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French Pages 405 [412] Year 2005
Deux siècles d'esclavage au Québec
Marcel Trudel avec la collaboration de Micheline D Allaire CAHIERS DU QUÉBEC Q COLLECTION HISTOIRE HMH ■ ■
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Collection Histoire dirigée par Jean-Pierre Wallot Déjà parus dans la même collection :
Fernand Ouellet
Marcel Trudel
Eléments d'histoire sociale du
Dictionnaire des esclaves et de
B as-Canada L’Hôtel-Dieu de Montréal (en collaboration) Jean-Louis Roy Edouard-Raymond Fabre libraire
leurs propriétaires au Canada français Lorraine Gadoury La Noblesse de Nouvelle-France Familles et alliances
et patriote canadien, 1779-1854.
Jean-Marc Larrue
Contre l'isolation et la sujétion
Le Monument inattendu
Nadia F. Eid Le Clergé et le pouvoir politique du Québec Georges Vincenthier Une idéologie québécoise de LouisJoseph Papineau à Pierre Valli'eres Micheline D’Allaire Montée et déclin d'unefamille noble: les Ruette d’Auteuil (1617-1737) Marcel Trudel Catalogue des immigrants 1632-1662
Le Monument-National 1893-1993 Evelyne Kolish Nationalismes et conflits de droits. Le débat du droit privé au Québec, 1760-1840 Lorraine Gadoury La Famille dans son intimité. Echanges épistolaires au sein de l’élite canadienne du XVIIIe siècle Marcel Trudel Les Ecolières des Ursulines de Québec, 1639-1686 Amérindiennes et Canadiennes
Micheline D’Allaire Les Dots des religieuses au Canada français, 1639-1800
Marcel Trudel Mythes et réalités dans l'histoire du Québec
Michel Grenon et al. L’Image de la Révolution française au Québec
Marcel Trudel La Nouvelle-France par les textes Les cadres de vie
Deux siècles d'esclavage au Québec
Cahiers du Québec fondés par Robert Lahaise
Directeurs des collections : Beaux-Arts François-Marc Gagnon Communications Claude-Yves Charron Cultures amérindiennes Droit et criminologie Jean-Paul Brodeur Education /Psychopédagogie Ethnologie Jocelyne Mathieu Géographie Hugues Morrissette Histoire et Documents d’histoire Jean-Pierre Wallot Littérature et Documents littéraires Jacques Allard Musique Lyse Richer Philosophie Georges Leroux Science politique Sociologie Guy Rocher
Marcel Trudel O.C., C.Q., D. ès L. de l’Académie des lettres du Québec professeur émérite de l’Université d’Ottawa
avec la collaboration de Micheline D’Allaire
Deux siècles d'esclavage au Québec suivi du :
Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français sur CD-ROM
Thomas J. Bata Library
TRENT UNIVERSITY PETÊftBOF
CAHIERS DU QUÉBEC jjjj COLLECTION HISTOIRE IHMiH
Catalogage avant publication de la Bibliothèque nationale du Canada Trudel, Marcel, 1917Deux siècles d’esclavage au Québec Nouv. éd. (Les cahiers du Québec; CQ_139. Collection Histoire) Publ. antérieurement sous le titre: L’esclavage au Canada français. Québec: Presses universitaires Laval, 1960. Doit être acc. d’un disque optique d’ordinateur ayant pour titre : Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français. Comprend des réf. bibliogr. et un index. ISBN 2-89428-742-9 1. Esclavage- Québec (Province) - Histoire. 2. Esclavage - Canada - Histoire. 3. Esclavages indiens d’Amérique - Québec (Province) - Histoire. 4. Esclaves Québec (Province) - Biographies - Dictionnaires français. 5. Propriétaires d’esclaves — Québec (Province) - Biographies - Dictionnaires français. I. Titre. IL Titre: L’esclavage au Canada français. III. Titre: Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français. IV. Collection: Cahiers du Québec; CQ_139. V. Collection: Cahiers du Québec. Collection Histoire. HT 1051 ,T7 2004 2004
306.3’62’09714
C2004-940421-0
Les Éditions Hurtubise HMH bénéficient du soutien financier des institutions suivantes pour leurs activités d’édition : • Conseil des Arts du Canada • Gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) • Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) • Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du gouvernement du Québec Maquette de la couverture'. Olivier Lasser Photographie de la couverture'. Portrait d'une esclave noire, par François Malepart de Beaucourt, 1786, Musée McCord d’histoire canadienne, Montréal. Maquette intérieure et mise en page'. Guy Verville Editions Hurtubise HMH ltée 1815, avenue De Lorimier Montréal (Québec) H2K3W6 Tel.: (514) 523-1523
Distribution en France: Librairie du Québec / D.N.M. 30, rue Gay-Lussac 75005 Paris FRANCE [email protected]
ISBN : 2-89428-742-9 Dépôt légal : 2e trimestre 2004 Bibliothèque nationale du Québec Bibliothèque nationale du Canada Copyright © 2004, Éditions Hurtubise HMH ltée
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Table des matières
préface. AVANT-PROPOS.
il
INTRODUCTION.
13
Un nègre chez Guillaume Couillart.
13
Les Amérindiens seront-ils traités comme bois d’ébène ?
16
Les premiers Amérindiens esclaves.
21
L’arrivée des Amérindiens esclaves.
23
CHAPITRE PREMIER / ON VEUT DES NÈGRES.
31
Des nègres pour le Canada.
32
L’autorisation de Louis XIV.
34
Pas même un nouvel esclave noir chaque année.
37
Le bois d’ébène trop dispendieux pour les Canadiens ?.
40
Bégon plaide pour une cargaison de nègres.
43
Nouvelle autorisation d’une cargaison de nègres.
45
CHAPITRE II / LA LÉGALISATION DE L’ESCLAVAGE.
49
Les garanties des propriétaires d’avant 1709?.
49
L’intendant Raudot et la légalisation de l’esclavage en 1709 ...
52
Louis XV et l’esclavage amérindien.
55
L’Amérindien esclave, article d’exportation?.
60
Un Noir est esclave où qu’il se trouve.
65
La capitulation de 1760 et le maintien de l’esclavage.
66
CHAPITRE III / PRÈS DE 4200 ESCLAVES AU QUÉBEC.
69
Les difficultés d’un dénombrement.
69
Près de 2700 Amérindiens esclaves.
73
Des Panis en abondance.
76
Autres esclaves de la vallée du Mississippi.
78
Un contingent d’esclaves de l’Ouest.
79
Esclaves des Grands Lacs.
80
Des esclaves des nations du Nord.
83
L’éloignement du pays d’origine, une garantie.
84
Au moins 1443 Noirs.
84
Un peu moins de 4200 esclaves au Québec.
90
La répartition géographique des esclaves.
93
Deux siècles d’esclavage au Québec
CHAPITRE IV / LE MARCHÉ AUX ESCLAVES.
IOI
Les esclaves comme biens meubles.
ioi
Même un baptisé peut devenir un bien meuble.
103
Diverses occasions d’acquérir des esclaves.
105
Marché public et ventes à l’enchère.
107
Un marché peu actif.
no
À la recherche d’une marchandise saine.
ni
Une marchandise jeune.
113
Le noir plus dispendieux que le rouge.
114
On s’endette pour un esclave.
116
Parfois de mauvaises affaires.
117
CHAPITRE V / DES PROPRIÉTAIRES À TOUS LES ÉCHELONS DE LA SOCIÉTÉ.
123
Des propriétaires francophones.
123
Hauts fonctionnaires du Régime français.
125
Hauts fonctionnaires du Régime anglais.
127
Les commerçants en tête des propriétaires.
128
Au sein des professions libérales.
130
Les gens d’Eglise et les esclaves.
134
Qui sont les « grands » propriétaires ?.
140
CHAPITRE VI / LES CONDITIONS DE VIE DES ESCLAVES.
143
Législation et protection de l’esclave au Canada.
143
Des esclaves traités en enfant adoptifs ?.
147
Lecture et écriture chez les esclaves.
149
L’apprentissage d’un métier.
132
La tenue vestimentaire.
137
Des esclaves à l’hôpital.
164
L’esclave meurt jeune.
x66
Les rares esclaves de 70 ans et plus.
170
L’inhumation des esclaves.
172
L’attachement aux maîtres.
176
CHAPITRE VII / LES ESCLAVES ET LES SACREMENTS.
183
Le baptême tardif de certains esclaves.
183
80% des esclaves sont baptisés.
187
Le baptême : un événement social.
189
Des esclaves parmi les parrains et marraines.
194
Les prénoms les plus communs.
xgô
Le sacrement de confirmation.
^7
La communion.
xçç
Les autres sacrements.
,nn
Table des matières
9
CHAPITRE VIII / CRIMES ET CHÂTIMENTS.
203
Les insoumis.
204
Pour le vol, la potence.,.
207
Aux galères pour avoir violenté une fille.
212
Pendue pour avoir frappé ses maîtresses à coup de couteau ...
215
Deux homicides dus à des Panis.
217
L’incendie de Montréal.
219
Crimes des esclaves, actes isolés.
222
CHAPITRE IX / L’ESCLAVE A-T-IL DES DROITS D’HOMME LIBRE ?. . .
227
L’esclave comme témoin.
227
Une esclave se prétend libre..
228
Une Noire se réclame de la capitulation...
236
La même justice pour les esclaves.
239
Des esclaves au nom de famille québécois.
242
Les conditions de la Uberté.
244
L’affranchi.
247
CHAPITRE X / DE LA DÉBAUCHE ET DU MARIAGE.
255
À propos de « baisons de débauche ».
255
Une majorité d’enfants illégitimes.
257
Des Québécois pour pères ?. 260 Le bâtard est esclave comme sa mère . ..
262
Le mariage des esclaves.
265
Au mariage, mêmes exigences.
268
Les enfants appartiennent au propriétaire de la mère.
270
Les mariages entre esclaves.
273
CHAPITRE XI / LES CANADIENS ONT-ILS DU SANG D’ESCLAVES ?. . .
279
« Que les Indiens et les Français ne fassent qu’un même sang».
279
Mariages entre Canadiens et Noirs ou Amérindiens.
284
Métis et mulâtres.
288
Du badinage sur un problème agaçant.
292
CHAPITRE XII / LES ESCLAVES DISPARAISSENT UN À UN.
295
Une propagande contre l’esclavage.
295
Un projet de loi contre l’esclavage.
299
Le Haut-Canada interdit l’importation d’esclaves.
302
Le juge en chef ne reconnaît pas l’esclavage.
304
Les propriétaires s’adressent à la Chambre d’assemblée.
308
La Chambre d’assemblée refuse encore de se prononcer.
313
L’esclavage disparaît avant l’abohtion officiebe.
316
Deux siècles d’esclavage au Québec
IO
conclusion.
323
BIBLIOGRAPHIE
.
347
MARCEL TRUDEL.
363
DICTIONNAIRE DES ESCLAVES ET DE LEURS PROPRIÉTAIRES AU CANADA FRANÇAIS.
367
Introduction.
367
ŒUVRES
DE
ANNEXE
Additions et modifications au Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français (sur CD-ROM). 369 INDEX.
383
Avant-propos
I
l y a plus de quarante ans, je faisais paraître une Histoire de l’esclavage au Canada français. Je promettais alors de publier à sa suite un dictionnaire biographique de ces esclaves amérindiens ou noirs que nous avions tenus en servitude aux XVIIe et XVIIIe siècles : or le manuscrit de 900 pages disparut dans un incendie avec une partie de la documentation. Reprenant beaucoup plus tard recher¬ ches et rédaction, je pouvais enfin en 1990 publier un Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires, qui a déjà connu deux éditions. Cette année, mon éditeur a entrepris de mettre à la disposition des lecteurs une édition revue et mise à jour de mon Histoire de l’esclavage, sous le titre de Deux siècles d’esclavage au Québec, en y attachant, sur un CD-ROM, le Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires. Cette édition correspond toujours à ce qu’on appelait « Canada français», c’est-à-dire le Québec actuel augmenté de territoires qui ont jadis dépendu des autorités québé¬ coises. Pour respecter la chronologie de l’histoire, nous devrons utiliser diverses appellations du territoire (et de ses habitants) que les Québécois d’aujourd’hui voient, grosso modo, comme étant le Québec. Mais nous devrons
12
Deux siècles d'esclavage au Québec
parler de Nouvelle-France ou d’Ancien régime pour évoquer ce qui couvrait presque toute TAmérique du Nord avant 1760. Traitant de la période 1760-1791, nous parlerons de Régime anglais puisque la «province de Québec » englobait encore une vaste étendue qui, d’abord réduite en 1764 aux deux rives du Saint-Laurent, retrouve bientôt en 1774 une superficie qui s’étend du Labrador au confluent de l’Ohio et du Mississippi : peuplée surtout de francophones et d’une minorité anglophone, les habi¬ tants en étaient dits «Canadiens». Lorsque nous traite¬ rons des années 1791-1840, nous devrons encore, en toute logique, pour désigner les habitants, parler de « Canadiens français» et non de «Québécois», cette dernière appel¬ lation n’étant que d’usage récent pour qualifier ceux qui habitent la province de Québec. Toutefois, s’il nous arrive de parler du Québec, avant 1867, le lecteur comprendra que l’on se réfère globalement à un État actuel dont l’his¬ toire est faite de périodes diversement nommées et à un territoire qui a subi plusieurs modifications. En présentant ce livre, je tiens à signaler l’important travail qu’y a apporté l’historienne Micheline DAllaire : en raison de conditions particulières qui me sont surve¬ nues, cette édition n’aurait pu s’exécuter sans son essen¬ tielle participation. Marcel Trudel avril 2004
Introduction
M
is à part son abolition officielle en 1834 dans l’Empire britannique, l’esclavage prend fin au
Québec à un moment qu’il est impossible de préciser : nous constatons simplement que vers les années 18101820, nous ne pouvons plus guère identifier d’esclaves. Quand cet esclavage avait-il commencé? Les premiers esclaves sont tellement rares qu’on ne pourrait en situer la pratique générale qu’à partir des années 1680. Il y eut donc deux étapes : d’abord l’apparition de quelques indi¬ vidus en esclavage, puis la servitude qui devint une insti¬ tution régulière dans la société de la Nouvelle-France et qui se perpétua jusque dans le premier quart du XIXe siècle. Un nègre chez Guillaume Couillart Le premier esclave que nous puissions identifier en Nouvelle-France est un négrillon amené ici par les Kirke en 1629, lors de l’occupation anglaise du Saint-Laurent. Il venait de Madagascar ou, selon une autre version, de la Guinée ; mais peu importe ici le lieu d’origine, puisque cela ne change rien à la servitude. Propriété de l’un des trois frères Kirke, le négrillon est vendu pour la somme
Deux siècles d’esclavage au Québec
14
de 50 écus (150 livres : l’équivalent de 6 mois de salaire d’un homme de métier) à Le Baillif, commis français qui s’était donné aux Anglais. En juillet 1632, lorsque ceux-ci mettent un terme à leur occupation, Le Baillif fait cadeau du petit Noir à Guillaume Couillart. Son nouveau maître le mit à l’école du jésuite Le Jeune. Ce missionnaire écrit en 1632 : «Je suis devenu régent en Canada, j’avais l’autre jour un petit Sauvage d’un côté, et un petit Nègre1 ou Maure, de l’autre, auxquels j’apprenais à connaître les lettres. Après tant d’années de régence, me voilà enfin retourné à l’A, B, C, mais avec un contentement et une satisfaction si grande, que je n’eusse pas voulu changer mes deux écoliers pour le plus bel auditoire de France.» Le Père Le Jeune inaugurait ainsi l’enseignement des Jésuites dans la vallée du SaintLaurent, ayant pour premiers élèves un Amérindien et un négrillon. Le professeur ne manque pas de s’amuser de la naïveté de son petit Noir : Nous l’avions pris, écrit-il, pour l’instruire et le baptiser, mais il n’entend pas encore bien la langue, voilà pour¬ quoi nous attendrons encore quelque temps. Quand on lui parla du baptême il nous fit rire, sa maîtresse [Guillemette Hébert, femme de Guillaume Couillart] lui demandant s’il voulait être Chrétien, s’il voulait être baptisé, et qu’il serait comme nous, il nous dit qu’oui : mais il demanda si on ne l’écorcherait point en le bapti¬ sant, je crois qu’il avait belle peur : car il avait vu écor¬ cher ces pauvres Sauvages. Comme il vit qu’on se riait de sa demande, il repartit en son patois comme il peut. [...] Vous dites que par le baptême je serai comme vous, je suis noir et vous êtes blancs, il faudra donc m’ôter la peau pour devenir comme vous; là-dessus on se mit encore plus à rire, et lui voyant bien qu’il s’était trompé, se mit à rire avec les autres.
Introduction
15
Enfin, en 1633, et sans se faire écorcher, le négrillon devint comme un Blanc par le baptême : on lui donna le prénom d’Olivier, en l’honneur du commis général Olivier Le Tardif; et c’est peut-être à partir de ce moment que le Noir porte un nom de famille, Le Jeune, à cause de son père spirituel, le jésuite Lejeune. Le petit Noir ne paraît pas avoir poussé ses études au-delà des rudiments du Catéchisme. Obligé en 1638 de faire une déposition par-devant justice, il se contente de signer d’une croix, mais en cela il ne fait pas plus mauvaise figure que son maître Guillaume Couillart qui, en guise de signature, dessine un bonhomme couché sur le dos. Une déposition par-devant justice ? C’est que le Noir de Couillart, pour avoir fait des siennes, avait été mis en état d’arrestation. En effet, prétendant en tenir le renseignement de matelots venus de Tadoussac, il avait affirmé que l’interprète Nicolas Marsolet venait de rece¬ voir une lettre du traître Le Baillif. Or, Marsolet qui avait eu assez d’ennuis pour sa collaboration avec les Anglais, ne tenait pas du tout à se compromettre davantage : il intente une poursuite contre le Noir. On fait enquête, les témoins assurent que personne n’a vu le navire de Le Baillif. L’esclave est obligé d’avouer devant Guillaume Couillart et Guillaume Hébert, qu’il a affirmé des choses dont il n’avait nulle connaissance. Le tribunal le condamne à demander pardon à Marsolet et, pour sa peine, «à être vingt quatre heures à La chaîne». Voilà notre premier Noir les fers aux pieds ! On ne fait plus mention de lui qu’une seule fois, lorsqu’il est inhumé à Québec le 10 mai 1654 : le prêtre, qui l’appelle Olivier Le Jeune, l’inscrit simplement comme domestique de Guillaume Couillart, sans indi¬ quer d’âge; le Noir devait être dans la trentaine2. Ainsi disparaissait le premier Noir qu’on eût vu dans la vallée du Saint-Laurent. Nous ignorons en quelle qualité exactement il vécut dans la famille de Couillart.
i6
Deux siècles d’esclavage au Québec
En vertu du principe en vigueur à cette époque, tout Noir est esclave quelque part qu’il se trouve, à moins d’avoir été formellement affranchi. Nous n’avons trouvé dans le cas d’Olivier Le Jeune aucune preuve d’émancipation. Il a pu quand même être affranchi sans que l’acte en ait été conservé. Par ailleurs, la qualité de domestique qu’on lui donne au décès, n’exclut pas nécessairement la servitude, car nous rencontrerons de ces domestiques qui, en fait et en droit, sont de vrais esclaves, et il faut se rappeler qu’au XVIIe siècle on appelle domestiques ceux qui font partie de la maison du maître. Nous inclinons cependant
à penser que l’ancien esclave des Kirke et de Le Baillif n’était plus chez Couillart en état d’esclavage. Peut-être sommes-nous en présence d’un simple cas d’adoption. Il reste que pendant une vingtaine d’années, nos ancêtres du Québec ont compté parmi leur toute petite popula¬ tion, ce jeune représentant d’une race esclave. Et on ne peut s’imaginer la maisonnée de Couillart, de 1632 à 1654, sans ce vivant souvenir de l’occupation anglaise.
Les Amérindiens seront-iis traités comme bois d’ébène? Quand il meurt en 1654, le nègre Obvier Le Jeune était, croyons-nous, le seul exemplaire de son espèce, et il faudra attendre plus d’un quart de siècle avant de lui trouver un successeur. En Amérique, cependant, il y avait un autre gibier pour les marchands d’esclaves : l’Amérindien. Christophe Colomb fut le premier à le proposer
à l’attention des Européens en 1493 : je pourrai, écrit-il des Amérindiens d’Amérique aux monarques d’Espagne, procurer « autant d’aloès et d’esclaves pour le service de la marine, que Leurs Altesses en exigeront»; des esclaves, écrit-il encore, j’en enverrai autant qu’on en désirera. Les Européens pouvaient être tentés de traiter la population indigène du Nouveau Monde comme ils traitaient celle de l’Afrique depuis au moins 1444.
Introduction
F
Tentation d’autant plus forte que les Amérindiens d’Amérique étaient eux-mêmes esclavagistes. Parlant des insulaires qu’il vient de rencontrer, Colomb écrit dès le n octobre 1492 : «Je crus, et je crois encore qu’on vient ici de la terre ferme pour les prendre et les réduire en esclavage ». Lorsque les Français s’établissent en Acadie, ils constatent eux aussi que pour leurs congénères les indigènes sont articles de traite ou gibier d’escla¬ vage; quand Lescarbot s’apitoie sur les prisonniers que l’on soumet depuis les temps les plus anciens à toutes sortes de cruautés, il propose que l’on se contente «de les rendre esclaves comme font nos Sauvages ou de leur faire racheter leur liberté3 ». Lafitau nous décrit avec force détails le traitement de ces prisonniers capturés par les Amérindiens : si les captifs ne sont pas torturés jusqu’à la mort, ils sont soumis à des conditions de vie telle¬ ment pénibles que la mort par la torture est quasi préfé¬ rable. C’était si bien la coutume chez les Amérindiens de réduire les prisonniers en servitude que, selon Lahontan, esclaves ou prisonniers, «ce sont termes synonymes» chez eux4. Même chez les Amérindiens domiciliés, c’est-à-dire chez ceux qui vivent en villages dans la vallée du SaintLaurent, on gardait des Amérindiens en servitude. Parlant de la mission iroquoise du Sault-Saint-Louis, le jésuite Nau écrit : «La plupart des adultes que nous instrui¬ sons dans le village sont des esclaves pris en guerre5 ». Il s’en trouve dans d’autres villages : Quicinsik, chef des Algonquins du lac des Deux-Montagnes, possède un esclave « sauvage » que l’on inhume à Montréal le 4 mai 1750, à l’âge de 35 ans environ; à Michillimackinac, la vieille Amérindienne Angélique fait baptiser le 15 août 1762 son esclave «sauvage», Antoine, âgé d’environ 18 ans. Peu à peu, l’habitude de garder pour soi des esclaves amérindiens afin de les vendre aux Français s’établit, car
i8
Deux siècles d’esclavage au Québec
chacun y trouvait son profit. Un fait illustre bien cette facilité de l’indigène à vendre son semblable. Un chasseur amérindien, qui accompagne Bossu dans son voyage des Illinois en 1752, avait la mauvaise habitude de s’enivrer; pour le guérir, la femme du chasseur a recours aux bons soins de Bossu. Celui-ci annonce donc qu’il a quantité d’eau-de-vie, mais qu’il en est fort avare ; le chasseur alors offre sa femme pour toute une lune : «Je lui remontra, raconte Bossu, que les Chefs des guerriers blancs ne venaient pas chez les hommes rouges pour jouir de leurs femmes, mais qu’à l’égard de son fils, je l’accepterais volontiers pour esclave s’il voulait me le vendre, que je lui donnerais une barrique d’eau-de-vie ; nous conclûmes le marché en présence de témoins, et il me livra son fils». L’Amérindien s’enivre donc à son aise, puis, quand il eut recouvré ses esprits, ses parents lui reprochent son action dénaturée; il s’excuse en disant que Bossu serait assez bon pour rendre le fils, «qu’il savait que le grand Chef des Français et le père des hommes rouges n’avait point d’enfants esclaves dans son empire. Je lui répliquai que cela était vrai, mais que je l’avais adopté pour mon fils et qu’en cette qualité j’allais l’emmener en France pour en faire un chrétien, que toutes les pelleteries de sa Nation ne suffiraient pas pour le racheter». On conseille alors à l’Amérindien d’aller voir le missionnaire ; il fut convenu que Bossu rendrait le fils à condition qu’il soit baptisé et que le père fasse « abjuration de l’ivrognerie qui lui avait été si funeste»; le père accepte, abjure et tient parole6. Si encore en 1752, un Illinois est prêt à vendre son fils comme esclave pour pouvoir s’enivrer, il fallait que ce fut chez les Amérindiens un bien ancien réflexe que celui de vendre leurs semblables. Il faudrait d’ailleurs tout un livre pour raconter la traite d’esclaves que les indigènes de l’Amérique du Nord ont pratiquée avec les Blancs, Français et Anglais. Ici même dans cet ouvrage, nous verrons une partie de
Introduction
!9
cette traite avec les habitants de la Nouvelle-France et du Régime anglais, mais il resterait à étudier la traite des esclaves amérindiens du côté des colonies anglaises. Ce que Colomb avait constaté chez les indigènes d’Amé¬ rique dès 1492 allait se poursuivre jusque vers la fin du
XVIIIe siècle. Comme ces Noirs d’Afrique qui servaient d’intermédiaires auprès des négriers, les indigènes d’Amérique sont grandement responsables de la mise en servitude de leurs congénères. Les Français, cependant, hésiteront un assez long temps à faire la traite des Amérindiens ou à réduire des prisonniers en servitude. Ce n’est aucunement pour des fins d’esclavage que Jacques Cartier emmène en France en 1534 les deux indigènes du Honguedo et, en 1536, le chef Donnacona : dans le premier cas, c’est pour ensei¬ gner le français à des indigènes qui pourront ensuite lui servir de guides et d’interprètes ; dans le second, Cartier veut simplement éloigner de Stadaconé un chef qui peut mettre en danger l’alliance franco-amérindienne. On a pensé que les Français d’Acadie auraient dès 1607 réduit ou voulu réduire des Amérindiens en servitude pour faire fonctionner un moulin à farine : il s’agit là, croyons-nous, d’une mauvaise interprétation d’un texte de Lescarbot7. On ne saurait non plus parler d’esclavage à propos des trois petites Amérindiennes (Foi, Espérance et Charité) que des Montagnais ont données à Champlain en 1628, à la suite de son désir, disaient-ils, «d’avoir de nos filles pour mener en France, et les faire instruire en la loi de Dieu et aux bonnes mœurs»; Champlain en «prit un tel soin qu’il les fit instruire avec beaucoup de peine, non seulement aux choses de la foi, mais aussi en des petits exercices de filles, et en tapisserie qu’il leur traçait lui-même », mais quand il voulut emmener en France en 1629 les deux Amérindiennes qu’il lui restait, les Kirke s’y opposèrent8.
Deux siècles d’esclavage au Québec
20
Nous avons affaire au même genre d’adoption lorsque Chomedey de Maisonneuve reçoit une petite fille d’une mère amérindienne qui en fait don volontairement : cette petite fille est baptisée à Montréal le 4 août 1658 à l’âge de 9 mois. Selon Dollier de Casson, les sœurs de la Congrégation avaient, elles aussi, adopté des Amérindiennes, dont la première serait peut-être la petite de Chomedey de Maisonneuve : Le 13 du mois d’août [1663] une petite sauvagesse nommée Marie des Neiges et qui promettait beaucoup est morte à la Congrégation chez la sœur Bourgeois, laquelle l’avait élevée depuis l’âge de dix mois avec des soins et des peines considérables dont elle a été payée par la satisfaction que l’enfant lui donnait; à cause de l’amitié qu’on portait à cette enfant, on a voulu ressus¬ citer son nom par une autre petite sauvagesse qu’on a eue en ce lieu à laquelle on a donné le même nom dans le baptême, cette deuxième étant aussi décédée, on a pris une troisième petite sauvagesse vers laquelle on s’est comporté de la même façon et à laquelle on a donné le même nom [selon le registre des baptêmes de Montréal],
Les Français ne réduisent pas encore des Amérin¬ diens en esclavage, et nous ne croyons pas que celui-ci commence en 1668, quand deux esclaves s’échappent de l’Iroquoisie pour trouver refuge auprès des Français. Dollier de Casson et Gallinée, en route pour leur mission de Kenté, venaient de partir de Lachine le 2 octobre 1668, lorsque, dans une anse du lac Saint-François, ils rencon¬ trent «deux pauvres sauvagesses toutes décharnées qui se retiraient aux habitations françaises pour se délivrer de T esclavage où elles étaient depuis quelques années ; il y avait quarante jours quelles étaient parties du village Onnéiou où elles étaient esclaves et n’avaient vécu
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pendant tout ce temps-là que d’écureuils qu’un enfant âgé de io à 12 ans tuait avec des flèches que lui avaient faites ces pauvres femmes abandonnées ». Après maintes difficultés, les sulpiciens obtiennent de leurs guides iroquois que l’une de ces femmes ait le loisir de pour¬ suivre jusqu’à Montréal avec son petit garçon et que la deuxième soit confiée à des Hurons qui allaient traiter à Montréal. Enfin, les deux esclaves fugitives atteignirent Montréal que Dollier de Casson qualifie d’ancien « asile des malheureux fugitifs9 ».
Les premiers Amérindiens esclaves Jusqu’ici on n’a fait qu’adopter des indigènes et Ville-Marie a servi de refuge à des esclaves fugitifs, mais à partir de 1671 un fait nouveau se produit : on acquiert des Amérindiens esclaves. Certes, ces premiers Amérindiens ne paraissent pas toujours, une fois acquis par les Français, formellement considérés comme esclaves. Ce qui compte ici, c’est que ces esclaves aient été présentés à des Français et que des Français les aient acceptés, au moins pour un temps, en qualité d’esclaves. Ainsi, pour apaiser la colère du gouverneur Rémy de Courcelle, les Iroquois lui amènent en 1671 deux esclaves poutéoutamises ; le gouverneur accepte ces deux esclaves et laisse tomber son courroux. Que fait-il de ces deux esclaves, les premières Amérindiennes à entrer au Québec à titre officiel d’esclaves ? Il les place chez les sœurs de la Congrégation : Ces deux filles, écrit Dollier de Casson, sont chez les sœurs de la Congrégation où elles ont appris le langage français et ont été élevées à l’Européenne, en sorte que la grande qui a été baptisée, est en état de se marier avec un Français, mais ce qui serait à souhaiter, ce serait qu’on eût un peu moyen de la doter, afin qu’étant à son
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aise, cela donne exemple aux autres et les animât du désir d’être élevées à la Française ; la plus petite des deux filles dont nous parlons, étant enlevée quelque temps après avoir été à la Congrégation par sa mère laquelle l’avait donnée conjointement avec les Iroquois, une fille de la Congrégation courant après pour la faire revenir, cet enfant quitta sa mère qui la tenait à bras pour se jeter dans les mains des filles de la Congrégation.
Pour assurer l’instruction de ces deux filles, on eut recours à une somme de 1200 livres environ que des bien¬ faitrices de France avaient donnée10. Ces esclaves reçues des Iroquois et acceptées par Rémy de Courcelle en qualité d’esclaves, sont bientôt traitées comme personnes libres ou à peu près : on les élève à la française ; l’une est en état d’épouser un Français, et l’on souhaite que d’autres Amérindiennes imitent cet exemple. Les Amérindiens ont donc commencé à donner des esclaves amérindiens aux Français. Après le gouverneur Rémy de Courcelle, l’explorateur Louis Jolliet reçoit la même faveur. Au cours de son expédition du Mississippi, des indigènes lui donnent un petit esclave qu’il ramène avec lui en 1674 mais, en vue de Montréal, le canot chavire et Jolliet perd le petit esclave, deux hommes et ses papiers. Il écrit à l’évêque Laval : «J’ai beaucoup de regret d’un petit esclave de dix ans qui m’avait été donné en présent. Il était doué d’un don naturel, plein d’esprit, diligent et obéissant, il s’expliquait en français ; commençait à lire et à écrire11». Buade de Frontenac fait mention de ce petit esclave, en précisant toutefois (ce que Jolliet ne dit pas) que cet Amérindien lui était destiné. Le gouverneur écrit à Colbert : Jolliet «perdit tous ses papiers et un petit Sauvage qu’il m’amenait de ces pays-là, duquel j’ai eu un grand regret12». C’est, à notre connaissance, le premier esclave qui soit venu de si loin que le Mississippi; il allait en venir bien d’autres.
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En 1678, un explorateur retrouve la situation de Jolliet : Daniel Greysolon Dulhut s’apprête à partir pour son grand voyage du lac Supérieur lorsque, à Montréal, des Amérindiens lui donnent trois esclaves13. Mais, dans notre documentation, le premier Amérindien qui soit précisément qualifié d’esclave, est cette fille anonyme appartenant au même Buade de Frontenac et dite esclave, que les Ursulines de Québec inscrivent à son entrée comme pensionnaire le 23 juillet 1679, pour être instruite, et qui sort du couvent le 7 octobre 168014. On ne sait ce qu’elle devint. Puis, pendant quelques années, la documentation ne nous fournit plus rien de suffisamment précis. En février 1681, on inhume à Lachine (registre d’état civil) une Amérindienne des Loups, Marie, âgée de 28 ans : venue d’une tribu associée aux Iroquois, elle était certai¬ nement prisonnière de guerre et sa présence à Lachine nous amène à croire qu’elle était en servitude. En 1685, chez Nicolas Juchereau de Saint-Denys, seigneur de Beauport, décède l’Amérindienne Agnès, fille de Mathieu Houlacous : elle a reçu le saint-viatique et est morte après «avoir mené une vie louable»; Joseph Giffard et Nicolas Juchereau de Saint-Denys assistent à l’inhumation (registre d’état civil) : comme les Amérindiens domici¬ liés (Hurons, Algonquins, Abénaquis et autres) n’avaient pas l’habitude de servir de domestiques chez les Français, nous serions bien tenté de compter parmi les esclaves cette Agnès en service au manoir de Beauport. L’arrivée des Amérindiens esclaves À partir de 1687, commence le défilé constant des esclaves amérindiens. Défilé fort modeste dans ses débuts, mais qui ne cessera qu’au début du XIXe siècle. En 1687, voici deux Panis15, les premiers de leur groupe dans la vallée du Saint-Laurent, Panis qui viennent
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du lointain bassin du Missouri : Pierre, âgé de io ans environ, inhumé à Montréal le 15 octobre; Jacques, âgé de 9 ans, inhumé aussi à Montréal le 19 décembre. En 1688, se présente un autre Panis, Louis, qui à Lachine reçoit de l’évêque le sacrement de confirmation. En 1689, un Panis anonyme (qui pourrait être celui qu’on vient de confirmer), périt dans le massacre de Lachine avec René Chartier à qui il sert d’esclave. Depuis combien de temps ces esclaves étaient-ils parmi les Français? nous l’ignorons. En tout cas, la date de leur apparition dans les registres d’état civil est nécessairement postérieure à leur apparition dans la société française ; et, pour sa part, le Panis Louis devait être arrivé depuis un assez long temps, car avant d’être confirmé, il a dû apprendre suffisamment de français et de catéchisme pour recevoir le sacrement16. Chaque année, ou presque, de cette fin de siècle nous présente des Amérindiens esclaves. Après ce Panis esclave de René Chartier qui meurt dans le massacre de Lachine, un Philippe, Amérindien d’un nommé Lalemant, sort de l’Hôtel-Dieu de Québec le 28 décembre 1689. En 1690, trois Amérindiens font un séjour à ce même hôpital : un Panis qualifié aussi d’Illinois et appartenant à l’officier Tonty, y meurt le 22 mai; un nommé Bernard, inscrit comme dépendant de l’évêque Saint-Vallier, y séjourne en juillet et y revient en août pour mourir le n septembre à seulement 8 ans ; l’Illinois Pierre se fait soigner chez les Jésuites en août et y séjournera encore de novembre 1691 à février 1692, cette fois qualifié de domestique. Les Illinois sont venus dans la vallée du Saint-Laurent par le chemin de l’es¬ clavage, mais nous ignorons si cet Illinois des Jésuites vivait encore en servitude. La même année, en novembre, un Amérindien anonyme, propriété de l’officier Paul Lemoyne de Maricourt, se fait traiter à l’hôpital. En 1671, le registre de l’Hôtel-Dieu mentionne le Panis Nicolas,
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âgé de 13 à 15 ans, propriété d’un Doyon : il y séjourne en avril et en novembre ; ce Panis épousera une Canadienne en 1710, adoptant Doyon comme nom de famille. Dans le registre, nous trouvons aussi un Amérindien anonyme de Pierre Moreau de Lataupine : malade en juillet, il y meurt le mois suivant17. Le 24 mai 1692, on baptise à Montréal un Amérindien de Jean Mailhiot, nommé François et âgé de 8 ans environ : le rédacteur de l’acte de baptême précise que cet Amérindien vient de 300 lieues par-delà les Illinois. Il s’agit encore d’un enfant qu’on a obtenu par l’intermédiaire de tribus esclavagistes. Sa servitude achève tôt : il meurt dès juillet suivant. En février 1695, l’Amérindien François qui appartient à un Lamontagne et qui a 23 ans, séjourne à l’Hôtel-Dieu de Québec. À ce même endroit, le 24 avril, meurt le Panis Ignace. En novembre 1695, de la tribu des Loups, Jeanne Wannanemim, prise près de Deerfield par les Iroquois du Sault-Saint-Louis, est amenée à Montréal : prisonnière des Amérindiens et par conséquent en servitude, elle est baptisée le
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mai 1698 à l’âge d’environ 50 ans. L’officier
Louis Dailleboust de Coulonge fait baptiser à Montréal, le 9 juin 1696, une Panise qui lui appartient, PhilippeMarie-Louise, âgée de 14 ou 15 ans. La même année, le 27 septembre, on baptise à Sainte-Anne-de-la-Pérade, un petit Arkansas de cinq ans, Louis : le propriétaire n’est pas désigné, mais ce petit Arkansas, originaire de la vallée du Mississippi, est certainement esclave comme ceux qu’on a importés d’aussi loin. En 1698, est baptisé à Montréal un autre Arkansas, Jean, âgé de 10 ans, qui appartient celui-là à Jacques Picard : il avait été amené au pays l’année précédente par ce même Picard; en décembre, Jean-Amador Godefroy de Saint-Paul voit mourir son Panis, Jean-Baptiste, à Trois-Rivières. Enfin, l’année 1699 nous fait connaître un troisième Arkansas, Jean-Baptiste, âgé de neuf ans et qui appartient au trai¬ teur Pierre Trutaut : on baptise cet Arkansas à Montréal
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le 21 avril (il est inhumé au même endroit le 18 février 1709). Voici un autre Panis, Jacques, âgé de 36 ans qui entre à l’Hôtel-Dieu de Québec le 22 mai et y meurt le 2 juin ; à cause de son âge, ce Panis devait être au Québec depuis nombre d’années18. Ce sont là des Amérindiens esclaves que nous révèle la documentation, mais il y aurait aussi à connaître ceux que les officiers des postes des pays d’en haut (les Grands Lacs) pouvaient déjà posséder; à proximité du marché, ces officiers ont dû, comme ceux du XVIIIe siècle, s’approprier des esclaves dès le XVIIe, car il a toujours été d’usage, avant toute cérémonie de traite, de faire un échange de cadeaux entre Amérindiens cueilleurs et commerçants français, et les cadeaux que reçoivent ces derniers sont pour une part des esclaves. Au XVIIIe siècle, le commerce porte peut-être déjà à la fois sur la fourrure et sur les esclaves. Pour cette période d’avant 1700, nos recherches sur les postes des Grands Lacs ont donné peu de résul¬ tats, à part cet esclave chaouanon que l’on donne en 1699 à Juchereau, commandant de Michillimackinac, et que celui-ci fait tout de suite fusiller. Pourquoi? Selon Lahontan, un groupe d’Iroquois qui se rendaient en ambassade auprès des Français avaient été capturés par des Hurons, sous la conduite du fameux Le Rat qui avait tout intérêt à faire échouer les tentatives de paix amorcées par le gouverneur Denonville. Or, parmi ces prisonniers se trouvait un esclave chaouanon : Le Rat en fait présent à Juchereau, mais celui-ci, écrit Lahontan, à peine en possession de son esclave, «il se donna le joli divertissement de le faire fusiller»; ce que Le Rat atten¬ dait, et tout de suite il libéra un Iroquois pour qu’il aille raconter aux siens la façon dont les Français respectaient les ambassades19. Si Lahontan a dit vrai, ce Juchereau avait une bien curieuse façon de profiter des cadeaux !
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Lahontan, pour sa part, aurait reçu des esclaves amérindiens lors de son voyage du Mississippi, esclaves donnés par un chef des Eokoros pour servir de guides jusqu’aux pays d’où ils étaient originaires ; il aurait bien voulu en amener quatre au Canada : «Je crus que je ne pourrais retourner en Canada avec un plus précieux butin. Je leur en fis donc la proposition; je m’engageai à obtenir leur liberté du Grand Chef; je leur promis une douce et honorable condition, et des avantages si consi¬ dérables que s’ils m’avaient pris au mot j’eusse été fort embarrassé à leur tenir parole », mais l’amour de la patrie l’emporta et les quatre esclaves préférèrent rentrer chez eux20. Ils avaient bien fait, puisque Lahontan n’était pas sûr de remplir ses promesses. Si nous réunissons en un même tableau les esclaves amérindiens qui, en cette fin du XVIIe siècle, vivent parmi la population française, nous trouvons donc, sur une période de 29 ans, 29 Amérindiens esclaves : 3 vien¬ nent de l’Arkansas, 10 sont qualifiés de Panis (les Panis vivaient dans le Haut-Missouri), 1 a été tiré du pays des Illinois, 2 sont originaires du sud du lac Michigan, 2 viennent du pays des Loups, au sud de l’Iroquoisie ; quant aux autres, nous ignorons leur origine, mais ils ont dû venir d’un pays lointain, car les Amérindiens de la vallée du Saint-Laurent n’étaient pas réduits en escla¬ vage. Nous ne connaissons l’âge que de 14 d’entre eux et, de ceux-là 10 n’ont pas plus de 15 ans. Il y en a de très jeunes, comme cet Amérindien de cinq ans qui vient du pays des Arkansas. Dès maintenant, se dégage un trait qui sera constant dans l’histoire de notre esclavage amérindien : les esclaves sont tout jeunes; ce qu’on tire des tribus lointaines, ce sont surtout des enfants. Pour ces 29 premiers esclaves amérindiens, les propriétaires ne sont pas toujours indiqués ou, s’ils le sont, nous ne réussissons pas chaque fois à déterminer
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Deux siècles d’esclavage au Québec
leur profession. En tout cas, deux gouverneurs acceptent des esclaves amérindiens, exemple qui sera suivi par d’autres gouverneurs. L’évêque Saint-Vallier a un petit Amérindien et ne sera pas le seul évêque propriétaire d’esclaves. L’Amérindien qui vient des Jésuites ne sera pas non plus le seul esclave amérindien à appartenir à une communauté religieuse. Les explorateurs Jolliet et Greysolon-Dulhut auront des imitateurs, dont le plus célèbre sera Gaultier de Lavérendrye. Les officiers Tonty, Lemoyne de Maricourt et Dailleboust de Coulonge sont en tête d’une liste qui s’allongera au cours du siècle suivant ; il en est de même de celle des traiteurs. Autorités coloniales, officiers militaires, explorateurs et traiteurs, voilà ce que nous présente la liste du XVIIe siècle : c’est en somme selon ces principaux groupes que se répar¬ tiront les propriétaires dans la grande époque de l’es¬ clavage, d’autant que ceux-ci sont en relations avec les tribus amérindiennes. Nous parlons d’esclaves : mis à part ceux qui sont qualifiés d’esclaves ou dits appartenant à un propriétaire, il n’est pas certain que les autres Amérindiens soient tous esclaves au moment où ils apparaissent dans la docu¬ mentation, mais ils l’étaient à leur entrée au pays. Un tel acquiert un esclave amérindien, mais cet Amérindien tout en demeurant attaché à la personne de l’acquéreur, peut fort bien ne plus être esclave. Il suffit pour les fins de notre étude que cet Amérindien entre dans la popu¬ lation française à titre d’esclave pour le compter comme tel. Par ailleurs, les documents ne sont pas toujours expli¬ cites et nous obligent parfois à procéder par déduction. Par exemple, avant que l’intendant Raudot n’intervienne en 1709 pour donner un caractère légal à l’esclavage, les registres d’état civil semblent répugner à l’emploi du mot esclave; dans la quinzaine d’actes civils de cette période qui concernent les esclaves, nous ne trouvons qu’une seule fois le mot esclave : à Lachine dans un acte
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du 28 octobre 1694, lorsqu’on procède à l’inhumation de victimes de 1689, on qualifie d’esclave l’Amérindien panis de René Chartier. C’est la première fois que les registres d’état civil d’avant 1700 emploient le mot esclave; d’or¬ dinaire, on se contente d’écrire sauvage appartenant à ou sauvage d’un tel.
► NOTES 1.
Le mot «nègre», à lepoque de l’esclavage, signifie un esclave noir employé aux travaux dans la colonie. Le nègre est alors considéré comme une marchandise, comme un bien meuble. Avec le temps le mot «nègre» a pris un sens péjoratif. Dans notre texte, nous utilise¬ rons le mot « Noir » au beu de « nègre », sauf dans les citations et dans certains cas où des individus sont clairement identifiés comme des objets mis en vente.
2.
Relations des Jésuites, éd. Thwaites (à l’avenir RJ), V, 62, 196 ; doc. 20 août 1638, dans Archives du Séminaire de Québec (à l’avenir ASQ), Documents Faribault, 17; acte d’inhumation, 10 mai 1654, reg. de Notre-Dame-de-Québec.
3.
Lettre dans RJ, II : 43.
4.
Lafiteau, Mœurs des sauvages américains (éd. 1724), IV, 1-33 ; Lahontan, Voyages, 1,148.
5.
Au jésuite Bonin, 2 octobre 1735, dans le Rapport de l’archiviste de la province de Québec (à l’avenir RAPQ) pour 1926-1927, 285.
6.
Bossu, Nouveaux voyages aux Indes occidentales (éd. 1768), 1,136-140.
7.
Voir là-dessus l’interprétation erronée de Benjamin Suite dans Histoire des Canadiens-Français, I, 66 ; et ce que nous en disons dans notre Histoire de la Nouvelle-France, II, 480.
8.
Sagard, Histoire du Canada (éd. 1866), IV, 829s.; The Works of Samuel de Champlain (éd. Champlain Society), V, 248 ; VI, 51s.
9.
Dollier de Casson, Histoire du Montréal, 97.
10.
Dollier de Casson, Ibid., 113s.
11. Jolliet à M8r de Laval, 10 octobre 1674, dans Delanglez, Louis Jolliet, 403 ; voir aussi 194. 12.
Buade de Frontenac à Colbert, 14 novembre 1674, RAPQ, 1926-1927,
13.
Mémoire de Dulhut au ministre, dans Margry, Origines françaises des
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-
pays d’outre-mer, VI, 21.
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14.
Archives des Ursulines de Québec, Livre des entrées et sorties des filles françaises et séminaristes, années 1679 et 1680.
15.
«Panis» désigne proprement une tribu amérindienne de la région du Missouri; mais à cause de leur grand nombre dans la popula¬ tion esclave, cette appellation est devenue un nom commun, « Panis », pour désigner un Amérindien en état de servitude. Tout Panis était, pour ainsi dire, esclave par nature : tout Panis est esclave au moment où nous le rencontrons ou l’a été au moment d’entrer au Québec.
16.
Détails tirés des registres d’état civil.
17.
Archives de l’Hôtel-Dieu de Québec (à l’avenir AHDQ), registres des malades et registre mortuaire.
18.
Détails tirés des registres d’état civil ainsi que des registres des malades et du registre mortuaire de l’Hôtel-Dieu de Québec.
19.
Lahontan, Voyages, I, 152, 170, 186, 295s. (lettres des 26 mai et 18 septembre 1688 et du 28 septembre 1689).
20.
Ibid., I, 216, 225, 228,233,235, 248-250.
CHAPITRE PREMIER
On veut des nègres
A
vant le tournant du siècle, le défilé des esclaves amérindiens demeure donc fort maigre. Le nombre
des Noirs est plus négligeable encore. Après le Noir Olivier Le Jeune, acquis par Guillaume Couillart en 1632 et décédé en 1654, il faut attendre l’année 1686 pour rencontrer un autre Noir en Nouvelle-France : ce La Liberté dont fait mention le recensement de l’Acadie. Pourtant, l’esclavage noir est déjà florissant dans d’autres colonies françaises. En 1640, Jean Aubert avait introduit la canne à sucre dans les Antilles françaises et, la maind’œuvre indigène ou européenne ne pouvant suffire, il avait fallu imiter les Espagnols qui, depuis 1611, tiraient profit de l’esclavage des Africains. La Compagnie fran¬ çaise des Indes occidentales, créée en 1664, se chargea d’approvisionner Aubert en bois d’ébène et, en 1673, la Compagnie du Sénégal se spécialisa dans la traite des Noirs, de sorte qu’en 1687 on peut déjà dénombrer 27000 esclaves noirs dans les Antilles françaises. Un édit de Louis XIV en mars 1685, passé à l’histoire sous le nom de Code noir, tente de « régler ce qui concerne l’état et la qualité des Esclaves dans nosdites îles», sanctionnant officiellement l’esclavage noir dans les Antilles fran¬ çaises1.
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Deux siècles d’esclavage au Québec
Des nègres pour le Canada La canne à sucre nécessita la présence de Noirs aux Antilles ; la main-d’œuvre servira aussi d’argument pour le Canada. Très rares, les ouvriers et les domestiques sont tellement coûteux qu’ils ruinent tous ceux qui se lancent dans une entreprise : le meilleur moyen de remédier à cette situation serait d’introduire des esclaves noirs. C’est ce que le gouverneur Brisay de Denonville et l’intendant Bochart-Champigny écrivent au roi en 16882. Le procureur général du Conseil souverain, passé en France à l’automne de cette même année, fait valoir la demande des autorités canadiennes : en avril 1689, le roi prend connaissance d’un mémoire de ce procu¬ reur général, François-Madeleine Ruette d’Auteuil. Ce mémoire contient diverses suggestions sur la justice, le commerce et la guerre. Le commerce préoccupe surtout Ruette d’Auteuil, mais près de la moitié de ce qu’il écrit sur le commerce est consacré aux esclaves noirs. Après avoir énuméré quelques entreprises qui favoriseraient le développement du commerce canadien, il ajoute : Comme pour réussir dans ces sortes d’entreprises, il faut avoir quelque avance et que les domestiques sont d’une rareté et cherté extraordinaires, ils ruinent tous ceux qui osent faire quelque entreprise. Comment alors se procurer une main-d’œuvre peu coûteuse ? S’il plaisait au Roi, répond Ruette d’Auteuil, d’accorder la permission d’avoir dans ledit pays des esclaves nègres ou autres comme il lui a plu de l’agréer aux îles de l’Amérique, ce serait le meilleur moyen pour réussir en toute sorte de manufactures, joint aux grâces qu’il aurait
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la bonté d’accorder à ceux qui se porteraient au bien et à l’augmentation dudit pays. Ruette d’Auteuil a prévu l’objection du climat : Que si l’on objecte que les nègres n’y vivront plus à cause du froid, l’expérience fait voir le contraire puis¬ qu’il y en a eu qui s’y sont parfaitement bien portés pendant plusieurs années et que les Anglais en ont eu grande quantité à la Nouvelle-Angleterre et qu’il y en a un grand nombre en [Nouvelle-] Hollande. Les colonies voisines (Nouvelle-Angleterre et New York) méritaient d’être mises en exemple, puisque, pour sa part, la Nouvelle-Angleterre comptait déjà en 1680 environ 200 Noirs, mais Ruette d’Auteuil néglige ou évite de noter que le climat de la Nouvelle-Angleterre est tout de même moins rigoureux que celui du Canada. Pour fortifier sa démonstration, il précise qu’il y a eu au Canada des Noirs «qui s’y sont parfaitement bien portés pendant plusieurs années»; il ne donne aucun chiffre, peut-être pour ne pas tomber dans le ridicule, à cause du tout petit nombre de ces Noirs : Olivier Lejeune qui meurt en 1654, après s’être bien porté depuis 1632 (du moins, nous le souhaitons) ; La Liberté qui vit en Acadie, et peut-être quelques autres. Il valait mieux pour Ruette d’Auteuil ne pas établir sa plaidoirie sur des statistiques. Il trouve d’ailleurs plus fort que les chiffres. Il recourt au plus ingénieux des stratagèmes pour résoudre au bénéfice de tout le monde le problème du climat. Afin de tenir les Noirs au chaud, écrit-il, « leur vêtement sera de peau de castor qui, par sa fourrure, les empêchera de sentir les incommodités de l’hiver et qui ne coûtera que peu, parce qu’en s’en servant ils l’engraisseront, ainsi ils l’augmenteront de prix». Pour comprendre l’habileté du stratagème, il faut se rappeler que l’on faisait commerce
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Deux siècles d’esclavage au Québec
de deux sortes de fourrures de castor : le castor sec, c’està-dire selon une expression de l’époque, «la peau du castor telle quelle sort de dessus l’animal»; et le castor gras, celui dont les Amérindiens portaient la fourrure pour l’engraisser de leurs sueurs et de leurs huiles, ce qui faisait tomber le long poil. Ainsi portée, la fourrure n’était plus qu’un fin duvet fort recherché dans la confec¬ tion et valait d’ordinaire le double du castor sec. Donc, non seulement les Noirs seraient bien protégés du froid, mais encore, en se tenant bien au chaud, ils donneraient à leurs vêtements une valeur double ; une fois la fourrure bien engraissée, on habille le Noir à neuf et recommence l’opération. Vêtir chaude¬ ment son esclave n’était plus une dépense, cela devenait une source de revenus !
L’autorisation de Louis XIV Est-ce cette idée de génie qui emporta l’adhésion du roi? En tout cas, il se laissa convaincre. Le ier mai 1689, il écrit au gouverneur Brisay de Denonville et à l’intendant Bochart-Champigny : Le Procureur Général du Conseil Souverain de Québec qui est passé en France a fait connaître à Sa Majesté que les principaux habitants de Canada sont dans la résolution d’y faire venir des nègres pour les employer à la culture des terres et aux défrichements si Sa Majesté veut leur en donner la permission, pour éviter les grandes dépenses qu’ils sont obligés de faire en se servant des ouvriers et des journaliers du pays dont la cherté est excessive. Sur quoi Sa Majesté est bien aise de leur dire qu’Elle consent que les habitants fassent venir des nègres comme ils proposent, mais il faut qu’ils leur fassent observer qu’il est à craindre que la différence du climat de ces nègres à celui du Canada ne les fasse
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mourir ; ce qu’il faut rappeler aux habitants afin qu’ils ne s’engagent que peu à peu dans l’exécution de ce projet, et qu’ils ne se constituent pas dans de grandes dépenses qui pourraient leur devenir inutiles et faire un tort consi¬ dérable à leurs affaires et par conséquent à la Colonie3.
Par cette permission royale, les Canadiens peuvent donc se procurer des Noirs, mais le roi conseille la prudence : le climat pourrait être néfaste et les Canadiens se seraient engagés en vain dans de grandes dépenses. L’efficacité du stratagème de Ruette d’Auteuil était mise en doute. Brisay de Denonville rappelé, le roi répète son autorisation et ses conseils de prudence dans les instruc¬ tions qu’il remet au gouverneur Buade de Frontenac en ce même mois de mai 1689 : Sa Majesté veut qu’il examine avec soin la proposition qui a été faite par quelques habitants de Canada qui voudraient y faire venir des Noirs pour les employer à la culture de leurs terres et aux défrichements ; sur quoi il doit observer qu’en cas que lesdits habitants se résolvent à faire cet établissement, il ne doit pas souffrir qu’ils fassent d’abord une dépense considérable pour l’achat de ces Noirs, de peur que venant à les perdre, ce qui peut arriver par la différence du climat de ces Noirs à celui de Canada, ils ne fassent des pertes très considérables ; mais il peut leur en laisser acheter peu à peu, et en augmenter l’achat à mesure qu’ils verront que cela réussira; si l’éta¬ blissement de ces Noirs pouvait réussir, il est certain que la colonie en tirerait un grand avantage pour la culture des terres et pour les défrichements4.
L’autorisation donnée avec les avis appropriés, on n’attendait plus que les Noirs. Or nous sommes en 1689, année où la guerre oppose la France et l’Angle¬ terre depuis le 17 mai ; à la suite de la Ligue d’Augsbourg,
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Deux siècles d'esclavage au Québec
les nations protestantes font front commun contre les nations catholiques. Les métropoles sont en guerre : donc les colonies aussi. Il faut attendre la fin de cette guerre avant de songer à un trafic de Noirs entre Québec et les comptoirs de la Guinée. Si les négriers ne peuvent venir débiter leur bois d’ébène, peut-on au moins, faute de patience, se procurer des Noirs par d’autres voies? Pendant les huit ans que dure cette guerre, nous ne voyons apparaître au pays que quatre Noirs. Le 26 mai 1692, on en baptise 2 à Montréal : Pierre-Célestin, 24 ans environ, qui appar¬ tient au marchand Jacques Leber (père de la célèbre recluse) ; Louis, 26 ans environ, natif de Madagascar et demeurant chez le marchand Louis Lecompte-Dupré5. Le 10 avril 1694, à Montréal, l’évêque Saint-Vallier baptise et confirme le Noir Jacques, âgé de 36 ans environ, natif de la Guinée, qui demeure depuis 2 ans au service du même marchand Jacques Leber : c’est un Noir pris aux Anglais. En septembre 1696, le Noir François, âgé de 32 ans et propriété du marchand Louis LecompteDupré, fait un séjour à l’Hôtel-Dieu de Québec. Ce sont les quatre seuls Noirs qu’on voit apparaîre pendant cette guerre de la Ligue d’Augsbourg : si l’on retient le détail donné par les registres d’état civil, deux d’entre eux sont au pays depuis au moins 1692 et l’un d’eux a été enlevé aux Anglais ; faute de marché, on se rabat sur le butin de guerre. La guerre cesse en 1697 Par Ie traité de Ryswick : après ces huit années de perdues, aura-t-on enfin le loisir de profiter d’une autorisation royale qui date de 1689 ? Le problème de l’importation des Noirs au Canada ne reparaît qu’en 1701 dans le courrier royal; le roi écrit au gouverneur Callières et à l’intendant BochartChampigny : « Sa Majesté ne trouve aucun inconvénient à accorder aux habitants de Canada la permission d’avoir des Noirs, mais comme cela ne se peut exécuter qu’en
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y faisant passer un navire qui en soit chargé, il faudrait être assuré qu’ils les payeront pour l’y faire passer, et il est nécessaire que lesdits sieurs de Callières et de Champigny examinent les précautions qu’on pourrait prendre pour cela6». En 1689, le roi avait donné l’auto¬ risation d’avoir des Noirs; en 1701, on n’en est qu’à la deuxième étape : leur transport. Comme on ne veut pas y perdre, on tient d’abord à s’assurer que les Canadiens seront en mesure de payer une marchandise qui vient de loin; les autorités de la Nouvelle-France doivent examiner «les précautions qu’on pourrait prendre pour cela». L’arrivée à Québec d’un navire chargé de nègres n’est donc pas pour tout de suite. Or voici que la guerre reprend en 1702 entre les puissances européennes, parce qu’un petit-fils de Louis XIV vient d’accéder au trône d’Espagne. Il faut encore attendre ; cette fois, la paix ne sera signée que dans n ans. Pas même un nouvel esclave noir chaque année
Dans l’intervalle, à la population noire (si l’on peut appliquer le mot population à ces quatre Noirs que nous venons d’énumérer), se joignent quelques individus, mais à un rythme fort lent : un en 1700, deux en 1704, un en 1705, un en 1706, un en 1707, puis en voici un autre en 1708, un huitième en 1711 et un neuvième en 1713. Ce n’est même pas un nouveau Noir tous les ans. Qui sont ces additions ? En 1700, le Noir Philippe, natif de la Barbade et racheté des Abénaquis qui l’avaient pris en guerre : qualifié d’esclave, mais sans indication de propriétaire, il est baptisé à la Pointe-Lévy le 18 janvier 1700 à l’âge de 16 ans environ7. En 1704, nous rencontrons à l’HôtelDieu de Québec un Noir anonyme qui appartient à la femme du trésorier de la Marine, Georges RegnardDuplessis8. Nous trouvons au même hôpital un Noir de 21 ans qui appartient au gouverneur général Vaudreuil :
Deux siècles d'esclavage au Québec
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comme il s’appelle Joseph Hisme, nous croyons que c’est un autre Noir enlevé aux Anglais. Ce même gouverneur général fait soigner en 1705 au même endroit son esclave noir Pierre, âgé de 31 ans ; ce dernier y réapparaîtra en 1706 et 1708. En 1706 et 1707, le Noir Louis, âgé d’environ 22 ans, propriété du même, fait un séjour à cet endroit. Le défilé des esclaves noirs du gouverneur général Vaudreuil n’est pas terminé : en 1707, il envoie son esclave Antoine « Llesche » à l’Hôtel-Dieu de Québec ; ce serait encore un Noir tiré des colonies anglaises. En 1709, voici Pierre, Noir du négociant Pagé-Carcy qui vient à son tour au même hôpital. En 1711, autre prisonnier de guerre, Titus Jones9. Enfin, neuvième esclave noir de cette période, Claude-Antoine, au service de Claude de Ramezay, gouverneur de Montréal : on le baptise le 15 mars 1713. Des neuf nouveaux Noirs, il y en a bien quatre arrivés ici comme butin de guerre. Il fallait donc, en attendant mieux, se contenter d’Amé¬ rindiens. Ils continuaient d’arriver au pays en qualité d’es¬ claves à un rythme assez lent d’abord, qui s’accélère à partir de 1700, comme le démontre le tableau suivant : Amérindiens
Amérindiens
Noirs
Noirs
1689
2
1702
2
1690
4
I7°3
12
1691
2
1704
6
2
1692
1
I7°5
3
1
1693
2
1706
7
1
1707
3
X
1708
8
1709
5
3
1694 1695
1
1696
2
1697
1
1710
12
1698
1
1711
xo
1699
2
1712
20
1700
7 6
i7I3
26
1701
1
1
1
1
1
On veut des nègres
39
De 1689 à 1713, il ne vient donc en qualité d’esclaves que 13 Noirs contre 145 Amérindiens. Ces derniers pren¬ nent ainsi une avance considérable qu’ils conserveront. Si l’esclavage amérindien s’établit à un niveau relativement élevé à partir de 1710, cela est dû pour une bonne part à l’ordonnance que vient de rendre l’intendant Raudot en 1709, déclarant que les Panis et les Noirs appartiennent en pleine propriété à ceux qui les ont achetés10. À cause de la proximité du marché amérindien, cette ordonnance était de nature à encourager ceux qui avaient besoin d’esclaves, mais elle ne pouvait rien pour ceux qui préfé¬ raient les Noirs. Les amateurs de bois d’ébène devaient patienter jusqu’à la fin de la guerre et, de plus, attendre que les autorités métropolitaines aient pris les mesures nécessaires pour l’envoi d’une cargaison à Québec. La Louisiane, dont l’établissement ne datait que de 1699, s’enrichissait beaucoup plus vite de Noirs : elle avait l’avantage de se trouver plus près du marché des Antilles, tout en profitant du marché amérindien. On s’y servait d’esclaves amérindiens depuis les premières années, mais il restait toujours possible à ces esclaves de rejoindre leurs tribus, à proximité. C’est pourquoi, le gouverneur Lemoyne de Bienville propose en 1706 et en 1708 un échange avec les Antilles : on enverrait de la Louisiane aux Antilles deux Panis contre un Noir; les colons auraient ainsi moins de difficultés à garder leurs esclaves11. Nous ignorons si ce troc de deux Amérindiens contre un Noir a été mis en œuvre. Une chose est certaine : en accordant à Crozat en 1712 le monopole du commerce de la Louisiane, le roi permet d’aller chaque année se procurer des Noirs sur la côte de la Guinée pour les vendre ensuite aux colons12. Les esclavagistes louisianais trouvaient de quoi se meubler, alors que les habi¬ tants du Canada attendaient depuis 1689 les Noirs qu’on leur avait permis d’acheter.
Deux siècles d’esclavage au Québec
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La guerre prend fin en 1713 par le traité d Utrecht. On suppose que les Canadiens vont tout de suite obtenir une cargaison de Noirs. Louis XIV avait accordé son autorisation en 1689 et il l’avait renouvelée en 1701. De son côté, l’intendant Raudot avait confirmé en 1709 l’existence légale de l’esclavage. Crozat pouvait donc aller se procurer des esclaves en Afrique, mais la cargaison de nègres ne vient toujours pas à Québec. Le bois d’ébène trop dispendieux pour les Canadiens? Les difficultés économiques en sont probablement la cause. Les Canadiens, pourtant victorieux tout le long de la guerre, ont perdu par le traité les comptoirs de la Baie d’Hudson et subi une désastreuse liquidation de l’argent de papier; ils sont peut-être moins en mesure qu’en 1689 de se procurer la dispendieuse marchandise d’Afrique. Tout de même en 1716, l’intendant Bégon revient à la charge. Pendant que le gouverneur Vaudreuil est empêché par la maladie de rédiger le courrier à destina¬ tion du roi, Bégon fait valoir le besoin urgent d’esclaves noirs. Reprenant les arguments de naguère, il écrit : «Le peu d’habitants qu’il y a en Canada fait échouer toutes les entreprises par la difficulté qu’il y a d’y trouver des ouvriers et journaliers qui y sont à un prix excessif». Faire venir des Noirs serait «procurer l’augmentation de cette colonie et de son commerce». Pourquoi ne pas recourir à cette ressource comme on l’a fait avec profit dans les colonies anglaises? «Toute la Nouvelle-Angleterre ne s’est établie en peu de temps que par ce concours. La plupart des Anglais et Flamands du gouvernement de Manhatte [Manhattan] contigu à celui de Montréal ne travaillent point à la culture des terres, ce sont leurs nègres qui font tous leurs travaux, et ce seul gouverne¬ ment fournit les farines nécessaires pour la subsistance
On veut des nègres
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des îles méridionales anglaises. Les mêmes travaux se pourraient faire en Canada si on y avait des nègres. Il y a aussi des mines de fer dont le Roi tirerait de grands avantages si on avait des ouvriers pour les faire valoir». Ainsi, avec des esclaves noirs, selon l’intendant Bégon, tout se mettrait à prospérer comme dans les colo¬ nies anglaises, les terres seraient cultivées et l’on pourrait exploiter des mines de fer. Or se pose le problème du paiement : On pourrait objecter, continue l’intendant, la difficulté du paiement ; mais les lettres de change qui doivent être tirées pour l’extinction de la monnaie de carte, la liberté du commerce du castor, et les fonds que le Roi veut bien faire pour les dépenses de la colonie, fourniront les moyens de payer en bons effets le prix de ces nègres, et il est certain que tous ceux qui seront en état d’en acheter en prendront13.
Le gouverneur général Vaudreuil n’était pas de cet avis. Comme l’indique une apostille à ce mémoire, il « croit qu’il ne convient pas d’y en faire venir, parce que le climat est trop froid et qu’il en coûterait trop aux habi¬ tants pour les habiller pendant l’hiver et croit qu’il serait mieux d’y faire passer des faux sauniers» ou contre¬ bandiers du sel. Nous voilà donc revenus au problème vestimentaire de 1689. Ruette d’Auteuil avait pourtant fait valoir un stratagème ingénieux : vêtir les Noirs de fourrures de castor qui, à l’usage doubleraient en valeur ! Vaudreuil l’ignorait-il ? ou son expérience personnelle de propriétaire d’esclaves l’avait-elle rendu pessimiste? Il pouvait en 1716 se rappeler ses deux Amérindiens et ses quatre Noirs qui étaient passés par l’Hôtel-Dieu de Québec ; on sait qu’à cette époque, si l’on entrait à l’hô¬ pital, c’est qu’on était à la dernière extrémité. Et nous constatons que l’esclave noir du Régime français meurt jeune : en moyenne, avant d’atteindre ses 20 ans.
Deux siècles d’esclavage au Québec
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De la métropole on répond que cette proposi¬ tion « de faire passer des Nègres en Canada n’a pas paru convenir pour le présent14». Le point de vue du prudent Vaudreuil l’avait emporté, mais remarquons que le refus porte ici sur l’envoi d’une cargaison de bois d’ébène et non sur l’autorisation donnée aux Canadiens de posséder des esclaves noirs. C’est pourquoi l’intendant Bégon demande de nouveau en 1719 qu’on envoie des Noirs et le régent de répondre en 1720 qu’il «veut savoir aupara¬ vant à quel prix les habitants pourront acheter les Nègres pièces d’Inde15». Pièce d’Inde qualifie un esclave noir entre 20 et 30 ans, bien fait, en santé et ayant toutes ses dents pour reprendre la définition du Dictionnaire de Trévoux. Bégon envoie les précisions demandées, en adres¬ sant au régent une «soumission faite par les commu¬ nautés, principaux officiers et habitants de la Colonie de payer les Nègres pièce d’Inde à raison de 600 [livres], ou suivant la convention qui en sera faite à Québec de gré à gré avec les Capitaines des navires négriers ». Cette soumission, ajoute l’intendant, « n’a été signée que par ceux à qui il a eu l’occasion de le proposer et il y a déjà des souscriptions pour 101 Nègres et Négresses, c’est ce qui lui fait croire que si la Compagnie des Indes voulait envoyer à Québec en 1701 un vaisseau chargé de 200 Nègres ou Négresses, le début en serait prompt et qu’ils y seront vendus aussi avantageusement qu’à la Martinique16 ». La demande de l’intendant Bégon n’était donc pas faite au hasard : il a pris la peine de faire signer un bulletin de commande par des communautés religieuses des officiers et des habitants. Dans cette opération, il a recueilli des souscriptions pour une centaine de Noirs ; c’est pourquoi il estime qu’une cargaison de 200 Noirs se débiterait assez rapidement au Canada. Les souscrip¬ teurs sont prêts à payer 500 livres pièce ou selon ce qui sera convenu avec les négriers.
On veut des nègres
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Qui sont ces souscripteurs? Nous n’avons pas retrouvé cette liste d’acheteurs. Nous devons donc nous contenter de savoir qu’il y en a au moins une centaine à vouloir se procurer des Noirs. Faute de mieux, nous devons nous limiter aux achats faits par-devant notaire, aux mentions dans les registres d’état civil ou en d’autres documents : nous y retrouverons des communautés religieuses, des membres du clergé, des officiers, des marchands et même de simples habitants. Bégon plaide pour une cargaison de nègres Si donc on envoyait à Québec 200 Noirs, la vente en serait rapide, selon l’intendant Bégon, et elle le sera davantage, ajoute-t-il, «lorsque l’argent sera plus commun à Québec et les habitants connaîtront l’utilité d’avoir des Nègres sur leur terre». Et il juge opportun de présenter aux autorités coloniales un mémoire sur la nécessité de Noirs au Canada. On avait fait valoir en 1689 la rareté et la cherté des domestiques ; depuis ce temps, la dialectique avait progressé, car Bégon va recourir à une suite importante d’arguments : la culture du chanvre et le progrès général de l’agriculture, l’aide aux vieillards, la disette des domestiques, la défense en temps de guerre, l’expérience des autres colonies. Songeant peut-être à la canne à sucre qui introduisit l’esclavage noir aux Antilles, l’intendant veut des Noirs pour la culture du chanvre; c’est par là que débute le plaidoyer. Il évoque ensuite un problème social que l’es¬ clavage noir pourrait aider à résoudre : celui des parents qui deviennent invalides ou qui n’ont pas d’enfants. « Les veuves et les vieillards qui n’ont point d’enfants en état de travailler ne seraient plus obligés d’abandonner leurs habitations ou de les donner à vil prix par l’impuis¬ sance où ils se trouvent de les faire valoir». Si l’on a des esclaves noirs pour travailler sur les terres, les parents
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âgés ne sont plus obligés de se donner aux enfants dans des conditions qui provoquent toutes sortes de drames : Les pères et mères qui auraient beaucoup défriché et bien établi leur habitation pourraient, lorsque par leur grand âge ou infirmité ils seraient hors d’état de travailler, rester maîtres de leurs biens et continuer à les faire valoir. Par le moyen de leurs Nègres, ils ne seraient plus réduits à dépendre de leurs enfants ni exposés à en recevoir de mauvais traitements. Au contraire, leurs entants auraient toujours pour eux le respect et la soumission qu’ils leur doivent dans l’espérance de mériter qu’ils prissent soin de les établir, au lieu qu’à présent parce qu’on ne trouve point à affermer les terres, les pères et mères venus sur l’âge sont obligés de se mettre à la merci de l’un de leurs garçons et pour l’engager à les secourir dans leur vieillesse de lui faire une donation de tous leurs biens à la charge de les nourrir, loger et entretenir.
Or, fait remarquer l’intendant, ces donations ne sont pas toujours fidèlement exécutées, d’où des procès ; ou, à propos de l’héritage attendu, éclatent entre les enfants, qui sont parfois io ou 12, des disputes sur les termes de la donation. En plus de dispenser les vieillards de se donner à l’un ou l’autre de leurs enfants, la présence d’esclaves noirs aura l’avantage de résoudre le problème des domes¬ tiques. Les officiers, les négociants et en général les habi¬ tants des villes pourraient prendre des terres et les faire exploiter par ces Noirs. On pourrait encore apprendre à ceux-ci les métiers essentiels, ce qui augmenterait le nombre des ouvriers. En outre, les Noirs seraient fort utiles pour la défense du pays : on n’aurait plus à compter sur l’aide des Amérindiens, ce qui serait bien plus avan¬ tageux, car les Noirs obéiraient mieux, les Amérindiens ne faisant qu’à leur tête et se retirant du combat dès qu’ils
On veut des nègres
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se voient les plus faibles. Enfin, c’est grâce à l’arrivée de Noirs que les colonies anglaises se sont mises à pros¬ pérer. Rappelant les autorisations qui ont été accordées aux autres colonies françaises d’avoir des Noirs, l’inten¬ dant Bégon espère qu’on fera la même grâce en faveur du CanadaV Nouvelle autorisation d’une cargaison de nègres
Voilà la démonstration, plus élaborée que celle de Ruette d’Auteuil en 1689, qui fut présentée au Conseil de marine en janvier 1721. En marge du texte, le Conseil a rédigé cette apostille favorable : « Envoyer copie de cet avis et de la soumission à la Compagnie des Indes en marquant que si elle prend le parti d’y envoyer cette année une livraison de Nègres elle y trouvera le débit et un profit considérable». Le projet Bégon d’une importa¬ tion de 101 Noirs franchit une étape décisive lorsque le régent transmit son accord à la Compagnie des Indes. Un nouveau retard se produit, que le Conseil de marine fait savoir à Bégon : il est « survenu des chan¬ gements dans la régie de cette Compagnie à laquelle on veut donner une nouvelle forme et à quoi on travaille actuellement, elle ne pourra point faire cet envoi cette année18», mais le Conseil veillera à faire respecter la promesse. Ce n’était, semble-t-il, que partie remise : on atten¬ drait le remaniement de la Compagnie, le Conseil de marine l’engagerait de nouveau à envoyer un charge¬ ment de Noirs à Québec ; il ne restait qu’à patienter, la commande de 1720 finirait par être livrée. En fait, le chargement n’allait jamais venir. L’an¬ nonce de ce retard est la dernière mention du projet Bégon. Nous ignorons ce qui a pu se passer. L’explication résiderait dans la nouvelle conjoncture de la Compagnie des Indes, titulaire du monopole de la traite des Noirs :
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elle est toujours obligée de se défendre contre les arma¬ teurs privés, sans guère profiter de son monopole; au conseil de la Compagnie, on propose de s’en départir : en 1724, on en limite le privilège au seul territoire du Sénégal; grande victoire pour les armateurs privés, mais déboire important pour la Compagnie. Le projet Bégon semble s’être perdu dans ce grand chambardement. Au Canada, on pouvait toujours compter sur l’ini¬ tiative privée, mais un armateur pouvait-il trouver profit à transporter d’Afrique à Québec une ou deux centaines de Noirs? Il y avait tant d’autres colonies moins éloi¬ gnées où l’on pouvait écouler une cargaison régulière de 500 ou 600 nègres. Aucun navire négrier ne vint donc à Québec. Pour s’en rendre compte, il suffit de parcourir les statistiques qui, de 1714 à 1760, donnent le total des nouveaux esclaves noirs qui arrivent chaque année : 1714
7
1730
4
1746
11
I7I5
3
i73i
3
r747
18
1716
1
1732
5
1748
16
1717
2
1733
4
1749
8
1718
2
T734
2
1750
12
17x9
-
1735
4
1751
7
1720
-
1736
3
1752
10
1721
2
I737
6
T753
6
1722
1
1738
7
1754
5
1723
1
1739
4
1755
16
1724
2
1740
5
1756
9
I74i
5
r757
15
1725
-
1726
2
1742
3
1758
9
1727
3
1743
15
1759
12
1728
3
1744
21
1760
6
1729
2
1745
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Le nombre annuel des nouveaux Noirs est ridicu¬ lement faible, et encore avons-nous compté un certain nombre de négrillons nés ici. Les Canadiens avaient obtenu des autorisations officielles en 1689, en 1701 et en 1721, mais l’importation massive de Noirs à Québec n’a pu se faire : il a donc fallu se contenter de rares indi¬ vidus.
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► NOTES 1 Édit du Roi Touchant la Police des Isles de l’Amérique Françoise, dans le Code noir ou Recueil des Règlements (éd. 1767), 20SS. Nous étudierons plus loin les diverses dispositions de ce Code noir. 2
Extraits de lettres des 10 août, 31 octobre et 6 novembre 1688, extraits préparés pour le ministère, dans Documents Relating to the Colonial History ofNew York. Paris Documents, IX, 398.
3
Mémoire à Denonville et à Champigny, Ier mai 1689, dans Archives nationales du Québec (à l’avenir ANQ). Ordres du Roi, série B, vol. 15, 108s.
4 Instructions à Buade de Frontenac, 7 juin 1689, dans RAPQ, 19271928,11. 5
Registre de Notre-Dame de Montréal, 24 mai 1692. Confirmé en 1693, le Noir Louis est, semble-t-il, en liberté en 1696, puisque le 13 août il s’engage de son plein gré à Jean Cailhaut dit Baron pour travailler à la culture de la terre pendant trois ans avec salaire (greffe Adhémar). Il s’appelle alors Louis Marié.
6
Lettre du 31 mai 1701, dans ANQ^ Ordres du roi, série B, vol. 22, II, 74s.
7 Pour plus de détails sur ce Noir, voir notre Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires. 8 AHDQj registre des malades, en 1704 et 1706 : on lui donne tantôt 19 ans, tantôt 23. 9 Noir de la Nouvelle-Angleterre qui figure dans la liste que Vaudreuil remet à Dudley, dans Coleman, Captives Carried to Canada, I, 92. 10
Ordonnance du 13 avril 1709, dans Edits, ordonnances royaux, II, 271s. Nous parlerons plus longuement de cette ordonnance dans le chapitre suivant.
11
Lemoyne de Bienville, 28 juillet 1706 et 12 octobre 1708, dans Rapport sur les archives du Canada (à l’avenir RAC) pour 1905,1, 6,525.
12 Edits, Ordonnances royaux, 1,330. 13 Mémoire au ministre, 14 octobre 1716, dans Documents relatifs à la Nouvelle-France, III, 21s. 14 Le roi à Vaudreuil et Bégon, 26 juin 1717, dans ANQ1 Ordres du Roi, série B, vol. 39,701. 15 Le Conseil de marine à Bégon, ier juin 1720, dans APC, CIIA, 43,11. 16
Bégon au Conseil de marine, 26 octobre 1720, lettre résumée dans Délibérations du Conseil de Marine, janvier et juin 1721, APC, C11A, 43, us. et 41.
