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French Pages 479 [480] Year 2016
DEVENIR JAPONAIS
Hélène Vu Thanh
Devenir japonais La mission jésuite au Japon (l 549-1614)
Préface d'Alain Talion
PUPS
Les PUPS sont un service général de funiversité Paris-Sorbonne
©Presses de funiversité Paris-Sorbonne, 2016 ISBN : 979- I0-2 3 I-0 5OO- I
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PRÉFACE
La mission du Japon a sans nul doute été celle qui a le plus fait rêver l'Occident catholique au XVIe siècle et son destin tragique, en ajoutant la palme du martyre, confirma sa similitude avec les temps apostoliques qui enthousiasmaient tant de catholiques traumatisés par la crise religieuse de la chrétienté européenne. Le voyage de princes chrétiens japonais auprès de Philippe Il et de Sixte Quint fut un des moments de triomphe de cette mission, tout comme, de façon presque posthume cette fois, la canonisation en I 622 de François Xavier. D'autres utopies missionnaires jésuites allaient bientôt s'ajouter à l'imaginaire de la Réforme catholique, du possible Constantin chinois aux républiques théocratiques du Paraguay. Elles ne ternirent pas l'éclat de celle du Japon, qui inaugura même une sorte de modèle hagiographique propre à la mission jésuite : une mission qui sur le modèle de Paul sait se faire grecque avec les Grecs, qui identifie dans la culture qu'elle découvre les vecteurs d'une possible évangélisation, sur le schéma humaniste d'une culture païenne préparant la réception du christianisme, qui est victime non seulement de la persécution des pouvoirs infidèles, mais aussi des intrigues et des jalousies proprement européennes et cléricales. La déconstruction du mythe missionnaire serait simplement naïve si elle se contentait de le réfuter sans comprendre à la fois les mécanismes de sa construction et les raisons de son formidable impact à travers les siècles. Hélène Vu Thanh a voulu comprendre ce projet missionnaire dans sa complexité, dans ses évolutions, et jusque dans ses contradictions. Pour cela, il fallait en restituer la réalité, en s'appuyant sur d'autres enquêtes exemplaires qui ont été récemment menées dans d'autres contextes, du Brésil à l'Inde, mais aussi en étant attentif à la spécificité japonaise d'une chrétienté qui se construit sans la présence militaire des Européens et sans une domination coloniale, qui se construit aussi dans le contexte de la réunification politique de l'archipel. L'immense documentation jésuite peut se révéler un piège tant elle sait avec méthode conduire le lecteur vers les conclusions désirées. Hélène Vu Thanh a su y retrouver les débats et les doutes, les erreurs d'appréciation, le cruel décalage entre l'ambition des projets et la réalité des moyens. Elle sait surtout montrer avec une grande force que l'accommodation jésuite, qui encore aujourd'hui fait l'admiration jusqu'aux adversaires les plus féroces de la Compagnie, est fondamentalement un moyen plus qu'un objectif. La chrétienté japonaise dont rêvent les jésuites est la catholicité idéale dont les traits sont dessinés en Europe pour répondre au
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défi de l'hérésie. Le Japon, comme tant d'autres terres missionnaires, est conçu comme une page vierge, où la Réforme catholique pourra se déployer sans tous les obstacles que des structures ecclésiastiques vieilles d'un millénaire mettent en Europe. L'absence de la domination coloniale peut aller dans le même sens. L'accommodation perd de sa centralité quand on suit la démonstration d'Hélène Vu Thanh et tout_le projet missionnaire jésuite doit alors subir une relecture minutieuse. Cette relecture montre bien les difficultés de la réalisation des plans missionnaires et les multiples tensions que ces difficultés provoquent au quotidien, entre Européens et convertis, entre missionnaires et centre romain, au sein même des missionnaires. Hélène Vu Thanh montre à merveille cette fragilité de la mission, l'absence de linéarité de son progrès, la précarité de la plupart des implantations. Mais elle sait en même temps poser en historienne la question du christianisme vécu par les convertis, qu'il ne s'agit pas d'évaluer à l'aune des missionnaires, mais, de façon bien plus difficile, de comprendre. L'anthropologie religieuse permet à la fois d'éviter le sot matérialisme, qui ne voit dans la conversion qu'une démarche intéressée pour obtenir des fusils et commercer de la soie, et une hagiographie extasiée que les Jésuites savent construire pour l'extérieur, mais qui trouve très vite ses limites. L'appropriation du christianisme par les convertis n'est d'ailleurs en rien uniforme, et ce point est une des nombreuses richesses de l'ouvrage d'Hélène Vu Thanh. À un moment où l'historiographie française accentue son ouverture à une histoire globalisée, ce livre tiré d'une très brillante thèse de doctorat apporte une contribution importante parce qu'elle est pragmatique : un des dangers de la world history serait de substituer à l'histoire téléologique eurocentrée une histoire tout aussi téléologique déseuropéanisée. Hélène Vu Thanh évite aussi bien l'un et l'autre anachronisme pour nous donner ainsi dans une enquête magistrale un exemple d'une rencontre, de ses espoirs, de ses malentendus, de ses expériences humaines.
Alain Tallon Professeur d'histoire moderne à l'université Paris-Sorbonne
INTRODUCTION
En l 58 3, Alessandro V alignano, visiteur des Indes orientales, écrit au général jésuite Acquaviva : « Les grandes œuvres sont pleines de difficultés ; cette mission du Japon n'en manque pas. Autant elle est belle et riche en promesses, autant il est difficile d'y réussir et de la mener à bien 1 ». C'est à cette mission du Japon, sur laquelle ont reposé tant d'espérances, que ce travail est consacré. Comme le suggère le propos de Valignano, la mission jésuite du Japon présente un double visage, mêlant récits héroïques de la conversion des Japonais et la peinture d'un environnement difficile que les missionnaires auraient peiné à déchiffrer ; mais dans les faits, c'est essentiellement la première image qui a retenu l'attention des écrivains contemporains del' évangélisation du Japon ou des historiens d'aujourd'hui. Certes, la mission jésuite du Japon possède tous les« ingrédients» qui lui permettent d'accéder au rang de véritable« mythe» missionnaire. Fondée par saint François Xavier en l 549, elle a pour cadre exotique le Japon des samurai et des grands unificateurs du pays - tel Tokugawa leyasu, fondateur du régime d'Edo (1603-1868), objet de nombreuses estampes de Hokusai ou d'Utamaro. Elle s'achève en 1614 dans le sang des persécutions, rejouant ainsi des épisodes des premiers temps de l'Église, à ceci près que les empereurs romains revêtent ici la titulature de shogun 2 • Cette image de mission héroïque est très vite popularisée en Europe par les jésuites eux-mêmes et perdure d'une certaine manière jusqu'à nos jours, même si certains auteurs se sont montrés plus réservés sur les succès de l'action de la Compagnie de Jésus au Japon, à l'image de !'écrivain japonais - et catholique - Shüsaku Endô 3 • Le succès de la littérature sur la mission du Japon souligne tout ce que cette dernière symbolise aux yeux du public européen : elle est le signe que le message chrétien peut être accepté sans difficulté par un peuple très éloigné des coutumes européennes et qui n'a pas subi la violence de la colonisation ibérique. La mission du Japon présente une image inversée des missions en Amérique et de la légende
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Alessandro Valignano, Les Jésuites au Japon, éd. Jacques Bésineau, Paris, Desclée de Brouwer, 1990, p. 115. Il existe encore une présence missionnaire au Japon après la proscription du christianisme en 1614, mais elle est peu importante et surtout clandestine, ce qui modifie de manière importante les méthodes d'évangélisation et la façon dont les Japonais pratiquent le christianisme. C'est pourquoi ce travail ne prend en compte ni la période des persécutions, ni celle du« christianisme caché »,après 1650. Shüsaku Endo, Silence, Paris, Gallimard, 2010 [1966].
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noire de l'évangélisation des Indiens, acquise à coup de conversions forcées et de destructions de temples : au contraire, l'évangélisation du Japon semble montrer qu'il est possible que le christianisme soit accepté volontairement par un peuple jugé raisonnable et civilisé, et elle laisse entrevoir, en dépit de son échec final, l'espérance de la conversion d'un territoire autrement plus important politiquement et symboliquement : la Chine. Il va sans dire que la légende dorée de la mission japonaise présente en réalité bien plus de facettes et de nuances que ce que les jésuites ont bien voulu laisser entrevoir, et c'est précisément un des objets de cet ouvrage que de présenter les multiples visages de l'action de la Compagnie de Jésus au Japon. Mais pourquoi alors se concentrer sur l'action des jésuites, plutôt que sur celle des autres ordres présents également au pays du Soleil levant, comme les franciscains, les dominicains ou les augustins ? Les raisons sont multiples, à commencer par le fait que la présence des ordres mendiants au Japon est limitée dans le temps, puisqu'elle ne débute pas avant les années 1580, soit près de trente ans après l'arrivée des jésuites, et que leurs effectifs demeurent réduits par rapport à ceux des fils de saint Ignace. Au-delà de ce critère du « poids » relatif, le choix se justifie surtout par la qualité des sources, et principalement de celles de la Compagnie de Jésus à Lisbonne et à Rome ; celles-ci constituent une véritable mine d'or pour les historiens en général et pour les historiens des missions religieuses en particulier. Regroupant une variété importante de documents - aussi bien des chroniques que des lettres, en passant par des rapports administratifs divers - les archives jésuites combinent les avantages d'une unité documentaire autour d'un seul et unique ordre religieux avec une pluralité d'auteurs qui, ensemble, permettent de mettre en perspective l'action des fils de saint Ignace entre l'Europe et le Japon. À cela, il faut ajouter que l'étude de la Compagnie de Jésus a connu un regain de popularité et un certain renouvellement historiographique. L'histoire missionnaire jésuite ne constitue guère un champ nouveau : elle a fait l'objet d'une riche tradition d'hagiographies et de chroniques, publiées dès lexvi< siècle par les membres de la Compagnie eux-mêmes, et dans lesquelles la volonté de glorifier l'ordre et d'édifier le lecteur est prégnante. Il faut attendre le x:x< siècle pour que les historiens jésuites opèrent un changement méthodologique en se lançant dans la publication des sources de leur ordre sous la forme de centaines de volumes comme les fameux Monumenta, ainsi que dans la constitution d'importantes monographies consacrées à des institutions jésuites ou à des personnalités, à l'image du travail de Georg Schurhammer sur François Xavier 4
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Georg Schurhammer, Francis Xavier, his Life, his Time, Roma, lnstitutum Historicum Societatis lesu, 4 vol., 1973-1982.
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ou de celui d'Antônio Serafim Leite pour le Brésil, sans pour autant toujours parvenir à se départir d'un point de vue, forcément intéressé, sur leur ordre. Le renouvellement, quantitatif et qualitatif, des études sur la Compagnie de Jésus et sur les missions catholiques n'a donc pas lieu avant la fin du x:x.' siècle, et il est surtout le fait d'historiens non jésuites. Ce mouvements' opère aussi bien en France, autour de Pierre-Antoine Fabre notamment, qu'aux États-Unis, dans la lignée des travaux de John O'Malley, Dauril Alden ou encore Liam Matthew Brockey 5 • Les historiens ont alors davantage une approche culturelle des missions, en s'intéressant à de nouveaux champs d'études (les sciences, les finances, les arts), en recourant à d'autres disciplines comme l'anthropologie ou la sociologie pour analyser le fonctionnement de la Compagnie de Jésus 6 , mais aussi en portant sur les sources un regard critique influencé par les postcolonial studies, à l'image du travail d'Ines G. Zupanov sur la mission jésuite en Inde 7 • Cependant, comme le remarque cette dernière, malgré ce renouveau historiographique autour des missions, la ligne (la frontière ?) qui sépare régions et peuples européens et non-européens dans l'histoire de la Compagnie de Jésus limite encore l'effort de recherche. La centralité de l'Europe et de ses conceptions n'est pas toujours remise en question et le présupposé selon lequel celle-ci demeure le centre d'impulsion des stratégies missionnaires continue de perdurer. À l'inverse, les terres de missions sont encore présentées comme des territoires périphériques, soumis au bon vouloir de Rome et appliquant ses décisions sans discuter. Il n'est pas question ici de « provincialiser l'Europe », pour reprendre une expression de Dipesh Chakrabarty, mais de lui redonner sa place dans le phénomène missionnaire et dans une cartographie mondiale qui est alors en pleine évolution avec les découvertes ibériques 8 • Ce travail se situe donc dans la lignée de ce renouvellement historiographique autour de la Compagnie de Jésus et des missions religieuses à l'époque moderne. Il procède de la double motivation de revisiter l'image traditionnelle de la mission jésuite du Japon, présentée comme la terre d'élection du christianisme, et de réinterroger les liens entre Rome et les terres de missions dans le contexte de la mondialisation ibérique. Pour ce faire, le fil directeur qui a été choisi est celui de la politique d'accommodation mise en place par la Compagnie de Jésus au Japon. En effet, l'accommodation est souvent vue comme le modèle de l'action 5 6
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Liam Matthew Brockey, Journey to the East: the Jesuit Mission to China, 1579-1724, Cambridge (Mass.), The Belknap Press of Harvard University Press, 2007. Voir notamment, pour la mission du Brésil, Charlotte de Castelnau-L'Estoile, Les Ouvriers d'une vigne stérile. Les Jésuites et la conversion des Indiens au Brésil 1580-1620, Lisboa/ Paris, Centre Calouste Gulbekian, 2000. Ines G. Zupanov, Missionary Tropics. The Catholic Frontier in lndia, 16-17th Centuries, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2005, p. 3-4. Dipesh Chakrabarty, Provincialiser l'Europe. La pensée postcoloniale et la différence historique, Paris, Amsterdam, 2009.
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jésuite au Japon ; elle aurait contribué à ce que les Européens se« japonisent » afin de mieux faire accepter le christianisme au pays du Soleil levant. Cette image est d'autant plus enracinée qu'elle est promue par les jésuites eux-mêmes, à commencer par celui qui décide véritablement d'appliquer cette politique au Japon, le visiteur des Indes orientales, Alessandro Valignano. Dans l'exégèse biblique, le terme d'accommodation désigne l'interprétation d'un texte ou d'une doctrine, présumée divine, à l'aune des circonstances nouvelles 9 • Les jésuites font figure de partisans forrs de cette politique, qui remonte aux premiers temps du christianisme, où celui-ci était contraint de s'adapter aux formes sociales de l'Empire romain par assimilation des peuples non chrétiens. Faisant valoir cet argument, les jésuites, et notamment Valignano, soulignent que l'on peut permettre aux païens asiatiques d'en faire autant et de maintenir des pratiques locales essentielles, comme le culte des ancêtres en Chine ou les règles de politesse au Japon. L'adaptation se fait dans le but de mieux faire accepter le christianisme par un peuple qui découvre cette religion. L'accommodation est donc la politique qui est mise en œuvre par la Compagnie de Jésus en Asie, face à des civilisations païennes jugées résistantes et face à des peuples qui ne sont pas soumis à une puissance coloniale, par opposition à celle de la tabula rasa, utilisée en Amérique à la suite de la conquête 10 • Le Japon serait le territoire par excellence d'exercice de la politique d'accommodation, préfigurant l' œuvre des missionnaires en Chine et soulignant la bonne réception du message chrétien en Orient. Mais cette image d'Épinal del' évangélisation du Japon ne permet pas de sortir du paradigme européocentré, présentant l'action des jésuites comme le résultat d'un« effort» en direction d'un peuple asiatique qui reste cependant largement passif face aux stratégies missionnaires. Le but est donc ici de redéfinir les contours del' accommodation au Japon en revenant à des questions simples: qu'est-ce que l'accommodation au Japon? Quand, comment et pourquoi cette politique est-elle mise en œuvre par la Compagnie de Jésus au pays du Soleil levant ?Peut-on parler d'accommodation« japonaise » qui se démarquerait de celle mise en œuvre dans les autres pays d'Asie? Ces questions n'ont été que partiellement abordées dans l'historiographie consacrée à la mission japonaise, qui est d'abord centrée sur une perspective chronologique visant à retracer le cours de la mission depuis ses débuts, dans la lignée des travaux de Georg Schurhammer sur François Xavier, fondateur de la mission du Japon. L'ouvrage de Léon Bourdon poursuit la démarche 9 10
Voir l'article« Accommodation », d'lnes G. Zupanov, publié dans Régine Azria, Danièle Hervieu-Léger (dir.), Dictionnaires des faits religieux, Paris, PUF, 2010. Sur cette distinction et sa critique, voir Charlotte de Castelnau-L'Estoile,« Le chamanisme comme frontière: les jésuites et les Indiens Tupi du Brésil (xv1•-xv11• siècles), dans Francisco Béthencourt, Denis Crouzet (dir.), Frontières religieuses dans le monde moderne, Paris, PUPS, 2013, p. 270.
en proposant une analyse approfondie de l'action du successeur de François Xavier, Cosme de Torres 11 • Parallèlement à ces approches chronologiques, des historiens tentent de dresser un panorama du« siècle chrétien» du Japon, à l'image de Charles Boxer, ou plus récemment, de Jacques Bésineau et de Michael Cooper, qui dessine les contours de la mission nippone à travers le portrait d'un des jésuites les plus célèbres, Joao Rodrigues dit l'Interprète 12 • Par la suite, si l'étude de la mission japonaise devient plus thématique, le paradigme de l'accommodation n'est pas vraiment remis en cause par les historiens jésuites qui s'intéressent à l'action de leur ordre dans l'archipel, à l'image de Josef Franz Schütte ou JesU.S Lôpez-Gay 13 • Plus récemment, dans la lignée du renouvellement de l'historiographie de la Compagnie de Jésus, les travaux consacrés à la mission japonaise bénéficient de l'apport de nouvelles disciplines (linguistique 14 , histoire de l'art 15 , histoire du genre) et prennent davantage en compte les populations missionnées en tant qu'acteurs : Haruko Nawata Ward s'est ainsi intéressée à la place des femmes japonaises au sein de la mission, mettant en valeur leur participation active à la diffusion de l'Évangile au Japon 16 ; Joâo Paulo Oliveira e Costa a mis l'accent sur les organisations laïques, et particulièrement les confréries, qui soulignent une appropriation des formes de dévotion catholiques par les chrétiens japonais 17 ; Madalena Ribeiro analyse le rôle de la noblesse japonaise, ses relations complexes avec les missionnaires, et sa plus ou moins grande influence dans la conversion des
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Léon Bourdon, la Compagnie de Jésus etleJapon, Paris/Lisboa, Centre Calouste Gulbekian, 1993. Charles Ralph Boxer, The Christian Century in Japan 1549-1650, Berkeley, University of California Press, 1951. Voir également Jacques Bésineau, Au Japon avec Joâo Rodrlgues, Lisboa/Paris, Centre Calouste Gulbekian, 1998, et Michael Cooper, Rodrigues the tnterpreter. An Ear/y Jesuit in Japan and China, New York/Tôkyô, Weatherhill, 1974. Josef Franz Schütte, Va/ignanos Missiongrundsêitze für Japan, Roma, Storia e letteratura, 1951 ; Jesus L6pez-Gay, El Matrimonio de los Japones, Roma, Libreria dell'Università Gregoriana, 1964 ; El Catecumenado en la misi6n del Jap6n del s. xv1, Roma, Libreria dell'Università Gregoriana, 1966; la liturgia en la misi6n del Japon ne/ siglo xv1, Roma, Libreria dell'Università Gregoriana, 1970. Akira Kono, « Portuguese-Japanese Language Contact in 16th Century Japan »,Bulletin of Portuguese,1apanese Studies, vol. 3, 2001, p. 43-51. Alexandra Curvelo, « The Artistic Circulation Between Japan, China, and the New Spain in the 16th-17th centuries», Bulletin of Portuguese;1apanese Studies, vol. 16, juin 2008, p. 147-157 ; Naoko Frances Hioki, The Shape ofConversion: the Aesthetics ofJesuit Fo/ding Screens in Momoyama and Ear/y Tokugawa Japan (1549-1639), thèse de doctorat sous la direction d'Alejandro Garcia-Rivera, version dactylographiée, Faculty of the Graduate Theological Union, Berkeley, California, septembre 2009. Haruko Nawata Ward, Women Re/igious Leaders in Japan's Christian Century, 1549-1650, Farnham, Ashgate, 2009. Joâo Paulo Oliveira e Costa,« The Miseric6rdias among Japanese Communities in the 16th and 17 th Centuries», Bulletin of Portuguese;1apanese Studies, vol. 5, décembre 2002, p. 67-79 et« The Brotherhoods (Contrarias) and Lay Support for the Early Christian Church in Japan »,Japanese Journal ofRe/iglous Studies, vol. 34, n° 1, 2007, p. 67-84.
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populations 18 • George Elison a étudié les causes du rejet final du christianisme par le pouvoir nippon, tandis qu'Ikuo Higashibaba s'attache à démontrer que la compréhension du christianisme par les populations japonaises est restée très sommaire 19 • Ces deux derniers auteurs contribuent à ce que soit envisagée sous un nouvel angle la mission du Japon en soulignant la place des populations évangélisées, laissées jusque-là dans l'ombre, mais ils ne posent pas la question d'un éventuel lien entre le rejet final du christianisme par les Japonais et la mise en œuvre de la politique d'accommodation. Cette dernière est donc toujours considérée comme une donnée intrinsèque de la mission du Japon, acceptée facilement aussi bien au sein de la Compagnie de Jésus que par les Japonais. Les jésuites seraient« devenus japonais» en adoptant les manières de vivre et les coutumes locales pour mieux répandre la foi au pays du Soleil levant. Un des premiers buts de ce travail est de revisiter cette idée et de montrer que, loin de faire l'unanimité, l'accommodation est un objet de doute, de discussion et de reformulation, voire de contestation, entre les jésuites du Japon, au sein de la province d'Inde à laquelle la mission du Japon est longtemps rattachée, et enfin entre les fils de saint Ignace présents sur place et ceux restés en Europe. Faire fi de ce cadre géographique élargi à l'Asie et au monde reviendrait à se priver de la complexité de la chaîne de décision multilatérale qui se déploie sur plusieurs continents avant d'aboutir à la mise en œuvre effective d'une mesure dans le cadre de la mission du Japon, dont le rôle ne peut être réduit à celui d'une simple courroie de transmission des ordres romains. C'est aussi se priver des apports de nouveaux courants historiographiques, tels que l'histoire globale ou l'histoire connectée, représentées par Serge Gruzinski ou Sanjay Subrahmanyam, qui cherchent à rendre compte des empires ibériques et du phénomène missionnaire dans un cadre géographique élargi et repensé, permettant de sortir d'une vision européocentrée 20 • Car, dans le fond, imaginer que l'accommodation s'est imposée naturellement au Japon, n'est-ce pas aussi une forme d' européocentrisme, à supposer que cette politique apportée par des missionnaires européens ait été acceptée avec enthousiasme par des Japonais, relégués au rang de spectateurs passifs ? C'est également présumer du fait que les jésuites comprennent parfaitement la société japonaise et qu'ils sont toujours 18 19
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Mad ale na Ribeiro, «The Christian Nobility of Kyüshü, a Perusal of Jesuit Sources», Bulletin of PortugueseJapanese Studies, vol.13, décembre 2006, p. 45-64. Georges Elison, Deus Destroyed. The Image of Christianity in Ear/y Modern Japan, Harvard, Harvard University Press, 1988 et lkuo Higashibaba, Christianity in Early Modern Japan: Kirishitan Belief and Practice, Lei den, Brill, 2001. Serge Gruzinski, « Les mondes mêlés de la Monarchie catholique et autres connected histories», Annales. Histoire, Sciences Sociales, 56• année, n° 1, 2001, p. 85-117 et Sanjay Subrahmanyam, «Holding the World in Balance: The Connected Histories of the 1berian Overseas Empires, 1500-1640 », The American Historical Review, vol. 112, n° 5, décembre 2007, p.1359-1385.
en mesure de modifier efficacement leurs pratiques pour être acceptés par les Japonais qui, à l'inverse, restent enfermés dans leur culture. Enfin, c'est nier la distance entre Rome et le Japon et imaginer un peu hâtivement que ce qui est décidé en Europe s'applique sans difficulté dans le contexte japonais, par-delà la distance et le temps. L'objectif est donc de replacer l'entreprise missionnaire jésuite au Japon dans un cadre mondial et de rétablir les connexions qui se construisent avec l'Europe, mais aussi avec les autres missions en Asie et en Amérique, afin d'en restituer une image plus complexe. Répandre la foi est l'objectif ultime des missionnaires au Japon, mais il est indissociable du fonctionnement d'un ordre mondial comme celui de la Compagnie de Jésus 21 • Ce recours à l'histoire connectée est appelé par les sources elles-mêmes, qui ne cessent d'évoquer des situations de contacts, d'échanges à une échelle planétaire. Il est également lié au cadre politique et religieux dans lequel s'inscrit la mission du Japon, celui de l'empire portugais puis celui de la Monarchie catholique à partir de l'union des deux Couronnes en 1580, qui se déploie sur quatre continents. Dans ce cadre, les espaces, les populations, les cultures entrent en interaction, avec des effets multiples, dont le Japon n'est qu'un exemple parmi d'autres, mais néanmoins un cas particulier dans la mesure où le pays n'est jamais soumis aux puissances ibériques. Reste que la mission du Japon est insérée dans les réseaux économiques asiatiques et mondiaux construits par les Ibériques. Ce cadre planétaire structure l'appréhension que les jésuites ont du terrain missionnaire et de la mission, du fait des comparaisons entre les peuples évangélisés, rendues possibles grâce aux écrits des autres jésuites circulant à une échelle mondiale, de par la circulation des méthodes d'évangélisation, des objets de la mission (livres, objets de culte). La confrontation des informations provenant des « quatre parties du monde » influence également les prises de décisions de Rome, même si la compression des distances n'est certainement pas une abolition des espaces ou du temps, étant donné le décalage considérable entre le moment où une décision est prise en Europe et celui où elle est appliquée au Japon 22 • En effet, cette dimension globale n'est pas incompatible avec une approche locale de la mission et des stratégies d'évangélisation mises en œuvre sur place, d'autant que le Japon possède des particularités culturelles qui obligent les jésuites à réinterroger leur propre culture et à expliquer aux instances romaines le quotidien de la mission. La stratégie d'évangélisation mise en place par la Compagnie de Jésus au Japon se doit donc d'articuler ces deux dimensions, une pensée globale et un agir local, afin d'être efficace et acceptée à la fois par les membres de l'ordre et les Japonais. Comment les jésuites du 21 22
Luke Clossey,Salvation and Globa/ization in the Ear/yJesuitMissions, Cambridge, Cambridge University Press, 2008. Serge Gruzinski, Les Quatre parties du monde, Paris, La Martinière, 2004.
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Japon composent-ils avec la distance, comment l'appréhendent-ils dans la mise en place de la politique d'accommodation ? Comment la dimension globale de la mission japonaise affecte-t-elle les stratégies et les méthodes d' évangéliS.ition sur place? Les jésuites se trouvent en effet contraints d'articuler un projet de dimension globale - répandre la foi dans le monde, mais aussi diffuser les réformes décidées en Europe, notamment suite au concile de Trente - avec la nécessité de prendre en compte les particularités d'un terrain qui les oblige à composer avec les coutumes et traditions locales. Cette problématique, au cœur de tout projet missionnaire, revient à poser la question de comment imposer une religion et des pratiques religieuses, construites et définies dans un cadre européen, à des pays et des peuples qui n'ont aucune connaissance du christianisme et ne partagent pas la même culture que celle des missionnaires. Dans le cas de l'Asie, la Compagnie de Jésus fait le choix de la politique d'accommodation, souvent perçue comme une simple adaptation aux mœurs locales dans le but de faciliter la réception du christianisme auprès des populations locales. Dans leurs écrits, les missionnaires se montrent admiratifs de la culture et de la société japonaises, considérées comme raffinées et policées. Les jésuites présents en Amérique partagent également ce point de vue et José de Acosta, dans le De Procuranda Indorum salute (1588), classe les Japonais dans la première catégorie de « barbares », qui ne peuvent être convenis que par la persuasion rationnelle fondée sur la discussion pacifique, à la différence des Aztèques ou des Incas, qui vivent dans des sociétés moins rationnelles et pour lesquels les jésuites doivent recourir aussi à la coercition 23 • L'accommodation s'appuie sur cette admiration éprouvée par les jésuites à l'égard de la culture japonaise et sur leur intime conviction que les Japonais ne se convertiront pas si les missionnaires n'acceptent pas d'adopter les coutumes socioculturelles locales, s'ils ne consentent pas à« devenir japonais ».Bien qu'il ne soit pas question de remettre en cause les analyses ayant poussé la Compagnie de Jésus à mettre en place l'accommodation au Japon, il reste à définir précisément les modalités de cette transformation, et donc les éléments que les jésuites considèrent comme étant du domaine des usages sociaux non religieux dans les mœurs japonaises, et panant jugés compatibles avec le christianisme. Réciproquement, tous les aspects du christianisme (liturgie, textes, pratiques religieuses) doivent-ils faire l'objet d'une adaptation au contexte local pour être acceptés par les Japonais, au risque de se détacher du catholicisme européen ? Il existe donc un double mouvement d'observation de la culture japonaise par les missionnaires, qui analysent ce que celle-ci peut accepter dans les pratiques chrétiennes et ce qui, 23
Charlotte de Castelnau-L'Estoile,« Le chamanisme comme frontière »,art. cit., p. 269.
dans le christianisme, peut se conjuguer avec la culture locale. Cet examen attentif doit aboutir à identifier d'une part ce qui peut être modifié dans le christianisme pour mieux être accepté"par les Japonais et d'autre part les éléments qui doivent être acceptés, modifiés ou rejetés dans la culture japonaise lorsque les missionnaires envisagent leur intégration dans les pratiques chrétiennes. Au final, le choix de recourir à l'accommodation doit permettre de créer un christianisme japonais entre Europe et Asie. Mais il ne s'agit pas uniquement de faciliter ainsi son expansion : les jésuites n'étant guère en position de force dans le contexte politique et religieux local, l'accommodation peut aussi être comprise comme une façon pour les missionnaires de prendre acte du fait qu'ils doivent se plier à un vaste ensemble de règles sociales, au risque de se voir eux-mêmes purement et simplement rejetés par la société japonaise. Il est donc nécessaire de définir les contours del' accommodation au Japon, car cette politique générale de la Compagnie de Jésus en Asie possède sa déclinaison propre au pays du Soleil levant : qu'est-ce qui fait l'originalité du christianisme au Japon? Qu'est-ce qui distingue la chrétienté japonaise des autres terres évangélisées ? Par ailleurs, il reste également à définir le moment où cette politique d'accommodation est mise en œuvre. On considère généralement qu'elle débute dès l'arrivée de François Xavier auJaponen 1549, qui se montre si admiratif des Japonais par opposition aux Indiens rencontrés lors de ses précédentes missions en Asie ; elle ne prend cependant son essor que dans les années 1580 sous l'impulsion d'Alessandro Valignano qui s'en fait l'ardent promoteur auprès des autorités romaines. Il y aurait donc un mouvement linéaire et continu pour imposer la politique d'accommodation, considérée elle-même comme une donnée invariable au cours du temps et selon les différents responsables de la mission. Ce présupposé est contredit par les sources, qui invitent à réfléchir à une vision plus dynamique de l'accommodation, comme une politique sans cesse redéfinie par les jésuites. Ceux-ci définissent et revoient régulièrement son périmètre, s'opposent sur les nuances dans ses nombreuses applications concrètes, et ils ne la conçoivent en outre que comme une mesure temporaire ; les jésuites, en somme, sont très loin d'être comme on a pu le penser tacitement unanimes à son sujet.C'est que les objectifs multiples des missionnaires doivent affronter la réalité du terrain et que l'accommodation n'est pas un simple transfert d'éléments chrétiens dans la culture japonaise, pas plus qu'une simple absorption de cette dernière dans le christianisme. L'accommodation change la finalité des pratiques ou des objets à caractères païens pour en faire des pratiques chrétiennes. Si une partie des jésuites est convaincue des vertus del' explication, qui doivent permettre cette« transsubstantiation», d'autres se montrent plus réservés sur la question, et pessimistes sur la capacité des Japonais à opérer
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cette transformation, car les missionnaires se trouvent confrontés à de multiples phénomènes d'appropriation et de métissage par les convertis, de\manière consciente ou non. Comme dans le cas du Mexique, décrit par Serge Gruzinski, le christianisme japonais est traversé par des mélanges au sens large du terme, qui sont, de manière souvent inextricable, aussi bien le fait des jésuites que des Japonais et qui recouvrent des situations diverses et des phénomènes disparates, dessinant les multiples visages de la chrétienté au pays du Soleil levant 2 ". En effet, il s'avère difficile de parler d'une unique identité du christianisme japonais, façonnée par l'accommodation, face à la diversité des territoires sur lesquels la nouvelle religion s'implante et face aux évolutions que rencontre l'entreprise missionnaire jésuite au cours du temps. Le discours des jésuites sür une identité de la mission japonaise comme berceau de l'accommodation et comme terre propice au développement du christianisme, n'est qu'un moyen pour ces derniers de garder prise sur une réalité flottante et qui parfois leur échappe : comment contrôler une chrétienté répartie sur l'ensemble de l'archipel, confrontée aux nombreux soubresauts politiques, lorsque la mission compte à peine une centaine de membres et ne jouit d'aucun pouvoir temporel propre ? Déconstruire le discours des jésuites sur la mission aboutit à prendre la mesure des réussites et des échecs de la politique d'accommodation. Enfln, réfléchir à la mise en œuvre de l'accommodation au Japon, c'est aussi s'interroger sur le rôle joué par les Japonais dans ce processus. La question n'est pas évidente en raison des lacunes que présentent les sources, ces dernières étant principalement le produit des missionnaires européens. À de rares exceptions près, nous n'avons pas accès directement aux écrits des Japonais, jésuites ou convertis, et nous sommes donc contraints de nous reposer sur les sources européennes pour tenter de percevoir, à travers elles, la voix « subalterne » des convertis. Le concept de subaltern a été forgé par l'historiographie indienne et se réfère principalement à l'Inde sous colonisation britannique et aux formes de domination que celle-ci entraîne. Il est donc difficile de l'appliquer tel quel dans le cas des missions en Asie où, en l'absence d'un pouvoir colonial appuyant la christianisation, il n'y a pas pu avoir la constitution d'un objet proprement subalterne 25 • Reste que les subaltern studies fournissent certaines pistes pour l'étude de la place des Japonais au sein de la mission jésuite. La longue argumentation de Ranajit Guha pour décrire les formes particulières de l'exercice du pouvoir dans l'Inde coloniale, l'entente entre les élites indiennes et britanniques pour préserver l'ordre établi reposant sur l'assujettissement des« non élites», en d'autres termes les« subalternes», trouve par endroit des 24 25
Serge Gruzinski, La Pensée métisse, Paris, Fayard, 1999, p. 11. Voir les réserves émises par Ines G. Zupanov sur la notion de métissage dans Missionary Tropics, op. cit., p. 21. Ibid., p. 25.
échos dans l'étude d'une Compagnie de Jésus au Japon, dominée par des élites européennes de diverses nationalités s'entendant pour préserver leur pouvoir au détriment des autochtones censés intégrer pleinement la mission 26 • Mais c'est surtout la lecture que Guha propose des archives coloniales pour relire les épisodes d'insurrections ou de pratiques déviantes des subalternes qui fournit des idées pour relire les documents jésuites. Au-delà de la critique documentaire qui consiste à décrypter les biais de la description, Guha propose ce qu'il appelle une analyse à contre-fil (agaimt the grain) qui consiste à travailler les différents niveaux de signification d'un texte pour tenter de cerner l'histoire du pouvoir. Guha revient à la question de la fabrication de l'archive et à l'analyse du texte et de ses propriétés pour déconstruire les logiques du pouvoir colonial et restituer la façon dont les subalternes interprètent les événements qu'ils vivent 27 . De la même manière, c'est en revenant aux conditions de production des textes jésuites et en en discernant les différents niveaux d'interprétation que l'on peut tenter de saisir la voix des Japonais, malgré le filtre missionnaire, et les situations de déviances par rapport aux normes imposées par la Compagnie de Jésus au Japon. Il subsiste dans le texte un espace pour les Japonais que les missionnaires ne parviennent pas toujours à combler et qui permet de restituer la façon dont les autochtones vivent leur foi au quotidien. Les convertis sont loin d'être des acteurs passifs, acceptant facilement le christianisme et respectant à la lettre les prescriptions jésuites. Ils mettent en œuvre toute sorte de stratégies d'appropriation des pratiques et des préceptes du christianisme pour satisfaire leurs intérêts propres, notamment parce qu'ils échappent largement à la supervision des missionnaires, trop peu nombreux pour exercer un contrôle rapproché sur la masse des nouveaux convertis. Les situations de résistance au christianisme existent, prennent de multiples formes et elles ne sont pas toujours perçues ainsi par les missionnaires ; elles sont le fait aussi bien des non chrétiens que des convertis qui agissent, consciemment ou non, en fonction de la situation du moment, des rapports de force avec la Compagnie de Jésus et de leurs propres intérêts, comme dans le cas des daimyo chrétiens qui se refusent à imposer leur foi à l'ensemble de leur fief. Une histoire moins européocentrée de la mission du Japon, une histoire «à parts égales » entre Européens et Japonais, s'impose donc 28 : comme le souligne Romain Bertrand, il est nécessaire d'écrire une histoire« symétrique »
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Ranajit Guha, « Dominance without Hegemony », dans Ranajit Guha (dir.), Subaltern Studies VI, Delhi, Oxford University Press, 1989, p. 210-309. Ranajit Gu ha, Elementary Aspects of Peasant lnsurgency in Colonial lndia, Delhi, Oxford University Press, 1983. Romain Bertrand, L'Histoire à parts égales. Récit d'une rencontre Orient-Occident, xvf-xv1f siècles, Paris, Le Seuil, 2011.
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de la rencontre entre les Européens et les populations asiatiques 29 , c'est-'à-dire qui confère une égalité de traitement épistémologique aux deux parties en présence. Si, dans le cas de la mission japonaise, il s'avère difficile de le faire par le biais d'une prise en compte égale des sources européennes et japonaises, il reste que la démarche de considérer chaque partie en présence avec ses spécificités doit être menée pour ne pas réduire l'évangélisation du Japon à un simple contact entre missionnaires et convertis débouchant nécessairement sur un rejet du christianisme. Elle permet de dessiner aussi bien les points de rencontre que les malentendus et les querelles entre les différents acteurs qui tentèrent d' « ajuster leurs façons d'agir et de penser afin de négocier les différences culturelles auxquelles ils étaient confrontés 30 ». Ceci impose de prendre en compte le contexte local, politique, social et religieux dans lequel évoluent les missionnaires européens afin de restituer une histoire à plusieurs dimensions de la mission jésuite du Japon pour laquelle, au bout du compte, une grande partie de la population locale n'éprouve qu'indifférence. Au flnal, faire le récit de la mission jésuite du Japon et de la mise en œuvre de la politique d'accommodation, c'est confronter les aspirations multiples des missionnaires dans leur volonté d'imposer le christianisme et de promouvoir leur action jusqu'en Europe avec la réalité du terrain.
DÉMARCHE D'ENQU~TE
Les sources dont nous disposons ont pour caractéristique d'être dispersées entre l'Espagne, le Portugal, l'Italie. Au Portugal et en Espagne, les sources ont trait au padroadolpatronato et se rapportent essentiellement à l'action des jésuites au Japon ; les sources italiennes, conservées dans les archives jésuites ou les archives vaticanes, contiennent des documents sur l'action des fils de saint Ignace, mais aussi les réponses des instances romaines aux actions menées par les missionnaires au Japon. Les sources ont pour autre caractéristique d'être abondantes car l'envoi de documents en double, voire triple exemplaire, par différentes voies afin des' assurer qu'ils parviennent en Europe, est généralement la règle. Dans la mesure du possible, les documents produits par les missionnaires ayant œuvré au Japon ont été privilégiés, car ils donnent une vision « de l'intérieur» de l'action missionnaire et se montrent plus fiables pour ce qui est de la chronologie ou des événements rapportés. Nous avons d'une part 29
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Ibid., p. 14. Les analyses de Romain Bertrand portent sur la rencontre entre Hollandais, Malais et Javanais, mais sont parfaitement applicables dans le cas des missionnaires européens et des Japonais. Romain Bertrand citant Timothy Brook, ibid., p. 17.
les lettres, qui apportent un éclairage considérable sur la vie des chrétientés et les actions que les missionnaires entreprennent auprès des convertis : elles permettent d'avoir accès à une vision personnelle de l'évangélisation du Japon, en même temps qu'elles relatent en détail la vie quotidienne au sein de la mission. Les lettres en provenance du Japon se caractérisent par un foisonnement des auteurs ; le nombre des destinataires est plus restreint, les missives étant essentiellement adressées aux autres membres de l'ordre ou bien aux instances dirigeantes. D'autre part, afln de compléter l'étude des lettres, les documents institutionnels ont été analysés dans le but de voir s'il existait une rationalisation et une planiflcation des pratiques d'évangélisation dans le cadre de la politique d'accommodation. Ces règlements ont été étudiés en tenant compte de l'existence, ou non, de pratiques semblables en Europe ou dans les autres terres de mission, dans le but de mesurer l'éventuelle singularité de la mission japonaise. Les documents administratifs (catalogues, règlements, textes des congrégations et des consultes réunies au Japon, décision du pape ou de la Curie) ont donc été analysés : ils donnent une vision plus institutionnelle de la mission, ils soulignent les dissensions entre les missionnaires qui discutent des stratégies à mettre en place et ils révèlent l'influence romaine sur la mission nippone. Ils invitent à réfléchir sur la réalité du contrôle que les instances présentes en Europe exercent sur les missionnaires présents au Japon et sur le maintien d'une cohésion entre Rome et le Japon. Parmi ces sources, les Obediencias des visiteurs jésuites, Valignano et Pasio, font l'objet d'une attention particulière, dans la mesure où ces documents ont été sousexploités jusqu'à présent 31 • Les premières Obediencias sont le fait d'Alessandro V alignano, qui réalise ainsi une synthèse des délibérations ayant eu lieu pendant son premier (1579-1582) et son deuxième séjour au Japon (1590-1592)3 2 • Le visiteur donne des instructions aux recteurs jésuites concernant des sujets divers, des règlements en matière de spiritualité jésuite (sur la pauvreté), sur les rapports entre jésuites basés en Europe et au Japon, mais également sur les rapports entre la Compagnie et la société locale. Les Obediencias constituent donc des règles propres à la mission japonaise ; elles sont le fruit de discussions entre les missionnaires, ce qui permet de faire ressortir l'élaboration et la singularité de la pastorale mise en place au Japon. Elles invitent à s'interroger sur les aspects concrets de la mission et notamment sur l'administration des sacrements, qui tient une place importante. Les règles de vie présentent, en outre, l'avantage d'être reprises et modifiées au cours de la période : vingt ans plus tard, le successeur de Valignano, Francisco Pasio, reprend les Obediencias afln de les
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Le terme Obediencias peut être traduit par« Règlements »ou« Règles de vie ». ARSl,Japsin 2, fol. 125 sq. Le document est daté de 1592.
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compléter 33 • Bien que la reprise des règlements antérieurs soit une pratique courante chez les jésuites, les changements et les compléments apportés par Pasio conduisent à s'interroger sur les reformulations du projet missionnaire jésuite, sur les raisons qui poussent le visiteur à reprendre les règlements de Valignano et, de manière plus générale, à proposer une vision dynamique de l'accommodation, comme une stratégie qui connaît des évolutions au cours du temps et en fonction des différents responsables de la mission. Enfin, plusieurs chroniques ont formé un point d'appui nécessaire pour notre étude, et particulièrement l'Historia de]apam de Luis Frôis 34 • L'ampleur de l'ouvrage et le fait qu'il couvre une grande partie de la mission, des origines jusque dans les années r 590, font de cette chronique un élément indispensable pour toute étude de la mission du Japon. Bien que la dimension hagiographique soit forte, les nombreux détails fournis par Frôis, les témoignages des premiers missionnaires qu'il a récoltés et les descriptions de la vie quotidienne au sein de la mission sont d'une aide considérable pour examiner les méthodes mises en œuvre par la Compagnie de Jésus au Japon, mais aussi la réception du christianisme dans l'archipel nippon, car la chronique de Frôis contient de nombreux témoignages de chrétiens japonais et de la vie quotidienne de ces derniers. Cet inventaire des sources, non exhaustif, laisse entrevoir la richesse des fonds et témoigne du souci de multiplier et croiser les points de vue.
L'ordre d'exposition adopté pour cet ouvrage permet d'envisager chacun des différents aspects de la relation entre l'objectif affiché des jésuites - répandre la foi - et la méthode d'accommodation, résumée par la formule « devenir japonais». Les deux premiers chapitres visent à replacer la mission japonaise dans le cadre de la mondialisation ibérique (chapitre 1) tout en soulignant l'importance du terrain local (chapitre 2) dans le développement d'une stratégie d'évangélisation jésuite, conçue entre l'Europe et le Japon. Si la volonté de mettre en œuvre la politique d'accommodation se trouve au cœur du projet de la Compagnie de Jésus au Japon, cette dernière peine bien souvent à la mettre en œuvre de manière planifiée, ici en raison des nombreux soubresauts politiques que connaît l'archipel. Les jésuites se contentent bien souvent de l'appliquer au
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On trouvera dans les annexes une transcription des Obediencias de Valignano et Pasio, rédigées en 1612 et conservées dans la bibliothèque d'Ajuda,Jesuftas na Asla, 49-IV-56, fol. 146-170. Luis Fr6is, Historia de Japam, éd. Ana be la de Mourato, Nu no Camarinhas et Tiago C. P. dos Reis Miranda, Biblioteca virtual dos descobrimentos portugueses n° 10, Lisboa, 2002.
coup par coup, en fonction des circonstances du moment et des particularités des terrains missionnaires locaux, ce qui a pour conséquence une répartition inégale du christianisme sur l'ensemble de l'archipel et la mise en œuvre de méthodes différenciées selon les territoires. Les chapitres 3 et 4 interrogent la formation d'une identité propre à la mission du Japon à travers le projet de« devenir japonais », qui se traduit ici par une double volonté d'apprendre la langue locale et d'intégrer de nombreux autochtones parmi les effectifs missionnaires, que ce soit en tant que membres de la Compagnie de Jésus ou en tant que laïcs. Ce volet de la politique d'accommodation, fortement promu par Alessandro Valignano, suscite néanmoins de vives tensions entre les jésuites d'Europe et ceux du Japon, mais surtout entre les membres de la mission présents sur place. Les chapitres 5 à 7 se penchent sur les méthodes de conversion utilisées par les jésuites et sur la mise en œuvre de la politique d'accommodation dans le domaine de la liturgie et des sacrements. Plus généralement, ces chapitres posent la question de l'enracinement du christianisme et de la constitution d'une société chrétienne au Japon: comment les Japonais s'approprient-ils la nouvelle religion ? Comment les chrétiens parviennent-ils à se fondre dans le paysage religieux local, marqué par le bouddhisme? Existe-t-il des phénomènes de déviance ou de résistance à la stratégie choisie par la Compagnie de Jésus? Enfin, les deux derniers chapitres visent à effectuer un travail de mise en perspective des précédents, en soulignant les limites de l'accommodation au Japon. Si les jésuites ont accepté de devenir en partie japonais, force est de constater qu'ils ne choisissent de s'adapter qu'à certains aspects de la culture locale. Ils en viennent à promouvoir une « accommodation à rebours » à travers l'ouverture d'établissements scolaires au Japon en enjoignant aux autochtones d'adopter les manières de faire et de voir européennes en matière d'éducation. L'accommodation se dessine comme une mesure temporaire, destinée uniquement à faciliter l'enracinement du christianisme dans l'archipel, mais ayant vocation à être abandonnée tôt ou tard. Les chapitres 8 et 9 proposent de réinterroger le regard que les jésuites portent sur le Japon et les Japonais, et donc sur leur politique d'accommodation qui apparaît comme une stratégie multidimensionnelle.
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CHAPITRE I
VISION GLOBALE, PESÉES LOCALES : LA MISSION JAPONAISE DANS LA MONDIALISATION IBÉRIQUE
La mission japonaise participe au mouvement de mondialisation initié par les Ibériques dès les années 1470, qui se traduit par la création de postes militarisés en Afrique du Nord et qui se prolonge par l'installation des Portugais dans les îles de l'Atlantique et le long des côtes d'Afrique de l'Ouest. À la recherche «des épices et des chrétiens», Vasco de Gama est le premier à parvenir en Inde en 1498, avant que les Portugais ne s'y installent, faisant de Goa la capitale de leur empire asiatique après sa conquête par Afonso de Albuquerque en l 5IO. Durant les premières années de leur présence en Asie, les Portugais concentrent leurs efforts sur l'océan Indien, même si !'Extrême-Orient n'est pas absent de leurs préoccupations. Mais c'est la Chine qui est au centre de leur attention comme en témoigne l'ambassade de Fernao Peres de Andrade en l 5 l 7 qui se termine sur un échec 1• L'établissement de relations avec le Japon a lieu dans ce contexte d'ouverture de l'Empire portugais vers !'Extrême-Orient et par le biais de réseaux marchands asiatiques, préexistant à l'arrivée des Portugais. En effet, ces derniers entendent parler du Japon dès leur installation à Malacca en l 5l l par la bouche de marchands originaires des îles Ryükyü, appelées Léquios par le chroniqueur Tomé Pires, et qui viennent régulièrement dans le port malais pour vendre del' or et del' argent 2 • Ces récits contribuent à inciter les Portugais à partir à la découverte du Japon dont ils ignorent la localisation exacte. Ce n'est qu'en l 543 que les premiers marchands lusitaniens débarquent sur l'île de T anegashima, ouvrant la voie à de futurs échanges commerciaux, comme le rapporte le Teppôki ou Chronique de l'arquebuse, écrite au nom du seigneur Tanegashima Hisatoki (16u)3. Le Japon apparaît donc comme le dernier-et le plus éloigné-des jalons mis en place par les Portugais en Asie. Cependant, le Japon prend rapidement une grande importance au sein du système d'échanges développé par les Lusitaniens dans l'espace extrême-oriental, au point que le commerce du Japon, par le biais des prélèvements effectués par la douane de Malacca, en vient à contribuer de manière significative au budget de l'Estado
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Prisonniers de l'Empire céleste. Le désastre de la première ambassade portugaise en Chine, éd. Pascale Girard et Joâo Viegas, Paris, Chandeigne, 2013. la Découverte du Japon par les Européens (1543-1551), éd. Xavier de Castro, Paris, Chandeigne, 2013, p. 132. Ibid., p. 181-194.
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da lndia. Les missions jésuites s'insèrent dans ce vaste canevas géographique,
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institutionnel et commercial mis en place par les Portugais en Asie. Elles participent à l'accélération de la circulation des hommes, des objets et des savoirs en mettant en relation l'Europe et les continents récemment découverts, mais également en tissant des liens entre,ces nouveaux mondes et en envisageant leur champ d'action à une échelle planétaire. Il paraît d'autant plus facile pour la Compagnie de Jésus de se fondre dans les structures de l'Empire portugais, réparti sur quatre continents, que ses membres sont appelés à être dispersés dans le monde du fait de la vocation missionnaire del' ordre. L'arrivée de François Xavier, premier jésuite à poser le pied au Japon en I 549, s'inscrit dans la lignée de l'action menée par ce dernier en Inde et dans les Moluques à partir de 1 542 et elle est concomitante de l'arrivée des premiers jésuites au Brésil. L'action des jésuites au Japon est indissociable du fonctionnement d'un ordre qui cherche à maintenir le lien entre son centre de décision à Rome, autour du général et de la Curie, et ses membres répartis dans les missions outre-mer. Mais les flls de saint Ignace se doivent également de prendre en compte les réalités du terrain missionnaire et les aspects locaux de l'évangélisation pour inscrire leur action dans la durée et la rendre efficace. Ceci est d'autant plus important au Japon que les jésuites ne disposent pas de l'appui de forces armées ou du pouvoir politique pour coloniser le pays et imposer le christianisme. L'éclatement du territoire au niveau géographique, avec la multitude d'îles qui composent l'archipel nippon, et au niveau politique, avec les nombreuses seigneuries, représente une difficulté supplémentaire pour la diffusion du christianisme. La mission japonaise se doit d'articuler les échelles globale et locale, de maintenir le lien avec Rome tout en tenant compte des particularités géographiques et politiques japonaises, pour implanter de manière durable le christianisme au pays du Soleil levant.
DU GLOBAL AU LOCAL: ORGANISER LA MISSION JAPONAISE ENTRE EUROPE ET ASIE
Ordre à vocation mondiale, l'organisation de la Compagnie de Jésus reflète cette préoccupation globale : celle-ci a son siège à Rome qui représente le noyau central autour duquel s'organisent les espaces missionnaires à différentes échelles 4 • C'est là que réside le général de la Compagnie et le pape auquel les jésuites ont fait un vœu spécial d'obéissance. La circulation des informations et les communications avec les terres de missions sont essentielles pour maintenir la cohérence de l'ensemble: la préservation de l'identité de la Compagnie 4
Hélène Vu Thanh, « Principles of Missionary Geography and their lmplementation in Japan »,Bulletin of Portuguese/]apanese Studies, vol. 18/19, juin-décembre 2009, p. 175-191.
de Jésus passe par une maîtrise des relations entre le centre et la périphérie. Le maintien des liens entre les missionnaires se fait par le truchement d'une intense correspondance qui constitue la clef de voûte du système jésuite 5• Si des lettres sont échangées entre les missionnaires d'une même mission, d'autres sont envoyées régulièrement à Rome afin de rendre compte des progrès et des stratégies d'évangélisation choisies par les jésuites. Afin de faciliter la prise de décision, la nécessité d'établir des pouvoirs régionaux est rapidement apparue, d'autant que la distance et la dispersion des membres de la Compagnie rendent difficile la communication entre Rome et les terres de missions. Des provinces sont créées, la première étant celle du Portugal en r 546, tandis que la province de Goa, dont dépend le Japon, est instituée en r 552 6 • Ces provinces peuvent être subdivisées en vice-provinces: celle du Japon date de r 58 r. Le choix de séparer la mission japonaise de la mission indienne est directement lié à des considérations d'ordre géographique : la question est évoquée lors de la réunion (la« consulte») des principaux responsables de la mission en r 580, à la demande du visiteur des Indes orientales, Alessandro Valignano 7 • Les arguments en faveur de la constitution d'une vice-province japonaise soulignent l'étendue du territoire nippon, la grande différence entre la civilisation de l'Inde et celle du Japon, la lourdeur de la tâche de constituer une nouvelle église. À l'inverse, d'autres arguments mettent l'accent sur la grande distance entre l'archipel nippon et Rome, craignant une autonomie trop importante des missionnaires au Japon. V alignano, qui joue le rôle d'arbitre au cours de la discussion, prend en compte cette considération dans sa décision : il remarque que le Japon est un vaste territoire, très particulier en raison de ses coutumes, ce qui justifierait son érection au rang de province. Mais il souligne que le détachement de la province d'Inde risque d'être préjudiciable aux deux parties. En effet, la mission japonaise ne dispose pas de revenus suffisants ; quant à la province d'Inde, en cas de séparation, elle serait privée de ses meilleurs éléments au profit du Japon. Aussi, le visiteur préconise-t-il une solution médiane en r 58 3 : une marge d'autonomie doit être laissée au Japon en matière de stratégie d'évangélisation, mais celui-ci demeure rattaché à l'Inde. Dès que la mission nippone disposera de financements assurés, elle pourra être 5
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Charlotte de Castelnau-L'Estoile, les Ouvriers d'une vigne stérile. les jésuites et la conversion des Indiens ou Brésil, 1580-1620, Lisboa/Paris, Centre Calouste Gulbekian, 2000, p. 64. Voir aussi Luke Clossey, Salvation and Globalization in the Early Jesuit Missions, Cambridge, Cambridge University Press, 2008. Dauril Aiden, The Making of an Enterprise. The Society ofJesus in Portugal, its Empire and Beyond, 1540-1750, Stanford, Standford University Press, 1996. ARSI, Japsin 2, fol. 11. Alessandro Valignano, lesJésuites au Japon, éd. Jacques Bésineau, Paris, Desclée de Brouwer, 1990, p. 217-219. Le Sumario est un rapport sur l'état de la mission à la fin de la première visite de Valignano au Japon dont on cite ici la traduction française.
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détachée de la province d'Inde, ce qui est fait en 161 l lorsque le Japon devient une province à part entière. Chaque province ou vice-province est dirigée par un provincial ou un viceprovincial, normalement désigné pour trois ans. Ceux-ci constituent l'autorité la plus importante à leurs échelles respectives : ils approuvent les éventuelles publications, décident des admissions ou des renvois del' ordre. Ils sont astreints à rédiger des rapports annuels sur l'activité de la province, qui sont ensuite envoyés à Rome. Des supérieurs sont également désignés afin de diriger une portion de la province ou de la vice-province. Pour maintenir la cohérence de l'ensemble et contrôler l'action des missionnaires par rapport aux directives de Rome, un visiteur est envoyé : son pouvoir dérive directement de celui du général et son autorités' étend sur plusieurs provinces et vice-provinces. Le Japon dépend du visiteur des Indes orientales qui a également en charge la province de l'Inde et la vice-province de Chine. Le visiteur examine les résidences, résout les conflits et donne de nouvelles orientations pastorales à la mission si nécessaire. Il possède une vision des stratégies missionnaires à l'échelle continentale puisque son autorité s'étend sur l'ensemble de l'Asie. Ainsi, sa gestion prend en compte la proximité culturelle ou religieuse unissant les différents pays de cet espace, nonobstant les particularités de chaque mission. À l'instar du visiteur, les missionnaires circulent à l'intérieur du continent asiatique, passant de la mission indienne à la mission japonaise, en transitant par la Chine 8 • Le cas du chroniqueur officiel de la mission japonaise, Lufs Frôis, est à cet égard représentatif: né en l 53 2 à Lisbonne, il entre en l 546 dans la Compagnie de Jésus, avant de s'embarquer deux ans plus tard pour l'Inde. Frôis est d'abord affecté dans la région de Baçaim, avant d' œuvrer à Goa ; il est ensuite envoyé à Malacca entre 15 55 et r 557, avant de revenir en Inde. En r 561, il est affecté à la mission du Japon et il ne quittera plus l'archipel nippon, mis à part un séjour à Macao entre 1592 et r 595 9 . Cet exemple souligne que les supérieurs jésuites n'hésitent pas à faire circuler les missionnaires entre les territoires asiatiques, en fonction des besoins propres à chaque mission et en vertu d'une proximité géographique et culturelle entre les différents terrains d'évangélisation. Afin de maintenir le lien avec l'Europe et d'informer la Curie des stratégies choisies au niveau local, un jésuite est désigné procurateur au sein d'une mission en particulier. Le premier à occuper cette position est Manuel Godinho, premier 8
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Voir, par exemple, le cas de Joào Rodrigues, passé à la mission chinoise après l'expulsion des missionnaires du Japon en 1614. Michael Cooper, Rodrigues the lnterpreter. An Ear/y Jesult in Japon and China, New York/Tokyo, Weatherhill, 1974, p. 269-294. Rui Manuel Loureiro, « Turning Japanese? The Experiences and Writings of a Portuguese Jesuit in 16th Century Japan »,dans Déjanirah Couto, François Lachaud (dir.), Empires éloignés. L'Europe et le Japon (xvf-xv ë;j"
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Les religieux tirent de cette vente des profits importants et qui représentent, au début, le seul véritable revenu de la mission : En effet, pour soutenir toute cette entreprise, nous ne disposons jusqu'à présent que du commerce du navire de Chine, sur lequel les pères habituellement importent dix ou douze mille ducats de soie, en liaison avec les marchands des ports de Chine ; ils vendent tous ensemble. Les revenus que les pères en retirent sont chaque année de cinq à six mille ducats 79 •
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Et Valignano d'ajouter qu'il faut augmenter la participation jésuite dans ce commerce sil' on veut développer la mission au Japon. Cette proximité entre activités marchandes et œuvres missionnaires n'est pas sans susciter des interrogations 80 • Le malaise est perceptible au sein de la Compagnie de Jésus et les autorités compétentes hésitent sur la position à adopter face à la participation des jésuites du Japon dans des activités commerciales. Par crainte du scandale, le supérieur Cosme de Terres l'interdit en 1559 tant que le provincial de l'Inde n'a pas fait connaître sa décision à ce sujet 81 • Mais ce commerce reprend par la suite, car il est une source de revenus importante pour les jésuites 82 • Valignano est pourtant attentif à demander l'autorisation de ses supérieurs au sujet de la participation des jésuites dans le commerce entre la Chine et le Japon, car les religieux ne peuvent pas être impliqués dans des transactions commerciales. Le général Acquaviva donne son approbation au projet en I 596, soulignant que la mission japonaise a besoin d'argent pour financer les collèges et les séminaires qui ont ouvert dans l'archipel 83 et le pape Grégoire XIII soutient également cette position 84 • Pour autant, cela n'empêche pas certains membres de la mission japonaise de se montrer hostiles à cette pratique: c'est le cas du supérieur de la mission de 1 570 à 1581, Francisco Cabral. Ce dernier condamne le commerce des jésuites du Japon au nom d'impératifs moraux et religieux, mais Valignano souligne que Cabral a été lui-même contraint de recourir à cette solution pour financer la mission 85 • La question est ensuite débattue entre les missionnaires du Japon
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Alessandro Valignano, Les Jésuites au Japon, éd. cit., p. 227. L'implication des jésuites dans des activités commerciales est vivement critiquée par les missionnaires franciscains. Voir Hélène Vu Thanh « Les liens complexes entre missionnaires et marchands ibériques: deux modèles de présence au Japon »,Le Verger (revue en ligne), n° 5, 2013. Voir Léon Bourdon, La Compagnie de Jésus et le Japon, op. cit., p. 375. Charles Ralph Boxer, Fidalgos in the Far East... , op. cit., p. 169. Ces chiffres correspondent davantage aux années 1570-1580. Lettre d'Acquaviva à Va ligna no, écrite de Rome le 16 février 1596, dans ARSI, Japsin 3, fol.17v 0 • Michael Cooper, Rodrigues the lnterpreter, op. cit., p. 244. Ibid., p. 273.
lors de la consulte tenue au Bungo en 1580, mais aucune autre solution de financement n'est trouvée 86 • L'autre point qui suscite la réserve des missionnaires du Japon est la nomination du jésuite Joâo Rodrigues, dit l'Interprète, en tant qu'agent commercial personnel de Tokugawa leyasu en 1601 87 • Rodrigues représente les intérêts du pouvoir et est chargé des négociations commerciales avec les marchands portugais, notamment concernant le prix d'achat de la soie. Cette promotion est vue au départ de manière positive par les jésuites qui espèrent affermir ainsi la position du christianisme au Japon en s'attirant les bonnes grâces d'Ieyasu. Mais, comme le souligne Diego de Mesquita, ce poste place les jésuites au cœur de rivalités et de rancoeurs entre les marchands portugais et les autorités japonaises. Le jésuite se montre également réaliste sur les intentions de Ieyasu: « Ieyasu n'aime pas le christianisme, mais il sait que nous sommes utiles pour tout ce qui a trait au commerce 88 ».Tous ces témoignages soulignent que ce sont les missionnaires qui œuvrent au Japon qui sont le plus hostiles à la participation des jésuites au commerce de la soie. Les autorités religieuses (Curie, papauté) se montrent beaucoup plus souples sur la question, voyant avant tout la survie financière de l'entreprise d'évangélisation du Japon. Si les jésuites présents sur place sont conscients qu'il n'existe pas vraiment de source de financement alternative, ils estiment se trouver en porte-à-faux en accordant autant d'importance aux questions commerciales au détriment de l'œuvre religieuse. Surtout, les missionnaires savent que leur participation au commerce est source d'ennui et que, loin de sécuriser l'avenir de la chrétienté au Japon, la bonne volonté du pouvoir ne tient qu'à leur capacité à attirer les marchands portugais à Nagasaki. Le moindre faux pas en la matière peut se révéler dramatique pour l'avenir de la mission du Japon. Les Portugais sont donc très impliqués dans la survie économique de la mission. Mais leur rôle ne se borne pas à des aspects purement financiers : les Portugais se révèlent indispensables pour aider les jésuites à étendre l'espace missionnaire au Japon.
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Les jésuites mettent en place une stratégie missionnaire avec l'aide des marchands portugais afin de faire progresser le christianisme au Japon. Fins connaisseurs des enjeux locaux, ils demandent aux Portugais d'accoster dans certains ports pour favoriser un daimyo au détriment d'un autre. Ce faisant, les jésuites espèrent obtenir des concessions de la part des seigneurs pour ouvrir de nouvelles missions sur leurs terres. Cette tactique est utilisée dès la venue de 86 87 88
«Consulta feita em Bungo pelle Padre Alexandre Vatignano Visitador de Yandia nomes doutubro do anno 1580, acerca das cousas de Japao »,dans ARSl,Japsin 2, fol. 22v0 • Michael Cooper, Rodrigues the lnterpreter, op. cit., p. 199. Ibid., p. 200.
