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English Pages 421 [424] Year 1971
DIACHRONIC AND ASPECTS OF
SYNCHRONIC
LANGUAGE
JANUA L I N G U A R U M STUDIA M E M O R I A E N I C O L A I VAN W I J K D E D I C A T A edenda curai
C O R N E L I S H. VAN S C H O O N E V E L D STANFORD UNIVERSITY
SERIES M A I O R VII
1971 M O U T O N & CO • 'S-GRAVENHAGE
D I A C H R O N I C AND S Y N C H R O N I C ASPECTS OF LANGUAGE SELECTED
ARTICLES by
ALF S O M M E R F E L T OSLO
SECOND PRINTING
1971
MOUTON & CO • 'S-GRAVENHAGE
© Copyright reserved. No part of this book may be translated or reproduced in any form, by print, photoprint, microfilm, or any other means, without written permission from the publishers.
F I R S T P R I N T I N G 1962
Printed in The Netherlands
by Mouton
& Co., Printers,
The
Hague.
TO ROMAN JAKOBSON
friend, collaborator and inspirer since we first met at the First Congress of Linguists
International
1928
PREFACE
These selected articles have been left as they were printed as they may illustrate the development towards structuralism of a scholar who started as a pupil of the "French School of Linguistics". I have only tried to correct misprints and errors. Certain repetitions have therefore been unavoidable and certain points of view appear which I do not hold any more. Thus Grammont's theory of the physiological constitution of the syllable does not seem to hold good always inside the sentence, especially in rapid speech, and the syllable limits may not in all languages follow his rules. Syllable limits are not, as far as I know, phonemic, but they are of importance as redundant elements and in the process of phonetic/phonemic change. I wish to thank Roman Jakobson for taking the initiative in proposing this collection to the publishers, and to Professor van Schooneveld and the publishers for having accepted the volume. Oslo, December, 1961.
CONTENTS
Preface
7 I L A N G U A G E P R O B L E M S IN G E N E R A L
Cause et tendance dans l'évolution morphologique
15
"La philosophie linguistique française." Réponse à M. Hjalmar Falk
.
18
Un cas de mélange de grammaires
26
Quelques remarques sur le problème de la parenté des langues
.
.
.
32
La linguistique: science sociologique
36
Conditions de la formation d'une langue commune
52
Points de vue diachronique, synchronique et panchronique en linguistique générale
59
Sur la notion du sujet en géorgien
66
An Auxiliary Language
68
Le point de vue historique en linguistique
72
The Development of Quantity as Evidence of Western European Linguistic Interdependence
81
Language, Society and Culture
87
Linguistic Problems from the point of view of European Unity
.
137
II PHONEMICS A N D PHONETICS, SYNCHRONIC A N D
DIACHRONIC
De la conservation dissimilatrice et différenciatrice des phonèmes Sur l'importance générale de la syllabe
.
147 149
Note sur les changements phonétiques
155
Sur la propagation des changements phonétiques
158
Sur la nature du phonème
198
10
CONTENTS
Loi phonétique
201
Sur le rôle des éléments moteurs dans les changements phonologiques. Remarques sur la palatalisation des consonnes
210
Sur le caractère psychologique des changements phonétiques
.
214
III PROBLEMS OF INDO-EUROPEAN COMPARATIVE GRAMMAR
Le génitif adnominal indo-européen
237
L'origine indo-européenne du prétérit celtique en t
241
On the Phonemic Aspect of the Germanie Consonant Mutation
.
.
.
249
Some Remarks on the Problem of the Original Indo-European Habitat.
.
252
IV PROBLEMS OF VOCABULARY
Des noms de nombre irlandais au pays de Galles Sur les noms de nombre irlandais trouvés au pays de Galles
259 .
.
.
.
266
L'osculum pads au Caucase
270
Sémantique et lexicographie. Remarques sur la tache du lexicographe
.
Principles of Unilingual Dictionary Definitions
273 277
Vieux français curt, curteis et curîeisie en norvégien et en islandais .
.
.
282
V GERMANIC L A N G U A G E HISTORY
Note on the Development of Unstressed English e into i
287
Note sur le prétérit des verbes faibles germaniques
289
Questions of Phonological Evolution in Old Scandinavian
.
.
.
.
292
Differentiation of II into dl or Id in Old Norse and in Irish
.
.
.
.
299
Norwegian Languages
301 VI
CELTIC LANGUAGES, PAST A N D PRESENT
Le futur irlandais en -/-
311
Un cas de coup de glotte en irlandais
314
Une abréviation de voyelles devant h
320
CONTENTS
11
Sur une formation de futur dans l'irlandais du nord
322
Sur le système consonantique du celtique
325
On a Donegal Verbal Type with a Dissyllabic Semanteme Ending in a(:)
329
The Structure of the Consonant System of the Gaelic of Torr, Co. Donegal
336
Differentiation of Weak Consonants in Irish
343
Consontnt Quantity in Celtic
349
Some Notes on the Influence of Latin on the Insular Celtic Languages .
360
On Some Structural Differences between Irish and Scotch Gaelic
365
VII SCHOLARS
Hugo Schuchardt
373
Antoine Meillet, the Scholar and the Man
379
Peter Hjalmar Rokseth
386
Subject Index
395
Index of Authors Quoted
399
Index of Words
402
FIRST
PART
L A N G U A G E PROBLEMS IN G E N E R A L
CAUSE ET T E N D A N C E DANS L'ÉVOLUTION
MORPHOLOGIQUE*
Au cours de l'évolution du système articulatoire des diverses langues on voit apparaître certaines particularités d'articulation. On appelle ces particularités des "tendances". C'est M. Grammont qui le mieux a délimité la notion de la tendance et qui en a défini la portée avec une circonspection qui ne surprend pas chez ce maître de la phonétique générale. Un des meilleurs exemples d'une telle tendance est fourni par le cas qu'il a étudié lui-même: la tendance dans les dialectes indo-européens orientaux à rassembler les articulations vers le milieu de la voûte palatine (voir Grammont, "Notes de phonétique générale", Mémoires de la Société de Linguistique, XIX, p. 245 et suiv.). Cette tendance qui se manifeste dans tout le groupe oriental domine l'évolution des langues indiennes jusqu'à nos jours. Ces tendances ne sont pas des lois. "Les lois phonétiques sont les manifestations et les réalisations de tendances évolutives qui ont été déterminées par l'évolution antérieure de la langue" (Grammont, Cours de phonétique générale à la Faculté des Lettres de l'Université de Montpellier, 30 novembre 1920). Les lois phonétiques sont les conditions constantes et générales qui règlent l'évolution du système articulatoire. Les tendances ne sont pas, non plus, des causes. Elles sont constituées par certaines habitudes articulatoires qui dominent la prononciation d'un certain groupe de sujets parlants, mais elles ne provoquent pas des changements. Elles sont les conditions particulières qui déterminent le sens des changements provoqués surtout par des facteurs d'ordre extérieur, par des changements dans la structure de la société, etc. Les tendances ne sont pas constantes mais elles peuvent être éliminées et d'autres peuvent venir à la traverse grâce à ces mêmes facteurs d'ordre extérieur (cf. Grammont, le., p. 245). La notion de la tendance n'est pas limitée à la phonétique seule. M. Meillet a fait voir qu'on peut observer des tendances aussi dans l'évolution morphologique (voir Linguistique historique et linguistique générale, Paris, 1921, passim): par exemple la simplification de la fiexion nominale dans la plupart des langues indo-européennes. Ces langues tendent à remplacer le système complexe des cas, qui comportait plusieurs caractéristiques différentes pour les mêmes notions à rendre, par des caractéristiques uniques et invariables. Une langue européenne de type moderne comme l'anglais * Déjà publié dans la Nordisk Tidsskrift for filologi, X (1921).
16
CAUSE ET TENDANCE DANS L'ÉVOLUTION MORPHOLOGIQUE
emploie pour exprimer par exemple la notion de "dans de l'eau" un élément invariable, water, précédé d'un autre élément également invariable et dissociable du premier, in comportant le sens local. Cet élément est invariable, quelque soit la nature du mot, si c'est un singulier ou un pluriel, etc. Mais une langue comme le védique se sert de caractéristiques différentes suivant les mots et suivant le nombre à exprimer, suivant qu'il s'agit d'un singulier, d'un duel, ou d'un pluriel. Une tendance des plus frappantes est celle qu'a examinée M. Meillet: la création d'un prétérit composé et la disparition du prétérit simple (op. cit., p. 149 et suiv.). Comme la tendance à la simplification de la flexion, cette dernière tendance n'est pas limitée à une seule langue. Elle se laisse constater sur un grand nombre de domaines où il ne peut pas être question d'influences d'une langue sur une autre, mais bien de faits indépendants. C'est ainsi que le français parlé remplace le passé défini par le prétérit composé, que dans beaucoup de dialectes allemands un prétérit comme er spielte n'est plus employé et a été remplacé par er hat gespielt. Le prétérit simple est de même en train de disparaître en rhéto-roman et en roumain et l'on constate la même disparition en slave, où l'ancien aoriste a été éliminé, en russe et en polonais, en Perse et dans l'Inde. A ceci on peut ajouter les dialectes bretons modernes qui, eux aussi, ont généralisé le prétérit composé. Bien que la création d'un prétérit composé et la disparition du prétérit simple se trouvent, la première sur tout le domaine de l'indo-europeen, la seconde dans plusieurs groupes différents, on ne peut parler d'une tendance vraiment générale. En principe, les tendances morphologiques ne sont pas générales, mais particulières, tout comme les tendances phonétiques. Elles peuvent, cependant, être très répandues. Le progrès de la civilisation détermine un progrès de la pensée abstraite (cf. Meillet, op. cit., p. 201) et les peuples qui ont la même civilisation tendent à s'exprimer plus ou moins de la même manière. Le parallélisme des développements morphologiques est souvent très frappant, grâce à des tendances communes à plusieurs langues. Un exemple particulièrement frappant est fourni par le développement de l'usage des prépositions de, ab et ex dans les langues italo-celtiques (voir l'auteur, Dé en italo-celtique. Christiania, 1921). Ce qui est général, ce sont les causes directes des changements morphologiques. Ces causes sont diverses. Les plus importantes sont les changements dans le système phonétique, l'analogie et l'usure. Les changements phonétiques provoquent toujours des changements dans le système morphologique. C'est ainsi que la disparition des syllabes finales suivant la loi phonétique générale de l'affaiblissement de la fin du mot a ruiné la flexion dans les langues indo-européennes et a permis la simplification de la flexion. L'analogie, le besoin qu'ont les sujets parlants de normaliser le système grammatical a également donné lieu à des changements morphologiques, bien qu'on ait beaucoup exagéré la portée de ce principe (voir l'auteur, op. cit., p. 1 et suiv.). L'usure, enfin, s'exerce non seulement sur les mots, mais aussi sur le système grammatical. C'est à cause de l'usure, par exemple, que les désinences se vident de leur sens, ce qui détermine la création d'autres procédés plus expressifs. Et c'est par suite
CAUSE ET TENDANCE DANS L'ÉVOLUTION MORPHOLOGIQUE
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de l'usure qu'un mot peut perdre son autonomie et être réduit à devenir un outil grammatical (voir Meillet, op. cit., p. 130 et suiv.). Toutes ces causes sont absolument générales et se retrouvent dans n'importe quelle langue, tout comme une loi phonétique telle que, par exemple, la dissimilation. Mais l'on ne peut parler de lois morphologiques générales. Cela tient à la nature du signe morphologique. Tandis que le signe phonétique est d'un arbitraire limité le signe morphologique est d'un arbitraire absolu. Le signe phonétique est conditionné par des données anatomiques et physiologiques invariables, tandis que les faits morphologiques sont d'un caractère singulier (cf. Meillet, op. cit., p. 149). Les causes directes des changements morphologiques sont générales comme sont les lois phonétiques. Les changements eux-mêmes sont particuliers comme les formules de ces mêmes lois phonétiques. Dans le cas qu'on vient d'examiner ci-dessus, la question du prétérit est en principe particulière bien qu'elle apparaisse sur un domaine étendu. Ce qui est général ce sont d'abord les causes de la disparition de l'ancien parfait indo-européen, disparition qui a déterminé la création du prétérit composé. Ensuite c'est l'usure de ce même prétérit composé, usure qui élimine la différence de sens entre les deux prétérits, et, enfin, la disparition de celle des deux formations synonymes qui est la moins commode (cf. Meillet, op. cit., p. 155). Naturellement, l'usure du sens spécial du prétérit composé n'est pas la seule cause enjeu. Il y a toute une concordance de causes sur les différents domaines où l'on constate l'élimination du prétérit simple, mais l'usure en est la principale. Les causes directes des changements morphologiques sont donc des conditions constantes qui règlent l'évolution morphologique. Elles ne sont que des possibilités et sont encore en cela du même plan que les lois phonétiques. Les vraies causes sont constituées par des "conditions variables qui permettent ou provoquent la réalisation de ces possibilités". Ces conditions sont fournies par la structure de la société (cf. Meillet, op. cit., p. 13 et suiv.). La morphologie générale doit avoir pour objet principal de déterminer toutes les conditions constantes qui règlent l'évolution morphologique, tout comme la tâche de la phonétique générale est de poser les lois qui décident des développements phonétiques.
"LA PHILOSOPHIE LINGUISTIQUE
FRANÇAISE"
R É P O N S E À M. H J A L M A R FALK*
Sous ce titre, M. Hjalmar Falk, professeur de langues germaniques à l'Université de Christiania, a publié dans le Ârsbok de la Société des Lettres de Lund, 1923, un article où il critique sévèrement la doctrine des linguistes français, et surtout celle de M. Meillet. M. Falk n'aurait pas dû limiter ces critiques aux Français seuls - un des fondateurs de l'école française a été Ferdinand de Saussure, et l'on sait que des linguistes suisses ont pris part, très activement, au développement des idées de l'école. L'article de M. Falk a une histoire. A la suite d'un compte-rendu du dernier ouvrage de M. Vendryes (Le langage) que j'avais publié dans la revue norvégienne Maal og Minne, M. Falk a fait une conférence à l'Académie de Christiania, où il a prononcé une condamnation sommaire de MM. Meillet et Jespersen et de ma modeste personne. L'article était déjà composé et corrigé à la revue Maal og Minne - M. Falk a eu la courtoisie de m'en envoyer un exemplaire - quand, à la suite d'une contreconférence que j'avais faite à la même Académie, M. Falk l'a retiré pour le refondre et le publier à Lund après l'avoir exposé dans une conférence au petit congrès de linguistes suédo-norvégiens de l'été 1923, à Gothembourg, où je n'étais pas présent. L'article de Y Ârsbok n'a pas subi de remaniements très profonds. Les critiques contre M. Jespersen n'y figurent plus, quelques-unes des affirmations les plus sensationnelles ont disparu, quelques exemples ont été changés, mais les idées sont, en substance, demeurées les mêmes. Le ton de l'exposé est plus discret. Ma réponse à la première conférence de M. Falk vient de paraître dans les Forhandlinger de l'Académie de Christiania (no 6, 1923). Je donnerai ici une nouvelle réponse adaptée à la seconde édition des critiques de mon compatriote. D'après M. Falk, les linguistes français donnent une valeur exclusive au côté social de la langue dans l'analyse des changements linguistiques. Cette affirmation ne laisse pas de surprendre ceux qui connaissent les travaux qui ont fondé la phonétique dite évolutive. Pour juger des idées sur le caractère social de la langue que se font des linguistes français, il serait nécessaire d'essayer de comprendre ce qu'ils entendent par le terme social. M. Falk n'y fait pas la moindre tentative. La page 230 de la Linguistique historique et linguistique générale de M. Meillet aurait dû le lui apprendre et la petite * Déjà publié dans le Bulletin de la Société de Linguistique de Paris, XXV (1924).
" L A PHILOSOPHIE LINGUISTIQUE FRANÇAISE"
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Méthode sociologique de Durkheim le lui aurait expliqué très clairement. J'exposerai, très brièvement, ce que nous comprenons par un fait social. Dans la vie de l'homme, il y a des fonctions qui ont lieu à l'intérieur de la société sans pour cela être de caractère social. Nous dormons, mangeons, buvons, pensons, sans qu'on puisse qualifier ces fonctions de sociales. Il y a, cependant, à l'intérieur de la société, un grand nombre d'autres fonctions qui sont de caractère essentiellement différent. Quand je salue ou quand je me marie, quand j'arrange un enterrement ou encore quand je fais des achats, j'accomplis quelque-chose qui est indépendant de moi-même et qui est déterminé par l'usage ou par des règles juridiques. Cet usage a une existence en dehors de moi-même et est indépendant de l'emploi individuel que j'en fais. Les manières d'agir, de penser ou de sentir qui ont ce caractère ne sont pas seulement indépendantes de la conscience individuelle mais peuvent, le cas échéant, exercer une contrainte sur celle-ci. On le voit quand on essaie de s'y opposer. Si je ne conforme pas mes actes aux règles juridiques, je suis puni. Si, par excentricité, je m'habille à la façon des vieux Romains, je m'expose au ridicule. Mes amis réagiront. La plupart d'eux m'éviteront. Nous sommes également ici en présence d'une coercition qui ne diffère pas en principe de celle qu'exerce la loi. Les faits de cette sorte ne doivent pas être confondus avec les phénomènes organiques, puisqu'ils consistent en représentation et en actions, ni avec les phénomènes psychiques, lesquels n'existent que dans la conscience individuelle et par elle. On les appelle sociaux. Ils n'ont pas pour substrat l'individu, mais la société, soit la société dans son intégralité, soit un des groupes partiels qu'elle renferme. Le fait social ne se rencontre pas seulement là où il y a organisation définie. On le voit par exemple dans la suggestion collective qui nous saisit souvent contre notre volonté. Il arrive que nous ne sachions pourquoi nous avons pris part à une action originée dans une telle suggestion collective et que nous regrettions, après, ce que nous avons fait. On l'a vu bien souvent à cette époque de grandes crises. Durkheim a appelé ces phénomènes des courants sociaux; ils ne sont pas seulement de durée brève comme la suggestion collective, mais aussi plus durables comme les mouvements d'opinion qui se produisent dans toute l'étendue de la société ou dans un de ses cercles plus restreints. On voit que le fait social n'est pas identique au fait général. Les phénomènes sociaux ont leur existence en dehors de l'individu. Leurs manifestations privées ont bien quelque-chose de social parce qu'elles reproduisent en partie un modèle collectif, mais elles dépendent aussi de la constitution organico-psychique de l'individu. Avec Durkheim on les appelle socio-psychiques. Elles n'appartiennent pas à la sociologie propre. Le fait social se définit donc, d'après Durkheim, ainsi : Est fait social toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d'exercer sur /'individu une contrainte extérieure -, ou bien encore, qui est générale dans l'étendue d'une société donnée tout en ayant une existence propre, indépendante de ses manifestations individuelles (Durkheim, Règles
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"LA PHILOSOPHIE LINGUISTIQUE FRANÇAISE"
de la méthode sociologique, septième édition, Paris, 1919, p. 19; je n'ai pu donner ici qu'un exposé très sommaire de la doctrine de l'illustre sociologue). Le caractère de la langue est exactement conforme à cette définition du fait social. La langue est le type d'un fait social. Elle est une partie du langage, elle est indépendante de l'individu qui la parle, mais d'autre part existe seulement là où il y a des individus. Nous ne pouvons pas la changer à notre gré. La langue est un fait social. L'emploi individuel que l'on en fait est de caractère organico-psychique comme toutes les manifestations privées de tous le phénomènes sociaux. Ferdinand de Saussure a appelé ces manifestations individuelles parole. Il va de soi qu'on ne peut négliger le côté socio-psychique des faits linguistiques. Les changements linguistiques partent du domaine socio-psychique, mais pour devenir des changements linguistiques il faut qu'ils soient de caractère social. On doit distinguer nettement entre les variations particulières de la parole et les changements linguistiques. Si je dis, à un moment donné, ralité pour rarité cette variation n'est pas un changement linguistique. Par contre, le développement de fille (avec / mouillé) en fiy en est un. M. Falk ne fait pas cette distinction, et reproche aux linguistes français de croire que la dissimilation est "directement provoquée par des facteurs sociaux". Les linguistes français ne se sont jamais rendus coupables d'une telle confusion d'idées. La dissimilation est une loi générale conditionnée par la constitution organico-psychique de l'individu qui est la même chez tous les hommes. Elle n'est pas la cause du changement linguistique dont elle fait partie. Le procès de la dissimilation a lieu et a eu lieu partout où il y a des hommes; c'est seulement quand il est combiné avec un élément social qu'un changement linguistique est possible. Les faits sociaux ne s'expliquent que par des faits sociaux. M. Falk prétendait, plus explicitement dans sa première conférence que dans l'article de l'Ârsbok, que le procès du changement était la cause du changement linguistique, lequel serait donc de nature organico-psychique. Un procès qui peut avoir lieu partout et à tout moment expliquerait suffisamment un changement linguistique donné. M. Falk cite l'ouvrage célèbre de Wundt et oppose ce que dit celui-ci ( Völkerpsychologie, troisième édition, II, p. 481): die geistigen Vorgänge sind stets als die nächsten Ursachen der Begriffsentwickelungen und der aus ihnen hervorgehenden Bedeutungsänderungen anzusehen, à ce que j'ai écrit. Il n'y a pas ici d'opposition réelle et le grand savant allemand se serait certainement plaint s'il avait su quelles conclusions M. Falk a tirées de ses idées. Wundt ne nie pas du tout l'importance des faits sociaux mais remarque qu'ils sont difficiles à saisir (voir, par exemple, op. cit., II, p. 610 et suiv.), et s'intéresse surtout au côté organico-psychique de l'individu. Personne ne niera que le détail des faits sociaux est souvent difficile à discerner. Mais on ne peut, pour cela, les exclure des recherches et l'on est justifié de conclure du connu à l'inconnu. Il va de soi qu'on peut discuter sur ce qu'on doit appeler cause, du moment que le changement ne peut s'accomplir que par la combinaison d'un fait social et d'un fait organico-psychique. Mais il semble nécessaire de ne pas appeler cause efficiente le procès qui peut avoir heu partout et à tout moment sans pour cela
"LA PHILOSOPHIE LINGUISTIQUE FRANÇAISE"
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résulter en un changement linguistique. Les idées de M. Falk sur la causalité sont d'ailleurs assez étranges. Dans sa conférence à l'Académie de Christiania, il employait l'image de l'homme qui jette une pierre à un animal et le tue, et soutenait qu'ici la pierre était la cause efficiente de la mort de l'animal. C'était seulement quand on "voulait compliquer les choses qu'on demandait après l'homme et ses intentions". Si le procès seul était une explication suffisante, on aboutirait à des conclusions singulières, par exemple dans l'étude des changements de sens. On sait dans quelles circonstances, en 1880, le nom du capitaine Boycott a pris le sens de boycotter. Ici, donc, tout ce qui importerait serait l'extension du sens du nom propre Boycott. Les conditions sociales in Irlande à cette époque n'auraient pas d'intérêt. Il n'y a pas de divergence fondamentale entre la doctrine du "choix sociologique" et celle que j'ai exposée ici. Le terme "choix sociologique" ne semble pas très heureux du moment que l'élément social est le primaire du point de vue du changement sociologique. C'est quand les procès organico-psychiques rencontrent des éléments sociaux qu'il peut y avoir des changements linguistiques. Nous ne plaçons donc pas la cause après l'effet ainsi que le croit M. Falk. Après ces considérations générales, je traiterai des critiques de M. Falk plus en détail. M. Falk s'attaque surtout à l'article que M. Meillet a écrit sur les changements de sens des mots et essaie de le réduire à l'absurde. Le raisonnement de M. Falk surprend ici peut-être encore plus qu'ailleurs. On doit remarquer, d'abord, que M. Falk a mal compris quand il prétend que M. Meillet et les linguistes français négligent le côté organico-psychique des changements. M. Meillet met, au contraire, bien en relief le travail qui a été fait ici, et surtout celui de Wundt, mais il soutient que les faits organico-psychiques ne sont nulle part la cause efficiente qui détermine les changements. L'article en question se propose donc de déterminer et de classer ces causes sans prétendre qu'elles constituent tout ce qu'on doit rechercher en sémantique. M. Meillet classe les changements de sens en phénomènes sociaux provenant: 1) des conditions proprement linguistiques, 2) des changements des choses exprimées par les mots, et 3) de la répartition des hommes de même langue en groupes distincts. Il est permis de croire qu'on ne peut les classer mieux et les exemples cités par M. Falk montrent à l'évidence qu'il n'a pas saisi le principe du classement. Une métaphore en tant que métaphore n'est pas un changement de sens. Il est clair que la métaphore est un fait général conditionné par la constitution organico-psychique de l'individu. Cependant, le choix de la métaphore est déterminé par l'état social. Il va de soi que quelques-unes des circonstances dans lesquelles se trouvent les hommes sont les mêmes partout. Cela ne saurait être une objection. Mais quand M. Falk soutient que lorsque le terme svin (cochon) est appliqué à une personne malpropre, l'image est trop proche pour avoir besoin d'être expliquée par des facteurs sociaux, il doit également supposer que l'image du cochon s'emploie partout dans le monde, aussi chez les peuplades qui ne connaissent pas l'existence de cet animal. M. Falk cite l'exemple du norvégien mark. "En vieux norvégien ce mot signifiait
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"LA PHILOSOPHIE LINGUISTIQUE FRANÇAISE"
"forêt" et la signification actuelle provient de ce que les localités en question, après avoir été défrichées et cultivées, ont conservé leur ancien nom. D'un autre côté, cette modification du sens du mot mark a pris naissance parmi les agriculteurs et non pas parmi les pêcheurs, navigateurs ou chasseurs. Selon la classification de Meillet, ce mot appartiendrait donc à la fois à la classe 2 et à la classe 3." Il est clair que le changement de sens du mot, ou plutôt son sens spécialisé - le sens de "forêt" que M. Falk donne au vieux norrois mçrk étant trop étroit (voir ce qu'il dit lui-même avec Torp chez Fick, Idg. Wôrterb., quatrième édition, III, p. 312, et Norw.-dân. etym. Wôrterb., s.v.), il est clair que le changement a pris place parmi les agriculteurs, comme dit M. Falk. De là il a passé à la langue commune par emprunt (pour ce terme, voir Meillet, Ling. hist. et ling. générale, p. 232 et suiv.). Le cas appartient à la classe 3. Ce n'est pas la chose "forêt" qui a changé. M. Falk continue: "Il existe en outre des extensions et des restrictions de sens qui ne supposent pas le cercle étroit dont il a été parlé. Ainsi la gryte (marmite) norvégienne appartient à toutes les classes de la société, la signification du mot a cependant subi une extension, en ce que le matériel n'est plus limité au grjôtsteinn (stéatite)." L'objection est incompréhensible. L'extension de sens n'est pas nécessairement liée à la cause. M. Falk cite enfin le cas depusling. "En danois il a gardé le sens d'un être fantastique (gnome, lutin), par cela aussi d'une personne rabougrie ; en norvégien ce mot s'emploie généralement en parlant d'une personne qui s'occupe avec lenteur de petites choses sans importance. Il est évident que cette dérivation de sens est due à l'association avec le verbe absolument étranger pusle." Il est difficile de déterminer ce qui a rendu possible l'association avec le verbe pusle, mais l'on ne peut, pour cela, soutenir que la cause appartient au domaine organico-psychique. Il y a plusieurs possibilités. Par exemple l'usure sémantique de pusling. Ou que le mot a été employé dans un groupe social où le caractère expressif du mot n'était plus vivant, les croyances de cette sorte s'étant affaiblies. M. Falk s'attaque ensuite à ce que j'ai écrit sur l'analogie morphologique. J'ai soutenu, d'accord avec les linguistes français, que l'analogie ne provoque pas ellemême des changements. Prenons un exemple qui fixera les idées. Il y a eu, dans la conscience des sujets parlant latin, une association entre les cas où l'on employait, avec des verbes de mouvement, la préposition dë (et d'autres prépositions) et l'ablatif, en général, et un ablatif sans préposition pour le groupe de noms géographiques. Ainsi on trouve chez Plaute: sciens de uia in semitam degredere (Cas., 675), mais triennio post Aegypto aduenio domum (Mo., 440). Plus tard, de pénètre aussi sur le domaine des noms géographiques: euntibus autem de Ierusolima (S. Siluiae perigrinatio ad loca sancta. Corp. script, eccles., XXXIX, chap. XXIX, 4). Il est clair que l'association en question n'explique pas pourquoi ce changement a eu lieu, mais seulement comment. La cause se trouve dans la dissolution de la flexion nominale latine. Beaucoup de linguistes raisonnent, cependant, comme si l'emploi de de Ierusolima s'expliquait seulement par
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l'influence de de uia. Pour M. Falk, il n'y a d'association qu'au moment où de Ierusolima s'est produit. Le rapport qui existait avant entre de uia et Roma ne l'intéresse pas. Il nous intéresse, et son importance a été démontrée surtout par Ferdinand de Saussure. M. Falk soutient que l'association contient précisément le principe du changement, "c'est-à-dire qu'elle en est la cause. Elle est une force psychique qui, de même que la pesanteur, se fait sentir partout où les conditions sont présentes" (les italiques sont de moi). Comment M. Falk peut concilier ce passage avec ce qu'il a soutenu plus haut m'est incompréhensible. La conclusion logique de ses idées serait que, quand, par exemple la pluie et la glace détachent un morceau d'un rocher sur la cime d'une montagne et le font tomber au fond de la vallée, cette chute s'explique uniquement par la force de la pesanteur. Cependant, dans l'article de VÂrsbok à l'opposition de sa première conférence, M. Falk n'exclut pas tout à fait ce que nous appelons causes et qu'il qualifie de causes secondaires. Comme exemple, il nomme la fameuse théorie du tempo. Cette théorie pourrait expliquer l'évolution de la langue norvégienne à l'époque des expéditions des vikings. Autre part, M. Falk a expliqué la réduction syllabique du norvégien par ce tempo. Or, cette réduction syllabique est la plus avancée dans les dialectes du pays de Trondhjem où la population est fameuse pour la lenteur de sa parole. Les conséquences de la théorie ne laissent pas d'être amusantes. Je ne m'attarderai pas beaucoup à ce que dit M. Falk de la dissimilation. C'est en vain que je cherche un principe cohérent dans son exposé. M. Falk n'est pas seul à mal comprendre les idées de M. Grammont. Ceux qui les ont comprises savent que le principe de M. Grammont s'applique à toutes les langues - il y a ici question de langues aussi différentes que le marathe, le latin et l'irlandais de Donegal, pour ne mentionner que celles-ci. Pour rejeter le principe de M. Grammont, on doit ou bien démontrer que toutes les explications des auteurs qui l'ont appliqué sont fausses, ou bien prouver que le principe ne peut pas être appliqué à une langue donnée. Pourquoi ne pas prendre une des langues scandinaves? M. Falk reproche à l'école française d'employer les termes loi, formule, tendance sans précision. Ces termes ont, cependant, toute la précision qu'on puisse désirer. Considérons d'abord le terme loi. Nous savons que les procès organico-psychiques sont de caractère général. L'emploi individuel que nous faisons de la langue, la parole, est dirigé par certains principes fondamentaux et généraux (voir Jac. van Ginneken, Principes de linguistique psychologique, surtout les pp. 244 et suiv.). D'autre part, les phénomènes dont nous nous servons appartiennent tous à des types généraux. Un phonème donné n'est jamais exactement le même d'une langue à l'autre, mais les phonèmes d'un même type ont tout de même des caractères essentiels en commun. Nous attendons donc que les procès de changement pourront présenter les mêmes caractères essentiels. C'est aussi ce que nous trouvons, dans la dissimilation, dans la différenciation ou encore dans la segmentation, pour ne mentionner que
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celles-ci. Nous appelons l'élément général et constant d'un procès une loi. La généralité de la loi découle de la constitution organico-psychique de l'individu. La loi est donc une abstraction. De même qu'un phonème d'une langue donnée présente un aspect particulier d'un type général, la loi prendra un aspect particulier dans une langue donnée sans perdre, pour cela, ses caractères essentiels. On appelle formule cet aspect particulier pris par la loi. La notion de la tendance n'est pas moins précise. M. Grammont l'a définie avec la circonspection et la précision qu'on lui connaît. On a remarqué que l'évolution phonétique d'une langue donnée peut présenter des traits généraux, que les changements peuvent avoir un certain caractère spécial. C'est ce caractère spécial que nous appelons tendance. Une tendance typique est celle du groupe indien qui cherche à rassembler les articulations vers le milieu de la voûte palatine. Une tendance s'explique par toute l'histoire antérieure du milieu qui parle la langue en question, par les caractères spéciaux de ce milieu. Une tendance n'est pas limitée à la phonétique; on a aussi des tendances morphologiques. M. Falk affirme: "Par loi générale, Grammont définit une tendance à rassembler les articulations vers le milieu de la voûte palatine qui peut être observée dans les langues indo-européennes de l'Est, et seulement dans celles-ci." Je demande où M. Grammont aurait confondu tendance et loi. Ce passage des critiques de M. Falk jette une lumière cruelle sur la façon dont M. Falk lit les linguistes français. De la tendance, il faut distinguer la tendance naturelle. Par tendance naturelle on peut définir, par exemple, la susceptibilité de changement qu'ont certains phonèmes, par rapport à d'autres, à cause de leur nature ou de leur position dans le mot. Un autre exemple est fourni par la tendance à constituer une syllabe harmonieuse quant à l'ouverture des phonèmes et, par suite, en sonorité. Le principe même de la syllabe n'est pas l'ouverture relative des phonèmes ainsi qu'a cru Ferdinand de Saussure, mais sans doute celui qu'enseigne M. Grammont. Dans sa première conférence, M. Falk divisait l'histoire de l'évolution de la linguistique générale en trois époques, l'époque "téléologique", l'époque "mécanique" et l'époque "psychologique". Cependant, les idées directrices des époques antérieures n'étaient par mortes encore, mais l'on pouvait les rencontrer "confondues dans les même cerveau". C'était le cas de M. Jespersen. Maintenant M. Falk reproche à M. Meillet de parler "d'une tendance ou d'un effort pour isoler un mot-forme indépendant de la position du mot dans la phrase - c'est-à-dire dans un esprit absolument téléologique". Le principe que pose ici M. Meillet n'est pas étranger à la plupart des linguistes. Il a été très discuté en Allemagne ces années dernières. Quand on parle d'une certaine "logique" dans le développement linguistique, cette logique doit être vue à la lumière de ce que nous savons sur l'automatisme psychologique. C'est surtout le P. Jac. van Ginneken qui a étudié les rapports qu'il y a entre les procès organico-psychiques qu'on rencontre dans la parole et les principes de l'automatisme psychologique, dans l'ouvrage remarquable déjà cité, où il s'appuie
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sur les études de M. Pierre Janet. Il est évident que nous trouvons l'explication des lois phonétiques dans ces principes. La doctrine de M. Jespersen et des linguistes français ne peut être qualifiée de "téléologique" que par une considération très superficielle. Nous savons des actions qu'apprend l'enfant et de celles que nous apprenons nous-mêmes qu'elles peuvent devenir automatiques, c'est-à-dire qu'elles peuvent s'accomplir sans que notre psychisme supérieur en soit averti. Un des mérites de M. Jespersen est d'avoir montré très clairement que, dans l'apprentissage que l'enfant fait de la langue, le psychisme supérieur joue un rôle considérable. Il est facile de faire les mêmes observations qu'a faites M. Jespersen. C'est ainsi que mon petit neveu, à l'âge de deux ans, répétait très consciencieusement, le matin au lit avant qu'on venait pour l'habiller, les mots qu'il savait, et maintenant ma petite fille (19 mois) fait la même chose. Il n'y a donc pas de différence entre l'apprentissage de la langue et celui d'autres actions. D'autre part, on sait que nous faisons nombre de mouvements, par exemple pour prévenir un danger possible, sans en prendre conscience. De plus, des cas de maladie, par exemple, d'automatisme comitial ambulatoire, nous ont appris qu'on peut, en toute apparence, se comporter d'une façon normale sans que le psychisme supérieur entre en jeu (voir surtout l'étude célèbre de Charcot, publiée dans les Leçons du mardi à la Salpêtrière, Policlinique, 1888-89, p. 303 et suiv.). Les idées de MM. Jespersen et Meillet trouvent donc une justification complète.
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La question du mélange des langues a joué un grand rôle dans la discussion des problèmes de la linguistique générale et les opinions sur ce qu'il faut entendre pas ce terme ont divergé considérablement. L'influence d'une langue ou d'un parler sur une autre langue ou sur un autre parler est de caractère différent suivant la parenté historique des deux. Quand il s'agit de langues ou de parlers qui sont très proches les uns des autres et quand les sujets parlants des groupes différents arrivent à se comprendre, plus ou moins bien, entre eux, l'influence peut s'étendre à tout le système linguistique, aussi bien à la phonétique qu'à la morphologie et au vocabulaire. Ce type d'influence est généralement fourni par l'action de la langue de civilisation, de la langue commune, sur les parlers qui lui sont apparentés mais qui ne jouissent pas du même prestige social. Actuellement on peut suivre ce type de mélange linguistique dans la plupart des pays européens, par exemple en France ainsi que M. Meillet l'a montré au chapitre VII de sa Méthode. Cependant, les systèmes morphologiques des parlers français locaux résistent en général pendant quelque temps, à part les éléments de caractère plutôt lexicologique, pour ne disparaître que d'un seul coup (voir Oscar Bloch, La pénétration du français dans les parlers des Vosges méridionales, Paris, 1921). En Norvège, un exemple excellent est fourni par l'influence danoise. Dans ce pays, les parlers des classes moyennes des villes sont d'origine norvégienne et apparentés de près aux parlers ruraux du pays environnant, mais ces parlers ont été très influencés, aussi bien pour ce qui est de la grammaire que pour ce qui concerne le vocabulaire, par le danois provincial, la "langue solennelle" (hoytidssproget), qui était du danois plus ou moins pur, prononcé avec le système phonétique norvégien. Au siècle dernier, la langue moyenne des villes de l'Est a fusionné avec la "langue solennelle" pour former le riksmâl actuel. Mais ce n'est que par les réformes de 1907 et de 1917 que cette langue a été prise comme norme pour la langue écrite qui, jusqu'à cette époque, était restée danoise à quelques modifications près, exception faite de son vocabulaire qui s'était graduellement rempli de mots norvégiens. Le riksmâl n'est donc pas un danois provincial comme l'affirme d'une façon simpliste tant de manuels étrangers. C'est une véritable langue mixte, ayant un système phonétique foncièrement norvégien mais renfermant des répartitions * Publié déjà dans Avhandlinger; Det Norske Videnskaps-Akademi, Hist.-Filosof. Klasse, 1925, no. 4 (Oslo, 1926).
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de phonèmes qui ne s'expliquent que par le danois, une morphologie composée d'éléments aussi bien norvégiens que danois, et un vocabulaire contenant une partie considérable de mots et de formes de mots danois, à côté du grand stock de mots norvégiens. C'est cet état de choses qui a rendu possible le si curieux procès de la norvégisation. (Pour un cas allemand similaire, à beaucoup d'égards, cf. Borchling, fViss. Beih., 5 Reihe, p. 193 et suiv.). Quand la parenté historique des deux langues en contact est plus lointaine ou fait tout à fait défaut, l'influence s'exerce d'une façon différente et moins évidente, quand on excepte le vocabulaire qui semble pouvoir recevoir une quantité illimitée d'éléments étrangers. Néanmoins, le système phonétique peut être profondément influencé dans les cas où une langue est adoptée par une population ayant parlé d'abord une langue différente. Alors la phonétique de la langue disparue peut pénétrer dans celle qui a été adoptée. Il suffit de rappeler ce qui se passe actuellement dans certaines parties de l'Irlande et dans des villes bretonnes. C'est pourtant quand on considère le système morphologique que la question se complique. On sait que l'évolution des catégories grammaticales prises en elles mêmes, sans tenir compte des moyens par lesquels elles sont exprimées, peut être déterminées par l'influence du substrat. C'est de cette manière que M. Meillet explique la disparition de la catégorie du genre en arménien. Il est bien difficile, toutefois, de discerner, dans des cas de ce genre, ce qu'on doit attribuer à l'influence du substrat de ce qui se comprend par l'évolution naturelle de la langue et qui est déterminé par l'histoire de la société qui se sert de la langue en question. Il serait sans doute bien difficile, sinon impossible, de faire une telle distinction dans le cas des langues occidentales. Mais le cas arménien est plus clair. La flexion arménienne ne s'est pars simplifiée de la même manière que celle des langues occidentales; on peut même dire que l'arménien s'est cramponné au système casuel en dépit des réductions radicales qu'ont subies ses syllabes finales. Et, d'autre part, on sait qu'il existe à proximité de l'arménien des langues qui ne connaissent pas les catégories des genres grammaticaux. Le cas arménien a, de plus, l'avantage de montrer qu'il est légitime de chercher un certain type de mentalité des sujets parlants derrière les changements morphologiques de ce genre. Il s'ensuit que les simplifications qu'ont subies les morphologies des langues de l'Occident ne sont pas de nature purement mécanique bien qu'on ne puisse pas préciser le rôle de la mentalité dans les changements en question. Tout ce qu'on peut affirmer c'est que le type de mentalité des sociétés de l'Europe occidentale n'était pas opposé à un système morphologique analytique (cf. le compte-rendu de la discussion qui a eu lieu le 16 mai 1925 à la Société de Linguistique de Paris, B.S.L., no. 79, p. XX-XXI). La question du mélange des éléments formatifs de deux systèmes grammaticaux présente plus de difficultés. L'ancienne école de linguistes considérait un tel mélange comme une impossibilité. Le propos de Whitney, cité par M. Jespersen (Language, p. 213, Whitney, Language and the Study of Language, p. 199) est caractéristique à cet égard: Such a thing as a language with a mixed grammatical apparatus has never
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come under the cognizance of linguistic students: it would be to them a monstrosity ; it seems an impossibility. Les linguistes de notre temps s'expriment d'une façon moins absolue. Il est bien connu que des suffixes et des préfixes d'origine étrangère peuvent pénétrer dans une langue par des mots empruntés et que des particularités grammaticales peuvent être adoptées par des langues spéciales ; ainsi la flexion latine des mots latins a été introduite dans des langues scientifiques et la désinence du pluriel en s de mots étrangers a pénétré dans la langue du commerce en Norvège, par exemple: ordres, checks,jumpers, etc. Dans la plupart de ces cas, cependant, il s'agit d'éléments morphologiques de nature plutôt lexicale ainsi que le fait remarquer par exemple M. Sapir (Language, p. 216; cf. aussi l'ouvrage de M. Oscar Bloch, cité ci-dessus; de plus, Kock, Om spràkets fôràndring, p. 26 et suiv.). Mais au fond l'opinion des linguistes modernes ne diffère pas radicalement de celle de Whitney (cf. pourtant Vendryes, Langage, Quatrième partie, chapitres IV et V, qui admet l'hybridation des langues dans des cas exceptionnels). Il est significatif que l'extension de la désinence du pluriel en -s de l'anglais n'est plus expliquée comme due à l'influence française, mais comme compréhensible par l'évolution intérieure de l'anglais dans laquelle, cependant, selon M. Jespersen (op. cit., p. 214), la présence des Danois a joué un certain rôle, et, de plus, que M. Schuchardt, qui dans ces questions occupe une place originale, n'explique plus la désinence en -s du génitif indo-portugais, par exemple gobernadors casa, par l'influence de l'anglais, mais comme développée de cas tels que gobernador su casa correspondant à guvermren sitt hus qui en serait la traduction dans l'Ouest et le Nord de la Norvège (cf. Jespersen, loc. cit. ; Schuchardt, Sitzungsberichte der preussischen Akademie der Wissenschaften, 1917, p. 526; de plus, Paul, Prinzipien4, p. 400). Il est, cependant, vraisemblable que le caractère spécial des langues indo-européennes avec leurs systèmes grammaticaux fermes et difficilement influençables, détermine chez les linguistes des vues un peu exclusives sur ces questions. M. Meillet en a le sentiment, surtout quand il insiste (op. cit., p. 83) sur la nécessité qu'il y aurait à élaborer des méthodes nouvelles, plus délicates que celles dont on se sert à présent, si l'on venait à rencontrer des cas de systèmes grammaticaux à origine double. Et la question s'est déjà posée pour d'autres groupes de langues de caractère différent de celui de l'indo-européen, parlées dans des conditions sociales différentes. Mais même dans les langues indo-européennes il peut exister des cas spéciaux où une influence grammaticale s'est exercée sur la langue dans sa totalité, et non pas seulement sur des langues spéciales. C'est ce qui a eu lieu dans certains parlers de populations bilingues (cf. Sandfeld, Sprogvidenskaben2, p. 182). Ainsi en gallois la désinence du pluriel en -s de l'anglais a pénétré dans les parlers modernes. Ce cas présente un grand intérêt général puiqsue la présence de ce s ne peut pas provenir d'une évolution intérieure du gallois. Les langues celtiques fournissent un excellent champ d'observation à celui qui veut étudier la nature de l'influence d'une langue sur une autre qui lui est totalement différente. Les langues celtiques modernes se trouvent toutes à l'ombre des langues de civilisation les plus puissantes de notre époque - on sait que la parenté historique de
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ces langues avec le celtique ne joue plus aucun rôle linguistique. En gros, l'influence de l'anglais ou du français sur les parlers celtiques est limitée au vocabulaire, au moins dans les cas qu'a pu observer l'auteur de ce petit mémoire, c'est-à-dire l'irlandais de Gweedore en Donegal, le district de St. Pol. de Léon en Bretagne et le centre et le nord du Pays de Galles. L'influence étrangère était la moins prononcée en Donegal à cause de la position isolée du champ d'observation. A St. Pol. de Léon, l'influence du français était forte mais se traduisait presque exclusivement par des faits de vocabulaire; l'action du français sur la grammaire du parler était limitée à l'introduction d'éléments de nature plutôt lexicale, par exemple memes "même" et tu:t "tout". En Galles, le vocabulaire était moins atteint qu'à St. Pol tandis que, de l'autre côté, on y trouve des influences de caractère nettement grammatical. Les formations du pluriel sont extrêmement variées dans les langues brittoniques qui, encore moins que la plupart des langues germaniques, sont parvenues à rendre uniforme leur flexion du pluriel. A Llan bryn Mair, au centre du Pays de Galles, on trouve cette belle série de désinences du pluriel : -ç, par exemple am'rantç "sourcils" de amrant. -jç, par exemple brinjç "collines" de brin (bryn). -jon, par exemple brëvôuidjon "songes" de brëiôuid (breuddwyd). -/', par exemple fe-nestri "fenêtres" de fenest (ffenestr). -iô, par exemple a'deniô "ailes" de aden. -oid, -oô, par exemple miL-tiro{i)ô "lieues" de miLtir (milltir). -eô, par exemple, baseô "doights" de bi:s (bys). -ed, par exemple mçr%ed "filles" de mçr% (merch). -jed, par exemple é-veLjed "jumeaux" de eveL (gefell). -od, par exemple crlar%od "cygnes" de alar% (alarch). Et dans beaucoup de cas le pluriel est formé par "flexion interne", par exemple gwi:r "hommes" de gu.r (gwr) ou par les deux procédés réunis, par exemple bodjç "pouces" de baud (bawd), etc. Vu cette multitude de formations différentes, il n'est pas trop surprenant de trouver la désinence du pluriel de l'anglais maintenue dans des mots empruntés à l'anglais, par exemple dans p\œ\ts "plats", brasis "brosses". 11 est plus étrange, soit dit en passant, que les règles de mutation grammaticale de l'initiale du mot, si caractéristiques des langues celtiques, ne soient pas toujours observées dans les mots d'origine anglaise, ainsi par exemple dans g'œ:t "porte" qui est du genre féminin mais qui, avec l'article, est s g'œ:t (et non pas ar œ\t). L'influence de l'anglais va plus loin. Il existe en gallois des substantifs à sens collectif mais qui, du point de vue de la forme, sont des singuliers. Pour exprimer un seul exemplaire de l'espèce, on se sert d'une dérivation en -in au masculin et en -en au féminin - c'est le soi-disant "singulatif ", par exemple plant "enfants" : plentin "enfant". Toutefois, le singulatif est une catégorie grammaticale qui, évidemment, est au point de disparaître. Dans certains cas on trouve une désinence du pluriel accrochée à celle du singulatif, par exemple gro nanç "grains" de gronin (gronyn) et quelquefois une forme
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du pluriel ordinaire se trouve en face du singulatif, par exemple kirniij'en "lapin", pl. kwnitjod (cwningen). Il est donc significatif de trouver le s de l'anglais ajouté à des collectifs auquels on a, évidemment, voulu donner une marque de pluriel, par exemple se:rs "étoiles" (se:r se trouve aussi): singulatif sçren, forme qui se recontre aussi à Bangor (voir FynesClinton, Voc., s. u.); cf. de même kirts "cordes" : singulatif kortin (cort, cortyn D.). Comparer de Rosins plus (à côté de Rosanç "roses" de Rosin (rhosyn) et pe:rs (à côté de pç-ranç "poires") de pçran; cette dernière forme peut, cependant, avoir été prise directement à l'anglais moderne pears. Dans quelques autres cas on s'est également servi de la désinence anglaise. Le pluriel ordinaire de milgi "chien de chasse, lévrier" est milguns qu'on emploie plus souvent que la vieille forme milgun (milgi, milgwn), un pluriel tout à fait anomal. Dans ce mot le s se trouve aussi à Caernarfon (Sweet, Coll. Pap., p. 528) et à Bangor (Fynes-Clinton, Voc., s. u.). Le mot simple ki: "chien" a gardé son vieux pluriel ku:n (ci, cwn). L'explication de ces faits doit être cherchée dans la différence des sphères d'emploi des deux mots, ki: est un mot des plus usuels tandis que milgi est plutôt rare; la chasse, qui est maintenant le privilège des lords ou des bourgeois riches anglais, ne joue plus de rôle dans le vie des paysans gallois. Sweet et M. Fynes-Clinton ont noté encore quelques exemples de la formation en s. A Caernarfon le pluriel de sgotur "pêcheur" est sgoturs (pysgotwr, pysgotwyr, Sweet, p. 528). Et à Bangor M. Fynes-Clinton cite, dans son vocabulaire, byturs, pluriel de bytur "mangeur" (bwytawr), %umurs, pluriel de %urnur "grondin, trigla" (chwyrnwr). Il est clair que l'ancien pluriel en -uyr, -wyr a évolué en -ur et s'est confondu avec le singulier. Cela ressort d'exemples comme morun "bonne" (morwyn, Sweet, p. 515, Fynes-Clinton, p. 379), klofrum "corde pour lier les pieds de devant d'une vache récalcitrante pendant qu'on la trait" (cloffrwym D., s. u., pedica, Fynes-Clinton, s. u.), kumus (aussi kamuys) "capable" (cymwys, Fynes-Clinton, s. u.), kunus (aussi kanuys) "encourager, inciter" (cynnwys, Fynes-Clinton, s. u.; cf. aussi Baudis, Grammar, p. 61). Toutefois le développement n'a pas eu lieu d'une façon mécanique. Dans des cas comme bridwyn "bigarré de blanc" (brithwyn, Fynes-Clinton, s. u.) et kanwyn "blanchi par le soleil" (canwyn, Fynes-Clinton, s. u.), l'association avec gwyn "blanc" a empêché le développement. Dans d'autres cas le groupe -wy-, -uy- a pu être réintroduit par des influences littéraires, plus sensibles au Pays de Galles, qui possède une véritable langue de civilisation, que dans les autres pays celtiques. Il est caractéristique, à cet égard, qu'à Bangor, d'après M. Fynes-Clinton, les jeunes disent morwyn, les vieux moruyn, morun. Enfin, la présence du groupe wy ou de la diphtongue uy peut être due à l'influence d'autres parlers, cf. Caernarfon k3%un (Sweet, p. 538) : Bangor kayuyn (Fynes-Clinton, s. u.): Llan bryn Mair ka^win "se mettre en mouvement" (cychwyn); Caernarfon keluô (Sweet, p. 515): Bangor k'eluyâ, k'elwyô (Fynes-Clinton, s. u.): Llan bryn Mair kelwiô "mensonge" (celwydd); Caernarfon eglus (Sweet, p. 515): Bangor egluys (Fynes-Clinton, s. u.): Llan bryn Mair egluis "église" (eglwys); de même anul : anuyl : anwil "cher" (annwyl) ; anud : anuyd : anuid, anwid "rhume" (anwyd).
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Il ressort de tout ceci que le s anglais a été ajouté aux noms en -ur pour distinguer le pluriel du singulier qui s'étaient confondus phonétiquement. Le s dans hyrns (Sweet, p. 528), hè'yarns, hëyyrns (Fynes-Clinton, s. u.) de hy:arn, hëyarn "fer" avec le sens de "outils de fer" est étrange. Il doit s'expliquer par un affaiblissement du sens de pluriel de cette forme où le pluriel n'était exprimé que par flexion interne, et par l'influence de l'anglais irons. Finalement, on possède à Llan bryn Mair une forme du pluriel d'aspect hybride: rumsiô "pièces d'une maison", le pluriel de ru.m : anglais room. Cette forme doit provenir d'une dissimilation de *rumsis (Bangor rumsys, Fynes-Clinton, s. u.), due à l'influence du pluriel en -iô (pour l'explication de la dissimilation voir Grammont, Revue des Langues Romanes, L, p. 305; cf. Sommerfelt, Torr, § 509; Grammont, Mélanges Vendryes, p. 179). Ce *rumsis est un pluriel fait ou sur l'anglais rooms "les pièces d'une maison; logement" ou bien sur l'anglais dialectal roomth (voir Wright, English Dialect Dictionary, s. u.). Les exemples qu'on vient d'examiner montrent d'une façon évidente que, dans les cas où l'on avait besoin d'une marque de pluriel nouvelle, on s'est servi de la désinence anglaise. Ce développement a pu se généraliser parce que le contact entre l'anglais et le gallois est intime - un grand nombre de Gallois est bilingue - , parce que l'anglais, puissante langue de civilisation, jouit d'un grand prestige et parce que les systèmes de formation du pluriel des parlers gallois manquent d'uniformité. NOTES
: ' v . -
après une voyelle signifie qu'elle est longue. sous une voyelle signifie qu'elle est ouverte, sous une consonne signifie qu'elle est sourde. sous une consonne signifie qu'elle est géminée. devant une syllabe signifie qu'elle est accentuée.
ABRÉVIATIONS t BaudiS, Grammar = Jos. BaudiS, Grammar of Early Welsh. Part I : Phonology. Philologica, Vol. II. Supplement (London, 1924). B.S.L. = Bulletin de la Société de Linguistique de Paris. D. = Davies, Antiquae linguae britannicae et linguae latniae dictionarium duplex (Londini, 1632). FYNES-CLINTON ou FYNES-CLINTON, Voc. = O . H . Fynes-Clinton, The Welsh Vocabulary of the Bangor District (London, 1913). JESPERSEN, Language = Otto Jespersen, Language. Its Nature, Development and Origin (London, 1922). MEILLET, Méthode = A. Meillet, La méthode comparative en linguistique historique. Instituttet for Sammenlignende Kulturforskning. Serie A: Forelesninger, II (Oslo, 1925). SAPIR, Language = Edward Sapir, Language. An Introduction to the Study of Speech (London, 1921). SOMMERFELT, Torr = Alf Sommerfelt, The Dialect of Torr, Co. Donegal. Vol. I: Phonology. Videnskapsselskapets Skrifter, II: Hist. Filos. Klasse, 1921, no. 2 (Christiania, 1922). SWEET ou SWEET, Coll. Pap. = Collected Papers of Henry Sweet. Arranged by H. C. Wyld (Oxford, 1912). VENDRYES, Langage = J. Vendryes, Le langage. Introduction linguistique à l'histoire. L'évolution de l'humanité, III (Paris, 1921). Wiss. Beih. = Wissenschaftliche Beihefte zur Zeitschrift des Allgemeinen Deutschen Sprachvereins, Berlin. Pour tout ce qui concerne le parler de Llan bryn Mair voir Sommerfelt, Studies in Cyfeiliog Welsh. Videnskaps-Akademiets Avhandlinger, II: Hist.-Filos. Klasse, 1925, no. 3 (Oslo, 1925).