17 Mémoire de Bégon dans Délibérations du Conseil de Marine, 13 janvier 1721, APC, CilA, 43,11-19. 18
Le Conseil de marine à Bégon, 14 juin 1721, APC, B 44, II, 347s.
CHAPITRE II
La légalisation de l’esclavage
D
es années 1670 jusque vers les années 1830, nous constatons la présence d’esclaves au Québec. Avant 1709, nous en comptons 86 (n Noirs et 75 Amérindiens), mais l’esclavage n’est pas encore formellement légalisé. À Lachine, un registre d’état civil (donc dans un document de l’Etat) applique le mot esclave à un Panis ; le registre d’état civil fait de même pour un Noir à la Pointe-Lévy en 1700. A l’église comme à l’hôpital, on inscrit Noirs et Amérindiens plutôt comme appartenant à un tel. L’esclavage n’est pas encore érigé en institution. Les garanties des propriétaires d’avant 1 709? Si un habitant du Canada possède un esclave, c’est qu’il trouve ou croit trouver un fondement à son droit de propriété. Or on est plutôt embarrassé avant 1709, si l’on veut déterminer un fondement à ce droit. Louis XIV avait bien publié en mars 1685 un Code noir qui réglait dans les Iles, c’est-à-dire aux Antilles françaises, «ce qui concerne l’état et la qualité des Esclaves », et ce Code noir précisait en particulier que les esclaves étaient «biens meubles » et qu’ils appartenaient dûment à leurs proprié¬ taires1, mais l’édit s’appliquait exclusivement aux Antilles,
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n’ayant jamais été promulgué au Canada ni même enre¬ gistré au Conseil souverain. Quand viendra le temps de régler le cas des Noirs de la Louisiane, le roi de France publiera un autre édit, quoique dans les mêmes termes, pour la Louisiane seulement. Du Code noir des Antilles ni de celui de la Louisiane, on ne peut rien déduire pour le Canada. Les propriétaires pouvaient-ils trouver un fonde¬ ment dans le traité conclu entre la France et l’Angle¬ terre en 1686? Ce traité qui touche les colonies d’Amé¬ rique, stipule en l’article 10 que les habitants d’une nation ne pourront donner refuge aux esclaves qui appartien¬ nent aux habitants de l’autre nation2. Convenu en 1686, cet article s’applique là où l’esclavage est formellement reconnu : il ne l’était pas encore au Canada. Toutefois, à partir de 1689, les propriétaires de Noirs pouvaient dormir tranquilles : Louis XIV avait autorisé les Canadiens à faire venir des Noirs pour le travail de la terre et du défrichement. Permission royale qui pouvait tenir lieu de garantie au sujet des Noirs, mais elle ne valait pas pour les Amérindiens réduits en servitude : or les esclaves que l’on possédait alors était surtout des Amérindiens. Dans son Catéchisme de 1702 et dans son Rituel de 1703, l’évêque Saint-Vallier parle des esclaves. A l’ar¬ ticle des empêchements qui rendent le mariage nul, le Catéchisme demande quel est le second de ces empêche¬ ments et l’on répond : « C’est l’erreur de la condition : épousant une personne esclave que l’on croirait libre, le mariage serait nuP ». Voilà ce qu’apprend le Catéchisme aux catholiques du diocèse de Québec, diocèse qui couvre toute la Nouvelle-France (dont la Louisiane). Et dans le Rituel de ce même diocèse, édité en France en 1703 encore par l’évêque Saint-Vallier, nous trouvons un autre passage sur l’esclavage ; énumérant les personnes qui ne peuvent avoir accès à la prêtrise, l’évêque désigne en second lieu
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«ceux qui sont nés hors le légitime mariage ou qui sont esclaves4». Nous avons tout de suite été tenté de conclure que l’esclavage, noir ou amérindien, avait déjà en 1702 et 1703 une existence légale, mais dans ce Rituel, quelques pages plus loin, un paragraphe embrouille tout à première vue ; répétant un passage de son Catéchisme, Saint-Vallier écrit que si une partie contractante du mariage croyait l’autre libre alors qu’elle était esclave, il n’y a pas mariage, mais il ajoute aussitôt : « il n’y a pas lieu à cet empêchement en ce Royaume, où toutes les personnes sont libres». La confusion devient grande. L’évêque veut-il nier qu’il y ait des esclaves au Canada? Lorsqu’il a quitté Québec en 1694 pour un séjour en France, il y avait au Canada au moins 15 esclaves, dont 3 Noirs ; or la propriété de ceux-ci était garantie par la permission venue de Louis XIV en 1689; Saint-Vallier a lui-même baptisé et confirmé en avril 1694 le Noir Jacques au service du marchand Leber; mieux encore, un petit Amérindien de 8 ans, appelé Bernard, et qui meurt à l’Hôtel-Dieu de Québec en juillet 1680, est inscrit comme «petit sauvage de monseigneur l’évêque». Toutefois, Saint-Vallier parle de Royaume. Il faut faire attention ici que par royaume de France, on entend dans les textes officiels de l’époque seulement la France continentale, que nous appelons aujourd’hui l’Hexagone, distinction qui est faite nettement dans l’édit d’octobre 1716. Dans cet «hexagone» donc, l’esclavage n’est pas légal : si un esclave y trouve refuge, il devient libre. S’il n’est que de passage (c’est le cas d’esclaves qui accom¬ pagnent leurs maîtres en séjour provisoire), il ne perd cependant pas sa qualité d’esclave. L’apparente incohé¬ rence vient du fait que Saint-Vallier, en éditant son Rituel en France, n’a pas pris garde qu’il s’adresse à des diocé¬ sains d’Amérique.
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L’intendant Raudot et la légalisation de l’esclavage en 1 709
Situation rendue plus confuse encore, parce qu’à l’intérieur même du Canada, il est des gens — que nous n’avons pu identifier — qui soutiennent que l’escla¬ vage n’a pas droit de cité et qui encouragent les esclaves à déserter. Comme le déclare l’intendant Raudot, les maîtres « se trouvent frustrés des sommes considérables » qu’ils ont versées pour acquérir des Amérindiens, «par une idée de liberté que leur inspirent ceux qui ne les ont pas achetés, ce qui fait qu’ils quittent quasi toujours leurs maîtres, et ce, sous prétexte qu’en France il n’y a point d’esclaves5 ». L’intendant met fin à cette situation le 13 avril 1709. Son ordonnance débute par une déclaration sur l’uti¬ lité des esclaves au Canada : «Ayant une connaissance parfaite de l’avantage que cette colonie retirerait si on pouvait y mettre, par des achats que les habitants en feraient, des sauvages qu’on nomme Panis, dont la nation est très éloignée de ce pays, et qu’on ne peut avoir que par les sauvages qui les vont prendre et les trafiquent le plus souvent avec les Anglais de la Caroline, et qui en ont quelques fois vendu aux gens de ce pays». A ceux qui prétendent «qu’en France il n’y a point d’esclaves», l’intendant répond : «Ce qui ne se trouve pas toujours vrai, par rapport aux colonies qui en dépendent, puisque dans les îles de ce continent tous les nègres que les habi¬ tants achètent sont toujours regardés comme tels». Or, « comme toutes les colonies doivent être regardées sur le même pied, et que les peuples de la nation Panis sont aussi nécessaires aux habitants de ce pays pour la culture des terres et autres ouvrages qu’on pourrait entreprendre, comme les nègres le font aux îles et que même ces sortes d’engagements sont très utiles à cette colonie », et vu qu’il est nécessaire « d’en assurer la propriété à ceux qui en ont
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acheté et qui en achèteront à l’avenir», l’intendant fait la déclaration suivante : «Nous, sous le bon plaisir de Sa Majesté, ordonnons que tous les Panis et nègres qui ont été achetés et qui le seront dans la suite appartiendront en pleine propriété à ceux qui les ont achetés comme étant leurs esclaves; faisons défense auxdits Panis et nègres de quitter leurs maîtres, et à qui que ce soit de les débaucher sous peine de cinquante livres d’amende ». On devra lire cette ordonnance à Québec, aux Trois-Rivières et à Montréal6. À Québec en particulier, elle le fut le dimanche 21 avril 1709 devant l’église de la basse-ville, après la messe de sept heures ; puis à la porte de l’église de la haute-ville à l’issue de la grand-messe. Nous avons là le premier texte officiel qui statue sur l’esclavage au Canada. Désormais, les Noirs et les Amérindiens qui auront été achetés seront esclaves, comme la chose se pratique à l’égard des Noirs dans les Antilles françaises : Noirs ou Amérindiens, ils appartiennent en pleine propriété à ceux qui les ont acquis. Cette ordon¬ nance de Raudot demeurera le texte fondamental : l’in¬ tendant Hocquart se basera sur elle en 1730 ; et quand des habitants de Montréal en 1799 présenteront une requête à la Chambre d’assemblée à propos d’esclavage, leur premier argument sera cette ordonnance de 1709? Louis XIV avait décidé en 1689 que l’esclavage noir pouvait exister au Canada, mais en 1709 c’était la première fois qu’une ordonnance était rendue à ce sujet dans cette colonie. À ce point de vue, elle ne revêt pas un caractère spécial. Ce qu’elle a d’extraordinaire, c’est que pour la première fois on confirme dans la servitude toute une nation amérindienne, celle des Panis. Objet de commerce entre les diverses tribus de l’Ouest américain et les Anglais de la Caroline, puis entre les Amérindiens et les Français, les Panis sont désormais marqués d’une façon officielle et légale pour l’esclavage : leur nom devient même un nom commun, panis, pour désigner un
Deux siècles d'esclavage au Québec
54
Amérindien esclave. C’est pourquoi il va devenir diffi¬ cile, tout le long de l’histoire de l’esclavage au Québec, de savoir d’où vient exactement tel ou tel esclave, si l’origine n’est pas autrement indiquée : un Joseph, panis, ou une Marie, panise, n’ont pas nécessairement été tirés de la nation des Panis. La publication de cette ordonnance a pour effet immédiat de mettre en pratique pour la première fois la vente de Panis devant notaire. Deux mois après (le 15 juin), le notaire Adhémar dresse le contrat de vente d’un Panis, le premier contrat connu : Madeleine Just, femme du traiteur Pierre You d’Youville de Ladécouverte, vend pour 120 livres son Panis Pascal, âgé d’environ 19 ans, au lieutenant Pierre-Thomas Tarieu de Lapérade, époux de la célèbre Madeleine de Verchères8. Quatre mois plus tard, autre vente par-devant le même notaire : le 19 octobre, Jacques Nepveu qui demeure à Lachenaie, vend pour 200 livres à son frère Jean-Baptiste, marchand à Montréal, une Panise nommée Marie, d’environ 11 ans ; la jeune Panise est présente à la transaction et donne son consentement. Alors que nous n’en trouvions aucun avant 1709, les actes de vente par-devant notaire continuent de se succéder, mais l’effet le plus impressionnant de l’ordon¬ nance de Raudot a été, semble-t-il, d’accélérer l’introduc¬ tion d’esclaves amérindiens, comme le montre le total des nouveaux esclaves qui font leur apparition chaque année : 1700
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Dès 1710, le total annuel des nouveaux esclaves amérindiens atteint le nombre à deux chiffres : le marché se fait relativement abondant. Louis XV et l’esclavage amérindien
Lorsque l’intendant légalise l’esclavage amérindien, il ne parle que de Panis mais, rappelons-le, il s’agit là d’un terme qui est devenu un nom commun pour désigner un Amérindien esclave. La légalisation vise bien d’autres tribus ou nations, car sur le marché nous verrons bientôt apparaître Patocas, Arkansas, Renards, Illinois, Sioux; bref, toute tribu qui n’est pas officiellement en alliance avec les Français. On n’y verra donc pas Algonquins, Montagnais, Abénaquis, ni même Iroquois, puisque ceux-ci, depuis la paix de 1701, se sont rangés du côté des Français.Toutefois, il se présente, très rarement, une situa¬ tion équivoque : un Amérindien qualifié de Montagnais que l’on traite en esclave ; il s’agit d’un esclave qui vivait depuis un certain temps chez les Montagnais, d’où la qualité de Montagnais qu’on lui attribue. On fait donc une distinction entre Amérindiens alliés et Amérindiens non alliés. Va-t-on distinguer entre Amérindiens baptisés et Amérindiens encore païens ? Car
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56
il faut bien se rappeler que selon un article de la charte de la Compagnie des Cent-Associés, un Amérindien baptisé devenait « naturel français », c’est-à-dire citoyen de plein droit. Le problème est soumis au tribunal civil seulement en 1733, à l’occasion d’un procès entre le trai¬ teur Philippe You d’Youville de Ladécouverte et le capi¬ taine Daniel Migeon de Lagauchetière. Ladécouverte devait 3500 livres à Lagauchetière; celui-ci fait saisir par voie de justice le Patoca Pierre, âgé d’environ 26 ans, appartenant à Ladécouverte et baptisé à Montréal le 11 septembre 1723. En décembre 1732, le lieutenant général civil et criminel de Montréal (ainsi appelait-on le juge en chef) approuve cette saisie et ordonne que l’es¬ clave soit vendu au marché au profit de Lagauchetière : le négociant Nolan de Lamarque l’achète pour 351 livres. Ladécouverte en appelle au Conseil supérieur, en deman¬ dant qu’on déclare «nulle et injurieuse à la religion la vente du sauvage en question faite contre les bonnes mœurs, étant un Chrétien»; et Ladécouverte soutient même que le Patoca jouira ainsi « de sa Liberté comme il l’avait ci-devant» : ce que dément la décision du juge de Montréal. En tout cas, Ladécouverte en appelle pour que le juge soit mis en cause pour « avoir ordonné la vente d’un Chrétien au marché où il a été vendu comme le sont les animaux». En tentant de faire annuler la saisie et d’intervenir contre le juge, Ladécouverte jouait à l’adversaire scandalisé de f esclavage : pourtant en 1709, sa mère avait vendu un Panis baptisé et lui-même était propriétaire d’un Amérin¬ dien baptisé. Quoi qu’il en soit, par sa requête, il remettait en discussion la légalité de l’esclavage amérindien. Que fait le Conseil supérieur ? Il renvoie les parties devant l’intendant Hocquart. Celui-ci vient en 1730 de publier l’ordonnance de Raudot pour rappeler qu’elle est toujours en vigueur : il s’appuie précisément sur cette ordonnance, quand il rend sa décision9. Celle-ci
La légalisation de l’esclavage
57
confirme le jugement du tribunal : le Patoca, déclare-t-il, a été légitimement vendu, Nolan de Lamarque en est le propriétaire, mais Ladécouverte peut le lui racheter en payant 351 livres, plus les frais de justice et ceux de la maladie de l’Amérindien. Déjà fort endetté, Ladécouverte préféra se désister. Nous constatons qu’à son inhumation à Montréal, le 5 août 1747, cet esclave appartient toujours à Nolan de Lamarque. L’ordonnance de Raudot servait donc une fois de plus de confirmation, mais comme elle restait toujours soumise au bon plaisir du roi et que jusque-là Louis XV ne
l’avait
ni
approuvée
ni
condamnée, l’intendant
Hocquart profite de ce dernier procès pour amener le roi à se prononcer. Il lui explique la dernière affaire dont la justice canadienne a été saisie et il sollicite une loi formelle sur l’esclavage des Amérindiens. Le ministre répond de Versailles le 20 avril 1734 : approbation de la sentence rendue dans le cas du Patoca, mais le roi n’a pas jugé à propos « de faire aucun règlement sur l’état de cette Nation et des autres avec lesquelles les Français ne sont point en commerce ou sont en guerre, mais [Sa Majesté] veut qu’on se conforme à l’usage qui s’est toujours pratiqué à cet égard en Canada10». Le courrier royal revient sur ce sujet l’année suivante, 1:735, avec plus de précision. Le roi, y lit-on, a expliqué l’année dernière au gouverneur et à l’intendant la raison pour laquelle « Sa Majesté n’a point approuvé la proposi¬ tion qu’ils avaient faite de prononcer par une loi formelle sur l’état des Panis sauvages et des autres Nations avec lesquelles les Français ne sont point en commerce ou sont en guerre. Elle pense toujours de même à cet égard; mais les juges de la colonie peuvent se conformer à l’usage où l’on a été jusqu’à présent de regarder ces Sauvages comme esclaves. Pour ce qui concerne la forme de les affranchir», l’intendant peut émettre une ordonnance qui oblige les maîtres à passer par un notaire; le roi veut bien s’en
5«
Deux siècles d’esclavage au Québec
rapporter à la prudence du gouverneur et de l’intendant. Et il s’exprime dans les mêmes termes en 173611. L’intendant demandait une loi sur les Amérindiens réduits en servitude ; Louis XV ne juge pas utile de l’ac¬ corder, alors que les Noirs étaient officiellement esclaves dans les colonies françaises. Comment expliquer cette distinction car, malgré l’affirmation du courrier, le roi n’en a pas donné d’explication. Louis XV se fonde peut-être sur une raison de politique étrangère. La Lrance avait intérêt à contracter alliance avec le plus possible de nations amérindiennes à l’intérieur du continent américain, afin d’étendre son aire commerciale, mais aussi longtemps que des tribus sont traitées comme bois d’ébène, toute alliance avec elles demeure imposible. Or, plus on avançait vers l’ouest à la recherche de la mer d’Asie, plus il fallait compter sur l’alliance des tribus. En 1720 par exemple, la Compagnie française des Indes se plaint des voyageurs qui vont faire la traite sur les rivières Missouri et Arkansas et « tâchent de semer la division entre les nations sauvages et de les porter à se faire la guerre pour se procurer des esclaves qu’ils achètent, ce qui non seulement est contraire aux ordonnances du Roi, mais encore très préjudiciable au bien du commerce de la Compagnie12 ». Le même préju¬ dice dont souffrira Gaultier de Lavérendrye : quand les tribus de l’ouest se font la guerre pour se procurer des esclaves au lieu de vivre en paix et de chasser les animaux à fourrure, les opérations de la traite rapportent peu. Comme l’écrit le jésuite Coquart, Lavérendrye «fera plus d’esclaves que de paquets» de fourrures13. Il ne fallait pas que la France complique le jeu des alliances en déclarant esclaves des Amérindiens qui pouvaient devenir d’excel¬ lents fournisseurs. Cependant, nous inclinons à croire que l’abstention de Louis XV s’insère simplement dans la politique tradi¬ tionnelle de la France à l’égard de l’Amérindien. Alors
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que les autres nations d’Europe s’appliquaient à détruire l’Amérindien ou du moins à le repousser le plus loin possible des établissements, la France cherchait à l’assi¬ miler : elle a soutenu de ses gratifications les mission¬ naires qui travaillaient à convertir et à franciser. En 1627, elle avait même reconnu que l’Amérindien baptisé deve¬ nait un citoyen français de plein droit; politique qu’ex¬ prime le ministre Colbert quand il veut que Français et Amérindiens ne fassent «qu’un même peuple et un même sang14». La France a été la seule nation d’Europe à accorder aux Amérindiens ce traitement privilégié. On comprend que Louis XV refuse de sanctionner par une loi l’esclavage en question ; il accepte seulement que l’on s’en tienne à l’usage établi. Les juges de la colonie, écrit le roi, peuvent se conformer à l’usage où l’on a été jusqu’à présent de regarder ces sauvages comme esclaves. Quel était cet usage ? Celui établi par l’ordonnance de Raudot en 1709, confirmé par Hocquart en 1730 et 1733. Il est donc erroné de prétendre, comme l’a fait l’éditeur Hector de Saint-Denys Garneau dans Y Histoire de François-Xavier Garneau en 1928 (vol. II, p.92, n° 90), que Louis XV aurait prohibé en 1736 l’esclavage des Panis. Louis XV fait tout de même plus que tolérer cet usage : il laisse à la prudence de l’intendant Hocquart de décider si l’affranchissement notarié sera la condi¬ tion essentielle pour que les Amérindiens retrouvent leur liberté. Il appartiendra à l’intendant, précise le roi dans le même courrier, déjuger s’il vaut mieux exiger des maîtres que l’affranchissement soit notarié plutôt que simple¬ ment verbal. Or, dans ce choix laissé à l’intendant, il pouvait y avoir conflit d’intérêts : Hocquart était lui-même proprié¬ taire de cinq esclaves amérindiens; et le gouverneur Beauharnois avait eu parmi ses esclaves une bonne ving¬ taine d’Amérindiens. Hocquart opte pour la plus grande exigence. Dans une ordonnance du
Ier
septembre 1736, il
Deux siècles d’esclavage au Québec
6o
impose aux propriétaires qui accordent l’affranchisse¬ ment de le « faire par un acte passé par-devant notaires, dont il sera gardé minute, et qui sera en outre enregistré au greffe de la juridiction royale la plus prochaine » ; tout affranchissement qui n’aura pas cette forme sera «de nul effet15 ». L’Amérindien esclave, article d’exportation?
Il restait dans cette législation un point à éclaircir : si l’esclave amérindien appartenait légalement à son maître, celui-ci, qui avait le droit de le vendre, pouvait-il l’envoyer n’importe où ? Par exemple, aux Antilles ? Problème qui se pose moins d’un an après la publication de la première ordonnance sur l’esclavage. Le négociant François-Marie Boüat avait vendu un Panis à un sieur Mounier pour la somme de 300 livres, en laissant entendre, paraît-il, à Mounier qu’il pour¬ rait ensuite transporter le Panis aux Antilles pour l’y revendre. Mounier s’embarque donc pour les Antilles avec son esclave, mais celui-ci, qui ne veut pas changer de pays, disparaît sans qu’on puisse le retrouver. Mounier s’adresse alors à l’intendant Raudot pour savoir s’il était vraiment propriétaire et s’il était habilité à vendre aux Antilles un Panis du Canada. Raudot répond le 23 mars 1710 : Mounier, propriétaire de son Panis, est autorisé à le saisir partout où il le trouvera ; quant au droit de vendre ce Panis aux Antilles, si Boüat l’a affirmé à Mounier, Boüat devra reprendre son Panis et rembourser Mounier. Sur quoi l’intendant se fonde-t-il? «Attendu que notre auto¬ rité pour ce qui regarde la police ne [s’étend] point audelà de cette colonie pour l’avantage de laquelle elle a été rendue et que suivant même sa disposition, les Panis ne peuvent être réputés esclaves que tant qu’ils y demeurent et qu’ainsi il n’est pas permis de les transporter pour les trafiquer ailleurs16».
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Comme l’ordonnance de 1709 ne s’applique qu’à la Nouvelle-France, les Panis ne sont réputés esclaves qu’en ce pays ; en sortant de la Nouvelle-France, ils sont libres ; donc, contrairement à ce qu’on lui a dit, Mounier ne peut exporter son Panis, et il est en droit de réclamer ses 300 livres. Comme il s’agit toujours ici d’un esclavage fondé non sur un édit du roi, mais sur l’usage pratiqué au Canada, une certaine exportation aura tout de même lieu, malgré cette sentence de Raudot. Lors d’un procès de 1740, le chevalier Dormicourt affirme que plusieurs propriétaires ont envoyé des Panis aux Antilles pour y servir d’esclaves17. Qui sont-ils? Nous n’en retrouvons qu’une information fragmentaire. En 1730,1e Panis Charles en service militaire au fort Niagara collabore à une mutinerie; on le condamne à la déportation et l’expédie sans tarder comme esclave à la Martinique18. En 1734, apprenant que les Renards, qui venaient pourtant de déléguer une ambassade à Québec, avaient attaqué les Français, Louis XV ordonne que les deux chefs émissaires et la femme qui les accompagne soient embarqués sur le premier bâtiment en partance pour les Antilles et soient vendus là-bas au profit du roi ; l’un des émissaires meurt avant le départ, la femme s’évade et est reprise, et c’est ainsi qu’un Renard et une Renarde furent transportés aux Antilles pour y vivre en esclaves19. En 1747, un Panis, enlevé aux Anglais en même temps que quatre Noirs, s’enfuit avec eux; on les rejoint. Pour plus de sécurité, on les embarque pour la Martinique où ils seront vendus au profit de leurs propriétaires20. Cette politique de l’Etat de transporter aux Antilles des Amérindiens esclaves, pouvait inciter les simples propriétaires à faire de même, malgré la décision rendue par Raudot en 1710. On connaît au moins le cas célèbre de la Panise Marie-Marguerite Radisson dite Duplessis, esclave du chevalier Marc-Antoine Huart Dormicourt.
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Deux siècles d’esclavage au Québec
Mécontent de son esclave, Dormicourt conclut un marché en 1740 avec un nommé Aubry pour l’expé¬ dier aux «îles de l’Amérique». De la prison où elle est enfermée en attendant de s’embarquer, l’esclave obtient un procès au cours duquel elle essaie de prouver qu’elle n’est pas esclave. À aucun moment on ne mit en doute le droit de Dormicourt de l’expédier aux Antilles ; pourtant, tour à tour, la prévôté de Québec, le Conseil supérieur et l’intendant Hocquart furent saisis de l’affaire ; la thèse de l’esclave fut rejetée et la Panise partit pour les Antilles21. Cette pratique d’expédier aux Antilles les esclaves dont on n’était pas content fut tellement appréciée que le gouverneur La Galissonnière et l’intendant Hocquart proposèrent au roi de l’ériger en système. Les Amérindiens qu’on avait pourtant soin d’acheter tout jeunes, ne se francisaient pas toujours; dès qu’ils avaient grandi, bon nombre regagnaient les pays de l’ouest pour redevenir « sauvages ». Or ces fugitifs qui connaissaient bien les lieux où ils avaient vécu en esclaves, pouvaient devenir dange¬ reux pour la colonie. En 1747, les autorités canadiennes proposent donc au roi que désormais les propriétaires ne puissent garder de ces Amérindiens au-delà de l’âge de 16 ou 17 ans : ils seraient alors vendus aux Antilles, d’où évidemment ils ne pourraient pas s’échapper. C’était, en somme, le plan que Lemoyne de Bienville avait proposé en 1706 et 1708, avec cette différence qu’il comptait sur le troc de deux Panis contre un Noir. Sur le projet de 1747, la métropole répondit quelle avait des objections : il fallait, en particulier, savoir quel effet cette expatriation systématique aurait sur les nations amérindiennes. En 1749, la métropole soumet ce plan à l’attention du gouverneur La Jonquière et de l’in¬ tendant Bigot22. Puis, nous n’en entendons plus parler. L’exportation d’esclaves amérindiens aux Antilles a peutêtre continué sans qu’il fût besoin d’une autorisation de l’État.
La légalisation de l'esclavage
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On exporte des Amérindiens esclaves aux Antilles pour s’en débarrasser; fait-on de même en France? Comme celle-ci était, en principe, une terre de liberté, on pourrait de prime abord conclure que les propriétaires ne pouvaient y envoyer ni amener leurs esclaves. La conclu¬ sion serait fausse, sauf pour une expatriation permanente. En octobre 1716, le régent publie un édit qui permet aux habitants des Antilles d’envoyer leurs esclaves en France pour les confirmer dans la religion ou pour leur apprendre un métier : ces esclaves « ne pourront prétendre avoir acquis leur liberté, sous prétexte de leur arrivée dans le Royaume, et seront tenus de retourner dans nos colonies quand leurs maîtres le jugeront à propos » ; les esclaves ne pourront se marier en France sans le consentement de leurs propriétaires ; cependant, lorsque les habitants des Antilles se seront établis en France et auront vendu leurs habitations, ils devront dans l’année qui suit renvoyer leurs esclaves aux Antilles. Il en sera de même pour les officiers venus des Antilles en congé : ils devront renvoyer leurs esclaves à l’expiration de leur congé. Dans l’un et l’autre cas, les esclaves qui n’auront pas été renvoyés deviendront libres. Par ailleurs, l’article 14 de cet édit de 1716 refuse désormais le droit d’asile à certains fugitifs : si quelques esclaves noirs quittent nos colonies sans la permission de leurs maîtres et se retirent en France, ils ne pourront prétendre avoir acquis leur liberté ; il est permis aux maîtres de ces esclaves de les réclamer partout où ils se seront retirés et de les renvoyer dans les colonies23. Or, affirmera un procureur du roi, se croyant auto¬ risés à se réfugier en France pour gagner leur liberté, et profitant de la négligence des autorités à appliquer les restrictions annoncées, survint «un déluge de Nègres» qui cherchaient à se délivrer de leur servitude. Louis XV dut renouveler son édit par une Déclaration de décembre 1733, en affichant des exigences plus sévères : les esclaves venus en France avec leurs maîtres ne pourront y séjourner
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Deux siècles d'esclavage au Québec
plus de trois ans et ils ne pourront s’y marier même avec la permission de leurs maîtres24. Malgré cette nouvelle intervention et parce qu’on négligeait toujours d’appli¬ quer la loi, il paraît que la France, surtout Paris, «est devenue un marché public où l’on a vendu les hommes au plus offrant et dernier enchérisseur; il n’est pas de bour¬ geois, ni d’ouvrier qui n’ait eu son Nègre esclave». Pour tenter de mettre fin à ces abus, il fallut en 1762 imposer à tous ceux qui avaient des esclaves noirs d’en faire une déclaration précise et l’on défendit à quiconque d’acheter ou d’en vendre25. La France n’était donc pas exactement la terre classique de liberté... Il était possible, par conséquent, à cause d’une cer¬ taine tolérance de l’esclavage en France, que des pro¬ priétaires canadiens y amènent leurs esclaves, même amérindiens. Nous connaissons quelques exemples. La veuve d’Augustin Legardeur de Courtemanche passe en France en 1720 avec une esclave. L’avocat Claude Le Beau, parlant d’un chef renard réduit en servitude qu’il a vu à Québec en 1730 ou au début de 1731, écrit que le gouverneur Beauharnois l’a envoyé pour servir son frère, intendant à Rochefort. Le Panis Jacques, pour avoir fait violence à une fille, est condamné aux galères en France. Le Panis Constant, esclave de Paul-François Raimbault de Simblin, est banni à perpétuité pour effraction noc¬ turne et mis à bord d’un vaisseau pour la France. Le gou¬ verneur général Vaudreuil-Cavagnial passe pour de bon en France en 1760 avec son Noir, Canon, qui le servira à la Bastille26. Tous ces Amérindiens ou Noirs sont-ils toujours considérés comme esclaves, une fois traversé l’Atlantique ? En tout cas, c’est en qualité d’esclaves qu’ils s’embarquent pour la France.
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Un Noir est esclave où qu’il se trouve
Louis XIV avait en 1689 autorisé les habitants du Canada à posséder des esclaves noirs ; l’intendant Raudot en 1709 déclarait esclaves les Noirs qui avaient été achetés ; le régent avait invité la Compagnie des Indes à envoyer une cargaison de bois d’ébène à Québec. À ces disposi¬ tions adoptées par les autorités, d’autres étaient venues s’ajouter. Ainsi, en décembre 1721, le roi publie un édit pour empêcher les enfants mineurs, mais émancipés de tutelle, de vendre les Noirs qui leur appartiennent. Enregistré au Conseil supérieur de Québec le 5 octobre 1722, cet édit a force de loi au Canada27. En octobre 1727, pour régler le commerce étranger dans les colonies de l’Amérique, le roi publie un autre édit : les Noirs trouvés sur les navires qui font le commerce étranger seront confisqués au profit de l’Etat; le 17 septembre 1728, le Conseil supérieur enre¬ gistre cet édit qui entre en vigueur au Canada. Le 19 juin 1748, le Conseil supérieur enregistre un autre édit, de 1745 celui-là : les Noirs qui s’enfuient des colonies ennemies pour se réfugier dans les colonies françaises, et les effets qu’ils y apportent, appartiennent au roi et les deniers qui proviennent de leur vente sont aussi propriété du roi. De ce dernier édit, il s’ensuit donc qu’un Noir qui pense trouver la liberté en venant se réfugier dans une colonie française fait erreur : cet édit enregistré au Conseil supé¬ rieur en 1748 met fin à l’espoir des Noirs des Anglais de se libérer de la servitude en mettant le pied sur une terre française. Ce qui ne signifie pas qu’on refuse le droit d’asile; il y a droit d’asile, mais le Noir demeure esclave ! Ce cas se produit en 1732 quand un esclave noir s’enfuit de la Nouvelle-Angleterre. Comme on est en temps de paix, les Anglais viennent à Québec le réclamer, mais le gouver¬ neur Beauharnois refuse de le remettre. Qu’en fait-il? Il ne le libère pas de la servitude; il fait don de ce Noir
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aux religieuses de l’Hôpital-GénéraP8. Le droit d’asile ne fait que protéger contre l’extradition, car, comme l’écrit le gouverneur La Jonquière, selon le principe reconnu tant par les Anglais que par les Français, « tout nègre est esclave quelque part qu’il se trouve29», à moins d’avoir été affranchi. La capitulation de 1 760 et le maintien de l’esclavage
Si l’on veut constater une fois de plus le caractère légal de l’esclavage des Amérindiens et des Noirs, et du même coup voir ce caractère légal se maintenir sous le Régime anglais, on n’a qu’à se reporter au traité de capi¬ tulation signé à Montréal en septembre 1760. Le gouver¬ neur Vaudreuil-Cavagnial, qui a rédigé le texte des demandes, consacre un article spécial à l’esclavage, l’ar¬ ticle 47 : Les Nègres et panis de deux sexes, resteront en leur qualité d’esclaves, en la possession des Français et Canadiens à qui ils apartiennent. Il leur sera libre de les garder à leur service dans la colonie ou de les vendre, et ils pourront aussi continuer à les faire élever dans la reli¬ gion romaine30. Le général Amherst répondit: «Accordé, excepté ceux qui auront été faits prisonniers». Vaudreuil-Cavagnial demande que les esclaves demeurent la propriété de leurs maîtres et Amherst accède à cette demande : cela va de soi, ils sont membres de deux nations esclavagistes. Peu importe que la quantité de ces esclaves amérin¬ diens et noirs soit considérable ou pas, il fallait quand même qu’ils fussent suffisamment nombreux pour que l’on prît la peine de leur réserver un article spécial dans ce traité de capitulation. Et
c’est
ainsi
que
l’institution
de
l’esclavage,
reconnue et amplement protégée par la loi française, se voit prolonger sous le Régime anglais par un autre acte légal, celui de la capitulation de 1760.
La légalisation de l’esclavage
►
6y
NOTES
1
Edit du Roi Touchant La Police des Isles de l’Amérique Françoise, mars 1685, dans Le Code noir ou Recueil des Règlemens (éd. 1767), 29s.
2
Texte dans Collection de documents relatifs à l’histoire de la NouvelleFrance, 1,377.
3
Catéchisme du diocèse de Québec, (éd. 1702), 298.
4
Saint-VaUier, Rituel du diocèse de Québec, (éd. 1703), 326.
5
Ordonnance du 13 avril 1709, dans Edits, ordonnances royaux, II, 271s.
6
Ordonnance citée.
7
Texte dans Journaux de la Chambre d’Assemblée du Bas-Canada, 1799, 123.
8
Contrat dans le greffe Adhémar conservé aux Archives judiciaires de Montréal. On ne donne ni le nom ni l’âge du Panis, mais nous croyons qu’il s’agit de Pascal qui avait été baptisé à Montréal le 10 mai 1704, ayant pour maître ce You d Youville de Ladécouverte.
9
Ordonnance du 29 mai 1733, dans ANQ^ Ordonnances des intendants, 21, 77-82.
10
Le roi au gouverneur Beauharnois et à l’intendant Hocquart, 20 avril 1734, ANQi Ordres du roi, 1-2-3, série B, vol. 61, 69.
11 12
Le même aux mêmes, 11 avril 1735 et 15 mai 1736, Ibid., vol. 63, 64. Document du 25 octobre 1720, dans Margry, Origines françaises des pays d’outre-mer, VI, 316.
13
Cité par le gouverneur Beauharnois dans une lettre à Maurepas, 24 septembre Vjy2,Journals and Letters of Pierre Gaultier de La Vérendrye and His Sons, 371.
14
Colbert à l’intendant Talon, 5 avril 1667, dans RAPQ, 1930-1931,72.
15
Ordonnance dans Edits, ordonnances royaux, II, 371.
16
Ordonnance du 23 mars 1710, dans ANQi Ordonnances des intendants,
17
Sur ce procès, voir notre Dictionnaire des esclaves et de leurs proprié¬
vol. IV, 34r.-35r.
taires, au chapitre de Québec, article «Marie-Marguerite, panise». 18
Severance, An Old Frontier of France, I, 288-290 ; Gosselin, L’Eglise du Canada, II, 158s.
19
Le roi à Beauharnois et à Hocquart, 27 avril 1734; le même à Champigny et à d’Orgeville, 6 mai 1734; Beauharnois et Hocquart au roi, 21 décembre 1734, dans ANQ, Ordres du roi, série B, vol. 60,124, 279, 271 s.
20
Documents Relating to the Colonial History ofNew York, vol. X, 131,138.
21
Archives judiciaires du Québec, Collection de pièces judiciaires et nota¬ riales, dossier 1230. Nous étudions cette affaire plus en détail dans un autre chapitre.
Deux siècles d’esclavage au Québec
68
22
Lettre du président du Conseil de marine, 4 mai 1749, dans RAC pour 1905,1, 6,116. Cette lettre résume la demande présentée par La Galissonnière en 1747.
23
Édit d’octobre 1716, articles 5,7,14,15 dans le Code noir cité, 169-181.
24
Ibid., 436.
25
Documents des 31 mars et 5 avril 1762, Ibid., 427-444.
26
Lettre du président du Conseil de marine, 19 mars 1721, dans BRH, 41,1935,128 ; Charlevoix, Histoire (édition de 1744), 1,26-28 ; Aventures du Sr LeBeau (édition de 1738), 172s.; Histoire de la paroisse de Champlain, II, 120s.; ANQx Registre du Conseil supérieur, 4,169-170; docu¬ ment de 1762, dans RAC pour 1911, 867.
27
Déclaration du roi, 15 déc. 1721, ASQ^ Polygraphie, IV : 82 ; Edits, ordon¬ nances royaux, 1: 438-441.
28
Registre de Notre-Dame de Québec ; Suite, « L’esclavage au Canada », dans la Revue canadienne, 61,1911,324.
29
La Jonquière au ministre, 16 juillet 1750, dans BRH, 2,1896,73.
30
Documents relatifs à l’histoire constitutionnelle du Canada, iyyç-iyçi, I, 19-
CHAPITRE
III
Près de 4200 esclaves au Québec
L
orsque Gaultier de Lavérendrye en 1744 veut faire valoir auprès du ministre Maurepas ses longs travaux,
il invoque trois avantages principaux que la colonie en a tiré : «le grand nombre de gens à qui mon entreprise fait gagner la vie, les esclaves que cela procure au pays et toutes les pelleteries dont les Anglais profitaient cidevant1». Pour que Lavérendrye fasse de l’esclavage le second de ses trois arguments, même avant celui des fourrures, il faut qu’il soit une institution parfaitement légale et bien acceptée par les autorités comme par les habitants; il faut aussi que le nombre des esclaves soit suffisamment considérable pour impressionner le ministre. C’est ce nombre que nous avons tenté d’établir. Les difficultés d’un dénombrement
Pour ce faire, nous avons d’abord parcouru depuis leurs débuts jusqu’au XIXe siècle, les registres d’état civil, catholiques et protestants. Comme on avait générale¬ ment l’habitude de faire baptiser son esclave et de l’in¬ humer en terre sainte (devoirs imposés par l’Eglise), nous étions sûr d’atteindre de cette façon une bonne partie de la population. De fait, ces registres nous ont fourni
Deux siècles d’esclavage au Québec
7°
la plus grande part de notre documentation : sur les quelque 4200 esclaves que nous avons trouvés, plus de 3 000 nous sont connus par les registres d’état civil. Dans la consultation de cette source, nous n’avons pas oublié les registres des malades et des morts tenus dans l’HôtelDieu de Québec (ceux de l’Hôtel-Dieu de Montréal, pour l’époque étudiée, ont disparu) et dans les hôpitaux généraux. Les rôles de recensement, quand du moins on avait soin d’énumérer les esclaves, nous ont aidé, en particu¬ lier celui de Québec en 1744, comme aussi les très rares listes de confirmands et de communiants que le hasard nous a transmises. Nous avons cherché dans les greffes des notaires les actes de vente et d’affranchissement d’esclaves, ainsi que les testaments et les inventaires après décès susceptibles de faire mention d’esclaves. Et quoi encore? La correspondance officielle des autorités colo¬ niales, les lettres privées (extrêmement rares), les récits de voyages, les cahiers de comptes ; enfin les gazettes qui apparaissent dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Bref, en exploitant à fond toute source d’information sur la colonie depuis ses débuts jusqu’à l’abolition officielle de l’esclavage au XIXe siècle, nous espérons donner une vue à peu près représentative de l’esclavage au Québec. Le plus difficile était d’identifier les esclaves. Il fallait des éléments essentiels : nom de l’esclave, âge, origine, qualité, nom du propriétaire. Si, par exemple, les registres nous signalent un Jacques, Panis, 19 ans, esclave du sieur A et baptisé en 1740, nous saurons que c’est le même Jacques, Panis, 21 ans, esclave du même sieur A, qu’on inhume en 1742. Si les registres d’état civil, qui sont notre plus abondante source d’information, avaient eu tous le même souci d’identification complète, celui qu’on a d’ordinaire pour les familles non esclaves, ce dénom¬ brement n’eût été qu’affaire de patience.
Près de 4200 esclaves au Québec
71
Or les éléments habituels d’identification n’étaient que fort peu souvent réunis. Les registres d’état civil n’ont pas toujours le souci de nommer l’esclave, le prêtre se contentant d’écrire qu’il a baptisé ou inhumé un « nègre » ou un « Panis » : nous avons dû ainsi inscrire dans notre Dictionnaire près de 1000 esclaves demeurés anonymes. Le Panis Pierre qu’on inhume en 1750 est-il ce Panis anonyme qu’on a baptisé en 1749? Pour répondre avec exactitude, il faudrait comparer les âges et les proprié¬ taires, mais comment faire si l’âge (qui n’est d’ailleurs qu’approximatif) ou le propriétaire n’est donné que dans un cas ? On peut tout aussi bien se trouver en face d’un seul et même esclave qu’en face de deux esclaves distincts. Et puis, chez les esclaves qui ont un prénom, il peut survenir un autre embarras : quel nom porte habituelle¬ ment tel esclave, le prénom de son baptême ou un autre prénom plus courant ? En 1731, on inscrit à l’Hôtel-Dieu de Québec un Louison qui appartient au gouverneur Beauharnois, mais l’année suivante ce petit Amérindien est baptisé sous le nom de Charles-Louis : rien ne l’em¬ pêche de reparaître dans un autre document sous le nom de Charles. Autre embarras : chez un même propriétaire, il peut y avoir des esclaves homonymes, nous en avons rencontré : le gouverneur Beauharnois en 1729 a deux Charlotte, l’une est qualifiée de Renarde, l’autre tantôt de Renarde, tantôt de Panise, et la religieuse de l’Hôtel-Dieu de Québec se contente d’écrire dans le registre mortuaire : « la plus grande Charlotte». Le voyageur Jacques Cardinal donne son prénom à l’Outagami esclave qu’il fait baptiser en 1718, et l’un et l’autre à leur inhumation sont appelés Jacques Cardinal. Ou encore c’est ce Renard Gilles-Hyacinthe qui appartient à l’intendant Gilles Hocquart, mais dans les textes on le présente tantôt sous le prénom de Gilles, tantôt sous celui de Hyacinthe : or l’intendant Hocquart
72
Deux siècles d’esclavage au Québec
avait un autre esclave Panis qui s’appelait Gilles, mais cette fois nous sommes en mesure de distinguer ces deux Gilles, parce que dans chaque cas l’âge nous est donné et la marge est assez importante. D’une façon très générale, quelle imprécision en fait d’âge ! Comment d’ailleurs apprécier l’âge d’un Noir ou d’un Amérindien qui n’est pas né au pays et ne possède aucun papier d’identité? Le prêtre qui baptise ne peut que juger à l’œil et écrire, par exemple : «12 ans environ», mais il arrive que l’âge est ainsi apprécié à l’œil par des personnes différentes en des occasions différentes, et le résultat est déroutant : tel Panis à son baptême est censé avoir 8 ans; il entre à l’Hôtel-Dieu de Québec le mois suivant : il a alors 10 ans ; il meurt peu après : une autre reli¬ gieuse lui donne 7 ans ; l’indication d’un même prénom et d’un même propriétaire peut dans ces cas servir de point de repère, mais que faire si aucun correctif n’est possible ? Chaque fois que nous rencontrons un Panis ou un Noir, nous pouvons nous attendre à ce qu’il soit rattaché à un propriétaire. D’abord, parce que cela peut permettre de savoir si ce Panis ou ce Noir est encore en servitude; ou parce qu’on n’a plus jugé important (par exemple, lors d’une inhumation) d’inscrire le nom du propriétaire. Et quand ce propriétaire est indiqué, nous aurions souhaité qu’on donnât à la fois le nom et le prénom, ainsi que la profession. C’était exiger beaucoup ! La profession est laissée de côté la plupart du temps, et nous devons la trouver par d’autres sources. Sur environ 1500 proprié¬ taires, nous en avons quelque 1100 dont le nom est accom¬ pagné d’un prénom, quoiqu’ici il faille prendre garde à la transmission d’un même prénom de père en fils, comme chez les Gadois-Mogé. L’embarras peut être grand lors¬ qu’on n’a que le nom de famille. Pour les fins d’identification, l’origine de tel ou tel esclave n’est pas toujours une ressource décisive. Car, pour un même Amérindien, ce détail donné par telle personne
Près de 4200 esclaves au Québec
73
ne correspond pas toujours à celui que donne une autre personne. Il arrive qu’un esclave soit présenté une fois comme Renard, une autre comme Panis; d’ailleurs, ce mot panis qui sert très souvent à désigner l’origine, peut se rapporter à n’importe quel esclave, ce qui augmente la confusion. Nous avons rencontré un peu le même genre de difficultés chez les Noirs : tel individu n’étant pas inscrit comme Noir, quand on sait bien par ailleurs qu’il est Noir. Si tous les esclaves ou anciens esclaves étaient dési¬ gnés comme tels dans les sources documentaires, cela nous aurait procuré un plus fort sentiment de sécu¬ rité, mais sur un total de près de 4200 esclaves, nous ne trouvons que 456 Amérindiens et 228 Noirs qualifiés d’esclaves ou faisant l’objet d’une transaction commer¬ ciale. Au Québec, quand il s’agit d’esclavage, le mot se rencontre moins souvent que la chose ; le prêtre qui tient le registre d’état civil répugne à écrire le mot esclave ou ne s’en préoccupe pas : nous avons plusieurs fois constaté que tel Amérindien ou tel Noir que l’on baptise sans être présenté comme esclave, a été acquis par achat. Dans la plupart des cas, on se contente de noter dans les registres que tel Amérindien ou tel Noir appartient à tel proprié¬ taire. Près de 2700 Amérindiens esclaves Notre Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires contient pour les seuls Amérindiens près de 2700 indi¬ vidus, mais il en est une bonne centaine d’autres que nous n’avons pas retenus. Il y a d’abord de ces Amérindiens sans qualification précise que nous rencontrons dans des paroisses où l’esclavage est florissant : ils devaient être eux aussi esclaves, mais en attendant plus ample infor¬ mation, nous ne les avons pas comptés dans la popula¬ tion esclave. Nous avons aussi inscrit, sans les compter,
74
Deux siècles d’esclavage au Québec
24 Sauteux (gens du Sault à l’entrée du lac Supérieur), 1 ambassadeur sioux, 6 Montagnais, 2 Miamis, 5 Renards (gardés en otage), 1 Esquimau, 1 mitive et 1 Papinachois; nous n’avions aucune preuve de leur servitude, mais nous les avons inscrits, parce que des individus de ces nations se sont trouvés déjà en servitude. Nous avons dû aussi, tout en retenant leurs noms, omettre de compter une quinzaine d’Amérindiens qui sont de Détroit et de Michillimackinac après 1796 : on sait qu’à la fin de 1796, ces deux lieux ont de fait cessé de faire partie du terri¬ toire canadien pour devenir américains ; les Amérindiens trop jeunes pour y avoir connu l’esclavage sous le régime canadien, ne pouvaient servir aux fins de notre travail. Voilà pourquoi nous n’avons retenu dans nos statistiques de l’esclavage que 2 683 Amérindiens.
Comment avons-nous procédé pour les grouper dans la population esclave? En comptant d’abord les Amérindiens qui sont esclaves d’une façon évidente, c’està-dire ceux que les textes qualifient d’esclaves : il y en a ainsi 456, dont 251 Panis. Puis, les Amérindiens qu’on nous présente comme appartenant à un tel, après avoir vérifié dans un certain nombre de cas que cette appar¬ tenance équivalait à propriété : nous avons ainsi ajouté à notre dénombrement 1431 Amérindiens dont ion Panis. D’autres Amérindiens, au nombre de 106, apparaissent comme domestiques ou serviteurs, parce que ce sont des Panis (tout Panis est entré au pays en qualité d’esclave) ou parce que tirés de nations très éloignées. Notre dénombrement comprend encore 129 Amérindiens qui, selon nos sources d’information, demeurent chez tel ou tel Canadien : 89 Panis et 40 Amérindiens divers qui, en raison, de leur origine très lointaine ou de la famille dans laquelle ils vivent, sont inscrits comme esclaves. Aussi 27 Amérindiens adoptés : comme nous avons là 23 Panis et 4 Amérindiens venus de très loin, nous les comptons parmi ceux qui sont entrés au pays en qualité d’esclaves.
Près de 4 200 esclaves au Québec
75
Enfin, nous ajoutons 269 Panis que les textes nous pré¬ sentent sans mention particulière, et 54 Amérindiens qui, très probablement, sont ou ont été en servitude parce que ce sont des Renards, des Patocas ou autre gibier à escla¬ vage. Dans ce total de 2683 Amérindiens, nous comptons 339 enfants (dont 265 de Panis) qui ont subi la même condition que leurs parents : suivant l’usage établi, les enfants d’une mère esclave sont esclaves comme la mère, quelle que soit la condition du père. En résumé : Amérindiens présentés comme esclaves Amérindiens appartenant à un tel Amérindiens serviteurs ou domestiques, mais très probablement esclaves Amérindiens demeurant chez un tel, mais probablement esclaves Amérindiens adoptés ou élevés chez un tel, connaissant ou ayant connu la servitude
465
17,30 %
1440
53>7° %
106
4,00 %
129
4,80 %
27
1,00 %
516
19,20 %
Amérindiens sans mention particulière, mais qui connaissent ou ont connu la servitude (Panis, Renards, Patocas ou autres)
Si maintenant nous ne retenons d’une façon rigou¬ reuse que ceux qui ont été esclaves d’une façon certaine, le tableau devient le suivant : Amérindiens qui ont été esclaves à un moment donné (dont tout Panis) Amérindiens qui ont été très probablement
2424
9°,3%
259
9,7%
esclaves
Notre certitude porte donc sur les 90,3 % des Amérindiens que nous avons retenus. Il serait étonnant que les 9,7 % autres n’aient pas connu la servitude : ils ont été tirés de nations très éloignées ou vivent dans des familles esclavagistes.
76
Deux siècles d’esclavage au Québec
Des Panis en abondance Il n’est pas facile de savoir d’où viennent exac¬ tement ces 2 683 esclaves amérindiens : on n’indique pas toujours la tribu précise d’où ils ont été tirés. Ainsi, l’Amérindien Augustin qu’on présente au baptême à l’âge de cinq ans en 1746 à Sainte-Anne-de-la-Pérade, est dit de l’Ouest2; l’Amérindienne Charles-Josephe qui appartient à Guillaume Cartier à Saint-François-duLac, est baptisée à cet endroit en 1720 à l’âge de trois ans : le prêtre note qu’elle a été amenée des Outaouais; détail qui ne nous éclaire pas davantage, puisque les Outaouais, alliés des Français, n’étaient pas esclaves : elle a dû être prise par les Outaouais quelque part vers l’ouest. L’imprécision des documents ne nous permet pas de faire un tableau rigoureux de l’origine des esclaves amérindiens ; au total, plus de 16 % ont une origine qui nous demeure inconnue. D’ailleurs, l’usage du mot panis produit une totale confusion. La nation des Panis étant une grande fournisseuse d’esclaves, on a pris l’habitude de coiffer un Amérindien esclave du nom de panis, avec son féminin panise, mais on trouve parfois panisse au féminin comme au masculin. Que sont exactement les Panis? Bougainville, dans un mémoire de 1757, résume bien la description qu’on en pourrait donner ; à propos du poste appelé mer de l’Ouest au-delà des Grands Lacs, il écrit : «Un des commerces de ce poste est en Panis; c’est une nation sauvage que l’on estime au nombre de 12000 hommes; les autres nations lui font la guerre et nous vendent leurs esclaves»3. Ailleurs, encore à propos d’un poste de commerce au-delà des Grands Lacs qui traite en moyenne chaque année 40 à 60 esclaves « rouges » ou panis, il précise : « nation située sur le Missouri, et qui joue, dans l’Amérique, le rôle des nègres en Europe», mais il se trompe quand il affirme que c’est la «seule
Près de 4200 esclaves au Québec
77
nation sauvage que nous croyons pouvoir traiter de même », et qu’il n’y a « que dans ce poste que l’on fasse ce commerce » ; à moins qu’il ait voulu parler exclusive¬ ment de l’année 1757. On pratiquait ce commerce dans plusieurs autres nations et plusieurs autres endroits. En tout cas, selon le mot de Bougainville, les Panis étaient les Noirs d’Amérique, rouges au lieu d’être noirs. Il faut toutefois prendre garde à une équivoque, car il y a eu au Québec dès le XVIIe siècle une famille tout à fait d’origine française qui portait le nom de Panis et il vint plus tard une famille de Janis, écrit parfois Janisse, famille qui a possédé des Panis, de sorte que nous rele¬ vons l’expression un Panisse de Janisse. Les Panis vivaient dans la partie supérieure des rivières Missouri et Kansas, à peu près dans la région aujourd’hui occupée par l’Etat du Nebraska4. Ils appa¬ raissent dans la cartographie et dans les récits de voya¬ geurs français dès la seconde moitié du XVIIe siècle et leur appellation est variée : Pana, Panis Ricaras, Pammaha, Panis Oasa, Panis noirs, Panis blancs. Parlant de la rivière des Arkansas, Charlevoix écrit : « Cette rivière vient, diton, du pays de certains Sauvages qu’on appelle Panis noirs et je crois que ce sont les mêmes qui sont plus connus sous le nom de Panis Ricaras. J’ai avec moi un esclave de cette nation5 ». Parfois, la précision est poussée plus loin, comme lors de ce baptême à Verchères en 1735 : panis des panis blancs. Il arrive que le prêtre qui tient le registre hésite : il écrit « panis ou sioux » ou encore « panis assiniboine». Les Panis, qu’ils soient vraiment de la nation des Panis ou qu’on applique aux Amérindiens le nom géné¬ rique de panis, apparaissent dans la documentation à partir de 1687, d’abord en petit nombre, puis ils devien¬ nent beaucoup plus nombreux pour se maintenir chaque année à un chiffre assez élevé, la vingtaine ou la trentaine, et même un sommet de 52 en 1761 ; leur nombre annuel
78
Deux siècles d’esclavage au Québec
décroît rapidement dans les années 1780, puis on n’en trouve plus qu’un seul en 1802 : le dernier. Les Panis sont les seuls Amérindiens à apparaître dans la documentation chaque année avec une continuité étonnante : il y a vraiment un marché panis comme il y a un marché bois d’ébène. Autres esclaves de la vallée du Mississippi
Outre les Panis qui viennent du haut Missouri, on rencontre parmi les Amérindiens esclaves des représen¬ tants de diverses tribus de la vallée du Mississippi. Dans la même région du haut Missouri, à 50 lieues audessus du village des Kansés, selon Bougainville, vivaient les Aiouois (ou Aiouès, Aiyoués) que les Anglais nomme¬ ront Iowas. Nous en rencontrons deux dans nos listes, dont l’un âgé de 12 ans a été pris directement dans son village, l’autre, à n ans, qui avait été chez les Amérindiens de la Ouabache avant de passer aux Français. Les Missouris habitaient la région de la rivière du même nom, surtout dans sa partie inférieure. Au moins deux de ces Amérindiens, baptisés à Québec, dont une Missourise, ont été esclaves au Québec. Dans cette même région, mais en descendant vers la rivière Kansas, s’étend le pays des Cansés ou Kancés, dont on baptise deux esclaves à Montréal et à SaintFrançois-du-Lac. Plus au sud, sur la rivière Arkansas, il nous est venu cinq jeunes Arkansas baptisés à Lachine, à Montréal, à Sainte-Anne-de-la-Pérade et à Québec. Très loin, à l’intérieur des terres, derrière les Arkansas et les Cansés, se trouvaient les Patocas ou Padoucas, iden¬ tifiés aujourd’hui aux Comanches : nous en avons eu 52 en esclavage ; comme ils étaient voisins des Panis, on les a souvent confondus avec eux. Tout au sud de la Louisiane, à l’embouchure du Mississippi, on connaît la tribu des Ouachas : nous n’en
Près de 4200 esclaves au Québec
79
rencontrons qu’un seul en servitude, une Ouachesse baptisée à Québec. Passant à la rive gauche du Mississippi, en allant du sud vers le nord, voici la tribu des Natchez, célèbre par les pages de Chateaubriand : deux furent esclaves, baptisés à Québec et à Détroit. Plus haut, les Tchactas ou Têtes-plates, dont six sont inscrits dans nos listes. Au nord, les Chicachas, contre qui il fallut mener deux campagnes militaires en 1736 et 1738 : 18 Chicachas sont comptés dans la population esclave, l’arrivée de 16 d’entre eux correspondant à ces années de guerre. Sur la rivière Ohio, le pays des Chaouanons, appelés aujourd’hui
Shawnees, n’aurait fourni
qu’une
seule
esclave : elle donne naissance à Détroit en 1798 à une fille de son maître Jacques-François Lacelle. En remon¬ tant toujours la rive gauche du Mississippi, nous arrivons chez les Cahokias, dont un seul baptisé à Détroit compte parmi nos esclaves. Dans leur voisinage, les Tamarois, dont un seul, à huit ans, est esclave. Enfin, nous termi¬ nons cet inventaire du Mississippi par les Illinois : sept apparaissent dans notre Dictionnaire; nous avons précé¬ demment raconté l’histoire de cet Illinois qui a vendu son fils comme esclave afin de pouvoir s’enivrer du produit de la vente. Plus de 1700 esclaves amérindiens nous sont venus de la vallée du Mississippi. Un contingent d’esclaves de l’Ouest
L’Ouest, c’est-à-dire tout le pays au-delà du lac Supérieur (ce qu’on appelle à cette époque poste de la mer de l’Ouest), en fournit aussi un certain nombre. Ce sont surtout des Sioux à qui font la guerre les Cristinaux (les Cris d’aujourd’hui) et les Assiniboines, alliés des Français. En 1696, apparaît un premier Sioux à Montréal, mais à titre d’ambassadeur et inhumé le 3 février : nous
Deux siècles d'esclavage au Québec
8o
ne le comptons pas comme esclave. Les Sioux esclaves commencent à arriver en 1712, d’abord très rares ; à partir de 1733, il en vient quelques-uns chaque année, ce qui correspond à la pénétration de Gaultier de Lavérendrye dans l’Ouest. Comme les Assiniboines et les Cristinaux se laissaient parfois distraire de la chasse aux fourrures pour courir après ces Sioux, le commerce de Gaultier de Lavérendrye en souffrait selon le jésuite Coquart en 1742, et il note, après une victoire importante sur les Sioux : «Le nombre des esclaves était si grand que suivant le rapport et l’expression des Sauvages, ils occupaient dans leur marche [rL] un terrain de quatre arpents6 ». Il a dû venir nombre de ces Sioux au Québec, puisque Gaultier de Lavérendrye insistant sur l’importance de ses travaux mentionne «les esclaves que cela procure au pays». Nous n’en avons retrouvé que 60; les autres ont peut-être été confondus parmi ceux qui portent le nom générique de panis ; d’ailleurs, les esclaves de Gaultier de Lavérendrye sont qualifiés de Panis, ce devait être des Sioux. Parmi les esclaves qui viennent de l’Ouest, nous inscrivons 14 Brochets (on a fait le féminin Brochette) : ils sont dits venant d’une nation «vers la mer de l’Ouest». Quant aux alliés de l’explorateur (Cristinaux et Assiniboines),
ils auraient eu quelques-uns des leurs
réduits en servitude. Notre liste comprend trois Assini¬ boines et cinq Cristinaux. Il se peut qu’ils fussent ainsi appelés tout simplement parce que achetés des Assini¬ boines et des Cristinaux. Esclaves des Grands Lacs Poursuivant notre inventaire géographique, nous groupons ici les Amérindiens esclaves qui sont origi¬ naires de nations des Grands Lacs.
Près de 4 200 esclaves au Québec
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D’abord, les Sauteux, ainsi appelés parce qu’ils habi¬ tent la région du Sault-Sainte-Marie. Ils sont depuis longtemps en relations avec les Français qui prennent parfois chez eux des maîtresses ou des épouses. Le cas le plus célèbre est celui d’Hamelin : Charles et son fils Louis qui épousent des Sauteuses et en ont des enfants. Malgré ces relations, nous inscrivons sept Sauteux dans notre population esclave, à moins que ce soient encore des Amérindiens achetés des Sauteux. Sur la rive occidentale du lac Michigan, entre ce lac et le Mississippi, vivent les Renards appelés aussi Outagamis. Ils faisaient depuis des années la guerre aux Français et à leurs alliés. Pour se les attacher, LamotheCadillac les invite à venir s’établir près de Détroit; une quarantaine de familles acceptent l’invitation mais, en 1712, les Flurons et les Outaouais qui ne peuvent plus supporter l’arrogance de ces Renards, les attaquent; les Renards s’échappent, on les taille en pièces, les femmes et les enfants sont pour la plupart réduits en esclavage et vendus aux Français. La guerre reprit entre Renards et Français. Il fallut en 1716 lancer contre eux une expédition militaire. Défaits, ils doivent fournir des otages ; ils reprennent quand même le combat, puis envoient de nouveau des ambassadeurs, mais le roi ordonne qu’ils soient arrêtés et expédiés aux Antilles pour y être vendus comme esclaves. Et c’est ainsi qu’à partir surtout de 1712, les Renards entrent au Québec en servitude : dans les années 1712-1719, nous en comp¬ tons 64; puis, de 1730 à 1734, 31 autres; au total, 134 dont 9 sont nés ici même de parents esclaves. Les Folles-Avoines, Amérindiens de la région de la baie des Puants (aujourd’hui Green Bay), n’ont que six représentants dans notre population esclave. Les Mascoutins vivaient dans cette même région, à l’ouest du lac Michigan, entre les Renards et les Illinois : nous n’en rencontrons que trois en servitude. Au sud du lac
82
Deux siècles d'esclavage au Québec
Michigan, demeuraient les Poutéoutamis ou Poux : nous en identifions six parmi nos esclaves. Les Outaouais, alliés traditionnels des Français, auraient eu deux des leurs en servitude. Au sud du lac Ontario, vivaient des Amérindiens qui pendant un long siècle ont été pour les Français une sorte de fléau de Dieu; si des Amérindiens ennemis étaient susceptibles de réduction en esclavage, c’étaient bien les Iroquois dits les Cinq-Nations, dont la plus agressive, celle des Agniers. Comme l’esclavage amérindien ne s’établit au Canada qu’au milieu du XVIIe siècle, c’est seulement à cette époque que l’on songe à appliquer aux Iroquois une forme d’esclavage. En 1687, le gouverneur Brisay de Denonville expédie en France des Iroquois prisonniers et l’on en fait des rameurs de galères. Louis XIV trouve l’importation profitable et il encourage ce gouverneur à en capturer le plus grand nombre possible : «vigoureux et accoutumés à la peine», ils peuvent servir utilement sur les galères. Puis on estime d’une meilleure politique de leur rendre la liberté : on les renvoie au Canada, où le gouverneur Buade de Frontenac les reçoit même à sa table, avant de les faire reconduire en Iroquoisie. On espère que ces bons traitements leur feront oublier ce que « leur esclavage avait eu de fâcheux7 ». En 1701, se conclut la «grande paix», à l’heure où l’esclavage amérindien commence à prendre de l’ampleur; il ne pouvait plus y avoir chez les Français d’esclavage iroquois. Plus bas que l’Iroquoisie, vers la rivière Ohio, sont les Loups, alliés aux Iroquois : trois sont en servitude dans les tout débuts de l’esclavage amérindien. Avec les Loups on confond d’ordinaire les Mahingans, qui vivent au sud de l’Iroquoisie. Alliés aux Iroquois, on les appelle aussi Mahicans, Mahigans, Maraingans, Moraingans ; on les qualifie d’Amérindiens anglais ou du parti anglais : nous en avons cinq au pays, de 1748 à 1760, donc pendant les dernières luttes anglo-françaises.
Près de 4 200 esclaves au Québec
83
Des esclaves des nations du Nord
La documentation nous présente des esclaves appelés tantôt Gens des terres, tantôt Têtes de boule, tantôt Montagnais. Bougainville écrit que Gens des terres est un surnom qu’on donne aux Têtes de Boule. L’ingénieur Franquet dit des Montagnais, «errants, sans demeure fixe » entre le fleuve et la baie d’Hudson, qu’ils reçoivent communément l’appellation de Gens des terres8. Nous comprenons que par là on désigne les Amérindiens de l’arrière-pays et qu’à ce groupe on rattache Papinachois et Naskapis. Deux Amérindiens présentés comme Gens des terres sont en servitude. Deux Têtes de Boule sont quali¬ fiés de Panis, donc selon l’ordonnance de 1709, ils sont esclaves, même si les Têtes de Boule du haut SaintMaurice descendaient faire la traite aux Trois-Rivières. Un seul Papinachois et un seul Naskapi sont inscrits comme esclaves. Quant aux Montagnais, nous en retenons 25 en servi¬ tude, mais comment savoir s’il s’agit de ces Montagnais que Franquet assimile vaguement à ces nations du Nord ou de ceux qui sont alliés aux Français depuis les débuts de la colonie et qui, par conséquent, ne pourraient être esclaves ? Enfin, nous avons compté 12 Esquimaux parmi notre population esclave. Les Français ont longtemps essayé, mais en vain, d’établir des relations d’amitié avec la nation esquimaude. Le mémoire de 1757 que nous avons cité, la présente comme la « plus intraitable et la plus cruelle » de l’Amérique du Nord; selon l’ingénieur Franquet en 1752, on ne peut humaniser ces Esquimaux qui sont traîtres et anthropophages9. Esclaves qu’on n’a pas pu garder long¬ temps : 7 de ces 12 Esquimaux meurent à l’âge moyen de 17,6 ans.
84
Deux siècles d’esclavage au Québec
L’éloignement du pays d’origine, une garantie
Notre inventaire des Amérindiens esclaves établit la répartition suivante selon l’origine géographique : Vallée du Mississippi Pays de l’Ouest (au-delà du lac Supérieur) Région des Grands Lacs
d’origine inconnue
66,90 %
83
3,10
167
6 30
%
, %
43
1,60 %
OO OO CO
Nations du Nord
1782
22,10 %
Des 588 Amérindiens esclaves dont l’origine géogra¬ phique nous est inconnue, 28 sont des mitifs (aujourd’hui métis), issus d’Amérindiens esclaves et de Canadiens; nous les comptons parmi les esclaves, puisque les enfants d’une mère esclave sont esclaves comme la mère, quelle que soit, nous l’avons dit, la condition du père. Pour se dire libres, les enfants doivent avoir été affranchis. Il appert que dans l’ensemble, ces Amérindiens esclaves viennent de très loin. Plus des trois quarts sont de la région des Grands Lacs et de pays au-delà du lac Supérieur et du Mississippi. On avait avantage à acheter ces esclaves le plus loin possible du territoire habité par les Français pour qu’ils aient le moins de chances de rega¬ gner le pays d’origine. Au moins 1443 Noirs
L’inventaire des esclaves noirs n’a pas été plus facile que celui des Amérindiens. Il fallait d’abord se garder de prendre pour un esclave noir un membre de la famille Nègre ou Noir, de même que des Canadiens peuvent aussi porter le nom de famille Sauvage : à l’Hôtel-Dieu de Québec en 1752, on inscrit un calviniste nommé Joseph Nègre dit Latreille, originaire du diocèse de Riez; on connaît aussi un Jean-Baptiste Nègre dit St-Jean, comme
Près de 4200 esclaves au Québec
85
on connaît la famille Noir dit Rolland. Piège d’ailleurs facile à éviter. L’identification précise pose les mêmes problèmes que chez les Amérindiens : nombre de Noirs sont inscrits dans les registres d’état civil d’une façon anonyme, on évalue l’âge à l’œil de sorte qu’un même Noir est rajeuni ou vieilli selon les différentes personnes qui le voient et les documents ne donnent pas toujours le nom du proprié¬ taire, qui pourrait servir de repère. Dans notre Dictionnaire des esclaves et de leurs pro¬ priétaires, nous avons inscrit 1443 Noirs. L’abolition for¬
melle de l’esclavage date de 1834 mais, de fait, l’appari¬ tion de Noirs avec la qualité d’esclave ou de appartenant à ou de son équivalent cesse dans les premières années du XIXe siècle. Après 1800, nous ne trouvons plus que sept Noirs esclaves ou anciens esclaves : deux en 1802, un en 1806, quatre qui apparaissent à partir de 1822 (un en 1822, deux en 1825, un en 1831) : ces quatre derniers ne sont peut-être plus esclaves; en tout cas, ce sont d’an¬ ciens esclaves. Comme pour les Amérindiens, les 1443 Noirs inscrits ne sont pas tous qualifiés d’esclaves (324 appar¬ tiennent à cette catégorie). Ils sont dits esclaves ou ils ont été l’objet d’une transaction commerciale, ou nous cons¬ tatons leur affranchissement. D’autres appartiennent à un maître, ce qui est une preuve d’esclavage : nous en comptons 575. D’autres encore sont présentés comme serviteurs ou domestiques : au nombre de 59, ils ont probablement été esclaves. Enfin, 27 qui «demeurent» chez un Canadien ont aussi été ou sont probablement esclaves. Il y en a en outre 12 qui sont dits libres et qui ont dû, comme tout Noir, passer d’abord par la servitude. Enfin, ceux sur qui on ne donne aucune précision, 446, que nous inscrivons dans notre Dictionnaire, tout Noir à cette époque étant ou ayant été esclave. Soit :
Deux siècles d’esclavage au Québec
86
Noirs dits esclaves
324
Noirs présentés comme appartenant à un tel
575
Noirs dits serviteurs ou domestiques
59
Noirs dits demeurant chez un tel
27
Noirs dits libres
12 446
sans aucune précision
L’apparition des 1443 Noirs dans notre documen¬ tation (outre le Noir de Couillart de 1632 à 1654) s’éche¬ lonne d’une façon assez régulière de 1686 à 1831. 1632-1654
1
1761-1770
65
1686
1
1771-1780
195
1691-1700
5
1781-1790
337
1701-1710
6
1791-1800
254
1711-1720
16
1801-1810
3
1721-1730
20
1811-1820
1731-1740
43
1821-1830
3
1741-1750
121
1831-1834
1
1751-1760
95
de date inconnue
-
2 77
Le nombre augmente de façon importante à partir de 1783, qui marque l’entrée des loyalistes au Québec avec leurs esclaves, en particulier ceux qui s’établissent dans la région du Missisquoi; ce qui correspond aussi à peu près à la fin de l’approvisionnement amérindien. Puis, la liste s’effiloche à compter de 1800, le marché d’esclaves devient de moins en moins actif; des juges refusent de condamner les esclaves qui prennent la fuite. L’activité esclavagiste cesse avec l’abolition officielle de 1834. Il viendra encore beaucoup de Noirs après 1834, mais surtout pour échapper à leurs maîtres des États-Unis : ils traversent clandestinement la frontière (ce qu’on a appelé XUndergroundRailway pour vivre en liberté).
Près de 4200 esclaves au Québec
87
Comme le Noir ne vient pas en cargaison, ainsi qu’on l’avait demandé, on se le procure dans les colonies anglaises par la guerre ou la contrebande. Le marchand Jacques Leber a à son service depuis 1692 un Noir pris aux Anglais. En 1700, on baptise à la Pointe-Lévy un Noir anglais que les Abénaquis avaient capturé et vendu à un Canadien. Autre Noir prisonnier dont fait mention un document de 1700 : Titus Jones, originaire de la NouvelleAngleterre. En 1718, l’officier Pierre You d’Youville de Ladécouverte va traiter des fourrures à Albany et revient avec un Noir. En 1731, le procureur du roi, Louis Poulin de Courval, fait baptiser un Noir qu’il a acheté et qui a été élevé dans le New York. Le Noir Charles-Joseph s’enfuit de la Nouvelle-Angleterre et se réfugie chez le gouverneur Beauharnois en 1732 : celui-ci en fait don à l’Hôpital-Général de Québec10. La guerre en 1745 donne l’occasion aux Canadiens d’acquérir quelques Noirs. En novembre, on fait une centaine de prisonniers au lac Champlain, «hommes, femmes, enfants et nègres qui ont été en partie dispersés aux Sauvages, qui s’en sont emparés, et les autres mis dans les prisons à Québec11 ». Parmi ces Noirs, les parents d’une enfant d’un an, Etiennette : ils deviennent la propriété de l’officier Luc Saint-Luc et le marchand Joseph-Jacques Gamelin achète le bébé pour la somme de 500 livres. Dans ce lot de prisonniers, une Noire enceinte qu’acquiert l’officier Michel Maray de Lachauvignerie : le 26 décembre, elle donne naissance à un négrillon que l’on baptise le surlen¬ demain. Dans l’attaque d’un fort, une Noire voit périr son mari : elle est faite prisonnière au profit de l’offi¬ cier Daniel-Hyacinthe Liénard de Beaujeu; elle arrive enceinte et met son enfant au monde le 2 mai suivant. Une autre Noire, Diane, est capturée par les Amérindiens avec sa fillette : l’une et l’autre vont faire partie des biens meubles du marchand Pierre Guy.
Deux siècles d’esclavage au Québec
88
La guerre navale donne lieu aussi à des prises : passant de Francerance à Québec, un capitaine de vais¬ seau enlève aux Anglais le Noir Jeannot, mais dès son arrivée ce Noir entre à l’Hôpital-Général pour y mourir. La guerre se poursuit et la documentation continue de mentionner des Noirs issus des colonies anglaises. En novembre 1747, quatre Noirs pris aux Anglais s’enfuient; on les rattrappe, on les embarque pour la Martinique où ils seront vendus12. Le nègre Thomas qui séjourne à l’HôtelDieu de Québec en ce même automne 1747, est un autre prisonnier. En juillet suivant, Niverville de Montizambert ramène à Montréal un Noir. La guerre prend fin au pays, mais il reste encore des Noirs capturés13. En temps de paix comme en temps de guerre, les Amérindiens font des incursions chez les Anglais et ramènent des prisonniers. Parmi eux, le Noir Samuel Frement que les Anglais réclament, mais que le gouver¬ neur Beauharnois autorise Lacorne Saint-Luc à garder. Dès la reprise des hostilités, on rencontre de nouveaux Noirs qui viennent des colonies anglaises. Dans l’armée française qui marche contre le fort Chouaguen en 1756, un Noir qui avait été pris aux Anglais passe à l’ennemi. À la prise du fort William-Henry, on tue ou capture des Noirs14. Il a pu ainsi, sous le Régime français, venir plusieurs Noirs des colonies anglaises, mais les documents ne nous donnent l’origine des Noirs que d’une façon occasion¬ nelle. C’était, en tout cas, le marché le plus proche et parfois le moins coûteux, puisqu’il suffisait, en temps de guerre, de s’emparer du bois d’ébène. Il y avait aussi le marché de la Louisiane, cette autre colonie française qui faisait partie de la Nouvelle-France et avec laquelle on était en liaison par le pays des Illinois et par mer. Les esclaves y étaient abondants et pouvaient grossir la population noire du Canada.Toutefois, dans les rares indications de l’origine, nous ne trouvons que cette
Près de 4200 esclaves au Québec
89
Marie-Françoise qui épouse en 1759 le Noir Joseph dit Neptune, esclave du gouverneur Vaudreuil-Cavagnial ; ses père et mère sont de la Nouvelle-Orléans. Il serait étonnant quelle fut la seule à venir de la Louisiane. On va en chercher plus loin encore que la Louisiane : les marchands canadiens qui font le commerce des Antilles, reviennent parfois avec des Noirs. Le marchand Renaud fait baptiser à Québec en 1724 le Noir PierreLouis qui arrive de la Martinique avec son maître; le bourgeois François Aubert de Lachesnaie achète à SaintDomingue la Noire Marie-Louise, et la place à l’HôtelDieu de Québec en juillet 1728, peu après son arrivée. D’autres Noirs viennent des Antilles, sans cepen¬ dant qu’on sache si leurs propriétaires sont allés euxmêmes les chercher. L’intendant Hocquart a une Noire des Antilles; et l’Etat fait acheter aux Antilles en 1742 la Noire Angélique-Denise qu’on destine comme épouse au bourreau noir de Québec15. Il existe une source d’approvisionnement encore plus éloignée : la côte de Guinée. S’est-on rendu jusquelà pour se procurer des Noirs? Nous connaissons au moins un propriétaire qui soit dans ce cas : le négociant Joseph Fleury Deschambault de Lagorgendière achète en Guinée même le Noir Joseph-Marie, qui séjourne à l’Hôtel-Dieu de Québec en février 1728, alors âgé de sept ans. Lorsque d’autres Noirs sont présentés comme venant de la Guinée, s’ensuit-il qu’eux aussi ont été achetés là-bas directement par des Canadiens ? Il est fort possible que le navigateur Michel Salaberry, le marchand Pierre Lestage, le navigateur François Lemaître-Jugon, le négociant Joseph Dufy-Charest aient acquis leurs esclaves d’un comptoir d’Afrique16.
Deux siècles d'esclavage au Québec
9°
Graphique I Répartition raciale des 4185 esclaves 3 000
h
Un peu moins de 4200 esclaves au Québec
Si nous réunissons tout ce que nous avons trouvé d’esclaves amérindiens et noirs depuis la deuxième moitié du XVIIe siècle jusqu’à l’abolition de l’esclavage en nous obtenons un total de
4185
1834,
esclaves. Nous les répar-
tissons en trois groupes : Amérindiens
2683
Noirs
1443
Amérindiens ou Noirs (non précisé par la documentation)
59
Le nombre des nouveaux esclaves qui apparaissent dans la documentation ne prend une certaine impor¬ tance qu’après 1709, année de l’ordonnance de Raudot qui légalise l’esclavage. Il atteint les 400 et les 500 dans les 20 dernières années du Régime français, en raison de l’importance de la traite des fourrures, opération qui faci¬ lite l’acquisition d’esclaves amérindiens. Le nombre de ceux-ci chute ensuite rapidement (dû à la décadence de
Près de 4200 esclaves au Québec
9i
la traite), alors que celui des Noirs prend une soudaine importance (dépassant de beaucoup les 600), grâce aux loyalistes états-uniens qui arrivent avec leurs esclaves noirs. Puis, après 1800, bien avant l’abolition officielle de l’esclavage au Canada, même s’il arrive au Québec beau¬ coup de Noirs, les documents ne nous signalent presque plus d’esclaves : l’esclavage disparaît déjà peu à peu, les juges ne voulant plus châtier les esclaves qui désertent. Dans ce grand total de 4185 esclaves,les Amérindiens, au nombre de 2683, forment les 65,1 % des 4124 esclaves de race connue, autant dire les deux tiers, alors que les 1443 Noirs en représentent un peu plus du tiers, soit 34,9 %. Nous sommes convaincu que nos ancêtres des XVIIe et XVIIIe siècles ont eu plus d’esclaves que ces
4185
recensés dans notre Dictionnaire. Car, dès le début du XVIIIe siècle, les propriétaires se plaignaient de la diffi¬ culté à garder leurs esclaves amérindiens ; de plus, comme on constate très souvent que les esclaves amérindiens sont baptisés sur le tard, soit parce que leur éducation religieuse prend du temps ou parce qu’ils ne se pressent pas de recevoir ce sacrement, il s’ensuit que bien de ces esclaves meurent avant d’être baptisés et, par conséquent, n’apparaissent pas dans les registres d’état civil. Si l’on ne trouve pas leur acte d’achat, on ne les voit nulle part : y en a-t-il cent, deux cents, trois cents ou davantage de ces « sans papiers » qu’on ne peut compter ? Population de près de 4200 : ajoutons-y tous ceux que la documentation ne nous a pas transmis : nous nous trouvons tout de même devant un nombre ridiculement faible, si nous le comparons aux autres pays esclava¬ gistes. Qu’est-ce que 4200 esclaves répartis sur 2 siècles, comparé au New York qui en 20 ans importe plus de 2000 Noirs ? Dans la seule année 1749, on compte dans ce New York 10500 Noirs ; le Maryland en a 8 000 en 1710 ; la Caroline du Sud, 12 000 en 1721 ; la Louisiane, 5 000 en
Deux siècles d'esclavage au Québec
92
Graphique
II 2537 esclaves
Répartition urbaine des 1800 > 60,/
1 600 ►
%
1400 >
M I 200 s> I 000 *•
% V
- „'X.;
800 t> ■
600 >
400 >
■ . '• ■' 111 1 ••
[
_
.j
1 1 1 1 -J 1 1 1 1
O ► Montréal
Québec
Graphique
Trois-Rivières
III
Esclaves urbains et esclaves ruraux (sur 4 185 esclaves) 3 000 t60,6 %
2 500
2 OOO K
39> 4 % KMSBg mjMmmgm
I 500 >-
I 000 ►-
500 ►-
.
