Correspondance générale d'Helvétius, Volume III: 1761-1774 / Lettres 465-720 9781442683853

The letters of the French philosopher, Claude Adrien Helvétius (1715-1771), author of the explosive De l'Esprit (17

173 81 25MB

French Pages 510 Year 1991

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Table of contents :
Introduction
Complément aux Principes de la présente édition
Remerciements
Complement aux Abréviations et sigles bibliographiques
Letteres 465–720
465–545
546–630
631–720
Appendices 17, 18
Table des Illustrations
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Correspondance générale d'Helvétius, Volume III: 1761-1774 / Lettres 465-720
 9781442683853

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Correspondance generale d'Helvetius VOLUME III : 1761-1774 / LETTRES 465-720

Lithographic d'Helvetius par Maurin

Correspondance gdnerale

d'Helvdtius VOLUME III : 1761-1774 / LETTRES 465-720

Introduction, etablissement des textes et appareil critique par Alan Dainard, Marie-Therese Inguenaud, Jean Orsoni et David Smith, directeur de 1'edition, et Peter Allan, pour la preparation des lettres de Madame Helvetius

UNIVERSITY OF TORONTO PRESS Toronto and Buffalo THE VOLTAIRE FOUNDATION Oxford

www.utppublishing.com © University of Toronto Press 1991 Toronto Buffalo London Printed in Canada ISBN 0-8020-2778-4

Printed on acid-free paper Published in Great Britain by the Voltaire Foundation Taylor Institution Oxford OX1 3NA ISBN 0-7294-0419-6 Donnees de catalogage avant publication (Canada) Helvetius, C.A., 1715-1771 C rrespondance generale d'Helvetius (University of Toronto romance series ; 41, 51, 63) L'ouvrage complet comprendra 4 v. Comprend des references bibliographiques et un index. Contents: v. 1. 1737-1756, lettres 1-249 - v. 2. 1757-1760, lettres 250-464 - v. 3. 1761-1764, lettres 465-720 ISBN 0-8020-5517-6 (v. 1) ISBN 0-8020-5641-5 (v. 2) ISBN 0-8020-2778-4 (v. 3) 1. Helvetius, C.A., 1715-1771. 2. Philosophies - France - Correspondance. I. Dainard, Alan, 1930- . II. Orsoni, Jean 1931III. Smith, D.W. (David Warner), 1932- . IV. Allan, Peter, 1931V. Titre. VI. Collection. B2046.H44A4 1981

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C80-094481-X

Introduction

La derniere periode de la vie d'Helvetius (1761-1771), qui fait suite a trois ans de tribulations au cours desquels il dit avoir "frise la corde", est pour lui celle des annees de gloire. Ce n'est pas qu'il soit devenu prophete en son pays, et certains de ses amis, notamment 1'abbe Pluquet, 1'ont meme abandonne; mais de tels insucces ou deceptions sont largement compenses par ses satisfactions. Il se lie d'amitie avec plusieurs philosophes ideologiquement proches de lui. Les monarques d'Europe le complimentent sur son ouvrage et 1'invitent a leur cour. Il effectue des voyages en Angleterre et en Prusse, et il devient une celebrite a 1'etranger. A Paris, il regoit margraves, dues, princes et rois, de meme qu'un grand nombre des intellectuels de 1'epoque. Quant a sa vie privee, elle est equilibree et heureuse. II passe la plus grande partie de Pannee a la campagne au sein de sa famille, a s'occuper de ses terres, recevoir ses amis et preparer de nouveaux ouvrages. Mais sa same s'est deterioree, et sa mort survient en 1771, soudaine et prematuree, a 1'age de 56 ans. Mentionnons enfin, dans ce survol liminaire, que ses deux derniers ouvrages, Le Bonbeur et De I'Homme, ont paru respectivement en 1772 et 1773. C'est sur une serie de lettres auxquelles ces ceuvres posthumes ont donne lieu que se termine ce troisieme et avantdernier volume de la Correspondance generate d'Helvetius, qui couvre la periode 1761-1774. L'affaire de L'Esprit a profondement marque Helvetius. Il ressort en effet abondamment de ses lettres ecrites posterieurement qu'elle ne 1'a pas seulement effraye, mais aussi, demoralise. Deja en 1761, il voit des justifications a son decouragement dans des evenements mineurs tels que la condamnation de I'Histoire dejean Sobieski, de 1'abbe Coyer, laquelle lui fait envisager avec pessimisme 1'avenir du mouvement philosophique : "II faudra qu'enfin la raison succombe. [...] On veut etouffer ici toute espece d'esprit et de talents." Par la suite, de plus en plus tourmente par la goutte et fort inquiet de la crise financiere de la France, qui perdure, il anticipe sur les previsions sinistres qu'il emettra dans la preface de L'Homme. C'est ainsi qu'en Janvier 1771, il exprime une detresse sans appel: "Je regarde les lettres comme perdues en France." v

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II n'est done pas surprenant que Voltaire ait tente longtemps, mais en vain, de faire d'Helvetius son lieutenant parisien dans la campagne contre 1'Infame. La correspondance entre les deux philosophes ayant repris en 1758, apres une fort longue interruption, Voltaire sollicite a plusieurs reprises le concours d'Helvetius : "Vous pouvez plus que personne ecraser 1'erreur sans montrer la main qui la frappe," lui ecrit-il en mai 1763, puis en septembre de la meme annee : "Personne n'est plus fait que vous pour reunir les gens de lettres." Voltaire, pourtant au courant de la situation precaire d'Helvetius a qui le Parlement a interdit de publier des ouvrages "contre la religion, 1'Etat et les bonnes mceurs", ne s'etonne pas moins du manque de combativite de son ancien ami : "Comment n'employez-vous pas tous les moments de votre vie a venger le genre humain en vous vengeant?" Mais Pauteur de L'Esprit ne semble pas vouloir poursuivre de revanche personnelle : bien que Francois Arnaud eut attaque son ouvrage dans L'Annee litteraire, Helvetius refuse d'etre partie a une campagne dirigee contre Padmission de Pabbe a PAcademie des inscriptions. Et plutot que d'aider Voltaire a ecraser 1'Infame, il continue a se preoccuper de sa securite, s'inquietant par exemple que des papiers ou il a jete "des idees peut-etre vives" pendant Paffaire de L'Esprit puissent tomber dans les mains de Pennemi, a Poccasion des changements que sa femme effectue dans son bureau de la rue Sainte-Anne. Aussi Voltaire finit-il par comprendre qu'Helvetius ne peut que se tenir coi: "II vaut mieux sans doute etre ignore et tranquille que d'etre connu et persecute." Il reste que les tracas subis par Helvetius ayant cesse, il n'est pas sans reagir parfois de fagon plus positive. Il prend plaisir a envoyer a sa protectrice, Mme de Pompadour, tous les eloges de L 'Esprit que lui adressent ses correspondants ou qu'il releve dans les journaux etrangers. Il se console parfois a la pensee que la posterite reconnaitra ses merites : "Ce n'est que dans le tombeau qu'on honore les ecrivains illustres qu'on persecutait de leur vivant." Et il lui arrive meme de croire que ses idees beneficient deja d'une certaine rehabilitation : "Je suis fort aise que le public de Paris revienne sur le compte de mon livre." Enfin, il continue a rediger De I'Homme, mais sans aller jusqu'a envisager de le publier : "L'ouvrage est fait, ecrit-il un mois avant sa mort, mais je ne pourrais le faire imprimer sans m'exposer a de grandes persecutions. Notre Parlement n'est plus compose que de pretres, et Plnquisition est plus severe ici qu'en Espagne." A Petranger, en revanche, Helvetius jouit d'une popularite considerable. De I'Esprit est traduit en anglais et en allemand, lu par un public assez nombreux, et est generalement fort bien regu. Certains souverains complimentent personnellement son auteur, et notamment, Christian Frederic d'Ansbach, Louise-Dorothee de Saxe-Gotha, Caroline de HesseDarmstadt, ainsi que Frederic Auguste de Brunswick-Wolfenbuttel, qui lui VI

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offre un exemplaire de son Discours sur les grands hommes (1768). D'autre recourent a des intermediaires pour le f eliciter, tels Frederic II, qui en charge de Catt, Formey et Keith, ainsi que Catherine II et Louise-Ulrique de Suede, qui mandatent respectivement a cet effet Chouvalov et Beylon. Les reponses d'Helvetius paraitraient adulatrices si 1'on ne faisait la part du style et des usages du temps. Catherine II est louangee pour 1'elevation de son ame et la superiorite de ses lumieres, et Louise-Ulrique 1'est pour sa vertu, sa beaute, son genie, tandis que Frederic II se voit decerner le compliment d'etre 'Tetonnement du siecle present et peut-etre le modele inimitable des siecles a venir". Helvetius recommande avec insistance aux monarques etrangers de garantir aux ecrivains la liberte d'expression, appel optimiste qui denote une certaine foi dans le despotisme eclaire. Plusieurs souverains et princes lui rendent visite pendant leurs sejours a Paris : Christian Frederic d'Ansbach, Ferdinand Charles Guillaume de Brunswick-Wolfenbuttel, Christian VII de Danemark, auquel Helvetius confie ses opinions sur Shakespeare et le theatre anglais, Ernest II de Saxe-Gotha, a qui il offre un exemplaire de 1'edition clandestine in-4° de L'Esprit, ainsi que Gustave III de Suede, bien que celui-ci trouve les philosophes "plus agreables a lire qu'a voir". Les deux tournees d'Helvetius en Angleterre et en Prusse n'ont pas ete des bannissements, ni meme des exils volontaires. De fait, il n'en a subi a aucun moment, n'a meme pas ete eloigne de Paris, et a seulement evite de paraitre a la cour pendant 1'affaire de L'Esprit. Non qu'il n'ait pas songe, meme deux ans apres celle-ci, a la possibilite de quitter la France, mais cette idee n'est jamais restee qu'une hypothese, et en 1761,1'ancien maitre d'hotel de la reine aspire meme a une nouvelle place a la cour, "moins par un motif d'ambition, ecrit-il a son epouse, que par vengeance et pour humilier nos ennemis". Helvetius, en disciple de Montesquieu et de Voltaire, admire les institutions anglaises et le theatre de Shakespeare. Il est lie d'amitie avec de nombreux Britanniques qu'il a rencontres en France, et notamment David Garrick, Edward Gibbon, David Hume, Hans Stanley, John Stewart, John Wilkes, le baron Elibank, la baronne Hervey, le vicomte Palmerston et la vicomtesse Primrose. Aussi est-ce de longue date que 1'auteur de L'Esprit a forme le projet de visiter PAngleterre, et des juillet 1762, il engage dans cette intention James Mather Flint, auteur d'une Prononciation de la langue angloise (1740), pour lui enseigner 1'anglais pendant trois mois a Vore. Mais une fois rendu dans le pays, le debutant qu'il est reconnait ne bien comprendre que les phrases courtes, et ses progres doivent etre assez lents, d'autant que les connaissances linguistiques de ses hotes ne jouent pas en sa faveur : "On parle ici trop frangais pour que je puisse entendre bien 1'anglais." Vll

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Le voyage d'Helvetius en Angleterre n'a lieu qu'en 1764, car il a du attendre que le traite de Paris de 1763 mette fin a la guerre de Sept Ans. Parmi ses vieux amis, il retrouve en particulier Hans Stanley, qui 1'invite dans sa propriete de campagne de Paultons, pres de Southampton, et le marchand de vin John Stewart, auquel il rend visite dans sa maison de la banlieue de Londres. II rencontre aussi le pere jesuite Martel, ancien commensal de Mme de Graffigny, qui passe par Londres apres son expulsion de France, avant de se rendre au Quebec ou il deviendra cure de campagne. Helvetius se fait en outre de nouvelles relations parmi les Britanniques, dont lord Mansfield, celebre juriste et magistral ecossais. L'ambassadeur de France, le comte de Guerchy, le presente au roi et a la reine. Il assiste a un oratorio de Haendel, a un bal du King's Theatre, a un combat de coqs, a un diner du Royal Society Club, a un service religieux de quakers et a un debat de la Chambre des communes sur les affaires d'Amerique. Il se plaint de 1'odeur desagreable du charbon, qu'on sent meme aux abords de Londres, mail il admire les rues larges de la capitale britannique et encore plus ses jardins, "de beaux lieux champetres ou Ton ne croirait point que la main de I'art ait touche". C'est surtout avec son epouse qu'il correspond lors de ce sejour. II lui signale 1'existence a Londres de "mauvais lieux" toleres par la police, et 1'entretient assez souvent des Anglaises, mentionnant par exemple, que "[leurs] petits chapeaux [...] et leur taille les rendent tres agreables", et qu'elles se promenent librement dans les rues, accompagnees d'une servante et portant sur leur robe un petit tablier de gaze. En reponse, Mme Helvetius lui reproche de parler bien moins souvent des hommes que des femmes, mais il la rassure avec insistance sur les limites de 1'interet qu'il porte a ces dernieres : "Je te reponds que je ne vois pas de femme : je suis trop vieux pour etre galant." Et c'est a peine une hypothese ambigue d'inconstance qu'il finit par emettre : "Si par hasard je t'avais fait quelques infidelites, il n'est aucune femme qui, au bout de trois jours, put me plaire autant que toi." Quant aux questions politiques, economiques et sociales, c'est tres rarement qu'Helvetius les aborde dans ses lettres d'Angleterre a sa femme. A peine y mentionne-t-il que la nation anglaise est "bien respectable et bien dangereuse pour nous", et que les affaires d'Etat y sont "beaucoup mieux conduites que chez nous, parce qu'elles sont discutees et les propositions contredites sans management dans le Parlement". En revanche, il expose plus explicitement ses impressions sur la politique anglaise dans une lettre a Servan ecrite apres son retour, en decembre 1764, dont Pimportance est capitale en ce que son authenticite demontre le caractere apocryphe de documents publics par Lefebvre de la Roche comme etant des lettres d'Helvetius : "Vous y verrez des hommes eclaires et des peuples heureux, Vlll

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un gouvernement ou routes les passions sont en jeu, ou toutes se contrebalancent, ou le repos nait de Tequilibre de leurs forces." La realite anglaise etant a la mesure de la vision qu'en entretenait Helvetius, il restera toujours un anglophile fervent. Mais, d'Holbach, qui avait sejourne avant lui en Angleterre, et qui, selon Diderot, en etait "revenu bien revenu", plagait dans un eclairage different les jugements favorables a 1'Angleterre emis par 1'auteur de L'Esprit: "Ce pauvre Helvetius, il n'a vu en Angleterre que les persecutions que son livre lui a attirees en France." Peu apres son retour d'Angleterre, Helvetius est admis a T Academic royale de Berlin comme membre associe, honneur accorde jadis a son pere, puis Frederic II 1'invite a lui rendre visite. Ce voyage en Prusse, qu'il entreprend en 1765, se revele beaucoup plus fatigant que le precedent, car Helvetius doit rouler sur des routes defoncees, dans un carosse cahoteux dont les essieux se rompent, et loger parfois dans des auberges rudimentaires. A Taller comme au retour, il sejourne a Gotha, au palais de la duchesse Louise-Dorothee, et il y fait la connaissance du prince heritier Ernest Louis, de Mme de Buchwald, "la grande maitresse des coeurs", et de Kliipfel, ami de jeunesse de Grimm. Il fait egalement hake a Francfort, "ville libre ou Ton imprime tout ce qu'on veut", a Bouxviller, ou il rend visite a Caroline de Hesse-Darmstadt, ainsi qu'a Leipzig ou demeure Gottsched, auteur auquel est due la preface de la traduction allemande de L'Esprit. Arrive a Potsdam le 4 avril 1765, il apprend que le roi est "sur le grabat, garotte par une goutte impitoyable", mais il se trouve retabli le lendemain, et des lors, invite Helvetius a diner tous les jours. Frederic est "aimable", "plein d'humanite", "seduisant comme Voltaire quand il veut plaire", et son activite est universelle : "L'esprit du roi anime, feconde et vivifie tout." Helvetius fait la connaissance des differents membres de la famille royale, dont la reine, le prince Henri, le prince heritier Frederic-Guillaume, et les trois freres de Brunswick. II frequente les principaux expatries - Bitaube, de Catt, Formey, Lambert et Toussaint - mais il evite la societe de Tabbe Trublet, ancien habitue de la rue Sainte-Anne, qui avait attaque De I'Esprit et auquel Mme Geoffrin avait interdit sa porte. Il assiste aux seances de T Academic, aux revues militaires du mois de mai et a un concert royal. Mais s'il visite avec interet les chateaux du roi et les jardins de Potsdam et de Berlin, il ne fait aucun autre deplacement en Prusse. Peut-etre parce que Mme Helvetius a etc quelque peu desobligee de Tinteret qu'il avait montre pour les Anglaises, il fait preuve d'une grande reserve au sujet des Prussiennes. Il ne manque pas d'exprimer son amour a sa femme avec sa passion habituelle : 'Je suis, ma chere amie, a trois cents lieues, mais mon ame est tout entiere avec toi, elle est a ta toilette, elle se couche avec toi, t'embrasse et te caresse." Et il lui rapporte a plusieurs reprises Tadmiration que suscite sa beaute, car il a emporte une miniature IX

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d'elle dont il ne se separe pas. A peine se permet-il une plaisanterie sur la pauvrete des tentations qu'offre Pentourage de Frederic II : "Je m'imagine que Ton ne te fera point accroire que je fais ma cour aux femmes de Berlin. Tu sais que le roi ne vit point avec les femmes et qu'a Potsdam je pourrais tout au plus raccrocher un page." Avant son depart de France, Helvetius avait etc charge par le due de Choiseul de sonder Frederic II sur une eventuelle reprise des relations diplomatiques, que la France avait rompues en 1756 lorsque la Prusse avait envahi la Saxe. Mais les efforts diligents d'Helvetius semblent avoir etc voues a Pechec des le debut, le roi Payant juge, deux semaines a peine apres son arrivee, "du tout pas capable de faire le negociateur et d'ailleurs tres mal avec la cour de France". La Prusse, pas plus que la France, n'est disposee a "faire les avances", selon les termes d'une minute diplomatique, et pour lever cet obstacle, Frederic II charge Helvetius de proposer, a son retour a Paris, que les deux pays annoncent simultanement la nomination de leur ambassadeur. Mais Louis XV exige en retour une preuve ecrite du desir du roi de Prusse de renouer avec la France. Quand Helvetius demandera a son ancien note une lettre Pautorisant a agir en son nom, Frederic II y verra un piege et se derobera : "Comme je ne me rappelle point les differents articles dont il est fait mention dans votre lettre et dont je dois vous avoir parle, je ne pourrai pas par consequent y repondre." C'est en vain qu'on tentera ensuite de ranimer ces negociations, par Pintermediaire de Grimm et de Louise-Dorothee de Saxe-Gotha. Par centre, Helvetius s'acquittera avec succes d'une tache dont Frederic II Pinvestit juste avant son depart de Prusse : Pancien fermier general doit engager une compagnie de fermiers qui seront charges d'ameliorer le systeme de perception des impots indirects en Prusse. Cinq administrateurs choisis par Helvetius arrivent ainsi a Potsdam des la fin de 1765, dont le principal travaillera conjointement avec le roi lui-meme pendant les mois suivants pour etablir une Regie. L'entreprise connait des debuts mouvementes : Frederic II se declare mecontent de la qualite des nombreux agents recrutes en France, comme des arrangements financiers proposes par les fermiers. En outre, le plus remuant des regisseurs frangais est tue en duel par un de ses collegues a la veille de Noel 1766. La nouvelle ferme a direction franchise est cependant creee, et fonctionnera a la satisfaction de Frederic II, sinon a celle des Prussiens. Elle institue bientot un systeme de perception rigoureux qui contribuera certainement au developpement du centralisme prussien; mais en raison meme de son efficacite, et parce que les quelque deux cents Frangais qui en constituent la direction portent ombrage a la vieille bureaucratic prussienne, elle soulevera d'amers ressentiments au sein du public, et son initiateur, Helvetius, ne sera pas epargne par la critique. Frederic II esperait qu'Helvetius s'installerait definitivement en Prusse, x

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mais celui-ci songe avant tout a retrouver sa femme, qui est enceinte. II rapporte deux cadeaux : pour sa femme, une ecritoire en porcelaine, et pour lui-meme, une tabatiere en or et en email, incrustee de diamants et decoree d'une miniature du roi. Le roi de Prusse 1'invitera a revenir a Berlin, accompagne cette fois de son epouse, mais selon Mme Riccoboni, elle declarera alors "qu'elle aimait la campagne et son mari; qu'au reste la chose du monde dont elle se souciait le moins, c'etait un roi." Parmi les amis d'Helvetius au cours de cette periode figurent notamment trois philosophes avec lesquels il s'etait lie apres la publication de L'Esprit: d'Holbach, Morellet et Chastellux. Le baron d'Holbach, qui semble avoir ete le plus proche d'Helvetius, n'est mentionne pour la premiere fois dans ses lettres qu'en 1761, mais il occupe des lors une place importante dans son existence. Lorsque Mme Helvetius recherche une nouvelle maison en 1764, son mari lui exprime la preoccupation suivante : "Je te prie que nous ne nous eloignions pas du baron d'Holbach." II n'en est que plus regrettable qu'aucune des lettres echangees entre les deux auteurs, notamment lors des sejours d'Helvetius a 1'etranger, ne se soit retrouvee. L'abbe Morellet, dont le nom apparait en 1762 dans la correspondance, est peut-etre encore plus devoue a Mme Helvetius qu'a 1'auteur de L'Esprit : "Quand le M[orellet] n'est pas a Vore, ecrit Diderot, il est sur le chemin. Mme Helvetius le fait trotter comme un Basque." Le marquis de Chastellux, qui publiera en 1772 un Eloge d'Helvetius, est presente par 1'auteur en 1762 comme etant "fort [s]on ami". A ces trois intimes d'Helvetius, s'ajoute en 1768 1'abbe Martin Lefebvre de La Roche (1738-1806), dont il fait alors la connaissance et qui devient vite 1'un de ses confidents. Avec 1'aide du cardinal de Bernis et du due de Nivernois, Helvetius reussit a le faire seculariser par le tribunal ecclesiastique remain appele la Rote, et a son tour, une fois devenu aumonier du due de Deux-Ponts, La Roche tentera d'arranger un manage entre le fils aine de celui-ci, Christian de Forbach, et 1'une des filles d'Helvetius. Apres la mort de son protecteur, 1'abbe prendra sur lui d'etre son executeur litteraire et il fera publier Le Bonheur (1772), De I'Homme (1773) et les GLuvres (Bouillon, 1781, et Paris, 1795). Mais sa conception cavaliere de sa tache d'editeur, et notamment sa propension a contrefaire des textes, sont a 1'origine de plusieurs interpretations erronees, surtout de la part de critiques marxistes, des idees politiques d'Helvetius. Lorsque Mme Helvetius s'etablira a Auteuil apres la mort de son mari, La Roche viendra s'installer chez elle en compagnie de Morellet et de Cabanis. Deux autres amis d'Helvetius meritent une mention particuliere. Le premier, Charles Georges Le Roy, dont le role a ete capital pour lui pendant 1'affaire de UEsprit, est reste 1'un de ses fideles, du moins jusqu'en 1764, car il n'apparait plus que rarement dans la correspondance apres cette date. Mais la raison en est probablement qu'apres la mort en 1765 de leur amie XI

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commune, la comtesse de Vasse, ils ne se rencontrent plus a Marly et a Versailles. En 1773, le toujours impulsif Le Roy fournira un temoignage de ses sentiments constants a 1'endroit d'Helvetius, en accusant Voltaire de denigrer systematiquement par pure jalousie les oeuvres de ses rivaux, dont 1'auteur de L'Esprit, notamment dans ses Questions SHY VEncyclopedic. Le second, le Lorrain Saint-Lambert, qu'Helvetius frequente depuis Pepoque ou il faisait la cour a Minette chez Mme de Graffigny, eprouve une telle admiration pour lui qu'il redigera YEssai sur la vie et les ouvrages de M. Helvetius, qui est la preface de Pedition originale du Bonheur. D'autre part, les trois Levesque - Burigny, son frere Champeaux, et leur neveu, Pouilly fils - de meme que Mme Geoffrin, restent personnellement attaches a Helvetius, malgre leur peu de sympathie pour ses idees. Grimm, de son cote, s'il n'est des grands amis d'Helvetius, entretient certainement des relations cordiales avec lui, car il est prolixe sur ses efforts pour marier ses deux filles et est fort bien renseigne sur ses deplacements. Quant a Marivaux, Saurin et Sabatier de Castres, ils continuent a toucher des pensions qu'Helvetius leur a accordees; mais si les deux premiers restent fort bien disposes a son egard, le troisieme le recompense de sa generosite en lui reprochant, dans ses Trois Siecles de la litterature (1772), d'avoir "repandu tant d'erreurs et enfante tant d'assertions insoutenables". Les visiteurs que rec,oit Helvetius sont fort nombreux. Outre les tetes couronnees, deja mentionnees, Pauteur de L'Esprit regoit des hommes de lettres et juristes provinciaux, tels que Servan et Dupaty, desquels il admire les ceuvres et Paction, ainsi que Dom Deschamps, dont il lit les curieuses Observations morales et metapkysiques. Plusieurs etrangers figurent egalement parmi les invites d'Helvetius : Philibert Cramer, libraire de Geneve qui cherche a placer a Paris des abonnements pour les Commentaires stir Corneille, de Voltaire; Mozart, en faveur de qui il adresse au comte de Huntingdon une lettre de recommandation; Horace Walpole, qui declare en 1766 avoir rec,u la collaboration d'Helvetius pour corriger le style de la lettre, devenue ensuite celebre, qu'il avait fabriquee, signee du nom de Frederic n, et adressee a Jean-Jacques Rousseau; le docteur Gatti, qui etonne ses confreres par la fagon heterodoxe dont il traite la petite verole contractee par Mme Helvetius; Beccaria, qui dit avoir etc "pousse avec force dans le chemin de la verite" par la lecture de L'Esprit; et enfin, Alessandro Verri, a qui nous devons Pun des rares portraits d'Helvetius : "Beau, grassouillet, au teint roussatre, avec des joues aussi pleines que rubicondes et deux grands yeux bleu ciel a fleur de tete, impetueux, robuste, simple, franc, il porte son genie sculpte en grands caracteres sur son front." Les relations d'Helvetius avec les trois grands philosophes du siecle ne sont pas tres etroites pendant cette periode. Ses contacts avec Voltaire ne sont qu'epistolaires, car ils ne se sont probablement pas rencontres depuis XII

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le depart de ce dernier pour la Prusse en 1750, mais ils restent tres suivis, au moms jusqu'en 1768, et apres cette date, leurs relations se sont vraisemblablement poursuivies par 1'intermediaire de leur ami commun Thieriot. Rousseau, qu'Helvetius avait secretement charge, vers 1750, de lui transcrire le manuscrit de la Lettre de Thrasybule a Leucippe, de Freret, et qu'il avait rec,u rue Sainte-Anne, continue a observer publiquement une attitude correcte a son egard, mais 1'appartenance d'Helvetius au cercle du baron d'Holbach n'est sans doute pas de nature a disposer plus favorablement 1'auteur de \Emile. En 1764, Rousseau revele dans ses Lettres de la montagne qu'il avait envisage de publier une critique de L'Esprit, mais avait abandonne immediatement ce projet lorsque les autorites civiles et religieuses s'etaient abattues sur Helvetius. Mais quelques bribes des attaques projetees figurent tant dans VEmile que dans La Nouvelle Heloise, ce dont Helvetius est parfaitement conscient, temoin les ripostes adressees dans De I'Homme aux reflexions de Rousseau. Peu avant sa mort, Helvetius se fait envoyer copie des principales notes que Rousseau avait ecrites dans les marges de son exemplaire de L'Esprit, en confiant alors au possesseur de celui-ci, Louis Dutens, qu'il estime fort 1'eloquence de Rousseau, et fort peu sa philosophic. Quant a Diderot, il professait de la consideration pour les idees d'Helvetius, mais ils devaient sentir peu d'affinites personnelles 1'un pour 1'autre, car Diderot est mentionne encore plus rarement dans la correspondance d'Helvetius que celui-ci ne 1'est dans celle de Diderot. Ce dernier, ayant obtenu communication du manuscrit de L'Homme, formera envers cet ouvrage un jugement qu'il estimera retrospectivement trop severe, lorsqu'il annotera son propre exemplaire de 1'edition originale. La vie intellectuelle d'Helvetius pendant cette periode, comme lors des precedentes, a pour assise la plus solide le manage remarquablement reussi que nous connaissons. Aucune des lettres adressees par Mme Helvetius a son mari n'est parvenue jusqu'a nous, mais celles de 1'auteur a son epouse suf fisent amplement a temoigner de la passion et de la tendresse inepuisables qu'il eprouvait pour elle, et du bonheur partage qu'ils ont vecu : "Je me trouve toujours vous aimant plus que je ne le crois et plus qu'il n'est raisonnable d'aimer."; "Je vous jure que je vous aime autant que le premier jour."; "Tu es dans chaque instant 1'objet de toute ma tendresse, de tout mon amour et de toute mon amitie."; "Je te jure bien que je ne desirerais maintenant que de passer ma vie entiere avec toi dans une solitude." La solitude qu'Helvetius envisage est certainement celle de Vore, "sejour du bonheur" ou sa femme et lui passent tous leurs etes, et meme 1'hiver de 1761-1762. Helvetius aime beaucoup y chasser, alors que son epouse se distrait a s'occuper de sa voliere. L'hiver, ils regoivent a Paris de nombreux invites, dont certains n'hesitent pas a exprimer chez eux des opinions tres radicales. Mme Helvetius repand dans les milieux intellectuels les ouvrages xiii

INTRODUCTION

de leurs amis, tels que la Lettre de Charles Gouju, de Voltaire; elle brigue 1'appui de son cousin eloigne Choiseul en faveur de ses parents et relations; et lorsque son mari voyage, elle ecrit a sa place les lettres d'affaires. Comme Helvetius 1'a pressenti des avant son mariage, la vivacite de Minette est pour lui une source continuelle de plaisirs. A peine s'emeut-il, en 1762, lorsqu'elle installe son bureau dans une autre piece sans 1'avoir consulte, et y demenage tout le contenu de 1'ancien. Par ailleurs, c'est serieusement qu'a plusieurs reprises, par peur feinte ou non qu'elle ne soit un jour tentee de le tromper, il la met en garde centre un exces de privautes de la part de leurs amis intimes : "Ce n'est que de Pamitie que je lui permets d'avoir pour vous, je n'entends pas raillerie sur le reste." Cette idylle conjugale est subitement brisee le 26 decembre 1771 lorsqu'Helvetius, apres moins d'une semaine de maladie, meurt d'une attaque de goutte viscerale, alors appelee "goutte remontee", "qui lui avait affecte la poitrine et la tete". Ce mal le tourmentait depuis dix ans, et il n'etait pas sans s'attendre au pire. L'annee meme de sa mort, a peine age de cinquantesix ans, il s'en ouvre a Dupaty ("Je crois couver une maladie grave.") et au comte de Forbach ("La vieillesse et la mort s'approchent de moi."). Pendant la maladie de son mari, et probablement sur les instructions de celui-ci, Mme Helvetius repousse les instances de plusieurs de leurs amis qui 1'engagent a appeler un pretre. Mais des qu'Helvetius a rendu le dernier soupir, on mande le cure de la paroisse. Le decede n'a pas regu Pextreme-onction, mais il a laisse pour ledit cure un don important pour ses pauvres, et il a demande "que le convoi funebre soit digne de sa condition". Aussi une sepulture chretienne lui est-elle accordee sans difficulte : il est inhume dans Peglise Saint-Roch, sans ceremonie ni epitaphe. Son epouse traverse pendant plusieurs jours "des acces de convulsion effroyables" et "ne pense guere a autre chose qu'a son malheur"; ses amis font de leur mieux pour consoler la malheureuse femme et ses deux filles eplorees. Ces dernieres commandent a Caffieri un buste en marbre de leur pere, ainsi qu'un petit mausolee a sa memoire, qui est installe dans 1'appartement de leur mere, et est qualifie, dans les comptes de la succession d'Helvetius, de "petit tombeau a Pamitie". En aout 1772, Mme Helvetius achete a Auteuil la maison du peintre Quentin de La Tour, mais conserve, dans Photel de la rue Sainte-Anne, un appartement ou elle passera les hivers. Entre temps, les deux filles d'Helvetius, "Lolotte la dedaigneuse" et "Pespiegle Adelaide", ont trouve chacune un epoux a sa convenance. Helvetius avait essaye de marier Painee, Elisabeth Charlotte, a Boullongne de Preninville, fils d'un fermier general, puis au marquis de Saint-Chamans, et enfin au comte de Forbach, et cette suite de deconvenues avait fait tomber la jeune fille dans "un etat de marasme et de caprice hypocondriaquehysterique". De meme, Helvetius avait tente en vain de conclure un mariage xiv

INTRODUCTION

entre Genevieve Adelaide et le meme comte de Forbach. Devenues libres de leur choix, la cadette epouse en septembre 1772 le comte Antoine-Henri d'Andlau, et sa sceur, le mois suivant, le comte Alexandre Frangois de Mun. Chacune apporte a son mariage une dot fort importante : Elisabeth a herite de Lumigny et du riche mobilier de la rue Sainte-Anne, et Genevieve Adelaide, de 1'immeuble de ladite rue Sainte-Anne ainsi que du chateau de Vore. A la meme epoque, paraissent les deux ouvrages posthumes d'Helvetius, Le Bonheur (1772) et De I'Homme (1773). Le premier, poeme inacheve en six chants, que 1'auteur conservait depuis plus de vingt ans, est precede d'un Essai SHY la vie et les ouvrages de M. Helvetius. Pour donner le change aux autorites, celui-ci, dont nous avons indique qu'il etait de Saint-Lambert, est deliberement attribue a Duclos, qui venait de mourir. Public a 1'etranger problablement a Deux-Ponts ou La Roche, comme nous 1'avons mentionne, est 1'aumonier du due - 1'ouvrage donne lieu rapidement a de nombreuses autres editions. Paradoxalement, VEssai est generalement admire, mais le poeme fait Pobjet de vives critiques. Turgot, poete avant de devenir magistral et ministre, le taxe d' "amphigouri", Condorcet le juge "mortellement ennuyeux", alors que pour le continuateur des Memoires de Bachaumont, c'est un ouvrage "sans fiction, sans chaleur, sans enthousiasme", qui "ne meritait guere d'etre tire du portefeuille du defunt". Quant a Voltaire, qui avait fait beneficier 1'auteur de ses conseils en matiere de poesie, il observe que le sujet du poeme "ne se trouve nulle part". Pour ce qui est de L'Homme, Helvetius avait mentionne pour la premiere fois en 1766 qu'il travaillait a cet ouvrage. En 1767, il se declare "assez content de ce qu'[il] griffonne", mais comme il a etc signale, il n'entend pas le publier : "Je ne donnerai rien de mon vivant." Or, en 1769, De I'Homme est presque acheve, et 1'on envisagera ensuite, probablement avant la mort de 1'auteur, de le faire paraitre a 1'etranger, en le presentant comme la traduction d'un ouvrage en allemand du a un disciple nurembergeois d'Helvetius. Lors de la mort de celui-ci, La Roche se trouve a La Haye et cherche a y faire publier De I'Homme sous le patronage de Catherine II. Un an plus tard, il s'y rend a nouveau dans ce but, et finalement, on charge Pierre-Frederic Gosse, associe de David Boissiere dans la Societe typographique de Londres, de le faire imprimer en Hollande en deux volumes. C'est seulement apres sa publication que Catherine II accepte que lui soit adressee la dedicace de cet ouvrage, dans lequel la France est traitee de "nation avilie" et de "mepris de 1'Europe". Inseree vers la mi-septembre 1773 dans les exemplaires invendus, cette dedicace fera Pobjet de plaintes formelles de Louis XV a la cour de Russie. Pendant les deux annees qui suivent la mort du philosophe, ses amis honorent sa memoire en lui adressant des eloges dans leur correspondance : xv

INTRODUCTION

"II croyait ne pas croire au desinteressement et a 1'amitie, ecrit Marmontel, et il etait lui-meme tres genereux et tres bon ami. [...] II etait bon pere, bon epoux, philosophe pratique." Saurin, qui avait beneficie de sa generosite, exprime une opinion analogue : "M. Helvetius jugeait les hommes d'apres son esprit, mais il se conduisait avec eux d'apres son coeur, toujours pret a les servir." La mort d'Helvetius a clos pour son epouse la periode capitale de sa vie, la plus active et la plus heureuse. Mais elle continuera au moins a jouir d'une entiere independance financiere, et elle se consacrera a entretenir 1'heritage intellectuel de son mari, notamment par le biais des activites qui auront lieu dans son salon d'Auteuil. Cette derniere periode de sa vie fera 1'objet du quatrieme et dernier volume de la presente Correspondance.

xvi

Complement aux Principes de la presente edition

Les Principes de la, presente edition font Pobjet de 1'une des sections preliminaires du premier volume (p. xv-xxiii), ainsi que d'un paragraphe figurant dans 1'Introduction du deuxieme volume (p. ix). Les complements suivants sont a y apporter : VI. ETABLISSEMENT DU TEXTE

5. Orthographe : II a etc specific que "Porthographe particuliere de tout original autographe [...] est conservee integralement." Aux exemples d'application de ce principe, il convient d'ajouter que nous reproduisons les / employes au XVIIf siecle avec la valeur phonetique d'un i, notamment dans la graphic "Jl", parfois utilisee au lieu de "II". Pour ce qui est de la graphic des mots "roi" (le roi ou le Roi) et "reine" (la reine ou la Reine), la pratique adoptee par 1'expediteur continue a etre retenue, sauf s'ils sont suivis d'un nom de pays. Dans un tel cas, 1'usag moderne consistant a les ecrire avec une minuscule est applique (ex.: le roi de Prusse). 8. Ponctuation : La pratique consistant a lier par des traits d'union tous les prenoms d'un personnage, qui a prevalu jusque dans les annees soixante, est ecartee a partir du present volume. Un trait d'union n'est plus utilise qu'entre les deux elements d'un prenom reellement compose, c'est-a-dire entre des elements dont nous avons des raisons suffisantes de croire qu'ils etaient conjointement utilises (ex. : Jean-Jacques Rousseau). IX. GRAPHIE DES MOTS ETRANGERS

L'orthographe originale des noms et prenoms etrangers a generalement etc respectee dans les deux premiers volumes; sa conservation est systematisee a partir du present volume (ex. : Cesare Beccaria; Edward Bentinck). Ce principe est assorti des exceptions suivantes : - noms et prenoms de personnages celebres, francises pour la plupart anterieurement au XVllle siecle, et dont la forme francisee est restee dans 1'usage moderne (ex. : L'Arioste, Boccace, Jules Cesar, Galilee, Machiavel, Pascal Paoli); xvn

PRINCIPES DE LA PRESENTE EDITION

- prenoms de souverains, y compris de ceux de petits Etats allemands autonomes, et de membres de families regnantes (ex. : Frederic II, le prince Henri de Prusse, le pape Clement Xlll). Exception a cette exception : le prenom "George", qui s'ecrit toujours sans s lorsqu'il est celui d'un roi de Grande-Bretagne. Par ailleurs, pour ce qui est de la transl tteration des mots russes, nous avons employe, toutes les fois que la prononciation exacte des noms russes nous paraissait le justifier, un accent aigu (ex. : Tchesme; Sergueievitch), un trema (ex. : Mikhail, Tsarsko'ie) et un e muet final (ex. : Golitsyne, Panine). En outre, nous avons applique les orthographes franchises correspondant ordinairement a certains sons russes (ex. : Alejandrovitch). En principe, les particules etrangeres sont conservees, qu'elles soient une marque nobiliaire (ex. : Luise von Buchwald), indiquent simplement un lieu d'origine (ex.: Leonard de Pise), ou soient afferentes a des cas douteux (ex.: Ottaviano di Guasco). Precisons que dans le cas des noms neerlandais commengant par "Van", 1'usage moderne consistant a mettre une majuscule a cette particule, considered comme non nobiliaire, est suivi. Est egalement conservee la particule "of", utilisee pour Her le nom d'un personnage avec le lieu d'un de ses hauts-faits, afin de former Pappellation nobiliaire qui lui est conferee (ex. : lord Mountbatten of Burma), ou avec le lieu dont il est originaire, par exemple pour differencier les membres d'un clan ecossais ou irlandais (ex. : Macdonald of Kingsburgh, O'Conor of Belanagare). Toutefois, les particules etrangeres sont francisees dans les cas suivants : - quand il s'agit d'usages anciens ayant survecu (ex. : Leonard de Vinci); - quand la particule relie un titre a un nom de famille (ex. : le due de Bedford, le baron de Boden); - quand la particule relie un titre au nom d'un Etat (ex. : le margrave d'Anspach); - quand la particule joint un prenom au nom d'une famille regnante (ex. : Guillaume Adolphe de Brunswick) ou a celui d'un Etat (ex. : Caroline Henriette de Deux-Ponts); - enfin, pour designer quelques personnages d'origine allemande etablis en France de longue date, et plus ou moins consideres comme frangais (ex. : Paul Henri Thiry d'Holbach). En principe, nous conservons 1'orthographe d'origine des lieux etrangers. Toutefois, nous employons les formes francisees imposees de longue date par la coutume pour designer d'assez nombreuses villes etrangeres importantes ou fort connues (ex. : Cracovie, Edimbourg, Francfort, Hambourg, La Haye, Lisbonne, Londres, Nuremberg, Venise).

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Remerciements

Nous tenons a marquer a nouveau nos obligations envers les nombreuses personnes et institutions dont le concours, si apprecie lors de 1'elaboration des deux premiers volumes (l, Remerciements, p. xxv-xxvii; II, p. ix), nous est reste acquis pour la preparation du present volume III. Nous desirons en outre exprimer notre vive reconnaissance envers les personnes suivantes, dont la contribution a bien souvent porte sur des points fondamentaux : Bard Bakker, Me Blugeot (Remalard), le pere FranC,ois Burel, Michel Bruguiere, Carlo Capra, Bernard Chandler, Brian Connell, le regrette Jean-Claude David, Simon Davies, Martha Dow, William Doyle, Jean Dupebe, Janine Chapuis-Enhorn, Antonio Franceschetti, Jeffrey Freedman, Kaarina Kailo, Suzanne Crosta, Marie-Laure GirouSwiderski, Danielle Gallet-Guerne, Paul Leclerc, Claude Lopez, Jo-Ann McEachern, .Mary McTavish, Anna Makolkina, Dorothy Medlin, JoseMichel Moureaux, Nicole Petrin, Krystyna Piechura, Henry Pietersma, Jacques Rychner, Helfried Seliger, Arlene Shy, Dolores Signori, Gaynor Smith, Margarete Smith, Suzanne Tucoo-Chala, Michael Ukas, Jeroom Vercruysse, John Walker, Robert Ward et Russ Wooldridge. Nous sommes grandement redevables de 1'aide qu'ils nous ont genereusement accordee a la John Simon Guggenheim Foundation, a la fondation Izaak Walton Killam et au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, ainsi qu'aux bibliotheques et institutions suivantes, qui ont bien voulu nous communiquer de nombreux manuscrits utilises dans le present volume : Archives centrales d'Etat (Merseburg); Archives centrales publiques d'actes anciens (Moscou); Archives departementales de la Gironde (Bordeaux); Archives d'Etat de Hesse (Darmstadt); Archives d'Etat de Weimar (Gotha); Archives generates d'Etat (La Haye); Archives nationales (Stockholm); Biblioteca Ambrosiana (Milan); les bibliotheques municipals de Grenoble, Laon, Lyon et Poitiers; Bibliotheque publique et universitaire (Neuchatel); Bibliotheque Saltykov-Chtchedrine (Leningrad); Deutsche Staatsbibliothek (Berlin); Historical Society of Pennsylvania (Philadelphie); Musee historique d'Etat (Moscou); Public Record Office (Chancery Lane, Londres); Royal Irish Academy (Dublin); Societa Napoletana di xix

REMERCIEMENTS

Storia Patria (Naples); Universite d'Uppsala; Universite de Princeton; Victoria and Albert Museum (Londres). Nous sommes specialement obliges envers Jean-Daniel Candaux, la direction de la banque Coutts et Cie, le marquis Du Paty de Clam et le comte de Shelburne, qui nous ont autorises a publier des lettres appartenant a leurs collections privees. Nos pensees ne sauraient manquer d'aller au regrette Ralph Leigh, qui nous a revele 1'existence d'une riche collection privee, et dont la monumentale Correspondance de Jean-Jacques Rousseau a etc, depuis les debuts de notre entreprise, 1'un de nos modeles les plus suivis. Enfin, c'est a litre tout particulier que nous remercions Alberto Postigliola, qui nous a aimablement fourni un microfilm de lettres conservees a Naples, Laurence Bongie, Ulla Kolving et Norma Perry, qui ont precede a une lecture minutieuse de notre manuscrit et nous ont fait beneficier de leurs connaissances approfondies, ainsi que Georges Dulac, dont la perseverance et la bienveillance sans exemple nous ont permis d'inclure dans le present volume des lettres d'une valeur inestimable.

Get ouvrage a etc public avec 1'aide d'une subvention accordee par la Federation canadienne des etudes humaines, organisme finance par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. xx

Complement aux Abreviations et sigles bibliographiques N.B. A moins d'indication contraire, Paris est le lieu d'edition des ouvrages indiques ci-apres.

Bachaumont, Memoires

Bowood

Burton De I'Homme Fitzmaurice

Galiani, Correspondance inedite Greig

Louis Petit de Bachaumont et al., Memoires secrets pour servir a I'histoire de la republique des lettres en France, depuis MDCCLXII jusqu'd nos jours; ou, Journal d'un observateur, Londres, Adamsohn, 1777-1789, 36 vol. La table en un volume a etc publiee a Bruxelles et a Paris en 1866. Apres la mort de Bachaumont, survenue le 28 avril 1771, cette chronique d'informations recueillies par les "paroissiens" de Mme Doublet fut poursuivie par Pidansart de Mairobert (1771-1779) et Moufle d'Angerville (1779-1787). Collection du comte de Shelburne, Bowood House, Calne, Wiltshire, Angleterre. Le microfilm des lettres utilisees dans la presente edition peut etre consulte a la Bodleian Library, a Oxford, et a la William L. Clements Library, de Puniversite du Michigan. Letters of Eminent Persons Addressed to David Hume, ed. J. H. Burton, Edimbourg & Londres, 1849. Edition originale de L'Homme, Londres [ = La Haye], Societe typographique, 1773, 2 vol., 12°. Vol. 1 : LXIV + 639 p.; vol. 2 : 760 p. Lettres de I'abbe Morellet de I'Academic franqaise a lord Shelburne, depuis marquis de Lansdowne, 1772-1803, ed. Fitzmaurice, 1808. Correspondance inedite de I'abbe Ferdinand Galiani, ed. C*** de St-M*****, 1818. The Letters of David Hume, ed. Greig, Oxford, 1932, 2 vol. xxi

ABREVIATIONS ET SIGLES BIBLIOGRAPHIQUES

Hammond La Signora Lehndorff, Dreissig Jabre Medlin Preuss Ratchinsky

R. Hammond, "La France et la Prusse 17631769", Revue kistonque, XXV (1894), p. 69-82. La Signora d'Epinay e I'abate Galiani: lettere inedite (1769-1772), ed. Nicolini, Bari, 1929. E. A. H. von Lehndorff, Dreissig Jabre am Hofe Friedricbs des Grossen, Gotha, 1907-1910, 2vol. Lettres de I'abbe Morellet, ed. Medlin, David & Leclerc, Oxford (a paraitre a partir de 1991). (Euvres de Frederic le Grand, ed. J. D. E. Preuss, Berlin, 1846-1857, 31 vol. A. Ratchinsky, "Rousskie tseniteli Helvetius v XVIII veke", Roussky Vestnik, Moscou, 1876,

vol. cxxm, p. 285-302. R.S.E., fonds Hume

Sauter Schlobach Siline Thiebault Zschokke

xxn

Royal Society of Edinburgh, fonds Hume. Le numero de chaque volume cite est indique en chiffres romains, et est suivi de celui du document, fourni en chiffres arabes. Holbach, Die Gesamte Erhaltene Korrespondenz, ed. H. Sauter & E. Loos, Stuttgart, 1986. Correspondance inedite de Frederic Melchior Grimm, ed. J. Schlobach, Munich, 1972. M. A. Siline, Claude Adrien Helvetius, Moscou, 1958 (en russe). D. Thiebault, Souvenirs de vingt ans de sejour a Berlin, 1860, 2 vol. H. Z[schokke], "Die Gastmahler der Philosophen in Paris", Miscellen fur die Neueste Weltkunde, nos 24 (25 mars 1807) a 29 (11 avril 1807), pp. 93-95, 97-99, 109-111 et 113-114. Get article contient des extraits du journal tenu par Georg Ludwig Schmid (1720-1805), homme de lettres suisse, lors d'un sejour fait a Paris en 1767-1769.

Correspondance generale d'Helvetius VOLUME III : 1761-1774 / LETTRES 465-720

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LETTRE 465

Janvier 1761

465. Voltaire a Helvetius A Ferney, pays de Gex, 2 Janvier 1761 Je salue les freres en 1761 au nom de dieu et de la raison, et je leur dis : "Mes Freres, odiprofanum vulgus etarceol."]e ne songe qu'aux freres, aux" initiez. Vous etes la bonne compagnie, done c'est a vous a gouverner le public, le vrai public, devant qui touttes les petites brochures, tous les petits journaux des faux cretiens disparaissent, et devant qui la raison reste. Vous m'ecrivites, mon cher et aimable philosophe, il y a quelque temps, que j'avais passe le Rubicon2. Depuis ce temps-la je suis devant Rome. Vous aurez peutetre oui dire a quelques freres que j'ay des jesuittes tout aupres de ma terre de Ferney; qu'ils avaient usurpe le bien de six pauvres gentilshommes, de six freres tous officiers dans le regiment des^ Deux-Ponts; que les jesuittes pendant la minorite de ces enfans c(il y en a [un] qui n'a que douze ans, et qui sert depuis trois) c avaient obtenu des lettres patentes pour acquerir a vil prix le domaine de ces orphelins; que je les ay forcez de renoncer a leur usurpation, et qu'ils m'ont apporte leur desistement3. Voila une bonne victoire de philosophes. Je scai bien que frere Croust4 caballera, que frere Berthier5 m'appellera athee, mais je vous repete qu'il ne faut pas plus craindre ces renards que les loups de jansenistes, et qu'il faut hardiment chasser aux betes puantes. Us ont beau heurler que nous ne sommes pas cretiens; je leur prouverai bientot que nous sommes meilleurs cretiens qu'eux. Je veux les battre avec leurs propres armes; mutemus clipeos6. Laissez-moy faire. Je leur montrerai ma foy par mes ceuvres7 avant qu'il soit peu. Vivez heureux, mon cher philosophe, dans le sein de la philosophic, de 1'abondance et de Pamitie. Soyons hardiment bons serviteurs derf dieu et du roy et foulons aux pieds les fanatiques et les hipocrites. 'Dites-moy, je vous prie, s'il est vrai que ce cher Freron soit sorti de son fort 8 . On 1'avait mis la pour qu'il n'eut pas la douleur de voir encor cette malheureuse Ecossaise9, mais on se meprit dans 1'ordre : on mit Fort-l'Eveque au lieu de Bissetre10. On fera probablement un errata a la l ere occasion. Mes respects a Made Helvetius." Je le repete, il y a des choses admirables dans Pheroide du disciple de Socrate11. N'aimez-vous pas cet ouvrage? Il est d'un de nos freres. Je lui^ dis Kcape12. V. [adresse : ]8 A Monsieur / Monsieur Helvetius, etca / rue Ste-Anne / A Paris

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LETTRE 465

Janvier 1761

MANUSCRITS

6. Virgile, Eneide, II, 389 : [Changeons de boucliers]. 7. Cf. Jacques [le Mineur], II, 18 : Tu as la foi, et moi j'ai les oeuvres. 8. Freron avait passe dix jours a For1'Eveque pour avoir rendu compte dans son Annee litteraire (VII, p. 259-264, 14 novembre 1760) d'une brochure burlesque intitulee Eloge prononce par la folie devant les habitant des Petites-Maisons, dans laquelle Pierre Mathias Charbonnet ridiculisait les excentricites du marquis de Bacqueville. En 1742, affuble de grandes ailes, celui-ci s'etait elance du Pont-Neuf, et en octobre 1760, il etait mort dans sa chambre, a laquelle il avait lui-meme mis le feu. Freron etait sorti de prison le 22 decembre. 9. Le Cafe, OH I'Ecossaise, comedie satirique en cinq actes de Voltaire, dans laquelle Freron, sous le nom de Wasp (Frelon dans 1'edition originale), joue, selon la Preface, un role "plus degoutant que comique". La premiere avait eu lieu le 26 juillet 1760, et 1'on avait rejoue la piece les 11, 15, 17 et 20 decembre. 10. Le 6 mars 1765, Voltaire ecrira a d'Argental: "Est-il vrai que 1'ami Freron a frise le Fort-1'Eveque? Il me semble que Bissetre etait plus son fait." (Best. D. 12440). For1'Eveque recevait surtout des comediens et debiteurs, alors que Bicetre etait, selon Voltaire, le lieu d'incarceration des "malfaiteurs" (Best. D. 14225). 11. Voir lettre 464, note 3. 12. Devrait plutot etre "Xodpe" : Rejouissez-vous.

*A. Morgan MA 1752(23); 3 p.; orig. autogr., sauf pour Padresse; timbre de la poste : GENEVE. B. BK 774; copied IMPRIMES I. Kehl, LVII, p. 3-4. II. Best. 8743. III. Best. D. 9513. TEXTE Ajoute en haut du A : "a M. Helvetius". a Le I : "qu'aux". b Les I, II et III: "de". c Addition marginale, sans parentheses, dans le A. Ce passage figure dans le B, mais des dechirures ont emporte des fragments de la partie qui le contient. II est absent du I. d Le A : "du", erreur corrigee dans le B et le I. e Passage barre dans le B, et present dans le I a 1'exception de la derniere phrase/Le A : "luis", erreur corrigee dans le B et le I. 8 L'adresse a ete omise dans le B et le I. h Le B est en tres mauvais etat. Le texte du passage incomplet (v. note e ci-dessus) est probablement identique a celui figurant a cet endroit dans le I. NOTES EXPLICATIVES

1. Horace, Odes, III, i, 1 : [Je hais la foule des profanes et je m'en tiens eloigne]. 2. Lettre non parvenue jusqu'a nous. 3. Voir lettre 464, note 7. 4. Soit le pere Jean Michel Kroust (1694-1772), professeur de theologie a Strasbourg et confesseur de la seconde dauphine, Marie-Josephe de Saxe, soit son frere, Antoine, recteur du college de Colmar, et qui etait, selon Voltaire, "le plus brutal de la Societe" (Moland, XIX, p. 500). 5. Voir lettre 352, note 1.

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LETTRE 467

Fevrier 1761

466. Jean Francois Bey Ion1 a Helvetius "Stockholm, le 10 fevrier 1761" J'ai 1'honneur de lire L'Esprit devant Sa Majeste 2 qui en entend la lecture pour la seconde fois avec un plaisir toujours nouveau. Dans un de ces moments frequents chez la Reine, ou 1'on sent avec transport une verite presentee dans son vrai jour, Sa Majeste m'a fait 1'honneur de me dire : "C'est un excellent homme que cet Helvetius. Que je voudrais le connaitre, le voir, m'entretenir avec lui! Je voudrais au moins qu'il scut tout le plaisir qu'il me donne../ Ecrivez-lui de ma part combien je 1'estime. Vous le connaissez? Comment! Vous avez etc a Paris sans le voir? N'importe, ecrivez-lui; il y aurait de 1'ingratitude a tant user de son bien, sans lui dire qu'on le sent." Voila, Monsieur, un ordre qui m'a etc repete plusieurs fois depuis/ MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

A. Bibl. mun. de Chartres; copie qui a ete detruite (v. lettre 298, Remarques).

1. Beylon (1717-1779), issu d'une famille protestante franchise emigree a Lausanne, etait lecteur de la reine de Suede depuis 1760. Use rendra a Pans 1-7-70 •• en 1770 pour y preparer une visite en T: j • j c j France des princes de Suede. 2. Louise-Ulnque (1720-1782), soeur de Frederic II, avait epouse en 1744 Adolphe-Frederic de Suede, qui avait accede au trone en 1751.

IMPRIMES

I. Le Bonheur, 1772, p. xci; extrait (repns „ . ,v par , Keim,'. p. 473). ' ""II. Jlusseim, rp. 53, note 1. TEXTE " Le II porte, en fait, la mention "Extrait d'une lettre de Stockholm du 10 fevrier 1761." b Ces trois points indiquent probablement un passage omis. c Le A ne comportait sans doute pas la suite que 1'auteur avait du donner a sa lettre.

467. Helvetius a Charles Jacques Collin [Fin fevrier 1761]1 Je scais, mon cher amy, que c'est vous obliger que de vous procurer les moiens de me rendre service. Je vous envoie done copie d'une lettre que M. Beylon, lecteur de Sa Mageste la reine de Suede, m'a ecrit de sa part. Comme elle est courte, qu'elle est de la part d'une reine, peut-estre

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Mars 1761

LETTRE 468

trouverez-vous le moment de la lire a Madame de Pompadour. Comme elle a de la bonte pour moy, il faudrait la prier de la faire lire au Roy. Si je n'ay pas 1'approbation de toutes les reines2, pourquoy celle de Madame de Pompadour et de la reine de Suede ne vaudroit-elle pas celle d'un autre? Adieu, mon amy, aimez-moy toujours. Je compte aller bientost vous embrasser a Versailles. Vale et me semper ama*. Helvetius MANUSCRIT

A. Bibl. mun. de Chartres; orig. autogr., qui a etc detruit. IMPRIME *I. Jusselin, p. 52-53. NOTES EXPLICATIVES 1. La lettre de Beylon (lettre precedente), qu'Helvetius joint a la pre-

sente, est datee du 10 fevrier 1761. Elle aura bien mis deux semaines pour parvenir de Stockholm en France. 2. Helvetius n'avait, en tout cas, certainement pas obtenu 1'approbation de la reine de France. 3. Adieu, et aimez-moi toujours.

468. Jacques Gouet1 a Madame Helvetius Le 9 mars 1761 Ce serait avec juste raison que vous me sauriez mauvais gre si je ne vous donnais pas avis d'un abus qui se fait par rapport a votre moulin de Boissy qui perd insensiblement tous ses sujets. [...] II y a neuf meuniers des environs qui viennent jusqu'a ma porte conduire des farines a ceux qui sont sujets a votre moulin; je pensai meme dernierement perdre la vie en voulant empecher cet abus, et cela avec les gens du moulin Couillin2 de Bellou. [...] Ces meuniers sont ceux d'Yversay, de Couillin, du moulin neuf en Beslou3, deux de St-Victor, de Monceaux, de Maison-Maugis4, de Vaujours, de Boiscorde5. [...] MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

A L'original autographe, encore a Vore en 1939, n'a pas ete retrouve.

1. Fermier du moulin banal de BoissyMaugis, village situe a 6 km a 1'ouest de Vore. 2. Le toponyme de Couillin survit dans L'Hotel-Couillin, hameau proche de Remalard. 3. Bellou et Yversay, comme Remalard,

IMPRIME

*!. Andlau, p. 83; extrait.

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LETTRE 470

Mars 1761

sont situes au sud de Vore, sur la riviere Huisne. 4. Maison-Maugis, Monceaux et SaintVictor-de-Reno, de meme que Boissy-Maugis, se trouvent a 1'ouest de Vore, sur la riviere Commeauche. 5. Boiscorde et Vaujours sont situes sur le ruisseau Boiscorde, qui cotoie le bois de Vore avant de se jeter dans 1'Huisne a Remalard. Le 19 aout

1761, Helvetius fera 1'acquisition de la terre de Vaujours pour 113000 livres. Voir M.C., LVI, 171, n° 166, et Andlau, p. 76, note 44. REMARQUES

Helvetius possedait au moins cinq moulins : les moulins a ble de BoissyMaugis, Dorceau, La Forge et Remalard, et le moulin a foulon de Remalard.

469. Madame Helvetius a Jacques Cardon1 [Peu apres le 9 mars 1761]2 Je vous envoie ci-joint, Monsieur, la lettre du meunier de Boissy qui se plaint de ce que les meuniers voisins viennent chasser sur son moulin. Vous aurez la bonte de faire a cette occasion ce qui a etc fait pour le moulin de Remalard et d'empecher qu'on ne lui porte prejudice [...] MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

A. L'original autographe, encore a Vore en 1939, n'a pas ete retrouve.

1. Voir lettre 256, note 1. 2. La lettre du meunier (lettre precedente) est datee du 9 mars 1761.

IMPRIME *I. Andlau, p. 83; extrait.

470. Helvetius a Louise-Ulrique, reine de Suede Madame'2, L'instant le plus heureux de ma vie est celuy ou mon ouvrage a pu attirer les regards et obtenir 1'approbation de "Votre Mageste". Rarement peut-on en paix cultiver les lettres et chercher la verite, plus rarement encor encourage-t-on les scavants a cette recherche; il falloit, pour les y exciter, que le sort pla§a Ulrique* de Prusse sur le trone de la Suede. En rassemblant dans "Votre Majeste" la beaute, le genie, les vertus, le ciel vous a confere tous les droits que peut avoir une mortelle pour commander a la terre. Pourquoy n'a-t-il pas remis le sceptre du monde entier entre des mains si dignes de le porter? Tout 1'univers seroit eclaire et heureux. Ne vous lasses point, Madame", de proteger les talents; les souverains 7

Portrait de Louise-Ulrique, reine de Suede, par Pesne

LETTRE 471

Mars 1761

semblent quelquefois oublier que, si dans des terns de guerre les heros font la gloire d'une nation, ce sont les Muses qui 1'etendent. La pluspart des princes s'interressent peu aux progres de 1'esprit universel. Cependant, que peuvent sans eux les scavants? Presque tous les hommes celebres, que nous regardons aujourd'huy comme les precepteurs du genre humain, eussent etc les victimes du fanatisme et de 1'envie, s'ils n'eussent etc proteges par de grands rois. Ce n'est que dans le tombeau qu'on honore les ecrivains illustres qu'on persecutoit de leur vivant; ce n'est qu'apres leur mort que nous leur pardonnons de nous avoir eclaire, et que notre orgueil reconnoit leur bienfaits. Sans avoir les memes droits a 1'estime generale, j'ay presque essuie les memes persecutions, mais depuis que *Votre Majeste" veut bien s'interresser a mon sort, et approuver mon ouvrage, tous mes chagrins et mes malheurs sont oublies et repares. Qu'il me soit permis dans le transport de ma reconnoissance de me mettre aux pieds de a Votre Majeste*, pour la remercier de ses bontes, et la prier de me les continuer. Je suis, avec le plus profond respect, De "Votre Majeste", Le tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius A Paris, ce 16 mars 1761 MANUSCRIT :: "A. Bibl. royale, Stockholm, D 934; 4 p.; orig. autogr.

peu plus grandes les mots que nous avons signales d'un a ou places entre des a.

TEXTE

NOTE EXPLICATIVE

Helvetius a redige cette lettre avec le plus grand soin, et a ecrit en lettres un

1. Voir lettre 466, note 2.

471. Helvetius a Voltaire [Vers Ie25 mars 1761]1 C'est avec la plus grande reconnoissance, mon illustre maitre, que j'ai regu votre Epitre2, & avec le plus grand plaisir que je 1'ai lue. Je vais mettre vos lemons en pratique : j'envoye paitre les cagots de Paris, & je pars pour la campagne, ou je menerai paitre des moutons qui sont a moi. C'est a

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LETTRE 471

Mars 1761

Lumigny, a une terre que j'ai pres Rosay-en-Brie, ou je me retire cette annee3. J'ai 1'ame attristee de toutes les persecutions qui s'elevent centre les gens de lettres. Vous savez que 1'abbe Coier, auteur de la Vie de Sobiesky, vient d'etre exile4, que son censeur est a Vincenne5, & qu'enfin on a defendu jusqu'a YEpitre au peuple du professeur Thomas6. On a dit de tout temps que les l ides ne veulent pres d'elles que des hommes aveugles. Certaines gens n'y veulent que des hommes stupides. Vous en savez la raison. J'ai vu vos derniers Dialogues7. Votre Sauvage est mon homme. Vous etes PAchille qui combattez pour la raison. Mais vous combattez centre les dieux. 11 faudra qu'enfin la raison succombe. Que peut-elle a la longue centre la puissance? On veut etouffer ici toute espece d'esprit & de talents, & Ton ne s'appercevra du tort qu'on aura fait a la nation que lorsque le remede sera impossible. Qu'on considere 1'etat de bassesse & d'avilissement ou se trouvent les Portugais, peuple sans art, sans industrie, que PAnglois habille depuis le chapeau jusqu'au soulier, & Ton verra combien 1'ignorance est ruineuse pour une nation. Je pars demain matin pour ma terre. Je n'ai que le temps de vous assurer de mon respect, & de prier Dieu qu'il vous ait toujours en sa sainte garde8. Adieu, mon illustre maitre; vale, & me semper ama*.

H.

IMPRIMES

*I. (Euvres, 1781, V, p. 243-244. II. (Euvres, 1795, XIV, p. 7-9. III. (Euvres, 1818, III, p. 239-240. IV. Best. D. 9714. NOTES EXPLICATIVES Dans une lettre adressee a David Smith, Besterman avait justifie 1'exclusion de la presente lettre de son edition de la Voltaire's Correspondence, en arguant de sa conviction qu'elle etait entierement fabriquee ("a crude fake"). A 1'appui de cette affirmation, peuvent etre invoques 1'absence du manuscrit original et le fait que cette lettre a ete publiee pour la premiere fois par La Roche, dont les fraudes sont connues (v. vol. 4, Appendices). Cependant, les nombreuses references que contient cette lettre aux evenements de 1761 sont si detaillees, et

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concernent une periode si precise, qu'elles lui conferent, selon nous, un caractere d'authenticite. En outre, le ton pessimiste de 1'auteur et son recours a une formule d'adieu latine se retrouvent frequemment dans ses autres lettres de la meme periode. Enfin, les lettres fabriquees par La Roche ont en general des objectifs specifiquement ideologiques, ce qui n'est pas le cas de la presente. Ces arguments, exposes a Besterman, ont du le convamcre, puisqu'il a inclus cette lettre dans sa "definitive edition" de la Correspondence de Voltaire (v. le IV). Par ailleurs, Besterman tenait pour evident que ladite lettre etait une reponse a la lettre 472. D'apres nous, elle est une suite a une lettre anteneure de Voltaire qui ne nous est pas parvenue (v. lettre 472, note 1).

Mars 1761

LETTRE 471 1. Le 19 mars, Voltaire a envoye un exemplaire de son Epitre SHY I'agriculture a d'Alembert, a d'Argental et a Damilaville (v. Best. D. 9682-9684). A supposer qu'il en ait adresse un autre des ce meme jour a Helvetius, celui-ci n'a pu en accuser reception avant le 22 au plus tot. D'autre part, Voltaire demandera a d'Argental, le l er avril, confirmation des nouvelles qu'Helvetius lui transmet dans la presente lettre au sujet de Coyer (v. Best D. 9716). Sa date ne saurait done etre posterieure au 29 mars. 2. Epitre de M. de Voltaire a Mme Denis, SHY I'agriculture [Paris, 1761]. 3. En mai, Helvetius sera toujours a Lumigny, car le 25 de ce meme mois, Le Roy ecrira a Hennin : "J'etois en Brie chez Helvetius quand votre derniere lettre est arrivee. [...] Mon voyage a dure quinze jours." (Institut, ms. 1268, f° 254.) 4. Malgre une permission tacite accordee par Malesherbes, VHistoire de Jean Sobieski, roi de Pologne (1761, 3 vol.), de Pabbe Gabriel Frangois Coyer (v. lettre 396, note 5), avait etc condamnee au debut de mars 1761 par un arret du Conseil (non imprime), au motif que Pouvrage contenait "un grand nombre de reflexions etrangeres au sujet et aussi reprehensibles que deplacees". On y reprochait surtout a 1'auteur ses plaisanteries sur la religion, son enthousiasme pour le republicanisme et son irrespect envers les souverains, et

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6.

7.

8. 9.

notamment envers ceux de la maison d'Autriche. Coyer venait d'etre exile a vingt lieues de Pans, et le libraireimprimeur Ballard avait rec.u une amende de 500 livres. (B.N., ms. fr. 22094, f° 227 recto et verso.) Le censeur, Coqueley de Chaussepierre, avait etc incarcere au chateau de Vincennes le 18 mars, pour y rester jusqu'au 29 du meme mois (v. Arsenal, Bastille, ms. 12114). Grimm a affirme a tort qu'il avait ete emprisonne a la Bastille (Corr. litt. IV, p. 370). Antoine Leonard Thomas (17321785), professeur au college de Beauvais. Nous n'avons releve aucune confirmation que cette oeuvre ait ete interdite. Qui plus est, PAcademie franchise, apres avoir decerne le prix de poesie a Marmontel, avait regrette de ne pas avoir de second prix a accorder au poeme de Thomas, qui sera public dans le Mercure (avril 1761, I, p. 97-104). Selon Besterman, c'etait la une reference a Pouvrage intitule Dialogues chretiens, ou Preservatif contre I'Encydopedie (Geneve [ = Lyon], 1760), mais la mention du "Sauvage" indique qu'il s'agissait des Entretiens d'un sauvage et d'un bachelier, publics en 1761 dans un supplement a Pedition Cramer de la Collection complette des oeuvres de Voltaire (B.N., catalogue Voltaire, nos 70 et 79). Formula d'adieu, employee notamment par Louis XV et Frederic II. Voir lettre 467, note 3.

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LETTRE 472

Mars 1761

472. Voltaire a Helvetius [Vers le 25 mars 1761]"1 Mademoiselle2 protegeait 1'abbe Cotin3; la reine protege 1'abbe Trublet4. C'est le sort des grands genies. Principibus placuisse viris non ultima laus est5. On m'assure cependant que Mr Saurin entrera cette fois-cy6. Cela est juste; quand on a recu un sot, il faut avoir un homme d'esprit pour faire le contrepoids. Vous allez sans doute a Vauran^. Mes respects a Midas7 Omer c avant votre depart, mais mille amitiez reelles^ a Mr Saurin. ^O philosophes, philosophes, soyez unis centre les ennemis de la raison humaine. Ecrazes 1'infame tout doucement/ MANUSCRITS

*A. Morgan, MA 1752(25); 1 p.; orig. autogr. B. BK 816. IMPRIMES

2.

I. Le Bonbeur, 1776, p. 179. II. (Eumes, 1781, V, p. 240. HI. CEuvres, 1795, XIII, p. 250. IV. (Fumes, 1818, III, p. 236. V. Best. 8900. VI. Best. D. 9681.

3.

TEXTE

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Ajoute en haut du A : "a M. Helvetius". "Ajoute dans les A et B : "avril (mai) 1761". * Le B : "(Vauran) Vore"; les I, II, III et IV : "Vore". c Les I, II, HI et IV : "***". d Omis dans les I, II, III et IV. NOTES EXPLICATIVES

1. Voltaire n'a pas encore appris 1'el'ection de Saurin a 1'Academic, qui a eu lieu le 28 mars. En outre, cette lettre et la precedente ont du se croiser : Voltaire ignore encore qu'Helvetius s'apprete a aller a Lumigny, et non a Vore, et Helvetius, dans la lettre 471, ne se refere a aucun des points abordes dans la presente lettre par Vol-

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5.

6.

taire. II faut done dater celle-ci du 22 mars au plus tot, et compte tenu des delais d'acheminement du courrier, du 30 au plus tard. Anne Marie Louise d'Orleans, duchesse de Montpensier (1627-1693), connue sous le nom de Mademoiselle ou de la Grande Mademoiselle. L'abbe Charles Cotin (1604-1682), predicateur et litterateur, dont Moliere avait prete les traits a Trissotin dans Les Femmes savantes. C'est avec le patronage de Marie Leszczynska que, lors de 1'election a 1'Academic du 7 mars 1761, le parti devot avait assure la victoire de Trublet (v. lettre 353, note 5) sur Le Blanc, Marmontel et Saurin. Horace, Epitres, I, xvii, 35 : [Ce n'est pas la derniere des gloires que d'avoir plu aux grands]. Saurin sera effectivement elu a 1'Academic le 28 mars, et y sera admis le 13 avril. Le 2 fevrier, Voltaire lui avait exprime ses espoirs a ce sujet, ainsi que son desir de voir Helvetius acceder egalement a 1'Academic : "Puisse-je voir avant de mourir ton fidele serviteur Helvetius et ton serviteur

LETTRE 473

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fidele Saurin dans le nombre des quateurs fanatiques qu'il faut devouer rante! Ce sont les voeux les plus ara 1'execration publique." (Best. D. dents du moine Voltarius qui, du 9600.) "Ton serviteur" : echo de Luc, fond de sa cellule, se joint a la comII, 25. munion des freres, les salue et les 7. En employant ce surnom pour 1'avobenit dans 1'esprit de concorde indiscat general Joly de Fleury (v. lettre soluble. 11 se flatte surtout que le 300, note 1), Voltaire ne pense evivenerable frere Helvetius rassemdemment pas a la faculte que posseblera, autant qu'il pourra, les fideles ait Midas de changer en or tout ce disperses, les sauvera du venin du qu'il touchait, mais a la paire d'oreilbasilic et de la morsure du scorpion, les d'ane dont, selon une autre et des dents des Freron et des Palislegende, etait coiffe ce meme roi sot. Nous recommandons aussi aux phrygien. combattants du Seigneur les persecu-

473. Voltaire a Helvetius "Par Paris1, 11 may [1761]* Je suppose, mon cher philosophe, que vous jouissez a present des douceurs de la retraitte a la campagne2. Plut a dieu que vous y goutassiez les douceurs plus necessaires d'une entiere independance, et que vous pussiez vous livrer a ce noble amour de la verite sans craindre ses indignes ennemis. Elle est done plus persecutee que jamais. Voyla un pauvre bavard raye du tableau des bavards et la consultation de Melle Clairon incendiee3. Une pauvre fille demande a etre cretienne, et on ne veut pas qu'elle le soit. Eh, messieurs les inquisiteurs, accordez-vous done. Vous condamnez ceux que vous soupconnez de n'etre pas cretiens, vous brulez les requetes des filles qui veulent communier4. On ne sait plus comment faire avec vous. Les jansenistes, les convulsionaires gouvernent done Paris! C'est bien pis que le regne des jesuittes. II y avait des accomodements avec le ciel5 du temps qu'ils avaient du credit, mais les jansenistes sont impitoiables. Es-ce que la proposition honnete et modeste d'etrangler le dernier jesuitte avec les boyaux du dernier janseniste ne pourait amener les choses a quelque conciliation? Je suis bien console de voir Saurin de 1'Academie. Si Le Franc de Pompignan avait eu dans notre trouppe 1'autorite qu'il y pretendait, j'aurais prie qu'on me rayast du tableau, comme on a exclus Huern de la matricule des avocats. Je trouve que notre philosophe Saurin a parle bien ferme. II y a meme un trait qui semble vous regarder et designer vos persecuteurs6. Cela est d'une ame vigoureuse. Saurin a du courage dans 1'amitie; et Omer^ 7 ne le 13

Mai 1761

LETTRE 473

fait pas trembler. II me revientc que cet Omer^ est fort meprise de tous les gens qui pensent. Le nombre est petit, je 1'avoue, mais il sera toujours respectable. C'est ce petit nombre qui fait le public. Le reste est le vulguaire. Travaillez done pour ce petit public sans vous exposer a la demence du grand nombre. On n'a point su quel est 1'auteur de L'Oracle desfideles; il n'y a point de reponse a ce livre8. Je tiens toujours qu'il doit avoir fait un grand effet sur ceux qui 1'ont lu avec attention. II manque a cet ouvrage de 1'agrement et de 1'eloquence. Ce sont la vos armes; daignez vous en servir. Le Nil, disaiton, cachait sa tete, et repandait ses eaux bienfaisantes; faittes-en autant. Vous jouirez den paix et en secret^ de votre triomphe. Helas! vous seriez de notre Academic avec Monsieur Saurin sans le malheureux conseil qu'on vous donna de demander un privilege. Je ne m'en consolerai jamais. Enfin, mon cher philosophe, si vous n'etes pas mon confrere dans une compagnie qui avail besoin de vous, soyez mon confrere dans le petit nombre des elus qui marchent sur le serpent et sur le bazilic9. eje vous recommande Pinfame. e Adieu, 1'amitie est la consolation de ceux qui se trouvent accablez par les sots et par les mechants. MANUSCRITS

*A. Morgan, MA 1752(26); 4 p.; orig. autogr. B. BK 828. IMPRIMES

I. Le Bonheur, 1776, p. 180-182. II. (Euvres, 1781, V, p. 241-242. III. Kehl, LVII, p. 108-110. IV. (Euvres, 1795, XIII, p. 251-254. V. (Euvres, 1818, III, p. 236-238. VI. Best. 8994. VII. Best. D. 9777. TEXTE

AjouteenhautduA :"AM. Helvetius". " L'indication d'annee est absente du I, lequel reproduit en general fidelement les dates portees par les originaux, et elle a etc ajoutee dans le A par une main inconnue. Besterman n'en considere pas moins cette mention comme authentique. Le B porte : "11 may 1761". b Les I, II, IV et V : "***". c Le B : "souvient". d Le B : "en secret et en paix". e Omis

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dans les I, II, IV et V; le III: "Je vous recommande 1'inf...". NOTES EXPLICATIVES

1. C'est par cette clause que Voltaire demandait a Helvetius de lui envoyer sa reponse via Paris. 2. Helvetius etait a Lumigny. 3. Le 22 avril, le Parlement avait condamne Francois Charles Huerne de La Mothe, avocat au Parlement, et son ouvrage Libertes de la France contre le pouvoir arbitraire de ['excommunication, ouvrage dont on est specialement redevable aux sentiments genereux & superieurs de Mademoiselle Clai** [Clairon], public a Amsterdam (1761), puis a Paris avec une autre page de titre : Memoirs a, consulter sur la question de I'excommunication que I'on pretend encourue par le seulfait d'acteurs de la ComedieFran^oise. Cet ouvrage est precede d'une "consultation" en la forme d'une lettre de Mile Clairon a 1'au-

LETTRE 474 teur. A la suite de sa condamnation, celui-ci avait etc raye du tableau des avocats, mais Choiseul lui avait accorde peu apres un poste aux Affaires etrangeres (v. Barbier, IV, pi 389-392). 4. Les religieuses hospitalieres de la Misericorde de Jesus, augustines etablies rue Mouffetard en 1655, devaient elire tous les trois ans une superieure en presence de 1'archeveque de Paris. Celui-ci, qui avait deja etc eloigne sur ordre du roi a Conflans en 1751 (v. lettre 175, note 3) et en 1754, puis a Lagny (fevrier 1755-octobre 1757), etait de nouveau en exil a Conflans depuis decembre 1758. Lassees des delais imposes par Christophe de Beaumont, les religieuses avaient presente une requete au Parlement qui, par arret du 28 septembre 1756, avait ordonne a 1'archeveque de faire le necessaire pour que cette election ait lieu. Malgre une interdiction de Christophe de Beaumont faite a peine d'excommunication, les religieuses avaient precede a une election, mais 1'ancienne superieure avait refuse d'en accepter le

Jmn 1761 resultat. Apres Pintervention du roi et 1'exil de Beaumont a La Roqueen-Perigord (v. lettre 370, note 1), 1'interdiction avait ete levee par 1'eveque d'Autun, en qualite de primat des Gaules, et une nouvelle superieure avait ete dument elue en avril 1758. Voir Barbier, IV, pp. 154-159, 201202, 250 et 261-262. 5. Cf. Tartuffe, acte IV, sc. 5, vers 14871488. 6. Discottrs prononces dans I'Academie franqoise le lundi 13 avril M. DCC. LXI a la reception de M. Saurin. Saurin y defendait la litterature centre ceux qui 1'accusaient de corrompre les moeurs. II faisait sans doute allusion a Helvetius en declarant: "On ne veut rien pardonner au genie qui a 1'imprudence et la candeur de Penfance" (op. cit., p. 8). 7. Jean Omer Joly de Fleury, avocat general au Parlement (v. lettre 300, note 1). 8. Voir lettre 464, note 12. 9. Cf. Psaumes, XCI, 13 : Tu marcheras sur le lion et sur 1'aspic; tu ecraseras le lionceau et le dragon.

474. Helvetius a Ivan Ivanovitch Chouvalov} *A Lumigni, ce 10 juin 1761" ^Votre Excellence^ Jl est des homines que le Ciel fait naitre pour clever 1'esprit et le caractere d'une nation et jetter les fondements de sa gloire a venir. Le czar2 a ebauche 1'ouvrage que vous achevez maintenant. II faut, pour mettre en mouvement la masse entiere d'une grande nation, que plusieurs grands hommes se succedent amsi les uns aux autres. cPour exciter 1'emulation, un roi trouve sans doute dans sa puissance des moyens que n'a pas le grand seigneur le plus accredite, mais le genie dans un homme tel que vous suplee a la foiblesse

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Portrait d'lvan Ivanovitch Chouvalov par Veilly

LETTRE 474

Juin 1761

de ces moyens. Pour vous encourager dans vos travaux, jouissez d'avance de Fjmmortalite que les Muses assurent a tous ceux qui les protegent. Grand par votre naissance, vos dignites et vos richesses, la gloire est le seul bien qu'il vous reste a desirer/ C'est la recompense la plus digne d'une ame elevee, parce qu'elle est toujours un don de la reconnoissance publique. ^Songez que le nom d'une infinite de peuples puissans s'est enseveli sous les ruines de leur capitales, que par vous peut-etre le nom^ russe doit encore subsister, elors meme quee le terns en aura detruit la puissance. Si les Grecs n'eussent vaincu que 1'Asie, leur nom seroit maintenant oublie! C'est aux monumens qu'ils ont eleves aux sciences et aux arts qu'ils doivent encore le tribut d'admiration que notre reconnoissance leur paye. ^Mais pour former de grans hommes, il faut encourager la liberte de penser/il ne faut pas que le ciseau de la superstition et de la theologie gpuisse couper les ailes du genie. Un souverain n'a rien a redouter des gens de lettres; ils n'ont nulle part excite de revolutions; ils osent, dira-t-on, presenter quelquefois des verites hardies, mais ces verites n'offensent jamais que 1'imbecile qui ne sait point en profiter.8 J'ai cni appercevoir^ dans la lettre dont Votre Excellence m'a honnore3 qu'elle doutoit un peu 'de ses efforts et de leurs succes'. Et ce doute est peut-etre fonde sur la difficulte d'accorder une certaine liberte aux ecrivains de votre nation. Cette liberte cependant est absolument necessaire. Avec des chaines aux pieds on ne courre 7 pas, on rampe. Pour creer des hommes illustres dans les siences et les arts, il ne suffit pas de repandre sur eux des largesses. Il ne faut pas meme les leur prodiguer. L'abondance engourdit quelquefois le genie, ^et le riche est souvent paresseux. C'est par des honneurs qu'il faut principalement les recompenser. Que ne fait-on pas des hommes avec un ordre du merite, un cordon ou un autre signe exterieur de distinction? Ces signes a la verite s'avilissent, s'ils ne sont distribues avec economic, et uniquement accordes au merite. Les honneurs sont entre les mains des princes comme ces talismans dont les fees font dans nos contes presens a leur favoris. Ces talismans perdent leur vertu shot qu'on en fait mauvais usage. Un moyen de lier encor^ plus etroitement les savans russes au corps des autres gens de lettres de 1'Europe, et d'exciter leur emulation, est d'associer, a Pexemple de Louis XIV, les etrangers aux honneurs que vous decernerez a vos compatriotes. Un Russe 'qui se trouvera' 1'associe en France d'un Voltaire, en Angleterre d'un Hume, sera curieux de lire leurs ouvrages, et voudra bientot en composer de pareils. C'est ainsi que les lumieres se repandent et que 1'emulation s'allume. OT L'interest vif que Votre Excellence paroit prendre dans sa lettre aux arts, aux siences, et en general aux progres de 1'esprit humain, m'a moimeme enflamme. Je Grains d'avoir trop longtem bavarde sur ce sujet, mais

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LETTRE 474

]uin 1761

j'espere que le Mecene du Nord me pardonnera 1'ivresse qu'il m'a communiquee. Je suis, &c., De V.E., Le tres &c., Helvetius'* MANUSCRIT :; "A. Bibliotheque Saltykov-Chtchedrine, Leningrad, ms. fr. Q. IV. 207, p. 11-14; 4 p.; copie. IMPRIMES

I. (Euvres, 1781, V, p. 254-257. II. CEuvres, 1795, XIV, p. 23-28. III. CEuvres, 1818, III, p. 246-248. IV. Vestnik Evropy, VII (1826), p. 162166 (en russe). V. Literatournoe Nasledstvo, XXIX-XXX (1937), p. 269-270 (en russe). VI. Siline, p. 131-132 (en russe). TEXTE Le A fait partie d'un recueil intitule "Les Consolations de 1'abscence". Celui-ci porte la date du "4eme d'avril 1781 v[ieux] s[tyle]", et contient la copie de trois lettres d'Helvetius a Chouvalov, les deux autres etant les lettres 488 et 498. A en juger par ces dernieres, dont les originaux sont respectivement a Washington et a Forli (Italic), ces copies ont du etre tres fideles. C'est pourquoi nous avons fourni ici le texte du A et renvoye dans les notes ci-apres les variantes des imprimes frangais, dues sans doute a 1'imagination de La Roche. " Les I, II et III ne portent pas de date. b Les I, II et III: "Sans m'arreter, Monsieur, a tout ce que votre lettre a de flatteur pour mon amour-propre, je vous felicite, je felicite vos compatriotes sur le zele eclaire que vous montrez pour le progres des lumieres & de la raison." c Les I, II et H I : "Un souverain a sans doute des moyens plus puissants pour

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exciter 1'emulation que le grand seigneur, meme le plus accredite. Mais 1'esprit superieur dans un homme tel que vous supplee a la foiblesse des moyens. Vous reunissez tous les dons de la fortune. Ces avantages de la naissance, des dignites & des richesses, vous les partagez avec beaucoup d'autres grands seigneurs. Le seul amour de la gloire peut vous distinguer d'eux. C'est le seul bien qu'il vous reste a envier." d Les I, II et III: "La gloire d'une infinite de nations puissantes s'est ensevelie sous les mines de leurs capitales. Par vous peut-etre la Rome". e Les I, II et III: "lorsque". ^Les I, II et III: "[Nouveau paragraphe] Nous partageons encore les hommages que les beaux genies de Rome ont rendus a la bienfaisance de Mecene & d'Auguste. C'est a elle que nous devons les ouvrages immortels d'Horace & de Virgile. Vous marcherez sur leurs traces en encourageant dans votre patrie la liberte de penser. s Les I, II et III: "rogne les ailes du genie. Qu'a de dangereux la liberte de tout dire? Les egarements meme de la raison ont souvent fait naitre la lumiere du sein des tenebres. II n'y cut jamais que les erreurs que le fanatisme & la superstition ont voulu consacrer qui aient seme le trouble & la division." h Les I, II et I I I : "m'appercevoir". ' Les I, II et III: "du succes de ses efforts". ' Les I, II et III: "court". k Les I, II et III: "Le riche eteint 1'amour de la gloire dans les jouissances. C'est par des honneurs & des distinctions qu'il faut principalement recompenser le merite litteraire.

Juin 1761

LETTRE 475 La vanite mise en jeu developpe les ressorts de 1'esprit; 1'appat du gain 1'avilit & le courbe aux bassesses. Apollon auroit-il merite la gloire & les eloges des poetes, s'il n'eut etc qu'un dieu, & s'il ne rut pas descendu chez Admete pour y garder ses troupeaux, & chanter dans le choeur des Muses? Les honneurs entre les mains des princes ressemblent a ces talismans dont les fees font present dans nos contes a leurs favoris. Ces talismans perdoient leur vertu shot qu'on en faisoit mauvais usage. Un moyen encore de Her". ' Omis dans les I, II et III. m Les I, II et III : "Votre Excellence voit que Pinteret vif qu'elle prend aux sciences, aux arts, & en general aux progres de 1'esprit humain, a

passe dans mon ame, m'a fait insister sur des ventes que vous n'ignorez pas. Mais une derniere dont je desire sincerement que vous soyez convaincu, c'est de 1'estime & du profond respect avec lesquels j'ai 1'honneur d'etre, De Votre Excellence, Le tres, &c." NOTES EXPLICATIVES

1. Voir lettre 459, note 1. 2. Pierre le Grand. Sa mort en 1725 avait ouvert une periode caracterisee par une serie de coups d'Etat et par le regne de favoris. 3. 11 ne s'agit pas de la lettre du 20 septembre 1760 (459), comme le croit Siline, mais d'une lettre ulterieure aujourd'hui perdue.

475. Helvetius a Jean Levesque de Burigny1 [Fin juin 1761]2 Monsieur et tres cher amy, Recevez de tres sinceres remerciments de ma femme et de moy pour le beau livre que vous nous avez envoie. Votre ouvrage3 m'a paru tres bien fait, et plein d'anecdotes tres curieuses. Vous y avez beaucoup parle de theologie, mais c'est d'un theologien dont vous aviez a parler. Je suis un peu fache que ce Mr Bossuet s'emporta si fort centre notre Molierre, car enfin, mon amy, si nous jouons tous notre comedie dans ce bas monde, il faut avouer que le Tartufe de Molierre vaut encor mieux que le Tartuffe de Meaux. Je suis aussy fache d'apprendre que Mr de Fenelon ait eu quelque tort avec ce Mr Bossuet. J'aime Fenelon. Si vous avez la science de Bossuet, ce Fenelon avoit votre caractere : il etoit doux et toujours humain; il me semble que c'est un des homines avec qui 1'on desireroit le plus d'avoir vecu. Peutestre n'etoit-il pas aussy bon theologien que Mr Bossuet, mais si ce dernier, sur le terrain mouvant de la theologie, a bati un edifice plus regulier que Mr de Fenelon, cet edifice disparoitra bientost, et le Telemaque subsistera tant qu'il y aura sur la terre des ames aussy honetes, aussy tendres, et aussy vertueuses que la votre. C'est sur le terrain vierge de la nature que 19

LETTRE 476

Juillet 1761

ce dernier a construit 1'edifice de sa reputation, tandis que Bossuet 1'a el plus pres du ciel mais 1'a fonde sur des nues. Adieu, mon ami. Vous deveriez bien venir voir deux pauvres solitaires, qui vous aiment autant qu'ils vous estiment. Vale et me ama. [adresse : ] A Monsieur / Monsieur de Burigny, rue / Ste-Honore, proche le cul-de-sac / de 1'Orangerie / A Paris MANUSCRIT :; 'A. Archives nationales, Stockholm, Ericsbergsarkivet, Autografsamlingen, vol. 255; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge; timbre de la poste : DERO2OYENBRIE. IMPRIME I. L Amateur a autograpbes, n° 109 (l e r . ... „ juillet 1866), p. 194. NOTES EXPLICATIVES 1. Voir lettre 253, note 7. 2. Le 24 juin 1761, le secretaire ducardinal Passionei accuse reception d'un exemplaire de la Vie de Bossuet, de Burigny, que 1'auteur a expedie au

ignitaire pontifical, alors conservateur en chef de la bibliotheque du Vatican (v. J. V. Genet, Une Famille remoise an XVIIIs siecle, p. 309, et lettre 343, note 1). Notre datation est aussi quelque peu etayee par une remarque de Voltaire qui, le 12 septembre, dit avoir recu 1 ouvrage tort ard (Best. D. 10003). Une datation i jj un pe plus tardive reste cependant plausible : cette Vie de Bossuet ne sera annoncee par le Mercure que dans son numero d'aout (p. 128), et Grimm n'en rendra compte que le l er septembre (Corr. lift., IV, p. 466). 3. Vie de M. Bossuet, eveque de Meaux.

476. Voltaire a Helvetius 22 juillet [1761]" Mon cher philosophe, 1'ombre et le sang de Corneille vous remercient de votre noble zele1. Le roy a daigne permettre que son nom fut a la tete des souscripteurs pour deux cent exemplaires. ^Ny maitre Le Dain2 ny maitre Omer ne^7 suivront ny Pexemple du roy ny le votre. II y a 1'infini entre les pedants orgueilleux et les coeurs nobles, entre des convulsionaires et des esprits bien faits. II y a des gens qui sont faits pour honorer la nation, et d'autres pour 1'avilir. Que pensera la posterite quand elle verra d'un cote les belles scenes de Cinna, et de 1'autre le discours de maitre Le Daim prononcedu cote dugreffe*l Je crois que les Francais descendent des Centaures qui etaient moitie hommes et moitie chevaux de bast. Ces deux moitiez se sont separees. 11 est reste des hommes, comme vous par exemple, et

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LETTRE 476

Juillet 1761

quelques autres; et il est reste des chevaux qui ont achete des charges de conseiller, ou qui se sont fails docteurs de Sorbonne. Rien ne presse pour les souscriptions de Corneille. On donne son nom et rien de plus, et ceux qui auront dit : "Je veux le livre" 1'auront. On ne recevra pas une seule souscription d'un bigot4. Qu'ils aillent souscrire pour les meditations du R. P. Croizet5. Peutetre que les remarques qu'on mettra au bas de chaque page seront une petite poetiq[ue] c , mais non pas comme La Motte en faisait a 1'occasion de mond Romulus, a 1'occasion ede mese Macabees6. Ah, mon amy, defiezvous des charlatans qui ont usurpe en leur temps une reputation de passade. Je vous embrasse en Epicure, en Lucrece, Ciceron, Platon, e? tutti quanti.. V. MANUSCRITS

*A. Morgan MA 1752(27); 3 p.; orig. autogr. B. BK 861. IMPRIMES

I. Le Bonbeur, 1776, p. 174-175. II. (Euvres, 1781, V, p. 236-237. III. Kehl, LVII, p. 178-179. IV. (Euvres, 1795, XIII, p. 243-245. V. (Euvres, 1818, III, p. 233-234. VI. Best. 9122. VII. Best D. 9909. TEXTE

Ajoute en haut au A : "aM. Helvetius". Annee ajoutee dans le A par une main inconnue. b Les I et I I : "Ni maitre ..., ni maitre ..., ne"; les IV et V : "Ni Mtre *** ni Mtre *** ne". c Tache d'encre dans le A. d Mot omis dans les I, II, IV et V.e Les I, II, IV et V : "des". f Les I, II, IV et V : "en".

a

NOTES EXPLICATIVES

1. Voltaire avait accueilli a Ferney Marie Frangoise Corneille, nee en 1742, fille de Jean-Francois Corneille et de sa premiere femme, Marie-Louise Rosset, et petite-fille d'un cousin germain du dramaturge. Pour financer sa dot,

en vue du mariage qu'elle contractera en 1763 avec Pierre Jacques Claude Dupuits de La Chaux, ne en 1740, cornette de dragons et futur marechal de camp (1791), Voltaire avait entrepris une edition du theatre de Corneille, avec ses propres commentaires. L'impression, commencee en 1762, sera terminee en 1764. Helvetius avait souscrit a trois exemplaires de cette edition (v. Voltaire, Commentaires sur Corneille, ed. David Williams, dans Best. D., vol. LV, appendice 5, p. 1086). Les biens de Mme Dupuits, qui viendra s'installer a Geneve en 1779, seront saisis lors de la Revolution, et le nom de son mari sera inscrit sur la liste des emigres (v. A.N., F7 4695, et Revue de la. Revolution, XV [1889], p. 553 sqq.). 2. L'ordre des avocats au Parlement avait charge a Punanimite Etienne Adrien Dains (mort en 1764), son batonnier en 1760 et 1761, de denoncer au Parlement 1'ouvrage de leur confrere Huerne de La Mothe (v. lettre 473, note 3). 3. D'apres le registre du Parlement du 22 avril 1761, Dains avait passe "au

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LETTRE 477 bane du barreau, du cote du greffe" pour faire son discours. 4. La liste des souscripteurs comprendra cependant 25 abbes, 4 prieurs, 6 eveques, 3 cardinaux, 2 archeveques ct un vicaire general, et rien n'indique que Voltaire ait refuse la souscription d'aucun ecclesiastique. Voir Best. D., vol. LIII, p. 77, note 103, et vol. LV, appendice 5, p. 1071, note 4. 5. Le pere Jean Croiset (1656-1738), auteur de Reflexions sur divers sujets

Juillet 1761 de morale (1707) et d'Exercices de piete (1713-1720).

6. La Motte (v. lettre 1) avait public dans ses (Euvres de theatre (1730, 2 vol.) un "Premier Discours sur la tragedie a 1'occasion des Mackabees" et un "Second Discours a 1'occasion de la tragedie de Romulus" (I, p. 23125). Les deux tragedies que ces Discours avaient pour objet dataient de 1722.

477. Ivan Ivanovitch Chouvalov a Helvetius J'ai regu la lettre dont vous m'avez honore1; ma sensibilite repond au respect que je vous dois. J'en serois bien plus charme encore, si je n'y trouvois des eloges que je ne puis meriter. Peut-etre, Monsieur, quelque homme mal informe 2 vous a-t-il fait de moi un portrait qui ne me ressemble pas. Peut-etre m'a-t-il cru plus puissant & plus capable d'effectuer ce que vous attendez de moi. Je veux vous en faire un de moi-meme, & vous donner une idee auparavant de notre etat par rapport aux sciences & aux arts. Pierre I, apres avoir cree ou reforme tout, n'a pas ete suivi, apres sa mort, en plusieurs "parties, dans" ses vues & sages institutions. Les sciences & les arts ont pris naissance du temps de ce grand homme : nous avions d'habiles gens en plusieurs genres. Les artistes qui avoient fait leur apprentissage en Italic pouvoient passer pour deh tres bons maitres & faisoient honneur a notre nation. Le peu de soin qu'on prit apres d'encourager ceux-ci, & plus encore la negligence d'en former d'autres, etouffa le germe de tout ce qui venoi't d'eclore, & fit evanouir de si belles esperances. Dans la suite des temps, les premiers postes de 1'empire etant occupes par des etrangers3, ceux-ci, soit que naturellement ils fussent peu portes a faire fleurir les sciences & les arts dans un pays etranger, soit qu'ils eussent c en vue des objets qui ne leur laisserent point le temps de penser & d'agir avec le zele des patriotes, sont restes dans une parfaite inaction a cet egard. Cette negligence dans 1'institution de la jeunesse, (excepte 1'Ecole militaire ou le Corps des cadets4, cree en 1750, de 600 gentilshommes, qui a produit tant de bons officiers) a arrete en quelque maniere les progres des sciences & des arts. Voila ce qui a fait que le noble desir de s'instruire en tout a ete ralenti dans plusieurs de mes compatriotes. Un intervalle aussi facheux pour 22

LETTRE 477

Juillet 1761

nous a fait croire injustement a quelques etrangers que notre nation n'est pas capable de produire des hommes tels qu'ils devroient etre, prejuge d'autant plus grand qu'il faut du temps pour le detruire. Sa Majeste Imperiale5, marchant sur les traces de Pierre le Grand, a fonde 1'universite de Moscou & 1'Academic des Arts de Saint-Petersbourg, desquelles^ j'ai 1'honneur d'etre chef. Voila, Monsieur, deux parties seulement dans lesquelles je pourrai rend e service a ma patrie, si mes lumieres repondoient a mon zele. Je me sens encourage par vos conseils : je le serai encore plus, si vous me les continuez. Votre lettre1 pour moi est un recueil d'instructions; 1'honneur & 1'avantage de votre connoissance & de celle de quelques autres savants, particulierement de M. de Voltaire, qui ne cesse point de me combler des marques de son amitie6, me flattent au-dessus de toute expression. Que je serois heureux, Monsieur, de meriter votre estime! Le suffrage d'un homme tel que vous m'est bien plus glorieux que ce que nous tenons du caprice de la fortune. Je tacherai toujours de mettre vos sages conseils a profit. Je gagne a tous egards a votre connoissance; vous ne retirez de la mienne qu'une reconnoissance sans bornes, jointe a 1'admiration avec laquelle j'ai 1'honneur d'etre, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur. St-Petersbourg, ce 27 juillet 1761 IMPRIMES

*I. (Ettvres, 1781, V, p. 258-260. II. (Euvres, 1795, XIV, p. 29-33. III. (Euvres, 1818, III, p. 248-250. IV. Vestnik Evropy, VII (1826), p. 166168 (en russe). V. Literatournoe Nasledstvo, XXIX-XXX (1937), p. 272 (en russe). VI. Siline, p. 133-134 (en russe). TEXTE " Le III: "parties de". h Le I porte "des", corrige par nos soins en suivant les II et III. c Le I porte "eurent", corrige par nos soins en suivant les II et III. d Les I et III portent "desquels", corrige par nos soins en suivant le II. NOTES EXPLICATIVES

1. Lettre 474. 2. Chouvalov pense peut-etre au baron de Breteuil (v. lettre 463, note 1).

3. L'imperatrice Anna Ivanovna, qui avait regne de 1730 a 1740, s'etait laisse dominer par son favori et premier ministre, Biron, qui avait place des Allemands a tous les postes importants et instaure un regime de terreur. Le successeur d'Anna Ivanovna, un enfant, avait ete rapidement detrone par Elisabeth Petrovna, fille de Pierre le Grand, souveraine de Russie au moment de cette lettre. Son regne (1741-1762) etait marque par une reaction contre 1'influence des Allemands, en faveur de la culture frangaise. 4. En 1762, Chouvalov sera nomme directeur du corps des cadets. 5. Elisabeth (v. note 3 ci-dessus). 6. Chouvalov correspondait frequemment avec Voltaire depuis 1757, date

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LETTRE 478

Aout 1761

a laquelle il 1'avait encourage, a la suite de Fiodor Pavlovitch Vesselovsky (v. Best. D. 7160, 7169 et 7182), a ecrire une histoire de la Russie (v. Best. D. 7248). Voltaire avait accepte, pour

publier en 1759 la premiere partie de son Histoire de I'empire de Russie sons Pierre le Grand. La seconde partie n'allait paraitre qu'en 1763.

478. Helvetius a Madame Helvetius [Mi-aout 1761]1 Je vous diray, ma chere enfant 2 , que je suis fort fache de votre depart, que je me trouve toujours vous aimant plus que je ne le crois et plus qu'il n'est raisonnable d'aimer. Ce n'est pas cependant 1'exces de ma tendresse pour toy que je me reproche : je ne puis pas trop t'aimer sans doute; mais la maniere devroit etre differente et une abscence necessaire ne devroit pas me faire autant de peine. Je me reproche presque de te le dire. Ne vas pas en consequence te crever pour finir tes affaires. Metz-y tout le terns necessaire et pour reussir et pour ne te point fatiguer. Si tu vois Monsieur le due de Choiseul ou Mdc de Grammont2, ne manque pas de les assurer de mon respect, et prends de la ton texte pour leur dire un petit mot de moy3. J'ay regu depuis ton depart une lettre de Mde de Vasse^ qui t'attendoit et qui avoit envoie chez toy pour t'instruire de tout ce que tu avois a faire et du moment ou tu pourrois voir Mr de Choiseuil. Elle paroit persuade que tu reussiras. Pour moy j'en doute, mais enfin tu auras fait ce que tu devois. Fais, je t'en prie, millec respects a ma mere et mille compliments a tous nos amis, et meme aux peres jesuittes si tu en rencontre quelques-uns. Je crois que 1'arrest du Parlement contre eux4 fait maintenant un beau train a Paris. Adieu, ma chere petite. Nous buvons tous les jours a ta sante avec Mr le baron5 et Mr Mingard6. Je t'attends avec impatience. Je te le dis, mais c'est a condition que tu ne t'en presseras pas davantage. Je veux une femme digne de moy et qui ait le courage de sacrifier sa tendresse a son devoir. Adieu. [adresse : ] A Madame / Madame Helvetius la jeune / rue Ste-Anne, butte St-Roch / vis-a-vis la rue des Orties / A Paris MANUSCRIT

IMPRIME

:;

I. Guillois, p. 426-427.

'A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge representant le profil gauche d'une tete coiffee a la florentine; timbre de la poste : DEROZOYENBRIE. '

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TEXTE itAir, a Le 1: "amie". LeI: "a Let 1Vape" mille (compliments) .

LETTRE 478 NOTES EXPLICATIVES

1. C'est peu apres le 6 aout 1761, date du premier arret du Parlement centre les jesuites, que cette condamnation a du faire "un beau train a Pans". 2. La soeur cadette du due de Choiseul, Beatrix de Choiseul-Stainville, chanoinesse de Remiremont, nee en 1730, avait epouse le 16 aout 1759 Antoine Antonin, due de Grammont. Elle avait etc la marraine de Beatrix Helvetius, nee le 11 octobre 1760 et morte en bas age. 3. Helvetius espere se faire restituer sa charge de maitre d'hotel de la reine. En fin septembre 1762, il fera part a nouveau a son epouse de ses preoccupations a ce sujet: "D'ailleurs il ne faut plus luy reparler [au due de Choiseul] de cette place que nous desirions il y a un an, moins par un motif d'ambition, que par vengeance, et pour humilier nos ennemis." (Voir lettre 491, par. 1 et note 5.) 4. Sans doute I'arret du 6 aout 1761. 5. D'Holbach, mentionne ici pour la premiere fois dans les lettres d'Helvetius. 6. Jean Isaac Samuel Mingard, ne en 1740 ou 1741, etait la brebis galeuse d'une vieille famille vaudoise. Son pere, Jean Pierre Daniel, pasteur a Chavornay, pres d'Yverdon, de 1749 a 1777, etait 1'auteur d'un Abrege elementaire de I'histoire universelle (1777); son frere aine, Gabriel Jean Henri (1729-1786), etait pasteur a Assens, pres de Lausanne, traducteur de deux ouvrages de Pietro Verri, collaborateur de \'Encyclopedic d'Yverdon et fondateur de la Societe litteraire de Lausanne; et son oncle maternel, Jean-Jacques Andrier, etait intendant des finances de Frederic II a Neuchatel. Etant eleve de 1'Ecole

Aout 1761 militaire de Berlin, Jean Isaac Mingard s'etait fait inviter par Voltaire a une representation de Nanine et avait soupe en compagnie du philosophe et de Frederic II. (Bachaumont, Memoires, V, p. 22-23; voir aussi I'Histoire litteraire de M. de Voltaire, du marquis de Luchet, [Cassel, 1780, 2 vol.,] II, p. 319.) En 1759, il avait fait un premier sejour a Paris ou il avait loge chez Toussaint, 1'auteur des Mceurs. La meme annee, il s'etait trouve a Berne ou il avait detourne des fonds avances par la Societe typographique et litteraire de la ville, affaire dont Mme de ConstantRebecque entretiendra son mari le l er novembre 1761 : "II y a dans le monde un petit Mr Mingard, de Lausanne, qui a ete petit gargon de contoir chez Bousquet d'ou il est sorti pour quelques friponneries et a ete voyage. Il vint ici [Geneve] il y a 2 ans pour aller a Berne executer un grand projet de librairie; il y fut efectivement et imagina tant de choses avantageuse a cet egard, qu'on lui avan§a de 1'argent avec lequel il se sauva a Paris et y fut quelque terns incognito, puis c'est pousse dans le monde, est devenu 1'ami de Mr Helvetius et de tous les beaux esprits et les gens du grand ton." (Best. D. 10122.) C'est aussi en 1761 que Voltaire 1'accuse "d'avoir fait baucoup de souscriptions pour [ses commentaires sur] Corneille et d'en avoir destine les deniers a des usages plus pressez" (Best. D. 10115). Il passera 18 mois en Angleterre avant de revenir en 1764 a Paris, ou il logera chez Cabanes de Jonval, 1'un des auteurs de la feuille hebdomadaire L'AvantCoureur. En 1766, il sera emprisonne a For-L'Eveque pour divers abus de

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LETTRE 479

Octobre 1761

confiance et escroqueries (Arsenal, Bastille, ms. 12289, f° 249-305). II se disait 1'auteur de L 'Education puhlique (1763), ouvrage attribue en partie a Diderot par A. A. Barbier (Dictionnaire des ouvrages anonymes, 18721879,4 vol., II, p. 36). En 1769, Choi-

seul, dont il avait contrefait la signature, recommandera qu'il soit "remis a la justice ordinaire, que son proces lui soit fait, et qu'il s'atire publiquement les peines que la loi prononcera contre lui" (Bastille, ms. 12289, f° 301 recto).

479. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 12 octobre 1761]1 Oui, ma chere amie, j'ay recu trois lettres de toy en deux jours, et tes lettres m'ont fait le plus grand plaisir. Ce n'est pas que je ne scusse bien que tu m'aimois toujours. Ma raison me le disoit bien; je scais bien que, nous aimant comme nous le faisons au bout de dix ans de mariage2, nous nous aimerons toute notre vie, et meme que nous n'avons rien de mieux a faire. Mais le sentiment n'est pas toujours entierement rassure par la raison : on sent qu'on a tort d'etre inquiet, mais on Test; on sent que c'est une betize, mais on 1'a. Tu es done bien harassee, ma pauvre petite. C'est ta tete qui te fatigue encor plus que les mouvements que tu te donnes. Tu dois cependant bien voir qu'une fievre quarte n'est pas dangereuse, surtout aux enfans, surtout quand elle n'est point accompagnee de maux de tete violents" ni d'aucun autre accident. Je suis bien aize que tu aye La France3. Garde aussy Chevalier4; tu me 1'ameneras quand tu viendras. Je ne scais pas pourquoy tu n'as eu qu'une lettre de moy. Je t'en ai ecrit deja une par la poste que tu n'a pas vraisemblablement recue. Apparament que le rhumatisme que Mr Dieste avoit sur la vessie s'est dissipee ou a beaucoup diminue, car tu ne m'en parle point. Je serois bien fache que ce pauvre d'Espagne5 mourut; je crois comme toi que c'est un bon garcon. Adieu, ma chere petite. Menage-toy bien, viens te reposer icy le plutost que tu pourras; compte que je te desire vivement et que je t'aime de toute mon ame. Embrasse Valeret. Mes respects a ma mere, mes compliments a mon^ cousin6 a qui tu diras la part que je prends a sa sante. Baise pour moy Lolotte et Adelaide. [adresse : ] A Madame / Madame Helvetius la jeune / rue Ste-Anne, butte St-Roch / vis-a-vis la rue des Orties / A Paris

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LETTRE 479 MANUSCRIT ::

'A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge representant deux ecussons surmontes d'une couronne; timbre de la poste : STGERMAIN'EN-L. TEXTE " Graphic du A : "violentent". b Graphic du A : "Mr" (v. note 6 ci-dessous). NOTES EXPLICATIVES 1. Premiere d'une serie de quatre lettres adressees de Saint-Germain-en-Laye par Helvetius a son epouse, alors a Paris. Plusieurs themes leur sont communs : maladies d'Adelaide, de Mme Helvetius et de Diest, et espoir que Mme Helvetius pourra se rendre a Saint-Germain ou a Versailles. Le papier de trois de ces lettres est le meme (479, 480 et 482) et celles qui ont etc cachetees portent des sceaux identiques (479, 480 et 481). La presente lettre est sans doute la premiere de la serie, car Helvetius ne s'y inquiete encore, ni de la fievre d'Adelaide, dont il se preoccupera dans les trois autres, ni de la sante de sa femme, dont il se dira bientot inquiet (lettre 480), puis fort inquiet (lettre 481). La lettre 482 ne peut etre que la quatrieme : il en ressort que la comtesse de Vasse a rejoint Mme Helvetius a Paris, alors qu'elle etait encore a Saint-Germain avec Helvetius quand il a ecnt les trois autres. La lettre 480 nous semble avoir suivi immediatement la presente : Helvetius commence a craindre pour la sante d'Adela'ide et pour celle de sa femme. En outre, il est a SaintGermain depuis plus longtemps que lorsqu'il a ecrit la lettre 479, car il se refere a son arrivee et aux projets qu'il avait formes pour les jours suivants

Octobre 1761 comme a des faits dont il avait omis de parler. Quant a la lettre 481, elle est sans doute la troisieme : les inquietudes d'Helvetius au sujet de sa fille et de sa femme s'y expriment bien plus vivement que dans la lettre 480, et il y fait etat de la crainte qu'Adelaide n'ait un nouvel acces de fievre. Ces quatre lettres sont de 1761, comme 1'indiquent la reference aux dix ans de manage d'Helvetius (v. note 2 ci-apres) et la mention de la Lettre de Charles Gouju, de Voltaire, dans la lettre 482. Et compte tenu de la periode ou cette Lettre a paru (v. lettre 482, note 2), elles doivent dater d'octobre. La lettre 480 mentionne un voyage du roi a Fontainebleau, alors que ni le Mercure, ni la Gazette n'en font etat en 1761. Mais le samedi qu'Helvetius mentionne dans la lettre 480 a quand meme pu etre celui du 24 octobre, car la periode du 20 octobre a la fin de ce mois a ete sans activites officielles a Versailles. Il est plus probable qu'il s'est agi du samedi 17, pour lequel un voyage avait pu, soit etre prevu, puis annule, soit avoir eu lieu sans etre officiellement annonce. Etant donne cette datation du 17 retenue pour la lettre 480, les autres ont du etre ecrites vers les 12, 16 et 18 octobre 1761. 2. Helvetius s'etait marie le 17 aout 1751. 3. Francois Charpentier, dit La France, domestique de Mme Helvetius depuis 1756. 4. Pierre Maurice, dit Chevalier, valet de chambre d'Helvetius depuis 1757, et qui allait 1'accompagner en Angleterre en 1764 (v. lettre 517), puis en Prusse (v. lettre 565). A la mort de

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LETTRE 480

Octobre 1761

1'auteur, ses filles constitueront a ce domestique une rente viagere de 600 livres (v. A.N., Y 430, f° 130). Voir a son sujet I'Essai sur... Helvetius, de Saint-Lambert, dans Le Bonheur (1772, p. cxvii). 5. Francois d'Espagne, autre domestique d'Helvetius, entre a son service en 1760, et qui vivra jusqu'en 1797.

Apres la mort de 1'auteur, il recevra une rente viagere de 300 livres (v. A.N., Y 430, f° 132-133). 6. Le "Mr Cousin", que porte le A, ne peut designer que Diest (v. lettre 196, note 5), qui recevra les compliments d'Helvetius dans les trois lettres suivantes.

480. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 14 octobre 1761]1 Je n'ay pas recu de lettre de toy, ma chere femme, depuis 1'arrivee de Mr de Champot2. Je suis inquiet de toy et d'Adelaide. J'esperois que tu me donnerois 1'agreable nouvelle du succez de son quinquina. Je ne scais si c'est un pressentiment mais je suis triste, je crains pour mon enfant et pour toy, je m'imagine ou que tu es malade ou que tu ne m'aime plus tant. Peutestre recevrai-je une lettre de toy ce soir qui me rassurera a ces deux egards. Pour moy je t'aime de toute mon ame; tu me manque icy, quoique j'y sois avec Madame la comtesse de Vasse, avec Mr Le Roy et tous ceux que j'aime le mieux apres toy. Je ne scais pas si tu me regrette autant. Bon Dieu, que je suis fou! Tu as assez d'embarras. Je ne voudrois pas encor que tu songea a moy avec chagrin, mais je desirerois bien de te voir icy. Si Adelaide alloit mieux, je me flatterois de t'y voir. A propos lorsque j'arrivay a Marly, je dis a Mr Le Roy que j'irois vendredy a Versailles et que je comptois y rester jusqu'a dimanche au soir ou lundy matin, parceque je voulois y voir Mde de Pompadour, Quenet3, Senac4 et Colin qu'on est sur de trouver le dimanche a Versailles. Il ne me dit [rien] et je comptois executer vendredy mon projet5, lorsqu'il m'apprit que le Roy partoit samedy pour Fontainebleau6, amenant avec luy Mde de Pompadour et tous ceux que j'ay a voir. Le voiage sera de dix jours, ainsy me voila recule pour ce terns. Si dans cet interval tout alloit mieux a la maison, que ma fille et une partie de tes domestiques se trouvoient en bon etat, nous ferions ensemble le voiage de Versailles et j'en serois charme. Adieu, ma petite, je baise tes mains de tout mon coeur. Mes respects a ma mere, ma tendresse a mes enfants, mon amour a toy, mes compliments a mon cousin, mon amitie a Valleret, &c. [adresse : ] A Madame / Madame Helvetius la jeune / rue Ste-Anne, butte St-Roch, vis-a- / vis la rue des Orties / A Paris 28

Portrait au pastel de la famille d'Helvetius par Carmontelle

Octobre 1761

LETTRE 481 MANUSCRIT

*A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge representant deux ecussons surmontes d'une couronne. NOTES EXPLICATIVES

1. Datation de cette lettre : voir lettre precedente, note 1. 2. Gerard Levesque de Champeaux, vicomte de Verneuil (1694-1778), frere cadet de Levesque de Pouilly et de Levesque de Burigny, avec lesquels il etait tres lie. II avait etudie le droit a Paris, frequente le club de PEntresol et etait entre dans la Carriere en 1726. II 1'avait quittee en 1758, son fils, Marie Jacob Sebastien Anastase Marc (mort en 1794), 1'ayant alors remplace a son poste de resident a Hambourg. II occupera pendant quelques annees la fonction de grand

3. 4.

5.

6.

tresoner de France au bureau des finances de Champagne. Francois Quesnay (v. lettre 252, note 2). Probablement Gabriel Senac de Meilhan (1736-1803), ecrivain qui faisait partie de 1'entourage de Mme de Pompadour. II pourrait cependant s'agir de son pere, Jean-Baptiste Senac (1698-1770), premier medecin du roi, ou de son frere Jean, fermier general de 1762 a 1780 et lecteur de la chambre du roi. Nulle part Helvetius n'indique le but precis de son voyage a Versailles dans les quatre lettres de cette serie. II essayait sans doute de se faire restituer sa charge a la cour (v. lettre 491, note 5). Voir lettre 479, note 1.

481. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 16 octobre 1761]1 Ma chere amie, je comptois t'envoier par mon cocher la lettre que je t'adresse aujourd'huy par la poste, mais il est apparement parti de trop bonne heure, et nous ne 1'avons vu ni Mde de Vasse ni moy. Nous sommes, elle et moy, fort inquiet de ta same et de celle d'Adelaide. Je crains un nouvel accez de fievre autant pour toy que pour elle. Si elle se trouvoit plus mal, mande-le-moy sur-le-champ, afin que je me rende aupres de toy, parceque tu aurois besoin de consolation et qu'au bout du compte c'est moy que tu aimes le mieux et dont tu aimerois le mieux la recevoir. Quand je suis absent, tu sens mieux le besoin que tu as de moy et tu es tout etonnee de m'aimer autant. Pour moy je t'aime toujours egalement; tu es dans chaque instant 1'objet de toute ma tendresse, de tout mon amour et de toute mon amitie. Adieu, ma chere petite. Donne-moy demain des nouvelles de ta sante, de celle de mon enfant que j'embrasse ainsy que Mlle Lolotte. Fais mille amities de ma part a Mr de Valleret, mille respects a ma mere et mille compliments a Mr Dieste.

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Octobre 1761

LETTRE 482

[adresse : ] A Madame / Madame Helvetius la jeune, rue / Ste-Anne, vis-avis la rue des / Orties, butte St-Roch / A Paris MANUSCRIT

NOTE EXPLICATIVE

:;

1. Voir lettre 479, note 1.

"A. Vore; 2 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge representant deux ecussons surmontes d'une couronne; timbre de la poste : STGERMAIN'EN«L.

482. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 18 octobre 1761]1 Je te renvoie, ma chere amie, la lettre ou le sermon de Voltaire sous le nom de Charles Gouju2. Ce petit ouvrage m'a paru tres plaisant et tres edifiant*. II seroit fort a desirer qu'il fut repandu dans le monde pour 1'instruction des ames devotes qui ne scavent point encor que les vrais incredules sont les incredules tondus ou mitres. J'apprends par la lettre de Mde de Vasse^ que 1'accez a manque a ma petite Adelaide. J'espere que, s'il manque encor une fois, tu pourras venir avec elle a Marly, et que Mr Diestec trouveras sa convalescence assez con[s]tatee pour le permettre. J'ay un grand besoin de te voir. Je ne suis pas comme Madame Geoffrin qui desire 1'eloignement de ses amis pour avoir le plaisir de les voir sans defaut. Suppose que tu en eusse, j'aimerois mieux te voir, au risque de te trouver moins parfaite, que d'etre si longtems eloigne de toi. Au bout du compte, si Adelaide etoit^ trop foible, tu pourrois toujours venir sans elle et la laisser avec sa gouvernante3, car enfin je veux que tu m'aime autant que mon enfant. Dis-luy cependant que la jalousie qu'elle me cause ne me brouillera jamais avec elle. Adieu, ma chere amie. J'espere bientost te revoir. Embrasse biene Lolotte et Adelaide. Presente toujours mes respects a ma mere, ^assure Valeret de mon amitie, et fais mes compliments a mon cousin que je voudrois bien voir en bonne same et sans douleur. Ta sceur4 me charge de mille choses pour toy, ainsy que Mr Le Roy, Mr de Champot, &c.e MANUSCRIT

IMPRIME

:;

I. Guillois, p. 481; extrait (v. note e ciapres). Get extrait et la lettre 534 du 15 mai 1764 ont etc fusionnes par Guillois, comme s'il s'agissait d'une seule lettre.

"A. Vore; 3 p.; orig. autogr.

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LETTRE 483 TEXTE a

Le A : "edifiant (pour nos freres)". b Le I: "(Vove)". c Le I: "Dietsch" "est". e Omis dans le I.

NOTES EXPLICATIVES

1. Voir lettre 479, note 1. 2. Lettre de Charles Gouju a ses freres, au sujet des RR. PP. jesuites, opuscule de Voltaire (Moland, XXIV, p. 255-

Janvier 1762 259) paru fin septembre 1761 (v. Best. D. 10012 et 10039). 3. Marie Alexis Rosalie Dominique d'Anjou. 4. II pouvait s'agir de Claire Ursule, d'Anne Marguerite Charlotte ou de Madeleine, mentionnees respectivement dans les lettres 53, 265 et 56, aussi bien que d'Elisabeth (v. lettre 51).

483. Caroline Henriette de Deux-Ponts, princesse de Hesse-Darmstadt1, a Maximilian Julius Wilhelm Franz, comte de Nesselrode-Ereshofen2 A Bousviller3, le 10 Janvier [17] 62 [...] Helvetius connoit 1'humanite et developpe les motifs qui nous rendent vicieux ou vertueux. Je crois n'avoir fait que parcourir son livre, en le lisant la premiere fois4. II m'attache d'une fagon singuliere; je crois y decouvrir tout plein de" choses que je n'y avois point vues; c'est qu'en le lisant en allemand5 je suis forcee^" a y mettre toutec mon attention pour le bien comprendre. [...] MANUSCRIT

""Archives d'Etat de Hesse, Darmstadt, Abteilung Hausarchiv IV, Konv. 562. Fasz. 2, n° 38; 2 p.; copie. IMPRIME I. H. Brauning-Oktavio, "Die Bibliothek der grossen Landgrafin Caroline von Hessen", Archiv fur Geschichte des Bucbwesens, VI (1966), p. 720. TEXTE Erreurs de transcription dans le I : " des. b force. c tout. NOTES EXPLICATIVES

1. Soeur ainee du due de Deux-Ponts (v. lettre 594, note 3), Caroline (17211774), que Goethe appellera la "grande landgrave", avait epouse en

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1741 Louis IX, prince heritier de Hesse-Darmstadt (1719-1790), qui deviendra landgrave en 1768. Tres cultivee, elle goutait autant 1'une que 1'autre les litteratures franchise et allemande, etait abonnee a la Correspondance litteraire de Grimm, et entretenait de nombreuses relations epistolaires avec les hommes de lettres et les souverains de son temps. 2. Cadet d'une grande famille de Westphalie, le comte Guillaume de Nesselrode (1724-1810) fut tour a tour militaire, homme de cour et diplomate. D'abord officier de Parmee autrichienne, il avait etc blesse a la bataille de Lawfeld (1747). A 1'epoque de cette lettre, il venait de quitter

Mars 1762

LETTRE 484 la cour palatine, 1'Electeur ayant estime que I'Electrice appreciait un peu trop ses services. Devenu en 1761 colonel du regiment RoyalAllemand, grace a la protection du due de Choiseul, il sera souvent stationne en Alsace au cours des annees suivantes. II quittera le service de la France en 1767 pour passer successivement a celui des cours de HesseDarmstadt, de Weimar, de Berlin et de Saint-Petersbourg. II sera le chambellan de Frederic II, puis de Catherine II, qui en fera son ministre au Portugal (1780-1786), puis en Prusse (1788-1796). Son fils sera chancelier de Russie. Ami de Grimm et de Voltaire, il etait d'un caractere vif et enjoue, et sa conversation etait nche en anecdotes. Il avait en outre une reputation de grande sagacite politique. 3. Situe en Alsace a 37 km de Haguenau, Bouxviller etait la residence des princes heritiers de HesseDarmstadt. Helvetius allait s'y arreter en 1765 en se rendant de Francfort a Nancy (v. lettre 565, note 4). La princesse Caroline y residait, pendant que son mari entrainait ses grenadiers a Pirmasens, dans le Palatinat. 4. La princesse de Hesse-Darmstadt avait d'abord lu De I'Esprit en frangais, en decembre 1758 (v. lettre 367, Remarques). 5. Caroline est en train de lire la traduction allemande de L'Esprit (v. lettre

454, note 5), due a Johann Gabriel Forkert, et dont elle avait deja entretenu le comte de Nesselrode, d'abord le 23 decembre 1761 : "Je voudrais que le sieur Gotschied [v. lettre 454, note 6] cut traduit tout le livre; il n'y a de lui que la preface par ou j'ai commence aujourd'hui."; ensuite le 25 du meme mois : "Mr Gottsched ne me persuade point quand il refute Helvetius. J'ai acheve la preface; c'est a present que la lecture va me paraitre interessante."; enfin, le l er Janvier 1762 : "Der Geist des Menschen me sert de dictionnaire. Je suis de plus en plus contente de cette traduction, mais je lis tres lentement, ayant toujours Poriginal a cote de moi." (Brauning-Oktavio, pp. 719 et 720.) Ce que Caroline appelle "la preface" n'est pas la traduction qui a ete faite de celle d'Helvetius, mais un discours preliminaire en allemand redige par Gottsched lui-meme. REMARQUES

La bibliotheque de Caroline de HesseDarmstadt etait tres riche en ouvrages frangais interdits. Pour ce qui est de ceux d'Helvetius, outre la traduction Der Geist des Menschen, elle comprenait Le Bonheur (1772, 8°), De I'Homme (1773, 2 vol., 8°), et deux exemplaires de L'Esprit (1758, 4°). C'est Johann Georg Esslinger, libraire de Francfort, qui lui fournissait la plupart de ses livres. Voir Brauning-Oktavio, op. cit., p. 749.

