Didactique de la création artistique: Approches et perspectives de recherche 2806636000, 9782806636003

Qu'il s'agisse de recherche ou d'enseignement, la création artistique interpelle autant les théoriciens q

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Didactique de la création artistique: Approches et perspectives de recherche
 2806636000, 9782806636003

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CREArTe

Didactique de la création artistique Approches et perspectives de recherche

Sous la direction de

Grazia Giacco, John Didier et Francesco Spampinato

Didactique de la création artistique Approches et perspectives de recherche

CREArTe La collection « CREArTe » ouvre un espace de diffusion dédié aux recherches menées dans et par les pratiques des Arts et de la Technologie, réaffirmant la portée humaniste et transdisciplinaire des expériences de création. La sphère de la poïétique – le faire, le processus de création, le travail opératoire, les modes et méthodes de la recherche-création, l’acte de transmission… – nourrit le territoire auquel « CREArTe » se consacre. L’articulation entre création, recherche et enseignement dessinera plusieurs champs thématiques : recherche-création, didactique de la création, récits de créateurs, de concepteurs, pratiques d’artistes-pédagogues, allant jusqu’à soutenir des recherches hybrides entre créateurs et chercheurs en Art, en Sciences ou en Technologie. L’émergence de nouvelles recherches en création est liée à une réflexion sur la pratique des Arts et de la Technologie, ainsi qu’à une analyse de leurs modes de transmission et de production de connaissances.

Ouvrage publié avec le concours de l’Université de Strasbourg, de l’ESPE de l'Académie de Strasbourg (France) et de la HEP du canton de Vaud, Lausanne (Suisse).

Didactique de la création artistique Approches et perspectives de recherche

Grazia Giacco, John Didier et Francesco Spampinato (dir.)

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Éditions L’Harmattan 5,7 rue de l’École Polytechnique F - 75005 Paris Tél : 00[33]1.40 46 79 20 Fax : 00[33]1.43 25 82 03 [email protected] http://www.editions-harmattan.fr

ISBN : 978-2-8066-3600-3

D/2017/9202/13

© E M E Éditions Grand’Place, 29 B-1348 Louvain-la-Neuve Tous droits de reproduction, d’adaptation ou de traduction, par quelque procédé que ce soit, réservés pour tous pays sans l’autorisation de l’éditeur ou de ses ayants droit.

www.eme-editions.be

PRÉFACE Daniel Payot

N otre Unité de Recherche « Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistiques » s’apprête à intégrer dans son 1

projet d’ensemble le programme de recherche sur la didactique de la création artistique élaboré par Grazia Giacco et quelques enseignants de la Faculté des Arts. C’est pourquoi nous nous sentons particulièrement concernés par les communications recueillies dans ce volume.

Il nous semble en effet évident que des réflexions et des travaux concernant la méthodologie de la création artistique, la place des arts dans les établissements d’enseignement, les spécificités de la recherche en arts et bien d’autres thématiques sont en interaction active et fructueuse avec des orientations concernant la poétique des différents arts, les conditions actuelles de leur expression ou encore des phénomènes tels que leurs hybridations, leurs emprunts réciproques, par exemple. Pour nous, ces questions de didactiques méthodologiques et ces parcours à inventer de recherche-action ne sont pas extérieurs aux recherches que nous pouvons mener pour comprendre ce qu’il en est de l’art dans le monde contemporain ; ces interrogations se trouvent au contraire au centre de ces préoccupations. On ne peut parler des arts sans se demander comment ils se fabriquent, comment ils se transmettent, comment ils s’enseignent, et en général comment ils sont l’occasion d’expériences diversifiées et partagées. Tout ce qui retient notre attention dans le devenir actuel des différents arts, par exemple les phénomènes de nomadisme artistique, d’effrangement des limites entre les arts ou encore l’invention de nouvelles modalités d’expression, tout cela demeurerait incomplètement analysé si nous n’étions pas capables de dire aussi 1

EA 3402 ACCRA – Faculté des Arts, Université de Strasbourg.

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Didactique de la création artistique

ce que cela change du point de vue de la transmission. C’est une sorte de défi, à relever positivement.

En tant qu’enseignant, nous savons bien que nous ne pouvons vraiment transmettre que ce que nous avons nous-mêmes compris, et que ce qui reste flou en nous ne pourra donner lieu qu’à une transmission vague. Dans le domaine des arts, il ne s’agit évidemment pas de tout expliciter, parce que tout n’est pas explicitable ; mais il s’agit de faire en sorte que les phénomènes qui paraissent riches de sens puissent être exposés comme tels, offerts à l’analyse et à l’interprétation. Et pour cela, il faut apprendre à vivre et à présenter ces phénomènes de telle sorte qu’on puisse dégager en eux les significations, les suggestions, les invitations, les questions qu’ils recèlent. C’est pourquoi nous attachons beaucoup d’importance aux initiatives menées dans cette perspective et aux conclusions qui en émergeront.

DP

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INTRODUCTION POURQUOI UNE DIDACTIQUE DE LA CRÉATION ARTISTIQUE ? CONTEXTE ET ÉMERGENCE Grazia Giacco et John Didier

L a didactique de la création artistique est un champ émergent qui a été initié en 2014 par Grazia Giacco à l’Université de Strasbourg et qui se développe en étroite collaboration avec John Didier de la Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse). Le projet nommé DiCrA1 avait été lauréat du Fonds IdEx de l’Université de Strasbourg dans le but de définir et approfondir de nouveaux axes méthodologiques en didactique des arts2, prenant appui sur des 1

Didactique de la création artistique. URL  : http://espe-formation.unistra.fr/arts/2015/04/07/dicra-didactique-de-la-creation-artistique-idex/

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Il est important de préciser que notre réflexion concerne tous les niveaux de l’enseignement, du primaire au supérieur, jusqu’aux centres de formation artistique spécialisés, comme les écoles supérieures d’art ou les conservatoires et académies supérieures de musique. Il est évident que, en ce qui concerne les enseignements spécialisés de la formation en art et à l’enseignement des arts, la question de la didactique de la création artistique doit prendre en compte la pratique artistique dans ces différents lieux institutionnels ainsi que les démarches de recherche propres à ces pratiques qui sont en train de dessiner actuellement en France de nouveaux territoires de recherche en arts. Ces thématiques sont au centre de travaux actuels menés par des chercheurs de l’ACCRA [EA  3402, «  Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistiques  »] de l’Université de Strasbourg qui ont lancé en 2016 un axe «  Recherche-création et méthodologies didactiques dans les arts et la technologie  », en collaboration avec des chercheurs internationaux comme John Didier (HEP Vaud, Lausanne, Suisse) et Pierre Gosselin (UQAM, Montréal, Canada).

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Didactique de la création artistique

démarches méthodologiques3 propres à la recherche-création (practice as research, ou de practice-led research, recherche menée par la pratique) transposables au domaine de la didactique des arts. Les objectifs de cette recherche visaient, et visent encore aujourd’hui, le développement du potentiel de création dans les disciplines artistiques, pour un renouveau d’un paradigme épistémologique qui poserait la création comme source de connaissance.

Encouragée dès le départ par le potentiel lié aux méthodologies de la recherche-création et en particulier par les travaux de Pierre Gosselin, Grazia Giacco a vu dans cette typologie de recherche une voie pour ancrer le développement d’une didactique de la création dans les pratiques artistiques et technologiques. L’enseignement des arts et de la technologie appelle ce changement radical : mais comment interroger le savoir lié aux disciplines artistiques et à leurs didactiques – plus particulièrement aux pratiques de création – si nous ne saisissons pas l’occasion d’analyser les racines de ce renouveau en habitant l’espace de l’art, le lieu (ou non lieu) des démarches artistiques ? Au fil de ces journées d’études, étalées entre 2014 et 20164 dans le cadre de l’IdEx DiCrA, la recherche sur la didactique de la création artistique a souhaité tout d’abord questionner la posture du créateur – de l’artiste, de l’enseignant ou de l’élève – le processus de création et les processus de transmission dans les enseignements artistiques, afin de dégager une méthodologie propre à la didactique des arts et de la technologie.

L’ensemble des articles ici réunis, issus pour la plupart des interventions présentées lors des journées d’études, montre à quel point le questionnement autour de la création artistique5 (ou technologique, selon les contextes) et de son enseignement soit encore d’actualité, réunissant avec autant de ferveur chercheurs, enseignants et acteurs culturels de différents horizons. Car il ne faut pas croire que, malgré la voie initiée par les pédagogies actives au siècle dernier (en musique, pensons à Dalcroze ou Orff) et ensuite par les pédagogies d’éveil 3

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Démarches constructiviste, heuristique, poïétique, autoethnographique, hybride, expérimentale… (Bruneau et Villeneuve, 2007). Les Journées furent organisées à Strasbourg  : le 28 novembre 2014 et le 13 mars 2015 à la Salle des Conseils de l’ESPE, puis les 22 et 23 janvier 2016 à l’Auditorium du MAMCS (Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg). Dans cet ouvrage, la didactique de la création axe son questionnement principalement autour des arts plastiques et de la musique. Cependant, il sera nécessaire d’élargir nos recherches futures à la didactique de la création dans les autres arts (danse, théâtre, cinéma, arts médiatiques...).

Introduction

depuis les années 1970 avec les travaux de François Delalande, la création artistique soit communément acquise et pratiquée en éducation musicale, par exemple. Le cas des arts visuels est différent : non seulement les recherches en didactique des arts ont su affirmer un discours poïétique mettant en valeur l’implication créatrice des élèves (Gaillot, 1997 ; Roux, 1999 ; Lagoutte  2002 et 2015), mais l’évolution des programmes et l’ouverture sur la posture de l’élève praticien ont marqué bien avant une forte impulsion vers la création, contrairement aux programmes d’éducation musicale dans lesquels le rôle de l’élève interprète et auditeur est privilégié. Et même si dans les dernières instructions officielles en France (MENESR, 2015a ; 2015b) la création apparaît dans l’un des grands champs de compétences, il faudra sûrement attendre un certain nombre d’années avant de pouvoir assister à une réelle évolution des pratiques et un réel engagement des institutions dans la posture d’auteur de l’élève ou de l’étudiant (Didier, 2015) et, nécessairement, dans la reconnaissance par l’institution d’une formation d’enseignants capables de développer leurs propres compétences à créer (Gosselin, 2013 ; Gosselin et al., 2014 ; Giacco, 2016). Création, créativité : si les deux termes, complémentaires mais sensiblement différents, sont souvent associés ou même utilisés indifféremment, dans le projet DiCrA Grazia Giacco avait privilégié le terme de création artistique plutôt que le terme créativité artistique. Il s’agissait en effet de lancer un débat sur la question du processus, du faire (défaire et refaire), du statut de l’erreur, du tâtonnement et de l’expérimentation, bref de questionner la démarche artistique et de permettre une transposabilité dans un contexte pédagogique. Si la création a besoin de la créativité pour se réaliser dans un processus et aboutir à un produit final ou fini, la créativité n’est qu’un élément parmi d’autres (socio-culturels, techniques, émotionnels…) qui intervient dans un processus de création, tout en étant l’élément porteur. Parler de « didactique de la création » au lieu de « didactique de la créativité » signifie prendre en compte une autre dynamique, propre au processus de création. Cela implique une tout autre démarche et tout un complexe de compétences (Gosselin et al., 2014), aussi bien chez l’enseignant que chez l’élève ou l’étudiant. Vivre une expérience de création et avoir la conscience d’être dans une dynamique de création met inévitablement l’enseignant et l’élève dans une posture qui diffère de celle qu’ils pourraient avoir lors d’une activité créative : dans la démarche de création, ce sont toutes les étapes (de la conception à l’aboutissement) qui sont mises en jeu, conçues, prises en compte

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Didactique de la création artistique

et en partie évaluées. Dans des activités de créativité, au contraire, la finalité n’est pas la même, bien qu’elles constituent un terrain fertile pour une démarche de création artistique. En didactique de la création artistique, la finalité est de permettre à des apprenants de vivre l’expérience d’une posture d’auteur (Didier, 2015), dans un processus et une dynamique de création (Gosselin et al., 1998) qui visent la réalisation d’une œuvre ou d’un produit, éventuellement dans le cadre d’une création collective. Ajoutons que, dans le cas de la didactique de la création artistique, la recherche des données et l’analyse du produit final devraient accompagner le travail mené en classe et le travail de préparation du projet. La créativité apparaît alors comme une capacité transversale, laissant une place centrale à la création comme constitutive des disciplines artistiques. Sensibiliser les enfants dès leur plus jeune âge aux expériences de création en art et en technologie serait un point stratégique pour développer de manière globale leurs acquis et leurs compétences. Dans la littérature en pédagogie musicale, peu sont les textes qui témoignent d’une véritable didactique de la création, et plus souvent l’attention est donnée à une certaine expression libre de l’enfant, liberté et créativité qui ne mènent la plupart du temps qu’à des essais temporaires, éphémères et non aboutis – de plus, très difficiles à gérer en groupe-classe. Ceci alimente cette confusion entre anarchie créative et processus créateur qui malheureusement induit une réaction négative chez un bon nombre d’enseignants. Or, une didactique de la création artistique doit se nourrir d’une méthodologie non pas stricte – car la création doit prendre en compte un certain nombre de facteurs variables et contextuels – mais claire et réfléchie.

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Poser les fondements d’une didactique de la création artistique nécessite tout d’abord de situer le débat de la création en fonction d’un positionnement épistémologique. Aussi, il semble utile de rappeler le débat social à l’origine de ce questionnement qui souhaite laisser une place à l’expression personnelle pour l’individu. L’impact de mai 1968 et ses répercussions dans les contenus d’enseignements scolaires, et même au niveau de certaines disciplines, notamment l’artisanat en Suisse romande (Didier, 2014), entraînent le besoin de renforcer l’expression personnelle comme un des fondements clés dans la formation de l’élève. Pourtant, ce contexte de transformation sociale a teinté la pensée créatrice d’une volonté de changement souvent très spontanée et associée à une revendication sociale forte. Dès lors, cette pensée créatrice est souvent réduite à une connotation post-soixante-huitarde qui

Introduction

occulte encore de nos jours le potentiel développé par le processus de création artistique. De manière plus générale, François Taddei (2008) ouvre un débat sur les enjeux de l’école de demain en se concentrant sur cette nécessité de créer des créateurs. Dans une école qui rapatrie à son tour des traditions et des représentations liées à une construction des savoirs chez l’élève basée essentiellement sur la restitution de savoirs, il devient nécessaire d’apprendre à l’élève à créer de nouveaux savoirs (Taddei, 2009). Ainsi, nous orientons notre débat dans cette perspective formatrice où cette nécessité d’apprendre à créer de nouveaux savoirs semble s’imposer comme un impératif vital pour répondre aux défis de demain. L’acte de création intervient dans tous les domaines du quotidien et ne semble pas être réservé à l’éducation artistique. Pourtant, une des spécificités des disciplines artistiques consiste à favoriser l’émergence d’une posture de créateur chez l’élève (ou chez l’étudiant inscrit dans les établissements d’enseignement supérieur) en lui apprenant à exprimer son point de vue, à décider et à s’investir dans des dynamiques de projets individuels et/ou collectifs. Les disciplines artistiques sont reliées à des pratiques et à des démarches artistiques qui donnent lieu à des productions d’objets et à la construction du sujet. Ces disciplines ont hérité à leur tour des traditions utilitaristes qui ont longtemps favorisé l’émergence de gestes reliés au monde professionnel qui explicitent encore une tradition fondée sur la restitution des savoirs. Penser l’acte de transmission de la création – et de la formation à la création – induit donc un changement de paradigme dans la construction même des situations d’enseignement-apprentissage où l’apprenant doit être positionné à son tour en posture de créateur. Dans cette dynamique, nous assumons une didactique de la création reliée et irriguée par les démarches artistiques. Une des tendances dominantes en didactique des arts consiste à privilégier et à s’approprier des démarches artistiques. De ce fait, comprendre le fonctionnement de ces démarches, nous renseigne sur ces mécanismes de didactisation de la création en contexte de formation. Aussi, il nous incombe d’investiguer sur ces démarches de création, au niveau des processus ainsi que sur le rôle des productions réalisées dans une visée de construction du sujet. Que signifie mettre l’élève ou l’étudiant en posture de créateur, d’auteur, de concepteur d’une production témoignant de sa personnalité, qui plus est, innovante et adaptée au contexte ? Dans cette quête de compréhension, il nous semble important de revenir sur la spécificité de l’artiste au XXe siècle, où l’innovation en art n’est plus seulement

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plastique mais aussi biographique et identitaire (Heinich, 2005). La construction de cette identité fortement singularisée intervient comme un des enjeux majeurs et clés dans cette didactisation de la création artistique. Marcel Duchamp comparait l’artiste à un médium, dans sa capacité à être en avance sur son temps et à aller au-delà des idées reçues et des sentiers battus (Lyotard, 2010). Ce mécanisme d’anticipation adaptatif de type empirique (Boutinet, 2012), aiguisé par une sensibilité particulièrement développée, se rattache à une histoire de l’émancipation et de l’individuation de l’artisan (Simondon, 1989). L’architecte au Moyen Âge, amené à projeter sa pensée et à la communiquer à l’aide d’objets intermédiaires, illustre le passage vers une posture reliée à une temporalité à projet (Boutinet, 2012). L’approche par projet caractérise cette spécificité de la pédagogie de projet qui, selon Taddei (2008), est à privilégier dans la formation des créateurs en contexte scolaire. Aussi, la didactique de la création artistique se doit d’articuler les connaissances rattachées aux disciplines et aux savoirs didactiques qui sont repris au moment de la didactisation dans l’enseignement. Privilégier une posture de créateur/concepteur chez l’élève ou l’étudiant consiste à mettre en œuvre des situations d’enseignement qui réactivent une individuation de l’artisan par son effort technique, nous dirait Simondon (1989). Ce geste d’individuation de l’élève pourrait résumer à lui seul les enjeux et les possibilités permises par la didactique de la création artistique. Mais comment définir ce geste d’individuation du sujet par son effort technique ? Qu’est-ce qu’une posture de créateur transposée dans un contexte scolaire, universitaire ou de formation spécialisée ?

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Pour répondre à ces questions, l’ouvrage Didactique de la création artistique investigue l’acte de transmission de la création, capable de générer un véritable dialogue entre les différents acteurs amenés à participer à ce moment de didactisation de la création. Créateurs, didacticiens, chercheurs, acteurs culturels, vont donc se rencontrer dans cet ouvrage au gré des chapitres, affirmer leurs propres prises de position, partager les résultats de recherches en cours, témoigner d’une expertise fondée sur leur propre pratique de recherche, d’enseignement et de création. Ces rencontres donnent lieu à un regard multiple qui nous permet de poser les bases d’un nouveau courant de recherche en arts et en didactique des arts, s’inscrivant dans la tradition de la recherche-création (Gosselin et Le Coguiec, 2006 ; Bruneau et Villeneuve, 2007) et permettant l’émergence de nouvelles perspectives dans la recherche et dans l’enseignement des arts et de la technologie.

Introduction

Remerciements Les Éditeurs remercient :

l’Université de Strasbourg, la Direction de la Recherche, l’équipe Mission Investissements d’Avenir (Fonds IdEx) et le Pôle d’appui à la publication ; la Direction et la Vie Scientifique de l’ESPE (École supérieure du professorat et de l’éducation de l’Académie de Strasbourg, France), ainsi que l’ensemble des équipes administrative, pédagogique et technique ; l’EA  3402 ACCRA, Université de Strasbourg (Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistiques) ; l’Unité d’Enseignement et de Recherche Didactiques de l’art et de la technologie, l’Unité d’Enseignement et de Recherche Pédagogie et Psychologie musicales de la Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse) ; le CFMI – Centre de Formation de Musiciens Intervenants de Sélestat (Université de Strasbourg) ; le Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg ; les Percussions de Strasbourg, ainsi que tous les auteurs qui ont contribué à la réalisation de cet ouvrage. Merci à François Horvat, responsable de la production audiovisuelle, La Fabrique, ESPE de l’Académie de Strasbourg, qui nous a accompagnés avec sa caméra et son œil attentif tout au long des journées DiCrA. Enfin, toute notre reconnaissance à Pierre Litzler, Professeur et Directeur de la Faculté des Arts de l’Université de Strasbourg, qui en 2014 avait encouragé la rencontre entre les recherches de Grazia Giacco et celles de John Didier, à Daniel Payot, Professeur à la Faculté des Arts de l’Université de Strasbourg, directeur de l’EA 3402 ACCRA, pour sa présence et ses encouragements sans faille durant tout ce projet de recherche, et à Denis Leuba de la Haute école pédagogique du canton de Vaud (Suisse) pour son soutien et sa confiance.

Références

Boutinet, J.-P. (2012). Anthropologie du projet. Paris : Presses universitaires de France. Bruneau, M. et Villeneuve, A. (dir.) (2007). Traiter de recherche création en art : Entre la quête d’un territoire et la singularité des parcours. Québec, QC : Presses de l’Université du Québec.

Didier, J. (2014). La mise en œuvre de la créativité dans l’enseignement des activités créatrices et techniques. Dans Ph. Losego (Éd.), Actes du colloque « Sociologie et didactiques : vers une transgression des frontières », 13 et

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Didactique de la création artistique

14 septembre 2012 (pp. 260-270). Lausanne : Haute Ecole Pédagogique de Vaud. Repéré à : http://www.hepl.ch/sociodidac/actes/

Didier, J. (2015). La pédagogie du projet et la posture d’auteur de l’élève. Dans N. Giauque et C. Tièche Christinat (dir.). La pédagogie Freinet : Concepts, valeurs, pratiques de classe (pp. 135-144). Lyon : Chronique sociale. Gaillot, B. A. (1997). Arts plastiques : éléments d’une didactique-critique. Paris : Presses universitaires de France.

Giacco, G. (2016). Geste et voix, entre corps et souffle : pour une didactique de la création artistique. Revue Recherche en éducation musicale. Université Laval, 33, 63-89. Repéré à : http://www.mus.ulaval.ca/reem/ Gosselin, P. (2013). Vivre son enseignement comme un travail de création. Entrevue avec Pierre Gosselin par Daniel Charest. Vision Teaser, 76, 6-9.

Gosselin, P. et Le Coguiec, É. (dir.). (2006). La recherche création : Pour une compréhension de la recherche en pratique artistique. Québec, QC : Presses de l’Université du Québec. Gosselin, P., Murphy, S., St-Denis, E., Fortin, S., Trudelle, S. et GagnonBourget, F. (2014). Référentiel pour le développement et l’évaluation de la compétence à créer en arts visuels au collège et à l’université. Repéré à : http://competenceacreer.uqam.ca/ Gosselin, P., Potvin, G., Gingras, J.-M. et Murphy, S. (1998). Une représentation de la dynamique de création pour le renouvellement des pratiques en éducation artistique. Revue des sciences de l’éducation, 24 (3), 647-666.

Heinich, N. (1996/2005). Être artiste : les transformations du statut des peintres et des sculpteurs. Paris : Klincksieck. Lagoutte, D. (2002). Enseigner les arts visuels à l’école. Paris : Hachette éducation.

Lagoutte, D. (2015). Pratiquer les arts visuels à l’école. Paris : Hachette éducation. Lyotard, J.-F. (2010). Les Transformateurs Duchamp / Duchamp’s TRANS/ formers. (H. Parret, dir.). Leuven : Leuven University Press. Roux, C. (1999). L’Enseignement de l’art : la formation d’une discipline. Nîmes : Jacqueline Chambon.

Simondon, G. (1989). Du mode d’existence des objets techniques. Lonrai : Aubier Philosophie.

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Taddei, F. (2009). Former des constructeurs de savoirs collabo­ ratifs et créatifs  : un défi majeur pour l’éducation du 21e siècle. [Creativity in education : report for OECD]. Repéré à  :

Introduction

https://cri-paris.org/wp-content/uploads/OCDE-francois-taddei-FRfev2009.pdf .

Taddei, F. (2008.05.12). Créer des créateurs pour 2025. [Vidéo en ligne]. Repéré à : http://www.dailymotion.com/video/x7m8a8_creer-des-createurs-pour2025_news

Textes officiels

Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MENESR, 2015a). Programme d’enseignement de l’école maternelle, Bulletin officiel (B.O.) spécial n° 2 du 26 mars 2015. Repéré à : http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_ bo=86940 .

PDF téléchargeable :

http://cache.media.education.gouv.fr//file/MEN_SPE_2/90/0/BO_SPE_ MEN_02-26-3-2015_404900.pdf

Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MENESR, 2015b). Programmes d’enseignement du cycle des apprentissages fondamentaux (cycle 2), du cycle de consolidation (cycle 3) et du cycle des approfondissements (cycle 4). B.O. spécial n°  11 du 26 novembre 2015. Repéré à : http://www.education.gouv.fr/pid285/ bulletin_officiel.html?pid_bo=33400

PDF téléchargeable :

http://cache.media.education.gouv.fr//file/MEN_SPE_11/35/1/BO_ SPE_11_26-11-2015_504351.pdf

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L’ART DE REGARDER LES ŒUVRES D’ART OU LEÇONS D’ARTISTES Margaret Pfenninger

Somme toute, l’artiste n’est pas seul à accomplir l’acte de création car le spectateur établit le contact de l’œuvre avec le monde extérieur en déchiffrant et interprétant ses qualifications profondes et par là ajoute sa propre contribution au processus créatif. [Duchamp, 1957/1987]

Préambule

R egarder une œuvre d’art n’est pas nécessairement un acte passif. Il peut y avoir une réelle interaction entre les œuvres et les specta-

teurs, même chez l’enfant. C’est pourquoi dans beaucoup de services qui s’occupent des publics des musées, l’accent est mis sur la création de situations d’interprétation plutôt que sur la transmission de connaissances1. Il s’agit d’approches sensorielles actives qui incitent les visiteurs à vivre des rencontres uniques et personnelles avec les œuvres d’art. Tel le peintre devant un paysage ou le musicien devant une partition, le visiteur devant une œuvre est invité à construire du sens par lui-même à partir de ses propres interprétations. C’est ainsi 1

Aujourd’hui, plusieurs musées anglo-saxons disposent de départements d’interprétation (à la place des anciens départements éducatifs) et on parle de dispositifs interprétatifs au lieu des dispositifs pédagogiques.

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Didactique de la création artistique

qu’il contribue à l’augmentation des significations déjà multiples de l’œuvre, tel que Marcel Duchamp (1957/1987) le décrit2.

Contexte

Intriguée au départ par l’invitation de Grazia Giacco à participer à la première journée d’études organisée dans le cadre de son projet IDEX Didactique de la création artistique (DiCrA), je me suis très vite rendu compte que les recherches qu’elle menait faisaient écho à celles qui me motivent depuis longtemps. Je suis une conservatrice du patrimoine chargée de l’équipe de médiation dans les musées de Strasbourg. Depuis la création de l’atelier pédagogique au musée d’Art moderne à la fin des années  1970, les liens entre la créativité, les recherches artistiques et la pédagogie se sont d’une manière ou d’une autre installés dans ma vie professionnelle quotidienne. En outre, tout ce que j’ai lu récemment sur le sujet3 ne fait que confirmer cette voie tracée depuis très longtemps pour comprendre : comment regarder une œuvre d’art peut devenir en soi un acte créatif ; comment l’approche d’une œuvre peut s’apparenter à une expérience esthétique ; comment une réelle complicité entre les œuvres et les visiteurs peut s’instaurer ; comment il est possible de démonter ainsi la barrière entre le sujet et l’objet, l’art et la vie. Pour y parvenir, il convient de s’appuyer directement sur les artistes et sur leur démarche de création pour mettre en œuvre les approches pédagogiques de leurs œuvres, des expériences à vivre dans le musée, aboutissant à une forme de didactique. Selon l’artiste et l’œuvre en question, différentes composantes de la démarche artistique ont leur pertinence : le raisonnement ou les intentions derrière la conception de l’œuvre, les stratégies opérationnelles impliquées dans sa création, les enjeux culturels et sociaux, le contexte créatif de sa réception… et la pensée de l’artiste4. Pour situer ce parti pris dans les musées de Strasbourg, trois préalables sont esquissés : 2

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Le texte de Marcel Duchamp, Le processus créatif, publié en 1987 par l’édition Echoppe est une traduction de The Creative Act, texte d’une conférence donnée à Houston en 1957 et originellement publié dans  : Art news, vol.  56, juin 1957, pp.  28-29. Ici je me réfère aux nombreuses sources et références que Grazia Giacco nous a mises à disposition. Parmi elles  : Elliot Eisner (1998, 2002), Henk Borgdorff (2007), Peter Webster (1990), Adrian Piper (1996). Si pour cet article je traite ce parti pris pédagogique à partir des expériences réa­lisées dans un musée d’art moderne, cette ligne didactique est tout aussi appropriée dans le cadre d’expositions d’art ancien voir historiques/sociologiques. Dans ces cas, ce n’est pas la démarche artistique mais la démarche de

L’art de regarder les œuvres d’art ou leçons d’artistes

1. le rôle du médiateur dans le contexte muséal 2. la pédagogie de référence initiale

3. la rencontre artistique considérée comme une forme de communication

Préalable  1  : Le rôle du médiateur dans le contexte muséal

Une pédagogie spécifique des musées  est forcément différente de celle menée à l’école. Il s’agit d’une pédagogie parallèle voire complémentaire à celle pratiquée en classe. Habituellement, le temps imparti pour visiter un musée, que le visiteur vienne en groupe ou individuellement, dépasse rarement deux heures. Pour optimiser le peu de temps que nous avons avec les visiteurs, nous réfléchissons beaucoup à Strasbourg sur le rôle du pédagogue/médiateur, le considérant comme un « facilitateur »5 des rencontres avec des œuvres d’art en visant la notion de la présence silencieuse (Pfenninger, 2000) et ce dans une structure tripartite. À travers un accueil direct avec le public ou via des dispositifs d’aide à la visite, le médiateur a le souci de faire dialoguer les visiteurs et les œuvres dans le contexte particulier d’un musée : le public dans toute sa diversité, les œuvres complexes et polysémiques et le musée, lieu unique conduit par un projet scientifique et culturel spécifique6.

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l’ethnologue au Musée Alsacien, de l’archéologue au Musée Archéologique ou de l’historien d’art aux musées de l’Œuvre Notre-Dame et des Beaux-Arts qui ont été explorées au fil des années. À titre d’exemple  : pendant que je rédige ces lignes, une stagiaire, jeune plasticienne qui travaille depuis quelques années comme médiatrice pour un grand musée allemand, a imaginé une approche de l’exposition Le Cabinet des merveilles, quinze ans d’acquisitions des musées de Strasbourg pour les enfants. Elle a proposé ses petits croquis d’œuvres/objets exposés comme point de départ pour chercher les originaux. Elle a ensuite donné aux enfants de petits exercices de dessin qui développent leur imaginaire. En soi ce type d’approche fonctionne toujours très bien, mais il aurait été plus intéressant si, lors de sa visite, l’enfant faisait l’expérience même de collectionner et d’organiser sa collection, ou bien d’entrer dans l’esprit de ceux qui ont collectionné tous ces objets ou encore de partir des histoires de vie des objets pour les retrouver… Sur cette notion de facilitateur, voir le discours-programme de Terry Barret (1997). Beaucoup de textes ont été écrits à ce sujet et notamment depuis la mise en place du label les Musées de France où chaque musée est censé avoir un service dédié aux publics. Sur la médiation au musée voir le tout récent  : Serain, F. et al. (2016). Sur les projets scientifiques et culturels voir  : ministère de la Culture et de la Communication (2007).

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Didactique de la création artistique

Fig. 1 : Le médiateur des musées au centre d’une structure triangulaire.

1. visiteurs

Les visiteurs, qui viennent en individuel ou en groupe – amateurs d’art, enfants, étudiants, familles, personnes ayant des besoins spécifiques… Jeunes, professionnels, touristes, élèves, retraités, étrangers, universitaires, enseignants… Personnes relevant du champ médico-social…– avec toutes leurs différences : - situations sociodémographiques, culturelles… - styles d’apprentissages - motivations et attentes 2. musées

Le musée et - son équipe de conservation - son architecture et sa muséographie - sa politique culturelle et scientifique - son contexte culturel et politique 3. œuvres d’art

La dimension polysémique des œuvres d’art (des collections et des expositions temporaires) qui impliquent : - techniques, matériaux, savoir-faire… - contextes artistiques, historiques, culturels, politiques, muséaux - intentions artistiques…

Avant de montrer comment le médiateur s’appuie sur les démarches artistiques et sur les intentions des artistes dans cette tripartition, il convient de s’attarder brièvement sur deux principes qui sont à

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l’origine de la création du service éducatif et culturel des musées de Strasbourg à la fin des années 1970 (Pfenninger, 2013).

Préalable  2  : La pédagogie de référence

Les théories à la base de la pédagogie anglo-saxonne qui préconisent une pédagogie active et expérimentale sollicitant tous les sens étaient très présentes lors du lancement de l’atelier pédagogique au musée d’Art moderne de Strasbourg en 1978. Parmi elles, il y avait notamment : les théories de Viktor Lowenfeld, pédagogue de renommée, d’origine autrichienne, qui enseignait à l’Université de Pennsylvanie et dont le livre Créative and Mental Growth (1966) était devenu un manuel très répandu aux États-Unis ; les principes pédagogiques de Pickering (1971), chercheur anglais qui prônait une éducation visuelle ainsi que les recherches sur le terrain pour comprendre le développement de l’éducation visuelle des enfants de Vernon (1976)7. L’éducation artistique prônée par ces chercheurs vise moins une meilleure connaissance de l’art – son histoire ou sa pensée – ou la production d’objets d’art que l’enfant lui-même afin qu’il acquière plus de créativité et de sensibilité à travers sa propre expérience artistique. La créativité ou plutôt l’aptitude au sens créatif, est centrale à leur enseignement, aptitude qui une fois acquise doit aider l’enfant dans toutes les situations de la vie, et pas seulement dans les arts. C’est ce qu’Herbert Read appelle une éducation par l’art au lieu d’une éducation de l’art. Pour ce grand pédagogue et historien d’art, l’art doit être le fondement de toute éducation. C’est-à-dire, l’apprentissage de l’art pris dans son sens plus large, comprenant tous les arts et éveillant l’esprit d’initiative, de sensibilité et de créativité, autant d’outils nécessaires aux futurs acteurs responsables dans la société8. Pour ce faire, une attention particulière est portée au développement des capacités perceptives et sensibles des jeunes (Pickering, 1971). Il s’agit d’enseigner un véritable langage visuel, une prise de 7 8

Voir aussi  : Kepes, G. et al. (1965) ; Read (1970). Il est intéressant de noter  que les propositions d’Herbert Read ont été reprises après la Seconde Guerre mondiale dans une perspective humaniste de lutte contre la barbarie. Ce point de vue reste présent aujourd’hui dans l’opinion courante sur l’éducation artistique, au moins dans les musées, comme moyen pour lutter contre les inégalités culturelles, contre toute inhumanité et pour insuffler le vivre ensemble.

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Didactique de la création artistique

connaissance des éléments fondamentaux constitutifs de l’art et de toute construction humaine ou naturelle, comme, par exemple, dans le livre Éducation de la vision de Kepes (1965), ancien professeur au Bauhaus, installé à l’Université de Chicago.

Préalable  3  : La rencontre artistique considérée comme une forme de communication

Comment valoriser les deux « acteurs » incontournables de la rencontre artistique ? Pour établir le rôle du pédagogue dans une telle pédagogie par l’art, et ce dans la situation particulière d’un musée en France, des recherches transversales dans les arts et les sciences sociales, et notamment dans la sémiotique (Eco, 1976) et les sciences de la perception (Gibson, 1968) ont été précieuses pour mieux cerner les deux parties incontournables de la rencontre artistique9. En effet, si regarder et percevoir sont considérés comme des actes d’attention, de recherche de signification (Gibson, 1968), le rôle du pédagogue de musée est alors celui d’inventeur de situations qui peuvent non seulement aider l’élève ou le spectateur à prendre conscience de son acte créatif de regarder mais avant tout à lui donner les moyens pour le faire et l’envie de s’y mettre. Il s’agit d’une formation du regard conscient10 qui s’arrête et qui questionne, qui compare et qui construit du sens.

Et pour s’assurer que cette rencontre implique bel et bien les deux communicants, une part importante du travail du pédagogue consiste à trouver les moyens pour que le jeune visiteur puisse répondre, d’une façon ou d’une autre, à l’œuvre d’art et donner forme à ses réponses. Carnets de croquis, poésies sonores, post-it annotés… la liste est non exhaustive. Le modèle s’inspire de la notion de l’expérience esthétique, développée par le philosophe John Dewey (1958) pour la mise en œuvre de ces situations conversationnelles (Eco, 1976) au musée afin qu’elles soient elles-mêmes de véritables expériences artistiques à vivre11. 9

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Cf. entre autres  : Arnheim, 1969 ; Gibson, 1968 ; Moles, 1972 ; Eco, 1976. En 1994, Thierry Raspail, directeur du Musée d’art contemporain de Lyon, avait participé aux 7e Entretiens Jacques Cartier avec une contribution intitulée  : L’art en éveil, une sensibilisation des jeunes aux arts plastiques où il développait la notion de « regard conscient ». La notion de l’expérience esthétique de John Dewey continue à influencer des pédagogues de musées américains (Denver Art Museum, J. Paul Getty Museum) qui s’appuient notamment sur les recherches du psychologue d’origine hongroise Mihaly Csikszentmihalyi.

L’art de regarder les œuvres d’art ou leçons d’artistes

Pour créer ces expériences perceptives au musée, deux principes incontournables : 1. L’interaction entre les sens de l’enfant et son environnement lui fournit le matériel nécessaire à tout processus conceptuel (Arnheim, 1969 ; Read, 1943).

2. Les œuvres d’art offrent des modes, des postures inhabituelles pour penser, regarder, représenter, vivre le monde (Youngblood, 1970 ; Filliou, 1970).

Les situations d’apprentissage perceptuelles au musée à partir des œuvres d’art doivent donc impliquer d’abord une initiation des enfants aux composants visuels et conceptuels des œuvres pour ensuite les aider à mieux saisir et expérimenter par eux-mêmes les nouveaux modes d’investigation du monde, à l’intérieur et l’extérieur du musée, pour regarder plus attentivement, plus activement.

Leçons d’artistes, quelques exemples concrets

Comment mettre en place une médiation juste, basée sur une pédagogie centrée sur l’enfant, qui ne trahisse pas les œuvres, deuxième composant de la rencontre artistique ? Il n’était en effet pas évident, à la fin des années 1970, de mettre en pratique une pédagogie centrée sur l’enfant dans un musée français où encore aujourd’hui l’accent est surtout mis sur la valorisation des œuvres d’art qui composent leurs collections ou expositions selon un projet scientifique déterminé. Les choix esthétiques, muséographiques, sont souvent faits aux dépens d’une accessibilité optimale des visiteurs ou de la mise en place de médiations adaptées aux différents types de visiteurs. L’œuvre ainsi valorisée est avant tout à considérer dans son contexte historique de création, selon un parti pris scientifique affirmé. C’est pourquoi, j’ai entendu plus d’une fois (et encore tout récemment) mes confrères nord-américains s’étonnaient de combien en France les musées sont pris en otage par les historiens de l’art. On comprend encore mieux ainsi l’audace, quoique quelque peu élitiste, du parti pris de Jean Hubert Martin, commissaire de l’exposition Carambolages12 qui cherchait à revisiter notre approche traditionnelle de l’histoire de l’art en basant sa muséographie sur le jeu de dominos. Lors d’une conférence organisée dans le cadre de la réunion annuelle FRAME à Strasbourg en 2009, il a en effet demandé à 12

Exposition Carambolages, Grand Palais, Paris, 2  mars-4 juillet, 2016.

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son auditoire pourquoi, si on ne va pas au concert pour apprendre l’histoire de la musique, les conservateurs cherchent toujours à faire un cours d’histoire de l’art à travers leurs accrochages. À la fin des années 1970, c’était justement le moment où les œuvres exposées dans les musées d’Art moderne n’étaient plus considérées comme des objets de délectation, des résultats d’une technicité exemplaire ou encore moins le résultat d’une sensibilité exacerbée exprimée via les composants plastiques. Ce sont les démarches impliquées dans leur conception et le processus artistique de leur réalisation par l’artiste ou bien par d’autres qui étaient mis en avant. Devant concevoir l’approche pédagogique de la « 10e Biennale de Paris à Strasbourg » en 1978, il m’a paru évident que nous ne pourrions pas nous servir des approches habituelles devant ces œuvres conceptuelles, plus proches des photographies documentaires et des objets de la vie quotidienne que des tableaux et sculptures des collections. Nous nous sommes appuyée directement sur les démarches des artistes exposés pour créer les structures pédagogiques incitant à la découverte de leurs œuvres. Méthode qui s’avéra être riche et variée, adaptable aux expositions qui s’ensuivaient.

En effet, chaque rencontre au musée pouvait donner autant d’occasions aux enfants de trouver par eux-mêmes de nouvelles solutions pour s’exprimer avec les œuvres, devant les œuvres, à partir des œuvres. Dans une pédagogie par l’art pratiquée dans le cadre d’un musée il ne s’agit pas de faire comme l’artiste ni de produire des œuvres d’art (… peindre un paysage avec des touches comme Signac… découper les couleurs comme Matisse...). Il s’agit plutôt de mettre au point des approches actives basées sur les intentions des artistes, derrière les touches et la découpe des couleurs. Le fait de partir toujours des processus artistiques pour construire les approches pédagogiques élargit notre didactique et garantit les moyens, souvent insolites, pour inciter les enfants à formuler leurs propres réponses, tout aussi créatives.

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Certes, il existe des méthodes très efficaces et sûres qui permettent aux jeunes visiteurs d’entrer dans l’œuvre. Les approches différentes abondent : questionnaires, pistes de recherche, consignes d’écriture… Cependant, lorsque nous nous appuyons sur les démarches impliquées dans la création des œuvres qui sont le sujet de notre regard pour construire nos approches, elles s’avèrent plus justes par rapport à ces œuvres mais aussi plus créatives pour les visiteurs. Profiter des expositions temporaires pour nous plonger dans le processus de création d’un artiste ou dans un mouvement artistique,

L’art de regarder les œuvres d’art ou leçons d’artistes

nous permet de développer des approches sensorielles et des situations de visites uniques : unique par rapport à l’œuvre sous le regard, unique par rapport à ce que les visiteurs seront amenés à considérer.

Plusieurs approches ont ainsi été explorées au fil des années afin que le jeune public comprenne intimement les démarches artistiques proposées à travers les œuvres. C’est ainsi que pour l’exposition sur l’œuvre gravée de Max Ernst, et selon sa célèbre formule : « Si ce sont les plumes qui font le plumage, ce n’est pas la colle qui fait le collage » (Ernst, 1936/1970, p. 256), une approche où le verbe remplaçait la colle et la poésie le discours fut inventée. Par contre, pour l’exposition sur l’Art concret suisse une approche très structurée et répétitive pour dégager les formules mathématiques à la base des œuvres abstraites géométriques exposées fut proposée. À l’ouverture du MAMCS (Musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg) en 1998, les élèves ont été invités à découvrir d’abord leur quartier selon les consignes envoyées par les artistes avant de venir découvrir leur œuvre au musée. En s’appuyant sur les techniques de participation et de prise de conscience du public inspirées des démarches artistiques pour construire les expériences perceptives, la visite du musée pouvait devenir une expérience à vivre pleinement. Interrogations, échanges, suggestions, réponses. Dans une telle rencontre, un va-et-vient entre le regardeur et l’objet du regard, entre l’enfant et l’œuvre d’art se met en place lui permettant de collaborer activement à l’achèvement des préceptes visuels/conceptuels de l’œuvre, à l’achèvement de l’acte créatif.

En guise de conclusion

Pour ceux qui ont fait le calcul, cela fait en effet trente-neuf ans que ce type d’expérimentation me hante. J’ai longtemps hésité à répondre aux sollicitations de Grazia Giacco pour expliquer à nouveau cette pédagogie spécifique des musées. Souvent invitée à donner un apport historique à l’évolution de la pédagogie dans les musées en France, j’avais peur d’être trop répétitive. Mais en effet, les leçons des différents artistes qui ont attiré mon attention ont toutes été une source importante pour renouveler les situations de regard proposées aux visiteurs dans les musées de Strasbourg, et continuent de l’être encore aujourd’hui. Parmi tous ces artistes, deux sont devenus pour moi emblématiques.

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Didactique de la création artistique

J’ai été commissaire en 2004 d’une exposition sur Paul Klee13. Pour cet artiste, théoricien et pédagogue, l’expérience vécue et sensible préside à la création. C’est un cheminement complexe que Klee décrit comme une promenade dans la nature. Cela ne l’empêche pas de préconiser un fauteuil confortable pour voyager dans un tableau ! (Klee, 1920/1973). Mais avant tout, il y a l’artiste et poète Robert Filliou. Le musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg (MAMCS) a la chance de posséder son ultime Territoire de la république géniale (1979-1984). Ces lieux aux formes variables sont dédiés à développer le génie plutôt que le talent de chacun à travers des jeux inventés ou situations ludiques, des libres associations d’objets ou des poésies. Une belle démonstration de ce que pourrait/devrait être le musée.

En annexe  : deux exemples d’approches pédagogiques basées sur des démarches artistiques qui sont encore d’actualité. J’aimerais surtout partager avec vous l’essence des questionnements que ces œuvres ont provoqués dans notre travail de médiation quotidien (Pfenninger, 2006).

Exemple   1. LES MOTS PALPABLES.

Une approche fugitive à base de poésies sonores que nous avons expérimentée pour la première fois pour l’exposition consacrée à la peinture de l’artiste danois Per Kirkeby qui a eu lieu à Strasbourg en 1984. Aujourd’hui encore, plusieurs collègues explorent le bien fondé des ateliers d’écritures devant les œuvres comme moyen de stimuler une rencontre personnelle avec l’œuvre d’art. La poésie pour mieux traduire les tableaux

À la différence d’une « perception complètement historique » (Kirkeby, 1992) de la nature (celle qui se voit d’après l’artiste avec « des éléments du langage », ibid.), Per Kirkeby, cherche à voir ce qu’il appelle « la vraie nature » (Ibid.), celle qui permet la création d’une image qui « se situe au-delà du langage, celle qui nourrit cette autre part de nous-mêmes et qui ne se limite pas entièrement au langage » (Ibid.). Pour mieux parler de la peinture, cet ancien géologue suggère l’utilisation de la poésie car les mots qui composent les poèmes sont selon lui aussi palpables que la matière picturale devant les yeux. 13

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Paul Klee et la nature de l’art, une dévotion aux petites choses, Musée d’art moderne et contemporain, Strasbourg, 26  mars-20 juin  2004.

L’art de regarder les œuvres d’art ou leçons d’artistes

Les questionnements soulevés

Pour aborder la peinture, pour aborder l’art, doit-on se maintenir dans le registre purement cognitif/intellectuel ? Ne devrait-on pas se risquer dans le monde intuitif, sensitif voire sensuel pour mieux exprimer, parler de la matière picturale, pour trouver des moyens d’expression plus en équivalence avec les matériaux et traitement des matériaux artistiques ?

Pour mieux entrer dans la peinture, pour mieux entrer dans l’art, faut-il se limiter aux mots palpables, ne peut-on pas se servir d’autres sons, musicaux ou autres, ou du corps et des gestes pour traduire la rencontre sensible avec la pensée de la matière picturale, de la matière artistique ? La rencontre avec l’œuvre d’art ne peut-elle pas donner lieu à une expérience singulière et créative, un moment d’échange unique qui dépasse le simple commentaire à voix univoque ?

Exemple 2   . LES MOTS PASSE-FRONTIÈRES.

Opus 15 (1968) de Lawrence Weiner de la collection du FRAC NordPas-de-Calais fut prêtée au MAMCS pendant les deux premières années suivant son ouverture et présentée sur les parois vitrées de la nef. Située sur la frontière entre le musée et la ville à qui le musée « tourne le dos », elle est devenue le point de départ d’une approche à l’art contemporain extrêmement intéressante que nous proposons aux groupes de jeunes et d’adultes et où le rôle du médiateur se joue sur un registre plus en retrait, limitant ses commentaires pour affiner, pointer, mettre en contexte des interprétations émises par les visiteurs. Des énoncés ouverts pour mieux appréhender les œuvres

Depuis 1968, cet artiste conceptuel, convaincu qu’il est impossible qu’une œuvre génère une seule signification, compose ses propositions, ses énoncés, de manière suffisamment ouverte pour entretenir un échange avec le récepteur, ce qu’il appelle un rapport dialectique. Il rend les spectateurs responsables de leur acte de regarder : « Ma position est de ne rien transformer et de faire en sorte que l’œuvre se situe toujours dans un rapport dialectique avec les gens ; qu’elle n’apparaisse jamais comme un exploit quelconque mais toujours comme un questionnement » (Weiner, 1973-1974, p. 7). Regarder une œuvre de Lawrence Wiener, la lire, et la saisir, est un véritable acte créatif.

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Didactique de la création artistique

Pour la comprendre le spectateur/récepteur est obligé de reconstituer mentalement ou concrètement ses paroles... « Au moment vous la lisez, vous la construisez afin de la comprendre. Et c’est cette manière de la construire qui m’intéresse vraiment. » (Ibid.) Se mettant volontairement en retrait, il propose un contenu qui invite chacun à imaginer, à réaliser sa propre interprétation. Les questionnements soulevés

Que faut-il faire pour que la médiation d’une œuvre devienne une sorte d’invitation, d’incitation pour chacun à imaginer, pour construire sa propre interprétation ?

Comment faire pour transformer ses commentaires ou aider le récepteur à transformer les siens afin de placer ce dernier en situation créative devant l’œuvre d’art sans pour autant perdre de vue les intentions de l’artiste et l’essence matérielle de son œuvre ?

Comment aider le récepteur à construire ses propres énoncés à partir des œuvres afin qu’ils deviennent propositions pour d’autres à suivre sa pensée et à reconstruire mentalement l’œuvre qui est devant eux. Si ce n’est pas un problème de langage, ni de paroles, s’agit-il alors plutôt d’un problème de syntaxe, de choix des mots ou de supports sur lesquels les commentaires se trouvent ?

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TÉMOIGNAGE D’UNE EXPÉRIENCE DE « RECHERCHE-CRÉATION » AU CANADA Ina Henning

L e but de cet article est de présenter le fonctionnement d’un doctorat au Canada en musique avec la spécification « recherche-créa-

tion ». Avant de commencer à décrire mon parcours, je tiens à préciser que mon témoignage est personnel et subjectif, mais tout de même représentatif du cadre institutionnel du doctorat (Doctor of Musical Arts) dans une faculté de musique comme celle, dans mon cas, de l’Université de Toronto1.

L’objectif central dans cet article sera premièrement d’analyser la terminologie « recherche-création » au Canada et ensuite de proposer une brève histoire des recherches artistiques en musique tout en soulignant la spécificité du doctorat à la faculté de musique de l’Université de Toronto. Puis, je présenterai mon expérience de recherche-création à partir de l’interprétation d’une œuvre musicale grâce à une démarche analytique inspirée d’un modèle utilisé en danse. Avant tout, j’aimerais commencer par analyser deux concepts dans les arts qui ont gagné de l’importance progressive : le concept de recherche-création et celui de practice-based research (Badura, Dubach, Haarmann, 2015, p. 12).

1

URL  : https://www.music.utoronto.ca/

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Didactique de la création artistique

Survol sur la «  recherche-création  » au Canada Que signifie l’appellation «  recherche-création  » ? Ce concept de « recherche-création », employé en art, est originaire du Canada et est utilisé depuis désormais plus de trois décennies. Il a été officiellement reconnu en 2000 par le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC), au Canada francophone. Il est utilisé en 2003 dans le programme de la promotion « Research/Creation Grants in Fine Arts » de l’assemblée Conseil de recherches en sciences humaines (SSHRC), dans la région anglophone (Brunner, 2015, p. 197). L’assemblée « Canada Council » (pour la promotion de jeunes artistes) utilise le terme « recherche » plus que le terme « recherche-création » (Ibid.). Les trois conseils ont en commun le fait d’allier la « recherche-création » avec une pratique artistique en formation initiale pour la recherche, dans le but de produire des connaissances. Cela signifie que les résultats doivent être diffusés et approuvés au préalable par un comité de lecture. À Montréal, deux sont les lieux où la « recherche-création » joue un rôle capital : la Société des Arts Technologiques2 et le « Hexagram Centre for Research-Creation »3 qui permet une interaction entre les arts médiatiques, le public et le savoir engendré. L’autre spécificité canadienne est le « senselab »4, un collectif de l’Université Concordia (Montréal), qui publie le seul journal dédié à la « recherche-création »5 au Canada. La pensée centrale du concept de « recherche-création » dans les arts en général est la proximité entre pratique et expérimentation. La « recherche-création » n’engendre pas seulement des formes nouvelles du « savoir » au moyen de la création des artéfacts nouveaux, mais engendre des connexions nouvelles dans lesquelles la théorie et aussi également l’art sont des pratiques créatives autonomes (Brunner, 2015, p. 199). Selon Badura, Dubach et Haarmann (2015), au sein du débat sur le « recherche-création » dans les arts, il n’est pas approprié de penser que la pratique artistique ait été depuis toujours une forme d’investigation ni d’alléguer qu’elle le soit devenue seulement maintenant (Badura, Dubach, Haarmann, 2015, p. 15)6. 2 3 4 5 6

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URL  : http://sat.qc.ca/ URL  : http://www.hexagram.ca/ URL  : www.senselab.ca URL  : http://www.inflexions.org/about_fr.html [Es gilt ein juste milieu zu finden, das theoretisch-konzeptuelle Fragestellungen genauso berücksichtigt wie praxeologische- inklusive einer gewissen Offenheit für unterschiedliche Artikulationsweisen, mit denen entsprechende Fragestellungen überhaupt verhandelt werden können.]

Témoignage d’une expérience

Des recherches artistiques dans la musique  : practice-based, practice-led ou practice as research ? Après cette introduction du sujet relative aux arts en général, revenons sur les perspectives et problématiques de l’histoire récente de la recherche en art dans le domaine musical. Selon Mine DoğantanDack, la terminologie n’est pas encore standardisée, comme elle le décrit dans son livre Artistic Practice as Research in Music (DoğantanDack, 2015). En outre, il n’y a pas encore des standards généraux pour évaluer et comparer des recherches artistiques, parce qu’il n’y a pas d’exemples de best practice (bonne pratique) ou des critères pour déterminer la qualité des recherches (Badura, Dubach, Haarmann, 2015, p. 13). Il y a des termes différents pour décrire et déterminer la proportion de la pratique artistique et de la démarche scientifique et aussi les relations entre eux. Cela apparaît dans les appellations comme practice-based research, practice-led research, (artistic) practice as research et, le plus récent, artistic research (Badura, Dubach, Haarmann, 2015, p. 3). Selon Léonore Easton, l’appellation practice-based research est

une dénomination large qui englobe toute forme de recherche orientée vers la pratique. Practice-led research est le terme qui semble actuellement remplacer celui de practice-based research au sein de la recherche artistique. Il dénomme la recherche qui se concentre sur le processus artistique. Practice as research est plus explicite car ce terme exprime la notion de lien direct entre la recherche et la pratique. La pratique fait partie intégrante du processus de recherche et des résultats obtenus. (Easton, 2011, p. 3)

Même si le terme practice-based research n’apparaît pas si fréquemment selon Easton, il y a des notions importantes qu’on peut voir dans les définitions qui sont données par Linda Candy :

1. La recherche est practice-based si une création est à la base de la contribution au savoir. La recherche practice-based a pour but d’obtenir un savoir nouveau au moyen de la pratique et du résultat de cette pratique. Dans une thèse de doctorat, les affirmations d’originalité et de contribution au savoir peuvent être démontrées par résultats créatifs.

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Didactique de la création artistique

2. La recherche est practice-led si elle mène principalement à une nouvelle compréhension de la pratique. La recherche practice-led est concernée par la nature de la pratique et mène à un nouveau savoir qui a une signification opérationnelle pour cette pratique. Par exemple, dans une thèse de doctorat, les résultats de la recherche practice-led peuvent être intégralement décrits sous forme de texte sans inclure de travail créatif. Ce type de recherche inclut la pratique comme partie intégrante de sa méthode et peut souvent être associé à la recherche-action. (Candy, 2006, citée et traduite en français par Easton, 2011, p. 4)

Selon Linda Candy (Candy, 2006), la différence entre practice-based et practice-led research pourrait se résumer de cette manière : si un artefact est à la base de la contribution au savoir, les recherches sont practice-based ; si par contre les recherches se tournent prioritairement vers des conclusions nouvelles sur la pratique, les recherches se disent practice-led. Dans son rapport, Léonore Easton (Easton, 2011, p. 3) explique la distinction que Borgdorff (Borgdorff, 2007) fait de trois catégories principales : la recherche au sujet des arts : une recherche dont l’objet est la pratique artistique et qui implique une distance théorique entre le chercheur et l’objet de la recherche. La démarche est interprétative.

la recherche au service des arts : une recherche appliquée. L’art n’est plus l’objet, mais l’objectif de la recherche. Le résultat de la recherche fournit des outils et des connaissances nécessaires au processus de création. La démarche est instrumentale.

la recherche en arts : une recherche qui n’observe pas de séparation entre le sujet et l’objet, donc pas de distance entre le chercheur et la pratique artistique. La pratique devient un élément essentiel à la fois du processus de recherche et des résultats. La démarche est performative.

La terminologie soulève plusieurs questions. Comment définir la situation initiale de la recherche ? Au départ, s’agit-il d’une idée théorique qui se dirige vers la pratique ou vice-versa ? D’autres questions en découlent : de quelle manière une pratique artistique, qui est basée sur l’expérience personnelle et subjective, peut-elle trouver sa place dans une recherche objective ? Est-ce que finalement la recherche artistique peut-elle être décrite suffisamment de manière théorique ?

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Témoignage d’une expérience

Ce sont principalement ces questions qui, parmi d’autres, m’ont accompagnée au début de mes études dans le programme « Doctor of Musical Arts », à la faculté de musique de l’Université de Toronto (Canada).

Bref aperçu de mon profil

Pour faciliter la lecture de mon exposé, je souhaite présenter brièvement mon profil et mon parcours initial : après mon baccalauréat général, j’ai suivi des études d’accordéon et de piano dans un conservatoire de musique en Allemagne (Musikhochschule Trossingen). Après le diplôme pédagogique et artistique (Diplommusiklehrerin et Diplom künstlerische Ausbildung), j’ai reçu une bourse d’études de l’état, la DAAD (Deutscher Akademischer Austauschdienst), qui m’a permis d’entreprendre mes études en Amérique du Nord. J’ai choisi le Canada pour suivre le master en performance (Master of Music in Performance), le diplôme supérieur en interprétation (Advanced certificate of Performance) et ce n’est qu’ensuite que j’ai décidé de poursuivre avec un doctorat en recherche-création, spécialité musique (Doctor of Musical Arts).

Contexte institutionnel de la Faculté de Musique à l’Université de Toronto

L’Université de Toronto est la plus grande université du Canada anglophone, et parmi les vingt universités les plus grandes du monde. Le nombre total des étudiants dépasse en janvier 2017 les 85 0007. En 2013, neuf candidats avaient obtenu un DMA (Doctor of Musical Arts), dont moi.

Pour obtenir le niveau DMA (Doctor of Musical Arts), on doit fréquenter l’université au minimum entre 4 à 6 années à plein-temps. Pour être accepté, on doit obtenir un Masters of Arts d’une autre institution reconnue. On doit faire une audition soit via Skype soit directement au Département de musique et inclure dans le dossier deux lettres de référence. Pour compléter la demande, il faut rédiger un texte de 3000 mots. Selon le règlement, il faut suivre au minimum cinq séminaires pendant trois années. Dans la première année, un séminaire 7

En 2015, selon les indications officielles, le nombre des étudiants en musique était de 556 en premier cycle (undergraduate) et de 288 en troisième cycle (graduates). URL  : https://www.utoronto.ca/about-u-of-t/reports-and-accountability

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Didactique de la création artistique

général permet d’améliorer les compétences dans la méthodologie de la recherche (MUS 4800 DMA Seminar). Le but est aussi d’acquérir et de développer une certaine autonomie dans la recherche : à la fin, on doit rédiger un texte de 5000 mots (environ) pour exposer ses axes de recherche8. En plus, doit être suivi un séminaire pratique (MUS 4844 Y Advanced Applied Music I). En deuxième année, deux séminaires sont prévus : un séminaire de recherche (MUS 4899 H Research in Performance) et un séminaire pratique (MUS 4845Y Advanced Applied Music II) – s’il le souhaite, l’étudiant peut choisir un troisième séminaire. Les travaux académiques doivent être complétés à la fin de la deuxième année avec une moyenne de « A - » (85-100 %). Il est aussi obligatoire d’approfondir une autre langue en plus de l’anglais (en lien avec la recherche) (Language Requirement). Au milieu de la troisième année, il y a une évaluation intégrale (Major Field examination) : trois récitals doivent être réalisés en plus des cinq séminaires académiques décrits au-dessus. Trois professeurs siègent dans le jury pour cette évaluation intégrale (pour la thèse de Doctorat : six professeurs + un membre externe). L’objectif institutionnel de cette évaluation intégrale est de soutenir un mémoire de recherche (14.000 mots environ)9. Le tableau suivant illustre les séminaires qui doivent être suivis et validés durant les années de formation10. Tableau 1. Program requirements for the Doctor of Musical Arts Degree, University of Toronto, Faculty of Music.

Year I MUS 4800 H DMA Seminar MUS 4800 H DMA Seminar MUS 4844 Y Advanced Applied Music I Seminar Course (any graduate)

0.5 0.5 1.0

MUS 4845Y Advanced Applied Music II

1.0

Year II

8

9

10

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Credits (Points)

1.0

Credits (Points)

Mon texte s’intitulait  : Works in exile - Stefan Wolpe’s Battle Piece in comparison to Erich Itor Kahn’s Ciaccona dei tempi di Guerra. Mon mémoire s’intitulait  : Piano solo works written in Exile - A portrait of five piano solo works by P. Dessau, H. Eisler, E. I. Kahn, E. Krenek and S. Wolpe, reflecting upon WW II. URL  : https://www.music.utoronto.ca/programs.php

Témoignage d’une expérience

Seminar Course (any graduate) MUS 4899 H Research in Performance Major Field examination Language Requirement

1.0 0.5 CR CR

MUS 4866 Y Recital I MUS 4877 Y Recital II MUS 4888 Y Recital III Thesis (written) Defense (oral)

1.0 1.0 1.0 CR CR

Year III-VI

Credits (Points)

Après la réussite de l’évaluation intégrale, le doctorant doit présenter le résumé/projet de la thèse (2000 mots) : pour cela, il est nécessaire de montrer les liens entre la recherche et la pratique. Depuis les années 2000 (Candy, 2006), le Arts and Humanities research board – maintenant appelé Arts and Humanities Research Council (AHRC, 2016, p. 9) établissait trois critères importants dans la définition de la recherche en arts et sciences humaines, propositions qui ont été pertinentes aussi pour mon travail de thèse. Selon ces recommandations, le projet doit : 1. Définir une série des questions de recherche ou des problèmes. Il doit aussi définir les objectifs pour développer la connaissance et le savoir scientifique.

2. Spécifier un contexte de recherche pour les questions et problèmes qui se posent dans la recherche. Il doit énumérer la littérature inhérente et pourquoi ce projet de recherche est nécessaire pour développer la création, les prises de conscience, le savoir et la compréhension dans un domaine. 3. Spécifier la méthodologie de recherche pour répondre aux questions ou problèmes qui se posent durant le travail.

Selon Easton le projet de recherche en arts doit donc inclure la pratique artistique du chercheur comme partie intégrante en relation avec les questions ou problèmes, les données et résultats, ainsi que les méthodes de recherche, créant de cette façon un savoir ou une compréhension nouvelle ou améliorée de la discipline (Easton, 2011, p. 6).

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Didactique de la création artistique

«  Recherche-création  » en musique  : la proximité des terminologies D’après mon expérience, je me suis posée la question si le concept de recherche-création pouvait s’appliquer à la recherche artistique en musique ou s’il ne faudrait pas plutôt utiliser les appellations practice-based ou practice-led research. Selon Easton une recherche est «  practice-led si elle mène principalement à une nouvelle compréhension de la pratique » (Ibid.). À mon sens, les deux conceptions de practice-led et de recherche-création sont les plus proches, parce que les deux concepts ont comme objectif de créer quelque chose de nouveau – une connaissance nouvelle – qui viendrait de la pratique. Dans mon cas, j’ai commencé à m’interroger sur ma façon de jouer et d’interpréter la musique d’un compositeur (Stefan Wolpe), ensuite je me suis spécialisée sur quelques pièces relatives à une certaine période de son écriture. Après cela, j’ai voulu spécifier un contexte de recherche (à partir de la pièce choisie pour montrer mes approches analytiques) et mener une recherche sur le compositeur, autour du contexte d’écriture de ses pièces et sur les méthodes de recherche et d’analyse. J’ai voulu préciser la démarche innovatrice de cette recherche et, finalement, j’ai finalisé la méthode avec laquelle j’allais décrire les éléments physiques, gestuels, corporels dans la partition.

La démarche de «  recherche-création  » dans ma thèse de doctorat

Une fois l’évaluation intégrale terminée, mes études de musicologie s’étaient progressivement axées vers des compositeurs exilés pendant la Seconde Guerre mondiale. Parmi cinq compositeurs qui s’étaient exilés de leur pays à cause de leur profil non conformiste, j’avais choisi Stefan Wolpe (1902-1972), compositeur post-tonal. Pour Wolpe, trois raisons l’ont poussé à l’exil : Wolpe était juif, communiste et compositeur post-tonal. En analysant les pièces de Wolpe de la période allant de 1943 à 1948, j’ai découvert que ces pièces étaient très marquées par un degré de corporéité. Wolpe était affligé par la guerre, il avait perdu plusieurs amis et collègues dans des rafles et des camps de concentration. Mais ce degré de corporéité n’était pas qu’une réaction à des événements tragiques, une manière d’exprimer la brutalité de la guerre, c'étaient

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Témoignage d’une expérience

des réactions internes, une manière de rechercher l’expression musicale (Henning, 2016). Wolpe avait fait des études au Bauhaus, l’école d’art fondée en 1919 par Walter Gropius à Weimar. Il a été en contact avec des artistes comme Oskar Schlemmer (1888-1943), peintre, décorateur et scénographe, qui avait développé un système spatial en trois dimensions (Schlemmer, Moholy-Nagy, Molnar, 1965, p. 13). Pour Wolpe, cela représentait une possibilité nouvelle de composer avec la simultanéité des actions dans l’espace. Parmi ses premières études : Studies, Part I: Displaced Spaces, Shocks, Negations, A New Sort of Relationship in Space, Pattern, Tempo, Diversity of Actions, Interreactions and Intensities (1946-48). Les études Studies, Part I sont centrales dans ma thèse. Le titre entier de la série des études est : Music for Any Instrument (1944-49). Wolpe laisse le choix de l’instrument explicitement ouvert pour l’interprète ; étant donné que les études requièrent un instrument polyphonique, l’accordéon classique peut être un choix adéquat. Comme méthodes analytiques, j’ai utilisé dans ma thèse la Set Class analysis (Forte, 1973), pour l’approche théorique – la Set Theory représente une approche théorique bien connue en Amérique du Nord11 (Andreatta, 2003) ; l’Effort Shape analysis of gesture d’après Rudolf von Laban (2003, 2009), pour l’approche théorique et pratique, et Time and Tone analysis of accordion performance, d’après Joseph Macerollo (Macerollo in Henning, 2013, pp. 110-112), pour l’analyse de la pratique. Dans le premier chapitre de ma thèse, je montrais la conceptualisation historique et stylistique de Studies, Part I de Stefan Wolpe. J’ai interprété Studies, Part I avec mon accordéon classique et je me suis interrogée sur la méthode d’analyse qui pouvait m’apporter le plus d’informations, au-delà des seuls critères musicaux. Je cherchais une méthode d’analyse qui pouvait montrer la corporéité, l’intensité des formes gestuelles présentes dans cette musique. Dans le chapitre 2, j’ai utilisé cette méthode « conventionnelle » dans le cadre de l’analyse musicale post-tonale, basée sur l’analyse de classe de hauteur et analyse de la forme (pitch class and shape analysis). Le résultat m’a permis d’obtenir la structure de la musique selon la classe de hauteurs, mais pas assez d’informations sur la forme. Pour développer mes connaissances en tant qu’interprète, j’ai cherché une méthode en dehors de l’analyse musicale. Je me suis donc tournée vers une méthode d’analyse utilisée fréquemment en danse. Il s’agit de la méthode « Effort Shape » (l’effort-forme, en français) de dan11

Pour une explication sur la forme d’analyse, cf. Andreatta (2003).

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Didactique de la création artistique

seur Rudolf von Laban, (1879-1958). C’est une approche théorique et pratique en même temps. On peut indiquer des intensités de mouvement, des gestes pour noter une chorégraphie ou on peut interpréter une pièce de danse avec les notations graphiques (Laban, 2003). Dans ma thèse, la méthode est appliquée sur les gestes musicaux dans la partition. Les résultats m’ont permis d’obtenir un sens, une direction pour pouvoir interpréter Studies, Part I avec une connaissance plus approfondie : j’ai mieux réussi à exprimer les moments gestuels de la musique de Wolpe grâce à l’analyse que j’en avais faite des aspects corporels. En outre, j’ai approfondi mon analyse comparative en adoptant une démarche analytique du jeu de l’accordéon classique (Time and Tone analysis of accordion performance) d’après Macerollo (2013). Dans le quatrième chapitre, les principes de l’analyse de classe de hauteur et analyse de la forme et de l’effort-forme sont généralisés et appliqués aux autres extraits de l’œuvre de Wolpe.

Pour la soutenance de ma thèse, j’avais présenté un récital avec les œuvres de Stefan Wolpe, ayant soin de placer au centre du programme : Studies, Part I: Displaced Spaces, Shocks, Negations, A New Sort of Relationship in Space, Pattern, Tempo, Diversity of Actions, Interreactions and Intensities (1946-1948). J’ai interprété la pièce en collaboration avec une danseuse, en utilisant mes résultats de recherche exposés dans ma thèse de Doctorat. Nous avons présenté la pièce, ensemble et avons exposé notre démarche autour du processus de la création et d’interprétation. Ensuite, nous avions rejoué une deuxième fois le programme en entier. Ma recherche en pratique artistique a constitué donc un ensemble cohérent réunissant théorie de la musique, danse et performance.

Conclusion

Ma thèse en «  recherche-création  » m’a permis d’ouvrir plusieurs pistes de travail. Premièrement, le désir d’analyser d’autres partitions de différents compositeurs grâce à l’analyse de l’effort-forme d’après Laban. En 2015, j’ai été invitée à participer à une journée d’études (dans le cadre du Festival MANCA), qui m’a permis de présenter mes travaux sur Wolpe et d’échanger avec d’autres chercheurs12. D’autres publications récentes (Trubert, 2015, Trubert et Beller, 2016) proposent des analyses d’œuvres musicales contemporaines grâce à 12

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URL  : http://www.cirm-manca.org/manca2015/

Témoignage d’une expérience

cette méthode originaire de la danse. Deuxièmement j’ai eu la chance de donner des workshops, particulièrement avec une danseuse canadienne, Angela Blumberg, à l’université de Toronto en 2016 et à la Pädagogische Hochschule Heidelberg en 2017, afin de mieux diffuser la méthode d’analyse de Laban. Mon objectif de recherche actuel est de travailler dans un cadre interdisciplinaire avec des danseurs ou danseuses dans des projets communs afin de développer le dialogue entre les arts, poursuivant cette pensée qui m’a conduite vers la création de mon projet de thèse en « recherche-création » : le lien danse-musique.

Références

Andreatta, M. (2003). Une introduction à la Set-Theory. Les concepts à la base des théories d’Allen Forte et de David Lewin. Repéré à : http:// architexte.ircam.fr/textes/Andreatta03e/index.pdf

Arts & Humanities Research Council (2016). Research Funding Guide. Repéré à : http://www.ahrc.ac.uk/funding/research/researchfundingguide/ Badura, J., Dubach, S. et Haarmann, A. (2015). Vorwort, in Künstlerische Forschung. Ein Handbuch. Zürich : Diaphanes. Borgdorff, H. (2007). The Debate on Research in the Arts. Dutch Journal of Music Theory, 12, 1-17.

Borgdorff, H. (2009). Practice-based Research in the Arts [based on interview with Anne Helmond]. Dans C. Brickwood (Éd.), Mapping E-Culture (pp. 97-103). Amsterdam : Virtual Plateforme. Repéré à : http:// virtueelplatform.nl/g/content/download/2009mappinge-culture.pdf

Brunner, C. (2015). Recherche-Création. Dans J. Badura, S. Dubach et A. Haarmann (dir.), Künstlerische Forschung. Ein Handbuch (pp. 197-200). Zürich : Diaphanes. Candy, L. (2006). Practice Based Research. A Guide. Linda Candy Creativity & Cognition Studios. University of Technology, Sydney. Repéré à : https:// www.creativityandcognition.com/research/practice-based-research/ Doerr, E. (2009). Rudolf Laban – The Dancer of the Crystal. Lanham, Maryland, Toronto, Plymouth, UK : Scarecrow Press.

Doğantan-Dack, M. (dir.) (2015). Artistic Practice as Research in Music : Theory, Criticism Practice. Surrey : Ashgate.

Easton, L. (2011). Rapport sur les méthodes utilisées en recherche artistique dans le domaine des arts de la scène. Manufacture – Haute école de théâtre de Suisse romande. [Inédit].

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Didactique de la création artistique

Forte, A. (1973). The Structure of Atonal Music. New Haven/ London : Yale University Press.

Henning, I. (2013). Displaced Spaces, Shocks, Negations : A Musical and Gestural Analysis of Stefan Wolpe’s Studies for Piano, Part I (1946-48) and its Implications for Performance (Dissertation, pp. 1-172). University of Toronto, Graduate School of Music. Henning, I. (2015). Stefan Wolpe, Leben und Werk. Dans W.W. Sparrer, H. W. Heister (dir.), Lexikon Komponisten der Gegenwart (KdG) (55. Nachlieferung). München : edition text+kritik. Laban, R. (2003). Espace dynamique (traduit par Élisabeth SchwartzRémy). Bruxelles : Contredanse.

Macerollo, J. (1980). Accordion Resource Manual. University of Michigan : Avondale Press. Schlemmer, O., Moholy-Nagy, L., Molnár, F. (1925/1965). Die Bühne im Bauhaus, Mainz /Berlin : Florian Kupferberg.

Trubert, J.-F. et Beller, G. (2016). Luna Park (2011). An Aesthetics of Shock. Contemporary Music Review, 35 (4-5), 500-534.

Trubert, J.-F. (2015). Approches heuristiques pour l’analyse du théâtre instrumental chez Mauricio Kagel. Dans J.-M. Bardez et X. Hascher (dir.), L’Analyse musicale aujourd’hui : crise ou (r)évolutions (pp. 405-426). Sampzon : Delatour.

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ART IMPRIMÉ  : UNE APPROCHE DIDACTIQUE SPÉCIFIQUE ? Stéphane Mroczkowski et Olivier Calvo

C e texte pose un double regard entre un enseignant-artiste-chercheur et un enseignant-artiste qui alimentent une réflexion sur une

pédagogie de l’imprimé développée dans un contexte scolaire en collège avec une classe de vingt-trois élèves de quatorze à seize ans. Les auteurs investissent les traces de la création issues de cette expérience de l’imprimé et nous livrent un témoignage sur la mise en œuvre d’une pratique de la création investie par des collégiens dans le cadre d’une séquence de quatre séances en arts plastiques. Ainsi, des regards pluriels émergent sur la création où le geste apparaît comme l’élément moteur qui amène les élèves à produire et à se construire.

1 • Contextes théorique, artistique et pédagogique

[Stéphane Mroczkowski] Plasticien, je m’intéresse à la gravure expérimentale et à la culture de l’imprimé en général, dans ce contexte que l’on appelle rapidement la culture du tout numérique.

Je mène un travail d’imprimé hybride qui part de la collecte d’images et de document en accès libre sur Internet que je transfère afin de pouvoir les imprimer, parfois sans aucune modification de forme, avec les techniques lentes et patientes de l’impression manuelle à la presse à rouleaux. Un travail qui porte sur les paradoxes de notre culture aujourd’hui.

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Didactique de la création artistique

Ce questionnement sur la didactique de l’imprimé concerne ma pratique de plasticien qui cherche, par son travail plastique comme par des réflexions théoriques, à penser la place de l’imprimé aujourd’hui. C’est aussi une démarche qui concerne ma pratique de didacticien en art imprimé expérimental depuis assez longtemps, j’ai commencé ce travail après ma thèse, en 2001 à la faculté des arts en Licence arts plastiques, puis en Master arts plastiques. Comme préambule, j’aimerais rappeler un certain nombre d’idées liées à la théorisation des techniques d’imprimé, et évoquer quelques artistes qui se situent dans une démarche d’expérimentation en lien avec l’imprimé.

Dans son ouvrage La ressemblance par contact (2008) Georges DidiHuberman rappelle que l’empreinte reste difficile à théoriser, par son aspect expérimental, par l’opposition qui s’y manifeste, entre « particulier » et « général » : L’empreinte ne semble se dire qu’au pluriel, justement parce qu’elle semble n’exister qu’en particulier : particuliers, chaque sujet de l’empreinte, chaque objet qui s’imprime ; particulier, chaque lieu où s’opère l’impression (selon la matière, la texture, la plasticité du substrat) ; particuliers, chaque dynamique, chaque geste, chaque opération où l’empreinte advient. Comment, alors, parler de l’empreinte, en général ? Impossible, et même absurde, de tenter un récolement. Possible, mais vain, de chercher des typologies : elles seraient très vite arborescentes jusqu’à l’infini, ou plutôt jusqu’à un nombre trop considérable de ces particularités, de ces « circonstances d’empreinte ». (Didi-Huberman, 2008, p. 11)

Difficile donc, selon l’auteur, de théoriser, d’apporter un regard synthétique et à distance de la pratique dans laquelle on est immergé. En même temps, l’imprimé et l’empreinte en général sont dotés d’un degré d’ouverture particulier. Didi-Huberman rappelle que l’empreinte n’est pas portée par une série de principes, mais que dans sa variété, sa particularité, et sa capacité à faire surgir le nouveau par le hasard et l’accident, elle est un processus qui peut aisément remplacer une idée de départ. L’empreinte pourrait être ainsi d’abord un déclencheur pour la création.

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Même si l’on peut constater qu’il est rarement soutenu par une axiomatique – une série de principes valant comme vérités capables de fonder la pratique sur une connaissance –, le geste de l’empreinte est doué d’une extraordinaire fécondité heuristique. Les artistes disent souvent qu’ils ont recours à ce geste

Art imprimé : une approche didactique spécifique

d’empreinte lorsque leur manque l’idée, l’axiome de départ. Faire une empreinte, c’est alors émettre une hypothèse technique, pour voir ce que cela donne, tout simplement. Le résultat n’est avare ni en surprises, ni en attentes dépassées, ni en horizons qui s’ouvrent d’un coup. Cette valeur heuristique de l’empreinte – cette valeur d’expérimentation ouverte – me semble fondamentale, comme me semble fondamentale la différence qui l’oppose à une pensée de type axiomatique. (DidiHuberman, 2008, p. 31)

Cette pensée de l’empreinte développée par Didi-Huberman justifie notre démarche de réflexion pédagogique et didactique quant à l’imprimé. Notre réflexion part du faire et propose l’hypothèse d’une recherche qui part des gestes constatés lors du travail, et non pas des liens avec des principes théoriques et pédagogiques a priori, et vérifiés ou infirmés par la pratique.