. '
,
- . .
• .■
!
1
O Urbains
1 1
200 ►
Ruraux
Près de 4 200 esclaves au Québec
93
1746 ; aux Antilles, 250 000 vers 1744. Nous avons été de modestes esclavagistes. C’est peut-être pour cette raison que nous en avons si peu parlé...
La répartition géographique des esclaves
Quand les Canadiens réclament des esclaves noirs, ils font surtout valoir le besoin de cultiver les terres : il importe donc d’observer comment la population esclave se répartit géographiquement et de savoir si les esclaves vivent à la campagne ou à la ville. Nous allons dresser la liste des lieux où se trouvent ces esclaves mais, de ces derniers, seuls ceux dont on sait qu’ils sont Amérindiens ou Noirs. Nous ferons l’in¬ ventaire des régions en nous basant sur ce qu’on appe¬ lait gouvernement sous le Régime français, parce qu’il se trouve que ces gouvernements (Québec, les TroisRivières et Montréal) correspondent en gros aux régions du temps de l’esclavage. À ce Québec, nous rattacherons certains terri¬ toires qui relevaient de l’administration québécoise au moment où nous y comptons des esclaves : l’Acadie (Cap Sable et Louisbourg) ; le lac Champlain jusqu’en 1763 ; la région ontarienne sous le Régime français et de 1774 à 1791; Détroit, Michillimackinac et le fort Duquesne font officiellement partie du Québec jusqu’en 1783 et, de fait, jusqu’en 1796; enfin, sur le Mississippi, à Kaskaskias, la mission Sainte-Famille dépendait du Séminaire de Québec et celle des Jésuites relevait de leur communauté de Québec.
Deux siècles d’esclavage au Québec
94
Noirs
Total
Cap Sable
1
1
Louisbourg
1
1
X
2
1
1
Amérindiens I- L’Acadie
II- Le Québec i. région de Québec rive gauche : Tadoussac Ile d’Orléans Saint-François
i
Saint-Jean Saint-Laurent
2
Saint-Pierre
3
2 3
Sainte-Famille Château- Richer Beauport
1
i
1
1
4
11
Charlesbourg
2
2
Lorette
2
2
L’Ancienne-Lorette
7
i
1
400
570
970
Sainte-Foy
1
1
2
Neuville
3
1
4
Les Ecureuils
2
2
Cap-Santé
2
2
Québec, ville
Deschambault Grondines
1
1
15
15
Lotbinière
1
1
Pointe-Lévy
3
7
10
Saint-François-de-Beauce
6
1
7
Beaumont
4
rive droite :
Saint-Vallier
4 1
1
Près de 4200 esclaves au Québec
Amérindiens
95
Noirs
Total
Saint-Thomas-deMontmagny
4
4
Cap-Saint-Ignace
5
1
6
Saint-Jean-Port-Joly
1
1
2
2
2
Kamouraska
2
2
N ew- Richmond
1
1
Sainte-Anne-de-laPocatière
2. région des Trois-Rivières rive gauche : Sainte-Anne-de-la-Pérade
38
2
40
Batiscan
15
1
16
Sainte-Geneviève-deBatiscan Champlain Cap-de-la-Madeleine Les Trois-Rivières
1
1
6
6
1
1
35
7
42
2
2
2
2
Saint-Pierre-les-Becquets
1
1
Saint-François-du-Lac
3
1
4
Berthier-en-Haut
8
9
T
Saint-Cuthbert
1
1
Ile-Dupas
1
1
Lanoraie
1
1
Lavaltrie
5
5
Saint-Sulpice
2
2
LAssomption
8
Yamachiche Rivière-du-Loup-en-Haut (Louiseville) rive droite :
3. région de Montréal rive gauche :
3
11
Deux siècles d'esclavage au Québec
96
Amérindiens
Noirs
Total 1
Repentigny
1
Lachenaie
5
7
12
Terrebonne
7
3
10
Oka
1
1
8
8
Saint-Vincent-de-Paul
2
2
S ault- au- Récollet
6
1
7
Pointe-aux-Trembles
6
1
7
Saint-Laurent
4
1
5
Longue-Pointe
7
5
12
518
1525
Saint-François-de-Sales (Rivière des Prairies)
O
O
M
Montréal Lachine
90
3i
121
Pointe-Claire
18
2
20
18
3
21
Sainte-Anne-du-Bout-del’île Ile-Perrot
2
Vaudreuil
5
2 7
12
8
8
D
4
21
9
9
18
Verchères
10
1
11
Varennes
4i
3
44
Boucherville
47
15
62
Longueuil
V
X
18
Laprairie
66
2
68
Rigaud Les Cèdres (Soulanges) rive droite : Sorel
Saint-Constant
1
1
Saint-Philippe-de-Laprairie
3
3
4. région du Richelieu Saint-Antoine-surRichelieu
1
5
6
Près de 4 200 esclaves au Québec
Amérindiens
97
Noirs
Saint-Mathias Chambly
9
Total
1
1
3
12
5. région du lac Champlain Saint-Armand (Philipsburg) Fort Saint-Frédéric
D
13
5
8
3
6. région des Grands Lacs Fort Frontenac
2
2
York-Toronto
8
8
Détroit
523
127
650
Michillimackinac
135
25
160
Fort Saint-Joseph des Miamis Fort Duquesne
15
15
1
1
7. région du Mississippi Kaskaskias (Sainte-Famille)
12
12
24
Nos 4087 esclaves, Amérindiens et Noirs se répar¬ tissent donc géographiquement comme suit : Acadie Canada (du Régime français) région du lac Champlain région des Grands Lacs région du Mississippi
2 3264 21 874 24
Dans cet inventaire, l’abondance des esclaves, surtout amérindiens, dans la région des Grands Lacs, n’étonne pas puisque nous avons là des centres de peuplement (Détroit et Michillimackinac) en plein territoire amérin¬ dien. La région où l’esclavage est le plus important est celle du Canada du Régime français, c’est-à-dire les rives gauche et droite du fleuve Saint-Laurent. Hommes et femmes se partagent à peu près égale¬ ment : 1973 hommes (47,8%), 2151 femmes (52,2%).
98
Deux siècles d'esclavage au Québec
Toutefois, si l’on mesure séparément chacun des deux groupes, le tableau ne paraît plus aussi homogène. Chez les Amérindiens, les femmes sont bien plus nombreuses que les hommes (1543, soit 57,5 % de femmes), alors que chez les Noirs les femmes sont seulement 608, soit 42,2 % : On serait tenté d’y voir ce que plusieurs voya¬ geurs ont noté à propos du penchant que les Canadiens auraient eu pour les « sauvagesses ». Mais il semble bien que le hasard du recrutement expliquerait plutôt cette supériorité numérique des femmes amérindiennes. Sur les rives du Saint-Laurent, les 3 264 esclaves se retrouvent en très grande majorité dans 2 régions : celle de Montréal vient en tête avec 2077 esclaves (63,6 %), à cause du recrutement amérindien par la traite des four¬ rures, la principale activité des Montréalais. La région de Québec suit avec 1063 individus (32,6 %), importante surtout par le nombre de ses Noirs. Quant à la région des Trois-Rivières, géographiquement petite et peu peuplée, elle n’a qu’une faible industrie, celle du fer; sa population esclave compte seulement 115 individus (3,5 % des 3264). Les autorités de la Nouvelle-France ont surtout réclamé des esclaves pour la culture des terres. Le roi a donné son accord, mais il n’est pas venu de navire négrier; les habitants se sont débrouillés pour se procurer des esclaves. Or, nous ne trouvons pas les esclaves là où on les attendrait : ils sont en ville. À Québec, capitale de la colonie, ils se chiffrent à 970 (400 Amérindiens et 570 Noirs) ; à Montréal, ils sont plus nombreux encore : 1525 esclaves (1007 Amérindiens et 518 Noirs). Soit 2495 esclaves qui vivraient en ville, donc plus des trois quarts. L’esclavage est chez nous un phénomène urbain.
Près de 4200 esclaves au Québec
►
99
NOTES
1 Journals and Letters of Pierre Gaultier de La Vérendrye and His Sons (éd. Burpee), 451s. 2
Ibid., 451s.
3
A. moins d’indication contraire, les détails d’identification person¬ nelle sont tirés de registres d’état civil des lieux concernés.
4
RAPQ, 1923-1924,51,66.
5
Sur les Panis, voir J.R. Swanton, Tbe Indian Tribes of North America, 289s.
6
Lettre de Charlevoix datée des Akansas, décembre 1721, dans son «Journal», vol. VI de son Histoire, 163.
7
Lettre résumée dans la lettre du gouverneur Beauharnois à Maurepas, dans journals and Letters of Pierre Gaultier de La Vérendrye and His Sons, 381.
8
Louis XIV à Denonville, 8 mars 1688 ; le ministre à l’intendant des galères, 1688 ; lettre de Monseignat, 1689, dans Documents relatifs à l’histoire de la Nouvelle-France, I, 418,426, 485.
9
Mémoire de 1757 cité, 52 ; Franquet, Voyages et mémoires sur le Canada, 23s.
10 11
Franquet, op. cit., 181. Registre d’état civil; Coleman, Captives Carried to Canada, I, 92; Revue canadienne, 61,1911,324.
12
Documents relatifs à l’histoire de la Nouvelle-France, III, 219.
13
Documents Relating to the Colonial History of the State ofNew York, X, 131,138.
14
Ibid., X, 172, 213 ; Documents relatifs à l’histoire de la Nouvelle-France, III, 488 ; AHDQj. registre des malades ; registre de Notre-Dame de Québec.
15
Documents Relating to the Colonial History of the State of New York, X, 172 ; Coleman, op. cit., II, 294-296 ; AHDQ^registre des malades, 17501751; registre d’état civil de Notre-Dame de Québec, 1750.
16
Registre de Notre-Dame de Québec, 1722,1729 ; AHDQi registre des malades, 1731,1737,1745 ; archives du Séminaire de Montréal, acte de Panet, 1761.
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CHAPITRE
IV
Le marché aux esclaves
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e 15 juin 1709, Madeleine Just, épouse de Pierre You d’Youville de Ladécouverte, vend un Panis à Pierre-
Thomas Tarieu de Lapérade, époux de Madeleine Jarret de Verchères ; le 19 octobre suivant, Jacques Nepveu vend à son frère la Panise Marie. En septembre 1796, le prêtre Louis Payet, curé de Saint-Antoine-sur-Richelieu, vend à Thomas Lée une Noire, Rose; et Jean-Baptiste Routhier vend son mulâtre à Louis-Charles Loucher1. Nous avons là au Québec, d’une part, les deux premières ventes d’es¬ claves en 1709 et, d’autre part, les deux dernières en 1796. Les premières comme les dernières sont faites par des francophones à des francophones.
Les esclaves comme biens meubles Par son ordonnance du 13 avril 1709, l’intendant Raudot avait déclaré légaux l’achat et la vente d’esclaves : «Tous les Panis et nègres qui ont été achetés et qui le seront dans la suite appartiendront en pleine propriété à ceux qui les ont achetés, comme étant leurs esclaves ». Le Code noir, dans son édition de 1685, comme dans l’édition faite spécialement en 1724 pour la Louisiane (autre partie de la Nouvelle-Lrance), assimilait les esclaves aux biens
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meubles2. Bien que le Code noir n ait pas été promulgué sur les rives du Saint-Laurent, les esclaves seront ici comme ailleurs des biens meubles, et les Canadiens en disposeront comme tels. Biens meubles, c’est-à-dire que les esclaves sont possédés de la même façon que les animaux. Lorsque le notaire Raimbault fait l’inventaire des biens de feu François-Madeleine You d’Youville, époux de celle qu’on appellera Mère d’Youville, il écrit tout simplement à la suite3 : Un Panis de nation âgé d’environ dix à onze ans estimé cent cinquante livres, ci 150 L. Une vache à son second veau, sous poil rouge, estimé trente livres, ci 30 L. La seule différence entre l’esclave et la vache, c’est que le Panis vaut cinq fois la vache. Sous le Régime anglais, on procède de la même façon mercantile. L’imprimeur William Brown annonce en 1783 une Noire de 18 ans; et il ajoute dans la même annonce : «On disposera également d’une belle jument baie»4. Un anglophone de Québec met en vente un Noir de 13 ans, une Noire de 26 ans et un cheval avec la carriole et le harnais5. Mis en vente en même temps que des animaux, l’esclave peut aussi être échangé contre un animal. Ce qui se produit lorsque John Turner, marchand de Montréal, conclut une affaire avec un habitant de Boston : le Noir Josiah Cutan, 22 ans environ, est échangé contre un cheval gris et un montant de 31 livres 10 chelins6. Biens meubles, les esclaves peuvent tenir lieu de garantie dans le cas de dettes. En 1784, une dame Elizabeth Chautler, épouse du maître de langues Alexander Bissett, est créancière des Paterson qui tiennent auberge à Sorel; la dette des Paterson est de 40 livres, cours de Québec (160$ du XVIIIe siècle). Pour se libérer, les Paterson céde¬ ront aux Bissett une Noire de 12 ans, mais si les Paterson
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remboursent le montant qu’ils doivent, ils rentreront en possession de leur esclave7. Un cas semblable se produit en 1797. L’ex-lieutenant George Westphal emprunte de Richard Dillon, proprié¬ taire du Montreal Hôtel, la somme de 20 livres, cours de Québec; il s’engage à remettre cette somme dans les 18 prochains mois, plus un intérêt de 6 %. En garantie, Westphal cède la mulâtresse Sedy, qui devra servir Dillon en qualité de domestique jusqu’au parfait paiement; toutefois, pour les services qu’elle rendra à Dillon, on déduira de la dette, chaque mois, 15 chelins (2 $) ; si Westphal ne rembourse pas son dû dans le temps convenu, la mulâtresse deviendra la propriété de Dillon, ce qui éteindra la dette (greffe Lukin, 22 nov. 1797). Même un baptisé peut devenir un bien meuble
Si l’esclave est baptisé, peut-on continuer de le traiter comme un bien meuble, sur le même pied qu’un animal? Comment concilier avec la mise en vente la promotion à la citoyenneté que le baptême, selon la charte de 1627, assurait d’une façon automatique ? Le problème surgit devant le tribunal de Montréal en 1733. Philippe You dYouville de Ladécouverte s’était fait saisir un Patoca qui ensuite avait été vendu; or cet esclave était baptisé. Invoquant ce baptême, Youville de Ladécouverte demande au Conseil supérieur d’annuler la vente et de condamner le juge qui avait l’ordonnée. Le Conseil refile le problème à l’intendant et celui-ci confirme la décision du tribunal. Informé de l’affaire, le roi refuse de se prononcer sur l’esclavage amérindien et répond que l’on doit se conformer à l’usage établi. On pouvait donc vendre un Amérindien baptisé8. Ce problème reparaît dans un procès de 1740. La Panise Marie-Marguerite, que le chevalier Dormicourt s’apprête à embarquer pour les Antilles, utilise tous les
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arguments possibles devant le tribunal pour échapper à l’exil; dans un mémoire rédigé par un praticien, elle invoque sa qualité de baptisée pour recouvrer sa liberté. Cet argument et les autres furent inutiles, elle perdit son procès9. L’issue de cette affaire de 1740 et le jugement rendu en 1733 par l’intendant Hocquart démontrent qu’il est permis de vendre un esclave même s’il est baptisé. En fait, nous avons trouvé au moins cinq esclaves amérin¬ diens qui étaient dans ce cas. Le problème ne se posait pas pour les Noirs : ils ne pouvaient se réclamer de l’article 17 de la charte de la Compagnie des Cent-Associés. On a donc vendu des Noirs baptisés sans que leur baptême soulève un inci¬ dent. Si l’esclave change de maître par vente ou autre¬ ment, on a soin d’ordinaire de s’assurer que la religion n’en souffre pas. Les missionnaires de Détroit ont cons¬ tamment ce souci d’assurer la continuité religieuse de l’esclave; par exemple, lorsque le récollet Bonaventure Léonard baptise à Détroit en 1739 deux tout jeunes Noirs de Louis Campeau, il écrit dans le registre que celui-ci «a promis les élever et les instruire comme ses enfants propres et s’il était obligé de les vendre, de ne les vendre qu’à des catholiques romains, sans quoi je ne les aurais pas baptisés»10. Remarquons l’ultimatum du mission¬ naire : «sans quoi»... Quand Cuillerier fait baptiser en octobre 1736 au même lieu l’enfant qu’a eu son esclave, il s’engage à ne le remettre qu’entre des mains de chrétiens ou de la mère, afin qu’il soit élevé dans la religion catho¬ lique. Même engagement à Détroit par Pierre ChesneLabutte et Pierre Saint-Cosme en 1737 pour le baptême d’un esclave nouveau-né; Guillaume Dagneau-Douville de Lamothe y fait la même promesse en 1752. Ou bien c’est au moment de la vente d’un esclave catholique que le nouveau propriétaire, s’il est protestant,
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prend un engagement solennel : Louis-François de Lacorne vend une Amérindienne catholique au marchand protestant Connolly qui promet de ne pas la contraindre dans sa religion ; et il tient promesse puisque l’enfant de cette esclave reçoit le baptême catholique à Michillimackinac en mai 1763.
Diverses occasions d’acquérir des esclaves L’arrivage d’esclaves étant d’ordinaire lent et dispersé, on peut déjà supposer que les acheteurs potentiels ont de la difficulté à s’approvisionner en esclaves amérindiens ou en bois d’ébène. Il faut attendre les occasions. Les plus chanceux ont un esclave en cadeau. Vers 1754, Saint-Ours Deschaillons reçoit, des Amérindiens, une Panise pour compenser un de ses gens mort par acci¬ dent ; une esclave qui vient d’enfanter donne le nouveauné à un Leduc-Persil11. L’acquisition par héritage est une autre solution profitable. L’exemple le plus intéressant est celui de Charles Lemoyne de Longueuil, premier baron, qui laisse en mourant une famille de sept esclaves noirs : un fils du baron reçoit le père et la mère avec trois enfants ; l’autre fils aura les deux autres enfants mais, pour équili¬ brer l’héritage, il se fera donner par son frère un Panis et une Panise. À défaut d’héritage, on achète. Des achats se font parfois dans des circonstances particulières. Ainsi, deux propriétaires d’esclaves s’associent en 1769 à Détroit pour acheter un tout jeune Panis qui est gravement malade et que son maître ne s’occupe ni de soigner ni de faire baptiser; ils le font baptiser et il meurt trois jours après12. Un autre propriétaire, John Askin, rachète un jeune esclave d’un Charles Paterson, de Montréal, aux mêmes fins de charité : cet esclave qui avait bien souffert chez
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les Outaouais, appartenait à ce Paterson ; Askin s’offre à l’acquérir en donnant une Amérindienne en échange13. Autre achat exceptionnel : celui de cette Siouse que l’acquéreur ne veut acheter que pour l’épouser. Ce n’est pas le dernier chapitre d’un roman d’amour : on veut simplement mettre fin à un scandale. Cette Siouse, Marie-Marguerite-Caroline, esclave de Claude Landry dit Saint-André, a eu cinq enfants naturels de Firmin Landry dit Chariot ; pour mettre un terme à ce concubi¬ nage, selon le curé de Détroit, le propriétaire de la Siouse convient de la vendre à Landry dit Chariot à la condi¬ tion expresse qu’il la marie, ce qui est fait le 17 juillet 1771 (Registre de Sainte-Anne-du-Détroit). Nous avons mieux encore : avec le Noir LouisAntoine, nous nous trouvons en pleine histoire d’amour ! Libéré de servitude depuis le tout jeune âge, ce Noir devient amoureux de la Noire Marie-Catherine Baraca, âgée de 18 ans, esclave du marchand Dominique Gaudet. Celui-ci n’est pas opposé au mariage, mais il ne veut pas perdre son esclave en la laissant se marier; il est prêt à approuver ce mariage, à condition que le futur époux devienne son esclave. Qu’à cela ne tienne, déclare l’amou¬ reux : il se vend à Gaudet par-devant notaire ; on spécifie que le maître disposera de Louis-Antoine comme il l’en¬ tendra, et de la femme ainsi que des enfants à venir. Et la semaine suivante, Louis-Antoine épousa sa bien-aimée. Il ne recouvrera sa liberté qu’en 1769 au décès de Gaudet (greffe Panet). Son esclavage volontaire, sous le coup de l’amour, aura duré huit ans. La Noire Marie Bulkley se met, elle aussi, volon¬ tairement en esclavage, mais c’est pour se libérer d’une dette « considérable » : le 28 novembre 1785, elle s’en¬ gage à servir Elias Hall « en qualité d’esclave le temps et espace de trente années », et Hall pourra la vendre si cela fait l’affaire. Il la vendit; Marie Bulkley connut 4 autres propriétaires, toujours dans l’intervalle des 30 ans ; quand
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elle passa à son dernier maître en 1797, il lui restait 18 ans de servitude selon son contrat, mais comme on parlait un peu partout d’abolir l’esclavage, son nouveau maître lui fit signer un nouveau contrat d’engagement de 30 ans, en qualité cette fois de servante (greffes Barthélemy Faribault et Maurice-Louis de Glandons). Esclaves acquis par don, par héritage ou par servi¬ tude volontaire, tout cela ne pouvait combler la demande. Ceux qui désirent se procurer un esclave sont bien obligés de se conformer à la routine normale du commerce. Voir, par exemple, si quelque propriétaire ne cherche pas à vendre un de ses esclaves. Ainsi, le négociant John Askin veut se procurer deux jeunes Panises, puis, dans le même temps, il se déclare prêt à disposer d’une mulâtresse14. L’imprimeur de la Gazette de Québec, William Brown, se désespère en 1766 parce qu’il manque de main-d’œuvre, et on lui fait savoir qu’il n’y a pas d’autre solution que d’acheter des esclaves; il se décide enfin d’acquérir un jeune Noir par l’entremise d’un ami qui le lui enverra par bateau de Philadelphie, en ayant soin d’assurer d’abord la marchandise15. Marché public et ventes à l’enchère
Pouvait-on chez nous recourir à un marché public d’esclaves, comme il s’en trouvait dans les colonies anglaises et aux Antilles? Et s’il y en avait un, était-il ouvert en permanence ou seulement de façon occa¬ sionnelle? La documentation dont nous disposons ne répond pas de manière satisfaisante à notre enquête. Lorsque You d’Youville de Ladécouverte en 1733 feint de se scandaliser devant le tribunal qu’on ait osé mettre aux enchères un Amérindien baptisé, il fait allusion à la vente qu’on en aurait faite dans un marché public comme pour les animaux. Veut-il parler d’un marché réel d’esclaves établi à Montréal ou est-ce là simple figure de style pour
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frapper l’imagination du juge? Benjamin Suite a affirmé d’une façon catégorique : «Nous n’avons jamais vendu ni nègre ni Panis aux enchères publiques16 ». Mais Suite fait erreur. Des mises à l’enchère ? Il y a certainement eu des ventes sur la place publique et avec enchère. Nous ne connaissons qu’un cas sous le Régime français : ce Patoca que le marchand Charles Nolan de Lamarque va acheter en 1733 sur la place du marché, Patoca qui avait été saisi contre You d’Youville de Ladécouverte. Il y en a quelquesuns sous le Régime anglais. En 1778, à Québec, le capi¬ taine Thomas Venture fait « crier et adjuger par encan » sa mulâtresse Isabella et c’est le boucher Hipps qui met la plus haute enchère1?. La Gazette de Québec annonce pour le 5 octobre 1782 la vente d’un jeune Noir par des encanteurs dans leur «Chambre de Vente Publique», rue Notre-Dame à Québec. Lorsque John Brooks, de Québec, offre une Noire qu’on peut voir à sa maison, il ajoute : si elle n’est pas vendue avant le 20 mai, il l’exposera en vente publique18. En 1785, se produisent deux ventes d’esclaves en marché public : par William Ward, du Vermont, vente d’un Noir, d’une Noire et d’un négrillon, à William Campbell, de Montréal; le mois suivant, ce Campbell revend les trois esclaves au docteur Charles Blake (greffe J.-G Beck). En 1791, le commissaire-priseur offre à l’encan un jeune Noir19. Et ces ventes en public et aux enchères font l’objet d’une constante publicité dans les gazettes. De 1767, année de la première annonce d’esclave, jusqu’en 1798, année ultime de la publicité en ce domaine, il a paru au moins 137 annonces pour 30 esclaves différents ; sur ces 30 esclaves, une seule Amérindienne, la Panise que les négociants Melvin Wills et Burns offrent en vente en juillet 1782 dans la Gazette de Québec.
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On annonce, par exemple, un jeune Noir qui est entraîné au service domestique, qui sait raser et coiffer. Vous préférez une Noire? en voici une qui a appar¬ tenu au gouverneur Murray et elle est devenue (quelle déchéance !) l’esclave du tavernier Prenties : elle est bonne domestique, sait traire les vaches et fait le beurre à perfection. Une autre annonce offre en même temps une Noire de 18 ans et «une belle jument» : adressez-vous à l’imprimeur du journal. L’esclave qu’on annonce le plus longtemps, est ce Noir de l’imprimeur William Brown, l’indocile Joe que le maître a dû bien des fois punir, qu’il a fait fouetter par le bourreau, qui a volé, qui s’est évadé; bref, le Noir le plus intraitable. De 1779 à 1784, Brown a essayé de s’en débar¬ rasser par la vente, mais sans succès : il appartient encore à Brown en 178920. À Québec comme à Montréal, on a donc mis des esclaves en vente publique, pour les céder au plus haut et dernier enchérisseur. On ne voit d’ailleurs pas pour¬ quoi chez nous, où l’esclavage était légal, on n’aurait pas, comme ailleurs, mis des esclaves à l’enchère. Nous connaissons sur le marché aux esclaves un témoignage de tradition orale. Dans ses Mémoires, le missionnaire oblat Damase Dandurand écrit : «Je suis en mesure d’affirmer que, dans ma toute première enfance, il y avait à Montréal un marché aux esclaves en règle». Sa toute première enfance (il est né en 1819) nous renvoie au premier quart du XIXe siècle, donc avant l’abolition de l’esclavage dans l’Empire britannique; et il raconte que venu à Montréal avec sa mère, ils seraient tous deux passés devant ce marché et un vieux Noir malade aurait supplié madame Dandurand de l’acheter21. Dans ces Mémoires écrits très longtemps après les faits (le Père Dandurand est décédé centenaire), le long dialogue qu’on rapporte entre sa mère et le Noir n’est probablement pas authen¬ tique, mais le point principal du souvenir, ce marché avec
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cet esclave à vendre, paraît bien réel. Il serait d’ailleurs étonnant que, dans un petit pays qui a possédé plus de 4200 esclaves, il n’y ait pas eu un marché à Montréal, cette ville commerçante qui réunissait à elle seule pas loin de la moitié de tous les esclaves du Québec. Un marché peu actif
Malgré la publicité qu’on ne semble pas ménager et malgré le besoin de main-d’œuvre, le marché ne paraît pas très actif. Les cas d’héritage mis à part, il est assez rare qu’un même esclave change de propriétaire et il est encore plus rare qu’un même esclave passe plusieurs fois de suite d’un maître à un autre. Trois Noirs de William Ward sont vendus à William Campbell en avril 1785 et revendus dès le mois suivant au docteur Charles Blake. Quelques esclaves connaissent quatre propriétaires d’af¬ filée : c’est le cas de la mulâtresse Isabella qui aura, entre autres maîtres, le lieutenant gouverneur Cramahé. Trois esclaves ont connu cinq propriétaires successifs : la Noire Marie Bulkley, la Noire Cynda (cinq propriétaires en seulement deux ans), la Noire Rose qui appartint un an au curé de Saint-Antoine-sur-Richelieu. Deux esclaves auraient connu six propriétaires : le Panis Jacques, sous le Régime français, et le Noir Josiah Cutan (six proprié¬ taires en six ans) et qui finit sa carrière à la potence. De notre inventaire, nous avons surtout gardé l’impression que l’esclave reste d’ordinaire attaché à un même maître, ce qui peut donner à l’esclavage un carac¬ tère moins commercial et plus humain. La vente en lot est exceptionnelle et le lot chaque fois est maigre. Le 25 septembre 1743, le négociant Charles Réaume, de l’île Jésus, vend au bourgeois Louis Cureux dit Saint-Germain, de Québec, un groupe de cinq esclaves, comprenant deux Noirs et trois Noires, pour un prix global de 3000 livres22. En 1785, William
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Campbell achète et revend tout de suite trois Noirs (dont un négrillon de six mois) pour la somme de 425 dollars23. En 1787, au nom du «Département des Sauvages», Jacques Lafrenière achète quatre Noirs qui serviront d’esclaves à des Amérindiens24. En somme, les ventes ne sont pas fréquentes : 120 ventes parmi lesquelles seulement 41 Amérindiens, qui sont pourtant les plus nombreux. Il faut supposer qu’un certain nombre de ventes de gré à gré nous ont échappé. À la recherche d’une marchandise saine
Si r on se rappelle que les Canadiens ont poussé très loin la pratique du maquignonnage, s’efforçant d’échapper à l’astuce de l’adversaire ou manœuvrant pour le jouer, on peut être sûr que ce même esprit a opéré quand deux individus avaient à discuter la vente d’un esclave. Quoi qu’il en soit, aux négriers de toute nation, les conseils ne manquaient pas : [Ne pas accepter] des sujets qui n’atteignent pas quatre pieds et demi, selon le sexe. Il est bon, dit Van Alstein, de n’avoir pour chirurgiens que des gens vigilants. Ils doivent examiner les yeux, la bouche, les parties nobles, faire marcher, courir, tousser violemment en tenant la main sur l’aine pour déceler les hernies. Point de vieux à peau ridée, testicules pendantes et ratatinées, dit une instruction anonyme vers 1769. Point de grands nègres efflanqués, poitrine étroite, yeux égarés, air imbécile, qui annoncent l’épilepsie. [De même pour les femmes], ni tétons cabrés [faux seins], ni mamelles flasques; promp¬ titude de traits et propreté25.
A-t-on, dans notre société, poussé l’examen de l’esclave du haut en bas avec autant de soin que le recom¬ mandent les spécialistes du « nègre » ? Puisque chez nous
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on achète l’esclave comme on achète un bel animal, nous ne voyons pas pourquoi ils auraient ici procédé avec moins de méticulosité qu’ailleurs. Ce serait en ce domaine grande sottise que d’acheter chat en poche. On examine d’abord la marchandise. Quand Joseph Chavigny de Lachevrotière de Latesserie achète en 1737 de Jacques-Hugues Péan de Livaudière une Renarde de 13 à 14 ans, il la «reconnaît pour être saine, et n’être point estropiée en aucune façon, l’ayant fait visiter». Le marchand James Finlay vend en 1779 au Juif Aaron Hart une Noire en assurant dans l’acte de vente qu’elle est «sound and free of ail Sickness and disorders whatsoever». Même déclaration par le vendeur James Bloodgood, lorsqu’il cède une Noire à Aaron Hart en 178626. La plupart du temps, on a soin d’affirmer que l’esclave a déjà eu la vérole ou la picote, ce qui dans l’avenir équivaut à l’immunité. Les contrats de vente, le signalement de fugitifs ou d’autres documents de ce genre nous procurent certains détails physiques sur les Noirs. En général, ils sont grands : le mulâtre Jean-Louis vendu en 1796 mesure 5 pieds 10 pouces; le Noir de Pinguet de Vaucour a de 5 pieds et demi à 6 pieds. Voici d’autres détails. Le Noir de Jean Orillat, âgé de 22 ans, « est bien fait, a l’air très doux, le visage un peu allongé, ayant une petite couture au col du côté gauche, joignant la mâchoire, ce qui est la suite d’une glande qui n’est pas encore guérie ». Andrew, mulâtre de Crofton, a 23 ans, d’une taille moyenne, la bouche extraordinaire¬ ment grande, les lèvres grosses, les doigts croches, est fort vif et alerte. Bruce, Noir de Christie, 35 ans, est «grand et bien fait», a «le nez élevé et le teint tout à fait noir», il hésite un peu en parlant. Ismaël, Noir de Turner, 36 ans, a « quelque chose de remarquablement triste dans la figure et une peau entre le noir et le basané ; ses cheveux sont courts, épais et frisés, son visage fort picoté, il a perdu
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quelques-unes de ses dents supérieures de devant, ainsi que le premier joint de son quatrième doigt de la main gauche, et il a en outre au milieu de la jambe droite une cicatrice toute fraîche, d’un coup de pied de cheval, reçu et guéri depuis peu » ; il a le ton de voix particulier à la Nouvelle-Angleterre qui est son lieu de naissance. Voilà bien un Noir d’une pauvre valeur commerciale : mais il n’est pas à vendre, c’est un déserteur que son maître veut récupérer^. Une marchandise jeune
Selon les négriers, un « nègre » bon et marchandable (ce qu’on appelle aussi une pièce d’Inde), ne doit pas avoir plus de 30 ans ; cet âge est d’ailleurs un maximum que l’on évite d’atteindre, car passé cet âge le Noir perd rapidement de sa valeur. Il faut donc acheter l’esclave le plus jeune possible. Sur les 25 Noirs dont on fournit l’âge au moment de la vente, 12 n’ont pas 20 ans, 10 ont moins de 30 ans ; il y en a tout de même 3 qui ont 30 ans et plus : ce n’étaient pas là de bons marchés ; d’ailleurs, ce Sullivan qui achète un Noir de 33 ans sera, comme nous le verrons, bien attrapé. Quoi qu’il en soit, la moyenne d’âge de ces 25 Noirs est de seulement 18,8 ans. Chez les Amérindiens, l’âge est aussi un facteur essentiel, parce qu’on tient à ce que l’esclave serve le plus longtemps possible. Il y a une raison plus urgente encore : comme la forêt natale n’est pas tellement loin, il faut prendre l’Amérindien le plus jeune possible pour qu’il se fasse tout à fait à la civilisation française et que, devenu adulte, il ne soit pas tenté de regagner les bois. Sur son âge, ce sont les registres d’état civil qui peuvent davan¬ tage que les actes de vente nous éclairer. Nous savons que la moyenne d’âge de l’esclave amérindien à son décès (âge évidemment jugé à l’œil) est de 17,7 ans : ce qui nous
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amène à conclure qu’en général, cet esclave est acquis au cours de son adolescence ou surtout de son enfance. Compte tenu seulement des actes de vente, l’âge varie de 5 à 25 ans et nous obtenons un âge moyen de 14,1 ans seulement; cette moyenne d’âge correspond à ce que l’on sait par ailleurs de l’extrême jeunesse de l’esclave amérin¬ dien. Le noir plus dispendieux que le rouge
L’intendant Bégon écrivait au Régent en 1720 que les communautés et les habitants du Canada étaient prêts à payer les Noirs 600 livres chacun, mais il avait soin d’ajouter : « ou suivant la convention qui en sera faite à Québec de gré à gré» avec les capitaines des navires négriers. L’intendant faisait bien de ne pas s’en tenir à 600 livres et de parler de convention de gré à gré, parce que ce prix n’était pas très alléchant pour un négrier : à cette époque, le Noir coûte déjà beaucoup plus cher au fournisseur. On le constate par les prix qu’un négociant de La Rochelle propose aux habitants de la Louisiane en 1737, prix en principe acceptés : les négrillons de 10 à 15 ans, 650 livres ; les Noires de 16 à 30 ans, 750 livres ; les Noirs du même âge, 850 livres. Aux Antilles, beaucoup moins éloignées que le Canada de la source d’approvi¬ sionnement, les prix moyens auraient été les suivants : en 1728,800 livres ; en 1750,1160 livres ; en 1776,1825 livres. Il faut évidemment tenir compte de certaines conditions : l’âge, l’apparence physique, l’état de santé, les aptitudes, la provenance peuvent faire monter ou baisser l’évaluation. Nous possédons, des années 1737 à 1797, une liste de 44 prix : ils varient de 200 à 2400 livres. Un Noir qui ne coûte que 200 livres doit être une bien pauvre marchan¬ dise, puisque celui de bonne qualité peut aller jusqu’audelà de 2000 livres. En 1768, à Québec, on a payé le prix moyen de 2 400 livres pour chacun de deux Noirs de 17 et
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21 ans. Sur les 44 exemples recueillis, 16 Noirs valent 600 livres ou moins, 11 ont été vendus de 700 à 1000 livres chacun, 17 ont coûté plus de 1000 livres. Nous pouvons conclure en nous basant sur ces seuls exemples (c’est d’ailleurs toute l’information que nous avons), qu’un Noir coûte en moyenne 900 livres : c’est déjà 300 livres de plus que l’estimé proposé par l’intendant Bégon. Et l’Amérindien, lui, combien coûtait-il? Nous ne disposons que de 18 exemples, qui ne sont pas absolument probants car, pour l’Amérindien comme pour le Noir, il faut tenir compte de détails qui rendent la marchandise plus ou moins chère. Quand même, comme nos exem¬ ples s’échelonnent de 1709 à 1792, nous pouvons en tirer une approximation. L’esclave amérindien peut ne valoir que 120 livres et nous ne voyons pas qu’il en ait valu plus de 750 : 5 Amérindiens ont été vendus moins de 300 livres, 10 ont coûté de 300 à 600 livres. En aucun cas le prix maximum de l’Amérindien n’atteint le prix moyen du Noir. L’Amérindien moyen ne coûte que 400 livres, le nègre moyen 900. Ou, si l’on veut, un Noir vaut deux Amérindiens. Comme on est à la porte de l’abondant marché «sauvage», mais très loin des sources du bois d’ébène, il était évident que le Noir serait plus dispen¬ dieux que l’Amérindien. Ce prix, qu’il s’agisse du Noir ou de l’Amérindien, comprend d’ordinaire l’habillement, car on ne vend pas l’esclave nu. La Panise Catiche est vendue en 1753 «avec ses hardes et le linge en l’état que le tout est»; la mulâtresse Isabella est vendue au lieutenant gouverneur Cramahé en 1778 « avec les hardes et linges à son usage, que mon dit sieur acquéreur reconnaît avoir reçus en sa maison » ; quand la veuve du bourgeois Philibert en 1748 vend son Noir à l’explorateur Gaultier de Lavérendrye, elle promet de le livrer « avec seulement les hardes qu’il se trouvera avoir lors de la livraison et trois chemises28».
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Bref, l’esclave se rend chez son nouveau maître avec ce qu’il a sur le dos ou un petit baluchon sous le bras. On s’endette pour un esclave
L’esclave est une bête de luxe : il est normal que les gens cossus en fassent l’achat. Le prêtre Louis Payet, curé de Saint-Antoine-sur-Richelieu, achète en janvier 1787 du bourgeois Samuel Mix un Noir de 10 ans pour 23 livres, cours de Québec, c’est-à-dire 552 livres fran¬ çaises, il paie tout de suite en or et en espèces (greffe LeGuay). Mais on n’a pas toujours la somme à portée de la main. Il arrive que la transaction ne soit que du troc : Joseph Chavigny de Lachevrotière de Latesserie achète du négociant Jean-Baptiste Auger une Panise de 22 ans qui vaut 400 livres, il s’engage à expédier de la Martinique cette même valeur en poivre et en café; en 1732, le marchand Pierre Guy achète de Louis Chappeau un Patoca de 10 à 12 ans qui coûte 200 livres : le paie¬ ment se fait en castors et en pelleteries diverses ; en 1790, Pierre-Charles Boucher de Labruère acquiert un Noir de 8 ans et demi en échange de 90 minots de blé. Ou bien l’on paie à la fois en espèces et en nature comme lorsque le même Latesserie achète un Patoca de 10 ans au prix de 350 livres : il donne 250 livres en monnaie de carte et 2 barriques de mélasse29. Si l’on ne possède ni l’argent ni la marchandise de troc et qu’on tienne à acheter un esclave, on s’endette. Ce que fait le 15 juin 1709 l’officier et seigneur PierreThomas Tarieu de Lapérade, époux de Madeleine Jarret de Verchères, quand il achète un Panis de 14 ans au prix de 120 livres, pour qui il engage d’avance ses appointe¬ ments de juin et de juillet. Pour acheter un Noir au coût de 1192 livres, le 4 mai 1757, le marchand-orfèvre IgnaceFrançois Delzenne n’a dans ses coffres que 600 livres : il s’engage à payer le reste dans 15 jours ; il hypothèque donc
Le marché aux esclaves
u7
ses biens et ce n’est que deux mois après qu’il s’acquitte de cette dette. En 1797, le tavernier Thomas John Sullivan achète un Noir de 33 ans qui lui coûte 36 livres, cours de Québec, c’est-à-dire 864 livres françaises : hypothéquant ses biens, il compte payer ce Noir à raison de 72 livres françaises par mois30. Un an pour payer un «nègre», et encore est-ce un « nègre » de 33 ans ! Parfois de mauvaises affaires
Comme tout marché, celui des esclaves a ses périls. Le droit de propriété qu’on prétend exercer n’est pas toujours clair, d’où les disputes. Une dispute de ce genre survient entre le médecin Timothée Sylvain et la veuve d’Youville, née Marie-Marguerite Dufrost de Lajemmerais, plus tard dite Mère d’Youville. Sylvain se prétend propriétaire du Panis que détient la veuve d’Youville et il l’accuse en Cour de lui avoir enlevé cet esclave pendant la nuit. Un nommé Falson a chez lui en 1762 une Panise qu’il aurait, selon lui, achetée d’un chirurgien de vaisseau; le négo¬ ciant juif Eléazar Lévy soutient en Cour qu’il en est le propriétaire pour l’avoir achetée d’un Joseph Lorrain. La Cour donne raison à Lévy31. Il faut dans ces marchés se défier du vendeur qui veut se débarrasser d’une mauvaise marchandise tout en rêvant d’un prix élevé. Jean-Baptiste Barthe confie la vente de son Panis à son beau-frère le négociant John Askin. Celui-ci, qui s’y connaît en affaires, donne la note zéro au Panis « trop fou pour faire un matelot ou même quelque chose de bon », mais Askin le vend quand même pour la somme de 750 livres ; or, parmi les exemples de prix que nous avons recueillis pour la vente d’un esclave amérindien, ce prix de 750 livres est le plus haut jamais payé pour un Amérindien. L’acheteur s’est fait bien attraper.
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L’acheteur va parfois au-devant du péril et prend un esclave qui a disparu. En mai 1724, Jean GaultierLandreville, de l’île Sainte-Thérèse, vend un Panis au seigneur Louis-Hector Piot de Langloiserie ; or le Panis est invisible depuis six mois. L’acheteur prend sur lui de retrouver l’Amérindien et même s’il n’y parvient pas, le vendeur en sera quitte. Marché hasardeux! C’est que Piot de Langloiserie compte par ce moyen récupérer les 200 livres que lui doit Gaultier-Landreville. Selon cet arrangement, que Piot de Langloiserie retrouve ou pas ce Panis, la dette sera éteinte32. Heureux débiteur que celui-là ! Le marchand Louis Dunière prend le même risque en 1751. Il achète du boucher Jacques Damien un Noir au prix de 500 livres qu’il paie comptant. Or, ce Noir, sachant qu’il allait être vendu, a disparu la veille de la vente et on ne l’a plus revu. L’acheteur conclut quand même que le marché tient, puisqu’il l’avait fait « sur ses risques, périls et fortune»33. Mary Jacobs en 1785 achète des époux Fisher 2 Noires pour la somme de 50 livres, cours de Québec, c’est-à-dire 1200 livres françaises, qu’elle paie comptant; puis, elle attend ses 2 « négresses ». La livraison traîne en longueur. Mary Jacobs pense la hâter par une somma¬ tion : les Fisher sont toujours sourds. Enfin, trois ans plus tard, elle loge une plainte auprès du tribunal, en réclamant ses esclaves noires ou une somme compensa¬ toire de 2400 livres. Les Fisher ne se donnent même pas la peine de comparaître en Cour. Ils sont condamnés à rendre les esclaves ou les 1200 livres versées. L’acheteuse ne reçut aucune compensation pour tout ce temps d’at¬ tente34. Mauvais marché aussi lorsqu’un Mogé de Montréal achète au prix de 500 livres un Amérindien que les Iroquois du Sault-Saint-Louis étaient allés chercher dans les colonies anglaises. Mais voici que les Anglais viennent
Le marché aux esclaves
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réclamer leur Amérindien. Mogé est prêt à le rendre, à condition qu’on lui rembourse ses 500 livres; ce que refusent les Anglais qui le considèrent comme un simple prisonnier de guerre. Pour ne pas retarder l’échange des prisonniers, le gouverneur La Jonquière ordonne à Mogé de rendre l’Amérindien avec pour seule consolation la promesse de demander à la Cour un dédommagement35. La surprise n’est pas moins forte quand le Noir qu’on vient d’acheter se prétend libre. En août 1797, le tavernier Thomas John Sullivan achète un Noir au coût de 864 livres et convient avec cet esclave d’une émanci¬ pation qui prendra effet dans 5 ans. L’affaire conclue par Sullivan n’était pas brillante : acheter à crédit au prix de 864 livres un esclave de 33 ans, et cela en 1797 alors qu’on faisait campagne pour abolir l’esclavage. Sullivan comp¬ tait du moins avoir ce Noir à son service pendant cinq ans ; or celui-ci, peu de temps après, se prétend libre et s’enfuit. Désespoir de Sullivan qui devait encore plus de 720 livres sur ce Noir. Et voici qu’en mars 1798, les époux Turner interviennent pour réclamer l’esclave en compen¬ sation de ce que leur devait Sullivan. Celui-ci se défend en accusant les Turner de lui avoir vendu un Noir libre. Le juge William Osgoode, qui ne reconnaît pas l’escla¬ vage, déclare que les Turner n’ont pas réussi à prouver leurs droits sur l’esclave et qu’ils devront rembourser ce que Sullivan leur a déjà versé. Et le Noir, lui, paraît s’en tirer en homme libre. Autre cause de procès : quel¬ qu’un vend un esclave qui ne lui appartient pas. Vers 1754, les Amérindiens tuent accidentellement un nommé Petit dit Rossignol, dans la région de la rivière SaintJoseph, au sud du lac Michigan. Pour consoler sa mère, les Amérindiens décident de « couvrir » le mort par une Panise et par quelques branches de porcelaine (un équiva¬ lent amérindien de la monnaie). Suivant l’usage établi, la mère devait profiter de cette Panise, mais le commandant du poste, Pierre-Roch Saint-Ours Deschaillons décide
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que la Panise lui appartient, puis il la vend 500 livres et garde l’argent. Le tribunal de Montréal est saisi de cette affaire à la fin de 1763 par la famille Petit dit Rossignol : le juge condamne Saint-Ours Deschaillons à restituer les 500 livres à la famille36.
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► NOTES 1
Registre de Notre-Dame de Québec, 1738,1757; AHDQi registre des
2
Greffe Adhémar, 15 juin et 19 octobre 1709 ; LeMoine, Picturesque
malades, 1741,1745.
Quebec, 505s ; greffe Lukin, 13 septembre 1796. 3
Ordonnance de Raudot dans Edits, ordonnances royaux, II, 271s.; article 44 de l’édition de 1685 et article 40 de l’édition 1724, dans Le Code Noir ou Recueil des Règlements (éd. de 1767), 49 et 304s.
4
Inventaire d’avril 1731, dans Ferland-Angers, Mère dYouville, 286s.
5
Gazette de Québec, 6,13, 20 et 27 novembre, 4 décembre 1783.
6
Ibid., 12 et 19 mai 1785.
7
The JohnAskin Papers, I, 284s.
8
Greffe Faribault, 18 novembre 1784.
9
Edits, ordonnances royaux, 1,10 ; ANQ^ Ordonnances des intendants, 21, 77-82; Ordres du roi, 1-2-3, série B, 61, 69.
10
ANQ, Collection de pièces judiciaires et notariales, dossier 1230.
11
Registre de Sainte-Anne-du-Détroit, avril 1739.
12
ANQi Chambre des Milices de Montréal, 1760-1764, IV, 35s.; registre cité, octobre 1759.
13
Déclaration du curé dans les registres d’état civil de Sainte-Anne-du-
14
Lettre d’Askin à Patterson, 17 juin 1778, dans The John Askin Papers, I,
Détroit, 15 octobre 1769.
13515 16
Ibid., lettre de 1778,1, 98,105-107. Lettres de et à William Dunlap, 1766 et 1768, ANC, Collection Neilson.
17
Dans BRH, 3 (1897), 6.
18
RAPQ, 1921-1922,120.
19
Gazette de Québec, 3 octobre 1782 et 14 mai 1784.
20
Quebec Herald, 14 et 25 avril.
21
Sur les interminables escapades de cet esclave, voir notre Diction¬ naire des esclaves, à l’article «Joe ».
22
Témoignage que m’a transmis Émilien Lamirande, dans une lettre de Rock Forest, 17 juin 1993. Veuve d’un notaire et remariée à un notaire, la mère du P. Dandurand avait d’abord vécu à Laprairie, puis à Saint-Jean-sur-Richelieu.
23
Acte de vente dans RAPQ, 1921-1922,113.
24
Voir notre Dictionnaire des esclaves, article «Toby, nègre ».
25
F.-J. Audet, Les Députés de Montréal ij83-
9
Greffes des notaires Adhémar, Lepallieur, Porlier, Danré de Blanzy et Simonet.
10 II y avait le devant de canot, le milieu de canot, le gouvernail de canot. 11 P-B. Casgrain, Mémorial des familles Casgrain, Baby et Perrault du Canada, 95. 12
Contrat d’engagement, dans RAPQ, 1931-1932,273.
13 APQ^ Pièces judiciaires et notariales, 782. 14 La livre anglaise (cours de Québec) est composée de 20 chelins et 4 dollars de l’époque. 15 Le roi à Denonville et à Champigny, Ier mai 1689, dans APQ, Ordres du Roi, série B, vol. 15,1688-1690,108s. 16
Henripin, La Population canadienne au début du dix-huitième siècle, 106.
17 Registre de Notre-Dame-de-Montréal, 14 décembre 1791; Gazette de Montréal (éditée par Mesplet), supplément du 15 décembre 1791, p.i. 18
De 40 à 49 ans: 46 Amérindiens (8 hommes et 38 femmes); 25 Noirs (13 hommes et 12 femmes). De 50 à 59 ans : 22 Amérindiens (6 hommes et 16 femmes) ; 17 Noirs (13 hommes et 4 femmes).
19
Voir l’article, «Joe, nègre de Brown», dans notre Dictionnaire des esclaves.
20 Lettre du gouverneur Beauharnois, 14 octobre 1736, dans Journals and Letters of Pierre Gaultier de La Vérendrye and His Sons (éd. Burpee), 211s. 21 P.-B. Casgrain, « Madame C.-E. Casgrain », dans Mémoires de famille, 196s.; P.-B. Casgrain, Mémorial des familles Casgrain, Bâby et Perrault du Canada, 95.
22 Aubert de Gaspé, Les Anciens Canadiens, 292s.; 407, note e.
t
CHAPITRE VII
Les esclaves et les sacrements
A
ucune loi explicite de l’État ni aucun règlement ecclésiastique n’obligeait les propriétaires cana¬
diens à élever leurs esclaves dans la religion catholique1. Certes, dans cette colonie où le catholicisme était, sous le Régime français, la religion d’État et qui, en prin¬ cipe, ne pouvait être habitée que par des catholiques, il est certain que les propriétaires eurent comme premier souci de faire baptiser leurs esclaves et de leur assurer l’éducation chrétienne. Nous avons voulu savoir si les faits correspondent à cette théorie. Le baptême tardif de certains esclaves
En réalité, l’habitude de faire baptiser son esclave dès qu’on l’acquiert, n’est pas aussi générale que nous pourrions d’abord le croire. Ainsi, trois esclaves sont mis en vente par des propriétaires catholiques sans avoir encore reçu le baptême. Le 14 septembre 1737, JacquesHugues Péan de Livaudière vend à Joseph Chavigny de Lachevrotière de Latesserie la Renarde Thérèse qui a 13 ou 14 ans : l’acte de vente précise que cette Renarde n’est pas baptisée ; et nous ignorons si l’acheteur s’est ensuite empressé de lui faire donner le baptême. Le ier octobre
Deux siècles d’esclavage au Québec
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de la même année, Augustin Bailly de Messein vend son Patoca de 10 ans à ce même Latesserie : c’est encore un esclave païen et nous ignorons depuis combien de temps Bailly de Messein l’avait en sa possession; dès le 20 octobre suivant, Latesserie le fait baptiser. La Panise Fanchon, âgée de 10 à n ans, appartenait depuis on ne sait
quand
à Jacques-François
Daguille, marchand
de Montréal : elle n’est pas encore baptisée lorsque, le 4 novembre 1751, Daguille la vend à Mathieu-Théodore de Vitré. Il arrivait donc à certains propriétaires de différer le baptême de leurs esclaves ou peut-être de ne pas s’en préoccuper du tout. Ce semble être une pratique assez courante que d’attendre un, deux ou trois ans. Au cours de l’été 1749, le chevalier de Lavérendrye donne un esclave amérindien d’environ six ans à la mission de Michillimackinac : le jésuite ne baptise cet esclave que le 6 avril 1750. La Panise Barbe-Charlotte appartient au gouverneur Beauharnois depuis au moins l’automne de 1727 : on ne la baptise à l’Hôtel-Dieu de Québec que le 17 janvier 1729; ce même gouverneur est propriétaire du Pacota Charles-Louis depuis au moins janvier 1730 : il ne le fait baptiser que le 17 avril 1732. Quand GabrielNicolas Lefebvre, de Sainte-Geneviève-de-Batiscan, fait baptiser sa Patocase, âgée de sept à huit ans, le prêtre note qu’elle demeure chez ce Lefebvre depuis deux ans. L’Amérindienne Thérèse, esclave de René Boucher de Labruère, met au monde en mars 1763 un enfant qu’elle a eu d’un officier anglais : or elle n’est baptisée qu’en avril 1765, et encore est-elle mourante. Le curé Payet, de SaintAntoine-sur-Richelieu, achète le n avril 1787 un Noir d’une dizaine d’années, Jean-Baptiste-Pompée : il attend au 13 septembre 1789 pour le baptiser sous condition. Parfois on diffère davantage le baptême. Depuis au moins avril 1745, Jacques Lafontaine de Belcour est proprié¬ taire de l’Amérindienne Catherine, âgée de 10 ans : elle
Les esclaves et les sacrements
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n’est baptisée que le 21 juillet 1748 ; l’Esquimau CharlesHilarion, âgé d’environ 13 ans, vivait depuis 3 ans chez le gouverneur Beauharnois, lorsqu’il fut enfin baptisé le 17 avril 1732 ; la Panise Suzanne-Madeleine entre au pays en 1701 : son maître, un Blondeau, la fait baptiser seulement le 22 mars 1704, à l’âge de 17 ou 18 ans. La Noire Marie-Louise, amenée de Saint-Domingue en juillet 1728 par François Aubert de Lachesnaie, ne sera baptisée que quatre ans plus tard, et c’est la veuve de ce Lachesnaie qui s’occupe de lui faire administrer le sacre¬ ment le 13 août 1732. Certains textes, sans donner plus de précisions, font mention d’un retard de plusieurs années; c’est le cas de la Patocase Thérèse qui appartient à l’offi¬ cier Paul Marin de Lamalgue ; elle est enfin baptisée le 4 mai 1735, à l’âge d’environ 20 ans ; lorsque, le 17 juillet 1749, à Michillimackinac, on baptise le Panis Antoine, 15 ans et esclave d’Urbain Tessier dit Lavigne, on note que cet esclave malade désirait le baptême depuis long¬ temps. L’âge de l’esclave à son baptême nous amène à cons¬ tater des retards bien plus étonnants encore. En effet, comme on acquiert le Noir avant la trentaine et l’Amérindien beaucoup plus tôt (dans la vingtaine ou, très souvent, quand il est tout jeune enfant), on peut tout de suite conclure qu’un esclave baptisé à 40, 50 ou 60 ans a subi un très long retard dans son éducation chrétienne. L’Amérindienne Jeanne-Lrançoise Cordulle, esclave de Louis Gastineau-Duplessis, a 40 ans lorsqu’on la baptise à Sainte-Anne-de-la-Pérade, le 9 janvier 1741. James McGill, dont la femme est catholique, fait baptiser le 27 janvier 1806 à l’église catholique de Montréal son Noir Jacques qui est âgé de 40 ans. Charles Chaboillez ne fait baptiser qu’à 45 ans sa Panise Madeleine, le 7 juin 1756 à Michillimackinac : il l’avait en sa possession depuis au moins 10 ans. Le juge Jean-Baptiste Angers fait baptiser à 45 ans sa Patocase Catherine, le 2 juillet 1742 par le
Deux siècles d'esclavage au Québec
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curé de Saint-François-de-Sales. La Panise Françoise, esclave de Jacques Pelletier, a 50 ans quand on la baptise à Détroit le 9 décembre 1785. Le chevalier Louis-François Lacorne ne s’est pas soucié de faire baptiser sa Panise Marie-Louise; après la mort du chevalier, elle se retire chez Jacques Varin dit Lapistole, et c’est alors seulement, à l’âge de 50 ans, qu’on la baptise à Montréal le 12 juin 1772. La Panise Marie demeurait depuis sa jeunesse chez Philippe Vinet-Préville : ce n’est que le jour de sa mort, à l’âge de 55 ans, le 29 avril 1775, qu’on la baptise à la Longue-Pointe et qu’on la fait communier. Clément Laplante-Lérigé baptise à Laprairie le 15 janvier 1739 son Amérindienne qui est à l’article de la mort : elle a 60 ans ! Le Noir Thomas, esclave de Desmoulins, a 60 ans quand on l’ondoie sur son lit de mort à l’Hôpital-Général de Montréal en mars 1776. À l’église presbytérienne de Montréal, le 7 octobre 1815, on baptise une Noire de 70 ans, Margaret Cuff Morocco. Nous trouvons chez les catho¬ liques un retard aussi surprenant : le Noir Etienne-Paul, présenté comme Noir des sœurs de la Congrégation, a 70 ans lorsqu’on le baptise à Montréal, le 2 septembre 1771. Le record est détenu par le Noir Jean-Baptiste, esclave de William Park et de sa femme catholique Thérèse Gouin : ce Noir a 80 ans lorsqu’il est baptisé sur son lit de mort le 20 mars 1808. Pour mesurer la fréquence de ces retards, on pour¬ rait recourir au nombre des esclaves que l’on baptise à l’article de la mort : nous en avons compté 198 dans les registres catholiques, ce qui représente, sur les 1636 esclaves dont l’année du baptême nous est connu, une proportion de 12,1 %. Cet indice à lui seul ne suffit pas, mais il nous permet de constater que bien des proprié¬ taires catholiques ne font pas baptiser leurs esclaves dès qu’ils en prennent possession.
Les esclaves et les sacrements
187
Et pourquoi? Pourquoi, par exemple, la Panise Marianne qui appartenait certainement depuis plusieurs années au curé Pierre Fréchette, de Détroit, n’est-elle baptisée qu’à l’âge de 40 ans, le 13 juin 1794? Pourquoi le Noir des sœurs de la Congrégation n’est-il baptisé qu’à 70 ans ? Pourquoi une Panise de Mère d’Youville, supérieure de l’Hôpital-Général de Montréal, n’est-elle baptisée que pendant une maladie dangereuse, à l’âge de 24 ans, le 23 octobre 1766 ? On ne peut tout de même pas parler de l'indifférence de ces maîtres à l’égard de l’édu¬ cation chrétienne de leurs Amérindiennes et Noirs ! C’est que, sans doute, pour les maîtres en général (prêtres, religieux ou laïques), il pouvait se présenter divers obstacles dans leurs efforts de christianisation. Il y avait d’abord l’obstacle de la langue : si un esclave vient des lointaines régions du Missouri (c’est de là surtout que viennent les Amérindiens), il faut qu’il apprenne le français avant d’étudier les rudiments du catéchisme; il peut y avoir aussi l’opposition entêtée de l’esclave ou tout simplement son inaptitude à comprendre et retenir quoi que ce soit. La Renarde Marie-Geneviève qu’un Abénaquis a vendue vers 1746 à Jean-Baptiste Couillart de Lespinay, n’est baptisée qu’en 1761 ; Philippe Aubert de Gaspé, qui en raconte l’histoire, attribue ce retard à un manque d’intelligence : «La Grosse (je ne lui ai jamais connu d’autre nom) avait en effet l’esprit très borné, sans être pourtant idiote. Elle ne s’exprimait qu’avec difficulté, et à l’aide d’un patois de son invention2.» 80% des esclaves sont baptisés Peu importe, en définitive, les mois ou les années écoulés entre l’acquisition de l’esclave et son baptême, ce qui compte c’est qu’il soit baptisé. Or l’usage général est de le faire baptiser : nous sommes en mesure d’affirmer que c’est le cas de plus de 80 % des esclaves. L’année
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Deux siècles d’esclavage au Québec
du baptême n’est pas toujours connue : nous ne l’avons retrouvée que pour 1620 esclaves (dont 71 protestants); pour les autres, nous avons recouru à des preuves indi¬ rectes mais certaines : la confirmation ou la communion qu’ils reçoivent, le mariage à l’église et l’inhumation en terre sainte présupposent nécessairement un baptême solennel ou privé. Que les catholiques fassent baptiser leurs esclaves, cela va de soi, mais nous trouvons même des huguenots qui font administrer à leurs esclaves le baptême catho¬ lique : le négociant huguenot François Havy fait baptiser à l’église catholique de Québec le 20 mai 1741 son esclave noir, Joseph-François, âgé d’environ 12 ans ; ce même huguenot et son associé de même religion, Jean Lefebvre, font baptiser aussi à Québec le 8 mars 1744 leur Noir François-Joseph, âgé d’environ 27 ans. Est-ce faute de ministre huguenot? Ou bien veut-on faciliter le trans¬ port de ces Noirs aux Antilles où, en vertu du Code noir tout « nègre » esclave devait être catholique ? Nous retrouvons à peu près cette situation sous le Régime anglais : des propriétaires protestants font donner le baptême catholique à leurs esclaves. Il s’agit de propriétaires protestants qui ont épousé une Canadienne catholique. On sait que, dans le cas de mariages mixtes, les garçons sont élevés dans la foi protestante, en raison des lois anglaises sur l’héritage, et les filles reçoivent une éducation catholique. Pour les esclaves, le problème d’hé¬ ritage ne se posant pas, les propriétaires protestants leur ont généralement laissé pratiquer la religion de l’épouse. Nous disons généralement parce que sur 34 propriétaires protestants, époux d’une Canadienne catholique, un seul fait exception : le marchand Acklom Rickaby Bondfield, qui a épousé en 1762 Marie-Madeleine-Françoise Martel de Brouague, fait baptiser ses esclaves à l’église angli¬ cane.
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Sous le Régime français, il n’y a pas d’esclaves pro¬ testants; sous le Régime anglais, l’esclave suit la religion du maître, sauf si ce maître a épousé une Canadienne catholique. Dans l’ensemble, parce que ce sont surtout les Canadiens français qui possèdent des esclaves, au moins les deux tiers de la population esclave sont catho¬ liques (2748 sur 4185). Les baptêmes d’Amérindiens commencent dès 1681 et cessent en 1799 (sauf pour un cas en 1802 et un autre en 1809) ; nous ne connaissons que quatre Amérindiens esclaves qui aient été baptisés à l’église protestante : le premier en 1770, le second en 1774 et les deux autres en 1779. Tous les autres sont catholiques. Quant aux Noirs, ils n’apparaissent d’une façon continue qu’à partir de 1713, mais leur présence se manifeste jusqu’en 1826. Le baptême : un événement social
Si pour un très grand nombre d’esclaves la céré¬ monie du baptême a été sommaire au point qu’on ne s’est pas toujours occupé de trouver un prénom, pour d’autres elle a représenté un événement d’importance réunissant autour du baptisé ce que la société comptait de plus influent. En 1727, le 15 août, c’est M&r de SaintVallier lui-même qui baptise le Noir Thomas-Louis, âgé de 23 ans, propriété de François-Etienne Cugnet, agent général de la Compagnie d’Occident : à ce baptême solennel, l’intendant Dupuy agit comme parrain. En 1745, autre baptême d’esclave par l’évêque : le 27 août à Québec, MSr de Pontbriand baptise le Natchez Victor, âgé de 33 ans ; Jean-Victor Varin de Lamarre, membre du Conseil supérieur, est parrain en compagnie de l’épouse de Charles Tarieu de Lanaudière. Autre réunion sociale d’importance : à Québec, le 24 mai 1738, on baptise le Renard Gilles-Hyacinthe, âgé de 22 ans, propriété de l’intendant Gilles Hocquart. C’est l’intendant lui-même
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Deux siècles d’esclavage au Québec
qui sert de parrain ; la marraine est la femme du lieute¬ nant de roi Saint-Ours Deschaillons, et le prêtre écrit en marge du registre : « Grosse cloche » ! Le parrain faisait grandement les choses. L’importance de la cérémonie (et il en est de même pour la signature d’un contrat de mariage) peut se juger par le nombre des signatures qu’on réunit au pied de l’acte. Il y a de ces concours de signatures même au baptême des esclaves. Louise-Claire, Amérindienne d’Anticosti âgée de trois ans et demi, et propriété du négociant Joseph Fleury Deschambault de Lagorgendière, est baptisée à Québec le 9 août 1735; son parrain est Pierre-François Rigaud de Vaudreuil, gendre du maître : sept personnes signent l’acte de baptême. Le Noir François-Denis, dont le propriétaire n’est pas indiqué, recueille, lui aussi, sept signatures lorsqu’on le baptise à Québec le 31 mars 1739. Il y a mieux. La Renarde Madeleine-Gilles, qui appartient à l’intendant Gilles Hocquart, recueille 10 si¬ gnatures à son baptême, le 2 juin 1732, alors que l’inten¬ dant sert de parrain. À une autre époque, en 1806, le Noir Henry-Victor, qui est au service de Charles de Salaberry, voit 10 personnes signer l’acte de baptême, cérémo¬ nie encore rehaussée par le choix du parrain : Louis de Salaberry, surintendant des «Sauvages» et membre du parlement. Mais le Noir Pierre, qui appartient au bour¬ geois Jean Liquart, recueille n signatures. C’est le Noir Pierre-Louis-Scipion qui détient le record : baptisé à l’âge de 10 ans, à Québec, le 11 août 1717, cet esclave réunit 13 personnes qui signent l’acte de baptême ; il a pour parrain Louis Lesselin, officier de la marine ; la marraine est Geneviève Martin de Lino, fille d’un membre du Conseil supérieur; nous reconnais¬ sons Louis de Laporte de Louvigny, lieutenant de roi à Québec, accompagné de sa femme Marie ; Catherine Nolan, épouse du conseiller Martin de Lino, est là avec sa fille Marie-Anne. Nous ignorons malheureusement à qui appartient ce très important Pierre-Louis-Scipion.
Les esclaves et les sacrements
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Le baptême de l’esclave (cet article de luxe) devient donc en certains cas l’occasion d’une brillante réunion sociale. On comprend qu’alors le choix du parrain soit une affaire d’importance. On trouve parfois des gouver¬ neurs. Gouverneur de la Nouvelle-France, Beauharnois sert de parrain à son Esquimau Charles-Hilarion, le 17 avril T732, à Québec; gouverneur des Trois-Rivières, Pierre-François Rigaud de Vaudreuil est parrain de l’Amérindienne Marie-Claire, âgée de 14 à 15 ans, qui appartient à l’officier Hubert Coutrot. Deux intendants agissent comme parrains : Claude-Thomas Dupuy, au baptême du Noir Thomas-Louis qui appartient à l’agent général de la Compagnie d’Occident; Gilles Hocquart, au baptême de sa Renarde Madeleine-Gilles en 1732 et à celui de son Renard Gilles-Hyacinthe en 1738. Faute de gouverneur ou d’intendant, on invite ce qu’il y a de plus élevé dans le milieu. Au fort SaintFrédéric, le commandant Lemoyne de Longueuil est parrain du Panis Joseph-Gaspard, le 9 août 1739, esclave du négociant Charles Nolan de Lamarque. Le comman¬ dant de Michillimackinac, Charles-Joseph Fleurimont de Noyelle, remplit le même rôle, le ier septembre 1747, auprès d’une Amérindienne esclave. Antoine LamotheCadillac, commandant de Détroit, est parrain d’un esclave cahokia, Antoine-Augustin, le 25 août 1711. Le comman¬ dant du poste de Sonioto, Pierre-Antoine Hertel de Rouville, était de passage à Détroit, le 21 septembre 1760 lorsqu’on baptise la Chicachase Marie-Louise, esclave d’Antoine Cuillerier : on l’invite à servir de parrain. D’autres
hauts
fonctionnaires
sont
appelés
au
parrainage : au baptême de la Panise Marie-Victoire, âgée de 14 ans et propriété du lieutenant général civil et criminel François Daine, en 1743, c’est Jean-Victor Varin de Lamarre, membre du Conseil supérieur et il reparaît au baptême du Natchez Victor en 1745. Il n’est pas le seul membre du Conseil supérieur à recevoir le même
Deux siècles d’esclavage au Québec
IÇ2
honneur : François Cugnet, au baptême du Patoca JeanBaptiste Barbaron en 1730; Guillaume Estèbe, parrain de la Naskapise Françoise-Marie-Jeanne qui appartient à Jacques-Michel Legardeur de Montesson; François Foucault, parrain du Noir Daniel-Théophile, fils d’une Noire de Daniel de Beaujeu. Signalons
encore
quelques
noms
importants.
L’ingénieur Gaspard Chaussegros de Léry tient lieu de parrain auprès de l’Amérindienne Marguerite-Charlotte, esclave du sergent Sansquartier. L’Amérindienne LouiseMarguerite, qui appartient au gouverneur Claude de Ramezay, trouve un parrain le 20 avril 1715 en la personne de Louis-Philippe de Rigaud de Vaudreuil. Le gouver¬ neur général Beauharnois fait baptiser son Brochet Charles le 28 janvier 1747 : il invite l’explorateur Pierre Gaultier de Lavérendrye à servir de parrain. Madeleine de Verchères est marraine, le 2 juin 1743, de l’Amérindienne Madeleine-Marie-Anne qui est son esclave. Saluons encore notre célèbre épistolière, Marie-Elisabeth Bégon qui agit comme marraine le 8 octobre 1719 lorsque son père, le garde-magasin Etienne Robert de Lamorandière, fait baptiser son Amérindienne Marie-Elisabeth. Il faudrait encore mentionner les Lemoyne de Longueuil, les Ramezay et tant d’autres de la haute société qui pren¬ nent le titre de parrain auprès des esclaves. Des membres du clergé prennent aussi ce titre. A Sainte-Anne-de-la-Pérade, le curé Gervais Lefebvre est parrain
en
1728
de
l’Amérindienne
Marie-Joseph
Cordulle, âgée de six à sept ans, qui appartient à Louis Gastineau-Duplessis.
Le
jésuite
Jean-Baptiste
de
Lamorinie est parrain, à Michillimackinac en 1742, du Panis Jean-Baptiste-François, esclave de Louis-JeanBaptiste Céloron de Blainville. Le curé de Beauport, Louis Chardon, agit comme parrain en 1747 auprès de l’Assiniboine Louis-Antoine qui appartient à Antoine Juchereau-Duchesnay. A Varennes, le curé Maisonbasse
Les esclaves et les sacrements
193
est parrain en 1750 du Noir Joseph-Grégoire, âgé d’envi¬ ron 20 ans, qui appartient à Jacques Gadois-Mogé. À Neuville en 1755, le curé Louis-Eustache Chartier de Lotbinière tient lieu de parrain à la Siouse Marie-Josette, propriété de la veuve François Angers. Le 7 juin 1783, Augustin-David Hubert, curé de Québec, est parrain du Noir Jean-Baptiste, âgé d’environ 21 ans, esclave du négo¬ ciant catholique Robert Lester et, une seconde fois, le 4 septembre 1786, d’un Noir Henry Hubert, âgé de 28 ans environ, qui appartient au navigateur François Meurs; Charles Faucher, curé de Saint-Jean-Port-Joly, l’est de l’Amérindien Joseph en août 1787; Joseph Gagnon, curé de la Pointe-du-Lac, se rend à Berthier-en-Haut pour servir de parrain à la Noire Marie-Joseph-Elisabeth en 1793 ; à Soulanges, le curé Laurent Archambault est par¬ rain lors du baptême de la Noire Catherine en 1802, et un autre curé Archambault à Vaudreuil, en 1820, lorsqu’une Noire de 53 ans reçoit le baptême. A Châteauguay en 1774, un Sioux de 21 ans qui appartient à l’Hôpital-Général de Montréal a comme parrain Henri-François Gravé, prêtre du Séminaire de Québec, et comme marraine sœur Thérèse Pépin, supé¬ rieure des sœurs Grises; et c’est pourquoi, le Sioux va désormais s’appeler Henri-Thérèse. Si le propriétaire de l’esclave ne confie pas à quelque personnage important ou à quelque ami l’honneur du parrainage, c’est lui-même ou quelqu’un de sa famille qui s’en charge. Que de fois, dans les actes de baptême où le nom du propriétaire est indiqué, nous rencontrons comme parrain ou marraine soit le propriétaire, soit sa femme, soit quelque autre membre de sa famille. Si le rédacteur de l’acte de baptême avait eu soin chaque fois de faire mention du propriétaire de l’esclave et si par ailleurs l’identification du parrain avait été plus facile, nous aurions pu établir avec plus de précision la fréquence de l’apparition des propriétaires au baptême
Deux siècles d'esclavage au Québec
194
de leurs esclaves. Voici, en tout cas, les chiffres que nous avons réunis : le maître ou la maîtresse sert de parrain ou marraine
164 baptêmes
le maître et la maîtresse servent de parrain et de marraine
27 baptêmes
un membre de la famille du propriétaire sert de parrain ou de marraine
67 baptêmes
Total
258 baptêmes
Pour un propriétaire, servir de parrain à son esclave, c’est là un usage catholique et français ; alors qu’à l’occa¬ sion des 258 baptêmes catholiques, c’est le propriétaire ou un membre de sa famille qui joue le rôle de parrain, nous ne trouvons qu’un seul protestant, le marchand Acklom Rickby Bondfield, de Sillery : en 1770, c’est son fils qui est parrain de la Panise que l’on baptise à une cérémonie anglicane ; en 1774, lui-même sert de parrain à un enfant de cette Panise, en compagnie de son épouse. Dans la société anglaise, les Bondfield ont été les seuls à accorder cet honneur à leurs esclaves : nous croyons que c’est sous l’influence de l’épouse, une Canadienne française. Des esclaves parmi les parrains et marraines Une autre pratique contribue à donner à notre escla¬ vage un air d’humanité qu’il n’a pas dans d’autres colonies : des Panis et des Noirs sont parrains et marraines dans une église catholique comme dans une église protestante. Le cas est cependant très rare sous le Régime français, sans doute parce que le propriétaire ou un ami se réserve alors cet honneur : il ne se produit que deux fois. Le 30 août 1748 à Montréal, on baptise la Noire MarieCharlotte, fille de Noirs qui appartiennent au marchand Pierre-Jean-Baptiste Hervieux : le parrain est le Noir Joseph et la marraine, la Noire Charlotte. Le 17 octobre
Les esclaves et les sacrements
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ï749, à Sainte-Anne-du-Bout-de-l’île,voici un Panis JeanBaptiste, qui sert de parrain à Jean-Baptiste Lalonde, fils légitime de Louis Lalonde et de Marie-Louise Picard; ce Panis est en compagnie de Marie-Élisabeth Duclos, et il donne son prénom à son filleul. Cas extraordinaire que ce Panis qui sert de parrain à un Blanc libre : nous avons lieu de croire que ce Panis jouissait alors de sa pleine liberté. C’est sous le régime anglais surtout que les esclaves servent de parrains et marraines auprès de leurs congé¬ nères. La présence des Amérindiens est cependant encore très rare. Nous venons de mentionner pour 1749 ce Panis Jean-Baptiste : or il faut, pour rencontrer un autre Amérindien, attendre 1788, lorsque le 29 mai, à Détroit, le Panis Charles qui appartient à Girardin et la Panise Geneviève, esclave de Duperron-Bâby, tiennent sur les fonts baptismaux la fille d’une Panise de Caldwell ; le troisième et dernier cas se produit en 1794 encore à Détroit : le 9 mars, le Panis Charles sert de parrain au Noir Pierre, fils de l’esclave de «Malome». Par contre, chez les Noirs du Régime anglais, le parrainage est tout simplement une habitude. Nous avons compté 46 cérémonies de baptême au cours desquelles des Noirs ou des Amérindiens agissent comme parrains. Nous ignorons cependant s’ils sont tous esclaves au moment de leur parrainage. Ces 46 baptêmes se répar¬ tissent comme suit : baptêmes avec parrains noirs
43
baptêmes avec parrains amérindiens
3
Ou, selon le tableau suivant : parrainage noir
1
parrainage amérindien
X
parrainage noir
42
parrainage amérindien
2
Régime français
Régime anglais
ig6
Deux siècles d’esclavage au Québec
Sur ces 46 cérémonies de baptême, 6 seulement ont lieu à l’église catholique. On voit donc que si le parrai¬ nage noir ou amérindien est une rare exception sous le Régime français, il est toujours aussi une rare exception chez les catholiques : sans doute, parce que chez ceux-ci, ce sont les maîtres ou les amis du maître qui se réservent cette fonction. En tout cas, le parrainage noir se présente comme une habitude propre au Régime anglais. Les prénoms les plus communs Les 4185 esclaves de notre catalogue ne portent pas tous un prénom : 930 (dont 680 Amérindiens), une proportion de 22,2 %, sont demeurés parfaitement anonymes; ils ont été baptisés sans recevoir de prénom, peut-être parce qu’ils étaient à l’article de la mort ou peutêtre parce que le prêtre ne s’est pas préoccupé d’inscrire un nom dans le registre. On se contente alors d’écrire : nous, prêtre soussigné, avons baptisé le Panis d’un tel. Et cela se produit plus souvent encore à la cérémonie d’in¬ humation. L’esclavage a ses habitudes. Nous trouvons chez les esclaves les prénoms les plus divers, simples ou composés; ce sont généralement les prénoms que l’on porte chez les personnes libres. Très souvent, le parrain ou la marraine imposent leurs prénoms ; ou (ce qui se produit chez 239 esclaves) le prénom est celui du maître ; et si, par surcroît, l’esclave prend le nom de famille de son propriétaire, on est en présence de deux homonymes qu’il faut éviter de confondre : Jacques Cardinal père fait baptiser en 1712 un Outagami esclave qui s’appellera par la suite Jacques Cardinal. Le prénom le plus en vogue est Marie, puis viennent Joseph, Jean-Baptiste et Pierre. Parmi les prénoms fort en usage, mentionnons encore Marie-Anne, Marguerite, Charles, Jacques, Louis, Catherine. Il en est de même tout simplement dans les registres d’état civil.