484. Helvetius a Jean Levesque de Burigny Ma femme, mon enfant et moy etions tous malades lorsque nous avons recu votre lettre. C'etoit une fluxion, du rhume et de la fievre qui nous retenoit au lit. Tout va mieux. La fluxion et le rhume se dissipe et la fievre 33

LETTRE 484

Mars 1762

s'eteint. L'hivert a cette annee etc on ne peut pas plus vilain et ennuieux1. Comptez, mon cher amy, que si vous nous regrettez, nous vous regrettons bien aussy, et que nous ne nous consolons que par 1'esperance de passer Phivert prochain avec vous et d'y jouir souvent du plaisir de vous voir. Je suis, mon cher amy, on ne peut pas plus touche de 1'interest vif que vous prennez a tout ce qui me regarde et du degout que cet interest vous a donne pour 1'abbe Arnauld2. Le chevalier de Chotelu3 qui, comme vous le scavez, est fort mon amy, et a qui je ne puis rien refuser, m'a ecrit au sujet de ce Mr 1'abbe Arnauld. Je luy ai repondu que la seule chose dont j'ai a me plaindre de 1'abbe Arnauld, c'est d'avoir donne sa critique contre mon livre dans un moment ou elle pouvoit me nuire personnellement4, que d'ailleurs 1'abbe Arnauld n'etant pas mon amy, il avoit pu penser et dire de mon ouvrage tout ce qu'il vouloit, et que je m'en plaignois d'autant moins que ce qu'un particulier dit ou ecrit sur un ouvrage n'en decide jamais le sort. Je pardonne done a 1'abbe Arnauld; ainsy je vous prie, mon amy, que les torts qu'il a eu avec moy ne luy otent point votre voix s'il la merite. Il est cependant tout simple que vous donniez la preference au jeune medecin5 dont vous me parlez et qui a d'aussy bons droits sur votre protection. Vous scavez que je ne suis lie avec aucun academicien des Inscriptions assez particulierement pour luy demander ce dont vous me chargez6. Adieu, mon cher amy. Aimez-moy toujours. Je voudrois bien que vous pussiez venir faire ce primptems un tour a Vore. Nous vous y receverions avec tout le plaisir que vous causerez toujours a ceux qui sont sensible a* 1'excellence de votre caractere et a la profondeur de vos connoissances. Vale et me ama. A Vore, ce 5 mars 1762 Ma femme vous embrasse. Mille respects, je vous prie, a Mde Geoffrin. [adresse : ] A Monsieur / Monsieur de Burigny, rue St-Honore / proche le cul-de-sac de 1'Orangerie / A Paris MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

*A. Bibl. mun. de Laon, collection Devisme, 11 ca 53; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge; timbre de la poste : REMALARD.

1. Helvetius et sa femme avaient passe tout 1'hiver a Vore. Us y resteront jusqu'a 1'automne 1762. 2. L'abbe Francois Arnaud (17211784), apres avoir ecrit contre les philosophes, passa dans leur camp. . ,, , ^ , Auteur d une Lettre sur La musique (1754), il soutiendra en 1777 la cause des gluckistes. Il collaborait au Jour-

TEXTE a Le A : a (la bonte) . x

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LETTRE 484 nal etranger et vivait sous le meme toit que son redacteur, Suard. Helleniste distingue, il sera admis a 1'Academic des inscriptions le 26 mars 1762, en meme temps que Pabbe Frangois Bejot (1718-1787), et a 1'Academic frangaise en 1771. Voir les registres de 1'Academic des inscriptions (Archives de 1'Institut, F° Z 201, pp. 47-48 et 51-52). Voir aussi Sgard, p. 12-14. 3. Francois Jean, chevalier, puis marquis de Chastellux (1734-1788), petit-fils du chancelier d'Aguesseau, colonel d'infanterie et ami de Mme d'Epinay. II etait 1'auteur de comedies que Ton jouait a La Chevrette, maison de campagne de M. d'Epinay, situee pres de Montmorency. II ecrira un Eloge d'Helvetius (Bouillon, Societe typographique, 1772), entrera a PAcademie frangaise (1775), et vers la fin de sa vie, se Hera avec George Washington. Voir aussi lettre 452, note 1. Selon Georg Ludwig Schmid (17201805), homme de lettres suisse qui a fait un sejour a Paris en 1767-1768, Chastellux faisait la cour a Mme Helvetius : "Raynal, Helvetius, Galiani et d'autres gens que 1'on celebre sont les plus immoderes des libertins, et leurs metaphores preferees, au cours des conversations, sont empruntees au langage des pires bordels. Souvent, les dames ne sont pas beaucoup plus decentes. Recemment, le chevalier de Chastellux baisa la main a Mme Helvetius, ce qui fit declarer a celle-ci, alors qu'elle se levait: 'Cela fait bien dix ans que cet homme se met en tete de temps en temps de devenir mon amant. Mais je le trouve bien trop leger. Je veux du plus serieux. C'est pourquoi je ne lui abandonne que les extremites,

Mars 1762 mais...' Elle ne termina point sa phrase et se mit a rire." (Zschokke, n° 28, p. 110; traduction, de Pallemand. H. U. Seifert a presente des traductions de cet extrait et des differents autres que contient Particle de Zschokke; v. son article "Banquets de philosophes: Georges-Louis Schmid chez Diderot, d'Holbach, Helvetius et Mably", Dix-huitieme Siecle, XIX [1987], p. 223-244. Pour ce passage de Schmid, comme pour ceux que nous citons par la suite [v. lettres 621, 624 et 637], nous fournissons notre propre traduction qui differe de celle de Seifert.) 4. Freron avait confie a Pabbe Arnaud la critique de L'Esprit dans L'Annee litteraire. Son article avait paru en Janvier 1759, mois de la retractation d'Helvetius devant le Parlement, de la perte de sa charge (v. lettre 423), du requisitoire de Jean Omer Joly de Fleury et de la censure du pape Clement XIII. L'une des critiques les moins severes d'Arnaud etait qu'Helvetius manquait d'originalite : "M. **** s'est jonc applique pendant vingt ans a degrader le principe de toutes les actions humaines, a empoisonner les sources de la morale, a dissoudre, en un mot, tous les elements de la societe. Falloit-il tant de travail & de temps pour ne rien dire que de dangereux, sans jamais rien dire de neuf, pour rechauffer des systemes, qui, s'ils avoient du faire fortune, Pauroient fait il y a deux mille ans, [...] pour ranimer enfin des opinions toujours confondues par la raison, toujours proscrites par Pautorite." (L'Annee litteraire, 1759, I, p. 55-56.) D'apres Palissot, cet article avait etc inspire plutot par "le zele d'un habitue de paroisse que par le sentiment

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Avril 1762

LETTRE 485 delicat d'un homme du monde, qui ne peut souffrir ni les reputations usurpees, ni les charlatans". "11 est faux, ajoutait-il, que le livre De I'Esprit ne contienne rien que de dangereux, qu'on n'y trouve rien de neuf, enfin que son auteur n'ait ecrit que pour empoisonner. Ces declamations ne sont pas selon la science." (Memoires pour servir a, I'histoire de la litterature, 1803, 2 vol., I, pp. 24 et 26-27.) 5. Non identifie. 6. Levesque de Burigny avait sans doute demande a Helvetius d'intervenir en

faveur de Pabbe Arnaud aupres de certains membres de P Academic des inscriptions. Probablement peu enclin a agir, Helvetius se refugiait dans un pretexte, car il connaissait bien plusieurs academiciens, dont Bignon, Caylus, Henault, Malesherbes, Maurepas et Nivernois (honoraires), Bougainville et La Curne de Sainte-Palaye (pensionnaires), Capperonnier (associe), et Duclos (veteran), sans parler des deux censeurs de L'Esprit, Tercier et Barthelemy (associes).

485. Helvetius a I'abbe Francois Arnaud Monsieur, II eu etc tres ridicule que, pour une petite querelle particuliere, j'eusse tente de priver PAcademie d'un homme de votre merite. D'ailleurs, si comme vous me le dites Phonetete m'est naturelle (vous scavez quelle est sur nous" la force Me Phabitude^), il m'en eu trop coute pour les rompre : j'etois trop paresseux pour n'etre pas honete. Je ne pouvois de plus me rapeller la definition que j'ay donne de la probite qui consiste dans I'babitude des actions utiles a sa nation1 sans sentir combien il cut etc odieux et has d'essaier de nuire et de donner des degouts a un homme d'autant de talents, et ces deux motifs ou ces deux interests etoient plus que suffisants pour vous faire le sacrifice d'une haine que je n'avois pas. Il n'y a dans Punivers moral, comme dans Punivers phisique, qu'un seul principe de mouvement et ce principe ne peut etre que Pinterest. La necessite des loix, celle des peines et des recompenses, soit temporelles, soit eternelles, en est la preuve. L'experience se trouve toujours d'accord avec ce principe et ce n'est que d'apres Pexperience qu'on peut philosopher. L'echelle de Jacob2, dont le pied s'appuioit sur la terre et le sommet se cachoit dans les cieux, nous apprend que c'est de Pobservation qu'il faut partir pour s'elever aux idees les plus sublimes. L'observation et Pexperience sont la pierre de touche de la verite et je doute que le sisteme de Platon put en soutenir Pepreuve3. Je ne seray jamais si sur d'un homme dont la vertu sera fondee sur les idees que s'en formoit Platon (idees que peu d'hommes

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Gravure de 1'abbe Arnaud par Valperga d'apres le portrait de Duplessis

LETTRE 486

Avril 1762

peuvent acquerir) c que de celuy dont 1'interest, se trouvant lie a 1'interest public, est par cet accord necessite, si je 1'oze dire, a la vertu. Mais c'est trop parler de philosophic. C'est 1'endroit chatouilleux d'un auteur attaque; il faut luy pardonner un peu de bavardage a ce sujet. Mais pour ne point abuzer de cette indulgence, je me hate de vous assurer de 1'estime profonde et de Pattachement respectueux avec lequel j'ay Phonneur d'etre, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius A Vore, ce 15 avril 1762 [adresse :] A Monsieur / Monsieur Pabbe Arnauld / A Paris MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

"A. B.N., ms. fr., n. a. 5214, f° 259-260; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge.

Pour les circonstances ayant donne lieu a cette lettre, voir les notes 2 et 4 de la lettre precedente. 1. De I'Esprit, p. 133. 2. Voir Genese, XXVIII, 12. 3. L abbe Arnaud s etait servi des Dialogues d e Platon pour reruter certames idees d Helvetius.

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TFYTF

. ° Le A: de(s) x ." „Le. A: . . nous , . , nous _ ' 1 habitude(s) . c Cette seconde paren. - 1 1 these est omise dans le A.

486. Helvetms d Francois Jean, chevalier de Chastellux1 Je ne vous ai pas ecris, Monsieur et cher amy (puisque, tout grand seigneur que vous etes, vous voulez bien que je prenne ce titre), parceque Pon m'a accusse d'etre Pediteur du livre de Mr Boulanger, dont je voudrois etre Pauteur, mais a Pedition du quel je n'ay aucune part2. Comme je ne voulois pas que votre amy fut pendu apres avoir frize la corde3, je me suis informe de ce qu'on disoit du livre et Pon m'assure que Pon ne me Pattribue point. L'on a raison. Mr Pabbe Arnauld m'a ecrit sans me mander son adresse. J'ecris et vous adresse cette lettre 4 pour que vous la luy fassiez remettre. On dit sourdement que la paix va se faire. Dieu le veuille. J'espere que pendant la canicule, quand il fait trop chaud pour aimer et tres bon pour chasser, vous vienderiez tirer des perdrix de Vore. J'ay, Monsieur et cher amy, grand besoin de vous voir et de causer avec vous et peutestre meme de vos conseils, mais il faut d'abord que vous 38

LETTRE 486

Avril 1762

serviez vos" confreres en Mars, ensuite vous viendrez servir vos confreres en Apollon. La poste part. Je n'ay que le terns de vous assurer de mon respect. Je suis fort aize que vous trouviez mes principes vrais, mais pour en sentir toute la verite il faut [etre] comme vous un observateur habile qui, lorsque 1'experience paroit manquer d'une maniere, sache se ret[r]ouver^ d'une autre. Je suis fort aize que le public de Paris revienne sur le compte de mon livre. II est etonnant ce qu'on en pense en bien chez c 1'etranger et les lettres que je recois encor tous les jours a cette occassion. Adieu encor une fois. Allez cueillir des lauriers, mais rapportez vos deux bras. Helvetius^ A Vore, ce 23 avril 1762 MANUSCRIT :;

"A. Musee historique d'Etat, Moscou, Section des sources ecrites (O. P. I.), fonds Orlov 166, dossier 9a, f° 24-25; 3 p.; orig. autogr. IMPRIME

I. M. V. Boudilina, "Nei'zdannoi'e pismo Helvetius", Vestnik Istorii Mirovoi Koultoury, Moscou, juin-aout 1960, p. 107-108. TEXTE

" Le A : "vos (generaux)". ^Ou "retour [n]er". cLe A : "chez (les)". d A la dro de la signature, en figure une autre, moins lisible, qui lui est anterieure, et qu'Helvetius a barree. NOTES EXPLICATIVES

1. Le nom du destinataire de cette lettre n'y figure pas. Boudilina propose celui de Saint-Lambert, qui nous parait a ecarter pour trois raisons : 1) Bien qu'etant lorrain comme Mme Helvetius, ami de Mme de Graffigny, et bien dispose envers les philosophes, on ne sache pas qu'il figurait deja parmi les amis de 1'auteur de L'Esprit. 2) Ce n'est pas a lui qu'Hel-

vetius aurait demande de transmettre une lettre a 1'abbe Arnaud : lors de Pelection de celui-ci a 1'Academie franchise, Saint-Lambert "lui jeta au scrutin une boule noire" dans 1'espoir de lui barrer la route (v. Garat, Memoires sur le XVIIP siecle et sur M. Suard, 1821, 2 vol., I, p. 221). 3) Enfin, Saint-Lambert etait bien militaire et poete, mais il etait loin d'etre un "grand seigneur". Chastellux, lui, etait militaire, poete, grand seigneur, grand ami d'Helvetius, et avait ecrit a 1'auteur peu de temps auparavant en faveur de 1'abbe Arnaud (v. lettre 484, par. 2). 2. L'ouvrage de Boulanger, intitule Recherches sur I'origine du despotisme oriental, avait ete public fin 1761 par les freres Cramer, de Geneve. Il etait precede d'une longue "Lettre de 1'auteur a M. ***** [Helvetius]", bien differente de celle que Boulanger lui avait ecrite en 1755 (lettre 244), et fort compromettante pour son destinataire, dont il louait 1'ouvrage: "Voyons le livre De I'Esprit paroitre au mois d'aout 1758, proscrit par des

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LETTRE 486 arrets, des mandemens & des critiques, tandis que plus de vingt editions faites avant la fin de la meme annee, dans toutes les grandes villes de PEurope, publient la reclamation & le suffrage de tout ce qu'il y a d'etres pensans dans le monde philosophique" (op. cit., p. v-vi). Helvetius y etait meme invite a se mettre a la tete du mouvement philosophique : "Ce plan de philosophic politique demanderoit, Monsieur, un philosophe comme vous pour directeur. Que je travaillerois avec plaisir sous votre puissant genie". (Op. cit., p. xxvxx vi.) Voltaire avait effectivement trouve tres dangereuse cette epitre dedicatoire : "On dira que 1'auteur veut qu'on ne soit gouverne ni par dieu ni par les hommes. On sera irrite contre Helvetius a qui le livre est dedie. [...] La morale est trop blessee dans le livre d'Helvetius, et le trone est trop peu respecte dans ce livre qui lui est dedie." (Best. D. 10295.) Le 8 fevrier 1762, Voltaire se fait fort d'obtenir de Gabriel Cramer qu'il retranche cette "Lettre" des exemplaires qui lui restent. (Best. D. 10315; voir aussi Best. D. 10346 et Roth, lettre 263.) Diderot, de son cote, constate que la police met en oeuvre "toutes ses machines, toute sa prudence, toute son autorite pour etouffer le Despotisme oriental" (Lettre sur le commerce de la librairie, dans ses CEuvres completes, ed. Assezat & Tourneux, 1875-1877, 20 vol., XVIII, p. 62). Helvetius etait bel et bien suspecte d'etre 1'auteur des Recherches: "Helvetius, ecrit Voltaire, est vehementement soupgonne d'avoir fait cet ouvrage. Est-il a Paris, frere Helve-

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Avril 1762 tius?" (Best. D. 10315.) Comme Helvetius 1'indique dans la presente lettre, ces bruits lui parviennent, et il s'informe, sans doute aupres de Malesherbes. Celui-ci ecrit a d'Hemery le 15 avril: "On ajoute qu'on soupgonne M. Helvetius d'en etre Pediteur. Ceux qui me donnent cet avis y joignent des preuves que c'est a tort qu'on fait cette imputation a M. Helvetius." (B.N., ms. fr. 22191, f° 29.) Apres enquete, d'Hemery repond : "[Boulanger etait] fort lie avec Mrs Diderot, d'Allembert et Helvetius. Ce dernier a dans sa biblioteque une copie manuscripte de ce livre, qu'il tient vraysemblablem* de 1'auteur, raison pour laquelle M. Helvetius a craint dans ce moment-cy qu'on ne 1'en soupconnat [d'etre] 1'auteur, ce qui n'est surement pas." (B.N., ms. fr., n. a. 1214, p. 371.) Quant a Pepitre dedicatoire, son auteur est incertain. L'attribution qu'on en a faite a Boulanger repose sur la possibilite qu'il 1'ait redigee entre la parution de L'Esprit et sa mort, survenue en septembre 1759 (v. J. Hampton, Nicolas Antoine Boulanger et la science de son temps, Geneve & Lille, 1955, p. 38-39). Mais le manuscrit de cette "Lettre" n'est ni de la main de Boulanger, ni de celle a laquelle est du le manuscrit des Recherches (v. B.N., ms. fr. 19230, f° 104 sqq.). D'autre part, Grimm laisse entendre que Pepitre, "mieux ecrite que 1'ouvrage meme", n'est pas de Boulanger (Corr. litt., V, p. 367). Enfin, les idees relativement subversives dont il est fait etat dans ce texte ne sont conformes, ni a celles de Pouvrage, ni au contenu de la lettre dont

Mai 1762

LETTRE 487 Boulanger lui-meme a fait preceder son manuscrit (v. lettre 244.). D'Holbach est souvent propose comme auteur de cette epitre, parce qu'il a ecrit plusieurs autres ouvrages parus sous le nom de Boulanger, et que les hardiesses qu'elle contient sont assez caracteristiques de sa pensee (v. Boudilina, p. 107, note 3). Voltaire 1'attribuait a Diderot, et dans son exemplaire personnel, conserve a Leningrad, il avait inscrit, au-dessous du titre de Pepitre dedicatoire, la mention "par M. Diderot" (p. iii), et a la fin, apres la formule de politesse, avait ajoute "Diderot" (p. xxxii). (Voir F. Venturi, "Postille inedite di Voltaire ad alcune opere di Nicolas Antoine Boulanger e del barone d'Holbach", Studi francesi, II [1958], p. 233; et Corpus des notes marginales de Voltaire, Berlin, 1979-, I, p. 498.) Enfin, il se peut egalement fort bien que 1'auteur de Pepitre soit Damilaville. Dans son exemplaire des Recherches, sur la page de titre et sous les mots "Monstrum horrendum, informe, ingens" que 1'ouvrage porte en epigraphe, Voltaire avait ecrit "embleme de cet ouvrage de ce bon Damilaville et de Diderot" (Venturi et Corpus, loc. cit.). Jose-Michel Moureaux, dans une correspondance

echangee avec David Smith, apres avoir mentionne la portee possible de la note ajoutee par Voltaire, cite plusieurs des nombreuses imperfections linguistiques de Pepitre, pour observer : "Le style est a ce point pataud qu'on voit mal comment ce texte aurait pu etre ecrit par Diderot." Aussi notre correspondant, apres avoir envisage d'autres hypotheses qu'il estime egalement improbables, propose-t-il comme auteur Damilaville, en faisant observer que celui-ci, a en juger par certains de ses ecrits, tel Particle "Population" de VEncyclopedic, "ne brille pas particulierement par ses qualites stylistiques". Cf. aussi Particle de JoseMichel Moureaux, "La place de Diderot dans la correspondance de Voltaire : une presence d'absence", Studies, CCXLII (1986), p. 211-212. 3. Malgre Pexistence de la proclamation royale de 1757, disposant que "tous ceux qui seront convaincus d'avoir compose [...] des ecrits tendants a attaquer la religion [...] seront punis de mort" (v. F. A. Isambert, Recueil general des anciennes lois franqaises, 1821-1833,29 vol., XXII, p. 273), Helvetius exagere un peu en pretendant qu'il avait "frize la corde". 4. La lettre 485, qu'Helvetius a ecrite huit jours auparavant.

487. Helvetius a Jacques Louis Lemoyne1 C'est a ma terre de Vore, Monsieur, que j'ay recu la lettre que vous m'avez fait 1'honneur de m'adresser de Moyenvic2 a Paris; j'etois alors malade de la goutte qui m'avoit saisi au poignet et qui m'empechoit de vous faire reponse. Ce n'est que 1'hivert prochain et lorsque je seray a Paris que je pourray vous faire tenir le portrait3 que vous me demandez. Quant a 1'eloge de 41

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Madame de Grafigny, je" scavois qu'un de ses amis s'en^ etoit charge et je n'ay pas voulu priver 1'amitie du plaisir d'orner de lauriers le tombeau de son ami4. Mais je ne scais si Peloge est bien fait; je ne 1'ay point lu et ne connois point cette edition5. Je 1'achepteray a mon retour a Paris, c'est-adire a la fin d'octobre. Si vous voulez m'ecrire dans ce tems-la, je seray alors tout a vous et a vos commandements. Je suis tres sensible a la bonne opinion que vous voulez bien avoir de moy. Je desire fort de m'en rendre digne et de meriter 1'estime d'un homme qui luy-meme en merite tant. J'ay 1'honneur d'etre, avec le plus inviolable attachement, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius A Vore, ce l er may 1762 [adresse : ] A Monsieur / Monsieur Le Moine, a Moyenvic / En Lorraine / A Moyenvic MANUSCRIT :;

"A. Musee royal de Mariemont, Morlanwelz-Mariemont, Belgique, ms. 389a; 2 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge; timbre de la poste : REMALARD. IMPRIME

I. M.-J. Duriy, Autographes de Mariemont, 1955-1959, 4 vol., II, p. 546-547. TEXTE

" Le A : "je {scais}": *Le A : "s'en {est)". NOTES EXPLICATIVES

1. Le destinataire etait avocat au Parlement et receveur des fermes du roi a la saline de Moyenvic (v. Arsenal, ms. 7082; A.N., G1 93, p. 115 sqq.; et M.C., XXXI, 713, 4 septembre 1763, et LXXXI, 331, 6 juillet 1751). Bibliophile et historien de la Lorraine, il etait 1'auteur d'une Bibliographic des poetes qui ont travaille sur les Psaumes, sur les Cantiques et sur d'autres livres de I'Ecriture sainte

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(B.N., ms. fr., n. a. 1964; ouvrage inedit). 2. Moyenvic est situe a 50 km au sud-est de Metz, a mi-chemin entre Nancy et Sarrebourg. 3. Le contexte fourni par la phrase suivante, dont il ressort qu'il s'agissait d'un portrait de Mme de Graffigny, est confirme par les catalogues de vente. 4. C'est Frangois Antoine Devaux, legataire des papiers de Mme de Graffigny, qui s'etait charge d'ecrire, non pas un eloge, mais "un court abrege" de sa vie (lettre de Devaux a Duclos du 16 fevrier 1759, B.N., ms. fr. 15581, f° 61 recto). Malheureusement pour ce projet, 1'executeur testamentaire de la defunte, Pierre Vallere, n'avait pu se dessaisir des papiers de celle-ci avant d'avoir regie tous les problemes afferents a la succession. Les amis parisiens de Mme de Graffigny, qui avaient acces a ces documents et qui se mefiaient en outre de la paresse

LETTRE488 de Devaux, avaient done decide de charger Duclos d'ecrire cette vie en collaboration avec Dromgold (v. lettre 163, note 19), LaTouche (v. lettre 366, note 5), Mile Ouinault (v. lettre , ' , , „ Vk 39, note 3)N eteventuellement Devaux , . „ r i c c o i rros// lui-meme (B.N., ms.fr. 15581, ff os 66,-, 68-69, to /n 01 01 et 83-85). 01 oc\ iVallere 7ii ' 67, 81-82 , i-r/o - r - j i ne reussira qu en 1768 a hquider la , ,, , „ rr succession de Mme de Grarneny et av ,. ., , , ° ' distnbuer ses legs (v. M.C., XCII, 713, c • • i-7/o\ 5 janvier 1768). 5. Une Vie de Mme de Grarngny

Juillet 1762 avait etc publiee pour la premiere f ois en 1760, dans une nouvelle edition de ses Lettres d'une Peruvienne (Duchesne, 2 vol.). REMARQUES

La mere de Mme Helvetius mourra rpeu . . . , N . . apres presente lettre, v . la date de la . ^_ , ' ce dont , rendra compte la Gazette de rrance du . ^ . , 24 mai 1762: Dame Elisabeth Char. . „ . . rv _. . , r n lotte de Saureau L[...]J mourut ici L[a Pans! . „ . . ,J A , le meme iour 18 mai 17621 aeee de . i » soixante-deux ans.

488. Hel tius a Ivan Ivanovitch Chouvalov Votre Excellence me permettra de luy dire combien je suis sensible aux bontes dont elle m'a donne tant de marques. Elle voudra bien que je la remercie encor de 1'audience favorable qu'elle a accorde a Mr Vailly1 qui a eu 1'honneur de luy remettre une lettre de ma part2. J'ay etc fort malade depuis que j'ay eu 1'honneur d'ecrire a Votre Excellence. Lorsque je commencois a me mieux porter, j'ay appris la mort de 1'imperatrice3, et j'ay bien juge qu'au moment qu'un czar4 montoit sur le trone, un grand seigneur comme vous avoit bien d'autres choses a faire qu'a ecouter les reveries des philosophes. J'ay done pense qu'avant d'ecrire a Votre Excellence, je devois attendre que le terns des fetes, des devoirs et des respects publiques, celuy des craintes et des esperances particulieres fut passe. Dans ces terns de mouvements vifs ou 1'on est agite par des interests puissants, il faut que la philosophic se taise. Ce n'est point lorsqu'Apollon monte sur son char pour dispenser la lumiere au monde, c'est lorsqu'il est berger, ou qu'il descend sur le Parnasse, que les philosophes et les scavants peuvent luy rendre homage. L'eloignement des lieux, la retraitte de la campagne oil j'habite, et ou 1'on est toujours si mai informe de ce qui se passe dans les cours, ne me permet point encor de scavoir si je prends bien mon terns. Mais je compte sur les bontes de Votre Excellence : elle sait dans quelle ignorance je dois etre de ce qui se passe a Petersbourg. Je ne parle point non plus a Votre Excellence des pleurs que luy ont arrache la perte d'une princesse que toute 1'Europe regrette, et dont toutes les nations avouent le merite. Quelle preuve plus sure en donner que la confiance qu'elle avoit en vos lumieres et Pestime qu'elle avoit pour votre caractere. Si c'est aux vertus et aux talents des 43

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favoris a faire 1'eloge des souverains, si c'est le plus vray de tous les elo il est celuy de la czarinne. Le nouvel empereur 5 aime, dit-on, les arts et les sciences. Puis-je vous demander sans indiscretion si c'est toujours sur vous qu'il se repose du soin de les faire fleurir? Son amide pour le roy de Prusse fait esperer aux gens de lettres qu'ils trouveront en luy un protecteur. La faveur d'un si grand souverain peut leur rendre toute la consideration dont la bigotterie voudroit les priver. Le souhait sans doute le plus avantageux que je puisse faire pour les progres de 1'esprit humain et pour le bonheur de la Russie, c'est que vous y conserviez toujours le meme credit. Les Russes scauront par vous qu'un peuple, lorsqu'il n'est plu[s] barbare et sauvage, comme 1'etoient les Celtes et les Tartares nos ancestres, ne doit pas se contenter de la seule gloire des armes, que sa superiorite meme a cet egard ne seroit que passagere, s'il ne s'efforcoit de s'illustrer en tous les genres, parceque tout est lie dans un gouvernement, et que le meme germe d'emulation qui y produit de grands homines dans les lettres ne le laisse jamais manquer d'habiles generaux et de grands politiques. J'ay Phonneur d'etre, avec le plus profond respect, De Votre Excellence, Le tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius A Vore, ce 9 juillet 1762 MANUSCRITS

NOTES EXPLICATIVES

*A. The Library of Congress, Washington, fonds John Boyd Thacher; 4 p.; orig. autogr. Nous sommes redevables a M. Jean-Claude David de nous avoir signale 1'existence de ce manuscrit. B. Bibliotheque Saltykov-Chtchedrine, Leningrad, ms. fr. Q. IV. 207, p. 14-16; 3 p.; copie.

1. II s'agit probablement du peintre Jean Louis de Velly (ou Veilly), qui avait occupe en 1759 et 1760 le poste de professeur interimaire de peinture a 1'Academic des Beaux-Arts de SaintPetersbourg. Auteur d'une serie de douze dessins conserves a 1'Ermitage et relatifs aux ceremonies du couronnement de Catherine II a Moscou (1763), il a en outre decore quelques plafonds du palais de Tsarskoi'e Selo. Mais il est surtout connu comme portraitiste des principaux personnages des cours d'Elisabeth Ire et de Catherine II. Son portrait de Chouvalov, qui etait son protecteur, se trouve a PAcademie des Beaux-Arts,

IMPRIMES

I. Keim, p. 592; extrait tire du catalogue Charavay. II. Literatournoe Nasledstvo, XXIX-XXX (1937), p. 272 (en russe). III. Siline, p. 134-135 (en russe).

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2. 3. 4.

5.

et dans une autre peinture, conservee au chateau de Gatchina, pres de Leningrad, il s'est represente dans son atelier en train de peindre ce ministre. En 1775, il manquera d'etre deporte en Siberie pour avoir ose presenter un placet a Pimperatrice durant une seance de pose. A partir de 1779 il sera professeur titulaire a Pacademie de Saint-Petersbourg. Voir le catalogue de Pexposition au Grand Palais, La France et la Russie au siecle des Lumieres, 1986, et p. 16 ci-dessus. Lettre non parvenue jusqu'a nous. Elisabeth Petrovna (v. lettre 477, note 3) est morte le 5 Janvier 1762. Helvetius n'etait pas encore au courant du detronement de Pierre III et de Pavenement de sa femme, Catherine II, qui a eu lieu le 10 juillet 1762. Chouvalov n'allait annoncer cette nouvelle a Voltaire que par une lettre du 20 juillet: "La Russie vient de secouer le joug qui Popprimoit sous le regne de Pierre Hlme. Ce prince est depose, et Pimperatrice Catherine montee sur le trone pour le bonheur et le contentement unanime de toute la nation." (Best. D. 10596.) Pierre III (1728-1762), fils du due de Holstein-Gottorp et petit-fils de Pierre le Grand par sa mere, Anna Petrovna. Bien qu'aucun programme systematique de reformes ne puisse etre mis a son actif, il signa, au cours de ses quelques mois de regne, de nombreux edits remarquables par leur esprit humanitaire et leur liberalisme (par exemple, ceux relatifs aux arrestations arbitraires et a la torture, a la condition des serfs et a la liberte de religion), et il laissa dans les classes modestes le souvenir d'un souverain bien dispose a leur egard. Par contre, les deficiences intellectuelles et le

Juillet 1762 temperament irrationnel de Pierre III Pamenerent a commettre des erreurs graves. Il irrita Peglise orthodoxe et ses fideles par son mepris affiche de la religion etablie et de ses pratiques, et s'attira Phostilite de la noblesse et de nombreux dignitaires, en particulier en retirant au Senat la plupart de ses pouvoirs legislatifs. En outre, son admiration quasi-obsessionnelle de PAllemagne, de Frederic II et du despotisme eclaire le conduisirent a imposer a Parmee russe des uniformes et un entrainement a la prussienne, a dissoudre la garde imperiale et a la remplacer aupres de lui par celle du Holstein, et a s'entourer de conseillers militaires etrangers. Des son avenement, il rappela ses troupes de Silesie, adressa au roi de Prusse une declaration de paix, fit du baron de Goltz, envoye extraordinaire de Frederic II (v. lettre 636, note 1), Pun de ses proches confidents, et par le traite de paix russo-prussien du 5 mai 1762, il restitua a la Prusse tous les territoires occupes par les armees russes (Silesie, Pomeranie et Prusse orientale). Enfin, il signa avec Frederic II, le 19 juin, un second traite disposant qu'il lui fournirait son appui militaire contre PAutriche, et contenant une clause de neutralite de la Russie au cas ou la Prusse serait en conflit avec PAngleterre ou la France. Le rapprochement russo-prussien, affirme des Janvier 1762, allait contraindre la France et PAutriche a signer respectivement les traites de paix de Paris, du 10 fevrier 1763 (avec PAngleterre et le Portugal), et d'Hubertsburg, du 15 fevrier 1763 (avec la Prusse et la Saxe).

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LETTRE 489

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REMARQUES d'Helvetius, ecrit a Adelaide Meliand : A cette epoque, Helvetius etait sans "Flint va passer trois mois chez doute occupe a apprendre 1'anglais en M. Helvetius." (A. M. P. de Luppe, Une vue de la visite qu'il projetait de faire en Jeune Fille an XVIIIe siecle, 1925, p. 18; Angleterre. C'est en effet pendant ce lettre citee dans sa version originale itameme mois de juillet 1762 que Gene- lienne; traduction.) James Mather Flint vieve Randon de Malboissiere (1746- etait professeur d'anglais et avait public 1766), future fiancee de Jean Louis en 1740 un ouvrage intitule PrononciaDutartre (1746-1765), fils du notaire tion de la, langue angloise.

489. Francois Bouret d'Erigny1 a Helvetius Le 26 aoust 1762 Vous pouves etre star, Monsieur et ancien confrere, que vos fonds seront dans la plus grande surete entre mes mains. M. Pelletier2, votre amy et mon confrere, qui connait et ma conduitte et ma fagon de penser, vous a luymeme assure que vous pouvies avoir toute confiance dans les arangemens que je vous proposois. Je vous auray une vraye obligation du service que vous me rendres aujourdhuy, et je vous assure que si d'icy a 1'epoque du l er 8bre de Pannee prochaine que je vous demande pour le l er payement des 75 000k, il me rentre quelque argent, je vous le remettray sur-le-champ. Je vous prie done, comme on me demande que cette conversion soit faitte pour le l er 8bre prochain, de vouloir bien m'envoyer votre consentement, pour que je puisse faire la conversion de ce re[ce]pisse de 150 mil livres en un de pareille somme sur Prevost3, lequel recepisse je vous remettray surle-champ. Je vous renouvelle avec grand plaisir les assurances du sincere attachement avec lequel j'ay 1'honneur d'etre, Monseiur et ancien confrere, votre tres humble et tres obeissant serviteur, d'Erigny [destinataire : ] M. Helvetius [adresse : ] Monsieur / Monsieur Helvetius, au / chateau de Vore / pres Regmalard / a Vore MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

:;

Lorsqu'il avait remplace Helvetius dans sa charge de fermier general (v. lettre 164), Bouret d'Erigny lui avait emprunte 350 000 livres, pour payer notamment une partie des fonds qu'il devait acquit-

"A. Archives departementales de la Gironde, Bordeaux, 10 J 114; 1 p.; orig. autogr.

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Septembre 1762

LETTRE 490 ter d'avance, et qui se montaient a 650 000 livres. Cette lettre temoigne des difficultes que d'Erigny continuait a rencontrer pour rembourser Helvetius, alors que sevissait une crise financiere aigue. Dans deux autres lettres des 26 septembre et 17 decembre 1759, egalement conservees a Bordeaux (v. vol. 4, Annexes, lettres 446 bis et 450 bis, appartenant a la periode couverte dans le vol. 2), d'Erigny avait expose a Helvetius les circonstances qui retardaient le reglement de sa dette. Helvetius accedera a la presente demande en permettant a son debiteur d'acquitter cette dette en deux traites de 75 000 livres, payables le l er octobre 1763 et le l er octobre 1764 (v. M.C., LVI, 97, 105, 105 bis et 117). 1. Francois Bouret d'Erigny (17131775), 1'un des sept enfants d'Etienne Nicolas Bouret (1668-1748) et frere du "grand Bouret", Etienne Michel (v. lettre 155), avait ete abbe, puis capitaine d'infanterie, avant de faire carriere dans les finances. En aout 1750, en presence du roi et de ses ministres, il avait epouse Madeleine Poisson de Malvoisin, cousine germaine de Mme de Pompadour. En 1755, alors qu'il etait fermier general dans le Dauphme, il avait trame, avec

le colonel de dragons Alexis Magallon de La Morliere et avec Jacques de 1'Hospital, adjoint du gouverneur militaire du Dauphine, Penlevement du fameux bandit Mandrin, dont les fermiers generaux etaient la bete noire. Mandrin, alors heberge au chateau de Rochefort-en-Novalise, en Savoie, done dans 1'un des Etats du roi de Sardaigne Charles-Emmanuel III, avait ete capture le 11 mai 1755 lors d'une violente operation militaire, qui avait engendre de graves complications diplomatiques entre la Sardaigne et la France, et il avait ete execute le 26 du meme mois. Bouret d'Erigny conservera jusqu'a sa mort la charge de fermier general qu'Helvetius lui avait cedee. 2. Voir lettre 145, note 3. 3. Jean-Jacques Prevost, mort en 1785, adjudicataire des fermes generates de 1762 a 1768, devait succeder a Pierre Henriet le l er octobre 1762. On etait done en pleine periode de renouvellement des baux des fermiers generaux, et d'Erigny devait obtenir d'Helvetius une prorogation de sa creance pour pouvoir payer sa part de fonds d'avance au nouvel adjudicataire.

490. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 26 septembre 1762]1 Je t'envoie, ma chere femme, une lettre du cure de St-Mars2 que Mr Cardon3 a voulu que j'ouvris, pour voir s'il ne demandoit des choses sur les quelles luy Cardon pourroit vous eclairer. C'est avec bien du plaisir que j'ay recu ta lettre et celle de notre amy Valeret, qui m'apprend et toutes les precautions que tu as prise pour qu'il ne t'arriva point d'accident et ton arrivee a Lumigny. Je desire bien que tu puisse avoir tout fini pour le onze et venir enfin te reposer a Paris ou je te

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LETTRE 490

Septembre 1762

rejoindray le vingt. 11 y a deux choses pour les quelles les termes me manquent, et que je ne puis exprimer qu'imparfaitement: c'est ma tendresse pour Netzanire4 et le plaisir que j'ay d'en etre aime, et de voir que, fait uniquement Tun pour 1'autre, le monde apres notre annee de solitude, t'etonne sans t'amuzer. Je te jure bien que je ne desirerois maintenant que de passer ma vie entiere avec toy dans une solitude. Voila mon palais de bonheur, et mon temple d'Orosmaze5. Ce n'est pas que je ne fut fort aize d'y avoir notre amy Valleret, m is ses affaires et la necessite le retienne a Paris. Dites-luy bien, ma chere femme, combien je 1'aime, combien je suis louche des attentions qu'il a pour toy et des peines qu'il se donne pour nous. Si je ne luy ecris point, c'est que tout ce que je pourrois luy dire luy sera plus agreable de ta bouche. Tout s'embellit quand il est prononce par ce qu'on aime. Au reste, ce n'est que de 1'amitie que je luy permet d'avoir pour vous; je n'entends pas raillerie sur le reste, il le scait bien. Qu'il n'aille pas prier le Dutartre6. La fermiere du moulin7 menace de nous quitter et je luy ai mis le marche a la main. Il y a un homme qui a sept ou huit cent livres de fond et qui prendroit notre moulin aux memes conditions; je crois que cela luy fera mettre de 1'eau dans son vin. Mr Cardon n'a plus que deux ou trois fiefs a finir. Je le presse le plus que je puis. II me promet que cela sera fini avant que je parte et je luy ai fait ecrire deux lettres ce soir pour donner rendezvous a ceux avec qui il a a discuter des affaires a ce sujet. Adieu, ma chere amye. Menage-toy bien. Je t'embrasse de tout mon cceur. MANUSCRIT :;

'A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; 1'enveloppe a certainement porte le timbre de la poste REMALARD, car 1'impression en est restee visible sur le papier de la lettre. NOTES EXPLICATIVES

1. Premiere d'une serie de six lettres adressees de Vore par Helvetius a sa femme, d'abord pendant un sejour de celle-ci a Lumigny (lettres 490, 491, 493 et 494), puis lors d'un voyage qu'elle a entrepris pour se rendre successivement a Versailles, via Marly (495), et a Paris (496). Cette serie comprend meme sept lettres, si Ton y compte la lettre 492, qui porte sur une preoccupation exprimee dans

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la precedente et dans les quatre suivantes. De nombreux themes leur sont communs : la menace d'une meuniere de resilier son bail (490 et 495); les mentions du personnage de Netzanire (490, 495 et 496); le voyage de Mme Helvetius a Versailles dans le but d'y etre re§ue par Choiseul, et peut-etre par la reine (491, 494 et 495); le soin que 1'on prend de la voliere de Mme Helvetius (491 et 496); les papiers de la main d'Helvetius contenant "des idees peutestre vives" (491 et 493); la presence de Vallere aupres de Mme Helvetius (491, 494 et 496); les visites du maitre d'ecole de Remalard a Helvetius (491

LETTRE 490 et 493); la reaffectation de la chambre jadis occupee par Guerin (493 et 494); enfin, sujet de souci particulier pour Helvetius, le demenagement de son cabinet de travail (491, 492, 493 et 496). Par ailleurs, le filigrane de quatre de ces lettres est le meme (490, 492, 493 et 496). Ces sept lettres datent de 1'automne 1762, ce qu'indiquent d'abord la reference a la tsarine Catherine II, qui avait accede au trone en juillet 1762 (lettre 494, note 2); ensuite la mention de P"annee de solitude" que les epoux, restes a Vore depuis 1'automne 1761, venaient de passer ensemble (lettre 484 et second paragraphe de la presente lettre); et enfin, les mots "ce que tu ne fais pas cet automne" (lettre 496). Plus precisement, les quatre premieres lettres sont a dater de la fin de septembre, et les trois autres, du debut d'octobre 1762, ce qui resulte de renseignements relatifs au sejour que les epoux ont effectue ensemble a Paris peu apres 1'envoi de la septieme lettre. Ce sejour est annonce a Devaux le 17 octobre par Mme Belot, d'apres qui Helvetius et sa femme sont attendus a Paris "ces jours-ci" (B.N., ms. fr., n. a. 15582, f° 4). D'autre part, Helvetius signera un acte chez son notaire parisien le jeudi 21 octobre (M.C., LVI, 105 bis). Or, 1'auteur de L'Esprit, qui avait d'abord compte rejoindre sa femme a Paris "le vingt" (v. presente lettre, par. 2), a avance son depart de Vore, puisqu'il lui annonce son arrivee a Paris pour un samedi (v. lettre 496), lequel n'a pu etre que celui du 16 octobre, compte tenu de ce qui precede. Et comme Helvetius, dans cette meme lettre 496, dit escompter qu'elle ne

Septembre 1762 iendra a sa femme que "mardy au soir", soit le 12 octobre, elle a presque certamement etc expediee Ie9. L'avant-derniere lettre (495) est a dater approximativement du dimanche 3 octobre. En effet, la cour a quitte Versailles le lundi 4 octobre, et c'est au plus tard la veille qu'a eu lieu 1'entrevue de Mme Helvetius avec Choiseul. Cette lettre, ou Helvetius dit esperer des nouvelles a ce sujet pour le jeudi suivant (7 octobre), n'a pu etre expediee que quelques jours auparavant. La presente lettre est surement la premiere de la serie, car Helvetius ne s'y montre pas encore informe du projet de sa femme de demenager son cabinet de travail. La lettre 491, dont il ressort qu'il vient a peine d'en etre avise, et ou il s'exprime longuement a ce sujet, ainsi que la lettre 492 (v. cette lettre, note 2), lui font certainement suite. La lettre 493 contient des reflexions complementaires a la lettre 491 sur ce demenagement; Helvetius y donne des precisions sur 1'endroit ou se trouvent les papiers compromettants mentionnes dans la lettre 491; et il y indique avoir revu le maitre d'ecole dont il avait relate la premiere visite dans sa lettre precedente. Dans la lettre 494 enfin, Helvetius se refere explicitement a la lettre 493, en revenant sur la reaffectation de la chambre qu'occupait Guerin; en outre, Mme Helvetius est toujours a Lumigny a la date de son envoi, alors qu'elle est deja en route pour Versailles a la date de la lettre 495. Les cinq premieres lettres ont done etc envoyees juste avant les lettres 495 et 496, mais ne peuvent etre datees avec la meme precision. Tout

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LETTRE 490 au plus peut-on leur affecter les dates approximatives suivantes : 28 septembre, pour la lettre 492 envoyee a Saint-Marc; 26, 28 et 30 septembre, et 2 octobre, pour celles adressees par Helvetius a sa femme, etant donne qu'il avait coutume de lui ecrire trois fois par semaine, et qu'il fallait trois jours pour qu'une lettre parvienne de Vore a Lumigny. II est enfin a signaler que le 16 septembre 1762, Diderot ecrit a Sophie Volland que d'Holbach "est alle a Vorrey voir Helvetius, a ce qu'il dit" (B.N., ms. fr., n. a. 13728, f° 229 verso; Roth, lettre 284). Dix jours plus tard, Diderot dit attendre le retour du baron pour un diner prevu pour le 29 septembre (ibid., f° 236 verso; Roth, lettre 288), mais ce voyage n'a pas du avoir lieu : le 3 octobre, il annonce en effet a Sophie Volland : "Le baron, enchante, lit ses oeuvres a Vorrey." (B.N., ms. fr., n. a. 13729, f° 1 verso; Roth, lettre 329.) Diderot mentionne enfin ce sejour dans une lettre du 7 octobre ou il donne a penser que d'Holbach avait deja quitte Vore a cette date : "Le baron a fait une belle tournee. Il a etc a Vorrey voir M. Helvetius; de la a Caen." (Ibid., f° 3 recto; Roth, lettre 294.) Il est curieux qu'Helvetius ne mentionne d'Holbach dans aucune des six lettres adressees a sa femme, car il lui transmettait en general les respects de ses hotes. Peut-etre Mme Helvetius estimait-elle sans interet la presence ou

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Septembre 1762 les conversations philosophiques du baron, et comme ce dernier etait arrive a Vore alors qu'elle s'y trouvait encore, Helvetius a pu juger sans objet ou inopportun de 1'entretenir de ce visiteur. 2. Saint-Mard-de-Reno est un village situe a 7 km a I'est de Mortagne. Louis Rousselin, qui en etait le cure depuis 1752, mourra en 1775 a 1'age d'environ 63 ans. 3. Voir lettre 256, note 1. 4. Dans le sixieme chant du Bonheur, Elidor et Netzanire sont "un couple d'epoux amants [...] enchaines a la fois par 1'hymen et 1'amour" (p. 83). 5. Dans Le Bonheur (p. 86), Oromaze est le dieu de la lumiere : "C'est un Dieu de bonte que Netzanire adore; / Les plaisirs sont ses dons, & qui jouit 1'honore. / Au temple de 1'amour il plaga ses autels : / Oromaze est heureux du bonheur des mortels." 6. Le notaire d'Helvetius se nommait Dutartre (v. lettre 171, note 4), mais etant donne le style irreverencieux employe par 1'auteur, il s'agit probablement ici d'un domestique. Un Jean Francois Dutartre, age de 55 ans, etait en 1792 au service de Mme Helvetius (v. A.N., Z3 19), et en 1806, a celui de Cabanis (v. M.C., XLIV, 752, 10 septembre 1806). 7. Il s'agit, soit d'Anne Broust, femme de Lubin Thierry, meunier a fouler les draps a Remalard, soit de la femme de Jacques Deslouis, meunier du moulin a ble de Remalard.

LETTRE 491

Septembre 1762

491. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 28 septembre 1762]1 II est vray, ma chere femme, que la conduite du ministre2 dont vous me parlez me paroit aussy incomprehensible qu'a vous. Cependant ce qu'il a dit a un certain air de verite qui me porteroit d'autant plus volontiers a tout oublier que j'ay naturellement du gout et de 1'amitie pour luy. Je 1'ay toujours cru franc, et vous scavez combien la franchize a d'emprise sur mon ame. Je suis fort aize d'en etre avec luy au point que vous me marques. D'ailleurs il ne faut plus luy reparler de cette place que nous desirions il y a un an, moins par un motif d'ambition, que par vengeance, et pour humilier nos ennemis. Alors cela auroit eu 1'air d'une justice, et d'une protection marquee du gouvernement; maintenant cela auroit 1'air d'une grace, et je n'en veux point a ce titre. Mes ennemis m'ont fait tout le mal qu'ils ont pu, et cela ne changeroit rien a ma situation. Le mal qu'on m'a fait me met en droit de prendre quel party je voudray, et je ne veux pas qu'aucun bienfait me prive de cette liberte3. Je suis encore bien etonne du voiage de ma mere a Versailles, apres qu'elle a etc un an sans y aller, et qu'elle avoit 1'air d'avoir pris une resolution si ferme de n'y plus retourner. Par les memes raisons que je vous ai dit cydessus je ne veux point de grace de cet endroit-la. Je veux bien qu'on prouve les injustices qu'on m'a fait, mais voila tout. C'est ce qu'il faut bien recommander a [ma] mere. Quant a toy, je n'aye rien a te conseiller pour ce qui regarde la noble hauteur de 1'ame; tu trouveras tout dans ton propre fond. Je veux bien que les puissants ne soient plus actionnes centre moy, puisque je suis foible, mais je suis maintenant comme malheureux un peu sous la protection du public et je cesserois d'y etre, si Ton me redonnoit ma plage. Quant vous verrez votre due4, dites-luy combien je suis sensible a ses bontes, combien je luy suis attache, et quel plaisir j'auray a luy faire ma cour5. Je pense comme vous sur 1'acquisition des bois qu'on nous propose, a moins qu'on ne voulu accepter des billets des fermes en paiement, ce qu'on ne voudra vraissemblablement point. Jusqu'a ce que nous soions surs de ne pas executer le projet que nous nous sommes proposes3, nous n'avons point d'acquisition importante a faire. Vos oiseaux se portent bien. Richard6 en a grand soin, et j'ay fait envirronner la voliere de bois piques dans la terre comme ces piquets qui etoient a 1'entour des volieres des faisants. Mademoiselle d'Heron7 m'a envoiee deux quittances a signer que je lui 51

lettre 491

Septembre 1762

renvoie avec ma signature, et que j'adresse a Mlle Lagrange8 pour les luy remettre, parceque vous etes maintenant a Lumigny ou je vous adresse ma lettre. Embrassez mes enfants et faites mille compliments a mon amy Valeret. Le maitre d'ecole9 vient d'arriver et m'a dit qu'on avoit dessein de changer mon cabinet. Je ne crois pas, ma chere amie, que vous le fassiez sans m'en donner avis. 1° II seroit fou de faire de la depense a present que nos reserves sont si considerablement diminues. 2° Vous scavez que j'ay beaucoup d'argent dans mon coffre-fort, qu'il seroit tres imprudent de laisser travailler des ouvriers dans cet endroit. Tout cet argent s'est mis peu a peu dans ce coffre tandis que nous n'y etions pas, et je serois tres fache qu'on le scut. On coureroit risque par une telle imprudence de se faire egorger. 3° II faut necessairement que j'habite ou est mon coffre-fort. Ors ce coffre, aussy charge qu'il Test, ne pourroit estre place au premier etage sans enfoncer le plancher. Au rest-de-chausse, ou il est actuellement, il est appuie sur une voute. Partout aileurs on ne peut le placer sans courir le risque que je vous dis. Enfin il faudroit, pour pouvoir le porter dans le sallon que vous me destines, en tirer tout 1'argent, et instruire tout le monde de ce que j'ay. Vous sentez toute 1'importance de cette conduite a tous egards. Que vous fassiez monter un lit dans le grand sallon, au cas que je fus malade, a la bonne heure, mais point de derangement d'ailleurs. Premierement, je n'aurois point de garderobbe dans ce nouveau cabinet, ce qui est fort incommode. Je pourrois, dites-vous, aller dans la votre, mais pour cela, quand je me leve a sept heures, il faudroit done que la porte de cette garderobbe, qui ferme votre appartement, fut toujours ouverte. D'ailleurs, je ne puis souffrir que de petits auteurs, ou qui que ce soit qui peut venir le matin chez moy, passe en revue dans votre antichambre, ou il peut y avoir bien du monde. Je n'aime pas non plus que les laquais curieux puissent entendre tout ce que je puis dire a quelqu'un dans mon cabinet. Je n'ay point cette incommodite-la en bas, je n'ay qu'a renvoier La Jeunesse10, si j'ay a parler a quelqu'un, fermer mes deux portes et je suis en tranquillites. Je veux comme Saurin pouvoir faire le chien, le chat, chez moy, s'il m'en prend fantaizie, sans qu'on le sache. En tout, cela me rendroit ma maison desagreable, et j'imagine qu'il ne faut pas se refuser son bonheur quand ce bonheur ne nuit point aux autres. Tu scais bien que je ne te demanderay jamais aucun compte, s'il te prend fantaizie de changer d'appartement, soit a Vore ou umigny. Je juge que, puisque tu le fais, que cela t'est agreable, et je serois au desespoir de m'opposer a ce qui peut te rendre heureuse. Cependant, si tu crois que mon appartement est necessaire a mes enfants, il n'y a rien que je ne fasse pour eux, il faut le leur donner, Moy, 52

LETTRE 491

Septembre 1762

je m'accomoderay bien de leur chambre, car pour le sallon il me deplairoit a mourir. Cela me donneroit de 1'humeur, parceque les causes qui font qu'il me deplairoit se retrouveroient souvent. L'humeur reiteree peut faire du refroidissement, et le plaisir que nous trouvons a nous aimer est une plante trop agreable pour n'avoir pas le plus grand soin d'eloigner tout ce qui pourroit la gater. Je serois fort fache qu'on cut touche a mes livres, parceque j'ay trouve derriere certaines tablettes des papiers ecrits de ma main que je serois desespere que personne vit. Vous sentez que, dans le cabinet d'un homme d'etude, il ne faut toucher a rien qu'il n'y soit luy-meme, ou qu'il ait dit* ce qu'on peut y faire; cela peut etre cause du malheur de sa vie. Vous me direz peutestre que j'avois paru consentir Phiver passe a cet arrangement. Il est vray que, comme vous paroissiez le desirer avec vivacite, et que vous ne conserviez pas en m'en parlant cette indifference si necessaire pour qu'on nous reponde toujours juste, je n'ai pas voulu contrarier votre desir. Il est de 1'humanite et encor bien plus de la tendresse de ne point contrarier dans le premier moment une femme qu'on adore et qu'on a raison d'adorer. J'ay cru que 1'hesitation avec lequel je vous repondois, le peu d'empressement que je vous marquois pour cet arrangement, vous feroit deviner qu'il ne m'etoit point agreable, d'autant qu'il faut qu'une chose me soit bien antipatique pour que je ne la fasse point lorsque tu la desire. J'ay peur de te faire de la peine. Tu croiras peutestre que c'est caprice, mais au bout du compte ce caprice ne fait tort a personne; je scais mieux ce qui me plait qu'un autre. Il faut dans le genre d'appartement peu de chose pour mon bonheur, mais il ne faut pas me 1'oter. J'espere qu'on n'aura pas non plus debale les livres que j'ay envoie de Vore a Paris. Il n'y a que moy qui puisse le faire, parceque je veux remettre ces livres-la dans une place particuliere pour ne pas les confondre avec d'autres; ils sont marques a cet effet. Adieu, ma chere amie, je t'embrasse de toute mon ame. Ne soit pas fache centre moy. Lis ma lettre a notre amy commun Valeret et demande-luy si j'ay tort. MANUSCRIT *A. Vore; 8 p.; orig. autogr. TEXTE * Le A : dit (a x nquoy on peut toucher) . NOTES EXPLICATIVES 1. Voir lettre 490, note 1. 2. Non identifie. II a pu s'agir de Choiseul, que Mme Helvetius n'avait pas

encore vu, mais dont on lui avait sans doute rapporte certains propos relatifs a son mari, et peut-etre a la visite que la mere d'Helvetius venait e rendre a ce mimstre (v. note 5 cidessous). 3. Helvetius songe toujours a quitter la France (v. lettre 335, note 4). 4. Choiseul.

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Septembre 1762

LETTRE 491 5. Les deux premiers paragraphes de cette lettre attestent 1) qu'Helvetius avait effectue des demarches en 1761 pour essayer de se faire restituer sa charge de maitre d'hotel, revoquee par la reine en 1759; 2) qu'a cette meme epoque, sa mere s'etait rendue a Versailles pour intervenir dans ce meme but. Ces indications eclairent certaines allusions contenues dans des lettres adressees 1'annee precedente par Helvetius a son epouse : en aout 1761, il lui avait demande d'assurer le due de Choiseul de son respect et de lui dire "un petit mot" a son sujet (v. lettre 478, note 3); et en octobre 1761, il s'etait rendu a Versailles, sans mentionner moindrement le but de ce deplacement dans aucune de ses lettres connues (v. lettre 480, note 5). En ce qui concerne le voyage de Mme Helvetius mere a Versailles, envisage dans cette lettre et dans deux autres de la meme serie, il n'est nullement etabli que son objectif ait etc celui indique ci-dessus. Sans doute peut-on croire qu'en se rendant une seconde fois a Versailles, la mere d'Helvetius avait 1'intention d'intervenir a nouveau en sa faveur aupres de la reine, mais elle avait du agir de son propre mouvement. Helvetius semble en effet en avoir tout ignore, et il ne lui a certainement confie aucune mission relative a son ancienne charge, puisque, bien au contraire, il demande fermement qu'on lui recommande de ne sollicker pour lui aucune grace.

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6.

7.

8. 9. 10.

Il n'apparait pas non plus qu'Helvetius ait charge sa femme d'intervenir en vue de lui faire restituer sa charge, ni qu'elle ait pu s'assigner d'elle-meme un tel but, alors qu'il 1'invite a dissuader Mme Helvetius mere de le poursuivre. En desirant etre regue par son parent, le due de Choiseul, elle a pu vouloir 1'informer que son mari n'avait eu aucune part a la demarche de sa mere et qu'il desapprouvait sa visite, ou bien s'assurer que le due ne s'opposerait pas a ce qu'Helvetius quitte la France s'il le desirait, ceci peut-etre en prevision des voyages qu'il allait effectuer en Angleterre en 1764 et en Prusse en 1765. Marin Richard, gargon du chateau de Vore, a qui les filles d'Helvetius continueront en 1772 la rente viagere de 60 livres que lui avait constituee Helvetius (v. A.M., Y 430, f° 129130). En 1800, il sera toujours au service de Mme Helvetius, qui avait eleve ses deux filles et qui leur leguera "[sa] garde-robe tout entiere" (v. son testament dans les appendices du vol. 4). Marie d'Heron, morte en 1774. En 1767, Helvetius lui constituera une rente viagere de 200 livres "pour recompenser la dlle Deron des soins qu'elle a eu des affaires de feue M me Helvetius sa mere" (M.C., LVI, 196). Voir lettre 196, note 4. Le maitre d'ecole de Remalard se nommait Jacques Chalut. Domestique d'Helvetius.

LETTRE 493

Septembre 1762

492. Helvetius a Etienne Paul Ligot, dit Saint-Marc1 [Vers le 28 septembre 1762]2 St-Mart, vous remettrez dans 1'instant meme cette lettre a ma femme si elle est a Paris. Si elle n'y est pas, vous 1'adresserez a Lumigny, et suppose que 1'on n'ait point tout a fait demeuble mon cabinet, vous ferez suspendre le demenagement jusqu'a ce que vous luy ayez ecrit et ayez recu de nouveaux ordres de sa part. Vous luy manderez, en luy envoiant ma lettre, que c'est moy qui vous ait ordonne de faire suspendre ce demenagement jusqu'a ce que vous ayez recu de nouveaux ordres de sa part. Votre serviteur, Helvetius a

Faites-moy reponse sur-le-champ."

MANUSCRIT :; 'A. Yore; 1 p.; orig. autogr.; 1'enveloppe a certainement porte le timbre de la poste REMALARD, car 1'impression en est restee visible sur le papier de la lettre. TEXTE "Aioute en haut de la page. NOTES EXPLICATIVES 1. Portier d'Helvetius depuis environ 1740. En 1772, les filles d'Helvetius

constitueront une rente viagere de 500 livres a son profit, et apres sa mort, une autre de 200 livres au nom de Barbe Bikel, sa femme depuis 1752 (v. A.N., Y 430, f° 138-139). 2. Cette lettre et la precedente, 1'une et 1 autre sans adresse, ont probable, , , * - , . • -.. j ment etc expediees acSaint-Marc dans la meme enveloppe.

493. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 30 septembre 1762]1 C'est, je crois, ma chere, dans 1'armoire ou sont mes livres anglois ou dans celle d'a cote que j'avois mis, derriere mes livres, des idees peutestre vives qui m'etoient venues dans le terns qu'on me persecutoit. Je serois au desespoir qu'elles fussent ou trouvees ou perdues; ainsy je vous prie, s'il en est terns encor, d'empecher qu'on y touche. Vous seriez bien fache d'etre, pour une simple fantaizie, cause de quelque malheur. On pourroit donner a votre nourrice2 la chambre de Mr Guerin3; ainsy tout peut rester comme il est. D'ailleurs, ma chere amie, je logerois4 dans la chambre des enfans. J'y feray mettre trois ou quatre planche de sapins pour y mettre mes livres usuels; il ne m'y^ faut qu'un fauteuil et une table. 55

LETTRE 494

Octobre 1762

Je ne veux point loger dans le sallon; ce seroit la plus grande peine, et je ne veux point faire de depense dans ce moment pour une chose qui ne me feroit nul plaisir. Les murs tout nuds me suffisent. II est odieux pour moy qu'on demonte mes armoires; si elles sont montees, qu'on les laisse ou elles seront, je ne m'en serviray plus. En voila pour moy pour un mois de chagrin, mais il faut bien le supporter. J'ay revu le maitre d'ecole depuis ma lettre ecritte. J'ay bien peur que tout c le demenagement ne soit fait et de vous donner une nouvelle peine. MANUSCRIT *A. Vore; 1 p. (demi-feuille); orig. autogr. TEXTE " Le A: logenay}ois . Le A: mi . . \,, c Le A : tout (ne soit rrait et) . x NOTES EXPLICATIVES 1. Voir lettre 490, note 1. 2. Cette nourrice n'a guere pu etre celle de Beatrix, baptisee a Saint-Roch le 7 octobre 1760 et morte la meme annee, sauf a speculer que Mme Hel-

vetius a pu la garder aupres d'elle. II s'agit peut-etre de celle que les Helvetius avaient donnee a un enfant ne en 1762, ou destinaient a un enfant a naitre bientot. louterois, nous n avons releve, ni dans les lettres de „ , . -.,- • •„ ,t, 1 annee 1762 ni ameurs, aucune rererence ou allusion, soit a une grossesse, soit a la naissance ou au deces d'un enfant. 3. Guerin, secretaire d'Helvetius, etait mort en septembre 1757 (v. lettre 193, note 4).

494. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 2 octobre 1762]1 Eh bien, ma chere amie, voila bientost le tems ou nous nous rejoindrons. Je reviendray aupres de toy, avec tout le plaisir du pigeon voiageur, sans avoir comme luy Paile cassee2. Menage bien ta sante, je t'en prie; ne te donne pas trop de mal a Lumigny; ne te presse point. Comme tu as notre ami Valeret avec toi, je ne suis point inquiet. Je crains bien que nos bois ne se vendent pas bien. Si, comme on le dit, la czarinne a fait sa paix avec le roy de Prusse, voila de la guerre pour longtems encor. "Il sera alors tres* en etat de faire face a la reine de Hongrie, et si nous persistons a vouloir le depouiller de sa Silesie, il est certain que nous y depenserons beaucoup d'argent, fort incertain que nous y reussisions, et qu'il faudra encor deux ou trois ans de guerre pour y parvenir3. Si tu fais ton voiage a Versailles avant que j'arrive a Paris, et que tu paries a la Reine, songe qu'il faut que les mots dont tu te serviras dans ta 56

LETTRE 494

Octobre 1762

conversation soient d'autant plus respectueux que le fond des idees sera plus ferme. Peutestre demandera-t-elle a me voir a mon retour. ^En tout cas je scais bien aussy ce que j'auray a luy dire.^ Ne soiez point inquiet de ma same; je me porte fort bien. hLa Jeunesse4 m'a on ne peut pas mieux servi depuis votre depart, et avec une attention singuliere et dont je ne le croiois pas capable. Ce que vous luy avez dit en partant a fort bien opere. C'est dans le fond un bon enfant, que je crois meme attache, mais a qui la reflection et 1'attention coute beaucoup. J'ay pense depuis que je ne 1'ay ecrit a I'appartement qu'occupoit Mr Guerin. Je pourray fort bien m'en accomoder, en mettant des rideaux d'etoffes epaisses devant les fenetres pour me garantir du jour, et cela ne derangera point tes projets sur les appartements des entresolles.^ Adieu, ma chere amie. Compte qu'il n'est pas possible de t'aimer plus tendrement que je le fais. Remercie bien notre amy Valleret de toutes les peines qu'il se donne pour nous, et embrasse-le pour moy. Adieu, je te baize les mains. [adresse : ] Par Rosoy-en-Brie / A Madame / Madame Helvetius, a son chateau / de Lumigny, pres Rosoy-en-Brie / A Lumigny MANUSCRIT :;

"A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge a moitie enleve; timbre de la poste : REMALARD. IMPRIME

I. Guillois, p. 486 (extrait). TEXTE " Le I : "II faut alors etre". ^Omis dans lei. NOTES EXPLICATIVES

1. Voir lettre 490, note 1. 2. Helvetius reprend ici certains termes employes par La Fontaine dans sa fable des Deux Pigeons : "La volatile malheureuse, [...] Trainant 1'aile et tirant le pie, [...] Droit au logis s'en retourna." Cette meme fable inspirera Helvetius dans trois autres de ses lettres expedites de Londres (v. lettres 527, 535, et 536). 3. En fait, la paix entre la Prusse et la Russie etait deja conclue depuis plus de cinq mois a 1'epoque de cette lettre, le tsar Pierre III 1'ayant signee le

5 mai, soit deux mois avant 1'accession au trone de Catherine II. Avec le detronement de Pierre III, on s'etait attendu a une rupture de Palliance russo-prussienne, car celle-ci, decidee unilateralement par ce souverain et considered comme deshonorante pour la Russie, avait etc a 1'origine du coup d'Etat de sa femme, qui etait a la tete du parti hostile a Frederic II. De fait, la nouvelle imperatrice commence par exprimer, dans son manifeste d'accession du 9 juillet, des sentiments anti-prussiens, et elle rappelle les 20 000 soldats russes pretes par Pierre III a la Prusse. Mais elle comprend la necessite de maintenir la paix pendant qu'elle entreprendra le relevement de la Russie: loin de reprendre les hostilites centre la Prusse, elle observera le traite conclu par Pierre III. 4. Domestique d'Helvetius depuis au moins 1757 (v. lettre 257, note 5).

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LETTRE 495

Octohre 1762

495. Helvetius a Madame Helvetius [Versle 3 octobre 1762]1 Je te remercie bien, ma chere femme, de m'avoir tire d'inquietude; je craignois (et que ne craint-on pas quand on aime?) qu'il ne te fut arrive quelque accident, ou du moins que la route ne t'eu fatiguee a 1'excez, et que tu fus malade a Marly2. Arrive maintenant ce qu'il voudra, tu te porte bien, je suis heureux. Je recevray vraisembablement jeudy de tes nouvelles; tu auras vu Mr de Choiseuil. Je crains que tu n'aye etc mal recu, et d'etre la cause du degout que tu essuiras. J'en suis bien fache, ma chere amie. Relativement a nos deisseins, nous n'avons pas besoin d'etre bien en cour, et meme je serois maintenant honteux d'y etre bien, mais il ne faut pas non plus y etre mal; il faut que nous ayons nos coudees franches pour voiager. Je ne me fais pas a ton absence; cependant je me trouve bien mieux depuis que j'ay recu ta lettre. Je suis bien aize que tu m'aimes, bien aize de scavoir que je te manque aussy. Ah! Netzanire3, que nous sommes heureux! Je diray comme le roi indien dans la tragedie angloise que je passerois avec toy une eternite bien heureuze dans un pais OH il n'y auroitpoint de pretre4. Les jesuittes auront beau assasinner les rois, on n'ouvrira point les yeux sur leur compte. Us seront toujours les amis du ciel, et moy toujours condamne a 1'enfer. Vraiement oui, ma chere amie, la meuniere est venue pour faire diminuer son bail, mais quoique je n'eusse pas encor recu ta lettre, et que je ne fusse point prevenu, elle n'a rien obtenu5. J'ai eu une scene plus rude avec Garden6, mais je m'en suis tire en luy parlant tres sec et tres ferme; il etoit furieux, et moy tout pret a le devenir. Scavez-vous que Mlle Cordier7 est fiancee? Si elle ne vous 1'a point encor dit, faites toujours semblant de 1'ignorer. Adieu, ma chere amie. Je vais me coucher. Je te baize tes mains et tout ton corps de tout mon coeur. Ait toujours bien soin de ma femme. Mes respects a ma mere. [adresse : ] A Madame / Madame Helvetius la jeune, rue / Ste-Anne, butte St-Roch, vis-a- / vis la rue des Orties, / A Paris. MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

:;

1. Voir lettre 490, note 1. 2. Chez la comtesse de Vasse, ou Mme Helvetius a fait halte pendant son voyage a Versailles.

"A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge representant le profil gauche d'une tete coiffee a la florentine; timbre de la poste : REMALARD.

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LETTRE 496

Octobre 1762

3. Voir lettre 490, note 5. 4. II s'agit probablement d'AurengZehe, tragedie de Dryden (1676), traduite par La Place dans son Theatre anglois (Londres, 1746-1749, 8 vol.). Dans cette piece, Aureng-Zebe, prince indien destine a devenir empereur, declare a Indamora, reine captive : "I dream, in you, our promised paradise : / An age's tumult of continued bliss. [Je trouve en vous ce paradis qu'ils (les jeunes prophetes) nous promettent, & des siecles de felicite.]" (Acte I, scene 8; traduction de La Place.) Si Aureng-Zehe est bien

la source de cette citation d'Helvetius, le passage hostile aux pretres y a ete ajoute par ses soins, un peu a la fagon de Voltaire, qui a introduit des "pretres menteurs" dans sa traduction du monologue d'Hamlet. Quant au soulignage dont il fait 1'objet, il se peut qu'Helvetius ne 1'ait effectue que par inattention. 5. Voir lettre 490, note 7. 6. Voir lettre 256, note 1. 7. Il s'agit sans doute de la fille de Cordier Du Buisson, avocat a Belleme et ancien bailli de Feillet (v. Andlau, p. 82).

496. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 9 octobre 1762]1 De peur de 1'oublier, je te diray, ma chere femme, que tout ce que tu avois ordonne a MenisF de faire pour ta voliere est fait il y a longtems, mais il fait si bon et si chaud que je crois qu'on peut attendre encor quelques jours avant de les placer. Voicy done la derniere lettre que je t'ecriray, ma chere femme. Tu la recevras mardy au soir et je compte arriver samedy. Celle que je pourrois t'ecrire le mecredy ne te parviendroit que le samedy, et tu me recevras au lieu de ma lettre. Non, il n'est pas possible, ma chere amie, que tu aye autant de joye a me revoir que j'en auray t'embrasser. Tu ne scaurois imaginer avec quel plaisir je vois ecouler le terns qui me ramene aupres de ce que j'aime. C'est Elidor3 qui a fait un voiage sur la terre et qui remonte aux cieux, c'est-a-dire aux bras de Netzanire3. Je compte recevoir demain une lettre de toy ou de notre amy Valeret qui m'apprendra que ton rhume est entierement dissipe et que tu n'as plus de fievre. Je suis inquiet et ce rhume mele des ennuis a ma joye. Je crains que tu ne te donne trop de peine : Valeret me mande que tu ne veux pas cesser de travailler a dix heures. Mais songe done que rien ne m'est cher que toy, que mes affaires ne sont rien au prix de ta sante. On ne peut pas m'enlever ma terre; ce que tu ne fais pas cet automne, tu le feras au primptems lorsque nous irons ensemble a Lumigny. Tu es vraisembablement a present a Paris. Songe done, lorsque tu recevras la lettre, que quatre jours apres je t'embrasseray et te tiendray dans mes bras. 59

LETTRE 496

Octobre 1762

Je t'envoie une lettre, je crois de ta nourrige, que j'ai ouvert sans y prendre garde, mais je te jure que je n'en ai lu que trois ligne. Corbay me remettra demain 1'extrait mortuaire de Mr Guerin et j'attendray que je 1'aye pour fermer ma lettre. Vraiement si", ma chere amie, c'etoit toutes les choses que je vous mendois qui me tourmentois pour mon deplacement et surtout mon coffrefort. Si son poids n'enfonce pas le plancher, il n'y a point de mal a le laisser dans le sallon, et je crois meme comme vous qu'il y sera mieux. II est bien vray que je tiens aussy a mon appartement et par habitude et parceque j'y suis beaucoup. Je ne puis pas souffrir, par ex., d'avoir personne dans mon antichambre. Vous scavez que je ne 1'aimerois pas meme icy. Il me semble que cela m'ote ma liberte et cela me met mal a mon aize dans le terns meme qu'on balaye quelquefois le matin mon antichambre. J'auray, dites-vous, 1'escalier de derriere pour faire monter mes petits amis du matin. Oh non, ces gens-la sont trop orgueilleux. Si on les faisoit passer par un petit escalier, ils croiroient qu'on rougit de les voir; cela blesseroit leur vanite. D'ailleurs cela vous seroit incommode a vous-meme : quand Jouval4 ou Vally5 viendront me voir et qu'ils voiront la clef a la porte de votre chambre, ils voudront vous dire un mot. Si je les fais entrer chez vous, cela vous deplaira. Si je les refuse souvent, ils croiront que c'est par rnepris. II faut connoitre comme moy cette rac,e pour sentir b\a. verite de ce que je vous dis. Mon appartement me convient infiniement mieux, et si tu veux me le rendre, cela me rendra heureux. Si tu es fache de m'avoir fait de la peine, compte que j'ay etc aussy bien fache de celle que ma lettre pouvoit te causer et que j'en ait ete quatre jours sans dormir. Mille choses, je te prie, pour moy a Valeret.* 'J'oubliois de te dire qu'il faut mander a Pelletier le garde6 de se rendre a Paris lundy pour reprendre le pauvre Medor qui vous assure bien de son respect en son language de chien.c MANUSCRIT :: "A. Vore; 4 p.; orig. autogr.

TEXTE " Le A: cy7 . A oute en haut de la, { quatneme page, a 1 envers. cAjoute en haut de la troisieme v page, a 1 envers. & NOTES EXPLICATIVES 1. Voir lettre 490, note 1. 2. Pierre Menisl, menuisier a Vore. 3. Personnages du Bonheur (v. lettre 490, note 4).

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4. Secretaire d'Helvetius. 5. Vallere. 6. Nicolas Edme Pelletier, alors age de 34 ans, fils d'un laboureur de FonteL nay-en-Bne, etait garde-chasse a Lumigny. II avait epouse le 26 juillet • T - - j TI A/r T Mane-Jeanne Jouarre, ageede21 ans, niece de Francois Jouarre, jardinier du chateau de Lumigny (v. Archives departementales de Seine-et-Marne, Melun, 6 E 281/2).

LETTRE 497

Novembre 1762

497. Helvetius a Madame Helvetius Ce vendredy au soir [12 ou 19 novembre 1762]1 Ma chere amie, Dutartre 2 est, ma foy, un joly garcon : il n'y a point de M de Stanley3 a Paris, et je suis enrage de t'avoir quitte. Tu juges bien que je seray lundy a Lumigny aupres de toy. J'aurois reparti sur-le-champ, c'esta-dire samedy, lorsque les commissions dont tu avois charge Chevalier4 auroient ete faitte, si j'avois eu ma chaise de poste. Je t'aime de toute mon ame. J'espere te retrouver en bonne same et j'ay la plus grande impatience de me rejoindre a toy. J'ay vu Mde Geoffrin qui m'a montre une lettre de Mr Stanley qui viendra bientost, mais qui n'est pas venu et qui luy paries de moy dans sa lettre. A propos, elle me charge, ainsy que Mde La Ferte5 de te dire mille chose. J'ay ete aujourd'huy chez Mlle de Chenoise6 que je n'ay pas trouve; j'y retourneray demain matin. Je compte voir aussy Pelletier7 a qui j'ay remis la clef de mon petit coffre; je la luy demanderay et verray si mon contract de Lumigny y seroit. Nous avons bu, ma mere et moy, a ta sante et a celle de ton preux chevalier Valeret que nous aimons de tout notre cceur, ma mere et moy, elle comme son galant et moy comme mon amy, et je crois que c'est en cette derniere qualite qu'il vaut le mieux a present. Adieu, ma chere femme, je t'aime de toute mon ame; je te le repete avec transport. Que je sois avec toy au bout de 1'univers et ce bout du monde-la seroit mon paradis, pourvu que tu t'y trouves aussy heureuse que moy. Je verray demain Mde Bellot8; 1'abbe de Morlet9 m'a prie de passer chez elle. Peutestre voudra-t-elle venir avec moy a Lumigny. Comme je ne crois pas qu'elle y reste longtems, j'imagine qu'il faudra bien que nous la recevions. Adieu encor une fois, ma chere amie; je te baise mille fois les mains. Mr Gaty10 et le baron11, avec qui je dineray dimanche, t'assure de leur respects. r

[adresse : ] Par Rosoy-en-Brie / A Madame / Madame Helvetius, en son chateau / de Lumigny, pres Rosoy-en-Brie / A Lumigny MANUSCRIT :;

'A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge representant le profil gauche d'une tete coiffee a la flore

NOTES EXPLICATIVES

1. Selon le debut de cette lettre, Helvetius avait quitte Lumigny pour Paris dans 1'espoir d'y rencontrer Stanley (v. note 3 ci-apres). D'apres une lettre de Horace Walpole a Horace 61

LETTRE 497

2. 3. 4. 5. 6.

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Mann du 28 octobre 1762, Stanley devait quitter incessamment Londres pour rejoindre a Paris le due de Bedford, charge d'affaires de Grande-Bretagne lors des negociations de 1'automne 1762 qui devaient mener au traite de Paris de fevrier 1763. Ce voyage avait peutetre pour but d'informer Bedford des deliberations du cabinet britannique. L'information, d'evidence communiquee a Helvetius, etait fausse : Stanley ne partira pour Paris que le 25 decembre. Voir Walpole's Correspondence, XXII, p. 92-93. La presente lettre, datee d'un vendredi, doit done avoir ete expediee le 12 ou le 19 novembre. Voir lettre 490, note 6. Voir lettre 367, note 3. Valet de chambre d'Helvetius (v. lettre 479, note 4). Fille de Mme Geoffrin (v. lettre 278, note 2). Marie Madeleine Charlotte de Castille-Chenoise, quatrieme fille de Philippe Gaspard de Castille, marquis de Chenoise (mort en 1726), mestre de camp de cavalerie, et lieutenant du roi au gouvernement de Champagne et de Brie, et de Marie Madeleine Franchise Gabrielle d'Estancheau (morte en 1762). Sa soeur, Louise Marguerite, avait epouse un voisin d'Helvetius a Lumigny (v. lettre 264, note 6). Mile de Chenoise allait tenir compagnie a Mme Helvetius pendant les absences de son mari en Angleterre, en 1764, et en Prusse, en 1765. Elle habitera a Paris, rue du Foin, en 1764 (M.C., CXVIII, 564); rue des Francs-Bourgeois, en 1769 (M.C., LII, 472); rue des Trois-Pavillons, en 1775 (M.C., LII, 516); puis a Saint-Germain-en-

Novembre 1762 Laye, en 1791, au couvent des Ursulines (M.C., XIX, 900). 7. Voir lettre 145, note 3. 8. Octavie Guichard, morte en 1805, veuve de Charles Edme Belot, avocat au Parlement. Elle etait 1'auteur de Reflexions d'une provinciate sur le Discours de ].-]. Rousseau touchant I'inegalite des conditions (1756) et ^'Observations sur la noblesse et le tiers etat (1758). Le 10 novembre 1760, Voltaire lui avait ecrit : "Madame B. [...] fait fort bien de voir Mr H., car ce Mr H. a du genie, de 1'esprit et un coeur charmant. D'ailleurs, la terre de Vaure est un plus beau sejour, et plus a portee d'elle, que le trou des Delices." (Best. D. 9391.) Elle frequente beaucoup les Helvetius pendant 1'hiver 1762-1763 (v. ses lettres a Devaux, B.N., ms. fr., n. a. 15582, ff os 7, 9 et 11). En 1765, elle epousera Jean Baptiste Frangois Du Rey de Meinieres, president au Parlement, dont la vaste bibliotheque lui sera utile pour ses traductions de VHistoire d'Angleterre, de Hume, et du Rasselas, de Johnson. 9. L'abbe Andre Morellet (1727-1819), qu'Helvetius mentionne ici pour la premiere fois dans ses lettres, allait jouer un role important dans la vie de 1'auteur et dans celle de son epouse. Apres la publication de sa Preface de la comedie des Philosophes, ou la Vision de Charles Palissot, de 1760, Mme Helvetius avait exprime le desir de le connaitre, et Turgot 1'avait introduit aupres d'elle (Morellet, Memoires, I, p. 140). L'abbe etait tres devoue a la femme d'Helvetius : "A Paris, ecrira-t-il, sa maison devint la mienne; il se passait rarement un jour sans que je la visse;

Janvier 1763

LETTRE 498 routes mes soirees lui etaient consacrees, et souvent le matin nous allions nous promener a cheval au bois de Boulogne. [...] 11 y a eu peu d'exemples d'une liaison aussi etroite, aussi douce et aussi durable que celle qui m'attachait a elle, puisqu'elle s'est soutenue de 1760 a 1791." (Ibid., I, p. 140-141.) Apres 1'installation de Mme Helvetius a Auteuil, il habitera chez elle avec La Roche et Cabanis. 10. Angelo Giuseppe Maria Gatti (1730-1798), professeur de medecine a 1'universite de Pise et grand champion de 1'inoculation contre la petite verole. Sans renoncer a sa chaire, il s'etait etabli en 1760 a Pans, pour devenir medecin consultant de Louis XV et se Her avec plu-

sieurs philosophes du cercle du baron d'Holbach. 11. D'Holbach. REMARQUES

Le 16 decembre, Andrew Stuart (v. lettre 223, note 2), qui cherchait a Paris des renseignements utiles en vue du proces Douglas, ecrira a William Johnstone : "J'ai dine hier chez Helvetius, et ce meme M. Hume est tres souvent revenu dans notre conversation. Il aurait bien raison de venir a Paris, quand ce ne serait que pour y frequenter deux personnes aussi aimables qu'Helvetius et son epouse. Il existe ici une societe tres choisie, dans laquelle je le [Helvetius] rencontre frequemment, et j'ai la chance d'en etre presque devenu membre." (R.S.E., IV, 67; traduction.)

498. Helvetius a Ivan Ivanovitch Chouvalov Votre Excellence, Le protecteur des lettres, le Mecene du Nord, voudra bien me permettre de me rejouir avec luy de" faveurs dont 1'auguste imperatrice Mes Russies^ comble aujourd'huy les scavants. La lettre ecritte a Monsieur d'Alembert par Sa Majeste 1 luy fait le plus grand honneur. Cette lettre prouve a la fois et Pelevation de 1'ame et la superiorite du genie et des lumieres de cette souveraine. Aussy doit-elle etre assuree de 1'amour, de la reconnoissance, du respect, et de 1'admiration de tous les gens de lettres. Leurc voix qui perce^ jusqu'a la posterite y celebrera la faveur qu'elle leur accorde. Comment ne les protegeroit-elle pas? Une princesse d'autant de genie sera toujours forcee de cherir et de respecter son image dans des hommes de genie d'ailleurs si empresses a promulguer et a consacrer son nom. L'on aime toujours ce qui nous ressemble, et si Ton jette les yeux sur la terre, on y verra le genie de chaque prince assez exactement proportionne a son amour pour les talents. Le choix qu'on a fait de Votre Excellence pour la mettre a la tete des universites et academies de Russie2 m'avoit deja presage et la faveur dont jouiroient les scavants dans votre empire et le retour des Muses dans un pais ou Pierre le Grand luy-meme n'avoit pu les retenir. Partages avec votre 63

Janvier 1763

LETTRE 498

auguste souveraine le respect profond que nous avons pour elle, et recevez en particulier mes homages pour les bontes dont vous m'honores. C'est au nom de tous les gens de lettres mes compatriotes que je vous remercie. Je suis avec un profond respect, de Votre Excellence, Le tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius A Paris, ce 23 Janvier 1763 MANUSCRITS

*A. Biblioteca comunale Aurelio Saffi, Forli, Italic, fonds Piancastelli, n° 1176; 3 p.; orig. autogr. B. Bibl. Saltykov-Chtchedrine, Leningrad, ms. Fr. Q. IV. 207, p. 17-18; 2 p.; copie. IMPRIMES

I. Literatoumoe Nasledstvo, XXIX-XXX (1937), p. 273-274 (en russe). II. Siline, p. 136 (en russe). TEXTE Le B :" des.b de Russie. c Leurs. d percent. NOTES EXPLICATIVES

1. Le 24 novembre 1762, Catherine II avait offert a d'Alembert le poste de precepteur de son fils, le grand-due Paul Petrovitch. Le philosophe avait decline cette invitation, en faisant cependant inscrire la lettre de 1'imperatrice dans les registres de 1'Academic francaise. Voir (Euvres et correspondance de d'Alembert, ed. Henry, 1887, p. 204. 2. C'est Elisabeth Petrovna qui avait charge Chouvalov (v. lettre 459, note 1) de promouvoir les arts et les

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lettres en Russie. Devenu suspect a Catherine II, il ne devait conserver qu'un an ses diverses fonctions : en mai 1763, la nouvelle imperatrice 1'ecartera de sa cour en 1'autorisant a voyager a travers 1'Europe. Il ne lui sera permis de regagner la Russie qu'en 1777. REMARQUES

Parmi des "notes de Lalande", transcrites par Jules Claretie avant qu'elles ne soient consumees dans 1'incendie des Tuileries de 1871, figure 1'anecdote suivante sous la date de 1763 : "M. de V., loge rue de Seine, a cote du jardin du Roi, avait une belle femme. Il 1'aimait tant, qu'il rassembla les plus aimables jeunes gens et les laissait coucher avec elle devant lui. C'est pis que Candaule et Gyges. M. Helvetius en etait." (Claretie, L'Empire, les Bonaparte et la Cour, 1871, p. 231.) Candaule, roi de Lydie, avait cache son favori Gyges dans le bain royal, afin que celui-ci put admirer la beaute exceptionnelle de la reine. Le personnage appele ci-dessus "M. de V." n'a pas ete identifie.

LETTRE 499

Fevrier 1763

499. Edward Gibbon1 a Dorothea Gibbon2 Paris, February the 12th3, 1763 Dear Madam, [...] Amongst my acquaintance I cannot help mentioning M. Helvetius, the author of the famous book De 1'Esprit. I met him at dinner at Madame Geoffrin's, where he took great notice of me, made me a visit next day, & has ever since treated me not in a polite but a friendly manner. Besides being a sensible man, an agreable companion, & the worthiest creature in the world he has a very pretty wife, a hundred thousand livres a year and one of the best tables in Paris. The only thing I dislike in him is his great attachment to and admiration for Stanley, whose character is indeed at Paris beyond any thing you can conceive4. To the great civility of this foreigner who was not obliged to take the least notice of me, I must just contrast the behavior of the D. of B.5 [...] Paris, 123 fevrier 1763

[Traduction : ] Madame,

[...] Parmi mes connaissances je ne puis m'empecher de mentionner M. Helvetius, 1'auteur du celebre livre De I'Esprit. Je 1'ai rencontre lors d'un diner chez Mme Geoffrin, ou il a etc plein d'attentions pour moi. II m'a rendu visite le lendemain, et ce n'est pas de simple politesse, mais bien d'amitie qu'il a fait preuve envers moi. Son merite n'est pas seulement d'etre un homme sense, un compagnon agreable, ainsi que le plus honnete homme du monde. II a en outre une tres jolie femme, cent mille livres de rente et une des meilleurs tables de Paris. La seule chose que je n'aime pas chez lui est son attachement et son admiration considerables pour Stanley, dont le caractere bizarre se manifeste a Paris d'une fagon qui depasse tout ce que vous pourriez imaginer4. Je me dois de remarquer le contraste qui existe entre la grande civilite de cet etranger, que rien n'obligeait a m'accorder la moindre attention, et 1'attitude du due de B.5 [...] MANUSCRIT *A. Brit. Libr., Add. ms. 34883, ff°s 42 recto et 42 verso-43 recto; 3 p.; orie. 3,11 tO 2"!"

IMPRIMES I. Gibbon, Miscellaneous Works, ed. lord Sheffield, London, 1796, 2 vol., I, p. 429.

Norton, London, 1956, 3 vol., I, p. 133134, lettre 41. TEXTE

Dans le I, les noms de Stanley et du due de Bedford sont remplaces par des asterisques.

II. The Letters of Edward Gihhon, ed.

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Avril 1763

LETTRE 500 REMARQUES

Gibbon dinera a nouveau chez Helvetius le 23 fevrier 1763, en compagnie de Pabbe de Voisenon ("Journal du sejour a Paris [1763]", Miscellanea Gihhoniana, ed. Bonnard, Lausanne, 1952, p. 96). Le lendemain, il reviendra sur la rencontre qu'il relate ici a Dorothea Gibbon, dans une lettre a son pere6 : "C'est chez Mme Geoffrin que j'ai fait la connaissance de M. Helvetius qui, a en juger par son coeur, son esprit et sa fortune, est un homme de grande valeur. On m'a presente chez lui au baron d'Olbach, qui a de la fortune et bien des talents, et qui regoit a diner deux fois par semaine." (The Letters of Edward Gibbon, I, p. 136, lettre 42; traduction.) Dans son autobiographic, Gibbon ecrira : "Quatre fois par semaine j'avais ma place, sans avoir besoin d'etre invite, aux tables hospitalieres de Mesdames Geoffrin et Du Boccage, du celebre Helvetius et du baron d'Olbach. [...] Je ne pouvais approuver le zele intolerant des philosophes et encyclopedistes amis de d'Olbach et d'Helvetius. Us riaient du scepticisme de Hume, prechaient les principes de Patheisme avec le sectarisme des dogma-

tistes, et vouaient tous les croyants au ridicule et au mepris." (Memoirs of My Life, ed. Bonnard, Londres, 1966, p. 127; traduction.) NOTES EXPLICATIVES

1. Gibbon (1737-1794), auteur de la celebre Histoire de la decadence et de la chute de I'Empire romain (17761788), a sejourne a Paris du 28 Janvier au 9 mai 1763. 2. Mme Gibbon, nee Patton (vers 17151796), seconde femme du pere de 1'historien, qui Pavait epousee en 1755. Gibbon 1'aimait "comme compagne, amie et mere" (Journal, ed. Low, Londres, 1929, p. 72). 3. Gibbon a peut-etre ecrit "12" par erreur, au lieu de "11", car il mentionne, dans une autre partie de la lettre, que le traite de Paris a etc signe "la veille", soit le 10 fevrier. 4. Voir lettre 367, note 3. 5. John Russell, quatrieme due de Bedford (1710-1771), arrive en France en septembre 1762 pour participer aux negociations preparatoires au traite de Paris. 6. Edward Gibbon (1707-1770).

500. Henry Temple, vicomte Palmerston1, a Helvetius [L'expediteur remercie Helvetius de son hospitalite lors de son sejour a Paris et s'excuse d'avoir longtemps differe Pexecution de la commission que 1'auteur lui a confiee relativement a 1'achat de livres. II lui envoie "Phistoire de Mr Hume2", "le premier tome d'une nouvelle Histoire d'Irlande qui vient de paroitre3", et Caractacus, poeme de William Mason4.] Mr Stanley5 a ete long-tern a la campagne, mais il est nouvellement de retour, pour etre a Londres a Parrivee de Madame de Boufflers6 qui est ici depuis quatre jours. [Il transmet "les compliments de Milady Primrose7".] Le 26 d'avril [1763]

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Avril 1763

LETTRE 501 MANUSCRIT :;

"A. Collection du marquis de Rosanbo, fonds Lamoignon 263 ap 6; 2 p.; orig. autogr. NOTES EXPLICATIVES

1. Henry Temple, deuxieme vicomte Palmerston (1739-1802), membre du Parlement, grand voyageur et connaisseur d'art, avait passe trois mois a Paris, de novembre 1762 a Janvier 1763. 2. The History of England, from the Invasion of Julius Caesar to the Accession of Henry VII, Londres, 1762, 2 vol. 3. Les deux premiers volumes de \'Histoire de I'lrlande ancienne et moderne, tiree des monumens les plus authentiques, de 1'abbe James MacGeoghegan, avaient paru a Paris en 1758 et 1762. Le troisieme, edite a Amsterdam, porte la date de 1763, et sa pagination est la suite de celle du second .volume. 4. Le reverend William Mason (1724-

1797), ami et biographe du poete Thomas Gray, et auteur des poemes dramatiques El/rida (1755) et Caractactts (1759). Palmerston adresse les trois ouvrages mentionnes a Robert Ralph Foley, banquier a Paris, qui sera cree baronnet en 1767. 5. Stanley (v. lettre 367, note 3) etait un voisin de Palmerston, qui habitait a Broadlands, pres de Romsey, dans le Hampshire. 6. Mme de Boufflers (v. lettre 420, note 1) avait quitte Paris le 17 avril 1763 (v. Leigh, lettre 2631), accompagnee de lord Elibank (v. lettre 503, note 4), a destination de Londres. Elle en repartira le 23 juillet 1763. 7. Anne Drelincourt, Irlandaise Jacobite, et petite-fille de Charles Drelincourt, ministre de 1'Eglise reformee de Paris. Elle avait epouse en 1739 Hugh, troisieme vicomte Primrose (1703-1741). Elle mourra a Clarges Street en 1775.

501. Inglebert Louis Moriencourt1 a Helvetius De Londre, ce 28 avril 1763 Monsieur, Je suis ont peut pas plus surprit de ne point recevoir de vos nouvelle. Vous m'avee fait esperer de venir a Londre. Tout le monde vous desire, ainsy que le roy et la reine2, et 1'on "n'est surprit qua pret* tout le desag [rjement [que] vous ave cut a Paris vous resties en France. [...] MANUSCRIT ::

"A. Collection du marquis de Rosanbo, fonds Lamoignon 263 ap 6; 1 p.; orig. autogr.

TEXTE est surpris qu'apres.

a

NOTES EXPLICATIVES 1. Riche bourgeois de Saint-Omer, Moriencourt faisait de frequents

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LETTRE 502

Mai 1763

sejours d'affaires a Londres (v. M.C., XII, 692, 19 aout 1779). 2. George III (1738-1820), roi de Grande-Bretagne depuis 1760, et

Charlotte Sophie de MecklembourgStrelitz (1744-1818), qu'il avait epousee en 1761.

502. Voltaire a Helvetius l e r may [1763]" Voicy, mon illustre philosophe, un gentilhomme anglais tres instruit, et qui par consequent vous estime. Je me suis vante a luy d'avoir quelque part a votre amitie, car j'aime a me faire valoir aupres des gens qui pensent. Mr Makctrtney1 pense tout comme vous; il croit malgre Omer2 et Christophe3 que, si nous n'avions point de mains, il serait assez difficile de faire des rabats a Cristophe et a Omer, et des siflets pour les bourdons de Simonle-Franc4, favori du Roy, etc., etc., etc. Il trouve notre nation fort drole. II dit que sitot qu'il parait une verite parmy nous tout le monde est allarme comme si les Anglais faisaient une descente. Puisque vous avez eu la bonte de rester parmy les singes, tachez done d'en faire des hommes. Dieu vous demandera compte de vos talents. Vous pouvez plus que personne ecrazer 1'erreur sans montrer la main qui la frappe. b Un bon petit catechisme imprime a vos frais par un inconnu dans un pays inconu, donne a quelques amis qui le donnent a d'autres, avec cette precaution on fait du bien et on ne craint point de se faire du mal, et on se moque des Christophes, des Omer, etc., etc., etc., etc.^ Jean-Jaques dit a mon gre une chose bien plaisante quoy que geometrique dans sa lettre a Christophe pour prouver que dans notre secte la partie est plus grande que le tout. Il suppose que notre Sauveur Jesu Christ communie avec ses apotres. En ce cas, cdit-il, il est clairc que Jesu met sa tete dans sa bouche5. Il y a par-cy par-la de bons traits dans ce Jean-Jaques. On m'a envoye ces deux extraits de Jean Melier6. II est vray^ que cela est ecrit du stile d'un cheval de carosse, mais qu'il rue bien apropos! et quel temoignage que celuy d'un pretre qui demande pardon en mourant d'avoir enseigne des choses absurdes et horribles! Quelle reponse aux lieux comuns des fanatiques qui ont 1'audace d'assurer que la philosophic n'est que le fruit du libertinage! e Oh si quelque galant home ecrivant avec purete et avec force, donnant a la raison les graces de Pimagination, daignait consacrer un mois ou deux a eclairer le genre humain! Il y a de bonnes ames qui font ce qu'elles peuvent, elles donnent quelques coups de beche a la vigne du Seigneur, mais vous la feriez fructifier au centuple - amen. 68

Mai 1763

LETTRE 503

Touttes fois ne faites point apprendre a vos enfans le metier de menuisier7; cela me parait assez inutile pour 1'education d'un gentilhomme.e Vale. Je vous estime autant que je vous aime. MANUSCRITS

*A. Morgan, MA 1752(32); 4 p.; orig. autogr. B. BK 1101. C. BK 1102.

2. 3. 4.

IMPRIMES

I. Le Bonbeur, 1776, p. 172-173. II. (Euvres, 1781, V, p. 234-235. III. Kehl, LVIII, p. 117-118. IV. Kehl, LIX, p. 99-100. V. (Euvres, 1795, XIII, p. 241-243. VI. (Euvres, 1818, III, p. 232-233. VII. Best. 10364. VIII. Best. D. 11183. TEXTE Le B et les II, III, V et VI suivent le texte du I. Le texte du C et des I, IV, VII et VIII a etc etabli sur celui du A. Ajoute en haut du A : "a M. Helvetius". " Ajoute a la date du A par une main etrangere : "1765", indication que suit le IV; le B et le III portent "1763". ^Omis dans le B et les I, II, III, V et VI. c Le C et le IV : "il est clair, dit-il". ^Le C et le I V : "clair". e Paragraphes omis dans le B et les I, II, ill, v et VI. NOTES EXPLICATIVES 1. George Macartney, futur comte Macartney (1737-1806). Irlandais, il

5.

6. 7.

etait en 1763 au seuil d'une longue carriere diplomatique. Jean Omer Joly de Fleury. Christophe de Beaumont. Un certain Simon Franque habitait au Xlir siecle 1'actuelle rue Simonle-Franc, qui porte son nom, mais Voltaire joue ici sur cette designation pour se referer en fait a Jean-Jacques Le Franc de Pompignan (v. lettre 464, note 11). "Or selon votre doctrine de la transsubstantiation, lorsque Jesus fit la derniere cene avec ses disciples et qu'ayant rompu le pain il donna son corps a chacun d'eux, il est clair qu'il tint son corps entier dans sa main, et, s'il mangea lui-meme du pain consacre, comme il put le faire, il mit sa tete dans sa bouche. Voila done bien clairement, bien precisement, la partie plus grande que le tout, et le contenant moindre que le contenu." (Jean Jacques Rousseau, citoyen de Geneve, a Christophe de Beaumont, Amsterdam, Key, 1763, p. 121.) Extra.it des sentiments dejean Meslier, [Geneve, Cramer, 1762]. Rappelons qu'Emile a regu une formation de menuisier.

503. Helvetius a Henry Temple, vicomte Palmerston [Vers le 13 mai 1763]1 Milord, Vous n'aurez jamais d'excuses a me faire, mais des faveurs a m'accorder, et la plus precieuze est pour moy 1'assurance de vos bontes. Que ne suis-

69

LETTRE 503

Mai 1763

je a portee de les cultiver! Le bonheur de vous avoir vu produit le desir de vous voir et le regret de n'etre point habitant de Londres. Vous nous avez flatte de 1'esperance d'un second voiage a Paris; je desire fort que vous la realizies. Je suis on ne peut pas plus latte du souvenir de Milady Primerose. Elle m'avoit permis de luy faire ma cour pendant son sejour a Paris et j'en ai profile. J'espere qu'elle voudra bien me continuer la meme permission lorsque j'iray a Londres. Madame la marquize de Bouflers paroit, ditesvous, tres contente de son voiage. Je n'en suis point etonne, j'envie son bonheur, et je 1'aurois partage cette annee sans 1'espoir de voir Monsieur de Stanley cet etc2. II ne me parle plus de son voiage; je crains que quelques affaires ne le retienne, et j'en serois tres fache. 11 me reste, Milord, a vous remercier de votre attention a m'envoier et les ouvrages de Monsieur Hume, et votre Histoire d'Irlande, et de la tragedie de Monsieur Masson. Je vous priray de me marquer ce que je vous dois, afin que je puisse charger a mon retour a Paris3 quelque Anglois de votre connoissance, et de mes remerciments, et de 1'argent dont je vous suis redevable. J'ay 1'honneur d'etre, avec respect, Milord, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius Ma femme vous assure de ses respects. Elle est tres sensible a votre souvenir. Ozerois-je vous prier de presenter les miens a Monsieur Stanley, a Milady Primerose et a Milord Elibank4, s'il est de votre connoissance? MANUSCRIT

*A. Collection de M. Jean-Daniel Candaux; 2 p.; orig. autogr. NOTES EXPLICATIVES La plupart des references contenues dans cette lettre sont expliquees dans les notes de la lettre 500. 1. Reponse a la lettre 500, datee du 26 avril. 2. Stanley se trouvera a Compiegne au mois d'aout. 3. Le 12 avril 1763, Mme Belot avail ecrit a Devaux : "Mr et Mme Helvetius partirent hier pour Lumigni, d'ou ils iront a Vore. M'en voila veuve jusqu'a

70

1'hiver prochain." (B.N., ms. fr., n. a. 15582, f° 24 recto.) 4. Patrick Murray, cinquieme baron Elibank (1703-1778), Ecossais Jacobite et frere du general James Murray, gouverneur du Canada, etait un ami de Hume et de Robertson. Le 11 mai 1763, il avait ecrit a Hume : "Je peux vous assurer, le tenant de Mme de Boufflers elle-meme, que son voyage en Angleterre, ou j'ai eu le bonheur de 1'accompagner depuis Paris, n'a etc motive que par 1'espoir de vous rencontrer a Londres. [...] Venez me voir ou donnez-moi de vos nouvelles,

LETTRE 504

Mai 1763

si vous vous rendez dans le Sud, car j'ai dix mille choses interessantes a vous dire de la part d'Helvetius, de

Turgot, de Montigny, etc." (R.S.E., V, 8; Burton, p. 44; et Greig, I, p. 388, note 2; traduction.)

504. Voltaire a Helvetius [Vers le 15 mai 1763]"1 Orate fratres et vigilate2. Sera-t'il done possible que depuis quarante ans la gazette ecclesiastique3 ait infecte Paris et la France, et que cinq ou six honnetes gens bien unis ne se soient pas avisez de prendre le party de la raison? Pourquoy ses adorateurs restent-ils dans le silence et dans la crainte? Us ne connaissent pas leurs forces. Qui les empecherait d'avoir chez eux une petite imprimerie, et de donner des ouvrages miles et courts dont leurs amis seraient les seuls depositaires? C'est ainsi qu'en ont use ceux qui ont imprime les dernieres volontez de ce bon et honnete cure4. II est certain que son temoignage est du plus grand poids, et qu'il peut faire un bien infini. 11 est encor certain que vous et vos amis vous pouriez faire de meilleurs ouvrages avec la plus grande facilite, et les faire debiter sans vous compromettre. Quelle plus belle vangeance a prendre de la sottise et de la persecution que de les eclairer? Soyez sur que 1'Europe est remplie d'hommes raisonables, qui ouvrent les yeux a la lumiere. En verite le nombre en est prodigieux, et je n'ay pas vu depuis dix ans un seul honnete homme de quelque pays et de quelque relligion qu'il fut, qui ne pensat absolument comme vous. Si je trouve en mon chemin quelque etranger qui aille a Paris et qui soit digne de vous connaitre, je le chargerai pour vous de quelques exemplaires, que j'espere avoir bientot, du meme ouvrage qu'un Anglais vous a deja remis5. C'est a peu pres dans ce goust simple que je voudrais qu'on ecrivit. 11 est a la portee de tous les esprits. L'auteur ne cherche point a se faire valoir, il n'envie point la reputation, il est bien loin de cette faiblesse. Il n'en a qu'une, c'est 1'amour extreme de la verite. Vous m'objecterez qu'il ne 1'a ditte qu'a sa mort. Je 1'avoue, et c'est par cela meme que son ouvrage doit faire le plus grand fruit, et qu'il faut le distribuer, mais si on peut en faire un meilleur sans rien risquer, sans attendre la mort pour donner la vie aux ames, pourquoy ne le pas faire? Il y a cinq ou six pages excellentes et de la plus grande force dans une petite brochure qui parait depuis peu, qui perce avec peine a Paris et que vous aurez vue sans doute6. C'est grand dommage que 1'auteur y parle sans cesse de luy-meme, quand il ne doit parler que de choses utiles. Son titre est d'une indecence impertinente, son ridicule amour-propre revoke. C'est Diogene, mais il s'exprime quelquefois en Platon. Croiriez-vous que ses 71

]uin 1763

LETTRE 505

audacieuses sorties centre un monstre respecte n'ont revoke personne et que sa philosophic a trouve autant de partisans que sa vanite cinique a eu de censeurs? Oh si quelqu'un pouvait rendre aux hommes le service de leur montrer les memes veritez depouillees de tout ce qui les defigure et les avilit chez cet ecrivain, que je le benirais! Vous etes Phomme, mais je suis bien loin de vous prier de courir le moindre risque. Je suis idolatre du vray, mais je ne veux pas que vous hazardiez d'en etre la victime. Tachez de rendre service au genre humain sans vous faire le moindre tort. Ce sont la, Monsieur, les voeux de la personne du monde qui vous estime le plus et qui vous est le plus attachee. J'ay 1'honneur d'etre votre tres humble et tres obeissante servante. Me Mitele^7 MANUSCRIT :;

'A. Morgan, MA 1752(28); 4 p.; orig. autogr. IMPRIMES

I. Kehl, LVIII, p. 99-101. II. Best. 10357. ill. Best. D. 11208. TEXTE

Ajoute en haul du A : "a M. Helvetius". *Le A : "mars (1762 1762) 1763". *Biffe dans le A. NOTES EXPLICATIVES

1. Voltaire avait charge George Macartney de remettre a Helvetius la lettre en date du l er mai qu'il avait adressee a ce dernier (lettre 502; voir son debut, ainsi que la note 5 ciapres), et il tient, dans la presente, que c'est la chose faite. D'autre part, Voltaire ne semble pas s'etre sou-

2. 3. 4. 5.

6. 7.

venu, lors de la redaction de la presente, qu'il avait deja parle a Helvetius, dans la lettre 502, de 1'opuscule de J.-J. Rousseau. Besterman a done probablement raison de la dater des environs du 15 mai, si 1'on considere qu'il a du falloir a Voltaire un certain temps pour commettre cet oubli. Cf. Marc, XIV, 38 : Veillez et priez. Les Nouvelles ecclesiastiques. Meslier (v. lettre 502, note 6). George Macartney avait apporte de Ferney deux exemplaires de YExtrait des sentiments de Jean Meslier (v. lettre 502). Lettre a Christophe de Beaumont (v. lettre 502, note 5). Pseudonyme dont la signification nous echappe.

505. Helvetius a David Hume Monsieur, Je vous ecris encor plein de Penthousiasme que m'occassionne la lecture des deux premiers volumes de votre Histoire d'Angletterre depuis I'invasion des Remains1.

72

LETTRE 505

Juin 1763

La maniere dont cette histoire est presentee, 1'esprit philosophique et impartial qui 1'a ecrit, les reflections profondes de morale et de politique dont elle est semee, tout m'en a paru admirable. II faudroit ecrire comme Monsieur Hume, pour exprimer tout le plaisir que j'ay senti en lisant cette histoire. On m'a dit que vous aviez abandonne le plus beau projet du monde : c'etoit d'ecrire 1'histoire de 1'eglize2. Pensez done que le sujet est digne de vous, comme vous etes digne du sujet. C'est done au nom de 1'Angletterre, de la France, de 1'Allemagne, de PItalie et de [la] posterite, que je vous conjure de faire cette histoire. Songez qu'il n'y a que vous en etat de" 1'ecrire, qu'il se passera bien des siecles avant qu'il naisse un Monsieur Hume, et que c'est un bienfait que vous deves a 1'univers present et *a venir^. On m'a flatte de votre estime, on m'a fait esperer que la requete que je vous presente au nom de la republique des lettres vous seroit agreable de ma part. Je serois bien orgueilleux, et je croirois avoir bien merite de mon siecle, si je pouvois vous engager a ce travail. Mr Stuart3 qui a des bontes pour moy, et qui est actuellement a ma campagne, voudra bien, je crois, joindre ses representations aux miennes. J'attends tout de 1'efficacite des remontrances d'un homme de ce merite, qui est autant votre amy, et qui est si digne de 1'etre. Je suis, avec autant d'admiration que de respect, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius A Lumigny, ce 2e juin 1763 MANUSCRIT :; "A. R.S.E., V., 52; 3 p.; orig. autogr.

texte Le I contient de nombreuses erreurs de transcription dont iln'apas ete juge utile de rendre compte ici. *Le A : "de (la faire)". *Le A : "avenir".

en avril 1766 : "Nous avons souvent sollicite M. Hume, pendant son sejour en France, d'ecrire une Histoire ecclesiastique. Ce serait en ce n moment une des plus Lbelles entrepnses de litterature, et un des plus importants services rendus a la philosophie et a 1'humanite." (Corr. lift., VII, p. 13.) 3. Voir lettre 435, note 11.

NOTES EXPLICATIVES

REMARQUES

1. Voir lettre 500, note 2. 2. Malgre les pressions des philosophes, Hume n'a jamais donne suite a ce projet, au sujet duquel Grimm ecrira

Dans une lettre a Devaux du 6 juin 1763, Mme Belot revele qu'Helvetius, Duclos et Trudaine de Montigny lui avaient propose, sans doute quelques semaines

IMPRIME I. Burton, rp. 13-14.

73

LETTRE 506 auparavant, de partager les frais d'impression d'une traduction qu'elle allait entreprendre de I'Histoire d'Angleterre de Hume : "J'ai toujours oublie, je crois, de repondre a une question que vous m'aviez fait a 1'egard de M. Duclos; c'est pour les deux premiers volumes de la meme Histoire d'Angleterre que je tra-

Juin 1763 duis actuellement qu'il m'avait offert de tres bonne grace de me preter le tiers des frais de 1'impression. M. de Montigni et M. Helvetius se chargeaient aussi entr'eux des deux autres tiers, si j'avais voulu accepter ce service d'amis. Mais j'ai prefere un parti moins avantageux." (B.N., ms. fr., n. a. 15582, f° 25 verso.)

506. Helvetius a Henry Temple, vicomte Palmerston "Milord, J'ai 1'honneur de vous ecrire pour vous remercier des livres que vous m'avez envoyes. [...] ^J'ai devore I'Histoire de Mr Hume. Ses deux derniers volumes me paraissent un chef-d'ceuvre. Je les trouve meme superieurs aux autres. Ce n'est pas que 1'auteur les ait plus travailles, mais c'est que le sujet est bien plus piquant pour des philosophes." II avait dans ces derniers volumes a peindre des mceurs inconnues, a en nuancer la degradation jusqu'a 1'etat actuel des moeurs anglaises. II avait a nous presenter 1'origine de la puissance ecclesiastique, les degres par lesquels elle est parvenue a un pouvoir illimite, et ceux par lesquels elle est insensiblement dechue de ce pouvoir. [...] 11 me semble qu'il ne reste rien a desirer a ce sujet. "Je me mettrai bientot a votre Histoire d'Irlande.b [...] J'ai 1'honneur d'etre, avec le plus profond respect, Votre humble et obeissant serviteur, Helvetius* k Vore, ce 15 juin 1763C

c

MANUSCRIT :;

'A. L'original autographe de 3 pages, avec adresse, qui appartenait en 1957 (v. le I) a la comtesse Mountbatten of Burma, a figure a la vente Drouot du 23 juin 1980 (no 78). IMPRIME

*I. B. R. Connell, Portrait of a Whig Peer, Londres, 1957, p. 31-32. TEXTE

Les deux passages places entre lettres d'appel a constituent le texte du I, et 74

celui place entre lettres d'appel b est le texte du catalogue de vente. Nous les avons fusionnes pour reconstituer 1'essentiel de 1'original, et en avons modernise 1'orthographe. c Le catalogue de vente : "Mans, 15 juin 1763"; le I : "13 juin 1763", date figurant en haut de la lettre. NOTE EXPLICATIVE

Pour les references contenues dans la presente lettre, se reporter a la lettre 500.

Juillet 1763

LETTRE 507

507. Voltaire a Helvetius 26e juill. 1763 Une bonne ame envoie cette traduction du grec1 a une bonne ame. On fait ce qu'on peut de son cote pour la culture de la vigne du Seigneur, et on a lieu de benir la Providence qui a fait dans nos cantons un nombre prodigieux de conversions. " On ne parle plus de 1'infame qu'avec le dernier mepris, et souvent avec horreur." Nous vous exhortons, mes tres chers freres, a combattre pour notre foi jusqu'au dernier soupir. Ah! si vous nous aviez consultes quand vous donnates votre saint ouvrage...! Mais enfin le passe est passe; on vous trompait, on se trompait, on vous ensorcelait, on avait la demence de demander un privilege, on vous faisait louer a tour de bras de tres mauvais vers, des petits genies, et de mauvais cceurs2. N'en parlons plus. "Songez seulement que 1'infame a fait votre malheur, qu'elle a toujours persecute les lettres, et qu'il faut Paneantir." Vous ne pouvez vous venger qu'en rendant odieuses et meprisables les armes dont on s'est servi contre vous. Vous devriez faire un voiage et passer chez votre frere qui vous embrasse. Par quelle horrible fatalite les freres sont-ils disperses, et les mechants reunis? *Il y a un Omer qui merite qu'on lui arrache la langue dont il se sert pour prononcer tant de betises, mais les philosophies sont elements.'1 MANUSCRITS :;

'A. B.N., ms. fr. 12936, p. 87-88; 2 p.; orig. B. B.N., ms. fr. 12945, f° 444 recto-444 verso; 2 p.; copie du I. IMPRIMES

I. Grimm, Correspondance litteraire, philosophique et critique, 1812-1814, 3 parties, partie I, vol. Ill, p. 463-464^ II. Best. 10500. III. Best. D. 11322. TEXTE

Ajoute en haut du A : "a Mr Helvetius". Omis dans le B et le I. ^Dans le I, cette lettre porte le titre de "Troisieme epitre du grand Apotre a son fils Helvetius, du 26 Juillet 1763".

a

NOTES EXPLICATIVES La Correspondance litteraire (v. le I) comprend trois lettres de Voltaire, respectivement intitulees "Epitre aux Fideles, par le grand Apotre des Delices", "Seconde epitre aux Fideles, par le grand Apotre des Delices, du 12 juillet 1763", et "Troisieme epitre du Grand Apotre a son fils Helvetius, du 26 juillet 1763". Les deux premieres, dont le caractere epistolaire, comme 1'identite de leurs destinataires eventuels, sont fort incertains, ont etc renvoyees aux appendices du quatrieme volume. La presente lettre, qui est la troisieme, semble la seule authentique : elle est clairement destinee a Helvetius (v. par. 2). En outre, elle accompagnait un exemplaire du Catechisme de I'honnete homme (v. par. 1 et note 1), dont 1'envoi a Helvetius

75

LETTRE 508 a etc annonce le meme jour a Damilaville par Voltaire : "Tachez, mon cher frere, de faire parvenir ce paquet au fidele Helvetius." (Best. D. 11319.) Trois jours plus tard, Voltaire demandera au meme Damilaville confirmation que I'achem nement a eu lieu : "N. B. A-t'il fait parvenir un Catechisme a frere H.?" (Best. D. 11327.) 1. Catechisme de I'honnete homme, OH Dialogue entre un caloyer et un homme de bien. Traduit du grec vulgaire, par D.J.J. R. C. D. C. D. G. [Dom JeanJacques Rousseau, ci-devant citoyen de Geneve], [Geneve, Cramer, 1763]. 2. Voir lettre 422, note 4. REMARQUES

Le 4 octobre 1763, Voltaire donnera suite a cette exhortation dans une lettre a Damilaville : "Je voudrais que votre ami [Diderot] eut assez de temps pour travailler a rendre ce service, mais il a un

Aout 1763 ami qui est actuellement a sa terre, et qui a tout ce qu'il faut pour venger la vertu et la probite, si longtemps outragees; il a du loisir, de la science et des richesses; qu'il ecrive quelque chose de net, de convainquant, qu'il le fasse imprimer a ses depens, on le distribuera sans le compromettre. Je m'en chargerai; il n'aura qu'a m'envoier le manuscrit, cet ouvrage sera debite comme les precedents que vous connaissez, sans eclat et sans danger. Voila ce que votre ami devrait lui represented Parlez-lui, engagez-le a obtenir une chose si aisee et si necessaire. On se donne quelquefois bien des mouvements dans le monde, pour des choses qui ne valent pas celle que je vous propose. Emploiez, votre ami et vous, toute la chaleur de vos belles ames dans une chose si juste." (Best. D. 11445.)

508. Jean-Jacques Rousseau a Paul Claude Moultou1 Lundi, pr aoust [1763]

W.

Je suis persuade que ce que M. Vernes2 me pardonne le moins est d'avoir attaque le livre d'Helvetius, quoique je 1'aye fait avec toute la decence imaginable, en passant, sans le nommer ni meme le designer, si ce n'est en rendant honneur a son bon caractere3. Dans les pages 71 et 72 de M. Vernes qui me sont tombees sous les yeux il me fait un grand crime d'avoir employe ce qu'il appelle le jargon de la metaphysique4, et il suppose que j'ai eu besoin de ce jargon pour etablir la religion naturelle, au lieu que je n'en ai eu besoin que pour attaquer le materialisme. Le principe fondamental du livre De I'Esprit est que juger est sentir d'ou il suit clairement que tout n'est que corps. Ce principe etant etabli par des raisonnemens metaphysiques ne pouvoit etre attaque que par de semblables raisonnemens. C'est ce que M. Vernes ne me pardonne pas. La metaphysique ne I'edifie que dans le livre d'Helvetius, elle le scandalise dans le mien.

[...] 76

LETTRE 508 MANUSCRIT :;

"A. Bibl. publ. et univ., Neuchatel, ms. R 289, ff os 85 recto et verso; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge. IMPRIMES

I. Collection complete des ozuvres de J.-J. Rousseau, citoyen de Geneve, [second supplement], Neuchatel & Paris, 1790, 5 vol., 8°, IV, pp. 178 et 1791805. II. Leigh, lettre 2851. NOTES EXPLICATIVES

1. Pasteur genevois d'origine franchise, Moultou (1731-1787) etait un admirateur enthousiaste de Rousseau. 2. Voir lettre 355, note 1. 3. Emile, livre IV, dans (Euvres, Pleiade, IV, p. 570-599 et notamment p. 582. Aux dires du pasteur Montmollin, Rousseau lui avait affirme que 1'un des trois objets principaux de son Emile avait etc "de s'elever, non pas precisement directement, mais pourtant asses clairement centre 1'ouvrage infernal De I'Esprit, qui, suivant le principe detestable de son auteur, pretend que sentir & juger sont une seule et meme chose, ce qui est evidemment etablir le materialisme". (Leigh, lettre 2191 du 25 septembre 1762, adressee a Jean Sarasin.) De fait, Rousseau avait redige deux semaines plus tot le brouillon d'une lettre destinee a Jean Antoine Comparet, ou il exprimait son intention de s'en prendre a De I'Esprit: "A la publication d'un livre dont les principes tendoient a detruire tout ordre moral, saisi d'une vive indignation, je pris la plume, mais apprenant que 1'auteur etoit inquiete pour ce livre meme, je respectai son merite et ses malheurs, et je me tus jusqu'a ce que je pusse ecrire sans le commettre ni

Aout 1763 risquer d'aggraver ses deplaisirs. Maintenant il vit paisible et honore dans sa patrie, et je m'en rejouis bien sincerement." (Leigh, lettre 2147; pour mieux preciser la date a laquelle Rousseau a lu De I'Esprit, voir lettre 355.) En 1764, Rousseau commentera de nouveau, dans ses Lettres ecrites de la montagne, ses premieres intentions a 1'egard de L'Esprit: "II y a quelques annees qu'a la premiere apparition d'un livre celebre je resolus d'en attaquer les principes, que je trouvois dangereux. J'executois cette entreprise quand j'appris que 1'auteur etoit poursuivi. A 1'instant je jettai mes feuilles au feu, jugeant qu'aucun devoir ne pouvoit autoriser la bassesse de s'unir a la foule pour accabler un homme d'honneur opprime. Quand tout fut pacific j'eus occasion de dire mon sentiment sur le meme sujet dans d'autres ecrits, mais je 1'ai dit sans nommer le livre ni 1'auteur. J'ai cru devoir ajouter ce respect pour son malheur a 1'estime que j'eus toujours pour sa personne." ((Euvres, Pleiade, III, p. 693.) Le "livre celebre" que visait Rousseau n'etait pas un mystere : le 6 novembre 1766, Pietro Verri (v. lettre 610, note 2) ecrira a ses freres : "Des qu'il apprit qu'on persecutait Helvetius, Rousseau jeta au feu ses observations hostiles a celui-ci." (Carteggio di Pietro e di Alessandro torn, Milan, 1910-1942, 12 vol., I, partie 1, p. 39-40; traduction.) 4. Lettres sur le christianisme de Mr. J. J. Rousseau, Geneve, 1763. C'est dans cet ouvrage que figure le dialogue dont Tronchin avait fait etat dans une lettre a Vernes de la meme epoque (v. Remarques ci-dessous).

