CONTES POUR LES GENS DE COUR
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CONTES POUR LES GENS DE COUR

TÉMOINS DE NOTRE HISTOIRE Collection dirigée par Pascale Bourgain

GAUTIERMAP CONTESPOURLESGENSDECOUR

Traduit avec une introduction

par

ALAN KEITH BATE

BREPOLS

Dans la même collection : G. Epiney-Burgard et E. Zum Brunn, Femmes troubadours de Dieu N. Bériou, J. Berlioz, J. Longère, Prier au Moyen Age. Pratiques et expériences (Ve-xve siècles). P. Sicard, Hugues de Saint- Victor et son École.

Couverture : Scène de jugement (Bibl. Mun. d'Avranches, ms. 150, f. 61 v Décrétales du Pape Grégoire IX avec glose de Bernard de Parme, Atelier de Padoue ( ?), 1er quart du XIIIe siècle) 0

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BREPOLS 1993 © Imprimé en Belgique Dépôt légal: juin 1993 D/199310095127 ISBN 2-503-50306-3 Ali rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.

CHAPITRE

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Vie et carrière

Au cours de la deuxième moitié du douzième siècle en Angleterre, sous le règne d'Henri II (1154-1189), se produisit un phénomène qui a des allures modernes, le fonctionnariat. Bien sûr, les historiens ne sont pas tous du même avis. Certains d'entre eux contestent cette date et n'admettent l'émergence du fonctionnaire qu'au treizième siècle. Quoi qu'il en soit, il est possible de voir à la cour d'Henri la présence de courtisans qui ne doivent pas leur position à leur lien de famille avec le roi ou avec la reine, et qui font un travail spécialisé dans l'administration de l'État. De plus, ils ne dépendaient pas de la largesse royale dans le sens habituel du terme, mais recevaient plutôt un ou plusieurs "salaires" ecclésiastiques que le roi leur avait octroyés dans sa lutte contre le pape pour la nomination des prêtres, chanoines, évêques en Angleterre. Pour accomplir ce travail administratif, les fonctionnaires devaient avoir reçu une formation appropriée, et Henri eut la chance de régner à l'époque où les écoles de France et d'Italie surtout, les universités en train d'éclore, étaient en train de donner à leurs étudiants une formation "utile" dans le droit romain, le droit canonique, le secrétariat, etc. Les jeunes Anglais, auxquels les écoles d'Oxford n'offraient pas une formation de ce type, durent partir sur le continent d'Europe, pour suivre ces nouvelles études. Parmi les écoles préférées des Anglais on trouve Paris, où l' Abbaye de Saint-Victor semble avoir été presqu'un collège anglais en France. Certains Anglais furent séduits par la

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vie académique à Paris, et après avoir été étudiants devinrent professeurs dans la ville. D'autres, comme Gautier Map, rentrèrent tout de suite dans la vie active, une fois leur diplôme de magister acquis. C'est ce genre de pépinière qui permit à Henri de trouver les hommes qu'il lui fallait pour gouverner son royaume et s'occuper de ses relations avec la papauté et les autres États. Gautier Map naquit probablement entre 1130 et 1135, comme sa présence dans les écoles parisiennes en 1154 le laisse présumer 1, dans le comté de Hereford, à juger par ce qu'il dit lui-même, par ce que des documents et sa carrière suggèrent, et même par la concentration actuelle des gens de ce nom 2 • Il se décrit comme marchio Walensibus, un homme de la marche galloise, parle de la Montagne Noire au sud de Hereford 3 • Beaucoup de ses récits mettent en scène les habitants de la région qui longe la rivière Wye. Il parait vraisemblable que ce soit lui qui sert de témoin à une charte du baron herefordien, Roger de Chandos, entre 1158 et 1173 4, et il avait une propriété à Ullingswick, au nord-est de la ville de Hereford. Au début du treizième siècle il y avait des Gautier Map à Wormsley, dans le comté de Hereford, sans doute de la famille de notre Gautier, et parmi ses neveux était un Philippe Map, comme lui chanoine de la cathédrale de Hereford. Il est possible qu'il ait fait ses premières études à Gloucester où il connaissait l'abbé Hamelin et au moins le moine Grégoire 5 , et sa longue association avec Gilbert Foliot, évêque de Hereford (1148-63), puis de Londres (1163-87) a pu commencer quand Gilbert fut abbé de Gloucester (1139-48). Si le lieu de ses origines est quasiment indiscutable 6 , la nationalité de Map est bien plus controversée, et la majorité des savants qui se sont occupés du problème ont cru voir en lui un gallois pur ou un mitigé gallois/normand ou gallois/anglais. Pour certains d'entre eux il n'est même pas nécessaire de I.e prouver, tellement c'est évident, mais d'autres étaient leur position d'arguments basés sur son nom et sur le fait qu'il parle des gallois en tant que "compatriotes". Vu que ses derniers éditeurs prennent cette position, il serait peut-être bon de l'examiner en détail. C'est son nom qui semblerait donner la meilleur preuve de sa nationalité, car "Map" serait une variante du gallois "Vab" ou 6