Les esclaves et les sacrements
i9y
Il y a cependant des exceptions. Un peu partout dans le monde de l’esclavage, il s’était établi une tradition de prénoms tirés de l’Antiquité : elle se perpétue, mais seulement dans un tout petit nombre de cas, chez nos esclaves. Nous rencontrons 13 César, 8 Pompée, 3 Néron, 2 Scipion et 1 seul Caton ; les divinités païennes sont plus rares encore : 5 Phœbé, 1 Neptune et 1 Jupiter. Parfois l’esclave ne porte qu’un surnom, dont l’ori¬ gine n’est pas toujours claire : il y a ce Noir Canon qui appartient au gouverneur Vaudreuil-Cavagnial ; ce Noir Damoiseau, esclave de Charles Héry ; le Panis de Ramezay, surnommé La Diligence (parce qu’il est rapide ou parce qu’il est paresseux?); le Panis de Lusignan, surnommé Religionnaire ; le Noir de Boutin, qui a pour tout nom Boncœur. Le mulâtre de Dumoulin en 1795 s’appelle Prince ; l’Amérindien de Lacorne porte un surnom enchanteur Rossignol. Chez Jean-Baptiste Gourdon dit Lâchasse, nous rencontrons un « Dontguichaut » dans lequel nous sommes bien tenté de voir un Don Quichotte: pourquoi pas? Le Panis de Sanschagrin répond au nom de Sarasto, peut-être parce qu’il aurait été capturé à cet endroit. Un Noir de 1807 a décidé tout simplement de prendre le nom de Montréal. Le Noir de Vergor, en 1749, nous éblouit de son surnom, Versailles. Il ne manquait plus, ma foi, que Louis XIV et nous l’avons trouvé : le ier janvier 1773, à Saint-Vallier, le curé accorde les honneurs de l’inhumation à un Noir nommé Louis Quatorze ; âgé de 72 ans, cet esclave était donc né au temps du Roi-Soleil, et il a voulu (ou bien on lui a imposé cette corvée) en prolonger les rayons. Le sacrement de confirmation
On impose la foi à l’esclave par le baptême, mais a-t-on soin de la fortifier par le sacrement de confir¬ mation qui marque la seconde étape de l’éducation
198
Deux siècles d’esclavage au Québec
religieuse? Pour répondre de façon satisfaisante à cette question, il faudrait avoir retrouvé un grand nombre de listes de confirmés ; or ces listes n’ont été conservées qu’en de rares endroits : Québec, Montréal, Laprairie, Lachine, pour ne mentionner que les listes les plus intéressantes. À cause de cette documentation fragmentaire, nous n’avons trouvé que 48 esclaves, dont 16 Noirs, qui aient reçu le sacrement de confirmation. Lestage fait confirmer deux Panises le même jour; Joseph Cureux dit SaintGermain y va de trois Noirs dans la même cérémonie. Le 28 février 1767 marque à Montréal un défilé impo¬ sant de confirmands (il n’y avait pas eu d’évêque de 1760 à 1766) et, dans ce défilé nous comptons neuf Panises et un Panis. Nous remarquons que les trois Noirs de Cureux dit Saint-Germain sont confirmés immédiatement après leur baptême, mais la plupart du temps il y a un écart plus ou moins considérable entre les deux sacrements. La Panise Marie, qui appartient à Pierre Dumay de Laprairie, avait été baptisée en 1723 à l’âge de 14 ans : elle n’est confirmée que 8 ans plus tard; le Noir Joseph-François, esclave de l’huguenot François Havy, n’est confirmé lui aussi que 8 ans après son baptême, qu’il avait reçu à l’âge de 12 ans. Le notaire Cherrier fait baptiser en 1755 sa Panise de 15 ans ; il ne la fait pas confirmer tout de suite et l’évêque meurt en 1760, de sorte que la Panise doit attendre jusqu’en 1767, lorsque le nouvel évêque Briand fait sa première visite épiscopale à Montréal ; la Panise de Péladeau, Marguerite Lafleur, qui fait sa première communion en 1760, doit attendre 1767 pour la même raison. Les renseignements que nous fournissent les listes de confirmation sont maigres, mais ils suffisent tout de même à établir que les esclaves ont accès au sacrement de confirmation; et si quelques listes rejettent les esclaves à la fin de l’énumération, les autres les intercalent sans
Les esclaves et les sacrements
199
distinction parmi les noms des personnes libres : on pra¬ tique l’intégration.
La communion Les listes de première communion ne nous rensei¬ gnent pas d’une façon tellement plus abondante, mais en réunissant ces listes à divers autres indices, nous sommes en mesure d’affirmer que, dans le domaine de la commu¬ nion, l’esclave est sur le même pied que la personne libre. Si l’esclave ne communie pas, on s’inquiète. Lorsque le curé de Québec fait sa visite paroissiale en 1792, il signale au 24 de la rue du Sault-au-Matelot une Noire qui demeure chez le charpentier Charles Payan, mariée à un protes¬ tant, et le curé écrit en marge : « Elle se dit catholique et n’a pourtant jamais communié, ni probablement été à confesse». En mai 1730, à l’inhumation du Noir Pierre, âgé de 17 ans, domestique d’un Gervais, le missionnaire de la Pointe-aux Trembles (près de Montréal) se soucie de noter que ce Noir n’avait pas encore fait sa première communion. Nous avons repéré 20 individus, esclaves ou anciens esclaves, qui ont fait leur première communion : 16 Amé¬ rindiens et 4 Noirs. Si l’on se rappelle qu’un baptisé doit accomplir son devoir pascal dès qu’il a l’âge de raison, on peut supposer que sur 2971 esclaves baptisés il doit y avoir beaucoup plus que ces 20 individus à faire leur première communion. Notre information est tout à fait fragmentaire : très peu de listes de première communion ont été conservées, et nous n’avons pas retrouvé les pré¬ cieux registres où certains curés inscrivaient les noms de ceux qui remplirent leur devoir pascal. Dans cette énumération des 20 esclaves qui font leur première communion, l’âge avancé de certains surprend : 31 ans, 42 ans, 50 ans et même 55 ans.
200
Deux siècles d’esclavage au Québec
Il est vrai que sous le Régime français et encore longtemps après, la première communion se fait tard; selon le Grand Catéchisme de M&r de Saint-Vallier, on doit communier «à l’âge dans lequel on peut faire un juste discernement du Corps du Seigneur qui est environ l’âge de douze ans ». On ne peut donc s’attendre de voir des esclaves, pas plus que des personnes libres, commu¬ nier avant l’âge de 12 ans. Il faut, de plus, tenir compte de l’âge qu’a l’esclave quand il arrive au pays, mais nous savons que l’esclave arrive en général très jeune et que, de toute façon, on n’achète pas un esclave qui dépasse 30 ans. Ainsi donc, lorsqu’un esclave fait sa première communion passé l’âge de 30 ans, c’est un esclave dont on a négligé l’éducation religieuse, à moins tout simple¬ ment qu’on ne soit pas parvenu à l’éduquer. Ce serait peut-être le cas de cette Panise Marie qui demeure depuis sa jeunesse chez les Vinet-Préville de la LonguePointe et qui ne communie qu’à l’âge de 55 ans ; et aussi le cas du Noir Jacques-César, esclave d’Ignace Gamelin : on le baptise en 1730 à l’âge de 19 ans, mais il ne fait sa première communion que 26 ans plus tard. Les autres sacrements
Nous tenons fort peu de renseignements sur la pénitence ou sur l’extrême-onction : ils nous viennent seulement des actes d’inhumation, lorsque le prêtre s’est donné la peine d’écrire autre chose qu’une simple mention de sépulture. Le Panis Daniel-Clément, au service du marchand Antoine Pascaud, tombe gravement malade à l’âge d’environ 12 ans : selon l’acte d’inhuma¬ tion rédigé le 13 août 1704 à Montréal, il a le temps, avant de mourir, de recevoir les sacrements de « baptême, péni¬ tence et extrême-onction». Le Noir Philippe qui meurt dans la maison d’Antoine Canac, reçoit les derniers sacrements, comme l’atteste l’acte d’inhumation du 5 mai
Les esclaves et les sacrements
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1715, à Sainte-Famille de l île d’Orléans. La Panise MarieVictoire, domestique de François Daine, reçoit elle aussi les derniers sacrements avant de mourir, en octobre 1748, à l’âge d’environ 19 ans. Mais les circonstances ne permettent pas toujours à l’esclave moribond de jouir de ces ultimes privilèges. Le Panis de René Duchesne, âgé de 12 à 13 ans, tombe malade à la Pointe-aux-Trembles en avril 1718; comme ce Panis n’est pas en état de recevoir les derniers sacre¬ ments, le curé se contente de lui faire «produire» des actes de foi, d’espérance et de charité. La vieille Renarde du seigneur Couillard de Lespinay meurt soudainement en octobre 1808, sans recevoir l’extrême-onction, mais le curé de Saint-Thomas note que peu de jours auparavant elle avait été à confesse. Mort aussi soudaine que celle du Chicacha Jean-Baptiste-Christophe, qui appartient probablement au seigneur Jean-Baptiste Dusault, des Ecureuils : le Chicacha devient dangereusement malade, on le baptise sous condition le 20 avril 1743 dans la maison seigneuriale, puis un mieux se produit, mais soudain, le 11 mai suivant, le Chicacha trépasse « sans qu’on s’en soit aperçu»; le lendemain, dans l’acte d’inhumation, le curé précise que le Chicacha n’a pas reçu les derniers sacre¬ ments «parce qu’étant bien revenu de la maladie qu’il avait eue il est mort subitement». Et le sacrement de l’ordre? Un esclave pouvait-il aspirer à devenir prêtre s’il possédait l’instruction néces¬ saire? Parmi ces 4185 esclaves venus s’ajouter à notre population, le clergé a-t-il compté des recrues ? Si l’on s’en tient au Rituel de Saint-Vallier, les esclaves sont exclus du sacrement de l’ordre. Enumérant les empê¬ chements canoniques qui ferment l’accès à la prêtrise, l’évêque mentionne parmi ceux qui ne peuvent devenir prêtres : « Ceux qui sont nés hors le légitime mariage, ou qui sont esclaves ». Si un esclave était exclu de la prêtrise, un affranchi Tétait-il ? Le Rituel ne répond pas à cette
Deux siècles d’esclavage au Québec
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question. En tout cas, nous ne connaissons aucun esclave qui soit devenu prêtre ou qui ait tenté de le devenir. Puisque des esclaves ont laissé une descendance, il faut aussi se demander si l’un ou l’autre de leurs fils ou petits-fils a eu accès au sacrement de l’ordre. En admet¬ tant que tout prisonnier capturé par les Amérindiens devient esclave (ce qui était d’ailleurs l’usage), nous pour¬ rions présenter comme fils d’esclave le prêtre AmableSimon Raizenne : en effet, un Rising avait été pris par les Amérindiens à Deerfield et amené à la mission du Lacdes-Deux-Montagnes où il s’était épris d’une prisonnière, anglaise elle aussi ; il l’épouse et se francise en Raizenne : son fils aîné est ordonné prêtre en 1744. Ici, il ne s’agit cependant que d’un esclavage fortuit et temporaire et le cas de ce prêtre Raizenne, fils d’un prisonnier des Amérindiens, n’offre pas autant d’intérêt que si ce prêtre était le fils d’un esclave authentique. Enfin, il est un autre sacrement auquel les esclaves ont pu participer, le sacrement de mariage : mariage contracté entre esclaves amérindiens ou même entre Blancs et Amérindiens et entre Blancs et Noirs; problèmes que nous réservons, à cause de leur importance, à un chapitre ultérieur.
► NOTES 1 Aubert de Gaspé, Divers, 46-52. 2 En vertu du Code noir édicté pour les Antilles en 1685 et en vertu de celui qui a été préparé pour la Louisiane en 1724, seuls les catholiques pouvaient être propriétaires d’esclaves et ces esclaves devaient être élevés dans la religion catholique : mais ni l’un ni l’autre de ces deux Codes n’a été promulgué au Canada.
CHAPITRE VIII
Crimes et châtiments
C
es Noirs et ces Amérindiens qui se sont trouvés bien malgré eux dans une société dont les normes leur étaient étrangères, se sont-ils comportés de façon à s’attirer des sanctions? Le châtiment des esclaves a-t-il été plus rigoureux que celui des personnes libres? La présence même des esclaves a-t-elle été une menace pour la société ? Dans les colonies à fort pourcentage d’esclaves, on avait pris des mesures sévères pour protéger les maîtres. En vertu du Code noir, il est défendu aux esclaves, sous peine du fouet, de porter armes offensives ni gros bâton ; ils n’ont pas le droit de s’attrouper sous peine aussi du fouet et, en cas de récidive, sous peine de mort; si un esclave s’enfuit et qu’on le reprend, on lui coupe les oreilles et on lui applique une fleur de lis sur l’épaule; pour une deuxième fuite, on lui coupe le jarret et on le marque sur l’autre épaule ; une troisième fuite entraîne la peine de mort. Si un esclave frappe son maître au visage ou s’il le frappe avec contusion de sang, il est mis à mort; s’il vole, il pourra subir des peines afflictives et même la mort; les maîtres pourront faire enchaîner leurs esclaves et les faire battre de verges ou de cordes, mais il ne leur appartient pas de donner la torture ni de faire aucune
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Deux siècles d'esclavage au Québec
mutilation de membre, la mutilation et la peine de mort relevant de la justice royale. Ces mesures répressives, si légèrement teintées d’hu¬ manité, protégeaient la petite population des Antillais contre l’immense troupeau des esclaves. Dans notre société, où le Code noir n’a pas été promulgué, comment a-t-on contenu les esclaves dans les limites de leurs devoirs et comment les a-t-on châtiés ? Les insoumis
Dans le dossier criminel des esclaves, on rencontre parfois des délits bénins que lajustice se contente d’ignorer ou qu’elle punit légèrement. En 1712, un Panis se trouve impliqué dans une affaire de contrebande. Propriété du traiteur François Lamoureux dit Saint-Germain, le Panis Joseph accompagnait son maître lorsque ce dernier, associé à Pierre et Nicolas Sarrazin, transporta des marchandises en haut de l’île de Montréal, dans le but de faire une traite interdite. Arrêté avec les autres, le Panis subit l’interrogatoire ; cependant, il ne figure pas dans la sentence qui condamne Saint-Germain et les Sarrazin, et pas davantage dans le jugement rendu en appel par le Conseil supérieur1. On a peut-être considéré que le Panis, n’étant pas maître de sa liberté, n’avait aucune responsa¬ bilité ; nulle part on ne voit qu’il ait subi quelque peine. Châtiment pas tellement lourd que celui du Noir de Guillaume Couillart, alors que la faute commise, une calomnie, pouvait tout de même provoquer de lourdes conséquences. Lors de la première occupation anglaise de Québec, de 1629 à 1632, Nicolas Marsolet s’était mis au service des Kirke; or voici qu’en 1638, à une époque où Marsolet avait tout intérêt à faire preuve de parfaite fidélité, le Noir Olivier prétend que Marsolet a reçu un message d’un traître, nommé Le Baillif, celui-là même qui avait fait don du Noir à Guillaume Couillart. On fait
Crimes et châtiments
2°5
une enquête sommaire et, devant Guillaume Couillart et Guillaume Hébert, le Noir avoue qu’il a tenu des propos dont il n’avait nulle connaissance; on le condamne à demander pardon et «à être quatre heures à la chaîne», c’est-à-dire les fers aux pieds2. Insoumis mais jusqu’au point de soulever une sédi¬ tion, le Panis Charles est déporté aux Antilles en 1730. En service au fort Niagara, il pousse une partie de la garnison à se révolter, soit pour se venger des dures puni¬ tions imposées par Nicolas-Blaise Bergères de Rigauville, soit à cause de la nourriture; les mutins projettent de se débarrasser du commandant et la révolte doit éclater le
26 juillet. Averti
à temps, Rigauville
envoie
un
exprès à Montréal demander du secours; le gouverneur Beauharnois dépêche un détachement; les rebelles sont arrêtés, envoyés à Montréal et mis aux fers, y compris le Panis. Passés en cour martiale, le Panis est condamné à la déportation et les autres à la potence; ces derniers réussissent à s’évader par la complicité des frères récol¬ lets; quant au Panis, on le met à bord du Saint-Antoine et on l’envoie à la Martinique pour y servir d’esclave3. Il est à remarquer que dans ce cas de sédition, on se montre moins rigoureux pour l’esclave que pour les soldats : pour quelles circonstances atténuantes? Nous l’ignorons. William Brown, imprimeur de la Gazette de Québec, eut toutes sortes de difficultés avec son Noir Joe sans pouvoir en venir à bout. En août 1774 (la première mention que nous trouvions de cet esclave), l’impri¬ meur le met en prison : le Noir avait, semble-t-il, volé à son maître 4 livres 15 chelins 3 pence 3/4, ce qui est une somme élevée (la livre anglaise, cours de Québec valait alors 4 dollars de l’époque et elle se composait de 20 chelins, le chelin comprenant 12 pence) ; de plus, le maître est obligé de payer 2 chelins 6 pence pour le faire enfermer et la pension en prison coûte 2 livres 10 pence.
Deux siècles d'esclavage au Québec
206
Donc, en plus de se faire voler, le maître doit payer les frais du châtiment. Le Noir revenu à la maison, William Brown lui montre le métier de presseur d’imprimerie mais, en avril 1777, l’esclave déserte et il faut débourser 17 chelins 9 pence
pour
le
retrouver.
Nouvelle
désertion
en
novembre de la même année : Brown donne à un nommé Davis 2 chelins 9 pence pour les frais de recherche, au geôlier Couture 2 livres 5 chelins pour mettre le Noir en prison ; et la pension coûte au maître 13 chelins 4 pence. Le 25 janvier 1778, le Noir Joe fuit de nouveau et Brown y va de 10 chelins pour récompenser ceux qui attrappent le fugitif. Le 22 décembre de la même année, le Noir déserte une fois de plus : Brown le fait mettre en prison et fouetter par le bourreau, ce qui coûte 1 livre 8 chelins 10 pence. Le 30 avril, Joe vole 1 livre 3 chelins 4 pence et s’enfuit : Brown donne 5 chelins pour ramener le Noir à la maison. Le 16 septembre 1779, Joe déserte encore : on le retrouve à bord du navire Empress Russia et il en coûte 1 livre 13 chelins 4 pence à l’imprimeur. Le 13 octobre 1781, le Noir entre en prison pour y demeurer jusqu’au 8 mai 1782 : Brown paie 2 livres 10 chelins, et essaie en vain de le vendre à quelqu’un qui serait en partance pour les Antilles. Nouvelle fuite de Joe à la fin de 1785, ce qui coûte encore à Brown 10 chelins pour rejoindre le fuyard; on le met en prison, mais le 18 février 1786, au petit matin, il prend la clé des champs en compagnie du criminel John Peters : le shérif promet d’abord 5 livres pour chacun des fugitifs, puis la récompense tombe à 2 livres ; Brown s’amène et promet 3 guinées (environ 4 livres anglaises) à qui mettra la main sur son «presseur d’imprimerie»; réclamé jusqu’en juin 1786, Joe finit par revenir au bercail et même à se bien conduire puisqu’au jour de l’An 1788 ; Brown lui donne en étrennes 6 chelins 5 pence. Cela ne pouvait durer. Le 12 février 1788, le Noir obtient frauduleusement une carafe d’eau-de-vie, ce qui
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coûte 2 chelins au propriétaire ; le 20 mars, Brown paie 4 chelins pour faire scier du bois à cause de la négligence de son Noir; enfin, Joe acquiert de meilleures habitudes et, à partir de mai 1788, son maître lui donne de l’argent de poche chaque semaine. Mais Joe, devenu la propriété de Samuel Neilson, déserte une fois de plus, en août 1789, et nous le perdons de vue pour toujours. Voilà un Noir qui aura causé bien des misères à son maître. Nous avons calculé que, de 1774 à 1789, il a coûté à son maître 19 livres 3 chelins n pence 1/2, pour vols, fuites, frais de prison et médecine de bourreau; et si l’on se rappelle qu’à cette époque un «nègre» vaut 40 ou 50 livres, on est à même de constater que l’insou¬ mission de Joe devenait dispendieuse. Pour ne pas tout perdre, Brown courait après son Noir et s’appliquait à le redresser par la douceur ou par le fouet. Si ce Noir avait été soumis au Code noir, son maître aurait pu lui faire couper le jarret dès la seconde fuite, et le faire pendre après la troisième. (Sur les difficultés de Brown avec son Noir, voir l’article «Joe, nègre de Brown» dans notre Dictionnaire des esclaves.) Le seigneur Chartier de Lotbinière, contemporain de Brown, s’en tira à moindres frais de la mauvaise conduite de son nègre Michel-Henri : il le mit tout simplement à la porte4. Pour le vol, la potence
La justice criminelle des XVIL et XVIIIe siècles est très rigoureuse pour les voleurs : peu importe la valeur des articles en cause, il suffit qu’un vol ait été commis ou même tenté la nuit pour qu’il mérite la mort ; comme les rues ne sont pas éclairées et qu’il n’y a pas de guet nocturne, la sécurité des habitants est fragile : c’est pour¬ quoi on essaie de mettre un frein au maraudage de nuit en distribuant généreusement la peine de mort.
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Une nuit de janvier 1757, le Panis Constant, esclave de l’officier Paul-François Raimbault de Simblin, se met en maraude. Il franchit la clôture de pieux qui ferme la cour de la maison de la veuve Saint-Pierre ; à l’aide d’une échelle qui était appuyée contre le toit, il brise la croisée d’une chambre du grenier et pénètre à l’intérieur. La veuve, qui se trouvait là-haut, est prise de panique et se casse « le bras en descendant dudit grenier, par sa chute du haut en bas des degrés». On arrête l’intrus. Traduit devant le tribunal de Montréal, le Panis est condamné à deux heures de pilori sur la place publique, un jour de marché, et on le bannit à perpétuité de la juridiction de Montréal. Voilà une sentence bien douce, alors que le crime du Panis Constant méritait la peine de mort. Par exemple, en 1758, François Rodrigue est découvert caché dans une maison privée, « à mauvaise intention » : on le condamne à la potence et le Conseil supérieur confirme la sentence. Pourquoi si peu de sévérité à l’égard du Panis? C’est justement ce qui scandalise le procureur du roi, et il en appelle au Conseil supérieur; ce dernier, le 26 mars, se montre plus sévère : le coupable est banni de la colonie à perpétuité et il restera en prison «Jusqu’au départ du premier vaisseau de ce port qui partira pour France5 ». Au lieu d’envoyer le Panis Constant à la potence, comme le méritait sa faute, il est simplement banni de la colonie : alors qu’aux Antilles on punit les esclaves beaucoup plus durement que les personnes libres, il arrive qu’ici, pour une même faute, l’esclave est traité avec plus de ména¬ gement. En 1796, à une époque où l’on est encore pendu pour vol d’un mouton, la Panise Charlotte se voit imposer une sentence relativement douce (nous disons bien relative¬ ment) : pour avoir volé la valeur de 17 chelins 6 pence, soit un peu moins de 4 dollars de i960, on la condamne
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à être marquée d’un fer rouge dans la main et à demeurer en prison cinq mois et demi6. Il arrive que, pour avoir volé, l’esclave soit d’abord condamné à mort, puis grâcié. Le cas le plus surpre¬ nant est celui de cette Noire Ann Wiley qui, en compa¬ gnie de Jean Coutencineau, un Blanc, vole une bourse de 6 guinées (une trentaine de dollars de i960) : le 25 mars 1775, Philippe Dejean, juge de paix à Détroit, les condamne tous deux à la potence. Or il n’y a pas de bourreau : que faire? Dejean recourt à un truc très simple : il offre la vie sauve à la Noire à condition qu’elle procède à l’exécution de son blanc complice ; elle accepte avec plaisir, pend le Blanc et s’en va. Pour la première fois, croyons-nous, justice avait été faite par un bourreau féminin. La population de Détroit fut fort indignée de ce spectacle d’un Canadien pendu par une « négresse », et le juge Dejean, menacé de poursuite, s’empressa d’aller se réfugier chez les Illinois. Le Noir Alexander Webb put s’en tirer à aussi bon compte. On l’arrête en 1785 pour vol avec effraction : il y a avec lui quatre autres voleurs ; on les condamne tous à la potence. Le soir du 15 juin, à Québec, on mène donc les cinq condamnés au gibet des Hauteurs d’Abraham, mais voici qu’à la minute ultime, au moment de leur passer la corde au cou, le Noir et deux confrères reçoivent leur pardon7. La même aventure arrive au mulâtre Thomas dit Tom : au printemps de 1795, pour avoir volé dans une maison la somme de 40 chelins (environ 8 dollars de i960), il est condamné à mourir sur la potence, mais le gouverneur Dorchester lui accorde le pardon8. N’allons pas croire, cependant, que les esclaves coupables d’avoir volé étaient chaque fois sauvés de la corde. En 1735, le Noir Jean-Baptiste-Thomas, qui appar¬ tient à Louise Lecompte-Dupré (veuve du marchand Jean-Antoine Magnan-Lespérance), est arrêté pour vols domestiques en même temps qu’un nommé François
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Darles, celui-ci étant coupable de recel. Le 22 juillet, l’un et l’autre sont condamnés à la pendaison. Or la sentence du tribunal de Montréal portait que la potence serait dressée devant la maison même de la veuve MagnanLespérance, propriétaire du Noir. La veuve ne fut pas trop enchantée à l’idée de voir une pendaison à sa porte et elle en appela au Conseil supérieur. On recommence le procès : le Noir Jean-Baptiste-Thomas et son complice Darles sont soumis à la question ordinaire et extraordi¬ naire par la torture, et le Conseil confirme la sentence de Montréal, en apportant une modification importante, aux yeux du moins de la veuve Magnan-Lespérance : la potence sera dressée sur la place du Marché9. Pendue aussi pour vol, la Montagnaise Marianne. En service chez l’officier Alexandre Dagneau-Douville à Montréal, elle est surprise à voler la nuit chez son maître :
le
tribunal
la
condamne, le
20 septembre
1756, à être pendue devant la maison de ce DagneauDouville. Le spectacle ne pouvait être plus intéressant pour Dagneau-Douville que pour la veuve MagnanLespérance, mais cette fois c’est la condamnée qui en appelle au Conseil supérieur en faisant valoir qu’elle est enceinte. On conduit donc la Montagnaise à Québec ; le Conseil étudie l’affaire et confirme la sentence ; toutefois, on devra d’abord s’assurer si la Montagnaise est enceinte ou non : le chirurgien-major de l’Hôtel-Dieu de Québec, accompagné d’une sage-femme, procède à l’examen et conclut que la grossesse alléguée n’est qu’une feinte. Et le 20 novembre 1756, à trois heures de l’après-midi, la Montagnaise meurt au gibet de Québec10. Le Noir Josiah Cutan, qui appartient en commun au marchand John Askin et au traiteur Arthur McCormick, pénètre par effraction dans la maison de Joseph Campeau, à Détroit, au cours de la nuit du 28 octobre 1791, et s’em¬ pare de divers articles. On l’arrête immédiatement et on le conduit en prison pour y attendre le procès. En mai 1792,
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pendant que l’esclave est toujours prisonnier John Askin achète la part de McCormick et devient à ses risques le propriétaire unique du Noir. Le 6 septembre 1792, celuici comparaît en Cour et plaide non coupable; le lende¬ main, on fait entendre les témoins, le procureur prononce son réquisitoire et le jury déclare le Noir coupable. Le 10 septembre, le juge le condamne à la potence pour vol nocturne avec effraction et le semonce vertement : « This Crime is so much more atrocious and alarming to society, as it is committed by night, when the world is at repose, and that it cannot be guarded against without the same précautions which are used against the wild beasts of the for est, who like you, go prowling about by night for their prey. A member so hurtful to the peace of society, no good Laws will permit to continue in it11.» Le Noir fut donc pendu : c’était la première exécution légale depuis la formation politique du Haut-Canada; l’histoire de la potence dans le HautCanada s’ouvre sur un esclave noir. A ce catalogue macabre ajoutons une pendaison de 1827 : le pittoresque de la cérémonie en vaut la peine; et d’ailleurs il s’agit toujours d’un Noir, peut-être encore en servitude. En compagnie de deux frères Monarque, de William Ross et de Benjamin Johnson (ce dernier, âgé de seulement 18 ans), le Noir Robert Ellis qui est protes¬ tant a commis un vol avec effraction au presbytère de la Pointe-Lévy : ils sont tous condamnés à la potence, mais les frères Monarque ont eu le loisir de s’évader. Donc, le samedi 21 avril 1827, à la potence qu’on a érigée devant la prison de Québec, on amène le Noir Ellis et ses deux complices Ross et Johnson. Selon la coutume alors en usage, Ross s’adresse à la foule et lui parle durant 10 ou 15 minutes ; le Ellis y va lui aussi de son discours funèbre, tout comme le jeune Johnson; malheureuse¬ ment, la presse ne nous a pas conservé le testament spiri¬ tuel du Noir : nous savons seulement qu’il a soutenu
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son innocence jusqu’au bout et qu’il a subi son sort avec indifférence12. Plus heureux le voleur, quand le maître se charge de la justice, ainsi que ce fut le cas du Noir Joe : quand il commet un vol, son propriétaire, William Brown, le met en prison et le fait fouetter à ses propres frais ; si Joe avait été remis à la justice, il serait probablement monté à la potence. Plus heureux encore, évidemment, le voleur qui trouvait son salut dans la fuite. Ce qui arriva au Noir Bruce, esclave du lieutenant-colonel et seigneur Gabriel Christie : âgé de 35 ans environ, «grand et bien fait», il est soupçonné d’avoir, la nuit du 4 au 5 septembre 1777, volé des liqueurs, du savon, du sucre et autres choses dans la cave de John Jones à Montréal; il disparaît et il ne semble pas avoir été rejoint. Ce vol nocturne ne pouvait être expié que par la pendaison. En 1794, Isaac, Noir d’Azariah Pretchard (de Richmond, en Gaspésie), s’est aussi enfui après divers vols ; on promet une récompense de 20 piastres à qui le fera arrêter : c’est un Noir de près de 6 pieds, qui parle l’anglais, le français et le micmac13. Le haut prix auquel sa tête est mise nous permet de supposer que s’il est fait prisonnier, il n’aura qu’une desti¬ nation : la potence. Aux galères pour avoir violenté une fille
Le Panis Jacques, âgé d’environ 40 ans, se com¬ promet en 1734 dans une affaire criminelle. Ce Panis avait, dès son enfance, connu des propriétaires suc¬ cessifs. Sous prétexte qu’il a été battu par Lapérade, le Panis Jacques prend la fuite : il erre dans les pays d’en haut, se rend à Michillimackinac, et même jusqu’aux Illinois ; on le retrouve plus tard en Acadie où il épouse une Micmacque; devenu veuf, il se marie à une autre Amérindienne d’Acadie dont il a cinq enfants : sa famille se disperse bientôt puisque deux de ses enfants vivent
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au Lac-des-Deux-Montagnes, alors que les trois autres demeurent en Acadie. C’est ce Panis qui erre du côté de Champlain, à la fin de juin 1734. Le jour de la Saint-Jean-Baptiste, alors que tout le monde est à la grand-messe, la fille de René Durand, appelée Marie-Joseph, est demeurée à la maison comme gardienne : au cours de la matinée, elle monte vers le bois chercher une vache ; on entend crier la fille et elle disparaît. Dès que les gens reviennent de la messe, on organise une battue, persuadé d’abord que Marie-Joseph Durand a été dévorée par un ours. Son oncle Jean court vers l’endroit d’où l’on a entendu crier Marie-Joseph, il découvre une piste qu’il suit sur une distance d’une lieue, et finalement, qu’aperçoit-il? le Panis Jacques «qui s’ac¬ commodait sa ceinture, et Marie-Joseph à une jambée à côté de lui n’ayant sur elle que sa chemise et son mantelet tout ouvert » ; elle portait des égratignures à la gorge et à l’estomac : de toute évidence, il y avait eu enlèvement et au moins tentative de viol. On s’empare du Panis ; pour se tirer d’affaire, il raconte qu’il fait partie d’un groupe de Micmacs qui sont venus, au service des Anglais, faire des prisonniers, et il se dit prêt à dénoncer la retraite de ceux qui l’accompagnent. Les habitants refusent de le croire, ils le conduisent aux Trois-Rivières où commence son procès le 7 juillet suivant. Au cours des interrogatoires, le Panis se défend d’avoir fait violence à la fille pour en jouir : il voulait, ditil, simplement l’amener en Acadie pour en faire sa femme, mais il a dû la prendre à la gorge pour l’empêcher de crier. Mais puisque tu es déjà marié en Acadie, lui fait remar¬ quer le juge, tu voulais avoir deux femmes ? Et le Panis s’excuse en répondant que c’est le démon qui l’a poussé à cette mauvaise action. Or ce démon importunait fort le Panis Jacques, car on soupçonnait le Panis d’avoir tenté semblable enlè¬ vement du côté de Berthier-en-Haut. Interrogé sur
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cette autre affaire, le Panis reconnaît qu’il a rencontré à Berthier-en-Haut la fille d’un nommé Pichion [ ?] que sa mère envoyait chercher du blé d’Inde dans une île : comme j’étais à faire la pêche, raconte le Panis, cette fille me demanda de la passer dans l’île et de l’attendre pour la traverser de nouveau ; c’est ce que j’ai fait, mais au retour, quand je lui ai demandé de sortir du canot pour retourner chez elle, elle a refusé; apprenant que je me préparais à partir pour l’Acadie, elle décida de me suivre ; nous sommes passés à Batiscan où elle avait des parents, mais elle a refusé de débarquer; parvenu à l’Ile-aux-Oies (en bas de Québec), je l’envoie chercher du pain chez M. de Fonville, mais ce dernier la retient et il écrit au père de venir la chercher. «As-tu joui de cette fille ? », lui demande le juge ; et le Panis répond : « Oui, mais c’est la fille qui m’en a sollicité.» Nous ignorons si le juge ajouta foi à toute cette histoire d’une fille qui décide tout à coup de suivre un Panis jusqu’en Acadie, au lieu d’aller chercher le blé d’Inde que demandait sa mère... en tout cas, l’aventure survenue à la jeune Durand de Champlain n’était pas de nature à confirmer les explications du Panis. Le 14 juillet, le procureur du roi déclare que le Panis est convaincu de rapt et il requiert que le coupable soit pendu sur la place publique des Trois-Rivières. Comme la sentence du juge des Trois-Rivières n’a pas été retrouvée, il est impossible de dire à quoi le Panis a été condamné par le tribunal de première instance. Or, le 2 août suivant, le Panis compa¬ raît en appel devant le Conseil supérieur de Québec; malheureusement, la sentence rendue par ce Conseil ne figure pas au dossier du procès. Selon l’auteur anonyme d’une monographie, le Panis Jacques fut déporté pour servir sur les galères du roi : c’était la peine ordinaire pour cette sorte de crime14.
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Pendue pour avoir frappé ses maîtresses à coup de couteau
En août 1759 aux Trois-Rivières, la Panise Marie rate un suicide : cette tentative de suicide sera portée à son dossier car, sous le Régime français, le suicide raté ou réussi est passible de châtiment : le corps de la personne qui s’est «homicidée elle-même » est traîné la face contre terre par la ville, pendu la tête en bas, exposé pendant 24 heures et jeté ensuite à l’eau. Chez les esclaves, nous ne connaissons que deux tentatives de suicide. En novembre 1713, la Renarde Madelon qui appartient au gouverneur Beauharnois, veut mettre fin à ses jours, torturée par le mal du pays ou par quelque autre peine. Elle se pendit dans l’écurie du château, mais on la « trouva qui s’étran¬ glait, on l’amena [à l’Hôtel-Dieu] où elle fut soulagée » : entrée à l’hôpital le 21 novembre, elle en sort rétablie le 3 décembre suivant ; nous ignorons si le gouverneur sévit contre son esclave. Le deuxième cas est celui de la Panise Marie, mais comme sa tentative de suicide se situe après une attaque à main armée contre ses maîtresses, ce n’est pas tant le suicide raté qui retient l’attention du tribunal, que le crime extrêmement grave chez un esclave : celui de frapper des personnes revêtues de l’autorité ! Cette Panise Marie, qualifiée aussi de Cristinaude, appartenait au chevalier Joseph Boucher de Niverville, époux de Marie-Josephte Chastelain. Comme le ménage Niverville vivait sous le même toit que les beaux-parents (François Chastelain et Marguerite Cardin), la Panise Marie était en même temps servante des Chastelain. À la suite de «quelques maltraitements et gronderies», la Panise avait conçu de la haine pour ses deux maîtresses, madame Chastelain âgé de 51 ans et madame de Niverville âgée de seulement 22 ans. Or, le 20 août 1759, vers une heure et demie de l’après-midi, le drame éclate. Comme madame Chastelain ordonnait quelque besogne
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à la Panise, celle-ci refusa tout net et « de colère elle prit un couteau dont elle frappa ladite dame sans avoir envie de la tuer» : madame Chastelain reçut un coup au haut de la poitrine et un autre à l’épaule gauche. Madame Niverville intervient aussitôt et la Panise la frappe à l’épaule droite et lui fait une égratignure à l’épaule gauche. Le sang coule, les deux femmes crient au meurtre, les voisins s’amènent. Pendant qu’on s’occupe de mettre les blessés au lit, la Panise monte au grenier et là, dans un cabinet dont elle a soin de fermer la porte, elle se pend à une perche. L’officier Nicolas-Joseph Fleurimont de Noyé lie survient avec quatre soldats : il monte au grenier et aperçoit la pendue; on coupe tout de suite la corde, le chirurgien Charles Alavoine arrive à son tour, il fait porter la Panise sur un lit et, constatant des signes de vie par le pouls et par l’écume qu’elle rend par la bouche, il pratique une bonne saignée. Une demi-heure plus tard, la Panise reprend connaissance, cependant que mesdames Chastelain et Niverville se remettent de leurs blessures qui n’étaient que superficielles. Un point important, en tout cas, était assuré : la Panise échappait à la mort pour qu’on lui fasse expier son crime. On instruit l’affaire le jour même, en présence du praticien Jean Leproust qui fait fonction de juge, parce que le lieutenant général civil et criminel est absent. Ce jour-là et les suivants, de nombreux témoins viennent défiler devant le tribunal ; on les confronte avec l’accusée ; celle-ci subit plusieurs interrogatoires, en recourant au truchement de l’armurier Joseph Chevalier, qui traduit à mesure les questions et les réponses. Selon l’Amérindienne, qui ignore son âge et prétend être née dans un village cristinau, les coups avaient été donnés seulement pour faire peur et non pour tuer; elle ne pensait pas mériter de punition en maltraitant ses maîtresses et, si elle a voulu se faire mourir, c’était sans cause de regret ni de crainte. Quoi qu’il en soit, le crime était évident.
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Le 11 septembre, le juge suppléant déclare que 1 Amérindienne est convaincue « d’avoir donné des coups de couteaux mentionnés en la procédure et ensuite s’être pendue»; en conséquence, elle sera «battue et fustigée nue de verges par l’exécuteur de la haute justice dans les carrefours et lieux accoutumés de cette ville » ; à l’un des carrefours, elle sera « flétrie d’un fer chaud marqué d’une fleur de lis sur l’épaule droite», puis elle sera bannie à perpétuité de la juridiction des Trois-Rivières, après une amende de 3 livres. Fustigation, marque au fer chaud, bannissement : cette sentence parut trop douce après le grand crime dont l’esclave s’était rendue coupable. On savait peut-être que, en vertu du Code noir des Antilles comme en vertu de celui de la Louisiane, l’esclave qui frappait avec contusion de sang son maître, sa maîtresse ou leurs enfants devait être condamné à mort; ou bien on estimait simplement qu’une révolte aussi grave ne pouvait s’expier que par la pendaison. Toujours est-il que le procureur du roi en appela de la sentence du juge Proust ; le Conseil supérieur, réuni à Montréal, se montra sans pitié : le 29 décembre 1759, il décide que l’esclave expie son crime sur la potence et que son corps, exposé pendant deux heures, soit ensuite jeté à la voirie15. Mesdames Chastelain et Niverville pouvaient poursuivre leur convalescence en toute quié¬ tude : les droits de l’autorité étaient sauvegardés. Deux homicides dus à des Panis
Deux homicides volontaires et délibérés ont été accomplis par des Panis. Le premier est une véritable boucherie : il est de 1710. La première mention qui soit faite du Panis Nicolas est celle de 1709, lorsqu’il se fait à Québec un branle-bas général à la suite d’une rumeur de la venue prochaine des Anglais : le Panis Nicolas en profite pour participer à une série de vols; en 1710, on
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le soupçonne d’avoir volé des martres au sieur Brousse. C’est en cette même année qu’il commet son assassinat. Le bourreau Jacques Élie et sa femme, MarieJoseph Maréchal, étaient sans cesse l’objet de quolibets de la part de la population et, en particulier, de la part des enfants de Québec. Lassés de ce traitement, le bour¬ reau et la bourrelle songent à émigrer, et le Panis Nicolas leur offre de les conduire, par les bois, jusqu’en NouvelleAngleterre. Il s’assure un salaire de 50 livres et un habit. Il vole un canot et l’on s’embarque : le Panis Nicolas, le bourreau Jacques Élie, sa femme qui est enceinte, un enfant de 5 ans et un autre qui n’a que 14 mois. Le Panis les mène jusqu’à la rivière Duchesne, dans la seigneurie Desch aillons; et là, dans la nuit du 22 au 23 mai 1710, pour se dispenser du reste de la route, le Panis tue à coups de hache le bourreau Élie et jette le corps à la rivière; il tue aussi l’aîné des enfants, mais ne réussit qu’à blesser dangereusement la femme enceinte et le petit de 14 mois. La femme parvient à s’échapper avec ce dernier et se traîne jusqu’aux habitations, pendant que le Panis disparaît. Alors que la femme Élie, unique témoin de la tragédie, se fait traiter à l’Hôtel-Dieu de Québec, on instruit in absentia le procès du criminel. Après enquête, on le condamne à être rompu vif. Comme il est absent, on décrète que le châtiment « sera exécuté par effigie en un tableau qui sera attaché au poteau de la place publique de la basse ville» : le 21 novembre 1710, le bourreau dessina donc sur une toile le Panis Nicolas en train de se faire casser les membres à coups de barre de fer; châtiment sans douleur mais tout aussi infamant. Et il ne paraît pas que le Panis soit retombé entre les mains de la justice16. L’autre meurtre date de 1762. Clapham, marchand venu du fort Pitt à Détroit, en profite pour faire l’acquisition d’un Panis et d’une Panise. Il repart avec eux en canot, s’arrête dans les environs de Presqu’Isle, sur la rive sud du lac Erié; comme il reçoit la visite
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d’Amérindiens, il sert du rhum à tout le monde : les deux esclaves profitent de la fête pour assassiner leur nouveau maître : ils lui coupent la tête, pillent les bagages, brûlent les papiers et vont se réfugier en pays amérindien. Le Panis et la Panise sont cependant livrés par les Amérindiens au colonel Donald Campbell qui commande à Détroit. Les Amérindiens s’offrent à brûler eux-mêmes les criminels. L’affaire fut soumise d’abord par Campbell au colonel Henry Bouquet, puis par ce dernier à William Johnson, surintendant des Amérindiens ; finalement, le ier octobre 1762, le commandant en chef Jeffery Amherst décida qu’il valait mieux que justice soit faite par la garnison anglaise plutôt que par les Amérindiens eux-mêmes; le major Gladwin, de Détroit, reçut l’ordre de faire comparaître les deux accusés devant une cour martiale. Le Panis eut toutefois le temps d’échapper à la justice et s’enfuit dans le pays des Illinois. La Panise eut moins de veine : elle demeura sous bonne garde, fut condamnée et pendue1?. L’incendie de Montréal
Le crime le plus spectaculaire qu’un esclave ait accompli dans notre histoire, est celui de la Noire Angé¬ lique (appelée aussi Marie-Joseph-Angélique). Esclave d’un marchand de Montréal, François Poulin de Francheville, elle a environ 21 ans lorsqu’on la baptise le 28 juin 1730 : elle est alors enceinte des œuvres de César, esclave noir d’Ignace Gamelin; en janvier 1731, elle donne nais¬ sance à Eustache ; mais elle ne s’en tient pas à si peu : en mai 1732, elle met au monde des jumeaux et déclare que c’est encore du fait de César. Puis, la Noire Angélique semble délaisser ce premier amant pour tomber dans les bras d’un Blanc, Claude Thibault. Or un nuage vient assombrir ce roman d’amour : la Noire acquiert en 1734 la conviction que sa maîtresse, Thérèse Decouagne devenue veuve de Francheville, se
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prépare à la vendre. La Noire alors se dispose à fuir vers la Nouvelle-Angleterre en compagnie de son amant. Pour mieux ménager sa fuite, ou pour se venger, dans la soirée du io ou 12 avril 1734, elle met le feu à la maison de la maîtresse, rue Saint-Paul, et s’enfuit. La maison devient bientôt un brasier. Les voisins, constatant que les flammes menacent leurs demeures, se hâtent de transporter leurs meubles et effets chez les religieuses de l’HôtelDieu; mais les flammes continuent de progresser d’une maison à une autre; elles se communiquent à l’HôtelDieu, brûlant le couvent et l’église, sans que les reli¬ gieuses puissent sauver grand-chose (c’était le troisième incendie général de l’Hôtel-Dieu). Et le feu de continuer à s’étendre par la ville : quand il s’arrêta, il avait consumé 46 maisons. Pendant cette conflagration, la Noire avait eu tout le loisir de fuir avec son bien-aimé. Mais la justice a le bras long et, moins heureuse que son amant, la Noire Angélique tomba en cours de route entre les mains des officiers de la maréchaussée. Mise en prison et jugée par le tribunal de Montréal, au milieu d’une ville encore fumante, la Noire reçut sa sentence le 4 juin : Faire amende honorable nue en chemise, la corde au cou, tenant en ses mains une torche ardente du poids de deux livres au-devant de la principale porte et entrée de l’église paroissiale de la ville de Montréal, où elle sera menée et conduite par l’exécuteur de la haute justice dans un tombereau servant à enlever les immondices, ayant écriteau devant et derrière avec le mot incendiaire et là nu-tête et à genoux déclarer que méchamment elle a mis le feu et causé ledit incendie dont elle se repent et en demande pardon à Dieu, au roi et à la justice, ce fait avoir le poing coupé sur un poteau qui sera planté audevant de ladite église, après quoi sera menée par ledit exécuteur dans le tombereau à la place publique pour
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y être attachée à un poteau avec une chaîne de fer et brûlée vive, son corps réduit en cendres et icelle jetée au vent.
Voilà une sentence qui dans l’esprit des sinistrés pouvait prétendre couvrir l’ampleur du crime : prome¬ nade dans un tombereau à immondices, amende hono¬ rable devant l’église paroissiale, avoir le poing coupé, être brûlée vive et tout cela précédé d’une bonne torture par la question ordinaire et extraordinaire pour tirer, de la Noire, l’aveu le plus circonstancié. Angélique en appela au Conseil supérieur : on lui fit donc faire le voyage à Québec. Par sa décision du 12 juin, le Conseil maintint la condamnation à mort, mais en modifiant d’importants détails du châtiment : comme le spécifiait la première sentence, la Noire serait conduite dans un tombereau à vidanges jusqu’à la porte de l’église paroissiale pour y faire amende honorable, mais elle n’aurait pas le poing coupé; ensuite, menée à la place publique, on la pendrait d’abord et ce n’est qu’après la mort qu’on la brûlerait. Le Conseil supérieur tenait donc compte de la responsabilité partielle de la Noire dans ce sinistre de Montréal. Et on la ramena à Montréal pour qu’elle subisse sa peine sur les lieux de son crime et en présence de la population indignée. Le 21 juin, dans la prison de Montréal, la Noire fut d’abord soumise à la torture : elle avoua son crime, mais seulement après quatre tentatives du tortionnaire, et elle persista courageusement à ne dénoncer aucun complice. Dans l’après-midi, à trois heures, le greffier se présente à la prison et fait lecture de la sentence ; le sulpicien Navetier entend la condamnée en confession, puis Angélique est remise au bourreau : c’est probablement le Noir Mathieu Léveillé. À bord du tombereau à vidanges, la Noire se rend à l’église paroissiale pour l’amende honorable; la cérémonie rituelle accomplie, le tombereau reprend sa
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Deux siècles d’esclavage au Québec
marche mais, pour atteindre la place publique, on a soin de faire un long détour par les lieux de l’incendie afin que la coupable se rende bien compte de l’ampleur de son crime. Enfin, parvenue au terme de la promenade funèbre, l’esclave Angélique est pendue ; on brûle ensuite le cadavre et on en jette les cendres au vent18. Entre temps, on s’était mis à la recherche de l’amant, Claude Thibault. Le 19 avril 1734, neuf jours après la confla¬ gration, l’intendant Hocquart publiait une ordonnace pour obliger les capitaines de milice à arrêter ce Thibault qu’on soupçonnait d’avoir, avec la Noire Angélique, allumé l’incendie de Montréal. Mais Thibault avait eu neuf jours pour échapper aux capitaines de milice et il demeura introuvable. Deux ans plus tard, en avril 1736, le roi approuva l’intendant « de ne pas faire supporter de nouveaux frais au domaine » par la recherche du présumé complice; on devait considérer «que la Négresse qui a causé l’incendie de Montréal n’avoir qu’avoué son crime sans révélation d’aucun complice. Que les soupçons qu’on avait eus contre le nommé Thibault ne roulaient que sur sa fuite et sur quelque liaison de débauche avec cette Négresse, et que par les recherches qu’on a faites depuis on n’a pu rien découvrir contre lui19 ». Crimes des esclaves, actes isolés
L’incendie de Montréal, allumé par une esclave noire, n’a absolument rien d’une révolte générale contre la société; c’est un crime individuel tramé contre une seule personne, la veuve Francheville, pour favoriser une intrigue amoureuse. Il n’y a pas eu au Canada de révolte massive des esclaves comme la chose s’est produite dans d’autres colonies, par exemple, dans la Nouvelle-Orléans en 1731, où il s’était tramé un complot pour préparer un soulèvement. Les Noirs de la Nouvelle-Orléans devaient se soulever à l’occasion d’une grand-messe paroissiale,
Crimes et châtiments
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brûler les maisons et s’enfuir; le complot fut éventé par une Noire : parmi les coupables, une femme fut pendue et quatre hommes rompus vifs20. Certes, dans une requête présentée à la Chambre d’assemblée en 1799 par Joseph Papineau pour assurer les droits des propriétaires sur leurs esclaves, il est dit qu’à la suite de la libération d’une Noire l’année précédente, «les Nègres dans la cité et district de Montréal menacèrent d’une révolte géné¬ rale21». En fait, il ne s’agit pas d’une menace de révolte, mais d’une menace de désertion générale : la Noire dont il est question était poursuivie par son maître pour avoir fui, mais le juge, qui était opposé à l’esclavage, s’était refusé à condamner une personne qui était pousuivie tout juste à titre d’esclave fugitif. Les autres esclaves, paraît-il, forts de cette décision du juge, auraient eu l’intention d’imiter la Noire dans sa fuite. À aucun moment de notre histoire, il n’est fait mention d’une insurrection armée (ni même de projet) de la population esclave. Les crimes sont des actes isolés dirigés contre des individus. Sur les 4185 esclaves que notre société compterait en 2 siècles, il ne se serait donc trouvé que 18 criminels. Il s’agit pourtant d’esclaves qu’on a tirés de leur milieu pour les réduire en servitude dans une société qui n’est pas la leur, et d’esclaves qui n’ont reçu tout juste que les rudiments de l’instruction chrétienne. On s’attendrait normalement de leur part à une résistance brutale aux lois ordinaires de la société dans laquelle, bien malgré eux, ils ont été transplantés. Or sur près de 4200 esclaves, à peine une vingtaine se classent parmi les criminels. Nous remarquons, de plus, que les châtiments sont ici généralement moins rigoureux qu’aux Antilles, et l’on va même jusqu’à punir moins sévèrement des esclaves que des personnes libres : on a, par exemple, déporté des esclaves pour des fautes qui ont conduit des Canadiens à la potence. Et lorsqu’on applique la rigueur de la loi, l’esclave reçoit le même traitement qu’une personne libre :
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Deux siècles d’esclavage au Québec
il comparaît devant le même juge, il peut en appeler au Conseil supérieur et le châtiment lui est imposé dans les mêmes conditions qu’à tout criminel. Evidemment, cela vient en partie du fait que les esclaves, peu nombreux, ne constituent pas une menace particulière pour la société. En tout cas, cette égalité de l’esclave et de l’homme libre devant la loi et, en même temps, cette grande rareté de criminels démontrent, une fois de plus, l’intégration normale de l’esclave dans notre société.
Crimes et châtiments
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► NOTES 1
Aubert de Gaspé, Divers, 11.
2 APQj Collection de pièces judiciaires et notariales, 502 ; Plumitif du Conseil Supérieur, du 20 septembre 1714 au 9 mars 1716. 3 4
Document du 20 août 1638, ASC^Documents Faribault, 17. Severance, An Old Frontier of France, I, 288-290; Gosselin, L'Église du Canada, II, 158s.
5 Inventaire de 1800, dans RAPQ, 195-513,390. 6 Inventaire des jugements et délibérations du Conseil Supérieur, 1716 à 1760, II, 211. 7
Gazette de Montréal (éditée par Roy), 14 mars 1796, p. 2.
8
Gazette de Québec, supplément n°io34, p. 2, nouvelle du 16 juin.
9 Ibid., 26 mars 1795, p. 3; 7 mai, p. 2. 10 APQ^Registre criminel, IV,
28V.-32V.
11 Inventaire des jugements et délibérations du Conseil Supérieur, II, 202s. 12
Pièces du procès dans Riddell, Michigan Under British Rule, 347-355, 456s ; voir aussi The John Askin Papers, 1,410s.
13
Gazette de Québec, 23 avril 1827, p. 2.
14 Ibid., supplément du 22 mai 1794, p. 1; supplément du 29 mai, p. 2; 5 juin p. 4. 15 APQi Procédures judiciaires. Matières criminelles, 1730-1751, IV, 2132i6v., 22iv.-223r., 229P 233,238r., 241. 16 APQj Procédures judiciaires. Matières criminelles,
1752-1759,
VT,
337-
397V.
17 APQj Collection de pièces judiciaires et notariales, dossier 447; Procé¬ dures judiciaires. Matières criminelles, 1706-1730, III, 191s., 238-251. 18 W.R. Riddell, Michigan Under British Rule, 29-31. 19 APQj Registre criminel, IV, 24-26 ; Procédures judiciaires. Matières criminelles, IV, feuille 237.
20 Inventaire des ordonnances de l'intendant, II, 161; lettre à Beauharnois et à Hocquart, 19 avril 1735, dans APQ^ Ordres du Roi, 3-4, série B, v. 64 (1736), 542. En 1981, Paul Fehmiu Brown a publié un récit de cette affaire, sous le titre Ces Canadiens oubliés, tome 1 (chez Aquarius); et Micheline Bail en a fait le sujet d’un roman historique, L’Esclave, paru en 1999 chez Libre Expression. 21
Charlevoix, Histoire, IV, 294s.
'
CHAPITRE IX
L’esclave a-t-il des droits d’homme libre?
L
eur servitude mise à part, les esclaves du Canada français sont soumis à des conditions de vie qui ne
diffèrent pas tellement de celles de leurs maîtres et ils participent aux sacrements de l’Eglise de la même façon que les personnes libres. Mais ces esclaves, qui semblent posséder au Canada français un état privilégié, jouissentils devant la loi de certaines prérogatives des hommes libres? Peuvent-ils même accéder à l’affranchissement?
L’esclave comme témoin Le Code noir de 1685 (il en est de même de celui de 1724) ne reconnaissait à l’esclave aucune capacité juri¬ dique : il est mineur devant la loi et il ne peut aucune¬ ment agir que par son maître. Ces dispositions du Code noir n’ont pas été appliquées en toute rigueur chez nous. Plusieurs fois nous voyons des esclaves agir à titre de témoins, sur le même pied d’égalité que les personnes libres. Nous en trouvons à la cérémonie du baptême, qui tiennent lieu de parrains : plus haut, au chapitre des sacre¬ ments, nous avons compté 46 cérémonies de baptême
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Deux siècles d’esclavage au Québec
au cours desquelles les parrains sont des Noirs ou des Amérindiens ; et le nombre eût été beaucoup plus élevé si les Canadiens, pour leur part, ne s étaient fait un honneur de servir de parrains à leurs esclaves. Quoi qu’il en soit, le nombre des esclaves qui sont ainsi parrains est assez élevé pour que nous puissions conclure qu’en ce domaine il n’y a guère de différence entre l’esclave et l’homme libre. Les esclaves servent encore de témoins au mariage de leurs congénères : en 1750, au mariage de JosephHippolyte dit l’Espiègle, esclave noir de Leber de Senneville, deux Noirs sont mentionnés comme témoins ; sous le Régime français, c’est là un cas d’exception, parce qu’au mariage comme au baptême, les propriétaires ont l’habitude d’être les témoins. Sous le Régime anglais, l’usage veut que les esclaves soient les témoins d’un mariage d’esclaves. Il faut en dire autant de l’inhuma¬ tion. Ce sont là, à vrai dire, de très minces détails : agir comme témoins au mariage ou à l’inhumation n’a abso¬ lument pas l’importance du témoignage qu’un esclave rendrait dans une cause civile ou criminelle, mais n’em¬ pêche que le nom du témoin d’une cérémonie religieuse est inscrit dans le registre d’état civil et qu’il contribue à donner au baptême, au mariage ou à l’inhumation son caractère légal.
Une esclave se prétend libre Certains procès que soulèvent des esclaves permet¬ tront de mieux voir à quel point ces gens en servitude peuvent exercer des prérogatives d’hommes libres. Le premier procès survient à l’automne de 1740 lorsque le lieutenant Marc-Antoine Huart, chevalier Dormicourt, conclut un marché avec Aubry, en partance pour les Antilles, pour qu’il prenne à son bord et revende là-bas la Panise Marie-Marguerite.
L’esclave a-t-il des droits d'homme libre ?
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Réduite toute jeune en esclavage, la Panise MarieMarguerite avait connu plusieurs propriétaires. D’abord donnée en 1726 à René, voyageur de Laprairie, associé de François-Antoine Duplessis-Fabert à la Baie des Puants (lac Michigan), il l’envoya en cadeau à l’épouse de ce Duplessis-Fabert qui demeurait à Montréal chez le marchand Etienne Volant de Radisson; baptisée le 8 juillet 1730 à l’âge d’environ 12 ans, on la présente alors comme propriété de ce même Duplessis-Fabert; l’année suivante, sous le nom de Marguerite Duplessis, elle reçoit le sacrement de confirmation. Le propriétaire meurt en 1733, mais la Panise continue de demeurer chez Volant de Radisson; celui-ci décède à son tour en 1735; c’est alors que la Panise doit quitter la maison où elle demeurait depuis une dizaine d’années, et le frère de feu Duplessis-Fabert la vend au négociant Jean-Louis Fornel. En septembre 1740, elle entreprend, paraît-il, des démarches pour devenir propriété d’un Bailly de Messein et, de la part de ce Bailly, elle offre à Fornel le même prix qu’il l’avait payée; Fornel refuse et la Panise devient la propriété non pas du maître qu’elle avait souhaité, mais du chevalier Dormicourt. Celui-ci eut tôt fait de regretter son emplette. Assez dépourvue côté physique, (elle n’avait qu’un œil), privée d’une demeure stable depuis la mort de Volant de Radisson, la Panise Marie-Marguerite aurait donné, selon le témoignage de Dormicourt, dans le vice, le liber¬ tinage et le vol. Il décide donc de la faire vendre aux Antilles : Aubry se charge de l’affaire et, en attendant que le bateau soit prêt à appareiller, le chevalier Dormicourt met la Panise en prison. De sa geôle, elle trouve moyen d’intéresser certaines gens à son sort. Ce sont, suivant Dormicourt, « des prêtres et des moines». Un praticien se présente pour défendre l’esclave car, sous le Régime français, les avocats ne
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230
pouvant exercer leur profession, on ne peut recourir qu’à des gens de loi, plus ou moins improvisés qu’on appelle praticiens. Avait-il été retenu par des gens d’Eglise ou s’était-il présenté de lui-même, nous l’ignorons. En tout cas, il ne semble pas être la fine fleur du palais : de ce Jacques Nouette qui va se charger de défendre la Panise, on ne sait rien sauf qu’il fut prati¬ cien ; le chevalier Dormicourt affirme même au cours du procès que ce praticien est sans feu ni lieu : ce qui équi¬ vaut à un état d’ignominie. Voilà le praticien qui prend en main la cause de la Panise et va sortir tous les arguments pour qu’elle ne soit pas exilée. Le
Ier
octobre 1740 (à moins que ce soit quelques
jours plus tôt), la Panise que l’on garde dans «une étroite prison», soumet à l’intendant Hocquart une requête. Se présentant comme fille naturelle de feu François-Antoine Duplessis-Fabert, elle remontre que Dormicourt « s’étant imaginé [qu’elle] était son esclave, la retient sans raison dans les fers. Il est cependant certain, continue la requête, que quoique la supliante n’ait l’avantage d’être le fruit d’un mariage légitime, elle n’est pas née d’une esclave, et que par conséquent elle est née libre». C’était là son premier argument. Elle en apporte un second. On lui conteste, pour¬ suit le mémoire, son état de liberté « dans le temps même qu’étant sur les terres et l’obéissance de Sa Majesté, qui sont un pays de liberté pour tous ceux qui, comme la suppliante, font profession de la religion catholique apostolique et romaine, son esclave cesserait par la raison qu’elle serait par là devenue sujette du roi». Si le prati¬ cien Nouette est sans feu ni lieu, il n’est pas sans ingé¬ niosité : si j’étais esclave, fait-il dire à la Panise, mon esclavage cesserait du fait qu’étant en terre française je suis baptisée. Toutefois, le praticien abuse des textes : les terres du roi de France sont un refuge contre l’escla¬ vage, d’accord, mais un édit de 1716 avait tout de même
L’esclave a-t-il des droits d’homme libre ?
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marqué d’une façon bien nette la distinction entre la France continentale et ses colonies, et ce même édit avait encore précisé que tout esclave qui arrive en France n’ac¬ quiert pas nécessairement sa liberté ; on avait cependant raison de rappeler que depuis 1627 le baptême catholique suffisait pour naturaliser l’Amérindien et lui assurer les privilèges du «naturel français», mais il ne fallait pas oublier que l’ordonnance de Raudot en 1709 avait léga¬ lisé l’esclavage. Le praticien posait donc deux problèmes sérieux : cette Panise se déclarait fille naturelle d’un offi¬ cier; elle soutenait que même si elle était née esclave, son baptême et sa vie en terre française l’avaient libérée de la servitude. L’intendant Hocquart prend connaissance de cette requête et renvoie l’affaire devant le tribunal de première instance, la prévôté de Québec. Le lieutenant général civil et criminel somme alors Dormicourt de comparaître : le défendeur se présente le 4 octobre. Que va-t-il répondre aux prétentions de la Panise ? [Il se dit] surpris de voir des prêtres et des moines armer sourdement contre lui sans en avoir été prévenu pour lui suborner son esclave et de voir les gens d’Eglise sacrifier sans preuve la réputation d’un honnête [feu DuplessisFabert] pour ménager une gueuse et une coquine qui devrait être chassée honteusement d’un pays pour ne lui pas donner lieu de pervertir par son libertinage bien du monde et pour empêcher le scandale, [ce qui est cause] qu’on a mieux aimé la vendre pour les Iles que de la laisser à la justice à cause de ses vols domestiques. Après ce réquisitoire contre les ecclésiastiques et contre sa Panise, Dormicourt en vient à la prétendue filiation naturelle : « On a inventé qu’elle était fille de feu monsieur Duplessis. C’est une calomnie, je demande rétractation. C’est calomnier un honnête homme sans
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Deux siècles d’esclavage au Québec
preuve, il est même impossible d’en donner pour procurer cette filiation.» Dormicourt raconte alors comment cette Panise est arrivée à Montréal en qualité d’esclave, pour devenir finalement esclave de Fornel et de lui-même. Mais elle porte un nom de famille! Dormicourt prévient l’objection: «Ladite esclave a toujours porté le nom Marguerite Radisson, par ce que ledit sieur Radisson l’avait fait baptiser. Et quand bien même elle aurait porté le nom de Duplessis, cela ne prouve rien. Il est ordinaire en ce pays de voir les esclaves porter le nom de leur maître quoi qu’il n’y ait ni paternité ni filia¬ tion entre eux, c’est un usage reçu.» Le nom de famille, conclut donc Dormicourt, ne prouve rien. S’il y a filia¬ tion, elle ne peut, dit-il, se prouver que par l’aveu du père ou par l’extrait de baptême; or l’esclave a été baptisée à Montréal «comme originaire de la nation de Panis sans faire mention du père ni de la mère » ; les Panis sont reconnus esclaves parmi nous et plusieurs messieurs en ont envoyé aux Antilles pour y servir d’esclaves. Bien plus, continue Dormicourt, quand bien même un père français reconnaîtrait une esclave pour sa fille, cela ne changerait pas l’état de servitude : «Un enfant qui sort d’une mère esclave et qui a un père français est reconnu esclave telle est la loi qu’on suit en Amérique : la même loi doit subsister en ce pays, pour les sauvages esclaves, il n’y a que le roi qui puisse prononcer à ce sujet pour en faire différence.» Dormicourt termine par un argument ad hominem : la Panise Marguerite
a toujours
reconnu
son état
d’esclavage, et encore le mois dernier, elle a voulu se faire acheter par le sieur Bailly de Montréal, en offrant de la part de ce dernier à Fornel la somme quelle avait coûté : « Sans la charité mal entendue de quelques gens d’Église, elle n’aurait jamais pensé à sa liberté.» Et quelle est cette protégée des gens d’Eglise? «Cest un mauvais sujet capable de causer bien du désordre et du scandale par son
L’esclave a-t-il des droits d’homme libre ?
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libertinage, il a mieux aimé la vendre que de la dénoncer à la justice à cause de ses vols ; c’est une gueuse et une libertine, une voleuse, une ivrognesse qui joint à cela bien d’autres défauts, voilà le sujet qui excite la charité des gens d’Eglise.» Bref, Dormicourt demande qu’il lui soit permis de faire embarquer tout de suite sa Panise pour les Antilles. Comme il importait de savoir en quelle qualité elle avait été baptisée, le tribunal ordonne à Nouette de présenter dans les 15 jours l’extrait de baptême de cette Panise. Ce délai de 15 jours était au désavantage de Dormicourt : il compromettait tout à fait le départ pour les Antilles, car en cette saison tardive les bateaux ne pouvaient plus attendre. C’est pourquoi, le 6 octobre, Dormicourt fait sommer Nouette de «fournir et bailler caution [...] pour dommages, dépens [frais judiciaires], frais de procédure, intérêt civil pour plus longue déten¬ tion». A la Panise revenait donc le fardeau de la preuve : à elle de prouver sa filiation naturelle, et la Cour avait chargé le praticien Nouette de fournir cette preuve en produisant l’extrait de baptême. Or la Panise, sur les conseils du praticien ou des gens d’Eglise, préféra ne pas attendre l’extrait de baptême. Elle savait peut-être que cette pièce déposerait contre elle ; en effet, l’acte de baptême se lit comme suit : « Ce huitième jour de juillet de l’an mil sept cent trente a été baptisée Marie Marguerite Panise appartenant à monsieur Duplessis Capitaine âgée d’environ 12 ans ». Il valait mieux que cette attesta¬ tion de servitude n’apparaisse pas en Cour. Le 8 octobre, elle s’adresse donc de nouveau à l’intendant Hocquart et demande la permission d’en appeler au Conseil supérieur, « attendu que la cause requiert célérité », et elle demande que Dormicourt soit condamné à payer 3 000 livres de dommages et intérêts : elle n’y allait pas de main morte. L’intendant lui permit d’aller en appel.
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Deux siècles d’esclavage au Québec
Le Conseil supérieur se réunit en séance extraordi¬ naire le 17 octobre. Jusque-là, la Panise portait le fardeau de la preuve; Nouette va soutenir qu’au contraire le fardeau de la preuve revient à Dormicourt : «Une fille qui se prétend libre et qu’on soutient esclave, sans titres sans possession qui prouve son esclavage, est-elle tenue de prouver un état d’esclavage quelle conteste? C’est l’affirmative ridicule de cette proposition qu’adopte la sentence dont est appel.» En somme, soutient Nouette, c’est à Dormicourt de prouver quelle est son esclave. Ce dernier répond que Nouette n’est pas habilité à servir de procureur à une esclave, puisqu’une esclave, étant morte civilement, ne peut ni ester en justice ni contracter validement sans le consentement de son maître ; seul le procureur du roi peut prendre fait et cause pour elle ; quant au praticien, il n’a ni feu ni lieu et il ne peut se porter garant des frais et dommages. Après ces nouveaux arguments ad hominem, Dormicourt rejette la proposition de recourir à l’extrait de baptême, pour deux raisons : l’extrait baptistaire qu’on exige ne peut être un moyen suffisant, les père et mère des Amérindiens n’étant pas mentionnés, les baptisés étant présentés seulement «comme sauvages, panis ou autres appartenant à un tel», bref l’extrait baptistaire ne peut prouver que le baptême. Deuxièmement : la preuve que l’on demande prendra trop de temps, car je suis sur le point de faire embarquer la Panise pour les Antilles et, si elle manque le départ, sa nourriture et sa pension jusqu’à l’automne prochain me seraient trop onéreuses. Je consentirais plutôt à sa mise en liberté, affirme Dormicourt, à condition qu’on me rembourse le prix d’achat, la pension de la prison et les frais de justice; et il ajoute méchamment : «Puisqu’il se trouve tant de personnes charitables qui s’intéressent pour la conservation d’un mauvais sujet atteint de liberti¬ nage, d’ivrognerie et de vol domestique, cette proposition
L'esclave a-t-il des droits d’homme libre ?
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doit exciter leur zèle inconsidéré et leurs prétendues charités.» Le Conseil supérieur décide, ce même jour, de renvoyer les parties devant l’intendant, et celui-ci confie à son subdélégué, Estèbe, d’entendre une dernière fois Dormicourt et Nouette. Dormicourt fait comparaître deux témoins, René Bourassa et Nicolas Sarrazin : l’un et l’autre déclarent qu’étant à la Baie des Puants en 1726, ils ont reçu d’un « sauvage » une Panise qui n’avait qu’un œil, qu’ils ont envoyé cette Panise en présent à l’épouse de Duplessis-Fabert, qu’ils ont toujours vu cette Panise chez feu Radisson où demeurait la dame Plessis, et qu’elle s’appelait Marguerite. L’affaire de la Panise redevenait moins brillante. La Panise a recours de nouveau à l’intendant pour obtenir un autre délai (et peut-être manquer le bateau) ; elle fait valoir que ses témoins n’ont pas voulu compa¬ raître sans y être contraints et qu’elle a des faits essentiels à apporter. Quels sont ces faits? Elle est née, soutientelle, de feu Duplessis et d’une femme libre; le jésuite Saint-Pé sait qu’il est né à Duplessis une enfant de condition libre, élevée en la maison de Radisson : cette enfant, c’est elle-même; chez Radisson, elle était libre, mais à la mort de Duplessis-Fabert, le frère de ce dernier l’a vendue comme esclave à Fornel. Elle demande donc que l’on fasse comparaître ce frère de Duplessis-Fabert, qui est commandant du fort Saint-Frédéric : en atten¬ dant, Nouette s’engage à payer 7 livres 10 sols par mois pour la nourriture et l’entretien de la Panise en prison. F’intendant accorde ce nouveau délai et, le lendemain 18 octobre, à la requête de la Panise, l’huissier somme trois personnes de venir témoigner : Joseph Denys de Laronde, le jésuite Saint-Pé et Louise de Ramezay, Montréalaise alors de passage à Québec. L’enquête menace de se prolonger au moment où la navigation touche à sa fin et, s’il faut aller chercher
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Deux siècles d’esclavage au Québec
Duplessis-Fabert au fort Saint-Frédéric (sur le lac Champlain) pour le faire témoigner à Québec, des semaines vont y passer. Nouvelle requête de Dormicourt à l’intendant : l’enquête réclamée par la Panise, déclaret-il, n’a pas eu lieu parce que les témoins annoncés par Nouette ne se sont pas présentés ; d’ailleurs, ajoutet-il, ce projet de faire venir Duplessis-Fabert du lac Champlain n’est qu’un «faux-fuyant frivole vu que ledit sieur Duplessis ne déposera point contre lui-même»; tout cela n’est que pour faire traîner l’affaire et empê¬ cher « de faire embarquer ladite esclave pour l’Amérique sur les vaisseaux qui sont prêts à faire voile ». Dormicourt demande donc qu’on lui laisse immédiatement embar¬ quer son esclave. Nouette essaie de parer à la nouvelle menace en récla¬ mant un autre délai de 24 heures. L’intendant Hocquart décide de mettre fin à ce jeu de délais. Le 20 octobre, il signe une ordonnance qui déclare que Marguerite Radisson dite Duplessis est dûment esclave du chevalier Dormicourt; se basant sur les témoignages de Bourassa et de Sarrazin ainsi que sur le fait que la Panise, malgré sa requête du 17 octobre, n’a fait entendre aucun témoin, l’intendant rejette l’appel, confirme l’état d’esclavage de la Panise et la condamne aux dépens1. Dans le cas de cette esclave, la justice a suivi son cours normal. C’est la seule esclave du Régime français à avoir ainsi mis en branle tout l’appareil judiciaire, depuis le tribunal de première instance jusqu’à l’intendant en passant par le Conseil supérieur. Une Noire se réclame de la capitulation
Nous ne connaissons aussi qu’une seule esclave qui ait revendiqué sa liberté sous le Régime militaire : la Noire Etiennette, esclave de Geneviève Gamelin, de Montréal;
L’esclave a-t-il des droits d'homme libre ?
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elle soutiendra que, par la conquête du Canada, elle est devenue libre. Son histoire remonte à la prise de Sarastau en 1745. Elle n’avait alors qu’un an environ, lorsque Canadiens et Amérindiens firent assaut contre le bourg et capturèrent une partie de la population. Parmi les prisonniers, il y avait un Noir et une Noire, père et mère de la négrillonne Etiennette (appelée aussi Eskenne) ; on dut se mettre en marche pour le Canada, le père emportant sa fillette sur son dos. À Montréal, distribution des prisonniers : le père et la mère deviennent la propriété de Luc Lacorne Saint-Luc; quant à la fillette, elle appartient à l’Abénaquis Pierre-Nicolas qui la vend aussitôt, pour la somme de 500 livres, à Joseph-Jacques Gamelin, marchandbourgeois; le 7 mars 1746, on baptise la petite Noire et elle continue de vivre dans la famille Gamelin. Survient en septembre 1760, la capitulation de Montréal; neuf mois plus tard, en juin 1761, la Noire réclame sa mise en liberté afin de retourner dans les colonies anglaises d’où elle était sortie toute jeune enfant. Comment expliquer cette nostalgie soudaine, alors que Montréal était devenue en fait la patrie de la Noire et qu’elle n’avait pas connu d’autre milieu familial que celui des Gamelin? Etiennette voulait-elle se libérer d’une autorité qu’elle ne pouvait plus supporter? Agée d’en¬ viron 17 ans, elle s’était peut-être éprise d’un soldat, Noir ou Anglais, au cours de l’occupation de Montréal par l’armée du New York. En tout cas, sa maîtresse, Geneviève Gamelin, ne veut pas la laisser partir. Le 6 juin 1761, la Noire Etiennette se présente donc devant la Chambre des milices de Montréal et demande l’autorisation de retourner en Nouvelle-Angleterre : elle est native de ce pays, soutient-elle, et en vertu de la capi¬ tulation de 1760 elle doit être considérée comme sujet britannique et libre.
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Deux siècles d'esclavage au Québec
Si la Noire en appelle au traité même de capitulation, elle ne peut y trouver qu’un seul article sur l’esclavage, l’article 47 : « Les nègres et panis des deux sexes, avait demandé Vaudreuil, resteront en leur qualité d’esclaves, en possession des Français et Canadiens à qui ils appar¬ tiennent : il leur sera libre de les garder à leur service dans la colonie, ou de les vendre, et ils pourront aussi conti¬ nuer à les faire élever dans la religion romaine». À cette demande, Amherst avait répondu : «Accordé, exceptés ceux qui auront été faits prisonniers2.» La réponse est équivoque : ou bien les habitants du Canada ne peuvent réclamer leurs esclaves qui auront été faits prisonniers par les Anglais, ou bien les esclaves précédemment enlevés aux Anglais ne seront plus esclaves des Canadiens. La Noire Etiennette songeait peut-être à exploiter cette deuxième interprétation : j’ai été enlevée naguère aux Anglais, donc je ne suis plus esclave des Canadiens. Nous croyons plutôt qu’Etiennette s’inspire d’ordon¬ nances récentes publiées par les gouverneurs militaires. En effet, les autorités avaient entrepris une enquête pour libérer les Anglais que les Canadiens avaient capturés ou adoptés. Le 13 mai 1761, le gouverneur Gage publie à Montréal l’ordonnance suivante : « Comme plusieurs enfants anglais et autres pris pendant la guerre sont actuellement parmi les habitants tant de la ville que de la campagne, nonobstant les ordres longtemps réitérés à ce sujet. Il est ordonné par ces présentes à toutes personnes de quelque rang que ce soit d’amener tous les Anglais, enfants, femmes ou hommes prisonniers ou déserteurs qui se trouveront chez eux»; une amende de 100 écus (plus de 600 livres françaises) et 6 mois d’emprisonne¬ ment menaçaient les Canadiens qui ne se conforme¬ raient pas à ces ordres3. Aux Trois-Rivières, ayant appris que des enfants et des domestiques n’avaient pas encore été déclarés, le gouverneur Burton lance une nouvelle sommation le 31 mai 1761, enjoignant à toutes personnes
L’esclave a-t-il des droits d’homme libre ?
