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French Pages [324] Year 2014
Mariama Gueye
CAPTIFS ET CAPTIVITÉ
DANS LE MONDE ROMAIN Discours littéraire et iconographique (IIIe siècle av. J.-C. – IIe siècle ap. J.-C.)
Captifs et captivité dans le monde romain Discours littéraire et iconographique (IIIe siècle avant J.-C. – IIe siècle après J.-C.)
Collection Histoire, Textes, Sociétés dirigée par Monique Clavel-Lévêque et Laure Lévêque Pour questionner l'inscription du sujet social dans l'histoire, cette collection accueille des recherches très largement ouvertes tant dans la diachronie que dans les champs du savoir. L'objet affiché est d'explorer comment un ensemble de référents a pu structurer dans sa dynamique un rapport au monde. Dans la variété des sources – écrites ou orales –, elle se veut le lieu d'une enquête sur la mémoire, ses fondements, ses opérations de construction, ses refoulements aussi, ses modalités concrètes d'expression dans l'imaginaire, singulier ou collectif. Déjà parus Enrique Fernández Domingo, Xavier Tabet (textes réunis et présentés par), Nation, identité et littérature en Europe et Amérique latine (XIXe-XXe siècles), 2013. Laure Lévêque (éditeur), Les voies de la création. Musique et littérature à l’épreuve de l’histoire, 2012. Sidonie Marchal (éditeur), Belfort et son territoire dans l’imaginaire républicain, 2012. Lydie Bodiou, Florence Gherchanoc, Valérie Huet, Véronique Mehl, Parures et artifices : le corps exposé dans l’Antiquité, 2011. Stève Sainlaude, Le gouvernement impérial et la guerre de Sécession (18611863), 2011. Laure Lévêque (éditeur), Paysages de mémoire. Mémoire du paysage, 2006. Laure Lévêque (éditeur), Liens de mémoire. Genres, repères, imaginaires, 2006. Monique Clavel-Lévêque, Le paysage en partage. Mémoire des pratiques des arpenteurs, 2006.
Mariama GUEYE
CAPTIFS ET CAPTIVITÉ DANS LE MONDE ROMAIN Discours littéraire et iconographique (IIIe siècle avant J.-C. – IIe siècle après J.-C.)
Préface de Monique Clavel-Lévêque
Illustration des monnaies : droits réservés
Illustration de couverture : Couple de captifs au pied d’un trophée : victoire de César sur l’Espagne © Droits réservés
© L’Harmattan, 2013 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-343-01360-2 EAN : 9782343013602
À ma mère et à mon père, ces deux êtres merveilleux, À ma famille, À tous ceux qui me sont chers.
PRÉFACE Explorer sur un demi millénaire les sources textuelles, majoritairement latines, même si les auteurs grecs ne sont pas oubliés, pour y mesurer la place faite aux captifs dans le monde romain, ne relève pas d’une mince ambition. Chercher à saisir la vision romaine de la captivité supposait d’opérer une lecture drastiquement décapante de la vision des vainqueurs, il vaudrait mieux dire des visions, la problématique ayant forcément évolué au cours des quelque 500 ans – du IIIe avant au IIe siècle de notre ère – concernés par l’approche mise en œuvre par Mariama Gueye. Un tel essai a le grand mérite de livrer un corpus à la fois riche et éminemment pluriel, qui prend en compte l’iconographie du discours monétaire et des fragments de relief parallèlement au discours textuel, dans la double dépendance des genres littéraires et de l’évolution des rapports de force entre Rome et les mondes périphériques. La démarche est classique, qui montre la prépondérance d’occurrences qui renvoient à la période républicaine, cette généreuse pourvoyeuse de captifs, ce qui n’est pas pour étonner, pas davantage d’ailleurs que, à un autre niveau, la domination de certaines provenances géographiques, ou encore la mise en scène de « captifs vedettes », indispensables à la valorisation de leurs vainqueurs. L’attention minutieuse portée par Mariama Gueye à cet aspect est tout à fait précieuse. L’approche de la « population » des captifs, de sa constitution, de sa composition démographique, fournit l’indispensable dimension humaine et sociale. Elle vient heureusement compenser la rigueur des relevés lexicaux et des recensements numériques, ouvrant sur une étude des traitements que les captifs ont eu à subir, et que Mariama Gueye conduit sans éluder à aucun moment la complexité des situations concrètes. Constitue également un apport appréciable, suivi dans la longue durée, l’importance donnée au « point de vue » et aux effets qu’il génère, selon qu’il s’agit de « barbares » ou de Romains, que toute défaite déshonore, engendrant ces discours justificatifs bien mesurés et argumentaires spécieux qui permettent à Valère Maxime, à Velleius Paterculus ou à Juvénal de faire intervenir le poids accablant d’un fatum contraire. C’est dire que Mariama Gueye, balisant les perspectives complexes de ces discours croisés sur la captivité et les captifs, mais le plus souvent redondants pour légitimer les positions de supériorité morale et culturelle, livre aussi, avec l’indispensable référentiel, un outil opératoire sur un thème majeur qui introduit au cœur même du système de domination instauré par Rome. Monique Clavel-Lévêque
INTRODUCTION La fréquence des guerres dans les sociétés antiques relève du commun et à la limite du naturel1. Cette « hégémonie du fait militaire » dans l’Antiquité est mise en évidence : « par la place prépondérante qu’il occupe dans notre documentation. Il alimente en premier lieu l’œuvre des historiens dans une proportion de 4/5 »2.
Paradoxalement, la captivité de guerre (précisément le traitement des prisonniers de guerre) qui, pourtant, s’inscrit pleinement dans ce registre, est négligée, voire ignorée par les sources de l’Antiquité contrairement aux questions relatives à l’art militaire telles que la poliorcétique. D’une manière générale, les captifs n’ont pas spécialement retenu l’attention des auteurs latins3. Un tel désintérêt s’explique par le contenu du vocable captivus qui, d’emblée, évoque l’humiliation à la suite d’une défaite et la condition de dominé. Les sources s’accordent pour proclamer, à l’unanimité, que le prisonnier de guerre est « l’esclave de l’ennemi »4. Cette sentence, très lourde, le condamne irrémédiablement au second plan. Ainsi, à l’inverse des prisonniers de guerre étrangers, l’évocation des captifs romains est, souvent, sciemment éludée, et même omise ouvertement par les auteurs. En revanche, un intérêt particulier est attaché à une catégorie de prisonniers de guerre, il s’agit des captifs de marque dont la présence valorise le vainqueur, en l’occurrence l’Urbs. Par ailleurs, la préoccupation de la plupart des auteurs étudiés est de comparer deux périodes : la glorieuse République et l’inerte HautEmpire. Ils font ainsi coïncider la première avec une activité militaire intense qui s’est soldée par des victoires mémorables et par la capture de rois renommés tels que Syphax, Persée, Jugurtha, Vercingétorix etc ; tandis que la seconde est rattachée à une pax Romana et à une période d’inertia Caesarum marquées par l’absence ou la rareté de conflits de grande envergure. Or, les textes de Valère Maxime, Florus et, dans une moindre mesure, Velleius Paterculus ont principalement pour objectif d’exalter les vertus et les hauts faits du princeps populus5. C’est d’ailleurs une des raisons qui explique tout l’intérêt « Toutes nuances idéologiques mises à part, il est universellement admis dans l’Antiquité que la guerre était la condition naturelle de la société humaine », M. I. Finley, Sur l’histoire ancienne. La matière, la forme et la méthode, Paris, La Découverte, 2001, p. 127. 2 Y. Garlan reprenant A. Toynbee, La guerre dans l’antiquité, Paris, Nathan, 1972, p. 3. 3 Le thème n’a pas, non plus, suscité le même intérêt chez tous les auteurs, voir Figure II et Tableau IX de l’Annexe I. 4 Dans le monde grec, Platon fait une réflexion similaire lorsqu’il mentionne que « celui qui se laisse prendre vivant par les ennemis ne faut-il pas en faire cadeau à ceux qui l’ont pris et les laisser disposer à leur gré de leur butin », République, V, 468a (texte établi et traduit par E. Chambry, Paris, Gallimard, 1992). 5 Dans sa préface, Florus avertit le lecteur que son unique but est d’arriver « à provoquer son admiration pour le peuple-roi », Œuvres, texte établi et traduit par P. Jal, Paris, Les Belles Lettres, 1967. 1
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qu’ils portent à l’époque républicaine bien qu’ils aient vécu sous l’Empire1. De cette logique des sources se dégage une certaine vision de la captivité à Rome. Même Tacite, dont les écrits portent plus sur le Haut-Empire, ne manque pas de relever et de déplorer la différence entre les deux époques dans ses Annales. « La plupart des faits que j’ai rapportés et que je rapporterai paraîtront peut-être insignifiants et peu dignes de mémoire, je ne l’ignore pas ; mais on ne saurait comparer nos annales avec les écrits de ceux qui ont composé l’histoire ancienne du peuple romain. Ceux-là avaient à raconter de grandes guerres, des sièges de villes, les défaites ou la captivité des rois, et, quand ils s’occupaient des affaires intérieures, les discussions de consuls et de tribuns, les lois agraires et frumentaires, les luttes du peuple et des grands, la carrière était libre : la nôtre est étroite et sans gloire » 2
observe-t-il.