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Aoiit 1763

LETTRE 508 5. Les problemes bibliographiques poses par les supplements que comporte cette Collection complete sont trop complexes pour que nous entreprenions de les exposer en detail. Celui que nous avons appele "second supplement" comprend cinq volumes, qui portent tous le faux-titre Collection complete des ceuvres de]. J. Rousseau, citoyen de Geneve, et sont numerotes de XXV a XXIX. Le titre de chacun de ces cinq volumes est Seconds Partie des Confessions de]. J. Rousseau, citoyen de Geneve. Edition enrichie d'un nouveau recueil de ses lettres, est numerote de III a VII selon le volume, et est accompagne de la date "M. DCC. XC". Les deux premiers volumes (ill et IV) de 1'exemplaire consulte (British Library, 631 f 2428) ont etc publics par L. FaucheBorel, de Neuchatel, et "Mrs. Bossanges", de Paris, et les trois derniers (V a VII) 1'ont ete par ce meme Fauche-Borel et par Gregoire, de Paris. Par centre, 1'exemplaire conserve a la Bibliotheque nationale (Z 36421-36425) ne comporte que le nom de Fauche-Borel. Nous laissons aux bibliographes le soin d'etablir en quoi a consiste le premier supplement, et de determiner a quelle edition les deux supplements evoques ci-dessus ont fait suite. A ce sujet, on pourra consulter utilement Th. Dufour, Recherches bibliographiques surles ceuvres deJ.-J. Rousseau, 1925, 2 vol., I, pp. 238-239 et 264-265, et

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II, pp. 21-23, 25-27, 68-69 et 74, et Leigh, lettres 8026, Remarque iii, et 8032, Remarque i, et planche 161. REMARQUES

Selon Paul Moultou, Rousseau aurait pu facilement foudroyer Vernes en faisant connaitre les opinions de celui-ci sur Helvetius : "II avait dans ses mains une lettre de ce meme Vernes, dans laquelle, apres avoir epuise les eloges en faveur d'Helvetius, il finissait par trouver sa morale sublime. Rousseau n'avait qu'a rendre cette lettre publique." (Leigh, lettre 3150, par. 33, de fevrier 1764, adressee a Elie Salomon Reverdil.) Theodore Tronchin avait prevenu Vernes de ce danger avant meme la publication de ses Lettres : "Mon ami Bonnet craint que la correspondance que vous avez jadis cue avec R ne lui donne prise sur vous. Si la-dessus vous n'avez rien a craindre, mon cher ami, lui aussi ne craint point que vous fassiez imprimer votre Dialogue qu'il trouve fort bien fait et tres bon. Mais il ne voudroit pas que le mechant, pour se vanger, put vous blesser avec votre propre epee. [...] L'ami Bonnet sort d'ici. Il craint certaine lettre imprudemment ecnte sur le livre De I'Esprit, dont je n'ai aucune notion." (Leigh, lettre 2674, 4 mai 1763.) Rousseau ne s'est pas servi de cette lettre de Vernes, aujourd'hui perdue, se contentant de confier a Moultou : "Si je parle, Vernes est un homme perdu." (Leigh, lettre 4120, 9 mars 1765.)

LETTRE 509

Aout 1763

509. Voltaire a Helvetius 25e aoust 1763 Monsieur, Pax Christi. Je vois avec une sainte joie combien votre coeur est touche des verites sublimes de notre sainte religion, et que vous voulez consacrer vos travaux et vos grands" talents a reparer le scandale que vous avez pu donner, en mettant dans votre fameux livre quelques verites d'un autre^ ordre, qui ont paru dangereuses aux personnes d'une conscience delicate et timoree, comme Messieurs Omer Joli de Fleuri, Messrs Gauchat1, Chaumeix2 et plusieurs de nos peres. Les petites tribulations que nos peres eprouvent aujourd'hui les affermissent dans leur foi, et plus nous sommes disperses et plus nous faisons de bien aux ames. Je suis a portee de voir ces progres, etant aumonier de Mr le rhesident de France a Geneve3; je ne puis assez benir Dieu de la resolution que vous prenez de combattre vous-meme pour la religion chretienne, dans un temps ou tout le monde 1'attaque et se moque d'elle ouvertement. C'est la fatale philosophic des Anglois qui a commence tout le mal. Ces gens-la, sous pretexte qu'ils sont les meilleurs matematiciens et les meilleurs phisiciens de 1'Europe, ont abuse de leur esprit, jusqu'a oser examiner les misteres. Cette contagion s'est repandue partout. Le dogme fatal de la tolerance infecte aujourd'hui tous les esprits. Les trois quarts de la France, au moins, commencent a demander la liberte de conscience; on la preche a Geneve. Enfin, Monsieur, figurez-vous que, lorsque le magistral de Geneve n'a pasc pu se dispenser de condamner le roman de Mr Jean-Jaques Rousseau initule Emile, six cent citoiens sont venus par trois fois protester au conseil de Geneve, qu'ils ne souffriroient pas que 1'on condamnat sans 1'entendre un citoien rfqui avoit ecrit a la verite^ centre la religion chretienne, mais qu'il pouvoit avoir ses raisons, qu'il fallait les entendre, qu'un citoien de Geneve peut ecrire ce qu'il veut, pourvu qu'il donne de bonnes explications4. Enfin, Monsieur, on renouvelle tous les jours les attaques que 1'empereur Julien5, les philosophes Celse6 et Porphire7, livrerent des les premiers temps a nos saintes verites. Tout le monde pense comme Baile, Descartes, Fontenelle, Shaffstburi8, Bolingbroke9, Colins10, Wolston11; tout le monde dit hautement qu'il n'y a qu'un dieu, que la Sainte Vierge Marie n'est pas mere de dieu, que le Sc-Esprit n'est autre chose que la lumiere que dieu nous donne. On preche je ne scais quelle vertu, qui ne consistant qu'a faire du bien aux hommes, est entierement mondaine, et de nulle valeur. On oppose au Pedagogue chretien12 et au Pensez-y bienn, livres qui faisoient autrefois e tant de conversions, de petits livres philosophiques qu'on a soin de repandre 79

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LETTRE 509

par-tout adroitement. Ces petits livrets se succedent rapidement les uns aux autres. On ne les vend point, on les donne a des personnes afidees, qui les distribuent a des jeunes gens et a des femmes. Tantot c'est le Sermon des cinquante14, qu'on attribue au roi de Prusse, tantot c'est un extrait du testament de ce malheureux cure Jean Melier, qui demanda pardon *a dieu" en mourant d'avoir enseigne le christianisme15. Tantot c'est je ne sais quel Catechisme de I'honnete homme, *fait par un certain abbe Durand16. Quel titre, Monsieur, que le Catechisme de I'honnete homme" comme s'il pouvait y avoir de la vertu hors de la religion catholique! Opposez-vous a ce torrent, Monsieur, puisque Dieu vous a fait la grace de vous illuminer. Vous vous devez a la raison et a la vertu indignement outragees; combattez les mechants, comme ils combattent, sans vous compromettre, sans qu'ils vous devinent. Contentez-vous de rendre justice a notre sainte religion d'une maniere claire et sensible, sans rechercher d'autre gloire que celle de bien faire. Imitez notre grand roi Stanislas, pere de notre illustre reine, qui a daigne quelquefois faire imprimer de^ petits livres chretiens entierement a ses depends17.11 cut toujours la modestie de cacher son nom, et on ne 1'a scu que par son digne secretaire Mr de Solignac18. Le papier me manque. Je vous embrasse en Jesus Christ. Jean Patourel19, cy-devant jesuite MANUSCRITS *A. B.N., ms. fr. 12902, f° 12-13; 4 p.; orig. B. BK 1139. IMPRIMES

I. Le Bonheur, 1776, p. 162-165. II. (Euvres, 1781, V, p. 225-227. III. Kehl, LVIII, p. 177-180. IV. (Euvres, 1795, XIII, p. 230-235. V. (Eumes, 1818, III, p. 228-230. VI. Best 10560. VII. Best. D. 11383. TEXTE

Ajoute en haut du A : "a M. Helvetius". Omis dans le B.b Omis dans le B et les I, II, IV et V. c Omis dans le B et le III. d Le B et le III: "qui, a la verite, avait ecrit". e Omis dans les I, II, IV et V. ^Le B et les I, II, III, VI et VII: "des".

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NOTES EXPLICATIVES

1. Voir lettre 353, note 4. 2. Voir lettre 356, note 2. 3. Etienne Jean de Guimard Des Rocheretz, baron de Montperoux, etait resident de France a Geneve depuis 1750. Son mariage avait ete celebre a Ferney en 1760. II mourra a Geneve en 1765 et Hennin lui succedera. Voltaire n'etait son "aumonier" qu'en ceci qu'il lui pretait de 1'argent. 4. Le 19 juin 1762, sur le rapport de son procureur general, Jean-Robert Tronchin, le Petit-Conseil de Geneve avait condamne I'Emile et le Contrat social comme "tendant a detruire la religion chretienne et tous les gouvernements". Ce n'est qu'un an plus tard, le 18 juin 1763, qu'une quarajitaine de citoyens s'etaient eleves centre ce jugement,

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plainte suivie, le 8 aout, d'une deuxieme contestation soutenue par une centame de citoyens, et le 20 aoiit, d'une lettre de 480 personnes demandant que 1'affaire soit soumise .au Conseil general. Julien 1'Apostat (331-363), neveude Constantin et empereur remain, dont le regne avail etc marque par un gouvernement assez liberal, ainsi que par 1'institution de la tolerance religieuse, le rejet du christianisme, et de vains efforts pour fonder durablement une eglise pai'enne. Philosophe platonicien du He siecle, connu pour ses attaques contre le christianisme, aux adeptes duquel il reprochait d'etre secessionnistes et de s'adonner a des superstitions. Porphyre, philosophe neo-platomcien du IIIe siecle, disciple de Longin, puis de Plotin, auteur de plusieurs traites et autres ouvrages, dont le plus connu est I'Isagoge. Antony Ashley Cooper, troisieme comte de Shaftesbury (1671-1713), philosophe platonicien anglais, auteur de Characteristics of Men, Manners, Opinions and Times (1711). Voir lettre 441, note 5. Anthony Collins (1676-1729), deiste anglais, auteur d'un Discourse of Free- Thinking (1713). Thomas Woolston (1670-1733), deiste anglais, auteur de Discourses on the Miracles of Our Saviour (1727-1730), qui lui valurent de

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rester emprisonne de 1729 jusqu'a sa mort. Le Pedagogue chretien, ou la Maniere de vivre chretiennement, du pere Philippe d'Outreman (1625). Penses-y hien, courtes reflexions sur les quatrefins et le purgatoire, d'Andre Colinot (1721). Voltaire avait fait paraitre son Sermon des cinquante a Geneve chez les Cramer en 1762. Voir lettre 502, note 6. Le Catechisme (v. lettre 507, note 1) avait paru sans nom d'auteur. Voltaire invente ici 1'abbe Durand et 1'attribution qui lui est faite. II est pourtant a noter que quinze ans plus tot, le Journal des savants avait presente un "M. le chevalier Durand" comme etant 1'auteur de Pedition originale du Memnon de Voltaire, publiee par Arkstee et Merkus en 1747 (op. cit., mai 1748, p. 140). Stanislas Leszczynski avait public L'Incredulite comhattuepar le simple bon sens, et 1'annee meme de cette lettre, allait faire paraitre ses (Euvres du philosophe bienfaisant en 4 volumes. Pierre Joseph Solignac de La Pimpie (1684-1773), conseiller litteraire de Stanislas et premier secretaire perpetuel de son Academic. Pseudonyme dont la signification nous echappe. II a existe un Jean Pastourel, avocat du roi anobli en 1354 par Charles V (v. Moland, XII, p. 327, Essai sur les mceurs).

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510. Voltaire a Helvetius 15 septb [1763]Mon cher philosophe, vous avez raison d'etre ferme dans vos principes, par ce qu'en general vos principes sont bons. Quelques expressions hazardees ont servi de pretexte aux ennemis de la raison. On n'a cause gagnee avec notre nation qu'a 1'aide du plaisant et du ridicule. Votre heros Fontenelle fut en grand danger pour les Oracles1 et pour la reine Mero et sa sceur Enegu^2. Et quand il disait que, s'il avait la main pleine de veritez, il n'en lacherait aucune3, c'etait par ce qu'il en avait lache et qu'on luy avait donne sur les doigts. Cependant cette raison tant persecuted gagne tous les jours du terrain. On a beau faire, il arrivera en France chez les honnetes gens ce qui est arrive en Angleterre. Nous avons pris des Anglais les annuitez, les rentes tournantes, les fonds d'amortissement, la construction et la manoeuvre des vaissaux, 1'attraction, le calcul differentiel, les sept couleurs primitives, 1'inoculation. Nous prenons insensiblement leur noble liberte de penser, et leur profond mepris pour les fadaises de 1'Ecole. Les jeunes gens se forment; ceux qui sont destinez aux plus grandes places sont defaits des infames prejugez qui avilissent une nation. Il y aura toujours un grand peuple de sots, et une foule de fripons, mais le petit nombre des penseurs se fera respecter. Voyez comme la piece de Palissot est deja tombee dans Poubli. On sait par coeur les traits qui ont perce Pompignan, et on a oublie pour jamais son discours et son memoire4. Si on n'avait pas confondu ce malheureux, 1'usage d'insulter les philosophes dans les discours de reception a 1'Academic aurait passe en loy. Si on n'avait pas rendu nos persecuteurs ridicules, ils n'auraient pas mis de bornes a leur insolence. Soyez sur que, tant que les gens de bien seront unis, on ne les entamera pas. Vous allez a Paris, vous y serez le lien de la concorde des etres pensants. Qu'importe encor une fois que notre tailleur et notre sellier soient gouvernez par frere Croust5 et par frere Bertier6? Le grand point est que ceux avec qui vous vivez csoient eclairez, et que le janseniste et le molinistec soient forcez de baisser les yeux devant ^le philosophe^. C'est 1'interest du roy, c'est celui de 1'Etat que les philosophes gouvernent* la societe. Ils inspirent 1'amour de la patrie et les fanatiques y portent le trouble, mais plus ces miserables sentiront votre superiorite, plus vous aurez d'attention a ne leur point donner prise par des paroles dont ils puissent abuser. Notre morale est meilleure que la leur, notre conduitte plus respectable. Ils parlent de vertu et nous la pratiquons. ^Enfin notre party 1'emporte sur le leur dans la bonne compagnie/ Conservons nos avantages; ^que les coups qui les ecraseront, partent de mains invisibles, et qu'ils tombent sous le mepris public/Cepen82

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dant vous aurez une bonne maison, vous y rassemblerez vos amis, vous repandrez la lumiere de proche en proche, vous serez respecte, meme de ces indignes ennemis de la raison et de la vertu. ^Voila votre situation, mon cher ami/ Dans ce loisir heureux vous vous amuserez a faire de bons ouvrages sans y exposer votre nom aux censures des fripons. Je voi qu'il faut que vous restiez en France, et vous y serez tres utile. Personne n'est plus fait que vous pour reunir les gens de lettres. ^Vous pouvez clever chez vous un tribunal qui sera fort superieur chez les honnetes gens a celuy d'Omer Joli/ Vivez guaiment, travaillez utilement, soyez 1'honneur de notre patrie. Le temps est venu ou les hommes comme vous doivent triompher. Si vous n'aviez pas etc mari et pere, je vous aurais dit: "Vende omnia qu& babes et sequere me"7, mais votre situation, je le vois bien, ne vous permet pas un autre etablissement qui peutetre meme serait regarde comme un aveu de votre crainte, par ceux qui empoisonnent tout. Restez done parmi vos amis, rendez vos ennemis odieux et ridicules, aimez-moy et comptez que je vous serai toujours attache avec toutte 1'estime et Pamitie que je vous ai vouees depuis votre enfance. [adresse : ]s A Monsieur / Monsieur Helvetius, etc3 / En son chateau de Vaure / dans le Perche / *A Vaure^ MANUSCRITS

*A. Morgan, MA 1752(29); 7 p.; orig. autogr. sauf pour 1'adresse; cachet sur cire rouge; timbre de la poste : GENEVE. B. BK 1142. IMPRIMES

I. Le Bonheur, 1776, p. 166-168. II. (Euvres, 1781, V, p. 228-230. III. Kehl, LVIII, p. 180-182. IV. (Euvres, 1795, XIII, p. 236-240. V. (Euvres, 1818, HI, p. 230-232. VI. Best. 10595. VII. Best. D. 11418. TEXTE

Mentions ajoutees au A: "A M. Helvetius 1763" (en haut de la page 1) et "Suite de la lettre a M. Helvetius du 15 7br 1763" (en haut de la page 5). a Annee ajoutee dans le A. b Les I, II, IV et V : "Enegui". cSauf pour ce qui est de Moland (XLII, p. 571), qui a bel et bien omis ce passage, Besterman est dans Per-

reur en affirmant que ce dernier est absent de toutes les editions de la presente lettre ayant precede les siennes. d Les I, II, IV et V : "Phonnete homme". e Les I, II, IV et V : "aient du credit dans". ^Omis dans les I, II, IV et V. *L'adresse manque dans le B et les I, II, III, IV et V. * Mots rayes dans le A et remplaces par "A Paris". Ajoute en bas de page : "Bonne pour Paris, Rue Sainte- / Anne, Butte Saint-Roch". NOTES EXPLICATIVES

1. Histoire des oracles (1686). 2. La Relation curieuse de Vile de Borneo, parue dans les Nouvelles de la Republique des lettres, de Janvier 1686, contient des allusions a la Revocation de 1'Edit de Nantes, proclamee trois mois auparavant. Sous Papparence d'un recit de voyage, cet opuscule ridiculise Pintolerance religieuse et en defend les victimes. Les noms de

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LETTRE511

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Mreo (et non Me ro) et d'Eenegu y representent, en forme d'anagramme, Rome et Geneve. Pour dissiper le scandale qu'il avait provoque parmi les catholiques, Fontenelle eut, selon Voltaire, "la bassesse de faire d'assez mauvais vers" intitules Le Triomphe de la religion sous Louis le Grand (1687), dans lesquels il louait la destruction de Pheresie (Moland, XXVI, p. 501). Pour le danger qu'il avait couru, voir lettre 460, note 3. 3. Dans Del'Esprit, Helvetius cite differemment ce passage de Fontenelle : "Aussi M. de Fontenelle a-t-il tou-

4.

5. 6. 7.

jours repete que, s'il tenoit toutes les verites dans sa main, il se garderoit hien de I'ouvrir pour les montrer aux hommes" (p. 213). Pour Palissot et Les Philosophes, voir lettre 452, note 2. Pour le discours et le memoire de Le Franc de Pompignan, voir lettres 455, note 5, et 464, note 10. Voir lettre 465, note 4. Voir lettre 352, note 1. Cf. Mathieu, XIX, 21, Marc, X, 21, et Luc, XVIII, 22 : Vends tout ce que tu as et suis-moi.

511. Voltaire a Helvetius 4e 8bre 1763 Mon frere, le hazard m'a remis sous les yeux le decret de la Sorbonne, et le requisitoire de Me Omer1. Je vous exhorte a les relire pour vous exciter a la vengeance en regardant votre ennemi. Je ne crois pas qu'on ait entasse jamais plus d'absurdites et plus d'insolence, et je vous avoue que je ne congois pas comment vous laissez triompher 1'hydre qui vous a dechire. Le comble de la douleur, a mon gre, est d'etre terrasse par des ennemis absurdes. Comment n'emploiez-vous pas tous les moments de votre vie a venger le genre humain en vous vengeant? Vous vous trahissez vous-meme en n'emploiant pas votre loisir a faire connaitre la verite. Il y a une belle histoire a faire, c'est celle des contradictions. Cette idee m'est venue en lisant 1'impertinent decret de la Sorbonne. Il commence par condamner cette verite que toutes les idees nous viennent par les sens, qu'elle avait adoptee autrefois, non pas" parce qu'elle etait verite, mais parce qu'elle etait ancienne. Ces marauts ont traitte la philosophic comme ils traitterent Henry 42, et comme ils ont traitte la bulle, que tantot ils ont regue, et qu'ils ont tantot condamnee3. Ces contradictions regnent depuis Luc et Matthieu, ou plutot depuis Moyse. Ce serait une chose bien curieuse que de mettre sous les yeux ce scandale de 1'esprit humain. Il n'y a qu'a lire et transcrire. C'est un ouvrage tres agreable a faire; on doit rire a chaque ligne. Moyse dit qu'il a vu Dieu face a face, et qu'il ne 1'a vu que par derriere4. Il defend qu'on epouse sa

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belle-soeur, et il ordonne qu'on epouse sa belle-soeur5; il ne veut pas qu'on croie aux songes6, et toute son histoire est fondee sur des songes. Enfin, dans chaque page, depuis la Genese jusqu'au concile de Trente, vous trouvez le sceau du mensonge. Cette maniere d'envisager les choses est palpable, piquante, et capable de faire le plus grand effet. Ne seriez-vous pas charme qu'on fit un tel ouvrage? Faittes-le done. Vous y etes interesse; vous devez decrediter ceux qui vous ont traitte si indignement. Si 1'idee que je vous propose n'est pas de votre gout, il y a cent autres manieres d'eclairer le genre humain. Travaillez, vous etes dans la force de votre genie; je me charge de 1'impression, vous ne serez jamais compromis. Adieu; soiez sur que votre Fontenelle n'eut jamais etc aussi empresse que moi a vous servir. [adresse : ]b A Monsieur / Monsieur Helvetius / Ac MANUSCRITS ;;

'A. Morgan, MA 1752(30); 3 p.; orig.; cachet sur cire rouge. B. BK 1147. IMPRIMES

I. Kehl, LVIII, p. 192-193. II. Best. 10618. III. Best. D. 11444. TEXTE Ajoute en haul du A : "a M. Helvetius". "Mot omis dans le B et le I. ^L'adresse est absente dans le B et le I. c Le bas de la page a etc laisse disponible pour 1'adresse, apres le "A". Voltaire a envoye cette lettre par 1'intermediaire de Damilaville avec le message suivant: "Voicy encor un petit mot pr Mr Helvetius. Je ne sc,ais ou il est." (Best. D. 11445.) NOTES EXPLICATIVES

1. La censure de la Sorbonne et la condamnation du Parlement se trouvent dans la bibliotheque de Voltaire a Leningrad, la seconde etant reliee avec un exemplaire in-4° de L'Esprit. Voir M. P. Alexeiev & T. N. Kopreieva, Bibliotheque de Voltaire. Catalogue des livres, Moscou &

Leningrad, 1961, nos 681a et 197. Pour le texte des remarques que Voltaire a ajoutees au requisitoire, voir E. Philips & Jean A. Perkins, "Some Voltaire Marginalia", Studies, CXIV (1973), p. 18-19. 2. Le 10 fevrier 1590, la Sorbonne avait declare qu'Henri de Beam etait heretique et relaps, et que "ceux qui le reconnaissaient pour roi etaient en peche mortel" (Voltaire, Histoire du parlement de Paris, Moland, XV, p. 543). Le 17 decembre 1595, apres deux ans et demi de deliberations, refus et exigences de piete, le pape Clement VIII se resolut a accorder a Henri IV, qui s'etait converti le 25 juillet 1593, 1'absolution que ce dernier lui avait demandee. Celle-ci le "reintegrait de sa pleine autorite dans le royaume de France" (Le Cri des nations, Moland, XXVII, p. 573). 3. "La Sorbonne [...], ayant autrefois [1714] regarde la bulle avec horreur, la regardait maintenant [1754] comme une regie de foi" (Histoire du parlement de Paris, Moland, XV,

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LETTRE 512 p. 383). II s'agit de la Constitution Unigenitus de 1713. 4. Cf. Exode, XXXIII, 11 et XXXIII, 20 et 23.

Octobre 1763 5. Cf. Levitique XX, 21 et Deuteronome XXV, 5. 6. Voir Deuteronome XIII, 1-3.

572. Horace Walpole, comte d'Orford1, a sir Horace Mann2 Strawberry Hill, Oct. 17, 1763 [...] Their Helvetius, whose book has drawn such persecution on him, and the persecution such fame, is coming to settle here, and brings two Miss Helvetius's with 50 thousand pounds apiece to bestow on two immaculate members of our most august and incorruptible senate - if he can find two in this virtuous age who will condescend to accept his money3. [...] \traduction :] Strawberry Hill, 17 octobre 1763 [...] Leur Helvetius, dont le livre lui a valu une telle persecution, et celleci, une telle reputation, va venir s'etablir ici. II sera accompagne de deux demoiselles Helvetius, chacune nantie de cinquante mille livres destinees a etre offertes a deux irreprochables membres de notre senat si auguste et si incorruptible, a supposer qu'il parvienne, en cet age de vertu, a en decouvrir deux qui condescendent a accepter cet argent3. [...] MANUSCRIT :;

'A. Universite Yale, Lewis Walpole Library; 3 p.; copie autogr. IMPRIMES

I. The Letters of Horace Walpole, ed. Cunningham, London, 1861-1866, 9 vol., IV, p. 119. II. Walpole's Correspondence, XXII, p. 176. NOTES EXPLICATIVES

1. Voir lettre 378, note 1. 2. Mann (1706-1786), cree baronnet en 1755, etait resident de GrandeBretagne a Florence.

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3. Helvetius ne se rendra en Angleterre qu'en mars 1764 et ne sera accompagne, ni de sa femme, ni de ses deux filles. A sa mort, ses biens seront evalues a 3 347 755 livres tournois, et la dot de chacune xle ses filles sera de 1 573 470 livres (v. M.C., LVI, 178 et 179), somme qui correspondait a environ 68 500 livres sterling, au taux de change d'environ 23 tournois pour une sterling, qui s'est maintenu pendant tout le troisieme quart du siecle.

Octobre 1763

LETTRE 513

513. George Keith, comte-marechal d'Ecosse1, a Helvetius [Fin octobre 1763?]2 [Keith annonce que David Hume vient d'etre eleve au rang des saints par acclamation publique.] La rue ou il demeure est appele la rue de saintDavid?. Vox populi, vox Dei. Amen. MANUSCRIT

D'apres le fichier Charavay, 1'original etait un petit billet autographe joint a une lettre de Keith a d'Alembert. NOTES EXPLICATIVES

1. George Keith (1686P-1778), dixieme et dernier comte-marechal d'Ecosse, qui avait etc un partisan enthousiaste des Stuart, bien qu'il fut lui-meme protestant, avait du s'expatrier en 1715. Apres avoir servi dans 1'armee espagnole, il avait rejoint son frere cadet James, feld-marechal a Berlin. Frederic II, qui 1'appreciait beaucoup, 1'avait nomme ambassadeur a Versailles en 1751, puis gouverneur de la principaute de Neuchatel en 1754. Il s'etait reconcilie en 1759 avec la dynastic des Hanovre, et apres avoir vendu ses terres d'Ecosse, que George II lui avait restituees, il etait alle s'etablir a Potsdam, pour y passer le reste de sa vie dans une maison agreable d'ou il pouvait se rendre a Sans-Souci en empruntant les jardins du chateau. Gai, spirituel, sceptique, tolerant, humain et integre, il avait rendu de grands services a Rousseau. 2. Cette lettre porte sans doute sur Paccueil chaleureux qu'a regu David Hume lors de son arrivee a Paris le 18 octobre 1763. A cette epoque, Keith se trouvait en Ecosse, qu'il quittera pour Hambourg et Potsdam le 7 juin 1764. 3. Plaisanterie sur le prenom de Hume

concernant sa residence a Paris : cette pretendue rue Saint-David etait la rue de 1'Universite, ou etait situee 1'ambassade de Grande-Bretagne, dans 1'hotel de Brancas. Signalons que la rue ou David Hume s'installera a Edimbourg en 1772 portera dans 1'usage le nom analogue de "Saint David's Street", devenu officiellement par la suite "Saint David Street". REMARQUES

Le 22 aout 1763, le baron d'Holbach s'etait rejoui dans une lettre adressee a Hume de la perspective de le rencontrer a Paris : "MM. Stuart, Dempster, Fordyce, qui ont la bonte de m'honorer de leur compagnie, nous ont donne quelque espoir de vous voir dans cette capitale. [...] Je ne doute pas que mon bon ami, M. Helvetius, se joindra a nous pour exprimer ces voeux, et vous persuadera de venir." (R.S.E., V, 72; Burton, p. 253; et Sauter, lettre 10; traduction.) Le 24 octobre, Mme Belot annonce a Devaux qu'elle attend 1'occasion de "rencontrer [Hume] tout naturellement chez M me Helvetius" (B.N., ms. fr., n. a. 15582, f° 37 verso). Enfin, en decembre, Hume ecrit au reverend Hugh Blair: "Ceux dont j'apprecie le plus la personnalite et la conversation sont d'Alembert, Buffon, Marmontel, Diderot, Duclos, Helvetius et le vieux president Henaut." (Greig, I, p. 419; traduction.)

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LETTRE 514

Janvier 1764

514. Helvetius a Jean Henri Samuel Formey1 Monsieur, Je sens tout 1'honneur que me fait Pacademie en voulant bien me placer au nombre de ses associes2. S'il est dans le monde un bien desirable, c'est 1'estime des homines illustres qui la composent, c'est la faveur de 1'auguste protecteur sous les loix desquels ils vivent. Je ne me flattois pas que mes foibles talens eussent merite 1'attention de Pacademie & de SaMajeste. Mais elle ne dedaigne rien, parce qu'elle suffit a tout, parce que tout est egalement present a ses yeux. Quelque eblouissant que soit* Peclat des talens des ministres & des generaux qu'elle forme, il ne lui cache point le merite presque ignore de Phomme de lettres qui n'est meme pas ne sous sa domination. Le choix d'un tel monarque, celui de Pacademie, legitimeroient les pretensions de Porgueil le plus grand; ils me donnent le droit de penser favorablement de moi. On sgait trop combien ce droit est agreable & cher a notre amour-propre, pour ignorer qu'en cet etat notre plaisir devient la mesure de notre reconnoissance. La mienne est infinie. En vous priant, Monsieur, de vouloir bien en assurer Pacademie, qu'il me soil permis de vous remercier en particulier de Pestime que vous me temoignez, & de vous dire combien j'en suis flatte. Vos ouvrages, la place que vous occupez dans Pacademie, le souverain qui vous y a nomme, font assez votre eloge. Je fais le mien, en vous disant que je crois sentir une partie de votre merite. Je suis, avec les sentiments de la reconnoissance la plus vive & la plus respectueuse, &c., Helvetius A Paris, le 23 Janvier 1764 IMPRIME *I. Formey, Souvenirs d'un citoyen, Berlin, 1789, 2 vol., II, p. 200-202. TFXTF

"Le I : sont . NOTES EXPLICATIVES Formey fait preceder cette lettre du commentaire suivant: "Helvetius [...] est egalement connu par les excellentes qualites de son coeur, & par Pimprudence qu'il eut de troubler le repos de sa vie, en publiant un ouvrage, qui ne meritoit pas assurement ce sacrifice, ou les verites, s'il y en a, sont presentees

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sous un faux point de vue, & accompagnees de trivialites & de sarcasmes indecens. Il fut aggrege a Pacademie de Berlin, le 5 de Janvier, 1764, je le lui notifiai, & il me fit la reponse suivante." , . . . . T La lettre que rormey mdique avoir envoyee, non parvenue jusqu'a nous, a du arriver a Paris apres le 20 Janvier, car d'Alembert lui ecrit a cette meme date : "Je viens d'apprendre [...] queM r Helvethis a etc elu le 31 decembre dernier membre de PAcademie. Je vous prie instamment, aussitot la presente regue, de vouloir bien me mander si le fait est vrai, afin que Mr Helvetius en puisse

Fev ier 1764

LETTRE 515 faire ses remercimens a votre illustre compagnie." (Bibl. Jagiellonska, Cracovie.) Cette confirmation n'a pas du tarder a parvenir a d'Alembert, non plus que celle de 1'admission conjointe de Jaucourt, car il ecrit de nouveau a Formey en ces termes le 10 fevrier : "Vous avez du recevoir il y a quelque temps les lettres de remercimens de Mrs Helvetius & de Jaucourt." (Meme reference.) 1. Formey (1711-1797), pasteur et polygraphe allemand, fils d'un refugie champenois. Il etait alors directeur de la Bibliotheque germanique et secretaire perpetuel de 1'academie de Berlin. 2. Le 5 Janvier 1764, Helvetius avait etc admis a PAcademie royale des sciences de Berlin en tant que membre etranger (v. Nouveaux Memoires de I'Academie royale des sciences et belles-lettres, annee 1770 [Berlin,

1772], p. 18). D'apres la Gazette de France du 23 Janvier 1764, "le sieur Euler avait ouvert Passemblee [de 1'academie de Berlin du 29 decembre 1763] par la lecture d'une lettre du marquis d'Argens, suivant laquelle Sa Majeste temoignait qu'elle trouveroit bon que PAcademie regut, [...] en qualite d'associes le sieur Helvetius et le sieur de Jaucourt." C'est d'Alembert qui avait entrepris les demarches necessaires pour faire admettre les deux philosophes : "Je viens de faire entrer dans 1'academie de Berlin Helvetius & le chevalier de Jaucourt. J'ai ecrit a votre ancien disciple [Frederic II] les raisons qui me le faisoient desirer, & la chose a ete faite sur-le-champ." (Lettre de d'Alembert a Voltaire du 22 fevrier 1764, Best., D. 11720.)

515. Helvetius a Frederic II, roi de Prusse Sire, J'ose esperer que le litre d'associe externe dont 1'academie de Berlin vient de m'honorer me donne le droit de faire mes remerciments a Votre Majeste. Peutestre est-ce un pretexte que ma vanite saisit pour se mettre aux pieds d'un grand Roy. Il est si glorieux de pouvoir presenter son homage a un monarque, 1'etonnement du siecle present et peutestre le model innimitable des siecles a venir, que je ne puis resister au desir de luy marquer ma respectueuse reconnoissance. Si cette liberte est reprehensible, Pamour de Votre Majeste pour les sciences me fait compter sur son indulgence. La nation des lettres, repandue ches les divers peuples, est une nation conquise par ses bienfaits, elle en est le chef adoptif. C'est 1'espoir de meriter ses bontes qui anime, qui soutient aujourd'huy le* scavant dans ses travaux. C'est a Votre Majeste que 1'univers devra les lumieres que les scavants repandront peutetre dans ce siecle. Us sont en but aux traits de Penvie et du fanatisme; couvrez-les toujours de votre puissante egide. Tous les dieux divers ont eu leur pretres charges d'annoncer leur culte et leur gloire aux peuples differents. Les pretres de votre temple sont les 89

Fevrier 1764

LETTRE 516

philosophes; c'est a eux de faire connoitre aux hommes un genie que son elevation derobe aux regards de la plus part d'entre eux, c'est aux philosophes a apprendre aux nations 1'homage qu'elles doivent vous rendre. Eux seuls peutetre ont pour Votre Majeste cette admiration sentie, 1'unique qui soit flatteuse et qui puisse se communiquer aux autres hommes. Si je me compte parmy ces philosophes, cette presomption n'est point 1'effet de mon orgueil, mais du zele dont je me sens echauffe pour le respectable objet de leur adoration. Je suis, avec le plus profond respect, Sire, De Votre Majeste, Le tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius A Paris, ce l er fevrier 1764 MANUSCRIT

TEXTE

:;

Les termes "Votre Majeste", "Roy" et "monarque" sont ecrits en lettres de plus grande taille que les autres.

"A. Geheimes Staatsarchiv Preussischer Kulturbesitz, Berlin, BPH, Rep. 47, n° 422; 3 p.; orig. autogr.

516. Frederic II, roi de Prusse, a Helvetius [Frederic II accuse reception de la lettre d'Helvetius du l er fevrier1.] En vous pla^ant dans mon Academic2, j'ai etc charme d'avoir cette occasion de vous donner une preuve de mon estime pour vos talens et pour votre cceur. [...] Federic3 A Potsdam, ce 19 fevrier 1764 MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

*A. Collection du marquis de Rosanbo, fonds Lamoignon 263 ap 6; 1 p.; orig. signe.

1. Voir lettre precedente. 2. Voir lettre 514, note 2. 3. Quand il signait des lettres personnelles ou des billets, le roi supprimait le premier r de son nom.

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LETTRE518

Mars 1764

517. Helvetius a Madame Helvetius Je debarque a Douvres, ma chere femme. J'ay si froid aux doigts que je ne puis former mes lettres", mais tant que j'en auray, ce sera pour t'ecrire que je t'adore. Nous avons eu un bon vent assez fort qui nous a fait aller bon train. Je n'ay point etc malade, mais mon pauvre Chevalier1 a un peu vomi, quoi qu'il ait longtems resiste au mouvement. Je t'ecris que je t'adore aujourdhuy au soir; je te 1'ay encor ecris ce matin de Calaix2; je te le diray avec plus de detail quand je seray a Londres. Je vais me coucher. Mes respects a Mde la comtesse3 et mes compliments a Mr Le Roy. Souvenez-vous de luy demander ce que je vous ai marque dans ma lettre de ce matin. Ce samedy [10 mars 1764]4, au soir [adresse :] A Madame / Madame Helvetius la jeune / rue Ste-Anne, butte St-Roc / vis-a-vis la rue des Orties / A Paris^ MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

"A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; traces de colle rouge.

1. 2. 3. 4.

:;

TF\"TF

"Lecnture du debut de cette lettre est . . . . ., , ,. . maladroite et tremblee. On a rait suivre . . . . . la lettre, qui porte les mentions : A Marly / che Me la Contes / De Vaze / A Marly-le-Roy.

Voir lettre 479, note 4. Lettre non parvenue jusqu'a nous. La comtesse de Vasse (v. note h). Helvetius etant arrive a Londres le 12 , , • N ., mars (v. lettre suivante, note 1I), il a ,* • j T-> i m du attemdre Douvres le 10.

518. Helvetius a Madame Helvetius [15 mars 1764]1 II y a deux jours, ma chere amie, que je suis arrive a Londres; je n'ay pas pu vous ecrire tout de suite, parceque je n'avois ni logement ni domestique arrette. J'ay tout ce qu'il me faut excepte la plus essentielle qui est vous que j'adore, et que je ne croiois pas encor* aussi essentielle au bonheur de ma vie *que je le sens". Je vous rendray compte uniquement de ce que mes yeux ont vu. Dans les premiers jours on ne fait que voir. L'entree de Londres par le pont de 91

LETTRE518

Mars 1764

Whesmenster2 est on ne peut pas" plus belle. Lorsqu'on s'avance dans la ville, on sent une odeur du charbon de terre3 qui est fort desagreable, mais on s'y fait en cinq ou six heures de terns. J'ay etc rendre visitte a notre ambassadeur4 le lendemain de mon arrivee. 11 m'a fort" accueilli: il m'a mene au leve du Roy5 qui m'a recu avec toute la bonte possible. Le lendemain j'ay vu la Reine6 qui m'a traitte avec la meme bonte. Ainsy vous voiez que je n'ay jusqu'a present qu'a me louer des Anglois. Le Roy est tres beau, est" extremement afable, et est aime, ainsy que la Reine, de tout ce qui 1'approche. Mr Stanley7 m'a fait mille politesse, m'a marque on ne peut pas* plus d'amitie, et m'a fait diner avec plusieurs des hommes les plus considerables de ce pais. Les rues de cette vile sont communement plus large que la rue S'-Louisau-Marais8. Il y a des trotoirs de chaque cote de la rue, qui prouvent qu'en ce pais on fait cas des gens a pied. Du reste, la rue est si mal pave que c'est un suplice d'y aller en fiacre9; je ne connois point de chemin aussy cahoteux et aussy mauvais. J'ay etc ce soir a un opera anglois10; la salle m'a paru plus belle et plus grande, et d'une forme plus agreable que les notres11. Je ne vous diray rien encor du caractere des Anglois, sinon qu'ils aiment 1'argent autant que tous les autres hommes, que c'est le ressort general qui me paroit mouvoir toute cette nation ou les patriotes sont tres rares. Cependant la forme du gouvernement les contient jusqu'a un certain point et ils sont obliges^ d'en jouer le role et c'est deja 1'etre un peu. Les petits chapeaux des femmes angloises qui vont le long des trotoirs et leur taille les rend c tres agreables. Pour les femmes qui sont a la cour, elles ne m'ont pas paru plus belles que les notres; on ne les fetes pas beaucoup. Quand j'auray dine avec quelques-unes d'entre elles, je vous en diray davantage. Tout ce qu'il [y] a de bien" certain, c'est qu'il n'en est pas une dans 1'univers qui puisse me plaire autant que vous. Je ne puis pas trop vous le redire parcequ'il n'y a pas de minute dans la journee ou je ne le sente vivement. Embrassez mes enfants que je ne croiois pas non plus aimer autant. Adieu, ma plus chere, ma plus tendre et ma plus belle amie. ^Voicy mon adresse : Mr Helvetius, a Coppenole, dans Suffolklk St treet, a Londres12. Faittes toujours mettre 1'adresse par Beaurecaire13. Songez que quelquefois la mer est si" rude que la poste est arrette a Douvres. Mille compliments au baron14, a Mr Le Roye, et mille respects a Madame la comtesse15. Vous devez avoir deja recu deux lettres de moy16. Adieu encor, ma plus belle et plus chere amie/ [adresse :] A Madame / Madame Helvetius, rue / Ste-Anne, butte St-Roch, vis-a- / vis la rue des Orties / A Paris

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LETTRE518 MANUSCRIT :;

"A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; fragments de cachet sur cire rouge. IMPRIME

I. Guillois, p. 441-442. TEXTE Omis d ans le I. b Le I : "forces". c Le A : "rend(ent)". d Post-scriptum ajoute en haut de la premiere page. e Le I : "Ray [ = Leray de Chaumont]".

a

NOTES EXPLICATIVES

1. Le 13 mars Horace Walpole avait annonce a lord Hertford : "Monsieur Helvetius arrived yesterday." (Walpole's Correspondence, XXXVIII, p. 345.), et comme Helvetius dit avoir ecrit la presente lettre deux jours apres son arrivee (v. par. 1), 1'affirmation de Walpole amenerait a la dater du 14 mars. Mais 1'auteur mentionne par la suite qu'il a assiste le soir meme a un opera (v. par. 4). Or, aucune representation de cette nature n'a eu lieu a Londres le 14, et il n'a pu s'agir que du 15 (v. note 9 ci-apres). Cette datation concorde avec les donnees fournies par Helvetius dans les trois premiers paragraphes : le 12, arrivee a Londres; le 13, visite a 1'ambassadeur et lever du roi ("le lendemain de mon arrivee"), le 14, audience avec la reine ("le lendemain"), et le 15, visite a 1'opera ("ce soir"). 2. La construction de 1'ancien pont de Westminster, oeuvre du Suisse Charles Labelye, avait pris fin en 1750. Jusqu'a cette date, on traversait la Tamise, soit par le pont de Londres, soit par le bac (Horseferry), qui fonctionnait a 1'endroit ou se trouve maintenant le pont de Lambeth. Le pont de Westminster actuel a etc construit en 1862.

Mars 1764 3. En France, le seul combustible domestique est alors le bois, tandis que dans la capitale britannique, c'est surtout le charbon, dont la fumee, "roulant dans une atmosphere pesante et humide, forme un nuage qui enveloppe Londres comme un manteau". (Pierre Grosley, Londres, Lausanne, 1770, 3 vol., I, p. 75-76; cf. Delille, Les Jardins, chant II, derniers vers.) 4. Claude Louis Francois Regnier, comte de Guerchy (1715-1767). Apres une carriere militaire glorieuse, il avait etc nomme en 1763 a 1'ambassade de Londres a 1'initiative du due de Praslin. Son sejour en Angleterre fut complique et rendu difficile par ses vains efforts pour se debarrasser du chevalier d'Eon, qui etait poste a Londres, en mission secrete, sur 1'ordre de Louis XV (v. lettre 525, note 4). 5. La ceremonie du lever de George III (v. lettre 501, note 2) avait lieu au palais de Saint-James, situe entre le Mall et Pall Mall. 6. De meme que les ambassadeurs, qui devaient presenter leurs lettres de creance et de rappel aussi bien a la reine qu'au roi, Helvetius est rec,u a Buckingham House, qui etait depuis 1762 1'une des residences de la famille royale. Ce batiment est devenu, apres avoir subi des transformations, 1'actuel palais de Buckingham. 7. La maison de Stanley (v. lettre 367, note 3) etait sise dans Privy Gardens, petite rue devenue 1'actuel Whitehall Court, qui est parallele a Whitehall et a la Tamise, et est situee entre 1'un et 1'autre. 8. Devenue la partie de la rue de Turenne situee entre les rues des

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Mars 1764

LETTRE 518 Francs-Bourgeois et des Filles-duCalvaire. 9. Le pavage etait presque inconnu a Londres. Par temps de pluie, les rues recouvertes de galets ronds jetes a meme le sol se transformaient en bourbiers. Elles etaient traversees, par endroits, de petites chaussees en dos d'ane qui permettaient aux pietons de les franchir, mais qui constituaient des obstacles pour les voitures. Un ruisseau occupait le milieu de la rue. "Les carosses les mieux suspendus & les plus etoffes, ecrit Grosley, sont de vraies charrettes, soit par le tres dur cahotement qu'occasionne[nt] a chaque pas Pinegalite & 1'instabilite du pave, soit par le danger continuel d'etre eclabousse, si 1'on ne tient pas toutes les glaces levees." (Op. cit., I, p. 64.) Si les rues du vieux Londres, autour de la Cite, etaient fort etroites, elles etaient au contraire larges et droites dans les nouveaux quartiers de 1'Ouest. Les trottoirs proprement dits, sureleves, et formes de larges dalles, etaient encore rares. Quand il n'y en avait pas, un espace etait quand meme reserve aux pietons, delimite par une rangee de poteaux protecteurs. 10. Get opera n'a pu etre que The Royal Shepherd, an English Opera, adaptation d'// Re pastore, de Metastase, par Richard Rolt, avec musique de George Rush, represente le 15 mars au Theatre Royal, a Drury Lane. La premiere avait eu lieu le 24 fevrier (v. compte-rendu dans The Gentleman's Magazine, mars 1764, p. 110). 11. Le premier Theatre Royal avait echappe au Grand Incendie de Londres (1666), mais avait brule en

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12.

13. 14. 15. 16.

1672. Reconstruit en 1674 par sir Christopher Wren, il avait etc plusieurs fois renove par Garrick et pouvait recevoir a cette epoque environ 1 800 personnes. La rue Suffolk est parallele a Haymarket. Des recherches effectuees par Gumming (p. 95) dans les Rate Books de la paroisse Saint-Martinin-the-Fields (Victoria Library, Westminster, Londres, ms. F 546 [1765], p. 2), il resulte que le proprietaire d'Helvetius se nommait Augustin Van Coppenolle et qu'il habitait la maison ou se trouve 1'actuel numero 6. Van Coppenolle appartenait a une famille huguenote qui avait emigre d'Amsterdam peu apres la Revocation, mais avant sa mort (1784), il s'etait converti au catholicisme (v. Norma Perry, "Identifying Helvetius's London landlord, Egidius Augustinus Van Coppenolle", Studies, CCLXVII [1989], p. 231-244). Non identifie. Il s'agit sans doute d'un secretaire. D'Holbach. La comtesse de Vasse. Reference aux deux lettres d'Helvetius du 10 mars, 1'une ecrite de Calais, 1'autre de Douvres (v. lettre precedente).

REMARQUES

Pour attribuer une date aux lettres d'Helvetius qui n'en component pas et qui ont ete expedites alors qu'il etait en Angleterre, il a ete tenu compte du fait que le courrier partait de Londres a destination de Paris les mardis et vendredis (v. The London Gazette, 2-5 avril 1763, n° 10301).

LETTRE 519

Mars 1764

519. Helvetius a Madame Helvetius [Vers Ie20 mars 1764]1 Je t'aime toujours, je te desire toujours, et ce n'est pas que je ne sois recu icy a merveille : presque tous les lords me sont verm voir. Je suis prie a diner pour douze jours d'avance. Le Roy et la Reine m'ont fait Paccueil le plus flatteur; tous deux sont pleins de bonte et de cette politesse qui est 1'effet du sentiment et de Phumanite. Je n'ay pas encor pu voir le fameux Mr Pitt2; il est alle a la campagne et le party de 1'opposition en est beaucoup moins puissant. II me semble qu'on abandonne le pauvre Mr Wickles3 et qu'on brize en luy 1'instrument dont on s'etoit servis; il y a beaucoup a parier qu'il ne retournera plus en Angletterre. Au reste il est inutil de le dire; cela luy feroit de la peine. Il n'est ni mon amy ni mon ennemy et j'ai pour luy les sentiments que Phumanite inspire pour les malheureux. J'ay vu le combat des coqs4; c'est un spctacle qui ne m'a point amuze et que surement tu n'aurois pas soutenu. J'ay assiste avec Pambassadeur de France et Mr de Stanley a Passemblee des Quakers. Vous scavez que ce sont des heretiques qui n'ont point de pretres, qui les dimanches se rendent a leur temple, et y meditent le chapeau sur la tete jusqu'a ce que quelquesuns d'entre eux se sentent inspire du Saint-Esprit. Celuy que Pesprit anime se leve et preche. En y allant nous croions* que cette secte etoit bien folle. Je n'y ai rien [vu] de plus ridicul que chez nous; en fait de religion, il me semble que tous les hommes sont des foux qui se montrent tous au doigt les uns et les autres. J'ay vu icy beaucoup de gens d'esprit, entre autres milord Mansfield^5. Les seigneurs franc,ois ne sont pas comparables a ceux-cy; presque tous sont instruits. Je ne crois point ce c sejour-cy fort c agreable pour les femmes; je n'ay pas encor mange avec une seule, si ce n'est chez Pambassadeur le jour que j'y dine. En general on dit qu'elles sont fort sages et fort reservee; celles qui sont libertines ne le deviennent, ddh-ond icy, qu'a quarante ans, et alors tout est bon pour elle. II en est de ces femmes comme des religieuses pour qui le jardinier est un homme. Les petits chapeaux, le petit tablier de gaze embellissent le jour toutes les femmes sur les trotoirs. Leur demarche est legere; on se croit au milieu de troupes de nimphes les premiers jours qu'on les voit, mais lorsqu'on les retrouve habillees le soir au spectacle, on s'appercoit de Pillusion. Ce n'est pas qu'il n'y en ait de tres e belles, mais elles le sont plus au jour qu'a la lumiere. Au reste, ma chere amie, ne parle point de ce que je te mande. Dis publiquement que je ^ne suis^ on ne peut pase plus content des Anglois, 95

Buste de lord Mansfield par Nollekens

LETTRE 519

Mars 1764

comme cela est vray. Je n'ecriray au baron que dans trois ou quatre jours, parcequ'il faut rendre mes visittes et que je n'ay pas encor eu un moment a moy. Dites-le aussy a ma mere. Adieu, ma belle et gtendre amyg; embrasse pour moy mes enfants. [adresse :] eA Madame / Madame Helvetius la jeune, rue / St-Anne, butte St-Roch, vis-a- / vis la rue des Orties / A Paris'" MANUSCRIT :;

"A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; fragments de cachet sur cire rouge. IMPRIME I. Guillois, p. 442-443. TEXTE "Lei: "croyions". ^Le I : "Marechal"6. c Le I: "sejour si". J Le I : "souvent". e Omis dans le I. ^Le I : "serai". g Le I : "adoree". NOTES EXPLICATIVES

1. Cette lettre a ete ecrite entre le 15 mars, date de la precedente, dont Helvetius resume ici le contenu (v. par. 1), et le 22 mars, date de la lettre suivante d'apres laquelle 1'auteur a deja rendu'les visites prevues au dernier paragraphe de la presente. Elle a necessairement ete ecrite le dimanche 18 mars au plus tot, car Helvetius y decrit 1'assemblee de Quakers a laquelle il a assiste. 2. William Pitt (1708-1778), dit le Premier Pitt, qui deviendra comte de Chatham en 1766. Apres une courte carriere dans 1'armee, Pitt entre a la Ghambre des communes en 1735, puis occupe des postes modestes dans les ministeres Pelham et Newcastle (fevrier 1746-novembre 1755). Il se revele pendant la guerre de Sept Ans un adversaire acharne de la France, et commence a preparer la GrandeBretagne aux hostilites pendant ses quatre mois de presence au ministere Devonshire (1756-1757). De juin

1757 a la mort du roi George II (25 octobre 1760), il partage le pouvoir avec le due de Newcastle, premier lord de la Tresorerie et premier ministre de fait, et alors que ce dernier s'occupe des finances et des rapports avec le Parlement, Pitt dirige avec la plus grande efficacite la conduite de la guerre, en tant que secretaire d'Etat. Mais en disaccord avec le nouveau roi George III, qui refuse de declarer la guerre a 1'Espagne et souhaite la paix, en meme temps que le retablissement du pouvoir personnel du souverain, il demissionne le 5 octobre 1761. II reste neanmoms membre du Parlement, et s'y oppose avec la derniere energie, mais en vain, lors des debats de decembre 1762, aux preliminaires de paix qui allaient aboutir au traite de Paris du 10 fevrier 1763. Dans une lettre a Horace Mann du 18 mars 1764, Horace Walpole explique ainsi 1'absence de Pitt du Parlement: "Un lit de goutteux est son lit de roses." Le 12 avril suivant, il informe lord Hertford que "le Mogol Pitt [...] continue a s'enfermer a Hayes [sa terre de Hayes Place, dans le Kent] dans une dignite asiatique." (Waipole's Correspondence, XXII, p. 211, et XXXVIII, p. 368; traductions.) Entre Janvier et mai 1766, Pitt sortira de sa retraite pour plaider en faveur de 1'abolition du droit de timbre leve en 1764 dans les colonies americaines, prise de position qui conduira George

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LETTRE 519 III a le rappeler au pouvoir en juillet 1766. Le ministere de Pitt se soldera par une serie d'echecs et il demissionnera en octobre 1768, mais continuera ensuite, presque jusqu'a sa mort (mai 1778), et en depit d'acces de folie recurrents, a intervenir activement dans les affaires politiques. 3. John Wilkes (1727-1797), homme politique et publiciste brillant et spirituel, dont le long proces (1763-1768) est reste celebre dans les annales du droit constitutionnel anglais. Ayant, dans son journal, The North Briton, blame le discours du trone de 1763 et accuse le roi de mensonge, ce redoutable ennemi des tories est arrete a la requete du souverain en vertu d'un mandat en blanc "centre toute personne responsable de cette publication", et emprisonne dans la Tour de Londres. Mais cette mesure etant contraire aux privileges du Parlement, les cours condamnent le secretaire d'Etat a mille livres de dommages et interets pour arrestation arbitraire, Wilkes est libere, et Londres illumine. II est quand meme expulse de la Chambre le 19 Janvier 1764, puis, le 21 fevrier, est condamne pour diffamation devant lord Mansfield (v. note 5 ci-apres). Mais entre-temps, Wilkes s'est deja refugie a Paris, ou il est cordialement re§u par d'Holbach, son condisciple a 1'universite de Leyde en 1745. Revenu en Angleterre en 1768, il entreprendra de repondre a ses anciens accusateurs pour finalement gagner son proces, sera reporte aux Communes, et sera meme elu lord-maire et chambellan de la Cite de Londres. 4. Les combats de coqs, introduits en Angleterre a 1'epoque romaine, etaient la grande "diversion royale"

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Mars 1764 depuis le regne de Henri VIII. Des "cockpits", sortes de petits enclos ou arenes, existaient dans Drury Lane, Jewin Street et Whitehall. Un autre, celui de Birdcage Walk, est represente dans une celebre estampe de Hogarth, intitulee "The Cockpit" (1759). Dans The Daily Advertiser sont annonces des combats devant avoir lieu du 12 au 31 mars 1764, "at the Cockpit Royal on the south side of St. James Park". 5. William Murray, premier baron Mansfield (1705-1793), Ecossais et brillant juriste, avait siege a la Chambre des communes de 1742 a 1756, date a laquelle il etait devenu "lord chief justice of the king's bench", ce qui correspondait a peu pres a la fonction franchise de premier president d'une cour d'appel. Grand adversaire de Pitt a la Chambre, ou il avait ete chef de la majorite (leader of the House), il n'exergait plus une grande influence politique depuis la demission, en mai 1762, du due de Newcastle, remplace a cette date par lord Bute comme premier lord du Tresor faisant fonction de premier ministre. D'apres Walpole, le theologien William Warburton (1698-1779), eveque de Gloucester et personnage assez intemperant, avait refuse de diner chez lord Mansfield pour eviter de s'y trouver en presence d'Helvetius : "L'eveque de Carlisle m'a dit que 1'autre jour, a la Chambre des lords, Warburton avait declare a 1'un de ses collegues: 'J'ai ete invite par lord Mansfield a diner en compagnie du nomme Helvetius, mais il professe ouvertement 1'atheisme, est un coquin et un vaurien, et je n'aurais pas voulu paraitre 1'approuver par ma presence. En outre, je 1'aurais mal-

LETTRE 520

Mars 1764

mene, ce que lord Mansfield n'aurait pas apprecie.' II ne 1'aurait certes pas aime. Comment pourrait-on, en effet, aimer qu'on fasse preuve d'une telle vulgarite? Et je suppose que la qualite du frangais de Warburton va de pair avec son esprit et sa piete." (Walpole's Correspondence, XXXVIII, p. 365; traduction.) Ce diner a du avoir lieu au domicile londonien de lord Mansfield, dans Bloomsbury Square, car il etait en train de faire renover Ken Wood, sa maison de Hampstead.

6. Contrairement a ce qu'a compris Guillois, George Keith (v. lettre 513, note 1) n'a pas rencontre Helvetius en Angleterre. Arrive a Londres le 31 mai, venant d'Ecosse, ilecrirale 6juin a Rousseau : "Helvetius est dans ce pays, je ne 1'ay pas vue, il est a passer quelques jours a la campagne avec un ami." (Leigh, lettre 3325.) II partira pour Berlin avant le retour d'Helvetius a Londres. Voir Aff. etr., C.P. Angleterre 457, ff os 149 recto et 164 recto.

520. Helvetius a Madame Helvetius [23 mars 1764]1 Ma chere amie, c'est encor a toy seule que j'ecris, parceque je n'ay point encor eu un moment a moy. J'ay passe toutes mes matinees a rendre les visittes qu'on m'a fait; ensuite il faut s'habiller et aller diner en ville. On rentre tard, on se couche. J'ay ete hier au dernier bal qu'on donne a 1'opera2. J'y ai passe deux heures, et je suis revenu me coucher. J'y ait vu une partie des beautes de Londres, mais je n'ay rien vu que j'aime autant que toy et que je trouve aussy belle. Crois que ce que je te dis est tres vray, mais n'en dis rien aux Anglois; c'est un secret entre toy et moy. On veut icy que les Angloises soient beaucoup plus belles que les Francoises. Je ne suis pas toutafait de cet avis. C'est dans les rues qu'elles sont jolies. "La proprete de leur linge, les petits tabeliers, leur demarche legere, leur petit chapeau qui cache une partie de leur visage et qui les laisse croire aussy belle qu'on veut, tout fait illusion3. On se croit dans un pais enchante habite par des nimphes, mais de pres I'enchantement disparoit. Ce n'est pas cependant qu'il n'y en ait de tres jolies, mais" les jolies femmes sont rares comme en tout pais. Je ne scais si 1'accueil qu'on continue de me faire me seduit, mais il me paroit qu'il y a icy^ beaucoup de gens du premier merite. Je n'ay pas encor pu voir Mr Pitt, parcequ'il est a la campagne. Il me semble que 1'opposition ne comptec rien faire dans'1' ce parlement-cy. Je vaise dans ce moment a la Chambre des communes ou il y aura quelque debat au sujet des affaires de I'Amerique4 dont je vous rendrois compte si vous vous y interressiez beaucoup. Mais j'aime mieux vous repeter encor une fois que je vous adore. 99

Mars 1764

LETTRE 521

Cette nation-cy est une nation bien respectable et bien dangereuze pour nous. Adieu, on frappe a la porte; c'est, je crois, pour me mener au Parlement. Je compte recevoir bientost de vos nouvelles; j'en attends avec impatience. Mille compliments a tous nos amis et surtout au baron, a 1'abbe Morlaix5, Mr Le Roy^, &c. Mille respects a ma mere et a Mde de Vasse. Marque-moy combien tu as recu de lettres de moy. [adresse :] 8A Madame / Madame Helvetius la jeune, rue / Ste-Anne, butte St-Roch / A Paris* MANUSCRIT :;

"A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge representant le profil gauche d'un homme dans un cadre carre*. IMPRIME

I. Guillois, p. 444 (extrait). TEXTE

" Dans le I, tout ce passage est remplace par "Du reste". hLe I : "eu". c Le I : "semble". rfLe I: "a". eLe A : "vais {ce soi)". ^Le I : "Ray". g Omis dans le I. h Le cachet utilise par Helvetius pour les lettres 518, 519 et 521 semble etre le meme que celui de la presente. NOTES EXPLICATIVES

1. Lettre ecrite le lendemain de la visite d'Helvetius au King's Theatre (v. note suivante). 2. Le 22 mars, le King's Theatre, qui se trouvait a Haymarket, a quelques pas

du logement d'Helvetius, avait presente "an assembly, being the last this season" (v. The Public Advertiser]. 3. Cf. Grosley : "[Une lady] se montret-elle dans la matinee au pare S.James, c'est en petite robe, en grand tablier blanc et avec le chapeau, accompagnee d'une femme de chambre, exactement mise comme elle." (Londres, Lausanne, 1770, 3 vol., II, p 29.) 4. C'est le 23 mars qu'a eu lieu a la Chambre des communes le dernier debat sur 1'imposition de droits de douane aux colonies americaines. Cette mesure, qui allait prendre Pannee suivante la forme du Stamp Act, a ete a 1'origine de la guerre de 1'Independance americaine. 5. L'abbe Morellet.

521. Helvetius a Madame Helvetius [Vers Ie26 mars 1764]1 Que je suis bien aize, ma chere femme, que tu me regrette! Que je suis ravi d'etre necessaire a ton bonheur! Je puis bien t'assurer que tu ne 1'es pas moins a ma felicite, et ce que je te dis est tres vray, je te le jure homme d'honneur, et tu scais que c'est toujours la verite que je dis quand c'est moy qui prononce ce mot sans y etre contraint. J'etois fort inquiet de toy lorsque

100

LETTRE 521

Mars 1764

j'ay recu ta lettre. Je suis charme que tu te sois amuze a Marly2 et que tu aye cependant toujours senti que je te manquois. La tendresse reciproque qui unit un mary et une femme est un furieux lien; c'est dans des moments de separation qu'on en sent toute la force. Je ne puis pas en verite t'exprimer tout ce que je sens pour toy. Envoie-moy done ton portrait. C'est un desir que je n'eprouve pas quand je te vois, mais qui est tres vif en ton absence. II y entre meme de 1'amour-propre : on est bien aize de montrer combien sa femme est belle, sur tout dans un pais eloigne ou cela ne peut pas avoir de mauvaize consequence pour le mary. On est orgueilleux de la beaute et de toutes les qualites de sa femme. Satisfait done mon orgueil en m'envoiant ma boite. Ce maudit general Clarke3 fera toujours semblant de quitter Paris et y restera toujours; j'en seray fort aize a mon retour et fort fache dans mon absence. Tu feras fort bien, ma chere amie, d'attendre plutost quelques jours pour avoir ton arrest pour nos forges4. Ta presence rendra Monsieur de Montigny5 plus actif. Quand tu 1'auras, il faudra paier 1'avocat au Conseil pour la requete qu'il a presente; un louis ou deux suffiront. Tu consulteras la-dessus Mr de Valeret6. Je luy envoie par Madame Mallet7 les livres qu'il m'a demande et cinq volumes pour le prince de Beauveau8 qu'il aura la bonte de faire remettre a son hotel. C'est moy qui luy apporteray sa redingotte. En verite, ma chere femme, je n'ay pas vu de filles depuis que je suis icy. Je te jure encor ma parole d'honneur sans contrainte que c'est toy de toutes les femmes que j'ay vu icy avec qui j'aimerois le mieux coucher, surtout quand tu es avec ton petit chapeau et une Juppe bien legere, car la nuit je ne te vois pas. Je voudrois deja [te] tenir a Vore sur mon lit. Adieu, ma petite. Dis mille choses pour moy a 1'abbe Morlaix que je remercie bien de sa lettre et a qui je n'ecris point parce que je n'en ai pas le terns, vu la quantite de visittes qu'il me reste encor a faire9, et tu scais que je commence toujours par mes devoirs avant mes plaisirs. Embrasse le baron a qui j'ecris10. J'ay presque passe la nuit a [a ecrijre cinq lettres que je vais mestre a la poste. Si tu avois perdu mon adresse, la voicy : chez Coppenole, dans Suffolk Street, to London. Informe-toy de d'Alembert11 par le moien de Mde Geoffrin 12 s'il est convenable que je recrive au roy de Prusse13, et mande-le-moy sur-le-champ. Tu pouvois garder copie de cette lettre. Adieu, je t'embrasse. Embrasse aussy mes enfants de tes deux bras pour moy. Je suis fort content de leur sentiments pour moy mais non pas de leur ortografe. [adresse :] A Madame / Madame Helvetius la jeune / rue Ste-Anne, butte St-Roch / vis-a-vis la rue des Orties / A Paris 101

LETTRE 521 MANUSCRIT :;

"A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; fragments de cachet sur cire rouge. TEXTE a

Trou a 1'endroit du cachet.

NOTES EXPLICATIVES

1. Le 19 mars, Helvetius avait exprime 1'intention de n'ecrire a d'Holbach que quelques jours plus tard (lettre 519, dern. par.), mais toujours retarde par ses visites, il annonce a sa femme le 22 : "C'est encor a toy seule que j'ecris" (lettre 520, par. 1). Dans la presente lettre, Helvetius indique enfin qu'il est en train d'ecrife au baron (v. note 10 ciapres), et elle doit suivre la precedente de trois ou quatre jours, car c'est a des intervalles de cet ordre que se suivent en general les lettres d'Helvetius envoyees d'Angleterre a sa femme. 2. Chez la comtesse de Vasse (v. lettre 517, note h). 3. Probablement Robert Clerke (1724-1797), Ecossais, colonel et ingenieur militaire. Protege de lord Bute, il avait participe en 1757 a la vaine expedition contre le port de Rochefort, et en 1758, a Poccupation de Cherbourg. Apres la paix, il avait sejourne en France a plusieurs reprises. Il ne sera promu general qu'en 1793. 4. L'optimisme d'Helvetius sera dec.u (v. lettre 523). 5. Trudaine de Montigny (v. lettre 196, note 2).

102

Mars 1764 6. Voir lettre 128, note 3. 7. Probablement Lucy Elstob, que David Mallet (1705P-1765), heritier litteraire de Bolingbroke et homme de lettres ecossais, avait epousee en secondes noces en 1742. A Pepoque de cette lettre, elle devait se rendre en France incessamment. David Hume,, qui ne Paimait pas, expliquera ainsi a Andrew Millar, le 18 avril 1764, la raison de ce depart: "J'ai vu il y a quelques jours Mme Mallet, qui semble vouloir executer Petrange projet de vivre en ermite au milieu de la foret de Fontainebleau." (Greig, I, p. 434; traduction.) Le 3 septembre, Hume precisera qu'elle y est installee "avec un MacGregor" (Greig, I, p. 466; traduction). Elle mourra a Paris en 1795 a Page de 79 ans. 8. Charles Just de Beauvau-Craon (v. lettre 60, note 2). 9. Le 27, Helvetius s'est rendu notamment chez Henry Seymour Conway (v. lettre 595, note 5). Voir Waipole's Correspondence, XXXVIII, p. 359. 10. Aucune des lettres echangees entre Helvetius et d'Holbach n'est parvenue jusqu'a nous. 11. Premiere mention de d'Alembert dans cette Correspondence. 12. Voir lettre 153, note 1. 13. Sans doute comme suite a la lettre de Frederic II du 19 fevrier (516).

LETTRE 522

Mars 1764

522. Helvetius a Madame Helvetius [Vers Ie29 mars 1764]1 Je m'etois retire chez moy de tres bonne heure, ma chere amie, dans le deissein de vous ecrire et voila deux milord2 qui viennent chez moy lorsque je mettois la main a la plume. La fille n'a pas eu 1'esprit de les renvoier et je ne "pourray t'ecrire qu'une lettre tres* courte pour te dire que je me porte bien et t'assurer que je t'adore. On continue icy a me feter3. Je ne scais pas si je t'ai dis qu'etant a l'oratorioM ou etoit le Roy il me fit demander si la muzique me plaisoit. Le Roy est plein de bonte. A propos j'ai vu icy le pere Martelc5. Il loge dans la meme maison ou je demeure. Nous avons, comme tu le crois bien, parle de Mde de Grafigny et de toy. II s'en va au Canada sous la domination angloise regir un petit bien qu'il a et une petite cure^ qu'on luy don-nera. Il espere encore que les jesuittes reviendront a Paris et qu'ils se vengeront cruellement de leur ennemis. Tu va vraisemblablement partir ces jours-cy pour Vore. Je n'ay cependant point encor ton portrait. J'iray dans dix ou douze jours6 a la campagne de Mr Stanley et de la faire un tour edans le paise pour voir les campagnes qui sont, dit-on, si bien cultivees. J'auray beau voir, je n'y verray rien qui me plaise autant que toy. Puisque j'y suis, il faut tout connoitre, surtout dans un pais ou la nation est aussi respectable et ou Ton me marque autant de bontes et ou je serois reellement tres heureux si je t'avois avec moy, car je t'aime plus que je ne puis te 1'exprimer. Mais songe done a m'ecrire, car je n'ay encore recu que deux lettre de toy. Le baron et Mr Le Roy^ m'ont oublie et ne repondent point a mes lettres7. Adieu, ma chere amie. Embrasse bien tendrement mes enfants que j'aime de toute mon ame. Fais mille amitie a 1'abbe Morlaix, au baron. Dis a Marmontel que ces contes font les delices de ce gpais-cyg8, quoi qu'en dize Palissot9. Adieu encor une fois, ma chere femme. Je te prie de m'aimer toujours. \adresse :] A Madame / Madame Helvetius la jeune, rue / Ste-Anne, butte St-Roch, vis-a-vis / la rue des Orties / A Paris^ MANUSCRIT

IMPRIME

:;

I. Guillois, p. 446.

"A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge representant le profil droit d'une femme et portant les mots "QUEEN CHARLOT"'; timbre de la poste : PD;1°.

TEXTE a

Le I : "pouvais t'ecrire une lettre trop". Le I : "Oratoire". °Le I : "Mortal". ^Le I : "terre".e Omis dans le I/Le I : "Ray". 2 Le I : "pays, et". ^Ajoute a 1'adresse fe

103

LETTRE 522 par une main inconnue : "au chateau de Vaure pres Remalard". ' Helvetius utilisera ce cachet pendant le reste de son sejour en Angleterre. ; P[AI]D [port paye]. NOTES EXPLICATIVES

1. On a fait suivre cette lettre a Vore (v. par. 1 : "Tu va vraisemblablement partir ces jours-cy pour Vore", et note h). Elle est done la derniere envoyee d'Angleterre par Helvetius a sa femme a son adresse de Paris, et elle a du suivre la precedente de trois ou quatre jours. Le fait qu'Helvetius dit n'avoir regu que deux lettres de son epouse depuis son arrivee a Londres, le 12 mars, corrabore la date proposee. 2. Non identifies. 3. Le 27, Helvetius avait dine chez lady Hervey (v. lettres 367, note 1, et 446, par. 3, ainsi que Letters of Mary Lepel, Lady Hervey, Londres, 1821, p. 301). Le 29, il s'etait rendu au Mitre, dans Fleet Street, a un diner du Royal Society Club, en compagnie du due de Pecquigny, qui avait etc elu membre de la Royal Society le jour meme (v. A. Geikie, Annals of the Royal Society Club, Londres, 1917, p. 88-89, et Lloyd's Evening Post, n° 1049, 30 mars-2 avril 1764). Pecquigny etait le fils de 1'ancienne maitresse de 1'auteur, la duchesse de Chaulnes. 4. Quatre oratorios de Hasndel ont etc joues a Covent Garden pendant le sejour d'Helvetius a Londres sur la demande des souverains : Deborah (14 et 21 mars), Samson (28 mars), Judas Macchabeus (4 avril), et The Messiah (11 avril). Celui auquel se refere Helvetius est probablement Samson. 5. Le pere Joseph Ignace Martel de 104

Mars 1764 Belleville, jesuite ne a Quebec en 1721, avait fait ses etudes au college Louis-le-Grand, avait enseigne dans differents colleges de France, et a la suite de la suppression de son ordre en France, en 1764, s'appretait a rentrer au Quebec, ou il allait etre cure a Saint-Laurent, puis a Contrecoeur. Helvetius avait fait sa connaissance chez Mme de Graffigny. 6. Helvetius a differe ce voyage, sans doute a cause du mauvais temps (v. lettre 526, ligne 1), et son depart n'a eu lieu que le 16 mai (v. lettre 534, par. 6). 7. D'Holbach n'avait pas encore eu le temps de repondre a la lettre qu'Helvetius venait de lui envoyer d'Angleterre (v. lettre 521, note 1). 8. Jean-Frangois Marmontel (17231799), auteur de tragedies et de Contes moraux (1756), etait entre en 1763 a 1'Academie franchise, dont il allait devenir en 1783 le secretaire perpetuel. Deux, traductions anglaises de ses contes avaient paru a Londres en 1764 avant 1'arrivee d'Helvetius (v. compte rendu de la Critical Review, XVII [Janvier 1764], p. 43-49). Marmontel, qui est mentionne ici pour la premiere f ois dans les lettres d'Helvetius, se refere souvent a ce dernier dans ses Memoires d'unpere (1800-1806). 9. Charles Palissot, ennemi declare de Marmontel depuis 1749, avait public en fevrier 1764 La Dunciade, ou la Guerre des sots, poeme satirique en trois chants, dont Marmontel, "chef du stupide empire", etait la cible principale. 10. Le port des lettres expedites vers le continent n'etait acquitte par 1'expe-

LETTRE 523 diteur que jusqu'a la frontiere postale de PAngleterre. REMARQUES

Le 30 mars 1764, 1 antiquaire Andrew Coltee Ducarel (1713-1785) ecnt de

Avril 1764 Londres a Duclos : "J'ay regu, Monsieur, [...] par M. Helvetius votre present des estampes des tapisseries de Bayeux. (Duclos, Correspondence, ed. Brengues, Samt-Bneuc, 1970, p. 184.)

523. Antoine Chaumont de La Galaiziere1 a Louis Francois Lallemant, comte de Levignen2 A Nancy, le 2 avril 1764 J'apprens indirectement, Monsieur et cher confrere, que M. Helvetius, seigneur de Vore, s'est pourvu au Conseil3 pour obtenir 1'agrement de construire une forge dans sa terre, et que sa requete vous a etc renvoyee pour donner votre avis. Je suis bien persuade que vous auries eu la bonte de me communiquer cette demande, si vous avies pu connoitre a quel point je suis interesse a en empecher 1'effet. Get etablissement causeroit inevitablement la chute d'un fourneau a fonte dont je suis proprietaire et que je viens d'affermer 11 500k. On m'assure que tous les maitres de forge du canton doivent s'assembler sur cet objet 4 ches le lieutenant gral de Mortagne5 que je presume etre aussy votre subdelegue. Je charge le Sr Olry6, fermier de mon four eau, de comparoitre en mon nom a cette assemblee et d'y deduire mes causes et moyens d'opposition, mais il me seroit bien plus avantageux d'avoir en communication le memoire de M. Helvetius, et de pouvoir y repondre par ecrit. L'eloignement force ou nous sommes de nos affaires peut nous meriter des preferences de ce genre, et je vous supplie de m'accorder cette grage dont vous voudres surement bien sentir toute I'importange pour moy. Je m'estimerois trop heureux si je pouvois trouver des occasions de vous etre bon a quelque chose dans cette province, et de vous donner des preuves de 1'attachement aussy inviolable que respectueux avec lequel je suis, Monsieur, votre tres humble et tres obeissant serviteur. De La Galaisiere [destinataire :] M. de Levignen, intend1 d'Alengon MANUSCRIT

IMPRIME

* A. Archives departementales de 1'Orne, Alencon, C 38, piece 116; 3 p.; orie.

I. Andlau, p. 165.

SI£fl£.

TEXTE Ajoute en haut du A : "R. le 19 dud [it mois].".

105

Avril 1764

LETTRE 524 NOTES EXPLICATIVES

Au debut de 1764, Helvetius demande au Conseil des finances la permission de construire une forge sur ses terres du Perche. Le 14 fevrier, 1'avis de 1'intendant d'Alengon est sollicite. Le projet d'Helvetius se heurte alors a une coalition d'industriels du pays, a la tete desquels se trouvent La Galaiziere et Alexandre Edme Le Riche de Cheveigne, conseiller a la Grand-chambre, lesquels etaient proprietaires de forges dans la region. Lettres et memoires sont echanges, et le 27 mars, Le Riche de Cheveigne se permet d'ecrire a 1'intendant: "J'ay trop de preuves de vostre equitte et de vostre amour pour le bien public pour ne pas esperer que vostre avis ne sera pas contraire a toutte une province, et a tant d'honestes gens, que la philosophic et le mepris des richesses dont M. Helvetius avoit fait parade jusqu'a ce jour sembloient mettre en surete sur toutte affaire d'interest personel." (Archives departementales de 1'Orne, C 38, piece 118.) Le 14 juin, 1'intendant conclura au rejet de la demande d'Helvetius. Voir Keim, p. 205-206, Andlau, pp. 100 et 161-166, et abbe H. Godet, "Le Moulin-Renaud et 1'industrie de fer", Bulletin de la Societe percheronne d'histoire et d'archeologie, X (1911), p. 20-21, et Memoire sur les paroisses du Mage et de Feillet, Mortagne, 1897-1903, p. 145.

1

2

33. 4.

5.

Antoine Chaumont de La Galaiziere (1727-1812), fils aine du chancelier de Lorraine. Conseiller au parlement de Paris et intendant de Lorraine, il etait proprietaire des chatellenies de Bretoncelles et de Saussay, de la terre voisine de La Galaiziere qui avait etc erigee en marquisat pour Armand Jean de Riants, et de nombreuses parcelles dans les paroisses de Condesur-Huisne, Maison-Maugis, Marolles, Remalard, Saint-Germain-desGrois, et enfin, dans celle de La Madeleine-Bouvet ou se trouvait sa forge de Moulin-Renaud. Intendant d'Alengon (v. lettre 202, note 1). Le Conseil des finances. Une assemblee extraordinaire avait deja eu lieu le 20 mars au bureau de 1'hotel de ville de Mortagne. La cause des adversaires d'Helvetius avait etc plaidee par Hugues Frangois de L'Estang, sieur de Montfroger, avocat au parlement de Pans et aux sieges royaux de Mortagne, ainsi que substitut du procureur general au grenier a sel de Remalard et a 1'hotel de ville de Mortagne. La Charpentrie (v. lettre 271, note

2)" . 6. Louis Aimable Ollery d'Orainville (v. lettre 240, note 4).

524. Daniel O}Conor of Belanagare1 a Charles O'Conor of Belanagare2 [7 April 1764]"3 I write to you once more before I part4 because I have taken a resolution of continuing here till May next. I was just preparing to depart when I heard Helvetius^ was in town. I waited on him in consequence, c& was 106

LETTRE 524

Avril 1764

heard very fairly*"5. He has all the simplicity and all the condescension6 of a great man, joined to the easy politeness of a French man. He repaid my visit this day and passed an hour in my room. I showed him part of what I was doing7.1 pressed him to continue to write and to enlighten his species. He told me his stay here would not be long & that he was too much hurried to arrange the materials of a work he intended to publish8. I wa[i]ved any farther discourse on this head. He inquired from me what ends I proposed to myself by going to France. He gave me some councils ''on this head'', and the councils were such as gave me plainly to understand that he could do nothing for me himself. I really asked nothing from him, nor shall I. I gave him some hints that I was independent both in my circumstances and in my turn of thinking. I told him I had a small annuity of about 70 pounds, and that at worst I could live upon it, unless the Penal Laws9 against the Roman Catholicks took it from me. "Why do not the R[oman] C[atholics] become Protestants? - They are attatched to their religion, & besides they would not be admitted into the Protestant Church without swearing away the most essential articles of the R.C. faith. - And where the devil would be the great harm in that? Surely you are not so idle as to have any regard to them fooleries? Is your brother2 a Protestant? - No. - Is he bigotted to his religion? - Sir, he is too enlightened to be a bigot. - And why does not he turn Protestant? Why don't you become a Protestant yourself and protect yourself against the Penal Laws? - Sir, the O'Conors have made it always a point of honor to adhere to the religion of their ancestors." This I [...]e dialongue. [...]^It makes my heart bleed to find that so great and good a man should be no Christian. He and I at our first meeting had conversations upon various subjects. I insisted that religion was necessary in the composition of a perfect legislation. He owned it. I insisted further that the Christian r[eligio]n could be interwoven with a perfect system of legislation. This he denied. I however insisted on the truth of the assertion & always wilK I was not in the least constrained in his company, & I believe I never shall be constrained in the company of a man of this elevation. I shall not however trouble him much while I am in London. I will visit him when he sends for me. He now knows my lodging. He shall find that I shall always desire to be nothing less than a friend, and that I scorn to ^be a [...]'*. He told me that he inquired several times about me at; his arrival in London. This I am not over^ inclined to believe. He asked me whether my peace was made with the government10. I told him it was not, & I felt that he did not think it prudent to have any publick intimacy with me. My apprehensions, I dare say, were well founded11. I told you already about Havard12. Nothing can be done here in the litterary way unless a man's fame be thoroughly established as a good writer. But how to begin is the difficulty. Ignorant 107

LETTRE 524

Avril 1764

booksellers will not print. An insolent manager of a play house will do nothing. If a man waits to fix a reputation, it will cost too much time & mon[e]y lost - if one had the mon[e]y. I then shall abandon my expectations from London. I wrote to the new president of the Royal Society13. No answer. Those Scotch scoundrells are all leagued against us. I wrote to Samuel Johnson14. No answer. He is too great a man to have common manners. I complained to Helvetius' of the injustice of Hume15 & he condemned him. By the way, he looks upon Hume to be a better historian than a philosopher. He says that the ideas of Hume are ill connected, that he never studied the all together of anything, & that his treatise on the passions16 is a very superficial work. P" [Traduction :]

[7 avril 1764]"3

Je t'ecris a nouveau avant de partir4, car j'ai resolu de rester ici jusqu'en mai. Je me preparais a partir quand j'ai appris qu'Helvetius etait en ville. Je me suis done presente chez lui et il m'a ecoute tres aimablement5. II possede toute la simplicite et toute la bienveillance6 propres a un grand homme, aussi bien que la politesse aisee des Frangais. II m'a rendu ma visite aujourd'hui et a passe une heure dans ma chambre. Je lui ai montre une partie de ce a quoi je travaille7. Je 1'ai exhorte a continuer d'ecrire et d'eclairer le genre humain. Il m'a dit qu'il ne sejournerait pas longtemps ici, tant il lui tardait d'ordonner les materiaux d'un ouvrage qu'il comptait publier8. Je me suis abstenu de 1'entretenir davantage de ce sujet. Il m'a demande quels etaient les buts du voyage que j'ai 1'intention de faire en France. A ce sujet, il m'a donne quelques conseils, lesquels etaient de nature a me faire comprendre clairement que lui-meme ne pourrait rien faire pour moi. A vrai dire, je ne lui ai rien demande et ne lui demanderai rien. Je lui ai laisse entendre que j'etais un homme independant, tant pour ce qui est de ma situation financiere que de ma fac.on de penser. Je lui ai dit que je disposais d'une petite rente d'environ 70 livres, et qu'en cas de necessite, elle me permettrait de vivre, a moins que les lois penales9 dirigees centre les catholiques ne me 1'enlevent. "Pourquoi les catholiques remains ne se font-ils pas protestants? - Us sont attaches a leur religion; en outre, PEglise protestante ne les admettrait pas sans qu'ils abjurent tous les articles fondamentaux de la foi catholique romaine. - Et en quoi diable y aurait-il grand mal a cela? Vous n'avez certainement pas la frivolite de faire moindrement cas de ces sottises? Votre frere2 est-il protestant? - Non. - Est-ce un bigot? - Monsieur, il est trop eclaire pour etre bigot. - Et pourquoi ne se fait-il pas protestant? Pourquoi ne vous faites-vous pas protestant vous-meme, en vous protegeant ainsi centre les lois penales? - Monsieur, les O'Conor se sont toujours fait honneur de rester fideles a la religion de leurs ai'eux." 108

LETTRE 524

Avril 1764

C'est ce que je [...]e dialogue. [...] ^j'ai le coeur dechire de voir qu'un homme si grand et si bon puisse ne pas etre chretien. Lors de notre premiere rencontre, nous avons aborde divers sujets. J'ai soutenu que la religion etait un element ne essaire d'une legislation parfaite. II en a etc d'accord. J'ai alors ajoute que cette derniere et la religion chretienne pouvaient se combiner; mais de cela, il a disconvenu. Je n'en ai pas moins insiste sur la verite de cette affirmation, ce que je ferai toujours. Je ne me suis nullement senti gene dans sa compagnie, et je crois que je ne le serai jamais avec un homme d'une telle noblesse de caractere. Toutefois, je ne 1'importunerai pas souvent pendant mon sejour a Londres. Je lui rendrai visite lorsqu'il m'y invitera. Il connait maintenant mon adresse. Il decouvrira que je desirerai toujours etre pour lui rien de moins qu'un ami, et que je tiens pour meprisable d'etre un [...]'. II m'a dit qu'a son arrivee a Londres, il s'etait enquis de moi plusieurs fois, mais je ne suis pas tellement enclin a y ajouter foi. Il m'a demande si j'avais fait la paix avec le gouvernement10. Je lui ai dit que non, et j'ai senti qu'il n'estimait pas prudent de me frequenter publiquement. J'ai bien 1'impression que mes craintes etaient fondees11. Je t'ai deja parle de Havard12. Personne ne peut accomplir ici quoi que ce soit dans le domaine litteraire s'il ne jouit pas deja d'une solide reputation de bon ecrivain. Mais le probleme est de commencer a s'en faire une. Les libraires sont ignorants et refusent de vous imprimer. Si Ton a affaire a un directeur de theatre insolent, il refuse de rien faire. Si quelqu'un tarde a batir sa propre reputation, cela lui coutera trop cher en temps et en argent - a supposer qu'il ait de 1'argent. C'est pourquoi je vais renoncer a ce que j'esperais obtenir a Londres. J'ai ecrit au nouveau president de la Societe royale13. Aucune reponse. Ces coquins d'Ecossais sont tous ligues centre nous. J'ai ecrit a Samuel Johnson14. Aucune reponse. C'est un trop grand homme pour faire montre d'un simple savoir-vivre. Je me suis plaint a Helvetius de 1'injustice dont Hume15 a fait preuve, et il 1'a condamne. A ce propos, Hume est a ses yeux meilleur historien que philosophe. Il estime que ses idees sont mal liees, qu'il n'a jamais rien etudie en tenant compte de son ensemble et que son traite des passions16 est un ouvrage tres superficiel. Jem MANUSCRIT *A. Royal Irish Academy, Dublin, fonds Ashburnham, ms. Stowe. B.I.I, p. 60-63; 4 p.; ong. autogr. IMPRIME I. S. Davies, "An Irish friend of Helvetius identified, with an unpublished let-

ter", Studies on Voltaire, (1989), p. 245-252

CCLXVII

TExTE

Le texte du manuscnt de cette lettre a etc modifie, pour ne pas dire censure, par le petit-fils du destinataire, qui etait done le petit-neveu de Pexpediteur, le pretre catholique Charles O'Conor 109

LETTRE 524 (1764-1828), en vue de son inclusion dans le second volume de ses Memoirs of the Life and Writings of the Late Charles O'Conor of Belanagare (Dublin, 1796). Le manuscnt de cette seconde partie de la biographic de son grand-pere a etc brule par ordre de son auteur, mais celui du premier volume est conserve a la bibliotheque publique de Dublin (bibl. Gilbert, ms. 203). Dans la mesure du possible, nous avons restitue les passages barres par le pretre Charles O'Conor et les modifications qu'il a apportees au manuscrit sont indiquees dans les notes suivantes. " Ajoute en haut du A : "Mr Daniel O'Conor to Ch. O'Conor, Esqr, London, April 7 1763". b Le A : "H(elvetius) that Helvetius". c Passage rature. ^Mots ratures, peut-etre par 1'expediteur. e Un ou deux mots ratures. Ajoute dans 1'interligne par Charles O'Conor : "[This I] said sternly in order to put an end to a disagreeable [dialongue]."' •^Phrase raturee. g Mot remplagant un mot rature. Ce changement est peutetre du a Pexpediteur. h Mots ratures et remplaces par les suivants dans 1'interligne : "countenance his opinions on religion". 'Mot rature et illisible. ; Mot rature et remplace par "on", a titre de correction de ce gallicisme. *Mot rature. 'Le A : "H(elvetius)". ™Fin de la page 4. L reste de la lettre n'est pas parvenu jusqu'a nous. NOTES EXPLICATIVES Nous remercions Simon Davies et Robert Ward de leur precieux concours pour la mise au point du texte et la preparation des notes de la presente lettre. 1. Daniel O'Conor (1727-apres 1786), second fils de Denis O'Conor et de Mary O'Rourke, avait ete capitaine au regiment Dillon, qui etait au service de la France. II avait ete poste, pendant la guerre de Sept Ans, a

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Avril 1764 Ostende, ou il avait exprime ses regrets d'avoir quitte ses amis, ses parents et son Irlande natale. En septembre 1762, il rentre sans autorisation (v. note 10 ci-dessous) a Londres, puis en novembre, en Irlande. En 1764, il regagne Londres oil il essaie en vain d'entreprendre une carriere litteraire (v. note 7 cidessous et fin du par. 2). Il se rendra ensuite de nouveau en France, et le 23 octobre 1764, il epousera a SaintOmer Marie Charlotte O'Neill, fille de Marc O'Neill, ancien capitaine commandant le regiment irlandais de Bulkeley. En octobre 1765, il se retrouvera a Londres, ou il travaillera pour un libraire, mais le 27 novembre de la meme annee il assistera aux obseques de sa femme a Saint-Omer. Le 28 Janvier 1772, il se remariera a Saint-Omer avec Claire Josephe Colette Bailleul, qui mourra le 19 juillet de la meme annee. Voir The Letters of Charles O'Conor of Belanagare : A Catholic Voice in Eighteenth-Century Ireland, edition preparee par R. E. Ward, J. F. Wrynn et C. C. Ward, Catholic University of America Press, 1988 (d'apres The Letters of Charles O'Conor of Belanagare, these de doctoral soutenue par C. C. et R. E. Ward, Ann Arbor, University Microfilms International, 1980, 2 vol.), passim; R. Hayes, Biographical Dictionary of Irishmen in France, Dublin, 1949, p. 225-226; G. W. & J. E. Dunleavy, The O'Conor Papers : A Descriptive Catalog and Surname Register of the Materials at Clonalis House, Madison, University of Wisconsin Press, 1977, p. 59; Archives departementales du Pas-de-Calais (Arras), et

LETTRE 524 Archives communales de SaintOmer, registres paroissiaux des eglises Sainte-Aldegonde et SaintDenis. 2. Charles O'Conor (1710-1791), frere aine du precedent, a consacre sa vie a etablir 1'anciennete de la culture irlandaise et a combattre les incapacites juridiques que subissaient les catholiques d'Irlande. Le premier de ces objectifs 1'avait amene a publier des Dissertations on the Ancient History of Ireland (1753) et a recuser en 1763 les jugements exprimes par David Hume sur les Irlandais (v. note 15 ci-dessous). Pour atteindre son deuxieme objectif, il avait ecrit ses Seasonable Thoughts relating to Our Civil and Ecclesiastical Constitution (1751), ouvrage dans lequel il soutenait que les catholiques irlandais devraient jouir des memes droits civils que les protestants et, en retour, preter un serment de fidelite temporelle a la dynastie hanovrienne. Il avait d'ailleurs fonde a Dublin en 1756 la premiere association catholique, dont 1'objectif etait de reunir les catholiques et de les mobiliser contre les lois penales (v. note 9 ci-dessous). 3. Dans la date du 7 avril 1763 qui a ete ajoutee sur le manuscrit (v. note a ci-dessus), 1'indication d'annee est manifestement erronee. 4. Comme il le signale dans une lettre expediee precedemment a son frere, Daniel O'Conor allait se rendre en France : "J'irai habiter chez Patt MacDermott si cela est possible. [...] Si non, je resterai a Dunkerque jusqu'en mai prochain." (Lettre conservee a la Royal Irish Academy; traduction.) Dans une lettre du 17 juillet 1764, Charles O'Conor parle

Avril 1764 du "depart soudain pour Dunkerque de [son] malheureux frere" (Charles O'Conor, Letters, lettre 137; traduction), et en aout de la meme annee, du desir de celui-ci de se rendre a Paris (ibid., lettre 138). Pour MacDermott, voir lettre 532, note 3. 5. Le but de cette initiative de Daniel O'Conor est explique dans une lettre anterieure a son frere, datee du 7 fevrier 1764 : "Je n'ai pas encore decouvert si Helvetius est arrive. [...] Je juge d'avance qu'il n'est guere a meme de m'aider a obtenir un avancement. Tout ce que je peux esperer, c'est que ses connaissances me feront honneur et serviront a me presenter a ceux qui ont le pouvoir de me procurer un emploi sur le continent." (Lettre conservee a la Royal Irish Academy; traduction; Poriginal est cite dans un article de Simon Davies, "Daniel O'Conor, Helvetius's Irish Friend: A Further Note, and a Query", Bulletin de la British Society for Eighteenth-Century French Studies, n° 20 (1990), p. 10-13 (v. p. 11). 6. Condescension, de meme que le mot frangais condescendance, ne revetait pas, au dix-huitieme siecle, le sens pejoratif moderne de "superiorite bienveillante melee de mepris". Voir A Dictionary of the English Language, de Samuel Johnson (1755), pour le premier de ces mots: "voluntary submission to equality with inferiours"; et pour le second, le Dictionnaire de Trevoux (1771) : "Deference aux sentimens & aux volontes d'autrui. [...] Le meilleur moyen de gagner les esprits, c'est d'avoir beaucoup de condescendance pour eux."

Ill

LETTRE 524 7. A cette epoque, Daniel O'Conor preparait une oeuvre dramatique (peut-etre une tragedie intitulee (Edipe; v. lettre 611, note 3) et etait en train de rediger un traite philosophique qu'il se proposait d'appeler The Operation of the Mind (Charles O'Conor, Letters, lettre 115). En outre, dans une lettre a son frere d'avril 1764, il lui annonce : "11 existe un journal public intitule The Publick Ledger, [...] Je suis 1'auteur de la feuille hebdomadaire intitulee The Hugonot. Il en est deja paru six numeros, et six autres sont prevus. Dans ces derniers, la cause de 1'Irlande sera plaidee sous un nom d'emprunt, et j'espere que cela sera de quelque utilite." (Lettre conservee a la Royal Irish Academy; traduction; 1'original est cite par S. Davies, Bulletin [v. note 5 cidessus], p. 11.) 8. Il s'agit peut-etre de L'Homme, et ce serait alors la premiere reference a cet ouvrage contenue dans la presente Correspondance. 9. Les anglicans irlandais, malgre la domination qu'ils exergaient sur les plans politique, economique et social, redoutaient la restauration de la dynastic des Stuart et la reprise par les catholiques de leurs revendications religieuses et civiles. Us avaient done vote des "lois penales" qui avaient impose aux catholiques des restrictions draconiennes : leurs eveques avaient ete bannis, leurs pretres devaient abjurer leur foi, et eux-memes n'avaient plus le droit, ni d'acheter des terres, ni de voter, ni d'exercer aucune fonction publique. Les revenus de Daniel O'Conor provenaient des terres qu'il avait heritees de son pere, mort en 1750,

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Avril 1764 et qu'il louait a un de ses neveux. Il craignait peut-etre qu'une loi de 1704, qui limitait a 31 ans la duree de location d'une terre, soit rendue encore plus restrictive. 10. En 1762, en pleine guerre de Sept Ans, alors qu'il etait officier au service des ennemis de la Grande-Bretagne, Daniel O'Conor s'etait rendu a Londres, puis en Irlande, sans avoir obtenu ni passeport, ni permission speciale de George III. Il etait done sujet a etre arrete et poursuivi en justice. Deux de ses compatriotes irlandais, lord Taaffe et lord Dillon, etaient alors occupes a interceder en sa faveur aupres du gouvernement britannique (v. Charles O'Conor, Letters, lettre 111). 11. Les doutes que Daniel O'Conor exprime envers les bonnes dispositions d'Helvetius et les reactions de defiance qu'il prete a ce dernier ne font peut-etre que mamfester le temperament assez tourmente que lui pretait son frere (v. ibid., lettre 137). Peu avant la presente lettre, il avait fait part a ce dernier de reflexions similaires : "Helvetius n'est pas encore arrive. Dans le cas contraire, il m'evite. Ou peut-etre cramt-il d'avoir des relations avec une personne connue pour avoir appartenu pendant quelques annees a une certaine societe. Si cela s'ebruitait, il se ferait mal voir. C'est ainsi que la pestilence de cette clique infame me poursuivra partout." (Lettre conservee a la Royal Irish Academy; traduction.) Signalons pourtant qu'Helvetius n'a pas seulement rendu visite a Daniel O'Conor en 1764; il interviendra aussi avec insistance aupres de David Garrick en 1765 pour qu'il fasse jouer a

LETTRE 524 Drury Lane une tragedie de 1'Irlandais (v. lettres 611, 613, 617, 618 et 621). Quant a la "societe" mentionnee par Daniel O'Conor, son frere 1'avait egalement evoquee dans une lettre du 25 mars 1763 : "La societe que [mon frere] a frequentee pendant plusieurs annees est en quelque sorte dissoute. 11 eprouve de la satisfaction a en excommunier les membres avant qu'ils ne 1'excommunient a leur tour." (Charles O'Conor, Letters, lettre 117; traduction.) Cette "societe" consistait probablement en partisans que comptait en France le Pretendant, Charles-Edouard Stuart, dont les chances d'acceder au trone de Grande-Bretagne etaient devenues fort reduites depuis son arrestation et sa deportation de France. 12. William Havard (1710-1778), auteur dramatique et acteur irlandais. Ami de Garrick, il jouait a Drury Lane. Sollicite par Daniel O'Conor, il lui avait repondu que 1'intrigue de sa piece etait "trop simple pour la scene anglaise" (lettre de Daniel O'Conor a son frere, d'avril 1764, conservee a la Royal Irish Academy; traduction). 13. James Douglas, quinzieme comte de Morton (1702-1768), avait etc elu le 27 mars 1764 a la presidence de la Societe royale de Londres (v. Lloyd's Evening Post, 30 mars-2 avril 1764), Membre depuis 1733 de cette societe, a laquelle il avait fait des communications sur des sujets astronomiques, admis en 1738 dans 1'ordre du Chardon, et nomme en 1739 gentilhomme de la chambre du roi, ce lord ecossais, qui avait etc soupgonne d'espionnage et emprisonne a la Bastille en 1746 (v. Arse-

Avril 1764 nal, Bastille, ms 11600, ffos 173-186; et Walpole's Correspondence, XIX, p. 341), sera Pun des huit membres etrangers elus a 1'Academic fran§aise. 14. Samuel Johnson etait pourtant parmi les correspondants de Charles O'Conor et lui avait notamment ecrit le 9 avril 1757 pour le feliciter d'un de ses ouvrages (v. The Letters of Samuel Johnson, ed. Chapman, Oxford, 1952, 3 vol., lettre 107). 15. Dans son Histoire d'Angleterre (1759), David Hume avait emis un jugement tres severe sur la culture des Irlandais d'avant 1641 : "Meme a la fin du seizieme siecle, alors que toutes les nations chretiennes cultivaient avec ardeur tous les arts de la civilisation, cette ile [...] etait encore [...] habitee par un peuple dont les coutumes et les moeurs ressemblaient plus a celles des sauvages qu'a celles des barbares." (Chap. XLIV.) Charles O'Conor s'etait eleve centre ce verdict, destine selon lui a justifier la presence anglo-ecossaise en Irlande, dans un article anonyme date du 30 mars 1762. Cette reponse, intitulee "A letter to David Hume, Esq. on some misrepresentations in his History of Great Britain", avait etc publiee en deux parties dans une revue obscure, The Gentleman's Museum, consisting of original pieces on curious and popular subjects; particularly intended to assert the rights and liberties of the people (avril [p. 55-64] et mai [p. 65-78] 1763; un exemplaire de ces deux numeros se trouve a 1'universite Yale). Hume a repondu a cette "Lettre", de fac.on polie, mais evasive (v. D. Berman, "David Hume on the 1641 Rebellion in Ireland",

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Avril 1764

LETTRE 525 Studies : An Irish Quarterly Review, LXV [1976], p. 103). Le 17 octobre, Daniel O'Conor entretiendra son frere des relations entre Hume et Helvetius : "M. Hume, a qui vous etes en train d'ecrire, est a la tete des philosophes d'Angleterre. 11 est lie avec Helvetius; j'ignore si Hume le connait personnellement ou si ses rapports avec lui sont epistolaires, mais Helvetius lui porte beaucoup d'estime." (Fragment de lettre conserve a la Royal Irish Academy; Davies [v. le I], p. 245; traduction.) 16. L'essai de Hume intitule "Of the Passions" avait d'abord forme le deuxieme volume de son ouvrage A Treatise on Human Nature (Londres, 1739, 2 vol.), puis il 1'avait remanie pour en faire la deuxieme de ses Four Dissertations (Londres, 1757). Helvetius avait du le lire dans les CEuvres philosopkiques de Hume (Amsterdam, 1758-1760, 5 vol.), ou figure la Dissertation sur les passions (vol. IV, de 1759), traduite par J.-B. Merian.

REMARQUES

Si Ton tient, comme il est vraisemblable, que Daniel O'Conor avait appuye activement la cause du jeune Pretendant (v. note 11 ci-dessus), c'est probablement dans le milieu Jacobite de Paris qu'il avait fait la connaissance d'Helvetius, lequel avait heberge Charles-Edouard lors des visites secretes de celui-ci dans la capitale frangaise au debut des annees 50. Helvetius connaissait un parent des O'Conor appartenant egalement a la "societe" de soutien du Pretendant, la comtesse de Lismore, nee Margaret Josepha O'Brien, laquelle avait epouse en 1735 son cousin Daniel O'Brien (1683-1759), "ambassadeur" a Versailles du premier Pretendant, Jacques Stuart. Le 6 avril 1763, elle avait ecrit a Charles O'Conor : "Monsr Helvetius m'a fait 1'honneur de passer hier chez moi" (lettre conservee a la Royal Irish Academy), et a Pepoque de la presente lettre, O'Conor ecrit a son frere : "Je me presenterai chez Milady Lismore lorsque je serai de passage a Paris." (Lettre conservee a la Royal Irish Academy; traduction.) L'article de Simon Davies (v. le I) contient des remarques interessantes a ces differents sujets.

525. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 10 avril 1764]"1 Te voila done, ma chere femme, a Vore; je voudrois bien y etre avec toy. Je ne me repents cependant point de mon voiage. C'est un pais de liberte; il me semble qu'on y respire plus a son aize, que 1'ame et que les poumons ont plus d'elasticite. Si je t'avois icy avec^ mes enfants et deux ou trois de mes amis, je m'y trouverois plus heureux que partout ailleurs. Mais c'est toy qui fais reellement le fond de mon bonheur. Je sens que je t'aime de

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LETTRE 525

Avril 1764

plus en plus, que tu me manque comme mon amie et ma maitresse; je t'aime reellement plus que je ne puis te le dire. Ce peuple-cy est un bon peuple et qui voit plus en grand que le notre. Ces jours-cy la fille d'un milord vient d'epouzer un comedien2. Tu scais combien on criroit la-dessus a Paris; icy cela ne fait pas cet effet. "Qu'esce que cela nous fait, me disoit un Anglois, nos flottes en bloqueront-elles moins vos ports quand nous serons en guerre? ^C'est une cheville qui bouche un trou. Qu'importe que ce soit celle d'un comedien ou d'un autre, pourvu que le trou soit bouche?"^ Us ne mettent pas plus d'importance a la pendaison d'un milord quand il 1'a merite. "II est bon, disent-ils, que le peuple sache que 1'on pend les coquins de quelque etat qu'ils soient." Les filles icy sont infiniment plus libres que chez nous. Elles sortent a pied le matin avec un laquais et vont se promener ou elles veulent. II arrive quelquefois qu'elles se divertissent, mais des qu'elles deviennent femmes, elles sont communement tres sages et tres fidelles. En general on peut dire que les Angloises sont de meilleures femmes et les Francoises de plus agreables maitresses. Les Anglois en general estiment assez notre nation mais ils meprisent beaucoup notre gouvernement. II est vray qu'a certains egards nous leur sommes superieurs3 et qu'ils ne doivent qu'a la forme de leur gouvernement les avantages qu'ils ont sur nous. Un nomme Mr d'Heon4 vient de faire imprimer icy un livre qui ne doit pas plaire a Versailles. Adieu, ma chere amie. Mille respects a M"e de Chenoise5 que j'embrasse bras dessus bras dessous. N'oublie pas nos enfants, ces gages de notre amour que j'aime et que j'embrasse de toute mon ame. Adieu encor une fois, et je n'ay pas encor ton portrait. [adresse :] En France / A Madame / Madame Helvetius la jeune, en son / chateau de Vore, proche Regmallard / route du Perche / A Regmallard MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

"A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge (le meme que celui de la lettre 522); timbre de la poste: D'ANGLETERRE6.

1. Lettre ecrite peu apres le mariage de lady Susan Fox-Strangways (v. note suivante). 2. Le 7 avril 1764, ayant atteint sa majorite, lady Susan Sarah Louisa FoxStrangways (1743-1827), fille dupre, ' . , v , mier comte dT1 Ilchester, avait epouse en 1'eglise Saint-Paul, de Covent Garden, sans la permission de ses parents, un acteur pauvre et catholique, William O'Brien, fils d'un maitre

:;

IMPRIME

I. Gmllois, rp. 481-482 v(extrait). TEXTE "Le I porte la date de "Londres, avril 1764", qui ne figure pas dans le A. b Omis dans le I.

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LETTRE 525 d'escrime. Engage en 1758 par Garrick, il avail joue des roles importants a Drury Lane. Apres son mariage, qualifie par Walpole de "catastrophe" et de "triste malheur", il quittera la scene et s'installera aux Etats-Unis avec son epouse. Revenu en Angleterre en 1770, il ecrira plusieurs pieces de theatre et traduira Le Philosophe sans le savoir de Sedaine. Il mourra en 1815. Voir The Life and Letters of Lady Sarah Lennox, 1901, 2 vol., I, p. 135 sqq. (ouvrage orne de portraits de lady Susan Fox-Strangways et de William O'Brien), et Walpole's Correspondence, XXXVIII, p. 366-367. 3. Hume, qui pretait egalement une superiorite aux Franc.ais, la voyait dans leur sociabilite et dans la plus grande facilite avec laquelle ils reconnaissaient le merite litteraire. Dans une lettre au reverend Hugh Blair du 6 avril 1765, il ecrit : "II existe une difference des plus remarquables entre Londres et Paris, sur laquelle j'avais attire 1'attention d'Helvetius avant son recent voyage en Angleterre, et qu'il m'a dit a son retour avoir parfaitement pergue. La-bas, le peu de gens qui meritent que Ton converse avec eux sont froids et insociables, ou ne s'animent que s'ils sont parties a des factions ou cabales, de sorte que celui qui ne joue aucun role dans les affaires publiques est considere comme tout a fait insignifiant, et s'il n'est pas riche, il devient meme quelqu'un de meprisable. Voila pourquoi notre nation est en train de retomber rapidement dans la plus profonde stupidite, le christianisme et 1'ignorance. A Paris, en revanche, un homme qui se distingue dans les lettres est immediatement un sujet

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Avril 1764 d'estime et d'attentions." (Greig, I, p. 497-498; traduction.) 4. Charles Genevieve Louis Auguste Andre Timothee de Beaumont, chevalier d'Eon (1728-1810), celebrepar les doutes qui ont eu cours sur son sexe tout au long de sa vie. Attache au cabinet de 1'intendant des generalites en 1750, puis successivement collaborateur de Freron, censeur royal et capitaine de dragons, il poursuivra jusqu'a son depart d'Angleterre, souvent conjointement, les carrieres de diplomate et d'agent du secret du roi. En juin 1755, il est charge par Louis XV lui-meme d'une premiere mission aupres de Pimperatrice Elisabeth de Russie, avec pour objectif de la dissuader de conclure une alliance avec PAngleterre, ce a quoi elle etait poussee par son amant, BestoutchevRioumine. Pour echapper aux agents de ce dernier, il se rend a SaintPetersbourg sous le nom et 1'habit de Mile Lia de Beaumont, et il y devient rapidement 1'amant de la tsarine, qui 1'attache a elle en qualite de "lectrice intime et particuliere". Apres deux autres missions aupres de la meme souveraine (1756-1760), d'Eon est envoye en Angleterre en 1762, successivement a titre de secretaire d'ambassade, et apres le depart du due de Nivernois (1763), de ministre plenipotentiaire. Il y est principalement charge de certaine mission secrete aupres de la reine Charlotte, qu'il avait intimement connue alors qu'elle etait princesse de MecklembourgStrelitz. A son arrivee a Londres, Guerchy (v. lettre 518, note 4), nouvel ambassadeur de France, signifie a d'Eon son conge, et sur le refus de celui-ci de quitter le pays, le fait rappeler en France par le due de Praslin.

Avril 1764

LETTRE 526 Mais dans une lettre personnelle portant la meme date que celle de Praslin (4 octobre 1763), Louis XV, dont le chevalier tenait directement ses instructions depuis le debut de son sejour, lui ordonne de rester en Angleterre jusqu'a nouvel ordre avec tous ses papiers. Guerchy recourt alors a plusieurs moyens pour se debarrasser du chevalier : administration d'opium a d'Eon et tentative subsequente pour le faire enlever, cambriolage de son appartement pour s'emparer de ses papiers, demande d'extradition et pluie de libelles. Exaspere, d'Eon public a Londres a la fin de mars 1764 des Lettres, memoires et negotiations particulieres du- chevalier d'fcon. Selon Walpole, cet ouvrage "denigre Monsieur de Guerchy de fagon outrageante et embarrassera Messieurs de Praslin et Nivernois" (Walpole's Correspondence, XXXVIII, p. 356; traduction), et le due de Praslin le qualifie de "chef d'oeuvre d'insolence et de perfidie" (Aff. etr., C.P. Angleterre 456, f° 203 recto). Le 9 juillet 1764, d'Eon sera condamne pour diffamation devant lord Mansfield, et devra se cacher pendant quelque temps. En septembre 1774, tres fortement suspecte par George III d'avoir compromis la reine, il consentira, a la demande de Louis XVI et pour essayer de donner le change au roi de Grande-Bretagne, a se declarer

femme et a porter des habits feminins; il restera en Angleterre jusqu'en aout 1777, toujours comme membre du secret du roi. Rentre en France, il y recevra 1'ordre expres de porter desormais la robe. En 1785, crible de dettes, il se rendra de nouveau a Londres, ou il mourra dans la misere en 1810. 5. Voir lettre 497, note 6. 6. Timbre appose par les postes fra c,aises de Calais. REMARQUES

Le 11 avril 1764, sir James Macdonald (1742-1766), huitieme baronnet de Sleat, connu sous le surnom de "Marcellus ecossais", ecrira de Paris a Elizabeth Montagu (v. lettre 394, note 1) : "On peut voir actuellement a Londres un des ecrivains les plus remarquables de ce siecle, M. Helvetius, que je vous recommande de rencontrer, pour que vous puissiez vous convaincre de la difference qui peut exister entre un homme et ce que ses ecrits annoncent de lui. Il est d'une grande simplicite, sans aucune affectation, de mceurs tres respectables, ainsi que remarquablement amical et hospitalier. Je n'ai pas besoin de vous dire le jugement qu'il est facile de porter a son endroit apres lecture de son livre." (Mrs Montagu, "Queen of the Blues" : Her Letters and Friendships from 1762 to 1800, ed. Blunt, Londres, 1923, 2 vol., I, p. 97; traduction.)

526. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 12 avril 1764]1 Je ne seals, ma chere femme, quel terns il fait a Vore, mais il fait tres mauvais icy2. Il faut convenir que, si 1'on y est libre, le ciel communement 117

LETTRE 526

Avril 1764

n'y est pas beau. Je serois fort aize d'etre en Angletterre, si j'y etois avec toy et mes enfants. La vie y est beaucoup plus chere qu'en France, mais on y est oblige a beaucoup moins de depense. Le mary et la femme dine six jours de la semaine tete a tete avec une entree, une sallade, un alloiau et de la bierre. Le nombre des domestiques est beaucoup moindre qu'a Paris. Un domestique anglois fait 1'ouvrage de trois domestiques francois; ils sont toujours en action. Les hommes icy sont peu aimables pour les femmes. Les galants y sont fort maltraittes lorsqu'il sont decouvert. Hier un Francois a ete surpris avec une femme. Le mary a fait condamner Pamoureux3 a cinquante mille ecus de domage et interest; le pauvre diable est ruine, sa femme et ses enfants a 1'aumone. Vous sentez que de pareils exemples refroidisse beaucoup 1'ardeur des galants. II faut, pour etre en surete avec une femme, luy donner rendez-vous dans un mauvais lieu; une femme qui aime un homme n'en fait point difficulte. Ces mauvais lieux sont sous la protection des loix de peur qu'il n'y arrive du bruit, et le mary n'a pas le droit d'y surprendre sa femme 4 . Les femmes ont icy fort peu de temperament. Elles y sont fort sujettes, dit-on, aux fleurs blanches5. Mais quand une fois leur tetes s'est coiffe de quelqu'un, il n'est rien qu'elles ne fasse. Rien ne les arrete, pas me e la crainte de la mizere, car le divorce etant permis, lorsque le mary est cocu et qu'il 1'a prouve, il peut epouser une autre femme sans faire une pension alimentaire a celle qu'il quitte. II est pourtant vray que ces loix en retiennent beaucoup et qu'en general les Angloises sont beaucoup plus sages que nos Parisiennes. Je ne te parle point du caractere et du gouvernement anglois; cela demande du terns et du soin pour etre explique; c'est a mon retour que je vous en parleray. Ce qui est de vray, c'est que j'ay grande impatience de vous voir parceque je vous aime beaucoup. Je n'ay pas encor recu votre portrait; je ne scais pas quand il m'arrivera. Embrassez pour moy mes enfants et Mlle de Chenoise que j'aime autant que je la respecte et que je fais un grand plaisir de revoir a Paris6. Il est peu d'amis comme celle-la et je me vante d'en connoitre le prix. \adresse :] Route du Mans / En France / A Madame / Madame Helvetius, en son chateau / de Vore, proche Regmallard, au / Perche, route du Mans / A Regmallard MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

*A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge (le meme que celui de la lettre 522).

1. Lettre ecrite entre le 9 et le 15 avril (v. note suivante), quelques jours apres la lettre 525.

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Avril 1764

LETTRE 527 2. D'apres The Daily Advertiser du jeudi 19 avril, il avait tellement plu la semaine precedente que la Tamise etait sortie de son lit en plusieurs endroits. 3. Non identifie. Ce genre de condamnation n'etait pas exceptionnel (cf. le proces intente en 1757 par 1'amiral Knowles, pour "conversation criminelle" avec sa femme, contre le capitaine James Gambier, relate dans Trials for Adultery, Londres, 17791780, 7 vol., VI, n° 7). 4. Reference probable au quartier de Covent Garden, qu'un journal de 1'epoque decrivait ainsi: "Sur la grande place de Venus et dans ses environs, se pressent les adorateurs de cette deesse. [...] II y existe un grand nombre de maisons de rendezvous publiques (open bouses) dont la

principale fonction est de fournir des incitations a la luxure. Les bordels et les hotels de passe sont tout pres." (An Eighteenth-Century Journal, ed. Hampden, 1940, p. 334; traduction.) C'est dans ce quartier de Londres que James Boswell declarait avoir "celebre pour la premiere fois les rites emouvants et enivrants de 1'amour" (London Journal, 1762-1763, ed. Pottle, Londres, 1950, p. 283; traduction), et que John Cleland (17001789) avait fait habiter Fanny Hill, I'hero'ine de son roman Memoirs of a Woman of Pleasure (Londres, 17481749, 2 vol.). 5. Fleurs (ou flueurs, selon Le Grand Dictionnaire franqois-latin de Nicot, 1614) blanches : ancienne appellation de la leucorrhee, des pertes blanches. 6. Voir lettre 497, note 6.

527. Helvetius a Madame Helvetius [Versle 19 avril 1764]1 Vous me dites, ma chere, que je vous parle plus dans mes lettres des femmes que des hommes de ce pais-cy2. C'est que la connoissance des hommes tient beaucoup a celle des affaires et du gouvernement. Je me suis instruit icy de la maniere dont on percevoit les imposts.-J'ay vu que la recette s'en faisoit a beaucoup meilleur marche qu'en France, mais que, par des inconvenients locaux, il est impossible de faire au meme prix en notr pais, du moins "sur toute" la partie qu'on apelle en France ferme generale^ et icy accise3. Les seigneurs, comme je vous 1'ay dit4, sont fort superieurs aux notres. Us ont leur avis a soutenir en plein Parlement ou ils sont contredit sans menagement, et vous sentez qu'ils sont par cette raison force de s'instruire jusqu'a un certain point des affaires qu'on traitte devant eux. c Les Chambresc des communes dont les membres montent au nombre de 6005 etc tous sont pareillement occupes des affaires d'Etat et de leurs affaires particulieres qui s'y trouvent toujours melees selon qu'ils sont du party de la cour ou de 1'opposition. Il suit de cette forme de gouvernement que les affaires d'Etat sont beaucoup mieux conduites que chez nous parcequ'elles 119

LETTRE 527

Avril 1764

sont discutees et les propositions contredites sans menagement dans le Parlement. Presque tous les Anglois qui ont de 1'esprit sont acteurs et non pas comme chez nous spectateurs dans les affaires de leur gouvernement. De la il arrive que leur vues concentrees dans les affaires particulieres de leur pais ne s'eleve point a des vues aussy generales que celles de quelques homines que nous connoissons a Paris. Les scavants d'ailleurs ne vivent point en general avec des gens occupes d'affaires d'Etat et de factions vives et pour qui le froid des reflections sages et profondes seroit insipides. C'est lire le traitte du bonheur de Fontenelle6 lorsqu'on a perdu son enfant. L'esprit de faction est si fort que, quoique 1'argent soit a Londres comme a Paris Pidole et la divinite du pais, vous voiez des hommes sacrifier frequement des places de cent mille ecus de rente pour se ranger avec leur amis dans 1'opposition. Les hommes ont icy beaucoup de caractere7 et on ne reussit point sans avoir fait des preuves a cet egard. Mais voila assez ^politiquer dans une^ lettre. Tu me dis dans la tienne que tu m'aimes et je te reponds avec verite que je t'adore. Il est vray, ma chere amie, que tu me parois toujours belle et toujours nouvelle8. Si par hazard je t'avois fait quelques infidellites, il n'est aucune femme qui, au bout de trois jours, put me plaire autant que toy parceque j'ay toujours pour toy le gout le plus vif au lieu que je vois bien par tes lettres que tu as pour moi une tendre amitie mais tu n'as plus de gout pour moi. Embrasse mes enfants. Mille respects a Mllc de Chenoise. J'ay un peu de goutte depuis hier au soir, mais ce n'est qu'au pied. J'espere en etre quitte dans trois ou quatre jours a ce que m'a dit le medecin. Adieu, ma belle femme. [adresse :] Au Perche, en France / A Madame / Madame Helvetius la jeune, en son / chateau de Vore, proche Regmallard / au Perche, route du Mans / A Regmallard MANUSCRIT *A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; fragments d'un cachet sur cire rouge (le meme que , . , , , • u j 1 C -- N celui de la lettre 522); timbre de la poste, •ii- -LI . ^ T,™ T, presque illisible: D'ANGLETERRE. iMPRIMIs I. Guillois, p. 444-446. TEXTE "Le I: surtout . h Le I: gauche . . i i n i i c r . Helvetius a perdu le hi de sa phrase. C est pourquoi Guillois a remplace Les Chambres par A la Cham ore et supv r

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prime le mot "et". d~Lel: "de politique dans ma". NOTES EXPLICATIVES 1- Cette lettre, Mqui contient un long . . .. . . & developpement politique, est done posterieure a la precedente, ou 1'auteur exprimait son intention d'attendre son retour pour entretenir sa remme du gouvernement anglois . 2. Helvetius a errectivement rormule , , d65 remarques plus rrrequentes et plus c .0 longues sur les Anglaises (lettres 518, 519, 520 et 525) que sur les Anglais,

LETTRE 528 dont il parle de fac.on plus generale, en tant que peuple. 3. Le mot anglais "excise" (contributions indirectes) etait generalement traduit en franc,ais au XVIir siecle par "accise", terme qui recouvrait une realite analogue (impot indirect frappant certains produits de consommation). Cf. Montesquieu: "En Angleterre, I'administration de 1'accise [...] a ete empruntee des fermiers." (Esprit des lois, III, xix.) 4. Voir lettre 519, par. 4. 5. En fait, la Chambre des communes ne comptait que 558 membres, effectif atteint par 1'adjonction, en 1707, de 45 representants de 1'Ecosse.

Avril 1764 6. Discours du honheur, public en 1724 avec une nouvelle edition des Entretiens sur la pluralite des mondes. 7. C'est une opinion d'Helvetius un peu differente que rapporte Walpole : "Quand il dit de nous : 'C'est un furieux pays', il ne sait pas que la traduction litterale de ces mots nous decrirait exactement." (Walpole's Correspondence, XXXVIII, p. 363; traduction.) 8. Cf. La Fontaine, Les Deux Pigeons : "Soyez-vous 1'un a Pautre un monde toujours beau, / Toujours divers, toujours nouveau."

528. Genevieve Noelle de Carvoisin d'Armancourt, veuve Helvetius1, a Madame Helvetius Ce 20 avrille 1764 Je n'ay point assurement de plainte a faire centre vous, ma chere fille, ny centre mon cher fils; ausy je "nan est" jamais faite, et sy je loue une maison, ce ne cerat aucune de ces raison qui me ferons prandre ce party. Je vous prie de vous mestre a ma place. Melle La Grange2 veux louer une apartemant oii elle soit a son aisse et ne veux pas demeurer isy; Mclle Genare3 ne peut pas ce dispancer de la suivre. Je ne puis la condannere, sa sceur etant vieille et fort infirme et luy devant tout. II y a quarante-sinq [ans] que nous vivons ensamble. Que b de viendroige^ avec de nouveaux visage, moy qui ne peut pas les soufrire? Je tomberet bien tot dans la melancollie et je periroit. Ce n'est pas sans bien des combat qui cmon dechirez lammec que j'ay prie party et je n'ay pas eu la force de vous le dire avant vostre depart. Vous aite ordinairemant sept mois a la campagne; vos afaire vous y obblige, et quelque fois des annee entier4. Je ceroit done sept mois isy a mourir d'annuit. Apres cela, ma chere fille, je croy que nous nous verons ausy souvant. Vous ausi, quand vous aite a Paris, vos afaire, vos ^anfant vous^ ocqupe ausy. Nos sosiettes ne peuve pas naturellemant et avec resson aitre les mesme. Insy je ne puis pandant vostre appesance etre comme abandonner, aitant vieille5 et toujour infirme, care je vous le reppeste encore, je me regarderoit comme telle avec de nouveaux visage, et je connois 1'atachemant de Melle Lagrance 121

LETTRE 528

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et Genare pour moy. Sy vos afaire vous obligoit d'estre a Paris comme elle vous oblige d'estre a la campagne, je ne vous quiteroit pas ny mon cher fils, quand mesme je ceroit dans un gregnier. Ma parolle d'honeur e[s]t donner pour une maison ; cese pour moy comme sy le bailie etoit fait. Cese pour la S'-Jean prochain, cette-a-dire le quinze de Juliet, mes je perer^mon loyer jusqu'a Nouelle, et je sail que vous %an cererg pas embarasser sy vous louer en mesme tant 1'apartemant de vostre cegretaire6 et la chambre de Melle La Grange, et vous pourer encore louer vostre petite apartemant et 1'antresolle de Mr Diest7 a d'autre personne. Mes ne disposser pas encore de mon apartemant parce qu'il pouroit arriver des insidant qui pouroit changer mon marcher. Cela ne doit pas vous presser puis que je perer^mon loyer jusqu'a Nouelle. Ne croyer pas, je vous prie, que ce soit pare indiferance que je prand ce party, puis que je vous aimme et mon cher fils et mes petits anfant de tout mon coeur. Sy je loue la messon que j'ay en veu8, ce ne cera pas loins de vous a Helvetius mere. MANUSCRIT ::

"A. Vore; 4 p.; orig. autogr.

TEXTE

"n'en ai. ^deviendrai-je. c m'ont dechire 1'ame. ''Le A : "anfant qui vous". ec'est. ^paierai. g n'en serez. NOTES EXPLICATIVES

1. La mere d'Helvetius (v. lettre 168, note 1) habitait chez son fils depuis la mort de son mari, en 1755. 2. Marie Anne de Lagrange (v. lettre 196, note 4). D'apres le debut de la lettre 531, elle-meme et sa sceur (v. note suivante) devaient remplir le role de dames de compagnie de Mme Helvetius mere. Mile de La Grange allait mourir le 12 juillet 1764, peu apres le demenagement envisage ici (M.C..LVI, 116). 3. Helene de La Grange, veuve de Fran§ois Genard, qui avait eu un office de gentilhomme servant chez le due de Berry. Elle habitait aussi a 1'hotel d'Helvetius, et c'est a elle que sera rembourse 1'argent qu'Helvetius avait emprunte a sa sceur Marie Anne (v. M.C., LVI, 116).

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4. Helvetius n'etait pas venu a Paris pendant les hivers de 1759-1760 et 1761-1762. 5. Elle allait mourir le 14 Janvier 1767, agee de 73 ans. 6. Probablement le secretaire d'Helvetius, Nicolas Gabriel Borghers, a qui les filles de 1'auteur allaient constituer en 1772 une rente viagere de 600 livres en reconnaissance de ses onze ans de service. En 1774, il sera Pintendant des families d'Andlau et de Mun, et occupera en 1792 le poste de regisseur a Lumigny. Voir A.N., Y 430, f° 133 verso-134 recto, et M.C., LV 196 et 396. 7. Jean de Diest (v. lettre 196, note 5), qui etait mort a Paris le 15 Janvier 1764 a 1'age de 63 ans. Ses principaux heritiers etaient Helvetius et le cousin germain de celui-ci, Jean Adrien Martinet de Charsonville (v. lettre 537, note 6), qui etaient ses neveux a la mode de Bretagne; mais Diest n'avait oublie dans son testament ni Mme Helvetius, ni Marie Anne de La Grange, ni la Faculte de medecine (v. lettre 535, note 2).