De nombreux artistes modernes et contemporains utilisent les techniques imprimées tout en n’étant pas spécifiquement des « graveurs », mais plutôt des peintres, ou même encore se définissant comme de modestes « imprimeurs », comme Amos Paul Kennedy au travers de son atelier Kennedy Prints (États-Unis). Des peintres se sont tournés vers les techniques de l’imprimé pour en faire leur questionnement principal : Andy Warhol et la sérigraphie, Hans Hartung et ses impressions au rouleau sur toile, Frank Stella avec ses mélanges complexes de techniques imprimées, Christopher Wool et ses superpositions complexes de sérigraphies, Philip Taafe et ses ornements complexes faits de collages de linogravures, et plus récemment Wade Guyton et ses toiles passées dans de grandes imprimantes jet d’encre. Pour ces artistes, l’imprimé devient une source de création qui inclut certes la force du processus et sa dimension expérimentale, mais aussi les données liées au contexte technique de l’époque. Pour ma part, cette dimension fait partie de mes recherches, comme j’ai pu le développer dans un texte récent : « Internet comme matrice d’impression » (Mroczkowski, 2017).

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Didactique de la création artistique

Fig. 1 et fig. 2 : Stéphane Mroczkowski, deux tirages différents issus de la même matrice, un exemple où les conditions d’apparition même de l’image sont mises en question par la dimension expérimentale de la technique (2014).

[Olivier Calvo] Je mène avec Stéphane un travail sur la gravure et le motif avec une classe de troisième composée de vingt-trois élèves de quatorze à seize ans. Le collège Stockfeld se situe dans le quartier du Neuhof, banlieue au sud de Strasbourg. L’établissement est classé REP (Réseau d’Éducation Prioritaire) anciennement ÉCLAIR (École, collèges et lycées pour l’ambition et la réussite) où le taux d’évitement de la carte scolaire reste fort. Remarquons également que les habitants les plus aisés ont tendance à jouer avec la carte scolaire pour pouvoir scolariser leurs enfants ailleurs. Nous avons aussi la particularité d’accueillir les enfants des foyers environnants ce qui correspond à un cinquième de nos effectifs. C’est donc un collège accueillant des élèves issus de divers milieux dont certains sont plutôt défavorisés. Nombre d’entre eux se trouvent en grandes difficultés scolaires. Cette séquence sur l’empreinte et l’imprimé de quatre séances d’une heure visait à encourager la démarche de projet en abordant et en expérimentant des notions comme le graphisme, la répétition, le motif et la couleur.

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La première consigne était de travailler le rythme et la couleur. Le choix des pinceaux et des formes géométriques simples était limité. J’ai décidé de les faire travailler sur des supports et des techniques

Art imprimé : une approche didactique spécifique

qu’ils maîtrisaient comme le papier et la gouache. L’objectif et l’hypothèse de départ étaient de thésauriser des habitus créatifs pour les réinvestir par la suite.

En amont  de l’exercice, nous avons défini ce qu’étaient le rythme et la couleur en évoquant notamment l’univers de la musique. Les réponses les plus inventives résidaient particulièrement dans l’utilisation détournée des pinceaux et de leurs habitudes d’utilisation. Ils pouvaient s’emparer d’une nouvelle gestuelle allant même jusqu’à la fabrication de leur propre instrument pour répondre à la consigne.

Fig. 3 et fig. 4 : Travaux dans la classe d’Olivier Calvo (2015).

Au fur et à mesure de leur réalisation, je leur projetais sur écran des références artistiques s’inspirant directement de leur production, à savoir, Daniel Buren, Niele Toroni ou Yayoi Kusama. À la question de « par quoi l’artiste Kusama est obsédée ? », la réponse ironique d’un élève fut : les boules. Lors des échanges, j’ai donc développé des approches didactiques qui me permettent de développer une posture d’auteur chez l’élève et de changer son regard sur le faire artistique.

J’aborde l’art actuel notamment en leur présentant des reproductions d’œuvres d’artistes pouvant s’apparenter à leur travail par analogie de forme ou de composition que nous analysons et interprétons. J’essaie aussi de les rassurer quant à la valeur de leurs pratiques pour renforcer l’estime de soi. Je tâche également de faire comprendre les corrélations entre la composition, la couleur et la forme et les incidences que ces dernières produisent. Ce travail peut avoir un écho poétique de ce qui, au départ, n’était considéré par euxmêmes comme du « n’importe quoi ». En didactique de la création, la recherche du sens est primordiale : pour l’atteindre, il est nécessaire d’accorder à l’élève le temps de verbaliser, de mettre des mots sur

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Didactique de la création artistique

sa production et de s’exprimer sur le sensible. Ici, nous touchons en même temps à l’un des cœurs de l’apprentissage au collège, à savoir la maîtrise du français.

Avant de découvrir et de manipuler exclusivement avec la presse, j’ai souhaité approfondir et ouvrir leur horizon dans la deuxième séance en travaillant à l’aide de pochoirs ou de tampons en polystyrène. Sur un format relativement grand pour eux (de l’ordre de 50 x 45 cm), ils devaient composer sur le recto ou le verso d’un tissu bariolé une suite ou un ensemble de motifs. Le travail était ici volontairement limité dans le temps pour permettre d’aborder le non finito. Les élèves essayent, tâtonnent et finissent par trouver un certain rythme et une composition. Ils prennent conscience qu’un travail non fini, non abouti pour eux peut aussi avoir un intérêt. Le temps est aussi un facteur à prendre en compte dans un processus de création. Une fois que les élèves se sont emparés de mes demandes et consignes, ils peuvent être prolixes. Ils arrivent à développer leur créativité dans un projet de création et s’approprient des techniques et des styles personnels. Ils dévoilent leur touche et leur identité propre. Par exemple, une élève recouvrait systématiquement de paillettes les parties encrées.

Lors de la séance suivante, j’ai questionné mes élèves sur la presse qui trônait sur mes étagères depuis un certain temps. À ma grande surprise, aucun élève ne connaissait son usage ni même son nom malgré la description donnée. Cela pourrait tenir au fait qu’ils ne maîtrisent pas tous les vocabulaires spécifiques des arts plastiques. Après une démonstration devant l’ensemble de la classe, la pratique leur a permis de comprendre rapidement la fonctionnalité de la presse et de trouver leurs repères. Ils se débrouillaient pour obtenir un résultat même s’il n’était pas toujours optimal et tenait souvent au hasard. Le fait qu’ils puissent évoluer librement dans la classe semblait les pousser à produire davantage en observant d’autres travaux déclencheurs de sources d’inspirations. Ils travaillaient souvent en binôme pour échanger, confronter leurs points de vue et collaborer. Ce n’était pas une compétition mais plutôt une forme d’émulation, dans une ambiance d’atelier. Nous avons également constaté que certains élèves avaient une force de production importante. Si nous faisions le ratio temps/travail, ils arrivaient à créer en peu de temps une large palette de compositions intéressantes. Les élèves sont allés jusqu’à récupérer des découpes mises au rebut à la poubelle pour les retransformer.

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Nous signalons aussi que les élèves avaient la liberté de choisir leur motif, leur représentation ou stylisation en s’inspirant ou non de leurs travaux précédents. Ils choisissaient également le support. Des linoléums de différentes qualités et d’épaisseurs variables comportant parfois des motifs comme du faux bois ou des petits points étaient proposés. Ces formes découpées et assemblées en un certain ordre produisaient des compositions souvent cohérentes et équilibrées. Ces dernières étaient ensuite commentées, et certains élèves pouvaient leur donner des titres.

Le fait de ne disposer que de deux presses pouvait frustrer certains élèves ou générer des tensions. Pour pallier à ces manques, les élèves ont spontanément opté pour faire directement des tirages sur tissus de leurs épreuves uniquement à l’aide de la force de leurs mains. Cela favorisait une plus grande rapidité d’exécution et une autonomie. Pour les faire évoluer dans leurs recherches, nous les rendions attentifs à certaines qualités plastiques de leurs épreuves. En créant, par exemple, des percements sur leurs morceaux de linoléum ou en jouant sur le positif et le négatif de leurs motifs, des pistes et des prolongements apparaissaient.

Le travail collaboratif entre élèves favorisait considérablement des échanges. Dès lors, certains signes graphiques communiquaient entre eux. Les productions des uns s’assemblaient avec celles des autres dans un travail de complément, de complémentarité et de dialogue. Cela a conduit les élèves à réaliser qu’un travail collaboratif peut leur permettre de les mener plus loin. Chacun avec son motif peut le conjuguer avec un autre pour former un ensemble (ici, par exemple, un bonhomme). Il y a un dialogue qui mène parfois à une petite histoire. Celle-ci leur parle et fait sens pour eux. Ils arrivent plus facilement à parler de leur travail par le biais de la figuration que de l’abstraction.

[Stéphane Mroczkowski] Olivier a fait le point sur les processus d’invention mis en œuvre par les élèves, dans une situation de travail visiblement contraignante pour eux. En travaillant avec eux dans la classe, mon rôle, qui était prévu davantage comme celui d’un observateur « neutre » présent pour prendre des notes et des informations « du dehors » de l’atelier, a très rapidement changé, et je me suis laissé happer par la pratique en les accompagnant à la presse, en leur donnant des conseils et des informations sur les manières de procéder, au niveau technique. Cela rejoint, et tendrait à confirmer, l’hypothèse que je formulais au

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départ de ce projet (Didi-Huberman, 2008) qu’avec les techniques de l’imprimé, il y a un bon nombre de données et de processus qui font que l’on se laisse vite captiver par le faire uniquement. Cette particularité aurait pour conséquence de produire des résultats qui vont dans le sens d’une dimension artisanale, du décoratif, du répétitif. J’ai alors continué de me poser cette question liée à l’hypothèse de départ tout au long de la séance. En maintenant, malgré tout, une prise de note régulière, j’ai tenté de mieux comprendre où pouvait se situer la place de la création dans cet ensemble complexe : un dispositif d’enseignement et des situations, des processus liés à des techniques inhabituelles, qui semble conduire non pas vers une recherche trop théorisée, un travail avec idée déconnecté de la pratique, mais plutôt vers l’acquisition d’un ensemble de savoir-faire. Il me semble alors, dans notre cas, que la notion de créativité est difficile à situer, à observer, et à définir.

Bien des projets qui cherchent à développer la création se donnent une ambition particulière, avec l’exposition des travaux, par exemple. Dans notre cas, il semblerait que nous sommes davantage dans une pédagogie du quotidien, qui n’a rien de spectaculaire, avec des moyens ordinaires et des résultats qui n’ont rien de particulièrement abouti. Cela parce que nous nous situons davantage dans une analyse du processus de création, du faire artistique. Ce qui me paraissait important de tenter d’observer au mieux c’est la découverte d’outils inhabituels. Les élèves sont à ce moment-là dans une phase de découverte, notamment lors des deux premières séances de travail avec les presses. Dans ces deux séances de travail, il semble même que se soient complètement perdues les découvertes faites dans les séances qui préparaient ce travail imprimé : la notion de motif, la notion de composition all-over, la notion de répétition, et enfin l’exploration de la notion d’abstraction. Le travail semble donc, pour un regard extérieur comme le mien, se dérouler, d’une séance à l’autre, de situation de découverte en situation de contrainte. Et il faudrait alors chercher et observer la créativité ailleurs et autrement. Par exemple en écoutant certaines questions des élèves comme « on peut imprimer les journaux avec ces presses ? ». Cette question qui montre principalement deux choses : l’une que ces presses sont des outils destinés à un usage professionnel, technique, et pas tant artistique ; et l’autre, que ces outils sont archaïques, aussi loin de nous que le sont les journaux, que les élèves considèrent comme des supports d’une autre époque, dans l’ignorance des techniques actuelles d’impression de la presse écrite.

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Fig. 5 et fig. 6 : Captures vidéo (image, François Horvat).

Donc il semble que des situations de travail comme celles-ci consistent avant de penser en termes de processus de création, à éprouver la résistance des matériaux et des outils, à se battre (ou subir, ou abandonner…) contre ce qui nous échappe et que l’on ne maîtrise pas. Une énumération synthétique des contraintes nouvelles arrivées dans la classe avec les presses, pourrait comporter : - la phase d’encrage : comment tenir et utiliser le rouleau encreur, dans quel sens, combien d’encre utiliser, avec quelle épaisseur, avec quel geste ;

- la phase d’impression : comment ne pas laisser de traces de doigt sur la plaque fraîchement encrée lorsqu’on la transporte vers la presse, comment utiliser la presse, comment en régler la pression, comment multiplier les impressions rapidement pour multiplier les motifs. Autant de questions qui nous absorbent et tendent à nous faire oublier le processus de création. Parfois il semble même disparaître, mais ce que j’ai découvert, c’est une relation étroite entre le degré de résistance des outils et des matériaux et le degré de résistance des élèves eux-mêmes et leur capacité à surmonter ces difficultés. Et comme l’affirmait Olivier, pour beaucoup, les élèves sont dans une sincère volonté de faire, et de bien faire, malgré leur oubli des objectifs de la séance et du projet dans son ensemble que l’enseignant doit régulièrement leur rappeler. Parfois même, certains élèves, qui comprennent aussi la contrainte de temps et d’espace lors de la séance réussissent à accaparer les presses et les outils plus que d’autres, en utilisant des stratégies pour passer le plus de fois possible à la presse, et en occupant davantage d’espace que les autres. Cette situation de travail correspond bien à ce que Georges DidiHuberman écrit, à savoir que l’imprimé est du côté de « l’impureté procédurale » (Didi-Huberman, 2008, p. 13). Du côté de l’expérimentation et du faire brut, du côté du ratage, du côté du non-fini.

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[Olivier Calvo] Le résultat rapide du travail à la presse encourage les élèves et les pousse à faire des tentatives avec d’autres couleurs ou d’autres matériaux. En faisant régulièrement le point sur leurs tirages par petits groupes, ils arrivent à commenter et à analyser leur travail. Ils prennent davantage conscience de la composition et des interactions entre les différents motifs. Ils se libèrent progressivement de l’aspect purement technique pour se consacrer plus à la création et à la composition. Ils trient la pluralité de leurs créations pour approfondir une voie. À cette étape également, nous leur présentions des références artistiques qui faisaient pourtant peu d’échos la semaine suivante. Il semble que seule la pratique qu’ils vivent aboutisse à une forme d’appropriation. Ainsi, la réitération des rencontres avec le champ artistique reste nécessaire pour s’ouvrir à l’altérité.

[Stéphane Mroczkowski] Je me demande si à partir de là on ne pourrait pas concevoir deux modèles pour démarrer un projet en arts plastiques. Et si ces séances n’avaient pas été préparées par un travail au pinceau puis au tampon sur papier avec de la gouache, mais plutôt directement avec les presses ?

Ces deux modèles seraient les suivants : d’une part celui qui part des éléments pour aller progressivement vers un tout, vers une composition. Ici nous pouvons penser à des modèles pédagogiques connus chez les artistes, les pédagogies modernistes sont tournées vers ce type de processus. Créer d’abord un alphabet, puis une grammaire qui relie les éléments, et ensuite faire fonctionner ces éléments dans des œuvres. Toute la pédagogie de Paul Klee est orientée selon ce modèle, héritier des pédagogies innovantes du 19e siècle avec Fröbel par exemple, qui a eu une influence très forte sur les artistes, architectes et designers du début du XXe siècle. L’autre modèle serait davantage tourné vers un modèle de composition donné, que l’on fait varier et évoluer au fur et à mesure. Mondrian, selon ce modèle, semble peindre sans cesse le même tableau. Son chemin se tournant vers une abstraction plus marquée commence avec les séries d’arbres ou de jetées au-dessus de l’eau, pour devenir progressivement des compositions où seules les lignes sont perceptibles, devenues des orthogonales strictes et des plages de couleurs primaires. Les séances que j’ai pu observer dans la classe d’Olivier sont portées par le modèle de Klee, allant des éléments vers le tout. Selon

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l’autre modèle, nous pourrions imaginer des situations de travail où les presses et les outils d’impression seraient présents dès le début, et qu’en faisant évoluer leur familiarité avec ces outils, la créativité pourrait se développer plus librement car la résistance des techniques serait moindre. Cela pourrait laisser penser qu’un ensemble d’outils configurés d’avance, presque prêts à l’emploi permettrait de mieux encourager le processus de création chez les élèves.

N’oublions pas cependant qu’il est nécessaire, pour maintenir cette « impureté procédurale », de tolérer (voire de provoquer ?) des situations de ratage, d’expérimentation, de non-maîtrise. C’est à ce niveau que se situe la découverte de l’imprimé à sa sortie de la presse. Découverte qui est souvent partagée car plusieurs élèves se trouvent autour de la presse à ce moment-là, et il y a donc une particularité « sociale », de partage, de la pédagogie de l’imprimé qui est très liée à l’outil. Il ne s’agit pas de créer de manière directe, et par conséquent exposée immédiatement, comme lorsque l’on peint au pinceau sur un papier blanc. La presse comme outil de médiation pourrait être ici une nouvelle manière d’envisager cette pédagogie de l’imprimé.

2 • Analyse de la pratique d’atelier

[Stéphane Mroczkowski] Avec notre projet d’enseignement lié aux techniques d’impression, nous tentons de partir du faire, en particulier au travers de documents sur la pratique d’atelier. Tenter de comprendre les moments où, lors d’un processus de création, l’on passe d’un travail ordinaire au surgissement d’approches créatives à partir d’une déstabilisation produite par les outils proposés. Cette déstabilisation ménage un degré de « ratage » nécessaire. Nous nous consacrons plus précisément à l’analyse du faire au travers des images qui résument et captent les aspects les plus signifiants de cette pratique d’enseignement.

Les films réalisés par François Horvat lors de séances de travail nous ont permis de sélectionner un grand nombre d’images qui ont presque valeur de symbole, tant elles sont exemplaires des situations et démarches en lien avec les techniques imprimées en situation d’enseignement. Des images de collaboration. Des images de strates et de couches superposées (papier, encre, feutres d’impression, papier journal…). Des images de gestes au travail (mains qui tiennent les rouleaux, qui règlent les presses, qui actionnent ces presses, qui

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tiennent le papier, qui montrent car elles accompagnent une parole qui explique, qui montre).

Nous avons tenté d’analyser, à partir de ces images aussi, les conditions du faire dans une situation expérimentale.

Fig. 7 et fig. 8 : Captures vidéo (image, François Horvat).

[Olivier Calvo] Lorsque nous avons commencé ce projet, nous n’étions pas partis sur la forme d’un cours d’arts plastiques traditionnel. Notre démarche était plus expérimentale, tournée vers un laboratoire de motifs gravés. Nous aurions pu faire un cours en enseignement pratique interdisciplinaire (EPI) avec le professeur d’éducation musicale puisque nous abordions un certain nombre de vocabulaires et de notions en commun. Nous avons privilégié un travail d’approfondissement de la pratique de la gravure avec une certaine maîtrise des différents outils. Nous nous interrogions également sur le rapport entre le temps consacré et la dynamique de création. Nous avons eu l’occasion d’utiliser plusieurs presses à bras (25 cm x 25 cm) et aussi une presse à cylindre (empruntée au Rectorat de l’Académie de Strasbourg) ce qui a permis de constituer des petits groupes de travail suivis par des adultes. Il est à noter que cette façon de procéder et de faire classe est plutôt peu ordinaire, c’est-à-dire accompagné d’un cameraman, de deux professeurs ainsi que de trois étudiants en M1 en stage d’observation, soit une équipe de six adultes dans une salle de classe. Un ensemble pédagogique différent, du matériel rarement utilisé en classe entière et une configuration de la salle sur quatre principaux îlots, tout cela a influencé les apprentissages mis en place. Remarquons également le travail collaboratif entre élèves sous forme d’échanges et d’entre-aides ; ils se prêtaient les motifs qu’ils avaient créés et s’aidaient mutuellement.

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Une certaine lenteur pouvait s’établir dans l’apprentissage. En effet, il fallait du temps pour découvrir les gestes justes ; apprendre à encrer

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et s’approprier les différents outils ; comprendre la réaction de supports différents comme le tissu ou le papier ; comprendre les techniques et les faire siennes. Dès la deuxième séance avec les presses, les élèves ont commencé à les manier plus aisément. Les processus de fabrication se sont accélérés lorsque je leur ai annoncé la fin prochaine du cours. Souhaitant absolument finaliser leurs réalisations et faire des multiples, ils expérimentaient diverses techniques et superposaient les gravures et les papiers avec des linges entre chaque pour gagner du temps afin de réaliser davantage de tirages. Il y avait finalement un processus de mécanisation du travail. Il fallait vite réfléchir et cela produisait des effets. Ce peu de temps restant généra une certaine fièvre créatrice. Sur ces photogrammes, nous observons le plaisir et une certaine fierté face à la découverte de leur tirage. Je pense que ce modeste feedback immédiat est bénéfique aux élèves. Ils perçoivent différentes matières de tissus, différents types de papier et le mélange de la couleur des encres dont l’odeur éveille d’autres sens. Dans nos échanges ressortaient le goût des élèves, leurs avis et un certain regard sur leur production ou celles de leurs pairs.

Fig. 9 et fig. 10 : Captures vidéo (image, François Horvat).

Mes réflexions sur l’enseignement me conduisent à insister sur un credo fondamental : la pratique artistique. Les arts plastiques comme la musique se vivent et se partagent. Il y a des interactions, de l’écoute, des échanges, du partage de créations. C’est probablement par la transformation et les découvertes par le faire que les élèves apprennent, même s’il est nécessaire de réenclencher et réalimenter le processus de création en nourrissant l’élève de références. [Stéphane Mroczkowski] Pour ma part je propose aussi de rappeler que l’enseignant et les élèves sont au travail dans un processus collaboratif, dans un tout, guidés par l’idée d’expérimentation. Il semble utile de rappeler certaines définitions en lien avec la figure de l’expérimentateur.

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L’entretien d’une disposition expérimentale n’a-t-elle pas pour corollaire la formation d’une nouvelle subjectivité ? Si oui, alors l’artiste expérimental n’est certes pas le génie des romantiques, ni l’ingénieur des avant-gardes pluridisciplinaires. Son inspiration ne lui vient que de la pratique, mais sa raison n’est pas instrumentale. Il s’est défait du fantasme de maîtrise qu’induit parfois la création. Il n’est ni obsédé par le nouveau, ni fixé sur ses méthodes. C’est un homme double, distancié vis-à-vis de luimême comme du contenu de ses œuvres. À l’image de l’homme du possible décrit par Musil dans L’Homme sans qualités, il n’accorde pas « plus d’importance à ce qui est qu’à ce qui n’est pas » et préfère les « réalités possibles » aux « possibilités réelles ». (During, Jeanpierre, Kihm, Zabunyan, 2010, p. 17)

Plusieurs aspects de cette définition sont très en lien, il me semble, avec cette démarche collaborative adoptée dans la classe d’Olivier. L’inspiration vient de la pratique. L’objectif n’est pas dans la pratique pour elle-même ou dans les instruments, il n’est pas totalement dans la maîtrise de ces instruments. Nous sommes davantage du côté de la réalisation d’images qui ne cherchent pas à être complètes à « tout dire », mais qui sont du côté du fragment, de l’imperfection, du lacunaire (pour rappeler les propos de Georges Didi-Huberman, 2003).

Mais aussi l’idée qu’il s’agit de vivre la pratique sans pouvoir voir ce que l’on fait, sans avoir le recul de l’analyse ou même de la compréhension. Je me réfère ici à l’idée développée avec une maîtrise impressionnante par Harun Farocki dans son film Images du monde et inscription de la guerre (1988). Pour passer du côté de l’analyse et du savoir, il faut élaborer une image, mettre la pratique à distance.

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[Olivier Calvo] Est-ce que la pratique libère finalement la création ? Faut-il avoir une maîtrise totale du médium ou se laisser guider par l’erreur, par le truchement de la surprise et arriver ainsi petit à petit à maîtriser des moyens techniques ? Nous avons constaté que les oublis ou les superpositions aléatoires et involontaires conduisaient souvent à enrichir leurs propositions. Ces erreurs, égarements, les entraînaient vers l’inconnu. Cela permettait in fine d’évoquer la part de hasard au moment de la restitution. Nous allions jusqu’à commenter les protections en papier des tables qui étaient parfois tout aussi intéressantes que les essais qu’ils avaient faits sur tissu. Les macules étaient donc aussi riches que ladite production finale. Les élèves en avaient conscience. Quand les élèves s’exprimaient sur leur travail, des notions d’esthétique apparaissaient. Sont-ils pour autant arrivés à parler davantage

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de leurs productions ou celles d’un artiste contemporain ? Ils faisaient peu cas des parallèles que l’on pouvait établir avec des œuvres vues en classe d’artistes qui travaillaient sur le point ou la touche.

[Stéphane Mroczkowski] Lors d’une séance sur la presse de l’ESPE à Strasbourg avec les élèves de la classe d’Olivier, nous avons travaillé en leur proposant d’utiliser des objets récupérés assez variés en termes de formes, de textures, de motifs, afin de les imprimer sur de grandes feuilles de papier. L’idée de départ était de partir d’une expérimentation ouverte avec des objets trouvés, en supposant que les élèves opéreraient des choix puis seraient à même d’imaginer les effets produits par ces objets imprimés, afin de produire des compositions qui vont de l’élément à la structure.

Fig. 11 : Vues de l’atelier à l’ESPE de l’Académie de Strasbourg (2015).

Il s’agit d’une application des principes pédagogiques issus d’une pensée moderniste de l’art et de la pédagogie qui consiste à aller de l’élément à la structure. Nous partons ainsi avec les élèves, non pas de techniques classiques où le dessin et le geste pictural sont une condition préalable, mais d’un processus qui découle du collage et de l’assemblage. À partir d’éléments trouvés assemblés, la technique du dessin, de la conception de formes ne représente plus un problème, mais le groupe peut se concentrer (peut-être sans le savoir d’ailleurs) sur la mise en relation de ces éléments préconçus donnés, déjà là. En parallèle, il me semble utile d’évoquer aussi un atelier de Licence Arts plastiques à la Faculté des arts de l’Université de Strasbourg

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où les étudiants m’ont demandé explicitement et très tôt d’avoir un cadre plus strict de travail, au travers de contraintes très limitatrices.

Pourquoi ? En priorité pour répondre à des conditions de travail particulières : 20 étudiants dans un petit atelier sur deux presses. En renforçant les contraintes, il s’est avéré plus commode de se concentrer sur une tâche limitée, et en plus sur un temps court, 1h30. Par exemple, j’ai demandé aux étudiants de travailler sur le même format, avec uniquement deux objets à imprimer, avec la même encre noire. Les travaux pouvaient ainsi se concentrer sur les combinaisons entre les deux objets imprimés, la qualité des encrages, les surimpressions, les compositions dans le format imposé…

Fig. 12 : Vues de l’atelier de gravure, Faculté des Arts, Université de Strasbourg (2016).

Ainsi, à partir d’un dispositif qui peut sembler rigide, j’ai pu vérifier que les étudiants comprennent bien que la création est aussi un processus collectif et qu’elle est liée à un contexte. Cette dimension contextuelle est nécessaire, et doit dicter nos manières de mettre en place des ateliers de travail. Elle peut même devenir la première des dimensions à prendre en compte dans le travail pédagogique. Non pas pour faire avec les moyens du bord, mais plutôt pour tenter de concevoir l’atelier comme un tout avec les outils, les personnes, la durée, etc.

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[Olivier Calvo] Je travaille également au lycée Gutenberg, lycée de l’impression à Illkirch. J’ai donné aux élèves de seconde un sujet sur la réalisation de

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A à Z d’un ex-libris avec des contraintes très précises tant niveau du format (2 cm x 6 cm) que de la technique (sur linoléum). Ils devaient réaliser un travail de composition (texte et image) ainsi que la gravure et un tirage en deux séances de deux heures. La temporalité accélère parfois le processus de création et d’acquisition. La question de la notation y joue également un rôle. L’organisation et les moyens matériels mis en place permettent sans doute de gagner du temps pour acquérir des réflexes aussi bien de processus créatifs que d’appropriation de techniques.

[Stéphane Mroczkowski] L’espace de travail partagé conduit à un type d’organisation de l’espace, du travail, des contraintes, voire à une certaine esthétique. Comme l’écrit Alain Kerlan, le rôle de l’artiste dans une classe est du côté d’une « esthétique partagée ». L’artiste est aux côtés de l’enfant pour « mettre la table dans une volonté d’esthétique partagée » (Kerlan, 2011, p. 4). Sens du partage, et esthétisation de l’espace de travail, pour poser de bonnes conditions de travail. L’atelier d’arts plastiques comme table partagée. Parfois pourtant, nous avons l’impression qu’il est difficile de «  bien mettre la table  ». Car la table semble manquer, ou le couvert n’est pas en nombre suffisant. Alors, comment faire ? À titre d’exemple et d’ouverture, j’aimerais finir sur un projet récent de collaboration, CityPrintOut, élaboré par Alexandra PignolMroczkowski et moi-même, en juillet 2015. Nous avons montré à l’Espace Apollonia à Strasbourg, le temps d’une soirée, sous une forme hybride entre conférence, performance, exposition de recherche et salle de lecture, un ensemble de travaux imprimés sur le thème des représentations multiples de la ville.

Avec Olivier Calvo, des étudiants en arts plastiques et en architecture (Hector Bouhier, Mathilde Blum, Dimitri Pagnier), un historien et journaliste (Sylvain Mazars) et des collaborations envoyées par des artistes comme Michael Corris (Dallas), David Diao (New York), Stalker (Rome), IRWIN (Slovénie), et une architecte urbaniste (Cristiana Mazzoni, Paris, Strasbourg).

Nous avons misé sur l’hypothèse que la création se fait dans l’hétérogénéité, dans les liens qui se tissent sur le moment dans l’espace où nous avons été invités à exposer. Nous y retrouvons les questions évoquées plus tôt, liées à la collaboration, à « mettre la table » (et la soirée a été aussi l’occasion de partager mets et boissons préparés par tout le groupe pour l’occasion). L’intérêt pour nous était aussi

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que notre projet avait été retenu pour participer à la plateforme d’exposition en ligne « 6pmEU » initiée par le Link Art Center (Brescia, Italie, commissaires Domenico Quaranta, Fabio Paris) qui proposait d’archiver en direct les documents relatant un ensemble d’expositions partout en Europe qui s’ouvraient à 18h, heure locale. Cette plateforme est pour le Link Art Center, une manière de « mettre la table », de permettre, au travers d’une esthétique partagée (le design de la plateforme), l’expérience de la création via Internet et les documents d’archives.

[Olivier Calvo] Même si nous n’avions pas eu beaucoup de temps pour réaliser cette exposition, le fait de se réunir quotidiennement pour mettre en place nos travaux nous permettait d’échanger. Cela nous a même conduits à les faire évoluer et à certainement donner une grande cohérence à l’exposition qui pouvait livrer l’impression d’une grande œuvre collective.

Fig. 13 : CityPrintOut, Espace Apollonia, Strasbourg (juillet 2016).

Quelques mots pour conclure

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Au travers de ces différentes situations d’atelier, nous avons cherché à mettre en œuvre une pratique pédagogique spécifique à l’imprimé. Partant de la pratique artistique comme processus déclencheur, nous avons cherché à mieux comprendre pourquoi l’imprimé et ses outils pouvaient proposer une méthode qui met la création au centre du projet. La dynamique de création que nous avons cherché à identifier n’est pas tant celle qui se constate dans les travaux achevés,

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mais plutôt celle qui se manifeste en faisant. Comme souvent, nous sommes face à un type de processus où l’enjeu se situe dans l’engagement à s’immerger dans les difficultés et les surprises du faire. Il ne s’agit pas cependant d’assumer un regard qui se contenterait de décrire ces moments de pratique, nous avons cherché à situer notre démarche dans ce contexte théorique qui définit l’imprimé comme apportant sa valeur heuristique, pour mieux s’éloigner de modèles axiomatiques (Didi-Huberman, 2008).

Remerciements 

Merci à François Horvat, responsable de la production audiovisuelle, La Fabrique, ESPE de l’Académie de Strasbourg. Merci à Johana Fluzin, Audrey Roblès, Hoda Zabolinhezad, enseignantes-stagiaires dans la classe d’Olivier Calvo, et à Natacha Zils, assistante d’éducation.

Références

Didi-Huberman, G. (2003). Images malgré tout. Paris : Minuit.

Didi-Huberman, G. (2008). La ressemblance par contact. Archéologie, anachronisme et modernité de l’empreinte. Paris : Minuit. During, E., Jeanpierre, L., Kihm, C. et Zabunyan, D. (2010). In Actu. De l’expérimental dans l’art. Dijon : Les presses du réel.

Kerlan, A. (2011). L’atelier de l’artiste, laboratoire démocratique d’une nouvelle normativité ? Sens Public. Repéré à : www.sens-public.org/article. php3?id_article=894

Mroczkowski, S. (2017). Internet comme matrice d’impression, un projet (improbable) d’atlas de la culture visuelle en ligne. Dans O. Delleaux et J.-F. Robic (Éd.), Les avancées de l’art multiplié (pp. 98-113). FrivilleEscarbotin : Friville Éditions.

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ENSEIGNER LA CONCEPTION D’UN OBJET MATÉRIEL EN VUE DE SON EFFET DE SIGNE  : MODÉLISATION DE L’ACTIVITÉ, TRANSPOSITION DIDACTIQUE ET CONFIGURATIONS D’ENSEIGNEMENT Nicolas Perrin, Denis Leuba et Katja Vanini De Carlo

L ’enseignement des activités créatrices et manuelles, en Suisse romande, se transforme depuis une dizaine d’années. Pour répondre à de nouvelles attentes sociales, la formation PIRACEF1 fait le pari de l’articuler autour de la conception (et non plus seulement de la production) d’objets matériels.

Concevoir un objet matériel, comme le fait un designer, implique d’anticiper son utilisation et/ou sa fonction de signe (Deforge, 1990). Cela ne va pas de soi. Souvent, les élèves rêvent d’un objet, mais ne se posent pas la question des contraintes qu’ils doivent prendre en compte. De leur côté, les enseignants peinent à formaliser cette conception qu’ils délèguent, au moins partiellement, aux élèves. Il n’est pas évident pour eux d’identifier comment analyser la situation d’utilisation ou de réception d’un objet matériel pour en dégager des paramètres clés à prendre en compte lors de la conception.

Une modélisation de la conception d’objets matériels a été proposée dès 2011 aux enseignants en formation. Elle est censée orienter 1

Programme intercantonal romand en activités créatrices et en économie familiale.

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non seulement l’activité de ces enseignants lors de la préparation et l’analyse de leur enseignement, mais aussi celle des élèves à qui elle est proposée dans une version simplifiée.

Cette contribution aborde les points suivants. Premièrement, elle présente la modélisation qui met en évidence les gestes cognitifs du designer et propose une extension de celle-ci pour anticiper l’effet de signe que peut provoquer l’objet matériel dans une situation de réception. Elle permet d’organiser la rencontre entre la pensée d’un auteur (l’élève) et celle d’un récepteur. Elle distingue et articule le pouvoir d’évocation propre à l’objet matériel et le pouvoir d’orienter le regard de la situation de réception. Cette modélisation permet de reconnaître que la création artistique et technologique d’un élève mérite d’être mise en scène. Cela évite de faire reposer la fonction de signe uniquement sur les qualités intrinsèques de l’objet créé. Cela permet aussi d’apprendre à situer un acte créatif dans les langages existants. Deuxièmement, elle questionne l’utilité d’un modèle dans la formation et dans l’enseignement. Elle le fait tout d’abord en interrogeant l’objet de cette modélisation : porte-t-il sur l’activité, la tâche, le processus de conception ou l’opération cognitive ? Expliciter la nature de cet objet permet de comprendre certaines difficultés dans la mise en œuvre du modèle. Mais une autre tension caractérise cet objet : est-ce le travail d’un expert – le designer – ou est-ce celui d’un apprenant qui est modélisé ? Cela renvoie au processus de la transposition didactique (Martinand, 2003), notamment au rôle de l’anticipation comprise comme un concept pragmatique permettant d’instrumenter l’activité de l’enseignant et de l’élève.

Troisièmement, elle examine les transformations apportées au modèle lors de sa mise en œuvre au sein d’une Learning Study. Ce dispositif de formation a pour ambition d’aider les enseignants à mettre en œuvre ce modèle, c’est-à-dire autant à le questionner à partir de leur enseignement que l’inverse. S’il est le produit d’une transposition didactique de savoirs savants et de pratiques de références, cette transposition s’est poursuivie au sein de la Learning Study menée dans le cadre de la formation PIRACEF dès 2011 de manière à imaginer des situations de conception susceptibles d’être maîtrisées par les élèves. De plus, la Learning Study a été le lieu d’une didactisation de ce modèle, c’est-à-dire la conception par les enseignants de configurations d’activités viables d’enseignement.

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Enseigner la conception d’un objet matériel en vue de son effet de signe

1 • Modéliser les gestes cognitifs du designer La transformation de la discipline des activités créatrices et manuelles a pour but d’apprendre aux élèves à concevoir des objets matériels, comme le fait un designer. Cela implique qu’ils apprennent à se projeter dans la situation où l’objet matériel sera socialisé de manière à en déduire les contraintes qu’il doit prendre en compte dans la conception de son objet.

1.1 Deux fonctions possibles des objets matériels

Ce processus de conception a fait l’objet d’une modélisation (Didier et Leuba, 2011). La socialisation de l’objet matériel y occupe une place centrale. C’est cette socialisation qui oriente la conception de l’objet qui est déléguée (totalement ou partiellement) à l’élève par l’enseignant. Il est possible de distinguer deux fonctions (potentiellement complémentaires) attribuées à des objets matériels. Dans le cas de la fonction d’usage, l’élève apprend à anticiper des conditions d’utilisation de l’objet qu’il conçoit comme le fait par exemple un ingénieur. Dans le cas de la fonction de signe, l’élève apprend à anticiper des situations de réception comme le fait par exemple un artiste, un auteur, un scénographe s’adressant à un public particulier.

1.2 Modéliser l’utilisation de l’objet matériel

La première fonction a été modélisée depuis longtemps par les ergonomes qui s’intéressent à l’utilité et l’utilisabilité des artéfacts (Béguin, 2004). C’est également celle qui pose le moins de problèmes didactiques : il est relativement aisé pour l’élève de se projeter dans l’usage que lui, ou quelqu’un d’autre, fera de l’objet. Qui plus est, comme dans le cadre de la conception ergonomique, il est possible de constituer des situations de simulation dans lesquelles un prototype est utilisé. Mais cette simplicité apparente ne doit pas occulter le caractère abstrait de cette opération. Comme le précise un ergonome, « [l’enjeu] n’est donc pas de prévoir en détail l’activité qui se déroulera dans l’avenir, mais de prévoir “l’espace des formes possibles d’activité futureˮ, c’est-à-dire d’évaluer dans quelle mesure les choix de conception permettront la mise en place de modes opératoires compatibles avec les critères retenus » (Daniellou, 2004, p. 360). L’élève-

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Didactique de la création artistique

concepteur est amené à identifier les paramètres clés qui rendront possible une utilisation efficace.

1.3 Modéliser les situations de réception pour expliciter la fonction de signe

Mais les gestes cognitifs du designer consistent aussi à anticiper la fonction de signe que peut provoquer l’objet matériel. Dans une perspective artistique, mais plus généralement dans une situation de communication, l’élève peut être amené à concevoir des moyens pour susciter une réaction chez le destinataire de l’objet, pour organiser la rencontre entre la pensée d’un auteur et celle d’un récepteur.

Cette situation est à la fois courante – les objets produits dans les leçons d’activités créatrices et manuelles sont habituellement ramenés à la maison, au risque de finir discrètement dans une armoire – et peu adéquate pour apprendre certains gestes du designer. D’une part l’élève n’est pas un artiste (accompli) ; les objets qu’il produit ont rarement des propriétés intrinsèques qui génèrent les effets de signes souhaités. D’autre part, la situation familiale banalise l’interaction entre l’objet et son destinataire, au point que cette rencontre semble évidente car l’objet matériel est « offert » à la maison. C’est pourquoi la modélisation de ces situations a été précisée. Elle distingue et articule le pouvoir d’évocation propre à l’objet matériel et le pouvoir d’orienter le regard de la situation de réception. Cette modélisation fait le pari que la création artistique d’un élève doit être mise en scène pour développer sa fonction de signe. Cette dernière renforce et précise la fonction le pouvoir d’évocation émanant des qualités intrinsèques de l’objet.

Elle permet également de mettre en lumière que l’enjeu consiste à identifier – tout comme pour les situations d’utilisation d’un objet matériel – des critères aussi explicites que possible pour préciser les contraintes que doit prendre en compte le processus de conception. Ces critères concernent les qualités de l’objet matériel, mais également de la situation de réception, qui permettent de développer un effet de signe. La définition de ces critères implique de comprendre comment fonctionne l’effet de signe, et donc d’apprendre à situer un acte créatif dans les langages existants et susceptibles d’être compris.

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Enseigner la conception d’un objet matériel en vue de son effet de signe

Fig. 1 : Modélisation de la fonction de signe, prise en charge par les caractéristiques de l’objet matériel et de la situation de réception dans laquelle il s’insère.

La modélisation distingue donc deux niveaux [fig. 1]. Premièrement, le pouvoir d’évocation propre à l’objet matériel est précisé en adoptant le point de vue de celui qui reçoit l’œuvre, c’est-à-dire en clarifiant comment il peut entrer en résonance pour saisir l’œuvre qui lui est soumise. Deuxièmement, le pouvoir d’orienter le regard du destinataire découlant des caractéristiques de la situation de réception est pris en compte. De la même manière, cela implique d’identifier les outils de compréhension dont dispose le destinataire de l’objet. La modélisation du pouvoir d’évocation de l’objet matériel peut être synthétisée en quatre dimensions inspirées largement de Jullien (2012). Il est possible de prendre en compte :

–– La perception (potentielle) de la matérialité : les formes, dimensions, couleurs, matières, épaisseur, fluidité, couleurs, dégradés, textures, verticalité, horizontalité, proportion des supports… –– La connotation, c’est-à-dire la manière dont les idées se dégagent (potentiellement) des caractéristiques de l’objet matériel : la symbolique, le représenté, le suggéré…

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Didactique de la création artistique

–– Les affects qui peuvent être induits (potentiellement), notamment le registre des émotions, des ambiances, de la dimension poétique… suggéré par l’objet matériel.

–– Les références, car toute œuvre s’inscrit dans une histoire  multiple ; l’histoire de la civilisation qui la contient, l’histoire des œuvres qui la précèdent ou lui sont contemporaines, l’histoire de l’artiste ou du designer, comme être et comme créateur.

La modélisation de la situation de réception consiste à définir les caractéristiques du contexte dans laquelle est déposé l’objet matériel et qui oriente la compréhension du destinataire. Cette situation de réception fournit des indices pour orienter le regard, voire faciliter la compréhension, du pouvoir d’évocation de l’objet matériel. Cette modélisation s’inspire d’un cadre théorique permettant d’analyser l’activité humaine (Theureau, 2006). Elle part du principe que ce qui est significatif pour le récepteur d’un objet matériel dépend notamment de son activité ici et maintenant. Une caractéristique de l’objet matériel est significative pour lui en fonction de la manière dont il dirige son regard, explore l’objet, interroge la réalité. La perception est en effet pensée comme une activité et non une réception passive.

Durant le processus de conception l’élève-designer peut orienter le regard du récepteur en déposant des indices qui : –– sont susceptibles de favoriser une activité particulière (par exemple, ouvrir une boîte oriente l’attention)

–– modifient l’engagement du récepteur (par exemple, s’il est inscrit sur cette boîte « Attention ») notamment en suggérant des attentes… qui peuvent être déjouées le cas échéant et alors provoquer un effet de surprise –– favorisent la mobilisation de connaissances (par exemple s’il est écrit « Dans le monde d’Alice au pays des merveilles… ») en s’appuyant sur une culture au moins partiellement partagée, qui peut nécessiter d’être explicitées (par exemple par un texte) ou suggérées (en jouant sur la pensée iconique, métaphorique, associative, narrative, humoristique…).

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Non seulement l’élève-designer peut jouer sur ces paramètres, mais il le fait en espérant que cela sera perçu… quitte « à forcer le trait ». La dimension didactique est assumée : l’effet de signe peut impliquer l’apprentissage d’un langage, peut-être un peu « caricatural » dans

Enseigner la conception d’un objet matériel en vue de son effet de signe

un premier temps, mais l’effectivité et l’effet potentiels peuvent être vérifiés.

2 • À quelles conditions cette modélisation est-elle utilisable ?

Modéliser constitue un geste courant en matière de recherche. Il permet de rendre compte du fonctionnement d’un phénomène. En l’occurrence, le modèle proposé par Didier et Leuba (2011) ou son extension présentée dans la section précédente permet d’expliciter comment un élève-designer peut prendre en compte la fonction d’utilisation ou la fonction de signe souhaitée au moment de la conception d’un objet matériel.

Cependant, il n’est pas évident qu’un modèle constitue un outil utile et utilisable pour un formateur, un enseignant ou un élève dans une situation d’enseignement-apprentissage. C’est une chose que d’abstraire certains éléments clés rendant compte des processus de conception. C’en est une autre que de « se référer à » (Perrin, 2012) un modèle pour agir dans une situation pédagogique. Cela va d’autant moins de soi que le rôle du modèle dans l’enseignement est complexe. Marchive (2003) distingue le modèle empirique « destiné à être imité ou au moins à permettre une reproduction, la plus proche possible de l’original » (p. 144) du modèle théorique « destiné à rendre compte du réel et à rendre celui-ci intelligible » (p. 144). Cela l’amène à contraster

la figure la plus ancienne, celle du maître d’application présentant une « leçon modèle » devant des élèves-maîtres ayant pour tâche de s’imprégner du modèle et de le reproduire ; la figure la plus récente, celle du « modèle de la leçon », qui donne une représentation abstraite des phénomènes d’enseignement, afin d’en permettre la compréhension et l’analyse, en vue d’une réalisation effective (et efficace). Ces deux modèles sont différents : dans le premier cas, il s’agit de la reconnaissance d’un modèle empirique, propre à être imité ; dans le deuxième cas, la notion de modèle renvoie à la construction d’un modèle théorique fournissant les moyens de l’action (Marchive, 2003, p. 146).

Cette référence à l’action est intéressante. Elle contraste des situations où le modèle est dans l’action et d’autres où « il précède l’action et devient même la condition de l’action » (Marchive, 2003, p. 151).

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Didactique de la création artistique

Une troisième posture est toutefois possible : celle où le modèle permet d’orienter l’action, au cœur de celle-ci. Le modèle permet de transformer le regard sur les situations de classe, d’identifier les possibles qui auraient pu passer inaperçus. Encore faut-il en préciser les conditions de possibilité.

À nouveau, il est possible de s’appuyer sur l’ergonomie (Leplat, 2003). En suivant cet auteur, il s’agit de clarifier d’une part quel est l’objet modélisé et quel est le point de vue théorique sous-jacent à la modélisation, et d’autre part quelle est la finalité du modèle.

2.1 Modéliser l’activité ?

L’ergonomie distingue la modélisation de la tâche (ce qui est donné à faire) de celle de l’activité (ce qui est réellement fait pour faire face à la tâche). L’activité n’est pas simplement l’exécution de la tâche. Le travailleur – dans notre cas le formateur, l’enseignant ou l’élève – essaye de faire au mieux avec la tâche qui lui est donnée. Et lorsque cette tâche est ambitieuse parce qu’elle implique un objet d’apprentissage complexe et nouveau, l’écart à combler peut être d’autant plus grand.

Les initiateurs de cette innovation pédagogique affirment que « Le modèle théorique conception-réalisation-socialisation […] se conçoit dans un premier temps comme une cartographie de l’activité développée dans son ensemble et dans sa complexité au moment de la fabrication d’un objet » (Didier et Leuba, 2011, p. 32). Cependant, trois problèmes se présentent.

Premièrement, est-ce vraiment l’activité qui est modélisée par Didier et Leuba, c’est-à-dire la complexité de l’agir du designer pour faire face à ce qui lui est demandé ? Il s’agit plutôt d’une description de la tâche qui est donnée au designer, ce qui impliquera de sa part une grande part d’ingéniosité pour y faire face (Leplat, 1997). En modélisant une tâche plus qu’une activité, c’est justement cette ingéniosité qui est tue. Deuxièmement, la modélisation proposée par Didier et Leuba met en évidence le caractère prospectif d’une telle approche. La situation de réception d’un objet matériel est à créer, notamment en contexte scolaire et/ou familial.

Troisièmement, ce n’est pas « l’activité » du formateur, de l’enseignant ou de l’élève qui est modélisée, mais celle d’un designer, c’est-

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Enseigner la conception d’un objet matériel en vue de son effet de signe

à-dire un type de professionnel. Il s’agit donc d’un modèle à adapter aux capacités du travailleur effectif ici, de l’apprenant.

2.2 Un modèle pour favoriser une activité résultant d’une transposition didactique

Dans ces conditions, la modélisation proposée articule deux logiques qui interfèrent avec les références habituelles au modèle dans le champ de l’éducation. Elle rend compte de manière simplifiée de l’activité du designer qui constitue l’activité-cible de la formation / l’enseignement. Elle est alors à mi-chemin entre un modèle de l’action et un modèle pour l’action, pour reprendre les catégories de Marchive (2003). Elle ne propose pas une description de l’activité d’un travailleur qui serait à imiter. Elle ne dit pas comment fait effectivement un concepteur pour faire face à la complexité d’une situation de conception. Elle ne dit pas non plus comment fait effectivement un élève-concepteur dans une telle situation.

Cette modélisation constitue en fait une hypothèse de conception pour un artéfact permettant d’orienter l’activité de conception. Ce modèle est avant tout une inscription, un outil, susceptible d’aider un concepteur à orienter son activité, entre autres en imaginant ce que pourrait être l’activité d’un récepteur (ou utilisateur) dans une situation de socialisation. Cet artéfact n’est pas destiné à un designer, mais à un formateur, un enseignant ou un élève. Le but est alors que ceux-ci se l’approprient et ainsi transforment leur activité. Le défi à relever est que le modèle soit perçu comme potentiellement simple et efficace par son utilisateur, et donc effectivement utilisé, tout en étant suffisamment « robuste » pour permettre une transformation de l’activité. Dit autrement, l’enjeu consiste à concevoir un outil à haut pouvoir d’orientation. Cela revient à penser une transposition didactique de l’activité du designer en une activité-cible du formateur, de l’enseignant ou de l’élève, celle-ci étant étayée par le modèle.

Cette transposition didactique se base sur l’hypothèse qu’un concept pragmatique – c’est-à-dire une organisation de l’activité efficace et efficiente dans les situations de travail rencontrées (pour une synthèse, Pastré, Mayen, et Vergnaud, 2006 ; Vidal-Gomel et Rogalski, 2007) – permet potentiellement d’instrumenter l’activité-cible. Ce concept pragmatique est celui de l’anticipation, qui à lui seul « résumerait » de manière pragmatique l’activité de design. En d’autres termes, se référer au concept pragmatique d’anticipation consiste à

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faire l’hypothèse qu’il y a là une manière efficace de conceptualiser l’action, certes en regard d’un modèle théorique, mais aussi en tenant compte de la complexité de l’activité enseignante ou de l’élève qui, comme toute activité, doit fonctionner par simplification / raccourcis pour ne pas se retrouver paralysée. Ainsi, « anticiper » : a) constituerait une conceptualisation de l’objet de l’action qui guide la prise d’informations pour construire une représentation de la situation, b) représenterait certains moyens de l’action notamment en définissant des possibilités d’action, c) réduirait la complexité ce qui permet d’agir en temps contraint, de penser des phénomènes complexes qui ne sont pas observables, de constituer une vision d’ensemble. En explicitant la nature de ce qu’il y a à anticiper – c’est-à-dire comment peut fonctionner une situation de réception – il est possible d’orienter l’activité de l’apprenti-concepteur.

3 • Transposition didactique continuée et configurations d’enseignement viables

Cette pragmatisation a été initiée et progressivement élaborée en formation, avec plusieurs volées consécutives d’enseignants. Elle n’est certainement pas aboutie. Mais elle constitue une étape jalonnant la transformation d’un modèle théorique en un modèle susceptible d’orienter l’activité de l’apprenti-concepteur.

Mais rapportée à une situation d’enseignement, cette modélisation est celle de l’activité d’un élève épistémique. Elle ne dit rien de sa mise en œuvre dans la complexité des situations de classe, avec des élèves réels. Elle ne dit rien non plus des configurations d’activité susceptibles de rendre possible cet apprentissage de l’activité de conception d’un objet matériel. Toujours en s’appuyant sur une approche ergonomique, l’enjeu est de tenir compte de l’ingéniosité du compromis qu’élabore nécessairement l’enseignant pour faire face à la complexité des situations éducative.

Cela implique de penser en terme de « transposition didactique continuée », pour faire référence au processus de conception continuée dans l’usage (Cèbe et Goigoux, 2012), c’est-à-dire la prise en compte de l’activité des différents acteurs dans des situations usuelles de travail, cela pour affiner la conception des artéfacts. Cette démarche itérative est rendue possible par un dispositif de formation, les Learning Study.

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Enseigner la conception d’un objet matériel en vue de son effet de signe

3.1 Identifier des caractéristiques critiques de l’enseignement et de l’apprentissage Une Learning Study2 a été mise sur pied pour aider les enseignants à mettre en œuvre ce modèle, c’est-à-dire autant à le questionner à partir de leur enseignement que l’inverse. Ce dispositif de formation est similaire à une recherche-action, mais qui se focalise d’une part sur la construction de connaissances propres à un objet d’apprentissage – dans notre cas le modèle permettant de concevoir des situations de réception – et d’autre part sur la relation entre les caractéristiques de l’enseignement et ses effets sur l’apprentissage des élèves (Carlgren, 2012). Le rôle de l’itération (le fait de travailler par cycles de planification, mise en œuvre et révision de l’enseignement, nouvelle mise en œuvre, etc.) est central dans une Learning Study. L’analyse itérative permet d’identifier des caractéristiques critiques de l’enseignement pour l’apprentissage (Kullberg, 2010). L’itération induit une compréhension complexe de l’enseignement-apprentissage et une révision des connaissances en regard de la pratique (Davies et Dunnill, 2008). Elle permet de discuter de l’apprentissage des élèves et de ce qui le provoque, car la conception de l’enseignement est focalisée justement sur l’apprentissage de l’élève. Les enseignants identifient les aspects critiques de leur enseignement en fonction de l’activité possible des élèves (Murata, 2011). L’itération permet donc la mise en évidence des modalités de didactisation d’un objet d’apprentissage et de sa compréhension par les élèves. Ainsi, elle vise l’amélioration de l’enseignement.

3.2 Problème de l’activité (du compromis) qui n’est pas pris en compte

Cette maîtrise de l’objet d’apprentissage et de son enseignement est progressive. Des « pistes » sont proposées par les formateurs. Mais force est de constater que la complexité des situations d’enseignement ne se dissout pas dans les prescriptions, aussi ingénieuses fussent-elles. Les cycles de planification – mise en œuvre – analyse sont de fait une recherche collaborative de solutions locales à des problèmes progressivement définis. Chaque classe, chaque objet matériel, chaque projet d’établissement implique de nouvelles 2

Cette section reprend partiellement un argumentaire que nous avons rédigé dans le cadre d’une autre publication (Didier, Perrin, et Vanini De Carlo, 2016).

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contraintes qu’il faut apprendre à dompter, faute d’un répertoire de solutions constitué au cours des années d’enseignement.

Le caractère itératif de la Learning Study permet donc une exploration des possibles. Il s’agit de prendre appui sur ce qui est en germe dans l’activité des enseignants ainsi que de favoriser des compromis, au sens ergonomique, qui soient viables (Perrin, Vanini De Carlo, et Didier, 2015). Souvent, les possibles suggérés par les formateurs, au moment d’une planification ou d’une analyse, sont transformés. Il en résulte un écart potentiel entre l’objet d’apprentissage modélisé puis enseigné par les formateurs, mais aussi compris puis enseigné par les maîtres, et enfin compris par les élèves.

Conclusion

La transposition didactique d’une activité de référence à une activité comme objet d’enseignement ne va pas de soi. Dans le cas des activités créatrices et manuelles, une modélisation a été proposée pour rendre compte de la conception d’objets matériels. Cependant, la fonction que peut avoir une telle modélisation dans une situation d’enseignement-apprentissage, et cela à quelles conditions, ne coule pas de source.

Cette contribution propose une modélisation qui explicite ce que peut être l’activité de réception d’une œuvre, et donc celle que peut avoir un designer pour anticiper et favoriser une telle activité. Le pari est de disposer d’un outil appropriable par un élève et/ou un enseignant et susceptible d’avoir un grand pouvoir d’orientation. En d’autres termes, il s’agit de proposer un outil dont s’empare – au moins partiellement – facilement un élève et/ou un enseignant mais qui une fois adopté aura un pouvoir important de transformation – progressive – de l’activité de celui qui l’utilise. Quel que soit le soin apporté à l’élaboration de cette modélisation, il ne s’agit pas de penser son usage en termes d’application. La complexité inhérente à toute situation d’enseignement fait qu’elle ne peut être réduite à une modélisation. Il est alors heuristique de penser l’élaboration de cet artéfact intellectuel en terme de conception continuée dans les usages. Du coup, la modélisation est un outil d’exploration des possibles, un révélateur de la viabilité des configurations d’activité d’enseignement-apprentissage. En ce sens, elle se transforme en fonction de l’activité de l’enseignant et/ou de l’élève,

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Enseigner la conception d’un objet matériel en vue de son effet de signe

c’est-à-dire d’un compromis entre un idéal didactique transposé et la singularité des situations d’enseignement.

Ce faisant elle interpelle en retour le travail du didacticien et/ou du formateur. Il est appelé à repenser sa modélisation de l’activité du designer à la lumière de l’activité de l’utilisateur de sa modélisation. Dans ce processus, la Learning Study a joué un rôle décisif. Ce sont les contraintes rencontrées par les enseignants qui ont nécessité une re-modélisation qui a abouti à la proposition faite en début de cette contibution. Ce processus ne fait donc que commencer…

Références

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Cèbe, S. et Goigoux, R. (2012). Comprendre et raconter : de l’inventaire des compétences aux pratiques d’enseignement. Le français aujourd’hui, 179 (4), 21-36.

Daniellou, F. (2004). L’ergonomie dans la conduite de projets de conception de systèmes de travail. Dans P. Falzon (Éd.), Ergonomie (pp. 359-373). Paris : Presses universitaires de France. Davies, P. et Dunnill, R. (2008). “Learning study” as a model of collaborative practice in initial teacher education. Journal of Education for Teaching : International Research and Pedagogy, 34 (1), 3-16. Deforge, Y. (1990). L’œuvre et le produit. Seyssel : Champ Vallon.

Didier, J. et Leuba, D. (2011). La conception d’un objet : un acte créatif. Prismes, 15, 32-33.

Didier, J., Perrin, N., et Vanini De Carlo, K. (2016). Se former à enseigner la créativité. Quatre dimensions structurantes d’une Learning Study au service de la transformation d’une profession. Formation et pratiques d’enseignement en question, hors série n° 1, 113-128.

Jullien, O. (2012). Proposition de méthode de réception des œuvres plastiques. Repéré à  : https://textessurlesartsplastiques2.wordpress.com/ Kullberg, A. (2010). What is taught and what is learned. Professional insights gained and shared by teachers of mathematics. (Diss.). Göteborg : Göteborgs universitet.

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Leplat, J. (1997). Regards sur l’activité en situation de travail. Contribution à la psychologie ergonomique. Paris : Presses universitaires de France.

Leplat, J. (2003). La modélisation en ergonomie à travers son histoire. Dans J.-C. Sperandio et M.  Wolf (Éd.), Formalismes de modélisation pour l’analyse du travail et l’ergonomie (pp. 1-26). Paris : Presses universitaires de France. Marchive, A. (2003). La modélisation dans la formation des enseignants. De la leçon modèle au modèle de la leçon. Recherche et Formation (42), 143-159. Martinand, J.-L. (2003). La question de la référence en didactique du curriculum. Investigações em Ensino de Ciências, 8 (2), 125-130. Murata, A. (2011). Introduction  : Conceptual Overview of Lesson Study. Dans L. C. Hart, A. Alston et A. Murata (Éd.), Lesson Study Research and Practice in Mathematics Education (pp. 1-12). Dordrecht Heidelberg London New York : Springer. Pastré, P., Mayen, P., et Vergnaud, G. (2006). La didactique professionnelle. Revue française de pédagogie, 154, 145-198.

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Theureau, J. (2006). Le cours d’action. Méthode développée. Toulouse : Octarès. Vidal-Gomel, C. et Rogalski, J. (2007). La conceptualisation et la place des concepts pragmatiques dans l’activité professionnelle et le développement des compétences. @ctivités, 4(1), 49-84.

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ARTS VISUELS – MUSIQUE «  ALLER-RETOUR  »  : ANALYSE DES TRANSFORMATIONS ESTHÉTIQUES DANS UN PROJET PÉDAGOGIQUE À PARTIR DE THIRTY DE KANDINSKY Sabine Chatelain

Introduction

T ransformer la musique en images ou des images en musique – ce sont des voyages aller-retour entre la musique et les arts visuels, dont le potentiel pour l’apprentissage par des processus de création nous intéresse. Quels sont les défis pour la conception, la réalisation et l’analyse de telles approches didactiques ?

Cette question a guidé notre réflexion autour des activités de création visuelles et musicales itératives, mises en place dans l’enseignement de la musique et des arts visuels à l’école obligatoire. Nous avons choisi d’analyser ces transformations intermédiales lors d’un projet pédagogique ponctuel, intégré dans un programme scolaire conçu sur deux ans (fin du 2e cycle primaire)1 dans une école en Suisse romande. Nous nous arrêtons devant un tableau de Kandinsky pour prendre la mesure du chemin parcouru par des élèves de 12 ans, qui expérimentent des processus de création dans les deux disciplines. 1

Le cycle  2 de l’école primaire en Suisse romande concerne les élèves entre neuf et douze ans.

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Didactique de la création artistique

Nous discutons la pertinence du cadre d’analyse utilisé pour planifier et mettre en œuvre ce voyage en nous appuyant sur les témoignages des deux enseignants impliqués.

À l’issue du projet, nous avons identifié la complémentarité de deux niveaux d’interprétation des connexions intermédiales. Nous considérons ces résultats comme un premier pas vers l’élaboration d’un modèle d’analyse des transformations esthétiques entre la musique et les arts visuels2 dans le cadre de l’enseignement artistique à l’école.

Croiser les chemins pour apprendre à créer  : explorer les relations entre la musique et les arts visuels

En pédagogie, des approches didactiques interdisciplinaires entre la musique et les arts visuels ont été mises en place en lien avec des méthodes dites actives dès le début du XXe siècle (Enser, 2011). Dès lors, dessiner d’après une musique ou sonoriser un tableau sont des activités qui ont lieu aussi bien en éducation musicale qu’en cours d’arts visuels. Différents travaux de recherche se sont intéressés à leur analyse.

D’une part, ces recherches mettent en avant des parallèles stylistiques entre les œuvres lors de la réception (Feurich, 1988), de l’autre, elles abordent le processus de transformation d’une œuvre vers un autre médium en tant qu’activité de création et de compréhension (Rora, 2007, Steincke, 2007, Segalerba, 2007, Kranefeld, 2008, Krämer, 2011). Parmi ces auteurs, Rora et Kranefeld se réfèrent explicitement à la notion de transformation esthétique afin de décrire la co-construction de sens par les élèves lors de ces créations collectives. En élaborant leur propre production musicale à partir d’un tableau ou en testant le chemin inverse, les élèves se confrontent ainsi aux limites et ouvertures offertes par les transformations d’un médium vers un autre. Il convient toutefois de s’interroger sur la pertinence de ces « traductions » intermédiales. Pierre Boulez, compositeur qui s’est luimême référé à l’œuvre du peintre Paul Klee, met en garde contre des analogies superficielles : « La transcription directe d’un univers dans un autre ne peut être que décevante parce qu’elle ne tient pas 2

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Dans ce texte, nous utilisons le terme «  arts visuels  » qui désigne la discipline «  arts plastiques  » en Suisse romande.

Arts visuels – musique « aller-retour »

compte des lois propres à chaque univers. Spécialement, les correspondances directes entre le visuel et l’auditif sont, pour la plupart du temps, d’une “irrelevanceˮ par trop évidente. » (Boulez, 1989, p. 135)

Ce positionnement touche au cœur de notre problématique, puisque c’est la pertinence même de ces activités qui doit être interrogée. Afin de ne pas rester dans des analogies faciles entre des paramètres isolés, tels que couleur et timbre par exemple, Pierre Boulez a fait le choix de s’intéresser au processus créateur du peintre3.

Nous adhérons à la position de Boulez, car il nous semble essentiel de ne pas directement transcrire des éléments musicaux par des moyens visuels. Notre but est de mieux comprendre le potentiel didactique de ces approches. Ce potentiel, que nous définissons en tant qu’apprentissages possibles offerts par un matériau et/ou par une situation d’enseignement-apprentissage, peut être relaté dans des tâches de transformation esthétique planifiées et réalisées, y compris dans l’analyse préalable des œuvres. Il sera donc nécessaire de nous questionner sur les outils théoriques qui permettent de concevoir, réaliser et analyser ces démarches didactiques.

Points de repères et cartes routières  : éclairages théoriques

Nous nous interrogeons à la fois sur le potentiel de la transformation esthétique et sur les outils d’analyse de ces « traductions » intermédiales, afin de stimuler à la fois la création et l’apprentissage dans les deux disciplines impliquées.

La transformation esthétique peut être définie en tant que processus qui consiste à ré-interpréter une œuvre ou une idée dans un autre médium. Ce processus permet de mettre en évidence les spécificités de chaque forme d’expression en expérimentant leurs avantages et limites (Brandstaetter, 2008, 2009, 2013). En transformant une image en musique par exemple, la version musicale soulignera des aspects temporels de l’image, tandis que d’autres aspects propres au matériau, tels que les couleurs et les formes ne pourront pas être 3

Pierre Boulez expose sa réflexion dans un essai intitulé «  Le pays fertile  : Paul Klee  » (1989) qui reprend le titre d’un tableau du peintre  : «  An der Grenze des Fruchtlandes  ».

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« traduits ». Ainsi, certaines qualités de l’œuvre-source seront accentuées, tandis que d’autres feront défaut dans l’autre médium4.

Brandstaetter insiste sur le fait que chaque transformation entre deux médias met en jeu un mécanisme de comparaison entre les qualités des différents matériaux (2013, p. 60). Cette comparaison est basée sur la pensée métaphorique, qui permet de connecter des notions venant de domaines différents. Elle mobilise la pensée divergente, et de ce fait, la créativité. Grâce à cette ouverture vers des solutions multiples, les démarches de transformation esthétique favorisent la réalisation de productions originales des élèves (Krämer, 2009 ; Malmberg, 2009).

À l’instar de Brandstaetter, nous considérons la pensée métaphorique en tant qu’outil de pensée qui rend ces productions intermédiales possibles5. Une telle vision est partagée par Spampinato (2008) qui considère la métaphore en tant qu’« instrument qui permet le traçage croisé de domaines différents d’expérience » (p. 25). Il souligne l’essence métaphorique et synesthésique de l’expérience musicale en s’appuyant sur les réflexions de Scruton à ce sujet : « La métaphore ne peut être éliminée de la musique, car elle définit l’objet intentionnel de l’expérience musicale. Si l’on exclut les métaphores, on cesse de parler de l’expérience de la musique. » (Scruton, 1983, p. 107 cité par Spampinato, 2015, p. 32). Selon l’approche de Spampinato, l’expérience musicale mobilise d’autres modalités sensorielles que l’audition. Les liens entre ces modalités sont établis par la référence à une racine commune, c’est-à-dire à un ressenti corporel amodal qui permet d’interpréter l’expérience musicale en termes de métaphores visuelles ou tactiles par exemple. C’est une expérience qui stimule une « transduction »6 synesthésique. La synesthésie est considérée ici comme une attitude spontanée et universelle de la pensée, qui permet à l’homme de mobiliser plusieurs sensations à la fois, à partir de la stimulation d’une seule modalité sensorielle. La modalité sensorielle « d’entrée » sollicite une sensation, une émotion, qui à son tour provoque une autre sensation spécifique dans une autre modalité sensorielle, dont la dynamique est équivalente. Il s’agit donc d’une 4

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Nous empruntons la notion d’œuvre ou médium-source et médium–cible aux travaux de Forcville et Urios-Aparisi (2009) sur les métaphores multimodales. En référence aux travaux de Lakoff et Johnson (1985) sur l’influence des métaphores dans la vie quotidienne. L’étymologie du mot grec metaphora signifie le «  transport  » (Petit Robert  1, 1984, p.  1190). Il ne s’agit pas d’une forme de «  traduction  » (un remplacement réalisé sur la base de l’équivalence entre deux éléments à l’intérieur de deux systèmes), mais de «  transduction  », à savoir de conversion d’un type de signal en entrée en un autre.

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équivalence d’énergies, et non pas d’une correspondance de qualités (Spampinato, 2015, pp. 154-155)7.

À partir de cette posture, Spampinato a développé une approche analytique des connexions intermédiales basée sur les interprétations de type homologique qu’il distingue d’une interprétation analogique. Puisque nous souhaitons utiliser les deux types d’interprétation, nous devons clarifier la différence entre homologie et analogie. Spampinato emprunte le terme d’homologie à la biologie génétique. À la différence de la définition de Lévi-Strauss, l’homologie ne concerne pas une similitude de structure, mais « le lien entre les traits anatomiques d’espèces différentes ayant un ancêtre commun » (Spampinato, 2013, p. 152). L’homologie tente de trouver des racines génétiques de ce qui se présente en apparence comme divisé ou différent. Elle s’intéresse aux processus qui sont à l’origine d’un produit. L’analogie par contre fournit des critères de ressemblance entre deux éléments perceptibles par un observateur. L’analyse analogique se réfère aux éléments de surface immédiatement perceptibles par un observateur, tandis que l’interprétation homologique tient compte d’un vécu plus global en mettant en avant les racines amodales de toute expérience sensorielle.

Cette catégorisation a le mérite d’offrir deux manières d’analyser les connexions intermédiales lors des transformations d’une œuvre visuelle en musique ou vice-versa. Nous pensons que le processus de transformation esthétique met en jeu des interprétations métaphoriques de type homologique et analogique que nous schématisons ci-dessous :

Liens analogiques

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Spampinato (2011) se réfère aux travaux de Ferruccio Rossi-Landi de 1972 sur la sémiologie, ainsi qu’au modèle homologique de la synesthésie développé dans le cadre de la théorie de la Globalité des langages par Gino Stefani et Stefania Guerra Lisi (1999/2009). La synesthésie puise ses origines dans les expériences intersensorielles de la vie prénatale (ibid., pp.  88-89).

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Didactique de la création artistique

Liens homologiques Fig. 1 : Différence entre l’interprétation analogique et homologique (schématisation).

Nous faisons l’hypothèse que ces deux types d’interprétations sont utiles pour analyser les transformations esthétiques dans une situation d’enseignement-apprentissage.

Itinéraire  : contexte et aspects méthodologiques du projet

Le projet « Thirty » est le fruit d’une collaboration entre deux enseignants spécialistes et le chercheur. Suite à un premier projet interdisciplinaire conduit ensemble entre 2011 et 2013, nous avons trouvé nécessaire d’introduire des concepts théoriques afin de favoriser l’apprentissage dans les deux disciplines à travers des activités de création. L’activité de création a pour objectif de solliciter une production originale des élèves. Nous avons choisi la notion de transformation esthétique dans le but de concevoir un projet d’enseignement intégré dans lequel des objectifs communs seront travaillés dans les deux disciplines.

Par la suite, les enseignants ont identifié la notion transdisciplinaire8 de geste et une thématique commune – les quatre éléments – pour mettre en œuvre ce travail de transformation esthétique au 2e cycle primaire (élèves entre dix et douze ans). Le tableau « Thirty » (1937) de Kandinsky a fait l’objet d’un travail sur quelques semaines en 8

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Si l’interdisciplinarité permet de travailler sur des notions communes aux deux disciplines, elle est à distinguer de la transdisciplinarité qui transgresse les frontières entre les domaines pour travailler sur une troisième notion extérieure aux disciplines de base (Origgi et Darbellay, 2010). Un concept transdisciplinaire est générique par rapport aux deux disciplines.

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musique et arts visuels. L’œuvre se caractérise par la division de l’espace en trente carrés, remplis de formes abstraites en noir et blanc.

La particularité de ce projet consiste en un travail de création itératif, réalisé dans les deux disciplines. En cours de musique, vingt groupes de quatre à six élèves avaient pour tâche de mettre une des parties du tableau en musique. Les productions ont été présentées devant les camarades et enregistrées par l’enseignant de musique. Dans le cours d’arts visuels, les élèves se sont référés à l’expérience de création musicale. Ainsi, la technique de l’encre de Chine a pu être abordée à travers un travail sur le geste durant la même période de l’année. Finalement, les créations musicales et visuelles ont été intégrées dans un spectacle musical en fin d’année scolaire. Nous avons récolté plusieurs types de traces au cours de ces activités, notamment les présentations des productions musicales, les méta-descriptions des élèves quant à la transformation de l’image en musique, ainsi que le point de vue des enseignants de musique et d’arts visuels. Les deux enseignants ont été interrogés par un questionnaire et par un entretien semi-directif afin de mieux comprendre les enjeux d’un tel travail interdisciplinaire. Les questions portaient sur le choix de l’œuvre et son analyse, les objectifs d’apprentissage, ainsi que sur le potentiel des connexions intermédiales. Dans une perspective de recherche-action, nous avons accompagné le projet depuis la phase de planification. Notre rôle consistait à proposer des concepts qui aident les enseignants à concevoir des approches communes dans leurs disciplines respectives. Notre analyse devrait permettre d’alimenter la pratique future des enseignants. Dans le cadre de cet article, nous présentons uniquement la conception du projet, ainsi que les aspects d’interprétation homologique et analogique des activités de transformation esthétique relevés par les enseignants pour tirer quelques conclusions didactiques.

Arrêt sur image  1  : Concevoir et réaliser le projet d’enseignement

Lors de la conception et la planification du projet, les enseignants ont choisi les notions communes aux deux disciplines telles que le rythme, le mouvement et le geste pour mettre en place les différentes activités de transformation : « Le vocabulaire musical et pictural a été le vecteur commun. Un phénomène d’imprégnation a favorisé l’expérimentation des élèves dans ces deux domaines simultanément »

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(QAV, 3)9. Finalement, peu de références aux connaissances à acquérir ont été mises en avant afin de mettre le processus de création au centre :

[…] j’ai choisi pour ma part d’orienter l’expérience à partir de nos observations, des liens que les élèves faisaient. Leurs remarques me permettaient d’introduire des notions graphiques (lignes, surface, fond, forme). Cette expérience était nouvelle pour moi ; cette liberté par rapport à des textes existants, des analyses de l’œuvre, offrait un espace de parole et de découvertes aux élèves, les invitait à déployer leur regard, à trouver des mots pour décrire ce qu’ils voyaient. (QAV, 1c)

L’approche par le vécu des élèves semble avoir ouvert un espace de parole qui offre une liberté par rapport à d’autres démarches plus habituelles de ces enseignants très expérimentés10. En utilisant le processus de transformation pour stimuler la création des élèves, les enseignants ont trouvé une accroche différente dans chacune des disciplines. L’enseignant de musique mettait « les gestes picturaux en noir et blanc en relation avec les tracés (phrases) musicales travaillées en musique avec les élèves (glissando, staccato, nuances) » et avec des « gestes travaillés aussi corporellement » (QMU, 1a). Le travail d’interprétation de gestes picturaux par des gestes musicaux a été préparé en amont de la séquence et réinvesti lors de cette tâche de sonorisation. Les élèves ont été amenés à concevoir et à présenter des créations musicales en utilisant l’instrumentarium Orff. En arts visuels, l’enseignant réinvestissait les expériences musicales des élèves en attirant leur attention sur le lien entre le geste musical et pictural. Il ne s’agissait donc pas d’une réinterprétation d’une production musicale précise, mais celle de l’expérience vécue. L’enseignant choisit un travail purement visuel pour entrer en matière : la copie d’un des carrés du tableau de Kandinsky pour « familiariser les élèves avec l’œuvre, les inviter à l’expérience sans les désarçonner. […] un peu comme la lecture à vue d’une partition. Cette approche a fait surgir la capacité d’observation de certains élèves, le sens du rythme, l’expression par le geste, la rapidité du coup de pinceau chez d’autres » (QAV, 3b). Nous nous demandons dans quelle mesure les interprétations de type analogique et homologique ont été présentes dans ces deux activités de transformation esthétique. 9

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Codes utilisés  : Q = questionnaire soumis aux enseignants ; AV = arts visuels ; MU= musique ; chiffre = numéro de question Les deux enseignants ont plus de vingt années de pratique.

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Arrêt sur image  2  : Analyser les connexions intermédiales L’interprétation des connexions intermédiales a été sollicitée à plusieurs moments de la séquence d’enseignement : lors du choix et de l’analyse du tableau par les enseignants (analyse préalable), lors de la réalisation du travail de transformation esthétique et des méta-descriptions par les élèves et lors de commentaires d’auto-évaluation des enseignants. Nous tenons compte de ces trois moments pour relever différents types d’interprétations intermédiales. Dans l’analyse préalable du tableau de Kandinsky des enseignants, nous soulevons la présence simultanée d'interprétations analogiques et homologiques. Des analogies entre le geste musical et pictural ont été établies par l’association entre le mouvement qui est à l’origine des traces : « J’ai concentré l’analyse directement sur le lien entre les traces et mouvements picturaux et les phrases et mouvements musicaux dans la création d’une musique » (QMU, 1b) qui vont permettre de « traduire des traces picturales en musique » (QMU, 2b). Nous pouvons remarquer que l’analogie est créée par le concept générique du geste. De ce fait, il ne s’agit pas d’une traduction directe entre un élément pictural et musical telle que critiquée par Boulez, mais d’une analogie, qui se réfère au mouvement. Toutefois, l’expérience de ce mouvement n’aborde pas la question du ressenti profond. Par conséquent, les connexions intermédiales établies restent avant tout à un niveau analogique. Des aspects d’interprétation homologique apparaissent plus explicitement dans le commentaire de l’enseignant des arts visuels, qui se réfère ici aux trente carrés du tableau :

[…] chacune d’entre elles [des formes] a son existence propre, mais c’est l’association de l’ensemble qui crée la puissance de ces rythmes. Rigueur et mouvement s’associent et trouvent une cohérence sans déséquilibre. L’œil capte le noir et le blanc, le fond et la forme, la ligne et la surface, la stabilité et le mouvement. Les signes graphiques expriment des pauses, des silences ou un envol ; dynamisme, progression, contraste. (QAV, 1b)

Dans cet exemple, les expressions telles qu’« équilibre et déséquilibre », « stabilité et mouvement » ou « inertie (pause) et envol » mettent le ressenti proprioceptif et amodal au centre. C’est la rencontre entre le spectateur et l’œuvre qui se traduit par cette sensation. L’enseignant constate : « [...] je me laissais entraîner par ses

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formes, son rythme » (QAV, 1a). L’image devient ici non pas une œuvre à lire, mais à ressentir.

Cette interprétation homologique de l’image rappelle la dimension proprioceptive de la perception visuelle, mise en évidence par Dufrenne : « […] avant d’être représentations, et principalement visuelles, les images sont d’abord des images motrices, des schèmes moteurs qui procèdent du schéma corporel et qui anticipent la perception de l’objet sans qu’il soit présent et encore moins représenté » (Mikel Dufrenne, 1987, p. 196 cité par Spampinato, 2015, p. 146). Dans une telle approche, l’image fait écho à une expérience incorporée, qui n’est pas à rattacher à une seule modalité sensorielle. Selon les enseignants, les élèves ont réellement incorporé les gestes musicaux lors de leur expérience de sonorisation. Leur travail de création musicale avec l’instrumentarium Orff leur a fait vivre une expérience musicale, qui a été jugée précieuse pour le travail visuel consécutif. L’enseignant des arts visuels fait part de sa surprise :

Les élèves ont en quelque sorte joué leur tableau. Ils ont inventé une chorégraphie qui transcrivait le mouvement, la trace du pinceau. Cette expérience physique était très forte ; ils ressentaient et vivaient avec leur corps comme un coup de pinceau dans l’espace. J’ai été surpris par l’implication de chacun. (QAV, 3c)

L’enseignant de musique fait un constat similaire en relevant que les groupes prenaient le choix de leurs interprétations très au sérieux : « Chacun défendait ses choix et avec conviction. […] chaque élève avait son rôle bien spécifique. Pas d’improvisation au moment de l’exécution finale. » (QMU, 3c)

La référence au vécu corporel, favorisée dans les deux disciplines, semble non seulement avoir contribué à créer des liens entre les deux disciplines, mais aussi avoir favorisé l’implication plus forte des élèves dans le projet. Cet engagement a été constaté non seulement lors de cette activité, mais aussi pendant le spectacle final dans lequel les productions des élèves ont été intégrées. Les enseignants attribuent ce progrès à l’approche intégrée des activités musicales et picturales, nouvelle pour eux. Selon leurs témoignages, les élèves ont pu créer davantage de liens entre les activités entreprises dans les deux disciplines que par le passé.