Pourtant, la réalité se révèle différente. En effet, même en pleine pax Romana, Rome n’avait pas totalement cessé ses conquêtes. Ce qui est récurrent et frappant dans les discours littéraire et monétaire reste la volonté manifeste des sources de vouloir présenter les deux premiers siècles de notre ère comme une période paisible dans tout l’Empire. Aux revers des monnaies d’Auguste, le Barbare est représenté dans la pause d’un vaincu (et non celle d’un prisonnier de guerre aux mains liées), qui vient se rendre ou demander la paix librement comme un bienfait3. Il est certes vrai que l’activité militaire de cette époque n’égale ni en ampleur ni en intensité celle de la République, mais il s’avère aussi parfaitement clair que l’Empire était loin de baigner dans une quiétude absolue ! Les rapports entre Rome et le Barbaricum restent toujours conflictuels. Des révoltes nationales, entraînées par la conquête, éclatèrent un peu partout dans l’Empire et furent violemment réprimées : en 26-25 av. J-C, en Espagne (au nord-ouest de la péninsule libre jusque-là) ; à partir de 42 av. J-C jusqu’au Ier s. ap. J-C, dans les provinces du Danube (Pannonie, Dalmatie, Mésie, Dacie et Thrace) ; en Afrique, en 17 ap. J-C, débuta la révolte du chef numide Tacfarinas qui se poursuivit jusqu’à 24 ap. J-C4. L’objet de la présente étude est d’apporter une contribution à la connaissance de la captivité dans le monde romain en mettant l’accent sur les traitements infligés aux prisonniers de guerre. Une question fondamentale et incontournable se pose d’emblée : qu’advenait-il de la population civile et des combattants qui tombaient sous le pouvoir de l’ennemi ? Autrement dit, quel était le comportement des vainqueurs romains à l’égard de leurs victimes ?
Cf. Tableau IX qui présente tous les auteurs et leurs périodes (Annexe I). IV, 32 (texte établi et traduit par H. Goelzer, Paris, Les Belles Lettres, 1966). 3 Voir Monnaies X et XII de l’Annexe II. 4 M. Goodman, L’Empire romain, économie, société, culture, Paris, 1994, pp. 69-78 ; Cl. Lepelley, Rome et l’intégration de l’Empire 44 av. J-C - 260 ap. J-C, pp. 230-245. Cf. Tableau IX (Annexe I) sur lequel figurent les rapports conflictuels entre Rome et le reste du monde entre le III e s. av. J-C et le début du IIe s. ap. J-C. 1 2
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique
Il n’existe, à notre connaissance, aucun traité consacré, exclusivement, au traitement des prisonniers de guerre dans le monde romain entre le III e s av. J-C et le IIe s. ap. J-C. Les neuf auteurs anciens (Velleius Paterculus, Valère Maxime, Martial, Juvénal, Tacite, Pline Le Jeune, Suétone, Aulu-Gelle et Florus) qui constituent notre corpus, livrent des informations fragmentaires, succinctes et d’importance inégale. Notre démarche méthodologique a consisté d’abord à collecter toutes les données textuelles ayant trait à notre sujet. Les textes du corpus, rassemblés et classés, sont complétés d’une part par ceux de deux autres historiens, Appien et Flavius Josèphe (sans oublier Plaute qui, à travers son théâtre, livre un tableau sommaire de la vie des captifs à Rome1) et d’autre part par les textes juridiques sur le jus postliminium2. Ensuite, au discours textuel nous avons adjoint des sources iconographiques constituées par les monnaies et les fragments de monument pour servir d’éléments d’illustration, de comparaison et d’analyse. Le discours figuré offre plutôt une représentation du captif et de la captive presque invariable qui vise à souligner le poids de la défaite et la « barbarie » des vaincus afin de présenter leur captivité comme un moyen salutaire qui leur ouvrait l’accès à la « civilisation ». Flavius Josèphe reste le seul auteur ancien à annoncer, clairement, que le sort des captifs le préoccupe. Dans sa préface, il déclare qu’il « examinera en détail pour chaque ville le sort des prisonniers juifs, selon ce qu’il a observé ou subi lui-même ». Dans le même ordre d’idées, il précise qu’il « ne laissera de côté ni le triste sort des déserteurs, ni les châtiments infligés aux prisonniers, ni l’incendie du Temple […] ni la prise de la ville, les présages et les prodiges qui l’ont précédée, la capture des tyrans, le nombre des prisonniers de guerre et le sort réservé à chacun d’eux »3.
Fait prisonnier pendant la guerre de Judée, de 67 à 69 ap. J-C, Flavius Josèphe assista non seulement aux différentes phases du siège et de la prise de Jotapata et de Jérusalem par les forces romaines, mais également à toutes les misères infligées aux prisonniers juifs jusqu’au triomphe de Vespasien et de son fils Titus. Toutefois, soulignons qu’il relate les événements du point de vue d’un « traître », c’est-à-dire de quelqu’un qui avait préféré la captivité au suicide et qui, de surcroît, avait bénéficié des faveurs impériales4. Par conséquent, il livre un point de vue plus ou moins influencé par ses bienfaiteurs. Plaute, Les captifs, texte établi et traduit par A. Ernout, Les Belles Lettres, Paris, 1957. Justinien, Institutes de l’empereur Justinien, traduction A.-M. Caurroy, 1832 ; id., Les cinquante livres du Digeste ou les Pandectes de l’empereur Justinien (Corps de droit civil romain en latin et en français), traduction H. Hulot et alii, Scientia, 1979. 3 La guerre des Juifs, I, 28 (texte traduit du grec par P. Savinel, Paris, éd. de Minuit, 1977). 4 La guerre des Juifs est publiée entre 75 et 79 ap. J-C au moment où Flavius Josèphe, jouissant des largesses impériales, vit à Rome, (cf. Introduction de l’Autobiographie de Flavius Josèphe, A. Pelletier, Paris, Les Belles Lettres, 1959, p. 12). « Le Juif de Rome », sauvé et comblé de faveurs par les Flaviens, leur est largement redevable. Il avoue que « Vespasien le fit loger dans la maison qui avait été la sienne avant son accès à l’empire » et lui versait même une pension, Autobiographie, 423. L’adoption du point de vue romain par l’auteur est établie par H. St. J. Thackeray, Flavius Josèphe. L’homme et l’historien (Paris, éd. Du Cerf, 2000, p. 29), 1 2
