, le millénium était considérablement éloigné».38 Il est possible que cette détermination se vérifie pour la période examinée par Hillel et même ultérieurement dans beaucoup de computations chronosophiques de l'âge patristique (typologie sabbatique du millénium et typologie millénariste de la semaine). On ne saurait cependant forcer sur cette dépendance qui subordonnerait le personnage (Messie) à son ère (millénium). La conscience messianique, il est vrai, surgit souvent dans le milieu historique et social avant de se cristalliser sur un personnage, et a fortiori, avant d'être entérinée ou revendiquée par ce personnage lui-même (souvent, on l'a dit, elle reste au stade d'une attribution gratuite à titre posthume), et il y a tant de manières d'être personnage divin (envoyé de Dieu, homme de Dieu, descendant ou ascendant de Dieu), que souvent aussi, par une connivence ambiguë, un même titre peut recouvrir des significations totalement différentes dans l'acception de l'initiateur et dans l'acception de ses adeptes. Mais deux faits semblent se vérifier également. D'une part, le contexte millénariste peut en demeurer à un en-deçà du messianisme: tantôt le personnage ne surgit pas, et tantôt s'il surgit, ou bien il fait lui-même obstruction à la qualification messianique, ou bien il en obtient le transfert à une entité supra-historique, se bloquant lui-même dans la fonction de précurseur. D'autre part, le surgissement du personnage peut précéder la nostalgie milléniale, voire la provoquer délibérément ou non, et ce faisant, trouver ou non audience et même s'il trouve audience, sombrer sur le fait qu'une distorsion s'est interposée entre l'émission et la réception des messages.37 Les déterminations entre le personnage et le royaume n'obéissent pas à une logique unilatérale : elles sont complexes, variables et la plupart du temps réciproques. b. Pré- etpostmillénarisme La distinction alimenta des controverses copieuses. Elle connote approximativement deux caractéristiques, touchant respectivement un processus social d'intervention et une conception théologique de la grâce. 35. M. ELIADE, op. cit., ch. III: «Renouvellement cosmique et eschatologie», pp. 155 et suiv. 36. A la limite, cf. la spéculation récente de J. -C. PICHÓN, Le royaume et les prophètes, Laffont, 1963, fondant sa chronosophie sur le fait qu'un rythme astral déterminerait événements ou avènements historiques. 37. Cf. le cas du message émis par le personnage millénarisant que fut Thomas MÜNZER. Cf. commentaire in H. D., Marxisme et religions, Presses Universitaires de France, 1962, pp. 88-93. 19
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Prémillénarisme: 1. Le royaume de Dieu intervient ex abrupto par un processus révolutionnaire, rompant la chaîne des causalités naturelles et historiques, visitant le monde par une véritable effraction pour le désintégrer, en le réintégrant ou non à un niveau plus ou moins proche de l'ici-bas ou de l'au-delà; 2. Cette intervention est le fait d'une initiative caractérisée par une other worldness (miséricorde ou colère); sans elle l'action de l'homme ne peut rien pour le royaume millénial; elle vient avant (pré) lui, et seule elle le rend possible. Postmillénarisme: 1. Le royaume de Dieu s'instaure progressivement par un processus évolutif, s'intégrant dans l'enchaînement des faits historiques (sociaux et ecclésiastiques), et orientant le monde, de par la logique interne de son évolution sociale et religieuse, vers un point de maturité où il portera le royaume millénial ou messianique ainsi qu'un arbre porte un fruit; 2. L'action de l'homme religieusement animée et contrôlée, non seulement ne s'oppose pas à cet avènement ultime, mais elle est de nature à en accélérer le rythme: en tout cas le millénium vient après (post) cet effort humain collectif et celui-ci est une de ces conditions préalables. On pourrait également ajouter: ce que le prémillénarisme attend d'une descente de haut en bas dans l'espace, le postmillénarisme l'escompte d'une progression de bas en haut dans le temps. Pour l'un comme pour l'autre, cependant, une dimension commune : l'Age d'Or est en avant. C'est en pensant sans doute à leur dimension commune - le millénium comme Eden en avant de l'histoire humaine - que Tuveson38 s'est efforcé d'y discerner une source théologique - avant acculturation - des philosophies ou des théosophies du progrès. Encore conviendrait-il de distinguer entre les deux filières de l'acculturation et de se demander: si les théories optimistes et linéaires du progrès continu trouvent en effet leur arrière-plan (background), comme le propose Tuveson, dans des postmillénarismes peu à peu sécularisés, les prémillénarismes ne seraient-ils pas, eux aussi, de nature à fournir, moyennant leur propre sécularisation, un arrière-plan à certaines pratiques pessimistes et tranchées d'une révolution discontinue? W. Weitling, parvenu à une conscience quasi messianique, ne revendiquait-il pas pour précurseur ce Thomas Münzer chez qui Mannheim croit discerner le chaînon entre le chillaste médiéval et le révolutionnaire moderne?... c. Immanence et imminence Selon les messianismes en cause, le royaume annoncé ou proposé peut mettre l'accent sur l'une ou l'autre. En certains cas, on peut être tenté de penser que le primat de l'une tend même à exclure l'autre. L'imminence adventiste de la Second Coming implique une assomption qui rend caduc et superfétatoire tout le dispositif de l'ici-bas. A la limite, le Heavens on Earth se transmue en Earth in Heavens. Le temps est volatilisé dans l'espace et le «monde» est un chantier qui ne demande au mieux qu'une liquidation. Enfin la perspective de l'imminence est volontiers thaumaturgique : arrivée du ou des personnages miraculeux, mobilisation des fléaux naturels ou historiques pour la sélection des saints et des maudits, promesses d'immortalité ou de résurrection, etc. Uimmanence au contraire prend du temps. Elle est généralement postmillénariste dans la 38. TUVESON, Millenium and Utopia. 20
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mesure précisément où elle mobilise pour sa démonstration les rythmes des temps, des événements, des saisons. Et finalement l'optimisme de ses supputations chronosophiques n'est-il pas de manifester la gratuité inattendue de l'avènement comme une nécessité malgré tout attendue par les astres? Le royaume qu'elle entend manifester ne demande pas pour autant la résignation au fait établi. Il ne demande pas d'être absent de ce monde, mais au contraire d'y être présent, fût-ce moyennant la fameuse ascèse intramondaine de Max Weber, assortie de dimensions dont le puritanisme classique pourrait éventuellement s'effaroucher. L'imminence sans immanence donne son arrière-plan à une mystique adventiste. L'immanence sans imminence donne son arrière-plan à une doctrine évolutionniste. Quand immanence et imminence se joignent, l'arrière-plan est, selon la primauté de l'une ou de l'autre, soit celui d'une praxis révolutionnaire de type chiliastique, soit celui d'une coexistence tendue par l'impatience de la victoire du royaume messianique sur les résistances de la société globale. d. Micro- et macro-millénarisme «Cieux nouveaux et terres nouvelles» spécifiques du règne messianique peuvent s'opposer ou se proposer au régime socio-religieux établi sous deux modes. Ou bien, en agissant au maximum sur l'ensemble et éventuellement de Γ intérieur de ce régime, le transformer lui-même en royaume de Dieu, les armes de ce macro-millénarisme pouvant d'ailleurs, selon les cas, être non violentes ou violentes. Ou bien, au contraire, en se distinguant au maximum du dit régime, former à Y extérieur de celui-ci une micro-société qui, pour être exiguë, ne prétend pas moins être globale. Pour prendre un exemple ancien, on pensera à des cas comme celui formé par le macro-millénarisme de la théologie miinzérienne d'une part, et d'autre part le micromillénarisme des sociétés shakers. Dans les deux cas, il s'agit bien d'un «Royaume de Dieu» dans la catégorie de l'immanence, mais dans un cas il s'agit de la société elle-même à transformer en théocratie, dans le second d'une société théocratique en marge d'une société jugée comme rédhibitoirement non transformable. Cette opposition fut peut-être celle qui différencia le messianisme essénien du messianisme zélote, le messianisme chrétien paulinien, et le messianisme juif de Bar Kochba, ou ultérieurement ce qu'il y a de millénarisme dans le manichéisme et ce qu'il y a de manichéen dans le messianisme mazdakite... e. Violence et non violence Il est assez rare de ne pas trouver, même dans les m/'cro-millénarismes une intention d'absorber finalement - par la logique même de leur non-coopération - la société dans les marges de laquelle délibérément ils s'inscrivent. Et réciproquement, il n'est pas rare non plus de trouver dans un macro-millénarisme la constitution d'un corps minoritaire sélectionné, soumis à une discipline propre (garde, fraternité, ligue) et destiné à actionner ou contrôler la transformation projetée: Joseph Smith, cet apôtre de ce qu'on peut estimer un macro-millénarisme (Mormons = Latter day Saints), avait par exemple un corps apostolique, une garde et même une police secrète ; Th. Münzer avait également constitué une ligue de ce genre. Aussi bien, le principe de la minorité agissante se retrouvant ici ou là, une distinction supplémentaire peut être relevée dans la nature des moyens mis en œuvre par une minorité ou par une autre: violents ou non violents. La tradition millénariste des moyens violents peut se réclamer d'une longue tradition. Sans 21
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remonter jusqu'à Bar Kochba, ou aux divers messies militaires des guerres juives, le chiliasme médiéval fournirait un bon échantillonnage de messies ou pseudomessies prêchant l'inauguration du royaume dans un bain de sang «jusqu'au poitrail des chevaux»; il est vrai que l'antichiliasme représenté par l'appareil inquisitorial ne se signalait pas non plus par une particulière douceur. N. Cohn a exhumé le projet indubitablement millénariste d'une Fraternité de la Croix Jaune qui donne avec des analogies stupéfiantes un avant-goût de sa postérité, le parti de la Croix Gammée. Plus tard, la V e Monarchie, Fifth Monarchy Men, se signala comme organisatrice d'émeutes et de conspirations. Et cet authentique chillaste que fut W. Weitling ne rêvait-il pas d'ouvrir les prisons et de convier les criminels libérés à l'extermination du désordre existant? La tradition non violente est pour le moins aussi ancienne et aussi continue. Son arme est la non-coopération, forme quasi ontologique d'une grève gestionnaire qui peut entamer plus ou moins profondément les dispositifs biologiques, moraux, cultuels ou culturels de l'environnement. Le refus de la manipulation de la monnaie en est une des formes les plus régulières (y compris la forme du frater bursarius chez les Fraticelles). Mais il en est d'autres qui caractérisent cette tradition : refus de la nourriture carnée, refus de la reproduction, refus du mariage, refus du commerce, refus de la médecine, refus de la production industrielle ou du voisinage des villes, refus du culte ecclésiastique et d'un clergé ministériel, refus des tribunaux et du serment, refus du service militaire, refus de l'impôt, refus de l'électorat ou de l'éligibilité, refus de l'alcool et du tabac, etc., il n'est pas un de ces refus qui ne soient l'envers négatif dont une structure ou régime positifs entendent constituer Y endroit par la découverte ou la redécouverte d'un mode de vie jugé comme édenique ou chrétien primitif. Telles sont quelques-unes des codifications grossières suggérées par la population messianiste ou messianisante, telle qu'elle est recensée dans ce dictionnaire et récapitulée dans ses tables. Il convient d'en souligner encore les limites et la relativité. En effet, malgré l'intensité des explorations et des compilations, une inconnue subsiste toujours, qui peut être une infraction à la règle cartésienne des dénombrements entiers. On n'est jamais certain d'un tel dénombrement, non seulement en raison de la multitude ou de la difficulté des sources, mais aussi parce que les faits messianiques sont de ceux qui sont le plus facilement transformés par la mémoire collective: car s'ils peuvent être créés ou promus par cette mémoire collective, ils peuvent être aussi refoulés ou éliminés par elle. Aussi devant une aire culturelle ou une phase historique apparemment sans faits messianiques, comme d'ailleurs devant le fait d'une «combinaison messianique» sans réalité correspondante offerte à l'observation, on se demandera toujours si ce «sans» est le fait d'une réalité initialement nulle ou bien d'une réalité finalement annulée.
V. LE MATÉRIEL IMAGINAIRE DU MESSIANISME-MILLÉNARISME: CHIFFRES, FIGURES ET PARABOLES La littérature eschatologique judéo-chrétienne est d'une singulière opulence et on n'en finirait pas de recenser le matériel imaginaire exploité par elle dans une tradition d'ailleurs cumulative. On doit observer cependant qu'une partie seulement de cette littérature est ici concernée. Car 22
LE MATÉRIEL IMAGINAIRE DU MESSIANISME-MILLÉNARISME
si la tradition eschatologique a pour visée la fin du monde, la tradition messianiste-millénariste vise seulement la fin d'un monde lors d'un grand jour, le Millenial Day qui sera du même coup l'inaugurateur d'une nouvelle Ere, d'un nouvel Age, d'un nouveau Monde. C'est dans ces limites qu'une certaine série de thèmes descriptifs, conjuratoires ou adjuratoires, se laisse remarquer. Nous retiendrons ici ceux-là seulement qui reviennent avec une particulière fréquence et qui se trouvent évoqués, sans autres commentaires, au long des notices de ce dictionnaire. S'avèrent d'une particulière importance les textes «àchiffres», puisque ces chiffres font l'objet d'innombrables supputations chronologiques; ils se mêlent souvent à des textes «à images», figures ou paraboles dont l'objet aura été, selon un procédé symbolique, de mettre une idée en histoire. Quelles que soient les significations littérales attachées par les auteurs originels tant à ces chiffres qu'à ces images, il semblerait, une fois lancés, que ceux-ci obéissent à une logique qui leur est propre; ils prennent posture d'archétypes susceptibles de nourrir par leur thème les variations multiples et contradictoires de leurs commentateurs ou interprètes ultérieurs. Une charge poétique les rend contagieux même si cette contagion est relativement indépendante du type d'épidémie qui se propage en se réclamant d'elle. Ainsi, quelle que fût Béatrice, ou même à la limite qu'elle fût réelle ou irréelle, peu importe finalement à celui qui, dans l'héroïne de la Divine Comédie croit retrouver, plus tard, beaucoup plus tard, ailleurs et peut-être très loin, l'affabulation de son propre rêve ou même de sa réalité. De même la multiplicité des commentateurs qui ont repris en compte les thèmes de Daniel ou de l'Apocalypse johannique et qui se sont si peu souciés du sens littéral de ces textes, sens littéral que l'exégèse a pour raison d'être de reconstituer et, s'il est occulte, de décrypter. Ces commentateurs touchés par l'épidémie messianique seraient même probablement demeurés insensibles à la contradiction, si on la leur avait démontrée, entre la signification que l'auteur sacré donnait à sa conjoncture à travers sa cryptographie d'une part, et d'autre part la pseudo-vérité que leurs commentaires prétendaient en dégager en clair dans et pour une conjoncture pour laquelle le message n'avait pas été rédigé. Ce serait donc un inutile pensum que de s'appesantir sur ces éclatantes contradictions; mais il sera utile, sans doute, de dresser une rapide nomenclature de ce musée imaginaire du messianisme judéo-chrétien pour savoir à quels textes se rapportent chiffres, figures ou paraboles qui seront l'arsenal où on puisera inépuisablement. 1. La statue aux pieds d'argile et la cinquième Monarchie (Daniel II, 31-44) S'emmêlent dans le texte: une image - la statue composite - et une chronologie: celle des quatre royaumes qui se succèdent et auxquels succède un cinquième royaume. Ce cinquième royaume sera cher en particulier aux Fifth Monarchy Men (Hommes de la Cinquième Monarchie). Quant à l'image, elle sera souvent commentée, en particulier dans le Sermon aux Princes (die Fürstenpredigt) de Thomas Münzer.39 31 Voici: une statue, une grande statue, extrêmement brillante, se dressait devant toi, terrible à voir. 32 Cette statue, sa tête était d'or fin, sa poitrine et ses bras étaient d'argent, son ventre et ses cuisses de bronze,
39. Qui vient d'être présenté et commenté dans une thèse (3° Cycle) de Marianne
SCHAUB.
