Déchets nucléaires : où est le problème ? 9782759818839

Faut-il avoir peur des déchets nucléaires ? Sont-ils vraiment, comme le pense une partie du public, ce fardeau empoisonn

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French Pages 160 Year 2015

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Déchets nucléaires : où est le problème ?
 9782759818839

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Déchets nucléaires : où est le problème ?

Déchets nucléaires : où est le problème ? FRANCIS SORIN

17, avenue du Hoggar – P.A. de Courtabœuf BP 112, 91944 Les Ulis Cedex A

Composition et mise en pages : Patrick Leleux PAO Conception de la couverture : CB Defretin Imprimé en France ISBN : 978-2-7598-1648-4

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les «‑copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinés à une utilisation collective‑», et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute repré­ sentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou ­reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon ­sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences, 2015

À Abigail, Adrien, Floriane et Valentin

REMERCIEMENTS

Mes plus vifs remerciements à Ghislaine, Fanny, Lesley, Julien et Fabien dont les réflexions et les conseils m’ont été infiniment précieux.

SOMMAIRE

Remerciements............................................................................... 7 Présentation................................................................................ 13 Sur ce livre : contenu, déroulé, auteur......................................... 16 1.  Gérer les déchets et leur radioactivité : comment se pose le problème ?.......................................................................... 19 « Nucléaires », « radioactifs » : que sont ces déchets et d’où viennent-ils ? .......................................................................... 20 Déchets dangereux : une question de radioactivité…..................... 23 Expositions à la radioactivité : exemples de doses............................. 30 Conclusion provisoire sur le problème tel qu’il se pose…................ 34 2.  On sait « quoi faire » des déchets nucléaires : les choix et les acteurs ......................................................................... 37 La fable du « on ne sait pas quoi faire… »................................... 37 Un secteur cité en référence…................................................... 38 Une gestion par le secteur public : l’Andra aux commandes............. 40 Le « french know how » en référence…....................................... 41 L’organisme le plus évalué de France !.......................................... 42 Conjugaison des compétences pour un projet public....................... 44 3.  Cinq catégories de déchets pour une gestion « à la carte » ....... 47 Premier principe : Concentrer + Confiner....................................... 47 Différenciations et points communs............................................. 48 Des « colis » disant tout de leur histoire….................................. 49 9

SOMMAIRE

Catégories et modes de gestion................................................... 50 Coup d’œil vers les « générations futures »................................... 58 4.  Vers le stockage des déchets de « haute activité » Deux lois, trois choix stratégiques, un outil…............................................. 59 Trois choix de gestion pour les déchets « HA »............................. 63 Laboratoire souterrain : l’indispensable outil................................. 70 5.  Stockage géologique : quel dispositif pour confiner les déchets de haute activité ?.................................................................. 75 Les déchets de haute activité : un virulent mélange....................... 75 Un coffre-fort multi-barrières ouvragé et naturel............................ 79 Premières approches de sûreté.................................................... 84 À court terme : pendant la durée d’ouverture du stockage............... 87 … Et pour quel coût ?............................................................... 92 6.  Le stockage géologique au futur : quelle évolution et quel impact radioactif ?.................................................................. 95 L’eau, « ennemi » déclaré du stockage souterrain.......................... 96 L’évolution d’un stockage géologique. Première étape : confinement dans les conteneurs sur le long terme.......................................... 97 Le relais des verres pour séquestrer les radioéléments.................... 98 Pendant ce temps : la décroissance de la radioactivité vers des niveaux naturels....................................................................... 100 La couche géologique, rempart définitif pour parachever le confinement............................................................................. 101 La confirmation par les analogues naturels................................... 102 Un impact radioactif en surface quasi nul..................................... 103 « Plus de problème ? ».............................................................. 105 7.  Dysfonctionnements, défaillances, scénarios altérés, quelles conséquences ?....................................................................... 107 Hypothèses pénalisantes et improbables....................................... 107 Loin des limites de radioactivité règlementairement autorisées........ 108 Des prophéties indémontrables et un « crime » qui n’existe pas ! ... 109 Le mauvais exemple de Asse....................................................... 111 Le stockage géologique référence mondiale................................... 112 Bilan : pourquoi je ne m’inquiète pas pour les générations futures ?.................................................................................. 114 10

DÉCHETS NUCLÉAIRES : OÙ EST LE PROBLÈME ?

SOMMAIRE

8.  Ça se discute… Mes quatre vérités sur la querelle des déchets........ 119 Le Temps. « Le temps fait beaucoup à l’affaire »…........................ 120 Réalisation dans la durée de Cigéo et préservation de la mémoire : esquisse de calendrier............................................................. 124 Les Symboles … qui occultent les réalités techniques et fortifient le mythe.................................................................................. 127 La Polémique. Touche pas à mes déchets ! Les débatteurs et le public…............................................................................... 131 L’Éthique. En direct avec les générations futures…........................ 138 Deux poids, deux mesures…....................................................... 145 Sept repères pour une conclusion.................................................. 147 Bibliographie............................................................................... 153 À propos de l’auteur..................................................................... 159

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Présentation

PRÉSENTATION

Oserais-je le proclamer : je n’ai pas peur des déchets nucléaires ! L’objet de ce livre est d’expliquer pourquoi. En affichant une tranquillité raisonnée à l’égard de ces résidus tellement diabolisés, j’ai conscience d’être à contre-courant d’une bonne partie de l’opinion française. Beaucoup de nos compatriotes se représentent, en effet, les déchets nucléaires comme un fardeau empoisonné ingérable qui fera peser sur nos descendants une menace perpétuelle. Ressassée par les militants anti-nucléaires – et relayée sans autre forme d’examen par nombre de médias – cette image caricaturale acquiert le statut d’une évidence. Une grande partie de l’opinion tient pour avéré que l’« on ne sait pas quoi faire des déchets nucléaires » et le récent débat public1 sur la gestion des déchets à vie longue a propagé l’allégorie de centres souterrains de stockage géologique dépeints en « bombes à retardement » vouées à répandre, dans les 1.  Débat public officiel en 2013/2014 sur le projet Cigéo, centre industriel de stockage géologique. Ce grand équipement à l’étude depuis plusieurs années assurera le stockage définitif, en profondeur, des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue. Sa mise en service est prévue pour 2025, sous réserve des autorisations nécessaires. www.debatpublic-cigeo.org 13

Présentation

entrailles de la Terre et dans les corps de nos enfants, des contaminations irréversibles ! Cette sombre prophétie autorise même les militants les plus radicaux à ranger les promoteurs de la stratégie de stockage géologique, décidée par la France, dans la catégorie des « assassins irresponsables »… Un réquisitoire solennellement acté, un soir de janvier 2006, à Lyon, lors de la réunion publique de clôture du premier débat national sur la gestion des déchets nucléaires. Déclamé en tribune par sa rédactrice et figurant au compte-rendu officiel de la réunion, le pamphlet incriminant lesdits « assassins » stigmatise ces « nucléocrates et politiques assoiffés de pouvoir et d’argent… qui ont décidé de poursuivre leur œuvre diabolique… en ensemençant la Terre de leurs déchets nucléaires ». Notre planète est alors invitée à se révolter : « Terre… refuse cette mortelle semence qu’un jour victimes innocentes, nos enfants paieront de leur vie et tous leurs descendants ». Acteur du débat sur les déchets et présent en tribune à cette réunion lyonnaise en tant que directeur à la Société française d’énergie nucléaire2, je figurais bien entendu au premier rang des « nucléocrates » visés par cette diatribe. Expérience inédite que de se voir assigner ainsi, devant le tribunal de l’Histoire, une place parmi les grands prédateurs de l’humanité, quelque part entre Pol Pot et Attila ! Je crois bien que c’est ce soir-là que m’est venue, pour la première fois, l’idée d’écrire ce livre… Il témoigne du décalage vertigineux qui 2. La SFEN est une association scientifique sans but lucratif, créée en 1973, regroupant 4 000 adhérents, chercheurs, ingénieurs, industriels, médecins, enseignants, jeunes professionnels, étudiants. Son objet est de travailler au progrès des sciences et techniques nucléaires et de contribuer à l’information sur cette forme d’énergie. Elle est un « carrefour des connaissances » représentatif du secteur nucléaire français.www.sfen.org La SFEN édite, tous les deux mois, la Revue générale nucléaire qui rend compte de l’évolution des sciences et des techniques nucléaires en France et dans le monde ainsi que des autres aspects de cette énergie. Elle publie également une chronique des principaux faits d’actualité concernant la situation et les développements du nucléaire. Par ailleurs, la SFEN s’est engagée, en partenariat avec EDP Sciences, dans la réalisation d’une revue académique internationale à comité de lecture : European Physics Journal – Nuclear. 14

DÉCHETS NUCLÉAIRES : OÙ EST LE PROBLÈME ?

Présentation

existe entre les images dramatisées ayant cours auprès d’une partie du public exprimant l’angoisse suscitée par les déchets nucléaires et l’opinion des scientifiques et des ingénieurs chargés de les gérer. Ces derniers estiment que ces déchets, y compris les plus radioactifs et ceux à la durée de vie la plus longue, peuvent être stockés avec la garantie qu’ils ne provoqueront aucune nuisance inacceptable à la population ou à l’environnement. Cette antinomie des convictions peut bien sûr laisser le public perplexe mais elle ne doit pas accréditer l’idée que, sur le plan technique, la controverse s’équilibre entre deux groupes d’égale expertise campant sur des positions antagonistes de portée équivalente. Car il faut souligner d’emblée un fait majeur : l’immense majorité des scientifiques et des ingénieurs, ceux qui travaillent directement à la question des déchets nucléaires, les évaluateurs et contrôleurs, les industriels, les chercheurs… se rejoignent – en France et à l’international – pour estimer que le risque, dont ces résidus sont porteurs, est et sera efficacement maîtrisé avec les techniques dores et déjà disponibles. Les scientifiques contestant ouvertement cette opinion sont peu nombreux. Leur argumentation ne doit pas s’en trouver dévalorisée pour autant mais il est juste de souligner que leur positionnement très critique sur les stratégies de gestion des déchets conduites en France – notamment sur le stockage géologique des déchets de haute activité – est très minoritaire au sein de la communauté scientifique. En fait, ceux qui portent la contradiction et proclament définitivement « insoluble » le problème des déchets, ceux qui interpellent et remettent en cause le travail des experts de terrain se recrutent essentiellement, au-delà du public concerné, parmi les partis et associations militantes opposés au nucléaire. Quelle que soit leur compétence technique sur la question, leur voix porte et rencontre dans le pays un écho incontestable, tant il est vrai que la sphère médiatique relaie plus volontiers les coups de cymbale alarmistes que les petites musiques rassurantes. Ainsi courent les rumeurs, les clichés douteux, 15

Présentation

les dramatisations outrancières forcément plus audibles, de prime abord, que le discours didactique du technicien. Parmi le flot des arguments qui se choquent ainsi frontalement sans laisser poindre, ou si peu, le moindre espace de compromis, comment faire la part des choses ? Ces quelques chapitres ont l’ambition d’y aider… et de proposer quelques éléments de réponse à l’interrogation : « où est le problème ? »

SUR CE LIVRE : CONTENU, DÉROULÉ, AUTEUR –– Ce livre n’est donc pas un traité académique ou un manuel d’enseignement s’attachant à présenter, avec la neutralité requise, toutes les questions liées aux déchets nucléaires. C’est un livre engagé dans le débat sociétal, un essai qui prend parti et revendique l’expression de sentiments personnels sur les grandes questions controversées. –– Ces questions concernent essentiellement les déchets les plus dangereux, ceux qui posent vraiment problème. C’est à ces déchets dits de « haute activité » (HA) que ce livre est prioritairement consacré. Pour fixer les repères, je traiterai également, de façon plus rapide et synthétique, des autres catégories de résidus nucléaires ; mais ce sont les « HA » qui retiendront ici toute l’attention car ce sont eux qui constituent la contrainte majeure que doit gérer l’industrie nucléaire et qui cristallisent véritablement le débat. Les développements qui suivent ont donc pour objet : –– de montrer d’abord concrètement ce que sont les déchets nucléaires et de dire en quoi ils sont dangereux (ce qui nous conduira à quelques explications sur la radioactivité) ; –– de présenter les modes de gestion appliqués aux différentes catégories de déchets ; –– d’expliquer la stratégie, retenue en France, pour le stockage des déchets à vie longue, à savoir le stockage en profondeur, dans 16

DÉCHETS NUCLÉAIRES : OÙ EST LE PROBLÈME ?

Présentation

des couches géologiques aux caractéristiques bien déterminées (projet Cigéo conduit par l’Andra)3 ; –– d’évaluer la sûreté de ce mode de stockage appliqué aux déchets les plus virulents, ceux de haute activité (HA) ; –– d’estimer leur impact au fil du temps et de jauger, dans les hypothèses les plus pénalisantes, les conséquences qu’ils pourraient avoir sur la santé de nos lointains descendants et sur l’environnement ; –– d’avancer enfin quelques considérations d’ordre sociétal et éthique sur l’antinomie saisissante que nourrit, dans l’opinion, ce stockage des déchets en profondeur, « crime contre les générations futures » pour les uns, « problème résolu » pour les autres… Le titre me valant quelque légitimité à m’exprimer sur cette question – au-delà de ma profession de journaliste scientifique – est celui d’observateur et évaluateur extérieur ayant pu accéder très largement, sur le terrain et à travers de multiples documents et contacts, aux réalités du dossier. Cette possibilité m’a été ouverte en tant que membre du Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire4. Nommé à cette instance par le Parlement dans le collège des « personnalités qualifiées », j’y ai siégé de 2008 à 2014 et j’ai participé aux travaux de contrôle et d’évaluation de la politique nationale de gestion des déchets nucléaires et des actions et projets des producteurs de déchets et de l’Andra. J’ai également étudié la question en tant que journaliste, rédacteur en chef de la Revue générale nucléaire, et en tant que directeur de l’information à la Société française d’énergie nucléaire, dont je suis, depuis 2014, le conseiller du président. Si donc je n’ai pas été « nourri dans le sérail », j’ai pu 3.  L’Andra, Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs est l’organisme public chargé de la gestion de ces déchets en France. www.andra.fr 4.  Le HCTISN, créé par la loi du 13 juin 2006, est une instance de concertation et de débat sur les risques liés aux activités nucléaires et l’impact de ces activités sur la santé des personnes, l’environnement et sur la sécurité nucléaire. Il compte 40 membres répartis en sept collèges. www.hctisn.fr 17

Présentation

néanmoins en explorer attentivement « les détours ». C’est ainsi que je me suis forgé mon idée sur la façon dont on s’occupe des déchets nucléaires en France. Ce livre en est la libre expression. Il n’est porteur d’aucun dogme, d’aucun catéchisme. Il se revendique, face à ces déchets nucléaires mythifiés, comme le témoignage d’une conviction personnelle fondée sur des réalités tangibles qui méritent d’être mieux connues.

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DÉCHETS NUCLÉAIRES : OÙ EST LE PROBLÈME ?

1 Gérer les déchets et leur radioactivité : comment se pose le problème ?

L

a plupart des activités humaines produisent et continueront de produire des déchets. Au fil des siècles, l’Homme s’en est débarrassé en les dispersant dans l’environnement ou en les regroupant dans des décharges plus ou moins fonctionnelles. Ces pratiques ont considérablement évolué au cours des dernières décennies, sous l’impulsion, notamment, du secteur nucléaire confronté dès l’origine à des déchets préoccupants. Ainsi est née la notion de « gestion des déchets », exprimant la nécessité de les prendre en compte comme un élément constitutif du processus économique. Autant dire que cette « gestion » se veut à l’opposé des petites manœuvres tendant à s’affranchir de la contrainte des déchets en les enfouissant subrepticement « sous le tapis » ou en les camouflant dans l’arrière-cour de l’usine, comme cela s’est pratiqué trop longtemps ! La norme est aujourd’hui à la mise en œuvre de systèmes cohérents, depuis l’origine de la production des déchets jusqu’à leur 19

Gérer les déchets et leur radioactivité : comment se pose le problème ?

évacuation définitive, destinés à garantir leur innocuité à long terme à l’égard des personnes et de l’environnement. Telle est la ligne de conduite, à présent unanimement revendiquée, en tout cas dans les pays industrialisés… et que le secteur nucléaire s’efforce de mettre en pratique depuis quelques dizaines d’années.

« NUCLÉAIRES », « RADIOACTIFS » : QUE SONT CES DÉCHETS ET D’OÙ VIENNENT-ILS ? L’expression fameuse de « déchets nucléaires » renvoie à une réalité très diversifiée. Elle désigne en fait toute substance dont aucun usage n’est prévu, ni à des fins de réutilisation ni à des fins de recyclage, dont le niveau de radioactivité ne permet pas la décharge directe dans l’environnement et qui doit donc être stockée. La référence à la radioactivité est évidemment capitale dans cette définition. Au sens communément admis, un déchet nucléaire est un déchet radioactif (j’utiliserai indifféremment les deux expressions) c’est-à-dire un corps dont une des caractéristiques essentielles est d’émettre des rayonnements. Pour appréhender concrètement ce que sont ces déchets je propose, ici, un inventaire global très schématique qui permet de situer les choses (avant de commenter plus en détail au chapitre suivant les classifications « officiellement » en vigueur) : –– on compte d’abord le tout-venant des matériels et objets divers, gants, surbottes, combinaisons, seringues, flacons, filtres, chiffons, outils, ferrailles… ayant été contaminés par des atomes radioactifs lors de leur utilisation dans des centrales nucléaires, des laboratoires de recherche, des services de médecine nucléaire etc. Outre ces matériels, on compte aussi des déchets provenant du traitement des fluides et gaz présents dans les installations, concentrats d’évaporation, boues de traitement, résines échangeuses d’ions… –– on compte ensuite les assemblages combustibles usés des centrales nucléaires, longs tubes métalliques ayant contenu 20

DÉCHETS NUCLÉAIRES : OÙ EST LE PROBLÈME ?

Gérer les déchets et leur radioactivité : comment se pose le problème ?

l’uranium et ses sous-produits et que l’on évacue du cœur du réacteur après trois ans d’utilisation. Du fait de leur contact prolongé avec la radioactivité, les constituants de ces assemblages, tubes, grilles, embouts, sont fortement contaminés ; –– on recense enfin les matières nucléaires elles-mêmes retirées de ces assemblages. Elles constituent en quelque sorte les cendres de combustion de l’uranium originel. Ce sont ces résidus, mélanges de plusieurs types d’atomes radioactifs, qui forment les déchets de « haute activité » (HA). Ils émettent des rayonnements intenses, ce qui les rend potentiellement très dangereux tout au moins dans les premiers temps de leur existence. Ce sont eux qui cristallisent la controverse… Deux indications déterminantes doivent compléter cette approche globale. En provenance de l’électronucléaire… mais pas seulement Les déchets nucléaires ne proviennent pas uniquement, comme on le croit souvent, des centrales et autres installations relevant du secteur électronucléaire. Celui-ci, selon les dernières statistiques rapportées par l’Andra1, fournit 59 % du total des déchets nucléaires actuellement recensés en France. Le reste provient des laboratoires de recherche et des services hospitaliers de médecine nucléaire (27 %), de la Défense nationale (11 %), d’autres secteurs industriels et agro-alimentaires (3 %). Même si ce sont les déchets issus du secteur électronucléaire qui concentrent, à plus de 90 %, l’essentiel de la radioactivité, on voit que si la France décidait de « sortir du nucléaire », elle ne s’affranchirait pas pour autant de la contrainte des déchets radioactifs qui continueront d’être produits par les autres secteurs de l’économie.

1. Comme indiqué précédemment, l’Andra, Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs est l’organisme public chargé de la gestion de ces déchets en France. Nous évoquerons plus en détail, aux chapitres suivants, son rôle et ses actions. 21

Gérer les déchets et leur radioactivité : comment se pose le problème ?

L’ensemble des déchets est produit ou est stocké sur environ 1 200 sites ou installations dûment répertoriés. Il existe également d’autres déchets radioactifs dont il n’est pas possible de faire l’inventaire car ils sont dispersés chez les particuliers : anciennes montres et réveils luminescents, certains minéraux, boussoles, vieux instruments médicaux contaminés au radium, têtes de paratonnerres… l’Andra œuvre au repérage et à la collecte de ces objets anciens dont la radioactivité est le plus souvent faible mais bien réelle et qui pour beaucoup dorment dans les greniers. On ne « croule » pas sous les déchets nucléaires ! En France, on compte environ 3 000 kilos de déchets de toute nature produits par an et par habitant. Sur cette quantité, 100 kilos sont des déchets industriels toxiques, essentiellement chimiques. Les déchets nucléaires représentent moins de deux kilos du total. Ces chiffres montrent que l’idée largement répandue selon laquelle nous croulons sous le flot débordant des déchets nucléaires est une pure fiction. Leurs volumes sont relativement modestes et ne posent pas de problèmes d’encombrement particuliers, comme nous le verrons au prochain chapitre. Ajoutons que les déchets de haute activité (HA) qui nous intéressent plus particulièrement ne représentent que 0,2 % de l’inventaire total des déchets nucléaires soit, par habitant, une partie infime des deux kilos précédemment cités : moins de cinq grammes. En 2015, le volume total de ces déchets HA produits depuis les débuts du programme électronucléaire français, il y a plus de 50 ans, est de l’ordre de 3 000 m3, soit l’équivalent d’un cube de moins de 15 mètres de côté. Ils peuvent tenir dans un demi-hall de l’usine de La Hague ou dans un petit pavillon de deux étages ou encore dans une piscine olympique et son bassin pour plongeons de haut vol… Certes, cet encombrement modeste n’enlève rien à leur dangerosité intrinsèque et il est clair que leur stockage, après conditionnement, s’étendra sur des espaces et des volumes beaucoup plus importants… mais que ces 22

DÉCHETS NUCLÉAIRES : OÙ EST LE PROBLÈME ?

Gérer les déchets et leur radioactivité : comment se pose le problème ?

déchets emblématiques, ceux que l’on accuse de devoir empoisonner la Terre et menacer la santé de nos descendants, soient – pour la France, grand pays nucléaire – d’un volume aussi limité permet de prendre une plus juste mesure de la situation : on est ici en présence d’un problème dont l’impact éventuel ne peut être que très localisé. Évoquer, en la circonstance, une menace à l’échelle de la planète et des générations futures – comme s’y emploient avec constance certains groupes militants et certains médias – est pour le moins extravagant. Les volumes relativement modestes de ces déchets s’expliquent par le fait que l’énergie nucléaire requiert peu de matière et d’espace étant donné son extrême concentration de puissance. Un seul gramme d’uranium fissile peut produire autant d’énergie qu’une tonne de pétrole, affichant ainsi un rendement un million de fois supérieur. Ce facteur « un million » par rapport aux autres grandes sources électrogènes se retrouve tout naturellement à la fin du cycle, lorsque l’on fait le compte des déchets et effluents. En effet, alors que l’on raisonne en dizaines de mètres cubes par an pour un réacteur nucléaire, c’est en centaines de milliers de tonnes que s’évalue le bilan pour une centrale à charbon (ces déchets charbonniers incluant, outre les cendres, une centaine de tonnes de métaux lourds chimiquement toxiques et plusieurs tonnes de produits radioactifs, uranium et thorium). Si leur volume limité facilite grandement leur manipulation, leur transport et leur stockage, les déchets nucléaires n’en voient pas pour autant leur dangerosité potentielle atténuée. Celle-ci tient à la radioactivité dont ils sont porteurs. Autant dire que pour « comprendre » les déchets nucléaires et leur gestion, il convient d’être au clair sur les caractéristiques essentielles du phénomène de la radioactivité, son mécanisme, ses voies de propagation, ses effets.

DÉCHETS DANGEREUX : UNE QUESTION DE RADIOACTIVITÉ… La radioactivité est une composante fondamentale de notre environnement. Elle existe depuis l’aube des temps, ayant pris naissance 23

Gérer les déchets et leur radioactivité : comment se pose le problème ?

avec les atomes qui forment l’univers. La Terre est un gigantesque réservoir de radioactivité naturelle et nous sommes nous-mêmes légèrement radioactifs par l’air que nous respirons, l’eau et les aliments que nous absorbons. Être radioactif cela veut dire émettre des rayonnements, les émetteurs exclusifs de ces rayonnements étant les atomes… Tous les atomes, on le sait, sont bâtis sur le même modèle : un noyau formé de protons et de neutrons autour duquel tournent des électrons. Mais le nombre de ces constituants diffère d’un type d’atome à l’autre. Il existe ainsi dans la nature 92 types d’atomes différents, correspondant aux éléments chimiques primordiaux dont Mendeleïev a établi la célèbre classification. Ces atomes peuvent se décliner en plusieurs variétés ou isotopes, en fonction de légères variations du nombre de neutrons contenus dans leur noyau. Cela donne au total 339 variétés d’assemblages atomiques. La plupart sont stables, ce qui veut dire que les atomes ainsi constitués restent indéfiniment identiques à euxmêmes. D’autres sont instables car ils ont trop de protons ou de neutrons. C’est le cas par exemple des atomes d’uranium, de tritium, de cobalt, de carbone 14, de potassium 40, de thorium etc. : pour trouver un meilleur équilibre, l’atome, à un certain moment de son existence, va expulser une partie de la matière et de l’énergie qu’il contient. C’est le phénomène de la radioactivité et ce que l’on appelle le rayonnement radioactif est le flux de particules ainsi expulsées avec énergie et vitesse par les atomes instables qui se désintègrent. Omniprésente radioactivité naturelle À la suite de cette désintégration, l’atome s’est transformé en un autre type d’atome, soit définitivement stable, soit restant instable. Dans ce dernier cas, il poursuivra, au fil du temps, des transformations successives jusqu’à atteindre la stabilité définitive. À l’état naturel, 51 variétés d’atomes connaissent ces désintégrations émettrices de particules, ce qui explique que nous vivons en permanence dans un « bain » de rayonnements radioactifs. Ils émanent du sol qui contient 24

DÉCHETS NUCLÉAIRES : OÙ EST LE PROBLÈME ?

Gérer les déchets et leur radioactivité : comment se pose le problème ?

en abondance uranium, thorium, potassium 40… et ils proviennent de l’espace, des particules de grande énergie issues du Soleil et de la galaxie réagissant sur les atomes de l’atmosphère pour créer continument des éléments radioactifs (ou radioéléments) comme le tritium, le phosphore 32, le carbone 14, le chlore 36, etc. Il ne faut pas s’étonner, dans ces conditions, que notre propre corps soit lui-même radio­ actif du fait de ces atomes instables que nous incorporons inévitablement. Sachez par exemple que si vous pesez 70 kilos ce sont environ 10 000 atomes qui se désintègrent à chaque seconde à l’intérieur de votre organisme… vous érigeant ainsi au rang de source radioactive ! En plus de cette radioactivité naturelle, nous sommes soumis à des rayonnements émis par des sources artificielles créées par l’Homme, qui a réussi à fabriquer plusieurs centaines de variétés d’atomes radioactifs n’existant pas – ou n’existant plus – à l’état naturel : c’est le secteur médical qui est le principal utilisateur de cette radioactivité appliquée au traitement des cancers, aux radiographies, aux scanners, à la stérilisation du matériel, etc. Bien d’autres secteurs économiques utilisent ces rayonnements artificiels qui trouvent également leur origine, mais à de plus faibles niveaux, dans les retombées des essais atmosphériques d’engins militaires ainsi que dans les rejets des installations nucléaires. Cette radioactivité artificielle est de même nature et a les mêmes effets que la radioactivité naturelle. En France, l’exposition moyenne des habitants aux rayonnements radioactifs est due pour environ les deux tiers à la radioactivité naturelle. La contribution des sources artificielles est dominée par le secteur médical. La part de l’énergie nucléaire, incluant les centrales, les usines du cycle du combustible et bien sûr les déchets est évaluée à moins de 0,1 % de l’exposition totale à la radioactivité subie par la population française. Les déchets et leurs rayonnements ; quelles voies d’atteinte ? Les rayonnements émis par les déchets radioactifs n’ont pas les mêmes compositions ni les mêmes capacités de pénétration de la 25

Gérer les déchets et leur radioactivité : comment se pose le problème ?

matière. Selon la variété d’atome subissant la désintégration, on distingue : –– le rayonnement alpha : composé de particules massives formées de deux protons et deux neutrons, il ne peut parcourir que quelques centimètres dans l’air. Une simple feuille de papier suffit à l’arrêter ; –– le rayonnement bêta : composé d’électrons, il parcourt quelques mètres dans l’air, quelques millimètres dans l’eau. Une vitre, une plaque de bois peuvent le stopper ; –– le rayonnement gamma : composé de photons, il s’apparente à une onde électromagnétique. Il est très pénétrant et peut parcourir des dizaines de mètres dans l’air. Plusieurs centimètres de plomb ou décimètres de béton sont nécessaires pour l’arrêter. Ces rayonnements (auxquels on peut ajouter le rayonnement de neutrons, beaucoup plus rare), peuvent atteindre une personne de deux façons : si la personne se trouve sur leur chemin et qu’elle est donc heurtée par eux, on parle d’irradiation. On parle de contamination lorsque des radioéléments eux-mêmes sont venus se fixer sur la personne, sur la peau ou ont pénétré à l’intérieur de l’organisme par inhalation ou ingestion. Les rayonnements sont émis dans ce cas à partir d’une source dont la personne elle-même est le siège (une source qui y demeurera pendant un temps plus ou moins long avant élimination). …Et quels effets sur la santé ? Le problème des déchets nucléaires, dirait monsieur de La Palice, c’est donc qu’ils sont radioactifs ! Certes, nous sommes tous légèrement radioactifs et notre environnement l’est aussi… ce qui conduit à la conclusion que l’organisme humain peut intégrer sans dommage certaines doses de radioactivité. Mais quand les doses sont excessives, radioactivité devient synonyme de danger. Cela s’explique par le fait que lorsque les rayonnements viennent au contact de l’organisme, ils se heurtent aux atomes présents sur 26

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Gérer les déchets et leur radioactivité : comment se pose le problème ?

leur parcours et peuvent arracher ou déplacer certains de leurs électrons. Les atomes ayant perdu des électrons perdent du même coup leur neutralité électrique et se transforment en ions, c’est-à-dire en atomes chargés électriquement. Ce phénomène d’ionisation est le principal mécanisme par lequel la radioactivité agit sur la matière, d’où l’expression de « rayonnements ionisants » couramment utilisée pour qualifier les rayonnements dus à la radioactivité. Engendrés en quantités plus ou moins importantes à l’intérieur de l’organisme, les atomes ionisés vont perturber l’organisation et le comportement des molécules et des cellules dont ils sont les constituants. Cela peut se traduire, au-delà de certains seuils d’exposition, par des effets immédiats directs tels que brûlures, fièvres, nausées, troubles digestifs… Des modifications de la formule sanguine, des atteintes de la moelle osseuse peuvent apparaître si les doses reçues sont encore plus élevées. Et d’autres conséquences telles que leucémies et cancers peuvent se manifester de manière plus aléatoire et à plus ou moins long terme après une forte exposition, traduisant une grave détérioration de l’ADN dont les cellules, atteintes en trop grand nombre par les rayonnements, ont été mal réparées. Sachons aussi que l’exposition même relativement brève à une source de radioactivité particulièrement forte peut être mortelle. Tels sont, très succinctement résumés, les risques potentiels induits par la radioactivité dont les déchets nucléaires sont porteurs2. Mesurer les rayonnements et évaluer leur nuisance Les détriments sanitaires que pourraient occasionner les déchets ne dépendent pas seulement de l’intensité du rayonnement auquel 2.  Sur la radioactivité, sa nature, ses effets, ses utilisations, plusieurs ouvrages font référence. Citons notamment : La radioactivité. Yves Chelet. Nucleon, EDP Sciences. 2006. Manuel de radioactivité. Jacques Foos. Éd. Hermann, 2009. Mentionnons également un court opuscule grand public : La radioactivité est-elle réellement dangereuse ? Jean-Marc Cavedon. Éd. Le Pommier. 2002. Site : www.laradioactivite.com. Voir aussi le site de la SFEN, www.sfen.org 27

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l’individu est exposé : ils dépendent aussi de la nature de ce rayonnement, de l’importance de la dose qu’il a délivrée à la « cible », de la radiosensibilité de la zone atteinte, de la durée de l’exposition… La plupart de ces paramètres concourent à évaluer l’impact radioactif à travers trois unités de mesure couramment utilisées en radioprotection et indispensables pour mesurer le potentiel de nuisance des matières nucléaires et des différentes catégories de déchets : –– pour connaître l’intensité d’une source radioactive, on détermine le nombre de désintégrations atomiques qui s’y produisent en un temps donné. Plus les désintégrations sont nombreuses, plus le rayonnement émis est intense et dangereux. L’unité de mesure de l’activité de la source est le Becquerel (Bq) qui correspond à une désintégration par seconde. On a vu précédemment que l’intensité de la source radioactive qu’est le corps humain est d’environ 10 000 becquerels pour une personne de 70 kilos. Une portion de sol granitique du même poids fera environ 560 000 Bq, un litre de lait 80 Bq, tandis qu’un kilo d’uranium 238 est mesuré à plus de 12 millions de Bq et un seul gramme de radium 226 à 37 milliards de Bq. Je mentionne ces quelques exemples pour montrer que l’éventail des intensités radioactives est très large, chaque radioélément ayant son activité propre, connue avec précision. C’est cette intensité radioactive qui est un des deux critères de classement des déchets ; –– une source radioactive émet ses rayonnements dans toutes les directions. Si je suis placé à proximité, je ne serai atteint que par une fraction d’entre eux. Mesurer cette quantité qui m’atteint effectivement est capital pour évaluer l’impact de cette source sur mon organisme. L’unité qui mesure la quantité de rayonnement ainsi absorbée par l’individu (ou l’objet) exposé est le Gray (Gy). Il correspond à une énergie absorbée de un joule par kilogramme de matière. Notons, pour situer les choses, qu’en dessous de 0,5 Gy les effets sont nuls ou négligeables et qu’audelà de 5 Gy, le décès est probable (sachant que les conditions 28

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susceptibles de provoquer une telle irradiation ne sont pratiquement jamais réunies) ; –– mais une troisième unité de mesure est nécessaire car à dose absorbée égale, mesurée en grays, les effets biologiques des rayonnements sur la santé des individus exposés ne seront pas forcément les mêmes : ces effets dépendent, on l’a dit, de la nature du rayonnement (les rayonnements alpha, beta, gamma… n’ont pas le même pouvoir d’ionisation), de la durée de l’exposition, de la radiosensibilité des tissus ou organes pouvant être préférentiellement irradiés… On tient compte de tous ces paramètres (assortis de différents facteurs de pondération) pour établir la « dose efficace » qui évalue l’impact sur la santé, dans l’immédiat et sur le long terme, de la dose de radioactivité reçue. L’unité exprimant cette dose efficace est le Sievert (Sv), le plus souvent décliné en millisievert (mSv). Sievert et millisieverts : tableau pour des expositions Cette unité est, pourrait-on dire, le « juge de paix » incontournable illustrant l’ampleur de l’impact sanitaire causé à l’individu par les multiples expositions à la radioactivité auxquelles il est soumis. C’est le millisievert qui nous permettra de prendre l’exacte mesure de l’impact sur une personne d’un stockage de déchets de très forte radioactivité. J’ai rassemblé dans le tableau ci-après, quelques exemples de ces expositions et leur évaluation en Sv ou mSv. On voit que c’est la radioactivité naturelle qui est de loin la source la plus importante d’exposition aux rayonnements ionisants. De toutes les sources artificielles, c’est le secteur médical qui délivre l’apport prépondérant, quelque cent fois supérieur, en moyenne, à l’exposition due à l’industrie nucléaire. Concernant les irradiations professionnelles, on notera que les travailleurs les plus exposés ne sont pas, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ceux qui relèvent du secteur nucléaire mais les personnels navigants des compagnies aériennes (du fait d’une radioactivité venue de l’espace nettement plus forte en altitude). Il est 29

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intéressant de constater aussi combien les limites de doses admissibles pour le public et pour les travailleurs se situent très en-deçà des seuils de danger, à des niveaux qui n’outrepassent pas significativement, pour les professionnels, ceux de la radioactivité naturelle mesurée en de nombreuses régions de la planète.