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La captivité ne constitue un domaine d’investigation privilégié ni pour les Anciens ni pour les historiens modernes1. En dehors de la thèse de P. Ducrey2 sur le traitement des prisonniers de guerre en Grèce, nous ne disposons pas d’études exhaustives sur les captifs et la captivité dans le monde gréco-romain. Signalons, toutefois, que sous forme d’articles, J. Kolendo a étudié les rapports entre les captifs romains et le Barbaricum en Europe Centrale3. Les historiens modernes ont plutôt tendance à se focaliser sur la captivité de guerre comme source principale d’approvisionnement en esclaves4. De ce fait, ils négligent les formes de traitement auxquelles étaient soumis les prisonniers de guerre (sauf la vente), l’enjeu qu’ils constituaient dans les relations diplomatiques ainsi que les rapports entre l’utilité du captif et son sort. Le traitement des prisonniers de guerre ne dépendait d’aucune législation, mais essentiellement du bon vouloir des vainqueurs, c’est-à-dire du général victorieux et surtout de ses troupes comme nous tenterons de le montrer dans le cas des villes prises. Sa position embarrassante sur l’échiquier des conflits armés et l’absence d’un quelconque statut juridique condamnaient inéluctablement le prisonnier de guerre à évoluer dans la précarité et l’atrocité. Dans les faits, le droit romain ne reconnaissait pas de statut juridique au captif5. D’ailleurs, toutes les transformations en sa faveur, qui avaient été M. Hadas-Lebel, Flavius Josèphe. Le Juif de Rome (Paris, Fayard, 1989, pp. 127-146) et Ch. Saulnier, « Flavius et la propagande flavienne » (Revue Biblique, 1991, pp. 199-200). 1 À propos de l’état des recherches sur la captivité de guerre, M. Garrido-Hory constate que le thème « n’a pas constitué un champ privilégié d’investigation et de réflexion pour le G.I.R.E.A. », « Captifs et prisonniers de guerre dans les 18 premiers colloques du G.I.R.E.A. », in Captius i esclaus a il’Antiguitat i al mon modern, actes del XIX colloqui internacional del GIREA, editors M. L. Sanchez Leon et G. Lopez Nadal, Palma de Mallorca, 2-5 octobre 1991, Napoli, Jovene editore, 1996, vol. 7, pp. 141-164. Cependant, il convient de relever que la situation s’est légèrement améliorée puisque le thème suscite actuellement un peu plus d’intérêt, cf. bibliographie. Il y a eu entre autres, le travail de H. Huntzinger sur La captivité de guerre en Occident dans l’Antiquité tardive, 378-507, présenté six ans après notre thèse (le présent ouvrage en est une version remaniée) soutenue en 2003 à l’Université de Franche-Comté. 2 P. Ducrey, Le traitement des prisonniers de guerre dans la Grèce antique, des origines à la conquête romaine, Paris, E. De Boccard, 1968. A. Bielman dans Études épigraphiques I. Retour à la liberté. Libération et sauvetage des prisonniers en Grèce ancienne. Recueil d’inscriptions honorant des sauveteurs et analyse critique, (École Française d’Athènes, Paris, E. De Boccard, 1994) a axé, quant à elle, sa réflexion sur la libération des prisonniers de guerre. 3 Cf. bibliographie. 4 I. Biezunska-Malowist, « La guerre comme source d’esclaves », in Captius i esclaus …, pp. 3-11 ; V. I. Kuzišcin, « Captivi and non captivi slaves in Ancient Rome », in Captius i esclaus…, pp. 49-62. 5 Considérant que le droit de la guerre est fonction de l’état de la civilisation et des idées qui dominent à un moment donné, certains juristes et historiens modernes perçoivent dans le traitement des captifs un trait de barbarie caractéristique du droit antique ou tout simplement une absence d’humanisme. Ainsi, dans leurs travaux consacrés aux prisonniers de guerre, un nombre de pages très réduit est réservé à la période antique, cf. A. Charpentier, La convention de Genève du 27 juillet 1929 et le droit nouveau des prisonniers de guerre, thèse de Doctorat, université de Rennes, 1936, p. 7 ; R. Alan, The legal status of prisoners :
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique
opérées depuis le IIIe s. av. J-C jusqu’à l’empereur Justinien, concernaient surtout l’ancien captif (c’est-à-dire celui qui avait retrouvé le chemin de la liberté) et non le captif (l’individu qui se trouvait entre les mains de l’ennemi). Progressivement, le monde moderne essaie de corriger et d’améliorer la condition « juridique » du prisonnier de guerre depuis le XVIIIe siècle en intégrant dans les conventions internationales des clauses relatives à son traitement1. À travers les traitements infligés au captif s’esquisse son rôle, certes latent mais effectif, dans le dispositif idéologique, stratégique, religieux et économique de la guerre. Le prisonnier de guerre demeure avant tout un sujet passif, passivité dans laquelle sa nouvelle condition de dépendant l’enferme, mais où il puise quelquefois toutes les ressources qui le transforment en agent actif sur l’échiquier des conflits armés. S’il est exact que les lois de la guerre accordaient au vainqueur droit de vie et de mort sur le vaincu, il n’en demeure pas moins vrai que les Anciens avaient établi aussi, parallèlement, des règles et des conditions afin d’éviter les abus et les dérapages. Avant toute chose, la guerre devait être justa et pia (juste et pieuse). Dans le cas contraire, il ne s’agirait que d’un vulgaire acte de latrocinium ou brigandage. Une fois ces exigences satisfaites2, le vainqueur avait les dieux et le droit de son côté. C’est d’ailleurs pourquoi le traitement du captif dépendait plus de la clémence et de la magnanimité du captivator que d’un quelconque jus gentium ou droit des gens. Néanmoins, l’approche juridique de la définition du vocable captivus reste fondamentale dans l’appréhension de la captivité de guerre. Aborder le jus postliminium s’avère indispensable pour notre étude parce qu’il demeure le seul texte ancien qui énonce et fixe la condition « juridique » du captif dans le monde romain. Cette tâche, bien que nécessaire, reste très malaisée car elle soulève un problème chronologique. Le Digeste et les Institutes, qui renferment les textes juridiques relatifs à la condition de captif, ont été rédigés sous l’Empereur Justinien. Or, cette période n’est pas couverte par la présente étude. Mais nos a study in international humanitarian law applicable in armed conflicts, Annales Academiae Scientiarum Finnicae, 1976, pp. 44-45. 1 Malgré toutes les conventions, toujours plus humanistes, en faveur du prisonnier de guerre à savoir qu’il ne doit plus être enchaîné mais être traité comme les hommes de la force détentrice, la réalité quotidienne montre que les clauses juridiques restent des mots vains. Pour s’en rendre compte, il suffit de parcourir la bibliographie foisonnante consacrée au traitement des prisonniers de guerre des XIXe et XXe siècles, F. Cochet, Soldats sans armes. La captivité de guerre : une approche culturelle, Bruxelles, 1998 ; R. Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie 1954 - 1962, Paris, Gallimard, 2001 ; R. Branche et F. Virgili, Viols en temps de guerre, Paris, Payot, 2011. La question sensible et pendante reste de savoir s’il est possible de protéger le captif ou plus exactement de lui accorder des droits et de les préserver en sachant qu’il se trouve sous le pouvoir discrétionnaire de l’ennemi. 2 Rome ne remplissait pas toujours ces conditions, bien qu’elle prétendît le contraire en se couvrant de l’ample manteau de la fides et sous les prétextes de casus belli cousus de toutes pièces. Sur la fides romana, cf. Florus, I, 34 et G. Freyburger, Fides, étude sémantique et religieuse depuis les origines jusqu’à l’époque augustéenne, Paris, Les Belles Lettres, 1986.