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"Mab" ou "Ap", avec le sens "fils de", donné aux Gallois par les Anglais 7 • Il serait l'équivalent du "Mac" qui désignait les Écossais et du "O" irlandais (et pourquoi pas du "fitz" anglonormand ?) 8 • Cependant, on peut à la fois réfuter certains éléments de cette thèse et poser certaines questions. D'abord "Map" est un nom de famille tandis que "O" ne l'est pas, et le nom de famille "Mack" ne provient pas de "Mac", comme le pensent certains, mais est d'origine allemande 9 • Si ces savants ont raison, seul le surnom "Map" serait devenu nom de famille, mais ils n'expliquent pas pourquoi ce phénomène ne se rencontre que dans le comté de Herefordshire, quand on sait que les comtés de Gloucestershire, Shropshire et Cheshire aussi touchent le Pays de Galles. Ce serait bien étonnant si personne dans ces comtés n'avait eu la même idée que les gens du Herefordshire en ce qui concerne les Gallois vivant au milieu d'eux. En outre, toute l'évidence que nous possédons pour le douzième et même le treizième siècle semble indiquer des gens d'une même famille, donc le surnom "Map" aurait été appliqué à une seule personne initialement, ce qui parait invraisemblable. On peut raisonnablement demander pourquoi son nom en latin ne se trouve pas sous la forme "Walterus Cambrensis", à la manière de Giraud de Barri (Giraldus Cambrensis), s'il était vraiment gallois. Mais au douzième siècle, quand les noms de famille commençaient à être utilisés, il semblerait ridicule d'appeler quelqu'un "Gautier fils de", sans indiquer le père. Autant l'appeler simplement "Gautier". Au treizième siècle, Nicholas Map laissa tomber son nom de famille, il est vrai, mais il le remplaça par le nom de sa propriété, et devint Nicholas de Wormsley. Les quelques dictionnaires de noms de famille anglais qui contiennent le nom "Map" ne l'associent pas au patronyme gallois, et se demandent s'il ne s'agiraient pas· plutôt du latin "mappa" (cartable, portefeuille), ce qui indiquerait une position administrative d'un de ses ancêtres. Il faut dire que la faible diffusion du nom serait plus compréhensible si cela était le cas, mais le nom parait plus ancien que l'invasion normande et on voit mal les Anglo-Saxons utilisant un titre latin pour quelque chose de pareil. En effet, 7