EXPOSITIONS À LA RADIOACTIVITÉ : EXEMPLES DE DOSES Exposition moyenne de la population mondiale à la radioactivité (naturelle et artificielle) : 3,5 millisieverts/an. Exposition de la population en France : 3,3 mSv/an (naturelle : 2,4 ; artificielle : 0,9 dont médical : 0,8). Population riveraine d’une centrale nucléaire : 0,01 mSv/an. Vol aller/retour Paris-New York : 0,06 mSv. Radioscopie du poumon : 0,5mSv. Limite de dose règlementaire pour le public : 1 mSv/an. Limite de dose règlementaire pour les travailleurs : 20 mSv/an. Exposition moyenne des personnels affectés aux travaux sous rayonnements : 1,27 mSv/an (année 2013, France). Exposition moyenne des personnels navigants des compagnies aériennes : 1,90 mSv/an (année 2013, France). Scanner du poumon : 10 mSv. Exposition de la population à la radioactivité naturelle dans certaines régions du monde : de 10 mSv/an à 20 mSv/an, voire davantage (Inde, Brésil, Iran…). Moins de 100 mSv : absence d’effet sanitaire constaté. Au-delà de 1 000 à 1500 mSv : problèmes sérieux nécessitant traitement. Vers 4 000 mSv : décès possible si absence de traitement. Au-delà de 6 000 mSv : risque de décès très grand malgré le traitement. Doses délivrées à des malades sur zones très localisées pour guérir les tumeurs cancéreuses : 1 000 mSv et au-delà.

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En fait, les chiffres rapportés ici permettent un constat très pragmatique : au plan mondial, les doses de radioactivité susceptibles d’atteindre le public s’échelonnent sur un large éventail allant de deux à une vingtaine de millisieverts par an sans qu’il en résulte de trouble apparent pour les populations davantage exposées. Et sans entrer dans la controverse sur les faibles doses3 je rappellerai, en référence aux travaux du professeur Maurice Tubiana qui fut sans nul doute l’expert le plus écouté mondialement dans ce domaine, que l’effet cancérogène des rayonnements ne peut être établi avec une précision acceptable qu’à partir de doses de 500 à 1 000 mSv et que l’on ne décèle pas d’effet nocif durable de la radioactivité pour les doses inférieures à une centaine de mSv. Ces constats figurent parmi les repères à retenir lorsqu’il sera question, aux chapitres suivants, des impacts futurs estimés des différents scénarios de gestion des déchets. Radioprotection : ne pas dépasser les doses limites Cela dit, par précaution, et même si la quasi-totalité des spécialistes estiment que « les risques peuvent être négligés en dessous de certains niveaux de doses » (3) la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) recommande de faire « comme si » toute dose de radioactivité était préjudiciable à la santé. C’est sur cette attitude d’une prudence extrême volontairement assumée qu’est fondé le principe essentiel de la radioprotection : maintenir « aussi bas qu’il est raisonnablement possible »4 toute dose d’irradiation à laquelle peuvent 3.  Il existe à ce sujet un document faisant autorité : le rapport conjointement élaboré et adopté par l’Académie de médecine (2004) et l’Académie des sciences (2005) : « La relation dose-effet et l’estimation des effets cancérogènes des faibles doses de rayonnements ionisants », par Maurice Tubiana et André Aurengo. Voir aussi : « Le débat sur les faibles doses : de l’épidémiologie à la biologie » par Maurice Tubiana, Environnement, Risque et Santé, vol.6.n.1, janvier-février 2007. Et aussi : me risquant à me citer moi-même, je mentionne ma présentation très synthétique de cette controverse (pages 134 à 144) dans mon livre « Le nucléaire et la planète, 10 clés pour comprendre », par Francis Sorin, Ed. Grancher, 2009. 4. Il s’agit du principe désigné par l’acronyme anglais ALARA, As Low As Reasonably Achievable. 31

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être exposés les travailleurs ou le public. De là découlent les normes d’exposition (ou limites de doses à ne pas dépasser) de 20 mSv par an pour les travailleurs et de 1 mSv pour le public. Ces normes qui ont cours en France et dans la plupart des pays, s’entendent en sus de l’irradiation globale à laquelle tout individu est habituellement exposé. Si elles sont rigoureusement respectées, ces limites de doses, très inférieures au seuil d’apparition d’effets dommageables pour la santé, doivent garantir en principe une entière protection des individus et de l’environnement face au phénomène radioactif. C’est tout l’enjeu de la radioprotection… et c’est l’objectif fondamental qui commande à toutes les étapes la gestion des déchets nucléaires, comme on va le voir au fil des chapitres suivants. Bornons-nous à souligner, pour l’instant, que l’organisation et le contrôle de cette radioprotection sont en France sous la tutelle des pouvoirs publics (ministères chargés de la Santé, de l’Industrie, de l’Environnement) et sous la surveillance permanente de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN)… sa mise en œuvre concrète étant bien sûr, dans le domaine qui nous occupe, de la responsabilité de l’Andra et des producteurs de déchets. L’inéluctable décroissance de la radioactivité : questions de temps Se protéger de la radioactivité est bien sûr un impératif évident… mais il est des moments où cette protection devient inutile pour la bonne raison qu’inéluctablement, la radioactivité d’une source diminue au fil du temps et finit par disparaître. Ainsi par exemple, vers la fin du siècle prochain, les déchets dits « à vie courte » qui représentent 90 % du total des déchets nucléaires gérés en France, auront vu leur radioactivité baisser fortement, tendant à se confondre avec le bruit de fond de la radioactivité naturelle. La dangerosité de ces déchets aura alors pratiquement disparu. Ce phénomène n’a rien de surprenant. En effet, dès lors que les atomes radioactifs ont pour destin de se désintégrer un jour – et de se transformer ainsi pour 32

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aller vers la stabilité – on doit en conclure que de la radioactivité disparait. On dénomme « décroissance radioactive » cette loi universelle. Elle énonce très concrètement qu’une source radioactive voit son intensité décroître avec le temps du fait de la désintégration progressive des atomes instables qui la constituent. C’est ainsi que quand l’Homme est apparu sur la Terre il y a 3, 5 millions d’années, la radioactivité ambiante était nettement plus élevée qu’aujourd’hui. Beaucoup de radioéléments ont depuis lors disparu en raison de cette décroissance radioactive. Certains peuvent se reformer lors de transmutations naturelles. Ils peuvent aussi être recréés artificiellement par l’Homme. Il est impossible de prédire à quel moment un atome instable va se désintégrer. Mais lorsque l’on considère un ensemble d’atomes du même élément, le rythme de désintégration de ces atomes devient statistiquement mesurable. Ainsi par exemple, on mesure qu’un échantillon de césium 137 verra la moitié des atomes qui le composent se désintégrer au bout d’une période de 31 ans. Et cette diminution se poursuivra à ce rythme d’une moitié tous les 31 ans jusqu’à ce que tous les atomes de césium 137 présents dans l’échantillon initial se soient désintégrés. Pour un autre radioélément, disons le cobalt 60, la période nécessitée pour cette diminution de moitié sera de cinq ans ; elle sera de huit jours pour l’iode 131 et de 7 650 ans pour l’américium 243… C’est donc la notion de « période radioactive » qui rend compte du rythme de désintégration propre à chaque radioélément : on peut définir cette période comme le temps au bout duquel la moitié des atomes d’un même élément disparaît par désintégration spontanée – ou encore le temps au bout duquel la radioactivité de l’échantillon initial aura diminué de moitié. La décroissance radioactive est l’autre grand critère qui gouverne la classification des déchets nucléaires comme on le verra plus loin (l’autre critère étant l’intensité du rayonnement émis). Ces périodes varient considérablement d’un radioélément à l’autre, allant de quelques heures, voire quelques secondes, à quelques années ou 33

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centaines, milliers, millions voire milliards d’années5. Une indication capitale est à retenir de ce point de vue : il y a un lien direct entre l’activité d’un radioélément et sa période. Une forte activité signifie des désintégrations à un rythme élevé et donc une période d’autant plus courte, signant une décroissance radioactive d’autant plus rapide. À l’inverse, une période longue s’étendant sur des milliers voire des millions d’années implique généralement un rythme plus lent de désintégration des atomes et donc une activité moins élevée du radioélément considéré. Je reviendrai en détail sur ces notions car une grande partie de la problématique des déchets repose sur ces questions de temps dont la méconnaissance est à l’origine de bien des malentendus…

CONCLUSION PROVISOIRE SUR LE PROBLÈME TEL QU’IL SE POSE… Au terme de ce chapitre – et pour répondre à la question formulée dans le titre : « comment le problème se pose ? » – faisons le constat que la gestion des déchets nucléaires se trouve facilitée, sur plusieurs points, par certaines caractéristiques du phénomène radioactif tout 5.  Périodes de quelques radioéléments : – oxygène 15 : deux minutes ; – azote 13 : dix minutes ; – iode 131 : huit jours ; – phosphore 32 : 14 jours ; – soufre 35 : 87 jours ; – cobalt 60 : cinq ans ; – tritium : 12 ans ; – césium 137 : 31 ans ; – radium 226 : 1 600 ans ; – carbone 14 : 5 700 ans ; – américium 243 : 7 370 ans ; – plutonium 239 : 24 000 ans ; – chlore 36 : 300 000 ans ; – neptunium 237 : 2,14 millions d’années ; – iode 129 : 16 millions d’années ; – uranium 238 : 4,5 milliards d’années ; – thorium 232 : 14 milliards d’années. 34

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en étant affrontée, dans le même temps, à des contraintes particulièrement lourdes et incontournables : –– contrairement aux pollutions chimiques, la radioactivité est détectable et mesurable à des niveaux infinitésimaux. Et il est aisé de s’en protéger avec les techniques aujourd’hui disponibles grâce à des écrans ou à des barrières capables de la confiner sûrement ou de l’atténuer fortement. De surcroît, les volumes relativement limités des déchets nucléaires et le fait que 90 % d’entre eux voient leur radioactivité diminuer rapidement sont deux importants paramètres jouant eux aussi dans le sens d’une gestion facilitée ; –– il reste que ces déchets – dont chaque catégorie appelle un traitement spécifique – sont globalement une très lourde contrainte pour l’industrie nucléaire : non seulement parce qu’ils sont potentiellement dangereux, mais surtout parce que certains le restent très longtemps. Ni destructibles, ni recyclables, le problème qu’ils posent ne s’éteint pas avec le scellement du dernier conteneur mais concerne le cortège des générations successives. Et c’est bien là le défi à relever puisque nous devons nous assurer, au regard d’une exigence éthique élémentaire, que les déchets que nous avons en charge aujourd’hui n’imposeront à nos descendants aucune nuisance inacceptable ni demain, ni après-demain, ni sur le très long terme.

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2 On sait « quoi faire » des déchets nucléaires : les choix et les acteurs

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n introduction à ce chapitre sur la façon dont on organise en France la gestion des différentes catégories de déchets nucléaires, on me permettra d’évoquer une des fables les plus tenaces ayant cours sur le sujet : celle qui proclame que l’« on ne sait pas quoi faire des déchets nucléaires ». C’est totalement faux. Les pages qui suivent sont en elles-mêmes un clair démenti à cette contrevérité.

LA FABLE DU « ON NE SAIT PAS QUOI FAIRE… » Je souligne donc que l’on sait « quoi faire » en France, des déchets nucléaires. Ils sont récupérés, triés, traités, conditionnés, entreposés, stockés selon des techniques et des procédures spécifiques rigoureusement codifiées. Quelque 5 000 personnes y travaillent – chercheurs, techniciens, ingénieurs, agents de radioprotection, agents de surveillance – et rien ne les exaspère davantage que d’entendre marteler 37

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cette fable du « on ne sait pas quoi faire » reprise à l’unisson non seulement par les opposants au nucléaire mais aussi par beaucoup de médias et de responsables politiques, comme s’il s’agissait d’un constat d’évidence. Alors, évacuons les clichés : du chiffon le plus faiblement contaminé aux actinides les plus virulents, tous les types de déchets nucléaires ont en France un mode de traitement, un parcours et un point d’aboutissement définis. Pour certains d’entre eux, principalement ceux de haute et moyenne activité à vie longue, un stockage définitif (projet Cigéo) reste à aménager. Mais cela ne veut pas dire, comme voudrait le faire croire la fable trop fameuse, que l’on se trouve devant une impasse technique que l’on ne sait pas comment résoudre. Cela signifie tout simplement qu’il n’y a pas urgence à stocker ces déchets car il convient de laisser « refroidir » les plus radioactifs pendant plusieurs dizaines d’années avant leur évacuation finale en stockage géologique. Le calendrier du projet en cours qui prévoit une mise en exploitation de Cigéo à partir de 2025 est en cohérence avec cette exigence technique. Ce n’est pas parce que le centre n’est pas encore entré en service et que les premiers résidus appelés à y être stockés dans 10, 20 ou 30 ans sont pour le moment, en toute logique, en phase d’entreposage provisoire qu’il faut en conclure à l’absence de solution. Après l’entreposage, le stockage viendra en son temps concrétisant la solution officiellement retenue comme référence par la loi du 28 juin 2006 qui jette les bases du projet.

UN SECTEUR CITÉ EN RÉFÉRENCE… Ce n’est pas d’ hier que l’industrie nucléaire conçoit et met en œuvre les techniques pour gérer ses déchets. Dès les premiers âges de son développement, dans les années 1960, elle a pris conscience du problème et travaillé à des solutions. Il n’est pas exagéré de dire qu’après une phase de tâtonnements (ayant vu l’expérimentation puis l’abandon de certaines méthodes d’évacuation telle l’immersion 38

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dans des fonds marins), l’industrie nucléaire a été pionnière dans ce domaine, contribuant à forger la notion de « gestion des déchets ». Notons au passage que cette gestion n’était pas la préoccupation majeure des autres secteurs de l’économie qui se sont « réveillés » bien plus tardivement que le secteur nucléaire pour organiser la prise en charge de leurs résidus parfois tout aussi dangereux que les plus virulents des déchets radioactifs. Certes, il y a eu, dans les premiers temps du programme nucléaire, en France comme ailleurs, des ­stockages intempestifs, des entreposages « sauvages » dans « l’arrière-cour de l’usine ». Ces pratiques ont été corrigées. Quoi qu’il en soit, comparée à d’autres industries manipulant des matières dangereuses, l’industrie nucléaire aurait tort de nourrir quelque complexe que ce soit concernant la gestion de ses déchets. Elle a pris de l’avance dans cette tâche, s’efforçant de mettre en œuvre une stratégie globale répondant aux nouveaux impératifs de sûreté et de protection de l’environnement dictés par l’écologie moderne : récupérer et séquestrer les polluants autant que nécessaire ; recycler autant qu’il est possible ; compacter, solidifier et confiner. De ce point de vue le secteur nucléaire est souvent cité en référence. C’est ce qu’illustre par exemple cet avis d’un ingénieur énergéticien1 représentatif d’un sentiment assez répandu dans les administrations et les milieux industriels, selon lequel « la solution appliquée aux déchets nucléaires devrait servir de modèle pour la gestion des déchets spéciaux » les plus dangereux produits dans les autres secteurs de l’économie (déchets toxiques chimiques indestructibles et non incinérables – NDLR). Le nucléaire montré en exemple pour la gestion maîtrisée de ses déchets ! Voilà qui ne manquera pas d’interpeller tous ceux auxquels on susurre depuis des années que la société se retrouve désarmée face à des résidus radioactifs ingérables !

1. Jean-François Dupont, ingénieur conseil sur l’énergie, Dr ès sciences, ing.phys. EPFL (Suisse). Les déchets radioactifs : une raison de refuser le nucléaire ? Note de synthèse à liste de destinataires préétablie. 2013. 39

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UNE GESTION PAR LE SECTEUR PUBLIC : L’ANDRA AUX COMMANDES Une autre considération pourrait elle aussi interpeller positivement nos concitoyens : c’est le fait que tout ce qui concerne la gestion et le contrôle des déchets nucléaires relève en France du secteur public. Contrairement à ce qu’imaginent – de bonne foi ou non – les militants écolos, aucun intérêt privé, financier ou autre, n’interfère dans cette gestion. L’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) qui met en œuvre la politique nationale en la matière est un établissement public placé sous la tutelle de l’État, indépendant des producteurs de déchets et dont la seule motivation est l’intérêt général. Et c’est une autre structure publique, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), autorité administrative indépendante, qui assure au nom de l’État le contrôle des règles de sûreté et de radioprotection s’imposant à l’Andra et à tous les acteurs de la filière. L’instrument essentiel de cette gestion d’ensemble est le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs. C’est l’ASN qui, pour le compte des pouvoirs publics, pilote l’élaboration du PNGMDR. Mis à jour tous les trois ans, il dresse le bilan des modes de gestion existants et recense les besoins à venir pour l’entreposage ou le stockage de tel ou tel type de déchet. C’est un outil de cohérence et de transparence qui permet de mesurer l’évolution des situations et d’ajuster avec l’anticipation nécessaire les actions à conduire. On ne fera croire à personne qu’une telle organisation est un champ ouvert aux agissements de « nucléocrates assoiffés de pouvoir et d’argent » (voir « Présentation », p. 14) transformant la gestion des déchets nucléaires en un juteux business au détriment de la sûreté ! C’est pourtant ce que certains opposants au nucléaire n’hésitent pas à suggérer, à l’instar de mon interpellatrice de Lyon stigmatisant avec le sens de la nuance qui la caractérise « ces démons cupides » qui, « soucieux de profits financiers au mépris de l’éthique » ensemencent la Terre de leurs déchets… 40

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En fait, l’organisation mise en place en France pour gérer ces déchets s’emploie au nom de l’intérêt général à « abolir le hasard », selon l’expression du poète, et définit des solutions pour tous les cas de figure rencontrés.

LE « FRENCH KNOW HOW » EN RÉFÉRENCE… Les premiers responsables de la gestion des déchets nucléaires sont ceux qui les produisent. EDF, le CEA, Areva, les services de médecine nucléaire, les laboratoires de recherche, les industries non nucléaires, les installations de la Défense Nationale… bref tous les producteurs de déchets radioactifs suivent des protocoles contraignants pour récupérer leurs résidus et leur appliquer les traitements et conditionnements requis. L’Andra y veille car dès qu’un déchet radioactif est produit en France, c’est à elle de s’assurer qu’il est pris en charge selon les normes établies. Créée au sein du CEA en 1979, l’Agence a acquis son autonomie en 1991 lorsqu’elle a été instituée en établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Placée sous la tutelle des ministères chargés de l’Énergie, de la Recherche et de l’Environnement, elle est, pour parler familièrement, la cheville ouvrière de la gestion des déchets nucléaires en France. Ses 600 salariés, répartis sur six sites, ont pour mission, au nom de l’État, de « concevoir, mettre en œuvre et garantir des solutions sûres pour protéger les générations présentes et futures de l’impact des déchets radioactifs ». Concrètement, cela veut dire que l’Andra définit les modes de conditionnement et de stockage des différentes catégories de déchets nucléaires, qu’elle exploite et surveille trois sites de stockage et travaille à la conception et à la réalisation de deux autres, qu’elle élabore tous les trois ans un inventaire national des déchets radioactifs et des matières valorisables. Elle veille également à la récupération des objets radioactifs détenus par des particuliers et assure la remise en état d’anciens sites pollués par la radioactivité. L’Andra a enfin une 41

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mission d’information du public et de diffusion de la culture scientifique et technique liée aux déchets nucléaires et à leur gestion. Au fil des années, l’Andra est devenue une référence mondiale dans son domaine. Elle reçoit sur ses sites des visites non pas seulement de classes de lycéens et de collégiens – comme il est de tradition sur ces grands équipements – mais de délégations étrangères qui viennent étudier le « french know how » en matière de stockage de la radioactivité. Je conseille à chacun, s’il en a l’opportunité, d’emboîter le pas à ces nombreux visiteurs et d’aller sur place se rendre compte en temps réel de l’état de l’art ! La visite d’un centre de stockage de surface comme celui de Soulaines par exemple ou la plongée à 500 mètres de profondeur dans le laboratoire de recherche aménagé à Bure, en Meuse/Haute-Marne illustrent mieux qu’un livre les accomplissements techniques impressionnants réalisés pour « boucler » la fin du cycle nucléaire !

L’ORGANISME LE PLUS ÉVALUÉ DE FRANCE ! Ce savoir-faire et ces réalisations de l’Andra ont été officiellement jaugés en 2012 par l’AERES, Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, autorité indépendante en charge d’évaluer les organismes de recherche2. Le verdict souligne le leadership scientifique de l’Andra dans son domaine et indique que les évaluateurs ont été « impressionnés par la maîtrise technique exceptionnelle des outils que l’agence gère en propre ». J’ai été amené moi-même à interroger et à examiner de très près les activités de l’Andra ces dernières années en tant que membre du HCTISN (Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire) et j’avais toujours, auparavant, porté un regard attentif sur les activités de l’Agence. J’ai eu parfois, dans les premiers 2.  Créée par la loi en 2006, l’AERES est chargée de l’évaluation des établissements d’enseignement supérieur et de recherche et des autres organismes de recherche titulaires de ce statut. 42

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temps, des appréciations mitigées sur certaines de ses attitudes ou initiatives. Mais on peut estimer que toutes ces dernières années, les choix et les travaux de l’agence ont été pertinents et rigoureux. Cela dit, le secteur nucléaire français intègre le postulat que rien n’est jamais acquis définitivement et que tous les acteurs doivent fournir en permanence la preuve de leur aptitude. De ce point de vue, on peut dire que l’Andra est très certainement l’organisme le plus contrôlé et le plus évalué de France ! Outre à la tutelle gouvernementale, ses activités sont soumises aux examens récurrents de l’Autorité de sûreté nucléaire et de son appui technique, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). S’ajoute à ces contrôles directs, une série d’évaluations permanentes exercées par la Commission nationale d’évaluation3, le Groupe permanent d’experts sur les déchets4 et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), instance composée de députés et de sénateurs chargée d’éclairer le Parlement sur les questions spécialisées. Et ce n’est pas fini ! L’Andra est aussi soumise à des évaluations dites ponctuelles de la part de l’AERES (évoquée plus haut), du HCTISN, de l’Institut national de veille sanitaire et des agences nucléaires internationales que sont l’AIEA et l’AEN/OCDE5. Elle est enfin l’objet d’expertises ou de contre-expertises qui peuvent être sollicitées par des tiers (comme par exemple les Commissions locales d’information) et être menées par des organismes tels que l’Association pour le 3.  La CNE, créée par la loi du 30/12/1991est spécialement chargée d’examiner et d’évaluer les résultats des recherches sur la gestion des déchets nucléaires de haute activité et de moyenne activité à vie longue. Elle élabore, chaque année, un rapport sur ce thème scrutant dans le détail les choix et réalisations de l’Andra. Elle est composée de douze experts scientifiques de haut niveau nommés par le Parlement, le gouvernement et l’Académie des sciences. 4.  Ces Groupes, au nombre de sept, sont organisés par l’ASN. Ils rassemblent des experts issus des milieux universitaires et associatifs, des exploitants et des spécialistes de l’IRSN. Ils sont chargés d’élaborer dans leur domaine de compétence des avis et recommandations à destination de l’ASN. 5.  Agence de l’énergie nucléaire de l’OCDE. Avec l’AIEA elle organise des « peer reviews », libres inspections d’installations nucléaires par des experts internationaux. 43

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contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (ACRO), qui ne se distingue pas par un appui immodéré au nucléaire ou comme l’Institute for Energy and Environmental Reserach (IEER) un des astres majeurs de la galaxie anti-nucléaire aux États-Unis.

CONJUGAISON DES COMPÉTENCES POUR UN PROJET PUBLIC L’image globale qui se dessine à travers ces multiples évaluations est celle d’un organisme à la pointe des technologies dans son domaine, sachant utiliser efficacement ses propres ressources créatives… et sachant aussi faire appel à celles de ses partenaires ! Il faut noter, en effet, que la politique de recherche de l’Andra est fondée sur de multiples collaborations et nombre de travaux menés en commun avec des groupements de laboratoires. C’est ainsi qu’au-delà des coopérations avec les acteurs du nucléaire français – et notamment le CEA qui joue un rôle essentiel dans ce domaine – l’Andra travaille avec de grands organismes comme le CNRS, le BRGM, l’INERIS, l’IFP, avec des laboratoires d’universités et de grandes écoles, avec ses homologues étrangers d’Allemagne, d’Espagne, de Belgique et de Suisse et avec des établissements de recherche du Japon et des ÉtatsUnis – sans oublier de grandes sociétés d’ingénierie du secteur privé. Cela lui vaut une autre appréciation positive de l’AERES, notant que « l’Andra a su saisir la chance unique de mettre en place des partenariats publics, parapublics et privés dans les domaines des sciences dites dures et des sciences sociales… et a réussi à créer un réseau scientifique de haute qualité sur ses thématiques et à mettre en place à l’échelle nationale un mode unique de coopération entre institutions ». Deux constats se déduisent de ce qui précède : d’abord que la gestion des déchets nucléaires en France, placée sous l’égide des pouvoirs publics, est pilotée et encadrée selon des orientations régulièrement évaluées et avec un incontestable savoir-faire ; ensuite, que cette gestion n’est pas le produit d’une instance solitaire mais le fruit d’une vaste conjugaison de compétences mobilisant l’ensemble d’une 44

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communauté scientifique, chaque contributeur, français ou étranger, apportant dans son domaine propre une pierre à l’édifice. Autrement dit, la gestion des déchets nucléaires dans notre pays, tant du point de vue de ses réalisations que de son contrôle, relève d’une démarche collective nourrie par un ensemble d’acteurs à la pointe de leur discipline. C’est au moins la garantie d’apporter au problème des déchets, les meilleures solutions disponibles en l’état actuel des technologies, bien loin du « on ne sait pas quoi faire » habituellement ressassé…

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3 Cinq catégories de déchets pour une gestion « à la carte » 

L

a stratégie globale guidant les travaux de l’Andra est de concevoir le stockage de telle sorte que la radioactivité des déchets puisse être confinée le temps nécessaire à sa décroissance vers des niveaux négligeables. Dans ce cadre, le principe technique mis en œuvre est le même pour toutes les catégories de déchets : il consiste à les enfermer sous forme solide et stable à l’intérieur de structures étanches pour contenir leurs rayonnements et empêcher leur dispersion dans la biosphère. On a recours pour cela à la mise en place de plusieurs barrières superposées adaptées à chaque catégorie de déchets.

PREMIER PRINCIPE : CONCENTRER + CONFINER Avant de présenter ces techniques, il n’est pas inutile de rappeler que le nucléaire gère ses déchets selon le principe Concentrer + Confiner ce qui limite à un strict minimum les rejets dans 47

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l’environnement. C’est dans cette mesure, et parce qu’il n’émet pas de CO2, que l’on peut qualifier le nucléaire d’énergie propre. C’est le contraire qui prévaut pour les autres grandes sources énergétiques, charbon, pétrole et gaz, qui représentent 85 % de l’énergie mondiale. Elles sont gérées selon le principe Disperser + Diluer, ce qui signifie qu’elles rejettent à l’atmosphère l’essentiel de leurs déchets. C’est ainsi qu’une centrale à charbon de taille standard disperse dans l’environnement, chaque année, 6 000 tonnes de poussières et particules fines, quelque 40 000 tonnes d’oxydes de soufre et d’azote et autres produits polluants, et environ six millions de tonnes de gaz carbonique. Rien de tel avec le nucléaire : il faut avoir à l’esprit lorsque l’on parle de déchets nucléaires que ceux-ci sont la contrepartie d’une pollution extérieure évitée… (voir chapitre 8) et qu’il est de loin préférable, d’un point de vue environnemental, de séquestrer ses déchets plutôt que de les rejeter dans les milieux naturels.