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DIEUX D'HOMMES 33 ses j ambes de fer, ses pieds partie fer et partie terre cuite. 34 Tu regardais: soudain une pierre se détacha, sans que main l'eût touchée, et vint frapper la statue, ses pieds de fer et terre cuite et les brisa. 35 Alors se brisèrent, tout à la fois, fer et terre cuite, bronze, argent et or, devenus semblables à la baie sur l'aire en été : le vent les emporta sans laisser de traces. Et la pierre qui avait frappé la statue devint une grande montagne qui remplit toute la terre. 36 Tel fut le rêve; et son sens, nous le dirons devant le roi. 37 C'est toi, ô roi, roi des rois, à qui le Dieu du Ciel a donné royaume, pouvoir, puissance et gloire, 38 - les enfants des hommes, les bêtes des champs, les oiseaux du ciel, en quelque lieu qu'ils demeurent, il les a remis entre tes mains et t'a fait souverain sur eux tous, - la tête d'or, c'est toi. 39 Et après toi se dressera un autre royaume, inférieur à toi, et un troisième royaume ensuite, de bronze, qui dominera la terre entière. 40 Et il y aura un quatrième royaume, dur comme le fer, comme le fer qui réduit tout en poudre et écrase tout; comme le fer qui brise, il écrasera et brisera tous ceux-là. 41 Ces pieds que tu as vus, partie terre cuite et partie fer, c'est un royaume qui sera divisé; il aura part à la force du fer, selon que tu as vu le fer mêlé à l'argile de la terre cuite. 42 Les pieds, partie fer et partie terre cuite ; le royaume sera partie fort et partie fragile. 43 Selon que tu as vu le fer mêlé à l'argile de la terre cuite, ils se mêleront en semence d'homme, mais ils ne tiendront pas ensemble, de même que le fer ne se mêle pas à la terre cuite. 44 Au temps de ces rois, le Dieu du Ciel dressera un royaume qui jamais ne sera détruit, et ce royaume ne passera pas à un autre peuple. Il écrasera et anéantira tous ces royaumes, et lui-même subsistera à jamais: 45 de même, tu as vu se détacher de la montagne, sans que main l'eût touchée, la pierre qui a réduit en poussière fer, bronze, terre cuite argent et or. Le Grand Dieu a fait connaître au roi ce qui doit arriver. Le rêve est sûr, et certaine l'interprétation. 2. Le triomphe de la Quatrième Bête et la revanche des Saints (Daniel VII, 7-26) Dans cette vision, Daniel aperçoit quatre bêtes sortant de la mer «énormes, toutes différentes entre elles». La première semblable à un lion, la deuxième semblable à un ours, la troisième semblable à un léopard. Puis vient la quatrième bête qui, régulièrement, sera interprétée comme une figure de l'Anté-Christ : 7
Ensuite je contemplai une vision, dans les visions de la nuit. Voici : une quatrième bête, terrible, effrayante et forte extrêmement; elle avait des dents de fer très grandes; elle mangeait, broyait, et foulait aux pieds ce qui restait. Elle était différente des premières bêtes et portait dix cornes. 8 Tandis que je considérais ses cornes, voici: parmi elles poussa une autre corne, petite; trois des premières cornes furent arrachées de devant elle, et voici qu'à cette corne, il y avait des yeux comme des yeux d'homme, et une bouche qui disait de grandes choses! 11 J'avais encore dans l'oreille le bruit des grandes choses que disait la corne, et tandis que je regardais, la bête fut tuée, son corps détruit et livré au feu. La revanche des saints est donc assurée comme le rappellent les versets 21-22. 21 Et j'avais vu cette corne qui faisait la guerre aux saints et l'emportait sur eux' 22 jusqu'à la venue de l'Ancien qui rendit jugement en faveur des saints du Très-Haut, et le temps vint et les saints possédèrent le royaume. Enfin, la vision se commente elle-même : 24
LE MATÉRIEL IMAGINAIRE DU MESSIANISME-MILLÉNARISME 23 II dit: «La quatrième bête sera un quatrième royaume sur la terre différent de tous les royaumes. Elle mangera toute la terre, la foulera aux pieds et l'écrasera. 24 Et les dix cornes : de ce royaume dix rois se lèveront et un autre se lèvera après eux; il sera différent des premiers et abattra les trois rois ; 25 il proférera des paroles contre le Très-Haut, et mettra à l'épreuve les saints du Très-Haut. Il méditera de changer les temps et le droit, et les saints seront livrés entre ses mains pour un temps et des temps et un demi-temps. 26 Mais le jugement sera rendu et la domination lui sera ôtée, détruite et réduite à néant jusqu'au fond. » Au verset 25, maint commentateur proposera ses clefs pour interpréter la finale (dont on trouve ailleurs l'équivalent) et qui a été lue, généralement, selon le libellé: « U n temps et un temps et la moitié d'un temps. » 3. Les 2.300 soirs et matins de la profanation du sanctuaire (Daniel, VIII, 3-14) Ce chiffre de 2.300 est un grand chiffre messianique. Il intervient dans la finale de la vision du bélier. 3 Je levai les yeux pour voir. Voici: un bélier se tenait devant le torrent. Π avait deux cornes; les deux cornes étaient hautes, mais l'une plus que l'autre, et la plus haute qui se dressa fut la seconde. 4 Je vis le bélier donner de la corne vers l'ouest, vers le nord et vers le sud. Nulle bête ne pouvait lui résister, rien ne pouvait lui échapper. Il faisait ce qui lui plaisait et s'agrandit. 13 J'entendis un saint qui parlait, et un autre saint dit à celui qui parlait: «Jusques à quand la vision: le sacrifice perpétuel, désolation de l'iniquité, sanctuaire et légion foulés aux pieds? » 14 II lui dit: «Encore deux mille trois cents soirs et matins: alors le sanctuaire sera revendiqué. » 4. La série des semaines (Daniel, IX, 24—27) C'est là le grand texte de Daniel, celui sur lequel se sont exercées les plus nombreuses supputations. C'est en même temps un grand texte explicitement messianique. 24 Sont assignées septante semaines pour ton peupie et ta ville sainte pour mettre un terme à la transgression pour apposer les scellés aux péchés pour expier l'iniquité pour introduire éternelle justice pour sceller vision et prophétie pour oindre le Saint des Saints. 25 Prends-en connaissance et intelligence : Depuis l'instant que sortit cette parole 25
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«Qu'on revienne et qu'on rebâtisse Jérusalem» jusqu'à un Prince Messie, sept semaines et soixante-deux semaines, restaurés, rebâtis places et remparts mais dans l'angoisse des temps. 26 Et après les soixante-deux semaines un messie supprimé, - et... ne sera pas à lui, la ville et le sanctuaire détruits par un prince qui viendra. Sa fin sera dans le cataclysme et, jusqu'à la fin, la guerre et les désastres décrétés. 27 Et il consolidera une alliance avec un grand nombre le temps d'une semaine; et le temps d'une demi-semaine il fera cesser le sacrifice et 1'oblation, et sur l'aile du Temple sera l'abomination de la désolation jusqu'à lafin,jusqu'au terme assigné pour le désolateur. 5. Les 1290 et les 1335jours (Daniel, XII, 11-12) Les 1290 jours: durée de l'abomination de la désolation; les 1335 jours: durée de l'endurance requise. Parle truchement des jours-années ces chiffres, ainsi que les 2.300 soirs et matins (cf. sup. 3) seront les plus commentés. 11 A compter du moment que sera aboli le sacrifice perpétuel et posée l'abomination de la désolation : mille deux cent quatre-vingt-dix jours. 12 Heureux celui qui tiendra, et qui atteindra mille trois cent trente-cinq jours. 6. La réconciliation d'Israël (Paul, Epître aux Romains, XI, 7-28) Pour toute une tradition chrétienne - indépendante d'ailleurs du messianisme juif proprement dit - l'ère messianique coïncidera avec la réconciliation d'Israël, celle-ci étant conçue soit comme une conversion des juifs au christianisme, soit comme une conversion des chrétiens au judaïsme (la fiche San Nicandro, cruellement absente ici rendrait bien ce second mouvement), soit comme une combinaison de ces conversions réciproques, coïncidant avec l'aller (des chrétiens), le retour (des juifs) en Terre Sainte et l'apparition d'un prince libérateur. Cette tradition messianiste invoquera en des sens divers ce fameux texte de l'Epitre aux Romains. 7
... Ce que recherche Israël, il ne l'a pas atteint; mais ceux-là l'ont atteint qui ont été élus. Les autres, ils ont été endurcis, 11 Je demande donc: serait-ce pour une vraie chute qu'ils ont bronché? Certes non! mais leur faux pas a procuré le salut aux païens, afin que leur propre jalousie en fût excitée. 15 Car si leur mise à l'écart fut une réconciliation pour le monde, que sera leur admission, sinon une résurrection d'entre les morts? 23 Et eux, s'ils ne demeurent pas dans l'incrédulité, ils seront greffés : Dieu est bien assez puissant pour les greffer à nouveau. 26
LE MATÉRIEL IMAGINAIRE DU MESSIANISME-MILLÉNARISME 25 26 28
Car je ne veux pas, frères, vous laisser ignorer ce mystère, de peur que vous ne vous complaisiez en votre sagesse: une partie d'Israël s'est endurcie jusqu'à ce que soit entrée la totalité des païens, et ainsi tout Israël sera sauvé, comme il est écrit: De Sion viendra le Libérateur, il ôtera les impiétés du milieu de Jacob. Ennemis, il est vrai, selon l'Evangile, à cause de vous, ils sont, selon l'élection, chéris à cause de leurs pères.
7. Le Jour qui vient comme un voleur ( l i é Epître de Pierre, III, 7 - 1 0 ) Bien qu'il vise plutôt la fin du m o n d e que la fin d'un m o n d e , ce texte p a r son aura millénariste (verset 8) et par son insistance sur l'imprévisible imminence sera plusieurs fois impliqué d a n s les a d j u r a t i o n s messianistes. 7
Mais les cieux et la terre d'à présent, la même parole les a mis de côté et en réserve pour le feu, en vue du jour du Jugement et de la ruine des hommes impies. 8 Mais voici un point, très chers, que vous ne devez pas ignorer : c'est que devant le Seigneur un jour est comme mille ans et mille ans comme un jour. 9 Le Seigneur ne retarde pas l'accomplissement de ce qu'il a promis, comme certains l'accusent de retard, mais il use de patience envers vous, voulant que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir. 10 II viendra, le Jour du Seigneur, comme un voleur; en ce jour, les cieux se dissiperont avec fracas, les éléments embrasés se dissoudront, la terre avec les œuvres qu'elle renferme sera consumée. 8. Les 144.000 (Apocalypse, VII, 1^1) « D e toutes les tribus d'Israël» précise le verset 4. Certains y verront le chiffre o p t i m u m d u rassemblement millénial. Plusieurs fois les tribus perdues d'Israël seront repérées c o m m e étant à l'origine de la transmission d u message. Il y a u r a des m o u v e m e n t s p o u r prétendre les avoir retrouvées aussi bien e n A f r i q u e q u ' e n Amérique (cf. M o r m o n s ) . 1
Après quoi j'aperçus quatre Anges, debout aux quatre coins de la terre, retenant les quatre vents de la terre pour qu'il ne soufflât point de vent, ni sur la terre, ni sur la mer, ni sur aucun arbre. 2 Puis j'aperçus un autre Ange monter de l'Orient, portant le sceau du Dieu vivant; il cria d'une voix puissante aux quatre Anges auxquels il fut donné de malmener la terre et la mer : 3 «Attendez, pour malmener la terre et la mer et les arbres, que nous ayons marqué au front les serviteurs de notre Dieu ». 4 Et j'appris combien furent alors marqués du sceau : cent quarante-quatre mille, de toutes les tribus des enfants d'Israël. 9. Les témoins sous le sac (Apocalypse, XI, 1-7) D e n o u v e a u u n texte m a j e u r ne serait-ce que par sa triple c h r o n o s o p h i e : la Ville Sainte est foulée aux pieds p e n d a n t q u a r a n t e deux mois. Les deux témoins prophétisent sous le sac pend a n t 1260 jours. Leurs cadavres sont exposés p e n d a n t trois j o u r s et demi. Après quoi ils sont remis sur pieds. 1 2
Puis on me remit une mesure, une sorte de baguette, en me disant: «Lève-toi pour mesurer le Temple de Dieu, l'autel, et les adorateurs qui s'y trouvent; quant à son parvis extérieur, laisse-le, ne le mesure pas, car on l'a donné aux païens: ils fouleront la Ville Sainte durant quarante-deux mois. 27
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3 Mais j'enverrai mes deux témoins prophétiser pendant mille deux cent soixante jours, revêtus de sacs. » 7 Mais quand ils auront fini de rendre témoignage, la Bête qui surgit de l'Abîme viendra guerroyer contre eux, les vaincre et les tuer. 9 Leurs cadavres demeurent exposés aux regards des peuples... durant trois jours et demi sans qu'il soit permis de les mettre au tombeau. 10. La femme dans le désert (Apocalypse XII, 1-14) Ce texte est non seulement le récit fabuleux tant de fois iconographié de la lutte de la femme contre le dragon, c'est aussi l'image de la femme fuyant au désert pendant 1260 jours, (verset 5). Les nouvelles églises ou communautés messianiques y trouveront leur parabole. L'une d'entre elles en tirera même son titre ( Woman in the Wilderness). 1 2 3 4 5 6 7 13 14
Un signe grandiose apparut au ciel: c'est une Femme! le soleil l'enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête ; elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l'enfantement. Puis un second signe apparut au ciel : un énorme Dragon rouge-feu, à sept têtes et dix cornes, chaque tête surmontée d'un diadème. Sa queue balaie le tiers des étoiles du ciel et les précipite sur la terre. En arrêt devant la Femme en travail, le Dragon s'apprête à dévorer son enfant aussitôt né. Or la Femme mit au monde un enfant mâle, celui qui doit mener toutes les nations avec un sceptre de fer ; et l'enfant fut enlevé jusqu'auprès de Dieu et de son trône. Tandis que la Femme s'enfuyait au Désert, où Dieu lui a ménagé un refuge pour qu'elle y soit nourrie 1260jours. Alors une bataille s'engagea dans le ciel: Michel et ses Anges combattirent le Dragon. Et le Dragon riposta, appuyé par ses Anges. Se voyant rejeté sur la terre, le Dragon se lança à la poursuite de la Femme, la mère de l'Enfant Mâle. Mais elle reçut les deux ailes du grand aigle pour voler au désert jusqu'au refuge où, loin du Serpent, elle doit être nourrie un temps et des temps, et la moitié d'un temps.