LETTRE 529

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8. A la date de sa mort, la mere d'Helvetius demeurait rue des Fosses-Montmartre (la rue d'Aboukir actuelle),

entre la place des Victoires et la rue Montmartre.

529. Hehetius a Madame Helvetius [Vers Ie24avril 1764]1 Enfin, ma chere amie, j'ay deja quitte une fois Londres. J'ay etc voir les jardins et les campagnes angloises. Ces jardins n'ont aucunes ressemblances aux notres; ce sont de beaux lieux champetres, ou 1'on ne croiroit point que la main de 1'art ait touche. Ce sont de beaux tapis de verdure que les moutons viennent paitre. Ce sont les meilleurs jardiniers pour les tapis; lorsqu'on a une fois rendu le terrain bien egal, le reste es[t] 1'affaire des moutons. Les jardins du pais sont done peuples de toute sorte de bestiaux. On y rencontre rarement une allee droite; ce sont partout de petites allees de sept ou huit pieds serpentantes comme celles de nos bois. On y menage de petites salles, de petites fontaines sans simetrie, telles que la nature en forme quelquefois. Les allees sont composees d'arbres de toutes especes : des sapins, des pins, des chenes, des chevreveuils*, des lauriers tulipiers tels que nous en avons a Vore. Les allees sont proprement des haies fort epaisses formees de tous ces arbres. On ne scait pas dans quel pais Ton est. Ces allees en outre sont toutes bombees et composees de petits cailloux tels que nous en avons a Vore de maniere qu'on marche toujours a pied sec2. La rivierre de la Tamize baigne le bas des jardins que j'ay vu. Elle est pleine d'iles vertes3. Ses bords sont a perte de vue de tres beaux patturages ornes d'arbres toujours sans simetrie mais plantes avec art qui en rend la vuefc delicieuse; con ne sec lasse point de les regarder. Je pars demain pour aller chez Mr Stuart4 passer quatre ou cinq jours et visitter les maisons de campagne des environs dont je vous rendray compte a mon retour a Londres. Tout cecy me seroit fort agreable, si vous y etiez. Mes yeux sont surpris et amuzes, mon ame y est libre, mais mon coeur n'est pas satisfait parce que je n'y suis point avec vous. Je ne vous demande que de m'aimer autant que je sens que je vous aime. Quoique ce pais icy me convienne infiniment mieux que la France, je vous jure que ce sera avec grand plaisir que je vous rejoindray a Vore. Ma chere femme, que j'auray de plaisir a t'embrasser. Mes respects a Melle de Chenoise que j'aime de tout mon coeur. Embrasse mes pauvres enfants. [adresse :] Route du Mans, en France / A Madame / Madame Helvetius la jeune, en / son chateau de Vore, proche Regmallard / au Perche, route du Mans / A Regmallard 123

Avril 1764

LETTRE 53 MANUSCRIT

*A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge (le meme que celui de la lettre 522); timbre de la poste: D'ANGLETERRE. IMPRIME

I. Guillois, p. 482-483 TEXTE

"Le I : "chenes verts". hLe I : "nature". c Le I : "ou je ne me". NOTES EXPLICATIVES

1. Lettre de Londres ecnte entre deux voyages d'Helvetius dans la campagne anglaise (v. le debut des paragraphes 1 et 2), dont le premier a sans doute eu lieu apres la semaine pluvieuse du 9 au 15 avril (v. lettre 526, note 2). 2. C'est probablement Helvetius qui a pris 1'initiative de faire transformer le

pare a la frangaise de Vore en pare a 1'anglaise (v. Andlau, p. 43). 3. Les villages situes pres de la Tamise ou de riches Anglais possedaient une maison de campagne etaient Chiswick, Kew, Twickenham, Richmond et Ham. Des le debut du regne de George III, le Tout-Londres avait pris 1'habitude d'aller passer le week-end a la campagne. 4. Probablement John Stewart (v. lettre 435, note 11). REMARQUES

II y a peut-etre a s'etonner qu'Helvetius ne mentionne ici ni la mort de la mere de Hans Stanley, nee Sarah Sloane, survenue le vendredi saint precedent (20 avril), ni celle de Mme de Pompadour (15 avril), que les journaux anglais avait deja rapportee.

530. Helvetius a Francis Hastings, comte de Huntingdon1 [Vers le 25 avril 1764]2 Milord, Souffrez que je vous demande votre protection pour un des etres les plus singuliers qui existent. C'est un petit prodige allemand qui est arrive ces jours-cy a Londres. II execute et compoze sur-le-champ les pieces les plus difficilles et les plus agreables sur le clavesin. C'est en ce genre le compositeur le plus eloquent et le plus profond. Son pere s'apelle Mozart*3; il est maitre de chapelle de Salsbourg; il loge avec ce prodige de sept ans at Mr Couzin, hare cutter in Cecil Court, St. Martins Lane4. Tout Paris et toute la cour de France on[t] etc enchante de ce petit garcon5. Je ne doute pas que le Roy et la Reine ne fussent charme de 1'entendre6. Londres est le pais de bons paturages pour les talents. C'est a 1'Apollon de 1'Angletterre a qui je m'adresse pour le prier de les proteger.

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LETTRE 530

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Permettez que je profite de cette occassion pour vous renouveller les assurances du respect profond avec lequel j'ay 1'honneur d'etre, Milord, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius MANUSCRIT :;

'A. Huntington Library, San Marino, Californie, Hastings Papers HA 6278; 2 p.; orig. autogr. IMPRIMES

I. Report on the Manuscripts of the Late Reginald Rawdon Hastings, Esq., ed. Bickley, Londres, 1928-1947, 4 vol., HI, p. 143-144; premier paragraphe seulement. II. F. J. Crowley, "A Letter from Helvetius about Mozart", Huntington Library Bulletin, VI (1934), p. 170-171. III. O. E. Deutsch, Mozart, a Documentary Biography, Londres, 1965, p. 32 (en anglais). TEXTE "Souligne dans le A. NOTES EXPLICATIVES

1. Francis Hastings, dixieme comte de Huntingdon (1728-1789) etait conseiller prive, premier gentilhomme de la chambre du roi, lordlieutenant du West Riding et membre de la Societe royale de Londres. 2. Voir note 3 ci-apres, par. 2. 3. Joannes Chrisostomus Wolfgangus Theophilius Mozart, qui preferait a son dernier nom de bapteme la forme latine Amadeus ou 1'equivalent allemand Gottlieb, etait ne le 27 Janvier 1756, et il etait done a peine age de huit ans a la date de la presente lettre. Son pere, Johan Georg Leopold Mozart (1719-1787), qui avait d'abord etudie la philosophic et la

jurisprudence, avait obtenu un poste de violoniste a la Kapelle du princearcheveque de Salzbourg, puis etait devenu compositeur de la cour, et en 1763, vice-kapellmeister. Mais "ayant une conscience profonde de ses responsabilites en tant que pere d'un genie remarquable, il abandonne la composition pour se consacrer a Pepanouissement du talent de son fils" (Stanley Sadie, Mozart, Monaco, 1982, trad. Paul Couturiau, p. 10, ouvrage auquel nous devons la majonte des indications fourmes ciapres). La meme annee, il forme le projet de 1'emmener a Paris et a Londres, hauts-lieux musicaux les plus actifs de son epoque, en s'arretant dans les autres centres musicaux se trouvant sur la route, ou ses enfants auraient des chances d'etre ecoutes et de recevoir des liberalites. Le 9 juin 1763, accompagne de Wolfgang et de sa fille Marianne, agee de 11 ans, Leopold Mozart entame ce voyage, au cours duquel ils donneront des concerts dans de nombreuses villes d'Allemagne et des Pays-Bas autrichiens, avant d'arriver. a Paris le 18 novembre. La famille Mozart y fait la connaissance d'Helvetius, de sa femme et de ses filles (v. Leopold Mozart, Reiseaufzeichnungen [17631771], ed. Schurig, Dresde, 1920, p. 29), de meme que de Grimm et de plusieurs musiciens. Le l er Janvier 1764, ils se produisent devant Louis XV, et ils donnent par la suite

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Mai 1764

LETTRE 531 deux concerts publics; et c'est au cours de ce sejour a Paris qu'a lieu la premiere publication d'une musique de Mozart, a savoir un groupe de deux senates pour clavecin et violon. Les Mozart quittent Paris le 10 avril 1764 et arrivent le 23 a Londres, ou ils passeront quinze mois. Us y sont regus le 24 par 1'ambassadeur de France, et c'est lui qui les presente le 27 au roi George III (v. note 6 ci-apres), qui soumettra bientot Wolfgang a des exercices difficiles au clavecin (v. L. Mozart, op. cit., p. 33). Les enfants Mozart seront entendus a 1'occasion de quatre concerts, dont 1'un dans les Ranelagh Pleasure Gardens, ainsi que lors de rencontres en prive auxquelles seront invites des melomanes. Johann-Christian Bach sera particulierement aimable envers les Mozart, improvisera au clavecin avec eux, et exercera une influence durable sur Wolfgang. La famille s'installera ensuite a Chelsea, ou Mozart composera sans doute ses premieres symphonies. Elle quittera 1'Angleterre pour Calais le l er aout

1765, et au terme d'un long voyage de retour, atteindra Salzbourg le 29 ou le 30 novembre 1766. 4. Adresse ou la famille Mozart a loge a partir du 24 avril (v. L. Mozart, op. cit. p. 33). Le nom de John Couzens, qui habitait la maison ou se trouve le numero 19 actuel, est inscrit en 1765 dans les Rate Books de la paroisse Saint-Martin's-in-the-Fields (Victoria Library, Westminster, Londres, ms. F 546, p. 58). 5. A cette relation, fera echo 1'appreciation du juriste Daines Barrington, qui fournira en 1769 un rapport concernant Mozart a la Societe royale de Londres, ou celui-ci sera decrit comme "une des plus aimables creatures qu'on puisse voir, mettant a tout ce qu'il dit et ce qu'il fait de 1'esprit et de I'ame avec la grace et la gentillesse de son age" (Sadie, op. cit., p. 15). 6. Le 27 avril, de six a neuf heures du soir, Mozart et sa soeur joueront devant le roi et la reine a Buckingham House.

531. Helvetius a Madame Helvetius Ce l e r may [1764] Je viens d'ecrire, ma chere femme, a ma mere au sujet du projet qu'elle a de nous quitter1. Je luy marque que, puisque Mlles La Grange et Genard ont tant d'amitie pour elle", il etoit bien plus simple que ces demoiselles prissent le party de rester avec elle a la maison que de 1'en tirer, que Mlle La Grange avoit une cuizine que je ne luy redemanderois pas et dont je ne luy ferois pas paier de loier, qu'elle avoit sa chambre, et que je ne voiois pas a quoy le demenagement pouvoit etre bon si non a faire croire au public que nous etions en froid ensemble, que le public n'imagineroit jamais qu'une mere qui n'avoit point a se plaindre de son fils le quitta pour suivre ses deux demoiselles, que pour moy je comptois fort sur son amide, que je ne 126

LETTRE531

Mai 1764

doutois pas qu'elle ne compta pareillement sur ma respectueuze tendresse et sur la votre, et que nous ne pouvions par nos affaires avoir jamais aucun different, aucune altercation qui put occasionner la moindre altercation entre nous, qu'ainsy elle etoit la maitresse, mais que je ne pouvois pas donner mon consentement a cette separation. C'est reellement de sa part la chose la plus absurde et la plus deshonete. Apres avoir gronde ma mere il faut bien que je gronde ma femme. Vous m'ecrivez, ma chere amie, comme si je n'avois que de 1'indifference pour vous. Mais dans quel moment de ma vie ai-je cesse de vous aimer? Je n'avois certainement pas le projet de me marier quand je vous ai vu; c'est 1'amour qui m'a marie. Depuis ce terns je vous aime et je vous jure que je vous aime autant que le premier jour; c'est avec le meme plaisir que j'iray au mois de juin vous rejoindre a Vore. Si je suis flatte de 1'accueil que je recois icy2, ce n'est pas par vanite. Deux autres motifs me rendent cet accueil agreable : 1'un de mieux meriter votre tendresse et que vous m'en croiez plus digne, 1'autre est celuy de la vengeance. C'est une espece de punition pour ceux qui m'ont si maltraitte de voir que 1'on me traitte ailleurs si differement. Je vais faire maintenant 3 un tour dans les campagnes. Puisque je suis icy, il faut bien que j'examine cette agriculture tant vantee et cette terre fertilizee par des mains libres. ^Tu ne recevras pas mes lettres si exactement pendant ces petits voyages.^ Si tu etois avec moy icy, je m'y trouverois tres bien, mais le cheveu de ce que j'aime me ramenera en France au mois de juin. On parle icy trop francois pour que je puisse entendre bien 1'anglois; il faut d'ailleurs sept ou huit mois de sejour pour commencer a le parler. La vie est chere icy. Cependant, si j'y demeurois, je ne depenserois pas plus qu'a Paris, parcequ'on y a beaucoup moins de domestiques, qu'on y donne rarement a manger, et que un mary et une femme de notre etat y dinent avec une soupe, un aloiau, une entree, une sail [ad] e, et deux pommes et deux oranges chaqu'un pour desert. Embrassez Mlle de Chenoise a qui vraisemblablement vous montrez mes lettres. Elle scait combien je 1'aime et en lizant ma lettre elle vous dira aussy que je vous aime. Adieu, ma chere femme. Je vous renvoie ma procuration signee4 et une lettre pour mes filles. Je compte que tu auras eu ton arrest pour 1'etablissement d'une forge5 et qu'il ne faut vendre nos bois que pour un an. MANUSCRIT

TEXTE

:;

a

"A. Vore; 3 p.; orig. autogr.

Le A : "elle {et elle pour eux [ = elles])". ^Ajoute dans 1'interligne.

127

LETTRE 532

Mai 1764

NOTES EXPLICATIVES 1. Cette lettre d'Helvetius a sa mere concernant le projet de celle-ci (v. lettre 528) n'est pas parvenue jusqu'a nous. 2. Le 15 mai, William Johnson Temple ecrira a James Boswell: "Helvetius est parmi nous et est extremement bien accueilli par les nobles." (Boswell in Holland, 1763-1764, ed. Pottle, Londres, 1952, p. 244; traduction.)

3. En fait, Helvetius ne quittera Londres que le 16 mai (v. lettre 534, par. 6), sans doute en raison de crises de goutte survenues entre-temps (v. lettre 533, note 2). 4. Cette procuration devait autoriser Mme Helvetius a acheter "dix arpents de bois de Mr de PEtang" (v. lettre 534, par. 1). 5. Voir lettres 521, par. 2, et 523.

532. Madame Helvetius a David Hume1 L'on me demande ma protection aupres de vous, Monsieur, et il me paroit sy flateur qu'on croie que e'en soit une bonne que je n'ai garde de la refuser. Trouve done bon que je vous prie d'emploier votre credit, et celui de Monsieur 1'ambassadeur d'Angleterre2, pour obtenir une abbaye, ou du moins une pention sur une, pour Monsieur 1'abbe Macdernott3, cure de Montlissant, mon voisin, mon ami et allie de ma famille. C'est un ecclesiastique d'une naissance et d'un merite distingue; il est issu d'une famille illustre d'Jrlande, et est parent de Madame la duchesse de Warton4. Votre patriote, Monsieur le due de Bedfort5, pendant son sejour a Paris, a obtenu de ces sortes de graces pour des gens de ma connoissance et de sa patrie qui meritoient moins que lui. Vous ne sauries, Monsieur, nous obliger plus sensiblement, Monsieur Helvetius et moi, qu'en vous interessant a lui; les services que vous voudres bien lui rendre augmenteront fort ma reconnoissance de 1'amitie que vous m'aves marquee, sans pouvoir ajouter a 1'estime et 1'attachement avec lesquels j'ai 1'honneur d'estre, Monsieur, votre tres humble et tres obeissante servante, Ligneville Helvetius A Vore, ce 6 mai 1764 [adresse :] A Monsieur / Monsieur Hume, ches Monsieur / 1'ambassadeur d'Angleterre, en / son hostel / A Paris MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

:;

1. David Hume etait alors a Paris, ou il etait arrive en 1763 en qualite de secretaire de 1'ambassadeur de

"A. R.S.E., V, 54; 1 p.; original dont le texte, comme la signature, sont de la meme main inconnue; traces de cire rouge.

128

Gravure de David Hume par Martin d'apres le portrait de Ramsay

LETTRE 532

Mai 1764

Grande-Bretagne, Hertford (v. note pour eleves Eugene de Beauharnais et suivante). Jerome Bonaparte. Voir A.N., AD III 2. Francis Seymour Conway, comte de 41 n° 13; AF III 57, dossier 219; X 2B Hertford (1719-1794), gentilhomme 1417; M.C., I, 758, 20 fevrier 1817; et de la chambre et conseiller prive du R. Hayes, Biographical Dictionary of roi, chevalier de la Jarretiere et Irishmen in France, Dublin, 1949, ambassadeur en France de 1763 a p. 173-175. C'est probablement a ce 1765. personnage que Daniel O'Conor se 3. L'abbe Patrice MacDermott (1728refere dans une lettre de 1764 prece1776), un noble irlandais, a etc titudemment citee (v. lettre 524, note 4). laire, de 1756 a 1776, de la cure de Deux ans apres la presente lettre, il Montlissant (aujourd'hui Moulisemble bien que les efforts entrepris cent), petit village situe a 4 km au par Mme Helvetius pour faire attriNNE de Longny-au-Perche. II mourra buer un poste au cure de Moulicent se le 10 fevrier 1776 et sera inhume dans poursuivaient encore, car le l er aout le choeur de son eglise. (Voir Abbe 1766, Paolo Frisi ecrit a Beccaria : H. Godet, "Memoire historique sur "Helvetius est encore a la campagne Moulicent" dans Documents sur la avec la goutte et avec un pretre irlanprovince du Perche, Mortagne, 1890dais qu'il s'est assigne de faire nom1911, p. 91-94. Nous devons la mer eveque in partibus." (G. Sommi recherche et la communication de cet Picenardi, "Lettere inedite di Paolo ouvrage a 1'amabilite de 1'abbe R. GriFrisi a Giovan Battista Biffi", Rassepon, cure de La Chapelle-MontlignaNazionale, CXCVII (1914), p. 376geon.) Pendant tout son ministere, 377; et Beccaria, Opere, Milan, 1984-, son vicaire a etc un certain Plunkett; vol. IV, Carteggio, ed. Capra, Pasta & ce nom est aussi celui du chapelain de Pino, lettre 113; traduction.) la chapelle Saint-Charles du chateau 4. Maria Theresa, fille de Henry de Vore, Jacques Philippe Plunkett, O'Beirne, colonel irlandais au serqui succedera a cette fonction a 1'abbe vice de 1'Espagne, et de Henrietta Charles Jullienne vers 1770 (v. A.N., O'Neill. Elle avait etc fille d'honneur Y 430, f° 130 verso-131 recto; M.C., de la reine d'Espagne, et Philip, preLVI, 171, 28 Janvier 1772; LVI, 178, 15 mier due de Wharton (1698-1731) et septembre 1772; et Andlau, p. 60). roue Jacobite, 1'avait epousee en 1726 Les liens de famille entre 1'abbe Macen secondes noces. Depuis la mort de Dermott et les Ligniville nous sont son mari, elle vivait a Londres, ou elle inconnus. mourra en 1777. Un autre abbe Patrice MacDermot La duchesse de Wharton avait (1730-1812), a ne pas confondre avec effectivement pour parents des le precedent, docteur-es-lettres de MacDermott: sa cousine issue de 1'universite de Paris et aumonier a germains, Eleanor O'Conor, etait la Londres du marquis de Noailles, femme de Charles M'Dermott, et sa niece, Bridget O'Conor, fille de 1'hisambassadeur de France, sera implique dans la celebre affaire du Collier de la torien irlandais Charles O'Conor (v. lettre 524, note 2), avait epouse en Reine, et investira sa fortune dans le college des Irlandais a Paris, ou il aura 1754 un certain Myles MacDermot

130

Mai 1764

LETTRE 533 de Coolavin. Voir Burke's Irish Family Records, 1976, pp. 755 et 902, et The Complete Peerage, ed.

Cokayne, 1910-1940, 13 vol., XII, ii, p. 613. 5. Voir lettre 499, note 5.

533. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 8 mai 1764]1 Je vous ecris un mot ce matin, ma chere amie, pour vous tranquillizer sur ma goutte2. L'accez m'a fait souffrir un peu vivement, mais il est presque entierement passe. Je compte me purger demain et sortir dans deux jours. Comme ma chambre ne desemplit point de monde, je n'ay que le terns de t'assurer de mon* amour, ma tendresse et mon estime. Embrasse mes chers enfans, ces gages d'une union qui m'est^ si chere. Dites mille choses pour moy a Mlle de Chenoise; elle scait combien je luy suis attache et que je sens une partie de son merite. Je compte toujours te revoir au mois de juin. Je t'aime trop pour supporter une plus longue absence, d'autant qu'il me faudroit six mois pour entendre la langue. Quand on la parle, j'entends bien quand les phrazes sont courtes mais non pas quand elles sont longues. Il faudroit done que je passa trois mois a la campagne ou je n'entendis que des Anglois. Adieu, ma chere amie; je te baize les mains et les fesses de tout mon cceur. [adresse :] Route du Mans. En France / A Madame / Madame Helvetius la jeune / En son chateau de Vore, proche / Regmallard, au Perche, route du Mans / A Regmallard MANUSCRIT :;

"A. Vore; 2 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge (le meme que celui de la lettre 522); timbre de la poste : [D'JANGLETERRE. TEXTE

"Le A : "ton". feLe A : "mes". NOTES EXPLICATIVES 1. Helvetius revient dans cette lettre sur deux themes abordes dans celle datee

du l er mai: son desir de rejoindre sa femme a Vore au mois de juin (v. lettre 531, par. 2 et 5) et les difficultes qu'il rencontre pour apprendre 1'anglais (par. 5). Elle est done a situer entre ses lettres du ler et du 15 mai 1764. 2. Helvetius avait deja mentionne, le 19 avril, qu'il souffrait d'un acces de goutte (lettre 527, dernier par.).

131

LETTRE 534

Mai 1764

534. Helvetius a Madame Helvetius Ce 15" mai [1764] ]e recois, ma chere amie, tes deux lettres par le menu couriers1. L'une est dattee du premier may, 1'autre du six. Celle ou vous me parliez des dix arpents de bois de Mr de L'Etang2 ne m'est point parvenu. Je consents bien d'achepter ces dix arpents sur le pieds de cent livres chaqu'un, s'ils sont bons et s'ils joignent mes bois et que tu aye de 1'argent. Je ne suis pas d'avis que nous louions notre maison a Mr Langloisf3, parce qu'entre nous c'est un pedant. Heureuzement que ma mere ne m'en a point parle. Ainsy vous pouvez luy repondre que nous tirerons meilleur party de son appartement et plus d'argent en le louant a quelqu'un qui a des chevaux et un carosse et que cette maison est d'ailleurs trop chere pour nous lorsqu'elle ne vit plus avec nous. Je suis bien d'avis de louer une autre maison a meilleur marche mais je crois, ma chere femme, que nous avons fait tant de depense cette annee qu'il n'y faut pas ajouter encor les fraix d'un demenagement. II faut de plus que nous voions pour nous-meme si la maison nous convient. D'ailleurs vous connoissez la tete de Mde La Garde4. Elle ni[e]roit ce qu'elle vous a promis et nous nous trouverions deux loiers sur le corps. Je pense done qu'il faut done encor passer notre hivert dans la meme maison. Nous en chercherons une pendant ce terns et nous ferons faire notre demenagement pendant que nous serons en campagne. Mais je te prie que nous ne nous eloignons pas du baron d'Olbac.^ Je voudrois bien apporter a Mlle de Chenoise et a toy aussy le camelot que vous demandez, mais depuis le livre de M. d'Eon5, on fait a Calais des perquisitions si exactes sur tous les voiageurs que je n'oze pas me charger de marchandises de contrebande. Je serois pris, ma caisse confisquee et peutestre oblige de rester quinze jours en cette ville pour suivre le procez. Si 1'ambassadeur6 veut s'en charger, a la bonheur. Sans quoi, mes belles dames, je mettray neant a votre requete. J'apporteray des camisolles, et une redingotte pour Valleret parceque je la feray faire en ce pais. J'auray assez de peines a passer une quarantaine de volumes anglois que j'emporteray d'icy. Pour des coques de perles, je t'en apporteray. Je vous apporteray des des; je pense que ce sont des des a coudre, repondez-moy sur cet article. Quant a ma vie dont tu me demande compte, je me leve a huit heures, je m'habille, je fais des visittes, je rentre a midy ou une heure, j'ecris des nottes ou je reve deux ou trois heures, je vais diner en ville a quatre, je reviens a dix, je lis jusqu'a minuit et je me couche. Je te reponds bien que je ne vois pas de femme; je suis trop vieux pour etre galant. h

132

Mai 1764

LETTRE 534

Je pars demain pour aller joindre Mr de Stanley a sa terre7 ou je resteray quinze jours ou trois semaines, parce que j'iray visitter avec luy Oxford, les belles maizons d'Angletterre, y voir 1'agriculture et les ports de mer. ^De la^ je reviendray a Londres ou tu contin[u]eras d'adresser tes lettres. J'y resteray huit jours, tant pour prendre conge du Roy que pour faire toutes mes emplettes, et de la je repartiray pour t'aller joindre0'. Je resteray le moins que je pourray a Paris, car j'ay au moins autant d'impatience de te revoir et de t'embrasser que tu peux en avoir de me revoir. Cette idee est delicieuze pour moy, car quelque chose que tu dize, je t'aime a la folie et sans cela je resterois icy. Je t'envoie ce que Mr Revel8 m'a envoie a signer. eEmbrasse mes enfants. Mille respects a Mlle de Chenoise. Faites^ mille compliments a Mr et Mde Revel9. Je leur ecrirois si j'avois le tems.e MANUSCRIT

*A. Vore; 4 p.; orig, autogr. IMPRIME

I. Guillois, p. 483-484. TEXTE Guillois omet les trois premiers paragraphes de cette lettre. Par contre, il ajoute a sa suite toute la lettre 482, presentant Pensemble comme s'il s'agissait d'une seule et meme lettre. " Le I : "13". b Omis dans le I. c Le A : "L'anglois".d Le I : "rejoindre". e Ajoute en haut de la page 4. ^Le I : "Fais". NOTES EXPLICATIVES

1. Reference possible a la "London Penny Post", entreprise privee creee en 1680 par William Dockwra a 1'imitation du service postal public etabli a Paris par Louis XIV en 1653, et absorbee par les Postes nationales anglaises en 1682. Elle desservait les Cites de Londres et de Westminster et la municipalite de Southwark, aussi bien que leur banlieue. 2. Voir lettre 523, note 4. 3. Probablement Daniel Mathieu Langlois, ancien avocat au Parlement, et premier secretaire du Sceau et de la Chancellerie. En 1766, la mere d'Helvetius le nommera son executeur

4.

5. 6.

7.

8. 9.

testamentaire (v. M.C., XLI, 597, 21 aout 1766; LVI, 129, 17 Janvier 1767; et A.N.Y 10893). Belle-mere d'une des soeurs de Mme Helvetius, Elisabeth de Ligniville. Mme de La Garde etait la proprietaire de 1'hotel occupe par Helvetius rue Sainte-Anne. Voir lettre 163, note 2. Voir lettre 525, note 4. Le comte de Guerchy (v. lettre 518, note 4) allait quitter Londres vers le 20 juillet, pour effectuer un voyage en France (v. Aff. etr., C.P. Angleterre 458, f° 103 verso). Paultons, la terre de Hans Stanley, etait situe a 6 km au sud-ouest de Romsey et a 13 km au nord-ouest de Southampton. La maison dans laquelle il a rec,u Helvetius n'existe plus, et les terres qui 1'entouraient sont devenues un pare detractions. Jean-Fran§ois Revel, greffier et notaire royal a Remalard. Marie Anne Therese Cassen, femme du precedent, mourra a Remalard le 25 septembre 1764 "sans recevoir les sacrements ordinaires, etant surprise de mort" (Archives departementales de 1'Orne, registres de Remalard).

133

LETTRE 535

Mai 1764

535. Helvetius a Madame Helveti [23 mai 1764]1 Je t'ecris, "ma chere amye", de la campagne de Mr Stanley. Sa terre est situee dans un pais a peu pres semblable a Vore, mais les environs en sont encor plus agreables parcequ'il n'est pas loin de la mer et qu'en general PAngleterre me paroit beaucoup plus arrosee que la France. Elle est aussy beaucoup plus humide. J'ay vu avec Mr Stanley les belles maisons aux envirrons. Les jardins d'icy sont charmants et fort^ superieurs aux notres par leur variete. Toute les fois que je me trouve dans un beau lieu je t'y desire. Je voudrois que tu partagea mon plaisir, le mien s'en augmenteroit. Je me dis que ma femme trouveroit cet endroit charmant, qu'elle feroit faire des allees tournantes et non droites, qu'elle aimeroit les pins et les sapins a la folie si elle voioit comment ces jardins-cyc en sont pares. Tous les pares sont icy remplis de daims et de bestiaux et cette vue est agreable. C'est cette meme quantite de bestiaux qui rend les terres si fecondes. II n'est point de paisan qui ne mange icy de la viande; jugez par la de la consommation et combien il faut clever de bceufs, de vaches et de brebis, &c., pour fournir a tous les besoins des habitants. Tout le monde icy est a son aize et c'est une aisance qui met le peuple en etat de paier dans un tres petit espace de terrain presque autant d'imposts^ a PEtat que la France entiere en paie. Je suis fort aize d'avoir vu ce pais-cy. II est etonnant combien il faudroit faire peu de changements ''dans notre gouvernement^ pour faire de notre nation une nation aussy respectable que la leur, mais ce qui me fache en qualite de bon Francois, c'est que je scais que ces changements ne se feront pas et que nous deviendrons de plus en plus le mepris de 1'Europe. Mr de Stanley m'a icy comble d'amitie; je ne puis pas trop te repeter combien j'en suis content. Nous parlons souvent de toy; il me paroit que tu luy plais toujours beaucoup et que ton caractere vif luy est agreable. Nous aliens ces jours-cy nous etendre plus avant dans le pays. Je finiray par voir Oxford et de la je retourneray a Londres passer huit jours pour faire mes emplettes, ye connoitre ce qui me reste encor a y voir, et de la retourner en France. Tu ne peux pas t'imaginer le plaisir que j'auray a t'embrasser et a te revoir. C'est le pigeon qui retourne voir son amie et sa maitresse. Adieu, ma chere femme. ^Mille respects a Mile de Chenoise/ Embrasse bien mes enfants que je reverray aussyd avec bien du plaisir. J'espere qu'en repassant a Paris je trouveray 1'affaire de Mr Dieste^ finie et que je n'auray plus qu'a remercier les juges2. Adieu encore une fois.

134

Mai 1764

LETTRE 535

[adresse :] En France / A Madame / Madame Helvetius la jeune, en son / chateau de Vore, proche Regmallard, au / Perche, route du Mans / A Regmallard MANUSCRIT :;

"A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge (le meme que celui de la lettre 522); timbres de la poste : RUMSY3, PD 23 et MA' IMPRIME

I. Guillois, p. 484-485. TEXTE

"Le I : "mon cher ange". ^Le I : "sont". c Le I : "jardins, en cet endroit,". ^Omis dans le I. e Le I : "et".^Le I : "Dietsch". NOTES EXPLICATIVES

1. Date du timbre postal. 2. Avant son depart pour PAngleterre, Helvetius avait donne procuration a Pierre Vallere pour regler les problemes relatifs a la succession de Jean Diest (v. M.C., LVI, 109, 3 fevrier 1764), mort le 15 Janvier 1764. Celuici avait legue a la Faculte de medecine la "masse solide" de son bien pour permettre a "deux jeunes gardens" de recevoir "une education convenable et aisee" et d"'apprendre a fond la medecine" (v. M.C., LVI, 108, 15 Janvier 1764). Mais etant donne les nombreuses illegalites et contradictions que contenait son testament, ainsi que sa formulation souvent inintelligible ou singuliere, les deux heritiers principaux, Helvetius et Martinet de Charsonville (v. lettre 537, note 6), s'etaient mis d'accord avec la Faculte pour remplacer le legs initialement prevu par celui de deux sommes de 45 000 et 15 000 livres, qui seraient consacrees respectivement au remboursement des dettes de la Faculte et a 1'acquisition des rentes

necessaires pour approvisionner une bourse destinee a assurer "gratis tous les deux ans a un candidat le bonnet de docteur et 1'acte de regence". L'acte passe a ce sujet entre les parties le 8 avril 1764, ainsi que 1'acte de depot des deux sommes convenues, dresse le 11 aout 1764, allaient etre homologues par le Parlement le 13 aout 1764. Le premier etudiant a beneficier de cette bourse allait etre A. F. Thomas Levacher de La Feutrie (1738-1790), qui la recut en 1766. Voir M.C., XV, 796, 11 aout 1764; LVI, 108,15 Janvier 1764; et LVI, ill, 8 avril 1764; A.N., AD+ 962; et Bibl. de la Faculte de medecine, ms. 22, f° 436 sqq. 3. Romsey. REMARQUES

Comme cela ressort d'une lettre du 3 juin adressee par lady Hervey au reverend Edmund Morris (v. lettre 367), dont la paroisse etait situee pres de Paultons, c'est a cette epoque qu'Helvetius a du faire la connaissance de cet ecclesiastique : "Je tiens que vous avez maintenant rencontre le celebre Helvetius, et que vous vous etes entretenu avec lui. Je ne vous demande pas si vous 1'aimez, car ce serait offenser votre esprit et votre cceur que d'en douter. En effet, ce n'est pas seulement 1'un des hommes les plus agreables du monde, mais certainement 1'un des meilleurs. En outre, il existe entre grands esprits une affinite qui les incline a se reconnaitre immediatement les uns les autres." (Letters of Mary Lepel, Lady Hervey, Londres, 1821, p. 305; traduction.)

135

LETTRE 536

Juin 1764

536. Helvetius a Madame Helvetius Ce 4 juin [1764] Je suis en voyage1, ma tres chere amie. Je reviendray le neuf du mois a Londres pour me preparer pour mon retour en France. Tu ne doutes pas que je ne depeche le plus que je pourray mes affaires. Quand j'auray pris conge du Roy, ce sera la pluspart fait. e pourray rembaler mes habits. II y en a un que je n'ay pas encor essaie, c'est 1'habit d'ete; je le mettray pour prendre conge. Je ne t'ecris qu'un mot aujourd'huy parceque je suis fatigue et que j'ay mal a la tete. Je me porte bien, je t'aime de tout mon coeur, je brule de te rejoindre et de revoir mes enfans. Je me fais un tableau bien agreable de cet instant. Je reviendray comme le pigeon fidel te raconter tout ce que j'auray vu et je n'auray point Paile cassee. Cette lettre-cy est Pavantderniere que tu recevras de moy. Je t'ecriray encor de Londres, puis tu ne recevras plus de lettre de moy que de Paris, suppose que j'y sois necessaire pour cette succession2. Je me doute bien que, si elle est finie, il faudra que j'aille remercier les juges et peutestre voir si je puis en passant Mr de Choiseuil, parceque je seray charge de lettres pour luy3 que je luy feray remettre si je ne [le] trouve point. Adieu encor une fois; je vais me coucher. Embrasse mes enfants et dis pour moy mille choses a Mlle de Chenoise. Mr Le Roy a du t'aller voir. Je seray fort aize de 1'embrasser aussy. [adresse :] Route du Mans / En France / A Madame / Madame Helvetius la jeune, en son / chateau de Vore, proche Regmallard / au Perche, route du Mans / a Regmallard MANUSCRIT :;

"A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge (le meme que celui de la lettre 522); timbres de la poste : RU[MS]Y, [D'AJNGLETERRE, PD et

^j.

NOTES EXPLICATIVES

1. Le timbre de RUMSY appose sur cette lettre indique qu'Helvetius est toujours chez Hans Stanley, a Paultons. Le meme jour, Jean Deschamps, pasteur protestant allemand qui s'etait etabli a Londres en 1749, ecrit a Formey : "Je n'ai point vu encore Mr Helvetius qui est fort occupe a apprendre 1'anglais et a parcourir nos

136

belles campagnes. On m'en dit beaucoup de bien." (Deutsche Staatsbibliothek, Berlin, fonds Formey; W. Krauss, "La Correspondance de Formey", R.H.L.F., LXIII [1963], p. 212.) 2. Celle de Diest (v. lettres 528, note 7, et 535, note 2). 3. Le 14 juin, Guerchy, ambassadeur de France, confiera a Helvetius une lettre pour Choiseul, et conjointement, sans doute par esprit de precaution, il informera le due de Praslin par voie separee, et du texte de ladite lettre, et de la commission confiee a Helvetius : "Je joins icy, Monsieur le

Jmn 1764

LETTRE 537 Due, la copie de la lettre que j'ecris aujourd'hui a M. le due de Choiseul par la voye de M. Helvetius qui remettra mon paquet a Calais." (Aff. etr., C.P. Angleterre 457, f° 213 verso.) REMARQUES

Dans aucune de ses lettres d'Angleterre, Helvetius ne mentionne I'incident suivant, que raconte Saint-Lambert: "En traversant un bourg de la province d'Yorck-Shire, un postilion mal-adroit le renversa. Les glaces de la chaise furent brisees, & le postilion qui avoit ete fort froisse, jettoit des cris. M. Helvetius que les eclats des glaces avoient blesse, sortant de sa chaise les mains sanglantes ne s'occupa que du postilion. Quelques

paysans qui etoient accourus pour les secourir, remarquerent ce trait d'humanite, & le firent remarquer a d'autres. Dans le moment, M. Helvetius fut environne de tous les habitants du bourg. Tous s'empressoient de lui offrir leur maison, leurs chevaux, des vivres, enfin des secours de toute espece. Plusieurs, & meme des plus riches, vouloient lui servir de postilions." (Le Bonheur, 1772, p. cv-cvi.) On remarquera que le programme charge du sejour anglais d'Helvetius, dont les lettres permettent de suivre les etapes, n'a guere du lui laisser le temps de se rendre dans le nord de 1'Angleterre, meme pour un voyage rapide, ce qui jette un doute sur 1'authenticite de 1'anecdote.

537. Helvetius d Madame Helvetius Ce mardy, 12 juin [1764] Voila, ma chere femme, la derniere lettre que vous receverez de moy. Je seray, je crois, a Paris lorsque vous la recevrez. C'est samedy prochain que je pars. Je n'ay pas perdu un moment depuis que je suis de retour a Londres. II a fallu rendre un grand nombre de visittes. Je dois prendre demain conge du Roy. Je tacheray de faire passer par 1'ambassadeur1 une moire2 que je vous ai achepte et du camelot qui par parenthese n'est pas, dit-on, si beau que celuy de Bruxelles. J'ay une impatience etonnante de vous voir. Mais j'ay aujourd'huy une humeur de chien des nouvelles que j'ay recu de Paris3. On me mande que 1'intendant s'oppose toujours a la signature de 1'acte, qu'il faudra le voir, le sollicker, ainsy que le premier president4. On dit que 1'intendant nous en veut a cause de cette route de Lumigny5 et qu'on ne luy a [pas] parle avec le respect qui luy etoit du. C'est Chassonville6 qui me le mande. Je ne sache point cependant que nous luy ayons manque, mais voiez par la combien il faut etre en garde avec les hommes et avec quelle facilite on en fait des ennemis qui vous nuisent tres fort, car je vous avoue que je seray au desespoir si je suis oblige de rester a Paris. J'ay trop de desir de t'embrasser, de te dire tout ce que j'ay eprouve et repandre mon ame dans le sein de ma maitresse et de mon amie. Adieu, ma femme, jusqu'a 137

LETTRE 537

Juin 1764

mon arrivee a Paris. Tu peux ecrire pour mon bien a Paris. J'ay retrouve quatre lettres de toy a mon arrivee a Londres; je les ai lu et relu avec le plus grand plaisir dans tous les endroits ou tu m'assure de ta tendresse. Je suis furieux du mal que ma mere a dit de toy et je le luy diray a mon arrivee. Je n'ay pas le tems d'ecrire a Mile de Chenoise. Mande-moy son adresse a Paris7; j'iray la voir ou je luy ecriray d'icy. Je compte etre a Paris mecredy, c'est-a-dire demain en huh 8 : cela depend de la maree et du vent. Embrassez Lolotte et Adelaide; dites-luy que je suis fort content de sa lettre. Si j'etois moins presse, je luy repondrois. [destinataire :] A Madame / Helvetius la jeune MANUSCRIT :;

"A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge (le meme que celui de la lettre 522). NOTES EXPLICATIVES

1. Voir lettre 534, note 6. 2. Le sens le plus courant du terme "moire" (ou "mohere") etait, au XVIIF siecle, celui d'"etoffe toute de soie, tant en chaine qu'en trame", ainsi nominee "a cause que c'est une etoffe moelleuse" (Dictionnaire de Trevoux, 1771). 3. Helvetius avait sans doute regu une lettre de Valleret concernant la succession de Diest (v. lettre 535, note

5. 6.

7.

2).

4. L'intendant etait Louis Jean Berthier de Sauvigny (v. lettre 263, note 6) et le premier president du Parlement, Rene Nicolas Charles Augustin de Maupeou (1714-1792), qui avait accede a cette fonction le 12 novembre 1763. Dans son testament, Diest avait demande a ces deux magistrats, ainsi qu'au lieutenant civil Argouges de Fleuiy (v. lettre 539, note 8), "de vouloir bien entrer dans [s] es vues et ordonner qu'on les executte" (v. M.C..LVI, 108, 15 Janvier 1764). C'est sans doute pour satisfaire a la requete de Diest que ces trois hauts fonctionnaires ont finalement signe la minute

138

8.

de 1'arret du Parlement homologuant 1'accord entre la Faculte de medecine et les coheritiers de Diest (v. lettre 535, note 2). Voir lettre 442. Jean Adrien Martinet de Charsonville, ne en 1714, fils d'Anne Helvetius (1690-1726), tante paternelle d'Helvetius, et de son premier mari, Jean Nicolas Martinet, mort en 1721, qui avait etc lieutenant general de la marine espagnole. Rappelons que Charsonville et Helvetius etaient les principaux coheritiers de Jean de Diest (v. lettre 535, note 2). En avril 1764, Mile de Chenoise (v. lettre 497, note 6) habitait rue du Foin (v. M.C., CVIII, 564). Le 20 juin. En fait, il arrivera a Paris le dimanche 24 (v. debut de la lettre suivante). Le 25, le comte de Broglie ecrit a Louis XV : "J'ai vu hier au soir Madame la comtesse de Bouflers qui m'a dit qu'elle avoit appris de M. Helvetius, arrivant de Londres, qu'au moment de son depart, il y avoit beaucoup de mouvement parmy la populace au sujet d'une entreprise centre d'Eon." (Correspondance secrete du comte de Broglie avec Louis XV, ed. Ozanam & Antoine, 1956-1961,2 vol., I, p. 249.)

LETTRE 538

Juillet 1764

538. Helvetius a Madame Helvetius [30 juillet 1764]1 Je suis, ma chere femme, arrive dimanche2 a sept heures a Paris. J'ay porte la robbe a la baronne3, j'ay passe chez mon cousin4, j'ay bavarde avec ma mere, puis je me suis couche a onze heures et demie. Ainsy j'ay fini le dimanche, le jour du repos du Seigneur. Le lundy je me suis leve a six heures trois quart. Je me suis habillie, on m'a frize, raze, coupe au menton, et le tout a etc fait a sept heures trois quarts que j'ay etc chez Chassonville qui n'etoit pas encore accomode. A huit heures et demie Valleret nous est venu trouve, nous avons disserte pendant une heure et demie, et le resultat de la conference a etc qu'il falloit menager beaucoup le premier president5, le remercier des coups de baton qu'il nous avoit donne, et que Chassonville porteroit la parole, vu que 1'on me trouvoit trop vif, et que je voulois le faire decider sur-le-champ. A dix heures j'ay ete voir des maisons a achepter qui m'ont paru plus triste que la notre. A dix heures et demi j'ay ete voir le premier president qu'on n'a pas pu voir, quoi qu'on aye offert de 1'argent au portier. A onze et un quart nous avons ete avec Valleret rue des BlancsMoutons6 chez un amy7 qui vouloit interresser quelqu'un a notre affaire. A midy et demie j'ay ete chez Mr de "Montigny-Trudaine* luy parler de mon affaire de la forge.8 Le memoire de 1'abbe Morlaix9 luy paroit clair et la conduite de Mr de Beaumont 10 fort obscure. A une heure nous avons retourne rue des Blancs-Manteaux chez 1'amy de Valleret. A une heure et un quart je 1'ay ramene chez luy. A deux heures je me suis rendu a diner chez le baron ou j'ay vu M"e de Chenoise. A cinq heures j'en suis sorty pour aller a caca chez moy. A cinq heures et un quart j'ay ete chez Madame de La Valliere11. A six et demie heures j'ay ete chez Crammer 12 que je n'ay pas trouve. De la j'ay ete chez Mr de Feuillet13 ou j'ay ete jusqu'a pres de huit heures. De la je suis revenu chez Crammer, je luy ai redemande mon Corneille14. Je suis rentre a neuf heures et demie chez moy, j'ay bavarde et mange des cerizes avec ma mere jusqu'a onze heures que je commence ma lettre, en vous assurant que voila 1'exacte journal d'une journee tres ennuieuze. Je suis excede de fatigue. La journee de demain sera pareille. Nous irons, mon cousin et moy, a huit heures et demie chez 1'intendant; de la chez Gerbier15, chez le premier president, &c, &c. Adieu, je t'embrasse, je t'aime, te regrette et m'ennuie de tout mon cceur. Mille compliments a 1'abbe9 et a mes enfants. MANUSCRIT

TEXTE

:;

*Le A : "Montigny (de) Trudaine".

"A. Vore; 4 p.; orig. autogr.

139

Aout 1764

LETTRE 539 NOTES EXPLICATIVES

1. Premiere d'une serie de trois lettres expedites de Paris a Vore en fin juillet-debut aout. La suivante contient une indication qui permet de la dater du jeudi 2 aout 1764. Celle-ci date du lundi precedent. 2. Le 24 juin. 3. Mme d'Holbach (v. lettre 462, note 4). 4. Charsonville (v. lettre 537, note 6). 5. Maupeou (v. lettre 537, note 4). 6. II s'agit de la rue des Blancs-Manteaux, dans le Marais, comme Helvetius le precisera plus loin. 7. Get ami de Vallere n'a pas etc identifie. 8. Voir lettre 523, au sujet des efforts d'Helvetius pour faire construire une forge a Vore. 9. Morellet. 10. Jean Louis Moreau de Beaumont (1715-1785), successivement conseiller au Parlement, maitre des requetes et intendant du Poitou, de Franche-Comte, puis de Flandre, etait devenu intendant des finances en 1756. 11. Voir lettre 361, note 9. 12. 11 s'agit probablement de Philibert Cramer (1727-1779), qui etait 1'associe de son frere Gabriel, libraire a

Geneve. 11 etait a Paris depuis le 15 decembre 1762 et allait revenir a Geneve en septembre 1764. Selon Thieriot, Helvetius avait re§u Gabriel Cramer a la campagne en 1761 : "M. Cramer [...] est icy dans une dissipation continuelle, allant de maisons en maisons a la campagne, tantot pres, tantot loin, ches Madame d'Epinai, ches M. Helvetius et partout, en sorte qu'il paroit a peine a Paris." (Lettre a Voltaire du 9 juin 1761, Best. D. 9816.) 13. Ambroise Julien Clement de Feillet (1715-1778), conseiller au Parlement, qui avait vendu a Helvetius en 1753 le chateau familial de Feillet (v. lettre 269, note 5), qu'avait fait construire son pere, Alexandre Julien (1684-1747). C'est a son grand-pere, Julien (1648-1728), medecin ordinaire de Louis XIV, que sa famille devait sa fortune. 14. Les freres Cramer avaient public une edition du theatre de Corneille accompagnee de commentaires de Voltaire (v. lettre 476, note 1). 15. Pierre Jean Baptiste Gerbier de La Massilaye (1725-1788), celebre avocat au Parlement. A la date de sa mort, il etait batonnier des avocats et secretaire du roi.

539. Helvetius a Madame Helvetius [2 aout 1764]1 Je vous ai rendu compte, ma chere femme, de ce que j'avois fait le lundy2. Le mardy j'allay voir Mr le premier president. Le matin il fut impossible de luy parler. Nous allames chez Mr Gerbier pour le mettre au fait de tout ce qui s'etoit passe depuis cinq semaines que mon cousin ne 1'avoit point vu. Nous allames ensuite chez le doien de la Faculte3 et je dinay chez ma mere pour nous rendre a trois heures chez le premier president et luy dire un 140

LETTRE 539

Aout 1764

mot a 1'issue de son diner. Nous attendimes une heure et demie dans son antichambre. Quand il me vit, il me recu a bras ouvert, me" dit qu'il falloit finir notre affaire. Mrs de Fleury tous trois 4 1'encouragerent^ a la terminer. L'abbe Chauvelin5 appuia notre demande, et Mr le premier president nous dit de voir Mr 1'intendant et de luy donner rendez-vous chez luy lec lendemain. Nous passames chez 1'intendant; il n'y etoit point. Nous y retournames le lendemain a sept heures et demie du matin. II alloit partir pour la campagne, il ne nous parut pas favorable. Cependant il nous promit qu'il acceptoit le rendez-vous de Mr le premier president pour lundy prochain s'il le vouloit, parcequ'il seroit a Paris ce jour-la de bonne heure. Nous sommes retournes chez nous pour instruire Mr le premier president de ce que nous avoit dit 1'intendant. Nous luy avons ecrit une lettre, nous 1'avons porte nous-meme et luy avons fait remettre parce qu'on ne le voioit^ pas. Nous avons etc ensuite pour remercier Messieurs6 de Fleury que nous n'avons pas trouve non plus que 1'abbe Chauvelin. De la j'ay etc a la comedie. On donnoit une piece nouvelle intitulee Timoleon6; elle est tombee jeudy matin. Nous avons retourne a dix heures7 chez Mr le premier president; il ne donnoit point d'audience. II a fallu pour luy dire un mot 1'attendre longtems sur son passage en sortant du Palais; nous ne luy avons reellement dit qu'un mot. J'ay retourne de la chez 1'abbe Chauvelin que je n'ay pas trouve. J'ay dine tete-a-tete avec ma mere qui m'accusoit deja dans le monde de la negliger. Je me suis ennuie et j'ay mange a trois heures. Mon cousin m'est venu prendre pour aller chez Mr de Fleury; nous n'avons trouve que le procureur general. De la nous avons etc chez le lieutenant civil8 et de la a la Comedie-Italienne9. De la chez moy pour vous ecrire et vous dire combien je vous aime et m'ennuie. Vous jugez bien que cette vie Aie m'est^ point agreable, mais il faut attendre jusqu'a lundy ou mardy scavoir ce qui sera fait. Demain je dineray chez Mr de Montigny-Trudaine. Adieu, ma chere amie. Je desire bien que cette lettre soit ma derniere. Mille compliments a 1'abbe10 et a mes enfans. Je vous aime et suis bien ennuie et fatigue. gje vais encor ecrire un mot a Mlle de Chenoise et me coucher/ MANUSCRIT ::

"A. Vore; 4 p.; orig. autogr.

IMPRIME _ .„ . .,,,,,,,, I. Guillois, rp. 433-434 TEXTE " Le I : "nous". b Le I : "s'encouragent". c Le I : "pour le". ''Le I : "voit". e Le I : "M." ^Le I : "n'est". «Omis dans le I.

NOTES EXPLICATIVES

Cette lettre concerne surtout les efforts d'Helvetius pour reeler les problemes , , f . ,b ~. /, „ . , souleves par le lees de Diest a la Faculte , ,, . , f _,_ „, de medecme (v. lettre 535, note 2). 1. Helvetius a ecrit cette lettre le jour meme de la suspension de Timoleon (v. note 6 ci-apres), si Ton s'en rap141

Aout 1764

LETTRE 540

2. 3.

4.

5. 6.

porte a la fin du premier paragraphe, soit le jeudi 2 aout. II est pourtant un peu surprenant qu'il se soit refere a ce meme 2 aout en ecrivant "jeudy matin", et non "ce matin". Mais etant donne la multiplicite de ses demarches au cours des quatre jours qu'il decrit, il a sans doute entendu les specifier par clarte, au profit de sa femme. En outre, il a certainement redige cette lettre a une heure tardive, peut-etre meme pour la terminer le matin suivant. Voir lettre precedente. Jean-Jacques Belleteste, doyen de la Faculte de medecine de 1762 a 1765, enseignait la physiologic et 1'anatomie depuis 1753. Il mourra en 1779. Guillaume Francois Louis, procureur general (v. lettre 286, note 5), son frere puine, Jean Omer, avocat general (v. lettre 300, note 1), ainsi que le fils de celui-ci, Omer Louis Francois, substitut de son oncle (v. lettre 460, note 4). Henri Philippe de Chauvelin (v. lettre 335, note 1). Timoleon, tragedie en cinq actes et en vers de Jean-Franc,ois de La Harpe (1739-1803), jouee pour la premiere fois au Theatre-Frangais le

7. 8.

9.

10.

l er aout 1764. Elleest suspendue lors de la seconde representation, en raison d'un accident qui comporte "des suites assez graves pour oter a M. Le Kain, charge d'un des premiers roles, la liberte de marcher" (Mercure de France, septembre 1764, p. 201). La piece sera reprise le 10 decembre, mais ne sera representee que trois autres fois apres cette date. Soit le matin du jeudi 2 aout. Alexandre Francois Jerome d'Argouges de Fleury, qui mourra en 1782, avait etc conseiller au Parlement (1741) et maitre des requetes (1746) avant d'etre nomme en 1763 lieutenant civil au Chatelet. Il etait 1'un des trois magistrals que Diest avait pries de bien vouloir veiller a Pexecution de son testament (v. lettre 537, note 4). Helvetius est probablement alle voir Les Amants de village, comedie de Riccoboni en deux actes entrecoupes d'ariettes, avec musique de Bambini, dont la premiere representation avait eu lieu le 26 juillet. Morellet.

540. Helvetius a Madame Helvetius [7 aout 1764]1 Enfin, ma chere femme, notre affaire est finie2, mais toutes les journees que j'ay reste icy ont etc aussy bien emploie que celles dont je vous ai rendu compte. Je me creve pour vous rejoindre le plustost que je puis. J'ay eu une colique horrible qui m'a donne une fievre tres forte pendant la nuit. C'etoit une fievre de douleur qui m'a quitte le matin. J'ay etc vingt fois a la garderobbe pendant la nuit. J'ay etc deux jours sans manger, sans cesser de

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LETTRE 541

Aout

1764

courir depuis sept et huit heures du matin jusqu'a dix heures du soir; aussy j'en ai tout mon soul. Demain matin je rembourseray les soixante mille livres a la Faculte3 et les vingt-quatre mille livres a Mlle Genare4. J'iray remercier Mrs de Fleury a quatre heures du soir. J'ay de plus une maison a voir. Ainsy je compte partir ou jeudy de grand matin ou le soir et par consequent etre a Vore jeudy ou vendredy. Adieu, ma chere amie, je t'embrasse, je t'aime et j'ay encor deux lettres a ecrire et vais me coucher car je n'en puis plus. II y a deux nuits que je n'ay dormi. Mille compliments a 1'abbe5; embrasse mes filles. A moins que je ne fus oblige a passer quelques actes pour placer 1'argent de ma mere ou que ma chaise ne casse, je seray vendredy a Vore. [adresse :] Au Perche, route du Mans / A Madame / Madame Helvetius, en son / chateau de Vore, proche / Regmallard / A Regmallard MANUSCRIT :;

'A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge. NOTES EXPLICATIVES

1. Lettre ecrite un mardi, car Helvetius y annonce son intention de regler une serie d'affaires le lendemain, puis de partir "jeudy de grand matin ou le soir", de fac,on a etre a Vore le jeudi meme ou le vendredi. 2. Cette lettre a done ete ecrite le jour meme ou a ete signe 1'accord relatif a la succession de Diest entre Helve-

tius, Charsonville et la Faculte de medecine (v. lettre 535, note 2). 3. Voir lettre 535, note 2. 4. Helene de Lagrange, veuve Genard, etait I'heritiere de sa sceur MarieAnne, morte le 12 juillet 1764 (v. lettre 528, notes 2 et 3). Par un acte du 4 aout 1764, elle avait reconnu avoir rec,u d'Helvetius la somme de 24 700 livres que sa sceur avait pretee au fermier general lors de 1'achat de Vore (M.C., LVI, 116). 5. Morellet.

541. Helvetius a dom Leger Marie Deschamps1 [Avant le 9 aout 1764]2 Monsieur, J'ay lu avec grand plaisir la partie de votre ouvrage3 que vous m'avez envoie; elle est pleine d'idees fortes et hardies. Quand j'auray vu le total du livre, je seray en etat de vous en dire mon avis. J'en ai parle avec le pere Le Maire4 qui vous aura dis ce que j'en pense. Faittes-le imprimer si vous le voulez, mais prennez garde de vous compromettre; que cela soit bien secret.

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Aout 1764

LETTRE 541

J'ay 1'honneur d'etre, avec respect, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius MANUSCRIT

*A. Bibl. mun. de Poitiers, ms 147/99, n° 8, f° 9; 2 p. (feuillet de 18,5 sur 11 cm); orig. autogr. IMPRIMfi

I. A. Robinet, Dom Deschamps, 1974, p. 43. NOTES EXPLICATIVES

1. Dom Deschamps (1716-1774) etait entre jeune chez les benedictins de la congregation de Saint-Maur, a laquelle il devait appartenir toute sa vie, et avait fait ses voeux en 1733. Au cours d'un long sejour a 1'abbaye de Saint-Julien, a Tours, il collabore a VHistoire de la Touraine, de dom Housseau. En 1760, il s'introduit dans la societe du comte d'Argenson (v. lettre suivante, note 4), au chateau des Ormes, se lie d'amitie avec le fils de celui-ci, Marc Rene, marquis de Voyer (v. lettre 202), et c'est par 1'entremise de la famille d'Argenson qu'il etablit des rapports avec les philosophes. Ces echanges intellectuels se reveleront aussi decevants pour dom Deschamps que ses efforts pour faire publier ses ouvrages materialistes : "Je ne dois pas dissimuler ici qu'on a fait plusieurs tentatives aupres de quelques-uns de nos philosophes, pour les engager a me lire, et qu'elles ont presque toutes etc inutiles." (Manuscrit intitule Les Tentatives sur quelques-uns de nos philosophes au sujet de la verite, conserve a la bibliotheque municipale de Poitiers, et cite par Robinet, op. cit., p. 21.) Le 11

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avril 1766, le benedictin ecrira a son protecteur : "N'oubliez pas que je veux tater du Diderot apres avoir tate du Rousseau et de PHelvetius. Quelle rage de vouloir tater des philosophes, et non pas des croyants eclaires! J'en ai grand home." (Roth, vol. IV, p. 105.) Dom Deschamps passera le dernier quart de sa vie au prieure de Montreuil-Bellay, dans le voisinage de Saumur. 2. L'anteriorite de la presente lettre par rapport a la suivante, datee du 7 octobre 1764, resulte de deux elements. D'une part, Helvetius recommande ici a son correspondant, s'il fait imprimer son manuscrit, de s'arranger pour que "cela soit bien secret"; dans la lettre suivante, il invoque Pmgratitude humame pour rappeler au benedictin son exhortation precedente : "C'est pour cela que je vous avois conseille de faire imprimer secrettement votre ouvrage." D'autre part, aux termes de la presente lettre, Helvetius n'a encore rec_u qu'une partie du manuscrit de dom Deschamps et sollicite 1'envoi du reste. La suivante est un rappel de cette demande, du au souhait d'Helvetius, implicitement formule, de pouvoir lire 1'ouvrage avant son depart pour Paris. La presente lettre a du etre ecrite a Paris, done entre le 24 juin et le 9 aout, date a laquelle Helvetius est reparti pour Vore (v. lettre 540, note 1). En effet, ses dimensions sont celles d'un billet, elle ne porte ni

Octobre 1764

LETTRE 542 adresse, ni timbre postal, et elle a du etre confiee a un messager. En outre, il est fort probable que la rencontre ici mentionnee entre Helvetius et le pere Lemaire a eu lieu lors d'un voyage de ce dernier a Paris (v. note 4 ci-apres). Enfin, il n'est pas fait mention dans cette lettre de la mort du comte d'Argenson, protecteur de dom Deschamps, survenue le 22 aout; elle fera 1'objet des regrets d'Helvetius dans la lettre suivante. 3. Il s'agit probablement des Observations morales et metaphysiques de dom Deschamps, publiees par Jean Thomas et Franco Venturi sous le titre Le Vrai Systeme, ou le Mot de I'enigme metaphysique et morale (1939). En 1761, dom Deschamps avait envoye a Rousseau une copie manuscrite de cet ouvrage, apres lui en avoir d'abord adresse la preface (v. Leigh, lettre 1407, et vol. VIII, appendice A 242). 4. Dom Jacques Alexis Lemaire (1740-

1814), benedictin de Saint-Wandrille (diocese de Rouen), relation de longue date de dom Deschamps. En 1774, il sera prieur de Saint-Jean d'Angely (diocese de Saintes). REMARQUES

En 1765, Lemaire, 1'abbe Lefebvre de La Roche (v. lettre 628) et plus de mille autres benedictins de la congregati on de Saint-Maur signeront une supplique a Louis XV pour obtenir qu'il rejette une Requete au roi du 15 juin. Cette requete, signee par dom Pernety et vingt-sept autres religieux de 1'abbaye royale de Saint-Germain-des-Pres, dans laquelle ils demandaient la reforme de la congregation, sera desapprouvee par le roi, et les signataires se retracteront entre les mains de 1'archeveque. Voir B.N., 4° Z Le Senne 1508; Ld16 253; ms. fr. 15789, f° 12-26; ms.JolydeFleury 409, n° 4701; et Bachaumont, Memoires, II, pp. 206, 209-210 et 212-213.

542. Helvetius a dom Leger Marie Deschamps Monsieur, Je compte retourner a Paris dans le mois de novembre, au commencement de ce mois. Si dans ce terns vous pouviez me faire passer votre manuscript, je serois charme de le lire1, et vous pouvez compter qu'il excite fort ma curiosite. Si j'etois garcon j'aurois etc vous voir a votre habitation. Mais une femme est un furieux remora2; c'est encor pis qu'un prieur3. Mr d'Argenson est mort 4 ; je le regrette comme vous, puisque cette mort derange les projets que vous aviez sur un etablissement a Paris. Je ne doute point que votre ouvrage ne puisse procurer les plus grands avantages a 1'humanite, mais vous ne connoissez point encor son ingratitude. C'est pour cela que je vous avois conseille de faire imprimer secrettement votre ouvrage. Aureste vous le connoissez, vous etes homme de beaucoup d'esprit, et en etat de juger mieux que qui que ce soit de 1'effet qu'il produira. On n'a besoin de conseil que lorsqu'on vient d'achever un ouvrage, qu'on en est encor tout chaud. Lorsqu'il s'agit d'un livre tel que

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LETTRE 542

Octohre 1764

le votre, qu'on a longtems digere et medite, qu'on a revu plusieures fois de sang froid, j'imagine qu'en ce cas c'est a son propre jugement qu'un auteur doit s'en tenir. Je desire vivement de voir votre ouvrage bientost imprime et avoir bientost a vous en faire de sinceres compliments. Je suis, avec respect, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius A Vore, ce 7 8bre 1764 \adresse :] Au Reverend / Reverend Pere Des Champs, benedictin / A Montreuil-Bellay, pres Saumur / A Montreuil-Bellay MANUSCRIT

*A. Bibl. mun. de Poitiers, ms. 147/199, n° 7, f° 7-8; 3 p.; orig. autogr.; cachet aux armes d'Helvetius sur cire rouge; timbre de la poste : REMALARD. IMPRIME

I. A. Robinet, Dom Deschamps, 1974, p. 42-43 (extraits). NOTES EXPLICATIVES

1. Voir lettre 541, note 3. 2. Remora, ou remore. Petit poisson dont la tete est pourvue d'un disque adhesif, que les Anciens avaient metaphoriquement nomme ainsi, avec Pline, d'apres le latin "remora", empechement ou retardement, parce qu'ils "ont cru qu'en s'attachant aux vaisseaux en pleine mer, il avoit la force de les arreter dans leur course". Le mot a ensuite ete employe en franc,ais, accentue ou non, dans son sens original de "retardement, ce qui arrete quelqu'entreprise" (Dictionnaire de Trevoux, 1771). 3. Dom Deschamps n'a jamais ete prieur, mais procureur (c'est-a-dire

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econome) de Montreuil-Bellay, fonction qu'il a exercee jusqu'a sa mort. 4. Marc Pierre, comte d'Argenson, ne en 1696, avait ete conseiller au Parlement, lieutenant general de police de Paris, chancelier, conseiller d'Etat, premier president au Grand Conseil, surintendant des postes et, de 1742 a sa disgrace en 1757, ministre de la Guerre. Exile a son chateau des Ormes, aux confins de la Touraine et du Poitou, il y recevait plusieurs des philosophes. C'est a lui que I'Encyclopedie avait ete dediee. Il etait mort a Paris le 22 aout 1764. REMARQUES

D'apres Robinet (op. cit. [v. le I], p. 43), qui s'inspire d'un commentaire de Roth (IX, p. 105), une lettre du baron d'Holbach a Pabbe Galiani, du 11 aout 1769, contient "une mention assuree de la presence de Deschamps aupres d'Helvetius". En fait, s'il est bien question dans ladite lettre d'un benedictin, il s'agit certainement de 1'abbe de La Roche (v. lettre 635, Remarques).

LETTRE 543

Novembre 1764

543. Marie Madeleine de Bremond d'Ars, marquise de Verdelin1, a Jean-Jacques Rousseau [...] Jl n'est bruit issy, mon voisin, que de la lettre que vous aves recu de Paoli2. Jls vous demande des loix. Les enciclopediste, pour mettre leur amour-propre a 1'aize, pretendent ossy qu'il a ecrit a Elevetieus. Un de ces mrs le disoit 1'autre jour devant moy. "Sans doute, luy dis-je, les Corces n'ont que le bons cens, jls n'ont jamais conrrii 1'esprit." Nous estions dans une maison ou on fait des pointes de tout. Je ne pii me refuser de leur faire remarquer que je m'y mettois. On a ri et on a trouve que 1'auteur d'Emile et celuy de L'Esprit devoint" ce trouver tres en contrarieties. [...] Le 6 9bre 1764 MANUSCRIT :;

'A. Bibl. publ. et univ., Neuchatel, ms. R 322, ff os 79 verso et 81 recto; 6 p.; orig. autogr.; cachet sur cire noire. IMPRIMES

I. G. Streckeisen-Moultou, /.-/. Rousseau : sesamis etses ennemis, 1865,2 vol., II, p. 517-518. II. Leigh, lettre 3628. TEXTE a

Le A : "devoint (jetter les [ ]) devoint". NOTES EXPLICATIVES

1. Mme de Verdelin (1728-1810), amie fidele de Rousseau, avait fait sa connaissance apres qu'il cut quitte 1'Ermitage. Voir Confessions, dans (Euvres, Pleiade, I, p. 529. 2. La lettre ou Rousseau etait invite a rediger des "loix" pour la Corse n'etait pas de Pascal Paoli (17251807), mais celui-ci etait loin d'etre etranger aux raisons de son envoi. Paoli, officier de carriere, gouvernait le pays depuis juillet 1755, date a laquelle il avait ete nomme "general de la nation" par edit de la "consulte" de Sant'Antone di Casabianca. En

aout 1764, a lieu entre Versailles et la republique de Genes, dont la souverainete sur 1'ile n'est plus que theorique, la signature d'un traite qui entraine 1'arrivee en Corse de troupes franchises, dont Paoli est oblige de tolerer la presence. Mais a la suite du traite du 15 mai 1768, par lequel Genes vend a la France ses pretendus droits sur la Corse, Paoli appelle le peuple aux armes. II conservera le pouvoir jusqu'a son exil en Angleterre, qui aura lieu apres les defaites des milices corses aux batailles de Ponte Novu et de Ponte Vechju (mai 1769). L'auteur de la lettre etait un autre patriote corse, Matteiu Buttafuoco (1731-1806), officier au service de la France depuis 1746, nomme capitaine en 1758, et qui, malgre sa requete a Jean-Jacques Rousseau, qui impliquait une Corse independante, allait bientot opter ouvertement pour le rattachement de la Corse a la France. Buttafuoco allait continuer sa carriere dans Parmee franchise jusqu'a atteindre le grade de marechal de camp (1781).

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Novembre 1764

LETTRE 543 A la date de cette lettre, la Corse etait deja dotee depuis pres de dix ans d'une constitution, elaboree par Pascal Paoli et assortie de tout un ensemble coherent d'institutions politiques, administratives, economiques, judiciaires et militaires, dont un conseil d'Etat, une rota de justice, une monnaie nationale, une universite et une marine; et ces institutions, qui constituaient en fait la premiere constitution liberale de 1'Occident, avant celle des Etats-Unis et les constitutions franchises, avait connu une telle reussite que les clans corses s'etaient accordes pour decerner a Paoli le titre de "pere de la patrie". Rien n'indique que la Corse avait besoin en 1764 d'une autre constitution que celle qu'elle s'etait donnee neuf ans auparavant, ni que 1'auteur de celle-ci, Paoli, ait mandate Buttafuoco pour sollicker une aide etrangere en vue d'en elaborer une nouvelle. Buttafuoco, encore compagnon de Paoli a cette epoque, mais neanmoins officier de 1'armee frangaise et deja favorable au rattachement de la Corse a la France, cherchait presque certainement a obtenir de Rousseau des arguments a opposer aux options politiques et institutionnelles de Paoli, fort contraires aux siennes. 11 s'exprime d'ailleurs dans sa lettre a Rousseau comme si la Corse etait alors dotee d'une direction et d'institutions politiques sans valeur; en outre, il ne demandait pas a Rousseau d'elaborer une constitution, mais de maniere

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plus floue et generale, de tracer pour la Corse "le plan d'un sisteme politique", et d'aider celle-ci a "etablir une bonne legislation" et a "choisir le gouvernement le plus conforme a 1'humanite". Voir Leigh, lettre 3475, et notes. REMARQUES

En novembre 1764, Grimm (Corr. litt., VI, p. 113-114) et Bachaumont (Memoires, II, p. 122) rapportent le bruit selon lequel les Corses se sont adresses a d'autres philosophes que Rousseau. La marquise de Verdelin le cautionnera dans une nouvelle lettre a ce dernier, du 8 Janvier 1765 : "II [s] ont ecrit ossy a Elevetius, a Diderot. 'Je n'ay pas vu la lettre mais j'en suis sur, comme si je 1'avois vue,' disoit un homme de la Societte [holbachique]." (Leigh, lettre 3853.) Rousseau n'ajouta jamais foi a cette rumeur, dont il se moquera dans une lettre du 10 fevrier 1765 adressee aToussaint Pierre Lenieps : "Au premier bruit d'une lettre que j'avois receue, on y mit aussitot pour emplatre que Mrs Helvetius et Diderot en avoient receu de pareilles. [...] Par ma foi vos Parisians avec leur esprit et leurs epigrammes devroient bien rougir d'etre les dupes de pareils contes et de se laisser traiter en enfans." (Leigh, lettre 4008.) Rien ne permet de croire que Buttafuoco ou Paoli aient envoye des lettres a Helvetius et a Diderot. Leigh, de son cote, affirme que "la soi-disant lettre adressee par les Corses a Helvetius ou a Diderot [...] n'a jamais existe." (Leigh, lettre 3853, note a.)

LETTRE 545

Decembre 1764

544. Helvetius a Frederic II, roi de Prusse Sire, Je suis vivement touche de la faveur que me fait Votre Majeste1. Impatient d'en jouir, je serois deja en route pour me rendre a ses ordres, si la sante de ma femme et des affaires indispensables ne me retenoient icy jusque vers la fin de mars. Votre Majeste scait que je ne m'attendois pas a tant de bontes, que je n'etois point prepare a un voiage si glorieux pour moy, et que je ne me flattois point de 1'esperance d'etre sitost a portee d'admirer de pres le plus grand des monarques. Je suis ne dans un siecle ou je puis etre temoin d'un prodige; le Ciel en fait rarement pour les hommes, plusieures generations s'ecouleront sans jouir du meme bonheur que moy. Que puis-je desormais desirer? Je verray la production dont la nature est le plus avare, un philosophe sur le trone, et je pourray me dire que je suis a ses pieds par son ordre. Je suis, avec le plus profond respect, Sire, De Votre Majeste, Le tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius A Paris, ce 27 9bre 1764 MANUSCRIT

NOTE EXPLICATIVE

:;

1. Comme Grimm 1'expliquera a la duchesse de Saxe-Gotha (v. lettre 548), Frederic avait invite Helvetius a se rendre en Prusse pour que celuici puisse y passer quelque temps aupres du roi, ou s y etabhr.

"A. Archives centrales d'Etat, Merseburg, Rep. 47], n° 383, f° 1; 2 p.*; orig. autogr. TEXTE " Lesrpremiere et troisieme pages portent , j i t , i -, le texte de la lettre; la deuxieme est blanche.

545. Helvetius a Joseph Michel Antoine Servan1 A Paris, ce 19 Xbre 1764 Monsieur, C'est a moy a vous rendre graces des bontes dont vous m'avez honore a Paris. Pouvez-vous croire que je les oubliasse? Moy oublier un magistral 149

LETTRE 545

Decembre 1764

protecteur des lettres, et si je 1'oze dire mon amy, car il est des ames qui sont nees amies, qui se sont vues quelque part, et qui se reconnoissent quand elles se rencontrent. Je me flatte sans doute, mais vous me le pardonnerez. Ou est-il 1'homme sans vanite? C'est tout haul ou tout has qu'on fait cas de soy et qu'on s'imagine ressembler a ceux qu'on estime. Ce n'est point a Berlin que j'ay etc 1'annee passee. Peutestre y feray-je un tour. Le roy de Prusse paroit le desirer, et s'il m'ecrit a ce sujet je seray encor oblige de quitter la France pour trois mois. J'ay visitte PAngletterre, et j'ay etc tres content de dma visitte". C'est pour un homme tel que vous^ un voiage presque necessaire; vous y verrez des hommes eclaires et des peuples heureux, un gouvernement ou toutes les passions sont en jeu, ou toutes se contrebalancent, et ou le repos nait de 1'equilibre de leur forces, et cette espece de repos n'est pas comme en Espagne 1'effet de Pengourdissement. Par la forme de 1'Etat, tout jusqu'aux vices'7 est avantageux a 1'Angletterre. Est-il possible que ce gouvernement subsiste longtems dans cet etat? Je n'en scais rien, et dans une lettre on ne peut entrer a cet egard dans aucun detail. Ce que je veux, c'est vous inspirer le desir de faire un voiage a Londres. L'amitie que vous me temoignez dans votre lettre2 me touche infiniment. ^On m'accusse, et je le crois, d'avoir un peu desabuze^ des vertus humaines, mais el'on se trompe :e celuy-la est^vertueux qui trouve son bonheur dans la felicite d'autruy, et dans la gloire de la luy procurer. Si 1'interest n'etoit pas notre unique moteur, ou en seriez-vous, vous autres magistrats? Comment donner des loix qui assurassent le bonheur public? sur quel fondement les etablir? Vous en avez maintenant un sur, c'est de Her 1'interest particulier a 1'interest public. Je me ressouviens tres bien des offres que gvous m'avez faitte, et lorsque je seray pret et que les circonstances seront favorables, je me promet bien d'en profiter.g Je suis, avec respect, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius [adresse :] A Monsieur / Monsieur Servan, avocat general au / parlement de Grenoble, a Condrieux3, par / Vienne, en Dauphine / A Condrieux MANUSCRIT

IMPRIMfi

'A. The Historical Society of Pennsylvania, Philadelphia, fonds Dreer; 3 p.; orig. autogr.; le cachet a etc enleve.

I. Servan, CEuvres choisies, ed. Porters, 1822, 5 vol., I, p. cxxxiii-cxxxv.

:;

150

1765

LETTRE 546 TEXTE

" Le I : "mon voyage". bLe I : "vous, Monsieur," c Le I : "vices (si Ton peut parler ainsi)". ''Le I : "Vous m'accusez, et je vous crois, d'avoir desabuse". e Omis dans le I. ^Le I : "n'est-il pas". 8 Le I : "vous avez eu la bonte de me faire, et me promets bien d'en profiler lorsque 1'occasion en sera favorable." NOTES EXPLICATIVES

1. Servan (1737-1807), magistral qui allait devenir celebre, venait d'etre nomme, a 1'age de 27 ans, au poste d'avocat general du parlement de Grenoble. Disciple fervent de ['Encyclopedic, ami de Voltaire qui le quali-

fiera de "jeune homme tres eclaire, qui a de 1'horreur pour la persecution" (Best. D. 13249), il prononcera, en 1765, un discours de rentree sur les Avantages de la vraie philosophic, et en 1767, un Discours SHY I'administration de la justice cnminelle, qui sera imprime a Geneve et fera epoque. Par la suite, il continuera a proner la tolerance et Pabolition de la torture. 2. Lettre non parvenue jusqu'a nous. 3. Condrieu, ville tres ancienne, situee sur la rive droite du Rhone a 38 km au sud de Lyon et a 12 km au sudouest de Vienne.

546. Helvetius d Jean Simon Levesque de Pouilly1 [1765?]2 [Helvetius examine dans cette lettre les differentes parties de la Theorie de Vimagination1' de Jean Simon Levesque de Pouilly, dont le contenu lui parait ressembler a celui des Rechercbes sur les principes de la morale de Hume4. Dans les trois premieres pages de la lettre, qui n'ont pas etc retrouvees, il commente longuement les sections 1 a 4 et le debut de la section 5 de cet ouvrage, consacrees a la perception exterieure5 et a la passion eprouvee pour le sexe dans les differentes races6, avant d'en venir aux considerations et remarques suivantes.] [...] pour agir beaucoup. Et ensuite ils soutiendront qu'ils sont les plus vigoureux pour les femmes. Mais on ne peut etre vigoureux pour les femmes sans 1'etre en effet. La semence est 1'exedent des esprits animaux necessaire pour la* nutrition des parties du corps. Voila pourquoi 1'on n'a^ point de semence, ny dans 1'enfance ny dans la viellesse. Ces memes voiageurs diront que les negres du Senegal situes sous la ligne sont tres vites a la course; ils ont done beaucoup de force dans les muscles des cuisses, des reins, &c. Quand au Chinois, il faudroit s^avoir de meme s'il couche plus souvent avec une femme qu'un European. D'ailleurs, en quel endroit de la Chine sont-ils si forts? Cet empire est si grand qu'il renferme dans son etendue presque tous les differents climats du monde. Il est done evident que le voiageur qui dira tant de bien de la force chinoise envers les dames, paroit 151

LETTRE 546

1765

n'avoir parle qu'au hazard et sous des out-dire, s'il n'a pas determine le lieu, la province, ou les Chinois sont tels qu'il le dit. II faudroit de plus qu'il cut assiste a ces entretiens particuliers des Chinois avec des femmes, pour sc,avoir si ce n'est pas air de leur part et s'ils ne regardent point ces entreprises libertines comme des politesses que tout homme bien eleve doit auc sexe. Je sgais bien que lorsque j'etois jeune, je me se ois fais scrupul de ne pas f. une femme quand je me trouvois seul avec elle et que son rang ou son caractere ne m'imposoit pas7. L'homme n'est point essentiellement actif en Europe, mais essentiellement paresseux en tous pays. Le sauvage de quelque climat qu'il soit depuis le Caraibe jusqu'a 1'Illinois, des qu'il a fait sa provision, reste a fumer, et ad boire assis sur son cul, et a voir couler un ruisseau. II est bien vray que dans les pays chauds ou la nature fournit des fruits en abondance ils ont moins besoin de chasser et en consequence font moins d'exercice. En general les hommes restent toujours dans la meme place s'ils n'en sont arraches par des besoins quelquonques8. 6. Get article est une suite du precedent. Ainsy ce que j'ay dis sur 1'autre s'etend a celuy-cy9. 7. La difference des climats pourroit, dites-vous, influer sur les sciences et les arts10. Mais y influe-t-elle en effet, voila la question. Si les sciences et les arts ont parcourus la terre depuis le midy jusqu'au nord, depuis 1'Etiopie jusqu'a Londre, il paroit done que tous les climats leur sont egalement bons. Ce fait une fois constate, il est inutil, a ce que je pense, d'examiner une question decidee par le fait. II est vray quee, s'il y avoit certaines choses qu'on ne put pas expliquer sans avoir recours a 1'influence des climats, qu'il faudroit employer ce moyen. Mais si tout s'explique clairement sans cela, pourquoy avoir inutilement recours au climat, car en tout il faut le plus qu'il est possible simplifier les principes. D'ailleurs si toutes nos idees nous viennent par les sens, comme nous en assure 1'experience faite sur nousmeme, il est evident que, si le negre du Senegal, le Chinois de Pekin, et le Suedois ede Stokolm* ont les yeux, 1'oui, le tact, &c. aussi fin 1'un que 1'autre, et qu'on n'ait pas constate a cet egard de difference entre eux, ils ont tous rec,u de la nature une egale disposition a 1'esprit, surtout si Ton convient que juger ne soit que sentir. Car alors tous les peuples qui seront susceptibles des memes sensations seront susceptibles des memes idees11. C'est ce qui explique si naturellement la raison pour la quelle les sciences et les arts ont fleuri au nord comme au midy, pourquoy 1'Ecossois^ Milton a autant d'imagination que le Grec Homere, pourquoy le Gascon Montagne est aussy philosophe que 1'Anglois Hume, &c, &c.12 Je ne trouve rien a redire aux art. 8, 9, 10, 11, 12. C'est un simple expose qui me paroit vray, et dont je prevois que les developpements peuvent etre admirables. En gros je vous conseille de placer leg berceau de vos dieux* pres d'un volcan et dans un moment de quelque revolution arrivee au globe

152

LETTRE 546

1765

de la terre, de faire les dieux et la religion cruelle dans les pays ou ces revolutions phisiques sont arrivees, de faire la religion et les dieux plus doux dans les climats ou Ton est moins expose aux tremblement de terre, aux volcans, aux inondations, sauf cependant a conserver ces religions cruelles memes dans ces plus doux climats lorsqu'elles y ont etc apportees par des vainqueurs, ou etablies et perfectionnees par des prestres mechants13. Voila, Monsieur, toutes les idees qui me sont venues a la lecture du plan de votre magnifique ouvrage. Vous connoissez toute mon estime pour votre caractere et vos lumieres; c'est ce qui m'a engage a jetter sans ordre et sans menagement toutes les idees qui me sont passees par la tete. Je s^avois que je parlois a un homme d'un grand esprit. Rien n'est devellope dans ce que je vous envoye, mais je n'ay pas le terns de corriger cette lettre et vous m'entendrez a demi-mot. J'espere vous voir lorsque vous reviendrez a Paris, et nous en dirons plus en un quart d'heure de conversation que je n'en pourrois ecrire en huit jours, surtout a present que je suis occupe d'un ouvrage de tout autre espece14. Je finis done sans fa§on par vous assurer que je suis avec la plus grande estime et le plus inviolable attachement votre tres humble serviteur Helvetius MANUSCRIT

*A. Bibl. mun. de Besangon, ms. 1441, p. 466-469; 7 pages, dont les trois premieres ont disparu, et les quatre suivantes sont redigees sur deux demi-feuilles; orig. signe comportant six corrections et deux additions autographes (voir respectivement les notes b, c, d , f , g et h, et la note e). Le manuscrit integral a figure aux ventes Naudet et Charavay, respectivement des 25 mai 1847 et 3 avril 1890. TEXTE " Le A : "le". b Le A : "n'a (plus)". c Le A : "au (seze)". d Le A : "a (faire)". e Ajoute par Helvetius dans 1'interligne. f Le A : "PEcossois (Miltere)". 8 Le A : "le (cerceau)". h Le A : "dieux (prez)". NOTES EXPLICATIVES Les catalogues de vente datent cette lettre de "vers 1743", donnent le destinataire comme etant Louis Jean Levesque

de Pouilly, pere de Jean Simon, et affirment que Pouvrage faisant Pobjet de cette lettre etait ses Reflexions sur les sentiments agreables. Ces indications sont erronees pour les raison suivantes : 1) II n'existe aucun rapport thematique entre les Reflexions et les commentaires d'Helvetius. 2) Les Recherches de Hume (v. note 4) n'ont paru qu'une decennie apres la mort de Louis Jean Levesque de Pouilly. 3) Helvetius se refere a sa jeunesse passee, alors qu'il n'avait que 28 ans en 1743, et en parle en termes qu'un jeune celibataire n'aurait sans doute pas employes pour s'adresser a un pere de famille de 52 ans. Nous tenons a remercier L. L. Bongie de nous avoir aides a identifier le destinataire de cette lettre. 1. Apres la mort de son pere en 1750, Jean Simon Levesque de Pouilly (1734-1820) avail passe plusieurs annees a Hambourg ou son oncle, Levesque de Champeaux, etait ministre resident du roi de France. II

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LETTRE 546 s'etablit a Paris en 1758, est nomme lieutenant general de Reims en 1763, et public 1'annee suivante une Vie de Michel de L'Hopital qui lui ouvrira en 1768 les portes de 1'Academic des inscriptions. Helvetius etait 1'un de ses correspondants (v. Abbe J. V. Genet, Une Famille remoise au XVIIIs siecle, Reims, 1881, p. 406). 2. La seule certitude relative a la date de cette lettre est qu'elle est posterieure a la parution en 1760 des Essais de morale, OH Recherches sur les principes de la morale de Hume (v. note 4 ci-apres). Toutefois, son avant-derniere phrase indique que Levesque de Pouilly ne se trouvait pas a Paris, et il semble bien resulter de sa formulation qu'il s'agissait d'une absence plus que temporaire. On peut done en inferer qu'elle a du etre ecrite apres 1763, annee ou Levesque de Pouilly a ete nomme a Reims. Enfin, le filigrane d'une des demi-feuilles qui la constituent ne se retrouve que dans d'autres lettres ecrites par Helvetius en 1765. 3. Theorie de I'imagination, par lefils de I'auteur de la Theorie des sentiments agreables. Cette publication, qui n'a paru qu'en 1803, a probablement ete souvent remaniee, car le plan des chapitres de la version publiee differe de celui que suit Helvetius dans la presente lettre. 4. Get ouvrage, destine a remplacer une partie du troisieme volume, intitule "Of Morals", de son Treatise of Human Nature (1740), a ete public en 1751 sous le titre An Enquiry concerning the Principles of Morals. Sa traduction en franc.ais, effectuee en 1760 par Robinet, constitue le dernier volume des (Euvres philo-

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1765 sophiques de Hume (Amsterdam, 1758-1760, 5 vol.). 5. Le premier chapitre de la Theorie contient 1'expose des principes sensualistes de 1'auteur, fortement inspires du systeme de Locke. 6. Le sixieme chapitre est consacre a 1'examen de quelques passions qui egarent Pimagination, dont 1'amour. 7. L'auteur de L 'Esprit a-t-il conserve ces principes apres son mariage? Dans Les Memoires d'une inconnue, Mme de Cavaignac temoigne de la reaction d'Helvetius a la jeunesse et a la beaute de sa mere, nee Elisabeth Jeanne Pierrette Romilly, fille de 1'horloger genevois : "Elle m'a conte que dans sa jeunesse, menee par son mari chez M. Helvetius, a sa terre de Vore, c'etait pour elle un vrai supplice, un etat de fievre continuelle, que ce salon toujours rempli, cette necessite non d'y jouer un role, - la pauvre femme n'y songeait guere, - mais de repondre quand on 1'attaquait. Elle etait fort jeune et jolie alors, Helvetius vieux et de plus philosophe; mais les hommes ont beau etre philosophes et vieux, c'est une question a resoudre qui leur plaira toujours plus qu'une autre, qu'une femme jeune et jolie. Aussi l'observait-il beaucoup, s'occupaitil beaucoup d'elle. II lui disait un jour que tout acte de devouement lui couterait bien moins qu'une reverence a faire en presence de vingt personnes, et qu'elle ne manquerait jamais de courage ou de presence d'esprit que quand on la regarderait." (Op. cit., 1894, p. 14.) 8. Cf. Theorie de I'imagination : "La nature commence par nous faire eprouver les besoins et nous les fait vivement ressentir. Le tigre affame

Janvier 1765

LETTRE 547 se jette sur sa proie et combat 1'ennemi qui la lui dispute, mais sa faim satisfaite, il tombe dans un etat d'insensibilite dont la renaissance d'un autre besoin peut seule la tirer. II n'en est pas ainsi de 1'homme considere dans la societe, meme la plus sauvage. [...] N'est-il pas des pays ou la terre offre avec plus de complaisance a 1'homme ce qui peut satisfaire ses besoins? [...] Les climats dont la chaleur est extreme, n'y font-ils pas placer le bonheur dans 1'inaction?" (Op. cit., pp. 6970et211.) 9. Les chapitres V et VI sont respectivement intitules "De 1'influence reciproque des passions sur 1'imagination, et de 1'imagination sur les passions", et "Coup d'oeil particulier sur quelques-unes de nos passions". 10. Cf. Tbeorie, p. 210 : "On s'est permis de critiquer, et meme avec amertume, M. le president de Montesquieu, de ce qu'il avait explique plusieurs phenomenes tant en politique qu'en morale, par 1'influence des divers climats sur la nature humaine. [...] A-t-on pu nier que les climats ne rendissent certames sensations plus ou moins vives?" 11. Cf. Theorie, p. 208-209: "II n'est done point d'imagination semblable a une autre, parce qu'il est impossible que deux hommes eprouvent,

depuis 1'instant de leur naissance, une succession absolument pareille de sensations; que les memes phenomenes qui ont frappe les sens de 1'un, frappent egalement ceux d'un autre, et lui apparaissent dans le meme ordre. Mais s'il y a difference de 1'imagination d'un homme a celle d'un autre homme, il ne doit pas moins s'en trouver entre 1'imagination d'un peuple et celle d'un autre peuple." 12. En fait, Milton etait anglais, et Hume, ecossais. 13. Cf. Theorie, pp. 135, 215 et 221222 : "Le spectacle de 1'univers est sans contredit le plus grand, le plus imposant de tous ceux qui affectent nos sens. [...] A cote de chaque phenomene de la nature, 1'imagination rencontrait une divimte qui s'offrait a elle sous des traits analogues a 1'impression qu'il avait faite sur les sens. [...] En parcourant les pays ou la religion reconnait des dieux cruels et sanguinaires, nous y verrons 1'imagination, humble esclave de la passion, de la peur, reduite a ne s'exercer que sur des objets d'horreur et d'epouvante, et rester dans une inaction absolue sur tout ce qui peut perfectionner 1'homme et embellir la societe." 14. De I'Homme.

547. Hans Stanley1 a Helvetius A Londres, ce 20eme janvr 1765 Monsieur et tres cher Ami, Je vous envoie, comme je vous 1'avois promis, i'Essai sur Vorigine du mat de Monsieur Jennings2. [...]

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LETTRE 548

Janvier 1765

J'ai retrouve ici Milord Palmerston3 qui est tres charme de vous avoir vu a Paris. [...] MANUSCRIT ;;

"A. Collection du marquis de Rosanbo, fonds Lamoignon 263 ap 6; 2 p.; orig. autogr. NOTES EXPLICATIVES

1. Stanley (v. lettre 367, note 3) avait passe 1'automne a Paultons (v. lettre 534, note 7) et venait d'etre reelu a la Chambre des communes comme representant de la circonscription de Southampton.

2. Soame Jenyns, A Free Enquiry into the Nature and Origin of Evil, Londres, 1757. A la date de cette lettre, cinq editions anglaises de cet ouvrage avaient deja paru; il sera traduit en 1791 par Rivarol sous le titre Essai sur la necessite du mal, tant physique que moral, politique et religieux. 3. Voir lettre 500, note 1.

548. Friedrich Melchior Grimm d Louise-Dorothee de Saxe-Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha1 Madame,

[...] Le grand Frederic [...] m'a pourtant donne une marque de bonte il y a deux mois; c'est 1'unique que j'en aie regue jusqu'a present, et il faut que je la confie a Votre Altesse en la suppliant d'en garder le secret jusqu'a ce que la chose soit publique. Jl a envie de faire venir M. Helvetius soit pour passer quelque temps avec lui, soit pour y rester si cela lui convenoit. Jl savoit que j'etois lie avec M. Helvetius, et il m'a fait charger de cette commission en me faisant ecrire par M. Catt que c'etoit un moyen sur de lui faire grandement ma cour. Je n'ai pas eu de peine a determiner M. Helvetius a un voyage si flaneur, et j'ai mande a M. Catt2 que, quant au pro jet de le fixer entierement a Berlin, ce ne pouvoit etre que 1'ouvrage du Roi meme. Sa Majeste m'a fait dire depuis qu'elle etoit contente de ma fa§on de negocier. C'est quelque chose que d'avoir reussi dans le plus petit point. Nous attendons actuellement une reponse pour savoir en quel temps M. Helvetius devra se mettre en route. J'imagine que ce sera vers le mois d'avril, a moins que les noces du prince de Prusse ne retardent ce voyage philosophique3. J'ai deja ose prevenir M. Helvetius que son chemin le meneroit par Gotha, et que Votre Altesse Serenissime seroit surement bien

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Miniature de Louise-Dorothee, duchesse de Saxe-Gotha

LETTRE 548

Janvier 1765

aise de recevoir en passant ses hommages. Vous voyez, Madame, jusqu'ou va ma temerite, mais le philosophe sera encore plus agreable au Roi si, en arrivant, il peut se vanter d'avoir vu une princesse que le grand Roi client et honore avec tant de raison. [...] A Paris, ce 26 Janvier 1765 MANUSCRIT :;

'A. Archives d'Etat de Weimar, Geheimes Archiv Gotha E XIII a, n° 16, ffos 397 recto, 399 verso-400 verso; 8 p.; orig. autogr. IMPRIMES

I. Revue des documents historiques, V (1878), p. 34-35. II. Corr. litt., XVI, pp. 422 et 424-425. NOTES EXPLICATIVES

1. Louise-Dorothee (1710-1767), fille d'Ernest Louis, due de Saxe-Meiningen (1673-1724), et de sa premiere femme, Dorothee Marie de SaxeGotha (1674-1713). Elle avait epouse en 1729 son cousin Frederic III, due de Saxe-Gotha (1699-1772). Femme cultivee et spirituelle, elle echangeait regulierement des lettres avec Voltaire et etait abonnee a la Correspondance litteraire de Grimm. 2. Henri Alexandre de Catt (17251795), Suisse de naissance, avait fait ses etudes a Lausanne et a Geneve. Precepteur en Hollande en 1750, il y avait etc presente a Frederic II, et il etait devenu en 1758 son lecteur et son secretaire des commandements. Depuis 1762, il etait membre de 1'academie de Berlin, dans les Memoires de laquelle plusieurs de ses ouvrages de philosophic allaient etre publics. Il

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tombera en disgrace en 1762, mais sera pensionne. En 1764, Boswell 1'avait trouve "dry and even insipid" (Boswell on the Grand Tour: Germany and Switzerland, 1764, ed. Pottle, Londres, 1953, p. 17), et le memorialiste Thiebault le jugeait "froid et reserve" (Thiebault, II, p. 246). 3. Le sejour d'Helvetius en Prusse et son retour en France allaient avoir lieu avant les noces de Frederic-Guillaume (1744-1797), qui avait ete nomme prince heritier en 1758, a la mort de son pere, Auguste Guillaume. Ce dernier etait le frere puine de Frederic II, et sa femme, Louise Amalie de Brunswick (1722-1780), etait la soeur de la reme de Prusse : Frederic-Guillaume etait done le neveu a la fois du roi et de la reine. Il allait epouser en juillet 1765 Elisabeth Christine Ulrique (1746-1840), quatrieme fille de Charles de BrunswickWo fenbiittel et de Philippine Charlotte, sceur de Frederic II, mariage qui devait aboutir a un divorce en 1769. Le roi lui avait permis de 1'accompagner pendant les campagnes de la guerre de Sept Ans, mais il estimait peu les talents militaires et politiques de celui qui allait lui succeder sous le nom de Frederic-Guillaume II.

LETTRE 549

Fevrier 1765

549. Friedrich Melchior Grimm a Louise-Dorothee de Saxe-Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha Madame, [...] Votre Altesse aura vu par ma lettre precedente ce qui en est du voyage de M. Helvetius. Jl n'est pas encore pret d'arriver a Berlin. J'attends encore a tout moment des lettres pour savoir en quel temps il devra se mettre en route; depuis six semaines je n'ai rec,u aucune nouvelle de ce pays-la. J'imagine que le Heros1 voudra regler ses courses et sa conduite avant de donner des rendez-vous. M. d'Alembert n'ira point cette annee : il n'est point demande, et sa sante n'est pas trop bonne. Jl regoit de temps en temps des lettres charmantes du Roi, mais Sa Majeste en habile astronome ne voudra pas rapprocher deux soleils de trop pres; il vaut mieux les faire venir 1'un apres 1'autre. Le bon Helvetius ne se rendra pas aupres du Heros sans avoir fait chemin faisant sa cour a 1'herome du Heros; j'espere en recevoir la permission de Votre Altesse Serenissime avant son depart d'ici. Jl est bien heureux de passer par Gotha; il sera bien flatte de presenter ses hommages a Votre Altesse, mais il ne peut sentir ce bonheur comme moi. Ce qui le frapera, ce sera de voir la raison et la vertu presider au bonheur du peuple. O le beau spectacle! Peut-on faire assez de chemin pour cela? J'ai ete honore d'une lettre charmante par Madame de Buchwald2. Elle pretend que je ne lui dois compte de ses bontes que suivant le tarif du grand Helvetius, mais je n'aime pas les calculs en morale, ni la morale de mon ami Helvetius. Je ne la crois pas vraie. Ces messieurs nous ont montre un squelette sans chair et sans muscles et ont dit: "Voila la beaute", mais ce n'est pas la la nature humaine. On en peut faire un beau roman et une vilaine histoire, la verite se trouvera precisement entre deux. [...] Grimm

A Paris, ce 11 fevrier 1765 [-.] Au moment ou je ferme ce paquet, je regois une lettre de Berlin qui ordonne a M. Helvetius de partir dans le courant de mars. Je compte qu'il partira vers le 15. Si Votre Altesse Serenissime avoit des ordres a me donner, il se feroit un grand plaisir de porter les paquets dont je pourrois le charger. MANUSCRIT ff os 401 recto, 401 verso-402 verso et :; "A. Archives d'Etat de Weimar, Ge427 recto; 4 p.; orig. autogr. heimes Archiv Gotha E XIII a, n° 16, B.B.N., ms. fr., n. a. 4411, ffos 136-138 et

159

Mars 1765

LETTRE 550 139; 5 p.; copie faite a 1'intention de Maurice Tourneux. TEXTE Le texte du B n'occupe que le recto des feuillets. NOTES EXPLICATIVES

1. Frederic II. 2. Juliane Franziska (1707-1789), fille ainee de Philipp Jakob, baron de Neuenstein, maitre des chasses du due de Wurtemberg, etait depuis 1735 la dame d'honneur de Louise-

Dorothee de Saxe-Gotha. Elle avait epouse en 1739 le maitre d'hotel de la duchesse, Shack Hermann de Buchwald, mort en 1761, qui etait, selon Lehndorff, "un Danois de peu d'esprit" (Dreissigjabre, II, p. 99; traduction). Elle avait des liens d'amitie avec Wieland, Herder et Goethe, et correspondait avec Voltaire, qui lui avait adresse une lettre commenc,ant ainsi: "Grande maitresse de Gotha, / Et des cceurs plus grande maitresse." (Best. D. 5298, 28 mai 1753.)

550. Jean Le Rond d'Alemhert a Frederic II, roi de Prusse Paris, l er mars 1765 Sire, M. Helvetius doit partir incessamment pour aller mettre aux pieds de Votre Majeste son admiration et son profond respect; c'est un hommage, Sire, que tous les philosophes vous doivent, et qu'un philosophe comme lui est bien digne de rendre a un prince tel que vous. J'ose esperer que Votre Majeste, en connaissant sa personne, ajoutera encore a 1'idee avantageuse qu'elle avait deja de ses talents et de ses vertus; 1'accueil qu'il recevra d'elle le consolera des persecutions que lui ont suscitees des fanatiques, qui font a eux tous moins de bonnes actions dans toute leur vie qu'il n'en fait dans un jour, et qui ont trouve plus court et plus facile de briiler son livre que d'y repondre. Je ne suis pas, Sire, dans le cas de dire a Monsieur Helvetius ce qu' Ovide disait a ses vers : vous irez sans moi, et je ne vous p'orte point envie1; car j'envie d'autant plus le bonheur dont il va jouir, que je 1'ai deja goute2. IMPRIMES

*I. D'Alembert, (Euvres, 1822, 5 vol., V, p. 257. II. Preuss, XXIV, p. 391-393. NOTES EXPLICATIVES

1. Premier vers des Tristes, recueil de lettres en vers en cinq livres, ecrites par Ovide alors qu'il etait exile (9-17 160

apr. J.-C.) a Tomes (Constantza), sur la mer Noire, et dans lesquelles il se lamente sur son sort. 2. D'Alembert avait passe trois mois en Prusse pendant 1'ete de 1763. REMARQUES

Le 20 fevrier, George Keith (v. lettre 513, note 1) avait ecrit de Potsdam a

LETTRE 551 David Hume : "Nous nous flattons de voir M. Helvetius avant la mi-avril. Je vous serais oblige si vous vouliez bien m'envoyer par son intermediate une

Mars 1765 demi-once de graines de laitue batavia et autantde scarole." (R.S.E.,V, 106; Burton, p. 65; traduction.)

551. Friedrich Melchior Grimm a Louise-Dorothee de Saxe-Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha Madame,

W

Jl1 n'a jamais rien montre de mes feuilles a M. d'Alembert, pendant qu'il etoit la-bas; c'est une delicatesse que j'ai bien sentie; je compte qu'il en usera avec M. Helvetius de meme2, et qu'il n'en sera pas plus tente de me compromettre avec Milord Marechal qui est un des dignes hommes que j'aie connu3. M. Helvetius part le 14. Jl portera a Votre Altesse les Lettres de la campagne4. [...] A Paris, ce 7 mars 1765 M. Helvetius sera charge d'une tete bien frisee pour Madame la princesse. Jl part avec un jeune comte de Podewils"5 qui a deja eu 1'honneur de faire sa cour a Votre Altesse. MANUSCRIT :;

"A. Archives d'Etat de Weimar, Geheimes Archiv Gotha E XIII a, n° 16, ff os 403 recto, 405 verso et 407 verso; 10 p.; orig. autogr. IMPRIMES

I. Revue des documents historiques, V (1878), pp. 35, 39 et 42. II. Corr. lift., XVI, pp. 426, 429 et 431. TEXTE

"Le I : "Pcelnitz". NOTES EXPLICATIVES

1. Frederic II. 2. Pour assurer le secret de sa Correspondance litteraire, Grimm ecrira le 15 mars a Frederic : "J'ose aussi, Sire, vous representer tres humblement

que M. d'Alembert pendant son sejour aupres de votre personne n'a rien vu d'un bavardage litteraire que Votre Majeste a la bonte de tolerer, et j'ose vous demander la meme faveur a 1'egard de M. Helvetius, le secret n'etant pas moins necessaire a une correspondance de cette espece qu'une indulgence sans bornes." Voir Geheimes Staatsarchiv Preussischer Kulturbesitz, Berlin, BPH, Rep. 47, n° 423/3, f° 5 verso-6 recto, et P. Wohlfeil, "Fvinf bisher unveroffentliche Briefe Grimms an Friedrich den Grossen", Archiv fiir das Studium der neueren Sprachen, CXXVIII (1912), p. 337. Signalons qu'en mai 1766, Frederic, insatisfait des feuilles de Grimm, qu'il ne payait d'ailleurs

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LETTRE 552

Mars 1765

pas, le remplacera par Thieriot comme correspondant litteraire en France (v. Best. D. 13309, et Schlobach, p. 58). 3. George Keith (v. lettre 513, note 1). 4. Les Lettres ecrites de la campagne (1763), pamphlet anonyme du procureur general de Geneve, J.-R. Tronchin (v. lettre 347), dans lequel il plaidait, avec une feinte moderation, en faveur du "droit negatif" du Petit Conseil. La reponse de Rousseau, intitulee Lettres ecrites de la montagne, avait paru a la fin de 1764. 5. Karl Ernst Georg, comte de Podewils, conseiller de legation, etait le cousin du comte Otto Christoph de Podewils (1719-1781), ministre d'Etat. Dans une lettre au comte Victor Friedrich de Solms-Sonnenwalde, du 19 avril 1765, Frederic II qualifie le comte de Podewils d'"homme du tout propre a quelque negociation, ni qui deviendra jamais negociateur" et desapprouve son voyage en France, qui, dit-il, a etc fait "etourdiment, a

mon insu et sans ma permission". De fait, Frederic n'avait autorise son absence que pour lui permettre d'assister a Francfort, le 3 avril 1764, aux ceremonies lors desquelles Joseph II, fils de Marie-Therese et de FranC,ois Ier, empereur d'Allemagne, avait etc couronne "roi des Remains", titre confere, dans le Saint Empire romain, au successeur designe de 1'empereur regnant (Politische Correspondenz Friedrichs des Grossen, Berlin, 1879-1939, 46 vol., XXIV, p. 171). Lehndorff rapportera ainsi les suites dudit voyage : "J'ai oublie de mentionner que le celebre Helvetius [...] a promis au jeune Podewils de le recommander tout particulierement aupres du roi. Mais le resultat en a ete tout le contraire de celui qu'il attendait: en raison du mecontentement que lui a cause le voyage non autorise de Podewils en France, Sa Majeste lui a meme retire sa charge de conseiller de legation." (Dreissig Jahre, I, p. 427; traduction.)

552. Helvetius a Madame Helvetius [Versle 12 mars 1765]1 Eh bien, ma chere amie, ma chere et aimable femme, j'ay dine aujourd'huy chez ma mere tete a tete avec elle. Elle m'a beaucoup parle de toy, de mon voiage; elle a pleure lorsque nous nous sommes separes et ses "pleurs m'ont peu* affecte. Quelle difference des tiennes; comme elles m'ont perce Tame; quelle puissance celles d'une femme qu'on aime ont sur le coeur d'un mary! J'en suis confondu; on n'aime point sa mere comme sa femme a beaucoup pres. Tu seals cependant que j'ay 1'ame facile a emouvoir; cela m'a fait faire un retour sur mes propres enfants : ils ne seront pas mieux nes que moy, ils ne nous aimeront pas mieux que je n'aime ma mere. Que cette tendresse est loin de celle que j'ay pour toi! Aimons-nous bien, ma chere amie, aimons-nous toujours; il n'y a qu'un mary et une femme qui s'aiment vraiement. Je ne veux pas te dire tout ce que je sens de peur de t'afliger. Tu

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LETTRE 552

Mars 1765

as fait fermer mah porte pour ne me pas voir en partant; il faut pareillement que je ferme la porte de mon coeur. II y a pourtant quelque douceur melee a 1'amertume du sentiment que j'eprouve. Je suis sur que tu m'aimes; tu m'en as donne des temoignages, ils me sont chers. Mon absence ne sera pas longue. Peutestre dans 1'assurance que nous nous sommes donne de notre amour mutuel cy a-t-ilc un motif pour nous consoler de cette absence; nous luy devons le plaisir de sentir combien nous nous aimons. Mais gardonsnous bien de mourir 1'un et 1'autre; ce seroit de la douleur sans consolation. Menage done bien ta sante. Pelletier2 a mes billets; il viendra te voir lors de ton^ retour. Je comptois partir jeudy a quatre heures du matin; le maudit comte de Podwillse3 m'a remis a vendredy4; c'est un jour de perdu, j'en suis enrage; voila ce que c'est de^ voiager [a] deux. Je voudrois deja estre a Berlin pour etre plus pret de mon retour. Adieu; je t'embrasse de tout mon coeur. Baise mes enfans pour [moy]; ils me sont chers; ce sont les fruits de notre amour. Je ne t'ecriray que des lettres de quatre mots dans ma route jusqu'a ce que je sois a Gotta5. Adieu. [adresse :] Par Rosoy-en-Brie / A Madame / Madame Helvetius en son / chateau de Lumigny, proche Rosoy- / en-Brie / a Lumigny MANUSCRIT :;

'A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge. IMPRIME

I. Guillois, p. 486-487. TEXTE

"Le A : "pleurs {ne) m'ont (point) peu". *Le I: "ta". cLe A : "il y a-t-il". JLe I: "son". e Le I : "Podewils". ^Le I : "que de". NOTES EXPLICATIVES

1. Dans la lettre precedente, datee du 7 mars 1765, Grimm avait indique qu'Helvetius allait partir le 14, soil le jeudi mentionne au second paragraphe de la presente lettre. La formulation qu'Helvetius y emploie ("Je comptois partir jeudy" au lieu de "partir demain") indique que cette lettre date du mardi precedent au plus tard.

2. Voir lettres 145, note 3; 223; et, pour les "billets des fermes et des rescriptions", 449, note 4. 3. Voir lettre precedente, note 5. 4. Helvetius est bien parti le vendredi 15 mars. C'est a cette date que Grimm ecrit: "Le roi de Prusse ayant desire de connaitre M. Helvetius personnellenient, ce philosophe est parti aujourd'hui pour aller faire sa cour a Sa Majeste" (Corr. litt., VI, p. 229). Le meme jour, il se prevaut de cette occasion pour s'adresser a Frederic II en ces termes : "Je ne saurois laisser partir M. Helvetius sans porter aux pieds de Votre Majeste les hommages de mon profond respect. Je vais le bien regarder entre les deux yeux puisqu'ils doivent voir Votre Majeste." Voir Geheimes Staatsarchiv Preussischer Kulturbesitz, Berlin, BPH, Rep. 47, n° 423/3, f° 5 recto, et P. Wohlfeil, "Fiinf bisher

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LETTRE 553

Mars 1765

unveroffentliche Briefe Grimms an Friedrich den Grossen", Archiv das Studium der neueren Sprachen, CXXVII (1912), p. 337. D'Holbach, de son cote, ecrit a Servan le 14 : "M. Helvetius part demain pour Berlin, ou il est invite par un roy qui lui a marque le desir de faire connoissance avec lui. Son voyage sera de trois mois car il resistera impoliment aux agacenes russiennes qui, s'll etoit plus jeune, 1'auroient peut-etre entraine dans un pays ou jusqu'ici je ne vois point que la philosophic put etre transplanted avec succes." (Bibl. mun. de Lille, ms. 853, f° 91 verso;

P. Verniere, "A propos de deux lettres inedites du baron d'Holbach", R.H.L.F., LV [1955], p. 496; et Sauter, lettre 12.) Signalons par ailleurs que la premiere lettre d'Helvetius apres son depart de Paris, ecrite a sa femme "d'en deca de Verdun" et datee de "ce samedy au soir a dix heures", a du etre expediee le lendemain de son depart (v. lettre suivante, note 2). 5. Comme Grimm 1'avait prevu (v. lettre 549), Helvetius allait s'arreter un temps a Gotha pour "faire sa cour" a la duchesse de Saxe-Gotha.

553. Helvetius a Madame Helvetius Ce samedy [16 mars 1765] au soir, a dix heures" Je vous tiens parole1, ma chere amie : j'arrive a la poste d'en deca de Verdun2. Demain^ je compte aller coucher a Sarboixc3 et etre mecredy a Francfort4. Nous faisons raccomoder nos chaises, que le pave de France secoue furieusement. Nous allons, nous nous portons bien et nous arriverons, j'espere, en bonne sante; ne soiez point inquiete de moy. Je ne lis point dans ma chaize, le pave et la chaise sont trop rudes. Je m'y occupe de vous : je vous dis tout le long de la route que je vous aime et je crois que vous m'en dites autant de Lumigny. Je me felicite du bonheur que j'ay d'etre aime tendrement de ma femme. Quel bonheur pour deux etre unis jusqu'a la mort d'etre sur de leur tendresse reciproque, de pouvoir compter 1'un sur 1'autre, et de trouver une amie delicieuze dans la femme la plus aimable. Ma mere veut que je lui ecrive; faites-luy scavoir que je me porte bien; on est si harasse le soir lorsqu'il faut partir le lendemain a trois heures et demie du matin qu'on ne peut pas ecrire a tout le monde. C'est de Francfort que j'ecriray au baron. Dites-luy, je vous prie, combien je Paime. Vous avez du recevoir de moy une lettre que je vous ai ecrit avant de partir5. ^J'ay laisse le bureau que vous devez emporter a Vore avec la clef; il ne s'agit que d'y remettre deux croches6 dont il y en a une dans le cote de 1'ecritoire/ Adieu.

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LETTRE 554

Mars 1765

Mr le comte de PotwilH vous assure de ses respects et moy je baise vos mains et j'embrasse mes enfants. [adresse :] En Brie, proche Rosoy / A Madame / Madame Helvetius la jeune, en / son chateau de Lumigny, en Brie / proche Rosoy / A Lumigny MANUSCRIT :;

"A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; traces de colle rouge; timbre de la poste : METZ. IMPRIME

I. Guillois, p. 488. TEXTE "Ajoute dans le I : "de Metz". ^Omis dans le I. c Le I : "Sarrelouis". ^Le I : "Podewils". NOTES EXPLICATIVES

1. 11 doit s'agir d'une promesse faite dans une lettre ecrite d'Epernay ou de Chalons le soir du 15 mars, et qui n'est pas parvenue jusqu'a nous. 2. Le timbre de la poste indique qu'en fait, Helvetius a poste sa lettre a Metz, le lendemain du 16. 3. Sans doute Sarrebruck, qui se trouve sur la route la plus directe entre Verdun et Francfort. 4. Helvetius a done passe la nuit du samedi 16 "en dec.a de Verdun", et il comptait passer celle du dimanche 17 a Sarrebruck, pour arriver le mercredi 20 a Francfort. Si ce calendrier a etc

respecte, c'est le mardi 19 qu'il a ecrit la lettre suivante (n° 554), expediee de Worms, c'est-a-dire la veille de son depart pour Francfort ("J'arrive a Worms. [...] Demain nous arrivons a Francfort."), et il a du passer la nuit du lundi 18 entre Sarrebruck et Worms, peut-etre a Landau ou a Spire, ou meme, comme Helvetius 1'envisageait selon la lettre suivante, dans quelque village. 5. Lettre precedente. 6. Le substantif feminin "croche", utilise de nos jours dans des sens techniques (musique, forge, peche) et argotiques, est encore defini plus generalement comme "objet qui a pour effet ou fonction de saisir" (Tresor de la langue frangaise, Paris, 1978). Il est atteste depuis la fin du XHe siecle (v. Le Dialogue de saint Gregoire) dans 1'usage populaire au sens de "crochet"; c'est vraisemblablement dans cette acception que Pemploie Helvetius.

554. Helvetius a Madame Helvetius [19 mars 1765]1 J'arrive a Worms, ma chere amie, en tres bonne sante. "Les cheminsa ne sont pas beaux; on ne va pas aussy vite qu'on le voudroit, mais enfin on arrive. Il faut avouer que 1'ennuy n'habite pas moins les grands chemins que le palais des grands rois, mais je chasse 1'ennuy en pensant a vous, et tous les souverains n'ont pas cette ressource en pensant a leur femme. Us

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LETTRE 554

Mars 1765

n'en onth point de si aimables et n'en sont point aussi aimes. Je ne puis trop te repeter combien j'ay etc sensible a la tendresse que tu m'as marque depuis deux mois; aussy n'est-il pas possible de t'aimer plus tendrement que je le fais. Compte qu'il n'est point d'heure de la journee ou tu ne puisse dire : "Mon mary en ce moment et me desire et m'aime." Ne crois pas que ce soit 1'ennuy ou la fatigue du voiage qui me rapelle plus souvent a toy. Quand cce le seroitc, ce sentiment ne devroit point t'etre desagreable. Le malheur rend plus tendre et 1'infortune tourne souvent ses yeux vers 1'objet aime, mais c'est 1'objet aime. Au reste je te reponds que j'en feray autant a Berlin et que les caresses d'un heros ne me consoleront point de celles de ma femme. ^J'imagine que 1'on ne te fera point accroire que je fais ma cour aux femmes a Berlin. Tu scais que le Roy ne vit point avec des femmes et qu'a Postdam je ne pourrois tout au plus que racrocher un page/ Je ne te parle point de chemins : ils sont detestables, mais on va, et il ne nous arrivera point de malencontre. Je t'ecriray de Gotha, quand j'y seray arrive". Alors les plus mauvais chemins seront passes et il n'y aura plus que soixante et^ cinq lieues de la a Berlin. Demain nous arrivons a Francfort. Il n'y aura pas moien d'ecrire jusqu'a Gotha parceque nous serons trop las et que nous coucherons dans les villages ou souvent la poste ne va point. Adieu, je t'embrasse ainsy que mes enfants; mes respects a ma mere. {['ay avec moy le compagnon de voiage le plus aimable et qui vous fait mille compliments/ [adresse :] A Madame / Madame Helvetius la jeune / rue Ste-Anne, butte St-Roch / vis-a-vis la rue des Orties / A Paris MANUSCRIT :; 'A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge portant les lettres "QUEEN CHARLOT"2; timbre de la poste : D'ALLEMAGNE3; indication manuscrite d'un postier : Fr. Kehl4. IMPRIME „ ... . ,..„ tnn I. Guillois, rp. 488-489. TEXTE *Le A: "le chemin". ^Le A: "nont". c Le I : "ce seroit vrai". d Omis dans le I. e Le A : "arrivay"./Post-scriptum ajoute en haut de la p. 3. NOTES EXPLICATES 1. Voir lettre precedente, note 4. 2. C'est le cachet qu'Helvetius avait

employe en Angleterre (v. lettre 522, note z). 3. Le bureau de Strasbourg timbrait ainsi les lettres qui lui parvenaient de Haute-Allemagne, c'est-a-dire de 1'Allemagne du Sud. 4. Franco [= port pave jusqu'a] Kehl. Cette ville, situee sur la rive droite du „, . , „ , , . , Knin, en rtace de Strasbourg, etait le lieu de relais des correspondances echangees entre la France et les multipies Etats de 1'Empire, dont les postes avaient pour "general hereditaire" le prince de Tour-et-Taxis, et pour directeur general, le baron de Lilien (y> ^ ^ ^ ^

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LETTRE 555

Mars 1765

555. Helvetius a Madame Helvetius [20 mars 1765]1 Nous nous arretons a Francfort, ma chere amie : le mauvais etat de nos roues et quelques visittes que mon camarade de voiage est oblige d'y faire nous y retient cet apres-dine. Nous partons demain a cinq heures du matin pour Gotha2. Je passe done mon apres-dine tout seul chez moy, mais j'ay emporte avec moy la tabatiere ou est ton portrait. Je te regarde et je suis chagrin, mais je ne m'ennuie point. Ne manque pas de me mander dans ta premiere lettre comment tu te portes, si tu as vu Mr Levret3, et ce qu'il t'a dit. Mande-moy aussy si tu as recu a Lumigny une lettre que je t'ai ecrit de Paris avant mon depart et que j'ay peur que St-Mart n'ait point mis a la poste4. Aime-moy, dis-le-moy dans toutes tes lettres; j'ay besoin de cette assurance pour mon bonheur. La ville de Francfort ou je suis est tres belle et tres riche. Les auberges y sont superbes. Tout y annonce un peuple riche parceque c'est une ville libre ou Ton dit et 1'on imprime tout ce qu'on veut. Adieu, ma chere amie, je t'embrasse ainsy que mes enfants. Adieu encor une fois. [adresse :] A Madame / Madame Helvetius la jeune / rue Ste-Anne, butte St-Roch / vis-a-vis la rue des Orties / A Paris MANUSCRIT

*A. Vore; 3 p. (demi-feuille pliee); orig. autogr.; cachet sur cire rouge (le meme que celui de la lettre precedente); timbre de la poste : [D']ALLEMAGNE; indication manuscrite d'un postier : fr K5. NOTES EXPLICATIVES

1. Voir lettre 553, note 4. 2. C'est done le 21 mars qu'Helvetius a du arriver a Gotha. Aussi est-il etonnant qu'Emanuel Christoph Klupfel (v. lettre 559, note 1) ecrive de Gotha a Grimm le 29 : "Mr Helvetius n'est pas encore arrive, quoiqu'attendu avec impatience. Apparemment il s'est arrete ou a Strasbourg ou a Mannheim. Qu'il vienne cependant 168

tot ou tard, il sera toujours le bien venu." (B.N., ms. fr., n. a., 1186, f° 106 verso.) Il est plus que probable que le copiste auquel nous devons le manuscrit non autographe de la lettre de Klupfel a mal transcrit la date de 1'original, lequel devait porter celle du 19. 3. Andre Levret (1703-1780), membre de 1'Academie royale de chirurgie, accoucheur de la comtesse d'Artois et de la Dauphine, et auteur de plusieurs ouvrages d'obstetrique. Au debut d'avril, Helvetius redemandera a son epouse si elle a vu Levret (v. lettre 557, par. 3), et a la date du 28 avril,

Avril 1765

LETTRE 556 il aura appris qu'elle est enceinte (v. lettre 561, par. 2). 4. Lettre 552. 5. Franco Kehl (v. lettre precedente, note 4). REMARQUES

Aucune lettre expediee par Helvetius a sa femme entre 1'envoi de la presente et 1'arrivee de 1'auteur a Potsdam n'est parvenue jusqu'a nous. Il a du lui ecrire au moins une fois pendant cette periode, car le 28 avril, il mentionne des felicitations que vient de lui adresser son epouse pour 1'accueil qu'il a rec,u a Gotha (v. lettre 561, lignes 2-4). Helvetius est parvenu a Potsdam le 4 avril 1765, car il annonce le lendemain a sa femme : "Je ne suis arrive que d'hier." (Voir lettre suivante, par. 2.) Cette arrivee avait etc retardee a la fois par sa visite a la duchesse de Saxe-Gotha, par une hake a Leipzig (v. lettre 559), et par la necessite de "raccommoder [ses] essieux" (v. lettre suivante, par. 1). Fre-

deric II pensait egalement qu'Helvetius atteindrait Potsdam plus tot: "Nous attendons ici M. Helvetius. Selon son livre, le plus beau jour de notre connaissance sera le premier, mais on dit qu'il vaut infiniment mieux que son ouvrage, qui, quoique rempli d'esprit, ne m'a ni persuade, ni convaincu." (Lettre a d'Alembert du 24 mars 1765, Preuss, XXIV, p. 395-396.) Le 9 avril 1765, d'Alembert fait part de ces renseignements a Voltaire, qui s'etait plaint le 25 mars de ce qu'Helvetius avait "une paralysie sur les trois doigts avec lesquels on tient la plume" (Best. D. 12499) : "Je viens de recevoir de votre ancien disciple une lettre charmante. Il me mande qu'il attend Helvetius, qui doit etre arrive actuellement. J'espere qu'il sera bien rec,u." (Best. D 12534.) Roth est done dans 1'erreur lorsqu'il affirme qu'Helvetius est arrive a Berlin le 26 ou le 27 mars (Roth V, p. 22, note 8).