DIFFÉRENCIATIONS ET POINTS COMMUNS Les deux critères utilisés en France1 pour définir les différentes catégories de déchets sont : –– la radioactivité plus ou moins forte du déchet, c’est-à-dire l’intensité des rayonnements qu’il émet. La mesure est exprimée en Becquerels par gramme (Bq/g – voir plus loin) ; –– la durée de vie du déchet, dépendant des principaux radioéléments qu’il contient. On distingue ainsi, un peu arbitrairement d’ailleurs, les déchets dont la période radioactive est inférieure à 31 ans (c’est la période du césium 137 qui a été choisie en référence) appelés déchets à vie courte et les autres, dits à vie longue. La combinaison de ces deux critères aboutit à un classement des 1. Ces critères diffèrent selon les pays. Ainsi par exemple, en Allemagne, les déchets sont classés en fonction de leur dégagement de chaleur ; au Japon, en fonction de leur origine. 48

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déchets en cinq catégories. Cette différenciation relativement poussée s’explique par la multiplicité des radioéléments constituant les déchets : le secteur médical, les labos de recherche, les processus industriels à base de rayonnements utilisent de nombreux types de radioéléments aux caractéristiques très différentes… auxquels s’ajoute le riche éventail des résidus (produits de fission et actinides) récupérés dans les combustibles usés engendrés au cœur des réacteurs nucléaires. D’une manière générale, à quelque catégorie qu’ils appartiennent, les déchets sont d’abord triés à la source chez le producteur. Dans tous les cas, on essaie, dans un premier temps, d’en réduire le volume : au cours des vingt dernières années, beaucoup de types de déchets ont vu leur volume divisé par deux, par cinq voire par dix. Ils peuvent être ensuite compactés, découpés, solidifiés pour les boues ou les liquides etc. Certains déchets sont incinérés, les fumées et gaz n’étant rejetés qu’après passage sur filtres et les cendres étant conditionnées dans du béton. Suite à ces traitements, les déchets sont mélangés à un matériau particulièrement résistant et ayant de bonnes propriétés de confinement de la radioactivité, tels le verre, le ciment, le bitume, la résine. L’ensemble est placé dans un conteneur qui peut être un caisson ou un fut métallique, une coque épaisse de béton, une enveloppe en acier spécial inoxydable… Cette mise en conteneur aboutit à la constitution de ce que l’on appelle un « colis » qui parachève et garantit le confinement adapté au déchet traité. On peut calculer qu’en moyenne un colis est composé de 15 % de déchets et de 85 % d’enrobage et d’emballage.

DES « COLIS » DISANT TOUT DE LEUR HISTOIRE… Préparés sur place par les producteurs de déchets, les colis ont pour destination finale le stockage dans un centre de l’Andra ou l’entreposage provisoire dans une structure agréée. Mais ils sont l’objet auparavant de toute une série de contrôles destinés à s’assurer 49

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que le producteur a respecté les caractéristiques exigées par l’Andra pour garantir une protection adaptée. Cette procédure d’agrément porte sur le contenu radioactif des colis, les emballages, les types de conteneurs utilisés et leur résistance aux chocs et aux incendies etc. Les contrôles ont lieu chez les producteurs de déchets – dont l’Andra s’assure par ailleurs qu’ils ont mis en place une politique d’assurance qualité – et après livraison, lorsque les colis parviennent à leur destination finale. Les examens s’effectuent alors sur des colis pris au hasard pour s’assurer de leur conformité. L’ensemble du processus est piloté à travers un système de suivi informatique permettant de retracer l’itinéraire d’un colis depuis sa fabrication jusqu’à son stockage. Un code-barres est ainsi attribué à chaque colis, véritable fiche d’identité indiquant son emplacement, ses caractéristiques radioactives, la nature des déchets contenus et leur provenance. Ce travail de validation et d’identification qui porte sur des dizaines de milliers de colis, doit réduire au minimum les incidents ou anicroches. Il est devenu une référence internationale qui vaut à l’Andra, comme je le disais plus haut, de multiples demandes de conseil et d’expertise.

CATÉGORIES ET MODES DE GESTION On compte, en 2015, environ 1 500 000 m3 de déchets nucléaires stockés – ou stockables – en France. C’est un volume « tout compris » intégrant le déchet et son conditionnement. Comme je l’ai souligné précédemment, on peut considérer qu’il s’agit là d’un volume relativement modeste au regard de la somme de produits et services dont ces déchets sont la résultante. N’oublions pas, en particulier, qu’ils proviennent en majorité d’un programme nucléaire engagé depuis cinquante ans et qui produit les trois-quarts de l’électricité nationale ! Il n’y a donc pas de problème d’encombrement pour ces déchets, dont 90 % sont déjà stockés. Leur volume global augmentera bien évidemment au cours des prochaines années mais les capacités de 50

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stockage existantes ou projetées devraient permettre de faire face à cet accroissement. Les déchets de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC) forment de très loin la catégorie la plus volumineuse parmi les cinq officiellement recensées. Ils représentent environ 68 % du volume de la totalité des déchets nucléaires mais ne concourent que pour 0,02 % à leur inventaire radioactif global. Leur « activité » se situe entre quelques centaines et un million de Becquerels par gramme. Ils proviennent du fonctionnement et de la maintenance des installations nucléaires (vêtements, outils, pièces usagées, filtres…) des hôpitaux et des laboratoires de recherche. Compactés ou solidifiés, mélangés à du béton, ils sont placés dans des conteneurs en béton ou en métal, manipulables sans blindage supplémentaire. Leur période, inférieure à 31 ans, indique qu’au bout de 250 à 300 ans leur radioactivité aura diminué à de très faibles niveaux se confondant avec la radioactivité naturelle. Compte tenu de cette durée de vie limitée et de la bonne protection offerte par le colis, ces déchets peuvent être stockés en surface. Ils le sont dans deux centres gérés par l’Andra : centre de stockage de la Manche (CSM) exploité jusqu’en 1994 et depuis lors en phase de surveillance ; centre de stockage de l’Aube (CSA), ouvert en 1992. D’une superficie de 95 hectares et d’une capacité de un million de mètres cubes (ce qui lui permettrait d’accueillir des déchets jusque vers le milieu du siècle), le CSA stocke ses colis dans des alvéoles fermées par des dalles de béton rendues étanches par des revêtements imperméables, l’ensemble étant lui-même recouvert d’une couverture argileuse. Pas de marquage radioactif Les analyses de l’environnement autour du site sont permanentes : eau, air, sol, faune, flore font l’objet d’examens quotidiens. Ainsi en 2013, plus de 14 000 mesures ont été effectuées sur le site et aux alentours, ne montrant, comme chaque année, aucun impact négatif 51

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du CSA sur l’environnement. Quelques années auparavant, la CLI de Soulaines2, souhaitant confronter les bons résultats affichés par l’Andra à une contre-expertise réalisée par des ONG « indépendantes », avait mandaté une association plus que réservée sur le nucléaire, l’ACRO (Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest, www.acro.eu.org) pour un travail complet d’analyse autour du site. Ceux qui espéraient, à la CLI, à l’ACRO ou ailleurs que ce travail débusquerait quelque pollution cachée et prouverait qu’un stockage de déchets radioactifs ne peut être qu’une atteinte grave portée à l’environnement ont été déçus ! Après des mois d’investigation et d’analyse, l’ACRO, dans un rapport de 40 pages très documenté et détaillé établit que « les résultats des analyses sont encourageants » et que nulle trace d’un marquage radioactif du CSA sur les milieux naturels n’a pu être relevée. Ce contrôle de l’ACRO, qui vient s’ajouter à beaucoup d’autres, confirme qu’un centre de stockage de surface constitue un ensemble robuste, étanche et durable. En fait, seul un séisme de forte intensité pourrait éventuellement y provoquer des détériorations. Mais même dans ce cas, il est probable que les colis conserveraient leur étanchéité. Et de toute façon, une très hypothétique dispersion de radioactivité dans le sol serait facilement détectée, ce qui entraînerait les mesures de précaution et de réparation adaptées. Aux horizons de 250 à 300 ans, les déchets seront devenus pratiquement inoffensifs et le CSA, dont le potentiel et l’impact radioactifs seront nuls aura alors achevé sa mission – ainsi que le CSM. Comme le fait remarquer la SFEN dans un texte de son blog, « c’est là, par rapport aux autres déchets industriels et notamment les toxiques 2.  Commission locale d’information liée au CSA implanté sur la commune de Soulaines-Dhuys. Créées auprès des équipements de très grande taille, les CLI sont composées de représentants de l’administration, des exploitants, des associations, des syndicats, des milieux patronaux. Leur rôle est d’informer les populations locales et de débattre sur le fonctionnement et l’impact de l’équipement auprès duquel elles sont établies. Elles ont le pouvoir de commander des enquêtes et analyses auprès d’experts librement choisis. 52

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chimiques un des « avantages » des déchets radioactifs : ils voient leur dangerosité diminuer au fil du temps et finalement disparaître alors que dans 300 ans ou dans 10 000 ans la toxicité d’un déchet chimique à l’arsenic, au cadmium ou au mercure sera équivalente à ce qu’elle est aujourd’hui ». Les déchets de très faible activité (TFA) représentent 27 % du volume total des déchets nucléaires mais moins de 0,01 % de leur radioactivité globale. Leur rayonnement très faible, se situant entre une dizaine et une centaine de Bq/g, amène légitimement à se demander si leur classement en tant que déchet radioactif est vraiment justifié. Dans la plupart des autres pays nucléaires, ils ne sont pas considérés comme tels et entrent dans la catégorie des déchets industriels classiques. Mais en France, nous faisons preuve, vis-à-vis de tout ce qui est nucléaire, d’un formidable zèle précautionneux ! Aussi traitons-nous ces TFA selon les procédures rigoureuses applicables à tous les autres déchets nucléaires même si leur potentiel de nuisance est proche de zéro ! Les déchets TFA proviennent principalement sous formes de ferrailles et de gravats, du démantèlement des installations nucléaires ou de l’assainissement d’anciens sites pollués par la radioactivité ou encore d’autres secteurs de l’économie utilisant des matériaux radioactifs, comme la métallurgie ou la chimie. Ils sont conditionnés dans des fûts métalliques ou de grands sacs en plastique dénommés « big-bags » dans le jargon. Ils sont stockés dans le centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (CIRES) situé non loin du CSA à Morvilliers, dans l’Aube. D’une superficie de 45 hectares et d’une capacité autorisée de 650 000 m3, il est en 2015 rempli au tiers. Les colis de déchets y sont stockés en surface dans des alvéoles creusées dans l’argile. Une fois pleine, l’alvéole est recouverte de sable, d’une membrane imperméable et d’argile. La grande majorité des déchets nucléaires – soit 90 % d’entre eux en cumulant les deux catégories présentées ci-dessus – fait donc d’ores et déjà l’objet d’un stockage définitif en France. Après plusieurs dizaines d’années de fonctionnement du système, aucun dommage significatif 53

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d’ordre sanitaire ou environnemental n’est à déplorer, que ce soit sur le plan de la manipulation des déchets, de leur transport ou de leur stockage. On peut honnêtement considérer que ces déchets sont bien gérés et qu’ils ne sont en rien, comme voudrait nous le faire croire le dogme anti-nucléaire officiel, ces tas d’ordures dont on ne sait que faire et que des « nucléocrates irresponsables » cherchent à dissimuler en les glissant sous le tapis. Selon la règlementation, la phase de surveillance des centres de stockage doit durer 300 ans au cours desquels la radioactivité va assez rapidement diminuer jusqu’à atteindre des niveaux négligeables se confondant avec la radioactivité naturelle. À ces échéances, les installations seront déclassées et les sites restitués à d’autres usages. Les déchets de faible activité à vie longue (FA-VL) contribuent pour 7 % au volume des déchets nucléaires et à 0,01 % de leur radioactivité totale. Cette catégorie très hétérogène regroupe plusieurs types de déchets dont l’activité va de quelques milliers à quelques dizaines de milliers de Bq/g. On y trouve les déchets dits « radifères » qui contiennent principalement du radium provenant du traitement des minéraux utilisés en métallurgie fine ou dans l’industrie automobile. On y trouve également les déchets de graphite provenant du démantèlement des réacteurs nucléaires de première génération. Cette catégorie regroupe enfin des objets très diversifiés tels que sources scellées radioactives à usage médical, têtes de paratonnerres, détecteurs d’incendie, peintures luminescentes ou anciennes montres au radium etc. NIMBY et BANANA… Ces déchets sont actuellement entreposés chez les producteurs industriels ou sur les sites du CEA, d’EDF, d’Areva et de Rhodia. La décision a été prise de créer un centre de stockage particulier pour ces déchets. Ils sont certes faiblement radioactifs, mais leur période supérieure à 31 ans impose un confinement long, plus durable que celui requis pour les déchets à vie courte. Le projet étudié par l’Andra porte 54

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sur un centre de stockage en sub-surface – creusé à quelques dizaines de mètres de profondeur – d’une capacité d’environ 200 000 m3. Plusieurs sites avaient été repérés et plusieurs communes s’étaient portées candidates en 2009 pour accueillir le centre. Mais le projet a dû être suspendu car au dernier moment les deux municipalités retenues ont retiré leur candidature, sous la forte pression des opposants au projet. Le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire, saisi de cette situation par le gouvernement, s’est employé à analyser les raisons de ce contretemps et à faire des recommandations pour le redémarrage du projet. J’ai directement contribué à ce rapport en tant que participant au groupe de travail institué sur ce sujet au sein du Haut Comité. J’invite chacun à le consulter sur le site du HCTISN3. C’est une belle illustration des difficultés rencontrées presque systématiquement pour implanter de grands équipements, nucléaires ou autres, dans nos sociétés démocratiques – où l’on voit que le syndrome NIMBY est même en passe d’être supplanté par le syndrome BANANA4 – et une tentative de définir quelques démarches innovantes pour organiser une information, une concertation, un débat public approfondis adaptés à cette nouvelle donne sociétale. Même s’il n’y a pas d’urgence particulière à construire ce centre de stockage, il n’est pas dans les intentions des pouvoirs publics de le repousser aux calendes ! Les procédures destinées au choix du site pourraient reprendre prochainement pour une mise en service dans la décennie 2020. 3. « Groupe de travail FA-VL : rapport et recommandations », 7/10/ 2011, en ligne sur le site du Haut Comité : www.hctisn.fr 4.  Ces « syndromes » volontairement caricaturaux inventés par des sociologues anglo-saxons sont censés décrire l’attitude des populations face à l’implantation d’un grand équipement industriel du type incinérateur, barrage, installation nucléaire, raffinerie, usine chimique… Le syndrome NIMBY : Not In My Back Yard : pas dans mon jardin… est devenu tellement prégnant que l’on peut craindre maintenant une radicalisation des attitudes s’exprimant à travers le pernicieux syndrome BANANA : Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anything : ne construisez absolument rien où que ce soit à proximité de quoi que ce soit. 55

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Les déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL) qui représentent environ 3 % des déchets en volume contribuent pour 4 % à leur inventaire radioactif global. Leur activité est de l’ordre de centaines de millions de Bq/g. Il s’agit essentiellement des structures métalliques, gaines, coques et embouts ayant renfermé le combustible nucléaire durant son séjour en réacteur. Il s’agit aussi des résidus récupérés après traitement des effluents rejetés par le réacteur. Compactés et placés dans des conteneurs étanches en béton ou en métal, ils sont entreposés sur leurs sites de production principalement les usines Areva de La Hague et de Marcoule et les centres de recherche du CEA. Nous reviendrons dans les prochains chapitres sur le destin de ces déchets qui combinent deux désavantages : celui d’une radioactivité non négligeable et qui ne décroît que lentement au fil du temps. Ils sont appelés pour cela à être stockés en profondeur dans un centre aménagé à plusieurs centaines de mètres sous la surface du sol où ils côtoieront une autre catégorie de déchets, ceux de haute activité. C’est le projet Cigéo, conduit par l’Andra. Ce centre de stockage géologique devrait entrer en service et accueillir ses premiers colis de déchets à partir de 2025. Les déchets de haute activité (HA) ne représentent que 0,2 % du volume total des déchets nucléaires mais 96 % de leur radioactivité. Celle-ci se mesure en milliards de Bq/g. Ces déchets, mélange de radioéléments dont la plupart sont à vie longue, sont les « cendres » de combustion de l’uranium « brûlé » dans le cœur des réacteurs nucléaires. Une moindre part est issue des activités liées à la Défense nationale. Récupérés lors du traitement des combustibles usés, ils sont entreposés sur leurs lieux de production en attendant leur stockage définitif dans Cigéo. Ces déchets HA – qui sont dangereux du fait de leur rayonnement intense et qui le restent sur de longues durées – sont la contrainte majeure à laquelle le secteur nucléaire doit faire face dans la gestion de ses résidus. C’est à eux que les prochains chapitres sont consacrés… et c’est à eux bien sûr que le titre de ce livre fait référence… 56

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Au-delà de ces cinq catégories, il faut mentionner, pour être complet, les déchets miniers, liés à l’exploitation des mines d’uranium (ayant pris fin en 2001 dans notre pays). Ils sont constitués des résidus du traitement des minerais, de très faible activité, présents dans des stockages aménagés sur les sites des anciennes mines. Précisons enfin que les déchets militaires issus des activités de Défense nationale font l’objet des mêmes procédures et traitements que les autres catégories. Ils sont inscrits dans l’inventaire national de l’Andra, suivent les mêmes filières d’élimination que leurs ­homologues d’origine civile et rejoignent les mêmes centres de stockage.

COUP D’ŒIL VERS LES « GÉNÉRATIONS FUTURES » La durée de vie des déchets nucléaires implique donc qu’ils se transfèrent de génération en génération (tout comme les déchets chimiques). C’est un legs obligé. Ainsi avons-nous hérité d’un certain volume de ces résidus de la part de nos parents et grands-parents. Et nous nous apprêtons à « léguer » à notre tour aux générations futures ce fardeau problématique, augmenté de notre propre quota. Pauvres « générations futures », toujours invoquées dès qu’il s’agit de déchets nucléaires et toujours dépeintes en victimes expiatoires de nos turpitudes contemporaines ! Mais leur sort s’annonce-t-il si terrible ? Nous en discuterons dans les prochains chapitres et je me bornerai pour le moment à deux brèves considérations inspirées des développements qui précèdent : –– ce que nous léguons à nos descendants, ce n’est pas une décharge sauvage, un agrégat inconstitué de détritus toxiques dont il leur faudra se débrouiller ; c’est un système ordonné, rigide et résistant conçu pour un confinement durable et dont on peut reconnaître que dans l’ensemble il a donné la preuve de sa fiabilité ; –– par rapport au legs que nous ont transmis nos parents, le système actuel que nous allons transmettre à nos successeurs accumule, 57

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certes, un volume de déchets plus important mais est beaucoup plus performant : renforcé par notre propre contribution, il est restructuré selon nos technologies optimisées de conditionnement et de stockage. Cette amélioration n’a rien de surprenant. Elle va de soi ; elle est la marque naturelle d’une évolution à l’œuvre dans tous les secteurs industriels où les techniques sont sans cesse revisitées, réévaluées, améliorées. Il n’y a pas de raison que cette trajectoire de progrès ne perdure pas au fil des générations. De ce point de vue, il est logique de penser que nos successeurs géreront les déchets nucléaires mieux que nous, avec des techniques toujours plus performantes.

4 Vers le stockage des déchets de « haute activité » Deux lois, trois choix stratégiques, un outil…

C

’est une loi d’une originalité exceptionnelle qui oriente depuis 25 ans le parcours des politiques publiques en matière de stockage des déchets de « haute activité » et de « moyenne activité à vie longue ». Cette « loi relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs  », votée le 30 décembre 1991 à l’unanimité moins une abstention, a très vite été baptisée « loi Bataille », du nom de son rapporteur à l’Assemblée nationale, Christian Bataille, député du Nord. L’objet était d’encadrer l’étude et la mise au point de méthodes de stockage pour les déchets à vie longue… sachant qu’il n’y avait nulle urgence en la matière car les résidus de ce type sont entreposés dans des conditions durables et ne sauraient, pour les plus radioactifs d’entre eux, faire l’objet d’un stockage définitif avant une période de refroidissement d’une cinquantaine d’années. La loi a donc joué de ce temps disponible en instituant une période de recherche de quinze 59

VERS LE STOCKAGE DES DÉCHETS DE « HAUTE ACTIVITÉ »

années – coordonnée par l’Andra et le CEA – pour élaborer les modes de gestion appropriés et en fixant à cette échéance un nouveau rendez-vous parlementaire pour décider de la solution à retenir. La loi ne s’est pas bornée à la fixation de ce calendrier : elle définit très précisément les trois axes de recherche à développer pour étudier et comparer les différents modes de gestion applicables aux déchets à vie longue : axe 1 : la séparation-transmutation : il s’agit de réduire la nocivité des déchets en « sélectionnant » les radioéléments les plus dangereux à vie longue et en les transformant en radioéléments à durée de vie beaucoup plus courte. C’est le CEA qui pilote cet axe de recherche ; axe 2 : le stockage en couche géologique : l’objectif est d’étudier en détail la sûreté et la faisabilité d’un centre de stockage à plusieurs centaines de mètres de profondeur dans un milieu géologique aux propriétés favorables. Cet axe est piloté par l’Andra ; axe 3 : le conditionnement et l’entreposage de longue durée en surface : il faut ici définir les conditions qui permettraient de prolonger au-delà du siècle, des entreposages provisoires en surface. L’axe est piloté par le CEA. Il est rare que dans un domaine aussi technique une loi dessine avec autant de précision un programme de recherche et encore plus rare qu’elle l’organise sur une aussi longue durée (trois législatures) en instaurant à son issue un nouveau rendez-vous législatif. De ce point de vue, la loi Bataille restera comme un accomplissement marquant du travail parlementaire de la dernière période. Elle montre que la politique de gestion des déchets nucléaires ne s’est pas improvisée dans l’instant mais s’est donné le temps de la réflexion, analysant le retour d’expérience et élaborant méthodiquement les solutions et hypothèses envisageables pour confiner sûrement les déchets à vie longue. Dans ce domaine, où l’on avait commencé à poser de premiers jalons bien avant 1991, les choix aujourd’hui en voie de concrétisation viennent de loin. 60

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VERS LE STOCKAGE DES DÉCHETS DE « HAUTE ACTIVITÉ »

Au final, au terme de la période de 15 années ménagée par la loi, c’est la solution du stockage géologique qui est apparue aux yeux des spécialistes comme la plus sûre et la plus pertinente (voir chapitre suivant). Cette évaluation rejoint la position quasi unanime des autres pays nucléaires et des organisations internationales telles l’Union européenne ou l’OCDE, laquelle estimait dès 1996 que « les formations géologiques profondes sont les milieux qui se prêtent le mieux à l’évacuation des catégories de déchets radioactifs les plus toxiques et à la durée de vie la plus longue »1. La transmutation, qui résonne comme un dessein d’alchimiste transformant une matière menaçante en résidu presque banal, peut sembler une option sérieuse mais sa faisabilité industrielle à échéance prévisible mérite encore réflexion. La séparation et la transmutation de plusieurs radioéléments à vie longue ont certes pu être réalisées en laboratoire mais le développement à grande échelle de cette technologie pose de nombreux problèmes. Le CEA – qui mène les recherches les plus avancées au plan mondial dans ce domaine – y travaille. La perspective est de parvenir à des solutions potentiellement applicables à grande échelle vers les années 2030/2040… sachant que la transmutation ne pourra – tout au moins dans un premier temps – s’appliquer qu’à un certain type de radioéléments, les actinides mineurs, à l’exclusion de l’autre composante des déchets HA, les produits de fission (qui ne se prêtent guère à ces transformations). L’entreposage en surface pendant 100 à 300 ans, bien que ne posant pas de problème de faisabilité technique, n’a pas été considéré comme une solution de référence pour une gestion durable. En effet, il ne bénéficie pas de la protection que constitue la barrière géologique et reporte sur les générations suivantes la charge de la gestion technique et financière des déchets. Cela dit, un entreposage de moindre durée reste absolument nécessaire, principalement pour 1.  Le point sur la gestion des déchets radioactifs, Rapport sous la responsabilité du secrétaire général de l’OCDE, les éditions de l’OCDE, 1996. 61

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mettre en attente les colis de déchets avant leur stockage définitif. Il est d’ailleurs mis en œuvre à l’échelle industrielle aux usines Areva de La Hague et Marcoule, les colis de déchets HA étant placés en surface dans des « puits » bétonnés et ventilés. Cet entreposage est en vigueur depuis 30 ans et pourra être prolongé sur une durée à peu près équivalente, voire au-delà, moyennant une extension des locaux dédiés. Stockage géologique : la décision du Parlement Ces conclusions ont nourri la nouvelle loi que le législateur de 1991 avait inscrite sur l’agenda du Parlement pour un rendez-vous décisionnel en 2006. C’est cette « Loi de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs » promulguée le 28 juin 2006, qui décide que « les déchets radioactifs ultimes » feront l’objet d’un « stockage en couche géologique profonde ». Ce choix s’est appuyé essentiellement sur les éléments apportés par l’Andra dans son « DOSSIER 2005 Argile » – première synthèse détaillée des analyses conduites sur la faisabilité et la sûreté d’un stockage géologique – et sur les conclusions du CEA relatives aux travaux sur la transmutation et l’entreposage de surface. Le vote parlementaire a tenu compte également du débat public organisé officiellement en 2005/2006 sur la politique de gestion des déchets nucléaires et qui s’est focalisé autour des avantages et inconvénients comparés de l’entreposage de surface et du stockage géologique. Cette dernière option a été retenue très majoritairement par les parlementaires comme la solution de référence. La loi précise que le stockage doit être réversible pendant au moins une centaine d’années afin de laisser ouvertes pour les générations suivantes les possibilités de réaménagement éventuel, et de permettre notamment la reprise des colis. Les conditions de cette réversibilité devraient être examinées et approuvées par le Parlement en 2016. L’ensemble du projet, dénommé Cigéo, est conduit sous l’impulsion et la responsabilité de l’Andra, et sous les contrôles permanents des multiples instances et organismes mentionnés au chapitre précédent. Le débat public 62

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officiel sur le projet restant à finaliser a été mené en 2013/2014. Sans remettre en cause le principe du stockage géologique, il a débouché sur de très nombreux avis et recommandations que l’Andra s’emploie à prendre en compte. Nous y reviendrons ultérieurement. L’étape officielle suivante devait être la remise à l’État par l’Andra, en 2015, d’un plan directeur pour l’exploitation de Cigéo et d’un dossier sur la sûreté du stockage et les possibilités de récupération des colis. Devait venir ensuite en 2016, la loi sur la réversibilité puis la demande d’autorisation de création en 2017 en vue de l’obtention d’un décret d’autorisation de création en 2020. La construction du stockage pourrait démarrer cette même année 2020 pour une mise en service en 2025 débutant par une phase industrielle pilote (voir les étapes du calendrier, Chap. 8). Le chemin est tracé, orienté par trois choix stratégiques déterminants.

TROIS CHOIX DE GESTION POUR LES DÉCHETS « HA » La gestion des déchets de haute activité est structurée par trois décisions fondamentales au premier rang desquelles figure bien sûr le choix du stockage en couche géologique profonde. Mais bien avant que cette décision ne soit officiellement adoptée en 2006, la France s’était engagée dans une stratégie de traitement des combustibles usés influant directement sur la nature des déchets ultimes à gérer. Ce choix du traitement/recyclage est un autre des paramètres majeurs qui déterminent les solutions techniques retenues pour la gestion des HA. Pourquoi le choix du traitement/recyclage ? Le combustible que l’on charge dans le cœur d’un réacteur nucléaire est, au départ, composé exclusivement d’uranium. À mesure qu’il produit de l’énergie, cet uranium va devenir moins performant et engendrer en son sein de nombreux types de radioéléments qui vont parasiter les réactions de fission. Ces radioéléments, « cendres » de la combustion de l’uranium, ce sont les déchets de haute activité, 63

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déchets ultimes dont on ne prévoit pour l’instant aucune réutilisation (strontium, iode, césium, américium, curium, neptunium…). Retiré du cœur du réacteur au bout de quatre ans, le combustible contient environ 4 % de ces déchets HA, les 96 % restants étant constitués non pas de déchets mais de matières énergétiques « nobles » encore valorisables, uranium et plutonium. La question est alors de savoir ce que l’on fait de ce combustible usé, certes moins performant mais encore dépositaire d’un fort potentiel énergétique. Certains pays comme la Finlande, le Canada, la Suède, les ÉtatsUnis ont choisi de considérer l’ensemble de ce combustible usé comme un déchet ultime à stocker définitivement en l’état. D’autres pays comme le Royaume-Uni, le Japon, la Russie, la Belgique ont choisi au contraire de retraiter ce combustible usé pour en récupérer les matières valorisables et n’évacuer comme déchet ultime que les radioéléments parasites, cendres de la combustion. La France a elle aussi fait ce choix, affirmant depuis trente ans un incontestable leadership technologique dans cette stratégie du « traitement/recyclage ». L’opération, essentiellement réalisée à l’usine Areva de La Hague, consiste à séparer les déchets HA des matières énergétiques uranium et plutonium. Ceux-ci sont recyclés – pour le moment partiellement – dans les combustibles MOX2 ou conservés en vue d’utilisations futures dans d’autres types de combustibles ou de réacteurs. Les déchets sont conditionnés et entreposés sur place en attente de leur stockage final en couche géologique. Ce traitement/recyclage, même s’il suppose la mise en œuvre d’équipements et de procédés complexes, présente des avantages évidents : –– il permet une importante économie de ressources puisque l’on récupère, recycle ou conserve pour des usages futurs de grandes 2. Combustible MOX : type particulier de combustible nucléaire formé d’un mélange d’uranium et de plutonium (à 8 %) et pouvant entrer dans la composition du cœur de certains réacteurs. Ces combustibles fournissent environ 11 % de l’électricité produite par le parc nucléaire français. 64

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quantités de matières énergétiques – en fait, la presque totalité de la matière introduite quelques années auparavant dans le cœur du réacteur ! Pour avoir une idée de ce que représente cette économie de ressources, il faut noter qu’une tonne de combustible usé récupéré a un pouvoir énergétique équivalant à 20 000 tonnes de pétrole3 ; –– le traitement/recyclage réduit très fortement la toxicité des déchets HA devant faire l’objet d’un stockage définitif car il en extrait le plutonium, récupéré en tant que source énergétique réutilisable. Or, ce Pu a non seulement une très longue période (24 000 ans) mais aussi une très forte radiotoxicité, représentant environ 90 % de l’inventaire radiotoxique global des combustibles usés. Il est beaucoup plus judicieux de continuer de l’exploiter en réacteur jusqu’à son épuisement progressif que de le mettre au rebut définitif dans un stockage géologique où il contribuerait à augmenter très fortement la radioactivité et la durée de vie de l’ensemble des déchets HA collectés. Que les déchets à stocker soient ainsi allégés du « fardeau » plutonium est déterminant quant à la nuisance potentielle globale du stockage géologique. On estime cette nuisance radioactive réduite d’un facteur 10 en l’absence de plutonium4, ce qui diminue nettement les difficultés de gestion des déchets, dans le présent et sur le long terme. Ne restent finalement candidats à ce stockage des déchets HA que les cendres non réutilisables du combustible nucléaire : produits de fission et actinides mineurs. J’y reviendrai au prochain chapitre ; –– un autre avantage du traitement/ recyclage est de diminuer fortement le volume des déchets HA à stocker en ne gardant comme tels que 4 % des combustibles usés et non pas leur totalité non plus que les structures métalliques qui les renferment. 3.  Évaluation par Stéphane Gin dans son livre : Les déchets nucléaires, quel avenir ? Ed. Dunod, 2006. 4.  Estimé par Alain Bucaille dans un document à diffusion restreinte : Les déchets nucléaires et la loi de 1991 : une contribution. 2003. 65

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Le gain net au stockage, conteneurs compris, est d’un facteur 4. Ces structures métalliques sont bien sûr des déchets, car elles sont radioactives… mais pas suffisamment pour rejoindre la catégorie des HA. Découpées en morceaux de quelques centimètres de long, compactées et placées en conteneurs, elles constituent l’essentiel des déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL), appelés eux aussi à un stockage géologique (voir chapitre 3). Un des principaux griefs formulés à l’encontre du traitement/recyclage est qu’il aboutit à la constitution de stocks de plutonium « sur étagère », plus accessible que le Pu mélangé aux autres radioéléments présents dans les combustibles usés. Mais beaucoup pensent qu’il vaut mieux contrôler et gérer ce plutonium fissile « au jour le jour » plutôt que le laisser sans surveillance dans des stockages géologiques appelés à perdurer. Telle est très sommairement décrite la substance de la controverse sur l’aval du cycle agitant depuis des décennies, les pays nucléaires, avec comme chefs de file les États-Unis d’un côté, la France de l’autre. Quelques signes donnent à penser que la position américaine pourrait sensiblement s’infléchir et admettre dans certains cas le traitement/recyclage comme une option possible pour boucler le cycle du combustible. Quant à la France, elle reste très fermement attachée à ce choix stratégique aboutissant à des déchets de haute activité sans plutonium, ce qui va déterminer très largement leur mode de gestion. Pourquoi le choix du stockage géologique ? Comme je l’ai écrit précédemment, ce choix vient de loin. Il est le résultat de recherches et d’expérimentations conduites avec méthode d’où il apparaît que le stockage en couche géologique profonde offre la garantie très sérieuse que les déchets n’imposeront à nos descendants aucune nuisance inacceptable. Le principe en est simple : il s’agit d’isoler les déchets de la biosphère pendant une longue durée, le temps que leur radioactivité ait 66