11. 666, le chiffre de la Bête (Apocalypse, XIII1-18) On retrouve ici l'image de la Bête, déjà présentée par Daniel. On y trouve aussi son fameux chiffre, «un chiffre d'homme»: 666. Friedrich Engels avait appris déjà de son professeur de Berlin (F. Benary) que ce chiffre était celui de Néron (total des nombres attachés à chaque lettre du nom). Il y voyait la preuve qu'il s'agissait moins ici d'une prophétie sur l'avenir que d'un commentaire cryptographique d'une actualité nourrie par la hantise d'un Nero redivivus. Dans la lignée des commentateurs messianiques le chiffre importera moins que l'image même de la Bête, ou plutôt des deux Bêtes, la seconde au service de la première (Versets 11-12). Cette image fournira même l'archétype des coalitions Eglise-Etat (Church and State) vis-à-vis desquelles tel ou tel mouvement messianique se pensera comme mouvement de résistance, «durant quarante deux mois» (verset 5). 1 Alors je vis surgir de la mer une Bête portant sept têtes et dix cornes, sur ses cornes dix diadèmes, et sur ses têtes des titres blasphématoires. 2 Cette Bête ressemblait à une panthère, avec les pattes comme celles d'un ours et la gueule comme 28
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une gueule de lion ; et le Dragon lui transmit sa puissance et son trône avec un empire immense. 3 L'une de ses têtes paraissait blessée à mort, mais sa plaie mortelle avait été guérie: alors, émerveillée, la terre entière suivit la Bête. 4 On se prosterna devant le Dragon, parce qu'il avait remis l'empire à la Bête; et l'on se prosterna devant la Bête en disant : « Qui égale la Bête, et qui peut lutter contre elle? » 5 On lui donna de proférer des paroles d'orgueil et de blasphème ; on lui donna pouvoir d'agir durant quarante-deux mois·, 6 alors elle se mit à proférer des blasphèmes contre Dieu, à blasphémer son nom et sa demeure, ceux qui demeurent au ciel. 7 On lui donna de mener campagne contre les saints et de les vaincre ; on lui donna pouvoir sur toute race, peuple, langue ou nation. 8 Et tous l'adoreront, tous les habitants de la terre dont le nom ne se trouve pas écrit, dès l'origine du monde, dans le livre de vie de l'Agneau égorgé. 9 Celui qui a des oreilles, qu'il écoute! 10 Les chaînes pour qui doit être enchaîné; la mort par le glaive pour qui doit périr par le glaive! Voilà qui fonde la constance et la confiance des saints. 11 Je vis ensuite surgir de la terre une autre Bête, portant deux cornes comme un agneau, mais parlant comme un dragon. 12 Au service de la première Bête, elle en établit partout l'empire, amenant la terre et ses habitants à adorer cette première Bête dont la plaie mortelle fut guérie. 13 Elle accomplit des prodiges étonnants: jusqu'à faire descendre, aux yeux de tous, le feu du ciel sur la terre; 14 et, par ces prodiges qu'il lui a été donné d'accomplir au service de la Bête, elle fourvoie les habitants de la terre, leur conseillant de dresser une image en l'honneur de cette Bête qui, frappée du glaive, a repris vie. 15 On lui donna même d'animer l'image de la Bête pour la faire parler, et de faire en sorte que fussent mis à mort tous ceux qui n'adoreraient pas l'image de la Bête. 16 Par ses manœuvres, tous, petits et grands, riches ou pauvres, libres et esclaves, se feront marquer sur la main droite ou sur le front, 17 et nul ne pourra rien acheter ni vendre s'il n'est marqué au nom de la Bête ou au chiffre de son nom. 18 C'est ici qu'il faut de la finesse! Que l'homme doué d'esprit calcule le chiffre de la Bête, c'est un chiffre d'homme ; son chiffre c'est 666. 12 .La septième coupe et Γ écroulement de la grande Baby lone (Apocalypse XVI, 17-20) Sept Anges répandent sur la terre les sept coupes de la Colère de Dieu. 17 Et le septième répandit sa coupe dans l'air; alors, partant du temple, une voix clama: «C'en est fait!» 18 Et ce furent des éclairs et des voix et des tonnerres, avec un violent tremblement de terre; non, depuis qu'il y a des hommes sur la terre, jamais on n'avait vu pareil tremblement de terre, aussi violent! 19 La Grande Cité se scinda en trois parties, et les cités des nations croulèrent; et BabyIone la Grande, Dieu s'en souvint pour lui donner la coupe où bouillonne le vin de sa colère. 20 Alors, toute île prit la fuite, et les montagnes disparurent. La grande Babylone sera régulièrement identifiée avec la Rome pontificale. 29
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13. La Prostituée de pourpre et d'écarlate (Apocalypse, XVII, 1-6) Comme le texte l'indique (verset 5) il s'agit de nouveau de la Grande Babylone. Le coloris de ses vêtements, le prix de ses parures, sa cruauté sanglante (verset 6) faciliteront l'identification avec la Cour Romaine et l'Inquisition. 1 Alors l'un des sept Anges aux sept coupes s'en vint me dire : « Viens, que je te montre le jugement de la Prostituée fameuse, assise au bord des grandes eaux; 2 c'est avec elle qu'ont forniqué les rois de la terre, et les habitants de la terre se sont saoulés du vin de sa prostitution ». 3 II me transporta donc au désert, en esprit. Et je vis une femme, assise sur une Bête écarlate couverte de titres blasphématoires et portant sept têtes et dix cornes. 4 La femme, revêtue de pourpre et d'écarlate, étincelait d'or, de pierreries et de perles; elle tenait à la main une coupe en or, remplie des répugnantes impuretés de sa prostitution. 5 Sur son front, un nom était inscrit - un mystère! - «Babylone la Grande, la mère des répugnantes prostituées de la terre. » 6 Et sous mes yeux, la femme se saoulait du sang des saints et du sang des martyrs de Jésus. A sa vue, je fus bien stupéfait. 14. L'exode de Babylone (Apocalypse XVIII, 1-4) Suite des deux textes précédents. Babylone est tombée. Mais il faut en sortir. L'exode est une nécessité et un devoir. Le texte sera naturellement invoqué pour justifier les ruptures soit avec Rome, soit avec les « dieux européens », soit même avec tout « Church and State », soit finalement avec tous dieux des Blancs. 1 Après quoi je vis descendre du ciel un autre Ange, de grande autorité, et la terre fut illuminée de sa splendeur. 2 11 s'écria de toutes ses forces: «Elle est tombée, elle est tombée, Babylone la Grande; elle s'est changée en repaire de démons, en refuge pour toutes sortes d'esprits impurs, en refuge pour toutes sortes d'oiseaux impurs et dégoûtants. 3 Car au vin de ses prostitutions se sont abreuvées toutes les nations et les rois de la terre ont forniqué avec elle, et les trafiquants de la terre se sont enrichis de son luxe effréné ». 4 Puis j'entendis une autre voix qui disait, du ciel: «Sortez, ô mon peuple, quittez-la, de peur que, solidaires de ses fautes, vous n'ayez à pâtir de ses plaies! » 15 .Le millénaire en tre la première et la seconde résurrection (Apocalypse, XX, 1-15) C'est enfin le grand texte, celui qui conjoint messianisme et millénarisme. Mille ans s'écoulent entre une première et une seconde résurrection. La première résurrection est celle des Saints et des martyrs. Ils régnent du règne des saints sur terre pendant mille ans. C'est alors que le millénaire est rompu pour que se livre l'ultime bataille-préliminaire à la seconde résurrection, celle de tous les morts, chacun étant jugé selon ses propres œuvres. 1 Puis je vis un Ange descendre du ciel, tenant à la main la clef de l'Abîme, ainsi qu'une énorme chaîne. 2 II maîtrisa le Dragon, l'antique Serpent, - c'est le Diable, Satan, - et l'enchaîna pour mille années. 3 II le jeta dans l'Abîme, tira sur lui les verroux, apposa des scellés, afin qu'il cessât de fourvoyer les nations jusqu'à l'achèvement de mille années. Après quoi, il doit être relâché pour un peu de temps. 30
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4 Puis je vis des trônes sur lesquels ils s'assirent, et on leur remit le jugement; et aussi les âmes de ceux qui furent décapités pour le témoignage de Jésus et la Parole de Dieu, et tous ceux qui refusèrent d'adorer la Bête et son image, de se faire marquer sur le front ou sur la main; ils reprirent vie et régnèrent avec le Christ mille années. 5 C'est la première résurrection. Les autres morts ne purent reprendre vie avant l'achèvement des mille années. 6 Heureux et saint celui qui participe à la première résurrection ! La seconde mort n'a point pouvoir sur eux, mais ils seront Prêtres de Dieu et du Christ avec qui ils régneront mille années. 7 Les mille ans écoulés, Satan, relâché de sa prison, s'en ira séduire les nations des quatre coins de la terre, Gog et Magog, et les rassembler pour la guerre, aussi nombreux que le sable de la mer; 9 ils montèrent sur toute l'étendue du pays, puis ils investirent le camp des saints, la Cité bien-aimée. Mais un feu descendit du ciel et les dévora. 10 Alors, le Diable, leur séducteur, fut jeté dans l'étang de soufre embrasé, y rejoignant la Bête et le faux prophète, et leur supplice durera jour et nuit, pour les siècles des siècles. 11 Puis je vis un trône blanc, très grand, et celui qui siège dessus. Le ciel et la terre s'enfuirent de devant sa face sans laisser de traces. 12 Et je vis les morts, grands et petits, debout devant le trône ; on ouvrit des livres, puis un autre livre, celui de la vie; alors, les morts furent jugés d'après le contenu des livres, chacun selon ses œuvres. 13 Et la mer rendit les morts qu'elle gardait, la Mort et l'Hadès rendirent les morts qu'ils gardaient, chacun fut jugé selon ses œuvres. 14 Alors, la Mort et l'Hadès furent jetés dans l'étang de feu, - c'est la seconde mort cet étang de feu, 15 - et celui qui ne se trouva pas inscrit dans le livre de vie, on le jeta dans l'étang de feu. Ce sont là les textes les plus importants : ceux en tout cas que leur fréquence de citations fait remarquer dans la tradition messianiste. Malgré le disparate de leurs images et de leurs computations, on aperçoit en filigrane leur scénario dialectique avec trois temps enchevêtrés : 1. Le temps de l'Oppression. D'une oppression qui doit aller en s'aggravant. Au royaume d'or succède le royaume d'argent, puis un royaume de bronze, puis un royaume «de fer et d'argile »... (Daniel II). La quatrième Bête est pire que les trois précédentes : « Elle foulait aux pieds ce qui restait» (Daniel, VII). C'est au «temps de la plénitude des péchés» que se lève le Prince félon qui détruit le peuple des Saints (Daniel VIII, 23, 24). Le Dragon vaincu dans le Ciel se lance sur Terre à la poursuite de la Femme jusque dans le Désert (Apocalypse XII, 13). Les ravages de la première Bête sont portés à un paroxysme subtil par une deuxième Bête au corps d'agneau et aux paroles de dragon : tous sont marqués à son chiffre (Apocalypse XIII, 11-16). L'oppression doit aller ainsi à la limite de l'oppressivité, de l'esclavage, de l'aliénation, non seulement politique mais spirituelle : « Les saints eux-mêmes seront livrés entre les mains » de ce Royaume anti-messianique: «L'abomination de la désolation». 2. Le temps de la Résistance. Des Anges marquent au front les serviteurs de Dieu. Des témoins prophétisent sous le sac. Des victoires sont remportées «dans le Ciel». Des combats sont livrés sur la terre, mais encore sans succès. Les premières coupes de la colère de Dieu sont répandues déjà. Des f u i t e s - o n est tenté de lire: des m a q u i s - s o n t aménagés «au Désert». C'est le temps des martyrs. Le temps des silences ou des prophéties jugulées. Le temps du refus héroïque et rare. Le temps des solitudes. Le temps de l'écœurement devant la débauche des 31
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Bêtes dominantes. Le temps des impatiences. «Jusques à quand?...» disent les saints. Et à mesure que ce temps se prolonge: le temps des exodes: «Sortez ô mon peuple, quittez Babylone la Grande, de peur que solidaires de ces fautes vous n'ayiez à pâtir de ses plaies...» Temps enfin des rassemblements ultimes pour les 144.000 qui seront épargnés. 3. Le temps de la Libération. La petite pierre fait voler en éclats la statue géante (Daniel, II). L'Ancien rend jugement en faveur des saints et les saints possèdent le royaume (Daniel, VII, 22). Un prince messie préside à la reconstruction de Jérusalem (Daniel IX, 25). Temps miraculeux dont le Jour viendra comme un voleur. (II, Pet. III, 10). Temps de la réapparition au grand jour des témoins égorgés. (Apocalypse, XI, 11). Temps de la septième coupe de la colère de Dieu. (Αρ. XVI, 17-18). Temps de l'écroulement pour Babylone la Grande, la Prostituée de pourpre et d'écarlate. Temps de la victoire: l'Ange maîtrise le Dragon et l'enchaîne pour mille ans. Temps de la résurrection première pour ceux qui sont morts pendant et pour la Résistance: «ils reprennent vie et régnent» (Apoc. XX; 4). Temps du millénaire pour un peuple de prêtres et de rois: «Prêtres de Dieu et du Christ avec qui ils régneront mille ans... » (Apoc. XX, 6). Comme on le voit d'après le scénario, il s'agit d'une prospective de combat. Pour un combat désespéré. Le principe Espérance impliqué dans le messianisme-millénarisme est même cela: une spes contra spem, une espérance de déséspérés. Un appel en désespoir de cause. Un appel en dernière instance parce que toutes les autres instances ont craqué. Et même peut-être pour que toutes les autres instances craquent. Pour qu'aucune autre alliance ne vienne ternir l'alliance suprème avec l'Allié, au-delà de tous les alliés possibles, au-delà de toute collaboration fallacieuse. Chanson de geste forgée désormais à l'usage de tous les mouvements du monde en mal d'oppression, en peine de résistance, en espoir de libération. Elle servira dès lors à des églises à des sectes, à des ordres, à des royaumes, à des nations, à des groupes sociaux, à des minorités agissantes, à des classes sociales, à des communautés dans les affres de leurs implantations, à des émigrés dans les vicissitudes de leur émigration, à des contestations politiques comme à des contestations théologiques... Bref, à tous, dès lors qu'il s'agit pour eux d'une libération globale, face à une aliénation globale. Même le socialisme moderne, on le sait, ne sera pas indemne de cette contamination. Dans cette charte de fondation du socialisme qu'est le Nouveau Christianisme, Henri de Saint-Simon annonce en effet: Le peuple de Dieu... a toujours proclamé qu'il arriverait à une grande époque à laquelle il a donné le nom de messiaque, époque où la doctrine religieuse serait représentée avec toute la généralité dont elle est susceptible : qu'elle réglerait également l'action du pouvoir temporel et celle du pouvoir spirituel et qu'alors toute l'espèce humaine n'aurait plus qu'une seule religion, qu'une même organisation...