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dans le Domesday Book pour le comté de Herefordshire se trouvent deux hommes, Godric Mappesone et JElfric Mapson 10 • Il est très difficile d'interpréter Mappesone et Mapson autrement que "fils de Map", et les prénoms Godric et JElfric témoignent d'une famille bien anglo-saxonne. Du fait que les prénoms Gautier, Philippe et Nicolas sonnent plutôt normand ou français, on peut penser qu'une branche de la famille Map s'est mariée avec des Normands après l'invasion de 1066. Ceci pourrait expliquer aussi pourquoi les parents de notre Gautier aidèrent la cause d'Henri II pendant la guerre civile avec le roi Étienne 11 • Sans doute ils faisaient partie de la mouvance de Robert, comte de Gloucester, oncle d'Henri II, qui avait élevé son neveu entre sept et quatorze ans. En tout cas, le nom "Map" semble être d'origine anglo-saxonne et n'avoir rien à faire avec le gallois. Quant aux autres arguments pour la nationalité galloise de Map, ils ont peu de poids. Il est ridicule de penser que seul un Gallois pouvait être aussi éloquent et bon conteur. Les Normands et les AngloSaxons pouvaient aussi raconter des histoires avec esprit. Mynors et Brooke, comme d'autres avant eux, relèvent le mot compatriotae que Map utilise en parlant des Gallois 12 , mais ils se gardent de donner la phrase complète et son contexte. D'abord Map parle de compatriote nostri Walenses; s'il voulait dire que les Gallois étaient ses compatriotes il aurait, en toute probabilité, utilisé la première personne au singulier, mei, comme il le fit quand il se définit marchio sum Walensibus 13 • Mais le contexte est encore plus déterminant, car il s'agit des tout premiers mots qui introduisent le premier des chapitres consacrés aux Gallois. Il s'adresse donc à ses lecteurs anglais, auxquels il s'identifie, pour leur décrire un peuple dont ils avaient peu de connaissance. Lui, en tant que marchais, était bien placé pour les connaître et donc pour en parler avec autorité. Mais, comme l'avait déjà senti Boutemy, la lutte de Giraud de Barri pour se faire nommer évêque de Saint-David en 1203 montre bien que Map était considéré comme anglais et non comme gallois 14 , et encore une fois Mynors et Brooke pèchent par désinvolture en parlant de cet incident 15 . Giraud se voyait comme champion de l'Église galloise dans sa lutte pour obtenir 8

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son indépendance vis-à-vis de l'Église d'Angleterre. Il pensait que s'il se faisait élire évêque de Saint-David il arriverait à libérer l'Église de la tutelle de Cantorbery. Bien sûr, l'archevêque de Cantorbery, Hubert Walter, soutenu par le roi Jean, ne voulait pas perdre ses prérogatives, et il bloqua l'élection. Ensuite il envoya le justicier Geoffroi FitzPeter au Pays de Galles afin d'assurer l'élection d'un candidat convenable. A la fois sadique et machiavélique, Geoffroi demanda à Giraud de lui proposer le nom de deux candidats, pensant sans doute que si l'élu avait été suggéré par un des hommes les plus importants de l'Église galloise, Cantorbery aurait gagné la bataille sans pouvoir être accusé d'avoir imposé sa loi. Giraud, sans doute dépité de penser qu'il ne serait pas élu lui-même, contre-attaqua néanmoins en donnant le nom de deux Gallois. Geoffroi n'apprécia pas cette tactique et fit savoir à Giraud qu'en aucun cas un Gallois ne serait nommé, et qu'il fallait donner deux autres noms. Espérant toujours obtenir une certaine indépendance vis-à-vis de Cantorbery, Giraud proposa le nom de deux Normands de Rouen. Encore une fois Geoffroi augmenta la pression et insista pour que Giraud donne le nom de deux hommes ab Anglia oriundi. Cette fois Giraud proposa Map et Roger de Worcester 16 . Il n'est guère pensable que Giraud ait voulu faire passer un Gallois pour un Anglais, et on peut donc conclure sans hésitation que Map était anglais. En tout cas, Geoffroi ne fit aucune objection de race pour refuser la candidature de Map, et vu sa colère initiale quand Giraud proposa deux Gallois on est en droit de penser qu'il aurait explosé si Giraud avait essayé de le tromper de cette façon. On peut supposer que Map fit ses premières études dans sa région, en toute probabilité à l'école de l'abbaye de Gloucester, car il parle d'une conversation avec le moine Grégoire de cet établissement lors de son départ pour continuer ses études à Paris 17 • Plus tard il raconta à l'abbé Hamelin de Gloucester sa traversée périlleuse de la Manche et le rôle miraculeux joué par le dédoublement de Grégoire pour calmer les esprits au milieu de la tempête et pour suggérer aux matelots les actions nécessaires afin d'éviter le naufrage. On peut donc penser qu'il retourna à sa