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Arrêt sur image  3  : Transformer pour construire du sens Combiner les transformations mutuelles entre l’image et la musique avait pour but de favoriser une prise de conscience des liens entre les deux arts et de la continuité des apprentissages dans les deux disciplines. En effet, lors du précédent projet, ces deux facteurs ont fait défaut (Chatelain et Aliaga, 2016).

Le potentiel des interactions mises en place dans le projet actuel a été relevé par les enseignants :

L’élève développe un regard esthétique et d’observation, l’expression et [la] défense de ses pensées sur un sujet plutôt abstrait. Avis qui peut beaucoup différer des autres (ses propres ressentis ont une place importante). (QMU, 3d) Ces démarches donnent du sens à la création et à tout le processus créatif pour nous, enseignants, et pour les élèves. J’ai l’impression d’être au seuil d’un espace à explorer… (QAV, 3d)

La question du sens est au cœur des apprentissages visés par les démarches de transformation itératives. Ces commentaires témoignent du changement de qualité observé par les enseignants. La prise de conscience « d’un espace à explorer » suscite aussi des interrogations. Être présent auprès des élèves pour donner du sens à leurs travaux demande un accompagnement spécifique qui a été vécu en partie comme une difficulté par les enseignants : Repérer les signes porteurs de sens […]. Encourager l’élève à reprendre le pinceau, pour faire une nouvelle proposition en tenant compte de ce qui avait été observé, repéré évoqué. Pousser l’exploration du geste, de la forme et du signe jusqu’au moment où on pouvait choisir d’arrêter, heureux et conscient d’avoir atteint « son sommet » ! Cela nous a conduit à parler de l’attitude intérieure, de ce qui se passe en nous quand on peint, de tous nos mouvements contradictoires qui nous freinent, nous conditionnent, nous retiennent. (QAV, 3b)

Le fait de s’intéresser à une attitude intérieure en encourageant l’élève à « exprimer son ressenti » (QMU, 3b), nous incite à plaider en faveur d’une intégration des interprétations homologiques dans l’analyse des connexions intermédiales. L’enseignant pourrait en effet être tenté de se contenter à questionner les analogies établies. Or, tout l’aspect du vécu profond ne serait pas questionné en se contentant des rapports analogiques entre éléments visuels et musicaux.

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De ce fait, la distinction entre interprétations intermédiales de type homologique et analogique nous semble pertinente pour mettre en évidence cette différence de profondeur dans les liens établis.

Les enseignants ont en revanche constaté des apprentissages réalisés à plusieurs niveaux. Les élèves ont appris à prendre position, à utiliser et à élargir leurs compétences musicales et artistiques au service de l’expression personnelle. Ils ont appris à se positionner par rapport à une œuvre qu’ils ne connaissaient pas et à mettre en forme leurs intuitions au cours d’un processus de création collective en réinvestissant des techniques qu’ils maîtrisaient déjà. En plus, ils ont pu élargir leurs compétences en cherchant de nouveaux savoirs pratiques et théoriques pour finaliser leurs productions et les présenter devant des pairs et, plus tard, devant un public. Pour résumer le travail accompli, nous pouvons mettre en évidence les interactions entre les activités de transformation esthétique, de création et l’apprentissage par le schéma ci-dessous :

Fig. 2 : Le potentiel didactique des transformations esthétiques.

Conclusion  : vers de nouvelles destinations  Au cours de ce voyage « aller-retour » entre la musique et les arts visuels à partir d’une œuvre de Kandinsky, nous avons voulu mieux comprendre comment le processus de transformation esthétique pouvait être mis en œuvre et analysé dans un projet scolaire.

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La notion de transformation esthétique s’est avérée utile en tant qu’outil de conception pour planifier des activités de création en musique et en arts visuels.

Afin d’analyser les processus de transformation, le modèle proposé permettait de distinguer des interprétations de type analogique et homologique. En comparant les différentes interprétations intermédiales, nous avons pu constater que l’interprétation homologique est certes présente implicitement dans les méta-descriptions des élèves, mais n’a pas encore pu être utilisée consciemment par les enseignants. Afin de favoriser une prise de conscience du potentiel didactique des relations intermédiales, un modèle d’analyse opérationnel mériterait d’être testé11. Par conséquent, la modélisation des outils d’analyse et leur application dans des situations d’enseignement constituent la prochaine étape de notre travail. Ceci contribuerait, selon nous, à diversifier les perspectives d’analyse des approches didactiques de la création dans les disciplines concernées.

Références

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Feurich, H.-J. (Éd.) (1988). Stilparallelen der Künste im Musikunterricht, Regensburg : Olme. 11

Un tel modèle est en cours d’élaboration dans le cadre de notre thèse «  Transformer pour comprendre  » (sous la direction de Georges Starobinski et Kémâl Afsin, Université de Lausanne).

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DE LA DÉMARCHE ANTHROPOLOGIQUE À LA POSTURE D’AUTEUR EN DIDACTIQUE  John Didier

Démarches d’auteurs  : le bricoleur, l’ingénieur, le savant et l’artiste 

E n questionnant la science du concret, Lévi-Strauss (1962) propose de comparer les démarches du bricoleur, de l’ingénieur, du savant et de l’artiste. Ces démarches, rassemblées autour d’une science dite première et communément désignée sous l’appellation de bricolage, nous amènent à reconsidérer la notion de démarche et sa migration au sein des sciences humaines.

Développer une didactique de la création nécessite de questionner sa nature paradigmatique en convoquant de multiples traditions disciplinaires qui s’attellent à enrichir et à approfondir une meilleure connaissance des phénomènes naturels et sociaux. Le parti pris de cet article consiste à réactualiser un des regards portés par Lévi-Strauss dans La Pensée Sauvage (1962) sur l’activité humaine lorsque celuici compare et met en lumière différentes démarches de recherches pragmatiques et épistémiques. Ainsi, nous proposons de mener une enquête théorique nous permettant de mieux comprendre le fonctionnement de ces démarches et de mieux cerner ces relations avec la notion de posture, exploitée en didactique.

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Didactique de la création artistique

De la comparaison de démarches à l’analyse de l’activité  Lévi-Strauss (1962) identifie des moyens d’actions sur la matière, spécifiés en fonction de démarches soit spontanées et improvisées, soit structurées, organisées et planifiées. Au-delà d’un simple modèle théorique, ce cadre anthropologique porté sur l’activité humaine propose une série de comparaisons entre l’activité de recherche et l’activité de production d’un objet, d’un produit ou d’une œuvre. Notre analyse se concentre sur la comparaison entre les différentes démarches proposées par Lévi-Strauss (1962) qui donnent lieu à un système de démarches comparées. Ce modèle théorique des démarches comparées se rapproche d’une véritable méthode de recherche capable d’éclairer les sciences humaines et toute didactique intéressée par le processus de création d’objets techniques et d’objets de connaissances. Lévi-Strauss (1962) propose une analyse sur l’activité de production d’objets au quotidien en rappelant cette science première1 qui perdure encore de nos jours. La notion de bricolage n’apparaît pas uniquement cantonnée à l’activité de production d’un objet et rattachée à l’activité du bricoleur, de l’ingénieur et de l’artiste. Au contraire, l’action pragmatique rejoint l’action épistémique sur plusieurs registres. Le processus de recherche usité par la figure du savant, le chercheur, se déploie en parallèle à l’action sur la matière et privilégie donc l’action conceptualisée et conscientisée. Dans un contexte d’analyse de l’activité, induite lors du processus de production d’un objet, l’action du bricoleur est contrainte par les objets ou les fragments d’objets qu’il collecte et introduit dans de nouveaux ensembles. À son tour, le savant, cette figure du chercheur, reprend un fonctionnement similaire en identifiant les cadres théoriques à partir desquels il fonde son action conceptuelle en exploitant un registre essentiellement épistémique. Cette figure du savant permet de rappeler que l’activité du chercheur se rapproche d’une sorte de bricolage intellectuel (Lévi-Strauss, 1962). L’action de l’ingénieur trouve son origine au sein du monde conceptuel et propose une action anticipée qui analyse les différents besoins nécessaires à son projet. 1

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«  D’ailleurs, une forme d’activité subsiste parmi nous qui, sur le plan technique, permet assez bien de concevoir ce que, sur le plan de la spéculation, put être une science que nous préférons appeler “première” plutôt que primitive  : c’est celle communément désignée par le terme bricolage.  » (Lévi-Strauss, 1962, p.  26)

De la démarche anthropologique à la posture d’auteur en didactique

L’analyse des contraintes et des différentes phases, intrinsèques à son plan d’action, va donc aboutir à une intervention sur la matière qui identifie les possibles, les limites et les imprévus. L’artiste quant à lui se situe à mi-chemin entre le monde matériel et le monde conceptuel, car il est à la fois savant et bricoleur (Lévi-Strauss, 1962). Ces différentes démarches sur la production d’objets, de projets ou de concepts, nécessitent le fait d’inventorier, d’associer, de comparer, de s’approprier un objet conceptuel ou matériel en vue de répondre à une situation. Le bricoleur œuvre de ses mains tandis que l’ingénieur conceptualise et propose un plan d’action lié à un processus de production. Le bricoleur détermine son action en s’appuyant sur un ensemble d’outils et d’objets prédéterminés tandis que l’ingénieur interroge l’univers (Lévi-Strauss, 1962). La comparaison entre la démarche du bricoleur et de l’ingénieur s’impose comme emblématique dans l’analyse de Lévi-Strauss sur la science dite première. Les deux axes forts de cette analyse de l’activité reposent sur une distinction entre la démarche du bricoleur associée à l’action pragmatique, le monde matériel, l’en-deçà, et la démarche de l’ingénieur qui renvoie au mode d’agir épistémique, situé au-delà et habitué à l’investigation et au questionnement (Lévi-Strauss, 1962). À l’instar de l’artiste qui, selon Lévi-Strauss (1962), transforme un objet bricolé en un objet de connaissance, le chercheur tente à son tour de produire de la connaissance. Dans cette comparaison de démarches, celle de l’artiste nous intéresse au plus au point car elle nous permet de dépasser la notion de production pour aboutir à une création d’un objet artistique, une œuvre. 

L’artiste/artisan, cet auteur créateur

Poser les bases d’une didactique de la création artistique nous amène naturellement à approfondir la démarche de l’artiste, et dans cette logique arpenter la nature même de la création. Aussi, nous quittons momentanément l’approche anthropologique de démarches comparées de Lévi-Strauss, pour emprunter une approche philosophique. Pour mieux saisir cette démarche de l’artiste, par essence auteur de sa production, il convient de revenir à cette distinction entre l’activité artistique et le reste de la production humaine explicité. Platon est certainement le premier à penser spécifiquement la création du monde en termes artistiques, ou plus exactement artisanaux, avec la figure du démiurge (démiourgos = artisan)

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Didactique de la création artistique

qu’il développe longuement dans le Timée (29-50), et plus succinctement dans le Sophiste (265) ou la République (VII, 530 a). (Métral, 2015, p. 117)

La figure du démiurge renvoyant à l’artisan associe la création à la production réalisée par le sujet. Ainsi, penser la création en convoquant le mythe dépasse cette relation à l’artiste pour la réaffirmer dans son rapport à l’artisanat, ce sujet auteur de sa production, de sa création.

Bien que tous ne s’accordent pas sur la nature et le statut de ce démiurge, ils ont en commun, à la suite de Platon, de le représenter comme l’intelligence organisatrice qui, tel un artisan fabriquant son objet, a façonné le monde, à partir de la matière préexistante : la prima materia ou la substance contenant en puissance toutes les formes possibles. (Métral, 2015, p. 118)

Comprendre la démarche d’auteur nécessite donc de se reconnecter à cette figure de l’artiste/artisan agissant sur le monde et tout en façonnant celui-ci en mobilisant son intelligence organisatrice. Aussi, définir l’auteur consiste selon nous à réaffirmer ces gestes cognitif et sensible mobilisés par l’artiste/artisan qui façonne la matière extérieure en partant d’un contexte du déjà-là, réorganisant cette prima materia. Se pose donc la question liée à l’intention, à la décision, à la projection d’une pensée qui se cristallise dans la matière qui résiste, mobilisant sa capacité à évoluer dans un ensemble de contraintes préexistantes. L’intérêt de l’analogie avec l’activité artistique réside dans cette conception d’un créateur du monde extérieur à sa création – ce qui implique une claire séparation entre sujet et objet. (Métral, 2015, p. 118)

Cette séparation entre sujet et objet pose les prémices d’une explicitation de la démarche d’auteur, ce sujet amené à agir sur le monde, confronté à un matériau déjà-là, déjà constitué, cristallise son acte dans une production, un objet qui devient le témoin de l’acte de création et de sa propre transformation.

Simondon (1989)2 caractérise l’individuation du sujet par son effort technique et reprend cette figure de l’artisan individué par sa 2

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Dans la liste des références à la fin de cet article, le lecteur trouvera deux éditions du même ouvrage de Simondon, celle de 2008 et celle de 1989. Cela s’explique par le fait que certaines parties – comme l’introduction, qui développe toute une partie sur la culture technique – aient été publiées uniquement dans l’ouvrage de 1989.

De la démarche anthropologique à la posture d’auteur en didactique

production. En projetant une partie de soi-même dans sa production (intention, décision, inspiration, réflexion, contemplation…), la création jaillit à la fois sur l’objet et sur le sujet. La démarche de créateur est donc double, elle agit au niveau de sa personne mais également au niveau de son objet, faisant de celui-ci le témoin de cet acte d’individuation. En cela, la posture d’auteur se qualifie en tant que démarche d’individuation et c’est en cela qu’elle est émancipatrice (Didier, 2015). Nous postulons que cette démarche accompagne et alimente les postures où il y a apparition d’un sujet et d’un objet. À partir du moment où celui-ci décide d’agir sur le monde en réalisant une production, il fait intervenir les mécanismes d’individuation activés par la démarche d’auteur.

L’auteur, ce chercheur 

La démarche se définit en tant que manière d’agir ou de penser, elle signifie également dans son sens premier une manière de marcher. Dès lors, elle nous rapproche de l’enquêteur de terrain, de ce chercheur amené à varier ses différentes manières d’observer, du pur participant au pur observateur (Gold, 2003). La démarche entraîne donc un rapport à l’enquête de terrain qui se définit en tant que lieu privilégié de recherches mixtes (Cicourel, 2003). Dans l’enquête sociologique, la notion de rôle intervient de manière spécifique (Gold, 2003). Le rôle invite à la distance, à cette capacité à maintenir son objet de recherche. En ce qui concerne la notion de rôle, celleci nous renvoie à ce qui doit être fait par l’acteur et fait donc référence à la fonction exercée par le sujet. En comparant le savant, l’ingénieur, le bricoleur et l’artiste, nous sommes donc davantage dans des manières d’agir et de penser spécifiques à une sensibilité et à un contexte donné (Gasharian, 2004). Au-delà d’une opposition entre la démarche et le rôle, il semble pertinent de comparer ces spécificités de processus de recherche, permettant de construire des objets de connaissances en fonction de sensibilités variées. La démarche du savant renvoie à une représentation du chercheur distancé du monde matériel. Pourtant, le savant et le bricoleur se ressemblent. En posant ce constat, Lévi-Strauss (1962) met à disposition un héritage qui alimente les sciences humaines et féconde les recherches en didactique de la création. Les travaux sociologiques menés par Latour et Wooglar (1996) sur le laboratoire et l’activité du chercheur questionnent cette démarche du savant. En comparant

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Didactique de la création artistique

des démarches, Lévi-Strauss identifie les analogies et les divergences qui permettent de mieux cerner la posture de chercheur en enquête. Lorsque celui-ci investigue, il intervient et agit au sein du monde matériel et conceptuel, il rejoint à la fois l’action du bricoleur, de l’ingénieur et de l’artiste. Ainsi, ces démarches donnent lieu à une posture de recherche plurielle capable de s’adapter aux différents terrains, qu’ils soient artistiques ou scolaires.

La démarche du savant tente de constituer une réalité scientifique, une poche d’ordre créée à partir du désordre (Latour et Wooglar, 1996) car le chercheur est à l’affût de messages et de signaux. De son côté, le bricoleur collectionne des messages pré-transmis (LéviStrauss, 1962). Dans les deux cas de figure, nous relevons un travail d’analyse et de décryptage de signaux préexistants qui rappellent l’activité du chercheur en laboratoire effectuant des opérations sur des énoncés. L’activité du chercheur consiste à produire des informations nouvelles obtenues par la rencontre inattendue de réseaux informels (Latour et Wooglar, 1996).

La création d’ordre à partir du désordre nous ramène à une stabilité précaire où la réalité scientifique tente de structurer une réalité qui résulte du bricolage et du hasard (Latour et Wooglar, 1996). L’intérêt porté sur la notion de bricolage continue d’alimenter la recherche en sciences humaines (Odin et Tuderoz, 2010) qui tente de mieux cerner les phénomènes sociaux résultants de l’activité de création. La notion de démarche, peu présente en éducation, semble prendre un poids plus conséquent quand il s’agit des arts où il est question de démarches artistiques et de pratiques associant recherche, réflexion, expérimentation et création. L’artiste, à la fois savant et bricoleur, va progressivement questionner le sens de sa démarche mais également son statut (Heinich, 2005). La notion de démarche trouverait une résonance conséquente dans la création, dans cette volonté de produire de la connaissance, voire des objets de connaissances.

La posture d’auteur, entre productions et apprentissages

La didactique professionnelle nous rend attentifs au fait que, pour qu’il y ait véritablement apprentissage, il est fondamental de distinguer production et apprentissage.

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De la démarche anthropologique à la posture d’auteur en didactique

L’origine de la distinction entre production et apprentissage se retrouve chez Marx qui dissocie l’activité productive et l’activité constructive (Pastré, 2006). Le fait de produire ne fait pas intervenir automatiquement l’activité constructive donnant lieu à des apprentissages. L’assimilation d’une action nécessite la répétition et l’entraînement jusqu’à son incorporation. Pourtant, pour qu’il y ait assimilation et apprentissage, il est indispensable de passer par la conscientisation, l’explicitation et la conceptualisation.

La didactique professionnelle, orientant son analyse sur l’activité constructive déployée dans l’activité productive (Pastré, 2006) va donc à son tour spécifier les différentes démarches intervenant dans tout processus de production. Dans la production, les hommes agissent à la fois sur la matière mais aussi les uns sur les autres (Marx, 2007). La production apparaît suite à cette mise en relation des uns avec les autres qui induit des rapports sociaux (Marx, 2007). En cela, nous quittons progressivement la notion de démarche et nous nous concentrons sur la notion de posture. En effet, la posture rend compte de l’existence d’une forme de savoir que les concepteurs supposent partagée tout en pouvant être contredite par l’expérience (Akrich, 1993). La didactique se préoccupe davantage de cette question de la posture qui se voit rattachée aux gestes professionnels. La définition de la posture proposée par Bucheton (1999) se caractérise en tant que

schème préconstruit du « penser-dire-faire », que le sujet convoque en réponse à une situation ou une tâche scolaire donnée. La posture est relative à la tâche mais construite dans l’histoire sociale, personnelle et scolaire du sujet. Les sujets disposent d’une ou plusieurs postures pour négocier la tâche. Ils peuvent changer de postures au cours de la tâche selon le sens nouveau qu’ils lui attribuent. La posture est donc à la fois du côté du sujet dans un contexte donné, mais aussi de l’objet et de la situation, ce qui en rend la saisie difficile et interdit tout étiquetage des sujets (Bucheton, 1999, 2006). (Bucheton et Soulé, 2009, p. 38)

Pour enseigner la création, la recherche en didactique des activités créatrices et techniques (Didier et Leuba, 2011 ; Didier, 2015, 2016) propose à son tour un modèle théorique qui renforce la dévolution chez l’élève en faisant de lui l’auteur de sa production (Dumas, 2005). La posture d’auteur invite le sujet à quitter une posture d’exécutant pour agir en tant que sujet autonome et compétent en vue de devenir l’auteur de sa production.

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Didactique de la création artistique

Une modélisation du processus de création, en trois phases distinctes  : conception-réalisationsocialisation  Le modèle théorique « conception-réalisation-socialisation » (Didier et Leuba, 2011, Leuba et al., 2012 ; Didier, 2016) se conçoit en tant que modélisation du processus de création, développée dans son ensemble et dans sa complexité lors de la création d’un objet technique, défini, selon Deforge (1989), d’œuvre ou de produit. Ce cadre théorique amène le sujet à utiliser différents instruments et techniques pour recueillir des informations sur la production d’objets de savoirs et d’objets matériels. Ce modèle propose une articulation en trois temporalités distinctes : la conception, la réalisation et la socialisation. De plus, il modélise le processus créateur qui entraîne le sujet à investir une posture en s’irriguant de démarches de création (celles du bricoleur, de l’artiste, du chercheur et de l’ingénieur).

Fig.1 : Modèle conception-réalisation-socialisation (Didier et Leuba, 2011).

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Un aspect fondamental du modèle « conception-réalisation-socialisation » provient de la prise en compte de l’activité de socialisation (Marx, 2007) comme genèse de l’activité de conception. L’activité de socialisation possède la fonction de répondre à un contexte de réception et/ou d’utilisation. Deforge (1990) questionna la réception et la fonction de l’objet en proposant une distinction fonctionnelle du processus de fabrication et de la démarche employée. Cette distinction implique la spécification de deux démarches distinctes : la démarche d’auteur/d’artiste qui élabore un objet avec une fonction de signe,

De la démarche anthropologique à la posture d’auteur en didactique

répondant à une expression ou une communication ; et la démarche de concepteur/designer/ingénieur qui conçoit un objet à fonction d’utilité, répondant à un usage ou à un besoin (Didier et Leuba, 2011).

Ces deux spécificités irriguent l’activité de conception et l’activité de réalisation. L’activité ne se voit plus réduite à une étape du processus mais à son ensemble. Le travail manuel, considéré autrefois comme l’unique étape visible et indispensable lors de l’enseignement des activités créatrices et techniques se voit complété par une activité de réflexion (l’activité du bricoleur s’irrigue de l’activité du chercheur, de l’ingénieur et de l’artiste). Ceci invite l’élève à réfléchir sur la connaissance des matériaux, l’anticipation, la planification du travail à réaliser, les contraintes de l’utilisation et/ou de la réception de l’objet. Ces différentes opérations cognitives entraînent progressivement l’élève à résoudre des situations complexes, à devenir autonome, en quittant une posture d’exécutant pour résoudre des situations-problèmes en évoluant dans un espace de contraintes. Ces différents aspects développent une démarche de création dans des situations concrètes et en lien avec la vie courante. En cela, ce modèle renoue à une pédagogie du projet (Didier, 2015). L’élève devient progressivement capable de questionner le monde (Gosselin et al, 2015) qui l’entoure et de s’approprier la genèse des objets techniques (Simondon, 2008) en investiguant les différents processus de productions, d’utilisation, de réception voir de contemplation.

Le modèle « conception-réalisation-socialisation » renforce une plus grande compréhension de l’articulation entre production et conceptualisation. Ce modèle concilie recherche industrielle, artistique et didactique. De l’enseignement du design en passant par la technologie, le modèle théorique « conception-réalisation-socialisation » invite le sujet à devenir auteur du savoir convoqué et investigué. De plus, il le rend conscient des enjeux sociaux en lien avec les différents savoirs disciplinaires investigués lors du processus de production d’un objet ou d’un projet d’objet. Plus encore, ce modèle possède une structuration fractale capable d’analyser des micro-phases de conception-réalisation-socialisation au sein de chacune des activités. En quelque sorte, il amène l’enseignant à quitter un enseignement transmissif uniquement focalisé sur la transmission de techniques pour amener l’élève à rechercher, concevoir, réfléchir, prospecter, décider, concrétiser ses intuitions. Dès lors, il renoue avec l’activité de chercheur en remettant le sujet en quête de questions et d’informations. Ce faisant, il réconcilie cette distinction entre la démarche du bricoleur, de l’ingénieur, du savant et de l’artiste en superposant les spécificités et les

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Didactique de la création artistique

complémentarités de ces modes d’agir. Le modèle « conception-réalisation-socialisation » invite le sujet à dépasser une compréhension réductrice du processus de production traditionnellement limité à l’activité de réalisation. En déployant l’activité de conception, l’élève s’approprie la démarche du savant mais également celle de l’ingénieur capable de répertorier l’ensemble des possibles en lien avec les différentes contraintes données. L’activité de socialisation nécessite pour le sujet d’investiguer le contexte de réception, en passant par l’utilisation de l’objet à l’étude comportementale du récepteur destiné à recevoir l’objet. Ainsi, l’élève est entraîné à passer d’un registre à un autre, à comprendre et à s’approprier une démarche. La production ne se voit plus limitée à de la reproduction automatisée, mais celle-ci devient le centre de questionnements, d’expérimentations et d’appropriation de connaissances et de savoirs. Plus encore, ce dispositif entraîne l’enseignant des disciplines techniques à quitter la posture de bricoleur pour s’approprier le mode d’agir du chercheur, de l’ingénieur et de l’artiste habitués à s’approprier des méthodes de recherches mixtes. En cela, il induit une migration de la démarche vers la posture de chercheur mais également d’auteur. La figure de l’enquêteur de terrain, faisant référence à la figure du savant, prend ainsi tout son sens.

Devenir auteur, du bricoleur au chercheur 

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Le modèle « conception-réalisation-socialisation » quitte une tradition séculaire liée à la réalisation d’objet pour déployer le potentiel du savoir, cristallisé dans l’objet (Didier, 2012), pour en faire un projet d’apprentissage pour le sujet (Didier, 2015). Ainsi, ce modèle didactique encourage la collecte et l’analyse des données par une investigation réflexive intervenant lors du processus de production qui donne lieu à des apprentissages. Ce modèle théorique favorise une démarche de recherche rationalisée et orientée sur la production en invitant l’enseignant à étayer les choix didactiques mais également disciplinaires, dans le sens où il induit une formalisation des savoirs. Il amène l’enseignant-chercheur et l’élève-chercheur à découvrir et à comprendre le sens et la signification d’un phénomène et de les décrire (Fortin, 2010). Le modèle « conception-réalisation-socialisation » introduit des phases de recherche au sein de la production d’objets ou de projets d’objets, réalisés dans le contexte scolaire en leur permettant d’atteindre le statut d’œuvre et/ou de produit de manière consciente.

De la démarche anthropologique à la posture d’auteur en didactique

La mise en évidence de la conception dans ce modèle théorique donne lieu à une analyse des phases de production d’un objet ou d’un projet en vue de rendre accessible sa complexité. Irrigué par les démarches professionnelles liées à l’ingénierie, le design, l’architecture, le stylisme, l’artisanat, de démarches artistiques, ce modèle introduit une approche esthétique et scientifique basée sur l’investigation. En cela, il permet de questionner et d’enquêter sur les étapes nécessaires à la création d’un objet technique, sur sa fonction d’utilité et sa fonction de signe (Deforge, 1990). Dans cette perspective, il invite le sujet à s’approprier des démarches créatives en relation avec le contexte industriel, artisanal et artistique. L’activité de conception occupe une place centrale dans cette modélisation du processus de création. Celle-ci permet l’identification et l’analyse des différents problèmes qui apparaissent dans le cadre de la production d’un objet technique. Elle entraîne le sujet à résoudre des situations complexes en mobilisant des solutions innovantes et adaptées à la situation (Perrin, 2001 ; Bonnardel, 2006). L’activité de conception reprend les étapes du processus de création en exploitant la pensée divergente, la pensée convergente, la flexibilité cognitive, l’analyse et la synthèse (Bonnardel, 2006). La phase de conception facilite l’appropriation d’une posture d’auteur/concepteur en amenant le sujet à dépasser le quotidien pour explorer le monde des idées afin de proposer des solutions nouvelles, innovantes et adaptées au contexte. La conception développe la pensée divergente, pensée peu travaillée dans le contexte scolaire essentiellement fondé sur des situations de restitution du savoir (Lubart et al., 2003). L’activité de conception induit des phases d’idéations qui mobilisent l’évaluation et la sélection des idées. Cette opération cognitive requiert la pensée convergente qui prend en compte les différents paramètres liés à l’objet. Ces activités de conception créatives font intervenir plusieurs compétences transversales (Didier et Bonnardel, 2015), travaillées dans les autres champs disciplinaires. Le travail d’analyse des différentes contraintes liées aux matériaux, à l’exécution et à l’utilisation de l’objet, stimule et entraîne de manière systématique l’anticipation chez l’élève. Celui-ci se voit positionné en posture d’apprenti-concepteur amené à déployer des phases de recherche associant production et réflexion pour répondre à un contexte donné. À l’aide des activités de conception créatives, l’élève apprend à se positionner en tant que sujet opérant des choix, des manières d’agir et de penser en fonction de champs de contraintes (Didier et Bonnardel, 2015). Les phases de recherches permettent de travailler de manière progressive un niveau d’abstraction élevé en habituant l’auteur/concepteur à com-

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Didactique de la création artistique

muniquer ses idées, à construire des scénarios de conception et donc à modéliser sa pensée en fonction de situations concrètes en lien avec la vie courante.

Conclusion

L’activité productive et l’activité constructive qui émergent d’un processus de conception et de production, et plus précisément dans une démarche de création, nous entraînent à orienter notre enquête théorique sur le sujet agissant sur la matière. La notion de démarche renvoie à une tradition anthropologique habituée à questionner et à mobiliser la pensée mythique (Lévi-Strauss, 1962) où l’homme produit en fonction de contraintes. Transposé dans la scolarité, le sujet focalisant exclusivement son effort sur la réalisation donne lieu à des situations où celui-ci se voit dissocié de la conscientisation et de la conceptualisation. En comparant des démarches liées à la production d’objets, Lévi-Strauss (1962) nous rappelle que la complexité intervenant dans les démarches de création, convoque une posture plurielle enrichie et alimentée à l’aide de la mixité disciplinaire. En s’appuyant sur différents cadres théoriques, le modèle « conception-réalisation-socialisation » modélise le processus de création en s’irriguant d’apports liés aux pratiques artistiques, artisanales et technologiques. Plus qu’un modèle théorique, ce dispositif d’enseignement de la création accompagne le sujet dans une méthode d’investigation, d’enquête de terrain qui aboutit à une création conscientisée et contextualisée.

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QUELQUES MODÈLES POUR LA DIDACTIQUE DE LA CRÉATION ARTISTIQUE EN MUSIQUE  : UN EXEMPLE D’APPLICATION AVEC LE SOUNDPAINTING Grazia Giacco et Solène Coquillon

Contexte

L ancé en 2014 grâce à l’obtention d’un IdEx (Fonds Initiative d’excellence) de l’Université de Strasbourg, le projet de recherche DiCrA (Didactique de la création artistique)1 a réuni depuis plusieurs acteurs – enseignants, enseignants-chercheurs (arts, psychologie cognitive), représentants d’institutions culturelles – et a permis à plusieurs élèves d’être engagés dans des démarches de création. Malgré l’attention portée sur la pratique artistique des élèves dans les derniers programmes en France (MENESR, 2015a, 2015c) et dans le Parcours d’éducation artistique et culturelle de l’élève (MENESR, 2013, 2015b), en éducation musicale, la posture de l’élève diffère de celle prévue dans l’enseignement des arts plastiques, où l’élève est davantage créateur : en éducation musicale, la posture privilégiée reste dans la plupart des cas celle de l’élève-interprète. Plusieurs raisons sont à l’origine de ce constat, l’une d’entre elles étant le manque de temps que les enseignants déplorent dans la programmation 1

Cette appellation originale et le projet entier ont été conçus et menés par Grazia Giacco, premier auteur de ce chapitre. Une première version en anglais est parue en juin 2016 (Giacco et Coquillon, 2016a).

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Didactique de la création artistique

quotidienne – en particulier ceux du premier degré (âge des élèves : 6-11 ans) – et, surtout, leur manque de formation dans les pratiques de création. Chez ces enseignants, le sentiment de ne pas avoir les compétences pour mener des projets de création n’encourage pas le développement nécessaire de ces pratiques2. C’est pour cela que les efforts menés par des centres de formation comme le CFMI (Centre de formation de musiciens intervenants, 2005, 2010) ou par des pédagogues ou des artistes qui encouragent la démarche de création chez l’élève (Boulez, 1973 ; Delalande, 1984/2017 ; Reibel, 2005 ; Renard, 1982, 1991) doivent être pris en compte dans la recherche en didactique de la création artistique, ainsi que des exemples de projets institutionnels plus récents, comme le CREAMUS3, les ateliers de la Philharmonie de Paris4 ou les Ateliers de la création5. À travers notre recherche, nous interrogeons la pratique de l’éducation artistique en France avec un regard centré sur la création artistique, et notre but est d’encourager une recherche théorique et pratique sur ce sujet, en développant pour cela une collaboration entre diverses universités6. Nous nous inspirons des démarches d’artistes (R. Murray Schafer, Philip Corner, Robert Filliou), des travaux d’autres chercheurs dans 2

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A Strasbourg, le nombre d’heures consacrées à la formation en éducation musicale dans le master MEEF 1er degré polyvalent (Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) de l’ESPE (École supérieure du professorat et de l’éducation), en particulier pour les non-spécialistes, est malheureusement insuffisant pour permettre aux futurs enseignants en école primaire une véritable acquisition de compétences disciplinaires et artistiques, bien que des efforts soient faits pour instaurer des enseignements interdisciplinaires fondés sur la pédagogie de projet (Giacco, 2016b), pour la diffusion et la pratique d’une pédagogie d’éveil et une démarche concrète (Delalande, 1981 ; 1984/2017 ; Schafer, 2011), grâce aussi aux technologies numériques. CREAMUS, fondé par François Delalande et Dominique Saint-Martin, est dédié au développement des pratiques de création musicale avec les enfants. Sur la page d’accueil on peut lire  : «  Le GRM a joué un rôle majeur dans le développement et la théorisation d’une pédagogie de la musique, fondée à la fois sur l’exploration concrète des sources sonores et sur l’invention. CREAMUS s’inscrit dans cette histoire qui depuis 40 ans associe Recherche musicale et Pédagogie. Vous y trouverez des ressources audiovisuelles sélectionnées du fonds GRM, des dossiers pédagogiques thématiques et une invitation à partager vos pratiques pédagogiques.  » URL  : http://creamus.inagrm.com/ Christophe Rosenberg (coordinateur pédagogique, chargé des nouvelles technologies et des musiques amplifiées, Cité de la Musique de Paris), avec son équipe de musiciens et techniciens, coordonne des ateliers de sound design conçus pour des classes ou des adultes (Philharmonie de Paris, 2015, p.    38). URL  : http://www.ateliers-creation.centrepompidou.fr/-Accueil- . En 2015, nous avons participé à la constitution d’un groupe de recherche, le CREAT (Création et recherche dans l’enseignement des arts et de la technologie), en collaboration avec l’Unité d’Enseignement et de Recherche Didactiques de l'art et de la technologie et l’Unité d’Enseignement et de Recherche Pédagogie et Psychologie musicales de la HEP – Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse).

Quelques modèles pour la didactique de la création artistique en musique

le monde (John Paynter, Boris Porena) et en particulier de la méthodologie propre à la recherche-création ou recherche création, selon les graphies variées. En effet, la réflexion menée depuis quelques décennies dans ce champ de recherche (sur l’art, dans l’art, par l’art…)7 nous amène à penser que ces questions sont profondément liées aux méthodologies didactiques elles-mêmes (touchant tous les niveaux d’enseignement, du primaire au supérieur) et que réfléchir sur une didactique de la création artistique signifie aussi prendre appui sur l’ensemble des questions épistémologiques et méthodologiques autour de l’art, de la création, de la transmission et de la diffusion (en tant que produit socio-culturel). Notre approche est transversale et transdisciplinaire (Nicolescu, 2010 ; 2012).

Quelques modèles du processus de création

Regardons à présent quelques modèles qui peuvent nous aider à comprendre le cheminement possible lors des phases de création. L’un des modèles parmi les plus cités est celui de Wallas (1926) : les quatre étapes (Préparation, Incubation, Illumination, Vérification) montrent la progression linéaire et chronologique du processus créatif. Dans le modèle de Bennet (1976), cette linéarité des phases reliées par des flèches directionnelles est cependant relative car il prend en compte dans son étude (il a interviewé huit compositeurs) une possibilité de retour du First draft (premier brouillon) à l’étape Germinal idea (première idée) ou entre Germinal idea et Sketch (esquisse)8. À partir de l’étape First draft le processus semble reprendre son chemin linéaire. Il décrit le processus de composition ainsi :

Le processus de composition a souvent d’abord impliqué la découverte d’une “idée embryonnaire”. Une brève esquisse de l’idée embryonnaire a souvent été enregistrée, suivie d’une pre-

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8

Avec les multiples déclinaisons  : recherche création (Bruneau et Villeneuve, 2007) ; recherche-création (CRSH ; Toma, 2010 ; Stévance et Lacasse, 2013) ; practice-led research (Barrett et Bolt, 2007) ; research-led practice (Smith et Dean, 2009) ; practice-based research / art-based research (McNiff, 2013). Rappelons aussi une référence majeure dans l’établissement de ces catégories de recherche en art, à savoir le texte de Christopher Frayling (1993) qui, reprenant la pensée de Herbert Read (1943), propose une distinction entre une recherche dans, par et pour l’art et le design (Frayling, 1993, p.  5). Dans le schéma de Bennet, les étapes apparaissent dans cet ordre  : «  Germinal Idea → Sketch → First draft → Elaboration and Refinement → Final Draft Copying → Revision ? ».

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Didactique de la création artistique

mière ébauche du travail, de l’élaboration et de l’amélioration de la première ébauche et, enfin, de l’achèvement de l’ébauche finale ainsi que de la copie de la partition. (Bennet, 1976, p. 3)9

Dans le modèle de Webster (1987 ; 1990), le processus de pensée créative est analysé dans la globalité du champ comprenant les intentions qui motivent le choix initial (Product intention), le processus lui-même (Thinking Process) allant d’une pensée divergente à une pensée convergente, et l’étape finale (Creative Products), déclinée selon qu’il s’agisse d’un « produit » de composition, d’enregistrement de performance / d’enregistrement d’improvisations, d’écrits, d’analyses, de représentations mentales. L’utilisation des flèches bi-directionnelles dans l’encadré central de son modèle présuppose une prise en compte d’un aller-retour entre les trois phases : Preparation, Working Through, Verification. Parmi les compositeurs-pédagogues qui ont beaucoup réfléchi sur la question de la pratique de création, John Paynter (1931-2010) est l’un des théoriciens contemporains les plus marquants. Sa réflexion sur la didactique de la musique, sur la notion d’expérience (très proche de John Dewey), sur la place de la créativité dans les programmes scolaires, est fondamentale pour la recherche en didactique de la création artistique. Bien qu’avec des outils différents et une production théorique personnelle, le travail de Paynter est très proche de celui de François Delalande en France ou, dans une certaine mesure, de Boris Porena en Italie. Il est nécessaire de s’inspirer de leurs travaux, développés au fil des trois dernières décennies du XXe siècle, pour asseoir notre réflexion théorique aujourd’hui et proposer des pratiques renouvelées en didactique de la musique. Le schéma publié dans son ouvrage Sound and Structure (Paynter, 1992) exprime le noyau de la problématique de la création en musique : l’interaction entre quatre pôles – son, technique, temps et idée. Il affirme :

Le son, le temps, les idées et les techniques sont les quatre piliers de l’expérience musicale. La musique résulte d’une relation dynamique entre eux. Pour comprendre la musique, nous avons besoin de comprendre ces relations : savoir comment fonctionnent les

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«  The composing process frequently involved first discovering a ‘germinal idea’. A brief sketch of the germinal idea was often recorded, followed by a first draft of the work, elaboration and refinement of the first draft, and then completion of the final draft and copying of the score. » [Toutes les traduction de l’anglais dans cet article sont des auteurs, avec la collaboration de Nicolas Daigneault].

Quelques modèles pour la didactique de la création artistique en musique

sons ; comment ils peuvent devenir des idées musicales ; et comment ces idées, transformées par des techniques artistiques, peuvent structurer le temps. (Paynter, 1992, p. 33)10

Pour Paynter,

Tout ce que nous faisons en éducation aspire à l’expansion de la vie intellectuelle. La musique n’est pas inférieure à cet égard ; la pensée et la création de sons musicaux donnent naissance à des “manières de connaître” et à des “façons de dire” différentes de celles des autres disciplines, mais non moins importantes pour le développement intellectuel. (Ibid.)11

Il est intéressant alors de voir comment deux autres propositions de démarche de création en musique selon Gérard Authelain (Authelain, 1995) [Tableau 1] et Jean Duvillard (Duvillard, 2011) [Tableau 2] peuvent montrer quelques points en commun avec les modèles cités précédemment. Chez eux, le déroulement apparaît principalement dans une progression linéaire, avec en ouverture pour les deux, une phase d’exploration, puis une phase centrale d’organisation (ou structuration) et une phase de réalisation finale. Dans le schéma de Duvillard, les sous-titres reprennent ceux qui sont indiqués par l’auteur lui-même, sorte de déclinaisons de chaque étape. Duvillard place la phase « nourriture culturelle » au milieu de ce chemin. Au-delà d’une discussion sur la place et le moment qu’il faut accorder à cette nourriture, il est vrai que l’enseignant, selon le projet, doit se poser la question de comment et à quel moment permettre aux élèves la rencontre avec l’œuvre d’art et l’artiste. C’est un point important car, selon le choix opéré, le projet peut prendre différentes pistes et la posture de l’élève change et s’adapte en conséquence. Dans ces schémas, la phase d’exploration marque le début des deux processus, qui incluent également une même phase d’organisation et/ou de structuration, les deux se terminant par une phase finale de réalisation qui, selon Duvillard, exprime le moment de « communicabilité » et donc de présentation partagée avec les autres. 10

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«  Sound, time, ideas and technique are the four corners of musical experience. Music results from dynamic relationship between them. To understand music we need to understand these relationships: to know how sound work; how they can become musical ideas; and how those ideas, transformed by artistic techniques, can structure time.  » «  Everything we do in education aspires to an expansion of the intellectual life. Music is not inferior in this respect; thinking and making with musical sounds gives rise to ‘ways of coming to know’ and ‘ways of telling’ different from those in other disciplines but no less important to intellectual development. »

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Didactique de la création artistique

EXPLORER LES MATÉRIAUX SONORES 

IMPROVISER 

STRUCTURER

CHOISIR ET RÉDUIRE

RÉALISER

Tableau 1 : étapes du processus de création chez Authelain.

EXPLORATION Saisissement créateur Stéréotype

Multi-directions Choix

GESTE DE FABRICATION

NOURRITURE CULTURELLE

Poïétique

Chose artistique

Répétition

Identité culturelle

ORGANISATION

COMMUNI­CABILITÉ

Rupture

Succession et juxtaposition Rencontre

Tableau 2 : étapes du processus de création chez Duvillard.

L’un des modèles qui s’est vite imposé dans notre recherche comme référence incontournable est représenté par le modèle de Pierre Gosselin et son équipe [fig.  1]. Pour Gosselin, la représentation du processus de création se fait à la fois comme processus et comme dynamique. Dans le processus, il met en évidence trois phases : la phase d’ouverture, la phase d’action productive et la phase de séparation. Chacune de ces phases s’articule à son tour en une dynamique qui comprend trois « moments » : l’inspiration, l’élaboration et la distanciation. Gosselin avait publié ce modèle en 1998 et, depuis, il reste une référence majeure (ce modèle a même été cité dans les programmes d’enseignement québécois, cf. fig. 1). Ce qui nous intéresse ici est la présentation dynamique qui prend en compte différents moments récurrents à l’intérieur de chaque phase. On va là vers un modèle plus spiralé par rapport aux autres modèles évoluant davantage selon des étapes chronologiques et linéaires.

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Quelques modèles pour la didactique de la création artistique en musique

Fig. 1 : Schéma tiré du « Programme de formation de l’école québécoise (enseignement secondaire, deuxième cycle)12 », Chapitre 8 : Domaine des Arts (p. 6), Éducation et enseignement supérieur, Québec (2012)13. Avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Perspectives d’un nouveau modèle de processus de création À partir du travail de Gosselin et de l’ensemble de ses écrits, le premier auteur de ce chapitre a souhaité concevoir un modèle qui abandonne la suite linéaire et chronologique de la plupart des représentations des processus de création pour faire le choix d’une représentation qui met en valeur l’organicité des diverses phases [fig. 2].

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Fig. 2 : Le modèle du processus de création d’après Giacco (Giacco et Coquillon, 2016).

Dans le  Programme de formation de l’école québécoise, le deuxième cycle de l’enseignement secondaire correspond en France  à la fin du collège et aux deux premières années de lycée (12-16 ans). Ce modèle avait été publié une première fois dans Gosselin, P., Potvin, G., Gingras, J.-M. et Murphy, S. (1998).

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Didactique de la création artistique

Cela reste bien sûr une représentation et, bien que nous ayons tenu compte de la discontinuité et du dynamisme, un processus de création garde à notre avis une part d’inconnu, de non-quantifiable et de non-qualifiable. Ce modèle a été conçu suite à une étude comparative des autres modèles déjà présentés. Ce n’est pas un modèle psychologique (Biasutti, 2012, 2015 ; Botella et Lubart, 2015) : il s’agit d’un outil à visée didactique, inspiré d’approches poïétiques comme celle de René Passeron (Passeron, 1989) et particulièrement de l’approche psychanalytique de Didier Anzieu (Anzieu, 1981). Les différences entre ces modèles mettent en valeur des complémentarités d’approches, selon l’utilisation qu’on y fait. Par exemple, Biasutti (2012, 2015) travaille sur des modèles psychologiques de l’improvisation musicale, s’intéressant de manière très précise aux processus mentaux qui la régissent. Notre modèle considère la création sonore (en relation avec l’acte de créer, non seulement comme une forme de créativité) avec les élèves (ou les étudiants) comme un processus en phases qui ne sont pas fixées de manière chronologique mais s’entrecroisent et évoluent de manière poreuse.

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Ce n’est donc pas un processus présenté dans une directionnalité linéaire mais plutôt une dynamique qui, dans la globalité des phases (expérimentation, organisation, synthèse), envisage des allersretours entre l’une et l’autre, ainsi qu’une lecture à rebours, à savoir : d’une phase de synthèse à une phase d’expérimentation du matériau sonore, il est possible de revenir à une phase d’organisation et au produit final (il suffit de penser aux croquis que Frank Gehry avait esquissés bien longtemps avant la réalisation finale de la Fondation Vuitton à Paris, ou aux croquis des partitions de Salvatore Sciarrino, dont les graphiques de la forme globale de la pièce précèdent l’écriture des parties). Le schéma en question [fig. 2] ne modélise pas ce qui se passe dans les mécanismes mentaux du processus de création, dans l’esprit des enfants ou du créateur (ou de l’élève-créateur), mais il visualise uniquement les espaces évolutifs du matériau. C’est un modèle poïétique, né d’une exigence pratique d’offrir visuellement un support qui peut résumer l’intersection des phases dans une pratique de création et leur porosité (passage de l’une à l’autre), nous basant aussi sur la démarche artistique. Il pourrait permettre à des enseignants (spécialistes ou non spécialistes), se consacrant à des activités de création avec leurs classes, de visualiser les phases et de se positionner selon les diverses étapes et/ou actions menées. Dans le modèle, trois strates sont identifiées : un espace où il s’agit d’expérimenter et de chercher les éléments qui vont constituer le matériau sonore, puis un espace où ce matériau commence à s’organiser

Quelques modèles pour la didactique de la création artistique en musique

de manière formelle et une dernière étape où les divers essais vont faire l’objet de choix et confluer vers une synthèse (forme) finale. Entre ces trois espaces, des trajets de sélection permettent de passer d’un niveau à l’autre, comme un processus de distillation ou alors d’agrégation. Les lignes de fuite (pré -/écho) anticipent et dépassent la création elle-même. Les espaces (espace des éléments, espace des organisations, espace de la synthèse) ne sont pas unidirectionnels et imperméables, mais ils sont caractérisés par une capillarité qui permet des allers-retours dynamiques entre les phases de création. Par exemple, une fois une organisation  formelle définie, l’analyse réflexive sur son processus de création (autoréflexion) peut amener le créateur à s’interroger sur ses choix et revenir à l’espace intérieur, celui des éléments. De même, une fois la synthèse atteinte, il peut s’interroger sur ses choix d’organisations, et même remettre en question les éléments eux-mêmes dans une poïétique de la discontinuité. Ces espaces sont conçus comme des couches : superposées, intermittentes, interdépendantes. Pour nous, il s’agit d’un processus évolutif de la création, dynamique, où il existe obligatoirement une prise en compte de l’erreur. Ces espaces envisagent aussi le non finito par la suspension, à tout moment et dans tout lieu, du processus de création.

Le créateur (ou l’élève-créateur) se place dans une démarche qui l’amène constamment à faire un passage entre une focalisation partielle d’un événement (élément ou organisation) et la forme globale qu’il souhaite réaliser (synthèse). Cette visualisation du processus de création, n’étant pas linéaire, a l’avantage de pouvoir aussi être parcourue à l’envers : partir de l’espace de synthèse pour progressivement chercher les éléments qui vont amener le créateur à la réalisation du projet global qu’il avait envisagé au départ. Plusieurs compositeurs contemporains utilisent ce système, souvent en s’appuyant sur des esquisses graphiques, comme c’est le cas chez le compositeur Salvatore Sciarrino (Sciarrino, 1998 ; Giacco, 2001, 2013). En ayant en mémoire le modèle précédent, voici déclinées quelques pistes d’approches pour chaque espace.

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Didactique de la création artistique

Tableau 3 : Approches possibles pour chaque étape du modèle.

Dans les encadrés « sélection 1 ou 2 » sont proposées quelques modalités propres au choix : discrimination, association, bisociation (Koestler, 1980) et, dans le cadre d’une création collective, un moment de mise en commun durant lequel les participants au projet (élèves, étudiants) peuvent avoir un retour réflexif et participer au choix des éléments ou des critères d’organisation.

De la conception du modèle à une application pratique

En tant qu’enseignant-chercheur à l’université en charge de la formation des étudiants inscrits en master enseignement pour les premier et second degrés, nous travaillons pour former à la création artistique les futurs enseignants en musique (polyvalents et spécialistes). L’approche interdisciplinaire que nous mettons en œuvre pendant les formations développe l’expérimentation et la création, à partir de l’analyse des pratiques d’artistes et du processus de création – donc à partir des disciplines artistiques elles-mêmes. En France, la place que les nouveaux programmes scolaires (MENESR, 2015a, 2015c) et le PEAC (MENESR, 2015b) accordent à la création artistique laisse à espérer que, dans les années à venir, les enseignants puissent s’engager davantage dans cette voie14. Ces programmes soulignent l’im14

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Dans la troisième partie de l’arrêté ministériel du 1er juillet 2015 (MENESR, 2015a), relatif au Parcours d’éducation artistique et culturelle (PEAC), intitulée «  Les objectifs de formation en éducation artistique et culturelle visés lors du parcours  », les trois piliers du PEAC (fréquenter, pratiquer, s’approprier)  sont déclinés en «  grands objectifs de formations  » et pour chaque objectif «  des repères précis par cycle d’enseignement  » sont proposés. Pour le pilier «  pratiquer  », il est indiqué  : «  utiliser des techniques d’expression artistique adaptées à une production ; mettre en œuvre un processus de création ; concevoir et réaliser la présentation d’une production ; s’intégrer dans un processus collectif ; réfléchir sur sa pratique.  »

Quelques modèles pour la didactique de la création artistique en musique

portance de la pratique de la création artistique. Au début du paragraphe dédié aux « Univers sonores » pour le cycle 1, il est précisé que « l’objectif de l’école maternelle est d’enrichir les possibilités de création et l’imaginaire musical, personnel et collectif, des enfants, en les confrontant à la diversité des univers musicaux » (Programme d’enseignement de l’école maternelle, 2015a, p. 14)15. Et bien qu’une activité d’expérimentation soit prévue en cycle 1 et en cycle 2, ce n’est qu’en cycle 3 que les programmes proposent une ouverture plus évidente à la création : dans la partie « Explorer, imaginer et créer », les enfants doivent pouvoir « faire des propositions personnelles lors de moments de création, d’invention et d’interprétation » (ibid., p. 144), compétence qui sera davantage engagée en cycle 4, au collège puis au lycée, dans les classes d’enseignement spécialisé en musique. C’est justement dans une classe de cycle 3 (CM1) que nous avons mené notre projet de création musicale, à l’aide du Soundpainting et grâce à l’expérience de l’enseignante (Solène Coquillon) qui elle-même pratique depuis plusieurs années cette technique de composition collective après avoir été formée par Walter Thompson.

Le Soundpainting  : une application de didactique de la création artistique

Walter Thompson a conçu le soundpainting dans les années 1970 (Thompson, 2006) comme un langage universel de composition en temps réel pour des musiciens, danseurs, acteurs, poètes et plasticiens qui composent ensemble une forme structurée. Le soundpainting comprend plus de 1600 gestes utilisés par son compositeur, le soundpainter, qui n’est pas un chef d’orchestre. En effet, selon l’approche de Walter Thompson, le premier – le chef d’orchestre – est un interprète, le second – le soundpainter – un compositeur. C’est un point essentiel car les élèves doivent intégrer cette distinction pour s’impliquer activement dans le processus de création. En analysant le mot, on peut dire que le soundpainter est le peintre qui modèle la matière (soit les performeurs). Le soundpainter indique aux performeurs le type de matériau sonore souhaité. Le soundpainting 15

Précisons que, à partir de septembre 2016, les cycles seront organisés en France selon cette répartition  : Cycle  1  : cycle d’apprentissages premiers (petite, moyenne et grande sections de maternelle) ; Cycle  2  : cycle des apprentissages fondamentaux (CP, CE1 et CE2) ; Cycle  3  : cycle de consolidation (CM1, CM2 et sixième) ; Cycle  4  : cycle des approfondissements (cinquième, quatrième et troisième).

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Didactique de la création artistique

devient alors une conversation artistique entre le soundpainter et ses performeurs.

Pourquoi le soundpainting dans un contexte pédagogique ? Quelle activité proposer aux enfants pour qu’ils puissent développer leur créativité musicale en vue d’une création collective finale ? Celle-ci consiste dans notre pratique en une production collective où il s’agit de créer de nouvelles productions sonores. L’objectif est de placer l’élève en posture d’auteur (Didier, 2015), avec tout ce que cela implique en termes de compétences et de connaissances. Dans le soundpainting, il existe une véritable interaction entre le soundpainter et les gestes utilisés. La créativité étant basée sur cette interaction, la dimension sociale devient tout aussi importante que la dimension artistique (Masset, 2014). Il s’agit alors de prendre en compte la dynamique du groupe et aussi l’acceptation de l’erreur dans la phase d’expérimentation et de conception. L’acceptation de l’erreur est quelque chose de très important dans la pédagogie et travailler ce concept difficile pour les élèves par le biais d’une pratique artistique peut permettre aux enfants de se libérer d’un frein qui les empêche de progresser. Le soundpainting permet cette libération d’expressions que l’on ne retrouve peut-être pas entièrement dans l’éducation musicale à l’école aujourd’hui. Il permet à chacun de se libérer et de faire appel à son imaginaire ; il peut aussi avoir des répercussions bénéfiques sur les apprentissages et sur les pratiques utilisées en classe. Le soundpainting obéit à une syntaxe particulière articulée autour de quatre points : Qui, Quoi, Comment et Quand. Qui et Quoi englobent des signes de Fonction tandis que Comment et Quand appartiennent aux signes de Sculpture. C’est dans cet ordre que le soundpainter doit utiliser les gestes. Cependant, le Comment n’est pas toujours utilisé par le soundpainter, laissant ainsi une plus grande liberté d’improvisation au performeur qui peut alors choisir lui-même la nuance et la qualité de sa production.

Dans la méthode de Walter Thompson (Thompson, 2006, p. 8), trois principes sont donnés : « Si vous avez un doute, n’hésitez pas ! » (When in doubt, don’t lay out !). Si on se sent perdu à un moment donné, mieux vaut continuer son improvisation et attendre le prochain geste du soundpainter.

« Il n’y a jamais de fautes ! » (There are no mistakes !). Il vaut mieux continuer son improvisation plutôt que de s’arrêter pour revenir au bon geste. Le tout est d’affirmer et d’assumer son choix. L’ordre sera rétabli lors du prochain geste.

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Quelques modèles pour la didactique de la création artistique en musique

« Ne vous faufilez pas, ne vous dérobez pas ! » (Don’t sneak in, don’t seak out !). Lorsqu’un geste nous est destiné, il faut répondre immédiatement et ce jusqu’au geste suivant.

La finalité d’une performance de soundpainting est l’expérimentation de nouveaux sons fonctionnels, prenant en compte l’imprévu. La découverte de ces nouveaux sons peut être due au hasard et il s’agit alors de rebondir sur cette découverte, en vue d’un enchaînement cohérent. Celle-ci peut être sonore ou visuelle. La particularité du soundpainting réside dans le fait que cette pratique est adressée à tout le monde et permet à chacun de s’exprimer.

Conception du projet Soundpainting à l’école

La deuxième auteure de ce chapitre est l’enseignante qui a mené le projet dans sa classe de CM1 de l’école Josué Hoffet d’Oberhasubergen. Voici détaillées les diverses sections de cette partie.

Organisation

En septembre 2014, nous avons décidé de mener un projet sound­painting dans l’école publique Josué Hoffet à Oberhausbergen. Nous avons mené le projet dans une classe de CM1 comprenant vingt-quatre élèves âgés de dix et onze ans. Un élève était malentendant et un autre se déplaçait dans un fauteuil roulant. Tous les lundis après-midis de janvier à juin 2015, nous nous rendions dans une salle d’évolution à proximité de l’école pour une séance de cinquante minutes. La chercheuse accompagnait l’enseignante pour apporter un regard extérieur à ce qui se passait durant les séances et pour construire le projet ensemble.

Participants

Vingt-quatre élèves ont participé à l’étude (dix garçons et quatorze filles). Seulement une élève était musicienne (elle étudiait le piano au Conservatoire de Strasbourg), les autres n’avaient jamais pratiqué la musique dans des écoles de musique. L’expérience musicale des élèves à l’école était limitée au chant dans un groupe d’enfants, souvent pour des fêtes d’école (pour Noël ou pour la fin de l’année par exemple). Ils n’avaient jamais fait l’expérience de travailler avec leur

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Didactique de la création artistique

voix d’une manière expérimentale comme pour ce projet de création soundpainting.

Méthode Nous avons adopté le modèle de Grazia Giacco [fig. 2], pour la conception et la réalisation de ce projet. L’enregistrement vidéo et audio des séances et l’analyse post-enregistrement des données nous a permis de comprendre les progrès de l’expérience et des capacités des élèves dans la création d’éléments sonores, d’abord au sein d’un petit groupe puis dans un groupe plus grand (pratique collective). Les groupes d’élèves se sont formés spontanément selon leurs affinités et suivant le choix de leur élément (air, eau, feu et terre). Nous avons planifié les séances en collaboration  : chaque séance était accompagnée d’une phase d’analyse (retour réflexif sur la séance) et d’entretiens d’explicitation avec l’enseignante. Pendant les séances, la chercheuse avait un rôle d’observateur, en prenant des notes. Avec l’approbation de l’enseignante, la chercheuse pouvait interagir avec les élèves (souvent pour répondre aux questions que les élèves se posaient pendant les phases d’expérimentation du matériau sonore) mais sans jamais avoir un rôle directif. Ce rôle est similaire à ce que Margaret Barrett décrivait comme une caractéristique de l’enquête naturaliste : « La chercheuse interagissait avec les élèves pendant qu’ils travaillaient à la composition et à la notation, faisait des observations sur la nature de la participation des élèves à la tâche, et annotait les notations complétées par les enfants » (Barrett, 1997, p. 6). L’enseignante assurait un rôle multi-facettes (Boucheton et Soulé, 2009 ; Kratus, 1991)  : elle guidait les élèves durant la phase de recherche des quatre éléments, leur laissant du temps pour expérimenter, écouter et choisir. Elle aidait les élèves à organiser les objets dans de plus larges structures musicales (phase « organisation », cf. fig. 2) en offrant plusieurs structures et en leur donnant l’opportunité d’exprimer leurs points de vue et de choisir. Elle les accompagnait dans la performance finale en apportant les Palettes, la version finale de leur travail de création. Elle était soucieuse de ne jamais s’imposer avec une posture directive, mais plutôt de laisser les élèves faire leurs recherches par eux-mêmes en adaptant ses gestes professionnels et sa posture au processus d’apprentissage des élèves. Après avoir expliqué en quoi cette pratique consistait, l’enseignante a commencé à apprendre quelques gestes basiques aux élèves qui

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Quelques modèles pour la didactique de la création artistique en musique

ont tout de suite été très réceptifs. Afin qu’ils puissent mieux intégrer les gestes appris, ils les réutilisaient pour mener le chant qu’ils pratiquaient chaque matin. Au début l’enseignante le menait, puis progressivement les élèves l’ont remplacée. Une situation en particulier a retenu notre attention : un élève était malentendant dans la classe. Il était appareillé depuis plusieurs années et bénéficiait de l’aide d’une codeuse LPC (Langage Parlé Complété). Un matin, il était venu mener le chant. Nous avons vécu un véritable moment de grâce : il avait parfaitement réalisé les gestes, il était très concentré et a réinvesti toutes les remarques que l’on avait faites lors des différentes séances. Par ailleurs, c’était le seul élève qui, à cette étape de l’apprentissage, avait su improviser et réagir par rapport aux propositions des performeurs devant lui. On voyait et on sentait qu’il prenait le temps « d’écouter ». Ce mot prend ici tout son sens. Il s’agissait pour cet enfant de prêter l’oreille pour (re)créer quelque chose. En en discutant par après avec l’une de ses codeuses – qui était présente lors de cette séance – elle a précisé que les enfants malentendants étaient très attentifs et qu’ils observaient beaucoup ce qui se passait autour d’eux. Ceci explique le fait qu’il avait su prendre en compte ce que faisaient ses camarades. Avant de retourner au soundpainting, l’enseignante avait demandé aux élèves ce qu’était le soundpainting pour eux afin de l’expliquer à la nouvelle élève qui venait d’arriver. Pour la pratique du soundpainting, l’enseignante était le Soundpainter, mais les élèves pouvaient reproduire les gestes afin de mieux les intégrer. De plus, ils avaient la possibilité après quelques séances de prendre la place de soundpainter et de signer pour la classe. L’expérience a été un succès, et quelques élèves ont proposé des créations intéressantes, utilisant des gestes précis que l’enseignante corrigeait en même temps qu’ils les faisaient.

Partant de la théorie des quatre éléments de Guerra Lisi et Stefani (2010) en sémiotique musicale, nous avons proposé aux enfants une expérimentation en petits groupes (cinq ou six élèves), chaque groupe devant rechercher des sons (et leur représentation graphique) qui pouvaient évoquer des sensations ou des gestes sonores de chaque élément (stéréotypes vocaux-sonores et stéréotypes psycho-sensori-moteurs) – phase d’exploration / éléments. En utilisant la théorie des quatre éléments, nous avons réalisé un tableau détaillant les résultats gestuels de cette exploration, en y ajoutant ceux déjà proposés par Guerra Lisi et Stefani [voir Annexe 1. Tableau des quatre éléments]. Cette expérience a démontré la capacité des élèves à associer des sons à leurs notations en utilisant des signes énactifs, iconiques ou symboliques (M. Barrett, 1997 ; Davidson et Scripp, 1988).

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Didactique de la création artistique

Après quelques séances de recherches de sons sur les quatre éléments (eau, air, terre et feu) sous forme d’ateliers, nous nous sommes aperçues qu’il était désormais temps d’impliquer les élèves dans la création globale. En nous appuyant sur le modèle du processus de création que Grazia Giacco a élaboré, nous avons amené les enfants de la phase des « éléments » vers la phase de l’« organisation ». Afin de structurer un peu plus notre travail de création sonore, nous avons utilisé les Palettes, qui sont principalement des gestes de contenu identifiant des matériaux composés et  / ou répétés au préalable (Thompson, s.d., « Soundpainting : The Structure of Soundpainting »). En soundpainting, une Palette est un fragment plus ou moins court d’un matériau travaillé avec l’ensemble en amont. Walter Thompson affirme dans sa méthode qu’il faut donner aux Palettes une organisation. Ainsi, nous souhaitions proposer aux élèves de relever des sons qui leur semblaient intéressants et exploitables pour ensuite les utiliser dans la performance finale dans un ordre prédéfini. Entre ces Palettes, plusieurs élèves pouvaient prendre la place de soundpainter pour composer en temps réel, sous la forme ouverte (Thompson, 2009). Nous avons mené un atelier de recherche sonore pendant deux séances : les élèves avaient cherché des sons et ils devaient maintenant dessiner leur représentation graphique. Progressivement, tout au long des séances, les élèves avaient gagné en autonomie pour devenir soundpainters eux-mêmes devant la classe. Par exemple, une élève soundpainter signait et composait simultanément. Pendant qu’elle était en train de chercher des sons intéressants, les autres élèves l’aidaient avec des mouvements. Un autre exemple : une élève était en train de chercher les signes adaptés pour reproduire l’enchaînement des sons qu’elle souhaitait, mais elle ne savait pas comment y parvenir. L’enseignante avait trouvé une solution, la lui avait proposée mais l’élève n’était pas capable de la reproduire. L’enseignante et l’élève comprirent alors qu’il fallait accepter de prendre du temps pour mûrir ce passage et y revenir plus tard. C’est ce qu’est l’apprentissage à travers la création : le doute, l’essai et l’erreur, le désir et la recherche de moyens pour atteindre la création. Nous avons utilisé une approche systémique appliquée à la recherche-création (Gosselin, 2006) pour élaborer notre projet. Sous cette approche, nous avons tout autant pris en compte le processus de création (fig. 2) que la production finale. Ce projet soundpainting était supposé prendre en compte la socialisation du groupe, puisqu’il s’agissait d’une création collective. Les différentes expériences pro-

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Quelques modèles pour la didactique de la création artistique en musique

duites par les élèves étaient indépendantes durant la phase d’organisation (deuxième phase) : s’écouter eux-mêmes et les autres et répondre en relation avec les éléments et les organisations proposées par les autres élèves. Le projet ne visait pas à suivre une méthode analytique, mais plutôt à mettre en évidence la nature constructiviste du travail du praticien dans la création artistique (Gosselin, 2006, p. 28), l’enfant lui-même dans notre projet Soundpainting.

Déroulement

Afin d’avoir une idée plus détaillée des séances, le lecteur peut consulter la fiche de préparation [Annexe 2].

Évaluation des activités

Nous n’avons pas mesuré quantitativement les activités de création sonore comme l’avait fait Webster (1987, 1994) mais qualitativement selon une série de compétences, d’habilités (Eisner, 1998, pp. 14-15) : être capable d’imaginer de nouvelles possibilités, d’explorer l’ambiguïté et d’être ouvert à des pensées divergentes. Les pratiques créatives requièrent un modèle d’évaluation adapté au type de projet et aux compétences des élèves : « La plupart des types d’évaluation pédagogique évaluent l’exactitude des réponses des élèves. Mais avec les activités créatives, il n’existe pas de modèle pour l’exactitude »16 (Kratus, 1990, p. 37). Bien que la référence à Kratus soit ancienne, nous pensons que les difficultés de l’évaluation sont toujours pertinentes aujourd’hui et représentent l’une des raisons responsables du manque d’engagement dans les pratiques de création à l’école.

L’enseignante a évalué les élèves de manière formative tout au long de la séquence afin de préparer les différentes séances. Les pauses méthodologiques partagées avec les élèves leur ont permis de montrer à l’enseignant ce qu’ils avaient appris et ce qu’ils pouvaient faire. En analysant les vidéos des séances, nous avons pu évaluer les élèves sur leurs capacités à proposer des sons et à les développer, à discriminer les sons et leurs organisations (montrant ainsi une capacité à faire des choix), à écouter (eux-mêmes et les autres), à performer lors d’une séquence de soundpainting, et à devenir un soundpainter. 16

«  Most types of educational assessment evaluate the correctness of students’ responses. But with creative activities, no model for correctness exists.  »

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Didactique de la création artistique

Résultats Cette recherche et cette pratique de création avec le soundpainting ont abouti à une performance publique [fig. 3] dans les jardins universitaires de l’ESPE de Strasbourg lors d’un projet interdisciplinaire – installations d’œuvres d’art, objets, vidéos, sons, performances en collaboration avec le département des arts plastiques de l’Université de Strasbourg – #Jardin (perdu-retrouvé) (2015)17.

Tous les élèves ont été en mesure de participer et tous ont pu acquérir les outils de base pour créer le soundpainting. En plus de la réussite artistique de cette présentation publique et du travail effectué tout au long de l’année, les élèves étaient très fiers. Au cours d’une analyse des leçons apprises en classe, l’enseignante a recueilli ces remarques qui ont montré la place de l’expérience émotionnelle des élèves par leur investissement dans le projet : « Je me sentais joyeuse parce qu’ils nous admiraient » (Nesil, 8 Juin 2015) ; « J’ai ressenti de la joie » (Gil, 8 juin 2015). Le soundpainting a semblé être une belle expérience artistique pour eux : « Ce que j’ai aimé dans le soundpainting, c’est que nous étions libres de faire les mouvements que nous voulions quand nous voulions » (Amandine, 8 Juin 2015).

Fig. 3 : Les notations des Palettes pour la performance Soundpainting dans le cadre du projet #Jardin (perdu-retrouvé), 2015.

À travers les diverses remarques et questions des élèves lors de chaque séance, nous avons compris qu’ils n’avaient pas seulement appris et mis en œuvre des consignes, qu’ils n’avaient pas seulement maîtrisé des compétences et savoir-faire, mais qu’ils avaient inté17

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Cf. infra l’article de Thibault Honoré  : «  Le workshop comme dispositif d’enseignement des arts plastiques  : retour sur l’expérience #Jardin (perdu-retrouve)  ».

Quelques modèles pour la didactique de la création artistique en musique

gré le concept du soundpainting parce qu’ils en avaient expérimenté auparavant les gestes.

Conclusions

Concevoir des projets de création en éducation musicale implique une réflexion et une maîtrise de la gestion du groupe et du travail collaboratif. Comment en effet gérer en même temps le processus de création – qui en soi est déjà un processus complexe – avec la multiplicité des points de vue, des idées, des expérimentations de chaque élève ? Engager les élèves dans une démarche de création collective – comme c’est souvent le cas pour l’éducation musicale ou la danse – contrairement aux arts visuels où la démarche individuelle est davantage envisageable – va permettre aux élèves de se reconnaître dans un groupe et d’y participer activement, développant les facteurs de cohésion du groupe. Le projet soundpainting que nous avons présenté dans ce chapitre part d’une question de recherche : comment développer les pratiques de création musicale à l’école ? En France, les pratiques en éducation musicale, en particulier dans le premier degré, ont une tendance généralisée à être axées autour de l’écoute et du chant choral. La pratique instrumentale est dans la plupart des cas présente lors des accompagnements de chants. Mais un réel travail de création sonore – à l’exception des classes qui bénéficient d’un musicien intervenant ou d’enseignants motivés et spécialisés – autour de la voix, des instruments et des corps sonores, gagnerait à être développé, et cela aussi au niveau de l’enseignement secondaire. Les pratiques de création développent en retour des compétences d’écoute, d’esprit critique et de partage dans un cadre collaboratif (cf. Attendus de fin de cycle 4, MENESR, 2015c, p. 281). L’utilisation des nouvelles technologies pour l’éducation musicale peut aider les enseignants (du 1er et du 2d degré) à la mise en place de projets de création : cependant, ces outils ne sauraient pas à eux seuls être suffisants s’ils n’étaient pas mis au service d’un projet de création convenablement conçu (objectifs, supports, méthodologie, contexte de travail et de diffusion). Nous continuons par notre recherche à nous poser des questions qui tentent de comprendre comment développer les pratiques de création dans l’enseignement de la musique à l’école (mais ces questions pourraient toucher aussi l’enseignement de la musique dans les institutions spécialisées, comme les écoles de musique et les conservatoires), comment encourager cette réflexion dans le cadre de la formation des enseignants (1er et 2d degrés) et

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Didactique de la création artistique

comment les méthodologies de la recherche-création peuvent nous aider à mieux cibler les « compétences à créer » (Gosselin et al., 2014) et la posture du créateur-chercheur-enseignant.

En partant de la méthode de Thompson (soundpainting) et du réseau de questions qu’il pose, nous proposons un réseau similaire qui peut aider les enseignants à la mise en œuvre et au suivi de leurs projets de création – libres à eux ensuite de construire leur réseau de réponses à partir de la question centrale « pourquoi ».

Fig. 4 : Réseau de questions pouvant guider un projet de création.

Pourquoi  : thématique, objectifs, motivation ; conditions (Bennet, 1976) ; disposition d’esprit (Authelain, 1995).

Comment  : choix du projet – individuel, collectif ; démarches d’artistes, expérimentation, interdisciplinarité.

Quoi : matériau, expérimentation, recherche, essais, ratures, glanage (Le Coguiec, 2007)… Quand  : période, perspective temporelle ; temps  : durée du projet, durée des séances… ; étapes ; choix ; vérification…

Où : lieu de création, espace, réalisation ; où + comment = choix du support final, outils de réalisation, quelles formes de création, quelle forme de produit, œuvre, etc. Pour qui : implication des enfants, typologie de public.

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Aussi, selon les conclusions de Biasutti (2006), la recherche sur les processus cognitifs de la composition musicale mettant en lumière les habilités fonctionnelles (par exemple la génération des idées, la capacité à organiser et transcrire les événements sonores) à la base d’un processus de création, en encourageant la création collective

Quelques modèles pour la didactique de la création artistique en musique

et stimulant les mécanismes métacognitifs, peut permettre de faire évoluer la didactique de la création vers la prise en compte de la qualité des processus plutôt que de l’analyse de la production finale.

Ce projet, qui mériterait d’être reproduit dans d’autres classes et dans d’autres contextes, implique une réflexion sur la création artistique et l’art collaboratif avec les jeunes élèves, mais aussi une perspective de recherche plus large sur la place des arts dans l’enseignement et, ensuite, sur la place des enseignements des arts dans tous les cycles, du primaire au supérieur, dans des cursus polyvalents ou spécialistes. La singularité de ce projet exprime à ce jour une limite, car tous les enseignants n’ont pas assez de formation pour se consacrer à des projets de création, ni de temps dans leurs charges curriculaires. Nous ne pouvons pas étirer le temps, mais nous pouvons changer notre façon de penser (et de penser l’enseignement et la formation des enseignants) : c’est l’une des raisons qui nous motivent dans le projet de recherche DiCrA (Didactique de la création artistique). Il est nécessaire que la formation des étudiants qui se préparent aux métiers de l’enseignement (masters MEEF en France) puisse se fonder sur des recherches solides et innovantes qui abordent la question de la création comme activité artistique mais aussi comme activité développant des compétences de pensée divergente et d’esprit critique, dans un espace collaboratif. Notre recherche en didactique de la création artistique s’axe principalement sur le processus créateur en tant que sources de connaissance et sur le potentiel didactique transdisciplinaire des pratiques de création. Comme l’affirme Eisner, la pratique de création artistique développe des compétences spécifiques : Enfin, je voudrais identifier un ensemble particulièrement important de résultats pour l’éducation artistique. Il s’agit de dispositions qui sont difficiles à évaluer, et encore moins à mesurer, mais ce sont des dispositions qui semblent être développées à travers des programmes qui engagent les étudiants dans le processus de création artistique. Je fais référence aux compétences en lien avec la création artistique. Je parle d’attitudes menant à des résultats tels que : une volonté d’imaginer des possibilités qui ne sont pas encore là mais qui pourraient devenir ; un désir d’explorer l’ambiguïté, d’être disposé à empêcher une fermeture prématurée dans la poursuite des résolutions ; la

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Didactique de la création artistique

capacité de reconnaître et d’accepter les multiples perspectives et résolutions qui sont exaltées par le fait de travailler dans un domaine artistique. (Eisner, 1998, pp. 14-15)18

L’improvisation telle que pratiquée avec le soundpainting peut amener l’enfant à développer des compétences à réinvestir en classe et à l’école. On parle alors de transfert de compétences artistiques en compétences plus larges comme la concentration, le vivre ensemble, le respect, la confiance en soi, la maîtrise du corps. À travers ces compétences, l’élève s’inscrit dans une création artistique collective tout en se sentant reconnu dans son travail individuel de création, car il est en mesure de signer son œuvre (dans le cadre du soundpainting). Il pourra être nécessaire, dans le futur, de mener un travail interdisciplinaire réunissant des artistes, des enseignants de disciplines artistiques, des psychologues, pour pouvoir réfléchir sur l’incidence que ce type de didactique de la création artistique peut avoir sur les enfants au niveau cognitif, conatif et émotionnel.

Remerciements

Les auteurs remercient l’Université de Strasbourg, l’équipe Mission Investissements d’Avenir (Fonds IdEx) et l’équipe de recherche EA 3402 ACCRA (Approches contemporaines de la recherche et de la création artistiques), l’ESPE de l’Académie de Strasbourg, ainsi que le directeur de l’école d’Oberhausbergen, Monsieur José Ribeiro, les enfants et les parents pour leur engagement dans le projet Soundpainting. Nos sincères remerciements à Walter Thompson et à Pierre Gosselin pour leurs conseils et encouragements.

Références

Anzieu, D. (1981). Le corps de l’œuvre : essais psychanalytiques sur le travail créateur. Paris : Gallimard. 18

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«  Finally, I wish to identify a particularly important set of outcomes for arts education. This one pertains to dispositions that are difficult to assess, let alone measure, but they are dispositions that appear to be cultivated through programs that engage students in the process of artistic creation. I speak of dispositional artistic creation. I speak of dispositional outcomes such as the following: a willingness to imagine possibilities that are not now, but which might become; a desire to explore ambiguity, to be willing to forestall premature closure in pursuing resolutions; the ability to recognize and accept the multiple perspectives and resolutions that work in the arts celebrate.  »

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Autres sons Sons produits avec les lèvres, Sons qui fusent en crescendo bulles, langue [ʒ] [l] [pl]. rapide [ʃ ] [fz] [t]. Proposition de travail à (exprimer/ Proposition de travail à (exprimer/ représenter). représenter). Éléments sonores : Éléments sonores : points, lignes, ascendant/descendant, continus/ points, lignes, ascendant/ discontinu, en accumulation/ descendant, continus/discontinu, raréfaction, surface légère/masse, en accumulation/raréfaction, surface légère/masse, en crescendo en crescendo / decrescendo. / decrescendo.

FEU Prototypes Fluide, continu, inertie, gravité, Énergie, chaleur, intense, vibrant, lourdeur, descendant, lent, masse, ardent, vivace, vif, imprévisible, informe, enveloppante, sinuosité, qui incontrôlable, incoercible, extrême, échappe, délié… froide, chaude, claire, incorporel, rapide, impulsions, pure, lisse, surface, gouttes fines, accents, sursauts… gouttes rapides, continu, discontinu. Stéréotypes vocaux-sonores Voix mélodieuse, voyelles [ɘ] [ɔ] Respiration sonorisée, émission [y] [u], expiration prolongée, intense, précipice tonique phonique succion lèvres, lallation, gargouiller, de [i] à [u] [e] à [ɔ], exclamations, consonne [l]. rire, pleurs, convulsion de mots, sifflements…

EAU

Sons tremblants, déchirants, tectoniques, lourds [kr] [crz] [tk]. Proposition de travail à (exprimer/ représenter). Éléments sonores : points, lignes, ascendant/descendant, continus/ discontinu, en accumulation/ raréfaction, surface légère/masse, en crescendo / decrescendo.