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nombreuses et fréquentes références à ces codes juridiques se justifient par l’ancienneté du jus postliminium dont l’élaboration remonte à l’époque républicaine1. Il demeure le seul texte juridique romain qui réglemente le retour des prisonniers de guerre. Par conséquent, il apporte la précision à nos approche méthodologique et analyse. En spécifiant les prisonniers de guerre qui ne pouvaient pas bénéficier du jus postliminium, les textes juridiques offrent, en même temps, la possibilité de distinguer le captivus des autres vaincus et de mieux cerner cette notion. Nous avons fixé deux bornes à notre travail : la première concerne l’esclavage puisqu’il commence là où s’arrête la captivité, c’est-à-dire à partir de l’insertion du prisonnier de guerre dans un milieu d’accueil servile. Quant à la seconde, elle reste étroitement liée au droit. Il s’agit des guerres civiles, car les citoyens qui étaient pris au cours de ces conflagrations ne devaient être traités en captifs. Ainsi, les guerres fratricides feront surtout figure d’illustration et d’élément de comparaison. En revanche, le cas du captif romain au pouvoir d’un vainqueur barbare ne manquera pas de retenir notre attention. Notre réflexion s’articule autour de deux points fondamentaux. Dans le premier, il s’agit d’étudier les notions de captivus, captus et captivitas ainsi que la composition de la population captive. Nous avons procédé à un relevé et un examen minutieux de la terminologie de la captivité dans les textes et sur les revers de monnaies, avant d’en venir à l’analyse purement historique de notre sujet. L’étude du lexique consiste à repérer puis à relever tous les vocables et syntagmes qui appartiennent à l’univers des captifs afin de constituer un corpus. Cette étape demeure indispensable compte tenu, à la fois, des ambivalences et contradictions multiples constatées entre les différents types de dépendants et le prisonnier de guerre ainsi que les interférences terminologiques remarquées entre la guerre étrangère, la guerre civile, la guerre servile et la piraterie. Cette démarche permet d’abord de circonscrire le champ lexical de la captivité de guerre tout en délimitant notre domaine d’investigation, ensuite de tenter de définir le vocable captivus à partir des textes littéraires et juridiques en vue d’essayer de cerner son « statut ». Dans le deuxième point, il est question d’aborder le traitement des prisonniers de guerre après avoir repéré les lieux communs de la captivité, à savoir les champs de bataille et les villes prises. Le captif, symbole de la victoire, force de travail gratuite et source de renseignements, devenait ainsi un enjeu dans le règlement des conflits armés et un pion, parfois majeur, dans le jeu des relations diplomatiques. Les traitements d’usage s’avéraient très variés allant de la libération à la mise à mort du captif en passant par le jardin des supplices, le viol, la figuration à la procession triomphale ou la détention carcérale. Mais, tous les prisonniers de guerre subissaient-ils les mêmes formes de traitement ? Certains pouvaient-ils bénéficier de faveurs ? Quels étaient les facteurs ou 1 M. Bartosek, « Captivus », BIDR, 57-58, 1953, p. 193 ; J. Imbert, Postliminium. Étude sur la condition juridique du prisonnier de guerre en droit romain, Paris, Domat-Montchrestien, 1944, p. 27.
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paramètres qui influaient directement ou indirectement sur le sort du captif ? Le traitement du captif dépendait-il de son utilité et de l’enjeu qu’il représentait aux yeux de son captivator (influencé par le contexte politique et économique du moment) ? En conclusion, nous essaierons de voir dans quelle mesure il est possible de dégager une vision du captif et de la captivité à Rome à partir de la place de ce thème dans notre corpus.
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LEXIQUE, DÉFINITION ET COMPOSITION DE LA POPULATION CAPTIVE
Nous avons choisi d’aborder le sujet par une étude de la terminologie afin de circonscrire le champ lexical des captifs et de la captivité. Cette approche a pour objectif de cerner les différents aspects et phases de la captivité et de définir la notion de prisonnier de guerre. Pour y parvenir, nous avons procédé à une lecture minutieuse des œuvres choisies. Cet exercice a consisté à rechercher, repérer et relever systématiquement dans les textes tous les vocables et syntagmes qui désignent et caractérisent le captif ou bien traduisent la réalité ou une des réalités de la captivité. Ainsi, nous avons relevé les noms propres, les substantifs, les adjectifs, les verbes et les expressions, afin de constituer notre corpus1 qui balise le discours sur les captifs et la captivité entre le IIIe s. av. J-C et le début du IIe s. ap. J-C. Nous n’avons surtout pas manqué de nous intéresser à leur champ sémantique respectif qui permet d’éviter les confusions sur les termes polysémiques. Sous la forme d’une série de tableaux, nous avons classé toutes les notions qui se rapportent à la captivité, c’est-à-dire les modes d’entrée en captivité, les modes de désignation des captifs, les termes connotant et/ou dénotant la perte de la liberté, les types de châtiment infligés aux prisonniers de guerre ainsi que les modes de mise en liberté. Ces données textuelles sont complétées par des légendes2 relatives à la captivité gravées aux revers de certaines monnaies frappées entre le IIe s. av. J-C et le Ier s. ap. J-C afin de confronter discours littéraire et discours monétaire3. L’index ainsi élaboré puis exploité ne constitue, certes, qu’un premier niveau d’analyse, mais cette étape reste, quand même, déterminante. D’une part, cette approche offre la possibilité de connaître l’importance numérique et la distribution comparée des termes relevés afin de représenter de manière globale la place et le fonctionnement de chaque unité lexicale qui rend compte d’un aspect de la captivité dans le discours général ; d’autre part, elle permet d’apporter des éléments de réponse aux questions qui, d’emblée, se posent : comment étaient désignés les captifs ? Comment devenait-on captif ? Quelle était la « condition juridique » du captif ? Dans quels contextes les retrouvait-on ? Comment étaient-ils traités ? Et enfin, comment étaient-ils perçus par les Anciens ? Les mots et syntagmes puisés dans l’univers des prisonniers de guerre donnent, ainsi, la possibilité de mettre en évidence la diversité, la richesse du lexique et la qualité des informations. À partir de l’ensemble des données littéraires complétées par les textes juridiques sur la condition de prisonnier de guerre nous avons tenté de fournir une définition du captif avant d’aborder la composition même de la population captive. Le corpus est le résultat d’une « opération d’extraction » qui « coupe des énoncés de leurs conditions de production », J. Guilhaumou, D. Maldidier, et R. Robin, Discours et archives, expérimentation en analyse du discours, Liège, Mardaga, 1994, p. 76. 2 Par définition, la légende correspond à « tout ce qui peut être lu sur la monnaie, elle est avant tout, destinée à répondre aux questions que se pose l’utilisateur de la monnaie », F. Rebuffat, La monnaie dans l’Antiquité, Paris, Picard, 1996, pp. 189-190. 3 Cf. chapitre IV, pp. 126-133. 1
Chapitre I
LE VOCABULAIRE DE LA CAPTIVITÉ Les vocables relevés qui se réfèrent aux différents modes de désignation (exception faite des noms propres), aux modalités d’entrée en captivité, aux formes de torture infligées aux captifs et aux notions qui connotent ou qui dénotent la captivité ainsi que la fin de la captivité1, s’élèvent à environ 68 unités lexicales et syntagmes. Cette richesse du lexique, qu’atteste le nombre de termes triés et répertoriés, se lit à travers les différentes tournures et constructions syntaxiques employées par les auteurs pour rendre compte des mêmes réalités. Ces appellations distinctes reflètent aussi leurs desseins ou préoccupations qui consistent à rechercher le mot équivalent, juste et rare afin d’obtenir un effet de variété2 ou bien alors d’attribuer une fonction, voire même une connotation précise à certains emplois. Ce lexique recouvre, globalement, deux réalités distinctes : - d’un côté, les termes dits spécifiques qui comprennent tous les dérivés du verbe capere, qui désigne l’acte de prendre ; - de l’autre, les termes généraux qui englobent des notions et tournures expressives qui traduisent un ou plusieurs aspects de la captivité. Certaines unités lexicales qui, même si elles n’ont, à première vue, rien à voir avec la captivité, sont cependant, enregistrées. Leur présence s’explique par leur fonction qui consiste non seulement à préciser l’information, mais aussi à la compléter. Les lexèmes uxor, puella, rex, par exemple précisent l’identité du captif tout en indiquant son ancien statut social, son sexe, son âge approximatif ainsi que l’endroit où il a été pris. Quant au vocable barbarus, il révèle, dans une certaine mesure, les connotations péjoratives rattachées à la captivité, et les rapports entre Rome et les autres. Enfin, les substantifs tels que dediticius, obses et servus sont répertoriés parce qu’il nous a paru indispensable de mettre l’accent sur les contradictions et les amalgames faits entre ces trois types de dépendants et le captivus alors que chacun d’eux possède un statut juridique distinct et plus ou moins clairement défini. I. Les termes spécifiques Certains vocables renvoient directement à la captivité ou plus précisément au captif. En latin, deux termes sont utilisés pour désigner le prisonnier de guerre, personne tombée aux mains de l’ennemi au cours d’un conflit : captus et captivus. Tous deux dérivés de capere « faire prisonnier », ils désignent « celui qui a été pris avec la main ». Une telle définition met plutôt Toutes ces données présentées dans l’Annexe I font ressortir une large domination des termes spécifiques. 2 Cette quête entraîne Florus dans les excès de la préciosité, ce que certains critiques littéraires n’ont pas manqué de lui reprocher comme le souligne son éditeur P. Jal dans son introduction, p. 46. 1
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l’accent sur la façon dont la personne a été prise. En cela, le latin ne se distingue pas du grec qui appelle le prisonnier de guerre par la manière dont il a été capturé : aikhmálōtos. Ce mot signifie « pris à la pointe de la lance »1. Néanmoins, il faut préciser que les moyens diffèrent. Bien que « la lance » puisse faire penser à un prolongement de la main, le lemme capere, quant à lui, renvoie formellement à la main. Et c’est cet aspect qui crée des rapports directs et même d’équivalence entre captus et mancipium2. Captus et captivus traduisent-ils les mêmes réalités ? D’une manière générale, les dictionnaires de latin3 ne relèvent aucune différence entre ces deux unités lexicales, au contraire, ils insistent sur leur synonymie. Toutefois, il faut aller au-delà de ces définitions et les placer dans leurs contextes (littéraire ou monétaire) respectifs pour constater qu’ils recoupent, d’une part, non seulement la manière dont le captif a été pris, mais aussi la personne du captif, sa situation, sa condition et son traitement et, d’autre part, la conquête d’une localité géographique. Pendant la guerre, être captus signifie être pris. Captus rend compte de l’action par laquelle quelqu’un se fait prendre et se retrouve prisonnier : il est pris (captus est) par l’ennemi. Captus exprime ainsi un état transitoire, car le captus devient captivus dès son arrivée dans le camp adverse. Ces deux instants, qui renvoient à deux niveaux, c’est-à-dire action et condition, sont nettement distingués dans la définition juridique du captif suivant laquelle la captivité débute au moment précis où celui qui est pris, le captus, est conduit au milieu des forces ennemies4. En effet, tant qu’il n’est pas amené dans un endroit sûr, en l’occurrence le territoire contrôlé par l’ennemi, sa capture reste précaire.