Q U E L Q U E S R E M A R Q U E S SUR LE P R O B L È M E D E LA P A R E N T É D E S L A N G U E S *
On m'excusera de me servir, dans cette note, d'observations faites sur moi-même. Des observations comme celles dont je ferai état, ne peuvent guère être entreprises que par un linguiste sur lui-même et les réactions spontanées auxquelles est exposé le linguiste ne diffèrent pas en principe de celles du non-linguiste. Ayant été amené à pratiquer des langues diverses au cours de mes voyages d'étude, j'ai eu l'habitude d'observer les réactions que je subis dans le milieu linguistique étranger, en remettant l'explication des faits observés au moment où je dispose de données en nombre suffisant pour tenter une explication. Les premières observations dont je me servirai datent de l'année 1914 (j'avais 22 ans à cette époque), mais ce n'est que tout récemment que j'ai rapproché mes observations et essayé de les expliquer. Ces observations n'ont donc pas été faites pour servir une opinion formée a priori. On sait que, d'après M. Meillet, la classification généalogique des langues repose, en dernière analyse, sur le sentiment que des sujets parlants ont eu continuement de parler telle ou telle langue. Hugo Schuchardt y a objecté qu'on ne peut pas compter avec une volonté consciente de parler telle ou telle langue : "Der Drang nach verständlicher Rede ist gewiss etwas Unmittelbareres und Weiteres als der bewusste Wille, eine bestimmte Sprache zu gebrauchen: dass dieser immer und überall herrsche, wie Meillet annimmt, dem widersprechen zahlreiche mir bekannte und grossenteils auch von mir bekannt gegebene Tatsachen, darunter eigene Erlebnisse und sogar solche an mir selbst..." {Schuchardt-Brevier, p. 172). Schuchardt semble avoir mal compris l'argumentation de M. Meillet. Il y a question d'un sentiment, non pas individuel, mais social, du sentiment du groupe social s'opposant à d'autres groupes sociaux. Les mots de Schuchardt semblent plutôt confirmer la thèse de M. Meillet et des expériences personnelles m'ont souvent fait sentir la force de ce sentiment du groupe social. Il m'est arrivé, bien des fois, quand je parlais une langue étrangère à la foule qui m'entourait, par exemple dans des tramways, dans des autobus, etc., de ressentir du malaise. Cela a été le cas de toutes langues, quand j'ai parlé anglais ou allemand en France, français ou anglais en Italie, par exemple, et aussi quand j'ai parlé une de ces langues dans des conditions *
Paru dans le Donum Natalicium Schrijnen (1929).
QUELQUES R E M A R Q U E S SUR LE P R O B L È M E DE LA P A R E N T É DES L A N G U E S
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analogues ici en Norvège. On pourrait objecter que les premières fois que j'ai eu ce sentiment, je me trouvais à Paris dans un pays en état de guerre. Mais ce fait n'a guère joué de rôle. Je n'ai jamais eu l'occasion de parler allemand à Paris pendant la guerre et l'anglais (ou l'italien) était très bien vu de la population; on entendait d'ailleurs assez souvent parler allemand. J'ai eu le même sentiment en parlant à l'étranger ma langue maternelle avec des compatriotes, mais d'une façon un peu moins prononcée. Ce sentiment vis-à-vis de langues étrangères s'explique par l'influence du milieu dans lequel on se trouve. Un linguiste qui vient étudier la langue et la civilisation d'un groupe social donné tâche, d'une façon aussi bien consciente qu'inconsciente, de s'assimiler à ce groupe et de sentir comme lui. Se trouvant dans la foule, le sentiment social des gens qui l'entourent agit sur lui. Le sentiment linguistique en question fait partie du sentiment que le groupe possède de lui-même en tant que groupe social et fournit donc un critère de classement. Mais dans le cas des langues mixtes, comment les sujets parlants se comportent-ils 0 - J'entends ici par langues mixtes des systèmes linguistiques à grammaire double, comme les nombreux cas de linguae francae étudiés surtout par Schuchardt. Pour résoudre ce problème un article de M. Olaf Broch sur le russenorsk, la lingua franco qu'employaient avant la grande guerre les marchands russes et les pêcheurs norvégiens du Nord de 1a. Norvège dans leurs relations commerciales, fournit des données précieuses ( M a a l og Minne, 1927, p. 81-130). Le russenorsk dont la première constitution semble dater du XVIII e siècle possède les caractères d'une lingua franco. La grammaire du russenorsk, toute rudimentaire, est composée d'éléments russes et norvégiens. Or, M. Broch montre, par des témoignages indépendants les uns des autres, que les sujets, en parlant cette langue, croyaient, très sérieusement, se servir de la langue de leurs interlocuteurs - les Russes croyaient parler le norvégien, les Norvégiens le russe. Et, chose importante, ces témoignages ne sont pas isolés; Schuchardt a noté un fait analogue sans en comprendre la portée (Zeitschr. f rom. Phil., XXXIII. p. 455). Dans les cas où une telle langue aura pu subsister et se fixer, il faudra donc compter avec une tradition double. Dans le cas du russenorsk, on trouve des mots non seulement norvégiens et russes, mais aussi bas-allemands et anglais, et des faits analogues sont connus ailleurs. Il n'est pas nécessaire, pour cela, de compter avec des traditions, avec des sentiments d'origine triple, quadruple, etc. L'homme du peuple tend naïvement à assimiler les faits étrangers qu'il rencontre aux faits étrangers qu'il a déjà rencontrés. J'ai souvent pu constater cette tendance. Ainsi il m'est arrivé d'entendre, dans un petit restaurant d'étudiants à Montpellier, un propos typique à cet égard: des femmes françaises et des étudiants égyptiens parlaient de l'Égypte et l'une des femmes assurait que l'Égypte devait être comme le Brésil "parce que j'ai été au Brésil". Dans le cas du russenorsk, l'emploi du bas-allemand et de l'anglais est particulièrement aisé à comprendre: les pêcheurs du Nord de la Norvège étaient autrefois en rapports étroits avec Bergen où surtout l'influence bas-allemande était forte.
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QUELQUES REMARQUES SUR LE PROBLÈME DE LA PARENTÉ DES LANGUES
Ces faits psychologiques sont de caractère plus général; des expériences personnelles me l'ont^montré clairement. Me trouvant dans un groupe social étranger pour apprendre sa langue, je me suis toujours observé pour voir en quelle mesure je mélangeais des éléments de ma langue maternelle (le norvégien) ou ceux d'autres langues que je savais, à la langue que j'étais en train d'apprendre. Mon premier séjour à l'étranger a eu lieu dans un milieu de langue anglaise, à Dublin. Quand je commençais à pratiquer l'anglais je n'ai pas été gêné - directement - par le norvégien. Je n'introduisais pas d'éléments norvégiens dans l'anglais, mais ma prononciation se ressentait du norvégien et je calquais des expressions norvégiennes. De Dublin, je suis allé au comté de Donegal pour étudier un parler gaélique et là je n'ai été gêné ni par le norvégien, ni par l'anglais. Cela se conçoit facilement; presque tous les gens étant bilingues, j'ai pu me servir de l'anglais, en cas de nécessité, jusqu'au moment où je parlais couramment le gaélique. Ayant passé presque un an en Donegal, je suis parti étudier à Paris. A mon arrivée en France je ne parlais pas français et ne comprenais pas du tout le français parlé (on apprenait très mal le français de mon temps dans la plupart de nos lycées). A part quelques cas où j'ai été pris au dépourvu, je n'ai pas, d'une façon inconsciente, mêlé des éléments étrangers au français que j'essayais de parler. Et, chose importante, dans les cas rares où je le faisais, ce sont des mots anglais et irlandais qui me sont venus, non pas des mots norvégiens. J'ai employé mes vacances à étudier un parler breton, mais je n'ai pas eu le temps nécessaire d'apprendre à parler breton aussi couramment que je parlais irlandais. Or, quelque temps plus tard, étant allé en Italie, ce n'est ni l'anglais, ni l'irlandais, ni le français qui ont gêné mon apprentissage de l'italien, c'est le breton. Je commençais pourtant cet apprentissage (à Naples) à la fin de janvier et n'avais parlé breton depuis le mois d'octobre de l'année précédente, ayant pratiqué le français dans l'intervalle. C'était donc la langue que je maîtrisais le moins bien qui se présentait à l'esprit. Ce fait n'est pas accidentel. Il a été confirmé par une autre expérience toute récente. Après avoir fini ma description d'un parler breton, j'ai employé quelques vacances à étudier le gallois dont j'ai décrit un parler, à peu près dans les mêmes conditions que j'ai connues en Bretagne. Depuis je n'ai pas appris à pratiquer des langues nouvelles. Me trouvant, l'hiver dernier, en mission scientifique à Moscou et allant d'une institution à l'autre conférer avec des autorités de l'U.R.S.S., j'essayais de mémorer des phrases russes au cas où le portier ne comprendrait pas l'allemand ou le français. Plusieurs fois j'ai été tout étonné de constater que j'étais en train de former des phrases galloises. Le breton ne s'est pas présenté. Il y avait 9 ans de mon dernier séjour en Bretagne tandis que ma dernière visite au Pays de Galles avait eu lieu en 1925. On voit donc qu'on n'est pas exposé à mélanger des langues que l'on parle (relativement) bien et dont on maîtrise entièrement l'automatisme des articulations et la formation des phrases, fait déjà connu du langage enfantin (cf. F. Ronjat, Le développement du langage, observé chez un enfant bilingue). Ce fait contribue à faire comprendre pourquoi la structure grammaticale d'une langue victorieuse est assez
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rarement influencée directement par celle de la langue vaincue. Se trouvant en contact avec le groupe social conquérant, le groupe conquis s'assimile le sentiment linguistique du premier. Dans ce cas il n'y a donc qu'une seule tradition grammaticale. Mais là où il y a mélange véritable de deux langues irréductibles l'une à l'autre, il y a aussi deux traditions. Chacun des deux groupes en présence essaie d'adopter la langue de l'autre groupe.
LA L I N G U I S T I Q U E : S C I E N C E
SOCIOLOGIQUE*
La linguistique se trouve devant deux problèmes principaux. Premièrement : Qu'est-ce qu'une langue? Quel rôle joue-t-elle dans la société? Et deuxièmement : Comment et pourquoi les langues se transforment-elles? Qu'est-ce qu'une langue? Voilà une question que bien des linguistes ne se sont jamais posée; ceux qui y ont répondu, l'ont fait de manières très différentes. Au XX e siècle on a soutenu que la langue serait un organisme. L'Allemand Bopp, l'un des fondateurs de l'étude comparative des langues indo-européennes, se servait de cette expression, mais il entendait par là seulement que la langue n'est pas une chose arbitrairement construite. August Schleicher, qui au milieu du dernier siècle occupait une position dominante dans notre science, voyait dans la langue un organisme naturel. La langue fleurirait et défleurirait comme une plante. Schleicher essayait d'appliquer les idées du darwinisme à la linguistique. La langue serait la manifestation d'un phénomène anatomique qui se soustrairait à l'observation directe, mais que le partisan français de Schleicher, Abel Hovelaque, mettait en rapport avec le fameux centre de la parole de Broca. En principe l'homme ne serait capable d'apprendre, d'une façon complète, qu'une seule langue, et la linguistique serait, d'après Schleicher, une science naturelle. 1 De telles idées sont encore nourries par le grand public. On les voit apparaître dans les journaux quand nos concitoyens, défenseurs de la "vie du langage", s'indignent contre des changements de l'ortographe. Pour l'école de Schleicher la langue était donc un organisme. D'autres linguistes, au contraire, voyaient dans la langue une activité humaine. Déjà le grand savant et homme d'état allemand, Wilhelm von Humboldt, disait "la langue est une activité, c'est une energeia et non pas un ergon".2 De notre temps, M. Jespersen soutient ce point de vue. 3 D'après lui la langue est purposeful activity, activité dont le but est de rendre possible aux hommes de communiquer entre eux. L'école linguistique la plus puissante de la fin du siècle dernier, celle des néo-grammairiens allemands, voyait aussi dans la langue de l'activité collective. Pour eux la langue était un phénomène * Leçon d'inauguration à l'Université d'Oslo, publiée déjà dans la Norsk Tidsskrift for Sprogvidenskap, V (1932), 1 Cf. Jespersen, Language, p. 71 et suiv. 2 Cf. Jespersen, ibid., p. 55 et suiv. 3 Voir surtout: Language. Jts Nature, Development and Origin (1922).
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psychique. La natere de ce phénomène et les développements qu'il subit au cours des âges, s'expliqueraient par des conditions psychiques universellement valables. Ici ils se rencontraient avec le philosophe Wundt qui, lui aussi, expliquait la langue et les changements linguistiques par la psychologie.4 Le théoréticien des néogrammairiens, H. Paul, dit expressément: "Das psychische Element ist der wesentlichste Factor in aller Kulturbewegung, um den sich alles dreht, und die Psychologie ist daher die vornehmste Basis aller in einem höheren Sinne gefassten Kulturwissenschaft", bien que cet élément psychique ne soit pas le seul facteur en jeu.5 Pour les néo-grammairiens la linguistique était avant tout de l'histoire. Linguistique et linguistique historique revenaient au même. Sommes-nous là devant une définition adéquate du phénomène linguistique? La plupart des linguistes de notre époque ne le croient plus. Pour eux la langue est en premier lieu un phénomène social. Ce n'est pas là une pensée neuve. On a toujours compris le rôle social du langage; Whitney, p. ex., voyait dans la langue une institution sociale,8 - mais ce n'est qu'au XX e siècle qu'on a vraiment déterminé la place de la langue parmi les phénomènes humains et qu'on en a tiré les conséquences. L'honneur d'avoir su imposer ces vues revient en premier lieu à la linguistique de langue française. S'appuyant sur les idées générales de Dürkheim7 M. Meillet a introduit les principes nouveaux surtout dans les méthodes historiques,8 et Ferdinand de Saussure, indépendamment de Dürkheim, dans celles de la linguistique générale.9 Voyons maintenant ce qu'on entend par la formule: la langue est un fait social. Pour l'illustrer, je prendrai mon point de départ dans un exemple employé par M. Sapir.10 Supposons qu'un enfant nouveau-né norvégien soit transplanté dans un milieu nouveau et qu'il soit élevé par des Indiens du Mexique. Il apprendra à marcher à peu près comme il l'aurait fait ici en Norvège, de par le système de facteurs de l'hérédité biologique. La faculté de marcher est une fonction biologique. Mais pour ce qui est de la langue, les choses seraient toutes différentes. L'enfant apprendrait à se servir d'un système articulatoire radicalement différent du celui du norvégien, d'une grammaire tout autre. Et si l'enfant était élevé par des sourds-muets, il n'apprendrait sans doute pas à parler du tout. C'est par la langue que l'enfant devient un être social. Chose significative, les enfants nés sourds et aveugles restent au niveau d'un animal jusqu'au moment où ils apprennent à se servir d'un moyen de communication.11 I
Voir: Die Sprache, I-II, 3 e éd. (1911-12). Paul, Prinzipien der Sprachgeschichte, 4° éd., p. 6. 6 Voir p. ex., La vie du language, 4 e éd. (1892), chapitres XV-XVI. 7 Cf. notamment: Les règles de la méthode sociologique, 7° éd. 8 Voir surtout: Linguistique historique et linguistique générale. 8 Cours de linguistique générale. Cf. aussi d'autres travaux de l'école de Genève, notamment de MM. Bally et Sechehàye et Sechehaye, "L'école genevoise de linguistique générale", I. F., XLIV, p. 217 et suiv. 10 Cf. Sapir, Language, p. 1 et suiv. II Cf. Weisgerber, Muttersprache und Geistesbildung, p. 13 et suiv., qui s'appuie sur les recherches de M. W. Frohn. B
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On voit par ces faits que la langue n'est pas une fonction de caractère biologique, mais un phénomène propre à un groupe d'individus, phénomène fournissant le lien qui fait de ces individus un groupe. L'individu apprend la langue comme une donnée, comme un code dont il doit observer les règles. En principe, il revient au même que ces règles soient fixées par écrit ou non. Un groupe qui ignore l'art d'écrire possède quand même son système linguistique. On ne peut donc pas, comme le fait M. Jespersen, définir la langue comme une activité comportant une intention. C'est l'usage que l'individu particulier fait de la langue que l'on peut définir ainsi et non pas la langue elle-même. Il faut donc faire une distinction entre le parler individuel et la langue du groupe social. La langue n'est pas la somme des parlers individuels, pas plus que l'économie d'une société n'est la somme des économies particulières des individus composant cette société. Il n'existe pas un individu qui maîtrise complètement la langue d'une société - l'auteur d'un dictionnaire le sent vivement - et chez la plupart des individus d'une société il y aura des particularités auxquelles les autres refuseront le droit de cité dans la langue. Ferdinand de Saussure a proposé d'opposer la langue à la parole ; à présent ces termes sont adoptés par un nombre de linguistes toujours grandissant. La langue est donc une espèce de modèle collectif de l'activité linguistique d'un groupe social. C'est un système de signes. Toutefois, il va de soi que ce système sera de caractère plus flottant qu'un système analogue élaboré, de collaboration consciente, par les membres d'une communauté, comme par exemple celui de l'alphabet Morse. L'individu particulier reçoit le système linguistique de la génération précédente, s'en sert lui-même et le transmet à la génération suivante. La langue appartient donc à une catégorie de formes d'existence qui se distingue à la fois du matériel - la langue n'est pas un objet matériel - et de ce qui est seulement pensé. C'est une forme d'être que M. Weisgerber a proposé de nommer en allemand wirklich dans l'ancien sens de ce mot, quelque chose d'où il sort des effets : "wirklich ist etwas, wovon Wirkungen ausgehen, und Wirklichkeit müssen wir jedem solchen Wirkungsträger zuerkennen, auch wenn er nicht dinglich greifbar ist". 12 C'est là une forme d'être que l'homme ne saisit qu'avec difficulté. Chez des peuples de civilisation peu développée on s'imagine que les mots sont des êtres vivants, et de telles idées se rencontrent aussi dans les croyances populaires de peuples à civilisation plus avancée. Après la guerre francorusse de 1812, les soldats de Napoléon racontaient qu'il faisait tellement froid en Russie que les mots gelaient dans l'air, tombaient par terre et ne pouvaient arriver à celui auquel on adressait la parole. De son côté, Dürkheim propose de nommer les phénomènes sociaux des choses. La langue est donc un système de signes qui agit comme modèle collectif, indépendant de l'individu particulier, et qui correspond donc exactement à la définition que Dürkheim a donnée du phénomène social: Est fait social toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d'exercer sur l'individu une contrainte extérieure; ou bien encore, qui est générale dans l'étendue d'une société " Weisgerber, op. cit., p. 44.
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donnée tout en ayant une existence propre indépendante de ses manifestations individuelles.13 La langue est donc un système. Elle doit l'être; sinon elle serait très difficile ou impossible à apprendre. Et le système linguistique peut être subdivisé en des systèmes subordonnés au système général, ainsi en systèmes phonologique et grammatical. Les phonèmes diffèrent plus ou moins de langue en langue ; certains ne se recontrent que sur des aires restreintes, tel notre / "gras", p. ex. Mais quand même, tous les systèmes phonologiques possèdent des traits communs importants, car les principes constitutifs des organes phonateurs sont les mêmes chez tous les types anthropologiques. De même, il existe des traits communs aux diverses systèmes grammaticaux. Il y a certaines catégories grammaticales générales. Toutefois, les différences sont beaucoup plus grandes pour ce qui est de la grammaire, car sur ce domaine il n'existe pas de limitation anatomique des types possibles, limitation que connaissent les systèmes phonologiques. Les systèmes de formes linguistiques sont de types les plus divergents, allant de ceux qui ont une grande richesse de formes à ceux qui sont pauvres en formes. Dans les anciennes langues indo-européennes, extrêmement riches en formes, les fonctions grammaticales s'expriment par une série de variations d'un complexe lexical. Le latin peut nous donner une certaine idée de cette richesse, bien que la grammaire latine ait été assez simplifiée au cours de la période préhistorique du latin. Dans de telles langues le mot se suffit pour ainsi dire à soi-même et n'a pas besoin d'autres éléments pour exprimer le rôle grammatical qu'il doit jouer dans la phrase. De l'autre côté, dans les langues pauvres en formes grammaticales, comme p. ex. les langues modernes de l'Europe occidentale, surtout l'anglais, ou le chinois, le mot tend à être une unité inaltérable et son rôle grammatical s'exprime par de petits mots ou par l'ordre des mots dans la phrase. Dans ces cas, l'idée est donc analysée différemment. Dans le premier, le sens lexical et la fonction grammaticale forment un tout complexe et enchevêtré, dans l'autre le sens lexical et la forme grammaticale sont séparés et sont exprimés indépendamment l'un de l'autre. Cette différence dans l'analyse de l'idée prend des formes les plus diverses. Ainsi nous sommes accoutumés à exprimer la façon d'être ou la fonction d'une personne au moyen du verbe être suivi d'un adjectif ou d'un substantif : je suis malade, je suis marin. Il existe pourtant des langues où ceci est compris comme une espèce d'idée verbale, où l'idée s'exprime par un mot un, fléchi comme un verbe. C'est le cas de l'eskimo et du caucasique du Nord-Ouest, par exemple.14 Les langues diffèrent donc du point de vue aussi bien phonologique que grammatical. Mais puisqu'on constate des traits communs à toutes les langues, il doit exister des règles générales de structure. C'est un problème intéressant et important que de déterminer les types structuraux des langues, car on peut supposer que ces types 13
Dürkheim, op. cit., p. 19. Cf. Finck, Die Haupttypen des Sprachbaus, p. 34 et suiv.; Dirr, Einführung in die Sprachen", N. Jakovlev, Kratkaja Grammatika adygejskogo jazyka (1930). 14
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nous aideront à comprendre le caractère intellectuel des sociétés dans lesquelles ils se trouvent. Il faut résoudre ce problème par comparaison de correspondances non pas historiques, mais générales, comparaison qui cherchera à déterminer ce que Schuchardt appelait la "parenté élémentaire" (elementare Verwandtschaft) des langues. On a essayé de fixer de tels types grammaticaux. Mais il faudra aussi trouver des types généraux phonologiques. Le prince N. Troubetzkoy vient de publier des recherches de grande valeur sur ces questions. Je ne pourrais pas entrer dans les détails; il suffit de vous indiquer que suivant M. Troubetzkoy, les voyelles, classées d'après leur degré de sonorité et de timbre, forment des systèmes vocaliques qui se laissent ramener à des types généraux relativement simples et peu nombreux.15 On peut dire que, par ces études, M. Troubetzkoy a fondé une nouvelle discipline de la linguistique. Nous arrivons maintenant au second problème général que j'ai mentionné au début de ma conférence: Comment et pourquoi les langues se transforment-elles? On s'efforce de répondre à cette question en comparant les langues à des degrés différents de développement historique, donc en comparant des formes différentes d'une même langue originelle. Il faut déterminer les divers facteurs en jeu dans l'évolution. On doit se demander: comment le changement s'est-t-il opéré et qu'est-ce qui lui a donné naissance? Je prendrai un exemple qui, je l'espère, fera comprendre ma pensée. Supposons qu'il est exact qu'à un moment donné de son évolution, l'homme a vécu dans les arbres et qu'il a été forcé de descendre sur la terre où ses membres se sont allongés, où il a appris à marcher debout et où sa tête a pris la position tournée en avant.16 Si nous voulons expliquer comment cela s'est opéré, il faut prendre en considération deux choses : d'abord les caractères anatomiques de l'homme, la faible différenciation de son corps, qui ont permis un tel développement des jambes et du tronc. Voilà les conditions générales qui ont rendu possibles les changements en question. En second lieu, il faudra trouver le ou les faits particuliers qui ont forcé l'homme à quitter les arbres et à braver les dangers auxquels il était exposé sur la terre. On a cru que ces faits particuliers seraient la dévastation des forêts à la fin de l'âge tertiaire. Quoi qu'il en soit, il est évident que les faits du premier ordre sont des conditions de caractère constant qui nous fournissent l'explication générale du développement, tandis que celui du second ordre est un facteur variable qui provoque le changement en question. Regardons maintenant les changements lingustiques. Les néo-grammairiens, qui se fondaient sur la psychologie de Herbart, et aussi Wundt, expliquaient ces changements par la psychologie, nous l'avons déjà vu. Pourtant, il va de soi que ce sont les faits psychologiques qui représentent les conditions constantes de l'évolution. Les caractères psychologiques fondamentaux sont les mêmes pour tous les hommes. Dans l'opinion des savants mentionnés, ces faits de caractère constant fourniraient donc l'explication des changements les plus variables. Vilhelm Thomsen dit, p. ex., que les 15 Voir Troubetzkoy dans les Travaux du Cercle linguistique de Prague, I, p. 39 et suiv. ; cf. ci-dessus p. 105 et suiv. 16 Cf. G. de Laguna, Speech, p. 47 et suiv.
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facteurs qui conditionnent la vie du langage, la formation, la transmission et les changements de la langue ont de tout temps été les mêmes. 17 U n tel point de vue dominait d'ailleurs aussi dans la sociologie; Spencer le partageait et souvent les ethnologues s'en sont inspirés. C'est par exemple ainsi qu'on a voulu expliquer la chasse aux têtes en Méîanésie par le désir de vengeance, comme si un sentiment tellement général pouvait vraiment expliquer un fait social de caractère aussi singulier. Toutefois l'ethnologue anglais Rivers a démontré que le désir de vengeance n'y entre pas du tout et que cette chasse aux têtes trouve son origine dans des représentations sociales bien définies. 18 Les idées des néo-grammairiens auraient pu devenir fatales au développement de la linguistique. Cela ne veut pas dire que les travaux de cette école ne contiennent pas de résultats méritoires et importants. Les néo-grammairiens ont été les initiateurs de méthodes nouvelles et beaucoup plus précises que celles dont on se servait avant eux. Mais dans un ensemble plus grand ces résultats étaient difficilement utilisables, justement à cause du caractère des méthodes employées. Et c'est à ces méthodes qu'est due l'impopularité de la linguistique chez beaucoup de savants s'occupant d'autres sciences de l'homme, savants qui faisaient leurs études universitaires à l'époque où les néo-grammairiens régnaient en maîtres. Chez les représentants ultérieurs de l'école, les méthodes sont devenues schématiques, dénuées de vie, linguistique que l'on dirait celle d'un savant sourd-muet de la planète Mars, comme l'a dit avec sa verve habituelle M. van Ginneken. Une telle science serait vouée à une mort prochaine, car une étude de phénomènes humains dont les résultats ne peuvent servir la science de l'homme et la pensée humaine en général a peu de raison d'être. Il va de soi que les conditions constantes représentées par les phénomènes psychologiques ne peuvent pas expliquer, à elles seules, des faits singuliers comme les changements linguistiques. Pourquoi provoqueraient-elles dans tel lieu tel changement, dans tel autre un changement différent ou même contraire? Ainsi le groupe germanique -Ip- est assimilé en -II- en Scandinave, différencié en -Id- en germanique occidental. Les circonstances psychologiques, en l'espèce une assimilation et une différenciation, fourniraient-elles une explication causale de ces faits? Pour expliquer les causes des changements, il faut, comme M. Meillet l'a si bien mis en lumière, d'accord avec les principes posés par Durkheim, tenir compte des facteurs variables. Les facteurs variables ne se trouvent pas dans la psychologie; ils sont de caractère social. La langue elle-même est un phénomène social, vérité banale, mais très souvent oubliée, et comme tel elle ne s'explique que par des phénomènes sociaux. L'explication des causes des changements linguistiques offre aux linguistes un ensemble immense de problèmes. Jusqu'ici cette explication n'est qu'à ses débuts. C'est dans la théorie des changements de sens des mots qu'on a fait le plus de progrès. M. Meillet a démontré qu'il y a trois grandes catégories de faits sociaux qui expliquent " Cf. Thomsen, Samlede Afhandlinger, I, p. 88. D'après Ogburn, Social Change, p. 24.
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ces changements. On comprend aisément pourquoi l'étude des mots est plus avancée, sous ce rapport, que celle des autres parties de la linguistique. Les résultats des travaux étymologiques du siècle dernier et du début du nôtre lui ont fourni une base excellente. Mon prédécesseur dans cette chaire, qui a été en même temps mon premier maître de grammaire comparée, Alf Torp, a très activement pris part à ces travaux.20 A côté des recherches sur les langues non-européennes du monde méditerranéen, travaux de la portée desquels on ne pourra juger qu'au moment où les trouvailles faites récemment dans le proche Orient auront été étudiées, ce sont les grands travaux étymologiques de Torp, souvent entrepris en collaboration avec Hjalmar Falk, qui représentent le grand apport de Torp à la linguistique. On comprend donc pourquoi l'étude des changements de sens des mots est la plus avancée. Il va de soi qu'on ne peut comprendre l'histoire des mots sans étudier leurs rapports avec les choses qu'ils désignent. En 1909 Meringer a lancé le mot d'ordre Wörter und Sachen qu'il a choisi comme titre pour une grande revue. Toute une branche de la linguistique s'occupe maintenant de tels sujets. Sur les autres champs de travail on n'est pas arrivé à des résultats comparables, qu'il s'agisse des systèmes phonologiques ou des systèmes grammaticaux. La recherche des causes des transformations de ces systèmes est de caractère extrêmement compliqué et il faut, en outre, tenir compte d'un grand ensemble de facteurs conditionnels auxquels je reviendrai ci-dessous. Il n'est donc guère probable qu'on puisse trouver un fait général capable de tout expliquer. Dans l'Union des Républiques Soviétiques on déclare maintenant que la linguistique doit adopter les méthodes du marxisme. Il est encore trop tôt de juger des résultats scientifiques de cette exigence. Il semble pourtant évident que le rôle du point de vue marxiste dans l'explication linguistique ne pourra guère être que de caractère indirecte, en tant qu'il pourra expliquer les faits sociaux qui déterminent les phénomènes linguistiques. Avant de parler des facteurs conditionnels, il me faudra discuter le problème de la propagation des changements linguistiques. Il va de soi que la question de savoir pourquoi et comment un changement linguistique se propage dans les groupes sociaux et arrive à occuper des aires linguistiques, pose des problèmes aussi importants que l'explication de l'origine du changement. Nous savons assez bien déjà comment cette propagation s'opère géographiquement, grâce aux méthodes de recherches nouvelles, créées par la géographie linguistique. En lisant les cartes linguistiques nous pouvons observer que les changements s'étendent sur un territoire, d'abord un à un, pour former ensuite des courants à peu près comme la marée montante se répand sur une berge plate mais couverte de petits ressauts. De tels changements s'opèrent sans que les individus en aient conscience, en tout cas quand il s'agit de changements phonologiques ; ils peuvent s'accomplir sous l'influence d'un centre social important, mais cela " L'année sociologique, IX, p. I et suiv. = Linguistique historique et linguistique générale, p. 230 et suiv. ,0 La chaire de grammaire comparée et de sanscrit a disparu après la mort de Torp, survenue en 1916. Elle a été recréée en 1931 et transformée en chaire de linguistique générale.
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n'est pas toujours le cas. Nous nous trouvons donc ici devant un cas spécial d'influence sociale.21 Cette influence sociale peut aussi s'exercer sur des groupes d'individus qui parlent des langues différentes. Pour le montrer il faudra entrer un peu dans les détails. Je prendrai la question du rythme et de l'accent du norvégien, mais il me faut d'abord commencer avec l'état du rythme des langues classiques. On ne possédait pas, en grec et en latin, un accent rythmique comme celui du norvégien actuel, mais un accent tonique qui consistait en une élévation de la voix qui caractérisait l'une des syllabes du mot. Cette élévation n'avait rien à faire avec le système rythmique de la langue. Le rythme reposait sur une alternation de syllabes longues et brèves d'après un principe comme celui que nous trouvons dans la plus ancienne musique de l'église chrétienne. Pour nous il serait à peu près impossible de le reproduire - un Japonais le ferait probablement mieux - et notre façon de dire les vers latins, comme p. ex. le premier vers de l'Éneide : arma virùmque cano... avec de forts accents d'intensité sur l'élément long des pieds est tout à fait contraire au rythme ancien. Cicéron ne nous aurait guère compris. 22 Chez nous on ne peut pas placer des syllabes inaccentuées dans l'élément fort du pied. Quand, p. ex., un poète auquel on a fait trop d'honneur en le mentionnant récemment dans un grand journal, écrit: À du for jordisk glede ikveld og stjerne-glitter, Slik er det ei pà Venus og knapt nok pâ Jupiter ("Oh, quelle joie terrestre et scintillement d'étoiles ce soir. Ce n'est pas ainsi sur la planète Vénus et à peine sur la planète Jupiter"), le poète a employé la prononciation fautive Jupitter. Chez nous, accent et quantité vont de pair de façon que toute syllabe accentuée doit être longue en ayant ou bien une voyelle longue, p. ex. tak "toit", ou bien une consonne longue ou un groupe de consonnes après la voyelle, p. ex. takk "merci". Le vieux-norrois avait un système différent. Là aussi l'accent était rythmique, mais les règles de la quantité étaient différentes. Les syllabes accentuées pouvaient être à la fois brèves et longues ; la quantité était donc libre. C'est à la fin de la période du vieux-norrois que s'est constitué le système rythmique actuel. " Cf. N.T.S., IV, p. 76 et suiv., ci-dessous, p. 158 et suiv. 22 Je suis ici la théorie des linguistes français qui est seule à fournir une explication linguistique des faits. Un vers latin bâti sur l'alternation de syllabes longues et brèves serait impossible si le latin avait eu un accent d'intensité de caractère phonologique. Nous pouvons suivre la naissance du nouvel accent rythmique, cf. notamment le travail de M. M. G. Nicolau, L'origine du "cursus" rythmique et les débuts de l'accent d'intensité en latin. Que le latin ait connu des variations de force articulatoire de caractère phonétique est bien possible. Mais une telle supposition n'est pas nécessaire pour expliquer la réduction des voyelles faibles du latin. La phonétique évolutive en a éclairci le principe, il y a déjà longtemps.
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Maintenant, il s'agit de savoir : est-ce que ce système rythmique a surgi, spontanément, en Norvège, ou l'avons nous reçu du dehors? Pour répondre à cette question il faudra de nouveau examiner les langues de l'Europe méridionale. Au III e siècle, le grec et le latin abandonnent le vieux système quantitatif - la poésie le montre clairement - et l'accent devient rythmique. Plus tard, nous voyons que les voyelles accentuées brèves du roman s'allongent quand elles se trouvent en syllabe ouverte. Si nous examinons maintenant les anciennes langues germaniques, nous voyons exactement le même phénomène se produire sur le domaine du germanique continental et de l'anglo-saxon. Les voyelles accentuées brèves du moyen-allemand et du moyenanglais s'allongent en syllabe ouverte ou la consonne, originellement brève, suivant cette voyelle devient longue; ainsi moyen-anglais inn "auberge" devient identique à la préposition in. Les détails de l'évolution sont assez compliqués, mais la tendance générale est évidente. Ensuite, ce système s'introduit dans le Scandinave pour arriver en dernier lieu à l'islandais. Là-bas, il se manifeste d'abord dans l'ouest de l'île, au XVI e siècle. Le dernier évêque catholique, Jôn Arason, originaire du Nord, qui fut exécuté en 1550, se sert dans ses poèmes encore du vieux système quantitatif. Il va de soi qu'il y a des rapports entre ces faits. Le système a disparu ensuite, sur le continent et en anglais, et même en danois. C'est peut-être un signe précurseur de sa disparition aussi de notre langue. Voici donc que des langues de groupes très différents - malgré la parenté historique qui unit le roman et le germanique, au moyen âge toute compréhension entre sujets parlant roman et sujets de langue germanique était exclue - subissent les mêmes changements révolutionnaires dans leurs systèmes phonologiques et ces changements ont lieu sans que les sujets parlant ces langues en aient la moindre conscience. Des cas comme celui-ci montrent que la linguistique, probablement mieux que les autres sciences de l'homme, peut fournir des faits capables d'éclaircir les changements les plus profonds des sociétés, inconnus des individus qui les subissent. Et ils montrent qu'il est trop simpliste d'affirmer, comme il est fait dans la grande Encyclopaedia of the Social Sciences qui est en train de paraître aux Etats Unis, que la clef des changements sociaux est fournie par l'invention. 23 En déterminant les causes des changements linguistiques on n'a cependant pas donné une explication complète de ces changements. Il faut aussi éclaircir les conditions dans lesquelles les changements ont lieu. Ces conditions sont de deux espèces. Il y a d'un côté des conditions générales, surtout de caractère psychique et organopsychique, de l'autre côté il faut tenir compte de conditions spécifiques, paraissant seulement dans tel groupe humain. Examinons d'abord les conditions générales. Comme je l'ai déjà dit, les néo-grammairiens croyaient que les conditions psychiques étaient les causes des changements linguistiques; ils se sont efforcés d'éclaircir les changements de caractère grammatical et sémantique - pour ces questions le travail de Wundt est aussi de grande valeur. Mais pour ce qui est des changements phonologiques, ce sont les partisans du point de vue sociologique qui ont, d'une manière 23
Encyclopaedia of the Social Sciences, III, s. u. "Social change", article rédigé par M. Ogburn.
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précise, étudié le procès du changement, avec MM. Grammont, Meillet et Van Ginneken en tête.24 A présent des idées analogues sont soutenues par l'école dite phonologique, dont les conducteurs principaux sont MM. Troubetzkoy et R. Jakobson. Les représentants de cette école s'appuient surtout sur les travaux de Baudouin de Courtenay et de F. de Saussure. 25 Maintenant on s'efforce de déterminer les lois générales que réclamaient M. Meillet en 1906, dans la leçon d'ouverture du cours de grammaire comparée qu'il fit au Collège de France. 26 Une condition de caractère général qu'il ne faut perdre de vue est celle fournie par la succession des générations. L'enfant ne s'assimile pas le système linguistique en bloc, tout d'une pièce, mais petit à petit. Il n'apprend pas les différents sens d'un mot tels qu'ils sont disposés dans un dictionnaire historique bien ordonné, mais il entend le mot tantôt dans telle phrase particulière, tantôt dans telle autre, et c'est en comparant - plus ou moins inconsciemment - ces phrases qu'il arrive à saisir le sens fondamental du mot. Toutefois, le fait que l'enfant pour ainsi dire doit recréer la langue, ne peut pas, en lui-même, constituer une cause de changement. Si cela était le cas, les changements linguistiques devraient avoir, partout et à tout temps, un caractère tout autrement constant qu'ils ne l'ont. Ordinairement, les déviations individuelles des années de l'enfance sont éliminées ou n'acquièrent pas d'importance sociale, parce que les enfants ne constituent qu'une minorité. Mais il va de soi que la succession des générations jouera un grand rôle là où d'autres faits provoquent des changements linguistiques. A côté des conditions générales il existe, nous l'avons déjà vu, des conditions spécifiques. On peut observer leur rôle dans l'évolution de tout le système linguistique, mais elles sont de caractère particulièrement frappant en ce qui concerne le système phonologique. C'est surtout M. Grammont qui a montré comment les changements phonologiques peuvent suivre une direction définie pendant des périodes de longue durée. On observe donc que la langue pour ainsi dire choisit entre toutes les possibilités de changement de façon que l'évolution acquiert un caractère remarquablement continu. 27 Comment expliquer cette espèce de mouvement social? MM. Vendryes et Meillet ont eu recours, M. Meillet particulièrement dans les conférences qu'il a faites à M Les travaux les plus importants, du point de vue théorique, de cette école sont: Grammont, „La dissimilation consonantique" (1895) ; "Notes sur la dissimilation", Revue de langues romanes, 4, p. 273 et suiv. ; "Notes de phonetique générale", M.S.L., X I X , p. 245 et suiv., X X , p. 213 et suiv., B.S L., X X I V , p. 1 et suiv.; „La psychologie et la phonétique", Journal de psychologie, 1929, p. 2 et suiv. 1930, p. 31 et suiv.; Meillet, "De la différenciation des phonèmes", M.S.L., XII, p. 14 et suiv.; Vendryes, „Réflexions sur les lois phonétiques," Mélanges Meillet, p. 115 et suiv. ; Millardet, Études de dialectologie landaise. Le développement des phonèmes additionnels; J. van Ginneken, Principes de linguistique psychologique; cf. aussi, Al.Rosetti, Curs de foneticà generalâ; et l'auteur, "Sur le 1928, p. 657, cicaractère psychologique des changements phonétiques", Journal de Psychologie, dessous p. 214 et suiv.; "Loi phonétique", N.T.S., I, p. 10 et suiv., ci-dessous p. 155 et suiv. " Cf. Travaux du Cercle linguistique de Prague, I-IV; de Saussure, op. cit., Jan Baudouin de Courtenay, Versuch einer Theorie phonetischer Alternationen (1895). 26 Linguistique historique et l. g., p. 13. 87 Voir Grammont, Notes de phonétique générale : cf. l'auteur, Journal de Psychologie, 1908, p. 679.
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l'Institut pour l'étude comparative des civilisations, en 1924, à l'hypothèse du caractère héréditaire des habitudes acquises.28 Pour un linguiste il est difficile de prendre position vis-à-vis de cette hypothèse, du moment qu'un nombre assez considérable des plus grand noms des études sur l'hérédité en nient la possibilité. Récemment, cependant, M. van Ginneken a traité du problème d'un point de vue un peu différent.29 Il est d'avis qu'aux types anthropologiques correspondent certains systèmes phonologiques, certaines "bases d'articulation". Certains traits importants des systèmes phonologiques seraient donc déterminés par des facteurs anthropologiques. La chose paraîtra peut-être fantaisiste; on ne peut cependant pas exclure la possibilité d'une action de certains caractères anatomiques sur les tendances évolutives des systèmes phonologiques. Dans la langue d'un groupe humain où des lèvres très minces sont un trait anatomique très fréquent, il peut exister une tendance à ne pas se servir tant des lèvres que dans la langue d'un autre groupe à lèvres épaisses. Ces faits ne représenteront que des tendances et non pas des nécessités. Car nous savons qu'un individu peut apprendre à parler correctement n'importe quelle langue, à condition qu'il soit suffisamment jeune. Il est significatif, à cet égard, qu'on a pu étudier, à Hambourg, les phonèmes particuliers du zoulou, au moyen d'un missionnaire norvégien né dans le Zoulouland. M. van Ginneken pense que les tendances phonologiques résultent d'une adaptation de l'articulation aux caractères spécifiques des divers types anthropologiques et que cette adaptation est déterminée par la façon dont les caractères anatomiques sont transmis par les lois de l'hérédité. On aurait là l'explication du fait que des changements phonologiques séparés les uns des autres par un intervalle de centaines d'années de stabilité, présentent des rapports évidents et que les tendances phonologiques d'un substrat se transmettent à la langue nouvelle en cas de substitution de langue, mais ne se manifestent pas que longtemps après la substitution. M. Meillet a mis en évidence, on le sait, qu'il faut compter avec des périodes de préparation des grands changements linguistiques.30 Ce caractère des changements linguistiques n'est d'ailleurs pas isolé, mais se retrouve chez d'autres phénomènes sociaux, fait sur lequel surtout M. Yierkandt a insisté.31 Il va de soi qu'un éclaircissement des problèmes posés par M. van Ginneken demandera des recherches très étendues et extrêmement compliquées. Mais si l'hypothèse se vérifie, il faut savoir que les faits anthropologiques ne présenteront pas des causes, mais des conditions de changement. S'il en était autrement, on ne comprendrait pas pourquoi il y a des langues stables, bien qu'elles soient parlées par des individus à types anthropologiques très variés. Les parlers turcs, p. ex., sont demeurés très semblables les uns aux autres pendant les plus de 1000 ans qu'on les connaît, malgré 88 Vendryes, Mélanges Meillet, p. 120; Meillet, La méthode comparative en linguistique historique, p. 79 et suiv. 29 Van Ginneken, I. F., X X V , p. 1 et suiv. ; Donum Natalicium Schrijnen, p. 10 et suiv. 30 Méthode, chapitre IV. 81 Vierkandt, Die Stetigkeit im Kulturwandel (1908).
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le territoire immense qu'ils recouvrent. M. Meillet va même jusqu'à dire que, quand on regarde l'ensemble des langues du monde, "la stabilité n'est pas chose exceptionelle pour les langues; on peut même penser que c'est le cas normal". 32 On peut poser la question: Quel rôle faut-il attribuer à l'individu dans l'évolution linguistique? En tant qu'individu isolé, l'homme n'a pas d'action sur le développement des langues. Ce n'est que dans le cas où l'individu est porteur d'une fonction sociale qu'on peut poser le problême, car dans ce cas seulement il peut être question du rôle de l'individu dans les changements de structure des sociétés. Même des inventions et des découvertes scientifiques qu'on pourrait croire des phénomènes individuels typiques, sont les résultats de l'évolution de la société. M. Ogburn a établi une liste des découvertes et inventions scientifiques faites en même temps, mais indépendamment, par deux on plusieurs savants. Cette liste comprend toute une série des plus importantes découvertes et inventions de la civilisation moderne. Une chose de caractère aussi particulier que le téléphone fut inventée en même temps par Bell et Gray en 1876, pour ne nommer que cet exemple.33 Chez nous, le poète Wergeland fournit un bel exemple du rôle de l'individu dans l'évolution linguistique. On sait qu'il a introduit un grand nombre de mots et de formes nouveaux dans la littérature norvégienne, mais ce sont ceux qui étaient conformes aux exigences du mouvement de la norvégisation seulement qui ont pu s'établir dans la langue littéraire. Nous venons de voir que la langue est un fait social et que les causes des changements qu'elle subit doivent être cherchées dans la société qui s'en sert. Y a-t-il alors une corrélation entre langue et civilisation, entre le type linguistique d'une langue donnée et le niveau intellectuel de la société parlant cette langue? Les avis sur cette question sont divisés; on commet souvent la faute, bien fréquente dans les recherches sociologiques, de vouloir trouver une correspondance absolue là où il s'agit de rapports de caractère tout relatif. M. Sapir, p. ex., dit, dans un livre charmant,qu'il n'existe pas de rapports entre les formes linguistiques et la civilisation : Platon parle la même langue que le porcher de Macédoine, Confucius la même que le chasseur de tête d'Assam. 34 Cela est vrai, mais ce fait n'exclut nullement la possibilité de rapports entre système linguistique et niveau de civilisation. Une langue est stable tant qu'elle est l'organe d'un état de civilisation puissante. Un peuple peut donc évoluer intellectuellement sans que cela se manifeste immédiatement dans les systèmes grammatical et phonologique de sa langue. De l'autre côté, la langue d'un peuple dominant acquiert un ascendant sur celles de peuples de civilisation inférieure et peut être adoptée par ces derniers. Mais il ne peut guère être douteux qu'il existe certains rapports généraux entre système linguistique et mentalité. M. Lévy-Bruhl a mis en évidence qu'on observe de tels rapports entre la langue des peuples de civilisation inférieure et la façon de penser de ces peuples. Quand un Indien Ponka veut dire une phrase aussi 32
"Continu et Discontinu", Cahiers de la Nouvelle Journée, 15, p. 124. Ogbum, Social Change, p. 90 et suiv. " Sapir, Language, p. 234.
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simple, d'après notre conception, que celle-ci : "un homme a tué un lapin", il ne lui faut pas seulement montrer qu'il s'agit d'un seul homme, mais de plus que l'homme appartient à la catégorie de l'animé et au sous-groupe de celle-ci désignant ce qui setrouve debout (et non pas couché ou assis). La façon dont il a tué le lapin est indiquée avec force détails: s'il l'a fait accidentellement ou de propos délibéré, si c'était au moyen d'un projectile et, dans ce cas, si c'était avec un arc et des flèches ou avec un fusil, tout cela se trouve exprimé dans la forme verbale. De la même façon, il doit désigner le lapin comme appartenant au sous-groupe de ce qui est "assis" de la catégorie de l'animé. Et l'on pourrait nommer une foule d'autres exemples analogues. 35 Si l'on compare les langues de peuples de civilisation inférieure à celles de l'Europe occidentale moderne, on constate que les mots et les formes grammaticales de ses dernières ont un sens beaucoup plus général que ceux des premiers, et cela est vrai aussi quand on confronte les langues indo-européennes modernes avec les anciennes langues dont elles dérivent. Ces faits témoignent d'un développement plus considérable de la faculté d'abstraction chez ceux qui parlent les premières de ces langues. Sous ce rapport il peut d'ailleurs y avoir différence entre les langues modernes, malgré la grande ressemblance intérieure qui les réunit. C'est ainsi que M. Weisgerber a fait voir comment le français se sert si souvent du verbe général "être" là où l'allemand - et l'on pourrait ajouter: les autres langues germaniques - emploie stehen, liegen, knien, etc., de la même façon le français dit "mettre" pour setzen, legen, stellen. etc. 36 Dans un travail important, M. V. Brendal a essayé, récemment, de mesurer le degré de développement intellectuel des diverses langues ; il arrive au résultat que le chinois représente le degré suprême d'abstraction dans l'expression grammaticale. 37 Cela est apte à surprendre ; car si l'on étudie les travaux de M. Granet sur la pensée chinoise, on constate que cette pensée est de caractère étrangement concret. 38 La méthode de M. Brendal semble trop absolue ; il faut probablement compter avec une autre espèce de simplicité grammaticale que celle que nous connaissons dans nos langues, simplicité déterminée par le caractère de langue auxiliaire internationale qu'ont certaines formes linguistiques. On sait que le chinois est en quelque sorte une lingua franca: c'est une langue commune écrite, différente des langues parlées de la Chine, comme M. Karlgren l'a si bien mis en évidence dans ses conférences faites à l'Institut pour l'étude comparative des civilisations.39 Il est donc permis de compter avec l'existence de certains rapports généraux entre système linguistique et développement intellectuel. Mais serait-il possible de constater des rapports plus précis entre ces deux phénomènes, comme c'est le cas d'autres institutions sociales? On sait, par exemple, que dans sa forme primitive, la chasse aux 35 36 37 38 39
Lévy-Bruhl, Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, Weisgerber, op. cit., p. 83 et suiv. V. Brendal, Ordklasserne. Cf. notamment, Journal de psychologie, 1928, p. 614 et suiv. Karlgren, Philology and Ancient China.
3 e éd., p. 151 et suiv.
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têtes appartient aux sociétés vivant dans l'âge de pierre; d'une façon analogue, beaucoup d'institutions sont symptomatiques d'un niveau déterminé de civilisation. On a essayé de trouver de telles correspondances entre les faits linguistiques et les autres faits sociaux, sans grand succès; car, le plus souvent, on s'est contenté de correspondances psychologiques vagues. Or, récemment, M. Troubetzkoy a cherché une telle correspondance entre la langue turque et la civilisation des peuples turcs. La régularité schématique et assez pauvre du système linguistique turc, qui s'oppose si nettement aux anciens caractères des langues indo-européennes, se retrouve dans la poésie et dans la musique turques. 40 M. Meillet a poussé la comparaison plus en avant et croit pouvoir constater des rapports analogues entre les anciennes langues indo-européennes et les caractères des sociétés qui s'en servaient. 41 Il est possible que nous nous trouvions ici devant des faits qui nous permettrons de nous approcher davantage du problème. Peut-on imaginer, inversement, que le système linguistique détermine la pensée? C'est une question qui n'a été l'objet que de peu de recherches précises. Une exception est fournie par une étude de Baudouin de Courtenay que je discuterai un peu plus longuement. 42 B. de Courtenay croit pouvoir démontrer que le système linguistique indo-européen détermine la conception que nous avons du monde qui nous entoure. Il prend comme exemples les catégories du genre qui pour ainsi dire auraient sexualisé notre mentalité. C'est par exemple grâce à ces catégories que des personnes à imagination pathologique sexualise des objets concrets. Chez Tchékhov, par exemple, une personne aime une guitarre, une autre la lune, parce que les mots qui en russe désignent ces choses sont de genre féminin. Au contraire, Teste n'a pas de genre. Or, quand l'aire italienne de Rigoletto, de caractère érotique: La donna è mobile, quai pium' al vento est devenue populaire en Estonie où des poètes et des compositeurs l'ont adoptée, le texte italien n'a pas été traduit, mais a été remplacé par un autre qui dépeint les joies du printemps. B. de Courtenay mentionne aussi d'autres exemples. Il va de soi qu'il doit exister une influence réciproque entre le système linguistique et la mentalité. Toute génération nouvelle doit s'assimiler la civilisation du groupe auquel elle appartient; elle doit le faire au moyen de la langue. Civilisation suppose apprentissage continuel. Mais il ne s'ensuit pas de là que le système linguistique exerce une influence suigeneris sur la mentalité. Les exemples cités par B. de Courtenay n'ont d'ailleurs qu'une valeur assez restreinte. Quiconque possède le sentiment linguistique norvégien, ou du moins le sentiment d'un parler norvégien, sait que chez nous la lune est de genre masculin. Mais cela n'empêche pas Wergeland d'écrire, sur son lit de mort: 10
Troubetzkoy, K problème russkogo samopoznanija (1927), p. 34 et suiv. Dans une conférence faite au 1 e r congrès de linguistes (cf. Actes du Premier Congrès international de linguistes, p. 164 et suiv.). 41 B. de Courtenay, Einfluss der Sprache auf Weltanschauung und Stimmung. 41
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Igjennem det store Fonster Fuldmaanen stirrer ind. "Ak, ligger du der, min Elsker, vel blegere end mit SkinT' (Mot-à-mot: "La pleine lune regarde fixement à travers la grande fenêtre. 'Hélas, tu es couché là, mon amant, plus pâle que mes rayons?' ") Wergeland reproduit une image de la poésie gréco-latine. Mais pour ce qui est de la sexualisation, on sait que l'imagination des peuples de civilisation peu développée est de caractère fortement sexuel sans qu'ils opposent grammaticalement les mâles et les femelles. Il faut donc compter avec une certaine action du système linguistique sur la pensée, mais ce qui, en dernier lieu, détermine l'évolution n'est pas les formes linguistiques, mais la pensée du groupe. Enfin, on s'est demandé s'il y a un "progrès du langage". C'est un problème que M. Jespersen a beaucoup étudié. 43 Ici il faut distinguer entre deux choses. D'abord, il peut y avoir question d'un progrès au sens absolu, d'un développement de la faculté linguistique chez l'homme. Je ne peux qu'indiquer le problème. Il faudrait l'examiner en rapport avec la question d'un développement de la faculté de civilisation chez l'espèce humaine. En second lieu, on peut envisager la possibilité d'un progrès relatif, d'une amélioration de la langue en tant qu'outil social d'un groupe donné. Nous ne disposons que de peu de données capables d'éclaircir cette question, mais certains faits indiquent qu'à l'époque actuelle, on ne peut guère parler d'une amélioration de la langue en tant qu'outil social, du moins pour ce qui est des sociétés modernes. Dans les grandes sociétés modernes, il s'opère une différenciation intellectuelle entre les hommes qui semble toujours s'accentuer; la distance intellectuelle entre les classes qui déterminent du moins le système des formes linguistiques de la langue commune officielle et celles qui vivent du travail manuel, grandit de plus en plus. Il s'ensuit de là que, pour un grand nombre d'individus, la langue devient de plus en plus difficile.44 La langue d'un groupe peu différencié, de civilisation inférieure, est donc probablement mieux adaptée aux besoins de l'ensemble du groupe que ne le sont celles de nos grandes sociétés modernes, bien qu'elle nous apparaisse extrêmement compliquée et gauche. 45 On voit que la linguistique se trouve devant un grand nombre de problèmes d'ordre sociologique. Il faut donc au linguiste une orientation assez étendue; sans elle il ne verra pas les problèmes. Fait significatif, sur des choses d'importance aussi fondamentale que le système de la constitution syllabique, on ne trouve guère de renseignements dans les travaux innombrables qui ont été publiés sur les langues et les parlers 43
Cf. notamment, Progress in Language et Language. " Cf. les remarques de M. Meillet, surtout pour ce qui est du français, dans les comptes rendus du B.S.l. 45 Cf. aussi les remarques de M. Vendryes, Le Langage, p. 402 et suiv.