Émissions sonores gutturales, ton grave, voix intermittente, gesticulation intense, voyelles fermées [y] [u] [ɘ] à [u] [ɔ] [e], consonnes [m] [n] [ŋ] [p] [d] [g] [ʤ] [t] [k].

Toucher, compact, dense, solide, dur, immobile, stable, statique, rigide, résistant, grave, bas, opaque, appui… tellurique, force cachée, profonde, lourde, effritée, creusée, masse, corporéité.

TERRE

Les adjectifs en italiques sont traduits de l’ouvrage Stefania GUERRA LISI-Gino STEFANI, Il corpo matrice  di segni, nella Globalità dei Linguaggi, Rome, Borla, 2010, pp.  42-46. Les adjectifs qui ne sont pas en italiques relèvent de notre proposition.

Inspiration/expiration bruitée ou pas. Proposition de travail à chercher parmi les sons qui puissent exprimer l’air (notre ressenti de l’air sur nous ou de nous dans l’air) ou représenter l’air (son comme description d’un événement, d’une matière sans l’implication du ressenti). Éléments sonores : points, lignes, ascendant/descendant, continus/ discontinu, en accumulation/ raréfaction, surface légère/masse, en crescendo/descrescendo.

Émission expiratoire sonorisée, prononciation de tête, sons fins et vibrés sur les lèvres, même avec des objets ; consonnes constrictives [v] [f] [ᴣ] [h] [k] [z] ou vibrantes [r] [br] [fr] ; voyelles [i :] [ɘ].

Léger, inconsistant, ascendant, continu, enveloppant, suspendu, transparent, libre, insaisissable… fuyant, invisible, froid, chaud, sibilant, cinglant, doux.19

AIR

Annexe  1  : Tableau des quatre éléments19 Didactique de la création artistique

Sifflement du vent

Cascade d'eau

Feu

Feu

Craquement du feu

Roches qui tombent

Volcan

Tremblement de terre

Gestes brusques, inattendus, chaotiques. À partir de ces gestes, transcription en codage graphique.

Autres gestes Gestes suspendus avec évaporation Gestes continus avec dissolution Gestes brusques, inattendus, verticale vers le bas, accumulation de points- chaotiques. À partir de ces gestes, transcription en codage graphique. À partir de ces gestes, transcription gouttes. À partir de ces gestes, transcription en codage graphique. en codage graphique. Élève créateur : gestes, propositions sonores, notation graphique Pluie (en tapant deux doigts sur la paume de la main)

Contraction, position accroupie, grincement, poings fermés, énergie déchargée dans l’appui de la plante du pied intensément dans les talons, regard fixe…

Stéréotypes Psycho-sensori-moteur Jambes fléchies, épaules fermées Mouvements en soubresauts en en avant, mains détendues et pointes des pieds et talons, sauts, abandonnées, pieds appuyés sur le corps élancé, inspiration/expiration bord extérieur, allure en oscillation, rapide, hypercinésie (mouvements tête et regard vers le bas, hypotonie, involontaires) aussi du regard, mouvements ralentis, glissements… mains mouvements rapides…

Suspension sur la pointe des pieds, clavicules soulevées, mains secouées, diaphragme suspendu en inspiration, tête et regard tournés en haut ou vers des horizons lointains, bouche semi-fermée ou vibrante, mains vers le haut, toucher délicat entre la pulpe des doigts.

Quelques modèles pour la didactique de la création artistique en musique

133

Vent Vent

134 Eau Eaudu durobinet robinet

Goutte Gouttesd'eau d’eau

Robinetqui quigoutte goutte Robinet

Sifflements du Sifflement dufeu feu

Feu Feu

Pas dans la neige Pas dans la neige

Pas dans la boue Pas dans la boue

Modelagede de la la terre Modelage terre

Sablesmouvants mouvants Sables

Didactique de la création artistique

Quelques modèles pour la didactique de la création artistique en musique

Annexe  2  : Fiche de préparation Création sonore avec le soundpainting Domaine : Pratiques artistiques : Activités sonores Période : de janvier à juin (2015) Compétence développée : •

Cycle : 3 Niveau : CM1 Durée : 1 séance par semaine

Être capable de prendre part à une création musicale collective

Objectif(s) opérationnel(s) : • Mémoriser quelques gestes du soundpainting • Composer des esquisses de phrases de soundpainting • Être soundpainter et composer en temps réel • Imaginer, expérimenter et choisir des sons évoquant les quatre éléments : air, eau, feu, terre • Représenter graphiquement les sons trouvés évoquant les quatre éléments : air, eau, feu, terre Compétences transversales : • Se concentrer tout le long de la performance • Respecter les exigences d’une expression musicale collective • S’écouter et écouter les autres • Accepter les contraintes liées au groupe et tenir sa place dans le groupe • Savoir garder le silence quand il le faut • Faire abstraction des autres tout en prenant en compte ce qu’ils produisent • Prendre confiance en soi pour produire des sons • Apprendre à privilégier l’articulation du matériau sonore Lieu : • Salle d’évolution de danse du PréO à Oberhausbergen Matériel technique : • Enregistreur numérique audio vidéo Zoom Q4 • Enregistreur numérique audio Roland R-05Progression : À partir d’esquisses de phrases simples, aller vers des compositions plus complexes nécessitant plusieurs gestes. Passer du rôle de performeur au rôle de soundpainter. Mettre en application les gestes appris et la compétence à développer du matériau sonore afin de composer en temps réel.

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Didactique de la création artistique

Première séance (55 min) Le 12 janvier 2015 Découverte du soundpainting

Déroulement des séances • Mémoriser quelques gestes du soundpainting

Présentation rapide du soundpainting en tant que pratique artistique pluridisciplinaire → c’est de la « peinture sonore ». Explication de la syntaxe du soundpainting : Qui, Quoi, Comment, Quand.

Première séance (55 min) Le 12 janvier 2015 Apprentissage des gestes basiques

Mise en situation à partir d’une analogie avec une situation de communication : Que fait-on quand on communique avec quelqu’un ? On s’adresse à quelqu’un (Qui), on lui dit quelque chose (Quoi), d’une certaine manière (Comment), à un certain moment (Quand). • Mémoriser quelques gestes du soundpainting •

Composer des esquisses de phrases du soundpainting pour pratiquer les gestes basiques

Exemple d’esquisse de phrases vocales :

1. , , , ,

2. , , , , , , , 3. , 4.

5.

D’autres gestes seront apportés tout au long de la séquence suivant les besoins et les situations rencontrées avec les élèves. Initialement, l’enseignante est soundpainter, les élèves sont performeurs. Ils peuvent faire les gestes en même temps que l’enseignante pour bien les intégrer. Petit à petit, des élèves prennent la place de soundpainter et composent en temps réel.

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Quelques modèles pour la didactique de la création artistique en musique

Séance de recherche (55 min) Le 19 janvier 2015 Ateliers de recherches de sons



Produire des sons évoquant les quatre éléments : air, eau, feu, terre

Phase de recherche active : 4 groupes de 5-6 élèves : Chaque groupe travaille sur un élément. Les élèves doivent trouver des sons évoquant l’élément sur lequel ils travaillent. Mise en commun : Chaque groupe vient présenter au reste de la classe les sons qu’il a trouvés. Phase de structuration :

Séances de recherche (55 min) Le 26 janvier 2015 Le 2 février 2015 Le 16 février 2015 Exploration des sons produits

Séance de recherche (55 min) Le 9 mars 2015 Représentations graphiques des sons produits

Collectivement, choix de deux sons pour chaque élément : un son court et un son long. Ces 8 sons seront les Palettes. • Composer des esquisses de phrases du soundpainting • Être soundpainter et composer en temps réel

Esquisses de phrases simples pour pratiquer les gestes basiques en intégrant les sons choisis collectivement (Palettes). Initialement, l’enseignante est soundpainter, les élèves sont performers. Ils peuvent faire les gestes en même temps que l’enseignante pour bien les intégrer. Petit à petit, des élèves prennent la place de soundpainter et composent en temps réel. • Représenter graphiquement les sons trouvés évoquant les quatre éléments : air, eau, feu, terre Phase de recherche active : Chaque groupe doit concevoir une représentation graphique des sons qu’il a trouvés. Mise en commun : Chaque groupe vient présenter au reste de la classe les représentations graphiques trouvées.

Phase de structuration : Élaboration d’une partition graphique qui sera utilisée lors des séances suivantes ainsi que pour la performance finale (Palettes).

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Didactique de la création artistique

Séances de production (55 min) Le 23 avril 2015 Le 11 mai 2015 Le 18 mai 2015 Le 1 juin 2015 Composition en temps réel

Séance finale (20 min) Le 4 juin 2015 Représentation publique

• •

Composer des esquisses de phrases du soundpainting Être soundpainter et composer en temps réel

Esquisses de phrases simples pour pratiquer les gestes basiques en intégrant les Palettes.

Initialement, l’enseignante est soundpainter, les élèves sont performers. Ils peuvent faire les gestes en même temps que l’enseignante pour bien les intégrer. Petit à petit, des élèves prennent la place de soundpainter et composent en temps réel. Les élèves s’aident de la partition graphique qu’ils ont à disposition pour se souvenir des Palettes. • Composer des esquisses de phrases du soundpainting • Être soundpainter et composer en temps réel Performance finale : Représentation « Air, eau, feu, terre » à l’ESPE de Strasbourg dans le cadre du projet #Jardin (perdu-retrouvé) initié par Grazia Giacco.

L’enseignante commence en tant que soundpainter puis elle invite une élève à prendre sa place de soundpainter et à composer en temps réel. Les élèves s’aident de la partition graphique qu’ils ont à disposition pour se souvenir des Palettes.

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… CAR LA VOIE DROITE ÉTAIT PERDUE (DANTE, ENFER, I)  : DE LA NÉCESSITÉ D’UN MODÈLE HYBRIDE POUR LA RECHERCHE EN DIDACTIQUE DE LA CRÉATION ARTISTIQUE Grazia Giacco et John Didier

Au milieu du chemin de notre vie je me retrouvai par une forêt obscure car la voie droite était perdue. Ah dire ce qu’elle était est chose dure cette forêt féroce et âpre et forte qui ranime la peur dans la pensée !

[Dante, Enfer, I, trad. de Jacqueline Risset, Garnier-Flammarion, 1985]

L e projet Didactique de la création artistique , initié en 2014, avait été conçu au départ, d’une certaine manière, comme un défi 1

lancé à la recherche musicologique et didactique, car il se présentait comme un projet hybride, à mi-chemin entre la recherche sur la création musicale contemporaine – de compositeurs reconnus – et la recherche sur la didactique de l’éducation musicale – pratiquée par des enseignants du terrain le plus souvent inconnus. Au milieu, se trouvent souvent les auditeurs mais aussi les élèves – futurs auditeurs, dans l’idéal d’une boucle bouclée. À la source de ce questionnement, il y a des axes – l’écoute, la réception de l’œuvre contem1

Abréviation  : DiCrA.

139

Didactique de la création artistique

poraine, l’analyse du processus de création, la performance – pour lesquels les deux auteurs avaient consacré dans le passé une large partie de leurs recherches. Avec John Didier, nous nous sommes rencontrés au début de ce projet que j’avais inauguré : croisant nos intuitions et nos cadres méthodologiques, le désir de collaboration s’est naturellement imposé. Durant ces années, sur ce chemin qui n’a rien, ou peu, eu à voir avec l’Enfer dantesque, nous avons pu côtoyer plusieurs chercheurs, acteurs de la culture, enseignants, étudiants, élèves. Le travail a été intense, et nous pouvons aujourd’hui mesurer non seulement tout ce qui reste à faire, mais aussi saisir l’actualité et la vivacité de ce questionnement autour de la création artistique, de sa transmission et de la formation – du point de vue pédagogique, didactique et épistémologique. Certains, en effet, mettent plutôt l’accent sur l’aspect pédagogique, prenant en compte l’éducation dans son ensemble, d’autres plutôt l’accent sur le champ didactique, essayant donc de réfléchir aux outils à mettre en œuvre en situation d’enseignement pour didactiser la création, ce qui n’est pas du tout simple, au contraire. Restons optimistes : dans le lieu symbolique qui avait accueilli les dernières journées DiCrA2, nous nous retrouvions pour parler de création et de comment développer une posture de créateur autant chez l’enseignant (Gosselin, 2013) que chez l’élève ou l’étudiant. Afin d’éviter tout sentiment de frustration, le lecteur saura qu’il ne s’agit pas ici de donner des recettes prêtes à l’emploi sur comment enseigner la création. Par contre, nous pouvons tous contribuer à tracer des pistes possibles pour favoriser des pratiques de création en classe, de l’école jusqu’à l’université, et pour apporter de nouvelles perspectives dans la recherche en art grâce à un travail – nécessaire aujourd’hui dans l’enseignement supérieur – sur les méthodologies en recherche-création, désormais bien affirmées depuis plus de vingt ans dans les pays anglo-saxons et nord-américains. Méthodologies et problématiques qui nous semblent converger inévitablement dans la didactique de la création artistique et l’alimenter par tout un questionnement sur ce qu’est la recherche en art aujourd’hui à l’université et dans les écoles nationales supérieures d’arts (en France), sur ce qu’est la création artistique dans les établissements de formation (du primaire à l’université, jusqu’aux institutions spécialisées), sur la posture du créateur-chercheur-enseignant. 2

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Les troisième et quatrième Journées d’études DiCrA s’étaient déroulées au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg. Nos remerciements vont à toute l’équipe du Musée, en particulier à Margaret Pfenninger, conservatrice et responsable du Service pédagogique des musées de la Ville de Strasbourg.

… Car De la nécessité la voie droite d’unétait modèle perdue hybride (Dante, pourEnfer, la recherche I) en didactique...

L’une de nos principales références théoriques est représentée par la recherche de Pierre Gosselin, professeur à l’École des arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal. Son modèle de « dynamique de la création » (Gosselin et al., 1998) et son engagement dans une méthodologie propre à la recherche en arts ont été des piliers pour notre réflexion actuelle. Dans son discours lors de la Conférence mondiale sur l’éducation artistique (UNESCO), en 2006, Gosselin soulignait ainsi l’importance de la démarche de création3 : L’enseignement des arts visuels, pourrait-on dire ici, ne se résume pas exclusivement à l’entraînement à créer, ce que je reconnais volontiers. Mais selon moi, la démarche de création représente un noyau central autour duquel les autres aspects relatifs à l’enseignement des arts peuvent se greffer. Je suis porté à les comprendre comme des éléments qui participent à la dynamique d’ensemble que représente la démarche de création qui, dans mon esprit, se définit comme une démarche de connaissance, une démarche qui amène à élaborer, à « construire » des représentations. Comprendre la démarche de création, signifie alors comprendre sa dynamique de même que comprendre sa portée épistémologique et son potentiel pour le développement intégral de la personne. (Gosselin, 2006, pp. 3-4).

Un autre axe sur lequel s’appuie notre cadre théorique est représenté par les méthodologies de la recherche-création. Selon la définition donnée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH)4, la recherche-création est une « approche de recherche combinant des pratiques de création et de recherche universitaires et favorisant la production de connaissances et l’innovation grâce à l’expression artistique, à l’analyse scientifique et à l’expérimentation. Le processus de création, qui fait partie intégrante de l’activité de recherche, permet de réaliser des œuvres bien étoffées sous diverses formes d’art. […] ». Les domaines rattachés sont : « l’architecture, le design, la création littéraire, les arts visuels (peinture, dessin, sculpture, céramique, textiles, etc.), les arts du spectacle (danse, musique, théâtre, etc.), le cinéma, la vidéo, les arts interdisciplinaires, les arts médiatiques et électroniques ainsi que les nouvelles pratiques artistiques »5. 3

4

5

Sa citation est axée autour des arts visuels, mais il est possible de l’élargir et la transposer à la pratique et à l’enseignement des autres arts. URL  : http://www.sshrc-crsh.gc.ca/funding-financement/programs-programmes/ definitions-fra.aspx Ibid.

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Didactique de la création artistique

Au croisement de plusieurs axes  Dans le projet DiCrA, nous croisons deux champs de recherche, deux milieux : la recherche-création et la didactique de la création artistique [fig. 1]. Trois postures possibles (et leurs combinaisons multiples)6 permettent une interaction, un équilibre ou un déséquilibre entre ces deux champs – [RC] et [DiCrA] : le créateur, le chercheur et/ ou l’enseignant – avec tous les facteurs qui déterminent leurs motivations et compétences et selon les diverses postures possibles, prises dans leur individualité ou dans une multiplicité de rôles. C’est un modèle hybride car il n’existe que par cette interaction organique entre recherche-création [RC] et didactique de la création artistique [DiCrA]. Nous utilisons ce terme « organique » pour renforcer la métaphore avec tout processus de création dans notre écosystème, selon une approche holistique et complexe de la création.

Fig. 1 : Schéma des intersections des milieux.

Pourquoi donc prendre en considération un modèle hybride ? Pourquoi faire appel à la transversalité ? Trois motivations retiennent notre attention. Tout d’abord, les liens entre recherche-création et didactique de la création artistique se placent sur le plan des méthodologies : à la fois méthodologies de recherche (heuristique, systémique) et objet d’étude, à savoir le processus de création. Puis, le fait 6

142

Par exemple, l’artiste-chercheur ou l’artiste-chercheur-enseignant, ou le chercheur-créateur, ou le chercheur-enseignant, ou l’enseignant tout court. Sans oublier la posture d’auteur de l’élève (Didier, 2015) – de l’étudiant en arts ou dans les métiers de l’enseignement artistique – qui se trouve, selon les contextes et les projets, à s’investir dans des démarches d’expérimentation, de création, de recherche et/ou de transmission aux paires lors de phases d’apprentissage et de co-construction du savoir.

… Car De la nécessité la voie droite d’unétait modèle perdue hybride (Dante, pourEnfer, la recherche I) en didactique...

d’apprendre à créer et d’apprendre à avoir le désir ou le besoin de créer permet à l’élève ou à l’étudiant d’apprendre en créant. Gosselin exprime à plusieurs reprises l’importance de ce type d’apprentissage (Gosselin et al., 2014). Et enfin, au milieu du chemin de notre recherche, nous pressentons que nous y gagnerons à prendre en compte une pluralité d’approches de recherche (Kjørup, 2010). Ce qui amène à penser que, dans l’hypothèse d’un modèle pluriel et hybride, on se tourne vers une autre vision de l’enseignant-chercheur, celle d’enseignant-chercheur-créateur qui va interagir avec un étudiant-chercheur-créateur. La prise de conscience d’une possibilité de posture d’auteur ou de créateur, chez les deux, apporterait une ouverture prometteuse dans l’enseignement et dans la recherche, et probablement signerait aussi un renversement des catégories artistiques et du statut de l’artiste lui-même.

Dans le Référentiel pour le développement et l’évaluation de la compétence à créer en arts visuels au collège et à l’université (Gosselin et al., 2014), Gosselin et son équipe analysent la démarche de création pour en déduire les compétences à créer, parmi lesquelles : être présent à soi, au monde, à l’expérience ; réfléchir/comprendre l’art, sa démarche, celle des autres ; développer des idées, des productions artistiques et un discours sur sa démarche et ses réalisations ; explorer des techniques, des matériaux, des idées, des modes d’organisation ; présenter son travail et ses réflexions. La place de l’expérimentation est centrale, tout comme l’acceptation du doute et du glanage (Le Coguiec, 2007), pour développer son esprit critique et vivre une expérience esthétique. Jean Lancri (2001), attiré par l’image de la claudication7, allait jusqu’à affirmer :

7

Pourquoi cet éloge de la boiterie ? Tout simplement parce que le chercheur en Arts Plastiques emboîte le pas (encore une métaphore) aussi bien du savant que du poète, aussi bien des tenants de la raison que des professionnels du rêve : comment dans ces conditions ne pas claudiquer ? Pour quelles raisons, par ailleurs, cet éloge du milieu (par lequel commencer) et de la position médiane (d’où partir) ? Parce que «  l’art s’insère à mi-chemin entre la connaissance scientifique et la pensée mythique ou magique ». Chacun aura reconnu là que je cite encore LéviStrauss, qui poursuit de la sorte : « Car tout le monde sait que l’artiste tient à la fois du savant et du bricoleur : avec des moyens artisanaux, il confectionne un objet matériel qui est en même temps objet de connaissance ». On aura noté le glissement que

La citation de Lancri (2001) s’ouvrait ainsi  : «  La claudication du philosophe est sa vertu, proclamait jadis Merleau-Ponty. J’ajouterai qu’elle est aussi la vertu du chercheur en Arts Plastiques.  » [Nous soulignons].

143

Didactique de la création artistique

je viens d’effectuer du champ de la recherche universitaire en Arts Plastiques à celui du champ artistique. Pourquoi ce glissement ? Parce que le modèle de la recherche en Arts Plastiques se calque en permanence sur celui de l’art, sur la manière dont les artistes, hors toutes considérations universitaires, conduisent leurs recherches. (Lancri, 2001)

Ayant choisi de puiser dans la recherche en pratique artistique et de bâtir autour du processus de création nos cadres méthodologiques, la Didactique de la création artistique s’en trouve enrichie, moins délimitée par les modèles des sciences de l’éducation et plus prête à s’ouvrir à d’autres approches, quitte à saisir des opérations de bricolage : l’artiste-chercheur serait « sensible » à des méthodes qualitatives « pour investiguer et théoriser à partir de sa pratique personnelle » (Laurier et Gosselin, 2004, p. 29) :

Les approches phénoménologiques, heuristiques, systémiques ou autobiographiques sont celles qui semblent le plus couramment correspondre au type de recherche qu’il poursuit. Quand il n’arrive pas à trouver une approche qui lui semble pertinente, il tente de créer une forme de collage au sein duquel les modes et les procédures issus de plusieurs approches se conjuguent. Stewart (2001) nomme cette opération « processus de bricolage ». Ce terme fait référence aux processus de recherche qui utilisent de multiples méthodes de recherche qualitative pour constituer une sorte de construction émergente (Weinstein et Weinstein, 1991). […] Devenir un « chercheur-bricoleur » semble nécessiter un processus aussi complexe que celui de la création et au sein duquel histoire de vie, compréhension et interprétation sensible du monde visible s’articulent pour former une vision cohérente du phénomène investigué. (Laurier et Gosselin, 2004, pp. 29-30)

Nous partons de ce(s) milieu(x), de ces pratiques – artistiques – qui ne sauraient pas rentrer dans des schémas stricts, ni ne sauraient être strictement évaluées, mesurées (Seban, 2008). La « droite voie » était perdue : Dante avait si bien fixé cet instant de doute en quelques mots.

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Pour chercher, pour créer, il faut admettre la perte, l’erreur, le glanage, le bricolage. Et le but de ce projet DiCrA est aussi, d’une certaine manière, de ne pas montrer un début ou une fin, mais un milieu. S’il est difficile de commencer et parfois de finir, il est encore plus difficile de visualiser le milieu, l’intersection. Qu’est-ce qu’apporte une pratique de création ? (Eisner, 2014) : connaissance de soi, développement de

… Car De la nécessité la voie droite d’unétait modèle perdue hybride (Dante, pourEnfer, la recherche I) en didactique...

la motivation intrinsèque, développement de compétences créatives, expression et maîtrise des émotions, éveil de l’esprit critique, éveil de l’imagination, savoir vivre en groupe, savoir collaborer et partager les connaissances, faire des expériences esthétiques… Et ce qu’une pratique de création apporte à l’individu (à l’élève d’école comme à l’étudiant d’un cycle supérieur, dans un contexte de formation), c’est aussi la capacité à relier des connaissances, des pratiques, des idées. Cette notion de reliance, tirée des Sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur d’Edgar Morin, permet d’éclairer notre réflexion : « L’unité, le métissage et la diversité doivent se développer contre l’homogénéisation et la fermeture. Le métissage n’est pas seulement une création de nouvelles diversités à partir de la rencontre ; il devient, dans le processus planétaire, produit et producteur de reliance et d’unité » (Morin, 1999, p. 42).

La création, un perpétuel déplacement 

La question du chemin évoquée précédemment comme lieu de rencontre entre terrains d’enseignements et lieux de créations (à entendre dans un sens large pouvant comprendre l’atelier, les démarches in situ…) nous amène à identifier les projets de rencontres entre réflexion et pratiques de la création. Pour ce faire, nous arpentons les démarches de création, ce qui nous amène à un déplacement, aussi bien réflexif que culturel.

Le déplacement engendré par notre investigation sur la création questionne non seulement le processus de création dans les différents arts mais accompagne également sa mise en œuvre dans l’enseignement. En prenant comme point de départ des terrains artistiques dans lesquels la création se conçoit, s’opère, se réinvente en vue d’agir et de comprendre le monde et son époque, nous rapatrions ces mécanismes de création au sein de la formation et de l’enseignement. Pour comprendre ce rapport au déplacement, nous utilisons le terme delocazione employé par Didi-Huberman (2001). Celui-ci ne signifie pas « l’absence du lieu, mais son déplacement producteur de paradoxes, non par le refus, mais la mise en mouvement, façon de le mettre au travail et en fable » (Didi-Huberman, 2001, p. 34). Aussi déplacer la création dans les lieux de formation et d’enseignement, nous renvoie à un paradoxe dans le sens où il questionne l’acte d’enseignement en remettant en cause la manière même d’enseigner, trop souvent, voire uniquement, transmissive. Créer les conditions

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Didactique de la création artistique

pour enseigner la création nous amène à revenir non seulement sur le processus de création, mais également sur sa cristallisation dans la matière. Dans cette logique, le rôle et la fonction des productions dans les lieux de formation convoquent cette distinction entre l’œuvre et le produit (Deforge, 1989) qu’il convient de repositionner et de réaffirmer dans l’école. Dès lors, quel est le statut de la production de l’élève ? Que faut-il pour que celle-ci soit considérée comme une œuvre ou un produit ? L’œuvre n’imite pas un espace. Elle produit son lieu – son travail du lieu, sa fable du lieu – par un travail et une fable de temps, un mime de temps ajointés : une invocation, une production, un montage de temps hétérogènes. (Didi-Huberman, 2001, p. 39)

La production scolaire d’un élève pour être considérée comme une œuvre ou un produit et, par ce fait, renvoyer à son auteur/créateur l’image d’une expérience esthétique, induit assurément un autre rapport à l’enseignement. L’œuvre, en produisant son lieu et son travail sur le lieu, déplace et transporte avec elle cet autre rapport au lieu de création qu’il convient d’établir dans l’enseignement. Dans cette dynamique s’opère le passage de la salle de classe à l’atelier dans une forme hybride. En soi, la création reconfigure le lieu, elle le délocalise et c’est en cela qu’elle engendre du paradoxe et qu’elle peut effrayer, car elle va au-delà des habitudes scolaires. La création introduit de l’émancipation par la production, elle construit de l’individuation par l’effort technique et esthétique que l’auteur/créateur génère (Didier, 2015).

Le phénomène d’individuation active cette rencontre de l’enseignant-chercheur-créateur et de l’étudiant/élève-chercheur-créateur. Comprendre l’individuation et son rôle essentiel dans le processus de création focalise notre attention sur la création de l’œuvre, mais surtout sur la construction de cette posture d’auteur/créateur. Celui-ci, en conférant de la singularité à son objet technique, transmet une partie de lui (Simondon, 2008). Ainsi, l’objet individué par sa singularité va ensuite révéler son auteur en lui renvoyant à son tour cette singularité diffusée à sa création, devenant le témoin d’un acte de création.

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Créer les conditions pour enseigner la création : cela nous entraîne à remettre en avant ces paradoxes soulignés par la delocazione (DidiHuberman, 2001). La tradition d’une école habituée à transmettre son savoir de manière transmissive ne peut en aucun cas être suffisante pour créer les conditions d’une pratique de la création à l’école. Aussi nous réintroduisons ces dynamiques visitées dans les méthodes pédagogiques actives et plus précisément dans la pédagogie du projet (Didier, 2015). Plus qu’une pédagogie de la créativité

… Car De la nécessité la voie droite d’unétait modèle perdue hybride (Dante, pourEnfer, la recherche I) en didactique...

centrée sur la résolution de problèmes en produisant des réponses innovantes et adaptées à la situation (Lubart et al., 2003), la didactique de la création convoque le processus créateur (Gosselin, 2006) déployé par une posture d’auteur/créateur donnant lieu à une œuvre ou un produit. Le processus de création est un processus créateur de sujets individués, dans le sens où la création a lieu au niveau de la production et du sujet agissant sur le monde, sur lui-même et sur autrui. En cela, le processus de création engendre un sujet devenu créateur de possibles. Dans la production, les hommes n’agissent pas seulement sur la nature, mais aussi les uns sur les autres. Ils ne produisent qu’en collaborant d’une manière déterminée et en échangeant entre eux leurs activités. Pour produire, ils entrent en relations et en rapports déterminés les uns avec les autres, et ce n’est que dans les limites de ces relations et de ces rapports sociaux que s’établit leur action sur la nature, la production. (Marx, 2007, p. 44)

Enseigner la création ne consiste pas à former des apprentis artistes capables de produire des artéfacts esthétiques et/ou utilitaires, loin de là. Plus que cela, il convient d’activer les mécanismes issus des démarches de création contenues dans l’œuvre et le produit à l’aide du processus créateur. En cela la didactique de la création requiert des démarches hybrides.

Le bricolage, une démarche de création

Développer la création en tant que potentialité d’enseignement consiste à se reconnecter à une dynamique du projet, faisant par conséquent de ses auteurs des chercheurs visionnaires, capables d’aller au-delà des sentiers battus et du déjà-là. Le processus de création installe le sujet dans une dynamique de déplacement, de rupture avec sa propre histoire personnelle. Le projet d’entreprendre est celui d’un explorateur, sorte de créateur visionnaire qui se trouve lui-même en situation permanente de rupture, de déplacement par rapport à son histoire personnelle. (Boutinet, 2012, p. 271)

De ce fait, la création par le glanage, l’errance, l’expérience, l’acceptation du doute, nous amène à cette démarche de création emblématique convoquée précédemment : le bricolage.

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Didactique de la création artistique

Dans son sens ancien, le verbe bricoler s’applique au jeu de balle et de billard, à la chasse et à l’équitation, mais toujours pour évoquer un mouvement incident : celui de la balle qui rebondit, du chien qui divague, du cheval qui s’écarte de la ligne de la droite pour éviter un obstacle. Et de nos jours, le bricoleur reste celui qui œuvre de ses mains, en utilisant des moyens détournés par comparaison avec ceux de l’homme de l’art. (Lévi-Strauss, 1962, p. 26)

Le bricolage, cette démarche de création, met en évidence le caractère non linéaire du processus créateur qui entrecroise phases de recherches et phases d’expérimentation. En cela, les figures de l’enseignant-chercheur-créateur et de l’étudiant/élève-chercheur-créateur caractérisent cette spécificité à entrecroiser des moments : d’exploration, de recherche, de tâtonnement, d’expérimentations, de concrétisation des intuitions, de vérification, de réalisation, de contemplation... Vouloir respecter une procédure préétablie ne ferait que nous éloigner davantage de la création dans laquelle la pensée créatrice est convoquée mais doit tôt ou tard se cristalliser dans la matière en vue de pouvoir accueillir la singularité de son auteur devenu créateur. En cela la didactique de la création reprend cette méthodologie du bricolage où l’incident, le trajet non voulu, la sérendipité caractérisent le fonctionnement de son processus. L’acte de création nous rappelle à son tour que bien des grandes découvertes ont souvent comporté en elles une dimension hasardeuse, accidentelle et expérientielle. La création participe à la construction d’une poche d’ordre extirpée du désordre, ce moment de fixation du réel dans un système en construction, en devenir. Convoquer la création et réaffirmer sa potentialité dans l’enseignement et la formation nous ramène à la pensée mythique et au bricolage intellectuel.

Or le propre de la pensée mythique est de s’exprimer à l’aide d’un répertoire dont la composition est hétéroclite et qui, bien qu’entendu, reste tout de même limité, pourtant il faut qu’elle serve, quelle que soit la tâche qu’elle s’assigne, car elle n’a rien d’autre sous la main. Elle apparaît ainsi comme une sorte de bricolage intellectuel ce qui explique les relations qu’on observe entre les deux. (Lévi-Strauss, 1962, p. 26)

La prise en compte des contraintes externes est un apprentissage pour l’auteur/créateur, car il entraîne celui-ci à évoluer dans des espaces limités qui nous rappellent le caractère rationnel assigné à la création.

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… Car De la nécessité la voie droite d’unétait modèle perdue hybride (Dante, pourEnfer, la recherche I) en didactique...

Le bricolage transporte avec lui une dimension de démocratisation de l’acte de création non plus réservé à une minorité de personnes douées. Au contraire, la création a pour mission de relier à la quotidienneté et de nous défaire des représentations du génie créateur, hors de portée de tout chacun, pour réaffirmer sa mission de citoyenneté associée à l’école. Dans cette logique, l’enseignement de la création à l’école doit permettre de repenser la collectivité en construisant de l’altérité par un projet pouvant aboutir à un produit, une œuvre commune, car la création trace un cheminement vers une compréhension de l’autre et l’acceptation de l’altérité. La création nécessite quelque chose de soi et la contemplation d’une œuvre ou d’un produit induit l’apprentissage de cette part d’humanité contenue dans l’objet technique (Simondon, 2008). Mais il y a plus : la poésie du bricolage lui vient aussi et surtout, de ce qu’il ne se borne pas à accomplir ou à exécuter, « il parle », non seulement avec les choses ; racontant par les choix qu’il opère entre des possibilités, le caractère et la vie de son auteur. Sans jamais remplir son projet, le bricoleur y met quelque chose de soi. (Lévi-Strauss, 1962, p. 32)

Développer la création dans la scolarité obligatoire et dans les lieux de formation, consiste, pour l’enseignant-chercheur-créateur, à former des citoyens créateurs, capables de repenser la quotidienneté où la dimension collective interagit avec la dimension individuelle, où le projet de l’autre alimente le projet personnel de l’auteur/créateur. En cela l’enseignement de la création que nous développons s’intègre dans une dynamique citoyenne où l’élève-chercheur-créateur apprend à mener des projets de créations dans lesquels l’altérité est réaffirmée comme source d’inspiration et moteur de la création. Le développement de la création dans une visée éducatrice et citoyenne, dans le sens où celle-ci devient un moteur pour la construction du collectif et de l’individu, se positionne dans la dynamique de remise en mouvement.

La création, une démarche nomade

La dynamique de déplacement, induite par le concept de delocazione, de métissage, de reliance et d’errance, dresse une sémantique spécifique au trajet entrepris dans une dynamique du projet participatif centré sur la construction d’une posture du sujet-créateur. La création s’inscrit et se définit dans une perspective de recherche intégratrice de la production d’autrui qui donne lieu à une production per-

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sonnelle, individuelle et/ou collective. Cette dynamique du trajet, de la mise en route, trouve une résonance appropriée dans la définition du nomadisme proposée par de Radkowski (2002).

Nomades, nous menons une existence extatique. Nous sommes hors de chez nous, sur la piste. Ce qui nous oriente, nous anime, nous meut est au-delà de nous, hors de nos actuelles atteintes. Nous nous déterminons par notre projet, non par ce que nous sommes, mais par ce que nous cherchons ; non par ce que nous avons, mais ce dont nous manquons ; non par ce que nous sommes, mais par ce que nous devenons ; non par ce que nous sommes, mais par ce que nous cherchons ; non par ce que nous avons, mais de ce dont nous manquons, que nous désirons. Toute notre science est construite sur la notion de recherche ; notre économie sur celle de croissance ; notre écologie sur celle d’aménagement ; notre action sociale sur celle de progrès, notre art sur celle de dépassement. (De Radhowski, 2002, p. 150)

Nos existences extatiques spécifiques à nos sociétés contemporaines participent à la compréhension du processus de création et du développement de la posture d’enseignant-chercheur-créateur et d’élève-artiste-chercheur amenés à leur tour à dépasser ce qui est au-delà de nous, hors de nos actuelles atteintes.

En conclusion  : création et perspectives

L’enseignement de la création pourrait se résumer à une remise en route de la mobilité intellectuelle et des émotions, déployant de la puissance expressive amenée à se confronter à la matière et à l’exploitation de ses sentiments éconduits dans une expérience esthétique.

Il y a dans toute expérience, comme nous allons le voir, une part de passion, de souffrance au sens large du terme. Sinon, il n’y aurait pas intégration de ce qui a précédé. Car « l’intégration » dans toute expérience vitale ne consiste pas uniquement à ajouter quelque chose à la somme de ce que nous savions déjà. (Dewey, 2010, pp. 89-90)

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Enseigner la création nécessite d’aller au-delà de l’expérience où l’émotion est convoquée pour constituer progressivement une pratique de la création. À cette condition s’opère le dépassement de l’expérience pour donner lieu à une pratique en soi où l’émotion devient un moteur capable de mettre en mouvement la raison dans une visée de construction de soi. En cela, le terme cré-action proposé

… Car De la nécessité la voie droite d’unétait modèle perdue hybride (Dante, pourEnfer, la recherche I) en didactique...

par Grazia Giacco (lors des journées DiCrA, le 28 novembre 2014) nous semble précieux pour comprendre et développer les conditions pour donner lieu à une pratique de la création pour l’enseignantchercheur, ce créateur de dispositifs d’enseignements-apprentissages et pour l’étudiant/l’élève-chercheur-créateur. La cré-action est donc à entendre dans le sens d’une pratique de la création réfléchie, active et alimentée par la passion et par la raison. Dans cette perspective, celle-ci donne lieu à la construction de futurs citoyens amenés à décider et à innover par leurs idées orientées sur un changement profond et durable, dans une volonté d’amélioration de la société et du collectif.

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LE WORKSHOP COMME DISPOSITIF D’ENSEIGNEMENT DES ARTS PLASTIQUES  : RETOUR SUR L’EXPÉRIENCE #JARDIN (PERDU-RETROUVÉ) Thibault Honoré

M ’installant, d’avril à juin 2014, entre les locaux du Palais Universitaire et le site de l’École Supérieure du Professorat et de

l’Éducation (ESPE) de l’Académie de Strasbourg, le workshop que je menais en collaboration avec une dizaine d’étudiants du Master Recherche Arts visuels de la Faculté des Arts de l’Université de Strasbourg se voulait le préalable à la création puis à l’installation d’une œuvre in situ dans l’enceinte des jardins de l’ESPE. S’intégrant dans un projet interartistique plus général, intitulé #Jardin (perdu-retrouvé), et coordonné par Grazia Giacco et Sophie Nguyen, cet encadrement pédagogique s’était donné pour objectif d’investir une partie des espaces verts du site de formation de la Meinau à l’est de son bâtiment principal, adjacent au Rhin Tortu et à la voie ferrée. Ce projet était en outre l’occasion de marquer une continuité avec certaines collaborations antérieures menées entre la Faculté des Arts et l’ESPE, et de réaffirmer les liens entre diverses structures universitaires dédiées tant à la recherche qu’à la création en arts plastiques. À partir d’un piano droit Prestel datant de 1899 qui avait été l’objet l’année précédant ce workshop, au cours du mois de février 2014, d’une série de performances et d’actions artistiques réunies dans le cadre du projet Experimental Sound Pianos Embedded – acronyme d’ESPE – il me fut donc proposé de participer à la production d’une

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Didactique de la création artistique

réplique en béton armé de l’instrument. Réplique qui allait devoir être installée, en même temps que le piano original, de façon pérenne sur le site de l’École. Une réplique enfin dont il fut décidé très tôt qu’elle viendrait clore un parcours d’expositions suivant la topographie des lieux, en assurant la divulgation auprès du spectateur des différentes étapes ayant conduit à sa réalisation plastique, ainsi qu’à la monstration d’autres œuvres ou manifestations interdisciplinaires produites par les étudiants durant les différentes phases de ce projet. On citera ici une vidéo réalisée par Myléna Auzeneau et Sophie Nguyen, astucieusement installée sous la vacance offerte de l’un des escaliers du bâtiment principal de l’ESPE. L’œuvre, mêlant peinture, performance et danse contemporaine, offrait la vue extatique d’un corps mis en mouvement jusqu’à épuisement, tandis que son empreinte résiduelle faisait l’objet d’un enregistrement pictural, sur la surface de la toile servant à la projection du film. On mentionnera encore la réalisation d’une performance, le jour du vernissage, invitant le public de l’ESPE, alors muni de pinceaux fabriqués à partir de fragments du piano Prestel et de pots de couleurs primaires, à peindre au gré de son imagination la totalité d’une longue toile étendue à même le sol de l’allée du jardin conduisant au piano moulé. De la confession de Sophie Nguyen, à l’origine de cette action, il s’agissait là de :

(…) matérialiser sur la toile les multiples rencontres à travers la trajectoire des pinceaux, les mélanges de couleurs, les traces des pas de chaussures, et à rendre hommage aussi au piano légué par des empreintes de morceaux du piano en pinceaux (…). Un piano tombé dans l’oubli puis transformé en œuvre d’art à travers la manipulation par le public d’éléments le composant et qui immortalise ainsi le souvenir de l’objet perdu-retrouvé. (Nguyen, 2015)

Fut enfin présentée au public, le jour du vernissage, une démonstration de soundpainting intitulée « Air, eau, feu, terre », menée par une classe de CM11 de l’école Hoffet d’Oberhausbergen, sous la direction de leur enseignante Solène Coquillon. Évoquons enfin la diffusion, dans l’enceinte du bâtiment principal, d’une composition électroacoustique réalisée par Grazia Giacco à partir de sons enregistrés à l’ESPE entre juillet 2014 et mars 2015, révélant ainsi la richesse du paysage sonore sur le site de formation (ambiances prélevées dans le jardin, non loin du tramway voisin ou à proximité des salles de cours).

Dans le système scolaire français, la dénomination CM1 désigne la quatrième classe de l’école élémentaire encadrant des élèves de neuf à dix ans.

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Le workshop comme dispositif d’enseignement des arts plastiques

Si chacune de ces œuvres et de ces interventions performatives mériterait une analyse conséquente, réaffirmant ainsi à quel point elles participèrent de l’exceptionnalité de la manifestation culturelle proposée par Grazia Giacco et Sophie Nguyen, je ne choisirai toutefois de ne me consacrer qu’à l’étude du workshop et du travail pédagogique qui entoura la création puis la médiation du piano moulé. Il fut ainsi très vite entendu qu’en raison de la monumentalité de l’entreprise, qui consistait à reproduire en béton armé un piano en bois massif, il fallait songer à multiplier les parties moulées plutôt que de tenter la production d’une œuvre unique. Ce sont ainsi près d’une vingtaine d’éléments en béton qui furent réalisés, selon une technique au premier abord archaïque mais qui permettait de réitérer l’opération de copiage à l’infini, et cela à bas coût. À partir de fragments obtenus par un démantèlement préalable de la structure extérieure de l’instrument, un moule en argile fut produit. Chaque partie de bois ou de ferronnerie fut ainsi enduite de terre puis extrudée de telle sorte à ce que le vide obtenu par l’empreinte des objets puisse recevoir un volume de béton liquide appliqué précautionneusement au moyen de pinceaux [fig. 1]. C’est la déformation produite par la gangue de terre qui confère à l’objet final une impression de fossilisation. La technique est toutefois suffisamment précise pour que soient conservés les détails nécessaires à la reconnaissance de l’original (veines du bois, anfractuosités des ferronneries ou détails des inscriptions gravées). Au moment de la coulée, fut ajoutée au mélange de ciment et de sable, de la fibre de verre, de telle sorte à renforcer les qualités mécaniques des sculptures finales. Une fois séchés, les volumes de béton furent sortis de leurs gangues d’argile par destruction des moules puis brossés et lavés.

Fig. 1 : Vues des opérations de moulage réalisées au sein de l’atelier du Palais universitaire. Crédit photographique : Jean-Louis Hess

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Si trois jours furent consacrés à ce travail, les étudiants poursuivirent leur entreprise pendant encore une semaine de telle sorte à produire un nombre d’objets suffisant pour garantir l’identification du piano. Stockés pendant près d’un mois de telle sorte à assurer un séchage progressif au béton, il restait encore à songer à un dispositif d’exposition permettant tout à la fois la monstration des différents fragments moulés et assurant leur pérennisation sur le site de l’ESPE. Rappelons que toute exposition d’œuvre d’art dans un espace public impose de respecter certaines données sécuritaires. La décision fut ainsi prise d’opter pour une mise en installation de l’œuvre en forme de mosaïque semi-enterrée  [fig.  2], une telle configuration ayant comme principal intérêt de garantir la sécurisation des diverses sculptures vis-à-vis des usagers du site, et réciproquement. De même, ce dispositif ouvrait l’installation à l’examen de nouvelles potentialités plastiques tout en assurant la convocation d’un imaginaire archéologique. Notion qui revêt ici un caractère fondamental tant il faut redire à quel point elle fut consubstantielle, non seulement des modes de production de l’installation, mais également des axes pédagogiques sur lesquels ce workshop s’était construit. Avant toutefois d’examiner précisément les tenants et aboutissants d’une telle herméneutique, il paraît encore nécessaire de pousser la description autour d’un ensemble d’œuvres remarquables, produit par les étudiants en parallèle à l’atelier.

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Fig. 2 : Vue d’ensemble des fragments de sculpture en béton installés sur le site de l’ESPE. Crédit photographique : Jean-Louis Hess

Le workshop comme dispositif d’enseignement des arts plastiques

Citons ici deux installations offrant au spectateur de l’ESPE une ressource d’archive précieuse sur le travail collectif qui fut réalisé dans l’atelier de sculpture du Palais Universitaire. Dès l’entrée de l’exposition, le public avait l’occasion d’examiner certains fragments de moule en argile ayant servi quelques semaines plus tôt au tirage en béton des différentes parties du piano. Exhibés ainsi dans l’ostension de leurs états reliquaires, ces restes étaient autant de témoignages des différents états processuels ayant conduit à la réalisation de l’installation finale. Associés à une série de compositions graphiques réalisées par Marie Canova [fig. 3], alors étudiante en Master recherche arts plastiques, et interrogeant la figure de la main, ils réaffirmaient l’importance de la notion de geste inhérente à l’exercice archéologique que ce workshop mettait en œuvre.

Fig. 3 : Dessin préparatoire réalisé par Marie Canova. Crédit photographique : Marie Canova.

La seconde installation, sonore, prenait la forme de petits codes QR habilement disséminés au fil du parcours de l’exposition et autorisant la consultation par le spectateur, grâce à une plateforme mise en ligne, d’une série d’archives sonores. Ces prélèvements audio donnaient à entendre diverses ambiances ou bribes de conversations collectées par Sophie Nguyen au cours des jours passés dans l’atelier de moulage. En plus de ces fragments sonores, le site Internet offrait la possibilité de consulter les documents de travail des jeunes artistes (croquis et ébauches préparatoires, cahiers de recherches, documentations iconographiques) ainsi que des photographies retraçant le déroulement de l’atelier. Une banque de documents précieuse qui témoignaient donc de l’activité pédagogique au sein

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Didactique de la création artistique

de ce workshop autorisant l’immersion, a posteriori de son effectuation, du spectateur au cœur de l’activité créatrice en nous donnant à nous-mêmes, participants ou coordinateurs, la possibilité d’un retour sur les conditions de réalisation et de réception de cet atelier. Remarquons ainsi combien la présence de ces archives dans l’exposition vient corroborer la définition que Gilbert Pélissier proposait du concept d’« artistique », en préambule au colloque de Saint-Denis datant de mars 1994 :  Il est des domaines d’enseignement (…) qui, sans traces concrètes et soustraites au regard, auraient un moins d’existence. C’est le cas des enseignements artistiques et notamment celui des arts plastiques dont la vocation spatiale pourrait souffrir de ne pouvoir se déployer dans l’espace de la visibilité qui nécessairement est l’espace d’un public. (Pélissier, 1997, p. 23)

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Il est encore intéressant de noter la mise en scène, à proximité des sculptures en béton, du piano original remonté pour l’occasion, de même que la transformation de quelques fragments de l’instrument en outils de lutherie sauvage, disséminés parmi la frondaison des feuillus du jardin, en s’offrant à la manipulation du public. Il paraît nécessaire afin d’entreprendre l’étude des enjeux méthodologiques sur lesquels repose ce workshop, et de tenter de poser des mots sur ce qui m’apparaît aujourd’hui comme la forme d’une didactique de la création artistique associant théorie de l’art et héritage archéologique, de s’attarder sur l’analyse de l’œuvre pour laquelle les étudiants ont consacré tant de temps : c’est-à-dire l’installation proprement dite des sculptures en béton. Il ressort ainsi de la contemplation de ces reliques minérales et semi-enterrées, la sensation d’une déchirure. Une déchirure rendue d’autant plus perceptible qu’elle s’exprime au travers de l’œuvre sous la forme d’une incertitude ; ou pour le dire autrement encore : d’un substrat, qui tout en conservant du modèle original une certaine reconnaissabilité s’y maintient à distance. Il serait possible de multiplier ici les usages lexicaux pour tenter de définir ce qui, dans cette œuvre tient du fantomatique en transmettant l’angoisse d’une présence à peine dévoilée ; ou parler encore de la dimension figurale qui ressort de l’installation du piano original tenu à proximité de ces sculptures de béton. Il serait permis enfin d’évoquer le caractère spirituel que revêt le surgissement des sections de sculptures du sol et qui apparaît autrement dans cette installation comme le lieu de dévoilement d’une certaine idée de sacré [fig. 4]. Agencée dans les jardins de l’ESPE, cette œuvre s’adresse au public depuis le lieu de son enfouissement, imposant au regardeur la conscience de l’univers esthétique souterrain que sa mise en situa-

Le workshop comme dispositif d’enseignement des arts plastiques

tion laisse sourdre. Il paraît de fait intéressant de remarquer à cet endroit le rappel presque inévitable à un certain lexique mortuaire contenu dans le potentiel iconographique d’une telle œuvre. Que l’on accepte ou non qu’une telle configuration puisse évoquer une architecture funéraire, force est en effet de constater que la vue de ces sculptures en béton ouvre à un questionnement sur la place qu’occupent la mort et ses structures symboliques dans notre imaginaire.

Fig. 4 : Détail d’un fragment de sculpture en béton partiellement enterré. Crédit photographique : Jean-Louis Hess

On soulignera en outre combien la technique archaïque du moulage à la terre assure un renvoi non anecdotique vers l’idée d’exhumation. La perception qu’impose une telle représentation est bel et bien celle d’une béance qui trouve dans la proximité de l’argile la locution d’un retour des abîmes. En ce sens, la mise en scène de ces fragments de béton peut être qualifiée de survivance, puisque ceuxci parviennent à survivre, pour reprendre la pensée de Georges DidiHuberman, « symptomalement et fantômalement, à [leur] propre mort : ayant disparu[s] en un point de l’histoire ; étant réapparu[s] bien plus tard, à un moment où, peut-être, on ne [les] attendait plus » (Didi-Huberman, 2002, p. 67). Il n’est ainsi pas étrange de constater que sous l’effet de leur disposition, les éléments de l’installation acquièrent progressivement une valeur anthropomorphique, poussant à reconnaître derrière chaque butée, chevalet, agrafe ou marteau l’image de dépouilles. Ne faudrait-il dès lors plus que voir dans ces reliques le lieu d’incarnation d’une morbidité qui aurait comme seul dessein de heurter notre sensibilité ? On concédera que c’est bien à partir de ce processus de déterrement puis d’inhumation que l’idée de disparition parvient à acquérir une certaine tangibili-

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té. Semblable à un terrain archéologique nouvellement fouillé, cette installation impose la puissance mortifère de son protocole de production. Une réminiscence funeste qui laisse l’image gisante, comme le béton impose à ces fragments de piano leur atonie acoustique en nous mettant face à l’insolubilité à prétendre trouver un sens à la totalité de toute création artistique.

Il faut souligner dans un second temps comment la technique du moulage permet la restitution de l’empreinte de l’instrument tout en assurant le recouvrement à sa surface des différents types d’altération physiques dont le piano a fait l’épreuve au fil du temps  : qu’il s’agisse de l’usure consécutive à ses nombreuses années d’utilisation comme instrument, des interventions artistiques menées par les étudiants au cours du projet Experimental Sound Pianos Embedded ou des traces provoquées par ce workshop. L’argile permet ici la reliaison de différentes strates de temporalité, par l’intermédiaire d’une opération de mise en branle du regard semblable à un processus de révélation palimpsestuel. En soumettant le temps à son absorption, chaque fragment de piano en béton s’est changé progressivement en pure image dialectique. Rappelons qu’une image dialectique, au sens où l’entend Walter Benjamin définit une vision de l’Histoire investie d’un mouvement d’immanence qui demeure suspendue entre l’instantanéité de sa perception et le ressouvenir instable de son antériorité2. Le propre de l’image dialectique est de se tapir au lieu de collision de strates temporelles changeantes. Entre éveil et sommeil, il semble que l’image imposée par l’agencement de ces fragments de piano en béton soit de l’ordre d’une remémoration partielle semblable. Le passé de l’instrument n’apparaît plus pareillement à une période quantifiable mais comme un montage de temps hétérogènes qui ouvre à une perception anachronique et mouvante de sa propre histoire. Une perception dont il faut envisager, à la suite de Georges Didi-Huberman, qu’elle soit capable de « nous [marquer] (contact) si fort qu’elle vient à ouvrir en nous (déchirure) un intervalle d’effroi toujours réminiscent de ses propres images enfouies » (Didi-Huberman, 2000, p. 326). Cette hétérogénéité est renforcée par l’agencement même des sculptures à la surface du jardin, évoquant tantôt des notes musicales éparpillées, tantôt une frise chronologique dont la forme enflée aurait perdu toute fonction scientifique d’ordonnancement, en ne laissant plus que la sensation d’un vide béant produit par la vision sépulcrale de la terre retournée entre 2

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«  L’image vraie du passé passe en un éclair. On ne peut le retenir que dans une image qui surgit et s’évanouit pour toujours à l’instant même où elle s’offre à la connaissance.  » (Benjamin, 2000, p.  430)

Le workshop comme dispositif d’enseignement des arts plastiques

chacune des sculptures. On soulignera dès lors, comment dans cette mise en scène, la perception de ce surgissement pathétique favorise en retour la requalification de la notion même de sculpture en celle de fossile : soit justement ce que le théoricien américain William J.T. Mitchell a reconnu comme le caractère de toute « figure dialectique faite d’animation et de pétrification, comme « signe-vital » et ruine »3 (Mitchell, 2005, p. 186). À la fois objet tangible et chose instable se situant dans un lieu indéterminé et renvoyant à un temps révolu, l’idée même de fossile est de fait ce qui tire la perception de l’installation des fragments de piano moulés vers l’expression d’une puissance pathétique permettant de réaffirmer, dans sa terminologie, une proximité dialectique avec l’idée d’archéologique. Son usage, enfin, semble réaffirmer ce qu’Edgar Morin a pu reconnaître comme une nécessité réflexive à trouver dans toute forme d’interdisciplinarité lexicale :

(…) une étonnante variété de circonstances qui font progresser les sciences en brisant l’isolement des disciplines, soit par la circulation des concepts ou des schèmes cognitifs (…) soit enfin par la constitution de conceptions organisatrices qui permettent d’articuler les domaines disciplinaires dans un système théorique commun. (Morin, 2003, p. 9)

On se demandera dès lors ce qui, dans le lien entretenu entre la réalisation purement technique de cette installation et l’exigence qu’il y eut à placer son analyse au carrefour de concepts plurivoques, a pu trouver sa justification dans le déroulement même de ce workshop. Le projet #Jardin (perdu-retrouvé) avait pour ambition de mettre à disposition des étudiants un espace de réflexion critique complémentaire de l’apprentissage technique qui leur était proposé. Mais quel retour critique opérer, au fond, sur ces quelques jours passés entre l’atelier de sculpture du Palais Universitaire et le site de l’ESPE ? Rétroactivement je pourrais dire qu’ils furent tout à la fois propices 3

« (…) a dialectical figure of animation and petrification, a ruinous trace of catastrophe, and a “vital sign”.  » [Notre traduction]. On souhaitera en outre faire l’hypothèse que dans cet intervalle pathétique se situe conséquemment ce que William J. T. Mitchell a relevé comme le lieu possible d’un glissement du concept d’objet esthétique à celui de chosification  : «  La chose, écrit-il, apparaît comme la figure innommable d’un Réel imperceptible et irreprésentable. Lorsqu’elle revêt un visage singulier et identifiable, que son image se stabilise, elle devient un objet ; lorsqu’elle se déstabilise, lorsqu’elle vacille au cœur de la dialectique de l’image multistable, elle devient une chose hybride (…)  » (Mitchell, 2005, p.  156). [«  The Thing appears as the nameless figure of the Real that cannot be perceived or represented. When it takes on a single, recognizable face, a stable image, it becomes an object; when it destabilizes, or flickers in the dialectics of the multistable image, it becomes a hybrid thing (…).  » Notre traduction].

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Didactique de la création artistique

à la mise en place d’un dispositif d’enseignement rassemblant et impliquant des participants autour d’un projet commun ; une somme d’expérimentations plastiques ayant permis aux étudiants d’acquérir la conscience d’un acte artistique ; et une étape dans un processus de création ayant motivé l’activation de débats théoriques.

C’est à cet endroit que la méthodologie du workshop réaffirme son héritage vis-à-vis du concept de praxis dont Francis Imbert nous rappelle qu’il est avant tout « “l’art”, d’articuler des éléments hétérogènes, (…) plus précisément, la praxis est “l’art” de travailler les contradictions, de les déplacer, de les transformer » (Imbert, 1992, p. 42). Nul doute que ce soit également pour cette raison que notre atelier pédagogique favorisa à ce point les phénomènes de perméabilité et de transversalité entre les notions d’artistique et d’archéologique, cela tant dans la mise en œuvre de l’installation comme achèvement plastique que dans la réflexion qui l’accompagna. Une transversalité dont on pourra se demander si elle n’est pas justement « (…) ce qui permet à une discipline, d’abord et en son propre sein, d’établir sa propre cohérence, tant en ce qui concerne ce qu’elle enseigne (toute discipline est composée d’enseignements) que dans sa démarche ? » (Pélissier, 1997, p. 25). L’anecdote veut d’ailleurs – il me faut enfin la révéler – qu’en raison d’une erreur de réservation dans le planning de gestion des salles de travail sur le campus universitaire, nous eûmes, participants à ce workshop, l’heureuse surprise de partager l’espace de notre atelier avec une équipe de chercheurs en archéologie qui expérimentaient alors des techniques de cuisson primaires à partir de statuettes d’argiles récemment découvertes. Et quoique le déploiement de ce workshop n’ait pas été prémédité selon un schéma associant didactique de la création artistique et survivance de thèmes archéologiques, il est entendu qu’un travail de plusieurs jours dans un atelier ne peut que favoriser le déploiement de situations singulières et imprévisibles4. Une imprévisibilité qu’à la suite de Jacques Cohen, il nous faut plus que jamais revendiquer, dans l’enseignement des arts plastiques, comme une forme d’engagement herméneutique à : Rappelons à quel point cette notion d’imprévisibilité est consubstantielle de l’idée même d’artistique  : «  L’imprévisibilité qui se constate, mais qui évidemment ne se programme pas, explique Gilbert Pélissier, s’apparente à un accueil, et le flottement de la démarche ou la décision peut se jouer à tout instant est une condition d’émergence et donc d’une possibilité d’œuvrer au sens artistique.  » (Pélissier, 1997, p.  24)

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Le workshop comme dispositif d’enseignement des arts plastiques

(…) écouter l’altérité qui s’énonce dans le dire de l’autre, et à travers son dit, écouter l’altérité c’est-à-dire se déplacer (physiquement et mentalement) (…) afin de se donner la possibilité d’accueillir l’intervention altérante de l’autre5. (Cohen, 1997, p. 163)

Si la présence fortuite de cette équipe d’archéologues n’a ainsi pas été à la seule origine de l’assimilation de l’idée d’archéologique au sein de notre démarche pédagogique, force est de constater qu’elle en a favorisé grandement le développement. Il apparaît conséquemment que la forme du workshop parce qu’elle se fonde sur un décloisonnement des méthodologies didactiques interdisciplinaires, invite en retour à ouvrir le champ de recherche en didactique de la création artistique. D’une didactique de la recherche en archéologie il était donc presque entendu que cette étude en arrive, par ce truchement interdisciplinaire, à une didactique de la création artistique. Voilà sans doute le propre du workshop, en tant que dispositif d’enseignement des arts plastiques, que d’encourager ce partage du sensible en mettant en œuvre cet «  au-delà des disciplines  » (Morin, 2003, p. 9) par lequel la recherche en arts parvient à faire progresser notre connaissance sur la transmission du savoir.

Références

Benjamin, W. (2000). Sur le concept d’histoire. Œuvres, 3. Paris : Gallimard.

Cohen, J. (1997). L’artistique. Dans J. Chapuis (dir.), L’artistique. Le Perreuxsur-Marne : CRDP de l’académie de Créteil. Didi-Huberman, G. (2000). La ressemblance informe ou le gai savoir visuel selon Georges Bataille. Paris : Macula. Didi-Huberman, G. (2002). L’image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg. Paris : Minuit. Imbert, F. (2002). Vers une clinique du pédagogique. Vigneux : Matrice.

Mitchell, W. J. T. (2005). What do Pictures Want? The Lives and Loves of Images. USA : University of Chicago Press.

Morin, E. (2003). Sur l’interdisciplinarité. L’Autre-Forum : le Journal des Professeurs de l’Université de Montréal, 7 (3), 5-10.

Et à l’auteur de développer  : «  (…) il me semble encore qu’une telle sortie de soi, chez l’enseignant comme chez l’élève, par création et par parole à l’autre adressée, manifeste la possibilité d’une mise en existence, exprime la dimension artistique de la pratique pédagogique, de la pratique de l’enseignement et notamment de l’enseignement des arts plastiques.  » (Cohen, 1997, p.  159)

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Nguyen, S. (2015). Exposition #Jardin (perdu-retrouvé). Arts et enseignement : École supérieure du professorat et de l’éducation de l’académie de Strasbourg. Repéré à : http://espe-formation.unistra.fr/arts/2015/05/21/jardin-perduretrouve/ .

Pélissier, G. (1997). L’artistique : arts plastiques, art et enseignement. Dans J. Chapuis (dir.), L’artistique. Actes du colloque de Saint-Denis, mars 1994 (pp. 19-37). Le Perreux sur Marne : CRDP de l’Académie de Créteil.

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PÉDAGOGIE DE LA CRÉATION MUSICALE AUJOURD’HUI, DE LA PETITE ENFANCE À L’ADOLESCENCE ET AU-DELÀ François Delalande

E n guise d’introduction , je voudrais faire écouter une production vocale d’une enfant de trois ans qui me paraît exemplaire pour plu1

sieurs raisons. La première est qu’elle est musicalement intéressante et surprenante. La deuxième est qu’elle démontre une attitude pédagogique remarquable de la part de l’institutrice. La troisième enfin, est que je ne suis pas mécontent de l’ouverture que j’ai pu apporter aux instituteurs et institutrices dont j’avais la charge. Vous allez comprendre pourquoi.

La scène se passe dans une classe de « petits » dans une école maternelle à Arras. Je voyais une fois par mois des instituteurs et institutrices. Nous avions fait équiper quelques classes d’un matériel d’enregistrement de bonne qualité, en vue de favoriser une activité d’exploration et de création musicale. L’une des institutrices était particulièrement peu moderniste, c’est un euphémisme, et apportait toujours un récit que les enfants illustraient par des petits « cui cui » et autres bruitages peu créatifs. Mais un jour qu’elle avait préparé le micro, probablement pour enregistrer une petite histoire comme d’habitude, très banale, une petite fille s’est approchée du micro et 1

Cet article reste proche de l’intervention de l’auteur du 22 janvier 2016 (Journées DiCrA, Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg), téléchargeable, sous forme audio ou vidéo à  : http://audiovideocast.unistra.fr/avc/courseaccess?id=16945 . Les indications temporelles données dans cet écrit sont celles du time-code des documents audio et vidéo.

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Didactique de la création artistique

a commencé à faire des claquements de langue, comme quand lorsqu’on fait des essais de micro. Et je suis content de moi parce que l’institutrice, au lieu de l’interrompre, s’est dit  : «  Oh ! Cela va certainement plaire à François Delalande », et elle a appuyé sur « enregistrer ». Ce n’est pas seulement pour me faire plaisir, mais elle a deviné, même si elle était très éloignée de pouvoir l’apprécier, qu’il y avait là une exploration originale de la part de cette enfant. Ce qui m’intéresse, c’est qu’elle a été capable de pressentir que cela pouvait être important pour l’enfant sans imaginer le genre d’intérêt que cela pouvait présenter. Voici cet exemple, dans lequel au début la fillette fait des claquements de langue. Ça ne va pas très loin parce qu’elle ne peut pas faire de variations avec ce son. Mais ensuite elle change, elle fait une sorte de « m » bouche fermée, et cette fois elle peut produire des variations. De ce fait, elle passe d’une exploration à une forme d’improvisation. Bien qu’elle soit toujours dans une attitude d’exploration, parce qu’elle explore toujours les sons qu’elle produit avec sa voix. Mais pour que ça continue à être intéressant, elle est amenée, dans la répétition, à changer. C’est tout. Il n’y a pas une idée de forme. Il y a peut-être une forme qui apparaît de fait, mais elle n’a pas une envie réelle de construire. On est là dans une phase préliminaire d’invention dans laquelle l’exploration devient, sans vouloir, une forme d’improvisation. J’espère que vous allez apprécier comme moi. Claquements de langue (3’42)

Il faut peut-être préciser que ceci se passe dans une classe d’école maternelle et que tous les enfants sont dans la classe. Vous les entendez à peine, parce qu’ils sont absolument fascinés par le résultat, sachant qu’il y a des enceintes dans le fond de la classe, qui produisent un son assez fort. Je reviendrai sur l’effet de ce dispositif. Suite : variations sur « m » (4’30)

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Elle continue avec quelque chose qui est un petit peu moins intéressant. Après avoir produit ces sons bouche fermée, elle va vers quelque chose qui est de l’ordre du baiser : on pourrait probablement interpréter cela. Vous avez repéré qu’il y a une sorte d’évolution de type mélodique : au début ce sont des sons répétés sur une seule hauteur, puis la matière sonore se transforme en glissandi et en intervalles de deux notes. Mais ce qui est tout à fait étonnant, c’est la progression : d’abord cela commence par quelque chose de très tendu, parce qu’elle est inquiète, c’est la première fois qu’elle entend sa voix comme ça, amplifiée, qui vient du fond de la salle, et petit à

Pédagogie de la création musicale aujourd’hui

petit, elle se détend, tout simplement. De sorte qu’il y a un passage du tendu au détendu qui, comme on sait, est l’un des grands ressorts de la musique, notamment de la musique tonale. Je ne pousse pas plus loin la comparaison, je veux simplement indiquer qu’il y a là une évolution au niveau du caractère expressif. Je voudrais maintenant commenter cette production de différents points de vue. Ce que je vais insinuer, et même développer assez sérieusement, c’est qu’il y a une continuité entre les réactions circulaires de la toute petite enfance, avant même l’âge de un an, et le développement d’une idée musicale.

1 • Des réactions circulaires à l’idée musicale

Je vais commencer par parler de l’idée musicale et expliquer ce qu’est une idée musicale. Ensuite nous reviendrons en arrière pour voir comment ça commence dans la toute petite enfance.

1.1 L’idée musicale dans les processus de composition

L’analyse des processus de composition est un thème sur lequel j’ai travaillé. J’ai fait une étude assez approfondie avec une douzaine de compositeurs, qu’on a fait travailler dans les mêmes conditions, avec le même matériel, les mêmes logiciels2. La consigne était de partir d’un son et de composer une œuvre de trois ou quatre minutes à partir de ce son. Douze compositeurs ont donc travaillé dans les mêmes conditions, en utilisant les mêmes logiciels. Je leur ai ensuite demandé de montrer leurs esquisses, j’ai fait des entretiens, ce qui a permis de modéliser autant que possible ce qui se passe dans le processus de création musicale, en composition. Il faut préciser qu’il s’agissait des compositeurs du GRM ou très proches du GRM, donc proches de la musique électroacoustique. Il n’est pas sûr que les stratégies de composition seraient les mêmes pour des musiques complètement différentes. Je ne peux pas affirmer que ce modèle soit tout à fait général. Ceci dit, je pense que n’importe quelle composition suit à peu près ces grilles d’analyse. Il y a d’abord ce que j’appelle des niveaux de décision. Un premier niveau de décision est le propos. Je veux faire une musique qui illustre, par exemple, les quatre éléments : la terre, le feu, l’eau, l’air. C’est 2

Delalande (1989 ; 2007).

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quelque chose qui est verbalisable et qu’il est possible d’expliquer très facilement. C’est très souvent ce qu’on trouve dans les notices : « j’ai voulu faire une musique sur un poème d’Armand Gatti… ». Cette partie verbalisable, c’est ce que j’appelle le propos. Mais pour commencer réellement à composer il faut disposer d’un point de départ qui soit de l’ordre du sonore. Si je veux faire la terre, il va falloir que je trouve du son, des formes sonores, en rapport avec la terre, qui vont me permettre de commencer à travailler. C’est ce que j’appelle une idée musicale. Cela a toujours existé. Dans le passé, c’était plutôt un thème. Le compositeur se dit : « Ce motif est intéressant, je vais pouvoir en faire quelque chose. Je vais pouvoir le travailler, le développer ».

Par définition, l’idée musicale est donc quelque chose qu’on trouve au cours du processus de création, même si le motif en question se trouve dans l’œuvre. On ne le définira pas comme un motif qu’on trouve dans l’œuvre mais comme un motif qui est apparu au cours des mois de travail de composition. Le propos et l’idée sont les éléments de singularité propres à cette œuvre.

Il y a par ailleurs des éléments de régularité. D’abord des règles stylistiques, qui pourraient faire dire au compositeur, par exemple : « Je n’aime pas commencer par un crescendo, j’aime plutôt démarrer de façon brutale ». Ce sont des choix personnels, des habitudes du compositeur. Il aime bien que les mixages soient très clairs, qu’on différencie bien les voix. Ce sont des régularités : le compositeur fait toujours ainsi. Et puis il y a aussi des règles techniques : les fautes de quintes de la musique tonale ou les bruits de souffle ou de craquements de la musique électroacoustique, qu’il faut éviter.

Tableau 1. À gauche, les niveaux de décision et à droite, l’axe trouvaille/travail.

Ces quatre niveaux de décision sont une première grille d’analyse des processus de composition. Une deuxième grille qui permet de bien décrire les stratégies de chacun concerne la manière dont on

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Pédagogie de la création musicale aujourd’hui

trouve, justement, ces idées, et comment on les exploite. C’est ce que j’appelle l’axe trouvaille-travail.

Une première situation est la trouvaille fortuite : « oh ! Ce son, il est intéressant ! Je le retiens, cela me donne envie de continuer  ». Il arrive que des compositeurs trouvent une idée musicale par hasard, par exemple par une manipulation un peu bizarre d’un logiciel : cela produit un son très surprenant. Plutôt que de se dire : « Ce n’est pas le son que je voulais », ils se disent : « Ce n’est pas ce que je cherchais mais c’est ce que j’ai trouvé et je vais l’exploiter ». Une autre manière de trouver est la recherche de la trouvaille : « Il me faudrait quelque chose qui évoque… qui s’oppose à cela, je cherche un peu et je finis par trouver ». Et puis il y a moment où on se dit : « Bon ça va, j’ai tout, je fais quelques esquisses et je me mets à travailler ». Quand on interroge les compositeurs, ils vous disent souvent : « Il y a moment où je ne cherche plus, j’ai tous mes éléments, j’ai mon plan ». C’est ce que j’appelle la réalisation aveugle.

Ce type d’analyse des processus de création est maintenant en vogue. Il y a vraiment un courant de recherche très fécond, en ce moment, sur l’analyse des processus de création. Ça vient de la génétique des œuvres qui a d’abord été une discipline qui portait sur l’œuvre littéraire et qui maintenant s’applique à la génétique des œuvres musicales. Il y a eu déjà trois gros congrès sur l’analyse des processus de composition, des publications, et c’est un champ recherche qui se développe3.

1.2 L’idée musicale, essai de définition

Précisons le concept d’idée musicale, pour qu’on puisse le transférer au petit enfant. C’est une singularité sonore que l’on trouve par hasard ou au terme d’une recherche, mais que l’on trouve, même si c’est dans la tête – même si c’est un thème, un motif, un motif rythmique – je pense à la musique du passé. Parce que le concept d’idée musicale est un concept qui a une histoire. Beaucoup d’auteurs en ont parlé, mais d’une manière qui n’est pas toujours très bien définie, contrairement à la plupart des mots du vocabulaire employé en analyse. Il y a eu plusieurs colloques sur l’idée musicale et en croisant les témoignages on aboutit à une conception moderne de l’idée musicale (Buci-Glucksmann et Levinas, 1993). L’idée musicale, c’est de l’ordre du sonore, contrairement à ce que j’ai appelé tout à l’heure le pro3

Lille  2011, Montréal  2013, Paris  2015. URL  : http://tcpm2015.ircam.fr/ et Donin, N. et Traube, C., 2016

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pos. C’est du son, même s’il est imaginé dans la tête. Et qui apparaît au cours du processus de création, c’est-à-dire dans les mois durant lesquels on prépare l’œuvre. Il arrive un moment où le compositeur reconnaît une idée intéressante qu’il va pouvoir exploiter. Dans la littérature plus ancienne, très souvent l’idée apparaît comme un motif dans l’œuvre qui est ensuite développé et on ne s’occupe pas du processus de création. Maintenant qu’on étudie le processus de création, on a tendance à définir l’idée comme quelque chose qui surgit à un moment et qui ensuite donne envie au compositeur de la prolonger, de la développer. Il peut y avoir plusieurs idées, qui peuvent être croisées. Quand on fait un organigramme d’une stratégie de composition, on voit des moments où le propos conduit à chercher des idées, à trouver des idées ; puis ensuite à faire des retouches. Ces deux grilles permettent de décrire assez bien les stratégies de composition. Donc l’idée est une singularité sonore apparue au cours du processus de création et qui donne envie de la développer. En général, développer veut dire répéter mais en changeant ; c’est ce qu’on appelle des variations, dans un sens très large.

1.3 Les idées musicales aujourd’hui  : musique de notes vs musique de son

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Maintenant, je voudrais attirer votre attention sur le fait que les idées musicales d’aujourd’hui ne sont pas les idées musicales d’hier. J’aimerais faire écouter quelques exemples d’idées musicales d’aujourd’hui. Je situe ce que j’appelle aujourd’hui à peu près à partir de 1950, lorsqu’on a abandonné l’habitude selon laquelle la musique savante se faisait nécessairement avec des notes et des partitions. La technologie d’invention était l’écriture. Il y a toute une période, depuis le XIIIe siècle, pendant laquelle composer voulait dire produire des partitions. C’est ce qu’on pourrait appeler l’ère technologique de la note, qui s’oppose à ce qui s’est produit à partir de 1950 environ. En 1948 précisément apparaît la musique concrète, qui ne fonctionne pas avec des notes, mais qui est réalisée avec des machines. La nouveauté était simplement de n’utiliser ni la partition ni les instrumentistes et de réaliser avec des machines une musique de sons. C’est un peu rapide comme définition, mais il faut noter une grande opposition entre les musiques conçues à partir de notes et les musiques conçues à partir d’un matériau sonore. Je situe cette révolution technologique dans les années 1950, et pas seulement en 1948, parce qu’elle a touché tous les secteurs de la musique. On pourrait dire la même chose du rock, par exemple (Peterson, 1991). À un

Pédagogie de la création musicale aujourd’hui

certain moment, on a commencé à faire de la musique dans les studios. Des chanteurs qui n’étaient pas forcément assez forts pour faire toute une chanson en entier pouvaient l’enregistrer par fragments, et faire ensuite un peu de montage. Il y a vraiment un changement technologique très fort dans tous les domaines. J’en dirai autant de la musique baroque. On a mis l’accent sur le son autant sinon plus que sur d’autres traits de l’interprétation. C’est le moment, à partir de 1953, où on a commencé à faire des ensembles d’instruments anciens parce que le son devenait quelque chose de recherché. Je ne développerai pas ici, c’est un thème large et profond, mais il y a une rupture nette au milieu du XXe siècle où c’est vraiment le son qui devient l’élément le plus pertinent (Delalande, 2001). Je vais simplement vous passer des exemples contemporains : voici un extrait d’une pièce de Michaël Levinas, pour flûte basse microphonisée, Arsis-Thésis, interprétée par Pierre-Yves Artaud. Michaël Levinas, Arsis-Thésis (1971)4, Pierre-Yves Artaud, flûte (20’18)

Comme vous l’entendez tout de suite, ce qui est recherché est une certaine qualité du son et non pas tellement les notes. On est loin d’une mélodie. C’est tout à fait typique de ce qui se fait maintenant. Je dis maintenant, bien que ce soit relativement ancien (1971), mais justement j’insiste sur le fait que c’est toute la deuxième moitié du XXe siècle et le début du XXIe qui a centré la recherche sur le son. Voici un deuxième exemple assez proche :

Paul Méfano, Traits suspendus (1980) Pierre-Yves Artaud, flûte (21’37)

Vous entendez qu’il y a une singularité sonore qui a été trouvée et qui a été exploitée par répétition et variation. Évidemment, cela me donne envie de le mettre en rapport avec la petite fille de trois ans que nous avons écoutée au début. Réécoute d’un fragment « m » bouche fermée, trois ans (22’18)

1.4 Réactions circulaires et invention

Ceci nous amène à la réaction circulaire. J’aimerais souligner maintenant ce rapprochement historique assez exceptionnel entre la production des compositeurs et les explorations des tout-petits enfants, 4

Michaël Levinas, Arsis-Thésis, ou La Chanson du souffle, pour flûte basse en ut sonorisée (1971), 7 minutes, Lemoine.

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qui permet d’interpréter comme musicales des formes d’exploration, comme dans le cas de cette petite fille. Non seulement de les interpréter comme musicales mais de les favoriser, d’essayer de développer ces formes d’exploration qui, en fait, ont toujours existé. Les enfants ont toujours produit des bruits, ont toujours eu envie – quand c’était original, quand c’était une singularité sonore qui retenait leur attention – de les répéter et, à partir d’un certain âge, de produire des variations tout en répétant. C’est cela qui peut constituer le germe des processus d’invention musicale chez le petit enfant. J’ai toujours été surpris de voir que Piaget, lorsqu’il parle des réactions circulaires, prend très souvent des exemples sonores. On connaissait très bien les réactions circulaires chez le petit enfant avant Piaget, mais Piaget les a beaucoup étudiées et on voit très bien comment se développent les réactions circulaires. Piaget écrit : « On observe dans certains cas privilégiés la tendance à répéter, par réactions circulaires, des sons découverts par pur hasard » Piaget (1936/1977, p. 76). Voilà la trouvaille fortuite : une singularité sonore qui a été découverte par pur hasard : « Ainsi Lucienne, à 2 mois 12 jours, après avoir toussé, recommence plusieurs fois pour le plaisir et sourit » (Ibid.). Vous imaginez très bien. Si vous avez un enfant en bas âge, mettez absolument un micro sur son berceau. C’est affolant l’inventivité, la recherche que font ces jeunes enfants. Plus loin : « À 2 mois 11 jours, Laurent souffle en produisant un vague bruit de la bouche. A 2 ans 26 mois, il reproduit les éclats de voix accompagnant ordinairement son rire, mais sans rire… » (Ibid.). C’est donc son éclat de voix qui l’intéresse. Pour Piaget, ce sont des réactions primaires, sur le corps propre. Ensuite viennent des réactions secondaires qui se produisent avec des objets de l’environnement. Voici un « dispositif » imaginé par Piaget. Je développerai le concept de dispositif : « À trois mois et dix jours, après que Laurent a appris à saisir ce qu’il voit, je lui mets le cordon fixé au hochet directement dans la main droite en l’enroulant simplement un peu pour qu’il le saisisse mieux… À la première secousse due au hasard des mouvements de sa main, la réaction est immédiate : Laurent sursaute en regardant le hochet puis donne de violents coups de la main droite seule… L’opération dure un bon quart d’heure, durant lequel Laurent rit aux éclats » (Ibid., pp. 144-145). C’est typique d’une réaction circulaire. Un son produit par hasard – un hasard bien préparé par le papa – qui incite l’enfant à recommencer, puisque c’est surprenant. C’est une réaction de nouveauté. 