Cf. É. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, t. I : Économie, parenté, société, Paris, éd. de Minuit, 1969, p. 356. 2 Mancipium désigne propriété et chose qui est acquise et manceps signifie « celui qui prend en main », Grand Gaffiot, s.v. Manceps. Le glissement entre captus et mancipium se retrouve chez Cicéron lorsqu’il désigne les prisonniers de guerre mis en vente par mancipia : « Mancipia ueniebant Saturnalibus tertis, cum haec scribebam : in tribunali res erat ad HS CXXX », « Aujourd’hui troisième jour des Saturnales, pendant que j’écris cette lettre, on procède à la vente des prisonniers : à mon tribunal, c’est une affaire d’environ 120 000 sesterces », Lettres à Atticus, texte établi et traduit par J. Beaujeu, Paris, Les Belles Lettres, 1983, V, 20, 5. Dans les Institutes (I, 3, 3), Justinien explique que mancipia vient du fait que les esclaves ont été enlevés par la main aux ennemis, ils sont par conséquent des captifs. Il atteste que « les esclaves sont appelés servi de l’usage où sont les généraux de faire vendre les prisonniers, et par-là, de les conserver au lieu de les tuer. On les nomme aussi mancipia, parce qu’ils sont saisis avec la main sur l’ennemi ». Sur les autres fonctions de la main dans la captivité, infra pp. 172-173. 3 Thesaurus Linguae Latinae, Teubner, Leipzig, 1900, s.v. Capio ; A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine. Histoire des mots, Paris, Klincksieck, 1979 ; P. G. W. Glare, Oxford Latin Dictionary, Oxford, Clarendon Press, 1969, s.v. Capio. Bien qu’il constate des différences entre les deux vocables dans les langues indo-européennes, É. Benveniste, ne fournit aucune explication quant à leurs implications, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, p. 356. 4 « Avant qu’il soit conduit au milieu des forces de l’ennemi, il demeure citoyen », « Antequam in praesidia perducatur hostium, manet civis », Digeste…, XCIX, 15, 5. 1
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique
Captivus, « terme classique », désigne très souvent la personne physique et/ou morale du prisonnier de guerre, c’est-à-dire : - une personne sur laquelle le vainqueur exerce son pouvoir discrétionnaire ; - une personne vaincue figurant dans la parade triomphale ; - une personne considérée encore comme une partie du butin et qui compte parmi les éléments constitutifs de la praeda. Tacite cite les captivi à côté des dépouilles pour décrire le triomphe de Germanicus sur les Chattes, les Chérusques et les Angrivariens : « vecta spolia, captivi, simulacra montium, fluminum, proeliorum ; bellumque, quia conficere prohibitus erat, pro accipiebatur »1. Florus utilise captivi aussi pour faire allusion aux prisonniers thraces malmenés par les Romains : « Nec aliter cruentissimi hostium quam suis moribus domiti. Quippe in captiuos igni ferroque saeuitum est »2. - De plus, captivus introduit également la condition de prisonnier de guerre. Lorsque Regulus se retrouva prisonnier de Xantippe, Valère Maxime déplore ce fait qu’il qualifie de « miserabilem captivi fortunam ». Dans le cas de Persée, il oppose sa condition de roi à celle de prisonnier lorsqu’il dit : « qui cum Persem parui temporis momento captiuum ex rege ad se adduci audisset, occurrit ei Romani imperii decoratus ornamentis conatumque ad genua procumbere dextera manu adleuauit et graeco sermone ad spem exhortatus est »3.
L’emploi de captivus dénote ainsi une assimilation de la personne du captif à sa condition. C’est pourquoi captivus désigne, précisément, le prisonnier de guerre. Néanmoins, captivus peut apparaître sous forme d’adjectif pour qualifier la perte de liberté d’une contrée géographique qui se retrouve ainsi sous la domination de l’ennemi. Afin de mettre en évidence toute l’étendue des conquêtes de César en Gaule, Florus offre une représentation imagée et invite, par la même occasion, à découvrir les tableaux matérialisant « le Rhin, le Rhône et l’Océan captif »4. « On y porta les dépouilles, les prisonniers, les images des montagnes, des fleuves et des batailles. Et la guerre, par le fait que Germanicus avait été empêché de la terminer, on la considérait comme achevée », Annales, II, 41 ; cf. aussi III, 41 ; XII, 20 ; XII, 39 ; Juvénal, X, 133-141 ; Florus, I, 13, 14. 2 « Et le seul moyen que l’on eut de soumettre les plus sanguinaires de nos ennemis [les Thraces] fut d’user de leurs procédés ; on tortura en effet, les prisonniers par le fer et par le feu », I, 39, 7 ; Aulu-Gelle, VI, 4, 3. 3 « Persée passa en peu de temps de sa condition de roi à celle de prisonnier, et on l’amenait vers lui (Paul-Émile) : quand il l’apprit, il accourut à sa rencontre revêtu des ornements du pouvoir qu’il tenait de Rome et, au moment où le roi essayait de se prosterner à ses genoux, il le releva de la main droite et l’exhorta en grec à l’espoir », Valère Maxime, V, 1, 8. 4 Florus mentionne que « César rentre en vainqueur dans sa patrie, célébrant d’abord un triomphe sur la Gaule : y figuraient le Rhin et le Rhône, et l’Océan captif, représenté en or ». « Caesar in patriam uictor inuehitur, primum de Gallia triumphum trahens : hic erat Rhenus et Rhodanus et ex auro captivus 0ceanus », Œuvres, II, 13, 88-89. Martial utilise aussi le même procédé quand il s’adresse à un de ses amis en ces termes : « At tibi captiuo famulus mittetur ab Histro qui 1
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Quant aux vocables capere, captivitas et captus, ils sont sollicités aussi bien dans le monde des armes que dans des contextes plus généraux. Dans le domaine militaire, ils s’emploient quand il s’agit de prises de guerre : villes (urbes captae)1, camps (castra capta)2, navires (captivarum navium)3, enseignes et faisceaux (insignia et fasces capta)4 ou animaux (captivitas elephantorum)5. La présence de ces derniers s’explique par le fait qu’ils constituent une partie du butin. Les villes et les camps militaires ou champs de bataille ont particulièrement retenu notre attention dès lors qu’ils représentent les principaux endroits où les prises humaines s’effectuent. À partir du moment où le captif se trouve dans le camp ennemi, il change de condition juridique : d’homme libre (civis) ou esclave (servus) il devient captivus. Par la captivité il perd son ancien statut social et juridique, quel qu’il soit, pour endosser celui de captif. Toutefois, la captivitas correspond à un état intermédiaire distinct de la servitus et de la libertas : le prisonnier de guerre n’est plus un homme libre, mais il n’est pas encore esclave. Par fiction juridique, il ne possède pas un statut servile : il est seulement l’esclave de l’ennemi. Mais, la ligne de démarcation entre la captivité et l’esclavage n’est pas toujours nettement tracée d’où l’interférence lexicale entre la servitus et la captivitas. Valère Maxime différencie bien les deux étapes, car lors du triomphe sur le roi Philippe, il signale que le char de Flamininus était suivi de deux mille individus qui « avaient été pris pendant les guerres Puniques et qui étaient en esclavage en Grèce »6. En guise de remerciement et de reconnaissance envers celui qu’ils considéraient comme leur « patron »7, ces derniers avaient porté le pileus8 pour l’accompagner. Valère Maxime distingue ici la captivité, l’esclavage et l’affranchissement symbolisé par le port du pileus. L’amalgame entre la servitus et la captivitas s’explique par l’apparition assez tardive de la notion de captivitas9 qui Tiburinas pascere possit oues », « quant à toi, tu recevras des bords de l’Hister asservi un jeune garçon capable de mener au pâturage tes brebis de Tibur », Épigrammes, VII, 80. 