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de déclarer dans la quinzaine «le nom, l’âge et le sexe des enfants et domestiques anglais qui demeurent avec eux, soit qu’ils les aient reçus en présent, ou qu’ils les aient achetés des sauvages4». Or c’est le 6 juin suivant qu’Etiennette se présente devant le tribunal militaire pour obtenir d’être renvoyée en Nouvelle-Angleterre. Sa maîtresse, Geneviève Gamelin, comparaît à son tour pour faire valoir son droit sur l’esclave : elle raconte aux officiers de milice dans quelles circonstances la famille Gamelin est devenue propriétaire de la Noire en décembre 1745, au prix de 500 livres, et elle assure que depuis ce temps l’esclave a été élevée et entretenue chez les Gamelin sans jamais être réclamée par qui que ce soit. Saint-Luc Lacorne qui avait acheté en 1745 le père et la mère de cette Noire, confirme devant le tribunal le témoignage de Geneviève Gamelin. Les parties enten¬ dues, la Chambre des milices dresse un procès-verbal de l’affaire et envoie le dossier au gouverneur de Montréal5. Malheureusement, les archives ne nous font pas connaître dans quel sens le gouverneur Gage s’est prononcé, et nous devons laisser tomber l’affaire au moment où elle fran¬ chit l’étape la plus intéressante. La même justice pour les esclaves
Si les esclaves d’ici avaient été soumis au Code noir, ils auraient perdu de précieux avantages au point de vue de la justice. Dans le code des Antilles et dans celui de la Louisiane, on peut lire : «Ne pourront aussi les esclaves être partie, ni en jugement, ni en matière civile, tant en demandant que défendant, ni être partie civile en matière criminelle, et de poursuivre en matière criminelle la répa¬ ration des outrages et excès qui auront été commis contre les esclaves » ; certes, le code de 1685 accorde aux esclaves la même justice criminelle qu’aux personnes libres ; mais l’édition de 1724 (préparée pour la Louisiane) supprime
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Deux siècles d'esclavage au Québec
la nécessité de faire confirmer par le Conseil supérieur la peine afflictive du fouet, de la fleur de lis et des oreilles coupées quand cette peine a été imposée par un tribunal de première instance6. En somme, le Code noir, dernière édition, laissait à la merci d’une Cour inférieure l’esclave qui s’était rendu passible d’une peine afflictive; elle lui enlevait tout droit en matière civile de s’amener en Cour à titre de demandeur ou à titre de défendeur. Au Québec, où le Code noir n’a pas été en vigueur, les esclaves ont joui d’un meilleur traitement en Cour. L’esclave pouvait être demandeur dans une cause civile. En décembre 1727, la Panise Catherine qui appartient à l’épouse de Louis Maray de Lachauvignerie inscrit en Cour une poursuite contre le chirurgien Benoist chez qui elle sert de domestique : le chirurgien retenait indû¬ ment les hardes de la Panise pour une dette contractée par la dame de Lachauvignerie ; la Panise le fait d’abord sommer par huissier, puis se présente devant le tribunal de Montréal : celui-ci donne gain de cause à l’esclave. En novembre 1761, la Noire Louise comparaît devant la Chambre des milices de Montréal afin de faire condamner la veuve Loranger à lui payer 396 livres en tabac ; comme la veuve répond qu’il lui est dû par le mari de la Noire un montant de 60 livres, déduction faite du tabac, pour avoir « blanchi et raccommodé » ce mari quand il était esclave d’un sieur Martel, la Chambre des milices renvoie dos à dos la demanderesse et la défenderesse. La Noire ne se tient pas pour battue, elle porte sa cause en appel et gagne, le tribunal d’appel étant d’avis que l’entretien d’un esclave doit être porté au compte du maître et non à celui de l’esclave. Dans ce domaine de la justice civile, l’exemple le plus intéressant est certainement celui de ce procès intenté en 1740 par la Panise Marie-Marguerite à son maître, et que nous avons plus haut raconté. Nous avons vu les complica¬ tions de ce procès : requêtes de la Panise, contre-requêtes
L’esclave a-t-il des droits d’homme libre ?
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du propriétaire, délais répétés que demande la Panise et qu’elle obtient. On dirait vraiment qu’il s’agit d’une cause ordinaire entre deux personnes libres ; soumise au Code noir, l’esclave aurait été immobilisée dès les premières démarches. Au criminel, on ne fait pas non plus de distinction entre esclaves et personnes libres; c’est exactement la même justice pour tous, sans que les esclaves du Québec aient à souffrir des restrictions posées ailleurs par le Code noir. Quand un Panis et une Panise de Détroit assassinent en 1762 celui qui vient de les acheter, les Amérindiens les réclament pour les châtier à leur façon, mais puisque les coupables font partie de la société, les autorités préfèrent leur assurer un procès régulier. Il faut encore noter que l’esclave, tout comme une personne libre, jouit du privi¬ lège de l’habeas corpus, droit de comparaître devant son juge : c’était l’usage chez les maîtres qui voulaient châtier un esclave de le mettre en prison à leurs frais pour l’y laisser réfléchir aussi longtemps qu’ils le jugeaient à propos; or, à partir des années 1790 ces esclaves sont amenés devant le juge. Ce juge est William Osgoode : adversaire déclaré de l’esclavage, il remet en liberté tout Noir qui n’est poursuivi qu’à titre d’esclave. Droit d'habeas corpus pour l’esclave et, lorsqu’il subit son procès au criminel, droit d’être jugé par-devant jury : lorsqu’on fait le procès du Noir Cutan à Détroit en 1792, un jury détermine si l’accusé est coupable ou non. Droit d’appel aussi à une Cour supérieure : en 1734, le Panis Jacques jugé pour viol en appelle au Conseil supérieur. La même année, la Noire Angélique que l’on condamne à Montréal à être brûlée vive pour avoir allumé l’incendie de la ville, porte sa cause au Conseil supérieur : on la conduit donc à Québec, elle y obtient d’être étranglée avant d’être brûlée. En 1756, la Montagnaise Marianne qu’un tribunal de Montréal condamne à la potence, en appelle au Conseil supérieur : une fois à Québec, elle
Deux siècles d'esclavage au Québec
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plaide grossesse ; le Conseil supérieur surseoit à
1 exécu
tion de la sentence pour faire vérifier par un chirurgien le nouvel argument de la condamnée. Enfin, si 1 esclave n est pas grâcié (car des esclaves condamnés à mort ont reçu leur pardon au pied de l’échafaud), le châtiment qu on lui impose ne diffère en rien de celui qu’on inflige, pour le même crime, à une personne libre. Quand un esclave paraît devant son juge, il est un homme tout comme les autres. Des esclaves au nom de famille québécois
Que l’esclave baptisé porte un prénom chrétien n’est que normal, mais qu’il porte un nom de famille (d’or¬ dinaire celui du maître), nous voyons là pour l’esclave une sorte de promotion qui extérieurement le met sur le même pied que les personnes libres. Au cours du procès de la Panise Marie-Marguerite en 1740, le chevalier Dormicourt affirme : « Il est ordinaire en ce pays de voir les esclaves porter le nom de leur maître quoi qu’il n’y ait ni paternité ni filiation entre eux, c’est un usage reçu.» Usage pratiqué par les esclaves en général, moins souvent cependant chez les Amérindiens que chez les Noirs. Laissant ici de côté les noms de famille qui sont tirés ou semblent tirés du vocabulaire amérindien, ou qui ne sont peut-être que des surnoms, nous retenons ceux que les esclaves amérindiens ont empruntés aux familles québécoises : Alavoine
Bourdon
Courchaîne
Doyon
Auger
Campeau
De Berey
Duchesne
Belhumneur
Cardinal
Decouagne
Dufresne
Blondeau
Chauvin
Defond
Dufy
Boileau
Christie
Desautels
Dulude
Bourdeau
Content dit Bourdon
Desforges
Dumay
L’esclave a-t-il des droits d’homme libre ?
243
Duplessis
Hervieux
Lépine
Radisson
Fily
Lafleur
Lespérance
Raimbault
Foster
Laframboise
Lestage
Rapin
Francheville
Laprise
Léveillé
Riberville
Gagné
Laronde
Longueuil
Saint-Luc
Gamelin
Larose
Magnan
Saint-Sauveur
Giasson
Laviolette
Maillot
Sanssouci
Guillory
Leduc
Marin
Viger
Hamelin
Lefrançois
Monplaisir
Youville
Hay
Legardeur
Porlier
Des 63 noms de famille, il y en a au moins 30 que les esclaves amérindiens empruntent à leur maîtres : nous en sommes sûr, parce que l’esclave porte le nom de famille de son maître au moment où il demeure chez ce dernier; quant aux autres noms de famille, ils devraient s’expli¬ quer par une ancienne servitude qu’il nous a été impos¬ sible de constater. Nous sommes étonné du petit nombre d’esclaves amérindiens qui portent un nom de famille cana¬ dien : les enfants mis à part, nous n’avons compté que
158 Amérindiens
à
en
être
décorés,
soit
sur
2683 Amérindiens une très faible proportion de 5,9 %. On a l’impression que les Amérindiens, intégrés dans la société canadienne, ne se soucient pas du nom de famille. La situation est bien différente chez les Noirs. Sur 1443, il en est 469 qui ont pris un nom de famille, soit 32,5 %, presque le tiers. Esclave ou affranchi, le Noir semble avoir conscience, plus que l’Amérindien, de l’im¬ portance d’un patronyme. Des noms de famille adoptés par les Noirs, 14 seulement sont français : Beaumenil, Céré, Couture, Hubert, Lamour, Lejeune, Lenègre, Lepage, Léveillé, Marié, Paul, Saint-François, SaintJulien, Rosier (pour Desrosiers) ; le Noir Hubert a pris
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Deux siècles d’esclavage au Québec
le nom de son parrain, le curé Hubert; le Noir Lejeune, celui du jésuite qui l’a instruit; les Noirs Lepage et Rosier ont certainement pris le nom de famille de leur maître. L’abondance des noms anglophones vient de ce que les Noirs sont surtout tirés des colonies anglaises et demeu¬ rent, en grande majorité, la propriété des Anglais. Les conditions de la liberté
En tout cas, le rêve ordinaire de l’esclave est d’ob¬ tenir la liberté : il veut être libre pour contracter mariage avec la personne qu’il aime, comme c’est le cas du Noir Jacques-César, ou tout simplement parce que la liberté est chère à l’être humain. Ainsi l’on voit le Noir Joseph Beaumenil, intéressé à sortir de la servitude, faire des recherches sur sa propre condition. En 1768, à l’âge de 21 ans, il avait été vendu par Joseph Cureux dit SaintGermain à Michel Fortier : en 1785, 9 ans après la mort de ce dernier acquéreur, le Noir Beaumenil présente au juge Pierre Panet une requête selon laquelle il désire «pour bonne raison, être instruit des conventions faites entre lesdits sieurs Saint-Germain et Fortier relatives à lui-même»; il demande copie de l’acte de vente, «vu qu’il est partie dans icelui, et le plus intéressé dans ce qui y est contenu». Curiosité légitime, le juge Pierre Panet autorise le notaire Antoine Panet à délivrer une expédi¬ tion de l’acte, moyennant « honoraires raisonnables » ; le notaire fit l’expédition et, sans doute à cause de la grande pauvreté du Noir, accomplit sa besogne gratis pro Deo. Heureusement qu’il n’en avait rien coûté, car le Noir ne put constater qu’une chose : il avait été vendu en compa¬ gnie d’un autre Noir pour la somme globale de 200 livres, cours de Québec ; l’acte de vente ne laissait prévoir aucun terme à la servitude?. Ce terme, dans les conditions normales, ne peut être posé que par un acte légal : l’affranchissement. Sous
Lesclave a-t-il des droits d'homme libre ?
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le Régime français, l’État exige que l’acte soit fait pardevant notaire, une simple déclaration verbale ne suffi¬ sant pas. Autorisé par le roi, l’intendant Hocquart publie en 1736 une ordonnance sur la façon d’affranchir les esclaves : informé, écrit-il, que « plusieurs particuliers de cette colonie avaient affranchi leurs esclaves, sans autre formalité que celle de leur donner la liberté verbalement », et jugeant nécessaire « de fixer d’une manière invariable l’état des esclaves qui pourront être affranchis par la suite », il fait savoir « qu’à l’avenir tous les particuliers de ce pays, de quelque qualité et condition qu’ils soient, qui voudront affranchir leurs esclaves, seront tenus de [le] faire par un acte passé devant notaires, dont il sera gardé minute, et qui sera en outre enregistré au greffe de la juri¬ diction royale la plus prochaine » : tout affranchissement qui n’aura pas été fait dans cette forme sera nul8. La loi est claire : un esclave ne peut sortir de servitude que par un acte d’affranchissement convenu devant notaire. À en juger par les greffes des notaires, l’affranchis¬ sement aurait été rare sous le Régime français; pour¬ tant, ici et là, il est fait mention d’affranchis ou de Panis libres : ils étaient peut-être de ceux que les maîtres d’avant 1763 avaient libérés de la servitude par une décla¬ ration verbale ; d’autres l’ont été par le testament de leurs maîtres : cette forme pouvait satisfaire à l’ordonnance de 1736. Sous le Régime anglais, l’affranchissement est fréquent et l’est de plus en plus vers la fin du XVIIIe siècle ; comme sous le Régime français, c’est un acte formel passé par-devant notaire ou une déclaration écrite que l’on joint à la permission donnée à un esclave pour se marier; autre possibilité : le maître annonce dans son testament qu’à sa mort les esclaves obtiendront la liberté. Par exemple, quand le Noir Louis-Antoine se remet en servitude en 1761 pour épouser la Noire de Dominique Gaudet, il est entendu que leur esclavage prendra fin à la mort du maître : elle survient en 1769. En 1774, le Sioux
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Deux siècles d'esclavage au Québec
Jacques, esclave de l’arpenteur Claude Gouin, de Détroit, épouse la Chicachase Marie-Louise, esclave du bourgeois Antoine Cuillerier : l’esclavage durera jusqu’au décès de Claude Gouin et de sa femme. En 1797, la veuve du voya¬ geur Antoine Janis fait son testament et elle entend qu’à sa mort la liberté soit donnée à son Amérindienne MarieAntoine-de-Pade. L’affranchissement promis dépend parfois d’autres conditions. Le 3 septembre 1796, le marchand John Shuter achète à crédit le Noir Jack et, le même jour, pardevant notaire, Shuter s’engage à l’émanciper dans six ans et demi à condition que l’esclave fasse preuve de bonne conduite : Jack donne satisfaction et obtint sa liberté le 2 novembre 18039. Le tavernier Thomas John Sullivan, de Montréal, achète aussi à crédit le Noir Manuel, le 25 août 1797, et tout de suite il s’engage à l’émanciper dans cinq ans, moyennant bonne conduite; le Noir accepte, mais moins fidèle et moins patient que Jack, il s’enfuit le Ier
mars suivant10. Acheté en 1797, le Noir Rubin reçoit
de son maître, le marchand John Young, l’assurance que s’il se conduit bien il sera libéré au bout de sept ans11. Il faut ajouter ici que ces trois cas se situent à la fin de notre période esclavagiste : la légalité de la servitude mise en doute, on s’efforce par une promesse d’émancipation de retenir pour un temps précis les services de son homme. Dans un cas au moins, l’émancipation est accordée à condition que l’esclave disparaisse à tout jamais. Le 12 mai 1794, par-devant le notaire Racicot, le seigneur François Boucher de Laperrière et son épouse Marie-Charles Pécaudy de Contrecœur affranchissent leur Noir Jacques, âgé d’environ 21 ans, en posant une exigence rigoureuse : «qu’il montera et résidera dans les postes les plus hauts des pays d’en haut » ; s’il revient, il retombera en servitude, les époux Boucher de Laperrière pourront en disposer et le vendre comme bon leur semblera12. Il est évident que les Laperrière craignent leur Noir qui connaît par trop
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les aires de la maison : il faut que l’esclave s’en aille le plus loin possible dans les pays d’en haut, sans jamais revenir. C’est ce même sentiment de crainte qui est exprimé quand on propose, pour le Régime français, de déporter les Panis aux Antilles à mesure qu’ils deviennent adultes. Enfin, en accordant l’émancipation, certains maîtres ajoutent quelques dons pour marquer leur contentement. En 1750, la veuve Josué Boisberthelot de Beaucour fait son testament et promet liberté à son esclave, la Panise Gabrielle dite Arthémise ; elle lui assure en même temps, écrit-elle, «mes bas, souliers, mes deux petits mantelets»; peu de choses pour l’avenir de l’affranchie, mais les Boisberthelot de Beaucour étaient tombés dans la misère; et encore, la Panise devra-t-elle attendre neuf ans (la veuve ne mourant qu’en 1759) pour porter les bas, les souliers et les deux mantelets de sa maîtresse ! En 1796, lorsqu’il s’engage à émanciper son Noir Jack, le marchand John Shuter lui promet des vêtements neufs : un habit, une veste, un pantalon, un chapeau, des souliers et des bas ; le Noir aurait au moins cela pour faire bonne figure parmi les personnes libres. À son Amérindienne MarieAntoine-de-Pade, en 1797, la veuve Antoine Janis promet de donner en mourant, le lit et la couverture dont l’Amé¬ rindienne se sert, ainsi que son lit et sa couverture à elle, plus « six paires de draps de lit des meilleurs qui se trou¬ veront à son décès, toutes les hardes à usage de ladite» donatrice, «y compris des essuie-mains et serviettes, un christ de cuivre, un miroir, un coffre vide et armoire telle qu’elle est » : un trousseau complet avec des meubles ! L’affranchi
Le seigneur Antoinejuchereau-Duchesnay,dans son testament de 1802, préfère ne pas affranchir ses esclaves : «Je veux et entends que mon nègre, François Williams ne soit pas vendu ; mais que comme une entière liberté lui
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Deux siècles d'esclavage au Québec
serait plus désavantageuse qu’avantageuse eu égard à son âge, je veux qu’il n’ait que celle de se choisir un maître parmi mes cinq enfants légataires dans ce présent testa¬ ment, et que celui qu’il choisira pour maître soit tenu d’en avoir bien soin tant en maladie qu’en santé. Je donne aussi la même liberté à sa femme Mondina dit Olivier de Saint-Thomas-de-Montmagny et à ses deux filles pour le temps qu’elles sont tenues de faire chez moi ou de m’appartenir13.» Aussi longtemps qu’il est attaché à un maître, l’esclave jouit de la sécurité ; il la perd en devenant libre. C’est pourquoi le seigneur Juchereau-Duchesnay juge plus avantageux que son Noir demeure en servitude. Excellente idée que d’affranchir les esclaves, mais encore faut-il qu’en obtenant la liberté (toujours si douce, paraîtil, au cœur de l’homme) ces esclaves ne deviennent pas un problème social. L’affranchi pouvait réussir dans sa vie nouvelle s’il avait appris un métier. Or quand nous nous sommes demandé si Y Amérindien et le Noir exerçaient un métier au cours de leur esclavage, nous avons constaté que le Noir pratique les métiers les plus divers, tandis que f Amérin¬ dien n’est que domestique ou canotier. Quand nous les considérons dans leur vie de liberté, nous remarquons la même supériorité du Noir sur l’Amérindien. Ce dernier devenu libre n’exerce généralement qu’un seul et même métier, celui de canotier. Métier qu’il connaît naturellement : l’affranchi s’engage donc surtout pour les pays d’en haut. Voici à titre d’exemples, des cas que les documents nous révèlent : Bourdon, Joseph, Panis :
Le 2 avril 1719, engagé pour aller dans les pays d’en haut moyennant un salaire de 120 livres de castor ; le 29 avril 1726, engagé pour les pays d’en haut à un salaire de 160 livres (argent de France) ; le 11 juin 1728, engagé pour le voyage de Michillimackinac au salaire de 171 livres
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payables en castors et peaux de chevreuil ; le 20 avril, engagé pour les pays d’en haut au salaire de 160 livres payables en pelleteries; le 2 juillet 1732, engagé pour le voyage aller et retour des Illinois au salaire de 200 livres payables en pelleteries, plus la chasse qu’il pourra descendre sans frais dans les canots; le 18 mai 1735, engagé pour le voyage de Michillimackinac au salaire de 150 livres en pelleteries.
Jean, Panis :
Le 13 mai 1718, engagé pour le voyage de Michillimackinac (cet engagement a dû ensuite être annulé) ; le 16 août 1718, engagé pour aller à Détroit au salaire de 75 livres de castors (le retour n’est pas payé).
Jean-Baptiste, Panis :
Le 25 septembre 1710, engagé au commandant du fort de Détroit pour 150 livres ; le 21 août 1712, engagé pour aller au Détroit au salaire de 200 livres ; le 24 mai 1726, engagé pour les pays d’en haut et pour les Illinois au salaire de 210 livres payables en pelleteries ; le 21 août 1727, engagé pour les pays d’en haut au salaire de 250 livres ; le 25 mai 1732, engagé pour le voyage de Michillimackinac au salaire de 120 livres en pelleteries, outre une peau de chevreuil (cet engagement a dû ensuite être annulé) ; le 12 juillet 1732, engagé pour aller au Détroit au salaire de 60 livres (le retour n’est pas payé).
Nous
trouvons
18 Amérindiens
affranchis
qui
deviennent voyageurs : vers les postes des pays d’en haut, ils conduisent des canots chargés de marchandises de traite et les ramènent chargés de fourrures. Nous consi¬ dérons ces 18 Amérindiens comme affranchis soit parce que leur liberté est indiquée dans le contrat d’engagement, soit parce qu’ils gardent leur salaire pour eux-mêmes. Nous en connaissons deux autres qui prennent du service
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Deux siècles d’esclavage au Québec
au pays même : le Panis Pierre, quand il meurt en 1703, est présenté comme «engagé» à la ferme Saint-Joseph qui appartient à l’Hôtel-Dieu de Montréal; le Panis Joseph Riberville est, en 1708 et jusqu’à sa mort en 1720, à l’emploi du capitaine Guillaume de Lorimier, à Lachine. La Chicachase Marie-Louise a été servante à Québec chez Porlier-Bénac avant de se marier à Détroit en 1774, et lorsqu’on l’inhume à Québec en 1810 à l’âge d’environ 70 ans, elle est encore qualifiée de servante. Nous n’avons rencontré que deux Panis qui se soient faits soldats : le Panis Jacques qui séjourne à l’Hôtel-Dieu de Québec en avril 1712, et le Panis Charles qui fomente une sédition au fort Niagara en 1730. Saluons une Panise, Marguerite, qui paraît être dans le commerce, puisqu’elle fournit des effets et prête de l’argent à un nommé Jolibois : elle le poursuit en Cour pour une somme de 53 livres et la Chambre des milices de Montréal, en 1761, oblige Jolibois à rembourser son dû au rythme de 12 livres par mois. Chez les Noirs affranchis,beaucoup moins nombreux pourtant que les Amérindiens, le tableau est beau¬ coup plus varié. Quelques-uns sont soldats : Benjamin Butcher en 1775 (mais il s’agit ici d’un soldat de l’armée américaine d’occupation). Joseph Hunter fait partie de l’armée française en 1756, Jacques Paul du régiment du brigadier Janson en 1783, John Williams des Voltigeurs canadiens avant 1816. D’autres travaillent à bord des bateaux : Cœsar Brown, Peter Carter, John Dickson, John Griffiths, Nicholas Jones, le mulâtre Joseph, John Linds, Joseph Mclntyre, Edouard Parkinson, Richard Thompson; John Ross est commis sur le brick Gace of Berbuce alors à Québec; Margaret Sinclair fait la cuisine à bord du Québec en 1803. Robert Boston, Cato Giles, Jacques Robertson et Henry Thompson sont fermiers. William Lee exerce en 1816 un métier à la mode : flotteur de bois. James Black est tapissier en 1787, mais en 1817 on le qualifie d’ébéniste. James Payne est menuisier en 1802;
L’esclave a-t-il des droits d'homme libre ?
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George Crâne est sellier en 1810 ; le mulâtre Eber Welden apprenti cordonnier en 1792; John Curtain est peintre en 1818 et nous le retrouvons débardeur en 1825. Nicolas Jackson est dans la coiffure en 1820. François-Dominique dit Mentor, ancien esclave de Nafrechoux, est qualifié d’orfèvre en 1773. Jean-Barthélémy fabrique des tonneaux en 1795. Un Noir, Jacques-César, fait fonction de bedeau à Saint-Philippe-de-Laprairie vers 1784. La musique a retenu James Richard : il égaie le Royal Newfoundland of Fencible Infantry en 1809. Un Noir a un métier fort peu admiré : George est bourreau à Québec en 1805 et c’est probablement ce pauvre homme que la populace de 1806 maltraite un jour de marché. Des Noirs libres se sont engagés pour un temps plus ou moins long : Louis Marié, qui demeurait en 1692 chez le marchand Louis Lecompte-Dupré, s’alloue volon¬ tairement en 1696, par-devant notaire, à Jean Cailhaut dit Baron, de Laprairie, pour travailler à la culture de la terre; le contrat est de 3 ans et le Noir recevra chaque année 360 livres en salaire. La Noire Charety s’engage pour 10 ans comme servante chez John Mclntyre, auber¬ giste de Soulanges : elle aura nourriture et entretien, plus 5 chelins par an ; le salaire n’est pas élevé, mais le gîte est assuré pour 10 ans. Quand le Noir Charles meurt en 1807, Joseph Lafricain s’engage pour 2 ans à titre de menuisier au salaire de 1200 livres (ancien cours) ; pour se rendre à Michillimackinac où il doit travailler, il sera « milieu de canot» : le voyage sera donc de tout repos. D’autres Noirs libres (nous en comptons 41) sont simplement qualifiés de journaliers, sans qu’on sache la nature précise de leur occupation; ils travaillent au jour le jour, selon les besoins de main-d’œuvre. Pour comparer d’une façon valable la manière dont les Amérindiens et les Noirs assurent leur existence en liberté, il faudrait une liste beaucoup plus longue des
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Deux siècles d'esclavage au Québec
esclaves affranchis : notre documentation ne nous la fournit pas. Tout de même, sur les 102 affranchis dont nous connaissons les moyens de subsistance, 78 sont des Noirs et 24 seulement sont des Amérindiens. Pourtant, la popu¬ lation des esclaves amérindiens était le double de celle des Noirs : peut-être a-t-on affranchi moins d’Amérindiens que de Noirs? Peut-être les Amérindiens ont-ils déserté en plus grand nombre que les Noirs? Peut-être encore la différence vient-elle de ce que plus de Noirs atteignent l’âge adulte? On peut proposer une explica¬ tion-clé qui vaut presque toujours lorsqu’on parle des Amérindiens : les Noirs aspirent à vivre comme les Blancs, les Amérindiens ne paraissent pas s’en soucier. Le fait est que certains affranchis posèrent un problème à la société, mais les lacunes de la documen¬ tation nous empêche de le mesurer. Nous n’apercevons ce problème que par bribes : la Panise Marie que l’on inhume à 22 ans, en 1732, errait sans demeure fixe; le Panis Jacques se promène d’un bout à l’autre du pays et finit par se faire arrêter en 1734 sur une accusation de viol; le Panis Nicolas vole des haches, puis un canot et massacre en 1710 ceux qu’il devait conduire en NouvelleAngleterre; en 1800, une vieille Noire est qualifiée de mendiante : pauvre, mais libre ; à moins qu’on écrive : libre, mais pauvre... Si la société qui a tenu en esclavage des êtres humains ne paraît guère s’intéresser à leur sort quand elle leur rend la liberté, elle s’est au moins préoccupée de sa propre sécurité; en effet, quand les propriétaires de Montréal demandent à la Chambre d’assemblée en 1800 de régler la condition des esclaves, ils déclarent : nous sommes «tous très convaincus que cette classe d’homme, actuellement lâchée sur le public, et qui mène une vie oisive et abandonnée pourrait être tentée de commettre des crimes, qu’il est du devoir de tout bon
L’esclave a-t-il des droits d'homme libre ?
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citoyen de s’efforcer de prévenir14». La société profita de l’esclavage, mais à la fin il pouvait constituer une menace pour la société.
► NOTES 1 Journal de la Chambre d’Assemblée, 1799,123-129. 2 Dossier 1230 de la Collection de piècesjudiciaires et notariales, conservée aux Archives judiciaires de Québec. 3 Article 47 de la capitulation de 1760, dans Documents constitutionnels, I7S9_I79I> I> i94 Ordonnance du gouverneur Gage, 13 mai 1761, dans RAC, 1918, app. B, 45s. 5
Ordonnance du gouverneur Burton et lettre aux capitaines de milice, 31 mai 1761, ibid., 103s.
6 APQ, Chambre des Milices de Montréal, 1760-1764,77. 7 Articles 31 et 32 de ledit de 1685 et articles 25,26 et 33 de ledit de 1724, dans le Code noir ou Recueil des Règlements (éd. 1767), 44s., 298s., 301. 8
Vente du 27 octobre 1768 (avec la requête de 1785), dans le greffe de Jean-Claude Panet. Dans la requête, le Noir est appelé Joseph Bominique et Joseph Dominique.
9
Edits, ordonnances royaux, II, 371.
10
Greffe J. G. Beek.
11
Greffe J. A. Gray.
12 Pièces reproduites dans RAPQ, 1921-1922,122s. 13
Greffe Racicot.
14 Testament cité dans Audet et Fabre-Surveyer, Les Députés au premier Parlement du Bas-Canada, 168.
*
CHAPITRE X
De la débauche et du mariage
’esclave amérindien ou noir est contraint de vivre
J_/dans
une société dont les normes ne sont pas néces¬
sairement les siennes. Nous avons vu qu’il s’adapte assez bien à ces normes pour qu’on n’ait pu trouver qu’une mince proportion d’individus coupables de crimes. Se conformer aux exigences de la justice criminelle est en quelque sorte une contrainte plus ou moins forte selon la rigueur de cette justice. Autre chose toutefois que le comportement moral ou immoral de l’esclave : il n’est pas toujours conditionné par la justice criminelle. Il reste donc à tenter d’apprécier ce comportement de l’esclave.
À propos de « liaisons de débauche » L’introduction d’Amérindiennes dans la société québécoise posa constamment le problème délicat de leurs relations avec leurs maîtres et leurs compatriotes. C’est un fait maintes fois vérifié dans notre histoire colo¬ niale que le Canadien a éprouvé une grande passion pour les « sauvagesses », alors que l’Amérindien n’était pas attiré par les Canadiennes. Le jésuite Charlevoix résume très bien ce problème lorsque, parlant des Amérindiens, il écrit : «Il est sans exemple qu’aucun d’eux ait jamais pris
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la moindre liberté avec les Françaises,lors même quelles ont été leurs prisonnières. Ils n’en sont pas même tentés, et il serait à souhaiter que les Français eussent le même dégoût des Sauvagesses1.» La pratique de l’esclavage ne pouvait que favoriser ce penchant naturel du Canadien ; ce dernier trouvait chez lui ou autour de lui des femmes dont l’achat avait été conditionné par la recherche des meilleurs avantages. Il va se commettre bien des folies. En 1726, à SainteAnne-de-la-Pérade, Pierre Chauvet dit Lagerne, âgé de 40 ans et veuf de Marie-Madeleine Gaudin, procède à l’enlèvement d’une Amérindienne dont il s’est épris : il s’amène la nuit chez le seigneur Tarieu de Lanaudière de Lapérade, et il en repart avec la Renarde ou Panise MarieMadeleine, âgée d’environ 29 ans ; le 17 juillet, l’inten¬ dant Dupuy publie une ordonnance pour enjoindre aux officiers de milice de retirer cette esclave « des mains du nommé Lagerne», mais les choses se sont arrangées à la satisfaction des amoureux : le 7 novembre suivant, ils s’épousent à Beauport après une dispense des trois bans. Après avoir eu du voyageur Champagne un enfant naturel en 1753, la Siouse Marie-Marguerite-Caroline, qui est esclave de Claude Landry dit Saint-André, devient la maîtresse de Firmin Landry dit Chariot, et elle lui donne cinq enfants naturels ; à l’été de 1771, elle est de nouveau enceinte; pour faire cesser le scandale, le propriétaire convient de vendre l’esclave à Landry dit Chariot à la condition expresse qu’il la prenne pour épouse : ce qu’il fait sagement le 17 juillet 1771. Les Noires pouvaient aussi séduire les Canadiens. Lorsque Claude Thibault en 1734 s’enfuit de Montréal avec la Noire Angélique, il s’imagine qu’il va enfin filer le parfait amour, mais l’incendie que la Noire allume chez la veuve Francheville pour détourner l’attention se communique aux autres maisons de la ville, et Thibault se trouve ainsi compromis dans un crime spectaculaire ; on
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convient de laisser tomber contre lui toute poursuite, sous prétexte que les soupçons « ne roulaient que sur sa fuite et sur quelque liaison de débauche avec cette Négresse». Un article de la Gazette de Québec, œuvre d’un Montréalais, nous décrit assez malicieusement les rela¬ tions bicolores qui se nouent dans la société de Montréal : « Il subsiste entre les deux sexes la plus grande harmonie et la meilleure intelligence. Les Noires et les Blancs en se mêlant ensemble dans des assemblées nocturnes forment une compagnie générale, où nos jeunes gens se défont de la restreinte gênante de la cérémonie, et se délassent des travaux du jour par des plaisirs innocents. Un jeune lieutenant salua l’autre jour (suivant les règles de la poli¬ tesse) la Noire avec laquelle il avait dansé : «Comment vous trouvez-vous E... ce matin de la fatigue de la nuit dernière?2» À Québec, on peut aussi dans la même compagnie se délasser «des travaux du jour par des plai¬ sirs » dont l’innocence n’est pas moins douteuse : dans le rapport de sa visite paroissiale de 1798, le curé de Québec a marqué d’un astérisque infamant la maison du Noir Joseph Beaumenil à l’Anse-des-Mères, cette maison loge des « meretrices » [latin signifiant prostituées]3. Notre but n’est pas de nous amuser à la chronique scandaleuse de l’esclavage ; ce qui nous intéresse, c’est le problème des relations des esclaves avec les maîtres ou celui des relations des esclaves entre eux. Il serait vain de tenter en ce domaine une sorte de rapport Kinsey, notre documentation étant bien fragmentaire ; nous ne dispo¬ sons que d’un indice important : la naissance des enfants naturels. Une majorité d’enfants illégitimes
Sur 1205 femmes esclaves de 14 ans et plus, nous en comptons 213 qui donnent naissance à un ou plusieurs
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enfants illégitimes, c’est-à-dire une proportion de 17,7 %. Chez 921 mères amérindiennes, 158 sont mères illégitimes, une proportion de 17,2 %. Chez les Noires, la proportion est plus élevée : 19,4 %, soit 55 mères sur 284. Il y a des esclaves qui arrivent au pays déjà enceintes de quelques mois. Comme le voyage est très long des pays d’en haut et davantage des régions du Mississippi, ces esclaves ont bien des occasions et amplement le temps de se débaucher avec les Français qui les amènent. C’est le cas d’une Panise que Michel Bisaillon ramène des Missouris en 1717 : le 19 septembre, à Laprairie, elle donne naissance à une fille de père incertain et le prêtre qui baptise l’enfant précise que la mère a été amenée récemment de son pays. L’Amérindienne de l’officier Clément Laplante-Lérigé accouche le 22 octobre 1741, à Laprairie, d’un fils dont le père est inconnu : le registre d’état civil nous apprend qu’elle est descendue des pays d’en haut au cours de la même année. La maison où vit l’esclave n’a rien à voir avec des relations défendues par la morale : une Panise esclave de la mission des Jésuites en face de Détroit fait preuve de fécondité même si elle n’est pas mariée : en juin 1764, elle donne naissance à une fille. Par ailleurs, si la maîtresse même de l’esclave donne le mauvais exemple, il n’est pas surprenant que l’esclave l’imite : le 9 avril 1752, au poste Saint-Joseph (au fond du lac Michigan), Marie Réaume, veuve d’Augustin Larchevêque, fait suppléer les cérémonies du baptême à un fils illégitime qu’elle a eu de Louis Chevalier; le lendemain, c’est la Panise Marie-Jeanne, esclave de cette veuve Larchevêque, qui présente à son tour au baptême un enfant illégitime. La maîtresse a son fils illégitime, et l’esclave le sien : tout le monde est content. Certaines esclaves ne s’arrêtent pas à un seul enfant illégitime, elles en ont deux, trois, quatre ou plus, simple affaire d’habitude. Nous comptons neuf esclaves à qui on connaît quatre enfants illégitimes. A d’autres, on en
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trouve cinq : Barbe, Panise de Lamothe, à Détroit, de 1752 à 1759, Marguerite, Panise de Courtois, à Détroit, de 1761 à 1773 et Marie, Panise de Pelletier, à Détroit, de 1788 à 1794. Deux se rendent gaillardemment jusqu’à six : Charlotte, Panise de Labutte, à Détroit, de 1754 à 1769 et Marie-Marguerite-Caroline, Siouse de Landry dit SaintAndré, à Détroit, de 1753 à 1769. Chez les mères illégitimes, notons quelques cas de naissance jumelée. La Noire Angélique, esclave de Poulin de Francheville, accouche en mai 1732 de deux jumeaux, enfants illégitimes de Jacques-César, esclave d’Ignace Gamelin, mais les jumeaux meurent au cours de l’année. Dorothée, Panise de George Maldrum et célibataire, a deux jumelles le 2 janvier 1790 : Suzanne et Dorothée. La Panise Madeleine, esclave de Jean-Baptiste Meloche, donne naissance le 30 mars 1795 à des jumeaux : Charles et Charlotte. Sur un total de 341 enfants illégitimes, nous ne trouvons donc que 6 jumeaux. Les enfants illégitimes ne se rencontrent pas, comme on pourrait s’y attendre, dans les endroits où il y a le plus d’esclaves ; à Montréal, on ne trouve que 33 enfants illé¬ gitimes sur 1525 esclaves; Québec, le deuxième centre en importance avec 970 esclaves, n’a que 18 enfants illégi¬ times. Ce sont dans les régions pauvrement organisées au point de vue social et situées dans les pays « sauvages » que les bâtards d’esclaves abondent : la petite ville de Détroit compte 177 bâtards sur une population esclave de 650 ; Michillimackinac en compte 35 sur une popula¬ tion de 160. Détroit et Michillimackinac sont d’ailleurs très fertiles en bâtards, qu’il s’agisse des esclaves ou des personnes libres ; les mœurs se ressentent profondément de la grande sauvagerie qui sépare ces deux centres et le Canada laurentien. Sur 573 enfants nés d’esclaves, 341 sont nés hors les liens du mariage, soit une proportion très élevée de 59,5 %. Ce sont les Amérindiens esclaves qui, toute proportion
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gardée, en ont le plus : sur 336 enfants d’Amérindiens esclaves, 255, soit 75,9 %, sont des bâtards. Quant aux Noirs, 86 de leurs 237 enfants sont illégitimes, un pour¬ centage de 32,1 %. La différence entre les deux groupes est extrêmement marquée : le tiers des enfants noirs sont bâtards, alors que chez les Amérindiens, ce sont les trois quarts. Simple hasard de l’histoire, ou ne serait-ce pas plutôt à cause de ce goût des Canadiens pour les « sauvagesses » ? Des Québécois pour pères?
Quand une esclave accouche d’un enfant illégitime, qui est le père ? Bien fin qui pourrait le dire, parce que les registres d’état civil sont d’ordinaire d’une discrétion sacrée. Des 341 bâtards, 314 sont inscrits dans les registres comme fils d’un père inconnu ou incertain (ce qui revient au même). Mais ce père inconnu, est-ce un Canadien, un Amérindien ou un Noir? Le prêtre qui baptise ne s’arrête pas à décrire l’enfant : il écrit né d’un père inconnu et son rôle est terminé. Comme la population esclave ne cons¬ titue qu’une infime minorité de la société en général, il y a de fortes chances que la plupart de ces pères inconnus soient des Canadiens : si l’Amérindienne ou la Noire vivent sous le même toit que d’autres domestiques, il n’est pas étonnant que la promiscuité produise des nais¬ sances illégitimes ; le voisin ou le maître lui-même trouve amusant d’augmenter son cheptel à peu de frais... Mais ce père inconnu demeure à tout jamais le père inconnu. Il y a tout de même 27 bâtards d’esclaves dont le père est nommément désigné dans les registres d’état civil. Nous pouvons ainsi identifier quatre propriétaires qui cédèrent aux charmes de leurs esclaves :
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Mouet de Langlade, Charles. Avant 1754, il a de son esclave amérindienne anonyme, un fils nommé Charles (à Michillimackinac). Villeneuve, Constant. Le 30 avril 1759 à Michillimac¬ kinac, son esclave, la Panise Charlotte, accouche d une Panise nommée Charlotte : l’esclave désigne comme père son propriétaire. Sanscrainte, Jean-Baptiste.
Le 7 octobre 1760, à Mi¬
chillimackinac, son esclave, Amérindienne anonyme, ac¬ couche d’un fils nommé Jacques. Bourassa, Daniel. Le 7 avril 1794, à Michillimackinac, on baptise le Panis Régis, fils de Daniel Bourassa et d’une Panise qui lui appartient ; cette Panise avait eu une fille en 1792, née de père inconnu ; et elle aura une autre fille en 1797.
Les 16 autres pères d’enfants illégitimes que nous connaissons ne sont pas les propriétaires de l’esclave enceinte. Groupons dans l’ordre alphabétique tous ces pères naturels dont nous avons les noms : Bourassa, Daniel
Michillimackinac
Champagne, voyageur
Détroit
Chevalier-Lullier, Charles
Michillimackinac
Dion,voyageur
Michillimackinac
Duchesne
Québec
Fleur d’Epée, Louis
Michillimackinac
Jasmin, voyageur
Michillimackinac
Lamothe, voyageur
Michillimackinac
Landry dit Chariot, Firmin
Détroit
Larché, François
Montréal
Lespérance, Jean-Marie
Michillimackinac
Le Verrier, fils
Québec
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Lorrain, Joseph
Montréal
Magnan, Jean
Montréal
Mouet de Langlade, Charles
Michillimackinac
Sanscrainte, Jean-Baptiste
Michillimackinac
Villeneuve, Constant
Michillimackinac
Villeneuve, Daniel
Michillimackinac
«Yonce», officier anglais
Boucherville
Les mères sont toutes des Amérindiennes : ce qui nous permet, une fois de plus, de constater la préférence des Canadiens pour les « sauvagesses », plutôt que pour les Noires... Chez les Noirs, l’inverse se produit : ce sont les Canadiennes qui deviennent objet d’attraction; mais lorsqu’une d’entre elles devient mère, le père noir l’épouse, du moins si l’on en peut juger par de rares exemples : en novembre 1749, la Canadienne Marie Talon épouse le Noir Pierre-Dominique Lafleur, esclave de la veuve Jacquin dit Philibert, et elle accouche en avril suivant; la Canadienne Marie-Elisabeth Mondina met au monde une fille en septembre 1783 : le mois précédent, elle avait épousé le Noir François Williams, esclave d’Antoine Juchereau-Duchesnay. Le bâtard est esclave comme sa mère
Lorsqu’une esclave met au monde un enfant né de père inconnu ou né d’un père nommément désigné mais de condition libre, que devient l’enfant? Le Code noir des Antilles répond que l’enfant naturel d’une esclave est esclave comme sa mère, quelle que soit la condition du père. Bien que le Code noir n’ait pas été mis en vigueur au Canada, ce principe a été invoqué lors du procès de la Panise Marie-Marguerite en 1740. Le propriétaire de cette Panise écrit dans une pièce : « Un enfant qui sort d’une mère esclave et qui a un père français est reconnu esclave,
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telle est la loi qu’on suit en Amérique : la même loi doit subsister en ce pays4.» Selon la formule en vigueur : le père est toujours incertain, il n’y a que la mère qui soit certaine ; c’est pourquoi,fructus sequitur ventrem : l’enfant subit la condition de la mère. C’est le principe qu’on a appliqué au Canada dans quatre cas au moins. Vers 1739, Jean-Marie Lespérance a, de la Sauteuse Rose, esclave de Claude Marin de Laperrière, une fille nommée Marie-Joseph ; or lorsque l’enfant est inhumée à Montréal en 1749, nous consta¬ tons qu’elle est en esclavage, ayant alors pour maître un nommé Lécuyer. L’esclave de Chevalier accouche en juillet 1746 d’une fille dont le père est Louis Fleur d’Épée : à son baptême, elle est simplement présentée comme la propriété de Chevalier. Une Sauteuse est devenue mère vers 1760 par les œuvres d’un Français anonyme : l’en¬ fant est vendu à Antoine Cuillerier à qui il appartient encore en 1764. La Siouse Marie-Marguerite-Caroline, esclave de Claude Landry dit Saint-André, accouche en 1766 d’une fille, Suzanne, dont le père est Firmin Landry dit Chariot : lorsque celui-ci achète la Siouse et la prend pour épouse, la fille Suzanne demeure esclave de Claude Landry dit Saint-André jusqu’à ce que les parents soient en état de la racheter. Même si le père est de condition libre, nous constatons donc que l’enfant d’une esclave naît dans un état de servitude. À plus forte raison si le père est inconnu. Le proprié¬ taire de la mère voit son cheptel augmenter et il demeure libre de disposer des enfants illégitimes. Le 16 août 1752, à Détroit, lors du baptême d’un Panis illégitime, fils de l’esclave Barbe, Guillaume Dagneau-Douville de Lamothe s’engage à ne vendre l’enfant qu’à des catho¬ liques. Quand la Panise Marie-Anne, esclave de Joseph Cabassié met au monde en avril 1759 une fille illégitime, Françoise, Cabassié donne l’enfant à Jean-Baptiste Petit dit Milhomme qui la gardera comme son bien propre.
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En janvier 1763, une Panise esclave qu’on garde en prison, accouche d’une fille : le commandant de Détroit donne immédiatement l’enfant, à titre d’esclave, au bourgeois Pierre Barthe. En mai 1772, la Panise Marguerite, esclave de Charles-Martin Courtois, donne naissance à une fille illégitime : l’enfant est immédiatement donnée à François Lebeau ; l’année suivante, la même esclave accouche d’un autre bâtard : on le donne sur-le-champ à Berthiaume «en pur don pour lui servir en qualité d’esclave». En novembre 1772, l’esclave de Jean-Baptiste Chapoton accouche d’une bâtarde : Chapoton donne tout de suite l’enfant à une dame Pelletier et celle-ci en devient la propriétaire, comme on peut le constater lorsque l’enfant est inhumé quelques jours plus tard. En décembre 1774, la Panise d’Alexis Trottier-Desruisseaux donne naissance à un enfant illégitime : le maître en fait don à Alexis Maisonville qui le garde à titre d’esclave. La condition du père n’intervient donc jamais, l’enfant illégitime d’une esclave est esclave comme sa mère; et l’on trouvait l’oc¬ casion de se faire des amis à bon marché en donnant de temps à autre ce que l’esclave mettait au monde. L’enfant illégitime de l’esclave appartient si bien au propriétaire de la mère que bien des fois on ne prend pas la peine de faire mention de la mère lorsqu’on inscrit l’enfant dans les registres d’état civil. Le Panis Bonaventure naît en 1751 d’une Panise qui appartient à Charles Chauvin : lorsqu’on inhume l’enfant en mai 1753, on l’inscrit comme appartenant à Chauvin, sans aucunement faire mention de la mère. En octobre 1757, on inhume le Panis Nicolas qui est né le mois précédent d’une Panise de Simon Gendron dit Potvin; on oublie que l’enfant a une mère et l’on écrit seulement dans le registre : Nicolas, esclave de Gendron dit Potvin. On ne dit pas un mot de la mère en janvier 1759 à l’inhumation du Panis Pierre, né d’une esclave de Pierre Chesne-Labutte; ni en mai 1766 à l’in¬ humation de la Panise Marie-Joseph, fille d’une esclave
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de Gabriel-Christophe Legrand ; ni en août 1759 à l’in¬ humation du Panis François-Prisque, fils d’une esclave de Labutte; ni en mai 1778, au baptême de la Panise MarieLouise, fille d’une esclave de Lagotherie. Et nous pour¬ rions citer encore d’autres exemples jusqu’en 1796. C’est un usage fréquent, aussi bien sous le Régime français que sous le Régime anglais, de laisser de côté la mère de l’enfant illégitime pour ne faire état que du proprié¬ taire : la possession est plus importante que la filiation. L’esclavage au Canada français ne porte pas que des marques d’humanité... Le mariage des esclaves
Les mariages entre esclaves ne sont pas nombreux : nous en comptons seulement 73. En tout cas, les esclaves pouvaient se marier. Selon le Code noir des Antilles, les esclaves n’avaient pas besoin du consentement de leurs parents, mais celui du maître se révélait essentiel et il était strictement défendu aux curés de bénir un mariage d’esclaves si ce mariage n’était pas d’abord approuvé par les maîtres ; en même temps, le Code noir défendait aux maîtres «d’user d’aucunes contraintes sur leurs esclaves pour les marier contre leur gré»; et ces dispositions se retrouvent telles quelles dans le Code noir de la Louisiane. Sans y être tenus d’aucune façon, les Canadiens ont géné¬ ralement mis en pratique ces dispositions. Quand Jean-François et Jeanne, esclaves du colonel Campbell s’épousent à Montréal le 20 janvier 1785, le ministre note que le mariage s’est fait à la demande du propriétaire : l’union devenait d’ailleurs urgente puisque la future épouse se trouvait enceinte. De même, quand l’esclave noir York prend pour épouse à Montréal la Noire Margaret McLeod, le 22 janvier 1786, chacun des conjoints obtint la permission de son propriétaire, car ils étaient esclaves de deux maîtres différents.
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Le maître n’accorde pas toujours volontiers et tout de suite la permission du mariage quand son esclave veut épouser l’esclave d’un autre maître, car en ce cas l’un des deux maîtres va forcément perdre le sien. C’est ce qui se produit pour le Noir Jacques-César et la Noire MarieÉlisabeth : le premier appartient au marchand Ignace Gamelin, l’autre à la baronne douairière de Longueuil. Pour sa part, Gamelin n’hésite pas à donner son consen¬ tement : en considération des services que Jacques-César, âgé d’environ 52 ans, lui a rendus depuis plus de 30 ans, il lui permet, le 21 janvier 1761, de se marier; il lui donne, en même temps, la liberté, précisant toutefois que ce n’est pas «à d’autres conditions ni pour un autre mariage». Mais, malheureusement pour ce pauvre Jacques-César, la baronne de Longueuil ne parvient pas à se décider. Parce que ce Jacques-César avait déjà eu trois enfants illégi¬ times de cette affreuse noire Angélique qui avait mis le feu à la ville de Montréal en 1734 ? Ou parce qu’elle ne voulait pas perdre son esclave de 39 ans ? Les mois passent, une année s’écoule, et une deuxième. Enfin, le 26 janvier 1763, la baronne donne son consentement et affranchit son esclave ; elle exige, cependant, que les époux restent à son service à titre de domestiques pendant trois ans. Cela conclu, le mariage a enfin lieu le 5 février 1763 à Longueuil ; quand il rédige l’acte, le curé prend soin de noter qu’il a vu la permission donnée par Gamelin en 1761 et celle de la baronne en 1763, et il annexe aux regis¬ tres d’état civil l’une et l’autre permissions. Le marchand Dominique Gaudet connut à peu près le même problème, lorsque son esclave noire, MarieCatherine Baraca, âgée de 15 ans, devint en 1761 la dulcinée du Noir Louis-Antoine. Ce dernier était libre depuis son enfance, mais le marchand Gaudet ne tenait pas du tout à perdre sa Noire. Qu’à cela ne tienne, se dit l’amoureux de 20 ans : le 24 mars 1761, par-devant notaire, il accepte de redevenir esclave et se vend à Gaudet.
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Les propriétaires, en y mettant parfois leurs condi¬ tions, autorisent donc leurs esclaves à se marier. L’État aussi adopte la même conduite à l’égard d’esclaves qui lui appartiennent. Il y a, par exemple, à Québec un Noir d’en¬ viron 25 ans, Mathieu Léveillé, qui fait fonction de bour¬ reau : il appartient au roi. Or les joies du métier ne suffi¬ saient pas à combler sa solitude. L’intendant Hocquart se chargea donc de lui faire venir une esclave noire aux frais de l’Etat. Malheureusement, à cette époque il ne va en France qu’un courrier par année : écrire en métro¬ pole, obtenir la permission nécessaire, mettre en branle les autorités, passer la commande aux Antilles et enfin expédier la marchandise à Québec, autant d’opérations qui prennent beaucoup de temps; l’esclave noire n’ar¬ riva qu’en 1742. Entre temps, le Noir tomba gravement malade : il séjourne longtemps à l’Hôtel-Dieu de Québec et finalement il y meurt le 9 septembre 1743, toujours titulaire des «hautes œuvres de ce pays», et toujours céli¬ bataire. Voilà la Noire Angélique-Denise bien avancée : on la fait venir des Antilles pour la marier, on la laisse languir à Québec en attendant que le bourreau retrouve la santé, et maintenant le Noir fiancé est mort. Que restet-il à faire de cette esclave noire ? Puisqu’elle ne peut jouir du sacrement du mariage, on lui donne au moins celui du baptême, le 23 décembre 1743, et on attend les ordres du roi. Le 30 mars 1744, le ministre écrit à l’intendant : «Dès que vous avez trouvé un Blanc pour remplacer le Nègre maître des hautes œuvres qui est mort, il sera bon que vous tâchiez de vendre la négresse qui vous avait été envoyée pour ce Nègre au même prix qu’elle a coûté si cela est possible5.» Et la promise malchanceuse dut repartir vers un nouveau destin.
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Au mariage, mêmes exigences
Le mariage étant un sacrement de l’Église, il est évident que le rite est le même pour les esclaves que pour les personnes libres. Sur deux points en particulier, les bans (ou annonces) et les témoins, nous constatons que le règlement est le même pour tous. Le mariage doit être annoncé par trois bans du haut de la chaire, mais on peut, moyennant certains droits, obtenir dispense d’un, de deux ou même des trois bans. C’est une pratique courante dans la société canadienne et ailleurs de se munir d’une dispense de deux bans : seuls les pauvres sont parfois contraints, faute d’argent, d’entendre annoncer leur mariage trois dimanches de suite. Nous n’avons trouvé aucun mariage d’esclaves que le curé eût été obligé d’an¬ noncer par trois fois : le propriétaire ne voulait sans doute pas avoir l’air de faire les choses petitement. La plupart du temps, il y a dispense de deux bans, selon l’usage général de la société. Dispensés de deux bans les Noirs Joseph et Marie-Louise, qui appartien¬ nent l’un à Lagorgendière et l’autre à Contrecœur, et dont le mariage a lieu à Montréal le 12 janvier 1750; les Noirs Jacques et Marie, esclaves de Lacorne SaintLuc, qui s’épousent le 24 mai 1757 à Montréal; le Noir François Williams, esclave de Juchereau-Duchesnay, qui se marie à une Canadienne à Québec le 5 août 1783. Il faut ajouter ici qu’on s’attendrait à une dispense totale des bans parce que, dans chacun des trois cas mentionnés, la future mariée est enceinte : pour sa part, la Canadienne qui épouse le Noir de Juchereau-Duchesnay affiche une grossesse qui n’est qu’à trois mois de son terme. Il y a, pour certains esclaves, dispense des trois bans : Charles et Charlotte-Élisabeth, esclaves noirs du baron Lemoyne de Longueuil, s’épousent à Montréal le 29 août 1719 après une dispense des trois bans; Joseph dit Neptune, Noir du gouverneur général Vaudreuil, épouse
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après mêmes dispenses la Noire Marie-Françoise, à Montréal le 27 février 1759. Nous en trouvons une, cepen¬ dant, lorsque les Noirs de Dominique Gaudet, Pierre Baraca et Marie-Anne, sont mariés à Lachine le n juillet x746 : quatre mois plus tôt, la mère avait fait baptiser une fille que les parents vont d’ailleurs «porter sous le voile » après la cérémonie du mariage ; de plus, la nouvelle mariée est encore enceinte. Pour cette fois, il ne fallait faire aucune publicité. Puisque les mariés, esclaves ou libres, doivent être accompagnés de témoins, à qui recourt-on dans le cas des esclaves ? Nous avons déjà vu qu’au baptême et à l’in¬ humation plusieurs propriétaires se font un devoir de prendre part à la cérémonie : ils se font parfois un même devoir d’assister au mariage auprès de leurs esclaves. Quand Jacques-César épouse la Noire Marie-Élisabeth en février 1763, le Noir a pour témoins son maître Ignace Gamelin et Christophe Gamelin-Lajemmerais; l’esclave noire a près d’elle sa maîtresse, la jeune baronne douai¬ rière de Longueuil. Au mariage du Noir William Deane avec la Noire Nancy Hill, à l’église anglicane de Québec le n décembre 1783, le marchand Thomas Hackett et le commis John Lane servent de témoins. Parfois, situation qui ne se rencontre peut-être que dans l’esclavage canadien, on inscrit, parmi les témoins avec des personnes libres (qui sont de condition), des esclaves. A Lachine, le 11 juillet 1746, lors du mariage des esclaves noirs Pierre Baraca et Marie-Anne (celleci est déjà enceinte), nous rencontrons Marie-Anne Cuillerier, épouse du propriétaire des Noirs, en compa¬ gnie de l’esclave Joseph qui appartient au chevalier de Lacorne, et ce Noir Joseph est bien qualifié de témoin. En janvier 1750, à Montréal, un autre Joseph, esclave noir de Lagorgendière Fleury Deschambault, épouse la Noire Marie-Louise, esclave de Pécaudy de Contrecœur : ils ont pour témoins François et René Pécaudy de Contrecœur,
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en même temps que l’esclave noir César qui appartient à Gamelin et le Noir Joachim, esclave d’Hervieux. Mais le mariage peut aussi être pour les Noirs une affaire de famille : ce sont des esclaves noirs qui servent de témoins auprès d’époux noirs. Le 21 avril 1750, au mariage de Joseph-Hippolyte dit l’Espiègle, Noir de Leber de Senneville, avec la Noire Marie-Madeleine qui appartient à Soumande-Delorme, les témoins sont Jasmin, esclave d’Hervieux, et Valentin, esclave de dame Lestage. Lorsque le Noir Louis-Antoine épouse
à
Lachine en 1761 la Noire Marie-Catherine Baraca (l’un et l’autre esclaves de Dominique Gaudet), les Noirs JosephHippolyte et Charles servent de témoins. Ce sont là, sous le Régime français, des cas d’exception. Sous le Régime anglais, les propriétaires, surtout les propriétaires anglais, ne se donnent pas d’ordinaire la peine d’assister aux céré¬ monies religieuses de leurs esclaves. Les enfants appartiennent au propriétaire de la mère
Les enfants illégitimes d’une esclave, que le père soit connu ou non, deviennent, ainsi que nous l’avons vu, la propriété du maître de cette esclave : cette disposi¬ tion nous paraît toute naturelle, puisque l’esclave n’étant pas mariée, le problème de la famille ne se pose pas. Mais qu’advient-il des enfants quand ils naissent d’un mariage d’esclaves ? Voyons d’abord ce que le Code noir avait prévu pour les Antilles et pour la Louisiane : si une esclave épouse son maître, elle est affranchie par ce mariage et les enfants sont libres ; quant aux enfants qui naîtront de mariage entre esclaves, ils «seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves et non à ceux de leur mari, si le mari et la femme ont des maîtres différents». De plus, si un mari esclave épouse une personne libre, les enfants suivront la condition de leur mère et seront libres, alors que si le père est libre et
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la mère est esclave, les enfants « seront esclaves pareille¬ ment». Que l’enfant soit légitime ou pas, la loi demeure donc la même : l’enfant suit la condition de la mère. Au Canada, sans qu’il fut nécessaire de promulguer le Code noir, ces dispositions ont prévalu. Nous en avons recueilli de nombreux exemples. Le propriétaire affirme d’ordinaire la possession sur les enfants légitimes de ses esclaves en ignorant tout à fait les parents; et, pour montrer la constance de cette habitude, nous donnons ici quelques exemples dans l’ordre chronologique. En 1746, une esclave noire veuve (dont le mari est décédé peu auparavant à Sarasto) et qui appartient à l’officier Liénard de Beaujeu, fait inhumer sa fillette à Québec : l’acte d’inhumation inscrit l’enfant comme propriété de Beaujeu et ne fait aucune mention de la mère. Les esclaves noirs de Leber de Senneville inhument à Montréal leur fillette légitime en 1752 : on écrit qu’elle appartient à Leber de Senneville sans parler des parents. En 1755, ni au baptême ni à l’inhumation de l’esclave noire, Louise, fille légitime des Noirs de Lagorgendière Fleury Deschambault, on ne dit mot des parents : l’enfant appartient à Lagorgendière Fleury Deschambault et cela suffit. Joseph, âgé de six jours, fils légitime d’esclaves noirs du gouverneur général Vaudreuil, est inhumé à la Pointe-aux-Trembles en 1757 : on écrit seulement que ce petit « nègre » appartient au gouverneur. À Longueuil, en août 1759, on inhume l’esclave noire Marie-Charlotte, âgée de huit mois : elle appartient à Lacorne Saint-Luc, et l’acte ne fait aucune mention des parents légitimes qui sont toujours vivants. En 1784, à Détroit, à l’inhumation des jumeaux nés des esclaves noirs qui appartiennent à Bernard, on néglige tout à fait les parents pour ne nommer que le propriétaire. Même négligence des parents lorsqu’on inhume à Montréal en 1791 une petite Noire de quatre ans, enfant légitime des esclaves noirs de Campbell, ainsi qu’en 1797 lors de
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Deux siècles d'esclavage au Québec
l’inhumation d’un fils légitime de deux autres esclaves de Campbell. Les enfants légitimes sont vraiment la chose du propriétaire des parents. Cette même possession des enfants légitimes s’af¬ firme encore par le droit du propriétaire des parents de disposer des enfants comme il l’entend. Une esclave noire de Soumande-Delorme a un enfant légitime en 1755, Jean-Joseph, mais voici que cet enfant, lors de son inhu¬ mation à Québec en 1756, est la propriété du capitaine François Mercier : le propriétaire de la mère avait donc par don ou par vente disposé du nouveau-né. Quand le Noir libre Louis-Antoine consent en 1761 à rentrer en esclavage pour épouser l’esclave noire de Dominique Gaudet, il est entendu par contrat que Gaudet sera propriétaire des enfants à venir et qu’il pourra, comme bon lui semblera, vendre parents et enfants. Le cas le plus important se produit en 1729 lorsque les deux fils du premier baron de Longueuil se partagent la succession de leur père : celui-ci avait laissé l’esclave noir Charles, sa femme Charlotte-Elisabeth et leurs cinq enfants. Le chevalier Paul-Joseph Lemoyne de Longueuil se fait donner l’esclave Charles, la mère CharlotteElisabeth et trois de leurs enfants, Charles-Claude, âgé de huit ans, Marie-Charlotte, âgée de trois ans et Joseph qui n’a qu’un an. Le second baron de Longueuil ne garde que deux des enfants de l’esclave Charles, François, âgé de six ans, et Marie-Elisabeth, âgée de cinq ans mais, en compensation, il se fait remettre par son frère deux Panis. Les parents s’en vont donc avec trois de leurs enfants chez le chevalier de Longueuil, cependant que deux autres enfants, âgés de six et cinq ans, demeurent chez le second baron. La famille n’était pas tout à fait démem¬ brée puisque les plus jeunes allaient continuer de vivre avec leurs père et mère, mais il reste que se faire séparer de sa famille à l’âge de cinq ou six ans, c’est subir un sort inhumain. Le Code noir des Antilles et de la Louisiane
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interdisait la vente séparée des parents et de leurs enfants impubères, mais ce Code noir n’ayant pas été mis en vigueur au Canada, les propriétaires d’esclaves ont pu agir à leur guise sur cet article. Les mariages entre esclaves Nous venons de parler assez longuement des condi¬ tions dans lesquelles les esclaves peuvent se marier et le sort qu’on réserve à leurs enfants légitimes, mais nous n’avons pas encore tenté de dresser un tableau statistique des mariages. Ce tableau n’est pas facile à composer parce que tous les registres d’état civil n’ont pas été conservés au complet : nous songeons, par exemple, aux registres du Lac-des-Deux-Montagnes qui disparurent dans un incendie ; les seules copies qu’on en connaisse ont malheu¬ reusement laissé de côté les Amérindiens ; il arrive aussi que tel enfant soit inscrit au baptême comme enfant légi¬ time, sans qu’on puisse retracer l’acte de mariage de ses parents ; et, ce qui est plus fréquent, l’acte de baptême ou d’inhumation de tel enfant n’indique pas si les parents vivent maritalement ou non. Pour les esclaves, les regis¬ tres d’état civil sont d’une désespérante imprécision. C’est pourquoi, dans nos statistiques, nous ne tenons compte que des mariages dont nous sommes certain. Nous n’avons trouvé que n mariages entre Amérin¬ diens. Mais comme il arrive souvent que le propriétaire a un cheptel mêlé d’Amérindiens et de Noirs, il faut se demander s’il n’y a pas eu de mariages entre les deux races d’esclaves. À notre grande surprise, nous n’en avons trouvé que quatre, le marié étant chaque fois un Noir (car aucun Amérindien n’a épousé de Noire), mais de ce petit nombre de mariages, on pourrait peut-être conclure que le Noir n’éprouve pas un goût très vif pour l’Amérin¬ dienne.
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Deux siècles d'esclavage au Québec
Le premier mariage survient en 1752 lorsque le Noir Charles, esclave de la veuve Albert Parent (née Marie-Suzanne Richard), épouse à Détroit le 10 avril la Panise Marie-Marguerite, esclave de la même proprié¬ taire ; l’esclave noir, âgé de 30 ans, avait été baptisé 6 jours plus tôt; au moment du mariage, la mariée est enceinte : 3 mois plus tard, le 9 juillet, elle donne naissance à une fille, nommée Catherine, que les registres qualifient de « négresse ». Nous ne leur connaissons pas d’autre enfant. Un autre mariage aurait été contracté vers 1756 entre un Noir et une Panise, selon un acte d’inhumation du 12 avril 1767 : ce jour-là, on inhume à Lachine MarieMadeleine, fille légitime de Chariot, Noir, et de la Panise Marie, et âgée de n ans ; le 15 mai suivant, le père est inhumé à l’âge d’environ 50 ans et présenté comme époux de la Panise Marie. Nous en déduisons que le mariage a eu lieu vers 1756, mais alors ne seraient-ce pas les époux de 1752 que nous venons de rencontrer à Détroit? Le troisième mariage est celui de l’esclave noir Jacques-Caton avec la métisse Marie en 1780 (les registres ne donnent ni mois ni quantième) : ce sont deux esclaves du bourgeois Jacques Duperron-Bâby. Le mariage fut conclu à la demande du propriétaire, car il importait de légitimer un enfant. En effet, entre le 10 et le 19 janvier 1780, la métisse Marie fait baptiser un fils mais, à cause de l’imprécision des registres, nous ne pouvons pas dire si le mariage a lieu dans les deux semaines de 1780 qui précèdent la naissance de l’enfant ou seulement après cette naissance. Enfin, vers 1798, l’esclave noir Jollock Kellings, au service du négociant George Gregory, épouse une Amérindienne, Josette Christie, descendue très jeune des pays d’en haut. Lorsque leur fils d’un an, qualifié de «nègre», est inhumé à Saint-Anne-du-Bout-de-l’île en 1799,le prêtre ignore si les parents sont mariés ou non; à partir de 1803, on les présente comme époux.
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Nous avons donc recueilli chez les esclaves un total de 73 mariages qui se répartissent comme suit : mariages entre Amérindiens
XI
mariages entre Amérindiens et Noirs
4
mariages entre Noirs
58
De ces mariages entre esclaves, nous remarquons que les Amérindiens et les Noirs ne se mêlent que fort peu. Et si l’on se rappelle que la population amérin¬ dienne est le double de celle des Noirs, on s’étonne de ne trouver que n mariages contractés entre Amérindiens, alors que 58 sont contractés entre Noirs. Il ne s’ensuit pas nécessairement que les Amérindiens négligent le mariage, car nous verrons bientôt que 34 esclaves amérin¬ diens ont épousé des Blancs : il faudrait en déduire que les Amérindiens semblent plus facilement se mêler aux Blancs qu’entre eux... Si, pour chaque mariage, nous connaissions l’âge des époux (et surtout si les mariages étaient plus nombreux encore), nous pourrions dire avec assez d’exactitude à quel âge on se marie chez les esclaves. Or nous ne connaissons l’âge que de six époux amérindiens, et encore n’est-ce qu’un âge apprécié à l’œil. Tout de même, sur ces 6 époux, 5 n’ont que 23 ans ou moins ; saluons le plus jeune ménage : Charles, âgé de 22 ans, esclave de René Bourassa, et son épouse Marie, âgée de 17 ans. Pour les Noirs, les renseignements sont plus abon¬ dants : les registres nous donnent l’âge de 30 époux ; malheureusement, nous n’obtenons pas toujours en même temps l’âge des deux époux; c’est tantôt l’âge de l’épouse, tantôt l’âge de l’époux. Dans ces conditions, nous trouvons que l’âge moyen de l’époux est de 32,3 ans, et celui de sa femme de 24,9 ans. Cette moyenne, évidem¬ ment, n’a guère de valeur puisqu’elle n’est calculée que sur 30 individus. Les plus jeunes époux sont des Noirs de
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20 ans; le plus vieux a 52 ans : ce Jacques-César, esclave de Gamelin, qui épouse après 2 ans d’attente l’esclave noire de la baronne de Longueuil. Six épouses n’ont que 20 ans ou moins ; il y en a même une de 15 ans : l’esclave de Dominique Gaudet, pour qui le Noir affranchi LouisAntoine consent à rentrer en esclavage. Les cas de grave disparité d’âge sont rares; l’écart le plus marquant apparaît dans le mariage des esclaves du baron de Longueuil en 1719 : le Noir Charles, âgé de 35 ans, épouse la Noire Charlotte-Élisabeth qui n’en a que 20. Au moins 6 de ces 73 mariages sont ce qu’on appelait, chez nous, des mariages obligés, la future étant enceinte. La Panise Marie-Marguerite, esclave de la veuve Albert Parent, est enceinte de six mois lorsqu’elle épouse le Noir Charles, en 1752. Enceinte aussi Marie-Louise, esclave noire de Pécaudy de Contrecœur; enceinte l’esclave noire Marie, lors de son mariage en 1757 avec le Noir Jacques, l’un et l’autre appartenant à Lacorne Saint-Luc. JeanFrançois et Jeanne, tous deux esclaves de John Campbell, vivent sous le même toit : trois mois après leur mariage de 1785, une négrillonne se met à vagir dans le berceau. Quand l’esclave noir Titus Camel se présente à l’autel en 1786, au bras de la Noire Mary Roux, celle-ci présente les signes d’une indubitable et heureuse fécondité. En 1797, le Noir Paul Cramer Polydore conduit à l’église l’esclave noire Margaret Wimble, âgée de 40 ans; cette future épouse qui lui avait déjà donné quatre enfants illégitimes, est enceinte une fois de plus : ni l’un ni l’autre n’ont dû s’en étonner. Nous aurions aimé calculer la population moyenne des familles d’esclaves ; mais comment y parvenir ? Tant d’enfants ont été baptisés sous l’anonymat le plus complet et que de fois, à une époque où la mortalité infantile est très élevée (et elle l’était plus encore chez les Noirs) on a pu négliger de faire baptiser les nouveau-nés : ce qui
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leur enlevait toute chance de figurer au moins une fois dans les registres d’état civil. Avec cette documentation fragmentaire, nous n’avons pu réunir que quatre familles de six enfants et plus : 6 enfants
Jean-François et Jeanne, esclaves noirs de John Campbell, mariés à l’église anglicane de Montréal en 1785.
7 enfants
Charles et Charlotte-Élisabeth, esclaves noirs du baron de Longueuil, mariés à Montréal en 1719. Francis Smith et Dorothy Hutchins, esclaves noirs mariés à l’église presbytérienne de Québec en 1788.
8 enfants
Robert Jackson et Catherine Stephens, esclaves noirs mariés à l’église anglicane de Québec en 1795-
Ces quatre exemples ne citent que des ménages de Noirs; chez les Amérindiens, nous n’avons jamais rencontré plus de trois enfants par ménage. Une informa¬ tion plus abondante (et elle nous paraît impossible dans les circonstances) changerait peut-être toute la présenta¬ tion de ce problème.
► NOTES 1
Requête des propriétaires d’esclaves, reproduite dans le Journal de la Chambre d’Assemblée du Bas-Canada, 1800,151-157.
2 Journal de mars 1721, dans Charlevoix, Histoire, V, 210. 3
Billet de Montréal, en date du 14 janvier 1771, dans la Gazette de Québec, 24 janvier 1771, p. 3.
4
Visite générale, dans RAPQ, 1948-1949,140.
5 APQj Collection de pièces judiciaires et notariales, dossier 1230.
CHAPITRE
XI
Les Canadiens ont-ils du sang d’esclaves?
A
lors que les esclaves noirs contractent fréquem¬ ment mariage entre eux, les Amérindiens se marient
très peu avec les leurs. Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils demeurent célibataires, car il ne faut pas oublier le goût que les Canadiens, selon Charlevoix, éprouvent pour les « sauvagesses » : si bon nombre de Canadiens se contentent de folâtrer avec les «sauvagesses», d’autres sentent tout de même le besoin de s’attacher par les liens du mariage ; ou bien ce sont des Amérindiens qui font la conquête permanente de Canadiennes.
« Que les Indiens et les Français ne fassent qu’un même sang» Comme les Canadiens reviennent des pays d’en haut en ramenant surtout des Panises, il est inévitable qu’en plus du problème des enfants illégitimes se pose celui du mariage entre Canadiens et Amérindiennes. Problème ancien. Vers 1648, le jésuite Pierre de Sesmaisons n’avaitil pas recommandé au pape qu’on permît aux Français de la Nouvelle-France d’épouser des «sauvagesses» même
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Deux siècles d’esclavage au Québec
si elles n’étaient pas baptisées? Les avantages, écrivaitil, en seraient nombreux, par exemple, celui de fortifier l’alliance avec les tribus indigènes; «c’est diminuer le nombre des sauvages et augmenter celui des chrétiens [...]. Ces mariages avanceront beaucoup la peuplade de ce grand pays ou Dieu n’est point servi car nos Français s’y étant mariés, ils y seront retenus par les liens sacrés du mariage et ne repasseront pas en France comme ils font pour y venir prendre femme qui les empêche peu après d’y retourner [...]. Ces raisons me semblent assez pres¬ santes pour porter sa Sainteté à permettre aux Français qui habitent la Nouvelle france d’épouser les filles sauvages quoique non baptisées ni même encore beau¬ coup instruites1.» Plus importante que ce mémoire individuel, est la politique même prônée par le ministre Colbert en faveur d’un mélange total de l’Amérindien et du Français en Nouvelle-France. Regrettant que les Algonquins et les Hurons ne soient pas encore francisés, Colbert écrit à l’intendant Talon en 1667: «Vous avez commencé de remédier à cette longue négligence et vous devez tâcher d’attirer ces peuples sur tous ceux qui ont embrassé le christianisme dans le voisinage de nos habitations et s’il se peut les y mêler, afin que par la succession du temps n’ayant qu’une même loi et un même maître ils ne fassent plus ainsi qu’un même peuple et un même sang». Et l’année suivante, le même Colbert reproche aux Jésuites et à ceux qui détiennent l’autorité de n’avoir pas assez travaillé à civiliser les «sauvages» convertis, «soit en les joignant par mariage aux Français, soit en attirant leurs familles entières parmi les nôtres2». La politique de Colbert, au moment où elle s’applique au peuplement de la Nouvelle-France, est donc claire : amener les Français et les « sauvages » à se marier entre eux, pour qu’ils ne fassent qu’un même peuple et un même sang.
Les Canadiens ont-ils du sang d’esclaves ?