556. Helvetius a Madame Helvetius A Postdam, le vendredy saint* [5 avril 1765] Si j'avois amene avec moy Lolotte, je scaurois le quantieme du mois, mais je vous ai laisse tous mes almanachs. Enfin, ma chere amie, me voila arrive a^1 Postdam assez fatigue et bien ennuie, mais j'ai regarde ton portrait dans la route, j'ay fait raccommoder mes essieux lorsqu'ils se sont casses, et me voila a Postdam. J'ay appris en arrivant que le Roy etoit malade, qu'il etoit a un chateau situe a un quart de lieue cde Postdamc nomme Sans-Soucy1, ou il ne voioit encor personne, quoique sa maladie se soit fort civilizee2. J'ay vu Mr Catt^3, son secretaire des commandements, pour qui j'avois des lettres. Il m'a annonce au Roy fort tard et des le lendemain Sa Majeste ea voulue que je lui fisse ma cour. Je luy ai done etc presente; il m'a recu avec toutes les graces imaginables4. Tout le monde scait que c'est un grand homme, mais il faut 1'avoir vu pour

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LETTRE 556

Avril 1765

scavoir combien il est aimable et seduizant. II a dans la conversation toutes les graces de Voltaire; c'est a cet egard 1'homme que j'ay vu qui lui ressemble le plus. Je vous en diray plus quand je le connoitray davantage. Son chateau de Sans-Soucy est tres agreable, decore avec gout et manificence. Postdam est un palais dont 1'exterieur est tres beau et tres noble5. Je n'en ai point encor vu les appartements, puisque je ne suis arrive que d'hier. Je ne vous parlerai ni de trotoire, ni de nimphe qui s'y promene comme a Londres6. Ce qu'on doit admirer icy, c'est le Roy et ses oeuvres. J'espere qu'aussitost ma lettre recue vous m'ecrirez, que vous me manderes comment vous vous portez. Je suis a cet egard dans la plus grande inquietude; ^cette ideW m'a accompagne dans toute ma route. Je ne puis vous exprimer, ma chere amie, combien je vous aime; je ne scais si c'est I'eloignement ou je suis de vous et la tendresse que vous m'avez marquee dans cet hivert, mais je sens que je ne vous ai jamais tant aimee, pas meme lorsque je vous ai epouse; vous m'etes plus chere, plus necessaire a mon bonheur. Je voudrois etre aupres de vous a Vore; je sens que c'est la" pour moy le sejour du bonheur. Adieu, ma chere amie, je t'embrasse mille fois; embrasse aussy pour moy mes enfants. "Si Mde la comtesse7 est a Vore, assure-la bien et de ma tendresse et de mon respect." Mon adresse est a Postdam, chez le conseillier de cour Hessertg8. [adresse :] A Madame / Madame Helvetius la jeune / rue Ste-Anne, butte St-Roch / vis-a-vis la rue des Orties / A Paris* MANUSCRIT :;

'A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; le cachet sur cire rouge represente deux hommes armes de piques qui tiennent un arc audessus d'une enclume, le tout surmonte d'une couronne; timbre de la poste : MASEYCK9; indication manuscrite d'un postier: Fr[anco] Wesel10. IMPRIME

I. Guillois, p. 489-490. TEXTE a

Omis dans le I. b Le A : "a (Berlin)". Le I : "d'ici". ''Le I : "Cott". e Le I : "voulut". ^Le I : "L'abbe Idee". 8Lecture incertaine.h La mention "au chateau de Vore, pres Remalard" a etc ajoutee a 1'adresse.

c

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NOTES EXPLICATIVES

1. Le petit palais de Sans-Souci fut construit entre 1745 et 1747 sur une hauteur dominant le nord-ouest de Potsdam. L'architecte Knobelsdorf lui donna exterieurement 1'aspect d'une demeure en rez-de-chaussee, et Frederic en fit sa residence preferee. 2. Le 28 mars 1765, le roi se trouve "alite d'une attaque de goutte depuis huit jours" (lettre de Frederic II au comte de Finckenstein), et le 29, il n'en est pas encore entierement remis (lettre au comte de Solms). (Politische Correspondenz Friedricbs des Grossen, Berlin, 18791939, 46 vol., XXIV, pp. 153 et 154.) 3. Voir lettre 548, note 2. 4. Le 5 avril, Frederic fait part de 1'arri-

LETTRE 556 vee d'Helvetius a la duchesse de Saxe-Gotha: "M. Helvetius m'a rendu, ma chere duchesse, la lettre dont vous avez eu la bonte de le charger pour moi. C'etait une raison de plus pour qu'il fut bien re§u ici, et je n'aurais pas etc etonne, s'il se fut arrete plus longtemps a Gotha pour avoir le bonheur de vous entendre et de jouir de votre charmante conversation. II m'a trouve sur le grabat, garrotte par une goutte impitoyable qui m'a assailli par tous les membres." (Preuss, XVIII, p. 252.) Cette meme arrivee d'Helvetius est mentionnee dans une lettre du 12 avril adressee par le comte de Stutterheim au comte de Fleming, ministre de Prusse a Dresde : "Le Sr Helvetius, celebre par son livre De I'esprit qu'il a ecrit et refute [ = retracte?], est arrive ici [a Berlin] de Paris, et s'est rendu a Potsdam pour y faire sa cour a Sa Ml*. On dit qu'il s'arretera deux mois ici." (Archives d'Etat, Dresde, loc. 3001, Stutterheim, conv. I, 1764-1765, f° 161 verso.) Le 27 avril, d'Holbach entretient Servan (v. lettre 545, note 1) du meme sujet: "M. Helvetius est tres content de 1'accueil qu'on lui a fait a Potzdam; le roi de Prusse quoiqu'attaque de la goute, a eu plusieurs conversations avec lui; notre voyageur m'en paroit enchante." (Musee royal de Mariemont, Morlanwelz-Mariemont, Belgique; M.-J. Durry, Autographes de Mariemont, 1955-1959, 4 vol., II, p. 558; et Sauter, lettre 14.) Ce succes avait d'ailleurs ete prevu par Voltaire : "Frere Helvetius reussira sans doute aupres de Frederic." (Best. D. 12549.) Dans sa Refutation de L'Homme, Diderot, qui avait refuse

Avril 1765 de passer par Berlin a son retour de Russie, accuse Helvetius d"'honorer le vice dans un protecteur"; "Helvetius, y declare-t-il, va a la cour de Denis [Frederic II]; Denis le comble de faveurs, et de ce moment il n'appellera plus Denis que le grand prince." (Diderot, CEavres, ed. Assezat & Tourneux, 1875-1877, 20 vol., II, p. 444.) 5. Le chateau royal de Potsdam s'elevait sur la rive droite du Havel, a 1'entree du Lustgarten. Construit entre 1660 et 1701, cet edifice etait le plus beau monument classique de la ville. Il a ete detruit en 1945 par des bombardements. 6. En mars 1764, Helvetius avait ecrit de Londres : "Les petits chapeaux, le petit tablier de gaze embellissent le jour toutes les femmes sur les trotoirs. Leur demarche est legere; on se croit au milieu de troupes de nimphes." (Lettre 519, par. 4.) La reaction de son epouse a ses observations 1'avait oblige a protester de sa fidelite : "Je n'ay pas vu de filles depuis que je suis icy" (lettre 521, par. 3). 7. La comtesse de Vasse. 8. Personnage inconnu de nous, a moins qu'il ne s'agisse de Friedrich Hennert, conseiller a la cour des comptes depuis au moins 1747 jusqu'en 1767 (v. G. F. von Schmoller & E. Posner, Die Behordenorganisation und die allgemeine Staatsverwaltung Preussens im 18. Jahrhundert, Berlin, 1894-1936, 15 vol., VII, pp. 238 et 240, VIII, p. 761, et XIV, pp. 424, 425 et 521; references aimablement fournies par Mme Martha Dow). 9. Maseyck (ou Maaseik), petite ville de Belgique situee sur la rive gauche

171

Avril 1765

LETTRE 557 de la Meuse et place forte occupee par les Prussiens entre 1740 et 1794. C'estparWesel (v. note lOciapres), Maaseik (centre postal d'Empire), Liege (ferme postale franchise du Pays de Liege) et Sedan (postes frangaises) qu'on acheminait vers Paris les lettres de Berlin et de Basse-Allemagne. 10. Wesel, ville fortifiee de Prusse, situee au confluent de la Lippe et du

Rhin, a 39 km au sud-est de Cleves. 11 etait convenu entre la Prusse et le prince de Tour-et-Taxis que les bureaux des postes royales de Wesel, Cleves, Emmeric et autres villes voisines devaient acheminer vers le bureau general des postes imperiales de Maaseik toutes les lettres destinees a la France qui leur parvenaient.

557. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 11 avril 1765]1 Je recois ta premiere lettre, je la lis et relis, je repand des larmes et t'adore. Je vois que tu m'aimes; ta lettre est bien differente de celles que tu m'ecrivois en Angletterre. J'etois dans la plus grande inquietude sur ta sante; j'etois reellement sur la roue. Je t'aime reellement a la folie; je suis au desespoir d'etre loin de toy. Ma vanite cependant pourroit etre icy tres satisfaite, mais elle est bien au-dessous de mon amour. Le Roy me traitte avec toute la bonte imaginable. Je dine tous les jours a Sans-Soucy. Je n'ai point" vu d'homme avoir autant d'esprit et de toutes les especes; il est d'ailleurs plein d'humanite. On ne le croit point a Paris, et cependant rien de plus vray; ^j'en puis^ citer mille traits. Il m'a fait dire par Mr Cattc2 que si vous etiez venu icy, il vous auroit fait presenter a la Reine3 et que vous eussiez fait tous les jours sa partie si cela vous avoit amuzee. On ne peut pas se defendre de Penthousiasme pour ce roy. Votre portrait a fait icy la meme fortune^ qu'a Gotha : on vous trouve charmante. Tout le monde voudroit que vous vinssiez dans ce pais-cy et s'empresseroit a vous plaire. Tu as, ma chere amye, vraissemblablemente vu Mr Mabille4 et tu luy auras recommande notre chemin. Je ne scais quel est ce M r Barette5 dont tu me parle et que tu dois voir. Mande-moy encor, ma chere amie, si tu as Ana Levrette6 et/ ce qu'il t'a dit. N'oublie point5 de me marquer si tu as recue a Lumigny la lettre que je t'ai ecrit de Paris avant mon depart et qu'on pourroit peutestre avoir renvoie a ma mere; je suis inquiet de cette lettre, et si tu 1'as lu, tu dois scavoir pourquoy7. Quant a Mlle de Chenoise, dis-lui combien je suis louche de 1'amitie qu'elle me marque et a vous aussy, en vous suivant a Vore. Je vous envoie une lettre pour elle a 1'occasion de celui qu'elle protege et me 172

Avril 1765

LETTRE 557

recommande ou* je luy explique pourquoy il m'est impossible de faire ce qu'elle desire8. Si vous voulez que je vous parle de chateaux, je vous diray que la facade du cote ou je loge est la plus belle du monde, que le palais de Sans-Soucy, que je regarde comme le Trianon du roy de Prusse, est charmant et' meuble, decore avec tout le gout et la manificence possible, que la galerie des tableaux est un vaisseau encore plus beau que la galerie de Versailles.;Les jardins sont fort agreables et partout ornes de statues.7 Les troupes sont fort belles : elles manoeuvrent a merveille et cela ne vous fait pas grand'chose. S'il vous importe de scavoir combien je vous aime, je vous diray que c'est a la folie. Aimez-moi de meme si vous pouvez. Je suis bien fache d'estre un vieux mari, de n'avoir plus la figure qui m'a d'abord fait aimer de vous, mais tachez de vous contented de moy tel que je suis et croiez que c'est un grand bonheur de s'aimer. Je ;le sens' dans ce moment plus que jamais. Adieu, ma belle femme. ;Mille respects a Mde de Vasse et a Mlle de Chenoise.; Embrase mes enfants. ;

Je ne scais ce que je dis9. C'est a Paris qu'il faut que j'adresse ma reponse a Mlle de Chenoise.' MANUSCRIT

*A. Vore; 4 p.; orig. autogr. IMPRIME

I. Guillois, p. 491-492. TEXTE

"Le I : "pas". hLe I: "j'espere". cLe I: "Cott". JLe I : "fureur". eLe I : "tres probablement". ^Le I : "rec,u". g Le I: "pas". hLe I: "dans laquelle". !Le A: "est", mot omis dans le I. 'Omis dans le I. * Le I : "souvenir".' Le I : "te veux".

4.

5.

NOTES EXPLICATIVES

1. Le premier diner d'Helvetius a SansSouci en presence de Frederic II, malade a son arrivee, n'a pas du avoir lieu avant le 7 avril, et quelques jours ont du s'ecouler ensuite, pour qu'il puisse ecrire, dans la presente lettre, qu'il dine tous les jours au palais. 2. Voir lettre 548, note 2. 3. Elisabeth Christine (1715-1797), fille de Ferdinand Albert, due de Bruns-

6. 7.

8.

wick-Wolfenbiittel, et cousine germaine de Marie-Therese d'Autriche, avait epouse Frederic II en 1733. Elle cultivait les lettres et recevait a sa cour et a sa table les membres de 1'academie de Berlin. Probablement Francois Pierre Mabille (1702-1768), secretaire du roi, commissaire ordonnateur des guerres, et directeur des vingtiemes de la generalite de Paris (v. A.N., Y 13396). II s'agissait peut-etre de Jean Baptiste Luc Barret, greffier en chef de la chambre des Requetes du Parlement depuis 1743. Voir lettre 555, note 3. Dans la lettre 552, envoyee a sa femme juste avant son depart de Paris, Helvetius avait ecrit qu'il avait etc "peu affecte" par les pleurs verses par sa mere au moment ou il 1'avait quittee. Mlle de Chenoise (v. lettre 497, note 6) avait sollicite 1'intercession

173

LETTRE 558 d'Helvetius pour faire admettre un de ses proteges dans les troupes du roi de Prusse (v. lettre 561, par. 1). 9. Selon une lettre de Mme Belot a

Avril 1765 Devauxdu lOavril 1765, MmeHelvetius se trouvait alors a Vore (B.N., ms. fr., n. a. 15582, f° 22 recto.)

558. Friedrich Melchior Grimm a Louise-Dorothee de Saxe-Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha Madame,

[•-.] J'ai reconnu cette bonte adorable dans la reception que Votre Altesse a faite au bon Helvetius et dont il est vivement touche. Jl en parle avec la surprise d'un homme qui voit pour la premiere fois la raison eclairee et la veritable bonte reunies au rang souverain. J'ai assez bonne opinion de lui pour croire qu'apres avoir vu et connu le grand homme aupres de qui il doit etre dans ce moment-ci, il n'en conservera pas moins le souvenir attendrissant et plein de charmes de la grande princesse qui regne sur tous les coeurs de ses sujets et de ceux qui n'ont pas le bonheur de 1'etre. Ce que Votre Altesse presume de son succes aupres du grand roi me fait encore un sensible plaisir, car j'ai craint quelquefois que sa simplicite et sa bonhomie mises en parallele avec le semillant du philosophe d'Alembert ne fussent exposees a quelque comparaison defavorable pres d'un monarque vif comme le salpetre, d'une vue pergante comme 1'aigle qu'il porte sur sa poitrine, et que je crois peu capable de revenir d'une premiere impression. Le bon Helvetius n'a pas etc lui-meme exempt de cette inquietude, et connaissant votre bonte, Madame, je lui ai dit que personne ne pouvait le conseiller plus surement que Votre Altesse Serenissime. [...] A Paris, ce 15 avril 1765 MANUSCRIT

REMARQUES

*A. Archives d'Etat de Weimar, Geheimes Archiv Gotha E XIII a, n° 16, ffos 408 recto-408 verso et 409 verso; 4 p.; orig. autogr.

Le succes que Grimm souhaitait voir Helvetius remporter "aupres du grand roi" sera d'abord relatif, comme en temoigne une lettre adressee par ce dernier le 19 avril au comte Victor Friedrich de Solms-Sonnenwalde, ministre de Prusse a Saint-Petersbourg : "II y a ici un nomme Helvetius, venu de France, mais qui est un homme de lettres et du

IMPRIMES

I. Revue des documents historiques, V (1878), p. 42-43. II. Corr. litt., XVI, p. 431-432.

174

LETTRE 559

Avril 1765

tout pas capable de faire le negociateur et, d'ailleurs, tres mal avec la cour de France." (Politische Correspondenz Friedrichs des Grossen, Berlin, 1879-

1939, 46 vol., XXIV, p. 171.) Pour le role diplomatique joue par Helvetius au cours de son sejour en Prusse et apres son retour en France, voir lettre 562.

559. Emanuel Christoph Kliipfel1 a Friedrich Melchior Grimm A Gotha, ce 20 avr[il] 1764 [=1765] [...] Mr Helvetius a fait des miracles. Les lettres & commissions dont vous 1'avies chargees ne pouvoient pas etre en meilleure main. Je 1'ai vu le lendemain de son arrivee d'asses bonne heures. Ses paquets etoient ranges sur sa table et j'eus le mien dans le moment meme. Comme cela prouve qu'on devient quelquefois meilleur en parcourant le monde, il faut croire que cette bonne4 qualite a augmente en raison du chemin a faire & qu'il n'a pas etc moins exact a Leipsic2 qu'a Gotha. Vous aves ajoute a mon bonheur en me procuram la connoissance de ce digne philosophe. Le peu de terns qu'il a reste ici, il a merite toute mon estime & je me flatte d'obtenir du retour de sa part, quand nous jouirons Me lui plus longtems^ en repassant par Gotha. II m'a promis de faire alors quelque sejour en cette ville & j'assure tout le monde qu'il tiendra parole. Je ne vous parlerai pas des sufrages de la cour qui tous ont etc reunis pour lui. Mad. la D[uchesse], le pri[nce] herid[itaire]3, Mad. de Buch[wald]4 vous en ont parle bien mieux que je ne lec saurois faire. Vous pouves donner a leurs expressions le sens le plus etendu sans risquer de les interpreter trop favorablement. De 1'autre cote, je ne suis pas moins persuade que Mr Helvetius a senti tout le bien qu'on lui veut & tout le cas qu'on fait d'un homme tel que lui. Il est heureusement arrive a Potsdam. II a vue le Roi malgre la goute dont ce monarque se trouve incommode. Il paroit par la lettre5 qu'il a ecrit a Mad. de Buchwald, qu'il ^a trouve^ le Roi encore plus grand que la renommee [ne]e le lui avoit peint. Il dit qu'il est seduisant comme Voltaire quand il veut plaire, & a 1'occasion du chateau de Sans-Soucy il ajoute que d'un coup de pied il fait sortir de la terre des chateaux et des armees. Son premier entretien avec le Roi a dure plus d'une heure. Mais revenons a Helvetius a Gotha. Son amitie pour vous est sans bornes. Il a trouve a qui parler^ & ces momens n'ont pas etc gles moins delicieux & pour lui et pour vos amisg. Son compagnon de voyage, M. de Podewils*, a etc aussi eloquent 'a ce sujet &' je n'oublierai jamais qu'il nous [a]e assure que vous & Helvetius passies dans tout7 Paris pour les plus aimables & les plus dignes de votre societe.

175

LETTRE 560

Avril 1765

J'en ai etc persuade il y a longtems, mais il est bien agreable d'entendre dire aux autres ce qu'on pense & ce qui fait tant de plaisir a etre pense.

[...] MANUSCRIT

'•A. B.N., ms. fr., n. a. 1186, f° 88 verso; 4 p.; orig. autogr. IMPRIMES

I. Corr. litt., XVI, p. 534-535. II. J. von der Osten, Luise Dorotbee, Herzogin von Sachsen-Gotha, 17321767, Leipzig, 1893, p. 289-290. TEXTE "Le A : "bonte", mot omis dans les I et II. ^Les I et II: "plus longtemps de lui". c Omis dans le II. ^Les I et II: "trouve". e Mot ajoute dans les I et II. f Le A : "parle". g Le I : "moins delicieux et pour vous et pour vos bons amis"; le II: "moins delicieux pour vous et pour vos bons amis". hLe I : "Poellnitz"; le II: "Pollnitz". ' Les I et II : "et a ce sujet". > Mot omis dans le II.

2.

3.

NOTES EXPLICATIVES

1. Kliipfel (1712-1776), ami d'enfance de Grimm, avait etc nomme en 1741 pasteur de 1'eglise lutherienne de Geneve apres avoir etudie la theologie a Tubingen. A la suite d'un sejour

4. 5.

de trois ans a Paris (1747-1750), ou il avait exerce la fonction de chapelain du prince hereditaire Frederic de Saxe-Gotha (mort en 1756), il avait raccompagne celui-ci a Gotha, pour y etre nomme en 1752 vice-president du Consistoire. En collaboration avec Guillaume de Rotberg, il avait fonde en 1764 YAlmanack de Gotha. Rappelons que la traduction allemande de L 'Esprit avait paru a Leipzig en 1760, et que la preface etait due a Gottsched, professeur a Puniversite de cette ville (v. lettre 454, note 6). Ernest Louis de Saxe-Gotha (17451804) allait epouser en 1769 Marie Charlotte Amalie de Saxe-Meiningen et succeder en 1772 a son pere, Frederic III. En decembre 1768, Helvetius le recevra rue Sainte-Anne et lui offrira un exemplaire de L'Esprit, qui est conserve actuellement a la bibliotheque ducale de Gotha (v. lettre 425, note 26). Voir lettre 549, note 2. Lettre non parvenue jusqu'a nous.

560. Helvetius a Madame Helvetius [22avril 1765]1 Le Roy, ma chere amie, a toujours pour moy les memes bontes. II desireroit beaucoup que vous fussiez a Berlin et que vous vous y plussiez; il me 1'a encor fait dire par Mr Catt. On a meme fait courir a Berlin le bruit de votre arrivee incognito et le prince roiaP2 me 1'a dit. Je voudrois bien que vous eussiez ce chapeau avec lequel on etoit dans le moment transporte ou Ton vouloit3. Je t'avoue que je serois bien aize de te voir et de t'embrasser. Il me semble qu'il y a mille ans que je sois separe de toy et je ne dis pas

176

LETTRE 560

Avril 1765

encor la-dessus tout ce que je sens. Donne-moy des nouvelles de ta sante. Je me porte bien, mais je ne fais point icy d'exercice; je sens qu'il est necessaire a ma sante et que je me porterois mieux si j'etois avec toy a Vore. L'honneur de faire ma cour a un grand roy ne me dedomage^ point du plaisir de te voir. Si tu etois icy avec moy, je me trouverois tres bien. Les jardins du Roy sont fort agreables. On y voit une colonade d'un meilleur gout que celle de Versailles. II y a surtout un pavilion chinois4. Ah! ma femme, si tu le voiois, tu en seroisc folle. Le Roy fait batir au bout'' de ce meme jardin un palais qui sera de la plus grande beautee5. Le prince paie icy mon loier; il n'a pas voulu que je fusse loge a mes depends. Vous sentez^ bien que ce n'est pas 1'epargne de 1'argent qui me g rend cetteg faveur agreable mais la marque d'estime et de bonte qu'il me donne. Nous sommes aujourd'huy au vingt-deux d'avril; je compte tous les jours ou je suis loin de toy. C'est d'aujourd'huy qu'il commence a faire chaud; nous avions encor avant-hier de la neige. Tout fleurit icy quinze jours plus tard que chez nous; il n'y a point encor de feuilles aux arbres. Sans 1'esprit du Roy qui anime, qui feconde et qui ^vivifie tout, on y seroit^ dans un etat de langueur tres desagreable. Il n'y a que luy icy; il est vray qu'il en vaut luy' seul beaucoup d'autres. Adieu, ma tres chere et tres aimable femme; je t'embrasse de tout mon coeur. Toute mon ame est avec toy; je ne t'ay jamais plus aime et plus desire. Embrasse mes enfants; dis-leur que je les aime de tout mon coeur et qu'elles7 se souviennent quelquefois de moy. Mr de Catte^, secretaire des commandements, ainsy que milord marechal6, me donnent icy mille marques de bonte. Adieu, je t'embrasse encor. 'Il ne faut pas oublier, ma femme, d'affranchir vos lettres7. Je vous ai envoie mon adresse a Postdam. En tout cas Postdam suffit/ [adresse :] A Madame / Madame Helvetius la jeune / rue Ste-Anne, butte de St-Roch / vis-a-vis la rue des Orties / A Paris'" MANUSCRIT ::

"A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; fragments de cachet sur cire rouge (le meme que celui de la lettre 554); timbre de la poste : [MJASEYCK; indication manuscrite d'un postier : Fr[anco] Weesel. IMPRIMfi

I. Guillois, p. 493-494.

A : "beaute. {Le Roy)".^Le I : "pensez". Le I : "rendra sa". h Le I : "vivifie, tout, ici, serait".' Le I : "a lui". >' Le A : "quel"; le I : "qu'ils". *Le I: "Cott". ' Postscriptum ajoute en haut de la premiere page. m La mention "au chateau de Vore / pres Remalard" a ete ajoutee a 1'adresse.

g

NOTES EXPLICATIVES

TEXTE h

" Le I : "Vivale". Le I : "dedommagera". c Le I : "deviendrais".d Le I : "fond".e Le

1. Voir deuxieme paragraphe. 2. Voir lettre 548, note 3. 177

LETTRE 561

Avril 1765

3. Allusion au heros d'un roman populourd que celui de 1'Allemagne du laire allemand du XVe siecle, FortunaSud, est elegant et spacieux. tus, qui possedait un chapeau 5. 11 s'agit du "Neues Palais", construit enchante qu'il n'avait qu'a mettre sur dans le pare de Sans-Souci de 1763 a sa tete pour etre transporte la ou il le 1769. Frederic 1'utilisait pour 1'admidesirait. La traduction franchise, intinistration de sa cour, ainsi que pour tulee Histoire des advantures de Fory donner des fetes et y recevoir ses tunatus (Rouen, 1626) et due a notes en etc, mais il lui preferait le Charles Vion d'Alibray, faisait partie palais de Sans-Souci. Voir 1'ouvrage de la Bibliotheque bleue. de N. Mitford, Frederick the Great 4. Le petit pavilion de the (Chinesische (Londres, 1970, p. 255-258), qui Teehaus), construit par Biiring en contient trois photos de ce palais. 1754 au sud-ouest du palais de Sans- 6. Voir lettre 513, note 1. Souci, est assez isole. L'exterieur est 7. L'affranchissement des lettres expeun hommage au gout du temps pour dices de France vers Petranger etait les chinoiseries, genre ne en France exige jusqu'au premier relais frontasans doute en meme temps que le Her, probablement Maaseik pour celterme. L'interieur, en revanche, deles destinees a la Prusse (v. lettre 556, core en un rococo prussien moins note 9).

561. Helvetius a Madame Helvetius A Postdam, ce 28 avril [1765] Eh bien, ma chere femme, mon cher ange, vous m'aimez done encor. Vous me felicitez bien de la maniere dont j'ay etc recu a Gotha et vous ne me felicitez pas de la fortune" qu'y a fait votre portrait. Cependant ma femme est a moy comme les petits talents que je puis avoir; j'en suis aussy vain que de tout ce que j'ay fait et puis faire. Vous devrez^ au moins partager le plaisir que j'ay eu quand on vous a trouvez si belle. Je n'auroisc pas la meme reconnoissance pour tous ceux qui vous trouveront belle a Paris et j'ay mes raisons pour cela. Je suis enchante que vous ayez Mlle de Chenoise avec vous; c'est une nouvelle obligation que je luy ai. Je ne scais si elle aura recu la lettre que j'ai eu 1'honneur de luy ecrire a Paris, et dans laquelle je luy mandois Pimpossibilite ^ou j'etois^ en terns de paix de faire entrer son protege dans les troupes du roy de Prusse. II croite que nos officiers ne sont pas capables de 1'exactitude que demande son service. Le Roy a toujours pour moy les [memes] bontes; je le vois tous les jours. Je scais^que je luy plais beaucoup : Mr de^Catte, secretaire de sesg commandements, 1'a mande a Mrs d'Alembert et Grim. Enfin, le roy, comme je Vous 1'ai deja mande*, voudroit vous avoir icy, quoiqu'il n'aime point, dit-on, prodigieusement les femmes. 178

Avril 1765

LETTRE 562

II est constate, ma chere amie, que vous etes grosse1; revenez done a Paris aussitost ma lettre recue. N'attendez pas le mois de juin; pourquoy risquer? Vous scavez combien vous m'etes chere, que ma vie est attachee a la votre; ne risques done pas ma vie, je vous prie. Menagez-vous bien et que je vous retrouve en bonne sante. J'espere a present recevoir toutes les semaines de tes lettres. Je n'en ai recu encor que deux et me voila deja a la moitie de mon voiage. Tu ne peux pas imaginer le plaisir que j'ay a les recevoir et a les lire. Oh! tu es plus aimable cette annee que 1'annee passee : tes lettres etoient a la glace et j'avois en verite bien raison de croire que tu ne m'aimois plus. Puisque 1'amour est de retour, je le salue de tout mon coeur et suis fort aize de le revoir. Adieu. Mille respects a Mlle de Chenoise. Embrasse bien mes enfants et dis-leur combien je les aime et que j'espere que Lolotte la dedaigneuze et 1'espiegle Adelaide ne m'auront point oublie. [adresse :] A Madame / Madame Helvetius la jeune / rue Ste-Anne, butte St-Roch, vis- / a-vis la rue des Orties / A Paris' MANUSCRIT

NOTE EXPLICATIVE

/\. Vore; VVJ1C, J d U L U g l . , mCllCl 'A. 3 |J., p.; Ullg. orig. autogr.; cachet SUI sur cire rouge (le meme que celui de la lettre 554); timbre de la poste : MASEYCK; indication manuscrite d'un postier: Fr[anco] Weesel.

1. Mme Helvetius, apres avoir consulte 1'accoucheur Levret (v. lettre 555, note 3), avait sans doute confirme a son mari qu'elle etait enceinte. Elle fera une fausse couche en mai ou juin, car le 4 juillet, Mme Belot (v. lettre 497, note 8) ecrira a Devaux : "Notre ami Helvetius est revenu enchante du roi de Prusse. II est reparti pour Vore ou sa femme est seule. Sa grossesse n'a plus lieu a ce qu'il paroit, et cependant elle se porte bien." (B.N., ms. fr., n. a. 15582, f° 27 verso.)

:;

IMPRIME

I. Guillois, p. 494-495. TEXTE

" Le I : "fureur". b Le I : "devriez".c Le I : "aurai". d Omis dans le I. e Le I : "court". ^Le I : "dirai". gLe I : "Cott, secretaire des". hLe I : "1'ai deja ecrit". 'La mention "Au chateau de Vaure, pres Remalard" a etc ajoutee a 1'adresse.

562. Helvetius d Charles Augustin Feriol, comte d'Argental1 Monsieur le comte, Vous m'avez recommande lors de mon depart de Paris de profiler de toutes les occassions pour assurer le roy de Prusse de 1'estime et du respect que la France a pour luy. Je puis vous certifier qu'il n'est point aigri contre la nation. II est surement trop grand homme pour se conduire par humeur.

179

LETTRE 562

Avril 1765

Je vous diray de plus, c'est qu'il m'a parle avec estime de M r le due de Pralin2 et de Mr le due de Choiseuil. II loue beaucoup ce dernier d'avoir fait le pacte de famille3; il regarde cette negotiation comme un trait de genie. 11 sent d'ailleurs combien il est interressant pour le roy de France de conserver en faveur deux ministres qui peuvent luy etre si utiles. Je ne puis a cet egard douter de la verite des sentiments du Roy. J'ay Phonneur d'etre connu de luy par milord marchal4; il scait tres bien que je ne suis pas un espion, et je ne vous eu en effet rien dit de 1'opinion qu'il avoit de Mrs les dues de Pralin et de Choiseuil, si elle leur cut etc desavantageuse. Les dispositions du roy a notre egard ne peuvent done etre plus favorables. L'on pourroit profiler de ce moment pour luy faire quelques ouvertures, suppose que Messieurs les dues de Pralin et de Choiseuil eussent a cet egard quelque projet. Vous scavez, Monsieur le comte, que je ne desire point d'etre charge" de cette commission. Ma femme est grosse, et je ne resteray que deux mois dans cette cour ou 1'on me comble de bontes. Dans la conversation que j'ay eu 1'honneur d'avoir avec vous avant mon depart de Paris, il m'a semble que vous pensies comme moy que les deux nations par leurs positions respectives doivent tost ou tard s'allier, et que c'est leur commun avantage. Si dans la derniere guerre nous n'eussions point etc 1'amy de la reine de Hongrie5, il est vraisemblable ou que nous nous fussions dedomage par la prise des Pais-Bas de nos pertes en Amerique, ou que nous eussions force les Anglois d'abandonner leurs conquetes. Vous pouvez, je crois, Monsieur le comte, montrer cette lettre a Monsieur le due de Pralin et a Monsieur le due de Choiseuil; elle leur sera du moins agreable, comme les assurant de 1'estime d'un grand roy. Je suis, avec respect, Monsieur le comte, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius A Postdam, ce [28, 29 ou 30f6 avril 1765 MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

:;

1. Le comte d'Argental (v. lettre 10, note 4), voisin et grand ami du due de Praslin, etait depuis 1759 ministre plenipotentiaire du due de Parme (v. lettre 594, note 6) aupres du roi de France, fonction qu'il allait conserver jusqu'a sa mort (1788). Ses relations

"A. Universite Yale, fonds Franklin; 3 p.; orig. autogr. TEXTE

a

Le A : "charge (d'aucune)". b Helvetius a omis le quantieme.

180

Avril 1765

LETTRE 562

2.

3.

4. 5.

avec plusieurs ministres et le role d'intermediaire qu'il a joue entre divers personnages et les autontes pendant de nombreuses annees supposent qu'il assumait, au moins officieusement, certaines responsabilites relevant surtout du ministere frangais des Affaires etrangeres. Cesar Gabriel, comte de ChoiseulChevigny, puis due de Praslin (17121785), fils d'Hubert de ChoiseulLa Riviere et d'Henriette Louise de Beauvau. Apres une longue carriere militaire qu'il avait terminee avec le rang de lieutenant general des armees du roi, il avait remplace Choiseul comme ambassadeur a Vienne (17581761) et avait represente la France lors des pourparlers de paix francobritanniques qui avaient eu lieu de mars a septembre 1761. Nomme ministre d'Etat et secretaire d'Etat aux Affaires etrangeres en octobre 1761, il allait le rester jusqu'au 5 avril 1766, pour etre alors nomme ministre de la Marine. Il conservera ce poste jusqu'en decembre 1770, date a laquelle il sera disgracie en meme temps que son parent Choiseul, dont il avait ete le second dans 1'exercice de ces deux fonctions mimstenelles. Nom donne au traite conclu le 15 aout 1761, a 1'initiative de Choiseul, entre les monarques bourbons d'Espagne, de France, de Naples et de Parme. William Pitt, qui allait rester jusqu'au 5 octobre secretaire d'Etat charge de la conduite de la guerre (v. lettre 519, note 2), ayant appris en septembre 1'existence de ce pacte secret, en avait tire argument pour rompre les negociations de paix franco-britanniques. George Keith (v. lettre 513, note 1). Marie-Therese d'Autriche.

6. La presente lettre, ou il est mentionne que Mme Helvetius est enceinte, est concomitante ou posterieure de peu a la precedente, dont il resultait qu'Helvetius venait d'avoir confirmation de la grossesse de sa femme. REMARQUES

D'apres la minute diplomatique suivante, conservee aux archives des Affaires etrangeres (Restitution de correspondance 1661-1806, vol. Ill, p. 42), la presente lettre semble avoir fait partie d'une serie de pieces que le comte d'Argental y avait deposees en 1777 : "Etat des papiers remis au depot des Affaires etrang es en Xbre 1777 par M. le C te d'Argental, ministre plenipre de 1'Infant due de Parme. 16 pieces dont huit de lettres ou billets originaux et huit en copies de Mrs Helvetius et Grimme a M. d'Argental et a Mrs les dues de Choiseul et de Praslin, et de la Psse de Saxe-Gotha a Mr Grimme ecrites dans le courant de 1'annee 1765. J'ai regu ces pieces a Versailles le [quantieme laisse en blanc] Xbre 1777. Na. Un precis de ces lettres a ete mis sous les yeux de M. le Cte de Vergennes." Une copie du precis en question (Aff. etr., Prusse, Suppl. 7, f° 79 recto - 80 recto; Keim, p. 712-713) se lit comme suit (les dates que nous mettons entre parentheses se trouvent dans la marge): "Du depot des Aff res etrangeres le 28 bre X 1777. Le ministre a vu cette note. Precis des lettres et billets de Mrs Helvetius et Grimme a M. d'Argental et a Mrs les dues de Choiseul et Praslin et de la princesse de Saxe-Gotha a Mr Grimme. (1765 avril) M. Helvetius, dans un voyage qu'il avoit fait a Berlin au mois d'avril 1765, avoit temoigne au roi de Prusse 1'estime que la France conservoit

181

LETTRE 562 pour lui, et il avoit reconnu en ce prince de pareilles dispositions pour la nation. Ces sentimens d'estime qu'il lui avoit aussi montres etre les memes pour Mrs les dues de Praslin et de Choiseul, avoit fait naitre a Mr Helvetius 1'idee de rapprocher les deux cours. Dans plusieurs lettres qu'il ecrivit dans le courant de cette annee a Mr d'Argental, ministre plenipotentiaire de 1'Infant due de Parme, il lui fit part de ces vues. (mai 6) Ce ministre les avoit communiquees a Mr Grimme, qui jugea que la princesse de Saxe-Gotha, douee d'un esprit superieur et en qui Sa Majeste prussienne avoit beaucoup de confiance, seroit un canal tres propre pour les faire reussir. Mr Helvetius s'etoit ouvert a cet egard plus particulierement avec ce prince, (juin 4) Sa Mt6 prussienne, apres quelques reproches sur la conduite de la France qui lui avoit fait la guerre, se montra assez dispose a se rapprocher du Roi, mais en meme temps tres eloigne de faire les avances. Elle s'eleva contre 1'alliance que le Roi avoit contracted avec la cour de Vienne, et trouva aussi qu'il seroit de 1'interet de Sa Majeste qu'elle s'unit avec Pjmperatrice de Russie par un traite de commerce, ce qui seroit tres nuisible a 1'Angleterre. (aout 13) Cette espece de negociation prit quelque consistance en aout. M. Helvetius envoya a Mr d'Argental une lettre du roi de Prusse qu'on n'a point, et en ecrivit alors a Mrs les dues de Choiseul et de Praslin. A la cour de Berlin on craignoit que la France ne se vantat des avances qui lui seroient faites. Pour dissiper cette crainte, Mr Helvetius proposa de concerter la nomination des ministres de part et d'autre, de fagon qu'elle fut faite et rendue publique le

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Avril 1765 meme jour. (1765 septembre) Dans le mois de septembre suivant, Mr Helvetius regut ordre de laisser la cette affaire. (Sans date) Quelque terns apres, le roi de Prusse lui demanda des Frangois pour regir ses finances. M. Helvetius ayant trouve une compagnie, demanda pour ceux qui la composoient des passeports pour leur voyage a Berlin, et en prit occasion de marquer a M rs les dues de Choiseul et de Praslin que toute 1'Allemagne protestante, et en particulier la princesse de Gotha, souhaiteroient ardemment de voir la bonne intelligence retablie entre les cours de Versailles et de Berlin, et qu'elle se chargeroit volontiers de cette negociation. Jci finit la petite collection de ces lettres et billets au nombre de seize remise par Mr d'Argental a Monseigneur le comte de Vergennes en decembre de la presente annee 1777." Des seize lettres qui appartiennent a cette collection, quinze sont toujours conservees aux Affaires etrangeres (C.P. Prusse 186), portent chacune un numero, et figurent dans la presente edition : nos 2 (lettre 564), 3 (569), 4 (570, note 1), 5 (570), 6 (570, Remarques), 7 (587), 8 (588), 9 (589), 10 (590), 11 (592), 12 (592, note 1), 13 (594), 14 (595), 15 (596) et 16 (597). Seule la premiere lettre de la serie est manquante, et est sans doute la presente lettre, car sa teneur correspond etroitement a celle du debut du precis figurant ci-dessus, et elle porte 1'indication "n° ler" en haut de la premiere page. On ignore comment elle a pu sortir des Archives et passer en vente (v. le fichier Charavay, et Keim, p. 501, note 3, et p. 502, note 1).

LETTRE 563

Mai 1765

563. Helvetius a Madame Helvetius A Postdam, ce 5 may* 1765 Je comptois, ma chere amie, recevoir hier de tes nouvelles; j'ay envoie a la poste et j'ay appris qu'elle n'etoit pas arrivee, parceque les rivierre etoient encor debordees. Tant mieux, j'en suis moins inquiet. Je n'imagine pas que c'est indifference de ta part; je t'aime trop pour que tu ne m'aime point un peu. Nous sommes unis par les liens de Pamour, de 1'amitie et de 1'interest; il est impossible que ces liens te soient a charge. J'aime a penser que tu m'aime; je serois trop malheureux d'en douter. En tout cas, ma belle dame, vous scavez que je suis fort bien dans 1'esprit du roy de Prusse. Si vous me chassez de chez moi, vous voiez que j'auray un grand prince pour consolateur. Je serois cependant bien attrappe si tu me disois que tu ne m'aimes plus et que je reste sans toy en Prusse. II n'y auroit, ma foy, ni place ni gloire qui put me consoler. Je sens reellement que je t'aime de toute mon ame, et je voudrois etre aime de meme. Le Roy commencera le 16 ou dixsept de may" a exercer luy-meme ses troupes1. J'iray pendant ce tems-la a Berlin ou je n'ay pas encor etc. Le Roy y reviendra sur^ la fin du mois de may2. Je luy feray ma cour et m'arrangeray pour partir dans les premiers jours de juin et aller vous retrouver. J'ay toute 1'impatience possible de te revoir et d'embrasser d'abord toy puis mes enfants. Dis-leur, je t'en prie, car je les aime trop pour ne pas desirer aussy qu'ils m'aiment. Ditesc mille choses pour moy a Mlle de Chenoise; il est fort beau a elle de vous avoir suivi dans votre solitude. C'est une obligation que je luy ai et dont je suis tres reconnoissant. J'espere que ^votre amour pour les fleurs^ et votre petit jardin ne vous retiendront pas trop a Vore et que vous serez a Paris au plus tard a la fin de ce mois. Adieu, ma belle femme; je t'embrasse de toutes mes forces. [adresse :] A Madame / Madame Helvetius la jeune / rue Ste-Anne, vis-avis la rue des / Orties, butte St-Roch / A Paris" MANUSCRIT

TEXTE

:;

"A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge (le meme que celui de la lettre 554); timbre de la poste: MASEYCK; indication manuscrite d'un postier : Frfanco] Weesel.

*Le I : "mars". *Le I : "dans". c Le I : "Dis".d Le I : "1'amour pour vos fleurs". e La mention "Au chateau de Vore, pres Remalard" a etc ajoutee a 1'adresse.

IMPRIME I. Guillois, p. 490-491.

1. Tous les ans, a la mi-mai, le roi passait en revue les regiments de Berlin et de Potsdam. Pour ce qui est de mai 1765,

NOTES EXPLICATIVES

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Gravure de Frederic II, roi de Prusse, par Chodowiecki d'apres un tableau du au meme artiste

LETTRE 564 le roi a d'abord passe en revue les garnisons locales dans le Tiergarten, les 11 et 12, puis a precede a une "generalreviie", dont Helvetius a sans doute ete le spectateur, les 21, 22 et 23 (v. Berlinische Nacbrichten von Stoats- und Gelehrten Sachen, nos 58, 61 et 62). D'apres Boswell, qui avait assiste a une revue a Potsdam en 1764, le roi etait "vetu d'un habit d'un bleu uni portant une etoile, et d'un chapeau simple a plume blanche" (Boswell on the Grand Tour: Germany and Switzerland 1764, ed. Pottle, Londres, 1953, p. 23; traduction). Des activites analogues avaient lieu en d'autres saisons : celles d'ete etaient surtout ceremoniales, alors qu'en automne, il s'agissait principa-

ai 1765 lement de manoeuvres en campagne. Dans son Testamentpolitique, Frederic a souligne toute 1'importance qu'il accordait a ces parades et exercices : "Si ces regiments n'etaient pas rassembles souvent et exerces en presence du maitre, tout le monde se negligerait." (Die Politischen Testament, ed. Volz, Berlin, 1920, p. 149.) 2. Les deplacements du roi, pendant le reste du sejour d'Helvetius, ont ete les suivants : il quitte Potsdam le 10 mai pour se rendre a son chateau de Charlottenburg; le 12, il rentre a Potsdam; le 19, il se rend de nouveau a Charlottenburg; enfin, il revient a Potsdam le 31 mai, avant de repartir pour Magdebourg le 2 juin.

564. Friedrich Melcbior Grimm a Charles Augustin Feriol, comte d'Argental Monsieur, Le peu de mots que vous m'avez fait 1'honneur de me dire au sujet de la lettre de M. Helvetius1 m'a fait venir des idees que je prens la liberte de vous communiquer. Vous ne me demanderez pas de quoi je me mele, parceque vous n'aurez point de peine a vous persuader qu'on peut s'interesser a ce qu'on croit le bien public, sans aucune vue particuliere. J'ai done pense que, suppose qu'on eut ici le projet de se rapprocher du roi de Prusse, on trouveroit difficilement un meilleur canal que celui de Madame le duchesse de Saxe-Gotha, 1. parceque tous les princes protestans d'Allemagne desirent vivement ce retour de liaison; 2. parceque la princesse dont j'ai 1'honneur de vous parler est attachee a la France et aime la nation par gout et par choix; 3. parceque c'est une princesse des plus eclairees, d'une sagesse et d'une prudence reconnues, et douee de toutes les grandes qualites qu'on attend de ceux qui gouvernent et qui sont necessaires a bien conduire une negociation delicate ou il ne faudroit compromettre personne.

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Mai 1765

LETTRE 564

J'en parle ave onnaissance de cause parceque je suis honore de ses bontes et de sa confi ce depuis douze ans pendant lesquels j'ai fait deux sejours a sa cour; 4. parceque cette princesse est sans contredit la personne de 1'Europe qui a le plus descendant sur 1'esprit du roi de Prusse, et que ce prince a pour elle la plus haute consideration et entretient avec elle un commerce de lettres tres suivi; 5. parceque, par ce moyen, quelles" que fussent ses dispositions a 1'egard de la France, on auroit du moins 1'avantage de les connaitre avec surete et sans detour; il n'en employeroit surement pas avec Madame la duchesse de Saxe-Gotha, et si cette princesse se chargeoit de quelque negociation, on pourroit s'attendre de sa part a une bonne foi et un zele sans reserve. Vous me trouverez, Monsieur, bien etrange de m'etendre sur un sujet peutetre absolument chimerique sans que vous m'ayez demande le moins du monde mon avis, mais je vous supplie de ne voir la-dedans qu'une bonne intention et ma confiance, et si mes idees sont deplacees, de jetter ma lettre au feu; si elles peuvent vous en faire naitre de meilleures, vous la brulerez encore, et dans touts les cas j'espere que vous voudrez bien vous dispenser de me faire une reponse qui ne pourroit qu'etre inutile, et attribuer ma demarche au desir que j'aurois de vous prouver le respectueux attachement avec lequel j'ai 1'honneur d'etre, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteiir, Grimm A Paris, ce 6 mai 1765 MANUSCRIT

*A. Aff. etr., C.P. Prusse 186, f° 289-290; 3 p.; orig. autogr. IMPRIMES

I. E. Scherer, Melchior Grimm, 1887, p. 207-208 (extrait). II. Hammond, p. 72 (extrait). III. Keim, p. 701 (extrait). TEXTE Mentions ajoutees en haut du A : "N° 2" (a 1'encre) et "1765. Mai 6" (au

186

crayon). Les I et II comportent seulement le second paragraphe de la lettre, et le III, le premier et le debut du second (jusqu'au mot "liaison"). "Le A : "quelques"; ce mot a ete corrige dans les I et II. NOTE EXPLICATIVE 1. Lettre 562.

LETTRE 565

Mai 1765

565. Helvetius a Madame Helvetius A Postdam, 13 may" 1765 Ma chere femme, j'ay recu hier une lettre de vous; je vois que vous m'aimez encor. Je suis au comble de ma joye, je lis, je relis votre lettre, je la baise et vous assure que je vous adore. Je suis bien^ etonne, ma chere amie, que tu n'ait pas recu ma lettre. Je t'ay ecrit tres regulierement; je t'ay mande toutes les marques de bonte que m'a donne le roy de Prusse. Tu as du recevoir une lettre de moy toutes les semaines. Je suis, ma chere amie, a trois cent lieues mais mon ame est toute entiere avec toy, elle voltige autour de toy, elle est a ta toilette, elle se couche avec toy, t'embrasse et te caresse. Vous voila cau treize de mayc. Le dixhuit je compte aller a Berlin1. Je 1'ay fait dire au Roy. J'y rendray mes respects a la Reine, au prince Henry2, je verray la ville, j'iray une fois ou deux assister a PAcademie3 et je compte me mettre en marche vers le quatre ou cinq de juin. Je resteray le moins que je pourray a Gotha; j'ay trop d'impatience de te revoir pour y sejourner longtems. Mais j'y avois etc si bien recu qu'il m'etoit^ impossible de me refuser a 1'honneur de leur faire une seconde fois ma cour. J'ay une pretexte e dont je feray usage. Quand vous recevrez cette lettre, ma chere femme, je seray trop pres de mon depart pour que vous y fassiez reponse : ^elle n'arriveroit^ que lorsque je seroisg en route. Je voudrois bien avoir deja passe Gotha. Ma route me conduit a Nancy4; je m'y arreteray une demiejournee ^pour voir Mr le comte Joseph^75. Je voudrois deja y etre : je me sentirois a deux journees et demie de vous et je gouterois le plaisir avantcoureur de celuy que j'auray a vous embrasser. Vous me demandez la vie que je mene icy. Elle est tres sedentaire. Je me leve a sept heures et je^ vous donne mon cceur en me levant. Je prends mon caffe et je parle de vous avec Chevalier^6. A dix heures et demie je m'habille. A onze heures et un^ quart un carosse du Roy vient me prendre et me conduire 'a Sans-Souci'. A midy je dine avec le roy. A une heure et demie on sort de table; je prends mon caffe chez milord marechal7 ou j'attends les ordres du Roy pour scavoir si je dois le voir dans Papres-dine et a quelle heure. S'il ne me fait rien dire, a trois heures je rentre chez moy. J'y reste jusqu'a huit. Je vais souper chez le prince hereditaire8 et je n'y mange point. Je rentre a neuf, }eh lis jusqu'a onze heures ou minuit, et je me couche en vous donnant encor mon coeur. Voila ma vie. Adieu, ma chere amie. Assurez de mes respects Mlle de Chenoise qui doit avoir recu une lettre de moy et embrassez mes cheres petites. Je ne vous

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Mai 1765

LETTRE 565

ecrirez plus que deux lettr es; je compte que la troisieme sera de Gotha. Adieu encor une fois; je t'embrasse. [adresse :] A Madame / Madame Helvetius la jeune / rue Ste-Anne, butte de St-Roch / vis-a-vis la rue des Orties / A Paris7 MANUSCRIT

*A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge (le meme que celui de la lettre 554); timbre de la poste : MASEYCK; indication manuscrite d'un postier: Fr[anco] Weesel. IMPRIME

I. Guillois, p. 492-493. TEXTE

"Le I : "mars". ^Omis dans le I. c Le I : "autour de moi". d Le I : "m'est".e Le I : "porteuse". ^Le I : "elles n'arriveront". 8 Le I : "serai". h Le I "le chevalier". 'Mots soulignes dans le A.; La mention "A chateau de Vore, pres Remalard" a ete ajoutee a 1'adresse.

4.

NOTES EXPLICATIVES

1. Formey confirme qu'Helvetius a bien quitte Potsdam le 18 : "M. Helvetius sejourna a Potsdam chez le Roi jusqu'au 18 de mai." (Souvenirs d'un citoyen, Berlin, 1789, 2 vol., II, p. 203.) 2. Le prince Henri de Prusse (17261802), frere cadet de Frederic II. Excellent general qui s'etait distingue pendant la guerre de Sept Ans, c'etait un prince eclaire qui cultivait les lettres avec succes. 11 sera charge de missions diplomatiques, dont 1'une aupres de Catherine II, a la veille du premier partage de la Pologne (1772). 3. L'Academie royale des sciences et belles-lettres de Berlin, congue par Leibniz sur le modele de la Societe royale de Londres, a ete fondee en

188

5.

6. 7. 8.

1700 par Frederic Ier. Dix ans plus tard, elle commence a faire paraitre des memoires, mais elle doit principalement sa reputation a Frederic II, qui y fait entrer de nombreux savants et hommes de lettres prussiens et etrangers qu'il a appeles aupres de lui. Apres la mort de Maupertuis en 1759, le roi prend le titre de directeur supreme de 1'Academic et en nomme Formey secretaire perpetuel. Rappelons qu'Helvetius en etait membre etranger (v. lettre 514, note 2), comme 1'avait ete son pere (v. lettre 5, note 2). Helvetius n'a pas suivi le meme itineraire qu'a Taller. Au lieu de prendre la route de Sarrebruck et de Metz, il a passe par Bouxviller, ou residait Caroline de Hesse-Darmstadt (v. lettre 483, note 3), et par Nancy. Antoine Joseph, comte de Ligniville (1726-1777), chanoine de Pegliseprimatiale de Nancy depuis 1739. Voir lettre 479, note 4. George Keith (v. lettre 513, note 1). Frederic-Guillaume de Prusse (v. lettre 548, note 3).

REMARQUES

Lors de la visite d'Helvetius en Prusse, Dorat ecrira une longue "Epitre a M. Helvetius, pendant son sejour a Berlin", qui commence ainsi: "Ton aimable philosophe / Fait briller ses rai'ons sur moi." (Mes Fantaisies, Amsterdam & Paris, 1768, p. 20-25.)

Mai 1765

LETTRE 566

566. Helvetius a Madame Helvetius Ma chere amie, je vous ecris que je n'ay pas le terns de vous ecrire. Je suis a Berlin. C'est aujourd'huy qu'on me presente a Routes Leurs MajesteV. Les academiciens viennent me voir. Je n'ay que ^le terns b de vous assurer de tout mon amour. La ville est extremement (: belle. J'y retrouve^ Mr le comte de Podwills1 et M r Toussaine2. Us me chargent de vous assurer de leurs respects. Le tems approche ou je me mettray en voiage pour vous rejoindre. Je voudrois bien etre deja aupres de vous. Adieu; mes respects a Mlle de Chenoise. Embrasses mes enfants; j'ai recu leur lettre et j'en suis tres content. Ce 20 may 1765

[adresse :] A Madame / Madame Helvetius la jeune / rue Ste-Anne, butte St-Roch / vis-a-vis la rue des Orties / A Paris ^ MANUSCRIT ;;

"A. Vore; 1 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge (le meme que celui de la lettre 554); timbre de la poste : MASEYCK; indication manuscrite d'un postier: Fr[anco] Weesel. IMPRIME I. Guillois, p. 495-496 TEXTE "Le A : "toute leur majeste". ^Le I : "je tiens" [sic].cLeI: "excessivement". ^Le I : "revois". e Le I : "Toupain".^La mention "Au chateau de Vore, pres Remalard" a ete ajoutee a 1'adresse. NOTES EXPLICATIVES

1. Voir lettre 551, note 5. 2. Frangois Vincent Toussaint (17151772), journaliste et traducteur, qui avait ete "fort lie avec Diderot et d'Alembert" (B.N., ms. fr., n. a. 10783 f° 124, rapport de police), et avait fourni des articles de jurisprudence pour les deux premiers volumes de 1'Encyclopedic. Son ouvrage principal, Les Moeurs (1748), avait remporte un succes de scandale, et la Sor-

bonne 1'avait cite plusieurs fois parmi les "sources empoisonnees" de L'Esprit (v. vol. 2, appendice 14, p. 398 sqq.). En 1759, il avait colporte 400 exemplaires d'une edition clandestine de ce dernier ouvrage, due a Michel Louis Michelin, de Provins, qui avait ete arrete en Janvier 1761 pour cette raison (v. B.N., ms. fr. 22094, f° 188 verso, et lettre 464, note 12). C'est sans doute a cette epoque que Toussaint etait alle s'installer a Bruxelles. Nomme membre etranger de Pacademie de Berlin en 1751 par Frederic II, il avait ete charge en 1764 d'enseigner la rhetorique et la logique a 1'Academic des nobles de Prusse. REMARQUES

Dans ses Souvenirs d'un citoyen, Formey fournit un recit plus circonstancie du sejour d'Helvetius a Berlin : "Le 20 je fus invite a souper chez Messeigneurs les deux princes de Brunswick (Frederic [Auguste] & [Guillaume] Adolphe alors vivant), avec Mrs Helvetius, Euler, Marggraf, de Catt, Merian, Toussaint,

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Mai 1765

LETTRE 567 Lambert, de Castillon, de Beausobre, Bernoulli & Thiebault. Le lendemain 21, M. Helvetius me rendit visite avec un de Messrs les comtes de Podewils, qui avoit fait sa connoissance a Paris [v. lettre 551, note 5]. Le 22 je voulus le voir a son auberge (la Ville de Paris), & je ne le trouvai pas. Le 23, je lui ecrivis un billet pour lui offrir a diner chez moi, en le laissant maitre du jour. 11 accepta pour le 27, & j'invitai avec lui Mrs Euler, le pere & fils, Toussaint & Thiebault. Je lui trouvai 1'air tout a fait blase, les yeux eteints, la bouche un peu beante, le teint livide, avec beaucoup d'indices de chagrin & d'humeur, sans qu'il y cut pourtant rien qui derogeat aux loix de la politesse. Je n'entendis sortir de sa bouche aucun trait saillant, mais il fit quelques recits bien exprimes. II temoigna de 1'aigreur & du ressentiment centre M. de Maupertuis, 1'abbe Trublet, &c. Cela ne fit pas un repas fort gai. Avant qu'on se mit a table, je 1'avois tire a part

pour lui recommander un parent qui etoit employe dans les fermes en France. II me dit: 'Je veux bien vous confier une chose qui ne tardera pas a etre connue, mais qui ne I'est pas encore : c'est que vous allez voir des fermiers dans votre pays, & qu'ainsi ce que vous pouvez faire de mieux, c'est d'y appeller votre parent.' Cela prouve assez, ce me semble, que g'avoit ete le motif de son voyage. On 1'accusa d'avoir dit au Roi, que les paysans des villages par ou il avoit passe, lui sembloient trop a leur aise, mais je ne 1'ai jamais cru capable de ce propos, tant a cause de son caractere humain & bienfaisant, que parce que cela n'etoit rien moins que vrai, a moins qu'il ne les eut compares aux paysans de France." (Op. cit., Berlin, 1789, 2 vol, II, p. 203-205.) Pour les projets d'installation de fermiers generaux frangais en Prusse, voir lettre 585, note explicative generale.

567. Helvetius a Madame Helvetius Je t'ecris, ma chere femme, pour la derniere fois de Berlin et je crois que cette lettre ne sera pas pour toy la moins agreable. J'oze du moins me flatter que tu m'embrasseras avec le meme plaisir que je t'embrazeray*; je me fais peutestre illusion mais elle m'est agreable. Je te prete peutestre les sentiments que j'eprouve. Je sacrifie ma vanite a mon plaisir; je desire que tu m'aimes et je le crois; on croit tout ce qu'on desire. Le Roy m'a traitte on ne peut pas mieux. J'ay dine aujourd'huy avec tous les princes et luy. J'ay assiste seul avec luy a son concert et j'ay eu une conversation tete a tete de deux heures. On me regarde icy comme un homme tres puissant et par consequent fort estimable. Le roy m'a fait un magnifique present: c'est une boite d'or et d'email enrichie de diamants et dans laquelle est son portrait1. Cette tabatiere vaut bien quatre ou cinq mille livre au moins. Je suis de plus charge de quelque chose pour Mr de Choiseuil2. Ainsy vous voiez qu'aucune des predictions faittes a Paris n'auront lieu. J'ay tout lieu d'etre enchante du Roy et je le suis^. Mais ca

190

LETTRE 567

Mai 1765

part dec la reconnoissance que je luy dois, c'est un homme dont on n'a point d'idee et fort superieur encor a ce qu'on imagine. Comme vous avez grand soin de mes^ affaires, je vous porte e de la part du Roy une ecritoire de porcelaine de la manufacture de Prusse^. Adieu, ma chere amie. Je baize tes mains, gtes pieds, ton cul, &cg; embrasse mes enfants. Je ne t'ecriray plus que de Gotha. Je partiray dans trois ou quatre jours 4 .

Ceh 28 mai 1765 [adresse :] A Madame / Madame Helvetius la jeune, rue / Ste-Anne, butte St-Roch, vis-a-vis / la rue des Orties / A Paris' MANUSCRIT :;

"A. Vore; 2 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge (le meme que celui de la lettre 554); timbre de la poste : MASEYCK: indication manuscrite d'un postier: Fr[anco] Weesel. IMPRIME I. Guillois, p. 496. TEXTE "Le I : "t'embrasse". bLe I : "serai". c Le I: "pour". rfLe I: "vos". e "envoie". ^Le I : Poope". g Omis dans le I. h Le A : "Ce (27)".' La mention "Au chateau de Vore, pres Remalard" a ete ajoutee a Padresse. NOTES EXPLICATIVES

1. Selon d'Holbach, le present qu'avait regu Helvetius etait "une tres riche tabatiere". (Lettre a David Garrick du 16 juin 1765, Victoria and Albert Museum, Londres, fonds Forster F48F35, vol. 31, f° 62 verso; et Sauter, lettre 15; traduction.) Cette precision est confirmee par le Berlinische Privilegirte Zeitung du 18 juin 1765. 2. Frederic II avait charge Helvetius de faire savoir a Choiseul que, "pour lever tous les obstacles qui s'opposoient a la bonne intelligence des deux cours, jl falloit qu'a un jour

convenu elles nommassent toutes deux leurs ambassadeurs ou envoyes" (v. debut de la lettre 588). Les relations diplomatiques entre la France et la Prusse etaient rompues depuis Pinvasion de la Saxe par les Prussiens (1756). 3. La premiere manufacture de porcelaine de Berlin, creee en 1751 par Wilhelm Kaspar Wegely, avait cesse de fonctionner en 1757. La seconde, fondee par Johann Ernst Gotzkowski en 1761, utilisait des artisans de Meissen, et elle etait au bord de la banqueroute, quand Frederic II 1'acheta en aout 1763 et en fit une manufacture royale. Elle existe toujours, et la marque de la porcelaine qu'elle produit, un sceptre bleu, a ete conservee. 4. Intention corroboree par Thiebault: "Helvetius, avant de nous quitter, alia encore passer quelques jours a Potsdam, ou il convint avec Frederic des services qu'il aurait a lui rendre a Paris." (Thiebault, II, p. 133.) Deja rendu a Gotha le 4 juin, Helvetius n'a pas du quitter Potsdam plus tard que le l er juin. Selon Formey, "M. H. partit au commencement de juin." (Souvenirs d'un citoyen, Berlin, 1789, 2 vol., II, p. 205.)

191

LETTRE 568

Juin 1765

REMARQUES

Helvetius avait remis a Frederic II un exemplaire de la seconde edition inquarto de L'Esprit, imprimee a Paris par Durand en octobre 1758 sur les instructions de Pauteur, dans lequel les pages contenant le texte censure par Pabbe Barthelemy avaient ete remplacees par les pages correspondantes de Pedition originale, qui n'avait subi que la censure de Tercier. Ce volume se trouve actuellement a Puniversite Harvard (v. lettre 425, note 26), et ne comporte pas d'annotations manuscntes. C'est done un autre exemplaire qu'Henri de Catt (v.

lettre 548, note 2) essayera de vendre : le 16 Janvier 1792, il ecrira au marquis Ripanti pour lui proposer des manuscrits du roi, ainsi que "le livre De I'Esprit avec des remarques critiques a la marge, de main propre". "Le roi, continuait-il, fit cela lorsque M. Helvetius, auteur du livre, etoit a Sans-Souci, ou le roi Pavoit fait venir de Paris." (Bibl. du Vatican, Cod. Vat. lat. 8225; et P. Wittichen, "H. de Catt und seine Manuskripte Friedrichs des Grossen", Quellen und Forschungen aus italienischen Archiven und Bihliotheken, VI [1903], p. 385.)

568. Helvetius a Madame Helvetius A Gotha, ce 4 juin 1765 J'arrive a Gotha, ma chere amie, fort fatigue et fort amoureux de toy. J'ay la plus grande impatience de te revoir. Je suis deja de* soixante et douze lieues plus pres de toy, mais j'ay encor cinquante-cinq lieues de mauvais chemin a faire et Port ne peut jamais scavoir en combien de terns 1'on arrive a Francfort 1 . Les roues, les essieux cassent et il faut bien du terns pour les raccommoder. Je voudrois ^bien etre deja a Paris. J'y* suis charge d'une commission du roy de Prusse pour Mr de Choiseul2. Si elle reussit, j'espere qu'on m'en scaura [grec]. Adieu, ma chere femme. Je suis loge au chateau de Gotha3. Tout le monde vient me voir et je n'ay pas le terns de t'en ecrire davantage. [adresse :] A Madame / Madame Helvetius la jeune / rue Ste-Anne, butte St-Roch, vis-a- / vis la rue des Orties / A Paris^ MANUSCRIT

TEXTE

::

'A. Vore; 1 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge; timbre de la poste : [D']ALLEMAGNE; indication manuscrite d'un postier: fr[anco] Rhhsen 4 .

a

IMPRIME

NOTES EXPLICATIVES 1. Pour Pitineraire suivi par Helvetius apres Francfort, voir lettre 565,

I. Guillois, p. 497.

192

Le I : "a".b Le I : "deja bien etre a Paris, je". f Mot ajoute dans le I. ^La mention "Au chateau de Vaure, pres Remalard" a ete ajoutee a Padresse.

LETTRE 569 note 4. A {'exception de la suivante, qui date du meme jour, nous ne possedons aucune autre lettre qu'il ait expediee avant son retour a Paris vers la mi-juin (v. lettre 573). 2. Voir lettre 562, Remarques, et lettre suivante. 3. II s'agit, soit de Pimmense chateau Fnedenstem, construit au dix-sep-

Juin 1765 tieme siecle, soit du chateau Friedrichstal, residence d'ete bade en 1711, dont le style imite celui de Versailles, 4. Rhemhausen, petite ville situee a 5 km au sud de Spire, sur la rive droite du Rhin, appartenant au territoire postal du prince de Tour-et-Taxis.

569. Helvetius a Charles Augustin Feriol, comte d'Argental Monsieur le comte, J'ay recu la lettre que vous m'avez fait Phonneur de m'ecrire1. J'ay saisi toutes les occassions d'assurer le roy de Prusse de Pattachement de Mrs les dues de Pralin et de Choiseuil. Je me suis vante aupres* du Roy des bontes que vous aviez pour moy; il m'a parle de vous de la maniere la plus obligeante. "Mais, m'a-t-il dit, son amitie pour Mr de Voltaire ne l'auroit-il pas eloigne de moy?" Je luy ai repondu comme je le devois, que vous admiriez avec toute 1'Europe les ouvrages de votre amy, mais que vous ne vous donniez point pour le defenseur des torts qu'il pouvoit avoir eu avec Sa Majeste. Dans la suite de cette conversation j'ay eu occassion de luy faire sentir Pinterest reciproque que les deux cours de Versailles et de Postdam avoient d'etre bien ensemble. Voicy sa reponse: "La cour de France a eu avec moy les plus grands torts, elle le scait. Elle m'a attaque a Rosback2, elle m'a fait la guerre apparament pour faire un cardinal3. Je ne luy connois point d'autre interest. Comment est-il possible qu'apres avoir demoli les places des Pais-Bas, sans doute pour s'en emparer plus facilement, elle se soit allie avec^ cette puissance au moment qu'elle pouvoit la combattre avec le plus d'avantage? J'ay eprouve tant de mauvais traitements de la part de la France qu'ilc seroit bas a moy de faire les^ avances, et d'ailleurs pourquoy les ferois-je? Quelles sont nos deux positions? Je suis bien avec la Russie, mes derrier sont assures, la France est trop loin de moy pour m'attaquer et la reine de Hongrie seule ne Pozera jamais. La France au contraire sera certainement dans peu oblige de faire la guerre a e PAngletterre. Ce n'est que par la prize des Pais-Bas qu'elle peut s'indemnizer des pertes^que les Anglois luy feront peutestre supporter par mer; elle a done interest d'etre bien avec moy. II y a de plus du froid entre PAngletterre et la Russie; la France peut en profiler pour conclure un traitte 193

lettre 569

Juin 1765

de commerce avec 1'imperatrice d'autant plus avantageux qu'il seroit plus nuisible aux Anglois. La France n'ignore pas que je puis la servir en Russie. La France a done plus besoin de moy que je n'ay besoin d'elle. Repondezmoy: es-ce a celuy qui a le moins de besoin a faire les^ avances?" J'ay repondu au Roy ce que le peu d'esprit et le peu de connoissances que j'ay des affaires m'a suggere dans le moment. Le resultat de ma conversation, c'est que je suis chargee de la part du roy de Prusse de faire a Mrs les dues de Pralin et de gChoiseuil une proposition5 qui, je crois, leur sera agreable et qui ne compromet 1'honneur d'aucune des deux cours4. Si on 1'accepte, 1'affaire est finie. Si on ne 1'accepte pas, je doute qu'on puisse jamais renouer avec ce roy. Je vous ecris tout cecy afin que vous ayez la bonte d'en prevenir Mrs les dues de Pralin et de Choiseuil et les prier de vouloir bien me donner a mon retour a Paris un quart d'heure d'audience. ^Le lendemain de mon arrivee j'auray 1'honneur de vous voir. Je suis malade; j'espere que cette incommodite n'aura point de suite. Je suis, avec respect, Monsieur le comte, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius^ A Gotha, ce 4 juin 1765 MANUSCRIT

*A. Aff. etr., C.P. Prusse 186, f° 296-297; 4 p.; orig. autogr. IMPRIMES

I. Hammond, p. 73-74. II. Keim, p. 701-703. TEXTE

Mentions ajoutees en haut du A : "N° 3" (a 1'encre) et "4 juin 1765" (au crayon). "Le A : "aupres (de luy)". ^Le A : "avec (une)". cLe I: "que ce". JLe II: "des". e Le II: "avec". ^Le I : "prises". g Le A : "Choiseuil (des) une proposition(s)". ^Omis dans le I. NOTES EXPLICATIVES

1. Lettre non parvenue jusqu'a nous. 2. II s'agit de 1'une des premieres 194

confrontations militaires de la guerre de Sept Ans. Le "renversement des alliances" qui a etc la cause de cette derniere avait resulte, d'une part, du traite de Westminster, signe a Whitehall le 16 Janvier 1756, par lequel une alliance diplomatique et militaire avait etc nouee entre la Grande-Bretagne et la Prusse, et d'autre part, des contrecoups de ce rapprochement, a savoir le premier traite de Versailles, du l er mai 1756, entre la France et 1'Autriche, qui etait de portee limitee, puis 1'invasion de la Saxe, de la Boheme et de la Silesie par Frederic II, la meme annee, et enfin, le second traite franco-autrichien de Versailles, du l er mai 1757, qui etait une alliance generale. A la suite de celui-ci, la

LETTRE 570 France etait entree en campagne centre la Prusse, se joignant amsi aux Autrichiens, aux Russes et aux Suedois. Apres divers succes franc.ais, Frederic II avait inflige une lourde defaite, a Rossbach (5 novembre 1757), aux 20 000 hommes des troupes auxiliaires allemandes, commandees par le prince de SaxeHildburghausen, qui se debanderent, et a un corps frangais de meme effectif, qui etait sous les ordres du marechal de Soubise. 3. La these qu'avait cherche a accrediter Frederic II etait que le rapprochement franco-autrichien, contraire a la tradition politique frangaise, etait le resultat d'une intrigue de cour nouee contre Bernis par Mme de Pompadour, qu'il accusait d'avoir sacrine les interets de la France a la vanite d'etre en correspondance avec 1'imperatrice Marie-Therese. Bernis avait pourtant etc le principal negociateur des traites franco-autrichiens, avant d'etre nomme ministre des Affaires etrangeres le 27 juin 1757, et il estimait que la France avait eu tort de

Juin 1765 contribuer au renforcement de la Prusse, aucune puissance ne devant dominer en Allemagne. Mais il avait aussi compris la dangereuse complexite d'une guerre a la fois continentale contre Frederic II, et coloniale autant que maritime contre la Grande-Bretagne. Apres Rossbach, il estime perdue la guerre en Allemagne et preconise la recherche d'une paix honorable, mais 1'avis oppose, professe par Mme de Pompadour, et surtout par Choiseul, alors ambassadeur a Vienne, prevaut au Conseil, et la campagne continue sans resultats decisifs. Bernis, decourage, est remplace par Choiseul le 3 decembre 1758, eleve au cardinalat le 10 par Clement XIII, et eloigne dans ses terres du Soissonnais le 13, exil qui durera jusqu'en Janvier 1764. 4. Il s'agissait de faire nommer simultanement son ambassadeur par 1'une et 1'autre cour, sans que soit indique laquelle avait pris 1'initiative de ce retablissement des relations diplomatiques (v. lettres 576, par. 2, et 588, par. 1).

570. Friedrich Melchior Grimm1 a Lomse-Dorothee de Saxe-Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha Madame, J'ai regu la lettre dont Votre Altesse Serenissime m'a honore le 21 du mois dernier. J'espere que le retour de la belle saison et de la chaleur aura dissipe tout rhume, toute incommodite, tout ce qui est contraire a mes vceux et a mon repos, et j'attends 1'apotre Helvetius pour qu'il me confirme dans toutes ces esperances. Si je calcule bien, il doit etre actuellement dans ce chateau, dans ce sallon, dans ce sejour ou la raison et la bonte ont fait alliance. O combien il faut de vertu pour lui pardonner son bonheur!

[.-.] Jl faut que je disc a Votre Altesse un projet qui m'a passe par la tete,

195

Juin 1765

LETTRE 570

"pour user de mon privilege de tout dire". Je suis las de voir ce froid qui subsiste depuis la paix entre deux anciens allies; j'aimois mieux une belle haine bien declaree comme en 1757. D'ailleurs je suis trop bon Frangais et j'ai de trop bonnes raisons de Petre pour ne pas desirer que le grand Frederic ait en ce pays-ci encore d'autres liaisons que celle du philosophe d'Alembert et la mienne. Je sgais depuis longtemps qu'il estime M. le due de Praslin; j'ai appris depuis qu'il fait cas de M. le due de Choiseul. A quoi tient-il done qu'on ne retablisse entre les deux cours cette correspondance qui subsiste entre les cours les moins liees, et dont Pinterruption m'ennuie depuis longtemps? Si tout cela ne tient qu'a une petite ceremonie pour savoir qui nommera le premier son ministre, il faut convenir qu'on s'arrete a bien peu de chose, mais cela arrive souvent en politique. Moi^, je me suis mis en tete que Votre Altesse doit se meler de cette affaire, que vous satisferez egalement, Madame, et votre gout pour la France et votre amitie pour le grand Frederic en faisant finir un froid qui a trop dure, et que votre sagesse trouvera pour cela aisement ce que les Jtaliens appellent il mezzo termine. Si cVotre Altesse me demande c de quoi je me mele, je dirai que je voudrois que toutes ''les bonnes actions, toutes^ les choses bien faites fussent votre ouvrage. [...] A Paris, ce 7 juin 1765 MANUSCRITS

*A. Archives d'Etat de Weimar, Geheimes Archiv E XIII a, n° 16, ff os 412 recto et 413 recto-413 verso; 4 p.; orig. autogr. B.B.N. ms. fr., n. a. 4411, ff os 164 et 167169; 6 p.; copie faite a 1'intention de Maurice Tourneux. C. Aff. etr., C.P. Prusse 186, f° 299; 2 p.; copie faite par Grimm. IMPRIMES

I. E. Scherer, Melchior Grimm, 1887, p. 209-210 (extrait). II. Hammond, p. 72 (extrait). TEXTE Le texte du B n'est ecrit que sur les rectos. Mentions ajoutees en haut du C : "N° 5", "copie" (a Pencre), et "7 juin 1765" (au crayon). Le C et les I et II ne contiennent que le second des para-

196

graphes reproduits ci-dessus. Le I reprend le texte du B, et le II, celui du C. "Dans le C et le II, ces huit mots sont places au debut de la phrase. ^Le B et le I : "Mais". c Le C et le I I : "vous me demandez, Madame,". "'Mots omis dans le C et le II. NOTE EXPLICATIVE

1. Hammond (p. 72) considere a tort Helvetius comme Pauteur de cette lettre. Elle est ecrite de la main de Grimm, qui en envoie copie a d'Argental le jour meme : "Permettezmoi, Monsieur, de vous envoier cijoint ce que j'ai ecrit a Madame la duchesse de Saxe-Gotha conformement a vos intentions." (Aff. etr., C.P. Prusse 186, f° 298 recto, n° 4.) De plus, comme le suppose Grimm, Helvetius etait encore en voyage et devait

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LETTRE 571 se trouver a Gotha a la date de cette lettre (v. par. 1). REMARQUES

La duchesse de Saxe-Gotha repondra a la presente lettre le 18 juin : "Je ne suis pas moins flattee de la proposition que vous me faites dans votre derniere lettre. Comptez que, si je pouvois contribuer a obtenir le but que vous me proposez, j'employerois avec ardeur, avec transport, avec zele toutes mes facultes. Je ferois surement Pimpossible pour le succes; 1'idee seule m'en cause une joie infini'e, car c'est la precisement ce que mon coeur desire depuis longtemps, et je ne crois la chose nullement impossi-

ble. Je sais positivement que le Heros [Frederic II] aime la France d'inclination et 1'a toujours aimee. De plus, avec son esprit et sa sagesse, il ne sauroit meconnaitre ses veritables interets. Jl ne seroit done question que de lui en faire venir 1'idee promptement et a propos. Vous savez que dans la plupart des evenemens de ce monde tout depend du moment et je saisirois surement le premier moment favorable, si je pouvois esperer de remplir des vues utiles et reelles." (Aff. etr., C.P. Prusse 186, f° 310, n° 6; copie faite par Grimm; Hammond, p. 73.)

571. Uabbe Nicolas Charles Joseph Tntblet1 a Jean Henri Samuel Formey Paris, du 9 juin 1765 au 10

[..-]

Je serai fort aise de savoir 1'impression qu'aura faite sur vous M. Helvetius. Si vous lui avez parle de moi, vous aurez bien vu qu'il n'est plus de mes amis. Nous 1'avons etc tres longtems. Un mot tres modere que je dis de son livre dans le/' chretien 2 nous brouilla, quoique ma critique de 1'ouvrage fut accompagnee des plus forts eloges de 1'auteur. Pour moi je 1'aime toujours.

[...] MANUSCRIT

REMARQUES

:|

Dans ses Souvenirs, Thiebault, qui s'etait trouve plusieurs fois en compagnie d'Helvetius dans la capitale prussienne, notamment chez le prince Frederic Auguste de Brunswick, rapporte 1'irnpression que Jean Henri Lambert et 1'abbe Trublet avaient respectivement produite sur le philosophe : "II etait extremement frappe du genie extraordinaire de M. Lambert, membre de notre

'A. Deutsche Staatsbibliothek, Berlin, fonds Formey, dossier Trublet; 3 p.; orig. autogr. NOTES EXPLICATIVES

1. Voir lettre 353, note 5. 2. Voir lettre 443, note generale.

explicative

197

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LETTRE 572 Academic. [....] II Pallait voir tous les jours, et ne pouvait se lasser de Pentendre. [...] 11 representa [Pabbe Trublet]

comme un sot, comme un homme lache, vil, ignorant et fat." (Thiebault, II, p. 132.)

572. Henri Alexandre de Catt1 a Helvetius Ce 14 juin [1765] [...] Vous aves remporte le sufrage et 1'amitie des grands et de tous ceux qui vous ont connu ici2. [...] Si elle [Madame Helvetius] se trouve jamais au milieu de nous, elle verra come elle sera fetee et combien on sera flate de la posseder ici3. [...] Hier le Grand Home4 me demanda de vos nouvelles et si vous pouvie etre arrive. [...] MANUSCRIT :;

"A. Collection du marquis de Rosanbo, fonds Lamoignon 263 ap 6; 2 p.; orig. autogr.; cachet. NOTES EXPLICATIVES

3. Au sujet de la perspective que Mme Helvetius accompagne son mari lors d'un autre voyage en Prusse de celuici, voir lettre 619, note 3. 4. Frederic II.

1. Voir lettre 548, note 2. 2. En Prusse.

573. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 15 juin 1765]1 Ma chere amie, j'arrive a Paris. Je te manderay le jour que j'iray a Vore lorsque j'auray vu Mr de Choiseuil. Je dois demain scavoir le jour. Adieu; je t'embrasse, je t'aime de tout mon cceur et desire plus ardament que toy de te revoir. Adieu encor une fois. [adresse :] Au Perche / A Madame / Madame Helvetius la jeune / en son chateau de Vore, proche / Regmallard, route du Mans / A Vore, proche Regmallard MANUSCRIT

NOTE EXPLICATIVE

*A. Vore; 1 p.; orig. autogr.; traces de colle rouge.

1. Cette datation resulte des elements suivants: Le 16 juin, d'Holbach annonce a David Garrick: "Notre

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Juin 1765

LETTRE 574 ami Mr Helvetius est revenu de Berlin, ou il a etc tres cordialement accueilli et fete par Sa Majeste prussienne." (Victoria and Albert Museum, Londres, fonds Forster, F48F35, vol. XXXI, f° 62 verso; et Sauter, lettre 15; traduction.) Ensuite, une lettre adressee le 30 juin par Grimm a Caroline de HesseDarmstadt suppose aussi qu'Helve-

tius avait atteint Paris a la mi-juin : "Apres nous avoir donne quinze jours [Helvetius] vient de partir pour aller retrouver sa femme." (Lettre 580.) Enfin, la presente lettre a etc ecrite par Helvetius des son arrivee et est anterieure au 18 juin, date a laquelle il ecrira avoir ete regu par les dues de Choiseul et de Praslin (v. lettre suiva e, par. 1).

574. Helvetius a Madame Helvetius Quelques belles que soient les rues de Paris, je m'y ennuie plus que dans les chemins d'Allemagne. Tu scais, ma chere amie, que j'etois charge de la part du roy de Prusse de mille choses agreables" pour Messieurs de Choiseul et de Pralin. J'ay vu 1'un et 1'autre; ils m'ont paru flatte de ce que j'avois a leur dire, et j'auray cette semaine un rendez-vous avec 1'un et^ 1'autre. Si ce dont je suis charge pouvoit reussir, comme je 1'espere, j'aurois lieu d'etre parfaitement content de mon voiage. Jusqu'a ce que j'aye vu Mrs de Choiseul1 et que j'aye recu leur reponse je ne puis te marquer le jour de mon arrivee, mais il est certain que je ne perdray point de terns, quec j'ay le plus grand desir de te voir, de t'embrasser et de te rejoindre a Vore. Je fais racomoder ma chaize de voiage, parce que je ne puis mettre sur^ ma chaize a une place mes fusilse ni mes livres. Tu scais combien cette cheminee que tu as voulu faire changer dans ton salon a entrainne de reparation dans la maison. Si tu etois grosse, tu ne pourrois accoucher a Paris que dans un hotel garni. En verite, ma chere amie, bien heureux les caracteres qui se trouvent aizement bien : ils sont delivres de bien des embrarras. Pardonne-moy cette petite morale : c'est la crainte que tu ne sois grosse et obligee d'accoucher a 1'auberge qui me la^ fait faire. Tu scais que je ne t'en aime pas moins, que je voudrois etre maintenant a tes pieds ou dans tes bras. Dutartre2 m'a dit que Lolotte ne se portoit pas bien. J'en suis inquiet; rassure-moy si elle est mieux, car tu scais combien 1'une et 1'autre nouss sont cheres. Adieu, ma chere et belle femme. Je n'ay plus icy le plaisir de montrer ton portrait, mais en dedomagement j'ay 1'espoir de te revoir bientost. Je suis fatigue a la mort des visittes que j'ay a faire. J'ay grand besoin de repos et de reprendre mon ancienne habitude de vivre et de te voir. Adieu encore, mon aimable femme. Mes compliments a mes enfants. 199

LETTRE 575

Juin 1765

Ce mardy, 18 juin 1765, au matin [adresse :] Route du Mans, au / Perche / A Madame / Madame Helvetius la jeune / En son chateau de Vore, au / Perche, route du Mans, proche / Regmallard / A Vore MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

:;

1. Rappelons que le due de Praslin etait egalement comte de Choiseul-Chevigny (v. lettre 562, note 2). II faut remonter sept generations pour decouvnr 1 ancetre commun a rraslm et a Choiseul. 2. Voir lettre 490, note 6.

'A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge (le meme que celui de la lettre 554). IMPRIME I. Gumois, rp. 497-498. TEXTE Differences entre le A et le I : "aimables. fe ou- ccar. ^dans. e fruits. ^1'a. gme.

575. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 22 juin 1765]

J

J'espere, ma chere amie, parl bientost a Mr de Choiseuil pour la derniere fois. C'est ce soir que je scauray de Mr d'Argental le moment ou je pourray voir Mr de Pralin, mais il seroit malheureuzement trop tard pour porter ma lettre a la poste. Je me flatte que ce retard ne passera pas le lundy. II est certain que je m'ennuie comme un chien a Paris et que je brule du desir de te revoir. C'est une terrible chose que des gens qui ne se decident point. Mon impatience peutestre est une injustice, mais 1'amour me le pardonnera, puisque 1'amour en est la cause. On veut abbattre le plancher de ta chambre. Je verray demain le magon pour causer avec luy. Tu sens que si on fait cet ouvrage, tu ne pourrois coucher cet hivert dans ta chambre, parceque les platres en seroient neufs et ou coucher? Il faudroit done necessairement passer 1'hivert a Vore. Voila ce qu'une cheminee entraine d'inconveniens. Enfin nous verrons et si on ne peut faire autrement, nous prendrons notre party. Je dine aujourd'huy chez ma mere. Nous y boirons a ta sante. C'est quelque chose mais je voudrois estre aupres de toy. Toy, mes enfants, mes livres, mon fusil, voila ce qu'il me faut pour mon bonheur. Si le due avoit ces memes gouts, il en seroit plus heureux et m'auroit expedie plus vite. Adieu, ma chere amie; je t'embrasse de tout mon coeur et autant que mon ame affaisee par 1'ennuy peut serrer la tienne. J'ay vu Chavotier2. Je luy ai recommande mon papier terrier, la vigilance 200

Juin 1765

LETTRE 576

a me faire paier de mes fermiers et 1'etat des bois a vendre. 11 m'envoirra mon chien lundy. J'ai* charge ton faiseur de grotte 3 de te dire combien je suis impatient de te rejoindre. Ma lettre arrivera aussitost que luy; voila pourquoy je ne 1'en ai point charge. Adieu; aime-moy, embrasse mes enfants et crois que je desire aussy vivement de te rejoindre que tu desire de me revoir, que je suis malade d'ennuy et que ta presence me guerira de tous mes maux. [adresse :] Route du Mans / Au Perche / A Madame / Madame Helvetius, en son chateau / de Vore, route du Mans, au Perche / proche Regmallard / A \7r\\-a A Vore MANUSCRIT ::

"A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge. TEXTE "Le A : "Chez". NOTES EXPLICATIVES

1. D'apres la lettre precedente, Helvetius a ete regu une premiere fois le mardi 18 par Choiseul et par Praslin, et il compte les rencontrer a nouveau au cours de la meme semaine. De la presente lettre, il ressort que les entretiens prevus ont ete retardes, et Helvetius dit esperer qu'ils auront lieu au plus tard le lundi suivant, soit le 24 (v. par. 1). Comme il a manifestement attendu en vain quelques jours "que [ces] gens [...] se decident", apres ses entretiens du 18, il a du ecrire cette lettre le vendredi 22, ou le samedi 23 au plus tard.

2. Jean-Baptiste Chavotier (v. lettres 193, note 5, et 260, note 2). Sa premiere femme, Jeanne Sonnequin, etait morte en 1755 a 1'age de 47 ans, et sa deuxieme epouse, Anne-Marie Guerin, mourra en 1769 a Page de 62 ans (v. Archives departementales de Seine-et-Marne, Melun, 6 E 281/2). 3. Il pouvait s'agir d'un architecte, d'un paysagiste ou d'une relation des Helvetius verse en matiere de grottes rustiques ou en rocaille. Selon le Dictionnaire de Trevoux (1771), "grotte se dit [...] des petits batimens artificiels qu'on fait dans les jardins, & qui imitent les grottes naturelles. [...] On les orne de coquillages, ou 1'on fait plusieurs jets d'eau. [...] Salomon de Caux a fait un traite des grottes & fontaines."

576. Helvetius a Frederic II, roi de Prusse Sire, J'arrive a Paris penetre d'admiration pour votre genie, de respect pour votre caractere, et de reconnoissance pour vos bontes. Je me plains, comme tout homme vivement affecte, de I'insuffisance des mots pour rendre mes sentiments : il n'en est souvent qu'un pour exprimer depuis le plus foible 201

LETTRE 576

Jmn 1765

jusqu'au plus vif. Je vous prie done, Sire, de donner aux expressions dont je me sers toute 1'etendue dont elles sont susceptibles. "Avant que j'eusse 1'honneur de faire ma cour a Votre Majeste, j'admirois avec toute 1'Europe et ses talents superieurs et la fermete de son ame dans les plus grands dangers. Cette partie de son eloge est deja consacree par 1'histoire. Depuis que j'ay eu 1'honneur de la voir de plus pres elle m'a appris qu'il pouroit y avoir de grands hommes meme aux yeux de leur valet de chambre1, et que les vertus heroiques n'etoient point inconciliables avec les charmes de la conversation, 1'amour des lettres et de Phumanite si desirable dans les souverains.* J'ay souhaite qu'un si grand prince fut amy de ma nation. J'ay remarque dans Votre Majeste les dispositions les plus favorables a cet egard. Elle m'a permis d'en faire part a nos ministres, et de leur dire que, pour dissiper toute apparence de froideur entre les deux cours, il faudroit qu'elles convinssent de nommer le meme jour deux ambassadeurs ou envoies, qui se rendroient en meme terns a leur destination differente. Monsieur le due de Pralin, a qui j'ay rendu compte de vos dispositions, a vu le Roy, dont la reponse est telle que je m'y attendois. J'ay ordre du ministre d'assurer Votre Majeste que le jour meme ou elle conviendra de nommer un ministre pour Paris, la cour de France en nommera un pour Berlin. Monsieur le due de Pralin m'a seulement fait observer que, n'etant revetu d'aucun caractere, et porteur d'aucune lettre, il etoit necessaire que je fus autorise par une lettre de Votre Majeste ou de son ministre. Celle qu'elle m'adressera a ce sujet ne sera vue que de Monsieur le due de Pralin. Vous pourrez, Sire, si vous le juges a propos, y fixer le jour auquel les deux cours nommeront un envoie. Je n'ay pu laisser ignorer a Messieurs les due de Pralin et de Choiseuil le cas particulier que Votre Majeste faisoit d'eux. Us scavent qu'elle regarde le pacte de famille2 comme un coup de genie, qu'elle pense, apres les malheurs de la derniere guerre, que nul ne peut plus promptement retablir nos affaires. Le Roy en a la meme opinion, il connoit leur merite et sent de quelle importance il est pour luy de s'attacher de plus en plus des ministres aussy eclaires. Us se sont charges de repeter tout ce que Votre Majeste m'a dit d'obligeant sur la personne du Roy, qui reellement par sa douceur et son humanite est, et merite d'etre, 1'amour de ses sujets. Vous ne domes pas, Sire, que notre monarque n'ait etc tres sensible a votre estime et tres flatte de vos eloges. Je me feliciterois si j'avois contribue en quelque chose a 1'amour de deux nations qu'un interest commun lie et doit toujours Her entre elles. J'espere que Votre Majeste regardera les demarches que j'ay fait a ce sujet comme une preuve de mon attachement a ma patrie et a son auguste personne.

202

LETTRE 577

Juin 1765

Je suis, avec le plus profond respect, De Votre Majeste, Le tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius A Paris, ce 25 juin 1765 MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

:;

1. Helvetius evoque le mot attribue a Mme Cornuel, nee Anne Bigot, precieuse du XVII6 siecle (1609-1694), par Mile Ai'sse dans une lettre a Mme Calandrini du 13 aout 1728 : "Je vous renvoie a ce que disoit madame Cornuel, qu'il n'y avo'it point de heros pour les valets de chambre." 2. Voir lettre 562, note 3.

"A. Archives centrales d'Etat, Merseburg, Rep. 47j, n° 383, f° 2-3; 4 p.; orig. autogr. IMPRIME

I. G. B. Volz, Friedrich der Grosse im Spiegel seiner Zeit, Berlin, 1926, 33 vol., Ill, p. 146; extrait traduit en allemand. TEXTE "Seul ce passage figure dans le I.

577. Francis Seymour Conway, comte de Hertford1, a George Montagu Dunk, comte de Halifax2 Paris, June the 25th 1765 My Lord,

[».] A few days ago Mr Helvetius, the author of the treatise De I'Esprit, returned from Berlin, where he had passed some months with the King of Prussia. He had been very earnestly invited to take that journey, and was received with all the honors imaginable. It appears that the King of Prussia has taken occasion of this incident to attempt opening a correspondence with this court. At least, I know for certain that Monsr Helvetius, who is commonly a man who lives very remote from courts and ministers, has had two very long and secret conversations, since his return, with Monsieur de Choiseul. And on the conclusion of the last, the Duke asked him whether he could think of any proper person to be sent to Berlin. To which Monsieur Helvetius answered : "If you desire to send one entirely agreable to the King, you must employ Monsieur d'Alembert or me3. I know none of your men of quality whom he would value." I do not imagine, my Lord, that these advances are the commencement of any treaty between the two powers, or that there is any plan of operations 203

LETTRE 577

Juin 1765

in view. I only expect that the correspondence between the two courts may possibly be renewed. [..-] I must add to your Lordship that M. Helvetius thinks, from all his observations, that the inclinations and projects of His Prussian Majesty are still much carried towards war, and that the strong alliances with which he fortifies himself on every side, the great army which he keeps on foot, and the great treasures which he amasses, are meant only for that view, but as these are also reasonable and prudent means of security, the argumen cannot be conclusive. And as to the personal and private remarks concer ning that prince's dispositions, they may be fallacious, and I know that Monsr d'Alembert, in particular, who has lived with him in great intimacy, is of a very different opinion from Monsieur Helvetius on this head. The past incidents of the King of Prussia's life seem much more to confirm the conjecture of M. d'Alembert. [...] I am, with great truth and respect, my Lord, your lordship's most obedient humble servant. Hertford [Traduction :]

Paris, 25 juin 1765

Milord,

[..-] II y a quelques jours, M. Helvetius, auteur du traite De I'Espnt, est rentre de Berlin, ou il a passe quelques mois chez le roi de Prusse. II avait ete tres instamment invite a faire ce voyage, et il a ete rec,u avec tous les honneurs imaginables. Il parait que le roi de Prusse a profite de cette occasion pour essayer d'entarrier des relations avec la cour de France. Du moins, je sais avec certitude que M. Helvetius, qui vit d'habitude loin des cours et des ministres, a eu, depuis son retour, deux tres longues et secretes conversations avec Monsieur de Choiseul. Et au terme de la derniere, le due lui a demande s'il pouvait penser a une personne qui ferait 1'affaire pour etre envoyee a Berlin. A quoi Monsieur Helvetius a repondu : "Si vous desirez que le choix d'un envoye soit entierement agree par le roi, il faudra recourir a Monsieur d'Alembert ou a moi-meme3. Parmi les personnes de qualite qui relevent de vous, je n'en connais aucune dont il ferait cas." Je ne crois nullement, Milord, que les avances ainsi faites annoncent un quelconque traite entre les deux puissances, ni qu'elles aient elabore aucun projet en ce sens. J'estime seulement possible que les echanges reprennent entre les deux cours. [...] 204

LETTRE 577

Jttin 1765

Je dois ajouter, Milord, que M. Helvetius, d'apres toutes ses observations, pense que les dispositions d'esprit et projets de Sa Majeste prussienne sont encore tres orientes vers la guerre, et que les solides alliances au moyen desquelles il se renforce de tous cotes, 1'importante armee qu'il maintient, et les grands tresors qu'il amasse, n'ont pour but que cette guerre; mais comme ce sont egalement des mesures raisonnables et prudentes pour assurer la securite de la Prusse, 1'argument ne peut etre considere comme probant. Quant aux remarques personnelles emises en prive par M. Helvetius sur les dispositions de ce monarque, elles sont peut-etre erronees. Je sais que M. d'Alembert, notamment, qui a vecu en grande mtimite avec le roi de Prusse, est a ce sujet d'un avis tres different de celui de M. Helvetius. Les evenements passes de la vie du roi de Prusse semblent etayer nettement plus 1'opinion de M. d'Alembert.

[-] _

Je suis, tres sincerement et respectueusement, Milord, votre tres humble et tres obeissant serviteur. Hertford MANUSCRIT

*A. Public Record Office, Chancery Lane, Londres SP 78/266, ff os 245 recto, 249 verso-250 recto, 250 verso-251 recto et 252 recto; 15 p.; orig. signe. NOTES EXPLICATIVES

1. Hertford (v. lettre 532, note 2) etait 1'ambassadeur de Grande-Bretagne en France. 2. George Montagu Dunk, deuxieme comte de Halifax (1716-1771) avait occupe successivement les postes suivants : gentilhomme de la chambre du prince de Galles (1742), president du Board of Trade (1748-1761), lord lieutenant d'Irlande (17611763), premier lord de 1'Amiraute (1762) et, dans le ministere de lord Bute (1762), secretaire d'Etat charge du "Southern Department". En 1763, Grenville 1'avait nomme secretaire d'Etat charge du "Northern Department", fonction qu'il allait conserver jusqu'en juillet 1765. C'est lui qui avait signe en 1763 1'ordre d'ar-

restation de John Wilkes (v. lettre 519, note 3). La ville de Halifax, en Nouvelle-Ecosse, porte son nom. Les deux secretaires d'Etat charges respectivement des deux departements ci-dessus mentionnes se partageaient les pouvoirs executifs du gouvernement, hormis ceux exerces en matiere de justice et de finances. Pour les matieres concernant 1'Angleterre, le Pays de Galles et Plrlande, ils detenaient 1'un et 1'autre un plein pouvoir d'mitiative tout en etant habilites a agir chacun de son cote. Pour ce qui etait des autres pays, les deux departements avaient divise le monde en deux parties dont ils s'occupaient respectivement. De celui du Nord relevaient 1'Ecosse, et parmi les pays etrangers, PAllemagne, le Hanovre, 1'Autriche, les Etats scandinaves, les Provinces-Unies et la Russie. A celui du Sud avaient echu le reste de 1'Europe, et notamment 1'Espagne, la France, le Portugal et les autres pays mediterraneens, ainsi que 1'Afrique,

205

LETTRE 578

Juin 1765

1'Amerique et 1'Asie, et toutes les colonies britanniques. En general, 1'un des deux secretaires d'Etat, etant le plus autoritaire, dominait 1'autre; ou bien le premier lord du Tresor imposait a tous deux son autonte. En 1782, les deux secretariats d'Etat seront supprimes et remplaces par le

Home Office et le Foreign Office, entre lesquels les diverses attributions mentionnees ci-dessus seront reparties plus rationnellement. 3. En fait, Helvetius allait proposer le comte d'Haussonville pour remplir cette tache d'envoye a Berlin (v. lettre 588, par. 2).

578. Voltaire a Helvetius 26 juin [1765] Je vous ai toujours dans la tete et dans le coeur, mon cher philosophe, quoique vous m'ayes entierement oublie1. Vous m'avez afflige en ne venant point dans mes deserts libres au retour d'une cour despotique. Ma douleur redouble quand j'apprends que vous desesperez de la cause commune. Un general tel que vous doit inspirer de la confiance aux armees. Je vous conjure de prendre courage, de combattre, et je vous reponds de la victoire. Ne voyes-vous pas que tout le Nord est pour nous, et qu'il faudra tot ou tard que les laches fanatiques du Midi soient confondus 2 ? L'imperatrice de Russie3, le roy de Pologne4 (qui n'est pas un imbecile5 faisant de mauvais livres avec un secretaire ex-jesuite 6 ), le roy de Prusse, vainqueur de la superst[it]ieuse Autriche, bien d'autres princes arborent 1'etendart de la tolerance et de la philosophic. 11 s'est fait depuis douze ans une revolution dans les esprits, qui est sensible. Plusieurs magistrats dans les provinces font amande honnorable pour 1'insolente hipocrisie de ce malheureux^ Omer7, la honte du parlement de Paris. D'assez bons livres paraissent coup sur coup. La lumiere s'etend certainement de tous cotes. Je sais bien qu'on ne detruira pas la hierarchic etablie puis qu'il en faut une au peuple. On n'abolira pas la secte dominante, mais certainement on la rendra moins dominante et moins dangereuse. Le christianisme deviendra plus raisonnable et par consequent moins persecuteur. On traitera la religion en France comme en Angletterre et en Hollande, ou elle fait le moins de mal qu'il soit possible8. Nous ne sommes pas faits en France pour arriver les premiers. Les verites nous sont venues d'ailleurs, mais c'est beaucoup de les adopter. Je suis trez persuade que, si on veut s'entendre et se donner un peu de peine, la tolerance sera regardee dans quelques annees comme un beaume essentiel au genre humain. Le nom c d'Omer Joli sera aussi odieux et aussi ridicule que celui de Freron. C'est a vous a soutenir vos freres et a augmenter leur nombre. Vous savez qu'il est aise d'imprimer sans se compromettre. 206

]uin 1765

LETTRE 578

La gazette ecclesiastique9 en est une belle preuve. Est-il possible que des sages ne puissent parvenir dans Paris a faire avec prudence ce que font des fanatiques avec securite? Quoi! ces malheureux vendront des poisons et nous ne pourrons pas distribuer des remedes? Nous avons a la verite des livres qui demontrent la faussete et 1'horreur des dogmes chretiens; nous aurions besoin d'un ouvrage qui fit voir combien la morale des vrais philosophes I'emporte sur celle du christianisme. Cette entreprise est digne de vous; il vous serait bien aise d'alleguer un nombre de faits tres interessants qui serviraient de preuves. Ce serait un amusement pour vous et vous rendriez service au genre humain. Eclairez les hommes mais soyez heureux; vous meritez de 1'etre et vous avez de quoy 1'etre. Personne ne s'interesse plus que moy a votre felicite, mais je tiens qu'elle sera plus parfaitte lorsque, sans vous compromettre, vous aurez contribue a confondre 1'erreur. Le secret temoignage qu'on se rend alors a soy-meme est une des meilleures joui'ssances. Votre lache Fontenelle ne vivait que pour lui; vivez pour vous et pour les autres. Il ne songeait qu'a montrer de 1'esprit: servez-vous de votre esprit pour eclairer le genre humain. Je vous embrasse dans la communion des fideles. V. ^Pardon pour Pimbecile qui ecrit sous ma dictee/ MANUSCRITS

NOTES EXPLICATIVES

*A. B.N., ms. fr. 12938, p. 397-400; 4 p.; orig. signe comportant des corrections autographes. B. BK 1412.

1. Voltaire avait peut-etre quelque titre a adresser ce reproche a Helvetius : la derniere lettre connue echangee entre eux avant la presente est celle du 4 octobre 1763 (v. lettre 511); en outre, Voltaire avait apparemment invite Helvetius a lui rendre visite apres son retour d'Angleterre, offre qui etait restee sans effet : "Si vous voyez M. Helvetius, je vous prie de lui dire combien je suis afflige qu'il n'ait pas fait le voyage de Geneve." (Lettre a Duclos du 2 novembre 1764, Best. D. 12176.) 2. Selon Voltaire, le Nord, jadis arriere et barbare, surpassait, au dix-huitieme siecle, le Midi dans les domaines politique, social et culturel: "La sagesse [...] arrive du Nord; elle vient nous eclairer, [...] elle s'appuie sur la tolerance." (Sermon preche a Bale

IMPRIMES

I. Kehl, LIX, 133-135. II. Best. 11808. III. Best. D. 12660. TEXTE

Ajoute en haul du A :"a M. Helvetius." " A la date indiquee par Voltaire ont etc ajoutees les mentions "(1760) 1759 1765".b Le A : "malheureux (Homere)". c Le A : "nom (d'Homere)". ^Ajoute au has de la premiere page par Voltaire. C'etait la une reference aux deux "Homere", qu'il avait lui-meme corriges en "Omer" (v. notes b et c ci-dessus). Ce post-scriptum est omis dans le I.

207

LETTRE 579

Juin 1765

[1768], Moland, XXVI, p. 582-583.) Sur ce sujet, voir K. Piechura, "La valeur semantique du Nord, du Midi, de {'Orient, et de {'Occident chez Voltaire", Man and Nature I L'Homme et la Nature, VI (1987), p. 45-53. 3. Catherine II. 4. Stanislas Auguste Poniatowski (17321798) avait etc elu au trone de Pologne en 1764 avec 1'appui des troupes de Catherine II, dont il avait etc Pamant alors qu'il etait ambassadeur de Pologne a Saint-Petersbourg. Il abdiquera en 1795, a la suite du troisieme partage de la Pologne, dont il a ete le dernier roi. Esprit fin, tres cultive, il reorganises 1'enseignement, favorisera les arts et les sciences, et embellira Varsovie. Voir a son sujet la lettre 641, note 9.

5. Allusion a Stanislas Leszczynski. 6. Le pere Joseph de Menoux (v. lettre 50, note 13). 7. Jean Omer Joly de Fleury (v. lettre 300, note 1). 8. Cf. {'Etat present de la republique des Provinces-Unies et des pat's qui en dependent, de F. M. Janigon (4e ed., La Haye, 1755, 2 vol., I, p. 24-25) : "Enfin, il se peut, comme le dit M. le chevalier [William] Temple [dans ses Remarques sur Vestal des ProvincesUnies des Pai's-Bas, chap. V], que la religion fasse plus de bien en d'autres pai's, mais c'est en celui-ci ou elle fait le moins de mal." 9. Les Nouvelles ecclesiastiques, periodique janseniste clandestin.

579. Emanuel Christoph Klupfel1 a Friedrich Melchior Grimm Ce 28 juin 1765

[...]

Vous marques dans la lettre a Mad. de Buchwald2 que Mr Helvetius est arrive. Je suppose avec plaisir que c'est en bonne sante, car en partant d'ici il ne paroissoit pas se trouver aussi bien que nous 1'aurions souhaite, de sorte que nous ne fumes pas sans inquietude. Je me flatte qu'il daignera me conserver son souvenir. Pour moi je 1'aime & 1'estime de tout mon coeur, & quoique je n'aie pas trouve le moment pour ay placer* les sentimens qu'il m'a inspire, je suis asses vain pour ne point douter qu'il les agreera. Son sejour ici etoit trop court. Il etoit a tant^ de personnes, c& par consequent17 aucune ne jouissoit de sa presence, comme on 1'auroit souhaite. C'est le sort ordinaire dans ce monde : il nous montre des gens aimables pour nous laisser des regrets. [...] MANUSCRIT

IMPRIME

:;

I. Con, lift., XVI, p. 540-541.

'A. B.N., ms. fr., n. a. 1186, f° 108 recto108 verso; 4 p.; orig. autogr.

208

LETTRE 580 TEXTE

"Le I : "lui prouver". hLe 1: "trop". c Le A : "& par consequent & par consequent".

Jttin 1765 NOTES EXPLICATIVES

1. Voir lettre 559, note 1. 2. Voir lettre 549, note 2.

580. Friedrich Melchior Grimm a Caroline Henriette de Deux-Ponts, princesse de Hesse-Darmstadt1 M. Helvetius s'est ressenti, Madame, du bonheur qu'il a eu de faire sa cour a Votre Altesse Serenissime; je 1'ai embrasse bien plus tendrement et avec plus de vivacite que s'il avoit passe pres de Bouxviller2 sans s'arreter. Jl a trouve mes ordres a Gotha et a Francfort; je lui permettois de chercher Votre Altesse a Darmstadt ou a Bouxviller, et il ne s'est pas repenti de s'etre conforme a mes volontes. Quoique plein du grand Frederic, il a bien senti les qualites eminentes qui transpirent, dit-il, de toute la personne de Votre Altesse; et bien lui a pris, car s'il n'en avoit pas etc frappe, il etoit perdu de reputation dans mon esprit, et il ne s'en seroit jamais releve. Pour ne blesser mon amitie sur aucun point, il a passe a peu pres autant de temps a Bouxviller que ma bonne et avare etoile m'a permis de passer a Pirmesens3; il n'a voulu prendre aucun avantage sur moi. Je lui aurois, cependant, volontiers pardonne tout le temps qu'il auroit employe a faire sa cour a Votre Altesse. Jl me charge, Madame, de vous faire agreer son profond respect et, apres nous avoir donne quinze jours, il vient de partir pour aller retrouver sa femme dans une de ses terres4. [...] A Paris, ce 30 juin 1765 MANUSCRIT

*A. Archives d'Etat de Hesse, Darmstadt, Abt. Hausarchiv IV, Konv. 562, Fasz. 4, ff os 2 recto et verso, et 3 verso; 4 p.; orig. autogr. IMPRIMES I. Briefwechsel der Grossen Landgrdfin Caroline von Hessen, ed. Walther, Vienne, 1877, 2 vol, II, p. 423-424. II. Schlobach, p. 44. NOTES EXPLICATIVES

1. Caroline (v. lettre 483, note 1) recevait la Correspondance litteraire de Grimm et lui amenait des abonnes.

De 1764 a sa mort, elle a entretenu avec lui une correspondance assez suivie. 2. Voir lettre 483, note 3. 3. En automne 1762, Grimm avait fait un sejour a Pirmasens, petite ville de garnison situee entre Sarrebruck et Spire. C'etait la residence habituelle de Louis IX, mari de Caroline. 4. Vore. REMARQUES

Ayant sans doute rec,u entre-temps une lettre de Caroline de Hesse, Grimm y repond en ces termes le 4 juillet: "Je suis charme que le bon Helvetius en ait

209

LETTRE581 impose a Votre Altesse pendant quelques momens; cette idee me divertit, mais il etoit bien eloigne de s'en douter. Ce qu'il m'a dit de son sejour de Bouxviller m'a fait juger qu'il etoit digne de 1'honneur que je lui ai procure, et il a fort bien fait de mettre du nez dans cette affaire, car si trop plein du grand Frederic il n'avoit pas senti le prix de mon

Juin 1765 bienfait, il etoit ruine de reputation dans mon esprit. Je suis charme aussi, Madame, que vous ayez ete contente de lui, et j'espere que vous voudrez bien conserver aux philosophes qui reviennent du pelerinage de Sans-Souci le privilege de vous faire leur cour." (Archives d'Etat, Darmstadt, loc. cit., f° 4 recto-4 verso; Schlobach, p. 46-47.)

581. Friedrich Melchior Grimm a Lomse-Dorothee de Saxe-Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha Madame, Vous avez bien raison : mes lettres et mon barbouillage gagnent tous les jours, parce que Votre Altesse Serenissime augmente tous les jours de bonte et d'indulgence, et a quelque exces qu'elles soient portees depuis longtemps, il est des vertus dont vous possedez un fond inepuisable. C'est la le resultat de nos conferences entre M. Helvetius et moi. Jl vient de partir pour sa terre1 afin de retrouver un peu de repos que le brouhahas de Paris rend souvent impossible. Il m'a dit qu'un de ses premiers soins seroit d'ecrire a Votre Altesse combien il etoit touche et penetre de respect, d'admiration et de reconnaissance2. Jl m'a aussi confie qu'il avait remarque a Votre Altesse et a Madame la Grande Maitresse3 un grand fond de bonte pour moi. [...] On a lu avec reconnaissance ce que Votre Altesse Serenissime a eu la bonte de me mander de ses dispositions a seconder les notres. J'augure favorablement de tout ceci depuis le retour du pere de L 'Esprit, et je pense que si 1'on veut consentir la-bas a ce que les deux sujets a envoyer soient nommes le meme jour, on sera bientot d'accord; c'est a quoi en sont venues les choses depuis ma lettre a Votre Altesse4. J'aurai d'autant plus de plaisir, Mada e, a en apprendre un bon succes et a vous le mander que je suis star de la rt que vous y prendrez. W Ce qui me fache, c'est que je n'ai pu assez parler au bon Helvetius ni de Potsdam ni de Gotha, parcequ'il ne savoit a qui entendre, qu'il etoit presse de revoir sa femme qui 1'attendoit a trente lieues d'ici dans sa terre a Vore, et que le voila absent pour quatre ou cinq mois de suite. Si j'avois" un peu de courage, j'irois passer hurt jours avec lui dans la solitude, mais mes occupations ne me permettent pas de me donner ce passetemps en ce moment-ci. Je me retourne de mon reduit vers le sejour de la souveraine 210

LETTRE 582

Juillet 1765

que j'adore, et lui adresse comme auparavant mon culte solitaire en me remplissant du souvenir de ses vertus et de ses bontes. J'ai dit a M. Helvetius ce qui est vrai, que quelque bonne opinion que j'eusse du succes de son voyage, il avoit encore surpasse mes esperances par la maniere dont il avoit vu les choses et manie les esprits. Votre Altesse ne devineroit pas ce qu'il repond a cela : "Mon ami, dit-il en riant, c'est que je ne suis pas aussi bete que je le parais." [...] A Paris, ce 30 juin 1765 MANUSCRITS :: "A. Archives d'Etat de Weimar, Geheimes Archiv Gotha E XIII a, n° 16, ... ... ..\. r r05 if os 414 recto, 414 verso, et 415 recto. 415 verso; 4 p.; one. autogr. B. B.N., ms. fr., n. a. 4411. ir°s 170 et 172; 3 p.; copie iaite a 1 intention de Maurice ~ lourneux. TEXTE Les folios 173 et 174, ou figurait la plus grande partie de la lettre, sont absents

du B. Le texte de celui-ci n'est ecrit que sur les rectos. "Fin du texte du B. NOTES EXPLICATIVES

I. Vore v(v. rpar. 3 de la lettre). . ' 2. Lettre non parvenue msqu a nous. 3. La Grande Maitresse des coeurs etait Mme de Buchwald (v. lettre 549, note 2). 4. Lettre du 7 juin 1765 (lettre 570), a laquelle la duchesse avait repondu le 18 (v. lettre 570, Remarques).

582. Madame Helvetius a Nicolas de Delay de La Garde A Vore, ce 8 jeuillet [1765] Je vous remercie bien, mon cher frere, de me donne des nouvelle de votre pauvre femme que ie plains de tout mon coeur. La magniere avec la quelle vous vous conduise avec elle e[s]t bien estimable; j'espere que vos soins, vos complaisance, la fera revenire de sont etat1. Ie suis bien etonne que mon pere ce refuse a la voire des qu'elle le desire; je lui ecrit a ce sujet. Des que mon pere veux absolument ce mettre en pensions, ils faut bien le lesse faire; aparament que cela lui conviens mieux2. Voux deve aitre bien sure que ie feraye pour sont agrement et sont nessaisere tout ce qu'ils faudera; ils et bien juste de partage avec vous les charge de la famille. II ne saye pas quelle a etc la maladie de Mde Baudont; ginorois* qu'elle aye etc malade3. Ie vous pris de me donne souvent des nouvelle de ma sceur et de Pembrasse bien tendrement de ma pare si vous en trouve l'oc[cas]ion^ favorable. Adieu, mon cher beaux-frere; receve les assurence des sentimans avec les quelle j'ay Phonneur d'aitre votre tres humble et tres obeissente servente. Ligniville Helvetius 211

Lettre de Mme Helvetius a Nicolas de La Garde du 8 juillet 1765

LETTRE 582

Juillet 1765

[adresse :] Monsieur / Monsieur de Lagarde / fermie gener alle / a Paris MANUSCRIT

*A. A.N., Y 4899 B; 3 p.; orig. autogr.; traces de colle rouge; timbre de la poste : REMALARD. TEXTE

Mention ajoutee sous la signature : "Con[tro] le a Paris le onze mars 1766. Regu treize sols. Langlois4." " j'ignorais. ^Mot masque par le cachet. NOTES EXPLICATIVES Cette lettre de Mme Helvetius, ainsi que la suivante, se trouvent dans un volumineux dossier concernant 1'interdiction de sa soeur Elisabeth, femme du fermier general Nicolas de Delay de la Garde (v. lettres 51, note 12, et 163, note 2). Plusieurs temoignages concourent a la representer comme "nee avec une imagination ardente", pouvant la porter a "des acces de vivacite et de violence qui 1'entrainoient hors d'elle-meme et des bornes de la moderation et de la decence" (v. M.C., XXIII, 800, 20 octobre 1784, declaration de son beau-frere, Frangois Pierre de Delay de La Garde). Ces crises n'etaient toutefois qu'intermittentes. Son etat s'etant aggrave entre 1763 et 1765, comme 1'indiquent les attestations de medecins figurant au dossier, son mari presentera au Chatelet le 23 avril 1766 une demande en interdiction. Le 27 fevrier 1767, sera rendu un jugement accordant la requete et autorisant La Garde a faire conduire son epouse dans un couvent de son choix. Hormis Nicolas de La Garde, les proches de sa femme ne semblent pas s'etre rendu compte de la gravite de son etat, du moins a 1'epoque de cette lettre. Ainsi, dans une declaration faite a Remalard devant le notaire Revel le 28 juin

1766, Helvetius affirme ne pas savoir, depuis qu'il a quitte Paris au mois de mars precedent, "quel est 1'etat et la scituation de 1'esprit de la ditte dame de Lagarde"; il ajoute que jusqu'alors, il n'avait "rien remarque en elle [...] qui meritast de la faire interdire", et que, si elle etait reellement malade, "cette interdiction seroit plus prejudiciable qu'utille a son fils et a elle-meme." De meme que le pere, les freres et les sceurs d'Elisabeth, il estime necessaire que des soins convenables lui soient fournis dans la demeure conjugale meme. Toute la famille Ligniville accuse en outre plus ou moins ouvertement La Garde de vouloir se debarrasser de sa femme, de la trailer avec cruaute, et d'etre guide avant tout en cette affaire par des interets financiers. 1. Cette lettre a sans doute etc versee par son destinataire au dossier de la demande d'interdiction, comme contnbuant a prouver que ses intentions et sa conduite envers sa femme etaient irreprochables. 2. Jean-Jacques de Ligniville, pere de Mme Helvetius et d'Elisabeth de La Garde, demeurait chez cette derniere depuis la mort de sa femme, survenue en 1762. Au mois de mai 1765, il s'etait retire a 1'abbaye Sainte-Genevieve, et dans sa requete, La Garde attnbue cette decision de son beaupere au "chagrin d'etre le temoin continuel des vapeurs, des absences et des ecarts de la dame sa fille". "Mais, ajoute-t-il, il a temoigne a son gendre, par des lettres remplies d'affection, combien il etoit touche et reconnoissant de ses procedes." Le comte de Ligniville se prononcera pourtant, dans une lettre du 3 decembre 1765

213

LETTRE 583

Juillet 1765

qui a ete jointe au dossier, centre 1'interdiction de sa fille: "L'idee du couvent a quelque chose de revoltant, ma fille ne pouvant vivre dans la contrainte; je suis persuade que d'en entendre parler, elle tomberoit dans un etat plus triste encore." Elisabeth, de son cote, ne cessera de reclamer la presence de son pere, auquel elle etait sans doute tres attachee, mais qui, d'apres la presente lettre, ne tenait pas a la voir aussi souvent qu'elle le desirait. Interrogee le 7 juillet 1766, elle declare etre "tres fachee [...] de ne point voir M. son pere a qui on a fait un monstre d'elle". Bien plus tard, quand elle engagera la derniere procedure qui devait aboutir a la levee de son interdiction, elle expliquera de fagon fort differente la reserve dont elle s'etait plainte de la part de so n

pere vingt-deux ans plus tot: il avait agi par depit, parce qu'elle n'avait pas voulu "repondre de quarante mille livres qu'il desiroit avoir pour acheter un diplome et avoir la qualite de prince d'Allemagne". (Interrogatoire du 11 novembre 1788, A.N., Y 5179B.) Rappelons enfin que Jean-Jacques de Ligniville mourra en 1769. 3. Autre soeur de Mme Helvetius (v. lettre 265, note 3), avec laquelle cette derniere ne semble pas avoir entretenu des rapports suivis. La maladie de Mme Baudon est egalement attestee par une lettre de 1'abbe Antoine Joseph de Ligniville, expediee de Nancy le 2 aout 1765 : "Mde Baudon m'ecrit des choses sur sa sante qui m'effraient." 4. Voir lettre 534, note 3.

583. Madame Helvetius a Nicolas de Delay de La Garde [Entre le 8 juillet et le l er decembre 1765]1 Je suis bien charme, mon cher frere, que la sante de ma soeur soie mieux; j'espere qu'elle sant* tirera avec tout les soins que vous prene pour la calme. Je vous plains de tout mon coeur. C'est un sepectacle affreux que vous aves desoue les yeux. Us faut cependant tache que votre sente nent soufre; que devienderoist ma pauvre soeur si vous n'etie pas toujours aux prest d'elle? Quend je seraye a Paris, je seraye bien charme de pouvoire vous aitre de quelque consolations et de vous prouve 1'atachement avec le quelle j'ay 1'honeur d'aitre votre tres humble et tres obeissante servante. Ligniville Helvetius *[M] on mary, mes enfand vous fond mille amitie et a mon neveux2 que nous embrasson touse de tout notre coeur. Je vous pris de me donne toujours de temps en temps des nouvelle. [adresse :] Monsieur/ Monsieur de La / Garde, fermie generalle / a Paris

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Juillet 1765

LETTRE 584 MANUSCRIT

*A. A.N., Y 4899 B; 3 p; orig. autogr.; traces de colle rouge; timbre de la poste : REMALARD TEXTE

Mention ajoutee a la page 2, sous la signature: "Con[tro]le a Paris le 11 mars 1766. Regu treize sols. Langlois3." "s'en. ^Trou a 1'endroit ou la colle a etc appliquee. NOTES EXPLICATIVES 1. Cette lettre, d'apres laquelle la same de Mme de La Garde s'est amelioree,

est sans doute posterieure pour cette raison a la lettre 582 du 8 juillet 1765. Et comme le post-scriptum indique la presence d'Helvetius a Vore, elle est anterieure au l er decembre de la meme annee, date a laquelle il sera de retour a Paris (v. lettre 601, Remarques). Par ailleurs, le filigrane du papier est le meme que celui de la lettre precedente. 2. Pierre Nicolas de Delay de La Garde (1754-1782), fils unique d'Elisabeth de La Garde. 3. Voir lettre 534, note 3.

584. Frederic II, roi de Prusse, a Helvetius C'est avec bien de plaisir que j'aprens votre heureuse arrivee a Paris. Come je ne me rapele point ses diferens articles dont il est fait mention dans votre letre1 et dont je dois vous avoir parle je ne pourai pas par consequent y repondre2. [...] A Potsdam, ce 11" juillet 1765 MANUSCRIT :;

"A. Collection du marquis de Rosanbo, fonds Lamoignon 263 ap 6; 1 p.; orig. signe. TEXTE * Ce quantieme peut egalement se lire "10", mais Helvetius lui-meme 1'a lu comme etant "11" (v. debut de la lettre 588). NOTES EXPLICATIVES 1. Lettre 576. 2. Helvetius avait rendu compte a Frederic II de ses entrevues diplomatiques avec les dues de Choiseul et de

Praslin. Ce dernier avait exige que la mission d'Helvetius soit autorisee par une lettre du roi de Prusse, et celui-ci voyait en cette demande un piege destine a permettre de le presenter comme celui des deux souverains qui aurait pris 1'initiative. REMARQUES

Helvetius enverra copie de cette lettre a Choiseul (v. lettre 588, par 1). Elle ne figure pas dans le dossier relatif a cette question qui est conserve aux archives des Affaires etrangeres (v. lettre 562, Remarques).

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LETTRE 585

Juillet 1765

585. Helvetius an protecteur1 de Jean Baptiste Francois Vieilh2 Monsieur, II est vray que le roy de Prusse pense que ses finances et surtout ses fermes pourroient etre mieux administrees, qu'il desireroit qu'une compagnie riche et en etat de faire des fonds d'avances se chargea de cette administration. J'ay eu ordre d'en parler de sa part a quelques gens riches; je 1'ay fait, et il se presente une compagnie qui, avant de s'engager, demande des eclaircissements que le roy de Prusse seul peut luy donner. Je ne scais pas s'il le fera. Ainsy Ton n'en est point encor au moment de songer a votre protege2. Si ceux qui s'interressent a luy se proposoient pour regir les fermes du Roy et qu'ils fussent en etat de faire sept ou huit millions de fonds d'avances, je ferois part au Roy de leur proposition. Aureste il ne s'agiroit point d'etablir en ce pais des fermes a sur le pied ou elles sont en France, et d'avoir une armee de garde qui consomeroient une partie du produit de cette ferme. Ce n'est que par le has prix des denrees de consomation que le Roy veut et doit se defendre de la fraude. Je vous mand[e]rois ladessus des details si les gens qui s'interressent a Mr Veilly2 se presentoient pour etre fermiers^ de Sa Majeste prussienne. Sans cela je ne peux rien pour votre protege parceque la compagnie qui fera les fonds voudra nommer aux emplois, et qu'il leur faudra des commis qui parlent allemand et francois. Je vois par le memoire de ce Mr de Veilly que c'est un homme de merite et qui pourroit etre utile au Roy si, au lieu d'une compagnie de fermier, il vouloit qu'on luy envoia seulement des hommes instruits dans les finances et en etat de reformer les abus qui se sont glisses dans ses regies. J'ay lieu de soupconner que le Roy pourroit retirer un tiers de plus de ses fermes sans qu'il imposa un sol de plus sur ses sujets. Vous pouvez assurer ceux qui me croient si puissant en Prusse qu'il n'en est rien, que le Roy est un homme superieur dans toutes les parties de 1'administration, et que je n'ay jamais eu la fatuite de croire que je pusse 1'eclairer sur aucune. Je ne fais quant a cette compagnie des fermes que 1'office de commissionnaire. Aureste il ne faut pas s'imaginer qu'on s'engraisseroit du sang prussien : le Roy ne le voudroit certainement pas et je puis vous protester que si j'avois quelque credit sur luy je ne luy donnerois pas ce conseil. Tout ce que je puis vous assurer, c'est qu'il n'y a point de peuple qui paie moins au Roy et que les reformes qu'il y auroit a faire en Prusse ne tomberoit point sur cet objet. Soiez tres persuade que je n'ai point le ridicul de me donner pour conseiller du c roy de Prusse et de le dire tres publiquement.

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Juillet 1765

LETTRE 585

Je suis, ave Monsieur,

ut 1'attachement possible, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius

Ce 21 Juillet 1765 MANUSCRIT :;

"A. Vore; 4 p.; orig. autogr.