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première école pour donner de ses nouvelles, car en général il n'avait pas d'estime pour les ordres monastiques 18 . Il était à Paris comme étudiant en 1154/55, car il fut témoin des bagarres entre les clercs et les laïcs de la cour de Louis VII et de sa toute récente femme, Constance de Castille 19 • Nous le trouvons toujours - ou à nouveau? - à Paris dans les années 1160, car il étudiait ou la théologie ou le droit canonique - ou les deux sous Gérard la Pucelle, où il fit la connaissance de Luc le Hongrois. Comme Gérard commença son enseignement en 1160 et que Luc devint évêque d'Estergom en 1161, Map dut être parmi les tout premiers étudiants de l' Anglais Gérard, mais il est impossible de dire s'il était à Paris depuis 1154 ou s'il avait interrompu ses études. De même on ne peut pas savoir combien de temps Map passa à Paris dans les années 1160. Il est un des moindres témoins d'une charte de Margarete de Bohun qu'on peut situer dans le Gloucestershire en 1167, mais il n'a pas encore à cette date le titre de "magister", et on peut donc conclure que ses études n'étaient pas encore finies. Il raconte une conversation qu'il eut avec Thomas Becket quand celui-ci était encore chancelier, donc avant 1162, mais il n'est pas besoin de dire comme Boutemy que Map devait être de retour en Angleterre, car Becket vécut en France de 1158 à 1162 20 • Il n'est pas besoin non plus de penser que Map devait déjà être homme de cour, car Becket visita Paris en 1158 et il aurait pu ainsi rencontrer un étudiant anglais comme Map 21 • Map semble être devenu un des clercs de Gilbert Foliot, évêque de Londres, à la fin des années 1160 ou tout au début des années 1170 22 , avant d'être appelé par le roi. Une autre traversée houleuse de la Manche semble indiquer qu'il était au service du roi déjà en mars 1170 23 , mais peut-être que Gilbert Foliot l'avait simplement "prêté" au roi. En 1173 il accompagna le roi à Limoges, où il devait s'occuper de Pierre de Tarentaise 24 , mais ensuite il le quitta pour rentrer en Angleterre et remplir ses premières fonctions de justicier royal dans le Gloucestershire 25 . La même année lui apporta aussi les premiers de ses nombreux bénéfices ecclésiastiques, qui allaient lui permettre de mener un certain train de vie dont il essaya de minimiser l'importance 26 • Son ancien ( ?) patron, Gilbert Foliot, 10

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eveque de Londres, le nomma chanoine de la cathédrale de Saint-Paul à Londres, lui accordant la prébende de Mapesbury, qui, en toute probabilité, doit son nom à son possesseur. D'après Mynors et Brooke les prébendes de Saint-Paul reçurent leur nom à cette époque 27 . En même temps le roi dut lui offrir le bénéfice d' Ashwell dans le Hertfordshire après la mort de l'abbé Laurent de Westminster, le véritable patron d' Ashwell. Le roi profita du délai avant la nomination d'un nouvel abbé de Westminster pour s'octroyer le droit de présentation, et donc Map dut prendre possession de son nouveau bénéfice entre 1173 et 1175, l'année de la nomination du successeur de Laurent. Il semble aussi qu'à cette période Map reçut une troisième prébende, cette fois dans le Gloucestershire à Westbury on Severn 28 , une prébende qui lui valut plusieurs revenus 29 • Vers la fin des années 1170 Map était encore au service du roi car le Pipe Roll 24 d'Henry II (1177/78) note un paiement à Map comme ambassadeur à Rome auprès du pape, Alexandre III. En 1179 il représenta le roi au Concile de Latran où il disputa avec les meneurs de la secte des Vaudois 30 . En septembre 1181 il semble avoir été à Velletri quand Lucius fut élu pape après la mort d'Alexandre III 3 1, mais dans l'intervalle semble avoir été un membre permanent de la cour. Il y était présent en 1181 quand Geoffroi, le fils illégitime d'Henri II, en qualité d'évêque désigné de Lincoln, essaya de lui extorquer les dîmes de son église d'Ashwell, encore en janvier 1182 quand Geoffroi fut contraint d'abandonner cette position parce qu'il ne voulait pas être sacré 32 • La cour se déplaça en Normandie après la résignation de Geoffroi, et Map en faisait partie, car il célébrait les fêtes de Noël à Caen cette année-là en compagnie du roi 33 • Il était avec le roi au début du mois de juin 1183 à Limoges, plus tard à Saumur quand son fils, le jeune Henri, mourut à Martel 34 • Le 3 juillet ils se trouvaient toujours ensemble, cette fois à Angers pour la consécration de Gautier de Coutances, un autre clerc royal, comme évêque de Lincoln 35 • Cette association avec Gautier de Coutances est probablement à l'origine d'une nouvelle carrière pour Map, ou du moins d'une nouvelle série de revenus. L'année suivante il fut un des témoins d'une charte du nouvel 11