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L'appui du daimyo du Bungo explique que Funai devienne le centre de la mission japonaise, alors même que les résultats en termes de conversions sont assez limités: il s'agit d'un choix par défaut des jésuites qui voient néanmoins divers aspects positifs à l'installation au Bungo. Ôtomo Yoshishige étend son influence dans le Chikuzen et le Buzen, ce qui laisse entrevoir la possibilité de prêcher dans ces nouvelles régions et notamment dans la ville de Hakata. Aussi Cosme de Torres décide-t-il de renforcer la prédication à Funai par le biais de l'hôpital fondé à la fin de l'année 1556. Le projet est rendu possible par le soutien d'Ôtomo Yoshishige et grâce à l'admission, la même année, de Luis de Almeida qui a fait des études de médecine au Portugal avant de se lancer dans le commerce aux Indes 15 • Pour autant, loin de favoriser le mouvement des conversions, l'hôpital accentue le rejet du christianisme par les élites, qui considèrent que soigner les lépreux et les pauvres est une action dégradante 16 • Il ressort que les jésuites mènent donc au Bungo une double stratégie : d'une part, ils tentent de rallier le daimyo au christianisme dans l'espoir que sa conversion aura un effet d'entraînement sur les élites ; d'autre part, les missionnaires s'adressent aux basses couches de la société par le biais de l'hôpital. Cette approche se révèle donc contreproductive et ne produit pas les effets escomptés, surtout parce que la conversion du daimyo demeure hypothétique et son soutien aux missionnaires ne signifie pas automatiquement une adhésion de la noblesse au christianisme 17 • Ceci explique un infléchissement de la stratégie d'évangélisation à partir de I 560 : constatant la faible progression du christianisme au Bungo, les jésuites décident de revoir leur stratégie d'extension du christianisme. Ces derniers redirigent leurs efforts vers deux autres régions et se concentrent désormais sur les élites avec des méthodes révisées. Le déplacement du centre missionnaire va de pair avec un changement de méthode d'évangélisation, soulignant la capacité des jésuites à revoir promptement leurs choix, à s'adapter aux circonstances locales et à tirer parti de situations favorables. Le tournant d'Ômura (années 1560)
À partir des années 1560, les jésuites décident de relancer la mission de Miyako tout en cherchant à constituer une base solide au Kyüshü, pour 15
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Sur la carrière de Luis de Almeida, voir José Vaz de Carvalho, « Luis de Almeida, médico, mercador e missionârio no Japao (1525-1583) »,dans Roberto Carneiro, Artur Teodoro de Mates (dir.), 0 Secu/o cristâo do Japâo, Lisboa, Centre de estudos dos povos e culturas de expressao portuguesa da Universidade catôlica portuguesa: lnstituto de histôria de alémmar da Faculdade de ciências sociais e humanas da Universidade nova de Lisboa, 1994, p. 105-122. Voir également Diego Yuuki, Lurs de Almeida, 1525-1583: médico, caminhante, ap6sto/o, Macao, lnstituto cultural de Macau, 1989. Léon Bourdon, La Compagnie de Jésus et le Japon, op. cit., p. 335-343. CHomo Yoshishige se convertit en 1578 sous le nom de Dom Francisco, en hommage à François Xavier.
développer de façon plus durable leurs activités et disposer d'un refuge sûr en cas de persécution par un daimyô. L'évangélisation de Miyako permet une extension de l'espace missionnaire, en même temps qu'elle s'inscrit dans une réorientation du ciblage de la stratégie pastorale, qui vise en priorité les élites et non plus les basses couches de la société, comme cela a été le cas au Bungo. La décision de relancer la mission de Miyako, abandonnée après la visite de François Xavier, est prise par Cosme de Torres en septembre 1559. Les difficultés pour réaliser ce projet ne manquent pas, car les missionnaires doivent affronter l'hostilité des bonzes, puissants à Miyako en raison de la présence des grands monastères du Hieizan. La mission de Miyako s'étend ensuite avec la création d'un second centre dans la ville de Sakai à la demande d'Hibiya Ryôkei, dont le père a hébergé François Xavier lors de son voyage à Miyako 18 • Ville marchande et située sur la route reliant la capitale aux provinces du sud-ouest, Sakai est en plein essor et comporte une bourgeoisie susceptible d'être réceptive à l'Évangile. En s'installant à Sakai, les jésuites se donnent la possibilité de toucher des gens divers, pouvant répandre la foi dans leur région d'origine. La projection de la mission vers la capitale décidée par Cosme de Torres vise également à confronter le christianisme aux doctrines bouddhiques et ainsi à acquérir du crédit à Miyako, pour donner un plus grand écho aux prédications de la Compagnie. Elle s'inscrit dans la réorientation de la mission vers les élites, politique que les jésuites poursuivent ensuite dans le Kyiishü, à Ômura. En effet, depuis la fin de la mission de Hirado, les Portugais pressent les jésuites de trouver un autre port où les navires peuvent accoster facilement. Le daimyô Ômura Sumitada, pris dans des querelles de famille, est alors en difficulté et il se montre plus enclin à faire des concessions aux missionnaires. Une entrevue entre celui-ci et Luis de Almeida donne des résultats satisfaisants, puisqu'ômura Sumitada s'engage à construire des églises sur ses terres, à donner le port de Yokoseura, promis à devenir une ville chrétienne, et qu'il se convertit sous le nom de Dom Bartolomeu en 156 3 19 • Le déplacement de la mission à Ômura marque un tournant dans les implantations du christianisme au Japon car de nombreux chrétiens suivent Cosme de Torres lors de son voyage du Bungo à Yokoseura, signifiant de facto un relatif abandon du Bungo, ou du moins un déplacement du centre de la mission 20 • Ce mouvement stratégique ne signifie pas un abandon complet
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HJ, vol. 1, 1re partie, chap. 35, fol. 101. Lettre de Luis Frôis aux compagnons d'Inde et d'Europe, écrite le 14novembre1563 dans BA, Jesuftas na Âsia, 49·IV·50, fol. 536v0 • Lettre de Luis de Almeida aux compagnons d'Europe, écrite de Yokoseura, le 25octobre1562 dans DJ, vol. I, p. 565. Léon Bourdon, la Compagnie de Jésus et/e Japon, op. cit., p. 438 sq.
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de la mission du Bungo, mais l'évangélisation de cette région se trouve considérablement ralentie en raison du manque de missionnaires : en 156 3, Frôis affirme que cela fait plus d'une année qu'un missionnaire ne s'est pas rendu à Funai et qu'il devient nécessaire d'y envoyer quelqu'un en raison de la puissance d'Ôtomo Yoshishige et de son influence dans la région 21 • Les jésuites sont soucieux de conserver de bonnes relations avec l'élite du Bungo dont ils gardent l'espoir d'une conversion, mais en attendant, les flls de saint Ignace choisissent de se concentrer sur un nouvel espace missionnaire. Dès les années 1 560 se dessine donc un espace chrétien polycentrique au Kyûshû, caractérisé par un développement plus marqué de la région d'Ômura et un relatif abandon de la mission du Bungo. À partir des années 1560, les jésuites consolident les implantations missionnaires dans l'ouest du Kyûshû et ouvrent plusieurs missions dans différents archipels de la région. Malgré les relations difficiles avec le daimyo Matsuura T akanobu, les missionnaires parviennent à relancer l'évangélisation dans la région de Hirado grâce à l'appui d'un clan vassal, les Koteda. Les premiers baptêmes au sein du clan Koteda remontent à 1 5 53, lors de la deuxième visite d'un navire portugais à Hirado 22 • Parallèlement aux actions menées auprès des Koteda, les jésuites étendent la mission dans les régions d'Ômura et d'Arima, profitant des liens de parenté entre les daimyo, suivant en cela la stratégie évoquée plus haut. Luîs Frôis relate le lien unissant les maisons d'Arima, d'Ômura et de Shimabara: Et ainsi le roi d'Arima- qui alors était encore Xengan, père de Dom Bartholomeo, seigneur de Takaku- et Shimabaradono, son proche parent, seigneur des terres du même nom - sachant que Dom Bartholomeo avait reçu le baptême et que le père avait résolu avec lui que les navires portugais viendraient dans les ports de ses terres - suite à la licence qu'il avait donnée pour prêcher et convertir sur ses terres ceux qui le désiraient - emportés par le désir d'honneur et la cupidité, Xengan, qui était le père de Dom Bartholomeo, envoya un ambassadeur, avec des lettres et un cadeau au père Cosme de Torres à Yokoseura, par un fidalgo du nom de Figicuroyeyqui, et Yoshisada son fils plus âgé, qui était l'héritier de la maison d'Arima fit de même; car son père ayant déjà renoncé à ses états, il fit grand cas de sa visite, parce qu'il était déjà roi, et il fit dire au père qu'il offrait le port de Kuchinotsu à l'Église ; et que, si le père désirait prêcher à son peuple et construire une église, il lui donnait licence pour cela, et pour que puissent se faire chrétiens ceux qui le désiraient 23 • 21 22
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HJ, vol. I, lre partie, chap. 47, fol. 147. Sur les Koteda, voir Madalena Ribeiro, A Nobreza cristi:i de Kyüshü. Redes de parentesco e acçi:io jesuftica, mémoire de maîtrise sous la direction de Joao Paulo Oliveira e Costa, version dactylographiée, Universidade Nova de Lisboa, 2006, p. 35-50. HJ, vol. 1, 1re partie, chap. 44, fol. 131.
Fr6is souligne que les demandes de prédicateurs et d'ouverture de missions, formulées par Arima Yoshisada, son père Sengan et le seigneur de Shimabara, beau-frère d'Arima Yoshisada, se font au moment de la conversion d'Ômura Sumitada. Cet événement contraint les clans d'Arima et de Shimabara, désireux d'attirer les Portugais, à faire des offres à Cosme de Torres. Un autre élément est également susceptible d'expliquer les concessions faites aux jésuites par les daimyô d'Ômura et d' Arima 24 • En effet, ces deux principautés se trouvent menacées par le clan de Ryü.zôji Takanobu et souhaitent ardemment bénéficier de l'appui des Portugais et de leurs armes à feu. La négociation sur l'ouverture des missions en Arima et Ômura se déroule dans une atmosphère de marchandage, les daimyo manifestant peu d'attrait pour le christianisme : Arima Yoshisada ne veut pas devenir chrétien et le seigneur de Shimabara se contente du baptême de sa fille. L'extension du christianisme dans la région est donc réalisée grâce à une conjonction d'intérêts marchands et militaires de la part des seigneurs. Les jésuites ne se montrent pas dupes des réelles motivations des daimyo, mais ils semblent y voir un moyen acceptable d'étendre le christianisme sur ces terres. Cette situation se retrouve dans le cas des îles d'Amakusa et du Gotô où les missionnaires souhaitent étendre leur action. Cet objectifs' explique par la présence d'une route maritime empruntée par les navires portugais : ceux-ci font escale dans les ports du Gotô qui présentent l'avantage d'être bien abrités contre les dangers de la mousson 25 • L'arrivée des missionnaires au Gotô se fait à la demande du seigneur, Gotô Sumiaki, qui écrit en I 564 une lettre à Cosme de Torres, sollicitant l'envoi d'un médecin. Le Japonais Diogo est envoyé et en profite pour prêcher. La prédication reprend deux ans plus tard avec l'arrivée de Luis de Almeida et de Lourenço en 1 566 26 • Mais, une fois de plus, l'opposition des bonzes retarde un peu la diffusion de l'Évangile, malgré quelques conversions de nobles, dont le fils du daimyo sous le nom de Luis 27 • L'évangélisation du Gotô ne connaît une réelle expansion qu'avec la venue d'Alexandre Vallareggio en I 568. Deux ans plus tard, la mission du Gotô compte trois églises et deux mille fidèles. 24 25
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Léon Bourdon, La Compagnie de Jésus etleJapon, op. cit., p. 449-450. Ibid., p. 481-483. L'archipel d'Amakusa, au sud de la péninsule de Takaku, est divisé en cinq seigneuries. Sur l'île de Shimo se trouve au nord-est le seigneur de Shiki et le seigneur d'Amakusa occupe le reste de l'île. Sur l'île Kami;les Kozüra occupent le Nord de l'île et les Sumoto le Sud. Enfin, sur l'île d'Ôyano résident les seigneurs du même nom. Quant à l'archipel du Goto, il comprend 141îles. Le nom de Goto (qui signifie« les cinq îles») désigne les cinq îles principales: Fukue, Hisaka, Naru, Wakamatsu et Nakadori. Il inclut aussi Ojika et Uku au nord, Hirashima et Enoshima à l'est et les îles jumelles de Danjo au sud-ouest. Le clan le plus important est celui d'Uku, qui prend le nom de Goto en 1592. HJ, vol. Il, 1re partie, chap. 68, fol. 234v 0 • Ibid., vol. li, 1" partie, chap. 69, fol. 235.
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Le développement de la mission d'Amakusa est également à mettre au compte de l'itinéraire emprunté par les navires portugais : certains capitaines préfèrent passer par Takashima et apprécient le port de Shiki. L'action des missionnaires se déploie donc dans cette zone, facilitée également par les liens de parenté entre les daimyo de la région : Fr6is souligne que le seigneur de Shiki est parent avec celui d'Arima et que, comme celui-ci, il a plusieurs fois réclamé la venue de missionnaires 28 • En effet, Shiki Shigetsune a pour héritier Arima/Shiki Morotsune, le plus jeune des fils du daimyo Arima Sengan et frère de Dom Bartolomeu d'Ômura 29 • Cosme de Torres décide d'envoyer Luis de Almeida après son retour des îles du Gotô en juillet 1 566. Bien que la demande du seigneur de Shiki n'ait pas été dénuée de considérations matérielles, Almeida accepte de le baptiser sous le nom de J oâo le 20 octobre 1566, avec d'autres nobles de sa maison, au nombre de cinq cents. Quant au daimyo Amakusa Hisatane, qui voit d'un mauvais œil l'intensification des relations entre les missionnaires et son voisin, il demande la venue des Portugais dans son port de Sakinotsu. Les premiers contacts s'établissent en I 569 par l'entremise de Luis de Almeida, mais la mission ne prend on essor qu'en en 1571 avecle baptême de Hisatane par Francisco Cabral, nommé supérieur de la mission à la mort de Cosme de Torres en 1570 30 • En 1577, les jésuites obtiennent l'autorisation de baptiser les habitants d'Amakusa et de construire deux résidences, à Kawachinoura et à Hondo 31 • Ces îles deviennent donc un centre important pour la propagation de l'Évangile et leur position périphérique en fait un refuge possible pour les chrétiens. Ces missions témoignent du désir continu des jésuites de poursuivre l'extension géographique de la mission en cherchant de nouveaux espaces à évangéliser. Au début des années 1 570, la mission a donc consolidé ses bases dans l'ouest du Kyüshü, tout en se constituant un relais à Miyako. Cette extension du domaine missionnaire est le fruit de la stratégie déployée dans un contexte politiquement incertain par les supérieurs jésuites successifs, Cosme de Torres et Francisco Cabral, quis' appuient sur les marchands portugais pour obtenir des concessions de la part des daimyo. Cette stratégie est avant tout une forme de pragmatisme, car les missionnaires n'ont pas de plan préétabli pour étendre le christianisme au Japon; ils cherchent plutôt à s'adapter et à tirer parti des circonstances locales, révélant leur bonne connaissance du terrain et des systèmes d'alliance 28 29 30 31
Ibid., vol. Il, 1" partie, chap. 72, fol. 246-247. Madalena Ribelro,A Nobreza cristii de Kyüshü, op. cit., p. 98. Lettre de Francisco Cabral à un père du collège de Malacca, écrite de Kuchinotsu le 22 septembre 1571 dans CE, t. I, fol. 309v0 .-311. Lettre annuelle de 1579 du père Francisco Carrion au père général de la Compagnie dans A/cune /ettere delle cosede/Giappone del/'anno 1579 infi no al 1581, Milano, Pacificio Pontio, 1584, p. 19.
entre seigneurs. L'arrivée d'Alessandro Valignano au tournant des années 1 580 permet de relancer une mission qui commençait à perdre de son élan, tandis quel' uniflcation progressive du pays sous l'autorité d'un seul maître condamne à terme la politique suivie jusque-là par la Compagnie de Jésus d'exploitation des rivalités et des liens de parentés entre les daimyo : les jésuites sont alors contraints de redéflnir leur stratégie d'extension du chrisitanisme à l'échelle globale du Japon.
LE DEBUT DE L'UNIFICATION DU JAPON: ENTRE PERMANENCE ET INSTABILITE DE LA MISSION
Un développement de la mission rendu possible grâce à la stabilité du pays
La fln des années 1570 marque un tournant pour la mission à plus d'un titre. Tout d'abord, le visiteur des Indes orientales, Alessandro Valignano, arrive au Japon en 1579 pour y effectuer sa première visite (jusqu'en 1582). La présence de cette forte personnalité marque durablement la mission jésuite : V alignano donne de nouvelles orientations pastorales et met en pratique la politique d'accommodation, qu'il juge particulièrement adaptée au Japon, dans le but d'accélérer les conversions. Cette nouvelle période d'extension du christianisme est facilitée par le soutien d'Oda Nobunaga, qui entame alors l'uniflcation du Japon jusque-là en proie aux guerres civiles. Oda Nobunaga appartient au clan qui contrôle la région d'Owari dans le centre du Japon. À dix-sept ans, en 1551, il hérite du château familial et d'une force qui n'atteint pas mille hommes ; dix ans plus tard, il se débarrasse des parents qui peuvent lui faire ombrage et devient le seul maître de la province d'Owari. Ses ambitions s'élargissent et il commence à conquérir les régions environnantes. Nobunaga reçoit alors des demandes d'aides de la part de la famille du shogun Ashikaga et de la Cour : il entre dans la capitale Miyako et conquiert ensuite les provinces d'Ômi et d'Echizen, s'opposant aux fidèles de la secte lkkô. Une partie des succès de Nobunagas'explique par l'introduction d'une nouvelle tactique militaire, reposant sur des troupes très mobiles. N obunaga mène également des réformes économiques dans les régions centrales, abolissant toutes les barrières et les corporations à privilèges. Il commande des cadastres afln d'évaluer précisément ce qu'il concède à ses vassaux et il donne l'impulsion à des mesures que son successeur, Toyotomi Hideyoshi, étend à l'ensemble du Japon. En 1576, Nobunaga s'installe à Azuchi, où il élève un château et fonde une ville dans laquelle les jésuites reçoivent l'autorisation de s'installer et d'établir un séminaire. Mesurant les connaissances que les jésuites
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Bases principales Lieux de mission
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Ouverture de nouvelles missions Lieux de mission déjà visités Nouvelles bases
Carte 4- Les nouvelles bases de la mission jésuite et leurs relais (années 1560-1570)
peuvent apporter et l'influence des Portugais, N obunaga se montre désireux de nouer des relations cordiales avec les missionnaires 32 • Ces rapports amicaux se doublent d'un appui politique, puisque Nobunaga autorise la libre circulation des religieux dans ses domaines 33 • Ce soutien aux chrétiens ne doit cependant pas masquer les ambitions de Nobunaga: ce dernier ne s'intéresse pas à la nouvelle religion en tant que telle, mais y voit plutôt un moyen de lutter contre les bonzes, dont l'influence lui paraît trop importante. N obunaga ne voit donc pas dans le christianisme une menace pour son pouvoir : la fidélité que les convertis montrent à l'encontre des prêtres est par exemple perçue positivement, tant que ceux-ci restent sous son contrôle. La mort du premier unificateur du Japon, assassiné par un de ses vassaux en 1582, est ressentie comme un choc par les missionnaires. Nobunaga était perçu comme l'instrument de Dieu qui ouvrait la voie à la propagation de l'Évangile au Japon grâce à son action politico-militaire 34 • Malgré cette fin précoce, il est certain que l'action de Nobunaga a favorisé l'extension de la mission jésuite, particulièrement dans le centre du pays. Les entreprises du premier unificateur du Japon s'accordent avec les ambitions du visiteur V alignano, qui souhaite diffuser plus largement l'Évangile lors de son arrivée dans l'archipel nippon en
1579. Valignano est né en r 539 à Chieti dans une famille de bonne noblesse. Il effectue des études à Padoue avant d'entrer dans la Compagnie de Jésus en r 566. V alignano est nommé visiteur des Indes orientales par le général Mercurian en 1573, alors qu'il n'est âgé que de 34 ans et qu'il ne fait partie de la Compagnie que depuis moins de sept ans 35 • Les premières visites qu'il réalise sont celles du sous-continent indien, ce qui fait que, à l'instar de François Xavier dont il est le successeur, sa vision du Japon est conditionnée par l'opinion qu'il s'est faite des Indiens. V alignano effectue ensuite trois visites au Japon dans le cadre de ses fonctions, mais c'est au cours de son premier séjour dans l'archipel nippon (1579-1582) qu'il impose de nouveaux principes missionnaires. Si François Xavier a donné l'impulsion à l'évangélisation del'Asie, c'est Valignano
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Joâo Paulo Oliveira e Costa, 0 Japiio e o cristianismo no secu/o xvt, Lisboa. Ship, 1999, p.119-128. Ana Fernandes Pinto, Uma imagem do Japiio. A aristocracia guerreira nip6nica nas cartas jesuftas de Evora (1598), Lisboa, lnsituto Português do Oriente-Fundaçâo Oriente, 2004, p.95. Cependant, Nobunaga n'a jamais manifesté aucune intention de se convertir au christianisme. Augusto Luca,« Alessandro Valignano: un profila», dans Alessandro Va/ignano, uomo del Rinascimento: ponte tra Oriente e accidente, Roma, lnstitutum Historicum Societatis lesu, 2008, p. 43-50.
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qui organise les missions et définit les stratégies d'implantation du christianisme dans la région. La stratégie missionnaire de Valignano aux Indes orientales s'articule autour d'une observation précise des peuples rencontrés, de leurs mœurs et de leurs coutumes afin d'en discerner les principales caractéristiques 36 • L'observation de la nature, liée à la redécouverte de la Physique d'Aristote, ouvre un espace pour la reconnaissance de la diversité des cultures. Le fondateur de la Compagnie de Jésus lui-même a participé au développement de ce courant de pensée : Ignace de Loyola, aussi bien dans les Constitutions que dans les Exercices spirituels, constate la diversité du monde et décide de doter la Compagnie d'une structure lui permettant de s'y intégrer. Ce faisant, Valignano perçoit la nécessité d'adapter le message évangélique aux populations étrangères : cette accommodation doit permettre une meilleure acceptation du christianisme par les Asiatiques et favoriser sa diffusion. Cette théorie est originale au vu du contexte dans lequel elle prend forme, car une partie des territoires asiatiques se trouve sous domination portugaise et les Lusitaniens sont habitués à avoir peu de considération pour ces peuples dominés. Or, Valignano recommande également l'adaptation à des populations qui sont en partie colonisées 37 • Cependant, cette attention accordée à l'observation et cette volonté d'adapter le message évangélique aux populations ne concernent pas tous les pays asiatiques. La mise en œuvre de la politique d'accommodation est conditionnée et limitée par la perception, positive ou négative, que le visiteur des Indes orientales se fait d'une société. Ainsi, l'opinion de V alignano sur les populations noires du Mozambique ou du Monomotapa diffère radicalement de celle qu'il a sur les populations indiennes ou japonaises 38 . L'Afrique ne fait pas partie des territoires sous la juridiction du visiteur des Indes orientales, mais les missionnaires du Mozambique dépendent de Goa. Valignano y séjourne trois semaines lors de son voyage vers les Indes. Il repart de ce court séjour avec une opinion très négative des populations noires : selon Valignano, les habitants de ces pays sont incapables d'apprendre les principes élémentaires du christianisme. Leur difficulté de compréhension n'est pas à mettre au compte du christianisme, religion élaborée en Europe, mais de l'intellect supposé limité du peuple africain, qui serait davantage gouverné 36
Pedro Lage Reis Correia, A Concepçao de missionaçao na Apologia de Valignano. Estudos sobre a presence jesuita e franciscana no Japao (1587-1597), Lisboa, Centro Cientifico e Cultural de Macau, 2008, p. 111. 37 Carmelo Lisôn Tolosana, « Differencia y colonizaciôn. Gran aventura de Valignano »,dans Alessandro Va/ignano ..., op. cit., p. 53-61. 38 Paulo Aran ha,« Gerarchie razziali e adattamento culturale: la "ipotesi Valignano" »,dans ibid., p. 77-96.
par les sens que par la raison. L'infériorité des Africains se situe sur un plan moral, anthropologique et théologique pour Valignano. Il explique le désir de certains de recevoir le baptême par la volonté de complaire aux Portugais, observant que les néophytes ne modifient pas leurs coutumes et continuent de pratiquer la polygamie. Sur ce constat, il n'est pas question d'adapter le message évangélique en Afrique : au contraire, le visiteur des Indes orientales préconise la politique de la table rase. Au sujet de l'Asie, le jugement de Valignano est plus nuancé. Il divise le continent en deux parties, opposant le Japon et la Chine au sous-continent indien. En Inde, le visiteur constate que tout le monde exerce des activités viles ; même les brahmanes, qui sont la caste supérieure, s'occupent d'agriculture ou de commerce, à l'inverse des usages de la haute-société en Europe. De plus, tous les Indiens vivent dans une grande licence, même si V alignano reconnaît leur intelligence pragmatique dans la conduite des affaires et la rigueur de leur jeûne. Aussi, l'évangélisation en Inde est jugée indissociable de la présence coercitive des Portugais. À l'inverse, les Chinois et les Japonais sont perçus comme des populations supérieures, douées de raison et capables de recevoir pleinement la religion chrétienne, alors même que ni la Chine ni le Japon ne sont colonisés par les Lusitaniens. L'intelligence qu'il prête aux Japonais doit leur permettre d'assimiler les disciplines scientifiques européennes : La population est tout entière blanche et très civilisée: même les gens du peuple et les travailleurs sont si bien élevés et si admirablement courtois, qu'ils semblent avoir été élevés à la Cour. En cela, ils sont supérieurs non seulement aux autres populations d'Orient, mais aux nôtres en Europe. C'est une population très douée et de grande intelligence, et les enfants y sont très capables d'apprendre toutes nos sciences et nos disciplines intellectuelles 39 .
Les bonnes dispositions des Japonais sont cependant gâtées par leur propension à l'idolâtrie et, en cela, ils ne diffèrent pas des autres populations païennes. Les Japonais sont donc en partie assimilés aux populations européennes, ce qui laisse envisager leur capacité à recevoir le message chrétien. Leur forte originalité culturelle et l'absence de domination portugaise obligent les missionnaires à s'adapter à leurs coutumes. À l'inverse, V alignano ne propose pas d'appliquer sa politique à l'Inde: celle-ci ne débute qu'avec Roberto de Nobili, après la mort du visiteur des Indes orientales 40 • Elle est conditionnée par la perception de Valignano et son jugement sur les capacités intellectuelles et morales des peuples évangélisés. Plus ces derniers se rapprochent du modèle européen, plus 39 40
Alessandro Valignano, Les Jésuites au Japon, éd. cit., p. 58. Ines G. Zupanov, Disputed Missions: Jesuit Experiments and Brahmanica/ Knowledge in Seventeenth Century fndia, Oxford/New York, Oxford University Press, 1999.
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le message évangélique doit être adapté à leur culture, ce qui nécessite la mise en œuvre de la politique d'accommodation. Celle-ci se traduit matériellement par l'implantation d'établissements fixes au Japon. Puisque les Japonais sont capables de comprendre les enseignements chrétiens, il devient nécessaire d'ouvrir des collèges et des séminaires pour dispenser cette éducation 4 '. Un clergé de natifs pourra voir le jour et prendre le relais de l'évangélisation dans l'archipel nippon. Par ailleurs, Valignano désire donner une nouvelle impulsion à la mission en évangélisant des régions dans lesquelles les jésuites ne se sont pas encore rendus, mais aussi en renforçant la mission de Miyako 42 • À terme, le visiteur envisage l'installation de trois sortes de maison disposant de revenus et d'une communauté fixe 43 • Le premier type d'établissement est désigné sous le nom de scolasticat: il doit servir à la formation ordinaire des membres de la Compagnie et comporter un noviciat. Le second type de maison est une résidence, où vivraient une dizaine de jésuites et qui comporterait une école pour les enfants. Cette résidence serait régie par un supérieur et le district alentour serait réparti entre les différents membres de la mission pour qu'ils y effectuent des visites. Cependant, ce type de résidence ne peut être implanté que dans des seigneuries déjà chrétiennes. Enfin, le troisième type de maison est, au contraire, établi dans les régions de conversion, et seuls un père et un frère y séjourneraient. Le plan prévoit également l'installation d'un séminaire dans chacune des régions, ainsi que d'un collège à Miyako. Enfin, Valignano envisage l'institution de paroisses tenues par des Japonais, mais uniquement dans les seigneuries déjà chrétiennes. Cependant, le plan du visiteur des Indes orientales n'est que partiellement mis en œuvre en raison des guerres et des changements politiques soudains. Le collège de Miyako ne verra jamais le jour, tandis que les paroisses ne seront instituées dans la région de Nagasaki qu'au début du xvn• siècle. Malgré ces restrictions, le premier voyage de V alignano au Japon voit l'installation de nouveaux établissements jésuites et l'enracinement de la mission, particulièrement dans le centre du pays. Cependant, l'assassinat de Nobunaga et la prise de pouvoir par Toyotomi Hideyoshi font entrer la mission jésuite dans une période plus instable. Successeur de Nobunaga, Hideyoshi est né en 1536 dans le village de Nakamura. Ses origines obscures sont compensées par l'intelligence dont il fait preuve : elle lui permet d'être remarqué et recruté dès 1 551 par Matsushita
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L'installation de collèges et de séminaires dans un pays non soumis aux Portugais est une exception. La Chine, mise pourtant sur te même plan que le Japon en tant que nation apte à recevoir l'Évangile, ne voit pas l'implantation d'établissements scolaires sur son sol. Alessandro Valignano, Les Jésuites au Japon, éd. cit., p. 106. Ibid., p. 136-139.
Yukitsuna, seigneur de Hamamatsu en Tôtomi 44 • Pourtant, Hideyoshi ne se satisfait pas de cette vie au service d'un petit seigneur comme Yukitsuna et, dès r 558, il cherche un autre protecteur qu'il trouve en la personne d'Oda Nobunaga. Hideyoshi participe ainsi aux conquêtes de Nobunaga jusqu'à la mort de ce dernier, qui relance les guerres entre les daimyo pour accéder au pouvoir suprême. Hideyoshi réagit le premier en lançant l'offensive contre le meurtrier de son maître 45 • Celui-ci est obligé de se replier vers son château de Sakamoto, mais des paysans le reconnaissent en chemin et l'assassinent. Les victoires militaires de Hideyoshi contre divers prétendants au pouvoir se doublent d'une habileté politique destinée à s'attirer les faveurs du peuple. D'une part, Hideyoshi se charge de l'organisation de funérailles grandioses en l'honneur de N obunaga et se pose ainsi en vengeur de son maître ; d'autre part, pour ne pas donner l'impression d'usurper le pouvoir, Hideyoshi met en avant Sambôshi, petit-fils de Nobunaga, et instaure une régence 46 • La prise de pouvoir par Hideyoshi est donc une période charnière: d'une part, le nouveau maître du Japon sait jouer des luttes entre les daimyo, caractéristiques del' époque de sengoku-jidai. D'autre part, le processus d'unit1cation se poursuit avec Hideyoshi mais à une échelle plus vaste que les entreprises de Nobunaga, au point d'obtenir en r 586 le titre prestigieux de kanpaku qui désigne le régent d'un empereur adulte 47• À partir de ce moment, Hideyoshi consolide sa politique de réunification du pays en soumettant en r 587 le principal daimyo du Kyüshü, Shimazu Takahisa. Parallèlement à ces entreprises militaires, Hideyoshi mène une politique de réforme dans les domaines économiques et sociaux: il décide du désarmement de la population en r 588 (katanagari), ordonne un recensement de la population (hitobarai) en r 59 r ainsi que la confection d'un cadastre à l'échelle nationale 48 • Ce faisant, Hideyoshi pose les bases du futur régime d'Edo. C'est dans ce contexte d'unification du Japon que la mission jésuite cherche à étendre sa base géographique dans les années r 580, sous l'impulsion d'Alessandro V alignano. 44
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Pour plus de commodité, je n'emploie que le nom de Toyotomi Hideyoshi, sous lequel le personnage est passé à la postérité. Cependant, les changements de nom sont fréquents au Japon et Hideyoshi reçut d'abord comme prénom celui de Hiyoshimaru, devenu ensuite Tôkichiro. Il est autorisé par Nobunaga à changer de nom en 1575, suite à sa victoire à Nagashino, contre le clan Takeda. Il choisit alors de contracter le nom de ses deux compagnons d'armes, Shibata Katsuie et Niwa Hagahide, ce qui donne Hashiba selon les règles de la phonétique japonaise. Il adopte en 1585 le nom de Toyotomi Hideyoshi. HJ, vol. Ill, 2' partie, ch ap. 43, fol. 166 v0 .·167 v0 • Sambiishi, âgé de trois ans, est le fils de Nobutada, fils aîné de Nobunaga. Nobutada s'est suicidé à Gifu. Danielle Elisseeff, Hideyoshi, Bi1tisseurdufapon moderne, Paris, Fayard, 1986, p.136. Francine Hérail, Histoire du Japon des origines à la fin de Meiji, Paris, Publications orientalistes de France, 1986, p. 284.
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Territoires soumis à Oda Nobunaga en 1582 Territoires soumis parToyotomi Hideyoshi en 1583-1586 Territoires soumis parToyotomi Hideyoshi en 1587
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Carte 5. La réunification politique du Japon par Hideyoshi (158n587)
Une mission en extension dans les années 1580
Les catalogues rédigés par les jésuites constituent une des principales sources pour mesurer l'extension territoriale de la mission 49 • Le catalogue peut être annuel : il comporte alors des indications sur chaque jésuite comme son nom, ses emplois et ses responsabilités selon la maison ou le collège. Le catalogue triennal est, quant à lui, plus complet et comporte trois parties : le catalogue primus reprend la liste des noms des jésuites, par collège et maison, et fournit pour chacun une série de renseignements biographiques. Il est disposé en forme de tableau. Le catalogue secundus reproduit la disposition du primus en remplaçant le nom et le prénom de chaque jésuite par un numéro qui renvoie à celui-ci. Il porte des appréciations sur les dons (ingenium), les jugements, l'expérience, la culture intellectuelle (profoctus in litteris), les capacités (talentum) de l'intéressé. Un troisième catalogue, Catalogus Rerum, rend brièvement compte de la situation juridique et financière de chaque établissement. La confection des catalogues répond à un besoin précis: les renseignements fournis sur un missionnaire doivent permettre de lui trouver une fonction au sein de la mission, en fonction de ses talents et de ses capacités 50 • Bien que les catalogues s'attachent en premier lieu à définir le pro61 des missionnaires, ils contiennent également des indications sur les résidences, les collèges et éventuellement les missions volantes d'une vice-province ou d'une province. Les catalogues donnent une vision synthétique sur les implantations jésuites, facilitée par la présentation en tableaux ou en listes, et ils aident à mesurer l'extension ou le recul d'une mission à un moment donné. De plus, le nombre des missionnaires associés à un établissement donne des indications sur l'importance accordée par les jésuites à une région ou sur l'enracinement de la mission à un endroit précis. Enfin, la comparaison entre les différentes années permet de mesurer l'évolution des implantations jésuites dans chaque espace et donc les progrès de l'évangélisation. Les catalogues de la mission japonaise sont organisés de deux manières : tout d'abord, les établissements sont regroupés en fonction des trois régions définies par les jésuites (Shimo, Bungo et Miyak.o) ou selon les différents royaumes. Ensuite, les résidences principales sont énumérées, ainsi que les missions ou les maisons secondaires qui leur sont rattachées. Ce faisant, les catalogues permettent de comprendre la façon dont les jésuites perçoivent 49
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Adrien Demoustier, « La distinction des fonctions et l'exercice du pouvoir selon les règles de la Compagnie de Jésus», dans Les Jésuites à la Renaissance: système éducatifet production du savoir, Paris, PUF, 1995, p. 3-33. Charlotte de Castelnau-L'Estoile, Les Ouvriers d'une vigne stérile. Les jésuites et la conversion des Indiens au Brésil 1580-1620, Lisboa/Paris, Centre Cal ouste Gulbekian, 2000, p.179.
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Maison de probation
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Collège et séminaires
Autres établissements (résidences, maisons)
Carte 6. Les établissements jésuites au Japon (1581)
le territoire japonais et organisent les différentes aires de mission. L'utilisation des catalogues demande cependant certaines précautions, d'abord en termes d'exhaustivité. Il arrive par exemple qu'une résidence ne soit pas mentionnée dans les catalogues, alors qu'elle apparaît dans les lettres des missionnaires. Ainsi, la maison de probation d'Usuki n'est pas indiquée dans le catalogue de 1581, tandis que Francisco Cabral évoque cet établissement dans une lettre datée du 15 septembre 1581, adressée au général 51 • Le catalogue de 1584, qui correspond à la situation de février 158 2, confirme ce fait puisque la maison de probation y apparaît 52 • La liste des établissements n'est donc pas entièrement fiable selon les années. De plus, les catalogues ne décrivent qu'un instantané de la situation à un moment donné : des évolutions peuvent survenir au cours de l'année, qui ne sont prises en compte que dans le catalogue suivant, parfois trois années plus tard. Enfin, les catalogues ne mentionnent la plupart du temps que les établissements fixes ; les missions itinérantes, attachées à ces derniers, ne sont pas toujours rapportées. Néanmoins, les catalogues permettent de juger de l'importance d'une région au regard du nombre d'établissements et du nombre de missionnaires présents et demeurent une source précieuse pour l'analyse de l'extension géographique de la mission et l'identification d'une éventuelle stratégie mise en place par les jésuites en ce domaine. Avant l'arrivée de Valignano, la mission jésuite concentre ses forces dans le Kyüshü, qui regroupe 79 o/o des missionnaires d'après le catalogue de 1579, avec une prédominance du Shimo 53 • Les effets de l'action de Valignano ne se font sentir qu'à partir de 1581 et de l'ouverture des collèges et des séminaires àFunai et Arima 54 • La mission compte à présent 74 membres, soit une augmentation de près de 57 o/o des effectifs. Le Kyüshü tient toujours une place importante, puisque 81 o/o des jésuites y sont présents ; en revanche, on observe un rééquilibrage entre le Bungo et le Shimo, car le Bungo comporte deux établissements importants avec le collège et la maison de probation de Funai. La couverture géographique au Bungo s'est étendue par rapport à 1579, résultat de la conversion au christianisme d'Ôtomo Yoshishige en 1578. Au Shimo, la situation est stable avec des implantations sur les terres d'Arima, Ômura et Amakusa. Si le nombre des résidences est plus élevé au Shimo qu'au Bungo, les effectifs sont plus nombreux dans cette dernière région, qui regroupe 34 missionnaires (46 o/o des effectifs) contre 26 missionnaires au Shimo (3 5 o/o des jésuites). Enfin, 51 52 53
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Catalogue du 20décembre1581 dans MHJ, p. 123-127. Catalogue de décembre 1584 Oapon, situation de février 1582), dans ibid., p. 152-175. Catalogue de décembre 1579, dans ibid., p. 109-113. La région de Miyako regroupe seulement 12 % des jésuites, tandis que 9 % d'entre eux n'ont pas d'affectation précise à un territoire. Catalogue du 20décembre1581, dans ibid., p.123-127.
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Carte 7. Les établissements jésuites au Japon (1586-1587)
la mission de Miyako connaît un fort développement avec des effectifs qui ont plus que doublé par rapport à 1 579. Les jésuites ne sont plus seulement présents dans la capitale, mais se sont implantés également dans la ville commerçante de Sakai, à Tsunokuni (fief des Takayama, fervents chrétiens) et àAzuchi, lieu de résidence d'Oda Nobunaga. Le catalogue de I 58 r dresse ainsi le constat d'une expansion territoriale de la mission dans le Honshü et d'un renforcement des bases au Kyüshü. Le catalogue de r 584 n'apporte pas de réelles modifications de la situation au Kyüshü, mais la mission connaît un repli dans le Honshü avec la disparition du séminaire d'Azuchi et de la résidence de Sakai 55 • La mort d'Oda Nobunagaen juin r 582 porte préjudice aux missionnaires. Dépourvus de protecteur dans la région, les jésuites jugent bon de déplacer le séminaire d'Azuchi sur les terres de Takayama Ukon à Takatsuki 56 • Le catalogue de r 587, le premier rédigé après la prise de pouvoir par Hideyoshi, montre au contraire une reprise de l'expansion de la mission au Kyüshü 57• L'expansion territoriale de la mission s'opère également sur l'île de Shikoku où la résidence d'Iyo est mentionnée pour la première fois. Enfin, la situation se stabilise au Honshü : en dehors de la présence traditionnelle à Miyako et T akatsuki, une résidence est de nouveau ouverte à Yamaguchi. Les jésuites s'implantent également sur les terres de T oyotomi Hideyoshi : une résidence est établie à Akashi, et surtout à Ôsaka où réside le nouveau maître du Japon. La mise en œuvre des plans du visiteur et son désir d'étendre la mission ne se réalisent que lentement au cours des années r 580. L'évangélisation du territoire japonais demeure cependant inégale, car en dehors des bases du Kyüshii. et de la capitale, la présence chrétienne est très clairsemée. Les implantations jésuites paraissent se stabiliser en r 587 mais, le 2 5 juillet, Hideyoshi prend un édit d'expulsion des missionnaires. L'édit de 1587 et ses conséquences géographiques pour la mission
La décision de Hideyoshi n'est pas prise subitement, mais elle fait suite à la campagne militaire menée au Kyüshü en r 587. Le kanpaku intervient dans le conflit qui oppose le daimyo de Satsuma, Shimazu T akahisa, au daimyo du Bungo, Ôtomo Yoshishige, à la demande de ce dernier. Grâce à une alliance avec plusieurs grands clans du Kyüshü, comme les Ryüzoji au Hizen ou les Ôtomo au Bungo, la campagne se solde par la défaite des Shimazu qui se soumettent à l'autorité de Hideyoshi. Lors de ce voyage au sud du Japon, ce dernier prend la mesure de l'influence de la religion chrétienne dans cette partie del' archipel, 55 56 57
Catalogue de décembre 1584 Oapon, situation de février 1582) dans ibid., p. 152-175. HJ, vol. IV, 2• partie, chap. 4. Catalogue de décembre 1587 dans MHJ, p. 205-210.
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Carte 8. Territoires gouvernés par des daïmyo chrétiens en 1587
ce qui le conduit à prendre un édit d'expulsion des missionnaires et de fermeture des églises en juillet I 587 58 • Les jésuites attribuent ce retournement de situation à l'alcool et à la duplicité de Hideyoshi, mais ce dernier est surtout préoccupé par la loyauté des daimyô chrétiens liés aux intérêts portugais. Cependant, dans les faits, Hideyoshi ne dépose qu'un seul daimyô chrétien, Takayama Ukon, jugé trop proche des missionnaires, tandis que sur les 120 jésuites regroupés à Hirado seuls trois quittent l'archipel nippon. Si les conséquences de l'édit de I 587 semblent limitées en termes humains pour la Compagnie de Jésus, cet épisode n'est pas sans impact sur l'organisation territoriale de la mission. Le catalogue de janvier I 589 fait apparaître des évolutions 59 • Alors que le nombre des missionnaires présents au Japon demeure toujours important (cent soixante-dix), on observe un net reflux des implantations jésuites : les missionnaires ne possèdent plus aucune résidence dans le Honshü, car Hideyoshi a ordonné la destruction de toutes les églises de Sakai, Miyako et Ôsaka 60• Dans le Kyüshü, les missionnaires se replient sur les bastions traditionnels du christianisme à Arima, Ômura et Amakusa. Quant au Bungo, il ne subsiste aucun établissement: l'apostasie du daimyô Ôtomo Yoshimune, consécutive à l'édit d'expulsion, entraîne le départ des jésuites 61 • Le christianisme subit donc un repli à l'échelle nationale, mais la situation est plus contrastée à l'échelle régionale : dans le Kyüshü, l'attitude des daimyô chrétiens se révèle ambiguë, entre soumission aux ordres d'Hideyoshi et volonté de protéger leurs cc-religionnaires. À l'échelle d'un fief, on observe également des prises de position différentes selon les daimyô. Le cas des Matsuura est révélateur des tensions pouvant exister entre un daimyii et ses vassaux chrétiens ; les Matsuura de Hirado sont hostiles au christianisme dès l'arrivée des jésuites au Japon, ce qui n'a pas empêché le développement de la foi chrétienne à Hirado même, ainsi que dans les domaines des vassaux des Matsuura, comme les Koteda et les Ichibu 62 • À la suite de l'édit de 1 587, les jésuites partent de Hirado pour Macao et Matsuura T akanobu décide la fermeture de la résidence de Hirado. Les jésuites sont alors répartis sur les terres des Koteda et des lchibu, où est concentrée la majorité des chrétiens 63 • Grâce à la protection de ses vassaux 58
Charles Ralph Boxer, The Christian Century in Japon 1549-1650, Berkeley, University of California Press, 1951, p. 148. 59 MHJ, p. 272-274. 60 Danielle Elisseeff, Hideyoshi... , op. cit., p. 224. 61 Ôtomo Yoshimune (1558-1605) est le fils de Yoshishige dont il a pris la succession en 1579. Il a été baptisé sous le nom de Constantin. Il se réconcilie par la suite avec les jésuites. Voir Madalena Ribeiro, A Nobreza crista de Kyûshû, op. cit., p. 136-140. 62 L'expansion du christianisme dans la région est le résultat de la conversion de Koteda Yasutsune en 1558 et d'lchibu Kageyü en 1565. Les deux lignages sont liés par des liens de parenté. 63 MHJ, p. 272-274.
convertis, l'évangélisation se poursuit donc sur les terres d'un daimyo hostile au christianisme. La période de reflux et, dans le sud, d'instabilité territoriale de la mission suite à l'édit de 1587 est de courte durée. Les jésuites parviennent à regagner des positions dans le Kyüshü et à étendre la chrétienté, mettant à profit un remodelage de la carte des fiefs en 1588 sur ordre de Hideyoshi. Celui-ci permet l'installation d'un nouveau seigneur chrétien dans le Higo en la personne de Konishi Yukinaga, dont la famille, originaire de Sakai, a été convertie en 1 560 64 • Le daimyo en place dans la région, Sassa Narimasa, se révèle incapable de contrôler une révolte locale, si bien qu'il est contraint au seppuku par Hideyoshi. Son domaine est alors divisé entre Konishi Yukinaga, qui reçoit la moitié sud du territoire, et Katô Kiyomasa qui reçoit la moitié nord. Ce dernier, fervent bouddhiste de la secte Nichiren, n'est pas très favorable au christianisme : un équilibre s'établit ainsi entre les deux daimyo. Les années 1590 ne voient pas de grand changement. La lettre annuelle de I 597-1598 révèle que la présence jésuite est toujours forte dans le Kyüshü 65 • Le Bungo ne connaît que des missions itinérantes suite à sa division entre des seigneurs hostiles au christianisme. La situation dans le Honshü est toujours délicate: les jésuites sont présents à Miyako et Akashi, ainsi qu'à Takatsuki et Tsunokuni, mais seules des missions sont évoquées, et non des établissements fixes. Les jésuites parviennent donc rapidement à restaurer leurs principaux points d'appui malgré l'édit de I 587, témoignant de leur capacité à s'adapter aux divers retournements politiques qui continuent d'agiter le Japon en cette période d'unification progressive du pays. Ils sont soutenus dans cette entreprise par les daimyo chrétiens : leur aide et leur protection sont indispensables au développement de la mission, révélant la capacité d'action des acteurs locaux dans l'extension du christianisme au Japon. L'importance décisive de l'action des daimyo, à laquelle s'ajoute celle du pouvoir central japonais naissant, révèle que la Compagnie de Jésus est très loin de maîtriser tous les paramètres qui lui permettraient de définir et mettre en œuvre une stratégie rigide pour évangéliser le Japon. La situation instable de la mission jésuite s'aggrave en outre dans les années 1590 avec l'arrivée des premiers franciscains qui viennent concurrencer l'action des fils de saint Ignace.
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Madalena Ribeiro, A Nobreza crista de Kyüshü, op. cit., p. 147 sq. Lettre annuelle de 1597-1598, dans BA, Jesuftas na Asia, 49-Vl·B, fol. 14v0 -53v 0 • On ne possède pas de catalogues pour les années 1590, susceptibles de nous donner des indications sur les lieux d'implantation de la mission.
L'arrivée des ordres mendiants dans l'espace missionnaire jésuite
La rivalité entre les jésuites et les ordres mendiants est une facette parmi d'autres de la concurrence entre les couronnes portugaise et espagnole, lancées à la découverte et à la conquête de nouvelles terres. En Asie, le traité de Saragosse (1529) fixe la ligne de démarcation entre les Ibériques dans le Pacifique et résout partiellement la question de la domination des Moluques, convoitées par les deux puissances. Par ce traité, Charles Quint renonce formellement à toute prétention sur les îles à épices, mais les Espagnols tentent tout de même plusieurs fois de s'y implanter à partir de leur base des Philippines. Dès le milieu du XVIe siècle, une expédition espagnole sous le commandement de Ruy L6pez Villalobos part de Mexico et traverse le Pacifique, mais elle est neutralisée par les Portugais. Cette compétition entre les puissances ibériques pour l'accès et le contrôle des richesses asiatiques est transposée dans le domaine religieux: chaque couronne, par le biais du patronage, finance les missions dans sa sphère d'influence. Les jésuites, liés à la couronne portugaise en Asie, défendent âprement le monopole sur la mission japonaise, réclamé dès le début des années l 580 par Valignano et obtenu par le bref Ex pastoralis officio de Grégoire XIII (158 5). Le visiteur justifie l'idée du monopole pastoral jésuite sur le Japon par divers arguments 66 • La première raison invoquée est l'unité de la religion chrétienne, proclamée par un unique corps de religieux, face à la diversité des sectes bouddhiques. Or, si d'autres religieux viennent au Japon, les Nippons croiront qu'ils prêchent une autre religion et les missionnaires ne pourront plus mettre en avant l'unité des religieux chrétiens face à la multiplicité des sectes bouddhistes. Des raisons financières sont également évoquées : le Japon est un pays pauvre et les chrétiens ne pourront subvenir aux besoins des différentes congrégations. Enfin, Valignano souligne que les seigneurs japonais soupçonneront une tentative d'invasion de l'archipel par les puissances ibériques si les religieux catholiques sont trop nombreux 67 • Cette argumentation est vivement remise en cause par les ordres mendiants, qui souhaitent la fin du monopole jésuite sur la mission japonaise. L'implantation des Espagnols aux Philippines en r 56 5 et la réunion des Couronnes portugaise et espagnole en l 580 font éclater un conflit demeuré latent pendant de nombreuses années.
66 67
Alessandro Valignano, Les Jésuites au Japon, éd. cit., p. 127-133. Sur la question de l'invasion du Japon par les Espagnols installés aux Philippines, voir Maria Fernanda G. de los Arcos, «The Philippine Colonial Elite and the Evangelization of Japan », Bulletin of PortugueseJapanese Studies, vol. 4, juin 2002, p. 63-89. Plus généralement sur les relations diplomatiques entre le Japon et les Philippines, voir Juan Gil, Hidalgos y samurais. Espaffa yJapon en los sig/os xv1 y xv11, Madrid, Alianza, 1991.
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Carte 9. Territoires gouvernés par des daïmyo chrétiens en 1590
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Carte 10. Territoires gouvernés par des daimyo chrétiens en 1595
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Les ordres mendiants, au premier rang desquels les franciscains, contestent vivement le privilège accordé aux jésuites, arguant au contraire que le manque de missionnaires au Japon freine le développement d'une chrétienté particulièrement prometteuse. Une première brèche dans le monopole jésuite est ouverte en 1586 avec la publication de la bulle Dum ad uberes par Sixte V qui introduit une ambiguïté en autorisant les franciscains à fonder des missions dans tous les pays d'Extrême-Orient. Dans cette bulle, le pape ne se réfère pas au bref Ex pastoralis officio de son prédécesseur, qui garantissait le monopole jésuite au Japon, et il définit la zone d'action franciscaine en Asie comme allant des Philippines à la Chine, tandis quel' archipel nippon n'est nullement mentionné dans le texte. La bulle de I 586 n'abroge pas le bref de 158 5, pas plus qu'elle ne considère explicitement que le Japon peut être évangélisé depuis les Philippines. Mais, en l'absence de clarification par Rome, les franciscains présument qu'ils peuvent étendre leur rayon d'action jusqu'au pays du Soleil levant. Ce n'est qu'en 1600 que le monopole jésuite est clairement remis en cause par le bref Onerosa Pastoralis de Clément VIII qui ouvre la mission japonaise aux ordres mendiants. Cependant, les premiers franciscains, Juan Pobre, Dîaz Pardo et Diego Bernai, ont débarqué au Japon à la suite d'un naufrage dès 1584 68 • Les franciscains aux Philippines cherchent ensuite à obtenir des informations plus précises sur la situation de la chrétienté japonaise en interrogeant les marchands nippons qui viennent faire du commerce à Manille. Ils apprennent ainsi que des persécutions sont menées par Hideyoshi en 1587. Les franciscains y voient une occasion supplémentaire de critiquer le monopole jésuite sur la mission japonaise, avançant que la persécution ne se fait pas contre le christianisme, mais contre les méthodes d'évangélisation employées par les fils de saint Ignace. La politique d'accommodation et la participation de la Compagnie dans le commerce avec la Chine sont vivement critiquées. Parallèlement à l'action déployée par les franciscains, les autorités ecclésiastiques de Manille font pression sur Madrid afin d'obtenir une autorisation officielle pour envoyer des missionnaires au Japon. Dans une lettre au roi datée du 2 3 juin I 59 o, le franciscain Pedro Baptista affirme que l'évêque de Manille a autorisé les fils de saint François à se rendre au Japon, mais que le gouverneur des Philippines n'y a pas consenti. Il prétend également que les jésuites ont quitté le Japon en raison des persécutions, ce qui est faux. On mesure ici la détermination des ordres mendiants à se rendre au Japon, n'hésitant pas à mentir aux autorités pour parvenir à leurs 68 José Luis Alvarez-Taladriz, «Notas para la historia de la entrada en Japon de los Franciscanos »,dans Espafîa en Extrema Oriente, Presencia franciscana, 1578-1978, Madrid, Cisneros, 1979, p. 3-32.
fins 69 • La volonté des franciscains se trouve renforcée à la suite de l'envoi en I 592 d'une ambassade à Manille par Hideyoshi qui demande la soumission des Philippines. Les autorités espagnoles répondent par une première ambassade conduite par le dominicain Juan Cobo, puis une seconde dirigée par le franciscain Pedro Baptista, qui emmène avec lui le père Bartholomeo Ruiz et deux frères, Gonçalo Garciaet Francisco de San MigueF0 • Une rencontre a lieu entre les religieux et Hideyoshi qui concède aux franciscains une autorisation de résider et de prêcher au Japon 71 • Une maison est fondée à Miyako, tandis que d'autres franciscains rejoignent l'archipel nippon. Ils sont alors au nombre de onze et poursuivent leur installation avec la fondation d'une maison et d'un hôpital à Nagasaki. Si les rapports avec les autorités japonaises sont relativement cordiaux, il n'en est pas de même avec les jésuites qui usent de tous les moyens pour faire condamner l'action franciscaine au Japon. Face à l'ambiguïté du Saint-Siège, les jésuites voient leur monopole sur la mission japonaise confirmé par le souverain en I 59 5. L'arrivée en 1 596 de l'évêque Pedro Martins, ardent défenseur du padroado portugais, renforce la position jésuite : moins d'un mois après son arrivée à Nagasaki, il excommunie tous les franciscains présents au Japon. Le déclenchement de la persécution de I 597 par Hideyoshi met un terme à cette première querelle entre les jésuites et les ordres mendiants. En effet, celui-ci se montre de plus en plus incommodé par l'action débridée des franciscains et par leur politique de la table rase en matière de conversion. Par ailleurs, les Espagnols se montrent de moins bons partenaires commerciaux que les Portugais: le naufrage du navire San Felipe en 1 596 achève d'exaspérer Hideyoshi qui comptait sur sa riche cargaison pour renflouer ses caisses laissées vides par la guerre de Corée. Aussi décide+il de déclencher une persécution contre les franciscains: six franciscains sont crucifiés sur les collines de Nagasaki, tandis que les survivants doivent quitter le pays. Quant aux jésuites, liés aux Portugais, ils sont peu inquiétés par les autorités 72 • Les missions des ordres mendiants connaissent un coup d'arrêt à la fin du XVI 0 siècle et ne reprennent qu'au début du XVIIe siècle. Cependant, l'arrivée au 69 Joào Paulo Oliveira e Costa, 0 Cristianismo no Japao e o episcopado de O. Lurs Cerqueira, thèse de doctorat, version dactylographiée, Universidade Nova de Lisboa, 998, p. 206. 70 Paulo da Trindade, Conquista espiritual do Oriente, Lisboa, Centra de estudos hist6ricos ultramarinos, 1967, t.111, p. 535. 71 Ibid., p. 538-540. 72 Sur la persécution de 1597, on peut consulter Marcello de Ribadeneyra, Historia de las islas del archipielago y reinos de la gran China, Sian, Cuchinchina, y Jappon y de Io sucedido en el/os a los re/igiosos descalcos de la orden del san Francisco, Roma, Nicolas Mucio, 1599. Le martyre de 1597, loin d'apaiser les tensions entre jésuites et franciscains, relance les polémiques. À cette occasion, Valignano rédige son Apologia en 1598. Voir BA,Jesuftas na Asla, 49-IV-58.
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pouvoir des Tokugawa en 1600 a des conséquences importantes et relance la crainte d'une déstabilisation de la mission.
LE TEMPS DES PERSÉCUTIONS AU XVII° SIÈCLE: LA FIN DE LA MISSION AU JAPON ?
Tokugawa leyasu, nouveau maître du Japon
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La mort en 1598 du second unificateur du Japon, Toyotomi Hideyoshi, ouvre une nouvelle période d'incenitude car son fils, Hideyori, n'est âgé que de cinq ans 73 • Avant sa mort, Hideyoshi organise un conseil des anciens dans lequel 1' équilibre entre les grands daïmyo doit laisser une chance à son héritier, mais l'action de Tokugawa Ieyasu anéantit cet espoir. Deux camps se forment avec d'un côté les administrateurs, généralement des daimyo récents aux fiefs modestes, et de l'autre des daimyo plus importants. Dans un premier temps, leyasu et Maeda T oshiie, lui même puissant daimyo, évitent de se compromettre avec l'un ou 1' autre camp. Toshiie est le seul daimyo capable de tenir en échec les ambitions d'Ieyasu mais il meurt en 1599. Les autres anciens, Maeda T oshinaga et Uesugi Kagekatsu, se retirent: le premier se rallie à leyasu qui se replie sur ses terres pour laisser ses adversaires se découvrir. Une Ligue de l'Ouest se forme à l'instigation d'Ishida Mitsunari, dans laquelle entrent des daimyo du camp des administrateurs ou des fidèles de la famille de Hideyoshi ; quant à leyasu, il constitue une autre Ligue, le camp de l'Est. La bataille décisive a lieu en septembre 1600 à Sekigahara : la victoire des Tokugawa et de leurs alliés aboutit à une confiscation des biens de quatre-vingt-dix familles et à la redistribution des fiefs à 1' échelle de 1' archipel. Dans ce conflit pour l'accession au pouvoir suprême, l'attitude des daimyo chrétiens est contrastée 74 • Le choix d'un camp ou de l'autre par les chrétiens ne se fait pas selon des considérations religieuses, puisque les jésuites ont pour ordre de ne pas intervenir dans les guerres et l'on trouve ainsi des daimyo chrétiens aussi bien dans le camp des partisans que dans celui des adversaires des Tokugawa. Konishi Yukinaga s'engage ainsi dans la Ligue de l'Ouest et perd la vie lors de la bataille. À l'inverse, Gama Hideyuki (1583-1612) choisitle camp de l'Est et reçoit le fief d'Aizu de 600 ooo koku. Quant aux daimyo d'ômura et d'Arima, ils attendent la suite des événements pour prendre définitivement 73 74
Francine Hé rail, Histoire du Japon ... , op. cit., p. 292. Les daimyo baptisés sont alors au nombre de quatorze. Il s'agit de: Konishi Yukinaga, Ômura Yoshiaki, Arima Harunobu, Kuroda Yoshitaka, ltêi Suketaka, Mêiri Takamasa, Kobayakawa Hidekane, Sêi Yoshitomo, Oda Hidenobu, Tsutsui Sadatsugu, Hachikusa lemasa, Tsugaru Nobuhira, Kyêigoku Takamoto et Gamêi Hideyuki. Les daimyo chrétiens sont répartis sur l'ensemble du territoire japonais. Voir Joao Paulo Oliveira e Costa,« Tokugawa leyasu and the Christian Daimyo du ring the Crisis of 1600 »,Bulletin of Portuguese;Japanese Studies, vol. 7, décembre 2003, p. 56-58.