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L’expérience a été maintes fois tentée au XVIIe : Champlain adopte trois petites Amérindiennes pour les élever à la française, Foi, Espérance et Charité, mais elle finissent par regagner les bois ; les Ursulines de Québec fondent un «séminaire pour Sauvagesses»; les sœurs de la Congrégation à Montréal élèvent, entre autres, deux jeunes Poutéoutamises que les Iroquois avaient données en qualité d’esclaves au gouverneur Courcelle : « elles ont appris le langage français et ont été élevées à l’européenne, en sorte que la grande qui a été baptisée est en état de se marier avec un Français, mais ce qui serait à souhaiter ce serait qu’on eût un peu moyen de la doter, afin qu’étant à son aise, cela donne exemple aux autres et les animât du désir d’être élevée à la française3 ». De ces mariages entre Français et «sauvagesses» libres, il y en eut encore au XVIIIe siècle. Marianne You, Miamise, fille de Pierre You d’Youville de Ladécouverte et de la Miamise Élisabeth, épouse à Montréal le 15 août 1718 à l’âge de 24 ans, un Canadien nommé Jean Richard, fils de Guillaume Richard et d’Agnès Tessier. Mais c’est dans la famille des Hamelin qu’il faut chercher un cas inté¬ ressant. Fils de Jacques Hamelin, seigneur des Grondines, le négociant Charles Hamelin épouse, à Michillimackinac le 27 novembre 1738, la Sauteuse Marie-Athanase qui lui avait déjà donné quatre enfants illégitimes : il les légitime le jour de son mariage. La Sauteuse meurt en 1745, mais le négociant Hamelin n’a pas perdu le goût de l’Amérindienne : en 1746, de la Sauteuse Marie-Anastasie, il a un fils illégitime et, enfin, le 4 février 1748, il épouse la mère : c’était sa deuxième Sauteuse. Louis Hamelin, fils de ce Charles Hamelin, va très fidèlement conserver la tradi¬ tion paternelle : de la Sauteuse Marie-Joseph Lesable il a cinq enfants illégitimes, de 1769 à 1779, et enfin, le 19 août 1787 à Michillimackinac, il épouse la mère de ses enfants. Et l’on pourrait, quoi qu’on en ait dit, allonger ici toute
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une liste de ces mariages entre Canadiens et «sauvagesses» de condition libre. Permettre aux Canadiens d’épouser des «sauvagesses» pouvait être (en mettant les choses au mieux) une façon d’assurer l’éducation chrétienne de l’épouse; à tout le moins, c’était une ressource pour procurer des femmes aux colons. Or ces mariages n’étaient pas sans graves inconvénients. Marie de l’Incarnation l’avait déjà remarqué : un Français devient plutôt « sauvage » qu’un sauvage ne devient Français. Pour empêcher les époux canadiens de s’abandonner à la sauvagerie, il fallut inter¬ venir : en 1673, par exemple, quand on permet à Nicolas Pelletier d’épouser une Montagnaise, on pose comme conditions qu’il réside avec sa femme, non pas dans les bois parmi les « sauvages » mais en son habitation avec les Français, et que les enfants soient élevés dans les mœurs et la langue françaises4. Au XVIIIe siècle, les autorités du pays en viennent à la prohibition ; en 1706, le gouverneur Vaudreuil défend à Lamothe, de Détroit, de laisser marier des Français avec des Amérindiennes ; et, comme l’écrivent le gouverneur Vaudreuil et l’intendant Raudot en 1709, Lamothe s’est conformé à cette défense, «persuadé qu’il est, qu’il ne faut jamais mêler un mauvais sang avec un bon, l’expérience que l’on en a en ce pays, que tous les Français qui ont épousé des sauvagesses sont devenus libertins fainéants, et d’une indépendance insupportable, et que les enfants qu’ils ont eus ont été d’une fainéantise aussi grande que les sauvages mêmes, doit empêcher qu’on ne permette ces sortes de mariages5 ». On était donc bien désabusé de ce projet qu’avait conçu Colbert de marier les Français et les Amérindiens pour qu’ils ne fassent « qu’un même peuple et un même sang». Le problème, cependant, pouvait être different pour les Amérindiens qui vivaient en servitude : venus de loin (la plupart du temps du haut Missouri), enlevés très jeunes
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Graphique V Mariage des esclaves (sur 4 165 mariages) 120
à leurs familles, habitués à la vie familiale des Canadiens, les Amérindiens esclaves avaient plus de chance de se franciser. En 1726, M&r de Saint-Vallier lui-même n’hé¬ site pas à bénir le mariage de la Panise Marie-Catherine Desbois avec un Français de Montréal, François Sainton dit Carterel. Intimement mêlés à la population fran¬ çaise, il était normal que le mélange se complète par le mariage. D’ailleurs, les Panis sont maintes fois qualifiés de « sauvages francisés ». Quand MSr de Saint-Vallier bénit le mariage d’une Panise avec un Français, il y a déjà au moins 20 ans que ce genre de mariage entre Canadiens et esclaves se pratique. Fe plus ancien nous paraît être celui de 1705 : le Panis Faurent Féveillé, qui appartient probablement à la famille Boucher de Boucherville (parce que le seigneur de Boucherville sert de témoin au mariage), rendit enceinte une mineure de 19 ans, la Canadienne Marie Demers ; comme le veut l’usage des bonnes familles, on convint de les marier et le 22 novembre 1705, après la dispense
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Deux siècles d’esclavage au Québec
des trois bans, le Panis Léveillé épouse Marie Demers. Plus d’une trentaine de ces mariages entre Canadiens et Amérindiens esclaves allaient suivre. Outre ces mariages, nous avons pu relever un petit nombre de mariages entre Canadiens et esclaves noirs. Notre liste commence en 1713 et se termine vers 1812, le dernier mariage étant contracté par un Noir qui est né du temps de l’esclavage. Mariages entre Canadiens et Noirs ou Amérindiens
Voilà donc n mariages contractés par des Canadiens avec des Noirs et 34 mariages de Canadiens avec des Amérindiens. Au total, 45 Blancs (français ou francisés) ont uni leur destinée à celle d’un Noir ou d’un Amérindien. Dans les mariages noirs et blancs, nous ne rencontrons qu’un seul Canadien (et encore nous ne sommes pas sûr du tout qu’il soit Blanc) ayant épousé une Noire : Joseph Provençal; partout ailleurs, ce sont des Noirs qui font la conquête des Canadiennes. Il y a un peu plus d’équilibre dans les mariages entre Canadiens et Amérindiens : sur 34 de ces mariages, 14 Amérindiens épousent des Canadiennes, et 20 Cana¬ diens se marient à des Amérindiennes. De ces mariés, trois Noirs et cinq Amérindiens sont encore esclaves au moment de leur mariage. Nous savons que, pour sa part, le Noir François Williams continue de vivre esclave même s’il a épousé la Canadienne MarieElisabeth Mondina ; la Panise Louise et la Siouse MarieMarguerite-Caroline ne sortent d’esclavage que pour être mariées à des Canadiens. Les autres étaient d’an¬ ciens esclaves, affranchis à une date que nous ignorons. Certains de ces esclaves sont inscrits dans le registre des mariages sans aucun nom de famille : le Renard Joseph Le Renard se marie sous le seul prénom de Joseph et ce n’est que par la suite qu’il adoptera pour patronyme
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Le Renard; le Panis François, époux de Madeleine Lamontagne, ne paraît pas s’être soucié de prendre un nom de famille. D’autres qui n’avaient encore aucun patronyme lors de leur mariage s’empressent d’assurer un nom à leurs enfants. Le Panis Jean-Baptiste, qui épouse Marie-Geneviève Desforges dit Saint-Maurice, trouve tout simple d’adopter le nom de sa femme : son fils sera un Desforges dit Saint-Maurice; le Panis Joseph, après avoir épousé la servante anglaise Marie-Anne «Ouidech», prend le nom de Riberville, et c’est ainsi que ses enfants seront connus ; Nicolas, Panis de Doyon, s’appellera désormais Doyon dit Laframboise : de quoi confondre les généalogistes s’ils ignorent que ce Nicolas Doyon est un Panis. Les registres, nous l’avons mentionné plus tôt, ne font pas connaître l’âge de chacun des époux : tantôt on ne donne que l’âge de l’époux, tantôt seulement celui de l’épouse, tantôt on n’indique rien du tout. Dans ces conditions, nous devons nous en tenir à des détails parti¬ culiers. Ainsi, parmi les 20 mariés dont l’âge est connu, aucun n’est extrêmement jeune : 3 seulement n’ont pas tout à fait 21 ans. Le plus vieux mariage est celui du Panis André Rapin dit Scayanis : à 63 ans, il épouse une Canadienne qui en a 58. Ces mariages entre Canadiens et Amérindiens ou Noirs se font avec les formalités coutumières. Si l’un des conjoints est esclave, il doit évidemment obtenir d’abord la permission de son maître : c’est ce que fait le Noir Pierre-Dominique Labeur quand il veut épouser la Canadienne Marie Talon; il obtient une permission écrite le 27 novembre 1749 et se marie le surlendemain. L’esclave peut aussi obtenir d’être affranchi, comme cela se produit pour la Panise Louise qui veut épouser Louis Brunet en 1766, et pour la Siouse Marie-MargueriteCaroline qui, en 1771, se fait d’abord acheter par son futur mari. Car le mariage d’un esclave avec une personne libre
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ne change rien à la condition de l’esclave, et les enfants subissent la condition de la mère, selon le Code noir, à moins que par un acte d’affranchissement le maître en décide autrement. Le Noir François Williams demeure en esclavage après son mariage avec la Canadienne MarieÉlisabeth Mondina en 1783. On «met les bans à l’église». Ne se faire dispenser d’aucun des trois bans est considéré comme un signe de grande pauvreté : Raymond Rigal et sa Panise Marguerite Marin laissent publier les trois bans de leur mariage en 1761; René Mervillon et sa Panise Marguerite font de même en 1765 ; quand il épouse la Panise Marie-Anne en 1770, le veuf Gaspard Monpetit supporte bravement les trois bans. Les gens le moindrement à l’aise s’arrangent pour ne faire publier leur mariage qu’une fois. Il arrive qu’on recourt même à la dispense des trois bans : si un veuf se remarie quand la tombe de sa première épouse est encore toute fraîche, s’il y a une trop forte disparité d’âge entre les conjoints ou si la mariée souffre d’une gros¬ sesse impossible à dissimuler, alors il vaut mieux ne pas faire de publicité autour du mariage. Dispense des trois bans, donc, lorsque le Panis Laurent Léveillé épouse en 1705 une mineure enceinte, et lorsque Firmin Landry dit Chariot épouse sa Siouse qui lui avait donné cinq enfants illégitimes et qui était encore enceinte. D’autres cas de dispense des trois bans se produisent, sans que nous puis¬ sions les expliquer: la mariée était-elle enceinte? Ou le Canadien préférait-il que l’on passe sous silence son mariage avec une Amérindienne ? A ces mariages, comme à tout mariage, il faut des témoins. Au mariage du Panis Laurent Léveillé en 1705, le seigneur Pierre Boucher de Boucherville, probable¬ ment maître de ce Panis, agit comme témoin; le capi¬ taine Jacques-Pierre Daneau Demuy remplit le même rôle en 1752 lors du mariage de la Panise Geneviève Caris ; François-Augustin Bailly de Messein sert de témoin à
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son ancienne Panise, Marie-Anne, quand elle épouse le veuf Montpetit en 1770. Parmi les mariages que nous avons énumérés, il y a des cas de secondes noces. Trois Canadiennes, veuves de Canadiens, acceptent de passer dans le lit d’un Amérindien : Anne Gourdon dit Lâchasse, veuve de Pierre Lelat; Marguerite Lafond, veuve de Joseph Fafard; et Marie-Madeleine Lereau, veuve de Jean Laroche, se donnent en secondes noces à des Amérindiens. Deux veufs, Pierre Chauvet dit Lagerne et Gaspard Montpetit, qui vécurent avec des Canadiennes, trouvent bon pour un second mariage de prendre des Amérindiennes. Après avoir perdu son épouse noire, l’esclave noir Beaumenil opte pour une Blanche, Marie-Thérèse Laisné. Il importe surtout de noter qu’après avoir goûté de l’exotisme, les Canadiens reviennent, pour les secondes noces, au menu normal : la jeune Marie Demers, quand elle perd son Panis Laurent Léveillé, épouse le Canadien Louis RenaudLocat; Marie-Gareau trouve qu’un époux amérindien est assez : elle prend le deuxième chez les Canadiens, Charles Langevin ; Marie-Anne Grenier, devenue veuve de son Panis, se marie à un Canadien, Jean Lefranc. Deux Canadiens, d’abord mariés à des Amérindiennes, ne reviennent pas à la même sauce : Sulpice Blanchetière qui perd sa Panise et Rémond Calmet dit Jolibois, devenu veuf de sa Panise, convolent tous deux avec une Canadienne. Quant à Marie-Catherine Robidoux, qui perd son Noir après une année de mariage, elle passe dans les bras d’un Blanc. En ce cas, s’il a survécu des enfants du premier lit, il se produisait un beau mélange dans la famille. Anne Gourdon amène à son Panis Rapin dit Scayanis deux enfants de son premier mariage avec Lelat : elle ajoute bientôt un petit Panis. De son premier mari, le Panis Laurent Léveillé, Marie Demers a trois enfants que le second mari, Louis Renaud-Locat, devra prendre comme
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Deux siècles d’esclavage au Québec
siens. Marie Gareau a, du Panis Nicolas Doyon, huit enfants; elle épouse ensuite Charles Langevin qui ajoute sa progéniture : on met tout cela ensemble ; les enfants s’entendront si bien qu’il en résultera entre eux au moins deux naissances illégitimes. Métis et mulâtres
Dans notre inventaire, nous incluons tous les Cana¬ diens qui épousèrent des esclaves, Amérindiens ou Noirs, et tous ceux aussi qui eurent des enfants illégitimes nés d’esclaves ; ajoutant à ces Canadiens un Allemand francisé (De Raby), une servante anglaise francisée («Ouidech») et un seul Anglais (l’officier «Yonce» qui était peut-être un Hughes), nous obtenons un total de 62 individus par qui le métissage entre personnes libres et esclaves s’est pratiqué au Canada français. En mettant à part l’Anglaise «Ouidech» » et l’of¬ ficier anglais «Yonce», nous comptons 60 représentants de diverses familles canadiennes-françaises qui se sont mariés ou unis à des Amérindiens et à des Noirs. Tous ces mariages, cependant, ne produisent pas des enfants : chez les Canadiens français, nous trouvons 48 personnes qui ont engendré un total de 103 enfants de sang mêlé, soit 84 métis et 19 mulâtres. Ces métis et ces mulâtres se sont-ils ensuite multi¬ pliés parmi les Canadiens français? Ou bien se sont-ils éteints dès la première génération, afin que les Canadiens français d’aujourd’hui aient la consolation de se dire purs de tout sang esclave? La réponse est aux généalogistes. Pour les orienter, nous avons, en appendice, extrait de notre catalogue, les Canadiens français dont les enfants métis ou mulâtres se sont mariés ou, à tout le moins, ne paraissent pas mourir au berceau. Chez ces métis et mulâtres, nous n’avons retenu que les enfants qui se sont mariés ou qui, en tout cas, ne sont pas morts au berceau :
Les Canadiens ont-ils du sang d'esclaves ?
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il resterait à savoir s’il n’y a pas eu d’autres enfants et surtout si la lignée de ces métis et de ces mulâtres s’est perpétuée jusqu’à nous. Il n’entrait pas dans le cadre de notre recherche de faire parmi la population actuelle un relevé de ceux qui peuvent avoir encore quelques gouttes de sang d’esclave : le Noir Regereau et Marie-Joseph Bouchette, le Panis Bourdon et Marie Bourdeau, Pierre Chauvet dit Lagerne et sa Panise, le Panis Léveillé et Marie Demers, le Panis Doyon dit Laframboise et Marie Gareau, le Panis Rapin dit Scayanis et Anne Gourdon dit Lâchasse, le Renard Joseph et Josephte Martin dit Saint-Jean, le Noir Williams et Marie-Elisabeth Mondina dit Olivier, JeanLouis Morand et sa Panise, Charles Mouet de Langlade et son esclave, le Panis Riberville et l’Anglaise fran¬ cisée Marie-Anne « Ouidech», Joseph Provençal et son esclave noire, tous ces gens-là ont fort bien pu se perpé¬ tuer jusqu’à nos jours puisque leurs fils et leurs petits-fils se sont mariés. Il est fort possible que, parmi les familles dont les noms suivent, on rencontre aujourd’hui des Canadiens français qui descendent d’un esclave amérindien ou d’un esclave noir : Beauchamps
Champagne
Desforges dit
Beauchemin
Chatel
St-Maurice
Beaumuny
Chauvet dit
Bellerose Blanchetière dit Saint-Georges Bourassa Bourdon
Lagerne Chauvet dit
Dion Doyon dit Laframboise
Lagerne
Duchesne
Chevalier-Lullier
Dumas
Content dit
Guibeau
Bourdon
Jasmin
Courchaîne
Jolibois
Cuillerier
Jollivet
De Raby
Lafleur
Boyer Brunet Calmet dit Jolibois
Deux siècles d'esclavage au Québec
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Saint-Maurice
Laframboise
Monplaisir
Lagerne
Morand
Sainton dit
Lalonde
Mouet de Laglade
Carterel
Lamothe
Parant
Sanscrainte
Landry
Provençal
Sansregret
Langevin
Racicot
Scayanis
Langlade
Rapin
Sincerni
Le Renard
Raymond
Véronneau
Lespérance
Regereau
V illeneuve
Léveillé
Riberville
Williams
Longueuil
Rigal
Wright
Lorain
Riquier
Xandre
Macchabé
Sabourin
Mervillon
Saint-Georges
En suivant les diverses ramifications de leur arbre généalogique, il se peut aussi que des Québécois rencon¬ trent tout à coup une arrière-grand-tante ou une lointaine cousine qui s’est alliée à un esclave ou à un descendant d’esclave ; cette surprise peut se produire dans les familles suivantes (elle se produit certainement dans les familles qui ne sont pas éteintes, comme la famille Trudel) : Beaugis
Grenier
Langevin
Bouchette
Guertin
Laspron
Bourdeau
Guiot
Lavigne
Casse
Hubou
Lemaire
Chalifour
Jourdain
Lemire
Demers
Lâchasse
Lepage
G are au
Lafond
Lereau
Gélineau
Laisné
Marois
Gourdon dit
Lalonde
Martin dit
Lâchasse
Lamontagne
St-Jean
Les Canadiens ont-ils du sang d’esclaves ?
Mondina dit Olivier Morisset Olivier Philippon
Renaud
Talon ou Tanon
Rivet-Lavigne
Terrien
Robidoux
Trottier
Sabourin
Trudel
Saint-Jean
Vaudry
291
Raymond
Le métissage que certains ne veulent absolument pas accepter au Québec comme une réalité historique a pourtant touché d’illustres Québécois, comme l’évêque des Trois-Rivières, Louis-François Laflèche, d’origine métis, mais sans descendre d’un esclave amérindien. L’ancien premier ministre Maurice Duplessis, selon ce qui est presque certain, descendrait, lui, du Mascoutin Jean-Baptiste dit Duplessis, originaire des Grands Lacs, esclave du traiteur Gastineau dit Duplessis : le Mascoutin qui fut le grand-père de l’arrière-grand-père de notre Duplessis. Il ne faut surtout pas oublier que certains esclaves sont, dans l’arbre généalogique des Québécois, à l’ori¬ gine de rameaux qui ne se rattachent à une branche aînée que par le nom : c’est un autre piège pour les généa¬ logistes. Si vous faites l’histoire des familles Léveillé, Rapin, Monplaisir, Leduc, Bourdon, Riberville, Doyon dit Laframboise, vous rencontrerez parmi les aïeuls un Laurent Léveillé, un André Rapin, un Nicolas Monplaisir, un Louis Leduc, un Joseph Bourdon, un Joseph Riberville, un Nicolas Doyon dit Laframboise : n’essayez pas de remonter plus haut pour les rattacher à l’immigrant français de ce nom, vous êtes en présence d’Amérindiens esclaves qui se sont francisés et qui ont épousé une Canadienne. Le nom de famille peut parfois éblouir : vous trouverez une Angélique de Berey ou un Paul-Joseph Longueuil ; le de est fallacieux : cette Angélique de Berey n’est qu’une ancienne esclave des
Deux siècles d’esclavage au Québec
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Berey des Essarts ; quant à Paul-Joseph Longueuil, fils d’un esclave des Lemoyne de Longueuil, il a pris le nom des maîtres et l’a bravement perpétué dans ses enfants. Il faut bien prendre garde ici de confondre la descendance des maîtres avec celle des esclaves ! Du badinage sur un problème agaçant
Délicate question que celle du métissage ! Les Québécois français, dont les pères ont éprouvé un goût désordonné pour les Amérindiennes, ne souffrent pas volontiers qu’on en parle. À ceux qui prétendent que les Québécois ont du sang amérindien dans les veines, on répond d’ordinaire par un non claironnant et offensé, mais personne encore ne s’est mis à l’œuvre pour établir le bien-fondé ou l’impertinence de l’affirmation. En réponse à ce problème, Benjamin Suite écrivait : «Tout au plus pourrait-on dire qu’il est tombé dans le Saint-Laurent quelques gouttes d’eau du Missouri6.» Assurément, le nombre des mariages entre Canadiens et Panis ou Noirs n’est pas élevé; nous n’avons pu en dénombrer que 45. Cependant, ce n’est pas le nombre des mariages qui importe, mais celui des descendants : on sait, par exemple, que tel immigrant français du XVIIe siècle ne s’est marié qu’une fois et il compte quand même aujourd’hui plus de 20 000 descendants. Il reste donc à s’attaquer bravement au problème pour savoir, une fois pour toutes, combien de descendants ces mariages métissés ont pu produire. La parole est aux Léveillé, aux Leduc, aux Doyon et à d’autres. Sur ce sujet dangereux, Adolphe-Basile Routhier n’a pas manqué, au siècle dernier, de taquiner assez dure¬ ment l’abbé Henri-Raymond Casgrain. L’abbé Casgrain avait, paraît-il, la prétention de descendre des Casgrain d’Airvault et des Montmorency : Routhier se chargea de crever les ballons de l’abbé en rédigeant une fort maligne
Les Canadiens ont-ils du sang d’esclaves ?
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mise au point. De cette page d’or dont rêvait Casgrain, Routhier écrit : Hélas ! cette page d’or, tant convoitée, n’existera proba¬ blement jamais. Car avant de consentir à son insertion au livre de la noblesse, on y regardera à deux fois, on fera des recherches, on fouillera le greffe de Québec, et, dans les registres des baptêmes et sépultures des paroisses de Québec et de Beaumont, on trouvera divers actes authentiques constatant que Jean Casgrain était traiteur à la basse-ville, c’est-à-dire préparait et servait à manger et à boire aux voyageurs et aux viveurs de ce temps-là, et qu’il épousa, à Québec, une demoiselle Duchesne dite LeRoide, fille d’André dit LeRoide, de la nation des Pawnis [rzV]. Ces actes établiront que Jean Casgrain n’était pas originaire de Vendée, mais de l’ancienne petite province d’Aunis, et qu’au lieu d’être sergent à la tête des troupes, il était tout bonnement cuisinier à la tête de ses plats ; que s’il a fait couler le sang, ce ne peut guère être que celui de la volaille, et que ses blessures, s’il en avait, étaient probablement des brûlures. Donc, si le Jean-Baptiste Casgrain, Vendéen, né à Airvault; le Casgrain sergent qui combattait à la tête des troupes de France et de Navarre; le Casgrain pourfendeur et mangeur de Turcs, le nasicobole, minus-cheville, balafré et calabré, si ce Casgrain a existé — ce que personne ne voudra croire — ce ne peut être Jean Casgrain le cuisi¬ nier, qui en l’an de grâce 1750, tournait des crêpes dans sa gargotte de la basse-ville, et menait à l’autel mademoi¬ selle LeRoide, de nation des Pawnis. Routhier est bien renseigné. Certes, il écrit Pawnis d’après l’anglais Pawnee, mais ce qu’il dit de Jean Casgrain est exact : l’ancêtre des Casgrain épouse d’abord la fille du Panis et d’une Canadienne. Routhier aurait dû
Deux siècles d’esclavage au Québec
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cependant ajouter que les Casgrain canadiens descendent d’un second mariage contracté par Jean Casgrain avec la Canadienne Marguerite Cazeau, mais cette précision eût détruit tout l’effet de la satire... Routhier se contente, avec un air de grande générosité, d’affirmer son estime pour les métis : « Remarquez bien que je ne méprise pas les Pawnis, non plus qu’aucune autre tribu sauvage. J’en fais au contraire grand cas, et l’on me dirait que j’ai du sang sauvage dans les veines que je n’en serais pas du tout humilié. Tout ce que je veux établir, c’est que M. l’abbé Casgrain ne descend pas en droite ligne des Montmorency ou des Caniac de Périgord1 2 3 4 5 6 7.» Pour Routhier comme pour Suite, le mélange du sang esclave et du sang français est affaire de badinage ; il en est de même pour les Québécois quand ils abordent cette question. Badiner, c’est toujours une façon élégante de contourner un problème agaçant.
► NOTES
1
APQ, Ordres du Roi, série B, vol.78,1744,145.
2
Mémoire reproduit dans Nova Francia, IV, 1929,143-145.
3
Colbert à Talon, 5 avril 1667, 20 février 1668, dans RAPQ, 1939-1940, 72 et 94s.
4
Dollier de Casson, Histoire du Montréal, 113s.
5
Permission donnée par Jean Dudouyt, citée dans RAPQ, 1939-1940, 219.
6
Vaudreuil et Raudot au ministre, 14 novembre 1709, dans RAPQ, 1942-1943,420.
7
Suite, « Lesclavage en Canada», dans la Revue canadienne, 61, 1911, 324-
CHAPITRE XII
Les esclaves disparaissent un à un
Une propagande contre l’esclavage
e progrès de l’anti-esclavagisme était de nature à inquiéter nos propriétaires. Nous le constatons dans un contrat de vente de novembre 1787 : Pierre Joinville, de l’île Dupas, représenté par le marchand Louis Olivier, achète de John Lagord une esclave de 10 ans, la Noire Cynda, pour la somme de 750 livres (ancien cours) ; Joinville fait ajouter au contrat une clause importante : « Qu’en cas qu’il y ait une loi portée par le Conseil légis¬ latif présentement assemblé ou par quelque autre auto¬ rité supérieure pour l’affranchissement des esclaves et leur donner la liberté », le vendeur Lagord sera tenu de reprendre sa Noire et de rendre la somme entière qu’il a reçue de Joinville1. Déjà en 1787, on craignait donc une abolition plus ou moins prochaine de l’esclavage. Y avait-il au Conseil législatif de Québec un projet sérieux d’abolition ou tout cela n’était-il dû qu’à des rumeurs? Ni en 1787 ni auparavant nous n’avons rien trouvé qui puisse nous éclairer là-dessus. Toujours est-il que Pierre Joinville ne tient pas à acheter à prix fort une esclave qu’il pourrait perdre peu après ; mais si, de son côté, John
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Deux siècles d'esclavage au Québec
Lagord s’engage à rendre l’argent, au cas où l’esclavage serait aboli, c’est peut-être qu’il ne croit pas à une aboli¬ tion prochaine. Jusque-là, d’ailleurs, personne au Québec n’a encore fait de propagande contre l’esclavage : les journaux sont muets sur cette question. C’est seulement en juillet 1790 que les gazettes commencent à publier de la littérature qui se rapporte à l’esclavage. Le 22 juillet 1790, le Quebec Herald imprime un poème de 48 vers, intitulé «Domestic Slavery; or Lines occasioned by the Efforts to emancipate the African Negoes » ;
il est signé Quoilus et nous ne pouvons dire si l’auteur est Canadien ou si le journal ne fait que reproduire un article tiré de la presse anglaise ou américaine. Ce poème est une satire assez anodine dirigée contre ceux qui mani¬ festent un grand zèle dans l’émancipation des Noirs : des milliers de personnes, écrit en somme l’auteur, se consa¬ crent à la libération des Noirs, alors que tout le monde est esclave : on est esclave à la campagne, on est esclave à la Cour, on est esclave de l’ennui ; il faut donc désirer la liberté pour toute l’humanité. C’est là notre première pièce de littérature sur l’esclavage. La seconde ne paraît qu’en décembre suivant, dans la Gazette de Québec : « Ehe Negroes Récital». Cette fois, c’est un plaidoyer en faveur
des Noirs, et le poème se termine sur cette chute : «For though no Briton, Mongo is — a man ! »
Même s’il n’est pas Anglais, Mongo (l’esclave) est un homme! L’auteur (dont nous ignorons la nationa¬ lité) prend la peine de souligner Mongo et a man pour marquer davantage le sens de son plaidoyer; et l’on fait suivre ce poème d’un bref article sur l’esclavage2. La propagande va se poursuive avec plus d’insis¬ tance au cours de l’été 1791. À la Chambre des communes de Londres, les adversaires de l’esclavage avaient en avril soulevé un grand débat au cours duquel on racontait des
Les esclaves disparaissent un a un
297
scènes de torture et tout ce que l’esclavage entraînait d’odieux, mais le débat s’était terminé par un vote majo¬ ritaire contre l’abolition : débat que la Gazette de Québec reproduit in extenso, chaque semaine, du 21 juillet au 8 septembre. Le 15 septembre, elle publie les résolutions d’un comité de Londres, partisan de l’abolition : ces réso¬ lutions regrettent que les Communes se soient pronon¬ cées en faveur du maintien de la traite des esclaves; on espère que la cause finira par triompher3. Le 12 mars 1792, bref intermède poétique : dans le Quebec Herald paraît un poème de 56 vers, « The Negro’s Complaint». C’est une diatribe contre l’esclavage : un
nègre, qui raconte ses misères, apostrophe ses maîtres en prenant Dieu à témoin. Le mois suivant, 16 avril, la même gazette, puisant dans les journaux d’Angleterre, fait connaître un plan en quatre articles pour éman¬ ciper les esclaves des Indes occidentales anglaises; ce plan est accompagné de commentaires tirés des jour¬ naux d’Angleterre. Le 7 juin, la Gazette de Québec raconte, toujours à l’aide de journaux anglais, la séance histo¬ rique qui s’est déroulée le 2 avril précédent lorsque la Chambre des communes de Londres, par un vote de 230 contre 85, a approuvé l’abolition graduelle de la traite des Noirs : cette première démarche victorieuse, obtenue par les adversaires de l’esclavage, ne soulève cependant aucun commentaire chez les journalistes québécois; ce n’est qu’une nouvelle de plus. Le 21 juin, la même gazette rapporte l’aventure de cette Noire qui, après avoir donné naissance à un enfant, se précipite avec lui dans la mer pour qu’il échappe à la servitude, mais cette histoire traduite du français, se passe dans un autre pays que le Canada, et a peut-être été inventée de toute pièce : la littérature pouvait quand même aider la cause anti-esclavagiste4. Puis, le Quebec Herald entreprend la publication des débats qui ont amené les Communes de
298
Deux siècles d'esclavage au Québec
Londres en avril à se prononcer pour l’abolition graduelle de la traite : le 16 juillet, l’hebdomadaire consacre à cette publication une colonne et demie et, la semaine suivante, il y va de cinq colonnes et demie ! L’abolition de la traite devenait incontestablement la grande question du jour. Enfin, le 30 août, la Gazette de Québec publie un rapport qui a été présenté à l’Assemblée nationale de France sur l’abolition du trafic des Noirs5. Il est inutile de chercher en tout cela une propagande cohérente et orchestrée contre l’esclavage : commencée par deux poèmes en 1790, reprise à l’été 1791, la propa¬ gande de la presse canadienne contre l’esclavage a plutôt un caractère occasionnel. Tout dépend des événements qui se déroulent outre-Atlantique : on peut être des mois sans entendre parler du problème de l’esclavage; on y attache soudain une grande importance, puis le problème ne paraît plus préoccuper les gens. Nous notons encore que cette propagande anti-esclavagiste de la presse n’a absolument rien d’original, rien qui se rapporte au problème canadien : les journaux publient les débats de Londres comme on publie une nouvelle étrangère, sans aucun commentaire reliant cette nouvelle à des préoccu¬ pations canadiennes. À lire cette propagande, on croirait qu’il n’y a pas d’esclaves au Bas-Canada. Les esclaves sont toujours là : le recensement de 1784 nous permet de savoir qu’il y avait au Canada au moins 304 esclaves ; quelques-uns meurent avant 1790, mais d’autres les remplacent; les gazettes continuent d’en mettre en vente ou de donner le signalement d’es¬ claves en fuite; de 1790 à 1792, 15 Amérindiens esclaves et 11 Noirs esclaves apparaissent dans les registres d’état civil à l’occasion de leur baptême ou de leur inhumation. Les esclaves ne sont pas nombreux, mais il y a quand même esclavage.
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Un projet de loi contre l’esclavage La propagande de la presse canadienne fut modeste, mais comme l’Angleterre, la France et même certains Etats américains s’appliquaient à améliorer la situation des esclaves, on pouvait s’attendre à ce que le parlement du Haut-Canada ou celui du Bas-Canada soient saisis du problème lors de leur inauguration de 1792. Le parlement du Haut-Canada fut le premier à siéger, du 17 septembre au 15 octobre : au cours de cette très brève session, on n’étudia aucune mesure relative à l’esclavage. Le parle¬ ment du Bas-Canada ne se réunit pour la première fois que le 17 décembre, mais la session allait durer quatre mois et demi. Le problème de l’esclavage est soumis dès le 28 janvier 1793 aux 50 députés de la Chambre d’assemblée, réunis dans l’ancienne chapelle épiscopale de Québec. Ce 28 janvier, selon le journal de la Chambre, le député Pierre-Louis Panet «propose qu’il lui soit permis d’in¬ troduire dans cette Chambre un Bill intitulé Acte qui tend à Vabolition de l'esclavage en la Province du Bas-Canada. Secondé par M. Dunière. Accordé unanimement, et permis en conséquence». La Chambre d’assemblée allait donc décider si l’esclavage serait aboli ou main¬ tenu. Ce n’est cependant que le 8 mars suivant que le député Bonaventure Panet propose «à cette Honorable Chambre qu’un projet de Bill tendant à l’abolition de l’esclavage soit maintenant lu pour la première fois»; Amable Berthelot, député de Québec, appuie la propo¬ sition Panet et l’on fait une première lecture du projet de loi. La députation avait cependant d’autres problèmes à étudier, qui lui paraissaient sans doute plus urgents, et un mois s’écoule avant qu’il soit de nouveau question de l’esclavage. Le 10 avril, Pierre-Louis Panet, appuyé par Amable Berthelot, demande que l’on procède le
Deux siècles d'esclavage au Québec
3°°
lendemain à la deuxième lecture du projet de loi : tout le monde est d’accord; mais le lendemain, rien. La deuxième lecture n’a lieu que le 19 avril. Lecture faite, Pierre-Louis Panet propose «que cette Chambre se résolve en un comité de toute la Chambre, sur le Bill tendant à l’abolition de l’esclavage, jeudi prochain», le 25. Jusque-là, le plan libérateur de Panet était en bonne voie, mais sur cette proposition précise qui serait l’étape décisive, la discussion éclate. Pierre-Amable Debonne, député de York, propose un amendement destructeur : que ce projet de loi «reste sur la table», c’est-à-dire qu’on ne s’en occupe plus. Debonne a l’appui du député George McBeath qui représente le même comté que Bonaventure Panet. La Chambre vote et l’amendement Debonne l’emporte victorieusement par 31 voix contre seulement 3. Le projet de loi est enterré, l’esclavage est maintenu dans le Bas-Canada, par la volonté de la Chambre d’assemblée. L’échec de ce premier projet nous fait connaître quatre adversaires de l’esclavage : Pierre-Louis Panet, Louis Dunière, Bonaventure Panet et Amable Berthelot. Chose curieuse, l’un d’eux avait déjà eu un esclave : Louis Dunière qui en 1751 avait acheté le Noir Jean Monsaige, et dont le frère, curé de Saint-Augustin, avait eu en sa possession le Noir Daniel-Télémaque. Comme le démontre le vote du 19 avril 1793, la Chambre d’assemblée comptait, en très forte majorité, des partisans du maintien de l’esclavage. Parmi ces parti¬ sans, nous en connaissons au moins 12 qui avaient été, qui étaient ou qui allaient devenir propriétaires d’esclaves : Michel Chartier de Lotbinière, William Grant, PierreGuillaume
Guérout,
Antoine
Juchereau-Duchesnay,
Hippolyte-Saint-Georges Lecompte-Dupré, John Lees, Robert Lester, David Lynd, James McGill, Mathew McNider, Louis Olivier et John Young.
Les esclaves disparaissent un a un
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En effet, Chartier de Lotbinière possédait au moins deux Noirs. William Grant, qui eut une Noire en 1772 et perdit un Noir en 1776, avait vu son esclave Jack s’en¬ fuir au début de 1792. Pierre-Guillaume Guérout possé¬ dait en 1783 un Noir, nommé Charles, qui prend alors la fuite. Antoine Juchereau-Duchesnay possédait en son manoir de Beauport un esclave noir, marié à une Canadienne française, et père de quatre enfants esclaves. A
Hippolyte-Saint-Georges
Lecompte-Dupré, nous
connaissons un Noir en 1774. John Lees était propriétaire de deux esclaves noirs, mariés et parents d’un négrillon. Robert Lester, Anglais catholique, avait perdu un Noir en 1783, mais la même année il en fit baptiser un autre, probablement encore en sa possession. David Lynd fera baptiser en 1798 une Noire esclave âgée de 17 ans. James McGill avait perdu un Panis en 1778, une Panise en 1783, une Noire en 1789 ; il était peut-être déjà propriétaire de ce Noir Jacques qui sera baptisé en 1806 à l’âge d’en¬ viron 40 ans. Mathew McNider a un Noir qui s’enfuit en 1788 et un autre qui, la même année, se fait soigner à l’Hôtel-Dieu de Québec. Louis Olivier a reçu de son beau-père, Pierre Joinville, la Noire Marie Bulkley qui accouche d’un enfant en 1792 et qu’il va revendre en 1797. John Young achètera un Noir en 1795 et on lui en connaît un autre en 1798. La députation du Bas-Canada en 1793 comptait donc 12 Canadiens qui, à un moment ou l’autre de leur carrière, sont propriétaires d’esclaves : un seul, Louis Dunière, s’affiche comme adversaire de l’esclavage. Les autres sont en faveur du statu quo : 12 propriétaires d’esclaves sur 50 députés, cela ne suffit pas nécessaire¬ ment pour maintenir l’esclavage ; ce qui importe ici, c’est l’influence de certains propriétaires : William Grant, Antoine Juchereau-Duchesnay, Hippolyte-Saint-Georges Lecompte-Dupré, John Lees, James McGill, Mathew McNider et John Young (pour ne mentionner que
3°2
Deux siècles d’esclavage au Québec
ceux-là). Toutefois, pour apporter ici une explication valable, il faudrait savoir exactement ce qui s’est dit au cours des débats, mais le Journal de la Chambre d Assem¬ blée ne nous l’a pas conservé. Le Haut-Canada interdit l’importation d’esclaves
Des deux Canadas que l’Acte de 1791 avait formés, le Haut-Canada, ou Ontario, sera le premier à légiférer d’une façon restrictive sur l’esclavage. Au cours de sa première session, qui n’avait duré qu’un mois, le parle¬ ment du Haut-Canada ne s’était pas arrêté au problème de l’esclavage : il ne retiendra son attention qu’à la deuxième session, celle qui s’ouvre au printemps de 1793 ; c’est alors que le parlement du Haut-Canada adopte une loi pour empêcher l’importation d’esclaves dans cette province et pour déterminer dans quelles conditions l’esclavage sera amené à disparaître. En résumé, que dit la loi? Il sera défendu à l’avenir d’introduire dans le Haut-Canada des esclaves noirs ou toute autre personne dans le but de les soumettre à l’esclavage; les esclaves déjà présents dans la province continueront de vivre en servitude et tout enfant qui naîtra d’une mère esclave sera aussi esclave, mais jusqu’à l’âge de 25 ans seulement. La loi du Haut-Canada de 1793 ne supprime pas l’esclavage : elle statue seulement qu’on ne pourra plus faire entrer de nouveaux esclaves dans la province et que les enfants qui naîtront d’une mère esclave devien¬ dront libres à l’âge de 25 ans. Comme l’écrit le député D.W. Smith au négociant John Askin : «Nous n’avons fait aucune loi pour libérer les esclaves. Tous ceux qui ont été amenés dans cette province ou achetés légalement sont esclaves à toutes fins pratiques et demeurent assurés comme propriété en vertu d’un acte du parlement.» Parlant des députés, Smith ajoute : « They are determined however to bave a bill about Slaves, part of which I think is
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well enough, part most iniquitous! I wash my hands of it. A free man who is married to a Slave, bis heir is declared by this act to be a slave, fye.fye. The laws of God et man cannot authorize it.» L’enfant d’une esclave doit être esclave comme sa mère, peu importe la qualité du père : voilà ce qui scandalise le député Smith; c’était pourtant dans le Code noir depuis 1685. John Askin, important propriétaire de Noirs et de Panis, avait besoin d’être rassuré sur la nouvelle législation, mais il pouvait demeurer tranquille : ses esclaves, même ceux qui venaient de naître tout juste avant l’adoption de la loi, pouvaient lui appartenir indéfiniment comme esclaves; quant à ceux qui allaient naître d’une mère esclave, ils seraient esclaves jusqu’à l’âge de 25 ans. Le parlement du Haut-Canada avait trouvé une formule pour satisfaire les propriétaires d’esclaves et en même temps amener l’esclavage à s’éteindre; le droit de propriété se trouvait respecté. Un seul changement important se produit tout de suite : les Haut-Canadiens ne peuvent plus importer d’esclaves. Mais cette loi va aussi, par voie de conséquence, faire du Haut-Canada une « terre de liberté » pour les esclaves fugitifs. En effet, puisque la loi de 1793 défend de soumettre à la servi¬ tude tout esclave noir ou amérindien qui entre désor¬ mais dans la province du Haut-Canada, tout esclave fugitif qui viendra chercher asile dans cette province se trouvera libéré de servitude. Et, en fait, les esclaves de l’extérieur ne laisseront pas se perdre cette nouvelle protection : de Détroit (remise aux Etats-Unis à la fin de 1796), ils traverseront la rivière Sainte-Claire; il en viendra aussi du New York comme du Bas-Canada. Il existera même, de 1793 à 1863, une organisation, qu’on a surnommée The Underground Railway, qui fera venir des États-Unis le plus d’esclaves possible6. Mais pendant que le Haut-Canada devenait un lieu de refuge international,
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les esclaves d’avant 1793 continuaient d’y vivre en servi¬ tude. Le juge en chef ne reconnaît pas l’esclavage
Le projet de loi présenté au parlement du BasCanada au printemps de 1793, était donc «demeuré sur la table» et rien n’était changé dans les conditions de l’es¬ clavage : les esclaves demeuraient esclaves indéfiniment, on pouvait en importer de nouveaux et ceux qui entraient dans le Bas-Canada restaient, en principe, esclaves comme ci-devant. Les registres d’état civil continuent, ainsi que cela se pratiquait depuis les environs de 1700, de qualifier d’esclaves les Noirs et les Panis qui sont en servitude : nous en trouvons huit exemples en 1793, sept en 1794, deux en 1795, six en 1796, quatre en 1797, cinq en 1798. Les registres des hôpitaux font encore mention d’esclaves : deux en 1793, un en 1794, un en 1796. Ou ce sont des propriétaires qui font savoir, par les gazettes ou autrement, que tel ou tel de leurs esclaves est en fuite : en 1794, Pretchard cherche son esclave noir, Isaac; en 1798, une dame Sawer, de Sorel, a perdu son esclave noire, Philis ; James Fraser est à la poursuite de la Noire Lydia qui a déserté avec une mulâtresse de quatre ans. Ou encore c’est George Westphal qui en 1797 met en gage sa mulâtresse Sedy, à cause d’une somme d’argent qu’il doit à Richard Dillon. Ces divers renseignements permettent d’identifier 8 Panis et 33 Noirs qui, dans les années 17931798, sont encore en esclavage. À ce nombre, il faut ajouter ceux qu’on met en vente. Voici quelques exemples sur une vingtaine d’annonces de
J793 à T798 : 1793
Mulâtre de 22 ans, à vendre en février et mars: s’adresser à Jean Routhier, de la RivièreDuchesne, ou à Jean-Marie Huppé, du faubourg Saint-Antoine (Gazette de Montréal, publié par
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Edwards, 21 et 28 février, 7 mars). T795
Judith, négresse, achetée le 27 janvier 1795 à Albany par le marchand Elias Smith, de Montréal, pour le montant de 80 livres, cours de New York (Journal de la Chambre d Assemblée, 1J99:127),
1796
Rose, négresse, âgée de 31 ans, vendue le 9 septembre 1796 par Louis Payet, curé de SaintAntoine-de-Richelieu, à Thomas Lée, pour la somme de 500 livres, ancien cours (greffe Michaud).
1797
Négresse, âgée de 17 ans environ, dont on offre en vente les 17 années de service auxquelles elle est encore soumise {Gazette de Montréal, publiée par Edwards, juillet, août et septembre 1797).
De 1793 à 1798, on continue donc de vendre des esclaves ou d’essayer d’en vendre ; et nous trouvons même un ecclésiastique, le curé Louis Payet, qui se situe parmi les toutes dernières personnes à faire la traite du « nègre ». La dernière vente que nous connaissons est celle que l’ex¬ député Louis Olivier conclut en mai 1797 avec le marin Joseph Gent; le dernier à vendre un esclave serait donc un francophone du Bas-Canada. Quant à la dernière mise en vente, elle est de janvier 1798. Nous touchons vraiment au terme du commerce des esclaves, dans ce qui est aujourd’hui la province de Québec. Il régnait déjà depuis un certain nombre d’années une grande incertitude. Rappelons-nous qu’en 1793, des députés proposèrent à la Chambre d’assemblée du BasCanada l’abolition de l’esclavage : ils échouèrent, tandis que le Haut-Canada prohiba la même année l’importa¬ tion de nouveaux esclaves. Cela n’était pas de nature à rassurer les propriétaires bas-canadiens, et les tribunaux allaient contribuer à les inquiéter davantage.
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Dès 1794, une Cour de justice de Montréal crée un précédent en faveur des esclaves. Un Noir, demeuré anonyme, s’enfuit des États-Unis et trouve refuge à Montréal ; puis, il s’en va travailler à la Rivière-Duchesne ; un monsieur Platt, de Platt’s borough (lac Champlain), vient le réclamer comme sien; le major Anctil s’oppose à ce qu’on laisse ce Noir sortir du pays ; on porte l’affaire en Cour et le juge, déclarant que l’esclavage n’est pas « connu par les Lois d’Angleterre », libère le Noir de toute poursuite7. Invoquer l’ignorance de l’esclavage par les lois d’Angleterre était, de la part de ce juge, une action fort discutable (même si elle est louable) puisque l’esclavage avait été formellement reconnu dans les colonies anglaises et que le parlement de Londres ne s’était jusqu’alors prononcé que sur l’abolition graduelle de la traite. En tout cas, le précédent était posé : un juge venait de libérer un Noir parce qu’on ne lui reprochait que d’être un esclave fugitif. Ce juge était-il William Osgoode? La seule pièce qui nous fasse connaître ce précédent n’identifie pas le juge. William Osgoode, qui passe pour être l’auteur de cette loi que le Haut-Canada avait adoptée en 1793, avait été promu, au début de 1794, juge en chef du Bas-Canada, mais ce n’est que le n décembre (donc après la décision de la Cour de Montréal) qu’il reçoit une commission de juge en chef de la Cour du banc du roi8. Si ce n’est pas le juge Osgoode qui pose le précé¬ dent de 1794, c’est lui qui par trois fois, en 1798, libère des Noirs dont le seul crime est d’avoir déserté le service. La première, la Noire Charlotte, appartient à Jane Cook de Montréal : en février 1798, elle abandonne le service de sa maîtresse ; on l’arrête en vertu d’un ordre d’un magis¬ trat et comme elle refuse de rentrer dans le devoir, on la met en prison; elle demande alors le privilège de Xhabeas corpus ; comme cela survenait pendant les vacations
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des tribunaux, le juge en chef Osgoode prit sur lui de libérer la Noire sans exiger qu’elle revienne comparaître devant la Cour. Cette décision causa tout de suite un grand émoi, ainsi que l’affirme une requête présentée à la Chambre d’assemblée : « Sur cet élargissement, les Nègres dans la cité et district de Montréal menacèrent d’une révolte générale9.» C’est-à-dire que les esclaves voulurent conquérir leur liberté de la même façon. Nous ne connaissons pas les détails de cette «révolte générale», et il se peut d’ailleurs que les auteurs de la requête aient exagéré l’affaire. En tout cas, nous rencon¬ trons deux esclaves qui imitent, sans tarder, la conduite de la Noire Charlotte : la Noire Judith et le Noir Manuel. Judith (appelée aussi Jude) avait été achetée en 1795 à Albany par le marchand Elias Smith. Après la libéra¬ tion de la Noire Charlotte, elle prend la fuite et Smith la fait arrêter et emprisonner. Elle se réclame du droit de comparaître devant un juge; or ce juge est William Osgoode. Le 8 mars 1798, il libère la Noire et, selon la requête citée, déclare : «Audience tenante, que sur fHabeas Corpus, il déchargerait tout nègre, apprenti sous brevet et domestique qui dans de semblable cas seraient commis à la prison par ordre des magistrats.» Une fois de plus, le juge Osgoode se refusait à reconnaître l’esclavage. Il eut une nouvelle occasion, en décembre suivant, d’exprimer le même refus. Le Noir Manuel avait été vendu en 1797 par Jervis George Turner au tavernier Thomas John Sullivan ; celui-ci fit un premier versement de 18 livres (cours de Québec), mais il promit quand même à l’esclave de l’émanciper dans cinq ans. Or le
Ier
mars 1798, Manuel décida de s’enfuir comme les
deux précédentes esclaves noires. Sullivan refusa de s’ac¬ quitter de sa dette envers Turner et se vit, pour ce motif, poursuivi en Cour. Sullivan se défend en répondant que Turner lui a vendu un «nègre» libre et il réclame les 18 livres déjà versées. Manuel intervient pour déclarer
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Deux siècles d’esclavage au Québec
que Turner n’avait pas le droit de le vendre puisque, selon lui, les lois du pays ne reconnaissent pas l’escla¬ vage. Le juge Osgoode rendit sa décision le 18 décembre : Turner, déclare le juge, n’a pas prouvé qu’il avait le droit de vendre le « nègre » Manuel et Sullivan ne peut établir qu’il a droit de propriété sur l’esclave ; donc la vente est nulle et les 18 livres doivent être remboursées à Sullivan. Quant à l’intervention de Manuel dans l’affaire, elle est rejetée10. Turner était pourtant bel et bien propriétaire du Noir puisqu’il l’avait acheté d’un nommé Allen, mais cela ne suffisait pas au juge Osgoode pour qui l’esclavage était illégal. Sullivan, de son côté, ne pouvait pas davantage établir son droit de propriété. Quant à Manuel, il n’avait pas à intervenir puisque, selon la sentence, il n’avait pas été vendu. Par conséquent, il était libre. Les propriétaires s’adressent à la Chambre d’assemblée
Pourtant, aucune loi du Bas-Canada ne prohibait l’esclavage. La législation ancienne demeurait en vigueur, mais si le juge en chef persistait à libérer les esclaves sous prétexte que, pour lui, ce n’étaient pas des esclaves, les propriétaires ne pouvaient plus compter sur la protection des tribunaux. C’est pourquoi, en avril 1799, un groupe de Montréalais chargea le député Joseph Papineau de présenter en leur nom une requête à la Chambre d’assemblée. Cette requête, présentée et lue à la Chambre le 19 avril, rappelle d’abord à l’attention des députés le fondement juridique de l’esclavage : l’ordonnance de l’intendant Raudot en 1709 établit que les Noirs et Panis appartiennent à ceux qui les ont achetés, « comme leurs propres esclaves»; le roi de France n’a jamais désap¬ prouvé cette ordonnance, elle était encore en vigueur en 1763 et, conséquemment, elle faisait partie des lois du
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Canada en 1774; l’esclavage a été regardé comme légal dans les colonies britanniques; une loi du parlement anglais en 1732 sur le recouvrement des dettes dans les colonies mentionne les esclaves comme faisant partie des biens réels que l’on peut saisir : cette loi a pleine vigueur dans le Bas-Canada, en vertu de l’Acte de Québec; une loi de 1790, pour encourager l’émigration vers les colonies britanniques, assure aux sujets qui quitteront les ÉtatsUnis le droit d’amener leurs esclaves et de les vendre 12 mois après leur arrivée. C’est «sur la foi du gouvernement de Sa Majesté», poursuit la requête, que les habitants de cette province et, en particulier, ceux de Montréal, « ont acheté à grand prix, un nombre considérable d’esclaves Panis et Nègres», et c’est en se reposant sur la même foi que des habitants des États-Unis sont venus dans cette province avec leurs esclaves; ces «esclaves Panis et Nègres se sont toujours comportés d’une manière convenable, jusqu’à dernière¬ ment, qu’ils sont devenus réfractaires par un esprit de désobéissance dont ils se sont imbus, sous prétexte qu’il n’existe point d’esclavage dans ce pays»; et la requête énumère deux exemples : les Noires Charlotte et Jude que le juge en chef Osgoode a libérées parce qu’il ne recon¬ naissait pas l’esclavage. Il en est résulté chez les Noirs une menace de «révolte générale». Dans ces conditions, les juges n’ont aucun pouvoir d’obliger les esclaves fugitifs « à rentrer dans les services de ceux à qui ils appartiennent, ni les propriétaires aucun pouvoir de forcer leurs esclaves à obéir ou les tenir à leur service»; il en résultera des « conséquences alarmantes, sans compter la grande perte que les sujets de Sa Majesté de cette province, étant propriétaires d’esclaves nègres, et les créanciers de tels propriétaires pourront souffrir par le manque de moyens où sont maintenant tels propriétaires de conserver leur propriété dans leurs esclaves». Les Montréalais deman¬ dent donc à la Chambre d’assemblée d’adopter une
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loi qui permette de procéder contre les esclaves déser¬ teurs et de les faire emprisonner, ainsi que l’on procède en Angleterre contre les apprentis sous brevet; ou bien alors, « qu’une loi puisse être passée déclarant qu’il n’y a point d’esclavage dans la province; ou telle autre provi¬ sion concernant les esclaves que cette Chambre, dans sa sagesse,jugera convenable». Les propriétaires demandent qu’on leur assure les droits qu’ils ont sur leurs esclaves, ou qu’on supprime l’esclavage. Mais la Chambre d’assemblée ne parut guère impressionnée et elle ordonna simplement que «la dite requête reste sur la table pour la considération des membres11». La Chambre d’assemblée refusant de se prononcer et le juge en chef ayant soutenu que les lois d’Angleterre ne reconnaissaient pas l’esclavage, les esclaves pouvaient continuer de déserter. Ce qui arrive à l’esclave de James Fraser, de Montréal. Ce Fraser avait émigré des EtatsUnis en 1783 en compagnie d’esclaves ; en 1799, il ne lui en reste plus qu’un seul, le Noir Robin (appelé aussi Robert ou Bob). Selon une requête présentée à la Chambre d’assemblée, c’était «un de trois qui formaient toute la propriété sauvée par M. Fraser des ravages de la dernière guerre, et son unique ressource pour se soutenir dans sa vieillesse»; or, ce Noir, qui avait déjà déserté, disparaît de nouveau au printemps de 1799. Le maître l’attend en vain, mais le 28 janvier 1800, il le découvre chez le tavernier Richard Dillon où la vie avait évidemment plus d’attraits ; le surlendemain, le Noir est arrêté et mis en prison. L’avocat Perry prend la cause du Noir et, le 4 février, lui fait accorder le privilège de Xhabeas corpus. Le 10 février, l’esclave comparaît donc devant la Cour du banc du roi, présidée par le juge en chef Osgoode qui a, à ses côtés, les juges Pierre-Louis Panet et Isaac Ogden. L’avocat Perry demande que le Noir soit relâché, cependant que l’avocat Kerr soutient le point de vue du propriétaire ; la
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plaidoirie se poursuit le 13 ; enfin, le 18 du même mois, les juges se prononcent en faveur d’une libération pure et simple. Le tribunal invoquait, entre autres arguments, une loi de 1797 qui empêchait de saisir les esclaves pour le paiement des dettes de leurs maîtres : pour le tribunal, cette loi équivalait à une émancipation. De toute façon, une fois de plus, le juge en chef Osgoode et ses collègues refusaient de punir celui à qui on ne reprochait pas autre chose que d’être en fuite12. Les propriétaires d’esclaves n’abandonnent pas la partie ; ils chargent de nouveau le député Joseph Papineau de présenter une requête à la Chambre d’assemblée : les députés en entendent lecture le 18 avril 1800. Cette requête, d’une rédaction différente de la première, réclame de la législature une décision « qui investisse les maîtres d’une manière plus efficace de la propriété de leurs esclaves; et qui pourvoie des lois et règlements pour le gouver¬ nement de cette classe de gens qui tombe sous la déno¬ mination d’esclaves ». Elle invoque les mêmes arguments historiques qu’en 1799, mais cette fois, au lieu de faire simplement allusion à des textes de lois, elle se donne la peine de les citer mot à mot : l’ordonnance de Raudot en 1709 «qui n’a jamais été changée ni révoquée», la loi de 1790 sur l’émigration des Américains. De nombreux sujets de Sa Majesté, poursuit la requête, «après avoir exposé leurs vies à son service, et y avoir sacrifié presque tous leurs biens durant la dernière guerre calamiteuse, sont venus avec leurs esclaves dans cette province, sous la promesse sacrée qui leur est faite par le statut susmen¬ tionné, lesquels, aujourd’hui sont abandonnés et mis au défi par ces mêmes esclaves, qui formaient leur unique ressource, et cela à l’abri de l’idée qui s’est répandue dernièrement, que l’esclavage n’existe plus dans ce pays ». La requête illustre cette affirmation par le cas de James Fraser qui ne possédait plus qu’un esclave «pour se soutenir dans sa vieillesse » et qui s’en voit frustré parce
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que le tribunal le prive de son droit de propriété. La requête soutient, à l’encontre du tribunal, que la loi de 1797 qui interdit de saisir les esclaves pour le paiement des dettes de leurs maîtres, «ne s’étend pas à priver les maîtres de la propriété de leurs esclaves, ni peut-on [la] considérer comme émancipant les esclaves dans les plan¬ tations de Sa Majesté». Les signataires de la requête se disent mortifiés d’oc¬ cuper «la Chambre si longtemps sur un sujet si intéres¬ sant pour eux, comme ayant payé des sommes considéra¬ bles pour des esclaves qui les ont quittés. Et ils sont tous très convaincus que cette classe d’hommes, actuellement lâchée sur le public, et qui mène une vie oisive et aban¬ donnée pourrait être tentée de commettre des crimes, qu’il est du devoir de tout bon citoyen de s’efforcer de prévenir». Que demandent-ils? «Qu’il plaise donc à cette Chambre, de former un acte qui déclare que l’escla¬ vage existe sous certaines restrictions dans cette province, et qui investisse parfaitement les maîtres de la propriété de leurs Nègres et Panis; et de plus que cette Chambre pourvoie tels lois et règlements pour le gouvernement des esclaves que sa sagesse lui suggérera être convenables13.» Ils auraient pu ajouter un autre argument : l’exemple du Haut-Canada. Les signataires réclament exactement ce que la législature du Haut-Canada a établi en 1793 : la reconnaissance de l’esclavage par le parlement, pour assurer aux propriétaires l’entière possession de leurs esclaves, et des mesures restrictives, si nécessaire, sur l’im¬ portation de nouveaux esclaves. Nous ignorons pourquoi les habitants de Montréal n’ont pas invoqué cet exemple du Haut-Canada : dans un pays qui venait d’être divisé en deux Canadas, il importait pourtant qu’il y eût sur un problème commun une même législation.
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La Chambre d’assemblée refuse encore de se prononcer
La requête d’avril 1799 était immédiatement mise «sur la table» de la Chambre pour y rester; celle d’avril 1800 va faire un peu plus de chemin. Sur une proposition des députés Joseph Papineau et John Black, la Chambre accepta de former un comité de cinq membres pour étudier la requête et « pour faire rapport à cette Chambre, avec toute la diligence possible » ; l’on désigna pour faire partie de ce comité les députés Joseph Papineau, William Grant, John Craigie, James Cuthbert et Alexandre Dumas. Les propriétaires d’esclaves pouvaient espérer; sur les cinq membres du comité, trois étaient intéressés à une législation de l’esclavage : Joseph Papineau s’était fait l’avocat des propriétaires; William Grant et James Cuthbert avaient eu des esclaves. Le comité travailla avec diligence : alors que la requête avait été présentée le vendredi 18 avril, le comité se présenta dès le lundi suivant pour faire rapport. A titre de président du comité, James Cuthbert fit connaître les deux résolutions sur lesquelles le comité était tombé d’accord : Que c’est l’opinion de ce comité qu’il existe des fonde¬ ments raisonnables pour passer une loi qui réglerait la condition des esclaves, qui limiterait le terme de l’esclavage, et qui préviendrait l’introduction ultérieure des esclaves en cette province. Que c’est l’opinion de ce comité que le président demande à la Chambre qu’il soit permis au dit comité d’y introduire un Bill en conséquence.
En demandant une loi pour régler la condition des esclaves et, en même temps, limiter le terme de l’esclavage, le comité rejoignait la législation adoptée par le Haut-
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Canada en 1793. La Chambre d’assemblée approuva tout de suite les deux conclusions du rapport. Il ne restait plus qu’à discuter le projet de loi. Il subit la première lecture le 30 avril, grâce à une proposition de James Cuthbert. On devait procéder à la seconde lecture le 2 mai, mais on renvoya l’affaire au lendemain : et le lendemain, samedi, on n’eut pas le temps de s’en occuper. La seconde lecture eut lieu le lundi, 5 mai, et sur une proposition de James Cuthbert et de Joseph Papineau, toute la Chambre se forma en comité pour discuter des clauses du projet de loi. La discussion fit quelque progrès et la Chambre se proposa de conti¬ nuer le lendemain : or, le lendemain, on ne put siéger faute de quorum. Le travail reprit le 7 mai, mais « plusieurs membres s’étant retirés», il fallut ajourner encore parce qu’il n’y avait plus quorum. La discussion ne reprit que le 17 mai, samedi : une proposition d’ajourner le débat au lundi suivant ayant été battue, plusieurs députés préfé¬ rèrent se retirer et l’on dut, par conséquent, ajourner faute de quorum. On ne parla plus de ce projet de loi les jours suivants, et la session prit fin le 29 mai. Le Journal de la Chambre d’Assemblée ne nous a pas transmis le procès-verbal de la discussion : il serait inté¬ ressant de suivre les débats et de savoir pourquoi, alors que le projet de loi en est à sa troisième et dernière lecture, les députés s’adonnent à l’école buissonnière : opposi¬ tion? indifférence? En tout cas, sur 50 députés, 6 seule¬ ment pouvaient être intéressés personnellement, parce qu’ils avaient ou avaient eu des esclaves : Louis-Charles Foucher, William Grant, John Lees, Joseph PérinaultLamarche, Denis Viger et John Young. Les propriétaires d’esclaves ne réussirent donc pas à se faire confirmer leur propriété par une loi, et le parle¬ ment ayant été dissous à la fin de mai 1800, il fallait tout remettre à la session qui suivrait les élections générales. Et si ces propriétaires savaient qu’en cette même année
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1800 la Nouvelle-Écosse prenait l’initiative de déporter en Afrique une cargaison de ses esclaves, il y avait de quoi devenir de plus en plus inquiet. En fait, nous cons¬ tatons cette inquiétude chez Chartier de Lotbinière; quand il fait l’inventaire de ses biens en août 1800, il déclare à propos de son esclave noir Joseph-Louis dit Pompée, âgé d’environ 20 ans : «Vu le défaut de moyen en cette province de s’aparer [prendre possession] cette espèce de propriété elle est considérée comme précaire et incertaine14. » Les élections générales terminées, la session du nouveau parlement s’ouvre le 8 janvier 1801. Dès le 17 janvier, James Cuthbert et le juge Pierre-Louis Panet présentent une fois de plus à la Chambre un projet de loi pour régler la condition des esclaves et pour limiter le terme de l’esclavage; le projet de loi subit sa première lecture. Le vendredi, 23 janvier, on en fait la deuxième et les députés Cuthbert et Lees proposent que le vendredi suivant toute la Chambre siège en comité : ce qui est accepté. Arrive le vendredi suivant, mais le projet paraît oublié : on n’en souffle mot. Le 5 février, James Cuthbert revient à la charge, appuyé par Pierre-Louis Panet, et la Chambre consent à se former en comité le 26 suivant. Or, ce 26, il n’y a pas de séance. Le 2 mars, nouvelle inter¬ vention de James Cuthbert, en compagnie de Lrancis Badgley : la Chambre accepte de siéger en comité le vendredi suivant, 6 mars ; ce 6 mars, Pierre-Louis Panet et Joseph Périnault-Lamarche font remettre l’affaire au lendemain, et le lendemain on n’en parle pas. Enfin, le 9 mars, la Chambre se transforme en comité sous la présidence de Lrancis Badgley; on discute quelque temps, puis l’orateur vient réoccuper son fauteuil : le comité a terminé sa séance. C’était sa dernière de la session. Pourquoi ce nouvel échec? Nous ne pourrions l’ex¬ pliquer que si le procès-verbal de la discussion nous avait
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3ï6
été transmis. Faute de quoi, nous ne pouvons que consi¬ gner l’échec, une fois de plus. Ce n’est qu’en 1803 que les propriétaires d’esclaves font une nouvelle tentative à la Chambre d’assemblée. Le ier mars, James Cuthbert présente un projet de loi «pour lever tous doutes au sujet de l’esclavage dans cette province, et pour d’autres effets» : la Chambre lit le projet pour la première fois; le 7 suivant, il est entendu en deuxième lecture. C’est toujours après la deuxième lecture
que
commence
vraiment
l’épreuve.
James
Cuthbert et Denis Viger proposent que le projet de loi soit référé à un comité qui devra faire rapport « avec toute la dépêche convenable»; on appelle à ce comité James Cuthbert, le juge Pierre-Amable Debonne, Alexis Caron, John Craigie et John Lees. Le comité se met au travail; le 15 mars, Cuthbert et Caron proposent que l’on ajoute deux membres, et l’on désigne François Huot et Jean-Baptiste Raymond. Mais c’est la dernière fois que les journaux de la Chambre d’assemblée font mention d’un projet de loi sur l’esclavage. Après ces tentatives, toutes vaines, d’obtenir de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada une législation sur l’esclavage, personne ne fit de nouvelle démarches : jamais plus, après 1803, on n’inscrivit à l’ordre du jour de l’Assemblée la question de l’esclavage. Les statuts parlementaires du Bas-Canada ne contiennent aucune loi sur la condition des esclaves15. L’esclavage disparaît avant l’abolition officielle
Pendant que l’on faisait ces tentatives, y avait-il encore vraiment beaucoup d’esclaves dans le Bas-Canada ? L’indifférence de la Chambre d’assemblée devant le problème de la servitude, le silence quasi complet de la presse et même l’insistance des propriétaires qui semblent vouloir sauver juste ce qu’il leur reste (c’est le cas, par exemple, de James Fraser) nous permettent de penser
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que le nombre des esclaves devait être alors fort réduit. Les documents de toute nature ne nous en signalent plus qu’un tout petit nombre. Le dernier acte de vente est du 13 mai 1797 (lorsque Louis Olivier, de Berthier-en-Haut, vend au marin Joseph Gent la Noire Marie Bulkley) et la dernière fois qu’on offre en vente un esclave par le truchement de la presse se produit le 29 janvier 1798 dans la Gazette de Montréal : le marché des esclaves prend fin. A partir de 1799, nous ne trouvons plus que de très rares Noirs et Panis qui vivent encore en servitude. En fait, nous n’en connaissons que 19 (n Noirs et 8 Amérindiens) : 1799
2
1806
I
1800
2
1807
2
1802
7
1808
2
1803
2
1821
X
Il s’en trouve à peu près chaque année jusqu’en 1808, mais ensuite il faut attendre 1821; c’est la dernière fois qu’on fait mention, dans quelque document que ce soit, d’un individu esclave : la Panise Marie-Marguerite que Grasset de Saint-Sauveur avait donnée à l’HôpitalGénéral de Montréal en partant pour la France, aurait ainsi l’honneur de terminer le catalogue de l’esclavage. Quant au mot esclave, il avait été employé la dernière fois dans les registres d’état civil, le 18 novembre 1798, à l’oc¬ casion du baptême du Noir Henry Williams dans l’église anglicane de Québec. A part ces 19 individus qui sont encore esclaves au moment de l’énumération, il en existait fort probablement quelques autres. On sait, par exemple, que des esclaves ne voulurent pas accepter l’affranchissement; c’est le cas de la Noire Angélique qui vivait aux Trois-Rivières dans la famille Neilson et qui serait morte, esclave volon¬ taire, vers 1808 ou 1810 ; c’est aussi le cas de Lisette, mul⬠tresse qu’avait achetée le grand-père de l’écrivain Aubert de Gaspé et s’était attachée à la famille : on avait voulu
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l’émanciper, mais « elle se moquait de son émancipation comme de ça, disait-elle, en se faisant claquer les doigts, car elle avait autant droit de rester à la maison où elle avait été élevée, que lui et tous les siens. Si son maître exaspéré la mettait dehors par la porte du nord, elle rentrait aussitôt par la porte du sud et vice-versal6 ». Nous rencontrons aussi d’anciens esclaves sans que nous sachions combien de temps ils sont libres. Le 12 avril 1799, on inhume à l’Hôpital-Général de Montréal la Panise Marie-Joseph, âgée d’environ 100 ans, qui avait appartenu à feu dame Ruette d’Auteuil ; au même endroit, le 22 mars 1802, on inhume la Panise Marie-Louise, morte à 87 ans et ancienne esclave de feu le chevalier de Lacorne; et le 6 juillet suivant, toujours au même endroit, la
Noire
Marie-Louise-Jeanne
«Thomme»,
âgée de 60 ans, qui appartenait ci-devant à feu le négo¬ ciant Jean Orillat. À l’Hôtel-Dieu de Québec, le 8 juin 1810, on procède à l’inhumation de la Panise Marguerite, âgée de 70 ans et qui est alors qualifiée de servante. Et voici une esclave, affranchie depuis 1763, que l’on inhume à Longueuil le 23 octobre 1812, à l’âge de 88 ans : la Noire Marie-Elisabeth, veuve du Noir Jacques-César et ancienne esclave des Lemoyne de Longueuil. Le 25 décembre 1814, à l’Hôtel-Dieu de Québec, à 60 ans, est inhumée la Panise Marie ; à Montréal, le 22 mars 1819, on inhume une autre Panise du nom de Marie, celle-ci âgée de seulement 22 ans. Le docteur Boucher de Labruère, écroué à la prison de Montréal, fait allu¬ sion en décembre 1838 à une vieille Noire «qui nous lave bien notre butin presque pour rien1/7 » : cette vieille Noire avait dû, au moins dans sa jeunesse, connaître la servi¬ tude. Enfin, mentionnons la Noire Catherine Thompson, veuve de Jean-Baptiste Johnton, que l’on inhume à Vaudreuil, le 30 juin 1840, à l’âge de 83 ans : ce doit être un autre témoin de l’ancienne époque de servitude.
Les esclaves disparaissent un a un
319
Il est assez difficile de dire exactement comment l’esclavage prit fin au Canada français. La dernière vente d’esclave a eu lieu en 1797; en 1798, les registres d’état civil font usage du mot esclave pour la dernière fois; après 1803, on ne parle plus jamais du problème de l’esclavage dans la Chambre d’assemblée ; et nous voyons disparaître en 1821 le dernier individu (une Panise) qui ait été esclave jusque-là. L’histoire de notre esclavage se termine-t-elle plutôt par la loi anglaise? Le 28 août 1833, le gouverne¬ ment anglais décide de mettre un terme à l’esclavage dans l’Empire britannique. La loi qu’il adopte et qui doit entrer en vigueur en 1834, prévoit «une période d’ap¬ prentissage de la liberté qui devait durer jusqu’au ier août 1838 pour les esclaves urbains et jusqu’au ier août 1840 pour les esclaves ruraux», mais la période d’apprentissage fut bientôt abrégée et « dès 1838 l’émancipation de tous les esclaves était un fait accompli» en terre britannique18. Se trouvait-il encore des esclaves dans le BasCanada pour profiter de cette loi libératrice? Benjamin Suite affirme qu’il a connu «plusieurs nègres émancipés par l’acte de 1833 mais pas un seul Panis19 » : il aurait dû nous en conserver les noms! Comme le marché des esclaves semble tomber à zéro, et pour de bon, dès le début du XIXe siècle, nous inclinons à croire que ces esclaves noirs, émancipés par la loi de 1833, ne pouvaient être que de vieux Noirs ou qu’ils n’étaient plus que de très rares exceptions. Une chose nous paraît certaine : il n’y avait plus d’Amérindiens esclaves pour profiter de la grande émancipation. Autant dire qu’au Québec l’escla¬ vage disparaît de lui-même sans qu’on puisse en dater le terme.
Deux siècles d'esclavage au Québec
320
► NOTES 1 Jean Piquefort (pseudonyme de Routhier), «Portraits et pastels litté¬ raires », dans Les Guêpes canadiennes (édition Laperrière), 290s. 2 Vente du 29 mars 1787, greffe Faribault. 3
Quebec Herald, 22 juillet 1790, p. 8 ; Gazette de Québec, 16 décembre 1790, p. 4.
4
Gazette de Québec, 21 juillet 1791, p. is.; 28 juillet, p. is.; 4 août, p. is.; 11 août, p. 1 ; 18 août, p. is.; 25 août, p. is.; Ier septembre, p. is.; 8 septembre, p. is.; 15 septembre, p. 3s.
5
Quebec Herald, 12 mars 1792, p. 8 ; 16 avril 1792, p. 5 ; Gazette de Québec, 7 juin 1792, p. 2 ; 21 juin 1792, p. 2.
6
Quebec Herald, 16 juillet 1792, p. 3; 23 juillet 1792, p. 2s; Gazette de Québec, 30 août 1792, p. 3.
7 W. H.Withrow, «The Underground Railway», dans MSRC, VTII, 1902,2,49-77. 8
Cours du Temps, 20 octobre 1794, p. 93.
9 Audet et Fabre-Surveyer, Les Députés au premier Parlement du BasCanada, 130 ; P.-G. Roy, Les Juges de la Province de Québec, 401. 10
Requête de 1799, dans le Journal de la Chambre d'Assemblée du BasCanada, 1799, p. 127.
11 D’après les pièces citées ou résumées par Viger-LaFontaine, «De l’esclavage en Canada», dans Mémoires de la Société historique de Montréal, 1,52-55. 12 Requête datée du ier avril 1799 et lue en Chambre le 19 suivant, dans le Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada 1799,123-127. 13
Requête présentée à la Chambre d’assemblée en avril 1800, dans le Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1800, 154. Procèsverbal et affidavits cités par Viger-LaFontaine, «De l’esclavage en Canada», dans Mémoires de la Société historique de Montréal, I, 62s.; voir aussi la requête ci-après résumée.
14 Requête reproduite dans le Journal de la Chambre d'Assemblée du BasCanada, 1800,151-157. 15 Inventaire publié dans RAPQ, 1951-1953,390. 16
Suite affirme que « la législature de Québec régla enfin par une loi la situation des esclaves » en 1833 et que le Parlement de Londres imita sa colonie en 1834 («L’esclavage en Canada», dans la Revue cana¬ dienne, 1911, 61, 333): la législature de Québec n’a jamais adopté une seule loi sur l’esclavage.
17 Hubert Neilson, « Slavery in Old Canada», dans Transactions of the Literary and Historical Society of Quebec, XXVI, 1906, 39. Aubert de Gaspé, Les Anciens Canadiens, 292s.
Les esclaves disparaissent un a un
18
321
Lettre à sa femme, 12 décembre 1838, lettre qui nous a été commu¬ niquée par Fernand Ouellet, archiviste adjoint de la Province de Québec.
19
Gaston Martin, Histoire de l’esclavage dans les colonies françaises, 280.
Conclusion
D
ans ce qu’on appelle aujourd’hui le Québec et qui correspond plus ou moins, ainsi que nous l’avons expliqué, à ce qui fut la Nouvelle-France, le Canada du Régime français et le Bas-Canada, l’esclavage connut donc, pendant deux siècles, une existence officielle. Comme il était pratiqué dans toutes les colonies européennes, catholiques ou protestantes, on ne voit pas pourquoi le Québec aurait échappé à l’usage interna¬ tional de réduire en servitude les Noirs et les Indigènes. Toutefois, l’esclavage n’existe ici que sur une toute petite échelle. Le Noir que Guillaume Couillart reçoit en cadeau en 1632 demeure pendant un quart de siècle l’unique Noir de la colonie. Le gouverneur Courcelle, les explorateurs Jolliet et Dulhut acceptent des esclaves amérindiens en guise de présents, mais il faut attendre les dernières années du XVIIe siècle pour voir défiler plus ou moins régulièrement des Amérindiens et des Noirs comme esclaves appartenant à des Français. Quant au mot esclave, il n’apparaît pour la première fois dans les registres d’état civil que le 28 octobre 1694. Nos ancêtres du Québec ont désiré recourir à l’impor¬ tation massive de Noirs. En 1688, trois ans après la publi¬ cation du Code noir à l’adresse des Antilles, le gouverneur
324
Deux siècles d'esclavage au Québec
DenonviUe et l’intendant Bochart-Champigny deman¬ dent des Noirs : en 1689, Ruette d’Auteuil présente un mémoire au roi pour faire valoir qu’au Canada la maind’œuvre, rare et coûteuse, ruine les entreprises ; on réussi¬ rait mieux si l’on avait des « nègres ». Louis XIV autorise donc les Québécois en 1689 à posséder des esclaves noirs, tout en recommandant la plus sage prudence au cas où ces Noirs, qui auraient coûté cher, ne survivraient pas au climat. Une guerre empêche de donner suite à l’autori¬ sation; une deuxième, en 1701, reste vaine parce que la guerre reprend aussitôt. À défaut d’une importation massive d’esclaves noirs, les
Canadiens
entre
temps
s’étaient
contentés
des
quelques Noirs que les hasards de la guerre permettaient de tirer des colonies anglaises, mais ils trouvaient surtout à se rabattre sur les esclaves amérindiens que le marché pelletier avec l’Ouest amenait à Montréal en nombre toujours croissant. La situation demeurait confuse; les propriétaires n’avaient encore aucune garantie précise sur la possession de leurs esclaves. L’intendant Raudot déclare donc en 1709 que les Noirs et les Panis appar¬ tiennent comme esclaves à ceux qui les ont achetés ou qui les achèteront. À partir de ce moment, l’esclavage devient légal et c’est en 1709 que les notaires se mettent à dresser des actes de vente d’esclaves. Par la suite, cette ordonnance de Raudot demeure toujours en vigueur; au besoin, comme en 1730, l’intendant Hocquart la publie de nouveau pour rappeler aux Québécois que l’achat des esclaves, noirs ou « rouges », est légal. L’esclavage noir ne posait pas un problème parti¬ culier : à moins d’avoir été affranchi, un « nègre » est un esclave quelque part qu’il se trouve et les rois de France ont permis aux Canadiens d’en acquérir. Mais l’escla¬ vage amérindien n’allait pas de soi : pouvait-on réduire en servitude n’importe quelle tribu sauvage, même si l’intendant Raudot n’avait fait mention que des Panis?
Conclusion
325
Quant aux Amérindiens à qui le baptême catholique assurait en principe les mêmes privilèges qu’aux Français, comment pouvait-on en faire des esclaves ? Il se présente un cas type en 1732, lorsqu’on fait la saisie d’un esclave patoca, déjà baptisé, et qu’on le met à l’enchère. Mis au courant de cette affaire, Louis XV l’approuve, en refu¬ sant toutefois de se prononcer par une loi formelle sur l’esclavage amérindien : les juges, déclare-t-il, pourront se conformer à l’usage du pays, usage qui veut que ces «sauvages» soient esclaves, mais tout affranchissement, pour être valable, sera fait par écrit devant notaire. Pouvait-on
aller jusqu’à
exporter
des
esclaves
amérindiens ? L’intendant Raudot répondit par la néga¬ tive, en donnant comme raison que son ordonnance ne valait que pour le Canada; mais, en fait, des «sauvages» ont été expédiés aux Antilles pour y subir l’exil en châti¬ ment ou tout simplement parce que les propriétaires ne voulaient plus les garder parmi eux. Quoi qu’il en soit, l’ordonnance de Raudot établit définitivement le droit du propriétaire sur son esclave; durant tout le Régime français, c’est elle que l’on invoque chaque fois que le propriétaire voit son droit menacé. Enfin, par l’article 47 qui garantit aux Canadiens le plein droit de propriété sur les esclaves, la capitulation de 1760 prolonge sous le Régime anglais l’institution fran¬ çaise de l’esclavage, sans qu’il soit désormais nécessaire d’ajouter au fondement juridique : des propriétaires s’ap¬ puient encore sur l’ordonnance Raudot lorsqu’ils s’adres¬ sent à la Chambre d’assemblée en 1800. Dans
les
limites
géographiques
traditionnelles
du Québec, auquel nous joignons des territoires qui à diverses périodes en ont relevé, nous avons dénombré, de 1632
de
jusque dans le premier tiers du
4185
XIXe
esclaves. Ils se répartissent en
dits «esclaves rouges»,
1443
Noirs et
siècle, un total
2683 59
Amérindiens,
autres esclaves
dont on ne sait s’ils sont noirs ou amérindiens.
326
Deux siècles d’esclavage au Québec
Les Noirs sont les moins nombreux, 1443, soit 35 %. Ce n’est que dans les 20 dernières années du Régime français que leur quantité prend quelque importance : butin de guerre surtout, esclaves fugitifs ou, ce qui est rare, bois d’ébène que des marchands canadiens vont chercher aux Antilles. Mais le nombre des Noirs va s’élever rapi¬ dement après 1760, en particulier à l’époque de l’immi¬ gration des loyalistes : l’esclavage noir ne devient impor¬ tant que sous le Régime anglais. Les Amérindiens constituent, chez nos esclaves, le groupe racial le plus important : 2683 individus ou 65,1 % de la population esclave. Près des deux tiers sont qualifiés de panis d’après une nation qui vivait dans les hauts des rivières Missouri et Kansas. Cependant, nous n’avons pas toujours là des Panis authentiques : nous avons constaté que panis est assez souvent synonyme d’esclave. Un certain nombre d’Amérindiens sont inscrits dans les registres avec une qualification plus précise : le Mississippi a fourni des Aiouois, des Missouris, des Kansés, des Arkansas, des Ouachas, des Natchez, des Tchactas, des Chicachas, des Chouanons, des Cahokias, des Tamarois, des Illinois. De l’Ouest canadien, il est venu des Sioux, des Brochets, des Assiniboines, des Cristinaux et des Mandanes ; de la région des Grands Lacs, des Sauteux, des Renards, des Folles-Avoines, des Mascoutins, des Poutéoutamis, des Outaouais, des Iroquois, des Loups ; enfin, des nations du Nord on a tiré des Gens des terres, des Têtes de boules, des Montagnais et même des Esquimaux. Près de 4200 esclaves en 2 siècles, c’est évidemment très peu si l’on songe que, dans la seule année 1746, la Louisiane en a compté 5000. Dans les colonies à sucre ou à tabac, l’esclavage a été un impératif de l’économie, mais au Canada français on ne trouve aucun secteur de la vie économique qui rende nécessaire la présence d’une main-d’œuvre esclave : l’agriculture n’a été pratiquée que sur une modeste échelle, l’industrie qui menaçait de
Conclusion
327
concurrencer celle de France était interdite, le commerce principal (celui des fourrures) n’a été qu’un commerce en transit. Admettons, cependant, que sous le Régime français il est très difficile de se procurer des domestiques : ce qui aurait, croyons-nous, amené les Canadiens à imiter les autres colonies esclavagistes. Ils les ont imitées, mais seulement comme un parent pauvre cherche à imiter ses cousins grands seigneurs. Ces esclaves sont distribués un peu partout à travers le Québec, mais nous les rencontrons surtout dans les villes de Montréal et de Québec. Montréal est la ville la plus fournie en esclaves : elle en compte à elle seule 1525, soit 36,4 % de la population esclave. Québec ne vient qu’au second rang avec 970 esclaves (23,2 %). C’est aussi à Montréal, aboutissement de la fourrure des pays d’en haut, qu’on retrouve le plus fort rassemblement d’esclaves amérindiens : 1007, soit 37,5 % des Amérindiens esclaves, quand la ville de Québec n’en a que 400 ou 14,9 %(?). Par ailleurs, les Noirs se répartissent avec une différence beaucoup moins marquée entre ces deux villes : 39,5 % à Québec et 35,9 % à Montréal. Avec les ajouts et modifications à notre Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires qui se retrouvent en annexe, nous inscrivons 1574 propriétaires; de ce nombre, 1535 sont des propriétaires à esclaves dûment identifiés et ils se répartissent en 1312 propriétaires francophones (80 %) et seulement 223 anglophones. Les francophones possèdent, en tout, 2858 esclaves (86,8% de tous les esclaves identifiés), dont 2262 Amérindiens, alors que les anglophones n’en détiennent que 132; les francophones sont donc surtout responsables de l’esclavage amérin¬ dien. Par ailleurs, les Noirs ne constituent que 20,9 % des esclaves des francophones, alors qu’ils représentent 69,5 % des esclaves des anglophones. Les 1574 propriétaires appartiennent à tous les rangs de la société et aux professions les plus diverses. Nous
Deux siècles d’esclavage au Québec
328
reconnaissons
des
gouverneurs
généraux :
Vaudreuil,
Beauharnois, Vaudreuil-Cavagnial et Murray; des inten¬ dants : Hocquart et Bigot; le lieutenant gouverneur Cramahé;
des
gouverneurs
particuliers, comme
les
Ramezay, les Lemoyne de Longueuil, les Rigaud de Vaudreuil
et les
Boisberthelot
de
Beaucour.