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Pédagogie de la création musicale aujourd’hui

Ça devient encore plus intéressant aux alentours de sept mois quand les enfants ne répètent pas exactement mais cherchent à faire des variations. Ils répètent mais ils changent. C’est cela qui nous intéresse beaucoup, c’est le moment où ils changent.

Je vais maintenant insister sur la manière dont on peut faire évoluer cela et nous allons entrer dans les problèmes de didactique. Tout le problème est de favoriser le développement de ce genre de comportements, qui sont en fait des comportements spontanés. Jusque-là il n’y a pas besoin d’éducateur, si ce n’est pour être attentif à cela, pour le remarquer. C’est pour cela que je suis content de ce petit exemple que je vous ai fait écouter en premier : j’avais réussi à faire en sorte que cette institutrice, qui n’y était pas vraiment préparée, puisse être attentive à une production inattendue et se dire : « c’est intéressant, je vais l’enregistrer ». Qu’elle ait pu se dire : « Cela doit être intéressant bien que je n’y comprenne rien » est un succès pédagogique. Nous parlions de l’idée de développer quelque chose que l’éducateur n’a pas franchement voulu. On est typiquement toujours dans cette situation-là. L’éducateur doit être capable de guider, de faire progresser l’enfant dans un processus qui est à l’origine spontané. Si on en reste au processus spontané, on ne va pas loin, les enfants s’arrêtent tout de suite. Ils ont fait des petits bruits quand ils avaient quatre mois, ils en font peut-être encore quand ils ont trois ans, mais c’est moins probable. Mais ce qui est très intéressant, c’est de conduire tout cela et de l’enrichir de manière à ce que cela aille vers une forme d’invention qui va ensuite devenir une forme de composition.

2 • Guider sans imposer  : les dispositifs

Comment faire en sorte que l’invention progresse ? Le problème de l’éducation artistique en général, c’est qu’il s’agit de mettre les enfants (c’est vrai aussi avec des adultes) dans une situation de recherche. Ce n’est pas à celui qui conduit l’activité créative de dire : « Voilà ce qu’il faudra obtenir ». C’est à lui de se dire : « il va falloir que j’invente, moi, une situation qui soit favorable pour qu’il trouve quelque chose, lui ». C’est pour cela que l’éducateur est aussi lui-même dans une attitude de recherche. La création est une recherche et on ne peut pas donner les résultats. On peut simplement faire en sorte que l’enfant produise quelque chose. On ne sait pas quoi, c’est lui qui va choisir ce qu’il va produire.

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Didactique de la création artistique

Il y a un concept qui me semble très utile, c’est le concept de dispositif. Vous en avez déjà vu deux. Le premier c’est le micro, avec le premier exemple que nous avons écouté. Vous l’avez compris, l’institutrice avait mis un micro sur pied dans la salle, c’était amplifié. Quel est le résultat ? C’est que la petite fille qui produit des claquements de langue devant le micro est d’abord surprise. C’est vraiment une singularité sonore qu’elle découvre, c’est une nouveauté. Ça fait d’ailleurs partie de la terminologie des réactions circulaires, il y a une réaction de nouveauté. C’est la nouveauté qui va stimuler la réaction circulaire. Si elle faisait des claquements de langue chez elle, dans une acoustique normale, elle s’arrêterait tout de suite. Mais là il se trouve que le micro crée un son inhabituel. Par ailleurs le son, au lieu qu’elle l’entende venir de sa bouche, elle l’entend venir de loin. De ce fait, elle est dans une situation de réception autant que de production. Elle a une écoute de sa production. Elle prend une sorte de recul, comme un peintre qui prendrait du recul, qui s’éloignerait de quelques pas pour voir sa toile de loin. Elle produit tout en recevant. Et puis enfin, troisième avantage, c’est que les autres enfants entendent très bien. Il est évident que s’il n’y avait pas eu le micro, cela ne se serait pas produit.

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C’est là que l’éducateur doit être inventif et créateur lui aussi. Il lui revient d’inventer des dispositifs. On a aussi vu Piaget qui trouvait le moyen d’enrouler la corde autour de la main de son fils, pour que quand il bouge ça fasse secouer le hochet. C’est une idée de dispositif. Il ne sait pas ce qui va se passer, mais il se doute qui va se passer quelque chose. On est toujours dans cette situation d’être sûr qu’il va se passer quelque chose mais sans savoir ce qui va se passer. Ce qui va se passer, c’est l’enfant qui va le trouver. On peut quand même insister un petit peu… Ce que je dis est assez banal, c’est ce qui se passe toujours dans le développement des enfants lorsque les conditions éducatives sont de simples environnements. Par exemple apprendre à marcher ou apprendre à parler, ce n’est pas quelque chose qu’on enseigne, c’est quelque chose qui se fait spontanément, à condition qu’il y ait un environnement qui manifeste de l’intérêt. On est en fait dans une situation très analogue. Il est très important, quand l’enfant fait du bruit (par exemple des claquements de langue) que quelqu’un dans l’environnement manifeste de l’intérêt. C’est le rôle de l’éducateur. Il faut d’abord qu’il s’intéresse, mais ensuite qu’il le fasse comprendre. Souvent le faire comprendre, c’est simplement regarder. Il y a des manières de créer des renforcements positifs : l’enfant fait quelque chose de spontané, mais il est nécessaire qu’il y ait un renforcement positif

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qui est en général une conduite d’approbation de la part de l’éducateur. Et approuver, très souvent, c’est regarder, tout simplement. On est face à vingt enfants, l’un d’eux fait quelque chose dont on devine que ce qu’il fait va pouvoir aller loin. On le regarde, et du coup, surtout si la maîtresse est bien considérée par le groupe, le fait qu’elle regarde dans cette direction-là va inciter tous les autres à écouter ce que fait cet enfant-là, qui va se trouver stimulé et va continuer et aller plus loin. J’insiste beaucoup sur le type d’interaction. J’ai beaucoup travaillé avec une pédagogue qui s’appelle Monique Frapat. Avant la séance, elle me détaillait l’organisation de son travail pour la matinée. Au cours de la séance, elle ne disait pas un mot, et ça se passait exactement comme elle l’avait prévu, parce qu’elle faisait toujours une petite intervention extrêmement délicate : déplacer un objet, regarder dans une direction. C’est la manière de tirer les fils de façon extrêmement discrète. C’est ce qu’on appelle des renforcements positifs.

Au cours de la formation des enseignants, il faut d’abord apprendre à être capable d’observer ce que font les enfants et deuxièmement de montrer une forme d’approbation de manière discrète. Mais certainement pas de lui dire : ce serait bien si tu faisais ça. Ceci dit, ne soyons pas trop extrémistes. Il peut arriver qu’il soit utile de faire ce que Monique appelle des relances, c’est-à-dire que si un enfant a fait quelque chose, d’intervenir carrément et de lui dire : « Mais est-ce que tu ne pourrais pas aussi… », c’est-à-dire non seulement de l’approuver mais de lui suggérer une manière d’aller plus loin, mais sans lui dire ce qu’il doit obtenir. En l’incitant à faire encore mieux. Je voulais vous montrer aussi des exemples plus variés de dispositif avec des enfants plus petits. Je vais vous montrer deux exemples de dispositifs employés en crèche. Vidéo 1 : cithare (36’38)

Nous sommes dans des crèches du nord de l’Italie. Nous avons fait une recherche assez approfondie avec une quinzaine de personnes (Delalande, 2015). En l’occurrence il s’agit ici d’une condition individuelle, c’est-à-dire que l’enfant était seul. Déjà la situation est très inhabituelle. En crèche les enfants ne sont jamais seuls. Là, on a fait entrer un enfant dans une pièce. L’éducatrice lui a expliqué qu’il allait trouver une nouveauté, une belle surprise. Et c’était donc un instrument, en l’occurrence une cithare. Ça pouvait aussi être un couple de cymbales. Si tout se passait bien, l’enfant avait envie de faire du bruit avec cet objet. On avait mis à sa disposition un peu de matériel : une

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cuillère en bois et une en métal, ou bien il utilisait ses doigts. Et l’enfant se trouvait dans une situation d’exploration. La consigne était que dès qu’il avait commencé, l’éducatrice dise : « Je reviens tout de suite, je vais chercher un mouchoir ». Elle s’en allait et elle laissait l’enfant le plus longtemps possible, tout le temps que durait l’exploration. Entre cinq et sept minutes en moyenne. Donc pendant cinq ou sept minutes le gamin restait tout seul avec son corps sonore, et ceci est un premier élément de dispositif : il y a là un instrument, l’enfant entre et explore tout seul. Il est intéressant de savoir qu’un tiers des enfants ne touche pas l’instrument tant que l’éducatrice reste là, et ne commence l’exploration que quand l’éducatrice sort. Pour la formation des éducatrices, c’est une école d’humilité. C’est quand elles ne sont pas là que l’enfant commence. Pas toujours, heureusement, il y a aussi le contraire. Il y a des enfants qui ne produisent quelque chose qu’en présence de l’éducatrice, mais il y a quand même un tiers des enfants qui ne touchent pas l’instrument tant que l’éducatrice n’est pas sortie. Et qui s’arrête dès qu’elle revient. C’est un comportement vraiment privé : ils cherchent, et ça peut durer très longtemps. Là, le dispositif est un peu plus complexe : il y a un micro. Vous voyez un fil qui circule ici, qui va vers un ampli et des enceintes. Et le résultat de ce dispositif, c’est que la résonance se trouve plus perceptible et plus longue. De ce fait, le geste a tendance à se ralentir. Le geste se cale sur le temps de la résonance. Cela produit des gestes artificiellement lents. Vidéo 2 (39’50)

Au cours de la deuxième année de recherche, nous avons choisi des enfants qui n’avaient pas touché l’instrument la première année et nous avons cherché des dispositifs qui soient un peu désinhibiteurs. En l’occurrence, on introduit deux enfants dans un espace organisé avec des instruments disposés en demi-cercle. Et on pense qu’il va y avoir une émulation. Vidéo 3 (41’33)

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Deux enfants entrent dans la pièce. Ce sont des enfants qui avaient été classés comme « timides », c’est-à-dire qu’ils n’avaient rien fait devant un corps sonore. Ce que vous repérez tout de suite c’est qu’il y a des imitations. C’est un jeu à deux, qui dure assez longtemps. Cela commence par des imitations du même corps sonore, et ensuite des imitations de formes sonores. Vous voyez que l’imitation porte d’abord sur l’espace, ils passent d’un instrument à l’autre. Ils se suivent. Et il y a des moments où il commence à y avoir

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des imitations sonores : le garçon produit un profil sur un instrument et la petite fille imite vocalement, par exemple. L’imitation ne consiste plus à utiliser le même instrument mais à reproduire le même profil sonore. Donc on part de quelque chose de très concret, comme taper sur le même instrument, on passe ensuite à une imitation rythmique puis à une imitation qui encore plus abstraite. Je trouve intéressant de voir qu’un dispositif différent – celui-ci, par exemple, par rapport à ce qu’on a vu précédemment – favorise des conduites qui ne sont plus du tout les mêmes. Dans le premier cas, l’exploration pouvait aller très loin. Je n’ai montré qu’un petit exemple, mais les enfants, lorsqu’ils sont seuls face à un instrument, peuvent faire des variations assez longues, cela dure longtemps –5 à 7 minutes en moyenne – avec des variations. Ici, ce n’est pas le cas, ils changent sans arrêt, mais ça développe autre chose, qui est l’imitation et le jeu à deux, tout simplement. Sachant quand même que le jeu à deux, en musique, est une situation très importante. En fait, on développe des conduites qui sont fondamentalement musicales. Par exemple vous savez comme moi que l’imitation, en musique, a eu un succès considérable. On s’imite, on joue en canon, et là on a le germe d’une forme de jeu à deux, alors que tout à l’heure on observait d’abord une forme d’écoute très attentive, dans les explorations d’un enfant seul, et avec des développements beaucoup plus grands. Chaque dispositif favorise des conduites différentes. L’astuce, c’est de trouver les bons dispositifs pour stimuler ce qu’on voudrait développer.

3 • Et après ? Les étapes d’un enrichissement de la création musicale

Je vous ai montré des exemples d’exploration avec de très jeunes enfants. Maintenant je voudrais avancer, et voir comment on peut aller jusqu’à la composition. Les réactions circulaires se développent pendant ce qu’on appelle souvent la période sensori-motrice, où le sensori-moteur, qui préexiste spontanément, est favorisé. J’insiste bien sur le fait que cela ne s’enseigne pas. L’exploration est quelque chose que font les enfants même s’il n’y a pas d’adultes. Ça va plus ou moins loin selon le contexte de l’environnement matériel, avec des dispositifs, et humain, avec la relation avec l’adulte qui va encourager, approuver, stimuler. Et après, qu’est-ce qui se passe ?

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3.1 Le symbolisme Après le sensori-moteur, se développe une période de symbolisme. Les enfants font toujours des sons, mais les sons représentent quelque chose. Vous connaissez tout cela, ils prennent un objet dans la main, le font voler et c’est un avion. L’âge idéal est aux alentours de quatre ans. Ça commence bien plus tôt, avant deux ans. Il y a déjà des formes de symbolisation du son, mais c’est plus difficile à étudier. Il y a un exemple dont je me souviens très bien. J’étais en train d’écrire un article et ma fille qui avait seize mois a fait grincer une porte et a dit « bébé ». Elle ne connaissait que quelques mots. J’étais content, cela correspondait bien à mon sujet, et je sais maintenant qu’un enfant de seize mois est capable d’interpréter un son comme une évocation de quelque chose qui est très éloigné. Ce symbolisme, par lequel des sons renvoient à quelque chose qui est tout autre que la source ellemême, est vraiment très précoce. Cela se développe beaucoup par la suite, notamment aux alentours de quatre ans. Je vous ferai écouter un petit exemple de symbolisme chez des enfants de quatre ans et ensuite je vous expliquerai comment les enfants commencent à maîtriser la forme. Ensuite, j’attirerai votre attention sur le rapport entre le jeu et la musique.

Des enfants de quatre ans ont inventé une histoire dans laquelle il y a un personnage qui va à la mer, et il y a une tempête. C’est encore la classe de Monique Frapat. Ce qui est intéressant, c’est d’écouter comment ils font la tempête. J’insiste sur le fait que ce sont des enfants de la région parisienne qui n’ont certainement jamais vu une tempête, peut-être ne sont-ils jamais allés à la mer, et pour eux une tempête est un peu une abstraction. Une tempête, c’est quelque chose qui fait beaucoup de bruit, qui est très fort, qui fait de grands mouvements. La tempête (49’55)

Ce n’est pas ce qu’on pourrait appeler du réalisme acoustique, ce n’est pas du bruitage, au sens du cinéma (encore qu’au cinéma le bruitage ne se réduise pas au réalisme acoustique). Ce n’est pas vraiment le bruit de… Ils ne connaissent pas le bruit de la tempête. Ils n’ont jamais entendu de tempête, mais pour eux, la tempête c’est quelque chose qui fait peur et qui est énorme, qui fait de grandes vagues. D’où les grandes formes sonores qui symbolisent la tempête, mais d’une manière relativement lointaine du simple bruitage. Écoute de la fin (50’47)

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3.2 Cinq ou six ans  : la maîtrise de la forme Passons maintenant à des exemples de production d’enfants de cinq ou six ans. À cet âge, apparaît quelque chose de très nouveau : les enfants sont capables de construire. Construire parce que, tout simplement, ils sont capables d’anticiper. La petite fille de trois ans qu’on entendait tout à l’heure vivait toujours sa production dans l’instant. Bien sûr, il y a une évolution mais elle ne se dit pas : je vais aller vers cela. Pas du tout. Par contre, un enfant de cinq ou six ans se dit : « Ah, j’ai fait ça, c’était pas mal, je vais continuer et je vais conclure comme ça », par exemple. L’idée de faire une fin est tout à fait typique, quelquefois à quatre ans, quand le milieu est très favorable, mais en général plutôt vers cinq ou six ans quand les enfants ont une conscience de la forme. Parce qu’ils sont capables d’anticiper. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les enfants construisent à partir de cinq ou six ans. Pour illustrer cela, deux exemples : voici d’abord une petite fille qui est en train de se livrer à l’exploration d’une cithare. Elle a six ans. Elle cherche d’abord des sons, c’est la recherche de la trouvaille. Vous pensez à mon tableau initial. Il y a un moment où elle trouve quelque chose, elle se dit : « Cela, je vais en faire quelque chose ». À un moment, vous entendrez, elle produit un choc, et du coup elle va exploiter deux idées : un glissement sur les cordes de la cithare et le choc qu’elle va reproduire pour faire une sorte de crescendo qui va amener une fin. C’est typiquement une construction, une forme. Cela est favorisé par le dispositif de l’enregistrement. Parce que comme elle sait que nous enregistrons, du coup elle comprend que cette forme va être consignée, donc c’est normal qu’elle imagine une sorte d’œuvre, d’objet fini, qui a un début, un milieu et une fin. Des enfants de trois ans ne se préoccupent pas du tout s’ils sont enregistrés. Cela n’aura aucune influence. Ce qui est intéressant, c’est d’enregistrer et de faire réécouter l’enregistrement à des enfants qui sont capables de penser leur improvisation comme un produit fini, comme une œuvre. C’est le cas de cette petite fille. Strette (53’52)

Voici un deuxième exemple, très rapidement. C’est un autre enfant de six ans, qui fait une exploration vocale devant un micro. « C’est beau ce que je fais » (55’25)

Ce qui est intéressant, c’est qu’il produit quelque chose mais en même temps il a tout de suite un jugement critique : « C’est beau ce que je fais ». J’espère que vous avez bien compris la phrase, elle est vraiment très significative : produire par hasard, et apprécier. Si on

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continue, et si on fait des variations, c’est parce qu’on y trouve une certaine beauté, un certain plaisir.

Il y a une idée qu’il faut que j’exprime. Nous avons commencé par une forme d’exploration sensori-motrice, ensuite vous avez vu que vers quatre ans le symbolisme se développe beaucoup – j’ai passé l’exemple de la tempête –, c’est-à-dire que les enfants représentent grâce au son. Et enfin, un peu plus tard, ils sont capables d’organiser, et de donner forme à leurs constructions. Ce sens de la forme repose sur plusieurs sortes de motivations. Il y en a une, je vous l’ai dit, c’est qui sont capables d’anticiper. De se projeter dans le futur, de se dire : « Cela est bien intéressant, je vais le faire évoluer et amener une fin ». La deuxième intervient lorsqu’ils s’adressent, à travers la musique, à quelqu’un. C’est ce que j’appelle la composante rhétorique de la forme. Par exemple, c’est le fait qu’on enregistre : on sait qu’on va le réécouter, ce qui incite à faire réellement un développement et une fin. C’est très général. On dirait la même chose en ethnomusicologie. Un berger qui garde ses moutons dans la montagne et improvise n’a aucune raison de faire une fin. Par contre, si le même musicien, dans un mariage, joue pour les gens, cette fois, si, il va faire une forme. Le fait même de communiquer incite à construire.

Et surtout, c’est l’époque où se développe le jeu de règles. Le jeu de règles, ce n’est pas seulement avec les sons, c’est souvent un développement des activités sensori-motrices. Ce sont les enfants qui descendent l’escalier sur un pied, par exemple. Ou jouent à la marelle. C’est typiquement un jeu de règles. En musique, cela existe sous forme de comptines : on fait entrer une phrase dans une sorte de moule mélodico-rythmique. C’est une forme de jeu d’emboîtement, un peu comme les emboîtements qui consistent à mettre des triangles dans les triangles, des ronds dans des ronds, ce sont des sortes de jeux de règles qui consistent à emboîter. Cela a représenté, évidemment, une des grandes ressources de la musique polyphonique occidentale : on n’a pas arrêté de faire des canons, des fugues, qui sont des jeux d’emboîtement.

3.3 Faire de la musique  : un jeu piagétien

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Si je crois si utile de décrire les étapes successives du jeu de l’enfant – jeu sensori-moteur, symbolique et réglé – c’est parce qu’au niveau anthropologique, chercher une définition générale de la musique est un problème très fréquent – on n’arrête pas, en anthropologie de la

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musique de dire : tous les peuples font de la musique, sauf que, pas de chance, les musiques ne se ressemblent pas du tout. À tel point que Blacking, par exemple qui a fait un livre intitulé How musical is man ? (Blacking, 1973) arrive à la conclusion en disant : oui, tous les peuples font de la musique, c’est vrai, mais vraiment, je ne vois pas ce qu’il y a de commun, je ne vois pas pourquoi on appelle tout cela musique. C’est ça le problème : qu’est-ce qu’il y a de commun ? Là où il y a eu un petit progrès : plutôt que de chercher ce qu’il y avait de commun dans les musiques comme objets, on a cherché ce qu’il y avait de général dans le fait de faire de la musique. C’est-à-dire dans les conduites de production musicale, qui permettent de prendre en considération le moment où l’on fait de la musique. Faire de la musique advient quand on maîtrise le son, lorsqu’on s’intéresse au son pour le son (contrairement au son de la voix parlée, par exemple). Lorsque je parle, que ma voix soit belle ou pas belle, cela n’est pas important pour vous. Ce qui vous intéresse, j’espère, c’est ce que je raconte. Sur un instrument, ce n’est pas pareil. On fait attention au son, on maîtrise le son : si vous jouez de la flûte, vous faites un son que vous recherchez, et donc vous cherchez le geste adapté. Il y a un contrôle sensori-moteur de la production, par des récepteurs sensoriels, pas seulement l’oreille, mais aussi le toucher, la sensation de la pression, etc., il y a une série de retours. Ensuite, il y a une forme de symbolisation. Je ne reviens pas trop là-dessus, cela a fait l’objet d’énormes débats. Les formalistes ont considéré que la musique ne disait rien. C’est vrai, mais à un autre niveau quelque chose s’exprime quand même. Il y a des symbolismes partout, même si ce sont des symbolismes comme les instruments mâles et les instruments femelles. Toutes les cultures introduisent des formes de symbolisme dans leurs productions que nous appelons musicales.

Et enfin ces productions sont réglées, organisées. Et ce qui est tout à fait une chance, pour nous qui nous occupons d’éducation musicale, c’est que justement le jeu sensori-moteur, le jeu symbolique et le jeu de règle sont les trois formes de jeu qui apparaissent dans l’enfance progressivement. Donc, c’est très simple pour nous : il suffit de renforcer les conduites sensori-motrices, le symbolisme et le jeu de règle quand c’est le moment. Et du coup, nous épanouissons le parfait musicien. Je passe un peu vite, je le regrette, mais méditez ce constat : les formes successives de jeu correspondent aux trois grands types de conduites qui définissent le musical en général (Delalande, 1984/2017).

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4 • Enfin l’ordinateur vint Je voudrais maintenant exposer ce qui se passe depuis que l’ordinateur est arrivé. Je vais changer d’âge, mais aussi changer de technologie, c’est-à-dire que je vais introduire, mais très rapidement, les technologies numériques.

Les technologies numériques sont arrivées au collège il y a déjà quelques décennies. Au milieu des années 1980, dès qu’il y a eu des ordinateurs domestiques, on a utilisé des systèmes hybrides en utilisant des ordinateurs pour piloter des synthétiseurs. Dans les collèges, cela est allé très vite. Les progrès ont été tels qu’il est maintenant très habituel de faire de la musique avec des ordinateurs qui produisent les sons eux-mêmes.

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Je vais dire quelques mots du travail de Stefano Luca, sound designer et chercheur italien. Pendant longtemps, la musique par ordinateur était présente au collège mais absente à l’école élémentaire. On créait de la musique avec, pour le dire de façon métaphorique, des pots de yaourt, ou des objets quelconques, de temps à autre la voix. C’était d’ailleurs quelquefois très beau. Plusieurs exemples de créations sonores d’enfants de CM2 (dix-onze ans), avec voix et corps sonores, sont très intéressants. Mais c’est quand même beaucoup plus difficile pour l’enseignant ou l’intervenant qui conduit cette activité, parce que les enfants qui commencent à avoir neuf ou dix ans ont une conception de la musique qui n’est pas celle du pot de yaourt. Il faut dans ces cas-là essayer de trouver des outils, des techniques, des technologies un petit peu plus valorisantes. Et la technologie la plus valorisante a été, évidemment, l’ordinateur. Je vais vous montrer maintenant deux exemples d’un travail de réalisation d’enfants qui a été mené par Stefano Luca dans la région de Florence, dans le cadre de l’association Tempo Reale, qui consistait à travailler avec un certain nombre de classes autour des quatre éléments. Les enfants utilisent bien des pots de yaourt – en l’occurrence des papiers ou autres choses – c’est-à-dire des objets de la vie courante, sauf qu’il y a un micro (qui n’est pas un objet de leur quotidien), et un enfant tient le rôle de « microphoniste ». Donc on est bien conscient que le fait d’enregistrer change tout. Ce qui sort du micro rejoint des ordinateurs, et derrière est donc prévu un traitement. Le traitement se fait soit en temps réel, c’est-à-dire que les sons sont captés par le micro, traités, spatialisés, réverbérés etc., par un traitement en temps réel, soit en atelier en temps différé. Donc il est possible de faire travailler beaucoup d’enfants, et le tout se termine par un concert.

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Toutes les classes ont été réunies, avec les parents, les municipalités évidemment, et on voit donc bien comment un travail comme cela, qui utilise des moyens un peu sophistiqués pour traiter les sons, peut permettre d’aller plus loin. Cela a été important pour moi, parce que j’avais beaucoup suivi le développement de l’informatique dans le secondaire et j’attendais le moment où cela gagnerait le primaire. Gamelan 01 (1h07’40)

C’est un peu frustrant de n’écouter qu’un extrait, et j’espère que vous aurez envie de l’écouter en entier : il est accessible en ligne sur le site du GRM avec beaucoup de commentaires. La pièce s’appelle Gamelan 015.

Je voudrais aussi vous faire écouter une petite production d’une jeune fille de dix ans, qui a mis en musique un poème de Filippo Tommaso Marinetti. C’est donc un poème lettriste, futuriste6, mis en musique avec un ordinateur par cette fille de 10 ans qui travaillait toute seule. Mais un enseignant et compositeur, Emanuele Pappalardo, lui avait déjà montré un logiciel, et expliqué comment on pouvait manipuler les sons, faire un petit montage. C’est une situation typique de l’enfant seul qui réinvestit quelques principes appris. L’idée était de faire quelque chose de très simple. Elle avait déjà conçu une autre pièce sur un poème très connu de Giacomo Leopardi (1798-1837), A Silvia7. Là, elle prend ce poème de Marinetti, qui est déjà très sonore, presque de la poésie sonore, et elle le sonorise par des moyens électroacoustiques à partir de sa voix traitée. Je vais vous montrer l’image du poème.

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URL  : http://www.inagrm.com/search/node/gamelan%2001 Le titre est  : Sole oliatore universale. Le lecteur pourra écouter quelques compositions de cette jeune Silvia sur le site du GRM Creamus. URL  : http://creamus.inagrm.com/co/HP_creamus_site.html

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Fig. 1 : Poème de F. T. Marinetti (Ball, 1916/1981, pp. 22-23).

Vous verrez qu’on lit 1, 2, 3, 4, 5, 6, uno, due, tre, quattro, cinque, sei, et sur ces mots on reconnaît bien les traitements. Tout cela est mis en sons. Musique Silvia (11’56)

C’est typiquement une production que peut maîtriser un enfant d’une dizaine d’années sur un ordinateur.

5 • Deux remarques pour conclure

5.1 La création à l’école rejoint la composition en amateur Plutôt que par une conclusion, je voudrais terminer par une sorte de post-scriptum sous forme de deux commentaires.

Le premier consiste à remarquer que lorsque les enfants maîtrisent un peu l’informatique, ils rejoignent un univers extrêmement développé, celui des compositeurs qui composent chez eux en amateurs. Sur le plan social, il s’est produit un changement très important : composer de la musique par ordinateur, chez soi, est devenu quelque chose de relativement banal. Je m’appuie toujours sur l’étude qui a été menée en 2002 par Pouts-Lajus et al. et montrant qu’il y avait un million d’amateurs qui composent chez eux sur leur ordinateur. C’est

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énorme. Socialement, c’est très significatif. On s’aperçoit aussi, par une étude qualitative, qu’il s’agit de gens impliqués dans un travail alimentaire durant la journée et qui, lorsqu’ils rentrent le soir, prennent leur plaisir à faire de la composition (Pouts-Lajus et al., 2002). On est dans une situation où l’école peut rejoindre ce million de compositeurs. Ce que les enfants font à l’école, ils peuvent le continuer à la maison. L’école fabrique d’anciens élèves qui deviennent ensuite des compositeurs amateurs. C’est important sur le plan social. Je suis assez sensible à l’organisation de la société musicale. La société musicale a été hyper verticalisée. Le compositeur était le personnage très célèbre. Cela s’est développé surtout au XIXe siècle – cela s’est amplifié encore au XXe siècle quand les industries culturelles ont pris le relais et que les personnages célèbres vendaient les disques et les auditeurs n’avaient plus qu’à applaudir. Cette situation très verticalisée est donc entrée en conflit avec une situation qui se développe maintenant, qu’on pourrait appeler une société horizontale : les gens font de la musique chez eux, ils n’ont pas particulièrement envie de vendre des disques à des millions d’exemplaires, ils ont simplement envie de faire connaître ce qu’ils font à leur entourage. Peut-être qu’ils font des disques, mais ils les tirent à trois-cents exemplaires, surtout ils font circuler leur musique via Internet. Parfois ils font des petits concerts, mais c’est dans un garage, pour des copains qui eux-mêmes font de la musique. Donc c’est une société qui n’a rien à voir avec l’autre, et sur le plan de l’individuation, c’est fondamental – psychologiquement et socialement. Cela s’oppose frontalement à la société verticale qui est fondée maintenant sur le marketing. Donc on trouve une double société musicale, dont l’école, sans le faire exprès, se fait l’artisan. Ceci est le premier post-scriptum.

5.2 Relation avec les arts plastiques

Le deuxième post-scriptum concerne le rapport entre la musique et les arts contemporains. C’est l’une des raisons qui m’ont motivé à venir ici. Vous savez évidemment que ce sont les mouvements de peinture au début du XXe siècle qui ont donné naissance à ce qu’on appelle l’art enfantin. Avant, les enfants ont toujours fait des gribouillis sur du papier, mais simplement on n’a jamais pris cela au sérieux. Jamais on ne s’est dit : « ça, c’est de l’art ». Cela a changé quand des artistes comme Matisse, Klee, Kandinsky ont commencé à s’intéresser aux arts primitifs et à ce que faisaient les enfants. Et du coup le concept même d’art enfantin est né, un petit peu après, surtout après la guerre. Il y a eu des ateliers – je pense à Arno Stern – des gens

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qui ont fait des ateliers d’art – on parlait vraiment d’art – avec des grands papiers sur les murs. Il y a eu un colloque de l’UNESCO sur l’art enfantin en 1951 (Ziegfeld, 1954). Donc il s’est produit un transfert du milieu artistique vers le milieu éducatif. Il s’est passé la même chose avec les musiciens. La musique concrète, en 1948, a eu comme effet qu’on est aujourd’hui capables d’entendre comme musical le petit exemple que je vous ai fait passer au début de mon intervention. On a pu se dire : « tiens, cela peut être de la musique ». C’est parce que les musiciens se sont ouverts à des musiques faites de bruit, ou à des musiques de son – pensez à la flûte chez Levinas – que les productions d’enfants ont pu être considérées comme musicales.

Et maintenant, qu’est-ce qui se passe sur le plan de l’art contemporain ? On ne le sait pas, mais en réalité les enfants font de l’art contemporain et sont prêts à faire des installations dans les classes. Ça existe depuis toujours. Je pense à nouveau à Monique Frapat. Il s’est produit dans sa classe quelque chose comme une performance, je dirais presque un happening. Monique Frapat, pour susciter des créations, avait imaginé, grâce à l’aide d’un parent, de faire gonfler des ballons à l’hélium. Si je pense à cela c’est parce que Philippe Parreno, qui est un artiste contemporain, a fait une installation avec des ballons gonflés, et cela m’a fait penser à Monique Frapat avec ses ballons. Tous les enfants s’étaient approprié un ballon, l’avaient décoré, l’avaient nommé, s’y étaient attachés, jusqu’au jour où tout le monde s’est mis d’accord qu’il fallait lâcher les ballons. Donc un lâcher de ballons a été organisé dans la cour. On n’est plus dans l’école, on va dans la cour, on produit une sorte d’événement, et tous les enfants ont lâché ce ballon auquel ils s’étaient attachés pendant plusieurs semaines. Évidemment, il y en avait qui pleuraient, et le résultat de cela c’est qu’est née de cet événement une invention considérable. Les enfants ont imaginé des quantités d’histoires. Un ballon avait épousé la lune. Un autre était allé en Chine. Ils ont fait du riz dans la classe pour connaître la Chine... Cela a permis une formation générale. Mais je vois là une démarche artistique. On a fabriqué une performance, un « protocole », même si le mot n’existait pas encore, qui a stimulé, suscité toute une production créative. Monique Frapat avait installé un petit coin dans la classe où on pouvait enregistrer des confidences qu’on envoyait ensuite aux ballons. Il y a une flopée de créations, y compris musicales évidemment, qui sont nées d’une situation créée artificiellement. C’est le prototype d’un dispositif. C’est une manière de provoquer de la création, de stimuler de la création, sans savoir du tout à quoi cela va aboutir.

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Pédagogie de la création musicale aujourd’hui

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UN PARCOURS DE RECHERCHE À LA CROISÉE DE LA DIDACTIQUE ET DE LA RECHERCHE-CRÉATION Pierre Gosselin

Introduction

Lorsqu’on m’a invité à participer aux journées d’études sur la didactique de la création artistique (DiCrA), j’ai été surpris de constater que d’autres didacticiens du domaine des arts s’intéressaient eux aussi à la recherche-création, car à première vue, la didactique des arts et la recherche-création m’apparaissaient comme des objets de recherche passablement différents. Mais en revenant en pensée aux travaux que je mène depuis une trentaine d’années en didactique des arts, j’ai constaté que la recherche-création s’y insinuait continuellement.

J’introduis d’abord mon propos en parlant du début de mon parcours de recherche. Après mes études, avant de me tourner véritablement vers la didactique des arts, j’étais un artiste en arts visuels ; j’enseignais le dessin et la sculpture et ma pratique artistique conjuguait la photographie, l’installation et la performance. Mais j’enseignais aussi la didactique aux étudiants en arts visuels qui se préparaient à l’enseignement des arts plastiques au primaire et au secondaire. En supervisant les stages d’enseignement de mes étudiants, je voyais qu’à l’école, les arts s’enseignaient souvent de manière « scolaire ». Les programmes proposaient des listes de contenus et de techniques à enseigner, mais il y manquait un rationnel directement lié à la nature des disciplines artistiques. La supervision des stages m’a tout de même permis de voir des classes inspirées, des classes où se vivaient des situations fécondes, où le temps semblait s’être arrêté, permettant aux élèves et aux enseignants de vivre ce

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Didactique de la création artistique

que Csikszentmihalyi (1996) appelle le flow. Mais la complexité de telles situations est difficile à saisir. Le besoin de mieux comprendre la dynamique des situations fécondes en classe d’arts plastiques m’a incité à entreprendre mes études doctorales. L’objectif du présent texte est de faire part de travaux qui ont ponctué mon parcours de recherche en didactique des arts et en recherche-création et de montrer comment ces deux objets y interagissent. Dans la première partie, je traite de travaux spécifiques au champ de la didactique des arts alors qu’en seconde partie je fais part de travaux reliés de façon plus spécifique à la recherche-création.

Partie  1  : Des travaux plus spécifiquement liés à la didactique des arts plastiques

Il est question, dans cette première partie de certains de mes travaux liés à la didactique des arts. Je parlerai successivement de ma thèse doctorale, de ma représentation de la dynamique de création, de repères que j’ai proposés pour l’appréciation des effets de l’éducation artistique et enfin d’un référentiel pour le développement et l’évaluation de la compétence à créer chez les artistes en formation dans les collèges1 et les universités. Le cadre qui m’est donné ici ne permettrait pas d’entrer dans tous les détails de chacune de ces recherches, mais je parlerai des objectifs qu’elles ont poursuivis, de leurs filiations avec la recherche-création et je signalerai quelques aspects qui m’apparaissent importants dans chacune d’elles.

Ma thèse doctorale  : Un modèle de la dynamique du cours optimal d’arts plastiques au secondaire2

L’objectif de ma thèse doctorale a été de développer une représentation permettant de comprendre la dynamique des situations fécondes en classe d’arts plastiques. Méthodologiquement, pour développer cette représentation, je m’en suis remis à la modélisation systémique. En 1984, lorsque j’ai débuté mes études de 3e cycle, les livres de méthodologie de recherche étaient beaucoup plus rares qu’aujourd’hui. Il n’y avait pas d’ouvrage traitant de modélisation 1

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Au Québec, deux années études dans un collège d’enseignement général et professionnel (cegep) précèdent les études universitaires ; les élèves y accèdent après cinq années d’études secondaires. Cette thèse soutenue en 1991 a par la suite été publiée (voir Gosselin, 1993).

Un parcours de recherche à la croisée de la didactique et de la recherche-création

dans les domaines des sciences humaines ou des sciences de l’éducation. Certains traités méthodologiques parlaient de la modélisation mathématique ou encore de modélisation des entreprises et des systèmes économiques, mais il n’y avait pas d’ouvrages portant spécifiquement sur la modélisation en sciences humaines. L’étude de l’épistémologie systémique m’a permis de développer une méthode qui guiderait mon travail de modélisation. L’ouvrage de Jean-Louis Le  Moigne  (1977/2006), La théorie du système général, a été d’un apport capital. Ce livre qui a paru la même année que le tome I de La méthode d’Edgar Morin propose lui aussi des pistes pour la compréhension des complexités organisées. La théorie de Le Moigne est une théorie de la modélisation pour ne pas dire une théorie de la construction3. Opter au début des années 1980 pour une méthodologie constructiviste n’était pas chose courante dans les facultés de sciences humaines. Il m’importe d’insister sur ce genre de détail pour laisser voir qu’à cette époque, me fiant en quelque sorte à mon instinct d’artiste, j’optais pour une méthodologie nouvelle, une méthodologie que j’ai due à mes risques élaborer, pour développer ma thèse par construction, ou par induction, dans un domaine des sciences de l’éducation habitué au travail par analyse, ou par déduction4 ; en effet, une grande part des thèses que je trouvais en bibliothèque partaient d’une hypothèse qu’on cherchait à démontrer, ce qui entraînait une collecte de données qu’on soumettait ensuite à une analyse. À cette époque le terme « modélisation » avait pour moi une connotation quelque peu abstraite ; je n’avais jamais entendu parler de modélisation et j’avais du mal à démarquer l’idée de modélisation du concept de modelage ; aujourd’hui je peux dire de façon plus assurée que la modélisation est une forme de modelage conceptuel. Essentiellement, la modélisation systémique donne la prescription suivante : ce que tu cherches à comprendre, représente-le. Elle incite à montrer, plus qu’à démontrer ; elle se définit comme une méthodologie de représentation, une méthodologie de construction, une méthodologie naturelle pour des gens du domaine des arts habitués à créer, à développer des représentations, des interprétations, etc. 3

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C’est également Le Moigne (1995) qui a signé aux Presses universitaires de France le livre de la collection Que sais-je portant sur les épistémologies constructivistes. Il m’importe ici d’exprimer ma reconnaissance envers mon directeur de thèse, Gérard Potvin, philosophe et épistémologue, qui a eu suffisamment d’audace pour me laisser m’engager dans cette voie méthodologique et m’accompagner de façon sereine.

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Didactique de la création artistique

Ici, l’intersection entre didactique des arts plastiques et recherchecréation est d’abord méthodologique. Quand, quelques années plus tard j’ai commencé à encadrer des doctorants développant une thèse de type « recherche-création », j’ai vu dans la modélisation systémique une méthode pertinente pour des artistes cherchant à mieux saisir leur pratique. Pour la comprendre, elle les invite à la représenter ou à en représenter certaines dimensions. Le cadre de mon propos ne permettrait pas d’expliciter davantage ici cette méthode utilisée pour développer ma thèse doctorale ; je l’ai décrite davantage dans l’article intitulé Vers un modèle de modélisation (Gosselin, 1990).

Il y a un autre lien entre cette thèse en didactique des arts plastiques et la recherche-création. Ce qui à mon sens caractérise particulièrement la recherche-création est notamment le fait qu’elle tire une grande part de ses données du terrain de la pratique artistique. Quand j’ai entrepris mes études de 3e cycle, il m’a fallu suspendre une pratique artistique d’une dizaine d’années, mais j’ai passablement puisé dans mon expérience de la création pour déterminer les matériaux avec lesquels j’allais développer un modèle de la dynamique du cours optimal d’arts plastiques au secondaire. Ce n’est pas par hasard que j’ai tenu à mettre au centre de ce modèle une conception de la dynamique de création. Au cœur d’un programme d’art, une représentation de la dynamique de création joue un rôle semblable à celui que joue une théorie de l’apprentissage dans d’autres disciplines. Dans une classe d’art on apprend en créant. Le processus de construction est ni plus ni moins que le processus conduisant à la connaissance.

Essentiellement, ma thèse doctorale montre que le cours optimal d’arts plastiques est un lieu d’actualisation personnelle, et notamment le lieu par excellence du développement d’un équilibre émotivo-rationnel. Au centre, il y a une première version de ma représentation de la dynamique de création qui, s’appuyant sur Noy (1979), éclaire le rôle que jouent les processus cognitifs expérientiels (subjectifs) et les processus cognitifs conceptuels (objectifs) dans le travail créateur. En les sollicitant de façon importante, non seulement le travail de création favorise le développement de ces deux modes cognitifs, mais il favorise aussi le développement d’une capacité à les faire collaborer. Dans cette recherche, les théories du processus créateur ont été particulièrement éclairantes. Il m’importe ici de parler de l’apport capital de la pensée de Paul Valéry5 qui, pendant une cinquantaine d’années, 5

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C’est grâce aux travaux de Jeanne-Marie Gingras (1979, 1983) que j’ai pu approfondir la pensée de Valéry à propos de la création. Je donne à la toute fin quelques références concernant ses travaux.

Un parcours de recherche à la croisée de la didactique et de la recherche-création

a tenu des carnets où il a consigné des réflexions sur différents sujets et notamment sur la création. Ce qu’on appelle aujourd’hui la « poïétique » et qui interpelle directement la recherche-création nous vient de ce même Valéry qui était préoccupé par la compréhension de la genèse des œuvres d’art. Il est même allé jusqu’à proposer une formule de l’art montrant la création comme un processus en trois temps.

Fig. 1 : Formule de l’art selon Valéry (Cahiers, t. IX, p. 455).

Jean-Louis Le-Moigne (1996) dont il a été question plus haut a signé un article traitant de la contribution de Valéry au développement des épistémologies constructivistes. Selon Valéry, le travail de création permet au créateur de se créer. Pour lui, l’œuvre ultime de l’artiste, c’est l’artiste lui-même qui se réalise par son travail de création. C’est ainsi que dans Eupalinos (ou l’architecte) il fait dire à son personnage « À force de construire, je crois bien que je me suis construit moi-même. » (Valéry, 1960, p. 92) Dans son œuvre littéraire et ses cahiers, Paul Valéry livre une compréhension phénoménologique du travail de création, une compréhension ancrée dans l’expérience même de la création artistique.

Une représentation de la dynamique de création (Gosselin et al., 1998)

Au sortir du doctorat, j’ai poursuivi des travaux de recherche avec des professeurs d’arts plastiques du secondaire et du collégial ; le travail s’est fait à partir de ma première version de la dynamique de création, une version plus rudimentaire que j’avais posée dans ma thèse. Ces travaux nous ont amené à proposer quelques années plus tard une version plus affinée de cette dynamique.

Fig. 2 : Une représentation de la création à la fois comme un processus et comme une dynamique.

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On est ici encore dans des travaux de recherche en didactique des arts plastiques et pourtant il y a là un croisement évident avec la recherche-création. Cette fois le lien a trait au contenu lui-même. Plusieurs praticiens chercheurs du domaine des arts veulent développer une saisie de leur pratique artistique ; ils cherchent pour ainsi dire à saisir quelque chose qui habite leur pratique et qui leur est difficile de saisir notamment en raison de sa complexité ; pour ce faire, ils adoptent le plus souvent une démarche pouvant être associée à celle du praticien réflexif (Schön, 1983). Poser une représentation de la dynamique de création, c’est en quelque sorte poser une saisie générale de la pratique de création.

Cette représentation [fig.  2] montre la création à la fois comme un processus et comme une dynamique. Personnellement, je conçois la création davantage comme une dynamique que comme un processus. Je l’ai posée ainsi parce qu’elle s’adresse en premier lieu à des enseignants en art qui planifient leur enseignement en termes d’activités délimitées dans le temps. Comme processus, la création se décline ici en trois temps qui marquent un début, un développement et un aboutissement, trois temps que j’ai appelés ouverture, action productive et séparation. Ces trois temps sont dynamisés par des mouvements qui interviennent durant chacune des trois phases du processus : mouvements d’inspiration, d’élaboration et de distanciation. Le mouvement d’inspiration est celui qui insuffle des idées au créateur ; il est fortement caractérisé par les processus cognitifs expérientiels subjectifs (Noy, 1979) qui sont associés à l’inconscient, ce qui rend ce mouvement d’inspiration moins « contrôlable ». Sans être complètement incontrôlable, la logique qui préside à ses manifestations demeure pour une bonne part obscure. Le mouvement d’élaboration, pour sa part, est caractérisé par les processus cognitifs conceptuels objectifs (Noy, 1979) qui sont associés au conscient ; on parle ici de processus de pensée contrôlables, des processus souvent qualifiés de rationnels. Enfin, le mouvement de distanciation tire à la fois parti des processus expérientiels et des processus conceptuels. Il se définit comme un mouvement à caractère évaluatif ; il incite le créateur, à différents moments du processus, à prendre une distance pour évaluer de façon intuitive ou rationnelle différents aspects et pour prendre des décisions. Dans un tableau qui complète cet article, nous avons voulu, mes collaborateurs et moi-même, suggérer différentes manifestations des trois mouvements au cours de chacune des phases du processus (voir le tableau 1).

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Un parcours de recherche à la croisée de la didactique et de la recherche-création

Tableau 1 : Interaction des phases du processus et des mouvements qui le dynamisent.

Dans la colonne de gauche, se succèdent de haut en bas les trois phases du processus. La colonne de droite propose des énoncés traduisant des manifestations des trois mouvements au cours de chacune des phases. Enfin, la colonne de gauche signale des aptitudes que sollicite et développe le travail de création au cours des différentes phases du processus. À ce stade, nos travaux avaient permis de mettre plus spécifiquement en lumière onze aptitudes sollicitées par le travail de création.

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Didactique de la création artistique

Des repères pour l’appréciation des effets de l’éducation artistique (Gosselin, 2008) La poursuite de travaux sur la dynamique de création m’a amené, lors d’un symposium qui a eu lieu en janvier 2007 au Centre Pompidou, à proposer des repères pour l’appréciation des effets de l’éducation artistique. Lorsqu’on s’intéresse à l’évaluation des retombées de l’éducation artistique, il faut préalablement se demander dans quelle direction regarder pour être en mesure d’apprécier les effets pouvant y être associés. Comme je l’ai déjà dit, pour moi la classe d’art est le lieu par excellence du développement d’un équilibre entre l’émotivité et la rationalité. Lors de ce symposium j’ai proposé qu’un des effets de l’éducation artistique serait le développement de cinq aptitudes contribuant chez les élèves à l’affermissement d’une « autorité » qui se définit en lien avec sa racine latine auctor (auteur) et qui traduit une capacité d’être véritablement l’auteur de ses pensées, de ses actions et de ses œuvres (voir le tableau 2 ci-dessous).

Tableau 2 : Cinq aptitudes concourant au développement d’une autorité chez l’élève.

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Aux onze aptitudes déjà mises en lumières en 1998 (voir le tableau 1) s’ajoutent trois autres aptitudes : l’aptitude à transcender ce qui est proposé, l’aptitude à placer son travail dans le monde et l’aptitude à se donner des projets. Ces trois dernières aptitudes ont été associées

Un parcours de recherche à la croisée de la didactique et de la recherche-création

à deux des onze autres préalablement signalées (l’aptitude à se centrer en cours d’action et l’aptitude à supporter une certaine tension, un certain tourment) pour être mises en constellation autour de ce que nous avons appelé « l’autorité intérieure », une forme d’autorité que développe l’éducation artistique. Au cours d’entretiens, des créateurs et des élèves nous ont fait part à quelques reprises du sentiment d’être habités par une voix intérieure qui les dirige en quelque sorte ; ces entretiens nous ont incités à relier cette idée au concept d’autorité intérieure dont parle la psychosynthèse. Les liens entre ce qui précède avec la recherche-création peuvent être multiples. J’en signale un plus spécifiquement lié à mon travail d’encadrement de recherche. Lorsque j’accompagne des étudiants de maîtrise et de doctorat, dans le dialogue, des idées apparaissent et nourrissent à la fois les travaux des étudiants et mes propres travaux. Pour définir « l’aptitude à transcender ce qui est proposé », je suis parti du concept de « retournement des propositions » développé par Joëlle Tremblay (2013), une de mes étudiantes qui, dans sa thèse, a théorisé sa pratique artistique. L’exigence de « retournement »6 des propositions est une particularité importante de l’éducation artistique qui favorise le développement d’une forme d’autorité portant à transcender ce qui a été proposé ; dans la réponse que développe l’élève, grâce à ce type de retournement, les critères de départ se trouvent pour ainsi dire illuminés selon les termes mêmes utilisés par les enseignants. On peut voir ici que mon travail de direction d’étudiants de 2e et de 3e cycles nourrit mes propres travaux tout comme mes travaux donnent un arrière-plan pour l’accompagnement de recherche. Je conclus brièvement cette fois en signalant un aspect qui m’apparaît important et dont traite l’article qui résume ma contribution au Symposium du Centre Pompidou. À la fin de l’article (Gosselin, 2008), j’ai abordé la question des effets à long terme d’une éducation artistique développant une autorité chez l’élève. Cela m’a amené à parler des effets dans les pratiques et les productions professionnelles des individus ayant bénéficié d’une éducation artistique. J’y parle notamment de domaines et de professions éloignées du champ des arts, où une part de « retournement des propositions » demeure non seulement possible, mais également souhaitable en réponse aux 6

Tremblay (2013) conçoit le retournement comme un concept opératoire permettant de renverser des perspectives. «  Retourner la proposition, c’est prendre la proposition de départ et la changer. Vivre ce que j’appelle un “retournement” permet de transformer une commande extérieure en nécessité intérieure, dans un effort d’élargissement des perspectives  » (Tremblay, 2013, p.  172).

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Didactique de la création artistique

demandes qu’on y reçoit. Souvent, cette part de « retournement », permettant à l’individu de produire quelque chose qui porte sa signature, fait toute la différence entre une production satisfaisante et une production remarquable.

Référentiel pour le développement et l’évaluation de la compétence à créer en art au collège et à l’université (Gosselin et al., 2014)

Pour conclure cette partie traitant de travaux liés à la didactique des arts plastiques, je parle brièvement d’un Référentiel pour le développement et l’évaluation de la compétence à créer en art au collège et à l’université, référentiel que nous avons mis en ligne ces dernières années. J’en parle brièvement non pas parce que cette recherche m’apparaît moins importante, mais en raison de la densité de ce référentiel qui, par ailleurs, peut être entièrement consulté et téléchargé en ligne7. Je me contente donc d’en dire quelques mots pour expliquer de quoi il s’agit.

Tout d’abord, avant de m’engager dans cette recherche, la question de l’évaluation en art ne m’intéressait pas a priori. J’y suis venu un peu par la force des choses. Depuis des décennies j’entends des enseignants en art dire que les politiques d’évaluation proposées par le ministère de l’Éducation ou par les institutions d’enseignement ne permettent pas d’évaluer l’essentiel de ce qui doit l’être, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’évaluer quelque chose de complexe comme la compétence à créer. Grâce à un appui important, nous avons pu, en équipe de recherche, travailler sur le sujet pendant plus de quatre ans. Pour bien poser la question de l’évaluation, nous avons commencé par montrer comment se développe la compétence à créer chez les étudiants en arts visuels et en danse8. Puis nous avons montré comment les professeurs des collèges et des universités évaluent. Nous sommes partis du raisonnement suivant. Les enseignants des collèges et des universités sont insatisfaits des modalités évaluatives qu’on leur propose d’appliquer dans leur classe. Mais malgré tout, les arts continuent de s’enseigner tout comme on continue de former 7 8

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URL  : www.competenceacreer.uqam.ca Le référentiel comporte deux versions, l’une pour les arts visuels et l’autre pour la danse. Les deux versions présentent la même structure et de grandes similitudes, mais pour tenir compte de la spécificité des disciplines, nous avons opté pour l’élaboration d’un référentiel en deux versions. Je poursuis mon propos ici en me référant spécifiquement à la version «  arts visuels  » du référentiel.

Un parcours de recherche à la croisée de la didactique et de la recherche-création

des artistes9 et des professionnels du domaine des arts. Plutôt que de chercher dans des théories de toutes sortes (docimologie, théories de la créativité, théories du processus créateur, etc.) des règles à prescrire aux enseignants en art, nous sommes partis des pratiques de ces mêmes enseignants pour développer ce qu’on peut appeler « la théorie de leur pratique ». Il m’importe d’insister sur cet aspect. Quand nous avons débuté ce projet de recherche, j’ai mis mes travaux sur le processus créateur entre parenthèses ; un peu comme si nous partions à côté pour trouver autre chose. Je ne peux pas dire que nous avons trouvé quelque chose de radicalement différent, mais plutôt que nos résultats présentent les choses autrement. Je m’explique. Cette recherche nous a amenés à définir la démarche de création au moyen de cinq verbes. Il n’est donc plus question ici de la création comme d’un processus en trois temps dynamisés par trois mouvements comme cela était le cas dans mes travaux antécédents. La démarche de création se définit plutôt comme une dynamique tirant parti d’actions récurrentes et définies à travers les cinq verbes suivants : être présent, réfléchir (comprendre), développer, explorer et présenter. Pour cette recherche, nous avons travaillé à la fois de façon analytique (déductive) et de façon systémique (inductive). Nous avons eu des entretiens10 avec des enseignants en arts des collèges et des universités, des entretiens que nous avons transcrits et analysés. Nous avons développé notre grille d’analyse à partir de ce qui ressortait de nos données plutôt qu’à partir de théories existantes ; il importe de le préciser, car nous voulions produire une théorie ancrée, la théorie de la pratique des enseignants plutôt que d’interpréter leurs pratiques à la lumière de théories existantes. Nous avons ensuite organisé en système les catégories qui sont ressorties de nos analyses. La figure 3 ci-dessous synthétise une partie de nos résultats de recherche.

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Dans les collèges et les universités, l’éducation artistique poursuit des finalités différentes de celles qu’elle vise dans les écoles primaires et secondaires où elle focalise sur l’épanouissement global des élèves via le développement de toutes leurs potentialités. Au collège et à l’université, elle focalise particulièrement sur le développement de professionnels du domaine des arts. Pour être plus explicite, nous avons eu avec les enseignants des entretiens comportant une part d’entretien d’explicitation (Vermersch, 1994).

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Fig. 3 : Synthèse du développement de la compétence à créer.

Cette figure met en lumière neuf ressources personnelles du créateur convoquées par la création artistique. On y retrouve également les cinq verbes définissant la démarche de création et mobilisant les ressources du créateur, le conduisant ainsi à développer des productions artistiques et des discours sur sa démarche artistique de même que sur les œuvres qui en résultent. Tout au centre, on retrouve la personne du créateur comme résultante du travail de création ; on rejoint ici encore la conception de Paul Valéry pour qui le travail de création permet au créateur de se créer lui-même.

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Notre référentiel se déploie à partir de cette figure. On y signale notamment des actions que posent les enseignants en art pour développer les ressources créatrices de leurs étudiants de même que des actions montrant comment ils accompagnent leur démarche de création. Comme il s’agit d’un référentiel portant également sur l’évaluation de la compétence à créer, un des chapitres montre que lorsqu’ils évaluent leurs étudiants, les enseignants en arts tiennent compte de trois objets : de leur démarche de création, des productions qui en résultent de même que du discours que tiennent les étudiants à propos de leur démarche et de leurs réalisations. Le référentiel montre

Un parcours de recherche à la croisée de la didactique et de la recherche-création

également des critères et des indicateurs pour chacun de ces trois objets d’évaluation.

Ici, le lien entre didactique des arts et recherche-création est assez évident. La recherche d’une compréhension du travail de création interpelle directement la recherche-création tandis que l’étude de modalités permettant de l’évaluer finement interpelle plus spécifiquement la didactique des arts. Pour conclure je signale un aspect qui m’apparaît fort important dans ce référentiel. Nous avons voulu travailler sur la question de l’évaluation en art notamment parce qu’une part importante de la frustration de nos collègues face aux modalités évaluatives qu’on leur propose nous a semblé venir du fait que ces modalités refusent de prendre en compte la subjectivité qui est nécessairement impliquée dans le travail créateur et dans son évaluation. Cela nous a amenés à formuler ainsi notre question de recherche : comment évaluer une compétence à créer sollicitant des ressources différentes d’un individu à l’autre, encourageant des démarches où les séquences d’actions pertinentes peuvent varier à l’infini et engendrant des réponses imprévisibles ? Étant donné que nous étions libres d’aborder notre étude comme nous le voulions11, nous avons pu prendre en compte le rôle de la subjectivité dans le travail créateur et montrer comment les enseignants en art composent avec cette dimension au moment de l’évaluation.

Partie  2  : Des travaux plus spécifiquement liés à la recherche-création

Dans cette deuxième partie, il est question de certains de mes travaux liés à la recherche-création. Je parlerai successivement de deux livres traitant de méthodologie de recherche-création pour parler ensuite de mon travail de direction de thèses en recherche-création. Je ne m’enjoins pas toutefois ici de lier les travaux dont il sera question à la didactique de l’enseignement des arts ; je me contente de dire que tous mes travaux liés aux méthodologies de recherche-création tirent parti de mon enseignement, car c’est à ce même enseignement et aux réflexions qui lui sont concomitantes que je dois mes contributions au domaine. 11

En dépit du fait que notre recherche a profité d’un appui financier important, nous ne répondions pas à une commande.

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Didactique de la création artistique

Tactiques insolites : Vers une méthodologie de recherche en pratique artistique (Laurier et Gosselin, 2004) Je parle d’abord ici d’un livre dont l’objectif a été de proposer des réflexions et des repères méthodologiques pour les recherches menées à partir du terrain de la pratique en arts visuels et médiatiques. Au début des années 2000, ma collègue Diane Laurier et moimême nous sommes impliqués dans le développement de cours de méthodologie à l’intention de praticiens du domaine des arts. À cette époque qui n’est pas si lointaine, il n’y avait pratiquement pas de textes sur les méthodologies de recherche-création. Devant la rareté des écrits, Diane Laurier a proposé à ses étudiants de maîtrise en arts visuels de contribuer au développement du domaine en proposant des discours à caractère méthodologique pour la recherche-création ; nous avons codirigé ce travail. La consigne était la suivante  : chaque étudiant co-auteur participant devait écrire un article sur un aspect méthodologique de son mémoire. Diane Laurier et moi avions à encadrer le travail d’écriture des étudiants puis à introduire et conclure l’ouvrage en question.

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On se retrouve ici encore dans l’esprit systémique-constructiviste dont il a été question plus haut. Inspirés par l’approche systémique qui incite à représenter ce que l’on cherche à saisir et devant la rareté des écrits sur les méthodologies de recherche-création, nous avons décidé d’en produire. Au dernier chapitre de cet ouvrage, je propose deux pistes méthodologiques et cinq modes pour la recherche en pratique artistique. Quatre de ces modes sont en filiation avec la poïétique, une poïétique dont l’objet est la compréhension de l’art en train de se faire (Passeron, 1974) ; quand j’ai commencé à m’intéresser à la définition de méthodes de recherche à l’intention des praticiens chercheurs du domaine des arts, j’ai d’abord compris la recherche-création comme un type de recherche de nature essentiellement auto-poïétique ; dans cette perspective la recherche vise une compréhension de la pratique artistique de son auteur. Mais le cinquième mode proposé dans ce chapitre est différent ; selon ce cinquième mode, le chercheur en pratique artistique est autorisé à discourir sur des sujets autres que la pratique artistique elle-même ; tout comme le philosophe et le sociologue peuvent s’intéresser à des objets de recherche similaires et discourir sur ces objets à partir de leur point de vue de philosophe et de sociologue, le praticien chercheur du domaine de l’art est également autorisé à discourir sur des sujets de toutes sortes, mais cette fois à partir du point de vue spécifique qui est le sien. La prise de conscience de ce cinquième mode

Un parcours de recherche à la croisée de la didactique et de la recherche-création

a été favorisée par l’enseignement des méthodologies de recherche ; elle m’a fait ouvrir ma définition de la recherche-création pour englober toute recherche conduite à partir du terrain de la pratique artistique.

La recherche-création : Pour une compréhension de la recherche en pratique artistique (Gosselin et Le Coguiec, 2006)

En dirigeant l’édition de l’ouvrage La recherche-création : Pour une compréhension de la recherche en pratique artistique nous cherchions, Éric Le Coguiec et moi, à définir davantage la recherche-création, à en délimiter le territoire et les produits. Nous voulions également proposer des modes méthodologiques pour la recherche-création. L’ouvrage faisait suite à un colloque12 ; à proprement parler, il s’agit des actes de ce colloque.

Je me permets ici de signaler le chapitre que Jean Lancri (2006) y signe et qui s’intitule Comment la nuit travaille en étoile et pourquoi. Dans ce chapitre, Lancri propose quinze éléments de définition d’une thèse en arts plastiques à Paris I ; ce faisant il donne des repères permettant de délimiter la recherche-création. De mon côté, je signe un chapitre (Gosselin, 2006) sur la spécificité de la recherche en pratique artistique et propose quelques paramètres pour le développement de méthodologies de recherche-création. Le chapitre part notamment d’idées abordées dans Tactiques insolites pour les développer davantage. À cette époque, je parlais de recherche en pratique artistique pour désigner les recherches menées par des individus engagés dans un travail de création. J’ai longtemps évité de parler de recherche-création parce que tant de recherches s’en réclament qu’il devient difficile de délimiter ce type de recherche. Essentiellement, pour moi, la recherche-création donne une voix aux personnes investies dans un travail de création et les contenus qu’elle engendre en portent la marque. Le plus souvent, elle engendre une double production : production artistique et production discursive. Enfin il m’importe de signaler le chapitre Apports possibles de l’ethnographie et de l’autoethnographie pour la recherche en pratique artistique que signe Sylvie Fortin (2006) dans cet ouvrage et qui associe en quelque sorte le chercheur en pratique artistique à un ethnographe investissant le terrain de sa propre pratique ; elle y traite 12

Ce colloque intitulé La recherche-création ou comment faire autrement s’est tenu dans le cadre du Congrès de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (ACFAS) qui a eu lieu à l’Université du Québec à Montréal en mai 2004.

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Didactique de la création artistique

de la pertinence de données de type ethnographique pour le praticien chercheur du domaine des arts qui souhaite que son discours porte l’empreinte du terrain qui lui est propre.

La direction de thèses en recherche-création

La direction de mémoires et de thèses représente en lui-même un mode de recherche en ce sens qu’en travaillant à l’avancement des travaux de recherche de nos étudiants, nos propres travaux progressent. Je signale ici deux thèses et je montre comment la direction de ces thèses a eu et continue d’avoir des retombées sur mes propres travaux de recherches. Je parle d’abord de la thèse de Joëlle Tremblay (2013)13 dont il a été question plus haut et qui s’intitule L’art qui relie, un modèle de pratique artistique avec la communauté : Principes et actes. L’objectif de cette thèse a été de poser un modèle de pratique traduisant ce que Tremblay appelle « l’art qui relie », une pratique artistique dans et avec la communauté où le concept de « reliance » (Bolle de Bal, 1985) joue un rôle central. Joëlle Tremblay y propose une saisie d’une pratique qu’elle poursuit depuis plus de trente ans. Elle a voulu poser ce modèle de sa pratique pour être en mesure d’en transmettre le mode, ou du moins d’en transmettre certains aspects essentiels. Le titre de la thèse est indicatif ; le modèle donne à voir les principes sous-jacents à sa pratique de même que les actions qui en traduisent le fonctionnement.

En dirigeant ce type de recherche, j’ai pris conscience que lorsqu’ils cherchent à saisir ou à comprendre leur pratique (pratiques éducatives, pratiques artistiques dans la communauté, etc.) les praticiens ont besoin de saisir de façon plus explicite les principes et les valeurs qui orientent leurs actions et leurs choix. Leurs actions n’opèrent pas à vide ; elles sont portées et guidées par des valeurs et des principes conscients ou non conscients.

Pour donner une idée synthétique de la forme que prennent les résultats de cette recherche, je montre une figure (voir figure  4 ci-dessous) tirée de la page 255 de la thèse en question et qui pose de façon schématique les trois derniers de sept actes14 définissant la pratique 13 14

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Cette thèse est accessible à l’adresse suivante  : www.archipel.uqam.ca/5713/ La pratique de l’art qui relie se définit principalement en deux temps principaux  : un premier temps de préparation comportant quatre actes et un deuxième temps de réalisation et de diffusion comportant trois actes.

Un parcours de recherche à la croisée de la didactique et de la recherche-création

artistique de la doctorante ; il s’agit des actes liés à la réalisation et à la diffusion d’une œuvre collective dans l’esprit de « l’art qui relie ».

Fig. 4 : Synthèse du deuxième temps de « l’art qui relie » à travers ses trois actes.

Une des retombées de l’encadrement de cette recherche a été la publication d’un article méthodologique que nous avons signé Joëlle Tremblay et moi dans la revue Recherches qualitatives, article qui peut être consulté en ligne. Le titre de notre article est le suivant : Mise en scène de l’intégration : Des modes de passage du terrain aux significations (Tremblay et Gosselin, 2008).

Dans cet article nous traitons de trois modes méthodologiques qui ont permis de développer cette thèse création : le journal PowerPoint, le paysage d’idées et la vidéo comme mode de collecte, d’analyse et de synthèse de données de recherche. Je ne pourrais entrer dans les détails de ces trois modes que je me contente de signaler. Il m’importe néanmoins de dire que le troisième mode conduisant à collecter des données, à les analyser et à les synthétiser de façon vidéographique s’associe à ce que Richardson (2000) appelle les pratiques analytiques créatives (CAP creative analytic practices) et qui sont d’un grand intérêt pour la recherche en général ; essentiellement les pratiques analytiques créatives amènent le chercheur à livrer des résultats de recherche sous des formes différentes de celles auxquelles la recherche classique nous a habitués. Lorsqu’ils s’engagent en recherche, les praticiens chercheurs du domaine des arts recourent souvent de façon naturelle à des modes méthodologiques caractérisant leur travail de création. Inévitablement, la recherche-création amène sur le terrain de la recherche de nouvelles façons de faire.

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Didactique de la création artistique

Dans notre article, nous explicitons un processus d’analyse et de synthèse de données vidéographiques pour la recherche création. Selon ce processus, pour analyser ses données, le chercheur s’en imprègne en les visionnant souvent 2, 3 ou 4 fois et parfois même davantage. Il procède à leur analyse notamment en repérant des unités de signification qu’il isole pour procéder ensuite à leur montage. Lorsqu’une quinzaine d’heures de tournage aboutit à une synthèse vidéographique d’une dizaine de minutes, les opérations permettant une condensation de ce type représentent un véritable processus d’analyse et de synthèse ; de son côté, la vidéo qui en résulte, livre des résultats de recherche de façon fort différente. Les pratiques analytiques créatives représentent une voie particulièrement féconde en recherche-création. Mais, au stade où nous en sommes actuellement en recherche, elles ne pourraient pas se suffire ; je veux dire par là que je n’inciterais pas un de mes étudiants à livrer tous ses résultats de recherche au moyen de pratiques analytiques créatives, car je craindrais de lui faire prendre un trop grand risque. Néanmoins, les thèses qui, en plus de livrer leurs résultats de façon classique tirent également parti des pratiques analytiques créatives, apportent manifestement quelque chose de plus au monde de la recherche qui en viendra, je pense, à les réclamer.

Il m’importe de parler aussi de la thèse que Maryse Gagné (2017) finalise actuellement et qui s’intitule Un modèle d’enseignement des arts visuels et médiatiques compris comme un travail de création. Cette thèse recourt elle aussi aux pratiques analytiques créatives. L’objectif de la doctorante est de poser un modèle montrant que l’enseignement des arts peut être compris comme un véritable travail de création. Voilà une idée qui nous travaille l’esprit depuis un certain nombre d’années. C’est une idée dans laquelle se reconnaissent bon nombre d’enseignants en art et que Maryse Gagné a voulu théoriser dans sa thèse doctorale. Cette doctorante15 a enseigné les arts plastiques et médiatiques au secondaire pendant près d’une vingtaine d’années. Sa thèse comportera deux productions de nature différente en réponse à sa question de recherche : une production discursive, c’est-à-dire une thèse standard et une réalisation vidéo, un documentaire montrant un enseignement des arts visuels et médiatiques vécu comme un travail de création. 15

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Maryse Gagné est également professeur à l’École des arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal où elle travaille à la formation et au perfectionnement des enseignants en arts plastiques.

Un parcours de recherche à la croisée de la didactique et de la recherche-création

En raison de sa nature, le documentaire représente un type de pratique analytique créative particulier ; en conjuguant un discours avec des images, il rejoint finement la thèse dans son caractère discursif. Alors que la thèse interpellera possiblement davantage les lecteurs du monde de la recherche, le documentaire interpellera plus particulièrement les praticiens de l’enseignement des arts ; dans le type de recherche-intervention16 que complète Maryse Gagné, le documentaire représente un outil qui pourra notamment servir à la formation ou au perfectionnement des enseignants spécialistes en art.

Le travail d’encadrement de cette recherche nous a amenés, mon étudiante et moi, à analyser en dialoguant17 des séquences vidéographiques qu’elle a tournées dans sa propre classe et qui ont servi à produire son film documentaire. Il nous est arrivé de nous arrêter sur une image et d’en discuter pendant plus d’une heure ; les images de ce type stimulent la parole et la réflexion. Durant ces séances, nous échangeons à propos des significations qui se dégagent des images. Un jour, au sortir d’une séance, nous avions le sentiment que notre échange avait permis de résoudre quelque chose d’important pour l’articulation du chapitre de la thèse donnant à voir le modèle visé. Lors de la rencontre subséquente, la doctorante m’a fait part des grands axes qui lui permettraient de poser son modèle d’un enseignement des arts visuels et médiatiques compris comme un travail de création. J’entre dans ce type de détail pour laisser voir que des données captées à des fins artistiques peuvent également permettre de favoriser l’articulation théorique des thèses. Si d’une part ces données peuvent servir les pratiques analytiques créatives, elles peuvent d’autre part servir également la théorisation proprement dite.

Conclusion

Le retour sur mon parcours de recherche m’a fait prendre conscience que la recherche-création s’insinue, en esprit du moins, dans mes travaux de didacticien. La recherche-création est encore très jeune et demeure un domaine en train de se définir. Présentement, un grand nombre de recherches de nature différente se réclament de la 16

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Au Doctorat en études et pratiques des arts de l’Université du Québec à Montréal, trois formats de thèse sont possibles  : la thèse de recherche (thèse classique), la thèse création (thèse comportant une partie discursive et une création artistique) et la thèse intervention (thèse comportant une partie discursive et un rapport d’intervention ou un document faisant état d’un développement, comme par exemple le développement d’un outil). On peut parler ici de co-investissement dialogique.

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Didactique de la création artistique

recherche-création. Devant la variété des propositions, en dépit du fait qu’il m’importe de chercher à délimiter le territoire de ce type de recherche, je préfère demeurer inclusif, demeurer à l’écoute et prendre acte des propositions. Depuis le début de ma réflexion et encore maintenant, je pense que la recherche-création se définit notamment par sa double production : production théorique le plus souvent discursive et production artistique, des productions qui interagissent et s’influencent mutuellement. Ce type de recherche me semble répondre à notre besoin d’un discours sur l’art provenant du terrain de la pratique et prenant souvent pour objet la pratique elle-même. Depuis longtemps l’enseignement des arts s’est, pour une grande part, référé aux théories liées à la réception des œuvres et à leur interprétation. Bien que l’éducation artistique soit concernée par l’appréciation des œuvres d’art, il est d’abord concerné par la création elle-même, c’est-à-dire par le travail d’engendrement des œuvres. Le besoin d’un discours provenant des personnes engagées dans une pratique artistique est de plus en plus manifeste. En ce sens, la recherche-création répond à un besoin semblable à celui qui se fait sentir dans différents domaines professionnels18 : besoin de discours provenant de praticiens, de discours contribuant d’une part à une meilleure saisie de la pratique et permettant d’autre part de former les gens d’action dans divers domaines.

Mais le domaine des arts est particulier notamment parce qu’il sollicite de façon importante l’engagement de la subjectivité et cela en fait un domaine de surprise. L’art surprend, déjoue, capte l’attention, émeut et bouleverse. À l’interface de l’art, la recherche-création n’a pas fini de surprendre ; elle n’en est qu’à ses débuts et déjà elle propose de nouvelles façons de faire de la recherche et explore différemment des avenues que l’on croyait pourtant connaître à fond.

Références

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Csikszentmihalyi, M. (1996). Creativity : Flow and the psychology of discovery and invention. New York : Harper Perennial. 18

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Je pense notamment ici aux domaines de l’éducation, du nursing, de la médecine et de l’administration où l’on prend conscience de l’importance du discours des praticiens pour la formation des professionnels.

Un parcours de recherche à la croisée de la didactique et de la recherche-création

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Didactique de la création artistique

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Un parcours de recherche à la croisée de la didactique et de la recherche-création

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Vermersch, P. (1994). L’entretien d’explicitation. Issy-les-Moulineaux, France : ESF.

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PÉDAGOGIE  /   IMPROVISATION  / CRÉATION  /  R ECHERCHE  : LE PARCOURS SINGULIER D’UN UNIVERSITAIRE MUSICIEN Pierre Albert Castanet

«  À force de redire à d’autres mes “idées”, elles se détachent de moi – ou plutôt : je me détache d’elles », confiait en aparté Paul Valéry (Valéry, 1973, p. 123). En conséquence, il paraît toujours passablement difficile de parler de soi. Parmi moult jugements à chaud parus dans la presse ici ou là, un collègue journaliste (Goubault, 1988) avait un jour intitulé un de ses articles : « Pierre Albert Castanet : Monsieur Musique contemporaine et musicologue pratiquant ». Plus tard, lors de rencontres circonstanciées à Rennes, Marseille, Besançon ou Nantes, ainsi que dans quelques émissions de France Culture, certains commentateurs m’ont affublé du joli nom de « bruitologue »1.

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Voir mon avant-propos concernant la seconde édition (2017) de Quand le sonore cherche noise (pour une philosophie du bruit) intitulé «  De quelques paradigmes évolutionnistes en bruitologie  » (Castanet, 2008). Compulser également mon article  : «  Pour une bruitologie performantielle  » (Castanet, 2010).

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Didactique de la création artistique

D’une attirance irrépressible pour le «  contemporain  »

E n dehors de mon rapport à la sphère « populaire » , j’ai étudié aux conservatoires régionaux de Lille puis de Rouen (chant, clari2

nette, solfège, musique de chambre, orchestre) pour terminer au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. En tant que Professeur associé, j’enseigne actuellement l’analyse dans cette « grande maison » où j’ai été un temps assistant d’Alain Louvier et où j’avais suivi jadis des cours de composition avec Michel Philippot et Serge Nigg, d’histoire de la musique avec Yves Gérard et Bernard Gagnepain, et d’analyse musicale avec Betsy Jolas. Au niveau universitaire, les cours et les conseils pris auprès d’André Boucourechliev, Célestin Deliège ou François-Bernard Mâche… m’ont été profitables dans les différentes institutions sises à Tours/ Paris (thèse de doctorat concernant l’œuvre et la pensée d’Hugues Dufourt) et Strasbourg (thèse d’Habilitation à diriger des Recherches dont le thème portait sur la « dysharmonia mundi » et le « son sale »). À présent, spécialiste de « musique contemporaine »3 à l’université de Rouen Normandie, je suis Professeur au Département de musicologie et Directeur du Département des Métiers de la culture4. Comme 2

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Sous la bienveillance de Maxime Le Forestier, j’ai participé, adolescent, à quelques soirées nordistes en chantant mes propres chansons et en m’accompagnant à la guitare, dans des maisons des jeunes et de la culture. Après 15 ans de clarinette au sein de l’Harmonie ouvrière de Harnes dans le Pas-de-Calais, j’ai fait partie d’un ensemble de Jazz New Orléans (au K Duce à Lille) et d’orchestres de Café-concert (Caf’ conc’ 1900 / Music hall) à Lille puis à Rouen (cf. L’Orchestre du Grand Turc dans lequel j’étais clarinettiste, saxophoniste, chanteur et «  comique troupier  »… et avec lequel j’ai enregistré plusieurs disques). J’ai parallèlement fondé en Haute-Normandie un Big Band de Jazz (le Blue Cool Group) et donné des cours de clarinette, saxophone, harmonie Jazz pour le compte de l’EIJ (École d’Improvisation de Jazz) de Mont-Saint-Aignan que dirigeait à l’époque le batteur Christian Garros. En tant que musicologue, j’ai été amené à écrire des articles sur le jazz, le rock, le rap et je dirige actuellement des thèses sur la musique psychédélique et le Black Metal… Il faut entendre par «  musique contemporaine  » les échos d’un art sonore savant d’obédience expérimentale et avant-gardiste (Castanet, 2017). Bien que je me sente à certains égards superbement autodidacte, mes différentes rencontres avec les compositeurs Earle Brown et John Cage, Jean-Étienne Marie et Giacinto Scelsi, Olivier Messiaen et Henri Dutilleux, Maurice Ohana et György Ligeti, Pierre Boulez et Iannis Xenakis, Gilbert Amy et Ivo Malec, Jean-Claude Eloy et Jean-Claude Risset, Luc Ferrari et François Bayle, Claude Ballif et Francis Bayer, Francis Miroglio et Michel Decoust, Roger Tessier et Alain Bancquart, Hugues Dufourt et Tristan Murail, Gérard Grisey et François Bousch, Michaël Levinas et Alain Louvier, Fausto Romitelli et Laurent Martin, Jean-Luc Darbellay et François

Pédagogie / Improvisation / Création / Recherche

le confiait Gilles Deleuze lors d’un cours sur David Hume : « une passion, c’est toujours une impression de réflexion  » (Deleuze, 2015, p. 145).