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diminué jusqu’à des niveaux inoffensifs. Tout indique que cet objectif est atteignable… et il faut noter qu’il n’existe à ce jour aucune démonstration techniquement plausible qui établirait le contraire, bien que les associations anti-nucléaires y travaillent depuis trente ans ! En fait, un stockage géologique apparaît comme un système robuste formé de plusieurs barrières superposées dont chacune a une capacité de protection et de rétention des radioéléments sur le très long terme : pour s’en tenir au projet français, les déchets HA sont ainsi bloqués dans leurs matrices de confinement (vitrification), enfermés dans des conteneurs en acier spécial, eux-mêmes placés dans des sur-conteneurs, lesquels sont disposés isolément dans des ouvrages de protection scellés (alvéoles). Alors que ces remparts successifs ont en eux-mêmes et par leurs actions conjuguées la capacité d’emprisonner les déchets sur de très longues durées, le stockage géologique qui est aménagé à environ 500 mètres de profondeur ajoute à cette protection une barrière naturelle supplémentaire : celle d’une couche rocheuse de forte épaisseur imperméable et stable depuis quelque 150 millions d’années. La protection additionnelle apportée par cette couche rocheuse est un des avantages décisifs du stockage géologique par rapport à l’entreposage. Comme nous le verrons au chapitre 6, les études et expérimentations montrent que cet ensemble a une capacité de confinement des déchets sur le très long terme largement compatible avec la protection de la biosphère et la sécurité des populations riveraines. C’est ce constat – quasi unanimement partagé au plan mondial – qui constitue l’argument principal ayant conduit au choix du stockage géologique. On voit par ailleurs que cette localisation à plusieurs centaines de mètres de profondeur le protège beaucoup mieux qu’un entreposage de surface des séismes, glaciations ou phénomènes météorologiques extrêmes ainsi que d’éventuelles intrusions humaines, inopinées ou malveillantes. Un autre argument essentiel, d’ordre sociétal, explique ce choix : c’est le fait qu’un stockage géologique offre une sûreté totalement 67

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passive ne réclamant pas d’action particulière à la charge des générations suivantes. Autrement dit, notre génération qui a bénéficié des avantages de l’énergie nucléaire n’abandonne pas aux générations à venir la charge d’en gérer les inconvénients : elle entend s’acquitter elle-même de cette responsabilité en assurant elle-même la gestion et l’évacuation définitive des déchets qu’elle a produits. Tel est bien le raisonnement éthique qui motive le choix du stockage géologique… et qui du même coup écarte l’option de l’entreposage de longue durée en surface. Cette méthode – outre que sa sûreté est moindre – impose en effet un engagement permanent de nos descendants pour la surveillance, la maintenance, la rénovation des installations abritant les déchets que nous leur avons laissés. Comme l’écrit l’IRSN dans le cadre du débat public officiel sur le projet Cigéo, « il n’est pas approprié d’imposer sciemment aux générations futures une telle charge de contrôle et de gestion des risques dès lors qu’une solution pérenne peut être mise en œuvre à une échéance rapprochée… Seul le stockage géologique peut constituer une solution appropriée et pérenne à la gestion des déchets de haute activité et des déchets de moyenne activité à vie longue. »5. Il est significatif de constater à quel point une telle analyse est mondialement partagée, tous les grands pays nucléaires s’accordant avec leurs experts pour estimer que le stockage géologique est la solution appropriée à mettre en œuvre pour gérer les déchets les plus virulents. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le rapporter, la Finlande, la Suède, la Suisse, la Belgique, les États-Unis, la Chine, le Canada… ont décidé de s’engager dans cette voie. Cette orientation est partagée par les grandes organisations internationales telles l’OCDE ou l’Union européenne qui dans sa directive du 19 juillet 2011 désigne le stockage géologique comme « la solution la plus sûre et la plus durable en tant qu’étape finale pour la gestion des déchets de haute activité ». 5.  Cahier d’Acteur n° 1 de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, élaboré à l’occasion du débat public officiel sur le projet Cigéo. 68

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Je sais bien que le consensus autour d’un projet n’en garantit pas forcément la pertinence mais au moins ces convergences entre experts par-delà les frontières confèrent-elles à la solution du stockage géologique une indéniable crédibilité. La stratégie française y ajoute bien plus qu’un codicille en l’assortissant d’un concept technologique original : celui de réversibilité. Pourquoi le choix de la réversibilité ? Un stockage géologique a vocation à être fermé et à rester sûr de manière passive, sans nécessiter d’intervention humaine… Mais imaginons que dans quelques dizaines d’années, le progrès aidant, les ingénieurs de l’époque aient l’idée de réaménager tel ou tel dispositif de l’installation : ne faut-il pas leur laisser ouverte cette possibilité ? Tous les acteurs du dossier, de même que le public s’exprimant lors des débats, ont répondu positivement à la question. Oui, nous devons laisser aux générations suivantes la possibilité de revenir sur certains de nos choix techniques d’aujourd’hui. Autrement dit, le stockage doit être « réversible », pendant au moins un certain temps. Cela veut dire que les éléments du système peuvent être optimisés, modifiés, voire changés. Le principe de cette réversibilité est inscrit dans la loi du 28 juin 2006. Il y est indiqué que la durée de la réversibilité ne peut être inférieure à 100 ans, ce qui correspond à peu près à la période durant laquelle Cigéo sera en exploitation et au temps nécessaire pour le remplir. Une nouvelle loi fixant de manière plus précise les conditions de cette réversibilité devrait être votée en principe en 2016/2017, avant l’autorisation de création de Cigéo. Elle s’inspirera sans nul doute des propositions de l’Andra qui étudie, depuis plusieurs années, les modalités concrètes permettant de ménager la réversibilité sans compromettre la sûreté du stockage. Un futur ouvert pour de possibles améliorations L’Andra travaille notamment aux dispositifs techniques permettant de faciliter le retrait éventuel de colis de déchets stockés. Cette 69

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« récupérabilité » des colis est un des labels essentiels qui concrétise le principe de réversibilité. L’agence travaille également aux processus conduisant à une fermeture progressive du stockage, les différentes étapes, comme le scellement des alvéoles ou le remblaiement des galeries d’accès s’échelonnant à des rythmes choisis par les décideurs futurs. L’idée est de rendre l’installation de plus en plus passive jusqu’à sa fermeture complète, qui pourra intervenir à l’échéance de 100 ans ou au-delà. Aux yeux du public qui la plébiscite très majoritairement lors des débats, la réversibilité signifie un futur qui reste ouvert et porteur d’améliorations. Cette représentation atténue fortement l’image plutôt radicale du stockage géologique que l’on peut résumer dans la formule : « on confine, on ferme et on ne s’en occupe plus ! » En attendant d’y venir, toutes les décisions restent possibles en fonction de ce que décideront les prochaines générations. Cette longue période d’une centaine d’années, voire plus, l’Andra propose de l’organiser à travers des rendez-vous périodiques avec l’ensemble des acteurs concernés : évaluateurs, État, collectivités locales, riverains… pour des bilans d’exploitation et des discussions sur les perspectives d’avenir. Interviendront également, cela va de soi, des inspections régulières de l’Autorité de sûreté nucléaire réexaminant tous les paramètres liés à la sûreté du stockage. En mariant les deux concepts de stockage géologique passif et de réversibilité, le Parlement a fait œuvre originale, marquant son acquiescement aux travaux d’aujourd’hui et son souhait de rester ouvert aux progrès techniques dont l’avenir pourrait être porteur. Après la fermeture du stockage, une surveillance pourra être maintenue sur le site aussi longtemps que la société le souhaitera.

LABORATOIRE SOUTERRAIN : L’INDISPENSABLE OUTIL Pour concevoir et mettre au point un centre de stockage géologique, les études et expérimentations en grandeur réelle sont absolument indispensables. Ce sont elles qui vont renseigner directement 70

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sur les phénomènes de base caractérisant la couche rocheuse étudiée : réaction à la chaleur, comportement mécanique, perméabilité, vitesse de déplacement de l’eau et des éléments chimiques etc. Après enquête publique et avec le feu vert des autorités, l’Andra a été autorisée en 1999 à créer un laboratoire souterrain en Meuse/Haute-Marne, pour étudier une couche géologique identifiée depuis plusieurs années comme pouvant réunir les propriétés requises pour l’implantation d’un stockage géologique. Ce laboratoire, implanté sur la commune de Bure, est le prolongement logique des choix qui orientent la gestion des déchets nucléaires en France et des lois de 1991 et 2006 consacrant le stockage géologique comme solution de référence pour les déchets de haute activité. L’« objet » étudié est une couche de roche argileuse vieille de 155 millions d’années, stable durant toute cette période, homogène et très peu perméable : il faut 10 000 ans à une goutte d’eau pour se déplacer d’un centimètre dans la roche. Cette argile dit du « Callovo-Oxfordien » forme une couche de 130 mètres d’épaisseur, entre 420 et 550 mètres en dessous du niveau du sol. Le laboratoire créé par l’Andra a été creusé au cœur de la roche, à 500 mètres de profondeur. Dans le cas où Cigéo serait autorisé, il serait implanté à proximité du laboratoire, à une profondeur à peu près équivalente. On a en effet identifié autour du laboratoire souterrain une zone d’environ 250 km2 présentant les mêmes caractéristiques géologiques que celle où il est implanté. L’argile testée sous toutes les coutures Le laboratoire qui comprend deux puits d’accès et un réseau de galeries long de 1, 4 km a permis la mise en place de 1 400 capteurs et l’engagement de plus de 35 expérimentations. Ajoutées aux campagnes de reconnaissances géologiques, aux forages et aux analyses réalisées par ailleurs, ces mesures et expérimentations – auxquelles plusieurs dizaines d’établissements universitaires et de laboratoires académiques ont été associés – ont permis de déterminer avec précision les caractéristiques de la couche d’argile de la région. Elles sont 71

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jugées favorables à l’implantation d’un stockage géologique. Ce « verdict », explicité par l’Andra dans son « Dossier 2005 » remis au gouvernement, a été depuis lors confirmé : la couche du Callovo-Oxfordien est homogène et stable ; l’éventualité d’un séisme est très faible (lequel n’aurait que des répercussions minimes sur un stockage construit à 500 mètres de profondeur) ; aucune faille n’a été mise en évidence ; la perméabilité de la couche d’argile est faible et les circulations d’eau dans les couches qui l’entourent sont lentes et très réduites ; l’argile a la propriété de « piéger » et de retenir les éléments radioactifs sur de longues durées s’évaluant en dizaines de milliers d’années ; la roche supporte le creusement minier d’ouvrages de plusieurs mètres de diamètre sans altération significative de ses propriétés mécaniques… Bref, le laboratoire de Bure (dont je recommande particulièrement la visite aux lecteurs intéressés) a contribué à ce recueil de données et les ingénieurs y continueront leurs investigations pendant toutes les années à venir. Un décret autorise le prolongement de son fonctionnement jusqu’en 2030, soit cinq ans après l’ouverture (éventuelle) de Cigéo. Outre à affiner les connaissances du milieu géologique, le laboratoire servira à tester des prototypes d’alvéoles et, plus généralement, les différents matériels et équipements du stockage du point de vue de leur architecture, de leur dimension, de leurs procédures de fonctionnement. Si l’argile du Callovo-Oxfordien se révèle particulièrement appropriée pour l’implantation d’un stockage souterrain, il faut noter que d’autres milieux géologiques peuvent y être eux aussi favorables. C’est ainsi qu’avaient été envisagés dans les années 1980, en France, les explorations de quatre milieux jugés adaptés comme un massif granitique dans les Deux-Sèvres, des argiles du Jurassique dans l’Aisne, un massif de schistes dans le Maine-et-Loire et une couche de sel dans l’Ain. Les investigations sur ces zones avaient dû être interrompues en raison de fortes oppositions locales, le syndrome NIMBY jouant un rôle moteur dans les résistances rencontrées. Il reste que les milieux géologiques aptes à abriter un stockage souterrain sont relativement 72

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nombreux, comme le montrent aussi les exemples étrangers où sont explorés, voire retenus, le schiste, le basalte, l’argile, le granite, les cendres volcaniques. Selon les (bonnes) habitudes prises par les responsables de la politique nucléaire en France, une instance d’évaluation du laboratoire de Bure a été constituée. Ce Comité d’orientation et de suivi, installé auprès de l’Andra, rassemble 13 membres français et étrangers appartenant au secteur universitaire et à de grands établissements de recherche. Son rôle est d’évaluer la conception des programmes expérimentaux conduits au laboratoire et l’interprétation des résultats. Un rôle qui n’est pas sans rappeler celui des comités de lecture des revues académiques de haut niveau… tant il est vrai que l’Andra a toujours voulu que son action soit perçue, au-delà de ses accomplissements industriels, comme une contribution à la recherche scientifique.

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5 Stockage géologique : quel dispositif pour confiner les déchets de haute activité ?

S

éparés des matières énergétiques recyclables que sont l’uranium et le plutonium, les déchets de haute activité (HA) représentent moins de 5 % des matières récupérées lors du traitement d’un combustible usé. Ces déchets sont un mélange de deux types de radioéléments : produits de fission, qui constituent la presque totalité du mélange (environ 98 %) et actinides mineurs (pour environ 2 %). Cette distinction mérite d’être connue car elle est un élément important de la problématique liée aux HA.

LES DÉCHETS DE HAUTE ACTIVITÉ : UN VIRULENT MÉLANGE Les produits de fission résultent comme leur nom l’indique de la fission en deux fragments des noyaux d’uranium lorsqu’ils sont impactés par des neutrons (processus qui est à la base de la production d’énergie dans le cœur des réacteurs nucléaires). Les nouveaux 75

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atomes issus de ces fragmentations – comme le césium, l’iode, le strontium, le sélénium, le technétium… – sont très radioactifs, beaucoup plus que l’uranium d’origine qui les a engendrés. Mais sauf quelques exceptions, leur durée de vie est dans l’ensemble relativement courte, allant de quelques mois, voire moins, à quelques dizaines ou centaines d’années. Les actinides mineurs sont le résultat de la capture de neutrons par des noyaux d’atomes d’uranium ne fissionnant pas. En intégrant dans leur noyau ces neutrons supplémentaires, les atomes d’uranium se transforment essentiellement en atomes de neptunium, d’américium et de curium – plus lourds et plus radioactifs. Dans sa classification périodique des éléments, Mendeleïev a classé ces atomes dans une rangée débutant par l’actinium, d’où le nom d’« actinides », le qualificatif de « mineurs » tenant au fait qu’ils sont moins abondants que les actinides « majeurs » que sont l’uranium et le plutonium. Contrairement aux produits de fission, la période de décroissance radioactive des actinides mineurs est très longue, se chiffrant de 7 000 à 8 000 ans pour des isotopes de l’américium et du curium et à deux millions d’années pour le neptunium, peu radioactif par ailleurs. L’addition produits de fission + actinides mineurs forme donc le mélange potentiellement très dangereux des déchets HA, conjuguant la très forte radioactivité des produits de fission et la longue durée de vie des actinides. Barrer définitivement le chemin vers l’extérieur Mettre définitivement hors d’état de nuire ces déchets – ainsi que les déchets de moyenne activité à vie longue – est l’objectif fondamental qui commande la conception du stockage géologique. Le moyen d’y parvenir est de faire en sorte que ces déchets se voient privés de tout chemin leur permettant d’atteindre en quantités dommageables les individus et l’environnement de surface. À partir du moment où cette voie d’accès est efficacement verrouillée – écartant ainsi toute 76

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contamination – peu importe la dangerosité de la substance : faute de cible elle ne créera aucun dommage. Remarquons que cette approche vaut non seulement pour les déchets nucléaires mais aussi pour les produits spéciaux dangereux engendrés dans les installations industrielles, usines chimiques, laboratoires de recherche médicale ou bactériologique : on se protège de ces produits ou résidus non pas en essayant de les rendre moins dangereux – ce qui n’est pas possible dans la plupart des cas – mais en adoptant la même démarche que celle utilisée pour les déchets HA : en les séquestrant dans un espace clos sans échappatoire possible vers les individus. C’est ainsi que la France compte plusieurs centaines de ces coffres, caissons, cellules blindées, chambres fortes ou dépôts sécurisés renfermant des substances qui, contrairement aux déchets nucléaires, ont une durée de vie infinie et dont beaucoup sont plus virulentes et létales, même à dose infime, que les plus radioactifs des résidus. Personne ne s’en inquiète, l’attention du public étant totalement accaparée par le nucléaire à qui l’on demande « toujours plus » qu’aux autres en matière de sûreté1. Ainsi les opposants à Cigéo proclament-ils que « cacher des poisons au fond d’un trou ne résoudra jamais le problème de leur dangerosité  », ajoutant que « l’enfouissement (des particules radioactives) ne diminuerait et ne neutraliserait en aucun cas leur toxicité »2. Soit, mais la question n’est pas là ! En fait, les militants anti-nucléaires font comme si l’enjeu était d’abaisser la dangerosité intrinsèque des déchets, revendication qu’ils mettent en avant… pour mieux reprocher au secteur nucléaire de ne pas la satisfaire. Clarifions le sujet : que ce soit en France ou dans les autres pays nucléaires, l’enjeu actuel de la gestion des déchets n’est pas de réduire leur dangerosité mais 1. Thème d’un éditorial de la Revue générale nucléaire n° 5 sept/oct. 1992, souvent cité dans les débats sur les énergies et le nucléaire. 2.  Tiré du Cahier d’acteur : Déchets nucléaires : surtout ne pas les enfouir, Collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs CDR 55 et CEDRA 52. Débat officiel national sur les déchets nucléaires. Année 2005. 77

Stockage géologique : quel dispositif pour confiner les déchets ?

de les traiter et de les conditionner tels qu’ils sont – aussi dangereux qu’ils se présentent ! – en vue d’un confinement sécurisé. On peut certes constater que la transmutation des actinides, qui réduirait considérablement leur durée de vie et leur nocivité, demeure une perspective tout à fait envisageable. Mais cela reste un projet de long terme dont l’éventuelle concrétisation n’est guère attendue avant plusieurs décennies. Répétons que l’objectif visé, aujourd’hui, est de barrer la route de la biosphère aux déchets HA, hors de toute action sur leur dangerosité intrinsèque. Et si le stockage géologique est l’objet d’un aussi large consensus international parmi les experts, c’est qu’il apparaît comme la méthode offrant les meilleures garanties pour atteindre cet objectif. Cigéo, stockage géologique version française Plusieurs pays ont en projet ce type de stockage ou en ont déjà planifié la réalisation, comme la Suède et la Finlande. En France, le centre Cigéo, dont l’implantation à 500 mètres de profondeur est prévue en Meuse/Haute-Marne est programmé pour accueillir 10 000 m3 de déchets HA et 70 000 m3 de déchets MA-VL (moyenne activité vie longue) – soit la totalité des déchets de ces catégories déjà produits ou que produiront dans le futur les installations nucléaires françaises existantes (avec une hypothèse de fonctionnement de 50 ans). Ces volumes prennent en compte le conditionnement des déchets, ceuxci ne représentant en eux-mêmes qu’une fraction minoritaire de la masse totale du colis (environ 15 % pour les HA). Cigéo sera construit de manière progressive, à mesure des besoins. Des réserves de capacités sont prévues notamment pour pouvoir ­stocker en l’état des combustibles usés dans l’hypothèse où la France déciderait d’abandonner la stratégie du traitement/recyclage. Au terme d’une centaine d’années d’exploitation, la superficie souterraine de Cigéo pourrait atteindre environ 15 km2, et peut-être davantage par la suite. Il comportera deux installations de surface, l’une pour la réception des colis de déchets et leur préparation en colis de 78

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stockage, l’autre pour le support aux travaux de creusement et de construction des ouvrages. L’installation souterraine sera composée de plusieurs zones adaptées aux différentes catégories de déchets. Les colis seront stockés dans des tunnels horizontaux, dénommés alvéoles, creusés dans la couche d’argile. Pour les déchets HA, les alvéoles mesureront une centaine de mètres de longueur, environ 70 cm de diamètre et seront revêtues d’un chemisage métallique. Elles déboucheront perpendiculairement sur des galeries de plus vastes dimensions devant permettre l’exécution des opérations de stockage qui seront très largement robotisées. Depuis la surface, le transfert des colis de déchets s’effectuera par une rampe d’accès, ou descenderie, au moyen d’un funiculaire sur rails. Plusieurs puits verticaux permettront l’accès du personnel, le transfert des engins de chantier et la ventilation des ouvrages. Les déchets seront acheminés par trains, le déchargement s’effectuant dans un terminal que l’on envisage d’implanter sur le site même de l’installation. Au-delà de cette description très sommaire de Cigéo, on peut se faire une idée plus précise de l’installation, de son architecture et de son fonctionnement en consultant les documents de l’Andra répertoriés sur le site de l’agence www.andra.fr et les documents du débat public officiel de 2013, en ligne sur www.debatpublic-cigeo.org et en sachant que j’y fais implicitement référence dans la plupart de mes descriptions et commentaires sur le stockage géologique.

UN COFFRE-FORT MULTI-BARRIÈRES OUVRAGÉ ET NATUREL Cigéo est un projet en devenir qui devra à chaque étape de son déroulement faire la preuve de sa robustesse et obtenir à chaque fois, pour la poursuite des opérations, les diverses autorisations administratives délivrées par les organismes qualifiés. Il connaîtra donc dans les années à venir quelques évolutions. Mais la technique utilisée pour confiner les déchets est, depuis plusieurs années, bien établie : il s’agit 79

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d’un dispositif « multi-barrières » consistant à enfermer les déchets derrière des barrières successives de confinement. Empêcher les intrusions, interdire les échappatoires Cette approche est tout à fait traditionnelle dans le secteur nucléaire… mais elle acquiert ici une réelle originalité de par la nature même du stockage géologique. En effet, alors que pour une centrale nucléaire, par exemple, ces barrières sont destinées à protéger l’environnement extérieur des éventuels dysfonctionnements de l’installation, la protection joue d’abord dans l’autre sens pour le stockage géologique : ce sont les déchets qui, dans un premier temps, doivent être protégés par ces barrières successives des agressions extérieures notamment de la corrosion par les eaux souterraines. Ce n’est que dans un second temps que le sens de la protection s’inversera, les barrières devant alors s’opposer au relâchement des déchets et la couche géologique devant empêcher ou retarder la migration des radioéléments vers l’environnement extérieur. Les spécialistes de sûreté assimilent volontiers ce dispositif multi-barrières à un coffre-fort censé tout à la fois empêcher les intrusions et interdire les échappatoires. Matrice de verre : prison sans sursis... Pour les déchets HA, la première de ces barrières est la matrice de conditionnement constituée par un verre spécial auquel les déchets sont intimement incorporés. Écartons l’idée reçue selon laquelle le verre est synonyme de fragilité3. Bien au contraire : le verre naturel est un des matériaux les plus résistants et inaltérables existant sur la planète. En témoignent ces objets en verre fabriqués dans l’Antiquité 3.  Même si cela vient contredire la belle sentence de Polyeucte : « Toute votre félicité Sujette à l’instabilité En moins de rien tombe par terre Et comme elle a l’éclat du verre Elle en a la fragilité. » Polyeucte, acte IV scène 2. Pierre Corneille. 80

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et que l’on retrouve intacts au fond de la Méditerranée après des séjours de plusieurs milliers d’années dans l’eau salée ou ces verres naturels dont l’âge se compte le plus souvent en centaines de milliers voire en millions d’années. Lorsqu’il s’est agi d’imaginer une matrice pour solidifier les solutions liquides de déchets HA obtenues à l’issue des opérations de retraitement, les chercheurs français du CEA ont opté pour le verre. Brillante idée doit-on reconnaître 40 ans plus tard ! Toutes les études et expérimentations, en France et à l’étranger, confirment la pertinence de ce choix. Ce verre résiste non seulement à la forte chaleur et aux rayonnements émis par les déchets HA mais aussi à l’altération par l’eau. Les recherches conduites au CEA ont abouti à la mise au point d’un verre (borosilicaté) exprimant au mieux toutes ces capacités. La vitrification consiste à mélanger les déchets en solution à de la fritte de verre dans un « pot » porté à très haute température, le mélange étant ensuite coulé et solidifié dans un conteneur en acier inoxydable. Les atomes radioactifs se trouvent ainsi pratiquement « digérés » par le réseau vitreux dont ils deviennent partie intégrante. Ils sont encore capables d’irradier l’environnement immédiat car certains des rayonnements qu’ils émettent peuvent franchir la barrière de verre ; mais il leur est désormais impossible d’aller contaminer l’extérieur car ils sont en quelque sorte « piégés » dans la matrice vitreuse d’où il leur est impossible de s’extraire. Ce constat est essentiel car en configuration de stockage géologique, c’est la contamination de l’eau qui est la seule voie d’atteinte potentiellement dommageable pour les personnes ou l’environnement. Dans les conditions d’un stockage souterrain, en présence d’eau, l’altération du verre serait extrêmement lente, s’étalant sur des centaines de milliers d’années. On ne s’étonnera pas, face à de telles durées, que certains ingénieurs soutiennent qu’indépendamment de toute autre barrière, le verre constitue déjà en lui-même pour les déchets HA une prison sans retour… En tout cas, on est ici dans des échelles de temps infiniment supérieures à la durée de nocivité 81

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de la radioactivité des déchets, ce qui est un constat primordial pour l’évaluation de la sûreté du stockage. La première mondiale de ce procédé de vitrification à l’échelle industrielle a eu lieu en 1978 à Marcoule… et je me souviens avoir été le premier journaliste accueilli dans l’installation4 pour mesurer en réel la portée de l’innovation ! L’atelier de vitrification de Marcoule (AVM) a connu un parcours sans problème, relayé 11 ans plus tard par un atelier de plus forte capacité construit dans l’usine Areva de La Hague (R7). Les deux installations ont entrepris la vitrification systématique des déchets de haute activité produits en France depuis les débuts du programme nucléaire. Coulés dans leurs conteneurs, ces déchets vitrifiés sont entreposés dans des puits de surface sur les deux sites mentionnés pour y refroidir quelques dizaines d’années en attendant d’être stockés définitivement à Cigéo. Notons qu’au cœur d’un colis vitrifié qui vient d’être produit, la température avoisine les 500 °C. D’où l’impératif de ne pas le stocker immédiatement afin de préserver la roche d’accueil d’une trop forte charge calorique. Colis primaire et sur-conteneur La matrice de verre qui emprisonne les déchets HA est donc ellemême scellée dans un conteneur en acier spécial d’1,30 m de hauteur et de 45 cm de diamètre. L’ensemble constitue le « colis primaire », pesant près de 500 kilos. Sur cette masse totale, les déchets proprement dits ne représentent que 70 kilos environ, le reste étant constitué par le verre et le conteneur (90 kg à vide). Ce conteneur a une double fonction : faciliter la manutention ; assurer la protection des verres durant leur phase de refroidissement. Au moment du stockage, le colis (dont il existe plusieurs types) va être placé dans un sur-conteneur appelé aussi conteneur de stockage. Cette protection 4.  En tant que rédacteur en chef de la Revue générale nucléaire et consultant de la Cogéma (devenue ensuite Areva en liaison avec Framatome). 82

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supplémentaire concourt à interdire l’arrivée d’eau à l’intérieur du colis pendant plusieurs milliers d’années et tout particulièrement durant les premières centaines d’années, lorsque la forte chaleur dégagée par les déchets n’a pas encore suffisamment décru. Il faut en effet éviter aux verres un contact prématuré avec l’eau – même si celle-ci n’est présente qu’en faible quantité dans cet environnement d’argile – car ils ont tendance à se dissoudre plus vite lorsqu’ils sont chauds. Fin de parcours en alvéole Le point d’arrivée d’un conteneur de déchets HA est son alvéole de stockage. Le chemisage métallique dont elle est revêtue contribue à éviter les déformations et à consolider la structure d’ensemble. Les conteneurs y sont stockés horizontalement, à intervalles espacés pour éviter les échauffements excessifs ce qui conditionne très directement la superficie du stockage. Les matériaux utilisés pour cette structure de stockage, argile, bentonite, béton doivent limiter les flux d’eau autour des colis puis assurer l’obturation progressive des alvéoles, des galeries et des puits quand le stockage entamera sa phase de fermeture. S’ajoutant à la matrice de verre et aux deux conteneurs superposés qui l’enferment, la barrière ouvragée aménagée pour l’ensemble du stockage a la capacité de mettre en œuvre une protection « dans les deux sens » : réduire l’arrivée de l’eau sur les conteneurs ; empêcher ou ralentir la migration des radioéléments hors de l’installation. La barrière géologique naturelle S’additionnant aux protections successives conçues par les ingénieurs, la barrière primordiale de ce coffre-fort pour déchets est naturelle : c’est la couche géologique à l’intérieur de laquelle est construit le stockage. Située à une profondeur moyenne de 500 mètres, la couche d’argile de 130 mètres d’épaisseur où l’on prévoit d’implanter Cigéo a été jaugée et disséquée dans ses moindres recoins par 83

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l’Andra et ses partenaires français et étrangers (voir sa description au chapitre précédent). Le laboratoire souterrain de Bure a été pour cela d’un apport essentiel. Le laboratoire suisse du Mont-Terri, avec son argile similaire à celle de Bure, a été également un précieux outil de recherche pour les spécialistes français. Toutes ces investigations montrent que la couche géologique argileuse du Callovo-Oxfordien (qui s’étend sur environ 250 km2) a toutes les caractéristiques pour constituer une bonne barrière de protection, mettant les déchets à l’abri des agressions extérieures et leur barrant la route vers la biosphère en retardant ou en empêchant leur migration5. J’expliciterai ces mécanismes au prochain chapitre en présentant les scénarios d’évolution d’un stockage géologique. Mais on peut dès à présent, au vu du dispositif d’ensemble qui vient d’être décrit, avancer de premières observations sur la sûreté du stockage.

PREMIÈRES APPROCHES DE SÛRETÉ Contrairement à une idée assez largement répandue dans le public les rayonnements émis par les déchets stockés à 500 m de profondeur ne peuvent en aucun cas parvenir en surface et irradier les populations riveraines. C’est physiquement impossible. Certains de ces rayonnements franchissent les parois des conteneurs mais sont stoppés par quelques mètres de roche et restent totalement confinés à l’intérieur du stockage.

5.  Parmi les nombreux travaux entrepris par l’IRSN pour tester les propriétés de cette couche d’argile, notons les études très détaillées de tous les mécanismes possibles de transport des déchets dans ce milieu rocheux. En plus des travaux conduits de longue date sur ce thème par l’Institut, plusieurs thèses récemment soutenues en son sein développent de nouvelles analyses sur le transport des radioéléments à travers les fissures dans les milieux endommagés (Majda Bouzid), sur les transports par diffusion moléculaire (Fethi Bensenouci), sur les transports par osmoses chimique et thermique (JoachimTremosa)… Ces études permettent d’évaluer la faible mobilité des radioéléments dans le milieu rocheux et de confirmer les capacités de confinement de la formation géologique. (Contact IRSN : LR 25, Jean-Michel Matray) 84

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Risques écartés ou fortement réduits grâce à la profondeur du stockage Notons aussi que mis à part la forte chaleur diffusée dans les premiers temps par les blocs vitrifiés, il n’y a dans un tel stockage de déchets HA aucune source d’énergie à même de déclencher un quelconque phénomène violent qui pourrait porter atteinte à l’ordonnancement des installations et entraîner une dispersion brutale des déchets. Là aussi, compte tenu des matières stockées, un tel événement est physiquement impossible. Sur des périodes de temps se comptant en milliers d’années, la région d’implantation du stockage peut être amenée à connaitre divers événements naturels et évolutions. Des tremblements de terre sont possibles, même si la zone de Cigéo est estimée « remarquablement peu sismique » par les géologues (cf. Dossier 2005). Mais si un séisme survenait malgré tout, il n’aurait guère d’effet sur le stockage, aussi forte soit sa magnitude, car les mouvements du sol ne se font pleinement sentir que sur les premières dizaines de mètres en surface et sont très atténués en profondeur. Construit à moins 500 mètres selon les normes anti-sismiques appliquées à toutes les installations nucléaires, Cigéo pourrait y résister sans dommage. Cette profondeur le met également à l’abri des phénomènes climatiques et météorologiques extrêmes, des inondations ainsi que des érosions et des glaciations, lesquelles n’affecteront qu’une épaisseur de terrain atteignant tout au plus 200 mètres sur une période de plusieurs centaines de milliers d’années. Le stockage profond est également protégé des chutes d’avion et rend infiniment problématique toute forme d’intrusion humaine, fortuite ou malveillante. On touche là en fait à un des avantages déterminants du stockage géologique qui est de mettre les déchets pratiquement à l’abri des activités humaines et des événements naturels. C’est une des raisons majeures qui explique la préférence accordée à cette méthode de gestion plutôt qu’à l’entreposage pérenne de surface dans lequel les déchets restent exposés en permanence aux bouleversements environnementaux, aux 85

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incertitudes sociétales et aussi, ce n’est pas à écarter, à la malveillance des fanatiques… Un autre aléa d’origine anthropique, souvent évoqué par le public, doit être également considéré : le cas d’un forage inopiné aboutissant par hasard dans le stockage et transperçant un conteneur de déchets. En raison du compartimentage du stockage et des scellements des alvéoles, l’effet d’un tel forage pénétrant serait limité à la zone d’impact. Le risque éventuel concernerait les foreurs eux-mêmes si, d’une manière ou d’une autre, ils cherchaient à pénétrer dans cette zone. Mais il est évident que s’ils réussissent à creuser jusqu’à une profondeur de 500 mètres, c’est qu’ils disposent de moyens technologiques avancés… et qu’ils n’auront guère de difficulté à détecter de la radioactivité dont ils pourront se protéger sans problème. Épaisseur, stabilité, durée Toutes les études confirment qu’une couche géologique sans faille, épaisse et stable depuis 155 millions d’années, comme l’est celle où doit être implanté Cigéo, est une excellente protection contre les aléas de tout ordre venus de l’extérieur. Mais une telle protection est-elle appelée à durer et à tenir jusqu’au bout le rôle de barrière qui lui est dévolu ? La géologie répond que d’éventuelles évolutions de la stabilité de la couche du Callovo-Oxfordien ne pourront se produire qu’à un rythme extrêmement lent – un rythme géologique dont l’unité de mesure est la centaine de milliers d’années. Au nombre des garanties de sûreté exigées du projet Cigéo doit figurer la démonstration par l’Andra que la stabilité de la couche considérée se perpétuera pendant encore 10 000 années au moins à compter d’aujourd’hui. Autrement dit, on « demande » à cette couche géologique de perdurer dans son état actuel pendant une fraction de temps infinitésimale par rapport à son âge de 155 millions d’années. Une « petite » durée supplémentaire ne représentant même pas le dix- millième, ou 0,001 % de son interminable existence ! Cette durée sera de toute évidence acquise… d’autant plus que d’éventuelles modifications de la stabilité de la 86

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couche ne pourraient s’engager et se concrétiser qu’au fil de durées beaucoup plus élevées, garantissant ainsi une longue persistance de l’état stable actuel… et l’innocuité de la radioactivité des déchets qui aura décru depuis longtemps vers des niveaux négligeables.