1 Valère Maxime, I, 1, 10 ; « Troiam captam » : Velleius Paterculus, I, 2 ; « captum patriam », Tacite, Histoires, IV, 85, 2 ; « captum Rhenum » : Florus, I, 45, 15 ; « captivitatae Africae », id., I, 22, 8 ; cf. aussi Tableau 2, p. 123 où sont regroupés les noms des villes prises. 2 Tacite, Histoires, III, 29 ; IV, 15 ; Florus I, 18, 2 ; « captam legionorum » : Tacite, Histoires, IV, 62. 3 Val. Max., III, 2, 13. 4 Flor., II, 8, 7 ; Val. Max., I, 8, 6. 5 « Argumentum ingentis uictoriae centum circiter elephantorum captivitas, sic quoque magna praeda, si gregem illum non bello, sed uenatione cepisset ». « La preuve de l’immensité de la victoire, ce fut la prise d’environ cent éléphants, butin énorme de toute façon, s’il avait pris ce troupeau, non à la guerre, mais à la chasse », Flor., I, 18, 2. 6 V, 2, 6 ; Suét., Aug., XXI. 7 Valère Maxime cite dans un autre passage l’exemple de Terentius Culléo, un prisonnier romain libéré par Scipion le premier Africain, qui, pour témoigner publiquement sa reconnaissance envers son bienfaiteur, mit un pileus pour montrer qu’il a été « affranchi », libéré de sa condition de captif, V, 2, 6. 8 C’est une sorte de bonnet phrygien en feutre ou en laine donné à l’esclave au moment de son affranchissement. 9 Der Kleine Pauly, Lexikon der Antike, München, 1979, s.v. Captivitas.
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique
date de l’époque augustéenne. Le vocable servitus servait alors à traduire la condition du captif1 d’où l’emploi assez rare de captivitas par les auteurs du corpus2. Tacite ne l’utilise qu’à 7 reprises ; Pline l’emploie une fois dans son Panégyrique ; il apparaît 4 fois dans les Œuvres de Florus. Le substantif captivitas est absent chez Velleius Paterculus, Valère Maxime, Martial, Juvénal, Suétone et Aulu-Gelle. De fait, l’état de captivité n’avait pas une véritable réalité aux yeux de l’adversaire. Dès l’instant où il se trouvait entre les mains de l’ennemi, le captif devenait « son esclave ». Toutefois, tant qu’il n’avait pas de maître, le prisonnier de guerre ne pouvait être considéré comme un esclave à part entière3. Par la capture, les victimes n’étaient pas encore « esclaves » (statut que la vente ou le fait d’être offert comme cadeau à une tierce personne pouvait leur conférer), mais arrachées à leur milieu social d’origine. Les termes spécifiques, capere, captus, captivus, captivitas se rencontrent aussi dans des contextes en dehors de la guerre, précisément dans le cadre de la pêche ou de la chasse4 et, parfois, dans les domaines artistique et religieux.
La capta bello : la captive et la vestale Lorsque le verbe capere est utilisé dans le langage sacré, les dictionnaires mettent l’accent sur le sens de choisir, élire quelqu’un pour un but déterminé5. Dans les sources également capere signifie « prendre », mais aussi « choisir »6. Le choix pendant l’élection d’une vestale est largement mis en évidence par les L’emploi de captivitas n’est pas attesté avant Sénèque, cf. Dictionnaire étymologique… et Thes. Ling. Lat. où captivitas est synonyme de servitium et servitus. L’assimilation du captif à l’esclave est flagrante chez César dans la Guerre des Gaules. Le vainqueur de la Gaule utilise très souvent servitus pour évoquer la captivité éventuelle des vaincus, I, 11 ; I, 51 ; II, 14 ; VII, 14. Chez Cicéron, la servitus est antithétique à la libertas. Elle est plutôt synonyme d’une absence de droit ou d’une conquête de l’ennemi, La République, I, 42 (texte établi et traduit par E. Breguet, Paris, Les Belles Lettres, 1989) ; Les devoirs, I, 181 (texte établi et traduit par M. Testard, Les Belles Lettres, Paris, 1970) ; cf. Ch. Dumont, Servus. Rome et l’esclavage sous la République, Paris, Collection de l’École Française de Rome, 1987, p. 646. 2 Cf. Tableau I de l’Annexe I. 3 « Leur état et leur condition définitive d’esclaves ne se manifestent que lors de leur insertion dans le milieu social » que peut leur garantir l’acquéreur, Cl. Meillassoux, Anthropologie de l’esclavage : le ventre de fer et d’argent, Paris, PUF, 1986, p. 101 ; É. Benveniste, Le vocabulaire…, p. 137. 4 Pline présente la captivité, dans ces cas, comme un moyen d’apprivoiser mais aussi d’abâtardir les bêtes, Pan., 81. 5 Le Grand Gaffiot, Dictionnaire latin - français, Paris, Hachette, 2000, s.v. Capio ; P. G. W. GLARE, Oxford latin dictionary, Oxford, Clarendon Press, 1968, s.v. Capio. 6 « Post quae rettulit caesar capiendam uirginem in locum Occiae, quae septem et quinquaginta per annos summa santimonia vestalibus sacris praesederat ; egitque prates Fonteio Agrippae et Domitio Pollioni quod offerendo filias de officio in rem publicam certarent ». « Ensuite César choisit une vierge pour remplacer Occia, qui, pendant 57 ans, avait présidé aux cérémonies de Vesta avec une parfaite chasteté ; et il remercia Fonteius Agrippa et Domitius Pollio de l’émulation dont ils faisaient preuve en offrant leurs filles au service de l’État », Ann., II, 86. « Defunctaque uirgo Vestalis Laelia, in cuius locum Cornelia, ex familia Cossorum, capta est ». « Enfin la vestale Laelia mourut, et Cornelia, de la famille des Cossi, fut désignée à sa place », ibid., XV, 22. 1
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textes latins1 en particulier celui d’Aulu-Gelle qui relate toute la cérémonie de la prise de la vestale par le grand pontife, la coutume et le rite suivant lesquels elle se déroulait. Le pontife choisissait d’abord vingt jeunes filles (en fonction de l’âge et de l’appartenance familiale) ensuite, en assemblée, il procédait à un tirage au sort afin d’en prendre une et d’en faire une vestale2. Le sens de prendre reste déterminant. C’est la raison pour laquelle les auteurs n’utilisent pas, à la place de capere, legere qui est, semble-t-il, plus approprié pour rendre seulement compte du choix. Aulu-Gelle, dans tout le chapitre consacré au rite de la prise des vestales, des flamines3, des augures et des pontifes, n’utilise qu’à deux reprises legere4 et 17 fois capere. Les emplois de legere traduisent seulement l’idée de choix et les critères selon lesquels il doit se faire, et non l’acte de choisir accompagné de celui de prendre dans un but précis. Capere désigne, par conséquent, l’acte par lequel le pontife retire la jeune fille à son père pour en faire une prêtresse. Selon l’auteur des Nuits Attiques, « on dit, semble-t-il, que la jeune fille est prise parce que le grand pontife met la main sur elle pour la retirer à son père sous la puissance de qui elle se trouve, de la manière dont on enlève une prisonnière de guerre »5.