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du monde, parce que beaucoup de spécialistes ne comprennent pas le rôle que ces éléments jouent dans les systèmes linguistiques. Toutefois on ne doit pas abandonner l'étude des problèmes particuliers; c'est par cette étude que nous obtenons les faits avec lesquels nous faisons la théorie. Vérité banale, sur laquelle il est néanmoins nécessaire d'insister. Nous avons besoin de la linguistique historique qui, au XIX e siècle a remporté tant de triomphes et, de plus, des méthodes de recherches nouvelles, celles de la phonétique instrumentale et de la géographie linguistique, par exemple. L'étude de la langue appartient aux sciences de l'homme et peut fournir à celles-ci des contributions originales et importantes.
C O N D I T I O N S D E LA F O R M A T I O N D'UNE LANGUE
COMMUNE*
Quand on veut discuter la question des conditions de formation d'une langue commune, il faut d'abord se mettre d'accord sur ce que l'on doit comprendre par ce terme. Je m'en sers dans le sens d'une langue sensiblement une qui fonctionne comme outil linguistique à un nombre de groupes sociaux, groupes qui forment une seule société ou plusieurs sociétés. Ce peut être la langue habituelle de ces groupes, comme c'est le cas dans les nations européennes modernes, langue qui prend des nuances différentes suivant les classes et les groupes sociaux qui les emploient, mais dont les traits fondamentaux restent les mêmes. Ou bien c'est la langue dont se sert une société ou des groupes sociaux dans leur vie de civilisation et dans leurs rapports avec d'autres groupes sociaux, tandis qu'ils emploient un autre idiome dans leur vie quotidienne. Ce cas est également fréquent en Europe, on le sait, où des populations nombreuses parlent des patois ou des dialectes, que ces patois ou dialectes soient de la même origine que la langue commune avec laquelle ils se trouvent en contact ou bien qu'ils appartiennent à des branches linguistiques différentes. Par langue commune on comprend, de plus, une langue qui s'est étendue d'un centre et d'une classe sociale donnés. Elle est l'expression de l'action d'un centre et de groupes sociaux, définis. Il ne faut donc pas confondre la langue commune avec d'autres outils linguistiques qui servent aussi à des relations internationales et surtout commerciales. Nous connaissons becaucoup de telles langues commerciales, comme par exemple au Caucase, où l'awar est la lingua franca dans les districts d'Andi, de Kazikoumoukh et de Dargi, et où le koumyk, langue turque, fait fonction de langue commerciale dans tout le Nord-Est. Certaines de ces langues sont de vraies langues mixtes, comme par exemple le russenorsk. Il ne faut pas, non plus, confondre langue commune et l'ensemble dialectal, résultant du scindement d'une tribu ou d'un peuple en groupes différents. C'est ainsi que l'on a en Australie des groupes de hordes, selon la terminologie de M. Radcliffe-Brown, qui parlent des formes linguistiques apparentées, et que l'on réunit sous le nom de tribus, sans que ce lien linguistique corresponde normalement à une unité politique. (Cf. A. R. Radcliffe-Brown, The Social Organization of Australian Tribes. The Oceania Monographs, Sydney.) Il en est de même chez nos peuples indo-européens. Au temps des vikings, les Norvégiens ont parlé des dialectes semblables, mais ils n'ont pas eu de langue commune. Au moment où, avec le christianisme, l'art d'écrire en lettres latines a été introduit, on a créé une * Déjà publié dans les Actes du Quatrième Congrès International de Linguistes (1938).
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langue littéraire dont les traits ont été détérminés par la contrée où se trouvait l'administration centrale et les écoles monastiques, c'est-à-dire par le pays de Trondheim d'abord, de Bergen ensuite. Cette langue a été une langue littéraire fortement traditionaliste qui n'a pas été parlée d'une façon ordinaire. Nous ignorons s'il a existé une forme linguistique indépendante des particularités locales et parlée par les gens de la cour. Si une telle forme a existé, chose nullement impossible, elle n'a dû être que la langue d'un groupe d'individus très restreint. La langue commune provient de conditions sociales particulières et bien définies. Elle surgit là où il se constitue un état ayant une administration centralisée ou possédant des groupes sociaux qui ont une vie de civilisation commune. Elle est donc surtout l'expression d'états ou de groupements d'états. Nous ignorons quand et comment les premières langues communes ont apparu dans le monde, mais il est vraisemblable qu'elles sont contemporaines des premiers états de l'ancien Orient. Nous connaissons tous les conditions qui ont déterminé la création de la koiné grecque et du latin de l'empire romain. Nous savons que ces langues sont des créations des classes sociales qui dominaient dans l'administration et dans la vie supérieure de la société. C'est une histoire qui se répète en Europe, on le sait. Au Moyen-âge, c'est le dialecte de la cour du roi de France qui devient le français commun. Déjà au XII e siècle les gens de la cour se moquaient de l'accent picard de Conon de Béthune. Et au XIII e siècle, le français commun avait un grand prestige. L'auteur du fameux livre norvégien, appelé le Spéculum regale, datant probablement des environs de 1250, dit: "Tu dois apprendre surtout le latin et le français. Car ces langues vont le plus loin." La nécessité qu'il y a pour les langues communes de s'appuyer sur des centres d'administration et de civilisation se voit clairement dans les difficultés qu'ont ceux qui veulent créer des langues communes nouvelles sans disposer de tels centres. On sait que les Irlandais tâchent de faire revivre l'ancienne langue celtique du pays, qui, au début de notre siècle, n'était parlée que sous forme de patois dans les districts ruraux les plus pauvres de l'île. On s'imagine alors la tâche immense que représente la réintroduction de l'irlandais, et l'on peut prédire que, si les Irlandais ne parviennent pas à créer un véritable foyer de civilisation et de langue irlandaise, l'irlandais ne deviendra jamais une langue commune au sens propre du mot. Nous pouvons observer les mêmes difficultés en Norvège où le landsmâl n'a pas encore pu créer un centre de civilisation. On sait que cette langue a commencé comme une langue purement littéraire, création du génie d'un seul homme, Ivar Aasen, qui, s'inspirant des anciennes traditions linguistiques du pays, avait posé une grammaire et un vocabulaire avec l'aide surtout des parlers archaïques de l'Ouest de la Norvège. Cette langue, qui sert maintenant de langue littéraire à un groupe d'auteurs et dans une partie de l'administration, ne dispose pas encore d'un centre de civilisation. On tâche de la faire vivre comme langue parlée autour d'écoles normales et de lycées situés à la campagne. Il n'y a pas encore de véritable unité de cette forme parlée du landsmâl; chacun retient bien des particularités de son parler natal, mais l'on saisit quand même sur
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le vif la naissance d'une langue commune, et l'on y voit le rôle que jouent les instituteurs dans le mouvement linguistique, rôle qui se retrouve aussi dans d'autres pays européens où l'on a créé une langue commune nouvelle par opposition à une langue commune d'origine étrangère. Si l'on voulait décrire dans le détail l'état des langues communes de l'Europe et montrer comment elles se sont constituées, on manquerait, dans la plupart des cas, de données nécessaires. Nous sommes bien mieux renseignés sur les caractères de beaucoup de patois que nous ne le sommes sur la plupart des langues communes, excepté, naturellement, quand il s'agit de leur aspect littéraire conventionnel. Il y a du vrai dans la boutade de M. Meillet que nous ignorons comment on parle à Paris. Certains traits de caractère général sont pourtant bien connus. On sait le rôle que jouent, pour les langues communes, des langues littéraires de la même source ou d'une origine différente. Cela se voit surtout pour ce qui est du vocabulaire. Il n'est pas nécessaire d'insister sur l'importance du grec et du latin pour les langues de l'Europe. On sait que ces langues ont fourni le fond du vocabulaire abstrait, et surtout scientifique, de toutes nos langues, qu'il s'agisse d'emprunts directs ou de calques. Mais il est moins connu qu'une langue commune peut provenir d'une fusion complète d'un parler et d'une langue littéraire, de façon que le produit en est, en ce qui concerne aussi bien le vocabulaire que la grammaire et la forme phonologique des mots, un compromis à tradition double. C'est le cas du riksmâl norvégien. Je dois insister un peu sur ce point. On sait que la tradition littéraire norvégienne est morte à la fin du moyen âge. Les parlers s'étant éloignés trop de l'ancien fond linguistique auquel appartenait la langue littéraire, et le pays manquant de centre administratif puissant, on s'est mis à écrire le danois, langue prochement apparentée au norvégien. Avec la réforme, le danois est devenu la langue religieuse du pays. Mais cette langue n'a pas été, à vrai dire, une langue parlée. En la lisant à haute voix, on s'est servi des traits du système phonologique norvégien, des phonèmes norvégiens et des tons norvégiens. On n'a pas essayé de reproduire l'articulation des voyelles danoises, ni celles du sied, par exemple. Souvent aussi on a dû donner aux mots un aspect plus conforme à celui du norvégien parlé, par exemple dans le cas des anciennes occlusives sourdes intervocaliques p, t, k qui sont écrites b, d, g en danois, et prononcées spirantes dans la plupart des cas. C'est cette langue qui est devenue la langue de la lecture, la langue solennelle comme on l'appelait. Ensuite, au XVIII e siècle, peut-être déjà au siècle précédent, il a surgi une langue commune parlée dans le Sud-Est du pays qui, depuis la fin du Moyen-âge, était devenu la partie la plus importante de la Norvège au point de vue économique. Le fond phonologique de cette langue est constitué par les parlers des villes de cette partie du pays. Mais la forme des mots et la grammaire proviennent d'un compromis entre la langue solennelle et les parlers des villes. Cette langue a été l'organe de l'aristocratie des fonctionnaires de l'état et des riches bourgeois. Elle se distinguait de la langue solennelle et des parlers des villes surtout pour ce qui est du vocabulaire; la langue qu'écrivaient les auteurs norvégiens contient
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d'ailleurs aussi un nombre considérable de mots spécifiquement norvégiens. Mais elle se distinguait aussi de la langue solennelle par certains traits grammaticaux, dans le pluriel des noms ou dans les prétérits des verbes, par exemple. Les phonèmes étaient tous de type norvégien, et, dans beaucoup de cas, la forme des mots correspondait à celle des mots norvégiens ; on disait bake, pipe, stete pour bage, pibe, stode de la langue littéraire. Dans certain cas on s'est servi des diphtongues norvégiennes là où la langue écrite et le danois avaient des monophtongues. Les classes moyennes des villes parlaient un idiome de caractère plus local qui, pour le fond, était le parler du petit peuple de la ville, mais qui sur de nombreux points était influencé par la langue des fonctionnaires et par la langue solennelle. Ces différentes espèces linguistiques n'étaient d'ailleurs pas nettement séparées les unes des autres. Tout le monde se comprenait, et les conditions ont dû être comme elles étaient encore à Trondheim dans le Nord de la Norvège, il y a 25 ans environ. Personnellement j'ai parlé, dans ma jeunesse, avec mes camarades d'école la langue de la classe moyenne, mais comme mes parents étaient originaires d'Oslo je me suis servi de leur langue à la maison, comme l'ont fait aussi d'autres de mes contemporains qui étaient dans le même cas. Arrivés au gymnasium, à l'âge de 15 ans environ, nous nous sommes mis à parler le riksmâl ordinaire avec plus ou moins d'accent suivant les conditions particulières de chacun, mais il va de soi que beaucoup de mots et d'expressions locales subsistaient dans notre langue. Dans le Sud-Est la langue des fonctionnaires et celle de la classe moyenne ont fusionné dans le riksmâl parlé. La classe des fonctionnaires n'existe plus; il n'y a qu'une bourgeoisie où la situation de fortune tient la plus grande place. Les revenus des fonctionnaires étant relativement bien plus petits maintenant qu'au siècle dernier, ceux-ci appartiennent de plus en plus à la bourgeoisie moyenne et petite. Ainsi nous nous trouvons devant une langue commune qui contient un fort élément d'origine littéraire dans la forme des mots, dans la grammaire et dans le vocabulaire. Mais ce n'est pas' tout. La norme de cette langue a varié considérablement. Il est vrai qu'elle n'a pas subi de changements de fond. Dans l'histoire du riksmâl, nous ne constatons rien qui puisse être comparé à l'évolution qui a transformé l'anglais moyen en anglais moderne, par exemple. Mais la proportion des divers éléments linguistiques a varié considérablement. Au début du siècle dernier, le développement de l'éducation a, pour commencer, renforcé les éléments littéraires et danois. On s'est efforcé d'écrire un danois pur, et ce souci a influencé la langue parlée. Mais au milieu du siècle le courant a tourné. Avec le développement d'une vie de civilisation autonome, les éléments norvégiens de la langue commune ont subi un changement de valeur. Et ils se sont multipliés. La démocratisation de la société y a fait introduire des formes de la langue moyenne. Le grand intérêt que l'on a porté aux choses de la civilisation rurale a déterminé l'introduction de beaucoup de termes des parlers. De l'autre côté, un nombre considérable de mots d'origine danoise ont disparu de la langue. L'agrandissement rapide des villes, et surtout de la capitale, a été un facteur puissant dans ce développement. En 1800 Christiania n'avait que 9500 habitants;
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Oslo avec ses faubourgs et sa banlieue en a actuellement près de 400.000,1 et cet agrandissement est surtout dû à une immigration de gens de la campagne. Le développement du sport et de la vie en plein air a aussi été un facteur considérable. La langue du sport devait nécessairement être influencée par les conditions spécifiquement norvégiennes et devait contribuer à donner aux mots et aux formes norvégiennes une expressivité spéciale qui a réagi sur la langue ordinaire. La concurrence avec le landsmâl a aussi aidé à la norvégisation de la langue. Peu de mots ont été pris directement au landsmâl - nous voyons actuellement leur nombre grandir quelque peu à cause de la position du landsmâl comme langue littéraire dans l'administration mais le landsmâl a sa part dans le changement de valeur des formes norvégiennes. On s'est servi des parlers pour des besoins artistiques; c'est là un mouvement qui se retrouve aussi dans d'autres pays européens, même en France qui possède une langue si fortement traditionnelle. La langue littéraire a suivi ce développement; il y a eu de nombreuses actions réciproques de l'une sur l'autre. En 1907 les règles de l'orthographe ont été modifiées pour parer à certaines des discrépances entre la langue parlée et la langue littéraire ; en 1917 elles ont été changées radicalement, et l'on a introduit aussi des formes grammaticales de la langue commune et même certaines formes qui n'appartenaient qu'aux nuances familières de celle-ci quand elles étaient d'accord avec les formes des parlers. Nous voyons donc ici le cas d'une langue commune qui change constamment de caractère, cas qui montre bien l'extrême complexité que peut avoir l'histoire d'une langue commune. Du point de vue généalogique il sera bien difficile de classer cette langue. On sait que c'est par la grammaire que l'on classe les langues du point de vue historique. Ici nous nous trouvons devant une langue mixte dano-norvégienne, dont les éléments grammaticaux d'origine norvégienne étaient d'abord d'un nombre très restreint, nombre qui allait même se diminuant pendant quelque temps pour augmenter considérablement ensuite. Le mouvement n'est pas encore déterminé. Actuellement, on prépare encore un changement de la langue littéraire. On propose même d'y introduire des éléments grammaticaux inconnus à la langue commune pour essayer de rapprocher les deux langues littéraires. Il sera bien intéressant de voir comment la langue commune se comportera vis-à-vis de ce projet s'il est réalisé. Ayant pris naissance dans une classe et dans un centre sociaux, la langue commune a tendance à se répandre. C'est là un mouvement social connu de l'antiquité jusqu'à nos jours. Et c'est un mouvement linguistique de caractère relativement conscient. Tandis que l'évolution linguistique proprement dite, l'évolution interne, s'accomplit sans que les sujets parlants s'en rendent compte - les anciens Allemands, par exemple, n'ont jamais eu l'idée de leur seconde mutation consonantique - , la propagation d'une langue commune témoigne du prestige et de l'influence d'une certaine classe et d'un certain centre social. Elle s'est faite, à l'antiquité comme de nos jours, par l'intermédiaire des villes. Des villes la langue commune attaque les campagnes 1
Maintenant (1959) 450.000 environ.
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environnantes en suivant les voies de communication. Ce mouvement est particulièrement aisé à suivre dans les cas où la langue commune est totalement différente des parlers, comme dans les pays celtiques, et surtout en Irlande et en Bretagne. En Irlande pratiquement toutes les villes parlent anglais ; en Bretagne elles sont fortement entamées, et le breton n'est d'habitude parlé que par les petits gens. En se répandant la langue commune subit certains changements. Le substrat se fait sentir plus ou moins fortement selon que les différences qui séparent la langue commune et le parler sont plus ou moins considérables. Les classes instruites s'assimilent plus rapidement la langue commune que les autres classes de la société. La langue commune ne s'introduit pas d'un seul coup. Elle mine le parler de son vocabulaire et de sa phraséologie pour démolir, en dernier lieu, ses cadres grammaticaux. Mais des traits de caractère phonologique et phonétique, lexicologique et phraséologique restent encore plus ou moins longtemps dans la forme locale de la langue commune. Ce procès peut être étudié particulièrement bien en Irlande et en Bretagne. L'anglais parlé par les populations irlandaises qui ont été anglicisées dernièrement est étrange et presque incompréhensible pour celui qui ne connaît que l'anglais commun. En Donegal, par exemple, on trouve dans beaucoup de cas la voyelle mixte ï pour anglais i (bït, lïtl), la voyelle o, classée comme low-in-mixed par Sweet, alternant avec pour anglais u, par exemple kot "eut", somsns, sïmans "summons", etc. La voyelle anglaise o est souvent représentée par irlandais o, qui est en réalité un a postérieur, et l'on peut y entendre les occlusives vélarisées, par exemple dans pwost pour anglais poust. Tous ceux qui ont vécu en Irlande connaissent le grand nombre d'expressions anglo-irlandaises qui sont de pures traductions de l'irlandais, expressions qui apparaissent aussi dans la langue littéraire, par exemple chez un auteur comme Synge. La même chose est vraie du français de Bretagne. En Léon on trouve dans le français des petits gens le même système vocalique que dans le breton léonard : voyelles tendues quand elles sont longues sous l'accent, ouvertes dans la plupart des autres conditions sauf en fin de mot absolue. L'accent frappe l'avant-dernière syllabe du mot comme en breton. On dit arïve "arriver", arivëre "arriverez". Les règles du sandhi breton se retrouvent en français. Une dame de St. Pol de Léon me disait qu'elle avait visité Paris, et qu'elle avait pris une chambre a seîe gotel. J'ai été assez fier quand j'ai compris qu'il s'agissait de Select Hôtel. On voit donc que la première forme que la langue commune prend en dehors du centre proprement dit est de caractère local. Mais ce caractère diminue quand les tendances unificatrices continuent. Nous en voyons des exemples partout dans les pays européens. Les changements qui caractérisent la substitution d'un parler par une langue commune sont, je l'ai déjà dit, d'un caractère relativement conscient chez les sujets parlants. Ils se distinguent par là de certaines des altérations des parlers. On peut constater dans les parles certains changements qui s'étendent comme des vagues sur un territoire donné, sans dépendre, à ce qu'il semble, d'un centre social donné. Ils
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se distinguent aussi de l'évolution intérieure des langues, par exemple de l'évolution des systèmes vocaliques anglais et Scandinave, du moins dans les localités où ces changements ont pris naissance. Mais il ne faut pas exagérer ce contraste entre les parlers et la langue commune. La géographie linguistique nous a montré que pour les parlers il s'agit, dans la plupart des cas, de substitution de vieilles formes par de nouvelles, venues à trave-s les parlers voisins. Somme toute, substitution est un fait beaucoup plus fréquent dans le monde des langues qu'évolution. Pour ce qui est des langues communes, il s'en faut que toutes les évolutions qui semblent être de caractère intérieur le soient vraiment en dernier lieu. Celui qui étudie les langues extra-européennes ne peut pas ne pas être frappé par les ressemblances de structure générale qui unissent les langues européennes. Il est donc probable que les évolutions phonologiques telles que les changements dans l'expression de l'intensité et la réduction de la flexion grammaticale ont, en dernier lieu, des aires de départ limitées, tout comme les autres changements sociaux qui ont créé et modifié la civilisation européenne.
POINTS DE VUE D I A C H R O N I Q U E , S Y N C H R O N I Q U E ET P A N C H R O N I Q U E EN L I N G U I S T I Q U E
GÉNÉRALE*
Dans son Cours de linguistique générale, F. de Saussure a fait voir qu'il faut envisager les faits linguistiques aussi bien selon l'axe des simultanéités que selon l'axe des successivités. Il a créé les termes de diachronie et de synchronie qui, depuis, sont devenus d'un emploi général. L'étude linguistique doit, d'après lui, prendre la forme rationnelle suivante:
Ensuite, Ferdinand de Saussure s'est demandé s'il existe un point de vue panchronique, mais il n'arrive qu'à poser des cas comme le suivant: il se produit et se produira toujours des changements phonétiques. Mais ce n'est là qu'un principe général existant indépendamment des faits concrets; "dès que l'on parle de faits particuliers et tangibles, il n'y a pas de point de vue panchronique. Ainsi chaque changement phonétique, quelle que soit d'ailleurs son extension, est limité à un temps et un territoire déterminés ; aucun ne se produit dans tous les temps et dans tous les lieux ; il n'existe que diachroniquement" (op. cit., l e r e éd., p. 139). On voit que, pour F. de Saussure, les changements phonétiques (ou phonologiques, comme nous disons maintenant) ne peuvent être envisagés que du point de vue purement historique. F. de Saussure était resté étranger aux travaux de la phonétique évolutive. Et pour lui le terme de synchronie n'était pas assez précis ; il devrait être remplacé par celui d'idiosynchronie, car il a pour objet seulement l'ensemble des faits correspondant à chaque langue. D'après lui la linguistique diachronique, au contraire, repousse une telle spécialisation, car les termes qu'elle considère n'appartiennent pas forcément à une même langue (op. cit., p. 132). M. L. Hjelmslev, qui, dans ses Principes de grammaire générale (Copenhague, 1928), développe le point de vue de F. de Saussure, discute ces termes. Il fait voir que le terme de synchronie peut indiquer deux ordres d'études : 1) l'étude des états de langue concrets, et 2) l'étude d'un état de langue abstrait, d'un plan où l'on projette les faits observés dans toutes les études du premier ordre, un système constitué par les principes du langage au point de vue synchronique, en d'autres termes, une grammaire générale (op. cit., p. 102). On peut restreindre, dit M. Hjelmslev, le terme d'idiosynchronie à • Publié déjà dans Norsk Tidsskrift for Sprogvidenskap, IX (1937).
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POINTS DE VUE DIACHRONIQUE, SYNCHRONIQUE ET PANCHRONIQUE
l'étude des états concrets; pour la linguistique générale synchronique on pourrait songer à adopter le terme de panchronie. Il y a, d'après lui, des possibilités panchroniques et il donne comme exemple: "Pendant les changements phonétiques d'une langue, s peut devenir h, mais la transformation inverse n'a pas lieu spontanément" (op. cit., p. 103). L'exemple n'est pourtant pas très heureusement choisi, car il n'est pas de caractère asses général. Le phonème en question n'est pas de caractère panchronique ; il manque dans la plupart des langues australiennes et il est probablement inconnu à tout un état du développement du langage humain. La doctrine des "changements phonétiques spontanés" est d'ailleurs des plus contestables (cf. Journal de psychologie, XXV, p. 684, ci-dessous p. 232). En principe, il n'y a pas de différence entre une assimilation d's en h sous l'influence de phonèmes environnants et une différenciation d'une h en s. Il faut donc trouver des cas de caractère général. En fait, on peut poser des lois phonologiques générales exprimant des possibilités panchroniques comme celles que j'ai essayé de formuler (cf. ci-dessous p. 230 et suiv.). En réalité, les faits linguistiques peuvent être envisagés selon des points de vue synchronique, diachronique et panchronique, mais les faits synchroniques, diachroniques et panchroniques ne doivent pas être mis sur le même plan. Il existe une synchronie aussi bien panchronique qu'idiochronique et il en est de même de la diachronie. Les études linguistiques doivent être groupées de la façon suivante: Idiochronie f Idiosynchronie Langue Panchronie | Pandiachronie Regardons ces termes de plus près. La pansynchronie étudie les états de langue en général, les principes communs à tous les états de langue. La grammaire générale est, comme le soutient justement M. Hjelmslev, une science synchronique, c'est à dire une science pansynchronique. C'est une étude de catégories. La détermination des caractères généraux des systèmes vocaliques et consonantiques du Prince Troubetzkoy sont d'excellents exemples d'études de phonologie pansynchronique. L'étude pandiachronique s'occupe des caractères généraux des changements linguistiques. Elle examine, par exemple, les tendances générales du développement phonologique qui découlent du fonctionnement du cerveau et des organes phonateurs de l'homme. De telles tendances générales sont, par exemple, l'assimilation, la dissimilation et la différenciation, la réduction des éléments faibles des groupes rythmiques et de la fin de mot, etc. Ces tendances générales peuvent prendre des aspects définis que l'on peut appeler des lois. C'est ainsi qu'il est possible de formuler des lois dissimilatrices comme celle-ci: de deux consonnes intervocaliques, c'est la première qui est dissimilée (cf. ci-dessous p. 206). Ces lois déterminent donc des conditions de changement générales et ne sauraient rien dire d'un phonème particulier tel que l'j.
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L'étude pandiachronique s'occupe aussi des caractères généraux des changements morphologiques et sémantiques. Les faits psychologiques impliqués dans le changement de sens des mots se répartissent entre 4 catégories, ainsi que l'a montré L. Roudet dans un article qui a été trop peu remarqué ("Sur la classification psychologique des changements sémantiques", dans le Journal de psychologie, XVII, p. 676 et suiv.): 1) Changements résultant d'une association de contiguité entre les idées; 2) Changements résultant d'une association par ressemblance entre les idées. Par ces changements les mots glissent d'une signification à une autre. C'est ainsi que le mot norvégien gang "action d'aller" est passé au sens de "allée de jardin" et de "couloir" ou que l'on parle d'un ton aigu, d'une couleur chaude, etc. 3) Changements résultant des rapports syntagmatiques entre les mots ; 4) Changements résultant des rapports associatifs entre les mots. Dans ces deux derniers cas, il y a question de significations qui glissent d'un mot à un autre. De bons exemples sont constitués par la signification négative de ne qui, dans les syntagmes ne - pas, ne - point, a glissé à pas et point, ou par la signification de "méditer, réfléchir" que le mot norvégien fundere (emprunté à travers le moyenbas-allemand au latin fundare et signifiant d'abord seulement "fonder") a reçu sous l'influence de grunne qui connaît les deux sens. On se trouve ici devant des possibilités pandiachroniques sembables aux lois phonologiques. L'idiochronie s'occupe de l'étude d'états de langue concrets et de leurs changements. La constitution des systèmes phonologiques et des systèmes grammaticaux particuliers relèvent de l'idiosynchronie, leurs changements de l'idiodiachronie. Pour ce qui est de la phonologie, beaucoup de ces changements se laissent ramener à des règles précises que j'ai proposé d'appeler des formules (cf. ci-dessous p. 206 et mon compte rendu du Traité de M. Grammont dans le Norsk Tidsskrift for Sprogvidenskap, IX, 1937). Il faut en effet distinguer entre les tendances et lois pandiachroniques et l'aspect particulier que prennent ces tendances et lois dans une langue donnée. C'est ainsi que le changement de p, t, k intervocaliques du brittonique en b, d, g est une formule de la tendance générale de l'assimilation ou que le changement r : r en /: r est une formule irlandaise de la loi de dissimilation générale : de deux consonnes intervocaliques c'est la première qui est dissimilée (irl. iolar "aigle" de *eriro-; biolar "cresson" de biror). Le terme de formule correspond donc à celui de loi phonétique de l'ancienne phonétique historique. De même que les lois phonologiques sont des précisions des tendances phonologiques panchroniques, les formules sont la manifestation des tendances spécifiques de l'évolution phonologique d'une langue donnée. On sait que c'est M. Grammont qui, le premier, a posé ce principe d'une façon précise à propos de l'évolution du groupe oriental des langues indo-européennes, (M.S.L., XIX, p. 245 et suiv.). On a voulu expliquer ces tendances spécifiques par l'hérédité. Sans entrer dans cette question qui relève du problème causal, on peut observer que les tendances idiochroniques sont
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conditionnées par les caractères idiosynchroniques des langues dans lesquelles elles apparaissent. J'ai déjà fait remarquer que les changements du groupe indo-iranien étudiés par M. Grammont s'expliquent par l'aspect particulier de la tendance générale à relâcher les articulations (cf. Journal de psychologie, XXV, p. 679 et suiv., ci-dessous p. xxx). I-e. ë et o, par exemple, sont passés à S qui se trouvait le plus près de la position de la langue en repos. 11 existe une tendance panchronique à relâcher l'articulation des éléments faibles de la chaine parlée et cette tendance panchronique prend des aspects différents suivant les états idiosynchroniques qu'elle transforme. Ainsi dans les langues fortement rythmées au moyen d'un accent d'intensité, comme les langues germaniques, accent qui, du moins à certaines époques, est de caractère phonologique, les voyelles des syllabes faibles se réduisent à des voyelles de timbre indécis et disparaissent. Dans des langues à rythme quantitatif les voyelles faibles deviennent de plus en plus faibles pour disparaître ensuite, comme l'a fait voir Meillet. C'est ainsi que i et u brefs peuvent disparaître tandis que a se maintient. Dans une langue sans quantité et sans accent phonologiques comme le géorgien, c'est la voyelle a qui est élidée tandis que i et u se maintiennent (çqali "eau": çqlis "de l'eau", etc., cf. Vogt, N.T.S., IX, p. 21 et suiv. et, de plus, Selmer, Georgische Experimentalstudien, mit einem Nachtrag von Hans Vogt, Oslo, 1935). Il va de soi que, dans une langue qui ne connaît ni accent ni quantité, l'intensité propre des types vocaliques pourra jouer un plus grand rôle que dans celles qui possèdent des différences d'accent ou de quantité phonologiques. On sait que, toutes choses égales, les voyelles hautes sont plus intenses que les voyelles basses. Il y a, naturellement, question seulement de possibilités. Le changement d'une voyelle brève en i peut se rencontrer dans une langue à accent d'intensité fort sous des conditions particulières, par exemple en anglais (cf. A Grammatical Miscellany offered to Otto Jespersen, p. 145 et suiv., ci-dessous p. 287). Il est donc vraisembable que le changement d'ë et d'o indo-européens en à indoiranien doit être le résultat d'une tendance à l'affaiblissement dont le caractère spécifique s'explique par les caractères des systèmes phonologiques de l'indo-iranien (cf. les remarques de M. Jules Bloch sur le rythme et l'accent du groupe indien, Vindo-arien, p. 37 et suiv., 47 et suiv.). Le changement a donc dû affecter d'abord les voyelles faibles, c'est à dire brèves, pour s'étendre plus tard aux longues. Ce qu'enseigne la géographie linguistique sur les formules de changement et sur leur propagation nous montre qu'une telle hypothèse est des plus vraisembables. L'évolution phonologique des langues germaniques est de même, en grande partie, commandée par l'accent d'intensité et par les caractères de leurs séries d'occlusives. Les changements que l'irlandais du Nord a subi depuis l'époque du vieil-irlandais sont dominés par l'existence de séries corrélatives de consonnes palatales et vélarisées, fortes et faibles. Le fait que les caractères des tendances sont commandés par les systèmes phonologiques sur lesquels elles agissent rend compréhensible l'aspect brusque qu'ont si souvent les changements linguistiques. Dans sa Méthode comparative en linguistique historique, Meillet fait voir qu'il faut compter avec des périodes de préparation.
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"Ce que l'on observe en général dans les langues indo-européennes, c'est le résultat de débâcles brusques, consécutives à des périodes de préparation" (op. cit., p. 47). Toute langue est un système où tout se tient. Il va de soi que le changement d'une partie de la structure d'un système linguistique aura des répercussions sur tout le système. Prenons un exemple. En vieux-scandinave, dans la langue des inscriptions en runes anciennes, il y a eu un accent d'intensité sur la première syllabe du mot, tandis que des alternances vocaliques de longues et de brèves paraissent en principe dans toutes les syllabes du mot. Les changements du vieux-scandinave au norrois sont caractérisés par le fait que l'accent est devenu rythmique. Les alternances de quantité vocalique finissent par n'exister, en principe, que dans la syllabe accentuée. Ensuite surgit un système nouveau d'équilibre syllabique où la syllabe accentuée devient toujours longue (ou bien par la voyelle ou bien par la consonne, types norvégiens : mât "nourriture": mâtt "faible", excepté les cas connu d'un groupe de parlers où, dans des dissyllabes à première syllabe ancienne brève, l'accent se partage entre deux syllabes brèves, type fârà). Ces faits ont évidemment des rapports avec le développement, au moyen âge, des systèmes quantitatifs de langues romanes et germaniques on sait que l'évolution du norvégien (et du Scandinave en général) suit celle des langues occidentales en ce qui concerne la morphologie et le vocabulaire. Ce genre d'évolution doit procéder de groupes bilingues dont le rôle est bien connu pour ce qui est des changements lexicologiques. La plupart des changements par lesquelles le vieux-scandinave s'est transformé en vieux-norrois semblent s'être imposés au VII e siècle; les premières conséquences de l'équilibre syllabique sont visibles au XIII e siècle. Cependant, les mouvements sociaux qui ont dû être les points de départ de ces changements linguistiques sont bien plus anciens; ce sont les grandes migrations des peuples au début du moyen âge - des Scandinaves y ont pris part - et les expéditions des Vikings du IX e au XI e siècles. Mais il est évident que les effets de tels changements du système quantitatif ne se voient pas tout de suite. Il faut du temps pour qu'ils puissent se généraliser dans une société. Et il faut, de plus, une certaine mobilité sociale pour que les conséquences de tels changements puissent se faire sentir. Tel est donc le caractère des périodes de préparation dans l'histoire linguistique. Il ne faut pas concevoir la langue et ses changements sous l'aspect d'un organisme qui couve une maladie, ce qui ne serait d'ailleurs nullement conforme à la pensée de Meillet. On constate des tendances idiodiachroniques dans l'évolution des systèmes morphologiques. Les langues européennes occidentales ont développé, à un haut point, le principe de la linéarité (cf. l'ouvrage récent de M. Bally: Linguistique française et linguistique générale), c'est-à-dire elles sont devenues de plus en plus analytiques. Qu'il ne s'agisse pas, dans ce cas, d'une évolution "naturelle", est montré par l'arménien qui a subi la même réduction des finales que les langues européennes, mais qui, en grande partie du moins, a restitué les flexions. L'arménien présente ici des traits qui le rapproche des langues caucasiques méridionales. On a prétendu que ce pourrait être l'arménien qui ait pu imposer ces traits aux langues caucasiques en question. Du point de vue historique cela n'est pas très vraisemblable. En tout cas, une telle supposi-
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tion ne résoud pas le problème de la flexion arménienne. Il reste toujours à expliquer le contraste qui existe entre l'histoire de l'arménien et celle des langues occidentales. Ces langues européennes ont développé des principes qui, dans un rudimentaire, existaient déjà dans l'indo-européen commun. Mais ce dernier exemple montre aussi que, pour se faire une idée du développement linguistique, il ne suffit pas d'examiner seulement des états de langues. Les états phonologiques et morphologiques déterminent, en grande partie, le caractère des changements linguistiques, mais ils ne les provoquent pas. Les vraies causes des changements se trouvent en dehors de la langue au sens saussurien du terme. Elles se trouvent dans les groupes sociaux qui font usage de la langue. Aux différents faits étudiés par la panchronie et par l'idiochronie correspondent des faits sociaux bien déterminés, mais peu étudiés. Il importerait d'étudier les faits généraux qui déterminent la cohésion des systèmes linguistiques et aussi les faits qui décident de leur mobilité. Il est évident que ce problème fait partie du problème général de la stabilité et de la mobilité des sociétés. Pour ce qui est des changements du sens des mots, Meillet a posé trois principes de caractère panchronique : 1) Changements procédant de conditions proprement linguistiques. Ils proviennent de la structure de certaines phrases, où tel mot paraît jouer un rôle spécial. Tel est le cas du changement de lat. hominem en français on, de lat. passus en pas négatif du français, de v.-norr. eitgi "quelque-chose" en ikke (ou ikkje) du norvégien moderne. Dans le premier cas le sens de hominem a été influencé dans certains tournures; dans les deux derniers la négation ne a donné son sens aux mots qui se combinaient habituellement avec elle. 2) Changements provenant de changements dans les choses désignées par les mots. Tels sont, par exemple, les changements de sens subis par plume ou papier. 3) Changements provenant du passage d'un mot d'un groupe social restreint à un groupe plus étendu ou, inversement, d'un groupe social plus étendu à un groupe particulier. Le changement de sens de lat. panarium en français panier est un exemple du premier cas ; le mot est sorti du groupe des boulangers et a pris un sens plus étendu. Français traire, pondre de lat. trahere, ponere, spécialisés dans la langue des paysans, sont des exemples du second cas. On voit, pourtant, que tels qu'ils ont été formulés par Meillet, ces trois cas ne se trouvent pas sur le même plan. Dans les deux derniers, il s'agit de causes qui sont en dehors de la langue tandis que, dans le premier, il y a question de conditions proprement linguistiques. Les vraies causes des changements du premier type se trouvent aussi en dehors du système linguistique. Elles sont représentées par les faits qui ont conduit à la création des syntagmes en question, syntagmes dans lesquels le glissement de sens a pu avoir lieu. Il faudra donc formuler le premier principe un peu autrement. Dans tous ces cas il ne s'agit que de possibilités. Le passage d'un mot de la langue d'un groupe restreint à la langue commune, par exemple, ne détermine pas nécessairement un changement de sens. Ainsi le mot traire dont le rétrécissement de sens
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s'explique par son emploi dans la société paysanne, est passé sans changement en français commun. Il y a été emprunté, ainsi que l'a montré Meillet. Le sens du latin populaire casa a suivi le développement de la maison en Italie et en Espagne, mais en France le mot a disparu. Aux faits linguistiques idiochroniques correspondent des faits sociaux spécifiques. Le caractère actuel du français, la stabilité (relative) de ses systèmes phonologique et morphologique sont déterminés par la structure de la société française actuelle. Il en est de même des faits idiodiachroniques. Les divers changements historiques d'une langue donnée sont provoqués par des faits d'ordre historique. Quand le mot plume a changé de sens, ce fait, en tant que fait spécifique, s'explique par l'invention de la plume de fer. Les tendances idiodiachroniques doivent aussi avoir des causes de caractère spécifique. L'évolution de la pensée européenne et des sociétés européennes éclaire le développement de la linéarité dont il a été question ci-dessus. Pour ce qui est des tendances phonologiques spécifiques, leurs rapports avec les faits sociaux extérieurs à la langue sont malaisés à déterminer. Le parallélisme entre les divers faits laisse supposer que de tels rapports existent. Pour arriver à des conclusions plus précises il faudra connaître les systèmes phonologiques du monde bien mieux que l'on ne le fait actuellement - on sait que nous possédons bien plus de renseignements précis sur la morphologie des langues que sur leur phonologie. Il est très probable que les rapports entre les systèmes phonologiques et les sociétés sont extrêmement complexes; en ce qui concerne les tendances phonologiques idiodiachroniques on ne peut pss écarter, a priori, la possibilité d'influences somatiques. On voit que la langue peut être envisagée sous les points de vue idiochronique et panchronique, idiosynchronique et pansynchronique, idiodiachronique et pandiachronique et que tous ces aspects de la langue ont des rapports avec des faits sociaux extralinguistiques bien déterminés.
S U R LA N O T I O N D U S U J E T E N G É O R G I E N *
On sait qu'il y a en géorgien une différence curieuse entre le présent, le parfait et l'aoriste en ce qui concerne l'expression du sujet et du régime. Ainsi il est dit dans l'excellente grammaire du géorgien moderne de M. Hans Vogt (N.T.S., X, p. 6 ou p. 116 du tirage à part): "Ce qui au présent est exprimé comme sujet grammatical, est au parfait exprimé comme régime indirect, et ce qui au présent est régime direct, devient au parfait sujet grammatical." Le parfait est donc un temps passif. Dans le cas des verbes transitifs, "le sujet grammatical, qui au présent est mis au cas nominatif, est à l'aoriste mis au cas narratif" (ib., p. 7 ou p. 117 du tirage à part ; par le terme de narratif M. Vogt, se servant de la terminologie des linguistes géorgiens, désigne ce qui par M. Deeters, Das khartwelische Verbum, est appelé ergatif et qui, dans La langue géorgienne de Marr et Brière, est qualifié de datif pronominal). Au présent on dit: kaci h-klav-s megobar-s "l'homme tue l'ami", mais à l'aoriste: kacma mo-kla megobari "l'homme tua l'ami", avec kac-ma au narratif et megobari au nominatif. La construction aoristique n'est pas sentie comme passive (cf. Deeters, op. cit., p. 93). La notion du sujet serait donc exprimée en géorgien d'une façon double, ou bien par un "nominatif" ou bien par un "narratif". Avant de poser une telle règle, il faudrait pourtant se demander si l'on peut appliquer la notion du sujet telle que nous la connaissons de nos langues modernes à une langue comme le géorgien. Dans nos langues modernes où le verbe a perdu, plus ou moins complètement, le caractère personnel, la notion du sujet est nette. Si nous prenons des phrases norvégiennes - en norvégien la forme verbale n'exprime ni la personne ni le nombre, mais seulement le temps - comme les suivantes qui correspondent mot à mot aux phrases géorgiennes : mannen dreper vennen et mannen drepte vennen, la position et la forme des mots mannen "l'homme" et vennen "l'ami" indiquent que mannen est sujet et vennen régime direct des formes verbales dreper et drepte. Mais si nous prenons l'ancien indo-européen, le cas est différent. Dans l'ancien système indo-européen, le verbe ne peut être exprimé que dans une forme personnelle - les infinitifs sont tous de date relativement récente. Du point de vue de l'indo-européen ancien une phrase latine comme uir currit ne doit pas être traduite par "l'homme court", mais par "l'homme, il court" (en norvégien : mannen, han leper). Ce qui pour nous * Paru dans les Mélanges van Ginneken (Paris, 1937).
SUR LA NOTION DU SUJET EN GÉORGIEN
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est le sujet de la phrase est donc, pour ce type de langue, un prédicat au sujet exprimé dans la forme verbale elle-même. Dans le cas des langues de caractère polypersonnel, comme par exemple les langues américaines, les choses sont encore plus nettes. Les noms qui pour nous sont sujet ou régime direct sont, dans certaines de ces langues, traités comme des appositions aux éléments contenus dans la forme verbale, ainsi en chinook (cf. Boas, Handbook of American Languages, I, p. 646, et, de plus, la discussion chez Wundt, Die Sprache, 3ème éd., II, p. 94). Pour ce qui est du verbe géorgien, M. Vogt insiste avec raison sur son caractère polypersonnel. v-çer signifie "je l'écris", v-uçer "je l'écris pour lui", etc., tout comme mi-v-s-cer "je le lui écrirai"; c'est-à-dire que, dans certains cas, le préfixe objectif est à l'état zéro (cf. Vogt, op. cit., notamment N.T.S., X, p. 13, p. 123 du tirage à part). Dans les phrases citées, kaci et megobari sont donc à considérer comme des appositions prédicatives à des éléments contenus dans les formes verbales h-klav-s et mo-kla : le nominatif est le cas du prédicat (cf. Vogt, N.T.S., IX, p. 42). Quand, dans le cas de l'aoriste, l'élément actif est exprimé par le narratif, il s'ensuit qu'il n'est pas exprimé dans la forme verbale. Si l'on examine la formation du présent et de l'aoriste, on voit que ce dernier est, en principe, constitué par la racine verbale, tandis que le présent est formé au moyen de suffixes. Il est significatif que certains de ces suffixes sont d'origine causative (cf. Vogt, N.T.S., X, p. 26, p. 136 du tirage à part). Il existe, il est vrai, un petit groupe de présents dits radicaux, mais ce groupe semble être d'origine secondaire. Il s'ensuit de ces faits, ainsi que de bien d'autres qui caractérisent la formation du verbe géorgien, que la racine verbale géorgienne n'est en soi ni transitive, ni intransitive. Comme la racine indoeuropéenne, elle n'exprime que l'action verbale pure et simple. Les noms par lesquels on complète la forme verbale ne sont ni sujet ni régime, comme dans nos langues européennes modernes, mais ont des rapports spéciaux avec les éléments exprimés dans la forme verbale.
AN A U X I L I A R Y
LANGUAGE*
During the nineteenth and the twentieth centuries international relations have been seriously hampered by the non-existence of a generally recognized international auxiliary language. Latin has lost its old position as the learned and diplomatic language of the European powers and the rise of nationalism has weakened the position of French as the language of diplomacy. After the last war the Germans and Italians insisted upon using their languages in international gatherings. In many of the smaller European states the scholars and scientists employed their own language in publications of a general interest, believing it their patriotic duty to make use of their native tongue even in cases where the majority of people interested in their subject were to be found outside their own country. The European world might therefore seem to be going towards linguistic chaos. This fact would indeed be very surprising when one considers how European civilization tends to become more and more unified. In fact, in the history of the world, unification of civilization, and especially unification of administration, has always had linguistic results. In Greece the political and cultural preponderance of Athens made the dialect of Attica become dominant and in the form of the so-called koiné, the common language, it became the international language of the Middle East thanks to Alexander's conquests. Later Latin became the common language of the Western world, and gradually ousted all the old languages of Italy, Gaul and the Iberian Peninsula. This development did not result from the use of force. The peoples of the Western Empire adopted Latin because it was in their interest to do so. When the Celts of Gaul understood that further resistance to the Romans was useless they let themselves be assimilated and Celtic speech died out. Latin did not, however, oust Greek in the East. The prestige of Greek civilization was so great that Greek maintained itself as the language of administration of the Eastern part of the Roman world and of the Byzantine Empire. The present linguistic diversity of Europe dates from the medieval period. The reduction of international trade and the development of the feudal system made a linguistic mosaic of most of the European countries. It is significant that there are much greater dialect differences in Celtic Brittany, a peninsula about 160 miles in length, than in Norway which measures more than 1.000 miles from north to south * Originally published in The Norseman, II (1944).
AN AUXILIARY LANGUAGE
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and where in former times it often took days to travel from one inhabited place to another. Norway never had a feudal system. The opposite movement of unification began again with the consolidation of the modern European states, as in France and England where the speech of the capitals and the courts became the standard languages. In all countries of European civilization such standard languages are now exterminating the dialects, in some cases also the minority languages, especially where the speakers of minority languages are not subjected to force. Force in such cases usually breeds resistance. In fact, the best way of galvanizing a dying language is to try to suppress it. In linguistic matters the policy of the Soviet Union ought to serve as an example to the other European countries. When the languages of the different small and often backward peoples of the Union are encouraged it is not out of any interest in anthropology. The use of the native languages is a means of making the peoples speaking them adopt the new social system and a necessary step in the development of bilingualism. In the modern world the standard languages dispose of very powerful means, such as education, press and radio, which all sap the dialects from inside. A great reduction of the forms of speech is therefore going on in the area of European civilization. Dialects and small languages are replaced by standard languages. But besides this movement of unification another, less visible but all the same very real, affecting the standard languages is going on. The modern inventions and political and cultural ideas spread rapidly from country to country and the corresponding linguistic terms with them. The vocabularies of the European languages are therefore becoming more and more similar. That is true not only of those countries which adopt the original word, usually of Greco-Latin origin, but also of those where for nationalistic reasons it is thought necessary to translate the new words. The contents of the new word remains the same. The German word Fernsprecher is only a different label for the contents of the word telephone. And not only are the loanwords making the vocabularies more and more similar. Whole idioms are often taken over. The European standard languages are, as the great French linguistic scholar, Antoine Meillet, once said, tending more and more to express the same contents in different sounds. This movement of unification of the vocabularies has gone on for several hundred years as an interplay between different languages. Until our times French had the lead, but other languages have also played their part, e.g., German as regards science and technology, and in recent years German, Italian and Russian as regards politics. Even a small country like Norway has given birth to some of the elements of the universal vocabulary such as most of the terms for the winter sports and some of those used in polar exploration and studies. In our times, however, the overwhelming influence comes from English because of the leading part the British Commonwealth and the United States play in the modern world. In some cases this influence originates also outside the English-speaking countries. Norwegian scientists have the greatest share in the development of meteorology. They use English in those of their publica-
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AN AUXILIARY LANGUAGE
tions which are destined for scientist» outside Norway and the new terms they create are English. It seems evident that a decision upon the choice of an international auxiliary language must take these facts into account. There are at present only two international languages in the strict sense of the term - French and English. Some languages are used outside their frontiers between people of different languages, but only in certain parts of the world, e.g., Spanish and Russian. Spanish, which is a comparatively easy language, would in many ways be well suited to be an international language, but it is not the suitability of the language itself which is the deciding factor. Spanish cannot compete with English and French. If Spanish were chosen as the international auxiliary language we should still have to learn English and French. An artificial language would meet with the same difficulty. It is obvious that it is perfectly possible to create a language which would be an instrument superior, especially for science and technology, to any of the living ones. The drawback is, however, that it would not dispense with the necessity of learning English and French. It would represent an additional burden to the smaller countries where so many languages have to be learnt. The same may be said with regard to "Basic English" and similar projects. "Basic English" may be a useful method of approaching ordinary English and it may also serve as a convenient means of intercourse for travellers and in international meetings of a general character. But so long as newspapers, scientific, learned and technological publications and the films in Great Britain and America use ordinary English it is ordinary English the world is in need of. It will, of course, be a great advantage to have an auxiliary language with a simple grammar, because the ordinary man belonging to a nation which uses a simple grammar has great difficulties in learning a complicated one. In that respect the Scandinavian, Dutch, Portuguese, and Italian languages might be well suited in addition to English, French and Spanish. But this factor is not a decisive one, as already mentioned. Russian, a very complicated and difficult language, has imposed itself in those parts of the world where Russian social and cultural influence is preponderant. The factors which will decide the choice of a general international auxiliary language are not linguistic but social. In view of the development which is going on under our eyes English ought to be adopted as the main auxiliary language. A definite policy in these matters will save the world very much trouble and expense. But whatever the policy the forward march of English will go on. It is conditioned by forces which cannot be stopped. In many countries, however, there will not for a considerable time to come be a sufficient number of teachers and textbooks for the teaching of English, whereas it will be possible to expand the teaching of French. It is obvious that the choice of English as the main auxiliary language will not dispense with the necessity of studying French. France will rise again and French intellectual achievement is such that civilized nations cannot neglect the study of French if they want to remain on the highest level of civilization. French ought to be maintained as a compulsory subject
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in secondary education. And countries which will not for some time be able to introduce English in their elementary schools would do well, in order to further the international spirit, to introduce French in those schools. In the same way the English-speaking countries ought to introduce French in their elementary schools. That is why the Commission appointed by the Ministers of Education of the exiled governments in Great Britain, on the initiative of the Dutch Minister, M. Bolkestein, recommend the introduction of English or French into the elementary schools. They also recommend that only English and French should be used in international learned and scientific congresses and in publications destined for an international public. If this is done scientific and learned achievements would more rapidly become known to the whole world than they did before the war. The smaller nations especially would not then run the risk of having their discoveries overlooked as has happened too often in the past. The western world is moving towards a linguistic situation similar to that of the ancient world, where Latin was the main language but where Greek maintained its hold on account of the spiritual values of Greek civilization.
LE P O I N T D E V U E EN
HISTORIQUE
LINGUISTIQUE*
Pendant le XIX e siècle la linguistique a cru être, avant tout, une science historique. Comme il était tout naturel, les linguistes, dès qu'ils avaient découvert les rapports qui existent entre certaines langues données, s'intéressaient surtout aux ressemblances et aux différences que montrent ces langues, ressemblances et différences qui leur permettaient d'en tracer l'histoire et de poser une origine commune pour les langues en question. Quand les doctrines transformistes avaient donné un prestige immense aux sciences naturelles, les linguistes ont acquis la conviction qu'il fallait adapter les méthodes des sciences naturelles aux études linguistiques si l'on voulait faire du travail vraiment scientifique. Des linguistes, et surtout ceux qui s'occupaient de questions générales, regardaient la langue comme un produit de la nature et croyaient que les changements linguistiques s'expliqueraient par des lois naturelles. On a eu la doctrine des "lois phonétiques sans exceptions". Les sons du langage seraient soumis à des principes évolutifs analogues à ceux que l'on croyait dominer le développement des formes animales et végétales, principes qui agiraient avec une "nécessité aveugle", sans que les sujets parlants en aient conscience. Si les résultats créaient trop de confusion les sujets parlants réagissaient, après coup, et rétablissaient de l'ordre au moyen de l'analogie. De notre temps, nous avons vu surgir une nouvelle discipline linguistique, la linguistique structurale, l'étude des langues en tant que systèmes donnés. Cela ne veut pas dire que le point de vue de la linguistique structurale soit tout à fait neuf. Les grammairiens de l'antiquité classique et du XVIII e siècle auraient eu, probablement, moins de difficulté à comprendre la linguistique structurale que la linguistique historique. Pourtant, il y a entre la grammaire ancienne et la nouvelle discipline un tel écart qu'il est licite de regarder la linguistique structurale comme une création nouvelle. C'est une discipline qui reste encore mal comprise par beaucoup de linguistes. Souvent on peut entendre ceux qui se servent des méthodes traditionnelles, et surtout ceux qui ont la conviction, consciente ou inconsciente, que les méthodes linguistiques doivent s'inspirer de celles des sciences naturelles, affirmer que la linguistique structurale ne serait pas une "science" et que les études structurales n'auraient pas de raison d'être. Toutefois, s'il y a une discipline linguistique qui possède une affinité avec les sciences naturelles c'est bien la linguistique structurale, qu'elle travaille par * Publié déjà dans Acta Lingüistica, V (1945-1949).