À COURT TERME : PENDANT LA DURÉE D’OUVERTURE DU STOCKAGE À l’horizon de centaines ou de milliers d’années, le seul problème posé par le stockage des déchets de haute activité est en fait, comme nous l’avons indiqué, celui de la dégradation des barrières de confinement par les eaux souterraines. Tout est organisé pour retarder cette dégradation et minimiser ou annuler ses conséquences. C’est ce que montrent les différents scénarios d’évolution d’un stockage – évolution « normale », évolution « altérée » – que nous présenterons dans les deux prochains chapitres. Mais à plus court terme, durant la période d’exploitation du stockage au cours de laquelle il reste ouvert et accueille les colis de déchets, plusieurs autres risques sont à prendre en compte. Des risques liés principalement aux MA-VL Ces risques sont pour la plupart liés aux déchets de moyenne activité – vie longue (MA-VL) et renvoient par leurs mécanismes initiateurs à des accidents industriels traditionnels – incendies, explosions, pannes, accidents de manutention ou de transport etc. – dont certains sont susceptibles d’avoir des conséquences en termes de contamination radioactive. La démarche des ingénieurs liée à cette phase d’exploitation se décline en trois axes d’action : identifier tous les risques possibles ; minimiser leur probabilité d’occurrence ; réduire leurs conséquences sur les travailleurs, les riverains, l’environnement. Nous donnons ici un aperçu résumé de cette gestion de la sûreté à « stockage ouvert » avant d’en venir dans les prochains chapitres à la question qui nous occupe directement du stockage géologique à long terme, après fermeture définitive de l’installation. 87

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Lors du débat officiel sur Cigéo qui s’est tenu en 2013, les questions de sûreté liées à la période d’exploitation du stockage ont concerné principalement les déchets MA-VL dont les risques qu’ils représentent apparaissent plus immédiats que ceux inhérents aux déchets de haute activité. Cela dit, c’est à la sûreté de l’équipement dans sa globalité que les ingénieurs travaillent, ce qui les amène à considérer d’abord le risque lié à ce que l’on appelle la « coactivité », à savoir la coexistence, au sein du même équipement, de deux types d’activités bien distinctes : une activité classique de chantier avec des travaux de creusement souterrain des galeries et des alvéoles, qui se poursuivront durant toute la phase d’exploitation de Cigéo et une activité nucléaire avec la manutention et le stockage des colis de déchets. L’enjeu est d’éviter que ces deux activités ne se perturbent mutuellement et que les dysfonctionnements ou accidents intervenus en zone d’exploitation nucléaire ne se propagent vers les zones de chantier…et inversement. Dans ce but une stricte séparation de ces deux zones sera aménagée, chacune disposant de ses propres accès pour les personnels et de circuits séparés pour la ventilation, l’électricité, les systèmes de détection et de surveillance. De même sera mis en place un double circuit des galeries menant aux alvéoles de stockage afin que soit dissociée la circulation des personnes et des matériels. Cette séparation sera marquée par des barrières physiques avec cloisons et sas pour assurer en permanence une coupure étanche entre les zones. Parer aux incendies et aux concentrations d’hydrogène Au-delà de cette gestion de la coactivité, les deux principaux risques à considérer en phase d’exploitation sont l’incendie et l’explosion d’hydrogène. Ces risques sont liés essentiellement aux déchets MA-VL dont certains colis renferment des matrices d’enrobage à base de bitume, un matériau aux excellentes propriétés de confinement mais qui dégage de l’hydrogène et dont la tenue à l’incendie doit être renforcée par des précautions particulières. Les opposants 88

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à Cigéo ont développé sur ces questions une série de critiques et d’objections précisément argumentées. Tout en reconnaissant qu’il s’agissait là de « bonnes questions », l’Andra a fait valoir ses propres analyses, aboutissant à la démonstration d’un risque potentiel indéniable mais maitrisé. Ainsi par exemple, la parade contre le risque d’incendie repose sur une combinaison de mesures qui sont jugées aptes à limiter le développement et les conséquences de l’accident éventuel : séparation des zones de chantier et d’exploitation ; limitation du recours à des produits ou matériels inflammables dans les équipements de manutention et de stockage ; détecteurs ultra-sensibles de fumée ou d’élévation de température ; systèmes automatiques d’extinction des départs de feu ; compartimentage des espaces et systèmes coupe-feu pour éviter la propagation de l’incendie etc. sans oublier bien sûr l’action des équipes de secours présentes en permanence sur le site. Pour étudier la réaction des colis de déchets MA-VL face à un incendie, des essais en grandeur réelle sont réalisés dans le cadre d’un programme de Ret D spécifique. Ils montrent la bonne résistance de ces colis qui conservent leur intégrité après l’ épreuve du feu. Les mêmes niveaux de précaution sont aménagés pour prévenir le risque hydrogène. Là encore ce sont les déchets MA-VL et leur conditionnement qui sont concernés, certains d’entre eux pouvant, sous l’effet des rayonnements, relâcher de l’hydrogène. Face aux critiques des opposants pointant le risque d’explosion les ingénieurs font valoir que les installations souterraines et de surface seront ventilées en permanence durant leur exploitation, ce qui permettra d’éviter l’accumulation d’hydrogène – et cela même si une panne de ventilation reste non réparée pendant plusieurs jours, ce qui parait très peu probable. Et en admettant malgré tout qu’une explosion se produise au sein d’une alvéole de stockage, les études montrent que les colis ne seraient que faiblement endommagés «  ce qui ne compromettrait pas, précise l’Andra, le confinement des substances qu’ils contiennent ». 89

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Incidents inévitables… mais conséquences limitées… Qu’il s’agisse d’incendie, d’explosion d’hydrogène ou d’autres risques conséquents tels que panne électrique, accident de criticité ou d’irradiation, risques liés à la manutention des colis… On pourra accorder quelque crédibilité au commentaire en deux temps qui est celui des concepteurs de Cigéo : ceux-ci estiment qu’il est probable que durant les 100 à 150 ans que durera l’exploitation, des incidents se produiront, c’est le lot de tous les équipements industriels complexes, fussent-ils les mieux conçus et les mieux surveillés. Cela étant admis, les ingénieurs jugent que le système mis en place limitera fortement les conséquences d’un tel incident ou accident. En d’autres termes, les promoteurs de Cigéo ne promettent pas l’utopie inatteignable d’une sûreté absolue mais font valoir que les mesures et dispositifs prévus permettront de maintenir les dommages possibles à des niveaux relativement bas pour les individus les plus exposés, c’est-à-dire le personnels de l’installation et a fortiori pour les populations riveraines pour lesquelles les risques en surface, essentiellement sous forme de rejets radioactifs, apparaissent très réduits. Même s’il peut inspirer dès à présent une certaine confiance, le dispositif de sûreté aménagé pour la phase d’exploitation de Cigéo a vocation à être encore conforté, selon les directives de l’ASN. Lors de la Phase Industrielle Pilote de l’installation, qui se prolongera plusieurs années après son ouverture, toutes les dispositions de sûreté seront testées cette fois en grandeur réelle avec la mise en place de vrais colis de déchets HA et MA-VL. Il reste donc encore du temps pour peaufiner la sûreté de cet équipement dont le passage à l’exploitation courante ne sera autorisé qu’après le bilan de la Phase pilote. Ces années à venir seront mises à profit pour parachever les programmes d’études engagés en France et tirer parti de tous les retours d’expérience jugés significatifs comme par exemple cet incident survenu le 14 février 2014 aux États-Unis sur le Waste Isolation Pilot Plant qui stocke en profondeur des déchets MA-VL issus des activités de défense américaines. Cette nuit là des traces anormales de 90

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radioactivité ont été détectées dans l’installation et à l’extérieur, en provenance, vraisemblablement, d’un ou plusieurs colis endommagés. Bien que les doses de radioactivité aient été extrêmement faibles cet incident a donné lieu à des études approfondies de la part des autorités américaines pour en déterminer clairement les causes. Cet incident du WIPP est un des nombreux exemples des programmes poursuivis par l’Andra pour examiner « en réel » les causes possibles de dysfonctionnement dans l’exploitation d’un stockage et renforcer les dispositions de sûreté pour les éviter. Quant à l’impact radioactif de Cigéo dans le cours normal de son exploitation, il sera très faible, à la limite du mesurable. Il résultera des effluents gazeux que l’installation sera autorisée à rejeter, en quantités très limitées, par l’Autorité de Sûreté. Les évaluations les plus pénalisantes font état de doses en surface, à proximité du Centre, de l’ordre de 0,01 millisievert par an, soit cent fois moins que la dose règlementaire autorisée pour le public (1mSv) et beaucoup moins encore que la radioactivité naturelle moyenne en France (2,4 mSv). Une fois le stockage fermé, son impact, à très faible niveau, ne redeviendra mesurable qu’après plusieurs dizaines de milliers d’années, comme nous l’expliquons dans les chapitres suivants. Deux trains par semaine… puis par mois On pourrait écrire tout un livre sur le transport des matières radioactives et les appréhensions qu’il suscite dans l’opinion. C’est une question récurrente lors des débats sur les déchets. Concernant Cigéo, il n’est pas anodin de considérer que l’installation va drainer pendant des dizaines d’années des flux incessants de matières dangereuses dont le confinement doit être en toutes circonstances garanti. Mais cette situation est loin d’être inédite : voilà plus de cinquante ans que l’on transporte en France, par route ou par rail, des colis de substances radioactives. Dans la période actuelle quelque 15 000 colis sont transportés chaque année dans notre pays pour les besoins du programme électronucléaire et concernant les déchets de 91

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faible et moyenne activité à vie courte, une quinzaine de véhicules sont accueillis chaque jour dans les deux centres Andra de Soulaines et de Morvilliers. Depuis l’origine et jusqu’à aujourd’hui, sur ces quantités considérables de colis transportés, il ne s’est jamais produit un seul accident avec impact radioactif dommageable sur les riverains. Ces transports obéissent à des règlementations inspirées des recommandations internationales édictées par l’ONU et l’AIEA. Ils font l’objet en France d’une surveillance particulière de la part du ministère de l’Intérieur et du Haut Fonctionnaire de Défense. Pour les déchets HA, les emballages de transport sont conçus pour résister à des conditions accidentelles très sévères : résistance à l’incendie, à la chute violente sur surface dure, à la perforation, à la compression… Des plans de secours sont prévus dans chaque département pour maitriser les conséquences d’un éventuel accident ; ils font l’objet de tests réguliers pilotés par les préfets. Il est pratiquement acquis que le transport des déchets à Cigéo s’effectuera par rail. Le terminal de déchargement pourrait être implanté sur le site même de l’installation qui devrait recevoir en période de « pic » de l’ordre de deux trains par semaine, d’une dizaine de wagon chacun chargés des colis et emballages de déchets. Le rythme devrait baisser ensuite à deux trains par mois. On estime que ce transport par voie ferroviaire est la solution permettant de limiter au mieux les nuisances et d’optimiser la sûreté des opérations.

… ET POUR QUEL COÛT ?... En l’état actuel du projet – qui laisse indéterminés plusieurs paramètres importants  : surface, nombre et longueur des alvéoles, réaménagements/optimisation de certains systèmes en fonction des tests effectués en phase pilote… – le coût global de Cigéo ne peut être fixé avec précision. Les ordres de grandeur élaborés par l’Andra ont été dans un premier temps de 14 à 16 milliards d’euros. Au regard de nouvelles hypothèses techniques et de nouveaux paramètres incluant 92

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une optimisation des capacités de stockage, on a avancé le chiffre de 35 milliards d’euros (à l’encontre duquel les producteurs de déchets, notamment EDF, font valoir quelques objections). Ces évaluations portent sur plus d’un siècle et comprennent l’investissement initial ainsi que les dépenses de personnel, les charges d’exploitation et d’entretien, les dépenses de Ret D, les assurances, impôts et taxes. Elles devaient être remises à jour et transmises au gouvernement afin que le ministre chargé de l’énergie puisse arrêter sur ces bases une nouvelle estimation et la rendre publique. De 1% à 2% du coût de l’électricité nucléaire Dans tous les cas, pour mieux appréhender ce montant global portant sur un siècle, il faut raisonner en coûts annuels. Ceux-ci s’établiraient, selon les chiffrages présentés, entre 160 et 350 millions d’euros par an. Ces ordres de grandeur sont en cohérence avec les évaluations des professionnels de la filière estimant que pour un réacteur nucléaire moderne, le coût de la gestion et du stockage des déchets représente de 1 % à 2 % du coût total de la production d’électricité. Les coûts annuels de Cigéo, certes non négligeables, doivent être relativisés en les comparant aux chiffres d’affaires des principaux producteurs de déchets nucléaires que sont EDF (de très loin) Areva et le CEA qui totalisent plus de 80 milliards d’euros par an. En vertu du principe « pollueur-payeur » confirmé dans la loi du 28 juin 2006, ce sont les producteurs de déchets qui doivent financer leur gestion et leur stockage, EDF y contribuant pour l’essentiel, à hauteur de 78 %. En anticipation de ces dépenses, qui pourront avoir lieu dans 20 ans, 50 ou 70 ans… les producteurs sont tenus par la loi de provisionner les sommes correspondantes, ces mécanismes devant être régulièrement contrôlés et révisés. À noter que ces provisions sont répercutées dans le prix de vente actuel du kilowattheure, ce qui a pour conséquence de faire peser pour l’essentiel sur le consommateur d’aujourd’hui le financement du stockage futur des déchets produits par sa propre génération. 93

Stockage géologique : quel dispositif pour confiner les déchets ?

Valorisations Pour une estimation économique pertinente, il faut mettre au regard de ces coûts les retombées positives de Cigéo pour le développement régional. Quelque 2000 emplois directs seront créés pour sa réalisation et entre 600 à 1000 durant son exploitation. Il faut y ajouter les emplois indirects qui en résulteront au niveau des fournisseurs et prestataires, des commerces, des services etc. ainsi que tous les programmes d’accompagnement prévus dans le cadre d’un « schéma de développement du territoire ». Bref, dans un territoire de Meuse/ Haute Marne marqué par un nombre d’emplois en régression et un ralentissement des activités industrielles et agricoles, Cigéo pourrait insuffler un nouvel élan à l’économie régionale. On peut enfin considérer que l’inventaire des déchets stockés à Cigéo peut se voir attribuer une valeur économique dans la mesure où il resulte d’une production énergétique ayant permis d’éviter le rejet de CO2 à l’atmosphère. Or, la tonne de CO2 évitée est un des éléments de base appelés à réguler aux niveaux européens et mondial la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. La valeur de cette tonne n’est pas fixée ; elle doit résulter des transactions entre entreprises soumises à quotas. Elle se situe aujourd’hui entre 5 et 30 euros avec de fortes fluctuations…et les souhaits exprimés par de nombreux responsables européens pour que soit encouragée une hausse de cette valeur entre les 50 et les 100 euros en 2030. Sans anticiper, considérons pour l’instant les valeurs actuelles et notons que les déchets aujourd’hui recensés devant être stockés à Cigéo représentent l’équivalent d’environ 10 milliards de tonnes de CO2 évitées grâce au remplacement du charbon et du fuel par le nucléaire. Cette valorisation de l’inventaire des déchets aboutit à un montant non négligeable de plusieurs milliards d’euros. Une valorisation certes théorique mais qui, dans le cadre d’une comparaison sur les coûts externes des différentes énergies, mérite d’être considérée. Elle est en fait une des illustrations, en termes économiques, de l’avantage « climatique » du nucléaire sur les énergies fossiles. 94

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6 Le stockage géologique au futur : quelle évolution et quel impact radioactif ?

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ucun ouvrage humain ne peut garantir une parfaite étanchéité pendant un million d’années ». Voilà l’argument ultime répété « en boucle » par les opposants au stockage géologique lors de tous les débats sur la question. Il suggère qu’un tel ouvrage finira bien par laisser échapper, un jour, de la radioactivité préjudiciable à nos lointains descendants ! L’argument du million d’années semble de bon sens… sauf que l’objectif d’un stockage souterrain n’est pas d’assurer une étanchéité absolue jusqu’à ce terme lointain pour la bonne raison qu’à cette échéance, les déchets auront perdu, depuis fort longtemps, sinon leur radioactivité, du moins leur dangerosité ! Et il ne faut pas faire aux experts qui travaillent à ce mode de stockage, un procès en naïveté ou en outrecuidance : aucun d’eux ne prétend avoir la clé de l’étanchéité éternelle ! À l’inverse de cet objectif inatteignable, le ­stockage géologique pose au contraire comme postulat la perte d’étanchéité du système : il établit que certaines des barrières confinant les déchets

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LE STOCKAGE GÉOLOGIQUE AU FUTUR : QUELLE ÉVOLUTION ET QUEL IMPACT ?

finiront par se dégrader, ce qui entraînera le relâchement et la migration de radioéléments dans la roche d’accueil. L’enjeu n’est donc pas de prévoir si le confinement restera ou non hermétique pendant un million d’années. La réponse est négative. La seule question essentielle à poser est de savoir si l’inévitable dégradation de l’étanchéité pourra être suffisamment atténuée et la migration des radioéléments suffisamment ralentie pour n’entraîner aucun impact radioactif dommageable sur les populations riveraines. Autrement dit, le « coffrefort » jouera-t-il son rôle protecteur ? Les scénarios d’évolution d’un stockage géologique élaborés en France et à l’international répondent clairement à la question.

L’EAU, « ENNEMI » DÉCLARÉ DU STOCKAGE SOUTERRAIN Dans la perspective de stockage de long terme où nous nous plaçons – et compte tenu de la protection fournie par l’implantation souterraine contre les aléas de tout ordre venus de l’extérieur (voir chapitre précédent) – il n’y a finalement qu’un seul risque à circonscrire : c’est que les déchets de haute activité puissent migrer vers la biosphère en quantités excessives et contaminer ainsi, dans des proportions dommageables, l’environnement de surface et principalement les nappes phréatiques. Dès lors qu’il est exclu que les déchets, blocs solides emprisonnés à l’intérieur de plusieurs barrières, puissent, dans cet état, migrer vers la surface, il n’y a qu’un seul mécanisme à considérer capable de dégrader le dispositif : c’est l’action de l’eau. Celle-ci a en effet la double capacité de corroder les colis de déchets et de transporter des radioéléments vers la surface. C’est bien pour cette raison que l’eau est l’« ennemi » déclaré du stockage géologique. Comme le note Stéphane Gin dans son livre déjà cité1 « sans eau rien de significatif ne se passera (dans un stockage souterrain) même à l’échelle des temps géologiques ». Tout est donc pensé et réalisé, dans un 1.  Les déchets nucléaires, quel avenir ? Stéphane Gin. Éd. Dunod, 2006. 96

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tel stockage, pour contrecarrer l’action de l’eau. À commencer par le choix de la roche d’accueil qui doit être la plus imperméable possible. Ce sera bien sûr le cas à Cigéo : dans l’épaisse couche d’argile où le centre sera aménagé, l’eau n’est présente qu’en très faibles quantités et sa vitesse de circulation est tellement lente qu’elle s’apparente à une forme d’immobilité : une goutte met en moyenne 1 000 années pour s’y déplacer d’un millimètre. Quelles que soient les barrières en place et les caractéristiques du milieu géologique, il est acté que l’eau viendra au fil du temps dégrader les protections entourant les déchets. C’est là le point de départ du scénario d’évolution d’un stockage géologique tel que le décrivent les études françaises2. Notons que les études conduites dans d’autres pays sur des projets de stockages géologiques aux configurations différentes aboutissent dans l’ensemble aux mêmes conclusions générales, comme nous le verrons plus loin.

L’ÉVOLUTION D’UN STOCKAGE GÉOLOGIQUE. PREMIÈRE ÉTAPE : CONFINEMENT DANS LES CONTENEURS SUR LE LONG TERME Une fois le stockage refermé – après un remplissage par les déchets de haute et de moyenne activité à vie longue qui pourrait s’étendre sur 100 à 150 ans – la première étape de ce scénario – je m’en tiens ici, comme annoncé aux déchets de haute activité – se prolonge sur plusieurs milliers d’années. Cette première étape correspond à un confinement pratiquement total des déchets à l’intérieur d’une double protection : le colis primaire, qui contient les blocs vitrifiés 2.  Les études de base sont rapportées dans : Projet Cigéo, dossier du maître d’ouvrage. Débat public 2013. Voir aussi : Dossier 2005 Argile – évaluation de la faisabilité du stockage géologique en formation argileuse. (Voir le site de l’Andra). Beaucoup d’autres études et documents, émanant de l’Andra ou d’autres acteurs concernés – ASN, IRSN, Areva, CEA, EDF, pouvoirs publics, HCTISN, associations, expressions individuelles… – ont été réalisés, notamment à l’occasion des deux débats sur les déchets conduits en 2005 et en 2013. Ils sont consultables sur les sites de ces acteurs ou sur le site de la Commission nationale du débat public (CNDP). 97

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et un sur-conteneur de stockage qui enveloppe ce colis primaire. Il faudra beaucoup de temps pour que se manifeste une dégradation significative de cette double barrière protectrice sous l’action de l’eau. Cette résistance est principalement le fait du sur-conteneur de 55 mm d’épaisseur en acier non allié qui ne se corrode qu’au rythme très lent de quelques microns par an. Les études et simulations ainsi que l’analyse d’usure de métaux naturels vieux de plusieurs milliers d’années conduisent à estimer que la protection par les conteneurs métalliques conservera son étanchéité pendant des milliers d’années. En fait, on évoque une durée de l’ordre de 4 000 ans et sans doute davantage. À ces échéances, l’inévitable perte d’étanchéité du système signifie que de l’eau, traversant les parois corrodées des conteneurs, pourra désormais venir au contact des déchets vitrifiés. Contre cette lixiviation, les verres ont de très importantes capacités de résistance se chiffrant en centaines de milliers d’années. Ils vont prendre le relais des conteneurs pour une action de confinement des radioéléments prolongée sur des durées beaucoup plus longues. …Et il faut noter que pendant ces premiers milliers d’années où les déchets doivent rester entièrement confinés avec l’impossibilité pratiquement absolue de sortir de leurs colis, leur radioactivité a nettement diminué, induisant du même coup une forte baisse de leur dangerosité.

LE RELAIS DES VERRES POUR SÉQUESTRER LES RADIOÉLÉMENTS L’arrivée de l’eau sur les blocs vitrifiés n’est pas considérée comme un événement exceptionnel ou inquiétant mais comme une étape normale de l’évolution du stockage. Certes, les déchets ont perdu, plus ou moins partiellement, la protection de leurs conteneurs. Mais bloqués dans une gangue de verre dont ils sont devenus partie intégrante, ils ne peuvent s’en extirper, lixiviés par l’eau, qu’à des vitesses et dans des proportions infinitésimales, dans un mouvement s’étalant 98

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nécessairement sur des centaines de milliers d’années3. Là encore, les études et expérimentations sont nombreuses pour préciser les caractéristiques de ce processus : elles montrent que la forte radioactivité des déchets ne dégrade nullement les propriétés de la matrice vitreuse et elles établissent, comme le rappelle E. Vernaz dans un texte de synthèse4, que la vitesse d’altération des verres est d’environ 20 microns tous les 1 000 ans. C’est ce que valide l’analyse des analogues naturels que sont les verres volcaniques dont l’altération dans un milieu agressif affiche une vitesse – on devrait plutôt dire une lenteur – du même ordre. Au total, la durée de dégradation des blocs de verre est évaluée à plusieurs centaines de milliers d’années – le cap du million d’années étant même évoqué par nombre de spécialistes. Mais on préfère s’en tenir, du côté de l’Andra, à une démarche plutôt conservative5 avec tout de même une durée affichée de l’ordre de 400 000 ans pour la lixiviation progressive des blocs vitrifiés. Le verre s’affirme ainsi comme une matrice idéale pour séquestrer sur le très long terme les radioéléments. C’est ce que souligne l’IRSN en estimant que « les objectifs de conception d’un colis « intrinsèquement sûr « peuvent être considérés comme globalement atteints pour un colis de déchets vitrifiés ». Nombre de radioéléments termineront dans ce colis ou à ses abords immédiats, leur existence d’atome radioactif, finissant par se transformer en atomes stables suivant la loi naturelle de décroissance de la radioactivité.

3.  Un autre type de verres intégrant des déchets très anciens a été produit en quantités relativement faibles dans les années 1960/1970. Ces verres ont des capacités de rétention inférieures, évaluées en milliers d’années. 4.  Des verres garantis pour des millions d’années. Etienne Y. Vernaz, CLEFS CEA n° 46. Année 2002. 5.  Les spécialistes de sûreté ont de plus en plus tendance à recourir à ce terme dans sa signification anglaise : il désigne une démarche de prudence s’obligeant à considérer comme plausibles les événements très improbables et à leur attribuer, parmi les niveaux de détriment qu’ils pourraient entraîner, les plus pénalisants du point de vue de la sûreté. 99

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PENDANT CE TEMPS : LA DÉCROISSANCE DE LA RADIOACTIVITÉ VERS DES NIVEAUX NATURELS À ces échelles de temps, la décroissance radioactive installe progressivement le stockage géologique dans une situation nouvelle. En effet, le nombre des radioéléments initialement présents dans le stockage est, du fait de cette décroissance, en nette diminution. Cette tendance peut s’accompagner de regains d’activité entraînés par l’apparition d’isotopes plus radioactifs que les radioéléments qui les ont engendrés par désintégration. Mais ce phénomène ne saurait contrecarrer la tendance globale à la baisse de la radioactivité. Au bout d’environ 300 ans, la radioactivité de la majeure partie des déchets, constituée par des produits de fission à la période la moins longue, a très fortement diminué, se rapprochant des valeurs naturelles enregistrées dans certains gisements d’uranium. Les plus forts contributeurs à la radioactivité deviennent alors les actinides mineurs, radioéléments à la période la plus longue mais à l’activité la moins intense (voir chapitre 5). Si l’on considère l’inventaire global des déchets HA stockés à Cigéo, on calcule que leur radiotoxicité6 rejoint au bout de 10 000 ans celle du minerai d’uranium naturel ayant servi à les produire et dont ils sont les résidus. En fait, ce que nous disent ces comparaisons c’est qu’après quelques milliers d’années, un stockage de déchets d’où l’on a exclu le plutonium est assimilable à l’une de ces nombreuses concentrations de radioactivité qui parsèment l’écorce terrestre depuis des milliards d’années sous la forme de gisements d’uranium. Et l’on peut même souligner que poursuivant sa décroissance, la radioactivité des déchets de Cigéo évoluera vers des niveaux encore inférieurs à ceux de la radioactivité de l’uranium contenu dans ces gisements (uranium dont la période est, rappelons-le, de 4,5 milliards d’années).

6.  La radiotoxicité exprime la dangerosité radioactive potentielle d’un radioélément compte tenu de l’ensemble de ses caractéristiques physiques et chimiques. Elle se calcule en Sievert et milliSievert. 100

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L’enseignement majeur à tirer de ces indications est qu’un s­ tockage comme Cigéo a les moyens d’assurer une durée de confinement des déchets bien supérieure à celle qui est nécessaire pour que leur radioactivité diminue à des niveaux inoffensifs. La barrière constituée par la couche géologique parachève le confinement et l’isolement des déchets par rapport à la biosphère avec des marges de sécurité considérables.

LA COUCHE GÉOLOGIQUE, REMPART DÉFINITIF POUR PARACHEVER LE CONFINEMENT Face aux déchets relâchés par les blocs vitrifiés, la couche géologique prend le relais comme barrière naturelle et stoppe ou ralentit considérablement – ce qui revient à peu près au même – la quasi-totalité des radioéléments subsistants. Ceux-ci ne pourront se déplacer dans le milieu rocheux qu’avec une lenteur extrême, évaluée en moyenne à quelques centimètres tous les mille ans ou ne bougeront pratiquement pas. La plupart d’entre eux n’atteindront donc jamais la surface et auront disparu par décroissance radioactive après un parcours ne dépassant guère quelques mètres. Ces évaluations sont identiques à celles qui ressortent des travaux conduits à l’étranger. Dans ce contexte, on s’est attaché à étudier la migration de tous les types de radioéléments, chacun s’étant vu établir son équation particulière décrivant son cheminement dans la couche géologique en fonction de ses caractéristiques physiques et chimiques, de sa solubilité, de sa concentration, de sa dilution en cours de trajet, de son piégeage possible dans les pores de l’argile, de la vitesse de l’eau etc. Dû à l’entraînement par l’eau ou au phénomène de diffusion7, le cheminement des radioéléments s’oriente à parts à peu près égales vers le haut et vers le bas mais l’immense majorité d’entre 7. Le déplacement par diffusion résulte du mouvement propre des différents éléments qui ont tendance à aller des zones où leur concentration est forte vers des zones de moindre concentration, ce qui aboutit à une occupation de l’espace mieux équilibrée. L’autre type de déplacement en milieu géologique est la convection, c’està-dire l’entraînement par l’eau. 101

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eux, hors de toute possibilité de déboucher un jour dans la biosphère, n’atteindront même jamais les couches supérieures ou inférieures de l’Oxfordien ou du Dogger, les deux formations géologiques qui enserrent la couche d’argile dans laquelle sera aménagé Cigéo.