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Daimyô alliés à Tokugawa leyasu Daimyô opposés à Tokugawa leyasu
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de vivre sa foi au jour le jour. Mais les jésuites introduisent également des développements sur les principes moraux issus du christianisme à partir du catéchuménat, afin d'expliquer toutes les implications concrètes que revêt une conversion à la nouvelle religion. Ainsi, Baltasar Gago rapporte que Juan Fernandez, un des compagnons de François Xavier, construit ses prédications selon trois temps: une explication de l'Évangile, une explication de la doctrine morale et enfln, il termine par un discours sur les bienfaits de Jésus-Christ à l'égard des hommes 40 • La morale tient une place nouvelle dans les prédications et elle est destinée à instruire sur le changement de vie que représente la conversion au christianisme. Dans tous les cas, il est recommandé d'adapter les prédications au profil sociologique de son auditoire. Si celui-ci est composé de personnes peu instruites et possédant des capacités intellectuelles réduites, les prédicateurs se contentent den' enseigner que des choses faciles et de les répéter de nombreuses fois 41. Dans le cas de nobles, des emprunts à l'histoire permettent de mieux capter l'attention des catéchumènes et de s'identifier à d'autres convertis célèbres: Frôis rapporte que Juan Fernandez utilise le récit de la croix, apparue à l'empereur Constantin, avant la bataille du Pont Milvius (3 12), lorsqu'il s'adresse aux nobles de la maison d'Ômura désireux de se convertir à la suite de leur seigneur 42 • L'utilisation de la référence à Constantin n'est pas anodine, puisqu'elle permet de dresser des comparaisons entre la situation de la classe dirigeante lors des premiers temps du christianisme et celle des nobles japonais. Le récit a également pour fonction d'assurer les Japonais du soutien de Dieu lors des batailles, au moment où le daimyo d'Ômura est confronté à l'hostilité de ses voisins suite à sa conversion au catholicisme. À la fin des prédications et après un examen des motivations du catéchumène, les missionnaires administrent le baptême, individuellement ou en masse, après s'être assurés qu'il n'y a pas d'empêchement. Ils doivent surtout être certains que la personne a été bien catéchisée, car c'est à cette condition que les chrétiens persévèrent dans leur foi. L'insistance des responsables de la mission sur ce point souligne les enjeux existant autour de la qualité de la conversion des Japonais. La mission du Japon bénéficie d'une image extrêmement positive par rapport aux autres terres évangélisées, car les autochtones, jugés intelligents par les jésuites, se seraient convertis en adhérant pleinement au christianisme, sachant que les conversions par la force sont impossibles puisque l'archipel nippon n'est pas 40 41 42
Lettre de Baltasar Gago aux jésuites d'Inde, Funai, 1er novembre 1559, dans DJ, vol. Il, p.179. BA,Jesuftas na Asia, 49-IV-56, fol. 159. Ômura Sumitada se convertit en 1563 sous le nom de Dom Bartolomeu et doit affronter une coalition.
soumis aux puissances ibériques 43 • Cette idée est cependant remise en cause progressivement par les autorités romaines et par les missionnaires présents sur place d'autant que, dans les premières années de la mission, les baptêmes sont administrés sans un grand examen des motivations des futurs chrétiens : plusieurs personnes se convertissent à la suite d'une ou deux prédications et les baptêmes de masse ne sont pas une exception d'après Luis de Almeida qui rapporte la conversion de 1 500 personnes en quelques joursàHiradoen 15 59"". Dans les débuts de l'évangélisation du Japon, l'extension du christianisme est privilégiée au détriment de la qualité et de la durée des prédications. Les chrétiens convertis sont ensuite abandonnés plusieurs années en raison du manque de personnel missionnaire et leur éducation chrétienne sommaire ne peut que les conduire à retourner à leur ancienne religion. Cette problématique d'extension rapide de la chrétienté inquiète les autorités romaines, notamment le général jésuite Francisco de Borja (1565-1572), qui souligne la nécessité de n'étendre les conversions que si l'on n'est capable de cultiver cette chrétienté nouvelle 45 • Le problème est reposé lors de la première visite de V alignano et lors de la consulte du Bungo de 1580 46 . Lors de cette consulte, trois raisons principales sont mises en avant pour condamner l'extension de la chrétienté au détriment de la qualité et de la durée de la prédication: tout d'abord, beaucoup de Japonais se convertissent par intérêt, sans avoir reçu une réelle instruction 47 • Cela est particulièrement vrai dans le sud de l'archipel, en raison des intérêts commerciaux liés à la venue des Portugais. Ensuite, après le baptême, beaucoup continuent de vivre comme païens et ne remplissent pas leurs obligations de chrétiens : la conversion n'est que superficielle. Enfin, cette méthode contredit l'exemple des apôtres qui ne baptisaient pas sans avoir bien catéchisés et mis à l'épreuve les catéchumènes. Tout en reconnaissant ces difficultés, le visiteur des Indes orientales se prononce en faveur d'une multiplication des conversions et il avance trois arguments pour faire valoir son point de vue: tout d'abord, cette politique d'extension rapide de Voir par exemple la lettre de Melchior Nu fies Barreto à Ignace de Loyola de mars 1554, dans DJ, vol. Il, p. 80. Cette vision des Japonais comme un peuple rationnel se fait essentiellement par comparaison avec les autres peuples asiatiques. Le climat chaud et humide de l'Asie est vu comme un facteur de relâchement des mœurs et d'amollissement du corps et de l'esprit, même pour les Européens. Mais les Japonais ne semblent pas en souffrir, même si leurs mœurs ne sont pas jugées irréprochables en raison de l'influence du bouddhisme. 44 Lettre de Luîs de Almeida à Melchior Nufies Barreto, écrite de Funai le 20 novembre 1559, dans DJ, vol. Il, p. 222. 45 Instructions de Francisco de Borja au visiteur des Indes orientales P. Alvares en 1568, citées dans Jesus L6pez·Gay, El Catecumenado ..., op. cit, p. 15-16. 46 ARSl,Japsin 2, fol. 7v°-9. Voir aussi la lettre de Va ligna no à Acquaviva, datée du 10 décembre 1579, dans ARSl,Japsin 8·1, fol. 244-247v 0 • 47 ARSl,Japsin 2, fol. 7v°. 43
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la chrétienté a été suivie par de nombreux rois, saints et papes 48 • Ensuite, c'est la seule méthode possible au Japon: sil' on doit suivre les normes précisées par le concile de Trente, concernant la durée et le contenu du catéchuménat, personne ne se convertirait au Japon. Enfin, Valignano souligne que les chrétiens sont constants dans leur foi, malgré un enseignement rapide de la doctrine. En cela, le visiteur se montre beaucoup plus optimiste sur la« qualité» des convertis que d'autres jésuites. Aussi, le visiteur des Indes orientales recommande de poursuivre 1' extension de la chrétienté au Japon, même s'il convient d'agir avec prudence 49 • Ces oppositions entre les missionnaires du Japon soulignent que les motivations des Japonais pour se convertir au christianisme sont plus ou moins entachées par des considérations autres que religieuses; elles révèlent également les tensions qui existent entre les missionnaires quant aux modalités et à la réussite de la prédication et des conversions. Dans les débuts de la mission, l'idée que les conversions des Nippons sont plus sincères car plus rationnelles, par comparaison aux autres peuples asiatiques, est répandue, mais elle est remise en cause dès les années I 580 par une partie des jésuites 50 • Il est en réalité difficile de mesurer la sincérité d'une conversion, en raison de la variété des profils sociologiques des Japonais demandant le baptême et des motivations diverses des uns et des autres. L'insertion dans une communauté chrétienne ou la proximité del' une d'entre elles contribuent également à susciter un intérêt pour le christianisme. Néanmoins, quelques cas se distinguent, qui peuvent en partie expliquer les raisons conduisant un individu à se convertir. Certains manifestent ainsi un intérêt sotériologique pour le christianisme : des Japonais, inquiets pour le salut de leur âme, trouvent dans la nouvelle religion des moyens plus efficaces pour être sauvés 51 • François Xavier souligne le désir des Nippons d'entendre des prédications sur ces questions: Nous nous occupâmes [... ] à traduire bien des choses de la Loi de Dieu dans la langue du Japon, à savoir: la création du monde, expliquée avec toute la brièveté possible, ainsi que ce qui est nécessaire pour qu'ils puissent savoir qu'il y a un Créateur de toutes les choses, ce dont ils n'avaient aucune connaissance, et d'autres choses nécessaires en outre, jusqu'à en venir à l'incarnation du Christ, 48 49
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Ibid., fol. Sv". Voir les résolutions prises par Va ligna no suite à la consulte de Nagasaki en 1581, ibid., fol. 71v0 • La consulte de Nagasaki fait suite à la consulte tenue au Bungo l'année précédente. À ce sujet, voir la lettre de Nunes Barreto à Ignace de Loyola, écrite en mars 1554, dans DJ, vol. li, p. 80. Cette situation existe également dans la mission chinoise. Voir Anne Weber, Missionnaires et chrétientés en Chine au xvuf siècle. L'exemple de la mission du Sichuan (1730-1760), autour du journal du prêtre chinois André Li et de la correspondance missionnaire, thèse de doctorat, version dactylographiée, sous la direction d'Alain Forest, Université Paris VII-Denis Diderot, soutenue le 15 octobre 2010, p. 323.
et traitant de la vie du Christ à travers tous ses mystères jusqu'à !'Ascension, ainsi qu'une explication du Jour du Jugement. [... ] C'est [ce livre] que nous lisons à ceux qui se sont faits chrétiens afin qu'ils sachent comment ils doivent adorer Dieu et Jésus-Christ pour être sauvés. Les Chrétiens ainsi que ceux qui ne sont pas Chrétiens ont pris un grand plaisir à entendre ces choses 52 •
Cependant, il est certain que des personnes demandent le baptême pour des raisons plus matérielles : c'est particulièrement le cas des seigneurs résidant dans le sud du Japon et désireux d'attirer les navires portugais dans leurs ports et de réaliser ainsi un fructueux commerce. Les jésuites ne sont pas dupes des conversions intéressées de certains daimyo et Valignano souligne que les seigneurs de la région de Miyako sont de meilleurs chrétiens, car ils n'attendent aucun avantage matériel de leur statut de chrétien 53 • Mais cette situation ne préjuge pas de la persévérance dans la foi des daimyo : ainsi, Ômura Sumitada ne renie pas sa foi nouvelle, malgré l'hostilité de plusieurs seigneurs défavorables au christianisme. Les seigneurs convertis peuvent même se transformer en zélés propagateurs de la foi chrétienne et obliger leurs vassaux et sujets à embrasser le catholicisme : la conversion n'est pas libre mais s'effectue sous la contrainte, comme dans le cas d'Ômura Sumitada qui décide de convertir l'ensemble de son fief en 1 57 4 54 • En théorie, les conversions doivent se faire librement mais, dans un premier temps, les jésuites ne s'opposent pas aux conversions par la force, particulièrement lorsqu'elles concernent des bonzes ou lorsqu'elles font suite au changement de religion d'un daimyo. Ainsi, les fils de saint Ignace approuvent les destructions de temples bouddhiques et les conversions des bonzes et de la population sur le fief d'Arima, après la conversion d'Arima Harunobu en 1580 55 • Mais par la suite, les missionnaires se montrent réservés à l'égard des conversions obtenues par la force et le vice-provincial G6mez s'y oppose fermement 56 • Au début du xvn< sièccle, les règlements internes à la mission (Obediencias) du visiteur Alessandro Valignano et du vice-provincial Francisco Pasio reviennent sur la question et suggèrent d'agir avec prudence en la matière et de modérer les ardeurs éventuelles des daimyo désireux d'extirper toutes traces d'idolâtrie de leurs terres 57• Ils doivent encourager ce processus, mais sans recourir à la violence et à la coercition. Aussi les missionnaires 52 53 54 55 56 57
François Xavier, Correspondance, éd. cit., p. 365. Alessandro Va ligna no, les Jésuites au Japon, éd. Jacques Bésineau, Paris, Desclée de Brouwer, 1990, p. 142-143. HJ, vol. li, 1'• partie, chap.104, fol.181. Ibid., vol. Ill, 2' partie, chap. 20, fol. 65. Fr6is présente néanmoins ces conversions comme volontaires, ce dont on peut largement douter. Jesus L6pez-Gay, El Catecumenado .... op. cit, p. 95. BA,Jesuftas naAsia, 49-IV·56, fol.158v".
approuvent-ils une solution médiane : les daimyo obligent leurs vassaux à écouter des prédications, mais ils ne les obligent pas à se convertir 58 • Le baptême marque l'entrée du chrétien dans sa nouvelle vie, avec toutes les obligations qui en découlent. Ce long cheminement, de la prise de contact avec le christianisme jusqu'à l'approfondissement de la foi, ne repose qu'en partie sur le travail de prédication des missionnaires. Ces derniers recourent à la diffusion d'ouvrages chrétiens imprimés au Japon, pour que les convertis pratiquent leur nouvelle religion en l'absence d'un clergé suffisamment nombreux.
DIFFUSER LE MESSAGE CHRÉTIEN ET AFFERMIR LA FOI DES CONVERTIS: LE RÔLE DE L'IMPRIMERIE AU JAPON S'adresser au plus grand nombre: le rôle déterminant de l'imprimerie
L'installation d'une presse au Japon s'inscrit au sein de la politique d'accommodation développée par le visiteur des Indes orientales, Alessandro Valignano, car elle répond à une demande des convertis, notamment de la population noble, bien instruite, qui souhaite approfondir sa connaissance de la nouvelle religion. Elle permet une adaptation des méthodes jésuites au terrain particulier que représente la mission du Japon: en effet, les flls de saint Ignace pallient le manque de personnel missionnaire grâce aux ouvrages qu'ils impriment et qu'ils diffusent largement dans l'archipel. Ces livres sont un moyen pour les chrétiens de vivre leur foi par eux-mêmes, en l'absence d'un nombre suffisant de prêtres, tout en permettant aux missionnaires d'exercer un contrôle sur les points de doctrine diffusés auprès des convertis. Cependant, la décision de produire des ouvrages au Japon est antérieure à la venue d'Alessandro V alignano. Les jésuites s'attèlent rapidement à la rédaction de livres spirituels, à l'image du père Baltasar Gaga qui compose un traité, ou de Gaspar Vilela qui traduit en 1566 le Flos sanctorum, une compilation de vies de saints 59 • Les membres japonais de la mission ne sont pas en reste puisque Paulo Yôhô compose divers ouvrages, notamment une grammaire, un vocabulaire japonais et de nombreuses vies de saints 60 • Ces livres ne sont pas imprimés, car les jésuites ne disposent pas du matériel nécessaire à l'époque. Il est néanmoins probable que des ouvrages, et particulièrement le Flos sanctorum, très apprécié des convertis, circulent parmi les chrétiens sous une forme manuscrite 61 • 58 59 60 61
HJ, vol. Il, 1re partie, chap. 82, fol. 286. Ibid., vol. Il, lre partie, chap. 75, fol. 256v0 • Ibid., vol. li, 1re partie, chap. 65, fol. 71v 0 • Paulo Yiihii se convertit en 1560. Ces ouvrages sont probablement composés entre cette date et les années 1580. Ibid., vol. li, 1" partie, chap. 75, fol. 256v0 •
Si les auteurs des ouvrages sont bien connus, en revanche le public visé par les jésuites est difficilement identifiable. Les missionnaires se montrent peu diserts sur les destinataires de leurs livres, mais trois types de population sont ciblés: tout d'abord, les jésuites publient des ouvrages pour les étudiants des établissements scolaires, comme les œuvres en latin de Virgile 62 • Les nobles représentent la seconde cible privilégiée et ils se montrent désireux de posséder des livres chrétiens : le Guia do peccadores, œuvre de Luis de Granada traduite en japonais, est donné à un noble d'Usuki 63 • De même, Gracia Hosokawa demande des ouvrages spirituels et reçoit une traduction du Contemptus Mundi de Thomas à Kempis 64 • Il est également possible que les membres des confréries aient eu un accès prioritaires aux publications jésuites : la lettre annuelle de 1602 précise que des explications du Guia do peccadores sont données deux fois par semaine, en temps de Carême, dans la maison de la Miséricorde de Nagasaki 65 • Enfin, le peuple constitue une autre partie du public visé par les jésuites, mais se pose alors le problème de l'alphabétisation des couches les plus basses de la société japonaise. D'après François Xavier, une grande partie des Japonais possèdent les rudiments de l'instruction : « [ ..• ] Comme une grande partie d'entre eux savent lire et écrire, ils apprennent vite les oraisons 66 ». Cependant, on ne saurait proposer une évaluation exacte du niveau d'alphabétisation de la population. Les garçons reçoivent fréquemment les bases de l'instruction dans les monastères bouddhiques, mais les gens du peuple ne maîtrisent que !'alphabet syllabique et non les caractères chinois. Malgré cette réserve, il est certain que ce niveau général de connaissance facilite la diffusion des ouvrages jésuites: les missionnaires prennent le soin de publier la plupart des livres en utilisant l'alphabet syllabique, pour en assurer une plus large diffusion 67 • Constatant une forte demande de livres de la part des convertis, les jésuites décident d'installer une presse au Japon, suivant en cela l'exemple d'autres terres de mission, notamment le Mexique et l'Inde où des ouvrages sont publiés par la Compagnie de Jésus à Goa dès r 56 r 68 • La décision est prise lors du premier
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BA,Jesuftas na Asia, 49-IV-59, fol. 10. Ibid., fol. 36. HJ, vol. IV, 2• partie, chap. 62, fol. 537v0 • BA,Jesuftas na Asia, 49-IV-59, fol. 81v0 • Lettre aux compagnons résidant à Goa, Kagoshima, le 5novembre1549, dans François Xavier, Correspondance, éd. cit., p. 340. Minako Debergh, « Les œuvres imprimées des missions européennes au Japon, à Goa, Macao et Manille (1588-1630) »,Revue d'histoire française du livre, n° 42, janvier-mars 1984, p.187-203. C'est à Mexico, en 1538, que s'ouvre la première presse dans les terres nouvellement découvertes. Voir Serge Gruzinski, Les Quatre Parties du monde, Paris, La Martinière, 2004, p.66-68.
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voyage de Valignano au Japon et, si tous les jésuites s'accordent sur la nécessité d'instaurer une presse, certains mettent en avant la difficulté de trouver des ressources pour financer le projet 69 • En effet, les missionnaires sont contraints d'importer une presse à caractères mobiles depuis l'Europe, cette technique étant inconnue au Japon. Le visiteur a cependant cette affaire à cœur et il souligne que l'on peut perdre les livres au cours des fréquents naufrages, sans parler des coûts de transport élevés. Ce projet est également soutenu par le général Acquaviva, qui approuve l'idée d'imprimer des livres en japonais, et il conseille aux jésuites du Japon de s'adresser à ceux de Chine pour obtenir des caractères d'imprimerie spécifiques aux langues asiatiques, sachant que les kanji sont communs aux deux langues 70 • La presse n'arrive que lors du deuxième voyage de Valignano au Japon. Celui-ci se procure une presse, ainsi que des caractères d'imprimerie latins, lorsqu'il accompagne l'ambassade des Japonais en Europe à partir de r 58 2 71 • Lors du voyage de retour vers le Japon, l'expédition s'arrête en Inde en r 588. À Goa se trouve alors le jésuite Joao Rodrigues, qui connaît les techniques d'impression et enseigne son savoir à Giovanni Battista Pesce pendant huit mois 72 • Les ambassadeurs s'arrêtent ensuite à Macao où les missionnaires se procurent les types carrés pour les katakana et les quelques kanji, réalisés à partir de matrices en bois 73 • La presse arrive finalement au Japon en r 590, est directement envoyée à Katsuza où se trouve le collège et mise aussitôt en service. La presse suit ensuite les déménagements du collège : elle est installée à Am~usa en r 594, avant de retourner à Nagasaki en r 598. Il est également probable qu'une deuxième presse ait été installée à Miyako au début du XVIIe siècle, sous la direction d'un laïc appelé Ant6nio Harada 74 . Cependant, la presse est la plupart du temps placée sous la responsabilité d'un jésuite qui peut employer des Japonais laïcs pour travailler dans un atelier comptant jusqu'à une trentaine de personnes. Le premier responsable de la presse est naturellement frère Giovanni Battista Pesce qui occupe cette charge de r 590 à 1600. Les travaux de l'imprimerie sont ensuite supervisés par un 69
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73 74
ARSI, Japsin 2, fol. 4v0 .-5. Ce problème est récurrent dans la mesure où les livres imprimés sont distribués gratuitement. li est certain que la presse pèse très lourd dans le budget de la mission. Lettre du général, adressée au provincial du Japon, le 24 décembre 1585, dansARSl,Japsin 3, fol. 1v". Les kanji sont des caractères chinois. John Elisonas, « Journeyto the West »,JapaneseJourna/ofRe/igious Studies, n° 34/1, 2007, p. 27-66. Pour tous les détails techniques sur la presse, voir Johannes Laures, Kirishitan Bunko. A Manual of Books and Documents on the Early Christian Mission in Japon, Tôkyô, Sophia University, 1957, p. 9-23. Les katakana sont un syllabaire utilisé dans le système d'écriture japonais, principalement pour la transcription des mots étrangers ou d'onomatopées. Johannes Laures, Kirishitan Bunko, op. cit., p. 15.
laïc, qui travaille sous la direction des jésuites et doit obtenir leur autorisation pour publier un ouvrage. Thomé Gotô Sôin assure cette fonction de 1600 à 1603, avant que le père Nicolas de Avila ne prenne en charge les travaux de l'imprimerie, jusqu'au début des persécutions menées par le shogunat des Tokugawa. D'autres jésuites participent aux travaux de la presse, en contribuant notamment à l'amélioration des matrices ou à l'élaboration des caractères d'imprimerie japonais. Malgré la présence d'un personnel compétent, les problèmes de réalisation des caractères pour imprimer des livres en japonais ou de fabrication de nouveaux caractères d'imprimerie pour remplacer les anciens, vite usés, se posent de façon très précoce. En effet, les caractères ramenés d'Europe sont peu nombreux : les jésuites ne disposent au départ que d'une seule sorte de caractères, appelée type latin antigu.a ou rodonda, et de seulement trois tailles différentes 75 • Valignano demande à ce quel' on envoie les matrices pour les italiques et de nouvelles letra rodonda: sa demande est acceptée, mais les caractères sont perdus lors d'un naufrage. Les jésuites du Japon sont donc contraints de réaliser eux-mêmes les caractères dont ils ont besoin grâce à une fonderie, amenée d'Europe: le père Constantino Dourado, qui a accompagné les ambassadeurs japonais en Europe, a été formé pour réaliser les matrices au Portugal 76 • On fait également appel à des artisans japonais pour confectionner les italiques ; pour les katakana et les kanji, de nouveaux caractères en bois sont réalisés. À ces détails techniques s'ajoutent des considérations concernant le contrôle à exercer sur les ouvrages publiés. Les livres doivent normalement recevoir l'approbation de l'inquisition de Goa avant d'être publiés car le Japon n'a pas d'évêque à cette époque, mais cela pose des difficultés d'organisation et retarde l'impression. Le procureur Gil de la Mata, envoyé en Europe en 159 5, est chargé de soulever ce problème aux autorités romaines et il parvient à obtenir une lettre apostolique du pape qui dispense les jésuites du Japon de soumettre les manuscrits à l'approbation de l'inquisition de Goan. Ce problème étant résolu, la question de savoir quels livres publier demeure. Valignano souligne la jeunesse de la chrétienté japonaise, le danger que des hérésies s'y répandent si l'on ne surveille pas attentivement le type d'ouvrages à imprimer. Aussi le visiteur recommande-t-il de ne publier que des livres parfaitement orthodoxes, destinés à enseigner la morale chrétienne, ou d'expurger certains ouvrages afin de ne pas introduire de confusions dans l'esprit des Japonais:
75 76 77
Ibid., p. 16. Dourado les accompagne en tant que dojuku et il entre dans la Compagnie à son retour d'Europe. « Quae a sua Sanctitate ex parte viceprovinciae Japoniae petenda sunt », dans ARSI, Japsin 52, fol. 73.
193
V\
Comme au Japon on ignore nos auteurs, nos livres et leur contenu, il ne convient nullement que les Japonais les connaissent. Il y a en Europe beaucoup d'opinions nouvelles, qui pourraient facilement les induire en diverses hérésies, ou au moins leur faire perdre leur simplicité et leurs bonnes dispositions présentes. Il paraît plus commode et nécessaire de faire, pour les Japonais, des manuels originaux de toutes les sciences, où l'on enseigne simplement la substance des choses et les vérités assurées et bien fondées en preuves, sans rapporter d'autres opinions dangereuses et hérétiques. Il n'est pas nécessaire d'avoir connaissance de tout cela ; au contraire, l'enseigner causerait un dommage sans aucun profit. [... ] Pour que dès l'enfance ils progressent dans la bonne doctrine, on ne leur enseignera pas le latin dans les poètes païens, ni dans Cicéron, mais dans des livres qui traitent de la vertu et de la religion chrétienne, de la haine des vices, dans des extraits d' œuvre en prose et en vers de saints et d'auteurs chrétiens qui ont traité ces sujets, et en composant de nouveaux, au sujet du Japon, où aussi on condamne leurs vices et leurs fausses sectes. [... ] On introduira livres et bons auteurs à notre manière et on les imprimera auJapon 78 •
194
Néanmoins, des ouvrages continuent de circuler sous forme manuscrite même après l'installation de la presse 79 • La diversité des Livres imprimés
Le premier ouvrage imprimé par les missionnaires en 159 1 est le Sanctos no gosagueo, une adaptation de La Légende dorée de Jacques de Voragine, regroupant des textes édifiants sur les saints et les martyrs. Le livre se veut didactique puisqu'il inclut à la fin un glossaire de 72 pages, expliquant plus de 2 ooo mots en japonais et en portugais. Imprimé en romaji, c'est-à-dire en caractères latins, le Sanctos no gosagueo est destiné principalement à être diffusé dans les établissements scolaires de la Compagnie de Jésus au Japon, mais il est également utilisé par les missionnaires dans leurs dialogues avec les néophytes. Publié quatre ans après le déclenchement de la persécution de Hideyoshi, le Sanctos no gosagueo inaugure une importante littérature consacrée au martyre, destinée à affermir les convertis dans leur foi. À côté de cette littérature d'édification, les jésuites se préoccupent d'imprimer des livres spirituels, qui sont souvent la traduction d'ouvrages européens comme le Contemptus mundi de Thomas à Kempis ou le Guia do peccadores de Luis de Granada. Dès 1 592, les missionnaires publient le Fides no doxi, une version abrégée en japonais de la cinquième partie du Gufa do peccadores. L'année suivante, les 78 79
Alessandro Valignano, Les Jésuites au Japon, éd. cit., p. 146-147. Les convertis peuvent recopier des ouvrages et les faire circuler, comme Gracia Hosokawa. Voir HJ, vol. IV, 2• partie, chap. 62, fol. 537v0 •
fils de saint Ignace se lancent dans l'impression d'œuvres littéraires japonaises sous la direction du frère japonais Fabian Fukan, comme le Heike monogatari, une des plus célèbres épopées du pays narrant la lutte entre les clans Taira et Minamoto au xne siècle. Parallèlement, les jésuites publient une traduction en japonais de soixante-dix Fables d'Ésope qui rencontrent un grand succès auprès du public japonais, au point de faire l'objet de réimpression même après l'interdiction du christianisme en 1614 80 • Le choix des ouvrages imprimés n'est pas particulièrement original et ne distingue pas le Japon des autres aires de mission : en effet, avec la première mondialisation apparaît un lectorat, dispersé en Asie ou en Amérique, qui s'intéresse aux mêmes titres, aux mêmes ouvrages de piété et aux classiques latins que les lecteurs européens 81 • Sans qu'il y ait de politique concertée, les presses ibériques dans le monde stimulent l'essor d'une littérature chrétienne en langue locale, accélérant la circulation des idées et des croyances européennes. Enfin, les missionnaires éditent des dictionnaires et des grammaires, témoignant de l'œuvre linguistique de la Compagnie de Jésus au Japon 82 • En l 594, le De institutione grammatica Libri tres sort des presses d'Amakusa: destiné aux étudiants japonais du séminaire, afin de faciliter leur apprentissage du latin, l'ouvrage est une adaptation de la grammaire du frère Manuel Alvares, imprimée pour la première fois à Lisbonne en l 572, témoignant de la circulation des ouvrages à une échelle planétaire. La grammaire est cependant adaptée au contexte japonais, puisqu'elle contient de nombreux exemples tirés desAnalectesde Confucius ou du Heike Monogatari. Les jésuites démontrent ainsi leur connaissance des classiques de la littérature asiatique et leurs capacités à faire dialoguer deux traditions littéraires, européenne et japonaise, par la pratique de l'intertextualité 83 . La grammaire latine se double l'année suivante d'un abondant lexique latin/portugais/japonais de plus de 900 pages, complété en 1603-1604 par le Vocabulario da lingua de]apam, auquel participe Joao Rodrigues l'interprète, le plus grand linguiste de la mission._ Plus qu'un simple dictionnaire, l'ouvrage témoigne de la profonde connaissance acquise par les jésuites de la langue japonaise mais également des us et coutumes locaux, des concepts philosophiques ou encore des conventions sociales du pays. 80 81 82
83
Jacques Proust, L'Europe au prisme du Japon : xv1•-xv1f siècle, entre humanisme, ContreRéforme et Lumières, Paris, Albin Michel, 1997, p. 34. Serge Gruzinski, Les Quatre parties du monde, op. cit., p. 64. Minako Debergh, « Les débuts des contacts linguistiques entre l'Occident et le Japon (premiers dictionnaires des missionnaires chrétiens au Japon au xv1' et au xvn' siècles) », Langages, 16' année, n° 68, 1982, p. 27-44. Rui Manuel Loureiro, « Kirishitan Bunko. Alessandro Valignano and the Christian Press in Japan », Revista de cultura, n°19, 2006, p.147.
195
Amakusa
Amakusa
Amakusa
Compilation de Fabian Fukan
Ésope
Fides no doshi
Bauchizumoo no sazukeyo to biyOja ni henitenshiya wo susumuru keoke no koto
Heike monogatari
Esopo no fabulas
1592
1593
1592-1593
1592-1593
Amakusa Amakusa
Thomas à Kempis
Ignace de Loyola
Bartholomeu de Martyribus
Manino de Azpilcueta y Jaurenguizer
Dictionarium latinolusitanicum ac Iaponium
Contemptus Mundi
Exercitia spiritulia
Compendium Spiritualis Doctrinae
Compendium manualis Navarri
1595
1596
1596
1596
1597
Inconnu
Amakusa
Amakusa
Amakusa
Manud Alvarez
De institutione grammatica
1594
592-1593
Amakusa
l
Kinkushû
Amakusa
Amakusa
Doctrina christam
1592
Luîs de Granada; traduction de Pedro Ramon
Katsusa
Dochirina Kirishitan
1591
Latin
Latin
Latin
Japonais romanisé
Japonais/latin/ ponugais
Latin
Japonais
Japonais romanisé
Japonais romanisé
Japonais
Japonais romanisé
Japonais romanisé
Japonais
Japonais romanisé
Katsusa
Sanctos no gosagyo-no uchi (2 livres)
Langue
1591
Paulo Yôhô et Vicente Hoin
Lieu
d'impression Japonais
Auteur
Fragments de prières
Titre
Inconnue
Date
Remarques
Livre sur les confessions
Livre spiritud
Le livre aurait appanenu à la résidence de Yamaguchi.
Sdon Fr6is, une édition en latin aurait été faite, mais elle n'a pas été retrouvée
Basé sur le dictionnaire latin d'Ambrosio Calepino
Version abrégée d'une célèbre grammaire
Compilation de proverbes dans un style linéraire
Traduction des Fables
Destiné aux missionnaires européens
Sur le baptême et la préparation à la mon ; ouvrage destiné aux laïcs ayant en charge les communautés chrétiennes
Abrégé de la 5' partie de l'Introduction au symbole de la foi
Dite Doctrina Barberini
Compilation de vies de saints. Il est possible qu'une version avec des caractères ait été imprimée
Elles ont été retrouvées dans le Salvator Mundi et Roei Zafitsu
Tableau 13 : les ouvrages imprimés par la Compagnie de Jésus au Japon
Les ouvrages imprimés
Nagasaki Nagasaki Nagasaki Nagasaki Nagasaki Nagasaki
Nagasaki
Nagasaki
Inconnu Macao
J o:io Rodrigues
Luis Cerq ueira
Manuel Barreto
Thomas à Kempis
Luis de Granada
Doctrina christam
Orashyo non honyaku
Riiei zafitsu
Aphorismi confessariorum
Vocabulario da lingoa de ]apam
Arte da lingoa de ]apam
Manuak ad sacramenta Eccksiae ministranda
Spiritual Shugyô
Flosculi
Contemptus mundi
Fides no kyii
Taiheiki Nukigaki
Arte breve da lingoa ]apoa
1600
1600
1600
1603
1603-1604
1604-1608
1605
1607
1610
1610
I6II
Inconnue
1620
J oio Rodrigues
Nagasaki
Kyôto
Nagasaki
Nagasaki
Doctrina Christam
1600
Manuel Sa
Nagasaki
Guia do peccador
1 599
Luîs de Granada
Nagasaki
Rakuy0shû
1598
Lieu d'impression Nagasaki
Auteur
Salvator Mundi
Titre
1598
Date
Portugais
Japonais
Japonais
Japonais
Latin
Japonais romanisé
Latin
Portugais
Japonais/ pormgais
Latin
Japonais
Japonais
Japonais romanisée
Japonais
Japonais
Japonais
Japonais
Langue
Version abrégée de la grammaire de l 604- l 608.
Version abrégée du Taiheiki (Histoire de la Grande Paix), publiée au XIV' siècle
Abrégé du Symbole de la Foi
Version abrégée. Une autre version aurait été imprimée dès l 60 3 à Nagasaki.
Anthologie de la Bible et des Pères de l'Église
Pedro Gomez. Des versions devaient circuler précédemment.
Compilation de trois œuvres: Méditatiom sur ks IS mystères du Rosaire et Médiations de la Passion par Gaspar Loarte ; Passion du Christ par un jésuite inconnu ; méditations sur des sujets divers par
Etude de la conjugaison, de la syntaxe et du style de la langue japonaise
Reproduction del' œuvre de théologie morale du jésuite
Poèmes
Livre de prières
Identique à la précédente
Version abrégée
Dictionnaire de kanji avec les prononciations
Ouvrage qui circulait depuis l 596 d'après Fr6is
Remarques
Ill. 1. Une feuille de prière, imprimée à Kazusa, en 159184
84
Cette image est reproduite avec l'aimable autorisation de Kirishitan Bunko. Source: Laures Kirishtan Bunko Data base, . Page consultée la dernière fois le 3 mars 2015.
S'il est possible de mesurer la diversité des livres sortant de la presse jésuite du Japon, il est en revanche plus difficile de proposer une estimation du nombre d'ouvrages imprimés et distribués dans l'ensemble du pays, d'autant que plusieurs titres n'ont pas survécu au temps 85 • Certains auteurs ont néanmoins avancé le chiffre de 3o ooo livres imprimés durant les 2 5 années où la presse a fonctionné dans l'archipel nippon 86 • À côté des ouvrages proprement dits, les jésuites éditent également des feuillets contenant des prières ou un court rappel de la doctrine chrétienne qui sont distribués à de nombreux chrétiens en guise de pense-bête, voire de cadeau 87 •
Les livres imprimés mais non retrouvés 88 Tableau 14. Les ouvrages produits par la Compagnie de Jésus au Japon, mais non retrouvés 89
199 Titre
Doctrina
Remarque Elle componait dix chapitres.
Méthode de confession Méthode pour réciter le rosaire Discours de Cicéron Règles de la Compagnie de Jésus Calendriers de !'Église
On n'en possède que des versions manuscrites.
Méthode pour enterrer les morts
Ouvrage pour les laïcs
Catechismus concilii Tridentini
Impression en 1 596
Contemptus mundi
Impression en 1596 d'après la lettre annuelle rédigée par Frôis
Sur l'excellence du martyr
Impression vers 1797-1598 après Pasio
85
Cette liste est établie d'après les indications fournies dans Johannes Laures, Kirishitan Bunko, op. cit. 86 Rui Manuel Loureiro, « Kirishitan Bunko »,art. cit., p.145. 87 Ceci m'a été signalé, lors de mon séjour au Japon en 2011, par l'archiviste de Kirishitan Bunko (université Sophia de Tôkyô), Naoko Frances Hioki, qui est depuis devenue visiting researcher à l'université Sophia. D'après Hioki, des investigations ont été menées sur le feuillet de prière, contenu dans le Guia do peccadores de Lufs de Granada. Le papier utilisé serait d'une qualité supérieure, ce qui conduit à penser que les jésuites pouvaient distribuer ces feuillets comme cadeaux. 88 Ils sont en général mentionnés dans des lettres. 89 Tableau établi à partir des indications de Johannes Laures, Kirishitan Bunko, op. cit.
Titre
Remarque
De interiori domo de saint Bernard Œuvres de Vigile Traité sur ce qui est nécessaire pour l'instruction d'un chrétien
Konchirisan no ryaku (1603)
Traité sur la contrition
RP Claudi Acquavivae Societatis lesus praepositi Generalis, Industriae pro Superioribus ejusdem Societatis ad curandos animae morbos Vie de saint Ignace Vie de François Xavier
Mainohon
Œuvres japonaise du xv' siècle
Monogatari
Impression de diverses chroniques japonaises.
200
Parmi les œuvres produites par les missionnaires, les doctrines tiennent une place particulière, car elles contiennent les connaissances jugées indispensables pour vivre en tant que chrétien ou recevoir le baptême. En cela, elles se veulent le reflet des attentes des jésuites à l'égard des convertis. Les doctrines, reflet des attentes missionnaires à l'égard des convertis
Distinctes du catéchisme, qui est une présentation préliminaire de la doctrine chrétienne destinée à convaincre les non-chrétiens, les doctrines proprement dites présentent en détails la foi catholique à destination des catéchumènes et des convertis 90 • Les doctrines ont également pour but d'introduire les pratiques chrétiennes pour le catéchumène, tout en lui détaillant les obligations morales découlant de l'adoption de cette nouvelle religion 91 • Mais les doctrines visent un public plus large que les aspirants au baptême : elles ont aussi pour vocation de servir de livre de chevet pour les convertis, en proposant un résumé des connaissances indispensables et parfaitement orthodoxes. Il est douteux que chaque chrétien ait possédé un tel livre, même si l'on recommande aux catéchumènes de prendre en note les éléments de la doctrine et les prières, comme le souligne Valignano:
90 91
Gianni Criveller, Preaching in Late Ming China, Brescia, Ricci lnstitute, 1997, p. 40. On peuttrouver dans les sources la mention« les onze chapitres», plutôt que le terme de doctrine. Les deux expressions sont en réalité synonymes, car les doctrines imprimées au Japon étaient divisées en onze chapitres. Voir par exemple, BA,JesuftasnaAsia, 49-IV-56, fol. 31v".
Ceux qui se décident à devenir chrétiens écrivent alors en leur langue le Credo, le Pater Noster et !'Ave Maria, les commandements et d'autres prières, et ils les illustrent avec beaucoup de soin, car ils aiment tous faire cela 92 •
En revanche, il est probable que la plupart des communautés chrétiennes, et plus particulièrement les kanbo qui se trouvent à leur tête, possèdent un tel ouvrage d'où ils tirent les extraits des lectures spirituelles du dimanche. Trois doctrines imprimées nous sont parvenues, mais il est possible que ces textes aient d'abord circulé sous forme manuscrite. Une première Dochirina Kirishitan est imprimée en l 59 l à Katsuza : elle est la première doctrine à être publiée en japonais 93 • Elle se présente sous forme de questions, posées par le catéchumène et auxquelles répond le catéchiste, et elle suit dans les grandes lignes le petit catéchisme du cardinal Bellarmin 94 • Elle s'inspire également du catéchisme publié par le jésuite Marcos Jorge (1 524-1608) à Lisbonne en l 566: les deux textes possèdent une structure similaire, mais des aménagements ont été faits au moment de la traduction en japonais, notamment parce que le texte de Jorge s'adressait à des enfants, tandis que la Doctrina est destinée à un public adulte 95 • Divisée en onze chapitres, cette première Doctrina contient un exposé de la doctrine au cours duquel on insiste sur la nécessité de mettre en pratique les commandements de la religion chrétienne, même au risque de perdre la vie ; une explication du signe de la croix ; le Pater noster, défini comme la prière permettant de relier Dieu et les hommes et comme un moyen de voir ses souhaits se réaliser; l'Ave Maria dans lequel une distinction entre Dieu et Marie est clairement établie, seul Dieu pouvant pardonner les péchés, tandis que Marie est celle qui aide à demander le pardon de Dieu; le Salve Regina; le Credo et les articles de la foi, expliqués un par un ; les Dix Commandements ; les lois de l'Église, comme aller à la messe (Missa) le dimanche (Domingo) et les jours saints, faire une confissdo une fois par an au moins, recevoir le sacramento de l' Eucharistia à Pascoa, observer le jejum et ne pas manger de viande le vendredi (Sexta) et le samedi (Sabbado) et donner le Dizmos primicias
Alessandro Valignano, Les Jésuites au Japon, éd. cit., p.143. Elle est conservée à la Bibliothèque vaticane. Elle est souvent appelée Dodrina Barberini en référence au fond Barberini (intégré à présent à la Bibliothèque vaticane), dont elle faisait partie. 94 Johannes Laures, Kirishitan Bunko, op. cit., p. 39. Le père Humbertclaude a souligné ces ressemblances entre le grand catéchisme de Bellarmin et la doctrine japonaise. Cependant, Laures fait remarquer que la première édition de l'œuvre du Cardinal ne parait qu'en 1598, soit sept ans après la doctrine japonaise. li en conclut que l'on ne saurait voir cette dernière comme une simple adaptation de l'ouvrage de Bellarmin. Sur le contenu de la doctrine japonaise, voir Ernest Mason Satow, The Jesuit Mission Press in Japan (1591-1610), Tokyo, 1888, p. 38-39. 95 Sur la Doctrina de 1591, voir lkuo Higashibaba, Christlanity in Early Modern Japan: Kirishitan Beliefand Practice, Leiden, Brill, 2001, p. 50-75. 92 93
201
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Ill. 2. Doctrina christam imprimée en 1600106 106
Ibid. Image extraite et reproduite avec l'aimable autorisation de la Biblioteca Casanatense (Rome) qui possède la Doctrina.
Trinité; l'Incarnation; la destinée éternelle de l'âme; Jésus comme chemin du salut ; la Passion ; la Résurrection ; le jugement dernier ; le baptême et la confession ; l'eucharistie ; la valeur de la prière. Quant au texte de l' Orashio no honyaku, il contient les onze articles, ainsi que les prières jugées les plus importantes à connaître pour un chrétien : Tableau 15. Les prières contenues dans l'Orashio no honyaku (1600) 107
Prière
Numéro
Langue
I
Le signe de la Croix
latin transcrit en japonais
2
Pater Noster
latin transcrit en japonais
3
Ave Maria
latin transcrit en japonais
4
Credo
japonais
5
Les Dix Commandements
japonais
6
Les Cinq préceptes de l'Église
japonais
7
Salve Regina
japonais
8
Confiteor
japonais
9
Les Sept sacrements
transcription des termes ponugais en japonais
IO
Les Sept péchés capitaux
en japonais avec des explications
II
Les Œuvres de miséricorde
japonais
m a.
12
Les Trois vertus théologales
en japonais, mais transcription des termes portugais
13
Les Quatre vertus cardinales
en japonais, mais transcription des termes portugais
"'n ~ œ.· 1i)
14
Les Sept dons de !'Esprit
mélange de portugais et de japonais
15
Les Huit béatitudes
mélange de portugais et de japonais
16
Prière lorsque l'on se couche
latin transcrit en japonais
17
Prière quand on se lève
latin transcrit en japonais
18
Prière pour l'ange gardien
latin transcrit en japonais
19
Prière lorsque l'on quitte la maison
latin transcrit en japonais
20
Prière lorsque l'on prend de l'eau bénite
latin transcrit en japonais
21
Prière lorsque l'on reçoit la communion
latin transcrit en japonais
205
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107
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Tableau établi à partir de Jesus L6pez-Gay, El Catecumenado ..., op. cit, p. 64.
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Numéro
Prière
Langue
22
Prière à la sainte Croix
latin transcrit en japonais
23
Prière avant les repas
latin transcrit en japonais
24
Prière après le repas
latin transcrit en japonais
25
Prière lorsque l'on marche dans la rue
latin transcrit en japonais
26
L'Angelus
latin transcrit en japonais
27
Le Rosaire
latin transcrit en japonais
28
Les cinq mystères joyeux
japonais
29
Les cinq mystères douloureux
japonais
30
Les cinq mystères glorieux
latin transcrit en japonais
31
En récitant le chapelet, les onze chapitres
japonais
32
Litanies de la Vierge
japonais et latin
206
Le message chrétien est donc transmis par une pédagogie pastorale fondée sur la diffusion de l'écrit et qui est destinée à pallier le manque de prédicateurs. Même si les missionnaires se montrent attentifs à expliquer les points difficiles de la doctrine, on peut s'interroger sur la compréhension par les Japonais de certains thèmes en raison des difficultés posées par la traduction des termes chrétiens en japonais. La question de la transférabilité de certains concepts d'une langue à une autre est ainsi posée. Ce problème souligne, en creux, les limites del' œuvre de conversion des missionnaires face à la barrière culturelle et linguistique ; il permet de nuancer l'image du parfait converti, bien au fait du christianisme, telle qu'elle est transmise par l'étude des doctrines.
FAIRE COMPRENDRE LE MESSAGE CHRÉTIEN : QUAND LA CONVERSION SE HEURTE AU PROBLÈME DE LA TRADUCTION
Traduire les concepts chrétiens: quelle langue adopter?
Les enjeux en termes de traduction sont importants, car les Japonais doivent parfaitement comprendre la doctrine afin de se convertir en pleine connaissance de cause. Le choix d'utiliser la langue japonaise est fait d'emblée par François Xavier, car il n'existe pas d'autre alternative afin de se faire comprendre de la population et l'absence d'une puissance coloniale renforce cette nécessité de recourir à la langue du pays. Dès lors, la préoccupation des missionnaires est de traduire la doctrine chrétienne en japonais, tâche qui rencontre de multiples
difficultés d'ordre linguistique. Tout d'abord, il s'agit de trouver des termes afin de désigner des concepts chrétiens qui n'existent pas au Japon ; ensuite, il convient de traduire des idées qui ont des équivalents en japonais, mais qui ne désignent pas exactement la même chose ; enfin, de manière plus générale, il faut réfléchir au style et à l'écriture des ouvrages, selon quel' on désires' adresser aux classes dirigeantes ou au peuple. Dans l'espoir de résoudre ces problèmes, les jésuites se reposent en grande partie sur les convertis japonais pour effectuer le travail de traduction. La première traduction d'un résumé de la foi chrétienne est ainsi réalisée par Anjirô, compagnon de François Xavier : Cette dame [la mère du daimyô de Kagoshima] nous fit demander de lui envoyer par écrit ce que les Chrétiens croient ; Paul employa plusieurs jours à le faire et , . . b'1en d es ch oses d e notre 101 c . en sa 1angue 108 . ecr1v1t
Le recrutement d'anciens bonzes au sein de la Compagnie a également pour effet d'avoir à disposition des traducteurs confirmés ainsi que des écrivains de talent, sur le modèle de Paulo Yôhô : Et, outre sa vertu et sa grande humilité, qui édifiaient tout le monde et étaient un exemple, [Paulo Yôhô] fut d'une grande aide afin de pouvoir composer 1'Arte na lingua de ]apâo et un abondant Vocabulario. Au fil du temps, il épura le catéchisme que l'on prêchait aux Gentils, grâce à ses connaissances sur les sectes et l'histoire ancienne du Japon, car il est très sûr dans ces choses ; grâce à son aide, on put traduire de nombreuses vies de saints et beaucoup d' œuvres de nos auteurs, car l'élégance, !'excellence et la délicatesse de son style faisaient que [ses écrits] étaient bien reçus par les Japonais, en n'importe quel endroit 109 •
Les qualités d'écrivain de Paulo Yôhô font qu'il est très apprécié au sein de la mission et il est d'une grande utilité aux missionnaires pour affiner leurs connaissances des différentes sectes du Japon. Les Japonais ne se contentent pas d'une simple traduction de la doctrine chrétienne, mais ils adaptent le texte au contexte local afin de le rendre intelligible aux convertis. Ainsi, les termes se référant au paganisme romain sont remplacés par des expressions ayant trait au bouddhisme et au shintoïsme, dont Paulo Yôhô est un fin connaisseur 110 • Luis Fr6is souligne la fiabilité des écrits de Paulo, signe que les précédentes traductions réalisées par des Japonais ou les jésuites eux-mêmes n'étaient pas totalement satisfaisantes sur ce point. 108 Lettre de François Xavier aux compagnons résidant à Goa, Kagoshima, 5 novembre 1549, dans François Xavier, Correspondance, éd. cit., p. 340. 109 HJ, vol. 1, 1•• partie, chap. 26, fol. 71-71v0 • Les événements rapportés ont lieu en 1560 à Miyako. 110 Rui Manuel Loureiro, « Kirishitan Bunko »,art. cit., p. 142.
207
En effet, les erreurs de traduction sont nombreuses lors de la première mission, en raison de la connaissance lacunaire que les missionnaires ont de la langue japonaise 111 • Parmi les trois missionnaires arrivés au Japon en 1549, seul Juan Fernandez parvient à une maîtrise correcte de la langue et ce après plusieurs années de pratique 112 • Les premières traductions réalisées par les missionnaires sont donc de mauvaise qualité et elles n'utilisent pas l'écriture japonaise: Pendant l'année où nous résidâmes dans la ville de Paul, nous nous occupâmes à catéchiser les Chrétiens, à apprendre la langue et à traduire bien des choses de la Loi de Dieu dans la langue du Japon. [... ] C'est à grand-peine que nous avons traduit ce livre [le catéchisme] en langue japonaise etc' est avec nos lettres que nous l'avons écrit 113.
208
L'aide fournie par les convertis se révèle insuffisante car ces derniers, à l'instar d'Anjirô, ne possèdent pas les qualifications nécessaires pour fournir un travail de qualité. Si Anjirô sait lire et écrire, il ne connaît pas les caractères chinois, indispensables pour lire les livres des sectes bouddhiques. Sa connaissance superficielle de ces dernières représente un obstacle supplémentaire pour trouver des équivalents entre les termes chrétiens et les termes bouddhiques. Anjirô affirme ainsi à François Xavier, lorsqu'ils sont encore en Inde, que les Japonais adorent un dieu à trois têtes appelé Dainichi, l'équivalent de la sainte Trinité des chrétiens. Ces paroles alimentent le désir du saint de partir pour le Japon, persuadé que les habitants del' archipel nippon avaient eu connaissance de Dieu précédemment. Dainichi est en réalité une divinité adorée par la secte Shingon, à laquelle appartient Anjirô avant sa conversion au christianisme. Convaincu que Dainichi et le Dieu chrétien sont équivalents, François Xavier réutilise ce terme dans ses premières prédications. La confusion est renforcée lorsque les bonzes, au cours d'une discussion à Yamaguchi en 1551, affirment que le Dieu des chrétiens et Dainichi sont bien une seule et même divinité, car Dainichi représente le principe des choses 114 • Pour autant, comme le fait remarquer Fr6is, les bonzes n'identifient pas Dainichi au Dieu créateur, et encore moins avec la 111 Ces erreurs sont reconnues parValignano qui les impute à l'absence d'éducation d'Anjir6. Voir Alessandro Valignano, Historia del principio y progressa de la Compania de Jesus en las fndias orientales (1542/1564), Roma, lnstitutum Historicum Societatis lesu, 1944, p.164. 112 Dans les premiers temps de la mission, les sermons sont écrits en espagnol par Cosme de Torres et traduits en japonais par Fernândez. Voir la lettre de François Xavier, du 29 janvier 1552, écrite de Cochin et adressée aux compagnons vivant en Europe, dans François Xavier, Correspondance, éd. cit., p. 378. 113 Ibid., p. 364-365. D'après Léon Bourdon, Juan Fernândez et Anjir6 se sont chargés de la traduction du catéchisme rédigé par François Xavier. Voir Léon Bourdon, La Compagnie de Jésus et le Japon, Paris/Lisboa, Centre Calouste Gulbekian, 1993, p.175. 114 HJ, vol. 1, 1re partie, chap. 5, fol. 1ov"-11.
materia prima des scholastiques. François Xavier sent qu'il y a probablement un malentendu avec les bonzes : en 1551, il a eu le temps de se rendre compte que les récits pleins de promesses d'Anjirô ne correspondent pas toujours à la réalité, que les bonzes peuvent appartenir à différentes sectes et qu'ils sont peu résolus sur la question del' immortalité del' âme 115 • Il demande alors aux bonzes de la secte Shingon s'ils ont connaissance de la sainte Trinité, de l'Incarnation et de la mort de Jésus-Christ sur la Croix pour sauver le genre humain ; les bonzes éclatent de rire et lui répondent que de telles histoires ne sont que des fables. Le malentendu est cette fois déflnitivement dissipé et François Xavier envoie Fern:indez dans les rues pour crier quel' on ne doit pas adorer Dainichi. Le saint décide alors de revenir à l'utilisation du terme latin Deus pour désigner Dieu, mais, ce faisant, ils'expose à d'autres difficultés. En effet, le terme Deus se transcrit« deusu » en japonais. Or ce mot est proche de « dai uso », qui signifle « grand mensonge » en japonais. Dès lors, le christianisme devient« la doctrine du mensonge » et les bonzes ne manquent pas de le rappeler à la population, afln de discréditer le message de François Xavier:
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En outre, quand ils [les bonzes] prêchaient, ils interprétaient le nom de Deus de la façon qu'ils voulaient, disant que Deusu et daiuso, c'est la même chose. Or, dans la langue du Japon, daiuso signifie« grand mensonge». C'est pourquoi, disaient-ils, qu'ils se gardent bien de notre Dieu 116 • ;:;';'
Malgré cette difficulté, la décision de remplacer Dainichi par Deus est définitivement adoptée par les successeurs de François Xavier. Le choix de conserver les termes chrétiens en portugais, lorsqu'ils ne peuvent faire l'objet de traduction, est élargi par la suite. À la fln de la première mission, seul le terme de Dainichi est remplacé. En revanche, les jésuites continuent de désigner les anges par tennin, le démon par tengu et le Sauveur par hotoke, terme désignant une divinité bouddhique. Afin de bien faire comprendre la distinction entre bouddhisme et christianisme, François Xavier procède alors par contrastes: il oppose les hotoke qui se trouvent dans des pierres ou du bois au vrai hotoke qui est le Créateur et le Sauveur du monde 117 • Ce faisant, le fondateur de la mission n'insiste que sur les aspects du dogme qui comportent des éléments de comparaison avec les sectes ; ils' abstient de mettre l'accent sur les traits les plus originaux de la théologie chrétienne, comme le Christ incarné ou la Passion. Il ne s'appuie pas sur les Écritures, mais sur la raison, pour prouver que les commandements de Dieu sont conformes au bon sens. 115 Lettre de François Xavier aux compagnons résidant à Goa, Kagoshima, 5 novembre 1549 dans François Xavier, Correspondance, éd. cit., p. 332. 116 Lettre du 29janvier1552, écrite de Cochin et adressée aux compagnons vivant en Europe, dans ibid., p. 374. 117 Léon Bourdon, La Compagnie de Jésus et le Japon, op. cit., p. 209-210.
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Ces erreurs de traduction ont des conséquences sur le long terme. François Xavier, de passage dans la forteresse d'Ichiku, convertit une famille à laquelle il a enseigné qu'il faut adorer Dainichi. Une dizaine d'années plus tard, en r 562, le jésuite Luis de Almeida revient dans cette forteresse et rencontre le chef de famille, Miguel 118 • Celui-ci lui parle de la visite du saint et lui montre les objets que ce dernier lui a laissés. Almeida se résout à enseigner la doctrine chrétienne à ces convertis qui n'ont pas vu de missionnaires depuis plusieurs années. Miguel lui demande alors si le Deos dont il parle est bien le même dieu que le Dainichi dont lui a parlé François Xavier. Almeida doit fournir de nouvelles explications et démontrer que Dainichi est une idole, et non le Dieu des chrétiens. Ces problèmes, dus à de mauvaises traductions, diminuent avec le temps, au fur et à mesure que les jésuites affinent la composition des livres et possèdent mieux la langue. La première mission marque donc une étape importante en termes de choix linguistique, mais des problèmes persistent lors du départ de François Xavier. Si le saint a pris la décision de remplacer le terme de Dainichi, d'autres mots japonais continuent d'être utilisés par les missionnaires, créant des confusions pour les convertis. La réforme de la catéchèse par Baltasar Gago
Face à ces problèmes persistants de traduction, Gago propose une révision systématique des choix linguistiques dans les années r 5 50, suite aux nombreuses disputes qu'il tient avec les bonzes du Bungo et qui lui permettent d'acquérir une solide connaissance du bouddhisme 119 • À cette occasion, il réalise que les termes bouddhiques, toujours employés dans le catéchisme diffusé par les missionnaires, ne recouvrent pas les mêmes concepts que dans le christianisme: il en résulte de nombreuses confusions pour les Japonais qui ne font pas clairement la différence entre les deux religions. Gago comprend que le bouddhisme est dominé par l'idée de salut que l'on peut atteindre en se conformant aux recommandations d'Amida ou de Shaka, selon la secte. Shaka aurait écrit que la vie est brève et la mort inévitable et que chaque homme doit dès ici-bas désirer et rechercher son salut en pratiquant le bien et en priant un hotoke, afin que son âme ne soit pas précipitée dans un lieu de supplice appelé ]igoku, mais pénètre dans un lieu de repos appelé jodo. Mais, etc' est la grande découverte de Gago, cette doctrine ne correspond pas à la pensée profonde de 118 Lettre de Luis de Almeida aux jésuites d'Europe, Yokoseura, 25octobre1562, dans DJ, vol. li, p. 546-547. 119 Hf, vol. 1, 1'• partie, chap. 10, fol. 23v0 • Gago rédige un Sommaire des erreurs des Infidèles. D'après Bourdon, Gago est le premier à opérer une véritable distinction entre bouddhisme et shintoïsme. Voir Léon Bourdon, La Compagnie de Jésus et le Japon, op. cit., p. 261.
Shaka. Dans ces trois livres, qui contiennent la doctrine ci-dessus, il s'est mis à la portée du peuple et n'a formulé qu'un pieux mensonge pour faciliter aux hommes la compréhension de son véritable enseignement. En effet, dans deux autres livres, Shaka affirme qu'il n'y a ni sauveur, ni âme, ni paradis ni enfer. Toute chose est constituée par la matière des quatre éléments dans laquelle elles finissent toujours par se dissocier. Ce retour au Principe fondamental (Honbun) est appelé busho, susceptible de se réaliser en tout être, quel qu'il soit. Dans cette philosophie, tout se résout en « naître et mourir », et il n'y a pas de vie dans l'au-delà: on retrouve ici la doctrine du zen. Cette conception est partagée par les bonzes des autres sectes. Le ]igoku n'est pas 1' enfer, mais le remord qui ronge le cœur de l'homme tant que celui-ci croit à une vie future ; et le jodo ou paradis est la quiétude de quiconque ne redoute aucune sanction de ses fautes après la mort. Il y a une doctrine « intérieure », réservée aux lettrés, et une doctrine« extérieure »,pour le peuple. Dans la doctrine« extérieure »,certaines notions peuvent correspondre, mais imparfaitement, à des notions chrétiennes, tandis que le vrai sens est celui de la doctrine « intérieure » 120 • Enfin, pour certaines sectes bouddhiques, même s'il est fait mention d'un Ciel à atteindre, cela ne représente pas le but de l'existence. Gaspar Vilela a tenté d'expliquer à ses compagnons ce Ciel dont les Japonais parlent : selon lui, les adeptes de Kannon pensent qu'ils vont atteindre un ciel situé sous la mer, tandis que les adeptes de Amida vont dans un autre ciel. Mais dans le bouddhisme, le ciel dans lequel vont les humains après la mort n'est pas une destination physique, mais il n'est que le cinquième monde dans la hiérarchie de l'illumination qui en compte dix 121. Cette meilleure analyse de la doctrine bouddhique a des conséquences sur la rédaction du catéchisme. Baltasar Gago entreprend une réforme de celui-ci, considérant qu'il est désormais impossible de continuer à utiliser un vocabulaire emprunté au bouddhisme, source de trop nombreuses confusions, et il rédige un nouveau catéchisme en vingt-cinq chapitres, intitulé Nijugocagio 122 • La méthode de François Xavier a consisté à projeter sur la doctrine chrétienne les quelques éléments de vérité qu'il croyait percevoir dans le bouddhisme, ce qui a créé un danger d'identification entre bouddhisme et christianisme. Pour Gago, bouddhisme et christianisme sont orientés dans le sens contraire et il ne faut pas opposer point par point les deux doctrines. Il ne faut plus recourir à la terminologie des sectes, mais il faut 120 Ibid., p. 264-268. 121 Takao Abe, The Jesuit Mission to New France. A New lnterpretation in the light of the Earlier Jesuit Experience in Japan, Boston/Leiden, Brill, 2011, p. 54. 122 HJ, vol. 1, 1" partie, chap.18, fol. 43v0 • Fr6is situe cet événement en 1558, mais il est probable
que la rédaction de l'ouvrage débute avant cette date.
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faire appel à des mots portugais et latins. Dès lors, les missionnaires utilisent les mots de Deos, d' anima (au lieu de tamashii), de Paraiso ou d' Inferno ; Gago change ainsi une cinquantaine de termes, mais la liste complète ne nous est pas parvenue 123 • Il change également le nom donné au christianisme en japonais : François Xavier utilisait celui de buppo en lui donnant le sens de « loi qui fait de véritables saints », par opposition au bouddhisme ; Baltasar Gago remplace ce terme par l'expressionjitsu-do ou« chemin de la vérité». La nouvelle version du catéchisme par Gago marque une avancée importante du point de vue linguistique, car le choix de conserver les termes originaux en portugais ou latins perdure par la suite au sein de la mission jésuite. Cette réforme du catéchisme permet ainsi d'aborder des points qui ont pu être laissés de côté auparavant, faute d'une traduction convenable, comme l'Incarnation ou la Passion, qui font dès lors l'objet de plus amples développements auprès des convertis. Le mélange des langues devient une caractéristique de la prédication chrétienne au Japon, mais ce choix de conserver les mots portugais oblige les missionnaires à un travail supplémentaire d'explications, afin d'en faire saisir le sens aux Japonais. Ce choix d'adopter les mots latins et portugais s'est imposé comme étant le plus sûr afin d'éviter des amalgames entre bouddhisme et christianisme, mais d'autres solutions sont envisagées, comme la création de mots nouveaux par la combinaison de divers idéogrammes 124 • Cette tentative est rapidement abandonnée et il est probable que la mauvaise expérience d'adoption de termes japonais sous François Xavier ait définitivement condamné le recours à la langue locale pour traduire les concepts chrétiens. Mais le choix de conserver les termes européens ne joue pas forcément en défaveur du christianisme ; le bouddhisme conserve également des termes dérivés du sanskrit, sans apparaître pour autant comme une religion étrangère. Au contraire, l'usage du latin ou du portugais renforce l'aspect magique du langage pour les convertis et il confère à leurs yeux une puissance supplémentaire au christianisme. Ce choix de limiter les traductions souligne le souci des jésuites de rester proches de la doctrine définie en Europe, quitte à renoncer à une japonisation du vocabulaire chrétien. On assiste donc à un croisement entre les éléments européens et japonais, pour aboutir à la création d'une langue missionnaire originale, mélangeant le japonais, le portugais et le latin, dans la lignée de la politique d'accommodation définie par Alessandro Valignano. On retrouve 123 Léon Bourdon, La Compagnie de Jésus et le Japon, op. cit., p. 270-274. On peut cependant se référer aux ouvrages imprimés par la suite, qui conservent cette pratique. On observe que bon nombre de termes restent portugais ou latins. 124 Michael Cooper, Rodrigues the lnterpreter. An Ear/y Jesuit in Japan and China, New York/ Tôkyô, Weatherhill, 1974, p. 285.
naturellement ces caractéristiques dans les ouvrages qui sont ensuite imprimés par la Compagnie de Jésus au Japon. Le cas des livres imprimés 12 s
Le principe de mêler les différentes langues est conservé lorsque l'on décide d'imprimer des ouvrages à partir des années I 590, ce qui n'empêche pas une évolution dans les traductions proposées : ces dernières prennent, au fur et à mesure du temps, plus de liberté avec la version européenne. Les livres européens ne font plus seulement l'objet d'une simple traduction, mais d'une réécriture, plus ou moins importante, dans un double objectif: d'une part, il s'agit d'adapter le style des ouvrages aux particularités de la langue japonaise et aux propres règles stylistiques de cette dernière; d'autre part, les traducteurs font souvent le choix de développer plus longuement certains passages, jugés difficilement compréhensibles pour un public nippon. La clarté du propos est privilégiée au détriment d'une traduction mot à mot du livre européen. Par ailleurs, l'élimination des termes bouddhiques ne signifie pas automatiquement une suppression des références à cette religion qui imprègne les mentalités et la langue japonaises. Au contraire, les missionnaires font le choix de s'appuyer sur les connaissances des convertis, acquises lorsqu'ils appartenaient au bouddhisme, pour mieux faire comprendre le christianisme. Les traductions d'ouvrages sont ainsi bâties autour de la figure du converti et du souci de s'adapter aux références culturelles japonaises pour lui expliquer le christianisme. Ces éléments se retrouvent dans les deux traductions du Contemptus mundi de Thomas a Kempis : dans cet ouvrage, Thomas a Kempis développe les thèmes de la dépendance de l'homme envers Dieu, d'une vie privée de sens si l'on est séparé de Dieu et il souligne l'importance des vertus comme l'humilité, la discipline, le don de soi. Il met en avant la haine du monde, mais aussi la misère de la condition humaine, car le monde ne peut donner qu'une paix impermanente à l'âme. Cette notion de contemptus mundi n'est pas étrangère pour les Japonais qui utilisaient le terme ukiyo pour la désigner : ce sentiment est largement développé dans la littérature japonais, où le mot est lié au bouddhisme. Il désigne alors l'existence humaine prise dans une chaîne de causalité complexe, sans cesse mouvante et inéluctable. Une première impression du Contemptus mundi est réalisée en 1 596, suivie d'une autre publication en 16rn dans une nouvelle traduction, et l'ouvrage devient rapidement le préféré des Japonais, car il fait écho à plusieurs thèmes
125
Je m'appuie ici sur les analyses de William Farge, The Japanese Translations of the Jesuit Mission Press 1590/1.614, Queenston, E. Mellen Press, 2002.
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récurrents de la littérature japonaise, telle la description du monde comme un lieu de souffrances 126 • La nouvelle traduction serait due en grande partie au Japonais Martinho Hara et 1 300 copies du livre auraient été tirées. La version de I 596, traduite sous le titre de Contemptus mundi jenbu, se veut une traduction mot à mot de l'original, tandis que la version de 1610 semble avoir été entièrement réécrite. Des passages sont enlevés et le livre est adapté pour des personnes ayant une autre culture, habituées à des concepts et à une terminologie différents de ceux du christianisme. Trois caractéristiques peuvent être distinguées sil' on compare à chaque fois le texte original, la traduction del 596 et celle de 1610. Tout d'abord, on observe une attention de plus en plus poussée pour le style del' ouvrage et une volonté de créer, par ce moyen, une plus grande familiarité du lecteur avec la doctrine chrétienne 127 • Le texte original affirme ainsi: Qui hodie tecum sunt, cras contrariari possunt: et e conversa saepe ut aura vertuntur. 214
Ceux qui sont avec toi aujourd'hui peuvent s'opposer à toi demain, car les gens changent souvent, comme le vent.