LE POINT DE VUE HISTORIQUE EN LINGUISTIQUE
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induction ou par déduction. Comment travaillent les différentes sciences naturelles? Certaines, comme la météorologie, réunissent des observations d'une certaine nature que l'observateur peut noter au fur et à mesure qu'elles se produisent, bien qu'il ne puisse pas les produire. D'autres, comme par exemple la chimie, ne se servent pas seulement d'observations, mais peuvent produire des réactions dans des conditions définies. D'autres, encore, ne partent pas d'observations du tout, mais de suppositions déterminées et tirent d'elles des conclusions d'une précision extrême. Les points de contact que les méthodes de la linguistique structurale ont avec celles des sciences naturelles sautent aux yeux. Quels sont, d'autre part, les caractères des méthodes historiques? Les historiens aussi ont cru devoir imiter les méthodes des sciences naturelles. Des historiens allemands, comme par exemple E. Bernheim, l'auteur d'un manuel des études historiques très connu, soutenait que la tâche la plus importante de l'historien était de trouver les lois causales qui rendraient possible une explication du développement de l'humanité. C'était là le point de vue de beaucoup d'historiens, soit qu'ils croyaient, comme les positivistes, que seulement se laisserait expliquer ce qui est typique et collectif, soit qu'ils croyaient, avec Bernheim, qu'aussi les phénomènes particuliers seraient soumis à des lois causales. On voit l'influence du point de vue des sciences naturelles dans le livre de Spengler. Il voit dans l'histoire de l'humanité un grand nombre d'unités sociales indépendantes qui partent du stade barbare, arrivent à la floraison pour dépérir et mourir ensuite. Le caractère naturaliste de cette théorie est evident; il s'y mêle probablement aussi un peu de Schadenfreude allemande. Puisque l'Allemagne avait perdu la guerre l'Occident était perdu. Même l'éminent historien anglais M. Arnold Toynbee, dont le grand ouvrage A Study of History est l'une des contributions les plus imposantes et suggestives aux recherches de notre époque, adopte le point de vue naturaliste. Pour lui les civilisations représentées par des sociétés sont des touts autonomes. Elles peuvent être apparentées, étant sorties d'une même société originelle, ou affiliées, comme par exemple les sociétés chrétiennes de l'Occident par rapport à la société hellénistique. Celle-ci ne se serait pas changée successivement en celles-là. Quand une civilisation subit une telle transformation qu'ont subie les sociétés de l'Occident on est devant une civilisation différente et entièrement nouvelle. Les civilisations sont conçues comme des organismes, qui subissent des mutations. Dans un ouvrage posthume paru en 1946, The Idea of History, le philosophe et archéologue anglais R. G. Collingwood s'efforce de déterminer exactement la tâche de l'historien et de faire ressortir l'essentiel de ses méthodes. Quand l'historien étudie un événement du passé, dit Collingwood, il distingue entre ce que l'on peut appeler les circonstances extérieures de l'événement et ce qui peut être appelé "l'intérieur" de cet événement. Les circonstances extérieures comprennent des corps (bodies), des personnes et leurs mouvements: le passage du Rubicon de César accompagné d'un groupe d'hommes un jour déterminé ou l'effusion du sang de César sur le carreau du Sénat un autre jour. "L'intérieur" ne peut être traduit que par des termes qui désignent
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des pensées : le défi aux lois de la république lancé par César ou le conflit entre deux conceptions de l'autorité gouvernementale représentées par César et ses assassins. L'historien ne s'occupe jamais de l'un de ces ordres de faits à l'exclusion de l'autre. Il n'étudie pas seulement l'événement pur et simple, mais aussi l'action, et l'action consiste toujours en un "extérieur" et un "intérieur" d'un événement. Il s'intéresse au passage du Rubicon parce que cet événement a des rapports avec les lois de la république, et à l'effusion du sang de César en raison de son importance pour le conflit gouvernemental à Rome. L'historien ne peut pas s'intéresser seulement à l'événement pur et simple, il doit toujours se souvenir du fait que l'événement est une action et entrer dans l'esprit de l'acteur afin de découvrir ses pensées et ses motifs.1 Quels sont, maintenant, les problèmes de l'historien linguiste? Par des exemples pris aux études des parlers, surtout des observations personnelles, je tâcherai de les mettre en évidence.2 L'étude des parlers présente cet avantage qu'elle permet de saisir certains éléments des changements linguistiques pour ainsi dire sur le vif, ce qui n'est pas possible quand on étudie les langues littéraires. Dans les parlers du Pays de Galles nous avons un exemple excellent de la manière dont s'opère un changement systématique du vocalisme. Dans le nord du pays les parlers possèdent une voyelle que Sweet classe comme high-mixed-narrow, voyelle du même type que la voyelle russe dans syr "fromage", syn "fils", mais non pas identique à cette dernière. Dans le sud du pays cette voyelle est représentée par i. C'est l'y qui est la plus ancienne des deux; cela est démontré par les stades antérieurs de la langue. L'y/i provient d'une voyelle ii qui remonte à une diphtongue celtique. Prenons maintenant les parlers centraux du Pays de Galles, ceux de la vallée de la rivière Dyfi qui s'étend de la ville d'Aberystwyth à l'ouest jusqu'à la frontière anglaise à l'est. Dans le sud et sudouest de cette région la voyelle i règne seule, tandis que, dans la région centrale, certaines personnes, le plus souvent les plus âgées, se servent d'une variante avancée de l'y: que l'on peut désigner par mais seulement dans les cas où les gens du nord ont l'y long. Pour l'y bref ils ont i. Dans quelques vallées latérales qui s'étendent vers le nord on trouve le même état de choses que dans le nord du pays. Fait significatif, dans la région de l'y:, j'ai rencontré un cas dans lequel le père avait y:, le fils /:. Il est évident que 1'/ est en train d'avancer vers le nord. Un autre cas qui se rencontre dans les mêmes parlers centraux du Pays de Galles montre bien comment les changements ne s'opèrent pas au même moment dans tous les mots en question. Une différence caractéristique entre les parlers gallois est constituée par le traitement du groupe initial chw- de l'ancien gallois. Dans le nord ce groupe est maintenu tel quel, dans le sud il a pris, par une assimilation-fusion, la 1 Op. cit., p. 213. Cf. aussi des idées analogues chez R. Aron, Introduction à la philosophie de l'histoire (1938), J. Monnerot, Les faits sociaux ne sont pas des choses (1946) et aussi K. SchmidtPhiseldeck, Nomos (1944). * Ces exemples ont été choisis seulement pour mettre en évidence le problème théorique. Je me suis servi des mêmes exemples déjà, dans un contexte différent, notamment dans le B.S.L., XXIV et la N.T.S., IV. Pour le détail des faits voir mes ouvrages Studies in Cyfeiliog Welsh (Oslo, 1925) et The Dialect ofTorr, Co. Donegal (Christiania, 1922).
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forme phonétique vy. Dans la région centrale on trouve w dans le nord-est. Plus à l'ouest xw~ e s t I e plus fréquent, mais w se rencontre aussi, souvent dans les mêmes mots que %w e t chez les mêmes personnes. Dans la petite ville de Machynlleth, j'ai noté, par exemple, x w a r € e t Var? "jouer", %wanen et wanen "puce". Des exemples pris à un parler qui appartient au groupe gaélique de l'Irlande montrent, d'une façon particulièrement claire, que le développement attaque les mots un à un. Dans l'irlandais du nord l'ancienne diphtongue óe, áe et devenue une monophtongue que l'on note A : dans la transcription des parlers gaéliques. C'est une voyelle longue du type u (fr. ou) sans arrondissement des lèvres. Maintenant, ou plutôt quand j'ai étudié ces faits, de 1915 à 1921, cette voyelle était de plus en plus remplacée par une voyelle "mixed" du même type que la voyelle galloise ci-dessus, notée y:, et cette voyelle, à son tour, par /':. C'est un développement qui avance du sud au nord. Le changement A : > y : a probablement eu lieu d'abord devant consonne palatale, par assimilation à l'élément palatal de cette consonne ; on sait que l'opposition entre consonnes palatales et non-palatales (généralement des vélarisées) tient une place très importante dans le système phonologique de l'irlandais. L'une des personnes que j'ai examinées dans la petite vallée de Torr en Donegal avait le plus souvent y : devant palatale, A : devant non-palatale. Chex les autres les deux voyelles alternaient sans règle fixe. Les enfants - ceux que j'ai examinés étaient âgés de 12 à 15 ans - ne connaissaient que y: et i\. Chose significative, les personnes d'un certain âge chez qui les deux voyelles alternaient avaient régulièrement Ñ. : dans les mots de caractère archaïque, inconnus des enfants, par exemple dans LA :x "guerrier" (usités dans les récits légendaires), dk\nan "lamentation sur les morts". Quelles sont les conclusions que nous pourrons tirer de ces faits? Les faits cités, qui pourraient être multipliés, montrent clairement que les changements phonologiques commencent, non pas d'un seul coup dans un groupe de mots donné, mais dans, un seul, ou dans un petit nombre de mots, pour atteindre ensuite d'autres mots qui ont les mêmes combinaisons de phonèmes. Et de plus, que les changements se propagent dans une société donnée en tant que formes nouvelles de mots individuels. A un moment donné, warç atteint un village gallois et supplante Xwarç, sans que, nécessairement, au même moment, wanen remplace %wanen ou iya:ir "soeur" évince %wa\ir, etc. Dans les cas où un phonème qui a commencé à changer dans certaines conditions déterminées par ses environs, arrive à changer indépendamment de son entourage, comme c'est le cas des exemples cités ci-dessus, le phonème finit par être si rare que les enfants ne l'entendent pas durant la période de l'apprentissage de la langue ;quand ils l'entendent plus tard ils y substituent le phonème nouveau. Nous sommes donc en présence d'événements de caractère particulier qui ont derrière eux des personnes. Il nous faut, avec Collingwood, expliquer aussi bien "l'extérieur" que "l'intérieur" de ces événements. Collingwood cherche à découvrir les pensées qui font partie de l'acte. Nous savons, pourtant, qu'il existe des mouvements automatiques dans lesquelles la réflexion et la volonté n'entrent pas, mais qui sont le résultat d'une activité mentale subconsciente. Nos articulations sont de cette
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nature. Nous les apprenons plus au moins consciemment - l'étude du langage enfantin le montre - à peu près comme nous apprenons à jouer du piano, mais avec cette différence que notre apprentissage du langage a lieu avant le début de notre mémoire. Les principes de l'automatisme psychologique sont bien connus. J. van Ginneken a appliqué les résultats des recherches de Pierre Janet aux études linguistiques. L'assimilation de K: en y: devant palatale en irlandais s'explique par le rôle important que joue dans la langue la palatalité des consonnes, je l'ai déjà indiqué. L'articulation de la voyelle s'approche de la palatalité de la consonne qui est en partie anticipée par le fait que toute représentation motrice tend à réaliser son mouvement. 3 Le développement de %w > w s'explique également par les principes de l'automatisme. Le x est un phonème qui est en régression dans certaines régions de l'Europe et qui, en Grande-Bretagne, est un archaïsme. Il disparaît par un affaiblissement de l'articulation de l'arrière-langue. Mais une h devant consonne fait difficulté. Le sujet parlant réagit en faisant durer l'articulation pendant l'émission du w par le principe de l'inertie. 4 Ces changements se font, en principe, par sauts, petits ou grands. Le saut est une nécessité psychologique. 5 On voit combien il est nécessaire d'étudier la langue parlée pour comprendre les changements linguistiques. Si l'on n'examine que les documents écrits on n'arrive pas à saisir le procès de changement ; on ne voit le plus souvent que le résultat final, résultat qui semble provenir d'un changement profond survenu d'un seul coup. Et c'est ainsi que beaucoup de linguistes se figurent les changements encore aujourd'hui. Cependant, déjà en 1892, dans son livre Les modifications phonétiques du langage étudiés dans un patois d'une famille de Cellefrouin (Charente), l'abbé Rousselot a fait une description vivante de la manière dont les changements qu'il a pu étudier se propagent. Nous avons vu les mouvements phonétiques partir d'un point déterminé, remonter graduellement la vallée sans que les divisions par communes soient pour rien dans leur marche, se propageant aux centres les plus actifs, débutant par les mots d'un usage le plus commun, s'annonçant à l'avance dans les lieux écartés, retardés ou accélérés par l'apport dans la population indigène d'éléments étrangers de provenances diverses, saisissant au berceau les enfants et respectant les vieillards, mais parfois entraînant les personnes mûres qui suivent par un choix volontaire et réfléchi, tantôt se précipitant avec impétuosité, tantôt s'avançant pas à pas, parfois même reculant en deçà des positions acquises pour recommencer de nouveau, jusqu'à ce qu'enfin ils se fixent, effaçant toutes les inégalités, comme s'ils n'avaient rencontré aucun obstacle et triomphé d'un seul coup. On dirait une mer envahissante qui submerge ses bords. Dans sa marche victorieuse, le flot monte toujours, recouvrant d'abord les parties basses et ne laissant émerger que des îlots, seuls témoins des limites primitives. Au début, on peut jouir du spectacle de la lutte que se livrent les éléments, on peut suivre les efforts de la mer, sa marche en avant, ses reculs momentanés, ses infiltrations, préludes d'une conquête définitive. Mais on vient trop tard, quand la lutte a cessé et que la mer dort tranquille sur les obstacles submergés.6 ' Van Ginneken, Principes, p. 246. 4 Ibid., p. 250. 5 Cf. ci-dessous p. 155 et suiv. et maintenant aussi A. W. de Groot, Arch. Néerl. de phon. XVIII, p. 71 et suiv. • Op. cit., p. 411.
expér.,
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Il est intéressant de constater que même un linguiste comme Antoine Meillet, l'un des initiateurs de nos méthodes actuelles, est influencé par le point de vue des sciences naturelles dans son interprétation des résultats de Rousselot. Il s'agit du changement de 17 mouillée en y (yod); à Cellefrouin ceux qui sont nés après 1859 ne connaissent plus 17 mouillée - la raison en est qu'à cette époque le phonème était devenu si rare que les enfants ne l'entendaient plus, comme je l'ai indiqué ci-dessus. Meillet dit 7 : A partir d'un moment donné, tous les enfants qui apprennent à parler au même endroit ont telle o u telle articulation différente de celle de leurs aînés, ignorent même l'articulation ancienne; par exemple, dans la France du Nord, à partir d'un certain moment, différent pour chaque localité, les enfants ont été incapables de prononcer / mouillée et y ont substitué le y qui en tient aujourd'hui la place dans les parlers français. U n e innovation de ce genre offre une régularité absolue: / mouillée a disparu de tout le N o r d de la France et a été remplacée par y.
D'après Meillet les changements morphologiques s'opèrent de la même manière. Les changements en question se seraient donc imposés d'un seul coup par le fait qu'une génération deviendrait incapable de prononcer une certaine articulation, et ce changement serait évidemment de caractère spontané. Si l'on n'avait pas les faits notés dans les parlers gallois et irlandais les changements de y > i au Pays de Galles et de X: > y: > i: dans le Nord de l'Irlande apparaîtraient sans doute aussi comme des changements "spontanés". Toutefois, tous les changements sont conditionnés par le système phonologique dans lequel ils ont lieu, et des changements vraiment spontanés n'existent pas, si l'on ne veut pas appeler ainsi les substitutions qui s'opèrent quand un peuple change de langue ou adapte des mots d'emprunt, comme, par exemple, les anciens Norvégiens qui mettaient leurs p, t, k dans l'endroit des b, d, g dans les mots et les noms qu'ils prirent aux Irlandais. Les changements du type décrit ci-dessus sont généralement appelés des "lois". Ce terme est usuel même chez des linguistes qui ne voient pas dans les changements des phénomènes comparables aux phénomènes physiques ou chimiques. En réalité, nous sommes en présence de formules qui résument et définissent un certain nombre d'événements particuliers qui ont un trait commun. Ces événements ont comme résultat final le remplacement, dans une région géographique donnée, d'un principe synchronique par un autre, comme le dit très bien M. A. W. de Groot. 8 Des lois historiques correspondantes aux lois de la nature n'existent pas, comme il y a une différence esssentielle entre la causalité historique et celle avec laquelle opèrent les sciences de la nature. Ainsi que le dit Collingwood : Quand le scientifique dit : Pourquoi ce papier de tournesol est-il devenu rouge?, il entend: dans quelles conditions le papier de tournesol devient-il rouge? Mais quand l'historien se demande: Pourquoi Brutus a-t-il poignardé César, il se demande: Pour quelles raisons Brutus a-t-il poignardé César? 9 En tout cas, on doit demander à la loi un caractère d'universalité, 10 tandis ' Introduction', p. 19. • Op. cit. • La notion de loi est d'ailleurs très complexe, cf. K. Schmidt-Phiseldeck, op. cit., p. 94 et suiv. 10 Cf. Simiand, Cinquième Semaine internationale de synthèse. Science et loi, p. 197 et suiv.
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LE POINT DE VUE HISTORIQUE EN LINGUISTIQUE
que, pour ce qui est des cas discutés, on va du particulier au particulier. Ces cas sont nettement différents des rapports que cherchent à établir les sociologues et qu'ils appellent des lois, par exemple les rapports que Durkheim a cru pouvoir constater entre la proportion des suicides et, d'une part, la confession religieuse, d'autre part, l'état civil des suicidés, faits qui entrent, en fait, dans une réalité plus complexe.11 Ces rapports sont supposés exister, en principe, indépendamment du temps et du lieu. Les changements linguistiques étudiés sont aussi différents des prétendues lois psychologiques, qui sont du type suivant: tout besoin tend à répéter la conduite qui lui a réussi précédemment, dans une circonstance semblable (loi de reproduction du semblable12). Mais cela ne veut pas dire que nous soyons en présence d'événements fortuits. Il y a, dans ces changements, un élément psychologique, manifestation des grands principes psychologiques comme l'assimilation, la différenciation, la dissimilation. Dans certaines conditions il est possible de formuler ces principes d'une façon très précise. On peut, comme l'a fait Maurice Grammont déjà en 1895,13 poser le principe général suivant : de deux consonnes de même nature qui sont séparées par une consonne d'autre nature, c'est, en cas de dissimilation, la consonne explosive qui dissimile la consonne implosive, principe qui s'explique immédiatement par le rythme de l'articulation (comparer les exemples suivants, pris au hasard: v. fr. veltre < lat. uertragus (mot gaulois); v. prov. polpra < lat. purpura-, bret. léon. munir, van. multr (m. br. munir, multr) < fr. murtre, fr. mod. meurtre-, norv. (dans plusieurs parlers) fodre h ne montre pas de progrès notables, fait que M. Hermann attribue à la restriction que l'emploi du parler est en train de subir, le français commun tendant à remplacer le parler. Mais pour les diphtongues M. Hermann a constaté des changements considérables notamment en ce qui concerne l'évolution de ç > ao, comme il était à attendre. Même chez des personnes qui avaient été examinées par M. Gauchat, la diphtongaison est devenue plus générale. On a vu par le tableau de M. Gauchat que le développement phonétique d'un phonème donné ne s'accomplit pas tout d'un coup. Il commence dans certains mots et se propage ensuite à d'autres mots. J'ai moi-même (B.S.L., XXIV, p. 138 et suiv.) tiré cette conclusion de faits observés notamment Irlande, en soutenant qu'à un moment donné, l'ancien phonème devenant rare, les enfants ne l'entendent plus et le remplacent partout par le phonème nouveau. M. Gauchat était déjà arrivé à la même opinion (op. cit., p. 38). Dans un article, "Saggio critico sullo studio di L. Gauchat", qui fait suite à un mémoire dans lequel il défend, habilement et avec énergie, les vues des néogrammairiens sur les "lois phonétiques", M. P. G. Goidanich interprète les résultats des observations de M. Gauchat et en tire des conclusions toutes différentes de celles auxquelles était arrivé M. Gauchat (Arch. glott. ital., XX, p. 3 et suiv.). M. Goidanich dit (p. 66 et suiv.) : "Confesso che questo modo di ragionare (c'est-à-dire de supposer que le développement de a0 > à s'est produit d'abord dans certains mots et qu'il s'est généralisé ensuite) non solo non mi persuade, ma mi stupisce. È un brancolare nel buio." "A me pare indiscutibile e manifesto che i fatti vadano interpretati cosi; si tratta di un fenomeno che si è svolto per tappe, ma in senso diametralmento opposto a quello indicato dal G. In un primo tempo tutti gli a0 del primo schema (finale in pausa) si riducono ad a (esempio h la0 > h là). Ciò avviene nella puerizia dei meno anziani della prima generazione. Essi, e la seconda e terza delle generazioni continuano tale innovazione; e i più anziani della prima che erano rimasti ad a0 assumono dalla parlata degli altri (che finiscono col diventare il 99 per cento della popolazione) alcune fra le parole più usate; cioè va, la, pra; dunque gli a die queste tre parole, che il G. considerava essere le prime e sole evolutesi durante la prima generazione, ben possono giudicarsi invece un' imitazione della fase più recente del dialetto da parte della generazione più vecchia". "In un secondo tempo tutti gli a0 del II e del III schema (o forse un po' prima quelli che questi; la mia incertezza dipende dall' insufficienza dell' informazione del G.) diventano d. Ciò avviene nella puerizia della seconda generazione ; la terza generazione
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continua questa innovazione della seconda. Pronunzie di tipo ara accanto ad a°ra (heure) nella parlata della prima generazione sono accatti dalla parlata della seconda e della t e r z a . . . Più evidente di cosi?" Toutefois, cette façon d'interpréter les faits est commandée par les idées de l'auteur sur l'évolution phonétique et ne découle pas des faits eux-mêmes. M. Goidanich soutient que les développements phonétiques sont mécaniques et automatiques et non pas conscients et spirituels (meccanici ed automatici e non coscienti e spirituali). M. Goidanich oppose ici les faits automatiques et les faits conscients d'une façon inadmissible. L'évolution phonétique est généralement automatique et inconsciente, mais non pas mécanique. Beaucoup de ce qui est automatique chez l'homme a d'abord été conscient, ceci dit en passant (cf. Journal de psychologie, XXV, p. 657 et suiv.). Mais cela ne signifie pas, naturellement, que la généralisation d'une formule phonétique dans un parler n'est pas commandée, d'abord, par les combinaisons phonétiques dont fait partie le phonème qui est en train de changer, ainsi que le veut M. Goidanich. Des différences entre les parlers des générations différentes ont été constatées en grand nombre par l'abbé Rousselot dans son livre Les modifications phonétiques du langage étudiées dans le patois d'une famille de Cellefrouin. Il serait arbitraire de les interpréter comme M. Gauchat interprète les faits de Charmey. Toutefois, afin de discuter l'hypothèse de M. Goidanich je ne me servirai pas de ces faits, mais d'observations que j'ai pu faire personnellement dans des milieux se servant de parlers celtiques, observations qui montrent clairement que la propagation du changement s'opère de la façon qui a été indiquée ci-dessus. En 1915-16 j'ai passé presque un an à Torr en Gweedore (comté de Donegal) dans le Nord-Ouest de l'Irlande pour y étudier le parler local. On y avait conservé la vieille voyelle, une espèce de u (ou) sans arrondissement des lèvres, qu'on transcrit i(: (sauf indication contraire, je reproduis la notation phonétique employée dans les ouvrages cités). Ce phonème représente une ancienne diphtongue, óe, âe, devant consonne non palatale. Devant consonne palatale cette diphtongue est le plus souvent, mais non pas toujours, représentée par y, c'est-à-dire par un i un peu rétracté et abaissé, phonème qui provient aussi, dans certains cas, d'un ancien i après consonne non palatale. A Torr, la génération âgée, c'est-à-dire les gens de 60 ans environ ou davantage, avait généralement ¡f: devant consonne vélarisée (toutes les consonnes irlandaises sont ou bien palatales ou bien vélarisées) et y : devant consonne palatale, mais aussi souvent y: dans cette dernière condition. Ainsi, des sujets avec lesquels je travallais le plus souvent et que j'ai énumerés dans mon Dialect ofTorr, p. 2 et suiv., les deux premiers et le sixième avaient régulièrement y: dans la position indiquée, tandis que tous les autres, dont le septième était âge de 65 ans en 1918, avaient tantôt hw > hv > / ont chacune leur aire géographique (cf. Vendryes, Le langage, p. 57; des faits analogues sont connus d'autres domaines linguistiques). Le Pays de Galles n'a pas connu de centre qui puisse justifier l'hypothèse d'une propagation déterminée par des causes semblables à celles que M. Kloeke a cherché d'établir pour la Hollande. Tout au contraire, c'est la prononciation de l'ancienne voyelle ( j ) du Pays de Galles septentrional qui est considérée comme la plus distinguée. Elle a le prestige de la littérature dont l'influence en Galles est plus forte que dans les autres pays celtiques, datant du commencement du XHIe siècle au plus tard. Les sujets parlants de la région du Cyfeilog entendent souvent de la chaire la prononciation avec l'y, même des prédicateurs venant des districts qui ont perdu Yy, il y a plusieurs siècles, essaient souvent de l'employer quand ils prêchent dans la région qui nous occupe. Le changement d ' y en i se propage donc malgré le prestige de l'^. On pourrait être tenté de compter avec l'influence de l'anglais pour expliquer la force d'expansion de l'i; l'anglais ne connaît pas de voyelle comme l'y, on le sait. Il est probable que la disparition de l'y n'est pas chose isolée, sans rapports avec des faits de phonétique étrangers au Pays de Galles. La voyelle est d'un type assez rare dans l'Europe occidentale. Nous pouvons observer une certaine tendance à unifier les systèmes phonétiques des langues de l'Occident, bien que cette tendance soit infiniment moins forte que celle qui unifie les grammaires de ces langues. Mais la configuration de l'aire
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de 1'/ montre qu'il ne faut compter avec aucune influence directe de l'anglais. Si la propagation de 1'/ avait des rapports directs avec l'anglais, 17 devrait s'avancer non pas du sud vers le nord mais de l'est vers l'ouest. On s'attendrait à voir la voyelle envahir la région du Cyfeiliog de la vallée du Severn par le défilé de Talerddig, route qui a vu bien des invasions anglaises en Galles. Il est significatif que le gallois de Flintshire, très exposé à l'influence de l'anglais, possède encore l'y (cf. ce qui dit M. Gwynn Jones sur le parler de Mold, Sélectionsfrom Sîraeon y Ptntan, Wrexham, 1910, p. 42 et suiv.). La propagation des changements de %w en w et de ka-, ga- en k'a-, g'a-, qui a lieu du sud et du nord-ouest respectivement, s'accomplit dans des conditions analogues. La prononciation avec %w est considérée comme plus correcte que celle avec »y; les sujets parlants en ont parfaitement conscience. Il en est de même de ka-, ga- pour k'a-, g'a- ; cette dernière prononciation est méprisée par les gens d'autres parlers. Des causes sociales comme celles dont fait état M. Kloeke ne semblent donc pas déterminer la propagation des changements gallois. Ces changements ont des foyers différents: les palatalisations descendent du nord, les développements d'y en i et de %w en w s'avancent dans la direction opposée. Ces circonstances et la configuration géographique des aires montrent que les conditions géographiques jouent un rôle assez effacé dans ces mouvements. Il est vrai que le changement d'y en i semble s'avancer le plus rapidement dans la vallée de la Dyfi qui constitue une route importante de Machynlleth vers le nord par Bala. Autrefois la rivière n'était pas passable en aval de Machynlleth, cf. I. C. Peate dans mes Studies, p. 4. Si pourtant les conditions géographiques avaient une influence déterminante sur la propagation de 1'/, cette voyelle ne s'étendrait pas sur un si large front à travers vallées et montagnes. On a beaucoup discuté, ces temps derniers, la question de savoir si les changements phonétiques s'expliquent par l'hérédité. Déjà l'abbé Rousselot, dans son livre sur le parler de Cellefrouin, avait eu recours à l'hypothèse du caractère héréditaire des articulations. 11 trouve dans l'enfant le principe déterminant l'évolution phonétique {Revue des patois gallo-romains, 21, p. 40 et suiv.): "Ou bien c'est une tendance absolue et héréditaire qui le porte à modifier dans un sens déterminé le jeu des organes de la parole ; ou bien c'est une nécessisté imposée par la loi rythmique qui gouverne les organismes vivants." On pourra peut-être remonter à une cause unique. "La cause déterminante de l'évolution est d'ordre général; elle agit sur la masse de la population. C'est une sorte d'épidémie à laquelle personne n'échappe. L'évolution est déjà préparée chez les parents; mais elle n'éclate que chez les enfants lorsque ceux-ci entrent en possession de la langue. C'est donc une conséquence de l'hérédité. En effet, des parents, quittant un village où l'évolution est sur le point de se faire jour et se transportant dans un autre où celle-ci est moins avancée, n'arrêtent pas par ce fait la marche encore latente de l'évolutîon dans leur famille. D'autre part, des parents, venus de villages plus archaïques, rendent, pour un temps plus ou moins long, leurs enfants réfractaires à l'évolution qui se produit dans le lieu de leur nouvelle résidence.... Considérée dans l'organe où elle se produit, l'évolution se manifeste par un défaut de coordination
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ou de précision dans les mouvements : prolongation ou anticipation du mouvement ou du repos, amoindrissement ou exagération de l'effort nécessaire. L'exès est rare; le défaut est la règle... Or, tous ces caractères trouvent, semble-t-il, leur explication dans l'hypothèse d'une sorte d'anémie, d'un affaiblissement graduel et transitoire des centres nerveux qui aboutissent aux muscles, siège de l'évolution." D'après ce qui a été indiqué ci-dessus (p. 158 et suiv.), on voit que l'abbé Rousselot exagère le rôle de l'enfant. Ce n'est qu'au moment où le phonème ancien est devenu relativement rare chez les générations qui précèdent celle de l'enfant, que celui-ci n'entend plus l'ancien phonème et devient incapable de le reproduire. La langue de l'individu n'est pas fixée pour toujours à partir de l'enfance (cf. Hermann, loc. cit., p. 213). Le raisonnement de l'abbé Rousselot est détermine par ses vues sur l'évolution phonétique. Nous savons maintenant que les changements phonétiques ne sont pas de caractère exclusivement physiologique, mais que l'évolution est déterminée par un grand nombre d'actions et de réactions où l'on peut observer des degrés de conscience différents. L'altération physiologique du système nerveux devrait s'opérer graduellement et ne s'accorderait pas avec le fait que nous ne pouvons observer que des formes fixes et jamais le changement lui-même. L'altération supposée n'explique pas pourquoi les deux formes, l'ancienne et la nouvelle, restent d'abord côte à côte. On a eu recours à l'hypothèse de l'hérédité des habitudes acquises; cf. surtout Meillet, La méthode comparative, p. 79 et suiv., et Vendryes, Mélanges Meillet, p. 120. Toutefois, aussi longtemps que cette hypothèse est combattue par tant de biologistes, je ne peux pas, n'étant que linguiste, y prendre position. Mais la question n'est pas d'importance pour le problème de la propagation des changements phonétiques, comme nous allons voir ci-dessous. De son côté le P. van Ginneken essaie d'expliquer les changements phonétiques au moyen de l'hypothèse de l'hérédité, sous une forme un peu différente de celle mentionnée ci-dessus, dans deux articles, remplis d'idées comme tout ce qu'écrit cet auteur (/. F., XLV, p. 1 et suiv., et Donum Natalicium Schrijnen, p. 10 et suiv.). Le P. van Ginneken cherche à déterminer des tendances héréditaires résultant de la forme des organes phonateurs chez les différentes races. A priori, on ne pourra pas écarter cette hypothèse (je me suis prononcé d'une façon trop catégorique là-dessus dans l'article du Journal de psychologie, XXV, p. 680). On conçoit que, chez un groupe d'individus à lèvres ou bien très épaisses ou bien très minces, ce caractère anatomique des individus pourra donner naissance à des tendances phonétiques spéciales. Il en est de même de la forme du palais dur, par exemple, qui peut différer d'une race à l'autre. La faculté d'assimilation de l'individu, qui fait qu'un enfant nègre, dans certaines conditions définies, peut arriver à parler une langue européenne comme un Européen dont cette langue est la langue maternelle, n'y contredit pas. Il n'y a question que de tendances, de possibilités. 11 existe pourtant des faits dont l'explication est plus malaisée. J'ai pu constater, et la chose est bien connue chez nous, que les enfants norvégiens éprouvent une difficulté particulière à apprendre la voyelle u, phonème de caractère assez spécial. Cette voyelle
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est un u (ou) très avancé vers la position mixte. Par Sweet elle est classée comme high-out-back-narrow-round, à peu près Vu de l'anglais dans value - Vu suédois correspondant est high-mixed-narrow-round; cf. Sweet, Primer of Phonetics, p. 25. Très souvent les enfants substituent à cette voyelle norvégienne un u (ou) du type français, type que nous avons l'habitude d'appeler Vu "européen". Ce fait n'est pas isolé. Mes enfants avaient d'abord des occlusives sourdes non aspirées qui ressemblaient beaucoup aux occlusives correspondantes françaises - il va de soi que je n'ai pas pu savoir si l'articulation de la glotte était semblable à celle qui caractérise les consonnes françaises. M. Jespersen (Bernesprog, p. 28), a fait une observation analogue; il identifie les premiers p, t, k de son fils avec les phonèmes français correspondants, et les compare en même temps à un cas de p inaspiré danois dont l'articulation glottale doit cependant être différente de celle des occlusives françaises. Quand on sait que l'articulation germanique des occlusives est un phénomène relativement rare, ces faits sont très significatifs. Je ne vois pas, du moins pour le moment, comment on peut les concilier avec l'hypothèse du rôle de l'hérédité dans l'évolution phonétique. Ces faits montrent, d'autre part, l'intérêt que présente le langage enfantin pour les problèmes de la phonétique générale et la nécessité d'étudier, de façon précise, la phonétique enfantine d'un nombre de langues très diverses. Ces considérations ne visent pas à écarter l'hypothèse du P. van Ginneken. Au contraire, il faudra soumettre les faits qu'il indique à un examen serré. L'importance de ses observations ne dépend d'ailleurs pas de l'hypothèse sur le rôle de l'hérédité. Sa tentative de constituer des types de "bases d'articulation" liés à des faits de caractère anthropologique, est des plus intéressantes. Mais je ne pourrai pas entrer ici dans ces questions qu'on ne pourra aborder qu'après des recherches très étendues. Je me contenterai de rechercher si l'on peut constater des rapports entre des faits de caractère anthropologique et l'aire géographique d'un fait de phonétique, pour discuter ensuite si ces faits jouent un rôle dans la propagation des changements phonétiques. On vient de publier une étude d'ensemble sur l'anthropologie des Norvégiens (Halfdan Bryn et K. E. Schreiner, Die Somatologie der Norweger nach Untersuchungen an Rekruten dans les Skrifter de l'Académie d'Oslo, I, 1929, no. 1, Oslo, 1929). Je me propose donc de rechercher s'il est possible d'établir des rapports entre les données de l'anthropologie et l'aire géographique d'un phonème très particulier, l'aire du / "gras". Ce phonème fait partie de l'un des groupes des parlers norvégiens mais est inconnu de l'autre. Les gens qui ne connaissent pas ce phonème sont en général incapables de le prononcer. Le / "gras" est produit de la manière suivante : la langue est recourbée et son bout porté vers le sommet de la voûte palatine sans le toucher ; au moment où le bout atteint cette position, il est reporté, rapidement, vers les alvéoles ou vers les incisives supérieures, généralement sans les toucher. Le résultat est ce que Sweet a appelé une consonne battante(flap-consonant, cf. Sweet, op. cit., p. 64). Pour l'oreille étrangère ce phonème est une espèce de r. Le / "gras" fait partie d'un système de consonnes recourbées ou "cacuminales"
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Fig. 3. — marque la limite occidentale du /, • • • la limite meridionale des / et des n mouillés (d'après Ross, Norske bygdemaal).
Fig. 4. Les divisions administratives (les fylker, "départements") de la Norvège.
généralement issues de dentales placées après un r, connu dans les parle rs de l'est de la Norvège et dans ceux de la Suède. Le I "gras" représente ou bien un ancien l vélaire ou bien le groupe vieux-norrois râ. De l'ancien / vélaire, le / "gras" s'est développé par une espèce de segmentation. Une exagération de l'articulation liée au second centre articulatoire du / vélaire a pu entraîner vers l'arrière le bout de la langue qui a ainsi perdu le contact avec les alvéoles (ou avec les incisives supérieures; cf. l'auteur, B.S.L., 84, p. 185). Dans le groupe rô, le ó a été entraîné vers l'arrière par le r. Ensuite l'articulation du bout de la langue a été reportée de plus en plus en arrière pour opposer le son nouveau aux dentales, mouvement qui, à son tour, a été accompagné d'un abaissement de l'arrière-langue. L'opposition entre les dentales et les cacuminales est d'importance capitale dans la phonétique du norvégien de l'Est, cf. des oppositions comme kâ( = kart "fruit vert" : kât = katt "chat", etc. (Les phonéticiens norvégiens
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r
77-5 78.0
re^a 78 5 P ^ l 79-° ^ ^ 79-5 euh 80.0 rr-ri 81.0
Oslo Bergen
Fig. 3. L'index céphalique dans les départements.
i-.'•:•!
5.0— 9-9 10.0—14.9 15.0-19.9 ao.o—04.9 35.0—39.9 30.0—34.9
EE3 Oslo
Bergen
Fig. 6. Pourcentage des dolichocéphales dans les départements.
transcrivent généralement kar{ dans le premier cas, mais cette transcription est inexacte, pour une grand partie des parlers au moins. Dans la langue d'Oslo, par exemple, l'ancien groupe est représenté par un phonème un. Chose significative, ma petite fille, quand elle apprenait à écrire, s'étonnait du fait qu'on n'avait pas de lettre pour le t (elle l'isolait ainsi), puisque on avait une pour le i.) Les deux sons, le /"gras" (en transcription phonétique : /), développé de l'ancien / vélaire, et celui qui représentait le groupe vieux norrois rd, ont été confondus ensuite; le battement est probablement le reste de l'ancien ô. On a soutenu que le vieux scandinave n'a pas eu de / vélaire, mais que ceux des / qui plus tard sont répresentés par des / "gras", étaient de ce type dès le début, dans toute la Scandinavie (cf. p. ex., Noreen, Aitisi, und altnorw. Gr., 4e édition, § 40,2). Mais cela est tout à fait improbable. L'articulation cacuminale est limitée à un territoire bien fixe et le / appartient à ce système. Les traces qu'on a cru trouver d'un ancien / dans des allongements de voyelle suivie de / groupé avec certaines consonnes, dans des localités de la Norvège du Sud-Ouest (et dans les anciennes colonies norvégiennes) qui actuellement ingnorent le /, s'expliquent par l'existence d'un / vélaire; ce / a été vocalisé et l'élément vocalique de timbre postérieur, qui en résultait, a été assimilé à la voyelle et a allongé celle-ci au lieu d'être différencié en u comme en français
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SUR LA PROPAGATION DES CHANGEMENTS PHONÉTIQUES
Fig. 7. Pourcentage des brachycéphales dans les départements.
Fig. 8. Pourcentage des cheveux foncés (F. 4, 5, 27) dans les départements.
{autre, prononcé d'abord aoutre, de altré) ou dans le grec de Gortyn (p. ex. a û x â = àXxr)). De même la voyelle A. du shetlandais ( Jacobsen, Det norrone sprog paa Shetland, p. 119), s'explique par l'influence d'un / vélaire. Et si le / avait était du type "gras", ou même seulement recourbé, on aurait trouvé des traces d'une représentation de ce / par r dans les mots vieux-norrois empruntés par l'irlandais, ce qui n'est pas le cas, on le sait. L'extension du /, et de l'articulation cacuminale en général, marque la limite entre les parlers norvégiens de l'Est et ceux de l'Ouest. Mais la différence entre ces groupes de parlers n'est pas absolue. Les parlers du centre sont caractérisés par bien des particularités qui les rapprochent des parlers de l'Ouest et les distinguent de ceux qui sont situés plus à l'est. 11 va de soi que pour beaucoup de phénomènes il n'y a pas de limite absolue entre les parlers de l'Ouest et ceux de l'Est. Le / et le système des consonnes cacuminales sont connus en Suède et en Norvège dès le moyen âge. En Suède on trouve des cas de rô > l au 14e siècle (cf. Noreen, Aîtschwed. Gr., p. 215), mais le développement est probablement plus ancien. En Norvège, certains faits portent à croire que le système était connu déjà à la fin du 13e siècle, mais l'on ne sait pas si le groupe rô était arrivé à son terme final (/) à cette époque (cf. Am. B. Larsen, Maal og Minne, 1914, p. 150; cf. aussi les cas cités par Hœgstad, Gamalt trondermaal, p. 37, dont certains au moins sont significatifs; de plus
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lillllllllltt S™"* 9*9 rïïTïïm
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Fig. 9. Pourcentage des couleurs blondes des cheveux (F. 9-24) dans les départements.
Fig. 10. Pourcentage des yeux bleus (M. 13-16) dans les départements.
Storm, Norvegia, p. 106; Skulerud, Tinnsmaalet, p. 422). Le premier exemple norvégien connu de rô > / date de 1351 (cf. Noreen, Altisl. und altnorvw. Gr., 4e édition, p. 185). L'extension du / en Norvège se voit par la carte ci-jointe (fig. 3). L'isoglosse peut être tracée avec une précision assez grande, comme il était à attendre. La limite de l'extension du / commence dans le Sud-Ouest entre Arendal et Tvedestrand, traverse le Telemark, longe la grande chaine de montagnes qui séparent l'Ouest et l'Est de la Norvège jusqu'au département de More pour suivre la limite de Romsdal et de Sunnmere jusqu'à la mer. Dans le Nord l'aire du / s'étend jusqu'à Steigen dans le département de Nordland. Tout récemment, il a été importé au nord de cette limite, en Mâlselv et en Bardo, par des immigrants des vallées intérieures de l'Est. Il est probable que le phonème s'est propagé de l'est et cela est vrai de tout le système des cacuminales. Le centre d'expansion doit être cherché en Suède ou dans l'Est de la Norvège; on sait que les parlers suédois et les parlers norvégiens de l'Est sont très proches les uns des autres. On ignore depuis quand la limite occidentale du / suit la ligne indiquée sur la carte. La forme kamas gamals de l'inscription runique de Flatdal dans le Telemark, qui d'ailleurs est situé à l'ouest de la limite du / et qui ne connaît pas le système des cacuminales, n'indique pas l'existence en Telemark du / à l'époque de l'inscription datant de 1150 environ. L'assimilation d'un / vélaire à un 5 est des plus naturelles. Et il
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SUR LA PROPAGATION DES CHANGEMENTS PHONÉTIQUES
Fig. 11. Pourcentage des yeux foncés (M. 2-8) dans les départements.
Fig. 12. La taille dans les départements,
ne faut pas interprêter les formes Surdal, Sûrdœlir pour Sûldal, Sùldœlir comme des cas de / ainsi que le fait Noreen {op. cit., p. 185). C'est un cas de dissimilation renversée comme dans Stordalen de *Stoldal, l'ancien Stôladalr (cf. l'auteur, N.T.S., I, p. 18); Hœgstad ( Vestnorske maalfere, II, 1, p. 59) et M. Magnus Olsen (Norske gaardnavne, X, p. 363) ont eu raison d'interpréter les noms de cette façon. L'endroit en question n'a jamais connu le système des cacuminales. On pourrait être tenté de faire état de graphies comme Goull, maintenant Gol (gôl), en Hallingdal qui se recontre dans les livres de tournée pastorale de l'évéque Jens Nilsson, datant des années 1574-97, et qui représente un ancien Gçrô, écrit avec rd (Gaarde) encore en 1524. Mais les graphies antérieures peuvent être traditionnelles; ainsi le nom Golberg de la même région, qui est un composé du premier nom, est écrit Gaardbergh, Gardberg encore en 1604, mais plus tard avec un /. Quoi qu'il en soit, le / est venu de l'est. 11 est moins général dans certaines localités situées dans la partie occidentale de son territoire que plus à l'est. Dans ces localités il représente un ancien / vélaire seulement, tandis que le vieux norrois rd est devenu r (ou rarement rd). Ces faits se trouvent, à part le S0r-Trandelag où des cas de r pour rd s'étendent presque jusqu'à la frontière suédoise (cf. Am. B. Larsen, Oversigt over de
Fig. 13. Pourcentage des très petits et des petits dans les départements.
Fig. 14. Pourcentage des grands dans les départements.
norske bygdemaal, p. 33, 49, 56, 83, 96; Skulerud, Tinnsmaalet, p. 403), seulement le long de la limite de l'aire du /. Afin de rechercher s'il existe des rapports entre l'aire du / et les faits anthropologiques, je me servirai du critère de l'index céphalique. On sait que le plus grand nombre de brachycéphales se trouve dans l'Ouest de la Norvège, tandis que les gens de l'Est sont plus généralement dolichocéphales ou mésocéphales. Mais il ne faut pas oublier que l'index céphalique n'est qu'un trait isolé; les données sur la couleur des yeux et des cheveux, par exemple, et surtout celles sur la taille ne suivent pas exactement les indications fournies par l'index céphalique. Je reproduis les cartes montrant les états de l'index, de la coloration des cheveux et de la taille, dressées par M M . Bryn et Schreiner (fig. 4-14). Si l'on compare ces cartes à celle de la page 176 (fig. 3), on voit que l'extension du / et du système cacuminal coïncide avec une notable différence dans l'index céphalique là où la limite de l'aire suit les frontières entre les départements de Buskerud et d'Opland d'un côté et ceux de Hordaland, de Sogn og Fjordane et d'une partie de More de l'autre. Ces limites constituent d'ailleurs des frontières naturelles importantes; elles traversent les massifs montagneux les plus importants de la Norvège. Mais ces
182
Fig. 15
SUR LA PROPAGATION DES CHANGEMENTS PHONÉTIQUES
marque la limite occidentale du { en Telemark (d'après Skulerud, Telemaalet).
montagnes n'ont pas interdit la communication. L'ancienne route principale entre l'Est et l'Ouest les traversait de Valdres à Sogn et les paysans de Valdres ont maintenu, dès les temps préhistoriques, des rapports réguliers avec le pays de Sogn où ils sont allés chercher du sel (cf. A. W. Brogger, Kulturgeschichte Norwegens, p. 169). On a même cru que les vallées de Valdres avaient été peuplées de l'Ouest, mais l'archéologie indique que l'immigration a eu lieu de l'Est (cf. Bragger, op. cit., p. 171). Les limites géographiques sont cependant d'une telle importance dans ces régions que la coïncidence entre l'aire dialectale et l'index céphalique ne permet pas de tirer des conclusions sur le rôle des différences anthropologiques dans la propagation du /. Pour serrer la question de plus près il faut prendre des régions où l'aire du / ne coïncide pas avec une frontière naturelle. Examinons d'abord le Telemark. L'état anthropologique du Telemark a été étudié par Arbo qui a publié ses résultats en 1904 (Fortsatte Bidrag til Norges Anthropologi, VI, dans les Skrifter de l'Académie d'Oslo).
SUR LA PROPAGATION DES CHANGEMENTS PHONÉTIQUES
183
Arbo a examiné un très grand nombre d'individus, en tout 2702 hommes de l'âge de 22-23 ans. Les résultats auxquels il est arrivé se voient par le tableau suivant que je reproduis d'après le résumé de M. Bryn (Bryn et Schreiner, op. cit., p. 406):
Tinglag (et herreder)
Moyenne de la taille en centimètres
Moyenne de l'index céphalique
Sannidal . . . Drangedal . . . Terdal Bamble . . . . Eidanger . . . Gjerpen . . . . Slemdal . . . . Skien Solum . . . . Holla Lunde . . . . B0 Sovde Heddal . . . . Gransherad . . Tinn Hjartdal. . Seljord . . . . Kviteseid . . . Nissedal.... Fyresdal. . . . Mo Lârdal . . . . Vinje Rauland....
171.7 170.6 171.3 171.1 168.1 169.5 170.6 169.6 168.5 168.6 170.4 171.6 170.5 169.1 170.7 171.5 170.0 170.1 172.7 172.2 170.2 169.8 169.8 169.0 170.3
79.6 78.7 80.9 78.4 80.4 79.6 79.2 79.1 79.4 79.5 78.9 78.5 78.5 79.1 78.8 79.4 78.1 79.2 78.5 78.1 78.1 78.1 79.3 78.6 78.5
Répartition des chiffres de l'index céphalique Dolichocéphales -e-77.77
Mésocéphales 77.7879.99
Brachycéphales 80.00-*
% 28.7
% 26.0
% 45.2
40.2 13.4 39.3 18.2 27.3 31.3 31.4 30.7 34.5 37.2 42.0 48.5 37.8 26.5 32.8 39.6 37.4 41.4 48.6 33.6 33.0 41.0 41.2 41.7
22.6 18.8 37.0 18.2 24.7 35.8 28.5 32.6 27.2 28.0 27.6 28.6 30.1 31.3 24.3 32.7 28.9 34.1 26.1 41.1 40.3 26.2 28.0 26.6
37.1 68.7 23.7 63.6 47.8 32.8 40.0 36.6 38.2 34.7 30.3 22.8 32.0 42.1 42.8 27.6 33.6 24.4 25.2 25.2 26.6 32.8 30.7 31.7
Pourcentage des yeux bruns ou de couleur mélangée
Pourcentage des cheveux bruns
14.8 17.9 6.6 21.7 15.0 16.1 13.4 27.4 22.8 19.0 14.3 12.7 10.8 8.9 9.6 13.8 9.8 3.9 3.6 6.7 3.7 6.3 8.7 9.6 7.0
23.0 24.2 20.0 18.3 24.2 24.8 35.8 13.8 20 9 30.9 18.5 11.8 14.6 27.4 20.4 22.6 9.3 13.7 16.0 13.0 4.6 11.4 16.4 14.9 14.0
Les résultats de M. Bryn reposent sur l'examen de 501 hommes de l'âge de 21 ans. Il a utilisé d'autres divisions territoriales, les arrondissements judiciaires (sorenskriverier, réunions de tinglag) circonstance qui nous interdit de comparer les détails de ses
SUR LA PROPAGATION DES CHANGEMENTS PHONÉTIQUES
184
Fig. 16. Tinglag (—) en Telemark. Arrondissement de Krager0 = tinglag de Drangedal, Sannidal, Skàtoy, la ville de Kragere. Arr. de Bamble = tinglag de Bamble, Langesund, Eidanger, la ville de Brevik. Arr. de Gjerpen = tinglag de Gjerpen, Solum, Holla, la ville de Porsgrunn. Arr. de Nedre Telemark = tinglag de Lunde, B0, Sauherad, Seljord. Arr. de Heddal = tinglag de Heddal, Hjartdal, Gransherad, la ville de Notodden. Arr. de Tinn = tinglag de Tinn. Arr. de Vest-Telemark = tinglag de Kviteseid, Nissedal, Fyresdal, Mo, Lârdal, Vinje, Rauland.
résultats avec ceux des résultats d'Arbo. D e s chiffres m o y e n s fournis par M . Bryn j e reproduis les suivants :
Arrondissements judiciaires
Nombre d'individus examinés
Moyenne de la taille
Moyenne de l'index céphalique
92
172.86
78.2
Répartition des chiffres de l'index céphalique -s-75.9
76.0-80.9
81.0->•
% 22.8
% 61.9
% 15.2
Kragerc
. . . .
Bamble
. . . .
41
173.37
78.6
14.6
75.6
9.8
Gjerpen
. . . .
115
171.56
78.6
20.0
56.5
23.5
Nedre Telemark.
67
173.31
77.9
28.4
59.7
11.9
Heddal
48
173.21
77.9
23.4
57.4
19.1
. . . .
Tinn Vest-Telemark Skien
.
13
170.77
78.2
23.1
61.5
15.4
86
174.78
77.0
30.2
59.3
10.5
39
172.15
77.2
27.5
60.0
12.5
Si l'on examine les chiffres donnés par Arbo, o n voit que les deux régions à brachycéphalie (à index plus de 80.0), Tardai et Eidanger, se trouvent à l'est de la limite
185
SUR LA PROPAGATION DES CHANGEMENTS PHONÉTIQUES
occidentale de l'aire du l. Les régions à chiffres entre 79 et 80, Sannidal, Gjerpen, Slemdal, Skien, Solum, Holla, Heddal Tinn se trouvent à l'est tandis que Seljord et Lârdal seulement sont à l'ouest de cette limite. Des régions aux chiffres les moins élevés (de 78 à 79), Drangedal, Bamble, Lunde, B0, Sauland, Gransherad, Hjartdal sont localisées à l'est, Kviteseid, Nissedal, Fyrisdal, Mo, Vinje et Rauland à l'ouest de la limite. Si l'on considère maintenant les chiffres de M. Bryn, les plus élevés d'eux se rapportent aux régions localisées à l'est de la limite, tandis que le Vest-Telemark, comprenant les tinglag de Kviteseid, Nissedal, Fyresdal, Mo, Lârdal, Vinje et Rauland est caractérisé par l'index le moins élevé. Arbo soutient que la population de l'ancien Grenland, comprenant chez lui les tinglag de Drangedal, Tardai, Solum, Holla, Lunde, B0, Sauherad et Heddal (cf. aussi fig. 16), appartient au type général des brachycéphales, de même celle de Tinn, tandis que le peuple de Vest-Telemark est dolichocéphale, un peu différent, à certains égards, des dolichocéphales qu'on rencontre en Grenland. Regardons ensuite le département d'Aust-Agder où l'aire du / s'étend du point où elle atteint la frontière entre les départements du Telemark et d'Aust-Agder, à l'ouest de Gjerstad, Vegârshei et Holt jusqu'à la mer à l'est de la ville d'Arendal. Les résultats des recherches de M. Bryn (Bryn et Schreiner, op. cit., p. 418 et suiv.) sont résumés ainsi :
Arrondissements judiciaires
Holt Nedenes Sand Setesdal Arendal Grimstad. Riser
. . . . . . . . . . . . . . .
Nombre d'individus examinés
79 44 34 42 42 9 14
Moyenne de la taille
173,51 175.46 173.39 172.17 172.94 174.38 174.17
Moyenne de l'index céphalique
77.8 78.5 79.3 79.3 79.2 80.7 77.8
Répartition des chiffres de l'index céphalique 75.9
% 26.6 18.2 8.8 16.7 11.9 33.3 21.4
76.0-80.9
81.0->
% 56.9 61.4 70.6 59.5 54.8 11.1 71.4
% 16.5 20.5 20.6 23.8 33.3 55.5 7.1
Les arrondissements de Holt et de Riser sont localisés dans l'aire du /. L'index le moins élevé se trouve donc ici à l.'est de la limite. Arbo, qui a examiné 1057 hommes de l'âge 22-23 ans (Fortsatte Bidrag til Norges Anthropologi, V, 1898, dans les Skrifter de l'Académie d'Oslo), groupe la population en quatre catégories : 1) la population de la côte, 2) celle du pays intérieur, 3) et 4) celle des vallées supérieures, Setesdal et Âmli. Ces dernières sont entièrement à l'ouest de la limite occidentale du /. Les moyennes de l'index qu'a trouvées Arbo sont:
186
SUR LA PROPAGATION DES CHANGEMENTS PHONÉTIQUES Fig. 17. Tinglag ( — ) en Aust-Agder. Arrondissement de Holt = tinglag de Vegârshei, Gjerstad, S0ndeled, Dyvàg, Holt. Arr. de Nedenes = tinglag de Âmli, Herefoss, Froland, 0stre Moland, 0yestad, His. Arr. de Sand = tinglag de Landvik, Fjasre, Sand. Arr. de Setesdal = tinglag de Vegusdal, Hornnes, Iveland, Evje, Bygland, Valle.