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évêque de Lincoln, et fut bientôt nommé chanoine. Le transfert de Gautier de Coutances à l'évêché de Rouen en 1184/85 ne semble pas avoir freiné cette nouvelle carrière dans le diocèse de Lincoln; on le trouve chancelier en 1186, à la tête d'une des plus prestigieuses écoles ecclésiastiques d'Angleterre. Avant la fin du siècle elle devint la toute première école de l'île pour l'étude de la théologie 36 • Aux alentours de 1189 il fut nommé préchantre, mais il est peu probable qu'il se soit occupé sérieusement de la musique ou de la chorale à Lincoln. En 1196 ou 1197 il fut nommé archidiacre d'Oxford 37 • Mais sa carrière auprès du roi n'était pas finie pour autant. En 1185 il fut à nouveau justicier royal, cette fois pour les comtés de Gloucestershire, Shropshire, Staffordshire et sans doute Herefordshire 38 • Cependant sa présence à la cour n'est plus attestée, et il était absent quand son roi mourut en 1189 39 • Certains pensent que sa carrière de clerc royal était déjà terminée en 1183, mais les mots qu'il écrivit en 1191 après deux ans de deuil pour Henri laissent deviner que ce fut la mort du roi qui termina cette carrière. Le nouveau roi, Richard Jer, n'avait pas de place pour lui dans sa chancellerie. Des chartes portant le nom de Map comme témoin le montrent dans le Gloucestershire, et des documents de Saint-Paul, de Londres et de Lincoln peuvent laisser croire qu'il partageait son temps entre ces lieux dans les années 1190, mais après sa nomination comme archidiacre d'Oxford en 1197 il semble avoir pris résidence dans ou près de cette ville. Cette situation aurait pu changer très vite, car l'année suivante le chapitre de la cathédrale d'Hereford l'élut évêque, mais la ratification du roi Richard était nécessaire. Map accompagna la délégation à Angers pour obtenir le consentement de Richard, mais le roi mourut sans pouvoir le lui donner, et son successeur, Jean Sans Terre, nomma Giles de Briouze évêque à sa place. Comme nous l'avons vu, Giraud de Barri le proposa à l'évêché de Saint-David en 1203, et le fait que le justicier Geoffroy FitzPeter ait pu le rejeter parce qu'il habitait trop loin du Pays de Galles concorde bien avec une résidence oxfordienne. En mars 1208 Map eut gain de cause dans une dispute avec les moines d'Eynsham, près d'Oxford, sur le non-paiement de revenus qui 12