Le texte de I 596 propose une version assez similaire: Queua micatataru monono asuua teqito, mata teqito vomoixi monono micatato naru cotomo areba, cajeno cauaruni cotonarazu. Ceux qui sont amis avec toi aujourd'hui peuvent devenir tes ennemis demain et ceux dont tu penses qu'ils sont tes ennemis, ils peuvent devenir tes amis. Ils ne sont pas différents du vent.
Mais la traduction de 16 IO introduit le concept de kokoro, terme poétique qui signifie le cœur, l'émotion, l'affect, mais aussi la pensée et les idées. De cette manière, le traducteur entend ne pas donner uniquement une connaissance intellectuelle du christianisme au lecteur, mais faire appel à ses sentiments. La traduction devient alors plus optimiste et plus poétique: Mata kyô made ware ni tekitaishi mono mo hiiki to naru koto mo kanau nari. Shosen hito no kokoro wafuku kaze no gotoku, tokidoki ni kawari mono nari. Ceux qui te sont opposés aujourd'hui peuvent devenir tes amis. Après tout, le cœur humain, tel le vent qui souffle, change parfois 128 • 126 Ibid., p. 10. 127 Ibid., p. 32-33. 128 Cette traduction fait écho à l'incipit du Dit des Heike, imprimé en 1592 par les jésuites. L'épopée débute ainsi:« Du monastère de Gion, le son de la cloche, de l'impermanence de toutes choses, est la résonance. Des arbres shara la couleur des fleurs démontre que tout ce qui prospère pareillement déchoit. L'orgueilleux certes ne dure, tout juste pareil au songe d'une nuit de printemps. L'homme valeureux de même finit par s'écrouler ni plus ni moins que poussière au vent. » (Voir René Sieffert, Le Dit des Heike, Paris, Publications orientalistes de France, 1976, p. 31.)
Ensuite, la réécriture vise à diluer certains concepts chrétiens, jugés trop difficiles pour les convertis. Le texte original met ainsi l'accent sur la méditation sur la vie du Christ :
Haec sunt verba Christi quibus admonemur, quatenus vitam ejus et mores imitemur : si velimus veraciter illuminari, et ab omni caecitate cordis liberari. Summum igitur studium nostrum sit: in vita Iesu Christi meditari. Ce sont les paroles du Christ par lesquelles nous sommes appelés à imiter sa vie et ses actions, pour être vraiment illuminés et libérés de notre cœur aveugle. Aussi, que cela soit notre plus grand objet d'étude : méditer sur la vie du Christ 129 • Dans la version japonaise, l'attention n'est pas portée sur l'imitation du Christ, mais sur le fait d'échapper aux ténèbres spirituelles. Le texte de 1596 propose une version plus explicite par rapport à l'original :
Cocorono yami uo nagare, macotono ficariuo uquento vomô no voiteua, Christono gocoxeqito, von cataguiuo manabi tatematçureto, cono micotoba uomotte susume tamo nari. Xicarutoqinba Christono gocoxeqino cannanuo vareraga daiichino gacumonto subexi. Si tu veux échapper à l'obscurité du cœur et recevoir la vraie lumière, apprends des mérites et de la figure du Christ. Avec les mots du Christ, je t'y exhorte. Aussi, nous devrions faire des actes méritoires et des souffrances du Christ notre plus haut sujet d'étude. Quant à la traduction de 161 o, elle efface le problème des souffrances du Christ, pourtant essentiel dans le dogme chrétien, afin de rendre le texte plus facilement accessible aux nouveaux convertis :
Kokoro no yami no nogare, makoto no hikari o etaku omowaba, X no go-kôseki to onkatagi o manabitatematsure to, kono mi-kotoba o motte, susumetamau nari. Shikaru tokinba, X no go-sôseki o kannen suru koto o warega ga daiichi no gakumon to subeshi. Si tu veux échapper à l'obscurité du cœur et acquérir la vraie lumière, apprends des mérites et de la figure du Christ. Avec les mots du Christ, je t'y exhorte. Aussi, nous devrions faire de la méditation sur les actes méritoires du Christ notre plus haut sujet d'étude 13°. Enfin, le recours aux termes bouddhiques se révèle assez fréquent, avec cependant des variations dans les mots utilisés entre les deux traductions. La version originale affirme ainsi :
Amator Iesu et veritatis et verus internus et liber ab ajfectionibus inordinatis :potest se ad Deum libere converter, et elevare supra se ipsum in spiritu acfruitive quiescere.
129 William Farge, The Japanese Translations ... , op. cit., p. 26-27. 130 Dans le texte japonais, le Christ est désigné par la lettre X.
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Celui qui aime Jésus et la vérité, qui est authentique, profond et libre de toutes affections excessives, celui-là est capable de se tourner lui-même, librement vers Dieu et des' élever au-dessus de lui-même par l'esprit et de reposer avec joie.
La traduction de I 596 abandonne les mots abstraits comme veritatis ou in spiritu pour donner une traduction plus concrète : Jesu Christo xinjitni vomoi tatematçuri, moxuvuo Janarete jiyu guedatni itaritaru monoua samatague naqu Deusni bugiacu xitatematçuri, jenno moyouoxini yotte vareto miuo vasure, nenriouo tenni, tçuji, canmini tonjite Deusni cutçurogui tatematçuru coto canobexi. La personne qui aime sincèrement Jésus Christ, qui abandonne ses illusions et atreint la liberté et la libération de ses passions terrestres, cette personne sera capable de rencontrer Dieu sans encombre : et, avec sa passion pour le bien,
il sera capable de s'oublier lui-même, d'atteindre le ciel par ses pensées, de demeurer avec Dieu et de se livrer à la bonté de Dieu. 216
Le traducteur utilise le mot bouddhiste gedat pour ajfectionibus inordinatis, ce qui rend le texte plus compréhensible pour le lecteur japonais. De même, la version de 1610 recourt à des expressions bouddhiques, mais différentes de celles de 1 596:
f x o shinjitsu ni omoitatematsuri, midari naru shüjaku o hanare, jiyü ni Deus e omomuki tatematusru mono wa zenshin no moyosarete, waga mi o wasure, kokoro o ten ni tsüji, Deus ni kutsurogi tanoshibi tatematsuru koto kanaubeshi. La personne qui aime sincèrement le Christ et qui abandonne ses attachements
immoraux, et qui se tourne librement vers Dieu sera capable d'éveiller son cœur, de s'oublier à lui-même, d'élever son cœur vers le ciel et de reposer avec joie auprès de Dieu.
Le mot bouddhiste zenshin est conservé, mais les deux autres termes bouddhistes (moxu, signifiant« illusion» et gedat signifiant« libération») sont absents. Cependant, il ne faut pas y voir une volonté d'expurger le livre de ces mots empruntés au vocabulaire bouddhique, car zenshin renvoie à l'aspiration pour devenir un Bouddha 131 • C'est un concept familier pour le lecteur, qui lui rappelle le désir de quitter le monde et d'échapper au cycle des renaissances. À l'époque de la nouvelle traduction, un choix plus discriminant pour les mots d'origine bouddhique est fait, mais les traducteurs estiment quel' on ne peut se passer de ces derniers, dans la mesure où ils représentent l'univers mental des convertis japonais et facilitent la compréhension du texte. L'exemple du Contemptus Mundi souligne la complexité des choix jésuites pour les questions de traduction et le rôle des jésuites japonais dans le processus. 131 William Farge, Thefapanese Translations ... , op. cit., p. 35-37.
Le recours à des termes issus du bouddhisme ne peut en aucun cas être considéré comme une erreur ayant échappé à la vigilance des missionnaires européens, car ces derniers ont démontré leur bonne connaissance de la langue et de la culture japonaises. Au final, les jésuites recourent au portugais ou au latin pour les mots jugés les plus importants dans le dogme ou n'ayant aucun équivalent dans les religions de l'archipel. Mais dans le cas des concepts qui sont proches entre christianisme et bouddhisme, même s'ils ne recouvrent pas exactement les mêmes idées, les missionnaires se montrent assez souples dans l'utilisation des mots d'origine bouddhique: si ces derniers permettent une compréhension plus facile de la nouvelle religion, ils sont utilisés dans les ouvrages chrétiens, à condition qu'ils ne déforment pas le message chrétien. Les jésuites ne cherchent donc pas à effacer l'univers mental des convertis, imprégné par le bouddhisme, mais à s'appuyer dessus pour mieux faire comprendre le christianisme.L'exemple des livres imprimés souligne que la politique entreprise depuis Gago, qui consiste à clairement différencier les deux religions par une utilisation rigoureuse du vocabulaire, ne saurait être vue simplement comme une éradication pure et simple des mots bouddhiques. Il s'agit plutôt de trouver un compromis entre le respect du dogme catholique et une prise en compte du contexte religieux japonais dans lequel les autochtones ont évolué avant leur conversion. L'étude des traductions des ouvrages chrétiens nuance donc le portrait de « parfait converti », véhiculé par les catéchismes et les doctrines : les Japonais ne sont pas devenus des chrétiens sur le modèle de l'Europe, mais ils ont préservé des particularités linguistiques et culturelles, destinées à mieux faire comprendre et mieux enraciner le christianisme. Le processus de conversion est donc autant une réflexion sur les attentes des missionnaires à l'égard des futurs convertis qu'une analyse des méthodes mises en place par les jésuites au pays du Soleil levant. La particularité de la mission du Japon réside dans le fait que l'œuvre de conversion repose essentiellement sur les autochtones en charge des prédications conduisant au changement de religion. Les missionnaires européens gardent cependant la main sur la diffusion du message chrétien en élaborant les méthodes de conversion et en formant les prédicateurs japonais : ils mettent ainsi l'accent sur la nécessité d'une conversion grâce à la raison et l'importance d'une connaissance minimale de la doctrine chrétienne avant de recevoir le baptême. Les jésuites affichent donc leur volonté de faire du Japon une mission d'élite, se distinguant des autres terrains évangélisés par la qualité de ses convertis, affermis dans leur foi, mais la réalité est plus complexe et plus nuancée selon les régions et les intérêts en jeu. De manière générale, la conversion est un long processus, dont le baptême n'est qu'une étape, et qui met à l'épreuve la politique d'accommodation définie
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par Alessandro V alignano. Soucieux de s'adapter aux conditions du terrain tout en diffusant le plus largement possible le christianisme, le visiteur décide d'importer une presse au Japon de traduire de nombreux ouvrages chrétiens en japonais. Le processus de traduction se trouve au cœur de la question de l'adaptation, puisqu'il s'agit de faire comprendre le message chrétien et le différencier du bouddhisme, tout en l'insérant dans l'univers social et religieux japonais afin de le rendre intelligible pour les futurs convertis. La force des jésuites du Japon réside dans leur capacité à se montrer capables de revenir sur une décision, lorsqu'ils jugent leur choix de traduction peu satisfaisant, et de faire preuve de souplesse dans le recours à la langue locale. De cette manière, ils parviennent à intégrer la culture japonaise dans leurs œuvres imprimées tout en s'assurant que les convertis comprennent les spécificités de la doctrine chrétienne et s'approprient leur nouvelle religion. 218
CHAPITRE
6
ÊTRE UN CHRÉTIEN AU JAPON : LA VIE LITURGIQUE ET SACRAMENTELLE DES COMMUNAUTÉS
Que signifie être un chrétien au Japon dans la vie quotidienne et comment se matérialise l'appartenance à la communauté chrétienne? Si l'étape de la conversion marque l'entrée au sein de la famille chrétienne, la participation à la vie liturgique et l'administration des sacrements soulignent la singularité des convertis au sein d'un archipel qui reste majoritairement bouddhiste, en même tant qu'elles assurent la cohésion de la communauté. Aussi, une des premières difficultés rencontrées par les jésuites est l'explication du sens des sacrements et de leurs implications dans la vie quotidienne. Cette étape et d'autant plus nécessaire que le Japon se singularise par le mélange des communautés religieuses, parfois au sein d'une même famille ou d'un village. Se convertir, et donc recevoir les sacrements et participer aux cérémonies chrétiennes, implique donc de se différencier clairement des autres membres de la société. Ceci n'est pas sans conséquence, d'une part pour les chrétiens dont il faut assurer la cohésion pour les aider à persévérer dans leur foi ; d'autre part, les jésuites cherchent à faire accepter ces éléments distinctifs de la communauté chrétienne auprès des Japonais récemment convertis. La méthode de l'accommodation se trouve donc de nouveau en jeu pour diffuser et expliquer les sacrements et la liturgie catholique: il s'agit d'en préserver la singularité par rapport aux autres religions du Japon, tout en les adaptant aux coutumes locales pour faciliter leur diffusion parmi les chrétiens. Or, si les sacrements représentent la plupart du temps une nouveauté radicale pour les convertis, certains éléments liturgiques, comme le calendrier ou les rites funéraires, existent déjà au sein de la religion bouddhique et peuvent être sources de confusion pour les chrétiens. Dès lors, comment les jésuites choisissent-ils de mettre en œuvre leur politique d'accommodation dans le cas de la diffusion des sacrements et des cérémonies catholiques ? Est-elle considérée comme nécessaire pour faire comprendre les particularités du christianisme ? Et enfin, est-elle utilisée et mise en œuvre de manière constante dans le temps ? La diffusion des sacrements et des rites chrétiens recouvre donc plus largement la question de la définition de l'identité des communautés chrétiennes du Japon: ces dernières doivent s'approprier une religion étrangère aux traditions sociales et religieuses locales et affirmer leur différence par rapport aux bouddhistes. On touche là un point de tension de la politique d'accommodation, puisque les
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jésuites doivent à la fois permettre aux chrétiens de se différencier du reste de la population, tout en faisant du catholicisme une religion « locale », parfaitement insérée dans le paysage religieux japonais, ce qui passe nécessairement par des adaptations par rapport aux rites définis dans un contexte européen. Si cette définition d'une identité chrétienne, autour des sacrements et des rites catholiques, assure la cohésion des convertis, elle n'en est pas moins une source de conflits avec le reste de la population et avec les autorités japonaises qui considèrent avec une hostilité croissante des chrétiens cherchant par trop à se différencier.
S'APPROPRIER LE CHRISTIANISME: L'ADMINISTRATION DES SACREMENTS DANS LA MISSION JAPONAISE
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Les sacrements sont sans équivalents dans les religions déjà présentes au Japon, ce qui justifie le souci des missionnaires d'expliquer en détails leur sens et les conditions de leur administration. Ceci est d'autant plus important que les jésuites voient là un moyen d'intégrer la communauté chrétienne japonaise au sein d'une Église universelle qui est en train d'être réformée au concile de Trente: le fidèle est alors invité à une relation individuelle avec Dieu, non pas par le moyen de !'Écriture, mais par les sacrements, au premier rang desquels l'eucharistie et la confession 1 • Cependant, cette volonté de diffuser la liturgie sacramentelle dans l'archipel nippon se heurte à deux difficultés : d'une part, les convertis doivent s'approprier ces pratiques qui sont complètement nouvelles dans le contexte religieux local; d'autre part, puisque les sacrements ne connaissent pas d'équivalents au Japon, les jésuites s'interrogent sur le bien-fondé d'appliquer dans ce domaine la politique d'accommodation. L'administration des sacrements est donc l'occasion pour les missionnaires de chercher à circonscrire et à redéfinir ce qui est la ligne directrice de leur méthode d'évangélisation dans l'archipel nippon. Baptême et confirmation
Le baptême est le premier sacrement reçu et il consacre l'entrée du converti au sein de la chrétienté. Dans le contexte particulier de la mission, le baptême acquiert un relief particulier car il est le signe tangible de l'agrandissement de l'Église du Japon et de la constitution d'une communauté chrétienne. Il marque une rupture radicale dans la vie de celui qui le reçoit : le baptisé entre dans un nouveau groupe, marqué par des rites et des coutumes différentes. Cette extension de la chrétienté ne peut être que l' œuvre de Dieu et la preuve que ce dernier soutient l'action des jésuites. Ces derniers sont convaincus de Alain Talion, Le Concile de Trente, Paris, Le Cerf, 2007, p. 56.
revivre les temps apostoliques et de réaliser, par les nombreux baptêmes, la volonté divine 2 • Valignano remarque ainsi: Quand on considère la méthode que la divine Providence a suivie jusqu'ici dans la conversion et la christianisation du Japon, on ne peut s'empêcher d'admirer, de s'étonner, de confesser que grands sont les desseins de Notre Seigneur en ses œuvres et bien éloignés des chemins que nous suivons 3 .
Et d'ajouter: Il me paraît ainsi que Notre Seigneur ne manque pas de faire au Japon ce qu'il fit pour la primitive Église au temps des persécutions. [... ] Ce sont des preuves et des signes certains qu'il garde les yeux fixés sur cette province et qu'il la convertira en entier et en très peu de temps, faisant d'elle une très belle Église4.
Le baptême trouve ensuite un prolongement avec le sacrement de la confirmation qui permet de resserrer les liens entre l'Église et le baptisé et de recevoir l'Esprit Saint. Cependant, en l'absence d'un évêque, le sacrement de la confirmation n'est pas introduit au Japon avant le tournant du xvn• siècle : la lettre annuelle de 1600 précise que c'est la première fois que des confirmations ont lieu dans la région d'Amakusa 5• L'évêque confirme ensuite des chrétiens tous les ans, puisque la lettre annuelle de 1603 souligne que de nombreuses confirmations ont lieu dans la région de Nagasaki 6 • Concernant la liturgie baptismale, il n'existe pas d'informations précises avant les instructions del' évêque Cerqueira au clergé japonais fournies dans leManuale ad sacra men ta Ecclesiae ministranda ( 1 60 5), mais le déroulement de la cérémonie suit dans les grandes lignes différentes traditions européennes. Dans son ouvrage, Cerqueira entend présenter la doctrine traditionnelle de l'Église même si, dans la pratique, l'évêque s'inspire du Baptisterio de Goa, publié en l 57 5 et passé ensuite au Japon, et du Manuale Toletanum en vigueur dans la péninsule lbérique 7. Le baptême débute ainsi par la prière « Adesto Domine supplicationibus nostris », qui n'appartient pas au rituel romain, mais fait partie de la cérémonie du baptême en Espagne 8 • Le baptême et les prières sont ensuite expliqués en langue 2
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Cette idée que la mission japonaise est le prolongement de l'Église primitive n'est pas propre à la mission japonaise, mais elle se retrouve dans les missions en Amérique. Voir Jean-Marie Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, Marc Ve nard (dir.), Histoire du christianisme, Le temps des confessions (1530-1620), t. 8, Paris, Desclée de Brouwer, 1992, p. 730. Alessandro Valignano, Les Jésuites au Japon, éd. Jacques Bésineau, Paris, Desclée de Brouwer, 1990, p. 206. Ibid., p. 215. BA,Jesuftas naAsia, 49-IV-59, fol. 21v0 • Ibid., fol. 126. Jesus L6pez-Gay, El Catecumenado en la misi6n del Japon del s. xv1, Roma, Libre ria dell'Università Gregoriana, 1966, p. 169. Japsin l-207, p. 2.
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vernaculaire, selon les recommandations du concile de Trente 9 . Cerqueira précise que l'on peut utiliser de l'eau de mer, du fleuve, d'une fontaine, de l'eau de pluie ou de la neige; de l'eau bénite peut également être conservée en vue du baptême qui est administré par effusion au Japon 10 • La formule du baptême est traditionnellement prononcée en latin : « Ego te baptizo in nomine patris &filii & spiritus sancti ». Mais, dans les cas de nécessité, et lorsque le laïc en charge d'administrer le baptême ne connaît pas le latin, la formule est prononcée en japonais : « Soregaxi Deus Padreto, Filhoto, Spiritu Sanctono mina vo motte nangiuo arai tatematçuru nari ». Le baptême peut prendre place dans l'église, lorsque la communauté en a fait construire une, et certaines églises possèdent de riches fonds baptismaux, ornés de symboles empruntés à la tradition nippone : Luis Frôis rapporte qu'un de ces fonds comporte au centre une tortue, symbole de la vie éternelle, ainsi qu'un pin, symbole de la félicité1 1 • Concernant l'utilisation des huiles au cours de la cérémonie, un problème se pose dans les premiers temps de la mission en raison de l'absence d'un évêque pour les consacrer. Or les huiles sont nécessaires à trois moments de la liturgie : l'onction des catéchumènes avant le baptême, la bénédiction del' eau baptismale avec l'huile et le saint chrême et l'onction du baptisé avec le chrême. Comme il est difficile pour les missionnaires d'apporter suffisamment d'huiles depuis l'Inde, la papauté accorde des privilèges afin de prendre en compte les particularités du terrain missionnaire. Selon Polanco, les jésuites demandent à Grégoire XIII de confirmer les grâces accordées par son prédécesseur Pie V aux missionnaires des Indes: Pie V, en 1 569, a concédé la possibilité de baptiser hors des églises et sans respecter les cérémonies habituelles. Ce privilège est confirmé par Sixte V et Clément VIII et celui-ci, par le bref ln eminenti sedi du 24 septembre 1595, autorise l'utilisation des huiles de quatre ans. Malgré ces privilèges accordés par le pape, le vice-provincial Gômez n'est pas favorable à l'utilisation des huiles dans la mesure où tous les baptisés ne peuvent être oints, les huiles étant en quantités insuffisantes 12 • L'arrivée d'un évêque au début du XVII° siècle clôt le débat, puisque les huiles peuvent être consacrées en abondance et la cérémonie des huiles au cours de la liturgie baptismale est alors introduite progressivement 13 • Si les missionnaires n'apportent pas de grande modification à la liturgie baptismale, préférant appliquer au Japon les traditions européennes, ils se préoccupent de l'uniformiser grâce au Baptisterio de Goa et d'introduire progressivement le rituel romain. Le général Acquaviva justifie ainsi cette
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Ibid., p. 3. Ibid., p. 5. HJ, vol. Ill, 2' partie, chap. 38, fol. 149v". ARSl,Japsin 12-11, fol. 242. BA,Jesuftas naAsia, 49-IV-56, fol. 44.
décision : «Notre père désire que l'on introduise au Japon le cérémonial romain pour l'administration des sacrements, afin d'établir une plus grande union avec l'Église romaine 14 ».L'Église du Japon ne doit pas trop se détacher des pratiques liturgiques en vigueur en Europe, vues comme un moyen pour créer l'union entre les croyants. La Chrétienté japonaise, bien qu'éloignée géographiquement, participe de cette Église catholique militante, cherchant à réaffirmer son unité suite aux divisions issues du protestantisme. Mais la volonté d'uniformité est également à replacer dans le contexte de l'archipel nippon et elle s'explique par une mauvaise compréhension des convertis face aux divergences liturgiques observées au cours du temps. Le chroniqueur Luîs Frôis rapporte ainsi les propos d'un vieux chrétien qui assiste au baptême d'un noble en 1574: à cette occasion, Justo Myôsan demande à être baptisé de nouveau. Devant la surprise du supérieur de la mission, Francisco Cabral, qui lui rappelle quel' on n'est baptisé qu'une seule fois, il répond: Mon père, je ne veux pas vous effrayer, [... ] je me rappelle que le père Gaspar Vilela, lorsqu'il me baptisa, n'avait pas de chape, de surplis, de baptisteiro, ni d'étole, mais seulement un petit livre qu'il récitait et une croix de couleur noire, tracée au milieu d'une feuille collée au mur, et il prit un peu d'eau dans un petit bol en terre et il me la versa sur la tête en disant quelques paroles, me disant que j'étais chrétien à présent. Maintenant que je vois cet autel si décoré, cette chape que vous avez revêtue, et tous ces ornements pour le baptême, si éclatants et si riches, je me suis mis à envier ces seigneurs et je me suis mis à douter, si, d'aventure, en raison de l'absence ou de la pauvreté des objets utilisés alors par le père, j'étais baptisé ou non 15 •
Après des explications fournies par Cabral, le vieux chrétien reconnaît son erreur et loue Dieu d'avoir pu assister à une cérémonie aussi magnifique. Au-delà de l'anecdote, cet épisode traduit les confusions qu'entraînent de simples différences dans l'apparence des prêtres ou dans les objets liturgiques: l'uniformisation des pratiques contribue à limiter les incompréhensions et les doutes des chrétiens sur la validité du sacrement reçu. La cérémonie du baptême s'accompagne de l'attribution d'un nom nouveau, emprunté au calendrier chrétien, et qui est inscrit sur un papier remis au baptisé16 ; il est également marqué sur un registre, avec la date du baptême 17 . Pour les hommes, les prénoms les plus couramment donnés sont Joao, Thomé, Pablo, Léon, Luîs et Miguel. Pour les femmes, Maria, Lucia, Magdalena, 14 15 16 17
« Alguas cousas que o Padre Gilda Mata procurador de Japào tratou corn N P G Claudio Acquaviva», dans ARSl,Japsin 3, fol. 61. HJ, vol. li, 1"partie, chap.103, fol. 375v". HJ, vol. 1, 1" partie, chap. 45, fol. 137v". ARSl,Japsin 49, fol. 246.
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Marta, Mencia, Catalina, sont les prénoms les plus répandus 18 • Dans les premiers temps de la mission, les jésuites donnent les prénoms les plus courants en Europe. Mais, par la suite, les Japonais chrétiens popularisent certains prénoms en raison de leur signification en caractères chinois. Leao (Rian en japonais) peut ainsi être transcrit avec les caractères signifiant « bénéfice » et «paix» (~U3i:), ou bien ceux des «principes » et de la« paix» (l!.3i:). Quant au prénom Thomé (Tomei en japonais), il signifie« porte de lumière» (F H,ij) ou« lumière ascendante» (itH,ij), Le choix du prénom et sa transcription en japonais permettent aux convertis des' approprier le sacrement du baptême : on a là un exemple d'adaptation qui est le fait des chrétiens et non des missionnaires. Cependant, ces derniers n'abandonnent pas complètement leur politique d'accommodation mais, dans le cas du baptême, ils se préoccupent d'en limiter le champ d'application. En effet, le baptême étant nécessaire au salut et sa validité dépendant de la réalisation des conditions requises par l'Église, les missionnaires ne souhaitent pas se détacher beaucoup des cérémonies en vigueur en Europe. Cependant, les jésuites s'inquiètent du fait que certains éléments de la cérémonie baptismale, comme l'usage de la salive, sont mal acceptés par les Japonais. La question est posée au théologien Francisco Rodrigues de l'université de Goa qui affirme que ces éléments n'affectent pas la substance du baptême et qu'on peut donc les laisser de côté19 • Ce problème est également soulevé auprès du pape qui, afin de définitivement lever les doutes des missionnaires, répond que ces derniers peuvent abandonner sans scrupule certaines cérémonies du Baptisterio, lorsque cela est jugé nécessaire 20 • Ainsi, les croix qui sont tracées sur le catéchumène doivent l'être dans l'air ou sur les vêtements dans le cas des femmes. En ce qui concerne l'usage de la salive, on n'en met pas sur les narines, car cela est une coutume étrange pour les Japonais ; pour se rapprocher des normes de l'Église, le prêtre approche le pouce de la bouche et trace une croix sur la narine et deux au niveau des oreilles. Pour le sel, on le met dans une cuillère ou dans la main que le baptisé porte à sa bouche tandis que, pour les enfants, le sel est déposé dans la main de la marraine. Ces adaptations s'avèrent nécessaires dans le contexte japonais, mais elles se situent à la marge de la liturgie baptismale et elles suscitent les interrogations des jésuites du Japon : ces derniers ne mettent en œuvre la stratégie d'adaptation qu'après s'être assurés du soutien d'un théologien et des autorités romaines. L'accommodation n'est donc pas une donnée intrinsèque de la mission japonaise, mise en œuvre sans concertation ; Jesus L6pez·Gay, El Catecumenado ..., op. cit, p. 156. Ana Fernandes Pinto, Silva na Remedio Pires,« The "resposta que alguns padres de Japao mandaran perguntar": a Clash of Strategies »,Bulletin of Portuguese;Japanese Studies, vol.11, juin 2005, p. 48. 20 BA,Jesuftas naAsia, 49-IV·56, fol. 36v 0 •
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au contraire, les jésuites cherchent ici à en définir précisément les contours et à en limiter le champ d'application. Si cette position s'impose pour la liturgie baptismale, les jésuites se montrent plus nuancés concernant les conditions d'administration de ce sacrement. Le baptême doit être normalement administré par le prêtre, comme le rappelle l'évêque Cerqueira dans son manuel rédigé à l'attention des futurs prêtres japonais 21 • Dans les Constitutions de l'évêque de Goa ( 1 568), il est recommandé de baptiser les enfants dans les huit jours qui suivent la naissance 22 • Mais si un enfant ou un catéchumène se trouvent en danger de mort, il est licite qu'un laïc administre le baptême en l'absence de prêtre 23 • Cependant, ce cas exceptionnel devient rapidement la règle au Japon en raison del' absence chronique de personnel missionnaire. Face à cette situation, les jésuites se préoccupent d'encadrer le baptême administré par les laïcs qui doivent avoir reçu une autorisation officielle pour administrer le baptême, comme le rappelle Cerqueira: Il ne convient pas d'autoriser que des chrétiens baptisent sans autorisation et sans avoir une preuve écrite de la main de l'évêque ou des pères visiteur, vice-provincial, vicaire de l'évêque, et des supérieurs universels des régions de Miyako et du Shimo [... ] ; la dite autorisation ne se donnera pas sans être précédée d'un examen des connaissances, l'examen devant être de trois sortes : un pour ceux qui doivent baptiser les enfants sur le point de mourir, sans les catéchiser, puisqu'il n'y a aucune nécessité en la matière, et il faut leur ordonner de ne baptiser que les enfants. Un autre examen [doit être fait] pour ceux qui doivent baptiser les adultes dans les cas d'extrême nécessité, en les catéchisant brièvement et suffisamment pour qu'ils soient capables de recevoir le sacrement, dans le cas où personne ne peut remplir mieux cet office et que les adultes ne peuvent attendre. Le troisième type d'examen doit être pour ceux qui vont baptiser des adultes qui ne sont pas dans des cas d'extrême nécessité, en les catéchisant bien, afin qu'ils comprennent très bien les choses de Dieu 24 • L'évêque précise que, dans la mesure du possible, le baptême est administré par un père ou un frère. Mais, dans les cas de nécessité, en l'absence de prêtre ou d'un laïc ayant une autorisation écrite, le baptême peut être administré par n'importe qui, car il est indispensable pour être sauvé. Cette notion de nécessité recouvre un spectre plus large au Japon qu'en Europe: prenant pour exemple la région de Nagasaki, la plus christianisée du Japon mais qui manque de prêtres, l'évêque 21 Japsin l-207, p. 2. 22 Jesûs L6pez·Gay, El Catecumenado .. ., op. cit, p. 143. 23 Japsin l-207, p. 3. 24 « Alguas causas que o Bispo de Japào Dom Luis Cerqueira assentou acerca desta
Christandade corn parecer de hua consulta que sobre isto fez em Nangazaqui em Novembro 1598 »,dans BA,Jesuîtas na Asia, 49-IV-56, fol. 45.
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autorise des frères ou des dojuku à administrer le baptême en l'absence de prêtre, ou lorsque ce dernier est trop occupé à écouter des confessions ou à célébrer des mariages 25 • Ces aménagements ont une portée encore plus large dans les lieux où la chrétienté est moins développée et moins concentrée : l'administration du baptême par les laïcs devient ainsi la règle dans la majeure partie du Japon. Ce sont donc les nécessités du terrain qui imposent un assouplissement des règles d'administration du baptême, car aucune autre solution n'est envisageable pour ce sacrement qui demeure le plus essentiel aux yeux des missionnaires. Si les jésuites se sont montrés soucieux de limiter le champ del' accommodation dans le cas du baptême, ils se montrent encore plus intransigeants pour le sacrement de l'eucharistie. L'eucharistie
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Le sacrement de l'eucharistie acquiert une importance centrale dans la vie religieuse des fidèles depuis le concile de Trente et il constitue une nouveauté radicale dans le paysage religieux japonais, ce qui explique l'attachement des jésuites à bien expliquer son sens aux Japonais. Les missionnaires ont à cœur de diffuser l'eucharistie auprès des convertis, mais la mise en œuvre de ce projet se heurte à diverses difficultés dans le contexte particulier de la mission du Japon. Le premier souci des missionnaires est de faire comprendre aux chrétiens la signification du sa en traçant le signe de la croix. Si le prêtre ne connaît pas bien la langue, il peut avoir recours à un interprète, ce qui soulève néanmoins le problème du secret de la confession60 • Il en est de même dans le cas de la pratique de la confession par écrit qui existe dans les premiers temps de la mission : elle a lieu à la suite de la préparation au sacrement, réalisée par un laïc. Le fidèle énumère ses fautes sur un papier qui est remis au confesseur 61 , à l'image du daimyo d'ômura qui a l'habitude de se confesser de cette manière 62 • Mais, en 1602, le pape Clément VIII interdit cette pratique, ce que prend en compte l'évêque Cerqueira en imposant cette nouvelle mesure au Japon dans le but de mieux préserver le secret de la confession 63 • Une autre difficulté rencontrée par les jésuites du Japon concerne le lieu de la confession, en l'absence d'église dans toutes les communautés chrétiennes du pays. Si les missionnaires utilisent les maisons des chrétiens en 1' absence d'église, les normes définies en la matière au concile de Trente s'imposent bientôt au Japon 64 : les règlements internes à la mission de Valignano et Pasio (1612) préconisent l'utilisation d'un confessionnal, muni d'une grille, dans les églises 65 • Dans le cas des femmes, il est recommandé de ne pas les confesser dans le :z.ashiki, sauf si celui-ci se trouve près de l'église et s'il s'agit de femmes nobles 66 • Dans les autres cas, les femmes se confessent publiquement dans le confessionnal ou à la porte du zashiki munie d'une grille de séparation. Quant au prêtre, il reste dans 1' église à la vue de tous ; dans le cas où il n'y a pas d'église, on utilise une petite chaise avec une grille de séparation. Toutes ces mesures sont destinées à éviter les scandales possibles, résultant de la proximité et de l'isolement du prêtre et du pénitent. Les nouvelles normes imposées par le concile de Trente rencontrent ici les préoccupations des jésuites face aux rumeurs pouvant circuler sur la nouvelle religion et sur ce rituel propre au christianisme 67 • Enfln, il existe
59 Ibid., p. 86·90. 60 Ibid., fol. 70. Même si ce problème du secret de la confession n'est pas clairement évoqué dans les sources, avant la venue de Cerqueira, la volonté des jésuites de former un personnel missionnaire apte à entendre les confessions sans intermédiaire et à parler parfaitement le japonais témoigne des difficultés posées par le recours aux interprètes. 61 HJ, vol. Il, 1'• partie, chap. 75, fol. 258v0 -259. 62 ARSl,Japsin 12-ll, fol. 13. 63 ARSl,Japsin l-207, p. 64. 64 HJ, vol. li, 1'• partie, chap. 111, fol. 402. 65 BA, Jesuftas na Asia, 49-IV-56, fol. 160. 66 Cette pièce, entièrement recouverte de tatamis, est destinée à accueillir les invités. 67 Eugenio Menegon fait remarquer qu'en Chine cette pratique de la confession au vu de tous est destinée à éviter les scandales sexuels. Voir Nicolas Standaert, Ad Dudink (dir.), Forgive Us our Sins. Confession in Late Ming and Ear/y Qing China, Sankt Augustin, Institut Monumenta Serica, 2006, p. 35.
de réels problèmes dans l'administration de la confession car, en l'absence de prêtres en nombre suffisant, les fidèles peuvent demeurer plusieurs années sans se confesser. Les jésuites tentent de faire respecter l'obligation de la confession annuelle, mais certaines communautés restent longtemps sans se confesser: Luis Frôis mentionne une communauté chrétienne dont les membres n'ont pas eu accès à ce sacrement depuis quatre ans 68 • Face à cette pénurie de personnel missionnaire, les laïcs prennent le relais des prêtres pour préparer les fidèles à la pénitence. Un chrétien prépare ceux qui ne se sont jamais confessés à recevoir ce sacrement; il leur enseigne le déroulement du rituel et sa signification 69 • Un frère japonais peut également se rendre dans un village, prêcher pendant quelques jours pour préparer les chrétiens à recevoir la confession, qu'un prêtre passe ensuite administrer 70 • En l'absence de prêtre, il est également recommandé aux chrétiens de regretter leurs péchés et de réciter une prière de contrition pour remplacer la confession. Ces problèmes liés au manque de missionnaires trouvent un prolongement avec la confession des malades et le sacrement de l'extrême-onction. Avec l'augmentation du nombre de chrétiens au Japon, la pratique de la confession des malades et des mourants se développe dans l'archipel. Mais dans un contexte de pénurie de missionnaires, la question de la confession des malades prend une nouvelle ampleur: ils' agit de savoir si les prêtres doivent systématiquement se rendre auprès des malades et des mourants pour écouter leur confession. Ils y sont normalement astreints mais, face au nombre des confessions, les prêtres se trouvent dans l'impossibilité de remplir l'ensemble de leurs obligations. La première congrégation du Japon (1592) se penche sur le problème et Alessandro Valignano prend plusieurs résolutions 71 • Il affirme que les pères ne sont pas contraints d'aller écouter toutes les confessions : ils ne peuvent interrompre la confession d'un seigneur pour aller écouter celle d'un mourant, sauf si celui-ci est en grand danger spirituel. Un groupe de laïcs est donc chargé de rendre visite au mourant et de juger de la gravité de la situation avant d'appeler le religieux. Cependant, afin de clarifier définitivement la situation, les jésuites chargent le procureur Gilde la Mata, envoyé en Europe, de poser la question aux autorités compétentes 72 • Le procurateur soumet donc le problème aux professeurs de l'université d' Alcala lors de son séjour en Espagne, de décembre 1595 à janvier 1 596. Gabriel Vâzquez, professeur de théologie et 68 HJ, vol. li, 1'• partie, chap. 73, fol. 251. 69 Ibid., vol. V, 3• partie, ch ap. 20, fol. 99v 0 • 70 Ibid., fol. 98v 0 • 71 ARSl,Japsin 2, fol. 138. 72 Les doutes (Dubia) posés par les missionnaires jésuites sont mentionnés dansARSl,Japsin 22, fol. 212-243. On y trouve notamment des doutes concernant la confession des malades. Le document ne porte pas de date précise, mais il est rédigé à l'époque de Valignano.
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membre de la Compagnie de Jésus, fournit les réponses aux divers cas soulevés par les missionnaires duJapon 73 • Il répond que, d'après les raisons exposées par les jésuites du Japon, il est licite de ne pas se déplacer pour confesser un malade et il recommande d'habituer les chrétiens à faire un acte de contrition pour pallier le manque de confesseurs 74 • Les règlements missionnaires de ValignanoPasio, rédigés au début du xvnc siècle, portent la marque de ce jugement et précisent les différents cas possibles 75 : ainsi, les pères n'ont pas à abandonner la confession des autres chrétiens, surtout s'il s'agit de la confession annuelle, pour se rendre auprès d'un mourant ; le père doit prendre en considération la distance et l'état du malade. S'il y a une incertitude sur la mort du malade, celui-ci peut faire seulement un acte de contrition et, au besoin, on envoie un dojuku qui l'aide à bien mourir. Le problème de la confession des malades révèle en creux que le sacrement de l'extrême-onction, qui fait suite à la pénitence et au viatique, est peu répandu au Japon, car les prêtres ne se déplacent pas pour l'administrer. Le cas du sacrement de la confession rejoint donc celui du baptême et de l'eucharistie: les jésuites procèdent à des adaptations lorsqu'ils y sont contraints par les circonstances et par les conditions spécifiques au terrain missionnaire, et uniquement pour faciliter l'administration des sacrements. Eloignés des pratiques religieuses locales et n'ayant pas d'équivalents au Japon, les sacrements font donc peul' objet d'accommodation, car les missionnaires ne ressentent pas la nécessité de s'appuyer sur des pratiques religieuses connues pour les diffuser. Au contraire, les jésuites se montrent soucieux de rapprocher le plus possible les pratiques sacramentelles des convertis de celles en vigueur en Europe, ce qui permet d'une part de relier l'Église japonaise à l'Église universelle, et d'autre part de forger une identité particulière à la communauté chrétienne du Japon, qui la différencie des autres religions de l'archipel. Les sacrements et leur administration révèlent quel' accommodation n'est pas une donnée intrinsèque de la mission japonaise; au contraire, les missionnaires l'abandonnent dès que possible, préférant construire au Japon une chrétienté la plus semblable possible à celle de l'Europe, d'autant que l'archipel nippon n'est pas divisé par les querelles religieuses européennes. On assiste donc à une globalisation des pratiques chrétiennes qui est d'autant plus facile dans le cas du Japon que les jésuites jugent les Japonais capables de comprendre et de recevoir les sacrements. Si les missionnaires peuvent modérer l'application de la politique d'accommodation lorsque les pratiques chrétiennes ne connaissent pas 73 74 75
Sur les réponses fournies par Gabriel Vâzquez, voir Jesûs L6pez-Gay, « Un documento inédito del P. G. Vâzquez ... »,art. cit, p. 118-160. Ibid., p. 144. BA, Jesuftas na Asia, 49-IV-56, fol. 162-162v0 •
d'équivalents au Japon, il n'en est pas de même lorsque celles-ci se heurtent à des habitudes sociales et religieuses solidement implantées.
AFFIRMER UNE IDENTIT~ CHR~TIENNE: UNE COMMUNAUT~ EN QU~TE DE DIFF~RENCIATION PAR RAPPORT AUX AUTRES RELIGIONS DU JAPON?
Si les sacrements sont des pratiques radicalement nouvelles dans le contexte religieux japonais, il n'en est pas de même du calendrier liturgique qui se heurte à l'existence d'une autre manière de compter le temps au Japon, ou des rites funéraires chrétiens qui se trouvent confrontés à l'existence de rites bouddhiques bien établis. L'enjeu pour les missionnaires est d'imposer les pratiques chrétiennes tout en les différenciant des rites déjà existants dans l'archipel nippon afin d'éviter toute confusion aux yeux des convertis. Une double difficulté surgit alors : d'une part, pour les missionnaires, faut-il mettre en œuvre la politique d'accommodation dans ce cas précis et si oui, comment ? D'autre part, quelle est l'attitude des convertis japonais : préfèrentils conserver des rites chrétiens proches de ceux qui leur étaient familiers avant la conversion ou préfèrent-ils au contraire les différencier clairement des pratiques bouddhiques ?
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Le calendrier liturgique
L'adoption d'un calendrier liturgique impose une christianisation du temps pour les convertis, alors même que la mesure du temps se fait de manière différente au Japon. Ceci n'est pas sans conséquence, d'une part sur les pratiques des chrétiens, astreints à respecter des jours de jeûne et des fêtes religieuses nouvelles ; d'autre part, sur les méthodes d'évangélisation à mettre en œuvre pour diffuser le calendrier européen. Faut-il l'imposer purement et simplement aux convertis, au risque que ces derniers se coupent du reste de la population? Ou faut-il l'aménager, mais jusqu'à quel point? La question de l'identité de la communauté chrétienne se trouve donc en jeu : cette dernière doit-elle se définir contre les autres religions de l'archipel nippon en créant une identité radicalement différente, ou bien peut-elle parvenir à un compromis en se forgeant une identité distincte, mais qui lui permette de respecter les obligations sociales en vigueur au Japon? Ce problème n'est pas dénué d'implication politique, puisque le pouvoir japonais se montre méfiant àl' égard des chrétiens, accusés de rejeter les traditions locales, religieuses et culturelles. Au pays du Soleil levant, le système calendérique chinois prédomine dès le début du vn° siècle et il ne connaît pas de réforme de 862 à 1685 76 • Le 76
François et Mieko Macé, Le Japon d'Edo, Paris, Les Belles Lettres, 2009, p. 132.
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calendrier chinois, luni-solaire, est assez complexe, puisqu'il faut prévoir des rattrapages réguliers entre les mois lunaires et le cycle solaire, tandis que le nouvel an coïncide avec le début du printemps. L'introduction du calendrier solaire chrétien impose donc une conversion du temps pour les convertis, contraints de se référer à un autre système pour connaître les jours de fête. Sur un plan pratique, elle impose aux missionnaires de réfléchir aux modalités de diffusion de cette nouvelle mesure du temps, ainsi qu'au moment opportun de l'application du calendrier chrétien dans un pays qui vient de découvrir le catholicisme ; sur un plan social, cette christianisation du temps a des conséquences dans la vie quotidienne des convertis, puisqu'elle impose des jours chômés comme le dimanche. De nouvelles normes sociales et religieuses, liées au temps, doivent être intégrées par les convertis et peuvent entrer en concurrence avec les coutumes nippones, ce qui conduit les missionnaires à se montrer prudents et à faire preuve de souplesse dans l'imposition du calendrier liturgique. La politique d'accommodation est alors vue comme une nécessité pour parvenir à modifier progressivement les habitudes religieuses des chrétiens, contractées avant leur conversion. Cette attitude prévaut dans les débuts de la mission : les jésuites se contentent de demander le respect du dimanche et des principales fêtes chrétiennes, comme Pâques. En l'absence d'un missionnaire dans chaque communauté chrétienne, un laïc est chargé de réunir les chrétiens le dimanche pour une lecture de la doctrine, ce qui oblige les convertis à tenir un décompte des jours afin de connaître la date du dimanche. Les jésuites ne vont pas plus loin dans les règlements, en raison des difficultés à imposer un temps chrétien dans un pays qui reste largement bouddhiste : les convertis ne peuvent être contraints à respecter un calendrier liturgique très strict, surtout s'ils demeurent sur un fief dirigé par un daimyo païen. Le pragmatisme est alors de rigueur et les missionnaires édictent des règles pouvant être aisément respectées. Une codification précise du calendrier liturgique n'intervient qu'avec l'arrivée de l'évêque Pedro Martins au Japon. Celui-ci publie en r 597 une liste des fêtes à observer, qui comprend tous les dimanches, le jour de la circoncision du Christ, l' Épiphanie, Pâques, l'Ascension, la fête du Corpus Christi, la Pentecôte, l'Assomption, la Toussaint, Noël et le jour du saint patron 77 • L'évêque précise que ces jours de fêtes sont publics pour les chrétiens et inscrits sur les calendriers, mais ils ne sont publiés que dans les chrétientés anciennes, la prudence étant de mise dans les chrétientés nouvelles 78 • Nagasaki constitue un cas à part: Pedro 77 78
BA,Jesuftas na Asia, 49-Vl-8, fol. 5v0 -6v 0 • Pedro Martins ne précise pas les terres qu'il considère comme des chrétientés anciennes: on peut supposer que la liste correspond à celle de son successeur, Luîs Cerqueira, qui reprend en partie les règlements de Pedro Martins.
Martins observe que cette chrétienté est ancienne et habituée à suivre les fêtes, conformément aux coutumes européennes, et il demande quel' on y respecte le calendrier romain. Dès cette époque, il existe donc une adaptation différenciée du calendrier, selon le degré de christianisation d'une région, ainsi qu'une volonté de rapprocher progressivement la chrétienté japonaise des chrétientés européennes. L'entreprise de Martins est complétée l'année suivante (1 598) par son successeur, Lufs Cerqueira 79 • Le nouvel évêque commence par préciser les jours de fêtes et de jeûne à respecter par les Portugais présents à Nagasaki. Il en vient, dans un second temps, à se pencher sur le cas des chrétiens japonais : En ce qui concerne la chrétienté du Japon, comme elle est récente et que toutes les régions n'ont pas les mêmes dispositions et la même capacité pour s'accommoder tout de suite à observer les Lois Ecclésiastiques, il est nécessaire de procéder avec attention dans la publication de ces dernières, et de parler avec discernement 80 •
Cerqueira reprend le principe d'une adaptation différenciée, mais il met l'accent sur le fait que l'accommodation est temporaire et doit aboutir in fine à l'adoption du calendrier romain et au respect des lois ecclésiastiques par l'ensemble des Japonais; seule la conversion récente de ces derniers justifie un temps d'adaptation. Afin de ne pas décourager les conversions et ne pas susciter l'hostilité des seigneurs non chrétiens, il ne faut pas demander des efforts démesurés à des nouveaux convertis et de ne pas imposer des changements brutaux dans des terres où le christianisme est minoritaire. L'évêque va même plus loin : l'accommodation est considérée du point de vue des Japonais et ce sont ces derniers qui doivent s'adapter aux usages en vigueur dans l'Église. L'accommodation pratiquée par les jésuites n'apparaît que comme un pisaller, destiné à amener progressivement les convertis à respecter le calendrier liturgique défini en Europe. Luis Cerqueira détaille ensuite les fêtes devant être observées par les différentes chrétientés. Il commence par celle de Nagasaki, la plus habituée aux normes européennes, car les jésuites ont administré la ville dans les années 1580 et toute la population s'est convertie: il préconise d'y suivre le calendrier romain et il publie la liste des jours où le jeûne est obligatoire, notamment en période de Carême. Cerqueira donne ensuite la liste des chrétientés anciennes (Ômura, Arima, Gotô, Hirado et Amakusa) : dans ces régions, seuls les dimanches et les fêtes principales comme Noël, la circoncision du Christ, !'Épiphanie; Pâques, l'Ascension, la Pentecôte, la fête de Corpus Christi, celle de la Trinité, celle de la 79
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BA,Jesuftas na Asia, 49-IV-56, fol. 39-4]V0 • Ibid., fol. 42. Je souligne.
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Purification de la Vierge, l'Annonciation, l'Assomption, le jour de la naissance de la Vierge, la Toussaint et les fêtes des saints Jean-Baptiste, Pierre et Paul. Pour ce qui est des jours de jeûne, Cerqueira se contente de donner pour obligation le respect du carême et des veilles de fêtes dont la listes' est étoffée par rapport à celle publiée par Pedro Martins. Les dates proches des deux règlements (1597 et 1598) n'invitent pas à voir un enracinement plus important du christianisme sur ces terres, qui justifierait l'allongement de la liste des fêtes. Lorsque Pedro Martins établit ses recommandations en I 597, il est arrivé depuis un an au Japon; la décision de Cerqueira de compléter ces règlements provient d'une
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meilleure compréhension des réalités japonaises, suite à un séjour plus long dans l'archipel. Par ailleurs, les Chrétientés anciennes sont distinguées de Nagasaki et suivent, en comparaison, un calendrier des fêtes réduit. Or, les terres d'Ômura accueillent tôt des missionnaires et Ômura Sumitada est le premier daimyô à se convertir en I 56 3. Cette situation permet de constater que la conversion des élites ne signifie pas automatiquement celle de leurs terres, ni un enracinement rapide du christianisme: dans le cas d'ômura, le daimyô n'oblige la conversion de ses sujets qu'en r 574. Il est probable que sur ces terres, malgré la présence ancienne de chrétiens, la nouvelle religion n'imprègne que lentement les mœurs, au point de justifier une adaptation du calendrier liturgique. Luîs Cerqueira se penche en dernier lieu sur le cas des terres nouvellement converties et dont le seigneur n'est pas toujours chrétien. Il recommande le respect du dimanche, des fêtes principales et des jours de jeûne, mais il n'instaure pas d'obligation en la matière. De manière générale, l'évêque préconise de publier les fêtes et les jours de jeûne en vigueur en Europe, même si les chrétiens japonais ne sont pas astreints à les respecter, mais certains peuvent le faire pour leur dévotion personnelle. Si des convertis posent des questions sur les différences de calendrier entre l'Europe et le Japon, Cerqueira suggère de répondre que l'évêque est autorisé à déterminer les fêtes et jeûnes qui lui semblent pertinents.
À ces considérations s'ajoute le problème pratique de la diffusion des nouvelles normes temporelles auprès des convertis pour qu'ils respectent les jours de fête et de jeûne. Deux solutions sont préconisées par les jésuites: d'une part, au cours de la messe, le prédicateur termine son sermon en annonçant les jours de fête et de jeûne de la semaine à venir, conformément au calendrier publié par l'évêque Cerqueira81 ; d'autre part, les missionnaires publient des calendriers qui sont distribués aux chrétiens 82 • Mais d'après les franciscains, les convertis sont peu au courant du
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BA,Jesuftas na Asia, 49-IV-56, fol.165v 0 • Ibid., fol. 42. Voir un exemple de calendrier datant de 1620, dans Naojirô Murakami, «An Old Church Calendarin Japanese », Monumenta Nipponica, vol. 5, n°1,janvier1942, p. 219-224. Les calendriers à destination de l'Église du Japon continuent d'être imprimés à Macao jusqu'en 1620.
calendrier des fêtes malgré les moyens mis en place par les jésuites : Marcelo de Ribadeneira, qui réside au Japon entre 1594 et 1 597, affirme qu'il n'y a pas de publication des fêtes par les jésuites ; un père se contente d'enseigner la doctrine et de publier les jours de fête à la fin du sermon et un chrétien est envoyé dans les rues pour les annoncer 83 • Quelques convertis tiennent un calendrier, d'autres comptent une période de sept jours entre chaque dimanche pour se repérer ; la plupart ne connaissent pas les dates du Carême. Cependant, Ribadeneira publie son ouvrage en 1597, date à laquelle il n'y a pasencored'impressionetdediffusion de calendriers 84 • En revanche, les règlements de la mission publiés par le viceprovincial Francisco Pasio (1612) etlerèglementétabli parCerqueira (1598) font clairement allusion à la diffusion de calendriers parmi les chrétiens. Dans tous les cas, les missionnaires cherchent à donner du relief aux temps forts du calendrier liturgique. Les chrétiens japonais ont ainsi des repères fixes pour les grandes fêtes, comme Noël ou Pâques, point culminant de l'année liturgique. La messe des Rameaux et celle de Pâques sont accompagnées de processions et de chants destinés à impressionner les non-chrétiens 85 • Le caractère exceptionnel de
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cette période del' année est également marqué par des pièces de théâtre : en 1 562, Aires Sanches évoque des représentations d'épisodes de l'Écriture sainte, comme la fuite d'Égypte et le franchissement de la mer Rouge par Moïse ou l'histoire de Jonas, avalé par la baleine 86 • Précédemment, la période de Carême constitue un moment intense de prédication et de confession, destinées à préparer à la communion pascale. Cette période est donc mise en valeur par rapport au temps ordinaire et elle représente un moment important dans la vie des chrétiens. Néanmoins, la différenciation entre les chrétientés, pour la publication du calendrier, souligne que l'imposition d'un temps chrétien ne se fait pas sans difficulté au Japon. Elle est l'occasion pour les jésuites de mettre en œuvre une politique d'accommodation différenciée selon les territoires, qui est surtout une réduction des obligations des convertis selon le degré de christianisation de la région. Ces règlements soulignent que, à la fin du XVIe siècle, le christianisme n'est solidement implanté que dans la région de Nagasaki et quel' action réformatrice de l'évêque ne peut s'appliquer que sur une portion très réduite du pays. Celle-ci s'avère néanmoins décisive : l'imposition d'un temps chrétien, malgré la politique d'accommodation différenciée, ne va pas sans poser des difficultés, 83 San Martin de la Ascensi6n... , éd. cit., p. 211. 84 ARSl,Japsin 2, fol. 141. Les premiers règlements de la mission jésuite du Japon, publiés par Valignano dans les années 1580, ne font pas mention de l'impression de calendriers, d'autant que la presse n'a pas encore été importée dans l'archipel. 85 Lettre de Gaspar Vile la aux jésuites du Portugal, Hirado, 29 octobre 1557, dans DJ, vol. 1, p. 692·693 et 696. 86 Lettre d'Aires Sanches aux jésuites d'Inde, Funai, 11octobre1562, dans OJ, vol. Il, p. 525-526.
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car celui-ci entre en concurrence avec des obligations sociales japonaises. Ainsi, le carême peut tomber en même temps que le Shogatsu, le nouvel an japonais, temps fort de la vie sociale ; àcette occasion, les nobles sont contraints de se rendre à des banquets ou d'en organiser. Luîs Cerqueira préconise de donner une dispense de jeûne aux Japonais pendant deux jours: de cette manière, les convertis ne se coupent pas du reste de la société et peuvent participer aux réjouissances collectives, tout en leur évitant de nombreux cas de conscience sur le respect du jeûne. L'évêque autorise également les membres de la Compagnie de Jésus à dispenser certaines chrétientés de respecter des jours de fête ou à avancer les heures de jeûne, afin que les chrétiens puissent respecter leurs obligations sociales. De manière générale, Cerqueira prend acte du fait qu'il est difficile d'empêcher les chrétiens de participer à la fête du Shogatsu et il préconise de les laisser se joindre à la fête, pour peu que celle-ci soit décente et dépourvue d' excès 87 • Mais le Shogatsu n'est pas seulement un moment de réjouissance collective, c'est également une fête religieuse shinto, au cours de laquelle on chasse les mauvais esprits 88 : laisser les chrétiens participer à cette fête représente donc un risque de les voir accomplir des rituels shintoïstes, mais les en empêcher équivaut à les couper du reste de la population et à donner une image négative de la communauté chrétienne, accusée de ne pas respecter les traditions locales. Aussi, à la demande d'Alessandro Valignano, l'évêque décide d'instaurer lors du premier jour du Shogatsu une fête pour la Vierge, baptisée On mamori no Santa Maria - soit la traduction japonaise de Nossa Senhora da Protecçâo : l'évêque substitue une fête chrétienne à une fête bouddhique, qui permet aux chrétiens de participer aux réjouissances collectives tout en remplissant les obligations liées à leur nouvelle religion. Les jésuites précisent qu'en cela ils n'innovent pas, puisque les papes ont agi de la même manière dans les premiers temps de l'Église en christianisant des fêtes païennes 89 • Cerqueira est donc contraint d'adapter les usages, avec pour objectif pastoral d'assurer une bonne réputation au christianisme et de susciter des conversions. L'accommodation se fait en raison de l'importance que revêt le nouvel an pour la culture japonaise et elle prend la forme, non pas tant d'une acceptation du Shogatsu en tant que tel, que de la création d'une nouvelle fête chrétienne qui se superpose à la fête japonaise. A travers cet exemple, on perçoit l'ambiguïté à laquelle sont confrontés les missionnaires au Japon: d'une part, ils souhaitent affirmer la singularité et l'identité de la communauté chrétienne à travers l'imposition d'un autre calendrier; d'autre part, ils ne souhaitent pas 87
BA,Jesuîtas na Âsia, 49-IV-56, fol 46v 0 .-47. Sur ce sujet, on peut consulter Joseph Franz Schütte, On Mamori no Santa Maria. Das Fest unsere /le ben Frau, des Schutzherrin Japans, am japanischen Neujahrstag, Roma, lnstitutum Historicum Societatis lesu, 1954. 88 Jesûs L6pez-Gay, la liturgia en la mission del Jap6n del siglo xv1, Roma, Libre ria dell'Università Gregoriana, 1960, p. 34. 89 Voir la lettre annuelle de 1600 dans BA,Jesuftas naAsia, 49-IV-59, fol. 22.
couper les convertis du reste de la société japonaise, ce qui condamnerait à terme les chrétiens. Cette situation complexe se retrouve dans le cas de la diffusion de la liturgie funéraire chrétienne au Japon. La liturgie funéraire
La diffusion des rites funéraires chrétiens au Japon se heurte à l'existence de pratiques bouddhiques bien établies et qui ont une grande importance dans la société locale. Cependant, contrairement aux sacrements, les rituels funéraires bouddhiques présentent un certain nombre de ressemblances avec ceux du christianisme, ce qui peut provoquer des confusions aux yeux des convertis. Dans ce contexte, les jésuites s'interrogent sur la politique à mettre en œuvre: faut-il s'appuyer sur les ressemblances entre bouddhisme et christianisme pour mieux faire adopter les pratiques catholiques, au risque d'aboutir à un métissage incontrôlé des rites; ou au contraire est-il nécessaire de clairement les différencier et d'affirmer ainsi l'identité de la communauté chrétienne ? Ces interrogations reviennent à définir précisément ce que sont les rites funéraires dans l'archipel nippon : sont-ils le pur reflet de la doctrine bouddhiste ou ne sont-ils que l'expression de traditions sociales pouvant faire l'objet d'adaptation? La question des rites funéraires est donc beaucoup plus difficile pour les missionnaires que celles des sacrements, en raison del' existence de rites bien établis au Japon, qfü structurent la société et qui empêchent d'imposer les rites chrétiens. Afln de remédier à ces difficultés, les missionnaires analysent avec détails les doctrines bouddhiques sur la mort, ainsi que les rituels qui s'y rattachent avant de procéder à d'éventuelles adaptations: ces observations conditionnent l'acceptation ou non des rites traditionnels japonais. Le bouddhisme auquel les missionnaires du Japon sont confrontés appartient au courant du Mahayana (le Grand Véhicule) qui accorde une importance particulière aux boddhisattvas, des êtres parvenus à l'Éveil mais qui, par compassion, refusent d'entrer dans le Nirvana tant que tous les hommes ne se seront pas délivrés du cycle des renaissances. Le boddhisattva Sakyamuni est ainsi la manifestation corporelle du Bouddha transcendant sur la terre. Ainsi apparaît progressivement l'idée, étrangère au bouddhisme originel, de bouddhas ayant toutes les caractéristiques de sauveurs, régnant sur un paradis où ils accueillent les fidèles trépassés: c'est le cas du boddhisattva Amida qui règne sur la Terre Pure, située à l'ouest et où ses mérites servent au bonheur des autres êtres. Dans cette terre paradisiaque, les êtres qui, de leur vivant, ont manifesté leur foi envers la Loi du Bouddha et la compassion d'Amida, sont accueillis pour renaître dans son paradis, au cœur d'un lotus. Ces considérations générales sur le bouddhisme japonais ne doivent pas faire oublier la multiplicité des sectes ayant une organisation et des conceptions différentes sur les fins dernières et
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les moyens d'être sauvés. Les missionnaires sont confrontés principalement à quatre courants du bouddhisme se subdivisant eux-mêmes en différentes sectes 90 • Certaines ont des conceptions sur la mort clairement différentes du christianisme ; mais d'autres peuvent s'en rapprocher, ce qui crée des confusions aux yeux des Japonais. Les missionnaires se trouvent ainsi confrontés à la secte Tendai, apparue dès l'époque de Heian (794-1192) et à la secte Shingon, fondée à la même époque 91 • Ces deux sectes ont des conceptions sur la mort clairement différentes du catholicisme, dans la mesure où leur but est de parvenir à la connaissance parfaite et d'échapper ainsi au cycle des renaissances. Il en est de même pour la secte zen dans laquelle la notion de tD
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et vulnérable aux tentations. Mais le jésuite finit par se rendre à ses arguments et tente de convaincre Diogo de renoncer à ce mariage pour diverses raisons : premièrement, il fait valoir que le marié n'est pas chrétien : deuxièmement, le
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mariage entre nièce et onde est interdit par la loi canonique selon les lois de consanguinité; troisièmement, la fiancée refuse son consentement. Luîs de Almeida semble au départ considérer favorablement l'option du mariage avec l'onde, ou tout du moins suggère-t-il à Monica d'y réfléchir. Ce n'est que dans un second temps qu'il fait valoir l'argument de la consanguinité pour s'opposer à cette union, et cette justification n'en est qu'une parmi d'autres et elle n'est pas la première raison avancée pour convaincre Diogo. Ce dernier fait valoir 49 50
HJ, vol. Il, tre partie, chap. 59, fol. 194v°. Sur Monica Hibiya, voir Haruko Nawata Ward, Women Religious Leaders ... , op. cit., chap. 2.