1) 79.68, 2) 79.02, 3) 78.74, 4 ) 80.43. D a n s le d é p a r t e m e n t d e M a r e l a limite o c c i d e n t a l e de l'aire d u / suit l a f r o n t i è r e e n t r e S u n n m o r e et R o m s d a l . L e s différences a n t h r o p o l o g i q u e s e t linguistiques y s o n t g r a n d e s . L e s parlers de N o r d m o r e et d e R o m s d a l s o n t très p r o c h e s de c e u x d u T r e n d e l a g q u i a p p a r t i e n n e n t a u g r o u p e o r i e n t a l d e s p a r l e r s n o r v é g i e n s tandis q u e les p a r l e r s S u n n m 0 r e s o n t t y p i q u e s de c e u x de l ' O u e s t . V o i c i les résultats d e M . S c h r e i n e r :
Arrondissements judiciaires
Sare Sunnm0re .
Nombre d'individus examinés
Moyenne de la taille
135
172.87
Moyenne de l'index céphalique
79.77
Répartition des chiffres de l'index céphalique
% 11.1
% 52.6
% 36.3
Nordre 187
173.95
78.50
20.3
59.4
20.3
Romsdal....
191
172.91
78.40
21.5
60.7
17.7
Nordm0re
253
173.62
77.83
26.5
60.1
13.4
Sunnm0re
. .
. . .
de
SUR LA PROPAGATION DES CHANGEMENTS PHONÉTIQUES
187
Fig. 18. Tinglag dans le département de More. Arrondissement de S0re Sunnmore = tinglag de Vanylven.Sande, Heray, Ulstein, Volda, 0rsta, Hj0rundf)ord. Arr. de Nordre Sunnmore = tinglag de Sunnylven, Norddal, Stranda, Orskog, Sykkylven, Skodje, Borgund, Haram. Arr. de Romsdal = tinglag de Vestnes, Voll og Eid, Romsdal, Veey, Nesset, Bols0y, Sund, Vàg0y, la ville de Moide. Arr. de Nordmare = tinglag de Kornstad, Kvernes, Frei, Gjemnes, Straumsnes, Tingvoll, Oksendal, Sunndal, Stangvik, Surnadal, Rindal, Aure, Vals0yf)ord, Halsa, Tustna, Ed0y.
M. Bryn a étudié l'anthropologie du département de M0re (More fylkes antropologi, 1920, dans les Skrifter de l'Académie d'Oslo). Ses chiffres diffèrent en partie de celles de M. Schreiner. On voit qu'ici la limite de l'aire du / coïncide assez bien avec une limite anthropologique. M. Schreiner conclut (Bryn et Schreiner, op. cit., p. 531): "Es lässt sich somit in Nordmore eine deutliche örtliche Korrelation zwischen grosser Körperhöhe, niedrigem Breitenlängen-Index des Kopfes, hohem Gesichtsindex und ausgeprägter Blondheit nachweisen, während Sore Sunnmore etwas geringere aber immer noch übermittelgrosse - Körperhöhe mit höherem Breitenlängen-Index,
188
SUR LA PROPAGATION DES CHANGEMENTS PHONÉTIQUES
niedrigerem Gesiclitsindex und einer etwas weniger ausgesprochenen Blondheit verbunden ist. Nordmore schliesst sich in somatologischer Hinsicht wie in seiner Mundart Ser-Trandelag eng an, Sore Sunnmare zeigt aber in ähnlicher Weise nahe Anknüpfung an die südlichen Nachbarbezirke von Fjordane. Die dazwischenliegenden Gerichtsbezirke Nordre Sunnrrwe und Romsdal nehmen im grossen und ganzen eine vermittelnde Stellung zwischen Sore Sunnmore und Nordmore ein. Nordre Sunnmere schliesst Sich in bezug auf Körperhöhe und Pigmentierung Nordmore, in bezug auf den Durchschnitt des Breitenlängen-Index und des Gesichtsindex aber Sere Sunnm0re am nächsten an. Romsdal zeigt andererseits in bezug auf Körperhöhe und Pigmentierung nahe Übereinstimmung mit Sere Sunnmore, in bezug auf Kopf- und Gesichtsfor mit Nordmore". En Nordland l'aire du / s'étend jusqu'au canton de Steigen environ. Je reproduis les chiffres suivants des tableaux de M. Schreiner (Bryn et Schreiner, op. cit., p. 372 et suiv.) qui se fonde sur le livre de Mme A. Schreiner (Die Nord-Norweger, 1929, dans les Skrifter de l'Académie d'Oslo) dont les matériaux comprennent 1000 sujets:
Arrondissements judiciaires
Branney.... Alstahaug . . . Rana Saiten Steigen Lofoten . . . . Vesterâlen . . .
Nombre d'individus examinés
Moyenne de la taille
Moyenne de l'index céphalique
69 156 144 168 133 171 159
172.68 172.35 171.09 173.11 172.62 172.37 172.21
79.71 79.99 80.23 79.16 81.25 80.12 79.19
Répartition des chiffres de l'index céphalique «-75.9
% 7.2 14.7 9.7 17.8 1.5 5.3 13.8
76.0-80.9
% 58.0 50.0 52.8 51.8 48.1 55.6 54.7
81.0
% 34.8 35.3 37.5 30.4 50.4 39.2 31.5
M. Schreiner conclut (Bryn et Schreiner, op. cit., p. 585 et suiv.): "Die Somatologie der vier südlichen Gerichtsbezirke Nordlands, Bronnoy, Alstahaug, Rana und Saiten, weist auf eine nahe Verwandtschaft zwischen der Bevölkerung dieser Bezirke und derjenigen der beiden Trandelag-Provinzen hin, was durch d i e . . . Tatsache, dass Nordland von Alters her zu Trondelag in engster Beziehung gestanden hat und deswegen von diesem Landesteil sicher die überwiegende Mehrzahl seiner ersten Ackerbau treibenden Kolonisten empfangen hat, leicht verständlich wird. Die Rassenzusammensetzung der Bevölkerung dieses Teiles Nordlands ist sicher auch im grossen ganzen dieselbe wie in den Trondelag-Provinzen. Immerhin deuten sowohl die etwas geringere durchschnittliche Körperhöhe wie der höhere Durchschnitt des Breitenlängen-Index und die geringe Zahl der blauen Augen
SUR LA PROPAGATION DES CHANGEMENTS PHONÉTIQUES
189
Fig. 19. Arrondissements judiciaires dans le département de Nordland.
auf eine etwas grössere Beimischung dunkler Brachykephale als in Trandelag. Man würde vielleicht hier in erster Reihe an lappische Beimischung denken. Es lassen sich in der Tat an mehreren Stellen auch des südlichen Teils von Nordland deutliche Zeichen von einer solchen Beimischung nachweisen. Immerhin scheint aber diese Beimischung ausser gewissen Schulzenbezirken in Alstahaug und Saiten keine deutlichen Spuren in der Somatologie der Bevölkerung des betreffenden Teils von Nordland hinterlassen haben zu können, dazu sind die Lappen in dieser Gegend an Zahl zu ring gewesen. Was die Küstenbezirke betrifft, wird man deswegen eher an eine Beimischung dunkler Brachykephale aus den westlichen Provinzen, mit denen dieser Teil Nordlands seit der Sagenzeit auch in lebhaftem Verkehr gestanden ist, denken müssen. Was oben über die rassenmässige Zusammensetzung der Bevölkerung in den vier südlichen Gerichtsbezirken Nordlands gesagt ist, hat im grossen ganzen auch für Lofoten Gültigkeit. Lappische Beimischung spielt hier sicher, wenn überhaupt, eine sehr geringe Rolle. Der recht hohe Durchschnitt des Breitenlängen-Index in Verbindung mit einer beträchtlichen Häufigkeit melierter Augen und aschblonden Haares könnte möglicherweise als auf stärkere Beimischung dunkler Brachykephale als im südlichen Teil der Provinz beruhend gedeutet werden. Nach den Durchschnittswerten des Breitenlängen-Index und des Gesichtsindex zu urteilen, ist die Bevölkerung
190
SUR LA PROPAGATION DES CHANGEMENTS PHONÉTIQUES
Vesteràlens als Ganzes mehr nordisch als diejenige Lofotens, zeigt aber gleichzeitig mehr braune Augen und schwarzbraunes Haar als diese. Dass sich lappische Beimischung neben solcher westnorwegischer Brachykephale hier im Gegensatz zu Lofoten an mehreren Stellen geltend macht, is unzweifelhaft. Was endlich Steigen betrifft, so machen Lappenmischlinge einen grossen Bestandteil der Bevölkerung in mehreren Schulzenbezirken dieses Gerichtsbezirks, vor allem Evenes, Ankenes und Tysfjord, aus. Es ist deswegen sicher, dass die Sonderstellung, die Steigen innerhalb der Provinz in bezug auf hohen Durchschnittswert des Breitenlängen-Index in Verbindung mit dunkler Komplexion einnimmt, in erster Linie auf lappischer Beimischung beruht." L'aire du / finit donc à Steigen où la population diffère notablement du point de vue anthropologique de la population des autres arrondissements de Nordland. La différence est autrement profonde que celle qui existe entre les dolichocéphales et les brachycéphales ordinaires, étant causée par l'immixtion de sang lapon. Elle se double donc d'une différence de caractère social. On voit par les faits exposés qu'il n'y a pas de corrélation précise entre le système phonétique dont fait partie le f et l'état de l'index céphalique. Si l'on compare les données dont j'ai fait état avec les chiffres moyens des départements indiqués dans la fig. 5, on constate qu'il y a, à l'intérieur de l'aire du /, des départements qui ont un index plus élevé que certains des départements qui sont en dehors de cette aire. Ainsi le département de Nordland a la même moyenne de l'index que le département de Hordaland et celle d'Aust-Agder lui est inférieure. De même la moyenne de l'index du Nord-Trondelag est plus élevée que celle d'Aust-Agder. Tout ce qu'on peut constater, c'est qu'en général le gros de la population à index céphalique élevé se trouve en dehors de l'aire du / et du système de cacuminales, tandis que la majorité de la population à index peu élevé habite l'aire du l. Ce fait n'est pas sans importance, cela va de soi. 11 est intéressant de constater que c'est surtout la population brachycéphale qui a conservé le mieux l'ancien système linguistique nordique et germanique et que la population dolichocéphale, dont la "race nordique" constitute l'élément dominant, a le plus changé l'ancien système phonétique et morphologique. Si l'on compare les chiffres de l'index céphalique en Norvège avec les chiffres moyens de l'index céphalique des Suédois, qui connaissent le même système des consonnes recourbées, des Danois et des Islandais - le système des cacuminales est inconnu par ces derniers - on voit que l'élément dolichocéphale est surtout fort en Suéde. L'Islande, dont la majorité de la population est originaire de la côte ouest de la Norvège, mais qui a dû recevoir aussi des éléments venant des Iles Britanniques et surtout des régions celtiques de ces pays, occupe une position intermédiaire entre la Norvège et la Suède. Mais ce caractère général se modifie considérablement si l'on compare seulement les cinq départements norvégiens du Sud-Est (ceux d'Akershus, Hedmark, Opland, Buskerud et 0stfold) qui constituent le domaine central du système cacuminal, avec la Suède et l'Islande. Le tableau suivant (Bryn et Schreiner, op. cit., p. 144) montre la répartition des trois types
191
SUR LA PROPAGATION DES CHANGEMENTS PHONÉTIQUES
0stfold Akershus Oslo
. . . . .
Hedmark . . . . . Opland Buskerud . . . . Vestfold Telemark . . . . Aust-Agder . . . Vest-Agder Rogaland Hordaland Bergen Sogn og Fjordane. More S0r-Trendelag . . Nord-Trandelag . Nordland Troms Finnmark
.
. . .
Norge
I
1
I »
Dolichocéphales
•
Mésocéphales
Brachycéphales
Fig. 20.
craniaux dans les quatre pays scandinaves: Norvège
0/ /o
Dolichocéphales Mésocéphales Brachycéphales
18.5 56.0 25.5
Suède
0/ /o
30.2 55.7 14.1
Danemark
0/ /o
7.3 48.3 44.4
Islande
0/
/o
23.5 61.1 15.4
Comparer à ces chiffres la figure 20 (Bryn et Schreiner, op. cit., p. 141) qui fait voir la répartition des types craniaux dans chacun des départements norvégiens. On voit donc que dans les cinq départements du Sud-Est la répartition des différents types se rapproche de celle de la Suède. Puisqu'il n'y a pas de corrélation très précise entre les données anthropologiques et l'aire du / et du système des cacuminales en général, il faut rechercher si les limites de l'aire du / (et de l'articulation recourbée des consonnes) correspondent avec d'anciennes divisions territoriales en Norvège. Au début de l'histoire, au moment où le pays a été organisé en un état un, la Norvège était occupée par un grand nombre de groupements appelés, dans certaines parties du pays, des fylki (dérivé de folk "peuple"; l'ancien terme a été repris récemment pour désigner les divisions territoriales qui correspondent à peu près aux départements en France). On connaît surtout l'organisation du pays
192
SUR LA PROPAGATION DES CHANGEMENTS PHONÉTIQUES
Fig. 21.
côtier; celle des régions intérieures, comme par exemple le Telemark, Valdres et l'0sterdal est moins connue et semble avoir été moins fixe. Ces vallées éloignées sont restées longtemps à l'écart. Il est caractéristique que, pendant tout le moyen âge, on n'a pas pu forcer la population du Telemark à payer la dîme. Les anciennes groupements territoriaux expliquent-elles la configuration de l'aire du/? L'état de l'extrême Nord ne permet pas de tirer des conclusions précises. Alexander Bugge suppose que, déjà à l'époque des grandes migrations, les différents groupements du Hâlogaland, qui correspondait à peu près aux départements de Nordland et de Troms actuels, se sont réunis en un fylki. La chose est cependant très douteuse et nous ne savons pas si l'organisation en fylki a été connue dans le Nord. A l'an 1200 environ les Norvégiens tenaient le pays jusqu'à Malangen, mais au temps d'Ottar, contemporain d'Alfred le Grand, le pays norvégien a dû s'étendre plus au nord. 11 est toutefois intéressant de constater que les sépultures à inhumation se sont avancées, au Vie siècle où leur centre de gravité se trouvait dans l'Ouest et dans le Sud, jusqu'à Dverberg en Steigen (cf. Shetelig, Préhistoire de la Norvège, p. 183). Toutefois l'immixtion du sang
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lapon dans la région de Steigen avec les conséquences sociales qu'elle implique, peut expliquer pourquoi l'aire du / s'est arrêtée à cet endroit. Dans le Nord-Ouest la limite du / coïncide avec une division territoriale importante. Les pays de Nordmore et le Raumsdœlafylki étaient considérés comme faisant partie de la Norvège du Nord et à partir du temps du roi Hâkon le Bon, qui régnait au milieu du Xe siècle, les deux font partie de la jurisdiction du Frostatingslag (d'après le Ping de Frosta dans le Trondelag), composé surtout des pays du Trondelag. Comparer la carte des pays de Nordmare, du Romsdal (l'ancien Raumsdalr) et de Sunnmore (fig. 21) que je reproduis d'après Alexander Bugge (Norges historié, I. 1, p. 36). Au temps du roi Hâkon le Bon les pays du Vestland ont été organisés dans la juridiction du Gulatingslag qui s'étendait jusqu'à la frontière orientale de l'Egôafylki, au promontoire appelé Rygjarbit, c'est-à-dire le promontoire des Rygir, le peuple de Rogaland. promontoire qui correspond à l'actuel Gjernestangen, point où la frontière entre les départements actuels d'Aust-Agder et du Telemark atteint la mer. Au moyen âge il semble que les pays du Hallingdal et de Valdres ont été joints à cette juridiction du Gulatingslag. ~ Ici donc l'aire du /ne s'arrête pas à la frontière même de l'ancien 0stla.nd et l'ancien Vestland. mais dépasse légèrement cette frontière. L'ancienne organisation du Telemark est moins bien connue aue celle des pays
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Fig. 23. Skibreder et fiefs. I. Tinnslen. II. Midtlen. III. Vestrelen. IV. Skibrede de Lindheim V. Skibrede d'Ulefoss. VI. Skibrede de Gjerpen. VII. Skibrede de Bamble.
côtiers, je l'ai déjà indiqué. M. Omholt-Jensen qui a étudié l'organisation ancienne des régions correspondant au département actuel du Telemark (J. Omholt-Jensen, Telemark fylke igammel tid, Skien, 1926), a tracé deux cartes de l'organisation du pays avant la constitution du royaume de Norvège et des skibreder (districts ayant à fournir et armer un navire de guerre) et fiefs (len) du moyen âge (fig. 22-23). L'aire du / comprend donc toutes les régions côtières qui faisaient partie de la Norvège de l'Est. La limite suit la frontière entre ces régions et les deux "tiers" (priôjungar) occidentaux de l'ancien Jjelamçrk pour longer ensuite celle qui sépare ces deux "tiers" du "tiers" situé le plus à l'est. L'Ouest du Telemark, correspondant à peu près aux deux "tiers" occidentaux, semble avoir été colonisé de l'Ouest (cf. p. ex. Alexander Bugge, Norsk Folkekultur, II, p. 13 et passim ; et Edv. Bull, Folk og kirke i middelalderen, p. 193), tandis que l'immigration en Tinn a eu lieu et de l'Est et de l'Ouest (cf. Skulerud, Tinnsmaalet, p. 58 et suiv.). Il est même possible que le pouvoir des Rygir (de Rogaland) s'est étendu jusqu'à l'ancien Jçsurheiôr (la ferme actuelle de Jusureid, située entre Brunkeberg et Heydals-. mo; cf. Alexander Bugge, Norges historié, I, 2, p. 47; et Norsk Folkekultur, II, p. 13). Cet endroit se trouve un peu à l'ouest de la limite de l'aire du / et de la frontière entre le 'tiers" correspondant au Tinnslen et celui qui est devenu plus tard le Midtlen. La propagation du / et du système des consonnes recourbées s'est donc arrêtée devant
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l'ancien Gulatingslag, exception faite des vallées du Hallingdal et de Valdres qui semblent avoir été ajoutées à cette juridiction à une époque assez tardive. Dans le département d'Aust-Agder, l'aire dépasse légèrement l'ancienne frontière qui se trouvait à Rygjarbit. 11 est probable que le / s'y est introduit à une époque assez tardive. Il est caractéristique qu'on n'y connaît que le / développé de l'ancien / vélaire et non pas celui qui provient du groupe rô. Le système des consonnes cacuminales y est généralement inconnu. La limite de l'aire du l correspond donc à une division historique et sociale très ancienne. Il est probable que les Rygir et les Hçrôar du Vestland se rattachent aux Rugii et aux Harudes, tribus germaniques du continent. M. Magnus Olsen et M. Shetelig, s'appuyant sur les résultats des recherches onomastiques et archéologiques, supposent que des tribus étrangères ont immigré dans l'Ouest de la Norvège et y ont fondé un royaume qui s'étendait d'abord du Vik (le pays autour de l'Oslofjord) jusqu'au Romsdal, royaume dont Jordanes a conservé la tradition. Plus tard il semble que la civilisation de cette organisation sociale perd son influence dans le Sud, mais qu'elle conquiert Valdres, une partie du Gudbrandsdal et des localités situées plus au nord, notamment dans le Trandelag (cf. Magnus Olsen, Hedenske Kultminder, p. 284 et suiv.; Shetelig, op. cit., p. 185 et suiv.). La limite dialectale du / et des consonnes cacuminales trouve donc sa raison principale dans les anciens groupements sociaux de la Norvège. La corrélation entre les faits linguistiques et les divisions territoriales n'est pas absolue. Cela ne saurait surprendre. Le / a pu se propager à travers ces divisions à une époque tardive où l'opposition entre les différents groupements s'était attenuée. Avant de tirer des conclusions plus générales des faits exposés ci-dessus, considérons de nouveau le problème posé par la manière dont les changements phonétiques se propagent géographiquement. Cette propagation présente le caractère d'ondes qui envahissent et submergent le pays. Les enquêteurs ont souvent insisté là-dessus. "On dirait une mer envahissante qui submerge ses bords", écrit l'abbé Rousselot. M. Cari Haag compare la propagation aux ronds que produit une pierre jetée à l'eau. Et l'on pourrait citer d'autres auteurs encore. Les changements étudiés au Pays de Galles se propagent de cette manière. Il est probable que les faits linguistiques norvégiens étudiés ci-dessus l'ont fait aussi. On a vue que l'abbé Rousselot explique cette propagation par l'hypothèse de l'hérédité. Quoi qu'il en soit du rôle de l'hérédité dans la genèse du changement, l'hérédité ne pourra guère expliquer la propagation. D'après l'abbé Rousselot la propagation se réalise par l'union d'individus possédant la tendance héréditaire avec des individus qui ne la possèdent pas, de façon que la tendance héréditaire se propage à des groupements d'individus de plus en plus étendus. Mais la propagation du sang d'un centre donné ne s'opère pas d'une façon aussi régulière. Si l'hérédité était la cause primaire de ces faits, on devrait s'attendre à trouver beaucoup plus d'îlots que l'on ne fait et voir le changement éclater dans des endroits différents et souvent très
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éloignés les uns des autres. Je ne nie pas la possibilité d'une telle propagation; nous ne possédons pas assez de cas bien étudiés nous permettant de trancher la question. Mais nous savons que dans certaines circonstances la propagation ne se fait pas ainsi, mais à la manière d'ondes. Reste donc l'explication de la propagation par l'imitation, ou bien consciente ou bien automatique, du parler d'un centre social important. Ce principe psychologique, explique la manière dont se propage une langue commune aux dépens de parlers ou d'autres langues. Il est probable qu'il entre aussi dans la propagation des changements phonétiques, notamment quand le changement se propage par des mots empruntés d'un parler par un autre. Mais si des faits de ce genre expliquent certaines espèces de propagations, ils ne les expliquent pas toutes. Nous avons vu qu'au Pays de Galles la propagation du changement d'y en i ne se fait pas sous l'influence d'un centre d'importance sociale. Et la région qui subit ce changement connaît aussi des ondes contraires à celle d'y > i. En Norvège il n'y a pas eu de centre capable d'expliquer l'avance du / et du système des cacuminales. Au temps où. selon toute vraisemblance, ce système s'est constitué, le centre le plus important, ayant l'administration centrale et la cour, a été Bergen. Et si le type de propagation en question s'opérait par imitation, plus ou moins automatique, à cause sociale, il n'aurait pa,s tant le caractère d'ondes, mais se généraliserait à la manière de langues communes, s'imposant d'abord aux petits centres pour atteindre ensuite le pays environnant, comme le fait par exemple le fançais en Bretagne ou l'anglais en Irlande. 11 en résulte que nous sommes, dans le cas du type de propagation auquel appartiennent les changements gallois étudiés ci-dessus, en présence d'une espèce d'action interpsychologique différente de l'imitation automatique proprement dite. Nous ne pouvons la définir plus précisément dans l'état actuel de nos connaissances. Il faut se contenter de constater son existence. Il est probable qu'elle appartient au même ordre de faits que ce qu'on appelle des courants sociaux (cf. Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, chapitre I); elle serait donc le plus apparentée à Y imitation plastique définie par M. J. M. Baldwin comme the subconscious conformity to types of thought and actions, as in crowds (Dictionary of Philosophy and Psychology, I, p. 519). Le changement phonétique s'opère à des degrés de conscience différents: l'assimilation se fait, automatiquement, tandis que la différenciation, qui est une réaction subconsciente contre une assimilation possible, est caractérisée par un degré de conscience moins bas (sans pour cela être un fait conscient proprement dit). De même la propagation des changements phonétiques ést caractérisée par des degrés de conscience différents chez les individus comDosant la société qui subit les changements. L'imitation du oarler d'un centre important se fait, à un degré de conscience moins bas que la propagation de changements aui ont le caractère de courants sociaux. Le point de déoart des changements phonétiques du dernier type se laisse difficilement déterminer. Il peut être déterminé par des circonstances diverses. J'ai indiqué autre part (ci-dessous, p. 221) que la différenciation de l'ancien ei en ai dans certains parlers norvégiens de caractère assez archaïque, notamment dans ceux de Sogn, du
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Haliingdai et de Valdres, seiait due à une "opposition entre voisins" (pour ce terme, voir Am. B. Larsen, Maal og M inné, 1917, p. 34 et suiv)., opposition aux cas de réduction partielle de cette diphtongue dans d'autres pariers norvégiens. Le point du départ de la généralisation de cette différenciation se trouverait donc là où se rencontrent les pariers à ei > ai et ceux qui connaissent la réduction partielle de
ïei.
La configuration des aires des changements piionetiques du type qui nous occupe plus spécialement, semble être déterminée par des faits d'ordre social. On a vu que les limites de l'aire du / coïncident assez Dien avec d'anciennes limites de groupements en Norvege, limites qui reposent sur des différences sociales datant des temps préhistoriques. Mais ces aires ne sont pas constituées pour toujours. Les conditions spéciales de la Norvege ont maintenu l'ancien caractère de l'aire du / jusqu'à l'époque actuelle. Au Pays de Galles l'aire de 1'/' < y ne coïncide pas avec les anciennes divisions. Elle coupe en deux l'ancien cantref de Menonyth et les caruref's de Powys Wenwynwyn. Il est difficile de déterminer le rôle des faits geograpniques dans la constitution des aires phonetiques. Des raisons d'ordre géographiques n'ont pas commandé l'airét de l'avance du / devant l'Ouest du Telernark. Le / a traversé bien des barrières naturelles de la même importance plus à l'est. Ce n'est que pour des oppositions aussi importantes que celle entre le / et les consonnes cacuminales d'un côté et le / et les dentales ordinaires de l'autre qu'on peut constater une coriélation précise avec les anciennes limites de groupements en Norvège. Un autre fait phonétique de caractère systématique, la palataiisation des consonnes, a une aire geograpnique tout autre que celui que nous venons d'étudier. Ainsi l'isogiosse /', « ' : / , « (ou bien longs, ou bien géminés) divise la Norvège par une ligne qui commence au nord de Bergen, traveise les départements de Sogn et Fjordane, d'Opland et d'Akershus et atteint la frontière suédoise dans l'extrême Sud du département du Hedmar'k (cf. fig. 3). Le pays au nord de cette ligne a palatalisé les consonnes en question, le pays au sud de la ligne maintient les dentales ordinaires (il est probable que, anciennement, la palataiisation s'est étendue encore pius au sud). Les causes des propagations des changements phonetiques du type qui nous occupe restent obscures, comme les causes des changements phonetiques en général. Les facteuis qui ont provoqué les changements dans leur foyer doivent être aussi parmi ceux qui expliquent la propagation de ces changements. Les causes se trouvent dans la constitution et dans l'histoire linguistique des groupements sociaux qui subissent les changements. C'est surtout ici qu'il faudra chercher le rôle des faits anthropologiques. Dans le cas du / et du systerne des consonnes cacuminales, il est probable que des faits d'ordre anthropologique ont joué un certain rôle. C'est tout ce qu'on peut dire pour le moment. On voit que les faits que déterminent la propagation des changements phonetiques sont de nature tres complexe. J'ai essayé d'anaiyser queiques-uns des facteurs e n j e u . Le nomore et le caractère de ces facteurs varient suivant les cas. 11 ne faut pas chercher un seul facteur capable d'expliquer toute espèce de généralisation de changements phonétiques. Tout développement linguistique est de caractère complexe.
S U R LA N A T U R E D U
PHONÈME*
Dans Language, II, p. 153 et suiv., M. Leonard Bloomfield a publié une série de postulats linguistiques. Ces postulats sont d'une grande utilité, car ils font apparaître clairement les problèmes actuels de la linguistique générale et fournissent des sujets précis de discussion. Et sur certains points ils nous montrent la différence fondamentale qui existe entre des vues courantes depuis longtemps et les résultats de l'étude du côté organo-psychique des articulations et des changements phonétiques. M. Bloomfield dit (p. 157) : "The number of different phonemes in a language is a small sub-multiple of the number of forms. - Every form is made up wholly of phonemes. - These two assumptions are empiric facts for every language, that has been observed, and outside of our science are theoretical necessities. Such a thing as a 'small difference of sound' does not exist in a language. Linguists who believe that certain forms resist phonetic change, implicitly reject these assumptions, though, so far as I can see, we could not work without them. - The morphemes of a language can thus be analyzed into a small number of meaningless p h o n e m e s . . . " On sera d'accord avec M. Bloomfield sur la définition du phonème. Toute langue, tout parler possède un nombre limité de phonèmes. Ce nombre peut être plus ou moins grand. Le phonème est une abstraction, on le sait. Les sons émis par les sujets parlants ne sont jamais exactement les mêmes ni chez ceux qui parlent une même langue ni chez le même sujet parlant. Les phonèmes sont des modèles que les sujets parlants cherchent à imiter. Les sons par lesquels les sujets parlants rendent les phonèmes varient entre des limites plus ou moins considérables. Ils ont des latitudes d'oscillation. Cette latitude peut être grande ou petite suivant les langues. Ainsi, en général, les phonèmes français ont des latitudes d'oscillation relativement petites tandis que celles du norvégien commun ou celles de l'anglais sont plus considérables. Les oscillations peuvent être déterminées par des circonstances spéciales. Ainsi le s norvégien, qui ne possède pas de sifflante sonore opposée, oscille bien plus vers le z que ne le fait le Î anglais qui s'oppose au z. En irlandais, l'oscillation considérable des voyelles se comprend par le rôle prépondérant qu'y jouent les consonnes. Le système grammatical est en grande partie bâti sur des alternations de consonnes. Il est quelquefois difficile de déterminer le nombre exact de phonèmes dans une * Déjà publié dans la Norsk Tidsskrift for Sprogvidenskap, I (1928).
SUR LA NATURE DU PHONÈME
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langue ou dans un parler. La combinaison des phonèmes fait naître des sons de transition, des glides. Ces sons de transition jouent un grand rôle en irlandais, par exemple, où les consonnes se divisent en deux sériés, une série de consonnes palatales ou palatali sées, une autre de consonnes vélarisées. Donc, quand on passe d'une voyelle postérieure à une consonne palatale (ou palatalisée), comme, par exemple, dans Torr faL' "occasion, facilité", ou d'une voyelle antérieure à une consonne vélarisée par exemple dans Torr fk'r'i:buw "égratigner", la fin de l'a et celle de 17 sont modifiées sous l'influence des phonèmes suivants. Dans ce cas les sons de transition ne jouent aucun rôle linguistique et les sujets parlants n'ont pas conscience d'une différence entre l'a de faL' et celui d esak" sac", ou entre l'i de fk'r'i:bu\v et celui de f'i:r'iN'a "vérité", par exemple. Cela n'empêche pas ces sons de transition de devenir les points de départ de développements nouveaux (cf. ci-dessus, p. 155). Mais il existe d'autres cas plus embarrassants. Ainsi un sujet parlant l'irlandais de Cork, qu'on a eu l'occasion d'étudier à Dublin, relevait souvent, dans le mot foulim' "apprendre", l'arrière-partie de la langue en prononçant le deuxième élément de la diphtongue de façon à produire une spirante gutturale très faible et plus brève que la spirante g ordinaire, mais, toutefois, nettement perceptible à une oreille exercée : fouylim'. Il n'y a rien dans le / suivant qui puisse expliquer la présence de cette spirante faible. Le son doit être le reste de l'ancienne spirante gutturale qu'on prononçait autrefois dans ce mot, cf. \Ar\.foglaimm. En principe, le cas est donc différent de celui des sons de transition ordinaires. Mais doit-on considérer cette spirante gutturale faible comme un phonème? Il faudra évidemment le faire. La même spirante gutturale réduite se rencontre dans le mot m'ëuyir' "esprit, intelligence" (v.-irl. mebuir) qui alterne avec m"èulr'. Dans ce mot le y est dû à la segmentation de la fin de Vu et à la différenciation de cet élément, évolution bien compréhensible parce que Vu, deuxième élément de la diphtongue, se trouvait en hiatus. Il n'est pas impossible, cela va de soi, que ces cas soient des particularités du sujet examiné - on n'a pas eu l'occasion de comparer sa langue avec celle d'autres sujets Dans ce cas cette spirante ne peut pas être considérée comme un phonème. Mais cela n'est pas très probable; car la présence de cette gutturale s'explique trop bien par l'histoire de la langue pour que sa présence dans ces mots chez le sujet examiné soit accidentelle. En tout cas l'exemple garde sa valeur théorique. Une langue possède donc un nombre fixe de phonèmes plus ou moins grand suivant les langues. Ces phonèmes ont des latitudes d'oscillation plus on moins étendues suivant les langues et suivant les environs dans lesquelles se trouvent les phonèmes, suivant qu'ils sont en position accentuée ou inaccentuée, etc., mais ces latitudes d'oscillation ne jouent pas de rôle pour les sujets parlants. L'image articulatoire et auditive d'un phonème donné est toujours le même. M. Bloomfield a donc raison de dire que: such a thing as a small différence of scund does not exist in a language. Mais l'on ne peut pas lui donner raison quand il poursuit: Linguists who believe that certain forms resist phonetic change, implicitly reject these assumptions. Car les valeurs des phonèmes sont bien différentes. Les vues de M. Bloomfield sont sans doute
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détermmees par les théories d'après lesquelles les phonèmes étaient de caractère uniquement physiologique et suivaient aveuglement les "lois phonétiques", tandis que l'analogie, venant après, mettait de l'ordre dans les ravages causées par l'évolution phonétique. On sait que ces vues ne correspondent pas à la réalité; l'on a insisté sur le caractère organo-psychique du phonème ci-dessous, p. 204 et suiv. Il va de soi que les valeurs psychiques des phonèmes peuvent être différentes. Les s:z anglais ont des valeurs psychiques différentes selon qu'ils désignent le génitif ou le pluriel ou font partie de mots dans lesquels ils ne jouent pas de rôle grammatical. Il en est de même du s du génitif norvégien, par exemple. Et les phonèmes d'un mot de caractère expressif ont d'autres valeurs psychiques que les mêmes phonèmes dans d'autres mots. Il est donc tout naturel que, dans des cas comme ceux qu'on vient d'indiquer, les phonèmes, de par ces valeurs psychiques particulières, peuvent résister à l'extension de formules phonétiques ou évoluer d'une façon qui diffère de celle qui se rencontre dans d'autres mots, où ils n'ont pas les mêmes valeurs. C'est là un fait bien connu des travaux phonétiques de ces dernières armées, un fait que M. Grammont a eu le mérite de mettre en lumière avant et plus clairement que la plupart de ses contemporains. On ne pourra insister assez sur le caractère psychique des phonemes et sur ie rôle des facteurs psychiques dans l'évolution phonétique. Il est facile d'observer des degrés différents de conscience dans l'articulation phonétique, fait sur lequel a insisté, chez nous, surtout M. Olaf Broch. Ainsi, dans la différenciation, on doit compter avec un degré de conscience plus marqué que dans la dissimilation, par exemple. Toutes les deux s'expliquent par la loi du rythme de l'automatisme. Mais dans le premier cas on évite expressément un changement, généralement une assimilation. Cela ne veut pas dire, naturellement, que les sujets parlants ont une conscience claire ou "supérieure" de ces changements. La nécessité de compter avec plusieurs états subconscients est évident. Dans aucun cas on ne pourra dire que les phonèmes de la langue peuvent être analysés dans un petit nombre de meaningless phonemes si l'on entend par là que ces phonèmes sont dénués de caractère psychique. Le caractère essentiel des phonèmes est qu'ils s'opposent les uns aux autres comme le font les signes linguistiques - on sait que Ferdinand de Saussure a insisté spécialement sur cette opposition. Les conséquences qui en découlent sont particulièrement connues pour ce qui est de l'évolution des homonymes.
LOI
PHONÉTIQUE*
La question de la notion de loi phonétique a été l'objet de discussions répétées et étendues. Dans un article publié dans le Bulletin de la Société de Linguistique de Paris, XXV, p. 22 et suiv., une réponse aux critiques de M. Falk, on a indiqué, brièvement, ce qu'on entend par loi phonétique dans la phonétique évolutive. On tâchera, maintenant, de préciser les idées en se servant d'exemples concrets et bien connus. Soit les groupes d'exemples suivants qui, tous, ont subi une dissimilation. Premier groupe. r :r > r:l lat. marmor: frioul. marmul, engad. marmel, espagn. marmol', lat. arbor: frioul. arbul, espagn. arbol, lomb. arbol "châtaignier"; lat. carcer: espagn. carcel; v. h. a. turtiltuba, turtultuba de lat. turtur; v. h. a. marmul de lat. marmor; m. h. a. mortel (morter) de lat. mortarium; m. h. a. kôrpel (kôrper) de lat. corpor-; norv. kvartel "quart d'aune, de tonneau, etc.", m. norv. kvartiul, isl. mod. kvartill de m. b. a. quartêr (b. a. mod. aussi kwartêl, holl. kwarteel); irl. mod. (Donegal) ga:rt'al d'angl. garter; ko:rN'al, gall. mod. cornel de l'angl. corner. r:r > l:r arm. eïbayr "frère" de *erbayr; albewr 'source' de *arbewr, cf. gr. tppéap (v. Meillet, Esquisse d'une grammaire comparée de l'arménien, p. 25); got. *haribergo {Meyer-Ltibke) : ital. albergo, prov. aubère, auberga. I:l > r:l lat. cultellus: vegl. kortial, frioul. kurtiel, engad. kurtel; fr. popul. carcul de calcul, arcool de alcool (Grammont, Dissimilation, p. 19). n :n > n :r m. irl. indeôin "enclume": irl. mod. (Donegal)
iN'ar'.
* Déjà publié dans la Norsk Tidsskrift for Sprogvidenskap. I (1928).
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LOI PHONÉTIQUE
n :n > n :l norv. (patois d'Âseral) an'tel à côté de an ten " o u . . . , soit..." (Seip, Lydverket i Âsdôlmâlet, p. 52). m : n > m: l irl. mod. (Donegal) bomwiL't'd, bomwit'd 'minute, moment' du lat. momentum. Second groupe.
r:r > l: r
m. irl. biror "cresson": irl. mod. (Donegal) b'ïhr; m. irl. ilar, ilur "aigle", irl. mod. (Doneg.) ïhr : gall, eryr, m. br. erer, d'un ancien *eriro- ; bret. mod. alar (et arar) "charrue" : m. bret. arazr, lat. arâtrum etc. ; bret. mod. talar (et tarar) "tarière" : m. bret. tarazr, irl. tarathar, v. gall, tarater, gr. T é p e T p o v , etc. I:l > r:l lat. caeruleus "de couleur bleue", cf. caelum ; lat. Parïlia < Palïlia "fêtes en l'honneur de la déesse Pales." lat. pilula: (par tradition livresque) vénet. pirola, frioul. pirule; v. irl. alaile > araile "autre", gall., corn., bret. arali; /:/>«:/ v. h. a. elilenti: m. h. a. enelende (et ellende); n:n
>l:n
lat. venenum: ital. veleno, v. fr. velin (et venim); francon. *gundfano: ital. gonfalone (peut-être par l'intermédiaire du français, cf. Meyer-Lubke, Rom. Wôrterb., 3918). lat. Bononia: ital. Bologna. n : n> zéro : n gr. mod. (patois des Saracatsans) kaenas xavévaç [(Hôeg, Les Saracatsans I, 201); norv. tien, nom de lieu en Akershus, de *tinen < Tindenn d'un ancien *Tinderni (cf. Rygh, No. Gaardn., II, 229). m : m > zéro : m lat. memoria: bret. envor (c.-à.-d. ëvor). n :m > l:m fr. popul. alimer "animer" ; fr. popul. écolomie "économie" ; fr. popul. et dial, luméro et liméro "numéro" (Grammont, Dissimilation, p. 82). d :d > r:d lat. merïdiës fait sur un locatif *medl-dië (cf. Walde, Etym. Wôrterb., s. u.).
LOI PHONÉTIQUE
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w : w > zéro : w m. irl. dibad, dibud: irl. mod. (Donegal) di:uw "the worst choice". Troisième groupe. r :r > l :r lat. vulg. veltragus d'un gaul. latinisé vertragus\ prov. albre "arbre"; fr. dial. (Damprichard) malbr "marbre" (cf. Grammont, Dissimilation, p. 61). norv. më'ldrù, nom de lieu en Akershus, cf. Dipi. Norv. III 382, 1381 i Myrdhrum, d'un *Myrôrar (Rygh, No. Gaardn., II, 363). r : r > zero : r skr. vadhram "courroie", cf. vârdhrah avec le même sens; gr. Séxpov à côté de SépTpov 'épiploon'. fr. dial. (Damprichard) mûdr "mordre"; pâdr "perdre"; âbr "arbre", tâtr "tarte"; ûdr "ordre" (cf. Grammont, op. cit., p. 62). norv. dial. (Solôr) fabbro "farbror, frère du père", mobbro "morbror, père de la mère"; pôtrœtt "portrait"; fôdra "fordre, exiger" (cf. Am. B. Larsen, Lydlseren i den solorske dialekt, p. 114). I : l > zéro : l v. norr. ulfliô(r) 'poignée': norv. dial. (Solôr) âvlë (cf. Larsen, op. cit. p. 114). k : k > zéro : k i.-e. *prk-skô: skr. prcchâti, av. parasaiti, lat. poscô (< *porcsco) etc. gr. SiSixmcù) de *8i8ax-crxù) ; Xàerxco de *Xccx- zéro : t v. norr. bçstu acc. sg. f. "la meilleure" à côté de bçztu; oestr "le plus élevé" à côté de oeztr. p : p > zéro : p lat. asportò de *aps-porto ; lat. aspellô de *aps-pellô. Ces exemples pourraient être multipliés à l'infini. Ils ont été choisis seulement pour fournir un point de départ à la discussion théorique. En examinant ces exemples on voit que les changements dissimilatoires dont ils témoignent, appartiennent à trois catégories différentes. Dans le premier groupe la consonne qui dissimile se trouve dans une syllabe accentuée. Dans tous les cas il est question d'une consonne accentuée à tension décroissante qui dissimile la même consonne inaccentuée. Dans le second groupe, c'est la première de deux consonnes intervocaliques qui est dissimilée, et dans le troisième la dernière de deux consonnes séparées par une consonne intermédiaire dissimile la première (cf. Grammont, Dissimilation, p. 18 et suiv., p. 60 et suiv., p. 79 et suiv.).
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La concordance de tant d'exemples appartenant à des iangues si diverses ne peut pas être fortuite. On ne pourra pas objecter que toutes ces langues sont apparantées historiquement. Elles sont separées par tant de siècles et montrent des évolutions phonétiques si diverses que leur parenté historique ne joue plus aucun rôle. Pour que l'objection fût valide, il eût fallu que les langues indo-européennes fussent dominées par les mêmes tendances phonétiques, ce qui n'est pas le cas, on le sait. Et les mêmes changements dissimilatoires se rencontrent aussi dans d'autres familles de langues. On n'a qu'à regarder les exemples réunis par M. Brockeimann, Grundriss der vergl. Gramm. der sernitischen Sprachen, I, p. 219 et suiv. pour retrouver les mêmes catégories. L'argument décisif en faveur de la généralité de ces changements n'est pas fourni, cependant, tant par l'universalité des exemples que par une considération d'ordre général. Les changements dissimilatoires s'expliquent par l'état psycho-physiologique de l'individu qui est, dans ses traits constitutifs, le même chez le genre humain, on le sait. On examinera de plus près ce point en considérant les exemples réunis ci-dessus. On sait que les sons du langage appartiennent, généralement parlant, aux mêmes types, quelles que soient les langues en question. 11 existe de nombreuses différences de détails, mais, quand on ne regarde que les traits essentiels, les phonèmes sont des mêmes types. Les voyelles sont analogues; les différentes langues ont des occlusives, des liquides, des nasales de types pareils. Phonétiquement, il n'y a pas de différence de principe entre les systèmes phonétiques du monde, quoiqu'il existe, naturellement, bien des phonèmes d'aire d'extension relativement limitée, comme, par exemple, les clicks de certaines langues africaines. Cela est à attendre d'à priori. Car les organes phonateurs sont, chez tous les peuples, de la même constitution fondamentale. Un nègre, par exemple, peut arriver à parler une langue europeenne d'une façon parfaite, tandis que, inversement, les enfants d'Européens peuvent apprendre à parler des langues indigènes aussi bien que les indigènes eux-mêmes. Les divergences de caractère anthropologique qu'on peut constater entre les organes phonateurs ne jouent donc acun rôle linguistique. Une langue possède un système phonétique qui comporte un nombre défini de phonèmes. Ces phonèmes sont appris par les enfants qui travaillent à se les assimiler. Quiconque a observé l'enfant pendant qu'il apprend à parler, sait comment il travaille avec conscience, plus ou moins claire, à cette assimilation. Certains phonèmes, et généralement les phonèmes du type le plus général comme, par exemple, les voyelles des types a ou ne lui font pas de difficultés. D'autres, en norvégien par exemple la voyelle u si particulière et la spirante palatale ç (dans kjœre, la consonne allemande dans ich), nécessitent des efforts sérieux et des exercises répétées. Une fois apprise, l'articulation du phonème se fait automatiquement. La production des phonèmes de la parole est donc soumise aux principes qui règlent tout le travail automatique de l'individu. Le phonème est produit automatiquement, sans que, d'ordinaire, le sujet pariant soit conscient de la manière dont il le produit. Mais cela ne veut pas dire que le phonème ne soit pas de caractère psychique. Le phoneme a sa place dans la conscience subliminale de l'individu; le phonème est une unité définie.
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Il s'ensuit des remarques précédentes que les articulations doivent être sujettes aux grands principes qui règlent le travail automatique de l'individu. Un de ces principes est la loi du rythme qui a été formulée ainsi par le P. J. van Ginneken: Quand un certain nombre d'actes psychiques plus ou moins égaux se combinent dans une unité supérieure, on remarque dans ces actes multiples une tendance à se différencier de façon à se grouper ensemble autour d'un des termes comme centre de gravité (Principes, p. 252 et suiv.). On sait que nos articulations se divisent en un grand nombre de groupes rythmiques petits ou grands. L'intérieur de la syllabe est réglé par un rythme qui lui fournit son principe constitutif. De l'autre côté, les syllabes se réunissent, à l'intérieur de la phrase, à des groupes rythmiques plus grands. Il y a donc, dans la suite des syllabes de la phrase, des tendances naturelles de différenciation rythmique. Ces tendances sont particulièrement compréhensibles là où deux syllabes voisines ou proches l'une de l'autre contiennent des phonèmes identiques ou en partie identiques. Ce qui est identique dans l'articulation tend à se différencier. Il va de soi que le centre de gravité est fourni par celle des articulations qui possède l'énergie physique la plus grande, et que c'est l'autre articulation qui se différencie. Si l'on regarde, maintenant, les exemples du premier groupe, p. ex. gallois cornei d'anglais corner ou v. h. a. turtiltuba, cf. lat. îurtur, on trouve que le premier r est placé dans la syllabe accentuée. Il est tout naturel que c'est le second r, placé dans une syllabe inaccentuée, qui se change sous l'influence différenciatrice du rythme. En syllabe inaccentuée, et surtout en fin de mot quand le mot se trouve à la fin d'une phrase ou à la pause, position particulièrement faible, un phonème possède moins d'énergie physique et psychique. Si l'on examine les autres exemples on trouvera que la dissimilation s'est faite dans les mêmes conditions. La plupart de ces exemples se comprennent sans commentaires. Dans l'irlandais de Donegal le N' dans iN'ar' est une géminée, donc deux consonnes. Dans bomwiUt'd c'est l'articulation nasale qui a été dissimilée et la dissimilation remonte à une époque ou le m était normalement une géminée. Le b initial s'explique par une "fausse" restitution de la forme en v vélaire (ou w en Donegal), produite par l'aspiration grammaticale; l'influence dissimilatrice du m s'est aussi faite sentir, sans doute. Ces exemples nous permettent de formuler une règle générale: De deux consonnes identiques ou en partie identiques, qui toutes les deux ont la tension décroissante et dont l'une appartient a une syllabe accentuée, l'autre a ta syllabe inaccentuée, c'est la dernière qui est dissimilée. On reconnaîtra ici la première loi de M. Grammont (Dissimilation, p. 18). Dans tous les exemples du second groupe, il s'agit de deux consonnes intervocaliques, p. ex. Bologna de Bononia, v. irl. araile de alaile. Ces deux consonnes sont, quant à l'articulation, à peu près sur la même ligne, mais psychiquement c'est la seconde qui possède le plus d'énergie. Car le cerveau marche plus vite que l'articulation des organes phonateurs. Au moment que la première consonne est articulée, la seconde occupe déjà l'attention et fait dévier l'articulation de la première. On pourra donc dire :
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De deux consonnes intervocaliques identiques, ou en partie identiques, c'est la première qui est dissimilée. C'est la XlVe loi de M. Grammont {op. cit., p. 79). Regardons, enfin, les exemples du troisième groupe, p. ex. prov. albre "arbre", gr. SiMaxcù < *otSax-axw, etc. Dans les cas où la division syllabique se trouve devant la dernière consonne, c'est à dire après la consonne intremédiaire, la dissimilation se comprend très bien physiologiquement, au moins dans des langues à accent d'intensité faible. Car dans ce cas la dernière consonne, qui est de tension croissante, commence la syllabe, tandis que l'autre, de tension décroissante, est de durée assez réduite, se trouvant en groupe consonantique à la fin de la syllabe. Dans les cas où la division syllabique est après la première consonne, c'est-à-dire devant la consonne intermédiaire, la dernière consonne du groupe n'est guère la prépondérante, physiologiquement, surtout dans une langue à intensité forte. Mais il est probable que l'explication de la régularité de la dissimilation dans tous les exemples de ce groupe est à chercher dans la position des consonnes en question à la fin de la syllabe et au début de la syllabe suivante. Il arrive ici le même phénomène qui, dans la dissimilation des consonnes intervocaliques, favorise la dernière consonne. On pourra dire qu'en général il y a, dans la dissimilation, une tendance à favoriser la seconde des consonnes enjeu, à l'exception, bien entendu, des cas où celle-ci ne fait pas partie d'une syllabe faiblement articulée ou se trouve devant la pause. Mais cette tendance n'aboutit que dans des cas particulièrement favorables à la tendance. Car, dans le cas contraire, quand on excepte les positions indiquées ci-dessus, toutes les dissimilations devraient être régressives ce qui n'est pas le cas, on le sait. On pourra donc poser une troisième règle : De deux consonnes identiques, ou en partie identiques, séparées par une consonne différente, c'est la première qui est dissimilée (cf. la XHIe loi de M. Grammont). On est justifié d'appeler les trois règles posées ci-dessus des lois. Ces régies ne sont pas limitées dans le temps et dans l'espace. Elles sont des formes particulières prises par la loi du rythme appliquée aux articulations linguistiques. M. Grammont a donc eu raison de parler de lois de dissimilation. La généralité de ces lois s'explique par la généralité des types phonétiques du langage humain et par l'identité des principes qui sont à la base du travail cérébral de l'homme. En soi, la dissimilation n'est qu'une tendance. Le fait qu'une suite de phonèmes comme bçztu (c.-à.-d. bçtstu) est instable et tend à se dissimiler, n'est qu'une tendance. La règle précise d'après laquelle la dissimilation a lieu est une loi. Ces lois ne sont que des abstractions, comme toutes les lois. Elles doivent être distinguées des formes particulières qu'elles prennent dans une langue donnée. Une telle forme est la dissimilation r : r > r : l en irlandais (dans ga:rt'al, ko.-rN'al, etc.). Il convient d'appeler ces formes spéciales des formules. La formule correspond donc à l'ancienne loi phonétique telle qu'elle a été établie par la linguistique de la fin du siècle dernier. Les formules dépendent du système phonétique de la langue donnée et des tendances phonétiques spéciales du milieu linguistique donné. Les formules sont donc des faits spéciaux d'occurence limitée aussi bien dans l'espace que dans le temps.