VI. LA DIALECTIQUE DES MESSIANISMES ET LA CATÉGORIE DE L'ÉCHEC «Tous ceux qui ont tenté de définir le messianisme et de découvrir les facteurs ou les conditions de son apparition ont naturellement étudié d'abord les mouvements messianiques qui avaient réussi. On peut se demander s'il ne serait pas de bonne méthode de faire porter désormais la 32
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recherche sur les mouvements qui ont raté». Enoncée il y a dix ans, cette proposition de R. Bastide mérite de hanter les explorations sur les significations sociales des phénomènes messianiques. Une question s'en dégagera, croyons-nous, avec une pression croissante: peut-on pousser la distinction entre «messianismes réussis» et «messianismes ratés»? ou bien plutôt, n'est-il pas de l'essence de tout messianisme d'être, peu ou prou, un messianisme raté? Et si le messianisme (ou son corollaire le millénarisme) est une catégorie religieuse fondamentale, cette catégorie n'est-elle pas aussi fondamentalement une catégorie de l'échec? C'est une hypothèse. Ce n'est qu'une hypothèse. Elle sera explorée ici à titre heuristique. On remarque d'abord un contraste. D'une part le messianisme repose sur un humanisme intégral, quelque chose comme un «toute la religion dans toute la vie». De ce fait il fomente une matrice culturelle non pas logique mais symbolique d'une exceptionnelle fécondité, tant pour les processus d'évolution que pour les processus de révolution dans l'histoire sociale. Evolution et révolution de tous bords d'ailleurs, car cette matrice peut nourrir aussi bien les prétentions d'une dynastie royale que les projets d'un régime républicain, aussi bien la légitimation d'une classe sociale upper upper que la revendication d'une autre classe lower lower, aussi bien enfin le nimbe mythique d'une théorie rationnelle que l'idéation pratique d'une spontanéité sauvage... Mais quelle que soit la variable, la matrice fomente une axiologie, c'est à-dire un ensemble de raisons de vivre ou de mourir à un niveau où l'enthousiasme a ses raisons que la raison ne connaît pas. D'où cette réussite apparente, cette allure de poule aux œufs d'or, grâce à laquelle les courants messianistes-millénaristes déroulent leurs cycles d'éternel retour au cours desquels ils égrènent tour à tour dans leurs circonvolutions, religions, églises, états, dynasties, mouvements, courants de pensée ou d'action... Mais d'autre part également, le messianisme, s'il va jusqu'au bout de sa réussite, c'est-à-dire de la réalisation de son rêve, représenterait à la limite un humanisme triomphaliste. Et dès lors, sa réussite même serait son échec. Il ne serait pas viable. La République des Saints aura toujours été ou bien une république morose ou bien une république traumatisante. Parfois les deux à la fois. Mais dans l'un comme dans l'autre cas, soit qu'il s'y passe trop peu de choses, soit qu'il s'en passe trop, la régime devient, deviendra, deviendrait inviable au niveau de la vie quotidienne, pour un temps qui dure. Déjà Durkheim le faisait remarquer à propos des cultes de possession, et sa remarque vaut pour les phénomènes messianiques: la sur-société à laquelle de tels cultes ou de tels phénomènes donneraient accès, ne peut pas être une société de tous les jours.41 40. Souligné par nous. Cf. R. BASTIDE, «Le messianisme raté»... in A.S.R., 5, p. 31-37. L'analyse qui suit pourra en outre être rapprochée de l'essai tellement stimulant de Jean LACROIX, L'Echec. Paris P.U.F., 1964., en particulier pp. 46 et ss. 41. Parmi beaucoup de texte durkheimiens, voici l'un des plus topiques pour notre sujet: «C'est en effet, dans les moments d'effervescence de ce genre que se sont, de tout temps, constitués les grands idéaux sur lesquels reposent les civilisations... A ces moments, il est vrai, cette vie plus haute est vécue avec une telle intensité et d'une manière tellement exclusive qu'elle tient presque toute la place dans les consciences, qu'elle en chasse plus ou moins complètement les préoccupations égoïstes et vulgaires. L'idéal tend alors à ne faire qu'un avec le réel; c'est pourquoi les hommes ont l'impression que les temps sont tout proches où il deviendra la réalité elle-même et où le royaume de Dieu se réalisera sur cette terre. Mais l'illusion n'est jamais durable parce que cette exaltation elle33
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Dans cette nécessité d'ouvrir les voies d'aller ou les voies de retour vers ces expériences du sacré, Durkheim n'était pas loin d'apercevoir la justification de cette «administration du sacré» en laquelle l'école durkheimienne définira la religion proprement dite... Pareillement, l'expérience messianiste-millénariste ne se prolonge pas et ne saurait se prolonger dans un temps qui dure autrement que par ses résidus viables. Ou bien, pour dire les choses sous une autre forme, elle est la force de propulsion qui certes place sur leur orbite des systèmes de pensée ou d'action, mais elle-même, telle une fusée porteuse, elle retombe et ne peut pas ne pas retomber, tandis que ces systèmes désormais gravitent sur l'orbite de leur tradition. Et pourtant ils ne graviteraient pas ainsi s'ils n'y avaient été placés. Tel est le dilemme messialogique pour les postérités des mouvements messianiques : Ou bien commémorer ou même réactiver l'énergie motrice et matrice du courant originel pour exacerber l'exaltation d'un humanisme intégral; mais cette réussite aura pour revers le danger d'un humanisme ennuyeux ou décérébrant. Ou bien larguer la fusée porteuse, contrôler l'acculturation, c'est-à-dire la détente subséquente à cette exaspérante tension et pour autant, rendre viable et vivable moyennant des accomodations, l'humanisme triomphaliste; mais cette réussite aura cette fois pour revers le grand risque de la désaxiologisation, ce que Maxime Rodinson nomme très justement la «démobilisation des vérités et des valeurs», avec pour horizon l'entrée dans un monde sans rêve, sans idéologie, sans utopie, sans mythe, le monde technique de la «choséité», de la Sachlichkeit, le monde balzacien de la médiocratie. Ces premières remarques conjuguées avec les trop rapides notations précédentes sur les significations (§ II) et sur les cycles (§ III) du messianisme, peuvent du moins permettre de revenir sur la question posée par Roger Bastide : celle de la catégorie de l'échec. Pourquoi des messianismes ratés? Et même pourquoi tous les messianismes sont-ils d'une certaine manière ratés? Et comment en juger? On aura observé que l'opération messianique (messianismes millénarisant ou millénarismes messianisant) est un processus d'interaction: ι. Entre un Personnage (Messie) et un Royaume (Millenium), le dit royaume impliquant une identification de la religion et de la vie sociale quotidienne, le règne du dieu sur la terre comme au ciel, disons une identification de la société religieuse et de la société politique.
même ne peut pas durer: elle est trop épuisante. Une fois le moment critique passé, la trame sociale se relâche, le commerce intellectuel et sentimental se ralentit, les individus retombent à leur niveau ordinaire. Alors, tout ce qui a été dit, fait, pensé, senti pendant la période de tourmente féconde ne survit plus que sous forme de souvenir, de souvenir prestigieux, sans doute, tout comme la réalité qu'il rappelle, mais avec laquelle il a cessé de se confondre. Ce n'est plus qu'une idée, un ensemble d'idées. Cette fois, l'opposition est tranchée. Il y a, d'un côté, ce qui est donné dans les sensations et les perceptions et, de l'autre, ce qui est pensé sous formes d'idéaux. Certes, ces idéaux s'étioleraient vite, s'ils n'étaient périodiquement revivifiés. C'est à quoi servent les fêtes, les cérémonies publiques, ou religieuses, ou laïques, les prédications de toute sorte, celles de l'Eglise ou celles de l'école, les représentations dramatiques, les manifestations artistiques, en un mot tout ce qui peut rapprocher les hommes et les faire communier dans une même vie intellectuelle et morale. Ce sont comme des renaissances partielles et affaiblies de l'effervescence des époques créatrices... » E. DURKHEIM. Sociologie et Philosophie. Paris, P.U.F., 1963, pp. 134-135. 34
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IL Mais ce projet s'essouffle ou tourne court. On s'était mis en marche pour le Royaume mais on fera escale : a. soit dans une société religieuse distincte de la société politique; pour faire bref, nous nommons « Eglise » cette société religieuse, et il s'ensuivra un deuxième type d'interaction entre ce Personnage et cette Eglise ; b. soit au contraire on fera escale dans la société politique, disons, la société tout court, et il s'ensuivra un troisième type d'interaction entre le Personnage et cette Société. Si nous combinons maintenant ces différents types d'interaction nous pouvons les figurer par quelque chose comme un cercle messianique qui se présenterait comme suit: Eglise
IH. Le mouvement vers le Royaume se dédouble d o n c - à une étape de son parcours-, pour donner naissance soit à une nouvelle forme de société religieuse (Eglise) soit à une nouvelle forme de Société politique. Dans cette fourchette il n'en conserve pas moins quelque chose de sa pulsion initiale et cette permanence d'influx se traduira soit par un projet religieux d'intervention politique soit par un projet social d'affabulation religieuse. En outre, par choc en retour, le Personnage se trouvera historialisé ou ré-historialisé selon la perception (l'image) qu'auront désormais de lui soit l'Eglise soit la Société qui sont issues de lui telles qu'elles sont, bien que son projet aurait été de susciter toute autre chose - le Royaume - que ce qu'elles ont fini par être. D'où la possibilité de résurgences messianiques au nom même de la distance entre l'intention du projet et le résultat de l'opération; c'est dégager pour autant une interaction nouvelle entre la société (ou l'Eglise) in statu renascendi et un nouveau personnage messianique. 1. L'interaction du type I entre le personnage et le royaume retrouve ici la question de Silver déjà évoquée. Comment passe le courant? d'une conscience messianique personnelle à une conscience millénariste collective? ou réciproquement? La réponse variera naturellement selon qu'on pratique soi-même telle ou telle philosophie de l'histoire et selon, par exemple, qu'on juge avec Carlyle que cette Histoire n'est que la «biographie des grands hommes», ou selon au contraire qu'on déplore avec Saint-Simon qu'elle se réduise trop souvent à la «biographie des pouvoirs». Mais abstraction faite de tout a priori, 35
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la consultation des dossiers imposera généralement une réponse nuancée et conduira à une mise en perspective réciproque. Car d'une part il est vrai, comme Silver le rappelle, qu'un messie émerge lorsque le millenium est mûr: on cherche le premier parce qu'on trouve que le second en est à son terme. «Es-tu celui qui doit venir ou bien devons-nous en attendre un autre?»... A ce moment d'extrême attente, voici que ne peut plus ne pas venir celui qui doit venir. Et s'il ne vient pas en personne, il viendra par procuration, ne fût-ce que comme un personnage rêvé, un héros littéraire, un conte, une chanson: son essence sera plus forte que son inexistence, et même si, àia limite, il est un messie purement construit, il n'en sera pas moins efficace dans sa thaumaturgie ou dans ses théurgies. Mais d'autre part, il est non moins vrai que le messianisme est un phénomène propice à l'éclosion des grandes personnalités, plus exactement des personnalités ouvertes à un état second, susceptibles de couleur leur personne dans le personnage, et une fois identifiée la première au second, de vivre sur le double registre de la société et de la sur-société, de la nature et de la surnature. C'est d'ailleurs ce que le dogme a ratifié en parlant du Christ comme d'une Personne en deux Natures, mais le dogme extrapole dans un domaine invérifiable en parlant d'une personne divine. Les messies observables sont des personnes humaines. Elles appartiennent à l'humain, trop humain, et ce que l'observation discerne c'est cette succion de leur humanité vers ce surhumain dont on ne sait jamais s'il est le royaume du sacré ou le royaume de la folie, le royaume de dieu ou le royaume du délire, le royaume du défi à relever ou le royaume de l'impossible où s'engloutir, corps et âme. Et âme. Car les messies ne deviennent messies qu'en changeant d'âme. Et leur organisme hésite, résiste devant cette greffe qui les vrille et qu'ils rejettent. C'est pourquoi sans doute l'opération ne se déroule que dans le laboratoire de grandes pressions historiques : catastrophes, fléaux, oppressions, guerres, asservissements, frustrations violentes... toutes conditions qui sont le noviciat du messie, noviciat souvent occulté par la suite devant l'éclat de son apparition publique. Encore cette apparition ne se fait-elle que peu à peu, songe après songe, voyage après voyage, manifestation après manifestation. C'est alors que la relation du messie au royaume est traversée par le rythme de son audience. Car si le messie émet peu à peu le message du Royaume (la Bonne Nouvelle) et s'il émet sur son rythme à lui, l'audience reçoit ce message sur son rythme à elle. Or les rythmes coïncident rarement. Celui de l'audience peut être trop rapide', alors il précipite la conscience messianique, il requiert que le messie devienne messie plus vite qu'il ne voudrait le devenir lui-même; il lui attribue un pouvoir dont celui-ci sait lui-même pourtant qu'il n'en dispose pas; il lui arrache des décisions dont il sait qu'elles seront nulles et non avenues. C'est en pensant à ce décalage que Proudhon parlait de messianose... Ou bien au contraire le rythme de l'audience est trop lent: la conscience collective ne suit pas; ce qu'elle reçoit est en deçà de ce qui fut émis... des distorsions s'interposent, des «fadings», des bruitages qui prennent une importance imprévue. Le message est décalé, «prosaïqué» disait Saint-Simon, épaissi, aveuli, bâtardisé. C'est en réalisant ce décalage que Friedrich Engels dans une page célèbre traita des relations ambiguës entre le message millénariste de Thomas Münzer et son audience «dans les têtes dures de la grande masse de ses partisans»: 36