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que Monica ne pourra trouver de parti convenable au sein de la communauté chrétienne, mais il finit par se ranger à l'avis d'Almeida. Cependant, Monica est enlevée par son onde ; l'histoire se termine par la conversion de l'onde sous le nom de Luca et la célébration de son union avec Monica. Ce problème des dispenses n'est pas propre à la mission japonaise et des dispenses pour consanguinité sont requises en Europe ou dans le Nouveau Monde. Dans le cas des terres de mission, la question est davantage problématique en raison des normes sociales en vigueur dans le pays, différentes des européennes. Au Japon, certains degrés de parenté n'empêchent pas de contracter une union, comme dans le cas de Monica qui épouse son onde. Dans ce cas précis, le mariage est finalement célébré, malgré l'objection d'Almeida sur le degré de parenté. Or, le point le plus problématique pour les missionnaires n'est pas tant celui-ci que la religion du futur époux: c'est le premier argument d'Almeida. Quant au père, Diogo, il le fait valoir également, mais pour justifier le mariage: certes, une union avec un chrétien serait la règle, mais la communauté de Sakai étant réduite, Monica risquerait de commettre une mésalliance en épousant un autre converti. Du point de vue de Diogo, l'argument du degré de parenté ne joue pas un grand rôle dans sa décision et il consent à l'union après le baptême del' onde. Quant à Luîs de Almeida, il finit par passer outre l'obstacle du degré de parenté, sans quel' on sache précisément si une dispense a été obtenue et qui l'a délivrée. Les missionnaires au Japon éprouvent un certain embarras à l'égard de cette question des degrés de parenté et il ne semble pas y avoir de décision définitive pour ces cas, notamment dans les premiers temps de la mission. En revanche, on possède un document émanant de l'évêque Cerqueira, daté de 1 598 : celui-ci commence par rappeler que les Japonais sont des convertis récents et qu'il convient de ne pas rendre la loi chrétienne trop difficile à ces derniers et odieuse aux Gentils à cause de prohibitions ecclésiastiques 51 • Aussi l'évêque ne veut-il pas imposer la publication des interdits de consanguinité ; le pape a été informé de cette situation et Cerqueira attend une réponse, confirmant que ces unions sont des mariages valides. Pour l'heure, les pères ne doivent pas se montrer trop réticents à admettre ces unions in facie Ecclesiae. Mais puisque l'on ne dispose pas encore du privilège pontifical, il est nécessaire que les pères demandent l'autorisation à leur supérieur avant de donner la dispense. À cette date, ce sont donc les supérieurs de la mission qui donnent les dispenses, mais il est probable que cette situation existe auparavant. Un équilibre est recherché entre la préservation de la foi, les coutumes japonaises et la tradition de l'Église : les jésuites cherchent à respecter la doctrine de l'Église, mais les circonstances actuelles ne leur permettent pas del' appliquer telle quelle. Les aménagements sont 51
BA,Jesuftas naAsia, 49-IV-56, fol. 44v"-45.
considérés comme temporaires : ainsi, Cerqueira précise que cette décision n'a été prise qu'en raison de la jeunesse de l'Église japonaise mais, à terme, cette dernière devras' aligner sur les mesures communes de l'Église. Par ailleurs, les missionnaires se montrent soucieux de légaliser leurs décisions en requérant une licence spéciale du souverain pontife, ils font preuve d'une grande prudence et cherchent à garder le contrôle dans la distribution des dispenses. Il s'agit donc d'une simple adaptation aux circonstances présentes, de manière réduite et temporaire, plus que la mise en œuvre d'une véritable stratégie en matière de dispenses ecclésiastiques. Les missionnaires se montrent exigeants en termes doctrinaux autour de la question du mariage. Les adaptations sont peu nombreuses et les missionnaires s'attachent à toujours faire valider leurs décisions par les autorités compétentes. Cependant, les missionnaires éprouvent parfois des difficultés à appliquer les décisions de Rome qui ne leur semblent pas toujours adaptées aux réalités du terrain, comme dans le cas du choix de l'épouse. Les jésuites acceptent de faire quelques aménagements sur la question du mariage, prenant en compte la situation particulière de la chrétienté japonaise, comme dans les cas de disparitas cultu qui demeurent nombreux au Japon. Cette exigence à préserver les normes du mariage, telles qu'elles ont été définies en Europe, a aussi pour conséquence la nécessité de bien expliquer aux Japonais toutes les implications sociales entraînées par l'union chrétienne, notamment le caractère indissoluble du mariage. Les sacrements et pratiques chrétiennes s'imposent donc lentement, d'autant que les missionnaires ne peuvent faire table rase des traditions sociales et religieuses japonaises. La nécessité de convaincre les chrétiens du bien-fondé des rites et sacrements catholiques révèle que ces derniers opposent une certaine résistance à leur diffusion.
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DES CHR~TIENS JAPONAIS EXEMPLAIRES?
L'attention des missionnaires à expliquer toutes les implications liées à la conversion ne garantit pas une bonne compréhension du christianisme et de ses symboles, car le substrat bouddhique imprègne la vie religieuse nippone, aussi bien en termes de pratiques qu'en termes de concepts formant l'arrièreplan mental et spirituel des Japonais. L'absence de culture chrétienne des convertis représente sans nul doute un frein à une pleine compréhension du catholicisme. Les jésuites se plaisent à dépeindre dans leurs écrits une chrétienté japonaise exemplaire, acceptant avec enthousiasme la nouvelle religion et les instructions des missionnaires. Ce portrait des convertis, largement repris par la suite, contribue à présenter l'évangélisation du pays du Soleil levant comme un succès imputable à l'action menée par la Compagnie de Jésus qui bénéficie, par un effet de miroir, de l'image positive attribuée à la mission du Japon.
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Cependant, cette dernière demande à être nuancée en tenant compte des résistances, conscientes ou non de la part des chrétiens, face aux obligations sociales, morales ou religieuses imposées par le christianisme, religion qui demeure largement minoritaire dans le contexte local. Il ne s'agit pas tant de mesurer les échecs del' évangélisation du Japon que de souligner la diversité des situations et des degrés de christianisation après la conversion. Ce problème de l'acceptation et de la compréhension du christianisme par les Japonais invite les jésuites à s'interroger de nouveau sur la politique d'accommodation: est-elle une source de confusion pour les convertis en ne permettant pas d'établir de claires distinctions entre bouddhisme et catholicisme? Permet-elle réellement de contrôler les pratiques des convertis en faisant des jésuites les seuls à décider de ce qui est adaptable ou non ? Les chrétiens japonais ne cherchent-ils pas à influencer les décisions des missionnaires en la matière ? Cette dernière question reste difficile à aborder, car les sources donnent rarement accès aux pensées et perceptions des Japonais. Le flltre missionnaire opère sans cesse, non seulement pour la traduction des paroles des convertis, mais également par le choix de présenter essentiellement des chrétiens exemplaires qui semblent avoir parfaitement assimilé les dogmes catholiques et les conseils des missionnaires pour pratiquer leur nouvelle religion ; mais l'on ne saurait généraliser leur cas à l'ensemble de la chrétienté japonaise. Par ailleurs, si des cas de déviances par rapport à l' orthopraxie ou l'orthodoxie apparaissent dans les documents, leur interprétation est difficile en raison de la diversité des situations. Certains cas sont analysés et jugés déviants par les missionnaires euxmêmes ; mais d'autres sont plus ambigus et des pratiques chrétiennes peuvent se superposer à des pratiques anciennes, sans faire l'objet de condamnation de la part des religieux. Il paraît donc nécessaire d'appréhender la façon dont les chrétiens japonais vivent leur foi et se l'approprient, au risque de ne pas respecter toutes les exigences missionnaires. La permanence de pratiques amblgui!s au sein de la communauté chrétienne japonaise
Les missionnaires constatent que les chrétiens continuent de pratiquer le bouddhisme en même temps que le christianisme. Luîs Fr6is rapporte ainsi le cas d'un chrétien japonais, qui continue de réciter« Namu Amidabutsu », la prière au bouddha Amida 52 • Le père lui fait remarquer qu'ils' est converti et que ces pratiques bouddhiques doivent être abandonnées. Le converti lui répond qu'il était autrefois un très grand pécheur; si jamais le Christ ne veut pas le sauver après la mort, il espère être accueilli dans le paradis d'Amida; 52
HJ, vol. I, lre partie, chap. 38, fol.113.
c'est la raison pour laquelle il récite des prières au Bouddha. Dans ce cas précis, les Japonais continuent à pratiquer les deux religions en même temps et ils recourent aussi bien aux symboles chrétiens qu'aux symboles bouddhiques, afin d'être sûrs d'obtenir une réponse à leurs demandes : lorsqu'un symbole ne marche plus, le converti en utilise un autre, pratique que l'historien japonais lkuo Higashibaba désigne sous le nom de spiritual insurance system 53 • Les convertis ne perçoivent pas les deux religions comme exclusives; au contraire, la double pratique les assure d'obtenir une réponse à leurs attentes. Dans ce cas, les chrétiens sont conscients de pratiquer leur ancienne religion, en plus de la nouvelle. En cela, ils restent marqués par une tradition ancienne au Japon où la pratique d'une religion n'est pas envisagée sous un angle exclusif, à l'image du bouddhisme et du shintoïsme qui coexistent dans l'archipel. Mais il existe d'autres cas de pratiques qui se situent à la frontière entre bouddhisme et christianisme, créant des confusions dans l'esprit des convertis. Certains symboles sont ainsi communs aux deux religions et il est difficile de savoir si les convertis font clairement la différence entre les significations des symboles empruntés au christianisme et ceux issus du bouddhisme : les chrétiens japonais, consciemment ou non, restent imprégnés d'un univers mental et d'une culture liés au bouddhisme. Ces détournements opérés par les Japonais ne sont pas toujours compris par les missionnaires qui supposent que l'usage des symboles chrétiens par les convertis japonais est conforme à leurs enseignements 54 • Mais les Japonais détournent ces symboles en leur substituant ou en leur ajoutant d'autres significations, héritées de leur ancienne appartenance aux religions traditionnelles del' archipel nippon. Ainsi, les chrétiens japonais ont une dévotion particulière pour l'eau bénite à laquelle ils attribuent de grands pouvoirs de guérison, ce qui recoupe deux caractéristiques de la religion populaire japonaise: d'une part, les pratiques religieuses nippones se concentrent sur la recherche de la guérison ou de la protection de la divinité ; d'autre part, les Japonais prêtent déjà à l'eau des propriétés de guérison 55 . Les chrétiens reprennent cette signification qu'ils attribuent à présent à l'eau bénite; quant aux jésuites, ils y voient avant tout une marque de dévotion des Japonais et une adhésion au christianisme, et non un transfert entre les pratiques religieuses bouddhistes et catholiques. Ainsi, constatant la dévotion pour l'eau bénite, les jésuites en distribuent largement : Luis Fr6is rapporte qu'un chrétien ayant un pied bot subit pour cette raison de nombreuses tracasseries (et actes de sorcellerie d'après le chroniqueur) de la part de sa famille non chrétienne, au point d'en avoir perdu la parole. Il va chez un ami chrétien qui lui conseille de boire del' eau bénite ; il retrouve aussitôt la 53 lkuo Higashibaba, Christianity in Early Modern Japan ..., op. cit., p. 38. 54 Ibid., p. 30. 55 HJ, vol. 1, t'e partie, chap. 8, fol. 2011".
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pas imposées par les Européens 66• Comment expliquer ce succès auprès des chrétiens japonais ? L'historien japonais Ikuo Higashibaba justifie la popularité de cette pénitence en recourant à une explication fondée sur le détournement du sens donné à celle-ci par les chrétiens japonais: le fouet aurait été considéré comme un objet magique, un symbole possédant un pouvoir de guérison et la flagellation est un moyen de gagner de mystérieux pouvoirs par une pratique austère 67 • Cette hypothèse n'est pas à exclure dans la mesure où les missionnaires ont pu conforter cette vision : François Xavier, lorsqu'il laisse le fouet à Miguel, lui affirme qu'il s'agit d'un remède pour le corps, capable de guérir la fièvre 68 • Cependant, cette interprétation ne permet pas totalement de comprendre le développement extraordinaire que connaît la discipline au Japon. Celui-ci est à replacer dans un contexte plus large qui voit le développement à la même époque des pratiques pénitentielles en Europe, où les processions de flagellants, aussi bien en France qu'en Italie, se répandent 69 • Le développement de ces pratiques pénitentielles est lié à cette culture de la peur et du péché, décrite par Jean Delumeau, qui gagne l'Europe dès la fin du XIVe siède 70 • La société est alors obsédée par la mort, ce que Delumeau explique par le long processus d'acculturation religieuse et de culpabilisation qui part des monastères et atteint la population. Mais il souligne également un profond pessimisme de la société, résultat del' angoisse accumulée entre le temps de la peste noire et celui de la fin des guerres de Religion, deux éléments qui sont fortement imbriqués dans la conscience collective. Cette analyse de l'importance des notions de faute et de culpabilité, qui imprègnent alors la société européenne, ne saurait s'appliquer telle quelle dans le cas japonais pour expliquer le développement des pratiques pénitentielles, mais elle fournit d'intéressantes pistes de réflexion. Le contexte de la peste noire et des guerres de religion, évoqué comme étant une des causes du développement de la culture du péché, peut se rapprocher de la période d'instabilité que connaît le Japon dans la deuxième moitié du xvl' siècle. Les guerres civiles nombreuses et la présence quotidienne de la mort contribuent à alimenter une réflexion sur le trépas et sur la capacité à être sauvé. L'idée d'une dégénérescence de la Loi et du monde est par ailleurs présente dans le bouddhisme sous le nom de mappô Ibid., vol. Ill, 2• partie, chap. 30, fol. 114. lkuo Higashibaba, Christianity in Early Modern Japan ..., op. cit., p. 34. 68 HJ, vol. 1, 1'0 partie, chap. 2, fol. 4. 69 Sur la pénitence et les symboles qui y sont attachés, voir l'article d'Antoine Roullet,« De la douleur au sang: la sanctification par la discipline »,dans Charlotte Bouteille-Meister, Kjerstin Aukrust (dir.), Corps sanglants, souffrants et macabres, xvf-xv11• siècle, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2010, p. 146-157. 70 Jean Delumeau, Le Péché et la Peur. La culpabilisation en Occident, x11f-xv11f siècles, Paris, Fayard, 1983. 66 67
et le bouddhisme de la Terre Pure a tenté, sous diverses formes, de produire des moyens pour atteindre le salut71 • Quant à la culture de la culpabilité qui se développe en Europe, elle trouve son pendant, au Japon dans ce que l'anthropologue Ruth Benedict a appelé « la culture de la honte »72 • Bien que les réflexions de Benedict concernent la société japonaise de la première moitié du xxe siècle, celles-ci peuvent être appliquées au Japon de l'époque moderne, dans la mesure où la société nippone reste très marquée par un certain nombre de caractéristiques développées au cours de cette période. Le sentiment de honte est inextricablement lié à la question de l'honneur et àla préservation de celui-ci; or, cette question de l'honneur trouve son apogée lorsque la classe sociale dominante est celle des guerriers, ce qui est le cas dans le Japon du XVIe siècle, encore très imprégné par la féodalité 73 • Benedict met en avant l'importance du > facilite l'introduction des pratiques pénitentielles, afin de pallier ce qui est considéré comme une défaillance. 71
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Richard Bowring, The Re/igious Traditions of Japon, 500-2600, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 200. Ruth Benedict, Le Chrysanthème et le sabre[1946], Paris, Philippe Picquier, 1995. L'ouvrage de Benedict a parfois été décrié, car l'auteur l'écrivit dans le contexte de la seconde guerre mondiale et sans jamais s'être rendue au Japon. Il était destiné au Bureau de Renseignements américain. Néanmoins, de nombreux anthropologues considèrent que ses analyses sur la «culture de la honte», opposée à la« culture de la culpabilité» occidentale, restent valables. Eiko lkegami, The Tamlng ofthe Samurai. Honori{ic lndividua/ism and the Making ofModern Japon, Harvard, Harvard University Press, 1995, p. 25. Ruth Benedict, Le Chrysanthème et le sabre, op. cit., p. 120. Eiko lkegami, The Taming of the Samurai, op. cit., p. 28.
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Les disciplines sont plus nombreuses en temps de carême et lors de Pâques, en Europe comme dans l'archipel nippon, mais les missionnaires soulignent que les Japonais pratiquent les disciplines plus fréquemment, voire plus violemment qu'en Occident. Plus que la culpabilité, ce serait le sentiment de ne jamais pouvoir rembourser le sacrifice du Christ pour les hommes qui conduirait à des pratiques pénitentielles importantes. La « culture de la honte » fait face à la « culture de la culpabilité »,mais toutes deux se répondent et se rejoignent dans la recherche d'une discipline de soi pour effacer la faute. Il existe donc ici un substrat initial dans la société et la culture locales, un système de concordance entre éléments européens et nippons, qui facilite l'acceptation du christianisme. Dans le cas de la discipline, le fait de savoir si les convertis projettent ou non leur propre compréhension sur cette forme de pénitence n'est pas essentielle pour les missionnaires. Ce qui importe pour ces derniers, c'est la recherche d'une dévotion et d'une forme de haine du monde qui trouve un écho dans la conscience européenne. Cependant, dans d'autres cas, les missionnaires se montrent plus stricts dans leur volonté de contrôler les pratiques des chrétiens japonais. La réponse missionnaire face aux difficultés d'enracinement du christianisme
Face àla permanence de pratiques plus ou moins ambiguës dela part des convertis, les jésuites ont à cœur de montrer leur volonté de contrôle sur les convertis, particulièrement aux yeux du public européen. Leurs écrits présentent ainsi fréquemment le portrait de chrétiens exemplaires qui s'opposent avec force aux anciennes pratiques bouddhiques: de cette manière, les missionnaires valorisent la progression des modèles chrétiens au Japon, fruit de leurs efforts d'évangélisation. Luis Fr6is rapporte ainsi le cas de Cavaximandono Joao, un noble converti qui se rend un jour au temple Nishinomiya dans le Settsu ; lorsqu'on lui demande d'adorer les kami, il urine sur le temple 76 • Arrêté, il affirme que son geste n'a pas été commandité par les jésuites ; condamné à être crucifié, il s'exile dans le Sud du Japon. Même si les missionnaires n'approuvent pas explicitement ces actions spectaculaires des chrétiens, ils paraissent fiers de constater que ces derniers sont prêts à manifester leur foi à tout prix. Ils soulignent ainsi la force de la chrétienté japonaise et l'enracinement du catholicisme au Japon: Cavaximandono Joâo a parfaitement assimilé le christianisme au point de renier définitivement son ancienne religion et de vouloir mourir pour celle qu'il vient d'adopter 77 • Ces tentatives missionnaires pour imposer le christianisme atteignent pleinement leur but lorsqu'un fief se convertit entièrement et que les temples 76
HJ, vol. Il, 1re partie, chap. 77, fol. 168-168v0 • La région du Settsu est située entre Osaka et
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Kôbe, au centre du Japon. Bien entendu, ces cas sont probablement rares et ils ne sauraient être généralisés à l'ensemble de la communauté chrétienne.
bouddhiques sont transformés en églises. Fr6is rapporte ainsi la conversion du fief d'Arima en r 580 : Et ainsi, pendant les trois mois que le père [Valignano] passa sur place [àArima], tous les temples de leurs kami et hotoke furent brisés et détruits, temples, grands et petits confondus, dont le nombre dépassait les 40, parmi lesquels certains étaient très solides et très renommés au Japon, et tous les bonzes devinrent chrétiens, ou quittèrent le fief. Et, outre ceux qui de nouveau reçurent le saint baptême, le nombre d'âmes sur les terres d'Arima s'éleva à plus de sept mille, lesquelles, pendant les persécutions des années précédentes, ou bien avaient quitté [Arima] ou vivaient sans pères, sans églises, et sans doetrine, comme nous le disions au début 78•
Et Fr6is d'ajouter que les temples principaux donnés aux missionnaires par le daimyo sont transformés en églises. La conversion du fief tout entier est un moyen de contrôler plus rigoureusement les pratiques des chrétiens : le chroniqueur fait le lien entre la destruction des temples et le départ des bonzes, qui marquent la fin du bouddhisme sur les terres d'Arima et la reprise de l'évangélisation. Si les chrétiens pratiquaient leur foi, sans aucun contrôle du temps des persécutions («sans pères, sans églises et sans doctrine»), le changement de situation permet aux missionnaires de reprendre en mains les convertis. Les jésuites ne se contentent pas de proposer des portraits de convertis soumis à leurs directives, comme Dom Justo T akayama, mais ils se préoccupent effectivement de contrôler les pratiques des chrétiens, trop influencés par la continuelle présence des bouddhistes à leur goût 79 • Cependant, cette image flatteuse des jésuites en destructeurs du bouddhisme mérite d'être nuancée. La situation décrite par Fr6is n'a lieu que dans un fief dont le seigneur est chrétien depuis r 576 et dont les vassaux ont été convertis. Les supérieurs de la mission recommandent d'agir avec prudence dans les conversions et dans la diffusion du christianisme, même dans les fiefs chrétiens : les temples et les idoles ne doivent pas être détruits systématiquement et avec violence, mais il faut procéder avec prudence et extirper petit à petit le bouddhisme ; sinon, le christianisme a une mauvaise réputation auprès des non chrétiens, ce qui a pour effet de ralentir le mouvement des conversions et d'encourager les convertis à ne pas pratiquer correctement leur nouvelle religion 80 . Enfin, dans les régions fortement christianisées, les situations restent diverses, même après la conversion de l'ensemble du fief: Fr6is rapporte que des bonzes continuent de pratiquer leur religion en r 590 à Mie, dans le flef d'Arima, et des fidèles continuent d'assister aux cérémonies 78 79 Bo
HJ, vol. Ill, 2• partie, chap. 20, fol. 65. Ibid., vol. Ill, 2• partie, chap. 30, fol. 114. BA, fesuftas na Asia, 49-IV-56, fol. 158v°.
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se passer d'une réflexion sur la culture japonaise et sur les éléments de cette dernière qui peuvent faire l'objet d'adaptation; mais elle est indissociable d'une interrogation sur sa propre culture et du référentiel que cette dernière a constitué jusque-là. La fascination du monde japonais est l'occasion d'un retour sur soi de la part des jésuites qui constatent des différences profondes entre les cultures : ils sont conduits à relativiser la supériorité de la culture européenne et leur capacité à l'imposer aux populations converties. De plus, l'observation des coutumes nippones et la conclusion de l'impossibilité de les modifier poussent les religieux à questionner leur pratique missionnaire. Les descriptions du Japon et des Japonais n'ont pas pour unique but de satisfaire un lectorat européen friand d'exotisme, mais elles ont également pour objectif de justifier les choix pastoraux et les éventuelles adaptations faites en raison des profondes différences entre le Japon et l'Europe. Elles sont ainsi destinées à fournir une réponse aux critiques suscitées par la mise en œuvre de la politique d'accommodation et venant aussi bien de Rome que des autres ordres religieux, notamment les franciscains. Ces descriptions de la culture japonaise font donc partie intégrante de la stratégie argumentative des missionnaires, stratégie qui se déploie à une échelle mondiale et qui vise à légitimer leurs entreprises locales. Quant à l'image de mission exceptionnelle, véhiculée dans la littérature missionnaire, elle cherche à donner une vision uniforme del' action des jésuites au Japon, alors que la réalité apparaît beaucoup plus nuancée. La mission japonaise est dépeinte comme une mission exemplaire, en direction d'un peuple d'élite mais dès lors, comment représenter l'échec final de 1' évangélisation et les persécutions qui se déclenchent dès la fin du XVIe siècle ? Pourquoi valoriser autant une mission qui connaît une fin brutale et qui est un échec sur le plan pastoral ? Pour contourner cette difficulté, des stratégies littéraires sont mises en œuvre afin de transformer les échecs en réussite : à travers le récit de ces épreuves, les missionnaires soulignent la profondeur de la foi des convertis et décrivent le martyre comme 1' acte héroïque suprême, témoignant de la victoire finale du christianisme au Japon. Mais cette volonté de masquer les aspects les plus sombres du travail d'évangélisation met ces derniers en lumière : elle invite à s'interroger sur les échecs de 1' évangélisation et les remises en cause des choix effectués, notamment celui de l'accommodation, car celle-ci n'a pu empêcher le pouvoir japonais de juger la religion chrétienne étrangère aux traditions locales. Pour réinterroger la politique d'accommodation et les réflexions des jésuites sur la culture japonaise, les sources sont utilisées différemment par rapport aux chapitres précédents. Les sources administratives ont permis de réfléchir sur les pratiques au sein de la chrétienté japonaise et sur les débats autour des stratégies missionnaires ; ces documents ont en commun de ne pas avoir vocation à être
diffusés en dehors de l'ordre qui les a produits. Ils traduisent une perception bureaucratique et veulent rendre une image de la mission proche des réalités du terrain : l'objectif est de faciliter la prise de décision des missionnaires présents sur place ou des instances dirigeantes restées en Europe. A contrario, certains documents, comme des chroniques, des lettres ou des traités décrivant le Japon et ses habitants, sont rédigés dans le but explicite d'être publiés pour un large public. Aussi s'agit-il de voir comment cette littérature interroge l'action des jésuites au Japon et la met en scène. Comment permet-elle de compléter notre vision de l'action missionnaire transmise par les documents administratifs ? Le but est de mettre en perspective la vision idéalisée de la mission qui transparaît dans les chroniques et les traités et la réalité du travail effectué par les fils de saint Ignace : comment la réalité de la mission éclaire-t-elle les stratégies littéraires et hagiographiques de la Compagnie de Jésus ? Comment la pratique missionnaire, et plus particulièrement l'accommodation, a-t-elle été nourrie par l'imaginaire quis' est développé autour du Japon ? Il ne s'agit pas d'opposer la réalité et la vision idéalisée de la mission, mais de les considérer comme deux facettes complémentaires de la réflexion sur l'évangélisation du Japon.
LES DESCRIPTIONS DU JAPON : ENTRE FASCINATION, RETOUR SUR SOI ET JUSTIFICATION DES M~THODES MISSIONNAIRES
Des sources diverses pour décrire le Japon
Les sources nécessaires à cette étude sont de natures variées, mais elles ont en commun d'être destinées à être lues en dehors des instances administratives des ordres et d'être produites par des missionnaires ayant séjourné au Japon et disposant d'informations de première main sur le pays et ses habitants. Dans ces documents, la description de l'archipel nippon et de ses habitants est rarement le seul thème abordé, mais elle vient généralement au début de l'ouvrage, afln de planter le décor de la mission et de témoigner de la diversité des mondes parcourus par les missionnaires. Les sources contenant un exposé sur le Japon sont de trois natures: tout d'abord, ils' agit de lettres destinées à être reproduites et à être lues par un vaste public, et qui connaissent un grand succès à l'échelle européenne et mondiale1. Il ne s'agit pas ici d'analyser la diffusion de ces missives, mais d'étudier la façon dont les missionnaires présentent le Japon à un public qui n'est pas composé uniquement de religieux.
Sur la diffusion des œuvres portant sur la mission japonaise, voir Joào Paulo Oliveira e Costa, 0 Japiio e o cristianismo no secu/o xv1, Lisboa, Ship, 1999, p. 189·288. Voir également Rui Manuel Loureiro, Na companhia dos livras, manuscritos e impressos na missoes jesuitas da Asia Oriental (1540-1620), Macao, Universidade de Macau, 2007.
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Ensuite, les chroniques sur la mission contiennent systématiquement un chapitre ou une partie destinés à dépeindre le Japon et ses habitants. Elles sont composées dans le but d'être diffusées en dehors des ordres religieux, afln de promouvoir l'action de ces derniers dans les terres de mission. On se concentrera ici sur les chroniques rédigées par des missionnaires ayant œuvré au Japon, ce choix se justifiant par la qualité des informations recueillies 2 : 1' auteur a pu observer de lui-même les mœurs et coutumes du pays, s'immerger dans la culture nippone et les éléments retranscrits visent à rendre la singularité de son expérience au pays du Soleil levant. La première chronique utilisée est celle de V alignano qui s'inspire de plusieurs lettres rédigées par le fondateur de la mission,
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François Xavier. Le visiteur rédige en r 583 !'Historia delprincipio y progresso de /,a Compania de]esU.s en /,as Indiasorientales, qui couvre les années 1542 à 1564 3 • Pressé par le temps et en raison de ses nombreuses obligations administratives, il ne poursuit pas cette œuvre. Le soin de mettre par écrit le déroulement de la mission japonaise est alors conflé à Lufs F r6is en raison de ses qualités d'écrivain, reconnues par ses supérieurs, qui lui confient la rédaction des lettres annuelles. La genèse de la chronique de Frôis est cependant à chercher du côté de l'Europe : le jésuite Maffei se rend au Portugal afln de trouver des informations pour écrire son histoire des Indes orientales. Le général Mercurian a alors l'idée de confier à Frôis le soin d'écrire un commentaire sur la progression de la foi au Japon, qui serait ensuite utilisé par Maffei. Àl:a mort de Mercurian en 15 80, cette initiative est reprise par son successeur Acquaviva qui transmet la demande à Valignano à la fin de l'année r 58 2 ou au début de l'année 1 58 3. F rôis accepte de rédiger cette chronique, mais ses nombreux ennuis de santé en retardent l'écriture : la première partie n'est achevée qu'en I 586 et le point final n'est mis qu'à la fin de r 593. Dès le début, l' œuvre de Fr6is est vivement critiquée par les jésuites du Japon qui lui reprochent notamment sa longueur et son écriture monotone : l' Historia de ]apam n'est donc jamais envoyée, ni à Rome ni au Portugal. Malgré cela, le caractère public du livre de Fr6is nous permet de l'utiliser dans notre étude : en effet, la chronique devait servir de notes utilisables par Maffei dont l' œuvre était clairement orientée vers la publication. Les informations contenues dans l' Historia de Fr6is étaient donc jugées diffusables par la Compagnie de 2
3
Je laisserai donc de côté les chroniques rédigées par des missionnaires restés en Europe. Ces derniers s'appuient sur les ouvrages de religieux ayant évangélisé le Japon et fournissent donc des informations de seconde main. Dans les dernières années de sa vie, Valignano souhaita mettre par écrit sa vision de la mission japonaise et compléter l'œuvre de Luîs Fr6is qu'iljugeaittrop longue et impubliable. Mais il ne parvint pas au bout de son projet. Voir à ce sujet l'article de M. Antoni Üçerler, « Valignano como storico della missione: la sua ultima parola nel Principio y progressa (1601-1603) »,dans Adolfo Tamburello, M. Antoni Üçerler, Maria Di Russo (dir.),Alessandro Va/ignano, uomo del Rinasclmento: ponte tra Oriente e Occidente, Roma, lnstitutum Historicum Societatis lesu, 2008, p. 261-277.
Jésus. La première partie de la chronique était consacrée au Japon mais, si l'on en possède le plan, le contenu a été perdu. L'autre grande chronique rédigée par un jésuite ayant vécu au Japon est l'œuvre de Joâo Rodrigues l'Interprète. Les précédentes chroniques rédigées par les jésuites du Japon n'ayant pas pleinement donné satisfaction, les supérieurs de l'ordre décident en 1613 de confier le soin d'en rédiger une nouvelle à Matheo de Couros. Mais celui-ci ne peut le faire en raison de ses ennuis de santé et Rodrigues est chargé de prendre le relais et de composer une Histoire du Japon en raison de sa bonne connaissance du pays et de la langue 4 • Rodrigues commence la rédaction de sa chronique dans les années 1620 et, en 1622, il en avait achevé une grande partie 5• En 1627, il rédige toute la partie concernant les années l 549-1590 de la mission, mais l'on ne sait pas s'il acheva son œuvre. En revanche, on possède le plan détaillé del' ouvrage, ce qui permet d'en avoir une vue d'ensemble. L' Historia de Rodrigues devait débuter par un prologue de dix livres dont seuls les deux premiers nous sont parvenus: ils portent sur la géographie, l'histoire du Japon, ses coutumes. Les autres livres décrivent le roi, la noblesse, les sectes bouddhistes. La deuxième partie de l'ouvrage constitue le récit historique proprement dit : composée de dix livres, elle retrace les événements de la mission de 1 549 à 1634, chaque livre étant consacré à un supériorat. Enfin, la troisième partie prévoyait de s'intéresser à la Chine, au Siam, au Cambodge et à la Corée. Ce qui reste de la première partie est essentiel pour notre étude, car Rodrigues revient sur son expérience de trente ans au Japon 6 • Pour composer son ouvrage, !'Interprète s'est appuyé sur divers auteurs, soulignant la circulation des œuvres à une échelle mondiale : on trouve ainsi l'influence d'Orazio Torsellini qui rédigea en 1 594 à Rome une biographie de François Xavier. Mais Rodrigues cite également la Bible, Joâo de Barras, Confucius, Pline, Ptolémée ou Marc Aurèle. Cette première partie est particulièrement détaillée, comme si Rodrigues oubliait qu'il rédige une simple introduction à son Historia. Ce faisant, il fournit au lecteur une description minutieuse du Japon et des usages japonais. Enfin, des traités sont rédigés sur le Japon. Ce genre littéraire est plus composite et il convient de délimiter notre objet d'étude. Les traités administratifs sont laissés de côté, même s'ils portent en partie sur les coutumes japonaises, car ils ne sont destinés qu'à un usage interne aux ordres religieux. LesAdvertimentos e 4
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Jacques Bésineau, Au Japon avec Joâo Rodrigues, Lisboa/Paris, Fondation Calouste Gulbekian, 1998, p. 200. Matheo de Couros repart au Japon en 1615 pour continuer à entretenir les communautés chrétiennes malgré les persécutions. Il n'est jamais arrêté, mais il meurt d'épuisement en 1632. Voir l'introduction de Michael Cooper dans The Island ofJapon. Joâo Rodrigues' Account of the 16th Century Japon, éd. Michael Cooper, London, Hakluyt Society, 2001, p. -mt. C'est toujours cette édition de l'œuvre de Rodrigues qui est citée par la suite.
Ibid., p. XXXI.
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avisos acerca dos costumes e catangues def appdo de V alignano ne sont pas utilisés ici, car ils ont pour but de donner des directives aux missionnaires concernant les habitudes nippones auxquelles il est nécessaire de se conformer 7 ; l'ouvrage n'a pas de fonction littéraire et il n'est pas destiné à être diffusé en dehors de la Compagnie de Jésus. Le traité de Luis Fr6is sur les Contradictions et différences de mœurs a un statut intermédiaire 8 : il se situe à la frontière entre les documents administratifs, de par son aspect informatif, et les textes littéraires, en raison de sa construction particulière utilisant exclusivement la figure du parallélisme pour opposer cultures européenne et japonaise. Cet aspect, unique dans la littérature portant sur la mission japonaise, lui vaut d'être retenu pour notre étude. Ce traité permet également de compenser la perte de la première partie de l' Historia de japam, dans la mesure où des thèmes sont communs aux deux ouvrages. L'on peut supposer que Fr6is s'appuie sur le traité pour rédiger sa
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chronique, car celui-ci est daté de 1585, date à laquelle le jésuite commence également la rédaction del' Historia. Ces différentes sources ont en commun de présenter le Japon comme un pays fascinant et mystérieux. Un pays difficile à déchiffrer
Divers motifs reviennent régulièrement sous la plume des missionnaires et ils dessinent le cadre dans lequel se déroule la mission. Mais ces descriptions, loin d'être neutres, sont liées à la question del' évangélisation et elles traduisent la façon dont les jésuites perçoivent l'environnement dans lequel s'inscrit leur action. Le Japon apparait comme un pays dans lequel il est difficile de vivre en raison de sa géographie et de son climat. Mais il est surtout présenté comme un pays étrange de par ses mœurs, provoquant stupéfaction et interrogation pour les Européens. Trois éléments reviennent dans les descriptions des jésuites: la géographie de l'archipel nippon, sa population et ses coutumes sont des topoï de la littérature missionnaire qui viennent souligner combien il est difficile d'évangéliser le Japon, allant à l'encontre de l'idée couramment répandue d'une conversion rapide de la population locale. Dès lors, comment la prise en compte du pays, de ses mœurs et coutumes, influence+elle la stratégie d'évangélisation et met-elle en cause la politique d'accommodation ?Les descriptions du Japon et de sa population ne sont jamais purement informatives ou destinées uniquement à répondre aux désirs d'un lectorat friand d'exotisme. Elles sont d'une part une
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Alessandro Va ligna no, li Cerimoniale per i missionari del Giappone, « Advertimentos e avisos acerca dos costumes e catangues de Jappiio »,éd. Josef Franz Schlitte, Roma, Storia e letteratura, 1946. Luis Fr6is, Traité sur les contradictions et différences de mœurs, écrit par le R. P. Lufs Fr6is, au Japon, l'an 1585, éd. et trad. Xavier de Castro, Paris, Chandeigne, 1998.
occasion pour les jésuites de réfléchir sur l' œuvre créatrice de Dieu, à la façon dont son action s'inscrit dans le contexte japonais; d'autre part, elles visent à souligner la nécessité de mettre en œuvre la politique d'accommodation face à un peuple ayant une culture particulièrement originale. Les jésuites bâtissent ainsi des ponts entre Europe et Asie en faisant circuler des informations sur le Japon à une échelle planétaire, mais ce projet est indissociable des perspectives locales de mise en œuvre d'une stratégie d'évangélisation efficace qui doit également être approuvée par les autorités romaines. Un pays décrit comme riche et fertile
Les récits sur l'archipel nippon ne sont pas une nouveauté complète pour les lecteurs européens dont l'imaginaire est influencé, dès le Moyen Âge, par les écrits de Marco Polo 9 • Bien que ne s'étant jamais rendu au Japon, celui-ci a popularisé l'image d'un Japon mythique, dénommé Cipango, où les richesses seraient abondantes. Cette vision d'une terre idyllique a nourri les rêves des voyageurs et navigateurs européens, au point que Christophe Colomb reste longtemps persuadé d'avoir atteint Cipango après avoir abordé en Amérique. Les descriptions des missionnaires déconstruisent cette image et cherchent à présenter aux lecteurs une vision plus réaliste de l'archipel japonais. Joie Rodrigues s'attache explicitement à remettre en cause certaines affirmations de Marco Polo, rappelant que le Japon n'a jamais produit de pierres précieuses 10 • Les missionnaires divergent sur la présentation des qualités du pays et sur 1'évaluation des richesses japonaises. L'évocation de la latitude et de la longitude auxquelles se situe le Japon permet de le présenter comme un pays montagneux, couvert de forêt. Les missionnaires insistent tous sur la rudesse du climat et Rodrigues précise que l'air est pur et vivifiant pour la santé et qu'il permet aux habitants d'atteindre un âge avancé 11 • Cependant, les missionnaires divergent sur la richesse des terres nippones: Valignano, un des premiers à avoir publié sa chronique, souligne l'extrême pauvreté du pays: il décrit le Japon comme un des pays les plus stériles d'Orient 12 • Mais son successeur, Joie Rodrigues 9
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The Island ofJapan, éd. cit., p. xxii. Marco Polo part pour la Chine en 1271 et il se met au service du Khan Kubilaî, pour le compte duquel il exerce des fonctions administratives. Revenu en 1295 à Venise, il est fait prisonnier trois ans plus tard par les Génois. Dans sa geôle, il se consacre alors à l'écriture de ses aventures. Celles-ci connaissent un grand succès, mesurable par le nombre de versions manuscrites. Une version imprimée voit le jour en 1477, en latin. Marco Polo a acquis ses connaissances sur le Japon grâce aux récits des populations côtières chinoises. Voir Joao Paulo Oliveira e Costa, A Descoberta da civi/aziio japonesa pelos Portugueses, Macao/Lisboa, lnstituto cultural de Macau, 1995, p. 156-157. The Island ofJapan, éd. cit., p. 108. Ibid., p. 102-103. Alessandro Valignano, Historia del principlo y progressa de la Compania de Jesus en Jas fndias orientales (1542/1564), éd. JosefWicki, Roma, lnstitutum Historicum Societatis lesu, 1944, p. 127.
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dément formellement ces affirmations : la pauvreté n'est que le résultat des nombreuses guerres qui ont ravagé le pays 13 • Au contraire, l'archipel nippon produit beaucoup de métal et de légumes ; les jésuites ont planté de la vigne qui sert à faire du vin de messe; les fruits sont tout aussi abondants qu'en Europe. Ces divergences sur la richesse du Japons' expliquent en partie par les objectifs différents selon les ouvrages. Rodrigues s'attache avant tout à décrire le Japon dans le but de rendre intelligible le récit de la mission qui va suivre: les descriptions ont un statut informatif. Valignano, quant à lui, cherche en 1583 à promouvoir une mission qui ne s'est pas encore développée. Le but de ses écrits est de susciter l'intérêt du public pour le Japon et de lever des fonds pour l'entreprise d'évangélisation : en soulignant la pauvreté du pays, le visiteur justifie le besoin d'argent puisque les missionnaires ne peuvent compter sur les ressources locales 14 • Les missionnaires présentent davantage de convergence dans leur description de la population nippone. Une présentation nuancée de la population japonaise
Les jésuites se montrent plus diserts sur les habitants du Japon qui sont systématiquement décrits comme un peuple blanc, dépourvu de mélange 15 ; les Japonais se différencient ainsi des autres peuples asiatiques et notamment des Indiens. De par leur pigmentation de peau, les Japonais se rapprochent des Européens et présentent des qualités morales et intellectuelles louées par les missionnaires. Ces derniers se plaisent à construire une image des Nippons comme d'un peuple gouverné uniquement par la raison et extrêmement policé. Cette qualité est particulièrement soulignée par les jésuites dès les débuts de la mission : François Xavier se fait le chantre d'une population japonaise, davantage douée de raison que les autres peuples asiatiques et donc mieux à même de recevoir l'Évangile 16• Valignano et Rodrigues soulignent les qualités intellectuelles des Nippons et leur capacité à apprendre les sciences 13 14
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The ls/andofJapan, éd. cit., p. 106. Les missionnaires insistent également surie morcellement politique et géographique du pays, dQ en partie aux guerres. Si cette demande d'argent n'est pas explicitement formulée dans !'Historia de Valignano, en revanche, elle apparaît clairement dans le Sumario. Voir Alessandro Valignano, Les Jésuites au Japon, éd. Jacques Bésineau, Paris, Desclée de Brouwer, 1990, p. 225-227. Les deux œuvres présentent des points semblables, mais ne visent pas la même audience : si le Sumario cherche à convaincre les dirigeants de la Compagnie de la nécessité d'augmenter les fonds pour la mission, !'Historia poursuit le même objectif, mais en s'adressant à un public plus large. Cette remarque a déjà été faite par François Xavier. Voir Alessandro Valignano, Historia del principlo ... , éd. cit., p. 127 et The Island ofJapan, éd. cit., p. 120. Lettre de François Xavier aux compagnons résidant à Goa, le 5 novembre 1549 dans François Xavier, Correspondance 1535-1552, éd. et trad. Hugues Didier, Paris, Desclée de Brouwer, 2005, p. 331.
occidentales 17 • Pour Rodrigues, la finesse du peuple japonais se mesure aussi à sa capacité à mettre en question la foi catholique, même de la part de non chrétiens. Il ajoute que les séminaires mis en place par la Compagnie ont contribué au développement intellectuel des Nippons : certains sont devenus de bons humanistes, de bons prêtres et de bons prêcheurs 18 • Les Japonais sont mis sur le même plan que les Européens pour ce qui est de la raison et de l'intelligence. Cette qualité est cependant entachée de plusieurs défauts dont l'orgueil et l'amour des armes 19 • Les Japonais sont décrits comme des gens ayant une haute opinion d'eux-mêmes : ce trait de caractère est dû, selon Rodrigues, au fait que le Japon ait longtemps été isolé du reste du monde 20 • Les Japonais pensent que leur pays est le meilleur, particulièrement pour l'art de la guerre. Les jésuites considèrent que les Japonais ont peu d'estime pour la vie humaine: ils sont prompts à tuer, mais ils ne craignent pas de perdre la vie 21 • La coutume du seppuku est fréquemment décrite 22 : très scrupuleux sur le point d'honneur, les Japonais n'hésitent pas à sacrifier leur vie plutôt que de se laisser insulter ou calomnier. Rodrigues souligne que le seppuku est regardé comme un acte d'honneur et de courage et qu'il est réalisé en présence de nombreuses personnes. La description du seppuku est liée à un portrait plus vaste de la société nippone: le suicide rituel est une caractéristique de l'élite guerrière et un témoignage de la fidélité au seigneur 23 • En décrivant le seppuku, les missionnaires témoignent de l'extrême hiérarchisation de la société et de l'importance des guerriers à une époque marquée par les guerres civiles. Ils mettent en valeur deux traits marquants de la société japonaise: d'une part, les religieux européens sont frappés par les forts liens de vassalité qui existent au Japon, même si Valignano remarque que la fidélité au seigneur n'est pas toujours respectée 24 • D'autre 17 18
Alessandro Valignano, Historia del principio ... , éd. cit., p. 127. The Island ofJapan, éd. clt., p. 121. Rodrigues souligne que les Japonais ne se soumettent parfois pas à la raison, par faiblesse. Il s'était également montré moins enthousiaste, quelques années auparavant, concernant l'ordination des prêtres japonais et l'acceptation d'autochtones dans la Compagnie, jugeant les frères nippons trop inconstants. Voir sa lettre, écrite de Nagasaki et adressée au général le 28 février 1598, dans ARSI, Japsin 13-I, fol. 132-132v0 • 19 François Xavier jugeait cependant que l'amour de l'honneur des Japonais était une qualité, digne d'être louée, au moment où l'Europe attachait moins d'importance à ce sujet. Voir la lettre de François Xavier aux compagnons résidant à Goa, le 5 novembre 1549, dans François Xavier, Correspondance, éd. cit., p. 329-330. 20 The Island ofJapan, éd. cit., p. 121. 21 Alessandro Valigano, Historia del principio ..., éd. cit., p. 132. 22 Le seppuku est l'équivalent du hara-kiri. À ce sujet, voir Maurice Pin guet, La Mort volontaire au Japon, Paris, Gallimard, 1991. 23 Ana Fernandes Pinto, Uma imagem do Japiio. A aristocracia guerreira nip6nica nas cartas jesurtas de Evora (1598), Lisboa, lnsituto Português do Oriente-Fundaçao Oriente, 2004, p.158. 24 Alessandro Valignano, Historia del principio ... , éd. cit., p. 139.
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part, cette pratique du suicide rituel entre clairement en désaccord avec les dogmes chrétiens, sans que l'on trouve de réelle condamnation de la part des missionnaires. Conscients de l'importance sociale du seppuku, ces derniers cherchent à le justifier et à le comparer à des pratiques occidentales comme la peine de mort2 5• Le père Francisco Rodrigues, théologien de l'université de Goa, consulté à ce sujet, refuse de légitimer le seppuku et il rappelle aux jésuites du Japon que l'Église ne peut admettre le suicide 26 • D'autres défauts sont mis en avant par les missionnaires: les Japonais sont très secrets, si bien qu'il est difficile de deviner leurs sentiments; des ennemis peuvent se saluer très courtoisement, avant de s'entretuer quelques jours plus tard. Cette qualité est jugée comme un défaut par les missionnaires qui l'assimilent à de la dissimulation. V alignano affirme ainsi :
Et comme ils ne connaissent pas la différence qui existe entre la prudence,
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issue de la chair et du monde (qui n'est que fausseté et folie devant Dieu), et la véritable prudence, ils persistent dans cette erreur, considérant qu'être double et fourbe est de la prudence, et ils dissimulent tellement dans leurs manières extérieures, de telle manière que l'on ne peut savoir ce qu'ils cachent dans leur cœur. Cette doctrine, si on la modère, conformément aux règles de la vraie prudence, est tout à fait digne d'être louée, parce que, à la vérité, [... ] il s'en suit beaucoup de bien si, comme on l'a dit, cette prudence ne dépasse pas les limites de la raison ; mais, parce que les Japonais ne savent pas la réguler, ils ont transformé la prudence en malice 27 •
Pour Valignano, cette attitude est préjudiciable aux relations que les missionnaires entretiennent avec les Japonais, notamment ceux qui sont entrés dans la Compagnie. Son analyse du peuple nippon explique la mise en place de sa politique d'« union des cœurs » 28 , afln de conserver l'unité de la Compagnie, mise en péril par le caractère secret des recrues locales. Pour le visiteur, ces défauts sont liés au fait que les Japonais ont été pervertis par les bonzes : la dissimulation, la licence des mœurs, le penchant pour la boisson des Japonais, tout ceci est imputable à leurs croyances païennes 29 • Rodrigues se montre plus nuancé dans son approche : il ne cherche pas à passer sous silence les défauts des Nippons, mais il ne fait pas de lien entre les vices et le fait que les Japonais 25 Ana Fernandes Pinto, Uma imagem do Japiio, op. cit., p. 169. 26 Ana Fernandes Pinto, Silva na Remedio Pires, «The "resposta que alguns padres de Japao mandaran perguntar": a Clash of Strategies »,Bulletin of Portuguese;Japanese Studies, vol. 11, juin 2005, p. 53-54. 27 Alessandro Valignano, Historia del principio... , éd. cit., p. 140. 28 Hélène Vu Thanh, « "ll nous faut acquérir de l'autorité sur les Japonais" : le problème de l'adaptation de la hiérarchie jésuite aux conditions religieuses et sociales japonaises», Revue d'histoire ecclésiastique, vol. 106, n° 3-4/2011, p. 471-496. 29 Alessandro Valignano, Historia del principio ... , éd. cit., p. 136.
soient des Gentils. Ainsi, il loue la piété des Nippons, même s'il reconnaît que leur dévotion ne s'adresse pas au Dieu véritable : Parmi tous les peuples d'Orient, [les Japonais] sont les plus enclins à la religion et à !'adoration des choses divines. Et ceci n'est pas fait dans l'unique but d'obtenir des bénéfices temporels, comme une longue vie, la santé, la richesse, la prospérité, des enfants, ou d'autres choses qu'ils demandent à leurs faux dieux, mais c'est davantage dans le but d'obtenir, de tout leur cœur, d'être sauvé dans la prochaine vie. [... ] En écoutant les bonzes parler de la vie future dans leurs sermons, ou d'autres exemples, beaucoup de gens se suicident, en s'ouvrant le ventre, dans l'espoir de pouvoir profiter des richesses de la vie à venir, selon les sermons trompeurs de leurs prêtres 30 •
Ce passage sur la religiosité des Japonais fait immédiatement suite à celui décrivant leur cruauté et leur capacité à tuer pour le plaisir. Joâo Rodrigues souligne que les Nippons peuvent retourner la violence contre eux-mêmes, non pas pour préserver leur honneur, mais dans l'espoir de jouir de la vie après la mo'rt. L'admiration pointe dans cette constatation, même si le jésuite ne peut que condamner le bouddhisme et critiquer les bonzes. Il préfère retenir l'aspiration à la religion des Japonais, aspiration que le christianisme a su capter et orienter vers le vrai Dieu. Pour Rodrigues, les défauts des Japonais sont corrigés par la nouvelle religion. Cette attitude nuancée sur le Japon se retrouve dans la description des coutumes du pays, si différentes des européennes si bien que les jésuites se plaisent à les décrire à l'attention de leur lectorat et pour en souligner la complexité. Des coutumes japonaises inversées par rapport à celles de l'Europe
V alignano détaille le vêtement, la nourriture, la cérémonie du thé 31 et son jugement sur les coutumes nippones est résumé dans cette phrase: « Vraiment, l'on peut dire que le Japon est un monde inversé par rapport à celui de l'Europe 32 ». Valignano se montre extrêmement admiratif de la société japonaise, de ses codes et de son raffinement, mais il souligne qu'il est difficile de comprendre et d'apprendre ces coutumes pour les Européens 33 • Or, les missionnaires sont jugés discourtois et sont mal intégrés dans la société nippone s'ils ne se conforment pas aux règles de la politesse et du savoir-vivre. Les Japonais ne changeront pour rien au monde leur manière de vivre et les jésuites doivent s'adapter. Les descriptions des mœurs et traditions japonaises sont donc une manière pour Valignano de justifier la mise en place de la politique d'accommodation auprès 30 31 32 33
The Island ofJapon, éd. cit., p. 126. Alessandro Valignano, Historia del principio ..., éd. cit., p.144-147. Ibid., p. 142. Ibid., p.151.
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des autorités romaines et du public européen et de justifier les choix difficiles auxquels sont confrontés les jésuites: s'ils ne respectent pas les coutumes locales, le christianisme ne rencontrera aucun succès au Japon. Rodrigues se montre quant à lui beaucoup plus précis sur les traditions nippones. De nouveau, il les replace dans un contexte plus vaste, rappelant que le pays du Soleil levant a adopté de nombreux usages originaires de Chine. Le jésuite décrit avec précision les habits, les fêtes, les bâtiments, les règles de courtoisie; il prête attention aux arts, à l'écriture, à l'astrologie, démontrant sa vaste connaissance de la culture nippone. Rodrigues s'arrête sur deux aspects caractéristiques de la culture japonaise. Tout d'abord, il décrit avec précision les règles de courtoisie en vigueur; il revient sur l'importance des cadeaux, soulignant qu'il est de coutume d'en apporter un lorsque l'on rend visite à quelqu'un, en gage d'amitié 34 • Avant Nobunaga, lorsque le pays était ravagé par les guerres, on ne faisait que de petits cadeaux, mais depuis que le pays connaît la paix, les nobles ont pris l'habitude d'offrir de coûteux présents. Rodrigues insiste sur la façon de présenter le cadeau et sur l'emballage : les fleurs doivent être données et reçues de la main droite ; les légumes sont présentés sur un plateau, les feuilles orientées vers celui qui reçoit et les racines vers celui qui offre; les lettres doivent être mises dans une boîte, et non être transmises de main à main. Le jésuite décrit également les salutations qu'il convient de faire en fonction du rang de la personne et tout ce qui a trait à l'étiquette 35 • Il remarque que la façon dont les Japonais païens s'inclinent devant leurs dieux a été reprise par les chrétiens; il souligne que les révérences se font en fonction du rang de la personne et du lieu, la maîtrise de l'étiquette révélant la bonne éducation de la personne. Ensuite, Joao Rodrigues revient en détails sur toutes les cérémonies faites lorsque l'on reçoit un invité et sur les règles de l'hospitalité et ils' attarde sur la cérémonie du thé (cha) 36 • Le cha est un des principaux moyens pour honorer ses invités et il est davantage considéré que l'or et les pierres précieuses. Le jésuite décrit tout d'abord le théier, la façon dont les feuilles sont préparées, les différentes sortes de thé. Les propriétés de cette boisson sont nombreuses selon les Japonais : le thé serait bon pour la digestion, dissiperait les maux de tête et serait particulièrement rafraîchissant en cas de fièvre. Rodrigues souligne l'aspect social de la cérémonie du thé: il remarque que, lors de son 34 35 36
The Island ofJapan, éd. cit., p. 206-213. Ibid., p. 214-219. Ibid., p. 272-308. Les jésuites utilisent le mot japonais cha (thé) pour désigner le cha no yu ou suki, la cérémonie du thé. Rodrigues consacre quatre chapitres au cha. Voir François Lachaud, « Un "art du thé" portugais: sur quelques pages de l'Hist6ria da lgreja do Japao (1562-1633) »,dans Pierre-Sylvain Filliozat, Jean-Pierre Mahé, Jean Leclant (dir.), L'Œuvre scientifique des missionnaires en Asie, Paris, De Bocca rd, 2011, p. 107-148.
déroulement, les différences de classes s'effacent. En cela, le cha no yu est très différent des autres faits sociaux : la cérémonie se déroule sans faste, c'est un exercice solitaire, en imitation des ermites, dans le but d'atteindre, par l'âme, la modestie et la paix des choses qui nous entourent. La maison où se déroule la cérémonie tout comme les ustensiles utilisés servent cet objectif. D'après Rodrigues, l'origine du cha no yu est à rechercher dans le caractère japonais : les Nippons ont une nature qui les prédispose à la mélancolie ; ils aiment les endroits solitaires et nostalgiques, comme les bois, les montagnes, les torrents ; ils recherchent une vie érémitique, loin du tumulte du monde. Le jésuite souligne également l'influence du zen dans la cérémonie du thé : ceux qui professent le zen recherchent la mortification par la méditation et la contemplation. Le superflu est laissé de côté, et tout doit être fait dans un esprit de frugalité et de modestie. Ceux qui pratiquent la cérémonie du thé imitent les bonzes de la secte zen mais, précise le jésuite, aucun culte n'est rendu à une divinité: le cha no yu n'est pas religieux, mais purement social. La cérémonie du thé implique cependant de grandes dépenses, en raison de l'achat d'ustensiles de prix et de la construction d'un pavillon spécial où elle se déroule. Pour cette raison, elle est principalement pratiquée par des membres de la noblesse et de l'aristocratie. Rodrigues remarque que le suki est pratiqué par les chrétiens et il prend l'exemple de T akayama Ukon : Il avait l'habitude de remarquer, comme nous l'avons entendu plusieurs fois, qu'il trouvait que le suki était d'une grande aide pour ceux qui aspirent à la vertu et à la récollection, s'ils le pratiquent en comprenant parfaitement son but. Ainsi, il disait que, pour se recommander à Dieu, il se retirait dans une petite maison, décorée d'une statue, et là, suivant la coutume qu'il avait établie, il trouvait la paix et la récollection pour se confier à Dieu 37 •
La description de la cérémonie du thé est très précise et met en évidence son but spirituel, recherché aussi bien par les païens que par les chrétiens. Si les missionnaires ont été déroutés dans les premiers temps de la mission par les coutumes nippones, au fil du temps ils ont été mieux à même de les comprendre et d'en pénétrer le sens, comme Rodrigues qui passe la majorité de sa vie au Japon. Véritables experts de la Monarchie catholique, les jésuites contribuent à populariser les choses du Japon en Europe et à les rendre intelligibles au public en les présentant comme l'inverse des coutumes européennes 38 • Par un jeu de miroirs, les jésuites raccourcissent les distances et permettent au lecteur de se familiariser avec les réalités auxquelles ils sont confrontés dans les pays lointains. Mais quel est le statut de ces descriptions ? 37 38
The Island ofJapan, éd. cit., p. 308. Serge Gruzinski, Les Quatre Parties du monde, Paris, La Martinière, 2004, p. 179-190.
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S'agit-il de simples morceaux de littérature, destinés à satisfaire la curiosité des lecteurs européens ou font-elles partie intégrante des stratégies d'évangélisation mises en place par les missionnaires au Japon, mais aussi à destination des autorités romaines auprès desquelles il s'avère nécessaire de justifier les choix effectués ? L'accommodation, présentée implicitement comme nécessaire dans les descriptions des coutumes japonaises, est loin de faire l'unanimité au sein de la Compagnie de Jésus. Descriptions du Japon et stratégies pastorales
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Les buts poursuivis par les missionnaires à travers leurs écrits sur le Japon sont divers et dépendent de la nature de l'ouvrage. Cependant, leurs récits présentent des points communs, liés au fait qu'ils sont destinés à être publiés à une vaste échelle et à promouvoir l'action des missionnaires. Les écrits de ces derniers sont pris dans un réseau de circulation des savoirs, reliant plusieurs continents et mettant en rapport divers destinataires : les missionnaires s'adressent, implicitement ou explicitement, aux autorités dont ils dépendent (ordres religieux, papauté, royauté), à un large public européen, puisque les œuvres peuvent être traduites, mais aussi à des religieux présents dans d'autres terres de mission 39 • Les écrits missionnaires demandent donc à être replacés au cœur de ces réseaux d'information, afin d'en saisir toute la portée et d'en repérer les différents objectifs 40 • Satisfaire la curiosité du lectorat et édifier le public
Bien que ce ne soit pas leur objectif principal, les missionnaires décrivent le Japon, cédant à la nécessité de satisfaire la curiosité du lectorat. Répondre à la curiosité des lecteurs n'est pas condamnable en soi d'après les jésuites, mais il convient d'en faire bon usage: la curiosité doit être mise au service de l'édification du public européen, ce qui implique l'usage de certaines formes d'écriture. Ignace de Loyola lui-mêmes' est penché sur la question et il a cherché à guider les missionnaires dans cette voie 41 : une liste des sujets à aborder est fournie aux jésuites, sujets sérieux et qui révèlent les intérêts scientifiques de l'époque. La façon de traiter ces thèmes est liée à l'éducation que les jésuites 39
Charlotte de Castelnau-L'Estoile, Marie-Lucie Copete, Aliocha Maldavsky, Ines G. Zupanov (dir.), Missions d'évangélisation et circulation des savoirs, xvf-xvuf siècles, Madrid, Casa de Velâzquez, 2011, p. 1-19. 40 Luke Clossey, Sa/vation and G/obalization in the Ear/yJesuit Missions, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 193-215. 41 Pour tout ce passage, je m'appuie Charlotte de Castelnau-L'Estoile, Les Ouvriers d'une vigne stérile. les Jésuites et la conversion des Indiens au Brésil, 1580-1620, Lisboa/Paris, Centre Calouste Gulbekian, 2000, p. 365 sq. Charlotte de Castelnau-L'Estoile étudie ici une lettre d'Ignace de Loyola à Gaspar Barzée, datée de 1554, et que l'on peut trouver dans Ignace de Loyola, Écrits, éd. Maurice Giuliani, Paris, Desclée de Brouwer, 1991, p. 872-873.
reçoivent au sein des collèges qui sont destinés à fournir des clefs d'interprétation de la nature. Ainsi, le missionnaire jésuite a recours à Aristote et Pline pour organiser la description de la nature et des hommes 42 • La curiosité est vue avant tout comme un aiguillon du savoir: dans la mise en écriture, Ignace de Loyola distingue le lieu de la collecte de l'information (les mondes éloignés) et le lieu de la réécriture (l'Europe), en vue del' édification du lecteur. La place réservée à la curiosité en tant que telle est minorée au profit des buts spirituels. Les descriptions du pays et de ses habitants sont ainsi l'occasion pour les jésuites d'observer la diversité de la nature et des coutumes des populations, tout en réfléchissant à la puissance divine. Le thème de la variété du genre humain est une des méditations développées dans les Exercices spirituels d'Ignace de Loyola 43 • Il est lié à une réflexion sur l'incarnation du Christ: de la contemplation de la diversité des hommes découle une autre idée, celle de leur condamnation. La réponse divine à cette situation est l'incarnation du Christ, venu pour sauver les hommes. Si l'observation des peuples extra-européens et de leurs coutumes est faite afln d'édifier les membres de la Compagnie et les lecteurs extérieurs, elle a également pour but de promouvoir et de justifier des aspects de la pastorale qui ont pu faire l'objet de critique.
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Promouvoir la mission japonaise en Europe
Ce trait apparaît aussi bien chez V alignano que chez Rodrigues, bien que les deux ouvrages aient été rédigés à des époques différentes. L'écriture du visiteur est marquée par la dualité et la volonté d'opposer sans cesse mondes européen et japonais, cette opposition culminant dans la description du Japon comme un pays« à l'envers» de l'Europe"". L'insistance sur ce point traduit la volonté de V alignano de faire comprendre à ses lecteurs que le Japon, en raison de son «exception culturelle», demande l'application de mesures pastorales sortant de l'ordinaire. Le jésuite insiste sur le fait que le pays du Soleil levant est un pays difficilement déchiffrable, même lorsque l'on y a séjourné longtemps 45 • A fortiori, il est d'autant plus impénétrable pour des lecteurs qui n'en ont qu'une connaissance lointaine et par le truchement des récits des missionnaires ou des marchands. Cet argument a déjà été développé dans le Sumario, le rapport sur la mission rédigé au début des années 1580 46 • Les deux ouvrages, Sumario et 42 43 44
45 46
Serge Gruzinski, Les Quatre parties du monde, op. cit., p. 224-225. Charlotte de Castelnau-L'Estoile, Les Ouvriers d'une vigne stérile, op. cit., p. 367-368. Cette méditation appartient à la deuxième semaine des Exercices spirituels. Alessandro Valignano, Historia del principio ... , éd. cit., p. 142. Cette idée d'un pays« à l'envers» de l'Europe n'est pas propre au Japon. Voir, pour le cas de la Nouvelle-France, Denys Delâge, Le Pays renversé. Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est. 1600-1664, Montréal, Boréal Express. Alessandro Valignano, Historia del principio ... , éd. cit., p. 15t-t52. Alessandro Va ligna no, Les Jésuites au Japon, éd. cit., p. 74.
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Historia, poursuivent le même objectif: dans le Sumario, le visiteur entend anticiper les éventuelles critiques que pourraient susciter ses choix pastoraux. Dans l' Historia, il élargit la portée de sa réflexion, car il s'adresse à un public différent: il s'agit de susciter l'intérêt et de lever des fonds pour une mission lointaine afln d'en assurer la pérennité. Le besoin d'argent n'est pas clairement exprimé dans l' Historia, mais il apparaît fréquemment dans le Sumario 47 • Pour mener à bien sa politique d'accommodation, développée dans le Sumario, le visiteur a besoin de fonds importants. En s'adressant à un public lettré et fortuné en Europe par l'Historia, il cherche à susciter son intérêt et à gagner des financements en soulignant le prestige que les futurs patrons peuvent retirer de leur participation au réseau global des missions jésuites 48 • Cet ouvrage est un moyen de promouvoir l'action de la Compagnie de Jésus au Japon, au même titre quel' ambassade des quatre jeunes Japonais qui se déroule à l'époque où l' Historia est publiée 49 • Ceci n'est pas tout à fait le but l'ouvrage de Joao Rodrigues.