Par ailleurs et en complément, au milieu des années 1980, j’ai fondé avec quelques amis à Rouen le Nouvel ensemble contemporain dont le siège était à l’université5, une phalange (intégrant une voix et quelques instruments) tournée vers la « musique contemporaine ». À la tête de centaines de concerts donnés tant en France qu’à l’étranger (Prix Artisjus à Budapest, Prix du CIMAC à Venise…), cet orchestre de chambre a, en dehors de pièces de répertoire (Berio, Boucourechliev, Brouwer, Levinas, Maderna, Messiaen, Per Norgard, Pousseur, Stockhausen, Taïra…), donné bon nombre d’œuvres en première audition française ou mondiale6. Lucide par rapport à la mutation imminente du fait culturel savant, un des slogans du NEC était alors tout naturellement : « Venez apprécier votre siècle avant de passer au suivant ! ». Comme une prise de conscience non feinte, les amateurs curieux pouvaient alors lire dans les programmes plus ou moins bigarrés, et en guise de manifeste d’histoire immédiate : « Les années 80 nous ont offert un répertoire à découvrir avec de nouvelles oreilles. Cette musique fin de siècle verse dans le post-moderne, innove dans de nouvelles consonances et tente d’assassiner l’avant-garde… » (Castanet, 2015). Néanmoins pugnace vis-à-vis des tendances avant-gardistes qui commençaient malheureusement à décliner en Europe, j’étais convaincu,

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Leclère, Pascal Dusapin et Dominique Lemaître, Michel Rigoni et Maury Buchala, Jean-Marc Chouvel et Martin Laliberté, Nicola Cisternino et Patrick Otto, Joëlle Léandre et Claire-Mélanie Sinnhuber… m’ont beaucoup marqué – sans parler des nombreux échanges fructueux que j’ai pu avoir avec mes anciens grands «  étudiants  » devenus musicologues, bibliothécaires, récitalistes, compositeurs, chefs d’orchestre ou de chœur (Aurélie Allain, Irène Assayag, Grazia Giacco, Charlotte Ginot, Marie-Hortense Lacroix, Maria João Serrão, Sophie Stévance… Thierry Alla, Franck Bedrossian, Georges Beriachvili, Lionel Bringuier, Raphael Cendo, Nicolas Darbon, Cyrille Delhaye, Marco Giommoni, Étienne Kippelen, Vincent Le Gall, Bruno Mantovani, Pierre Rescan, Colin Roche, Jean-Luc Tamby… parmi des centaines d’autres). Dans ce cadre, sous ma direction, une collection discographique est née dans les années  1990. Intitulée Derniers jours, musique du XXe siècle, elle a su mettre sur le marché – certes confidentiel – des enregistrements inédits consacrés à «  L’œuvre ouverte  »  mais aussi à Maurice Ohana, Alain Louvier, Roger Tessier, Nicola Cisternino... Œuvres en création de Francis Miroglio, Henri Pousseur, Michel Decoust, Iancu Dumitrescu, Jacques Petit, Jacques Feuillie, Lucien Guérinel, Philippe Tailleux, Dominique Lemaître, Nicola Cisternino… En tant que clarinettiste «  indépendant  », je peux également ajouter quelques premières auditions de partitions de Giacinto Scelsi, Claude Ballif, Jacques Petit, Christophe Queval, Marco Giommoni, Jean-Marc Chouvel… ainsi que des partitions de moi-même.

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Didactique de la création artistique

avec Pierre-Michel Menger, qu’un « nouveau protocole de communication esthétique invente à l’activité du praticien un substitut, la créativité, écho dans la consommation de l’exigence de liberté du compositeur autant que promesse d’un passage à l’acte faite à l’auditeur par le créateur » (Menger, 1989, p. 64). Ainsi, la précieuse découverte d’une musique non encore inscrite dans les registres de la communauté comme la connaissance inopinée d’une nouvelle syntaxe venue d’ailleurs avaient la possibilité d’annihiler toute référence mnémonique et d’oblitérer tout réflexe de relativité. À l’instar des conseils prodigués jadis par Gaston Bachelard, je pensais même (et ce sentiment est toujours présent à mon esprit) qu’en se prêtant au « jeu » (Huizinga, 1951) savant de la « musique contemporaine », tout apprenti devait aspirer à entrer « dans la vie consciente et même dans une vie qui veut une nouvelle conscience » (Bachelard, 1948, p. 152).

De la pédagogie

Contrairement à ce qu’écrit Mikel Dufrenne à propos des arts plastiques : « un art autre, c’est sans doute un art qui opère une révolution formelle dans son “domaineˮ mais c’est aussi un art qui sort de son ghetto, qui transgresse son concept, qui refuse son institutionnalisation » (Dufrenne, 1974, p. 20), je trouve que la musique savante « autre » (par rapport à l’hégémonie classique) doit savoir s’expérimenter, s’apprivoiser, s’apprendre, s’interpréter, se laisser séduire. Grâce à cette volonté pédagogique de casser les idées reçues, la pratique de la « musique contemporaine » s’est ainsi, contre vents et marées, quelque peu démuselée, émancipée. Elle s’est évadée de son cercle utopique pour intégrer petit à petit les rouages de l’institution et de la politique, défiant toutes les prévisions des sociologues et des esthéticiens des années 1970.

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En fait, sur le fond, « les enfants doivent-ils ou non apprendre la musique, en chantant et en jouant eux-mêmes ?  », demandait déjà Aristote – question que l’on retrouve dans un chapitre intitulé « De l’éducation dans la cité parfaite » (Aristote, 1989, p. 575). Pragmatique, le philosophe grec de l’Antiquité avait répondu qu’« il n’est pas douteux qu’il existe une différence considérable dans l’acquisition de telle ou telle disposition, selon qu’on a pris personnellement part ou non aux actions qu’elle implique. C’est, en effet, une chose impossible, ou du moins difficile, de devenir bon juge des actions auxquelles on n’a pas soi-même coopéré » (Aristote, 1989, p. 575). Dans ce contexte du faire et de l’entendre, les nombreuses

Pédagogie / Improvisation / Création / Recherche

expériences improvisatoires réalisées en compagnie du compositeur Jacques Petit (Petit, 1987, pp. 67-81 ; Petit, 1983) m’ont permis d’abord d’expérimenter, sur scène (de concert ou de théâtre) ou en privé, diverses manières d’engendrer le musical, puis d’instaurer, au beau milieu des années 19807, tout un cursus universitaire à destination des étudiants de troisième année. Deux cours (l’un d’improvisation collective, l’autre de composition/ réalisation) permettaient alors de libérer la créativité (Saladin, 2002) enfouie de ces jeunes apprentis tout en les « dévergondant » sonorement (Castanet, 1987a ; Saladin, 2014). D’emblée vocale (Reibel, 2006), gestuelle (Caullier, 2006 ; Gritten et Elaine, 2006 ; Davidson, 2012 ; Inge et Leman, 2010), concrète8 puis accessoirement instrumentale, la pédagogie que j’ai pu mettre en place cernait, au cours des tout premiers ateliers, les différents paramètres musicaux classiques (mais ressentis en collectivité, ce qui n’est peut-être pas si évident que cela) : hauteur, intensité, durée, timbre, forme, espace, matériau homogène ou hétérogène, et même le rapport non négligeable aux bruits (Castanet, 1999 ; Castanet, 2008). En effet, dans tous les types d’improvisation, la dimension extra-esthétique (Dahlhaus, 1991) n’était nullement ignorée. Sons, mots, phonèmes, cris, râles, murmures, rires, gestes, déplacements… étaient au cœur des jeux expérimentaux en commun. Interrogeant intelligemment les fondements de la démarche artistique, mon collègue Pascal Roland a ainsi pointé « le caractère inattendu du débordement créatif, support de l’expression artistique » qui pose finalement « la question de sa pertinence dans l’acte pédagogique nécessairement conscient » (Roland, 2016, p. 26).

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Durant ces années  1980, j’ai été responsable des Ateliers musicaux de la ville de Mont-Saint-Aignan, sorte d’école de musique non conventionnelle, expérimentale, qui privilégiait l’improvisation (et le non-solfège) dès le plus jeune âge (Goubault, 1985). Si le guitariste Derek Bailey – grand amateur de «  différences stylistiques  » – dit avoir improvisé un jour avec un casseur de briques, notons que les Octimbres que j’ai composés, en 1986, pour quatuor jouant huit instruments (non définis) ont été interprétés – entre autres prestations ludico-pédagogiques à l’université de Rouen – par une scie sauteuse et une perceuse à percussion… Pour la référence baileyenne  (Bailey, 1982-1983, p.   49).

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Didactique de la création artistique

Fig. 1 : Exercice de variations de timbre : « Le prisme coloré », extrait du recueil Impro – Duo – Ludo de P. A. Castanet (Castanet, 1986).

Croisées avec les divers échanges que j’avais eus avec Robert Léonard à Montréal, puis avec Maria Joao Serrao à Lisbonne, ces multiples expériences collectives ont naturellement abouti à des séries d’exercices (Thompson, 2006) ou des performances (Rivest, 2003 ; Schechner, 2013 ; Rink, 1995 ; Rink, 2002) inventées in fine par les étudiants eux-mêmes9, appréciant sans doute à leur juste valeur ces définitions de compositeurs italiens sortant des sentiers battus : « La musique, c’est n’importe quoi qui devient quelque chose », énonçait Franco Donatoni ou « La musique est tout ce que l’on écoute 9

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À titre documentaire, voici quelques types d’ateliers réalisés par les étudiants à l’université de Rouen durant l’année  1985-1986  : «  Dimanche après-midi  » (avec un poste de radio, un téléviseur, 6 ou 8 participants pouvant jouer le rôle de percussionnistes), «  Chef, oui, mais borgne  » (écoute de l’autre, concentration, travail mnémonique, perception de l’espace), «  Passe à ton voisin, sin  » (étude de microstructures répétitives), «  Grotesques  » (initiation au théâtre musical), «  L’appareil digestif  » (fonctions et rôles organiques en chaînes)… Afin d’ouvrir l’horizon de création et de réflexion, une de mes constantes était de demander à chaque proposition d’envisager systématiquement le jeu des contraires possibles…

Pédagogie / Improvisation / Création / Recherche

avec l’intention d’écouter de la musique  », affirmait Luciano Berio (Castanet, 1987a, p. 89). Ces modes d’action innovants ont été reproduits également au sein de plusieurs classes de cinquième10. Voici à titre indicatif les deux premiers volets d’une proposition graphique et verbale intitulée (par les élèves eux-mêmes) « L’Impro des pros ». Une prestation fut même donnée au terme d’un semestre de travail au collège Georges Braque de Rouen, en partenariat avec le département de musicologie de l’université de Rouen et avec le concours de « Léonard de Vinci / Opéra de Rouen ».

Fig. 2 : L’Impro des pros (2000) Support graphique et verbal exécuté par une classe de cinquième dans le cadre de séances ouvertes sur l’improvisation musicale dirigées par P. A. Castanet (document inédit).

Rappelons que, selon Jean-Jacques Nattiez, il est possible d’avancer le mot d’improvisation « si l’on entend par-là l’invention, dans le moment même de son exécution, d’un fait musical neuf par rapport à une exécution antérieure » (Nattiez, 1987, p. 117). Après la phase dédiée à de petits exercices d’ordre pédagogique, ce qui a primé dans le jeu périlleux de l’improvisé (libéré de toutes contraintes) a été la part de désir de fusion ou de fission, de communion ou d’égocentrisme feint, mise au service de l’agencement scénique sur le vif. Car la projection dans l’espace rituel de ces joutes publiques (à huis clos ou en plein air, urbaines ou pastorales) devait impliquer au premier chef une ouïe aiguisée vis-à-vis de l’environnement sonore circonstancié et une écoute réciproque des différents partenaires (Canonne, 2010). Qu’ils soient enfants (Delalande, 1984) ou adultes, amateurs 10

En l’occurrence grâce aux bons soins de madame Marie Baudart, professeur de musique.

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Didactique de la création artistique

ou professionnels, l’entreprise se devait d’être optimale à chaque seconde de la concrétion événementielle, à chaque alliage audible impromptu, désiré ou pas, joué ou perçu. Car comme le préconisait le chef pianiste Daniel Barenboïm : « Développer l’intelligence de l’oreille est à mon sens une nécessité fondamentale » (Barenboïm, 2008, p. 10).

De plus, le monde des interprètes (Castanet, 1987b), et notamment des improvisateurs11, sait bien que la « musique contemporaine » transporte des ions positifs quand on la pratique, elle est même très excitante quand on participe soi-même à l’événement, en tant qu’acteur de l’art vivant… mais qu’en est-il du public, du réceptif soi-disant passif, qui écoute en regardant, ou qui regarde en écoutant ? Ainsi, Roland Barthes avait débuté un article intitulé «  Musica Practica  » par cette affirmation : « Il y a deux musiques (du moins je l’ai toujours pensé) : celle que l’on écoute, celle que l’on joue » (Barthes, 1982, p. 231). Or, la nouvelle musique – jouée ou perçue – demandet-elle vraiment une nouvelle écoute ? À propos de cette variable de l’histoire de la perception, Gilbert Amy – qui a été directeur du Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon – soutenait que « s’il y a nécessité d’une nouvelle écoute, c’est qu’il faut d’abord redécouvrir l’écoute, c’est-à-dire l’ouïe en tant que sens privilégié de la connaissance » (Amy, 2002, p. 148). De son côté, Philippe Albèra a affirmé qu’il y avait plusieurs écoutes possibles ; car « il n’y a plus un langage musical homogène et unitaire, il n’y a plus une seule manière d’écouter : chaque style, chaque œuvre, impose son angle d’écoute, une approche particulière. Écouter, c’est tout autant chercher à comprendre, inventer, reconnaître, se laisser emporter, jouir. C’est une aventure qui met en jeu le moment présent, saisi comme l’essence même du vécu » (Albèra, 1999, p. 4). À l’époque bénie des ateliers réalisés à l’université de Rouen12, le passage de la conscience pédagogique à l’autonomie plastique de l’œuvre d’art incitait peut-être à avoir pour conséquence de vouloir couper l’expérience esthétique de la praxis élémentaire (Prévost, 11

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Voir en annexe  1 le tableau des interactions relevant du rôle d’interprèteimprovisateur paru dans Castanet, 1987a, p.  94. L’expérience de l’improvisation collective a duré une vingtaine d’années (19852005), mes «  collègues  » musicologues rouennais ayant décrété par la suite que ce n’était pas à l’université de proposer ce genre de chose (alors que le conservatoire de région ne le faisait pas de son côté). J’ai néanmoins tenu à perpétuer sporadiquement cette pédagogie au sein du Cefedem de Normandie et lors de stages qui se sont tenus tant en France qu’à l’étranger (Castanet, 1992). À noter que la devise tripartite de ce centre Cefedem résume bien actuellement la philosophie de ce qui nous préoccupe présentement  : «  pratiquer, enseigner, créer  ».

Pédagogie / Improvisation / Création / Recherche

1982). Dès lors, faut-il reconnaître une autonomie relative de la « partition », du « guide » ou du « schéma » pédagogique ou tout simplement inclure sans sourciller cette « composition » spécialement agencée dans l’ensemble du corpus de la création savante ? Ce qui est sûr, c’est qu’à mes yeux (et à mes oreilles), la « musique contemporaine » pédagogique ne saurait être considérée comme une marchandise en marge de toute considération artistique. Car elle ne se présente nullement comme une partition de l’insignifiance, elle n’est ni une musique au rabais, ni un « objet signe » de la consommation institutionnelle – comme le nommait le sociologue Jean Baudrillard (Baudrillard, 1968, p. 232). Si elle figure bel et bien le trait d’union entre la « formation initiale » et le « monde professionnel » (au sens large de ces deux membres locutoires), elle légitime également sa présence active et ludique autant qu’inspiratrice et formatrice dans la sphère artistique, entre travail et connaissance, entre nécessité et plaisir. À cet égard, György Ligeti n’insistait-il pas pour que ses Études soient « des pièces de piano virtuoses, des études au sens pianistique du terme et au sens de la composition proprement dite »13 ? « Le rapport vivace à la création contemporaine constitue une part importante de notre indispensable oxygène », remarquait alors MarcOlivier Dupin, ancien directeur du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (Dupin, 1999, p. 6). Ainsi, en dehors de ce besoin simplement vital, l’œuvre pédagogique est en droit de répondre à un certain nombre de critères d’ordre évaluatif, difficultueux, comportemental, artistique, musical, professionnel et même social. Dans ce sillage, je pense avec Mandelkow qu’à terme, cet art réalisé sur mesure doit faire « de la nécessité du présent une vertu de l’histoire » (Mandelkow, 1970, p. 78). Rappelons qu’entre 1972 et 1985, une cinquantaine de partitions dites « contemporaines » ont été sollicitées par Alain Louvier – alors directeur du Conservatoire de Boulogne, dans la banlieue parisienne (Louvier, 1997, pp. 212-213). Pionnier en la matière, cet élève de Messiaen a pratiqué une politique de commandes d’œuvres de toutes tendances, de niveaux et d’effectifs variés. « C’est aux musiciens en herbe que l’on doit apprendre le répertoire de “leur” époque, en leur donnant les éléments d’analyse, d’information ou de technologie indispensables à la compréhension des diverses musiques contemporaines ; en un mot, les programmes devraient refléter, dès le premier cycle, la variété même du répertoire existant », avait alors déclaré le compositeur (Louvier, 1990, p. 20). 13

György Ligeti, texte de présentation du troisième volume de l’intégrale discographique parue chez Sony classical (CD Sony music 62  308  SK, 1996, p.  27).

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Didactique de la création artistique

Fig. 3 : Début de Gliss’étude (1985) pour flûte à bec et piano de P. A. Castanet (Castanet, 1987a, p. 9).

Dans ces circonstances, à bien prêter l’oreille, à la croisée des chemins allant du message virtuel à l’apprentissage réel, de l’institution enseignante à la musique vivante, le mélomane peut aisément se rendre compte que l’art savant a exercé toute une gamme d’actions, créatrice de repères tangibles, et ce, tout au long des siècles qui ont précédé son accession à l’autonomie. En font partie, aussi bien le rôle joué par l’art officiel savant que la contribution incommensurable des éléments de l’art didactique. À chaque époque de l’histoire de la musique occidentale, de François Couperin à Philippe Hurel en passant par Jean-Sébastien Bach et ses fils, Wolfgang Amadeus Mozart, Frédéric Chopin, Robert Schumann, Franz Liszt, Claude Debussy, Igor Stravinsky, Darius Milhaud, Henry Dutilleux, Luciano Berio, Gilbert Amy, Helmut Lachenmann, György Kurtag, Betsy Jolas, Alain Louvier, Pascal Dusapin… différentes « Études »14 instrumentales – toutes tendances esthétiques confondues – ont été léguées par nombre de compositeurs inventifs. Non académiques pour la plupart, ces pièces ont concouru de concert au perfectionnement, à la transcendance, à la diffusion, à l’élucidation d’un savoir existentiel amassé à travers la pratique originale et quotidienne des créateurs et des musiciens, magnifiant une somme d’informations somme toute symboliques et patrimoniales que chaque génération se doit de transmettre à la suivante. Ainsi « l’art est subjectivement hétérogénéisant, notamment 14

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À noter que dans le domaine de la musique concrète (fin des années  1940 – début 1950), Pierre Schaeffer, Pierre Boulez, Jean Barraqué… ont également composé des «  études  »…

Pédagogie / Improvisation / Création / Recherche

par la valorisation de la singularité du “créateurˮ, mais objectivement homogénéisant, par la production de symboles qui peuvent proposer une adhésion commune » (Roland, 2016, p. 26).

De la création

En dehors de l’écoute active (de la pertinence ou de l’impertinence) de l’autre, des autres, la règle commune de l’improvisation ou de l’œuvre ouverte (Castanet [et Otto], 2016, pp. 17-61) peut aussi incruster jusque dans les moindres plis et replis l’idée finalement artificielle de la représentation, le pari édifiant du paraître éphémère, l’effet spectaculaire de la théâtralisation obligée – autant d’idéaux défendus par le metteur en scène ou le réalisateur de film, autant d’objets pertinents analysés par la gent musicologique. À ce propos, je citerai pour mémoire les concepts communicateurs des multiples paradigmes rituelo-scéniques : la dichotomie spatio-temporelle dépendant du rapport frontal scène/salle, la démarche actancielle de la conscience ou de l’inconscience – se rapportant à l’action effectuée par le truchement de mots, par exemple les « partitions verbales » (Bruzaud, 1999, pp. 3-6), ou de signes générant des « partitions graphiques » (Saladin, 2004)… autant de critères diversifiés entrant dans la prise en compte d’un spectacle vivant dont (malheureusement pour certains) le médium reste peu ou prou le « message », célèbre concept des Sixties dû à l’Américain Marshall Mac Luhan (Mac Luhan, 1967).

Fig. 4 : Brumes tamponnées (2001) de P. A. Castanet, stimulus graphique pour une improvisation sonore dans le cadre des exercices proposés pour les étudiants de licence de musicologie à l’université de Rouen (document inédit).

Certes, Dick Higgins (élève de John Cage), reconnaissait en 1964 que « le recours à la surprise, au choc, à la capacité du public à s’émerveiller, ou à son iconoclasme, ne sont pas des choses qui résistent au temps » (Higgins, 2006, p. 127). Néanmoins, en dehors de la phé-

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Didactique de la création artistique

noménologie de la représentation acoustique, même si la sollicitation de l’inconnu ou la saveur de l’étrangeté ne doivent aucunement ternir le rapport intrinsèque à l’œuvre d’art, l’éblouissement de la découverte et l’inouï de l’innovation sont restés pour moi des paramètres nécessaires et importants au regard de cet appétit de culture qui caractérise tout être civilisé (non borné). À la lumière des écrits d’Oswald Splenger, nous savons tous que « chaque culture traverse les phases évolutives de l’homme » (Splenger, 1992). Je dois dire que l’improvisation collective comme la pédagogie de groupe en matière de « composition/réalisation » ont eu quelques retombées sur ma propre production : parmi tant d’exemples, touchant soit le collage d’éléments graphiques (Sternverbundene, 2007, pour ensemble instrumental avec piano créé à Bern par la Luxembourg Sinfonietta)… soit le simple usage de mots cosmopolites (WEFA, 2014, créé lors du festival Across’  14 par la chorale de Plaisir)…, voyez le concept d’œuvre ouverte régissant par exemple le continuum du dernier mouvement d’Avis I (1987) conçu pour percussion seule (dans cet exemple, le soliste doit jouer sur une grosse caisse avec une pièce de monnaie dans chaque main).

Fig. 5 : Dernier mouvement de Avis I de P. A. Castanet Extrait du cycle TAKE NOTICE pour percussions (Castanet, 1987c, p. 8).

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En outre et a posteriori, je dois avouer que dans ce cadre, les rapports étroits de l’action et de la réception, du jeu et de l’écoute, de la proposition et de l’estimation ont toujours semblé viser une certaine forme d’herméneutique. Celle de savoir quel(s) rôle(s) joue(nt) le plus dans cette aventure humaine artistique : la part unilatérale du souci pédago-

Pédagogie / Improvisation / Création / Recherche

gique (in situ) ou la constitution dialectique de l’échange avec le monde extérieur (ex situ) ? Les relations de la réception et de l’innovation ont pu à l’évidence cerner les champs d’horizon d’attente d’une promotion universitaire ou d’un public profane, sujets qui analysent, consciemment ou pas d’ailleurs, une expérience à la fois esthétique et pédagogique donnée. Certes, tous relatifs, les questionnements de la culture en tant que substance philosophique (Blais, Gauchet et Ottavi, 2002) mais aussi les degrés de compréhension, les contextes d’ouverture d’esprit, les rapports à la mentalité, les situations de disponibilité, les moments de sensibilité… ont toujours le pouvoir de cristalliser autant les pulsions que les répulsions vis-à-vis de la modernité débridée ou de la sage convenance de l’œuvre d’art. Les divers jugements de valeur peuvent ainsi induire du sens ou du non-sens primaire au regard de la forme de la performance présentée15. Comme le déclarait Gilbert Amy avec sapience : « l’œuvre musicale s’observe, se contemple, se reçoit, mais ne se décrypte pas… » (Amy, 2002, p. 138).

De la recherche

Tous ces éléments de production et ces formants de création peuvent contribuer à mettre en exergue les rapports proprement dialectiques – et finalement convergents – qui existent entre la pédagogie active et la représentation vivante de la musique, entre l’écouté et l’enseigné, entre l’enseignant et l’écoutant, entre l’apprenti artiste et le grand public, entre la contemporanéité de l’art et le contexte périphérique de la société… bref, ils peuvent favoriser la mise en lumière de relations en chaîne16 existant entre improvisation / action / cognition (Pressing, 1984) / production / innovation / consommation / communication (Giura Longo, 2015) / impression / appréciation (Castanet, 1987a, p. 94). De fil en aiguille, dès les années  1980, la musicologie n’a pas été absente du potentiel normand en matière de recherche sur le fait artistique contemporain. En effet, hormis une collection17 de par15

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À l’heure actuelle, je suis responsable d’un cours de « Happening – Improvisation » destiné aux étudiants de Licence  3 du département des Métiers de la culture à l’université de Rouen. Même si Gilbert Amy a remarqué en son temps que François-Bernard Mâche ne considérait pas «  la musique comme une chaîne de communication entre les hommes  » (Amy, 2002, p.  138). Collection «  L’artisanat furieux  », en hommage au poète René Char (qui m’a donné l’autorisation d’intituler cette collection ainsi). C’est aussi bien sûr un mouvement du Marteau sans maître mis en musique par Pierre Boulez.

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Didactique de la création artistique

titions et d’essais mise en œuvre pour le compte des Publications de l’Université de Rouen, l’institut de musicologie de la Faculté des Lettres avait lancé, dès 1986 – une grande première en France dans le domaine universitaire – une revue initialement intitulée Les Cahiers du CREM (émanant du Centre de recherche en esthétique musicale)18. Dans l’éditorial du premier numéro, Michelle Biget (rédactrice en chef, alors maître de conférences) avait par exemple pris soin de noter en exergue : Les musicologues inspirent de la suspicion aux historiens. De leur côté, les esthéticiens sont souvent désignés comme la bête noire des philosophes. S’il existe une discipline au statut énigmatique, accusée de manquer de points d’appui dans le concret, de prendre pour objet une activité vaine et futile, perdue pour la Cité – la musique – ce sera bien l’esthétique musicale. On oppose usuellement les attitudes esthétiques et scientifiques, insinuant implicitement que les premières s’assimilent au jeu libre de l’imagination, tandis que les secondes restent inféodées à une nécessité logique. (Biget, 1986, p. 5)

Une longue série d’articles singuliers ont vu le jour, tantôt monographiques (sur Francis Miroglio, Alain Bancquart, Claude Ballif, Anton Webern, Hugues Dufourt, François-Bernard Mâche, Pascal Dusapin…), tantôt thématiques (Musique et… nature, théâtre, politique, geste, modernité, silence, rites…), études remarquées par les spécialistes de France comme de l’étranger. Concentré sur la thématique de « Musique et nombre »19, le numéro inaugural avait par exemple permis de mettre en lumière l’analyse d’œuvres de Pierre Boulez, André Boucourechliev, Iannis Xenakis, Brian Ferneyhough ou Franco Donatoni… mais aussi de compositeurs vivant en Normandie – en l’occurrence pour cette livraison liminaire : Jacques Petit20 et moimême (Castanet, 1984 ; Darbon, 1996). Entre ludisme et curiosité, un sentiment de « liberté de musique » (Castanet, 1987a, pp. 85-93) tendait à se mettre en place dans une province (certes considérée comme étant « trop » proche de Paris, comme on l’a souvent entendu de la bouche de commentateurs naïfs) encore sclérosée par un lourd passé pédagogique de type plutôt conservateur21. 18

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La publication prendra ensuite le nom de Cahiers du CIREM, ajoutant au sigle le qualificatif d’«  International  ». Les Cahiers du CREM n°  1-2, Rouen, CREM, décembre 1986. Élève d’Olivier Messiaen, Jacques Petit était alors professeur d’écriture et de composition au conservatoire de Rouen. Au tout début du XXe siècle, Ferruccio Busoni ne disait-il pas au jeune Edgard Varèse  : «  La musique est née libre et son destin est de conquérir la liberté  » ? (Vivier, 1973, p.  20).

Pédagogie / Improvisation / Création / Recherche

Dans de telles circonstances accumulatrices et en fin de compte unificatrices, une bonne part de mes travaux musicologiques et de mes réflexions esthétiques ont été suggestionnés par toutes ces aventures excitantes concernant l’improvisation, l’œuvre ouverte, le hasard, le bruit et la percussion, le cri et le « son sale » (Castanet, 1999)… autant de stimuli originaux à contextualiser en amont de la recherche et à analyser ensuite de concert (voir la liste non exhaustive en annexe 2 de quelques publications, actions et animations orientées dans ce sens). À l’inverse et en de très rares cas, quelques écrits spécialisés ont pu dans un second temps influencer le contexte de certaines de mes œuvres musicales. En effet, après trois articles22 concernant les métaphores de la « spirale » en musique contemporaine (Roche, 2003), ma pièce électroacoustique intitulée TombeauX (2001 – réalisée au Centre de Création Musicale Iannis Xenakis) s’est finalement (et fatalement) inspirée de ce principe d’évolution ou d’involution constructif à connotation spatiale. À ce propos, si quelques commentateurs hâbleurs pensent parfois déceler, à travers le jeu auto-citationnel, un règlement de compte avec l’impersonnel hégélien, d’autres plus affables y repèreront sans doute une conciliation poétique en strict rapport avec l’unicité de la pensée créatrice. À titre anecdotique, remarquons que « le poète, dans la spirale, se risque à l’échange du moi et de l’autre, du familier et de l’étrange, de la patrie et de l’exil, de l’humain trop humain et du Surhumain. Et toujours, il revient à soi, à un moi qui n’est plus moi, mais l’autre, pour se perdre encore davantage, pour plus radicalement exister » (Sojcher, 1976, p. 125). C’est ainsi que – à l’instar de la phénoménologie du kairos embrassant de fait les joutes ludiques d’improvisation23 – l’unique et sa propriété existentielle (la trace), l’isolé et sa marge secrète (l’écart), l’artistique et son introspection essentielle (le moi créateur)… émaillent le champ anthropo-philosophique – d’obédience kierkegaardienne, voire stirnerienne (Stirner, 1960) – des compositeurs discrets, mais à la démarche intellectuelle et créatrice sincère. Selon moi, et en résumé : dans la vie d’un musicien, Pédagogie / Improvisation / Création / Recherche ne peuvent être qu’indissociablement imbriqués. 22

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Voir les trois sources bibliographiques portant sur la spirale en fin d’annexe  2 (Castanet, 1998, 2000 et 2003). Celle éditée au Portugal (2003) parle entre autres de mes TombeauX composés lors des événements sordides qui ont abouti à la destruction terroriste des tours du World Trade Center à New York. Prendre connaissance de mon long article portant sur «  La Musique de la Vie et ses lois d’exception  : Essai sur l’“œuvre ouverte” et l’improvisation musicale à la fin du XXe et à l’aube du XXIe siècle  » (dans Castanet et Otto, 2016 – concernant le kairos, voir pp.  50-51).

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Didactique de la création artistique

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Rink J. (2002). Musical Performance : A Guide to Understanding. Cambridge : Cambridge University Press.

Rivest, J. (2003). Aléa, happening, improvisation, œuvre ouverte. Dans J. J. Nattiez (dir.), Musiques – Une encyclopédie pour le XXIe siècle (pp. 474483). Arles-Paris : Actes Sud-Cité de la musique (tome 1). Roland, P. (2016). Questionner l’artistique. Dans B. Lefèvre (dir.), L’Artistique (pp. 11-27). Paris : EP&S.

Saladin, M. (2002). Processus de création dans l’improvisation. Volume !, 1 (1). Repéré à : http://volume.revues.org/2486

Saladin, M. (2002). La partition graphique et ses usages dans la scène improvisée. Volume !, 3(1), 31-57. Repéré à : http://volume.revues. org/2048 Saladin, M. (2014). Esthétique de l’improvisation libre – Expérimentation musicale et politique. Dijon : Les Presses du réel.

Schechner, R. (2013). What is performance studies ? New York University : Rupkatha Journal on Interdisciplinarity studies in Humanities, V(2), 1-11. Sojcher, J. (1976). La Démarche poétique. Paris : UGE.

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231

Didactique de la création artistique

Annexe  1  : P.  A. Castanet, tableau des interactions relevant du rôle d’interprèteimprovisateur24

24

232

Tableau paru initialement dans Castanet, 1987a p.  94. Il sera repris dans Bosseur, 1992, p.  69.

Pédagogie / Improvisation / Création / Recherche

Annexe  2  : Quarante ans de publications, actions et animations de P. A. Castanet en rapport avec sa pédagogie de l’improvisation, le rapport au bruit et sa propre création musicale. Castanet, P. A. (1986). Impro Duo Ludo (1976-1986), 19 jeux à improviser à deux. Coll. L’Artisanat furieux (6). Mont-Saint-Aignan  : Publications de l’Université de Rouen. – (1983). Les Dialogues d’Iconophone, performance pour peintre, deux instrumentistes et bande magnétique. Commande de l’association Iconophone. Paris. – Icosonate: a) 1983 – pour clarinette basse (émission télévisée, Musique à peindre, avec le peintre Francis Berthaut, FR3 – Paris). b) 1984 – pour clarinette basse, clip vidéo CERDAN, images de Flore Pannetier, Rouen. – (1986). Octimbres, semi-improvisation pour quatuor jouant huit instruments. Coll. L’Artisanat furieux (4). Mont-Saint-Aignan : Publications de l’Université de Rouen (CD Université de Rouen).

– (1987). La liberté de musique, aspects de la musique contemporaine à l’Université de Rouen. Coll. L’Artisanat furieux, Multiphonies I. Mont-SaintAignan : Publications de l’Université de Rouen (85-102).

– (1988-1989). TAKE NOTICE – Cycle de trois livraisons pour percussions (pour solo et duo). – (1988, 4, 5 et 8 février). Musiques en marges, Tradition / avant-garde, art brut, écritures, codes et improvisations (avec Rémi Couvez, Emmanuel Dilhac). Rouen, forum de la FNAC. – (1989, 4 novembre). Sept interludes pour Venise – soli sur un objet musical imposé – Commande du CIMAC pour le concert du NEC à l’Université d’Architecture de Venise.

– (1990, 25 avril). Les jeux de la musique et du hasard. Colloque international Musique, Sons et Jeux, Université de Rouen, Concert-projection avec le NEC. Rouen, Forum de la Fnac. – (1991, 30 mai). Improvisation musicale et gestes créateurs. Évreux, École normale d’instituteurs.

– (1991, 11 septembre). Marines, pour sextuor et bande magnétique – environnement sonore pour une exposition de travaux plastiques sur le thème de l’eau. Mont-Saint-Aignan : Centre d’Art et d’Essai.

233

Didactique de la création artistique

– (1992, 18 mars). Colloque international L’Improvisation musicale. Concert lecture avec le NEC (œuvres de Pousseur, Schwitters). Université de Haute-Normandie, Mont-Saint-Aignan.

– (1992/1993). L’œuvre ouverte. Concert lecture avec le NEC. Université de Rouen, le 15 décembre 1992. Conservatoire national de région de Tours, le 6 avril 1993 ; Villa Mazzacorati de Bologne, Musicattuale le 8 mai 1993 ; Hôtel de ville de Rouen, le 21 juin 1993. – (1994). L’Œuvre ouverte, Nouvel Ensemble contemporain, CD Université de Rouen, coll. Derniers jours, musiques du XXe siècle.

– (1994, 28 mai). L’improvisation musicale en question. Mont-SaintAignan : Centre d’art et d’essai, résidence d’Antoine Hervé (en présence du compositeur). – (1997, 19 janvier). Improvisation Arts plastiques / Musique. Rouen  : Galerie Simone Lhermitte. – (1999, 26 octobre). Improvisation musicale et graphisme contemporain. Rouen : Collège Georges Braque.

– (1999, 17 décembre). Tournoi d’improvisation. Rouen : Collège Georges Braque de Rouen, Département de Musicologie, Université de Rouen, Opéra de Rouen. – (2000, 28 janvier). L’improvisation dans la musique contemporaine. Rouen : Collège Georges Braque de Rouen, Département de Musicologie, Université de Rouen, Opéra de Rouen. – (2000). La Fleur de gravité, œuvre ouverte pour la classe de 5e A du Collège Georges Braque de Rouen. – (2000-2001). Trois rituels profanes (2000-2001), pour ensemble de percussions et/ou autres. – (2001, 11 mars). L’improvisation collective au service de la musique contemporaine. Colloque international sur l’enseignement de l’écriture et la pédagogie. Paris, Société française d’analyse musicale.

– (2000-2006). Livre ou Verre, complexe artistique en hommage à Marcel Duchamp (dont Brumes tamponnées – 2001, Porte-Bouteilles I - IV – 2004, Jeux d’eau – 2006…). – (2003). Dans l’arène du jeu musical savant : L’œuvre ouverte. L’Éducation musicale (501-502), 20-26.

– (2004). De la musique pédagogique contemporaine (Composition, Émancipation, Perception, Institution). L’Éducation musicale (517-518), 25-31.

234

– (2005). Teoratorio pour voix de soprano, violon, violoncelle, vièle à roue, saxhorn, percussions (octuor de roues de Duchamp) et bande, commande

Pédagogie / Improvisation / Création / Recherche

de l’Agglomération de Rouen, texte et mise en scène  : Daniel Mayar (création à Rouen). – (2006, 24 mars et 7 avril). Jeux d’eau, improvisations dirigées pour les classes de 5e du Collège Guillaume Le Conquérant de Saint Saëns.

– (2006, 19 avril). Problématiques de l’œuvre ouverte. Curso de Estética y Apreciación de la Musica Contemporanea. Séville : Université de Séville, Teatro Central. – (2007). Sternverbundene, pour ensemble instrumental avec piano (création à Bern par la Luxembourg Sinfonietta, dir. J.-L. Darbellay). – (2008, 17 novembre). De l’improvisation à la création. Dijon : Festival Why Note, Conservatoire à Rayonnement Régional.

– (2008, 10 décembre). Sa Majesté le hasard  : musique et complexité. Colloque Musique et Complexité – Autour d’Edgar Morin et de Jean-Claude Risset. Paris : Centre de documentation de la musique contemporaine. – (2009, 6 octobre). Marcel Duchamp, Adam, Ève et la pomme, concertlecture-performance avec participation du public, texte et mise en scène : Daniel Mayar. Création : Mont-Saint-Aignan, Université de Rouen / IUFM. – (2009, 24 février). L’improvisation libre de style contemporain. Journée d’étude Arts et improvisation libre. Rennes : Université Rennes 2.

– (2010, 23 février). De l’œuvre ouverte en musique. Le Havre, Conservatoire Arthur Honegger, ESAH (École Supérieure d’Art du Havre). – (2010, 2 avril). Waz’eau, improvisation dirigée pour la classe de 5e du Collège Guillaume Le Conquérant de Saint-Saëns.

– (2010, 2 avril). Rencontre d’improvisation. Université de Rouen, Université de Guyane, collège Guillaume Le Conquérant de Saint-Saëns. Mont-Saint-Aignan : Université de Rouen. – (2011, 4 avril). L’improvisation musicale selon John Cage. Plan académique de formation. Roubaix : Danse à Lille, suivi d’une improvisation collective avec les participants.

– (2011, 5 avril). La part d’interprétation au regard de l’œuvre ouverte. Paris  : Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse, Université Paris Sorbonne. – (2012, 14 novembre). Canon à eau pour chœur parlé. Dans Water Games (XIIIes duchampiades), performance-concert. Mont-Saint-Aignan : IUFM.

– (2012, 14 novembre). Voie d’eau pour soprano, clarinette basse et piano. Dans Water Games (XIIIes duchampiades), performance-concert. MontSaint-Aignan : IUFM.

235

Didactique de la création artistique

– (2012, 14 novembre). Le Partage des eaux, pour ensemble de carillons. Dans Water Games (XIIIèmes duchampiades), performance-concert. MontSaint-Aignan : IUFM.

– (2012). Four seasons, improvisation dirigée pour quatre groupes d’élèves (classes de 5e du Collège Guillaume Le Conquérant de Saint-Saëns).

– (2013, 21 mars). Journée d’études Les Caprices de l’improvisation dans la musique savante. Paris : Centre de documentation de la musique contemporaine. URL : http://www.cdmc.asso.fr/fr/actualites/saisoncdmc/caprices-improvisation-dans-musique-savante – (2013, 3 octobre). L’œuvre ouverte : introduction à une pensée artistique contemporaine. ARIAM Île de France, Conservatoire de Levallois-Perret.

– (2013, 18 juin). De profundis pour chœur d’hommes, Le Mariage des eaux de la Seine avec les cendres de Jeanne (XIVèmes duchampiades). Rouen : Hôtel de ville.

– (2013, 12 octobre). Porteurs d’ombre. Dans les XVèmes duchampiades. Sotteville-lès- Rouen : Charreterie.

– (2014, 29 avril). Eden, esquisse rimbaldienne pour orgue, création à l’Église Saint-Pierre de Plaisir par Odile Jutten. – (2014). WEFA, partition verbale pour quatre groupes de vocalistes, création par la chorale de Plaisir (sous la direction de Patrick Otto) dans le cadre du festival Across’ 14. – (2014). Musica contemporanea  : la union libre del Azar y de la Complejidad. Dans N. Darbon (dir.), Musica y Complejidad en torno a Edgar Morin y Jean-Claude Risset. Valencia : Rivera Editores.

– (2015, 11 février). Pour Suzanne pour chœur parlé. Dans les XVIIes Duchampiades. Mont-Saint-Aignan : ESPE.

– (2015, 28 novembre). L’improvisation, un art de vivre ? Conversation avec la contrebassiste Joëlle Léandre. Besançon : Frac Franche-Comté.

– (2015). Entre ludus et gestus : une écoute sensible dans l’improvisation collective. Musique Environnement : Du concert au quotidien, Sonorités (9), 117-138. Nîmes : Lucie.

– (2016). La Musique de la Vie et ses lois d’exception : Essai sur l’“œuvre ouverteˮ et l’improvisation musicale à la fin du XXe et à l’aube du XXIe siècle. Dans P. A. Castanet et P. Otto (dir.), L’Improvisation musicale collective (pp. 17-61). Paris : L’Harmattan.

***

– (1991, 6 mai). La musique et le rapport au bruit. Paris : École d’Architecture de Paris (conférence donnée à l’IRCAM, Paris).

236

Pédagogie / Improvisation / Création / Recherche

– (1992, 28 mars). Du signal dans le bruit. Émission Les Bruits du siècle (de Christian Zanedi). Paris : France Musique/INA-GRM. – (1994). D’une musique de son bruits, CD Percussions par Thierry Miroglio. Paris : Salabert Actuels.

– (1994). Introduction à la parasitose sonore – Pour une histoire sociale du son sale. Rouen : Les Cahiers du CIREM (30-31). – (1999). Entre son et bruit : la musique. Cinq émissions de Daniela Langer. Paris : France Culture [invités : Jean-Claude Eloy et Pierre Albert Castanet] : –– Du vibrant combat entre les anges et les démons (21 juin 1999). –– Du dehors au-dedans : phonographies du monde (22 juin 1999). –– Le rythme des objets, le souffle des corps : entre utopie et mémoire (23 juin 1999). –– Des sons sales qui frappent (24 juin 1999). –– De la complicité du ventre avec la machine » (25 juin 1999).

– (1996/1999). Le rapport au bruit / Quand la loi du sonore cherche noise au musical. Colloque international La loi musicale. Lille : Les Cahiers de Philosophie (20). Aussi dans : D. Cohen-Levinas, La Loi musicale – Ce que la lecture de l’histoire nous (dés)apprend (pp. 221-238). Paris : L’Itinéraire/ L’Harmattan. – (1999/2007). Tout est bruit pour qui a peur (pour une histoire sociale du son sale). Paris  : Michel de Maule. [2e édition avec nouvel avant-propos, préface d’Hugues Dufourt]. – (1999, 23 décembre). La musique et le bruit. Émission À côté de la plaque (de Lionel Esparza). Paris : France Musique.

– (2000, 15 janvier). Pierre Albert Castanet : La révolution avortée du bruit. Entretien avec Michel Masserey. Le Temps (Genève). Repéré à : https:// www.letemps.ch/culture/2000/01/15/livres-pierre-albert-castanetbruit-peur – (2000, 4 janvier). Tout est bruit pour qui a peur. Émission Si j’ose dire (de Thierry Beauvert). Paris : France Musiques.

– (2000, 12 mars). Du bruit et des hommes. Émission État de faits (de Simone Douek, réalisation Annie Flavell). Paris : France Culture. – (2000, 27 mars). Musiques contemporaine, ethnique et populaire  : la note et le bruit. Rouen : Opéra de Rouen.

– (2000, 25 avril). Bruits et chuchotements dans la musique d’aujourd’hui. Rouen : L’Armitière. – (2000, 15 mai). Du bruit dans les musiques d’hier et d’aujourd’hui (extraeuropéen, jazz, pop, baroque, contemporain). Rennes : Université de Rennes, Festival Ébruitez-vous.

237

Didactique de la création artistique

– (2003, 14 mars). Quand le jazz hurle : le cri revendicateur de Max Roach. Afro, Journée internationale d’études sur la musique afro-américaine. Limoges : Centre John Lennon.

– (2004, 24 novembre). Histoire sociale du bruit dans quelques civilisations contemporaines  : Europe, Chine, Afrique. Master Sciences humaines et sociales, mention mondes modernes et contemporains. Dijon : Université de Bourgogne. – (2007). PERCUSSION(S). Paris, New York : Librairie Tschann / Mode (en collaboration avec Roland Auzet, préface de Pierre Boulez).

– (2007, 15 décembre). Le bruit du Rock. Émission Décibels (de Jeanne Martine Vacher). Paris  : France Culture [à l’occasion des dix ans de l’émission]. – (2008, 2 décembre). Beaucoup de bruit pour rien ? Toulouse : Université Toulouse le Mirail. – (2008/2016). Quand le sonore cherche noise (pour une philosophie du bruit) [préface de Daniel Charles]. Paris : Michel de Maule.

– (2008). Bad trip, Good trip – Une esthétique du son « sale ». Accents (35). Paris : Ensemble Intercontemporain. – (2008). Musique pour percussion = Révolution. L’Éducation musicale (549-550), 14-18.

– (2008). Edgard Varèse et la Philosophe du bruit – Ionisation en questions. Dans T. Horodyski et Ph. Lalitte (dir.), Varèse : du son organisé aux arts audio (pp. 39-70), Actes des journées Varèse, 30 et 31 mars 2006 (Université Paris 8). Paris : L’Harmattan. – (2008, 23 janvier). “Happy new ears  !ˮ – L’écoute  : le rapport à la voix et au bruit. Colloque L’Écoute organisé par l’ONDA. Vandœuvre les Nancy : CCAM – scène nationale. Repéré à : http://www.onda.fr/_fichiers/documents/fichiers/fichier_34_fr.pdf .

– (2008). Musique et Société – Le bruit de fond soixantehuitard. Filigrane (7). Sampzon : Delatour. Repéré à : http://revues.mshparisnord.org/filigrane/index.php?id=223 .

– (2008, 11 avril). La philosophie du bruit. Les vendredis de la philosophie (de François Noudelmann). Paris : France Culture. – (2008, 26 août). Un cinéma pour l’oreille : voix, bruits, machines au service de l’art. Morlaix : Théâtre du Pays de Morlaix.

– (2008, 10 octobre). Entre populaire et savant : du bruit pour les musiques actuelles. Festival Les Voix magnétiques. Lille : Tri postal.

238

– (2009, 21 mars). Bruit et Musique. Émission Indicatif présent (d’Anne Mattheeuws). Bruxelles : RTBF Musiq3.

Pédagogie / Improvisation / Création / Recherche

– (2009, 31 mars). Le bruit du temps. Émission Surpris par la nuit (de Martin Quenehen). Paris : France Culture. – (2010, 15 mars-6 avril). À l’écoute des bruits du monde : les percussions à l’œuvre. Monte-Carlo, programme du Printemps des arts. – (2010). Pour une bruitologie performantielle. Dans S. Biset (dir.), Le Performantiel noise. Bruxelles : (SIC).

– (2010). “Ouvrir son cœur à la créationˮ : notes sur l’art du ready-made sonore. Dans A. Soulez et H. Vaggione (dir.), Manières de faire des sons (pp. 247-263), Paris : L’Harmattan. – (2010, 23 mars). Petit vocabulaire de bruitologie. Les Mardis de la saturation. Paris : École nationale supérieure d’architecture ParisMalaquais / Centre de documentation de la musique contemporaine.

– (2011, 30 mars). Le bruit des machines. Festival Zamg Toumb. Rennes : IUFM de Bretagne.

– (2011, 11 mai). L’expérience du bruit. L’Expérience de l’expérimentation. Cycle de conférences dirigé par Matthieu Saladin. Organisé par les Instants Chavirés, en partenariat avec l’IDEAT, Institut d’Esthétique des Arts et Technologies (Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, CNRS UMR 8153) et le département Musique de l’Université Paris 8. Saint-Denis : Université Paris 8 / Les Instants chavirés. – (2012, 2 octobre). Quand le bruit devient musique. La Rentrée culturelle. Université de Rouen. – (2012, 19 octobre). De John Cage à Franck Zappa : le rapport aux bruits. Fête du bruit. Saint-Valéry-en-Caux : Rayon vert.

– (2012, 20 octobre). Éloge du bruit dans les musiques du XXe et XXIe siècles. Marseille : Festival CHHHHHUT #2. – (2014). De l’extra-vocalité dans la musique contemporaine : pour une philosophie du cri. Dans A. Damon-Guillot et B. Ramaut-Chevassus (dir.), Dire/Chanter : passages – Études musicologiques, ethnologiques et poétiques (XX e et XXIe siècles). Saint-Étienne : Publications de l’Université Jean Monnet / CIEREC.

– (2015). La “voix-bruitˮ dans la musique contemporaine : de la complexité d’être aux bruits de l’émotion. Dans M.  Saladin (dir.), L’Expérience de l’expérimentation (pp. 110-132). Dijon : Les Presses du réel. – (2015). Ecoute de la voix extravaguée dans la “musique contemporaineˮ. Ligeia (141-144), 147-157.

– (2016, 26 juin). Le bruit : de la musique baroque à la noise d’aujourd’hui. Nantes : Les Rendez-vous du Bois Chevalier.

***

239

Didactique de la création artistique

– (2005). Flagadapatafla de Pierre Albert Castanet et Daniel Mayar, ou l’avènement du ready-made sonore – Entretien du compositeur avec R. Bruzaud. L’Éducation musicale (525-526), 28-34.

***

– (1998). L’espace spiralé  dans la musique contemporaine. Dans J.-M. Chouvel et M. Solomos (Éd.), L’Espace : Musique/Philosophie, Actes du colloque de l’Université de Paris Sorbonne (pp. 85-103). Paris : L’Harmattan.

– (2000). Tourbillon et spirale : matrices universelles dans la musique contemporaine. Dans B. Duborgel (dir.), Figures du grapheïn (pp. 181196). Saint-Étienne : Publications de l’Université Jean Monnet / CIEREC.

– (2003). SPIRALES – de la spirale esthétique à la cyberspirale médiologique : Technique et Politique dans la « musique contemporaine ». Comunicarte – Revista de Comunicação e Arte, 1 (4), 461-471. Universidade de Aveiro (Portugal).

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FAUT-IL LUTTER CONTRE L’INJONCTION CRÉATIVE ? COMMENTAIRES SUR LE LIVRE D’ANDREAS RECKWITZ, DIE ERFINDUNG DER KREATIVITÄT (2012) Tilo Steireif

L ’ouvrage d’Andreas Reckwitz (2012) s’intéresse au concept de créativité. Si l’on en croit Reckwitz (2012), l’économie créative repré-

sente une certaine attitude, une flexibilité de l’esprit qui semblerait aussi exister dans la manière de concevoir non seulement la culture, mais aussi la vie économique et sociale actuelle. L’artiste1 se placerait à nouveau à l’avant-garde, mais cette fois-ci par sa présence permanente dans la société, comme quelqu’un qui favoriserait une forte réception de la nouveauté2 auprès du public. D’autre part, les artistes deviennent ici un modèle social, avec des aptitudes de la figure du pionnier capable d’explorer, d’absorber les chocs, de vivre avec peu de moyens, dans des conditions parfois précaires, tout en faisant preuve d’une grande compétence esthétique et en proposant des solutions intéressantes3. 1

2

3

L’artiste n’est pas uniquement le provocateur d’avant-garde, mais aussi la star d’Hollywood et le chanteur populaire. La créativité comme compétence, c’est un savant mélange entre la «  débrouille  » et la communication ; ce qui semble parfaitement adapté au nouveau monde du travail qui s’identifie par l’incertitude et la précarité. Reste à savoir ce que la nouveauté implique. Dans le livre de Reckwitz, «  les news  » et l’innovation se côtoient dans une logique libérale de produire toujours plus. Certains évoquent même une classe sociale spécifique comme Richard Florida (Florida, 2012). Ce dernier est devenu une référence dans le milieu de l’éducation pour montrer comment une ville, un individu prend de la valeur

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Didactique de la création artistique

Reckwitz (2012) offre la possibilité de déconstruire ce terme de « réactivité » en analysant soigneusement les acteurs, les milieux, les concepts et les organisations qui ont petit à petit amené la créativité à devenir une nécessité tant pour l’individu, l’économie et les collectivités publiques. L’auteur évite de prendre en considération le lien entre l’art et l’éducation tout en développant l’importance de l’affect4 par l’individu de la société contemporaine. La nouvelle société dans laquelle nous baignons aurait produit, selon Reckwitz (2012), un nouveau régime, « le régime du nouveau »5. Si la recherche de la nouveauté est au centre des préoccupations économiques, nous pouvons nous demander si l’enseignement des arts suit le mouvement, s’il participe au questionnement, voir à la modélisation de ce que Reckwitz appelle l’économie esthétique qui se cristallise dans un « capitalisme désorganisé »6. Pour Reckwitz (2012, p. 140) « cette économie esthétique n’est pas à considérer comme un concept rationnel ou cognitif, car au centre, il n’y a pas de processus rationnels et cognitifs, mais des processus stimulés par les sens et les émotions »7.

Revenons à l’enseignement des activités créatrices manuelles et artistiques à l’école. Quels sont les éléments appliqués qui nous informent sur l’émergence de cet environnement créatif ? L’enseignant que je suis se demande aussi quel est l’ancrage socio-historique de la créativité dans sa pratique et dans son école ? Dans mon cas, elle semble davantage se rattacher à l’émancipation de l’individu, le bienêtre et la recherche d’un cheminement de l’élève ; les arts visuels permettant avant tout à se définir dans le monde sans suivre une quelconque injonction ni sociale, ni économique. La créativité est un des fondements dans les études artistiques et pourtant l’étudiant en art n’utilise jamais ce terme lors de ces études, il connaît lui-même une pratique artistique spécialisée mais n’a pas besoin d’une définigrâce à la fonction du créatif. Cette thèse est extrêmement contestée dans le milieu artistique (Peck, 2007). 4 Reckwitz (Reckwitz, 2012, p.  313) tente de faire une hypothèse intéressante  : l’affect serait, selon lui, non pas quelque chose de marginal, mais bien un moteur capable de bouleverser les dispositifs sociaux. 5 Le régime représente selon Reckwitz des formes qui structurent la société. Reckwitz situe la modernité en trois mouvements dynamiques de changement  : la modernité de la perfection, la modernité du progrès et la modernité esthétisée (notre traduction dans Reckwitz, 2012, p.  44).  6 Selon l’auteur (Reckwitz, 2012, p.  139). Notre traduction. 7 Notre traduction. On pourrait supposer que l’économie esthétique selon Reckwitz englobe l’industrie créative caractérisée par sa sphère esthétique et culturelle, ainsi que l’économie créative qui établit la créativité comme indicateur pour produire de la valeur, de l’innovation (Bouquillion et Le Corf, 2010, p.  4).

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Faut-il lutter contre l’injonction créative ?

tion de la créativité. L’artiste devenu enseignant découvre le terme de « créativité » dans une école pédagogique. Il découvre la psychologie de la créativité. Vivant jusqu’ici dans un univers « hypercréatif », un milieu très homogène qui baigne dans la nouveauté, où la transgression des formes et des attitudes de risque sont exigées, il ne connaît qu’un public d’experts.

La connaissance des compétences transversales de l’apprenant autour de la créativité ne fait pour lui que peu de sens, ne permettant pas d’établir un lien entre le milieu artistique et le milieu pédagogique. L’artiste-plasticien aborde donc la créativité avec une bonne dose de dilettantisme. Il apprend à devenir un généraliste en arts et un enseignant créatif. Il s’adapte à un environnement normatif. Il tente d’activer chez l’apprenant ses propres compétences : savoir produire un objet nouveau, maîtriser un geste, prendre en main une démarche complexe de création et savoir communiquer, formuler un sens rhétorique et esthétique. Développer la créativité d’un élève, c’est avant tout sortir du jugement, créer un groupe, vaincre la peur de s’exprimer et permettre de prendre conscience que l’école est potentiellement un lieu bienveillant, un espace où l’adolescent est protégé des adultes. Sa capacité créatrice s’étant spécialisée dans un secteur bien défini, l’enseignant spécialisé en arts n’a parfois pas de recul, ni l’outillage nécessaire pour conduire une réflexion à ce sujet. Et pourtant, l’enseignant-artiste est un des modèles de l’économie créative (ou plutôt l’artiste-pédagogue). Lui manque encore l’environnement pour être innovant.

Être d’avant-garde à l’école dans les disciplines comme les activités créatrices manuelles et les arts visuels, se concrétise-il avant tout matériellement par la mise à disposition de moyens technologiques : implantation de Fablab, imprimante 3D, construction didactique de robots, infrastructure informatique pour le design graphique, etc. ?8 On peut affirmer que les artistes et designers sont très compétents dans l’usage concret des technologies créatives émergentes. Cet environnement relâché, peu hiérarchique de certains milieux créatifs implique une compétence de socialisation forte. Mettre en œuvre ces dispositifs sociaux et les évaluer dans le milieu scolaire ne nécessitent pas une grande dépense en technologie. Ce qui détermine un environnement de travail créatif démocratique et sans compétition 8

Alors que d’autres dispositifs et outils techniques comme les établis de travaux manuels et les labos photos ont disparu.

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est encore à définir. Il n’est ni uniquement technologique, matériel ou socialement confortable. S’il y a injonction créative, la connaissons-nous ? Qui l’impose ? Quelle forme prend-elle ? Quelles incidences produit-elle dans la société ? Et comment pouvons-nous l’accueillir dans un milieu scolaire ?

Le livre de Reckwitz ne s’intéresse pas à l’éducation, ni à la pédagogie. Il ne cherche pas à savoir si le développement de l’éducation tout au long du XXe siècle a eu une incidence sur l’économie esthétique. Il mesure plutôt les habitus9. Nulle trace des méthodes actives, des écoles alternatives, ni du développement de l’enseignement au courant du XXe siècle. Isolant la figure de l’artiste-bohème, il ne mentionne pas les Wandervögel, les oiseaux migrateurs : nom des groupes de jeunes Allemands et Autrichiens qui partent marcher à la campagne10. Ces mouvements de jeunesse où l’auto-éducation et la création étaient au centre d’une volonté de réforme, voire de révolution de la société par la jeunesse. Cet élan fut partagé par Walter Benjamin et Siegfried Bernfeld11.

Reckwitz nous questionne donc sur la créativité qui s’impose comme un dispositif hégémonique (Reckwitz, 2012, p. 52). Il souligne l’importance de l’affect ; cet affect qui a fait du chemin entre le XIXe et le XXIe  siècle et qui a fini par être digéré pour s’inscrire au cœur d’une nouvelle culture économique. Il développe le concept de dispositif créatif qui englobe l’ensemble des sphères de la société. Historiquement, ce dispositif se construit entre autres sur l’expérience partagée des avant-gardes artistiques, mais aussi sur un certain nombre de développements du monde moderne : développement de la psychanalyse, des médias et de l’organisation capitaliste de la société. Selon la thèse de l’auteur, nous serions en présence d’un nouveau régime12.

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Je pense ici au «  fait social total  » de Marcel Mauss (Mauss, 2007). Voir l’ouvrage de Pulliero (2004). «  Der Anfang  » (Barbizon et Bernfeld, 1913-14), dont le sous-titre est  : « Zeitschrift für kommende Kunst und Litteratur  » (Revue pour l’art et la littérature à venir, notre traduction). Siegfried Bernfeld était l’éditeur de la revue «  Der Anfang  ». Il fut psychanalyste, auteur du livre qui marqua la pédagogie libertaire des années soixante en Allemagne, «  Sisyphe ou les limites de l’éducation  » (Bernfeld, 1975). Pour comprendre les mouvements de jeunesse allemands et leur contribution à une vision émancipée de l’éducation, voir le livre de Pulliero (Pulliero, 2004). Lorsque Reckwitz (2012) développe le concept de régime, il souligne le changement paradigmatique touchant les diverses sphères de la société et du fonctionnement de l’individu dans le monde contemporain. Changer de régime signifie changer la conception du travail, les rapports sociaux entre le monde

Faut-il lutter contre l’injonction créative ?

Reckwitz met en évidence l’articulation de quatre éléments qui solidifient ce qu’il nomme le « dispositif du nouveau » (Reckwitz, 2012, p. 38) : le sujet comme créateur, l’objet esthétique, le public expert et l’institution (ou un « pouvoir » qui s’y intéresse) qui valide la nouveauté. À partir d’un développement complexe de concepts et d’une recherche historique sur les mécanismes d’appréhensions et de productions de l’esthétique, il formule l’idée que la société a fini par développer une forme d’injonction créative13. Revenons au siècle passé pour brièvement comprendre les motivations d’un enseignement à la créativité des années 1970. Celle-ci avait une valeur quasi politique, elle cristallisait à la fois le besoin d’agir dans un monde qui se transformait très rapidement, elle permettait de stimuler l’autonomie de pensée, la co-décision, la capacité personnelle de s’exprimer et d’agir, la participation et la critique. Simon Nicholson, architecte et pédagogue anglais, écrit dans Landscape Architecture en 1971 : La créativité est pour les quelques talentueux (the gifted few) : le reste d’entre nous, nous sommes obligés de vivre dans des environnements construits par les quelques talentueux. Nous écoutons la musique des quelques talentueux, disposons des inventions et de l’art des quelques talentueux ; et lisons les poèmes, les fantaisies et les pièces de théâtre de quelques talentueux. C’est ce que notre éducation et la culture nous conditionnent à croire, et c’est un mensonge culturellement induit et perpétué. S’appuyant sur ce mensonge, l’élite culturelle dominante nous dit que la planification, la conception et la construction d’une partie de l’environnement sont si difficiles et si spécifiques que seules ‘quelques talentueux’ – ceux diplômés et aux certificats dans l’urbanisme, l’ingénierie, l’architecture, l’art, l’éducation, la psychologie comportementale et ainsi de suite – peuvent bien résoudre les problèmes environnementaux ! Le résultat est que la grande majorité des gens ne sont pas autorisés (et le pire,

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social et matériel. Manque encore de rendre évident ce qu’un changement de régime signifie dans l’éducation. J’utilise le terme d’injonction créative sans qu’il ne soit à proprement dit utilisé par Andreas Reckwitz (2012). Il me semble en effet important de se projeter à la fois dans la réalité d’un enseignement des arts à l’école tout en soulignant les changements paradigmatiques qui sous-tendent les recherches de la société contemporaine. Si dans un programme d’étude imposé par l’institution scolaire, la créativité semble être un élément important des capacités transversales de l’élève pour le développement de sa pensée, elle correspond, à mon sens, encore largement au développement de l’élève comme auteur et moins à sa capacité d’adaptation à un nouvel environnement de travail. Pour le développement de sa pensée voir aussi Papilloud (2014).

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c’est qu’ils croient eux-mêmes être compétents) d’expérimenter avec les composantes du bâtiment (du bâtir) et de la construction. (Nicholson, 1971, p. 30)

En soulevant l’asymétrie entre ceux qui produisent de la créativité et ceux qui la subissent, Nicholson (1971) nous renvoie indirectement à l’importance d’un accès démocratique à l’action créative. Nous voyons qu’un changement paradigmatique dans l’accès à la créativité permettrait selon Nicholson de partager un monde qui se recrée en permanence par ses acteurs.

Qu’avons-nous fait depuis pour mettre un terme à ce phénomène de l’élitisme créatif décrit par Nicholson (1971) ? La première hypothèse : nous avons établi une créativité pour tous, démocratique qui dépasse l’idée qu’un « créatif » se résume à celles et ceux qui ne se situent que dans une philosophie du darwinisme social. À savoir, mettre en œuvre une éducation qui permette à chaque apprenant d’avoir un espace d’expression, d’approfondir une démarche personnelle, dont la première utilité est de trouver un espace-temps différent au sein de l’école (un lieu protégé). La deuxième hypothèse, qui serait mise en lumière par la recherche de Reckwitz (2012) et qui accepte une pression d’un environnement sociétal en mutation, serait la suivante : étant donné qu’un large public est éduqué à « baigner » dans la nouveauté, cette culture créative ambiante s’inscrit dans une économie de la croissance. Elle est intégrée à ce nouveau régime qui propose une nouvelle enveloppe esthético-économique qui impose ses règles : de nouveaux rapports au travail, une nouvelle perception du monde réel, une connaissance globalisée de la production du « nouveau », de nouvelles attitudes et dès lors une nouvelle éducation à la créativité. Ces nouveaux objets, ces connaissances et ces attitudes seraient quittancés par les institutions. De là, nous accepterions que la même « caste créative » continue d’œuvrer de façon hégémonique (Nicholson, 1971) et elle continuerait à décider, innover, produire du nouveau, du prestige esthétique ; la population nouvellement éduquée à ce régime ayant appris à être un bon récepteur qui sait reconnaître et donc accepter cette nouvelle hégémonie, l’économie esthétique. Nous voici confrontés à deux pédagogies différentes : celle de l’émancipation qui a permis à celles et ceux d’être créatifs et celle qui explique comment les autres ont créé.

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Faut-il lutter contre l’injonction créative ?

L’UNESCO en a compris l’enjeu en créant un programme de valorisation des disciplines créative en 200614. La CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) suit le mouvement établit un rapport sur les économies créatives en 2008. Dans son avant-propos (Nations unies, 2008, p. 30), le document pointe le rôle de la créativité dans l’économie contemporaine pour stimuler la croissance et le développement : « Dans ce contexte, la convergence entre créativité, culture, économie et technologie, qui se traduit par la capacité de créer et de faire circuler un capital intellectuel, est potentiellement un moyen de générer des revenus, des emplois et des recettes d’exportation tout en favorisant l’inclusion sociale, la diversité culturelle et le développement humain ». Le terme « créativité » est donc devenu au fil du temps un concept économique, fédérateur, stable et universel dont le but est le développement de la croissance. Et plus loin, on peut lire (Nations unies, 2008, p. 45) : « dans le monde actuel, la créativité́ est souvent désignée comme l’une des principales ressources dans l’économie du savoir, donnant accès aux changements technologiques et conférant un avantage compétitif à des entreprises et à des pays ».

En 2010, une recherche de la commission européenne (OMC-EWG, 2010)15 produisait un document similaire où le mot « créativité » s’écartait du mot « industrie » pour mettre l’accent plus précisément sur les petites et moyennes entreprises. En première page, on y découvre le tableau suivant.

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Le but de l’UNESCO  est entre autres de favoriser «  la créativité et l’innovation afin de parvenir à une croissance et à un développement inclusifs, équitables et durables  »  (UNESCO, 2013, p.  2). C’est en mars 2006 à Lisbonne que se profile un programme pour promouvoir l’enseignement des arts au sein de l’école, sous le titre  : Road Map for Arts Education. Building Creative Capacities for the 21st Century  (UNESCO, 2006). Commission européenne (2010).

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Ce tableau inscrit comme socle la culture et la créativité, puis l'inspiration et le sens pour atteindre le business et l'innovation comme finalité.

Reckwitz affirme dans sa recherche historique que la nouveauté devenant norme, elle devient stable (Reckwitz, 2012). Cette stabilité transparaît dans les textes de l’ONU, de la CNUCED et de l’UNESCO précités. Reckwitz échelonne quant à lui les fondements de ce nouveau régime, basant ses chapitres tant sur la naissance des avantgardes, sur la normalisation de « l’hors-norme » artistique vu comme génie ou bohémien que sur le renversement de la représentation de l’artiste dans la société (l’artiste, figure de l’excès, bourré de pathologies psychiques devient un modèle de stabilité psychologique au début du XXIe siècle).

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Reckwitz (2012) s’appuie surtout sur le fait que l’innovation permanente n’est plus à concevoir comme un développement technique ou technologique, mais bien culturel. Pour bien comprendre la thèse de l’auteur, il faut revenir à la conception du dispositif. Pour Agamben (2007), le dispositif représente « tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler, et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants » (Agamben, 2007, p. 31). Selon Reckwitz (2012), ce qui sous-tend le dispositif créatif, c’est la tradition d’une quête de perfection dans la modernité occidentale ; nous aurions un besoin de progrès qui s’exprime par un besoin excessif de projets (la surenchère de la nouveauté alimenterait le système). Enfin, pour Reckwitz, l’innovation contemporaine n’est possible qu’au sein d’une modernité non-normative, et ne peut dès lors se développer qu’à l’intérieur du champ esthétique (d’où le besoin de l’artiste, de laboratoires artistiques). Au chapitre quatre de son ouvrage (Reckwitz, 2012), il spécifie que la montée d’une éco-

Faut-il lutter contre l’injonction créative ?

nomie esthétique et le besoin d’innovation permanente s’appuient sur l’industrie créative et l’économie du design. Alternant son analyse sur des politiques économiques (comme les villes créatives) et des phénomènes de société (le star système), Reckwitz conclu dans son chapitre final que l’affect est un élément central de la société esthétisée : La modernité n’est donc pas seulement une organisation bureaucratique préoccupée de sa propre reproduction. Il s’agit également d’une organisation affective qui cherche et produit sa nouveauté. Cette organisation affective modifie la conception commune que la sociologie se fait du lien social en parlant d’interaction, d’échange ou de production (p. 324)16. Le lien social n’est pas affectif à la marge. L’affectif en est le cœur. Ce lien social ne se développe pas de manière intersubjective, mais par l’intermédiaire d’objets esthétiques suscitant une affectivité. Le sujet – l’acteur social – détermine sa personnalité et son agir en fonction des exigences d’esthétisation de la société. (Papilloud, 2013, pp. 282-285)

La recherche de Reckwitz (2012) est centrée sur cette compétence de réceptivité de la nouveauté aménagée au départ par la bohème artistique17. Sa recherche n’offre pas un angle de lecture sur l’émancipation créative apparaissant hors du contexte artistique. Les utopies pédagogiques sont inexistantes alors qu’elles renvoient de manière concrète à une conception d’un monde humaniste, d’un monde à concevoir, à construire ensemble. Lewis Mumford (1922), nous apprend à distinguer une utopie d’évasion, guidée par nos désirs à une utopie de reconstruction, de traitement et de transformation d’un environnement concret qui produit des liens tangibles au quotidien entre les êtres humains et entre l’être humain et son milieu. Il part du principe que l’homme a la capacité, selon lui, de comprendre son environnement et d’agir sur lui. C’est à partir d’un environnement malléable que s’inscrit l’utopie de reconstruction. Elle nous amène aussi à tenir compte d’une pluralité de dimensions économiques (micro-macro) de la création qui ne s’appuie pas sur un simple système hégémonique. Revenons à l’école publique en Suisse romande : dans le plan d’études romand, la créativité occupe une place importante comme compétence transversale : « la pensée créatrice signifie à travers la 16 17

Papilloud se réfère à la pagination du livre de Reckwitz (2012). L’artiste bohémien se réfère à la bohème du XIXe que Reckwitz situe à Berlin, New York ou Munich. Les artistes bohémiens seraient des post-adolescents qui cherchent à vivre une vie d’artiste dans ces villes (Reckwitz, 2012, p.  75).

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didactique des arts visuels (…) mettre l’élève dans une perspective de production » (CIIP, 2010, p. 8). Si les liens entre le domaine Arts et la créativité paraissent évidents, c’est essentiellement parce qu’il permet à l’élève de se confronter au « faire » (CIIP, 2010, p. 8)18. De manière schématisée, nous aurions donc comme socle d’un côté « le sens » et de l’autre « l’inspiration », puis un deuxième niveau avec « la créativité » et « la culture » (donc la médiation culturelle) au sommet.

Si Reckwitz (2012) met en évidence une forme d’injonction créative de la société contemporaine, il ne nomme aucune opposition. Tout semble tendre irrémédiablement vers une fusion de l’esthétique dans le champ de l’économie de marché et d’une vision utilitariste du développement de la créativité. Les enjeux se déplacent du développement de l’individu, d’une forme de liberté d’expression « en soi et pour soi » à une créativité opérante et rationalisée dans la sphère de la société contemporaine. À l’école, nous sommes donc protégés d’une approche utilitariste de l’enseignement de la créativité et en même temps, nous devons admettre que l’incidence des nouvelles tendances économiques exige un temps d’arrêt, une réflexion critique des institutions pour garder la valeur fondamentale d’une didactique de la création afin de permettre à chacun de devenir un acteur dans la société, un acteur conscient, capable d’agir dans un monde réel à co-construire.

Références

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Dans le plan d’études romand, hormis la créativité, il est spécifié que «  ses connaissances, ses méthodes ainsi que par ses modalités d’enseignement, le domaine Arts contribue, chez l’élève, au développement  : de la collaboration, de la communication, des stratégies d’apprentissage, de la démarche réflexive, notamment en l’engageant à exercer une démarche critique relative tant à sa propre production qu’aux productions artistiques et aux phénomènes culturels  » (CIIP, 2010, p.  8).

Faut-il lutter contre l’injonction créative ?

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JE CRÉE DONC JE JOUE UNE APPROCHE NOUVELLE À LA PÉDAGOGIE DE CRÉATION POUR LES JEUNES À TRAVERS LES TECHNOLOGIES NUMÉRIQUES Gaja Maffezzoli

Introduction

D epuis des années, mon domaine de recherche et d’enseignement est consacré aux projets de création avec et par les enfants, en

rapport avec les nouvelles technologies. J’ai introduit ces technologies numériques, d’abord en Italie, de 2001 à 2008, dans les écoles primaires, avec l’équipe du Centre de Recherche et Production « Centro Tempo Reale » de Florence fondé et dirigé par Luciano Berio. Depuis 2007, j’ai développé cette activité en tant qu’enseignante de « Création » au Conservatoire de musique, de danse et d’art dramatique de Montbéliard, en milieu scolaire (écoles primaires et collèges) et avec des enfants instrumentistes du 1er et 2e cycle (environ de huit à quinze ans). En même temps, j’ai conçu un projet de découverte, d’écoute et de création sonore à travers des tablettes numériques (iPads), nommé « Je crée donc je joue », que je mène en France, Suisse, Chine et Cambodge. Le développement des technologies informatiques, surtout au cours des vingt dernières années, a permis l’émergence d’une nouvelle pédagogie de création dans le domaine de l’enseignement de la musique. Est-il possible de développer le paradigme de l’apprentis-

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Didactique de la création artistique

sage de la musique, non seulement du point de vue de l’interprétation instrumentale ou vocale d’œuvres du passé, mais aussi à travers la création elle-même ? Comment la création peut-elle entrer dans un parcours éducatif qui concerne des enfants-musiciens et d’autres qui ne connaissent pas la notation musicale ? Pourquoi et comment le numérique se révèle-t-il efficace dans ce type d’apprentissages et de pratique artistique ?

Ces premières interrogations constituent les différents mouvements d’ouverture que j’entends exposer ici. J’analyserai les outils, la notion d’affordance, la notion de feedback et d’accident et leurs fonctions instructives, leurs effets dans une démarche didactique et dans le temps d’un parcours d’apprentissage et de création.

L’environnement technique et ses ressources pour l’action  : relation, perception et interface

L’ordinateur ou la tablette tactile constituent un environnement de travail avec des caractéristiques précises qu’on pourrait définir par le terme d’« affordance ». Ce néologisme est issu de l’ouvrage The Ecological approach to visual perception du psychologue américain James J. Gibson, paru en 1979 :

Les affordances de l’environnement consistent en ce qu’il offre à l’animal, ce qu’il pourvoit ou fournit, que ce soit ou non pour son bien. Le verbe “to afford” existe dans les dictionnaires, mais le nom affordance ne s’y trouve pas. Je l’ai inventé. J’entends par là quelque chose qui se rapporte à la fois à l’environnement et à l’animal d’une façon qui n’est décrite par aucun terme existant. Il implique la complémentarité de l’animal et de l’environnement. (Gibson, 1986, p. 127)

Le concept d’affordance1 renvoie à ce qu’un environnement donné permet, à ce qu’il offre comme possibilités. Olivier Putois, dans son introduction à l’édition française de l’« Approche écologique de la perception visuelle » de J. J. Gibson (2014, pp. 29-30), choisit de traduire « affordance » par « invite » :

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l’affordance/invite désigne un invariant de haut niveau qui représente des possibilités d’interactions perceptivement guidées, c’est-à-dire de mouvements physiques, effectifs, par rapport à l’environnement.

To afford signifie aussi «  être en mesure de  », «  avoir les moyens de faire quelque chose  » (Putois, dans Gibson, 2014, p.  30).

Je crée donc je joue

L’affordance traduit donc cette faculté de l’homme ou de l’animal, à guider ses comportements en percevant ce que l’environnement lui offre en termes de potentialités d’action. La proposition théorique de Gibson a eu plusieurs dénominations : théorie de la saisie d’information (theory of pickup of information), théorie de la perception directe, théorie écologique de la perception. Gibson abandonne la tradition cartésienne qui propose une équivalence entre vision et représentation, pour une approche dite « écologique » de la perception. « Écologique » est à prendre dans le sens d’adaptation de l’animal à son milieu et, dans sa théorie, l’environnement est pris au sens de « niche écologique » et non pas de « monde extérieur ». (Luyat et Regia-Corte, 2009, p. 109) Pour Gibson, un individu – animal ou homme – est un être qui perçoit et agit. Il est soumis aux contraintes de son environnement et entouré par cet environnement. Gibson étudie la perception en tant que moyen d’adaptation pour l’animal : la perception s’inscrit dans l’interaction entre l’organisme et sa niche écologique et dans les apports mutuels entre la perception et l’action (Luyat, 2009, p. 300). La réciprocité entre l’animal et l’environnement et l’indivisibilité entre la perception et l’action sont les postulats fondamentaux de sa théorie : « Ce lien mutuel entre l’organisme et son environnement est le lieu d’émergence du processus perceptif. » (Ibid.) :

Une affordance, ainsi que je l’ai dit, est dirigée à la fois vers l’environnement et vers l’observateur. Il en est de même de l’information qui spécifie l’affordance. […] Les informations qui spécifient l’utilisation de l’environnement sont accompagnées d’informations qui spécifient l’observateur lui-même, son corps, ses jambes, ses mains, sa bouche. Ceci ne fait que souligner à nouveau le fait que l’extéroception s’accompagne de proprioception – que percevoir le monde, c’est se copercevoir soi-même. (Gibson, 1986, p. 141)

Une approche dite « écologique » de la perception caractérise l’objet perçu comme une affordance ou invite. Il devient un pôle d’interactions, directement accessible à l’exploration.

La théorie de Gibson a évolué au fil du temps. Le concept d’affordance a été utilisé et revisité dans plusieurs champs et disciplines connexes à la psychologie de la perception : l’ergonomie, les neurosciences, les sciences cognitives et la robotique, la philosophie. Dans cette perspective, est-il possible de parler d’affordance pour les outils informatiques ? Quelles sont leurs implications dans le processus de création et d’apprentissage ?

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Didactique de la création artistique

L’ordinateur est un système formalisé qui contrôle d’autres systèmes formalisés avec un système de feedback, un retour d’information. Dans le cadre de la création musicale, l’ordinateur contrôle des logiciels, le feedback est le retour en termes d’écoute et des possibilités de manipulation du son en temps réel. Un ordinateur permet, grâce à son propre système opératoire, de contrôler un nombre indéfini de logiciels à travers des interfaces graphiques et gestuelles (capteurs, caméra, microphone, etc.). Ces interfaces doivent permettre un feedback suffisamment rapide, de sorte qu’il n’existe pas de distance temporelle entre l’exécution d’une fonction et la perception de son résultat. Cette distance, dans la correspondance action-perception entre un usager et une interface de contrôle et de composition, est un élément clé dans la conduite d’un processus de création. Elle garantit, dans une certaine mesure, la fluidité dans l’expérience d’utilisation et conditionne donc partiellement les attachements qui pourraient se nouer entre une personne et la machine à cet égard.