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dilemme insoluble, diagnostique Engels, car, pour un tel personnage placé dans une telle situation, il estécarteléentre ce qu'il «doit faire» au nom de son royaume et ce qu'il «peut faire» compte tenu de son cercle d'adeptes. « Quiconque tombe dans cette situation fausse, conclut Engels, est irrémédiablement perdu.» Ajoutons que le décalage peut être double: l'audience étant à la fois trop lente à un niveau et trop rapide à un autre. Autant de raisons pour un messianisme d'être raté. 2. L'interaction du type II, (celle qui a pour pôle l'Eglise) a été cernée, comme il a été dit, par la subtile problématique instituée par Loisy: «Jésus annonçait le Royaume et c'est l'Eglise qui est venue»-et sa manière de conjuguer organiquement l'échec d'une eschatologisation et la réussite d'une acculturation. Dans la même coulée, d'autres auteurs comme Ernst Troeltsch, tenteront de manifester par ailleurs une lignée de sectes comme une ré-eschatologisation de l'Eglise et a contrario une série d'ordres religieux comme une ré-ecclésification des sectes. Malgré la floraison des barrages et des refus opposés à l'hypothèse loysiste, on ne peut s'empêcher de constater que - en dehors des considérations proprement théologiques - ils tournent autour de l'allégation d'une impossibilité sociologique : impossible que d'une telle prétendue déconvenue sortît une telle espérance, d'un tel prétendu échec une telle prétendue réussite. Or cette éventualité est si peu impossible qu'elle semble s'être produite ou reproduite des dizaines de fois dans l'histoire comparative, et on a même pu se demander si elle ne représentait pas quelque chose comme une certaine loi du genre. L. Festinger42 a relevé plusieurs échantillons de ce prosélytisme accru proportionnellement à l'infirmation d'une attente parousiaque ( increase of proselyting following unequivocal disconfirmation of a belief). Il la relève chez les Montanistes : « Nor did the delay of the second advent put an end to the movement. On the contrary, it gave it new life and form...» (p. 6). Chez les Anabaptistes: «From all accounts it would seem that instead of dampening the ardor of the Anabaptists, the disconfirmation of the predicted Second Coming increased their enthusiasm and activity» (p. 8). Dans le mouvement Sabbatiste (Sabbatai Zevi): «The Sabbatian movement strikingly illustrates the phenomenon we are concerned with : when people are committed to a belief and a course of action, clear disconfirming evidence may simply result in deepened conviction and increase proselyting»(p. 12). Dans le mouvement millérite (W. Miller): «Here once again we note the appearance of increased enthusiasm and conviction after a disconfirmation. » (p. 16). Il se livre lui-même à la dissection d'un groupe-témoin et il confirme son hypothèse selon laquelle la «dissonance» même, éclose au niveau intensif où la prophétie est ratée, peut constituer pour le groupe en question, la détermination à faire appel à un autre niveau, un niveau extensif, où cette déception serait surmontée: en ce sens, la déconvenue est non pas un découragement mais un encouragement pour le prosélytisme: «If the proselyting proves successful, then by gathering more adherents and effectively surrounding himself with supporters, the believer reduces dissonance to the point where he can live with it... In the light of this explanation of the phenomenon... proselyting increases as a result of a disconfirmation...» (p. 28). Il ne s'ensuit pas - même pour Festinger - que ce soit là une issue nécessaire ou la seule issue. Mais 42. Dans son ouvrage When Prophecy Fails (Quand la prophétie rate), An account of a modem group that predicted the destruction of the world. Minneapolis, 1956. 37
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il s'ensuit que cette issue est loin d'être impossible. Ab actu ad posse valet consecutio. Et il y a peut-être là de quoi revaloriser ou reconsidérer l'hypothèse loysiste non pas comme hypothèse théologique mais du moins comme hypothèse sociologique. Si l'école durkheimienne a pu avancer : «la religion est l'administration du sacré », la présente hypothèse avancerait pour son compte: l'Eglise ou tout autre corps ecclésiastique assimilé serait le substitut du Royaume, c'est-à-dire simultanément quelque chose comme le royaume refusé par escamotage et obtenu par procuration. 3. L'interaction la plus étudiée par les sociologues est sans doute la troisième, celle qui a pour pôle la société. L'émergence du messianisme ou du messie est alors connotée généralement comme Vinvolution d'un programme d'émancipation politique économique ou sociale, c'est à-dire, pour reprendre une terminologie comtienne, quelque chose comme «l'état théologique» de ce que serait ou sera «l'état politique» représenté par ce programme. A la base d'une telle revendication d'émancipation on doit remarquer une frustration et même une double frustration: frustration économique et sociale certes, puisque la plupart du temps, dans les sociétés où les «personnages» apparaissent, les conditions étaient sinon misérables, du moins besogneuses, et, en tout cas, en butte à des tracasseries, des vexations ou à des oppressions; mais aussi, et le regretté E. G. Léonard ajouterait sans doute mais surtout, frustration religieuse globale; au-delà de la dissidence dénominationnelle se dessine, chez les candidats à l'émancipation, l'aspiration à un dieu qui soit enfin leur dieu, sans procuration et sans aliénation, fût-ce le dieu apatride du pays qui n'est même pas ou pas encore un pays, le dieu du désert qui peut être aussi le dieu du silence, ou du «parler en langues inconnues». Cette dimension s'aperçoit dans le fait même que l'oppression ou la domination et l'occupation étrangères viennent jouer un rôle fondamental à travers les questions de langues, de lignées, de patrie, d'indépendance ou de dignité nationales, bref, à travers toutes conditions impliquant aliénation ou désaliénation proprement culturelles. C'est l'étroite interférence de cette double frustration expérimentée comme un phénomène social total qui conduit à élaborer simultanément milieu de vie et milieu de culte, en intériorisant la thérapeutique de cette frustration dans les organisations et les calendriers de la vie quotidienne. La tendance unilatérale à considérer les messages messianistes ou millénaristes comme étant simplement des programmes politico-économiques encore involués, escamoterait ce que Georges Duveau nommait «l'homme de l'Utopie» par opposition à «l'homme de l'Histoire». Dans ses ultima verba43 G. Duveau dénonce avec insistance cette sous-estimation du premier et cette surestimation du second. Car si en effet le premier peut être «un refoulé de l'action», le second peut être aussi «un refoulé... de l'art» (p. 100)(...) «artiste... littéralement dévoyé vivant le roman qu'il n'a pas su écrire» (p. 124). Pour autant que le messianisme, de par le déploiement d'une imagination sacrée, relève des logiques de l'utopie (ce que G. Duveau suggère à maintes reprises), on ne saurait décider a priori s'il est lui-même un ersatz encore involué de l'action historique où il semble trouver son embouchure, ou si, au contraire, c'est cette action historique 43. In Sociologie de l'Utopie, P.U.F., 1961. 38
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qui se trouve être un sous-produit déjà dérivé par rapport au message où elle prend apparemment sa source. Dans cette hypothèse finale, les relations entre le message (religieux) et le programme (politique) devraient être placées en perspectives réciproques: car si le message est en un sens l'involution du programme, en autre sens le programme ne serait-il pas quelque chose comme la retombée sociologique du message? Les phases et les dédales de cette circonvolution font apparaître peut-être que le fait messianique se trouve généralement moins devant un dilemme (réussir ou échouer) que devant un destin (réussir et échouer). Sa dialectique n'est pas circulaire, comme si son essence lui demandait de boucler sur lui-même ; elle serait plutôt spiralique, cette essence impliquant congénitalement l'échec représenté par le fait qu'elle s'échappe à elle-même sur une boucle que, selon les axiologies, on considérera comme la boucle inférieure ou supérieure de la spirale. En un tel destin, en tout cas, semble se vérifier le jugement - ou l'hypothèse - émis par Sartre sur le réel: « Nous devons constater que le réel est un effort avorté pour atteindre à la dignité de cause de soi. Tout se passe comme si le monde, l'homme, et l'homme dans le monde n'arrivaient à réaliser qu'un Dieu manqué. Tout se passe comme si l'en-soi et le pour-soi se présentaient à l'état de désintégration par rapport à une synthèse idéale. Non pas que l'intégration ait jamais eu lieu, mais précisément au contraire, parce qu'elle est toujours indiquée et toujours impossible. C'est le perpétuel échec qui explique à la fois l'indissolubilité de l'en-soi et du pour-soi et leur relative dépendance»,44 Il n'y a peut-être dans l'histoire socio-religieuse que des messianismes ratés. Cette hypothèse aurait du moins pour contre-partie une interrogation: ce messianisme dont la réussite ne serait localisable nulle part, ne se décèle-t-il pas d'autre part, et par son échec même, latent un peu partout à la genèse de ce qui, par ailleurs, se trouve être considéré comme réussite? On pourrait même à la limite se demander si le développement historique dans toutes ses dimensions est finalement autre chose qu'un messianisme raté. Ruse de l'Histoire! Tout se déroulerait comme dans ces voyages de découvertes de la Renaissance: les caravelles partaient pour retrouver l'emplacement du Paradis perdu. Elles ne trouvaient naturellement pas ce Paradis: elles avaient donc raté. Elles accostaient pourtant à un nouveau continent, donc elles avaient réussi. Leur réussite même aura eu pour raison un projet voué à l'échec. Application inattendue mais à prendre en compte de l'aphorisme cher successivement à Francis Bacon, Jacob Burckardt, Joachim Wach : Religio proecipuum humanae societatis vinculum. Conclusion De cette introduction se dégage peut-être le fait qu'à travers leurs variétés et leurs variables les phénomènes messianiques-millénaristes reposent sur une structure: la structure de l'Attente dont nous apercevons le losange ou le quadrilatère sous les combinaisons diverses qui peuvent affecter ses pôles : le Personnage (messianique), le Royaume (millénariste), la société religieuse (église ou tout autre corps religieux), la société politique (la nation, l'état ou l'union des nations, etc.). 44. J. P. SARTRE. L'être et le néant, p. 717. 39
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Ce phénomène est un phénomène humain récurrent lorsque certaines circonstances historiques fournissent un milieu d'éclosion à l'une ou l'autre de ses combinaisons possibles. En ce sens il y a une tradition messianiste, mais seulement en ce sens là. Non pas qu'un phénomène antérieur transmette son décalque à un phénomène ultérieur. Mais les phénomènes d'ici ou d'ailleurs, d'hier ou de demain, une fois déclenchés sous la détermination des circonstances, retrouvent comme une logique interne qui les aiguille vers l'une ou l'autre des combinaisons possibles au losange ou au quadrilatère. Ce faisant, ces phénomènes se retrouvent en quelque sorte a posteriori. Ajoutons cependant que, se retrouvant ainsi les uns dans les autres, les uns avec les autres, ils retrouvent une matrice commune et tout s'accomplit comme si cette matrice les avait elle-même sollicités. Parce qu'il est structuré par l'Attente et sur l'Attente, le phénomène messianique en fait vibrer toutes les modalités psychologiques: l'expectative, la supputation, la computation, l'extrapolation, la prospective, l'espoir, la révolte, la patience et l'impatience, l'endurance, la frustration, l'insatisfaction, le goût de l'exode et des grands départs, le rêve et la nostalgie, le désir et l'aspiration, le refus et la revendication, l'appétit d'évolution ou le tranchant des révolutions, etc., etc. C'est un phénomène qui ne pousse pas dans les sociétés qui n'ont rien à attendre, soit parce qu'elles sont déjà repues et saturées, soit parce que leur exténuement ne permet pas que se dégage d'elles le cri jailli des profondeurs du désespoir: le cri d'alarme, le fameux Midnight Cry poussé par le veilleur sur la Tour de Garde. Veiller! «Qu'est-ce maintenant que veiller?» interrogeait Newmann dans ce sermon «Watching». «Savez-vous ce que c'est que d'attendre?» ajoutait-il. En effet la compréhension du phénomène messianiste requiert réellement un minimum de ce savoir : Savez-vous ce que c'est que d'attendre un ami - d'attendre qu'il vienne et de le voir tarder! Savez-vous ce que c'est que d'être dans une compagnie qui vous déplaît et de désirer que le temps passe et que l'heure sonne où vous pourrez reprendre votre liberté? Savez-vous ce que c'est que d'être dans l'anxiété au sujet d'une chose qui peut arriver ou ne pas arriver, ou d'être dans l'attente de quelque événement important qui fait battre vos cœurs quand on vous le rappelle et auquel vous pensez dès que vous ouvrez les yeux? - Savez-vous ce que c'est que d'avoir un ami au loin, d'attendre de ses nouvelles et de vous demander jour après jour ce qu'il fait en ce moment et s'il est bien portant? Savez-vous ce que c'est que de vivre pour quelqu'un qui est près de vous à tel point que vos yeux suivent les siens, que vous lisez son âme, que vous voyez tous les changements de sa physionomie, que vous prévoyez ses désirs, que vous souriez de son sourire et vous attristez de sa tristesse, que vous êtes abattu lorsqu'il est ennuyé et que vous vous réjouissez de ses joies? Veiller dans l'attente du Christ est un sentiment qui ressemble à ceux-là autant que ces sentiments de ce monde sont capables defigurerceux d'un autre monde.
Mille et un visages de la Foi se sont entés sur une telle attente, depuis les adeptes de maître Kelpius dans leur couvent de quarante cellules sur la terrasse duquel un télescope jour et nuit épiait les signes du ciel, jusqu'au solitaire Lavater, le fondateur de laphysiognomonie, qui pendant des années observait, dit-on, les visages des passants, espérant y retrouver les traits de Jean le précurseur, qu'il se représentait avec la plus grande précision. Car, postulait-il, «chacun doit avoir sa propre foi comme son propre visage ». 40
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Et pourtant le millenium n'est-il pas un mirage? et finalement n'est-il pas justiciable de l'interpellation que le poète fait adresser à cette Lala, mère de la Ville, ville délirante, ville consumée: «Reine de la folie, mère de ce peuple aberrant O magicienne? L'homme n'est pas fait pour tourner son visage vers la mer miroitante. De l'abîme illimité des eaux s'élève la nuit le vertige et ce jour l'épouvante et le rêve, Mais il lui suffit de la terre sous ses pieds pour qu'il la cultive Et du ciel au-dessus de sa tête calculé par une exacte astronomie». Oui, certes! Mais si on interroge cette cité harmonieuse, à la fois totem et tabou, qui s'échappe sans cesse à mesure que des peuples l'un après l'autre se mettent vainement en caravane pour aller l'habiter, elle s'entête, ingénue, récidiviste, obstinée, dans la réponse de Lala à Ivors : «Crois-tu que je n'ai point de place parmi vous? Je suis la promesse qui ne peut être tenue, et ma grâce consiste en cela même. Je suis la douceur de ce qui est, avec le regret de ce qui n'est pas. Je suis la vérité avec le visage de l'erreur, et qui m'aime n'a point souci de démêler l'une de l'autre...» Cette révélation nécessaire n'est-elle pas, lorsqu'elle intervient, une révélation suffisante pour que, sous les grilles qui l'emprisonnent, un Ange l'annonce sur sa trompette? Quand il me donna cette image, au temps où nos heures étaient noires, mon ami allemand écrivit au verso: «Auch hinter Gittern jübelnd verkünden ». Ainsi du phénomène messianique : annonce jubilante certes, mais derrière les grilles ; encagé dans ses grilles certes, mais jubilant dans son annonciation. Tel l'enfant noir et nu dont la tête serait, douée d'un envol de deux ailes.45 Albiez-le-Vieux, le 19 avril 1968.
4 5 . Parmi maints ouvrages récents postérieurs à notre rédaction on pourra se reporter à S. F U C H S , Rebellious Prophets. A Study of Messianic Movements in Indian Religions (Londres, Asia, 1966). Hérésies et Sociétés dans l'Europe pré-industrielle: lle-18e siècle (Paris, La Haye, Mouton, 1968) (Communications et débats d'un Colloque de Royaumont présentés par J. L E G O F F ) . -W. E. M U E H L M A N N , Messianismes, révélation du Tiers Monde (Paris, Gallimard, 1968).
1) 2)
Pour la consultation du Dictationnaire: Les noms précédés d'un astérique renvoient à des notices correspondantes. Pour l'interprétation des sigles utilisés dans les bibliographies particulières, se reporter à la liste des ouvrages souvent cités, p. 266. 41
DICTIONNAIRE DES MESSIES
A A. Auteur non identifié de La Consommation des siècles prouvée par les textes et les analogies, tirés des livres saints, avec un examen impartial des analogies (Lyon, 1823, 2 vol.), publié par M.G. (J. A. •Gouazé). A.B. Auteur non identifié d'un article dans The Gentleman's Magazine (Londres, février 1756) où, commentant le terrible tremblement de terre qui détruisit Lisbonne en 1755, l'auteur estime que ce signe est prémonitoire du «glorieux royaume d u m i l l é n i u m » . - FROOM, t. II, p. 675.