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Réfuter les critiques
Au moment de la rédaction del' Historia par Rodrigues dans les années 1620, la mission japonaise se termine sur un constat d'échec. Si les jésuites ont cru dans un premier temps que la situations' apaiserait et qu'ils pourraient revenir dans l'archipel nippon, la solidité du shogunat des Tokugawa met rapidement fln à ces espoirs. L' Historia de Rodrigues est donc une œuvre rétrospective, destinée à retracer le déroulement de la mission avant les persécutions du xvn< siècle et à compiler le savoir missionnaire jésuite sur le Japon 50 • Ceci s'avère d'autant plus important que Rodrigues cherche à imposer le modèle de la mission japonaise à la mission chinoise 51 : depuis son expulsion du Japon en 1610, Rodrigues est envoyé à Macao, puis séjourne en Chine de 1613 à 1615. Le jésuite se montre très critique vis-à-vis de la mission chinoise et de l'action de Matteo Ricci, particulièrement dans le domaine linguistique 52 • Rodrigues est choqué par l'utilisation de mots chinois, appliqués à des concepts chrétiens: Shangdi est employé pour désigner Dieu, l'âme est désignée par le Ibid., p. 225-227. Luke Clossey, Salvation and Globa/ization... , op. cit., p. 214. Voir Michael Cooper, Japanese Mission to Europe, 1582-1590: the Journey of Four Samurai Boys through Portugal, Spain and /ta/y, Folkestone, Global oriental, 2005. 50 En 1627, Rodrigues aurait achevé la rédaction des livres correspondant aux années 1549-1590 de la mission. Voir The Island of/apan, éd. cit., p. xxvii. 51 Isabel Pina, « Joao Rodrigues Tcuzu and the Controversy over Christian Terminology in China. The Perspective of a Jesuit from the Japanese Mission », Bulletin of Portuguese/ Japanese Studies, vol. 6, juin 2003, p. 47-71. Sur la mission chinoise, on peut également consulter Shenwen Li, Stratégies missionnaires des Jésuites français en Nouvelle-France et en Chine au xv1f siècle, Laval, Presses de l'université de Laval, 2001. 52 Liam Matthew Brockey, Journey to the East: the Jesuit Mission to China, 1579-1724, Cambridge (Mass.), The Belknap Press of Harvard University Press, 2007, p. 85-87.
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terme de linghun et les anges sont appelés tiamhen. Il s'engage alors dans une campagne qui vise à supprimer l'utilisation des mots empruntés au chinois. Cette position reflète la stratégie qui a été appliquée auparavant au Japon et qui a vu l'utilisation des mots latins ou portugais, transcrits en japonais, pour désigner les concepts chrétiens, mettant ainsi une limite à la politique d'accommodation. Mais d'après Rodrigues, les excès del' adaptation en Chine ne concernent pas uniquement le choix du vocabulaire, mais aussi les rites : lors des rites funéraires, les jésuites ont introduit des pratiques superstitieuses chinoises 53 • À travers ces critiques, Rodrigues cherche à promouvoir le modèle de la mission japonaise et affirme la nécessité d'avoir une même stratégie missionnaire à l'échelle de l'Asie. En cela, il se démarque également de certains missionnaires de Chine qui se sont opposés à la politique de Ricci. Cependant, ces derniers préconisent une politique plus modérée: ils suggèrent de remplacer les termes comme Tian (ciel) ou Shangdi (Dieu), car ils ont des connotations trop proches du confucianisme, mais ils ne remettent nullement en cause l'utilisation du chinois. L'Historia de Rodrigues est donc un moyen de présenter l'action des jésuites du Japon et de la proposer comme référence pour les autres terrains missionnaires asiatiques ; elle détaille la position des jésuites del' archipel nippon dans cette« querelle des rites »interne concernant la mission chinoise. Rodrigues apparaît comme le meilleur spécialiste du pays du Soleil levant, ce qui justifie son choix par ses supérieurs pour rédiger une histoire de la mission japonaise. L'aspect savant de l'ouvrage se mesure aux allusions faites par Rodrigues et à sa volonté de corriger les œuvres parues précédemment sur la question 54 • C'est également l'occasion pour Rodrigues de mettre à profit ses connaissances sur la Chine: il établit de nombreux parallèles entre l'Empire du Milieu et l'archipel nippon, témoignant des liens étroits entre ces deux pays asiatiques 55 • La place tenue par la description du Japon et de ses habitants est très longue au sein del' ouvrage, sil' on s'en tient au plan adopté par Rodrigues : dix livres devaient y être consacrés, abordant également les structures de la société, le bouddhisme, le shintoïsme, mais seuls deux livres nous sont parvenus. L'importance de cette partie sur le Japon témoigne de l'objectif de faire un résumé des connaissances sur la question. La volonté de justifier les méthodes pastorales mises en place par la Compagnie de Jésus n'est cependant pas complètement absente del' ouvrage, au moment où 53 54 55
Isabel Pina, « Joao Rodrigues Tcuzu and the Controversy over Christian Terminology in China », art. cit., p. 49. The Island ofJapan, éd. cit., p. 43. Michael Cooper, Rodrigues the lnterpreter. An Ear/y Jesuit in Japan and China, New York/ Tôkyô, Weatherhill, 1974, p. 269-294.
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cette dernière a été chassée du Japon et où la chrétienté subit les persécutions du pouvoir. Rodrigues met ainsi en avant deux éléments: l'importance des cadeaux dans la société nippone et la place de la cérémonie du thé, auxquels le jésuite consacre la moitié du premier livre. La description de ces deux faits sociaux se fait sur plusieurs chapitres, ce qui constitue une exception dans le livre. Le lecteur est invité à pénétrer dans la culture nippone et à s'imprégner de ces deux coutumes, présentées comme les plus importantes et les plus représentatives. Cependant, les cadeaux et la cérémonie du thé sont au cœur de polémiques contre les méthodes de la Compagnie de Jésus. Les jésuites estiment que pour s'intégrer dans la société, et plus particulièrement au sein de la noblesse, il convient de respecter les usages en vigueur et la politesse. Mais le fait d'apporter des cadeaux aux puissants est vivement critiqué, à l'intérieur et à l'extérieur de la Compagnie, d'autant que cela engendre de grandes dépenses 56 • Rodrigues s'attache à démontrer que les cadeaux ont une grande importance sociale au Japon et que les jésuites ne peuvent s'y dérober 57 • Ce faisant, il appuie les dires de Valignano qui, plusieurs années auparavant, a soulevé cette question de l'importance des présents au Japon et plus généralement du respect de l'étiquette 58 • Le visiteur a souligné que l'évangélisation ne peut pas progresser si les missionnaires n'adoptent pas les mœurs nippones. Rodrigues reprend cette idée, mais sans la nommer aussi explicitement. En détaillant les règles de l'étiquette japonaise, le jésuite en démontre le caractère impératif, justifiant en creux la politique d'accommodation. Il en est de même pour la cérémonie du thé: la description de cette dernière se double d'un autre problème. Comme l'a précisé Rodrigues, la cérémonie du thé a fortement été influencée par la secte zen. Or, le jésuite cherche à démontrer deux éléments : premièrement, cette pratique est largement répandue au sein de la population nippone, et particulièrement au sein del' élite. Deuxièmement, la cérémonie du thé présente des aspects positifs, dans la mesure où elle incite à la méditation et à la modestie. Mais pour être pleinement acceptée par les missionnaires, le jésuite s'empresse de souligner que le suki est une cérémonie purement sociale et ne contient aucun élément religieux 59 • Cette précision est d'autant plus importante que des seigneurs chrétiens y participent. Rodrigues prouve que la cérémonie du thé ne s'accompagne d'aucune adoration d'idole; au contraire, il s'attache à démontrer les vertus du suki, évoquant les bénéfices d'une telle pratique: la propreté, la recherche de la pauvreté et de la simplicité, la connaissance des Voir par exemple les critiques du franciscain Marcelo de Ribadeneira, dans San Martin de la Ascension y Fray Marcelo de Ribadeneira. Relaciones e informaciones, éd. José Luis Alvarez Taladriz, Osaka, 1973, p. 179. 57 The Island offapan, éd. cit., p. 207. 58 Alessandro Valignano, Lesfésuites au Japon, éd. cit., p. 204-205. 59 The Island ofJapan, éd. cit., p. 189.
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qualités inhérentes au naturel et au superficiel, le but étant d'étendre cette intelligence à tous les aspects del' existence et de se conduire de manière honnête, conformément à la morale 60 . Sous la plume de Rodrigues, la cérémonie du thé devient une recherche philosophique d'une conduite réglée et mesurée, compatible avec le christianisme 61 • Les descriptions des coutumes japonaises ne visent pas uniquement à satisfaire la curiosité des lecteurs européens, mais elles ont également pour but de justifier les méthodes mises en place et particulièrement celle de l'accommodation en soulignant que celle-ci résulte d'un choix volontaire des jésuites et qu'elle n'a pas été uniquement imposée par le terrain. Elles mettent surtout en valeur le fait que les mœurs nippones sont compatibles avec la religion chrétienne, bien que les missionnaires aient été chassés de l'archipel. Ce faisant, les jésuites soulignent que leurs stratégies n'ont pas été à l'origine de leur expulsion, mais que celle-ci est uniquement imputable au pouvoir en place. Cette recherche des points communs entre coutumes japonaises et européennes va même plus loin: les missionnaires se plaisent à répéter que le Japon n'est en rien inférieur à l'Europe, voire qu'il lui est supérieur dans certains domaines. Ils questionnent ainsi l'idée, largement répandue à l'époque, de la supériorité européenne sur les autres peuples. S'interroger sur l'échelle des civilisations
Les comparaisons entre les civilisations européenne et japonaise reviennent fréquemment sous la plume des missionnaires, et notamment du visiteur des Indes orientales: Les lois perverses et mauvaises enlaidissent et détruisent toute forme de bien ; et toutefois, bien qu'il y ait quelques grands péchés entre eux, ils sont si modérés sur d'autres points que l'on pourrait les prendre pour un peuple d'Europe; parce que, chez eux, il n'y a pas de blasphème, ni de serment, ni de médisance, ni de paroles injurieuses, ni de larcin [... ]. De même, ils n'ont ni les haines ni la cupidité, si désordonnées, que nous avons pu voir chez beaucoup d'autres peuples, parce que, réellement, ils sont complètement soumis à la prudence et à la raison 62 •
Le jésuite oppose explicitement les Japonais aux Européens, mais également aux autres peuples asiatiques. Dans ce jeu de miroirs, le pays du Soleil levant apparaît comme une terre à part au sein du continent asiatique: les Japonais ne sont pas des païens comme les autres. Le missionnaire comprend que le 60 61 62
Ibid., p. 307. Ibid., p. 308. Ibid., p. 137-138.
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paganisme et la croyance dans une autre religion que le christianisme ne sont pas synonymes d'un manque de culture et de raffinement. Valignano fait la constatation inverse: malgré des« lois perverses »,les Nippons sont exempts de certains vices présents en Europe. Les descriptions du Japon et de ses habitants remettent en cause des certitudes des missionnaires et révèlent les aptitudes des peuples extra-européens à recevoir l'Évangile. Valignano inverse même ce regard: il remarque que les Européens sont considérés comme des rustres et des barbares par les Japonais en raison de leur manquement aux règles de politesse nippones : « Ceux qui ne respectent pas leurs coutumes sont tenus pour des hommes grossiers, mal élevés et de peu de crédit 63 ». La mission japonaise demande donc un esprit de mortification pour les missionnaires, contraints d'accepter de réapprendre des choses évidentes de la vie quotidienne afin d'être acceptés par les Japonais. Cependant, Valignano ne met pas les Japonais sur le même plan que les Européens, car ils se sont laissés pervertir par le bouddhisme. Or, le christianisme est la seule véritable religion qui a permis aux coutumes et à l'intelligence européenne d'atteindre le degré le plus élevé. Mais il reconnaît que, sur un plan matériel, les Japonais ont des raisons d'être flers de leur culture 64 • Ainsi, s'il ne remet pas en cause la supériorité européenne, Valignano amorce une réflexion sur l'échelle des civilisations. La relativisation du caractère absolu de la culture européenne est davantage présente dans le traité de Luis Frôis, intitulé Sur les contradictions et différences de mœurs. La nature de ce traité est difficile à définir : il n'est pas un rapport destiné aux autorités de Goa ou de Rome, pas plus qu'il ne s'apparente à un récit exotique envoyé en Europe. Pour autant, on ne peut l'assimiler à un travail d'anthropologue 65 : cette position reviendrait à donner un aspect scientifique au texte, alors que tels ne sont pas les objectifs del' auteur. Le traité de Frôis doit être envisagé par rapport aux autres textes produits à la même époque, afin d'en distinguer la nature. Le texte a été rédigé en 1 58 5 : quelques années auparavant, Frôis a commencé la composition de sa chronique, tandis que Valignano a rédigé le Sumario et son Historia. La proximité entre ces œuvres est frappante, notamment l'utilisation par le visiteur et Frôis du même procédé littéraire, à savoir la mise en parallèle des coutumes européennes et japonaises 66 • Frôis 63 64
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Ibid., p.152. Joan-Pau Rubiés, «The Concept of Gentile Civilization in Missionary Discourse and lts European Reception. Mexico, Peru and China in the Republicas del Mundo by Jerénimo Român (1575-1595) »,dans Charlotte de Castelnau-L'Estoile, Marie-Lucie Copete, Aliocha Maldavsky, Ines G. 2upanov (dir.), Missions d'évangélisation et circulation des savoirs ... , op. cit., p. 347. Engelbert Jorissen, « Exotic and "Strange" Images of Japan in European Texts of the Early 17th Century. An lnterpretation oftheir Contexts of History ofîhoughts and Lite rature», Bulletin of PortugueseJapanese Studies, vol. 4, juin 2002, p. 38-39. Alessandro Valignano, Historia del principio ... , éd. cit., p. 143.
était l'interprète de Valignano au moment de la première visite de ce dernier au Japon ; il a probablement rédigé des notes à l'intention de V alignano sur le pays, notes utilisées ensuite par celui-ci pour rédiger ses ouvrages et reprises par Fr6is lors de l'écriture de son traité. Cet aspect de brouillon se retrouve dans la composition de celui-ci, rédigé sous forme de courtes phrases, n'ayant aucun lien les unes avec les autres. Le traité comporte quatorze chapitres : sil' on peut regrouper les trois premiers qui traitent des hommes, des femmes et des enfants, et le quatrième et le cinquième portant sur les bonzes et les temples, le reste ne possède pas de réelle cohérence. L'on passe de réflexions sur la nourriture à d'autres sur la guerre, puis l'auteur évoque pêle-mêle les maladies, l'écriture, les maisons, les embarcations, les arts, et termine par un chapitre regroupant tout ce qu'il n'a pas su classer dans les précédentes sections. Le traité de Fr6is n'est probablement pas destiné à être diffusé à une large échelle, mais il est utilisé par d'autres auteurs européens et largement cités dans certains cas : ceci nous conduit à l'utiliser ici en tant qu'œuvre ayant une diffusion en dehors des instances de la Compagnie de Jésus, même si telle n'est pas sa vocation première 67 • S'il est difficile de parler de regard anthropologique de Luis Fr6is, on peut néanmoins souligner une différence d'approche par rapport aux œuvres de Valignano et de Rodrigues. Le visiteur recourt à des comparaisons explicites entre Européens et Japonais et il envisage celles-ci en termes de supériorité ou d'infériorité : ce faisant, la dimension critique des remarques apparaît nettement. Dans le traité de Fr6is, l'auteur est beaucoup moins présent: il n'intervient réellement que dans les deux chapitres consacrés aux bonzes et au bouddhisme pour les critiquer violemment. Dans le reste de l'ouvrage, le jésuite se contente de simples mises en parallèle, mais sans émettre de jugement: [Les femmes] d'Europe ont des manches jusqu'au poignet; les Japonaises jusqu'à mi-bras, et il n'y a chez elles nulle déshonnêteté à se découvrir bras et poitrine. Nous tenons pour folle ou éhontée une femme qui marcherait pieds nus : les Japonaises, de haute ou de basse condition, vont ainsi la plupart du temps 68 •
Fr6is prend bien garde à tempérer le jugement du lecteur européen qui pourrait être tenté d'analyser le comportement des Japonaises à l'aune de ses propres coutumes. Cette relativisation permet de déconstruire des présupposés sur la culture de l'autre, mais aussi sur sa propre culture qui n'est plus envisagée 67 68
Sur l'utilisation du texte de Fr6is par des auteurs européens, voir Engelbert Jorissen, « Exotic and "Strange" Images of Japan ... »,art. cit., p. 9-25. Lufs Fr6is, Européens et Japonais, éd. Xavier de Castro, Paris, Chandeigne, 1998, p. 27.
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comme un référentiel absolu. L'utilisation systématique du parallélisme, entre «nous/eux» ou« en Europe/au Japon», met les deux cultures sur le même plan en dressant un rapport de symétrie. Comme le souligne Claude LéviStrauss, par ce biais, Fr6is permet de convaincre son lecteur que des usages, qui paraissent en totale contradiction avec les siens et seraient de ce fait méprisables, sont en réalité identiques, vus à l'envers ; l'étrangeté japonaise est apprivoisée et ramenée dans le champ du familier 69 • Fr6is invite le lecteur et les autres jésuites à s'interroger sur eux-mêmes et à questionner la civilisation européenne et sa prétendue supériorité, car les coutumes européennes apparaissent tout aussi étranges aux yeux des Japonais. La notion d'étrangeté est présentée comme relative par F r6is, en fonction du point de vue adopté. La volonté de défendre cette opinion serait à chercher dans le séjour d'une quinzaine d'années que Fr6is a passé en Inde avant de venir au Japon 70 • Le jésuite aurait été en contact avec certains conversas, car beaucoup de juifs convertis ont émigré vers les Indes. Fr6is aurait été particulièrement influencé par deux personnalités, le médecin et philosophe Garcia da Orta, et l'aventurier et écrivain Fernao Mendes Pinto, auteur de la Pérégrination. Ces deux auteurs interrogent la culture et la civilisation européennes et ils remettent en cause leur caractère absolu; ils critiquent plusieurs aspects de l'expansion portugaise en Asie, notamment l'avidité, la violence et l'hypocrisie des colons comme des marchands. Fr6is adopte cette position, même si elle peut paraître voilée derrière son apparente neutralité. Il demande aux Européens de s'interroger sur leur propre culture et sur leur façon de juger les autres peuples. Ce faisant, le traité Sur les contradictions et différences de mœurs est autant une peinture des coutumes nippones qu'une invitation aux Européens à effectuer un retour sur eux-mêmes. Les descriptions du Japon et de ses habitants tiennent une place particulière au sein de la littérature missionnaire. Simples constatations ou récits très détaillés, les tableaux des coutumes nippones permettent aux jésuites de satisfaire l'esprit de curiosité et la soif d'exotisme de leurs lecteurs européens et de construire un savoir missionnaire sur le Japon diffusé à une échelle mondiale. Mais ces descriptions ne sauraient être vues uniquement comme des morceaux de littérature, indépendants de toute vocation religieuse et pastorale. Elles cherchent également à justifier les stratégies d'évangélisation mises en place, ainsi qu'à opérer un retour sur soi. Cependant, les récits sur la mission ont une autre vocation, celle d'édifier le public et de donner une vision idéalisée del' action des religieux au Japon, contribuant à faire de la mission japonaise le
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Voir la préface du traité, rédigée par Lévi-Strauss, ibid., p. 9·11. Engelbert Jorissen, « Exotic and "Strange" Images of Japan... »,art. cit., p. 41.
modèle ultime pour toutes les autres terres évangélisées alors même qu'elle se termine sur un échec pour les jésuites.
LES RtCITS DE LA MISSION : ENTRE IDtALISATION ET tDIFICATION
Ces récits missionnaires, idéalisant les agents convertisseurs ou les convertis, font partie d'une entreprise intellectuelle qui vise à masquer les échecs de la mission mais aussi à en donner une image valorisée dans le but de lever des fonds et de recruter de nouveaux missionnaires pour le Japon. Rédigées principalement en direction d'un public européen, les chroniques, et particulièrement l' Historia de ]apam de Luis Frois, ont pour objectif non seulement de justifier les stratégies d'évangélisation mises en place au Japon, mais également d'en présenter les résultats. Les jésuites cherchent ainsi à dépeindre les réalisations concrètes de leur politique d'accommodation sous un jour positif, et notamment les points qui avaient provoqué des débats intenses entre les missionnaires, comme la question del' admission des Japonais au sein de la Compagnie de Jésus. Les jésuites présentent ici un tableau idéalisé de la mission du Japon, faisant correspondre l'image très positive que cette dernière à en Europe avec une réalité parfois plus nuancée. Mais ces récits ont également pour but d'édifier les chrétiens japonais et de les affermir dans leur foi : les chroniques contiennent ainsi des exempta qui devaient être utilisés lors des prédications en direction des convertis. Ces portraits de chrétiens exemplaires ont une double fonction puisqu'ils permettent de présenter les résultats de l'action de la Compagnie de Jésus au Japon à destination d'un public européen, mais aussi d'encourager les convertis japonais à persévérer dans la foi au moment où les premières persécutions se déclenchent dans l'archipel. Aussi s'agit-il d'étudier les procédés mis en œuvre par les missionnaires pour dépeindre l'évangélisation du Japon sous un aspect positif. Mais il convient également de confronter ces récits avec la réalité de l'évangélisation, telle qu'elle a été décrite précédemment: quels éléments de la pastorale les jésuites cherchent-ils à valoriser ou au contraire à cacher? Comment mettent-ils en perspective les stratégies d'évangélisation mises en place par les missionnaires, et notamment la politique d'accommodation? Portraits de missionnaires : un moyen de mettre en valeur le travail pastoral accompli
Les chroniques jésuites présentent divers missionnaires ayant évangélisé le Japon dans le but d'exalter ces figures héroïques et de mettre en lumières leurs vertus et leurs qualités spirituelles. Cependant, la caractéristique de ces chroniques est d'exalter le travail missionnaire, plutôt que des personnages en particulier. À quelques exceptions près, les portraits sont assez succincts tandis
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que l'œuvre pastorale est placée au cœur du récit : les chroniqueurs ne cherchent pas à dépeindre la psychologie ou l'aspect des missionnaires, mais ils suivent avec précision les faits accomplis par ces derniers. La peinture des succès, mais aussi des difficultés rencontrées par les missionnaires, est l'occasion d'édifier le lecteur. Mais elle sert également à souligner les progrès dans l'évangélisation de l'archipel japonais grâce à l'action des membres de la Compagnie de Jésus: l'éclat de leurs succès rejaillit sur l'ordre tout entier, ce qui permet de valoriser l'image de celui-ci auprès du public européen. Bien que le travail pastoral soit davantage mis en lumière que les portraits de missionnaires dans les chroniques, certaines personnalités se détachent en raison de leur caractère exceptionnel : c'est le cas du fondateur de la mission, François Xavier, dont la figure domine toute la mission japonaise. Cette spécificité est liée à son statut de premier évangélisateur de l'Asie et du Japon, mais aussi à celui de saint, canonisé la même année qu'Ignace de Loyola en 1622. L'Historia de ]apam commence ainsi par le récit de l'arrivée de François Xavier dans l'archipel nippon et reprend une de ses lettres, dans laquelle le saint détaille ses motivations pour aller au Japon 71 : Luîs Fr6is préfère d'emblée laisser parler le fondateur de la mission, comme s'il était impressionné par celui-ci. La suite du récit est faite à la gloire de François Xavier, même si Frôis ne cache pas les difficultés rencontrées par les premiers jésuites, et notamment les problèmes linguistiques. Le chroniqueur présente le fondateur de la mission sous un jour positif, louant son courage et sa volonté, car il est capable de se rendre de lui-même dans les monastères bouddhistes pour débattre avec les bonzes : « Le père Maître François possédait une telle nature, à savoir que, sans avoir été convié ou appelé par les bonzes, il allait les chercher jusque dans leurs monastères 72 ». François Xavier est présenté comme un personnage intrépide, poussé par le zèle de répandre la parole de Dieu, et il est en cela l'incarnation idéale du missionnaire que rien n'arrête dans sa volonté de propager l'Évangile. Les échecs relatifs de ses voyages à l'intérieur du Japon s'effacent devant la peinture de son courage et des peines endurées le long du chemin : Et ainsi, il [François Xavier] laissa à Hirado le père Cosme de Torres, avec deux domestiques, [... ]et à la fin du mois d'octobre, quand le froid commence par devenir intense, il emmena avec lui le frère Joâo Fernandes pour lui servir d'interprète (qui ensuite, à Hirado, me raconta ce qui s'était passé pendant ce voyage) et tous deux partirent. De cette manière, ni le grand froid et la neige, 71
Il s'agit de la lettre datée du 20 janvier 1549, adressée depuis Cochin au provincial du
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Correspondance, éd. cit., p. 258-263. HJ, vol.1, 1'• partie, chap. 2, fol. 4v 0 •
Portugal, Simon Rodrigues. Pour une version complète de la lettre, voir François Xavier,
ni la crainte d'une population méconnue ne l'empêchèrent jamais de mener à bien ce qu'il entendait faire pour le service de Dieu 73 •
Et le chroniqueur de poursuivre : Et, arrivant dans des auberges, assaillis par le froid et la faim, trempés, ils ne parvenaient nulle part à trouver un abri; d'autres fois, en raison du froid et de la neige, ils avaient des enflures aux jambes; d'autres fois encore, ils se déguisaient en route, car les chemins étaient très rocailleux et montagneux, et ils remontaient leurs costumes jusqu'aux hanches. Et dans certains lieux où ils arrivaient, car ils étaient aux yeux des Japonais, des hommes si nouveaux et étrangers, que l'on n'avait encore jamais vus dans ces contrées, pauvres et mal vêtus, ils étaient parfois lapidés et injuriés par les jeunes garçons, de par les rues et sur les places publiques, et ainsi, ils poursuivaient leur chemin, malgré ces difficultés et ces peines. Tout ceci représente les principes et les fondements qu'institua le père Maître François au Japon, pour donner!' exemple, à travers la dureté des peines endurées, à ses fils et frères en Christ qui, après lui, sont venus et ont poursuivi cette même entreprise 74 . Le saint est présenté comme un nouveau Christ, en butte au rejet d'une population qui ne perçoit pas la vérité de son message, mais poursuivant inlassablement son œuvre. Les difficultés sont vues comme une forme de mortification, propices à la méditation et permettant une élévation spirituelle du missionnaire : En chemin, le père Maître François, en toutes circonstances, se mortifiait et s'anéantissait, si bien que, ces choses étant très petites et particulières, pour les comprendre, il est nécessaire de les présenter. Et jusque dans sa façon de prier mentalement, il se mortifiait en chemin, il marchait de manière si mesurée (racontait le frère [Fernindez]) que ni les yeux ni aucun autre membre ne bougeaient d'un côté ou d'un autre; seuls les pieds se mouvaient très tranquillement, car il était plongé perpétuellement en prière, sur les chemins enneigés, par monts et par vaux, dans ces lieux où rien d'extérieur ne pouvait le divertir ou le gêner, il allait toujours en présence de Dieu notre Seigneur, ensuite, il cheminait avec une grande modestie et révérence 75 • La route parcourue s'avère synonyme du cheminement intérieur du missionnaire, tandis que le thème de la prière et de l'oraison mentale est mis en valeur au détriment des actions du fondateur de la mission: Fr6is précise que François Xavier, incapable de prêcher en japonais, déléguait cette tâche à Fern:indez, se tenant simplement à côté de ce dernier et priant pour la réussite 73 74 75
Ibid., vol. 1, tre partie, chap. 3, fol. 6. Ibid., fol. 6-6v 0 • Ibid., fol. 6v0 -7.
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de la prédication 76 • Le fondateur de la mission ne fournit pas un modèle en termes d'action ou de stratégie d'évangélisation, car les résultats à la fin de son séjour au Japon se révèlent assez maigres. Mais il est donné comme l'ultime modèle duquel ses successeurs doivent s'inspirer: il est le guide spirituel des jésuites du Japon, celui qui a découven « la vigne inculte » du pays du Soleil levant et a commencé à la cultiver 77 • François Xavier est donc un personnage à pan dans l' Historia de ]apam en raison de son statut de saint et de premier évangélisateur du Japon. Le portrait des autres missionnaires n'est pas aussi développé que celui de François Xavier, comme si aucun de ses successeurs ne pouvait rivaliser avec lui. Luis Frôis retrace les actions de ces derniers, mais il choisit plutôt de peindre un portrait collectif de la Compagnie de Jésus dans le but glorifier l'action de cette dernière au Japon. Le soutien de la population nippone aux missionnaires est ainsi mis en valeur à travers le portrait du vice-provincial Gaspar Coelho qui se trouve à la tête de la mission entrer 581 et r 590. Coelho n'est évoqué longuement par Fr6is qu'au moment de sa mort à laquelle le chroniqueur consacre un chapitre 78 • C'est l'occasion pour le visiteur de dresser le portrait du vice-provincial dans lequel celui-ci est présenté comme une personne humble, joyeuse, modeste. Coelho est jugé représentatif des qualités requises pour être jésuite et c'est au final la Compagnie et ses exigences spirituelles qui sont mises en avant. Pour Fr6is, le vice-provincial Coelho a su maintenir l'unité de la Compagnie et faire accepter la politique d'accommodation, malgré les oppositions rencontrées 79 • Le chroniqueur cherche également à préserver la figure du vice-provincial qui a joué un rôle ambigu auprès des autorités nippones. Fr6is souligne les difficultés auxquelles fut confronté le vice-provincial à la suite du meurtre de Nobunaga (r 582), comme la perte du séminaire d'Azuchi, celle de la chrétienté de Takatsuki et l'avènement du «tyran» Hideyoshi qui déclenche une persécution contre les jésuites. Mais il ne mentionne pas le possible rôle de Coelho dans le déclenchement de cette persécution, car le vice-provincial aurait maladroitement proposé l'aide des Portugais au Kanpaku qui désirait envahir la Corée, provoquant la colère de ce dernier 80 • Le portrait reste assez général, épargnant la figure de Coelho et donc par ricochet l'action de la Compagnie de Jésus au Japon. Fr6is choisit plutôt 76 77 78
Ibid., fol. 7v0 •
L'expression est de Fréis (« inculta vinha »),ibid., vol. I, 1"' partie, chap. 6, fol.13. Ibid., vol. V, 3• partie, chap. 28, fol.135-146. Coelho meurt en 1590. Par comparaison, Fréis a consacré six chapitres à l'action et au portrait de François Xavier qui n'a passé que deux ans sur place. 79 Ibid., fol. 136v0 • 80 Charles Ralph Boxer, The Christian Century in Japon, 1549-1650, Berkeley, University of California Press, 1951, chap. 4.
de consacrer la majorité du chapitre à l'enterrement du vice-provincial, ce qui est l'occasion de célébrer l'union de la communauté chrétienne autour de la Compagnie de Jésus. L'assemblée n'est pas réunie à la gloire de Coelho, mais sert à une mise en scène du soutien apporté par les Japonais à la Compagnie, et plus particulièrement celui du clan Arima. Si Coelho ne se démarque ni par son charisme ni par des aptitudes religieuses exceptionnelles, son rôle dans le maintien de l'unité entre les membres de la mission japonaise est par contre mis en avant, signe des tensions ayant surgi au sujet de la politique d'accommodation. À la différence de François Xavier, le vice-provincial incarne davantage l'action de la Compagnie qu'un véritable idéal missionnaire et spirituel. Si les jésuites européens symbolisent l'entreprise d'évangélisation du Japon et incarnent l'élan missionnaire depuis l'Europe en direction des terres nouvellement découvertes, l'étude des réalités du terrain a démontré que le travail repose en grande partie sur les natifs. Loin de refléter cette évidence, la peinture des jésuites japonais tient une place réduite dans les chroniques par comparaison avec celle de leurs homologues européens. La seule flgure qui se détache de l'ensemble général dans l' Historia de ]apam est celle de Lourenço, un dôjuku baptisé par François Xavier 81 • Cette proximité avec le fondateur de la mission contribue à faire du Japonais une figure exceptionnelle à plus d'un titre. Avant d'être baptisé, Lourenço exerçait le métier de biwa hoshi, c'est-àdire de troubadour et il a pour particularité d'être quasiment aveugle, mais cette infirmité est compensée par une grande intelligence et une vaste mémoire. La rencontre avec François Xavier a lieu en I 55 I à Yamaguchi : le saint répond aux diverses interrogations du musicien errant qui demande alors le baptême. Lourenço décide ensuite de s'engager au service de la Compagnie de Jésus : Il demeura si attaché à l'amour et à la charité du père [François Xavier], et convaincu par cette grande entreprise que les pères entendaient mener - à savoir la conversion des âmes, les pères venant de si loin, affrontant de grandes difficultés, dangers et peines, sans prétendre aucunement tirer un quelconque bénéfice temporel - il se décida à quitter la profession qu'il exerçait, de distraire les hommes avec ses histoires, sa viole et ses tours, et de rejoindre l'Église pour servir Dieu Notre Seigneur et remplir le ministère qu'il pouvait accomplir, selon ses capacités. Et comme Dieu, si puissant, conformément aux paroles du glorieux apôtre saint Paul, choisit les choses petites et basses, pour, grâce à elles, confondre les puissants, le même Seigneur choisit cet homme, privé presque 81
HJ, vol.1, 1•• partie, chap. 5, fol. 11v0 • Sur la figure de Lourenço, on peut consulter Arimichi Ebisawa, « lrmào Lourenço, the First Japanese Lay Brother of the Society of Jesus and his Letter », Monumenta Nipponica, vol. 5, 1942, p. 225-233 et Joào Paulo Oliveira e Costa, OJapao e o cristianismo ... , op. cit., p. 87-106. Fr6is consacre un chapitre à un autre Japonais, Damiào, membre de la Compagnie Mais le portrait est assez bref, par comparaison avec celui de Lourenço. Voir HJ, vol. Ill, 2• partie, chap. 11, fol. 33v0 -34v°.
entièrement de la vue et de physionomie très ridicule, pour devenir le premier frère à être reçu dans la Compagnie de Jésus au Japon ; et, en même temps, il le désigna pour annoncer son saint Évangile et devenir le premier propagateur de la doctrine catholique, aussi bien dans la ville de Miyako que dans d'autres royaumes lointains, et il lui donna une tdle abondance de grâces, qu'il devint un des prédicateurs les plus insignes que la Compagnie eut jusqu'ici au Japon. Grâce à sa prédication, des milliers d'âmes se convertirent; il argumentait et disputait publiquement avec des bonzes très savants et des nobles sans jamais être vaincu par l'un d'entre eux, jusqu'à ce que, grâce à la grande efficacité de sa doctrine, les lettrés, orgueilleux et arrogants, s'inclinent à ses pieds et reçoivent de lui la sainte doctrine de l'Évangile. Et ainsi, dans sa prédication, il était intègre, fort et constant, de même dans sa vie, par le travail immense qu'il accomplit pour la propagation de la foi et les graves dangers qu'il affronta, il donna toujours la preuve que, bien qu'il fût élevé dans la doctrine et l'esprit que notre Seigneur communique à ses serviteurs d'Europe, il ne fut jamais, en la matière, inférieur en quoi que ce soit ; au contraire, sa vertu fut toujours très estimée par les pères qui l'avaient admis dans la Compagnie 82 • La figure de Lourenço est particulière, dans la mesure où il est le premier Japonais à être reçu dans la Compagnie deJésus 83 . L'appel de Lourenço par les jésuites ressemble à l'appel du Christ à ses apôtres : le Japonais quitte tout pour s'engager à propager le christianisme dans l'archipel nippon et il devient une figure importante au sein de la mission. Cette place est due à ses capacités intellectuelles et à son talent de prédicateur qui lui permet de jouer un rôle essentiel dans l'évangélisation de la capitale du Japon 84 • Lourenço est donc loin d'être une figure marginale au sein de la Compagnie de Jésus au Japon et Frôis le place au même niveau que les jésuites européens, soulignant sa grande vertu et remettant en cause les affirmations de certains missionnaires qui soulignaient le manque d'aptitude pour la vie religieuse des frères japonais. Lourenço est une figure à la fois représentative et exceptionnelle du groupe des frères japonais. Il concentre toutes les vertus que doivent posséder les recrues autochtones en étant humble, obéissant et dévot, puisque Frôis ne manque pas de préciser que Lourenço reçoit sans faute le Saint-Sacrement chaque semaine. Mais Lourenço est une figure particulière à plus d'un titre: sa longévité et son soutien aux pères alors que le christianisme n'est pas considéré au Japon font qu'il demeura pendant longtemps le seul frère japonais intégré à l'ordre 85 • Cette situation exceptionnelle justifie que Frôis consacre un chapitre à la 82 83 84 85
Ibid., vol. 1, lre partie, chap. 5, fol. 11v0 .-12 .. Lourenço est le premier Japonais à être reçu dans la Compagnie au Japon, même si l'on ne connaît pas avec certitude sa date d'entrée au sein de l'ordre. HJ, vol.1, 1'0 partie, chap. 22, fol. 54v°. Ibid., vol. V, 3• partie, chap. 35, fol. 17w0 •
mort du premier Japonais reçu dans la Compagnie. Mais Lourenço est le seul autochtone à acquérir un tel relief au sein del' Historia de ]apam, ce qui souligne d'autant plus sa position singulière. Il apparaît comme le frère idéal, mais il laisse dans l'ombre tous les autres membres japonais de la Compagnie. Frôis valorise quelques figures exceptionnelles, destinées à glorifier l'action de la Compagnie de Jésus au Japon. Le but est d'édifier le lecteur par la peinture des épreuves endurées par les missionnaires pour annoncer l'Évangile aux Japonais. Le centre d'intérêt du récit est alors déplacé: le but n'est pas de faire un portrait du jésuite, mais plus généralement d'esquisser, à travers lui, l'idéal missionnaire. Les descriptions des difficultés auxquelles sont confrontés les jésuites constituent un topos de la littérature missionnaire qui permet de souligner leur courage. Les portraits de missionnaires sont au service d'une peinture plus générale de la mission : celle-ci est liée à des religieux exceptionnels, tel François Xavier, dont le prestige rejaillit sur l'entreprise d'évangélisation menée par les jésuites. Mais ces récits mettent également en valeur la cohésion des missionnaires, européens et japonais, au sein de la Compagnie de Jésus: or, cette unité est loin d'avoir été un paradigme constant dans la réalité. Les portraits de missionnaires sont donc un moyen de masquer les dissensions, notamment autour de la question de l'intégration des Japonais dans la Compagnie. La mission japonaise est ainsi présentée sous un jour positif; elle est également valorisée à travers des représentations de convertis, jugés exemplaires. Le mythe d'une chrétienté idéale, développé dans tes exemp/a et les récits de miracle
Pour promouvoir l'action des jésuites au Japon et édifier le lecteur, les membres de la Compagnie de Jésus exaltent les réalisations de leur politique d'accommodation et ils en soulignent les effets sur les convertis nippons. Ces derniers sont mis en valeur à travers la constitution d' exempta qui permettent de valoriser l'action des missionnaires et de construire le mythe d'une chrétienté idéale au Japon, composée uniquement de chrétiens solides dans leur foi. Bien qu'il n'existe pas de compilations d' exempta à destination des prédicateurs, les chroniqueurs jésuites se plaisent à mettre en valeur ces récits brefs, donnés comme véridiques et destinés à dispenser une leçon édifiante 86 . Mais quelle utilisation est faite de ces exempta? S'adressent-ils avant tout aux lecteurs européens ou également aux convertis japonais ? Quel modèle de chrétien mettent-ils alors en valeur ? L'autre procédé utilisé par les missionnaires 86
Danièle Dehouve, L'Évangélisation des Aztèques ou le Pécheur universel, Paris, Maisonneuve et La rose, 2004, p. 18. Les exempla prennent leur essor au x11' et x111' siècle, avant de connaître un renouveau à partir du concile de Trente. D'après D. Dehouve, le développement des exemp/a auxxv1• et xv11• siècles s'inscrit dans le cadre de la« pastorale de la peur» décrite par Jean Delumeau. Sur les exemp/a, voir Jacques Berlioz et Marie-Anne Polo de Beaulieu, Les Exempla médiévaux. Nouvelles perspectives, Paris, Champion, 1998.
pour démontrer le caractère exceptionnel de la chrétienté japonaise passe par la multiplication des récits de miracles s'étant déroulés au Japon: l'archipel apparaît comme une terre propice à la manifestation divine qui permet de renforcer la foi des convertis, notamment en période de crise pour la mission. Les missionnaires construisent donc une image de la mission japonaise qu'ils diffusent largement auprès du public: celle-ci est une mission d'élite qui s'adresse à des convertis particulièrement vertueux. Le Japon apparaît comme la terre d'élection du christianisme et la politique d'accommodation semble être une réussite totale, ayant permis d'amener de nombreux Japonais à se convertir et à persévérer dans la foi. Dès lors, comment présenter les échecs rencontrés par les missionnaires et les revirements du pouvoir japonais qui déclenche des persécutions dès 1587 ? Comment préserver l'image de la Compagnie de Jésus au Japon pour les lecteurs européens ? Des chrétiens japonais donnés en modèle
Frôis consacre plusieurs chapitres à des personnalités devenues des figures importantes de la chrétienté japonaise, mais il relate également l'histoire de chrétiens moins célèbres dont les vies sont données en exemple 87 • Le chroniqueur réunit dans un chapitre trois portraits de chrétiens de la région de Miyako, dont les œuvres et les vertus lui semblent exceptionnelles et dignes d'être mentionnées 88 • Le premier personnage est un noble, du nom de Jorge Yafeijidono; il a été baptisé vers huit ou neuf ans et il appartient à une famille chrétienne comptant parmi les plus anciennes de la région ; il mène une vie vertueuse et chaste, refusant de se marier malgré l'insistance de sa famille, et il contribue à la conversion de plusieurs membres de celle-ci. Jorge est également un intime et un des plus sûrs soutiens de la Compagnie de Jésus au Japon, accourant dès que l'Église est confrontée à une difficulté pour aider à résoudre le problème. Ce chrétien a bâti une église sur ses terres et pourvoit à son entretien, ainsi qu'à celui du père chargé de la chrétienté du lieu ; il contribue également financièrement à la construction de l'église de Miyako 89 • Lors d'une bataille, il est un véritable exemple pour la communauté, même s'il est blessé et fait prisonnier. Il est identifié comme chrétien en raison de son casque sur lequel est inscrit le nom de Jésus en lettres dorées mais, loin de lui être nuisible, sa
87
Parmi ces chrétiens japonais célèbres, on peut citer Takayama Ukon ou Gracia Hosokawa. Plusieurs ouvrages ayant été consacrés à ces personnages, j'ai choisi de me concentrer sur un autre chapitre de !'Historia de Japam, évoquant des chrétiens moins connus. Sur Gracia Hosokawa, on peut consulter Haruko Nawata Ward, Women Re/igious Leaders in Japan's Christian Century, 1549-1650, Farnham, Ashgate, 2009, p. 199-220. 88 HJ, vol. li, 1re partie, chap. 78, fol. 269-274v0 • Le chapitre porte sur des événements datés de 1568. 89 Ibid., fol. 27ov0 •
condition de chrétien lui permet d'être épargné. En effet, un des principaux seigneurs de l'armée ennemie, du nom de Miki, est chrétien et reconnaît son coreligionnaire; il protège Jorge et demande à ce qu'on lui rende sa liberté 90 • Pendant ce temps, la nouvelle de la défaite est parvenue dans la famille de celui-ci, tandis qu'un corps sans tête lui a été rendu. Ce cadavre est identifié comme celui de Jorge en raison de la ressemblance des vêtements, mais le malentendu est dissipé quelques jours plus tard grâce à une lettre de Jorge. Le cadavre du Gentil, confondu par erreur, est traîné hors de l'église et jeté dans un marais profond. Le récit se conclut sur la bonté de Jorge qui, quelques années plus tard, lorsque Miki perd son fief et sa rente, assure la subsistance de ce dernier et de sa famille 91 • Le deuxième personnage mis en scène porte le nom de Ximinzu Leao : il est âgé d'une cinquantaine d'années, riche et marié. Il appartient à une famille païenne, mais il se montre peu satisfait des réponses des bonzes, particulièrement concernant les phénomènes stellaires et cosmiques. Les jésuites savent lever ses doutes sur la question et il se convertit au christianisme. Il devient un bon chrétien, se confessant régulièrement et pratiquant l'aumône. Un jour, profitant de la venue à Takatsuki du supérieur de la mission jésuite, Francisco Cabral, Leao soumet un doute au père: depuis qu'il s'est converti, il a mauvaise conscience, car il pratique l'usure qui est contraire à la Loi de Dieu. Aussi a-t-il décidé de rembourser les personnes à qui il a prêté del' argent ou leurs héritiers. Cependant, il a oublié certaines personnes et suggère que le montant qu'il a gagné au détriment de ces dernières est del' ordre de deux à trois cents cruza,dos. Il demande à Cabral d'investir cette somme dans le navire de Chine; les bénéfices serviront à l'entretien des pauvres de la région du Shimo. Le supérieur de la mission décide de consulter les jésuites de Miyako sur cette affaire, jugée délicate. Finalement, l'argent est investi dans la construction de l'église Notre-Dame de l'Annonciation de Miyako. À sa mort, sa famille se convertit au christianisme 92 • Le troisième personnage est désigné sous le nom de Thoma. Avant son baptême par le père Gaspar Vilela, ce Japonais a été un bonze, riche et lettré, plongé dans les vices et les plaisirs sensuels. Sa conversion entraîne un changement radical : il mène la vie d'un bon religieux, pratiquant l'oraison mentale et diverses dévotions, et il devient un exemple pour la communauté chrétienne et les Gentils. Il traduit des livres spirituels européens en japonais et il n'hésite pas à parcourir plusieurs lieues pour rendre visite à Cosme de Torres dont on lui a loué les qualités spirituelles. Durant l'absence de Vilela à Miyako, Thoma 90 91 92
Ibid., fol. 271v 0 • Ibid., fol. 272. Ibid.. fol. 272v°.-273.
prend en charge la communauté chrétienne, prêchant, baptisant et enterrant les défunts, « comme s'il était un religieux de la Compagnie 93 ». Lors d'un hiver, il effectue un voyage dans un royaume voisin afin de vendre du thé. L'auberge dans laquelle il s'arrête n'est peuplée que de Gentils, mais Thoma continue de faire ses prières et ses dévotions. Une nuit, une servante se glisse dans son lit; le chrétien fait aussitôt son signe de croix, croyant à une apparition du démon, et il réprimande la jeune femme à voix basse afin de ne pas provoquer un scandale. Mais celle-ci insiste : Thoma se rue dehors et reste nu dans le froid et dans la neige, jusqu'à en tomber malade. Confuse et remplie d'admiration, la servante n'ose plus reparaître devant lui 9".
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Ces trois histoires, condensées en un seul chapitre, ont été choisies par le chroniqueur pour leur dimension morale et elles relèvent de l' exemplum à ce titre. Fr6is s'adresse au lecteur européen particulièrement friand des exempta à cette époque, notamment ceux qui viennent des terres de missions, et il cherche à l'édifier à travers l'exemple des pieux chrétiens japonais 95 • Mais le développement de ces vignettes édificatrices se fait également en direction d'un public japonais et celles-ci ont pu être utilisées dans le cadre de prédications. En effet, deux de ces récits se retrouvent au cœur des enjeux de la politique d'accommodation, car ils évoquent des pratiques sociales qui entrent en contradiction avec les principes du christianisme: dans un cas, il s'agit de la guerre, et plus particulièrement de la guerre entre seigneurs chrétiens, dans l'autre cas, l'usure est mise en question alors qu'elle est couramment répandue dans l'archipel nippon. Ces pratiques ont fait l'objet de diverses interrogations par les missionnaires qui ont cherché, si ce n'est à les interdire, du moins à les contrôler 96 • L'attitude de ces chrétiens face à ces situations jugées délicates par les jésuites peut servir d'exemple pour les coreligionnaires et être mise en exergue au cours des sermons : Fr6is ne manque pas de souligner que les premières personnes édifiées par ces histoires sont celles qui assistent aux actes de foi des personnages. En cela, les exempta permettent d'une part de justifier la politique d'accommodation aux yeux du lectorat européen tout en soulignant que cette dernière est mise en œuvre de manière réfléchie et que les jésuites n'hésitent pas à aller à l'encontre des pratiques sociales japonaises; d'autre part, les exempta contribuent à la diffusion des modèles chrétiens auprès des 93 94 95 96
Ibid., fol. 273v0 • Ibid., fol. 273v".-274. Danièle Dehouve, L'Évangé/isation des Aztèques, op. cit., p. 35. Sur la question de la guerre, voir les Obediencias de Valignano-Pasio dans BA,Jesuftas na Asia, 49-IV-56, fol. 147v0 • Sur le problème de l'usure, voir Ana Fernandes Pinto, Silvana Remedio Pires,« The "resposta que alguns padres de Japao mandaran perguntar": a Clash of Strategies »,Bulletin of PortugueseJapanese Studies, vol. 11, juin 2005, p. 52.
convertis, particulièrement lorsque ces modèles entrent en contradiction avec les habitudes sociales japonaises. L'autre caractéristique de ce chapitre est de présenter les trois histoires suivant le même schéma narratif: le récit débute par une présentation de la personne qui se trouve au cœur del' action, de son nom et de sa qualité. F r6is poursuit par une description des changements entraînés par la conversion au christianisme et insiste sur les attitudes pieuses et dévotes, sur les actes de charité. Il ne manque pas de souligner les liens unissant les personnages à la Compagnie de Jésus. Enfin, le chroniqueur relate le danger ou la tentation auxquels est soumis le chrétien et la façon dont ce dernier les surmonte. La morale de l'histoire se déduit à la fin du récit. Dans le premier cas, elle vise à empêcher la guerre entre seigneurs chrétiens et à souligner les solidarités qui doivent se développer entre eux. Le thème n'est pas innocent à une époque de guerre civile, où la fidélité au seigneur compte davantage que l'appartenance à une même religion. Cette morale se double d'une sorte de « miracle » qui donne à la scène un autre relief: Jorge « ressuscite » à la fin, lorsque sa famille se rend compte de sa méprise sur le cadavre. Le chrétien revient à la vie et dans sa famille, et la scène passe de la peinture de l'affiiction à celle d'une joie immense; quant au cadavre du païen, il est jeté dans un étang. La conclusion de l'histoire est donc double : sur un plan strictement moral, elle met en valeur l'alliance, ou au moins le soutien, entre nobles chrétiens. Sur un plan spirituel, elle souligne l'aide et la protection qui sont apportées par Dieu aux chrétiens mais aussi la fin que trouve tout païen en étant condamné à disparaître dans les profondeurs, oublié et sans nom puisque le cadavre, privé de tête, ne peut être identifié. Dans le deuxième cas, c'est un riche bourgeois qui est mis en scène, ce qui diversifie les statuts sociaux des personnages et permet à différents lecteurs de s'identifier à l'histoire. Celle-ci est la plus courte au sein du chapitre et elle se concentre essentiellement sur la question de l'usure. La vie de Leâo et ses qualités sont peu développées par comparaison avec celles de Jorge et Thoma. La morale de l'histoire est également double: la pratique de l'usure est clairement condamnée pour le lecteur européen même si, dans les faits, elle n'est pas complètement interdite aux chrétiens japonais 97 • Mais l'histoire propose également une sorte de « rachat » pour ces derniers par le biais des aumônes et de la redistribution des richesses. La figure du riche, distribuant sa fortune pour suivre le Christ et ses préceptes, est réactivée et permet au lecteur, européen ou nippon, de voir dans l'histoire de Leâo une réincarnation de scènes de l'Évangile. Le troisième cas se penche sur le problème de la tentation, et plus spécifiquement de la 97
Voir les doutes des jésuites à ce sujet, dans Jesus L6pez-Gay, «Un documenta inédito del P. G. Vâzquez (1549-1604) sobre los problemas morales de1Jap6n », Monumenta Nipponica, n° 16, avril-juin 1960, p. 134-135 et 141-142.
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tentation charnelle. Ce dernier récit est d'autant plus important que Thoma est assimilé à un religieux de la Compagnie de Jésus, car il prend en charge la communauté chrétienne de Miyako pendant de longues années, en l'absence de prêtre. En outre, il est un ancien bonze, ce qui rend sa conversion d'autant plus spectaculaire.L'épreuve de la tentation prend les traits d'une jeune servante dans une auberge, lieu de perdition et de danger. L'auberge n'est remplie que de païens, ce qui renforce la lutte entre le « chevalier du Christ » et le démon auquel est assimilée la jeune fille 98 • Si la peur est le premier réflexe du chrétien, celui-ci ne succombe pas aux charmes de la servante, préférant sortir nu dans la neige dont la froideur s'oppose à la chaleur des désirs charnels et les éteint. La première morale de l'histoire est le refus de la tentation et la capacité du chrétien à y résister, à n'importe quel prix. Mais un autre aspect surgit, sil' on observe la fin de l'histoire : la première personne à être édifiée par l'attitude du chrétien est la servante tentatrice, face à une action qualifiée d'héroïque par Fr6is, mais aussi d'« étrangère» et d'inhabituelle pour les Japonais 99 • La morale s'adresse aux Japonais directement et suggère un changement de vie, une rupture avec les traditions de l'archipel nippon par l'adoption d'une nouvelle religion. Mais le récit a également une autre fonction auprès du lectorat européen, en suggérant que la politique d'accommodation n'est pas incompatible avec un changement de vie des chrétiens japonais. Au contraire, les exemp/,a suggèrent que ce sont ces derniers qui s'adaptent à des principes nouveaux, tirés du catholicisme, comme le refus de l'usure pourtant pratiquée facilement au Japon. Luis Fr6is donne ainsi une vision nuancée de la politique d'accommodation qui suscite des controverses entre les jésuites présents au Japon et les autorités romaines; il montre surtout que celle-ci n'est pas incompatible avec un certain nombre d'exigences à l'encontre des convertis, battant en brèche les accusations d'une trop grande souplesse des jésuites vis-à-vis de la culture locale. Ces caractéristiques n'empêchent pas les exemp/,a issus de la mission japonaise de posséder plusieurs points communs avec ceux originaires d'Europe ou ceux produits dans les autres terres de mission, notamment dans les thèmes abordés 100 • La conception du péché se trouve ainsi au cœur del' exemplum: il s'agit la plupart du temps de« réparer» un péché ou d'éviter d'en commettre un. Une récompense ou un châtiment divin font office de punition ou de 98 99
100
L'expression est de Frôis. Voir Hf, vol. Il, 1'• partie, chap. 78, fol. 274. Frôis utilise le terme de peregrina, qui peut aussi se traduire par« extraordinaire », « merveilleuse ».Il me semble que le terme d'étrangère peut être retenu ici, dans la mesure où le second adjectif(« inusitada »)insiste sur le fait que cette attitude n'est pas commune au Japon et est inspirée par cette religion étrangère qu'est le christianisme. Des exempta, issus de la tradition européenne et diffusés au Japon ont peut-être existé, mais les missionnaires ne les mentionnent pas. Voir Danièle Dehouve, L'Évangélisation des Aztèques, op. cit., p. 90.
récompense. Cependant, dans les exemples précédents, la punition est absente : ils' agit toujours de présenter les faits de manière positive et de mettre en valeur la capacité du chrétien japonais à demeurer fidèle aux enseignements catholiques. Par ailleurs, les convertis sont tous des proches de la Compagnie de Jésus : les Japonais sont soit des bienfaiteurs, soit des membres actifs de la mission, même s'ils ne sont pas jésuites. Dans le cas de Leao, le supérieur de la mission joue le rôle de conseiller spirituel, en l'incitant à contribuer à la construction del' église à Miyako. La portée del' exemplum devient plus large: d'une part, il s'agit d'édifier le lecteur européen à travers l'exemple des chrétiens japonais ; d'autre part, l'action pastorale de la Compagnie de Jésus est valorisée à travers la bonne conduite des Japonais qu'elle a convertis. Les exempta ont pour fonction de démontrer la qualité des chrétiens japonais et la profondeur de l'enracinement du christianisme au Japon grâce à l'action des fils de saint Ignace. Si les portraits de chrétiens japonais ont été l'occasion de présenter la mission du Japon sous un jour positif, le caractère exceptionnel de cette dernière transparait dans les récits de miracles et les apparitions de croix qui se succèdent dans l'archipel nippon. Si celles-ci permettent d'assurer des convertis récents dans leur foi, notamment en période de persécution, elles sont également un moyen de présenter le Japon comme la terre d'élection du christianisme, alors même que la mission connait plusieurs échecs. Les récits de miracles: le Japon, terre d'élection du christianisme
Les jésuites s'attachent à rapporter des phénomènes extraordinaires s'étant passés au Japon et à construire une véritable scène littéraire sur laquelle ils théâtralisent leur action par le recours au miraculeux, tout en rejouant des épisodes bien connus de la Bible ou des vies de saints 101 • Comme l' exemplum, le récit d'un miracle vise à édifier le lecteur et à mettre en scène la vie de la mission ; tous deux sont présentés comme des faits s'étant réellement déroulés. Mais quelle est la vocation du récit de miracle par rapport à l' exemplum ? L' exemplum possède une dimension morale que n'a pas le récit de miracle qui cherche avant tout à confirmer les chrétiens dans leur foi : le miracle peut être défini comme un fait prodigieux, d'ordre surnaturel, manifestant une intervention spéciale de Dieu. C'est un signe tangible de la présence de Dieu dans le monde pour les chrétiens. Dans la chronique de Frôis, certains événements se situent à la limite entre l' exemplum et le miracle : si une dimension morale est présente, 101
Ce fait n'est pas propre à la mission japonaise. On le retrouve également en Inde, où les jésuites reconstruisent dans leurs lettres, de manière théâtrale, des épisodes de miracles, de conversions ou de discussions avec les brahmanes, oscillant entre fiction et non fiction. À ce sujet, voir Ines G. Zupanov, Disputed Missions: Jesuit Experiments and Brahmonica/ Knowledge in Seventeenth Century lndia, Oxford/New York City, Oxford University Press, 1999, p. 147-194.
elle s'accompagne d'une interprétation particulière de la part du chroniqueur. Le jésuite relate un épisode daté de 1558 et intitulé « Le miracle de la croix à Hirado » 102 : les missionnaires rencontrent des difficultés avec les bonzes de la région qui mandatent trois hommes pour aller abattre la croix au pied de laquelle les chrétiens enterrent leurs défunts. Peu de temps après, une dispute éclate entre ces hommes, car l'un d'entre eux a des parents chrétiens qui ont juré de venger l'affront et il cherche à rejeter l'entière responsabilité sur ses camarades. Finalement, les trois protagonistes finissent par s'entretuer. Et Fr6is de conclure :
Et, de cette manière, par une œuvre si évidente de la justice divine, Dieu notre Seigneur châtia en un seul jour les trois hommes qui, avec une audace téméraire, avaient osé trancher le signe de la très sainte croix. Ce prodige a augmenté de grande manière la foi des chrétiens de Hirado, à cause de cela, ils ont encore
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une plus grande dévotion pour la croix ; et les bonzes et les gentils sont étonnés et admiratifs de voir une exécution si évidente du châtiment, qui est clairement dû à un ordre divin, et non à une entreprise humaine. Et cet épisode a été un des moyens pour que, depuis, la loi de Dieu se répande davantage à Hirado 103 •
L'histoire possède une dimension morale en mettant en garde les ennemis du christianisme qui ne peuvent échapper à la colère divine. Mais l'élément est clairement présenté comme miraculeux par le chroniqueur, car la punition est attribuée à Dieu et non aux hommes. À la différence des exempta, ce récit de miracle met en scène des païens: le miracle a alors une triple vocation. Tout d'abord, il s'adresse aux chrétiens et les renforce dans leur foi, soulignant la protection que Dieu leur accorde; ensuite, il permet de mettre en garde les ennemis du christianisme ; enfin, il assure un retentissement pour la foi chrétienne et contribue à sa diffusion dans la région. Pour le lecteur européen, ce récit de miracle permet de réactiver des images traditionnelles de la littérature chrétienne, ainsi que le thème de la mort des persécuteurs 104 : au sein de la mission japonaise se rejoue la lutte entre les persécuteurs et les premiers chrétiens luttant pour étendre leur foi. La chrétienté japonaise est présentée sous le modèle de l'Église primitive, d'autant que l'on se situe dans les premiers temps de la mission 105 • Ce miracle est suivi par plusieurs autres qui ont tous pour objet une apparition de croix. Un premier épisode est relaté en I 58 3, au cours duquel une soixantaine de personne aperçoit une étoile autour d'une croix à Ômura 106 • Un autre a 102 HJ, vol. 1, 1re partie, chap. 18, fol. 45-45v". 103 Ibid., fol. 45v0 • 104 Les missionnaires sont très influencés par la lecture de Lactance dont l'ouvrage De la mort des persécuteurs (325) relate le sort misérable de ceux qui tuent les chrétiens. 105 Ines G. Zupanov, Disputed Missions .. ., op cit., p. 152. 106 HJ, vol. Ill, 2' partie, chap. 1, fol. 118v0 -119.
lieu en r 589 : une croix apparaît au milieu d'un arbre à Obama, sur les terres d'Arima 107 • Le miracle est reconnu quelques temps pl us tard par le père Antonio Fernandes qui en réfère au supérieur du Shimo, Pedro Gômez, puis au viceprovincial. Après un interrogatoire des Japonais ayant assisté au miracle, celui-ci est reconnu comme vrai et l'on confectionne un reliquaire pour la croix inscrite sur des bouts de bois. Le miracle acquiert encore davantage de relief grâce à l'intervention du daimyo d'Arima, Dom Protasio. Celui-ci affirme avoir eu une vision dans son sommeil, dans laquelle il apprenait qu'un signe tangible de Jésus apparaîtrait sur ses terres, signe rapidement identifié à l'apparition de la croix. D'après Dom Protasio, cette dernière souligne que le christianisme va se répandre dans tout le Japon ou que les pères jésuites vont mourir en martyrs. Fr6is termine son récit en établissant une liste de points destinés à souligner l'aspect merveilleux du miracle: la Croix est apparue à Noël, quarante ans après le début de l'évangélisation du Japon, signe que la Loi ancienne se termine, tandis que le christianisme s'impose partout; l'arbre possédait des épines, renvoyant à la Passion du Christ ; l'essence de l'arbre, un kaki, est connue au Japon pour repousser les démons ; l'inscription sur la croix est la même que celle de la croix de Rome; elle est devenue un objet d'adoration pour les chrétiens japonais et une relique des plus vénérées dans l'archipel. Ce récit de miracle, beaucoup plus développé que le précédent, met donc en scène des convertis dans une région fortement christianisée. Frôis cherche à démontrer que le miracle est« véridique », reconnu par tous et quel' adoration de cette croix miraculeuse par les Japonais n'est pas une affaire de superstition : le phénomène est constaté par les différents représentants de la Compagnie de Jésus au Japon, suivant l'ordre hiérarchique, signe que l'affaire est prise au sérieux. Mais cette reconnaissance institutionnelle ne semble pas être suffisante aux yeux du chroniqueur qui s'attache à voir des signes prouvant la véracité du christianisme: ces derniers sont de natures diverses, empruntés à !'Écriture sainte (le chiffre symbolique quarante, les épines de la Passion), mais aussi à des superstitions japonaises autour del' arbre du kaki. Les jésuites peuvent d'autant moins désavouer l'adoration portée par les convertis que le miracle a été annoncé au daimyô d'Arima et le récit de Frôis vise à légitimer cette vénération des chrétiens japonais. La croix apparaît au centre de ces récits de miracles : dans le premier cas, il n'y a pas d'apparition. Le châtiment est infligé par la croix: celle-ci, coupée, est absente de la scène, mais placée au centre du récit, comme symbole de la victoire finale du christianisme sur ses ennemis. La croix déracinée devient, sous la plume du chroniqueur, la preuve d'un nouveau développement del' évangélisation au 107 Ibid., vol. V, 3' partie, chap. 27, fol. 130-135.