LA CONFIRMATION PAR LES ANALOGUES NATURELS Les résultats de ces modélisations sont validés par l’étude systématique des analogues naturels, c’est-à-dire ces matériaux ou ces mécanismes qui existent dans l’environnement à l’état naturel et qui sont très voisins des réalisations humaines au point de pouvoir leur être comparés et servir de référence. L’observation de ces analogues, principalement les gisements d’uranium, conforte invariablement les analyses présentées. C’est ce que souligne Bernard Poty, spécialiste reconnu de la géologie de l’uranium, qui a étudié et visité les trois quarts des plus grands gisements de la planète : auditionné par le HCTISN et auteur d’un « Cahier d’acteur » diffusé en 2013 lors du débat public sur Cigéo, il indique que « l’étude géologique et géochimique de ces gisements montre que les actinides mineurs n’ont pas migré sur des périodes de centaines de millions d’années… » En fait, l’existence même de gisements d’uranium restant en place sur d’aussi longues durées est une démonstration de la capacité de l’environnement géologique – et tout particulièrement de l’argile – à empêcher ou à ralentir considérablement la migration des matières radioactives. Un autre exemple, particulièrement significatif, nous est fourni par l’étonnant réacteur nucléaire naturel découvert à Oklo, au Gabon : il y a deux milliards d’années, dans cette zone alors très riche en uranium fissile8, se sont « allumées » spontanément et ont perduré 8.  À cette époque l’uranium naturel était nettement plus riche qu’aujourd’hui dans son isotope 235 fissile, dont une partie a aujourd’hui disparu par décroissance radioactive. Cette présence plus importante de l’uranium fissile a permis l’amorçage et l’entretien d’une réaction en chaîne sur plusieurs foyers du site. En raison d’une présence diminuée de l’U235 un tel phénomène ne serait pas possible à notre époque. 102

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des réactions de fission en tout point semblables à celles que l’on entretient dans nos centrales nucléaires ! Une fantastique découverte, mise à jour au début des années 1970, qui a suscité l’intérêt passionné de tous les chercheurs nucléaires sur la planète – et dont la Revue générale nucléaire, alors sous mon secrétariat éditorial, a largement rendu compte9. Ce « réacteur » a fonctionné pendant un million d’années produisant plusieurs tonnes de déchets – produits de fission et actinides mineurs – exactement identiques aux déchets de haute activité que nous devons gérer aujourd’hui. Il est instructif de constater que dans l’environnement d’Oklo, loin d’être imperméable, les déchets à la durée de vie la plus longue, les actinides mineurs, sont restés pratiquement « scotchés » dans la couche rocheuse environnante, se déplaçant tout au plus de trois à dix mètres durant ces deux derniers milliards d’années ! comme le montrent les traces de leurs descendants issus de désagrégations radioactives successives. En un mot, ce qu’illustrent spectaculairement ces analogues naturels c’est que l’environnement géologique – et notamment l’argile – peut constituer pour les substances radioactives une véritable barrière qui les confine jusqu’au plus lointain futur dans une quasi immobilité.

UN IMPACT RADIOACTIF EN SURFACE QUASI NUL C’est une semblable immobilisation qui attend les déchets s­ tockés à Cigéo. Le consensus est général entre les experts français et étrangers pour établir, calculs à l’appui, que leur impact radioactif en surface sera quasi nul. Les produits de fission aux durées de vie relativement courtes sont appelés à disparaître, c’est-à-dire à se transformer en atomes stables non radioactifs, après une migration de quelques mètres en quelques milliers d’années. Les actinides mineurs, à la durée de vie beaucoup plus longue mais au déplacement encore plus lent 9.  Le phénomène d’Oklo. Roger Naudet, RGN 1975 n° 1. 103

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(car pratiquement insolubles) ne pourront s’extraire du périmètre du stockage qu’après des centaines de milliers d’années. On évoque en fait pour ces actinides, compte tenu de leur très lent transfert par diffusion, une migration de quelques mètres au maximum en un million d’années. Au bout du compte, seuls quelques produits de fission plus mobiles et à la longue durée de vie pourront traverser la couche d’argile puis cheminer à l’intérieur de la couche surplombante vers des exutoires de surface : il s’agit de l’iode 129, du chlore 36, du sélénium 79 et du calcium 41. Mais leur migration sera tellement lente et étalée dans le temps, se prolongeant sur des centaines de milliers d’années, que leur dilution sera extrême. Ajoutée à la décroissance radioactive cette faible concentration ne pourra engendrer que des doses de radioactivité négligeables. Un énorme travail a été réalisé pour quantifier l’impact radioactif de Cigéo en surface10 et le comparer aux exigences définies en France par la règle fondamentale de sûreté (RFS III). Celle-ci édicte que l’impact de Cigéo sur les personnes ne doit pas dépasser la limite de 0,25 millisievert par an soit à peu près le dixième de la radioactivité naturelle. Les niveaux de dose induits par Cigéo sont estimés entre vingt fois et cent fois inférieurs. Ils sont dus essentiellement à l’arrivée très tardive dans les aquifères de surface de l’iode, du chlore et du sélénium. Pour mesurer cet impact, la dose individuelle maximale qu’il pourrait générer a été évaluée en prenant comme référence la population vivant à proximité du stockage. Le but de la démarche est de calculer la dose la plus élevée théoriquement encourue par l’individu le plus exposé et de déterminer le moment où l’impact commencera à se manifester. La dose due à Cigéo dans son ensemble – intégrant les déchets de haute et de moyenne activité – serait de l’ordre de 0,01 millisievert par an. C’est évidemment infinitésimal, à la limite du 10.  La base de ces travaux est rapportée notamment dans : Projet Cigéo, dossier du maître d’ouvrage, Débat Public 2013. Voir aussi le Dossier 2005 Argile. Ces deux documents établis par l’Andra. 104

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quantifiable et sans aucun effet. Cela représente environ le 1/200e de la radioactivité naturelle à laquelle nous sommes en permanence exposés. Pour fixer les idées, cela correspond à peu près à la radioactivité que vous et moi intégrons pendant deux heures de voyage en avion ou pendant une journée de balade sur la côte granitique de la Bretagne… Cette valeur de dose calculée pour Cigéo devrait apparaître 100 000 ans après la fermeture du stockage. Une échéance lointaine qui n’est pas pour surprendre. Elle traduit la lenteur du cheminement des radioéléments dans la roche d’accueil. C’est ce dont voulait témoigner B. Poty en écrivant en conclusion de son Cahier d’acteur que « les capacités de rétention de la roche sont telles que jamais les populations vivant à l’aplomb du centre de stockage ne subiront un préjudice pour leur santé ».

« PLUS DE PROBLÈME ? » Au-delà de cette expression personnelle, il est intéressant de se reporter aux conclusions de la Commission nationale d’évaluation, spécialement chargée d’examiner le travail de l’Andra et de se prononcer sur la sûreté de Cigéo. Dans son Avis de mars 2013, la CNE formule l’appréciation suivante : « Les verres et l’argile d’une couche géologique profonde sont des barrières efficaces de confinement des produits de fission et des actinides pour des centaines de milliers d’années. Cette durée suffit à abaisser leur nocivité à un niveau tel qu’elle ne pose plus de problème pour les populations vivant au-dessus du stockage ». L’essentiel est dit dans ces phrases qui valident le principe du stockage géologique et prennent acte de sa fiabilité. Une appréciation qui rejoint celle de l’Autorité de sûreté nucléaire considérant, après la longue séquence ouverte par la loi Bataille de 1991, que « le stockage en formation géologique profonde est une solution de gestion définitive (des déchets nucléaires) qui apparaît incontournable. » Point de vue que partage Bernard Bigot, s’exprimant en tant que Haut-commissaire du CEA, estimant que « au vu des résultats acquis, l’essentiel sera de 105

LE STOCKAGE GÉOLOGIQUE AU FUTUR : QUELLE ÉVOLUTION ET QUEL IMPACT ?

reconnaître le stockage géologique, avec sa phase réversible initiale, comme une solution de référence… »11. Le scénario ainsi décrit fait l’objet de démonstrations précises et apparaît certes convaincant mais il correspond à l’évolution dite « normale » du stockage. Il convient d’examiner tout autant les évolutions anormales c’est-à-dire s’interroger sur les dysfonctionnements possibles du système et leurs éventuelles conséquences à long terme sur les populations riveraines.

11.  Cité par Le Monde du 13/01/2006. 106

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7 Dysfonctionnements, défaillances, scénarios altérés, quelles conséquences ?

L

es évaluations présentées au chapitre précédent ne doivent pas conduire à éluder la question essentielle qui se pose lors de toute analyse de sûreté : et si « ça » ne fonctionnait pas comme prévu ? Et si des vices de conception, des détériorations improbables, des accidents inopinés en venaient à altérer la capacité de confinement du stockage ?

HYPOTHÈSES PÉNALISANTES ET IMPROBABLES Ces questions ont fait l’objet d’études portant sur tous les éléments du dispositif de Cigéo : conteneurs, verres, alvéoles, imperméabilité de la roche, formation ou non de failles etc. Sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire, de la Commission nationale d’évaluation et en liaison avec de nombreux organismes français et étrangers partenaires, l’Andra a conduit ces travaux avec, comme il se doit dans 107

DYSFONCTIONNEMENTS, DÉFAILLANCES, SCÉNARIOS ALTÉRÉS, CONSÉQUENCES ?

le domaine nucléaire, le souci d’imaginer les cas de figure les plus préjudiciables à la sûreté. C’est ainsi qu’ont été bâtis des scénarios « altérés » renvoyant aux dysfonctionnements les plus graves pouvant affecter les éléments-clé de l’équipement. On étudie par exemple le scénario d’une défaillance des colis en formulant l’hypothèse que les conteneurs de déchets HA perdent leur étanchéité non pas des milliers d’années après la fermeture du stockage mais au bout d’un siècle seulement et commencent à relâcher les radioéléments dès ce moment ! On a également travaillé sur des scénarios supposant des défauts de scellement des alvéoles, des galeries et des puits, ou imaginant des forages intempestifs pénétrant dans le stockage. Dans le cadre d’une analyse extrême, les experts se sont astreints à étudier le plus improbable et le plus pénalisant des scénarios mettant en scène une situation purement conventionnelle : celle de défaillances simultanées de toutes les barrières de confinement protégeant le stockage ! On imagine ainsi une perméabilité beaucoup plus élevée de la roche avec des zones endommagées bordées de fissures et une circulation d’eau plus abondante et rapide que la normale, auxquelles s’ajoutent un défaut des scellements affichant les plus basses performances d’étanchéité ainsi qu’une dégradation des colis et des matrices évalués à la limite inférieure extrême de leur capacité de confinement. Autrement dit, on bâtit le scénario – que l’on pourrait théoriquement qualifier de « catastrophe » – qui rassemble les conditions les plus propices au relâchement précipité des radioéléments et à leur migration accélérée dans la roche d’accueil…

LOIN DES LIMITES DE RADIOACTIVITÉ RÈGLEMENTAIREMENT AUTORISÉES Dans tous ces cas de figure qu’illustrent ces scénarios dégradés, les études montrent que l’impact du stockage resterait inférieur à la limite édictée de 0,25 millisievert/an. Ces résultats ont été acquis à 108

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DYSFONCTIONNEMENTS, DÉFAILLANCES, SCÉNARIOS ALTÉRÉS, CONSÉQUENCES ?

travers une méthodologie fixée par les référentiels de sûreté établis au niveau international par l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) et au niveau français par l’ASN. La limite de 0, 25 mSv/ an est, faut-il le rappeler, un niveau de dose extrêmement bas qui équivaut au quart de la limite réglementaire d’exposition du public (1 mSv/an) et à un peu plus du centième de la limite réglementaire d’exposition des travailleurs (20 mSv/an). L’absence de détriment constatée même en cas de dégradation d’importantes fonctions de sûreté est un gage de la robustesse du stockage géologique. Elle confirme que la sûreté de Cigéo ne se fonde pas sur un composant unique – dont la défaillance serait forcément préjudiciable – mais repose sur la conjugaison de plusieurs éléments assurant leur fonction avec des marges de sécurité importantes. Ces protections se combinent et se relaient pour concourir à la solidité de l’ensemble. Même si l’on fait l’hypothèse que leurs performances individuelles se dégradent jusqu’à la frontière de la vraisemblance, leur combinaison permet encore d’assurer la sûreté du stockage.

DES PROPHÉTIES INDÉMONTRABLES ET UN « CRIME » QUI N’EXISTE PAS ! On reste donc très loin, même en cas de dysfonctionnement, de la situation qui pourrait entraîner un dommage pour nos descendants. Et quand les militants anti-nucléaires proclament que le stockage géologique est « un véritable crime contre les générations futures », il leur est impossible de montrer techniquement selon quel mécanisme ce « crime » pourrait se concrétiser. Cela s’est vérifié assez spectaculairement lors de deux événements révélateurs que j’ai pu observer et je dirais même « vivre » de très près : Lors du débat national de 2005 sur le stockage des déchets, une tribune particulière intitulée « Analyse contradictoire » avait été réservée aux opposants dans le dossier officiel de présentation du débat 109

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afin qu’ils motivent sans entrave leur réquisitoire1. Toutes les parties prenantes au débat attendaient avec intérêt ce document où le mouvement anti-nucléaire français était censé justifier ses prédictions catastrophistes et démontrer en quoi le stockage géologique était un « crime » contre nos descendants. De démonstration il n’y eut point ! Dans ce document de 22 pages, rien ne vient expliciter les conditions et les mécanismes du « crime » annoncé. Les auteurs nous expliquent à longueur de paragraphe que les substances radioactives sont dangereuses et malaisées à gérer – ce dont on conviendra volontiers – mais ils sont muets sur le processus par lequel le stockage géologique pourrait ravager la santé des générations futures. Un mutisme qui illustre tout simplement le fait qu’aucun argument technique crédible ne permet de valider cette prophétie. Car il est évidemment plus facile d’annoncer des cataclysmes face aux auditoires surchauffés des réunions publiques que d’en démontrer les conditions et le déroulement par un argumentaire technique soumis à l’examen public des experts. Un équipement comme Cigéo peut certes connaître des dysfonctionnements plus ou moins marqués et relâcher plus précocement que prévu davantage de radioactivité que la moyenne calculée… Mais cela ne se traduit que modérément dans l’impact radioactif en surface et force est de constater que le scénario d’évolution d’un stockage qui conduirait à un risque inacceptable pour la santé des riverains n’existe pas. L’appel de la CLIS de Bure2 à un « expert indépendant » venu d’outre-Atlantique a confirmé ce constat. Association leader du mouvement anti-nucléaire aux États-Unis, l’Institute for Energy and Environmental Research (IEER) s’est livré à la demande de la 1.  Gestion des déchets nucléaires à vie longue : analyse contradictoire. Benjamin Dessus, Bernard Laponche, Yves Marignac (présentés sur le document officiel du débat comme des « experts des questions énergétiques et nucléaires connus pour leurs analyses critiques sur la question nucléaire »). Publié par la Commission nationale du débat public. CNDP 2005. 2.  Commission locale d’information et de suivi, pour le laboratoire souterrain de l’Andra et le projet Cigéo. 110

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CLIS – et avec le concours de spécialistes de physique nucléaire et de géologues – à un examen critique du projet de l’Andra, en 2005 puis en 2011. Reconnaissant non sans un certain fair-play l’« excellent travail » de l’Andra qui « fait avancer l’état de l’art de la science et de l’ingénierie du stockage » et dont les efforts de recherche sont « remarquables et impressionnants », l’IEER a émis des réserves sur plusieurs aspects du projet3 – auxquelles l’Andra a d’ailleurs répondu point par point. Mais l’association écologiste, bien qu’invitée à aller jusqu’au bout de ses critiques et de ses oppositions, n’a en aucune façon entrepris de démontrer que le stockage géologique ferait peser sur nos descendants la terrible menace prophétisée dans les discours militants : on parle certes de défauts de scellement, d’étanchéité dégradée des conteneurs, de fragilisation des alvéoles, de fissures dans la roche d’accueil, de vitesse plus rapide de l’eau circulante… mais jamais des conséquences que pourraient avoir de telles défaillances et des mécanismes par lesquels elles pourraient induire un danger hors normes menaçant nos arrière-petits-enfants ! Illustration supplémentaire que ce scénario d’un « crime » à retardement est insoutenable techniquement et ne fonctionne pas.

LE MAUVAIS EXEMPLE DE ASSE Au-delà des catastrophes annoncées qu’aucun raisonnement technique ne peut valider, les opposants à Cigéo essaient de donner plus de poids à leur argumentation en évoquant depuis quelques années les graves dysfonctionnements survenus dans le dépôt de déchets de Asse en Allemagne. Ils pensent tenir là un exemple concret contestant la fiabilité du stockage géologique. Mais leur démonstration n’est pas probante. En effet, Asse est une ancienne mine de sel et de potasse qui avait été reconvertie en 1967 en dépôt profond (– 800 m) pour 3.  The french high-level waste repository program – examen critique. IEER. 2011. www.ieer.org 111

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des déchets nucléaires de faible et moyenne radioactivité. Cette reconversion avait été décidée, on peut même dire improvisée en dehors de toute étude géologique sérieuse, selon les critères de la législation minière de l’époque et non pas selon les normes d’une règlementation nucléaire – élaborée ultérieurement. Le site de Asse, où l’on a entassé entre 1967 et 1978 des milliers de fûts de déchets nucléaires n’avait rien pour devenir un stockage géologique et s’est vite révélé totalement inadapté à cette fonction ; cela en raison notamment d’importantes entrées et circulations d’eau, qui avaient été repérées dès les années 1960 et dont les responsables de l’époque ne s’étaient guère inquiétés. Ces circulations d’eau induisent un environnement souterrain trop humide pour les conteneurs de déchets de Asse, simples fûts vulnérables à la corrosion. Certains empilements se sont affaissés et une partie des fûts baigne dans des sols saturés d’humidité. Décision a été prise de transférer ces fûts dans le puits de Conrad, une ancienne mine de fer offrant un environnement géologique mieux adapté. Contrairement à ce que voudraient faire croire les opposants au nucléaire, Asse a été un choix improvisé et erroné, à une époque où le nucléaire faisait ses premiers pas et n’avait pas encore engagé une véritable stratégie de stockage de ses résidus. Cette ancienne mine, choisie par commodité, n’a rien d’un stockage géologique au sens où nous le décrivons dans ce livre. C’est pourquoi tenter de discréditer Cigéo en pointant les dysfonctionnements de Asse est un trompel’œil sans fondement.

LE STOCKAGE GÉOLOGIQUE RÉFÉRENCE MONDIALE Sans se laisser prendre à ce trompe-l’œil, il est au contraire intéressant de constater, par un rapide regard au-delà de l’Hexagone, à quel point le stockage géologique est reconnu comme une option de référence approuvée par la quasi-unanimité des spécialistes des déchets. Les analyses et conclusions développées ici à propos du projet français sont confirmées par les travaux conduits à l’étranger. Les 112

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laboratoires souterrains de Mol, en Belgique et du Mont-Terri, en Suisse abritent des recherches sur les formations géologiques établissant des résultats du même ordre que ceux auxquels parvient l’Andra. Les programmes menés au niveau européen débouchent sur des conclusions sensiblement identiques. C’est ainsi que le programme Everest, réunissant l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la France et les Pays-Bas montre que quel que soit le type de roche étudiée, l’impact radioactif du stockage profond ne dépasse pas quelques millièmes de millisieverts par an pour la personne la plus exposée. Le scénario altéré le plus pénalisant serait le creusement d’un puits jouxtant le stockage, induisant un impact nettement plus élevé mais très localisé. L’exercice japonais H 12 évalue à quelques millièmes de millisieverts par an l’impact en surface d’un stockage profond, les premiers radioéléments arrivant à l’exutoire au bout de 100 000 ans (comme à Cigéo). Là aussi, les ingénieurs japonais ont imaginé les scénarios les plus pessimistes tels que défauts d’étanchéité des colis relâchant des radioéléments plus tôt que prévu, défauts des scellements des cases de stockage et des galeries, intrusion par forage, changement climatique… Aucun de ces scénarios ne modifie significativement l’impact radioactif du stockage géologique sur la biosphère. Quant aux Finlandais et aux Suédois qui conduisent les réalisations les plus avancées dans ce domaine, ils calculent aussi à des niveaux très bas, nettement inférieurs à la radioactivité naturelle, l’impact en surface des déchets stockés. Pour les deux pays il s’agira de combustibles usés non retraités, qui seront donc stockés en l’état dans des formations de granit, à environ 400 et 500 mètres de profondeur. Le centre d’Onkalo, en Finlande, devrait accueillir ses premiers assemblages usés en 2020. Le centre de Forsmark, en Suède, sera opérationnel quelques années plus tard, sa construction devant débuter en 2020, en même temps, en principe, que celle de Cigéo, sous réserve que le projet ait obtenu toutes les autorisations nécessaires. Ce consensus international sur le stockage géologique est bien résumé par l’Agence pour l’énergie nucléaire de l’OCDE notant que 113

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« l’opinion des spécialistes est que l’évacuation par mise en dépôt en formation géologique constitue une solution satisfaisante et conforme à l’éthique pour la gestion à long terme des déchets radioactifs à vie longue. La faisabilité (du stockage géologique) des déchets, y compris le combustible usé, est aujourd’hui techniquement établie… »4.

BILAN : POURQUOI JE NE M’INQUIÈTE PAS POUR LES GÉNÉRATIONS FUTURES ? Après ces observations sur la sûreté du stockage géologique, je ne peux que réitérer ici le propos liminaire ouvrant la présentation de cet ouvrage : tels qu’ils sont stockés, les déchets nucléaires se révèlent hors d’état de nuire. Et je n’ai pas d’inquiétude particulière quant à leur impact radioactif sur les générations futures, contre lesquelles aucun « crime » ne se prépare… Certes, je conviens qu’un équipement comme Cigéo, rempli à satiété de matières parmi les plus dangereuses que l’Homme ait produites, puisse induire dans le public de l’angoisse, de l’appréhension, à tout le moins un malaise. Et je peux comprendre la démarche de certains de nos compatriotes qui, hors des dogmes de l’anti-nucléarisme militant, s’opposent à la réalisation de cet équipement appelé à perdurer pendant des millénaires et à imposer sa présence, aussi discrète fût-elle, dans un univers qui ne sera plus le nôtre. Mais ces considérations psycho-sociales ne doivent pas occulter les réalités techniques qui ramènent le danger perçu à de plus modestes dimensions. Considérant ces réalités techniques, je mettrais volontiers en exergue, au-delà de leur crédibilité globale, trois éléments particuliers confortant la confiance que peut inspirer le stockage géologique. –– Je note d’abord que ce sont des propriétés ou des mécanismes naturels, donc parfaitement vérifiables, mesurables et pérennes 4.  Stockage définitif des déchets de haute activité : calendrier de mise en œuvre. AEN/ OCDE. 2008. 114

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qui fondent la formidable capacité de confinement du stockage géologique. Cela concerne en premier lieu, la matrice de verre et les conteneurs de métal où sont enfermés les déchets : la résilience de ces deux matériaux, qui garantit une protection durable, se calque sur celle, régulièrement confirmée, de leurs analogues naturels. Cela tient également au phénomène naturel de la décroissance radioactive qui a pour conséquence d’abaisser la dangerosité des déchets vers des niveaux inoffensifs. Cela concerne enfin la barrière naturelle que constitue la couche géologique, piégeant à grande profondeur l’essentiel des radioéléments parvenant à franchir le périmètre du stockage. La conjugaison de ces protections naturelles, non contestables – et de surcroît fort peu altérées par les hypothèses de défaillance les plus pessimistes – est une signature majeure de la robustesse du stockage géologique. –– Le second élément que je veux noter tient au fait qu’un tel stockage, une fois fermé, ne peut pas engendrer de phénomène violent entraînant une contamination radioactive brutale et massive de l’environnement de surface, comme cela s’est produit par exemple à Fukushima ou à Tchernobyl. Un stockage de déchets n’est pas un réacteur nucléaire. On peut avoir la certitude pratiquement totale que les personnes vivant à proximité ne se retrouveront pas surprises et meurtries par une agression violente portant atteinte à leur intégrité. Quelles que soient les causes initiatrices du dysfonctionnement (défaut d’étanchéité, failles, forage…), le dommage le plus grave pouvant nuire aux riverains serait la survenue, forcément étalée dans le temps, d’un surcroît de radioéléments atteignant les aquifères de surface. Tel est le danger théorique maximal encouru par les générations futures. Il faut donc dissiper cette idée fausse d’un stockage souterrain assimilé à un chaudron bouillonnant et risquant à tout moment d’« éclater à la figure » de nos malheureux descendants dans un accident ravageur. Il n’y a pas, dans le contexte d’un 115

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stockage géologique, d’«éclatement » possible. L’hypothétique radioactivité additionnelle arrivant dans les eaux de surface pourrait-elle augmenter significativement la dose individuelle d’exposition ? Cette éventualité est envisagée mais dans tous les cas les radioéléments relâchés ne pourront l’être que progressivement, cette lenteur entraînant leur forte dilution et l’affaiblissement de leur impact. Mais que l’on pressente ou non une augmentation de la dose théorique, on peut estimer que nos descendants sauront fort bien – à moins qu’ils ne soient retournés à l’âge de pierre ! – se prémunir contre cette contamination. Même extrêmement faible, la pollution radioactive serait très facilement détectée et des dispositions pourraient être prises pour s’en protéger et pour la contenir si nécessaire. –– Le troisième élément qui vient souligner à mes yeux la crédibilité du stockage géologique est le jugement technique que les experts des différents pays portent à son égard. Il est particulièrement significatif de constater que sur ce sujet aussi complexe et sensible, pratiquement tous les spécialistes ont la même opinion et formulent les mêmes conclusions : bien conçu et bien réalisé, ce type de stockage est une solution fiable qui ne portera aucun préjudice sérieux à nos descendants. À travers de nombreux contacts en France et à l’étranger, j’ai pu moi-même vérifier directement ce consensus. Il se traduit, comme je l’ai indiqué, dans les projets de réalisation plus ou moins avancés de centres de stockage souterrain dans une dizaine de pays. Par-delà des approches techniques différentes concernant par exemple les colis de déchets ou la roche d’accueil, on retrouve dans toutes les études de sûreté menées sur ces projets – y compris Cigéo – les mêmes démarches aboutissant aux mêmes conclusions : ces études sont construites sur des analyses, des modélisations et des prospectives extraordinairement prudentes et confirmées par d’innombrables expérimentations de terrain. Et comme en matière de sûreté nucléaire, il faut toujours considérer que c’est 116

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le pire qui va se produire même s’il est complètement improbable, les ingénieurs envisagent systématiquement, pour leur évaluation des risques, les hypothèses les plus pessimistes. Les conclusions qui s’en dégagent sont, d’un pays à l’autre, pratiquement du même ordre : les défaillances les plus graves n’ont que de faibles répercussions sur l’impact radioactif du stockage en surface qui reste dans tous les cas très limité. Se retrouver sur ces conclusions et en cette compagnie est un brevet supplémentaire de crédibilité pour le projet français.

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8 Ça se discute… Mes quatre vérités sur la querelle des déchets

A

u-delà de ses aspects purement techniques, le problème des déchets de haute activité est un remarquable pourvoyeur de controverse. Celle-ci est loin de concerner le public dans son ensemble. Mais ceux qui s’y impliquent, citoyens sans engagement partisan ou militants estampillés l’alimentent inlassablement, vigoureusement, pour certains agressivement comme si étaient en jeu le bonheur de nos enfants et l’avenir de la planète ! Et ce qui caractérise ces débats c’est le caractère particulièrement émotionnel des attitudes et des argumentations, à croire que l’on touche là à une part intime de la destinée de chacun. De fait, nombre de scientifiques et d’énergéticiens spécialistes du domaine soutiennent volontiers que la gestion des déchets nucléaires est davantage un problème de société qu’un problème technique. Certains sociolo119

Ça se discute…

gues ne sont pas loin de le penser aussi1. Quoi qu’il en soit, cette querelle sociétale est un aspect important de la problématique des déchets, influant directement sur les options de gestion retenues. Elle s’exacerbe depuis plus de trente ans à travers quelques thèmes de prédilection qui lui donnent sa portée et ses couleurs : le temps – avec des futurs qui dépassent l’imagination humaine – les symboles – qui brouillent tout sur leur passage, même les faits les mieux établis – la polémique – attisée par ces faux prophètes qui remplacent l’argumentation par l’anathème, et enfin – l’éthique – où l’on s’interroge… et où l’on questionne les générations futures sur la portée de nos accomplissements !

LE TEMPS « Le temps fait beaucoup à l’affaire »…2 La dimension temporelle est consubstantielle au problème des déchets nucléaires. C’est d’abord à travers leur durée, perçue comme incommensurable, que le public appréhende la dangerosité de ces résidus. « Radioactifs pendant des centaines de milliers d’années »… entend-on à satiété lors des débats publics : dans l’esprit de nos compatriotes, cette image annonce un péril sans échappatoire se perpétuant au fil des générations. L’évocation de cette durée est d’autant plus anxiogène que l’imagination humaine peine à se projeter vers le futur lointain, lequel nous apparaît, au-delà de quelques décennies, non seulement comme imprédictible mais aussi comme non maîtrisable et irréductible à nos entreprises. Il n’est dès lors guère étonnant 1.  Perception des risques par des leaders d’opinion, Enquête BVA pour l’IRSN. 2011. Le pouvoir d’indécision : la mise en politique des déchets nucléaires. Yannick Barthe. Economica, École des mines. Paris 2006. Les Français et les déchets nucléaires. Philippe d’Iribarne. Avril 2005 (Rapport au ministre délégué à l’Industrie). 2. Cette formulation fait référence par antinomie à la chanson de Georges Brassens, ce qui ne veut pas dire que je conteste sa pénétrante analyse, bien au contraire… 120

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que l’idée même de stocker et de confiner des déchets nucléaires pendant des milliers d’années laisse beaucoup de nos compatriotes sceptiques voire incrédules ou réprobateurs. Deux observations liées à cet étalon du temps doivent venir tempérer cette attitude : –– il faut d’abord considérer que le stockage des déchets à vie longue ne s’organise pas à l’échelle du temps humain mais à l’échelle du temps géologique. Il convient donc de mettre en parallèle ce qui est comparable : plutôt que de confronter notre propre horizon individuel, à peine séculaire, à celui, plus que millénaire, des déchets à vie longue – et de pointer ainsi un déséquilibre qui donne le vertige – il faut en toute logique comparer la durée de vie de ces déchets à la résilience du dispositif que nous mettons en place pour nous en protéger. Et de ce point de vue, les horloges concordent : la matrice de verre, les conteneurs, la barrière ouvragée, la couche géologique organisent un confinement global dont la durée, mesurée elle aussi en millénaires, couvre très largement celle de la dangerosité des déchets et s’étend même au-delà. Faisons donc le constat que le temps de la géologie n’est pas celui du citoyen. Pour un individu dont l’espérance de vie est de l’ordre de 80 ans, une durée de 100 000 ans n’a pas de sens. Mais pour une matrice de verre borosilicaté capable de résister sur des millénaires à la lixiviation, une telle échelle est dans la norme… comme elle l’est pour les couches géologiques dont les évolutions se mesurent au rythme de millions d’années. C’est à l’aune de ce temps géologique qu’il faut raisonner et considérer ainsi les durées millénaires comme les jalons ordinaires du calendrier d’un stockage. Si les déchets restent radioactifs longtemps, la durée du « coffre-fort » dans lequel nous les confinons se mesure elle aussi, bien au-delà de l’échelle humaine, à travers les cycles millénaires de la géologie ; 121

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–– imaginer l’impact et le destin de nos déchets nucléaires dans le lointain futur conduit inévitablement à la question : que sera l’humanité dans 100 ans, dans 1 000 ans, dans 10 000 ans ? Je reste stupéfait que cette question ne soit pas plus souvent abordée lors des débats publics qui sont sur ce point étonnamment réducteurs. En fait de prospective sur l’avenir des populations face aux déchets nucléaires, on se heurte immanquablement à une sorte de postulat dominant n’ayant qu’un seul mobile : installer les générations futures en cibles obligées d’un risque perpétuel. Outre le fait qu’il soit techniquement plus que discutable – comme on l’a vu dans les chapitres précédents – ce postulat a ceci de singulier qu’il s’échafaude « toutes choses égales par ailleurs » c’est-à-dire comme si l’état de la société et des populations allait rester dans le futur identique à celui que nous connaissons aujourd’hui ! Cet immobilisme présumé est complètement irréaliste : il est évident que nos sociétés vont continuer d’évoluer vers davantage de connaissance et de performance technologique. Pistes de progrès Lorsque l’on considère les immenses avancées scientifiques et techniques intervenues sur la planète lors des deux derniers siècles, on peut légitimement prévoir que les siècles à venir seront eux aussi porteurs de progrès dans tous les domaines, y compris dans celui des déchets et de la protection contre la radioactivité. Comme je le notai dans un précédent chapitre, il est sûr que nos descendants gèreront les déchets nucléaires mieux que nous, avec des technologies encore mieux adaptées et plus performantes. Les pistes de ces progrès inéluctables sont multiples. En effet, il est probable que les procédés et les dispositifs pourront être parachevés pour diminuer la durée de vie et l’intensité radioactive des déchets éligibles à Cigéo (cf. paragraphe suivant). De plus, on peut imaginer que des techniques ou des architectures, que nous ne pouvons aujourd’hui 122

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que pressentir, pourraient permettre de réduire ou d’interdire toute migration de substances radioactives vers certaines zones localisées ou vers des exutoires de surface etc. Bref, de nombreuses avancées sont imaginables et l’on pourrait multiplier les hypothèses de dispositifs innovants inventés par nos lointains successeurs, ouvrant peut-être la voie à une quasi disparition de l’impact du stockage, et assurant dans tous les cas un renforcement de sa sûreté et de son innocuité environnementale. Une vision prospective plus sereine Contrairement à la vision habituellement entretenue dont elle prend l’exact contrepied, cette perspective vient souligner qu’en matière de déchets, la marche du temps s’accompagne davantage d’une diminution du risque que de son exacerbation. Cela doit nous inviter à cesser de cantonner les générations futures dans le rôle de victimes expiatoires des résidus que nous leur « léguons » ! Nos descendants seront au contraire des acteurs plus compétents que nous, et toujours mieux armés, pour organiser leur protection contre les pollutions de tous ordres. Cette observation vaut aussi dans le domaine sanitaire et médical : il paraît évident que dans un siècle ou deux, la radioactivité représentera un péril encore diminué car on saura toujours mieux s’en prémunir et en soigner les effets. Et que dire des horizons plus lointains ? Est-il extravagant d’imaginer que dans cent ou cinq cents ans nos successeurs seront sur la voie de prévenir ou de neutraliser nombre de maladies et autres atteintes à la santé, notamment les dommages causés par les rayonnements ionisants ? Est-il incongru de présager qu’en 3015 les remèdes existeront pour annihiler les contaminations par toxiques chimiques ou radioactifs ? Ces observations viennent souligner que la propagande antinucléaire est à contresens lorsqu’elle assimile le stockage des déchets à une épée de Damoclès suspendue « ad vitam aeternam » au-dessus de la tête de nos descendants. Le cadre de vie futur des populations 123

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riveraines sera placé sous le signe non pas de dangers accrus mais de risque diminué. Cela grâce non seulement au progrès technique mais aussi au phénomène de décroissance radioactive amoindrissant, au fil du temps, l’inventaire radiotoxique du stockage et du même coup sa dangerosité. À l’inverse du discours catastrophiste des opposants, je privilégie donc, concernant la gestion de ces déchets, une vision prospective plus sereine que je résumerais volontiers dans la formule : plus le temps s’écoule, plus le progrès se fortifie et plus le risque s’amenuise.