TEXTE

Ajoute en haut du A par une main inconnue: "Lettre de Mr Helvetius, auteur du livre De I'Esprit, relative a Mr Vieilli dont il faisoit cas". " Le A : "fermes {du Roy)". hLe A : "fermiers d(u)e (Roy)". c Le A : "le". NOTES EXPLICATIVES Frederic II estimait depuis longtemps que les methodes prussiennes de perception des droits de douane et des accises etaient inefficaces et generatrices de corruption, et que le nombre d'administrateurs qualifies dans ce domaine etait devenu tres insuffisant, beaucoup d'entre eux etant morts pendant la guerre de Sept Ans. En temoignait le rendement de I'Akzise pour Pannee 1764-1765, qui avail etc inferieur de pres d'un tiers a celui de Pannee precedente. Le roi desirait, non pas augmenter les impots, mais en ameliorer la perception, et comme Padministration fiscale franchise passait pour la plus efficace d'Europe, il decide en 1765 de faire appel a des fermiers frangais. Confirme dans ses intentions par ses echanges avec Helvetius, qui lui a fourni sur ce sujet des conseils fort techniques, il charge ce dernier, lors de leur derniere entrevue, de rechercher en France une compagnie de fermiers "en etat de faire sept ou huit millions de fonds d'avance" et qui administrera la perception des droits indirects, sans

recourir au systeme des "baux a forfait", juge trop oppressif (v. Frederic II, Memoires, dans Preuss, VI, p. 77). Helvetius s'acquitte de cette commission des son retour de Prusse (v. debut de la lettre). Le 19 aout, Frederic II lui fait demander de lui envoyer "une de ses tetes de ferme avec cinq subdelegues" dans le but de les affecter respectivement a chacune des cinq regions fiscales de Prusse (v. lettre 591), et en septembre, Helvetius demande pour eux des passeports a Praslin (v. lettre 596 et 597). Le principal administrateur choisi est Marc Antoine Andre de La Haye de Launay (1726-1808), qui appartient a une grande famille de fermiers generaux. Intelligent, infatigable, experimente, prudent, accessible, aimable et honnete, il restera vingt ans a la tete des fermes de Prusse. Toutefois, la responsabilite de la Regie, a ses debuts, est exercee conjointement par Launay et par Antoine Joseph de Trablaine de Candy (1724-1766), ancien receveur de laporte Saint-Denis, munitionnaire general des vivres meridionaux en 1762, ainsi que secretaire du roi, egalement grand travailleur et qui jouit de hautes protections a Versailles. L'Averdy, controleur general des finances, informe en effet Praslin le 27 novembre 1765 que Frederic II a propose a ces deux fermiers "de se charger de la regie et administration de tous ses droits" (Aff. etr., C.P. Prusse 186, f° 338 recto). Candy sera tue en duel a Berlin par Pun des autres regisseurs

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LETTRE 585 frangais, la veille de Noel 1766 (v. lettre 619, note 2). Launay est regu par le roi le 15 Janvier 1766, et pendant les mois suivants, ils jettent les bases de VAdministration generate des accises et peages, generalement appelee la Regie, destinee a la perception des impots indirects, et dont la mission est de reduire la contrebande et les detournements de fonds, de standardiser et de simplifier les methodes de travail, et de normaliser les tarifs entre les differentes regions. De 175 a 200 Frangais assumeront les fonctions de direction, mais formeront des cadres prussiens appeles a les remplacer progressivement, et la Regie comptera en tout 2 000 employes. Le 16 mars 1766, le roi accuse reception en ces termes d'un long memoire de Launay et de Candy : "Vous aurez 1'honneur d'avoir mis 1'ordre, la clarte et 1'exactitude dans le chaos; Mrs de La Haye et de Candy sont les Jupiters qui 1'ont debrouille." (W. Schultze, Geschichte der Preussische Regierverwaltung von 1766 bis 1786, Leipzig, 1888, p. 36.) Le meme mois, Candy se rend a Paris pour achever le recrutement des agents frangais, revient en Prusse a la fin de mai avec "toute une colonie de gens de finance choisis dans tous les grades" (Thiebault, II, p. 134), et la Regie est officiellement creee le 9 avril. Mais la composition du groupe des Frangais ainsi engages, comme les arrangements qu'ils proposent, suscitent rapidement le mecontentement du roi: "J'ai donne au sieur Helvetius, ecrit-il a Launay le 29 avril, commission de me trouver une compagnie pour prendre en ferme mes douanes et accises; ses deputes sont venus, il n'y a point etc question d'affermer, mais ils ont propose une regie mixte. Je leur demande une avance de

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J Millet 1765 300 000 ecus, ce qui est une misere; cela manque parce que assurement ils n'ont pas le sol. Ils veulent envoyer ici tout le rebut des commis, ce qui gatera mes affaires. C'est moi qu'ils chargent de tous les frais de 1'entreprise." (H. Rachel, Die Handels-, Zoll- und Akzisepolitik Preussens 1740-1786, Berlin, 1928, p. 150.) Un contrat d'une duree de six ans (l er juin 1766-31 mai 1772) n'en est pas moins signe le 14 juillet entre le roi de Prusse et les cinq regisseurs frangais qui se partageront une remuneration de 60 000 thalers par an, ainsi que 5% de la tranche des revenus qui excederont ceux pergus en 17651766. Trois autres regisseurs generaux collaboreront avec Launay et Candy. L'un, Jacques Pernety, ancien directeur des douanes a Lyon, frere de dom Antoine Joseph Pernety et cousin de Candy, reviendra en France en 1772, ou il occupera un poste dans les fermes de Valence, en Dauphine. Le second, Jacques Frangois Brierre (vers 1707-1792), fils du notaire Jacques Mathieu Brierre et oncle a la mode de Bretagne de Pepouse de Launay, Marie Bertrande Thore, avait etc directeur des fermes du roi de France; il laissera le souvenir d'un homme honnete et genereux. Enfin, un certain de Crecy, choisi par Helvetius et impose a Launay par Frederic II, etait fort age et mourra quelques mois apres son arrivee a Berlin. Il sera remplace par Nicolas Constantin de Lattre, jeune homme ambitieux, qui se fera la reputation d'etre dominateur, persifleur et tranchant, et qui epousera une Prussienne. Launay et lui seront les seuls regisseurs frangais a rester en poste apres 1'expiration de leur contrat. La Regie a direction frangaise, qui constituait une structure parallele a la

LETTRE 585 vieille bureaucratic prussienne, entra souvent en conflit avec elle et souleva d'amers ressentiments au sein du public. Elle n'etait en rien responsable des tarifs appliques, mais le systeme de perception rigoureux qu'elle institua fit clamer aux negociants qu'on les ecorchait. Et la xenophobic aidant, certames rumeurs se transformerent en calomnies et les plaintes particulieres en une critique generalisee qui n'epargna point 1'mitiateur de 1'institution : "Helvetius, ecrit un correspondant de Winckelmann, a cause plus de mal que n'aurait fait une bataille perdue centre les Frangais." (Winckelmann, Briefe, Berlin, 1952-1957, 5 vol., IV, p. 220; traduction.) Quant au succes de la Regie sur le plan economique, il est difficile a evaluer, mais il est au moins certain qu'elle a contribue au developpement du centrahsme prussien. Le role joue par Helvetius dans la creation de la Regie sera condamne par Mirabeau dans un ouvrage paru a une epoque ou les fermiers generaux avaient fort mauvaise presse, intitule De la Monarchic prussienne sous Frederic le Grand (Londres, 1788, 4 vol.), et dans lequel les propos suivants sont pretes a un Prussien : "Par malheur, un mauvais genie avoit conduit un Frangois a Potzdam, qui msinua a notre bon roi que les Allemands n'etoient que des tetes creuses; qu'il falloit avoir recours aux Frangois, a qui rien n'etoit impossible, et qui sauroient tres facilement trouver des moyens de faire reussir des projets dignes d'eux, pour peu qu'ils puissent plaire par la a Sa Majeste. Oh! Frederic! prince digne de tous nos hommages, pourquoi falloit-il qu'un etranger egarat ton cceur, pour abandonner le bien de ton peuple a des mains mercenaires?" (Op. cit., II, p. 530-531.) Toujours selon Mirabeau, la famille d'Helvetius lui

Jtiillet 1765 aurait oppose 1'argument suivant pour exonerer le philosophe de tout blame : "Les lettres originales de cet illustre auteur a Frederic prouvent [...] qu'il lui deconseilla toujours, et avec beaucoup d'energie, de recourir a ce moyen." (Op. cit., II, p. 426.) Au contraire de Mirabeau, Launay a defendu les initiatives d'Helvetius (Justification du systeme d'economiepolitique etfinanciere de Frederic II, [s.l.n.d.], p. 8). 1. Non identifie. Il s'est peut-etre agi d'Armand Thomas Hue deMiromesnil (1723-1796), attache au Grand Conseil pres le parlement de Rouen : Vieilh a en effet beneficie de la protection de certains milieux parlementaires hostiles aux expedients financiers imposes par 1'autorite royale, et surtout de ceux de Rouen. 3. Jean Baptiste Frangois Vieilh (17331802), neet mort a Alengon, appartenait a une famille normande de fonctionnaires. Inspecteur general des Domaines dans la generalite d'Alengon, poste qu'avait occupe son pere, Claude, mort en 1757, il avait fait publier en 1764 par Jacques PistelPrefontaine, de Falaise, et la veuve Besongne, de Rouen, un opuscule anonyme intitule Le Secret des finances divulgue, contenant une denonciation des differents abus commis dans la perception des impots ainsi que des critiques violentes des fermiers generaux. L'ouvrage, dont le second paragraphe commence par "J'attaque d'abord les fermiers generaux; il faut aneantir leur existence fatale a 1'humanite", valut a son auteur d'etre embastille du 19 juin au 2 septembre 1764 (v. Arsenal, Bastille, ms 12229, et Archives departementales de 1'Orne, Alengon, C 548). Vieilh sera ensuite successivement

219

Aout 1765

LETTRE 586 garde des archives de la Compagnie des Indes de 1771 a 1786, administrateur de la loterie nationale, maire de la commune d'Alengon, et conseiller de prefecture. Favorable a la Revolution, il fera imprimer a la veille des Etats generaux un Essai sur les finances, dans lequel il developpera les theses exposees dans son premier

ouvrage et proposera une ref orme des impots. En 1790, alors qu'il sera maire d'Alengon, paraitront ses deux Lettres d'un lahoureur des environs d'Alengon en Normandie a tons ses confreres du royaume (1790) (v. A. A. Barbier, Dictionnaire des ouvrages anonymes, 1822-1827, 4 vol., IV, p. 453).

586. Mattheus Lestevenon van Berkenroode1 a Pieter Steyn2 Hoog Edele Gestrenge Heer, De Heer Helvetius, vermaard door zijn eenige jaaren geleeden in het ligt gegeeven boek gei'ntituleerd L'Esprit, heeft een reisje van eenige weeken naar Berlijn gedaan, zo voorgaf, om die stad te bezigtigen, en zijn hof aan den Koning van Pruissen te maaken, van wien, door zijn geschrift, bekend was. Hij is aldaar met veel minzaamheid ontfangen geworden, en heeft de eer gehad verscheide maalen ter audientie van dien monarch toegelaaten te worden, die hem op zijn afreize een goude doos met hoog desselfs pourtrait vereerde. Hier te rug gekomen zijnde is hij den Hertog de Choiseul gaan zien, heeft aan Zijn Excell [enti] e verslag van zijn reis gedaan, en gerelateerd, dat de Koning van Pruissen zich diverse maalen in de conversatie over Zijn Excell [enti] e had uitgelaaten in de vriendelijkste termes, en veel agting voor zijn persoon getoond had. Eenige dagen daarna is de H[ee]r Helvetius bij welgem [emoreerde] minister ontbooden geworden, en bijna een uur in desselfs cabinet geweest, waar na zulks ook bij den Hert[og] de Praslin geschied is. Sedert is de minister in correspondentie met den Pruissischen minister Graaf van Finkenstein3, en ik heb nog gister avond de sterkste verzeekering gehad dat de zaaken zich met het Hof van Berlijn schikken en dat men eer een maand ten einde is van wederzeids een envoije zal benoemen en afzenden. Waarmede, &c. Lestevenon van Berkenroode Compiegne, den l sten Augustij 1765 [Traduction : ] Haut, Noble et Puissant Seigneur, M. Helvetius, celebre pour son livre De I'Esprit, public il y a quelques annees, a fait un sejour de quelques semaines a Berlin pour visiter la ville et faire sa cour au roi de Prusse, dont il etait deja connu par ses ecrits. Ce 220

LETTRE 587

Aout 1765

monarque 1'a regu avec bien des graces, lui a fait 1'honneur de le recevoir plusieurs fois en audience, et lui a offert, lors de son depart, une boite en or embellie de son portrait. A son retour ici, M. Helvetius est alle voir le due de Choiseul, a rendu compte de son voyage a Son Excellence, et lui a rapporte qu'au cours de ses conversations avec le roi de Prusse, celui-ci avait parle d'elle a plusieurs reprises dans les termes les plus amicaux et avec beaucoup d'estime. Quelques jours plus tard, M. Helvetius a ete mande par Pillustre ministre et a passe pres d'une heure dans son cabinet, puis a egalement ete rec,u par le due de Praslin. Depuis lors, le ministre est en correspondance avec le comte de Finkenstein3, ministre de Prusse, et j'ai meme rec.u hier soir les plus fermes assurances que les choses sont en train de s'arranger avec la cour de Berlin, et que d'ici n mois, un envoye sera nomme et depeche des deux cotes. J'ai 1'honneur d'etre, &c. Lestevenon van Berkenroode Compiegne, l er aout 1765 MANUSCRIT :;

"A. Archives generales d'Etat, La Haye, Papiers des Grands Pensionnaires, P. Steyn, n° 29; 1 p.; copie admin. Nous sommes redevables a M. Jeroom Vercruysse de nous avoir signale 1'existence de ce manuscrit. TEXTE

Nous avons complete les mots abreges et modernise 1'emploi des majuscules et des minuscules. Ajoute par le copiste en haut du A : "l sten Augustij 1765. Missive van den Heer Lestevenon van Berkenroode". NOTES EXPLICATIVES

1. Mattheus Lestevenon (1715-1797), grand veneur du stathouder Guillaume IV. Fort riche et appartenant a

une famille influente, il etait ambassadeur a Paris depuis 1749 et allait le rester jusqu'en 1792. Horace Mann 1'avait qualifie en 1741 de "great awkward Dutch petit-maitre" (grand petit-maitre hollandais sans grace). (Walpole's Correspondence, XVII, p. 200.) 2. Pieter Steyn (1706-1772), fils du bourgmestre de Haarlem, grand pensionnaire depuis 1749, fonction qu'il allait exercer jusqu'a sa mort. 3. Karl Wilhelm Finck von Finckenstein (1714-1800), nomme ministre plenipotentiaire a Stockholm en 1735, puis ambassadeur en Russie (1740-1748), et depuis 1749, ministre d'Etat charge des Affaires etrangeres.

587. Helvetius a Charles Augustin Feriol, comte d'Argental Monsieur le comte, Je vous envoie a la fois et la copie d'une lettre que le roy de Prusse 221

LETTRE 588

Aout 1765

m'ecrit1, et les copies de celles que j'ecris a ce sujet aux ministres2. Leur lectures vous mettront au fait de 1'affaire, et en etat de me donner vos conseils, et de me dire si la lettre que j'ay deissein d'ecrire en Prusse3 convient aux ministres. Ecrivez-moy a ce sujet ce que vous penses et si 1'on est toujours dans 1'intention de s'arranger avec le roy du Nord. Pour moy j'en ai toujours grande envie, mais je crains 1'indifference de Versailles. Je suis, avec.respect, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius Ce 13 aout 1765 "Mon adresse est a Vore, proche Reemallard, au Perche, route du Mans.* MANUSCRIT

*A. Aff. etr., C.P. Prusse 186, f° 313-313 bis^; 2 p.; orig. autogr. IMPRIME

I. Keim, p. 703. TEXTE Mentions ajoutees en haut du A : "N° 7" (a 1'encre) et "13 aout 1765" (au crayon). "Phrase erronement placee par Keim (p. 704) au debut du texte de la

lettre suivante (588). bLe deuxieme feuillet de cette lettre, sans doute vierge, a etc coupe en deux dans sa longueur : moins de la moitie en reste attache au premier feuillet, et le reste s'est perdu. NOTES EXPLICATIVES

1. Lettre 584. 2. Choiseul et Praslin (v. lettres 588 et 589). 3. Lettre 590.

588. Helvetius a Etienne Frangois, due de Choiseul [13 aout 1765]1 Ms*

J'etois charge de la part du roy de Prusse de dire a Mgr le due de Pralin que, pour lever tous les obstacles qui s'opposoient^ a la bonne intelligence des deux cours, jl falloit qu'a un jour convenu elles nommassent toutes deux leurs ambassadeurs ou envoyes. Je 1'ai dit a Mr le due de Pralin. Get arrengement lui a paru convenable. Jl a seulement desire que ma mission fut autorisee par une lettre du Roy. On me mande de Berlin2 qu'en autorisant ma mission par une lettre on a craint qu'on ne se vantat a la cour de France des avances qu'auroit c fait le roy de Prusse. Je vous envoie, Mgr, copie de celle que ce prince m'a ecrit a ce sujet3; elle est dattee du onze 222

LETTRE 588

Aout 1765

juillet et vous y verres par ces mots et dont je dois vans avoir parle que j'etois reellement charge de la part de Sa Majeste des propositions que j'ai faittes a Mr le due de Pralin. Si c'est un exces de prudence qui retient le Roy, je ne puis que Ten louer, mais s'iH est important pour nous de connoitre ses vraies dispositions et de sgavoir si depuis mon depart jl n'auroit pas pris quelque nouvel engagement, jl me semble qu'il seroit facile de le mettre au pied du mur. Mr le comte d'Ossonville4 est actuellement sur les lieux. Si on le chargeoit de voir le roy de Prusse en particulier, de lui dire que la cour de France est dans 1'intention de nommer aupres de lui un ambassadeur ou envoye le meme jour qu'il nommera le sien, que lui, comte d'Ossonville, sera cet ambassadeur, qu'il en recevra les patentes, ne les dattera et ne les montrera que le jour meme que le Roy aura nomme son envoye, je crois que par ce moyen Phonneur de la France ne seroit point compromis, sa bonne foy seroit constatee, et que le roy de Prusse seroit dans la necessite de declarer ses vraies intentions. Vous juges bien, Mgr, que je ne pretends point vous donner de conseils. Je n'ai point etudie les negotiations et je n'y entens rien. Tout ce que je sgais, c'est qu'il est d'autant plus necessaire d'etre instruit des motifs de la conduite du roy de Prusse que son alliance peut nous etre plus avantageuse. II est a presumer que les Anglois, toujours jaloux de notre commerce, nous declareront la guerre lorsqu'ils le croiront plus florissant, qu'ils choisiront pour nous attaquer un moment ou leur marine sera encore superieure a la notre. Or, s'ils s'emparoient e de nos isles5 et que nous n'eussions point a leur offrir en echange nos conquetes dans les Pays-Bas, notre commerce et notre marine seroit entierement ruine. D'ailleurs quel avantage la France a-t-elle retire des heureuses campagnes du marechal de Saxe6? C'est la demolition des plus fortes places du PaysBas; on ne les a demolies que pour y rentrer plus facilement. Pourquoi perdroit-on le fruit de tant de victoires? Si la Flandre est le theatre ou nous puissions faire la guerre avec le plus d'avantage, pourquoi n'en profiteroiton pas? Si ce qu'on m'a dit est vrai, nous pouvons en ce pays entrer six semaines en campagne plutot que les ennemis, et dans 1'etat ou sont leurs places les prendre presque toutes sans s'exposer meme au risque d'une bataille. Dans cette supposition, nous aurions done toujours des echanges a donner aux Anglois pour les conquetes maritimes qu'ils auroient fait sur nous. La guerre leur en paroitroit plus couteuse. Le ministere ne pourroit pas fasciner les yeux de Londres par le prestige des conquetes qu'on seroit oblige de restituer. Le peuple alors plus impatient des nouvelles taxes seroit plus redoutable aux ministeres^. Jls en auroient d'autant moins de credit, jls en seroient d'autant moins entreprenants et nous d'autant plus tranquils. Or, jl me semble que 1'etat de nos finances exige du repos. Si je vous rapelle, Mgr, ce que vous slaves mieux que moy, c'est pour 223

LETTRE 588

Aout 1765

vous demander s'il ne seroit pas convenable que j'ecrivisse en Prusse la lettre dont je vous envoie copie7. Le Roy m'a donne lieu de soupconner qu'il vous croyoit tres fin8, et j'ai affecte dans la conversation de dire que vous n'etiesg point duppe, mais que je ne vous croyois pas fin, que Pelevation de votre caractere ne vous permettoit pas de 1'etre. C'est le foible qui trompe et le puissant commande. C'est dans cet esprit e j'ai fait ma lettre; si vous 1'approuves, je la ferai partir. QUE MANUSCRIT

*A. Aff. etr., C.P. Prusse 186, f° 314-315; 4 p.; copie due a un secretaire d'Helvetius; 1'impression du timbre de la poste, REMALARD, a traverse Penveloppe et se voit a la p. 4. IMPRIME I. Keim, p. 704-705. TEXTE

Mentions ajoutees en haut du A : "Copie" (de la main du copiste) "a Mr le due de Choiseuill" (par Helvetius), ainsi que "N° 8" et "Doit etre jointe a la lettre de M. Helvetius du 13 aout 1765" (par une main inconnue). C'est a tort que Keim (p. 704) a place au debut du I la mention "Le 13 aout 1765", comme si elle faisait partie du A, et qu'il a fait commencer le texte de la lettre par la derniere phrase de la lettre precedente (v. celle-ci, note a). "Omis dans le I. h Le I : "s'opposent". c Le I : "qu'avait". d Le I : "il". eLe A : "s'empar{ent)oient". ^Le I : "ministres". g Le I : "n'etes". NOTES EXPLICATIVES

1. Lettre expediee en meme temps que la lettre 587. 2. Lettre expediee par de Catt, non parvenue jusqu'a nous. 3. Lettre 584. 4. Joseph Louis Bernard de Cleron, comte d'Haussonville (1739-1806), Lorrain au service de la France, etait arrive a Berlin vers la mi-avril 1765 pour recueillir une succession qui lui

224

etait echue en Silesie. Frederic II lui avait refuse une audience. II etait alors brigadier d'infanterie. Il deviendra marechal de camp (1770), grand louvetier de France (1780), lieutenant general des armees du roi (1784) et chevalier du Saint-Esprit (1786). 5. Des nombreuses lies que la France possedait dans les Ameriques, en Afrique et dans Pocean Indien, le traite de Paris de 1763 ne lui avait laisse que Saint-Pierre et Miquelon, Pilot de Goree au Senegal, et les "iles a epices" auxquelles Helvetius se refere sans doute dans la presente, a savoir Pile Bourbon (la Reunion), et les Antilles, lesquelles comprenaient Saint-Domingue (conservee jusqu'en 1809; aujourd'hui Republique dominicaine) et les iles du Vent: la Martinique, la Guadeloupe et leurs dependances, ainsi que Sainte-Lucie, qui restera franchise jusqu'en 1814. 6. Hermann Maurice, comte de Saxe (1696-1750), marechal de France, fils naturel de 1'Electeur de Saxe, Frederic-Auguste, devenu roi de Pologne sous le nom d'Auguste II, et de la comtesse Aurore de Koenigsmarck. Installe en France en 1720, il avait etc nomme marechal de camp, puis colonel, par le Regent. Faisant preuve d'autant de qualites de stratege devant Pennemi que de fougue avec les femmes, c'est surtout dans la guerre de la Succession d'Autriche qu'il se revela comme Pun des plus

LETTRE 589 grands generaux du siecle (Fontenoy, 1745; Raucoux, 1746; Lawfeld, 1747). 7. Lettre 590. 8. "L'homme fin est proprement celui qui marche avec precaution par des

Aout 1765 chemins couverts, qui a des fac.ons d'agir secretes [...] L'homme double vous trompe; Phomme fin fait que vous vous trompez vous-meme." (Dictionnaire de Trevoux, 1771.)

589. Helvetius a Cesar Gabriel de Cboiseul-Chevigny, due de Praslin [13 aout 1765]

-M^ J'ai 1'honneur de vous envoyer copie de la lettre que le roy de Prusse m'ecrit; elle est dattee du onze juillet. Si cette lettre n'est pas celle que j'attendois, vous verres cependant par ces mots, et dont je dois vous avoir parle, que j'etois reellement charge de la part du Roy des propositions que je vous ai faittes. Une lettre de Berlin m'apprend ce qui a donne lieu a cette reponse." On a soupgonne c , Mgr, que votre intention en demandant que ma mission fut autorisee par une lettre du prince, etoit de publier que le roy de Prusse fesoit des avances a la France. Ce soupgon peut etre aisement detruit, et si vous croyes que 1'alliance du roy de Prusse puisse nous etre avantageuse, qu'il soit important de connoitre ses vraies dispositions et de savoir si depuis mon depart jl n'auroit pas pris quelqu'autre engagement, jl est, je pense, facile de le mettre au pied du mur. J'imagine un moyen que je soumets a vos lumieres superieures. Mr le comte d'Ossonville est actuellement sur les lieux. Si on le chargeoit de parler au roy de Prusse en particulier, et de lui dire que la cour de France nommera un ambassadeur le meme jour que la cour de Berlin nommera le sien, que lui, comte d'Ossonville, sera cet ambassadeur, qu'il en recevra les patentes qu'il ne dattera que du jour ou Sa Majeste aura nomme ^son envoye^, jl me semble que par ce moyen 1'honneur de la France ne seroit pas compromis, sa bonne foi seroit constatee, et le roy de Prusse dans la necessite de declarer ses vraies intentions. Peut-etre Mr le comte d'Ossonville ne voudroit-jl pas accepter cette place, mais ne pourroit-on pas lui promettre de lui envoyer six semaines apres un successeur, et lui dire que le bien de 1'Etat exige qu'il se charge seulement pendant ces six semaines d'une place qu'il peut regarder comme au-dessous de lui? Mandes-moi, Mgr, vos intentions. Je vous addresse copie d'une lettre

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Gravure du due de Pra

LETTRE 590

Aoiit 1765

destinee pour la Prusse et qu'on montrera au Roy. Je 1'enverrai si vous 1'approuves. MANUSCRIT

*A. Aff. etr., C.P. Prusse 186, f° 316; 2 p. (demi-feuille); copie due a un secretaire d'Helvetius. IMPRIMES I. Hammond, p. 75. II. Keim, p. 705-706. TEXTE Mentions ajoutees en haut du A : "Copie" (de la main du copiste), "a Mr

le due de Pralin" (par Helvetius), "Doit etre jointe a la lettre de M. Helvetius du 13 avril 1765" ainsi que "N° 9" (d'une main inconnue). a Passage omis dans le I. ^Mot omis dans le II. c Le I : "soupgonne a Berlin". dLe II : "le sien". NOTE EXPLICATIVE

Pour les allusions et references contenues dans cette lettre, voir les deux precedentes.

590. Helvetius a Henri Alexandre de Catt1 [13 aout 1765]2 J'ai rec.u, mon ami, la lettre que notre" Heros m'a fait 1'honneur de m'ecrire3, et vous juges bien que je suis aussi sensible que je le dois aux marques de bonte et d'estime dont jl veut bien^ m'honorer. La recompense la plus flatteuse pour un merite fort superieur au mien seroit 1'estime d'un aussi grand homme. Mais je vous avoue que je suis un peu peine de voir que le Roy differe le plaisir que j'aurois de voir les deux cours unies. 11 me semble que ce qui doit decider de 1'union des empires est leur positions phisiques et respectives, que toute nation en general a les peuples voisins pour ennemis et les peuples eloignes pour allies, et qu'un traitte d'alliance entre la Prusse et la France est ecrit sur lac carte de 1'Europe. Le Roy s'est vraisemblablement imagine qu'en demandant une mission autorisee par une lettre de lui, 1'intention de Mr le due de Pralin etoit d'annoncer a 1'Europe que le roy de Prusse avoit fait des avances. Je repondrai a ce soupgon 1°. que je ne me serois pas dessaisi de la lettre du Roy, que Mr le due de Pralin ne 1'auroit point exige, que je lui en aurois fait seulement la lecture, et 1'aurois renvoyee a Sa Majeste si elle 1'eut desire. Je repondrai 2°. que Mr le due de Pralin n'est soupgonnable d'aucune de ces petites vanteries qui dans le fond n'aboutiroient a rien. La France en seroit-elle plus puissante et plus respectable quand le roy de Prusse lui auroit fait quelqu'avance? Qu'on soil fort, on est toujours respecte. J'ajouterai que la probite de Mr le due de Pralin et la fidelite a ses engagements est connue de tout le monde, et ne doit point etre suspecte a Sa Mc% que ce ministre 227

LETTRE 590

Aout

1765

lui a fait une reponse tres nette, puisqu'il s'est engage a nommer un ambassadeur le meme jour que Sa Majeste nommeroit le sien, et que c'est a ce point unique que se reduit toute cette affaire. Mrs de Choiseul sgavent tres bien que les seules demarches vraiement glorieuses pour une nation sont les demarches qui lui sont vraiement utiles, qu'en affaires les petites^ finesses sont tres maladroites, qu'elles ne conviennent qu'a des petites tetes et des petits Etats, et que dans leur place leur grande adresse consiste a bien connoitre Pinteret de leur nation, a ne faire que des traites qui lui soient reellement avantageux et a y proceder d'une maniere simple et franche. C'est la conduite qu'ils tiendront toujours surtout avec un allie qui a interet de s'unir a la France comme la France a lui. Je sens bien que 1'intime amitie etablie entre Sa Majeste et la czarine4 ne lui laisse rien a craindre d'aucune des cours de 1'Europe, mais le sisteme politique de la Russie ne peut-jl pas changer? Dans la supposition d'un changement, sans doute que les grands talents, le genie extraordinaire que le Roy a deploye dans la derniere guerre tiendront les ennemis en respect et que de son vivant on n'ozera point attaquer la Prusse, mais ne seroit-on pas plus hardi avec son successeur? Vous sgaves 1'estime sincere et singulier que j'ai pour lui, e\e prince de Prusse5 sera certainement un grand roi/ mais sera-t-jl Cezard ou Frederic? Sera-t-jl doue de ses talents extraordinaires qui seuls ont pu soutenir le Roy centre la ligue de 1'Europe? Aura-t-il enfin les memes succes? C'est ce que personne ne peut sgavoir. II est selon moi d'autant plus interessant pour Sa Majeste de s'allier a la France, que cette alliance doit etre durable, a moins qu'il n'arrive encore quelque nouveau commerage et quelque nouveau renversement dans les tetes, ce qu'on ne doit pas presumer. Voila, mon ami, ce que je pense sur le fond de 1'affaire. Qu'apres cela le Roy craigne qu'une lettre ne le compromette et ne veuille point autoriser ma mission par ecrit, je ne puis que louer la prudence du Roy, mais pourquoi sous pretexte d'un voyage, Mr Michel6, qui n'est point son sujet, ne passeroit-jl point en France ou jl n'est point connu et ne s'aboucheroit-jV pas avec Mr le due de Pralin? J'espere que s'il 1'avoit vu, jl en penseroit comme moy et seroit en etat de terminer cette affaire sans que ni 1'une ni 1'autre cour fut compromise. MANUSCRIT

TEXTE

::

Mentions ajoutees en haut du A : "Copie" (par le copiste) ainsi que "N° 10" et "Cette lettre peut etre du mois d'aoust 1765. Vers le 13." (d'une mam mconnue). Le I : votre . Umis , , . dans le I. cLe A : la (face) . rfLe A :

'A. Aff. etr., C.P. Prusse 186, f° 317318; 4 p.; copie due a un secretaire d'Helvetius. IMPRIME I. Keim, vp. 706-708.

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LETTRE 591 "petites (choses)". ^Ajoute dans la marge gauche du A . ^Le I : "s'accorderait-il". NOTES EXPLICATIVES Cette lettre n'a probablement pas etc envoyee. Helvetius en avait soumis prealablement le texte a Choiseul et a Praslin (v. lettres 588 et 589, derniers paragraphes), en vue d'obteni leur approbation, mais en septembre, ceux-ci lui donneront ordre de "laisser la 1'affaire du roy de Prusse" (v. lettre 595, par. 1). Elle est incluse dans la presente Correspondance a titre exceptionnel en raison de son remarquable interet. 1. Le destinataire, dont le nom ne figure pas dans cette lettre, etait certainement de Catt, secretaire de Frederic II (v. lettre 548, note 2), car elle avait etc redigee pour etre produite devant le roi.

Aout 1765 2. Date a laquelle Helvetius a envoye au comte d'Argental cette copie de son projet de lettre, pour transmission aux dues de Choiseul et de Praslin (v. lettre 587). 3. Lettre de Frederic II (v. lettre 584). 4. Catherine II. 5. Frederic-Guillaume (v. lettre 548, note 3). 6. Abraham Ludwig Michell (17121782), de nationalite suisse, avait etc charge d'affaires de Prusse a Londres. Le 15 aout 1764, a la suite de representations de la cour de Grande-Bretagne, il avait ete rappele a Berlin, ou il allait occuper la fonction de conseiller prive de legation. Il sera ensuite nomme vice-gouverneur de Neuchatel.

591. Frederic II, roi de Prusse, a Jean-Baptiste de Boyer, marquis d'Argens1 Ce 19 [aout 1765] Je suis bien aise qu'Helvetius ait donne signe de vie. Mandez-lui, s'il vous plait, qu'il me ferait plaisir de m'envoyer ici une de ses tetes de ferme, avec cinq subdelegues, que j'enverrai en meme temps en diverses provinces pour faire leurs recherches, ce qui ira vite et terminera les choses promptement, car je les enverrai en meme temps dans les cinq departements, 1'un au Rhin et en Westphalie, 1'autre a Magdebourg, Halberstadt, Hohnstein et La Marche, le troisieme Pomeranie et Nouvelle-Marche, le quatrieme Silesie, et le cinquieme en Prusse, de sorte que, dans trois mois, ces gens, se trouvant au fait de tout, pourront arranger leurs baux pour le l er mai, que 1'annee des finances commence. [...] NB. Pour ce qui regarde les postes, c'est encore un article tres important. II dependra de ces gens-la, si leurs propositions sont bonnes, de les affermer egalement. II ne s'agit que de voir arriver un homme intelligent en toutes ces matieres, et avec lequel on peut trailer. Le bail des accises et douanes 229

LETTRE 591

Aout 1765

ne peut etre que pour six ans. Pour celui des postes, on Petendra, parce qu'il faudra faire beaucoup de nouveaux etablissements. Je m'engagerai dans la ferme pour quatre cent mille livres, ou cent mille ecus d'ici. IMPRIME

*I. Preuss, XIX, p. 398-399. NOTES EXPLICATIVES Au sujet des fermiers generaux fran§ais qu'Helvetius a recrutes pour le compte de la Prusse, voir la lettre 585, note explicative generale. 1. Jean-Baptiste de Boyer, marquis d'Argens (1703-1771), fils ame de Pierre Jean de Boyer, conseiller (1709), puis procureur general (1717) au parlement d'Aix-en-Provence. En jeune homme impetueux qu'il est, il decide a 1'age de quinze ans d'entrer au regiment de Toulouse, preferant les perspectives d'une carriere militaire a celles de la magistrature. Puis il tombe amoureux d'une comedienne, fille d'un gentilhomme malouin ruine par la banqueroute de Law de 1720, et pour 1'empecher d'epouser celle-ci, son pere le fait emprisonner pendant six mois. D'Argens consent alors a accompagner a Constantinople le marquis d'Andrezel, nouvel ambassadeur aupres de la Porte, et il y reste cinq mois. De retour a Aix en 1724, il entreprend des etudes de droit, a Tissue desquelles il achete une charge d'avocat. Mais delaissant bientot cette profession, il se rend a Paris et a Rome, ou il etudie la musique et la peinture. Puis il reintegre 1'armee, est legerement blesse au siege de Kehl (1733) et prend part a celui de Philipsbourg (1734), mais une chute de cheval Toblige a quitter definitivement le service. En 1735, il s'etablit aux Provinces-Unies, ou il public de

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nombreux ouvrages : Lettres juives (1736-1738), Memoires secrets de la Republique des lettres (1737-1748), Lettres cabalistiques (1737), Lettres morales et critiques (1737) et Lettres chinoises (1739-1740), aussi bien que plusieurs petits romans, et il collabore a La Nouvelle Bibliotheque. Son ouvrage La Philosophic du hon sens, on Reflexions sur I'incertitude des connaissances humaines (1737) sera condamne par le parlement de Paris en fevrier 1759 en meme temps que L'Esprit d'Helvetius. Vers 1740, il devient chambellan de la duchesse de Wurtemberg, a Stuttgart, mais quitte ce poste en 1742, sur 1'invitation que lui adresse Frederic II de venir s'etablir a Berlin. Il y est nomme chambellan la meme annee, puis en 1744, directeur de la classe des belles-lettres de 1'academie de Berlin, et bientot, le roi adjoindra a ces fonctions quelques missions diplomatiques officieuses ainsi que le recrutement d'artistes pour 1'opera de Berlin. Lors d'un de ses frequents sejours en France, en 1747, il engage la comedienne Barbe Cochois, qui sera son amie devouee et sa collaboratrice, puis son epouse (1749) et la mere de sa fille unique. D'Argens, 1'un des rares academiciens admis par Frederic II dans le cercle de ses in times, echange avec lui de nombreuses lettres tout au long de la guerre de Sept Ans, et il est probablement le destinataire de YApologie du suicide (1757) du roi de Prusse; mais une fois la paix revenue, leur amide se refroidit. En 1764, d'Argens se rend en Provence pour

Aout 1765

LETTRE 592 preparer la retraite qu'il compte y prendre, mais il tombe malade pendant ce sejour et ne regagne Berlin

qu'en avril 1766. Quasi disgracie, il demandera son conge et se retirera pres d'Aix-en-Provence en 1769.

592. Friedrich Melchior Grimm a Charles Augustin Feriol, comte d'Argental Je prends la liberte, Monsieur, de vous envoyer le petit mot ci-joint de Madame la duchesse de Saxe-Gotha1 auquel je n'aurois pas fait beaucoup d'attention sans ce que vous m'avez fait Phonneur de me dire la semaine passee2. Vous en ferez, Monsieur, 1'usage que vous jugerez a propos; il suffit que vous sachiez les dispositions de cette princesse et que vous ne doutiez pas de mon zele. Je serai a Paris mercredi au soir et je ne m'en reviendrai pas a la campagne ici sans avoir eu 1'honneur de passer chez vous.

[...] Ce lundi, 26 aoust [1765], suivant la diction welche3 MANUSCRIT :; 'A. Aff. etr., C.P. Prusse 186, f° 319; 2 p.; ong. autogr. TEXTE Mentions ajoutees en haut du A : "N° 11" (a 1'encre) et "26 aout 1765" (au crayon). NOTES EXPLICATIVES 1. Il s'agit d'une lettre adressee a Grimm par la duchesse de Saxe-Gotha le 17 aout, d'apres laquelle elle etait au courant des initiatives prises en vue d'un rapprochement entre la France et la Prusse : "Le roi de Prusse est encore en Silesie, et par consequent inaccessible. Pourvu que la chose qui est si bonne et si necessaire au bien public se fasse, je renonce volontiers a la vanite d'y avoir contribue. Mon amour-propre en auroit ete assurement bien flatte, mais je vous le repete, je le sacrifie volontiers pourvu que le but soit atteint." (Aff. etr., C.P.

Prusse 186, f° 320 recto, copie faite par Grimm, sur laquelle on a porte la mention "N° 12".) 2. D'Argental avait sans doute informe Grimm des propositions formulees par Helvetius dans les lettres 588, 589 et 590. 3. Le terme "Welches" est souvent employe par Voltaire pour designer les Franc,ais ignorants et superstitieux - "les ennemis de la raison et du merite, les fanatiques, les sots, les mtolerants, les persecuteurs et les calomniateurs" (Supplement du Discours aux Welches, Moland XXV, p. 250.) "Welche" etait une adaptation des formes germaniques "Wal(s)ch" et "Welsch", et du francique "Wahl" (origine du mot "Gaulois"), qui designaient tous, globalement, les Romains et les Gaulois, et dont 1'anglais "Welsh" (Gallois) est issu. Ces diverses formes et le latin

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Aout 1765

LETTRE 593 "Gallus" (habitant de la Gaule) ont une origine italo-celtique commune. REMARQUES

Le 2 septembre, dans une lettre A la duchesse de Saxe-Gotha, Grimm se montrera nettement pessimiste sur les perspectives de rapprochement entre la France et la Prusse : "La negociation en question ne va pas aussi vite qu'on se 1'etoit imagine. II est arrive une reponse vague et qui ne signifie rien. On m'a

encore parle de Votre Altesse, et j'ai lu le passage de la lettre dont vous m'avez honore, mais je ne veux ni ne dois marquer aucun empressement a cet egard, car si 1'on doit avoir recours a Votre Altesse, il faut conserver a ses bons offices le caractere essentiel d'un service signale rendu avec un zele gratuit et desinteresse." (Archives d'Etat de Weimar, Geheimes Archiv Gotha E XIII a, n° 16, f° 418 verso.)

593. Voltaire a Jean Le Rond d'Alembert 28 auguste [1765]" [...]

Mademoiselle Clairon1 a etc recue chez nous comme si Roussau n'avait pas ecrit contre les spectacles. Les excomunications de ce pere de PEglise n'ont eu aucune influence a Ferney. Il cut etc a desirer pour 1'honneur de ce saint homme si honnete et si consequent qu'il n'eut pas declare, ecrit et signe par devant un nomme Montmolin2, son cure huguenot, qu'il ne demandait la communion que dans le ferme dessein d'ecrire contre le livre abominable d'Helvetius3. Vous voyez que ce n'est pas assez pour JeanJaques de se repentir, il pousse la vertu jusqu'a denoncer ses complices et a poursuivre ses bienfaicteurs, car s'il avait renvoye quelques louis a M. le due d'Orleans4, il en avait recu plusieurs d'Helvetius5. C'est assurement le comble de la vertu cretienne de se deshonorer, et d'etre un coquin pour faire son salut. [...] MANUSCRIT

*A. B.N., ms. fr., n. a. 24330, ff os 101 recto et verso et 102 recto; 4 p.; orig. autogr. IMPRIMES

I. Kehl, LXVIH, p. 376-377. II. Best. 11997. III. Best. D. 12854. IV. Leigh, lettre 4620.

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TEXTE " L'indication d'annee a etc ajoutee par une main etrangere. NOTES EXPLICATIVES

1. La celebre actrice (v. lettre 158, note 3) venait de passer un mois a Geneve pour y consulter le docteur Tronchin et pour jouer sur la scene du theatre de Ferney. 2. Frederic Guillaume de Montmollin

LETTRE 593 (1709-1783), pasteur de Metiers depuis 1742. 3. Le 24 aout 1762, Rousseau avait ecrit au pasteur Montmollin (v. note 2 cidessus) qu'il se declarait "attache de bonne foi" a la religion reformee et qu'il demandait d"'approcher de la Ste Table" (Leigh, lettre 2108). Ayant admis Rousseau a la communion, Montmollin s'etait cru oblige de s'en justifier aupres de ses confreres genevois, en ecrivant au pasteur Jean Sarasin une lettre qu'il avait montree a Rousseau et que celui-ci avait corrigee de sa main (Leigh, lettre 2191). Datee du 25 septembre 1762 et publiee a Neuchatel par Montmollin en aout 1765 sous le titre de Lettre a Monsieur '"' * *, relative a M.J.-J. Rousseau, elle contenait le passage suivant: "Quant a son Emile, il [Rousseau] me protesta encore qu'il n'avoit point eu en vue la religion chretienne reformee, mais qu'il a eu uniquement dans son plan ces trois objets principaux : premierement de combattre 1'Eglise romaine [...]; 2° de s'elever, non pas precisement directement, mais pourtant asses clairement contre 1'ouvrage infernal De I'Esprit, qui, suivant le principe detestable de son auteur, pretend que sentir & juger sont une seule et meme chose, ce qui est evidement etablir le materialisme; 3° de foudroyer plusieurs de nos nouveaux philosophes." Besterman fait remarquer (v. le III) que les termes pretes par Voltaire a Rousseau n'ont pas etc ecrits par ce dernier, mais qu'ils correspondent bien, dans leur essence, au passage de la lettre de Montmollin cite ci-dessus. Leigh, par contre (v. le IV), ne voit, dans la declaration de Voltaire, que des "accusations calomnieuses" et

Aout 1765 des "entre-chats mensongers", et rappelle que Rousseau avait projete en 1758 une refutation de L'Esprit, pour y renoncer par la suite (v. lettre 508, note 3). 4. Frederic II raconte ainsi cette anecdote, qu'il tenait de Maupertuis : "A son premier voyage de France Rousseau subsistoit a Paris de ce qu'il gagnoit a copier de la musique. Le due d'Orlean aprit qu'il etoit pauvre et malheureux et luy dona quelque musique a transcnre pour avoir ocasion de luy faire quelque liberalite. II luy envoya 50 louis. Rousseau en prit 5 et rendit le reste qu'il ne voulut jamais accepter quoi qu'on 1'en presat." (Leigh, lettre 2128.) 5. Aucun mdice n'existe que Rousseau ait jamais re§u d'Helvetius pension, pret ou don quelconque en especes. Toutefois, il a etc regu rue Neuvedes-Petits-Champs en 1755 (v. lettre 208), et Helvetius 1'avait, a une occasion, genereusement engage comme copiste : "J.-J. Rousseau etoit encore peu connu du public, mais il travailloit pour ['Encyclopedic. Ce qu'il en retiroit etoit peu pour vivre et secourir Mde de Warens; il copioit alors et vendoit la Lettre de Trasihule a Leucippe qu'on ne publioit que sous le manteau. Helvetius, qui se 1'etoit deja procuree mais qui sgavoit Rousseau dans la detresse, lui en fit demander une autre copie par Duclos, leur ami commun. Cinquante louis furent le prix qu'il lui fit accepter, sans se faire connaitre." (Lefebvre de La Roche, Sur Helvetius, Institut, ms. 2222, p. 30.) Nous n'avons pas retrouve ce second exemplaire de la Lettre. C'est sans doute celui qu'Helvetius possedait deja que La Roche offrit a Benjamin Franklin (loc. cit.). Le petit-fils

233

Septembre 1765

LETTRE 594 de celui-ci, Temple Franklin, le vendit au libraire Dufief, qui le donna a Thomas Jefferson, dont la bibliotheque fut achetee en 1815 par le Congres pour le compte de la bibliotheque du meme nom, ou ce manuscrit est conserve actuellement (v. D. W. Smith, "Helvetius, Rousseau, Franklin and Two New Manuscripts of Freret's Lettre de Thrasybule a Leucippe", Enlightenment Essays in Memory of Robert Sbackleton, Oxford, 1988, p. 277-282). On peut enfin signaler que le 30 avril 1765, George Keith avait ecrit a Rousseau : "M. Helvetius parle de vous avec estime et amitie." (Leigh, lettre 4361.)

REMARQUES

Voltaire adressera peu apres des commentaires de meme teneur a Thieriot (30 aout 1765, Best. D. 12859), d'Argental (4 septembre 1765, Best. D. 12869), Damilaville (25 decembre 1765, Best. D. 13059, et 11 aout 1766, Best. D. 13487) et Hume (24 octobre 1766, Best. D. 13623), avant de tenter d'entrainer Helvetius lui-meme dans sa querelle avec Rousseau (v. lettres 608, dernier par., et 609). Des le 10 septembre 1765, Thieriot essayera de lui faire comprendre qu'Helvetius ne s'y impliquera pas : "Je connois M. Helvetius, il ne commettra pas la dignite de son caractere et de sa belle ame avec un scribe aussi odieux et aussi meprisable." (Best. D. 12876.)

594. Helvetius a Charles Augustin Feriol, comte d'Argental Monsieur le comte, Je suis comme vous tres fache qu'on regarde ave tant d'indifference 1'alliance du roy de Prusse. Je crains bien que nous ne nous en repentions un jour. Vous me conseilles d'ecrire; je ne demande pas mieux, mais je ne veux pas deplaire au gouvernement ni" exposer ma personne. La lettre de Mr le due de Pralin1 est si precize qu'il me faudroit aumoins une^ permission tacite. A 1'egard des princesses dont vous me paries, il en est deux en Allemagne auxquelles on peut egalement s'adresser. L'une est la duchesse de Gotha et 1'autre la princesse d'Armesthatc2, soeur du prince des Deux-Ponts3. A laquelle des deux faudroit-il faire des ouvertures, car je n'imagine point que ce soil la czarine dont vous me parlies dans votre lettre1? Nous sommes, ^dit-on^, un peu en froid avec elle. Aureste je feraye ce que vous me dires lorsque vous aures sonde^ le ministre. J'ay enfin trouve des fermiers generaux pour le roy de Prusse4. Us se preparent a se rendre a Berlin et a visitter toutes les possessions de Sa Majeste, mais ils ne scavent, disent-ils, comment demander un passeport. Rien ne me paroit plus simple. Le ministere doit desirer d'etre instruit des forces reelles du Roy et charme que des Francois aille faire fortune en Prusse pour la depenser a Paris. Je leur marque que je vous demande la 234

LETTRE 594

Septembre 1765

permission de vous les adresser et que, si vous me 1'accordes, vous leur feres donner leur passeports. Peutestre pourroit-on se servir d'eux pour sender les intentions du Roy de Prusse. Je suis, avec respect, Monsieur le comte, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius A Vore, proche Regmallard, au Perche, route du Mans, ceg 7bre 17655 [adresse :] A Monsieur, / Monsieur le comte d'Argental / ambassadeur du prince de Parme6 / vis-a-vis du Pont-Roial, a cote de / 1'hotel de BelleIle^7, en son hotel / A Paris MANUSCRIT ::

'A. Aff. etr., C.P. Prusse 186, f° 326-327; 4 p.; orig. autogr.; cachet sur cire noire8 representant le profil gauche d'un homme barbu; timbre de la poste : REMALARD. IMPRIME

I. Keim, p. 708-709. TEXTE Mentions ajoutees en haut du A : "N° 13" et "7bre 1765". "Le A : "ni (m')". *Le I: "sa". c Le I : "d'Arensthat". ^Omis dans le I. e Le A : "feray (to)"/Le I : "etudie".gQuantieme laisse en blanc. h Le I : "Belleville". NOTES EXPLICATIVES

1. Lettre non parvenue jusqu'a nous. 2. Caroline de Hesse-Darmstadt (v. lettre 483). 3. Christian IV, due de Deux-Ponts (1722-1775), frere cadet de Caroline, lequel regnait depuis 1735. En 1770, il sera envisage de marier son fils aine a 1'une des deux filles d'Helvetius (v. lettre 645, note explicative generale). 4. Voir lettre 585, note explicative generale. 5. Le quantieme de cette date n'a pas etc determine.

6. II s'agit du due Ferdinand de Parme, qui venait de succeder a son pere, I'infant don Philippe (1720-1765). Celui-ci, fils d'Elisabeth Farnese et de Philippe V d'Espagne, avait epouse en 1738 Louise Elisabeth de France, fille de Louis XV, avait regu en 1748, par suite du traite d'Aix-La-Chapelle, les duches de Parme, de Plaisance et de Guastalla, et etait mort le 18 juillet 1765. Son fils unique, Ferdinand (1751-1802), age de 14 ans, etait alors 1'eleve de Condillac. 7. Hotel qu'avait fait construire en 1721 Charles Auguste Fouquet, marechal de Belle-Isle et qui allait devenir, 1'annee meme de cette lettre, Photel de Choiseul-Praslin. II occupait Pemplacement de 1'actuel numero 3 du quai Anatole France. 8. Helvetius emploie une cire noire en raison de la mort recente du due de Parme. D'Argental, qui etait son ministre plenipotentiaire, allait rester en cette qualite au service de son successeur, Ferdinand (v. note 6 ci-dessus et lettre 562, note 1).

235

LETTRE 595

Septembre 1765

595. Helvetius a Charles Augustin Feriol, comte d'Argental [Septembre 1765]1 Monsieur le comte, J'ay recu les deux lettres de Mrs les dues de Pralin et de Choiseuil2. Us veulent que je laisse la 1'affaire du roy de Prusse, et comme vous le juges bon, je leur obeiray. Mais il me semble qu'ils prennent bien promptement leur party. S'il est important pour nous d'etre bien avec le roy de Prusse, faut-il sitost se rebutter? Les ministres scavent apparament a ce sujet des choses que j'ignore. Tout ce dont je puis vous assurer, c'est que ce n'est point le changement arrive dans le ministere anglois3 qui peut en operer un chez le roy de Prusse. Si depuis que je suis icy4, il n'est point arrive de nouvelles revolutions dans le ministere anglois, et que le general Conway5, frere du due Erfort, soit toujours a la tete des affaires, le roy de Prusse n'y prendra point de confianc.e. C'est, comme disent les Anglois, un ministere d'ete qui tombera avec les feuilles. Mr Conway n'a pas assez de credit dans la nation pour se soutenir, a moins que Mr Pitt ne soit derriere luy. Le roy de Prusse n'aime point les Anglois. N'ayant point de commerce, il n'a rien a craindre ni a esperer d'eux. Les Anglois ne luy donneront point de subside6. C'est une puissance "de terre" comme la France qui peut le secourir efficacement centre la reine de Hongrie. Il auroit de plus grande envie de s'aggrandir du cote de Hanovre7 si Poccassion s'en presentoit, et cette occassion ne peut se presenter que par notre alliance. Il aimeroit sans doute mieux la Saxe, mais on prend ce qu'on peut, et non ce qu'on veut8. Je ne scais si 1'on n'auroit pas en dernier lieu conclud avec la Suede un traitte un peu desagreable a la reine de Suede, sceur du roy de Prusse9. Si cela etoit, tout seroit explique, car il aime beaucoup cette soeur. Dites, je vous prie, a Mr le due de Pralin que si j'avois pris sous mon bonnet d'avancer ce que le roy de Prusse ne m'auroit^ point dit, il m'auroit traitte avec raison comme un impertinent et sa lettre n'est pas sur c ce ton. Je vous^ addresse une lettre de Mr Catte10, secretaire du Roy, que je vous prie de me renvoier, par laquelle vous verrese que le roy n'a pas change d'avis sans quelque motif. Pardon si ma lettre est barbouillee. Je n'ay pas le terns de la recommancer, et je desire fort que vous me disiez si la lettre que j'avois projettee pour la Prusse11 a deplu aux ministres. Je suis, avec respect, Monsieur le Comte, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius 236

Septembre 1765

LETTRE 595 MANUSCRIT

*A. Aff. etr., C.P. Prusse 186, f° 328-329; 4 p.; orig. autogr. IMPRIME

I. Keim, p. 709-710. TEXTE

Mentions ajoutees en haut du A : "N° 14" et "7bre 1765". "Mots ajoutes en interligne dans le A. h Le I : "m'avoit". c Le I : "de". dLe A : "vous (envoie)". f Le A : "verres (qu'il y a eu quel)".

6.

NOTES EXPLICATIVES

1. La presente lettre est posterieure de quelques jours a la precedente. Dans cette derniere, Helvetius ne faisait etat que d'une reponse du due de Praslin; dans la presente il mentionne avoir egalement rec.u celle du due de Choiseul. 2. Lettres non parvenues jusqu'a nous. 3. En juillet 1765, Charles WatsonWentworth, marquis de Rockingham (1730-1782), avait etc nomme premier ministre. Affaibli par des dissensions internes et prive de 1'appui de William Pitt a la Chambre des communes, le ministere Rockingham ne durera qu'un an. Voir aussi la note 5 ci-dessous. 4. Helvetius etait arrive a Vore a la fin du mois de juin (v. lettre 581, par. 1). 5. Henry Seymour Conway (17211795), frere cadet du comte de Hertford (v. lettre 532, note 2), cousin et ami de Horace Walpole. Au cours d'une carriere militaire distinguee, qu'il terminera en 1784 avec le rang de field marshal, il avait pris part aux batailles de Fontenoy et de Culloden. En 1764, George III 1'avait prive de toutes ses fonctions pour s'etre oppose a lui dans 1'affaire Wilkes. Membre du Parlement

7.

8.

9.

depuis 1741, il etait, dans le ministere Rockingham, chef de la majorite a la Chambre et secretaire d'Etat charge du "Southern Department" (v. lettre 577, note 2), qui etait responsable notamment des relations avec les pays mediterraneens, dont la France. Il allait egalement faire partie du ministere suivant, celui de William Pitt (juillet 1766octobre 1768). La Grande-Bretagne avait accorde a la Prusse en 1758 une subvention de 670 000 livres qui devait etre annuelle, mais le gouvernement de lord Bute 1'avait supprimee en 1762, n'en voyant plus 1'avantage, et esperant ainsi obliger Frederic a faire la paix. Ces subventions ne seront pas renouvelees par Pitt. En 1714, George Louis, electeur de Hanovre, arriere-petit-fils de Jacques Ier, avait accede au trone de Grande-Bretagne. Pendant la guerre de Sept Ans, les ennemis communs de ces deux Etats avaient essaye a plusieurs reprises d'attaquer ce "talon d'Achille" continental que representait le Hanovre pour la Grande-Bretagne (Kloster Zeven, 1757; Minden, 1759). Les Prussiens 1'occuperont au debut du siecle suivant et 1'annexeront en 1866. La Saxe, occupee par Frederic II au debut de la guerre de Sept Ans, avait ete restituee en 1763 a FredericAuguste II (1696-1763). FredericAugustelll (1750-1827) concluraen 1778 une alliance avec la Prusse qui durera jusqu'a la fin du XVIIIe siecle. La France n'a signe aucun traite avec la Suede a cette epoque. Choiseul en etait arrive a la conclusion que "la Suede aristocratique, democratique et platonique ne sera [it] jamai ne

237

Septembre 1765

LETTRE 596 alliee utile" de la France et qu'il fallait "rendre au roi de Suede Pautorite monarchique". (Recueil des instructions donnees aux ambassadeurs et ministres de France, vol. 2 [Suede], 1885, pp. 409 et 410.) Comme le roi Adolphe-Frederic (1710-1771) manquait d'energie autant que de courage, la France

avait mis tous ses espoirs, en vue du second objectif enonce par le due de Choiseul, dans la reine LouiseUlrique (v. lettre 466, note 2), hautaine, ambitieuse et determinee a augmenter les prerogatives royales. 10. Lettre non parvenue jusqu'a nous. 11. Lettre 590.

596. Helvetius a Etienne Francois, due de Choiseul [Septembre 1765]1

M&a Je suis un peu plus heureux dans ma seconde que dans ma premiere negociation pour le roy de Prusse. II veut des Francois pour regir ses fermes. Je lui ai trouve une compagnie qui desire fort d'aller faire fortune a Berlin. Elle n'attend plus que ses passeports. J'imagine, Monseigneur, que le gouvernem' ne les lui refusera point. Ces fermiers, obliges pour leurs affaires de parcourir les differentes contrees de la Prusse, seront en etat de vous rendre compte de sa force reelle. 11 est d'ailleurs avantageux a 1'Etat que des Francois aillent gagner en Prusse 1'argent qu'ils viendront depenser^ a Paris. En demandant des passeports a Mr le due de Praslin2, je lui mande que toute 1'Allemagne protestante et en particulier la princesse de Gotha souhaite ardemment de voir la bonne c intelligence retablie entre les cours de Versailles et de Berlin, que cette princesse se chargeroit volontiers de cette negociation, et que je sgais meme qu'elle 1'auroit deja entamee, si elle ne m'en avoit pas cru charge par le roy de Prusse. Suppose que cette alliance nous fut avantageuse, on pourroit, je pense, sans compromettre le ministere, profiter des bons offices de la princesse. Ce que je desire c'est le bien. J'aurois etc fort aise d'en etre 1'instrument, mais pourvu qu'il se fasse, peu m'importe les moyens. Je sacrifierai toujours tres volontiers ma vanite a Pinteret de mon pays. MANUSCRIT

TEXTE

:;

Le secretaire d'Helvetius a ecrit le mot "Copie" en haut du A. Autres mentions ajoutees au meme endroit: "N° 15", "a M. le due de Choiseul" et "1765". "Mot omis dans le I. b Le secretaire avait ecrit

'A. Aff. etr., C.P. Prusse 186, f° 330; 2 p.; copie faite par un secretaire d'Helvetius. IMPRIME I. Keim, p. 711.

238

LETTRE 597 "gagner" par erreur. Le mot "depenser" a etc ajoute en interligne par une autre main. c Le I : "meme". NOTES EXPLICATIVES

1. Le A est une copie qu Helvetius a . . jointe a une lettre au comte d Argen, . ° tal non parvenue jusqu a nous. Le passage ou Helvetius presente sa

Septembre 1765 "premiere negociation pour le roy de Prusse" comme ayant etc un echec indique que le A et la lettre non retrouvee adressee a d'Areental, ainsi N que la lettre suivante (597), ont ete expediees peu apres la precedente. 2. Voir lettre suivante.

597. Helvetius d Cesar Gabriel de Choiseul-Chevigny, due de Praslin [Septembre 1765]1 M8r"

On ne veut plus de fermiers generaux en France, et peut-etre a-t'on raison. On en demande a Berlin et 1'on a encore raison. S'il n'est rien de mieux regie que la depense du roy de Prusse, rien de plus mal administre que sa recette. II m'a done charge de lui lever une compagnie^ de fermiers generaux2. J'ai ete plus heureux dans ma seconde que dans ma premiere negociation : la compagnie est levee et n'attend plus que des passeports pour partir. J'imagine, Mgr, qu'on ne les lui refusera point. Si 1'on peut faire fortune en ce pays, jl est bon que ce soil des Francois qui la fassent. Ce qu'ils gagneront en Prusse, jls viendront le manger a Paris. Je crois d'ailleurs que des gens obliges pour leurs affaires particulieres de parcourir les differentes contrees de la Prusse, seront plus en etat que personne de vous rendre compte de la force reelle de ce royaume. Si vous ne m'avies pas, Monseigr, si expressement deffendu de vous reparler de la premiere commission dont le roy de Prusse m'avoit charge, je ne desespererois pas de renouer cette affaire. cVous scaves que la princesse de Gotha, ainsi que toute 1'Allemagne protestante, souhaite ardemment de voir la bonne intelligence ^retablie entre les cours^ de Versailles et de Berlin. Je sgais meme que cette princesse auroit entame cette negociation, si elle ne m'en avoit pas cru charge de la part du roy de Prusse. Si cette alliance nous est utile, ne pourroit-on pas profiler de ses bons offices? c Ce que je desire, c'est que le bien s'opere. J'aurois ete fort aise d'en etre 1'instrument, mais je ferai tres volontiers le sacrifice de ma vanite a 1'aventage de ma nation. Si vous approuvies cette vue et que vous me permissies d'ecrire a ce sujet a la princesse de Gotha, vous auries la bonte de me le mander.

239

LETTRE 598 MANUSCRIT :;

-A. Aff. etr., C.P. Prusse 186, f° 331; 2 p.; copie faite par un secretaire d'Helvetius. IMPRIMES

I. Hammond, p. 75-76 (extrait). II. Keim, p. 711-712. TEXTE Le secretaire d'Helvetius a ecrit le mot "Copie" en haut du A. Autres mentions

Septembre 1765 ajoutees au meme endroit : "N° 16", "a M. le due de Praslin" et "1765". "Omis dans le II. *Le I I : "armee". c Ce passage constitue le I. J Le I : "etablie dans les deux cours". NOTES EXPLICATIVES

1. Voir lettre precedente, note 1. 2. Voir lettre 585, note explicative generale.

598. Antoine Sabatier de Castres1 a Helvetius Toulouse, 11 septembre 1765 [Lettre dont la plus grande partie est en vers. Sabatier offre a Helvetius deux contes (sur les quatre qu'il a ecrits) 2 , premices de sa veine, et il desirerait qu'il lui permit de le consulter quelquefois sur certains points de litterature, afin que, profitant de ses lumieres, il soit moins ignorant quand il arrivera dans la capitale. Il s'est d'autre part essaye a composer un ouvrage en prose qu'il voudrait bien pouvoir lui faire lire, et dont le sujet, tres interessant pour Phumanite, n'a pas encore etc traite, lui semble-t-il. C'est un discours critique sur les raisons qui engagent les parents a faire se marier leurs enfants ou a s'opposer a ce qu'ils le fassent, contre 1'inclination de ceux-ci3.] MANUSCRIT :;

"A. L'original autographe, de 9 pages, a figure a la vente Charavay du 7 mai 1875. TEXTE Une lettre comportant la meme date et accompagnee du meme resume etait passee a une autre vente Charavay ayant eu lieu les 12 et 13 mars 1855; mais elle comprenait douze pages, elle etait adressee a Voltaire, et "veme" s'y lisait "verve". Le manuscrit faisait partie d'un "portefeuille de Voltaire" qui avait ete achete par un certain Chauveau (v. Best. D. 12878). Il s'agissait sans doute d'une copie de la presente lettre, envoyee par Helvetius a Voltaire, car celui-ci ecrira

240

en 1773 a Saint-Lambert: "Que ditesvous de ce malheureux abbe Sabatier qui a saute de son bourbier dans une sacristie, et qui a obtenu un benefice? J'ai en ma possession des lettres de ce coquin a Helvetius, qui ne sont pleines, a la verite, que de vers du Pont-Neuf, et d'ordures de bordel." (Best. D 18534.) NOTES EXPLICATIVES

1. Antoine Sabatier (1742-1817) se rendra de Castres a Paris a 1'invitation d'Helvetius, qui lui offrira une pension annuelle de 1 200 francs. Apres la mort de son bienfaiteur, il publiera ses Trois Siecles de la litterature (1772), ouvrage qui dechainera la

Octobre 1765

LETTRE 599 colere et le ressentiment des encyclopedistes, et dont Condorcet entretiendra ainsi Turgot : "C'est une rapsodie infame faite par un abbe Sabattier, protege par Bergier [v. lettre 637, note 12] et par Coge, aide par Clement et Palissot. Ce nouvel athlete a ete nourri par Helvetius; il dit que son protecteur etait le plus honnete homme du monde, mais au demeurant un sot, un lache et un hypocrite." (Correspondance inedite de Condorcet et de Turgot, ed. Henry, 1883, p. 121-122.) 2. Les Quarts d'heures d'un joyeux soli-

taire (La Haye [ = Paris], 1766) comportait en fait vingt-deux contes en vers libres. 3. Ce second ecrit est probablement 1'introduction de L'Ecole des peres et des meres, on les Trots Infortunes (Amsterdam & Paris, 1767). D'apres celle-ci, "on ne forme, en s'engageant sous les loix de Phymen, qu'un assemblage malheureux de contrainte, de degout, de haine, auquel succede, le plus souvent, Pinfidelite, le desespoir & la fureur." (Op. cit., p. 3-4).

599. Diderot a Louise Henriette Volland1 [6 octobre 1765]"

[...] Je vous croyois quitte de 1'Angleterre et des Anglois. Je vous y ramene pourtant pour vous montrer combien un voyageur et un voyageur se ressemblent peu. Helvetius est revenu de Londres fou a Her des Anglois. Le baron en est ^revenu bien revenu^2. Le premier ecrivoit a celui-cy : "Mon ami, si, comme je n'en doute pas, vous avez loue une maison a Londres,

IV. P.-F. Gosse, Portefeuille d'un ancien typographe, La Haye, 18248, p. 176-178. V. P. Malandain, Delisle de Sales, Studies, CCIII (1982), p. 62-63. TEXTE

Le texte ici retenu est celui du IV, seul imprime ou figure le nom du destinataire. Les autres presentent deux differences importantes avec le IV : "octobre *Helvet. NOTES EXPLICATIVES 1. Voir lettre 647, note 10. L'identite du destinataire est attestee dans une

lettre de Delisle de Sales qui a ete publiee dans le IV : le 14 septembre 1775, cet auteur entretiendra ainsi Pierre-Frederic Gosse (v. lettre 700, note 2) de la recommandation d'Helvetius a Osterwald : "L'ouvrage que je vous propose est 1'unique edition originale; c'est celle que M. Helvetius voulait faire imprimer a la Societe typographique de Neufchatel, lorsqu'elle fut dissoute. Ci-joint est la copie de la lettre que ce grand homme ecrivit au professeur Ostervald et que vous imprimerez a la tete de ma nouvelle edition." (Op. cit., p. 174-175.) Delisle de Sales ne se limite pas a reproduire la presente lettre dans 1'introduction de sa Philosophic de la nature (v. le III); il en fait preceder le texte du commentaire suivant: "Avant que 1'orage commengat a gronder, Pillustre Helvetius faisoit porter a une presse etrangere le manuscrit de la troisieme edition. [...]

361

LETTRE 662

2.

3.

4. 5. 6.

'Hatez-vous, Monsieur, (ecrivoit-il au libraire qu'il protegeoit), [...].' " (Op. cit., I, p. v.) Cette troisieme edition de son ouvrage, que mentionne Delisle de Sales, n'a etc publiee qu'en 1777. Signalons aussi que les archives de la Societe typographique de Neuchatel, qui sera dissoute en 1795, ne contiennent aucune lettre que ses membres et Helvetius aient pu echanger et qu'un doute subsiste sur Pauthenticite de la presente lettre (cf. lettre 649, Texte, ainsi que la note 6 et les Remarques ci-dessous). Delisle de Sales a inplus la presente lettre dans Pedition de 1804 de La Philosophic de la nature en y ajoutant la note suivante : "La lettre ci-jointe est transcrite de Pedition des (Euvres d'Helvetius en 4 vol. in-8°, et on ne s'est point permis d'en remplir les vides, d'apres le manuscrit original, par respect pour la memoire de cet homme celebre, trop loue de son vivant et trop deprecie apres sa mort." (Op. cit., I, p. xi.) Ce commentaire amene a se demander pourquoi Osterwald aurait communique le manuscrit original de la presente lettre a Delisle de Sales, et en quoi il aurait manque de respect a la memoire d'Helvetius s'il avait public le texte integral de sa lettre. Pour les circonstances de la publication de La Philosophie de la nature, voir lettre 650, note 1. Delisle de Sales (voir lettre 649, note 1). Edition en onze volumes publiee par Marc-Michel Rey en 1769. Edition publiee par Dufour et Roux, de Maastricht (v. Smith, Bibliography, p. 304-305). On ignore comment ces editeurs sont entres en possession du texte de la lettre, sauf

362

Septembre 1771 a speculer qu'en depit des affirmations de Delisle de Sales, son destinataire n'etait pas Osterwald, ou qu'Helvetius a adresse la meme lettre a plusieurs editeurs. 7. C'est sans doute parce que la presente lettre a etc placee au debut du premier volume du II que Voltaire a emis Paffirmation suivante : "On m'a envoie six volumes de La Philosophie de la nature qu'on met sous le nom d'Helvetius, et dont le veritable auteur est en prison au Chatelet." (Best. D. 20632, lettre a Condorcet du 9 avril 1777.) 8. L'exemplaire que la British Library possede du Portefeuille contient une dedicace manuscrite de Pierre-Frederic Gosse a sir Charles Bagot (17811843), ambassadeur de Grande-Bretagne a La Haye (1831) et futur gouverneur general du Canada. S'y trouve egalement, colle sur la page de garde, un compte rendu de cet ouvrage decoupe dans L'Oracle de Bruxelles du 23 octobre 1824 (n° 297), ou il est indique que la presente lettre est adressee a Pierre Gosse, pere de Pierre-Frederic. Cette attribution de destinataire est dementie par ce dernier, dans une note manuscrite portee au bas de la meme page : "II y a ici erreur; toutes les lettres inserees dans ce recueil m'on etc adressee a moi-meme; j'ai succede a mon pere en 1774." Mais cette affirmation est des plus suspectes : dans le IV, que P.-F. Gosse lui-meme a public, Delisle de Sales designe nommement Osterwald comme ayant ete le destinataire de la presente lettre (v. note 1 ci-dessus); en outre, on voit mal pourquoi Helvetius Paurait adressee a P.-F. Gosse, alors que

LETTRE 662 celui-ci n'avait pas encore succede a son pere. REMARQUES

La recommandation d'Helvetius de publier La Philosophic de la nature est probablement le sujet d'une lettre du 7 octobre 1771 adressee par la Societe typographique a Du Rey de Morsan : "Nous recumes hier, Mr, la lettre dont vous nous avez honnores le 5e courant qui dans la suitte pourroit signifier beaucoup et operer une negotiation interressante par les deux interressantes lettres incluses qu'elle renfermoit. Une seule chose nous arrete tout court pour le present et il faut vous avouer notre ignorence : nous ne connoissons point le livre dont il est question. Le professeur ne se rappelle pas plus que moi de 1'avoir vu annonce [r] nulle part. Il seroit pourtant convenable d'en voir un ex. avant que d'aler plus loin. Nous ecrivons des aujourd'hui a Geneve pour tacher de nous le procurer. Des qu'il sera en notre pouvoir nous le lirons et serons en etat de repondre a la lettre de 1'hauteur par le canal de Mr H., ce que nous ne manquerons pas de faire aussitot que possible." (Bibl. publ. et univ., Neuchatel, ms. 1096, p. 792.) Si 1'une des deux "lettres incluses" mentionnees ci-dessus a bien etc la presente lettre a Osterwald, Helvetius 1'a done fait parvenir a son destinataire par 1'intermediaire de Du Rey de Morsan. Celui-ci, dans sa correspondance subsequente avec la Societe typographique, reviendra par quatre fois sur cette proposition, a savoir le 3 decembre : "Sans faire semblant de rien, j'ai saute par-dessus 1'article Helvetius lorsque je lui [a Voltaire] ai lu votre lettre. [...] Je vous dirai que vous avez fait une grosse faute d'omission en ne faisant pas reponse a cet honnete homme, dont je captivais

Septembre 1771 pour vous la bienveillance typographique de tout mon mieux. Je veux bien etre le bouc emissaire & me charger de votre peche que je ferai retomber sur moi tout seul. Demain mecredi ma lettre partira; je mentirai comme un vrai charlatan pour vous mieux disculper." (Ibid., ms. 1142, f° 232 verso; Best. D. 17490.); le 10 decembre : "J'ai repondu negativement mais avec bien des actions de graces a Mr H Ainsi vous voila debarasse de La Philosophic de la nature. J'ai rejette sur moi seul la faute du retard." (Ibid., ms. 1145, f° 489 verso.); le 13 decembre : "Vous etes dispense d'ecrire a Mr Helvetius; & je vous dispense d'imprimer La Philosophic de la nature." (Ibid., ms. 1145, f° 490 recto.); enfin le 17 fevrier 1772 : "Je n'ai point encor regu reponse de la veuve Helvetienne; j'en enrage de bon coeur." (Ibid., ms. 1145, f°492 verso.) En septembre 1772, Delisle de Sales proposera a Marc-Michel Rey de lui vendre son ouvrage pour 1 600 livres (Koninklijk Huisarchief, La Haye, ms. G16 A82). En novembre 1780, la Societe typographique de Neuchatel approchera Delisle de Sales en vue de publier une nouvelle edition de La Philosophic de la nature. Ces efforts n'aboutiront pas (v. Bibl. publ. et univ., Neuchatel, ms. 1109, pp. 28, 206 et 349-350, et ms. 1175, f° 459-463), mais cela n'empechera pas son auteur, dans la preface de la septieme edition, d'affirmer 1'existence d'une sixieme edition qui aurait paru a Neuchatel: "Elle ne differe guere de la precedente que par les incorrections, le peu de beaute du papier et 1'absence de gravures. C'est une edition populaire dont le principal debit s'est fait en Hollande, en Helvetic et en Allemagne." (Op. cit., 1804, 10 vol., I, p. xxxviii.) Malandain (v. le V, p. 56) dit etre parvenu

363

LETTRE 663

Septembre 1771

"par recoupements" a dater de 1793 cette sixieme edition, mais a cette epoque, la Societe typographique ne faisait plus de commerce d'imprimerie. Pour en terminer avec 1'auteur peu fiable qu'etait Delisle de Sales, mentionnons que d'apres lui, le texte du manuscrit confie a Helvetius aurait etc altere : "Le hasard m'apprit que 1'ancien manuscrit original, depose entre les mains de ce grand

homme, existait encore; je reussis a me le procurer, et je m'apercus, en le parcourant, que Phomme de lettres, qui avait donne 1'edition de 1777, en avait retranche de son autorite privee un grand nombre de morceaux, uniquement parce qu'ils pouvaient blesser ses prejuges litteraires; on les trouvera retablis ici." (Op. cit., 1804, I, p. xxix.)

663. Helvetius a Vincent Louis Dutens1 Mon eur, Votre parole est une chose sacree, et je ne vous demande plus rien, puisque vous avez promis de garder inviolablement Pexemplaire de Mr Rousseau2. J'aurois etc bien aise de voir les notes qu'il a mis* sur mon ouvrage, mais mes desirs a cet egard sont fort^ moderes. J'estime fort son eloquence et fort peu sa philosophic. cC'est, dit Milord Bolinbrock, du ciel que c Platon part pour descendre sur la terre3, et c'est de la terre que Democrite part pour s'elever au ciel; le^ vol du dernier est le plus sur. Mr Hume ne m'a communiquees c aucune des notes dont vous luy aviez fait part4. J'etois alors vraisemblablement a mes terres5. Presentes-luy, je vous prie, mes respects ainsy qu'a Mr Elisson6. S'il y avoit cependant dans les nottes de Mr Rousseau quelques-unes qui vous parussent tres fortes et que vous pussiez me les adresser, je vous enverrois la reponse, si elle n'exigoit point^ trop de discussion. Je suis, avec un tresg profond respect, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius *A Paris, rue Ste-Anne, butte St-Roch, ce 22 7bre 1771* [adresse :] A Monsieur / Monsieur L. Dutens, chez Mr / Frederic Dutens7 / A Londres MANUSCRITS ;; "A. Courts & Co., Londres; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge; timbres de la poste : "SE[PTEMBRE] 30" et, au-

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dessous d'une couronne, "P[AID]". Nous sommes redevables a David Raynor de nous avoir signale 1'existence de ce manuscrit et de celui de la lettre 666.

Septembre 1771

LETTRE 663 B. Bibl. publ. et univ., Neuchatel, ms. R. 291, f° 176; 2 p. D'apres Leigh (v. le V), il s'agit d'une copie faite par lord Harcourt (v. lettre 623, note 1) "sur le manuscnt que lui a confie M. Dutens", envoyee par lui au marquis Rene Louis de Girardin, et par ce dernier a Pierre Alexandre Du Peyrou, 1'un des editeurs du IV. IMPRIMES I. Dutens, Lettres a M. D[e] B[ure], Londres, Societe typographique8, 1779, p. 37-38. II. Dutens, Lettres a Monsieur D[e] B[ure], Londres & Paris, Barbou, 1779, p. 25-26. III. Dutens, (Euvres melees, Geneve, 1784, p. 319-320. IV. Rousseau, (Euvres, ed. Moultou & Du Peyrou, Geneve, 1782-1789, 33 vol., 8°, XXVII, p. 157-158 (British Library: G 12651). V. Leigh, lettre 6893 (vol. XXXVIII, p. 269-270, et XLI, p. 307-309). TEXTE

Ajoute a la page 4 du A : "Mr Helvetius / 22 Septr 1771". Le HI et le IV suivent le texte du I, et le V, celui du II; seules les variantes du B, du I et du II sont done indiquees ci-apres. "Les I et I I : "mises". ^Le B : "bien". cLe A : "C'est Platon on dit Milord Bolinbrock c'est du ciel que"; le B : "(C'est Platon) (Milord Bolinbroock), c'est du ciel disoit Milord Bolinbrooke que", les mots "disoit Milord Bolinbrooke" ayant etc ajoutes dans 1'interligne par une main inconnue; le I : "C'est, dit Milord Bolinbroke, du ciel que"; le I I : "C'est du ciel que". ^Le A : "l(a)e (marc)". eLe B et les I et II : "communique". /Le I : "pas". Omis dans le B. *Le B et le II : "A Paris, le 22 septembre 1771"; le I : "A Paris ce 22 septembre 1771".

NOTES EXPLICATIVES

1. Dutens (1730-1812), protestant franc,ais etabli en Angleterre ou il avait etc ordonne pretre de Peglise anglicane (1758). Apres avoir etc charge d'affaires a Turin (1760-1762 et 1764-1765), il avait lie ses interets a ceux de la famille de Hugh Percy, troisieme due de Northumberland. En Janvier 1767, il avait echange des lettres avec Rousseau, qui lui avait demande de recevoir sa correspondance et de la lui transmettre. De 1767 a 1771, il accompagne le deuxieme fils de son protecteur, lord Algernon Percy, dans son "grand tour", c'est-a-dire la grande tournee que font alors en Europe continentale les jeunes Anglais bien nes ou fortunes pour parfaire leur education, puis il s'etablit pendant quelque temps en France ou il evolue dans le cercle de Mme de Boufflers et du prince de Conti, et frequente d'Alembert, Chastellux, Choiseul, Diderot, Mme Geoffrin, Marmontel, Morellet, Trudaine de Montigny et Turgot. Auteur de plusieurs ouvrages, dont Recberches sur I'origine des decouvertes attrihuees aux modernes (1766) et Memoires d'un voyageur qui se repose (1805), il est egalement le premier a avoir public des oeuvres de Leibniz qualifiers de completes (Opera omnia, Geneve, 1768, 6 vol.). En 1775, il sera elu membre de 1'Academie des inscriptions et de la Societe royale de Londres. Voir a son sujet la these de J. W. Lorimer (Universite de Londres, 1952). 2. Il s'agit de 1'exemplaire de L'Esprit qu'avait annote Rousseau (v. lettre 620, note 4). L'existence des annotations dues a ce dernier etait connue depuis au moins quatre ans, car en

365

LETTRE 663

3.

4. 5.

6.

1767, Mme Necker avait ecrit dans son journal: "M. Du Terns vient d'acheter la petite bibliotheque de Rousseau d'environ cinq cents volumes, avec des notes marginales; le livre De I'Esprit, entre autres, est couvert de critiques." (Melanges extraits des mss de Mme Necker, 1798, 3 vol., II, p. 246.) Cette citation, dont nous n'avons pas retrouve 1'original dans Poeuvre de Bolingbroke (v. lettre 441, note 5), est en accord avec le mepris qu'il professait a 1'egard de Platon. Cf. : "[La philosophic de Platon] pervertit tout 1'ordre de la vraie science en pretendant descendre des connaissances scientifiques et axiomatiques jusqu'aux particulieres, et des universaux aux concepts singuliers, au lieu d'essayer de se conformer a la nature et a la raison en faisant tout le contraire." (Bolingbroke, Works, Londres, 1844, 4 vol., Ill, 292; traduction.) Lettre non parvenue jusqu'a nous. Rappelons qu'Helvetius et sa femme ont du passer la fin du printemps a Lumigny ou ils sont restes au moms jusqu'au l er juin 1771 (v. lettres 656, 657 et 659), et qu'ils ont passe 1'ete a Vore, car le 16 aout 1771, Morellet avait ecrit a Turgot: "Le petit sejour de dix jours a Vore n'a rien change a ma sante." (Bibl. mun. de Lyon, ms. 2581, piece 19, f° 37 recto; Medlin, lettre 49.) Selon Leigh, il pouvait s'agir de 1'un des deux membres suivants de cette famille du comte de Northumberland, ou se trouvait la paroisse dont Dutens etait le ministre: Stanhope (1719-1778), fils de Thomas Ellison, pasteur a Londres de 1757 a 1774, et John (1694-1773),

366

Septembre 1771 fils de Nathaniel Ellison, pasteur a Bedlington (Northumberland). Ce personnage pouvait egalement etre le cousin germain du dernier nomme, Cuthbert Ellison (1698-1785), membre de la Chambre des communes (1747-1754), futur general, cousin germain de lord Ravensworth et relation d'Horace Walpole. Voir Burke's Landed Gentry et Walpole 5 Correspondence, XXX, p. 156, et XXXIII, p. 502. 7. Le banquier Frederic Dutens, mort en 1772, etait 1'un des quatre fils de Poncle du destinataire, Pierre Dutens (1700-1761), bijoutier etabli a Londres. 8. Cette edition porte comme adresse : "A Londres, / Aupres du Palais St. James, rue St. James, / a la Societe typographique", et ses particularites typographiques, telles que 1'emploi de la signature B pour le premier cahier du texte, confirment son origine anglaise. Cette "Societe typographique", qui publiera De I'Homme en 1773, avait ete fondee en 1771 par Pierre Gosse et son fils Pierre-Frederic, libraires a La Haye (v. lettre 701, note 2), en collaboration avec David Boissiere, dont la propre maison d'edition etait situee a 1'extremite sud-ouest de la rue SaintJames, a Londres. Au sujet de Boissiere, dont la specialite etait la production de libelles qu'il consentait a supprimer moyennant le paiement d'une rangon, voir P. Manuel, La Police de Paris devoilee, An II de la liberte, 2 vol.; I. H. Van Eeghen, De Amsterdamse Boekhandel, 16801725, 1978, 5 vol., V, pp. 95 et 433435; et D. W. Smith, "Who published Helvetius's De I'Homme?", Studies, CCLXIV (1989), p. 654.

Octobre 1771

LETTRE 664 REMARQUES

Le ms. 291 (v. le B) contient une page portant la note suivante, de la main du marquis de Girardin : "Nb. Vous noterez que les principes de L'Esprit sont tires presque mot a mot des ouvrages de Hume. II est bien singulier que M. Dutens

soit tellement 1'ami de Mr Hume et 1'ennemi de M. Helvetius dont le systeme est absolument caique sur celui de 1'autre. Savoir si le disciple qui jure sur les paroles de son maitre ne 1'entend pas plus que lui." (Ibid., f° 27.)

664. Helvetius a David Hume [Peu apres le 15 octobre 1771]1 Monsieur et illustre ami, Je viens de recevoir votre lettre par Mr Jordin2. [...] IP auroit fort volontier donne 100 guinees au traducteur [de L'Homme] et luy auroit abandonne le produit de 1'impression et 1'ouvrage est fait pour faire une assez forte erototidie4. [...] L'abbe Morlet ne fait point encor imprimer son ouvrage5 parcequ'il craint qu'on ne 1'arrette a la censure. [...] Quand a Rousseau, il n'imprime point ou du m ns personne ne le scait. Il est du reste fort neglige6. [...] MANUSCRIT

*A. Collection du marquis de Rosanbo, fonds Lamoignon, 263 ap 6; 3 p.; brouillon autographe. IMPRIMES

I. (Euvres, 1781, V, p. 265-266. II. CEuvres, 1795, XIV, p. 39-41. III. CEuvres, 1818, III, p. 253-254. TEXTE

Ce brouillon a probablement servi de base a la version suivante de cette lettre, publiee en 1781 par La Roche (v. le I), qui a etc reprise dans les II et III: "Je viens de recevoir, Monsieur & illustre ami, votre lettre que m'a remise Monsieur Jordin. L'ami, qui devoit remettre a M. Stuard7 un manuscrit pour etre traduit en anglois, a change d'avis. Le motif qui 1'y determinoit etoit la crainte de la

persecution. Elle devient de jour en jour plus dangereuse. Le credit des pretres augmente 8 , & quoiqu'ils soient les ennemis des parlements, ceux-ci se preteroient assez volontiers, pour leur faire plaisir, a verser le sang de quelque philosophe. Us n'attendroient pas meme de preuve juridique pour le faire. J'ai done conseille a mon ami de remettre a sa mort la publication de ses ouvrages. Il a deja pris la-dessus des precautions necessaires, & il s'en tient la. Le livre de mon ami est a peu pres de 750 ou 800 pages in-4 d'impression9, du caractere de 1''Esprit des loix. Notre malheureux pays est bien dans 1'etat de crise ou 1'on vous 1'a mande. Il a regu une impulsion qui ne tardera point a precipiter sa chute, si quelque evenement etranger & difficile a prevoir en ce

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LETTRE 664 moment ne la retarde pas10. Tant que les choses resteront sur le pied ou elles sont, quel role pouvons-nous esperer de jouer en Europe? Benjamin est sans force, & Judas sans vertu11. Vous devez plaindre vos amis qui vous sont fidelement attaches. Plusieurs auroient etc vous rejoindre a Edimbourg, sans 1'embarras de la vente de leurs biens, car rien ne se vend. Toutes les bourses sont fermees. Point de circulation, parce que personne n'est sur de ne pas mourir de faim. Conservez-moi votre amitie. Je la merite par 1'estime & la veneration que j'ai pour votre genie & pour votre caractere. J'ai 1'honneur d'etre, &c." NOTES EXPLICATIVES

1. Date de 1'arrivee a Paris du porteur de la lettre de Hume (v. premiere ligne de la lettre et note 2 ci-apres). La presente lettre a sans doute ete ecrite a Vore, car le 13 octobre, Mme d'Epinay informe Galiani que les Helvetius sont absents (La Signora, p. 211), et le 26 novembre, Helvetius dit avoir ete retenu a Vore "quinze jours de plus qu'a Pordinaire" (v. debut de la lettre 666). 2. George Jardine (1742-1827) venait d'arriver a Paris en compagnie de ses eleves, les deux fils du baron Mure of Caldwell, William (mort en 1831 a Page de 73 ans) et James (17601847). Arrive dans la capitale le 15 octobre 1771, il y supervisera les etudes des deux jeunes gens jusqu'en 1773. Entre 1774 et 1824, il sera professeur de logique et de rhetorique a Glasgow College. 3. Helvetius venait de se referer a De I'Homme et a lui-meme au moyen des mots "le livre de mon ami"

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Octohre 1771 (v. Texte, deuxieme paragraphe). Il continue ici a se designer indirectement. 4. Sans doute erotidies : "Fetes de Cupidon, ou de 1'Amour" (Dictionnaire de Trevoux, 1771). 5. Refutation de I'ouvrage qui a pour litre : "Dialogue sur le commerce des, bleds" (Londres, 1770 [ = Paris, 1774]). Lors de la parution en Janvier 1770 des Dialogues de 1'abbe Galiani, Pabbe Morellet avait fait imprimer a ses frais une Refutation, dans laquelle il s'etait rallie au clan de Choiseul, favorable au libre commerce des grains. L'abbe Terray, nomme controleur general en decembre 1769, avait interdit a son auteur de diffuser cet ouvrage qui ne sera public qu'en decembre 1774. En juin 1770, Diderot avait ecrit au sujet de cette interdiction ministerielle : "La reponse de Pabbe est toujours au croc. C'est le controleur general qui Parrete. Il trouve ses principes dangereux." (Roth, lettre 612; v. aussi Best. D. 16507 et Corr. litt., IX, p. 82.) 6. Le 24 juin 1770, Rousseau arrive a Paris, apres avoir passe par Lyon, Dijon et Montbard, et s'installe rue Platriere. Il joue aux echecs au cafe de la Regence, commence a organiser des lectures privees de ses Confessions, et personne ne songe a faire executer le decret de prise de corps lance centre lui par le Parlement en 1762. Le 7 juillet, Pidansat de Mairobert ecrit: "Le Sr Jean-Jacques Rousseau [...] s'est enveloppe dans sa modestie; il est rentre dans son obscurite, satisfait de cet eclat momentane." (Bachaumont, Memoires, V, p. 136.) Pourtant, aux termes d'une affirmation du baron

Octobre 1771

LETTRE 665 d'Holbach, jugee "denuee de tout fondement" par Leigh, "le procureur general lui a fait dire de ne pas tant se montrer au public ebahi" (lettre a Pabbe Galiani du 25 aout 1770; Leigh, lettre 6774, et Sauter, lettre 45). 7. Voir lettre 435, note 11. 8. Le 26 novembre, Helvetius precisera sa pensee sur ce point: "Notre Parlement n'est plus compose que de pretres." Voir lettre 666, note 4. 9. L'edition originate de L'Homme comportera deux volumes in-12° (vol. 1 : LXIV + 639 p.; vol. 2 : 760 p.).

10. Termes qui rappellent la preface de L'Homme (p. VIII-IX). Voir lettre 708, note 3. Les evenements qui avaient deprime Helvetius etaient sans doute la crise financiere et les mesures prises par Pabbe Terray, lesquelles affectaient surtout les rentiers; la disgrace de Choiseul, parent de Mme Helvetius, survenue en decembre 1770; et la lutte entre le roi et le Parlement, qui avait abouti en Janvier 1771 a ce qu'on a appele le "coup d'Etat" de Maupeou. 11. Racine, Athalie, acte I, scene I.

665. Helvetius a Jean Baptiste Claude Izouard, dit Delisle de Sales Vore, ce 18 octobre 1771 ...Votre lettre m'inquiete, & le silence des libraires de ...-1 encore plus. Ces derniers n'auroient-ils point regu mon epitre? Je le crains. On dit que toutes les lettres qui traversent la Franche-Comte2 sont arretees depuis deux ou trois mois. Le comte de La* Villemeneut3, votre ami, va en Italic4. Ne feriez-vous pas bien de 1'accompagner jusqu'a ..-1? Pesez^ & decidez; sur-tout disposez toujours de moi. Je suis tout a vous, & je ferai ce que vous m'ordonnerez. Sur ce que vous me dites de .... je juge que ses Catilinaires5 ne sont pas de Ciceron; elles plairont cependant, s'il y a des anecdotes. Vous etes loge bien loin de Paris pour Phiver6; il falloit vous fixer dans notre quartier, pres des spectacles & des plaisirs, & sur-tout pres de moi. Vale et me ama. IMPRIMES

TEXTE

*I. Delisle de Sales, De la Philosophic de la nature, 5e ed., Londres, 1789, 7 vol., I, p. Ixiii-lxiv. II. P. Malandain, Delisle de Sales, Studies, CCIH (1982), p. 63-64; extraits.

"Omis dans le II. ^Le II: "Pensez". NOTES EXPLICATIVES

1. Neuchatel, ville ou, selon Delisle de Sales, Helvetius avait ecrit a Osterwald pour faire publier La Philosophic

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Novembre 1771

LETTRE 666

2. 3.

4.

5.

de la nature (v. lettre 662 et note 2 ci-apres). Trajet obligatoire du courrier expedie de Paris a Neuchatel. Charles Louis Joseph de Lesquen, comte de La Villemeneust (17211783), fils de Joseph de Lesquen, brigadier des armees du roi, et de Barbe Marguerite Perrette Gamier de Grandvilliers, etait chevalier de Saint-Lazare et de Saint-Louis, et capitaine de dragons au regiment Royal-Pologne. 11 avait epouse en 1765 Therese Du Hautoy, fille d'un chambellan du due Leopold de Lorraine. L'une des routes possibles, pour se rendre de Paris en Italic, passait par la Franche-Comte et Neuchatel. Lucius Sergius Catilina (vers 108-61 av. J.-C.) n'etait encore connu et juge, jusqu'a une epoque fort recente, que d'apres les relations et portraits aussi forces que destructeurs qu'en ont traces Salluste et Ciceron : louche individu perpetuellement en querelle avec les dieux et les hommes, defloreur d'une vestale, meurtrier d'un de ses fils pour faire plaisir a une maitresse, ainsi que de sa femme, chef d'une bande de brigands vouee a 1'assassinat des consuls, orgamsateur d'une cinquieme colonne a Pinterieur de Rome et d'une conjuration restee fameuse,

auteur d'attentats contre Ciceron, etc. Telle est 1'image de Catilina qu'ont accredited ses ennemis, qui avait toujours cours au XVIir siecle, et qui est sans doute encore vehiculee. Dans sa Rome sauvee (1752), Voltaire avait dramatise la conjuration et la mort de Catilina. Dans la presente lettre, Helvetius fait peut-etre reference a un autre ouvrage de Voltaire, les Lettres de Memmius a, Ciceron, dirige contre les materialistes et public pour la premiere fois en 1771, par les Cramer, dans le 17e volume de 1'edition in-4° des (Euvres de Voltaire. 6. Ce reproche d'eloignement n'etait que fagon de parler : le 10 juillet 1769, Delisle de Sales avait ecrit a 1'abbe Chretien : "Je me suis mis en pension chez un de mes intimes amis, et mon adresse est actuellement [...] chez M. le comte de La Villemeneust, rue Basse-du-Rempart." (Abbe M. Chretien, Memoire a consulter et consultation par le sieur Chretien, p. 27.) La rue Basse-du-Rempart, qui a etc absorbee par les boulevards des Capucines et de la Madeleine, etait situee en contrebas de ces deux boulevards et n'etait bordee de maisons que sur son cote nord.

1

666. Helvetius a Vincent Louis Dutens Monsieur,

Une indisposition de ma fille m'a retenu a maa campagne quinze jours de plus qu'a 1'ordinaire. C'est a ^ma terre^ que j'ay recu la lettre que vous m'avez fait Phonneur de m'ecrire. Je seray dans huit jours a Paris. A mon arrivee je feray tenir a Mr Lutton2 la lettre que vous m'adresses pour luy. c je vous remercie bien des nottes que vous m'aves envoiees. Vous aves

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LETTRE 666

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le tact sur. C'est dans la note 4 et la derniere que se trouvent les plus fortes objections centre mes principes. Le plan de 1'ouvrage De I'Esprit ne me laissoit pas la liberte de tout dire sur^ ce sujet. Je m'attendois, lorsque je le donnay au public, qu'on m'attaqueroit sur ces deux points, et j'avois deja trace l'e[s]quisse d'un ouvrage dont le plan me permettoit de m'etendre sur ces deux questions3. L'ouvrage est fait, mais je ne pourrois le faire imprimer sans m'exposer a de grandes persecutions. Notre Parlement n'est plus compose que de pretres4, et Plnquisition est plus severe icy qu'en Espagne5. Get ouvrage, ou je traitte bien ou mal une infinite de questions piquantes, ne peut done paroitre qu'a ma mort. Si vous venies a Paris, je serois ravi de vous le communiquer, mais comment vous en donner un extrait dans une lettre? C'est sur une infinite d'observations fines que j'etablis mes principes; la copie de ces observations seroit trese longue. II est vray qu'avec un homme d'autant d'esprit que vous on peut enjamber sur bien des raisonnements et qu'il suffit de luy^montrer de loin en loin quelques jallons, pour qu'il devine tous les points par lesquelss la route doit passer. Examines donc^ ce que 1'ame est en nous, apres en avoir abstrait 1'organe phisique de la memoire, qui se perd' par un coup, une apoplexie, &a. L'ame alors se trouvera reduite a la seule faculte de sentir. Sans memoire il n'est point d'esprit7, dont^ toutes les operations se reduisent a voir la ressemblance OH la difference, la convenance OH la disconvenance que les objets ont entre eux etavec nous. Esprit suppose comparaison des objets et point' de comparaison sans memoire. Aussy les muses selon les Grecs etoient les filles de Mnemosine6, Pimbecille qu'on met sur le pas de sa porte n'est qu'un homme prive plus ou moins de 1'organe de la memoire. Assure par ce raisonnement et une infinite d'aut res que 1'ame n'est pas I'esprit, puisqu'un imbecille a une ame, on s'appercoit que 1'ame n'est en nous que la faculte de sentir. Je supprime les consequences de ce principe, vous lesm de vines. Pour eclaircir toutes les operations de I'esprit, examines d'abord ce que c'est que juger "dans les" objets phisiques. Vous verres que tout jugement suppose comparaison entre deux ou plusieurs objet[s], Mais dans ce cas qu'es [t] -ce que comparer? C'est voir alternativement. On met deux echantillons jeaunes sous mes yeux; je les compare, c'est-a-dire, je les regarde alternativement, et quand je dis que 1'un est plus fonce que I'autre, je dis, selon0 1'observation de Neuton, que I'un reflechit moins de raions d'une certaine espece, c'est-a-dire, que mon ceil recoit une moindre sensation, c'esta-dire, qu'il est plus fonce. Or le jugement n'est quep le prononce^ de la sensation eprouvee. A 1'egard des mots de nos langues qui expriment r des idees si je 1'oze 371

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dire intellectuel[le]s, tels sont les mots force, grandeur, &a., qui ne sont representatifs 5 d'aucune substance phisique, je prouve que ces mots, et generalement tous ceux qui ne sont representatifs d'aucuns de ces objets, ne nous f donnent aucune idee reelle, et que nous ne pouvons porter" aucun jugement sur ces mots, si nous ne les avons rendus phisiques par leur aplication a telle ou telle^ substance. Que ces mots sont dans nos langues ce que sont a et b en algebre, auxquels il est impossible d'attacher aucune idee reelle s'ils ne sont mis en equations. Aussy avons-nous une idee differente du mot grandeur, selon que nous 1'attachons a une mouche ouw un elephant. c Quant a la faculte que nous avons de comparer les objets entre eux, il est facile de prouver que cette faculte n'est autre chose que 1'interest meme que nous avons de les comparer, lequel interest mis en decomposition peut lui-meme toujours se reduire a une sensation phisique. S'il etoit possible que nous fussions impassible [s], nous ne comparerions point* faute d'interest pour comparer. Si d'ailleurs toutes7 nos idees, comme le prouve Locke, nous viennent par les sens, c'est que nous n'avons que des sens. Aussy peut-on pareillement reduire toutes les idees abstraites et collectives a de pures sensations. Si le decousu de toutes cesz idees ne vous en fait naitre aucune, il faudroit que le hazard vous amenat a Paris, pour que je pusse vous montrer tout le develloppement de mes idees, ""partout appuiees sur des faits*". Tout ce que je vous marque a ce sujet hhne sont^ que des indication obscures, et pour m'entendre, peutestre faudroit-il que vous fissiezcc mon livre. Si par hazard ces idees vous paroissoient meriter la peine d'y rever, je vous esquisserois dans une seconde les motifs qui me portent a penser^ que tous les hommes communement bien organizes ont tous une egale aptitude a penser. Je vous prie de ne communiquer cette lettre a personne, elle pourroit donner a quelqu'un le fil de mes idees, et puisque 1'ouvrage est fait, il faut queee le merite de mes idees, si elles sont vraies, me rested J'ay 1'honneur d'etre, avec respect, Monsieur, 88 Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetiusffi A Vore, ce 26 9bre 1771 ]e vous prie d'assurer Mrs Hume et Elisson7 de mes respects^.

hh

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LETTRE 666 MANUSCRITS

*A. Coutts & Co., Londres; 7 p. (deux feuilles); orig. autogr. B. Bibl. publ. et univ., Neuchatel, ms. R291, f° 176 verso-179 verso; 7 p.; copie. C. Bibl. mun. de Besan§on, ms. 612; copie des paragraphes S a i l (v. lettre 712). IMPRIMES

I. Dutens, Lettres a M. D[e] B[ure], Londres, Societe typographique, 1779, p. 38-43. II. Dutens, Lettres a Monsieur D[e] B[nre], Londres & Paris, Barbou, 1779, p. 27-32. III. Rousseau, (Euvres, ed. Moultou & Du Peyrou, Geneve, 1782-1789, 33 vol., 8°, XXVII, p. 159-164 (Brit. Libr. : G 12651). IV. Dutens, (Euvres melees, Geneve, 1784, p. 320-325. V. Corr. litt., X, p. 104-106. VI. Leigh, lettre 6909 (vol. XXXVIII, p. 293-296, etXLl, p. 310-313). TEXTE Mentions ajoutees a la page 8 du A : "Mr Helvetius / 29th Novr 1771 / mort en Decre 1771 / mois apres la mort de 1'auteur. / ce livre a etc envoie par le / Prince / Bibeyro pour etre remis a Mr". Le III et le IV suivent le texte du I, et le VI, celui du II; quant au V, il est la reproduction d'un brouillon trouve dans les papiers d'Helvetius, que Grimm croyait etre celui d'une lettre adressee a Voltaire. Ne sont done indiquees ciapres que les differences assez nombreuses entre, d'une part, le A, et d'autre part, les B et C et les I et II. "Le C et le I : "la". *Le C et le I : "mes terres". cAlinea supprime dans le C et le I. ^Le I I : "a". e Le B et le I I : "trop", mot qui figure barre dans le A. ^Mot absent du II. gLe C

et le I : "ou". *Mot omis dans le C. 'Le A : "perds". 'Le A : "esprit {qui n'est en nous que la faculte d'appercevoir)". ^Les B et C et le II: "done". 'Le C : "pas". mLe C : "le". "Le B : "deux". °Le A : "selon {le sisteme)". pLe C et le II: "pas". ?Le A : "pronunce". rLe I : "exposent". 5Le C : "respectifs". fLe I : "vous". "Le B : "poser". "'Le B : "telle autre". wLe B et le I I : "ou a". *Le I : "pas". ^Mot omis dans le B. zLe A : "ses". ^Le C et le I : "partout appuyees de faits"; le II : "appuyees sur des faits". ^Le B : "n'est". ccLes B et C et le I : "vissiez". ^Le B et le I : "poser". ^Le I I : "que tout". ^Le A et le I : "restent". ®Le B : "Votre &c." MPostscriptum absent dans le B et le II. NOTES EXPLICATIVES

1. Voir lettre 663, note 1. 2. Jean Baptiste Bernard Lutton (17211792?) avocat au Parlement et commis ecrivain au greffe civil du Parlement de 1750 a 1790. II etait aussi Phomme d'affaires de la Societe typographique de Bouillon a Paris, pour le compte de laquelle il s'y occupait de la gestion des abonnements au Journal encydopedique. (Voir Bibl. publ. et univ. de Neuchatel, ms. 1099, p. 1010, lettre de la Societe typographique a Lutton du 27 juin 1773; Koninklijk Huisarchief, La Haye, G 16, A 287, lettre de Pierre Rousseau a Rey du 4 Janvier 1774; Archives Weissenbruch, Bruxelles, Ancien LII, 41, lettres adressees par Lutton a Charles Auguste Guillaume de Weissenbruch entre 1781 et 1791; et F. Clement, Le Journal encydopedique et la Societe typographique, Bouillon, 1955, p. 64.) II habitait rue Sainte-Anne. 3. De I'Homme. Le 28 mars 1772, Dutens entretiendra William Robertson de ce meme sujet: "Je vous prie

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LETTRE 667 de bien vouloir dire a M. Hume que je suppose que nous verrons sous peu quelque chose sortir sous le nom de M. Helvetius, car dans une lettre qu'il m'a ecrite quinze jours avant sa mort, il m'a communique beaucoup d'idees figurant dans un nouvel ouvrage qui, m'a-t-il dit, est pret a paraitre, mais qui, en raison des risques de persecution, ne sera public qu'apres sa mort." (National Library of Scotland, Edimbourg, ms. 3942, f° 117, traduction; nous sommes redevables a Alexander Stewart de nous avoir communique ce renseignement, qui nous est parvenu par 1'intermediaire de David Raynor.) 4. Pour completer la grand-chambre et la chambre des enquetes, Maupeou avait nomme assez hativement des pretres, des clercs, et surtout des cha-

noines du chapitre de Notre-Dame, dont Bertrand de Beaumont, neveu de 1'archeveque. 5. Voir lettre 647, note 6. 6. Deesse de la memoire, mere des neuf muses. 7. Voir lettre 663, note 6. REMARQUES

Helvetius a du se rendre a Paris peu apres la date de cette lettre, la derniere de lui qui soit parvenue jusqu'a nous, car le 20 novembre, 1'abbe Morellet avait ecrit a Pietro Verri: "M. Helvetius n'est pas encore de retour; je 1'attends ces joursci. II sera sensible, comme il le doit, a la marque d'estime que vous lui donnez." (Societa Storica Lombarda, Milan, Carte Novati, Lettere Verri; copie; et Medlin, lettre 52A.)

667. Helvetius a I'abbe Jean Bernard Le Blanc1 8 decembre [avant la mort d'Helvetius]2 [Reflexions litteraires.] MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

L'original autographe (3 p.; cachet) a figure a la vente Pixerecourt du 4 novembre 1840.

1. Voir lettre 22. 2. Mort survenue le 26 decembre 1771. La presente lettre date probablement des annees 1739 a 1745, periode ou Helvetius et Pabbe Le Blanc se frequentaient.

668. Helvetius a Madame Helvetius [Avant le 26 decembre 1771]1 J'ay regu hier ta lettre, ma chere amie; je te promets bien que je te rends amour pour amour. Je vois bien que tu es injuste dans ta lettre, mais comme 374

LETTRE 669

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ton injustice est un effet de ton amour, je te la pardonne de bon coeur. Je suis accable d'affaires; je n'ay que le terns de te dire que je t'adore, de t'assurer que mon chat presente ses insolenc.es au tien, que je voudrois deja etre a Lumigny, que je te plains beaucoup et t'aime encore plus. Adieu, ma chere amie. J'arriveray, a ce que j'espere, aussitost que ma lettre. Tout le monde te fait mille compliments. [adresse :] Par Rozoy en Brie / A Madame / Madame Helvetius, Par / Rozoy en Brie, au chateau de Lumigny / A Lumigny MANUSCRIT A. Vore; 2 p.; orig. autogr.; traces de colle rouge. NOTE EXPLICATIVE'

1. Date de la mort d Helvetius. C est egalement amsi que nous avons du dater les trois lettres suivantes, qui ne comportent aucune date ou indica-

tion permettant de leur en attribuer une. Le filigrane de cette lettre est le meme que celui des lettres 169, 170, 171 et 180 (juin a septembre 1751). 1 outetois, nous ne possedons aucune indication que Mme Helvetius soit • i-rrc restee seule a TLumigny avant 1755.

669. Helvetius a Madame Helvetius [Avant le 26 decembre 1771]1 Je crois, ma tres chere epouze, que lorsqu'on doit se mettre en colere, la presence d'un mary n'est pas inutil, mais lorsqu'on n'a que des remerciments a faire, j'imagine qu'il n'est bon a rien; ainsy j'attendray pour m'habiller un ordre expres de votre belle main que je baize de tout mon coeur. [adresse :] A Madame / Helvetius MANUSCRIT

TEXTE

A. Brit. Libr., Add. ms. 44936, f° 31-32; 1 p. (demi-feuille); orig. autogr.

L'adresse est omise dans les imprimes.

IMPRIMES I. Guillois, Salon, p. 17. II. Keim, p. 188.

NOTE EXPLICATIVE

1. Voir lettre precedente, note 1. A en juger par le filigrane de cette lettre, qui est le meme que celui des lettres 196, 205, 247 et 264, elle date probablement de la periode 1753-1757.

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LETTRE670

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670. Helvetius a Madame Helvetius [Avant le 26 decembre 1771]1 [Texte inconnu.] MANUSCRIT

NOTE EXPLICATIVE

L'original autographe de 2 pages a figure 1. Voir lettre 668, note 1. a la vente Dolomieu du 15 mai 1843.

671. Un ami de I'auteur a Helvetius [Avant le 26 decembre 1771]1 Comme on m'a dit que vous n'aviez pas de carosse et que je crains de ne pas vous voir a cause de cela, je prens la liberte de vous envoyer le mien dont vous ferez 1'usage qu'il vous plaira. Je vous demande bien des pardons de mon importunite, mais vous etes fait pour etre importune parce que vous etes fait pour etre aime a la folie. \adresse :] A Monsieur / Monsieur Helvetius / A Paris MANUSCRIT

NOTE EXPLICATIVE

A. Vore; 1 p. (demi-feuille); orig. autogr.

1. Voir lettre 668, note 1.

672. Jean-Francois Marmont el a Voltaire 27 decembre 1771 Nous venons de perdre, mon illustre maitre, un excellent homme dans M. Helvetius1. II mourut hier, a onze heures du matin, d'une goutte remontee (a ce que Ton croit)2. II laisse une fortune considerable3 et deux filles a marier. La raison n'avait pu alterer en lui la bonte de 1'instinct. II voyait la societe avec les yeux de Timon4, et il y portait I'ame de Socrate. II croyait ne pas croire au desinteressement et a 1'amitie, et il etait lui-meme tres genereux et tres bon ami5. Il faisait, m'a-t-on dit, mille ecus de pension a Marivaux; il en faisait autant, a ce qu'on assure, a un homme de lettres estimable qui lui survit6. L'etude et la meditation 1'auraient gate, si un aussi bon naturel n'avait pas etc incorruptible. 376

LETTRE 672

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Son esprit semblait n'avoir jamais consulte son cceur, et heureusement son coeur avait encore moins consulte son esprit. Passez-moi ce jeu de mots, qui rend assez bien mon idee. II n'y a pas d'exemple de moeurs plus simples et plus honnetes. II etait bon pere, bon epoux, philosophe pratique et d'un courage" d'autant plus louable, qu'il faisait violence a son caractere naturellement inquiet et facile a s'effaroucher. Sa perte est sensible a tous les gens de lettres estimables; elle est cruelle pour ses amis; et, a ses funerailles, on n'a entendu que ces mots : // a passe sa vie dfaire du bien, et il na jamais fait de mal a personne. Castab damns, luxuque carens; corruptaque nunquam Fortuna domini7. Notre bon baron d'Holback et 1'abbe Morellet sont dans la douleur. Pour moi, je vegete languissamment depuis ma derniere maladie. Mon estomac et mes entrailles ne peuvent se retablir.

[..-]

.

IMPRIMES

*l. Marmontel, (Euvres, 1818-1820, 19vol., VII, p. 517-518. II. Marmontel, (Euvres, 1819-1820, 7 vol., VII, 833-834. III. Best. 16484. IV. Marmontel, Correspondance, ed. Renwick, Clermont-Ferrand, 1974, 2 vol., I, p. 256-257. V. Best. D. 17530. TEXTE

Besterman, dont 1'affirmation a etc reprise par Renwick (v. le IV), avait declare a tort dans le III que la presente lettre avait paru pour la premiere fois dans le II, en 1820. Mais il s'etait ravise dans le V, ne s'y referant plus qu'au I, paru en 1819, tout en conservant le texte figurant dans le II. La seule difference importante entre le I et les editions posterieures nous semble etre une erreur commise dans le I et reprise ensuite (v. note a ci-apres). "Les II, III, IV et V : "caractere". ^Le IV : "Castra". NOTES EXPLICATIVES 1. L'acte de deces d'Helvetius a ete signe par son cousin, Martinet de

Charsonville, par son beau-frere, Nicolas de Delay de La Garde, et enfin par le cure de la paroisse de Saint-Roch, Jean-Baptiste Marduel (v. les appendices du vol. 4). Pidansat de Mairobert rapporte qu'Helvetius a refuse 1'extreme-onction, mais que le cure ne lui a pas refuse une sepulture chretienne (Bachaumont, Memoires, VI, p. 69), faits indirectement confirmed par Domenico Caracciplo (v. lettre 678). Son inhumation a eu lieu dans 1'eglise SaintRoch, "sans ceremonie et sans epitaphe", le 27 decembre (Institut, ms. 2222, f° 34), et aucune plaque n'y indique le lieu de sa sepulture. Le 24 Janvier 1772, les francsmagons de la loge des Sciences, qui a peut-etre ete fondee par Helvetius en 1766, se reuniront pour lui rendre les honneurs funeraires. Voir G. R. Silber, "In search of Helvetius' early career as a freemason", EighteenthCentury Studies, XV (1982), p. 424. 2. De nos jours, la goutte se definit comme 1'une des formes de Parthrite, due a un metabolisme anormal des

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LETTRE 672 nucleoproteides, nonobstant le role que peut jouer Pheredite. Elle est caracterisee par une accumulation d'acide urique dans le sang et les tissus (hyperuricemie), qui provoque des depots d'urates dans les articulations et les regions periarticulaires. Cette "dyscrasie urique" se traduit par des acces inflammatoires aigus, enflures et raideurs affectant les articulations, et notamment le gros orteil. Elle peut evoluer, en cas d'absence de traitement, ou de medication inappropriee, sous la forme d'accidents visceraux de nature arthritique affectant notamment les reins (goutte larvee), les oreilles, ainsi que les systemes cardio-vasculaire, digestif, respiratoire et nerveux. L'ensemble de ces phenomenes, generalement qualifies de goutte abarticulaire ou viscerale, etait appele autrefois goutte metastatique, ou retrocedee, ou remontee. Dans son sens medical, le terme goutte a etc employe des le XIIIe siecle dans la langue courante pour designer globalement les phenomenes d'arthritisme, et la goutte etait ainsi nommee parce qu'on la croyait due a des gouttes d'humeur viciee. Furetiere la decrivait comme "causee par la fluxion d'une humeur acre sur les articles ou jointures du corps", et provenant plus precisement "de la superfluite des humeurs, et de la foiblesse des jointures". La longue serie d'attaques douloureuses de goutte qu'Helvetius a subies depuis au moins avril 1764 (v. lettres 527, 533, 607, 623, 624, Remarques, et 633, note 2), la gravite de celles-ci a partir de 1766, et une deterioration progressive que contribue a expliquer Petat de la medecine

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Decembre 1771 du temps, permettent de considerer comme fondee la croyance, mentionnee par Marmontel, qu'Helvetius etait mort d'une goutte remontee. Font egalement etat de ce diagnostic Pidansat de Mairobert (Bachaumont, Memoires, VI, p. 68), Grimm (Corr. lift., IX, pp. 417 et 422-423), Mme d'Epinay (v. lettre suivante) ainsi que Saint-Lambert : "Une attaque de goutte qui se portoit a la tete & a la poitrine, lui ota d'abord la connoissance, & bientot la vie." (Le Bonheur, 1772, p. cxviii.) La mort d'Helvetius a donne lieu a quelques appreciations relatives aux causes de sa maladie. Selon Diderot, Helvetius etait mort de fatigue et des longs et penibles efforts consacres a ses ouvrages (CEuvres, ed. Assezat & Tourneux, 1875-1877, 20 vol., II, p. 311). Quant a Grimm, souvent porte a etre mauvaise langue, il a rapporte la rumeur selon laquelle Helvetius devait sa goutte a 1'usage immodere "des plaisirs de sa jeunesse" et de "remedes pour se conserver une vigueur de temperament qui commenc,ait a Pabandonner" (Corr. litt., IX, p. 423). Au demeurant, une telle explication de la goutte etait courammentadmiseal'epoque : "On accuse le vin, la debauche, d'etre la cause de la goutte." (Dictionnaire de Trevoux, 1743.) 3. Voir lettre 512, note 3. 4. Timon le Misanthrope, philosophe athenien du Ve siecle av. J.-C, celebre par sa haine centre le genre humain et par ses boutades satiriques. 5. Marmontel developpera ce jugement dans ses Memoires : "Rien ne ressemble moins a Pingenuite de son caractere et de sa vie habituelle que la singularite premeditee et factice de

LETTRE 673 ses ecrits; et cette dissemblance se trouvera toujours entre les mceurs et les opinions de tous ceux qui se fatiguent a penser des choses etranges. Helvetius avait dans I'ame tout le contraire de ce qu'il a dit. II n'y avait pas un meilleur homme : liberal, genereux sans faste, et bienfaisant parce qu'il etait bon, il imagma de calomnier tous les gens de bien et luimeme, pour ne donner aux actions morales d'autre mobile que 1'interet." (Op. cit., ed. Tourneux, 1891, 3 vol., II, p. 93.) 6. II s'agit probablement de Saurin (v. lettre 145, note 7). Voir aussi lettre 607, note 15. 7. Lucain, Pharsale, IX, 201-202 : "Sa famille fut chaste, fermee au luxe, et ne se laissa jamais corrompre par la fortune du maitre." (Citation tiree de 1'apologie prononcee par Caton a 1'occasion de la mort de Pompee.) REMARQUES

Voltaire repondra a Marmontel le 6 Janvier 1772 : "Je regrette Helvetius avec tous les honnetes gens, mon cher ami, mais ce que ces pauvres honnetes gens ne peuvent faire a Paris, je Pai toujours fait au mont Jura. J'ai crie que les pedants absurdes, insolents et sanguinaires, ces bourgeois tuteurs des rois qui 1'avaient condamnes, et qui sesont souilles du sang du chevalier de La Barre, sont

Decembre 1771 des monstres qui doivent etre en horreur a la derniere posterite. J'ai crie, et des tetes couronnees m'ont entendu. Je n'avais cependant pas trop a me louer de cet innocent d'Helvetius." (Best. D. 17545.) Le 26 Janvier, dans une autre lettre a Marmontel, il associe les destins d'Helvetius et du chevalier de La Barre (v. lettre 691, note 8) : "Je verrai bientot cet Helvetius que les assassins du chevalier de La Barre traitterent si indignement, et dont je pris le parti si hautement. Je n'avais pas beaucoup a me louer de lui, et d'ailleurs je ne trouvais pas son livre trop bon, mais je trouvais la persecution abominable. Je 1'ai dit et redit vingt fois. Je ne sais si Mr Saurin a regu un petit billet que je lui ai ecrit sur la mort de son ami." (Best. D. 17570.) Le 15 Janvier 1772 (v. lettre 679), Saurin accusera reception de ce billet, lequel n'est pas parvenu jusqu'a nous. Enfin, dans une lettre a Condorcet du 28 Janvier, Voltaire evoque a nouveau la persecution qu'a subie Helvetius : "II me parait que tous les honnetes gens ont etc d'autant plus sensibles a la perte d'Helvetius que les marauts d'ex-jesuites et les marauts d'ex-convulsionaires ont toujours aboie centre lui jusqu'au dernier moment. Je n'aimais point du tout son livre, mais j'aimais sa personne." (Best. D. 17572.)

673. Louise Florence Petronille Tardieu d'Esclavelles, dame de La Live d'Epinay1, a I'abbe Ferdinando Galiani2 Le28Xbre [1771] En verite, je n'ai pas le courage de vous ecrire, ni de vous consoler de la nouvelle que j'ai a vous apprendre. Nous avons perdu le pauvre Helvetius, apres cinq jours d'un acces de goute remonte dans la tete. Jl est mort dans

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LETTRE 673

Decembre 1771

un delire affreux. Sa femme est dans des acces de convultions effroyables depuis ce moment-la. Le baron est au desespoir3. Tous ses amis sont inconsolables. En verite je les trouvent tous bien a plaindre. Helvetius seul est heureux. Quand serois-je heureuse comme lui? Gatti4 sera surement bien fache de cette perte. Je vous repondrai a vos deux dernieres lettres, mon cher abbe, lorsque je serai un peu plus a moi, mais je suis entouree de gens dans la peine et mon ame est triste jusqu'a la mort. J'ai une autre personne de ma connaissance qui est tombe en paralisie. C'est le pere d'une femme de mes amies. Je ne la quitte que pour retrouver des gens qui ne sont pas plus gais qu'elle. [...] Jl faut que je vous parle encore de ce pauvre Helvetius. II avoit signe le contrat de mariage de sa fille ainee la veille qu'il est tombe malade, et jl etoit presque d'accord pour un etablissement pour la cadette. C'est le marq[ui]s de S'-Chamand"5 qui devoit epouser Painee. On espere cependant que le mariage ne manquera pas, mais 1'on n'en a point encore de certitude, parce que Md. Helvetius avoit depuis un an recule ce mariage de mois en mois sous differents pretextes6. Ceci entre vous et moi. On ne nomme point encore le pretendant de la 2de. Bonjour, mon cher abbe. Je vous embrasse de tout mon cceur. [adresse :] A Monsieur / Monsieur Tabbe Galiani / conseiller et secretaire du / Conseil du Commerce / A Naples MANUSCRIT

*A. Societa Napoletana di Storia Patria, Naples, inc. 27, n° 79, ff os 201 recto et verso, et 202 verso; 2 p.; orig. autogr.; cachet sur cire noire. IMPRIME

I. La Signora, p. 232-233. TEXTE "Le I : "Saint-Chamond". NOTES EXPLICATIVES

1. Voir lettre 462, note 3. 2. Voir lettre 625, note 1. 3. Le 2 Janvier 1772, dans une lettre a David Garrick, Mme Riccoboni rapporte egalement la peine eprouvee par les proches de 1'auteur : "Helvetius est mort en sept jours de maladie. Sa femme est dans une douleur dont tout Paris s'occupe. Le baron d'Hol-

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bacq ne la quitte pas et pleure son ami. La philosophic ne lui fait pas regarder la sensibilite comme une faiblesse." (Victoria and Albert Museum, fonds Forster F48 El6, vol. XXII, f° 43 verso; Mme Riccoboni's Letters, ed. Nicholls, Studies, vol. CXLIX, p. 228.) Dans une autre lettre, du 19 Janvier, adressee a sir Robert Listen, Mme Riccoboni mentionne le chagrin ressenti par un autre ami d'Helvetius, Dutartre de Bourdonne (v. lettre 158, note 4) : "M. de Bourdonne a perdu dans Mr Helvetius son compagnon de jeunesse. II s'est enferme pendant un mois avec sa veuve desolee." (Studies, CXLIX, p. 229.) Voir aussi lettre 676, par. 2. 4. Voir lettre 497, note 10. 5. II s'agit, soit du marquis Amans de Saint-Chamans, vicomte de Rebenac,

LETTRE 674 ne en 1754, capitaine de cavalerie au regiment Royal-Champagne, qui etait le fils d'Alexandre Louis de Saint-Chamans, lieutenant-general, et de Frangoise Aglae Silvie Le Tellier de Souvre, soit plus probablement de son cousin eloigne, le marquis Joseph Louis de Saint-Chamans Du Peschier (1747-1785), colonel puis mestre de camp au regiment de La Fere-Infanterie, fils de Louis et de Louise Frangoise Charlotte de Malezieu. Ami de Mme de Rochefort et heritier des papiers de Julie de Lespinasse, ce dernier allait epouser en 1773 Celeste Augustine Franchise Pinel Du Manoir. Precisons que le nom figurant dans le manuscrit ne se lit pas Saint-Chamond (v. note a), et que Charles Louis Auguste de La Vieu-

Janvier 1772 ville, marquis de Saint-Chamond, ne en 1726, colonel d'un regiment d'infanterie de 1749 a 1761, etait deja marie, ayant epouse en 1761 Claire Marie Mazarelli. Nous n'avons trouve aucune trace du contrat de manage qu'Helvetius aurait signe. 6. Pidansat de Mairobert fournit une version un peu differente de la position de Mme Helvetius a Pegard des possibilites de mariage de ses filles : Apres la mort de son mari, elle "a dit [...] aux divers pretendans qui etoient sur les rangs, qu'ils fissent, chacun pour son compte, leur cour de leur mieux a ses filles; qu'elle ne les generoit en rien, & que ce seroient elles-memes qui nommeroient leurs epoux." (Bachaumont, Memoires, VI, p. 196, 4 octobre 1772.)