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Japon. Dans les trois autres cas, la croix est l'objet principal du récit. Symbole par excellence du christianisme, ces apparitions soulignent l'enracinement des représentations chrétiennes dans des régions converties dans leur quasi-totalité, démontrant les réussites pastorales des jésuites. Mais elles ont aussi pour vocation de ré-assurer les chrétiens japonais dans leur foi et de glorifier la mission : le premier récit de miracle se tient dans un contexte où l'évangélisation du Japon n'est encore qu'à ses débuts, et les chrétiens de Hirado constituent une minorité de la population de la ville. Le miracle vise à les affirmer dans leur foi et à démontrer la future extension du christianisme qui va vaincre tous ses ennemis et notamment les bonzes. Il ne s'adresse pas qu'aux chrétiens, mais sonne aussi comme un avertissement pour les non chrétiens. Les autres récits se déroulent sur des terres chrétiennes et lorsque la mission est bien implantée. Mais les miracles ont lieu dans un contexte de persécution, narré dans les précédents chapitres de la chronique. Les chrétiens se sentent menacés et le miracle permet de consolider leur foi. Les récits de miracles se répètent et se multiplient alors 108 : les croix ne se contentent pas d'apparaître en période de persécution, elles s'incarnent en se gravant dans le tronc des arbres, devenant un signe tangible et palpable de la présence de Dieu au cœur de la chrétienté nippone. Leur multiplication au sein de la chronique souligne 1' aspect défensif dans lequel se trouvent la chrétienté et la Compagnie de Jésus, et la volonté des missionnaires de faire de cette période troublée un signe que le christianisme ne saurait disparaître au Japon. Ceci est d'autant plus mis en valeur que c'est la croix, symbole par excellence de la nouvelle religion, qui se trouve au cœur du récit, et non un missionnaire qui aurait réussi miraculeusement à convertir ou à guérir un Japonais. Cette prépondérance du symbole de la croix acquiert un relief particulier aux yeux des autochtones, car celle-ci est un signe d'infamie au Japon, servant à la crucifixion des voleurs. Le récit de Fr6is a donc pour objectif de mettre en scène la croix de manière positive aux yeux des Japonais et de contribuer à leur édification par la spectacularisation de son apparition. Mais les aspects merveilleux du récit sont atténués par la volonté de reconnaissance du miracle par les autorités jésuites, d'autant plus forte que celles-ci ne contrôlent pas la production du miracle en jouant par exemple le rôle d'intercesseur. Si cette intervention diminue la portée dramatique du récit, elle permet également de mettre en valeur le rôle de la Compagnie de Jésus dans l'officialisation du miracle. La chrétienté japonaise est valorisée par les miracles, car le Japon apparaît comme une terre propice aux manifestations divines. Cette dimension est 108 On observe ce phénomène également pour les persécutions du xv11• siècle. Voir la lettre d'Afonso de Lucena, écrite le 17 février 1612, dans ARSl,Japsin 15-I, fol. 113-116v0 ., celle de Francisco Pasio, datée du 10 mars 1612, ibid., fol. 135-136 et celle de Valentim Carvalho, écrite de Nagasaki le 29 octobre 1612, ibid., fol. 180.
redoublée par l'orientation apologétique de l' Historia de ]apam et la volonté du chroniqueur de glorifier la mission. Fr6is souligne que les miracles de la fin des années 1580 et du début des années 1590 se déroulent dans un contexte de persécution. La croix, symbole de la mort du Christ, préfigure le martyre qui attend les jésuites, comme la plus haute réalisation de l' œuvre missionnaire de la Compagnie de Jésus au Japon. Ceci est explicite dans le discours du daimyô d' Arima, préfigurant la victoire du christianisme au Japon ou le martyre de ses représentants. Mais ces deux éléments ne sont pas exclusifs et la victoire finale est acquise par le martyre. L'exaltation du martyre comme réussite ultime de la mission
La première grande persécution qu'affronte la chrétienté japonaise a lieu en 1 587. Fr6is en livre un résumé précis, destiné à exalter les épreuves endurées par la Compagnie de Jésus au Japon. Ce récit du martyre de I 587 contribue à nourrir l'imaginaire qui se développe autour des missions, où la recherche du martyre est une des premières motivations pour les candidats au départ vers les Indes 109 • Par le martyre, les jésuites réalisent l'idéal de leur vocation missionnaire, car non seulement ils font le salut des Japonais qu'ils ont évangélisés, mais également ils se sauvent eux-mêmes en mourant en grâce. L'exaltation de la persécution de 1587, dont les effets ont cependant été peu importants, est d'autant plus vive qu'elle s'oppose à la large diffusion iconographique et textuelle autour du martyre de I 597 qui a essentiellement touché des franciscains. Le récit de F rois ne vise donc pas uniquement à susciter des vocations ou à exalter le martyre comme but ultime de la mission, mais il cherche à préserver les intérêts et l'image de la Compagnie de Jésus, car le martyrede I 587 révèle un rejet du christianisme par le pouvoir japonais 110 • Dès lors, comment expliquer cette attitude des dirigeants nippons et préserver des attaques la stratégie d'évangélisation mise en place par les jésuites au Japon ? Fr6is rapporte les détails de cette persécution menée par Hideyoshi. Les relations avec le kanpaku sont au départ cordiales et la visite du vice-provincial Gaspar Coelho au château d'ôsaka en mai I 586 se déroule à merveille 111 : 109
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Anna Rita Capoccia, « Le destin des lndipetae au-delà du xv1• siècle »,dans Pierre-Antoine Fabre, Bernard Vincent (dir.), Missions religieuses modernes, «Notre lieu est le monde», Rome, École française de Rome, 2007, p. 89-110, et Gian Carlo Roscioni, Il Desiderio delle /ndie: starie, sogni e fughe di giovani gesuitl ita/iani, Turino, Einaudi, 2001. Par comparaison, voir l'exemple des jésuites en Nouvelle-France, qui éprouvent un véritable désir du martyre que Franck Lestringeant nomme« tropisme du martyre». Voir Frank Lestringeant, «Le martyre, un problème de symétrie: l'exemple des jésuites de Nouvelle-France», dans Charlotte Bouteille-Meister, Kjerstin Aukrust (dir.), Corps sanglants, souffrants et macabres,xvf-xv11• siècle, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2010,
p. 260-269. 111
Le récit de cette rencontre est raconté dans Hf, vol. IV, 2• partie, chap. 31.
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Hideyoshi comble de faveurs les jésuites et les honore par divers présents et marques distinctives. La conversation porte sur divers sujets et Hideyoshi loue les intentions des religieux chrétiens, venus au Japon avec pour seule ambition de convenir la population. La conversation dérive ensuite vers des sujets plus politiques : le kanpaku évoque ses conquêtes, pronostique que le Japon lui sera bientôt entièrement soumis et il mentionne son intention de conquérir la Corée et la Chine 112 • Hideyoshi demande alors à Coelho d'intervenir, afin que les Portugais lui fournissent deux caraques pour faciliter la traversée vers le continent. Il fait miroiter aux jésuites la possible conversion del' ensemble del' archipel nippon et des futures terres conquises en Corée et en Chine. Cependant, le chroniqueur ne retranscrit pas les réponses apportées par Coelho à la requête de Hideyoshi. Cette entrevue entre Hideyoshi et le vice-provincial est souvent vue comme un tournant pour les relations entre le kanpaku et les chrétiens. Coelho fut accusé d'avoir précipité les intentions hostiles de Hideyoshi à l'encontre des chrétiens en acceptant de lui fournir les deux caraques demandées 113 • Or, Fr6is s'attache peu à la personne de Coelho: le vice-provincial apparaît en retrait de la scène, alors qu'il conduisait la mission jésuite lors de l'entrevue. Fr6is connaissait parfaitement la teneur du dialogue entre Coelho et Hideyoshi, puisqu'il faisait office d'interprète, mais il préfère concentrer sa description sur la personne de Hideyoshi et reporter sur lui la responsabilité des événements postérieurs. On assiste à une reconstruction de l'entrevue entre le kanpaku et le vice-provincial, reconstruction visant à mettre en valeur la duplicité de Hideyoshi qui apparaît comme un personnage manipulateur. Fr6is rapporte que Hideyoshi: « dit ensuite par ironie : "Dans la répartition que je ferai des royaumes du Shimo, je donnerai à Ukon et à Ryüsa (qui étaient présents) le royaume de Figen" 114 ». La phrase apparaît d'autant plus cruelle que Takayama Ukon subit de plein fouet le changement d'attitude de Hideyoshi à l'encontre des chrétiens. Cependant, ce portrait d'un personnage calculateur laisse de côté les motivations politiques de Hideyoshi. Fr6is construit son récit en prenant en compte la persécution qui aura lieu par la suite et en préservant l'image de la Compagnie. L'hostilité de Hideyoshi à l'encontre des chrétiens est déclenchée par l'appel à l'aide du daimyo du Bungo, Ôtomo Yoshishige, en proie à une lutte avec son voisin Shimazu Takahisa 115 : cet événement fournit un prétexte à Hideyoshi 112 Hideyoshi acquiert le titre de kanpaku en 1585, symbolisant son accession à la tête du Japon. 113 Charles Ralph Boxer, The Christian Century in Japon .•• , op. cit., chap. 4. 114 HJ, vol. IV, 2• partie, chap. 31, fol. 376. 115 Shimazu Takahisa est le daimyo de Satsuma.
pour intervenir dans le sud et dans les affaires des jésuites en I 587 116 • À cette occasion, il prend conscience de l'influence de la Compagnie de Jésus sur les daimyo du Kyiishu, mais aussi sur les marchands portugais, ce qui conduit à un changement d'attitude de sa part. Aussi, le 24 juillet 1587, le jour où il reçoit le capitâo-mor portugais, Hideyoshi décide+il de s'attaquer à celui que Frôis décrit comme une colonne de la chrétienté, Takayama Ukon 117 • Le kanpaku le prive de ses terres et revenus. Puis il convoque le vice-provincial et lui pose une série de questions 118 : pourquoi les missionnaires veulent-ils convertir les Japonais au christianisme alors qu'ils devraient plutôt s'accommoder aux doctrines et méthodes des bonzes ?Pourquoi les Européens mangent-ils du bœuf et du cheval qui sont des animaux utiles à l'homme ? Pourquoi les Européens envoient-ils des captifs japonais vers l'Inde ? Le vice-provincial tente de se justifier et répond que les jésuites sont venus d'Europe au Japon uniquement pour prêcher; les Japonais se sont rendus compte de leurs erreurs par euxmêmes et ont adhéré au christianisme. Ensuite, les jésuites ne mangent pas de cheval, mais il arrive qu'ils mangent du bœuf selon une coutume européenne et uniquement lorsqu'ils sont avec les Portugais. Enfin, les jésuites travaillent pour interdire la vente d'êtres humains. Mais la décision d'Hideyoshi est prise et il publie le 24 juillet 1587 un édit d'interdiction du christianisme: Le Japon est le pays des kami. La diffusion d'une loi pernicieuse depuis le pays des chrétiens est une chose des plus indésirables. 1°
Pour approcher les gens des royaumes et des États du Japon, et les faire devenir chrétiens, ils ont détruit les temples des kami et des hotoke, et ceci est une chose que l'on n'avait encore ni vue ni entendue au Japon 119 • Et lorsque 2°
le seigneur du Tenka donne aux hommes des royaumes, des provinces, des domaines et de rentes, ceci n'est que pour un temps donné, et ces derniers doivent se conformer aux lois et à la volonté du Tenka, mais corrompre la plèbe est une chose digne de punition 120 • 3° C'est la décision du seigneur du Tenka: grâce à la volonté et à la puissance des chrétiens, les pères ont, au moyen de leur savante doctrine (comme cela a été dit 116 Sur le déroulement de la campagne, voir Mary Elizabeth Berry, Hideyoshi, Cambridge (Mass.)/London, Harvard University Press, 1982, p. 89 et Danielle Elisseeff, Hideyoshi, bâtisseur du Japon moderne, Paris, Fayard, 1986, p.159-165. Sur la réorganisation des fiefs après l'intervention de Hideyoshi au Kyüshü, voir James Murdoch, A History ofJapan, t. Il, The CenturyofEarly Foreign Intercourse (1542-1651), Yokohama/London, Routledge, 1903, p. 235-237. 117 Sur Ukon, on peut consulter Johannes Laures, Takayama Ukon und die Anfiinge der Kirche in Japan, Münster, Westf. Aschendorffsche Verlagsbuchhandlung, 1954. 118 HJ, vol. IV, 2• partie, chap. 53, fol. 480-483. 119 Les kami sont les divinités shintoïstes et les hotoke les divinités bouddhiques. 120 Tenka est un terme désignant les terres« sous le ciel». Il se réfère à l'ensemble unifié des terres japonaises.
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plus haut), voulu détruire les lois du Japon, et ceci est une chose si outrageuse, que les pères ne peuvent rester sur le sol japonais. Aussi dans les vingt jours, ils doivent arranger leurs affaires et quitter le pays, et si dans ce laps de temps, quelqu'un s'avise de leur faire du mal, il sera puni pour cela. 4° Pour ce qui est du Nao et du commerce, c'est une chose très différente, et il peut continuer à le faire sans empêchement1 21 • 5° À partir de maintenant les marchands, mais également toute autre personne qui viendrait au Japon sans causer de dommage aux lois des kami et hotoke, peuvent aller et venir librement 122 •
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L'édit d'interdiction se double d'un édit d'expulsion des missionnaires 123 : les Portugais ont interdiction d'emmener des jésuites au Japon, tandis que la plupart des églises sont détruites. Nagasaki, ville administrée par la Compagnie de Jésus, est reprise par le pouvoir. Les édits de Hideyoshi semblent marquer la fln du christianisme au Japon. Pour Fr6is, la Compagnie de Jésus et la chrétienté sont les victimes d'une persécution soudaine et il faut se préparer au martyre. Cependant, la persécution a été anticipée par Hideyoshi qui a mis indirectement les jésuites en garde contre toute tentative d'ingérence dans les affaires politiques. Sil' on relit attentivement le récit de l'entrevue entre le père Coelho et Hideyoshi, on constate que certains thèmes de la conversion sont lourds de sens pour les missionnaires 124 • Tout d'abord, Hideyoshi mentionne le port de Nagasaki, placé sous l'autorité des jésuites. Même s'il suggère qu'il va le laisser sous leur responsabilité, les missionnaires auraient pu percevoir un signe d'avertissement. En effet, la conversation sur le port fait suite à celle portant sur la réorganisation des fiefs dans le Kyüshü après la guerre: il est étonnant, dans ce cas, que Nagasaki ne fasse pas l'objet d'une redistribution. De plus, Fr6is ne perçoit pas les éléments de la psychologie de Hideyoshi, bien qu'il fasse régulièrement mention de son caractère rusé. Or, parler de Nagasaki est aussi un moyen de sonder les intentions des missionnaires à ce sujet. Ensuite, le kanpaku établit une comparaison entre la Compagnie de Jésus et les bonzes lors d'une visite qu'il rend aux jésuites d'ôsaka 125 • Il les compare aux bonzes et affirme que les missionnaires mènent une vie beaucoup plus pure. Les religieux bouddhiques disposent d'une armée et entendent jouer un rôle politique de premier plan. Par cette comparaison, Hideyoshi met en garde les jésuites contre toute tentation de créer un contrepouvoir, rassemblant des fidèles fanatiques comme ceux des moines bouddhistes. 121 C'est un terme se référant au navire portugais accostant une à deux fois dans l'année sur tes côtes japonaises. 122 Fr6is reproduit le texte de l'édit dans HJ, vol. IV, 2• partie, chap. 53, fol. 484-484v 0 • 123 Ibid., vol. IV, 2• partie, chap. 55, fol. 491-492v 0 • 124 Ibid., vol. IV, 2• partie, chap. 31. Voir surtout fol. 376-377v". 125 Ibid.
Fr6is ne comprend pas quel' arrivée de Hideyoshi au pouvoir est une nouvelle étape dans la centralisation accrue du pouvoir. Il perçoit que la puissance du kanpaku marque une rupture avec celle de Nobunaga de par son ampleur. Cependant, la restructuration de l'autorité centrale, procédant d'un plan politique mûrement réfléchi, lui échappe. Or, Hideyoshi a révélé en partie ses intentions qui entrent en contradiction avec l'influence que les missionnaires entendent exercer sur les convertis. En effet, les jésuites ont une prétention à dicter la morale, notamment pour les questions politiques. Hideyoshi ne peut que s'inquiéter de l'influence de la Compagnie de Jésus sur un personnage comme Takayama Ukon. De plus, celle-ci dirige une portion du territoire japonais, à savoir la ville de Nagasaki. Ce faisant, les jésuites peuvent être comparés à certains bonzes qui exercent leur autorité sur de véritables fiefs. Aussi, l'acte d'expulsion des jésuites est vu comme une assertion de l'autorité centralisatrice sur les actions des subordonnés, plus que comme un rejet du christianisme en tant que religion. Deux éléments étayent cette opinion et nuancent l'image du tyran capricieux décrite par Fr6is. Tout d'abord, l'édit n'est publié qu'après l'expédition au Kyüshü : c'est lors de la guerre dans le sud que Hideyoshi prend réellement la mesure de la puissance et de l'influence de la Compagnie de Jésus sur certains daimyô. Le kanpaku ne voit pas dans le christianisme une menace philosophique, mais l'indépendance des jésuites grâce à l'autonomie de Nagasaki, les désordres qui résultent des destructions de temples bouddhiques lors des conversions de masse, tout ceci ne peut que déplaire à Hideyoshi 126 • L'édit de 15 87 ne condamne pas le christianisme en tant que tel et il ne semble pas que le pouvoir ait été résolu à mener une persécution de grande ampleur contre les chrétiens; Hideyoshi donnera quelques années plus tard, en 1593, des terres aux franciscains. De même, il n'a pas l'intention de bannir tous les Européens du Japon : les marchands portugais sont explicitement invités à continuer leurs activités.L'édit est pris contre une bande de religieux qui paraissent fanatiques et qui possèdent une influence trop grande sur les vassaux. Dans cette perspective, la Compagnie de Jésus ne peut que représenter un danger aux yeux du maître du Japon. Fr6is ne présente pas ces différents éléments, et notamment les fautes politiques du vice-provincial Coelho, car ce n'est pas le but recherché : l' Historia de ]apam veut édifier le lecteur et préserver les intérêts de la Compagnie. Aussi, lors de l'épisode de la visite du vice-provincial en 1586, Fr6is ne rapporte pas les paroles exactes de Coelho. La responsabilité des 126
Mary Elizabeth Berry, Hideyoshi, op. cit., p. 92.
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missionnaires ne saurait alors être invoquée lorsque l'édit de 1587 est pris et aucune parole prononcée par le jésuite ne peut être utilisée pour souligner le peu de sens politique du plus haut responsable de la mission. De même, le chroniqueur ne rapporte pas les discussions avec les seigneurs chrétiens à la suite de la réception d'Osaka. Or, le secrétaire chrétien de Hideyoshi, Ai Simao, se serait montré méfiant et aurait fait part de ses craintes face à un possible changement de situation 127 • Par ailleurs, Frôis évoque tout de suite l'édit de 1587 qui apparaît comme un véritable coup de tonnerre, un brusque retournement de situation. Or, l'édit a été précédé d'une notice dans laquelle les jésuites sont comparés aux bonzes de la secte Ikkô 128 : Hideyoshi fait référence aux temples (jinai) de la secte qui sont aussi des forteresses militaires. Ces temples sont la manifestation d'un véritable contre-pouvoir dans les provinces. Nagasaki est vu comme l'équivalent de ces temples-forteresses pour les chrétiens 129 • De plus, Hideyoshi souligne que les deux religions imposent leur domination sur les croyants au moyen d'une approche fondée sur l'exclusivité de la foi et sur le fait d'être sauvé par Dieu/Amida, et les fidèles se regroupent souvent dans des organisations structurées. Le christianisme, comme la secte Ikkô, est donc dangereux de par ses relais sociaux, reliant prêtres et fidèles et ayant des ramifications jusque dans les villages. Quant à l'affirmation d'une foi unique, elle a des implications politiques, puisqu'il faut protéger et étendre la « vraie Foi ». La notice du 2 3 juillet 1587, et la comparaison avec le Jôdo Shinshû, permettent de mieux saisir le raisonnement de Hideyoshi face au christianisme. Loin de paraître irréfléchie, sa décision d'expulser les missionnaires s'appuie sur une analyse précise de la situation de l'Église au Japon. Il est fort peu probable que Frôis n'ait pas été au courant de la publication de cette notice, alors que des chrétiens comptent parmi les proches du pouvoir. De plus, la notice s'accompagne de la dépossession de T akayama Ukon de ses fiefs, épisode qui est longuement relaté par Frôis. Aussi peut-on conclure que l'absence de la notice dans l' Historia de ]apam résulte d'un choix de la part du chroniqueur.
127 Georges Elison, Deus Destroyed. The Image of Christianity in Ear/y Modem Japon, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1988, p. 114. Elison s'appuie ici sur une lettre d'Organtino, datée du 10 octobre 1589. Bien que ce récit soit postérieur aux événements et plus tardif que la chronique de Fr6is, Elison souligne que le témoignage d'Organtino paraît plus fiable et plus nuancé. 128 Ibid., p. 117-118. La secte lkkii Oiido Shinshü) est fondée en 1224 par le moine Shiren. À l'époque de sengoku·jidai, elle possède sa propre armée de moines guerriers. Voir aussi Shinzo Kawamura, «An Evaluation of Valignano's Decision-Making from the Viewpoint of Japanese Society», dans Shinzo Kawa mura, Cyril Veliath (dir.), lntegration and Division between Universa/ism and Loca/ism in Jesuit Mission Reports and Histories, Tiikyii, 2006, p.101-114. 129 La forteresse de Nagasaki sera détruite également. Voir Hf, vol. IV, 2' partie, chap. 55.
Cette décisions' explique par la stratégie narrative mise en place par Frois. Dans cette perspective, il convient de rappeler que la chronique de la mission japonaise est une œuvre de commande ; voulue par le visiteur des Indes orientales, Alessandro V alignano, elle a pour but de promouvoir l'action de la Compagnie de Jésus auprès du public européen. L' Historia de ]apam est portée par une volonté d'édification de ce public, plus que par un souci de la vérité historique des événements relatés. À cet effet, Fr6is cherche à minimiser la responsabilité des jésuites dans le processus aboutissant au rejet des missionnaires par Hideyoshi. Le chroniqueur reconstruit le récit, à la manière d'une pièce de théâtre : sur la scène japonaise s'opposent les forces du bien conduites par les jésuites et les chrétiens, aux forces du mal dirigées par Hideyoshi et les païens. L'édit de 1 587 apparaît comme un véritable coup de théâtre, frappant sans raison le christianisme au Japon. Raconter la notice précédant l'édit aurait privé le lecteur de l'effet de surprise et aurait contribué à faire sortir Hideyoshi de la caricature du tyran qui en était donnée. De plus, en faisant apparaître l'édit comme étant la décision d'un seul homme et comme étant le fruit d'un caprice, F r6is cherche à préserver de la critique l'action de la Compagnie de Jésus en direction des classes supérieures de la société. En mettant en avant la figure de T akayama Ukon, F r6is démontre l'attachement des élites chrétiennes à leur religion et valide l'action des jésuites. Or, la situation est plus nuancée dans les faits et le cas d'Ukon est une exception, car plusieurs daimyo chrétiens apostasient à la suite de l'édit de 1 587. Le récit de Fr6is exalte l'action de la Compagnie de Jésus au Japon et noircit la figure de Hideyoshi, simplifiant les événements pour le public européen. Mais il ne saurait masquer complètement le manque de sens politique des responsables de la mission et leur absence de perception des enjeux locaux au Japon. Le but du chroniqueur jésuite est de préserver l'image de la mission et des jésuites, quitte à passer sous silence certains événements: la Compagnie apparaît comme une simple victime des persécutions.
Les chroniques jésuites interrogent les pratiques pastorales des missionnaires tout en se proposant d'édifier les lecteurs européens, friands des nouvelles en provenance des terres lointaines. Elles répondent à certains impératifs du genre en cherchant à distraire le lecteur par des descriptions exotiques, mais elles ne peuvent être réduites à cet aspect. La dimension religieuse est toujours présente et les objectifs poursuivis par les auteurs dépassent le cadre d'un simple récit de voyage. Les missionnaires se plaisent à décrire le Japon comme un pays fascinant, mais difficile à déchiffrer, et leurs récits participent à la circulation des savoirs sur les terres nouvellement découvertes. Mais ceux-ci ont également d'autres vocations : premièrement, ils permettent de justifier des orientations
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et innovations pastorales, décidées par la Compagnie de Jésus en direction d'un peuple original, comme la question du financement de la mission ou celle de la distribution de présents aux nobles. Les descriptions de l'archipel et de ses mœurs visent aussi à j ustifler la mise en place de la politique d'accommodation, particulièrement sous la plume de Valignano, et elles font donc partie intégrante des stratégies pastorales des jésuites. Pour autant, ces derniers ne tombent pas dans une admiration béate du Japon, mais savent se montrer critiques à l'égard de ses traditions. Deuxièmement, ces récits sont l'occasion, pour les missionnaires, d'opérer un retour sur eux-mêmes et d'interroger leur pratique pastorale à l'aune des peuples évangélisés. La description des peuples évangélisés permet plus généralement de réfléchir sur l'échelle des civilisations et d'amorcer une relativisation du caractère absolu de la culture européenne. La dimension publique des ouvrages pousse également les rédacteurs à présenter la mission sous un jour favorable et à défendre les choix pastoraux adoptés. Le Japon apparaît comme une terre propice au développement du christianisme, tandis que les convertis sont dépeints sous les traits de chrétiens exemplaires, fermes dans leur foi et donnés en modèle aux lecteurs européens. L'éclat de la mission au pays du Soleil levant rejaillit sur les évangélisateurs, principaux artisans de son succès, d'autant que la mission peut s'enorgueillir d'avoir été fondée par un saint. Celle-ci semble véritablement être faite pour l'élite des missionnaires et cette image est propagée et nourrie par les missionnaires euxmêmes dans leurs chroniques. Aussi, les difficultés rencontrées par les religieux sont passées sous silence ou sont masquées sous des stratégies narratives : les missionnaires exaltent quelques fortes personnalités, laissant dans l'ombre les chrétiens plus ordinaires. Ils transforment les échecs en des réussites et particulièrement les persécutions, vues comme une épreuve divine, mais aussi comme un moyen de réaliser l'idéal de la mission. La chrétienté japonaise apparaît unie autour des missionnaires, alors que la réalité est plus contrastée.
CONCLUSION
La seule chose que je sais, c'est que notre religion ne prend pas racine ici. [ ... ] Le christianisme auquel les Japonais ont adhéré est pareil au squelette d'un papillon dans une toile d'araignée, une forme extérieure, sans chair ni sang 1.
Devenir japonais : telle est l'ambition initiale des jésuites dans l'archipel. Catalyseur de l'adoption de la politique d'accommodation, la mise en œuvre de cette aspirations' avère très vite d'une grande complexité. Sa concrétisation, très hétérogène, suscite ainsi des doutes et parfois même des conflits au sein de la Compagnie de Jésus. Au terme de cet ouvrage, c'est une image nuancée et contrastée qui ressort de la mission du Japon, bien éloignée de celle d'une mission d'élite, répandant aisément le christianisme dans une société qui l'accueille à bras ouverts. Or, c'est précisément cette perception du Japon comme un terrain hautement réceptif au christianisme qui encourage les jésuites à développer leur politique d'accommodation qui, bien qu'elle ne soit pas inédite dans le contexte asiatique, se décline d'une façon singulière au pays du Soleil levant. Si, après une brève période d'observation de la société japonaise, les jésuites cherchent à« devenir japonais », c'est paradoxalement sur le constat qu'il ne semble pas y avoir d'autre moyen de faire accepter le christianisme. Mais cette transformation se fait dans un cadre que les missionnaires sont soucieux de contrôler et de limiter, aussi bien dans sa portée que dans le temps. Aussi indiscutable que soit l'intérêt que les missionnaires portent au Japon et à la culture locale, il demeure que l'objectif ultime des jésuites est d'amener les Japonais à adopter les coutumes de l'Église en vigueur en Europe. Enfin, l'accommodation n'est jamais qu'un moyen au service d'une fln: elle est simplement un instrument pour étendre la foi, conformément à la vocation universaliste du christianisme. C'est en partie la conjonction entre ce moyen adapté à un terrain particulier - devenir japonais - et cette fin universaliste - étendre la foi - qui contraint les jésuites à construire une mission qui articule constamment le local et le global. Shüsaku Endéi, Silence, Paris, Denoi!l, 1992 [1966), p. 225 et 233. Endéi met ces paroles dans la bouche du jésuite Cristovào Ferreira, vice-provincial de la mission du Japon ayant abjuré en 1633 à la suite de tortures. Voir Jacques Proust, La Supercherie dévoilée. Une réfutation du catholicisme au Japon au xv1f siècle, Paris, Chandeigne, 1998.
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La mission du Japon s'insère dans la mondialisation ibérique, ce qui a des conséquences importantes dans la conduite de la mission et sur son organisation territoriale. Ce cadre mondial permet notamment une circulation accrue des hommes, des objets et des savoirs, dont la mission jésuite tire de multiples bénéfices : elle peut par exemple influencer les seigneurs japonais en faisant miroiter des ouvertures commerciales, mais aussi diffuser avec succès une image extrêmement positive de la mission en Europe. Mais ce cadre présente également des contraintes fortes. En effet, le problème de la distance entre le Japon, Rome et Goa affecte la prise de décision en matière de stratégie d'évangélisation. La mondialisation n'efface pas les phénomènes de décalage dans l'espace et le temps, qui mettent par ailleurs en évidence les tergiversations et les reformulations du projet missionnaire autour del' accommodation, entre Asie et Europe. Rome parait omniprésente dans les pensées des missionnaires du Japon, mais elle n'en demeure pas moins très lointaine, ce qui conduit les jésuites à faire preuve de pragmatisme dans l'application des orientations données par Rome. C'est d'autant plus vrai que lorsqu'elles parviennent enfin au Japon, parfois trois voire quatre ans plus tard, elles trouvent un contexte missionnaire bouleversé qui les rend caduques. Le terrain et les acteurs locaux jouent en effet un rôle primordial dans le développement de la mission du Japon, et ils structurent les orientations stratégiques que la mission met en œuvre pour accroitre les conversions, sa raison d'être. Le projet de devenir japonais part de l'observation du terrain local et de l'analyse qu'en font les jésuites: le christianisme ne pourra se développer au Japon à la condition que, d'une part, les missionnaires se fondent dans les structures politiques, sociales et culturelles du pays et, d'autre part, à celle que les Japonais s'approprient la nouvelle religion en en gommant le caractère étranger. On est loin de la vision qui présente les missions d' outremer comme des périphéries subordonnées, soumises à Rome et où les autochtones, passifs, se contentant d'accepter avec enthousiasme le catholicisme. Les soubresauts politiques au pays du Soleil levant jouent un rôle déterminant dans la conduite de la mission : devenir japonais, c'est d'abord comprendre les logiques politiques à l'œuvre et s'adapter à l'instabilité qui règne alors dans le pays pour permettre à la mission de progresser dans un espace complexe et instable. L'analyse des implantations jésuites démontre que la Compagnie de Jésus s'adapte avant tout au coup par coup à des circonstances qui lui échappent plus qu'elle ne met en place une stratégie planifiée au long terme d'extension du christianisme. Les limites du volontarisme jésuite et la vulnérabilité de la mission face aux pouvoirs locaux sont manifestes. Les missionnaires sont donc très dépendants des Japonais au quotidien pour assurer la survie de l'entreprise d'évangélisation du Japon, que ce soit
dans le domaine financier ou pour répandre la foi. Le rôle des laïcs ou des Japonais intégrés dans la Compagnie se révèle en particulier déterminant. Ceci explique la volonté des missionnaires européens de fondre la Compagnie de Jésus dans les structures sociales, religieuses et culturelles locales pour permettre au christianisme de se développer. Une partie des jésuites est convaincue de la nécessiter de japoniser la Compagnie et le catholicisme pour que les autochtones puissent s'approprier ce dernier: cette japonisation est d'abord envisagée comme une participation active de la population locale à l' œuvre d'évangélisation, mais sous un contrôle strict des missionnaires. Elle se révèle d'autant plus nécessaire que les jésuites européens sont en nombre bien trop faible pour assurer à eux seuls le développement de la mission. Le relatif succès que rencontre le christianisme au Japon tient donc en partie à la capacité des jésuites à articuler ces deux échelles, le global et le local, à incorporer le local dans le global: d'une part, les missionnaires parviennent à intégrer les communautés chrétiennes japonaises dans le mouvement de la mondialisation ibérique, notamment grâce aux échanges avec les Portugais ; d'autre part, ils font del' accommodation un instrument d'évangélisation local, un moyen pour faire participer les convertis japonais à une chrétienté qui est en train d'être redéfinie au concile de Trente. Il ne s'agit donc pas à proprement parler de créer un christianisme japonais mais plutôt une chrétienté locale, ayant pour modèle celle de l'Europe et soumise à son autorité, tout en comportant quelques particularités dues aux nécessités du terrain. Il reste alors à définir précisément les contours del' accommodation, et donc à déterminer les éléments du christianisme, religion universaliste, qui peuvent faire l'objet d'une adaptation à la société locale et, réciproquement, à déterminer ce qui dans la culture japonaise est compatible avec le christianisme. Or, il n'y a pas de consensus sur ce point entre les missionnaires et les autorités romaines, ni même entre les jésuites présents au Japon. La figure d'Alessandro Valignano éclipse celle de ses compagnons et successeurs, renvoyant l'image uniforme d'une mission jésuite qui aurait adopté sans discussion le projet de l'accommodation, mais c'est faire fi des tensions au sein de l'ordre, et plus encore de l'évolution du point de vue de Valignano lui-même, qui se montre beaucoup plus nuancé sur l'opportunité d'une telle stratégie lors de sa deuxième visite au Japon, dans les années 1590. En réalité, la mission est traversée par des contradictions internes et la Compagnie de Jésus au Japon présente de multiples visages: les modalités de la mise en œuvre de l'accommodation font constamment débat, et l'opportunité même de son adoption ne fait pas l'unanimité. Ainsi, pour une partie des jésuites, le projet de :::s 0
CAP0 3 : DOS MOÇOS E GENTE DO SERVICIO 1°
Posto que assi os Padres como os lrmâos quando forem cultivar a
christandade e fazer seus ministerios, devem ser providos de gente de serviço e ministros necessarios, porem hâo se de haver nisto corn toda a moderaçâo, nâo pretendendo fausto nem acompanhamento mas somente tenhâo olho a remediar suas necessidades, advertindo que levarem os Padres muita gente tira que os Chriscios que desejâo agasalhalos em suas casas, o nao façâo porse nâo atreverem corn tanta gente. E nos lugares onde os Padres se hâo de agazalhar em caza de alguns Christâos, por nâo terem neles casa ou igreja, acontece muitas vezes desviarem aos Padres que nâo visitar a tal christandade, porque hua parte nâo se atrevem a sustentar tanta gente a sua custa e por outra se deshonrâo de os Padres fazerem o gasto estando em suas casas, e por isto tomâo por partido desviar aos Padres para que nâo vao là, corn o que se estorva a visita e a cultivaçâo dos Chriscios. Pelo que
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os Reitores, dando nisto exemplo aos demais, tenhâo cuidado que os Padres que correm [fol. 149] a Christandade de levem consigo a menos gente que poderem, o que tanto se entende dos Padres que escio nas Casas Reitoraes como dos Padres das Residencias. E geralmente falando, quando hum Padre que corre as inacas [inaka] levar hum lrmao e hum dogico que sâo pessoas que senâo escusâo, nâo deve levar mais que dous outres moços quando muito, ainda que leve cavalo. Quanto ao numero dos moços que hâo de ter as Casas, por quanto a differença e qualidade delas nâo compadece, terem todas hum mesmo numero, a taixa deles 2°
flcara reservada ao Padre Provincial. E quanta as Residencias pequenas em que reside hum Padre e hum Irmao comummente nâo deve passar de dnco moços. 3° Nâo se terâo nas Residencias moços pequenos de 18 anos para baixo, mas estes poderâo estar nas Casas grandes para servirem no comunidade e nâo para
servirem a Padre ou lrmâo algum. Eos Reitores dem ordem que estes comonos pequenos dormâo apartados dos grandes corn candea aceza, e quanto poder ser corn vigia de algua pessoa que tenha cuidado deles. 4° Os Padres que estâo nas Casas, como subditos, nâo terâo mais que hum
moço e se por terem inacas que carrer tiverem necessidad de mais, nâo lhes concederâo sem licença do Provincial, pois a casa lhes pode acudir.
5° Nenhum lrmâo tera moço sem licença do Provincial. 6° Assim os moços dos Padres como os dos Irmâos servirâo nas Casas como os demais moços delas, quando o Padre ou Irmâo a quem servem, nâo tiverem necessidade deles conforme a qualidade decada hum, a juizo do Superior. 7° Quando o Padre for a pé por algua povaçâo corn o seu dogico, basta de
ordinario hum comono s6 para tomar os foquimonos [kimono] de ambos. 8° Os Reitores pratiquem muitas aos Padres e lrmâos que quando vâo a cavalo nâo he necessario que sempre levem dous moços, a saber o chuguem
e outro para os çapatos, mas isto se ha de medir conforme ao logar para onde houverem de ire outras circunstancias que nisto concorre. 9° Quando hum Padre se mudar podera levar consigo athe clous moços dos que o servem, e quizerem ir corn el. Mas os Reitores lhes poderao conceder que levem ainda mais, quando assim parecer conveniente. I0° Se algum comono que seja de nossas casas ou de algua delas [fol. 149 v] quizer ir servir a outra, he hem que nfo seja recebido sem primeiro se saber do Padre a quem servio ou corn quem esteve se ha nisto algum inconveniente, isto se entende quando comodamente poder ser, v.g. nfo estando longe a casa onde esteve e caso que nfo haja inconveniente de momento, nfo lhe estorvao ser recebido, pois nfo he razao tirar sem causa grave o remedio da vida a hum homem livre que nada deve. N em convem estorvar aos outros Padres ser viremse de quem quer estar corn eles, principalemnte armando mais para as Casas os que ja servirao nelas que gente nova de que se nfo tem experiencia. Por causa de momento se entende se o comono devendo annos de serviço, os nao quiz comprir se foi fugido sem licença ; se fez algum agravo notavel ao Padre ou Irmfo corn quem esteve ou algua cousa muito escandaloso em casa ou fora pela quai nao fosse conveniente estar em algua casa da Companhia ou cousas semelhantes. Porem senfo houve da parte do moço mais que nao querer estar na quela casa, por nao gostar do Padre, lrmao ou do lugar, ou por natural inconstancia, ou foi somente despedido por tal culpa que a despedida basta por castigo, em taes casos nao he razao estorvar ao moço que nfo serva em outra casa da Companhia. r 1° Nao se servfo de ordinario em nossas casas de moços casados. Ese os que forem verdadeiros captivos quizerem casar e nfo houver razfo para lho negar, tratem corn seus Reitores do que se ha de fazer deles. Ese forem livres, se despidao, salvo se por algua particular razao os Superiores dispensassem corn alguns por serem muito proveitosos, como sao padeiros, alfayates, bons cozinheiros dos comeres de Namba, etc. 12 ° Aos moços que se comprarem se o cativeiro nao for justo, e certo, os Reitores corn sua Consulta darao algum tempo determinado de serviço que parecer justo, o quai acabado flcarao livres, escrevendose o nome do moço em hum livro que para isto estara determinado corn o dia em que se cornprou, e o tempo que se lhe da de serviço, para que conste sempre, e vindo outros Reitores de novo guardarao o que acharem escrito no livro. A mesmo ordem guardarfo os Padres das Residencias, flcando a determinaçâo do tempo de serviço, ao juizo do Reytor. 13° Tenhfo os Padres bom cuidado que os moços de serviço saibao as Oraçôes, rezem e se confessem, e vivfo como bons Christfos e que sejao hem ensinados para corn a gente de fora. E nas casas grandes haja hum Irmfo ou dogico que tenha cuidado do sobredito e cada mez [fol. r 50] se lhes faça hua pratica acomodada a eles.
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CAP" 4 : DOS PRESENTES 1°
Tenhase muito grande resguardo e limitaçao em dar presentes, os quaes
posto que em Japao se nao escusao devem se todavia estreitar quanto poder ser, como encomendao as Consultas e Vice-Provincial encarecidamente. Por isto, os Irmaos nao darao presentes sem licença, a qual se lhe podera conceder para darem cousas muito miudas e de pouca valia. Os Padres que estao nas Residencias tao pouco darao presentes senao de cousas miudas, contenudas no paragrapho 3° ao Cap 0 7° da Pobreza. E os Reitores irfo pela mesma via, porem poderao dar aos seus Tonos algua cousa de mais valia que nao passe de clous taeis, salvo se por algum caso accidental, quando compadeça esperar por reposta do Provincial fosse constrangido a ter comprimento corn algum Senhor gentio, e dar lhe algua peça de mais valia a qual nao passe todavia de
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quatro taeis. 2 ° Po rem os Padres que vao a missôes a terras de Senhores gentios ou morao nelas, como nao podem deixar de dar mayores presentes do que dao os que morio entre Christaos, nem se poda far nisto regra certa pela differança dos lugares, guardarao nesta parte a ordem quo Padre Provincial lhes der, procurando sempre de estreitar os presentes quanto poder ser. 3° Os Padres que tem cuidado de algua casa ou Residencia, quando se mudarem para outra, nao se metao a dar presentes por despedida por ser contra o costume de Japfo, conforme o qual os do lugar sfo obrigados a dar presentes aos que se partem que chamao fanamuqe [hanamuke], e o que vem de novo ao lugar da presentes as pessoas dele corn quem se deve ter comprimento. Ese os Padres poserem costume contrario, id est, de dar presentes por despedida, sera carga intoleravel por causa das muitas mudanças que se fazem e multiplicarse hao demasiasamente os presentes, pois o novo giugi [?] nao podera deixar de dar aos seus as pessoas principaes. E seguirse ha tambem que o Padre que se troca doendose pouca da casa haver de ficar desprovida sera sobejamente liberal em dar semelhantes presentes, corn damno do Padre que lhe sucede. Corn isto senao tira levarem algua couzinha leve ao Tono por nao aparecer diandele sem nada em agradecimento do favor que athe entao lhe tem feito. Acontece as vezes nas casas, onde estfo clous ou mais Padres, darem [fol. r 50 v0 ] os subditos mayores presentes do qua dao mesmo giugi, fazeremfenrei [henrei] a quel o giugi o nao faz e darem presenres as pessoas a quem nunca giugi os deu. E porque isto traz consigo muitos inconvenientes, que por si mesmo se deixfo entender, se ordena que os Padres subditos tenhao nisto o devido resguardo, comunicando corn o giugi quando querem dar presentes a pessoas pode haver os sobreditos inconvenientes e seguirao nisto o seu parecer.
CAP0 5: DA CONSERVAÇÂO DA UNIÂO EDE COMO SE HÂO DE PROMOVER A PERFEIÇÂO OS IRMÂOS
Terâo os Reitores muito cuidado da uniâo entre os Europeos e os Japôes como cousa importantissima, nâo somente para obem da religiâo, mas tambem para a Companhia fazer em J apâo o fructo nas almas que pretende. Porque como os Irmâos Japôes sejâo os cathequistas e preguem de ordinario aos Christâos e deles nos ajudemos para granjearmos o proximo, hem se ve claramente que senâo estiverem muito unidos corn nossos, nâo poderemos alcançar o que deles se pretende. Por tanto procurem corn muito particular cuidado de os ajudar em espirito, porque este he o meyo mais efficaz para a uniâo, e procurem de fallar muitas vezes corn eles, mostrando lhes paternal amor para que corn confiança descubrâo suas consciencias e recebao hem os conselhos que lhes derem. 2 ° Para a conservaçao desta paz e uniâo da parte dos Europeos, ajudarâ aprender hem a lingea e costumes de Japâo e acomodarem se a eles, tratar corn os nossos irmâos Japâoes corn o mesmo amor corn que tratâo corn os Europeos nossos e mostrarem se tambem muito afaveis e amorosos corn todos os demais Japoens, assi corn os que estao em nossas casas como corn os de fora, e compadeçao se deles como de plantas tenras e como mays amorosas procurem de os ajudar e aproveitar corn doutrina e exemplo de vida. 3° Da parte dos Japôes, ajudarâ procurar que tratem corn seus Superiores corn muita cheneza e confiança, nâo somente de suas necessidades corporaes, mas tambem das interiores, descobrindolhes suas consciencias, e fazer que tratem corn os demais Padres e Irmaos corn muita familiaridade. Procurem tambem que se acomodem corn facilidade e affeiçâo a todos os costumes christaos e ecclesiasticos e as nossas regras e Instituto, ainda nas cousas que se encontrâo corn os costumes de Japao. E quando virem que os Europeos nao sabem [fol. I 5 I] la lingoa e costumes de Japâo, os instruao e avisem corn modestia. E finalmente lhes tenhao muito amor e tenhao em muita estima como a Payse Mestres que vierâo de partes tao remotas para os ajudar a salvar. 4° Procurem de ir criandos os dogicos desde meninos nas Casas e Seminarios corn espirito mais livre e nâo acanhado como as vezes mostrâo ter para corn os nossos, ensinando os a dar conta e comunicar as cousas de suas aimas corn os Padres a deles tem cuidado, e guardarse ha paragrafo I 0 do capitulo 8° das Obediencias para os Reitores. 5° Quanto ao receber e criar Irmaos no Noviciado, se guarde exactamente a ordem da provaçiio e o mais que esta ordenado. 6° Nao somente os que estâo nos Collegios, mas tambem aos que estâo espalhados pelas Residencias e Casas, se prohiba e faça executar as cousas seguintes. A Ia que nenhum dos nossos jogue jogo do go nem do xogui [shôgi], I
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nem nemhum outro jogo nem dentro em casa, nem fora corn nenhum forasteiro. A 2• se guarde a regra de nâo escrever cartas sem licença, especialmente a molheres, nem as recebâo para as ver sem primeiro as mostrarem ao Superior, guardando nisto o que a baixo se dira no paragrafo derradeiro. A 3•que nem dentro em casa nem fora, haja entre os nossos uso de furo, salvo se se rem alguâ doença e corn licença, pois para a limpeza e saude basta haver em casa lavatorio onde se possâo lavar. A 4", que se nâo de licença aos nossos lrmâos Jap6es para irem corner fora da casa, salvo se forem corn algum Padre e forem convidados de algum grande Senhor, e ainda entâo procurem que levem companheiro podendo ser principalmente sendo de noyte. A 5", que quando por terem disto necessidade, houverem de ir aos yus [yu] nâo se mandem os nem sem licença do Padre Provincial, o qual dar:i ordem como duas vezes no anno, a seus proprios tempos, se ajuntem os que houverem de ir para que todos juntos os tomem, e darâ cuidado a algum que seja ali Superior para que os tomem corn proveito sejâo bem providos e nâo se desmandem. 7° Que corn efficacia se execute mandar corn os Irmâos algum dojico grande quando forem fora par companheiro e quanto ser possivel escusem de os mandar de noite fora corn recados. 8° 0 ultimo remedio e meyo que pois nestas Casas e Residencias ha tantas occasioens de distraç6es corn tâo pouco recolhimento, procurem os Superiores que os lrmâos que escio nos ditos (fol. I 51 v0 ] lugares se recolhao as vezes nos Collegios ou no Noviciado se o houver, detendose nele pelo menos por hum mez para tomar algum alento, rompendo pelas difficuldades que contra isto se offerecerem. 9° Quando os Padres das Residencias forem fora do lugar, havendo de fazer detença mais de oito dias, nâo deixem o Irmâo em casa para vigia dela e para ajuda dos Christâos, mas levem no consigo deixando a casa entregue a algum rapado de confiança para que o lrmâo nâo careça por tantos dias de missa, conflssâo e comunhao. 10° Quanto ao que se tem dito no paragrafo 6° que se execute a Regra de os Irmâos, nâo escreverem nem receberem cartas sem licença do Superior. No que toca as cartas, nâo tem necessidade de declaraçâo, pois a Regra est:i clara, somente pode haver duvida dos recados e fineris [hineri] tâo costumados e correntes em Japâo. Acerca do qual, depois de se ter tratado e consultado por vezes, se assentou o seguinte: 1° que claro esta que hume outro esta deseso pela regra, pois nosso Padre Claudio assim o tem declarado, scilicet, que por cartas se entende tambem chitos e recados, e por tante devem os Irmâos serem avisados disto. E quanto ao que toca aos fineris nos Collegios e Casas onde houver portaria, se levarâo sempre ao Superior, o qual se nâo souber Ier a letra de Japâo, nâo os mandarâ ler aos dogicos, senâo ao mesmo Irmâo ou a outro,
e se outro Irmao os 1er e nâo se achar inconveniente, os mandarâ ou darâ a quem vao, o qual sem pedir outra licença, podera responder, salvo se o fineri contivesse negocio que pedisse recurso ao Superior. E quanto se diz que o porteiro leve o flneri ao Superior, se entende ainda que seteja no conflssionario. 2° Os Irmâo que fazem o cugay, como sao todos os que estâo nas Residencias, terâo licença geral do Padre para receber todos os fineris q uando os que os trazem los derem imediatamente, e quando o Padre estiver repousando ou ausente, poderâo responder a des corn tanto que cada mez renovem esta licença para que se tenha mao na regra. Quanto aos fineris dos molheres, quando o Padre estiver em caza, os Irmaos nao os receberao senâo da mâo do Padre, o qual os nao dara aos Irmaos sem primeiro os fazer 1er diante de si e se forem entregues immediatamente a eles, os levarâo ao Padre e diante dele os lerâo. Os Padres nao consintao que os Irmaos respondao, senao em casos muito urgentes e procurem se saiba ser isto costume e Regra da Companhia ; pelo que nao se estranharao nao haver reposta, antes se ediflcarao de tal regra e costume, poderao porem os Irmaos, quando o Padre estiver ausente, ler os fineris e responder a des se requererem [fol. 1 52] reposta, dando conta depois ao Padre quando tornar. Quando os Irmâos trazem algum negocio particular mais, pode lhes o Padre dar licença geral para receber todos os flneris que acerca da quele negocio lhe vierem e responder a eles sem outro recurso. A mesma licença se pode conceder aos Irmao no tempo da Somana Santa, Natal, Xonguachi [Shôgatsu] e outros tempos semelhantes em que concorrem muitos Christaos de diversas partes ; e isto que esta dito dos fineris se guardara tambem em sua proporçâo acerca de mandar e receber recado.
CAPo 6 : DA SUSTENÇÂO DAS CASAS E RESIDENCIAS
Tera cada casa seu ordenado certo taxado pelo Padre Provincial corn o qual se remediarao comprando corn ele tudo o que lhe for necessario. Nao esperando do Procurador que lhe de cousa alguâ de graça mais que o vinho para as Missas e hum pouco de azeite de Portugal quando o houver, e o Procurador dara a conta do ordenado o que os Padres houverem mister de cousas da China como cangas, assucar, linhas, adubos, etc. pdo preço que lhe custarao corn os fretes e direitos sem lhe acrecentar mais, corn tanto que nao tomem senao o que lhe for necessario para o provimento das Casas, eo mesmos farâ de alguas cousas de Japao que os Padres nâo podem por si faulmente negociar como sao mezas, goquis, papel e tudo o mais que se compra no cami [?], das quaes cousas o Procurador terâ sempre em quantidade para acudir as Casas. 2° 0 tempo de tomar o ordenado sera no principio de Septembro no qual se da ordenado athe o Setembro seguinte, no qual tempo mandarao buscar o 1°
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ordenado e o provimento que a conta dele houverem de tomar, e bom he que o tomem todo junto para escusar muitas idas e vindas, posto que o dinheiro sempre flcara algum na mao do Procurador para diversas necessidades que entre anno se offerecem. 3° 0 modo que se terâ em dar o ordenado serâ o seguinte. Taixara o Padre Provincial a cada Casa o numero da gente que ha de ter cada hua conforme a qualidade dela, a qual taixa guardarao os Padres nao recebendo pessoa nenhua demais sem licença do Padre Provincial, ainda que tenha alem do ordenado esmolas sufficientes para a sustentar, mas as esmolas e ajudas dos Christaos serao para poupar o do monte mayor. E conforme o numero das pessoas que viver lhe [fol. I 52 v darâ 0 Procurador 0 ordenado tanto por cada pessoa conforme a ordem do Padre Provincial, a qual taxa se alterarâ assim como se alterarem os preços das cousas, porem terâ o Padre Provincial respeito as ajudas esmolas, nimbus para o serviço, e outras achegas que as Casas tiverem e conforme a isto lhe diminuirâ do ordenado e os chinguios [?] que as casas tiverem se lhe descontarao conforme a avalidaçao feita pelo Procurador. 4° Deste ordenado nao gastarao em cousas extraordinarias como obras, ornamentos etc., de modo que depois faite para a Casa, porem se no cabo do anno lhe sobejar prata, poderao fazer semelhantes gastos corn licença do Padre Provincial. Tao pouco deste ordenado nao darao esmolas, pois estas farao 0
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do dinheiro das Missas como se diz no capitulo das Oblaçoens e do que os Christaos derem para se repartir entre os pobres. 5° Nas duas renovaçôes dos votos, darao conta cada anno aos seus Reitores do que tiverem gastado nos seis meses precedentes para que o Reitor que esta ao pé da obra veja se he sobejo no gasto, ou se pelo contrario, he sobejamente escaço corn damno e queixume da gente de Casa. E no principio de Setembro, quando mandarem buscar o provimento e ordenado, mandarao ao Padre Provincial as contas de todo o anno, a saber do que tem recebido do Procurador e dos Christaos do que tem gastado, e do que actualmente tem de dinheiro, arroz e provimentos grossos. E o mesmo farao do que tiverem recebido para esmolas e do gasto dele, da maneira que a dao ao Reitor. E aos que nao mandarem o dito Rol o Padre Provincial nao lhes mandarâ dar nem provimento nem ordenado, e tambem mandarao o Rol da gente que tem em Casa, assi da Companhia como dos Rapados, dogicos, e comonos. 6° Quando algum nosso ou dogico se mudar de hua casa para a outra, o Superior da Casa donde sahir farâ conta do que o tal tiver gastado no corner e vestir, conforme os mezes que nela esteve, eo remanecente mandarâ ao Superior da Casa para onde houver de ira pessoa que se muda ; lançando conta do que cada mez se dâ para cada pessoa, conforme a ordem que o Procurador disto tiver. Ese o que se mudar for pessoa da Companhia, avisarâ ao Superior da Casa
para onde houver de ir do vestido que pouco mais ou menos souber que leva sem lhe ver o fato, e se for dogico veci miudamente o fato que tem, e mandaci o Roi dele ao Superior da Casa para onde houver de ir, para que o dogico nâo encubra o que tem ou o esperdice a fim de pedir outro novo. 7° Os Irmâos terâo sua sobrepeliz propria metida em seu [fol. 153) fucuro [fukuro], eamesma terâo os dogicos pregadores e alguns aquem, por particular privilegio, o Provincial a conceder, e os que a tiverem a levarâo consigo quando se mudarem de hua casa para a outra como tambem a levarâo os Irmâos. 8° Por quanta o ordenado que se der sera sufficiente para as Casas, procurem que todos tenhâo o necessario, assi do corner como do vestido e mais cùusas que se nâo escusâo, de modo que os de casa se nâo possâo queixar corn razâo e nâo os façâo padecer, assim de pouparem para gastos extraordinarios, e em particular tenhase muita conta corn a devida charidade para corn os doentes. Sendo necessario fazerem obras ou outros gastos extraordinarios, o tratarâo corn o Provincial, porem para o Xuri [shiiri] ordinario das Casas nâo he necessario outra licença e farâo do ordenado que se lhes da.
CAP0 7: DA POBREZA
Este capitulo se divide em tres partes : na 1• se tratarâ do que os Padres e Irmâos podem ter, e levar quando se mudâo de hua parte para a outra : na 2• do que podem receber e pedir e do modo que se nisto ha de ter : na 3• do que podem dar e gastar e da ordem que nisto se ha de guardar. 1° Quanto ao que os Padres podem ter e levar quando se mudâo de hua parte para outra, poderâo levar tudo o que pertence a sua cama e vestidos, hum bento [bentô], hum chabento [cha bentô], hum cadieiro corn seu iremono. 2° Poderâo levar hum ornamento inteiro de que usâo conforme ao Roi do Procurador. Assim mesmo poderâo levar os livros de que usâo corn licencia do Provincial, juntamente corn seus cartapacios, mas nâo levarâo nenhum livro que seja proprio da Residencia ou Casa. 3° Poderâo levar aquelas cousas miudas que podem dar presentes como tintas, agulhas, abanos, abanos, cingidoiros de Japâo, retros para cordoes, cheiro para o altar, mezinhas que se costumâo em Japâo para dar aos pobres, contas, veronicas e outras cousas devotas que se dâo aos Christâos ; algum pape! assi para seu proprio uso como para algum presente em quantidade moderada. 0 mesmo, e nâo mais, poderâo levar consigo os Reitores quando deixâo seu officio ou se mudâo de alguâ parte para outra. 0 relogio que da ho rase despertador na Casa, salvo se fosser algum de tal feitio que so quem o tem sabe temperar e posto na mâo de outro se damnariâ, pelo que este tambem [fol. 153 v o poderâo levar consigo, dando depois conta ao Padre Provincial se ja o nâo tiverem feito. 0
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4° Quando hum partir de hua Casa para nâo tornar a ela, e os Christâos lhe
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derem por despedida prata, vinho e outres presentes, tudo podera levar corn tanto que se forem causas que lhe sirvao para matalotagem ou gasto do carninho, o gastem nele sem tomarem outra matalotagem ou prata da Casa donde saem, nem do Procurador da Provincia, pois para este effeito lhe dao os Christa.os e amigos gentios. 0 mesmo se ha de guardar corn os que passao por nossas casas deixandolhes levar tudo o que os Christaos e amigos gentios lhes derem, corn tanto que como esta dito nâo tomem da Casa por onde passao matalotagem nem viatico. Mas façao o gasto do que lhe for dado se forem cousas que para isto sirvao. 0 mesmo farâo os Padres e lrmâos que forem a missao ou a visitar algum senhor ; porque tudo o que lhes derem que poder servir para o gasto da tal viagem o hao de gastar nela, dando a seus Superiores depois de tornados do que tem recebido, do que tem gastado e do que lhe sobeja, e o Superior lhes deixara ou tomara o que lhe sobejar como lhe parecer mais conveniente. 5° Nao terao os nossos nos cubiculos norens [noren] nem biobus [byôbu] que sirvao somente de ornato, pois he contra a pobreza e modestia religiosa, poderao todavia ter ninaibiobus [ninai byôbu] ordinarios e chaos para cubrir a casa e cousa semelhante e tambem norens de canga para os mesmo effeito. Nao se consintao aos N ossos nem aos dogicos norens de papel pelo perigo de fogo. 6° Quanto as esmolas que os Padres que se mudao tinhao juntas, agora seja dinheiro, canga, arroz e outras cousas para fazer algua igreja ou concertada ou para esmolas e obras pias, se as ditas cousas forem dadas ou adquiridas pelos Christâos daquela Residencia, claro esta que todas se hâo de deixar ao que lhe suceder sem levar nada. 0 mesmo se fara do dinheiro dado pelo Padre Provincial ou Reitor para o dito effeito. Mas se for dinheiro dado por algum Europeo ou outros estrangeiros para o mesmo intento, consultado ha corn o Padre Provincial, ou repartilo ha levando a metade consigo e deixando a outro a quem lhe suceder. 7° Os que vem da China darâo Rol do que trazem ao Padre Provincial, e athe eles serem mandados ao lugar onde houverem de estar de assento depois de estudarem a lingua, nemhum Superior lhes tomara cousa algua, mas levarâo tudo consigo se o Provincial outra cousa nâo ordenar. Mas tanto que forem mandados ou determinados para [fol. r 54] algua Casa, tudo flcara aplicado a ela, tirando as cousas a cima diras que os Padres podem ter e levar consigo. 8° Os lrmaos, quando se mudarem, levarao consigo a cama, vestidos e os livres de que usao e o seu candieiro, e se forem dos que tratâo corn os Christa.ose tiverem para isto licença geral ou particular, poderâo levar as cousinhas miudas que costumâo dar aos Christa.ose tudo o mais assi os Reitores como os Padres das Residencias deixarâo ao sucessor como cousas proprias daquela Casa. E os mais Padres e lrrnâos tudo deixarao, tirado o que esci dito que podem levar consigo.
9° Quanto ao que toca a tomar e pedir os Reitores e Padres que tem cuidado de Casas, poderao tomar tudo o que lhes derem, ora seja de presentes, ora de esmolas, porem lembremse que tudo o que lhes for dado flca sendo da Casa e que nao o podem gastar a sua vontade, senao que o devem gastar assim como gastao o mais dinheiro que a Companhia lhes dâ, e isto se entende ainda que o que lhe der esmola dija que o gaste non que lhe bem parecer, por que assim o tem declarado Nosso Padre Geral Claudio, e por isto se deve por em receita corn a demais prata que o Procurador lhe der: exceptuase o que os Christaos dao para missas, como se dira no Capitulo das oblaçoens, e o que os Christaos dao para repartir corn os pobres. 10° Os Padres que morao na mesma Casa corn seu Superior poderao receber tudo o que lhes derem para Missas, para pobres, para fazer Igrejas e cousas semelhantes, corn tanto que senao quantiaque passe devinte mazes darao logo ou quando boamente poderem conta ao Superior. lsto se entende tanto de dinheiro arroz, cangas, vestidos, catanas [katana], e outras cousas semelhantes, o qual Superior ou lhas deixarâ, ou nao conforme as que julgar ser mais conveniente, respeitando ao cacari [kakari] que o dito Padre tem e as necessidades dele, assi de pobres, como de lgrejas que se hajao de concertar, ou fazer de novo, e tambem as esmolas que o tal Padre actualmente tiver. E quanto as esmolas que nao sao determinadas para pobres, lgrejas etc. mas ficao aplicadas a Companhia, eos mais presentes que se dao aos Padres trate cada hum corn seu Superior de como se ha de haver nesta parte, porque o Superior darâ licenças geraes mais ou men os amplas, conforme ao que julgar ser mais conveniente, tendo respeito a qualidade da pessoa. E geralmente fallando, he bem que a todos a dem para as cousas ordinarias que os Christâos dao como papel, abanos, tabis [tabi], etc., e ainda lhes conceda que possao usar delas para seu uso quando lhe forem necessarias, corn tanto que esta licença se renove cada mez ou como parecer ao Superior, porem sendo cousas de momento, como cangas da Chinae cousas [fol. I 54 v semelhantes nao as gastarao sem primeiro dar disto conta ao Superior. I 1° Os Irmaos guardarao a regra de nao tomar nem pedir nada sem licença, salvo se forem huns presentinhos que os Japôes costumao dar, pois seria grande descortesia en geitalos, mas darao conta a seus Superiores, os quaes as vezes lhes deixarfo as ditas cousas, conforme o que julgarem ser mais conveniente, corn tanto que se lhes nao permitta ter dinheiro, ainda que seja para dar a pobres, nem dongus indecentes a religiosos. E geralmente fallando barn he que os Padres sejao faceis em conceder aos Irmfos algua cousa das que lhe dao de presentes, assi para uso deles, como tambem para poder fazer presentes a seus amigos ou a outros Irmao. 12° Nenhum dos nossos tera causa de corner no cubiculo e por isso os presentes de causas de corner que vem de fora, todos se mandarao a despença, 0
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porao o que tinhâo posto no primeiro, mas somente o que depois se acrecentou. E estes rois se renovarâo de tres em tres annos. Os Reitores, e Superiores que forem immediatos ao Provincial farâo o rol no modo seobre dito e lho mandarâo.
CAP0 8 : DOS DOGICOS
Terâo muito cuidado do proveito espiritual dos dogicos, pois impossivel he sairem coma de lhes se pretende, nem servirem bem nos officias em que a Companhia os occupa, senâo tiverem espirito e devoçâo, façâo que pela manhaa tenhâo meya hora de oraçâo e antes de se deitar façâo o exame da consciencia. Confessar se hao cada mez, terâo seu confessor [fol. 156] determinado, nem se confessarâo de ordinario corn o seu Padre, comungarâo quando parecer ao confessor, os da congregaçâo correrao corn o seu Padre. 2 ° T enhâo tambem cuidado que aprendâo a nossa letra e a de J apâo eo mais que lhe pode ser de proveito para o serviço da Companhia conforme a capacidade de cada hum, pois isto ajuda tambem para eles aproveitarem e viverem contentes na Igreja. E depois de terem servido alguns annos, os que tiverem habilidade e partes para estudarem o Latim, procurarâo que o Padre Provincial os ponha no Seminario, e os que nâo forem para isto e poderem todavia vira prestar para catequistas e pregadores, farao corn que tenhao algum estudo de Japao, ouçao o Compendio e o Buppo. E os que nâo poderem sair pregadores nem Irmâos, quando ja forem grandes e se enfadarem nas Residencias, se poderâo pornos Collegios ou Casas principaes em alguns officias mais graves. 3° Entre os dogicos ha de haver differença, porque os que sâo pregadores ou homens de idade e de respeito a juizo do Provincial, devem corner apartados dos outros, nâo servir de ordinario a rneza e corner alguas vezes corn os Padres, quando forem corn eles pelas inacas, e dar lhes outros privilegios sernelhantes corn que vivâo contentes, perseverem na Igreja. Em particular se deve fazer muito caso dos pregadores formados que ha muito tempo fazem o tal officio corn satisfaçâo, os quaes poderâo tambem vestir de preto e procurem de os acreditar corn os Christâos. Devem tambem ser muito favorecidos os da Congregaçâo deixando os gozar dos privilegios que nas Regras lhes sao concedidos, dandolhe comodidade paraacudir aos ajuntamentos nos tempos costumados, e procurem que guardem suas Regras, os dogicos rapados que comerem apartados devese lhes dar arroz, e xiru [shiru] que comem os Padres e Irmaos, e no mais que sejao tratados avantejadamente dos outros, e lhes dem hua caça de vinho. Mas nâo he necessario dar lhes pâo e tudo o mais que se da no nosso refeitorio, posta que he bem dar lhes de quando em quando quaxi quando o ha mais de que se da a os demais dogicos. 1°
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4° Terâo muito particular cuidado dos que servirâo muitos annos na Igreja
e servirâo hem, ainda que sejâo velhos e possâo servir pouco. T amhem tenhâo muito cuidado dos doentes, porque alem da charidade assim o pedir, os outros corn isto se animâo, assim pelo contrario quando vem que se nâo tem o devido cuidado dos doentes e velhos, desconflâo, parecendo lhes que o mesmo sarâo tamhem corn eles quando adoecerem ou envelhecerem. Advirtâo todavia que he hom que os dogicos se curem ao seu [fol. 156 v0 ] modo de Japâo. Quanto ao corner, procurando que o tenhâo hem concertado e nâo se introduza dar lhes a corner frangaos e galinhas corno aos Europeos, porque isto traz rnuitos inconvenientes consigo, posto que senâo tira que tamhem nosta parte senâo use corn eles da devida charidade, conforme ao que pedir a necessidade e a charidade dos dogicos doentes. 5° Os Reitores poderâo trocar nas Residencias os dogicos quando forern pregadores, e tamhern os que servem aos Padres em outros ministerios havendo razâo para isto, mas estes porque se nâo trocâo para o proveito do povo como os outros, cornunmente os nâo rnudarâo sem licença do Provincial, salvo se houvesse algua urgente causa, ou par lho pedir ou parecer isto hem ao mesmo Padre. E quando os Padres se mudâo de hua parte para outra, os Reitores deixarâo ir corn eles o dogico que os serve. 6° Os dogicos que se recehem no Seminario nâo sejâo de menos idade que de doze annos e sejâo honrados de grao de tonobara [tonohara] par cima ou fllhos de mercadores ou machijins [rnachi jin] honrados. Os que estiverern nas Residencias para servir aos Padres nâo sejâo de men os idade que de 16 annos para os poder ajudar no que deles se pretende, e podern se recehir ainda que sejâo de menos qualidade que os do Seminario, posto que se ha de procurar quanta poder ser que tamhem sejâo honrados. Nas Casas Reitoraes, se podem receher de menos idade, corn tanto que passem de 12 annos, mas corn alguns podera o Provincial dispensar em todos os sohreditos casos por alguas particulares e justas causas. 7° Assi os dogicos, coma os tonobaras e comonos, sejâo tratados em todas as partes da mesma maneira, segundo seus graos, no corner e vestir, conforme a ordern que esta dada acerca disto ; tirando aqueles dogicos e rapados que ao parecer do Provincial devern ser tratados de outra maneira. 8° Quando algum dogico sair da Casa ou for despedido por ele o merecer, hajâo se corn ele conforme ao que a prudencia ensinar, de modo que nâo flque adverso a Igreja, mas nâo lhe busquem amo nem outros encostos, pois falta na sua vocaçâo, salvo se o Padre Provincial outra cousa ordenar. 9 ° Procure se que nas Casas grandes onde ha muitos dogicos haja huma lugar capaz onde dormâo todos juntos, salvo se por algua razâo particular de serem muito meninos ou de mais respeito, parecer ao Superior eximir alguns deles.