Norbert Wiener écrit que les ordinateurs ont des « organes sensoriels » (Wiener, 1954, p. 52). Ils ne sont plus des systèmes clos, mais sont dotés de membranes sensibles qui leur permettent de recevoir des informations de l’extérieur et d’instaurer ainsi un dialogue avec l’homme et l’environnement. Ces membranes, ces organes de sens ouverts sur l’extérieur, sont appelées interfaces (Quinz, 2003, p. 10). Une interface est une structure liminaire, un seuil et une surface. Plus généralement, on peut appeler interface toute « surface de contact, de traduction, d’articulation entre deux espaces, deux espèces, deux ordres de réalité différents… » (Levy, 1990, p. 205). L’interface est la surface qui met en contact et en relation deux (ou plusieurs) systèmes hétérogènes. Techniquement, elle est un dispositif qui assure la communication entre deux systèmes différents, en exécutant essentiellement des opérations de gestion de flux d’information. L’interface est la membrane de contact, l’organe de la sensibilité d’un système-environnement dont l’intelligence est incarnée par le programme : Système logiciel qui modélise les comportements et les relations au travers d’une série d’instructions codées (algorithmes). Le programme interprète les données, agit sur l’information, déclenche les mécanismes de réaction. (Quinz, 2003, p. 11)

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L’interface en revanche n’assure pas seulement un transfert, mais provoque des transformations ; elle n’assure pas seulement une communication, mais elle construit une relation : une relation « interactive », une boucle entre action, perception et réaction selon le modèle de la boucle de rétroaction (feedback) théorisé par la cyber-

Je crée donc je joue

nétique. L’interface est donc un espace de circulation où le système est capable de modifier à chaque fois la relation qu’il établit entre input et output : le système traite l’information, sans simplement se contenter d’obéir au schéma stimulus-réponse.

Le sursaut créatif émergent des «  accidents  » du dispositif technique  : une fenêtre pour la créativité, une niche pour la pédagogie

Selon Quinz (2003), chez l’artiste canadien David Rokeby le feedback assume un rôle central dans l’œuvre en opérant des transformations mutuelles entre les deux systèmes, homme et machine. Le feedback a donc toutes les caractéristiques d’une affordance. Si dans la théorie de Gibson (Gibson, 1986) le lien mutuel entre l’organisme et son environnement est le lieu d’émergence du processus perceptif, la relation interactive homme-machine est le lieu d’émergence du processus créatif. Claude Cadoz (Cadoz, 2006) décrit le feedback et son impact dans le processus de création :

La création, plus précisément le “processus de création”, qu’il soit d’ailleurs musical ou autre, est bien l’un des premiers lieux du feedback […] L’artiste dispose d’outils, au sens large : des instruments, du papier à musique, ou même d’autres outils, plus conceptuels (des règles de composition par exemple). Qu’il s’agisse des uns ou des autres, ils sont, à un moment donné du processus, même si l’artiste les a choisis de son plein gré, des “systèmes” étrangers, extérieurs à l’homme lui-même. Ces systèmes ont alors des “entrées” : les gestes de l’instrumentiste, l’écriture des notes sur la partition, le choix de valeurs particulières pour les grandeurs laissées libres par le système de règles… Et ils produisent des “sorties” : les sons des instruments, les structures mélodiques/harmoniques de la musique écrite, etc. Ces sorties sont bien alors des “entrées” pour l’artiste, qui se reboucle sur ses outils. Elles fournissent le feedback au sens où l’artiste peut alors reprendre et modifier ses actions pour obtenir un autre résultat plus proche de son objectif. (Cadoz, 2006, p. 2)

Sur un autre axe, qui concerne la création de musique sur papier, des compositeurs comme Luciano Berio, Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen parlent à ce sujet de la notion « d’accident ». Le compositeur écrit à la main, il reconnaît l’accident et seulement à ce stade il décide de le corriger ou au contraire d’utiliser « l’accident » pour

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Didactique de la création artistique

changer la direction de son projet. Boulez, dans un entretien avec Dominique Jameux, parle de la notion d’accident :

Quelquefois, certains compositeurs établissent un parcours a priori, quasiment avant les idées… Ils partent d’une idée, puis remplissent le parcours, comme des boîtes : tel développement, puis tel développement… Je n’arrive pas à faire ainsi, parce que les idées constituent un organisme vivant, qu’on ne peut placer n’importe comment, n’importe où, et surtout dans du préfabriqué ! L’essentiel, pour moi, est de regarder comment ces organismes vivants se développent, et s’ils se développent quelquefois […] d’une façon imprévue, en tout cas de vous, tout en étant dans leur propre logique. Vous créez des objets qui finalement vous imposent leur propre logique au lieu que vous leur imposiez celle que vous aviez prévue. C’est ce que j’appellerai “l’accident”. (Boulez et Jameux, 2010, p. 3)

Dans la composition sur papier, la notion d’accident est possible, peu fréquente et surtout se produit à une vitesse lente. On agit sur un paramètre à la fois et l’erreur est limitée, restreinte (par exemple : se tromper d’octave, de mode, de valeur rythmique, etc.). Dans la création numérique, où le feedback se produit de manière quasi instantanée, la notion d’accident est toujours présente, et donc immédiatement intégrée et interprétée comme nouvelle direction. Notre projet « Je crée donc je joue » se pose comme questions de recherche l’analyse et le dispositif des relations établies entre l’enfant et le système informatique, essayant de mettre en valeur les implications de ces actions dans un processus de création.

Conclusion

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La tablette tactile est un outil très sensible, léger, sans fil et très performant en terme de temps de réaction lors de l’utilisation par l’enfant. Celui-ci voit le son, il l’identifie à travers des marqueurs multiples, différenciés et en coprésence. Il manipule et transforme les sons de la banque sonore ou des sons enregistrés par lui-même, à travers des interfaces de traitement du son. Dans la création numérique, avec un seul curseur, l’enfant peut contrôler différents paramètres en même temps. Pour cette raison, le numérique intègre la notion d’accident, mais en change partiellement la nature au vu des potentiels des calculs algorithmiques extrêmement puissants, pour plonger l’enfant dans une dimension presque d’étonnement. En effet, la manipulation se réalise en fonction des consignes données par le

Je crée donc je joue

professeur, mais le résultat de cette action peut produire un accident et étonner l’enfant durant sa phase de composition. Ce dernier décide très souvent d’explorer l’accident, car il suscite nouveauté et intérêt, il ouvre à une certaine intrigue. Cela conduit vers des directions inattendues. Dans cette optique, la notion d’erreur prend une autre signification : celle de découverte permanente, ouverte en partie grâce à la nature du médium utilisé dans le processus de création artistique et dans l’approche didactique de l’enseignant ou de l’artiste-enseignant, à ce qu’il insuffle à la situation d’interaction. L’enfant apprend d’une part à s’engager dans l’action, grâce au fait qu’il apprend à percevoir et à utiliser les possibilités d’actions pertinentes qu’offre l’environnement (ses affordances). D’autre part, le processus de découverte des propriétés de l’action, et la capacité à les utiliser de manière optimale passent par la diversité des expériences organisées de manière plus ou moins directe par les éléments de l’environnement. À la lumière de ces considérations, notre recherche actuelle se pose comme objectifs futurs d’envisager la conception d’un modèle didactique qui se base sur des outils temps réel avec une tradition qui hérite de la musique écrite, de manière à comprendre comment articuler ce qui est possible aujourd’hui avec – et sans renier – le passé. Notre hypothèse est qu’il existe des liens entre musiciens et non-musiciens dans l’enseignement de la musique et en particulier dans l’enseignement de la création musicale.

À partir de cette réflexion, une question de recherche s’impose  : quelle est l’importance de l’écriture dans la création musicale ? Les logiciels ont fourni la preuve depuis leur conception, qu’ils naissent et meurent ou disparaissent plus rapidement que n’importe quel autre support d’inscription et de manipulation que nous avons su concevoir. C’est ce que l’on a pu appeler les circuits de l’obsolescence. Il semblerait impossible de concevoir une didactique basée sur des supports informatiques, car le vieillissement de ces derniers est plus rapide que n’importe quelle phase de recul nécessaire à tout processus d’apprentissage. Aujourd’hui, un patch MaxMSP est, à sa façon, une forme d’écriture. Son interface permet elle aussi une forme d’écriture, avec le patch. Mais le niveau d’écriture de la musique (la partition), qui a scindé l’exécution du processus de création, a permis un très haut niveau d’exigence et une haute qualité de l’intention. L’interprétation ne peut exister que s’il y a écriture préalable. L’interprétation correspond au décodage du phénomène codé. La plus grosse critique aux

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Didactique de la création artistique

tablettes tactiles est qu’il n’existe pas une qualité de l’intention, car tout le processus est en temps réel.

Quelle place aujourd’hui pour une didactique de la création artistique en musique avec ces nouveaux environnements numériques ? Ma recherche vise donc à apporter des réponses plausibles – et des contributions futures – à ces problématiques.

Références

Boulez, P. et Jameux, D. (2010). Pierre Boulez – Écriture musicale et accident. Genesis (30), 219-228.

Cadoz, C. (2006). Retour au réel : le sens du feedback. Lyon : Rencontres musicales pluridisciplinaires. Dinkla, S. (1997). Pioniere Interaktiver Kunst. Karlsruhe : ZKM / Cantz Verlag.

Gibson, J. J. (1986). The ecological approach to visual perception. New York : Psychology Press Taylor & Francis Group, LLC.

Gibson, J. J. (2014). Approche écologique de la perception visuelle. Bellevaux : Dehors. Lévy, P. (1990). Les technologies de l’intelligence. Paris : La Découverte.

Luyat, M. et Regia-Corte, T. (2009). Les affordances  : de James Jerome Gibson aux formalisations récentes du concept. L’Année psychologique (109), 297-332. Quinz, E. (Éd.) (2003). Seuil de mutation, notes sur la notion d’interface. Interfaces, Anomalie, Digital_Arts (3), 10-15. Wiener, R. (1948/1954). Cybernetics in history, the human use of human beings. Dans R. Packer et K. Jordan (Éd.). (2001). Multimedia from Wagner to Virtual Reality (p. 52). London, NY : W. W. Norton and Company.

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LE DESIGN SONORE COMME PRATIQUE PÉDAGOGIQUE POUR INTRODUIRE L’ENFANT A LA CRÉATION MUSICALE D’AUJOURD’HUI Stefano Luca

Introduction

D ans cet article, nous allons présenter la pratique du design sonore et souligner sa valeur pédagogique et didactique : il s’agit

d’une activité appropriée à l’enfant de l’école primaire pour développer sa créativité musicale et pour l’introduire à la création musicale d’aujourd’hui. Dans la première partie, nous exposerons les caractéristiques du design sonore, à travers une comparaison avec la création musicale. Ensuite, nous détaillerons l’activité pédagogique conçue comme l’application pratique de la réflexion théorique : « Le visage sonore de la ville », un atelier de design sonore destiné aux enfants des écoles primaires à Venise (Italie). La deuxième partie de l’article abordera la formule d’atelier, c’est-à-dire la suite des étapes de l’activité, qui reproduit les étapes du processus créatif du design sonore. On décrira ensuite les outils numériques, en particulier le logiciel qui a été conçu et développé sur mesure pour l’enfant afin de lui permettre d’expérimenter les techniques de transformation sonore et de composition musicale.

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Didactique de la création artistique

1 • La pratique du design sonore Bien que la réflexion théorique et l’expérimentation pratique autour du concept de design sonore commencent au début de XXe siècle, grâce au travail d’artistes, compositeurs et ingénieurs (Morelli, 2010), la figure du sound designer s’affirme dans les années  1970, parmi les techniciens du son engagés dans la production audio pour le cinéma (Thom, 1999 ; Coppola, 2003) : le sound designer écoute les requêtes de son interlocuteur (le régisseur), invente de nouveaux sons fonctionnels à la requête (souligner une action ou évoquer un état émotionnel), invente l’identité acoustique de l’œuvre audiovisuelle (Cremaschi et Giomi, 2008).

Aujourd’hui le domaine d’application est vaste (Luca, sous presse, 2017) : en essayent d’en donner une définition générale, le design sonore est la pratique de conception de sons originaux, finalisée à intensifier la relation entre l’homme et l’espace environnemental sur lequel se pose son attention : le personnage d’une histoire, un objet physique à toucher, un espace.

Design sonore et création musicale partagent la même matière première, le son, mais poursuivent des finalités différentes. Le compositeur, selon la vision romantique, vise sa propre intériorité, et utilise la musique pour l’exprimer, dans le sens étymologique de libérer l’énergie qui est enfermée. Le designer fait attention à l’extérieur, c’est-à-dire à l’environnement, et il utilise le son pour répondre à des questions : il analyse la réalité humaine quotidienne, il observe les points critiques et intervient en utilisant le matériel sonore pour résoudre des problèmes très précis (Rocchesso et al., 2008) comme celui de l’interaction entre une voiture électrique, naturellement silencieuse, et son conducteur sportif, qui veut entendre le rugissement du moteur (Bodden et Belschner, 2014). En outre, design sonore et création musicale contrôlent différentes échelles temporelles : la création musicale contrôle (à grande échelle) les dimensions du présent, du passé et du futur, tandis que le design sonore contrôle (à petite échelle), la seule dimension du présent, sans aucun souvenir du passé et sans aucune attente du futur.

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Le design sonore comme pratique pédagogique

2 • La valeur pédagogique du design sonore 2.1 Les contraintes cognitives de l’enfant Michel Imberty a étudié les contraintes cognitives impliquées dans la perception des formes temporelles chez les enfants (Imberty, 2004). Selon lui, la perception des formes temporelles, et donc, des formes musicales, dépend de la capacité de segmenter et de réunir. On segmente dans le temps présent et irréversible, on réunit dans le présent psychologique, c’est-à-dire l’espace mental où le temps présent est suspendu et l’on peut établir des relations entre les événements temporels lointains. Selon l’auteur, jusqu’à douze ans, l’enfant n’a pas encore acquis la dimension du présent psychologique et sa capacité de réunir les événements est donc limitée : « Cela signifie que, pendant la période de l’école primaire, la perception temporelle des enfants est organisée seulement par des schèmes d’ordre. »2 (Imberty, 2004, p. 43. Notre traduction). L’enfant sait bien contrôler les relations au niveau local, c’est-à-dire entre un événement et le suivant (ou le précédent), donc il peut facilement se concentrer sur l’événement singulier et il peut aussi comprendre et concevoir les progressions, des formes temporelles simples, basées sur la variation d’un paramètre local : itération, accélération/décélération, accumulation/dispersion. La pratique du design sonore, qui se focalise sur l’instant et utilise la petite échelle temporelle, est donc compatible avec les contraintes cognitives des enfants de l’école primaire. Imberty souligne aussi que déjà à l’époque de l’école primaire il est toutefois possible d’apercevoir, dans une forme embryonnaire, la capacité de saisir la forme musicale :

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[…] avec le développement de la pensée et du langage symbolique, les schèmes d’ordre se coordonnent et permettent de connecter des séquences plus longues dans une unité perceptive articulée. […] Ces schèmes d’ordres articulés (Imberty, 1995) […] sont encore des fonctions pré-syntaxiques, ils restent inséparables de la séquence globale (comme une mélodie, par exemple), de laquelle ils constituent le squelette perceptif3. (Imberty, 2004, p. 43. Notre traduction)

«  Questo significa che, durante il periodo della scuola elementare, la percezione temporale dei bambini è organizzata solamente dagli schemi d’ordine. » (Imberty, 2004, p.  43). «  [...] con lo sviluppo del pensiero simbolico e del linguaggio, gli schemi d’ordine si coordinano e permettono di collegare sequenze più lunghe in un’unità percettiva articolata. […] Questi schemi d’ordine articolati (Imberty, 1995) [...]

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Didactique de la création artistique

Imberty observe ensuite que l’enfant à l’école primaire possède une capacité d’abstraction limitée (Imberty, 2004). En effet, les agrégats sonores auxquels il est très sensible ne sont pas les figures musicales traditionnelles, mais plutôt les objets sonores liés à sa vie quotidienne, à son vécu : il s’agit des objets cinétiques (flotter, disparaître, exploser, gonfler, épuiser) basés sur la variation dynamique d’un paramètre (la vitesse, l’intensité, la couleur harmonique et le timbre).

De ce point de vue, la pratique du design sonore est en ligne avec ces aspects cognitifs : en effet, le son est dessiné en relation avec un élément extra-sonore (un geste, un mouvement, une manière de parler, etc.), souvent qualifié à travers la variation dynamique d’un des paramètres décrits.

2.2 Développement de la créativité musicale

Est-ce que la pratique du design sonore peut développer la créativité et, en particulier, la créativité musicale ? Le mot créativité vient du verbe « créer » qui veut dire « donner l’existence à quelqu’un ou à quelque chose en les tirant du néant »4. Barbara Kerr (2016) pose aussi l’attention sur la valeur de nouveauté, définissant la créativité comme « l’habilité de faire ou autrement de porter à l’existence quelque chose de nouveau, que ce soit une nouvelle solution à un problème, une nouvelle méthode ou dispositif, ou un nouvel objet artistique ou forme »5 [notre traduction].

Comme nous avons vu dans le premier paragraphe, le design sonore est la conception de sons originaux et le sound designer est un inventeur. Par exemple, Ben Burt ha inventé le sifflement de l’épée laser pour Star Wars (de George Lucas, sorti en 1977), en lui donnant une force expressive si intense que ce son s’est installé dans notre mémoire, habite notre environnement (on pense à tous les jouets sonores inspirés du film) et nous a convaincu que le laser émet un sifflement, alors qu’il est muet. Donc, pratiquer le design sonore signifie non seulement exercer la capacité d’inventer, de créer, mais aussi d’être capable de produire des idées originales et d’analyser et synthétiser les événements 4 5

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sono ancora solamente funzioni pre-sintattiche, rimangono indissociabili dalla sequenza intera (melodia per esempio), della quale costituiscono l’ossatura percettiva.  » (Imberty, 2004, p.  43). Créer, verbe trans. URL  : http://www.cnrtl.fr/definition/cr%C3%A9er «  Creativity, the ability to make or otherwise bring into existence something new, whether a new solution to a problem, a new method or device, or a new artistic object or form.  » (Kerr, 2016). URL  : https://global.britannica.com/topic/creativity

Le design sonore comme pratique pédagogique

sonores. Pratiquer le design sonore signifie développer la sensibilité vers des problèmes, comme celui de l’interaction homme-machine qui n’est pas encore complètement résolu. Quelques exemples : l’interaction entre la voiture électrique silencieuse et le conducteur sportif qui s’attend une réponse acoustique ; l’interaction entre l’employé au bureau, qui cherche un instant de relax en consommant son café et la machine à café, automatique, qui sonne comme un bruyant compresseur (Matellon, 2016) ; l’interaction entre le dispositif médical électronique et l’infirmier qui doit comprendre rapidement les signes vitaux du patient (Brazil et Mikael, 2011). Pratiquer le design sonore signifie développer aussi la capacité d’analyse et de synthèse. En effet, dans un film, le sound designer doit analyser le sujet, lire ses qualités physiques et psychologiques, synthétiser les indications pour guider la création sonore. Par exemple, Ben Burtt a défini les lignes directrices pour produire le son WALL-E (2008) à partir de l’analyse de la qualité de ses gestes et mouvements, du matériel physique dont il est composé, aussi bien que de ses qualités psychologiques (Burtt, 2009). Donc, pratiquer le design sonore signifie exercer plusieurs capacités impliquées dans le processus créatif.

Enfin, en peut faire une comparaison entre dessiner le son et créer de la musique. Selon François Delalande (1989a, 1989b, 1984/2017) le processus de création musicale est basé sur les étapes suivantes : exploration du corps sonore (et éventuellement manipulation à travers le dispositif numérique) individuation de la singularité sonore, développement de la singularité, composition dans une forme. On peut observer que la pratique du design sonore se superpose au processus de création musicale dans la première étape et la deuxième. Selon nous, la pratique du design sonore peut être vue comme une initiation à la création musicale.

2.3 Introduction à la culture contemporaine du son

La culture sonore d’aujourd’hui est très différente de la culture des années 1970. La diffusion large de dispositifs numériques et de contenus multimédias, la prégnance de la culture cinématographique et l’expansion de la pratique du jeu vidéo chez les jeunes ont déterminé l’affirmation d’une culture audiovisuelle, dans laquelle le son est constamment à la recherche d’une relation avec l’image (Chion, 2000). En plus, la culture sonore contemporaine est une culture « métisse » composée par des sonorités d’origines différentes, pro-

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Didactique de la création artistique

duites avec des instruments acoustiques ou bien avec des dispositifs électroniques (Delalande, 2004).

La pratique du design sonore permet à l’enfant d’explorer les relations entre le son et le sujet extra-sonore, notamment l’image, et d’arriver à produire des objets audiovisuels ; en outre, elle lui permet d’expérimenter soit les techniques traditionnelles (chanter, produire des sons avec les corps sonores) soit les techniques plus récentes (enregistrer et transformer le son avec les outils numériques). Donc, pratiquer le design sonore signifie vivre la culture musicale d’aujourd’hui, et la vivre comme un auteur. L’enfant qui aura dépassé la position de consommateur d’une culture musicale et aura gagné celle d’auteur sera capable en retour de mieux la comprendre et d’en exprimer des jugements critiques.

3 • Le visage sonore de la ville

« Le visage sonore de la ville » est une activité pédagogique conçue pour les enfants de l’école primaire « A. Diaz » à Venise en Italie, et adoptée par la suite par plusieurs écoles primaires dans la même ville6. Elle offre l’opportunité de connaître les caractères de l’environnement qui nous entoure à travers une expérience d’écoute, d’élaboration du son et d’invention d’un paysage sonore original : une expérience nouvelle qui permet de se rapprocher de la culture contemporaine du son en découvrant aussi la valeur du territoire perçu comme un bien culturel.

3.1 Les finalités

Au niveau musical, notre objectif est de développer la créativité chez l’enfant : stimuler sa sensibilité au son et aux relations entre les sons, aiguiser sa capacité de saisir la valeur expressive du son e des figures sonores et former ses compétences à être engagé dans un processus de création en pleine autonomie. Au niveau pédagogique, seront développées les capacités fondamentales de la personne, en cohérence avec les objectifs de l’école 6

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L’activité a été conçue par Silvia Capriata et Stefano Luca chez Suonifreschi, l’association vénitienne dirigée par Stefano Luca et dédiée à la diffusion de la culture contemporaine du son chez les jeunes. URL  : http://www.suonifreschi.net La présentation audiovisuelle de l’atelier est disponible à l’adresse  : https:// vimeo.com/187368731

Le design sonore comme pratique pédagogique

primaire : l’esprit critique, la capacité d’expression personnelle et la capacité relationnelle.

En outre, on poursuivra le but d’introduire l’enfant à une culture sonore contemporaine, c’est-à-dire, comme nous l’avons vu, une culture hybride, composée par des sonorités d’origine différente, et audiovisuelle. Ensuite, partant de l’idée d’appréhender la ville comme un bien culturel, nous développerons la sensibilité et l’intérêt vers l’environnement urbain, qui n’a habituellement que très peu de place dans les programmes scolaires.

Pour atteindre les objectifs fixés, nous avons conçu une formule d’atelier basée sur la pratique du design sonore, que nous avons appelé : « Le visage sonore de la ville » (réalisé la première fois en 2010).

3.2 Le contexte

Initialement, nous avions présenté aux enfants le concept de soundscape proposé par Schafer (1977/1979) et nous les avions guidés à travers un parcours d’écoute attentive et de manipulation du son, pour arriver enfin à inventer un nouveau paysage sonore inédit de la ville de Venise. Pour développer le sujet, les enfants utilisaient une animation expressément conçue pour l’atelier avec des images de l’architecture vénitienne qui dramatisent les détails les plus intéressants et les plus suggestifs que l’on trouve dans les matériaux urbains : gros masques de pierre enchâssés dans les voûtes des palais du XVIIe siècle, animaux de toutes formes dans les chapiteaux des églises médiévales, personnages énigmatiques dans les bas-reliefs des cours, armoiries des bâtiments municipaux, ainsi que l’enchevêtrement de grues et de cheminées dans les paysages industriels. Quels pourraient être les sons produits par ces figures fascinantes et mystérieuses ? Comment résonneraient les espaces urbains ? Quel serait, enfin, le nouveau paysage sonore de la ville ? Chaque enfant était invité à choisir un fragment de l’animation et à lui donner sa propre interprétation avec des sons créés selon la pratique du design sonore. Enfin, toutes les contributions individuelles auraient été destinées à former le nouveau paysage sonore de la ville.

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Didactique de la création artistique

3.3 La formule La formule, c’est-à-dire l’articulation de l’activité (les étapes, les rôles, les relations), a été pensée et conçue comme une partie de l’environnement d’apprentissage. L’environnement dans lequel l’activité de design sonore se déroulait était l’atelier électroacoustique, c’està-dire l’espace éducatif dédié à la création musicale à l’école, basé sur le paradigme électroacoustique (Delalande, 2004). La conception de cet espace est le résultat d’une expérience décennale de réflexion théorique et expérimentation pratique, mûrie chez Tempo Reale7, finalisée à comprendre les potentialités des nouvelles technologies pour le développement de la créativité musicale à l’école primaire (Luca, 2009 ; Luca, 2016). Indépendamment de l’édition, l’atelier était basé sur la formule suivante (activité destinée à un groupe d’environ vingt-quatre enfants et comprenant neuf sessions hebdomadaires) :

–– Une session introductive se déroulant au Théâtre de la Ville, au cours de laquelle le film WALL-E (2008), un exemple excellent du design sonore pour le film, devait être projeté

–– Sept sessions de travail en Atelier qui ont été à leur tour subdivisées en deux sessions de 90 minutes, destinées chacune à un groupe de 12 enfants –– Une session conclusive qui allait se tenir au Théâtre de la Ville étant consacrée à l’exécution publique de l’œuvre audiovisuelle.

Visionnage commenté8 :

Après la projection d’un film d’animation pris comme exemple, nous avions présenté le rôle de sound designer que les enfants étaient appelés à jouer. L’objectif du projet était de créer de nouveaux sons, dotés de leur propre force expressive et communicative. 7

8

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Tempo Reale est le centre de recherche, production et formation musicale, fondé en 1987 par le compositeur Luciano Berio à Florence, dédié à l’étude du rapport entre la musique et les nouvelles technologies et à la diffusion de la musique de recherche. Entre 1999 et 2007 un projet expérimental fut développé chez Tempo Reale  : l’alphabétisation musicale avec les technologies numériques. L’équipe pédagogique, dirigée par Jacopo Baboni Schilingi (1999-2004) et Michele Tadini (2005-2007), avait conçu et développé des outils numériques pour la création sonore, sur mesure pour les enfants de huit à dix ans, et des nouvelles formules d’ateliers appropriées aux écoles primaires. L’activité pédagogique fut conduite dans les principales villes italiennes, comme Rome, Milan, Florence, Sienne. URL  : http://www.temporeale.it/ URL  : https://vimeo.com/200539614.

Le design sonore comme pratique pédagogique

Découverte du corps sonore9 :

Les enfants avaient exploré l’instrumentation acoustique : ils avaient sélectionné les corps sonores, exploré leurs qualités sonores les plus cachées et inconnues, et ils avaient expérimenté les techniques les plus efficaces. Ensuite, ils s’étaient exercés à les jouer. Présentation des outils10 :

Nous avions montré l’usage des instruments numériques avec lesquels les enfants devaient se confronter tout de suite dans des exercices d’enregistrement, de manipulation et d’écoute critique. Analyse du sujet11 :

Nous avions présenté l’animation vidéo, c’est-à-dire le support visuel original qui a été conçu exprès pour mettre en scène le sujet, normalement le personnage d’une histoire. Nous avions mis en évidence leur caractère spécifique, comme la dimension, le matériel du corps, la qualité du mouvement et du geste, la durée de la présence sur l’écran, les aspects psychologiques liés à la dynamique narrative. Cela avait permis de formuler des thèmes de travail à proposer aux enfants. Plan son (partition)12 :

Suite à l’analyse du sujet, l’enseignant intervenant stimule les enfants à dessiner le son du personnage, c’est-à-dire à concevoir les qualités morphologiques par rapport aux qualités physiques et psychologiques découvertes dans l’étape précèdent. Par exemple, la durée de la présence à l’écran pouvait modeler la durée du son, les qualités du geste pouvaient conditionner l’articulation rythmique, les aspects psychologiques pouvaient déterminer le grain du son. À la fin de cette étape, avec l’aide de l’enseignant-intervenant (nous-mêmes), les enfants avaient fixé la composition grâce à une représentation graphique simple et intuitive, qui avait été utilisée comme partition à jour pendant l’exécution. Élaboration sonore13 :

Les enfants, par deux, étaient amenés à développer leurs propres plans son : ils ont abordé l’élaboration des sons en utilisant des tech9

10 11 12 13

Ibid. Ibid. Ibid. Ibid. Ibid.

269

Didactique de la création artistique

niques acquises lors de la première rencontre14, dans le but d’être capables de créer des sons nouveaux. Composition audiovisuelle15 :

Les enfants avaient sélectionné les sons et les avaient placés en étroite relation avec le déroulement de l’animation ; ils avaient découvert la façon dont naissent des relations significatives entre les sons pour donner vie à une texture. Répétition16 :

Les enfants s’étaient exercés à exécuter leurs propres compositions : pendant que l’animation vidéo se déroulait sur l’écran, ils projetaient leurs propres sons selon l’organisation fixée sur la partition. Concert public17 :

L’atelier se terminait par l’exécution publique de l’œuvre multimédia où sera projetée l’animation vidéo accompagnée de l’exécution en direct par les enfants qui jouaient leurs propres productions sonores en suivant les images qui guident l’exécution. Le matériel informatique18 est constitué d’un équipement portable : l’unité mobile, composée de 6 ordinateurs portables Apple, de casques, de cartes son, de microphones et d’enceintes. L’équipement est complété par un projecteur numérique. Les corps sonores19 sont faciles à jouer, appropriés à l’enfant qui ne possède aucune technique d’exécution, avec un spectre sonore très riche, pour permettre à l’enfant d’obtenir plusieurs résultats de l’élaboration.

4 • Les outils numériques

« E-Lab » est un logiciel multifonctions à disposition variable pour l’exploration, la transformation, la composition du son, conçu sur 14

15 16 17 18 19

270

Pour la présentation des techniques d’élaboration sonore, voir le paragraphe  5, dédié aux outils numériques. Ibid. Ibid. Ibid. URL  : https://vimeo.com/200541145 Ibid.

Le design sonore comme pratique pédagogique

mesure pour les enfants de l’école primaire, que nous avons développé à Tempo Reale en 200720 (Luca, 2016).

4.1 Objectif et concept

Le but est d’offrir aux enfants des écoles, qui ne possèdent aucune connaissance musicale (dans le sens académique de : solfège, harmonie, écriture…), la possibilité de créer des sons riches et originaux. Le logiciel est conçu comme un outil composé de plusieurs modules, chacun consacré à un processus particulier de transformation simple, à la portée de l’enfant. La mise en chaîne des différents modules permet de faire des transformations complexes à partir de transformations simples, et donc d’arriver au but préfixé. En outre, afin d’assurer à l’enfant une phase d’exploration aussi riche et importante que l’exploration sonore sur les corps sonores, selon l’attitude sensori-motrice encore active chez l’enfant (Delalande, 1976 ; Delalande, 2004), le processus de transformation est un processus en temps réel, dans lequel la distance temporelle entre l’action sur l’interface et la réponse sonore est imperceptible.

4.2 Interface

L’interface est composée de trois champs.

Le module Input (I, en haut à gauche de l’écran) pour importer la librairie des sons, visualiser, écouter et éditer le son (enregistrer, couper, coller, normaliser, fondre en ouverture, fondre en fermeture, sélectionner, écouter en loupe). Les modules Transformation (T, au centre de l’écran), pour :

–– « densifier » le son (T1) - transposition d’hauteur, étirement temporel, synthèse granulaire, lignes de retard, geler le son –– « sculpter » le son (T2) - filtrage, synthèse croisée –– poser le son dans l’espace (T3) - réverbération

Les modules Output (O, en bas), pour conserver le son juste transformé, à composer.

20

Ibid.

271

Didactique de la création artistique

4.3 Étapes d’utilisation Voici les étapes d’utilisation du logiciel :

–– Choisir le son de la librairie / produire un nouveau son avec le corps sonore et l’enregistrer : écouter, éditer, évaluer (I)

–– Choisir la technique de transformation, poser les modules en chaîne et transformer le son (T) –– Choisir la transformation la plus intéressante, enregistrer le flux sonore, sauvegarder le son, écouter et composer (O).

Pendant toutes les étapes de transformation, le son est représenté comme un flux ininterrompu à travers des sonagrammes qui en visualisent immédiatement la variation de la distribution de l’énergie dans le spectre.

4.4 Exemple : la coccinelle

En juin 2011, le sujet de l’atelier a été conçu exprès pour les écoles de Burano, à Venise, dans l’intention de valoriser une vieille vigne encore active sur l’île : « La vigne retrouvée »21. En suivant les étapes du processus créatif que nous avons vu dans le paragraphe consacré à la formule, on montrait de quelle manière les enfants ont créé le design sonore pour la coccinelle qui habite le potager à côté de la vigne : l’analyse du sujet, le design du son, les techniques d’élaboration numérique utilisées pour créer les nouveaux sons avec le logiciel « E-lab »22. Exemple A : les petites coccinelles apparaissent.

–– Analyse du sujet23. Beaucoup de coccinelles apparaissent à l’improviste, une après l’autre, et rapidement elles s’éloignent.

–– Plan son. Il sera très bref, l’enveloppe sera impulsive : attaque instantanée et extinction très brève, de la durée d’une seconde, correspondante au temps de présence de chaque coccinelle sur la scène. 21

22

23

272

L’œuvre audiovisuelle complète est disponible à l’adresse  : https://vimeo. com/27011396 À cause de la brève durée de l’atelier, il n’a pas été possible d’effectuer l’étape «  découverte du corps  » et les enfants ont choisi le son à partir de la librairie sonore. URL  : https://vimeo.com/186143044

Le design sonore comme pratique pédagogique

–– Techniques d’élaboration24. Son de trompette trémolo : sélection simple, étirement/contraction temporelle, transposition de hauteur, filtrage, réverbération, édition audio (couper, normaliser, fondre en ouverture, fondre en fermeture). [Vidéo de la réalisation complète en ligne]25.

Exemple B : la grosse coccinelle s’approche.

–– Analyse du sujet26. La grosse coccinelle apparaît dans les feuilles, très rapidement se rapproche et reste suspendue dans l’air, dans une sorte de vol lent. –– Plan son.

–– Le rapprochement. Le mouvement de transition d'un point à un autre (loin/proche) sera souligné par une transition d'un son grave à un son aigu sous forme d'arpège ascendant. La durée sera identique au temps de rapprochement.

–– Suspension. Le mouvement est lent, quasi statique ; il est l’étape finale du mouvement précédant le rapprochement ; il sera donc souligné par un son «  congelé  », c’est-à-dire formé de la même matière du son précédent, mais transformé de dynamique à statique ; la durée correspond au temps du vol.

–– Techniques d’élaboration27.

–– Rapprochement : son de la harpe : sélection simple, édition audio.

–– Suspension. Son de harpe : sélection dynamique, filtrage, réverbération, édition audio. [Vidéo de la réalisation complète en ligne]28.

Exemple C : les coccinelles courent le long des feuilles du chou-fleur.

–– Analyse du sujet29. La petite coccinelle court le long du bord des longues feuilles du chou-fleur, monte et descend sans cesse.

24 25 26 27 28 29

URL  : https://vimeo.com/186143169 URL  : https://vimeo.com/186143126 URL  : https://vimeo.com/186144711 URL  : https://vimeo.com/186144773 URL  : https://vimeo.com/186144855 URL  : https://vimeo.com/186171256

273

Didactique de la création artistique

–– Plan son. La montée et la descente seront soulignées par une modification de la hauteur du son hauteur, grave/aigu et vice-versa : l’arpège ascendant et descendant d’une harpe, qui poursuit en loupe sans interruption. –– Techniques d’élaboration30. Son de la harpe : sélection dynamique, étirement temporel, filtrage, réverbération, édition audio. [Vidéo de la réalisation complète en ligne]31.

Exemple D : une coccinelle court le long des feuilles de chicorée.

–– Analyse du sujet32. Une coccinelle court rapidement le long des bords des feuilles de chicorée, jusqu’à ce qu’elle arrive dans le cœur de la chicorée, pour réveiller toutes les autres coccinelles, qui sortent très rapidement. –– Plan son.

–– La course. Le mouvement de la course est finalisé à rejoindre les autres coccinelles, il est donc conçu comme un mouvement en crescendo vers un but final. –– Réveil. L’instant du réveil des autres coccinelles est conçu comme l’étape finale du crescendo, il y aura une explosion d’énergie sonore.

–– Course finale. Au contraire de la première, la course finale est plus lente ; le son sera un son très long, avec peu de variation (voir aussi exemple B).

–– Techniques d’élaboration33. Son de trompette en trémolo : transposition de hauteur, étirement temporel, puis étirement temporel extrême, réverbération, édition audio. Dans la version finale, le son a été composé avec le son de la harpe et le son des petites coccinelles (voir exemple A). [Vidéo de la réalisation complète en ligne]34.

30 31 32 33 34

274

URL  : https://vimeo.com/186171269 URL  : https://vimeo.com/186171276 URL  : https://vimeo.com/186173892 URL  : https://vimeo.com/186173895 URL  : https://vimeo.com/186173904 Dans la vidéo suivante (URL  : https://vimeo.com/187364679), le lecteur pourra visionner le résultat final (la «  coccinelle  ») c’est-a-dire la composition des sons au niveau A, B, C et D.

Le design sonore comme pratique pédagogique

5 • Évaluation et conclusion L’évaluation est basée sur les interviews des enseignantes35 et des enfants36 ainsi que sur l’analyse des rédactions de la classe où l’expérience a eu lieu : la plupart des utilisateurs ont évalué l’activité très positivement et ont exprimé le souhait de la renouveler.

L’affirmation initiale du texte a été la suivante : le design sonore peut être une pratique efficace pour introduire l’enfant à la création musicale d’aujourd’hui. Pour le démontrer, nous avons défini la pratique du design sonore, souligné son potentiel pédagogique et décrit la formule et les outils de l’atelier « Le visage sonore de la ville » (mars-juin 2011), comme un cas d’application et de vérification de notre thèse.

Si la pratique a bien appuyé notre démarche initiale, nous poursuivons nos efforts afin que la pratique du design sonore soit bien diffusée dans les écoles et dans tout contexte d’enseignement. En ce qui concerne l’expérience vénitienne, bien que les évaluations de la part des utilisateurs (enfants, enseignantes, parents) aient été très positives pendant toute la durée du développement (Venise, 20102016), la pratique du design sonore rencontre des difficultés dans les écoles, surtout à cause de l’absence d’outils pédagogiques destinés aux enseignantes et aux enfants. Nous espérons que dans un futur proche il y aura les conditions nécessaires pour concevoir, produire, expérimenter et diffuser de nouveaux outils pour le design sonore créés spécialement pour les écoles, qu’ils permettront aux enseignants de conduire de manière autonome des activités efficaces avec leurs classes. Cela constitue notre recherche en cours.

Références

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275

Didactique de la création artistique

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Le design sonore comme pratique pédagogique

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UN PROJET DE LIVRES NUMÉRIQUES MULTIMÉDIAS POUR FAVORISER LA CRÉATIVITÉ DANS L’ENSEIGNEMENT Clara Périssé Arozarena et Florence Quinche

1 • Un enseignement interdisciplinaire, au croisement des MITIC (médias, image et technologies de l’information et de la communication) et des Arts visuels

D epuis janvier 2016, nous proposons à nos étudiant-es de la Haute école pédagogique du canton de Vaud (HEP-VD) un atelier

interdisciplinaire à visée artistique autour du livre numérique. Ce cours-atelier s’adresse aux futur-es maîtres et maîtresses généralistes du primaire. Nous sommes deux enseignantes aux parcours très différents et mettons en avant cette spécificité comme une force pour créer un cours interdisciplinaire entre arts visuels et MITIC. Dans le cadre des arts visuels, la question du changement de perception de la réalité par l’apparition des nouvelles technologies reste essentielle dans la pratique de nombreux artistes. Le mot technologie vient du grec ancien technè « technique, production matérielle » et le suffixe « -logie » issu, lui aussi du grec ancien logos, « discours, pensée » (Carnino, 2010). On pourrait donc entendre les technologies comme une réflexion sur les moyens de production et de réalisation.

279

Didactique de la création artistique

Dans le domaine des MITIC il s’agit des moyens utilisés dans la production, le traitement et la transmission des informations. Toute notre histoire est marquée par des inventions qui ont changé notre façon de communiquer : de l’écriture à l’imprimerie, de la radio à la télévision et plus récemment l’ordinateur, Internet, le GPS, le téléphone portable et les réseaux sociaux. L’être humain a toujours ressenti le besoin de créer de nouveaux outils pour communiquer et ces outils ont par la suite changé notre façon de communiquer (McLuhan, 1967). Image de synthèse, réseaux virtuels, traitement d’images, smartphones, jeux en ligne, tablettes… : les élèves, tous degrés confondus, sont constamment en relation avec ces nouvelles technologies. En complément à cette approche basée sur l’apprentissage des outils techniques, les MITIC permettent d’aborder la dimension de l’éducation aux médias tant dans ses aspects créatifs (créer avec les technologies) que normatifs (droits de l’image, droit d’auteur).

En arts visuels, l’apparition de chacun de ces nouveaux outils offrait de nouvelles possibilités que les artistes se devaient d’explorer. À travers l’histoire, les innovations techniques ont toujours inspiré les artistes et leur ont permis de questionner le monde qui les entoure. Depuis les années 1960, ces innovations se sont accélérées avec l’apparition des nouvelles technologies (Carnino, 2010). À la peinture, la sculpture, le dessin, la gravure, la photographie et autres disciplines dites académiques vinrent s’ajouter les nouveaux moyens de production d’images (film, art vidéo, images 3D, hologrammes, etc.). Avec ces nouvelles pratiques, les questionnements de l’art se sont modifiés et le champ d’intervention artistique s’est considérablement élargi.

La discipline des arts visuels se retrouve dans la même configuration, elle est amenée à se transformer en fonction des outils mis à disposition des enseignants. Les sites web des académies proposent différentes séquences pédagogiques et des exemples d’expériences réalisées en classe (Académies de Paris, de Rouen…) qui intègrent les nouvelles technologies (photographies numériques, vidéo, animation). Notre discipline tend à évoluer avec l’apparition de ces nouveaux outils mis à disposition dans la classe et les enseignants, pour certains, peuvent ainsi se référer aux nombreux artistes multimédias pour illustrer cette pratique contemporaine. Les images issues de ces techniques sont récurrentes aujourd’hui dans notre société et cela semble tout naturel que dans le cadre de séquences d’arts visuels, ces mêmes images, puissent être décryptées.

280

Un projet de livres numériques multimédias

L’apparition des technologies numériques en classe est une révolution en cours : ordinateurs, tablettes, appareils photo numériques, scanners, smartphones. Plus que des outils qui permettent simplement de visionner des images (téléviseur, rétroprojecteur…), ils rendent possible, non seulement l’analyse et la manipulation des images, mais aussi la possibilité d’en créer de nouvelles. L’accès à Internet favorise en outre le partage et l’échange de productions.

2 • La numérisation de l’image

L’utilisation des technologies numériques pose tout d’abord la question de l’image qui est récurrente dans notre discipline. Nous travaillons cette notion dans la plupart de nos séquences et elle sous-entend l’image fixe ou en mouvement, le dessin, le collage, la peinture... Là où l’utilisation de l’ordinateur bouleverse nos pratiques, c’est sa capacité à transformer et à démultiplier en quelques clics. Le fait de pouvoir se tromper et de recommencer et d’expérimenter a changé notre façon d’apprendre. L’outil transforme notre façon de penser, on peut tâtonner, réessayer à l’infini. Ce qui induit aussi des questions sur la matérialité de et dans l’image. Il n’y a plus de contraintes matérielles et le support peut rester immatériel loin de la feuille de papier blanc A4 utilisée dans l’atelier. Cette immatérialité nous amène à l’utilisation de l’appareil photo numérique et de la caméra numérique en classe qui sont en tout point différents de l’argentique ou de l’analogique ; tout le dispositif opératoire change et la matière a disparu pour ne laisser place qu’à une production (matrice numérique) qui peut être exploitée, explorée sans fin. Ces pratiques liées au numérique posent inévitablement la question de l’original et de la copie, de la reproductibilité et donc de la valeur de l’image en question. Quelle réalité induisent ces pratiques ? Pour l’enseignant.e, l’ordinateur est aussi un outil de présentation qui lui permet de montrer des images et de les analyser tout en zoomant sur les détails qui l’intéressent, cacher une partie, accentuer les contrastes ou encore passer le document en noir et blanc. Bref, tout un ensemble de processus rapidement réalisables avec l’ordinateur alors qu’il demeure compliqué à faire avec une photocopie ou une diapositive. C’est un atout indiscutable pour pouvoir analyser finement certaines images, les modifier, en créer de nouvelles et présenter diverses références aux élèves.

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Didactique de la création artistique

Le numérique nous permet, donc, de traiter des questions fondamentales de notre discipline (la narration, la représentation, la lumière, l’espace/temps) mais aussi de nouvelles questions directement nées de son utilisation (matérialité/immatérialité, virtualité/réalité, reprise, transversalité des connaissances). Les TIC (Technologies de l’information et de la communication) ouvrent ainsi à de nouvelles procédures, compétences et dispositifs (logiciels et didacticiels, équipements). Le choix de croiser les deux disciplines de la formation artistique et de l’éducation aux médias vise à offrir aux étudiant.es de nouveaux moyens de communication et d’expression, qu’ils pourront utiliser, autant comme moyen de transmission de connaissances avec les élèves, que comme outils d’apprentissages interactifs.

3 • Le livre numérique, un nouveau média

Le livre numérique apparaît comme un nouveau type d’artéfact qui paradoxalement se présente sans matière propre, mais avec une forme variable. En effet le livre numérique peut changer de format et d’apparence selon les réglages faits par le lecteur, ou le support sur lequel il est lu (ordinateurs, tablettes, smartphone, projection vidéoprojecteur, ou encore dans le cloud). Il n’a pas de matière définie, comme le livre papier, seulement des supports de visualisation qui peuvent changer selon l’utilisateur, le lecteur. L’objet se distingue de son substrat matériel. On ne touche pas l’objet directement, mais une interface qui permet de l’afficher, de le lire. La multiplication des copies ne porte pas atteinte à « l’original », car elles sont parfaitement identiques à l’original. Se pose alors la question : y a-t-il encore un « original », cette notion fait-elle sens ? Le fichier édition ? Mais dans quelle version ? L’objet est dépendant de cette possibilité de « manifestation », sans cette interface technique, il est « invisible ». Autre caractéristique : dans sa version « édition », la malléabilité constante, le fichier du livre numérique n’est jamais figé, comme tout document numérique, il peut être modifié à l’infini.

3.1 Livres numériques versus livres papier

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Ce que l’on garde du livre, c’est la lecture par pages ou doubles-pages. Mais le texte n’est plus l’élément central. On compose son livre plutôt comme une présentation multimédia et si possible interactive. En effet, on n’est pas dans des formats numériques de la première géné-

Un projet de livres numériques multimédias

ration (epub 1 et 2), mais dans de l’epub3 ou du format iBooks, qui intègrent la possibilité d’inclure des images animées, des quizz, du son, des petits jeux.

Le rôle du lecteur/lectrice change : La découverte du lecteur ne concerne pas seulement le contenu du livre, mais ce qu’il y a à faire avec le livre. Une action du lecteur est présupposée, un peu comme dans un jeu. On s’attend à découvrir des activités à faire avec ce genre de livres et non pas une lecture linéaire. La lecture ressemble un peu à celle d’un site web : dans une page, on va chercher ce qui nous intéresse : aller soit vers l’audio, le texte, l’image ou la vidéo, mais contrairement au site web, il y a quand même un sens de lecture (de gauche à droite, qui correspond à une chronologie, début à gauche et fin vers la droite).

Dans ce cours, les enseignant.es se sont demandé(e)s comment amorcer la transformation d’un médium traditionnel en artéfact numérique et dématérialisé. Il ne s’agissait pas de numériser des livres papier, mais de créer un nouveau type de livres conçus pour être dématérialisés. Contrairement aux idées reçues, ce type de livres ne requiert pas d’énormes bases de données pour être stocké. Ils peuvent être stockés dans un ordinateur, une clé USB et partagés à l’infini. Si le livre papier permet de jouer avec le support, le format, le matériau, le livre numérique s’apparente plus à un objet hybride. Même si les livres numériques reprennent les codes du livre papier (chapitre, tournement des pages, index…), il reste que celui-ci a tout intérêt à se dégager du format de son grand frère. Surtout que s’il le calque, il reste dans la perte : du toucher sensoriel, du jeu du format, des dimensions… Les étudiant.es avaient à réfléchir sur le côté «  augmenté  » et donc de travailler ses spécificités et son côté hybride  : vidéo, son, texte, image fixe, animation, lien hypertexte pour une volonté plus immersive. Le numérique permet aussi une lecture plus aléatoire que séquentielle dans une page. Chaque mot peut être augmenté d’un son, d’un lien hyperactif, d’informations sur leur forme, leur contexte (métadonnées), ou d’un lien hypertexte. Différents types d’interactions sont possibles : le lecteur choisit s’il veut entendre un enregistrement sonore : clique sur le bouton de haut-parleur inclus sur une page, sur une vidéo pour la voir ou encore répond à des questions dans un quizz. Certains livres créés par les étudiant.es inventent encore d’autres interactions moins liées à la technique et plus liées au contenu du livre, par exemple : le

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Didactique de la création artistique

livre jeu Cluedo1. Les étudiant.es avaient pour consigne d’intégrer au maximum ces possibilités techniques d’interactivité afin d’engager le lecteur/la lectrice dans une activité (et pas simplement pour lui transmettre un contenu). Idéalement, le lecteur (ici l’élève) devant apprendre quelque chose par ces interactions.

4 • Une pédagogie de projet

Ce cours s’adresse à des étudiant.es de Bachelor, de 3e année qui se destinent à l’enseignement primaire généraliste (élèves de quatre à douze ans). Chaque groupe de trois ou quatre étudiant.es réalise un livre en autonomie. Les étudiant.es reçoivent en début de cours une formation technique de quelques heures sur l’utilisation des logiciels de création de livres numériques (Book creator, iBooks author) et de réalisation d’images animées (stop motion, gifs animés). Des exercices préalables dans le domaine artistique leur sont également proposés (activité de land art en extérieur), ainsi que des références artistiques (présentation d’exemples de livres d’artistes). La durée du cours est de quatre mois (un semestre académique), ce qui permet de mettre en place une pédagogie de projet. En effet, l’objectif de ces projets vise à rendre autonomes les étudiant.es dans la réalisation d’une activité complexe, tout en leur permettant de travailler en groupe, de s’auto-organiser. Nous retrouvons déjà dans la méthode « learning by doing » (apprendre par l’action) de John Dewey (Dewey, 2011) l’importance du « faire » et de l’activité dans l’apprentissage mais aussi le rôle prépondérant de l’interaction entre les différents protagonistes. Un autre intérêt de la pédagogie active, comme l’a montré Freinet (Freinet, 1994), c’est qu’elle permet de donner du sens aux apprentissages, de mettre l’élève en posture d’auteur (Didier, 2015) de travailler la transversalité, d’alterner travail personnel et travail collectif, d’être autant dans la réalisation que dans la socialisation (Didier, Leuba, 2011). Dans les trois degrés de compétences (Rey, Carette, Defrance, Kahn, 2003) c’est principalement le troisième niveau qui est sollicité pour ce type de projet : « La tâche est d’une plus grande complexité et fait appel à l’autonomie de l’apprenant. Il doit savoir, parmi les procédures qu’il connaît, choisir et combiner celles qui conviennent à une 1

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Cluedo  : il s’agit d’un jeu de société (jeu de plateau) dans lequel les joueurs doivent trouver l’arme d’un crime, le criminel et ses motivations.

Un projet de livres numériques multimédias

situation ou à une tâche non connue et complexe » (Rey, 2003, p. 33). En effet, construire son propre projet de livre multimédia, demande pour ces étudiant.es plus que de simplement appliquer des connaissances ou reproduire des tâches, de produire un contenu multimédia (textes, images, son), d’imaginer la façon dont il sera présenté dans le livre numérique, mais aussi de penser au lecteur de ce livre et aux multiples façons de le lire (socialisation). Une des contraintes du projet consistait à produire un contenu artistique et pédagogique au moyen d’outils numériques, tout en intégrant différents types de ressources (image fixe, son, texte, vidéo).

Pour mener à bien ce projet, les étudiant.es ont dû avoir recours à différents types de compétences (Scallon, 2004) :

–– des savoirs théoriques ou culturels (artistiques, sciences). Connaissances déclaratives. –– des habiletés (technologie, prise d’image, motricité, bricolage, montage) : Connaissances procédurales, découverte des logiciels de Livre numérique, stop motion, traitement d’image, recherche de banque de sons.    –– des stratégies d’organisation : travail en équipe, cahier des charges, planification, auto-formation, processus de création avec itérations, savoir mobilisé (connaissances conditionnelles).

Mais ils ont aussi dû gérer les aspects émotionnels d’un projet sur le long terme, notamment la persévérance, exercer leur capacité à surmonter les moments de crise qui sont presque inévitables dans tout travail collaboratif.

Lors des comptes-rendus intermédiaires, les enseignant.es ont fait des feedbacks aux étudiant.es, qui ont parfois nécessité des modifications du projet. C’est là la limite des démarches qui tablent sur l’autonomie critique des étudiant.es, le degré d’auto-évaluation pouvant fortement varier selon les personnes. En effet, certains projets n’intégraient ni la composante artistique, ni la composante pédagogique. Dans ce cas, un recadrage des projets s’est avéré nécessaire. Toute la difficulté consistait à ce que les étudiant.es acceptent de repenser leur projet, tout en restant les auteurs. Ce type de feedback critique peut bien entendu générer des émotions négatives : frustration, déception, peur, voire colère envers l’enseignant.e. Ces émotions négatives peuvent cependant avoir un effet positif, surtout lorsqu’elles sont liées à une auto-évaluation par l’étudiant.e, lorsque

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Didactique de la création artistique

la remise en question est valorisée par l’enseignant.e et reconnue de manière positive, comme un des éléments-clés de l’apprentissage. Selon Lubart et al (2012), la capacité à ressentir ces émotions négatives dans la réalisation d’un projet est en lien avec la créativité : « Les émotions associées au processus diffèrent également. Les « C+ » (personnes les plus créatives) débutent par des phases associées au doute et au stress, et ils finissent en ressentant de la déception. Par contre, les « C- » (personnes les moins créatives) ressentent d’abord de la déception mais, lors des dernières phases du processus, elles sont plutôt satisfaites d’elles-mêmes et de leur travail (cf. Botella et Lubart, 2012). On constate que les livres les plus créatifs sont ceux qui ont été produits par des démarches où il y a eu des moments de prise de risques, de remise en question, d’incertitude et d’expérimentation. Donc des processus non-linéaires. Les résultats les plus innovants sont ceux qui n’étaient pas définis dès le début du projet, mais ont subi des modifications tout au long du projet. Les groupes qui ont décidé d’un projet très rapidement et l’ont réalisé tel quel (sans modification en cours de projet), n’ont pas produit de réalisations très innovantes (la phase de conception n’a pas été suffisamment investie).

5 • Résultats, livres créés par les étudiant.es

Un des premiers résultats de cette activité est que les livres produits par les étudiant.es étaient d’une grande variété et aucun ne ressemblait à un livre papier. Voici quelques exemples des livres produits.

5.1 Un Livre-jeu «  inspecteur Félino  »

Dans ce livre, les étudiant.es croisent le contexte du jeu de société « Le Cluedo » (un meurtre, une énigme à résoudre, une enquête) avec un film policier. Ce livre [fig. 1] s’apparente au livre-jeu ou l’objeu de Francis Ponge (Ponge, 1961), contraction d’objet et jeu. Comme dit plus haut, ce dernier implique autant la réception que l’action du lecteur. Pour le poète, l’objeu désignait « un texte prismatique qui enchevêtre et superpose des positions subjectives » (Chamagne, Delahaye, 2008).

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D’un point de vue formel, le livre numérique réalisé prend une forme narrative avec une situation de base filmée (une femme assassinée retrouvée dans le jardin) et se poursuit ensuite avec des images fixes

Un projet de livres numériques multimédias

(ex : une pendule qui vient rythmer l’enquête), du texte qui permet de mettre le regardeur en position d’enquêteur, des fichiers à télécharger représentant le plan de la maison et un carnet d’investigation, d’autres petits films sur les différents suspects et se finit sur un petit quizz.

Fig. 1 : Travaux étudiantes HEP, Strohmeier, R., André, J., Genesio, C., Dumoulin, A., « Soyez créatif à travers un livre interactif », HEP Vaud, Cours 2015/2016.

L’énumération des différentes formes de médium utilisé montre comment le livre numérique a permis aux auteurs de s’emparer d’un objet connu (le Cluedo) pour en proposer une autre version qui tient plus de l’expérimentation que de la reproduction. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment le groupe s’est emparé de cet objet pour l’investir sur différents plans : –– esthétique de l’image : le choix de la prise de vue du film avec un traitement saccadé, des photographies où on ne voit que le bas du corps avec une attention particulière aux détails... –– écriture/typographie ; –– ambiance sonore ;

–– références artistiques ou populaires (Hitchcock, Dogma, C’est arrivé près de chez vous, polar des années 1960).

5.2 Un livre sur la Cécité

Ce livre [fig. 2] vise plusieurs objectifs pédagogiques : informer les élèves sur ce que peut-être la malvoyance, mais aussi montrer comment rendre accessible du texte à des non-voyants (par des enregistrements sonores). Le livre fait découvrir le monde des sons, et

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Didactique de la création artistique

les difficultés que peuvent vivre au quotidien les personnes nonvoyantes. Le livre est composé de jeux, où il faut identifier différents environnements sonores, de vidéos montrant la difficulté pour se déplacer dans un espace sans la vue. Un chapitre est consacré aux moyens de rendre accessibles les œuvres d’art, ce chapitre intégrait des vidéos issues de reportages sur différents musées. Le même livre comprenait des éléments produits par les étudiant.es (jeux, vidéos, textes, enregistrements sonores) et des éléments repris de sites web (films). Ce type de livre vise un objectif documentaire, mais passant par l’expérience plutôt que par un discours normatif ou moralisateur. En effet, le lecteur va devoir faire des petits jeux, des tests pour se rendre compte de la difficulté à reconnaître des choses lorsqu’on ne voit pas : les sons que font les objets. Le lecteur est mis en posture de non-voyant.

Par les expériences proposées le livre vise à générer de l’empathie pour les personnes non-voyantes, en effet, les jeux et exercices visent à ce que le lecteur se mette à leur place, effectue un décentrement.

Fig. 2 : Travaux étudiant.es HEP, Béard, J., Berner, M., Bardyn, C. « Soyez créatif à travers un livre interactif », HEP Vaud (2016).

5.3 Un livre-déambulation

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Ce livre-jeu [fig. 3] propose une série de règles qui permettent d’explorer son environnement quotidien (ici un trajet de la gare à l’école). Ce livre est plutôt conçu comme une matrice de jeu, en ce sens qu’il permet d’effectuer ensuite le jeu dans la « réalité » physique, sur un parcours en extérieur. Le livre propose des règles pour découvrir sous un autre angle un quartier déjà familier. Le début du jeu consiste en un tirage au sort d’une lettre (via une application smartphone), il

Un projet de livres numériques multimédias

faut ensuite trouver un objet proche dont le nom commence par cette lettre, le photographier et effectuer un enregistrement sonore du lieu, puis le parcours continue avec des tirages successifs. On collecte ainsi une série de mots, de photos et de sons. À partir des images un petit film est reconstitué pour raconter une histoire en lien avec la promenade, puis les mots découverts sont réintégrés dans une histoire. Les règles proposées dans le livre permettent ainsi de créer soimême une histoire à partir d’un parcours aléatoire. Le livre propose ainsi une activité et montre un résultat obtenu dans le quartier sousgare de Lausanne, sur le trajet entre la gare et l’école pédagogique.

Fig. 3 : Travaux étudiantes, Boudry, S., Jorosch, M., Janz, F. « Soyez créatif à travers un livre interactif », HEP Vaud (2016).

6 • Réussites et difficultés du projet Un des indicateurs de réussite témoignant de la prise de posture d’auteur des étudiant.es est la grande variété des réponses proposées. En effet, comme mentionné précédemment, les livres produits étaient d’une grande diversité et originalité. Même si ce cours ne comprenait qu’une vingtaine d’heures l’investissement des étudiant.es s’est avéré très conséquent, ce qui témoigne aussi de leur appropriation de ce projet. L’évolution des livres a également été très importante, entre les propositions initiales et les productions finales. Nous avons pu observer dans les différents groupes de projet, certaines difficultés à se mettre dans une démarche de recherche, c’està-dire à introduire des moments d’évaluation des résultats intermédiaires. En effet, certains groupes d’étudiant.es ont décidé très rapidement du livre à réaliser, sans un approfondissement du ques-

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Didactique de la création artistique

tionnement sur les contenus et les moyens de réalisation. Ce type de démarche produisit des livres relativement proches du livre papier ou de l’album pour enfant (sans en avoir les qualités graphiques ou narratives). En ce sens, ils n’avaient pas pris le temps nécessaire à la conception, c’est-à-dire une phase de recherche avant de s’arrêter sur des choix. L’absence de remise en question durant le processus de réalisation a abouti à des livres parfois peu originaux, presque calqués sur un livre papier. En effet l’évaluation ou l’auto-évaluation peut générer des émotions négatives, de la déception, voire une mauvaise image de soi, une perte de confiance. Mais ces phases de doute, de remise en question des solutions trouvées sont souvent nécessaires à l’amélioration d’un projet, à la découverte de solutions plus innovantes, moins stéréotypées. En quelque sorte, le processus de maturation d’une œuvre n’est pas de tout repos sur le plan émotionnel. Des tensions peuvent aussi apparaître au sein du groupe, les degrés d’analyse critique et d’implication dans le projet pouvant fortement varier selon les étudiant.es. Mais d’une certaine manière, plus les étudiant.es se sont approprié le projet, comme une œuvre personnelle (et plus seulement un devoir à faire pour obtenir un certain nombre de crédits), plus les émotions étaient fortes (même si parfois elles étaient négatives), mais aussi plus les résultats étaient intéressants. En ce sens, les groupes qui s’étaient les moins investis personnellement dans les projets étaient aussi les moins critiques face à leur propre travail. Il semblerait, que plus l’implication augmente, plus les émotions négatives augmentent aussi (tension, peur de rater, déception, énervement), mais plus le travail fourni sera intense. Une des difficultés est ainsi de rétablir un certain équilibre dans la perception que les étudiant.es ont de leur propre travail : comment améliorer l’esprit critique des premiers, et éviter que les seconds ne se découragent et ne perdent confiance en eux ?

Une des pistes à proposer consisterait à donner aux groupes porteurs de projet un outil favorisant la verbalisation et l’explicitation d’hypothèses (et valorisant cet aspect du projet). En effet, plusieurs groupes étaient uniquement focalisés sur l’aspect final du projet, sans prendre la peine d’explorer plusieurs pistes possibles de réalisations ou de contenus. La première idée était mise en œuvre sans interrogation plus avancée. Une solution pourrait être de demander explicitement aux étudiant.es de produire plusieurs prototypes de livres, dans une sorte de carnet d’esquisses, et d’analyser les différents apports des solutions proposées, d’examiner leur originalité. Ou encore un carnet de suivi de projet, à la manière du carnet de laboratoire, voire pré-

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Un projet de livres numériques multimédias

senter son projet en cours de réalisation à divers lecteurs potentiels (comme cela se fait pour d’autres productions : logiciels, jeux etc.). Ceci introduirait une phase d’argumentation, où les concepteurs-auteurs auraient à défendre leur projet, face à un public. Cette évaluation formative intermédiaire (qui actuellement n’était faite que par les enseignantes) viserait à favoriser le développement d’un regard critique sur son propre travail, après avoir entendu divers avis de « lecteurs ».

6.1 Degrés d’interactivité

Certains projets n’ont pas complètement abouti. De plus, une partie des livres rendus n’offraient pas réellement une interactivité avec le lecteur. On pourrait dire que plusieurs degrés d’interactivité étaient cependant présents. Au degré le plus faible : certains livres numériques proposaient simplement la possibilité d’activer des fichiers médias intégrés, par exemple jouer une musique, un son en cliquant sur un onglet ou un bouton dédié, voire encore de déclencher une vidéo. Il s’agit là d’une interactivité faible, au sens où elle ne demande pas de réflexion du lecteur, mais uniquement un choix, une décision. Or un des objectifs de ces ouvrages était qu’ils donnent à penser, qu’ils soient des outils d’apprentissage, dans un sens actif, et pas simplement au sens de transmission de savoirs. En effet, le logiciel de création de livres numériques proposé permettait d’inclure de petites activités de jeux, des questionnaires (texte, image).

Les livres les plus créatifs, du point de vue de l’interactivité, sont ceux qui ont le plus sollicité le raisonnement des lecteurs ou favorisé leurs apprentissages. En effet, dans ces livres, le lecteur ne peut pas simplement sélectionner une option au hasard, ou les sélectionner toutes à la suite les unes des autres. Dans le processus de lecture, il doit s’interroger, imaginer des réponses, et ensuite faire des choix, en fonction de ses hypothèses. Dans ces ouvrages, chaque page ou presque fonctionne comme un ensemble de questions et de réponses. À un degré supérieur d’interactivité, le résultat, ou la réponse demandée au lecteur ne figure même plus en tant que choix possible dans le livre lui-même. Un des livres produits était en ce sens un ensemble de règles créées pour produire une activité de déambulation dans un contexte urbain. Le livre ne transmettait plus simplement un contenu (niveau1 d’interactivité), ni ne vérifiait un raisonnement ou une compréhension (niveau 2), mais demandait au lecteur une mise en œuvre, la production d’une expérience hors du livre lui-même (niveau 3). Le lecteur qui veut lire et réaliser l’activité

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Didactique de la création artistique

proposée, va s’impliquer dans des activités plus complexes, qui sollicitent son autonomie, ainsi qu’une transposition du contenu du livre dans la réalité physique, en l’occurrence dans un paysage donné. Ce ne sont pas des connaissances qui sont transmises avec cet ouvrage, mais des types d’expériences ou d’expérimentation.

6.2 Limites des livres numériques actuels

Si le format extrêmement souple de ces livres offre une grande liberté à l’auteur-concepteur, certaines limites en font un objet qui n’est pas encore simple à partager. Les logiciels de création « amateur » produisent des livres extrêmement lourds en termes de poids de documents et il est encore difficile de les partager pour une lecture optimale en ligne. On peut d’ailleurs légitimement s’interroger sur la pérennité de ces livres, compte tenu de l’obsolescence programmée de la plupart des logiciels commerciaux. On peut imaginer en effet que les versions futures de ces logiciels ne permettront plus la lecture des documents plus anciens, comme c’est déjà le cas pour certains logiciels de présentations ou de traitement de texte.

7 • Remaniements possibles du projet

Un degré supérieur d’interactivité (un niveau 4 !) consisterait à laisser place au sein du livre même à des productions du lecteur, en ce sens, le lecteur deviendrait co-auteur du livre. On s’approcherait là du modèle du cahier d’esquisses, voire d’un cahier de laboratoire, où toute une partie du contenu serait à produire par le lecteur. Cet espace laissé aux lectrices ne serait pas un simple espace d’interprétation ou de compréhension du contenu (du type « pages de notes de lecture » en fin de livre). Car on peut aller plus loin dans la créativité des contenus produits par le lecteur. Si l’on se tourne vers le monde des jeux vidéo, des processus pourraient être repris dans la production d’un livre. On trouve ce type d’interactivité très ouverte dans certains logiciels, visant par exemple à favoriser l’écriture (par exemple, le jeu vidéo Elegy for a dead World) dont le but du jeu est d’aider, de stimuler le joueur à rédiger un texte personnel, en lui proposant un voyage d’exploration dans un univers virtuel. Ce jeu offre d’ailleurs la possibilité de partager les résultats produits (les textes rédigés) avec les autres joueurs sur un site en ligne. Le jeu, s’avère ainsi une matrice de possibles, que les joueurs actualisent en écrivant des textes, des nouvelles inspirées de l’univers visuel du jeu. On

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Un projet de livres numériques multimédias

pourrait imaginer que ces livres numériques complétés et modifiés puissent être partagés avec une communauté de lecteur-auteurs. Un degré supérieur d’interactivité (niveau 5 ici) consisterait à proposer des livres que l’on pourrait écrire à plusieurs, où l’on pourrait collaborer dans la rédaction (sur le principe du wiki), comme c’est déjà le cas dans la section livres de Wikipédia (qui se limite cependant à des ouvrages documentaires ou pédagogiques).

Conclusion

« S’il ne s’agit pas d’alphabétiser les jeunes dans ce domaine, l’enjeu pour l’école réside dans une finalité ambitieuse : faire des jeunes des lettrés du numérique » (Chamagne et Delahaye, 2014, p. 7). Mais plus que d’en faire des « lettrés du numérique », nous proposons plutôt de créer des situations d’apprentissage qui permettent à l’apprenant.e de s’emparer de différents langages artistiques et médiatiques. C’est-àdire, en faire des auteurs potentiels, et non pas seulement des consommateurs. Cette posture d’auteur (Didier, 2015) vise à sortir d’une simple utilisation consommatoire des nouveaux moyens techniques (pour le divertissement), pour s’approcher de la posture d’acteur, de producteur de contenu et de sens. Cela ouvre aussi une perspective sur la citoyenneté, en tant que capacité à participer à la société, à s’exprimer. En d’autres termes, ce type de cours interdisciplinaires et en pédagogie de projet, vise à permettre davantage de liberté face aux moyens technologiques : une forme d’empowerment, tant des enseignant.es que des élèves.

Références

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Didactique de la création artistique

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Husson, J. M.  (2003). Enseigner l’image. Poitiers : Scérén CNDP, CRDP de Poitiers.

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TÉMOIGNAGES AVERTISSEMENT

L ors des deux dernières journées d’études DiCrA (22-23 janvier 2016, au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg), les

tables rondes ont permis des échanges entre intervenants, acteurs de l’enseignement ou de l’action culturelle, et public. Tous nos remerciements vont à ceux qui ont accepté de participer à la table ronde finale, en particulier : à Madame Christine Masse-Guépratte, IA-IPR (Inspecteur d'Académie – Inspecteur pédagogique régional) d’Éducation Musicale et Chant Choral et vice-doyenne du collège des IA-IPR, à Françoise Rocher, professeur agrégée d'Arts plastiques (ESPE, Université de Strasbourg), à Sonia Lorant, enseignant-chercheur en Psychologie cognitive (ESPE, Université de Strasbourg) et à Rym Boos, enseignante d'Éducation musicale au collège Tomi Ungerer (Dettwiller). Dans cette section « Témoignages », nous avons recueilli les propos augmentés et révisés de quelques intervenants qui ont souhaité laisser une trace de ces échanges. Sophie Marest, directrice du CFMI (Centre de formation de musiciens intervenants) de Sélestat (Université de Strasbourg) offre un témoignage sur la formation et le rôle du musicien intervenant, véritable acteur dans la pratique musicale en milieu scolaire. Abril Padilla, compositrice, doctorante et pédagogue, nous invite dans les coulisses de la création des miniatures sonores, créées avec les étudiants du CFMI dans les salles du MAMCS (Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg) lors de la dernière journée d’études DiCrA en janvier 2016. Béatrice Larat-Belliot, enseignante d’éducation musicale au collège Rouget de Lisle de Schiltigheim, et Anne Schlosser, enseignante à l’école primaire d’Eckbolsheim et formatrice arts visuels pour le master enseignement 1er degré (ESPE de l’Académie de Strasbourg), ont accepté de répondre à nos questions, donnant lieu à un entretien croisé. François Papirer nous avait reçu le 7 octobre 2014, dans l’atelier des Percussions de Strasbourg, et nous avait

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Didactique de la création artistique

éclairé sur le projet « Les Ateliers de la création » (Ircam/Centre Georges Pompidou) qu’il avait mené avec une classe de 2de SEN du Lycée Saint Joseph de Colmar, en collaboration avec Stéphane Clor. Du premier, nous proposons au lecteur la retranscription de l’entretien et du deuxième, une synthèse de nos échanges épistolaires sous forme de Notes autour du projet Electro, what ? Enfin, Christophe Rosenberg, coordinateur pédagogique, chargé des nouvelles technologies et des musiques amplifiées, référent handicap à la Cité de la musique – Philharmonie de Paris (Pôle éducation et ressources), nous livre son « Petit manifeste » d’un grand engagement auquel il est dévoué depuis plusieurs années. Qu’ils soient tous ici sincèrement remerciés pour l’intérêt qu’ils ont témoigné envers le projet DiCrA. (Grazia Giacco)

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CARNET D’ESQUISSES SONORE  : RETOUR SUR UNE PRATIQUE DE CRÉATION Abril Padilla

L’expérience est en même temps le flux général de la vie consciente, que nous avons tant de mal à saisir, et ces moments distincts, aigus, qui surgissent de ce flux et constituent « une expérience ».  [Dewey, 2010, p. 19]

D ans le cadre de la 4 journée d’études DiCrA (Didactique de la création artistique), les étudiants de 2  année du CFMI (Centre de e

e

1

formation de musiciens intervenants) de l’Université de Strasbourg et moi-même, formatrice pour les démarches d’invention musicale, avons été associés de manière active en réalisant un parcours sonore (Carnet d’esquisses sonore) dans l’une des salles du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg (MAMCS), où se déroulaient les deux journées. Cette participation concernait à la fois le défi de parcourir des expériences menant à la réalisation d’une performance collective dans l’espace du MAMCS et l’échange possible avec les chercheurs présents aux journées à la suite de la performance. Avant de détailler certaines étapes de ce processus je voudrais énoncer ce qui est apparu comme une évidence à la fin du processus. 1

Manuela Arnaud, Alice Kerkhof, Oriane Marck, Laura Matz, Simon Merlen, Léa Sanchez, Aline Sirot, François Soton, Nathanaël Zarca (2015-2016).

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Didactique de la création artistique

Nous avions travaillé les contenus, attitudes et formes, en amont de la performance et pourtant ce n’est que lorsqu’il y a eu confrontation avec un public réel que les différents éléments travaillés et choisis se sont affirmés, pour les étudiants, dans leur véritable sens. Le projet, construit sur le dialogue avec une œuvre présente dans l’exposition à travers une performance réalisée dans le même espace, trouvait sa convergence dans la personne du spectateur. Le regard, l’écoute et la présence de ce dernier allaient permettre ce dialogue. Le spectateur devenait le médiateur entre une œuvre et une performance, car la performance ne racontait pas l’œuvre, elle l’habitait, la questionnait.

Pendant les premières étapes de création, c’était très important de garder une attitude à accepter une certaine souplesse. Sans cela, l’objet trouvé et les actions figées n’auraient pu plus évoluer, par exemple, en présence d’un public – en tenant compte de sa masse dans l’espace, son déplacement, son écoute, ses réactions – qui n’était pas dans une situation habituelle, assis, immobile. Il s’agissait pour les étudiants de développer des compétences artistiques à travers l’expérience directe.

Les premiers éléments sur lesquels nous avions travaillé au départ étaient déterminés par les contraintes imposées par le musée (par exemple, pour les questions de sécurité) ainsi que par celles choisies par chaque étudiant et par moi-même. Ces contraintes étaient saisies dans leur fonction génératrice au sein du processus.

Les contraintes

L’une de premières contraintes était représentée par l’espace muséal, tout particulièrement dans la salle dédiée à l’art contemporain (où étaient exposées les œuvres de Filliou, Penone, Nam Jun Paik, entre autres). Les œuvres ne sont pas toujours délimitées par une signalétique ou protégées par une vitrine ou un socle, certaines œuvres se trouvant parfois au sol, dans la proximité du public. Cette contrainte devait obligatoirement être prise en compte pour les performances où le mouvement de musiciens et du public faisait partie de la composition. Notre projet étant centré sur la performance, cette partie de la collection permanente m’est apparue comme la plus proche de notre démarche d’expérimentation.

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Carnet d’esquisses sonore

Deuxième contrainte incontournable  : les espaces/temps fixés par la formation pour parvenir à une restitution. Nous devions réaliser cette intervention dans un temps préétabli, en disposant des temps limités au sein d’autres disciplines et contraintes imposées aux étudiants du CFMI. Comment laisser libre cours à l’inspiration de chacun dans un temps fixé en amont ? Précisons aussi que les étudiants du CFMI gèrent un emploi du temps de leur formation très chargé et qui les sollicite dans divers domaines. Dans l’organisation et la conception de la performance, il fallait que chaque étudiant prenne en compte ces contraintes, et qu’il arrive à trouver sa place, à s’exprimer à la fois individuellement et collectivement.

Une troisième contrainte, cette fois-ci que j’ai apportée, était de partir d’une des œuvres présentes dans l’espace muséal choisi pour la performance, et de privilégier le contact avec des détails précis, plutôt qu’avec une idée globale et générale de la thématique de l’œuvre. Une première visite a permis de prendre contact avec les techniques et éléments esthétiques présents, à travers l’apport de Françoise Rocher professeur en arts plastiques de l’ESPE (École supérieure du Professorat et de l’éducation) de Strasbourg. Ensuite chaque étudiant est retourné individuellement au musée pour entamer un dialogue personnel avec l’œuvre choisie, saisir et noter les détails sur lesquels il allait travailler ensuite. Quatrième contrainte : partir de soi-même. Les informations sur l’artiste, l’époque et l’esthétique d’une œuvre pouvaient être source d’idées pour les étudiants, mais l’effet que suscitait sur eux et en eux la rencontre avec l’œuvre et son espace demandait un travail introspectif.

J’ai incité les étudiants à constituer leur propre carnet de bord de cette expérience, un Carnet d’esquisses sonores, et de me faire part à travers des courts textes, de leur avancement. Deux extraits écrits par des étudiantes révèlent cette dynamique de rencontre. Alice Kerkhof par rapport à l’œuvre Svolgere la propria pelle de Giuseppe Penone (1970-1971) écrit : Après réflexion sur la signification du titre, développer sa propre peau sera pour moi la manière d’exprimer musicalement mon identité = ma peau (violon, voix, expression corporelle) et mes rêves (ceux derrière la porte-fenêtre qui peut d’ailleurs aussi bien s’ouvrir que se refermer). 

299

Didactique de la création artistique

Dans le récit de Léa Sanchez, un autre aspect de la rencontre avec l’œuvre de Nam June Paik (1989) s’exprime ainsi :

Mac Ever’s me touche, mais de façon un peu négative : l’œuvre me choque, me heurte, me donne une sensation oppressante (même si je la trouve intéressante).

Oriane Marck nous fait part de conditions particulières de sa rencontre avec la situation d’exposition et d’une première performance spontanée, autour de l’œuvre de Robert Filliou : From political to poetical economy (1977 – 1979). Compilation de six vidéos.

Je cherchais à appréhender le sens d’une œuvre de Robert Filliou placée à côté d’un téléviseur datant des années 1970 ; il me manquait clairement des clés de compréhension pour accéder au sens de cette production visuelle. Fort heureusement, sur le téléviseur était diffusé en continu un court documentaire présentant un homme – probablement l’artiste lui-même – qui semblait apporter un éclaircissement à certains aspects de son travail. Malheureusement, le volume était très faible et je ne comprenais pas bien les propos de cet homme, d’autant qu’il s’exprimait en anglais. Je m’approchai pour tenter de saisir quelques mots, puis je tournai autour de l’appareil en cherchant le potentiomètre de volume. Je finis par comprendre comment il fonctionnait, et je pus monter le son et m’éloigner de quelques pas pour entendre enfin clairement les paroles de l’homme à l’écran. À peine une minute s’était écoulée qu’une femme en uniforme de gardien de musée vint me voir, et me demanda si j’avais touché le téléviseur. Je lui répondis tout naturellement que j’avais effectivement monté le volume par souci de compréhension du film ; elle s’indigna alors et se précipita pour baisser le son, me disant au passage qu’il était strictement interdit de toucher aux œuvres dans le musée… Je changeai rapidement de salle, honteuse d’avoir profané ainsi une œuvre d’art. 