674. Dimitri Alexeievitch, prince Golitsyne1, a Alexandre Mikhailovitch, prince Goli Vous n'ignores peut-etre pas, dans ce moment-ci, que le celebre Helvetius est mort. Tous ses amis a Paris attribuent sa fin a 1'epuisement qu'une application trop serieuse a un livre lui avoit occasionne3. Je ne puis Vous donner cette cause pour positive, mais il est certain qu'il venoit de finir un ouvrage qui doit lui couter beaucoup de soin et d'attention. Ce livre devoit etre dedie a Sa Majeste notre tres auguste souveraine. En consequence il avoit deja envoye le 8 de decembre passe un de ses amis intimes4, pour me prier d'en demander la permission a Sa Majeste Imperiale, en attendant laquelle 1'ami avoit ordre d'imprimer sous le plus grand secret le livre, dont on n'auroit tire que cinquante exemplaires. II en auroit envoye un a PImperatrice, et le reste ne devoit paroitre au jour qu'apres la mort de Pauteur. C'est un de ces ouvrages qui n'auroient pas manque d'attirer la persecution du ministere franc,ois et des pretres a 1'auteur; et d'etre enferme pour le reste de ses jours est la moindre chose qu'il devoit s'en promettre. J'allois deja Vous ecrire, mon Prince, pour Vous prier en graces d'en demander la permission de la dedicace a Sa Majeste Imperiale, lors que j'appris la mort de Pauteur, ce qui en fit suspendre Pimpression qui n'avoit pas eu le terns d'etre commencee seulement; et son ami, oblige par la de 381

LETTRE 674

Janvier 1772

retourner subitement a Paris, a pris le parti de m'en laisser le manuscrit, avec priere de le faire paroitre au jour comme un monument public de sa veneration pour les qualites augustes de Sa Majeste Imperiale, qualites qu'il a toujours sincerement admire, et comme un ouvrage qui devroit conserver sa propre memoire a la posterite. Maintenant c'est a Sa Majeste Plmperatrice a decider de 1'usage que je dois faire de cet ouvrage, et je Vous prie en graces, mon Prince, de m'en obtenir les ordres. S'il m'est permis de dire mon avis, je voudrois qu'Elle cut la bonte de m'autoriser a Pimprimer ici. Je le ferois avec d'autant plus d'attention que le manuscrit, quoique correct, etant de la main de I'ami en question et d'une ecriture asses difficile a lire5, je puis avoir d'ici de moment a 1'autre des eclaircissemens6. L'ouvrage est considerable. II y en a de quoi faire deux in-quarto, chacun du volume du livre De ['Esprit, dont celui-ci est le developpement. L'auteur avoit destine 5 000 livres pour 1'impression, mais si Sa Majeste Imperiale veut aussi accorder cette somme, il m'en restera encore asses de quoi recompenser genereusement I'ami du feu Helvetius. Dans une seconde lettre ci-incluse et en date du 8 de ce mois7, j'aurai 1'honneur de vous donner une idee de 1'ouvrage dont il s'agit, en parlant comme d'un livre qui vient de paroitre en Allemagne a Francfort. Je ne prends toutes ces precautions ici que parce que le voyage de I'ami de Helvetius a La Haye n'a pas laisse que de faire du bruit a Paris et quoi qu'il soit attache au service du due de Deux-Ponts, il craint cependant la persecution du ministere frangois, tant pour lui-meme, que pour les enfans de Helvetius. [...]* ^Dimitri, prince Golitsyne^7 c

La Haye, 27 decembre 1771 / 7 Janvier 1772C

MANUSCRIT *A. Archives centrales publiques d'actes anciens, Moscou, fonds 1263, opis [ = liste] 1, n° 1120, f° 187 recto-189 recto; 5 p.; one. chiffre (v. Texte ci-

apreS IMPRIME I. G. Dulac, "Politique et litterature : la correspondance de Dmitri A. Golitsyn (1760-1784)", Dix-huitieme Siede, XXII (1990), p. 395-397. TEXTE Nous reproduisons la transcription r cc errectuee a Samt-Petersbourg par le ser-

382

vice du chiffre. "No s ne reproduisons pas la formule de politesse ecrite en russe par 1'expediteur. ^Signature en russe dans 1'original. cEn russe dans 1'original. NOTES EXPLICATIVES

1. D. A. Golitsyne (1734-1803), charge d'affaires a Paris en 1761, avait etc ministre plenipotentiaire a Versailles de 1763 a 1767 et s'y etait lie avec plusieurs hommes de lettres. En 1769, il avait ete nomme ambassadeur de Russie aux Provinces-Unies. C etait un cousin eloigne du vicechancelier, destmataire de la presente

Janvier 1772

LETTRE 675 lettre (v. note suivante), dont 1'arriere-grand-pere etait leur ancetre commun. En 1771, il avait achete au nom de Catherine II, par 1'entremise de Diderot, la collection de tableaux provenant de la succession du banquier Crozat (v. Roth, X, p. 213). 2. Voir lettre 626, note 1. 3. A notre connaissance, Diderot a etc le seul philosophe a exprimer une telle opinion (v. lettre 672, note 2, par. 4). Pour "les multiples similitudes de pensee et d'expression" que presentent les textes de Diderot et les depeches de 1'ambassadeur, voir le I, p. 382-384. 4. Il s'agit de La Roche (v. lettre 628, note 1) : D'une part, au dernier paragraphe de la presente lettre, il est indique que "1'ami d'Helvetius [est] attache au service du due de DeuxPonts". D'autre part, 1'abbe Morellet mentionne dans ses Memoires qu'en 1771, La Roche "se trouvait en Hollande, ou il etait alle porter le manuscrit de L'Homme qu'Helvetius lui avait donne", et qu'"en apprenant la

nouvelle de sa mort, il revint aupres de sa veuve" (Morellet, I, p. 379.) 5. Nous ne connaissons aucun manuscrit de L'Homme qui soit de la main de La Roche. Celui qui a ete transmis a ses descendants est du a un copiste et est tres lisible. 6. Il etait done prevu que La Roche reviendrait a La Haye pour s'occuper a nouveau de la publication de L'Homme. 7. Lettre 675. REMARQUES

En ce meme mois de Janvier 1772, Grimm annonce la parution de L'Homme en ces termes : "[Helvetius] [...] a travaille depuis quelques annees a la composition d'un grand ouvrage qui est acheve, et qui aura pour titre : De I'Homme, de sesfacultes intellectuelles, et de son education. Ce livre [...] ne tardera pas, je crois, a paraitre en pays etranger. Sa hardiesse aurait compromis 1'auteur de plus belle, s'il eut paru de son vivant. On n'en permettra surement pas le debit en France." (Corr. litt., IX, p. 423.)

675. Dimitri Alexei'evitch, prince Golitsyne, a Alexandre Mikbailovitch, prince Golitsyne La Haye, ce 8 Jan. 1772 Mon Prince, Puisque vous n'etes jamais fache qu'on vous rende compte des bons livres qui paraissent de terns en terns dans nos environs, je ne dois plus negliger celui qui vient d'etre public en allemand a Francfort. Get ouvrage est prodigieusement rare. L'auteur est un citoyen de Nuremberg et n'en a fait tirer que quelques exemplaires seulement, au moyen de quoi on ne peut s'en promettre que lorsqu'il aura ete ou reimprime ou traduit en quelque autre langue1. Je vais vous en donner une idee ici.

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LETTRE 675

Janvier 1772

Le livre est intitule : De I'Homme, de ses facultes intellectuelles et de son education, avec 1'epigraphe : Honteux de m'ignorer, Dans mon etre, dans moi, je cherche a penetrer. Volt., Discours 6e, de la nature de Phomme 2 . Dans la preface 1'auteur dit: "C'etoit sous un faux nom que je voulois donner ce livre au public et le texte en fait foi. C'etoit selon moi 1'unique moyen d'echapper a la persecution sans en etre moins utile a mes compatriotes. Mais dans le terns employe a la composition de 1'ouvrage, les mceurs et le gouvernement de mes concitoyens ont change. La maladie a la quelle je croyois pouvoir apporter quelque remede est devenue incurable : j'ai perdu Pespoir de leur etre utile et c'est a ma mort que je remets la publication de ce livre. Ma patrie a enfin rec,u le joug du despotisme. Elle ne produira plus d'ecrivains celebres. Le propre du despotisme est d'etouffer la pensee dans les esprits et la vertu dans les ames. Ce n'est plus sous le nom de Nurembergeois" que ce peuple pourra de nouveau se rendre celebre : cette nation avilie est aujourd'hui le mepris de PEurope La conquete est le seul remede a ses malheurs.... Le bonheur, comme les sciences, est, dit-on, voyageur sur la terre. C'est vers le Nord qu'il dirige mainten nt sa course. De grands princes y appellent le genie et le genie la felicite. Rien aujourd'hui de plus diferent que le Midi et le Septentrion de 1'Europe. Le ciel du Sud s'embrunit de plus en plus par les brouillards de la superstition et d'un despotisme asiatique. Le ciel du Nord chaque jour s'eclaire et se purifie. Les Catherines II, les Frederic, veulent se rendre chers a Phumanite; ils sentent le prix de la verite; ils encouragent a la dire; ils estiment jusqu'aux efforts fails pour la decouvrir. C'est a de tels souverains que je dedie cet ouvrage : c'est par eux que Punivers doit etre eclaire." L'auteur, apres avoir assure que, dans tout le cours de cet ouvrage, il etait toujours de bonne foi avec soi-meme, finit par dire : "Je n'ai rien dit que je n'aie cru vrai, et rien ecrit que je n'ai pense... J'ai tactic d'exposer clairement mes idees; je n'ai point, en composant cet ouvrage, desire la faveur des grands. Si ce livre est mauvais, c'est parceque je suis sot, et non parceque je suis fripon. Peu d'auteurs peuvent se rendre ce temoignage." Le livre est divise en plusieurs sections et chapitres avec beaucoup de notes. On y examine : [Resume du contenu de L'Homme en 70 points, probablement elabore a partir de la Table des matieres de Pouvrage.] Je ne puis vous donner ici qu'une idee generale, mon Prince, de ce livre. Les bornes d'une lettre ne me permettent pas d'entrer dans des details trop circonstancies. D'ailleurs, etant ecrit en allemand, il ne saurait que perdre 384

Janvier 1772

LETTRE 675

beaucoup de son energie dans la traduction, mais je vous recommande instament de vous en procurer 1'original. Quelque parti qu'ait pris 1'auteur de ne pas le publier, vous en obtiendriez, je crois, facilement un exemplaire, en donnant commission a notre ministre a Ratisbonne de vous le trouver. Au reste, quoiqu'il n'y ait aucune personnalite dans ce livre, je ne crois pas qu'il trouve jamais entree en France. Tout ce qui s'y passe actuellement, de meme que le papisme, trouve un censeur rigide dans notre auteur. Mais un Nurembergeois n'est pas paye pour les aplaudir, et il nomme volontiers les choses par leur nom. J'ai 1'honneur d'etre, avec un attachement sincere et respectueux, Mon Prince, Votre tres humble at tres obeissant serviteur, Dimitry, Prince de Gallitzin [destinataire :] A M. le Pce de Gallitzin, Vice-chancelier MANUSCRIT :;

"A. Archives centrales publiques d'actes anciens, Moscou; fonds 1263, opis 1, n° 1121, ff os 3 recto-4 recto et 7 recto7 verso; 10 p.; orig. autogr. IMPRIME

I. Siline, p. 137-141 (en russe). TEXTE

"Ajoute au crayon rouge au-dessus de ce mot : "Francois". NOTES EXPLICATIVES

1. Ce stratageme etait le fait d'Helvetius lui-meme. Dans le seul manuscrit de L'Homme qui nous soit parvenu, 1'auteur suppose mentionne plusieurs fois ses origines nurembergeoises (ex. : "Or, a Nuremberg ou j'habite... " [Section I, chap. 13]) et mentionne Helvetius comme s'il etait pour lui un etranger (ex. : "M. Helvetius fut par quelques theologiens traite d'impie." [Section VII, note 6]).

C'est par inadvertance que cette derniere citation s'est retrouvee dans 1'edition originale, car Helvetius avait renonce a cette precaution, comme il 1'indique dans le passage de la preface cite par Golitsyne : "C'etait sous un faux nom que je voulois donner ce livre au public et le texte en fait foi." Il reste a preciser les raisons pour lesquelles D. A. Golitsyne a repris dans la presente lettre la fiction d'un auteur nurembergeois : D'une part, comme il 1'avait indique dans la lettre precedente, il cherchait a proteger La Roche et la famille de 1'auteur de "la persecution du ministere franc,ois". D'autre part, il a formule la presente lettre de fagon qu'elle puisse etre montree aux autorites franchises, au cas ou elles s'irriteraient du role de l'imperatrice dans la parution de 1'ouvrage.

385

LETTRE 676

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676. L'abhe Andre Morellet a William Petty, comte de Shelburne1 Milord, J'avois depuis quelques jours le projet de vous ecrire pour me rappeller a votre souvenir, vous remercier des marques de bonte que vous m'aves deja donnees, et m'entretenir avec vous de celles que je vous devr i encore lorsque j'aurai le bonheur de vous voir en Angleterre. *Ce sujet m'eut etc bien agreable* a traiter et me voila oblige de m'occupper d'un objet bien triste. Helvetius est mort entre nos bras apres huit jours de maladie et il a laisse sa femme, ses deux filles et ses amis dans une consternation qu'il est impossible de vous represented Vous 1'aves vu plein de vie et de sante quelques jours avant votre depart. Notre cher colonel Barre2 avoit dine ches lui. Nous 1'avons perdu : une attaque de goutte, qu'on n'a jamais pu fixer, combinee, a ce qu'il semble, avec quelque autre maladie, 1'a emporte a un age ou nous pouvions raisonnablement croire qu'il avoit encore vingt ans a vivre. Ses amis, Mr de Bougainville3, Mr d'Holbac, le cher de Chatelux et moi, nous ne 1'avons pas quitte, et nous sommes occuppes maintenant a consoler sa malheureuse femme et ses deux filles. Si quelque chose peut adoucir cette perte, c'est la reputation et les regrets qu'il laisse apres lui. Jl les a merite par ses talens et par ses vertus sociales. Ses ouvrages sont la preuve de son genie, et tous ceux qui 1'ont connu un peu particulierement savent qu'il etoit tres bienfaisant et de la societe du monde la plus douce. Jamais il n'a dit un mot desobligeant et jamais on n'est sorti mecontent de ches lui. Vous conceves, Milord, combien nous sommes touches d'une perte si peu attendiie, et nous ne doutons pas que vous ne partagies nos regrets. Quoique mes soins soient de quelque utilite a Madame Helvetius, comme elle ira dans ses terres vers la fin de 1'hyver, cet accident ne changera rien a mon projet de voyage a Londres. [...] J'embrasse de tout mon coeur le cher colonel Barre. Jl a bien emporte notre estime et nos regrets. Nous parlons souvent de lui. Le baron d'Holbac et M. Trudaine le saluent tous les deux. Jl avoit fait la conquete de Madame Helvetius, mais la pauvre femme vient d'etre frappee d'un coup si rude qu'elle ne pense guere a autre chose qu'a son malheur. [...] Je suis, avec le plus profond respect, Mylord, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, L'abbe Morellet Paris, le 8* Janvier 1772 386

Janvier 1772

LETTRE 677 MANUSCRIT :;

'A. Bowood, carton 24, n° l c , ff os 1 recto-2 recto, 3 verso et 4 recto; 7 p.; orig. signe. L'ecriture est celle de Poullard, secretaire de Morellet. IMPRIMES

I. Fitzmaurice, pp. 1-3 et 6. II. Medlin, lettre 53. TEXTE Le I : "Ces sujets m'ont etc bien agreables". hLe quantieme est autographe. c C'est sans doute Fitzmaurice qui a ajoute en haut de certaines lettres de 1'abbe Morellet se trouvant a Bowood le numero qu'elles portent dans son edition des Lettres de 1'abbe Morellet a lord Shelburne (v. le I). 11 est a remarquer qu'il ne fournit pas de reproductions integrates de toutes ces lettres, et que son ouvrage contient de nombreuses erreurs de datation (v. notamment lettre 677, note 1).

a

NOTES EXPLICATIVES

1. William Petty, comte de Shelburne (1737-1805) avait pris part a la guerre de Sept Ans, et avait ete nomme colonel et aide de camp de George III (1760), puis etait devenu successivement membre du Conseil prive du roi (1763) et secretaire d'Etat charge du "Southern Department" (juillet 1766-octobre 1768). Sa politique de conciliation avec les colonies d'Amerique avait ete combattue tant par le roi que par ses collegues. S'etant

rendu a Paris en mai 1771, il y avait fait, chez Trudaine de Montigny, la connaissance de 1'abbe Morellet (v. Memoires, I, p. 201), et ce dernier allait se rendre en Angleterre en avril 1772 pour sejourner cinq mois chez lui. Shelburne deviendra ministre des Affaires etrangeres (1782) et premier ministre (1782-1783), et sera cree marquis de Lansdowne en 1784. 2. Le colonel Isaac Barre (1726-1802), ne a Dublin, fils d'un refugie huguenot. Apres avoir participe a la prise de Quebec (1759), et avoir ete elu en 1761 a la Chambre des communes, ou il s'etait revele un orateur redoute, il avait accompagne Shelburne, son protecteur, lors de sa visite a Paris de mai 1771 (v. Morellet, op. cit., I, p. 201). 3. Helvetius connaissait le navigateur Louis Antoine de Bougainville (1729-1814), qui venait de publier son Voyage autour du monde (1771), depuis au moins fevrier 1766 (v. lettre 601, Remarques). REMARQUES

Dans le Catalogue des livres de la bibliotheque de feu M. 1'abbe Morellet (Paris, 1819, p. 91) est mentionne un exemplaire des Discourses concerning government (Londres, 1763, 4°), d'Algernon Sidney, contenant des notes manuscrites d'Helvetius. Nous n'avons pu retrouver cet exemplaire annote.

677. Octavie Guickard, veuve Belot, presidente Du Rey de Meinieres, a Frangois Antoine Devaux [...] Vous aves fait provision de plaisir, de raison, d'idees agreables. Vous rumines toutes ces bonnes choses; vous vous en nourrisses, vous n'aves plus besoin de rien, et vous ne vous soucies plus de personne. Nous, mon 387

LETTRE 677

Janvier 1772

cher Panpan, qui entassons pertes sur pertes, regrets sur regtets , nous nous appercevons des biens et des consolations qui nous manquent. Est-ce que vous ne pleures pas comme moi le vertueux, le bienfaisant et le celebre Helvetius? Ne vous representes-vous pas la desolation de sa famille, de tout ce qui lui appartenoit, de tout ce qui 1'approchoit, de tout ce qui le connoissoit de pres ou de loin? Si vous voules me fournir une occasion, je vous enverrai son portrait, en un petit buste de platre fort ressemblant1. Vous n'aves qu'a me dire a qui je puis le remettre pour vous le porter. Voicy des vers de M. Saurin sur la mort de son ami. Vous y trouveres des souvenirs, des sentimens bien honnetes, bien nobles, bien rares a present. Aux manes de mon ami O! toi qui ne peux plus m'entendre, Ami, qui dans la tombe avant moi descendu Trahis mon espoir le plus tendre! Quand je disois", helas! que j'avois trop vecu2, Qu'a ce malheur affreux j'etois loin de m'attendre! O! comment exprimer tout ce que j'ai perdu! C'est toi qui, me cherchant au sein de 1'infortune, Relevas mon sort abbatu Et sus me rendre chere une vie importune! Ta vertu bienfaisante egaloit tes talens : Tendre ami des humains, sensible a leurs miseres, Tes ecrits combattoient 1'erreur et les tyrans Et ta main soulageoit tes freres. L'equitable posterite T'applaudiras d'avoir quitte Le palais^ de Plutus pour le temple des sages3, Et s'eclairant dans tes ouvrages, Les marquera du sceau de 1'immortalite. Foible soulagement dec ma douleur profonde! Ta gloire durera tant que vivra le monde. Que fait la gloire a ceux que la tombe a regus? Que t'importe^ ces pleurs dont le torrent m'innonde? O! douleur impuissante, 6! regrets superflus! Je vis, helas! je vis et mon ami n'est plus4. [...] Ce 8 j[anvi]er 1772

[adresse :] A Monsieur / Monsieur de Vaux, ancien lecteur / du feu roi de Pologne / A Luneville

388

LETTRE 677

Janvier 1772

MANUSCRITS

[v. lettre 676, note 2] a emporte de lui un petit buste en porcelaine qui est tres ressemblant. Si vous en voulies un pareil, je puis vous en procurer un." (Bowood, carton 24, n° 7, f° 21 recto et verso; Fitzmaurice, p. 35-36, avec date erronee du 24 septembre 1774; Medlin, lettre 75.) Les bustes dont parlent Mme de Meinieres et Pabbe Morellet sont probablement des reproductions, non pas en platre, mais en porcelaine dite "biscuit", du buste en marbre execute par Caffieri (v. lettre 696, note 1). Quant a la gravure envoyee par Morellet a Shelburne, c'est sans doute celle annoncee dans le Mercure d'octobre 1773 : "Portrait de M. Helvetius, in-4°, d'apres le tableau de M. Vanloo, grave en medaillon par M. [Augustin] de St-Aubin, graveur du roi, Prix, 2 liv. 8 s. chez M. de StAubin, rue des Mathurins... " (op. cit., vol. II, p. 185). Elle avait ete commandee par Helvetius (v. M.C., LVI, 364). Pour le portrait execute par Vanloo, voir la lettre 242, Remarques, et le frontispice du 2e volume de la presente Correspondance. 2. "Ce vers fait allusion a une epitre sur le malheur de vieillir [Epitre sur les malheurs attaches a la vieillesse; v. Remarques ci-dessous], qui ne se ressentoit pas du tout du declin de Page, & laquelle 1'auteur de ces vers lut, Pete dernier, dans une seance de P Academic frangoise." (Note fournie dans le I.) 3. "Monsieur Helvetius [...] abdiqua la place de fermier general pour se livrer tout entier a la philosophic & a la bienfaisance. Les qualites de son esprit & de son coeur rendront a jamais sa memoire chere aux gens de lettres." (Note fournie dans le I.)

;;

'A. B.N., ms. fr., n. a. 15582, ff os 110 recto-110 verso et 111 recto; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge. B. Lewis Walpole Library, Farmington, Connecticut (les vers seulement). IMPRIMES I. Journal encyclopedique, Janvier 1772, p. 246-247 (les vers seulement). II. (Euvres, 1781, V, p.. 160 (les vers seulement). HI. (Euvres, 1795, XII, p. 123-124 (les vers seulement). IV. Saurin, (Euvres choisies, 1812, p. 269 (les vers seulement). V. (Euvres, 1818, III, p. 180 (les vers seulement). TEXTE

a

Le I V : "niois". ^Le IV: "temple". Le IV: "a". JTous les imprimes : "t'importent".

c

NOTES EXPLICATIVES

1. Dans sa lettre suivante a Devaux, datee du 20 Janvier, Mme de Meinieres renouvellera cette offre : "J'ai fait passer votre mot obligeant et sensible a Made Helvetius par M"e sa fille. Je ne les ai point encore vues. [...] Je veux pourtant vous donner le buste du cher Helvetius et je vous le donnerai en biscuit de porcelaine blanche." (B.N., ms. fr., n. a. 15582, ff os 112 verso et 113 recto.) En octobre, Pabbe Morellet fera une proposition semblable a lord Shelburne : "Vous aves du recevoir par Mylord Palmerston une gravure d'Helvetius tres ressemblante. J'ai cru que, quoiqu'il ne fut pas stoicien, vous verries encore son portrait avec plaisir. Sa philosophic n'est pas la mienne, mais il faut toujours le regarder comme un homme qui a bien merite du genre humain en etudiant I'homme. Barre

389

Janvier 1772

LETTRE 677 4. Ce poeme figure dans la Correspondance litteraire de Grimm a la date du 15 Janvier 1772 (v. Ulla K01ving et Jeanne Carriat, Inventaire de la, Correspondance litteraire de Grimm et de Meister, Studies, CCXXV-CCXXVII [1984], i, p. 280, n° 72:015), mais n'a pas etc public dans Pedition de cette Correspondance due a Tourneux. Sans citer les vers de Saurin, le Mercure de France, evoquant "ce tnbut a la memoire d'un homme qui, ayant regu de la nature des talens veritables & de veritables vertus, cultivoit les uns par 1'habitude du travail & les autres par 1'habitude des bienfaits", le commente en ces termes : "Nous nous contenterons d'observer que ces vers sont pleins d'une sensibilite vraie, que 1'ami n'est poete qu'autant qu'il le faut, & que ce morceau semble prouver, ce qu'on ne croit pas communement, que la douleur peut faire des vers. Ceux-ci font honneur a 1'ame de M. Saurin autant qu'a son talent. Quand on voit un bienfaiteur ainsi celebre par la reconnoissance & pleure par 1'amitie, le commerce des lettres semble etre en meme terns le commerce des vertus." (Mercure, mars 1772, p. 60-61.) Pidansat de Mairobert (v. Bachaumont, Memoires, VI, p. 71) et Condorcet reproduisent egalement ces vers, mais Condorcet les attribue a Thomas, en le louant de la reconnaissance qu'il temoigne a Helvetius, "un des plus celebres et des plus estimes" bienfaiteurs des hommes de lettres (Memoires sur la Revolution franqaise, 1824, 2 vol., I, p. 83-84).

390

REMARQUES

Dans deux poesies publiees en 1772, Saurin decrira en termes idylliques la vie des Helvetius a Lumigny. L'une est une "Epitre a Mme **• [Helvetius]" : "Le mari se livre a 1'etude, / La femme a son menage, au soin de ses enfans, / Tous les deux a s'aimer. Eh! quelle solitude / N'est pas le monde entier pour deux epoux-amans, / Dont les soins mutuels, le gout & 1'habitude / Ont resserre les nceuds, a 1'epreuve du temps. / H ****, esprit sublime / Qui reunis Locke & Milton, / Toi seul peux, sur un digne ton, / Celebrant 1'objet qui t'anime, / Chanter ton bonheur & le sien. / Que mon foible pinceau n'est egal au tien! / Que ne puis-je, du moins, d'une couleur plus douce, / Peindre Lolotte & Lyde assises sur la mousse, / Et ta femme au milieu de deux gages si chers!" (Epitres sur la vieillesse et sur la verite, 1772, p. 30.) L'autre est une "Epitre a Monsieur Colle" : "L'hermitage est un bon chateau, / Qui peut meme passer pour beau : / Demeure commode d'un sage... / A ce mot tu ris; mais pourquoi? / Ce sage-la, ce n'est pas moi; / C'est le maitre de 1'hermitage, / Le tres heureux epoux d'une heureuse moitie, / Qu'expres pour lui le Ciel embellit & fit naitre, / Vrai philosophe marie; / Mais point du tout honteux de 1'etre." (Op. cit., p. 23.) Dorat et La Roche ont aussi consacre des vers a la mort d'Helvetius (v. (Euvres, 1781, V, p. 161, (Eumes, 1795, XIII, p. 124-125, et (Euvres, 1818, III, p. 181-182).

LETTRE 678

Janvier 1772

678. Domenico Caracciolo, marquis de Villamaina1, a I'abbe Ferdinando Galiani Parigi, 10 [gennaio] del 1772 Amico e P [ad] rone Riveridismo, [...] Mi chiamate notizie de' vostri amici. Posso assicurarvi che sovente siete nominato nelle solite assemblee Olbach*, Mada de Geofrin, Madmoisle Espinass, etc., le quali io frequento, e si ricordano ancora i vostri detti. Elvetius mori con gran cordoglio de' suoi amici e di tutta la comunanza de' buoni. Mori con quella filosofica costanza e persuasione, da voi ben conosciuta. La sua moglie non voile consentire per niun modo alle istanze di mold amici che gli si awicinasse alcun prete, dicendo che lo avea promesso a suo marito. L'affare e passato benissimo. Subito che spiro 1'infermo, mandarono a chiamare in fretta al paroco2, il quale venne, e [constato] 1'inaspettata morte. Tuttavia^ 1'infermo, essendo mono per 1'improviso accidente senza testamento, avea fatta nota la sua intenzione di dare 800 franchi ai poveri della parrocchia, da consegnarsi il danaro al paroco, e che il convoj sarebbe decente. Cosi si dette 1'offa a Cerbero. Il detto paroco, contento, rassicuro tutta la compagnia, fuori di Mada Elvetius, che non lo voile vedere, con parole pie, esortandoli a confidare nella misericordia di Dio. Il passo e stato delicatoc, perche Elvetius era persona notata, e si sarebbero voluto delle ritrattazioni, come accadde a Monteschieu3. Ha lasciato 130 m[ila] franchi di rendita, da dividersi alle due figlie, le quali averanno cadauna un millione e mezzo di dote4. Mada, che generosamente neanche il notaro ha voluto far venire, malgrado le richieste dello stesso marito, per timore di non disturbarlo, resta male. Avera 20 m[ila] franchi5. E rimasta nelle sue mani la seconda parte dell'opera L'Esprit6, che si fara stampare forse in Olanda. Rimane ancora d'Elvetius un picciolo poema su il Bonheur, ma non e finito. Dicono che vi sono cose bellissime, e che il di lui massimo talento era nella poesia. [Traduction :]

Paris, le 10 [Janvier] 1772

Ami et maitre tres respecte, [...] Vous me demandez des nouvelles de vos amis. Je peux vous assurer que votre nom est souvent prononce dans les assemblies habituelles que je frequente, celles de d'Holbach, de Mme de Geoffrin, de Mile de Lespinasse, etc., et on s'y souvient encore de vos bonnes paroles. Helvetius est mort, a la grande douleur de ses amis et de toute la communaute des honnetes gens. Il est mort avec cette Constance philosophique et cette conviction 391

Gravure de Jean-Baptiste Marduel, cure de Saint-Roch, par Gaucher d'apres le portrait de Davesne

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que vous connaissez bien. Son epouse, disant qu'elle 1'avait promis a son mari, ne voulut absolument pas ceder aux instances de nombreux amis qui souhaitaient que 1'on fasse venir un pretre. L'affaire s'est tres bien passee. Aussitot que le malade cut rendu le dernier soupir, on manda en hate le cure2, qui vint et constata cette mort subite. Cependant, le malade, mort sans testament en raison de la soudainete de ce malheur, avait fait connaitre son intention de donner 800 francs aux pauvres de la paroisse, et son desir qu'on remette cet argent au cure, et que le convoi funebre fut convenable. Ainsi fut recompense Cerbere. Ce meme cure, content, rassura toute la compagnie - a part Mme Helvetius, qui ne voulut pas le voir - par des paroles pieuses, exhortant tout le monde a s'en remettre a la misericorde de Dieu. L'arrangement a etc delicat, parce qu'Helvetius etait une personne en vue,_ et on aurait pu vouloir des retractations, comme dans le cas de Montesquieu3. Il a laisse 130 mille francs de rente, a partager entre ses deux filles, dont chacune aura un million et demi de dot4. Madame Helvetius qui, par generosite, n'a meme pas voulu faire venir le notaire, malgre le desir exprime par son mari meme, de crainte d'importuner celui-ci, s'en est trouvee desavantagee. Elle aura 20 mille francs5. La deuxieme partie du livre De I'Esprit6 est restee entre ses mains, et sera peut-etre imprimee en Hollande. Helvetius a laisse en outre un petit poeme sur Le Bonheur, mais il n'est pas termine. On dit qu'il contient de tres belles choses, et que son plus grand talent etait dans la poesie. MANUSCRIT :;

"A. Societa Napoletana di Storia Patria, Naples, XXXI B 17, ff°s 50 recto et 51 recto-51 verso; 4 p.; orig. autogr. IMPRIME

I. Fausto Nicolini, Amid e corrispondenti francesi deWabbate Galiani, Naples, 1954, p. 37. TEXTE "Omis dans le L *Le I : "Tuttavia [gli si disse che]". cLe I : "grave". NOTES EXPLICATIVES

1. Domenico Caracciolo, marquis de Villamaina (1715-1789), membre d'une grande famille napolitaine, avait d'abord etc ambassadeur de Naples a Turin (1754-1764), puis en Angleterre (1764-1771), et ensuite en France (1771-1781), avant de devenir

vice-roi de Sicile (1781) et, en 1786, ministre des Affaires etrangeres de Ferdinand IV de Naples. Ami des encyclopedistes, il jouissait de 1'estime de Marmontel, qui le decrira ainsi: "Avec des richesses inepuisables du cote du savoir, et un naturel tres aimable dans la maniere de les repandre, il avait de plus a nos yeux le merite d'etre un excellent homme" (Memoires, 1857, p. 232-233). Mme Du Deffand a souvent parle de lui dans ses lettres a Walpole, et notamment le 11 Janvier 1773 : "Get homme est un peu braillard, mais il est doux, et il a de la franchise et de la candeur" (Walpole's Correspondence, V, p. 311), et le 18 aout 1776 : "II est jaune comme un coing, il a les jambes enflees, il a une toux continuelle, il

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2. 3.

4.

5.

crache a faire horreur." (Op. cit., VI, p. 350.) Jean-Baptiste Marduel, cure de Saint-Roch. Contrairement a Helvetius, Montesquieu demanda sur son lit de mort la presence d'un confesseur. Avec I'-accord du cure de sa paroisse parisienne, il fit appel a son vieil ami, le pere Castel, mais celui-ci prefera ceder cette tache a un autre jesuite, 1'Irlandais Bernard Routh. Celui-ci interrogea le president sur les mysteres de la foi et Pautorite de PEglise et se declara satisfait de ses reponses. Montesquieu fut enterre a Saint-Sulpice, en presence de Diderot, le 11 fevrier 1755. Voir R. Shackleton, Montesquieu, a Critical Biography, Oxford, 1961, p. 392-399. Chiffre relativement exact : chacune des deux filles recevra 1 573 470 livres (v. M.C., LVI, 178). Helvetius etant mort sans laisser de testament, les droits d'heritage de sa femme etaient limites a ce que lui garantissait son contrat de mariage du 15 aout 1751, dont 1'original, conserve a 1'etude du notaire Dutartre (v. M.C., LVI, Rep. 10), a etc brule pendant la Convention. On peut cependant inferer ses clauses principales de 1'insinuation qui en a etc fake (v. A.N., Y 428, f° 82 verso83 recto) et du "Partage definitif

des biens de la succession de M. Helvetius" (v. M.C., LXXXVIII, 850, 20 Janvier 1787). Ce contrat lui garantissait "un droit d'habitation fixe a 2 000 livres par an", "un douaire de 8 000 livres de rente", et une donation de 10 000 livres de rente "tant qu'elle demeuroit en viduite", le tout se montant aux 20 000 livres mentionnees par 1'expediteur de la presente lettre. En outre, un preciput de 50 000 livres, "qu'elle [avait] opte de prendre en deniers comptans" lui etait confere par ce meme contrat, et en vertu, soit de celui-ci, soit d'autres arrangements, elle s'etait egalement vu attribuer "son carosse avec deux chevaux" et "une somme de 8 000 livres pour son deuil". 6. C'est-a-dire De I'Homme. Le 20 septembre 1772, Luigi Lambertenghi, dans une lettre adressee a Paolo Frisi, se fera 1'echo des speculations qui couraient sur cet ouvrage : "La philosophic a perdu un grand homme, mais les philosophes gagneront peutetre quelque ouvrage excellent. Vingt ans de meditation et d'etude depuis la publication de Ly Esprit doivent lui avoir permis de penetrer fort avant dans les labyrinthes de la morale." (Bibl. Ambrosiana, Milan, Y 152 sup., f° 175 verso; traduction.)

679. Bernard Joseph Saurin a Voltaire 15 Janvier 1772" Je suis bien sensible, mon cher et tres^ illustre confrere, a la marque d'amitie1 que je rec.ois de votre part dans une des plus douloureuses circonstances de ma vie. J'ai perdu dans Mr Helvetius I'ami le plus cher et le plus 394

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eprouve, qui etoit venu me chercher dans le sein du malheur, qui m'avoit reconcilie avec la vie, qui avoit donne du ressort a mes facultes abbatiies, a qui je devois en un mot toute mon existence phisique et morale. Oh! si vous savies combien cet homme qu'on a peint de traits si noirs avoit 1'ame humaine et bienfaisante! combien il etoit aime de tout ce qui lui appartenoit! combien il en est regrete, quellec perte ont fake en lui les habitans de ses terres et une foule de malheureux qu'il secouroit en secret! Jamais personne ne fit le bien avec moins de faste, n'exigea moins de ceux qu'il obligeoit et ne conserva moins le souvenir de ce qu'on lui devoit. Quant a son ouvrage, quoique je ne pense pas comme lui sur plusieurs articles et que, s'il m'en cut voulu croire, jl se fut peut-etre epargne bien des chagrins, j'ose dire que par la fac.on dont il est ecrit et par la quantite de grands objets, de viies fines, profondes, interessantes qu'il presente, qu'il developpe ou qu'il indique, c'est un ouvrage du premier ordre et le livre d'un homme de genie. Mr Helvetius jugeoit les hommes d'apres son esprit, mais il se conduisoit avec eux d'apres son coeur, toujours pret a les servir sans les estimer et sans en rien attendre. [..-] P.S. J'oubliois de vous dire que la pension que Mr Helvetius me faisoit m'a etc remboursee de son vivant: jl m'en a donne le fond lorsque je me suis 52 mane'. MANUSCRITS

NOTES EXPLICATIVES

A. L'original autographe de 2 pages, signe par Saunn de son mitiale, a passe a plusieurs ventes au XIXe siecle avant de figurer a celles de Gourio de Refuge (23 decembre 1902) et de Charavay (14 decembre 1908). *B. B.N., ms. fr., n. a. 2777, f° 254-255; 3 p.; copie.

1. Voir lettre 672, Remarques, par. 2. 2. Dans une "Vie de Saurin", qui fait partie des Chef-d'ceuvres de Saurin (1788), c'est une version differente de 1'octroi de cette pension qui est presentee : "Le sage Helvetius [...] le soutint contre les coups du sort en des momens de detresse, et lui donna, dans tous les terns, des preuves de Paffection la plus signalee. Lorsqu'ils etoient encore ganjons, tous les deux, M. Helvetius, qui etoit infiniment plus favorise des biens de la fortune que M. Saurin, lui faisoit une pension de mille ecus. Mais quand ils songerent a se marier, 1'un et 1'autre, M. Helvetius, craignant que la delicatesse de M. Saurin ne lui permit plus de continuer a recevoir les bienfaits d'un ami dont la fortune alloit appar-

IMPRIMES

I. Best. 16512. II. Best. D. 17559. TEXTE En haut du B, le copiste a ajoute: "M. Saurin (sur la mort d'Helvetius)". "Date figurant dans le B. Dans les catalogues de vente, on trouve souvent la date du 13 Janvier 1772, et parfois meme celle du 12 avril 1776. hLes I et I I : "bien". c Le A : "qu'elle".

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LETTRE 680 tenir a sa nouvelle famille, voulut prevenir un refus si noblement motive, et il lui fit accepter le capital de cette pension viagere." (Op. cit., p. 35-36.) En fait, la pension de 1 000 ecus regue par Saurin lui a etc accordee par Helvetius a 1'epoque du manage de celui-ci (v. M.C..LVI, Rep. 10,30 juillet 1751; 1'acte en question a etc brule pendant la Commune). Quant au capital de cette pension, comme il est indique dans le post-scriptum de la presente lettre, Helvetius 1'a verse a Saurin lors du mariage de ce dernier avec Marie Anne Jeanne Sandras, conclu dix ans plus tard. Cette ver-

Janvier 1772 sion des faits est confirmee par La Harpe : "Helvetius fit mille ecus de rente a son ami, et quand celui-ci se maria, il lui en donna le fonds." (Correspondance litteraire, 1774-1789, 4 vol., I, p. 67.) La Roche affirme que ce transfer! de fonds a eu lieu a la demande de Saurin : "Sur le point de se marier, il va trouver son ami et lui demande le remboursement du capital de sa pension pour en faire le douaire de sa femme. Helvetius, enchante de cette noble confiance de Pamitie, compte sur-le-champ la somme." (Institut, ms. 2222.)

680. Catherine II, imperatrice de Russie, a Alexandre Mikbailovitch, prince Golitsyne [15 ou 16 Janvier 17721] Dites au Prince Gallitzin2 de m'envoyer une copie fidele manuscripte du livre de feu Helvetius et qu'au reste je ne puis rien decider sur 1'impression de Poriginal, parcequ'il apartient a la famille du defunt et que il ne seroit pas honete a moi de leur attirer une persecution par ma decision, ou bien aussi j'exposerai les amis de 1'auteur. MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

*A. Archives centrales publiques d'actes anciens, Moscou; fonds 1263, opis 1, n° 1121, f° 76; 1 p.; orig. autogr.

1. Le destinataire a ajoute en russe en bas de la page : "Regu le 16 Janvier 1772". 2. D. A. Golitsyne avait demande a 1'imperatrice de s'engager dans la publication de L'Homme (v. lettre 674, par. 3).

IMPRIMES

I. Ratchinsky, p. 297. II. Siline, p. 142 (en russe).

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LETTRE 681

Janvier 1772

681. Alexandre Mikhailovitch, prince Golitsyne, a Dimitri Alexeievitch, prince Golitsyne Le 17 janvr 1772 Les lettres que vous m'avez fait 1'honneur de m'ecrire les 7 et 8 de ce mois1 m'ont etc rendues exactement. Aussitot que Tune de celle[s] qui concerne [nt] 1'ouvrage de feu Mr Helvetius2 etoit dechiffree, je les ai presentees routes a 1'Imperatrice et S. M. vient de m'ordonner de vous ecrire "en ces termes/ que vous Luy envoyiez une copie fidelle manuscripte du livre du feu Helvetius, mais qu'au reste Elle ne pouvoit rien decider sur 1'impression de 1'original, puiscequ'il appartenoit a la famille du defunt, et que S. M. ne jugeoit pas etre honnete de lui attirer une persecution ou bien aussi d'exposer les amis de Pauteur par sa decision. Vous aurez done soin s'il vous plait que le manuscript original soil copie exactement et la copie envoyee ici le plutot qu'il pourra se faire, en vous servant pour cet effet de 1'occasion d'un courier ou d'un voyageur qui ne manquera pas de se presenter. Cet ouvrage paroit etre des plus interessans tant par les grands objets qui y sont traites que par la^ celebrite de I'auteur et sa force superieure dans cette partie des connoissances humaines. [P.S.] Je dois vous ajouter mon propre sentiment qu'en faisant copier le manuscript'7 il seroit bon d'user de la plus grande precaution^ et d'y employer un homme sur qui n'en puisse tirer d'autre copie et qui ne fasse riene entendre a qui que ce soit de 1'existence de 1'original. Au reste, M1/, je vous prie de me faire connoitre si vous n'avez pas quelque autre8 sentiment a me communiquer relativement a cette affaire. [destinataire :] *A Mr le Pce de Galitzin, a La Haye^ MANUSCRIT :;

"A. Archives centrales publiques d'actes anciens, Moscou, fonds 1263, opis 1, n° 1121, f° 69 recto-69 verso; 2 p.; brouillon autographe conserve comme copie administrative. IMPRIME

I. Siline, p. 141 (en russe). TEXTE

Ajoute en haut de la premiere page et souligne au crayon rouge : "chiffre NB".

"Mots ajoutes dans 1'interligne. ^Le A : "la (profonde penetration)". cLe A : "manuscript (par un homme sur)". 4 Le A : "precaution (pour que la chose ne soit pas di)". eLe A : "rien (connaitre a qui)". ^Mot ajoute dans 1'interligne. g Le A : "autre (proposition)". ^Mention ecrite en haut de la premiere page. NOTES EXPLICATIVES

1. Probablement les lettres 674 et 675. 2. Lettre 674.

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LETTRE 682

Janvier 1772

682. L'ahbe Ferdinando Galiani a Louise Florence Petronille Tardieu d'Esclavelles, dame de La Live d'Epinay Naples, ce 25 jan r 1772 Ma belle dame, S'il etoit bon a quelque chose de pleurer les morts, je viendrois pleurer avec vous la perte de notre Elvetius, mais la mort n'est autre chose que le regret des vivants. Si nous ne le regrettons pas, il n'est pas mort; tout comme si nous ne 1'avions jamais ni connu ni aime, il ne serait pas ne. Tout ce qui existe existe en nous, regard* a nous. (Souvenez-vous que le Petit Prophete1 faisoit de la metaphysique lorsqu'il etoit triste; j'en fais de meme a present.) Mais enfin le mal de la perte d'Elvetius est le vuide qu'il laisse dans la ligne du battaillon. Serrons done les lignes, aimons-nous done davantage, nous qui restons, et rien n'y paroitra. Moi, qui suis le major de ce malheureux regiment, je vous crie a touts : "Serrez les lignes! avancez! feu! Rien n'y paroitra de notre perte." Ses enfants n'ont perdu ni jeunesse ni beaute par la mort de leur pere; elles ont gagne la qualite d'heritieres. Que diable allez-vous pleurer sur leur sort! Elles se marieront, n'en doutez pas. Get oracle est plus sur que celui de Calcas2. Sa femme est plus a plaindre, a moins qu'elle ne rencontre un beau-fils aussi raisonable que son mari, ce qui n'est pas bien aise, mais il est plus aise a Paris qu'ailleurs. Il y a encore bien des mceurs, des vertus, de 1'heroisme dans votre Paris. Il y en a plus qu'ailleurs, croyez-moi. C'est [ce] qui me le fait regretter, et me le fera peut-etre revoir un jour. [...] MANUSC RIT *A. B.N., ms. fr., n. a. 16813, f° 106-107; 2 p.; orig. autogr.; traces de cire rouge. IMPRIME

I._ Galiani,> Corresponaance medite, Pans, r Dentu, 1818, 2 vol., I, rp. 291-292. TEXTE "Cf. 1'italien "riguardo a" : relativement a. NOTES EXPLICATES 1. Grimm, parfois appele ainsi depuis la parution de sa facetie intitulee Le Petit Prophete Boemischbroda (1753),

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plaidoyer en faveur de la musique italienne. 2. Dans Vlphigenie de Racine (acre III, scene 7), Achille promet de proteger la vie d'Iphigenie, dont le devin /^ i u a ordonne j - le i sacrifice. •£ /Galenas Cette , , , , , „ ,. . , phrase de la lettre de Galiani est la reproduction textuelle du dernier vers de 1'acte, qu'on avait coutume de citer pour exprimer la confiance que Ton eprouvait dans la realisation d'une prediction. REMARQUES Le 7 fevrier, la presidente de Meinieres ecrira a Devaux : "Je dois diner diman-

LETTRE 683 che prochain avec la famille desolee de notre illustre, respectable et cher Helvetius. Voila une de ces pertes dont il est impossible de se consoler. On n'a su que par la visite de ses papiers les bienfaits qu'il versoit a pleine main sur nombre de families malheureuses." (B.N., ms. fr., n. a. 15582, f° 114 recto.) Helvetius, selon la liste de ses papiers contenue dans son inventaire apres deces (M.C.,

Fevrier 1772 LVI, 171), avait en effet prete de 1'argent a de nombreuses personnes, dont le marquis d'Adhemar (25 louis, billet sans date), le chevalier de Blanes (1 000 livres en 1744), Buffon (3 000 livres en 1739), Charles Georges Leroy (6 000 livres en 1760), un frere de 1'abbe Morellet (1 350 livres en 1768) et Vallere (3 000 livres en 1764).

683. Dimitri Alexei'evitch, prince Golitsyne, a Alexandre Mikhailovitch, prince Golitsyne La Haye, ce 24 fevrier 1772 Mon Prince, J'ai regu la lettre du 17 Janvier que vous m'avez fait Phonneur de m'ecrire1. Je ne manquerai pas de faire faire une copie du livre en question et de 1'envoyer a Sa Majeste Imperiale, mais ce sera une operation tres longue : il n'y a pas de passable copiste seulement ici. Ceux dont 1'ecriture est bonne copient machinalement, faute de savoir la langue par principes; aussi suisje oblige d'examiner jusqu'a la moindre chose, malgre quoi cependant il y aura encor beaucoup de fautes. Quant a 1'impression de cet ouvrage, il n'y auroit aucun danger, ni pour les heritiers, ni pour les amis de 1'auteur, qui en attendent meme la publication avec impatience, pourvu seulement qu'ils n'y ayent aucune part. Au contraire, le danger n'est pour eux que dans 1'ignorance du veritable ouvrage, car vous sentez bien, mon Prince, que plusieurs auteurs se serviront apresent de son nom pour donner le jour a leurs propres productions, temoin le Sisteme de la nature, public sous le nom de Mirabeau, au quel cependant il n'a jamais eu aucune part. D'ailleurs, si 1'auteur avait vecu 6 mois de plus seulement, cet ouvrage etait imprime de son vivant et on 1'aurait trouve parmi ses papiers. Telle etait son intention2, qui prouve qu'il ne craignoit rien pour ses heritiers. Dans ce moment-ci, je le repete, ils ne risquent plus rien, pourvu seulement que nous detournions les soupc,ons qu'on aura sur celui qui a remis cet ouvrage entre mes mains3 et la maniere dont je m'en vois en possession, ce qui me serait tres facile en en faisant une histoire vraisemblable dans un avis d'editeur qui precederait 1'ouvrage4. Si j'en dois croire 1'ami qui m'a fait tenir cet ouvrage, les heritiers et les amis en desirent ardement la publication; ils se flattent qu'il lui meritera un 399

LETTRE 684

Mars 1772

nom immortel parmi les grands auteurs et 1'estime de la posterite la plus reculee. Je vous prie en grace, mon Prince, de faire remarquer toutes ces considerations a Sa Majeste, notre auguste souveraine, et d'etre persuade qu'on ne saurait etre avec un atachement plus sincere et plus respectueux, Mon Prince, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Dimitry, Prince de Gallitzin [destinataire :] A M. le Pe de Gallitzin, Vice-chancelier MANUSCRIT :;

'A. Archives centrales publiques d'actes anciens, Moscou; fonds 1263, opis 1, n° 1121, f° 67-68; 3 p.; orig. autogr. IMPRIME I. Siline, p. 142 (en russe). NOTES EXPLICATIVES

1. Lettre 681. 2. Helvetius avait informe plusieurs de ses correspondants qu'il entendait que son ouvrage ne paraisse qu'apres sa mort (v. lettres 652, 664 et 666, adressees respectivement a MercierDupaty, Hume et Dutens). 3. La Roche (v. lettre 674, note 4). 4. L'edition originale ne sera precedee d'aucun avis de 1'editeur.

REMARQUES

Le vice-chancelier repondra a la presente lettre le 7 mars : "Malgre les particularites et les nouvelles raisons contenues en votre lettre par rapport au livre en question, je ne puis rien ajouter a ce que je vous ai marque en dernier lieu des sentimens de 1'Imperatrice a cet egard. Si jamais Sa Majeste les change, ce sera peutetre apres la lecture de 1'ouvrage. II est vrai d'ailleurs que le monde litteraire perd par la un tresor, mais une delicatesse de sentimens ayant fait supposer que la publication du manuscript pourroit porter prejudice aux heritiers du defunt, il semble que 1'interet public ait du ceder cette fois-ci a 1'interet particulier." (Ibid., fonds 1263, opis 1, n° 1121, f° 103 recto-103 verso; 2 p.; brouillon autographe conserve comme copie administrative.)

684. Dimitri Alexei'evitch, prince Golitsyne, a Alexandre Mikhailovitch, prince Golitsyne La Haye, ce 6 mars 1772 Mon Prince, Je viens de recevoir une lettre de la personne qui m'a remis le manuscrit en question1, qui vous fera peut-etre entierement changer d'idee sur 1'usage

400

LETTRE 684

Mars 1772

que vous m'aviez present d'en faire. Voici ce qu'on me mande. "On n'a pas juge a propos de suivre 1'intention qu'avait eu 1'auteur de faire une dedicace a 1'Imperatrice votre souveraine. On craint trop de vous compromettre et de jetter peut-etre Sa Majeste dans 1'embaras de desavouer la sanction qu'Elle aurait donnee a un livre centre le quel ne manqueront pas de s'elever les devots et les fanatiques de toutes les sectes et de tous les pais. Quand 1'ouvrage sera imprime, que 1'Imperatrice 1'aura lu et aprouve, il serait encor terns de lui en faire la dedicace. D'ailleurs, comme on a repandu ici a dessein que 1'auteur avait envoye de son vivant trois manuscrits de son ouvrage a des souverains, nous serons toujours les maitres, apres avoir vu 1'effet du livre, d'en faire une dedicace que Ton pourra supposer n'avoir etc envoyee qu'a 1'Imperatrice. Si vous avez une occasion sure de nous faire passer la-dessus votre avis, nous nous y conformerons. Ces precautions sont dictees par la prudence et fondees sur la discretion necessaire a aporter a 1'impression d'un ouvrage aussi important. Vous pouvez des apresent en disposer, le faire imprimer, faire vos conditions avec un libraire et 1'assurer qu'il est 1'unique possesseur, &c... Vous voyez par cette lettre, mon Prince, que les Rentiers et les amis ne craignent aucune suite de la publication de cet ouvrage; au contraire, ils le desirent impatiement; aussi n'aurai-je pas manque de me servir de 1'expedient qu'ils me proposent s'il avait etc en mon pouvoir de le faire. Mais ayant expose 1'etat de la chose aux yeux de Sa Majeste Imperiale, et ayant rec,u ses ordres au sujet d'une copie, c'est a Elle seule a decider du sort de cet ouvrage. Il resulte encor un autre inconvenient pour 1'impression de ce livre. La personne qui m'ecrit la lettre cy-dessus veut que le libraire a qui j'abandonnerai le manuscrit 1'achette 6 000 livres de France. Mais jamais il ne trouvera un ici qui veuille payer cette somme. J'en ai fait sender un, mais il proteste qu'il n'a jamais paye un manuscrit quelconque plus cher que 1 200 livres. II est vrai qu'il ne connait pas celui-ci en aucune fagon et ne sait ni de quoi il traite ni de quoi il s'agit. Quoi qu'il en soit, voila done un ouvrage tres important qui ne verra pas de tres longtems le jour, et peutetre jamais, a moins que Sa Majeste 1'Imperatrice, comme protectrice de la verite, ne s'en mele, ce qui pourrait se faire sans que son nom y paraisse, sans qu'on sache qu'Elle y a eu part, et en accordant seulement quelque gratification a la personne qui m'a remis le manuscrit a qui d'ailleurs 1'auteur avait accorde de son vivant tout le profit. Au reste la copie en est deja commencee, et en cas que Sa Majeste Imperiale persiste toujours de" ^la voir^, je vous prie en grace de me dire si je dois vous 1'envoyer par un courier expres.

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LETTRE 685

Avril 1772

J'ai 1'honneur d'etre, avec un attachement sincere et respectueux, Mon Prince, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Dimitri, Prince de Gallitzin [destinataire :] A M. le Pe de Gallitzin, Vice-chancelier MANUSCRIT :;

'A. Archives centrales publiques d'actes anciens, Moscou, fonds 1263, opis 1, n° 1121, f° 75-75a; 4 p.; orig. autogr. IMPRIMES I. Ratchinsky, p. 297-299. II. Siline, p. 142-143 (en russe). TEXTE Le destinataire a ajoute sur le manuscrit: "J'attendrai les ordres qu'il plairoit a Votre Majeste de me donner." Catherine II y a inscnt a son tour : "Je m'en tient a la copie ordon[n]e, je defend la dedicace, et n'ai rien affaire avec I'impression ni le manuscrit original." "Le A : "de (1'avoir)". *Le I : "1'avoir". NOTE EXPLICATIVE

1. Lettre non parvenue jusqu'a nous, envoyee par La Roche. REMARQUES

La famille d'Helvetius a etc affligee a cette epoque par la mort de trois autres

personnes : Duclos (26 mars), Jan Anthony Helvetius (12 avril) et Anne Marguerite de Ligniville (12 juillet). En ce qui concerne Duclos, la presidente de Meinieres mentionnera, dans une lettre a Devaux, combien Mme Helvetius a etc affectee par sa mort: "Vous imagines du reste, mon cher Panpan, que sa mort a donne encore une secousse a 1'Artemise de notre siecle." (Lettre du 28 mars 1772, B.N., ms. fr., n. a. 15582, f° 115 recto.) Jan Anthony Helvetius (v. lettre 626, note 3), qui est mort a Nimegue a 1'age de 39 ans, etait un cousin issu de germains d'Helvetius, et sa soeur, Maria Elisabeth, avail epouse en 1760 Pieter van den Bergh, dont la famille existe toujours aux Pays-Bas. Quant a Anne Marguerite de Ligniville, cousine eloignee de Mme Helvetius et veuve du prince de Beauvau-Craon (v. lettre 50, note 12), elle etait dans sa 85e annee a sa mort, survenue a Craon (Mercure, aout 1771, p. 208-209).

685. Frederic II, rot de Prusse, a Jean Le Rond d'Alembert [-.]

On dit que le bon Helvetius a laisse dans ses papiers un poeme sur le bonheur. Je vous prie de me dire ce qui en est. J'avoue que je serois curieux de 1'avoir, si ce n'est etre trop indiscret que de le demander. J'ai bien regrette ce vrai philosophe, qui a donne des marques d'un parfait desinteressement, & dont le coeur etoit aussi pur que 1'esprit facile a s'egarer; mais les philosophes ne sont pas moins sujets aux lois eternelles que les autres hommes, qui, sages & fous, grands & petits, sont obliges de payer ce tribut a la

402

LETTRE 68

Mai 1772

nature, ou plutot de lui restituer ce qu'elle leur avoit prete pour un temps.

[...] Le 7 d'avril 1772 IMPRIMES ::

'I. (Euvres posthumes de Frederic II, roi de Prusse, Berlin, 1788, 15 vol., XI, p. 142. II. Preuss, XXIV, p. 563. REMARQUES

Frederic II et d'Alembert s'etaient deja entretenus dans quelques lettres de la mort d'Helvetius et de ses ouvrages posthumes. Le 26 Janvier, le roi de Prusse avait ecrit: "Vos academies vont s'enrichir & vos academiciens rouler sur 1'or. Pour le pauvre Helvetius, il ne roulera sur rien. J'ai appris sa mort avec une peine infinie, son caractere m'a paru admirable. On cut peut-etre desire qu'il cut moins consulte son esprit que son coeur. Je crois qu'il paroitra de lui des ceuvres posthumes; une rumeur se repand qu'il y a un poeme de lui sur

le bonheur, dont on dit du bien; si on I'imprime, je 1'aurai." (Frederic II, (Euvres posthumes, XI, p. 138; Preuss, XXIV, p. 557-558.) D'Alembert avait repondu le 2 mars : "S'il y a pour les manes des sages un lieu de retraite, je ne doute pas que le pauvre Helvetius, quelque part qu'il soit, ne fasse des voeux semblables a ceux de Votre Majeste et aux miens, pour la paix et le bonheur de la malheureuse espece humaine. J'ai vivement regrette ce digne, aimable et vertueux philosophe; a toutes les qualites respectables qui me le rendaient cher, il en joignait une qui m'attachait encore particulierement a lui: c'etaient les sentiments de respect et d'admiration dont il etait rempli pour Votre Majeste." (D'Alembert, (Euvres, 1822, 5 vol., V, p. 320; Preuss, XXIV, p. 561.)

686. Uabbe Andre Morellet a Anne Robert Jacques Turgot [-I

Vous m'aves fait grand plaisir de me dire que vous etes content de la maison d'Auteuil1 parceque je craignois 1'enthousiasme. Je suis toujours bien inquiet de 1'etat de la maitresse. Elle me paroit bien agitee dans toutes ses lettres. Ecrives-lui de temps en temps. [...] "Vendredi, 21 [ = 22] May 1772* MANUSCRIT

TEXTE

::

*Le A : "Vendredi 21 (juin) may 1772". Addition autographe portee ulterieurement en haut de la lettre : "21 may 1772".

'A. Bibl. mun. de Lyon, ms. 2581, piece 22, f° 43 recto; 3 p.; orig. autogr. IMPRIME

I. Medlin, lettre 56.

403

Dessin de la maison de Mme Helvetius a Auteuil par Gaynor Smith

LETTRE 687 NOTES EXPLICATIVES

A 1'epoque de la presente lettre, Morellet se trouvait a Londres, et Turgot, a Limoges. 1. Le 30 avril 1772, Mme Helvetius avait achete pour 30 000 livres au pastelliste Quentin de La Tour, peintre du roi, une grande maison situee dans la Grande Rue du village d'Auteuil, et elle avait debourse en outre la somme de 12 000 livres pour les meubles (v. M.C., XXXIII, 720, 30 avril 1772). La Tour avait achete cette propriete en 1770 a Michelle Narcisse, baronne de La Valette, fille du fermier general Isaac Jogues de Martinville. Cette maison est sortie de la famille de Mme Helvetius en 1817, a ete incendiee en

Mai 1772 1871, et le site en est occupe actuellement par un immeuble (le n° 59 de la rue d'Auteuil). La propriete comprenait un pare de deux arpents, au fond duquel se trouvait un petit pavilion d'un etage qui a ete demoli en 1887. REMARQUES

Le 3 aout 1772, Morellet ecrira a Turgot: "Mon voyage est prolonge, loin d'etre raccourci comme vous 1'a mande Madame Helvetius." (Bibl. mun. de Lyon, ms. 2581, piece 23; Medlin, lettre 60.) Avant de partir pour Paris au commencement de septembre, Morellet avait annonce qu'il comptait faire "une asses belle tournee" dans le Yorkshire en compagnie de milord Shelburne.

687. Charles Ge ges Le Roy d Pierre Michel Hennin A Versailles, ce 26 may [1772] Je ne s§ais, mon cher amy, si je vous reverray avant votre depart1. Dans 1'incertitude, je vous ecris, parce qu'il y a une chose dont je veux que vous soyes instruit. J'ay rec.u hier par la poste un billet2 anonyme timbre de Versoy3. Il me paroit clair que ce billet a etc ecrit sous la dictee de Mr de Voltaire, et qu'il me croit 1'autheur des Reflexions sur la jalousie4. C'est ladessus, mon cher amy, que je veux vous parler. Je vous avoiie qu'en effet c'est moy qui ay ecrit ces Reflexions. Si je ne vous 1'ay pas dit plutot, c'est que je ne 1'ay dit a personne, parce que c'etoit une confidence inutile. Mais si 1'on n'est jamais oblige de dire ce que Ton fait, il est dans mon caractere et dans mes principes de ne point nier ce que j'ay pu faire, et je vais vous rendre compte de mes motifs. II y a tres longtemps que Mr de V. s'attache a decrier les grands ecrivains qui font honneur, comme luy et avec luy, a notre nation et a notre siecle. Mr de Montesquieu et Mr de Buffon sont surtout 1'objet de son acharnement. Il y est revenu jusqu'a produire 1'impatience et le degout. J'ay vu tous les honnetes gens revokes, et je n'ay pu m'empecher de partager 1'indignation qu'ils ont montree en voyant un homme a si bon droit celebre, et qui reunit autant de genres d'un merite eclatant, employer pour se faire valoir ces petits moyens qui supposent les petites passions les plus subalternes. 405

LETTRE 687

Mai 1772

Deux choses ont contribue a aigrir le ressentiment que j'en ay eprouve. Je suis amy de Mr de Buffon 5 , et je n'ay pas pu voir sans beaucoup de chagrin Mr de V. s'efforcer d'attenter a sa reputation. D'un autre cote vous slaves que parmy les admirateurs de Mr de V. il n'en est peut-etre point dont 1'entousiasme soit plus vray ni plus vif que le mien. Juges de la peine amere que j'ay du ressentir lorsque j'ay cru voir mon idole ternir ellememe 1'eclat de sa gloire. En m'otant le plaisir de Pestimer sans reserve, il m'arrachoit la moitie de ma jouissance, et c'est ce qu'il n'est pas possible de supporter. Mr de V. m'a paru comme un homme richement vetu qui auroit a la fois la mechancete et la manie de se couvrir luy-meme de fange pour le plaisir d'en jetter quelques eclaboussures sur ses voisins. Je le plaignois comme maniaque, et par moments je le detestois comme mechant. De tout cela se formoit un sentiment penible qui m'a bien souvent mis a la torture. J'etois dans cette disposition, lorsque peu de temps apres la mort de Mr Helvetius que tous les honnetes gens ont si justement regrette, Mr de V., qui etoit son ancien amy, fit imprimer un article6 ou, sous pretexte de le plaindre, il paroit se joiier de sa reputation par le ton leger et meprisant avec lequel il parle de son ouvrage. Les amis les plus ardents de Mr de V. en ont etc indignes. Je 1'ay etc d'autant plus que j'avois I'ame encor fletrie par la douleur de la perte de mon amy. J'ay vu sa femme et ses enfans navres de voir degrader la reputation de celuy qu'elles pleuroient, et de la bouche duquel ils avoient mille fois entendu 1'eloge de Mr de V. pour lequel il avoit de vrais sentiments d'amitie. J'en avois etc souvent temoin, mon indignation s'en est accrue, et c'est ce qui m'a fait ecrire. Il est possible, mon cher amy, qu'en ecrivant dans cette disposition, j'aye ete emporte au-dela des justes bornes. Peut-etre n'ai-je pas eu tous les managements qu'on doit, jusqu'a un certain point, a un merite aussi eclatant que celuy de Mr de V. et a sa grande celebrite. Si cela est, j'en suis fache, et vous en jugeres, mais je n'ay rien a me reprocher ni quant au fonds ni quant aux motifs. Je pense meme qu'il est de devoir de ne pas laisser croire que les plus grands talents puissent tenir lieu de tout, qu'ils donnent le droit de negliger les preceptes les plus communs de la morale, celuy de se joiier des reputations les mieux meritees, et meme de celle de ses amis. Je sgais que Mr de V. a loue quelquefois Mrs de Montesquieu et de Buffon, et comment auroit-il ose en parler sans leur donner quelques eloges? Mais personne n'a meconnu 1'addresse perfide avec laquelle il les carresse d'une main pour les dechirer de 1'autre. Je sc,ais qu'il s'est eleve avec beaucoup de force contre les persecutions en general, et en particulier contre celle que Mr Helvetius a eprouvee, mais cela empeche-t-il qu'au moment de la mort de son amy il n'ait cherche a fletrir sa memoire du cote des talents? Mr de V. m'accuse, mon cher amy, dans le billet de Versoy, d'avoir fait 406

LETTRE 687

Mai 1772

un libelle centre luy. Libelle veut dire petit livre, et en ce sens Mr de V. a raison, car il n'en est gueres de plus petit que les Reflexions SHY la jalousie7. Il auroit pourtant mieux fait de Pappeller diatribe, puisque c'est luy-meme qui a donne ce nom aux petits ouvrages de ce genre8. Quant a la satyre, ce n'est point moy qui 1'ay faite. Je n'ay ete que 1'echo du public, et des amis meme de Mr de V. Il en est de meme sur le chapitre de 1'ingratitude9. Vous slaves qu'il n'y a eu qu'une voix la-dessus. Vous deves en avoir vu comme moy ses amis affliges et humilies. Plusieurs meme de ses plus zeles partisans 1'ont abbandonne, dans 1'impuissance de le deffendre. Mr de V. me fait appercevoir qu'il m'a cite avec eloge" sur quelque article de ['Encyclopedic. C'est sans doute une chose tres precieuse en soy qu'une citation honorable de la part d'un homme d'un merite aussi reel et aussi brillant. Je ne puis que 1'en remercier. Mais^ j'avoiie que cela a moins d'importance pour moy que pour beaucoup d'autres. Je n'ay ni pretentions ni talents. Mon bonheur est de joiiir de ceux d'autrui, de cultiver les lettres en paix, lorsque j'en ay le temps, de chercher toujours 1'instruction, sans avoir la volonte ni le pouvoir de rien produire. J'aimerois bien mieux qu'au lieu de me loiier il m'eut mis dans le cas de le loiier luy-meme comme je 1'aurois voulu, qu'apres s'etre empare de toute mon admiration il m'eut laisse le plaisir pur et plein d'estimer sans reserve et sans borne.s 1'objet de mon hommage, et de rendre un temoignage eclatant a sa vertu comme a ses talents. Mr de V. croit-il de bonne foi n'avoir pas fait de mal a tous les honnetes gens, et a moy, en nous mettant dans 1'impuissance de le deffendre sur sa conduite morale? Car c'est toujours la ce qu'ont a vous presenter ceux des gens du monde qui n'aiment pas les gens de lettres. Vous leur paries avec entousiasme de talents extraordinaires, et ils vous parlent froidement de probite et de vertu. Rien n'est plus penible alors que de n'avoir que des excuses a faire. Croit-il ne m'avoir pas mortellement blesse lorsqu'il m'a mis dans le cas de prendre la plume centre luy? S'il y a quelque chose au monde que je puisse ne luy pas pardonner, c'est de m'avoir force a luy faire de la peine. Si je voulois, mon cher amy, compter tous les reproches que j'aurois personnellement a faire a Mr de V., il faudroit detailler tous ceux qu'il auroit a se faire a luy-meme. Depuis vingt ans il n'a pas fait une faute, que je ne 1'aye cruellement ressentie par 1'interet que je prenois a luy. Dans sa reponse aux Reflexions, il m'appelle son directeur10. Si j'en adoptois le titre et les fonctions, et qu'en cette qualite je luy aidasse a faire une confession generale, je crois, entre nous, qu'elle seroit un peu plus complette que la sienne. Mais certainement je n'en feray rien. Quoiqu'une indignation douloureuse m'ait fait attaquer un moment Mr de V., il me seroit impossible d'etre son ennemi, voulut-il me faire du mal. J'ay meme du regret d'avoir 407

LETTRE 687

Mai 1772

etc si loin. II est possible que la nature ayant conserve a cet homme extraordinaire, jusques dans un age avance, tout le feu de la jeunesse 11 , elle luy en ait aussi conserve les defauts, et qu'il entre dans tout ce qu'il a fait plus de legerete que de malfaisance. Si cela etoit, il seroit plus excusable, et j'aurois etc trop loin, mais vous conviendres que cela n'etoit pas a presumer. c Adieu, mon cher amy. J'avois a coeur de vous instruire de mes motifs, parce que je vous aime, et que je suis jaloux de votre estime. Vous feres de ma lettre 1'usage qu'il vous plaira12. Je vous souhaite un bon voyage, et je vous embrasse de tout mon coeur. MANUSCRIT

*A. Institut, ms. 1279, f° 265-268; 8 p.; orig. autogr. IMPRIMES

I. E. R. Anderson, "Voltaire under fire : an episode in la guerre civile philosophique", Trivium, II (1967), p. 80-82. Nous sommes redevables a Elizabeth Anderson des conseils fort utiles qu'elle nous a fournis relativement a la presente lettre. II. Best. D. 17756. TEXTE a

Le A : "eloge (dans)". *Le A : "Mais mais". cCet alinea est le seul que comporte le manuscrit original. NOTES EXPLICATIVES

1. Hennin venait de passer trois mois a Versailles. II allait regagner Geneve le 3 juin pour y reprendre ses fonctions de resident (v. Best. D. 17769, Commentaire). 2. Le Roy a joint a la presente lettre une copie de ce billet, dont voici le texte : "Copie d'un billet timbre de Versoix et addresse a M. Le Roy, le 20 may 1772. Dans les Questions sur ['Encyclopedic, dont il y a quatre editions, on trouve ces mots a 1'article 'Homme', torn. 7, pag. 91 : 'Pour connoitre 1'homme qu'on appelle moral, il faut lire Particle de M. Le Roy.' On trouve page 95, meme tome, 408

meme article : 'Jl est un peu extraordinaire qu'on ait harcele, honni, lev[r]aude un philosophe de nos jours tres estimable pour avoir dit que si les hommes n'avoient pas de mains ils n'auroient pu batir des maisons et travailler en tapisserie.' Dans quatre ou cinq endroits 1'auteur a pris tres vivement le parti de M. Helvetius, et il a ete le seul qui ait eu le courage de condamner la persecution qu'il essuya. Le meme auteur a fait plus d'une fois 1'eloge de M. Le Roy. Pour recompense M. Le Roy fait un libelle contre lui, et 1'accuse d'etre flatteur des gens en place et ingrat envers son bienfaiteur. Cependant celui que M. Le Roy outrage si cruellement est le seul qui ait donne des marques publiques de sa reconnoissance inviolable pour le seigneur genereux dont M. Le Roy entend parler. Jl est a croire que si M. Le Roy avoit ete mieux informe, il n'auroit point fait cet outrage a un homme dont il n'avoit qu'a se louer, et il est a croire encore que s'il reflechit sur son precede, il en aura quelque regret." (Institut, ms. 1279, f° 264; Anderson, p. 79-80; et Best. D. 17751.) Dans le billet ci-dessus, dont Voltaire est bien 1'auteur, c'est 1'edition

LETTRE 687 originale des Questions sur ['Encyclopedic (Geneve, Cramer, 17701772, 9 vol.) qu'il cite. Dans 1'edition dite "encadree", ainsi que dans les suivantes, les mots "il faut lire 1'article de M. Le Roy" (l er par. du billet) ont etc remplaces par "il faut surtout avoir vecu, & reflechi" (CEuvres, Geneve, Cramer & Bardin, 1775, 40 vol., XXIX, p. 181); et apres "un philosophe de nos jours tres estimable" (par. 2), il a ajoute entre virgules "Pinnocent, le bon Helvetius" (op. cit., XXIX, p. 184). Le terme "levraude", qui figure dans le meme passage, signifiait "poursuivi comme un lievre". Quant au "seigneur genereux" mentionne dans la suite, il n'etait autre que le due de Choiseul, qui avail appuye plusieurs initiatives de Voltaire, notamment celles qu'il avait prises dans 1'affaire Galas (v. aussi les notes 3 et 9 ci-dessous). 3. Versoix, actuellement en Suisse, a etc en territoire frangais jusqu'en 1789. Voltaire et Choiseul avaient essaye d'en faire une ville rivale de Geneve, mais ce projet avait echoue apres la chute de Choiseul (decembre 1770). 4. Reflexions sur la jalousie, pour servir de commentaire aux derniers ouvrages de M. de Voltaire (Amsterdam [ = Paris], 1772). Dans cette satire mordante, Le Roy accuse Voltaire vieilli d'etre devenu, par jalousie, "Pennemi de tous les gens celebres, uniquement a cause de leur celebrite", et de n'attaquer, parmi les auteurs renommes, que "ceux qu'il a s§u disposes par caractere & par principes a garder le silence sur ses satires" (tels Buff on), ainsi que les ecrivains disparus (Helvetius et

Mai 1772 Montesquieu). Les Reflexions ont du paraitre au debut d'avril 1772, car Le Roy mentionne, a la derniere page, "M. Duclos qu'on vient de perdre". Duclos est mort le 26 mars. 5. Le Roy, qui avait pris la defense de Buff on dans ses Reflexions (p. 9-14), le connaissait depuis une vingtaine d'annees. Le 15 juillet 1755, il avait ecrit a Hennin : "Je vais une fois la semaine a Paris. La je dine avec les Buffon, les Diderot, les Helvetius, toute la fleur de la nation en esprit et en talents." (Institut, ms. 1268, f° 177 recto; v. aussi Leigh, lettre 434, note b.) 6. Article intitule "Du mot quisquis de Ramus, ou de la Ramee", figurant dans le neuvieme volume des Questions sur I'Encyclopedie (vol. IX, p. 206-209), lequel avait paru vers la mi-mars 1772 (v. Best. D. 17643). Le Roy commence sa defense d'Helvetius (Reflexions, p. 20-23) dans les termes suivants : "Lorsque dans le neuvieme volume de ses Questions sur I'Encyclopedie, il a I'air de regretter M. Helvetius, son ancien ami, & qu'en meme terns, au moment de sa mort, il cherche a deprimer son ouvrage dont il avoit souvent fait 1'eloge pendant qu'il vivoit, on ne croira pas M. de Voltaire sincere dans ses regrets." 7. Les Reflexions ne comptent que vingt-neuf pages, dont vingt-cinq de texte (p. 5-29). 8. La Diatribe du Docteur Akakia en est un exemple. 9. Dans cette partie de sa lettre aussi bien que dans un passage des Reflexions (p. 21), ou il ecrit que la "jalousie" de Voltaire "ne 1'empeche pas de caresser a propos les gens en place, d'abandonner ceux qui n'y

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LETTRE 687 sont plus", Le Roy fait allusion aux accusations d'ingratitude lancees centre le patriarche de Ferney par les amis du due de Choiseul (v. Best. D. 17072). En mars 1771, celui-ci avait ete indigne par VAvis important d'un gentilhomme a toute la noblesse du royaume (Moland, XXVIII, p. 393-395), dans lequel Voltaire s'etait range du cote du roi dans le conflit qui 1'opposait aux parlements. En depit de son soutien aux nouveaux conseils, Voltaire avait toujours proteste de son amitie pour Choiseul: "Des amis de M. le due de Choiseul disent que je lui ai manque en me declarant pour le parlement nouveau. [...] J'aime M. le due de Choiseul autant que je hais 1'ancien parlement, et je voudrais que tout le monde le sc,ut." (Best. D. 17564, lettre a d'Argental du 20 Janvier 1772.) En juin 1771, Mme Du Deffand avait rassure Voltaire sur les sentiments de Choiseul: "L'on me charge de vous dire qu'on est tres content de votre reconnoissance, qu'on n'a nule raison d'en douter." (Best. D. 17241.) 10. Voltaire appelle son adversaire "mon charitable directeur de conscience" dans sa reponse, intitulee Lettre de Mr de V... sur un ecrit anonyme [Geneve, Cramer, 1772], et portant la date "A Ferney, 20 avril 1772" (v. p. 5). Voltaire commence par y faire ironiquement penitence de son peche mortel de jalousie. A propos d'Helvetius, il declare : "Je m'accuse d'avoir ose m'elever avec une colere peu chretienne contre certains persecuteurs d'Helvetius [...], d'avoir en meme terns par un

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Mai 1772 esprit de jalousie manifeste une tres petite partie des opinions dans lesquelles je differe absolument de lui, de 1'avoir dit a lui-meme, parce que je 1'aimais et je 1'estimais; c'est une infamie qui ne peut s'excuser." (Op. cit., p. 4.) Le 29 de ce meme mois, envoyant un exemplaire de cette production a d'Argental, Voltaire lui demande le nom de P"ancien associe d'Helvetius" qui est 1'auteur des Reflexions (Best. D. 17717). Il devait pourtant etre deja au courant de Pidentite de 1'auteur des Reflexions, car dans sa Lettre il pretend par deux fois la connaitre (pp. 5 et 7). Un peu plus tard, dans une lettre adressee au censeur Marin, que Besterman date du 15 mai 1772, Voltaire mentionne sa "reponse a Mr Le Roi" (Best. D. 17740). Il reviendra sur les Reflexions dans une lettre a Saurin du 14 decembre 1772 : "J'ai toujours sur le cceur la belle tracasserie que m'a faitte ce Mr Le Roy sur le livre De I'Esprit" (v. lettre 694). 11. Cf. Reflexions : "A mesure que sa tete s'est affoiblie, ce qui etoit tres pardonnable a son age, il semble que la rage de produire se soit accrue en proportion de la diminution de ses forces.-" (P. 7.) "Un vieillard debile, s'efforgant avec un canif de deraciner un chene vigoureux [Buffon] dans un terrain ferme, voila 1'image de M. de Voltaire & de ses succes." (P- 9.) 12. Hennin n'a pas informe Voltaire de 1'existence de cette lettre (v. lettre a son frere cadet, Hennin de Beaupre, du l er aout 1772, Institut, ms. 1264, f° 14).

Juillet 1772

LETTRE 688

688. Octavie Guichard, veuve Belot, presidente Du Rey de Meinieres, a Francois Antoine Devaux (...}

A propos de personnes de notre connoissance, mon Panpan, ou etoient votre coeur et votre esprit, quand vous m'aves demande de qui je voulois parler quand je disois 1'Arthemise1 de notre siecle? Comment? Vous pleuries notre ami Helvetius, vous recevies son portrait, et vous ne songies pas a sa desolee veuve? Elle a une jolie petite maison a Auteuil2, fort pres de Chaillot3. Nous nous voyons asses souvent, pour des etres egalement farouches. Ses filles ont des soins et des precedes pour elle qui doivent lui etre d'une grande consolation. L'ainee epouse M. de Sarlaboust, autrement dit M. le comte de Mun4. C'est un mariage projette et prepare depuis longtems. Aussi le sujet en vaut-il la peine, car il n'y a qu'une voix sur son compte, et cette voix lui accorde toutes les qualites de 1'esprit et du cceur. Je reponds que sa future les rassemble de meme, et que sa fortune et sa figure sont les moindres avantages qu'elle lui apportera. Je ne sais si on regoit les complimens; il me semble que cela n'est encore declare qu'aux familiers de la maison. [...] Ce 28 Juillet 1772 MANUSCRIT

REMARQUES

*A. B.N., ms. fr., n. a. 15582, f° 116 verso; 2 p.; orig. autogr.

Dans ses Souvenirs, le baron de Frenilly evoque un incident de la jeunesse de la future Mme de Mun : "Sa mere [celle d'Adrien de Mun] avait etc une femme extraordinaire, pour ne pas dire folle. C'est elle, qui etant encore fille, s'etait si bien nourrie de la philosophic de son pere, qu'elle declarait quelquefois a sa gouvernante le projet de se tuer. Cette brave femme, apres avoir epuise ses sermons, vint tout effrayee reveler ce secret au pere, qui prit froidement un pistolet sur son bureau et lui dit: Tenez, Madame, la premiere fois que ma fille vous parlera de se tuer, donnez-lui ceci.' Depuis ce temps, il ne fut plus question de suicide." (Op. cit., ed. Chuquet, 1908, p. 244-245.)

NOTES EXPLICATIVES

1. Norn de deux reines d'Halicarnasse, dont la premiere prit part a 1'expedition de Xerxes centre les Grecs, et la seconde, dont il s'agit ici, eleva a son epoux Mausole un tombeau qui fut mis au nombre des Sept Merveilles du monde (353 av. J.-C.). La presidente de Meinieres, qui avait deja employe ce surnom (v. lettre 684, Remarques), se refere au mausolee a la memoire d'Helvetius execute par Caffieri (v. lettre 696, note 1). 2. Voir lettre 686, note 1. 3. La presidente de Meinieres habitait quai de Chaillot (actuellement avenue de New York). 4. Pour ce mariage, voir lettre 690, note 2.

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LETTRE 689

Aout 1772

689. Louise Florence Petronille Tardieu d'Esclavelles, dame de La Live d'Epinay, a I'abbe Ferdinando Galiani A Boulogne, ce 22 aoust 1772 [-I

Le poeme d'Helvetius sur le Bonheur paroit1. Jl est precede d'une preface ou "la vie de 1'auteur" ou se trouve une analise du livre De I'Esprit tres adroitement et parfaitement bien faite. On attribue ce morceau a feu M. Duclos2. Vous jugerez s'il en est, si le livre vous tombe entre les mains. Je crois que ce morceau avoit besoin d'un deffunt pour parrain. Jl est nerveux, et on ne sauroit plus interressant3. Tous les details du caractere et de la vie d'Helvetius sont pretieux. J'ai eu plusieurs fois les larmes aux yeux en le lisant. Je ne vous 1'achette pas parce qu'il coute six francs, jl coutera davantage, et que c'est bien de 1'argent pour une preface, car on ne lira guerre le poeme. Jl n'y a pas d'apparence qu'on vous le donne, car personne n'ose en faire les honneurs, et Ton n'en a donne a personne4. C'est ce qui me determine a vous mander quelques traits de sa vie qui vous feront plaisir. Dans le terns qu'il etoit fermier general jl fut envoye a Bordeaux pour y etablir un nouveau droit sur les vins qui desolait la ville et la province. Jl ecrivit a sa compagnie et ses representations ne changerent rien a leur deliberations. Emu des representations qu'on ne cessoit de lui adresser, jl dit un jour, les larmes aux yeux, aux bourgeois de Bordeaux : "Tant que vous ne ferez que vous plaindre, on ne vous accordera pas ce que vous demandez. Battez-vous. Nous ne sommes pas deux cents. Je me mettrai a la tete des miens. Surement vous nous batterez, et on vous rendra justice." Heureusement que ce conseil ne fut pas suivi5. Aussitot qu'il fut marie jl partit pour sa terre de Vore. Jl menoit avec lui deux secretaires qui lui etoit inutile depuis qu'il n'etoit plus fermier g[enera]l, mais jl leur etoit necessaire. Un d'eux, nomme Bandor, etoit caustique, chagrin et inquiet, et, sous le pretexte qu'il avoit vu Helvetius enfant, jl se permetoit de le trailer comme un precepteur brutal traite un enfant. Un des grands plaisir de ce Bandor etoit de deprimer les ouvrages de son maitre, et la discution finissoit toujours par la plus violente satire. Alors Helvetius disoit a sa femme : "Mais est-il possible que j'aie tous les deffauts et tous les tords que me trouve Bandor? Non, mais j'en ai un peu, et qui est-ce qui m'en parleroit si je ne garde pas Bandor6?" Je suis fachee que 1'auteur n'ait pas ajoute que Bandor etoit amoureux et jaloux de Md. Helvetius, et que son mari le gardoit bien autant parce qu'il etoit son eunuque noir que par bienfaisance. Cela ajoute au caractere de 1'homme et ne lui ote rien, car jl est clair par les details de sa vie qu'il n'en 412

Titre de 1'edition originale du Bonheur

LETTRE 689

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auroit pas moins garde Bandor quand jl n'auroit pas su par lui tout ce que faisoit sa femme et ceux qui lui faisoit la cour. Sa terre etoit infectee de braconiers, et malgre les deffenses et les poursuites des gardes un paysan vint chasser jusques sous les fenetres du chateau. Helvetius en colere le fait arreter. On le lui amene. Jl sort de table pour lui parler, jl le regarde un moment. "Mon ami, lui dit-jl, vous avez de grands tords avec moi. Si vous aviez besoin de gibier, vous n'aviez qu'a m'en demander, je vous en aurois donne." Apres cette harangue jl fit rendre la liberte au paysan et lui fit donner du gibier. Le braconage continua. Md. Helvetius, indignee de cette insolence, obtint enfin de son mari d'en faire arreter un et de le poursuivre. Cela fut fait, le fusil confisque et le paysan en prison, d'ou jl ne sortit qu'apres avoir paye Pamende. Helvetius, tourmente de cet acte de severite, va en secret trouver le pai'san, jl lui fait donner parole de ne jamais parler a qui que ce soit de ce qui va se passer entr'eux, et lui paye son fusil, son amende et le secret qu'il lui demande. Md. Helvetius de son cote n'etoit pas tranquile. Elle disoit a ses enfans : "Je suis la cause que ce pauvre homme est ruine." Elle se fait conduire en grand mistere chez celui qui lui faisoit tant de pitie, elle demande a quoi se monte les frais de sa faute, elle paye le tout, et le paysan les recoit sans manquer au secret promis a M. Helvetius7. Je vous dirois cent traits plus origineaux et plus interessans les uns que les autres. Mais en voila assez pour aujourd'hui. [adresse :] A Monsieur / Monsieur PAbbe Galiani, secretaire / et conseiller du Conseil du commerce / A Naples MANUSCRIT :;

"A. Societa Napoletana di Storia Patria, Naples, inc. 35, n° 4, f° 252 recto, 252 verso-253 recto, et 253 verso; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge. IMPRIME

I. La Signora, pp. 277 et 278-281. Voir aussi 1'errata (p. 363). NOTES EXPLICATIVES

1. La publication du Bonheur etait attendue depuis un certain temps. C'est des la mort de 1'auteur que Frederic II est informe de sa parution prochaine (v. lettre 685, Remarques). Le 16 mai 1772, d'Alembert la lui confirme : "Le poe'me du pauvre Hel-

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vetius sur le bonheur est reste imparfait a sa mort. Cependant on assure qu'il sera imprime, meme dans cet etat d'imperfection. On dit meme qu'il est actuellement sous presse en Hollande. Votre Majeste pourra aisement en savoir la verite." (D'Alembert, (Euvres, 1822, 5 vol., V, p. 323; Preuss, XXIV, p. 566.) Le 30 juin, Frederic informe d'Alembert du resultat de ses recherches : "J'ai fait ecrire en Hollande pour avoir ce qu'on imprime des oeuvres posthumes du pauvre Helvetius, mais je n'ai point encore de reponse. Apparemment que 1'impression n'en est pas tout a fait achevee. C'etoit un si honnete homme, que je relirai avec plaisir

LETTRE 689 ses ouvrages." (Frederic II, (Euvres posthumes, Berlin, 1788, 15 vol., XI, p. 147; Preuss, XXIV, p. 569.) La parution a lieu le 27 juillet 1772, date a laquelle Mme Riccoboni informe Garrick qu'elle attend celle-ci a tout moment: "Je voudrois bien qu'il [un autre cadeau] ne partit pas avant que le poeme de Monsieur Helvetius parut. J'en ai retenu le premier exemplaire debite." (Victoria and Albert Museum, Londres, fonds Forster F48 El6, vol. 22, f° 96 recto; Mme Riccoboni's Letters, ed. Nicholls, Studies, vol. CXLIX [1976], p. 269.) A la date meme de la presente lettre, d'Alembert fait savoir au roi de Prusse qu'on peut se procurer 1'ouvrage a DeuxPonts : "On m'a assure qu'on trouvait aux Deux-Ponts le poeme du Bonheur de M. Helvetius, et qu'il y a une tres belle preface a la tete, dont j'ignore 1'auteur." (D'Alembert, op. cit., V, p. 328; Preuss, XXIV, p. 577.) Cette information etait problement exacte : D'une part, on sait que La Roche etait au service du due de Deux-Ponts. D'autre part, les ornements de cette edition se retrouvent dans d'autres productions de 1'Imprimerie ducale de Deux-Ponts. 2. Cette attribution de la preface a Duclos est aussi mentionnee par la presidente de Meinieres (v. lettre suivante), ainsi que dans une lettre de Suard a Wilkes du 30 octobre 1772 : "On vous dira qu'il [ce morceau] est de feu M. Duclos; n'en croyes nen et devines. L'inquisition litteraire est chez nous au point qu'on est oblige de mettre sur le compte des morts tout ce que font de bien les vivans." (Brit. Libr., Add. ms. 30871, f° 150 verso.) En fait, l'"Essai sur la vie & les ouvrages de M. Helvetius" est de

Aout 1772 Saint-Lambert, qui 1'a inclus dans une edition de ses (Euvres philosophiques (an V [1797]-an IX, 5 vol., V, p. 209284). Des Janvier 1772, dans sa Correspondance litteraire, Grimm s'etait exprime d'une fagon permettant de deviner le nom de 1'auteur : "On pretend que ce poeme doit etre confie a 1'impression sous les auspices de M. de Saint-Lambert, mais, a en juger par les fragments que j'ai eu occasion d'en voir, je doute qu'il fasse fortune." (Corr. lift., IX, p. 420.) En novembre 1772, sa designation de 1'auteur de P"Essai" sera sans equivoque : "Cette preface est de M. de Saint-Lambert, et ce n'est pas ce qu'il a fait de moins bon. [...] L'on a dit qu'elle a etc trouvee dans les papiers de feu Duclos." (Op. cit., X, p. 102.) 3. Cet avis sera partage par plusieurs personnes. Le lendemain de la presente lettre, Mile de Lespinasse ecrira a Condorcet: "Je voudrais bien que vous pussiez lire le poeme du Bonheur de M. Helvetius, ou plutot la preface de 1'editeur : c'est un excellent ouvrage, d'un gout exquis, d'une hardiesse adroite et piquante et d'une sensibilite charmante. Vingt fois j'ai eu les yeux remplis de larmes. Le poeme est informe : c'est un ouvrage d'esprit, mais c'est un defi. Ce n'est pas lire des vers, c'est labourer. Vous jugerez tout cela a votre retour, car il n'y a pas moyen de 1'envoyer; il n'y en a guere meme de se le procurer ici: peu de gens I'ont vu." (Julie de Lespinasse, Lettres inedites, ed. Henry, 1887, p. 92.) De son cote, Grimm emet en novembre le jugement suivant: "[La preface] [...] est un excellent morceau, plein de philosophic, ecrit dans le meilleur gout,

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LETTRE 689 hardi, sage et piquant; c'est un modele dans ce genre." (Corr. litt., X, p. 102.) Suard abonde dans ce sens : "C'est a mon avis un excellent ouvrage, tres piquant par la forme, tres interessant pour le fond." (Brit. Libr., Add. ms. 30871, f° 149 recto149 verso, lettre du 30 octobre 1772.) Enfin, d'Alembert ecrira le l er Janvier 1773 a Frederic II : "Votre Majeste n'a-t-elle pas etc charmee de la preface qu'on a mise a la tete de cet ouvrage, et qui me parait pleine de gout, de philosophic, de sensibilite et tres bien ecrite? Nos pretres n'en sont pas contents, et c'est pour cette preface un eloge de plus." (D'Alembert, (Fumes, 1822, 5 vol., V, p. 334; Preuss, XXIV, p. 592.) 4. Le 25 novembre 1772, Voltaire se plaindra, dans une lettre au censeur Marin, qu'il n'a pu se procurer un exemplaire du Bonheur : "Je ne puis trouver, mon cher ami, la lettre d'Helvetius sur le bonheur. A 1'egard du sujet de la lettre je sais qu'il ne se trouve nulle part, et je ne vous le demande pas. Mais pour la lettre je vous suplie de vouloir bien me la communiquer si vous 1'avez. II est bon de savoir ce qu'on dit de cet etre fantastique apres lequel tout le monde court. [...] Voulez-vous bien avoir la bonte de faire rendre cette lettre a Mr d'Argental? [P.S.] Je viens enfin d'avoir Le Bonheur d'Helvetius. C'est un livre. Je croiais que c'etait un petit poe'me a la main." (Best. D. 18044; v. aussi la lettre de Voltaire a Condorcet du 4 Janvier 1773, Best. D. 18120.) 5. Le Bonheur, 1772, p. xxvii-xxviii. Ce passage est cite inexactement. L'original commence ainsi: "II arrivoit a

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Bordeaux lorsqu'on venoit d'y etablir un nouveau droit sur les vins." 6. Le Bonheur, 1772, p. xxxii-xxxiii. Le nom du secretaire y est ecrit, et se lit "Bandor" ou "Bandot", mais ces orthographes sont remplacees par "Baudot" dans 1'errata. II s'agit probablement de Jacques Baudot, originaire de Dijon, avocat au Parlement, mort a Vore a 1'age d'environ 50 ans et inhume a Remalard le 5 septembre 1753 en presence de Julien Guerin et de 1'abbe Pluquet. Helvetius lui avait constitue une rente viagere le 30 octobre 1751 (v. M.C., LVI, Rep. 10). 7. Le Bonheur, 1772, p. c-ciii. REMARQUES

Galiani repondra en ces terfnes le 19 septembre 1772 : "Je sc,ais bien plus d'anecdotes de la vie d'Helvetius qu'il n'y en aura dans son ouvrage posthume. Je n'aime pas trop que cet usage d'attribuer des ouvrages nouveaux aux morts se repande. Cela intriguera furieusement la postente. Au moins il devroit y avoir un archive du secret, qui rendit les ouvrages aux veritables auteurs lorsque ceux-ci seront morts a leur tour." (B.N., ms. fr., n. a. 16813, f° 145 verso-146 recto.) Le 7 novembre, Galiani ignore toujours le nom de 1'auteur de P"Essai" : "Mr Sersale est arrive. II m'a remis Le Bonheur d'Elvetius de votre part. La prose en vaut bien les vers. Dites-moi si c'est d'Alembert qui 1'a ecrite, ou 1'abbe Morellet, ou quel autre de ses amis?" (Ibid., f° 154 recto; ce "Mr" Sersale est probablement le comte Francesco Sersale [1716-1773], joueur et viveur impenitent, originaire de Naples.) De son cote, Morellet s'abstient de toute identification de 1'auteur de l"'Essai" dans ses lettres, telles que celle qu'il adresse a lord Shelburne en meme temps qu'il lui envoie Le Bonheur: "Vous recevres peut-etre

LETTRE 690 avant ma lettre un exemplaire du poeme posthume de Mr Helvetius, precede d'un eloge bien fait. J'en envoye aussi un au colonel Barre [v. lettre 676, note 2], que je vous pne de lui faire remettre." (Bowood, carton 24, n° 2, f° 5 verso; Fitzmaurice, p. 8; Medlin, lettre 62; lettre du 3 [et non du 5] novembre 1772.) Le meme jour, Morellet envoie aussi le poeme a John Wilkes, avec ce commentaire : "J'envoie a mylord futur, pour le delasser dans ses fonctions penibles, 1'eloge de son ami, feu Mr Helve-

Septembre 1772 tius, et son poeme du Bonheur. Le pauvre homme ne 1'avoit pas trouve de son vivant et je dirai en confidence a Mr Wilkes que c'etoit la peur des rois qui le lui faisoit perdre. II avoit une belle femme, de beaux enfans, une grande fortune et de bons amis, mais il avoit toujours le despotisme a califourchon sur le nez." (Brit. Libr., Add. ms. 30871, f° 151 recto; Medlin, lettre 58.) Un cbmpte rendu du poeme, et surtout de P"Essai", paraitra dans le Mercure de decembre 1772 (p. 75-94).

690. Octavie Guicbard, veuve Belot, presidente Du Rey de Meinieres, a Frangois Antoine Devaux [.-.]

Made Helvetius m'a aussi chargee de mille tendres souvenirs pour vous. Sa fille cadette s'est enfin determinee a preferer M. d'Andelau a tous ses concurrens1. Il 1'epouse et je crois qu'on n'attend que la conclusion des partages pour celebrer les deux manages2 en meme terns3. Je demanderai tout a 1'heure a Made de Boufflers si elle vous a envoye le poeme du Bonheur*. Vous seres dans 1'entousiasme et de 1'ouvrage et de la preface. Dittes, et ne le croyes pas, qu'elle est de notre pauvre ami Duclos, car je ne 1'ai pas voulu croire, et je pretends que vous soyies de mon avis. Si vous etes asses heureux pour avoir cette brochure, qu'on ne vend point et qui est tres rare, pretes-la a Made de Neuvron5, ou du moins a 1'abbe Frigot6 qui est chez elle, car je presume que cette respectable femme ne liroit pas le poeme, surtout le sixieme chant7, avec plaisir.

[...] Ce 10 7bre 1772 MANUSCRIT

*A. B.N., ms. fr., n. a. 15582, f° 117 verso118 recto; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge. NOTES EXPLICATIVES

1. D'apres 1'une des Notices sur la veuve Helvetius, nee Ligniville (an VIII), dont 1'auteur, qui s'annonce comme

etant le "citoyenT***", est peut-etre Destutt de Tracy, les deux filles d'Helvetius ont choisi elles-memes leur mari: "Leur mere, qui ne fut jamais sourde a la voix de la nature, obeit a ses lois, les laissa choisir et suivre leur epoux." (Op. cit., p. 21.) 2. La fille cadette d'Helvetius, Genevieve Adelaide, a epouse le comte

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LETTRE 690

Francois Antoine-Henri d'Andlau (1740-1822), premier des quatre chevaliers hereditaires du Saint-Empire, ainsi que chevalier de Saint-Louis et mestre de camp du regiment RoyalLorraine-Cavalerie. Nomme ambassadeur de France a Bruxelles en 1783, il sera radie de 1'armee sous la Republique et nomme en 1815 lieutenant general honoraire. Le pere du comte d'Andlau, Frangois Eleonor d'Andlau, mort en 1763, s'etait distingue au service de Stanislas Leszczynski et de Louis XV. II avait accompagne Stanislas lors du voyage qui allait conduire en 1733 a sa reelection au trone de Pologne par la diete de Varsovie, et avait participe a la prise de Prague en 1741. Nomme lieutenant general en 1748, puis fait comte en 1750 par Louis XV, il avait epouse en 1736 Marie Henriette Polastron, fille du comte de Polastron, sous-gouverneur du Dauphin. Elle avait etc dame d'honneur de Mesdames, mais en 1764, elle avait ete exilee a Autun, parce que son exemplaire de L'Histoire de dom B[ougre], portier des Chartreux etait tombe entre les mains de Mesdames Adelaide et Henriette. Voir a son sujet la lettre du 19 octobre 1775, dans le volume 4. Le contrat de manage de Genevieve Adelaide Helvetius et du comte d'Andlau est date du 27 septembre 1772 (v. M.C., LVI, 178), et est signe par le roi, le Dauphin, la Dauphine, le comte et la comtesse de Provence, le comte d'Artois, Mme Clotilde, Mme Elisabeth, Mme Adelaide, Mme Victoire, Mme Sophie, 1'abbe Armand Gaston Felix d'Andlau, ancien aumonier du roi et oncle de Francois Antoine-Henri, le comte 418

Septembre 1772 Hardouin de Chalon et la comtesse de Chalon, nee Jeanne Franchise Aglae d'Andlau, respectivement beau-frere et sceur du marie, le comte d'Hunaud, cousin de ce dernier, Martinet de Charsonville (v. lettre 537, note 6), Elisabeth Charlotte Helvetius, Nicolas de Delay de La Garde, et enfin, la mere de chacun des deux jeunes epoux. Aux termes du reglement de la succession d'Helvetius, qui est date du 30 septembre 1772 (v. M.C., LVI, 178), la dot de Genevieve Adelaide est de 1 573 470 livres, et les conjoints sont communs en biens selon la coutume de Paris. De ce manage, celebre en 1'eglise SaintRoch le l er octobre 1772 (v. M.C., LVI, 364), naitront six enfants. La fille ainee d'Helvetius, Elisabeth Charlotte, a epouse le comte Alexandre Francois de Mun (1732-1816). Celui-ci, chef de brigade des gardes du corps de Sa Majeste, etait le fils cadet de Pierre Alexandre de Mun, marquis de Sarlabous, et de Marie Michele de Cailhavet. Le contrat de mariage d'Elisabeth Charlotte et du comte de Mun, signe le 14 octobre 1772 (v. M.C., LVI, 179), porte les signatures de Martinet de Charsonville, de Charles Georges Le Roy, procureur de la mere du marie ainsi que de son oncle, Jean Louis de Mun, comte d'Arblade, et de Mme Helvetius. Le regime matrimonial des conjoints est le meme que celui de Genevieve Adelaide et du comte d'Andlau, et Elisabeth Charlotte regoit une dot identique a celle de sa sceur. Le mariage a lieu le 14 octobre en 1'eglise Saint-Roch, les temoins du marie etant Le Roy et 1'abbe de La Roche, et ceux de la mariee, Martinet de Charsonville et Nicolas Gabriel

LETTRE 690 Borghers (v. Archives de la Seine, V 2 E 8129, et les appendices du vol. 4). Les epoux auront un fils, Jean Antoine Claude Adrien (v. lettre 715, note 2), et une fille, Adrienne Claire Julie (1779-1794). Le comte de Mun emigrera pendant la Revolution (1791), ce qui entrainera en 1792 une separation de biens entre lui et sa femme, puis en 1793, leur divorce. 3. La croyance de la presidente en une celebration simultanee des deux manages avait sans doute pour source 1'autorisation, accordee par 1'archeveque a Elisabeth Charlotte, de ne publier qu'un seul ban et d'etre fiancee et mariee "le meme jour" (Charles Nauroy, Les Revolutionnaires, 1891, p. 256). Mme d'Epinay se fait 1'echo de la meme erreur dans une lettre a 1'abbe Galiani du 28 septembre, date a laquelle elle donne en outre les deux manages comme deja celebres : "Vous ais-je mande, je crois que non, que Miles Helvetius sont mariees? Elles I'ont etc la semaine derniere toutes les deux a la meme messe. L'aine a epouser Monsieur de Cerelabrousse, officier des gardes du corps, et la cadette M. de Polastron. Elles demeureront avec leur mere." (Societa Napoletana di Storia Patria, Naples, inc. 36, n° 9, f° 258 verso; Roth, XII, p. 143; La Signora, p. 287.) La meprise relative a cette pretendue simultaneite persistera apres la celebration du premier mariage (v. Bachaumont, Memoires, VI, p. 196, 4 octobre 1772). Signalons enfin que les deux filles avaient ete emancipees le meme jour (Archives de la Seine, DC6 18, f° 18 verso, 31 decembre 1771). Une autre confusion a ce sujet a ete commise par Guillois, selon qui

Septembre 1772 Mme Helvetius s'etait etablie provisoirement paroisse Saint-Paul pendant 1'ete 1772 et y avait marie, "a quelques semaines de distance, ses deux filles" (Salon, p. 27). Cette erreur a sans doute ete heritee de Charles Nauroy, qui reproduit 1'acte de mariage d'Elisabeth Charlotte Helvetius en affirmant que la ceremonie a eu lieu en Peglise Saint-Paul (op. cit., p. 256-257). Or, rien dans les archives du notaire de Mme Helvetius n'indique qu'elle ait habite dans cette paroisse apres la mort de son mari, et au contraire, un acte du 30 septembre 1772 (M.C., LVI, 178) lui attribue comme adresse "rue SteAnne, paroisse St-Roch". D'ailleurs, meme apres son installation a Auteuil dans la maison qu'elle avait achetee le 30 avril 1772, Mme Helvetius avait conserve un appartement dans le corps de logis principal de 1'hotel Helvetius; en effet, cet immeuble, qui faisait partie de 1'heritage de Mme d'Andlau, avait ete loue par celle-ci a sa sceur ainee, Mme de Mun, laquelle en avait probablement sous-loue une partie a sa mere (v. M.C., XXIII, 758, 10 Janvier 1778, et CXVIII, 597, 21 fevrier 1778). En fevrier 1778, lorsque Mme d'Andlau mettra cette maison en vente par voie d'encheres, 1'annonce imprimee precisera qu'"elle est occupee en partie par Madame Helvetius" (M.C., CXVIII, 597, 20 fevrier 1778). Apres la vente de cette propriete a Michel Granger, Mme Helvetius a probablement quitte 1'appartement qu'elle y conservait. 4. Dans sa lettre suivante a Devaux, qui doit dater du debut d'octobre 1772, la presidente ajoute les precisions suivantes relatives a la diffusion

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LETTRE 691 de Pedition originale du Bonheur : "Je reconnois encore [la] petite aimable mechancete [de Mme de Boufflers] aux reproches qu'elle vous a suggeres et que vous faites a Made Helvetius. Je vous assure, mon Panpan, qu'ils ne sont pas fondes. Si elle a donne quelques exemplaires, c'est a des amis presens, qui se sont trouves chez elle au moment que les exemplaires y arnvoient. Son intention etoit de vous en envoyer un. Elle en a redemande, et on lui a dit qu'il etoit important pour elle de n'en point distribuer, et qu'on ne lui en confieroit plus, pour qu'elle n'en eut plus la tentation. Vous sentes bien qu'au fond elle ne demanderoit pas mieux que de repandre cet ouvrage dont la preface fait tant d'honneur a 1'ame de son mari et a la sienne, independament du merite du poe'me. J'ai devine comme vous Pecrivain de cette preface. Je

Septembre 1772 persiste cependant a dire qu'elle est de M. Duclos, comme si je le croyois, parce que la police ne s'etend pas jusques chez les morts. Ce seroit bien dommage qu'elle inquietat un homme qui peine si energiquement [pour] la vertu et la verite." (B.N., ms. fr. 15582, f° 120 verso.) 5. II s'agit de la presidente de Barbarat, nee de Ponze (v. lettre 139, note 2), qui avait epouse en secondes noces le baron Pierre de Neuvron, president a mortier au parlement de Metz. 6. Personnage qui nous reste inconnu. 7. La presidente de Meinieres presumait sans doute que Mme de Neuvron aurait ete choquee par des vers comme les suivants : "L'amour est des mortels le plus bel appanage; / C'est 1'ivresse des sens, le plus beau don des Cieux, / Le seul bien qui nous soit commun avec les Dieux." (Le Bonheur, 1772, p. 93-94.)

691 Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet, a Marie Amelie Josephe Panckoucke, dame Suard1 [Vers le 21 septembre 1772]2 [...] Le poeme d'Helvetius ne m'a fait nulle plaisir. Tout ce qu'il y a de bon est beaucoup mieux dans Voltaire. Le reste est de 1'imagination de commande que je ne puis souffrir. Que m'importe qu'on me batisse un temple et qu'on y fasse venir la Sagesse3 pour me dire ce que Mr Helvetius m'auroit pu dire dans une chambre? II y a quelques vers de descriptions bien faits. La preface de Mr de St-Lambert est remplie de philosophic et n'y pretend point, elle* que la sensibilite qu'eprouve 1'auteur en ecrivant. Je voudrois seulement qu'a la tete d'un livre qui ne nous aprend rien, on parut moins mepriser ceux de Seneque4 qui nous aprend du moins a ne souffrir que ce que les maux ont de reels, et a nous guerir de la crainte de ce qui les termine. Nous avons cree la metaphisique, mais la morale et la politique pratique des Anciens ne sont pas a mepriser. Je voudrois aussi qu'on n'accusat point Mr Helvetius d'avoir ete affecte du changement arrive

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dans notre ^constitution (le parlement Maupeou) 5 1° par ce que deux cent gradues^ qui disputent avec le clerge et les bureaux des ministres sur la part qu'ils auront dans les depouilles du peuple ne forment point une constitution; 2° parce que la canaille moliniste ayant succede a la canellec janseniste 6 et la messe rouge 7 ayant toujours lieu, 1'essentiel a etc conserve; 3° parce qu'il ne faut point louer un philosophe d'avoir etc malade de chagrain, pour avoir vu legerement punir des gens qui avoient condamne a une mort cruelle un homme convaincu d'avoir lu avec admiration le livre de ce meme philosophe8. Je vais courir le monde pour cinq ou six jours9. [...] MANUSCRIT :;

'A. B.N., ms. fr., n. a. 23639, f° 135 recto136 recto; 3 p.; copie faite par la destinataire. IMPRIME I. Correspondence inedite de Condorcet et Madame Suard, M. Suard et Carat (1771-1791), ed. E. Badinter, 1988, lettre 61. TEXTE

"Dernier mot de la premiere page de la lettre. Madame Suard a, soit ajoute le mot "point" et ecrit "elle que" au lieu d'"elle qu'a", soit omis quelques mots en tournant la page. hLe I : "Constitution; 1) parce que deux cents grades". c Le I : "canaille".

2. 3.

4.

NOTES EXPLICATIVES

1. Amelie Panckoucke (1743-1840), soeur cadette du celebre libraire, avait quitte Lille, sa ville natale, pour venir s'etablir a Paris, et elle avait epouse Suard (v. lettre 63 7, note 11) en 1766. Appelee par Mme Helvetius "la bergere Suard" (op. cit. [v. le I], p. 81), elle etait la confidente et la conseillere de Condorcet. Cette double qualite n'empechera pas qu'en 1794, lorsque ce dernier, traque et epuise, se presentera chez les Suard a Fontenay-auxRoses, ils lui refuseront asile. Quelques jours avant la presente

5.

6.

lettre, Mme Suard avait envoye 1'ouvrage d'Helvetius a Condorcet : "Je vous envoie le poeme d'Helvetius. Le bon ami [Suard] dit que 1'ouvrage promet le bonheur et que la preface le donne. J'ai relu trois fois cette preface et n'ai pas encore acheve le poeme. Je n'y trouve aucun interet dans le fond, point d'imagination dans 1'expression, quoiqu'il y en ait quelquefois dans les idees." (Op. cit., [v. le I], lettre 60.) Voir note 9 ci-dessous. "Sagesse, c'est a toi de resoudre mes doutes : / De la felicite daigne m'ouvrir les routes." (Le Bonheur, 1772, chant I, vers 15-16.) "11 y a bien de 1'esprit dans les traites De Vita beata, De Tranquillitate animi, de Seneque, & tres peu de philosophic." (Le Bonheur, 1772, Preface, p. ii.) "Ces dernieres annees ont etc Pepoque de malheurs publics, auxquels M. Helvetius fut fort sensible. Le desordre des finances, & le changement dans la constitution de 1'Etat, repandirent une consternation generale." (Le Bonheur, 1772, Preface, p. cxvi.) II s'agit de la creation des "parlements Maupeou" (v. lettre 647, note 6). L'ancien parlement de Paris etait

421

Septembre 1772

LETTRE 691 repute assez favorable aux jansenistes, alors que le nouveau comprenait plusieurs ecclesiastiques molinistes du diocese de Paris (cf. lettre 666, note 4). 7. "Messe que les Parlemens font celebrer apres les vacances pour leur rentree, & a laquelle ils assistent en robes rouges" (Dictionnaire de Trevoux, 1771). 8. En meme temps que plusieurs autres jeunes gens, qui avaient pris la fuite, Jean Francois Le Fevre, chevalier de La Barre (1747-1766) avait etc accuse d'avoir refuse de s'agenouiller et de se decouvrir au passage du SaintSacrement, d'avoir "chante des chansons abominables et execrables contre la vierge Marie, les saints et les saintes" et d'avoir mutile un crucifix, et il avait etc inculpe par la senechaussee d'Abbeville. Condamne le 26 fevrier 1766 a subir la question ordinaire et extraordinaire et a etre brule vif, il en avait appele devant le parlement de Paris, mais celui-ci, contrairement aux conclusions d'annulation de la sentence pour illegalite de procedure, emises par le procureur general Joly de Fleury, et en depit de 1'approbation de ces conclusions par dix des vingt-cinq juges, avait refuse le 14 juin suivant de casser la sentence du tribunal d'Abbeville. Le chevalier de La Barre avait etc execute le l er juillet 1766 apres avoir etc torture; mais dans un esprit d'humanite, avaient explique les juges, ils avaient remplace la peine du feu par celle de la decapitation, et le corps du supplicie avait ensuite ete jete aux flammes. Lors de son interrogatoire de 1765, il avait reconnu posseder un exemplaire de L'Esprit. Voir aussi lettre 702, note 5.

422

9. Le l er octobre 1772, Condorcet ecrit a Turgot qu'il a rec.u recemment une lettre de lui "au retour d'un voyage de huit jours" et qu'il n'a pu y repondre sur-le-champ. Il a done du quitter Paris le jour meme ou le lendemain de la date de la presente lettre. REMARQUES

Dans sa lettre a Turgot precedemment citee (v. note 9 ci-dessus), Condorcet fait a nouveau 1'eloge de la preface de Saint-Lambert aux depens du poeme d'Helvetius : "J'ai ete fort content de 1'eloge d'Helvetius, a cela pres que je crois qu'il le place un peu trop haut: il le met sur la meme ligne que Locke, que Montesquieu, et, dut-on m'accuser de jalousie et dire que je cherche a deraciner avec un canif un chene plante dans un terrain ferme, je ne pourrai me resoudre a regarder Helvetius comme un grand genie. Mais quel rapport trouvez-vous entre le livre De I'Esprit, qui se lit avec plaisir, et le poeme, qui est mortellement ennuyeux?" (Condorcet, (Euvres, ed. O'Connor & Arago, 1847-1849,12 vol., I, p. 208-209; Correspondance inedite de Condorcet et de Turgot [1770-1779], ed. Henry, 1883, p. 99.) C'est de memoire que Condorcet, dans sa lettre ci-dessus a Turgot, cite un passage des Reflexions sur la jalousie, dans lequel Le Roy accuse Voltaire d'etre jaloux du succes de Buffon (v. lettre 687, note 11). Il est a noter que dans le I, comme dans les deux editions indiquees ci-dessus, la preface de Saint-Lambert au Bonheur est attribute a tort a Chastellux. Ce dernier etait 1'auteur d'un Eloge de M. Helvetius, public en 1772 par la Societe typographique de Bouillon (v. Journal encyclopedique, 1772, III, p. 272-281, et J. Vercruysse, "Helvetius imprime a Bouillon", Le Lime et I'estampe, XXXIII [1987], n° 127, p. 14-15), ouvrage dont le style est

Septemhre 1772

LETTRE 692 qualifie d'"obscur et embarrasse" par La Harpe, dans une lettre au grand-due Paul du l er decembre 1774 (Correspon-

dence litteraire adressee a Son Altesse Imperials M& le Grand-Due, 1801, 4 vol., I, p. 34).

692. Anne Robert Jacques Turgot a Jean de Vaines1 22 septembre 1772

[...] Ce n'est pas du nature! qu'il faut chercher dans les fragments du poeme du Bonheur ni dans la preface. C'est, en verite, se moquer du public que de s'extasier sur un amphigouri tel que ce poeme et sur les grandes vues, la methode et 1'honnetete du livre De I'Esprit. Je ne consols pas comment Saurin, qui etait vraiment ami de M. Helvetius, a pu consentir a 1'impression de cette rhapsodic.

[...] IMPRIME

REMARQUES

I. P. Bonnefon, "Turgot et Devaines d'apres des lettres inedites", R.H.L.F., VIII (1901), p. 591.

Le sujet dont Turgot traite ci-dessus - les defauts qu'il pretait au Bonbeur devait lui tenir a coeur : le jour meme de 1'envoi de la presente lettre, il en ecrit une seconde a de Vaines ou il attaque de nouveau Pouvrage d'Helvetius : "Quant a Peloge de M. Helvetius, je ne puis en aucune maniere partager Penthousiasme qu'on a pour un ouvrage fait d'aussi mauvaise foi. L'auteur aurait mieux servi son heros en supprimant ses vers. Je crois que Saurin aimait veritablement M. Helvetius qui lui avait veritablement fait beaucoup de bien, et je suis surpris pour cette raison qu'il ne se soit pas oppose a cette publication." (Ibid., p. 592-593.) D'autres personnages ne se sont pas montres plus enthousiastes envers les merites du Bonheur. Dans une lettre a Voltaire de septembre 1772, Mme Necker ecrit: "Vous aviez voulu former Pauteur de Pouvrage, mais il vous est plus aise, ce me semble, de faire des admirateurs que des disciples." (Best. D.

NOTE EXPLICATIVE

1. Comme son ami Turgot, de Vaines (1733-1803) avait fait ses etudes au college Louis-le-Grand et a la Sorbonne, aimait les lettres et etait entre dans 1'administration. Financier adroit et ordonne, il avait etc le directeur des Domaines de Limoges alors que Turgot etait 1'intendant de la generalite de ce nom. Selon Diderot, il possedait "un esprit juste et droit, une ame pure, une grande intelligence des choses de son etat, la bienfaisance, 1'amour du bien" (Roth, lettre 657). Il sera premier commis des finances (1774), receveur general a Caen (1779), membre du Conseil d'Etat (1800) et membre de Plnstitut (1803).

423

LETTRE 693 17912.) Pour Pidansat deMairobert, "ce poeme [...] est sans fiction, sans chaleur, sans enthousiasme. [...] 11 n'est pas fini au surplus & ne meritoit guere d'etre tire du porte-feuille du defunt." (v. Bachaumont, Memoires, VI, p. 189, et XXIV, p. 308-309.) Le roi de Prusse, de son cote, adresse 1'appreciation suivante a Voltaire le 4 decembre : "J'ai lu le poeme d'Helvetius sur le bonheur, et je crois qu'il 1'aurait retouche avant de le donner au public. II y a des liaisons qui manquent et quelques vers qui m'ont semble

Novembre 1772 trop approcher de la prose." (Best. D. 18065.) Quant a Suard, repondant a une critique de Wilkes dont la teneur ne nous est pas parvenue, il fait preuve d'un peu plus d'indulgence : "Vous juges bien severement le poeme du Bonbeur. Ce n'est pas en effet de la bonne poesie, mais les vers n'en sont pas mal faits. II y en a beaucoup d'aussi bien qu'on en puisse faire avec beaucoup d'esprit sans talent." (Brit. Libr., Add. ms. 30871, f° 163 recto.)

693. Alexandre Mikhailovitch, prince Golitsyne, a Dimitri Alexeievitch, prince Golitsyne Ce 20 de 9bre 1772 Monsieur, "J'ai eu 1'honneur de recevoir vos lettres des 9 et 10 de 9brel." Jl y a quelques jours que 1'Jmperatrice, Se ressouvenant du manuscript du feu Helvetius qui a ete offert a S. M. par votre moyen, m'a ordonne de vous ecrire pour Lui en procurer bientot la copie. Or je sais bien que je vous ai mande ce meme ordre deja par mes lettres du 17 de^ janvr2 et 16 de^ mars3 de cette annee, mais il me semble d'avoir appris ensuite de vous, com[m]e si ledit manuscript, quelque terns apres, avoit ete repris par les heritiers d'Helvetius4. Done, Monsieur, pour me mettre en etat de rendre un compte exact de cette affaire a S. M. J., je vous prie de me marquer sans delai, en reponse a celle-ci, ce que 1'ouvrage en question est devenu, et au cas qu'on vous cut laisse maitre de le faire copier, de presser autant qu'il se peut cette copie, en me marquant le terns vers lequel on compte de^ 1'achever. Si au contraire le manuscript a ete rendu aux proprietaires, cce que je ne puis pourtant pas croire, sans qu'il en ait ete tire^ une copie,c vous aurez la bonte de me dire par quelle raison cela s'est fait et si 1'on songe peutetre a le rendre public. L'Jmperatrice en ayant conserve le souvenir pendant si longtems, je conclus que S. M. s'interesse a cet ouvrage, et j'espere que vous ne me laisserez ignorer erien quie peut y avoir quelque rapport. J'ai 1'honneur d'etre, avec un sincere attachement,

424

LETTRE 694

Decembre 1772

[destinataire :] ^A Mr le Pce de Galitzin, a La Haye^ MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

"A. Archives centrales publiques d'actes anciens, Moscou, fonds 1263, opis 1, n° 4234, f° 15;2p.;brouillonautographe conserve comme copie administrative.

1. Ces deux lettres, non parvenues jusqu'a nous, sont peut-etre etrangeres a L'Homme, objet de la suite de la presente lettre. 2. Lettre 681. 3. Lettre non parvenue jusqu a nous. 4. Aucune lettre de D. A. Gohtsyne annongant une telle nouvelle n'est connue de nous.

:;

IMPRIME

I. Ratchmsky, p. 289. TEXTE "Phrase ajoutee apres coup dans le A, et omise dans le I. *Mot omis dans le I. ""Addition marginale. ^Le I : "fait". eLe I : "rien de ce qui". ^Mention figurant en haut de la premiere page.

694. Voltaire a Bernard Joseph Saurin AFerney, 14e Xbre 1772 [;••] J'ai toujours sur le coeur la belle tracasserie que m'a faitte ce Mr Le Roy sur le livre De I'Esprit1. Vous savez que j'aimais 1'auteur; vous savez que je fus le seul qui osai m'elever centre ses juges, et les traitter d'injustes et d'extravagants comme ils *le meritaient" assurement2. Mais vous savez aussi que je n'aprouvai point cet ouvrage que Duclos lui avail fait faire3, et que lorsque vous me demandates ce que j'en pensais, je ne vous repondis rien. II y a des traits ingenieux dans ^ce livre^; il y a des choses lumineuses, et souvent de 1'imagination dans 1'expression. Mais cj'ai etc revoke de ce qu'il dit sur 1'amitie4. J'ai etc indigne de voir Marcel cite dans un livre sur 1'entendement humain5, et d'y lire que la Lecouvreur et Ninon ont eu autant d'esprit qu'Aristote et Solon6. Le systeme que tous les hommes sont nes avec les memes talents est d'un ridicule extreme. Je n'ai pu souffrir un chapitre intitule "De la probite par raport a 1'univers"7. J'ai vu avec chagrin une infinite de citations pueriles ou fausses, et presque par-tout une affectation qui m'a prodigieusement deplu. Mais je c ne considerai alors que ce qu'il y avait de bon dans son livre, et Pinfame persecution qu'on lui fesait. Je pris son parti hautement, et quand il a fallu depuis analiser son livre je 1'ai critique tres doucement. Vous avez 1'esprit trop juste et trop eclaire pour ne pas sentir que j'ai

425

LETTRE 694

Decembre 1772

raison. S'il se pouvait, centre toute aparence, que j'eusse le bonheur de vous voir encor, nous parlerions de tout cela en philosophes, en aimant passionement la memoire de l'homme aimable dont nous voions, 'Vous et moi^, les petites erreurs. Adieu, mon cher philosophe, mais philosophe avec de 1'esprit et du genie, philosophe avec de la sensibilite. Je vous aime veritablement pour le peu de temps que j'ai encor a ramper dans un coin de ce globule. [adresse :] A Monsieur / Monsieur Saurin, de PAcademie / franchise, etc3, riie des Petits-Champs / vis-a-vis la rue d'Antin / A Paris MANUSCRITS

A. Bibl. hist, de la ville de Paris, Res. 2027, ff os 512 recto et 512 verso-513 recto; 3 p.; brouillon corrige de la main de Voltaire. :; 'B. Ibid., Res. 2027, ff os 514 recto et 514 verso-515 verso; 3 p.; orig. signe; trois timbres de la poste : le premier est un D surmontant les lettres PD; les deux autres consistent en un cercle contenant un D surmontant un 3. IMPRIMES

I. Kehl, XV, p. 339-341. II. Best. 17017. III. Best. D. 18084. TEXTE

La signature "Marin" a etc ajoutee au milieu de la p. 4 du B. ^Addition autographe dans le A : "1'etaient". ^Le A : "ce{t ouvrage) livre". Correction autographe. cPassage barre dans le B, remplace par "plusieurs choses m'y ont revoke". Condorcet a ensuite porte en marge "bon quoique raye". ^Addition autographe dans le A.