L’enlèvement de la jeune fille comme un acte violent, d’un point de vue purement symbolique, est explicitement sollicité. En effet, la brutalité contenue dans le geste du grand pontifex qui retirait une petite fille, âgée, seulement, de six à dix ans, à son père est mise en évidence par la comparaison entre la future vestale et la prisonnière de guerre, « capta bello »6. Cette expression précise et 1 « Sacerdotum et numerum et dignitatem sed et commoda auxit, praecipiue Vestalium uirginum. Cum in demortuae locum aliam capi oporteret ambirentque multi ne filias in sortem darent, adiurauit, si cuiusquam neptium suarum competeret aetas, oblaturum se fuisse eam ». « Il [Auguste] accrut le nombre, le prestige, mais aussi les prérogatives des prêtres particulièrement des Vestales ; comme le décès de l’une d’entre elles imposait le choix d’une remplaçante, voyant beaucoup de citoyens faire des démarches pour ne point soumettre leurs filles au tirage, il jura que, si l’une ou l’autre de ses petites filles avait eu l’âge convenable, lui-même l’aurait offerte », Suét., Aug., XXXI, 3 ; Tac., Ann., II, 86 ; XV, 22. 2 Gell., I, 12, 1-19. 3 « P. Cornelius cui primum cognomen Sullae impositum est, flamen dialis captus », « Publius Cornélius à qui fut donné pour la première fois le surnom de Sylla, fut pris flamine de Jupiter », I, 12, 16. 4 « Ateius scriptum reliquit, neque eius legendam filiam qui domicilium in Italia non haberet, et excusandum eius qui liberos tres haberet ». « Ateius Capiton atteste, en outre, dans ses écrits qu’on ne doit pas choisir la fille d’un homme qui n’ait pas son domicile en Italie, et qu’il faut excuser celle dont le père a trois enfants », I, 12, 8 ; « ed Papiam legem inuenimus, qua cauetur ut pontificis maximi arbitratu uirgines e populo uiginti legantur ». « Mais nous avons trouvé la loi Papia qui prescrit que vingt jeunes filles soient choisies au gré du grand pontife », I, 12, 11. 5 « Capi autem uirgo propterea dici uidetur, quia pontificis maximi manu prensa ab eo parente in cuius potestate est, ueluti bello capta abducitur », Gell., I, 12, 13. Le geste accompli par le grand pontife pour prendre la future vestale fait penser aux captives de la colonne aurélienne, qui, prises par leur captivator, sont arrachées à leur terroir pour une destination inconnue, cf. Fragments XVI et XVII de l’Annexe II. 6 Cette tournure idiomatique reprend la traduction littérale de « prisonnière de guerre » spécifiant clairement les circonstances de la prise.
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emphatique, car l’auteur a jugé nécessaire d’ajouter bello à capta alors qu’il n’est pas question d’une guerre, souligne deux niveaux dans la comparaison : la différence et la similitude entre la vestale et la « captive de guerre ». Autant elles sont toutes les deux des prisonnières, autant leur forme de captivité, leur statut ou condition sociale et juridique diffèrent. D’ailleurs, nous n’avons rencontré cette formulation, « capta bello », qu’une seule fois dans l’ensemble du corpus. Ce syntagme exprime aussi bien le choix du grand prêtre que le transfert de pouvoir du père biologique au pontifex qui hérite de la toute puissance paternelle en raison de l’acte par lequel la jeune vestale est prise et emmenée. Non seulement ce ministre du culte arrachait brusquement la petite fille à son père et à son entourage, mais aussi il l’extirpait de son milieu social d’origine. Du monde profane où elle avait toujours évolué, elle était projetée dans un monde d’initiés. Ce glissement se faisait soudainement pour la petite fille qui, à l’instar de la captive, changeait, également et aussitôt, de condition juridique1. En comparant la vestale à une « capta bello », Aulu-Gelle agit comme s’il voulait faire écho à la formule sacramentelle prononcée par le pontifex au moment d’enlever la jeune fille à son père : « Sacerdotem Vestalem, quae sacre faciat quae ius siet sacerdotem Vestalem facere pro populo Romano Quiritibus, uti quae optima lege fuit, ita te, Amata, capio »2.
Mais la comparaison ne s’arrête pas seulement à ce degré. La vestale (en cas de manquement à ses vœux de chasteté et au respect scrupuleux du culte de Vesta) comme la captive, était soumise au régime des supplices bien qu’ils ne soient pas similaires. Les châtiments prévus en cas d’inconduite renforcent davantage la violence sous-jacente à l’acte du grand pontifex. Bref, l’attitude passive et docile adoptée, la brutalité symbolique ou réelle subie, le changement de condition juridique et sociale imposé ainsi que les punitions prévues ou infligées rapprochent la vestale de la captive et justifient l’expression métaphorique de l’auteur des Nuits attiques. Le sens de prendre est largement mis en évidence par les paroles consacrées prononcées par le grand pontife lors de la cérémonie de la prise de la vestale. Dans ce cas précis, capere signifie non seulement choisir, mais aussi et surtout prendre. La prise constitue le résultat, c’est-à-dire l’effet du choix. Elle suggère aussi une certaine brutalité dans l’acte, même si cette violence reste La Loi des Douze Tables stipule qu’une vestale n’hérite de personne sans qu’il y ait de testament, et, si elle décède intestat, ses biens reviennent automatiquement à l’État, Aulu-Gelle, I, 12, 18. 2 « Afin de pratiquer, dans l’intérêt du populus Romanus et des Quirites, en tant que candidate choisie selon la plus dure des lois, c’est toi qu’à ce titre je prends Amata, comme prêtresse vestale », I, 12, 14. Amata est le nom porté par la première vestale prise selon la tradition. Cependant, ces paroles rituelles prononcées par le grand prêtre appelaient sur la vestale un pouvoir qui, au cas où elle enfreindrait les vœux de chasteté, impliquait sa condamnation à mort, J. Prieur, La mort dans l’antiquité romaine, Paris, « Ouest-France », 1986, pp. 42-43. Néanmoins, les types de châtiments infligés diffèrent de la captive à la vestale adultère qui, elle, est enterrée vivante dans une chambre près de la porte Colline, Plutarque, Numa, X. 1
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purement rituelle et symbolique. Cette véhémence s’avère d’autant plus remarquable qu’elle demeure absente lors de l’élection de l’augure, du flamine de Jupiter ou du pontife. En effet, selon Aulu-Gelle, des flamines de Jupiter, des pontifes et des augures « on disait aussi qu’ils étaient pris » même si « beaucoup pensent qu’on ne doit dire “être pris” que des vestales ». Au lieu de capere, Tacite emploie legere pour relater le choix d’un flamine de Jupiter à la mort de Servius Malugensis1. Par ailleurs, Aulu-Gelle sollicite la captivité au même titre qu’une figure métaphorique dans la comédie de Caecilius. Dans cette représentation dramatique, un homme malheureux, victime de la sévérité et de l’intransigeance de sa femme qui le privait de liberté, se considérait alors comme un captus dans sa propre maison2. Ici, captus renvoie à l’emprise qu’exerce son épouse sur sa propre personne. Cette domination purement morale correspond à des interdits et privations qu’elle lui imposait telle la familiarité avec les esclaves de sexe féminin. « Elle me reprend tout ce qui me plaît » se plaint-il. Il compare ce contrôle à la dépendance des populations des villes prises. L’utilisation de captus marque une action qui a une valeur symbolique dans le cadre de la conquête. Dans ce cas, l’emploi de captus renvoie à un moment, une date ou à un événement. Velleius Paterculus a souvent recours à la prise d’une ville ou à la capture d’une personne illustre pour dater certains faits historiques tels que la fondation de cités3. Ce que met en évidence l’emploi des prépositions « ante » et « post » qui accompagnent « captus » dans le but d’exprimer l’antériorité ou la postériorité dans le temps. Lorsqu’il écrit : « tum fere anno octogesimo post Troiam captam, centesimo et uicesimo quam Hercules ad deos excesserat, Pelopis progenies, quae omni hoc tempore, pulsis Heraclidis, Peloponnesi imperium obtinuerat, ab Herculis progenie expellitur »4 ou « stetisse autem Capuam, antequam a Romanis caperetur, annis circiter CCLX. Quod si ita est, cum sint a Capua capta anni CCXL, ut condita est, anni sunt fere D »5,