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Certaines formules, comme p. ex. celle donnée ci-dessus, qui porte sur des phonèmes d'occurence particulièrement fréquente, peuvent être d'une étendue considérable aussi bien dans l'espace que dans le temps. En principe, néanmoins, elles sont spéciales. La loi est ainsi la formule générale d'une série de formules spéciales, reliées entre elles par certains faits communs. Elle énonce que, si les conditions favorables à un certain changement sont identiques et le changement a lieu, il doit se faire toujours de la même manière. Les lois de la dissimilation n'impliquent donc nullement qu'une suite de consonnes identiques sera toujours dissimilée de la même manière. En fait, M. Grammont a montré que si la consonne, qui normalement est la moins forte psycho-physiologiquement, reçoit, par une certaine association, une force particulière, et le changement a lieu, la dissimilation est retournée. C'est ainsi que le norvégien vulgaire balber (avec l'accent d'intensité sur la première syllabe) a eu la dissimilation retournée à cause du suffixe de nomen agentis en -er. Le même renversement a eu lieu dans le nom de lieu norvégien Stordalen de *Stoldal, de l'ancien Stôladal où l'élément -dal "vallée" n'a pu être changé et où le premier élément a pu subir l'influence de stor 'grand' (cf.Rygh, No.Gaardn.,X lll,p. 134). Ou encore en grec moderne y_sip6/_Tia ou xsipoqma de /sipopTia où l'association avec ^eip a provoqué le renversement. Le deuxième terme du composé n'était pas reconnaissable et n'existait plus à l'état isolé (cf. Hôeg, op. cit., p. 201). Ces exemples pourraient être multipliés, cf. Grammont, op. cit., p. 88. De tels exemples fournissent un critère pour expliquer les déviations que subissent les lois générales de la dissimilation. Il va de soi qu'il est quelquefois difficile de découvrir l'association qui a fait renverser une dissimilation. Les associations des sujets parlants sont des faits trop compliqués pour qu'on puisse espérer de les retrouver toutes. On sait qu'il n'est pas possible d'observer l'accomplissement des changements linguistiques. On arrive seulement à constater les changements après qu'ils se sont introduits. Tel exemple semblant contredire telle loi de la dissimilation par le fait qu'on n'arrive pas à trouver la raison de la dissimilation renversée, ne saurait donc mettre la loi en péril. Car les lois de la dissimilation sont basées sur des faits d'ordre général. Cependant, il existe aussi d'autres conditions que les associations portant sur le sens des éléments du mot, qui provoquent des dérivations des lois de la dissimilation. C'est ainsi qu'on trouve en gallois une forme berw (phonétiquement beru) pour berwr "cresson", cf. irlandais biror > bilor. Il est évident que cette forme berw n'a pu prendre naissance qu'à la pause. Les changements linguistiques ont lieu dans la phrase et le développement d'un mot peut différer suivant qu'il se trouve à l'intérieur où la fin de la phrase. Tantôt c'est la forme de l'intérieur de la phrase qui est généralisée, tantôt c'est celle de la fin. Le r final de berwr a été en position particulièrement faible à la fin de la phrase, tandis que dans bilor < biror la dissimilation a eu lieu quand le mot se trouvait à l'intérieur de la phrase. Le même cas s'observe dans l'irlandais d'Aran : an weid'anylôrû" la vierge glorieuse" au lieu de ylôrur. En vieux-norvégien des exemples comme les génitifs Krist, hest, prest, mest pour Krists, etc. présentent la même déviation, qui pourrait, il est vrai, être expliquée aussi comme une dissimilation due à
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l'influence des autres cas. Il faut, cependant, tenir compte du fait que le dernier s était lié, par association, aux autres génitifs en s, fait qui lui fournissait, dans les cas où il n'était pas affaibli par la position finale, un appui précieux. Et l'on possède des graphies Kriz, prêts qui semblent être des dissimilations provenant de l'intérieur de la phrase (cf. Noreen, Aitisi, undalt-norw. Grammi, p. 223). Quoiqu'il en soit, le fait que le s du génitif a pu être dissimilé est bien significatif pour l'évolution du norvégien. C'est un indice du commencement de la réduction des cas grammaticaux. Des conditions d'un caractère plus spécial peuvent également provoquer des renversements de la dissimilation. Ainsi en irlandais dans iomarcaidh, iomarca 'surplus' (Torr 3 N'ïmdrkd, s N'omarka), cf. aussi le dérivé iomarcach, la dissimilation n'est pas conforme à la loi discutée ci-dessus, la loi XIII de M. Grammont. Car la forme moyenirlandaise dont dérivent ces mots était imarcraid. Une influence analogique ne serait pas exclue, mais l'on ne sait pas quelle serait la forme capable d'avoir influence l'évolution â'imarcraid. La raison du renversement peut être cherchée ailleurs, dans le systeme syllabique de l'irlandais. Le groupe -kr- est rare en irlandais et ne se rencontre, d'ordinaire, qu'à la fin de la syllabe accentuée, p. ex. dans okra% "qui a faim", okrss "faim", t'i(:)kras "avidité", t'i(:)kra% "avide", tandisque le groupe n'est pas ordinaire à la seconde ou à la troisième syllabe du mot. De Torr on en connaît pas d'exemples avec -kr- à cette place. De l'autre côté, la tendance générale à constituer la syllabe selon la formule: phonème d'aperture minimum et de sonorité minimum + phonèmes d'aperture et de sonorité relatives toujours croissantes + phonème d'aperture et de sonorité maxima (voyelle) + phonèmes d'aperture et de sonorité relatives toujours décroissantes + phonème d'aperture minimum et de sonorité minimum, a pleinement abouti dans l'irlandais de Donegal (cf. Dialect of Torr, p. 190). De plus l'irlandais connait une tendance spéciale à faire constituer la limite syllabique de façon qu'on passe d'un élément relativement ouvert à un élément plus fermé du début de la syllabe suivante. La tendance se montre déjà en gaulois dans le passage de -kt- (-pt-) à -%t- et se manifeste dans l'évolution des groupes -ts-, -ps-, -es- (c.-à-d. -ks-), -tl-, qu'ils soient anciens ou empruntés à l'anglais, à -st-, -sp-, -sk-, -It- en irlandais moderne (cf. Dialect ofTorr, p. 173). Ces faits ont pu faire renverser la dissimilation qui sous des conditions ordinaires aurait dû affecter le premier r. En général les lois ci-dessus ne sont donc valables que quand la consonne qui, d'ordinaire, subit la dissimilation n'est pas protégée par une association particulière ou par des faits spéciaux et quand l'autre n'est pas atteinte d'une faiblesse spéciale. Ce sera la tâche de la phonétique générale de poser des lois générales comme celles qu'on a discutées ci-dessus. La plupart de celles de la dissimilation ont déjà été établies par M. Grammont. Quand le travail de M. Grammont, vieux de plus de trente ans, a été si peu compris en déhors des linguistes français ou de ceux qui s'inspirent des méthodes de ces linguistes, la raison en est probablement qu'on a tenté d'appliquer, d'une façon mécanique, les 20 lois posées par M. Grammont sans réfléchir aux faits organo-psychiques qui les expliquent. Il faudra trouver aussi les lois générales de la différenciation et de l'assimilation, par exemple. Cela ne sera pas facile. Car, on a déjà
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insisté sur ce point autre part, tandis que la dissimilation n'atteint que des consonnes identiques ou presque identiques, ce qui limite, naturellement, les cas des possibilités, les phonèmes en jeu dans la différenciation et surtout dans l'assimilation sont souvent hétérogènes. 11 faudra réunir des matériaux considérables avant d'essayer de poser des lois précises dans ce cas.
S U R LE R Ô L E D E S É L É M E N T S M O T E U R S D A N S LES C H A N G E M E N T S
PHONOLOGIQUES
R E M A R Q U E S S U R LA PALATALISATION D E S C O N S O N N E S *
On voit souvent représenter la palatalisation des consonnes comme une assimilation de ton fondamental à ton fondamental. Ainsi la palatalisation d'un k devant une voyelle antérieure, par exemple un i ou un e, serait le résultat d'une tendance à rapprocher le ton fondamental de la consonne de celui de la voyelle suivante. Cette explication du procès de la palatalisation est pourtant trop simpliste. La palatalisation peut être le résultat de procès évolutifs bien différents. Le changement d'articulation que l'on nomme palatalisation est en premier lieu un changement dans la position de la langue qui est amenée ou bien à articuler dans la région de la voyelle i une consonne qui, antérieurement, était articulée plus en arrière ou plus en avant, ou bien à se déplacer de façon à avoir un élément articulatoire dans la région de la voyelle i. Dans les cas où des consonnes sont palatalisées devant ou après une voyelle antérieure, par exemple quand lat. catillus, qui a été emprunté par le germanique, est devenu ketill1 (par l'intermédiaire de katill) en vieux-norrois, le changement de position conduit à un rapprochement du ton fondamental du premier phonème de celui du second. Il existe pourtant, à côté des cas où le changement de position constitue le point important de l'évolution, d'autres où la palatalisation n'est pas du tout le résultat de l'influence d'une voyelle antérieure. Prenons des exemples. On connaît au Pays de Galles une palatalisation des gutturales k et g devant i et e. En gallois du Nord on dit par exemple k'i:2 "chien" pour kv. plus au sud, k'erôed "marcher" pour kerôed, g'elin, g'elyn "ennemi" pour gelin, etc. De telles adaptations de gutturales sont fréquentes dans les langues ; souvent elles donnent seulement des variations phonétiques, car les gutturales possèdent sur le palais un assez grand champ de variation qui leur permet de tels déplacements. A côté de cette palatalisation, il en existe une autre qui s'exerce sur les k, g initiaux (et accentués) devant la voyelle a, par exemple k'ant "cent" pour cant du gallois littéraire, k'a.B, k'œ:6 "chat" pour cath, g'avar "bouc" pour gafr, etc. La répartition géographique des deux changements montre qu'il s'agit de deux développements différents et indépendants l'un de l'autre. Quand on les étudie au * Publié déjà dans le Journal de Psychologie, XXX (1933), et dans le volume Psychologie du Langage (1933). 1 Le signe ' après une consonne indique la palatalisation. • Le signe: après une voyelle dénote qu'elle est longue.
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centre du Pays de Galles, dans le bassin de la rivière Dyfi, on constate que le premier des deux changements domine dans le nord et le nord-est, tandis que le second est cantonné dans le nord-ouest du même bassin. Dans l'extrême nord du pays, en Anglesey par exemple, le premier développement est général et le second ne se rencontre pas du tout. Géographiquement, il y a donc là deux changements différents. Du point de vue organo-psychique aussi ces changements résultent de deux tendances différentes. Nous avons vu que, dans le premier cas, il s'agissait d'une assimilation de la consonne à la voyelle. Dans le second, l'évolution a eu lieu afin de garder le caractère de la voyelle a. Il n'existe en gallois, du moins dans les régions qui connaissent les changements en question, qu'un seul a, de type assez antérieur, prononcé un peu plus en arrière que l'a français dans dame, et un seul o, lui aussi de caractère assez antérieur et ouvert. En position ordinaire, les k, g gallois sont articulés en arrière, sur la limite entre le palais dur et le palais mou. Après ces consonnes, la voyelle a serait donc particulièrement exposée à s'assombrir, sous l'influence assimilatrice des gutturales, et à se rapprocher de Yo. C'est pour réagir contre cette possibilité, qui, si elle se réalisait, menacerait l'existence de l'opposition a:o, de caractère fondamental dans le système vocalique du gallois, qu'on a palatalisé la gutturale. Le caractère de cette palatalisation est donc tout à fait différent de celui de la première. Afin de prévenir des malentendus, il faut remarquer que ce n'est pas le caractère du système vocalique gallois qui est la cause du changement étudié. Le système lui-même ne provoque pas de changements, cela va de soi. La cause doit être cherché en dehors du systeme et consiste, à ce qu'il semble, en une tendance à faire reculer l'articulation de l'a, tendance qui, grâce aux caractères du système, trouve la plus de prise après les gutturales. La manifestation de la tendance est donc déterminée par le système. Quant à la tendance supposée, il est difficile de la préciser davantage, sans entrer profondément dans l'histoire du système phonologique gallois. Les parlers norvégiens présentent un autre type de palatalisation. Dans un grand nombre de ces parlers, cette forme de palatalisation atteint les dentales longues ou géminées du vieux-norrois. Pour les nn et les II la limite du développement suit actuellement une ligne qui commence au nord de Bergen et décrit une grande courbe vers le nord pour finir à la frontière suédoise à l'est de la ville de Kongsvinger. Il est possible qu'autrefois la palatalisation se soit étendue encore davantage vers le sud. En principe, les dentales l, n, d, t sont palatalisées là où elles étaient longues ou géminées en vieuxnorrois. On a voulu expliquer cette palatalisation par l'influence de voyelles antérieures. Toutefois, en règle générale, le développement a eu lieu après n'importe quelle voyelle ; il y a, dans les différents parlers, un certain nombre de cas spéciaux, mais le principe général est pourtant clair. Si nous prenons le parler d'Aalen dans le sud du Troendelag, nous trouvons 3 : ' Les consonnes doubles indiquent, en fin de syllabe, des consonnes longues ; entre deux syllabes, dss consonnes géminées. Le signe v au-dessous d'une consonne signifie qu'elle est sourde.
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"chute" pour vieux-norrois fall "sommet" pour vieux-norrois koll (kollr) "sel" pour vieux-norrois sait "rempli" pour vieux-norrois füllt M î t "joli" jil'l' pour vieux-norrois gild {gildr) marin! "homme" pour vieux-norrois mann (maôr) tun'ri "maigre" pour vieux-norrois thunn (punnr) hon'ri "chien" pour vieux-norrois hund (hundr) gad'd' "pointe" pour vieux-norrois gadd (gaddr) skâd'd'e "brouillard" pour un plus ancien skodda slut't'e "il termina" correspondant à un v.-n. slutti, etc. fal'l' kál'l' sal'l't'
D'un autre côté, les dentales n'ont pas été palatalisées quand elles étaient brèves en vieux-norrois : soenn vœnn vœtt spœll
"fils" "ami" "raison" "jeu, amusement"
pour pour pour pour
vieux-norrois vieux-norrois vieux-norrois vieux-norrois
son (sonr) vin (vinr) vit spil, etc. 4
Cette palatalisation doit être vue à la lumière du sort de l'ancien système quantitatif du norvégien. En vieux-norrois la quantité des consonnes était indépendante de l'accent, on le sait. On opposait des /, n, etc., longs et brefs aussi bien après des voyelles brèves qu'après des voyelles longues, après des voyelles accentuées qu'après des voyelles inaccentuées. En norvégien moderne, la quantité est liée à l'accent. Le système phonologique connaît ce que l'on a nommé l'équilibre syllabique. En principe, toute syllabe accentuée est longue et se compose ou bien d'une voyelle brève suivie d'une consonne longue (ou d'un groupe de consonnes), ou bien d'une voyelle longue suivie d'une consonne brève (ou dans certain cas spéciaux d'un groupe de consonnes). On distingue donc entre takk "merci", avec un a bref, et tak "toit", avec un a long. La palatalisation semble avoir eu lieu au moment où le changement s'est opéré dans le système quantitatif. On a voulu faire ressortir le caractère long et énergique des anciennes longues et géminées du vieux-norrois pour les distinguer des longues nouvelles et l'on a étendu la région du contact de la langue avec le palais dans l'articulation des dentales, de façon telle qu'elles ont été palatalisées. La tendance à maintenir la différence entre les langues anciennes et les nouvelles se traduit aussi par d'autres changements dans les parlers norvégiens. Les dentales du type mentionné étaient les seules consonnes dont on pouvait de cette façon étendre la région de contact. Une palatalisation des gutturales longues ou géminées aurait eu des effets graves pour l'opposition: gutturale vélaire: gutturale palatalisée que l'on possédait dans la langue. Des raisons analogues ont empêché la palatalisation de la sifflante. Pour ce qui est des autres consonnes, des labiales par exemple, un renforcement de l'articulation n'aurait pas conduit à une palatalisation. 4
Cf. J. Reitan, Aalens maalfere, p. 31.
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Cette explication ne suppose pas, nécessairement, que du point de vue objectif les consonnes palatalisées soient devenues des consonnes plus fortes que les longues nouvelles. Du moment qu'elles étaient arrivées au stade de palatales, elles avaient acquis l'élement auditif nécessaire pour être distinguées des autres longues. Mais l'on doit tenir compte du renforcement en tout cas comme stade intermédiaire sans durée. Le développement esquissé montre bien, lui aussi, le rôle du système. La cause des changements est représentée par la tendance à établir l'équilibre syllabique. Cette tendance est venue au norvégien du dehors; elle doit avoir des rapports avec des phénomènes semblables dans d'autres langues germaniques et en roman. 5 Mais ce sont les caractères du système qui ont déterminé la palatalisation. Nous voyons par ces faits que, du point de vue évolutif, la palatalisation doit être considérée, en premier lieu, comme un changement de position de la langue. La question de savoir si ce changement de position articulatoire de la langue résulte d'une tendance assimilatrice entre les tons fondamentaux de phonèmes en contact doit être déterminée par les caractères du système dans lequal apparaît la palatalisation. Il est vrai que le point de vue auditif joue un rôle prépondérant dans la synchronie, mais il ne faut pas, pour cela, méconnaître l'importance du point de vue moteur pour la diachronie.
5
Pour ce dernier groupe, cf. Pierre Fouché, Études de phonétique
générale.
SUR LE C A R A C T È R E P S Y C H O L O G I Q U E DES C H A N G E M E N T S P H O N É T I Q U E S *
Chaque langue, chaque parler possède un nombre précis et limité d'articulations, de phonèmes, qui constituent un système phonétique. Les phonèmes de ce système appartiennent, en ce qui concerne les traits principaux de leur formation, à des types phonétiques qui en principe sont généraux. Les phonèmes s'apprennent par les enfants qui travaillent à se les assimiler. Certains phonèmes, surtout ceux qui sont du caractère le plus général, s'apprennent sans grande difficulté, d'autres, d'une formation plus spéciale, nécessitent des exercices répétés et leur apprentissage est accompagné d'un certain degré de réflexion. On peut entendre l'enfant s'amuser à répéter l'articulation voulue. Une fois apprise, l'articulation se fait automatiquement et le sujet parlant n'est pas en état d'en contrôler le détail par la volonté, le jeu des groupes musculaires employés échappant à la vue. Il n'est pas capable, sauf après apprentissage spécial, d'articuler isolément les divers phonèmes, mais seulement des groupes de phonèmes formant des syllabes. Les phonèmes ne semblent donc pas avoir une existence indépendante, en tant qu'ils ne peuvent pas, à eux seuls, faire fonction de syllabes, mais entrent dans des gestes laryngobuccaux complexes. L'articulation des phonèmes n'est cependant pas de caractère mécanique. Les phonèmes font partie d'un système d'oppositions qui servent à distinguer les différents mots. Bien souvent ils sont compris dans des éléments qui jouent un rôle grammatical où ils jouent, à eux seuls, un tel rôle. 11 s'ensuit qu'il y a toujours un certain degré de signification lié à tout phonème. Le s dans le mot anglais sob "sanglot" sert à distinguer ce mot de mots comme mob "populace", bob "pendant", (k)nob "nœud, bouton", etc.; dans cats "chats" ou moihefs "de ma mère" il possède une signification grammaticale. Le phonème est un modèle que le sujet parlant tend à imiter. La façon dont il le fait varie constamment. Deux personnes différentes ne prononcent pas le même phonème exactement de la même manière et une seule et même personne ne répète pas deux fois un phonème d'une façon exactement pareille. Les phonèmes ont donc une latitude d'oscillation plus ou moins considérable, suivant les cas et aussi suivant les langues. En français cette latitude d'oscillation set relativement petite, le français ayant une articulation tense et précise ; les phonèmes de l'anglais et du norvégien, et surtout ceux de la première de ces langues, ont une latitude d'oscillation plus considérable. Toutefois, le s anglais n'oscille pas vers le phonème sonore correspondant, le z, comme le * Déjà publié dans le Journal de Psychologie, XXV (1928).
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fait le 5 norvégien. La raison en est que l'anglais oppose deux phonèmes s : z, tandis que le norvégien ignore le z. Tout le travail articulatoire est réglé par des rythmes. A l'intérieur de la syllabe, la tension musculaire est croissante au début de la syllabe avant le point vocalique - c'est le point où commence la voyelle ou le point où se placerait l'élément vocalique s'il se développait dans une syllabe à consonne faisant fonction de centre syllabique - tandis que les phonèmes qui suivent le point vocalique sont de tension décroissante. Ainsi, dans le mot français bride, les deux consonnes b et r sont de tension croissante, la voyelle et la consonne finale d de tension décroissante (cf. Grammont, Bull, de la Soc. de Ling., XXIV, p. 5 et suivantes, l'auteur, ci-dessus, p. 149 et suiv. P. Fouché, Études de phonétique générale, p. 3 et suiv.). Ce rythme domine l'articulation des muscles buccaux; mais les cordes vocales n'y participent pas, comme l'indique les intonations différentes. Il fournit le principe constitutif de la syllabe. Il est général. De leur côté, les syllabes sont réunies dans des groupes rythmiques liés surtout à l'activité des poumons. Le caractère de ces derniers groupes diffère d'une langue à l'autre. Ainsi le norvégien, c'est-à-dire le riksmâl, langue commune surtout des villes de al partie sud-est du pays, comme aussi les parlers populaires de cette partie, sont dominés par les types — x x et — x . Dans certaines langues, par exemple dans les langues germaniques, l'élément fort du groupe rythmique des syllabes est caractérisé par l'émission forte du souffle tandis que l'élément faible est affaibli et lâchement articulé. Dans d'autres, comme le français, la différence de souffle entre les deux éléments du groupe est moins forte et l'élément faible du groupe est nettement articulé. Dans d'autres encore, l'élément fort du groupe est caractérisé par une quantité plus longue que l'élément faible; cela semble avoir été le cas des langues classiques anciennes. L'articulation phonétique se fait automatiquement, il a déjà été indiqué. Il va de soi qu'elle sera alors soumise aux tendances générales qui caractérisent l'automatisme. Et puisque les phonèmes appartiennent à des types généraux, on pourra s'attendre à trouver des traits communs aux changements des mêmes types de phonèmes dans les langues différentes. Les tendances générales de l'automatisme expliquent les faits généraux qui se retrouvent dans les changements phonétiques de toutes les langues. Par changement phonétique nous entendons un changement survenu dans la forme phonétique des éléments de la parole chez des personnes ayant le sentiment de parler la même langue que celle des générations qui les ont précédées. Nous faisons donc une différence entre changement phonétique et substitution phonétique. Dans le dernier cas il s'agit d'une substitution de sons d'un système par ceux d'un autre système chez des sujets parlants qui changent de langue. Le terme de changement phonétique est donc limité aux cas où l'on est en présence d'une tradition ininterrompue. "Quand un certain nombre d'actes psychiques plus ou moins égaux se combinent en une unité supérieure, on remarque dans ces actes multiples une tendance à se différencier de façon à se grouper ensemble d'un des termes comme centre de gravité "(van Ginneken, Principes de linguistique psychologique, p. 252 et suiv.). Mais on ne constate
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pas seulement une tendance générale à subordonner les actes à un rythme par une différenciation des termes faibles. Les termes les plus forts des groupes rythmiques ont une tendance à durer, à s'etendre à cause du caractère général de la sensation ou du geste (cf. Janet. Automatisme, 9me édit., p. 66). D'autre part on observe, dans les groupes rythmiques, que le terme fort possède une tendance générale à s'avancer parce que les sensations et les gestes tendent à réaliser leurs mouvements (cf. Janet, ib.). Ces tendances générales font comprendre un grand nombre de changements phonétiques caractérisés par l'action de certains éléments d'un groupe rythmique sur < autres du même groupe. Ces actions se manifestent aussi bien dans le rythme de la syllabe que dans le groupe rythmique de plusieurs syllabes, dans la mesure de la parole. Et les effects de la tendance à différenciation rythmique sont visibles aussi dans des unités plus restreintes, dans la suite de consonnes appartenant à des syllabes différentes. La différenciation rythmique peut aller jusqu'à la disparition complète ou partielle de l'élément faible. L'élément fort peut absorber l'élément faible, grâce à l'influence de l'inertie ou de l'idéo-dynamie, de façon qu'il résulte des deux une unité nouvelle et modifiée (cf. van Ginneken, op. cit., p. 252 et suiv.). L'absorption de l'élément faible par l'élément fort d'une unité se voit dans les assimilations. Ces assimilations peuvent être partielles ou complètes, c'est-à-dire que le son dominant peut s'assimiler un certain élément du son dominé et même ce son en entier. Les assimilations peuvent être progressives ou régressives suivant que l'élément dominant se trouve avant ou après l'élément dominé. Elles sont parmi les changements phonétiques les plus fréquents. Le procès du changement dont les grands traits sont de caractère général, peut différer beaucoup dans le détail. Certains types d'assimilation sont de caractère assez répandu. L'assimilation de sons faibles comme la plupart des spirantes par des sons forts, par exemple des occlusives, est des plus fréquentes, surtout quand les points d'articulation des deux phonèmes sont voisins. Il va de soi que dans ce dernier cas il est particulièrement difficile pour le son faible de maintenir son individualité. Des assimilations comme vieux-norrois glati de glaôt, neutre de glaâr "d'aspect brillant; joyeux" ou brjôttu "brise, toi!" de brjôt ôu (Pu) ne posent pas de problèmes. Dans d'autres cas, c'est le système de la langue en question, son accentuation, la qualité de ses phonèmes, etc., qui fournissent l'explication du sens de l'assimilation. Un article de caractère aussi général que celui-ci ne pourra pas entrer dans les détails qui sont infinis. Je me bornerai à montrer, par quelques exemples, le caractère des influences exercées par les systèmes phonétiques. En norvégien moderne, dans presque tous les dialectes et patois, le groupe -mb- du vieux-norrois a été assimilé en -mm-, par exemple kemba (coupe syllabique kem-ba) "peigner" : norv. mod. kjemme; lambit "l'agneau" : norv. mod. lammet, etc. C'est donc le premier son qui l'a emporté sur le second. En latin, dans summus de *sub-mos (de *sup-mos), c'est le deuxième. Dans une langue comme le latin qui n'avait pas d'accent d'intensité et dans lequel toutes les syllabes des mots étaient nettement articulées, il est compréhensible que le m domine. Ce m est appuyé, c'est-à-dire gardé par la consonne précédente; les lèvres sont en place pour m déjà pendant l'articulation de la consonne
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précédente, et le m est de tension croissante, et, de plus, il fait partie d'un suffixe. Mais en norvégien moderne l'accent d'intensité est fort; il s'ensuit que l'articulation des syllabes inaccentuées est relâchée. Dans ces conditions on comprend que c'est la consonne de la syllabe accentuée qui domine. Toutefois, l'accent d'intensité n'a pas eu la force qu'elle a actuellement, pendant toutes les époques des langues Scandinaves (et germaniques). Il y a des faits, notamment l'évolution des syllabes inaccentuées, qui semblent montrer que l'accent a été moins intense pendant la période du nordique commun, l'époque des pierres runiques anciennes, et au commencement de la période du vieux-norrois. 11 n'est donc pas surprenant de trouver, au début du vieux-norrois, des assimilations comme kappi "guerrier" de *kampi, kroppinn "rétréci" de *krumpinn, etc. Les assimilations ont lieu non pas seulement entre deux consonnes, mais aussi entre éléments vocaliques, dans les diphtongues, et entre consonnes et voyelles. Quand il y a assimilation entre les éléments vocaliques d'une diphtongue, on parle de monophtongaison. Comme les voyelles sont toujours de tension décroissante, et, dans les diphtongues, la tension du second élément suit directement celle du premier, les conditions générales sont en faveur du premier élément. Dans l'irlandais du Nord, par exemple, on trouve des cas de monophtongaisons où le premier élément a été dominant : kùrt "visiter" de moyen iû.-cua(i)rt, un "agneau" de vieil-irl. ûan. Dans ces cas le timbre du second élément a été relâché; il s'en est développé un groupe U3 dans lequel le premier élément a étendu son timbre au second, d'où u. Mais on voit aussi souvent le second élément dominer, par exemple dans le latin *deicô devenu dlcô, *deucô, devenu doucô et puis ducô, jouxmenta (sur l'inscription du Forum) qui est passé à jûmenta, etc. Pour expliquer de tels développements il faut compter, non pas tant avec l'anticipation psychologique et avec une tendance générale à fermer la fin de syllabe qu'on trouve dans beaucoup de langues, qu'avec des influences du système de la langue en question. Ces influences sont souvent difficiles à déterminer - on ne retrace que très imparfaitement les associations de sujets parlants ayant vécu il y a des centaines ou des milliers d'années - mais il est possible que c'est le système d'alternances vocaliques qui a été une des conditions en faveur de la domination du timbre e ou u. En changeant *deicô en dïcô et *deucô, * doucô en ducô on ne rompait pas les liens qui unissaient ces formes à celles des mêmes familles de mots qui avaient des voyelles brèves (le soi disant degré zéro de la diphtongue), par exemple dïcâre et dux. Des alternances comme *dëcô: dicâre, dëcô : dux auraient été radicalement nouvelles. Une alternance rythmique ï : I, û : û existait déjà de date indo-européenne - le latin avait conservé le rythme syllabique quantitatif de l'indo-européen (cf. Meillet, Mém. de la Soc. de Ling., XXI, p. 193 et suiv.) en plus d'autres alternances entre voyelles brèves et longues, par exemple vôx : vôcâre, etc. Des conditions d'autre sorte peuvent aussi déterminer le sens de telles assimilations. Ainsi, dans beaucoup de langues, l'élément le plus élevé et fermé des diphtongues des syllabes finales tend à l'emporter. L'élément fermé est favorisé par la tendance générale à abréger les finales. Cet abrègement pousse les voyelles vers les positions hautes
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caractérisées par des articulations tendues dans les langues dont les syllabes finales conservent le timbre précis de leurs voyelles. On conçoit que les voyelles, faisant fonction de centres de syllabes, étant de grande sonorité et de durée généralement beaucoup plus considérable que celle des consonnes, peuvent exercer des influences assimilatrices. Dans certaines langues on trouve des séries de consonnes qui s'adaptent à la position des voyelles antérieures et élevées, d'où il résulte des consonnes palatales ou palatalisées (mouillées), donc des consonnes dans l'articulation desquelles il entre un mouvement de la langue vers la position de l'i (ou du j). C'est le cas des langues slaves ou de l'irlandais moderne, par exemple, des cas plus ou moins isolés d'une telle assimilation se trouvent dans beaucoup de langues. Il arrive de même que les consonnes peuvent s'assimiler à des voyelles postérieures et élevées (a, o, etc.) et devenir vélarisées. L'irlandais est caractérisé par cette assimilation. Les consonnes qui n'y sont pas palatales, ou palatalisées, sont toutes plus ou moins vélarisées avec l'arrière-partie de la langue à peu près dans la position de l'élément vélaire du / anglais dans ail. Une autre assimilation très fréquente est celle des consonnes aux voyelles en ce qui concerne l'aperture. Elle se traduit par exemple par des affaiblissements de spirantes et par une spirantisation d'occlusives. Souvent le développement va jusqu à la complète disparition de la spirante qui est absorbée par la voyelle. De telles assimilations se trouvent particulièrement dans les cas où les consonnes sont intervocaliques; dans cette position la consonne est attaquée à la fois par la voyelle qui précède et par celle qui suit. L'articulation de la première voyelle se propage, grâce à l'inertie, jusqu'à la consonne qui subit aussi l'anticipation de l'articulation de la voyelle suivante. De telles assimilations sont particulièrement connues, dans l'Europe, sur le domaine français et dans une partie des langues celtiques et germaniques (dans le gaélique et le danois, par exemple). Mais elles sont aussi extrêmement fréquentes sur le domaine iranien et se trouvent dans les langues indo-européennes de l'Inde où l'assimilation semble avoir été complète tout de suite (c'est-à-dire que la phase intermédiaire, la spirante, ne semble pas avoir eu de durée), pour ne mentionner que ces groupes de langues. L'assimilation de voyelles à consonnes semble moins fréquente; elle exige des conditions plus spéciales capables de déterminer l'influence de l'élément long et très sonore par l'élément bref et peu ou pas sonore. Ces conditions sont présentes en irlandais où le système consonantique est dominé par l'opposition entre les consonnes palatales ou palatalisées et les consonnes vélarisées (cf. ci-dessus) et où, bien souvent, cette opposition joue un rôle morphologique. Les voyelles y sont souvent attirées vers les positions antérieures par les consonnes palatales ou palatalisées et vers les positions postérieures par les consonnes vélarisées. Mais aussi là où il n'existe pas de telle opposition systématique, on trouve des influences analogues agissant sur des voyelles. Ainsi en vieux-norrois, l'occlusive gutturale k et la spirante gutturale y qui avaient subi l'influence palatalisante d'un i suivant, ont modifié des voyelles qui les précédaient, par exemple degi, datif de dagr "jour", tekinn participe du parfait d'un
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ancien *takinaR, "pris", etc. Cette force palatalisante de la consonne doit provenir du souci (subconscient) de maintenir la qualité palatale de la consonne. Il en est de même de l'influence analogue qu'exerce la consonne du vieuX-scandinave qu'on transcrit par R et qui a eu un caractère palatalisé. Les voyelles subissent souvent une modification par l'action d'un r roulé, articulé avec le bout de la langue. Dans bien des langues des voyelles qui suivent un tel r s'abaissent, les / vers Ye ou vers l'a. les e vers l'a. Le relèvement de la pointe de la langue vers les alvéoles est accompagné d'un abaissement du dos pour donner à la pointe l'espace nécessaire à la libre exercise de ses battements. Un souci (subconscient) de maintenir le caractère roulé du r aura donc des répercussions sur l'articulation de la voyelle suivante (cf. surtout Grammont, Bull, de la Soc. de Ling., XXIV, p. 89 et suiv.). Une espèce particulière de l'assimilation est celle qu'on appelle l'assimilation-fusion (Grammont, ib., p. 45). Cette assimilation a pour résultat un son nouveau qui est la fusion des deux sons antérieurs. Dans le détail, cependant, il est souvent assez difficile de distinguer entre cette assimilation et celle qu'on vient de discuter, car bien des fois le son dominant qui absorbe le son dominé, est légèrement modifié par celui-ci. Souvent l'assimilation-fusion s'explique par une préoccupation - subconsciente - de maintenir l'élément significatif du son dominé. Ce fait est particulièrement clair dans le cas suivant. En irlandais, la caractéristique de certaines formations du futur, j\ et celle du participe du prétérit, th (prononcé, à l'origine, comme la spirante anglaise dans thiri) se sont affaiblies en h. Ce h qui, comme tous les h, était faiblement articulé, n'a pu se maintenir après une autre consonne, d'autant plus qu'il était placé au début d'une syllabe inaccentuée. Il n'a pas disparu sans traces comme il arrive le plus souvent dans de tels groupes, mais s'est fusionné avec la consonne précédente en l'assourdissant, de façon que, dans un grand nombre de cas, le futur et le participe du prétérit opposent à la consonne sonore du présent une consonne sourde et soufflée. C'est sa qualité de caractéristique grammaticale qui a donné à ce A la force de modifier la consonne précédente. Dans d'autres cas, surtout quand le h se trouve devant consonne dans une syllabe accentuée, il est plus fort, mais la difficulté d'articuler une consonne qui n'a pas de point d'articulation buccale précise immédiatement devant une autre consonne, donne plus de force à l'anticipation, et l'articulation buccale de la consonne suivante se transporte au début de l'émission du h. C'est ainsi que les groupes initiaux islandais hl, hr, hn se sont développés en /, r, n sourds et soufflés. Nous avons vu, dans ces exemples d'assimilation, comment, dans le groupe de deux sons contigus, un son dominant s'est imposé grâce à l'inertie ou à l'anticipation, à l'autre son et comment ce dernier a été modifié ou complètement absorbé. D'autres modifications dues à l'action de l'élément fort du groupe rythmique se trouvent aussi dans les cas où ce groupe consiste en phonèmes séparés par un ou plusieurs sons intermédiaires quand les sons séparés sont identiques ou en partie identiques. La difficulté générale de faire deux fois les mêmes mouvements séparés par d'autres mouvements donne libre jeu à la tendance différentiatrice. On appelle des changements de sons se trouvant dans de telles conditions des dissimilations. Ce sont des changements du type
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vieux-haut-allemand turtiltuba, turtultuba "tourterelle" de latin turtur, ou espagnol arbol, marmol, carcel de latin arbor{em), marmor(em), carcer(em). Dans ces mots la suite r : r a été dissimilée en r : l. Les deux consonnes en question sont d'articulation identique et se trouvent dans la même position de la syllabe, mais la première représente le terme fort faisant partie de la syllabe accentuée. C'est le mérite de M. Grammont d'avoir reconnu que ces dissimilations ne sont pas dues au hasard, mais qu'elles s'expliquent par la position réciproque des consonnes en jeu, et, par ces recherches, d'avoir fondé les études françaises de phonétique évolutive {La dissimilation consonantique dans les langues indo-européennes et dans les langues romanes, 1895). La consonne peut avoir le caractère de terme fort par le fait d'appartenir à une syllabe accentuée, comme dans les cas cités ci-dessus. Elle peut avoir ce caractère aussi par sa position dans le mot. Ainsi une consonne appuyée, c'est-à-dire précédée d'une consonne en fin de syllabe, dissimile une consonne intervocalique. En latin vulgaire le mot latin rarum est devenu radu - le développement a eu lieu à l'intérieur de la phrase après un mot qui finissait en consonne et de là radu a été généralisé. La supériorité du premier r se comprend aisément. Étant protégé par la consonne précédente, le premier r est moins sujet à des oscillations que la consonne intervocalique, pour laquelle la langue doit faire le long chemin - phonétiquement parlant - d'une voyelle jusqu'à une position consonantique et le retour jusqu'à une voyelle. D'une façon analogue, la première des deux consonnes intervocaliques est régulièrement dissimilée, ainsi vieil-irl. araile "autre" d'un plus ancien alaile, ital veleno de lat. venenum, etc. Pour ce qui est de l'articulation, ces deux consonnes sont à peu près sur la même ligne, mais psychiquement la dernière possède le plus d'énergie. Car le cerveau marche plus vite que les organes phonateurs. Au moment où la première consonne est articulée, la seconde occupe déjà l'attention et fait dévier la première. Ces changements ne se font pas mécaniquement. Les valeurs psychiques des consonnes en jeu y jouent un grand rôle. On voit par exemple qu'une consonne qui physiologiquement devrait être la plus faible peut recevoir, par une certaine association, une force particulière. Si, dans ce cas, la dissimilation a lieu, elle est renversée, comme l'a montré M. Grammont. Ainsi, en vieux-haut-allemand, mûlberi (à côté de môrberi, mûrberi), dont le premier terme est un emprunt au latin morum, la dissimilation a été renversée, grâce à l'influence du mot beri "beere". De même, en irlandais moderne, beaghlân (gh désigne la spirante y) est sorti de beanglân "dent d'une fourche" (ng est prononcé comme dans le mot anglais sing), à cause du caractère suffixal de -ân. L'élément nasal de -ng- a été dissimilé et le -g- restant spirantisé. Un autre cas de différenciation rythmique est celui qu'on appelle la différenciation des phonèmes. Ce principe, qui a été découvert par M. Meillet (Mém. de la Soc. de Ling., XII, p. 14 et suiv.), peut être formulé ainsi: si deux phonèmes en contact immédiat ont un ou plusieurs éléments en commun, un ou plusieurs de ces éléments peuvent être supprimés afin de sauvegarder l'individualité des deux phonèmes. C'est ainsi que, par exemple, un ancien -lp- est devenu -Id- dans le germanique occidental : vieux-saxon gold "or", mais gotique guip. Ou qu'un ancien -*sth-, d'un plus ancien
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-*-zdh-, est devenu -sp- > -st- en latin hasta, cf. gotique gazds. On peut de même trouver des différenciations de voyelles par l'influence de consonnes ou d'éléments vocaliques par d'autres éléments vocaliques. 11 est évident que la différenciation des phonèmes constitue un cas particulier de la différenciation rythmique, mais elle diffère de la dissimilation pour ce qui est du côté psychique. L'influence du terme fort qui tend à faire dévier le terme faible est utilisé pour conserver celui-ci contre une modification, surtout contre une assimilation. Car il va de soi que deux phonèmes qui ont des éléments en commun sont particulièrement exposés à s'assimiler. Dans beaucoup de cas la différenciation est l'indice d'une réaction contre une assimilation, un essai de maintenir l'individualité des phonèmes d'un groupe. La préoccupation de conserver les phonèmes provoque donc des changements. On est ici en présence d'un degré de conscience supérieur à celui qu'on peut observer dans la dissimilation. Dans les exemples cités, la différenciation s'explique par une réaction contre une assimilation possible. 11 existe, cependant, aussi des cas où des phonèmes en contact se différencient, même s'il n'y a pas de danger (du moins immédiat) d'assimilation. C'est ainsi qu'une diphtongue ancienne ai (ou ei) est changée en ai (avec un a antérieur) dans certains parlers du centre et de l'ouest de la Norvège, notamment dans ceux de Sogn, de Valdres et de Hallingdal; des exemples analogues peuvent être cités d'autres langues. Il n'y a rien dans les parlers en question qui nécessite un tel changement, car ils possèdent plusieurs variétés d'e fermés et ouverts allant jusqu'à Vœ. L'explication d'un tel cas pose des problèmes spéciaux. On s'attendrait à trouver que l'élément faible de la diphtongue serait celle qui se différencierait. Dans une diphtongue ei (cei), la tension musculaire est décroissante et la tension de 1'/ suit directement celle de Ye (ce). Le terme physiologiquement fort est donc constitué par le premier élément vocalique. On a voulu expliquer la différenciation du premier élément dans de tels cas par le phénomène psychologique de l'anticipation qui donnerait une prépondérance à l'élément de la fin (Fouché, Études de phonétique générale, p. 23). Mais ce phénomène est beaucoup trop général pour qu'on puisse compter avec lui dans d'autres cas que ceux où les termes se trouvent à peu près sur la même ligne, comme dans le cas de deux consonnes intervocaliques (cf. ci-dessus, p. 220). L'explication du phénomène est de caractère plus spécial. Il faut compter d'abord avec une rétraction de la langue par contraste rythmique (cf. van Ginneken, op. cit., p. 257 et suiv.) lors de la mise en position des organes pour Ye (œ) qui le fait dévier dans le sens de l'a. Mais il faut surtout tenir compte du fait que 17 est la voyelle la plus fermée et que cet i ne peut s'éloigner davantage de Ye sans perdre son caractère de voyelle. Pour expliquer ce cas de différenciation - et d'ailleurs tous les cas de différenciation il faut aussi prendre en considération le caractère conservateur des sujets parlants. A lire les manuels de grammaire historique, on croirait que les sujets parlants cherchent constamment des formes nouvelles. Toutefois, nous savons tous par expérience que l'homme n'est jamais aussi conservateur qu'en matière de phonologie et de grammaire. Une différenciation comme celle qui nous occupe traduit un souci de conserver l'état
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appris, la qualité de diphtongue, ce qui conduit à une exagération de l'articulation. Il est caractéristique que cette différenciation ne semble se trouver que sous l'accent. Il va de soi que ce principe de la conservation de l'état appris est trop général pour pouvoir expliquer, à lui seul, un changement historique. Le principe général doit être appuyé par des faits spéciaux qui lui permettent d'entrer en jeu. Pour que l'explication de la différenciation étudiée ci-dessus ne reste pas trop en l'air, il me faudra étudier de plus près les conditions historiques du changement ei {ce) en ai, bien que cet article, dont l'objet est d'exposer les conditions générales des changements phonétiques, ne puisse pas traiter des causes sociales de ces changements. Le changement et (eei) en ai se trouve, il a été indiqué ci-dessus, dans le pays autour du Sognefjord, dans certaines contrées plus au nord de ce pays et aussi dans les vallées de Valdres et de Hallingdal, dont les parlers ont beaucoup de traits en commun avec les parlers de l'Ouest. Dans d'autres parlers norvégiens, surtout dans l'Est, on trouve une réduction de la diphtongue ei à e dans des conditions spéciales, notamment devant une ancienne consonne longue ou devant un groupe de consonnes. Une monophtongaison analogue se trouve aussi dans une partie de Sogn, dans l'Ytre Sogn. Il est probable que la différenciation de Yei (ai) en ai s'explique par une opposition à la réduction de la diphtongue dans des parlers voisins. On a voulu faire bien ressortir le caractère de diphtongue des éléments vocaliques. Ce fait n'est pas isolé. Le regretté Amund B. Larsen, à qui nous devons un grand nombre de travaux sur les parlers norvégiens dans lesquels il a élucidé maint problème de psychologie linguistique, a montré, surtout dans un excellent article publié par la revue norvégienne Maal og Minne (1917, p. 34 et suiv.), qu'il faut compter avec une exagération des particularités de la langue natale par crainte d'être envahi par l'étranger, phénomène que Larsen a nommé "opposition entre voisins" (en norvégien nabo-opposisjori). Il y a, naturellement, question d'une crainte subconsciente. Dans le cas qui nous occupe, une telle supposition est confirmée par le caractère archaïque, sur beaucoup de points, des parlers en question. Le fait que les parlers qui ont subi le changement ne sont pas toujours les voisins des parlers avec réduction partielle de la diphtongue, ne saurait être une objection. Un changement linguistique naît généralement sur un seul point (ou sur quelques points isolés) et s'étendent de là dans le milieu homogène (ou relativement homogène). - Une différenciation par opposition à d'autres diphtongues du même système linguistique se trouve dans les régions montagneuses du sud de la Norvège (Setesdalen). L'ancien ï y est devenu ei (avec un e ouvert) et l'ancien ei est passé à ai (d'autres voyelles longues et diphtongues y ont subi des développements analogues). Dans les cas étudiées ci-dessus nous nous trouvons en présence de différenciations qui se distinguent des dissimilations par un degré supérieur de (sub)conscience. Il existe aussi des différenciations où l'état de conscience se rapproche davantage de celui qui caractérise les dissimilations, sans toutefois lui être tout à fait égal. Nous en avons un exemple instructif dans un développement de l'irlandais du nord. Il a été indiqué, ci-dessus p. 218, que le système consonantique de l'irlandais est
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caractérisé par l'opposition entre les consonnes palatales, ou palatalisées, et les consonnes vélarisées. Quand, dans l'irlandais du nord, la voyelle i, placée dans la syllabe accentuée, du mot, se trouve entre deux consonnes palatales ou palatalisées, elle est généralement différenciée en ï, c'est-à-dire une voyelle dite mixte, dont la position est plus reculée que celle de l'i; c'est une voyelle du type de la voyelle russe dans byl "était" (cf. l'auteur, Dialect ofTorr, I, p. 172): d'ïl'av' "forme" de *d'U'3v', de vieilirlandais deilb. La différenciation a eu lieu pour bien faire ressortir la voyelle dans des conditions où elle risquait de se perdre dans l'élément palatal des consonnes qui l'entouraient. Il faut aussi compter avec la difficulté de faire trois fois de suite le même relèvement de la langue vers la position de 1'/. Dans les syllabes inaccentuées ce besoin n'existait pas, car dans l'irlandais du nord elles sont réduites et plus lâchement articulées. La différenciation des phonèmes est souvent provoquée par des nécessités grammaticales. Un cas qu'on rencontre dans les mêmes parlers irlandais est particulièrement caractéristique à cet égard. La syllabe finale -ad du moyen-irlandais était prononcée -adh, plus tard -adh, c'est-à-dire avec une spirante correspondante à celle de l'anglais dans l'article the, mais vélarisée (elle avait donc l'arrière-partie de la langue dans une position peu distante de celle de la spirante gutturale y). Au cours de l'évolution, cette spirante dh a perdu l'arliculation avec le bout de la langue, chose naturelle - deux centres d'articulation pour un seul phonème font toujours difficulté, surtout dans un phonème faible comme une spirante - et la spirante dh vélarisée s'est confondue avec y. Cette dernière spirante, de son côté, est généralement assimilée à une voyelle précédente et disparaît. Toutefois, dans la syllabe finale -ad, elle s'est développée en w. Au moment où le y était sur le point d'être assimilé, on a eu recours aux lèvres et le phonème a été brusquement remplacé par un w, phonème qui se maintient mieux dans la langue. La voyelle précédente, a, a été assimilée à ce w, et il en est résulté une finale -uw. Ce développement a dû commencer dans les cas très nombreux où -ad servait à caractériser des noms verbaux (l'irlandais n'a pas d'infinitifs), le passif du prétérit et le génitif d'un certain thème nominal. Cependant, s'il y avait déjà un w devant cette finale -ad, la différenciation n'a pas lieu dans les noms verbaux. On a ainsi fuaskluw "expliquer", mai marawa "tuer", ro'wa "avertir", etc. Dans le passif du prétérit, au contraire, l'évolution du y en w s'est imposée et le premier w a été dissimilé: maruw è "il fut tué" (de *tnarawuw). Les noms verbaux étaient de types différents, tandis que, dans le Nord, le passif du prétérit était uniforme. Ces cas montrent, d'une façon très caractéristique, le genre de réflexion subconsciente qu'on trouve chez les sujets parlants. (Pour plus de détails voir l'auteur Bull, de la Soc. de Ling., XXIII, p. 15 et suiv.). L'exemple étudié nous montre, de plus, qu'un développement phonétique peut ne pas avoir lieu sous l'influence dissimilatrice d'un phonème voisin *marsw3 "tuer" n'est pas devenu *marswuw à cause du premier w. Le y a donc été conservé et s'est ensuite amui. Il existe aussi des cas de conservation de phonèmes par l'influence differenciatrice d'un phonème contigue. Tandis que, en germanique, les occlusives indo-européennes p, t, k
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passent à des spirantes / , th et y , elles se maintiennent en qualité d'occlusives après s, sous l'influence de l'élément spirant de ce phonème. Un cas spécial de différenciation a été étudié par M. Millardet {Études de dialectologie landaise. Toulouse, 1910). On sait que tous les phonèmes ont des latitudes d'oscillation. Le phonème est produit par l'action d'un nombre considérable de muscles dont le synchronisme n'est qu'approximatif. Il arrive que ce synchronisme est brisé par l'influence d'un phonème voisin. Au début ce défaut de synchronisme ne joue aucun rôle pour les sujets parlants; le phonème ainsi modifié ne se distinguant pas du phonème ordinaire. Mais à un moment donné, cette différence peut être appelée à jouer un rôle et alors elle donne naissance à un phonème nouveau, l'élément modifié de l'ancien phonème se différenciant de l'autre partie de ce phonème. Il surgit done un groupe de deux phonèmes ou une diphtongue là où il n'y avait qu'un seul phonème ou une voyelle. C'est le procès que M. Millardet a appelé la segmentation. C'est ainsi qu'il faudra expliquer des cas comme latin emptus, sumptus, etc., de *emtos, *sumtos. Sous l'influence du t suivant, les cordes vocales ont cessé de vibrer déjà pendant l'émission du m et à un moment donné, cette fin du m a été différenciée en p par la fermeture des fosses nasales au moment où cessaient les vibrations des cordes vocales pendant l'émission du m. Les raisons de ce développement sont bien connues. En latin le m devant une dentale subit généralement une assimilation partielle et devient n, mais dans les cas cités la force du système a maintenu le m (les autres formes de ces verbes ayant le m). On est ainsi sorti de la difficulté que présentait la suite -mt, le m sourd qui en serait résulté sans la différenciation de la fin du m étant inconnu dans la langue. De telles segmentations sont fréquentes dans les voyelles longues. Le synchronisme fait toujours difficulté dans une articulation de cette durée pendant laquelle la langue n'a pas de point d'appui. La fin de la voyelle longue subit souvent une altération d'où il résulte une diphtongue. C'est ainsi qu'en vieil-irlandais la voyelle longue accentuée e est devenue ea et (par une nouvelle différenciation du premier élément) ia devant des consonnes vélarisées. La fin de la voyelle longue qui est plus lâchement articulée que le commencement - les voyelles sont toujours de tension décroissante - a subi l'influence de la mise en place de l'arrière partie de la langue qui se prépare à articuler la consonne vélarisée suivante. Une telle diphtongaison est naturelle parce que la voyelle accentuée est particulièrement longue; dans ces conditions, l'anticipation d'un élément suivant a plus de chances de se faire sentir. Dans la diphtongaison d'un ancien ô en vieil irlandais, l'élément suivant ne joue qu'un rôle passif, empêchant la diphtongaison dans certaines conditions définies. L'ô devient ua aussi bien devant consonne vélarisée que devant consonne palatale: suan "sommeil" et bua(ï)d "victoire", plus anciennement bô{i)d (les i dans ces exemples servent seulement à indiquer la qualité palatale de la consonne finale). Cependant, devant bh (et bh nasalisé, c'est-à-dire des v, consonnes bilabiales avec l'arrière-partie de la langue dans la position de l'anglais w) la diphtongaison n'a lieu que plus tardivement, probablement parce que, dans l'articulation du bh, l'arrière-langue a été plus près de la position de la langue pour ô que dans les autres
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cas. Devant les occlusives et devant les spirantes gutturales, la diphtongaison n'a pas lieu du tout, parce que, en articulant ces sons, l'arrière langue est plus relevée que pendant l'émission de Yô. La nécessité de relever la langue après la fin de l'ô empêche cette fin de dévier vers le bas. Dans les cas précédents, on a vu les tendances du rythme s'exercer sur les petites unités. Elles s'exercent aussi sur des unités plus grandes, à l'intérieur des mesures de la parole. La force de l'élément fort croit et cet élément différencie l'élément faible qui peut finir par disparaître. On observe dans l'histoire des langues une réduction constante des syllabes qui suivent les syllabes accentuées, et également une réduction de celles qui précèdent ces dernières .Cette réduction, comme toutes les influences de syllabe sur syllabe, s'observe d'abord et surtout dans les voyelles, centres de syllabes et de durée relativement bien plus considérable que celle des consonnes. La tendance à réduire les syllabes faibles se trouve aussi bien dans les langues à intensité forte que dans celles à intensité faible. Elle s'exerce surtout sur les syllabes finales inaccentuées des mots, car ces syllabes, quand elles se trouvent à la fin d'une émission devant une pause, sont exposées à une autre tendance générale, celle d'abréger et de négliger la fin d'une émission (cette dernière réduction peut, comme il est tout naturel, s'exercer aussi sur la fin consonantique d'un mot monosyllabique accentué). La réduction des syllabes inaccentuées prend un caractère différent suivant qu'il s'agit de langues à accent d'intensité forte ou de langues à intensité faible. Dans les premières, les voyelles des syllabes faibles sont généralement réduites à des types peu précis d'articulation lâche et d'un point d'articulation qui se trouve sur une ligne descendant du point le plus élevé de la voûte palatine (des types de voyelles appelées "mixtes" dans le langage des phonéticiens). Dans les langues à intensité faible, au contraire, les voyelles faibles se réduisent en quantité et sont poussées vers le haut, chose naturelle puisque les voyelles sont d'autant plus brèves qu'elles sont hautes et fermées. La réduction des syllabes faibles dans les langues à intensité forte s'accomplit généralement sans changement fondamental de la syllabe accentuée. Mais dans celles à intensité moins forte, il peut arriver qu'on cherche à maintenir l'articulation de la voyelle faible, mais que, sous l'influence absorbante du terme fort, on doit essayer d'articuler la voyelle faible au cours de l'émission de la syllabe précédente. Il en résulte, dans la syllabe forte, une voyelle nouvelle qui est une combinaison des deux voyelles ; si l'évolution parvient à son terme final, les deux syllabes sont réduites à une seule. C'est ce phénomène qu'on a appelé inflexion ou métaphonie (YUmlaut des linguistes allemands), qui est si bien connu des langues germaniques anciennes et aussi de l'ancien celtique : gastiR des inscriptions runiques est ainsi devenu vieux-norrois gestr "hôte", un ancien *dômian (cf. got. domjan) est devenu dœma "juger", ou dans des exemples où le développement a eu lieu plus tard et la voyelle faible est restée : lengi "longtemps" en face de got. laggei (c'est-à-dire langï), etc.. La force de la syllabe dominante peut se manifester aussi d'une autre façon. Le timbre de la voyelle forte peut s'étendre à celui de la syllabe faible grâce à la tendance
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de l'inertie. C'est ce qu'on appelle harmonie vocalique, si connue des langues ouraloaltaiques, mais qui se rencontre aussi dans d'autres langues. La faiblesse de la syllabe inaccentuée peut, de plus, se traduire par une dissimilation de la voyelle de cette syllabe par celle de la syllabe accentuée. Une telle dissimilation vocalique a été peu étudiée. On en trouve certains exemples sur le domaine roman: français devin de divïnus, devise de divisa, lat. vulg. serore de sorôrem, etc. (cf. van Ginneken, Principes, p. 394); une dissimilation analogue a été observée par M. Grammont dans le langage d'un enfant français (Mélanges Meillet, p. 64 et suiv.). Nous avons vu des exemples des changements les plus importants qui témoignent d'une influence de l'élément fort du groupe rythmique sur l'élément faible. Le caractère d'élément fort peut donc être fourni par une prépondérance physique de cet élément. Mais dans aucun cas on ne peut faire abstraction de l'élément psychique. Car la syllabe accentuée du mot constitue son centre; elle est l'élément qui sert à caractériser le mot et à l'opposer à d'autres mots. Et quand il y a conflit entre le physique et le psychique, c'est le dernier qui l'emporte. Ces changements sont sans doute les plus ordinaires dans l'histoire des langues. Mais il en existe bien d'autres. Je ne pourrai mentionner que la contamination et la métathèse. Il arrive, quand deux formes se pressent à la fois à la conscience, qu'elles se mélangent et qu'il en résulte une seule forme qui tient quelque chose des deux. Ainsi français rendre sort de latin reddere et de latin prendere, haut de latin altus et d'un germanique hôh, etc. La métathèse consiste, comme le mot l'indique, en une transposition ou interversion de phonèmes. Elle a été particulièrement étudiée par M. Grammont. La métathèse a lieu quand une certaine suite de phonèmes présente des difficultés pour le système phonétique de la langue, et quand les deux phonèmes ont tous les deux l'énergie psychique nécessaire pour subsister. Ces difficultés peuvent provenir de ce qu'il s'agit d'un emprunt qui contient une suite de phonèmes inconnue dans la langue qui fait l'emprunt. Elles peuvent aussi être dues à des tendances de développement de la langue elle-même. L'irlandais, par exemple, évite de faire suivre une occlusive en fin de syllabe par un j et transpose ces sons, par exemple irlandais (du nord) ascall (aisselle) du moyen-irlandais ochsal (devenu ocsal), etc. Une langue comporte, on le sait, un système de phonèmes dont le nombre est limité et fixé synchroniquement. Il va de soi que le changement d'un certain phonème à un autre qui fait déjà partie du système phonétique de la langue, s'impose plus facilement qu'un changement à un phonème tout à fait nouveau et inconnu, jusque-là, du système. On voit la force du système existant quand on examine l'histoire des emprunts dans les différentes langues. L'aspect phonétique du mot emprunté s'adapte généralement au système phonétique de la langue dans laquelle il est introduit. On substitue des phonèmes connus à des phonèmes inconnus. En norvégien, nous substituons nos s (ch) et s aux j et z (s) français. Nous disons sy (en transcription française à peu près chu) pour jus, gâs pour gaze, etc. Et nous rendons les voyelles nasales françaises par nos
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voyelles correspondantes suivies par des nasales gutturales comme celle de l'anglais sing. Il n'est donc pas surprenant que, bien souvent, quand un phonème change, il fait un saut pour arriver à un autre phonème connu dans la langue en tant que phonème ou usité dans la position où se trouve le phonème changé. Quand latin an(i)ma est devenu italien aima, c'est l'élément nasal du n qui a été éliminé par différenciation. Il en restait l'élément dental. Comme, cependant, le groupe -dm- était inusité, cette étape du changement n'a pas eu de durée et l'on est allé directement à / qui s'obtient par le relâchement du contact des deux côtés de la langue avec le palais tandis que l'occlusion que fait le bout de la langue, se maintient. Il en est résulté le groupe -Im- connu du système. De telles étapes intermédiaires dépourvues de durée sont fréquentes. Dans l'irlandais du nord et de l'ouest, par exemple, un ancien n après occlusive initiale a été affaibli par suite de l'affaiblissement progressif des consonnes brèves et faibles qui caractérise l'irlandais. Le contact de la langue s'est relâché, mais le dh nasalisé qui en résultait était impossible dans cette position - le dh était d'ailleurs sorti du système pendant la période du moyen irlandais. Le n est donc passé directement à r qui était le plus près du dh et qui s'obtient du dh par le relèvement du bout de la langue jusque vers les alvéoles et par la mise en branle de la pointe de la langue. Les changements phonétiques n'ont pas lieu dans des mots isolés, mais dans les groupes rythmiques de la phrase. Dans les cas où ces groupes ne coïncident pas avec les mots, les changements phonétiques ne respectent pas les limites des mots. Les mots peuvent donc arriver à avoir des aspects différents suivant leurs positions dans la phrase, fait qui est bien connu du français. Des assimilations entre la fin d'un mot et le commencement du mot suivant peuvent surgir quand ces mots sont étroitement liés. En celtique, par exemple, les assimilations des occlusives intervocaliques aux voyelles qui les entourent, se sont étendues aux occlusives initiales quand les mots dont elles faisaient partie étaient étroitement liés à un mot précédent à fin vocalique. De là est sortie la curieuse flexion de l'initiale qui caractérise les langues celtiques. Généralement, cependant, on essaie de donner au mot ou à la forme grammaticale un seul et même aspect. Ainsi ceux qui suppriment le t dans /(/) vien(t) à Paris le font sous l'influence de groupes comme i(l) vien(t) ou ;'(/) vien(t) de Paris. On pourrait mentionner beaucoup de faits pareils. Des formes sont constamment refaites et d'autres sont créées de toutes pièces d'après des formes déjà existantes, sous l'influence de la tendance à régulariser le système de la langue. On connaît le grand rôle que joue l'analogie dans l'histoire des langues. Les faits que nous avons étudiés jusqu'ici sont de caractère général et se retrouvent chez tous les hommes. Il va de soi qu'ils ne peuvent pas fournir les vraies causes des changements phonétiques. Les langues sont des faits sociaux et des changements que subissent de tels faits doivent être provoqués par des facteurs d'ordre social. Cela ne signifie pas qu'un changement linguistique ne peut pas commencer chez un petit nombre d'individus ou même chez un seul individu; en effet on voit souvent des changements linguistiques partir d'un centre, d'un focus, où l'on en rencontre un
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grand nombre d'exemples, et se propager de ce centre, le nombre des exemples du changement diminuant proportionnellement à la distance du centre. Mais pour avoir le pouvoir de s'imposer sur les sujets parlants, le changement doit être dû à des facteurs de caractère spécifique se trouvant chez les sujets parlant la langue en question. En général, les causes des changements linguistiques sont peu connues. Il est vrai qu'on a pu, dans bien des cas, trouver les facteurs qui ont provoqué les changements du sens des mots, et qu'on peut, à un certain degré, expliquer des changements morphologiques, par exemple par l'altération du caractère phonétique des formes. Mais quand il s'agit des changements phonétiques on commence à peine à entrevoir ce qui les provoque. L'étude des faits phonétiques généraux ne saurait donc pas du tout prétendre à donner des explications de causalité historique, et il ne faut pas oublier que ce qu'il importe quand on étudie des changements phonétiques, c'est de se pénétrer du système de la langue dans laquelle ils ont eu lieu. 11 est néanmoins nécessaire de déterminer les faits généraux avant d'essayer des explications historiques ; bien des linguistes confondent, d'une façon fâcheuse, des fait généraux avec des facteurs d'ordre spécifique. Toutes sortes de changements sont possibles, vu le caractère général des principes qui règlent l'articulation. Mais souvent des changements phonétiques montrent un caractère remarquable de continuité dans un groupe linguistique donné. Les langues sont soumises à des tendances spéciales, ce qui explique qu'il n'y a que certaines sortes de changements qui se réalisent dans une langue donnée. Une telle tendance s'observe en irlandais et fait comprendre la métathèse d'occlusive suivie de s mentionnée ci-dessus (p. 675). On y voit une tendance à arranger la limite des syllabes de façon que l'élément le plus fermé ouvre une syllabe tandis qu'un élément moins fermé termine la syllabe précédente. Cette tendance ne s'est pas imposée d'une façon brutale - il y a des exceptions dont je ne peux pas traiter ici - mais elle est visible depuis la période du gaulois jusqu'à l'irlandais moderne, où elle provoque des métathèses dans des emprunts faits à l'anglais. Un autre cas a été étudié par M. Grammont dans un article déjà célèbre ( M é m . de la Soc. de Ling., XIX, p. 245 et suiv.). Comme ce cas est un des plus typiques, je l'étudierai de plus près - il est aussi particulièrement contesté par ceux des linguistes qui n'acceptent pas l'idée de tendance phonétique spéciale. Dans son article, M. Grammont fait voir qu'on peut observer, dans le groupe oriental de l'indo-européen, un rassemblement progressif des articulations vers le milieu de la voûte palatine et, en même temps, une tendance au relâchement de l'articulation. En soi le relâchement de l'articulation est chose trop fréquente pour pouvoir caractériser spécialement l'évolution d'un système phonétique donné; c'est seulement quand on voit les effets du relâchement se cumuler, qu'on peut parler d'une tendance phonétique spéciale. M. Grammont suit les tendances qu'il a constatées, dans l'histoire du groupe indo-européen en question et montre notamment que ces deux tendances sont particulièrement actives dans le groupe indien pendant toutes ses époques. La tendance au rassemblement des articulations vers le milieu de la voûte palatine se traduit par des développements consonantiques et aussi par le changement des voyelles indo-européennes *ë et o* en à.