Cette rencontre a déterminé l’espace et le matériau (la voix, en français/anglais, le jeu sur l’intensité) de la performance d’Oriane.

Au final : nous avions la contrainte de trouver une forme collective. Trouver une organisation dans le temps pour gérer le parcours des spectateurs, se fixer une durée totale pour la performance. Cette dernière se situant dans le cadre de la journée d’études DiCrA, le temps étant donc restreint.

300

Carnet d’esquisses sonore

Sur le processus de création À la suite de la première rencontre avec les œuvres, nous avons réalisé un travail d’écriture automatique sur le mot « élan ». Ma proposition était fondée sur le fait que tout ce projet était une sorte d’élan provenant de la rencontre avec les œuvres. L’élan nous ramène également à une temporalité courte mais d’une belle énergie, qui peut porter au loin. D’une autre part l’élan devait venir d’eux, car je n’allais pas dire à chacun à partir de quelle œuvre travailler, ni de quelle manière s’inscrire dans l’espace, c’était pour moi une manière de leur situer en position de moteurs de l’expérience. Chacun a connecté ce mot à une impression issue de cette première expérience. Par exemple certaines associations sont apparues : rapide, lancée, virtuosité, aigu, arabesque, vide, fugace, fulgurant, mouvement.

Chaque étudiant a poursuivi et approfondi ses idées d’une manière individuelle, ce qui a permis d’affirmer le choix d’une œuvre, de faire des propositions et de préparer le matériel nécessaire pour une première séance d’expérimentation in situ, au Musée. La contrainte de ne pas polluer l’espace visuel d’exposition avec nos instruments, objets, est apparue comme assez intéressante. Il fallait être nomade et non invasif dans cet espace. Des choix d’instruments trop volumineux, comme la contrebasse, ou des haut-parleurs ont dû être abandonnés.

Pour la diffusion d’un extrait enregistré, nous avons associé les téléphones portables du public qui devaient se connecter à un moment précis de la performance sur un lien préparé au préalable.

Les motivations sur ce choix proviennent d’une part de l’impossibilité d’installer un système de diffusion dans la salle ; et d’une autre part la mobilité et la multidiffusion dans l’espace qui allait permettre la multiplication de sources sonores, chacune à des faibles intensités, mais dont l’ensemble devait remplir l’espace sonore. Les décalages temporels étaient aussi cherchés, l’extrait musical réalisé par l’étudiant permettant d’arriver à une texture complexe par la multiplication du même.

Pour clarifier le propos de sa performance, François Soton s’exprime ainsi : Transgresser l’espace du musée par le mouvement et atteindre la transe.

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Didactique de la création artistique

Il fallait donc trouver un compromis de transgression admise par les contraintes de sécurité. De moments de recherche de solutions techniques jusqu’à la gestion des instruments et des objets nécessaires à la performance ont contribué à approfondir le processus de création de chaque performance, sans forcément fixer la totalité des gestes et des événements.

Ensuite la concertation a permis d’établir un parcours, un début et une fin perceptible pour nous et pour le public. Dans l’avancement il y a eu des phases de questionnement qui ont permis de prendre conscience des liens du groupe, leur degré de solidarité, de respect de l’autre, respect de la production non encore aboutie. Comment garantir une cohérence d’ensemble ? Notre choix s’est porté sur ce que j’appellerai la force de l’instant, du sens porté à ce qui est en train de se passer entre les musiciens, l’espace, les œuvres et le public présents. En conclusion nous rejoignons les propos autour de la compréhension en art énoncés par John Dewey (2010, p. 41) :

Même une expérience rudimentaire, si elle est une expérience authentique, sera plus en mesure de nous donner une indication sur la nature intrinsèque de l’expérience esthétique qu’un objet déjà coupé de tout autre mode d’expérience. 

Référence Dewey, J. (2010). L’art comme expérience. Paris : Gallimard.

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QUELQUES NOTES SUR LA PLACE DU CFMI1 DANS LA DIDACTIQUE DE LA CRÉATION ARTISTIQUE Sophie Marest

Idirectrice nterprète, enseignante, membre d’une compagnie artistique, artistique d’une structure culturelle, j’ai eu l’occasion de

côtoyer et de collaborer avec des musiciens intervenants dans divers contextes : au sein d’un conservatoire, dans le cadre de projets mettant en lien des établissements scolaires et diverses structures d’un territoire dans le cadre de projets associant des élèves d’une école élémentaire à la création d’un opéra 2 ou lors des résidences d’artistes, en menant des actions de sensibilisation au spectacle vivant par une participation active et créative d’enfants, adolescents ou adultes dans une démarche de création musicale, et dans bien d’autres projets. Les musiciens intervenants que j’ai côtoyés m’ont toujours fascinée, particulièrement pour leur capacité d’imagination, pour leur inventivité et leur talent à engager un groupe dans la création artistique.

Les musiciens intervenants acquièrent, tout au long de leur formation, des compétences dans la gestion de groupes, dans l’adaptation à la diversité des personnes et des contextes. Ils savent être à l’écoute, impulser et laisser la place à chaque individu pour exprimer sa singularité au sein du collectif. Le corps, le geste, le texte, l’image, l’œuvre plastique, l’œuvre musicale, l’univers sonore, le détournement d’ob1

2

Centre de formation de musiciens intervenants / Département de la Faculté des Arts de l’Université de Strasbourg. URL  : www.cfmi.unistra.fr Citons la création de l’opéra de Gérard Garcin, Aux sources du fleuve (2005). URL  : http://www.crdp-strasbourg.fr/auxsources/

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Didactique de la création artistique

jet, l’environnement, la nature : l’éventail des impulsions propices à la création est vaste, faut-il encore savoir ouvrir les portes et guider pour déclencher cette effervescence propre à la création.

Les CFMI existent depuis trente ans. Ma prise de fonction en tant que directrice du CFMI de Sélestat en 2012 s’est imposée comme une évidence dans mon parcours. Je souhaitais être au cœur d’une formation professionnelle qui porte des musiciens vers un métier ouvrant à la musique et plus précisément à la création artistique par la pratique collective de la musique en développant chez l’enfant ou l’adulte plusieurs compétences : écouter, ressentir, s’ouvrir, rencontrer, découvrir, s’interroger, s’exprimer, construire, explorer, imaginer, inventer, choisir, improviser, dialoguer, organiser, interpréter… La richesse de la formation réside dans le fait qu’elle allie la pratique artistique, la maîtrise pédagogique et le développement des compétences propres à la conception et à la mise en œuvre de projets. L’équipe de formateurs est composée d’artistes, de pédagogues, d’artistes-pédagogues, de responsables de structures culturelles, tous conscients des enjeux du métier auxquels ils préparent les étudiants. La formation est insérée dans une dynamique de recherche tant sur le plan pédagogique que sur le développement d’outils propres à la didactique de la création artistique via la musique.

Les musiciens intervenants sont des acteurs de terrain, qui créent du lien, qui construisent des projets avec des réseaux de partenaires divers, qui orchestrent un territoire et qui n’en finissent pas d’inventer parce que chaque situation est nouvelle, parce que chaque groupe est différent, parce que chaque projet découle d’une analyse des besoins des personnes concernées. Pour utiliser une métaphore, le musicien intervenant est un peu le couteau suisse de la musique, prêt à s’adapter à des contextes, à des situations et à des publics très divers. Ou bien, encore, pour rapporter les propos d’une étudiante : « le musicien intervenant est un trousseau de clés avec tout plein de clés qui ouvrent de nombreuses portes ». Il éveille, sensibilise, libère, initie, donne envie, passionne, accompagne, guide, amène à des découvertes parfois insoupçonnées, à vivre des émotions intenses, offre la possibilité à des publics d’accéder à des œuvres et à des répertoires qu’ils pourraient ne jamais avoir l’occasion de rencontrer. Rencontrer les œuvres exposées au MAMCS dans le cadre des Journées d’études DiCrA en janvier 2016 a été une expérience forte et extrêmement enrichissante pour les étudiants du CFMI. Encadrés par Abril Padilla, compositrice, et Emmanuelle Zanfonato, comé-

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Quelques notes sur la place du CFMI

dienne et metteur en scène, ils ont été amenés à découvrir, observer, se questionner, ressentir et se mettre en dialogue pour interagir avec une œuvre, l’espace, le public, l’instrument ou détourner l’objet ou le corps sonore qui devient instrument de musique. Que va-t-il se passer ? C’est cet inconnu qui est captivant pour tous, il se passe quelque chose dont on ne connaît rien auparavant et qui ne se reproduira plus, en tout cas plus de la même façon. Le public est là, il se place et se déplace où il veut, il regarde, il écoute, il se laisse saisir, il est acteur de sa découverte et rencontre lui aussi les œuvres sous un angle inattendu, in-entendu.

Si les étudiants vivent des expériences extraordinaires dans leur cursus de formation, ils ne sont pas les seuls. Le CFMI est engagé sur trois ans dans un projet Erasmus+ Musik kreativ+3 avec des partenaires d’Allemagne, de Hongrie et de République Tchèque. Élèves d’écoles élémentaires et de collèges, étudiants d’universités et musiciens professionnels se rencontrent régulièrement pour développer un projet dont ils puiseront des éléments pour proposer des modules de formation accessibles en ligne à l’intention des enseignants (écoles élémentaires, collèges) afin de favoriser la créativité et l’esprit d’entreprise par la musique, la performance et la collaboration culturelle. Les journées d’études DiCrA et Musik kreativ+ sont un trait d’union entre le CFMI de Sélestat et l’ESPE4 de Strasbourg, en particulier avec les recherches menées par Grazia Giacco, enseignante-chercheuse à l’ESPE et porteur d’un axe « Recherche-création et méthodologies didactiques dans les Arts et la Technologie » au sein de l’EA 3402 ACCRA (Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistiques).

3 4

URL  : http://musik-kreativ-plus.eu/fr/ École supérieure du professorat et de l’éducation.

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ENTRETIEN CROISÉ1 Béatrice Larat-Belliot et Anne Schlosser (propos recueillis par Grazia Giacco)

Dans le cadre de vos pratiques d’enseignements artistiques, quelle place accordez-vous à la création des élèves ? Béatrice LARAT-BELLIOT. Pour moi, la création est essentielle. Il s’agit de comprendre, dans la confrontation avec l’art, à quel point la connaissance d’œuvres permet de s’inscrire dans le parcours très humain de la vie, en cherchant, avec des moyens simples, cohérents, à exprimer son rapport au monde. La démarche de création réside aussi bien dans la perception de l’espace sonore et l’audition active d’œuvres que dans la production. Perception et production sont interdépendantes. Avant même toute analyse objective, les élèves sont invités à ressentir ou visualiser ce qu’ils entendent afin de tenter de le retranscrire avec un geste sonore ou même muet qui traduit leur audition intérieure. Par exemple : la notion de ligne d’horizon que suggère une tenue, un bourdon ou une simple pédale de dominante, ou encore l’inspiration et l’expiration qu’incite une phrase musicale comme le thème des « Folies d’Espagne ». Chaque instant du cours est régi par la démarche qui sollicite la créativité : les choix d’interprétation de chansons, l’invention de paroles etc. tout devient « musique », même la façon de faire l’appel pour gérer les présences des élèves.

La démarche de création est pensée à deux niveaux. Le premier niveau se vit au sein du cours/séquence obligatoire d’éducation musicale. Le deuxième, au sein de la chorale et de l’atelier de créa1

L’entretien s’est déroulé de manière épistolaire, sur la base d’un ensemble de questions de départ. Les deux enseignantes étaient libres de répondre aux questions et dans l’ordre qu’elles souhaitaient. Ensuite, nous avons regroupé leurs réponses afin d’avoir un double regard sur une même question pour en saisir les croisements dans les approches, et surtout, les résonances dans les postures.

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Didactique de la création artistique

tion musicale, dont les élèves volontaires assurent l’essentiel de la production publique finale.

Les deux se nourrissent mutuellement : ce fonctionnement permet de fédérer l’ensemble des élèves, même ceux qui ne participeront pas au concert final. Les thématiques et questions transversales des différentes séquences sont travaillées de façon très complémentaire en fonction des niveaux de cours pour servir un grand projet commun. Par exemple, en 2013, dans le cas du projet Comment s’approprier la notion de Laïcité ? qui a donné « Les enfants de Rouget »2, et qui s’est nourri des séquences de cours convergentes : –– En 6e : quelle palette sonore pour « la Marseillaise » ?

–– En 5e : l’hymne national français peut-il être source de création pour d’autres cultures ? –– En 4e : La Marseillaise, pour Goethe, est un « Te Deum révolutionnaire » : quelle limite entre sacré et profane ? 

–– En 3e : « La Marseillaise » est avant tout une mélodie ou un texte ? (cf. textes Lamartine et Zweig)

Cette conception du travail, permet ainsi à chaque élève, spectateur de la production finale, de se sentir concerné car il identifiera des éléments connus. Ainsi, grâce au groupe créateur du projet global, la production émerge de la communauté des élèves.

Anne SCHLOSSER. Dans le domaine des arts plastiques et de la danse, la création des élèves est l’objectif premier. La réflexion que je mène pour préparer mes séances d’enseignement en arts plastiques et en danse repose sur ce principe : développer la créativité des élèves par une pratique réflexive, prendre du plaisir à faire, enrichir leur créativité par des apports culturels. En enseignant de la sorte dans ces domaines artistiques, j’ai aussi ressenti le besoin d’interroger ma pratique enseignante dans les autres domaines artistiques, tels que la littérature et plus encore la musique. Concernant la littérature, j’ai très vite compris que le plaisir de lire, de dire, et d’écrire, est ce qui devait être transmis aux élèves. Comment « faire de la littérature » avec des enfants de sept à douze ans ? En les plaçant dans une posture d’auteur cultivé. Cela se traduit concrètement par des séances de littérature durant lesquelles : 2

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Vidéo «  Les enfants de Rouget  », par les élèves du collège Rouget de Lisle de Schiltigheim, Hôtel de la Préfecture de Strasbourg, 14 juin 2016. URL  : https:// www.youtube.com/watch?v=sQgUpEKh8zA

Entretien croisé

–– ces jeunes lecteurs vont jouer avec des textes littéraires, les mettre en bouche pour les présenter aux autres, constater les réactions du public, les effets produits. –– les élèves interprètent une narration en élaborant une mise en scène. Là encore l’interaction entre les pairs (les élèves qui jouent et les élèves spectateurs) va leur permettre de construire des apprentissages en lecture mais aussi de développer leur posture d’auteur interprète. –– les élèves vont à leur tour créer un texte.

–– l’objectif de la séance est un dialogue entre les lecteurs d’un même livre. En effet, le lecteur est aussi un interprète dans le sens où il crée une interprétation de l’histoire dans le non-dit du texte, dans son appropriation des personnages et de leur histoire.

Littérature et arts plastiques se rencontrent et s’enrichissent par le lien de création d’illustration d’un texte ou inversement la rédaction d’un texte à partir d’une image ou d’une œuvre d’art. Pourriez-vous préciser la nature et la typologie de ces projets de création ?

BLB. Les projets de création peuvent prendre divers aspects (spectacle frontal, film, promenade musicale, etc.). Les thématiques sont choisies afin de développer chez l’élève la conscience qu’il est acteur de sa vie. Il s’agit de l’aider à s’ancrer dans son corps, sa sensibilité, dans le quotidien scolaire collectif et dans la connaissance géographique et culturelle de l’endroit où il vit, sans oublier l’ouverture aux cultures dont lui et ses camarades sont issus. C’est pour cela que la création réside autant dans les adaptations d’œuvres ou de chansons de tous horizons, que dans les transitions créées d’une pièce à l’autre avec l’exigence du respect d’une sémantique choisie ensemble qui conditionnera la forme finale de la présentation. Quelques exemples3 :

–– l’ouverture à la culture de l’autre en cherchant les dimensions universelles, humaines (respiration, mouvement de marche, question existentielle) (Voyage, 1990, A tire d’Aile, 2010) –– l’approche historique et littéraire locale (diverses productions à partir de la geste Des Niebelungen de 2007 à 2009)

3

Sur ce site, le lecteur pourra trouver une ample documentation des projets passés  : http://www.musicaschilick.fr/

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Didactique de la création artistique

–– le collège et son architecture (Regards croisés, de 2003 à 2005)

–– le trajet quotidien des élèves dans le bus n°  50  : TransSchilick-Express (projets de 2012 à 2014) –– les valeurs du pays dans lequel l’élève vit et grandit dont la laïcité (Les enfants de Rouget, 2013)

–– La cathédrale de Strasbourg et le serment de Koufra (projets de création de 2014 à 2016) à l’occasion du millénaire de ses fondations et les soixante-dix ans de la libération de l’Alsace.

Pour tenter une certaine prise de hauteur sur les questions existentielles et spirituelles, nous engageons actuellement avec le compositeur André Serre Milan un projet interdisciplinaire et pluriannuel intitulé Le soleil aura toujours RDV avec la Lune, dont la première partie sera Le chant des constellations en 2017. Chaque classe de 6e devient une constellation d’élèves/étoiles. Les voyageurs (élèves-chorale-atelier) inviteront les spectateurs à les suivre dans un parcours musical et chorégraphique qui reliera les constellations/classes entre elles avant de rejoindre un grand défilé festif. L’ensemble de ce travail de création musicale – texte, décors, costumes et chorégraphique – se nourrira du projet culturel pour toutes les classes de 6e qui découvriront le bâtiment de l’Opéra du Rhin, le travail du Ballet du Rhin en assistant à la création Constellations4, après une initiation chorégraphique en cours d’éducation musicale avec un des danseurs du ballet. Tous ces projets tendent à permettre aux élèves de porter un regard et une écoute poétique et sensible sur leur quotidien, amenant parfois même une mise à distance de certains événements très angoissants qu’ils peuvent vivre.

En ce qui concerne le matériau sonore, nos pratiques de création, en éducation musicale, utilisent non seulement la voix et les instruments (en particulier, l’utilisation des percussions diverses), mais aussi les technologies numériques : souvent, voix et instruments sont mixés en direct avec des bandes sonores préalablement enregistrées par les élèves. Le matériau produit peut également, par filtrage ou autre, devenir une autre matière. Tout comme les plasticiens, les nouvelles technologies nous permettent de nous affranchir considérablement de la notion du temps, l’objet sonore étant transformable à l’infini. 4

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Constellations est le titre d’un spectacle qui réunit en juin 2017 à l’Opéra du Rhin de Strasbourg trois chorégraphes contemporains, dont deux créations  : Sébastien Perrault (Le vaste enclos des songes, création), Douglas Lee (Ophelia Madness and death, 2015) et Ed Wubbe (Dans le ciel noir, création).

Entretien croisé

D’où l’importance de laisser une trace-mémoire du travail sur le site du collège dédié à la musique, ayant préalablement obtenu, pour les traces vidéo, l’autorisation écrite des parents pour le droit à l’image de chaque élève participant. Cette trace permet de plus à l’élève de s’inscrire dans une histoire créative collective et positive du collège, menée sur de très nombreuses années. Certains retrouvent ainsi leurs propres parents à leur âge, investis eux aussi quelques années auparavant dans cette aventure au long cours. AS. Les séances d’Arts plastiques dans ma classe sont conçues suivant trois grands objectifs.

Les ateliers d’expérimentation et de recherche. Ils sont matérialisés par un espace dédié dans la salle de classe, appelé « atelier d’arts plastiques ». Dans cet atelier les élèves y trouvent des outils, des matériaux et des supports, une consigne incitant à l’action expérimentale, des reproductions d’œuvres d’art et aussi parfois des objets ou des photographies en lien avec le « geste » de la consigne, avec les outils présents ou avec une notion plastique que les expériences des élèves permettront d’interroger. Ces ateliers sont présents tous les jours et sont ouverts en accès libre aux élèves ayant fini le travail demandé dans les autres matières. À noter que deux autres ateliers (jeux et littérature) sont également présents dans la classe. Les élèves y ont accès sur leur temps libre. Ils y exposent leurs recherches annotées afin de donner des idées aux autres, d’échanger leurs trouvailles, de repartir de leurs expérimentations pour en produire d’autres. Les séances d’échanges d’expériences, de verbalisation et d’analyse et de rencontres avec des œuvres d’art ou des démarches d’artistes. L’analyse effectuée par les élèves est encouragée par le questionnement de l’enseignant ou des autres élèves. Elle permet d’établir des relations entre la proposition et les productions. Les élèves s’expriment sur leurs difficultés, leurs démarches et les différents moyens qu’ils ont utilisés. La mise en relation de leur production avec celle d’artiste est encouragée. Celle-ci relance souvent la dynamique de création des élèves. Et, elle leur permet aussi de développer leur appréciation des œuvres d’art. Les séances de création à partir d’un thème imposé dont l’objectif est d’élaborer et créer des productions abouties. Un thème est proposé aux élèves. Il leur donne l’occasion de réinvestir ce qu’ils ont pu expérimenter dans les ateliers, ou pas. Durant ces séances, le matériel à utiliser n’est pas limité (tout ce qui est présent dans la classe peut

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Didactique de la création artistique

être utilisé). Il y a cependant une contrainte de temps. Des photos d’objets, des reproductions d’œuvres d’art de différents artistes et de domaines artistiques variés, en lien avec le thème (par exemple : « Une et mille feuilles », « Ombre et lumière au pays de la couleur »), sont proposées au regard des élèves. Afin d’aider les élèves à entrer dans une dynamique de création, après un premier temps de réflexion individuelle sur la forme de feuille de projet, un temps d’échange collectif est organisé sans censure. À la fin de ces séances, un échange entre les élèves leur permet d’évaluer leur production en interrogeant la perception que chacun a de son travail en le confrontant au regard et à la compréhension qu’en font les autres. Ces échanges sont très riches et développent des compétences intrinsèques aux arts plastiques, comme la prise en compte du spectateur, l’interprétation d’une œuvre, mais aussi des compétences du domaine du vivre ensemble. Une à deux fois par an, un projet d’envergure est mis en œuvre. Il s’agit soit de la création d’un spectacle de danse contemporaine et/ou de théâtre, soit d’une exposition d’arts plastiques ouverte au public (parents d’élève ou habitants de la commune) dans l’enceinte de l’école ou dans un lieu public de la commune. Ou bien ce projet peut se situer dans le cadre d’une participation à un concours ouvert par l’éducation nationale ou l’OCCE (Office central de la coopération à l’École) – concours d’architecture, d’écriture,…

Les projets réalisés donnent toujours lieu à une publication hors de l’enceinte de l’école. Les nouveaux programmes entrés en vigueur à la rentrée 2016, rendent obligatoire la mise en œuvre annuelle de tels projets dont un en lien avec le PEAC (Parcours d’éducation artistique et culturelle). Quels sont pour vous l’enjeu, le sens, les bénéfices et/ou les difficultés de ce type de pratiques de création ?

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BLB. L’enjeu fondamental pour l’élève est donc de développer la confiance en lui-même et dans les autres, grâce à la joie et l’enthousiasme généré par la notion de projet créatif commun. Il devient à la fois plus exigeant envers lui-même, accepte volontiers le travail technique que demande la maîtrise du geste musical et plus tolérant avec ses camarades. Il ne s’agit pas d’interpréter une œuvre écrite, déjà aboutie. La création nécessite donc un grand rapport de confiance entre élèves et avec leurs professeurs. Et cela dans les deux sens car le professeur ne connaît pas à l’avance l’œuvre finale. En revanche, il sait qu’il a la responsabilité morale de faire aboutir le travail et ce, quelles que soient les difficultés qui ne manquent jamais.

Entretien croisé

« Créer » aiguise la curiosité de l’autre et vice-versa, aussi bien dans le temps que dans l’espace, ainsi que l’apprentissage de la confiance nécessaire au groupe pour se projeter. Le langage s’enrichit au contact des œuvres découvertes et du monde sonore, les élèves prennent conscience de leur propre énergie vitale.

Outre l’aspect chronophage de cette démarche créatrice, la difficulté pour les professeurs est peut-être de pressentir la thématique qui fera évoluer le projet de l’année en prolongement de celui de l’année précédente, ouvrant de nouvelles perspectives, dans l’esprit « curriculaire et spiralaire » des programmes 20165. C’est cette continuité qui rassure et motive les élèves. Cela place les professeurs en partie, eux aussi, dans une position de recherche pour eux-mêmes, donc de mise en danger, tout en gardant la confiance suffisante pour mener le travail dans le temps imparti, jusqu’à l’émergence d’une forme cohérente qui traduira le sens profond de ce qui n’était qu’une intuition au départ. La confiance est sans doute à la fois une nécessité et ce qui se développe avec le projet de création. Sans cette dimension, le travail du professeur est plus stérile. Menant toujours les projets fédérateurs en équipe pédagogique, je pense que l’adhésion des élèves est favorisée par ce qui se passe aussi entre nous, les adultes : les élèves sont très sensibles à la façon dont ils nous voient tous travailler ensemble, avec confiance, enthousiasme et respect. Au sein de l’atelier de création musicale les élèves restent plusieurs années et se singularisent par une grande maturité et une générosité entre eux et envers les plus petits qui rejoignent l’atelier. Que ce soit au sein du cours ou en atelier, le travail s’élaborant par strates, les élèves expérimentent diverses approches de la thématique avec une grande ouverture d’esprit. Puis, ils sculptent ensuite la forme de la production. Ils apprennent alors à ne pas regretter la mise à l’écart d’un élément travaillé, si celui-ci n’apporte rien de plus au propos final. Ils savent que cet élément pourra trouver peut-être sa place plus tard puisque chaque projet génère le suivant grâce à un nouveau point de vue ou une nouvelle question transversale qui s’impose d’elle-même.

L’élève apprend surtout que c’est le cheminement qui compte. On s’éloigne donc de la notion matérialiste du rentable à court terme pour enrichir une autre dimension, celle de l’expérience humaine du temps. En ce sens, les traces des productions précédentes sont fondamentales. 5

URL : http://eduscol.education.fr/technocol/actualites/les-nouveaux-programmes-2016

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Didactique de la création artistique

AS. Quels sont les bénéfices pour l’élève ? Acquérir une maîtrise des langages par la mise en œuvre d’une pratique réflexive et de l’auto-évaluation de sa production ; développer la confiance en ses capacités ; développer son autonomie. Cette autonomie ne doit pas seulement être comprise comme celle d’un élève en autogestion, mais plus encore, elle est sa capacité d’être acteur (auto-nomos), c’est-à-dire un individu capable d’autodéterminer son action.

Lors des séances de création plastique, les élèves sont confrontés à des problèmes à résoudre. Dans d’autres matières, et notamment en mathématiques ou en sciences, ils sont aussi confrontés à des problèmes à résoudre. Ces « problèmes » génèrent souvent de l’angoisse, de la crainte de ne pas y arriver, et bloquent certains enfants qui n’osent même plus essayer, ils ne s’autorisent pas à élaborer une démarche de résolution de problème. Avec un recul de plus de quinze ans d’enseignement, j’ai l’intime conviction qu’une pratique régulière de recherche-création en arts plastiques, a permis à mes élèves de s’autoriser à essayer, de faire des choix et d’oser les tester sans avoir peur d’arriver à un résultat non satisfaisant. Mais plus encore, en voyant la richesse d’idées que mes élèves pouvaient avoir, j’ai repensé mon enseignement dans toutes les matières, et notamment en mathématiques. J’ai voulu permettre à mes élèves d’être confrontés à des problèmes à résoudre en leur laissant du temps pour expérimenter leurs différentes idées, d’essayer sans avoir pour obligation de parvenir à la fin de la séance à un résultat probant. Ils n’hésitent d’ailleurs plus à exposer leurs idées afin de confronter leurs résultats aux autres parce qu’ils sont confiants quant à la qualité de l’écoute qui sera donnée à leurs propositions. Les séances de création artistique, permettent à l’enfant de dépasser sa peur de l’inconnu. Elles lui apprennent à accepter l’imprévu, savoir le prendre en compte comme un accident de réalisation, qui peut donner lieu à une réinterprétation de l’idée première. Elles lui apprennent que des certitudes peuvent être sujettes à réinterprétation par l’assimilation de nouvelles données6.

Concernant les difficultés : l’un des premiers écueils pour le professeur des écoles qui n’a pas une formation spécifiquement artistique est d’organiser une séquence, un fil conducteur entre les séances d’expérimentation et une séance dont l’objectif est de créer une 6

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Cynthia Fleury (Les Irremplaçables, coll. Blanche, Paris, Gallimard, 2015) montre en quoi l’individuation est le garant de toutes les dérives antidémocratiques. Cet enjeu n’est pas des moindres dans le monde actuel.

Entretien croisé

œuvre qui permettrait aux élèves de réinvestir ce qu’ils ont appris lors des séances d’expérimentation, pour aboutir à une création organisée et réfléchie, tout en leur laissant la possibilité de mettre en œuvre des savoirs et techniques acquis en dehors des séances de cette séquence. Il faut prévoir plusieurs séances consécutives tout en installant une continuité dans les recherches. Une séance découle de la précédente et prépare la suivante. À chaque fin de séance, les productions nées des expérimentations sont affichées et font l’objet d’une analyse collective, afin de mettre en relation le procédé et les effets obtenus. Ensemble, on définira la direction de recherche de la séance suivante. Toutefois, les expérimentations ne vont pas forcément aller dans le sens où l’enseignant les avait envisagées. Il doit, lui aussi, savoir prendre en compte les accidents de réalisation ou encore les apports culturels ou réflexifs des élèves. Il m’est arrivé d’abandonner un projet de création et d’en débuter un autre afin de prendre en compte les propositions des élèves. Or cette ouverture des possibles va a priori à l’encontre de l’injonction donnée aux Professeurs des écoles d’être maître de sa classe et d’organiser son enseignement. Afin de permettre à ses élèves de développer leur capacité créatrice, l’enseignant doit adopter une posture particulière. Celle-ci va aussi modifier sa posture dans les autres domaines d’enseignement.

Dans le cadre de l’enseignement des arts à l’école primaire, le premier enjeu pour l’enseignant est de pratiquer un changement de posture. Afin de permettre à ses élèves de s’engager dans un processus de création et de recherche. L’enseignant ne peut plus se positionner comme celui qui sait, comme celui qui transmet un savoir et qui va ensuite être celui qui va valider l’acquisition de connaissances par l’évaluation des résultats et des réponses données à des exercices de validations de connaissances. Il ne peut plus se positionner comme maître de son enseignement, mais se place sur un autre registre. Il est celui qui va organiser un terrain propice à la création en donnant des contraintes nécessaires à l’étincelle qui permet d’engager l’élève dans la dynamique de création (on ne crée pas à partir de rien)7. 7

«  De la phase de réflexion et de conception à la phase de production plastique, l’enseignant reçoit les questions et les doutes des élèves de façon positive et constructive. Il invite à la verbalisation, guide et étaye ceux qui en ont besoin, voire provoque la remise en question. Il accompagne la présentation du projet réalisé ou en cours de réalisation par l’élève. En donnant toute sa place à la parole de l’élève, l’enseignant autorise la libération d’une production verbale riche d’enseignements. Il provoque le développement d’une attitude réflexive et d’une posture auto évaluative qui diront à l’élève que l’on a toute confiance en lui pour trouver une solution et qu’on le sait capable de penser, de cheminer et de progresser.  » [L’évaluation en arts plastiques au cycle  2, document

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Didactique de la création artistique

Une des autres difficultés à laquelle le PE (Professeur des écoles) est confronté, est celle concernant l’évaluation de ses élèves dans le domaine artistique8. Aujourd’hui, pourquoi est-il important de sensibiliser les jeunes élèves à la création artistique et comment ces pratiques pourraient-elles être encouragées ? BLB. Il me semble que créer, pour des enfants ou pour quiconque, c’est plus une posture qu’une activité en soi. C’est le désir d’exprimer son rapport au monde avec la conscience de sa dimension humaine à la fois intemporelle et temporelle, universelle mais également, unique, spécifique.

Les élèves, grâce à la démarche de création pensée à deux niveaux (cours/séquence et projet global fédérateur), prennent conscience du rôle profond et spécifique de l’éducation musicale, seule matière qui développe au plus haut niveau la notion de responsabilité individuelle vis-à-vis du groupe et réciproquement. Il s’agit donc, grâce à l’aventure créatrice, de développer chez l’élève les « 3 C » Corps (geste corporel et vocal), le Cœur (la sensibilité à l’autre) et la Connaissance (culture) soit le « C » principal et indispensable pour grandir et mener sa vie d’être humain : la CONFIANCE (en soi, dans les autres et dans la vie). Dans le fond, pour l’élève, la démarche de création, nourrie de la découverte d’œuvres et du monde sonore, donne à l’instant présent toute la force de la Joie partagée qui lui permet de croire justement que tout est possible ! Quant à moi, il me semble qu’elle nous donne un peu le sentiment puissant d’être connecté à une énergie, positive, source de notre véritable liberté et qui nous dépasse. C’est peut-être le sens profond du dernier grand projet pluri annuel que nous venons de lancer, Le soleil aura toujours RDV avec la lune. Menée sur de très nombreuses années, cette démarche est devenue une culture d’établissement. Elle s’est développée aussi bien du point de vue pédagogique, matériel qu’humain, et ce, quelles que soient les difficultés qui ne manquent pas comme dans toute entreprise humaine, la défiance étant sans doute à l’origine de toutes et, hélas, toujours prête à ressurgir. 8

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d’accompagnement des nouveaux programmes. URL  : eduscol.education.fr/ ressources-2016] Il faudra réfléchir en urgence aux modalités d’évaluation dans les enseignements artistiques afin de permettre l’épanouissement des pratiques de création. (NdR)

Entretien croisé

AS. L’un des besoins de formation concerne l’acquisition des concepts-clés propres à chaque discipline. Par exemple, dans mon cas, n’ayant aucune formation dans le domaine de la musique, ayant conscience de ne pas maîtriser les notions telles que : timbre, hauteur, intensité, tempo,... il m’est plus difficile d’organiser des séances de pratiques réflexives en musique. La musique, qui de part une forte tradition d’enseignement du chant choral, et d’un manque de connaissances techniques chez les enseignants, est un domaine artistique dans lequel la création des élèves n’est pas suffisamment encouragée. La notion de justesse est très présente en musique et encore plus en chant. Et c’est très probablement le véritable frein à la créativité pédagogique.

Les années de projets artistiques élaborés avec les élèves m’incitent à interroger l’enseignement de la musique à l’école : la crainte de mal faire est souvent chez l’enseignant non spécialiste ce qui l’empêche de s’autoriser à essayer de concevoir des séances en éducation musicale où la création des élèves serait l’objectif premier. Il s’agit bien ici d’un défaut de confiance en soi comme le dit si bien Béatrice Larat-Belliot. Les témoignages de mise en œuvre de projets de création musicale présentés lors des journées DiCrA (Didactique de la création artistique) devraient ouvrir des pistes futures.

La formation continue des enseignants devrait leur permettre de remédier à ce genre de difficultés. L’autre possibilité est de faire appel à un artiste intervenant dans le cadre d’un projet ACMISA9 par exemple. La formation des Professeurs des écoles à la didactique de la création artistique ne suppose pas seulement de les outiller d’un point de vue des connaissances, mais bien plus de leur permettre d’effectuer un changement de posture. Dans le cadre de mon poste de maître formateur, je peux être amenée à montrer à mes stagiaires des séances d’arts plastiques, expliciter ma démarche, puis préparer avec eux une séance. Mais souvent malgré cette préparation très outillée, l’analyse d’une séance mise en œuvre par les stagiaires montre qu’ils n’ont pas su adopter la posture adéquate pour permettre à leurs élèves de développer pleinement leur capacité créatrice. Ils n’ont pas (pleine) conscience de leur posture. 9

Action culturelle en milieu scolaire d’Alsace (ACMISA). URL  : https://www. ac-strasbourg.fr/pedagogie/daac/partenaires/le-gip-acmisa/

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Didactique de la création artistique

Une séance de création artistique peut être très bien conçue en amont sur le papier, et celle-ci être mise en œuvre par des PE différents, elle n’ouvrira pas le même champ des possibilités créatrices. En effet, elle pourra permettre à tous les élèves d’accéder à la dynamique de création à la condition que l’enseignant, parmi les variables didactiques, adopte une posture ouverte et puisse accueillir toutes les propositions des élèves. Saura-t-il trouver les paroles, les gestes, le regard qui va permettre à l’enfant bloqué devant une proposition d’action créative, d’engager une production ? Saura-t-il trouver les questions permettant à ses élèves d’avoir un regard réflexif sur leurs actions, leurs productions ? Quelles réponses va-t-il donner à l’élève qui dénigre le travail d’un autre  ou son propre travail ? Voilà une série de questions qui animent actuellement mes recherches dans le cadre de mon master en Pratiques et ingénieries de la formation à l’ESPE de l’Académie de Strasbourg (Université de Strasbourg).

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ENTRETIEN AUTOUR DU PROJET ELECTRO, WHAT ? François Papirer

(propos recueillis par Grazia Giacco)1 Dans le cadre des Ateliers de la création2 organisés par le Centre Pompidou et l’IRCAM, une classe de 2nde SEN (Systèmes électroniques et numériques) du lycée professionnel SaintJean à Colmar a réalisé un projet de création sonore en partenariat avec les Percussions de Strasbourg, le festival MUSICA et le musée Unterlinden de Colmar. Ces élèves – non-musiciens au départ… – ont d’abord été invités à étudier l’installation du vidéaste Robert Cahen La peinture en mouvement, au musée Unterlinden et à partir de cette expérience sensorielle et esthétique, ils ont été amenés à concevoir la création d’une pièce sonore, en écho à l’œuvre du plasticien. Pouvez-vous nous expliquer comment cette phase de conception sonore s’est déroulée et quel a été votre rôle ? François Papirer. Je n’étais pas seul dans le cadre de ces ateliers : j’intervenais avec un réalisateur en informatique musicale, Stéphane Clor. Il s’agissait de créer un habillage sonore d’après l’installation vidéo de Robert Cahen, présentée à cette époque-là au musée Unterlinden de Colmar, La peinture en mouvement3. L’idée était de travailler avec une classe de 2de, sachant que le projet devait se dérouler sur plus d’une année. Nous avons retrouvé les élèves pour 1

2 3

Propos recueillis par Grazia Giacco ; captation vidéo du 7 octobre 2014, à 10h, salle de répétition des Percussions de Strasbourg par François Horvat, responsable de la production audiovisuelle, La Fabrique, ESPE de l’Académie de Strasbourg. URL  : http://www.ateliers-creation.centrepompidou.fr/-Alsace La peinture en mouvement – Les œuvres du musée Unterlinden sous le regard de Robert Cahen. Installations vidéo. 4 avril – 31 décembre 2013.

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Didactique de la création artistique

une représentation au festival Musica à Strasbourg (2014) alors que le projet avait débuté en septembre 2013.

Comment a débuté ce projet ? Nous étions venus dans notre studio de répétition pour enregistrer des instruments, des objets, afin de constituer une banque de son. C’est avec cette banque de son que l’on a commencé à travailler sur poste informatique. Ils ont constitué une banque de données, et avec un logiciel en libre accès, ils ont pu travailler la matière sonore, déformer un son de grosse caisse que l’on avait enregistré jusqu’à ne plus le reconnaître par exemple. Ici, c’est un peu comme la caverne d’Ali Baba, nous avons tous types d’instruments à percussions du monde entier, ce qui offrait déjà une richesse sonore. En plus, l’informatique permet un accès plus simple au monde sonore, plus immédiat, qui va vraiment intéresser de manière plus directe les jeunes (car il s’agissait des jeunes de seize ou dix-sept ans). J’avais au préalable visité les ateliers dans lesquels ils évoluaient : moi qui pensais trouver des ateliers où l’on scie, ou l’on travaille la matière comme un forgeron – ici, aux Percussions de Strasbourg, nous sommes dans cette idée-là, celle de travailler le son, à la manière d’un artisan – je me suis retrouvé face à des machines… je me suis dit : où vais-je trouver la matière sonore ? Alors, le choix a été d’abord d’enregistrer des sons chez nous, dans notre atelier des Percussions. Finalement, dans leurs ateliers au lycée, nous avons quand même découvert un lave-linge qui était démonté : et là, on a commencé à « bidouiller », à voir ce qu’on pouvait tirer de cet appareil en déconstruction… et on a trouvé. Est-ce que les élèves ont trouvé des sons ? Avaient-ils déjà eu l’idée de chercher des sons ?

FP. Ce qui était intéressant était d’attirer leur attention sur ce qu’ils produisent comme sons en salle de classe ou en TP (travaux pratiques) : par exemple, le son des touches sur le clavier de l’ordi quand on écrit. Nous avons enregistré ce son-là, même si au final, nous ne l’avons pas utilisé. Revenons au lave-linge démonté : nous avons tourné le tambour avec la courroie d’entraînement, qui est une sorte d’élastique ayant une certaine tension avec lequel on peut jouer, cela produisait un son digne d’intérêt. Voilà, le but était de prêter une attention particulière à des sons très simples, des sons qu’ils produisent dans l’atelier au quotidien mais auxquels ils ne prêtaient pas d’attention auparavant. Avec les Percussions de Strasbourg, vous avez créé et interprété un vaste catalogue d’œuvres de compositeurs contemporains :

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Entretien autour du projet Electro, what ?

quel est votre vécu en tant qu’artiste dans cette expérience de création avec des élèves non musiciens ? FP. En fait, quand on accueille un compositeur, nous avons déjà un background, une sorte de savoir, qu’on essaie de remettre à plat, tout en gardant des réflexes qui nous amènent à dire au compositeur  : « Cela n’est pas possible », mais nous sommes à l’écoute de son idée musicale en essayant de la traduire au mieux. Il arrive avec une partition, les choses sont écrites, fixées – même de manière provisoire – à ce moment-là on peut encore rendre les choses mobiles. Avec les lycéens, il y avait tout à faire, tout à créer. J’arrivais non pas avec un savoir, mais à l’écoute de leurs propositions. Le processus n’est pas le même. Il s’agissait pour moi de les mettre en confiance, de les conseiller : cela demande du tact, beaucoup d’écoute. Parce qu’ils hésitent aussi : on leur présente souvent la création musicale ou le travail avec un compositeur comme quelque chose de savant, et il y a déjà une barrière qui s’installe. Je ne voulais surtout pas aller sur ce terrain-là. Je suis arrivé donc dans une posture d’artisan : eux, ils sont dans un atelier, moi aussi. Avec mes sons, j’en joue. Alors on a construit, on a fait des montages, et si ça ne marche pas, ce n’est pas grave, on efface et on recommence. Jusqu’à ce qu’il se produise une accroche. Et on peut partir d’une idée qui est… c’est presque psychanalytique, presque de l’ordre de l’inconscient… Lorsqu’il y a quelque chose qui permet de rentrer dans une proposition, à partir de là on bâtit, on construit. C’est vraiment le moment où on développe la motivation.

FP. Je suis dans un rapport différent que celui que les élèves peuvent avoir avec leurs professeurs, car je ne viens pas professer. Alors, je dis : essayons d’aller vers un langage, essayons de nous faire plaisir, et c’est par cette notion de plaisir, de découverte, qu’on arrive à construire quelque chose. Que peut-on tirer de ce type d’expériences ? Selon vous, quel type de création est-il possible de concevoir à l’école, au collège, au lycée ? Avez-vous constaté des changements d’attitudes chez les élèves, une meilleure réceptivité au monde sonore par exemple, un esprit critique, une capacité de travail collaboratif, une meilleure confiance en soi ?

FP. Je me souviens du premier jour où l’on a présenté ce projet. C’était le premier jour de la rentrée pour lycéens, qui ne comprenaient pas ce projet (« Où je suis, qu’est-ce qui m’arrive, quel est leur propos ? »).

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Didactique de la création artistique

Il y a eu un temps d’approche, de mise en route. Il fallait se faire accepter. On est dans des domaines sensibles : eux, ils ne savaient pas qui j’étais et moi je ne savais pas qui ils étaient. Et pourtant, il fallait se projeter un an plus loin. Il y a eu des résistances, au début, beaucoup, puisqu’ils ne comprenaient pas ce qu’ils faisaient. De la part de l’intervenant, il y avait une remise en question. Très progressivement, les choses se sont mises en place.

Puis, il y a eu la rencontre déterminante, avec Robert Cahen, l’artiste plasticien qui a créé l’œuvre plastique et qui a amené des éléments de compréhension sur l’installation. Les jeunes lycéens ont pu s’apercevoir que l’artiste était quelqu’un comme eux, quelqu’un qui parle de son travail et ils ont mieux compris l’installation qu’ils avaient vue, voire entendue. L’installation vidéo comportait six tubes sur deux mètres de long, au fond desquels étaient projetées les captations des détails d’un certain nombre d’œuvres exposées au musée. Quand on avait la tête dans le tube, on voyait un visage, un regard. C’était une sorte de face à face. La tête plongée dans les tubes, on ne savait plus qui regardait qui, était-ce le spectateur qui regardait l’œuvre ou l’œuvre qui le regardait ? On était isolé de l’extérieur, et en même temps les sons du corps (poux, respiration) étaient amplifiés. C’était une sensation très spéciale. Au début, les élèves trouvaient cela oppressant. Cette sensation-là allait leur fournir une première idée pour créer la musique. C’était une expérience corporelle, physiologique. Cette expérience, ils allaient la mettre en musique, et déjà cela permettait de déclencher un début. Donc en résumé et par étapes : de la résistance au début, suivi d’une période de questionnement, dégager un vocabulaire de ce qu’ils avaient vécu, l’analyse de la disposition de l’œuvre (tubes convergents vers le centre du cloître), autant d’éléments qu’on a pu réutiliser pour la composition. Certains ont aussi fait des recherches sur Internet pour venir alimenter leur propre réflexion, ce qui était très important. Au final, chacun a amené un élément au projet : tous – ils étaient dix-neuf – se sont retrouvés dans la bande sonore, tous ont reconnu leur contribution. Tous étaient très fiers de leur travail, au point qu’à la fin, rien ne devait et ne pouvait plus être changé dans la bande, tout devait rester en l’état. Pour moi, avoir pu les accompagner durant tout ce processus, très long, c’est très gratifiant. Mais c’est gratifiant pour eux aussi, et bien sûr pour l’équipe d’enseignants. Ils ont vu d’où on était partis et où on était arrivés. C’est une chimie : un vrai travail de groupe, un collectif qui travaille pour un projet, chacun avec sa sensibilité, chacun amenant son élément. Pensons au glitch : pendant une exportation

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Entretien autour du projet Electro, what ?

d’un son, il y a eu un raté, mais l’élève a su rebondir, et finalement on l’a gardé et on l’a intégré. Après il a fallu trouver la ligne artistique : il y avait six tubes, alors on a essayé de constituer six minutes de musique, avec un caractère qui soit propre à ce qui était projeté à l’intérieur de chaque tube.

On avait dix-neuf propositions, puis on a créé des sous-groupes de trois élèves. Après, il fallait trouver les transitions entre les six parties musicales. Stéphan Clor, le réalisateur informatique, connaissait bien le logiciel de traitement du son. Grâce à lui tout est allé plus vite, il a apporté une sorte de « technicité ». Il a pu les conseiller dans leurs choix, leur expliquer les différents effets qu’on pouvait faire avec le logiciel, il y avait plein de questions qui fusaient... Le lycée étant bien doté en postes informatiques, cela nous a facilité la tâche. On évoluait d’un groupe à l’autre, en demandant aux élèves de chaque groupe : « est-ce que cet effet est-il voulu ? Là j’entends un bruit parasite… si tu veux modifier, je te montre comment faire », etc. Et finalement, il y en a qui ont continué le travail chez eux. Et comment avez-vous conçu la réalisation finale ?

FP. On avait constitué avec les lycéens les six parties mais on n’avait pas trouvé les transitions. C’est alors en phase de postproduction, avec Stéphane Clor, que nous avions apporté cet élément final, très simplement, devant un ordinateur… voilà, il faut rendre les choses accessibles, cela peut paraître surprenant, mais combien d’albums de musiciens rock sont nés dans des garages… Ensuite, on leur a proposé ces transitions, nous avons eu un temps d’échanges, il y a eu des rectifications encore. En fait, c’est une bande autonome. Pour sa version de concert, nous avons souhaité pouvoir la jouer sous la forme d’une pièce mixte : les élèves jouaient réellement sur une cymbale, en même temps que la bande était diffusée. La pièce a été jouée au Festival Musica le 4 octobre 2014 à la salle de la Bourse de Strasbourg4. L’idée était aussi de pouvoir proposer aux jeunes de se produire en concert, sur des éléments simples ; il n’est pas forcément utile de faire des choses compliquées, on peut avoir beaucoup de plaisir à jouer… voilà, là j’ai juste envie de me lever et de vous montrer ce que l’on peut faire avec tous ces instruments ! Jouer un archet sur une cymbale, produire le son et mettre l’instrument en 4

Au programme  : Philippe Manoury, Klag (2013-14) / 13’, création mondiale ; Annette Schlünz, Traces (2013-14) / 14’, création mondiale ; Electro, what ? (2014) / 8’, œuvre électroacoustique collective, création mondiale ; Nicolaus A. Huber, Clash Music (1988) / 5’ ; Minoru Miki, Figures for Four Groups – extrait (1967) / 6’.

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Didactique de la création artistique

vibration c’est aussi se mettre en vibration, sentir la résonance de la grosse caisse vous faire vibrer ; c’est aussi une émotion. Il faudrait ôter toutes les tables dans les classes et les remplacer par des instruments…

FP. Il se produirait des choses assez incroyables… Il y a une forme de poésie quand on produit un son, quel qu’il soit. C’est un acte poétique… Le geste musical c’est un geste poétique. Quel mes­sage voudriez-vous transmettre à ceux qui nous lisent pour que la création artistique soit enfin plus largement répandue en milieu scolaire ?

FP. Le professeur arrive dans la classe déjà avec un programme, qu’il doit suivre, il a peu de possibilités de s’en détourner. La chance que j’ai en tant que musicien c’est que je suis dans une tout autre posture. Deux possibilités : soit un musicien arrive avec un savoir et il l’impose – « regarde, on va jouer une percussion, cela se joue comme ça, etc. » ; ou alors, on ouvre un peu les écoutilles et on avance doucement avec les élèves ou les participants à un projet. C’est davantage de cette manière qu’on procède ici aux Percussions de Strasbourg. Effectivement, les professeurs n’ont pas forcément le temps, ni la sérénité, une forme de sérénité, pour construire avec les élèves, parce qu’ils sont dans un autre rapport avec eux, ils ont installé d’autres réflexes. Je vais travailler prochainement avec une classe d’une école du quartier de Hautepierre, je ne sais pas encore ce qu’on va faire mais je vais faire des propositions, pour construire avec les élèves : on peut partir du papier froissé, par exemple, de choses très simples… voilà, il faut se faire confiance, il faut faire confiance aux jeunes, qui ont beaucoup d’idées, qui apportent de la matière pour construire quelque chose. Après, il faut rassurer l’enseignant, le mettre en confiance, et peut-être que cette expérience lui permettra de lancer à son tour un projet, c’est une façon d’appréhender le monde du sonore. Mais, quel que soit le niveau (primaire, collège, lycée, université), la notion de plaisir reste importante. ***

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Entretien autour du projet Electro, what ?

Annexe  : extrait du programme de salle du Festival Musica  20145. Ateliers de la création Electro, what ? (2014) création mondiale

« Les Ateliers de la création proposent aux élèves de Seconde SEN (Systèmes électroniques et numériques) du Lycée Saint-Jean de Colmar une plongée au cœur de la création contemporaine, durant une année scolaire, en abordant conjointement les arts visuels, les arts du son et les nouvelles technologies. La formation au bac professionnel SEN forme les élèves à la préparation, l’installation, la mise en service et la maintenance de systèmes électroniques ou numériques. Plusieurs spécialités sont proposées : l’audiovisuel multimédia, l’audiovisuel professionnel, l’électrodomestique, l’électronique industrielle embarquée, les télécommunications et réseaux. Ainsi, l’informatique est un outil central de l’apprentissage professionnel des élèves. Les interventions conjointes du réalisateur en informatique musicale et du percussionniste leur permettent d’une part d’explorer et de se former d’une autre manière à cet outil, et d’autre part de se familiariser avec la pratique instrumentale dans une perspective de création musicale. Sont privilégiés l’apprentissage de l’écoute de leur environnement sonore et la mise en parallèle entre le travail en atelier et la recherche sur les matériaux sonores. Les élèves peuvent ainsi acquérir un vocabulaire plastique et musical, apprendre le travail de création en groupe, découvrir et se former à de nouveaux outils de création à travers l’informatique musicale et la mise en lien du travail de l’artiste avec le métier appris par les élèves et le travail en atelier. Ils sont également invités à faire l’expérience de la prise de parole, dans le groupe, mais aussi devant un public, lors de la présentation des résultats des ateliers qui ont déjà eu lieu au musée Unterlinden (mars 2014), puis à l’Ircam et au Centre Pompidou lors de la “Journée nationale de présentation des Ateliers de la Création” (avril 2014) » [©Festival Musica]. Interprètes, élèves du Lycée professionnel Saint-Jean de Colmar : 5

Ateliers de la création, Electro, what ?, création mondiale. Dans Programme du Festival Musica, concert n°  25, «  Ateliers Musica – Les Matinales  », samedi 4  octobre 2014, Salle de la Bourse, Strasbourg, pp.  5-6. Repéré à  : http://www. festivalmusica.org/edition/2014/manifestation/1504

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Didactique de la création artistique

Quentin Bertolazzi, Benoît Bertrand, Florian Cottin, Jimmy Haumesser, Christopher Yadavane Nourly, Mickaël Raul, Atilla Sahin, Dylan Schmitt, Dominique Troller. Encadrés par Brigitte Trujillo (professeur d’arts plastiques), Benoît Erouard (professeur principal et professeur de mathématiques) et Myriam Huffling (professeur de français). Musiciens intervenants  : Stéphane Clor (réalisateur en informatique musicale), François Papirer (Les Percussions de Strasbourg).

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NOTES AUTOUR DU PROJET ELECTRO, WHAT ? (2013)1 Stéphane Clor

En 2013, j’ai pris part à un projet de création2 en collaboration avec le percussionniste François Papirer. Nous sommes intervenus dans une classe de 2de SEN (Systèmes électroniques et numériques) du lycée Saint-Jean à Colmar.

La conception de la pièce a débuté par des enregistrements au sein même des ateliers des Percussions de Strasbourg, les objectifs de départ étant d’appréhender avec les élèves la nature d’un son, sa production liée à un geste musical, ainsi que les problématiques liées à l’enregistrement. C’était aussi l’occasion pour eux de travailler en groupe grâce au logiciel Audacity. Mon rôle était, à cette étape, de les aider à gérer l’enregistrement du son. J’ai une première fois montré la manière de procéder à certains élèves à qui ensuite j’ai demandé de l’expliquer eux-mêmes à leurs camarades. Mon but était de mettre les élèves en situation de devoir transmettre un savoir et un savoirfaire aux autres élèves. Cette démarche allait favoriser la communication et la socialisation entre eux : à l’époque, au début de ce projet, ils formaient une toute nouvelle classe, de 2de justement. Il me semblait important de proposer, dès la première séance, un système d’apprentissage ou ils doivent compter sur les autres pour générer du savoir. La suite de l’élaboration de la pièce électroacoustique a été conçue sur le lieu d’études des élèves, au lycée. À partir des éléments enregis1

2

Ce texte a été élaboré par Grazia Giacco à partir de ses échanges épistolaires avec Stéphane Clor autour du projet Electro, what ? (2013)  [octobre – novembre 2014]. Les questions ont été volontairement ôtées et ne restent que les traces du regard de l’artiste sur sa posture à la fois pédagogique et artistique, les deux étant intimement liées. Le lecteur peut aisément retrouver le contexte de l’entretien et l’enjeu du projet dans l’entretien avec François Papirer. Il s’agissait du projet mené dans le cadre des Ateliers de la création, Centre Georges Pompidou/Ircam, en partenariat avec les Percussions de Strasbourg, le festival Musica et le musée Unterlinden de Colmar.

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Didactique de la création artistique

trés, ils ont travaillé en groupe sur un nombre limité de ces éléments. Ils ont pu aborder des outils de transformation et de découpage du son toujours à partir du même logiciel (Audacity). Nous avons aussi procédé à quelques enregistrements supplémentaires.

L’outil informatique leur étant très familier, les élèves ont vite surmonté les problèmes liés à la prise en main de l’outil de montage sonore. Nous les avons laissé travailler en autonomie afin qu’ils puissent aussi expérimenter leurs propres idées, tester, modifier. Les enjeux pédagogiques se sont vite dessinés : un rapport au temps, à la concentration, à la création. Poursuivant l’idée du travail de groupe, la manière de faire évoluer le projet était centrée sur la notion de dialogue. Nous avons beaucoup discuté en groupe, essayant de faire verbaliser les élèves sur leurs envies, souhaits, mais aussi sur les rejets, les refus. Nous avons aussi dû gérer un certain nombre de discussions individuelles en essayant de répondre aux questionnements de chacun. Je dois avouer que les élèves étaient à l’aise dans les situations de dialogue. Il était très important pour nous qu’ils puissent exprimer leurs avis, tout en veillant à développer chez eux aussi une réflexion critique sur leurs choix. Une telle réflexion  : «  Je n’aime pas, je trouve ça idiot… » était suivie par notre question : « Oui, mais pourquoi ? ». Notre but était de les pousser à aller plus loin dans leur argumentation. Le fait de se rencontrer à des intervalles assez longs était aussi intéressant. Les élèves avaient le temps de penser au projet et de laisser mûrir ces découvertes. Ils ont fait parallèlement un gros travail de rédaction et de verbalisation au lycée, avec Myriam Huffling, leur professeur de Français. Cela a été très positif car il a permis une vraie continuité pédagogique sur toute l’année, qui plus est dans le cadre institutionnel de leurs études. La dernière phase du travail a coïncidé avec la finalisation de notre pièce musicale et le retour vers un jeu instrumental avec les percussions. Une façon de boucler la boucle. Les élèves se sont prêtés au jeu, avec quelques réticences de devoir s’exécuter sur scène, mais avec la fierté de voir leur travail incarné dans l’œuvre finale.

En tout, nous avons fait une bonne dizaine de séances de 3h. Entre temps, ils ont travaillé avec d’autres professeurs, comme par exemple Brigitte Trujillo, professeur d’arts plastiques et arts appliqués, qui était aussi l’initiatrice du projet et qui les initiait à l’approche de l’art contemporain. Leur professeur de mathématiques, Benoit Erouard, était aussi présent à chaque séance et bénévolement. Mafalda

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Notes autour du projet Electro, what ? (2013)

Kong-Dumas, à l’époque secrétaire générale du festival Musica de Strasbourg, a travaillé avec eux durant une séance sur la présentation orale de leur projet. L’accompagnement des élèves sur le long terme et l’investissement des professeurs et des acteurs des institutions culturelles dans le processus ont été vraiment essentiels pour faire le lien entre la classe et nous, artistes intervenants. Cela représente un tout. Les élèves étaient ainsi beaucoup plus investis, voyant l’engagement de leurs enseignants. Le voyage à Paris et la présentation à l’IRCAM ont été d’une grande fierté pour eux, au-delà de ce que je pouvais imaginer. Je les ai trouvés très investis dans cette présentation, au point qu’ils ont été capables de formuler un jugement critique sur la présentation des autres groupes présents, qui ne leur semblaient pas faire preuve des mêmes exigences.

Nous avons terminé le projet un an après son commencement, par une prestation au festival Musica de Strasbourg. Encore une fois les élèves étaient très investis. Le concert s’était très bien passé. En somme, une belle récompense pour tout le monde. Concernant la méthode de suivi du projet : je dirais, certainement, que l’une des priorités a été de rester à l’écoute des préoccupations des jeunes participants. Répondre aux questions, désamorcer certaines frustrations. Pour qu’un élève accepte d’exprimer quelque chose de lui-même, il faut qu’il soit en pleine confiance. Le regard de ses camarades peut vite devenir aussi un frein à la création. D’où l’intérêt de travailler en groupe ! Exprimer collectivement un point de vue permet de le porter plus facilement et le faire évoluer par la discussion collective. Évidemment pas de prérequis musicaux nécessaires de la part des élèves : au contraire, des regards « vierges » sont souvent très intéressants.

Pour moi, développer des compétences de technique musicale n’était pas un objectif en soi. Il me semblait plus intéressant de les emmener vers des découvertes, de développer leur curiosité, de les ouvrir au dialogue, de ne plus avoir peur de ces monstres sacrés que l’on appelle « art contemporain » ou « musique contemporaine ». Allez vers les arts et la musique est un chemin très personnel. Je pense que nous ne sommes là que pour leur ouvrir une porte et de les accompagner dans les premiers pas pour y accéder. Quel a été mon vécu en tant qu’artiste dans cette expérience de création avec des élèves non musiciens professionnels ? Pour ma part, c’est quelque chose que je connais bien. Dans ma jeunesse, je me suis

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Didactique de la création artistique

retrouvé dans des situations similaires à celles de ces lycéens. Je n’ai rencontré la musique et sa pratique qu’à l’âge de 17 ans. Cela m’a rempli, j’en ai fait mon quotidien.

Travailler avec des jeunes non-musiciens m’apporte toujours beaucoup de fraîcheur. Cela me permet de trouver des moyens de laisser ma pratique artistique accessible. Je n’entends pas par-là faire des concessions dans le propos artistique mais bien d’envisager une façon de l’expliquer et de le partager. On peut entreprendre beaucoup de projets avec des élèves : malheureusement, les limites relèvent plus des moyens et des structures prêtes à nous accueillir que des acteurs eux-mêmes. C’est sans aucun doute durant les études que chaque individu a la possibilité de rencontrer ces espaces fondamentaux que sont l’art, la musique et la culture en général. L’accès en sera beaucoup plus difficile par la suite. Il ne faut certainement pas louper le coche. Après, les a priori sont souvent plus difficiles à bouger autant dans les têtes des institutions que dans celles des élèves.

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LES ATELIERS DE CRÉATION MUSICALE EN STUDIO À LA CITÉ DE LA MUSIQUE – PHILHARMONIE DE PARIS  : PETIT MANIFESTE DE LA CRÉATION MUSICALE COLLECTIVE EN STUDIO1 Christophe Rosenberg

C réer c’est s’interroger sur soi-même, développer une autre perception, une conscience de soi et des autres autour de soi et donc se situer dans le monde, dans la société, dans la cité, et simplement exister.

C’est laisser des traces, y compris lorsqu’on est dans une expression immatérielle. La persistance du souvenir dans l’esprit de l’autre est une garantie d’exister toujours. C’est la possibilité de tisser du lien, des liens entre les individus. Et parfois c’est une nécessité, un besoin irrépressible.

Les réponses fournies par les participants sur leur motivation à s’inscrire aux ateliers et sur ce qu’ils en attendent sont multiples : savoir placer des micros et savoir enregistrer dans le cadre de projets per1

Sur le site de la Philharmonie de Paris, il est précisé pour les «  Ateliers adultes  » (rubrique «  création musicale en studio  »)  : «  Aucun prérequis n’est nécessaire pour s’initier aux principes de la création musicale avec les technologies du studio son. Les séances ponctuelles permettent de tester l’activité avant une éventuelle inscription dans un cycle qui engage plus profondément dans le processus de création  ». URL  : http://philharmoniedeparis.fr/fr/programmation/ateliers/ateliers-adultes-etjeunes-partir-de-15-ans .

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Didactique de la création artistique

sonnels ou professionnels, découvrir des processus de composition, savoir utiliser une console de mixage, une carte son et utiliser des logiciels, apprendre à jouer d’un instrument, mieux utiliser sa voix, découvrir comment la transformer, s’interroger sur la composition musicale, savoir quel logiciel ou pédale utiliser, et aussi pas la moindre attente, aucune idée ou simple curiosité… La plupart des personnes formulent un certain désir de quelque chose de plus, quelque chose qui leur manque dans leur vie quotidienne, pour leur activité professionnelle ou leur pratique de loisir.

Pour les groupes sur « ordonnance », ceux dont le choix vient de leur professeur, ou de leur structure, il y a bien souvent un effet de surprise souhaité par les encadrants qui laissent aux participants le soin de découvrir ce qui les attend au cours de l’atelier. Mais en fait ça ne change pas les modalités de leur participation de manière significative. La réussite d’une création musicale collective repose sur la participation de chacun quelles que soient ses capacités initiales, y compris lorsque le groupe n’est constitué d’aucun musicien déclaré comme tel. Elle tient aussi à plusieurs autres facteurs.

Souvent les uns déclarent : « je ne sais pas faire », ou encore plus étrange « je ne sais rien faire », notre réponse est : « Très bien, alors commençons par le faire ». Chacun est donc invité à choisir un instrument de musique, puis, d’en jouer, ensemble avec les autres. Il est juste précisé que ce sera enregistré et qu’on fera une écoute commentée ensuite. Le premier facteur de réussite est donc l’absence de jugement et la confiance rendue évidente par le fait qu’aucune règle n’est donnée, aucune structure formelle, aucune consigne. Il est uniquement proposé de jouer ensemble. Ce qui permet aussi de générer dès le début la naissance d’un collectif.

Cette première phase est essentielle. Elle constitue sans doute le second facteur clé du processus de création : la liberté offerte dans un temps donné de laisser place à son propre plaisir de jouer et à la jubilation que cela provoque. On découvre alors des personnes habitées par le désir de faire. Le résultat est le plus souvent un brouhaha plus ou moins organisé. Il est presque toujours qualifié par les participants de bazar inaudible, voire insupportable et pourtant nous sommes obligés de le faire cesser car curieusement sinon personne ne s’arrête de jouer.

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Lesateliers ateliersdede création création musicale musicale en studio en studio à la Cité à la deCité la musique de la musique – Philharmonie – ... de Paris

Les commentaires avant l’écoute de l’enregistrement sont souvent très durs et très critiques de la part des participants : « on ne sait pas jouer, on ne s’écoute pas, c’est confus, bruyant, désordonné, il n’y a pas de rythme, pas de mélodie », mais aussi : « c’est trop bien, c’est amusant, j’adore », etc.

Au cours de l’écoute, les remarques changent, elles deviennent plus positives. C’est une vertu de l’enregistrement et un troisième facteur de réussite : permettre à chacun de s’entendre, de se situer par rapport aux autres, non seulement du point de vue de l’esthétique, mais aussi de celui de l’énergie, du volume, de la rareté ou de la persistance des interventions, de critères constructifs qui permettent de dire les choses objectivement. Les uns et les autres proposent des solutions pour améliorer le résultat. Le désir de créer est alors vraiment installé. Sans ce désir, rien n’est possible. C’est une première introspection, une possibilité de se découvrir soi parmi les autres, de se situer. Parfois quelqu’un a joué, mais il ne s’entend pas car masqué par tous les autres. Cette situation embarrassante va générer toutes sortes de questions qui placeront tout le groupe en situation d’analyse objective de la situation. Comment rendre audible ce son masqué par le jeu des autres ? Quelle présence apporte cet élément intangible ? Faut-il l’amplifier ou l’oublier ? Quelle fonction lui donner ? Ce qui n’est pas perçu immédiatement est-il inutile ou essentiel ?

L’attention portée à de petits riens, la captation enregistrée qui permet leur caractérisation fait émerger des questions sur soi-même et sur la perception des autres. Face au micro, quelqu’un hésite, n’ose pas jouer vraiment, fait un geste maladroit et bruite involontairement, n’ose plus bouger et on ne capte que sa respiration… Qu’en percevons-nous ? Rien ? Son souffle ? Son émotion ? Que s’estil passé ? Est-ce utile à la composition ? Ce silence relatif chargé de sensibilité indique soudain que l’intensité et l’assurance ne sont pas les seuls bons moyens d’expressivité. Autre facteur : celui de la construction d’une pensée du phénomène sonore et musical, de la nécessité de parler d’acoustique, d’organologie, de placement dans l’espace, de mode de jeux, de tension et de relâchement. Il n’y a pas encore d’enjeu esthétique mais juste un questionnement naturel sur les paramètres objectifs qui permettent de résoudre chaque problème posé.

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Didactique de la création artistique

Placer un groupe dans ce processus de création c’est aussi lui offrir l’opportunité de réclamer à cor et à cri les apprentissages nécessaires à la réalisation de ses idées. La construction progressive de structure, de forme, de règles et d’objectifs fuse. Et soudain la question du pourquoi et du pour qui survient.

Les intervenants musicaux, les compositeurs et les techniciens du son qui conduisent ces ateliers se font les passeurs des idées du groupe par la rigueur et la précision dans la formulation de sa conceptualisation. Par leur exigence dans sa réalisation et sa mise en œuvre, en partageant aussi leur propre expérience enrichie souvent par les propositions parfois insolites des participants, ils permettent l’obtention d’un résultat musical optimum. En tout point semblable au processus de la photographie argentique qui comme par magie fait passer un négatif au positif dans le secret de la chambre noire, l’acte de création est finalement une révélation.

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LISTE DES AUTEURS (EN ORDRE ALPHABÉTIQUE) Olivier Calvo Professeur d’arts plastiques, collège du Stockfeld (Strasbourg) et artiste. http://oliviercalvo.free.fr/bio.htm

Pierre Albert Castanet Professeur au département de musicologie de l’Université de Rouen et Professeur associé au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. [email protected] http://grhis.univ-rouen.fr/grhis/

Sabine Chatelain Professeur formateur, Musique, Unité d’Enseignement et de Recher­ che Pédagogie et Psychologie musicales, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse). https://www.hepl.ch/cms/accueil/formation/unites-enseignement-et-recherche/pedagogie-psychologie-musicale/equipe-et-contacts/sabine-chatelain.html

Stéphane Clor Musicien et plasticien, intervenant sur différents projets pédagogiques. stephaneclor.net

Solène Coquillon Professeure des écoles. Musicienne et soundpainter. [email protected] http://solenecoquillon.wixsite.com/solene-coquillon

François Delalande Chercheur en sciences de la musique, INA-GRM, Paris. [email protected] http://francois-delalande.fr http://creamus.inagrm.com/co/HP_creamus_site.html

335

Didactique de la création artistique

John Didier Professeur formateur en Activités créatrices et techniques, Unité d’Enseignement et de Recherche Didactiques de l’art et de la technologie, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse). https://www.hepl.ch/cms/accueil/formation/unites-enseignement-et-recherche/didactiques-art-technologie/equipe-et-contacts/john-didier.html

Grazia Giacco Enseignant-chercheur en Musique et Didactique de l’éducation musicale, Ecole supérieure du professorat et de l’éducation, ESPE, Université de Strasbourg. EA 3402 ACCRA (Approches contemporaines de la réflexion et de la création artistiques). [email protected] http://unistra.academia.edu/GraziaGiacco

Pierre Gosselin Professeur à l’École des arts visuels et médiatiques et Directeur du programme de doctorat en études et pratiques des arts, Faculté des arts, Université du Québec, Montréal (Canada). [email protected] https://eavm.uqam.ca/gosselin-pierre.html

Ina Henning Artiste, collaboratrice scientifique à la Pädagogische  Hochschule Ludwigsburg, Allemagne, Doctor of Musical Arts à l’Université de Toronto (Canada). [email protected]

Thibault Honoré Docteur en Arts visuels, EA 3402 ACCRA, Université de Strasbourg, chargé d’Enseignement Vacataire au département d’Arts Visuels de la Faculté des Arts de l’Université de Strasbourg. Artiste plasticien. [email protected]

Représentation artistique : Galerie Jean-François Kaiser www.jeanfrancoiskaiser.com

Béatrice Larat-Belliot Professeur d’éducation musicale et chant choral, collège Rouget de Lisle, Schiltigheim. http://www.musicaschilick.fr/

Denis Leuba Professeur formateur en didactique des activités créatrices techniques, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse). [email protected]

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Liste des auteurs

Stefano Luca Chercheur et pédagogue, UNIRSM (Université de Saint-Marin), Italie. https://www.suonifreschi.net/about

Gaia Maffezzoli Enseignante  au Conservatoire de Montbéliard  et Conservatorio Superiore della Svizzera Italiana, Lugano (Suisse) et compositrice. [email protected] www.conservatorio.ch

Sophie Marest Directrice du Centre de Formation de Musiciens Intervenants, Département de la Faculté des Arts de l’Université de Strasbourg. [email protected] http://cfmi.unistra.fr

Stéphane Mroczkowski Enseignant-chercheur en Arts visuels, Ecole supérieure du professorat et de l’éducation, ESPE, Université de Strasbourg et artiste. EA 3402 ACCRA (Approches contemporaines de la réflexion et de la création artistiques). [email protected] http://stephanemroczkowski.tumblr.com

Abril Padilla Compositrice, enseignante au CFMI (Centre de Formation de Musiciens Intervenants) de Sélestat et doctorante en musicologie, Labex-GREAM, Université de Strasbourg. www.abrilpadilla.net

François Papirer Musicien soliste aux Percussions de Strasbourg. Lauréat Villa Médicis « hors les murs » en 2004. http://www.percussionsdestrasbourg.com/

Clara Périssé Arozarena Chargée d’enseignement, Arts visuels, Unité d’Enseignement et de Recherche Didactiques de l’Art et de la Technologie, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse). [email protected]

Nicolas Perrin Professeur à la Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse). http://hepl.academia.edu/NicolasPerrin

337

Didactique de la création artistique

Margaret Pfenninger Conservateur, responsable du Service éducatif et culturel des Musées de Strasbourg jusqu’en 2017. [email protected]

Florence Quinche Professeur formateur, Unité d'Enseignement et de Recherche Médias et TIC dans l’enseignement et la for­mation, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse).

https://www.hepl.ch/cms/accueil/formation/unites-enseignement-et-recherche/mediaset-tic-dans-lenseignement/equipe-et-contacts/florence-quinche.html

Christophe Rosenberg Coordinateur pédagogique, chargé des nouvelles technologies et des musiques amplifiées, Cité de la musique – Philharmonie de Paris, Pôle Education, et aussi artiste musicien, compositeur, metteur en son. [email protected] http://philharmoniedeparis.fr/fr http://crosen.over-blog.com/

Anne Schlosser Professeur des écoles maître formateur spécialité arts plastiques (ESPE, Académie de Strasbourg), école élémentaire d’Eckbolsheim (France). [email protected]

Tilo Steireif Professeur formateur, Arts visuels, Unité d’Enseignement et de Recherche Didactiques de l’Art et de la Technologie, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse) et artiste. https://www.hepl.ch/cms/accueil/formation/unites-enseignement-et-recherche/didactiques-art-technologie/equipe-et-contacts/tilo-steireif.html

Katja Vanini De Carlo Docteure en sciences de l’éducation, enseignante d’école primaire, formatrice d’enseignants et chercheuse indépendante. https://www.unige.ch/fapse/life/equipe/katja-vanini-de-carlo/

338

TABLE DES MATIÈRES Préface

5

Daniel Payot

Introduction Pourquoi une didactique de la création artistique ? Contexte et émergence

7

Grazia Giacco et John Didier

L’art de regarder les œuvres d’art ou leçons d’artistes

17

Margaret Pfenninger

Témoignage d’une expérience de « recherche-création » au Canada

31

Ina Henning

Art imprimé : une approche didactique spécifique ?

43

Stéphane Mroczkowski et Olivier Calvo

Enseigner la conception d’un objet matériel en vue de son effet de signe  : Modélisation de l’activité, transposition didactique et configurations d’enseignement

63

Nicolas Perrin, Denis Leuba et Katja Vanini De Carlo

Arts visuels – musique «  aller-retour  » : analyse des transformations esthétiques dans un projet pédagogique à partir de Thirty de Kandinsky

77

Sabine Chatelain

339

Didactique de la création artistique

De la démarche anthropologique à la posture d’auteur en didactique

91

John Didier

Quelques modèles pour la didactique de la création artistique en musique  : un exemple d’application avec le soundpainting

105

Grazia Giacco et Solène Coquillon

… Car la voie droite était perdue (Dante, Enfer, I)  : De la nécessité d’un modèle hybride pour la recherche en didactique de la création artistique 139 Grazia Giacco et John Didier

Le workshop comme dispositif d’enseignement des arts plastiques  : Retour sur l’expérience #Jardin (perdu-retrouvé)

153

Thibault Honoré

Pédagogie de la création musicale aujourd’hui, de la petite enfance à l’adolescence et au-delà

165

François Delalande

Un parcours de recherche à la croisée de la didactique et de la recherche-création

189

Pierre Gosselin

Pédagogie / Improvisation / Création / Recherche  : Le parcours singulier d’un universitaire musicien

213

Pierre Albert Castanet

Faut-il lutter contre l’injonction créative ? Commentaires sur le livre d’andreas reckwitz, die erfindung der kreativität (2012) Tilo Steireif

340

241

Table des matières

Je crée donc je joue Une approche nouvelle à la pédagogie de création pour les jeunes à travers les technologies numériques

253

Gaja Maffezzoli

Le design sonore comme pratique pédagogique Pour introduire l’enfant a la création musicale d’aujourd’hui 261 Stefano Luca

Un projet de livres numériques multimédias pour favoriser la créativité dans l’enseignement

279

Clara Périssé Arozarena et Florence Quinche

Témoignages Avertissement

295

Carnet d’esquisses sonore : Retour sur une pratique de création

297

Abril Padilla

Quelques notes sur la place du CFMI dans la didactique de la création artistique

303

Sophie Marest

Entretien croisé

307

Béatrice Larat-Belliot et Anne Schlosser

Entretien autour du projet Electro, what ?

319

François Papirer

Notes autour du projet Electro, what ? (2013)

327

Stéphane Clor

341

Didactique de la création artistique

Les ateliers de création musicale en studio à la Cité de la musique – Philharmonie de Paris  : Petit manifeste de la création musicale collective en studio 331 Christophe Rosenberg

Liste des auteurs (en ordre alphabétique)

342

335

Achevé d’imprimer par Corlet Numérique - 14110 Condé-sur-Noireau N° d’Imprimeur : 139689 - Juin 2017 - Imprimé en France

Grazia Giacco est musicologue et enseignante-chercheuse en Musique et Didactique de l’éducation musicale à l’ESPE de l’Université de Strasbourg (France). Membre de l’EA 3402 ACCRA (Approches contemporaines de la réflexion et de la création artistiques), ses recherches portent sur la musique des XXe et XXIe siècles (esthétique, poïétique et didactique de la création artistique). John Didier est professeur formateur en didactique des activités créatrices et techniques, enseignantchercheur à l’Unité d’enseignement et de recherche Didactiques de l’art et de la technologie, Haute École Pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse). Co-responsable du CREAT – Création et Recherche dans l’Enseignement des Arts et de la Technologie (HEP Vaud, Lausanne, Suisse). Francesco Spampinato est professeur à l’Université UPMAT de Rome (Master de Musicothérapie et Artthérapie dans la globalité des langages) et chercheur associé à l’EA 3402 ACCRA (Approches con­ temporaines de la réflexion et de la création artistiques). Il a publié plusieurs articles et ouvrages sur l’écoute musicale et sur l’imaginaire gestuel de l’auditeur.

C

et ouvrage collectif interroge la complexité de la création artistique (ses modes et méthodes, ses démarches, ses doutes, ses possibilités, ses traces…) selon di­verses approches et aussi grâce aux outils méthodologiques de la recherche-création, afin de développer de nouvelles stratégies de recherche en arts et d’autres alternatives didactiques dans la pratique des arts. La didactique de la création artistique pose ainsi un défi  : celui de croire dans les capacités créatrices – et non seulement  créatives  – de chaque individu. Pour éveiller ces capacités, il est nécessaire d’encourager les pratiques de création, autant à l’école qu’à l’université, et dans les centres de formation spécialisés.

Couverture : images crées par New7ducks, Onlyyouqj et Outanmax - © Freepik.com.

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ISBN : 978-2-8066-3600-3 www.eme-editions.be

34 €