3. 4. 5.

6.

NOTES EXPLICATIVES

1. Voir lettre 687. 2. Dans une lettre d'octobre 1758 adressee a Thieriot (lettre 354), Voltaire s'etait refere a Helvetius en declarant : "Ce sont des philosophes incapables de nuire qu'on persecute", et il disait se demander qui avait

426

7.

"anime les fanatiques" centre lui; d'autre part, il avait offert a Helvetius un refuge a Ferney. Mais on ne sache pas que Voltaire se soit eleve centre les juges d'Helvetius pendant 1'affaire de L'Esprit, du moins dans ses ecrits. Le seul philosophe a avoir public des ouvrages consacres a la defense d'Helvetius au cours de cette periode a precisement etc Le Roy, qui 1'a fait en prenant des risques personnels considerables. Pour une analyse de sa Lettre au R. P. *** [Berthier],journaliste de Trevoux [1758] et de son Examen des critiques du livre intitule "De I'Esprit" (1760), voir Smith, p. 87-89. La source de ce renseignement est Thieriot (v. lettre 422). De I'Esprit, discours II, chapitre 14. De I'Esprit, p. 44. Marcel, mort en 1759, etait maitre de danse du roi et avait compose plusieurs ballets. "Qui peut assurer, lorsqu'on consuite nos bons romans, que, dans les gestes, la parure & les discours etudies d'une coquette parfaite, il n'entre pas autant de combinaisons & d'idees qu'en exige la decouverte de quelque systeme du monde; & qu'en des genres tres differents, la Le Couvreur & Ninon de PEnclos n'aient eu autant d'esprit qu'Aristote & Solon?" (De I'Esprit, p. 44-45.) De I'Esprit, disc. II, chap. 25.

LETTRE 695

Decembre 1772

695. Dimitri Alexeievitch, prince Golitsyne, a Alexandre Mikhailovitch, prince Golitsyne La Haye, ce 22 Xbre 1772" Mon Prince, ^J'ai regu les deux lettres du 20 de 9bre dont vous m'avez honore1. L'une etoit accompagnee d'une incluse pour Mr d'Alembert de la part de Sa Majeste I'Imperatrice. Je la ferai tenir surement a son adresse et aurai soin de vous instruire dans le terns de sa reception/7 Quant au manuscript de M. Helvetius dont Sa Majeste a daigne se ressouvenir, les heritiers ayant apris par moi que I'Imperatrice ne pouvait en accepter la dedicace sans avoir vu et connu 1'ouvrage, ils ont depeche expres un ami2 aupres de moi pour me conjurer de leur en permettre toujours 1'impression, quic cependent ne seroit point public avant que Sa Majeste ne 1'eut fait examiner et accorde ou refuse la permission de lui etre dedie. En effet leur proposition m'a paru d'autant plus raisonnable que 1'impression de 1'ouvrage en question ne devait guere differer de 1'espace du terns qu'il m'a fallu pour en faire faire une copie, et qu'ils ont prodigieusement a cceur d'elever le plutot possible cette espece de monument a la memoire de leur pere3. Cependant, pour obeir aux ordres de Sa Majeste Imperiale, j'en fais faire en meme terns une copie. Le premier tome est deja tout acheve depuis quelque terns4, mais je n'ai pas ose ni le Lui envoyer tout seul, ni par un expres, et j'en attendois 1'occasion de quelque courier. Neanmoins quelque attention qu'on apporte a un manuscript, un imprime aura toujours 1'avantage sur lui, ne fut-ce que pour la facilite de la lecture; j'ai imagine qu'il serait plus agreable a Sa Majeste d'en voir deja 1'impression. En consequence, j'ai Phonneur de vous communiquer ici les 4 premieres feuilles5, et aurai soin de vous en envoyer autant chaque jour de poste, a mesure qu'on en tirera au net, d'autant plus qu'il s'en faut [de] beaucoup que mon manuscript soit beau par 1'impossibilite ou je me suis trouve d'avoir un bon copiste ici, surtout ayant etc oblige de faire faire cette copie dans mon cabinet meme, n'osant pas le confier hors de ma maison. La preface de cet ouvrage devant etre imprimee sur la meme feuille que la dedicace et le litre6, n'a point encor paru. C'est cette preface qui fermera le plus Pentree de la France a ce livre. M. Helvetius y dit en termes clairs et nets : "Rien aujourd'hui de plus different que le Midi et le Septentrion de 1'Europe. Le ciel du Sud s'embrume de plus en plus par les brouillards de la superstition et^ d'un despotisme asiatique. Le ciel du Nord chaque jour s'eclaire et se purifie. Les Catherines II, les Frederic, veulent se rendre chers a 1'humanite; ils sentent le prix de la yerite. Ils encouragent a la 427

Decembre 1772

LETTRE 695

dire, ils estiment jusqu'aux efforts faits pour la decouvrir. C'est a de tels souverains que e]t dediee cet ouvrage. C'est par eux que Punivers doit etre eclaire7." Dans un autre endroit il dit: "Ma patrie a enfin rec,u le ug du despotisme, elle ne produira done plus d'ecrivains celebres. Le propre du despotisme est d'etouffer la pensee dans les esprits et la vertu dans les ames. Ce n'est plus sous le nom de Frangois que ce peuple pourra de nouveau se rendre celebre. Cette nation avilie est aujourd'hui le mepris de 1'Europe.... La conquete est le seul remede a ses malheurs, et c'est le hazard et les circonstances qui decident^ Pefficacite d'un tel remede8." Dire de pareilles verites au gouvernement actuel de la France, et des Pentree du jeu, n'estg pas un moyen d'en etre A favorablement accueilli. J'ai 1'honneur d'etre, avec un attachement sincere et respectueux, Mon Prince, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Dimitry, Prince de Gallitzin [destinataire :] A M. le Pe de Gallitzin, Vice-chancelier MANUSCRIT

*A. Archives centrales publiques d'actes anciens, Moscou, fonds 1263, opis 1, n° 1121, f° 305-306; 4 p.; orig. autogr. IMPRIME I. Ratchinsky, p. 290-291. TEXTE "Sous la date, le destinataire a ajoute : "Reponse du 5e janv r 73". ^Passage omis dans le I. cLe I : "qui (le manuscrit)"; les deux mots entre parentheses ont ete ajoutes par Ratchinsky. En fait, Pouvrage etait deja en cours d'impression, et Pimperatrice desirait examiner Pedition avant de permettre qu'elle lui soit dedicacee. ''Mot omis dans le I. eLe I : "j'ai dedie". ^Le I: "decident de". 8Le I: "n'est-ce". ^Le I : "etre peu". NOTES EXPLICATIVES

1. L'une de celles-ci est la lettre 694. 2. Sans doute La Roche. 3. Le 22 aout 1772, d'Alembert avait

428

annonce a Frederic II qu'on imprimait un ouvrage en prose "considerable" du a Helvetius : "J'en ignore jusqu'au titre, mais c'est, dit-on, une espece de supplement au livre De I'Esprit." (D'Alembert, (Ettvres, 1821-1822, 5 vol., V, p. 328; Preuss, XXIV, p. 577.) Cette rumeur est confirmee par Grimm, qui annonce le 15 novembre 1772 qu'on est en train d'imprimer le livre De I'Homme en Hollande (Corr. litt., X, p. 103). 4. Cette copie du premier tome du manuscrit n'est pas parvenue jusqu'a nous. 5. Il ne s'agit pas des feuilles liminaires (v. par. 2). Les quatre premieres feuilles (A1-D12) s'etendent jusqu'au debut du chapitre XIII de la premiere section. 6. La premiere feuille, c'est-a-dire le premier cahier, contenant la page de titre, la preface et le debut de la table sommaire a ete imprimee par la suite,

LETTRE 696 et avant que soit rec,ue 1'autorisation de 1'imperatrice de lui dedier 1'ouvrage. La dedicace sera imprimee sur un feuillet separe et ajoutee a certains exemplaires a la suite du titre.

Decembre 1772 7. Preface, I, p. XI-XII. 8. Ibid., p. IX.

696. Octavie Guichard, veuve Belot, presidente Du Rey de Meinieres, a Francois Antoine Devaux C e 2 3 X b r e 1772

H J'ai toujours Made Helvetius et la comtesse de Mun sa fille dans mon voisinage a Auteuil. Elles y passent courageusement 1'hiver, presque tetea-tete. Le celebre Caffieri 1 a fait un buste, en marbre, de M. Helvetius, qu'elles ont place dans le salon2. 11 faut etre de marbre soi-meme pour soutenir le spectacle de cette etonnante femme aupres de la statue de son mari. Elle ressemble a Pygmalion. On diroit qu'elle attend, qu'elle veut operer le meme prodige. Ses yeux charges de pleurs, sa voix haletante, ses mains qui s'appuyent, qui se promenent sur tous les traits de cet epoux si cher, comme pour les ranimer, les rechauffer, sont d'une expression qui remue jusqu'au fond de 1'ame.

[...] MANUSCRIT

*A. B.N., ms. fr., n. a. 15582, ff os 123 recto et 123 verso-124 recto; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge. NOTES EXPLICATIVES

1. Jean-Jacques Caffieri (1725-1792) regut pour ce buste la somme de 3 000 francs, dont Mme Helvetius et ses filles se partagerent le paiement (v. M.C., LVI, 364). Expose au Salo de 1773, ce buste se trouvait encore dans la maison d'Auteuil en 1805 (v. note 2 ci-apres). En 1901, son possesseur etait le comte Albert de Balleroy, descendant direct d'Helvetius. Caffieri a execute un autre buste d'Helvetius dont les dimensions sont plus petites, la draperie moins ample,

et le regard plus severe. II s'en trouve a Versailles une reproduction en platre, peint couleur de terre cuite, que le sculpteur avait offert a 1'Academie frangaise. Voir Revue de I'histoire de Versailles, III (1901), p. 202-206. Parmi d'autres exemplaires de 1'un ou de 1'autre de ces deux bustes, signalons celui que Caffieri avait propose aux societaires du Theatre-Frangais (lettre du 24 aout 1785 mentionnee dans le fichier Charavay), un autre qui est actuellement au musee de Berlin (v. Correspondance de Marmontel, ed. Renwick, Clermont-Ferrand, 1974, 2 vol., lettre 412), et ceu que possedent le comte d'Andlau et la comtesse Albert de Mun. Rappelons

429

LETTRE 696 enfin que d'autres reproductions du buste en marbre de Caffieri, en porcelaine, ont ete faites (v. lettre 677, note 1). Les filles d'Helvetius commanderent aussi a Caffieri un mausolee a la memoire de leur pere, qualifie de "petit tombeau a 1'amitie" dans les comptes de la succession d'Helvetius, et 1'offrirent a leur mere (v. M.C., LVI, 364). Grimm fournit a son sujet la precision suivante : "Mme Helvetius a fait eriger dans son appartement un mausolee a son mari, sur lequel on lit le quatrain suivant, qui est de M. de Saint-Lambert: 'Toi dont Tame sublime et tendre / A fait ma gloire et mon bonheur, / Je t'ai perdu; pres de ta cendre / Je viens jouir de ma douleur.' " (Corr. litt., X, p. 106.) Selon Keim (p. 630), ce mausolee etait toujours conserve a Lumigny en 1907. La famine d'Orglandes en possede une maquette. Voir aussi lettre 688, note 1. 2. Le buste execute par Caffieri se trouve toujours dans ce salon le 27 avril 1805, date a laquelle La Roche loue a Cabanis sa moitie de la maison d'Auteuil, dont ils sont les co-usufruitiers en vertu du testament de Mme Helvetius (v. M.C., XL, 88, 7 floreal an XIII, et lettre 628, note 1, par. 4). A la mort de Cabanis, ce buste echoira en heritage a 1'une des deux filles de Mme d'Andlau, probablement 1'ainee, Anne Catherine, comtesse d'Orglandes, dont la fille cadette epousera le comte Auguste de Balleroy (v. note 1). REMARQUES

Peu avant la mi-septembre 1772, Mme Helvetius avait demande par supplique au marquis de Marigny, directeur des

430

Decembre 1772 batiments et jardins du roi, en invoquant son interet propre et celui de son voisin, Louis Denis Chomel, notaire a la retraite, que la couronne lui cede une terre que celle-ci venait d'acquerir en vue d'agrandir un jardin fleuriste constitue en 1761 a 1'ouest de la propriete d'Auteuil: "Mdme Helvetius ayant acquis la maison de M. de La Tour, peintre du roy, scituee au village d'Auteuil et en mitoyennete avec le jardin particulier de Sa Majeste, a par 1'extremite de son jardin sortie libre sur la campagne et quelque portion de terrein exterieur pour faciliter des jours qu'elle a a cette extremite. L'acquisition que Sa Majeste vient de faire des terres exterieures pour aggrandir son jardin lui otant tous les avantages qui faisoient Pagrement de cette maison ainsi que celle de M. Chomel, notaire au Chatelet, son voisin, elle supplie Monsieur le marquis de Marigny de se faire representer le plan de cette situation et d'obtenir de Sa Majeste pour ces deux proprietes une distance de vingt toises en avant de leur terrain a titre de dedommagement et meme de compensation des terrains qu'ils abandonneront dans le dehors. De particulier a particulier leur prevention seroit legitime; visa-vis de Sa Majeste ils 1'envisageront comme grace." (A.N., O1 1585, n° 74.) Marigny avait transmis cette supplique au roi par lettre du 15 septembre, avec avis favorable, mais en proposant de reduire a 16 toises (31,18 metres) la portion a conceder a Mme Helvetius (ibid., n° 57), et Louis XV avait inscrit le mot "bon" au bas de cette lettre. Mme Helvetius devra pourtant reiterer sa requete en juin 1773 pour que le roi y accede (v. lettre 715, Remarques, par. 2 et 3, et appendice 17).

Plan d'une maison donnee par Louis XV a Mme Helvetu

LETTRE 697

Fevrier 1773

697. Dimitri Alexeievitch, prince Golitsyne, a Alexandre Mikhailovitch, prince Golitsyne La Haye, ce 9 fevrier 1773 Mon Prince, J'ai regu la lettre du 5 Janvier dont vous m'avez honore. C'est bien malgre moi que je me suis vu oblige de suspendre 1'envoi des feuilles de 1'ouvrage en question. Le libraire, par un interet assez commun a ses pareils, apres m'avoir donne parole de faire imprimer les deux tomes a la fois et incessament, en a suspendu 1'impression tout aussi tot qu'il 1'a vue assez avancee pour ne plus craindre que j'en retire le manuscrit, et le tout pour s'occuper d'un autre ouvrage, pas a beaucoup pres, a la verite, aussi important que celui-ci, mais dont il se promet de retirer beaucoup d'argent; et ce n'est qu'apres bien des demarches et des disputes que je 1'ai force de recontinuer a imprimer. [...] [destinataire :] A M. le Pe de Gallitzin, Vice-chancelier MANUSCRIT :; 'A. Archives centrales publiques d'actes anciens, Moscou, fonds 1263, opis 1. n° 1122, f° 36 recto; orig. autogr. REMARQUES Le 21 levner, 1 ambassadeur expediera au vice-chanceher la suite des leuilles

du 2d tome de Pouvrage de M. Helvetius" avec la demande suivante : "II ne tardera pas a etre fini et je vous prie en grace de m'instruire si Sa Majeste 1'Imperatrice daigne en accepterla dedicace." , (Ibid. [v. le A], londs 1263, opis 1, n° 1122, f° 43 verso.)

698. David Hume a sir John Pringle1 St. Andrew's Square, Edinburgh, Feb. 10, 1773 My dear Sir,

[•"] Lord Mareschal2 had a very bad opinion of this unfortunate prince3, and thought there was no vice so mean or atrocious of which he was not capable; of which he gave me several instances. My Lord, though a man of great honour, may be thought a discontented courtier, but what quite confirmed'1 me in that^ idea of that prince was a conversation I had with Helvetius at Paris, which I believe I have told you. In case I have not, I 432

LETTRE 698

Fevrier 1773

shall mention a few particulars. That gentleman told me that he had no acquaintance with the Pretender, but some time after that prince was chased out of France4, "A letter", said he, "was brought me from him5, in which he told me that the necessity of his affairs obliged him to be at Paris, and, as he knew me by character to be a man of the greatest probity and honour in France, he would trust himself to me, if I would promise to conceal and protect him. I own," added Helvetius to me, "although I knew the danger to be greater of harbouring him at Paris than at London, and although I thought the family of Hanover not only the lawful sovereigns in England, but the only lawful sovereigns in Europe, as having the full and free consent of the people, yet was I such a dupe to his flattery that I invited him to my house, concealed him there, going and coming, near two years, had all his correspondence pass through my hands, met with his partisans upon Pont Neuf, and found at last that I had incurred all this danger and trouble for the most unworthy of all mortals, insomuch that I have been assured, when he went down to Nantes to embark on his expedition to Scotland6, he took fright and refused to go on board, and his attendants, thinking the matter gone too far, and that they would be affronted for his cowardice, carried him, in the night-time, into the ship, pieds et mains lies." I asked him if he meant literally. c"Yes," said he, "literally/ They tied him, and carried him by main force7." What think you now of this hero and conqueror? Both Lord Mareschal and Helvetius agree that with all this strange character, he was no bigot, but rather had learned from the philosophers at Paris to affect a contempt of all religion. You must know that both these persons thought they were ascribing to him an excellent quality. Indeed, both of them used to laugh at me for my narrow way of thinking in these particulars. [...] [Traduction :]

Square Saint-Andrew, Edimbourg, 10 fevrier 1773

Monsieur, [.-;] Milord Marechal2 avait tres peu d'estime pour ce malheureux prince3, trouvant qu'il n'existait vice si mesquin ou affreux dont il ne fut capable, ce dont il m'a fourni plusieurs exemples. II est possible de voir en Milord un courtisan mecontent, en depit de sa grande probite, mais ce qui m'a entierement confirme dans cette opinion au sujet du prince a etc une conversation que j'ai cue a Paris avec Helvetius, dont je crois vous avoir parle. Pour le cas ou je me tromperais, en voici quelques elements. Monsieur Helvetius m'a dit qu'il ne connaissait nullement le Pretendant; mais quelque temps apres que le prince a etc chasse de France4, a-t-il ajoute, "on m'a apporte une lettre5, dans laquelle il me faisait savoir que ses affaires 1'obli433

LETTRE RE 698

Fevrier 1773

geaient a se rendre a Paris et que, comme il connaissait mon caractere pour etre celui d'un homme de la plus grande probite et du plus grand honneur qu'il y cut en France, il se confierait a moi, si je promettais de le cacher et de le proteger." Helvetius a continue : "Quoique sachant plus dangereux de Pheberger a Paris qu'a Londres, et tenant la maison de Hanovre pour celle, non seulement des souverains legitimes d'Angleterre, mais aussi des seuls souverains legitimes d'Europe, etant donne qu'elle beneficiait du consentement libre et entier de son peuple, j'avoue avoir etc tellement dupe de ses flatteries que je 1'ai invite et cache pendant pres de deux ans dans ma maison, ou il allait et venait a sa guise, ai pris soin personnellement de toute sa correspondance, ai accepte de rencontrer ses partisans sur le Pont-Neuf, et j'ai fini par me rendre compte que j'avais pris tous ces risques et toute cette peine pour le plus meprisable des mortels. Il Test au point, d'apres ce qu'on m'a assure, qu'une fois arrive a Nantes pour s'y embarquer en vue de son expedition en Ecosse6, il a pris peur et a refuse de monter a bord, de sorte que les membres de sa suite, estimant que cela allait trop loin et que sa lachete les couvrirait de honte, 1'ont transporte de nuit a bord du bateau, pieds et mains lies" Je lui ai demande si ces mots etaient a prendre litteralement. "Oui, dit-il, litteralement. Us 1'ont attache et 1'ont porte de vive force7." Que pensez-vous maintenant de ce heros et conquerant? Milord Marechal et Helvetius conviennent tous deux qu'en depit de son caractere etrange, il n'etait pas bigot, et qu'au contraire, il avait appris des philosophes de Paris a affecter du mepris pour toute religion. Vous pensez bien que ces deux personnes croyaient lui attribuer ainsi une excellente qualite. L'un et 1'autre allaient meme jusqu'a rire de mes idees bornees sur ces questions-la. [...] MANUSCRIT

TEXTE

En 1788, Poriginal etait detenu par sir James Pringle.

*Le III: "confounded". ^Les II et III: "the". cLe I : " 'Ye,' said he, 'literally.' 'Yes,' said he, 'literally.' "

IMPRIMES

*I. The St. James's Chronicle, 1-3 mai 1788, n° 4209. II. The Edinburgh Magazine, or Literary Miscellany, mai 1788, pp. 340 et 341342. III. J. H. Burton, Life and Correspondence of David Hume, Edimbourg, 1846, 2 vol., II, pp. 462 et 464-465. IV. Greig, II, pp. 272 et 273-274.

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REMARQUES L'echange suivant, rapporte par George Keith, qui evoquait ses relations avec Charles-Edouard Stuart, fait echo a la conversation avec Helvetius racontee par David Hume : "Je rencontrai a la promenade seul Mr H—, homme celebre autant par sa probite que par un livre D'Esprit. Il avoit etc un partisan du prince jusques a 1'entousiasme. Je le savois, quoi qu'il ne m'avoit jamais rien

LETTRE 698 dit, et que le prince logeoit en secret chez lui8. Nous nous promenames ensemble. II me dit: 'Mylord, je n'ay pas envie de vous tromper, ni ne crois pas me tromper moi-meme. II y a quelque terns que je serois alle a la potence a le servir. A present je ne donnerois pas une piece de six sols pour le tirer du fond de la riviere.' " (R.S.E., XIII, 45, p. 70-71.) NOTES EXPLICATIVES

1. Pringle (1707-1782), medecin militaire ecossais qui avait accompagne le due de Cumberland en Ecosse lors de la campagne ayant abouti a la defaite des Jacobites a Culloden (1746) et qui exergait a Londres depuis 1748. A 1'epoque de la presente lettre, il etait president de la Societe royale de Londres et medecin de George III, qui 1'avait cree baronnet en 1766. 2. George Keith (v. lettre 513, note 1). 3. Charles-Edouard Stuart (17201788), dit le jeune Pretendant, etait le fils de Jacques Stuart et le petit-fils de Jacques II. 4. En decembre 1748, Charles-Edouard avait etc arrete dans le cul de sac de 1'Opera, emprisonne a Vincennes, puis conduit sous bonne garde a la frontiere de Savoie. Voir L. L. Bongie, The Love of a Prince, Vancouver, 1986. 5. Lettre non parvenue jusqu'a nous. 6. Charles-Edouard a quitte Belle-lie le 16 juillet 1745 a bord du brick Du Teillay, et a debarque le 3 aout 1745 dans la petite ile d'Eriskay, situee entre celles de South Uist et de Barra, dans les Hebrides exterieures. 7. La relation que David Hume fournit de cet etrange incident n'a pas etc corroboree et est a accueillir avec circonspection. D'autre part, le courage de Charles-Edouard a ete trop souvent atteste pour etre mis en doute.

Fevrier 1773 Le 12 juin 1745, un mois avant son depart de Nantes, il avait ecrit a son pere : "J'ai pris la ferme resolution de proceder a la conquete ou de mourir." (Archives royales, Windsor, SP 265/129; traduction), et au cours de la brillante campagne qu'il avait menee en Ecosse la meme annee, il s'etait empare d'6dimbourg, avait remporte la victoire de Prestonpans, et avec six mille hommes, etait entre en Angleterre et avait avance jusqu'a Derby. Apres la defaite de Culloden, les anti-jacobites 1'avaient bien accuse d'avoir manque de courage, mais d'apres d'autres temoignages, il n'avait ete, au contraire, que trop temeraire. Enfin, dans sa reponse a la presente lettre, Pringle contestera indirectement la veracite de 1'incident rapporte par Hume : "Je sais que les gens de notre parti [les anti-jacobites] se sont donne bien du mal pour denigrer son courage, apres la bataille de Culloden, mais la raison d'une telle position m'a paru plus politique qu'historiquement fondee." (J. H. Burton, op. cit., II, p. 466; traduction.) 8. Dans les annees ayant suivi son expulsion de France (v. note 4 cidessus), Charles-Edouard, alors refugie a Aix-la-Chapelle, est revenu plusieurs fois en secret a Paris, ou il a ete heberge par Helvetius, qui lui a prete de 1'argent et 1'a probablement rec,u a Vore. Le pretendant a egalement trouve asile chez Elisabeth Ferrand, Mme de Vasse et la princesse de Talmont, et il a ete cache au couvent des Filles-de-Saint-Joseph, rue SaintDominique. Il n'en circulait pas moins,.incognito, et avait meme participe au bal masque de POpera en 1751. Voir Argenson, V, p. 481, VI,

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Fevrier 1773

LETTRE 699 p. 37, VIII, p. 212, et IX, p. 297; Corr. litt., XII, p. 343; et surtout, les Papiers Stuart aux Archives royales de Windsor. D'ici la parution de 1'ouvrage que prepare L. L. Bongie sur cette periode de la vie du prince, on peut consulter utilement A. Lang, Pickle the Spy, Londres, 1897, The Companions of Pickle, Londres, 1898, et Prince Charles Edward Stuart, the Young Chevalier, Londres, 1900,

ainsi que Frank McLynn, Charles Edward Stuart: a Tragedy in Many Acts, Londres & New York, 1988, p. 388-390. Nous sommes redevables a L. L. Bongie d'avoir identifie le "Philosophe", mentionne dans plusieurs lettres de la correspondance de Charles-Edouard, comme etant Helvetius; d'apres les ouvrages de Lang, cites ci-dessus, il pouvait s'agir, soit de Montesquieu, soit de Condillac.

699. Jean Baptiste Rene Robinet1 a Marc-Michel Rey [-]

Je suis fort curieux de voir 1'ouvrage posthume de Mr Helvetius. Vous me ferez plaisir de m'en faire passer un exemplaire des que vous en aurez. Get ouvrage etoit destine a nos Supplements2. Huit jours avant sa mort Mr Helvetius m'avoit promis d'extraire de son manuscrit environ deux cens articles pour nous. [...] A Bouillon, ce 15 fevrier 1773 MANUSCRIT

*A. Bibliotheek [...] des Boekhandels, Universite d'Amsterdam, Dossier Rey (Encyclopedic), piece 14, f° 1 recto et verso; 2 p.; orig. autogr. NOTES EXPLICATIVES

1. Robinet (1735-1820), auteur du livre De la Nature (1761), ouvrage materialiste et sensualiste d'abord attribue a Helvetius, et associe de Pierre Rousseau a Bouillon. En 1771, il etait devenu un des nombreux membres de 1'association formee par Panckoucke pour publier les Supplements de VEncyclopedic (v. note 2 ciapres), et il etait responsable de leur preparation. 2. Panckoucke projetait depuis 1768 de publier une edition revisee et in-folio de VEncyclopedic, mais il devra se

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contenter de faire reimprimer cet ouvrage a Geneve par Gabriel Cramer et Samuel de Tournes, et de faire publier des Supplements a Paris par Stoupe, et a Amsterdam par MarcMichel Rey (4 vol. in-4° de texte, 1 vol. de planches). Cette entreprise ne sera menee a bien qu'en 1777. Voir a ce sujet R. F. Birn, Pierre Rousseau and the philosophes of Bouillon, Studies, xxix (1964), ch. 8; S. TucooChala, Charles-Joseph Panckoucke (1736-1798), 1977, p. 290-310; et R. Darnton, The Business of Enlightenment, Harvard, 1979. REMARQUES

Signalons que \t Journal encyclopedique, dans ses numeros de septembre (VI, p. 504-508) et octobre 1775 (VII, p. 124129), publiera des Reflexions & pensees

Mars 1773

LETTRE 700 tirees d'un ouvrage nouveau. Ces Reflexions ne sont autres que des extraits de L'Homme, consacres surtout aux idees pedagogiques d'Helvetius, et elles seront presentees sans commentaire autre que 1'introduction suivante : "Un

ouvrage qui traite de 1'homme, s'y futil glisse quelques erreurs, est toujours precieux; on peut appliquer cette maxime a celui que nous avons sous les yeux." II est improbable que le choix de ces extraits ait etc fait par Helvetius.

700. Dimitri Alexeievitch, prince Golitsyne, a Alexandre Mikhailovitch, prince Golitsyne La Haye, ce 2 mars 1773 Mon Prince, J'ai rec,u la lettre du 22 Janvier dont vous m'avez honore1, avec une incluse" pour M. Grimm qui lui a etc envoyee sans delai. Si 1'envoi des feuilles de 1'ouvrage d'Helvetius ne se fait pas aussi regulierement que je 1'aurois desire, je vous proteste, mon Prince, qu'il n'y a pas de ma faute. Par les nouveaux arrangemens des heritiers, Pimpression s'en fait aux frais du libraire Gosse2, qui presse tantot le premier tome, tantot le second3, uniquement pour des raisons d'interet, et qui d'ailleurs refait continuellement les feuilles sous le pretexte de rendre 1'edition parfaite 4 . Je ne vois pas cependant qu'elle le soit tant; au contraire j'y appergois de grands defauts 5 .

[...] [destinataire :] A M. le Pe de Gallitzin, Vice-chancelier MANUSCRIT

*A. Archives centrales publiques d'actes anciens, Moscou, fonds 1263, opis 1, n° 1122, f° 55; 2 p.; orig. autogr. IMPRIMES

I. Ratchinsky, p. 300. II. Siline, p. 144 (en russe). TEXTE "Le I : "autre". NOTES EXPLICATIVES

1. Dans cette lettre du 22 Janvier, le vice-chancelier avait formule la reclamation suivante : "Aujourdhui j'ai

encore a vous apprendre ce que 1'Imperatrice a observe sur 1'envoi des feuilles de 1'ouvrage d'Helvetius. S. M. trouve qu'elles ne lui sont pas envoyees dans 1'ordre comme elles se suivent; mais qu'il lui est parvenu deux fois les memes feuilles. C'est, Monsieur, a quoi vous ferez attention s'il vous plait, a fin que cet envoi se fasse a 1'avenir avec ordre et surtout que 1'exemplaire de S. M. I. ne soit pas defectiieux, puisqu'Elle daigne en faire consideration." (Ibid., fonds 1263, opis 1, n° 4236, f° 3 verso; brouillon autographe.) La "feuille"

437

LETTRE 701 que 1'imperatrice se plaignait d'avoir regue deux fois etait probablement le cahier E du second volume (v. note 4 ci-dessous). 2. Pierre-Frederic Gosse (1751-1826), fils de Marguerite Kolb et de Pierre Gosse junior, libraire a La Haye. 11 epousera en 1776 Rebecca Dorothea Barriel, et s'en separera en 1815. II est 1'auteur d'un Portefeuille d'un ancien typographe (1824). 3. Les deux volumes de L'Homme ont probablement ete composes sur deux presses differentes et peut-etre par deux imprimeurs differents. Les ornements du premier sont en effet du type De Groot, alors que ceux du second sont du type Enschede-

Mars 1773 Grosart, qui figurent souvent dans les publications de Marc-Michel Rey. C'est a ce dernier, selon Gottingischen Anzeigen von Gelehrten Sachen (Zugabe, Erstes Stiick, 8 Janvier 1774), qu'etait due cette edition, et Tourneux, sans justifier son choix, a egalement retenu cette attribution (Diderot et Catherine II, 1899, p. 63). 4. Nous n'avons pourtant trouve que tres peu de cartons dans Pedition originale de L'Homme : aucun pour le premier volume, et dans le second, seuls les feuillets E5, E8 et Vll en component. 5. Effectivement, la qualite materielle de cette edition laisse beaucoup a desirer.

707. Dimitri Alexeievitch, prince Golitsyne, a Alexandre Mikhailovitch, prince Golitsyne La Haye, ce 16 mars 1773 Mon Prince, Je crains toujours que vous ne m'accusiez de negligence "vu 1'irregularite" que vous devez appercevoir dans 1'envoi des feuilles de ^1'ouvrage de feu^ Helvetius, mais je vous proteste qu'il n'y a pas de ma faute. Le libraire y va d'une fac,on ou on ne contort rien : il imprime et reimprime les feuilles a chaque instant, et tantot c'est au premier tome, tantot au second qu'il s'attache. J'aurois bien desire que Sa Majeste Imperiale n'eut eu^ ces feuilles que lorsque le premier tome cut ete entierement fini.

[...] [destinataire :] A M. le Pe de Gallitzin, Vice-chancelier MANUSCRIT

IMPRIMES

::

I. Ratchinsky, p. 300-301 II. Siline, p. 144 (en russe).

"A. Archives centrales publiques d'actes anciens, Moscou, fonds 1263, opis 1, n° 1122, f° 66; 1 p.; orig. autogr.

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TEXTE *Le I : "ou d'irregularite". *Mot ou mots omis dans le I.

Juin 1773

LETTRE 702

702. Voltaire a Jean Le Rond d'Alembert [...]

Vous avez sans doute le livre posthume d'Helvetius que Mr le prince Galitzin vient de faire imprimer en Hollande. Cela ressemble un peu au testament de Jean Meslier qui debute par dire nai'vement qu'il n'a voulu etre brule qu'apres sa mort1. Ce livre m'a paru du fatras, et j'en suis bien fache; il faut faire de grands efforts pour le lire, mais il y a de beaux eclairs. Que vous dirai-je? Cela m'a semble audacieux, curieux en certains endroits, et en general ennuieux. Voila peut-etre le plus grand coup porte centre la philosophic. Si les gens en place ont le temps et la patience de lire cet ouvrage, ils ne nous pardonneront jamais. Nous sommes comme les apotres : suivis par le petit nombre, et persecutes par le grand. Vous voi'ez qu'on arrive au meme but par des chemins contraires.

[...] * Adieu encore une fois, mon cher ami.

V. e

A Ferney, ce 16 juin 1773" MANUSCRITS :;

"A. Fondation Voltaire, Oxford, fonds Lespinasse, vol. Ill, pp. 161-163 et 165; 7 p.; copie. B. Bibl. mun. de Besangon, ms. 612, p. 118-119; 4 p.; copie IMPRIMES

I. Kehl, LXIX, p. 192-194. II. Best. 17342. III. Best. D. 18425. TEXTE

"Passage absent du B. REMARQUES

Le 12 juillet 1773, Suard envoie une copie de la presente lettre (v. le B) au margrave d'Ansbach (v. lettre 646, note 1) avec le commentaire suivant: "L'ouvrage posthume de Mr Helvetius qu'on attend depuis si longtems, paroit enfin en Hollande, mais il n'a pas encore penetre a Paris. Il est, je crois, intitule De I'Homme. Mr de Voltaire 1'a recu, et

il n'en dit pas de bien; son jugement doit etre un peu suspect, mais la maniere dont il 1'enonce est toujours piquante." Voltaire reviendra sur De I'Homme dans ses deux lettres subsequentes a d'Alembert: "L'oeuvre posthume de ce pauvre Helvetius, ou plutot de ce riche Helvetius est-elle ou est-il parvenu jusqu'a vous, mon tres cher philosophe? Mr le prince Galitzin qui en est 1'editeur, veut le dedier a la sublime Catau2. Jl est bon de la mettre en commerce avec les morts, car elle ne repond point aux vivants. Je m'imagine que les jmperatrices n'aiment pas plus les conseils que les generaux d'armee et les gouverneurs de province ne les aiment. Dulcis inexpertis cultura potentis amici*. Quoiqu'il en soit, on sera fort etonne si on lit ce livre de voir le papisme traite de religion abominable qui ne peut se soutenir que par des boureaux, le despo-

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Titre du premier volume de 1'edition originale de L'Homme

LETTRE 702 tisme traite a peu pre S comme le papisme, et le tout dedie a la puissance la plus despotique qui soit sur la terre." (Ibid. [v. le A], III, p. 166-167; Best. D. 18438,26 juin 1773.) Seconde lettre : "N'etes-vous pas bien content de ces petits mots d'Helvetius, tome I, page 107 : 'Nous sommes etonnes de Pabsurdite de la religion paienne; celle de la religion papiste etonnera bien davantage la posterite.'? Et page 102 4 : Tourquoi faire de dieu un tyran oriental? Pourquoi mettre ainsi le nom de la divinite au bas du portrait du diable? Ce sont les mechants qui peignent dieu mechant. Qu'est-ce que leur devotion? Un voile a leurs crimes.' C'est dommage que ce ne soit pas un bon livre, mais il y a de tres bonnes choses. C'est une arme qui tiendra son rang dans 1'arsenal ou nous avons deja tant de canons qui menacent le fanatisme. II est vrai que les ennemis ont aussi leurs armes; elles sont d'une autre espece, elles ont tue le chevalier de La Barre5, elles ont blesse a mort Helvetius, mais le sang de nos martyrs fait des proselytes. Le troupeau des sages grossit a la sourdine." (Best. D. 18450, 3 juillet 1773.) NOTES EXPLICATIVES

1. "Puisqu'il ne m'auroit pas etc permi, et qu'il auroit meme etc d'une trop dangereuse et trop facheuse consequence pour moi de vous dire ouvertement, pendant ma vie, ce que je pensois [...], j'ai resolu de vous le dire au moins apres ma mort." (Meslier, (Euvres, ed. Desne, 1970-1972, 3 vol., I, p. 5.) 2. De cette remarque de Voltaire et de

Juin 1773 la date de la presente lettre, il resulte que la premiere emission de Pedition originale de L'Homme doit avoir eu lieu a la mi-juin 1773, et qu'elle ne comportait pas encore la dedicace a Catherine II, (v. lettre suivante, notes 1 et 9). 3. Horace, Epitres, I, xviii, 86 : [Pour ceux qui n'en ont pas fait Pexperience, il est agreable de cultiver Pamitie d'un grand.] Horace ajoute : "Expertus metuit. [Une fois Pexperience faite, c'est chose qu'on redoute.]" 4. Les references fournies par Voltaire renvoient a Pedition originale, publiee a La Haye par la Societe typographique de Londres, en deux volumes in-12°, le premier comportant LXIV + 639 pages, et le second, 760 pages. Voir a ce sujet la lettre 663, note 8, et Smith, Bibliography, p. 333-336. Signalons aussi que dans son exemplaire conserve a la bibliotheque Saltykov-Chtchedrine a Leningrad, Voltaire a inscrit de nombreuses notes marginales (v. N. V. Varbanets, Bibliotheque de Voltaire. Catalogue des livres, Moscou-Leningrad, 1961, p. 440). 5. Voir lettre 691, note 8. Voltaire a d'abord fustige les juges d'Abbeville dans sa Relation de la mort du chevalier de La Barre, parue le 15 juillet 1756, puis dans le Cri du sang innocent (1775), mais tous ses efforts pour obtenir la rehabilitation du chevalier de La Barre et de son compagnon d'Etallonde, condamne par contumace, sont restes vains.

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LETTRE 703

Juin 1773

703. Voltaire a Dimitri Alexeievitch, prince Golitsyne 19 juin 1773, a Ferney Monsieur le Prince, Vous rendes un grand service a la raison, en fesant reimprimer le livre de feu Mr" H...1 Ce livre trouvera des contradicteurs, & meme parmi les philosophes. Personne ne conviendra que tous les esprits soient egalement propres aux sciences, & ne different que par Peducation2. Rien n'est plus faux, rien n'est plus demontre faux par Pexperience. Les ames sensibles seront toujours fachees de ce qu'il dit de Pamitie3, & lui-meme aurait condamne ce qu'il en dit, ou Paurait beaucoup adouci, si Pesprit systematique ne Pavait pas entrain e hors des bornes. On souhaittera peutetre dans cet ouvrage plus de methode, & moins de petites historiettes, la pluspart fausses. Mais il me semble que tout ce qu'il dit sur^ la superstition, sur les abominations de Pintolerance4, sur la liberte, surc la tyrannic5, sur le malheur des hommes, sera bien regu de tout ce qui n'est pas un sot, ou un^ fanatique. Quelque philosophe aurait pu corriger son premier livre De I'Esprit, mais le condamner comme on a fait, & persecuter Pauteur, cela est aussi barbare qu'absurde, & digne du quatorzieme siecle. Tout ce que des fanatiques ont anathematise dans6 cet homme si estimable se trouvait au fond dans le petit livre du due de La Rochefoucaut, & meme dans les premiers chapitres de Loke6. On peut ecrire centre un philosophe, en cherchant comme lui la verite par des routes differentes, mais on se deshonnore, on se rend execrable a la posterite, en le persecutant. Il s'en fallut peu que des Melitus & des Anitus^7 ne presentassent un gobelet de cigue a votre ami. [...] Si on me demande pourquoi je vous suis si attache, je reponds : c'est que vous etes tolerant, juste & bienfesant. Agrees done, Monsieur le Prince, ma tres sensible & tres respectueuse reconnaissance. V. MANUSCRIT *A. Bibl. royale, Bruxelles (Livres precieux), ms. Launch 315, piece 39; 4 p.; brouillon dont seules les corrections qu'il porte sont autographes. IMPRIMES I. Commentaire bistorique sur les oeuvres de I'auteur de La Henriade, Basle, 1776, p. 220-222.

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II. Kehl, LXII, pp. 215-216 et 217. III. Ratchinsky, p. 301 (extrait). IV. Siline, p. 144 (le meme extrait, traduit en russe). V. Best. 17348. VI. Best. D. 18431. TEXTE Les imprimes presentent plusieurs differences dont nous n'avons pas cru neces-

Juin 1773

LETTRE 703 saire de fournir le detail. "Le A : "Mr {Helvetius) h...". hLe A : "sur l{e)a (Papisme) superstition". cLe A : "sur {le pouvoir arbitraire)". ''Le A : "un {Jesuite}". eLe A : "dans {Helvetius)". /Le A : "Anitus, {assassins du chevalier de La Barre8 ne trempassent leurs mains dans le sang de votre ami, 1'auteur du livre De I'Esprit que vous faites reimprimer. Je remercie V. Exc. de la bonte que vous aves cue de m'envoyer 1'ouvrage posthume, qui avec ses defauts m'est tres precieux. Les notes surtout reussiront. Les fautes typographiques n'ont presque point d'inconvenient, car ce livre sera lu principalement par ceux que ces fautes n'arretent pas, & qui les corrigent en lisant. Si on le dedie a Plmperatrice, tous les honnetes gens vous auront la plus grande obligation9. On verra que les premieres tetes de 1'Europe & les meilleures ont en horreur la superstition & la persecution. On se souviendra que dans PEmpire remain on ne persecuta jamais un seul philosophe, & c'est de quoi Tertulien10 se plaint dans sa fougueuse apologie.)" NOTES EXPLICATIVES 1. 11 ne s'agissait pas d'une reimpression, mais d'une nouvelle emission de Pedition originale de L'Homme comportant un errata de deux pages et une dedicace a Catherine II. Voltaire reparlera de cette "seconde edition" dans une lettre a d'Alembert du 2 aout 1773 (Best. D. 18494) (v. Smith, Bibliography, p. 335336). Ce sont essentiellement des compliments de circonstance que Voltaire adresse a Golitsyne pour son initiative, et les quelques louanges qu'il decerne a De I'Homme, bien que sinceres (v. lettre 714, note explicative generale), en sont sur-

2.

3. 4. 5.

6.

7.

8. 9.

tout la consequence. Trois jours auparavant, il avait traite cet ouvrage de "fatras", et de livre "en general ennuieux" (v. lettre precedente). Et dans une lettre a Saint-Lambert du l er septembre 1773, il exprimera une opinion diametralement contraire a celle qu'il se croit sans doute tenu d'exprimer ici: "On a rendu un mauvais service a Pauteur et aux sages en le faisant imprimer. Il n'y a pas le sens commun." (Best. D. 18534.) Au debut de la premiere section de L'Homme, en figure le resume suivant: "L'education necessairement differente des differens hommes est peut-etre la cause de cette inegalite des esprits jusqu'a present attribute a Pinegale perfection des organes." Voltaire avait deja attaque cette idee en 1772, dans Particle "Quisquis" des Questions sur ['Encyclopedic (Moland, XX, p. 322). De I'Homme, II, p. 208-209 (section II, ch. 7). Ibid., section IV, ch. 15-21. Dans la preface de L'Homme, Helvetius deplore le "despotisme asiatique" de 1'Europe du Sud, et dedie son ouvrage aux Catherine et aux Frederic (ibid., I, p. XI-XIl). Helvetius a consacre le premier des quatre chapitres de la "Recapitulation" que contient De I'Homme a "Panalogie de [ses] opinions avec celles de Locke" (II, p. 724-728). Melitos et Anytos, accusateurs de Socrate, personnifient pour Voltaire les fanatiques qui "se baignent dans le sang et allument les buchers" (Best. D. 13442). Voir lettre 691, note 8. Voir la lettre precedente, note 2, et note 1 ci-dessus. Texte de la dedi-

443

Dedicace de 1'edition originale de L'Homme

LETTRE 704 ca.ce ajoutee apres le premier tirage de 1'edition originale : "A Sa Majeste Imperiale, tres haute et tres auguste princesse Catherine II, Imperatrice de toutes les Russies, protectrice des arts et des sciences; digne par son esprit de juger des anciennes nations, comme elle est digne de gouverner la sienne. Offert tres humblement par 1'editeur." Cette derniere mention est exacte : si la dedicace est bien conforme au voeu exprime par Helvetius dans la preface (v. note 5 ci-dessus), 1'offre qui en a ete faite a 1'imperatrice a effectivement emane de 1'editeur - La Roche - et non de 1'auteur.

Juin 1773 10. Tertullien (vers 160-vers 230), fils d'un centurion d'Afrique, est converti au christianisme aux environs de 1'an 190. Partisan de la morale la plus austere et de la guerre acharnee contre tout esprit novateur, il prone une soumission absolue a la tradition ecclesiastique. Dans son Apologetique, il s'ecrie : "Les philosophes demolissent vos dieux ouvertement, ils attaquent les superstitions publiques jusque dans leurs ecrits, et vous les louez!" En fait, c'est avec raison que les philosophes craignaient la populace et le gouvernement remains.

704. Pierre-Frederic Gosse1 d Catherine II, imperatrice de Russie Madame, Votre Majeste Imperiale a daigne agreer que 1'ouvrage posthume du celebre Helvetius Sur I'Homme et ses facultes parut sous ses auspices. Rien de plus propre a fixer les suffrages du public. La protection eclairee que vous accorde, Madame, aux savans de tous les pai's & de toutes les nations fera envisager le regne glorieux de Votre Majeste comme une des premieres epoques pour le progres & la culture des sciences. Je m'estimerai heureux si les efforts que j'ai fait pour donner a 1'ouvrage que je soumets a Votre Majeste une forme digne de la celebrite de son auteur, merite son approbation & sa bienveillance. J'ai 1'honneur d'etre, avec le respect le plus soumis, Madame, de Votre Majeste Imperiale, Le tres humble & le tres* obeissant serviteur, Pierre-Frederic Gosse A La Haye, ce 22 juin 1773 [destinataire :] A Sa Majeste Catherine II, Imperatrice de toutes les Russies

445

L TRE 705

Juin 1773

MANUSCRIT

TEXTE

:;

*Le I : "plus".

"A. Archives centrales publiques d'actes anciens, Moscou; fonds 1263, opis 1, • n°01111 1122, fo f° 1*1 131; 2i rp.; ong. & autogr. b

NOTE EXPLICATIVE . . 1. Voir lettre 700, note 2.

IMPRIMES I. Ratchinsky, p. 300. II. Siline, p. 145 (en russe).

705. Dimitri Alexeievitch, prince Golitsyne, a Alexandre Mikhailovitch, prince Golitsyne La Haye, ce 25 juin 1773 Mon Prince, M. Gosse1, libraire d'ici, m'a prie de faire parvenir un exemplaire de 1'ouvrage posthume de M. Helvetius a Sa Majeste Imperiale. Le s[ieur] Severin2 aura 1'honneur de vous le remettre. II est relie en maroquin rouge, faisant deux volumes. II est accompagne d'une lettre du meme Gosse a I'lmperatrice a la quelle j'ai joint une copie. Vous ne jugerez peut-etre pas a propos de la presenter, et je crois que vous aurez raison. Sa Majeste doit etre obsedee de pareilles lettres. J'ai 1'honneur d'etre, avec un attachement sincere et respectueux, Mon Prince, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Dmitri, Prince de Gallitzin \destinataire :] A M. le Pe de Gallitzin, vice-chancelier MANUSCRIT

IMPRIMES

•*A. Archives centrales publiques d'actes anciens, Moscou, fonds 1263, opis 1,

I. Ratchinsky, p. 301. II. Siline, p. 144 (en russe).

„• 1122, f 130; 1 p, ong. autogr.

NOTES EXPLICCATIVES 1. Voir lettre 700, note 2. 2. Personnage inconnu de nous.

706. Denis Diderot a Louise Florence Petronille Tardieu d'Esclavelles, dame de La Live d'Epinay J'ai lu trois fois le posthume d'Helvetius1. C'est, ma foi, un excellent ouvrage, plein de reflexions fines qu'il n'est pas donne a tout le monde de 446

Juillet 1773

LETTRE 706

trouver, et d'inconsequen[ces]" que tout le monde corrigeroit d'un trait de plume. Get ouvrage fera bien autant de besogne que de bruit. Et je vous promets qu'il fera grand bruit, a moins que les interesses, ne pouvant plus nuire a 1'auteur qui leur a sagement echappe, ne rongent leur frein sans mot dire. [...] A La Haye, ce 22 juil. 1773 MANUSCRIT

*A. B.N., ms. fr., n. a. 24930, f° 169 recto169 verso; 4 p.; orig. autogr. IMPRIMIS I. Correspondance inedite de Diderot, ed. Babelon, 1931, 2 vol., I, p. 215. II. Roth, lettre 801. TEXTE "Dechirure. NOTE EXPLICATIVE

1. Diderot, qui se trouvait a La Haye depuis le debut de juin, reviendra sur ses lectures de L'Homme dans une autre lettre a Mme d'Epinay datee du 18 aout 1773 : "J'ai barbouille toutes les marges du dernier ouvrage d'Helvetius." (Roth, lettre 804.) L'exemplaire de L'Homme que possedait Diderot a etc achete en meme temps que sa bibliotheque par Catherine II, et il se trouve actuellement a Leningrad, a la bibliotheque SaltykovChtchedrine (v. V. S. Lioublinsky, "Sur les traces des livres lus par Diderot", Europe, Janvier 1963, n° 405, p. 276-290). Dans le manuscrit autographe de sa Refutation de L'Homme (B.N., ms. fr., n. a. 13725), les references a 1'edition originale de L'Homme fournies par Diderot ont etc raturees et remplacees par des renvois a une autre edition, assez rare, de 1774 (v. Smith, Bibliography, p. 339). Or, dans 1'edition Assezat et Tourneux

des (Euvres de Diderot (II, p. 275456), ce sont pourtant les references indiquees par le copiste qui ont etc retenues, malgre la declaration des editeurs qu'"il faut se rapporter, pour ces renvois, a 1'edition originale." Gerhardt Stenger, se referant a la Refutation de Diderot, est d'avis que "la critique a [...] pris le temoignage de Diderot pour de la monnaie courante", et que "1'image d'Helvetius donnee par la critique est souvent celle d'un grand simplificateur [...] incomparablement moins fin que le genie Diderot." Stenger considere, au contraire des commentateurs qu'il met en cause, que Diderot "ne rend pas justice a Helvetius" et que "1'interpretation de certaines theses de L'Homme avancee par lui est abusive, inexacte, voire fausse." ("Diderot lecteur de L'Homme : une nouvelle approche de la Refutation d'Helvetius", Studies, CCXXVIII [1984], pp. 267 et 268.) REMARQUES

Mile de Lespinasse, dans une lettre au comte de Guibert datee du 9 aout 1773, commente De I'Homme en ces termes : "J'ai lu le livre si attendu de M. Helvetius. Je suis effrayee de sa grosseur: deux volumes de six cents pages chacun! Votre voracite en viendrait a bout dans deux jours, mais moi, je ne saurais lire avec interet." (Julie de Lespinasse, Lettres, ed. Asse, 1876, 447

LETTRE 707

Aout 1773

p. 39.) Le 22 octobre, elle se declarera pourtant en accord avec son contenu : "Oui, c'est toujours Pinteret personnel qui couvre tout, qui anime tout, et les

sots ou les esprits faux qui ont attaque Helvetius n'avaient sans doute jamais aime, ni reflechi." (Op. cit., p. 135.)

707. Frederic II, roi de Prusse, a Voltaire Potsdam, ce 12 aout 1773

[...] II m'est tornbe entre les mains un ouvrage du defunt Helvetius sur 1'education. Je suis fache que cet honnete homme ne 1'ait pas corrige, pour le purger de pensees fausses'et des concetti1 qui me semblent on ne saurait plus deplaces dans un ouvrage de philosophic. II veut prouver, sans pouvoir en venir a bout, que les hommes sont egalement doues d'esprit, et que 1'education peut tout. Malheureusement, 1'experience, ce grand maitre, lui est contraire, et combat les principes qu'il s'efforce d'etablir2. Pour moi, je n'ai qu'a me louer de Pidee trop avantageuse qu'il avait de ma personne3. Je voudrais la meriter.

[...] MANUSCRIT

A. Preussisches Geheimes Staatsarchiv, Berlin; original, qui a disparu. IMPRIMES

*I. Kehl, LXVI, p. 93-95. II. Best. 17417. ill. Best. D. 18510. NOTES EXPLICATIVES

1. Terme italien qui n'avait etc admis au Dictionnaire de I'Academie qu'en 1762, avec le sens de "pensees brillantes et sans justesse". Selon Voltaire, "le feu du coeur d'un amant compare a 1'embrazement de Troye est un concetto digne du Marino." (Best. D. 1074, 14 mai 1736.) 2. Quatre ans plus tard, dans une lettre a d'Alembert, Frederic II s'en prendra de nouveau a Pidee qu'Helvetius s'etait formee de Pinfluence de

448

1'education: "Je le repete encore, Helvetius s'est trompe dans son ouvrage De I'Esprit: il soutient que les hommes naissent a peu pres avec les memes talens. Cela est contredit par Pexperience. Les hommes portent en naissant un caractere indelebile; Peducation peut donner des connoissances, inspirer a Peleve la honte de ses defauts, mais Peducation ne changera jamais la nature des choses. Le fonds reste, & chaque individu porte en lui les principes de ses actions. Cela doit etre, parce que nous decouvrons des lois eternelles; est-il done probable, des que quelque chose est determine dans Punivers, que tout ne le soit pas?" (Lettre du 13 aout 1777, CEuvres posthumes de Frederic II, roi de Prusse, Berlin, 1788, 15 vol., XI, p. 262; Preuss, XXV, p. 82.) 3. Voir De I'Homme, Preface, vol. I,

LETTRE 708 p. XI-XII. Ce passage est cite dans la lettre 695 (par. 4). REMARQUES

Reponse de Voltaire en date du 4 septembre 1773 : "Le jugement que vous portez sur 1'oeuvre posthume d'Helvetius ne me surprend pas, je m'y attendais; vous n'aimez que le vrai. Son ouvrage est plus capable de faire du tort que du bien a la philosophic. J'ai vu avec douleur que ce n'etait que du fatras, un

Septembre 1773 amas indigeste de verites triviales et de faussetes reconnues. Une verite assez triviale, c'est la justice que Pauteur vous rend, mais il n'y a plus de merite a cela. On trouve d'ailleurs dans cette compilation irreguliere beaucoup de petits diamants brillants, semes ga et la. Us m'ont fait grand plaisir, et m'ont console des deffauts du tout ensemble." (Best. D. 18538.)

708. Emmanuel Marie Louis, marquis de Noailles1, a Emmanuel Armand de Vignerod Du Plessis de Richelieu, due d'Aiguillon2 La Haye, le 14 septembre 1773 Je croyois, M. le Due, que le delire des philosophes de nos jours etoit parvenu a son comble, mais je viens de me convaincre" qu'il reste toujours du chemin a faire quand on a renonce a tout principe. Jl paroit depuis peu Me tems^ un ouvrage posthume d'Helvetius qui est le developpement des maximes salutaires au genre humain que contient le livre De I'Esprit. Ce nouvel ouvrage cen 2 vol. gros in-12f est dedie a l'Impce de Russie. M. le Pce de Gallitzin, son ministre a La Haye, a repandu le plus d'exemplaires qu'il luy a etc possible. Jl m'a meme force d'en accepter un que j'ay fait payer a son suisse pour toute reponse. Mais quelle^ a etc ma surprise, de quels sentimens d'indignation n'ai-je pas etc emu, lorsque j'ay lu, M. le Due, ce que vous lires vous-meme dans le papier cy-joint3. N'est-ce pas manquer aussi essentiellement a Plmpce de Russie qu'a tout autre que d'enoncer de pareils outrages a la suite d'une dedicace faitte en son nom? Elle aime la gloire et meprise surement* des armes aussi viles et aussi opposees a la grandeur a laquelle elle aspire. Si son ministere^ etoit seulement instruit de nos justes plaintesg dans cette occasion, jl ne pourroit pas se dispenser de joindre son mecontentement au notre et de prendre des mesures necessaires pour qu'il ne parut plus* au moins d'autres editions de cet ouvrage avec la dedicace qui existe aujourd'huy 4 et a laquelle jl semble qu'on voudroit faire partager 1'indecence de la preface qui suit. La conduite de M. le Pce de Gallitzin vous paroitroit inexplicable, M. le Due, si je vous laissois ignorer qu'il est d'une trempe qui 1'oblige de suivre 449

LETTRE 708

Septembre 1773

la l re impulsion qu'on veut luy dormer. Diderot, qui est actuellement en chemin pour se rendre a Petersbourg', est venu ici en juin et a passe environ 2 mois avec M. le Pce de Gallitzin5. Je le soupc.onnerois; d'etre 1'auteur de la preface6 mais je garantirois plus seurem1 que, s'il ne 1'a pas faitte, jl a montre a La Haye les memes sentimens qu'elle renferme et qu'il s'est joue jndignem' de la credulite du ministre d'une souveraine, telle que Catherine 2de. MANUSCRIT ;;

'A. Aff. etr., C.P. Prusse 93, ff os 50 recto et verso; 2 p.; copie. IMPRIMES

I. M. Tourneux, Diderot et Catherine II, 1899, p. 64-66. II. J. Donvez, "Diderot, Aiguillon et Vergennes", Revue des sciences humaines, (1957), p. 287 (extrait). III. Roth, vol. XIII, p. 56 (extrait). TEXTE

Le copiste a inscrit la mention suivante en haut du A : "Extrait de la lettre de M. le Mis de Noailles a M. le Due d'Aiguillon, a La Haye, le 14 7bre 1773". L'original de cette lettre, qui portait probablement le numero 6, ne se trouve pas dans le volume voulu de la correspondance du marquis de Noailles (C.P. Hollande 525; les folios 123-124 manquent). Ne sont indiquees ci-apres, a titre d'exemples, que les legons inexactes les plus notables des trois imprimes. "Le III: "rendre compte". *Omis dans les I et III. c Le I : "en deux gros volumes in-12"; le I I : "en deux volumes gr. in-12"; omis dans le III. ^Le A : "qu'elle". eLe I : "assurement". ^Les I et I I : "ministre". «Le II: "plans". ^Le II: "pas". 'Le I: "SaintPetersbourg". 'Le I : "soupc,onnais". NOTES EXPLICATIVES

1. Le marquis de Noailles (1745-1819), fils cadet du due d'Ayen (v. lettre 450, note 11), precedemment ministre plenipotentiaire en Basse-Alle-

450

magne, etait 1'ambassadeur de France aux Provinces-Unies. 2. Le due d'Aiguillon (1720-1788) avait etc colonel (1739), brigadier (1744) et marechal de camp (1748), avant d'etre nomme en 1753 commandant en chef de la Bretagne et d'y faire fonction de gouverneur. II s'y distingue en infligeant en 1756, sur la plage de Saint-Cast, pres de Dinard, une humiliante defaite aux Anglais (v. lettre 362, note 2). En 1765, il entreprend d'appliquer en Bretagne les mesures fiscales du gouvernement, et se heurte a 1'opposition de la noblesse, des Etats, du parlement de Rennes, et surtout, de son procureur general, Louis Rene de La Chalotais, ce qui le conduit a demissionner de son poste de commandant en chef en 1768. II s'attache alors a la fortune naissante de Mme Du Barry, presentee au roi le 22 juillet 1769 et sacree par la cour des le lendemain "reine du lit". Apres la disgrace de son rival Choiseul et la formation du "Triumvirat", auquel il participe, il devient en juin 1771 secretaire d'Etat aux Affaires etrangeres. Il occupera ce poste jusqu'a la chute du ministere Maupeou (juin 1774), sans avoir pu empecher le partage de la Pologne, ni avoir ceuvre en politique etrangere avec le talent qu'y avait demontre Choiseul. 3. L'expediteur a transcrit le titre du premier volume (f° 51 recto), la dedi-

Septembre 1773

LETTRE 708 cace (f° 52 recto) et 1'extrait suivant de la preface (f° 53 recto) : "Ce n'est plus sous le nom de Francois que ce peuple pourra de nouveau se rendre celebre: cette nation avilie est aujourd'hui le mepris de 1'Europe. Nulle crise salutaire ne lui rendra sa liberte. C'est par la consomption qu'elle perira. La conquete est le seul remede a ses malheurs; et c'est le hazard et les circonstances qui decident de Pefficacite d'un tel remede." (De I'Homme, p. IX.) 4. Le vceu du marquis de Noailles ne s'est pas realise : Pannee meme de la parution de Pedition originale, trois autres ont etc pubhees. Apres 1774, 1'ouvrage sera rarement edite isolement, sans doute parce qu'il figurera dans les nombreuses editions des (Euvres completes d'Helvetius qui paraitront. D'autre part, il sera traduit en anglais, en allemand et en danois. 5. Diderot avait ete loge par le prince D. A. Golitsyne dans un palais contigu a la Bibliotheque royale. II avait quitte La Haye le 17 aout 1773 pour se rendre en Russie. 6. Diderot n'a probablement pas eu de part a la preface de L'Homme, car dans le manuscrit, elle a ete ecrite de la meme main que le reste de 1'ouvrage, et elle contient des idees favorables au despotisme eclaire que Diderot desapprouvait. Par la suite, le due d'Aiguillon tiendra Diderot pour directement responsable de la publication de L'Homme, ce qui ressort d'une lettre qu'il adressera le

2 decembre a Durand de Distroff (v. lettre 331, note 1) : "Le livre qu'il [Diderot] a public a son passage a La Haye et dont le Roy vous a charge de deferer un passage a la cour de Petersbour n'est pas fait pour donner bonne opinion de son attachement a sa patrie." (Aff. etr., C.P. Russie 93, f° 288 verso-289 recto.) On sait pourtant que 1'ouvrage d'Helvetius etait deja imprime quand Diderot est arrive en Hollande (cf. debut de la lettre 702 et lettre 706, note 1). REMARQUES

La popularite des ouvrages d'Helvetius en Russie au dix-huitieme siecle est attestee par plusieurs commentateurs. La princesse Dachkova ecrit avoir lu De I'Esprit deux fois avant Page de seize ans (Memoires, ed. Pontremoli, 1966, p. 22). L'enthousiasme eprouve par Radichtchev et Ouchakov pour Helvetius en 1769 est evoque par Pouchkine : "Grimm, agent itinerant de la philosophic franchise, trouva a Leipzig les etudiants russes lisant son livre [De I'Esprit], et en apporta a Helvetius la nouvelle, flatteuse pour sa vanite et joyeuse pour toute la confrerie." (Griboi'edov, Pouchkine et Lermontov, (Euvres, 1973, p. 764.) Enfin, en 1776, le chevalier de Corberon, ambassadeur de France en Russie, ecrit dans son journal: "T'ai-je dit qu'elle [Mme Neledinskaya] donne dans la philosophic, et qu'Helvetius voyage de son ottomane a sa toilette." (Un Diplomate franqais a la cour de Catherine, 1775-1780, 1901, 2 vol., I, p. 348-349.)

451

LETTRE 709

Septembre 1773

709. Catherine II, imperatrice de Russie, a Voltaire Ce 11 [Cal. greg. : 22] de septembre 1773"

[•;.]

\JHistoire bphilosophique etpolitiqueb du comerce des Indes1 cm'a empeche jusqu'ici, en me don [n] ant une tres grande aversion pour les conquerans du Nouveau Monde,c de lire 1'ouvrage posthume d'Helvetius*'. Je n'en ai pas d'idee, mais il est bien difficile d'imaginer que Pierre le sauvage2, portefaix dans les rues de Londres, dont j'ai le tableau peint par le fils de Phidias Falconet3, soit enee avec lese faculties des premiers hom[m]es de ce siecle. Je n'auserai citer le seigneur Moustapha4, mon en[n]emi et le votre, parceque Mr de St-Priest5, qui a ete-^ a Paris et qui par consequend a de 1'esprit g com[m]e quatreg, pretend qu'il en a prodigieusement. [...] MANUSCRITS

A. Archives centrales publiques d'actes anciens, Moscou, ms. 5.154.2, ff°s 134 recto et 135 recto; 4 p.; brouillon autogr. *B. Ibid., ms. 5.154.1, ff os 331 recto et 332 recto-332 verso; 6 p.; orig. autogr. C. Institut et musee Voltaire, Geneve, ms. FC., ff os C47 verso et 48 recto; 3 p.; copie faite pour Mme Denis. D. B.N., ms. fr. n. a. 24338, ff os 197 recto et verso; 3 p.; copie preparee pour 1'edition dite de Kehl des (Euvres de Voltaire. E. B.N., ms. fr. 12900, f° 236 verso; 2 p.; copie. IMPRIMES

I. Kehl, LXVII, p. 279-281. II. Sborniki Imperatorskogo Rousskogo Istoritcheskogo Obchtchestva, SaintPetersbourg, XIII (1874), p. 358-359. III. Best. 17467. IV. Best. D. 18559. TEXTE

Dans notre transcription nous ajoutons un m ou un n la ou Catherine II, au lieu d'effectuer le redoublement de la consonne, surmonte celle-ci d'un trait a titre d'abreviation. *Le A : "Le 15 septembre 1773". Le D ne porte pas de 452

quantieme. Le E : "Le 15/26 de septembre". Les I et II: "Ce 15 (26) septembre 1773". ^Le E : "politique et pbilosophique". cLe A : "m'a empeche jusqu'ici"; le E : "me donne une tres grande aversion pour les conquerans du Nouveau Monde et m'a empeche jusqu'a ce moment". ^Le D : "Elvetius". eLe D : "ne avec les memes". -^Le E : "vecu". g Omis dans le A. NOTES EXPLICATIVES Catherine repond a une lettre de Voltaire du 10 aout 1773, contenant le passage suivant: "Je voulais vous parler des dernieres volontes d'Helvetius, dont on dedie 1'ouvrage posthume a Votre Majeste. Je poussais mon indiscretion jusqu'a vous dire que je ne suis point du tout de son avis sur le fond de son livre. Il pretend que tous les esprits sont nes egaux. Rien n'est plus ridicule. Quelle difference entre certaine souveraine et ce Moustapha, qui a fait demander a Mr de S'-Priest si 1'Angleterre est une lie?" (Best. D. 18505.) 1. Ouvrage anticolonialiste et anticlerical de 1'abbe Raynal, qui fut public clandestinement en 1770 et contrai-

LETTRE 710 gnit son auteur a 1'exil aupres de Frederic II, puis de Catherine II. Voltaire, qui ne 1'appreciait pas, a ecrit sur la page de titre de son exemplaire "declamation remplie d'erreurs mal entassees" (M. P. Alexei'ev & T. Koprei'eva, Bibliotheque de Voltaire. Catalogue des livres, Moscou-Leningrad, 1961, p. 727.) 2. Peter Kruger, dit Peter the Wild Man (vers 1713-1785), abandonne par son pere pres de Hameln, avait ete capture en 1725 alors que le roi George Ier chassait en Hanovre. Amene en Angleterre en 1726 par ordre de la princesse Caroline de Galles, et eleve a la campagne, il n'apprit jamais a parler. Voir The Gentleman's Magazine, XXI (1751), p. 522, LVII (1785), pp. 113-114 et 236, et LVIII (1785), p. 851. Buffon cite son exemple comme etant "un spectacle curieux pour le philosophe" (Histoire naturelle, 1749-1767, 15 vol., VI, p. 277279). 3. Les sculptures classiques presentees par Etienne Maurice Falconet (17161791) aux Salons 1'ont fait souvent comparer a Phidias. Son fils Pierre Etienne (1741-1791) avait etudie la peinture sous la direction de sir Joshua Reynolds et etait devenu un des portraitistes les plus reputes de

Octobre 1773 Londres. Nous n'avons pu trouver trace de son Portrait de Pierre le Sauvage, que la Societe des artistes avait expose dans la capitale britannique en 1767, mais la meme annee, Valentine Green en avait fait une gravure dont des exemplaires sont conserves a Londres, a la British Library et a la National Portrait Gallery. Falconet avait represente un Peter Kruger hirsute et assis sur une berge. A Pepoque de la presente lettre, il venait de rejoindre son pere a Saint-Petersbourg, ou ce dernier etait occupe depuis 1766 a sculpter la statue equestre de Pierre le Grand, qu'il ne terminera pas avant 1778. 4. Mustafa III (1717-1774), 1'aine des enfants du sultan Achmed III, avait succede en 1757 a son cousin Osman III. C'est sous son regne que la Turquie avait perdu la Moldavie, la Valachie et la Crimee, conquises par les Russes (v. lettre 653, note 3). 5. Francois Emmanuel Guignard, comte de Saint-Priest (1735-1821), fils de Jean Emmanuel Guignard de Saint-Priest, intendant du Languedoc de 1751 a 1764. Ambassadeur au Portugal de 1763 a 1768, puis a Constantinople a partir de cette date, il allait occuper ce poste jusqu'en 1784.

710. Vincent Louis Dutens a I'abbe Andre Morellet Londres, 10 octobre 1773 [Jugement de Dutens sur le livre De I'Homme qu'il trouve mieux fait, plus systematique et encore mieux ecrit que De I'Esprit. Nouvelles litteraires de Londres.]

453

LETTRE 711

Octobre 1773

MANUSCRIT

REMARQUES

"A. L'original autographe de 4 pages a figure a la vente Lucas de Montigny du 30 avril 1860. Le resume ci-dessus est analogue a celui reproduit dans L'Amateur d'autographes, n° 82 (15 mai 1865), p. 152. Nous sommes redevables a M. Jean-Claude David d'avoir bien voulu nous signaler cette reference.

Fin octobre 1773,1'abbe Morellet ecrira a lord Shelburne : "Vous pourres avoir 1'ouvrage d'Helvetius a Londres. II est intitule De I'Homme et de ses facultes." (Medlin, lettre 75.)

:;

711. Emmanuel Armand de Vignerod Du Plessis de Richelieu, due d'Aigmllon1, a Francois Michel Durand de Distroff2 "A Fontainebleau", le 19 8bre 1773 Les egards, Monsieur, que les souverains et les nations se doivent mutuellement, ont etc indecemment violes dans un ouvrage ^nouveau qui vient d'etre^7 imprime en Hollande, sous le titre : De I'Homme, de ses facultes intellectuelles et de son education. Le passage transcrit sur la feuille jointe a ma lettre3 vous fera voir jusqu'a quel point 1'auteur pousse la licence et on peut dire le delirec. Le Roy en a etc indigne. Si ce livre etoit une production clandestine, il ne seroit digne que de mepris. Mais il parait sous les auspices de 1'Jrnperatrice de Russie, a laquelle il est dedie. Le prince Gallitzin, ministre de cette princesse a La Haye, en a distribue un grand nombre d'exemplaires, et il a, pour ainsi dire, force Pambassadeur du Roy d'en accepter un4. Ces circonstances reunies, Monsieur, ne permettent pas au Roy de demeurer dans le silence. Sa Majeste vous charge de porter des plaintes formelles a 1'Jrnperatrice de Russie, de 1'audace qu'on a eue^ de publier de semblables indecences sous les auspices de son nom, ainsi que de la distribution que son ministre en a faite. Vous voutires bien montrer^ a M. Panin5 la feuille ci-jointe, qui est fidelement extraite de cet ouvrage, et vous priereV ce ministre d'en rendre compte a sa souveraine. Le Roy s'en raporte avec confiance aux mesures que le sentiment de sa propre dignite et de sa propre gloire dictera dans cette occasion a S. M. J. J'ai 1'honneur d'etre tres sincerement, Monsieur Votre tres humble et tres obeis nt serviteur, Le Due d'Aiguillon

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LETTRE 711

Octobre 1773

[destinataire :] M. Durand MANUSCRIT ;:

'A. Aff. etr., C.P. Russia 93, f° 170; 2 p.; orig. signe. IMPRIMES

I. M. Tourneux, Diderot et Catherine II, 1899, p. 67-68. II. J. Donvez, "Diderot, Aiguillon et Vergennes", Revue des sciences humaines, (1957), p. 288. TEXTE Principales differences avec le manuscrit: "Le II: "Versailles". ^Omis dans le I. cLe II: "delit". dLe I: "remettre". e Le I : "voudrez bien prier". NOTES EXPLICATIVES

1. Voir lettre 708, note 2. 2. Durand de Distroff (v. lettre 331, note 1) etait 1'ambassadeur de France en Russie (1772-1775). 3. Sans doute un extrait de la preface (v. lettre 708, note 3). 4. Voir lettre 708, par. 1. 5. NikitaPanine (1718-1783), principal ministre de Catherine II, charge de la diplomatic russe de 1762 a 1781. REMARQUES

Durand de Distroff envoie une premiere reponse a cette lettre le 20 novembre : "Je me suis presente ches Mr le comte Panin que je n'ai pu voir. Je retourne des demain et je lui exposerai tous les motifs que nous avons de nous plaindre de 1'ecrit attribue a M. Helvetius et dedie a Sa Majeste Imperiale." (C.P. Russie 93, f° 260 verso.) Le 24 novembre, il informe d'Aiguillon des suites de ses demarches :

"A 1'egard de ma plainte sur 1'ouvrage attribue a Mr Helvetius et dedie a Sa Majeste Imperiale il [le comte Panine] m'a dit que 1'espece d'epigraphe et 1'impression de 1'ouvrage avoient etc faites sans la participation de cette cour et a son insceu, que Mr le prince Gallitzin, ayant ordre de faire parvenir a 1'Imperatrice les nouveaux ouvrages, en avoit envoye ici deux exemplaires, qu'il avoit pu en presenter un a 1'ambassadeur du Roy a La Haie sans en avoir lu la preface, et que dans plusieurs ouvrages imprimes en France la Russie avait ete plus maltraitee que la France ne 1'avoit ete dans cette occasion. Je lui demandai s'ils avoient ete dedies au Roy et si le ministere francois les avoient accredite par quelques demarches, et il ne m'en a articule aucun et m'a fait entendre de nouveau qu'il ne s'etoit rien passe dans 1'impression du livre qui fut a la charge de cette cour ou de son ministre a La Haie." (C.P. Russie 93, f° 268 verso-269 recto; Tourneux, op. cit., p. 68-69.) Le due d'Aiguillon adressera a Durand de Distroff ses instructions finales a ce sujet le 19 decembre 1773 : "Quant aux plain tes que vous avez portees centre le livre attribue a feu Mr Helvetius, le desaveu de Mr Panin peut a la rigueur nous tenir lieu de reparation et vous n'exigeres rien au-dela. Vous n'areteriez cependant pas les demarches que la cour de Russie pourroit avoir faites d'apres votre denonciation." (C.P. Russie 93, f° 344 recto.)

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LETTRE 712

Novembre 1773

712. Jean Baptiste Antoine Suard a Christian Frederic Charles Alexandre de Brandebourg, margrave d'Ansback et de Bayreuth1 15 novembre [1773] L'ouvrage posthume d'Helvetius commence a se repandre a Paris2. Je 1'ai, mais la faiblesse de ma tete ne m'a pas encore permis d'en achever la lecture. En attendant, je vais copier ici une espece d'extrait, qu'il en avoit fait lui-meme peu de tems avant sa mort, dans une lettre adressee a un Anglois3 qui me 1'a communique : "Examines ce que I'ame est en nous apres en avoir abstrait 1'organe phisique de la memoire qui se perd par un coup, une apoplexie, etc... L'ame alors se trouvera reduite a la seule faculte de sentir; sans memoire il n'est point d'esprit, done toutes les operations se reduisent a voir la ressemblance ou la difference, la convenance ou la disconvenance que les objets ont entre eux et avec nous. Esprit suppose comparaison des objets et point" de comparaison sans memoire. Aussi les muses selon les Grecs etoient les filles de Mnemosine; 1'imbecile qu'on met sur le pas de sa porte n'est qu'un homme prive plus ou moins de 1'organe de la memoire. Assure par ce raisonnement et une infinite d'autres que I'ame n'est pas I'esprit, puis qu'un imbecile a une ame, on s'appergoit que I'ame n'est en nous que la faculte de sentir. Je suprime les consequences de ce principe, ^vous le^ devines. Pour eclaircir toutes les operations de 1'esprit, examines d'abord ce que c'est que juger dans les objets phisiques. Vous verres que tout jugement supose comparaison entre deux ou plusieurs objets; mais dans ce cas, qu'estce que comparer, c'est voir alternativement; on met deux echantillons jaunes sous mes yeux; je les compare, c'est-a-dire je les regards alternativement; et quand je dis que 1'un est plus fonce que I'autre, je dis selon 1'observation de Newton que I'un reflechit moins de rayons d'une certaine espece, c'est-a-dire que mon ceil regoit une moindre sensation, c'est-a-dire qu'il est plus fonce. Or le jugement n'est que c le prononce de la sensation eprouvee. A 1'egard des mots de nos langues qui expriment des idees, si je 1'ose dire intellectuelles, tels sont les mots force, grandeur, etc... qui ne sont respectifs d'aucune substance phisique, je prouve que ces mots et generalement tous ceux qui ne sont representatifs d'aucuns de ces objets, ne nous donnent aucune idee reele, et que nous ne pouvons porter aucun jugement sur ces mots, si nous ne les avons rendus phisiques par leur aplication a telles ou telles substances; que ces mots sont dans nos langues ce que sont a et b en algebre, aux quels il est impossible d'attacher aucune idee reelle, s'ils ne

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LETTRE 712

Novembre 1773

sont mis en equation. Aussi avons-nous une idee differente du mot grandeur selon que nous 1'attachons a une mouche ou a un elephant. Quant a la faculte que nous avons de comparer les objets entre eux, il est facile de prouver que cette faculte n'est autre chose que Pinteret meme que nous avons de les comparer, lequel interet mis en decomposition peut lui-meme toujours se reduire a une sensation phisique. S'il etoit possible que nous fussions impassibles nous ne comparerions point", faute d'interets pour comparer. Si d'ailleurs toutes nos idees, comme le prouve Locke, nous viennent par les sens, c'est que nous n'avons que des sens. Aussi peut-on pareillement reduire toutes les idees abstraites et collectives a de pures sensations." On vient de publier un portrait d'Helvetius fort ressemblant et grave d'une maniere agreable4. M. Saurin, son ami, a fait les cinq vers suivans pour y servir d'inscription : Simple en ses actions, sublime en ses ouvrages, Approfondissant Phomme et ne le flattant pas, II sera mis au rang des sages Qui travaillant pour des ingrats Ont etc la lumiere et la gloire des ages5. On pourroit mettre au bas de ce portrait un mot tres spirituel et tres piquant de Mme la princesse de Beauvau6. Lorsque le livre De I'Esprit parut, on disoit devant elle qu'il y avoit un soulevement general centre 1'auteur. "Je le crois bien, repondit-elle, il a revele le secret des honnetes gens." MANUSCRIT

NOTES EXPLICATIVES

*A. Bibl. mun. de Besangon, ms. 612, p. 189-192; 4 p.; copie.

1. Voir lettre 646, note 1. 2. En novembre 1773, il est annonce dans la Correspondance litteraire : "II n'y a encore dans Paris qu'un tres petit nombre d'exemplaires de Pouvrage posthume de M. Helvetius, et il n'y a pas d'apparence qu'il devienne de longtemps plus commun." Mais en decembre, les redacteurs font etat d'une certaine diffusion: "Depuis que nous avons parle de Pouvrage posthume de M. Helvetius, il s'est un peu repandu. Son succes est mediocre, et Pon en dit meme plus de mal que Pon en entend dire communement d'un auteur qui n'est plus." (Corr. lift., X, pp. 307 et 322; ces deux articles sur De I'Homme sont

IMPRIME

I. G. Bonno, "Correspondance litteraire de Suard avec le margrave de Bayreuth", University of California Publications in Modern Philology, XVIII (1934-1936), p. 175-177. TEXTE Voir la lettre 666 (par. 5 a 11) et sa rubrique Texte pour les differences de detail qui existent entre Poriginal autographe de la lettre d'Helvetius qui y figure et la version qu'en fournit Suard dans la presente lettre (par. 2 a 6). *Le I : "pas". ^Le I : "que vous". cLe A : "pas", erreur corrigee dans le I.

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LETTRE 713 dus a Meister et a Mme d'Epinay [v. La Signora, II, pp. 71, 72 et 252].) 3. Lettre 666, adressee a Dutens. 4. Portrait execute par Augustin de Saint-Aubin (v. lettre 677, note 1). 5. Une autre inscription, intitulee "Vers pour mettre au has du portrait de M. Helvetius" par "M. L :;":;", lib[raire]", a ete proposee dans le Mercure de mars 1772 (p. 198) : "Tout entier a 1'humanite, / A 1'aider, a 1'instruire il consacra sa vie; / Ses ecrits, ses bien-

Novembre 1773 faits attestent son genie, / Et le bonheur d'autrui fut sa felicite. / Tendre ami, tendre epoux, bon citoyen, bon pere, / De tout le bien qu'il fit, il remplit sa carriere; / Mais helas! Pimmortalite / Pouvoit seule suffire au bien qu'il vouloit faire." Voir aussi lettre 677, Remarques. 6. Marie Sophie Charlotte de La Tour d'Auvergne, princesse de BeauvauCraon (v. lettres 60, note 2, et 716, note 3).

713. Voltaire a Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand '16e 9bre 1773" [...] Quant aux diamants qu'on a trouves dans la cassette d'un homme qui n'est plus, je vous avoue qu'ils sont tres mal enchasses, je crois vous 1'avoir dit. Il faut avoir ma perseverance, et la passion que j'ai de m'instruire sur la fin de ma vie pour chercher comme je fais des pierres precieuses dans des tas d'ordures. C'est peut-etre le seul avantage que ce siecle-cy a sur le siecle passe que nos plus mauvais ouvrages soient toujours semes de quelques beautes. Du temps de Pascal, de Boileau et de Racine, les mauvais livres ne valaient rien du tout, au lieu que les plus detestables livres de nos jours brillent toujours par quelque endroit. [...]

V MANUSCRITS

IMPRIMES

*A. B.N., ms. fr., n. a. 24334, ff os 129 recto-129 verso et 130 verso; 4 p. (demifeuille pliee); orig. signe. B. Fondation Voltaire, Th. B. N. B., Du Deffand, II, pp. 117 et 118; 3 p.; copie faite par Jean-Frangois Wyart, secretaire de Mme Du Deffand, et leguee par celleci a Horace Walpole. C. BK 2455.

I. Kehl, LXII, p. 271-273. II. Best. 17538. III. Best. D. 18629.

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TEXTE

"Le B : "a Ferney, ce 16 i bre 1773". NOTE EXPLICATIVE

Le 24 octobre, Mme Du Deffand avait adresse a Voltaire la requete suivante : "On dit que vous avez trouve des perles et des diamants dans la petite

LETTRE 714 brochure de 14 cens pages de Mr Helvetius. Comme ma vie ne seroit pas assez longue pour une telle lecture et que meme cette lecture pourroit 1'abreger en me faisant mourir d'ennuy, indiquezmoy les pages qui renferment ces belles pierres precieuses." (Best. D. 18596.) Voltaire lui avait repondu le l er novembre : "Pour faire un bon livre il faut un temps prodigieux, et la patience d'un saint. Pour dire d'excellentes choses dans un plat livre il ne faut que laisser courir son imagination. Cette folle du logis a presque toujours de beaux eclairs. Voila pour Helvetius." (Best. D. 18607.)

Decembre 1773 Enfin, le 15 novembre, Mme Du Deffand avait accuse reception a Voltaire d'une liste des "diamants" qu'elle lui avait demandes : "Voila done les diamants brillants de la petitte brochure de 14 cens pages d'Helvetius! II y en a encore mille autres, dites-vous. Mais, mon cher Voltaire, ne reconnoissezvous pas ces beaux diamants pour des cailloux de vos jardins? II n'y a point d'auteur qui nes'en soil enrichi. J'admire votre patience de lire les ouvrages les plus ennuyeux du monde." (Best. D. 18623.)

714. Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet, a Anne Robert Jacques Turgot C e 4 X b r e [1773] Monsieur", Vous jugez le livre De I'Esprit avec une severite qui me fait peur. Je pretends centre vous que c'est un bon livre 1° parce qu'il nous donne le portrait naif de Tame d'Helvetius dessous les replis de son amour-propre, de 1'occupation continuelle ou il etait de se comparer avec les autres, et de tacher de se trouver superieur. Or, il vaut bien^ mieux avoir le portrait traceh par 1'homme meme et sans qu'il ait voulu le faire que, Me ne 1'avoir que^ d'apres les observations d'un moraliste. 2° Ce portrait est celui d'une foule d'honnetes gens, comme dit Mme de Beauveau1, dont Helvetius a dit le secret. 3° II y a beaucoup de gens que la nature ou 1'education ont destines a etre fripons, et qui ne deviendront honnetes gens qu'a la maniere et par les principes d'Helvetius. 4° II aura beau dire, il ne m'empechera pas d'aimer mes amis; il ne me condamnera pas a 1'ennui mortel de penser sans cesse a mon merite ou a ma gloire. Il ne me fera pas accroirec que, si je resous des problemes, c'est dans Pesperance que les belles dames me rechercheront, car je n'ai pas vu jusqu'ici qu'elles raffolassent des geometres2. Ainsi, il ne me fera aucun mal, ni a moi ni aux autres bonnes gens. 5° II preche avec beaucoup de force contre Pintolerance de tous les clerges. Sa plus grande faute me parait d'avoir declame contre le despotisme de maniere a faire croire, non pas aux despotes qui ne lisent guere, ni a leurs vizirs qui lisent 459

LETTRE 715

Decembre 1773

encore moins, mais aux sous-vizirs ou a leurs espions, que tous les gens d'esprit sont leurs implacables ennemis, ce qui peut exciter une" persecution centre les gens d'esprit. Nous vous attendons avec beaucoup d'impatience; nous raisonnerons sur tout cela, et nous ne parlerons plus d'exportation. [...] MANUSCRIT

*A. Institut, ms. 853, f° 302 recto-302 verso; 2 p.; copie preparee pour le I. IMPRIMES

I. Condorcet, (Euvres, ed. O'Connor & Arago, 1847-1849, 12 vol., I, p. 219-220. II. Correspondance inedite de Condorcet et de Turgot, ed. Henry, 1883, p. 140141. TEXTE

"Omis dans le A. ^Omis dans les I et II. c Les I et II : "croire". NOTES EXPLICATIVES

1. Voir lettre 712, dernier paragraphe. 2. Condorcet fait probablement allusion a 1'anecdote suivante qui figure dans VEloge de M. Helvetius (1772), de Chastellux: "II [Helvetius] se promenoit seul dans un de nos jardins publics, lorsqu'il apperc,ut, au milieu d'un cercle de femmes, jeunes & aimables, une figure tres disparate & tres contrastante; c'etoit M. de Maupertuis qui, revetu de toute la singularite grotesque & affectee qu'il

ajoutoit a son originalite naturelle, paroissoit 1'unique objet de leurs soins & de leur attention. Ce spectacle, qui n'auroit ete que risible pour un homme vulgaire, excita une profonde pensee dans Tame de M. Helvetius; il interrogea, dans le silence, les passions de son coeur, & alors il apprit, pour la premiere fois, ce qu'elles demandoient a son genie." (Op. cit., p. 10.) Grimm a sans doute puise a la meme source pour ecrire le passage suivant de la notice necrologique qu'il a consacree a Helvetius : "Les femmes recherchaient alors les geometres, et il etait de bon ton d'en avoir a souper. Helvetius remarqua un jour que Maupertuis [...] se trouvait aux Tuileries, malgre un accoutrement extremement ridicule, entoure et cajole de toutes les grandes dames de la cour et de toutes les femmes brillantes de la ville. [...] Helvetius y fut pns et crut devoir s'appliquer a la geometric." (Corr. lift., IX, p. 420.)

715. Octavie Guichard, veuve Belot, presidente Du Rey de Meinieres a Francois Antoine Devaux

[..-]

Made Helvetius, etablie dans mon voisinage a Auteuil, est aussi loin de moi, par la boue qu'il fait, que si elle etoit aux Antipodes. Je ne puis meme lui aller faire compliment sur la mort de son frere que j'apprends par la Gazette1. Sa fille, la comtesse de Mun, est prete d'accoucher2. La comtesse d'Andelot a deja eu une fille3. Aves-vous pu avoir 1'ouvrage posthume de

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Decembre 1773

LETTRE 715

feu M. Helvetius, mon cher Panpan? 11 est intitule L'Homme, &c. Ce livre est encore plus hardi que L'Esprit. 11 est tres difficile a trouver. La police la guette avec une vigueur incroyable, mais elle n'etend pas ses bras jusqu'en province. Lises-le et mandes-moi ce que vous en penses. Vous y reconnoitres bien 1'humanite generalisee, et la philosophic courageuse de son regretable auteur. Mais la hierarchic n'en doit pas etre contente 4 . Je le serois beaucoup d'en causer avec vous. [...] Ce 6 xbre 1773 MANUSCRIT

*A. B.N., ms. fr. 15582, f° 134 recto; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge. NOTES EXPLICATIVES

1. Frangois-Xavier de Ligniville (v. lettre 112, note 8), mort a Bayeux le 27 novembre 1773 (v. Gazette de France, 6 decembre 1773, et Mercure, Janvier 1774, I, p. 229). 2. Elle donnera naissance, le 19 decembre, a Jean Antoine Claude Adrien de Mun (1773-1843). II sera chambellan de Napoleon Ier, chevalier de SaintLouis et pair de France, et epousera en 1805 Henriette Emilie Ferdinande d'Ursel et de Flore, princesse d'Arenberg, dont il aura trois enfants (v. Keim, p. 598). 3. Anne Catherine d'Andlau, nee le 9 juillet 1773. Elle epousera le comte Arthur d'Orglandes et mourra en 1855. 4. Information dont Pidansat de Mairobert se fera bientot 1'echo : "On croit qu'elle [la Sorbonne] va s'occuper a censurer le livre De I'Homme de Mr Helvetius, livre deja recommandable par la brulure dont 1'a honore le nouveau tribunal." (Bachaumont, Memoires, XXVII, p. 196, 21 fevrier 1774.) Le nouveau Parlement allait condamner 1'ouvrage par un arret du 10 Janvier 1774 (v. appendice 18), ce dont Condorcet annoncera la nou-

velle a Turgot le 16 : "Le Parlement a condamne le Bon Sens et le livre d'Helvetius, toujours a etre laceres et brules a 1'exemple de 1'empereur Tibere, de glorieuse memoire." (Correspondance inedite de Condorcet et de Turgot, ed. Henry, 1883, p. 162.) L'Assemblee generale du clerge le censurera le 4 decembre 1775 (Proces verbal de I'Assemblee generale du clerge de I'annee 1775, p. 852-855 [B.N., F° Ld5 578]), dans une "Condamnation de plusieurs livres contre la religion", qui sera envoyee au roi et a tous les eveques et archeveques du royaume, accompagnee d'un "Avertissement sur les avantages de la religion chretienne et les effets pernicieux de Pincredulite". La Sorbonne, elle, ne condamnera pas 1'ouvrage d'Helvetius. REMARQUES

Vers le 25 juin 1773, Mme Helvetius avait adresse une supplique au marquis de Marigny, directeur des bailments et jardins du roi, en vue d'obtenir acces a la ruelle qui separait le jardin du roi (v. lettre 696, Remarques) et celui de Charles Binet de La Bretonniere : "Made Helvetius prend la liberte de demander a M. le marquis de Marigny, en consequence de 1'echange de son terrein fait avec celui du Roi, qu'il lui soit permis d'avoir une porte sur la ruelle qui separe

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Decembre 1773

LETTRE 716 le jardin du Roi d'avec celui de M. Binet pour faire entrer par la les terres et engrais necessaires a son jardin pour lui tenir lieu du passage qui a etc suprime attenant la grille du jardin de M. Chomel, marquee DD. Comme il y a deja une porte chartiere donnant du jardin du Roi dans cette ruelle, la permission que demande Made Helvetius ne peut avoir aucun inconvenient. Cette porte seroit placee sur la ligne ponctuee qui separe la ruelle C du terrein B cede par M. Chomel a Made Helvetius. Made Helvetius suplie aussi Mr le marquis de Marigny de faire expedier les brevets d'echange de terreins avec M. Chomel et avec elle-meme, sans lesquels il ne lui est pas possible de terminer son echange particulier avec M. Chomel." (A.N., O1 1585, n° 92.) Un plan

des terrains vises dans cette supplique y etait annexe. Le 28 juin, le marquis de Marigny sollicitera 1'avis de Jacques Ange Gabriel, premier architecte du roi (v. lettre 246, note 2), qui exprimera le 2 juillet une opinion favorable sur les deux points de la supplique de Mme Helvetius (A.N., O1 1585, n° 94). Quant au droit accorde a Mme Helvetius d'avoir une porte d'acces sur une ruelle, il fera Pobjet, quand Louis XVI cedera son jardin fleuriste au joaillier Georges Frederic Stras, de la stipulation suivante dans le contrat de vente: "Le passage a reserver a Made Helvetius [...] lui sera en effet conserve pendant tout le terns qu'elle demeurera proprietaire [de sa maison]" (A.N., O1 1585, n° 107).

716. Anne Robert Jacques Turgot a Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet De Limoges, ce... [Vers le 8 decembre 1773]1 Comme je ne crois* pas, Monsieur, que vous fassiez jamais un livre de philosophic sans logique, de litterature sans gout, et de morale sans honnetete, je ne vois pas que la severite de mon jugement sur le livre De I'Esprit puisse vous effrayer. [...]* Il fait consister tout 1'art des legislateurs a exalter les passions, a presenter partout c le tableau de la volupte comme le prix de la vertu, des talents, et surtout de la bravoure, car on dirait qu'il ne voit de beau que les conquetes. [...]' Je conviens avec vous que ce livre est le portrait de 1'auteur. Mais otez ce merite et celui de quelques morceaux ecrits avec une sorte d'eloquence poetique assez brillante, quoique ordinairement mal amenee, et le plus souvent gatee par quelques traits de mauvais gout, j'avoue que je ne lui en vois guere d'autres. Il me parait ecrit et fait avec la meme incoherence qui etait dans la tete d'Helvetius. Malgre un appareil affecte de definitions et de divisions, on n'y trouve pas une idee analysee avec justesse, pas un mot defini avec precision. Meme dans les bons mots dont il a farci son ouvrage, 462

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il est rare que le trait ne soit manque ou gate par de fausses applications et des paraphrases qui en emoussent toute la finesse ou Penergie. On pretend qu'il a dit le secret de bien des gens2. Je suis fache qu'il ait dit celui de Madame de B.3 J'avais toujours cru que ce mot etait de Mme Du Deffand, a laquelle il paraissait appartenir de droit4. Je sais qu'il y a beaucoup de passablement honnetes gens qui ne le sont qu'a la maniere ou d'apres les principes du livre De I'Esprit, c'est-a-dire d'apres un calcul d'interet. J'ai sur cela plusieurs choses a remarquer. Pour que ce fut un merite dans ce livre, il faudrait que 1'auteur se fiat attache a prouver que les hommes ont un interet veritable a etr honnetes gens, ce qui etait facile. Mais il semble continuellement occupe a prouver le contraire. Il repand a grands flots le mepris et le ridicule sur tous les sentiments honnetes et sur toutes les vertus privees; par la plus lourde et la plus absurde des erreurs en morale, et meme en politique, il veut faire regarder ces vertus comme nulles, pour ne vanter que de pretendues vertus publiques beaucoup plus funestes aux hommes qu'elles ne peuvent leur etre utiles. Partout il cherche a exclure Pidee de justice et de morale. Il confond avec les cagots et les moralistes hypocrites ceux qui s'occupent de ces minuties; jamais du moins on ne le voit fonder sa morale sur la justice et il n'a pas un mot qui tende a prouver que la justice envers tous est Pinteret de tous, qu'elle est Pinteret de chaque individu comme celui des societes. D'apres cette fausse marche et ces tres faux principes, il etablit qu'il n'y a pas lieu a la probite entre les nations, d'ou suivrait que le monde doit etre eternellement un coupe-gorge; en quoi il est bien d'accord avec les panegyristes de Colbert. Nulle part il ne voit que Pinteret des nations n'est autre que Pinteret meme des individus qui les composent. Nulle part il ne s'appuie sur une connaissance approfondie du cceur humain, nulle part il n'analyse les vrais besoins de Phomme qu'il semble ne faire consister que dans celui d'avoir des femmes; il ne se doute nulle part que Phomme ait besoin d'aimer. Mais un homme qui aurait senti ce besoin n'aurait pas dit que I'interet est ['unique principe qui fait agir les hommes. Il cut compris que dans le sens ou cette proposition est vraie, elle est une puerilite et une abstraction metaphysique d'ou il n'y a aucun resultat pratique a tirer, puisqu'alors elle equivaut a dire que I'homme ne desire que ce qu'il desire. S'il parle de I'interet reflechi, calcule, par lequel Phomme se compare aux autres et se prefere, il est faux que les hommes meme les plus corrompus se conduisent toujours par ce principe. Il est faux que les sentiments moraux n'influent pas sur leurs jugements, sur leurs actions, sur leurs affections. La preuve en est qu'ils ont besoin d'effort pour vaincre leur sentiment lorsqu'il est en opposition avec leur interet. La preuve en est qu'ils ont des remords. La preuve en est que cet interet, qu'ils poursuivent aux depens de Phonnetete, est souvent fonde sur un sentiment honnete en lui-meme et seulement mal regie. La 463

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preuve en est qu'ils sont touches des romans et des tragedies, et qu'un roman dont le heros agirait conformement aux principes d'Helvetius, je dis a ceux qu'ils suivent, leur deplairait beaucoup. Ni nos idees ni nos sentiments ne sont innes, mais il sont naturels, fondes sur la constitution de notre esprit et de notre ame, et sur nos rapports avec tout ce qui nous environne. Je sais qu'il y a des hommes tres peu sensibles et qui sont en meme temps honnetes, tels que Hume, Fontenelle, etc., mais tous ont pour base de leur honnetete \ajustice, et meme un certain degre de bonte. Aussi reproche-je bien moins a Helvetius d'avoir eu peu de sensibilite, que d'avoir cherche a la representer comme une betise ridicule, ou comme un masque d'hypocrite; de n'avoir parle que d'exalter les passions, sans fixer la notion d'aucun devoir et sans etablir aucun principe de justice. Les honnetes gens qui ne sont honnetes que suivant les principes qu'il etale dans son livre sont certainement tres communs. Ce sont ceux que M. le chancelier5 appelle des gens d'esprit. J'oubliais encore 1'affectation avec laquelle il vous raconte les plus grandes horreurs de toute espece, les plus horribles barbaries et toutes les infamies de la plus vile crapule, pour declamer centre les moralistes hypocrites ou imbeciles qui en font, dit-il, 1'objet de leurs predications, sans voir que ce sont des effets necessaires de telle ou telle legislation donnee. A propos de tous leurs vices relatifs a la debauche, il s'etend avec complaisance sur les debauches des grands hommes, comme si ces grands hommes devaient 1'etre pour un philosophe... Qui a jamais doute que leur espece de grandeur ne fut compatible avec tous les vices imaginables? Sans doute un debauche, un escroc, un meurtrier, peut etre un Schah-Nadir6, un Cromwell, un cardinal de Richelieu, mais est-ce la destination de 1'homme? Est-il desirable qu'il y ait de pareils hommes? Partout Helvetius ne trouve de grand que les actions eclatantes; ce n'est assurement point de cette fa§on de voir qu'on arrive a de justes idees sur la morale et le bonheur. Je ne peux lui savoir gre de ses declamations centre Pintolerance du clerge, ni centre le despotisme, 1° parce que je n'aime pas les declamations; 2° parce que je ne vois nulle part dans son livre que la question de 1'intolerance soit traitee de maniere a adoucir, ni le clerge, ni les princes, mais seulement de maniere a les irriter; 3° parce que dans ses declamations centre le despotisme il confond toutes les idees, il a 1'air d'etre ennemi de tout gouvernement, et que partout il affecte de designer la France, ce qui est la chose du monde la plus gauche, la plus propre a attirer sur soi 1'eclat de la persecution qui ne fait pas grand mal a un homme riche, et a en faire tomber le poids reel sur beaucoup d'honnetes gens de lettres qui re^oivent le fouet qu'Helvetius avait merite, tandis qu'apres la comedie des Philosophes, a laquelle il avait presque seul fourni matiere, il faisait sa cour a M. de 464

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Choiseul, protecteur de la piece et de Palissot, et 1'engageait a lui faire 1'honneur d'etre parrain de son enfant 7 . Quand on veut attaquer 1'intolerance et le despotisme, il faut d'abord se fonder sur des idees justes, car les inquisiteurs ont interet d'etre intolerants, et les vizirs et les sous-vizirs ont interet de maintenir tous les abus du gouvernement. Comme ils sont les plus forts, c'est leur donner raison que de se reduire a sonner le tocsin contre eux a tort et a travers. Je hais le despotisme autant qu'un autre, mais ce n'est point par des declamations qu'il faut 1'attaquer, c'est en etablissant d'une maniere demonstrative les droits des hommes. Et puis il faut distinguer dans le despotisme des degres; il y a une foule d'abus u despotisme auxquels les princes n'ont point d'interet; il y en a d'autres qu'ils ne se permettent que parce que 1'opinion publique n'est pas fixee sur leur injustice et sur leurs mauvais effets. On meritera bien mieux des nations en attaquant ces abus avec clarte, avec courage, et surtout en interessant Phumanite, qu'en disant des injures eloquentes. Quand on n'insulte pas, il est rare qu'on offense. Les hommes en place sont justement choques des expressions violentes que tout le monde comprend, et n'attachent qu'une mediocre importance aux consequences incertaines ou eloignees des verites philosophiques souvent contestees, et regardees par le plus grand nombre comme des problemes. Il n'y a pas une forme de gouvernement qui n'ait des inconvenients auxquels les gouvernements eux-memes voudraient pouvoir apporter remede, ou des abus qu'ils se proposent presque tous de reformer au moins dans un autre temps. On peut done les servir tous en traitant des questions de bien public, solidement, tranquillement, non pas froidement, non pas avec emportement non plus, mais avec cette chaleur interessante qui nait d'un sentiment profond de justice et de 1'amour de 1'ordre. II ne faut pas croire que persecuter soit un plaisir. Voyez combien J.-J. Rousseau a inspire d'interet malgre ses folies, et combien il erait respecte si son amour-propre avait ete raisonnable. Il a etc decrete, il est vrai, par le Parlement, mais 1° c'est parce qu'il avait eu la manie de mettre son nom a Emile; 2° le Parlement aurait ete bien fache de le prendre, et si Rousseau cut voulu, il cut facilement evite cet orage en se cachant deux ou trois mois. Il n'a ete vraiment persecute que par les Genevois, mais c'est parce qu'il etait en effet 1'occasion de leurs troubles interieurs, et parce qu'ils avaient peur de lui. Avec le ton d'honnetete on peut tout dire, et encore plus quand on y joint le poids de la raison et quelques legeres precautions peu difficiles a prendre. Je sais gre a Rousseau de presque tous ses ouvrages, mais quel cas puis-je faire d'un declamateur tel qu'Helvetius, qui dit des injures vehementes, qui repand des sarcasmes amers sur les gouvernements en general, et qui se charge d'envoyer a Frederic une colonie de travailleurs en finance8; et qui en deplorant les malheurs de sa patrie ou le despotisme est, 465

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dit-il, parvenu au dernier degre d'oppression, eet la nation au dernier degre de corruption6 et de bassesse, ce qui n'est pas du tout vrai, va prendre pour ses heros le roi de Prusse et la Czarine9? Je ne vois dans tout cela que de la vanite, de 1'esprit de parti, une tete exaltee; je n'y vois ni amour de 1'humanite ni philosophic. En voila plus long sur Helvetius que je ne croyais vous en ecrire en commengant, mais je ne suis pas fache d'avoir fait ma profession de foi a son egard. Je suis, je 1'avoue, indigne de 1'entendre louer avec une sorte de fureur qui me parait une enigme que le seul esprit de parti peut expliquer. On loue aujourd'hui les livres d'un certain genre comme on louait autrefois les livres jansenistes, et comme d'autres gens louent la Correspondence et les GLufs rouges10. Cela me donne done de 1'humeur, et peut-etre exprimerais-je moins fortement ma pensee si je n'etais anime par la contradiction. [...] J'ai regu des nouvelles par lesquelles on me marque que mon retour n'est pas presse. Je resterai done ici tout le mois. Ce n'est pas pour mon plaisir, ni meme pour mon interet, car j'aimerais bien mieux aller vous rejoindre, mes amis. Je trouve qu'il y a plus de substance dans ce vers de La Fontaine : Qu'un ami veritable est une douce chose11! que dans tout le livre De 1'Esprit. J'espere que cela m'obtiendra de vous mon pardon de tout le mal que j'ai dit du heros dont j'ai ose attaquer la gloire. Vous savez bien que c'est vouloir obscurcir le soleil en jetant de la poussiere en I'air. IMPRIMES

*I. Turgot, (Euvres, ed. Dupont de Nemours, 1808-1811, 9 vol., IX, p. 288298. II. Correspondance inedite de Condorcet et de Turgot, ed. Henry, 1883, p. 142147. TEXTE "Le I I : "crains". ^Note fournie dans le I : "11 y a ici une lacune". c Le II: "surtout". ''Note fournie dans le I : "II y a ici une seconde lacune." ""Omis dans le II. NOTES EXPLICATIVES 1. La lettre de Condorcet ayant appele celle-ci est datee du 4 decembre (lettre 715). Condorcet y repondra le 13 (lettre suivante).

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2. Voir lettre 712, dernier paragraphe. 3. Allusion a un mot d'esprit relate par Suard (lettre 712, dernier par.) et par Condorcet (lettre 714), qui 1'attribuent a Mme de Beauvau-Craon (v. lettre 712, note 6). Saint-Lambert, pour sa part, presentait ainsi 1'auteur de cette boutade, dans son Essai sur Helvetius : "Une femme celebre par la solidite & les agrements de son esprit, disoit de M. Helvetius: 'C'est un homme qui a dit le secret de tout le monde.' " (Le Bonheur, 1772, p. Ixxi.) 4. Marie de Vichy-Chamrond, marquise Du Deffand (1797-1780), avait la reputation, comme le remarque Keim (p. 427), d'etre "capable

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5. 6.

7.

8.

de routes les saillies, et des plus spirituelles". Maupeou (v. lettre 537, note 4) etait chancelier depuis 1768. Nadir-Shah, dit Nadir Kouli Beg (1688-1747). Conducteur de chameaux, devenu chef de brigands, puis chef d'armee, il retablit sur le trone de Perse en 1729 1'heritier safavide Tahmasp II, puis le depose en 1732 et le remplace par son jeune fils, Abbas III, dont il gouverne le royaume. A la mort de cet enfant en 1736, il se declare shah. Il soumet alors successivement 1'Afghanistan, le Nord-Ouest de 1'Inde et les khanats de Boukhara et de Khiva, et s'impose dans ces regions sous le nom de Tahmasp-Kouli-Khan. Son gouvernement despotique, sa cruaute et son hostilite aux chiites susciteront des revokes, et a 1'occasion d'une conspiration, il sera assassine en 1747. Beatrix (v. lettre 460, note 2). Rappelons que Choiseul etait un cousin eloigne de Mme Helvetius. Voir lettre 585, note explicative generale.

Decembre 1773 9. Voir De I'Homme, Preface, p. XI-XII (passage cite dans la lettre 695, par 4). 10. Les (Eufs rouges : titre d'un libelle de 1772 dirige contre les nouveaux parlements. Il se compose d'une lettre fictive du 25 avril 1772 adressee au chancelier Maupeou par Jacques Pierre Sorhouet de Bougy, conseiller au Grand conseil, et de Remontrances du Parlement au Roi, egalement fictives, datees du 25 avril 1772. Barbier attribue les CEufs rouges a Mathieu Frangois Pidansat de Mairobert (Dictionnaire des outrages anonymes, 1872-1879, 4 vol., Ill, p. 653), mais indique que Jacques Mathieu Augeard en revendique la paternite dans ses Memoires secrets (1866, pp. 45 et 65-66). Cet ouvrage sera remanie lors de sa parution dans le second volume des Maupeouiana, ou Corespondance secrette et familiere du chancelier Maupeou avec son cceur Sorhouet, membre inamovible de la cour des pairs de France (1773). 11. La Fontaine, "Les Deux Amis" (Fables, livre VIII, fable XI, vers 26).

777. Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet, a Anne Robert Jacques Turgot Ce lundi, 13 decembre 1773 Je viens de recevoir, Monsieur, votre profession de foi1, et voici la mienne. Lorsque je suis sorti du college, je me suis mis a reflechir sur les idees morales de la justice et de la vertu. J'ai cru observer que 1'interet que nous avions a etre justes et vertueux etait fonde sur la peine que fait necessairement eprouver a un etre sensible 1'idee du mal que souffre un autre etre sensible. Depuis ce temps, de peur que d'autres interets me rendissent mediant, j'ai cherche a conserver ce sentiment dans toute son energie naturelle. J'ai

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renonce a la chasse, pour qui j'avais eu du gout, et je ne me suis pas meme permis de tuer les insectes, a moins qu'ils ne fassent beaucoup de mal. Je ne suis done pas de 1'avis d'Helvetius, puisque j'admets dans 1'homme un sentiment dont il ne me parait pas qu'il ait soup§onne la force et Pinfluence. Je trouve avec vous que ce livre peut faire beaucoup de tort a ce qu'on appelle \espbilosophes, parce qu'on regardera toujours ses opinions comme les principes secrets de tous les gens qui pensent avec liberte sur la religion et sur le gouvernement. Je n'aime pas aussi qu'un homme qui ecrit si fortement centre le despotisme, prodigue 1'encens a des despotes qui n'ont fait que du mal a I'humanite, et dont tout le merite est d'avoir loue 1'auteur et ses ouvrages2. Je pense avec Helvetius qu'on peut etre tres juste, tres bienfaisant et tres scrupuleux", que surtout on peut etre un grand homme de guerre, un grand philosophe, un grand poete, et avoir des moeurs detestables; et qu'en etablissant de 1'ordre entre les vertus, il faut mettre la justice, la bienfaisance, 1'amour de la patrie, le courage (non pas celui de la guerre qu'ont tous les chiens de basse-cour), la haine des tyrans, bien loin au-dessus de la chastete, de la fidelite conjugale, de la sobriete. Mais je crois qu'il faut distinguer, en fait de moeurs, ce qui n'est que local de ce qui est de tous les temps et de tous les lieux. Par exemple, il peut etre permis ^ou defendu^ de jouir de toute femme qui y consent avec plus ou moins de restriction, cela n'est que local, mais il est sur que les autres especes de debauches et les orgies des mauvais lieux, et la violation de la promesse faite a une autre de lui etre fidele, sont partout, ou un manque de probite, ou des actions degoutantes et qui avilissent 1'humanite. J'ai etc presque aussi en colere que vous, lorsque j'ai lu que les enfants haissent leur pere3, que nous n'aimons que les gens que nous pouvons mepriser4, et d'autres choses qu'il serait bien malheureux qui fussent vraies. [...] MANUSCRIT

TEXTE

A. Institut, ms. 853, f° 303 recto-304 verso; 3 p.; copie faite pour le I.

Nous suivons le texte du I, car le A contient les deux erreurs suivantes, qu'on a corrigees dans les imprimes : a crapuleux. b de defendre.

IMPRIMES

' •'I. Condorcet, (Euvres, ed. O Connor & Arago, 1847-1849, 12 vol., I, p. 220222. II. Correspondance inedite de Condorcet et de Turgot, ed. Henry, 1883, p. 148149.

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NOTES EXPLICATIVES 1. Voir lettre precedente. 2. Voir lettre precedente, note 9. 3. Reference probable au passage suivant de L'Esprit, ou il s'agit en fait de la haine des peres pour leurs enfants : "L'amour paternel s'eteint dans pres-

LETTRE 718 que tous les coeurs, lorsque les enfants ont, par leur age ou leur etat, atteint 1'independance. Alors, dit le poe'te Saadi, le pere ne voit en eux que des hentiers avides : & c'est la cause, ajoute ce meme poe'te, de I'amour extreme de 1'a'ieul pour ses petits-fils; il les regarde comme les ennemis de ses ennemis." (Op. cit., p. 559.) Cf. De I'Homme: "L'homme hait la dependance. De la peut etre sa haine pour ses pere &

Decembre 1773 mere, & ce proverbe fonde sur une observation commune & constante, I'amour des parens descend & ne remonte pas." (Op. cit., I, p. 225, note a.) 4. "Tous ceux que n'anime point un amour extreme pour la gloire, ne peuvent, en fait de merite, jamais aimer que leurs inferieurs. [...] L'homme mediocre est 1'homme aime." (De I'Esprit, pp. 587 et 588; v. aussi De I'Homme, I, p. 476.)

718. Anne Robert Jacques Turgot a Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet A Limoges, le 28 decembre 1773 [.-.] Je voulais vous ecrire sur Helvetius. Nous sommes presque d'accord. Cependant il y a encore un article sur lequel nous aurions a disputer, et peut-etre beaucoup, et sur lequel j'imagine encore que, malgre la difference de nos enonces, nous pourrions bien finir par nous accorder presque tout a fait, mais la dispute demande du temps, et je n'en ai point. Je vous dirai seulement que je ne crois pas que la morale en elle-meme puisse etre jamais locale1. Ses principes sont partout fondes sur la nature de 1'homme et sur ses rapports avec ses semblables, qui ne varient point, si ce n'est dans des circonstances tres extraordinaires. Mais le jugement a porter des actions des individus est un probleme beaucoup plus complique, et infiniment variable, a raison des opinions locales et des prejuges d'education. Je suis, en morale, grand ennemi de 1'indifference et grand ami de 1'indulgence, dont j'ai souvent autant besoin qu'un autre. C'est, je crois, faute d'avoir bien distingue ces deux points de vue si differents sur la maniere de juger la moralite des actions, que les uns donnent dans un rigorisme excessif, en jugeant les actions individuelles d'apres les idees generales de la morale, sans egard aux circonstances qui excusent 1'individu; et que les autres regardent toute action comme indifferente, et n'y voient que des faits de physique, parce qu'il en est peu qui ne puissent etre excuses dans quelque circonstance donnee. [...]

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LETTRE 719

Janvier 1774

MANUSCRITS

IMPRIMIS

A. L'original autographe de quatre pages a figure a la vente Charavay du l er decembre 1981. :; 'B. Institut, ms. 853, ff os 307 recto et 308 verso-309 recto; 3 p.; copie faite pour le I.

I. Condorcet, (Euvres, ed. O'Connor & Arago, 1847-1849, 12 vol., I, pp. 225 et 227-228. II. Correspondance inedite de Condorcet etde Turgot, ed. Henry, 1883, pp. 154 et 155. NOTE EXPLICATIVE

1. Voir lettre precedente, par. 5.

719. L'abbe Ferdinando Galiani a Louise Florence Petronille Tardieu d'Esclavelles, dame de La Live d'Epinay *La Nouvelle Annee 1774*

[...] Je trouve que les mains ne nous ont etc donnees que pour nous gratter le cu^, car on avail oublie la queuue, aussi bien qu'aux singes. Si vous vous grattez, soyez tranquille, tout le reste s'arrangera, meme en depit d'Elvetius qui, avec son humeur sombre et chagrine, trainant son ennui a la campagne, se vengoit sur le genre humain de ce qu'il n'y avoit pas des demoiselles a Vaurai. Vous me faites Panalise de son livre. De quel livre parlez-vous? Croyez-vous que je sache qu'il a paru un nouveau livre sous son nom? Je n'en sc,ais pas le premier mot; ainsi je n'entends rien a tout votre article1.

[...] MANUSCRIT

*A. B.N., ms. fr., n. a. 16814, f° 1 recto et verso; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge. IMPRIME

I. Galiani, Correspondance inedite, Paris, Dentu, 1818, 2 vol., II, p. 89-90. TEXTE

Le texte du I a ete modernise. " Le I : "Naples, l er Janvier 1774". *Le I : "c..".

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NOTE EXPLICATIVE 1. Le 14 mai 1774, Galiani aura au moins appris le titre du nouveau livre: "L'ouvrage L'Homme est-il veritablement du feu Helvetius? Cela peut se dire. S'il est d'un auteur vivant, il en faut taire le nom par ecrit. Je n'ay pas vu cet ouvrage, et je ne vois plus aucun livre. Je vendrai meme les miens, pour etre plus a la legere." (B.N., ms. fr., n. a. 16814, f° 19 recto.)

LETTRE 720

Janvier 1774

720. Frederic II, roi de Prusse, a Jean Le Rond d'Alembert [,.-]

A propos d'ouvrages nouveaux, j'ai lu celui d'Helvetius, & j'ai etc fache pour 1'amour de lui qu'on 1'ait imprime. 11 n'y a point de dialectique dans ce livre, il n'y a que des paralogismes & des cercles de raisonnemens vicieux, des paradoxes & des folies completes, a la tete desquelles il faut placer la republique frangoise. Helvetius etoit honnete homme, mais il ne devoit pas se meler de ce qu'il n'entendoit pas. Bayle 1'auroit envoye a 1'ecole, pour etudier les rudimens de la logique, & cela s'appelle des philosophes! [...] Le 7 Janvier 1774 IMPRIMES

*I. (Euvres postbumes de Frederic II, roi de Prusse, Berlin, 1788, 15 vol., XI, pp. 180 et 182. II. Preuss, XXIV, pp. 615 et 616. REMARQUES

Ce jugement sur De I'Homme donne lieu a 1'echange suivant entre Frederic II et d'Alembert, qui essaiera, le 14 fevrier, de defendre un peu 1'ouvrage: "Je conviens avec Votre Majeste qu'il y a dans 1'ouvrage de M. Helvetius bien des opinions fausses et hasardees, bien des redites et des longueurs; que ce sont plutot des materiaux qu'un ouvrage, et que ces materiaux ne doivent pas etre tous employes a beaucoup pres. Mais il y a, ce me semble, quelques verites utiles et bien rendues, et 1'ouvrage aurait d'ailleurs quelque prix a mes yeux, ne fut-

ce que par la justice qu'il rend a Votre Majeste." (D'Alembert, (Euvres, 1822, 5 vol., V, p. 347; Preuss, XXIV, p. 618.) La flatterie ne fera pas changer d'avis Frederic II, qui repondra ainsi le 11 mars : "J'aurois souhaite, pour la memoire du bon Mr Helvetius, qu'il cut pu consulter quelques-uns de ses amis sur son ouvrage, avant que de le publier. Il me semble qu'il s'etoit forme un certain systeme en faisant son livre sur 1'esprit, qu'il a voulu soutenir par ce dernier ouvrage, ce qui a produit les fautes que tous les ouvrages systematiques font ordinairement commettre; c'est faire des efforts inutiles que de vouloir donner aux paradoxes les caracteres de la verite." (Frederic II, GLuvres [v. le l], XI, p. 183184; Preuss, XXIV, p. 620.)

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Appendices

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APPENDICE 17

Brevet de don de terrein a Auteuil APPENDICE 17

Brevet de don de terrein a Auteuil en faveur de la dame Helvetius Aujourd'huy 26 juillet 1773 le Roy etant a Compiegne, voulant traiter favorablement la De Helvetius et 1'indemniser du jour [et] de la sortie sur la campagne que la ditte dame avoit precedemment par Pextremite du jardin de sa maison seize a Auteuil, lesquels lui auroient etc intercepted par Paugmentation que Sa M^ a jugee a propos de faire a son jardin d'Auteuil, Elle lui a fait don d'un terrein contenant deux cents-cinquante-six toises de superficie ou environ, tenant d'un cote en seize toises de longueur environ au mur du jardin d'Auteuil, de 1'autre en pareille longueur au mur du jardin de Me Chomel, faisant face d'une part a son terrein aussi en seize toises ou environ de largeur, de 1'autre en pareille largeur au mur de la nouvelle partie du jardin du Roy, pour par la ditte dame Helvetius jouir du d[it] terrein, tel qu'il se poursuit et comporte conformement au plan depose a la direction generale des batiments de Sa M^, en faire user et disposer comme de chose a elle appartenante, lui etant donne a elle, ses hoirs1 et ayant cause a perpetuite et en toute propriete a la charge du droit de cens2. Mande et ordonne Sa M te au S. Marquis de Marigny, conseiller d'Etat d'epee, lieutenant general des provinces d'Orleanois et du Beauce, directeur et ordonnateur general des batiments, jardins, arts et manufactures royales, commandeur de ses ordres de tenir la mam et de faire jouir la d[ite] De Helvetius du contenu du present brevet que pour assurance de sa volonte Sa M te a signe de sa main et fait contresigner par moi Con[seill]er secretaire d'Etat et de ses commandements et finances. veut dire heritier" (Dictionnaire de Trevoux, 1771). 2. Cens : "Rente seigneuriale & fonNOTES EXPLICATIVES ciere, dont un heritage est charge Pour les circonstances ayant donne lieu envers le seigneur de fief d'ou il a la delivrance de ce brevet, voir les depend" (Dictionnaire de Trevoux, Remarques des lettres 696 et 715. Un 1771), c'est-a-dire redevance fixe que resume s'en trouve dans 1'inventaire le possesseur d'une terre doit payer apres deces de Mme Helvetius (v. M.C., au seigneur du fief. Cette disposition CXVIII, 688, 16 fructidor an VIII). Un du brevet signifiait que le droit de brevet similaire a ete accorde a son voipropriete etait consent! sous reserve sin, Louis Denis Chomel (v. A.N., du paiement par Mme Helvetius du O1 120, p. 184). droit de cens que possedait le roi. 1. Hoir: "Ce mot vient de beres, qui

MANUSCRIT

*A. A.N., O1 120, p. 182-183.

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APPENDICE 18

Arrest de la Cour du Parlement APPENDICE 18

Arrest de la Cour du Parlement Qui condamne deux libelles intitules, 1'un : Le Bon Sens1, 1'autre : De I'Homme, de ses facultes intellectuelles & de son education2, a etre laceres & brules par 1'executeur de la haute justice Extrait des registres du Parlement Du dix Janvier mil sept cent soixante-quatorze Ce jour, la grand'chambre assemblee, les gens du roi sont entres, & Me Jacques de Verges3, avocat dudit seigneur Roi, portant la parole, ont dit: Messieurs, Apres ce systeme aussi absurde que criminel, qui excita, ces dernieres annees, la douleur de la religion & 1'indignation des loix; apres ce libelle audacieux centre 1'Etre supreme, que 1'auteur impie s'efforgoit de bannir de 1'univers comme il 1'avoit banni de son coeur, nous aurions cru que le genie de 1'incredulite, epuise par ce dernier acces de fureur, alloit enfin se reposer long-temps. Que manquoit-il a la mesure de ses attentats? Il sembloit avoir rempli la chaine de son plan sacrilege, & parcouru tout le cercle des plus detestables erreurs. Mais un ecrivain, digne proselite de cet apotre d'atheisme, a trouve sans doute les sophismes metaphysiques de son maitre trop eleves pour les esprits ordinaires. II a craint que ce poison affreux ne circulat pas assez rapidement dans les coeurs corrompus. Il s'est impose la tache de former comme une sorte de catechisme, a 1'usage du vulgaire, des principes & des monstrueuses consequences du Systeme de la nature. II a affecte, dans un stile moins enthousiaste, de parler a la raison la plus simple; & cette brochure odieuse qui insulte a tout ce que la raison & la religion ont de plus sacre, il a ose 1'intituler Le Bon Sens. Attaquer toutes les verites qui font le lien de la societe & la consolation du genre humain, confondre toutes les notions du bien & du mal, arracher les bornes eternelles qui separent le vice de la vertu, &" traitant Dieu de fantome, proclamer la fatalite d'une aveugle & invincible destinee : tel est le but que s'est propose cet ennemi des hommes, tel est le voeu parricide qu'il a forme dans son coeur incredule. Nous ne profanerons pas ce sanctuaire par le recit de tous ses blasphemes; chacune de ses pages en est souillee, & c'est sans reserve comme sans pudeur que sa plume a seme par-tout 1'erreur & 1'impiete. Il en a infecte jusqu'a sa preface. A la page 3, voici comme cet insense y parle de Dieu : La notion de cet Etre sans idees, ou plutot ce mot sur lequel on le designe, seroit une chose indifferente, si elle ne causoit des ravages sans nombre sur la

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APPENDICE 18

Arrest de la Cour du Parlement

terre. Prevenus de Vopinion qu'un fantome est une realite tres interessante pour eux, les hommes, an lieu de condure sagement de son incomprehensibility, qu'ils sont dispenses d'y songer, en concluent au contraire qu'ils ne peuvent assez s'en occuper. La suite repond a ce debut. De quelque fa