ABBAS EFFENDI (1841-1921). H. Dreyfus fait naître Abbas Effendi le 23 mai 1844, jour où à Chiraz, le *Bab fait connaître sa mission. Fils de •Beha Ullah, Abbas Effendi s'appelait Abd al-Beha (Serviteur de Beha) et aussi Ghusn Azam (La Grande Branche). Il introduisit dans la doctrine paternelle des éléments occidentaux empruntés à l'Ancien et au Nouveau Testament, qu'il utilisa largement. Ainsi syncrétisée, la doctrine d'Abbas Effendi représente un ultime effort vers la compréhension et la bonne entente de tous les peuples. Un de ses disciples, le Dr Khayrullah, parcourut en 1912 les Etats-Unis pour répandre cette doctrine qui y connut un succès réel et fut propagée par la revue Star of the West, qui parut en 19 numéros annuels depuis 1910 (19 est le nombre sacré du Bab). Vers 1902, Abbas Effendi prétendit être une réincarnation de Jésus-Christ, il lui fut attribué les épithètes d'Is. IX, 5: il aurait été annoncé comme «l'enfant qui nous est né, le fils qui nous a été donné»; il est prince de la paix. Bibl. - H . DREYFUS, Essai sur le béhalsme, son histoire, sa portée sociale, Paris, Leroux, 1909. - Mirza-AbulFAZL, The Bahai Proofs, New York, 1902. - BROWNE, A Litterary Story of Persia, Londres. ABBON. Abbé de Fleury. Fut lui-même antimillénariste. Mais une lettre apologétique de lui aux rois Hugues et Robert permet de constater la diffusion de l'idée catastrophique aux alentours de l'an 1000. «Dans ma jeunesse, j'ai entendu prêcher dans l'église de Paris qu'aussitôt que les mille ans seront accomplis, l'Antéchrist viendra et que, peu de temps après, aura lieu le jugement universel» (P.L., t. CXXXIX, col. 471). Bibl. - C. PFISTER, Etudes sur le règne de Robert le Pieux, Paris, 1885, p. 321. ABLAQ. D'après Tabari, historien arabe, qui luimême emprunta à Madaïni (mort en 215 de l'Hégire), un certain Ablaq prêcha à ses contribules une doctrine messianique. « U n homme des Rawendia
nommé Ablaq (bariolé), car c'était un lépreux... appela à lui les Rawendia, il leur annonça que l'esprit (rouh) qui se trouvait dans Isa ibn Myriam (le Christ) était entré dans Ali ibn Abi Talib, puis dans les imams qui lui succédèrent et enfin dans Ibrahim, fils de Mohammed (arrière-petit-fils d'Abbas, oncle du Prophète) et qu'ils étaient des dieux. Les Rawendia regardaient comme permis ce qui était défendu (dans le Koran). Il arriva même qu'un d'entre eux invita des amis, leur donna à boire et à manger, puis leur livra sa femme. L'Emir Asad ibn Abdallah, informé de ces excès, les fit crucifier, ce qui n'empêcha pas leurs idées de se propager jusqu'à nos jours. Ils adorèrent comme Dieu Abou Djaafar al Mançour (2 e Khalife abbasside). Ils montèrent sur le toit du palais al-Khadra et se précipitèrent dans le vide, disant qu'ils savaient voler. Plusieurs d'entre eux se rendirent armés à la porte d'Abou Djaafar et lui crièrent: Tu es Toi (c'est-à-dire tu es Dieu)». Bibl. - V A N VLOTEN, Recherches sur la domination arabe, Amsterdam, 1894, p. 148. ABOU ABD ALLAH. Fils d'Abd Allah ibn Maïmoun Kaddah, et son successeur dans la secte des •karmathes. Fort intelligent, très adroit et versé dans les sciences occultes, il connaissait également les différentes religions et savait parler les dialectes de l'Afrique du Nord, ainsi que la langue berbère. Il entra en Ifriqiyya (Afrique à l'ouest de l'Egypte) en 296 de l'Hégire, cent trente-cinq ans après que les premiers missionnaires de la secte y furent allés porter les doctrines qu'il prétend illustrer, car on lui avait dit: «En l'année 96, il t'arrivera une chose merveilleuse». Il annonça aux Berbères qu'un *Mahdi allait paraître parmi eux. Il eut un grand ascendant sur ces populations. Pourtant il dut à plusieurs reprises esquiver des embûches qui lui furent dressées par un parti hostile: «il échappe à leurs yeux, comme les fées se dérobent aux yeux des démons» (Rashid ed-Din). Il réussit, grâce à son habileté et à ses deniers, à être à la tête d'une armée capable de tenir en échec les troupes du prince aghlébite. C'est alors qu' Abou Abd Allah dit aux Berbères: «Voici le moment où va venir le Mahdi, car il est dit que lorsque cette guerre sera terminée, il apparaîtra!» Bibl. - E. BLOCHET, Le Messianisme dans l'hétérodoxie musulmane, Paris, 1903. ABOU DAOUD. Auteur d'un recueil de traditions intitulé Kitab as sounan (Livre des traditions) dont un chapitre porte sur le * Mahdi et les révolutions (fitan). Il s'agit dans ce chapitre, d'après Casanova (p. 47), des révolutions qui annoncent la fin du 45
ABOU ISA D'ISPAHAN monde. On y lit: «Sur l'autorité de Mouad ibn Djabal (un des compagnons du Prophète) la ruine de Yathrib (Medine) [est] l'apparition de la malhamat; l'apparition de la malhamat [est] la conquête de Constantinople: la conquête de Constantinople [est] l'apparition du Dadjdjal (Antéchrist). Le prophète ayant ainsi parlé, frappe de la main la cuisse de son interlocuteur en disant «Cela est vrai, aussi vrai que tu est ici» ». Sur l'autorité du même personnage : «la grande malhamat, la conquête de Constantinople, l'apparition du Dadjdjal en sept mois». Sur l'autorité d'Abd Allah ibn Bousr: «Entre la malhamat et la conquête de Médine six années, et le faux messie apparaîtra dans la septième». Sur l'autorité d'Abou-d Darma: «La tente des musulmans, le jour de la malhamat [sera] dans la Ghoutat (plaine de Damas) auprès d'une ville appelée Damas, une des meilleures villes de Syrie.» Ce même Abou Daoud cité par Ibn Khaldoun (Notices
et extraits,
t. XVII, p. 148; t. X X , p . 168)
«rapporte qu' à la mort d'un certain Khalife, il y aura un grand trouble parmi les musulmans; un des habitants de Médine s'enfuira à La Mecque... Les habitants de La Mecque lui prêteront serment dans le parvis de la grande mosquée, entre le rokti et le Mokam. On enverra contre lui des troupes de Syrie, qui seront englouties dans la plaine qui s'étend entre les deux villes saintes. Les Abdals de Syrie et les habitants de l'Irak lui prêteront alors serment; après avoir défait un Koréïshite qui viendra le combattre, il établira l'islamisme sur toute la terre et mourra après sept ans de règne» ( E . BLOCHET, p . 2 5 ) .
Bibl. - IBN KHALDOUN, Notices et extraits des manuscrits,
t . X V I I , X X . - P . CASANOVA, Mohammed
et ¡a
fin du monde, Paris, 1911, p. 47. - E. BLOCHET, Le Messianisme dans l'hétérodoxie musulmane, Paris, 1903, p. 25. ABOU
ISA D'ISPAHAN.
ISHAK
BEN YA
C
UB
(8 e s., t 755). Juif persan, tailleur illettré qui s'annonça comme le cinquième et dernier messager du Messie et fut reçu par ses disciples comme le Messie lui-même, chargé d'émanciper les Juifs de la domination des Gentils. Il mena de front la tâche politique d'une révolte armée des Juifs persans contre le khalife et la tâche religieuse d'une fondation nouvelle: celle de la première secte née dans le judaïsme depuis la destruction du Temple, les isawites. La révolte fut écrasée par les troupes du khalife à la bataille de Rayy où le prophète mourut. Ses conceptions religieuses étaient ouvertes au christianisme et à l'Islam. Le fondateur avait rencontré Jésus et Mohammed* dans les cieux et les tenait pour des prophètes postbibliques comme lui-même. Etaient préconisées l'abstinence du vin et de la viande et la prière sept fois par jour... Abu Isa eut pour disciple *Yudghan et l'un et l'autre influencèrent le fondateur des •karaïtes. OBADIAH A B U
46
C
ISA AL-ISFAHANI
Bibl. - SILVER, p. 55. - GROETZ, Histoire des Juifs, t. Ill, p. 316-317. - Jewish Encyclopœdia, art. «Abu Isa d'Ispahan».
ABOU MOSLIM. Persan qu'un de ses disciples appelait «Maître de la prédication», donc précurseur du *Mahdi. En l'an 129 de l'Hégire, il souleva le Khorassan, fut assassiné par al-Mansour. Son enterrement provoqua la chute des Omayyades. Après sa mort, un officier mazdéen se rendit à Rayy, où il appela autour de lui tous les Mazdéens de la contrée... Il ne tarda pas à réunir une armée considérable capable de tenir tête aux forces du khalife et il déclara qu'il allait venger son maître, Abou Moslim. D'après lui, ce personnage n'était pas mort, mais il se tenait avec le Mahdi et Mazdek, qui n'était pas mort non plus, dans une forteresse de cuivre dont ils allaient sortir tous les trois. Abou Moslim, le dai (missionnaire), devait précéder de quelques jours la venue du Mahdi dont Mazdek allait être le vizir. Bibl. - E . BLOCHET, Le Messianisme dans l'hétérodoxie musulmane, Paris, 1903.
ABRAHAM D'AVILA (13e s.). Disciple d'Abraham •Abulafia. Il annonçait que le Messie viendrait le dernier jour du quatrième mois en 1295. Des adeptes s'y préparèrent par aumônes et jeûnes. Mais le jour fatidique, rassemblés à la synagogue, ils connurent une cruelle déception. Bibl. - SILVER, P. 100. - Jewish Encyclopedia, «Abraham d'Avila» et «Pseudo-Messiahs».
art.
ABULAFIA, ABRAHAM (1240-après 1291). Après être parti en un voyage aventureux à la recherche des dix tribus perdues d'Israël, ses études de la Cabale le conduisirent à se donner comme un prophète, puis étant à Messine en Sicile, comme un Messie. L'année 1290 inaugurerait l'ère messianique. Dans un ouvrage écrit en 1285-1288, il avait prophétisé que cet événement serait précédé du grand conflit des trois rois: du Sud (Musulmans), du Nord (Chrétiens), de l'Est (Mongols). Il fut si pénétré de sa mission qu'il tenta, dit-on, une démarche auprès du pape pour l'en convaincre, ce qui lui valut une temporaire incarcération. On pense également que l'effervescence créée par ce «Messie» fut pour quelque chose dans le grand exode des Juifs allemands pour la Palestine en 1286. A. Abulafia aurait publié plus de vingt-deux écrits prophétiques. Son enseignement se heurta à l'opposition radicale du savant Salomon ben Adret. Bibl. - SILVER, P. 8 7 . 100. - Jewish Encyclopœdia, art. « Pseudo-Messiahs ».
ADVENTISTES DU SEPTIÈME JOUR. Le mouvement, né des visions de Mrs. Ellen *White, est une dissidence du *millérisme, consécutive à l'échec des prédictions de celui-ci. La purification du Sanctuaire annoncée par Dan. VIII, 14 au terme de 2300 soirs et matins doit s'entendre non pas du
ALBERT LE GRAND retour du Seigneur dans un Sanctuaire terrestre, mais de son entrée dans le Sanctuaire céleste, pour y entamer - à la date d'ailleurs du 22 octobre 1844 l'enquête nécessitée par le jugement des morts. Quant au jugement des vivants il n'en est pas moins imminent. La Parousie interviendra quand le message adventiste aura été porté au monde entier. Cette Parousie introduira le règne du peuple élu (adventiste) pendant mille ans. C'est pourquoi ce peuple doit selon le message de l'ange de l'Apocalypse «sortir de Baby Ione», c'est-à-dire de toutes les confessions existantes, y compris le mouvement oecuménique. Le groupe révisa les positions millérites dans six conférences (voir CONFÉRENCES SABBATARIENNES) qui intégraient à la
nouvelle plate-forme milléniale la croyance sabbatarienne sur la fixation du jour du Seigneur au samedi ou sabbat. Selon cette croyance, le sabbat n'avait aucune raison d'être modifié, et c'est l'Antéchrist c'est-à-dire la Papauté, qui a changé «les lois et les temps». S'adjoignirent, d'une part, des pratiques baptistes (baptême par immersion, lavement des pieds), et d'autre part, un code de réforme sanitaire (lutte contre l'alcool, le tabac) et d'hygiène alimentaire (végétarienne) pour préparer des corps dignes d'une âme régénérée. Bibl. - Publications du Centre français de Dammarieles-Lys (Seine-et-Oise) en particulier la revue Les Signes des temps. - R. BERGER, Le Mouvement adventiste, origines et développement, 1950. - H. C. CHÉRY,
L'Offensive des sectes, Paris, 1954, p. 47-51, 123-168. - J. SÉGUY, Les Sectes protestantes dans la France contemporaine, Paris, 1956, p. 101-116. - Advent Review and Sabbath Herald (revue officielle). - E. T. CLARK, The Small Sects in America, Nashville, 1949, chap. II,
p. 25-50. - FROOM, t. IV, p. 429-1177. ADVENT MESSAGE T O THE DAUGHTERS O F Z I O N (1844). Périodique millérite (voir MILLÉRISME)
s'adressant à des femmes et donnant une importance particulière au rôle de la femme dans le travail «missionnaire» adventiste. Clorinda Minor et Emily Clemens y écrivaient. - FROOM, t. IV, p. 707. A D V E N T R E V I E W , THE. L a publication de ce
périodique adventiste sabbatarien fut décidée à la sixième'Conférence sabbatarienne du 18 novembre 1848 tenue à Dorchester. Le premier numéro est composé d'extraits des œuvres de W. * Miller avant le «grand désappointement» du 22 octobre 1844. On s'efforce de prouver que le mouvement naissant est dans la ligne perfectionnée et purifiée du •millérisme. - FROOM, t. I V , p. 1026, ss. AGIER,
PIERRE-JEAN (1748-1823). Juriste, il fut
président de tribunal en 1795 et vice-président du tribunal d'appel en 1802. Auteur janséniste de nombreux ouvrages. Sa pensée fut influencée par la découverte - grâce à l'abbé Grégoire - du jésuite "Lacunza à l'œuvre duquel il consacra également un ouvrage (1818). Comme lui, il admettait un
déplacement de l'axe terrestre. Il lie le millénium au rétablissement d'Israël qu'il prévoit pour 1849. Les pronostics d'Agier furent soutenus par la Revue
ecclésiastique
du jansénisme
entre 1838 et
1848. Un avis de cette revue publié en 1850 reconnaît l'erreur de calcul d'Agier mais la juge minime, et estime «très prochaine» la grande tribulation. Bibl. - P.-J. AGIER, Psaumes nouvellement traduits de l'hébreu et mis dans leur ordre naturel, avec des explications et des notes critiques, Paris, 1809, 3 vol.