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lui étaient dus 40 , et il est mentionné dans les Patent Rolls pour le mois de mai de cette année 41 , dernière information que nous possédions sur sa vie. Il mourut avant le mois de juin 1210, date à laquelle le roi Jean visita l'Irlande, car dans l'introduction de la deuxième édition de son Expugnatio Hiberniae, ou il reproche à Jean de ne pas avoir encore vu l'Irlande, Giraud de Barri indique que Map est mort. Vu que le jour de sa mort est donné comme le 1er avril dans la cathédrale de Hereford, il ne reste que 1209 ou 1210 comme année. Les Curia Regis Rolls pour 1210, qui nous renseignent sur la nomination de Map à l'église d'Ashwell (voir plus haut), rédigés en automne, font état d'une réclamation de la part de l'abbé de Westminster pour retrouver le droit aux revenus de cette église que le roi s'était appropriés en 1173. Il est normal de penser que l'abbé n'attendit pas trop après la mort de Map pour essayer de retrouver ses droits, et donc un délai de cinq ou six mois semble plus plausible qu'un de dix-sept ou dixhuit. Dans ce cas 1210 semblerait bien être l'année de la mort de notre homme. Voilà le genre de carrière ouverte à un homme intelligent et instruit dans les bonnes disciplines à la fin du douzième siècle en Angleterre. Henri II avait un tel besoin de ce type d'homme qu'il les prenait où il les trouvait; Anglo-Normands, Anglo-Saxons, Normands, même des gens étrangers à son royaume proprement dit. Guillaume aux Blanches-Mains, déjà important par son titre d'archevêque de Reims, et encore plus influent par ses attaches familiales - ses frères étaient Henri, comte de Champagne, Thibaut, comte de Blois-Chartres, Étienne, comte de Sancerre, et sa sœur Adèle, troisième femme de Louis VII - réussit régulièrement à placer des clercs en Angleterre, dans les services du roi ou même dans ceux des prélats. Becket avait besoin d'une cinquantaine de secrétaires pour rédiger ses documents, ses chartes, ses lettres. Le cas de Map est à la fois instructif et typique; issu d'une famille de petite noblesse, grâce à ses liens d'amitié il a pu profiter de l'appui du roi et de deux évêques pour se tailler une place au soleil. A son tour, il put lui-même faire avancer des gens de sa famille, mais quand ses amis disparaissaient la roue de la fortune le faisait descendre 42 . Malgré l'appui du roi il n'est

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jamais arrivé à des postes de première importance dans le gouvernement du pays; dans le domaine ecclésiastique il n'est arrivé qu'au rang d'archidiacre, mais il aurait grimpé plus haut si les circonstances l'avaient permis. Il aurait été évêque de Hereford si Richard avait vécu quelques semaines de plus; il aurait pu être évêque de Saint-David si Geoffroy FitzPeter n'avait pas eu des desseins politiques si arrêtés. Néanmoins, il n'est pas à plaindre; la multiplicité de ses bénéfices, et surtout la valeur de certains de ceux-ci, lui permettait de mener une vie aisée. De plus, célibataire sans enfant à ce qu'on sait, il n'avait pas de fille à marier ni de fils à caser. Il n'avait même pas de femme qui eût besoin d'habits somptueux pour recevoir des invités ... Il n'avait que des neveux pour dépenser ses biens.

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NOTES

1. Il, 7, où il dit avoir suivi les cours de Gérard la Pucelle. 2. Pour les références contemporaines voir la suite. Si on regarde les annuaires téléphoniques on constate que le nom de Map est concentré dans le Herefordshire et dans la ville industrielle de Birmingham, ce dernier lieu marquant un phénomène moderne de migration pour chercher du travail. 3. 1, 32. C'est Brooke qui reconnut ce lieu et identifia le personnage Philippus Neapolitanus comme Philippe de Newtown ou Newton et pas de Naples. 4. Voir MYNORS et BROOKE, xiv-xv, où Brooke reconnaît l'aide de Julia Barrow pour les détails concernant les chartes du comte de Hereford. Il semble qu'ils n'avaient pas connaissance d'une série de quatre chartes de Margarete de Bohun, émises au bénéfice de Llanthony Secunda et de Chirton dans le Gloucestershire, dans lesquelles Map est nommé parmi les témoins (Camden Miscellany, XXII, 53, 55, 59, 69). 5. II, 2. 6. T. D. HARDY, Descriptive Catalogue of British History, II, 1865, 487, et T. PURNELL, Literature and its Professors, 1866, sub "Giraldus", pensent que Map naquit dans le Pembrokeshire, et un savant gallois nationaliste, ayant lu trop de Geoffroi de Monmouth, écrivit sans vergogne et sans citer ses sources que Map était le fils de Fleur, fille unique de Gweirydd, sire de Llancarvan (H. OWEN, Gerald the Welshman, Londres 1889, 82). H. L. WILLIAMS, Giraldus's Itinerary through Wales, Londres 1908, xix, semble être le dernier à répéter cette erreur au sujet de son lieu de naissance. C'est le nationalisme qui est à l'origine de ce choix, car le Pembrokeshire est le comté le plus éloigné d'Angleterre, et ceci "prouverait" que Map était gallois. 7. BROOKE xiii. 8. Voir, par exemple, A. BOUTEMY, p. 6 et H. D. WARD, 1, 739. 9. Voir R. FERGUSO~, English Surnames, Londres 1858, p. 22. 10. Domesday Book, tome 17, "Herefordshire", éd. F. & C. THORN, Chichester 1983, sans pagination. (Godric 1, 60 et JE!fric E 6). 11. V,6. 12. Il, 20; BROOKE xiii. 13. II, 23. Bien sûr, il existait encore à cette époque un flottement entre le singulier et le pluriel à la première personne, mais Map semble utiliser le singulier quand il veut se désigner personnellement. En tout cas, Mynors et Brooke auraient dû signaler l'adjectif possessif pluriel et indiquer que leur interprétation était loin d'être la plus évidente.