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Exemples: gr. SéSopxa "il a vu": skr. dadârça; lat. vôx: skr. vdk; lat. equos (equus): skr. âçvah\ gr. Stj-cco "je placerais", lat. fë-cï "j'ai fait": skr. â-dhât "il plaça", etc. Ces â nouveaux ont été, d'abord, différents des anciens â, mais se sont confondus plus tard avec ceux-ci. On a objecté que ces changements de *ë et de o en i proviendraient de deux mouvements différents. Pour le changement de *o en â, il s'agirait d'une poussée de la masse linguale en avant, pour l'autre (de *ë en â) d'un reculement de la masse linguale, mouvements qui n'auraient rien à faire l'un avec l'autre. Cette objection ne résiste cependant pas à un examen plus approfondi. En réalité, le rassemblement des articulations vers le milieu de la voûte palatine est un aspect spécial de la tendance à relâcher les articulations. Cette dernière consiste en une tendance au moindre effort, ce qui, quand il s'agit d'articulations, veut dire une localisation de ces articulations aussi près que possible de la position de langue en repos (étendu sur le plancher de la bouche et un peu élevée au milieu). L'action de la tendance se manifeste par des déplacements vers cette position. Toutefois, comme le système phonétique de la langue ne connaissait pas de voyelles mixtes, les *o et les *ë sont passés aux types de voyelles les plus proches de ces voyelles mixtes, à celui de Va qui existait déjà. Il va de soi qu'un changement de *ë et de *$ en une voyelle du type de l'a, même si cet a a différé, d'abord, de l'ancien *a indo-européen, est moins violent dans une langue qui connaissait déjà ce type, qu'un changement à un type de voyelles jusque-là inconnu. Quand la tendance n'a pas eu de prise sur i et u, la raison en est moins la distance de leur point d'articulation de la partie médiane du palais, ainsi que le croit M. Grammont (loc. cit., p. 251), que l'énergie plus grande de leur articulation. Une telle tendance peut durer pendant un temps considérable. M. Grammont nous a fait voir comment les effets de la tendance du groupe indien se montrent dès que l'évolution de la langue lui fournit les possibilités d'agir. Je ne peux pas entrer ici dans la question de la nature psychophysique de ces tendances phonétiques spéciales qui est très peu connue. Certains linguistes comme MM. Vendryes et Meillet et le P. van Ginneken, veulent l'expliquer par l'hypothèse de l'hérédité des habitudes acquises. Certains faits, notamment des phénomènes observés dans le langage d'enfants, semblent s'opposer à une telle explication. On voit que les tendances phonétiques sont d'un tout autre ordre que les faits généraux étudiés ci-dessus. Ces derniers sont aussi des tendances, mais des tendances universellement valables. L'assimilation, la dissimilation et la différenciation, la métathèse sont des possibilités générales. Le fait qu'une suite de sons *alala est instable et tend à être dissimilée n'est qu'une tendance générale; il en est de même de l'affaiblissement des syllabes inaccentuées, par exemple. Il existe aussi d'autres tendances générales, par exemple la tendance à constituer des syllabes harmonieuses, c'est-à-dire des syllabes ayant les éléments les plus fermés et les moins sonores aux deux extrémités et l'élément le plus ouvert et sonore au milieu, avec une progression d'aperture et de sonorité successives des extrémités jusqu'au milieu, tendance qui fait que le type syllabique *ltakr est rare, *tlark, par contre, usuel. Il ne s'agit pas, dans ces cas, de
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nécessités, il faut le répéter. Bien des langues possèdent des syllabes constituées suivant des règles opposées au schéma indiqué ci-dessus et dans d'autres on voit une tendance à constituer des syllabes ouvertes, c'est-à-dire finissant en voyelles. Mais les changements nombreux vers un type correspondant au schéma ci-dessus, seraient incompréhensibles sans l'existence d'une telle tendance générale. On ne peut compter avec ces tendances générales qu'au moment du changement; elles ne sont pas en elles-mêmes des facteurs de changement. Il en est de même de la difficulté que présentent certaines articulations, difficulté avec laquelle j'ai compté dans quelques-unes des explications ci-dessus. La difficulté d'articuler un phonème ou un groupe de phonèmes est chose toute relative, cela va de soi. Ce qui est difficile dans telle langue est un fait courant dans telle autre. Le caractère de chaque changement est déterminé par le système phonétique dans lequel le changement a lieu. Vu le caractère général des types de phonèmes et des principes qui règlent le travail articulatoire, il devrait être possible de trouver des règles générales de changement qu'on pourrait qualifier de lois. Autre part, j'ai essayé de montrer qu'on peut poser des lois de dissimilation, lois qui énoncent, que si, pour ce qui est d'une suite de deux consonnes identiques ou en partie identiques ne se trouvant pas en contact immédiat l'une avec l'autre, les conditions phonétiques sont identiques, si donc les rapports de force aussi bien physiologique que psychique entre ces phénomènes sont identiques et une dissimilation a lieu, ce changement se fait toujours de la même manière. C'est ainsi que les exemples cités page 220 s'expliquent par la règle générale suivante : de deux consonnes identiques ou en partie identiques, qui toutes les deux ont la tension décroissante et dont l'une appartient à la syllabe accentuée, l'autre à la syllabe inaccentuée, c'est la dernière qui est dissimilée (cf. la première loi de M. Grammont, Dissimilation, p. 18). On pourra poser un assez grand nombre de telles lois qui ressortent des conditions générales des positions qu'occupent les phonèmes dans les mots. Elles se laisseront toutes ramener à une grande loi que M. Grammont a appelée la loi du plus fort. Le phonème psychiquement le plus fort dissimile le phonème le plus faible. De telles lois se laisseront aussi poser en ce qui concerne les autres types de changements. Dans ce dernier cas, la tâche de les déterminer sera beaucoup plus difficile. Dans la dissimilation, il s'agit de phonèmes identiques ou largement identiques, fait qui limite fortement les possibilités, tandis que le caractère des autres changements est si varié qu'il faudra réunir des matériaux très considérables, pris à des langues très diverses, avant de tenter de fixer des lois. Ces lois ont donc un caractère de possibilité. Dans l'état actuel de notre science on ne saurait trouver d'autres lois. On objecte contre l'établissement de telles lois qu'il faudrait plutôt trouver des lois du genre suivant: Quand un phonème qui fait partie de n'importe quelle langue se trouve dans telle ou telle position, il est dissimilé à tel ou tel phonème déterminé. Une telle objection n'est cependant pas valable, car une loi de cette sorte prétendrait déterminer un fait historique, et l'on sait que, jusque'ici, personne n'a pu poser des lois historiques.
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La façon dont nos lois se manifestent dans les différentes langues dépend naturellement de la nature des systèmes phonétiques de ces dernières, du nombre et du caractère de leurs phonèmes, etc. L'aspect particulier que prennent les lois dans une langue donnée est appelée formule, terme qu'a proposé M. Grammont. La dissimilation d'une suite de consonnes r : r en r ; l dans espagnol arbol est donc une formule d'une loi de dissimilation; la palatalisation d'un c latin devant un a en français (campum : champs par l'intermédiaire d'un *k'a—) est, de même, une formule d'une loi d'assimilation. Ces formules correspondent donc à ce qu'appelaient lois phonétiques les linguistes allemands de l'école dite celle des néogrammairiens. Les formules dépendent des conditions spéciales de la langue donnée, des tendances spéciales qui en régissent l'évolution; elles sont donc de caractère limité aussi bien temporellement que territorialement (pour plus de détails, voir l'auteur, Loi phonétique, p. 201. Les néogrammairiens soutenaient que leurs lois étaient sans exceptions. Si un phonème x se changeait, en général ou dans certaines combinaisons phonétiques, en un phonème y, tout x devait devenir y, spontanément à la même époque et chez tous les gens parlant la même langue (ou le même patois), ou bien partout ou bien dans les combinaisons phonétiques en question. S'il ne devenait pas y, c'est qu'un facteur d'ordre psychique s'était fait sentir et avait rétabli le x, ou avait fait dévier son développement dans une autre direction. Les néogrammairiens prétendaient donc établir des lois d'ordre historique. Toutefois, l'étude des langues vivantes et des patois a montré tout ce qu'une telle supposition a de chimérique. Les changements commencent chez certaines personnes et dans certains mots, se propagent de là à d'autres personnes et à d'autres mots. On a pu constater que dans certains cas le commencement d'un changement se trouve chez la génération intermédiaire entre les vieux et les tout à fait jeunes, que les vieux ne connaissent généralement pas le changement tandis qu'il s'est pleinement introduit chez les enfants. Et chez les gens de la génération intermédiaire on trouve souvent la vieille forme à côté de celle qui a subi le changement, sans que le sujet parlant fasse de distinction entre les deux. Pour les néogrammairiens les changements, leurs lois phonétiques, étaient de caractère mécanique. Ils prétendaient que les sons évoluaient toujours indépendamment du sens des mots. Les recherches linguistiques ultérieures ont montré que cela n'est aucunement le cas. Tout phonème possède un élément de signification en tant qu'il fait partie d'un signifiant. Les changements phonétiques peuvent porter atteinte à cet élément et même le détruire, mais ce fait ne doit pas faire méconnatre le caractère psychique du phonème. Les formules peuvent avoir un caractère plus ou moins général à l'intérieur d'une langue donnée. Elles sont de caractère absolu notamment quand il s'agit de phonèmes qui disparaissent de la langue. Dans le sud du Pays de Galles, par exemple, la voyelle mixte y, voyelle du type de l'y russe byl "était", a complètement disparu. Dans d'autres cas les formules ont moins d'étendue. Dans certaines langues parlées par des populations très mêlées qui ont reçu constamment des éléments étrangers apportant des tendances nouvelles, les formules sont de peu d'étendue. C'est le cas du latin, par exemple.
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Les changements phonétiques, comme les changements linguistiques en général, ne se laissent jamais observer directement. On ne peut que constater l'existence d'une forme nouvelle qui, au début, se trouve côte à côte avec la vieille forme. Il s'ensuit que le changement phonétique doit se faire par sauts, et non pas par glissements. Les oscillations du phonème qui subit le changement, se portent dans une certaine direction et le phonème sort hors de son cadre pour devenir un phonème déjà connu par la langue ou tout à fait nouveau. Il faut que le changement s'accomplisse de cette manière afin que les sujets parlants puissent en prendre conscience. Le changement par saut est une nécessité psychologique. S'il en était autrement, on s'attendrait à pouvoir constater, notamment pour ce qui est des changements vocaliques, une série de sons indéterminés entre le son originaire et le son nouveau, ce qui n'est pas le cas. Le saut peut être plus ou moins grand, cela va de soi. Un changement d'un a antérieur comme celui du français dame à un œ comme dans anglais cat est petit. Le remplacement de l'ancienne spirante gutturale % (le son de l'allemand ach) p a r / e n anglais, par exemple dans cough, rough, etc., est un saut énorme qui, cependant, ne diffère pas en principe du premier. On fait souvent une distinction entre des changements phonétiques spontanés et des changements phonétiques conditionnés. Cela revient à dire que dans certains cas les tendances spécifiques dans l'évolution d'une langue donnée agiraient directement sur les phonèmes sans l'intermédiaire des conditions phonétiques du mot ou de la phrase, tandis que, dans d'autres cas, ces conditions joueraient un rôle d'intermédiaire. La question se laisse difficilement trancher d'une façon définitive, car le plus souvent les étapes intermédiaires dans l'extension des formules nous manquent. Un changement comme celui d'indo-européen *ë et o en indo-iranien â a l'air d'être spontané. Il s'est imposé dans toutes les positions phonétiques. Mais nous sommes là en présence d'une formule arrivée à son terme final, et rien ne nous défend de supposer un commencement de l'évolution déterminé par certaines combinaisons phonétiques, suivi d'une extension du changement à toutes les positions. C'est sans doute de cette façon qu'a eu lieu un changement analogue, celui de y en i au Pays de Galles. Si l'on regarde l'état de langue dans le Pays de Galles méridional, le changement a l'air d'être spontané. L'y a disparu partout et dans toutes les positions. Mais si l'on examine la langue du nord du pays, qui en général conserve le vieux son, on voit que l'y a été changé en i dans certaines positions sous l'influence assimilatrice de phonèmes environnants. Le changement a pu commencer de cette façon aussi dans le Sud et l'i a pu s'étendre ensuite à d'autres positions. La différence qu'on observe entre les différentes générations donne aux formules des possibilités de s'étendre par analogie (mais seulement des possibilités, une telle analogie ne constituerait pas en elle-même la cause de l'extension de la formule). 11 est significatif de voir un germaniste, M. J. Sverdrup, expliquer le changement de *e indo-européen et germanique commun en i en gotique par l'intermédiaire des conditions phonétiques dans les mots qui ont subi ce changement (Die kurzen Vokale e und i im Gotischen, Norsk tidsskrift for sprogvidenskap, I, p. 189 et suiv.). Le changement de e en i en gotique a été considéré comme le type d'une
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évolution spontanée. Une action directe des tendances spécifiques ne pourrait guère se comprendre sans l'hypothèse d'une transmission héréditaire des positions articulatoires. Il est vrai qu'une telle hypothèse a été émise récemment par le linguiste éminent qu'est le P. Jac. van Ginneken, mais des faits linguistiques me semblent contredire cette hypothèse. J'ai essayé d'exposer les traits principaux des conditions générales auxquelles sont soumis les changements phonétiques et de donner quelques exemples caractéristiques des méthodes d'explication phonétique. Ces vues et ces méthodes ne sont pas générales parmi les linguistes. Beaucoup de linguistes se contentent d'enregistrer les changements à la manière des néogrammairiens d'après des principes de classement qui, souvent, n'ont rien à faire avec les changements eux-mêmes, comme si ce classement constituait une explication. D'autres admettent la nécessité d'une explication psychologique et sociale de ces changements, mais restent étrangers aux travaux sur les rapports entre l'automatisme et les articulations phonétiques, ce qui ne leur permet pas de poser des principes d'explication bien précis. Des vues précises sur le mécanisme psychophysique des changements phonétiques ont été émises surtout par certains linguistes français et par un Hollandais, le P. Jac. van Ginneken. Mais ces savants ne sont pas isolés dans le monde des linguistes; indépendamment d'eux, d'autres ont travaillé dans la même direction. Je n'en mentionnerai que deux dont les travaux ont une importance particulière pour les vues exposées dans cet article, le grand linguiste allemand Hugo Schuchardt, dont les idées, bien souvent, ont inspiré des linguistes français, et, en Norvège, le regretté Amund B. Larsen.
THIRD
PART
PROBLEMS OF INDO-EUROPEAN COMPARATIVE GRAMMAR
LE G É N I T I F A D N O M I N A L
INDO-EUROPÉEN*
Le type linguistique indo-européen est caractérisé par l'autonomie morphologique du mot. A part quelques mots accessoires, qui restent pour ainsi dire en dehors du système, chaque mot indo-européen est un tout qui se suffit à lui-même et qui, dans les langues de type moderne, correspond plutôt à la phrase qu'au mot. C'est un système étrange qui s'explique sans doute par l'évolution antérieure de l'indo-européen commun. Il devient de plus en plus clair que le système de l'indo européen-commun, tel qu'il était immédiatement avant la dislocation du groupe, est sorti d'un système antérieur différent, peut-être plus voisin du type moderne et où le mot au sens moderne du terme est représenté par le thème de l'indo-européen commun. Telle est la pensée de M. Meillet, et M. Hirt s'accorde ici avec lui (cf. p. ex. son Indogerm. Gramm., ll\ Der indo-germ. Vokalismus, 1921, p. 10 et passim). Cela suppose une évolution qui ouvre le champ à des hypothèses historiques intéressantes - et oiseuses, dans l'état actuel de nos connaissances. Il va de soi que dans un système pareil les différents cas sont parfaitement indépendants et autonomes. Et l'on voit qu'ils peuvent aussi bien faire fonction de prédicat dans la phrase que compléter le prédicat nominal ou verbal. Dans ce système parfaitement cohérent, on trouve pourtant une anomalie, et cette anomalie est le génitif adnominal. Le rôle de ce génitif adnominal est simplement de déterminer un nom et il n'a pas d'existence en dehors de cet emploi. On n'a pas pu préciser dans quelle mesure ce génitif doit être attribué à l'indoeuropéen. M. Wackernagel ("Genitiv und Adjektiv", Mélanges de Saussure, p. 123 et suiv.) a montré comment le possessif était à l'origine exprimé par des adjectifs dérivés comme il l'est encore en slave, et pense que le rôle du génitif adnominal a dû être très restreint en indo-européen commun. Cette conclusion n'est infirmée en rien par l'hypothèse d'un génitif à désinence zéro, émise par Ehrlich dans un travail d'ailleurs remarquable (Untersuchungen über die Natur der griechischen Betonung). L'hypothèse reste en l'air et il est faux de vouloir chercher un génitif adnominal dans le premier terme des composés indoeuropéens du type gr. oixo-vô^oç. On essaiera ici de serrer de plus près le commencement de l'évolution de ce génitif adnominal. Pour cela on en est réduit exclusivement aux plus anciens documents indo* Publié déjà dans le Bulletin de la Société de Linguistique de Paris, XXIII (1922).
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iraniens qui sont seuls à donner une idée, imparfaite il est vrai, de la phrase de l'indoeuropéen commun. Et encore doit-on se servir de l'Avesta avec une prudence extrême. Un cas spécial permettra de préciser le point de départ de l'évolution. On sait que pour exprimer des notions locales comme "devant, derrière, à côté de, au-dessus de", etc., l'indo-européen ne possédait pas de cas spéciaux. 11 était obligé d'employer deux procédés différents: ou bien il avait recours à deux compléments parallèles, un adverbe exprimant le sens local spécial et un nom au locatif, ou bien l'adverbe complément était déterminé par un ablatif exprimant le point de départ à partir duquel on envisageait l'adverbe. 1) Adverbe et nom au locatif. RV. VI. 15, 7: sâmiddham agnim samidhâ girâ gfne çûcim pâvakâm purô adhvaré dhruvâm "J'adore, par le chant, Agni qui s'est enflammé par la bûche, clair, brillant, devant le sacrifice, solide." 2) Adverbe et nom à l'ablatif. RV. III. 53, 23 ; nâ gardabhâm purô âçvân nayanti "Ils ne mettent pas l'âne devant le cheval." On trouve ainsi l'ablatif complétant plusieurs adverbes de sens analogue, âdhi, avdh, etc. (cf. Delbrück, Aind. Syntax, p. 114 et passim). Mais à côté de l'ablatif on rencontre également le génitif. Voici des exemples. RV. II. 42, 3 : dva kranda daksinatô grhânàm sumangâlo bhadravâdt çakunte "Crie vers le bas, à droite des maisons, ô oiseau de bon augure, annonçant le bonheur." Cf. de même RV. VIII. 100, 2 et X. 83, 7, passages qui cependant sont ambigus, car me pourrait aussi être un datif. RV. III. 8, 2: sâmiddhasya çrâyamânah purâstâd brâhma vanvänö ajâram suvfram "Se tenant en avant de la bûche, prenant plaisir au brahma, (qui est) éternellement jeune, (qui a) de bons héros." D'autres exemples ont été donnés par M. Delbrück (op. cit., p. 163); et l'on trouve le même génitif dans l'Avesta après pasca "derrière" (cf. Reichelt, Aw. Elementarb., p. 275) et en vieux-perse après pasä (Meillet, Grammaire du vieux-perse, p. 187). Mais l'on ne peut tirer de conclusions du vieux-perse qui a confondu le génitif et le datif. On pourrait évidemment expliquer quelques-uns de ces exemples comme des génitifs partitifs dans le genre du génitif grec èy.noSûv (cf. Brugmann-Thumb, Griech. Gramm., p. 451 et suiv.), mais ce serait de regarder la langue d'une façon trop schématique et mécanique si l'on se débarrassait de tous les exemples au moyen de cette explication. On saisit ici une valeur plus abstraite du génitif et c'est bien un génitif
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adnominal qu'on a devant soi. Le cas de âré est particulièrement instructif. Le génitif apparaît dans un cas comme le suivant: RV. III. 39, 8 : âré syâma duritâsya bhâreh "que nous soyons loin des dangers nombreux (m. à m. du mauvais pas nombreux)". Mais il y a des exemples de l'ablatif : RV. VIII, 2, 20: mô su àdyâ durhânâvân sâyâm karad âré asmât "et qu'il ne fasse donc pas le repos du soir (cf. Pischel, Vedische Studien, II, 79) aujourd'hui, de mauvais humeur, loin de nous." Cet ablatif se trouve surtout quand le prédicat est un verbe de mouvement; le sens est alors plus concret. RV. I. 114, 4: âré asmâd daivyam hélo asyatu "qu'il jette loin de nous la colère divine." RV. VII. 32, 1 : mô fû tvâ vâghâtaç canâré asmân ni riraman "et que quelques sacrificateurs ne le retiennent donc pas loin de nous." Cet emploi du génitif ne se trouve pas dans le Rgveda avec les adverbes qui sont devenus plus tard des prépositions-préverbes (cf. Delbrück, ib.), et cela se comprend aisément. Les adverbes qu'on vient d'examiner se fixaient plus facilement avec leurs compléments qui, par suite, tendaient à se subordonner à eux (cf. Bréal, Essai de sémantique6, p. 11 et suiv.), tandis que les préverbes-prépositions étaient d'un emploi bien plus varié. Mais il est significatif qu'on trouve le génitif complétant purâh dans la prose védique (Delbrück, op. cit., p. 163), et cet emploi se retrouve dans l'Avesta où parô peut avoir un complément au génitif. V. 13, 46: parö nmänahe "Devant la maison." V. 2, 24: parô zimô "Avant l'hiver." De même â est complété par un génitif dans l'exemple suivant: Y 32, 8 : aésqmcït ä ahmî Owahmï mazdâ vïcidôi aipï. M. à m. "d'eux je serai séparé par toi plus tard." (L'autre exemple, ib. 30, 7, Bartholomae, Altir. Wörterb., 301, est douteux et le passage corrompu.) Ces exemples mettent en lumière le début de l'évolution du génitif adnominal. Quand on sait combien le sens du génitif partitif s'est affaibli dans beaucoup de ses emplois et en même temps le nombre de cas où le génitif et l'ablatif se confondaient - ils n'étaient distincts, au singulier, que dans les thèmes en -o- - on comprend comment la langue s'est emparée du génitif pour exprimer le nouveau rapport abstrait entre les deux noms. Ces noms ne sont plus des compléments parallèles à un même prédicat, mais l'un d'eux est subordonné à l'autre.
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C'est ainsi que le génitif adnominal est sorti on pourrait dire à la fois du génitif partitif et de l'ablatif. On sent encore souvent le rapport avec le partitif, surtout quand l'adnominal rend la nuance du possessif, et un exemple comme le suivant montre combien le partitif pouvait être près du génitif adnominal avec la nuance du possessif : 7t. 300: è[i.ôç èrsai xoù oajxaToç yj^STépoio. L'évolution du génitif adnominal constitue, au moins dans ses grands traits, une évolution intérieure du système, indépendante de facteurs extérieurs. Elle a eu des conséquences importantes, car elle semble marquer la première atteinte au système indo-européen, le premier pas vers un type moderne qui comporte plus de procédés abstraits et où l'unité linguistique n'est plus le mot. Il est impossible de décider si le génitif adnominal date de l'indo-européen commun. Il a pu se développer parallèlement dans les différentes langues indo-européennes.
L'ORIGINE INDO-EUROPÉENNE DU PRÉTÉRIT CELTIQUE EN t *
On trouve en vieil-irlandais ainsi que dans quelques exemples archaïques du brittonique des prétérits caractérisés par un t. En vieil-irlandais, ce sont les thèmes verbaux finissant en g, r, l et m qui prennent cette caractéristique ; le plus souvent le présent de ces verbes appartient à la catégorie des verbes thématiques (la classe B I de M. Thurneysen, Handb., p. 331). Voici une liste de ces verbes. - On ne citera, en général, qu'une seule forme du présent et une seule du prétérit de chaque verbe; les exemples de toutes les formes essentielles se trouvent, on le sait, dans la grammaire de M. Pedersen. ag- "conduire, pousser"; prés. sg. 3 rel. aiges (Wi. Tâin, 3327): prêt. sg. 3 ro-da-acht (LL. 201 a 37); le prétérit est conservé aussi en brittonique : gall. aeth, corn, yth, bret. aez; voir Pedersen, Vgl. Gramm., II, p. 452; Loth, Remarques Morris Jones, p. 112. al- "nourrir", prés. sg. 3 no-t-ail (Wb., 5 b 28): prêt. sg. 3 ro-mm-alt-sa (Ml., 45 c 3). anag- "défendre", prés. sg. 3 aingid (Wb., 1 d 15): prêt. sg. 3 rel. anacht (Thes., Il, 303, 2). (ess-)ball- "mourir"; prés. sg. 3 at-bail (Wb., 4 d 15): prêt. sg. 3 ât-ru-balt (Ml., 144 d 3). ber- "porter"; prés. sg. 3 berid{Wb., 6 a 13): prêt. sg. 3 birt (Thes., Il, 242, 17). Le prétérit en t s'est conservé en brittonique: gall. cymerth, cymyrth, corn. kemert(h) "il prit", c'est-à-dire *kom-ber- et gall. differth, diffyrth "il protegea", c'est-à-dire *di-ud-ber-\ cf. Pedersen, Vgl. Gramm., II, p. 372. cel- "cacher"; prés. sg. 3 ni ceil som (Wb., 4 d 16): prêt. sg. 3 ni-chelt (Thes., II, 291, 11). dar- "saillir"; imparf. sg. 3 no-daired (LL., 69a 31): prêt. sg. 3 co ro-dart (LL., 168 a 25). (di-)em- "défendre"; prés. sg. 3 du-n-em side (Ml., 112 a 5): prêt. sg. 3 do-r-et (Ml., 16 c 8). (ar-)gair- "crier, appeler"; prés. sg. 3 ar-gair (Ml., 27 c 21): prêt. sg. 3 ar-gart (Ml., 55 c 1); le prétérit de ce verbe gair- se trouve en v.-bret. ar-uuo-art gl. fascinauit; cf. Loth, Vocabulaire, p. 48. gel- "dévorer, paître"; sg. 3 gelid(Sg., 143 b 1): prêt. sg. 3 ro-gelt (Thes., 1, 5, 41). (fo-)ger- "chauffer"; prés. sg. 3 fo-geir (Thes., II, 246, 1): prêt. sg. 3 fo-sn-gert (LU., 63 a 36). * Publié déjà dans Symbolis grammaticis in honorem loannis Rozwadowski, I (Cracoviae, 1927).
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L'ORIGINE D U PRÉTÉRIT CELTIQUE EN t
(to-for-)mag- "accroître, augmenter"; prés. sg. 3 do-for-maig (Ml., 55 c 20): prêt, sg. 3 do-r-or-macht (SM., V, 18, 1). Se retrouve en gallois: maeth "il nourrit, éleva". mair-n- "trahir"; prés. sg. 3 no-da-mairn (SM., II, 284, 21): prêt. sg. 3 ro-d-mert (LU., 84 a 8). mel- "moudre"; prés. sg. 1 melim (Sg., 57 a 2): prêt. sg. 3 con-melt sorti (Wi. Tain, p. 6358). org- "tuer"; prés. sg. 3 orcaid (Ml., 19 d 6): prêt. sg. 3 ro-hort (LU., 99 a 17). (ess-)reg- "se lever"; prés. sg. a-d-reig (Wb., 13 a 12): prêt. sg. 3 a-t-racht (Wi., Ir. Texte, p. 73, 3). Se retrouve en gallois datwyreith "se leva" (Gw. Evans, Book of Taliesin, p. 27, 17). (com-di-)saig- "prier, demander" ; près. sg. 3 con-di-eig (Wb., 23 d 5) : prêt. sg. 1 (parf.) con-ait-echt (Ml., 132 d 5). (to-od-)sem- "créer", prés. sg. 3 do-fui-ssim (Ml., 111 a 13) : prêt. sg. 3 (parf.) do-rô-sat (Sg., 31 b 2). (com-) ser-n- ; impér. sg. 3 co-sradgl. studeat (ML, 124 a 5) : prêt. sg. 3 consert coibnis "it sowed harmony" (Rev. celt. ,XX, p. 431, 433). En brittonique on trouve quelques formes qui n'ont pas d'équivalentes en irlandais : prêt. sg. 3 amwyth "défendit", dydwyth "apporta", à côté de amuc et de dyduc; cf. Pedersen, Vgl. Gramm., II, p. 373. De plus, prêt. sg. 3 cant "il chanta" et gwant "il perça". Il est possible que ces formes dernières soient, à l'origine, des prétérits passifs employés comme des formes actives; cf. Thurneysen, K.Z., XXXVII, p. 111 et suiv. Depuis l'article de M. Thurneysen, publié dans la Zeitschrift de Kuhn (vol. XXXVII, p. 111 et suiv.), on soutient généralement que ce prétérit en t tire son origine de la troisième personne du singulier de l'aoriste athématique indo-européen. La désinence t de cette forme, qui s'est maintenue en vertu des règles de l'évolution des finales celtiques, aurait été sentie comme caractéristique du prétérit et aurait été étendue à toutes les personnes et aux deux nombres. Cette explication suppose, à la période de la réduction de finales celtiques, c-'est-àdire à une époque relativement très tardive, l'existence de toute une catégorie d'aoristes radicaux en celtique. Le fait serait surprenant quand on se souvient de l'histoire des formes athématiques dans les autres langues indo-européennes. Mais avant de discuter ce côté du problème, examinons les formes celtiques connues et voyons en quelle mesure elles peuvent représenter des formes anciennes. 11 faut écarter d'abord l'irlandais anag- qui n'a pas d'étymologie sûre; cf. Pedersen, Vgl. Gramm., II, p. 558. 11 en est de même de mair-n- qui, bien qu'il soit d'aspect ancien, est isolé; cf. Marstrander, Observations, p. 36, et de mag-. Il existe certaines autres formes qui ne peuvent guère être anciennes, car elles appartiennent à d'anciens verbes thématiques. C'est d'abord le verbe ag-, cf. lat. agô, gr. Sifo, v. nor.. aka, skr. âjati, arm. acem. Nous ne sommes pas justifiés de poser un ancien verbe athématique de cette racine. Il en est de même de al-, cf. lat. alô, got. alan, etc. Pour le verbe cel- non plus, on ne pourra poser qu'une forme thématique indoeuropéenne, cf. lat. occulere, v. h. a. et v. angl. helan (cf. Marstrander, Observations,
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p. 45). Du verbe em- on ne connaît également que des formes thématiques, cf. lat. emô, lit. imù, v. si. imç. On sait que bien des verbes thématiques représentent d'anciens verbes athématiques, et l'on ne peut pas, cela va de soi, nier toute possibilité de l'existence de verbes athématiques de ces racines à une époque de l'indo-européen commun, mais il est tout à fait invraisemblable que les verbes énumérés aient été athématiques au moment tardif où le prétérit et t se serait constitué en celtique. D'autres formes verbales sont tirées de racines duratives de l'indo-européen et ne peuvent donc pas avoir connu des aoristes athématiques. Cela est le cas de ber-, on le sait, et de saig-. Ce dernier verbe appartient à une racine *sâg- qui indique "la recherche attentive et pénétrante grâce à laquelle on peut faire des plans de conduite". Les présents qu'on en connaît, gr. Y]yéo[i.ai, lat. sâgiô, got. sokja représentent probablement un ancien présent athématique (cf. Meillet, B.S.L., XXIII, p. 83-5). Il en est probablement de même du verbe tiré de la racine indo-européenne *gwher- (fo-ger-, ci-dessus), cf. arm. jernum "je m'échauffe", v. slav. goritù, goréti "brûler" (voir Meillet, Rev. ceît., XXXV, p. 166 et suiv.; et M.S.L., XIX, p. 183 et suiv.). Les prétérits melt et gelt ne semblent guère anciens. Quant à mel-, qui appartient à une racine indo-européenne *meh-, l'ancien présent a dû être un présent athématique en *meh-, *moh-, *m°l-\ cf. Meillet, M.S.L., XIX, p. 186. Dans ce cas l'aoriste le plus vraisemblable serait du type *mlâ-, *m°l-, c'est-à-dire irlandais *mlâ-, *mal-. D'après M. Marstrander, Observations, p. 30, le présent irlandais gelid est refait sur le subjonctif et sur le prétérit; l'ancienne forme serait *glenaid, cf. véd. (A.V.S.) grndti. Cela semble indiquer une ancienne racine *geh- avec un aoriste parallèle à celui de *meh. Les formes du verbe gair- sont trop incertaines pour qu'on puisse en tirer des conclusions, cf. lat. garriô, etc. Il en est de même en ce qui concerne les formes brittoniques amwyth, dydwyth; leur histoire est trop incertaine; cf. en dernier lieu, Vendryes, Rev. celt., XLIII, p. 211 et suiv. Il reste quelques formes qui peuvent représenter d'anciens aoristes athématiques (ou présents déterminatifs, cf. Meillet, Introduction 5, p. 166). C'est d'abord ort, cf. armén. harkanem, aor. hari, ehar\ voir Lidén, Armenische Studien, p. 85. Mais le passage du présent au type thématique a dû s'opérer à une date très ancienne comme on le voit de l'impératif gaulois orgç "occide" {Corp. gl. lat., V, 376, 29). Le prétérit de reg- peut de même être un ancien aoriste (présent déterminatif), cf. les présents skr. rfijâti, rjyati, lit. rqzaus, rqzytis "étendre" (voir Trautmann, Balt.-slav. Wôrterb., p. 244, s. u. *renziô), lat. regô, gr. ôpéyw, got. ufrakjan. Le présent thématique de l'irlandais est une forme refaite. - Il en est de même du verbe sem-, cf. lit. semiù et Lidén, Stud. zur ai. und vergl. Sprachgesch., p. 37. Le présent thématique doit être une forme nouvelle. On rattache le verbe at-baill à la racine du grec cf. l'aoriste homérique pXrjxo, pl. 3 fJâ/vov. Dans ce cas le degré zéro (*gwol-) aurait pénétré dans toutes les formes du prétérit irlandais. - Le verbe dar- est de même comparé au grec Opcoaxco, 06pvu[xai,
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ë0opov, passé secondairement au type thématique (voir Meillet-Vendryes, Grammaire comparée des langues classiques, p. 226); les anciennes formes ont dû être * ë0pwv: £0opov. Dans ce las la forme irlandaise pourrait être expliquée de la même façon que -balt. Le prétérit sert peut être ancien; pour ce verbe cf. lat. sternô, gr. wi: Dans les contrées où l'on a trouvé la plupart des listes et dans d'autres parties du Pays de Galles méridional, les diphtongues o(:)e et u(:)i ont subi le même développement (en we:, wi: cf. David Thomas, loc. cit.", Wade-Evans, "Fishguard Welsh", p. 21 et suiv.). Il serait moins probable d'y voir la représentation de l'ancien élément labio-vélaire d'une partie du celtique (k w ). Une trace de celui-ci se trouve peut-être dans klu(:)i, forme qui a été fournie à M. Thomas après la publication de son article et qu'il a eu l'obligeance de m'indiquer. Une différenciation de l'élément labio-vélaire en un l vélaire devant u n'aurait rien de très surprenant. La notation quâr, quar, qui, etc. peut être due aux difficultés qu'ont éprouvées les sujets de M. Thomas de transcrire les formes. On se demandera si elle traduit l'existence d'une consonne spéciale dans le genre du breton w. Six à neuf. Formes phonétiques : six, (si:x), six : sox, (so:x), sox : nix : nox. Ici l'influence mutuelle des formes est particulièrement frappante. Les voyelles ont été arrangées en deux groupes rhythmiques i : o. Le point de départ de ce développement a évidemment été fourni par l'z de six, six, et Vo de nox. six, six représente irlandais sé (c.-à-d. s'e:). Le x final vient des formes pour "sept" et "huit". On ne doit pas y chercher la représentation de l'ancien groupe final -ks, car ce groupe s'assimile régulièrement en irlandais, on le sait (cf. sessed "le sixième", Graufesenque svexos\ cf. Loth, Rev. Celt., XLI, p. 37; Vendryes, B.S.L., XXV, p. 37 et suiv.). Vi s'explique par assimilation à la sibilante palatale, encore représentée par S sur certaines listes. Le s sur les autres ne doit pas surprendre. Le s est évidemment un son récent en gallois (cf. Fynes-Clinton, Vocabulary, p. XXII et suiv.), il est donc naturel de trouver l'ancien s ' représenté par s dans la majorité des cas. Pour Vo de sox, sox qui correspond à vieil-irlandais secht, voir ci-dessus. La correspondance s : s s'explique comme pour la forme pour "six". La chute du t final était attendue; on connait l'histoire du groupe -xt- en gallois (les exemples de -x4- sont d'origine récente; voir Sommerfelt, Studies, § 109). nix correspond à l'irlandais ocht. Pour l'i et la finale -x, voir ci-dessus. Le n initial vient de nox. Pour "neuf" le vieil-irlandais a nôi (ôi est une diphtongue). Le -x est dû à l'influence des formes pour "sept" et "huit". L'o admet deux explications. Ou bien il est dû à la forme pour "huit" à une époque où celle-ci avait encore sa voyelle primitive, ou bien la diphtongue a perdu son élément palatal par assimilation à la spirante gutturale x au moment où celle-ci a été ajoutée. Dix. Formes phonétiques : (de(:), (te:), dei. Le vieil-irlandais a deich (c.-à-d. d'eç, d'é-ç). Pour le t d'une des formes voir cidessus. La disparition de la spirante palatale ç s'explique sans difficulté. Cette consonne n'a pas d'existence régulière dans le système phonétique gallois et disparaît aisément en fin de mot. Mais la trace de la fin palatale du mot qui s'observe dans la forme dei, donnée comme variante sur la troisième liste, est importante.
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Onze à dix-neuf. La formation de ces nombres reflète la construction vieil-irlandaise. On sait qu'en vieil-irlandais on formait ces nombres en ajoutant déec, déac aux nombres de la décade. La disparition du g final s'explique par l'influence de de "dix". Les notations d et t s'expliquent par une particularité de l'occlusive dentale après x en gallois. Elle est généralement une lenis sourde dans cette position. Le -di de certaines listes provient probablement d'une assimilation à F/ de six, nix. ku(:)i pour "quinze" sur deux listes est surprenant. Vingt. Formes phonétiques: wixi, dwixi, gwixi, xwi:. Ces formes sont importantes. Elles montrent que l'irlandais du Pays de Galles dont nos noms de nombre sont le dernier vestige, n'a pas participé à l'évolution irlandaise de w- initial en/-, changement qui date probablement des environs de l'an 600 (cf. Mac Neil, Ogham Inscriptions, p. 335, 344). On sait que la forme vieil-irlandaise est fiche (c.-àd. f'içe). L'ancienne spirante palatale a ici été remplacée par le x connu du système gallois. L'i final s'explique par assimilation au premier, gwixi a évidemment suivi le développement gallois du w- initial, dwixi doit son d à l'influence de la forme pour "deux", xwi: a été détaché des composés dorxwi, etc., voir ci-dessous. Quarante, soixante, quatre-vingt et cent. Ces nombres, qui ne sont représentés que sur une seule liste, ont été faits sur wixi. On sait que le vieil-irlandais présente des composés avec indo-européen *-k,spt-, *-k,omt- (de *-dk,rpt-, *-dk,omt-) et qu'il a conservé le vieux nom de cent {cét dei.-e. *k,rpti$- de ^dkjptô-, un dérivé de *dek,ip; cf. Pedersen, Vgl. Gramm., H, p. 129; Thurneysen, Handbuch, p. 235; Meillet, IntroductionB, p. 373 et suiv.). Les formes (phonétiques) dorxwi, tarxwi, kwarxwi, kwixwi ont été traitées de mots uns. La disparition de la pénultième s'explique par les règles de l'accentuation galloise, le gallois ne connaissant pas de mots à trois syllabes accentués sur l'antépénultième. Cette disparition a causé la méthathèse du groupe -wx-, inusité en gallois, en -xw-, groupe des plus fréquents. On peut se demander lesquels des changements qu'on vient d'étudier appartiennent au développement propre de l'irlandais du Pays de Galles, et quels sont ceux qui date de l'époque où ce système de numération était employé par des gens qui avaient adopté le gallois. On ne saurait faire une décision nette. On est porté à croire, cependant, qu'au moins les changements e:n < ôen, do: < dau et u:i < ôi dans ku(:)i reflètent des développements propres à l'irlandais du Pays de Galles. CONCLUSION
Les noms de nombre non-gallois trouvés au Sud du Pays de Galles sont irlandais et ils dérivent d'une forme de l'irlandais qui est antérieure à l'époque des manuscrits irlandais les plus anciens. Ils ne présentent rien qui ne s'explique par une origine irlandaise. Ils indiquent un état phonétique spécial de l'irlandais du Pays de Galles qui sur
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certains points était resté plus conservateur que celui d'Irlande, tandis qu'il avait, dans d'autres cas, évolué parallèlement à l'irlandais d'Irlande. Les nombreux changements dans le détail des formes s'expliquent surtout par l'influence des différents nombres les uns sur les autres et par des adaptations au système phonétique du gallois.
N O T E S U R LA T R A N S C R I P T I O N : après une voyelle signifie qu'elle est longue. v sous une consonne signifie qu'elle est sourde (je me suis conformé au vœu émis par le congrès convoqué par M. Jespersen à Copenhague en 1925).
ABRÉVIATIONS B.S.L. = Bulletin de la Société de Linguistique de Paris. FYNES-CLINTON, Vocabulary = The Welsh Vocabulary of the Bangor District (London, 1913). MAC NEIL, Ogham Inscriptions = The Irish Ogham Inscriptions, dans les Proceedings of the Royal Irish Academy, XXVII, Section C, No. 15 (Dublin, 1909). MEILLET, Introduction5, = Introduction à l'étude comparative des iangues indo-européennes, cinquième édition (Paris, 1922). PEDERSEN, Vgl. Gramm. = Vergleichende Grammatik der keltischen Sprachen, I-II (Goettingue, 1909-13). Rev. Celt. = Revue Celtique, Paris. SOMMERFELT, Torr = The Dialect of Torr, Co. Donegal, I (Christiania, 1922). SOMMERFELT, Studies = Studies in Cyfeiliog Welsh. A Contribution to Welsh Dialectology (1925). THURNEYSEN, Handbuch — Handbuch des Alt-Irischen, I (Heidelberg, 1909). WADE-EVANS, "Fishguard Welsh" = "Fishguard Welsh (Cwmrag Abergwaun)", dans les Transactions of the Guild of Graduates for the year 1906(Cardiff, 1907), p. 21 et suiv.
S U R LES N O M S DE N O M B R E I R L A N D A I S T R O U V É S A U PAYS D E G A L L E S *
Dans le dernier numéro de la Zeitschrift für celtische Philologie (XVII, 3, p. 261-62), M. Julius Pokorny se prononce sur l'explication que j'ai proposée des noms de nombre non-gallois trouvés au Pays de Galles méridional. Il trouve que mes conclusions témoignent d'une mauvaise méthode et affirme, de son côté, que ces noms de nombre sont d'origine irlandaise récente. J'examinerai en détail l'argumentation de M. Pokorny. Mais je dois faire remarquer d'abord que M. Pokorny semble avoir des idées assez peu claires sur le caractère de ces noms de nombre. Il parle de noms de nombre empruntés à l'irlandais ("Irische Lehnwörter", loc. cit. p. 261 ; "Entlehnung in voraltirischer Zeit," Idg. Jahrb. XII, p. 211). Il va de soi que je n'ai jamais émis une telle supposition. Ces noms de nombre viennent de populations irlandaises établies au Pays de Galles et ont été conservés, après la cymrisation de ces populations, en tant que langue spéciale. Nous ne savons pas à quelle époque cette cymrisation a eu lieu, mais il n'est nullement nécessaire de supposer que les mots en question ont été conservés 1300 ans dans un milieu cymrique, comme le fait M. Pokorny. Constituant une langue spéciale, ces noms de nombre ont dû s'adapter aux habitudes articulatoires des gens parlant de gallois. Pour les expliquer il faudra donc tenir compte des deux systèmes phonétiques, celui du gallois et celui de l'irlandais. Mais il n'est pas conforme à la bonne méthode d'expliquer des noms qui ressemblent aux noms de nombre gallois correspondants, par le gallois. En employant une langue spéciale on tient à n'être pas compris par ceux qui n'y sont pas initiés. Si l'on peut expliquer par l'irlandais des noms qui ressemblent aussi aux noms gallois, on doit donc le faire. Maintenant, regardons le détail des formes. Je reproduis l'argumentation de M. Pokorny. Un. "Es brauchen i:n e:n nicht auf air. ôen zurückzugehen, da beide Formen neuirisch vorkommen. Ich möchte nur e:n für irisch, die andere Form für echt kymrisch (un) halten." La réponse découle de ce qui a été dit ci-dessus. Deux. "Die Form geht nicht auf air. dau, sondern einfach auf neuir. dô zurück." Cela est possible ; c'est l'état des autres noms de nombre qui doit décider du problème. Mais il ne faut pas oublier que dô date déjà d'une période très ancienne et l'on ne sait • Publié déjà dans la Norsk Tidsskrift for Sprogvidenskap, III (1929).