(ouvrage publié sous l'anonymat). - Prophéties concernant Jésus-Christ et l'Eglise, éparses dans les livres saints, avec des explications et des notes, Paris, 1819. Les Prophètes nouvellement traduits de l'hébreuavec des explications et des notes critiques, Paris, 1820-1822, 9 vol. - Commentaire sur l'Apocalypse, Paris, 1823. VAUCHER. I, passim.
AILLY, PIERRE D'(cardinal) (1350-1419 ou 1420 ou 1425). Cet évêque de Cambrai a été surnommé le «Marteau des hérétiques». Cette notoriété se manifesta en particulier au concile de Constance dans le procès intenté à Jean*Huss. Cependant au même concile, c'est lui qui jeta un cri d'alarme sur les abus de la Curie pontificale. Il était en effet fervent à la mémoire de * Joachim de Flore qu'il compare à sainte *Hildegarde. Il était même assidu des investigations astrologiques et se manifesta en ce domaine par une Concordance de l'astronomie avec l'histoire, composée en 1414. En cette année il pronostique la déconfiture du concile de Constance et juge que le Grand Schisme prélude à la venue de l'Antéchrist. En outre, selon lui, en l'année 1789 le monde connaîtra de grands bouleversements, si du moins il dure jusque-là. On sait en outre que l'ouvrage cosmographique de P. d'Ailly, Imago Mundi, guida Christophe *Colomb. Bibl. - P. D'AILLY, Concordia Astronomia; cum Histórica Narratione, Augsbourg, 1490. - E. BURON, Imago Mundi. Texte latín et traduction française des Quatre traités cosmographiques de P. d'Ailly et des notes marginales de Christophe Colomb, Paris, Mai-
son-neuve, 1930, 3 vol. ALARM. Devenu Trumpet of Alarm (1843). Journal de Philadelphie (Pennsylvanie) (voir MILLÉRISME). - FROOM, t. IV, p. 524.
ALBERT, PHILIPPE (17« s.). Auteur du Traité d'observations sur quelques prophéties touchant la fin du monde et la venue de Notre Seigneur Jésus-Christ dont ¡es temps prédits semblent expirer dans le présent siècle. Le second avènement du Messie coïncidera avec la libération des Juifs. Le tout entre 1670 et 1700. - SILVER, p. 172, d'après R . M . JONES.
ALBERT LE GRAND (1206-1280). Dans l'œuvre du célèbre «Docteur Universel» figure un commentaire sur l'Apocalypse. Compilation des vues courantes au Moyen Age depuis Augustin, assortie de quelques conjectures: par exemple Jézabel, la fausse prophétesse de Thyatire (Apoc. Π, 20), serait, 47
ALBURY
PARK
selon le commentaire, l'hérésie de Mahomet. Bibl. - ALBERTUS MAGNUS, « I n
Apocalypsim
Β.
Joannis Apostoli», dans Opera Mundi, Paris, 1899, A. BORGNET, édit.. t. XXXVIII, p. 465-826. ALBURY
PARK,
CONFÉRENCES
D'
(1826-1830).
Semaines d'études tenues dans la splendide demeure de Henry *Drummond à Albury Park, dans le Surrey, et destinées à confronter les conceptions prophétiques des participants. La session de 1827 connut une audience assez large: selon elle les coupes apocalyptiques auraient été déversées sur Rome en 1798, et le retour du Seigneur pouvait être escompté pour 1847. Au cours de la session de 1828, la guerre en cours avec la Turquie est interprétée comme un signe de la fin imminente. L'ouvrage de H. Drummond, Dialogues on Prophecy, synthétise les conceptions exposées à ces «Prophetic conferenc e s » . - FROOM, t . ILL, p . 4 4 9 - 4 5 4 .
ALCAZAR, Luis DE (1554-1613). Jésuite espagnol de Séville. Passa quarante années studieuses à rédiger contre l'exégèse protestante (et sa thèse du pape-Antéchrist) sa monumentale Investigation sur le sens caché de l'Apocalypse publiée après sa mort en 1614. Les événements prédits dans l'Apocalypse ont été réalisés dans le passé avec la double guerre soutenue par l'Eglise contre la Synagogue (Apoc. I-XI) et le paganisme (XII-XIX). Le jugement de la prostituée doit s'entendre comme étant la chute de l'idolâtrie païenne. Alcazar aurait été le premier à donner de l'Apocalypse cette interprétation dite «prétériste». L'ouvrage porte en sous-titre «cum Opusculo de Sacris Ponderibus ac Mensuris» («avec un opuscule sur les poids et les mesures sacrés»). Bibl. - L. DE ALCAZAR, Vestigatio Arcani Sensus in Apocalypsi, Anvers, 1614. - FROOM, t. II, p. 506, ss. ALESSANDRO ALESSANDRI (1461-1523). Un des premiers à avoir émis l'hypothèse sur le déplacement de l'axe terrestre par rapport à l'écliptique au moment du Déluge; cette hypothèse ayant pour pendant la conception millénariste du redressement de cet axe au moment de l'avènement, conception défendue par de nombreux auteurs. Les pronostics de l'utopiste Ch. *Fourier sur la modification des climatures par le réchauffement des pôles appartiennent à une tradition analogue. La conception du déplacement des pôles a été également évoquée par le poète anglais J. *Milton dans son Paradise Lost. Bibl. - VAUCHER, I, p. 199, note 674, oui renvoie à BOST, Dictionnaire de la Bible, 2' éd., 1865, p. 250. AL-HAKIM. Khalife fatimide (descendant du Prophète par sa fille Fatima, épouse d'Ali, cousin de Mohammed), qui régna en Afrique du Nord vers 405 de l'Hégire (1023 ap. J.-C.). Il se crut assez sûr de lui, après une longue propagande de ses disciples, pour prétendre d'être l'*imam et même une incarnation de la divinité. Il est possible d'ailleurs que lui-même n'ait pas voulu ces exagérations, et 48
qu'elles soient le fait de sectateurs exagérés. Parmi eux, Darazi se donna pour l'imam et s'appela luimême «glaive de la foi» et «prince des directeurs». Il composa un ouvrage où il affirmait que le khalife était une hypostase de la divinité et le créateur de l'univers. Selon Darazi, l'âme d'Adam était passée dans Ali et, à son tour, l'âme d'Ali était passée dans celle de tous les ancêtres d'al-Hakim, et s'était enfin arrêtée à lui. Darazi vint lire son ouvrage dans une des grandes mosquées du Caire, et la foule, outrée de son audace, faillit le mettre à mort. D'après certains auteurs, Darazi fut tué en 410 de l'Hégire sur l'ordre du khalife; selon d'autres, il n'était que l'agent d'al-Hakim qui protégea sa fuite en Syrie et lui donna de l'argent. Quelques années auparavant, vers 405 de l'Hégire, un missionnaire ismaélien (voir ISMAÉLIENS), probablement d'origine persane, Hamza, avait commencé à répandre cette même doctrine selon laquelle le khalife était une hypostase de la divinité. Comme Hamza exerça en premier lieu son activité parmi les populations coptes d'Egypte, pour les attirer il leur assurait qu' alHakim n'était autre que le Messie. Hamza est connu comme le chef des Druzes. Un autre Persan, probablement né dans la province de Ferghana, se fit le propagandiste de la même doctrine. Il réunit un nombre assez considérable d'adhérents, puis un jour décida de tenter un grand coup. D'après l'historien Aboul-Mahasen, al-Akhram sortit du Caire à cheval, avec cinquante compagnons, et prit la route de Misr. Il entra dans la grande mosquée dans le même équipage. Le Cadi des cadis, Ibn al-Awam y tenait une séance où il examinait des questions juridiques. Les gens d'al-Akhram se jetèrent sur les assistants et les dépouillèrent de leurs vêtements, puis ils donnèrent au Cadi une requête pour qu'il y fasse droit. Elle commençait par les mots de la Bismillah, mais on avait substitué le nom du khalife à celui d'Allah: «Au nom d'al-Hakim, le Clément, le Miséricordieux...» Les assistants se jetèrent à leur tour sur les audacieux; il semble qu'al-Akhram ait réussi à s'enfuir. Bibl. - E. BLOCHET, Le Messianisme dans l'hétérodoxie musulmane, Paris, 1903. ALLIOLI,
JOSEPH-FRANZ
(1793-1873).
Exégète
catholique autrichien, auteur d'un ouvrage dans lequel les commentaires de certains passages bibliques pourraient traduire une tendance millénariste. Bibl. - J.-F. ALLIOLI, Die Heilige Schrift, Nuremberg, 1834. - VAUCHER, I I I , p . 98.
ALLBÍ, PIERRE. Français réfugié en Angleterre à la révocation de l'édit de Nantes. Auteur d'une Exposition du double avènement, l'un en humilité pour la rédemption, l'autre en gloire pour le jugement du monde. Il aurait prédit le second jugement pour 1720, au plus tard, pour 1736. Bibl. - P. ALLIX, De Messiœ duplici adventu, Londres, 1701. - VAUCHER, I , p . 150, n o t e 240. - BROOKS, p . 3,
A M A U R Y D E BÈNE cite un autre ouvrage: A Confutation of the Hope o, the Jews Concerning the Last Redemption. Londres, 1707.
AL-MOGANNA. Secrétaire de * Abou Moslim, qui après la mort de ce dernier transforma le précurseur de Mahdi (Abou Moslim) en incarnation divine. Selon al-Moganna, le «prophète voilé du Khorassan», Dieu s'était incarné neuf fois: Adam, Noé, Abraham, Moïse, Mohammed, Ali, gendre du Prophète, Mohammed, fils de laHanafite, puis Abou Moslim et lui-même. Il cachait son visage «pour ne pas éblouir les gens mortels de la splendeur de son auréole»: en fait, il était défiguré par une blessure. Il avait une grande habileté de prestidigitateur, diton. Et cela lui valut d'être considéré comme Dieu. Il ne fallut pas moins de trois années pour le réduire; il ne se rendit d'ailleurs pas et cerné, il mit le feu à la forteresse où il s'était réfugié. On lui trouvait encore des adorateurs plusieurs siècles plus tard. Bibl. - G. WEIL, Geschichte der Chalifen, t. II. p. 101. ss. - T. MOORE, The Veiled Prophet of Khorassan. J. DARMESTETER, Le Mahdi depuis les origines de l'Islam jusqu'à nos jours. Paris, 1885. ALROY ou ALRUI ou ALROUHI, DAVID (12 e s.). N é en Kurdistan, il se donna aux Juifs persans pour le Messie libérateur, destiné à les affranchir des impôts et du joug musulmans et à les ramener à Jérusalem. Bien que l'appel à une mobilisation générale des Juifs fut loin d'être pleinement entendu un soulèvement armé s'ensuivit. Le leader juif fut probablement assassiné. Ses compatriotes furent frappés d'une lourde amende pour ne l'avoir pas stoppé. Les adeptes se survécurent sous la forme d'un groupe religieux dissident, nommé «ménahé. mites» du nom de Menahem pris par leur fondateurBibl. - SILVER, p. 80. - Jewish Encyclopedia. art. «Pseudo-Messiahs ». A L L W O O D , PHILIP (1769-1838). D i p l ô m é d e C a m -
bridge, auteur des Douze leçons sur les prophéties relatives à l'Eglise chrétienne et spécialement à l'apostasie de la Rome papale, et de Clef de l'Apocalypse de saint Jean. Selon lui, la première bête de l'Apocalypse, celle qui monte de la mer, est l'Empire romain. Quant à la bête qui monte de la terre (Apoc. XIII, 11) elle représente l'impérialisation de l'Eglise avec sa tyrannie spirituelle; ses deux cornes signifient le clergé séculier et le clergé régulier. Cet Empire ecclésiastique date de 606 (époque du pape Boniface III). Le lecteur est averti que le temps est proche: the time is at hand. Bibl. - P. ALL WOOD, Twelve Lectures on the Prophecies Relating to the Christian Church and especially to the Apostasy of Papal Rome, 1815.-/4 Key to the Revelation of St. John, the Divine, Londres, 1829. - FROOM, t. Ill, p. 577-578. A L S T E D , JOHANN HEINRICH (1588-1638). T h é o l o -
gien allemand de l'Eglise réformée, passé vers 1629 en Transylvanie. Auteur de Diatribe de mille annis
apocalypticis, non Ulis chiliastarum et phantastarum, sed beatorum Danielis et Joannis (Francfort, 1627; 2 e éd., 1630). Il écrivit aussi une neologia Prophetica (1622) et un Triumphus bibliorum sacrorum, seu Encyclopaedia biblica (Francfort, 1624). Les deux bêtes de l'Apocalypse sont la Rome impériale et la Rome papale. La septième trompette serait le temps de l'achèvement de la Réforme et de la conversion des Juifs, suivie du royaume du Christ. Le millénium débuterait en 1694 (millénium terrestre) (De mille annis, p. 24-25; passim.-Trifolium, p. 147-148). Bibl. - Voir supra. - Trifolium propheticum id est Canticum Canticorum Salomonis prophetia Danielis, apocalypis Johannis sic explicata, et series textus, et series temporis prophetici e regione positœ lucem menti et consolationem cordi ingérant, Herborn, 1640. - Tuveson relève en outre l'importance d'une traduction anglaise d'Alsted, publiée en 1627, sous le titre Beloved City, or the Saints Reign on Earth a Thousand Years (La Cité bien-aimée ou le règne des saints sur la terre pendant mille ans), et mentionnée comme «printed in the year of the last expectation of the saints» («imprimée en l'année de la dernière attente des saints»). - FROOM, t. II, p. 610-611. - VAUCHER, I. p. 161, note 323. ALTING,
JACOB
(1618-1676).
Auteur
de
Spes
Israelis (1674) («l'espérance est celle du rétablissement d'Israël») et d'un Commentaire sur Jérémie (1688). - VAUCHER, I, p. 72, 161, n o t e 323. - BROOKS, P. 3.
ALVAREZ, BUENAVENTURA. Auteur de El Misterio Satánico (Madrid, 1874). - VAUCHER, I, p. 103, 201, note 687. AMAURY D E BÈNE ou D E CHARTRES (t 1207). Théologien médiéval, classé comme «panthéiste mystique». Ses théories furent condamnées en 1204 par l'Université, condamnation confirmée en 1207 par le pape auquel Amaury avait fait appel. Ses disciples prophétisèrent un règne du Saint-Esprit, par transformation des spirituels en l'Esprit: «Avant cinq ans tous les hommes seront spirituels et chacun pourra dire: «Je suis l'Esprit-Saint» et «avant qu'Abraham fut, je suis...» Cette divinisation sera interprétée par tout un courant anomiste (voir FRÈRES DU LIBRE ESPRIT). A m a u r y fut u n des
premiers à susciter l'attente d'un troisième age, l'âge de l'Esprit et de la liberté, venant après l'âge du Père et du Fils. Après sa mort un concile provincial condamna son enseignement, et ses ossements furent exhumés et jetés au vent. Par ailleurs les amalriciens, sinon Amaury, prédisaient la formation d'un royaume groupant les nations de la terre sous l'hégémonie de la France - royaume dont le chef serait un prince «ayant la science sacrée». « A u bout de cinq ans viendront quatre fléaux: le premier frappera le peuple que la faim consumera; le second sera un glaive avec lequel les princes s'entretueront; sous l'action du troisième, la terre 49
AMBROISE A N S B E R T s'ouvrira et engloutira les bourgeois; le quatrième sera un feu dévorant qui descendra sur les prélats de l'Eglise, ces membres de l'Antéchrist... Tous les royaumes du monde seront soumis au roi des Français et à son fils. Celui-ci vivra dans le temps du Saint-Esprit. Il ne mourra jamais. Le roi de France recevra douze païens qui représenteront la science sacrée et la puissance» (propos attribués à l'orfèvre Guillaume, interprète des amalriciens, rapportés par*Césaire de Heisterbach). Une dizaine d'adeptes moururent sur le bûcher. Bibl. - H. DELACROIX, «Amaury de Bène et les amalriciens», dans Essai sur le mysticisme spéculatif..., Paris, 1900, p. 32-51. - G. C. CAPELLE, Amaury de Bène, Paris, 1932.