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VIE ET CARRIÈRE 14. BOUTEMY, p. 7. Boutemy a même sous-titré son livre "Conteur anglais", mais comme nous avons vu plus haut (n. 7), il ne put rejeter entièrement l'idée d'une origine galloise. 15. MYNORS et BROOKE, xiii. 16. GIRALDUS, Opera, I, 306 et III, 321. En fait, aucun des deux n'était acceptable, parce que Geoffroy avait quelqu'un de précis en tête. 17. II, 2. Giraud de Barri fut aussi élève de cette école quelques années plus tard. 18. Bien sûr, on ne peut écarter la possibilité que l'abbaye de Gloucester ait été une étape sur sa route de Hereford à l'aller comme au retour. 19. V, 5. 20. II, 23; BOUTEMY p. 7. 21. BROOKE xxi. 22. Ibid. 23. V, 6. 24. II, 3. 25. Pipe Roll 19 d'Henry II. 26. I, 10 où il parle de sa petite maisonnée (modicum numerum), et son poème à un clerc royal nommé Hamelin (MS Oxford Digby 53 f. 33ra) : Tu curiam sequeris et regia brevia scribis Totus in argento, si volueris, ibis Nos miseri clerici qui in Anglia >, Cahiers de Civilisation Médiévale 34, 1991, 3-21. Beazley C.R., The Dawn of Modern Geography, Londres 1897. Bennett R.E., «Walter Map's Sadius and Galo >>, Speculum 16, 1941, 34-56. Benton J.F., « Consciousness of Self and Perceptions of Individuality » dans Renaissance and Renewal in the Twelfth Century, éd. L.S. Benson et G. Constable, Californie 1982. Bertini F., « Il Geta di Vitale di Blois e la scuola di Abelardo >>, Sandalion 2, 1979, 257-65. - , « Riflessi di polemiche fra litterati nel prologo della Lidia di Arnulfo d'Orléans>>, Sandalion 1, 1978, 193-209. Brémond C. et al., L'exemplum, Turnhout 1982. Burgess G.S. et K.Busby, The Lais of Marie de France, Harmondsworth 1986. Busquet R., « Gervais de Tilbury inconnu>>, Revue Historique 191, 1941, 1-20. Carman J.N., A Study of the Pseudo-Map Cycle of Arthurian Romance, Kansas 1973. Cazelles B. et Méla C., Modernité au moyen âge, Genève 1990. Chenu M.-D., La théologie au XIIe siècle, Paris 1957.