Seize
membres du Conseil supérieur, 23 membres des Conseils exécutif
et
législatif,
17 députés
(dont
10 députés
canadiens-français), et plusieurs juges. Nous
avons
compté 164 officiers militaires (dont les Lavérendrye, les frères Lacorne et les Tarieu de Lapérade) ; 22 médecins et chirurgiens, 20 notaires, 2 arpenteurs, 1 maître sculp¬ teur, 1 maître de langue, 5 interprètes, des imprimeurs (William Brown, Fleury Mesplet et John Neilson); des gens de métier : 9 forgerons, 4 maçons, 8 tailleurs, des charpentiers et d’autres. Mais les propriétaires sont surtout des gens qui se livrent au commerce, qu’ils s’inti¬ tulent marchands-bourgeois ou ne soient que de petits traiteurs : le tiers de tous les esclaves appartiennent à la seule classe marchande, et encore là, les commerçants canadiens-français d’après la conquête ont plus d’esclaves que les marchands anglais. Quant aux seigneurs, nous en connaissons 146, dont seulement 10 anglophones : ces seigneurs (que nous avons comptés à part, car bon nombre d’entre eux apparaissent dans les professions précédentes) possèdent 442 esclaves, ce qui nous amène à supposer que l’esclave est une figure assez coutumière dans les manoirs. Des membres du clergé ont eu des esclaves : les évêques Saint-Vallier, Dosquet, Pontbriand et Plessis ; les prêtres séculiers Gaspard Dunière, Henri-Nicolas Catin, Pierre Fréchette et surtout Louis Payet qui posséda cinq esclaves et qui est l’un des tout derniers acheteurs d’esclave au Canada français; les sulpiciens Pierre-Paul-François Delagarde et François Picquet; le récollet Bonaventure Léonard ; les jésuites Joseph Aubery, François Du Jaunay,
Conclusion
329
Michel Guignas et Marin-Louis Lefranc. Nous trou¬ vons des esclaves qui appartiennent à des communautés : les Jésuites à Québec, à Saint-François-du-Lac, au Sault-Saint-Louis, à la mission de Détroit (Pointe-deMontréal) et à celle de Michillimackinac ; les frères de la Charité à Louisbourg; l’Hôpital-Général de Québec,
1 Hôtel-Dieu
de Montréal, la Congrégation de Notre-
Dame; et surtout l’Hôpital-Général de Montréal où vivent des esclaves que Mère d’Youville reçoit de feu son mari ou que des émigrants de la conquête lui donnent pour aider l’œuvre de l’Hôpital ou pour assurer l’avenir de ces esclaves qu’ils ne peuvent amener en France. À Québec même, le Séminaire de Québec ne semble pas avoir eu d’esclaves, ni les Ursulines, mais le Séminaire de Québec et les Jésuites en possédaient dans leurs missions de Kaskaskias, et les Ursulines à la Nouvelle-Orléans. Au total, le clergé et les communautés religieuses en auraient eu au moins une quarantaine dans les limites du Québec actuel. Rappelons-nous qu’en 1720 les communautés s’étaient jointes aux habitants pour tenter d’acheter une centaine de Noirs par le ministère de l’intendant Bégon. En tout cela, rien que de normal : l’esclavage est un fait social dûment accepté dans les colonies ; on ne se discré¬ dite pas en possédant des esclaves, bien au contraire ! Les grands propriétaires
sont rares, entendant
par «grands» ceux qui ont eu au moins une dizaine d’esclaves : nous n’en connaissons que 29 dans cette caté¬ gorie. Si nous les groupons par familles, nous remar¬ quons que les Campeau (presque tous étroitement appa¬ rentés) viennent en tête avec 57 esclaves ; les Lacorne et les Lemoyne de Longueuil n’occupent que le deuxième rang. Or les Campeau ne sont que de modestes traiteurs, de petites gens, mais ils donnent dans la manie somp¬ tuaire de la possession d’esclaves avec un enthousiasme qui leur fait dépasser les plus grands seigneurs.
33°
Deux siècles d’esclavage au Québec
Dans cette société, aucun code n’a réglé les rela¬ tions des maîtres avec leurs esclaves, ni même la condi¬ tion générale de ces esclaves. Toutefois, les habitants se sont conformés assez rigoureusement au Code noir, voire jusqu’à le dépasser, donnant à leur esclavage un certain caractère familial; bien souvent, on considère l’esclave comme un enfant adoptif. Cela ne doit cependant pas faire oublier que l’esclave fait partie des biens meubles : les gazettes l’annoncent comme marchandise (en 30 ans, nous avons compté 137 annonces d’esclaves dans les journaux), elles le mettent parfois en vente en compagnie de bétail ; il figure dans les inventaires en même temps que les animaux, quand on ne va pas jusqu’à l’échanger pour un bon cheval ; et cela, même quand l’esclave a été baptisé. Il ne semble pas y avoir eu de marché public spécialement affecté à la vente des esclaves, mais on connaît quelques esclaves qui ont été mis à l’enchère et vendus sur la place du marché. Les ventes en lot sont une exception, le plus gros lot n’étant d’ailleurs que celui de cinq esclaves. L’achat de l’esclave se fait dans les mêmes conditions que partout ailleurs : on examine avec soin la marchan¬ dise; on la choisit jeune et même très jeune : l’esclave qu’on achète n’a que 20 ou 15 ans, et souvent beaucoup moins, car il faut l’adapter, le dresser et faire en sorte qu’il s’attache à la famille avant que l’âge adulte ne lui apporte la tentation (nous songeons surtout à l’esclave amérin¬ dien) de retourner dans les bois. L’esclave est un article dispendieux, parce qu’il n’est pas essentiel dans la vie économique du pays : le « sauvage » coûte en moyenne 400 livres (on peut dire en gros que la livre du Régime français équivaut à notre dollar), mais le Noir est beaucoup plus cher, 900 livres ; alors que l’Amé¬ rindien abonde sur le marché et que l’approvisionnement en est continu, le Noir vient de très loin et on ne peut s’en procurer qu’en de rares occasions. On s’endette s’il
Conclusion
33i
le faut, car on n’a pas toujours le numéraire pour se payer cet article de luxe, on hypothèque ses biens. Aucune loi n’obligeait les propriétaires à faire baptiser leurs esclaves et ils ne se hâtent pas toujours de procurer le baptême à leurs esclaves, ils attendent parfois plusieurs années; il arrive même (mais c’est rare) qu’on laisse l’esclave atteindre un âge avancé et ne le baptise enfin que sur son lit de mort. Sous le Régime français, des baptêmes ont pris l’allure d’un événement social : on invite des personnes de marque; le Noir Pierre-LouisScipion, âgé de 10 ans, réunit 13 personnes en 1717 pour signer son acte de baptême. La liste des parrains contient les noms du gouverneur Beauharnois, des intendants Dupuy et Hocquart, d’autres hauts fonctionnaires ou de membres du clergé. Le propriétaire se réserve souvent l’honneur de servir de parrain à son esclave ; c’est même un usage exclusif à la société française et catholique. Malgré leur baptême, beaucoup d’esclaves sont inscrits dans les registres d’état civil sans aucun nom ni prénom. Sont ainsi restés dans l’anonymat 680 Amérin¬ diens (sur 2683, soit 25,3 %) et 250 Noirs (sur 1443, soit 17,3 %). Les esclaves qui n’ont que le prénom sont, chez les Amérindiens, au nombre de 1845 (sur 2683, soit 68,8 %) alors que chez les Noirs, il ne sont que les 50,2 % (724 sur 1443). Lorsqu’on leur donne un prénom, c’est souvent, comme dans la société libre, celui du parrain ou de la marraine, ou encore celui du maître. Parfois, l’esclave se revêt ou se fait revêtir d’un nom célèbre, comme Versailles qui appartient à Vergor en 1749, ou ce Louis Quatorze qu’on inhume à Saint-Vallier en 1773. Le mariage, enfin, était permis à l’esclave à condi¬ tion d’obtenir le consentement du maître. La cérémonie suit le rite habituel; les conjoints ont pour témoins tantôt leur maître, un membre de sa famille ou un ami, tantôt des esclaves. Mariés, ils continuent de vivre en servi¬ tude sauf si le maître accorde l’affranchissement; s’ils
Deux siècles d'esclavage au Québec
33 2
demeurent esclaves, leurs enfants légitimes appartien¬ nent en toute propriété au maître de la mère. Nous avons compté 73 mariages contractés entre esclaves. Les esclaves sont généralement illettrés; un seul esclave amérindien sait signer son nom : le Renard Michel-Louis, appelé aussi Michel Ouysconsin, qui avait appartenu à un Lanouillier. Chez les Noirs, huit nous ont laissé leur signature, dont ce Pierre-Dominique Lafleur, Noir du bourgeois Philibert du Chien d’Or : lors de son mariage avec une Canadienne en 1749, il signe au registre d’état civil, cependant que son épouse avoue son incom¬ pétence. Les Amérindiens ne paraissent pas avoir de métiers, à part ces Amérindiens anglais que la dame Legardeur de Repentigny avait achetés pour sa manufacture de Montréal; ils servent généralement de domestiques; quelques-uns (seulement huit) jouissent assez de la confiance de leur maître pour être envoyés dans le pays d’en haut au service de la traite. Les Noirs ont la plupart du temps une occupation particulière : ils sont surtout cuisiniers ou coiffeurs. Bien qu’il ne soit protégé par aucun code, l’esclave jouit de certains privilèges qui d’ordinaire sont réservés à l’homme libre : il peut servir de témoin à des cérémo¬ nies religieuses (baptême, mariage, inhumation) et son nom est alors inscrit à ce titre dans les registres d’état civil. Une esclave a même été demanderesse dans une cause contre une personne libre : en 1727, la Panise Catherine, esclave des Lachauvignerie, intente une pour¬ suite contre le chirurgien Benoist, et obtient gain de cause. Des esclaves ont revendiqué leur liberté devant les tribunaux et la justice les a laissés se prévaloir de tous les recours en usage : ainsi, de la Panise Marie-Marguerite Duplessis dite Radisson que le chevalier Dormicourt veut exporter aux Antilles. Au criminel, l’esclave est aussi jugé exactement comme n’importe quel citoyen : il
Conclusion
333
obtient facilement la permission de comparaître devant son juge et d’en appeler ensuite au Conseil supérieur; sous le Régime anglais, il jouit de Xhabeas corpus, il peut subir son procès par-devant jury. Autant de privilèges qui plaçaient l’esclave dans une condition bien supérieure à celle qu’il pouvait avoir dans les autres colonies. De plus, le châtiment qu’on lui impose n’est pas plus rigoureux que pour l’homme libre : nous le constatons à étudier le dossier des 18 esclaves punis pour crimes. La maraude de nuit, le vol nocturne, la violence, l’incendiât et le meurtre mènent à la potence, qu’on soit esclave ou libre. Il arrive même qu’on soit moins sévère pour l’es¬ clave puisqu’on en déporte pour des crimes qui valent la pendaison à des Canadiens : c’est sans doute que le danger causé ici par l’esclave rebelle est moins grand qu’aux Antilles. Les crimes des esclaves n’ont été ici que des actes isolés et rares qui n’ont absolument rien de la révolte d’une classe contre la société qui la tient en servi¬ tude. Autre privilège de l’esclave, il accède au nom de famille : c’est même un usage courant sous le Régime français que l’esclave porte le nom du maître, et s’il en porte déjà le prénom, il en résulte une parfaite homo¬ nymie qui peut devenir un piège dans la généalogie. Nous avons compté 158 Amérindiens qui portent un nom de famille québécois (sur 2683, soit 5,9 %) mais, chez les Noirs, l’usage du nom de famille est beaucoup plus recherché : nous le rencontrons chez 469 Noirs (sur 1443, soit 32,5 %). C’est là un autre trait humain et familial de notre esclavage. Lorsque l’esclave devient malade, on a l’habitude de l’envoyer à l’hôpital. De 1690 à 1800, au moins 525 esclaves ont été hospitalisés, et nous en aurions certainement trouvé davantage si les registres de l’Hôtel-Dieu de Montréal (c’est à Montréal qu’il y a eu le plus d’esclaves) avaient été conservés. Plusieurs fois, quand l’esclave devient «usé»,
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Deux siècles d’esclavage au Québec
la famille du propriétaire le place à l’Hôpital-Général où il se trouve en sécurité jusqu’à la fin de ses jours. L’étonnement, c’est de constater que l’esclave meurt très jeune : les 1587 individus dont l’âge au décès nous est connu meurent à l’âge moyen de 19,3 ans. Autant dire que l’esclave ne voit pas ses 20 ans ! C’est l’Amérindien qui meurt le plus jeune : à 17,7 ans, alors qu’en moyenne le Noir atteint l’âge de 25,2 ans. Par contre ce sont les Noirs qui subissent le plus abondamment la mortalité infan¬ tile : alors que 25 % des enfants amérindiens meurent dans l’année de leur naissance, le pourcentage est de 29,1 % chez les négrillons. Dans ces conditions, rares sont les esclaves qui se rendent à un âge avancé. Aucun Amérindien mâle n’a vu ses 70 ans. Les cas de longé¬ vité sont peu nombreux : 23 octogénaires; 2 Noirs vivent jusqu’à 90 ans. Enfin, saluons 2 centenaires qui repré¬ sentent chacune avec honneur les 2 groupes d’esclaves présents au Québec : la Panise Marie-Joseph, ancienne esclave des Ruette d’Auteuil entrée à l’Hôpital-Général de Montréal à 92 ans et qui y meurt en 1799, âgée de 100 ans ; la Noire Mary Young, morte à Montréal en 1813 à l’âge de 106 ans ! L’inhumation se fait à peu près selon les usages de la société libre : si elle a lieu parfois le jour même du décès, elle se produit la plupart du temps le lendemain comme la chose se pratiquait pour presque tout le monde ; l’acte est rédigé exactement dans les mêmes termes rituels, en présence de témoins requis, et ces témoins sont parfois les propriétaires (mais jamais les anglophones), parfois des esclaves ou simplement le bedeau. Le plus souvent, les esclaves sont inhumés dans le cimetière des Pauvres, mais il est arrivé à une esclave d’être enterrée sous une église, à côté de sa maîtresse. Comme dans les autres colonies, l’esclave peut obtenir sa liberté si son maître consent à l’affranchir. Jusqu’en 1709, il semble d’après la déclaration de l’inten-
Conclusion
335
dant Raudot, que plusieurs esclaves aient été affranchis sur une simple déclaration verbale : à partir de 1709, pour être valable, l’affranchissement doit être un acte notarié. Nous n’avons retrouvé que fort peu de ces actes, et pour¬ tant les documents nous signalent souvent des affranchis ou des Panis libres (ce qui revient au même). Une fois affranchi, l’esclave est livré à lui-même : à l’Amérindien on ne connaît alors qu’un seul métier, celui de canotier; quant au Noir, il a plusieurs cordes à son arc et il est bien mieux préparé que l’Amérindien à jouir de la liberté. La
présence
dans
notre
société
de
près
de
4200 esclaves a donné lieu à du métissage. Ces esclaves vivent dans l’intimité des familles et le Canadien éprouve un goût particulier pour les « sauvagesses » ; or ce sont surtout des Amérindiennes qu’on garde en servitude. Il s’ensuit maintes aventures amoureuses, et des bâtards. Des 573 enfants d’esclaves, 59,5 % sont nés hors les liens du mariage. Ces Amérindiennes mènent le bal : alors que les enfants des Noires ne sont illégitimes que dans une proportion de 32,1 % (ce qui est quand même élevé), nous avons calculé que 75,9 % des enfants que les Amérindiennes esclaves mettent au monde sont des enfants naturels, soit 3 enfants sur 4. Qui en est le père ? Les registres sont d’une grande discrétion : père inconnu ; dans le cas des enfants d’esclaves, ils n’ont dérogé que 19 fois à cette discrétion pour attribuer la paternité à des hommes libres dûment identifiés. Mais quel que soit le père, ces bâtards naissent en servitude et appartiennent au propriétaire de la mère. A l’occasion, on se mariait aussi entre proprié¬ taires blancs et esclaves. Ne nous scandalisons pas : Colbert et Talon avaient souhaité que les Français et les Amérindiens ne fassent qu’un même peuple et un même sang. Le premier mariage date de 1705. Nous en avons compté 45, soit 34 mariages entre Blancs et Amérindiens, et 11 entre Blancs et Noirs. Il y a à peu près autant de
336
Deux siècles d'esclavage au Québec
Blancs à épouser des Amérindiennes que d’Amérindiens à épouser des Blanches; et, chose curieuse, les Blancs n’épousent pas de Noires, mais les Blanches se donnent volontiers aux Noirs. De ces liaisons hybrides, il est né au moins 103 enfants : 84 métis et 19 mulâtres. Plusieurs de ces enfants se sont mariés et ont à leur tour laissé une descen¬ dance. Ce mélange introduit dans le sang français par l’esclavage équivaut-il, comme le prétend Benjamin Suite, à une simple goutte d’eau du Mississippi dans le SaintLaurent? Suite a fait cette comparaison sans se fonder sur des statistiques. Quant à celles que nous indiquons, elles ne peuvent servir que de point de départ dans les recherches : car il faut tenir compte des descendants que ces esclaves auraient laissés parmi nous, si nous voulons un jour tenter de déterminer leur proportion dans le groupe ethnique des Canadiens français d’aujourd’hui. Il n’est d’ailleurs pas plus facile de déterminer exac¬ tement quand l’esclavage a pris fin dans notre société. En 1787 nous décelons chez les propriétaires une première inquiétude au sujet de leurs droits sur les esclaves. A partir de 1790, il se fait dans les gazettes une propagande contre l’esclavage, mais propagande fort clairsemée et encore ne consiste-t-elle qu’à reproduire des nouvelles ou des pièces littéraires que l’on tire des journaux étran¬ gers : à aucun moment on ne vise en particulier le régime établi dans le Bas-Canada. Mais voici que le 28 janvier T793, Pierre-Louis Panet soumet à la Chambre d’assem¬ blée du Bas-Canada un premier projet pour abolir l’es¬ clavage. Or, peut-être parce que sur les 50 députés, une douzaine d’entre eux sont esclavagistes, le projet Panet est laissé de côté. Cependant, dans les colonies voisines, on prend position : la Nouvelle-Ecosse fait une première déportation de ses Noirs à destination de l’Afrique; et au printemps de 1793, le Haut-Canada adopte une loi : il sera désormais défendu d’introduire de nouveaux esclaves
Conclusion
337
dans la province; les esclaves qui y sont déjà, demeurent esclaves, mais les enfants qui y naîtront obtiendront leur liberté à l’âge de 25 ans. Il en découle que tout esclave qui va s’établir dans le Haut-Canada acquiert la liberté par le fait même, et cette province devient dès 1793 une terre de liberté pour les esclaves qui s’échappent des colonies voisines. Le Bas-Canada continue donc de pratiquer l’escla¬ vage, mais l’inquiétude des propriétaires ne va qu’aug¬ menter. En 1794, un juge de Montréal refuse de recon¬ naître la condition d’esclave et il libère l’esclave dont le seul crime est d’être fugitif. En 1798, le juge en chef William Osgoode, qui siège à Montréal, renonce par principe à condamner un esclave qu’on incrimine à titre d’esclave et il déclare publiquement qu’à l’avenir il libé¬ rera tout esclave qu’on amènera devant son tribunal. Les esclaves se mettent alors à déserter sans que les maîtres puissent faire intervenir la justice. Il leur reste un recours : le parlement. En avril 1799, par l’entremise du député Joseph Papineau, les propriétaires de Montréal deman¬ dent à la Chambre d’assemblée de régler la condition des esclaves, mais la Chambre ne prête guère d’attention à cette première requête. Les propriétaires réitèrent leur demande en avril 1800, et cette fois la Chambre d’as¬ semblée se met à l’œuvre pour rédiger un projet de loi : on en fait les deux premières lectures, puis on ne va pas plus loin. Et les propriétaires de continuer à s’alarmer. Les tribunaux ignorent la condition d’esclave, le HautCanada sert de refuge aux déserteurs, la Nouvelle-Ecosse en 1800 procède à une deuxième déportation d’esclaves (depuis 1755, la déportation était vraiment à la mode en cette province !). James Cuthbert revient à la charge au cours de la session de janvier 1801 : il présente un projet de loi, qui subit les deux premières lectures, et la Chambre d’assemblée le laisse encore tomber. En mars 1803, James
338
Deux siècles d’esclavage au Québec
Cuthbert fait une nouvelle tentative pour obtenir que bon règle la condition des esclaves : son projet de loi ne réussit pas à se rendre jusqu’à la troisième lecture et jamais plus, à la Chambre d’assemblée, on ne parle d’esclavage. Depuis quelques années d’ailleurs, l’esclavage trou¬ vait de moins en moins à se manifester : le dernier acte de vente d’un esclave dans le Bas-Canada est daté du 13 mai 1797; le 29 janvier 1798, une gazette annonce pour la dernière fois la mise en vente d’un esclave ; la dernière mention du mot esclave dans les registres d’état civil date du 18 novembre 1798. Dans les années qui suivent, nous ne retraçons plus que de très rares esclaves; le dernier représentant que nous connaissons est la Panise Marie-Marguerite : donnée en 1764 à l’Hôpital-Général de Montréal par André Grasset de Saint-Sauveur, elle appartient encore à cet Hôpital en 1772 et y meurt le 6 avril 1821, âgée de 76 ans, sans que nous sachions cepen¬ dant si elle était esclave ou affranchie. Quand l’Angle¬ terre en 1833 abolit l’esclavage dans les colonies (loi qui prend effet en 1834), il n’y avait certainement plus d’esclaves amérindiens dans le Bas-Canada; il s’y trou¬ vait peut-être quelques Noirs pour enfin profiter de la loi libératrice. Dans le Bas-Canada, l’esclavage disparaît dans le même mystère qu’il a débuté. Plus encore que le silence qui entoure sa dispari¬ tion, nous étonne le peu de traces qu’il a laissées dans la mémoire collective du Québec et dans sa littérature. Philippe Aubert de Gaspé, dans Les Anciens Canadiens, donne un petit rôle à cette mulâtresse que le grand-père Ignace-Philippe Aubert de Gaspé avait achetée vers 17871 ; ce même écrivain, dans un récit intitulé Femme de la tribu des Renards, s’amuse à rédiger la biographie de la
Renarde Marie-Geneviève, esclave de la famille Couillart à Saint-Thomas-de-Montmagny2. Vers 1881, AdolpheBasile Routhier taquine l’abbé Henri-Raymond Casgrain à propos d’esclavage : à l’abbé qui essaie de se trouver
Conclusion
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des ancêtres jusque dans l’armée des Croisés, Routhier rappelle malicieusement que le premier Casgrain à venir au Canada a d’abord épousé la fille d’un Panis3. En 1891, cet abbé Casgrain fait revivre la mémoire de la mul⬠tresse Thérèse, ancienne esclave des Duperron-Bâby4 et, en 1898, P.-B. Casgrain consacre quelques lignes à deux autres esclaves des Duperron-Bâby, la mulâtresse Rosalie ou Rose Lontin et la Panise Catherine5. C’est tout pour la littérature du XIXe siècle. Ce qui est peu. Et pourtant, nos écrivains ont tant de fois exploité les thèmes de l’histoire canadienne ! Crémazie, Fréchette, Lemay qui ont toujours eu en bouche la trompette épique, n’ont chanté aucun épisode ni aucune victime de notre esclavage. Nos romanciers, si portés sur l’histoire, n’ont pas vu les esclaves : les reconstitutions historiques, si fréquentes dans nos romans, sont, sauf chez Aubert de Gaspé, tout à fait dénuées d’esclaves. Le cas qui nous a le plus surpris est celui du Chien d’Or de William Kirby, publié en 1877 : voici un roman qui s’applique avec minutie à décrire la société des dernières années du Régime français ; le personnage central est le bourgeois Philibert, ce bourgeois qui possède au moins cinq esclaves et dont un Noir devient l’époux d’une Canadienne; d’autres personnages de
Kirby sont propriétaires
d’esclaves :
malgré cela, quand l’auteur décrit l’intérieur des familles et fait plusieurs fois intervenir les domestiques, jamais un seul esclave ne montre le bout de l’oreille. Notre littéra¬ ture du XIXe siècle a raté le thème de l’esclavage. Une
autre
trace
de
l’esclavage
apparaît
dans
la mémoire d’un oblat centenaire, le père Damase Dandurand décédé en 1921 à 102 ans. Né à Laprairie où il a passé sa «petite enfance», il rappelle dans les souve¬ nirs la rencontre qu’il aurait faite, tout jeune, en compa¬ gnie de sa mère, à Montréal, d’un esclave noir qu’on mettait en vente au marché de cette ville, à l’époque de l’esclavage finissant. Cet esclave, selon le père Dandurant,
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Deux siècles d’esclavage au Québec
suppliait qu’on veuille bien l’acheter6. Le souvenir du vieil oblat correspond-il à l’exacte vérité ou des détails d’origine étrangers se sont-ils greffés à des faits réels? Nous aurions là, en tout cas, un témoignage sur une insti¬ tution vite oubliée. Ensuite, mais seulement en 1951, un Robert de Roquebrune, dans le Testament de mon enfance, s’arrête longuement au souvenir du Noir Sambo qui, bien avant la naissance de l’écrivain, « était tombé chez nous un soir de Noël comme un roi mage égaré dans la neige » ; esclave en Virginie avant la guerre de Sécession, le Noir Sambo avait été recueilli au manoir des Saint-Ours, à f Assomp¬ tion. Toutefois, nous n’avons pas en Sambo un survivant de la population esclave de chez nous, et à proprement parler il ne marque pas un prolongement de l’esclavage dans notre littérature. Après cette œuvre de Roquebrune, il faut attendre à la fin du XXe siècle, en 1999, la publi¬ cation du roman historique de Micheline Bail, L’Esclave, qui fait revivre une esclave du XVIIIe siècle, dans une reconstitution qui suit de près les événements histori¬ ques. La langue québécoise a-t-elle du moins retenu quelque chose d’une institution qui a existé chez nous pendant deux siècles. Déjà vers 1881, Routhier n’est plus en mesure d’écrire le mot Panis comme il faut : il l’écrit Pawnis, d’après l’anglais, alors que cette manière d’écrire ne fut jamais en usage ni dans les registres d’état civil ni dans tout autre document du Canada français; et c’est pour nous un sujet d’étonnement que de ces Panis qui disparaissent de nos registres au début du XIXe siècle, on ne sache déjà plus, 50 ans après, écrire correctement le nom. Dans cette langue parlée, Benjamin Suite note en 1911 un cas de survivance : « Il nous reste, écrit-il, un mot très répandu dans nos campagnes, bien conservé, mal compris, assez justement appliqué de nos jours. Une mère dira au petit garçon qui joue tête-nue au
Conclusion
34i
soleil : Mets ton chapeau, monstre d’enfant, tu vas griller comme un Panis !8 » Cette comparaison, en usage il y a un demi-siècle, a-t-elle encore cours? Nous ne l’avons jamais entendue; d’ailleurs quand il nous est arrivé de prononcer le mot Panis, on nous a chaque fois demandé d’un air tout étonné : « Mais qu’est-ce qu’un Panis ? » C’était un usage chez nous de répondre aux enfants qui demandaient d’où viennent les nouveaux-nés : « Les sauvages ont passé et ont laissé un bébé » ; ailleurs, ce sont les choux... D’où vient aux Québécois ce pudique recours aux « sauvages » ? Peut-être simplement du voisinage avec les indigènes ; mais si l’on se rappelle que tant de fois au cours du XVIIIe siècle les traiteurs sont descendus des pays d’en haut en ramenant de tout jeunes Panis obtenus des «sauvages», on peut supposer que l’explication des naissances par le passage d’indigènes qui laissent un bébé dans le berceau, nous viendrait de notre époque d’escla¬ vage. Si cet esclavage est rapidement tombé dans l’oubli, la faute en est peut-être aux historiens : ils ne se sont pas arrêtés à ce problème ou le problème leur a complète¬ ment échappé. Pour sa part, l’historien François-Xavier Garneau, bien qu’il soit né à l’époque où il y avait encore des esclaves, a très mal renseigné ses lecteurs sur l’escla¬ vage : Nous croyons devoir citer ici, écrit-il, une résolution qui honore le gouvernement français ; c’est celle qu’il avait prise de ne pas encourager l’introduction des esclaves en Canada, cette colonie que Louis XIV préférait à toutes les autres à cause du caractère belliqueux de ses habitants ; cette colonie qu’il voulait, il semble, former à l’image de la France, couvrir d’une brave noblesse et d’une population vraiment nationale, catholique, fran¬ çaise, sans mélange de races. En 1688, il fut proposé d’y avoir des noirs pour faire la culture. Le ministère
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Deux siècles d'esclavage au Québec
répondit qu’il craignait qu’ils n’y périssent par le chan¬ gement de climat et le projet ne fut inutile. Cela anéantit pour ainsi dire une entreprise qui aurait frappé notre société d’une grande et terrible plaie. Il est vrai qu au siècle suivant, on étendit à la Louisiane le Code noir des Antilles ; il est vrai qu’il y eut ici des ordonnances sur la servitude : néanmoins l’esclavage ne régnait point en Canada ; à peine y voyait-on quelques esclaves lors de la Conquête. Cet événement en accrut un peu le nombre un instant; ils disparurent ensuite tout à fait.
Et tombant dans une erreur de plus, Garneau ajoute : « On doit dire à l’honneur du gouvernement et du clergé canadien, qu’ils ont toujours été opposés à l’introduction des noirs en Canada9.» Historique qui déforme singulièrement la vérité! Jacques Viger et Louis-Hippolyte LaFontaine pour¬ ront avec raison reprocher à Garneau d’avoir éliminé de son texte «la partie principale, l’autorisation du roi d’acheter des esclaves10». En fait, sur les instances de Ruette d’Auteuil et de l’intendant Bégon, le roi de France a permis aux Canadiens d’acheter des Noirs. Il a consenti à ce qu’on suive les ordonnances publiées par les inten¬ dants sur l’esclavage : le mélange des races a été forte¬ ment conseillé par Colbert et par Talon. Contrairement à ce qu’affirme Garneau, le Régime français a été aussi esclavagiste que le Régime anglais ; l’opposition du clergé, que Garneau évoque, ne s’est jamais manifestée : l’Eglise canadienne ne s’est jamais prononcée sur l’esclavage et l’on sait d’ailleurs que de hauts dignitaires du clergé, des évêques, des curés, des religieux et des communautés reli¬ gieuses ont possédé leurs esclaves. Garneau, enfin, oublie tout à fait les esclaves « sauvages » qui, pourtant, étaient bien plus nombreux que les esclaves noirs. Venant de l’historien qui a exercé chez nous la plus forte influence,
Conclusion
3 43
cette description erronée de l’esclavage ne pouvait que contribuer à reléguer cette institution dans l’oubli. Pour répondre à Garneau, Jacques Viger et LouisHippolyte LaFontaine publient en 1859 les fondements juridiques de l’esclavage au Canada français11, puis survient un long silence d’une vingtaine d’années. Dans le dernier quart du siècle, Tanguay fait connaître par son Dictionnaire généalogique environ 200 esclaves, amérindiens et noirs, qui ont vécu sous le Régime français12. La question n’est reprise qu’en 1906, lorsque le colonel Hubert Neilson (dont le grand-père, l’imprimeur John Neilson, posséda des esclaves) consacre une vingtaine de pages à l’esclavage canadien et reproche aux historiens de garder le silence13. On se met enfin à parler d’esclaves : Benjamin Suite en 1911 donne la première étude vraiment intéressante, bien qu’elle ne comporte qu’une quinzaine de pages et ne soit pas fondée sur des statistiques14. En 1913, M§r L.-A. Paquet déplore que « la tache de l’esclavage » ait existé chez nous sous le couvert des lois15 et, deux ans après, O.-M.H.-Lapalice entreprend, mais sans méthode, un inventaire des Noirs à Montréal sous le Régime français16. Sept ans plus tard, Pierre-Georges Roy publie une série d’actes de vente, démontrant une fois de plus qu’on fit le commerce des esclaves dans notre société17. Et de nouveau, c’est un long silence d’un quart de siècle. En 1949 et en 1956, RobertLionel Séguin ramène l’attention sur le problème de l’esclavage, sans guère dépasser toutefois les frontières du secteur Vaudreuil-Soulanges18. Enfin, en i960, nous remettons la question à l’ordre du jour en publiant un volume de 400 pages, Histoire de l’esclavage au Canada français, dont nous faisons paraître
la documentation en 1990 sous la forme d’un Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français, livre
qui connaît une nouvelle édition dès 1994. S’ajoutaient à ces publications depuis 1956, des conférences ou allocu-
Deux siècles d’esclavage au Québec
344
dons en divers lieux du Québec sur notre pratique de l’es¬ clavage, dont plus d’une trentaine dans les 20 dernières années. Malgré ce travail de diffusion, chaque fois que nous abordons ce problème dans la presse ou ailleurs, c’est toujours la même réaction de surprise et surtout d’incrédulité : « Comment ! de l’esclavage au Québec ? » Nous qui nous sommes toujours pris pour un peuple de missionnaires et de spiritualistes, nous n’arrivons pas à admettre que nous ayons connu un passé colonial semblable à celui des Etats-Unis, et encore moins que notre prétendue « pureté ethnique » ait été « corrompue » par du sang d’Amérindien ou de Noir. Comme on l’écrit dans la Bible : « Les pères ont mangé des raisins verts et les petits-fils en ont eu les dents agacées.»
Conclusion
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► NOTES 1
Suite, «L’esclavage en Canada», dans la Revue canadienne, 61,1911, 333-
2 Aubert de Gaspé, Les Anciens Canadiens, 292s. 3 Aubert de Gaspé, Divers, 9-52. 4 Jean Piquefort, «Portraits et pastels littéraires», dans Les Guêpes canadiennes, 290s. 5 H.-R. Casgrain, «Madame C.-E. Casgrain», dans Mémoires de famille, 196s. 6
P.-B. Casgrain, Mémorial des familles Casgrain, Bâby et Perrault, 95, 145, n.i.
7 Communication d’Émilien Lamirande dans une lettre du 17 juin I9938
Robert de Roquebrune, Testament de mon enfance (éd. de 1951), 15-17, 21s., 197-210.
9
Benjamin Suite, «L’esclavage en Canada», dans la Revue canadienne, 61,1911,324.
10
Garneau, Histoire du Canada (4e édition), II, 167; III, 90m
11 Viger-LaFontaine, «De l’esclavage en Canada», dans Mémoires de la Société historique de Montréal, 1,1859,10, n.i. 12 Ibid., 1-63. 13
Cyprien Tanguay, Dictiomiaire généalogique des familles canadiennes, 7 vol. publiés de 1871 à 1890.
14 Hubert Neilson, «Slaves in Old Canada. Before and after the Conquest», dans Transactions of the Literary and Historical Society of Quebec, XXVI, 1906,19-45. 15 Benjamin Suite, «L’esclavage en Canada», dans la Revue canadienne, 61,1911,315-334. 16 M»r L.-A. Paquet, «L’esclavage au Canada» dans MSRC, VII, 1913, I39“I4917 O.-M. H.-Lapalice, «Les esclaves noirs à Montréal sous l’ancien régime», dans Canadian Antiquarian andNumismaticJournal,3e série, XII, 1, janvier 1915,136,158. 18
«Vente des esclaves par actes notariés sous les régimes français et anglais», dans RAPQ, 1921-1922,109-123.
.
'
Bibliographie
SIGLES
Asa
B RH MS RC MSG RAC RAPQ_ RHAF RJ
Archives du Séminaire de Québec Bulletin des recherches historiques Mémoires de la Société royale du Canada Mémoires de la Société généalogique Rapport sur les archives publiques du Canada Rapport de Varchiviste de la province de Québec Revue d'histoire de lAmérique française Relations des Jésuites
I- SOURCES I- Sources manuscrites
a) Archives publiques
Quelques rares éléments de la correspondance officielle font connaître le sentiment des autorités coloniales sur l’escla¬ vage ou nous révèlent la présence d’esclaves ; correspondance conservée dans la série B qui groupe les ordres et les dépêches du ministère de la Marine de France et dans la série CiiA, Correspondance générale. La collection Moreau de Saint-Méry fournit aussi quelques informations sur les mêmes sujets. Nous avons poussé nos recherches dans les archives offi¬ cielles d’Ottawa et dans celles du Québec, examinant tout document d’administration publique susceptible de présenter énumération de personnes: ordonnances de gouverneurs et
348
Deux siècles d’esclavage au Québec
d’intendants, registres du Conseil supérieur ou du Conseil exécutif, cahiers des Chambres de milices (sous le Régime militaire), recensements de population, procès-verbaux de Cours de justice civile ou criminelle. Dans ce domaine de la justice, nous avons poursuivi notre quête de documentation dans les greffes des notaires, depuis les tout premiers du XVIIe siècle jusqu’à ceux de l’époque de l’abolition de l’esclavage ; collection de greffes à quoi se rattache, dans les Archives nationales du Québec, la série Collection de pièces judiciaires et notariales. Nous avons aussi consulté aux Archives publiques d’Ot¬ tawa, la Collection Neilson qui réunit les papiers et livres de comptes des imprimeurs Brown et Gilmore. Les documents les plus abondants en renseignements sur l’esclavage sont les registres d’état civil (baptêmes, mariages et sépultures). Pour la durée des deux siècles de l’esclavage au Québec, nous avons eu soin d’en faire l’examen dans tous les lieux, catholiques, anglicans ou d’autres religions, relevant de l’administration profane ou religieuse du Québec, qu’il s’agisse de paroisses organisées, de missions ou de dépôts exception¬ nels dans les archives publiques ou privées. La plupart de ces registres ont été consultés soit dans les paroisses même, soit aux Archives nationales du Québec ; ceux de la mission de Tadoussac, à l’archevêché de Québec ; ceux de Notre-Dame-des-Anges, à l’Hôpital-Général de Québec. Pour les forts en périphérie du Québec, nous avons eu recours à la publication de leurs registres d’état civil qu’en a faite madame Marthe Faribault-Beauregard dans ses deux volumes La popu¬ lation des forts français d’Amérique, aux Editions Bergeron. En certains cas, nous avons compté sur la généreuse collaboration du Programme de recherche en démographie historique de l’Uni¬ versité de Montréal ou encore sur la publication de certains registres dans la Revue d’histoire de l’Amérique française et dans la Wisconsin Historical Collection.
Bibliographiete
349
b) Archives privées appartenant À DES INSTITUTIONS Diverses institutions possèdent des archives qui peuvent nous informer sur l’esclavage ou sur les esclaves amérindiens ou noirs : Archevêché de Québec Livre des abjurations, 1757-1826. Catalogue ou registre des confirmés, 1659-1749. Deux cahiers relatifs à la mission de Tadoussac: Miscellaneorum Liber, 1691-1775, et un registre des baptêmes, mariages et sépultures, 17591784. Hôpital-Général de Montréal Registre de l'entrée des Pauvres à l’Hôpital-Général de VilleMarie. Registre des Pauvres décédés dans VHôpital-Général de Montréal à Ville-Marie, 1725: couvre les années 1725-1759. Registre des sépultures, 1759-1776 : le registre se poursuit bien au-delà, mais nous ne l’avons examiné que jusqu’en 1835. Hôpital-Général de Québec Registre des pauvres invalides reçus à l’Hôpital-Général de Québec sur la fondation de MA de Saint- Vallier: de 1746 à 1941. Décès, 1728-1785 : registre de la paroisse Notre-Dame-desAnges, qui contient aussi des baptêmes et des mariages, et se poursuit bien au-delà de 1783 ; nous l’avons examiné jusqu’en 1840. Hôtel-Dieu de Montréal Registre des noms des militaires traités dans VHôtel-Dieu de Montréal depuis 1756 jusqu’à 1760 : le registre suivant ne reprend qu’en 1829.
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Hôtel-Dieu de Québec Registre journalier des malades', divers cahiers à partir de 1689, que nous avons examinés jusqu’au début du XIXe siècle. Registre des sépultures faites dans le cimetière des Pauvres de l’Hôtel-Dieu, 1741-1795. Registre mortuaire: il commence en 1723, nous l’avons examiné jusqu’en 1840. Notre-Dame-de-Montréal Premières communions et confirmations, 1556 à 1851: la liste des communiants s’ouvre en 1756, celle des confirmés en 1767. Congrégation des hommes de Ville-Marie : Livre des élections ou Livre des portiers. De 1804 à 1868. Congrégation des hommes de Ville-Marie. Cahier de 1805 qui contient des listes, des comptes et des inventaires. Notre-Dame-de- Québec Catalogue des noms de ceux qui ont été confirmés par Monsei¬ gneur Jean-Olivier Briand, évêque de Québec le 14 août 2779. Ce catalogue se prolonge jusqu’en octobre 1825 » un second poursuit jusqu’en 1853. Confrérie de Sainte-Anne, 1658-1845. Règlements, délibéra¬ tions, comptes. Confrérie du scapulaire Mont-Carmel, 1805-1850. Listes, comptes. Registre de la Sainte-Famille, 1664-1855. Listes, règlements, délibérations. Recensement général des habitans de Québec, 1516. Recense¬ ment incomplet, publié par l’abbé Beaudet en 1887. Séminaire de Montréal Acte du 24 mars 1761 par le notaire Panet : un Noir affranchi se remet en esclavage pour épouser une Noire esclave.
Bibliographie
35i
Séminaire de Québec
Document du 20 août 1638 dans les Documents Faribault au sujet du Noir de Couillart. Le registre original detat civil du poste Saint-Joseph-desMiamis, avec une copie (fautive) dans la Saberdache de Viger, vol. S (rouge). Séminaire des Trois-Rivières
Dans le fonds Hart, des actes de vente de 1779 et de 1786.
c) Archives privées appartenant à des individus
Collection John Leblanc
Extraits des actes d’état civil de Philipsburg. Collection Neilson
Papiers des imprimeurs Brown et Gilmore : lettres de 1763 à 1768 et livres de comptes: Memorial, 1763-1774', Cash Book, 1763-17(73', Account Book, 1777-1786. Collection Robert-Lionel Séguin
Notes tirées de registres d’état civil, au cours de ses recher¬ ches sur l’esclavage dans la région de Vaudreuil. II- Sources imprimées
a) recensements
Recensements de Détroit et du Michigan, dans Michigan Censuses, 1710-1830 Under the French, British and Americans, edited by Donna Valley Russell, Detroit Society for
Genealogical Research, Détroit, 1882, 291 p. Cartes. Recensements du Québec, en 1666, voir Marcel Trudel, La population du Canada en 1666. Recensement reconstitué,
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b) gazettes
British American Register, The. Gazette bilingue imprimée par John Neilson du 8 janvier 1803 au 6 août suivant. Canadien, le. Gazette française imprimée et publiée par Charles Roi du 22 novembre 1806 au 14 mars 1810. Un second Canadien paraît de juin 1817 à mars 1818 ; un troi¬ sième, de janvier 1820 à 1825; un quatrième, d’Etienne Parent, à partir du 7 mai 1831 jusqu’en 1893. Courrier de Québec, le. Hebdomadaire qui parut du 3 janvier 1807 au 31 décembre 1808. Cours du temps, le. Hebdomadaire bilingue, du 23 juin 1794 au 27 juillet 1795. Gazette de Montréal, la. Hebdomadaire bilingue imprimé par Fleury Mesplet de 1785 à 1794, par Edward Edwards de 1795 à 1808, par Charles Brown à partir de 1808. Une autre gazette du même nom parut de 1795 à 1797, publiée par Louis Roy, puis par J. M. Roy et John Bennett. Gazette de Québec, la. Hebdomadaire bilingue imprimé par William Brown de 1764 à 1789, par Samuel Neilson de 1789 à 1793, par John Neilson à partir de 1793. Gazette du commerce et littéraire, la. Journal de Fleury Mesplet, du 3 juin 1778 au 2 juin 1779.
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Cyprien, ptre, Dictionnaire généalogique des
familles canadiennes, Montréal, Eusèbe Sénécal, 1871-1890, 7 vol. Tanguay a été le premier à faire un inventaire systé¬ matique des esclaves, mais il se limite presque exclusive¬ ment à l’Hôpital-Général de Montréal et aux registres de Michillimackinac. Le vol. III contient en appendice une liste des 135 esclaves. Dans le vol. VI, sous le titre Nègres et sous celui de Punis, Tanguay énumère 117 individus. Il a la mauvaise habitude, chaque fois qu’il rencontre un esclave anonyme, de l’appeler Joseph ou Marie selon le sexe, alors que les registres présentent bien ces esclaves comme anonymes. De plus, il se base sur l’âge approximatif de l’es¬ clave pour déterminer l’année du baptême : par exemple, d’un esclave inhumé en 1740 à l’âge d’environ 10 ans, il écrit b 1730, ce qui est une déduction purement imaginaire, l’es¬ clave n’étant entré au pays qu’un certain temps plus ou moins long après sa naissance et baptisé peut-être long¬ temps plus tard. Trudel,
Marcel, Dictionnaire des esclaves et de leurs proprié¬
taires au Canada français, Montréal, Editions Hurtubise HMH, coll. «Les Cahiers du Québec - Histoire», 1990, pp. xxviii-490.
III- ÉTUDES
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55-58. Pas un
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sur l’esclavage ni
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Mgr L.-A., «L’esclavage au Canada», dans MSRC, VII, 1913, pp. 139-149. Très brève étude sur l’esclavage au Canada et dans le monde.
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BRH, 55,1949, pp. 91-94,168. L’auteur se limite à la région de Vaudreuil-Soulanges. _, «On a pratiqué l’esclavage dans la région de
Vaudreuil jusqu’en 1800 », dans le Petit Journal, 13 mai 1956, pp. 30 et 53. Bref reportage sur l’inventaire entrepris par Séguin. Benjamin, «L’esclavage en Canada», dans la Revue canadienne, 61, 1911, pp. 315-334. Première étude à traiter vraiment la problématique dans son ensemble.
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Vol. I : Les Vaines tentatives, 1524-1603. Montréal, Fides, 1963. xxii307 p. 111., cartes. [Premier prix des Concours littéraires et scientifiques du Québec, 1963. Réédité en 1965, 1968 et 1971]. Vol. II : Le Comptoir; 1604-1623. Montréal, Fides, 1966. xlix-554 p. 111., cartes. [Premier prix des Concours littéraires et scien¬
tifiques du Québec, 1966 ; prix du Gouverneur général, 1967. Réédité en 1971]. Vol. III : La Seigneurie des Cent-Associés, 1623-1663. En 2 tomes : tome 1: Les Evénements. Montréal, Fides, 1979. lxxii-489 p. 111., cartes. tome 2: La Société. Montréal, Fides, 1983. xvii-669 p. 111., cartes. [Prix Macdonald, 1984].
Vol. IV : La Seigneurie de la Compagnie des Indes occidentales, 16631634. Montréal, Fides, 1997. X-894Q14] p. Cartes. Canada: Unity and Diversity. Toronto, Holt, Rinehart &. Winston, 1967. xiii-529 p. 111., cartes. [En collaboration avec P. G. Cornell, J. Hamelin et F. Ouellet. Publié en français en 1968, sous le titre Canada: unité et diversité, ix-578 p.]. Initiation à la Nouvelle-France : histoire et institutions. Montréal, Holt Rinehart & Winston, 1968. xviii-323 p. 111., cartes. [Publié en anglais en 1968, sous le titre Introduction to New France, xix300 p. et réédité en 1972]. Jacques Cartier. Montréal, Fides, 1968. 94Q1] p. Collection «Classi¬ ques canadiens ». Atlas de la Nouvelle-France. Québec, Tes Presses de l’Université Faval, 1968. 219 p. [Edition bilingue, en coédition avec University of Toronto Press. Réédité en 1973]. L’Histoire du Canada: enquête sur les manuels. Ottawa, 1969. xix-129 PVol. V des Etudes de la Commission royale d’enquête sur le bilin¬ guisme et le biculturalisme. [En collaboration avec Geneviève Jain. Publié en anglais en 1970, sous le titre Canadian History Textbooks. A Comparative Study\. The Beginnings of New France, 1524-1663. Toronto, McClelland
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Québec, Boréal-Express, 1976. 291 p. Cartes. [Édition refondue du précédent Louis XVI, le Congrès américain et le Canada, 1774-178(4.].
1787.-
Catalogue des immigrants, 1632-1662. Montréal, Flurtubise HMH, 1:983.569 p. Collection «Les Cahiers du Québec-LIistoire». Mémoires d’un autre siècle. Montréal, Boréal, 1987.312Q3] p. [Médaille de l’Union des éditeurs de langue française, France]. Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français. Montréal, Hurtubise HMH, 1990. xxxiii-490 p. Cartes. Collec¬ tion «Les Cahiers du Québec-Histoire». [Nouvelle édition revue et corrigée, 1994]. François Dollier de Casson. Histoire du Montréal. Montréal, Hurtubise HMH, 1992.342 p. Collection «Les Cahiers du QuébecDocuments d’histoire». [Nouvelle édition critique, en collabo¬ ration avec Marie B aboyant]. La Population du Canada en 1666. Recensement reconstitué. Sillery, Septentrion, 1995.379 p. Les Ecolières des Ursulines de Québec, 163(7-1686. Amérindiennes et Canadiennes. Montréal, Hurtubise HMH, 1999, 440 p. Collec¬ tion « Les Cahiers du Québec-Histoire ». Mythes et réalités dans l'histoire du Québec. Montréal, Hurtubise HMH, 2001, 340 p. Collection «Les Cahiers du QuébecHistoire ». La Nouvelle-France par les textes. Montréal, Hurtubise HMH, 2003, 440 p. Collection « Les Cahiers du Québec-Histoire ». Deux siècles d'esclavage au Québec, suivi du Dictionnaire des esclaves et leurs propriétaires au Canada français (sur CD-ROM). Montréal, Hurtubise HMH, 2004,408 p. [+ CD-ROM], Collection «Les Cahiers du Québec-Histoire».
..
•
ANNEXE
Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français
Introduction
A v
la nouvelle édition de notre Histoire de l’esclavage au Canada français, que nous faisons paraître cette
fois sous le titre H eux siècles d’esclavage au Québec, nous joignons, sur le CD-ROM, ci-joint, notre Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français. Publiée originellement il y a bientôt 15 ans, en 1990, cette édition nécessite cependant quelques ajouts et correc¬ tions qui, bien que mineurs, nous semblent essentiels pour répondre correctement aux questions constantes des lecteurs relativement à l’esclavage au Québec. La reproduction de l’ancienne édition sous forme de CD-ROM ne permettant pas de faire les modifica¬ tions souhaitées à même l’ouvrage, nous avons décidé de vous offrir, en annexe, les corrections et modifications de cette édition revue et augmentée. Mon éditeur ayant tenu à conserver l’introduction originale comme présentation du Dictionnaire, je me permets néanmoins de faire ici, par écrit et sur papier, un bref retour sur le Québec dont il s’agit, sur le plan que
Deux siècles d’esclavage au Québec
368
nous suivons dans l’inventaire de la population esclave, ainsi que sur son nombre. En sa partie du Régime français, ce Dictionnaire recouvre la Nouvelle-France à l’exception de la Louisiane. Pour le Régime anglais jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1833, nous comprenons par «Québec» tout le terri¬ toire qui relevait de l’autorité de la ville de Québec, terri¬ toire qui a varié selon les époques : de 1760 à 1764 (pays restreint aux deux rives du Saint-Laurent), de 1764 à 1774 (on lui adjoint les Grands Lacs), de 1774 à 1783 (le Québec s’étend du Labrador au confluent de l’Ohio et du Mississippi), de 1783 à 1796 (Détroit et Michillimackinac relèvent encore de Québec), en 1791, le Haut-Canada (ou Ontario) est soustrait à la juridiction québécoise. C’est pourquoi, à la suite des paroisses esclavagistes du Saint-Laurent, le Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires présente les lieux du lac Champlain, des Grands Lacs et même du Mississippi, où nous avons pu relever des esclaves. Chaque nouvelle édition entraînant son lot d’addi¬ tions à la population esclave ou de corrections à la liste des propriétaires, nous évaluons maintenant le nombre d’esclaves, dans le territoire qui a relevé de Québec et sont inscrits dans notre inventaire, au total suivant : Amérindiens
2683
64,1 %
Noirs
1443
34,5 %
59
1,4%
Autres (Amérindiens ou Noirs) Total
4185
Marcel Trudel avril 2004
Annexe
Additions et modifications au
369
Dictionnaire des
esclaves et de leurs propriétaires au Canada français (sur CD-ROM)
Afin de faciliter la compréhension des éléments cijoints, les modifications (mod.) et ajouts (aj.) respectent la pagination du livre tel que présentée sur le CD-ROM ci-joint. De plus, ils sont ici présentés en respectant la chronologie de l’ouvrage, soit dans un premier temps les esclaves, divisés par région, et dans un second temps les propriétaires, eux, classés selon l’ordre alphabétique de leur nom de famille. Note: Lorsque le numéro de page apparaît avant la région (pour les esclaves) — par exemple, page 218, York — oulenomdefamille(pourlespropriétaires) — par exemple, page 272, Audry —, c’est dire que cette région ou ce nom de famille ne se retrouvait pas dans le Dictionnaire, alors que lorsque le numéro de page se retrouve après la région ou le nom de famille, c’est qu’il y a eu ajout ou modification dans une section déjà existante.
■
Annexe
3 71
Première partie : Les esclaves
BERTHIER-EN-HAUT
MARIE-ANGÉLIQUE,
Amérin¬
dienne : Amérindiens
demeurant chez Pierre Larrivée ; baptisée le 31 mai 1721,
p. io (aj.)
à 24 ans environ ; inhumée
MARIE-LOUISE, Sauvagesse
le 5 déc. 1730, à 30 ans envi¬
venue des pays d’en haut; inhumée à
79 ans,
le
21 février
demeurant
1818, chez
Guillaume Desrosiers et dite libre à son décès; présents à l’inhumation :
Guillaume
Desrosiers et son fils Albert.
ron; l’acte d’inhumation pré¬ cise quelle appartient à Pier¬ re
Larrivée.
Probablement
la Panise Marie, esclave de Pierre
Larrivée,
qui
pour¬
suit en justice Jean-Baptiste Mailhot, aussi de Boucher¬ ville, pour l’avoir engrossée.
BOUCHERVILLE Amérindiens
DESCHAMBAULT Anonyme
p. 11 (mod.) LAURENT LÉVEILLÉ, Panis
à l’âge de 24 ans environ, il épouse le 22 nov. 1705 Marie Demers, 19 ans, fille de feu Étienne Demers et de Marie Ménard; comme la mariée
p. 20 (aj.) ANONYME
esclave
anonyme
(Amérin¬
dien ou Noir?) de Paul Per¬ rault, inhumé le
17 janvier
1762.
est enceinte, une dispense de trois bans a été accordée; le
LACHINE
seigneur Pierre Boucher de Boucherville [qui est proba¬
Anonyme
blement le propriétaire] est présent au mariage. De ce
p. 23 (aj.)
mariage avec une Canadien¬
ANONYME, Panis
ne naissent trois enfants; le
appartenant à Pierre Duchar-
père meurt avant le 21 mars
me (fils de Fiacre), lorsque ce
1709; sa veuve, Marie De¬
Pierre Ducharme décède vers
mers, se remarie à un Cana¬
1693.
dien, Louis Renaud-Locat. p. 12 (mod.)
Deux siècles d'esclavage au Québec
372
MONTRÉAL
Olives ; elle arrive à Marseille
Noirs
Y Aventuriervenant du Havre ;
le 20 novembre à bord de elle a demandé l’autorisation
p. 104 (aj.)
de passer en Languedoc, à
JEAN-BAPTISTE, Nègre enfant
appartenant
à
une
veuve Barthe, mentionné le 11 avril 1746 dans le dossier Affaires criminelles.
condition de faire la quaran¬ taine ; le président du Conseil répond que cette permission ne peut être accordée, que la dame doit attendre pour sortir
p. 112 (aj.)
de Marseille que la commu¬
MARIE-CHARLOTTE, Négresse
nication soit rétabbe (le pré¬
voir, dans Montréal, Jasmin,
sident du Conseil de Marine
Joachim-Alexis.
à
Monsieur
de
Vaucreson,
19 mars 1721, dans BRH, 41, 1935: 128; Charlevoix, His¬
QUÉBEC
toire (édition de 1744): I, 26Amérindiens
28). Selon le médecin parisien Franck Rolin, qui a étudié ce
p. 127 (aj.)
cas, l’esclave aurait été ven¬
ANONYME, Amérindienne
due par la veuve à un négrier
esclave du gouverneur Buade de
Frontenac,
elle
entre
comme écolière chez les Ursulines de Québec le 23 juillet 1679 et en sort le 7 octobre 1680.
de Marseille, se serait évadée de la cale du navire de ce né¬ grier avec une petite Noire et aurait vécu une dizaine d’an¬ nées avec elle dans les forêts de France. D’après la même
p. 127 (mod.)
étude, elle aurait servi de mo¬
ANONYME, Esquimaude
dèle à Voltaire dans son conte
voir dans Québec, Des Olives, Marie-Angélique.
L’Ingénue. p. 146 (aj.) MARIE-LOUISE, Panise
P- U3 (aj-) DES OLIVES, MARIE-
Mascoutine achetée des Outaouais par
ANGÉLIQUE, Panise appartenant à la veuve du
Paul Ailleboust de Périgny,
capitaine
Legar-
de chez qui elle sort pour de¬
deur de Courtemanche (celui-
meurer chez un Grandmes-
Augustin
ci décédé en 1717) ; veuve qui
nil, marchand à Québec; le
passe en France en 1720 en
28 février 1731, alors quelle est
compagnie
esclave
blanchisseuse sans demeure
panise Marie-Angélique des
fixe, elle est accusée d’avoir
de
son
Annexe
volé des assiettes et autres choses ; à sa comparution, elle prête serment: on ne sait ce qui s’ensuit, puisque le procès ne semble pas dépasser l’éta¬ pe de l’information.
RIGAUD Noirs
p. 188 (aj.) TROTTIER, MARIE, Négresse épouse du précédent, Jac¬ ques Robertson dit Robin¬ son, et mère des enfants sui¬ vants, François, Marguerite et Louise.
SAINTE-ANNEDE-LA-PÉRADE Amérindiens
p. 189 (mod.) ANONYME, Amérindien esclave de [l’officier et sei¬ gneur Pierre-Thomas] Tarieu de Lapérade ; inhumé le 4 déc. 1742 à 23 ans environ. p. 192 (aj.)
SAINTE-ANNE-DE-LAPO CATIÈRE Noirs
CATHERINE-BARBE, négresse du seigneur Laudin Smith, âgée de 16 ans, baptisée le 15 sept. 1791.
373
p. 194 (aj.)
SAINT-ARMAND (OU PHILIPSBURG) Les archives relatives à SaintArmand ou Philipsburg font état dans le recensement de Missisquoy en 1784 de Noirs qualifiés d’esclaves du capitai¬ ne John Walden Meyers; cel¬ les des années 1791, 1822, 1825 et 1831 mentionnent aussi des Noirs (dont Harry, aide-fermier, né aux États-Unis et célibatai¬ re qui est nommé dans le testa¬ ment de Philip Luke), mais les documents ne précisent pas si ces Noirs étaient ou avaient été esclaves; d’autres Noirs appa¬ raissent dans les archives après l’abolition de l’esclavage: nous n’en tenons évidemment pas compte. Nous ne retenons ici que les esclaves de Meyers : OBADIAH LEWIS, Nègre esclave du capitaine John Walden Meyers, né aux ÉtatsUnis et marié. ANONYME, sa conjointe non mariée née aux Etats-Unis, esclave du même Meyers. JOSEPH LEWIS, Nègre esclave du même Meyers, né aux États-Unis, non marié. BETTY LEWIS, Négresse esclave du même Meyers, née aux États-Unis, non mariée.
Deux siècles d’esclavage au Québec
374
p. 218 (aj.) YORK (Toronto)
TROIS-RIVIÈRES Amérindiens
Noirs
p. 212 (aj.) ANONYME, Négresse
MARIE-MANON, Panise de
Guillet
de
Chaumont :
la même, semble-t-il, que la Panise Marie-Josephe : voir dans Terrebonne.
de William Jarvis (voir plus bas HENRY dit PRINCE). AMY POMPADOUR, Négresse dont Elizabeth Russell avait fait cadeau à la femme du ca¬
VARENNES
pitaine Denison (H. Scalding, Toronto of Old, p. 213-214).
Amérindiens
COACHLY, Nègre p. 214 (mod.)
affranchi
JOSEPH, Panis
(voir
plus
bas
HENRY dit PRINCE).
appartenant à [Joseph-Louis] Hains; inhumé le 7janv. 1785,
DORINDA, Négresse native de la Guinée, qui, avec
à 12 ans.
ses Noirs
1803
enfants, au
Gray;
celui-ci,
perdu dans le naufrage du
FRANÇOIS, Nègre
«Speedy», leur laissait par
âgé de 45 ans, il est vendu le 10 mars 1797 par JosephLouis
en
solliciteur-général
Alexander p. 215 (mod.)
appartient
Hains, de Varennes,
testament
l’intérêt
d’une
somme de 1200 livres anglai¬ ses (Scalding, op. cit., 213).
à John Deer, de Montréal, pour 50 livres [ou 1200 livres
SIMON BAKER, Nègre
françaises], cours de Québec
un des enfants de la pré¬
(greffe Chaboillez).
cédente, qui appartient au même ;
THOMAS, Nègre appartenant à [ Joseph-Louis] Hains; décédé le 18 nov. 1783, après
avoir reçu les
par
son
testament,
son maître lui laisse la liberté
sacre¬
ments de Pénitence et d’Ex-
et 200 acres de terre, mais il périt en 1803 en même temps que son maître dans le nau¬ frage du « Speedy».
trême-Onction, et inhumé le lendemain.
JOHN BAKER, Nègre autre enfant de Dorinda; il était arrivé à Cornwall en 1792 comme esclave de Gray et avait servi dans la guerre de
Annexe
375
DÉTROIT
1812 ; blessé à Lundy’s Lane, a joui d’une pension pendant 57 ans ;
par
son
testament,
Amérindiens
son maître lui laissait la liber¬
p. 240 (mod.)
té et 200 acres de terre ; mort
MARGUERITE, Panise
à 105 ans le 17 janvier 1871 à
esclave de Charles Courtois
Cornwall (Scalding, op. cit.,
dit Marin, bourgeois, demeu¬
213).
rant rue Saint-Louis; mère des suivants vers 1754, en 1763,
HENRY dit PRINCE, Nègre qui appartient à William Jarvis; qualifié de «boy», a volé
en 1767, en 1772, en 1773. CHARLOTTE, Panise
or et argent à son maître et
née de la précédente; décé¬
s’était sauvé de chez lui avec
dée le 31 mai 1761 à l’âge de
une jeune négresse qui appar¬
7 ou 8 ans.
tenait aussi au même et avec un nègre libre appelé Coachly ; emprisonné le ier mars 1811; la négresse est remise à Jarvis; quant à Coachly, il est acquitté (Scalding, op. cit.,
PIERRE, Panis né de la même mère le 17 mai 1763, baptisé le même jour; le fils du propriétaire, CharlesDenis, l’affranchit le 29 juin 1781 par-devant notaire à Dé¬
p. 211-212).
troit (Michel Barbeau, «Ber¬ JUPITER, Nègre âgé
d’environ
trand Courtois et sa descen¬ 15 ans, escla¬
ve de Peter Russell; celui-ci
dance», dans MSG, vol. 46, n°3>P- *97)-
le met en vente le 19 février 1806 pour
200 dollars
paya¬
bles en 3 ans ; a été élevé sur¬ tout «as a house servant», dit « tall and strong for his âge » (Scalding, op. cit., 212).
ALEXIS, Panis né de la même mère le Ier avril 1767 et baptisé sous condition le surlendemain: il avait été ondoyé à la maison, en dan¬ ger de mort.
PEGGY, Négresse d’environ 40 ans, que Peter Russell met en vente le 19 fé¬ vrier
1806 pour
annoncée
150 dollars ;
comme
« toléra¬
ble cook and washerwoman», elle sait faire du savon et des
MARIE-JOSEPH, Panise née le
Ier
mai 1772 de la même
mère et baptisée le même jour; elle fut tout de suite donnée à François Lebeau. PIERRE, Panis
chandelles (Scalding, op. cit.,
né de la même mère le 14 mai
212).
1773 et baptisé le même jour, il fut ordonné à Berthiaume,
Deux siècles d’esclavage au Québec
376
«en pur don pour luy servir en qualité d’esclave». Noirs
p. 263 (aj.) KASKASKIAS (région de) Mission Sainte-Famille du Sé¬
p. 251 (aj.)
minaire de Québec, dite mis¬
FRANCK, Nègre
sion des Tamarois: à Cahokias,
âgé d’environ 23 ans, que le
ayant décidé de rentrer en Fran¬
marchand Thomas Finchley
ce et sans autorisation du Sémi¬
vend au marchand George
naire, le prêtre Jacques-François
Lyons, le 21 juin 1785, pour
Forget du Verger, grand-vicai¬
200 livres
re des Illinois, vend en 1763 les
(cours
de
New-
York); c’est ce même nègre
31 esclaves, Nègres
Franck, âgé d’environ 24 ans,
12) et amérindiens, qu’y possède
qu’à
Michillimackinac,
marchand vend
George
à l’interprète
(au
moins
le
le Séminaire (la seule vente de
Lyons
12 Noirs rapporta 20000 livres).
du
roi,
Les Jésuites de Québec possé¬
Joseph-Louis Hains, le 8 juil¬
daient dans leur mission de cette
let 1785, pour 1200 livres, an¬
même région, 34 esclaves.
cien cours, soit 80 livres, cours de New-York
Deuxième partie : Les propriétaires AILLEBOUST
BARTHE
p. 267 (aj.)
p. 275 (aj.)
Ailleboust de Périgny, Paul, Marie-Louise, Panise
Mas-
coutine.
veuve Barthe Jean-Baptiste, Nègre
impli¬
qué à Montréal dans une af¬
Procès le 28 février 1731.
faire
criminelle
le
n avril
1746.
p. 272 (aj.) AUDRY
BUADE
Audry, Claude
p. 290 (aj.)
propriétaire d’un esclave non identifié,
selon
le
recense¬
ment de Détroit en 1750.
Buade de Frontenac, Louis gouverneur
de
la
Nouvelle-
France; il possède une Amé¬ rindienne comme
esclave écolière
inscrite chez
les
Ursulines de Québec en 16791680.
Annexe
CAMPEAU
377
Pierre, Panis frère de la précédente, n et b
p. 294 (aj.)
1759, Détroit.
Campeau, Louis petit-fils de l’ancêtre Étienne
Charles, Panis
Campeau. Selon le recense¬
frère du précédent, n, b et s
ment de Détroit en 1750, il est
1766, Détroit.
propriétaire de 3 esclaves.
Nicolas, Panis frère du précédent, n et b 1767,
CHESNE
Détroit.
p. 303 (mod.)
François-Prisque, Panis
Chesne dit Labutte, Pierre
frère du précédent, n, b et s
fils du précédent [Chesne dit
1769, Détroit.
Labutte, Pierre], marchand, époux
en
1728 de
Marie-
Anonyme
Madeleine Roy et, en 1736,
esclave, s 1759 à 20 ans, Dé¬
de Louise Barrois, décédée
troit.
en 1774.
Josette, Panise s 1761 à 15 ans, Détroit.
Antoine, Patoca b et s 1732 à 13 ou 14 ans, Dé¬ troit.
Jacquot, Nègre acheté en 1762 de dame Fran¬ çois Hamelin, Détroit.
Poutéoutami b et s 1737 à 18 ans, Détroit.
Panise mère en 1763 et 1765, Détroit :
Madeleine, Panise s 1744 à 13 ou 14 ans, Détroit.
serait-ce la précédente Char¬ lotte ?
Madeleine, Panise b et s 1746 à 18 ans, Détroit.
Suzanne, Panise fille de la précédente, n et b
Panise
1763, s 1778 à 15 ans, Détroit.
mentionnée en 1749, Détroit: Marguerite, Panise
serait-ce la suivante ?
sœur de la précédente, n et b Charlotte, Panise mère
en
1754,
1765, s 1783 à 17 ans, Détroit. 1759,
1766,
1767 et 1769, Détroit. Catherine, Panise fille de la précédente, n et s 1754, Détroit.
Selon le recensement de Dé¬ troit en 1750, il possède 2 es¬ claves; selon celui de 1782, il en a 3. En société avec Pierre Saint-Cosme, il possède en¬ core les deux suivants.
Deux siècles d’esclavage au Québec
378
FINCHLEY
Françoise, Panise mère en 1737, Détroit.
p. 327 (mod.)
Finchley, Thomas
Pierre, Panis fils de la précédente, n et b
commerçant, époux de Cathe¬
1737, Détroit; s 1740, Mont¬
rine Chesne.
réal: à son décès, ce Panis appartient
au
seul
Saint-
Cosme.
Panise s 1780, Détroit. Suzanne, Panise
DROUILLARD
b et s 1786 à 15 ans, Détroit. Franck, Nègre
p. 320 (mod.)
Drouillard, Joseph
d’environ 24 ans qu’il vend à
frère du précédent [Drouillard,
George Lyons le 21 juin 1785.
Pierre],
1771 de
Selon le recensement de Dé¬
Marie Joseph Godefroy dit
troit en 1782, il possède un ex-
Saint-Georges.
clave mâle et une esclave fe¬
époux
en
melle.
Panise s 1779 à 15 ans, Détroit.
p. 330 (aj.) FRÈRES DE LA CHARITÉ
Panise s 1780 à 13 ans, Détroit.
À leur couvent de Louisbourg Pierre, Nègre
ont un esclave vers 1750.
s 1783 à 14 mois, Détroit. Selon le recensement de Dé¬ troit en 1782, il possède 2 es¬
p. 339 (aj.) GRANDMESNIL
claves (un homme et une femme).
marchand de Québec. Marie, Panise
DUCHARME p. 321 (aj.)
Ducharme, Pierre, fils de Fiacre
qui fut un temps à son service, après avoir appartenu à Paul Ailleboust de Périgny.
GRAY
petit Panis qui périt avec lui en 1689 dans le massacre de
p. 340 (aj.)
Lachine.
Gray, Alexander solliciteur-général, d’York (Toronto).
Annexe
379
Dorinda, Négresse
JÉSUITES
et ses deux fils John et Simon Baker, que le maître affran¬ chit et favorise par des legs dans son testament de 1803.
p. 350 (mod.)
Jésuites. Pierre, Illinois b à Montréal, malade à l’Hô-
HAINS
tel-Dieu de Québec à 15 ans en 1690 et en 1691-1692.
P- 343 (aj.)
Hains, Joseph-Louis
Alexis, Panis s 1723, appartenant aux Jé¬
Thomas, Nègre s 1783, Varennes. Joseph, Panis s 1785 à 12 ans,Varennes. Marie, Panise mère en 1788, Varennes. Marie, Panise fille de la précédente, n, b et s 1788, Varennes. Nicolas, Amérindien s 1793 à 19 ans, Varennes. Sarah dite Sally, Négresse vendue à 45 ans à Berthelet en 1795, Varennes. François, Nègre acheté 10 mars 1797 et reven¬ du la même année.
JARVIS
suites du Sault-Saint-Louis, Montréal. Claude-Ignace, Panis s 1723 à 10 ans, Québec. Michel-Fortunat, Illinois malade
à
l’Hôtel-Dieu
à
20 ans en 1729-1730, Québec. Jean-Baptiste Barbaron, Patoca affranchi en ou avant 1730, Québec. Ignace, Panis âgé de n ans dans le recen¬ sement de 1744, confirmé en 1749, s 1751 à 15 ans, Québec. Françoise, Siouse esclave en 1752 des Jésuites de Saint-François-du-Lac. Dans leur mission de la ré¬ gion de Kaskaskias, les Jé¬
p. 350 (aj.)
suites (qui relèvent du cou¬
Jarvis, William, d’York
vent de Québec) possèdent
(Toronto)
34 esclaves, à la fin du Régi¬ me français.
Henry dit Prince, Nègre qualifié de «boy», accusé de vol et emprisonné en 1811. négresse aussi esclave et accusée de vol, remise à son maître.
Deux siècles d’esclavage au Québec
380
LARRIVÉE
Joseph, Iroquois s 1743 à 4 ans, Détroit.
p. 361 (aj.)
Larrivée, Pierre, de Boucher¬ ville
Lisette, Panise mère en 1770, 1772, 1777 et 1778, Détroit.
Marie, Panise qualifiée d’esclave, elle pour¬ suit en
1730 Jean-Baptiste
Malhiot au sujet d’une gros¬ sesse.
Jean, Panis fils de la précédente, n et b 1770, Détroit. Claude, Panis frère du précédent, n, b et s
LUKE
1772, Détroit.
p. 376 (aj.)
François, Panis
Luke, Philip
frère du précédent, n et b 1777,
sur les Noirs qui travaillent
Détroit.
chez Luke, voir ce que nous écrivons sur Saint-Armand
Louise, Panise
et Missisquoy, dans la par¬
sœur du précédent, n et b
tie toponymique sur le CD
1778, Détroit.
ci-joint.
Jacques, Panis
p. 376 (mod.)
s 1780 à 20 ans, Détroit.
Lyons, George Lyons
Selon le recensement de Dé¬
marchand.
troit en 1750, un Marsac pos¬
Selon le recensement de Dé¬
sède un esclave.
troit en 1782, il possède un es¬ clave mâle.
MEYERS
Franck nègre d’environ 24 ans, que George Lyons Lyons vend pour 1200 livres françaises à Joseph-Louis
Hains,
inter¬
prète, à Michillimackinac, le 8 juillet 1785.
p. 385 (aj.)
Meyers, John Walden il possède 4 esclaves dans la ré¬ gion de Missisquoy. Obadiah Lewis, marié. Anonyme, Négresse, femme du précédent.
MARSAC Joseph Lewis, Nègre non marié. p. 381 (mod.)
Marsac, Jean-Baptiste frère du précédent, époux en 1773 de Geneviève Séguin.
Betty Lewis, Négresse non ma¬ riée.
Annexe
38i
PARANT
RUSSELL
P- 393 (aj.)
p. 413 (aj.)
Parant, Gilles
Russell, Peter
selon le recensement de 1750, il possède 2 esclaves à Dé¬ troit.
demeurant à York (Toronto). Pcggy, Négresse d’environ 40 ans, à vendre 150 dollars en 1806.
PERRAULT
Jupiter, Nègre p. 396 (aj.)
d’environ 15 ans, à vendre 200
Perrault, Paul
dollars en 1806.
esclave anonyme inhumé le 17 janvier 1762 à Deschambault.
p. 416 (aj.) SÉMINAIRE DE QUÉBEC À la mission de Kaskaskias, il
RÉAUME
possède 31 esclaves, Nègres (au p. 405 (mod.)
moins 12) et amérindiens, que son représentant met en vente
Réaume, Charles négociant de l’île Jésus, époux
en 1763.
en 1734 de Marie-Marguerite
TROTTIER
Labelle. En 1743, il vend à Cureux dit Saint-Germain 5 nè¬ gres (2 mâles et 3 femelles), esclaves non identifiés, voir Cureux
dit
Saint-Germain,
sur le CD ci-joint.
b et s 1744 à 15 ou 16 ans, Saint-François-de-Sales. Marie-Marguerite-Catherine, Siouse b et s 1746 à 16 ans, SaintFrançois-de-Sales. le
recensement
de
1782 à Détroit, il possède une esclave.
Trottier dit Desruisseaux selon le recensement de Dé¬ troit en 1750, il possède un es¬ clave.
Panis
Selon
p. 423 (aj.)
Index
A Abénaquis, 23,37,55, 87,187 Acadie, 17,19,31,33, 93-94, 97, 212214 Adhémar, Jean-Baptiste, notaire, 54 Afrique, 16,19, 40, 46, 89,315,336 Agnès, Amérindienne, 23 Ailleboust de Périgny, Paul, 376,378 Ainslie, Thomas, 128 Aiouois, (aiouiè, aiyoué, iowas, oiowès), 78,326 Airs, John, Nègre, 150 Alavoine, Charles, 216 Alavoine, nom d’esclave, 242 Albany (New-York), 87,305,307 Alexis, Panis, 137 Alexis, Panis, 1723,379 Alexis, Panis, 1767,375 Algonquins, 17, 23,55, 280 Allen, sieur, 308 Alter, Catherine, Négresse, 150 Amherst, Jeffery, général, 66, 219, 238 Ancienne-Lorette, 94,148 Anctil, major, 306 André-Gabriel, Panis, 170 Andrew, Mulâtre, 112,164 Angélique, Négresse, 1808,3x7 Angélique-Denise, Négresse, 89, 267 Angers, Jean-Baptiste, juge, 185 Angers, veuve François, 193 Anselme, Panis, 135 Antilles, 31-32,39,43,49,53, 60-63, 81, 89, 93,103,107,114,140,143, 146-148,155,157,164,175,188, 205-206, 208, 217, 223, 228-229,
232-234, 239, 247, 262, 265, 267, 270, 272,323,325-326,332-333,342 Antoine, Panis, 1749,185 Antoine, Patoca, 1732,377 Antoine, Sauvage, 17 Antoine-Augustin, Cahokia, 191 Antoine dit César, Sauvage, 136 Antoine « Flesche», Nègre, 38 Antony, médecin, 173,177 Archambault, Laurent, prêtre, 193 Archambault, Paul, prêtre, 193 Arkansas, sauvages, 27,55,78,326 Askin, John, 105-107,117, 210-211, 302,303 Assiniboines, sauvages, 79-80,326 Aubert, Jean, 31 Aubert de Gaspé, Ignace-Philippe, capitaine, 178 Aubert de Gaspé, Philippe, 178-180, i87> 317.338-339 Aubert de Gaspé, Philippe-Ignace, capitaine, 178,338 Aubert de Lachesnaie, famille, 134 Aubert de Lachesnaie, François, bourgeois, 89,185 Aubery, Joseph, Jésuite, 137,328 Aubry, capitaine de navire, 62, 228-229 Audry, Claude, 376 Auger, Amable, 154 Auger, François, 154 Auger, Jean-Baptiste, négociant, 116 Auger, nom d’esclave, 242 Augsbourg, Ligue d’, 35-36 Augustin, Amérindien, 76 Aulneau, Jean-Pierre, Jésuite, 177 Aunis, province, 293
Pour mieux distinguer les esclaves homonymes, nous écrivons une date après leur nom : cette date est d’ordinaire celle de leur première apparition dans les documents.