Nord au 18 e siècle: Christ in the Clouds Coming to Judgement (Christ venant sur les nuées pour le jugement). - FROOM, t. Ill, p. 194.
AMBROISE ANSBERT ou AUTPERT (f vers 778). Bénédictin né dans le Sud de la France, mort en Italie du Sud. Ecrivit entre autres ouvrages une exposition volumineuse sur l'Apocalypse qui reprend les thèmes classiques de*Victorin,*Tichonius, •Augustin, *Primaise et *Bède le Vénérable. Son commentaire sur l'Apocalypse avait été édité par Marguerin de la Bignè (Maxima Biblioteca Veterum
AMICALISME. Mouvement politico-religieux congolais fondé par André *Matswa en 1926 sur la base d'une amicale des originaires de l'Afrique équatoriale française, dite Amicale Baiali, à buts de solidarité sociale, puis de résistance politique. Lorsque son fondateur est arrêté une première fois et déporté en 1930, l'amicalisme tend à fusionner avec les messianismes locaux. Cependant, après la mort en prison de Matswa en 1942, le mouvement renaît sous la forme d'une religion syncrétiste, basée sur l'attente d'une réapparition du fondateur. Celui-ci, nommé dès lors par certains «Jésus-Matswa» ou même «Père céleste» est identifié au Messie par la masse des Bas-Congo qui voient en lui le successeur de*Kimbangu. Bibl. - G. BALANDIER, Sociologie actuelle de l'Afrique Noire, Paris, 1955. - E. ANDERSSON, Messianic Popular Movements in the Lower Congo, Upsala, 1958, p. 226. -
Patrum,
t. X I I I , Paris, 1677, p. 403-657).
Bibl. - FROOM. t. I, p. 547, aui discute l'édition de Migne, P.L., t. L X X X I X , col. 1265, ss. - BROOKS, P.
3. - Le traité Expositio Super Septem Visiones Libri Apocatypsis, se trouve à la fin des œuvres de saint A m b r o i s e : P.L. t. X V I I . col. 765-970. - MIGNE (col.
763-764), l'attribue à 'Bérangaud. AMBROISE DE MILAN (env. 340-397). Le célèbre évêque de Milan pense qu'il y aura deux résurrections. Entre la première et la seconde, les méchants accompliront leur temps de supplice: «Le Sauveur a établi qu'il y aurait deux résurrections et Jean a dit dans l'Apocalypse: Bienheureux celui qui aura part à la première résurrection...» Mais la description de cet état intermédiaire demeure spirituelle: «Jésus nous éveillera de sa grande voix comme il a éveillé Lazare et il nous introduira à Béthanie où était Lazare, c'est-à-dire dans la demeure de l'obéissance et il nous fera asseoir à son banquet...» (Ps. I, Ennarationes, P.L., t. XIV, col. 951). Cependant sans vouloir préciser autrement la date, l'événement lui paraissait proche: il est lié en effet à la propagation de l'Evangile. Or celui-ci a déjà atteint «les Goths et les Arméniens». Et d'autre part les guerres incessantes de son époque lui semblent des «signes». Enfin Arius et Sabellius font partie, selon lui, de la multiformité de l'Antéchrist, lequel naîtra de la tribu de Dan. D e toute manière l'incarnation est intervenue à la onzième heure du monde... Bibl. - AMBROISE DE MILAN, Ennarationes in Psalmos duodecim, P.L., t. XIV, col. 921-1180. - De Fide, P.L., t. X V I , col. 527-698, passim. p . 59. - FROOM, 1.1, p . 415-425.
- VAUCHER, I I I ,
AMBROSE, ISAAC (1604-1664). Auteur d'une brochure particulièrement répandue en Amérique du 50
AMERICAN PROTESTANT VINDICATOR, The (1834-1845). Hebdomadaire édité à N e w York par William Craig *Brownlee. L'interprétation est violemment anti-romaine. Si le dragon d'Apoc. XII était la Rome impériale, la première bête est la Papauté. La cinquième trompette aurait concerné l'islamisme et ses sauterelles, les tribus errantes d'Arabie. La sixième concerne la destruction de Constantinople par les Turcs... Une livraison de 1837 prévoie que vers 1844 les Turcs seront chassés d'Europe, etc. - FROOM, t. IV, p. 278-280.
C. MANCKASA, Mutations politiques au
Congo-Brazza-
ville, diplôme de l'E.P.H.E.. 1964-1965 (dactylographié). - GUARIGLIA, p. 226. - LANTERNARI, p. 23-25. AMIS D E L ' H O M M E , LES . Dissidence des «Témoins de Jéhovah, fondée par Alexandre *Freytag, mort en 1947. Les œuvres de celui-ci préconisent une «Constitution sainte pour l'établissement du Royaume de Dieu sur la terre». Deux jours (deux mille ans) se sont écoulés depuis Jésus jusqu'à 1918; les nouveaux cieux s'y sont recrutés. Depuis 1918, le troisième jour de mille ans a commencé, millénium pendant lequel se forme la nouvelle terre, carrière de l'armée de l'Eternel, rééducatrice de l'humanité, et initiatrice à la vie éternelle. La doctrine prévoit en effet un régime naturiste propre à éloigner la mort. Frey tag disparu, le groupe s'est scindé en deux branches qui ont chacune leurs publications périodiques. Bibl. - A. FREYTAG, La Divine Révélation, 1920. Le Message à l'humanité, 1922. - La Vie éternelle, 1933. AMIS D U TEMPLE, LES ou PEUPLE DE DIEU. Fondés par Christophe "Hoffmann. Ils passent pour avoir voulu rebâtir le Temple de Jérusalem en vue de l'imminent retour du Seigneur. Font partie
A N D R E W S e
de la grande émigration pietiste allemande du 18 siècle dont certains groupes se rendirent en Amérique du Nord. Ceux qui se trouvaient sous la direction de C. Hoffmann émigrèrent en Russie. D'autres se rendirent également en Hongrie, en Roumanie et en Transcaucasie. Bibl. - J . P R I N Z , Die Kolonien der Brüdergemeinde Piatigorsk, Moscou, 1898. - P. H O F F M A N N , Die deutschen Kolonien in Transkaukas'en, Berlin, 1905.
AMSDORF, NICOLAUS VON (1483-1565). Né à Torgau, Amsdorf fut le compagnon aimé de Luther et son intime collaborateur. Il fut le premier évêque protestant à Naumbourg. La guerre lui fit perdre son siège et il se réfugia à léna en 1548. Il écrivit un traité sur les Cinq signes majeurs et certains qui selon la Sainte Ecriture doivent se produire peu avant le dernier jour. Le troisième de ces signes est le déclin de l'Empire romain (germanique) qui ne sera suivi d'aucun autre Empire. L'Antéchrist est non pas le Turc, mais la Papauté. Bibl. - N . VON AMSDORF, Fiinff fUrnemliche und gewisse Zeichen aus göttlicher heiliger Schrift, so Kurtz vor dem Jüngsten tag geschehen sollen, léna, 1554. F R O O M , t. I I , p . 3 0 3 - 3 0 6 .
AMYRAUT, M O Ï S E (1596-1664). Né à Bourgueil. Après des études de droit à Poitiers, il découvrit L'Institution de Calvin, et il se convertit. Il étudia la théologie à Saumur, où il revint comme pasteur puis comme professeur. Il publia de nombreux sermons et aussi des poésies. Il met en question l'interprétation augustinienne dans son Règne de mille ans, et discerne un Etat triomphant de l'Eglise après le second avènement du Christ: triomphe spirituel, qui commence non à Constantin, mais à l'ascension du Christ. Bibl. - M. AMYRAUT, Du Règne de mille ans ou de la prospérité de l'Eglise, Saumur, 1654. - La Grande Encyclopédie, art. «Amyraut». - FROOM, t. II, p. 6 3 3 - 6 3 4 . - BROOKS, P . 3.
ANDERSON, W I L L I A M (1799-1873). Pasteur de Glaseow, né à Kilsyth. Auteur, entre autres nombreux ouvrages, d'une Apologie de la doctrine mllléniale. Il y affirme qu'une double résurrection encadrera le millénium. Alors la terre sera renouvelée, rectifiée, embellie (p. 1-2). Pour lui la rupture du sixième sceau correspond à la terreur semée par la Révolution française. Il ajoute que «la coupe de colère, la septième, la dernière, la plus déplorable est à son comble, prête à être renversée ¡présentement le temps de la paix est sur le point de se clore, pour que l'on enregistre les noms de ceux qui auront leur héritage lors de la première Résurrection» (p. 41). L'avènement s'accompagnera de la destruction des puissances européennes, la désolation de l'Empire turc et la destruction de la papauté. Bibl. - W . ANDERSON, Apology for Millennial Doctrine, Glasgow. 1830, 2 vol. - FROOM, t. Ill, p. 5975 9 8 . - BROOKS, p . 3.
ANDREAE, JEAN VALENTIN. Co-auteur du mythe de Christian Rosenkreuz (Rose-Croix), mythe exposé en 1614 dans un écrit anonyme, la Fama, et personnage fictif pour lequel la figure historique de Joachim de Flore serait probablement le prototype. L'écrit postule une réintégration de l'état édénique par l'instauration d'une «quatrième monarchie». La vraie vie chrétienne, prêchée et vécue par la fraternité Rose-Croix, est reprise par l'imminence des transformations attendues. Les frères RoseCroix «enseignent au monde égaré le vrai chemin de la philosophie éternelle, c'est-à-dire de la connaissance du Messie et de la Lumière de la Nature aux temps de l'empire du Saint-Esprit». Dans son ouvrage de 1955, P. Arnold commente: «Les rédacteurs du Manifeste des Rose-Croix se sont bornés à faire revivre les idées eschatologiques et les doctrines ésotériques du salut par l'extase et l'espoir de la prochaine Parousie qui avaient cours depuis le 12E siècle dans le monde chrétien» (p. 135). Et dans l'article de 1957, il insiste: «Trop de gens, et aujourd'hui encore, ont pris aux sérieux le mythe de Christian Rosenkreuz et de sa pseudo-fraternité. On a, en revanche, négligé les idées chiliastes contenues dans le message rosecrucien, alors que c'est tout juste le contraire qu'il conviendrait, semble-til, de faire. Car si l'idée d'une Fraternité Clandestine n'a été qu'un jeu (ludibrium), d'autres écrits d'Andreae et de ses amis témoignent de leurs conceptions chiliastes et de leur volonté de préparer la Cité de Dieu qu'Andreae décrit complaisamment dans sa Reipublicae Christianopolitanae descriptio, parue en 1 6 1 9 » (p. 1 0 2 ) . Bibl. - J. V . ANDREAE, Reipublicœ Christianopolitanx descriptio, 1619. - P. A R N O L D , Histoire des RoseCroix et les origines de la franc-maçonnerie, Paris, 1955. - «L'Eschaton au 16« siècle», dans La Table Ronde, n» 110. février 1957, p. 101-102. ANDRÉ DE CÉSARÉE (7E s.). Vie mal connue. Auteur d'un Commentaire (grec) sur VApocalypse, écrit sans doute avant 632, ou le millénaire apparaît comme le temps compris entre la prédication de l'Evangile et la venue de l'Antéchrist. Encore ce chiffre 1000 ne doit-il pas s'entendre au sens mathématique. « Mille ans ne doit pas s'entendre d'une manière précise, comme s'ils couvraient un nombre exact d'années. » (De même à propos de David «mille générations».) «Nous estimons que le nombre mille signifie beaucoup ou du moins la perfection·. car il faut de nombreuses années pour que l'Evangile soit prêché partout sur la terre» (col. 409). Bibl. - A N D R É DE CESAREE, Commentaire sur l Apocalypse, P.G., t. CVI, col. 207-458. ANDREWS,
JOHN
NEVINS
(1829-1883).
D'ascen-
dance méthodiste, né dans le Maine; intéressé très jeune par l'adventisme et le mouvement sabbatarien. Après le 22 octobre 1844, il fut un des artisans de la conjonction des deux mouvements et son 51
A N S E L M E D E HAVELBERG Histoire du sabbat est devenue classique. Une originalité de son commentaire de l'Apocalypse est son interprétation de la seconde bête: le dragon aurait été la Rome impériale, la première bête était la Rome papale, mais la seconde bête (Apoc. XIII, 11) est selon lui la nouvelle coalition d'Eglise et d'Etat (Church and State) réalisée par le protestantisme et le républicanisme aux Etats-Unis, la prééminence de cette deuxième bête commençant à l'achèvement des 1260 années de la domination papale (1798). Bibl. - J. N. A N D R E W S . History of the Sabbath and of the First Day of the Week (plusieurs fois réédité), 41251 - 1209
1248-1298
1130-1202 1221-(1288) 11300
-«-1260-»
(1214)-1292
XIV e siècle 2.FRANCE Bernard Délicieux Lyre, Nicolas de Naprous Boneta Oresmus, Nicolas Quidort, Jean de Paris Rupescissa ou Roquetaillade o Jean de 3. ITALIE Auréoli, Pierre Cecco d'Ascoli Dante Alighieri Dolcino de Novare (Fra) Flagellants Pétrarque, Francesco RIENZO OU RIENZI, Cola di SAVI, Domenico d'Ascoli Telesforo Da Cosenza
11320 11340 •«-1325 11382 11306 Rochetaillade, (1300H1365) -«-1321 -> 11327 1265-1321 11307 1260 et 14es 1304-1374 1313-1354 11344 1365-1386
THOMAS D'APULIE
Ubertino da Casale 4. ESPAGNE - PORTUGAL BOTAREL, Moïse de Cisneros Villanova, Arnaud de
1259-» -«-1393 (1235)—1311
6. SUISSE - HOLLANDE - ALLEMAGNE EUROPE CENTRALE Janow, Matthias de 11394 Militz ou Milicz de Kromeriz -«-1350-1374 NICOLAS DE BALE
Pastoureaux SCHMID, Konrad 11276 -«-1260 ->
Le
1320-» -
7. ANGLETERRE BALL, J o h n
Brute ou Britte, Walter Lollards Wimbledon, R. Wyclif, John
-«-1381 -+ -«-1393-» -«-1381 -> -«-1389 (1324)-1384 269
XV e SIÈCLE XV e siècle 2. FRANCE Ailly, Pierre d'
1350-(1419)
3. ITALIE Nanni, Giovanni Savonarole, Girolamo