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339

Table des matières

Page CHAPITRE

1 / Vie et carrière

Notes CHAPITRE

2/

r: œuvre de Map

5 15 19

Religion Misogynie Ethnologie Folklore Chroniques Orient Modernité Notes

22 24

CHAPITRE 3 /Littérature Querelles de clocher, poétique médiévale et critique littéraire Map romancier Notes

47

26

29 31 33 37

42

47 58 71

Contes pour les gens de la cour CHAPITRE 1 1, 1. Comparaison de la Cour et de !'Enfer 1, 2. L'Enfer 1, 3. Tantale

79 82 82 341

TABLE DES MATIÈRES

I, 4. Sisyphe I, 5. Ixion I, 9. [Caron] I, 10. Les créatures nocturnes I, 11. Le roi Herla I, 12. Le roi du Portugal I, 13. Guichard, moine de Cluny I, 14. Histoire semblable d'un autre moine de Cluny I, 19. Un certain miracle I, 20. Un autre miracle I, 23. Sur l'origine des Hospitaliers I, 24. L'origine des Cisterciens I, 25. Les idées de Gautier Map sur l'état de moine I, 26. Les Grandmontais - Récapitulation I, 27. L'origine de l'ordre de Sempringham I, 28. Les Chartreux - Récapitulation I, 29. Une secte hérétique I, 30. Une autre secte hérétique semblable I, 31. La secte des Vaudois I, 32. La pénitence merveilleuse de trois ermites Notes II 1. Prologue 2. Grégoire, moine de Gloucester 3. Le bienheureux Pierre de Tarentaise 4. Le bienheureux Pierre (suite) 5. Le bienheureux Pierre (suite et fin) 6. Un ermite 7. Luc le Hongrois 8. La dévotion sans discernement des Gallois 9. Élias, ermite gallois 10. Cadog, roi gallois 11. Apparitions fantastiques 12. Apparitions fantastiques (suite) 13. Autres apparitions 14. Autres apparitions (suite)

82 83 83 84 91 94 97 97 99 99 102 104 109 123 125 125 126 126 129 132 133

CHAPITRE

II, II, II, II, II, II, II, II, II, II, II, II, II, II,

342

13 7 137 138 139 140 141 142 143 144 145 145 148 150 151

TABLE DES MATIÈRES

II, 15. Autres apparition s (suite) II, 16. Autres apparition s (suite et fin) II, 17. Le très vaillant chevalier Gadon II, 18. Andronius , empereur de Constantin ople II, 19. Gillescop !'Écossais, homme très vaillant II, 20. Les mœurs des Gallois II, 21. L'hospitalité des Gallois II, 22. Llewelyn, roi gallois II, 23 Llewelyn (suite) II, 24. Conan Sans Peur II, 25. Le voleur Cheveslin . II, 26. La fureur des Gallois II, 2 7. Un prodige Il. 28. Un autre prodige IL 29. Un autre prodige II. 30. Un autre prodige Il, 31. Quelques proverbes II, 32. Conclusio n Notes CHAPITRE III III, 1. Prologue III, 2. De l'amitié de Sadius et de Galon III, 3. Du manque d'amitié entre Parius et Lausus III, 4. Rason et sa femme III, 5. Rollon et sa femme Notes CHAPITRE IV IV, 1. Prologue IV, 2. Épilogue IV, 3. Lettre de Valère à Ruffin le philosophe contre le mariage IV, 4. Conclusio n de la lettre précédente IV, 5. Fin de la lettre précédente IV, 6. Comment le jouvencea u Eudes fut trompé par un démon

152 153 154 158 161 163 163 164 166 170 171 172 173 174 174 175 176 176

181 182 201 210 215 219 221 224 226 236 237 239 343

TABLE DES MATIÈRES

IV, 7. Le moine de Cluny qui prit les armes contre son vœu IV, 8. Autres apparitions fantastiques IV, 9. Autres apparitions IV, 10. D'autres apparitions du même type IV, 11. La mystification fantastique de Gerbert IV, 12. Le cordonnier enchanté de Constantinople IV, 13. Nicolas Pipe, l'homme de la mer IV, 14. Salius le fils du Grand Émir IV, 15. Alain, Roi des Bretons IV, 16. Les marchands Scéva et Ollon Notes

25 3 255 255 257 258 265 267 270 271 280 286

CHAPITRE V V, 1. Prologue II, 2. Le roi Apollonidès V, 3. Le comte Godwin : origine et caractère V, 5. Henri Ier, roi des Anglais et Louis, roi des Français V, 6. La mort de Guillaume le Roux, roi des Anglais Notes

289 291 292 297 311 328

Bibliographie

333

Table des matières

341

344