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pas quand le changement a commencé. L'état des documents littéraires n'exclue pas l'hypothèse que le changement a commencé plus tôt dans certaines régions de l'Irlande que dans d'autres. Trois. "Man darf doch nicht ta(:)r auf air. téoir zurückführen; vor allem ist das a(:) nicht auf Kontraktion von air. e+o zu erklären. Es liegt hier deutlich die kymrische Form tair 'drei'; der Vokalismus ist von der Vierzahl beeinflusst." Un ancien irlandais teoir devrait évoluer en t'xr' selon les tendances de l'irlandais. L ' j irlandais est, dans beaucoup de régions de l'Irlande, une espèce d'à très différent de l'o gallois. L'Irlandais de Leinster a probablement parlé un dialecte assez près de celui d'Ulster (cf. N.T.LS., II, p. 169) et le caractère de YO septentrional a donc pu avoir une grande étendue en Irlande. Pour le reste de l'argumentation voir ce qui a été dit ci-dessus. Quatre. "Dans kw von kwœ.r hat selbstverständlich nichts mit vorir. kwete(s)ores zu tun, sondern ist im Anlaut der Fünfzahl entnommen; die Nebenform ka(:)r geht auf nir. ceathair (sprich k'ce:r') zurück." Cinq. "Sowohl ku.i wie kwi: gehen auf nir. cüig und nicht auf air. côic zurück. Die Nebenform kwtr beweist den wechselseitigen Einfluss der Vierzahl." J'aurais dû faire remarquer que le kw de certaines formes pour "quatre" pourrait provenir du nom pour "cinq". Mais la chose n'est pas si selbstverständlich que le croit M. Pokorny. Il est évident que les dix premiers nombres ont été arrangés en groupes rythmiques de la.façon suivante: e:n, do: / tœ.r, kwœ.r / ku:i / six, so% / ni% / no% / de:. Cela rend l'influence de l'initiale de l'un des groupes rythmiques sur l'autre moins vraisemblable. Ce qui caractérise le groupe est la consonne initiale et la voyelle. A la fin du mot l'automatisme peut se faire sentir plus facilement comme on le voit aussi des deux avant-derniers groupes. Les explications que j'ai proposées des autres détails sont toutes naturelles. Il faut supposer un certain parallélisme de l'évolution irlandaise en Irlande et en Galles ainsi que je l'ai montré ci-dessus. Dix. "de(:) geht nicht auf air. deich, sondern auf nir. d'e(:) zurück; den von Sommerfeit angenommenen Abfall des auslautenden altirischen %' würde man gegenüber dem auslautenden x von six, ™X> noX (6, 7, 8, 9) nicht verstehen." L'excellent celtisant semble être prisonnier de sa graphie. La spirante gutturale palatale ç est de formation bien différente de celle du x e t s u i t généralement une voie différente dans l'histoire de l'irlandais. Il suffit de renvoyer aux livres de Quiggin et de Finck et aux miens. La disparition de ç en fin du mot et la conservation de ce son entre voyelles (représenté par x, après la disparition du système phonétique irlandais, dans wixi) n'a rien de surprenant. Vingt. "Hier sind die Formen wixi, gwixi, ywi: überliefert; dazu dorxwi '40', tarxwi '60'. kwar%w[ '80', kwi:xwil 100'. Nun behauptet S. allen Ernstes, dass wixi auf vorir. *wix'3 zurückgehe, also die Entlehnung älter sein müsse, als der um 600 n. Chr. erfolgte Wandel von ir. w- zu /-. Aus rein historischen Gründen ist das ganz und gar unwahrscheinlich. Wir kommen auch mit einer Entlehnung aus nir .fiche ohne weiteres aus. I habe (Z.C.P., XV, 377) gezeigt, dass Kymrisch ugain '20' seinen Anlaut den Worten für '40' deugain und '60', triugain verdankt. Ein entlehntes ir. fix'z wäre im
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Kompositum hinter dor 'zwei5, tar 'drei' usw. regelrecht zu *dorf%i, *tarf%i, und hieraus durch Lautsubstitution zu überliefertem dor%wi, tar%wi usw. geworden. Von diesen Formen aus ist offenbar das Simplex fix'3 zu *%wi%wi umgestaltet worden, woraus dann ganz normal wi%i entstanden ist, genau so, wie echt kymr. %we:% 'sechs' südkymrisch zu }ye:% wurde. Von wl%i aus lassen sich sämtliche Nebenformen ungezwungen erklären. Es wäre schliesslich noch möglich Lautsubstitution von ir./- zu kymr. gw- nach dem Muster von ir .fionn zu kymr. gwynn usw. anzunehmen, und das häufigere, anlautende w- aus Zahlwörtern wie *i:n ar wi%i '21' usw. mit regelrechter kymrischer Lenition hinter ar zu erklären, aber dieser Ausweg ist nach dem oben Gesagten nicht mehr nötig. Die erste Erklärung gewinnt auch dadurch an Wahrscheinlichkeit, dass das aus dor%wi usw. abstrahierte %wv. in der Tat selbständig als Form für '20' erscheint." Comme il a été indiqué plusieurs fois, je n'ai jamais parlé d'emprunt. J'ai supposé que la forme pour vingt vient d'un parler de l'irlandais qui a été séparé du domaine principal de l'irlandais avant la date du changement w- > f-. Du point de vue de l'histoire cela n'a rien de surprenant (cf. p. ex. E. Lloyd, History of Wales, p. 113). J'admire la confiance qu'a mon excellent critique dans ses explications; mais je dois lui demander s'il n'a pas été sujet à quelques petites distractions. Le w en question n'est pas le son allemand qui est transcrit w, mais un double w véritable avec le dos de la langue relevé vers le palais mou. Celui qui a le sentiment des systèmes phonétiques celtiques sait qu'il y a une différence systématique entre les v et les w. La supposition d'une évolution irlandaise/(c'est-à-dire ou bien/', comme dans le Nord, ou bien/ 4 comme en Munster) à w dans nos noms de nombre serait vraiment extraordinaire et va contre les systèmes phonétiques en présence. De plus, %wi%wi > *wi%i n'est pas parallèle à gail. %we:% > gallois du sud we:%, car w désigne un son sourd et soufflé, on le sait. L'hypothèse d'une substitution phonétique d'après gwynn : fionn n'est pas plus vraisemblable. De telles substitutions se font entre des langues très proches l'une de l'autre, ou plutôt entre les parlers d'une même langue, et non pas entre deux langues aussi différentes que le gallois et l'irlandais modernes ou même l'irlandais du Moyenage et le gallois de l'époque correspondante. Il va de soi que je serai le premier à accepter une explication par l'irlandais moderne des noms de nombre du Pays de Galles méridional, si cette explication est fondée phonétiquement. Pour voir la différence entre ce qu'ont donné des noms de nombre irlandais introduits à une époque moderne (au milieu du XIXe siècle) et les noms de nombre anciens on n'a qu'à regarder ceux trouvés à Goginan (cf. ci-dessus, p. 260). On y trouve siffin pour "vingt". Les altérations qu'ont subies ces derniers noms sont en partie parallèles aux nôtres, mais aussi en partie plus irrégulières, sans doute parce qu'ils n'ont pas joué le même rôle social que ces derniers. La forme du nom de nombre vingt, et de plus, mais à un degré de vraisemblance moindre, le nom de nombre quatre ne semblent pouvoir s'expliquer que par un état phonétique parallèle à celui d'un vieil-irlandais d'aspect très ancien. Ces faits nécessitent une explication analogue des autres noms de nombre en question.
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La conservation de noms de nombre irlandais employés comme langue spéciale est parallèle à d'autres faits semblables connus des lies britanniques. C'est la supposition de l'introduction de noms d'origine irlandaise moderne, introduction qui suppose l'existence d'une population rurale immigrée à une époque assez récente, qui ferait difficulté. M. Vendryes qui, de même que MM. Meillet et Thurneysen, a accepté mon explication des noms de nombre du Pays de Galles, propose {Revue Celtique, XLII, p. 4501 de partir d'un s dans l'explication de si%, si% "six" et que le s soit dû à une particularité galloise. Jesuis parti d'un s'irlandais, c'est-à-dire d'un s ayant la partie médiane de la langue relevée vers le sommet de la voûte palatine. En vieil-irlandais le canal pour l'air a dû être à peu près le même pour le s palatal que pour le s vélaire; en Donegal le s'est encore beaucoup plus près d'un s (palatal) que d'un s. J'ai supposé que le s de si% représente directement le s palatal irlandais parce qu'un changement de si- en si- en gallois ne m'était pas familier (sauf dans des cas comme Llan bryn Mair sarad). Mais je vois maintenant que le gallois de Gwent (le sud-est du Pays de Galles) connaît ce- changement. M. John Griffith dit (dans Y Wenwhwyseg, Newport et Londres 1902, p. 21, brochure que je ne pouvais pas consulter au moment où j'ai écrit mon article) .: s before i becomes sh, the i becoming more or less indistinct, et il donne comme exemples- sharatwr "siaradwr", prisho "prisio", isha "isaf", mish "mis", etc. La supposition de M. Vendryes est donc la plus vraisemblable et il faudra expliquer 1'/ au lieu de e par opposition expressive à l'o du nom suivant, ainsi que le fait M. Vendryes.
L'OSCULUM
PACIS
AU CAUCASE*
On sait que bien des peuples ignorent le baiser. En Europe le baiser, dans certains pays du moins, semble avoir été introduit seulement avec le christianisme et avec la coutume de Yosculum pacis. C'est ainsi que le baiser est appelé pôc en vieil-irlandais, mot usuel en Irlande encore aujourd'hui. Le mot y est venu du latin par l'intermédiaire du brittonique (gallois poc, vieilli actuellement, breton pok). La forme du mot représente latin pâcem\ Yo du brittonique, au lieu de Yaw qu'on attend en gallois, s'est peut-être développé en position inaccentuée, dans des formules (cf. J. Loth, Les mots latins dans les langues brittoniques, s. u. poc). L'emprunt est très ancien, l'occlusive gutturale n'ayant pas été affriquée devant voyelle antérieure. On trouve en géorgien un mot paci "baiser". Ce mot est noté par Cubinov dans son dictionnaire russe-géorgien (Tiflis, 1901), avec la qualification de mdabio "populaire". Il se trouve, comme me le fait savoir M. Hans Vogt, à qui je dois plusieurs renseignements concernant le caucasique méridional et l'arménien, aussi dans le glossaire de l'évêque Kirioni {Uancienne Géorgie, II, 1911-13), glossaire qui contient surtout des mots de caractère populaire. Il a été inclus dans le dictionnaire géorgien-allemand de M. Meckelein. Par contre, le dictionnaire géorgien-russe de Cubinov (SaintPétersbourg, 1840) ne le contient pas, non plus celui d'Orbeliani (vers 1700). Les lexiques de patois de Çgonia et de Beridze ne le mentionnent pas. Personnellement, M. Hans Vogt, qui a séjourné longtemps à Tiflis, ne se souvient pas d'avoir entendu le mot. paci semble inconnu au mingrèle et au laze, mais on le retrouve en arménien. Calfa note paçik, voir hamboyr et le mot se retrouve chez Oskean et dans le dictionnaire arménien (oriental)-russe de Dagbasianov (Tiflis, 1911) où il est dit: paç voir hamboyr, et le mot est qualifié de slovo narodnoje ("mot populaire"). 11 y a correspondance entre les formes du géorgien et celles de l'arménien; c géorgien correspond régulièrement à ç arménien. Le vieux mot employé dans la traduction géorgienne de la Bible est ambori = arm. hamboyr, d'origine incertaine. Le mot usuel à présent est k,ocna, racine koc-, cf. l'aoriste vakoce. Le même type de mot se retrouve en mingrèle : çuçua et $uda, j^una (voir Kipsidze, Grammatika mingreljskago jazyka, p. 393 et 416). * Publié déjà dans'la Norsk Tidsskrift for Sprogvidenskap,
VIII (1936).
Uosculum pads
AU CAUCASE
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L'aire de paci est pourtant plus étendue. Du géorgien il est passé en bats qui fourmille d'emprunts faits au géorgien. Schiefner, dans son Versuch iïber die ThuschSprache, le note pai. La perte du c en bats n'est pas surprenante. On rencontre le mot aussi en lak: nnaj dans la transcription d'Uslar {Lakskij jazyk, Tiflis, 1890), forme qui, phonologiquement, est paj (cf. Troubetzkoy, Caucasica, VIII, p. 32). Dans les autres langues caucasiques les mots pour "baiser" appartiennent à des types nettement différents de ce paci. Ainsi l'ingouche a bart (et bart baqqar "embrasser"), mot qui dénote aussi "paix, unité" et qui se retrouve en tchétchène avec ce dernier sens. Il rappelle vaguement le turc ban§ "paix". Pour "baiser" le tchétchène a uba qui est aussi le mot awar (Uslar: y6a uba, Avarskij jazyk, Tiflis, 1889). Ce type rappelle le mot hurkili (hiïrq'ili) ummaj (yMMaj dans la transcription d'Uslar) (Xiurkilinskij jazyk, Tiflis, 1892). Comparer aussi Myq {mue) en tabassaran (Dirr, Grammaticeskij ocerk tabassaranskago jazyka, Tiflis, 1905, p. 197). A l'origine le mot tabassaran a peut-être signifié "lèvre" (la langue possède actuellement un autre mot pour rendre ce sens), car "bouche" se dit muçmuç, comparer tchétchène baga, ing. bage, bats bak' (ou baka comme Schiefner écrit dans ses Tsch. Stud.) qui ne peuvent guère être séparés de géorg. bage "lèvre", bien que bats k' (k) : géorg. g fasse difficulté. On rencontre aussi des mots du type représenté par géorg. koe-, mingrèle çuçua, $uda, suna. Ainsi le mot ubych est guj (dans la transcription de Dirr, Caucasica, IV. p. 139) et l'abkhaz a gu$ Uslar, Abxazkij jazyk, Tiflis, 1887, cf. aussi Marr, Abxazsko-russkij slovarj, p. 31). Il est évident que les mots de ces types appartiennent aux formations de caractère onomatopéique qu'on retrouve aussi dans les langues indo-européennes : gr. xuvéw, ëxuaaa, got. kukjan, v.-norr. koss, anglo-sax. coss, v.-h.-a. kus. De l'anglais ce mot est passé en gallois d'où il a chassé l'ancien poc et où il paraît sous la forme cusan déjà chez Dafydd ap Gwilym dans la dernière moitié du XlVe siècle (prononcé actuellement kysan dans le Nord, kisan au Centre). Les mots du caucasique méridional et du caucasique du Nord-Ouest se rattachent à ce type. Ceux du caucasique oriental rappellent au contraire les types connus, par exemple, du lituanien : bùc (interjection), buciuoti "embrasser"; comparer de plus butsch dans les patois allemands de la Suisse et lat. basium, etc. (voir Schrader-Nehring, Real-lexikon, I, p. 668 et suiv. avec bibliographie et Kr. Nyrop, Kysset og dets historié, Copenhague, 1897). Les grandes langues de la région caucasique, le persan, le turc et l'arabe ont des mots totalement différents du paci géorgien: perse bus, bûsah, kâm dont les deux premiers se rattachent à des formes du Nord-Ouest de l'Inde, le turc a §eftali, l'arabe bâs. Le perse a aussi mâc, qualifié de "vulgaire", qui semble être une formation du type de tabassaran mue. Ce mâç a été emprunté par le pasto (cf. Morgenstierne, An Etymological Dictionary ofPashto, s. v. maca). Il a passé à l'hindi (macchï) et au paraôi (ma'cl, cf. Morgenstierne, Indo-Iranian Frontier Languages, p. 270). Il ne semble donc pas téméraire de chercher l'origine de géorgien paci dans Yosculum pacis de l'église romaine. La forme du mot ne fait pas de difficulté. Le p du latin et du grec est en géorgien régulièrement représenté par une occlusive à occlusion complète de
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Uosculum pacis
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la glotte, comparer palati "salle", lat. palatium ou plutôt gr.raxXdruov,7raXaTi, pafroni "patron", lat. patronus, gr. nti-cpcov, papiri "papyrus", gr.roxTUjpoç,lat. papyrus, paraskevi "vendredi", gr.TOXP«CTXSÙY],etc. L'affriquée c indique que le mot a été emprunté à une époque où la gutturale palatalisée avait évoluée en une affriquée chuintante dans l'Est de la Romania qui, on le sait, s'étendait à la Mer Noire. On trouve de même l'affriquée romane dans cilidonis çveni "chélidoine", mais ce mot peut être d'origine beaucoup plus récente, cf. ital. celidonia. La mission catholique a commencé en Géorgie vers 1650. keisari "empereur"ne prouve rien quant au traitement des emprunts latins, car il peut représenter gr. xaïffocp. On pourrait peut-être objecter que paci serait d'origine onomatopéique; il rappelle vaguement géorg. bage, mentionné ci-dessus. L'objection n'est pourtant pas valable, car la forme du mot se distingue nettement des onomatopées; et dans une onomatopée de cette sorte on ne s'attend pas à une occlusive avec fermeture de la glotte. Les onomatopées que nous avons vus ont des consonnes molles; le germanique n'y fait pas exception, car le mot a dû subir la mutation consonantique. Quelle que soit l'explication du géorgien Içocna qui contient un k appartenant à la série qui est accompagnée de la fermeture de la glotte, il ne faut pas oublier que le géorgien est situé dans une région qui contient de fortes mutations consonantiques. Bien que l'on pût, à la rigueur, expliquer le p de la même façon, les deux faits que paci recouvre exactement lat. pacem, pacis dont l'évolution dé sens trouve un parallèle dans le domaine celtique et que, à priori, l'on ne s'attend pas à un p dans un onomatopée pour "baiser", s'appuient mutuellement et montrent que nous sommes en présence d'un emprunt. Le fait que le mot géorgien est qualifié de "populaire", indique que nous avons devant nous un ancien mot qui s'est discrédité. Il ne peut donc pas dater de la mission catholique des temps modernes. poc chez les Celtes et paci chez les Géorgiens sont des témoignages intéressants de l'histoire de la coutume de Yosculum pacis aux confins extrêmes du monde romain.
S É M A N T I Q U E ET L E X I C O G R A P H I E * R E M A R Q U E S S U R LA T Â C H E D U
LEXICOGRAPHE
Les études sémantiques sont d'une grande importance pour la lexicographie. Toutefois, bien souvent les rédacteurs des grands dictionnaires unilingues procèdent au petit bonheur sans se servir de principes précis, ni pour la définition des sens des mots, ni pour l'établissement de l'ordre dans lequel les différents sens d'un mot polysémique doivent être rangés. Souvent la définition d'un mot contient plus d'éléments que ne contient ce mot lui-même, ou la définition du mot et le mot lui-même ne se couvrent pas, un verbe transitif, par exemple, étant défini par un verbe intransitif. Les différents sens d'un mot polysémique sont quelquefois rangés suivant une ligne de développement historique, quelquefois dans un ordre plus ou moins logique. Regardons d'abord le problème de la définition des sens des mots du point de vue du lexicographe. Il s'agit de définir des mots et non pas des choses. La tâche du lexicographe doit être d'analyser la signification complexe dans ses elements et, en faisant cela, de s'efforcer de réduire autant que possible tout arbitraire. Il s'agit de dissoudre les éléments qui sont fondus dans le sens lexical, de faire réapparaître, en reprenant une image employée par M. Benveniste, les éléments du spectre lexical en plaçant l'élément principal dans une catégorie plus générale représentée dans la langue. C'est ainsi que piéton ne doit pas être défini comme "celui, celle qui va à pied" (Littré, Hatzfeld, et Darmesteter), mais par "personne qui va à pied". Piéton appartient à une certaine catégorie des noms et ne doit pas être défini par un pronom. Autant que possible cette analyse doit se faire avec les éléments mêmes de la langue en question (cf. le procédé que M. Hjelmslev appelle un ex change test, voir Prolegomma to a Theory of Language, et sa discussion du terme définition, ib. p. 45). La définition doit pouvoir remplacer le mot défini dans une phrase ordinaire; si le sens du mot est lié à certains éléments du contexte, ces éléments doivent être indiqués entre parenthèses. La définition de piéton, citée plus haut, pêche aussi par le fait qu'elle ne peut être substituée au'à un mot avec l'article défini. Le mot occasionner nécessite un complément direct; la définition sera donc "être l'occasion de (quelque-chose), donner occasion à (auelque-chose)" 1 Il existe, pourtant, des cas où ce procédé n'est pas toujours pratique, ne donnant * Déjà publié dans la Norsk Tidsskrift for Sprogvidenskap, XVII (1954). 1 M. Hjelmslev dit, op. cit., p. 45, que les dictionnaires unilingues "have not hitherto aimed at a réduction and therefore do not yield définitions that can be immediately taken over by a consistently performed analysis". Toutefois, dans notre Norsk Riksmâlsordbok (1930-1957) nous avons tâché de suivre ce principe.
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SÉMANTIQUE ET LEXICOGRAPHIE
pas toute l'information nécessaire à une compréhension précise. Dans nos langues européennes, les noms de couleurs constituent des séries. Évidemment, certains d'eux se laissent définir par des moyens purement linguistiques, comme, par exemple, gris "qui est d'une couleur entre le noir et le blanc". Pour d'autres les dictionnaires se servent de faits extra-linguistiques, cf. par exemple blanc "qui est de la couleur du lait, de la neige, des pétales de la marguerite" (Littré), ou bleu "dont la couleur se rapproche plus ou moins de celle qu'offre un ciel sans nuages", ou enfin noir "dont la couleur, résultant de l'absorption de tous les rayons lumineux, produit sur l'organe de la vue l'impression d'une obscurité complète" (Hatzfeld et Darmesteter). Cette dernière définition introduit, on le voit, aussi une explication physique. Dans le Norsk Rilcsmàlsordbok, nous avons hesité sur les principes à appliquer, mais dans un certain nombre de cas nous indiquons la place de la couleur dans le spectre. Mais l'on devrait aussi indiquer, d'une façon systématique, la place de chaque couleur dans la série des noms de couleur de la langue en question et, de plus, les oppositions que l'on y trouve. Dans nos langues occidentales nous opposons le blanc au noir. En norvégien il existe une tendance à opposer le rouge au bleu, le premier étant la couleur du parti travailliste, le second celle des conservateurs. Dans une langue comme celle des Zuñi les noms de couleur forment une série curieuse fondée sur l'orientation dans l'espace. Le Nord est jaune parce que, dit-on, au lever et au coucher du soleil, la lumière y est jaune; l'Ouest est bleu, à cause de la lumière bleue qu'on y voit au coucher du soleil. Le Sud est rouge par ce que c'est la région de l'été et du feu qui est rouge. L'Est est blanc parce que c'est la couleur du jour. Les régions supérieures sont bariolées comme les jeux de la lumière dans les nuages; les régions inférieures sont noires comme les profondeurs de la terre. Quant au "milieu", nombril du monde, représentant de toutes les régions, il en a, à la fois, toutes les couleurs (Durkheim et Mauss, Vannée Sociologique, VI, p. 36). Pour une compréhension précise, il faudrait donc, dans certains cas, combiner des faits extra-linguistiques avec des éléments purement linguistiques. En prenant, par exemple, le fr. orangé, ce mot doit être défini par sa place dans la série des noms de couleurs en français, sa place dans le spectre et par le fait qu'il n'est pas simple, mais un dérivé d'orange. Dans bien des langues nous trouvons des "mots" qui ne se laissent définir par aucun de ces procédés. A la préposition de du français ou of de l'anglais on ne pourra substituer d'autres éléments du français et de l'anglais respectivement. Dans ces cas il faut remplacer la définition par une description de la fonction du mot. Il en est de même de l'anglais on ou in, ou du norvégien pà ou i quand ces mots sont des prépositions. Mais fait caractéristique qui distingue l'usage anglais et norvégien de l'usage français ou irlandais, par exemple, ces mots peuvent aussi être des adverbes et se laissent alors définir par une substitution, cf. angl. a war is on, norv. kongen med krone pà "le roi avec une couronne sur la tête". En français et en irlandais on trouve des formations spéciales correspondant aux adverbes anglais et norvégiens, cf. dans : dedans, irl. mod. i "en, dans" : ann, isteach, etc. Le dictionnaire doit marquer systématiquement la différence entre le sens lexical et la fonction d'un mot d'outil.
SÉMANTIQUE ET L E X I C O G R A P H I E
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L'exposé des différents sens du mot polysémique pose des problèmes spéciaux. Les grands dictionnaires historiques unilingues comme Y Oxford Dictionary, le Dictionnaire de ¡a langue française de Littré, le Deutsches Worterbuch de G r i m m , YOrdbog over det danske sprog, etc., ne suivent pas toujours la ligne historique dans la façon dont ils rangent la suite des sens. D ' a u t r e s dictionnaires suivent plus ou moins un ordre supposé logique. 11 va de soi q u ' u n dictionnaire de caractère historique doit suivre le principe historique pour ce qui est de la suite des différents sens du mot polysémique. Là ou l'information précise fait défaut, cette suite peut être rendue assez vraisemblable par les principes de la sémantique historique. Mais ces principes ne peuvent pas être appliqués d'une façon mécanique. Le même mot, dans deux langues différentes, peut suivre des développements dans des directions opposées quand le m o t est, dans l'une des langues, un emprunt à l'autre langue. Les emprunts sont généralement faits par des groupes sociaux, qui adoptent le mot dans un sens spécialisé d'où se développe plus tard un sens général. Ainsi le norvégien bukkel a été emprunté avec le sens de "bosse d ' u n bouclier", ou bien directement, par l'intermediaire du v. norr. bukl, au v. fr. bocle, ou bien à l'allemand buckel, lui-même un emprunt au français, et ce n'est que plus tard qu'il a acquis le sens général de fr. boucle. Il serait, pourtant, possible de ranger les sens d'un mot polysémique suivant des principes structuraux. M. Kurylovvicz (dans une communication à un rencontre de linguistes qui a eu lieu à Nice en 1951) a proposé une méthode pour distinguer, du p o i n t de vue synchronique, entre la fonction primaire et la fonction secondaire d'un mot. 11 donne c o m m e exemple fr. fossoyeur qui signifie à la fois "personne qui creuse les fosses dans un cimitière" et un insecte, le necrophorus vespillo. Le critère objectif qui permet de décider des caractères de ces deux sens est le caractère de suffixe dérivatif de -eur qui permet de former des n o m s de personnes. C'est dans ce sens que -eur est productif. Les formations en -eur qui désignent des instruments ou des animaux sont motivés par l'intermédiaire des noms d'agent. Dans les cas de synonymie, M. Kurylowicz montre comment la valeur affective peut servir de critère là où l'un des sens possède cette valeur, cf. fr. âne 1. animal, 2. personne stupide ou obstinée. Le dernier peut être remplacé par le terme neutre sot. Le norvégien plugg signifie à la fois "cheville, petit tenon de bois" et "petit garçon fort, costaud". Ici c'est le premier sens qui est le sens propre, le second pouvant être remplacé par le terme neutre " k r a f t i g smâgutt". Il en est de même des deux sens de l'anglais cub, par exemple. Le même procédé peut être appliqué dans des cas où l'un des sens n'a pas de valeur affective. Prenons par exemple norv. bryst qui signifie à la fois "poitrine" et " m u r de pignon". Ce dernier est le sens figuré, aussi du point de vue synchronique, car le premier sens ne se laisse pas remplacer par un autre mot de la langue tandis que le second sens est égal à "vegg, gavlvegg". Le sens propre n'est q u ' u n cas spécial du sens primaire opposé au sens secondaire ou dérivé. Dans un mot polysémique le sens primaire peut être défini c o m m e celui qui réunit des éléments importants des autres sens du mot. D a n s le mot français opération,
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SÉMANTIQUE ET LEXICOGRAPHIE
le sens primaire du mot est "fait d'opérer". Mais le sens primaire n'est pas toujours identique au sens étymologique. En norvégien gys signifie "fait de frisonner d'horreur", cf. le verbe gyse „frissoner d'horreur". Historiquement ce sens provient du sens "quelque chose qui fait frisonner d'horreur", qui du point de vue synchronique paraît comme dérivé. Ce dernier sens, de son côté, s'est développé du sens "souffle fort et froid" dont le caractère dérivé, du point de vue synchronique, est appuyé par son caractère poétique et archaïque. De même, le sens "bosse d'un bouclier" du norv. bukkel, mentionné plus haut, paraît, du point de vue synchronique, comme dérivé du sens général "boucle" qui est secondaire historiquement. Enfin, on pourra établir un autre genre d'hiérarchie entre les différents sens d'un mot polysémique. Dans beaucoup de mots il existe un sens dominant qui peut différer du sens primaire. En norvégien le sens primaire de borgerlig est "qui appartient au, est caractéristique du borger, du citoyen", mais le sens dominant est politique et s'oppose à sosialistisk ou kommunistisk. Bréal a montré à propos du mot opération, comment le sens dominant varie selon les professions et les classes sociales (Essai de sémantique, 6e éd., p. 285). Le dictionnaire historique doit donc appliquer des principes historiques à l'exposé des sens des mots, le dictionnaire synchronique des principes de caractère structural. Quand il s'agit de l'enregistrement des "mots", toutefois, - je ne peux pas ici entrer dans la question de la définition de ce terme qui est d'importance secondaire pour la question qui nous occupe - on doit suivre un principe synchronique. Les deux espèces de dictionnaires doivent prendre comme point de départ le vocabulaire tel qu'il est à un moment donné. Il existe des cas ou des plérèmes identiques, pour employer la terminologie de M. Hjelmslev, ont des contenus différents qui ne se laissent pas réunir dans un sens primaire (cf. aussi J. Holt, Rationel semantik, chap. 3), bien qu'ils soient historiquement identiques. Nous avons en norvégien le verbe nippe qui signifie à la fois "pincer, éplucher, déguster (en appliquant les lèvres un petit moment au verre), manger du bout des lèvres, à peine goûter" et "sommeiller légèrement". Historiquement le mot est un emprunt au bas-allemand ou au néerlandais nippen. Le lien entre ces deux sens a dû être celui de "cligner des yeux" qui n'existe plus en norvégien. Dans ce cas on doit enregistrer deux mots différents. Il sera nécessaire d'élaborer des principes lexicographiques précis aussi bien pour le dictionnaire historique que pour le dictionnaire synchronique.
P R I N C I P L E S OF U N I L I N G U A L DICTIONARY
DEFINITIONS*
In this report we will deal with the principles which we think ought to be followed in the definition of meaning in unilingual dictionaries and in the exposition of the different meanings of polysemantic words. By unilingual dictionaries we understand dictionaries in which the words and the definitions of them belong to the same language. Such dictionaries raise problems quite different from those which confront the author of a bilingual or multilingual dictionary, problems which fall outside the scope of this report. Two main types of unilingual dictionaries may be envisaged: (1) the historical dictionary giving the history of the word and the historical development of the different meanings of the polysemantic words, that is a diachronic dictionary, and (2) the synchronic dictionary which would be different from the historical dictionary as far as the polysemantic words are concerned. This type of dictionary would have to apply a structural point of view, distinguishing between primary and secondary meanings from the purely synchronic point of view. As examples of the historical dictionaries one may mention from Western and Northern Europe : A New English Dictionary on Historical Principles ("The Oxford Dictionary", 1888-1933); Littré, Dictionnaire de la Langue Française (1873-1877); Hatzfeld et Darmesteter, Dictionnaire Général de la Langue Française (1895-1900); J. and W. Grimm, Deutsches Wörterbuch (1854-1960); Ordbog over det danske Sprog (1919-54); Svenska Akademiens Ordbok (1893); and Norsk Riksmâlsordbok (1930-57). If one examines most of these dictionaries one notes that the historical principle is not systematically applied in the exposition of the succession of meanings. Often the order seems to be a so-called logical one. It seems obvious that an historical dictionary must apply the historical viewpoint also to the exposition of the different meanings of the polysemantic word. The oldest meaning is not necessarily the primary or the dominant one. A characteristic example of the confusion of the two points of view is seen in several dictionaries in the definition of the word for "father". The original meaning in Indo-European of the word was, as is well known, that of pater familias. If physical fatherhood was to be stressed a word corresponding to Latin genitor, * Originally published in Proceedings of the Vllhh 1958), in collaboration with Trygve Knudsen.
International
Congress of Linguists
(Oslo,
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PRINCIPLES OF UNILINGUAL DICTIONARY DEFINITIONS
Sanskrit jánitá, was resorted to. But in the modern Teutonic or Romance languages the meaning of physical fatherhood is dominating and has led Littré to range the meaning: père de famille "le maître de maison" after the first which runs: "celui qui a un ou plusieurs enfants". Similarly Hatzfeld and Darmesteter have: "celui qui a engendré un enfant", and, by extension: le père de famille "le chef de la famille". In many cases one will lack the necessary data for a factual determination of the succession of meanings. In this case the principles of historical semantics may be of help. Formal criteria may be an indicator. Thus in Modern Norwegian and Danish there are many derivations in -ing (cf. English -ing, German -ung) which designate an action and also persons in a certain function. Here the formal criterion shows that the first meaning is also the first one in time. As a rule one may say that a meaning which contains an objective statement is older than one which implies a subjective valuation. In Norwegian kvinnelig has the meanings of English female (e. g. kvinnelig akademiker) and feminine (kvinnelig veseri). The first meaning is evidently primary from the historical point of view. It is, however, impossible to establish mechanical rules of sense development. The same word may follow opposite lines of development in two different languages when it is, in one of the two, a loan-word from the other. Latin fustis "staff, club" was adapted by Old Irish in the specialized meaning of "flail" (súist). From Irish it passed into Old Norse in the forms of púst, pústr or súst (Mod. Norw. tust or sust), and here it has, secondarily, developed the general sense of "staff". A special case is seen when a meaning belonging to an earlier period is added to the current meanings of a word. This is found quite frequently in Norwegian literature. Thus fant in modern Norwegian has the following meanings: (1) tramp; vagabond; (2) fellow (used jocularly, irritatedly or contemptuously). It was introduced into late Old Norse ( f a n t r ) from Middle Low German (where it is a loan-word from Italian), and has there the meaning of "servant, messenger", a meaning which Sigrid Undset uses in several of her historical novels. This sense must be put first in the series of Norwegian meanings with the special mention that it has been resumed from Old Norse. A unilingual dictionary is possible because a great number of the words of a language have complex meanings which may be dissolved into different elements rendered by other words. Thus triangle may be dissolved into: geometrical figure with rectilineal sides forming three angles. The principal element of the complex meaning must be placed in a more general linguistic category. Therefore definitions such as the Oxford Dictionary's of pedestrian: "one who goes or travels on f o o t " may be criticized. The definition ought to be "person who goes or travels on foot". In the Norsk Riksmálsordbok we have endeavoured to apply these principles which correspond to those of Hjelmslev's exchange tests1 several years before he published
1
Prologomerta
to a Theory of Language, p. 45.
PRINCIPLES OF UNILINGUAL DICTIONARY DEFINITIONS
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his theory. 2 The definition ought to be able to replace the word in an ordinary sentence; therefore an indefinite word (that is without the definite article) cannot be replaced by a definite one. The dictionary must also take the distribution of the different words into consideration, not only by labelling them as belonging to a certain word category such as noun, adjective, verb, etc., but, where necessary, by indication of the nature of the context required. This can be done, for example, by indicating in brackets the nature of the context. Thus the English verb to occasion needs an object and is rightly rendered by "to give occasion (to a person)" in the Oxford Dictionary, and in Hatzfeld and Darmesteter occasionner is translated by "être l'occasion de (qqch)". Much too often, however, one finds in certain dictionaries that, for example, transitive verbs are translated by intransitive ones and vice versa. In addition the different levels of the words must be indicated, whether they have a literary, familiar or technical character, for example. And it must be borne in mind that there will always be a difference, at least in style, between the word and the complex of elements into which its meaning is dissolved. This is even more true of the synonyms which ought to have their special character indicated. There are words, however, for which it may be difficult or even impossible to find substitutes. The colour words are a case in point. For grey the Oxford Dictionary has : "the adjective denoting the colour intermediate between black and white, or composed of a mixture of black and white with little or no positive hue; ash-coloured, leadcoloured", whereas Littré defines gris by substitution: "qui est de couleur entre blanc et noir, de couleur de cendre". For black the Oxford Dictionary has a description partly of a physical nature, and Hatzfeld and Darmesteter also gives a physical explanation : "dont la couleur, résultant de l'absorption de tous les rayons lumineux, produit sur l'organe de la vue l'impression d'une obscurité complète". In such cases it would be necessary to adopt a consistent procedure, to find substitutable elements accompanied by the necessary explanations (in brackets, for example). There are other elements which according to traditional grammar are regarded as "words" - we cannot here enter into the vexed question of defining the "word" - but which cannot have their meaning analysed in the same way as an ordinary noun, adjective or verb. In such cases the dictionary will have to describe their functions. This is the case of prepositions, the English preposition of or French, de, for example. In Norwegian adverbs are substitutable in their ordinary functions, such as opp " u p " or i "in", but not when they are used to denote a special verbal aspect (e. g. skrike opp or skrike i "call out (suddenly)"). Other adverbs may be in the same case, such as the so-called "sentence modifiers", e. g. Norwegian ve/ when it is used to indicate that the
* It may not have been rigorously applied in the first fasciculi from 1930-31 as, for financial reasons, we had to begin publication before we had found the final form. It is characteristic of the lack of interest in lexicological technique that no one seems to have noticed the procedures used in our dictionary.
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PRINCIPLES OF UNILINGUAL DICTIONARY DEFINITIONS
speaker believes what is said to be correct, as far as he is able to judge (e. g. det er vel sd "I suppose it is, I dare say"). The problems of the synchronic dictionary are more difficult to solve. As far as we know no dictionary exists which has tried systematically to apply structural principles to the exposition of word meanings. In fact, the degree of feasibility of a synchronic dictionary will depend upon to what extent meaning may be said to be structured. The main task as far as the succession of meanings is concerned will be to distinguish, by linguistic criteria, wnat may be said to be the primary meaning of a word and what may appear as secondary. In a communication to a meeting of linguists in Nice in 1951 Kuryiowicz proposed a method by which one could distinguish, from the syncnromc point of view, between primary and secondary meanings of a word. As example He gave French fossoyeur which signifies both a gravedigger and the insect nectephorus vespillo. The criterion which permits a distinction between the nature of the two meanings is the fact that -eur is a suffix used to form words for persons in a certain function. It is when used with the latter meaning that the suffix is productive. Derivations in -eur which denote animals or instruments are motivated. It is obvious, however, that only a limited number of words may have their meanings classified according to such an objective criterion. In cases wnere one of the meanings is of an affective character, being a value judgment, this affective characier is an indication of the secondary nature of the meaning. The word ass is an example. The meaning "stupid person" is secondary also from the synchronic point of view - here the diachronic and synchronic points of view coincide. If a word has different meanings of which one can only be substituted by a decomposition into different elements and another which is (more or less easily) replaceable by a synonym, the latter is secondary. In Norwegian bryst means "breast (the upper front part of the body, between the shoulders, neck and abdomen)" and also "gabie-wall". In the latter sense it is replaceable by gavl. As we have pointed out already, the primary meaning, from the syncnronic point of view, may be secondary diachronically. Take the Norwegian word gys. Synchronically the meaning "a shudder" is primary; it serves as verbal noun to gyse which means "to shudder, to shiver (of fright or cold)". But historically that meaning is secondary. In older and still in poetic language the original meaning of gys: "strong, cold gust of wind" is found, a sense which once existed also in the verb, but which now is lost. The primary character of the meaning of "a shudder" from the synchronicai point of view is determined by the relation between gys and gyse and by its archaic-poetic character. The primary meaning of the word, established by means of formal criteria, is different from what may be termed the dominant meaning. The latter will be dependent on extralinguistic factors. Bréal showed in his Essai de Sémantique how for example the dominant sense of the French word opération will vary according to the social group to which the speaker belongs. In this case there will even be individual variations. How the dominant sense may differ from the primary may be illustrated by
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Norwegian borgerlig: The meaning "civic", determined by borger "citizen", is the primary one, but the dominant one for many Norwegians is political, opposed to sosijlistisk or kommunistisk. Both an historical and a synchronic dictionary must start from the linguistic system of a given time. Both dictionaries will therefore be confronted with cases of meanings which can be shown historically to belong to one and the same word, but which cannot be reduced to a primary meaning. In this case both dictionaries ought to adopt the synchronic procedure and register different words though the historical dictionary may of course in its etymological notes give the relevant historical information. A case in point is Norwegian nippe, a loan-word from Low German or Dutch nippen. It means "to sip (applying the lips lightly and rapidly to the cup)" and also "to dose". It once also meant "to wink (the eyes) rapidly". From the synchronic point of view nippe must be regarded as a case of homonymy. In this report we have been able only to point to some of the main problems which a lexicological theory ought to solve. What is said about the character of the synchronic dictionary must necessarily be of a tentative character. The establishment of the principles of such dictionaries is a particularly urgent task as they will be of great importance to bilingual dictionaries. A synchronic exposition of lexical meanings will have practical advantages and make bilingual dictionaries more easily usable than most of them are today.
V I E U X F R A N Ç A I S CURT, CURTEIS
ET
CURTEISIE
EN N O R V É G I E N ET E N I S L A N D A I S *
Des mots français ont dû entrer en nombre appréciable dans les langues scandinaves déjà à l'époque des courses des vikings. Au début du XHe siècle, grâce au prestige de la chevalerie française, tout un groupe de mots de caractère chevaleresque a été emprunté par le vieux-norrois. La plupart de ces mots ont probablement été appris chez les Anglo-Normands, les relations avec l'Angleterre étant particulièrement proches depuis le début de l'époque des vikings. Le latin et le français étaient les langues qu'il fallait apprendre. Ainsi le texte norvégien, nommé le Spéculum Regale ou, en norvégien, le Konungs Skuggsjâ, écrit par un haut ecclésiastique vers 1260, dit: "Si tu veux avoir parfaite connaissance, tu apprendras toutes les langues, mais surtout le latin et le français, car ces deux langues vont le plus loin." 1 Un certain nombre d'emprunts sont d'origine littéraire. Le roi Hâkon Hâkonarson (1217-1263) faisait traduire des œuvres françaises, ainsi, par exemple, le Roman de Tristan. Un groupe de mots du vocabulaire chevaleresque qui a fait fortune est le vieux français curteis et ses dérivés. Les mots en question ne se trouvent pas dans les manuscrits norvégiens qui datent d'avant 1250,2 mais le dérivé kurteisi "courtoisie" est attesté dans le manuscrit islandais AM 645 4°, écrit d'une main datant d'environ 1220.3 Il n'est pas nécessaire de poser un intermédiaire moyen-anglais pour kurteiss et kurteisi ainsi que le fait Frank Fischer4, sans doute parce que la diphtongue française ei a été différenciée en oi avant le milieu du XHe siècle. Toutefois, oi a été inconnu du norvégien et de l'islandais et ei correspond aussi bien à Yei français qu'à Yoi. C'est ainsi que Loire et Poitou sont représentés par Leira et Peita chez les skalds Ottarr Svarti et Sighvatr, cités par Snorri Sturluson.5 Les vers des skalds datent du Xle siècle, mais Snorri, qui écrivait au milieu du Xllle siècle, a la forme Peituland. Peituborg était l'appellation norroise de la ville de Poitiers. Comparer aussi le nom de personne * Publié déjà dans Etymologica. Walther von Wartburg zum siebzigsten Geburtstag (Tûbingen 1958). 1 Ef pu uilt uerôa fullcomenn i froôleik pa nemâu allar mallyzkur en allra hellzt latino oc uolsku puiat pœr tungur ganga uidajt, édition de Holm-Olsen (1945), p. 129. » Cf. A. Holtsmark, Ordforrâdet i de eldste norske hàndskrifter til ca. 1200 (1955). ' La forme kyrteisi du manuscrit est due à une erreur du scribe qui a pris un v insulaire d'un original norvégien pour y; cf. D. A. Seip, Palaografi (1954), p. 52. * Die Lehnwôrter des Altwestnordischen (1909), passim. ' Dans la Saga de St. Olav, chap. 19.
VIEUX FRANÇAIS
curt, curteis
ET
curteisie
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Renfrei dans la Karlamagnùssaga qui est français Rainfray, Rainfroy. Cette saga date du XlIIe siècle. Kurteiss, kurleisi avec des dérivés comme kurteisligr (adj.) et kurteisliga (adv.), sont fréquents dans les sagas. On les trouve dans les sagas dites chevaleresques, traductions ou remaniements d'oeuvres étrangères, telles que la Karlamagnùssaga, traduction d'originaux français du cycle de Charlemagne, ou la Tristramssaga ok Isondar, traduction du Roman de Tristan. Ils apparaissent aussi dans la piôrekssaga, du milieu du XlIIe siècle, qui semble être une traduction en prose de poèmes allemands. Ce sont là des textes norvégiens. Mais on les trouve aussi dans les grandes sagas islandaises, dans la Laxdoelasaga, dans YEyrbyggjasaga et dans la Njâlssaga, par exemple, de plus dans les genres de sagas de contenu merveilleux, appelés fornaldarsçgur, et dans la prose religieuse. Mais la poésie ne les connaît que très tard. On en a un exemple dans un vers de la Hjalmpérssaga : i hçll skalt ganga ok hilmi luta, kvedja kurteisliga konung enn stôrrâda "tu entreras dans la salle et t'inclineras devant le souverain, tu salueras le roi magnanime", 6 et deux exemples dans la poésie religieuse, un dans les Mdriuvisur, un autre dans la Meyadrâpa. La Hjalmpérssaga date de la fin du moyen âge, les poèmes de même. Les mots en question sont très en vogue dans les poèmes islandais du XVe siècle appelés rimur. On y trouve aussi kurt (f.) ou kurtr "usage, manières de la cour", emprunté au vieux-français court, cort\ au neutre kurt signifie "cour royale". Le sens de kurteiss est donc celui du français: "courtois, distingué, bien elevé", cf. des exemples comme kurteiss madr " h o m m e courtois", riddari kurteiss ok vaskr "chevalier courtois et brave", vœn kona ok kurteis "femme jolie et bien élevée". Le mot est employé aussi avec le sens de "digne, imposant, beau, bien fait" 7 . Et kurteiss et kurteisi peuvent désigner "vaillant" et "vaillance", respectivement. Ce dernier sens se trouve déjà dans le premier exemple que l'on connaît: talpe hoti afleipes poca of kyrteise carlaNa "elle disait que la vaillance des hommes s'en allait déclinant". 8 Le mot kurt (f.), kurtr (m.) a, en plus du sens ordinaire de "usage, manières de la court", acquis le sens de "splendeur, pompe", cf. par var margr heidingi mikilâtr af drambi ok ofmetnadi. . . svadadir up i kurt ok veraldligt skart "il y avait là maint payen superbe, rempli d'orgueil et d'arrogance . . . (des gens) parés avec somptuosité et ostentation". 9 Ainsi que le fait remarque Frank Fischer, 10 dans l'ancienne poésie c'est prûdr, emprunté à l'anglo-saxon, qui occupe une partie du champ de kurteiss ; cf. des exemples comme prudir hirdmenn "des gardes royaux vaillants", prudar ekkjur " d e belles femmes". Ce groupe de mots ne semble pas être entré par la littérature, la première traduction dont le roi Hâkon a pris l'initiative ne datant que de 1226. Il s'agit de mots qui étaient • ' ' •
F. Jônsson, Skjaldedigtning, B II, p. 359. Comparer les exemples dans les dictionnaires de Cleasby-Vigfùsson et de Fritzner, s. u. L. Larsson, Islàndska handskriften No 645 40 (1885), p. 10. Karlamagnùssaga ok kappa hans, ed. Unger (1860), p. 168. 10 Fischer, op. ciy., p. 191.
kurteiss.
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VIEUX FRANÇAIS
curt, curteis
ET
curteisie
devenus internationaux en Europe, cf. moyen-anglais curteis, corteis, curteisye, cortesye, moyen-haut-allemand kurtois, kurteis, kurtoisie, kurtôsie. En norrois kurteiss a subi la concurrence de hoeve(r)skr, du moyen-haut-allemand hovesch, lui-même un calque de curtois, avec les dérivées hoeverska, hoeverski, hoeverskligr. On les trouve combinés : kurteiss ok hoeverskr, cf. également Olafr .. . heilsade hofdingia kurtœisliga ok alla pa kvadde hann haeuerskliga "Olaf salua le chef courtoisement et adressa tous poliment". 11 C'est le mot allemand qui est resté en norvégien moderne sous la forme de hovisk. C'est là le mot littéraire et solennel, tandis que hoflig "poli", emprunté à l'allemand höflich ou au bas-allemand hovelik, est le mot de tous les jours, et kurtoa (orthographe moderne pour plus ancien kurtois) appartient plutôt à la langue des gens à éducation littéraire et a le sens de "courtois, surtout envers une dame". C'est un emprunt assez récent au français moderne; kurtoasi, au contraire, est attesté en danois depuis la fin du XVIle siècle et a dû être employé aussi en danonorvégien. L'islandais, comme il s'était à attendre, a gardé les deux groupes : kurteis et hœverskur signifient tous les deux "poli" et aussi "modeste". De même, langue des Iles Féroé ont gardé kurteisligur, (adj.), kurteisi, hoviskur, tandis que kurteis ne se trouve que dans les vieux poèmes. Récemment, pourtant, kurteis et kurteisi ont été réintroduits en norvégien par Sigrid Undset et appartiennent maintenant au vocabulaire archaïsant du norvégien. Undset s'en sert dans ses romans du Moyen-âge, par exemple : en kurteis ung hovmand"un jeune homme de cour affable", 12 en mand der eiet ridderskik og kurteisi "un homme qui montrait une conduite chevaleresque et courtoise." 13
11 ia 13
Flateyarbôk, éd. Unger (I860), I, p. 79. Olav Audunssen i Hestviken (1925), vol. I, p. 217. Kristin Lawansdatter. Kransen (1923), p. 64.
FIFTH
P
ART
GERMANIC L A N G U A G E HISTORY
NOTE ON T H E D E V E L O P M E N T OF U N S T R E S S E D E N G L I S H E INTO / *
Unstressed vowels are reduced in different ways in different languages. In languages where the main syllable of the word is strongly stressed, unstressed vowels are relaxed to a mixed "neutral" vowel and may finally be dropped altogether. That is the case of Germanic languages or of North Irish, for instance. But in languages where the individuality of all vowels is retained and "neutral" vowels do not occur, the reduction does not take the form of a relaxation. In such languages vowels outside the accented syllable are apt to be reduced in quantity; they are pushed towards higher positions passing by i or u before they disappear, because under equal circumstances the closer and therefore higher vowels are shorter than the lower ones (cf. Meillet, M.S.L., XXI, p. 108, sqq.). These forms of reduction are general linguistic tendencies. But they are not of an absolute character. Under certain conditions unstressed vowels may be closed also in languages which have strong stress. An unstressed a has been raised to i between palatal consonants in North Irish. If special circumstances, e.g. the morphological system of the language, require that unstressed vowels are retained, they may be closed in order to resist the reduction tendency, because a tensely articulated phoneme is more resistent than a lax one. An excellent illustration of this principle is found in English. As is well known Middle English unstressed e representing Old English a, e, i, o, u, mostly disappears except in the following cases: In the plural ending -es when preceded by s, z,f, j , e.g. horses, roses, wishes, bridges, etc. In the preterite of weak verbs ending in a dental, e.g. waited, wounded. In the ending of a superlative -est, e.g. hardest. In the 2 and 3 sg. of the present tense in the old endings, -est, -eth, e.g. hearest, heareth. In ordinals, after -ty, e.g. twentieth. (Cf. Jespersen, A Modern English Grammar, I, chapter VI). In the first two cases the presence of the e is due to morphological causes; it has been retained "for the sake of distinctness" as says Sweet (New English Grammar, I, § 997). If the e had disappeared, the grammatical function of the forms would have * Originally published in the Miscellany O. Jespersen (1930).
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THE DEVELOPMENT OF UNSTRESSED ENGLISH e INTO /'
been obscured, as in the first case the opposition between the singular and the plural in the second case that between the present and the preterite would have been abolished. In the ending -est of the superlative the e could not disappear without creating complicated consonant groups, unusual in English. The presence of the e in the verbal endings -est, -eth is due to similar circumstances, but especially to their being literary forms which do not occur in ordinary language. In all these cases the e has been raised to a lax /'. The pronunciation of the -eth of the ordinals as -dp or -ip is explained through the influence of spelling (cf. Sweet, New English Grammar, I, 1172), the a being caused by the differentiating tendency of the preceding i (or j, e.g. twentbp, twentjap). The same tendency towards raising an unstressed e to a lax i which is more resistent than the a, is at work in all cases where English still maintains an unstressed e and also where other vowels have been reduced to an a which then develops into i; cf. Jespersen, A Modern English Grammar, I, Chapter IX, and Daniel Jones, An Outline of English Phonetics, 2nd ed., 373 sqq. Circumstances similar to those indicated above prevent the e (a) from being dropped. The influence of spelling helps to maintain the vowels; the disappearing of the unstressed e would have given rise to unusual consonant groups, e.g. in college, basket, prophet, prospect, before, behind, declare etc., or it would have obscured the form of suffices or would have suppressed them altogether, e.g. in happiness, duchess, hostess. The general tendency of vowels towards being reduced to a "neutral" vowel in languages with strong stress may thus be counteracted by special circumstances.
N O T E S U R LE P R É T É R I T DES V E R B E S FAIBLES G E R M A N I Q U E S *
M. Sverdrup s'est rallié à l'avis des linguistes qui voient, dans le prétérit des verbes faibles germaniques, un composé dont le second terme est la racine indo-européenne *dhë-. Les formes germaniques constituent, d'après lui, un système représentant un mélange d'anciens aoristes et d'anciens parfaits. Je ne discuterai pas cette hypothèse en elle-même; car je crois que l'explication de M. Sverdrup est juste. Mais il sera possible, il me semble, de préciser un peu plus que ne l'a fait M. Sverdrup, le caractère du premier terme du composé. Il est évident que le premier terme des verbes prétérito-présents est un ancien nom radical. Les noms radicaux ont été beaucoup plus fréquents, à l'époque de l'indoeuropéen, qu'on ne le croirait si l'on regardait seulement l'état connu des différentes langues indo-européennes. On possède en védique un nombre assez considérable de noms qui sont identiques à la racine à l'état nu, souvent au degré zéro. Certains d'eux font fonction de noms d'action, d'autres sont des noms d'agent; ces derniers font souvent fonction d'adjectifs. Les noms verbaux sont particulièrement fréquents en tant que second terme de composé, ce qui est peut-être d'origine secondaire. Certains cas de ces noms sont souvent employés comme des infinitifs. 11 n'est donc pas trop hardi de supposer que les prétérits qui ne possèdent pas la soi-disante voyelle de liaison ont, pour premier terme, un ancien nom radical indo-européen. Ainsi à got, wissa correspond véd. vid, f. "savoir" et aussi -vid comme second terme de composé. A got. paurfta on peut comparer véd. -trp, p. ex. paçu-tfp, à got. gadaursta, l'infinitif védique dhfse. Le même nom verbal figure comme second terme de composé. De plus on peut comparer v.-h.-a. muosa à véd. pra-md, got. a ih ta à skr. fç "maître, souverain"; cette dernière étymologie est douteuse, mais l'existence du type sanskrit est d'importance. Enfin à got. bauhta peut être comparé véd. bhuj-, inf. bhujé. Il n'est pas nécessaire de supposer que got. munda ait perdu un i comme le fait M. Sverdrup. Le premier terme peut être un ancien nom radical de la racine *men-, nom qui n'a subsisté nulle part à l'état indépendant. On s'attendrait à trouver une trace de l'ancienne nasale de l'accusatif dans les * Extrait d'observations présentées à la soutenance de la thèse de M. J. Sverdrup, cf. N.T.S., II, p. 5 et suiv., III, p. 359. - Déjà publié dans la Norsk Tidsskrift for Sprogvidenskap, IV (1930).
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LE PRÉTÉRIT DES VERBES FAIBLES GERMANIQUES
composés germaniques puisque ces noms sont généralement féminins en grec. Cependant, quand on se souvient de ce qu'on sait maintenant sur le caractère du genre en indo-européen, il est permis de supposer que les noms en question ont été neutres, du moins quand ils complétaient des verbes. M. Sverdrup aurait dû prendre en considération l'ancien composé bien connu : véd. çrad-dhâ-, av. zraz-dâ-, lat. crëdô, v.-irl. cretim. Ce composé est du même type que les composés germaniques. Le premier terme doit être le nom du cœur; il ne peut pas être séparé de lat. cor, lit. sirdis etc. (pour skr. hrd-, av. zarad-, voir Meillet, Introduction5, p. 141). Il est significatif qu'en celtique ce nom, à l'état indépendant, a été élargi par un suffixe secondaire tandis que l'ancienne formation s'est maintenue dans le composé. Il n'est pas nécessaire de supposer, ainsi que le fait M. Sverdrup (p. 96), que got. wissa, kunpa soient des formes plus récentes que les autres prétérits. Nous ne savons pas comment un *wid-dh- serait représenté en germanique. On ne peut rien conclure de got. gazds qui représenterait un ancien *gadh-dh- ; l'étymologie de ce mot est incertaine. M. Sverdrup insiste lui-même sur le rôle qu'a joué l'adjectif verbal en -to- dans l'évolution du prétérit germanique en -t-. Le groupe -ss- peut donc venir de l'adjectif verbal *wid-to- > *wit-to- > *wissa-. Pour ce qui est de kunpa, l'adjectif verbal a pu l'influencer également. Certains faits semblent indiquer qu'on a tendu à distinguer un *kunda- "né" d'un *kunpa- "connu". L'opposition kunpa: munda au prétérit n'est donc pas plus suprenante que l'existence de cette opposition dans les formes de l'adjectif verbal. Il est donc vraisemblable que les prétérits faibles sans voyelle de liaison sont des formations très anciennes. M. Sverdrup n'examine pas de plus près la forme du premier terme du second groupe du prétérit faible. D'après ce que nous avons vu il est naturel d'y chercher d'anciens accusatifs : *-à m/n > -ô m/n, *-