LE TEMPS DE CIGÉO : ESQUISSE DE CALENDRIER Le calendrier prévisible du projet Cigéo devrait être marqué par la succession de quelques jalons essentiels. La réalisation de Cigéo : d’ici à la fin des années 2020 L’Andra devrait remettre vers la fin de 2017, la demande d’autorisation de création de Cigéo. En cas de feu vert, la construction devrait débuter en 2020 pour s’achever vers 2025. Commencera alors la phase industrielle pilote, période d’essai appelée à tester et à valider le fonctionnement de l’équipement, qui pourrait durer de cinq à dix ans. Entre temps aura été votée une loi fixant les conditions de réversibilité du stockage (attendue vers 2017/18). Sous réserve de nouvelles autorisations de la part de l’ASN et du gouvernement, l’exploitation proprement dite, avec l’accueil des colis de déchets à une large échelle, devrait commencer dans le courant des années 2030. La phase d’exploitation : à partir des années 2030 et pendant 100 à 150 ans C’est la phase de « remplissage » de Cigéo durant laquelle nos successeurs auront les cartes en main pour agir dans trois directions : « ajuster » l’équipement en fonction de l’expérience d’exploitation et le faire bénéficier d’avancées technologiques éventuelles ; tirer parti

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de la réversibilité du stockage pour, s’ils le jugent utile, appliquer de nouveaux traitements aux déchets ou à leurs dispositifs de confinement ; décider du calendrier des opérations de fermeture définitive du stockage : la durée de 150 ans mentionnée en référence n’est pas une date butoir ; Cigéo pourra être exploité encore au-delà selon ce qu’en décideront les responsables de l’époque. Cette phase sera marquée par des rendez-vous réguliers avec l’ensemble des acteurs concernés : il s’agira, comme le propose l’Andra, de faire le bilan de l’exploitation, de discuter des perspectives, de réexaminer périodiquement les conditions de la réversibilité, d’évoquer les résultats des réexamens de sûreté conduits par l’ASN. Des déchets transmutés pour une première mondiale ? À Cigéo vers la fin du siècle ? Comme nous l’avons vu précédemment, la France est en pointe dans les recherches sur la transmutation des déchets de haute activité à vie longue. Cette opération qui consiste à transformer les atomes pour raccourcir leur durée de vie n’est guère envisageable, pour l’instant, avec les produits de fission mais se révèle faisable (même si très complexe) avec les actinides mineurs, américium, curium, neptunium. C’est ce que démontrent les recherches et expérimentations de laboratoire engagées par le CEA, leader mondial dans ce domaine. Sachant que les actinides mineurs sont les principaux contributeurs à la dangerosité potentielle des déchets sur le long terme, on mesure l’intérêt de la transmutation. Celle-ci pourrait abréger à quelques centaines d’années la nocivité d’un stockage. Mais il ne s’agit là que de considérations théoriques, la transmutation ne pouvant prendre une dimension véritablement industrielle qu’avec la mise en service de nouveaux types de réacteurs (à neutrons rapides). Si les décisions politiques vont en ce sens, rien n’interdit de penser que Cigéo pourrait accueillir, avant la fin du siècle, de premiers déchets de haute activité après transmutation des actinides. Ce serait probablement une première mondiale et une étape particulièrement marquante dans l’historique de ce stockage.

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Observer l’environnement dans la durée. De 2007 à … Pendant toute la construction et la durée d’exploitation de Cigéo – et au-delà s’il en est ainsi décidé – les territoires riverains seront étudiés par un observatoire pérenne de l’environnement, mis en place par l’Andra en 2007. Après avoir établi un état initial de l’environnement actuel du futur stockage, l’OPE analysera en permanence l’impact de Cigéo – attendu comme très faible – sur une large zone équipée de stations de suivi en continu et de centaines de points d’observation. La phase de fermeture. Vers la période 2130/2180 Les responsables de l’époque décideront de la date de fermeture du stockage et de la progressivité plus ou moins étendue des diverses opérations à conduire : obturation des alvéoles abritant les colis, scellements des puits et des descenderies. L’Andra suggère que ces différentes étapes fassent l’objet d’autorisations spécifiques. Quant à la fermeture définitive, le Parlement a décidé que seule une loi pourrait l’autoriser. Transmis aux pouvoirs publics de l’époque ! Après la fermeture Comme on le sait, la sûreté du stockage, une fois celui-ci fermé, sera assurée de manière passive, ce qui signifie qu’elle ne reposera pas sur des actions humaines. Une surveillance de la zone d’implantation de Cigéo pourra être néanmoins maintenue aussi longtemps que la société en décidera. Transmettre la mémoire Des actions seront conduites pour conserver et transmettre la mémoire du stockage à travers les siècles. Le but est d’informer nos descendants de la présence en souterrain de cet inventaire dangereux – principalement pour éviter les forages intempestifs dans cette zone – et de décrire en détail la fonction et les caractéristiques de l’équipement. Sur les moyens de cette transmission mémorielle, l’Andra a échafaudé plusieurs propositions et travaille avec beaucoup d’autres partenaires (sociologues, psychologues, responsables politiques et administratifs…) aux manières appropriées de donner à notre message du sens

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et de la pérennité. Des archives détaillées seront conservées sur le site ainsi qu’aux Archives nationales. Une « mémoire de synthèse » à l’attention des générations futures sera élaborée et largement diffusée, sur ordinateur et sur papier. Un « centre de la mémoire » perdurera sur le site, abritant ces archives et ouvert au public. Plusieurs autres « marqueurs » seront réalisés. Cela dit, nul ne peut garantir que cette mémoire sera préservée sur de longues durées. Mais dans tous les cas, il faut noter que le stockage géologique étant un équipement passif ne nécessitant, après fermeture, aucune action particulière, le fait d’être « oublié » ne compromet en rien sa sûreté. (Soulignons que les centres de stockage de déchets chimiques spéciaux – lesquels, contrairement aux déchets nucléaires, restent au même niveau de dangerosité sur des durées illimitées – sont appelés eux aussi à une telle démarche de conservation et de transmission de la mémoire).

LES SYMBOLES … qui occultent les réalités techniques et fortifient le mythe Dans l’imaginaire collectif, l’expression « déchets nucléaires » occupe un rang privilégié sur l’échelle des représentations négatives. Comment pourrait-il en être autrement ? Le déchet symbolise l’inutilité, la putréfaction, la mort. Le nucléaire évoque l’explosion violente de la matière et l’agression sournoise de la radioactivité. Accolés, ces deux vocables composent un signifiant psychologique détonant qui ne peut induire, a priori, que des représentations alarmantes voire anxiogènes. Les centrales nucléaires inquiètent elles aussi mais elles expriment la vie du fait de l’énergie qu’elles produisent. Elles n’ont pas l’image altérée inhérente aux déchets qui symbolisent en quelque sorte, comme on le dirait dans Star Wars « le côté obscur de la force ». Philippe d’Iribarne l’a bien montré dans son étude (1) établissant que les déchets nucléaires dessinent aux yeux du public « une triple ouverture vers l’infini » : ils sont vus comme infiniment dangereux, infiniment volumineux et infiniment durables. C’est à partir de ces 127

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images, en rupture avec les réalités techniques, que se confortent les symboles… et que s’attisent les malentendus. –– Ainsi par exemple, il est techniquement correct de proclamer – c’est le slogan principal brandi par les opposants au nucléaire – que les déchets vont rester radioactifs « pendant des centaines de milliers d’années »… mais cette image, tellement forte sur un plan symbolique, en vient à occulter la réalité du problème. En effet, « rester radioactif pendant des centaines de milliers d’années » ne veut strictement rien dire. Tout est et restera radioactif, notre environnement, notre corps, l’eau que nous buvons, l’air que nous respirons, la terre du pot de fleurs que nous cultivons sur notre balcon… La vraie question à considérer n’est pas celle de la durée mais celle de l’intensité de cette radioactivité. Sera-t-elle encore dangereuse aux horizons considérés ? Il faut alors rappeler que 90 % des déchets nucléaires ont des périodes inférieures à 30 ans et perdent rapidement, en 200 ans, l’essentiel de leur radioactivité. Quant aux déchets à vie longue, la plupart d’entre eux, les produits de fission (98 % du mélange) voient leur radioactivité se rapprocher, après environ 300 ans, de celle de l’uranium naturel exploité à travers le monde dans des mines souterraines ou à ciel ouvert. Ceux de période plus longue, les actinides mineurs – qui ne représentent, rappelons-le, que de l’ordre de 2 % du volume global des déchets HA – verront leur radioactivité rejoindre les valeurs naturelles en quelques milliers d’années ; et à l’horizon des « centaines de milliers d’années » dont il est question, la plupart auront disparu et leur inventaire restant ne représentera qu’une radioactivité négligeable, non significative, très inférieure à celle rencontrée dans les environnements radioactifs naturels abondamment présents dans l’écorce terrestre. On voit donc que le fameux slogan repose sur une ambigüité : de par sa formulation même – non contestable – il impressionne et invite le public non averti à y voir l’annonce de périlleux 128

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lendemains pour les générations futures sur des horizons de temps illimités ! Mais après éclairage technique, le slogan revisité se retrouve dépouillé de sa résonnance apocalyptique et renvoie à une réalité beaucoup moins anxiogène et de toute évidence gérable. Les opposants au nucléaire s’emploient évidemment à brouiller cette seconde interprétation. Au final, on peut dire que cette image d’une menace « ad aeternam » dont les déchets seraient porteurs – argument majeur du discours anti-nucléaire – repose sur un véritable malentendu. –– L’autre argument majeur des opposants au stockage géologique, selon lequel « stocker les déchets dans le sol c’est empoisonner la Terre », prospère lui aussi sur une ambigüité. Cette image symbolique d’une planète souillée, très répandue dans le public, est fallacieuse car la radioactivité est la toile de fond naturelle, omniprésente, de tout l’environnement terrestre. La désigner comme un « empoisonnement » est un non-sens, même si elle devient dangereuse au-delà de certaines doses. Comme le soulignent les géologues ou les spécialistes des rayonnements ionisants, « la Terre est une planète radioactive »3 ou, formulé encore plus directement, « la Terre n’est qu’un immense déchet nucléaire » !4 Y rajouter les nôtres ne revient qu’à induire une concentration localisée et temporaire de radioactivité – de surcroît confinée – dans un milieu qui en comporte déjà, à l’état naturel, des quantités considérables. Qu’il s’agisse de son atmosphère, de ses océans, de son sol, de ses couches géologiques, de ses eaux de surface ou souterraines, notre planète apparaît effectivement comme un énorme réservoir de radioéléments naturels. J. Pradel et N. Colas-Linhart notent, à titre d’exemple, que le sol de la France métropolitaine contient sur une épaisseur 3.  La radioactivité c’est naturel. Jacques Pradel, Nicole Colas-Linhart. Commu­ nication au colloque « Peut-on réussir le passage à une nouvelle ère nucléaire ? », 18 mai 2009, GRRT, Universités Paris Diderot, Paris Descartes. 4.  Nucléaire et environnement. Jean Danguy. Édité par l’auteur. 1994. 129

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d’un mètre, un million de tonnes d’uranium et trois millions de tonnes de thorium. On peut y ajouter environ trois millions de tonnes de potassium… sans compter les descendants résultant des désintégrations de ces radioéléments primordiaux. C’est l’omniprésence de cette radioactivité naturelle, perdurant dans les profondeurs, qui explique pour l’essentiel que la Terre est une planète chaude : le flux thermique qui maintient le sous-sol à une température élevée est dû pour environ 70 % à la chaleur dégagée par la désintégration des atomes radioactifs. Quant aux eaux chaudes souterraines (géothermie), leur origine est due pour moitié à la radioactivité5. Stocker des déchets nucléaires dans un tel environnement souterrain n’est certes pas anodin mais n’a rien d’un « empoisonnement ». En quelques centaines d’années – un battement de cil sur l’échelle des temps géologiques – ce surcroît de radioactivité sera en grande partie résorbé avec la disparition des produits de fission puis, à plus long terme, des actinides, tandis que les radioéléments présents à l’état naturel depuis l’aube des temps dans le milieu, dureront bien plus longtemps que les déchets de Cigéo et continueront d’alimenter la radioactivité de ce morceau d’écorce terrestre au fil de leurs désintégrations successives, comme ils le font depuis toujours… et sans que personne ne les accuse d’« empoisonnement ». Ni péril pour l’éternité, ni empoisonnement universel Les déchets nucléaires dans leur stockage ne seront les vecteurs d’aucune de ces menaces brandies trop complaisamment par de faux prophètes pour impressionner le public non averti. Je ne veux pas dire par là – on l’aura constaté à la lecture de ce livre – que gérer les déchets HA est une sinécure mais je note que lorsque l’on s’éloigne du registre de l’émotion pour aborder celui de la raison technique, les menaces annoncées ont de plus en plus tendance à se désagréger. 5.  Le risque radioactif environnemental est un mythe plus qu’une réalité. Claude Payen. La Jaune et la Rouge. 2011. 130

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Il n’est pas évident, cependant, que chacun ait l’opportunité ou simplement l’envie de se livrer à cet exercice de pensée rationnelle. Alors les symboles perdurent et la querelle des déchets poursuit un cheminement quelque peu chaotique qui pourrait justifier cette réflexion d’Emmanuel Grenier estimant dans un éditorial de la revue Fusion que « la représentation qu’ont nos concitoyens du problème des déchets nucléaires repose largement sur les fantasmes des antinucléaires et elle est parfaitement fausse »6. Un jugement quelque peu lapidaire mais qui souvent se vérifie…

LA POLÉMIQUE Touche pas à mes déchets ! Les débatteurs et le public… « La guerre ne fait que commencer » ; « Nous déclarons la chasse ouverte à l’Andra » ; « Appel à la mobilisation générale »… Ces quelques mots d’ordre, clamés par les militants anti-nucléaires au moment où les pouvoirs publics engageaient dans les années 1980 la recherche de sites de stockage pour les déchets à vie longue7, donnent une idée de la virulence du débat. Les slogans ne se sont guère adoucis depuis lors, les promoteurs du stockage se voyant désignés ici comme « des assassins et des voleurs », là comme des « apprentis-sorciers » coupables d’un « véritable crime contre les générations futures », là encore comme des irresponsables s’apprêtant à transformer la Terre en « poubelle éternelle »… J’arrête ici la liste des amabilités qui pourrait remplir plusieurs pages de ce livre. Pour que le problème des déchets ne soit pas résolu ! Cette surenchère dans le catastrophisme est une caractéristique rituelle du discours anti-nucléaire mais elle atteint, dans le débat sur 6.  La peur des déchets nucléaires. Emmanuel Grenier. Éditorial de la revue Fusion, n° 93. 2002. 7.  Rapporté par Dominique Grenêche dans une conférence sur l’énergie nucléaire et les déchets. 2015. 131

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les déchets, des niveaux inégalés. La raison en est simple : le mouvement anti-nucléaire français joue là une partie pour lui capitale : il a institué le thème des déchets ingérables comme pilier essentiel de son argumentation. Que ce thème soit ébranlé, voire réfuté est, pour lui, une perspective traumatisante qui le priverait de son principal argument. Il a donc absolument besoin que le problème des déchets ne soit pas résolu ou n’apparaisse pas comme pouvant l’être. Touche pas à mes déchets ! Tel est bien, il ne faut pas se le cacher, le non-dit de cette attitude d’opposition catégorique. Beaucoup d’observateurs en viennent à cette analyse, comme par exemple Michel Gay notant que « les anti-nucléaires ont fait des déchets une arme contre le nucléaire et ne tiennent pas à ce que le problème soit résolu… C’est leur principal point d’appui pour justifier l’arrêt de cette énergie (et ils proclament que) puisque l’on ne sait pas quoi faire des déchets, il faut tout arrêter immédiatement ! »8. Cette attitude radicale engendre des réquisitoires le plus souvent outranciers censés effrayer l’opinion en lui présentant les déchets comme un danger absolu que l’on ne sait pas gérer et dont il est impossible de se protéger. Que ce soit en France ou en Suisse note à ce propos Jean-François Dupont9 « la désinformation pratiquée par certains opposants militants est flagrante et cherche constamment à faire peur… et le citoyen désinformé imagine le pire : des déchets très toxiques qu’on ne sait pas contrôler et qui vont tôt ou tard faire des dégâts aux humains et à leur environnement ». Cet axiome sur le caractère ingérable des déchets est sérieusement bousculé par Cigéo car chacun se rend bien compte que le projet est porteur d’une réelle crédibilité. D’où la tentative d’une partie des opposants de disqualifier le débat public officiel sur ce thème en le boycottant pour cause d’ « inutilité ». Inauguré en 2005, ce boycott, plus ou moins effectif et partiel a été renouvelé en 2013. 8.  Déchets nucléaires : bonnes nouvelles. Michel Gay. Diffusion réservée à liste de destinataires sur Internet. Juin 2014. 9.  Voir chap. 2 note 1. 132

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Cela n’a pas empêché les deux débats de se tenir, sinon lors de réunions publiques – toutes annulées en 2013 suite à la menace des opposants – du moins à travers tous les autres canaux possibles d’information et de discussions contradictoires. En 2013, le débat sur Cigéo s’est très largement développé sur Internet (grâce à un site dédié où ont été organisés des forums contradictoires et où des milliers de personnes se sont exprimées, donnant leur avis et posant des questions) ainsi que dans les médias et par la diffusion de deux types de documents : le dossier officiel, tiré à des dizaines de milliers d’exemplaires et les « Cahiers d’acteurs » proposés par des contributeurs à titre individuel, par des associations ou par des collectivités10. Il ressort de ces échanges un large éventail d’opinions allant de l’approbation sans réserve du projet Cigéo à son excommunication radicale. Cette confrontation ponctuelle et plus généralement les discussions se déroulant au-delà de ce périmètre « officiel », livrent quelques enseignements significatifs sur la nature des débats et les réactions de l’opinion. Le militant et le prophète contre le professionnel et l’ingénieur Depuis des années, la plupart des débats contradictoires organisés sur le stockage des déchets mettent en présence d’un côté le « militant » de l’autre le « professionnel ». Le rôle du militant est clair : contester le nucléaire et le stockage géologique dont il faut noircir l’image. Qu’il ait ou non de bonnes connaissances techniques et qu’il possède plus ou moins bien son sujet, sa parole est totalement affranchie et incontrôlée ; personne ne viendra lui demander des comptes et son propos, avéré, approximatif ou inexact, n’engage que lui-même et ne porte pas à conséquence, sinon dans l’esprit de ses auditeurs. Il en va tout autrement pour le professionnel. 10.  Cf. le site de la Commission nationale du débat public, www.debatpublic.fr où figurent les documents du débat. Voir aussi mon article sur le site de la SFEN et sur la chaîne Énergie : Déchets nucléaires : quand l’Internet remplace les réunions. 133

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Qu’il soit de l’Andra, du CEA, d’EDF, de l’ASN… il s’agit dans presque tous les cas d’un agent travaillant pour le secteur public11. S’exprimant en tant que tel il est tenu à l’extrême rigueur et à la réserve. Sa parole engage la collectivité publique et, comme on le note familièrement, il ne peut pas « dire n’importe quoi ». S’il doit bien sûr présenter positivement le projet auquel il participe, on ne lui demande pas d’avoir en sa faveur un engagement militant. Le seul « engagement » auquel il est tenu est envers la rigueur scientifique et technique et la réalité des faits. On peut rapprocher cette confrontation classique entre le « militant » et le « professionnel » de l’affrontement traditionnel ayant cours dans les débats sociétaux, depuis la révolution industrielle, entre le « prophète » et l’« ingénieur ». Le premier évolue plus communément dans le registre de l’émotion, le second dans celui de la pensée rationnelle. Quand le premier, dont l’obsession est d’alerter sur les dangers des technologies nouvelles, proclame par exemple que « les déchets radioactifs vont empoisonner la Terre et nos petits enfants… » il provoque chez son auditoire, par cet avertissement de cinq secondes, un impact émotionnel fort. Pour réfuter cette image, l’« ingénieur » devra s’employer à argumenter pendant de longues minutes, – ou à longueur de pages… – développant un discours forcément didactique, peu spectaculaire, parfois pesant. Tel est le penchant dominant du dialogue entre le « prophète » et l’ « ingénieur », combien de fois constaté lors des débats : d’un côté un imprécateur qui accuse et qui peut se permettre d’argumenter a minima car il touche avant tout par l’émotion ; de l’autre un pédagogue qui le plus souvent se défend, explique et dont la parole ne vaut que par la preuve.

11.  Dans les autres cas, l’interlocuteur est le membre d’une association favorable au stockage géologique comme la SFEN, l’AEPN ou Sauvons Le Climat. J’ai moimême participé à plusieurs débats et émissions sur le sujet. Il s’agit plus rarement d’un élu ou d’un responsable politique. 134

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Au pays de Descartes, des acteurs s’obligeant à la réserve On a retrouvé dans le débat sur les déchets, ce schéma rituel d’affrontement mais il n’a pas épuisé l’ensemble de la controverse : quelques uns des opposants les plus écoutés (invités notamment aux forums sur Internet) ont fondé leur propos sur une argumentation technique précise… que les professionnels interpellés se sont employés à récuser point par point à la faveur de discussions ouvertes qui ont enrichi le débat12. De ce point de vue, les responsables de Cigéo et les autres acteurs du secteur nucléaire n’ont pas été mis véritablement en difficulté. Cependant, tout en reconnaissant leur crédibilité technique, certains observateurs extérieurs favorables au projet pointent la retenue voire la circonspection du discours de ces professionnels, toujours enclins à dire le moins, à se garder de toute envolée flamboyante et à préférer l’expression nuancée à la sentence péremptoire qui permettrait, pense-t-on, de mieux contrer les opposants. Cette remarque, parfois formulée comme un regret, est récurrente dans le débat nucléaire13. Mais reprocher à ces acteurs de ne pas tenir un discours aussi tranché et intransigeant que celui des militants c’est oublier deux choses : d’abord que ces « pros » sont les acteurs de politiques publiques et doivent faire preuve à ce titre de neutralité et de tolérance hors de tout engagement militant. En second lieu, qu’ils sont avant tout des scientifiques, ontologiquement portés vers la démarche interrogative. Au pays de Descartes, a fortiori, l’attitude obligée pour un scientifique, vue comme une élégance allant de soi, c’est de faire valoir le doute même si, sur le sujet considéré, il n’y a que des certitudes… Bannies, donc, les tirades autoritaires assénant des « vérités » sans réplique ! La science avance à pas précautionneux 12.  Voir le chapitre 5. 13.  Illustrant cette tendance, Emmanuel Grenier écrivait dans le document déjà cité (note 6) : « Seule la pusillanimité des « nucléocrates » en matière de communication a pu faire croire que les déchets nucléaires sont le talon d’Achille du nucléaire »… Un point de vue que l’on rencontre parfois, avec quelque nuance, dans les milieux favorables au nucléaire mais qui est loin d’y être majoritaire. 135

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et contingents et c’est selon cette démarche que doit s’élaborer le stockage géologique et se construire Cigéo… Plus on est informé, moins l’on s’inquiète Ces différentes attitudes de communication ne sont pas sans conséquences sur la formation de l’opinion publique. Il faut d’abord noter que les déchets nucléaires n’occupent pas les premiers rangs dans la hiérarchie spontanée des risques environnementaux que les Français ont à l’esprit. Dans les sondages14, ils viennent après la pollution de l’atmosphère, la pollution des sols, le réchauffement climatique… Ils sont cependant considérés comme présentant un risque élevé par environ 60 % des personnes. Mais un point essentiel est à noter : l’opinion des individus sur les déchets apparaît directement liée au niveau de connaissances qu’ils ont sur le sujet : plus ils sont informés et moins ils s’inquiètent. Cela se vérifie dans toutes les enquêtes, en France comme à l’étranger. Ainsi par exemple, l’Eurobaromètre 2008 établit que les niveaux de connaissances sont les plus élevés parmi les partisans du nucléaire et ceux qui ont le moins de prévention à l’encontre du stockage géologique. En France, l’enquête IRSN/BVA montre que les leaders d’opinion (chefs d’entreprises, élus, journalistes), qui sont censés être mieux informés que la moyenne de la population sur les déchets nucléaires, sont 30 % à juger « élevés » les risques qu’ils représentent alors que ce niveau est de 60 % pour l’ensemble du public – soit une inquiétude moitié moindre de la part des leaders ! Les déchets chimiques suscitent davantage de prévention puisque 38 % des leaders estiment leur risque « élevé » tandis que le chiffre est de 61 % pour l’ensemble du public. 14.  Je me réfère aux sondages suivants : L’attitude des citoyens européens à l’égard de l’environnement. Eurobaromètre 2008 réalisé auprès des populations de l’UE à l’initiative de la Commission. L’opinion des Français sur les déchets radioactifs. Sondage Crédoc à la demande de l’Andra. 2010. Perception des risques par des leaders d’opinion. Enquête de l’IRSN avec BVA. 2011. Perception des risques et de la sécurité par les Français, Baromètre IRSN. 2012. 136

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Citoyens et experts : quand les discours se rapprochent En clôture du débat officiel sur Cigéo, une expérience concrète menée par les organisateurs est venue confirmer cette constante selon laquelle mieux on connaît les déchets nucléaires et plus on juge maîtrisé le risque qu’ils représentent. Selon le modèle d’une « Conférence de citoyens » un groupe de 17 personnes choisies par un institut de sondage, sans connaissances particulières sur les déchets, a été invité, après une intense formation étalée sur plusieurs jours, à élaborer un avis commun sur le stockage géologique et le projet Cigéo. Des experts, partisans du projet et des opposants, intervenant à parts égales, les avaient au préalable informées contradictoirement et éclairées en détail sur tous les aspects de la question. On pouvait s’attendre à ce que l’avis rejoigne l’inclination naturelle de l’opinion publique majoritaire exprimant sa défiance à l’encontre de cette « poubelle » sous nos pieds pour des millénaires. À l’étonnement des observateurs et au désappointement des opposants, il n’en a rien été. Les citoyens du panel ont accepté à l’unanimité le principe du stockage géologique indiquant que « le groupe n’est a priori pas hostile à Cigéo, aux conditions que le temps soit pris pour la réalisation de tests en conditions réelles et grandeur nature… »15. Loin de l’opinion spontanée que chacun pouvait avoir initialement, cette position collective argumentée doit être reçue comme un élément significatif du débat. Elle montre que l’information et la pédagogie peuvent éclairer utilement l’opinion publique et dégonfler quelques caricatures irrationnelles. Autrement dit, les « ingénieurs » ne parlent pas dans le vide. En précisant que « l’enfouissement permettrait sous conditions une sécurisation (des déchets) à long terme », les citoyens du panel ne sont finalement pas loin de rejoindre le consensus international des experts sur les avantages du stockage géologique. 15.  Les demandes du Panel s’ajoutent aux autres desiderata formulés au cours du débat. L’Andra y a répondu, comme je l’ai déjà précisé, en proposant des infléchissements du projet Cigéo sur plusieurs points : démarrage de l’installation par une phase industrielle pilote ; mise en place d’un plan directeur régulièrement révisé pour l’exploitation du stockage ; aménagement du calendrier ; plus large implication de la société civile dans le projet ; approche par étapes de la réversibilité. 137

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L’ÉTHIQUE En direct avec les générations futures… Au-delà des problèmes techniques, le stockage géologique des déchets nucléaires appelle inévitablement une réflexion d’ordre éthique16 tournée vers le futur : avons-nous le droit de léguer à nos descendants, et à la Terre, le problématique héritage de ces résidus dangereux ? Pour les opposants au projet, la réponse fuse immédiatement : « l’enfouissement est écologiquement et moralement inacceptable pour des milliers de générations à venir » affirme le CRILAN traduisant l’opinion globale du mouvement anti-nucléaire français17. Les partisans du stockage géologique font valoir le point de vue exactement inverse, jugeant que « la mise en dépôt des déchets nucléaires en formation géologique constitue une solution satisfaisante et conforme à l’éthique »18. Chacun jugera… Pour nos descendants : pas de risque supérieur à celui que nous acceptons pour nous-mêmes La préoccupation éthique est nourrie par beaucoup de contributeurs au débat, responsables politiques, scientifiques et industriels, ONG, syndicats, associations religieuses comme par exemple Pax Christi etc. Mais elle est d’abord portée par l’Andra en tant que maître d’ouvrage. Selon Jean-Michel Hoorelbeke, un de ses directeurs, l’action de l’agence « est guidée par trois principes : celui de responsabilité : ne pas faire peser sur les générations suivantes la charge de nos déchets ; celui de précaution : mettre en œuvre la solution la 16.  Un livre est entièrement consacré à ce thème : Y a-t-il une éthique de la gestion des déchets radioactifs ? ouvrage collectif réalisé à l’initiative de l’Andra, regroupant les contributions de plusieurs auteurs. Éd. Vuibert. 2004. 17.  Extrait du Cahier d’acteur n° 2 du CRILAN, Comité de réflexion, d’information et de lutte anti-nucléaire. Débat public 2013. 18.  Synthèse initiale des opinions des partisans du stockage rapportée par l’OCDE dans Domaines stratégiques de la gestion des déchets radioactifs. Document de l’AEN. 1999. Les documents des débats 2005 et surtout 2013 sur Cigéo, en ligne sur les sites officiels, abordent largement ces questions éthiques, à travers des points de vue diversifiés. 138

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plus sûre pour réduire définitivement les risques pour l’avenir ; celui de réversibilité [de Cigéo] pour préserver la liberté de choix des prochaines générations »19. Ceux qui ont suivi les débats reconnaîtront que ces principes ont été largement approuvés et reconnus comme pouvant caractériser le projet de stockage géologique : chacun – ou presque – admet que nous n’avons pas le droit de faire peser sur les générations futures la charge de nos déchets et que nous devons donc leur transmettre un équipement offrant une sûreté passive ne réclamant pas d’action particulière de leur part. Comme le souligne dans son Cahier d’acteur, Gérard Longuet, sénateur de la Meuse, « il n’est pas moralement acceptable de reporter les charges de nos activités actuelles » sous peine de faire peser « une charge injuste sur la France de demain ». Le stockage géologique tel qu’il est organisé à Cigéo apparaît répondre également à l’autre exigence éthique qui est celle d’assurer aux générations futures un niveau de protection au moins équivalent à celui de la génération actuelle. Le Cahier d’acteur de la CFDT20 fait valoir sur ce point que ce type de stockage « est à ce jour une solution plus sécurisée à horizon de plusieurs siècles que l’entreposage en surface… », tandis que certains personnels de l’Andra, prenant la parole dans un Cahier rédigé collectivement, soulignent le respect des impératifs éthiques par le projet Cigéo et se disent « convaincus que les solutions que nous proposons sont les bonnes pour nos familles, nos enfants et petits-enfants », ajoutant que « ne rien faire serait à notre sens une plus grande erreur et même une faute morale ». Pour clore ce très bref aperçu des réflexions éthiques exposées lors des débats, je relève cette tentative originale de Jean-Pierre Pervès, directeur honoraire au CEA, qui dans son Avis n° 131, essaie de réconcilier ceux qui croient à Cigéo et ceux qui n’y croient pas : « Cigéo, estime-t-il, présente une solution 19. Propos parus dans le journal de l’Andra, édition nationale printemps/été 2013. 20.  Cahier rédigé par la CFDT : Confédération et Unions régionales ChampagneArdenne et Lorraine et Fédérations métallurgie, chimie, énergie, construction. 139