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hao o que lhes for necessario, atentando que andem limpos decentemente e assi como lhe forem dando os vestidos novos, lhe tirar:io os velhos que lhes nâo forem necessarios. 8° E porque alguns Padres desejao saber ate quantos vestidos podem ter os Nossos e quantos os dogicos, se diz que os nossos nâo escus:io ter vestido limpo para o inverno e ver:io para sairem fora de sas principalemente quando v:io visitar pessoas honradas e quando em casa tem hospedes de respeito, e alem deste ter outro para trazer de cate [kate], o que ajuda para o outro limpo durar mais tempo, nem he necessario dar a hum duas esquipaçoes juntas, porque hua nova que lhe dem em quanto for nova e limpa serve para dentro de casa. E para fora e quando for envelhecendo se lhe dara a nova, e sejâo os Superiores faceis em lhes deixar os vestidos velhos quando podem ainda servir para trazer por casa ou pelos caminhos, pois corn isto se poupâo os novos e he bom para a limpeza tao necessaria em Jap:io. Os dogicos podem ter ate quatro nunocos, a saber dous para trazerem de cote no inverno, outro para vestir quando lav:io hum dos do us o quanto para as festas e para sair diante de gente limpa : hum dobucu de avaxe e outro singelho, e dous avaxes. Os quaes vestidos como esta dito, nâo se lhe devem dar todos juntos, mas pouco, e pouco : nem he necessario que todos tenh:io este numero, somente se diz que do que se lhes vai dando podem deixar tantos que cheguem ao dito numero, e se de algum nunoco velho quizerem fazer dobuco para trazer por casa, n:io se lhe deve prohibir. De roupa branca nâo escusa hum dogico tres esquipaçoes, a saber catabiras, e calçoes para poder andar limpo : das catabiras azuis nâo escusa duas e se tiver ate quatro nâo sâo de sobejo ; mas nâo se lhes permita trazer por cima catabitas de nuno. 9° Assim os lrmâos como os dogicos sejâo providos de sanagami lenços, toalhas, de maneira que cada hum tenha o necessario conforme o seu estado e corn a devida decençia e limpeza. 10° Caso que sejanecessario trazerem os Nossos Japoes vestidos charaJapoens digo chara Japao por causa do fissocu [?], sejâo compridos que chegum ate o artelho, e nâo sejâo de seda nem de cores indecentes [fol. 158 v0 ] a religiosos e em Nangasaqui sejâo pretos por respeito dos Portuguezes.
CAP0 10: DA CONVERSÂO E CULTIVAÇAO DOS CHRISTÂOS
Onde de novo se começa a fazer conversâo se procede corn muita madureza e prudencia, e posto que o Senhor principal de algum lugar se faça christâo corn grande parte dos seus fldalgos, nâo se faça estrando corn desfazer seus templos, queimar publicamente seus idolos e fazer outros desprezos semelhantes, e ainda que os mesmos que se convertem o queirâo fazer lhes devem ir a mâo, mas 1°
sec:recunente pouco a pouco os tirem e queimem. E os templos se convertao em Igrejas ou em outro uso proveitoso, de maneira que se conservem as taes Igrejas, e senao escandalizem os gentios e digao que a onde entramos assolamos e destruimos tudo. 2° Quando o Senhor se fizer christao, posto que corn prudencia se deve procurar que corn sua ajuda e favor se convertao tamhem seus vassalos, todavia nao devem levados do demasiado fervor, apertar corn o Senhor que proceda corn violencia e indiscriçao corn seus criados pelo damno que se pode seguir, mas tudo se faça corn suavidade e quietaç1io. Em particular, advirtao que nao ponhao muito cabedal em fazer christaos os fiacuxos [hyakushô], pela pouca firmeza que neles ha pois corn a mudança dos Senhores facilmente retrocedem e pela muita difficuldade que ha em os cultivar. 3° Quando o Tono principal for ainda gentio, nao somente se nfo façao as cousas sobreditas nos dous paragrafos, posto que alguns dos seus fidalgos e criados se fizessem christaos, mas nem ainda se levantem publicamente cruzes pelos caminhos, nem se façao procissôes ou festas publicas fora da nossa cerca, nem enterramentos pomposos e solemnes sem licença do Senhor principal ou consentimento pelo nainai porque assi eles como a sua gente costumao tomar isto a mal, quando se nao faz corn seu consentimento, parecendo lhes que se faz em seu desprezo e que se lhe tem pouco respeito e acatamento. 4° Ainda que seja entre Christaos nao convem levantar muitas cruzes pelos caminhos publicos, por diversos inconvenientes que distos se seguem. Por isso nenhum Padre levantarâ Cruz nos caminhos publicos sem o fazer saber ao seu Reitor, os quaes Reitores nâo serao faceis em lhe conceder licença, considerando primeiro o que convem. 5° Procurem que os que se quizerem fazer Christfos sejao bem cathequizados, pois a razao e a experiencia mostrao que os hem cathequizados [fol. 159] perseverao e se fazem bons chriscios, e dos mal cathequizados muitos retrocedem facilmente. E por isto, sendo pessoas de entendimento, se lhes pregarâ todas as pregaçôes do Catecismo, pregando lhes hua s6 vez no dia por espaço de hua somana inteira, e de cada vez se lhes repita primeiro o que nas pregaçôes passadas se lhes tem dito e no principio de cada pregaçao, proponhao o que pretendem ensinar nela, e no fim tornem brevemente o repetir o que lhe tem dito nela, e no ultimo dia resumirao tudo o que nos dias atras se lhes tem pregado, lerlheao os onze Capitulos aplicando a eles tudo o que se contem nas pregaçôes para que vejao que neles esta a suma do que tem ouvido e do que hao de crer. E posto que os ouvintes apetitosos de se quererem depressa bautizar queirâo abreviar ou apressar o Cathecismo, nao se deixem levar do seu apetite, mas faç1io que continuem por espaço de hua somana como esta dito, para que corn esta continuaçao vao percebendo melhor os misterios da
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nossa Santa Fé. Se todavia estivessem de caminho, principalmente por mar, ou havendo de ir à guerra, poderse lhes ha incurtar o Catechismo, fazendo o em tres dias corn lhes pregar duas pregaçôes no dia, guardando no demais tudo o sobredito, e quem nâo quizer ouvir corn esta continuaçâo parece que se nâo devia bautizar pelas poucas mostras e esperanças que da de haver de perseverar ; e muito se dezeja irse introduzindo o costume da primitiva Igreja de haver em Japâo catecumenos. Nos dias em que se cathequizâo hem he procurar que os que ja estâo determinados a ser Christâos aprendâo as oraçôes de Pater Noster, Ave Maria, Credo e Mandamentos, e porem ainda que as nâo saihâo nem por isto deixarâo de os bautizar, pois comunmente costumâo de ao aprender. Se os ouvintes forem rudes e de pouca capacidade, se acomodarâo a eles pregando lhes somente cousas faceis e necessarias corn brevidade, tornando lhes a dizer muitas vezes para que as entendâo gastando nisto a somana como esta dito ; a estes bastarâ pregar lhes sobre os onze Capitulos, dedarando lhos hem para que os entendâo. E como o Catecismo seja cousa de tan ta importancia, terâo os Padres grande cuidado para que se execute e pratique tudo isto que se ordena e antes de chegar ao bautismo façâo examinar hem o catecumeno para ver se tem impedimento para ser bautizado. 6° Costumâo nas terras dos gentios virem muitos ouvir pregaçâo sem trazerem algum Christâo consigo por annaixa [annaisha], dos quaes alguns vem por pura curiosidade sem nenhum dezejo de se fazerem Christâos ; outros vem para por duvidas ao pregador e zombarem dele, seguindose muitas vezes muito grandes inconvenientes, os quaes ainda que os nâo houvesse e cansaço e trabalho insufrivel para os catequistas haver [fol. 159 v0 ] de sahir a quantos pedem pregaçâo sem saberem o animo con que vem e esperança que ha de se fazerem christâos: pelo que he hem que de ordinario nâo saja o pregador, senâo aos que trouxerem annaixa, ou forem pessoas conhecidas ou tâo honradas que se lhe nâo possa boamente negar. E porque nisto senâo pode dar regra certa, se deixa a prudencia do Padre. 7° A Doutrina Christâ se ensine hua s6 vez no dia, no tempo que parecer mais conveniente, no fim dela rezâo as ladainhas de Nossa Senhora. Comunmente nâo obriguem a vir a ela os meninos que ja a sabem hem. E nos machis senâo permita virem a ela as meninas de dez annos para cima, mas estas as farâo ensinar em suas casas por aqueles que as tem a cargo. Nas inacas parece que he hem ensinala antes da Missa em quanta se ajunta o povo. Ensinarâo tambem os onze Capitulos que os Christâos hâo de saber, o quai officio de ensinar a doutrina deve a fazer o Padre ou Irrnâo, tendo tempo para isso e nâo podendo sera farâ algum dogico grande quando o houver. 8° Procuresse que nas Igrejas haja cambos que saibâo Ier, os quaes tenhâo cuidado das Igrejas e ensinem as oraçoens e leâo ao povo a doutrina Christâ
impressa e outros livros espirituaes. Procurem que haja alguns bons Christâos pobres que vâo ensinando a doutrina e daqui por diante se nâo ensinarâ outra senao a impressa. 9° Cada mez os Padres em suas casas e residencias ajuntem hum domingo todos os cambos do seu cacari [kakari] tomando lhes conta da christandade que cada hum tiver a cargo, animando os e ensinando os a fazer bem seu offlcio, e em particular a forma de bautizar ao que para isto tiver licença e o modo de ajudar os doentes a ter contriçâo. Leâo lhes tambem as suas regras e pratiquem lhes algua cousa proveitosa para fazerem melhor seu offlcio. 10° De tal maneira se promulgue o Evangelho, que juntamente nâo queirâo em ele introduzir leys e costumes de Europa que nao sâo simpliciter necessarios para a salvaçâo e por outra parte sâo contrarios aos costumes e leys de Japâ, e por isso mal recebidos e fazem odioso o Evangelho, como v. g. casar corn contrato de meas, repartir a herança conforme a nossas leys e cousas semelhantes, mas deixem nisto correr os J apôes corn suas leys e costumes que nâo forem contrarias a Ley divina. I 1° Corno sempre foi costume da primitiva lgreja lerem as vezes aos Domingos liçâo espiritual ao povo em lugar de pregaçâo, o que se vé ser de muito proveito para os Christâos, e descanso para [fol. 160) os pregadores, se encomenda aos Padres que introduzâo este santo costume, ajudandose para isto do Guia de peccadores, Gersâo, os Mysterios do Rosario e do livro de fldes, e tendo o lente para isto sufflciencia, façâo que antes de começar a lir, diga o argumento do que trata o Capitulo, acompanhandos corn algum breve discurso e digressa a proposito do que lê. 12° Para guardar a decencia que convem e nao dar occasiâo de murmuraçâo e escandalo, em cada Igreja, e ainda nas aldeas, se façâo confessionarios corn grades, e nenhuâ molher se confesse dentro dos zaxiquis, ainda que sejâo pegados corn a Igreja e ainda que sejâo molheres de Tonos, mas confessem se publicamente nos confessionarios ou se façâo gradesinhas na porta do zaxiqui, acomodadas de maneira que estando elas no zaxiqui dentro, os confessores que as ouvem estejâo na capela ou igreja a vista de todos. Quando forem pelas inacas onde nâo houver igrejas, levem consigo hua cadeirinha que tenha hua taboa corn suas grades que se alevante e abaixe para a pôr entresi e o penitente. I 3° Guardese corn muita exacçâo o que outras vezes estâ ordenado que quando as mulheres vierem tratar corn o Padre negocio ou visitalo, esteja sempre presente a visita alguâ pessoa de conflança de casa ou de fora, de modo que nunca o Padre esteja falando s6 corn molher dentro no zaxiqui sem ser visto de outrem.
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GLOSSAIRE
Annaisha : accompagnement. Awase : kimono doublé. Bakufo : gouvernement militaire du Japon, dirigé par le shogu.n. Bento: repas rapide contenu dans une boîte. Biwa : instrument à cordes traditionnel, ressemblant à un luth. Buke : les guerriers, en tant que groupe social ; au sens restreint, le terme désigne l'aristocratie guerrière. Byobu: paravent fait de plusieurs feuilles articulées, décorées avec des peintures ou de la calligraphie. Ils peuvent être utilisés pour séparer des intérieurs ou clore des espaces privés. Cha no yü : cérémonie du thé. Cha no yü sha : personne en charge de la cérémonie du thé. Chigyo : fief. Daimyo : seigneur guerrier qui contrôle une portion de territoire qui lui fournit un revenu et sur laquelle il exerce son autorité. Dobuku : sorte de manteau. Dojuku : terme emprunté au vocabulaire bouddhique et qui se compose de deux caractères, dont le premier signifie « le même » et le second « demeure ». Les dôjuku sont des commensaux vivant en communauté avec les Pères et ayant pour activité principale la prédication. Dokonobo : spectacle de marionnettes. Fukuro : sac. Fune : navire, bateau. Furo: bain. Furumai(sake): Fait de donner de l'alcool à un invité. Fusuma: écran opaque coulissant muni d'une poignée, utilisé pour redéfinir l'espace d'une pièce ou servir de porte dans l'habitat traditionnel japonais. Go : jeu de stratégie japonais, originaire de Chine. Gobugyo : les cinq gouverneurs. Expression qui désigne les cinq régents désignés par Toyotorni Hideyoshi pour gouverner le Japon pendant la minorité de son fils Hideyori. Gokinai: Les cinq provinces de la région centrale, situées sur l'île de Honshü : Yamashiro (où se situe la capitale Miyako), Yamato, Kawachi, Settsu et lzumi. Gokui : une portion.
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HakaJokoro : cimetière. Hanamuke: cadeau d'adieu que l'on donne au moment du départ d'une personne.
Henrei : retourner un présent, une faveur. Hineri: message qui peut être accompagné de quelques pièces de monnaie. Hitojichi : otage, prisonnier. Hotoke: divinités bouddhiques. Hyakusho : paysan ; fermier. Inaka : la campagne ; les villages situés autour des résidences dans lesquels se
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rendent les missionnaires. Iremono : boîte. ]ihiyakusha: littéralement, la personne qui exerce la miséricorde. Terme utilisé par les jésuites pour désigner, dans les communautés, les personnes en charge des malades ou des mourants et qui accompagnent les funérailles. Le terme désigne également les membres des« Miséricordes japonaises». Kakari: terme qui désigne chez les jésuites le territoire dont est en charge un missionnaire. Être en charge de. Kami : divinités shintoïstes. Kami sama : épouse du seigneur local. Kana: caractères japonais, utilisés conjointement avec les kanji dans l'écriture japonaise. Les kana se composent des hiragana (écriture syllabique cursive) et des katana (écriture utilisée principalement pour la transcription des mots étrangers en japonais). Kanji: caractères d'origine chinoise, utilisés dans l'écriture japonaise. Kanbo: terme qui désigne les auxiliaires de la mission qui vivent retirés et ont en charge une communauté, sans être des religieux ou des dôjuku. Kanbo : cellule. Kanpaku: le régent del' empereur régnant. C'est le grade honorifique le plus élevé au sein de la cour impériale. Karakasa: ombrelle en papier. Kashi: pâtisseries ; bonbons. Katabira : robe légère non doublée, portée en été. Katana : long sabre japonais. Kate: nourriture, provisions. Kobako: petite boîte. Kokei: spectacle. Koku: unité de volume, définie comme étant la quantité de riz qu'une personne peut manger en un an. Elle sert à mesurer la richesse d'un fief. Komono : nom donné par les jésuites aux enfants qui sont au service de la mission.
Koshoshü : nobles. Kunigae: lorsqu'une province change de seigneur. Kuriki: actes pieux. Kurofune : « le navire noir ». Terme qui désigne le navire portugais qui effectue la liaison entre Macao et Nagasaki. Machi: ville. Mioji: ville, village. Nainai: cercle familial. Ninai byobu : des paravents transportables. Noren: court rideau en tissu fendu que l'on accroche au dessus d'une porte. Nunoko : vêtement rembourré avec du coton. Obi: ceinture servant à fermer les vêtements traditionnels japonais. Obon: fête bouddhique des morts qui se déroule au mois d'août. Oriyu: petite baignoire. Romaji: transcription de la langue japonaise avec l'alphabet occidental. Saimin : nom d'humilité dont on se sert en parlant de soi. Saishi meshi: riz accompagné de sauce. Sakana : terme qui se réfère à la nourriture accompagnant la dégustation d'alcool. Sakazuki : coupe de saké. Le sakazuki est échangé entre les participants, devenant le symbole d'un lien ou d'une promesse. Sakoku : terme qui désigne la politique de fermeture du pays menée par les shogun Tokugawa. Sentaku : la lessive. Shicho: escalier. Shiru : soupe miso. Shogatsu: fête du Nouvel An japonais. Shogi: jeu d'échecs japonais. Shoji: paroi ou porte constituée de papier translucide monté sur une trame de bois. Shüri : le service, l'entretien. Sudare : stores intérieurs en bambous tressés finement et suspendus. Sumizukin : couvre-chef. Tabi : chaussette traditionnelle japonaise. Tachi: longue épée. Taiko : expression désignant le kanpaku retiré. Elle désigne plus particulièrement Hideyoshi à partir de r 592. Tatami: revêtement traditionnel des sols dans les maisons japonaises. Le terme renvoie également à une unité de mesure pour la surface d'une pièce. Toburai : enterrement.
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Tono: terme désignant les seigneurs, grands ou petits. Toritsugi. : un intermédiaire ; une personne transmettant un message. Yakunin : personnel domestique employé dans les résidences jésuites. Les yakunin sont chargés de la cuisine et de l'entretien des maisons. Yu: bain, source chaude. Zashiki: salle de style japonais. Terme utilisé par les jésuites pour désigner l'espace dans lequel les daimyô s'installent pour assister aux offices.
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BIOGRAPHIES
ALcAÇOVA, Pedro de (I524-I579): Portugais, il rentre dans la Compagnie à Coimbra en 1 54 3. Après avoir prononcé ses vœux, il quitte la Compagnie pour des motifs inconnus, avant de la réintégrer à Goa en l 548. Il arrive en
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au Japon, avec Baltasar Gago et Duarte da Silva. À la demande de Cosme de Torres, Alcaçova repart pour l'Inde en l 5 53 afin de chercher du matériel et de recruter de nouveaux missionnaires pour le Japon. Il demeure ensuite en Inde jusqu'à sa mort. ALMEIDA, Luîs de (ca I523-I583): Commerçant, conversa, il est diplômé en chirurgie. Il est admis par Cosme de Torres à entrer dans la Compagnie au Japon en 1556. Il contribue à la fondation d'un hôpital au Bungo, où ses connaissances en médecine sont mises à profit. Il participe également à la fondation de diverses missions au Japon. A.NJIRÔ
(Paulo da Santa Fe) : On ne connaît ni ses dates de naissance et de
mort, ni ses origines sociales. Il s'agit probablement d'un samurai originaire de Kagoshima. Il rencontre François Xavier à Malacca en l 547 avant de le suivre en Inde. Il se convertit au catholicisme et persuade Xavier de venir évangéliser le Japon. Après le départ du fondateur de la mission, il anime pendant quelques années la communauté chrétienne de Kagoshima. Pour des raisons inconnues, il devient corsaire à la fln de sa vie. AruMA, Harunobu (ca IS67-I6I2): Fils deArima Yoshisada (1521-1577), son territoire s'étend à la péninsule de Takaku, dans la province du Hizen. Il est baptisé par le visiteur Valignano en
l
579 sous le nom de Dom Protasio.
En 1587, il est confirmé dans ses domaines par Hideyoshi. Il prend parti pour Tokugawa Ieyasu lors de la bataille de Sekigahara en 1600, ce qui lui vaut de conserver son territoire. L'incident du navire portugais Madre de Dios, qu'il échoue à prendre sur les ordres de Ieyasu, marque le début de sa disgrâce. À la suite d'une affaire de corruption, leyasu décide de destituer Arima qui est exilé dans la province de Kai et à qui l'on ordonne de faire seppuku. Cette pratique étant contraire à ses convictions chrétiennes, Arima Harunobu est décapité par un de ses officiers.
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AsHIKAGA, Yoshiteru (1536-1565): Il est nommé shogun en l 547, mais il ne
parvient pas à imposer son autorité. En l 565, il est assassiné par deux vassaux, Miyoshi Yoshitsugu et Matsunaga Hisahide. BAPTISTA, Pedro (1542-1597): Né en Espagne, Pedro Baptistaarriveen 1584
aux Philippines. Il a été auparavant prédicateur à la cathédrale de Tolède, et a enseigné la philosophie à Merida. Il participe à l'évangélisation des Philippines, où il est amené à rencontrer des Japonais qui le persuadent de venir évangéliser l'archipel nippon. En l 593, il est envoyé par le gouverneur des Philippines, Dasmariftas, en tant qu'ambassadeur au Japon. Il reste dans l'archipel nippon, se consacrant à l'évangélisation de Miyako. Il est martyrisé le 5 février l 597, à la suite de la persécution déclenchée par Hideyoshi. BARRETO, Melchior Nuiies (ca 1520-1571) : Né au Portugal, il intègre
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la Compagnie de Jésus à Coimbra en l 543. En l 551, il est envoyé en Inde comme recteur du collège de Goa et vice-provincial de l'Extrême-Orient, en l'absence de François Xavier. À son retour, celui-ci le nomme recteur du collège de Baçaim. À la mort de François Xavier, il est nommé provincial de l'Inde et, en cette qualité, il visite la mission du Japon en l 5 56. Il meurt à Goa en l 57r. CABRAL, Francesco (ca 1533-1609): Né sur l'île de Sâo Miguel, il est éduqué à Lisbonne. Il étudie à Coimbra, avant des' embarquer comme soldat pour les Indes. Il entre dans la Compagnie de Jésus à Goa en 1554 et il est ordonné prêtre en l 558. Il est ensuite recteur des collèges de Baçaim, Cochin et Goa. Il arrive au Japon en I 570 et il en devient le supérieur jusqu'en l 58r. Il est ensuite supérieur du Bungo jusqu'en l 583, puis de Macao (1583-1586). Il revient ensuite en Inde où il est nommé provincial del 592 à l 597. Il entretient des relations difficiles avec plusieurs missionnaires du Japon, dont le visiteur Alessandro V alignano et l'évêque Pedro Martins. CARVALHO, Valentim (1559-1630): Né à Lisbonne, il entre en l 576 dans
la Compagnie. Il part pour l'Orient en tant que compagnon de l'évêque Luis Cerqueira. Il prononce ses quatre vœux en l 596 à Macao. Au Japon, il se consacre à l'étude de la langue. En 1601, il part pour Macao où il a été nommé recteur du collège. Il revient au Japon en 1609, réside à Ômura, avant d'être nommé provincial du Japon en 1609. Mais il est très contesté par les missionnaires. Il est nommé à la tête de l'évêché à la mort de Luis Cerqueira, mais ses rapports sont difficiles avec les clercs diocésains. Il revient en 1614 à Macao et il est destitué de sa charge de provincial en 1617. Il repart pour l'Inde en 1625, où il exerce la charge de provincial jusqu'en 1629. Il meurt à Goa en 1631.
CERQUEIRA, Luis ( I ssI-I6I4) : Il entre dans la Compagnie de Jésus en 1 566. Il étudie les humanités, puis la théologie. De 1575à1 577, il travaille en tant que secrétaire à la Curie romaine. Il retourne ensuite au Portugal où il enseigne la philosophie et la théologie à Evora et à Coimbra. En 1592, il est nommé évêque auxiliaire de Funai, mais il ne quitte Lisbonne qu'en 1 594. Il parvient à Macao en 1595. Àla mort de l'évêque de Funai, Pedro Martins, Cerqueira lui succède en 1 598. Il tient immédiatement diverses consultes. En 1599, en raison des événements politiques, Cerqueira est contraint de se retirer à Kawachinoura, puis à Shiki. En 1600, il s'installe à Nagasaki qui devient sa résidence. En 160 l, il inaugure un séminaire diocésain. Il effectue plusieurs visites auprès des chrétientés et, en 1606, il rencontre Tokugawa Ieyasu. Il meurt en 1614, trois semaines après la publication du décret anti-chrétien. COBO, Juan (ca I546-I592) : Dominicain, il naît à Consuegra, dans la région de Tolède. Il part pour la Nouvelle-Espagne aux environs de 1 58 5. À Mexico, il est en charge pour sa communauté des œuvres sociales, mais il entre en conflit avec le gouverneur de Mexico qui exige son renvoi. Il part alors pour les Philippines où il arrive en 1 588, un an après la fondation de la province dominicaine des Philippines. Ce séjour était envisagé comme une étape intermédiaire, Juan Cobo étant destiné à évangéliser le Fujian. Dans cet objectif, Cobo est affecté auprès de la communauté chinoise de Manille, il fonde un hôpital et rédige un catéchisme en chinois. En août 1592, Juan Cobo est désigné comme ambassadeur auprès de Hideyoshi, par le gouverneur des Philippines. Il parvient à négocier un traité avec le maître du Japon, mais il périt lors du voyage de retour vers les Philippines, suite au naufrage de son bateau. COELHO, Gaspar (I53I-I590): Né à Porto, il est admis dans la Compagnie de Jésus en 1556, à Goa. Ordonné prêtre en l 560, il participe à diverses missions en Inde. En l 572, il est envoyé au Japon où il exerce la charge de supérieur du Shimo, avant d'être nommé vice-provincial en 1581. Il le reste jusqu'à sa mort en 1590. COUROS, Matheo de (I569-I632) : Né à Lisbonne, il entre dans la Compagnie en l 583. Il étudie à Coimbra, avant de partir pour le Japon où il arrive en l 590. En l 596, il est envoyé à Macao afin d'être ordonné prêtre, avant de revenir au Japon. Il devient le compagnon de l'évêque Cerqueira à l'arrivée de ce dernier. De 1605 à 1607, il est supérieur de la résidence de Hiroshima, avant d'être nommé recteur du collège d'Arima qui est transféré ensuite à Nagasaki. Il tombe alors gravement malade et il rentre à Macao en 1614. En 1615, sa santé s'étant améliorée, il retourne au Japon et, en 1617, il
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est nommé provincial. Il continue de visiter les chrétiens malgré les persécutions en recourant à des travestissements. En 1621, il est remplacé par Francisco Pacheco. Après la capture de ce dernier, il reprend la tête de la mission, avec le titre de vice-provincial, charge qu'il exerce jusqu'à sa mort en 1632. Il ne fut jamais capturé par les autorités japonaises. DAMIAO (ca IB6-I586) : Japonais, originaire du Chikuzen, il commence à collaborer avec les missionnaires en 15 56. Il travaille à Hirado et à Hakata, avant d'accompagner Vilela et Lourenço pour fonder la mission de Miyako en 1559. Il devient le principal collaborateur de Fr6is lorsque ce dernier prend la tête de cette mission en 1565. Il est admis dans la Compagnie en 1567. Il quitte brièvement la mission sous le supériorat de Francisco Cabral, avant de reprendre ses activités en 1 579 à Funai. Il est nommé compagnon du viceprovincial Coelho par V alignano. Il meurt en 1 586 à Shimonoseki. FERNANDEZ,
Juan (I52.6-I567): Espagnol, né à Cordoue, il suit un de ses
frères qui est marchand à Lisbonne, où il entre dans la Compagnie de Jésus en 1547. Il est envoyé à Goa en 1548. François Xavier décide de l'emmener avec lui au Japon. Fernandez apprend le japonais avec Anjirô au point de servir d'interprète à François Xavier et à Cosme de Torres. Il mène une activité intense jusqu'à sa mort en l 567. Il est l'auteur d'une grammaire japonaise et d'un lexique, mais ces ouvrages ont été perdus.
FRôIS, Luis (I532-I597): Né à Lisbonne, il entre dans la Compagnie en 548. La même année, il est envoyé à Goa. Il est choisi par Melchior Nufiez Barreto pour l'accompagner au Japon en l 5 54, mais il passe trois ans à Malacca. Il retourne ensuite à Goa en l 5 57 et il y étudie la philosophie et la théologie, avant d'être ordonné prêtre en l 561. En juillet l 563, il arrive au Japon, à Yokoseura. Il est nommé supérieur de la mission de Miyako en l 564. Expulsé de la capitale en 156), il se retire à Sakai et ne revient à Miyako qu'en l 569. En l 576, il devient supérieur de la mission du Bungo jusqu'en l 581, date à laquelle il devient l'interprète de V alignano. En 158 3, il commence la rédaction de !'Historia de ]apam, travail qui l'occupe pendant dix ans. En 1592, il accompagne le visiteur à Macao, mais il revient au Japon en l 59 5. Il meurt à Nagasaki en 1597· l
FuKAN, Fabian (I565-?): Originaire de Yamashiro, il naît dans une famille chrétienne. Il entre dans la Compagnie en 1586 et il se spécialise dans la réfutation des sectes bouddhiques. Il participe à l'édition du Heike Monogatari, avant de publier le Myotei Mondo. Il participe à la consulte de l 590. Il est
renvoyé de la Compagnie en l 608 pour n'avoir pas respecté le vœu de chasteté. Il devient un adversaire acharné du christianisme par la suite et publie Ha Daisu, ouvrage réfutant le christianisme.
GAGO, Baltasar (ca Ip8-I583) : Né à Lisbonne, il est déjà clerc lorsqu'il entre dans la Compagnie de Jésus en l 546. Gago part pour l'Inde le l 7 mars
548 et arrive à Goa le 4 septembre. Destiné à l'enseignement du cursus des Arts au collège Saint-Paul, il est rapidement envoyé à Cochin (1550). Il participe en l 55 l à l'expédition du vice-roi, Afonso de Noronha, à Ceylan. La même année, il rencontre François Xavier, qui le persuade de se rendre au Japon. Gago arrive l
à T anegashima le 14 août I 5 52, puis se rend à Funai le 7 septembre. Après avoir rencontré Cosme de Torres à Yamaguchi en décembre, il est affecté aux missions de Hirado et de Funai. Il s'occupe également de missions à Kutami et Takata. En l 5 56, Torres le remplace au Bungo et Gaga se consacre à la chrétienté de Hirado. Ses relations avec des membres de la secte zen lui permettent de
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rédiger cette année-là le Sommaire des erreurs des infidèles du japon, dans lequel, pour la première fois, shintoïsme et bouddhisme sont clairement différenciés. Il participe également à la rédaction du catéchisme japonais intitulé Nijügo
Kagyo (Les 25 Chapitres), dans lequel les jésuites abandonnent la terminologie héritée des sectes bouddhiques, pour recourir aux mots latins et portugais. Ce livre a aujourd'hui disparu. Gago retourne alors à Funai avant des' embarquer pour les Indes en 1560, accompagnant le frère Rui Pereira, malade. Le voyage est difficile et Gago ne parvient à Goa qu'en avril 1 562. Il passe les vingt années suivantes en Inde (Goa, Chorao, Rachol, Margao, Salsete). Gago demande la permission de rentrer au Portugal, ce qui lui est accordé. Cependant, il ne revint jamais en Europe et meurt à Goa le 9 janvier l 58 3.
GAMô, Ujisato (I556-I595) : Originaire de la province d'Ômi, il entre au service de N obunaga dont il épouse la fille. Il participe à plusieurs batailles aux côtés de Nobunaga. À la mort de ce dernier, en l 582, Gamô Ujisato passe au service de Hideyoshi. Sous l'influence de T akayama Ukon, il est baptisé à Ôsaka sous le nom de Leo. Pour ses services, il reçoit le château de Wakamatsu, dans la région d'Aizu. Lors de la préparation de l'invasion de la Corée, Ujisato tombe malade et il meurt en l 59 3 à F ushimi.
GôMEZ, Pedro (I535-I600): Il naît dans le diocèse de Malaga. Il est admis dans la Compagnie àAlcalâ en 15 53. Il étudie à Coimbra entre I 553 et l 563 et il est ordonné prêtre en 1559. Il part pour l'Inde en l 579. En l 581, il collabore avec Ruggieri à l'élaboration d'un catéchisme en chinois, avant de partir en l 58 2 pour le Japon. En raison d'un naufrage, il n'atteint l'archipel nippon quel' année
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suivante. Il est le supérieur de la mission du Bungo, avant d'être nommé en 1 590 vice-provincial. Dès 1 593, Gomes est très affaibli et il a des difficultés pour assurer sa charge. Il meurt à Nagasaki en 1600. Il est l'auteur d'un Compendium utilisé dans les établissements scolaires de la Compagnie au Japon. HOIN, Vicente (ca 1540-1609) : Originaire de Wakasa,
il est le fils de
Paulo Yôhô. Il est admis dans la Compagnie en I 580. Il enseigne le japonais à Azuchi. Il rédige et traduit une grande partie des Vies de saints (Actas dos Santos), imprimées en 1 591. Il fait ses vœux de coadjuteur temporel formé en 1601. Il meurt en 1609. HOSOKAWA, Gracia (1563-1600): Hosokawa Tama est la troisième fille de
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Akechi Mitsuhide, l'assassin d'OdaNobunaga. Elle épouse Hosokawa Tadaoki à l'âge de quinze ans et a deux enfants. À la suite de l'assassinat de Nobunaga par son père, elle est enfermée par son mari jusqu'en 1 584, date à laquelle elle est autorisée par Hideyoshi à revenir à Ôsaka. C'est là qu'elle entre en contact avec le christianisme et est baptisée en 1 587 sous le nom de Gracia. En 1600, à la suite des guerres entre deux factions rivales, celle de Tokugawa Ieyasu et celle de Mitsunari lshida, ce dernier tente de prendre en otage Gracia. Hosokawa Tadaoki ordonne l'exécution de sa femme pour qu'elle ne devienne pas otage du clan ennemi. Gracia est alors assassinée par un vassal de son mari.
KA.Tô, Kiyomasa {1561-16n): Originaire de la province d'Owari, Katô Kiyornasa est un cousin de Hideyoshi. Il entre à son service en 1 576 et participe à diverses batailles. En 1586, il reçoit une seigneurie dans le Higo et fait de Kumamoto sa résidence principale. Il participe à la guerre de Corée. Membre de la secte bouddhique Nichiren, Katô est un fervent opposant au christianisme et il entre en conflit avec le clan voisin des Konishi, qui est chrétien. Durant la bataille de Sekigahara, Katô prend le parti des Tokugawa et reçoit en récompense les domaines des Konishi qui viennent s'ajouter à son fief. Dans les années suivantes, il essaie de jouer les médiateurs entre Tokugawa Ieyasu et T oyotomi Hideyori. Il meurt de maladie en 1611. KOTEDA, Yasutsune (?-1581) : Il appartient à un clan vassal de Matsuura
Takanobu, daimyo de Hirado, opposé au christianisme. Il est baptisé, sous le nom d'Antonio par Baltasar Gago, avec deux de ses frères, en 1 5 53. Des conversions massives sont réalisées dans les années suivantes sur son fief par Gaspar Vilela. Malgré l'interdiction du christianisme par Takanobu en 15 58, les missionnaires continuent de se rendre sur les terres des Koteda. Yasutsune participe un temps à la guerre menée par Matsuura Takanobu contre le
daimyo chrétien d'Ômura. Jusqu'à sa mon, il demeure proche des jésuites, et notamment de Juan Fernandez. KONISHI,
Yukinaga (I5H-I6oo) : Konishi Yukinaga est le fils d'un riche
marchand de Sakai. Il est baptisé, ainsi que sa femme, sous le nom d'Agostinho. En 1587, à la suite de l'invasion du Kyüshü par Hideyoshi, il reçoit une panie de la province de Higo en fief. Il panicipe ensuite à la guerre de Corée. Lors de la bataille de Sekigahara, Konishi Yukinaga s'allie à Ishida Mitsunari, contre Tokugawa leyasu. Vaincu, il est exécuté, refusant de commettre seppuku en raison de son appanenance au christianisme. LOURENÇO (ca I 525-I 592) : Originaire du Hizen, il est baptisé à Yamaguchi
par François Xavier. Entre l 5 51 et l 5 5 5, il collabore avec les missionnaires à Yamaguchi. En l 5 56, il entre dans la Compagnie. Il entreprend l'évangélisation des villages autour de Funai, avant d'accompagner Vilela pour fonder la mission de Miyako en l 559. Il est un des principaux artisans de la conversion des nobles dans le Kinai. Del 565 à 1 569, il participe à diverses missions dans le Kyüshü, avant de revenir à Miyako. Là, il aide Luis Frôis à approcher Oda Nobunaga. En l 587, suite à l'édit de persécution de Hideyoshi, il revient à Nagasaki. Il meun en l 592.
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LUCENA, Monso de (I55I-I623) : Ponugais, il entre dans la Compagnie à
Coimbra en I 56 5. Il étudie les humanités et la philosophie à Evora. Il pan pour l'Inde en l 576, avant d'atteindre Macao en 1 577 et le Japon l'année suivante. Il apprend le japonais à Ômura, avant de prendre la direction de cette résidence. Il est pressenti pour être le successeur de Francisco Pasio à la tête de la mission, mais Rome refuse car il n'est pas profès des quatre vœux. C'est un ami intime de l'évêque Luis Cerqueira. En 1614, il quitte le Japon pour Macao. Il est nommé en 161 5 préfet spirituel des frères japonais, avant d'être recteur du collège entre 1621et1622. Il meurt à Macao en 1623.
MARTINS, Pedro (I542-I598): NéàCoimbra, ilestadmisdanslaCompagnie en l 5 56. Il est ordonné prêtre en 1 570, devient profès des quatre vœux en l 584. Il pan pour l'Inde l'année suivante. En l 587, il est nommé provincial des Indes et il devient évêque du Japon en l 59 2. Il pan pour Macao en l 59 3 et il y réside quelques temps avant desç rendre auJaponen l 596. En l 597, il quitte le Japon pour l'Inde, mais son navire fait naufrage à proximité de Malacca. MATA, Gilde la (I547-I599): Il est admis dans la Compagnie à Salamanque en l 566. Il étudie la philosophie à Ségovie, puis la théologie à Salamanque et à
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Valladolid. En 1 576, il est ordonné prêtre et il est nommé recteur du collège de Léon. Il enseigne ensuite la théologie morale. En 1594, il part pour l'Inde où, après avoir passé quelques temps à Goa, il arrive à Macao en 158 5. Il y étudie la langue japonaise, avant de partir pour l'archipel nippon en 1 586. Il travaille pendant longtemps à la mission de T akatsuki, avant des' occuper de la mission d'Ômura. Entre 1 592 et 1 598, il est envoyé à Rome en tant que procurateur de la mission du Japon. En août 1598, Gilde la Mata revient au Japon, mais il est renvoyé l'année suivante à Rome, toujours en qualité de procurateur. Il part en février 1599, mais son navire fait naufrage avant d'avoir atteint Macao. MATSUURA, Takanobu (1529-1599): Daimyo de Hirado. Il est un vassal de Ryüzôji T akanobu dans les années 1 570, avant de devenir celui de Hideyoshi en 1587. En 1589, il laisse le pouvoir à son fils Matsuura Shigenobu (1549-1614). 442
Môru, Motonari (1479-1571) : D'abord au service du clan Ôuchi, il finit par se retourner contre eux et les vainc en 1 5 55 lors de la bataille d'Itsukushima. Il devient alors le principal seigneur du sud du Honshü. Dans les années 1560, il lutte contre les Ôtomo pour l'hégémonie au nord du Kyüshü, mais il doit revoir ses ambitions lorsque des révoltes éclatent dans ses territoires en 1569. À sa mon, il contrôle un vaste territoire, comprenant les provinces de Aki, Bingo, Suoô, Nagato, Bitchü, Inaba, Hôki, lzumo, Oki et Iwami. ÜDA, Nobunaga (1534-1582) : Il prend la tête du clan Oda à la mort de son père en 1551, mais il ne s'impose véritablement qu'en I 5 59. Il domine alors la province d'Owari. En 1560, il domine son voisin lmagawa Yoshimoto, seigneur de Mimikawa, Tôtômi et Suruga, lors de la bataille de Okehazama. Il conclut alors deux alliances: une avec les Tokugawa en 1562 et l'autre avec T akeda Shingen en 1 56 5. En 1 567, il soumet la province de Mino. Il participe à la restauration du shogunat Ashikaga, ce qui lui permet de s'implanter dans les provinces de Yamashiro, Iga et Ômi. Au début des années 1 580, il parvient à contrer les diverses rébellions qui éclatent dans son fief, mais il est assassiné en 1582 par l'un de ses principaux vassaux, Akechi Mitsuhide, et la cité d'Azuchi, centre de son pouvoir, est détruite. ÙMURA, Sumitada (1533-1587) : Deuxième fils de Arima Haruzumi (1483-1566), il est adopté par Ômura Sumiaki. Mais cette adoption n'est pas consensuelle, si bien que Sumitada affronte de nombreuses révoltes dans ses territoires. Il est le premier daimyo à se convertir au christianisme en I 563, sous le nom de Dom Bartolomeu. Suite aux offensives de son voisin, Ryüzôji T akanobu, il en devient le vassal dans les années 1 58 o.
ÔTOMO, Yoshishige (I530-I587): Il prend la tête du clan en 1550, après l'assassinat de son père. Les Ôtomo dominent alors le Bungo et le Higo. Entre 5 54 et I 5 59, il s'impose dans le Hizen, le Buzen, le Chikuzen et le Chikugo. En I 569, il parvient à éliminer son principal rival, Môri Motonari, qui abandonne le Kyüshü. Les années I 570 marquent le début de la décadence du clan, suite à des révoltes intérieures et à l'expansion des Ryüzôji dans le Hizen. En I 576, il se retire au profit de son fils Yoshimune. En 1578, il est baptisé sous le nom de Dom Francisco. En I 586, il demande l'intervention de Hideyoshi face à l'hégémonie que tente d'imposer le clan Shimazu dans le Kyüshü. Il meurt peu de temps après, en I 587. I
ÔTOMO, Yoshimune (I558-I605): Ilestlefilsaînéd'Ôtomo Yoshishigeet il prend la tête du clan en I 576. Il ne parvient pas à contrer l'avancée des Shimazu dans le Hyüga et doit affronter de nombreuses révoltes de la part de ses vassaux. En I 58 5, les troupes du B ungo se font expulser du Chikugo et, en I 58 6, les troupes des Shimazu entrent au Bungo. Après l'intervention de Hideyoshi en I 587, Yoshimune conserve seulement la province du Bungo. Mais il la perd suite à sa mauvaise participation lors de la guerre de Corée en 1 59 I. Il est alors exilé dans la province d'Aki. ÔUCHI, Yoshitaka (I507-I55I) : Daimyô puissant, il domine jusqu'à seize provinces, réparties entre le Honshû et le Kyûshû. Il subit un important revers militaire en I 543, qui brise ses ambitions hégémoniques. Il se retire à Yamaguchi. En 1 5 5I, il se laisse surprendre par la rébellion d'un de ses vassaux, Sue Harutaka, et il commet seppuku. Le pouvoir passe à son neveu, Ôtomo Haruhide/Ôuchi Yoshinaga. ÔUCHI, Yoshinaga/ÔTOMO, Haruhide (I533-I557): Frère de Ôtomo Yoshishige, Haruhide devient seigneur de Ôuchi en I 5 5 3, après la révolte de Sue Harutaka contre Ôuchi Yoshitaka. Il prend alors le nom de Ôuchi Yoshinaga. Mais son pouvoir est mal accepté et il est vaincu par Môri Motonari. Il se fait alors seppuku.
PASIO, Francisco (I554-I6u.) : Originaire de Bologne, il est admis dans la Compagnie à Rome en I 572. Il est ordonné prêtre à Lisbonne et il part pour l'Inde en I 578. À Goa, il devient procurateur de la province. En I 582, il part pour Macao avant d'arriver au Japon en 1583. Il travaille à Sakai, au Bungo, puis à Nagasaki. Il est le compagnon de Valignano durant sa seconde visite au Japon. En I 592, il devient le compagnon du vice-provincial Pedro Gômez, assumant de facto la charge de la mission en raison de la maladie de G6mez.
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Il est nommé vice-provincial du Japon en 1600, poste qu'il occupe jusqu'en 1611. À cette date, il reçoit sa nomination en qualité de visiteur de la province du Japon. Il part pour Macao en mars 1612 et il y meurt de maladie en août. Pasio est le premier supérieur à bien connaître le japonais, au point de se passer d'interprète.
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RODRIGUES,Joao (I56I-I633): Surnommé Tçuzu (en référence au terme japonais tsuji qui signifle interprète), il arrive au Japon alors qu'il n'a que l 6 ans. Il est admis dans la Compagnie en l 580. En l 596, il est ordonné prêtre à Macao avant de revenir dans l'archipel nippon. Il fait profession des quatre vceux en 1601, représente Ieyasu à Nagasaki et est nommé procurateur de la mission. Victime d'intrigues, il est obligé de quitter le Japon en 16ro. En 1628, il accompagne le visiteur André Palmeiro en Chine. Il meurt à Macao en 1633. Il est l'auteur de l'Historia da lgreja do ]apâo, d'une grammaire et d'un dictionnaire de japonais. RODRIGUES, Francisco (?-I6o6): Il est admis dans la Compagnie vers l 577 et il part pour les Indes en 1584. En 1588, il arrive au Japon. En 1603, il est envoyé en Europe en tant que procurateur, afln de résoudre les problèmes flnanciers de la mission. Il meurt dans un naufrage, près de Lisbonne en 1606. RYùZôJI, Takanobu (I530-I584): Il devient en 1553 seigneur de la forteresse de Saga, située dans la péninsule de T akaku. En l 570, il parvient à empêcher l'expansion d'ôtomo Yoshishige qui cherche à étendre son influence dans le Hizen. Dans les années 1580, Takanobu impose son autorité sur la plupart des seigneurs du Hizen. Profüant de la faiblesse du clan Ôtomo dans les années l 580, il cherche à étendre son influence dans la péninsule de T akaku au détriment d'Arima Harunobu/Dom Protasio. Ce dernier fait appel au daimyo de Satsuma, Shimazu Yoshihisa, et grâce à son aide, il parvient à contenir Takanobu qui est assassiné lors de la bataille d'Okidanawate. SHIMAZU, Yoshihisa (I533-I6II) : Il appartient à une famille dont les origines remontent au xn° siècle. Son père, Shimazu Takahisa (1514-1 571), dominait les territoires d'ôsumi et du Hyüga. Takahisa décide d'étendre ce territoire: en l 578, il attaque le clan Itô qui se réfugie au Bungo. Malgré l'appui de Ôtomo Yoshishige, les Itô sont défaits lors de la bataille de Mimikawa. En l 581, Takahisa concentre ses forces contre Ryüzôji Takanobu, qui cherche à conquérir le Higo, et apporte son aide à Arima Harunobu. Face à 1'affaiblissement du clan Ôtomo, incapable de faire face à des révoltes internes, Takahisalance une nouvelle offensive contre le Bungo en l 586. Mais il est arrêté
en 1587 par Toyotomi Hideyoshi qui lui laisse néanmoins le gouvernement de la province de Satsuma. SILVA, Duarte de (ca 1536-1564) : Né au Portugal, il arrive en Inde dans
des circonstances inconnues. Il entre dans la Compagnie de Jésus à Goa et il est choisi pour accompagner Gago et Alcaçova au Japon en 1552. Il participe activement à la vie de la mission et parvient à une bonne maîtrise du japonais. Il meurt en l 564 à Takase, devenant le premier missionnaire européen à être enterré au Japon. TAKAYAMA, Ukon (1ss2-1315) : Il est le flls de Takayama Tomoteru,
seigneur de Sawa, dans la province de Yamato. En 1564, son père se convertit au catholicisme sous le nom de Dario et il fait baptiser Ukon sous le nom de J usto. Sous Nobunaga, Ukon et son père parviennent à conquérir la forteresse de T akatsuki et imposent le christianisme dans leur fief. Lors de la persécution de 1587, déclenchée par Hideyoshi, Takayama Ukon refuse d'abjurer et il abandonne son fief. Il demeure au Japon, protégé par des amis. En 1614, suite à l'édit de proscription du christianisme par les Tokugawa, il quitte le Japon pour Manille. Il meurt aux Philippines quelques mois plus tard.
445
TOKUGAWA, Ieyasu (1543-1616) : Il naît sous le nom de Matsudaira T akechiyo et est l'héritier du clan Matsudaira, dans la province de Mikawa. Il
est retenu en otage jusqu'en 15 56 par les Oda, puis les lmagawa. En l 561, il devient le vassal de Nobunaga et il se consacre à la réorganisation de son clan et de son domaine. En l 566, il obtient l'autorisation de la part de l'empereur de changer son nom en Tokugawa leyasu. Il subit dans les années 1570 les attaques du clan Takeda. Àla mort de Nobunaga, leyasu parvient à prendre le contrôle des provinces de Kai et Shinano, anciennes possessions des T akeda. En l 584, Ieyasu soutient Oda N obukatsu, fils de N obunaga, contre Hideyoshi, ce qui conduit à un affrontement avec ce dernier. Finalement, les deux daimyo concluent une trêve en l 586. En 1590, Hideyoshi propose à leyasu d'échanger les cinq provinces qu'il possède (Mikawa, Totômi, Suruga, Shinano, Kai) contre celles du Kantô. leyasu accepte et il établit sa capitale à Edo (actuelle Tôkyô). À la mort de Hideyoshi en l 598, il fait partie du conseil des cinq régents (gotairo) et il prend rapidement l'avantage. En 1600, leyasu obtient le soutien de la moitié des daimyo et il écrase une coalition lors de la bataille de Sekigahara. En 1603, il obtient le titre de shogun, avant de se retirer en 1605. leyasu continue cependant de diriger le pays et il lance en l 6 l 5 l'offensive contre le fils de Hideyoshi, Hideyori, en attaquant le château d'ôsaka. Il meurt l'année suivante.
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TORRES, Cosme de (ca 1510-1570): Espagnol, originaire de Valence. Il est chapelain du vice-roi de Nouvelle-Espagne. Déjà prêtre, il rencontre François Xavier à Amboine en 1547. Il entre dans la Compagnie en 1548 et part pour le Japon en 1549. Il devient supérieur de la mission du Japon de 1 5 5 l à l 570. Il participe à la formation de la chrétienté japonaise. TOYOTOMI, Hideyoshi (1537-1598) : De basse extraction, il entre au service de Nobunaga à la fln des années l 5 50. En l 573, Nobunaga lui attribue le gouvernement du nord de la province d'Ômi. En l 57 5, il participe à la conquête de l'Echizen, puis dans les années suivantes, à celle des provinces de Bitchü, Harima et Awaji. En l 581, il est nommé seigneur de la province de Harima. À la mort de Nobunaga, il mène plusieurs compagnes militaires qui lui permettent de s'imposer et il conclut une alliance avec Tokugawa Ieyasu. Dans les années suivantes, il étend son influence dans le Bingo, Iwami, Aki, 446
Nagato et Suô. En 1585, il s'impose sur l'île de Shikoku, avant de conquérir le Kyüshü en l 587. Il reçoit le titre de kanpaku en l 586. En l 592, il cède le gouvernement à son flls adoptifHidetsugu et prend le titre de taiko. La même année, il attaque la Corée, mais cette offensive est flnalement un échec. À sa mort, il transmet le pouvoir à son flls Hideyori, après avoir obligé Hidetsugu à commettre seppuku. Hideyori étant mineur, le pouvoir est conflé à cinq sages (gotairii), dont Tokugawa Ieyasu qui s'empare du pouvoir en 1600.
YôHô, Paulo (ca1505-1595): Médecin, originaire de Wakasa. Ilse convertit au christianisme en l 560 et il entre au service de la mission. Il est admis dans la Compagnie en l 580. Il occupe des fonctions de catéchiste et de traducteur de livres pieux en japonais. VA11GNANO,Alessandro (1539-1606): Né à Chieti en l 539, Valignano entre dans la Compagnie à Rome en l 566. Il est ordonné prêtre en 1570 et il est fait profès des quatre vœux en l 573. En l 573, il est nommé visiteur des Indes et il part pour Goa l'année suivante. En l 578, il est à Macao et il part pour le Japon en l 579. Il effectue sa première visite dans l'archipel jusqu'en l 582. À cette date, il retourne à Goa où il exerce la charge de provincial de l'Inde jusqu'en l 587. Il est alors de nouveau nommé visiteur des Indes. De l 588 à l 590, il demeure à Macao, avant d'effectuer sa seconde visite au Japon de l 590 à 1592. Il retourne ensuite à Macao (1592-1594), puis en Inde (1595-1597). En 1597, il retourne à Macao, puis au Japon où il reste jusqu'en 1603. Il meurt à Macao en 1606. VAUAREGGIO,Alessandro (1529-1580): Italien, il entre dans la Compagnie à Rome en l 560 et est ordonné l'année suivante. Il part pour l'Inde en l 564 et
il arrive au Japon en l 568. Il n'y reste que deux ans. En l 572, il est de retour au Portugal où il s'installe en tant que procurateur des missions portugaises. Il accompagne l'armée de Dom Sebastiao, mais il est fait prisonnier lors de la bataille de Ksar El Kébir en l 578. Il est libéré, mais il succombe à la peste à Ceuta en 1580. VAzQUEZ, Gabriel (1549-1604): Il naît à Villaescusa de Haro en Castille. Il étudie la philosophie à Alcalâ (1565-1 569). Après avoir terminé ses études, il rentre dans la Corn pagnie de Jésus. Il enseigne la théologie à l'université d'Alcalâ dans les années l 570. De 1585 à 1591, il enseigne au Collegio Romano. En I 591, il retourne àAlcalâ, où il se consacre à l'écriture de son œuvre jusqu'à sa mort. Il est l'auteur de Commentaires sur la Somme théologique de Thomas d'Aquin, ainsi que d'œuvres morales. Dans le champ de la théologie morale, il exerce une forte influence sur les moralistes espagnols duxvnc siècle.
447 VILEIA, Gaspar (ca 1526-1572): Portugais, originaire de la région d'Evora. Il entre chez les jésuites en l 553, alors qu'il est déjà prêtre. En l 5 54, il part pour le Japon. Il fonde les missions de Miyako, de Sakai et de Nara. En 1 566, il envisage de fonder une mission en Corée, mais il ne peut quitter le Japon en proie aux guerres civiles. En 1 569, il fonde la première église à Nagasaki. À la mort de Cosme de Torres en l 570, il part pour l'Inde afin d'en informer les responsables de la mission et pour recruter de nouveaux missionnaires. Il y meurt en l 572, sans être retourné au Japon. XAVIER, François (1506-1552) : François Xavier naît le 7 avril l 506 en Navarre. Cadet de la famille, il est destiné à une carrière de clerc. Il part faire des études à Paris, à la Sorbonne, en 1 52 5, et il obtient en l 53o le grade de maître es arts. Au collège Sainte-Barbe, Xavier fait la connaissance de Pierre Fabre et d'Ignace de Loyola. Il rejoint le petit groupe fondé par ce dernier, et il participe au« vœu de Montmartre» (15 août 1534). Il commence ensuite les Exercices spirituels sous la conduite de Loyola. Après avoir été ordonné prêtre, il demeure auprès d'Ignace, qui en fait son secrétaire à Rome ( 1 539-1 540). Il participe aux discussions sur la mise en place de la future Compagnie de Jésus. Loyola décide de l'envoyer en Inde, à la suite de la demande adressée par le roi Jean III du Portugal au pape Paul III. Xavier part de Lisbonne le 7 avril l 541 et, après une halte au Mozambique, il parvient à Goa le 6 mai 1 542 en tant que nonce apostolique, muni de quatre brefs du pape. Cinq mois plus tard, il commence son apostolat dans la région, œuvrant sur la côte de la Pêcherie, visitant Ceylan, Malacca), les Moluques, et de nouveau Malacca. De retour en Inde en 1 548, il missionne sur la côte de la
Pêcherie, à Goa, Cochin et le 3 l mai l 549, il revient à Malacca, dans le but de s'embarquer à destination du Japon. En Inde, la pastorale de Xavier s'appuie principalement sur deux méthodes : l'apprentissage des langues locales et le recours à des catéchistes laïcs. Il fait traduire en langues indigènes les principales oraisons chrétiennes, des professions de foi ou des textes dogmatiques simples. Il rédige des catéchismes pour les enfants, ainsi qu'une instruction pour les catéchistes Malgré plusieurs discussions avec des brahmanes, il garde une vision très négative de l'hindouisme et de la culture indienne. C'est au cours de son séjour à Malacca (décembre l 547) que Xavier fait la connaissance d'Anjirô qui le persuade de venir évangéliser le Japon. Aussi Xavier s' embarque-t-il pour le pays du Soleil levant avec deux autres jésuites, Cosme de Torres et Juan Fernandez. Ils parviennent à Kagoshima le l 5 août l 549. Xavier effectue deux voyages sur l'île de Hirado (juillet et septembre-
448
octobre l 5 50), il séjourne à Yamaguchi (novembre l 5 50, janvier l 5 51), puis à Miyako (actuelle Kyôto ). Il se rend au Bungo, à la demande du daimyô Ôtomo Yoshishige (août l 5 5l). De là, il repart pour l'Inde en novembre l 5 5r. Xavier comprend que, pour convertir le Japon, il est indispensable de commencer par la Chine. Aussi, en mai l 5 52, il abandonne Goa et Cochin pour Malacca. À cause de rivalités entre les Portugais à Malacca, Xavier ne peut s'embarquer pour la Chine en qualité d'ambassadeur. Il parvient néanmoins sur l'île de Sangchuan en août l 5 52, accompagné du Chinois Antonio. Malade, il meurt le 3 décembre l 5 52, sans avoir atteint la Chine. Les Portugais transportent le corps à Malacca, puis à Goa où il est reçu triomphalement. François Xavier est béatifié par Paul V en 1619 et il est canonisé par Grégoire XV le l 2 mars I 622, en même temps qu'Ignace de Loyola.
SIGLES ET ABRÉVIATIONS
AGI
Archivio General de las Indias.
AHSI ARSI
Archivum Historicum Societatis ]esu.
CE
Archivum Romanum Societatis Iesu. Archivio Segreto Vaticano. Biblioteca da Ajuda. Biblioteca Apostolica Vaticana. Cartas de Evora: Cartas que os padres e irmdos da Companhia de ]esus
DI
que andao nos reynos de ]apdo escreverdo aos da mesma Companhia da IndiaEuropa, desdo anno de r549 atèo de r580, Primeiro tomo, Nellas se conta oprincipio, socesso, I a bontade da christandade daquelles partes, ros varios costumes, I a idolatrias da gentilidade, Impressas por mandado do Ilusstrissmo, & reverendissimo senhor dom Theotonio de Bragança Arcebispo d'Evora, Em Europa, Manoel de Lyra, l 598. Documentalndica (éd. Joseph Wicki), Roma, Institutum Historicum
ASV BA BAY
449
Societatis Iesu, 1948-1988, 18 vol.
D]
Monumenta historica ]aponiae, Documentas del japon, (éd. Juan Ruiz de Medina), Roma, Institutum Historicum Societatis Iesu,
Hf
MH]
1990-1995, 2 vol. Luis Fr6is, Historia de ]apam, éd. Anabela de Mourato, Nuno Camarinhas et Tiago C. P. dos Reis Miranda, Lisboa, 2002 [DVD].
Monumenta historica ]aponiae l Textus catalogorum japoniae aliaeque de persanes domibusque Societatis Iesu in ]aponia, informationes et relationes r549-r654, éd. Josef Franz Schütte, Roma, Institutum Historicum Societatis Iesu, 1975·
•
NOTES SUR LA TRANSCRIPTION DU JAPONAIS ET LES TRADUCTIONS
On a adopté dans ce travail la romanisation du japonais selon le système Hepburn, qui est le plus commun. L'allongement des voyelles est systématiquement marqué par un macron.
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Pour ce qui est des noms de lieux, on a privilégié la transcription moderne des toponymes et l'on a respecté les voyelles longues (ex. : Tôkyô, et non Tokyo). Le pluriel n'est pas marqué en japonais et l'on a conservé cette caractéristique linguistique (Ex: les daimyo). Dans les sources, la transcription des noms de lieux ou des noms communs est faite par les missionnaires, à partir du portugais ou de l'espagnol : elle a été gardée dans les traductions. Le prénom est placé après le nom {ex. : Takayama Ukon). Néanmoins, il est courant que seul le prénom soit utilisé dans les sources et dans les œuvres littéraires, particulièrement pour les personnages célèbres (ex. : Nobunaga et non Oda). Ces caractéristiques ont également été respectées. Les principaux personnages mentionnés dans ce travail font l'objet d'une courte fiche biographique en annexe. On ne donne que la traduction française des citations en portugais, espagnol, italien ou latin.
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]esuitas naÀsia: 49-IV-50; 49-IV-56; 49-IV-57; 49-IV-58; 49-IV-59; 49-IV-60; 49-IV-66; 49-V-5 ; 49-Vl-8; 51-VIII-18. Italie Archivum Romanum Societatis lesu (Rome)
451
Congregationes provinciales (Congr) 46. Fondo Gesuitico (FG) 724/3. ]aponica-sinica (Japsin) 2 ; 3 ; 7-I ; 8-1 et II ; 9-I ; 10-I ; 11-l et II ; 12-I et II ; 13 I et II ; 14-I et Il ; 15-I et II ; 16-l et II ; 17; 22; 24; 3 3 ; 40; 49; 51 ; 52; 54; l-207.
Institutum 195-1. Archivo Segreto Vaticano (Rome)
Sec. Brev. 62; 213 ; 232; 293 ; 329 ; 3 59· Arm. 44, vol. 22 ; 29 ; 3o.
• "C
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"C
Cil
Biblioteca Apostolica Vaticana (Rome)
Reg. Lat. 426; 459. Propaganda Fide (Rome)
SOCG n° 189. SRCG n° 101; 129; 102; 131; 189. Espagne Archivio General de las lndias (Séville)
Filipinas Legajo 1. Filipinas 4. Filipinas 6 R. 7 N. 107. Filipinas 60 N. 1 . Filipinas79 N. 21; N. 28; N. 66. Filipinas 84 N. 63 ; N. 70; N. 80; N. 113.
•
Biblioteca de la Real Academia de la Historia (RAH), Madrid
Cortes9h663; 9/2665; 9/2667. Jesuitas (legajos) 2r.
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