Deux siècles d’esclavage au Québec
384
Berey des Essarts, famille, 291
B
Bergères de Rigauville, NicolasBadgley, Francis, député, 315
Blaise, 205
Baie d’Hudson, 40,83
Bernard, Amérindien, 24,51,135
Bailly de Messein, FrançoisAugustin, 184, 229, 232, 286
Bernard, famille, 271
Baptiste, Nègre, 137 Baraca, Marie-Catherine, Négresse,
Berthelot, Amable, député, 299-300 Berthiaume, sieur, 264 Berthier-en-Haut, 95,193, 213-214,
xo6, 266, 270 Baraca, Pierre, Nègre, 269 Barbade, 37 Barbe, Panise, 259, 263 Barbe-Charlotte, Panise, 184 Barthe, Jean-Baptiste, 117 Barthe, Pierre, bourgeois, 264 Barthe, veuve, 376 Bas-Canada, 298-301,303-306,308309,316,319,323,336-338 Batiscan, 95,214 Beauchamps, famille, 289 Beauchemin, famille, 289 Beaugis, famille, 290 Beauharnois, Charles de, gouverneur de la NouvelleFrance, 59,64-65,71,87-88,126, 140,152,184-185,191-192,205,215, 328.331 Beaumenil, Joseph, Nègre, 244, 257, 287 Beaumenil, nom d’esclave, 243 Beaumont, 94, 293 Beaumuny, famille, 289 Beauport, 23,94,151,192, 256,301 Bégon, Marie-Èlisabeth, épistolière, 192 Bégon, Michel, intendant de la Nouvelle-France, 40-43,45-46,
IL4-II5> 13%>329>342 Beigné, Pierre, 148 Belhumneur, nom desclave, 242 Bellerose, famille, 289 Benoist, Joseph, chirurgien, 152,158, 240.332 Benoist, Nicolas, 148 Berey, Angélique, Panise ou Siouse, 291 Berey, de, nom d’esclave, 243
3i 7-371 Bett, Négresse, 163 Beuffait, Louis, marchand, 140 Bigot, François, intendant de la Nouvelle-France, 62,127,328 Bisaillon, Michel, 258 Bissett, Alexander, maître de langues, 102,132 Bissett, famille, 102 Bissot de Vincennes, famille, 130 Black, James, Nègre, 250 Black, John, député, 313 Blake, Charles, médecin, 108, no Blanchetière dit St-Georges, famille, 289 Blanchetière dit St-Georges, Sulpice, 287 Blondeau, famille, 185 Blondeau, nom d’esclave, 242 Bloodgood, James, 112 Blot, famille, 129 Bochart-Champigny, Jean,
intendant de la Nouvelle-France, 32> 34,36A7,324 Boileau, nom d’esclave, 242 Boisberthelot de Beaucour, famille, 247 Boisberthelot de Beaucour, Josué, gouverneur particulier, 127,140, 328 Boisberthelot de Beaucour, Josué, veuve, 247 Bonaventure, Panis, 264 Bondfield, Acklom Rickaby, marchand, 188,194 Bondfield, famille, 194 Bossu, capitaine, 18 Boston, 102 Boston, Robert, Nègre, 250
Index
Boüat, François-Marie, négociant et juge, 60
Brown, William, imprimeur, 102, 107,109,132-133,156,159,161,176177, 205-207,212,328
Boucherville, 96, 262, 283,371 Boucher de Boucherville, famille, 283 Boucher de Boucherville, Pierre, 286,371
Bruce, Nègre, 112,212 Brunet, famille, 289 Brunet, Louis, 285 Bulkley, Marie, Négresse, 106,110,
Boucher de Labruère, docteur, 318 Boucher de Labruère, PierreCharles, 116 Boucher de Labruère, René, 184 Boucher de Laperrière, François, 246 Boucher de Niverville, famille, 134 Boucher de Niverville, JeanBaptiste, 170,174 Boucher de Niverville, JosephClaude, 215 Bouchette, famille, 290 Bouchette, Marie-Joseph, 289 Bougainville, Louis-Antoine de, 76-78, 83 Bouillet de Lachassaigne, Jean, gouverneur particulier, 127 Bouquet, Henry, officier, 219 Bourassa, Daniel, 261 Bourassa, famille, 126, 289 Bourassa, René, voyageur, 235-236, 275 Bourassa, voyageur, 177 Bourdeau, famille, 290 Bourdeau, Marie, 289 Bourdeau, nom d’esclave, 242 Bourdon, famille, 291 Bourdon, Joseph, Panis, 248, 289 Bourdon, Nicolas, Panis, 150 Bourdon, nom d’esclave, 243 Bourdon dit Content, JeanBaptiste, Panis, 169 Boutin, sieur, 197 Boyer, famille, 289 Bradshaw, Nancy, Négresse, 151 Briand, Jean-Olivier, évêque, 198 Brochets, sauvages, 80,326 Brooks,John, 108 Brousse, sieur, 218 Brown, Cœsar, Nègre, 170, 250
385
3OI>3!7 Burns, négociant, 108 Burton, Ralph, gouverneur particulier, 238 Butcher, Benjamin, Nègre, 250
c Cabassié, Joseph, bourgeois, 141, 263 Cadet, Joseph-Michel, 129 Cahokias, sauvages, 79,326 Cailhaut dit Baron, Jean, 251 Caldwell, William, officier, 195 Caleb, Nègre, 159 Callières, Louis-Hector de, gouverneur général de la Nouvelle-France, 36-37 Calmet dit Jolibois, famille, 289 Calmet dit JoÜbois, Rémond, 287 Camel, Titus, Nègre, 276 Campbell, Donald, officier, 219 Campbell, John, officier, 141, 265, 271-272,276-277 Campbell, William, 108, no-in Campeau, Etienne, 377 Campeau, famille, 126,129,142,329 Campeau, François, 172 Campeau, Jean-Baptiste, notaire, 132
Campeau, Joseph, 210 Campeau, Louis, traiteur, 104,141,
^ 377 Campeau, nom d’esclave, 242 Campeau, Simon, 141 Canac, Antoine, 200 Caniac de Périgord, famille, 294 Canon, Nègre, 64,197 Cap-de-la-Madeleine, 95 Cap-Saint-Ignace, 95 Cap-Santé, 94
Deux siècles d’esclavage au Québec
386
Cap Sable, 93-94
Chalet, François de, 157
Cardin, Marguerite, 215
Chalifour, famille, 290
Cardinal, famille, 126
Chambly, 97,154,170,174
Cardinal, Jacques, Outagami, 196
Chambre d’assemblée, 53,128, 223,
Cardinal, Jacques, voyageur, 71,196
252, 299-300,305,307-311,314,
Cardinal, Jean, 148
3j6, 3:9,325,336-338
Cardinal, nom d’esclave, 242
Chambre des communes, 296-297
Caris, Geneviève, Panise, 286
Chambre des milices, 237, 239-240, 250
Carleton, île, 160 Caroline, colonie, 52-53, 91
Champagne, voyageur, 256, 261 Champlain, 95
Caron, Alexis, 316
Champlain, Samuel, 19,213, 281
Carter, Peter, 250 Cartier, Guillaume, 76 Cartier, Jacques, 19 Casgrain, Charles-Eusèbe, 157 Casgrain, famille, 294 Casgrain, Henri-Raymond, prêtre, 177-178,292-294,338-339
Chaouanons, 79 Chapoton, Jean-Baptiste, chirurgien, 264 Chappeau, Louis, 116 Chardon, Louis, prêtre, 192 Charety, Négresse, 251
Casgrain, Jean, 293-294,339
Charité, Sauvagesse, 19, 281
Casgrain, Jean-Baptiste, 293
Charles, Brochet, 192
Casgrain, Philippe-Bâby, 157,339
Charles, Nègre,
Casgrain d’Airvault, famille, 292
Charles, Nègre,
Casse, famille, 290 Cataracoui, fort, 157
1752,274 1802,193 Catherine, Négresse, 1811,166 Catherine, Panise, 1727,152,158,
Catherine, Négresse, Catherine, Négresse,
240,332 Catherine, Panise,
1752,135, 274, 276 1761, 270 Charles, Nègre, 1783,160,301 Charles, Noir, 1807,251 Charles, Panis, 1730, 61, 205, 250 Charles, Panis, 1766,377 Charles, Panis, 1788,195 Charles, Panis, 1794,195 Charles, Panis, 1795, 259 Charles, Sauvage, 1742,154 Charles, Sauvage, 1754, 275 Charles, Nègre,
Cash, Négresse, 163
Catherine, Panise,
1719, 268, 272,
276-277
1748,184 1754,377
Catherine, Panise des Bâby, 339 Catherine, Patocase,
1742,185
Catherine, Renarde, 166,173 Catherine-Barbe, Négresse, 373 Catiche, Panise, 115
Charles-Claude, Nègre, 272 Charles-Hilarion, Esquimau, 152, 185,191 Charles-Joseph, Nègre, 87
Catin, Henri-Nicolas, 135,328
Charles-Josephe, Sauvagesse, 76
Cazeau, Marguerite, 294
Charles-Louis, Patoca, 71,184
Cèdres, les, 96 Céloron de Blainville, famille, 131 Céloron de Blainville, Louis-JeanBaptiste, 192 Céré, nom d’esclave, 243 Chaboillez, Charles, voyageur, 185 Chaboillez, famille, 129
Charlesbourg, 94 Charles Coh, Esquimau, 152 Charlevoix, François-Xavier, Jésuite,
77> 255.279 Chariot, Nègre, 274 Chariot, Panis, 152,173
Index
Charlotte, Négresse, 1798,306-307,
3°9 Charlotte, Négresse 1748,194
387
Chirurgiens, propriétaires d’esclaves, 132,328
Charlotte, Panise, 1754, 259,377
Chorel Dorvilliers, Jean-François, 148
Charlotte, Panise, 1759, 261
Chouaguen, fort, 88
Charlotte, Panise, 1759, fille de la précédente, 261
Christie, Gabriel, officier, 112, 212
Charlotte, Panise, 1761,375
Christie, nom d’esclave, 242
Charlotte, Panise, 1777,147
Ciçonai, Nègre, 171
Charlotte, Panise, 1795, 259
Cicotte, Zacharie, bourgeois, 141
Charlotte, Panise, 1796, 208
Clapham, marchand, 218
Charlotte, Panise ou Renarde, 1729,
Claude, Panis, 148,380
. 71
Charlotte-Elisabeth, Négresse, 268, 272, 276-277 Chartier, René, 24, 29 Chartier de Lotbinière, LouisEustache, prêtre, 193 Chartier de Lotbinière, Michel-E.G.-A., 207,300-301,315 Chastelain, famille, 215
Christie, Josette, Négresse, 274
Claude-Antoine, Nègre, 38 Claude-Ignace, Panis, 379 Clergé, propriétaire d’esclaves, 43, i34-i35> 2°P 328-329,342 Coachly, Nègre, 374,375 Code noir, le, 31,49-50,101-102,143-
147» r55- 157- i64, 175- ï88, 203-204, 207, 217,227,239-241, 262, 265, 270-273, 286,303,323,330,342
Chastelain, François, 215
Cœsar, Nègre, 156
Chastelain, Marie-Josephte, 215-217
Cœsar Nero, Nègre, 156
Château-Richer, 94
Colbert, Jean-Baptiste, ministre, 22, 59,280,282,335,342
Chateaubriand, François-René de, 79
Coli, Charles, Esquimau, 165
Châteauguay, 138,193
Collet, Luc, 136
Chatel, famille, 289
Colomb, Christophe, 16-17,19
Chaussegros de Léry, famille, 131
Colombine, Panise, 172
Chaussegros de Léry, Gaspard, 192
Comanches, sauvages, 78
Chauvet dit Lagerne, famille, 289
Compagnie d’Occident, 189,191
Chauvet dit Lagerne, Pierre, 256,
Compagnie des Cent-Associés, 56,
287, 289
104
Chauvin, Charles, 264
Compagnie du Sénégal, 31
Chauvin, nom d’esclave, 242
Compagnie française des Indes occidentales, 31,42,45-46,58, 65,
Chavigny de Lachevrotière de Latesserie, Joseph, 112,116,183 Cherrier, François-Pierre, notaire, 132,198
127,157
Connolly, marchand, 105 Conseil de la marine, 137
Chesne, Marie-Catherine, 378
Conseil de marine, 45
Chesne-Labutte, Pierre, marchand,
Conseil législatif, 128, 295,328
104,141,172, 259, 264-265,377 Chevalier, famille, 263,289 Chevalier, Joseph, armurier, 216 Chevalier, Louis, 258 Chevalier-Lullier, Charles, 261 Chicachas, sauvages, 79,326
Conseil souverain, 32,34,50 Conseil supérieur, 56, 62, 65,103,127, 147,189,190-191,204, 208, 210, 214,217, 221, 224,233-236, 240-242,
328,333-372 Constant, Panis, 64, 208
Deux siècles d’esclavage au Québec
388
Content dit Bourdon, famille, 289
Cugnet, François-Étienne, 189
Content dit Bourdon, nom d’esclave, 242
Cuillerier, Antoine, bourgeois, 104,
Cook, Jane, 306
Cuillerier, famille, 129, 289
Coquart, Claude, Jésuite, 58, 80
Cuillerier, Marie-Anne, 269
Cordulle, Jeanne-Françoise,
Cureux dit Saint-Germain, Joseph,
191,246, 263
Sauvagesse, 185
i98> 244
Cordulle, Marie-Joseph, Sauvagesse, 192
Cureux dit Saint-Germain, Louis,
Côté, famille, 126
Curtain, John, Nègre, 251
Couillart, Guillaume, 14-16,31, 86, 150, 204-205,323
Cutan, Josiah, Nègre, 102, no, 210,
Couillart de Lespinay, Dame, 179
Cuthbert, James, 313-316,337-338
Couillart de Lespinay, famille, 179, 338
Cynda, Négresse, no, 295
Couillart de Lespinay, JeanBaptiste, 179-180,187
D
Coulon de Jumonville, Joseph, officier, 131 Coulon de Villiers, famille, 131 Courault dit Lacoste, famille, 129 Courcelle, Rémy de, gouverneur de la Nouvelle-France, 21-22,126, 281,323 Courchaîne, famille, 289 Courchaîne, nom d’esclave, 242 Courtois, Charles-Martin, 259, 264,
375 Coutencineau, Jean, 209 Coutrot, Hubert, 191 Couture, geôlier, 206 Couture, nom d’esclave, 243 Craigie, John, député, 313,316 Cramahé, Hector Theophilus, lieutenant-gouverneur, 110,115, 128,328 Cramer Polydore, Paul, Nègre, 174, 276
110,133,381
241
Dagneau-Douville, Alexandre, officier, 210 Dagneau-Douville de Lamothe, Guillaume, 104, 263 Daguille, Jacques-François, marchand, 184 Dailleboust, famille, 131 Dailleboust de Coulonge, Louis, 25, 28 Daine, François, 191, 201 Dalton, famille, 158,164 Damien, Jacques, boucher, 118 Damoiseau, Nègre, 197 Damour de Clignancour, Louis, 154 Damour de Freneuse, Joseph, 174 Damour de l’île-Ronde, Mathieu,
*74 Daneau Demuy, Jacques-Pierre, officier, 286 Daniel, récollet, 174 Daniel-Clément, Panis, 200
Crâne, George, Nègre, 251
Daniel-Télémaque, Nègre, 135,300
Crémazie, Octave, 339
Daniel-Théophile, Nègre, 192
Cristinaux, sauvages, 79-80,326
Daniell, famille, 158,164
Crofton, James, tavernier, 112,164
Darles, François, 210
Crozat, Antoine, 39-40
Davis, sieur, 206
Cuff, Nègre, 160
Dazemard de Lusignan, PaulLouis, officier, 197
Cuff Morocco, Margaret, Négresse, 186 Cugnet, François, 192
Deane, William, 269 Debonne, Pierre-Amable, 300,316
Index
389
Decouagne, famille, 129
Donnacona, Sauvage, 19
Decouagne, nom d’esclave, 242
Don Quichotte, Sauvage, 197
Decouagne, Thérèse, 219
Dorchester, Guy Carleton, gouverneur général du Canada, 209
Deer, John, 374 Deerfield (Massachusetts), 25, 202 Dejean, Philippe, marchand et juge, 209
Dorinda, Négresse, 374,379
Delagarde, Pierre-Paul-François, sulpicien, 135,328
Dorothée, Panise, 1790, fille de la précédente, 259
Delzenne, Ignace-François,
Dosquet, Pierre-Herman, évêque, 135,328
marchand-orfèvre, 116,129
Dorothée, Panise, 1790, 259
Demers, Etienne, 371
Douaire de Bondy, famille, 129
Demers, famille, 290
Doyon, famille, 25, 285, 292
Demers, Marie, 283-284, 287, 289, 371
Doyon, Nicolas, Panis, 24, 288
Denonville, J acques-René,
Doyon dit Laframboise, famille, 285, 289,291
gouverneur de la NouvelleFrance, 26,324
Doyon, nom d’esclave, 242
Denys De Laronde, famille, 131
Doyon dit Laframboise, Nicolas, Panis, 285, 289
Denys De Laronde, Joseph, 235
Drouillard, Joseph, 378
Députés, propriétaires d’esclaves, 128,301,314,328
Drouillard, Pierre, 378
Desautels, nom d’esclave, 242
Ducharme, Pierre, 371,378
Desbois, Marie-Catherine, Panise, 283
Duchesne, nom d’esclave, 242
Deschaillons, seigneurie, 218
Duchesne, René, 201
Deschambault, 94,371,381
Duchesne, sieur, 261
Desforges, famille, 242
Duchesne dit Le Roide, André, Panis, 150, 293
Desforges dit Saint-Maurice, famille, 285, 289 Desforges dit Saint-Maurice, Marie-Geneviève, 285 Des Olives, Marie-Angélique, Panise, 372 Détroit, 74, 79, 81, 93, 97,104-106, 128,135-137,152,165,168,171-174, 186-187,191,195, 209-210, 218-219, 241, 246, 249-250, 258-259, 261, 263-264, 271, 274, 282,303,329, 375”378) 380-381 Diane, Négresse, 1746, 87 Dickson, John, Nègre, 250 Dillon, Richard, hôtelier, 103,304, 310 Dion, voyageur, 261 Dollier de Casson, François, sulpicien, 20, 21,152
Drummond, Nègre, 160 Duchesne, famille, 289
Duchesne dit Le Roide, MarieGeneviève, 293 Duclos, Marie-Llisabeth, 195 Dufresne, nom d’esclave, 242 Dufrost de Lajemmerais, MarieMarguerite, 117 Dufy, nom d’esclave, 242 Dufÿ-Charest, Joseph, négociant, 89 Dulhut Greysolon, Daniel, 23, 28, 323 Dulude, nom d’esclave, 243 Dumas, Alexandre, député, 313 Dumas, famille, 289 Dumay, nom d’esclave, 242 Dumay de Laprairie, Pierre, 198 Dumoulin, François, marchand, 197 Dunière, Gaspard, prêtre, 135,328
Deux siècles d'esclavage au Québec
39°
Dunière, Louis, marchand, 118, 299, 300-301 Duperron-Bâby, famille, 157,177,339 Duperron-Bâby, Jacques, marchand,
141, :95> 274 Duperron-Bâby, Thérèse, 177,339 Duplessis, Jean-Baptiste, Mascoutin, 291 Duplessis, Maurice, premier ministre, 291
F Fafard, Joseph, 287 Falson, sieur, 117 Fanchon, Panise, 184 Faribault, Barthélemy, notaire, 107 Farly, sieur, 155 Faucher, Charles, prêtre, 193 Feeler, William, Nègre, 151 Feltz, Ferdinand, chirurgien, 132,141
Duplessis, nom d’esclave, 243
Fily, nom d’esclave, 243
Duplessis-Fabert, famille, 131
Fmchley, Thomas, 376,378
Duplessis-Fabert, François, officier,
Finlay, James, marchand, 112 Finlay et Gregory, marchands, 160
236 Duplessis-Fabert, FrançoisAntoine, officier, 229-231, 233, 235 Dupuy, Claude-Thomas, intendant de la Nouvelle-France, 189,191, 256,331
Durand, Jean, 213 Durand, Marie-Joseph, 213-214 Durand, René, 213 Dusault, Jean-Baptiste, 201 Du Jaunay, François, Jésuite, 328
E
Fisher, famille, 118 Fleurimont de Noyelle, CharlesJoseph, officier, 191 Fleurimont de Noyelle, famille, 131 Fleurimont de Noyelle, NicolasJoseph, officier, 141, 216 Fleury Deschambault de Lagorgendière, Joseph, négociant, 89,141,190, 268 Fleury Deschambault de Lagorgendière, Louis, négociant,
I75 Fleur d’Épée, Louis, 261,263
Eaton, William, Mulâtre, 156 Écureuils, les, 94,175, 201 Edwards, Edward, imprimeur, 133,
3°S Elie, femme, 218 Elie, Jacques, bourreau, 218 Élisabeth, Miamise, 281
Foi, Sauvagesse, 19, 281 Folles-Avoines, sauvages, 81,326 Forestier, Pierre, 154 Forgerons, propriétaires d’esclaves, 133,328 Forget du Verger, François, prêtre, i36,376
Ellis, Robert, Nègre, 211
Fornel, Jean-Louis, négociant, 229,
Eokoros, sauvages, 27 Espérance, Sauvagesse, 19, 281
232,235 Fortier, Michel, 244
Estèbe, Guillaume, 192, 235
Fortune, Nègre, 160
États-Unis, 86,303,306,309-310,
Fort Duquesne, 97
344,373
Fort Saint-Frédéric, 97
Étienne, Nègre, 140
Fort Saint-Joseph des Miamis, 97
Etienne-Paul, Nègre, 186
Foster, nom d’esclave, 243
Etiennette, Négresse, 87, 236-239
Foucault, François, 192
Eustache, Nègre, 219
Foucher, Louis-Charles, notaire et
Évêques, propriétaires d’esclaves, 28,
,
135 328,342
solliciteur général, 101,314 France, 14,18-19,22,32,34-35,50-52, 58-59, 63-64,82,135-136,138,146,
Index
391
153, 208, 230-231, 267, 280, 293, 298-299,308,317,324,327,329,
Gage, Thomas, gouverneur, 238,239
341-342,347-372>376
Gagnon, Joseph, prêtre, 193
Gagné, nom d’esclave, 243
Francheville, nom d’esclave, 243
Galliffet, François, officier, 127
Franck, Nègre, 376,378,380
Gallinée, René-François de, sulpicien, 20
1696,36 François, Nègre, 1729, 272 François, Nègre, 1740,175 François, Nègre, 1786,136 François, Nègre, 1797,379 François, Panis, 1719,153,155, 285 François, Panis, 1735,154 François, Panis, 1777,380 François, Panise, 1785,186 François, Nègre,
François, Renard, 152 François, Sauvage, François, Sauvage,
1692,25 1695, 25
Gamelin, famille, 129, 237, 239 Gamelin, Geneviève, 236,237,239 Gamelin, Ignace, marchand, 150, 200, 219,259, 266, 269-270, 276 Gamelin, Joseph-Jacques, marchand, 87, 237 Gamelin, nom d’esclave, 243 Gamelin-Lajemmerais, Christophe, 269 Garault dit St-Onge, Pierre, 148 Gareau, famille, 290
François-Denis, Nègre, 190
Gareau, Marie, 287-289
François-Dominique dit Mentor, Nègre, 251
Garneau, François-Xavier, 59,124,
François-Joseph, Nègre, 188 François-Prisque, Panis, 265,377
I34D36,341-343 Garneau, Hector de Saint-Denys,
59
Françoise, Panise,
Gaspésie, 2x2
Françoise, Panise,
Gastineau-Duplessis, Louis, 154,185,
1737,378 1759, 263 Françoise, Panise, 1778,158 Françoise, Siouse, 137,379 Françoise-Charlotte, Négresse, 169, 174 Françoise-Marie-Jeanne, Naskapise, 192 Franquet, Louis, 83,137 Fraser, James, 162-164,304,310-311, 316 Fréchette, Louis, 339 Fréchette, Pierre, prêtre, 135,187,328 Frement, Samuel, Nègre, 88 Frères de la Charité, 137,139,378 Frontenac, fort, 97 Frontenac, Louis de Buade, gouverneur de la NouvelleFrance, 22,23,35, 82,126,372,376
192,291 Gaudet, Dominique, marchand, 106,129,141,245,266,269-270, 272, 276 Gaudin, Marie-Madeleine, 256 Gaultier de Landreville, Jean, 118 Gaultier de Lavérendrye, famille, 328 Gaultier de Lavérendrye, LouisJoseph, chevalier, 136,184 Gaultier de Lavérendrye, Pierre, officier, 28,58, 69, 80,115,131,192 Gaultier de Louis-Joseph, 131 Gélineau, famille, 290 Gendron dit Potvin, Simon, 264 Geneviève, Panise, 195 Gens des Terres, sauvages, 83,326 Gent, Joseph, marin, 317 Gervais, 199
G
Giasson, nom d’esclave, 243 Gabrielle dite Arthémise, Panise, 247 Gadois-Mogé, Jacques, 72,193
Giffard, Joseph, 23 Giles, Cato, Nègre, 250 Gill, William, 161
392
Deux siècles d’esclavage au Québec
Gilles, Panis, 72
Guiot, famille, 290
Gilles-Hyacinthe, Renard, 71,166, 189,191
Guy, Pierre, marchand, 87,116,129
Gilmore, Thomas, 132
H
Girardin, famille, 195 Gladwin, Henry, officier, 219 Glandons, de, Maurice-Louis, notaire, 107 Godefroy de Saint-Paul, JeanAmador, 25 Godefroy de Vieuxpont, JeanBaptiste, 154 Godefroy dit Saint-Georges, Marie-Joseph, 378 Gouin, Claude, arpenteur, 132,141, 246 Gouin, famille, 129
H.-Lapalice, O.-M., 343 Hackett, Thomas, marchand, 269 Hains, Joseph-Louis, 374,376,379, 380 Hall, Elias, 106 Hamelin, Charles, négociant, 81, 176,281 Hamelin, famille, 281 Hamelin, Jacques, 281 Hamelin, Louis, 154, 281 Hamelin, nom d’esclave, 243 HameÜn, veuve, 377
Gouin, Thérèse, 186
Hart, Aaron, 112
Gourdon dit Lâchasse, Anne, 287, 289
Haut-Canada, 211, 299,302-303, 305-306,312,314,336-337
Gourdon dit Lâchasse, famille, 290
Hauterive, Philippe-Antoine, 172
Gourdon dit Lâchasse, JeanBaptiste, 197
Havy, François, négociant, 188,198 Hay, nom d’esclave, 243
Grandmesnil, marchand, 372,378
Hébert, Guillaume, 15, 205
Grant, Alexander, officier, 141
Hébert, Guillemette, 14
Grant, William, bourgeois et député, 161,164,300-301,313-314
Henry-Victor, Nègre, 190
Grasset de Saint-Sauveur, André, négociant, 138,317,338
Hertel, famille, 131
Gravé, Henri-François, prêtre, 193 Gray, Alexander, solliciteur général d’York, 374,378 Gregory, George, négociant, 274
Henri-Thérèse, Sioux, 193 Henry dit Prince, Nègre, 375,379 Hertel de Rouville, Pierre-Antoine, officier, 191 Hervieux, nom d’esclave, 243
Grenier, famille, 290
Hervieux, Pierre-Jean-Baptiste, marchand, 194, 270
Grenier, Marie-Anne, 150, 287
Héry, Charles, 197
Griffiths, John, Nègre, 250
Hill, Nancy, Négresse, 269
Grondines, les, 94, 281
Hipps, George, 108,163,164
Guérout, Pierre-Guillaume, 160, 300,301
Hocquart, Gilles, intendant de la
Guertin, famille, 290 Guibeau, famille, 289 Guignas, Michel, Jésuite, 329
Nouvelle-France, 53,56-57,59, 62,71, 89,104,127,166,189-191, 222,230-231, 233, 236, 245, 267,324, 328,331
Guillet, famille, 166
Houlacous, Mathieu, 23
Guillet, Joseph, 153,166,173
Hoyle, Rosseter, marchand, 162
Guillet de Chaumont, NicolasAugustin, notaire, 374
Huart Dormicourt, Marc-Antoine, chevalier, 61-62,103,134-135, 228236,242,332
Guillory, nom d’esclave, 243
Index
393
Hubert, Augustin-David, prêtre, 193, 244
Jacques, Panis,
Hubert, Henry, Nègre, 193
Jacques, Panis,
Hubert, nom d’esclave, 243
Jacques, Panis,
Hubert-Lacroix, famille, 126,129
Jacques, Panis,
1699, 26 1712, 250 1725,154 1734, 64, no, 176,
212-214, 241, 252
1780,380
Hubert-Lacroix, Jacques, 148
Jacques, Panis,
Hubou, famille, 290
Jacques, Sauvage, 261
Hunter, Joseph, Nègre, 250
Jacques, Sioux, 246
Huot, François, député, 316
Jacques-Caton, Nègre, 274
Huppé, Jean-Marie, 304
Jacques-César, Nègre, 200,219,244,
Hurons, sauvages, 21, 23, 26, 81, 280 Hutchins, Dorothy, Négresse, 174, 277 Hyacinthe, Panise, 174
251, 259,266,269-270, 276,318 Jacquin dit Philibert, Nicolas, négociant, 151,156 Jacquin dit Philibert, veuve, 151,262 Jacquot, Nègre, 377
I
Janis, Antoine, voyageur, 246
Ignace, Panis, 25,379 Ile-Dupas, 95 Île-Perrot, 96 Illinois, pays des, 18, 25, 27, 88,157, 212, 219, 249 Illinois, sauvages, 18, 24,55,79, 81, 209,326 Iroquois, sauvages, 21, 22, 23,25, 26, 55,82,118,126, 281,326 Iroquoisie, 20, 27, 82 Isaac, Nègre, 212,304 Isabella, Mulâtresse, 108, ixo, 115,
Janis, famille, 77 Janis, Hyacinthe, 147 Janis, veuve, 247 Janot-Lachapelle, veuve, 149 Janson, officier, 250 Jarret de Verchères, CharlotteGabrielle, 138 Jarret de Verchères, famille, 131 Jarret de Verchères, Louis, 174 Jarret de Verchères, Madeleine, 54, 101,116,131,176,192 Jarvis, William, 374-375,379 Jasmin, famille, 289
163,164 Ismaël, Nègre, 112,151,160
Jasmin, Nègre, 270 Jasmin, voyageur, 261
J
Jean, Arkansas, 25
Jack, Nègre, 246,247
Jean, Nègre,
Jack, Nègre, Jack, Nègre,
Jean, Nègre,
1778,160 1792,161,164,301
1724,174 1783,170
Jean, Panis, 249 Jean, Panis,
1770,380
Jackson, Nicolas, Nègre, 251
Jean-Baptiste, Arkansas, 25
Jackson, Robert, Nègre, 174, 277
1746,372,376 Jean-Baptiste, Nègre, 1783,193 Jean-Baptiste, Nègre, 1791,170 Jean-Baptiste, Nègre, 1808,186 Jean-Baptiste, Panis, 1698, 25 Jean-Baptiste, Panis, 1710,249,285 Jean-Baptiste, Panis, 1722,148 Jean-Baptiste, Panis, 1735,154 Jean-Baptiste, Panis, 1749,195
Jacob, Mulâtre, 161 Jacob, Panis, 158,159,164 Jacobs, Mary, 118
1694,36,51 1757,268, 276 Jacques, Nègre, 1759,149 Jacques, Nègre, 1794, 246 Jacques, Nègre, 1806,185,301 Jacques, Panis, 1687, 24 Jacques, Nègre, Jacques, Nègre,
Jean-Baptiste, Nègre,
Deux siècles d'esclavage au Québec
394
1785,374,379
Jean-Baptiste, Renard, 147
Joseph, Panis,
Jean-Baptiste, Sauvage, 172
Joseph, Patoca, 152
Jean-Baptiste-Christophe,
Joseph, Sauvage,
Chicacha, 201
1787,193 Joseph-François, Nègre, 1741,188, 198
Jean-Baptiste-François, Panis, 192 Jean-Baptiste-Pompée, Nègre, 136, 184 Jean-Baptiste-Thomas, Nègre, 209, 210 Jean-Baptiste Barbaron, Patoca,
Joseph-François, Nègre,
1750,
268
Joseph-Gaspard, Panis, 191 Joseph-Grégoire, Nègre, 193 Joseph-Hippolyte, Nègre, 270 Joseph-Llippolyte dit l’Espiègle,
192,379
Nègre, 228, 270
Jean-Barthélémy, Nègre, 251
Joseph-Louis dit Pompée, Nègre,
Jean-François, Nègre, 265, 276-277 Jean-Joseph, Nègre, 272
3L Joseph-Marie, Nègre, 89
Jean-Louis, Mulâtre, 112
Joseph-Nicolas, Missouri, 148
Jeanne, Négresse, 265,276-277
Joseph dit Neptune, Nègre, 89, 268
Jeannot, Nègre, 88
Joseph Hisme, Nègre, 38
Jenny, Négresse, 171
Josette, Panise, 377
Joachim, Nègre, 270
Jourdain, famille, 290
Joe, Nègre, 109,133,156,159,161,176, 205-207, 212
Jourdain-Labrosse, Dominique,
Johnson, Benjamin, Nègre, 211
Juchereau, commandant, 26
Johnson, William, 219
Juchereau-Duchesnay, Antoine, député, 151,192,247-248, 262, 268,
Johnson et Purss, marchands, 162,
sculpteur, 132
300-301
163 Johnton, Jean-Baptiste, Nègre, 318
Juchereau-Duchesnay, famille, 131,
:34
Joinville, Pierre, 295,301 Jolibois, famille, 250, 289
Juchereau de Saint-Denys, Nicolas, 23
Jolliet, François, négociant, 154,155 Jolliet, Louis, explorateur, 22,23, 28, 126,323
Judith, Négresse, 305,307
JolÜvet, famille, 289
Just, Madeleine, 54,101
Jupiter, Nègre, 375,381
Joncaire de Chabert, famille, 131 Jones, John, encanteur, 155, 212
K
Jones, Nicholas, 250
Kamouraska, 95
Jones, Titus, Nègre, 38, 87
Kansés, sauvages, 78,326
Joseph, Iroquois, 380
Kaskaskias, 97,376
Joseph, Mulâtre, 250
Kellings, Jollock, Nègre, 274
1729, 272 Joseph, Nègre, 1746, 269 Joseph, Nègre, 1748,194 Joseph, Nègre, 1750, 269 Joseph, Nègre, 1757, 271 Joseph, Panis, 1712, 204 Joseph, Panis, 1723,148 Joseph, Panis, 1754,135
Joseph, Nègre,
Kerr, avocat, 310 Kirby, William, 339 Kirke, les frères, 13,16,19, 204
L L’Assomption, 95,340 Lacelle, Jacques-François, traiteur,
79,129, H1
Index
395
Lâchasse, famille, 290
Lalonde, Jean-Baptiste, 195
Lachenaie, 54, 96
Lalonde, Louis, 195
Lachine, 20, 23, 24, 28,49,78,96,138,
Lamontagne, famille, 25, 290
170,174,198, 250, 269-270, 274,
Lamontagne, Madeleine, 285
37I>378
Lamorinie, Jean-Baptiste, Jésuite, 192
Lacorne, famille, 131,197,328-329 Lacorne, Louis-François, chevalier, 186
Lamothe, famille, 290
Lacorne, Louis-François, chevalier, 105,131, 269,318
Lamothe-Cadillac, Antoine, officier, 81,191, 259, 282
Lacorne, Louis dit l’aîné, 131
Lamour, Antoine, Nègre, 166
Lacorne-Dubreuil, François-Josué,
Lamour, nom d’esclave, 243
131
Lacorne de Lacolombière, Antoine,
Lamothe, voyageur, 261
Lamoureux dit Saint-Germain, François, traiteur, 204 Landry, famille, 290
Lacorne Saint-Luc, Luc, officier, 87,88,131,141,149,237, 239,268, 271, 276
Landry dit Chariot, Firmin, 106, 256, 261, 263,286
Lafitau, Joseph-François, Jésuite, 17
Landry dit St-André, Claude, 106, 256,259, 263
Lafleur, famille, 289
Lane, John, 269
Lafleur, Marguerite, Panise, 198
Langevin, Charles, 287-288
Lafleur, nom d’esclave, 243
Langevin, famille, 290
Lafleur, Pierre-Dominique, Nègre,
Langlade, famille, 290
151,156,262, 285,332 Lafond, famille, 290 Lafond, Marguerite, 287 LaFontaine, Louis-FIippolyte,
342-343 Lafontaine de Belcour, Jacques, négociant, 184 Laframboise, famille, 290
Lanoraie, 95 Lanoullier, famille, 147,150 Lapistole, veuve, 149 Laplante-Lérigé, Clément, officier, 174,186, 258 Laporte de Louvigny, Louis, officier, 127,190
Laframboise, nom d’esclave, 243
Laprairie, 96,153,174,186,198, 229, 251,258,339
Lafrenière, Jacques, in
Laprise, nom d’esclave, 243
Lafricain, Joseph, Nègre, 151, 251
Larché, François, 261
Lagerne, famille, 290
Larchevêque, Augustin, 258
Lagerne dit Saint-Georges, famille,
Larchevêque, veuve, 258
289
Laroche, Jean, 287
Lagord, John, 295, 296
Laronde, nom d’esclave, 243
Lagorgendière, de, Joseph, négociant, 269, 271
Larose, nom d’esclave, 243
Lagotherie, famille, 265 Lahontan, Louis-Armand de, 17, 26-27 Laisné, famille, 290 Laisné, Marie-Thérèse, 287 Lalemant, sieur, 24 Lalonde, famille, 290
Larrivée, Pierre, 371,380 Laspron, famille, 290 Laure, Pierre, Jésuite, 175 Laval, François de, évêque, 22 Lavaltrie, 95,154 Lavigne, famille, 290 Laviolette, nom d’esclave, 243
Deux siècles d’esclavage au Québec
396
La Diligence, Panis, 197
Legris, Joseph, 148
La Gallissonnière, Roland-Michel de, gouverneur de la Nouvelle-
Lelat, Pierre, 287
France, 62 La Jonquière, Pierre-Jacques de, gouverneur de la NouvelleFrance, 62, 66,119 La Liberté, Nègre, 31,33 Lebeau, François, 264,375
Lemaire, famille, 290 Lemaire dit Saint-Germain, André, 155 Lemaître-Jugon, François, navigateur, 89 Lemaître-Lamorille, Paul-François, arpenteur, 132
Leber, Jacques, marchand, 36,51,87
Lemay, Pamphile, 339
Leber de Senneville, famille, 131,
Lemire, famille, 290
228,270 Leber de Senneville, Jacques, 154 Leber de Senneville de Saint-Paul, Jean-Baptiste, officier, 271 Lecompte-Dupré, famille, 129 Lecompte-Dupré, Hippolyte-SaintGeorges, 300-301 Lecompte-Dupré, Louis, marchand, 36,251
Lemoyne de Bienville, JeanBaptiste, gouverneur, 39, 62 Lemoyne de Longueuil, Charles (premier du nom), 105,127,268, 272, 276-277 Lemoyne de Longueuil, Charles (second du nom), 127,141, 272 Lemoyne de Longueuil, famille, 134, 191-192, 292,318,328-329
Lécuyer, famille, 263
Lemoyne de Longueuil, PaulJoseph, chevalier, 127,141, 272
Leduc, famille, 126,291-292
Lemoyne de Maricourt, Paul,
Lecompte-Dupré, Louise, 209
Leduc, nom d’esclave, 243
officier, 24, 28
Leduc-Persil, François, 105
Lenègre, nom d’esclave, 243
Lée, Thomas, 101,305
Léonard, Bonaventure, récollet, 104,
Lee, William, Nègre, 250 Lees, John, 300-301,314-316
D7,328 Lepage, Louis, Nègre, 156,157, 244
Lefebvre, Gabriel-Nicolas, 184
Lepage, nom d’esclave, 243, 290
Lefebvre, Gervais, prêtre, 192
Lépine, nom d’esclave, 243
Lefebvre, Jean, négociant, 188
Leproust, Jean, praticien, 216
Lefebvre, Nicolas, 175
Lereau, famille, 290
Lefranc, Jean, 287
Lereau, Marie-Madeleine, 287
Lefranc, Marin-Louis, Jésuite, 137, 329
Leroux dit Lachaussée, Louis, 148
Lefrançois, nom d’esclave, 243
Lesable, Marie-Joseph, Sauteuse, 281
Legardeur, famille, 131
Lescarbot, Marc, 17,19
Legardeur, nom d’esclave, 243
Lespérance, famille, 290
Legardeur de Courtemanche,
Lespérance, Jean-Marie, 261, 263
Augustin, 64,372
Lespérance, nom d’esclave, 243
Legardeur de Montesson, JacquesMichel, 192
Lesselin, Louis, officier, 190
Legardeur de Repentigny, dame,
Lestage, famille, 129
T53,332 Legrand, Gabriel-Christophe, 265 Legras, Jean-Baptiste, marchand, 154
Lestage, dame, 270 Lestage, nom d’esclave, 243 Lestage, Pierre, marchand, 89,157, 198
Index
397
Lester, Robert, négociant, 170,193, 300,301
Lotbinière, 94
Léveillé, famille, 290-292
Louis, Brochet, 154,155
Léveillé, Laurent, Panis, 283-284, 286-287, 289,371
Louis, Nègre,
Léveillé, Mathieu, Nègre, bourreau,
Louis, Panis,
ï39, 156, 221, 267 Léveillé, nom d’esclave, 243 Lévis, François-Gaston de, général, 130 Lévy, Eléazar, négociant, 117 Lewis, Betty, Négresse, 373,380 Lewis, Joseph, Nègre, 373,380 Lewis, Obadiah, Nègre, 373,380 Le Baillif, commis, 14-16, 204 Le Jeune, Olivier, Nègre, 15-16,31,
33 Le Jeune, Paul, Jésuite, 14,15,150 Le Rat, Sauvage, 26
Louis, Arkansas, 25
Louis, Nègre,
1692,36 1706,38 1688, 24
Louis, Renard, 152 Louis-Antoine, Assiniboine, 192 Louis-Antoine, Nègre, 106, 245, 266, 270,272,276 Louis-Joseph, Panis, 155 Louisbourg, 93-94,137,329,378
1755, 271 1766, 284-285 1778,380
Louise, Négresse, Louise, Panise, Louise, Panise,
Louise-Claire, Sauvagesse, 190 Louise-Marguerite, Sauvagesse, 192 Louise, Négresse,
1761, 240
Le Renard, Joseph, Renard, 284, 289
Louisiane, 39,50,78, 88-89, 91* IOI> 114,138,146-147,164,175, 217, 239, 265, 270, 272,326,342
Le Tardif, Olivier, commis, 15
Louis Quatorze, Nègre, 197,331
Le Verrier, fils, 148
Louis XIV, roi de France, 31,37,40,
Le Renard, famille, 290
Liénard de Beaujeu, DanielHyacinthe, 87, 271
49'5h 53> Q. 82,143,169,171,197, 324,341
Linds, John, Nègre, 250
Louis XV, roi de France, 57-59, 61,
Lindse, Jacob, Mulâtre, 156 Linn, Jock, Nègre, 156
63G25 Loups, sauvages, 23, 25,27,82,326
Liquart, Jean, bourgeois, 190
Lowcanes, Nègre, 161
Lisette, Mulâtresse, 178-179,317
Luke, Philip, 373,380
Lisette, Panise, 380
Lydia, Négresse, 163,304
Londres (Angleterre), 296-298,306
Lynd, David, 300,301
Longue-Pointe, 96,186, 200
Lyons, George, 376,378,380
Longueuil, 96,134,149, 266, 271,318
w
Longueuil, baronne de, 266, 269, 276 Longueuil, famille, 290 Longueuil, nom d’esclave, 243 Longueuil, Paul-Joseph, Renard, 291 Lontin, Rose, Mulâtresse, 178,339 Lorain, famille, 290 Loranger, veuve, 240 Lorette, 94 Lorimier, Guillaume de, 250 Lorrain, Joseph, 117, 262
Macchabé, famille, 290 MacLeod, André, 170 MacNider, John, 159 Madeleine, Panise, Madeleine, Panise, Madeleine, Panise,
1746,377 1756,185 1790,259
Madeleine, Renarde, 175 Madeleine-Gilles, Renarde, 190-191 Madeleine-Louise, Panise, 174 Madeleine-Marie-Anne, Sauvagesse, 192
39^
Deux siècles d'esclavage au Québec
Magnan, Jean, 262 Magnan, nom d’esclave, 243 Magnan-Lespérance, Jean-Antoine, marchand, 209 Magnan-Lespérance, veuve, 210 Mahingans, sauvages, 82 Mailhiot, Jean, 25 Mailhot, Jean-Baptiste, 371 Maillot, nom d’esclave, 243 Maisonbasse, Jean-Baptiste, prêtre, 192 Maisonneuve, Paul de Chomedey de, gouverneur, 20 Maisonville, Alexis, 264 Maldrum, George, 259 Malherbe, François de, 173 « Malome », famille, 195 Mandanes, sauvages, 326 Manuel, Nègre, 150, 246,307,308 Maray de Lachauvignerie, Louis, 152,158, 240 Maray de Lachauvignerie, Michel, officier, 87 Maréchal, Marie-Joseph, 218 Marguerite, Panise, 1765, 286,377 Marguerite, Panise, 1772, 264 Marguerite, Panise, 1810,318 Marguerite-Charlotte, Natchez, 192 Marianne, Montagnaise, 210,241 Marianne, Panise, 135,187 Marie, des Loups, 23 Marié, Louis, Nègre, 251 Marie, Métisse, 274 Marie, Négresse, 1757, 268, 276 Marie, Négresse, 1759,149 Marié, nom d’esclave, 243 Marie, Panise, 1709,54,101 Marie, Panise, 1723,198 Marie, Panise, 1732, 252 Marie, Panise, 1759, 215 Marie, Panise, 1775,186, 200 Marie, Panise, 1788,259,379 Marie, Panise, 1814,318 Marie, Panise, 1819,318 Marie, Panise, fille de la précédente, 379
Marie, Renarde, 148 Marie, Sauvagesse, 1754, 275 Marie-Anastasie, Sauteuse, 281 Marie-Angélique, Amérindienne, 371,38° Marie-Angélique, Négresse, 175 Marie-Anne, Négresse, 1746, 269 Marie-Anne, Panise, 1759, 263 Marie-Anne, Panise, 1770, 286-287 Marie-Anne-Victoire, Négresse, 148 Marie-Antoine-de-Pade, Sauvagesse, 246-247 Marie-Athanase, Sauteuse, 281 Marie-Athanase, Sauvagesse, 176 Marie-Charlotte, Négresse, 1729, 272 Marie-Charlotte, Négresse, 1748, 194 Marie-Charlotte, Négresse, 1759, 149, 271 Marie-Claire, Sauvagesse, 191 Marie-Elisabeth, Négresse, 171, 266, 269,318 Marie-Élisabeth, Négresse, 1729, 272 Marie-Elisabeth, Sauvagesse, 192 Marie-Françoise, Négresse, 89, 269 Marie-Françoise, Panise, 1713,148 Marie-Françoise, Renarde, 148 Marie-Geneviève, Renarde, 179, 187,338 Marie-Jeanne, Panise, 258 Marie-Joseph, Élisabeth, Négresse, 193
Marie-Joseph, Panise, 1720,171 Marie-Joseph, Panise, 1766,264 Marie-Joseph, Panise, 1772,375 Marie-Joseph, Panise, 1799,318,334 Marie-Joseph, Sauteuse, 263 Marie-Josette, Siouse, 193 Marie-Louise, Chicachase, 191, 246, 250 Marie-Louise, Montagnaise, 1732, Marie-Louise, Négresse, 1728, 89, 185
Index
Marie-Louise, Négresse, 269, 276
1750, 268,
Marie-Louise, Panise, Marie-Louise, Panise,
1772,186 1778, 265 1802,171,318
Marie-Louise, Panise mascoutine, 372,376,378 Marie-Louise, Sauvagesse, 371 Marie-Madeleine,
Martin dit St-Jean, Josepthe, 289 Mascoutins, sauvages, 81,326
Marie-Louise, Panise, 12 7 Marie-Louise, Panise,
399
1750, 270
Marie-Madeleine, Négresse, 274
Maurepas, Jean-Frédéric de, ministre, 69 McBeath, George, 300 McCord, John, 160 McCormick, Arthur, 210, 211 McGill, James, négociant et député, 185,300-301 Mclntyre, John, 251
1767,
Marie-Madeleine, Renarde ou Panise, 256
Mclntyre, Joseph, Nègre, 250 McLeod, Margaret, Négresse, 265 McMurray, Thomas, 156,160 McNeill, Elisabeth, 160
Marie-Manon, Panise, 374
McNider, Matthew, 300-301
Marie-Marguerite, Panise, 1740, (dite Duplessis), 61,103, 228-229, 233, 240, 242, 262,332
Médecins, propriétaires d’esclaves, 132.328
Marie-Marguerite, Panise,
1752,
274, 276 Marie-Marguerite, Panise, 1821,317,338
1764 et
Marie-Marguerite-Caroline, Siouse, 106,256,259, 263, 284-285 Marie-Marguerite-Catherine, Siouse, 381 Marie-Rose, Négresse, 171 Marie-Victoire, Panise, 191, 201 Marie de l’Incarnation, o.s.u., 282 Marin, famille, 131 Marin, Marguerite, Panise, 250, 259, 286,375 Marin, nom d’esclave, 243 Marin de Lamalgue, Paul, 185 Marin de Laperrière, Claude, 263 Marois, famille, 290 Marsac, Jean-Baptiste, 380 Marsolet, Nicolas, interprète, 15, 204 Martel, sieur, 240
Meloche, Jean-Baptiste, 141, 259 Ménard, Antoine, 154 Ménard, Marie, 371 Mercier, François, officier, 272 Mervillon, famille, 290 Mervillon, René, 286 Mesplet, Fleury, imprimeur, 133, 156.328 Meurs, François, navigateur, 193 Meyers, John Walden, 373,380 Mézière, Pierre, notaire, 132 Miamis, sauvages, 74 Michel-Fortunat, Illinois, 379 Michel-Henri, Nègre, 207 Michel Ouysconcin, Renard ou Panis, 147,150,332 Michillimackinac, 17, 26, 74, 93, 97, 105,131,136,154-155. V6* 184-185, 191-192, 212, 248-249, 251, 259, 261, 262, 281,329,376,380 Micmacs, sauvages, 213 Migeon de Lagauchetière, Daniel, officier, 56
Martel de Brouague, MarieMadeleine-Françoise, 188
Missouris, sauvages, 78, 258,326
Martinique, 42, 61, 88-89,116,140,
Mix, Samuel, 116
205 Martin de Lino, conseiller, 190
Mittleberger, John, 162 Mondina dit Obvier, famille, 290
Martin de Lino, Geneviève, 190
Mondina dit Olivier, MarieÉlisabeth, 248, 262, 284, 286, 289
Martin dit St-Jean, famille, 290
Monière, sieur, 157
400
Deux siècles d’esclavage au Québec
Monplaisir, famille, 290-291
Nicolas, Panis, 1709,217-218, 252
Monplaisir, nom d’esclave, 243
Nicolas, Panis, 1757, 264
Monsaige, Jean, Nègre, 300
Nicolas, Panis, 1767,377
Montagnais, sauvages, 19,55,74, 83, 326
Niverville de Montizambert, officier, 88
Montpetit, Gaspard, 287
Nolan, Catherine, 190
Montréal, 96
Nolan de Lamarque, Charles, négociant, 56-57,108,191
Moore, William, imprimeur, 133,157 Morand, famille, 290
Nouette, Jacques, praticien, 230,
Morand, Jean-Louis, 289
233-236 Nouvelle-Angleterre, 33, 65, 87,113,
Morand, Nicolas, charpentier, 133
156, 218, 220, 237, 239, 252
Moreau de Lataupine, Pierre, 25 Morin, Samuel, 156 Morisset, famille, 290 Mouet de Langlade, Charles, 152, 261-262, 289 Mouet de Langlade, Charles, fils du précédent, 152, 261
O Oka, 96 Obvier, famille, 291 Obvier, Louis, marchand, 295,300,
Mouet de Langlade, famille, 290
3OI-3°5-3I7 Obvier, Nègre, 15, 204
Mounier, sieur, 60-61
Oriüat, Jean, négociant, 112,159,318
Murray, James, gouverneur du Canada, 109,127,328
Osgoode, Wilbam, juge, 119, 241, 306-311,337 Ouachas, sauvages, 78,326
N Nafrechoux, famille, 251 Napoléon 1er, 171 Naskapis, sauvages, 83 Natchez, sauvages, 79,326 Nau, François, Jésuite, 17
« Ouidech », Marie-Anne, 285, 288, 289 Outaouais, sauvages, 76, 81-82,106, 326,372
P
Navarre, Robert, 132
Pagé-Carcy, négociant, 38
Navetier, Pierre, sulpicien, 221
Panet, Bonaventure, député, 299, 300
Nègre dit Latreibe, Joseph, 84 Nègre dit St-Jean, Jean-Baptiste, 84 Neiges, Marie des, Sauvagesse, 20
Panet, Jean-Antoine, notaire et député, 244,350
Neilson, famille, 317
Panet, Pierre, juge, 244
Neilson, Hubert, 343
Panet, Pierre-Louis, député, 299, 300,310,315,336
Neilson, John, imprimeur, 133,328,
343 Neilson, Samuel, imprimeur, 207 Nemo, Nègre, 162-163
Papinachois, sauvages, 74, 83 Papineau, Joseph, avocat et député, 223,308,311,313-314,337
Nepveu, Jacques, 54,101
Parant, famibe, 290
Nero, Nègre, 162
Parant, Gibes, 381
Neuville, 94,172,193
Parent, Albert, 274, 276
New-Richmond, 95
Park, Wibiam, 186
Niagara, fort, 61,157, 205,250
Parkinson, Edouard, 250
Nicolas, Amérindien, 379
Pascal, Panis, 54
Index
401
Pascaud, Antoine, marchand, 200
Pierre, Nègre, 1705,38
Patocas, sauvages, 55,75,78
Pierre, Nègre,
Paul, Jacques, Nègre, 250
Pierre, Nègre,
184,3°5> 328 Payne, James, Nègre, 250
1709,38 1730,190,199 Pierre, Nègre, 1783,378 Pierre, Nègre, 1794,195 Pierre, Panis, 1687, 24 Pierre, Panis, 1703, 250 Pierre, Panis, 1713,148
Péan de Livaudière, famille, 131
Pierre, Panis, 1737,378
Péan de Livaudière, JacquesHugues, 112,183
Pierre, Panis,
Paul, nom d’esclave, 243 Payan, Charles, charpentier, 133,199 Payet, Louis, prêtre, 101,116,135-136,
Pierre, Panis,
1740,154-155 1759, 264,377 1763,375 1773,375
Péan de Livaudière, Michel-JeanHugues, officier, 141
Pierre, Panis,
Pécaudy de Contrecœur, ClaudePierre, 268-269,276
Pierre, Patoca, 56
Pécaudy de Contrecœur, famille, 131 Pécaudy de Contrecœur, François, 269 Pécaudy de Contrecœur, MarieCharles, 246 Pécaudy de Contrecœur, René, 269 Peggy, Négresse, 375,381 Péladeau, famille, 198 Pelletier, dame, 264 Pelletier, famille, 259 Pelletier, Jacques, 141,186
Pierre, Panis,
Pierre-Antoine, Nègre, 135 Pierre-Célestin, Nègre, 36 Pierre-Louis, Nègre, 89 Pierre-Louis-Scipion, Nègre, 190,
331 Pierre-Nicolas, Abénaquis, 237 Pierson, Joseph, Nègre, 151 Pinguet de Vaucour, famille, 112 Piot de Langloiserie, Louis-Hector, 118 Platt, sieur, 306
Pelletier, Nicolas, 282
Plessis, Jean-Octave, évêque, 135, 328
Pelletier, Noël, 172
Pointe-aux-Trembles, 96
Pépin, Sœur Thérèse, des Sœurs
Pointe-Claire, 96
Grises, 193
Pointe-du-Lac, 193
Périnault-Lamarche, Joseph, 3x4-315 Perrault, Paul, 371,381 Petit dit Milhomme, Jean-Baptiste,
Pointe-Lévy, 37, 49, 87, 94, 211 Pompadour, Amy, Négresse, 374 Pompe, Marie-Emilie, Mulâtresse,
263 Petit dit Rossignol, sieur, 119-120 Philippe, Nègre, Philippe, Nègre,
1700,37 1715, 200
Philippe, Sauvage, 24
151
Pompée, Nègre, 173,177 Pompey, Nègre,
1771,162
Pontbriand, Henri-Marie, évêque, 135,189,328
Philippe-Marie-Louise, Panise, 25
Porlier, nom d’esclave, 243
Philippon, famille, 291
Porlier-Bénac, sieur, 250
Picard, Jacques, 25
Poulin, veuve, 154
Picard, Marie-Louise, 195
Poulin de Courval, Louis, 87
Pichion, famille, 214 Picoté de Belestre, famille, 131
PouÜn de Francheville, François, marchand, 141, 219, 259
Picquet, François, sulpicien, 135,328
Poutéoutamis, sauvages, 82,326
Pierre, Illinois, 24,379
402
Deux siècles d’esclavage au Québec
Prenties, Miles, Tavernier, 109,127, 161,164
ReÜgionnaire, Panis, 197
Pretchard, Azariah, 212,304
Renards, sauvages, 55, 61,74-75, 81, 140,326
Prince, Mulâtre, 197
Renaud, famille, 291
Provençal, famille, 290
Renaud, marchand, 89
Provençal, Joseph, 284, 289
Renaud-Locat, Louis, 287,371 Repentigny, 96
R Raby, de, famille, 289 Raby, de, Jean-Baptiste, 288 Racicot, famille, 290 Racicot, François-Xavier, notaire, 246
RiberviUe, famille, 285,290-291 Riberville, Joseph, Panis, 250, 289 Riberville, nom d’esclave, 243 Richard, Guillaume, 281 Richard, James, Nègre, 251 Richard, Jean, 281
Radisson, nom d’esclave, 243
Richard, Marie-Suzanne, 274
Raimbault, nom d’esclave, 243
Richard, Nègre, 162
Raimbault, notaire, 102
Rigal, famille, 290
Raimbault, Pierre, juge, 148
Rigal, Raymond, 286
Raimbault de SimbÜn, famille, 134
Rigaud, 96,373
Raimbault de Simbbn, PaulFrançois, officier, 64, 208
Rigaud de Vaudreuil, 134
Raimbault de SimbÜn, PierreMarie-Joseph, 138 Ramezay, Claude de, gouverneur particuÜer, 38,127,192,197 Ramezay, famille, 134,192,328 Ramezay, Louise de, 235 Rapin, famille, 290-291 Rapin, nom d’esclave, 243 Rapin dit Scayanis, André, Panis, 285, 287, 289 Raudot, intendant de la NouvelleFrance, 28,39-40,52-54,56-57, 59-61, 65, 90,101,147, 231, 282, 308,311,324-325,335 Raymond, famille, 290-291 Raymond, Jean-Baptiste, 316 Réaume, Charles, négociant, no, 381 Réaume, Dame, 153 Réaume, Marie, 258 Réaume, Marie-Julie, 128 Regereau, famille, 290 Regereau, Louis-Joseph, Nègre, 289 Régis, Panis, 261 Regnard-Duplessis, Georges, trésorier de la Marine, 37,148
Rigaud de Vaudreuü, famille, 328 Rigaud de Vaudreuil, FrançoisPierre, gouverneur particuÜer, 127 Rigaud de Vaudreuü, LouisPhilippe, 192 Rigaud de Vaudreuil, Philippe, gouverneur de la NouvelleFrance, 37-38,40-42,126-127,14I> 238, 282,328 Rigaud de Vaudreuü, PierreFrançois, 190-191 Rigaud de Vaudreuil-Cavagnial, Pierre, gouverneur de la Nouveüe-France, 64, 66, 89,126, 127,141,148,197, 268, 271,328 Riquier, famiUe, 290 Ritchie, Hugh, 162,163 Rivet-Lavigne, famiüe, 291 Rivière-des-Prairies, 148 Rivière-du-Loup-en-haut (Louisevüle), 95 Rivon de Budemont, Pierre, 154 Robertson, Jacques, Nègre, 250,373 Robert de Lamorandière, Étienne, 172,192 Robidoux, famiüe, 291 Robidoux, Marie-Catherine, 287
Index
403
Robin, Nègre, 162,164,310
Saint-Jean, famille, 291
Rodrigue, François, 208
Saint-Jean-Port-Joly, 95,193
Rogers, Richard, Nègre, 151
Saint-Julien, nom d’esclave, 243
Roquebrune, Robert de, 340
Saint-Laurent, 94, 96
Rose, Négresse, 101,110,136,157,305
Saint-Luc, nom d’esclave, 243
Rose, Sauteuse, 263
Saint-Mathias, 97
Rosier, Nègre, 244
Saint-Maurice, famille, 290
Rosier, nom d’esclave, 243
Saint-Ours, famille, 340
Ross, John, Nègre, 250 Ross, William, 211
Saint-Ours Deschaillons, PierreRoch, officier, 105,119-120,190
Rossignol, Sauvage, 197
Saint-Pé, Jean-Baptiste, Jésuite, 235
Routhier, Adolphe-Basile, 292-294, 338,339-340
Saint-Père, Agathe, 153
Routhier, Jean, 304
Saint-Philippe-de-Laprairie, 96, 251
Routhier, Jean-Baptiste, marchand,
Saint-Pierre, 94
101
Saint-Pierre, veuve, 208
Roux, Mary, Négresse, 276
Saint-Pierre-les-Becquets, 95
Roy, Marie-Madeleine, 377
Saint-Sauveur, nom d’esclave, 243
Roy, Pierre-Georges, 343
Saint-Sulpice, 95
Rubin, Nègre, 150, 246
Saint-Thomas-de-Montmagny, 95, 179,201, 248,338
Ruette d’Auteuil, dame, 318 Ruette d’Auteuil, FrançoisMadeleine, 32-33,35,41,45,158,
Saint-Vallier, 94,197,331
3M, 334,342 Russell, Elizabeth, 374
S aint-Vallier, Jean-de-la-Croix, évêque, 24, 28,36,50-51,135,189, 200-201, 283,328
Russell, Peter, 375
Saint-Vincent-de-Paul, 96 Sainte-Anne-de-la-Pérade, 25,76,
S
78- 95- J34-185,192, 256,373 Sainte-Anne-de-la-Pocatière, 95,
Sabourin, famille, 290-291 Saint-Antoine-sur-Richelieu, 96, 101, no, 116,135,136,184,305 Saint-Armand (ou Philipsburg),
373 Saint-Augustin, 135,169,300 Saint-Constant-de-Laprairie, 96
373 Sainte-Anne-du-Bout-de-l’île, 96, 195 Sainte-Famille, 94,201 Sainte-Foy, 94 Sainte-Geneviève-de-Batiscan, 95, 184
Saint-Cosme, Pierre, 104,377-378
Sainton dit Carterel, famille, 290
Saint-Cuthbert, 95,135
Sainton dit Carterel, François, 283
Saint-François, 94,174
Salaberry, Charles de, 190
Saint-François, nom d’esclave, 243
Salaberry, famille, 133
Saint-François-de-Beauce, 94
Salaberry, Louis de, 190
Saint-François-de-Sales, 96,186,
Salaberry, Michel, navigateur, 89,
381
:33
Saint-François-du-Lac, 76,78, 95,
Sambo, Nègre, 340
i37> 329,379 Saint-Georges, famille, 290
Sanguinet, Simon, notaire, 132
Saint-Jean, 94
Sanscrainte, famille, 290
Sanschagrin, sieur, 197
404
Deux siècles d'esclavage au Québec
Sanscrainte, Jean-Baptiste, 261-262
Sylvie, Négresse, 170
Sansquartier, sergent, 132,192 Sansregret, famille, 290 Sanssouci, nom d’esclave, 243 Sarah, Négresse, 379 Sarasto, Panis, 197 Sarazin, Nicolas, 204, 235, 236 Sarrazin, Pierre, 204 Sault-au-Récollet, 96
T Tadoussac, 15, 94,348 Tailhandier dit Labaume, Marien, chirurgien et notaire, 132 Talon, Jean, intendant de la Nouvelle-France, 280,335,342 Talon, Marie, 151,262, 285
Sault-Sainte-Marie, 81
Talon ou Tanon, famille, 291
Sauteux, sauvages, 74, 81,177,326
Tamarois, sauvages, 79,326
Sauvage, nom de famille canadien,
Tanguay, Cyprien, prêtre, 343
84 Sawer, dame, 304
Tarieu de Lanaudière, Charles, 189
Scayanis, famille, 290
Tarieu de Lanaudière de Lapérade, famille, 131,134,328
Sedy, Mulâtresse, 103,304
Tarieu de Lanaudière de Lapérade,
Séguin, Geneviève, 380 Séguin, Robert-Lionel, 343
Pierre-Thomas, officier, 54,101, 116,131,141,176,256,373
Séminaire de Québec, 93,136-137,
Terrebonne, 96,147
T39,141, x93,329,376,381 Sesmaisons, Pierre de, Jésuite, 279
Tessier, Agnès, 281
Shuter,John, marchand, 246-247
Tessier dit Lavigne, Urbain, 185
Terrien, famille, 291
Sillery, 194
Têtes-plates, sauvages, 79
Sincerni, famille, 290
Thérèse, Patocase, 185
Sinclair, Margaret, Négresse, 250
Thérèse, Renarde, 183
Sioux, sauvages, 55,74,79-80,137, 177,326
Thérèse, Sauvagesse,
Smith, D.W., député, 302-303
Thibault, Claude, 219,222, 256
Smith, Elias, marchand, 305,307
Thomas, Nègre,
Smith, Francis, Nègre, 174, 277
Thomas, Nègre,
Smith, Lauclin, seigneur, 373 Solomons, Lévy, 159 Sorel, 96,102,132,304 Soumande-Delorme, FrançoisMarie, 270,272 Stephens, Catherine, Négresse, 277 Sullivan, Thomas John, tavernier, :i3> n7> n9> 246,307-308 Suite, Benjamin, 108,147, 292, 294,
3T9> 336,340,343 Suzanne, Panise, 1763,377 Suzanne, Panise, 1786,378 Suzanne, Panise, 1790, 259 Suzanne, Siouse, 263 Suzanne-Madeleine, Panise, 185 Sylvain, Timothée, médecin, 117
1763,184
Thibault, Catherine, 148
1747,88 1776,186 Thomas, Nègre, 1783,374 Thomas-Louis, Nègre, 1727,165, 189 Thomas-Louis, Nègre, Thomas-Louis, Nègre,
1783,379 1791,191
Thomas dit Tom, Mulâtre, 209 «Thomme », Marie-Louise-Jeanne, Négresse, 318 Thompson, Catherine, 318 Thompson, Henry, Nègre, 250 Thompson, John, Nègre, 162 Thompson, Richard, Nègre, 250 Tonton, Renarde, 138 Tonty, Alphonse, officier, 24,28
Index
Trois-Rivières, 25,53, 83, 93, 95, 98,
405
W
127,191, 213-215, 217, 238, 291,317,
374
Ward, William, 108,110
Trottier, famille, 291
Webb, Alexander, Nègre, 209
Trottier, Marie, Négresse, 373
Welden, Elber, Mulâtre, 162, 251
Trottier-Désaulniers, famille, 129
Werden, Isaac, 163
Trottier-Desruisseaux, Alexis, 264
Westphal, George, 103,304
Trottier-Desruisseaux, famille, 134, 381
Wiley, Ann, Négresse, 209
Trottier-Dufy-Desaulniers, Thomas-Ignace, marchand, 158
Williams, François, Nègre, 247, 262, 268, 284, 286, 289
Trudel, famille, 290-291
Williams, Henry, Nègre, 317
Trutaut, famille, 129
Williams, John, Nègre, 250
Trutaut, Pierre, traiteur, 25 Turner, Jervis George, 119,307,308
Williams, Marie-Louise, Mulâtresse, 151
Turner, John, marchand, 102,112,151, 160,164
Wimble, Margaret, Négresse, 276
Williams, famille, 290
Wills, Melvin, négociant, 108 Wright, famille, 290
V X Valentin, Nègre, 157, 270 Vallée, Jean-Baptiste, 156-157
Xandre, famille, 290
Varennes, 96,192,374,379 Varin de Lamarre, Jean-Victor, 189,
Y
I9* I Varin dit Lapistole, Jacques, 186
Yamachiche, 95
Vaudreuil, 96,193,318
York, 97,300,374,379,381
Vaudry, famille, 291
York, Nègre,
Venture, Thomas, capitaine, 108
You, Marianne, Miamise, 281
Verchères, 77, 96,174
Young, John, marchand, 150, 246,
Vergor, Louis du Chambron de, officier, 197,331
Young, Mary, Négresse, 171,334
Véronneau, famille, 290
Youville, nom d’esclave, 243
«Yonce», officier, 262, 288
1786, 265
300-301,314
Versailles, Nègre, 197,331
You d’Youville, famille, 129
Victor, Natchez, 189,191
You d’Youville, François-Madeleine,
Viger, Denis, 314,316 Viger, Jacques, 342-343 Viger, nom d’esclave, 243 Villeneuve, Constant, 261-262 Villeneuve, Daniel, 262 Villeneuve, famille, 290 Vinet-Préville, Philippe, 186, 200 Vitré, Mathieu-Théodore de, 184 Volant de Radisson, Étienne, marchand, 229,232, 235
102,138 You d’Youville dame (MarieMarguerite Dufrost de Fajemmerais), appelée aussi Mère dYouville, 102,117,138-139, 187,329 You dYouville de Ladécouverte, Philippe, traiteur, 56,103,107, xo8 You dYouville de Ladécouverte, Pierre, officier, 54,87,101,281
.
Collection Les Cahiers du Québec (liste partielle)
80
Victor Teboul Le Jour : Emergence
Michel Allard et Suzanne Boucher
du libéralisme moderne
modernité littéraire
Le Musée et l’école
au Québec
Coll. Littérature
Coll. Psychopédagogie
André Brochu
90
Yves Bélanger et Pierre Fournier
L’Evasion tragique:
L’Entreprise québécoise:
essai sur les romans
développement historique
d’André Langevin
et dynamique contemporaine
Coll. Littérature
82
Roland Chagnon
Coll. Science politique
91
Nouvelle édition critique par Marcel Trudel et Marie B aboyant (épuisé) Coll. Documents d’histoire
100 Marcel Trudel Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au
Coll. Sociologie
(2e édition revue)
Thomas R. Berger 92
Guy Delahaye
Traduit de l’anglais par Marie-Cécile Brasseur
Présenté par Robert Lahaise
Coll. Science politique
Coll. Documents littéraires
Hélène Beauchamp
Œuvres de Guy Delahaye
93
Denis Martin
Le Théâtre pour enfants
Portraits des héros de la
au Québec, 1950-1980
Nouvelle-France Coll. Album
Louis Massicotte et André Bernard
94
Patrick Imbert L’Objectivité de la presse:
Le Scrutin au Québec:
le quatrième pouvoir en otage
un miroir déformant
Coll. Communications
95
(en collaboration) Coll. Histoire
Canada français, 1639-1800 Coll. Histoire
L’Image de la Révolution française au Québec, 1789-1989
Micheline D’Allaire Les Dots des religieuses au
87
Histoire du Montréal
Traduit de l’anglais par Gaston Laurion
Coll. Science politique
86
François Dollier de Casson
religion de la puissance
Coll. Littérature
85
99
Est-ce la fin du Canada ?
Libertéfragile
84
George P. Grant
98
La Scientologie: une nouvelle Coll. Sociologie
83
Robert Lahaise Guy Delahaye et la
Coll. Communications
81
89
96
Minnie Aodla Freeman
Louise Bail-Milot
Ma vie chez les Qallunaat
Jean Papineau-Couture : la vie, la carrière et l’œuvre
Traduit de l’anglais par Marie-Cécile Brasseur et
Coll. Musique
Daniel Séguin
Canada français Coll. Histoire
101 Narcisse Henri Edouard Faucher de Saint-Maurice (1844-1897) La Question du jour: Resterons-nous Français ?
Préface de Camille Laurin Présenté par Michel Plourde Coll. Documents littéraires
102 Lorraine Gadoury La Noblesse de Nouvelle-France : familles et alliances Coll. Histoire
103 Jacques Rivet en collaboration avec André Forgues et Michel Samson La Mise en page de presse Coll. Communications
104 Jean-Pierre Duquette et collaborateurs Montréal\ 1642-1992 Coll. Album
Coll. Cultures amérindiennes
88
Sylvie Depatie, Christian Dessureault et
97
George Monro Grant
Mario Lalancette
Le Québec pittoresque
Contributions à l’étude du
Traduit de l’anglais par Pierre DesRuisseaux Présenté par Robert Lahaise
Régime seigneurial canadien Coll. Histoire
Coll. Album
105 Denise Robillard Paul-Emile Léger: évolution de sa pensée 1950-1967 Coll. Sociologie
106 Jean-Marc Larme
l7 Ch?
. _
ti -
! 29 Yves Théorêt
Le Monument inatte
Poésies complètes
Le Fédéralisme et les
Le Monument-National de
Edition critique de
communications. Les relations
Montréal’ 1893-1993
Réginald Hamel
intergouvemementales au Canada
Coll. Histoire
Coll. Documents littéraires
de 1984 à 1993 Coll. Communications et
107 Louis-Edmond Hamelin
118 Émile Nelligan et al.
Science politique
Le Rang d'habitat:
Franges d'autel
le réel et l'imaginaire
présenté par
Coll. Géographie
Réjean Robidoux
Les Femmes et les conseils
Coll. Documents littéraires
municipaux du Québec
108 Evelyn Kolish Nationalismes et conflits
119 Suzanne Boucher et
130 ÉvelyneTardy
Coll. Science politique 131 Louise Bail
de droits: le débat du droit
Michel Allard
privé au Québec, 1760-1840
Eduquer au musée: un modèle
Maryvonne Kendergi
Coll. Histoire
théorique de pédagogie muséale
La musique en partage
Coll. Psychopédagogie
Coll. Musique
109 Thérèse Hamel Un siècle de formation
120 Lorraine Gadoury
132 Louise Vigneault
des maîtres au Québec
La Famille dans son intimité.
Identité et modernité dans l'art
1836-1939
Echanges épistolaires au sein de
au Québec
Coll. Psychopédagogie
l'élite canadienne du XVIIIesiècle
Borduas, Sullivan, Riopelle
Coll. Histoire
Coll. Beaux-Arts
110 Collectif sous la direction de Robert Lahaise
121 Lorraine Bouchard
133 Jeanne Pomerleau
Le Devoir: reflet du
La Mariée au grand jour : mode,
Québec au 20e siècle
coutumes et usages au Québec,
Un parcours au Canada français
Coll. Communications
1910-1960
Coll. Ethnologie
111 Colette Dufresne-Tassé et André Lefebvre
Coll. Ethnologie 122 Marcel Trudel
Psychologie du visiteur de musée:
Les Ecolières des Ursulines
contribution à l'éducation des
de QuébeCy 1639-1686
adultes en milieu muséal
Amérindiennes et Canadiennes
Coll. Psychopédagogie
Coll. Histoire
112 Georges Croteau
123 Collectif sous la direction de
Les Frères éducateurs, 1920-
Robert Lahaise
1965 : promotion des études
Québec 2000
supérieures et modernisation de
Multiples visages d'une culture
l'enseignement public
Hors collection
Coll. Psychopédagogie 113 Pierre Camu
124 Renée Joyal Les Enfants, la société et l'Etat
Le Saint-Laurent et les
au Québec, 1608-1989
Grands Lacs au temps
Coll. Droit et criminologie
de la voile —1608-1850 Coll. Géographie 114 Andrée Dufour Tous à l'école : l'état des
Michel Morisset et Jacques Tondreau de l'enseignement agricole au QuébeCy 1926-1969
de 1826 à 1859
Coll. Psychopédagogie
l'expérience des Maisons
Coll. Histoire 127 Brian Young Le McCord L'histoire d'un musée
Rouge à lèvres et pantalon :
universitaire, 1921-1996
des pratiques esthétiques
Coll. Education
au Québec, 1920-1939 Coll. Ethnologie
Egalité hommes-femmes ? Le militantisme au Québec: lePQ et le PLQ Coll. Science politique 136 Daniel Ducharme Débat sur la génétique humaine au Québec. Représentations et imaginaires sociaux Coll. Sociologie 137 Pierre Camu
Lacs au temps de la vapeur; 1850-1950 Coll. Géographie 138 Roseline Tremblay L'Ecrivain imaginaire Essai sur le roman québécois Coll. Littérature 139 Marcel Trudel Deux siècles d'esclavage au Québec Coll. Histoire
de la culture de Montréal
féminines controversées
135 Evelyne Tardy et al.
Mythes et réalités dans l'histoire du Québec
116 Suzanne Marchand
Coll. Histoire
1960-1995 126 Marcel Trudel
Arty Public et Société:
Coll. Sociologie
La Nouvelle-France par les textes
De la terre à l'école: histoire
communautés rurales et
115 Jean Paquin
134 Marcel Trudel
Le Saint-Laurent et les Grands 125 Thérèse Hamel,
scolarisation au Québec Coll. Psychopédagogie
Corvées et quêtes
128 André Brochu Rêver la lune L'imaginaire de Michel Tremblay dans les Chroniques du Plateau Mont-Royal Coll. Littérature
ictionnaire des
L
ongtemps nos historiens ont considéré la Nouvelle-France comme différente des autres colonies européennes d’Amérique,
estimant notre passé d’un niveau supérieur. Comme le disait Gameau : « Les Anglais sont venus en Amérique pour faire du commerce, les Espagnols pour chercher de l’or, mais nous pour ré¬ pandre la foi. » Pourtant, dans les faits, chez ees colonies voisines comme chez nous, dans le terre à terre de la vie quotidienne, l’activité consistait à acquérir le plus possible de biens matériels à travers le commerce. Dans ces conditions, pourquoi n’aurions-nous pas, comme ailleurs, pratiqué l’esclavage des Noirs et des Amérindiens ? Comment penser que la Nouvelle-France serait esclavagiste, quand le Royaume de France s’affirmait « terre de liberté » et affranchissait tout esclave qui venait s’y réfugier ? Cette Professeur émérite de l’Uni¬
situation rendait impensable l’existence de
versité d’Ottawa et membre de
cette institution au Canada. On s’est plu
l’Académie canadieime-française,
longtemps à le croire.
MARCEL TRUDEL est l’auteur de plus de trente-cinq volumes
Une lecture attentive de la documentation
sur l’histoire du Canada. Son
historique dresse néanmoins un autre por¬
œuvre a été honorée de très
trait. Dans le continent américain où les
nombreux prix.
autres colonies pratiquaient l’esclavage in¬ tensif, elle rappelle hors de tout doute que
Historienne de la Nouvelle-France
le Québec d’autrefois aussi a pratiqué
et des communautés religieuses,
l’esclavage sous le régime français et qu’il a
MICHELINE D'ALLAIRE,auteure
continué après la conquête britannique.
de plusieurs ouvrages, est professeure titulaire à l’Université
Quand l’esclavage a-t-il commencé ici ? Les
d’Ottawa.
premiers esclaves sont tellement rares qu’on ne pourrait en situer la pratique générale qu’à partir des années 1680. Il y eut donc deux étapes : d’abord l’apparition de quelques individus en esclavage, puis la servitude qui
Marcel Trudel
devint une institution régulière dans la société de la Nouvelle-France et qui se perpétua jusque dans le premier quart du XIXe siècle.
#
Accompagné du Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français sur CD-ROM dans lequel sont répertoriés et présentés tous les esclaves et leurs propriétaires d'ici de 1634 à 1820.
de leurs propriétaires au Canada français
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