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robuste qui devrait calmer les inquiétudes… Il apportera une solution aussi bien à ceux qui souhaitent continuer à bénéficier de l’électricité non carbonée du nucléaire qu’à ceux qui souhaitent l’arrêter et qui auront à conduire à leur terme les démantèlements et le traitement des déchets ». Une séduisante tentative de synthèse mais qui a laissé froids les opposants… L’incontournable comparaison : quel est le système électrogène le moins pénalisant ? Mais dès lors que l’on s’attache à raisonner du point de vue de l’éthique, une règle s’impose : la réflexion doit se situer à un niveau global et jauger tous les éléments du problème dans une démarche nécessairement comparative. Pour la question qui nous occupe, s’en tenir à considérer les déchets comme le « côté obscur » de l’énergie électronucléaire et les cantonner à ce seul statut symbolique serait éthiquement parlant, un raisonnement bancal. Car ces déchets ne sont pas que cela ; ils sont aussi la contrepartie de graves détriments évités (qui auraient pu être causés par l’utilisation d’autres moyens électrogènes). C’est ainsi par exemple que les 6 000 tonnes de déchets de haute activité, aujourd’hui recensés en France et devant être stockés à Cigéo, équivalent à environ10 milliards de tonnes de CO2 dont on a évité le rejet dans l’atmosphère durant ces quarante dernières années en remplaçant le charbon et le fuel par le nucléaire !21. Autrement dit, ces déchets ne sont pas qu’une contrainte, ils sont aussi, à travers cet exemple, le signe de pas en avant accomplis dans la lutte contre 21.  En effet, contrairement au nucléaire, les autres grandes sources énergétiques, charbon, gaz et pétrole – qui produisent 85 % de l’énergie mondiale – déversent leurs déchets dans l’environnement, notamment des milliards de tonnes de CO2 (gaz carbonique) chaque année. Ce gaz, principal contributeur à l’effet de serre, est le premier responsable du dérèglement thermique menaçant la biosphère d’un réchauffement inquiétant si les quantités rejetées par les activités humaines ne sont pas fortement limitées. Le nucléaire, qui ne rejette pas de CO2, est un facteur important (avec les autres énergies décarbonées, hydraulique, éolien, solaire) permettant d’agir contre cette dégradation du climat. 140

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le réchauffement climatique, la résultante d’un processus appelé à ménager un monde plus vivable pour les générations qui vont nous succéder. Cette analyse participe de l’interrogation éthique fondamentale à laquelle toute communauté humaine est forcément confrontée : pour parvenir à un résultat donné – ici, en l’occurrence l’obtention d’électricité – quel est le système le moins pénalisant pour la population et l’environnement ? Répondre à la question conduit donc à comparer l’impact des différentes sources énergétiques et des déchets qu’elles produisent. Les morts évités grâce au nucléaire : les tentatives d’évaluations statistiques Prolongeons donc la comparaison avec les énergies fossiles qui fournissent environ les deux tiers de l’électricité mondiale : en plus du CO2, une centrale au charbon de 1 000 mégawatts rejette chaque année dans l’environnement de l’ordre de 30 000 tonnes de dioxyde de soufre, 15 000 tonnes de dioxyde d’azote et quelque 6 000 tonnes de particules fines et de poussières. Une centrale nucléaire de même puissance a des rejets radioactifs et chimiques tout à fait minimes en comparaison – la radioactivité émise étant nettement inférieure à celle rejetée par une centrale à charbon22 – et produit quelque 500 m3 de déchets confinés n’ayant pratiquement, dans le cours normal du processus, aucun impact sur l’environnement. Le bénéfice environnemental et sanitaire apporté par le nucléaire apparaît ainsi très important. On peut l’évaluer en considérant a contrario les dommages causés par la pollution due aux énergies fossiles : d’après l’OMS, cette pollution atmosphérique entraîne sept millions de décès dans le monde chaque année, dont deux millions dus aux particules 22. Le charbon contient des éléments radioactifs naturels, uranium, thorium, potassium qui sont libérés lors de la combustion. La radioactivité ainsi rejetée dans l’environnement est environ 10 fois plus élevée que celle rejetée par une centrale nucléaire de puissance équivalente. 141

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fines. Dans ce contexte, d’après une étude du Goddard Institute qui n’est pas sérieusement contestée23, le recours au nucléaire en remplacement des énergies fossiles a permis d’éviter la mort de quelque 1 840 000 personnes entre les années 1971 et 2009. Cette évaluation statistique qui tient compte aussi, bien évidemment, des victimes causées par le nucléaire inclue l’ensemble des dommages dus non seulement à la pollution mais aussi aux accidents. On peut juger ce calcul très théorique il n’en demeure pas moins qu’il renvoie à une réalité chiffrée bien établie que les auteurs de l’étude expriment en écrivant que « l’énergie nucléaire sauve plusieurs milliers de fois plus de vies qu’elle n’a pu causer de morts… » L’étude du Goddard Institute consacre au cas français une analyse particulière et estime à environ 290 000 le nombre de décès évités dans notre pays entre 1971 et 2009 grâce au remplacement des combustibles fossiles par le nucléaire, soit une moyenne annuelle de 7 500 vies épargnées. Le développement massif du nucléaire en France s’est en effet traduit par une immense réduction de la pollution chimique et donc des dommages sanitaires causés à la population notamment par les particules fines – dont les experts européens évaluent à 40 000 par an le nombre de décès qu’elles continuent de provoquer chaque année dans notre pays24. Comparaisons : le nucléaire porteur du plus faible détriment On pourra toujours contester ces estimations. Ce qui compte ce n’est pas l’exactitude des chiffres à la virgule près, c’est la tendance globale qui se dégage de tous ces travaux statistiques : cette tendance va toujours dans le même sens, celui d’un nucléaire moins pénalisant que les autres grands moyens électrogènes. Dans une étude examinant 23.  Mortalité évitée et émissions polluantes liées à l’utilisation d’énergie nucléaire. James Hansen et Pushker Karesha. Étude pour le Goddard Institute parue dans Environmental Science and Technology. Juin 2013. 24.  Air pur pour l’Europe. Étude conduite par la Commission européenne. 2005. Voir aussi sur ce thème l’étude de l’INSERM, Institut national de la santé et de la recherche médicale publiée en 2008. 142

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cette question de manière approfondie : « Évaluer les risques pour la santé des choix énergétiques », l’Académie nationale de médecine en arrive à la conclusion que c’est « la filière nucléaire qui a le plus faible impact sur la santé par kilowattheure produit ». Cette conclusion en forme de « recommandation » a été adoptée en juillet 2003 à l’unanimité des membres de la vénérable institution, moins une abstention. Elle n’a guère eu de retentissement public en France – où beaucoup de médias jugent malséant de portraiturer le nucléaire autrement qu’en épouvantail ! – mais elle a eu un indéniable écho dans le secteur énergétique mondial et elle s’impose comme un élément fondamental à considérer dans une approche éthique du problème des déchets nucléaires. Elle renvoie au constat tiré de tous les exercices comparatifs montrant que c’est toujours le nucléaire qui apparaît porteur du moindre détriment. Cela vaut quel que soit le périmètre de l’étude. Si l’on s’en tient aux seuls accidents, les statistiques mondiales indiquent que l’électronucléaire a fait moins de morts en 60 ans d’exploitation que les autres grandes sources d’énergie n’en font en une seule année. Alors que le charbon est responsable chaque année d’environ 10 000 morts par accidents miniers et que les accidents dus au gaz et au pétrole ainsi que les ruptures de barrages alourdissent fortement ce bilan, le nombre des victimes dues au nucléaire se situe à un niveau très inférieur. La prise en compte des accidents de Tchernobyl et de Fukushima ne change pas les termes de la comparaison montrant qu’à quantité égale d’électricité produite les dommages entraînés par le nucléaire sont très inférieurs à ceux dus aux énergies classiques25. En France, on ne déplore que de rares cas d’accident dans des mines d’uranium ainsi que dans un réacteur d’essai et dans un atelier d’incinération 25. L’Union européenne parvient à des résultats du même ordre à travers la méthode des coûts externes quantifiant les impacts environnementaux et sanitaires des différentes énergies : dans l’étude « Externe » régulièrement réactualisée, le nucléaire se révèle être l’une des énergies ayant le coût externe le plus faible : 0,3 ct d’euro par kilowattheure (comme les énergies éolienne et solaire) contre 3,5 à 5,7 cts/ kWh pour le charbon, 4 cts/kWh pour le pétrole, 1,2 ct/kWh pour le gaz. 143

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de rebuts métalliques. Les centrales nucléaires n’ont fait quant à elles aucune victime. Les risques évités plus grands que les risques encourus Une approche éthique du problème des déchets nucléaires ne saurait donc passer sous silence ces statistiques et évaluations chiffrées. Elles sont une invitation à relativiser les contraintes et les risques que représentent ces résidus pour nous-mêmes et pour nos descendants, et cela quel que soit leur mode d’évacuation, stockage géologique ou entreposage de surface. Aussi virulents soient-ils, il faut garder à l’esprit que ces déchets sont la contrepartie d’un certain type de processus électrogène qui a, par rapport aux autres, deux avantages évidents : il est moins pénalisant pour la santé des personnes, il est moins agressif pour l’environnement. En d’autres termes, cela signifie qu’en contribuant à limiter l’effet de serre, la pollution atmosphérique et les dommages aux individus dans des proportions loin d’être négligeables, on œuvre à ménager un monde un peu plus vivable pour les générations futures. Celles-ci auraient bien plus à pâtir des énormes surcroits de CO2 et de polluants chimiques évités par le nucléaire depuis un demi-siècle que de l’existence de déchets rendus pratiquement inoffensifs par un confinement adapté et sans aucun impact sur les équilibres naturels de la biosphère. Certes, ces déchets sont porteurs d’un risque futur dont on ne saurait écarter l’hypothèse. Mais quelle que soit l’organisation de la société, il n’est pas possible de se soustraire à la fatalité du risque. Concernant le nucléaire et ses déchets, il s’agit, comme j’essaie de le montrer dans ce livre, d’un risque suffisamment maîtrisé pour être jugé acceptable. Tout indique que sa concrétisation est improbable, que les dommages induits seraient limités et tout démontre, comme on pouvait déjà le lire dans les Cahiers de l’Institut catholique de Lyon que « les services rendus par l’énergie nucléaire sont tels qu’ils évitent des risques bien plus

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grands que ceux qu’implique son utilisation »26. Emblématique « signature » du recours au nucléaire, les déchets tant diabolisés peuvent donc être aussi, et fort logiquement, au cœur d’un raisonnement positif ! Et il m’apparaît légitime de penser que le mode de gestion qui leur est appliqué en France répond pleinement aux exigences éthiques telles que pourraient les formuler des citoyens particulièrement scrupuleux.

DEUX POIDS, DEUX MESURES… Expérimentant de longue date, en tant que journaliste puis au titre du HCTISN, cette « querelle des déchets », je reste stupéfié par l’extraordinaire propension du nucléaire à s’attirer les foudres de la critique. On juge systématiquement qu’il n’en fait pas assez et on lui en demande toujours plus : plus de fiabilité, plus de compétitivité, plus de sûreté, plus d’innocuité environnementale etc. Dès que l’on parle « énergies » c’est lui que la rumeur publique assigne prioritairement au banc des accusés. Et dès que l’on parle « déchets » c’est encore lui plus que jamais qui se retrouve sur la sellette. Reconnaissons que la situation est étonnante : personne ne semble s’inquiéter des ravages immédiats et flagrants des polluants chimiques dispersés dans l’atmosphère par les énergies fossiles, à l’origine de milliers de morts et de graves maladies ici et maintenant… En revanche, on sonne sur le champ l’alerte générale aux déchets nucléaires, on somme les experts de s’expliquer immédiatement et on s’empoigne à longueur de réunions si apparaît l’hypothèse très incertaine que dans cent mille ans, quelques actinides additionnels pourraient déboucher au droit d’un stockage géologique, augmentant la dose de rayonnements ionisants de quelques microsiéverts annuels ! Des quantités totalement négligeables, des centaines de fois inférieures à la radioactivité naturelle, 26.  Pour une éthique de l’énergie nucléaire. Première édition parue dans les Cahiers de l’Institut catholique de Lyon. Université catholique de Lyon. 1990. 145

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mais qui n’empêchent pas les militants de brandir sous le regard angoissé du public le spectre du scénario catastrophe et de dénoncer la terrible menace pesant sur les générations futures ! Dans ce même ordre d’idée, je constate avec la même perplexité combien sont divergentes dans l’opinion publique, les représentations liées aux déchets nucléaires et aux déchets chimiques solides. Ils présentent des voies d’atteinte (par contamination des eaux de surface) et des risques potentiels à peu près équivalents mais affichent une différence majeure : alors que les déchets nucléaires perdent leur dangerosité au fil du temps, les déchets chimiques stables, à base par exemple de cadmium, de mercure, d’arsenic etc. restent dangereux toujours au même niveau sur des durées infinies. Cette différence semble ignorée du public, en tout cas elle n’empêche pas les déchets nucléaires d’encourir systématiquement le sulfureux reproche d’« éternité » dont les déchets chimiques qui le mériteraient davantage sont, eux, systématiquement exemptés. Ce « deux poids deux mesures » est une réalité que l’on retrouve toujours dans le débat et qui vient invariablement nous rappeler, comme nous le notions au début de ce chapitre, que l’aspect psychologique et sociétal est, autant que les questions techniques, un élément majeur de la gestion des déchets nucléaires.

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1. L’opinion française jauge le nucléaire et ses déchets à travers le double prisme de la défiance et de la précaution. Dans ce contexte, l’aune à laquelle se mesure la sûreté a tendance à devenir pratiquement sans limite, en tout cas sans équivalent avec les critères ayant cours dans les autres secteurs de l’économie. Et l’on peut penser que si pour toutes les activités sensibles et porteuses de risques les dispositions de sûreté étaient définies et appliquées avec le même degré d’exigeante sévérité qu’elles le sont dans le secteur nucléaire, l’économie française atteindrait probablement un état proche de la paralysie ! La période qui s’ouvre va conduire à une concrétisation de ces approches de sûreté dans le domaine particulier du stockage des déchets à vie longue et haute activité. Disons clairement que la démarche guidant ces réalisations nouvelles s’inspire, comme je l’ai montré dans ce livre, d’une intransigeance sécuritaire inchangée : c’est avec une rigueur extraordinairement précautionneuse que le secteur nucléaire français met en place le système de stockage définitif de ses déchets les plus dangereux. 2. Ces accomplissements sont également en cours dans les autres pays « nucléaires ». Ceux-ci, tout comme la France, sont nécessairement 147

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appelés à définir et à mettre en œuvre leur politique de gestion des déchets de haute activité, produits pour certains d’entre eux dès la période 1950/1960 et qui doivent maintenant faire l’objet d’une évacuation définitive après une période de refroidissement de plusieurs dizaines d’années. Dans la plupart des cas, cette évacuation prendra la forme de stockages géologiques aux concepts assez voisins de celui qui gouverne la réalisation de Cigéo. En France comme ailleurs, les ingénieurs sont désormais appelés à se colleter avec ces réalisations industrielles inédites tout en continuant à débattre avec leurs concitoyens, à tempérer leurs effrois, à démonter les fables qui encombrent encore trop souvent les estrades publiques dès qu’il est question de déchets et de radioactivité. 3. Avec l’étape qui s’ouvre, l’heure ne devrait plus être aux préjugés ou aux anathèmes. Les très nombreuses études et expérimentations conduites en France et à l’international sur la gestion des déchets les plus dangereux ont contribué à établir, comme on l’a montré, une somme considérable de données techniques permettant la conception de différents modes de stockage et l’évaluation de leur sûreté à long terme. Sur ces bases, pour faire écho au titre de ce livre se demandant « où est le problème ? » posé par les déchets nucléaires, je suis tenté de répondre que ceux-ci n’ont rien de diabolique ou d’extravagant et apparaissent dès à présent gérables dans de bonnes conditions de sûreté avec les techniques aujourd’hui disponibles. L’image tant exhibée par certaines ONG dépeignant les déchets nucléaires comme une « épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des générations futures » est à ranger au magasin des accessoires pour cause de démesure. C’était à l’époque une habile trouvaille rhétorique ; ce n’est plus aujourd’hui, face à la somme des connaissances acquises, qu’un artifice de communication. 4. Comme on l’a vu, les systèmes fondés sur ces techniques tendent à induire, sur le plan de la sûreté, une double conséquence : l’accident 148

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ou dysfonctionnement détériorant gravement l’intégrité globale du stockage est très improbable ; si un tel événement survenait malgré tout, son impact hors site resterait limité et maîtrisable. Cela n’efface pas le danger ; mais ce scénario de dommages restreints associés à une faible probabilité d’occurrence fait entrer à mes yeux le risque dont est porteur le stockage géologique dans la catégorie du risque « acceptable »1. La portée de ce jugement est à mes yeux déterminante, traduisant notamment le fait que nous n’imposons à nos descendants aucun risque qui serait supérieur à celui que nous acceptons ici et maintenant pour nous-mêmes et pour notre propre génération. Dès lors, le plateau de ma balance personnelle ne peut pencher que du côté des avantages, dûment démontrés, du stockage géologique encourageant de ma part un jugement favorable à sa réalisation. 5. On sait qu’un tel acquiescement est bien éloigné de l’opinion prévalant encore dans une grande partie du public qui se représente les déchets nucléaires sous la triple signature d’un risque infini, d’un volume infini et d’une durée infinie !2 Les développements qui précèdent suggèrent pour chacun des paramètres retenus d’autres qualificatifs plus appropriés évoquant, comme je viens de le souligner, un risque acceptable, un volume limité, une durée maîtrisable, bref, des déchets démythifiés… C’est ce que j’ai entrepris d’expliciter dans ce livre, en notant que la France est en pointe dans la gestion de ses déchets nucléaires et leur réserve autre chose qu’une mise en « poubelle » : une mise en « confinement » dans des structures artificielles et naturelles appelées à perdurer le temps nécessaire à la décroissance et à la disparition de leur dangerosité. 1.  Une acceptabilité bien plus évidente, soit dit au passage, que celle des risques que nous affrontons au quotidien en prenant l’avion, en montant dans une voiture ou même en respirant l’atmosphère polluée de nos villes qui entraîne et entraînera proportionnellement beaucoup plus de dommages pour la santé que n’en causera jamais la radioactivité des déchets nucléaires ! 2.  Voir chapitre 8 note 1, sur l’ouvrage de P. d’Iribarne. 149

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6. L’enjeu du stockage des déchets à vie longue est dans cette concordance des temps. C’est sur elle que repose la protection de nos descendants face au risque potentiel des résidus à longue durée de vie. Peut-être est-ce de ma part un excès d’optimisme mais j’ai tendance à considérer les générations futures comme bénéficiaires des progrès que nous accomplissons bien davantage que comme victimes désignées de nos turpitudes ! L’irruption des déchets nucléaires dans le continuum ne modifie guère ce penchant : nos descendants seront techniquement mieux armés que nous pour se prémunir contre toute éventualité de pollution radioactive et pour se garder d’un risque limité qui ira en s’amenuisant au fil des années. Dans le même temps, ils auront bénéficié des conséquences positives liées aux vertus environnementales de l’électricité nucléaire génératrice de ces déchets, incomparablement plus écologique et « climatophile » que les énergies fossiles traditionnelles.  7. Ménager l’innocuité à long terme d’un stockage profond revient à « faire confiance à la géologie » a-t-on souvent entendu dire lors des discussions sur Cigéo. L’expression figure dans les comptes-rendus officiels des débats. Il est vrai que la couche rocheuse à l’intérieur de laquelle sera construit le stockage constituera un élément essentiel du dispositif de confinement retenu. Mais si l’on doit parler «  confiance », ce qu’il faut mentionner d’abord – et bien avant de constater les mérites du Callovo-Oxfordien – c’est celle que peut susciter le travail des hommes et des femmes ayant en charge la gestion des déchets nucléaires en France. Scientifiques, ingénieurs, techniciens, ils sont plusieurs milliers à assumer dans notre pays la responsabilité de ce fardeau problématique. Ils l’ont jusqu’à présent exercée avec une réelle efficacité puisque depuis 30 ans, tous les types de déchets nucléaires ont été conditionnés, entreposés, transportés, stockés dans des conditions de sûreté satisfaisantes, cette bonne gestion faisant de la France une référence mondiale dans ce domaine particulier. À l’occasion du nouveau chapitre « stockage géologique » 150

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que ces professionnels ont commencé d’écrire, peut-on continuer de leur accorder confiance ? À chacun son opinion. J’observe pour ma part que tous les acteurs concernés – concepteurs, constructeurs, exploitants, autorités d’évaluation et de contrôle… – sont engagés dans le cadre du secteur public pour œuvrer, hors de toute notion de profit ou de rentabilité, à ce qu’ils considèrent comme une mission d’intérêt général. Ils conduisent cette tâche inédite avec une obsession commune : la sûreté ; d’où une démarche très méticuleuse – à mille lieues de toute arrogance technocratique – qui progresse précautionneusement depuis des années à la faveur de ce que l’on pourrait appeler un cheminement pas à pas : chaque élément du tout doit être reconnu, évalué, expérimenté, au besoin modélisé et démontré avant de pouvoir être agrégé à l’ensemble ! Cela m’évoque irrésistiblement Descartes – une nouvelle fois ! – et le premier précepte de sa Méthode « de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle » !3 C’est avec ce souci de vérification et de validation de chaque détail à chaque étape qu’ont été jetées les bases, depuis vingt-cinq ans, du stockage géologique et de Cigéo. Que les acteurs des déchets nucléaires en France fassent du Descartes sans le savoir, voilà après tout qui n’est pas malvenu… et qui peut ajouter à la confiance. Mais il va de soi que si on leur attribue ces vertus typiquement cartésiennes que sont la circonspection et la réserve, il ne faut pas manquer d’y ajouter, au vu des résultats déjà acquis, la compétence ! Armés de ces quelques atouts, ils mènent leur barque patiemment : ils disposent encore de plusieurs dizaines d’années, sous le contrôle permanent des autorités de sûreté, pour peaufiner leur réalisation, en modifier éventuellement tel ou tel élément ou même en revoir l’organisation générale, ces aménagements pouvant se prolonger jusqu’à la période où Cigéo entrera dans sa phase de fermeture, au siècle prochain. Et ils ont le sentiment, en harmonie avec leurs collègues étrangers, que la voie 3.  Discours de la Méthode, Deuxième partie. R. Descartes. 1637. 151

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ouverte est la meilleure possible pour une évacuation sans risque inacceptable des déchets nucléaires les plus dangereux. Le jugement de ces professionnels est une pièce essentielle à verser au dossier. Il indique en toute crédibilité, après que l’on se soit demandé « où est le problème ?», un chemin vers la solution.

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BIBLIOGRAPHIE

LIVRES Sur les déchets nucléaires Les déchets nucléaires : état des lieux et perspectives, Coordonné par Bernard Bonin, EDP Sciences, 2011. Rendre gouvernables les déchets radioactifs, ouvrage collectif réalisé à l’initiative de l’Andra, Ed. Andra, 2010. Les déchets nucléaires, quel avenir ? Stéphane Giin, Ed. Dunod, 2006. Faut-il avoir peur des déchets radioactifs ?, ouvrage collectif réalisé à l’initiative de l’Andra, Ed. Andra, 2004. Y a-t-il une éthique de la gestion des déchets radioactifs ?, ouvrage collectif réalisé à l’initiative de l’Andra, Ed. Vuibert, 2004. Sur la radioactivité Manuel de radioactivité, Jacques Foos , Ed. Hermann, 2009. La radioactivité, Yves Chelet, Nucleon – EDP Sciences, 2006. La radioactivité est-elle réellement dangereuse ? Jean-Marc Cavedon, Ed. Le Pommier, 2002. 153

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Sur le nucléaire en général Nucléaire ON/OFF, François Lévêque, Ed. Dunod, 2013. Dompter le dragon nucléaire ? Réalités, fantasmes et émotions dans la culture populaire, Alain Michel, Ed. Peter Lang, 2013. Le credo antinucléaire, Pour ou contre ? Pierre Bacher, Ed. Odile Jacob, 2012. Le nucléaire expliqué par des physiciens, Coordonné par Bernard Bonin, EDP Sciences, 2012. Avec le nucléaire, Henri Prévot, Ed. du Seuil, 2012. Le nucléaire, un choix raisonnable ? Hervé Nifenecker, EDP Sciences, 2011. Le nucléaire, débats et réalités, Bertrand Barré, Ellipses, 2011. Peut-on sortir du nucléaire ? Jacques Foos, Yves de Saint-Jacob, Hermann, 2011. Qu’est-ce que l’énergie nucléaire ? Henri Safa, EDP Sciences, 2011. Plutonium, mythes et réalités, Henri Métivier, EDP Sciences, 2010. Le nucléaire et la planète, 10 clés pour comprendre, Francis Sorin, Ed. Grancher, 2009. Le nucléaire, quel intérêt pour la planète ? Henri Safa, Spécifique Editions, 2008. Comprendre l’avenir, l’énergie nucléaire, Bertrand Barré, Pierre-René Bauquis, Ed. Hirlé, 2007. L’énergie en 21 questions, Pierre Bacher, Ed. Odile Jacob, 2007. L’épopée de l’énergie nucléaire, Paul Reuss, EDP Sciences-INSTN, 2007. L’énergie en 2050, Bernard Wiesenfeld, EDP Sciences, 2005. Nucléaire, les chemins de l’uranium, Pierre Morvan, Michel Jorda, Francis Sorin, Ed. Ellipses, 2004. Le pari nucléaire français, Lionel Taccoen, Ed. L’Harmattan, 2003. Le cycle du combustible nucléaire, Coordonné par Louis Patarin, EDP Sciences-INSTN, 2002. Moi, U 235, atome radioactif, Bernard Bonin, Etienne Klein, JeanMarc Cavedon, Flammarion, 2001. Le nucléaire, avenir de l’écologie ? Bruno Comby, TNR, 2001. 154

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BIBLIOGRAPHIE

TEXTES ET DOCUMENTS (La plupart sont consultables sur Internet) Documents officiels du débat Débats publics officiels sur les déchets nucléaires, Dossiers du Maître d’Ouvrage (Andra) 2005 et 2013. Mentionnons également les documents officiels préparés pour ces débats par les principaux producteurs de déchets nucléaires : EDF, Areva, CEA et par les instances de régulation, contrôle et information : ASN, IRSN, ANCCLI, HCTISN, CNE. Documents consultables sur les sites internet de ces entreprises et organismes. Bilan du débat public sur Cigéo par le Président de la CNDP, février 2014. Débat public sur Cigéo, Compte rendu par le Président de la CPDP, février 2014. Débat public Cigéo : présentation de l’avis du panel de citoyens, février 2014. Suites données par l’Andra au projet Cigéo à l’issue du débat public, mai 2014. Autres textes et documents Faire avancer la sûreté nucléaire, IRSN, Rapport annuel 2014. Innover pour un nucléaire durable, Les défis du CEA – Hors série, octobre 2014. Mortalité évitée et émissions polluantes liées à l’utilisation d’énergie nucléaire, James Hansen et Pushker Karesha, étude pour le Goddard Institute parue dans Environmental Science and Technology, juin 2013. Groupe de travail FA-VL : rapport et recommandations », HCTISN, octobre 2011. Rapports et avis annuels de la Commission Nationale d’Evaluation. The French high-level waste repository program – examen critique. IEER. 2011. www.ieer.org. 155

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Air pur pour l’Europe, étude conduite par la Commission Européenne. 2005. Voir aussi sur ce thème l’étude de l’INSERM, Institut national de la santé et de la recherche médicale publiée en 2008. Le pouvoir d’indécision : la mise en politique des déchets nucléaires, Yannick Barthe, Economica, École des Mines Paris, 2006. Recherche et déchets nucléaires, une réflexion interdisciplinaire, CNRS, MSH-ALPES, février 2006. La relation dose-effet et l’estimation des effets cancérogènes des faibles doses de rayonnements ionisants, par Maurice Tubiana et André Aurengo. Rapport conjointement élaboré et adopté par l’Académie de Médecine (2004) et l’Académie des Sciences (2005). Gestion des déchets nucléaires à vie longue : Analyse contradictoire. Benjamin Dessus, Bernard Laponche, Yves Marignac, Publié par la Commission Nationale du Débat Public - CNDP 2005. Les déchets radioactifs : un problème résolu ? Rémy Carle, Louis Patarin, RGN, 2003 n° 1. Des verres garantis pour des millions d’années, Etienne Y. Vernaz, CLEFS CEA n° 46, 2002. Le phénomène d’Oklo, Roger Naudet, Revue Générale Nucléaire, n°1, 1975. Études d’opinion et sondages Les Français et les déchets nucléaires, Philippe d’Iribarne, Rapport au Ministre délégué à l’Industrie, avril 2005. Perception des risques et de la sécurité par les Français, Baromètre IRSN, 2012. Perception des risques par des leaders d’opinion, Enquête de l’IRSN avec BVA, 2011. L’opinion des Français sur les déchets radioactifs, Sondage Crédoc à la demande de l’Andra, 2010. L’attitude des citoyens européens à l’égard de l’environnement, Eurobaromètre 2008, réalisé auprès des populations de l’UE à l’initiative de la Commission, 2008. 156

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BIBLIOGRAPHIE

SITES INTERNET La plupart des textes et documents listés ci-dessus sont consultables sur les sites internet que nous mentionnons ci-après. À quelques exceptions près, ces sites ne sont pas exclusivement dédiés à la question des déchets nucléaires mais ils lui consacrent des développements substantiels. Les grands acteurs www.andra.fr www.edf.fr www.cea.fr www.areva.com www.asn.fr www.irsn.fr www.developpement-durable.gouv.fr Opecst : voir sites de l’Assemblée nationale et du Sénat www.hctisn.fr www.anccli.org www.cnrs.fr Le débat www.cigeo.com www.debatpublic-cigeo.org www.debatpublic.fr Associations et sites d’information www.sfen.org www.manicore.com www.laradioactivité.com www.sfenjg.org www.uarga.org www.lesarpenteurs.fr www.energie.lexpansion.com 157

BIBLIOGRAPHIE

www.connaissancedesenergies.org www.dechets-radioactifs.com www.usinenouvelle.com www.journaldelenvironnement.net www.win-france.fr www.ecolo.org www.sciencesetavenir.fr www.agoravox.fr www.sauvonsleclimat.org www.burestop.eu www.villesurterre.eu www.sortirdunucleaire.org www.greenpeace.org www.acro.eu.org Dans le monde www.ondraf.be www.nagra.ch www.nrc.gov www.nda.gov www.leprojetonkalo.wordpress.com www.skb.com Et aussi… Mentionnons aussi la présence et l’activité sur Internet de Groupes d’échanges thématiques et de discussion, constitués par contacts individuels, recevant informations, articles, commentaires et participant à des discussions informelles sur le nucléaire et les questions liées aux énergies et aux politiques énergétiques. Parmi les principaux animateurs et intervenants : André Copin, Emmanuel Grenier, Michel Gay, André Pellen.

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À PROPOS DE L’AUTEUR

Journaliste scientifique spécialisé dans le domaine de l’énergie et du nucléaire, Francis Sorin est l'auteur de nombreux documents et publications consacrés à ces questions. Son livre « Le nucléaire et la planète, dix clés pour ­comprendre » (Éd. Grancher) a obtenu en 2010 le Prix du Forum atomique français. Conseiller depuis 2013 à la Société française d'énergie nucléaire, il était auparavant le directeur du pôle Information de cette société. En tant que membre du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (2008–2014) il a contribué activement aux travaux de contrôle et d'évaluation de la politique nationale de gestion des déchets nucléaires.

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