il situe également l’insurrection du pseudo-Philippe « post uictum captumque Persen ». La conquête d’un territoire à laquelle renvoie l’emploi de captus est Ann., IV, 16, 1. « Tout homme en son bon sens, s’instruira s’il me voit : moi qui, comme un prisonnier chez l’ennemi, suis esclave sans cesser d’être homme libre, sans qu’on ait pris la ville ou la citadelle », Gell., II, 23, 10. 3 Vel. Pater., I, 2 ; I, 7 ; I, 11 ; I, 13. Val. Max., I, 1, 10 ; I, 6, 9 ; III, 4, 5. 4 « C’est alors qu’environ quatre-vingts ans après la prise de Troie et cent vingt ans après l’ascension d’Hercule vers les dieux, les descendants de Pelops, qui après avoir expulsé les Héraclides, avaient pendant tout ce temps exercé le pouvoir sur le Péloponnèse, furent chassés par les descendants d’Hercule », I, 2. Un peu plus loin (I, 14) il écrit encore : « Statui priorem huius uoluminis posterioremque partem non inutili rerum nititia in artum contracta distinguere atque huic loco inserere quae quoque tempore post Romam a Allis captam deducta sit colonia iussu senatus ». 5 « Mais quelle divergence avec Caton qui dit que Capoue fut fondée par ces mêmes Étrusques, ensuite Nole, et que Capoue a subsisté, avant sa prise par les Romains, pendant environ deux cent soixante ans ! S’il en est ainsi la prise de Capoue ayant eu lieu il y a deux cent quarante ans, cela fait environ cinq cents ans qu’elle a été fondée », I, 7. 1 2
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largement mise en évidence par le discours monétaire qui, parfois, pour les besoins de la propagande impériale, déforme la réalité1. Dans l’ensemble, les termes spécifiques ne sont pas aussi précis qu’ils le paraissent de prime abord. Toutefois, ils ont le mérite de traduire, au propre comme au figuré, quels que soient les domaines, la suspension ou la perte du libre usage de ses facultés physiques et même mentales (lorsqu’il s’agit d’un individu) ou de son autonomie dans le cas d’un territoire. Dans les textes, le verbe capere et ses dérivés ne renvoient pas spécialement aux prises de guerre (personnes, animaux ou choses) ou objets appartenant aux captifs2, mais aussi aux choses prises en dehors de la guerre. Ils sont usités dans les domaines théâtral, religieux et parfois même comme un procédé de langage3 ou une figure métaphorique. En raison du caractère polysémique des termes spécifiques, nous nous sommes intéressée simultanément à d’autres lexèmes. II.
Les termes généraux
Dans cette rubrique nous regroupons tous les vocables et syntagmes qui connotent ou dénotent l’état de captivité ainsi que ses formes. Ces mots et expressions renvoient, précisément, aux modes d’entrée en captivité, aux différentes manières de désigner le prisonnier de guerre, aux types de traitement dont le captif peut faire l’objet ainsi qu’aux formes de mise en liberté qui s’offrent à lui. Mais, à cette étape de notre démarche, il a fallu d’abord procéder à un tri qui consiste à relever les termes, puis examiner leur champ sémantique respectif et enfin circonscrire les différents contextes de la captivité (piraterie, guerre civile, guerre servile et guerre étrangère). Par exemple les substantifs tels que rex ou centurio sont systématiquement repères, mais seuls les cas qui se rapportent à notre étude sont maintenus.
1. Les modes d’entrée en captivité Certains termes relevés indiquent comment une personne peut se retrouver sous le pouvoir de l’ennemi et devenir captive4. Allant au-delà de l’acte de prendre, ils rendent compte : - des épisodes qui précèdent la prise tels que le fait d’être vaincu et encerclé (victus et circumuentus) ; Infra pp. 131-134. À partir d’Auguste, le discours monétaire ne laisse aucun doute quant à la signification de captus. 2 Martial, XIV, 26. 3 Tacite compare l’accès au sénat des Gaulois, qualifiés de « bande d’étrangers », à une « entrée de la captivité » dans la curie romaine, Annales, XI, 23. 4 Cf. Tableau V de l’Annexe I. Juvénal, Martial et Suétone ne se sont pas intéressés à cette phase de la captivité. En revanche, Tacite note la plupart des modes relevés ce qui s’explique par la place qu’occupe la guerre dans ses ouvrages, en particulier les Annales (Tableau V, cf. Annexe I). Cette riche panoplie met en évidence le rapport entre les Romains et la captivité en divulguant le déploiement de toute l’ingéniosité des Quirites qui n’hésitent pas à recourir aux moyens les plus déloyaux, pour mettre la main sur l’ennemi principal. 1
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- des occasions qui ont entraîné la capture, la deditio par exemple ; - des moyens (parfois illégaux) utilisés par l’ennemi pour réduire une tierce personne en son pouvoir, c’est le cas du rapt (raptus) ; - et enfin de la manière dont la personne se retrouve soumise à une volonté étrangère, ce qu’évoquent les vocables interceptus, traditus et dediticius. Les auteurs étudiés n’utilisent pas toujours le verbe capere pour traduire l’entrée en captivité d’une personne signifiant ainsi que la capture ne constitue pas le seul mode d’entrer en captivité1. Nous avons regroupé en deux catégories les autres procédés qui peuvent conduire à la captivité. Dans la première, le vaincu peut se retrouver sous le pouvoir de l’ennemi, volontairement, en se rendant, ou bien alors l’hostis peut s’en emparer par la force, c’est-à-dire sans le consentement du victus. Dans la seconde, le victor peut user de ses relations diplomatiques pour se faire livrer un ennemi comme il peut également recourir à la ruse ou, tout simplement, à la violence pour parvenir à ses fins. Ces différentes modalités par lesquelles une personne peut se retrouver prisonnière sont matérialisées par le schéma ci-dessous. Fig. 1. Modes d’entrée en captivité
Source : corpus
L’absence de violence s’accompagne parfois d’un certain consentement du captivus même si une pression sous-jacente demeure plus ou moins réelle. Lorsque le vaincu est livré par une tierce personne au vainqueur, les auteurs emploient les verbes tradere et dedere pour notifier l’acte de reddition. Dans ces cas précis, le vainqueur ne déploie aucun effort militaire pour mettre la main sur l’ennemi qui joue ici un rôle de gage de fidélité ou de garant pour sceller de nouvelles relations entre peuples. En 49 ap. J-C, le roi du Bosphore, Mithridate, Sur l’ensemble des modes d’entrée en captivité, répertoriés et classés, la capture prédomine largement cf. Tableau II (Annexe I).
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fut livré aux Romains par Eunonès, le chef des Aorses1. De même, le chef silure Caratacus fut remis à Claude par la reine des Brigantes, Cartimandua, alors qu’il lui demandait asile2. Dans les deux cas de figure, ceux qui retiennent « le prisonnier » ne le libèrent pas, mais le transmettent à une tierce personne ou autorité afin de tisser ou renforcer leurs rapports diplomatiques. C’est ce qui se passe lorsque le captif est traditus. Grâce à son initiative, Cartimandua3 bénéficia de l’appui de l’empereur Claude qui, en retour, mit à sa disposition les moyens de consolider son pouvoir dans son royaume et surtout de faire face aux tentatives de déstabilisation de son ex-mari. Mais ces deux modes d’entrée en captivité sont moins honorables que la capture pour le détenteur, qui a moins de mérite4. De leur côté, les verbes comme trahere5 et expugnare6 tout en signifiant l’acte de prendre, intègrent une violence réelle dans le geste du captivator. Tacite emploie trahere pour qualifier le comportement de l’armée romaine « qui bousculait, tuait et prenait » les soldats de Tacfarinas « comme s’ils eussent été des troupeaux »7. Aulu-Gelle utilise « expugnata » pour dire que Carthagène a été prise d’assaut : « Publiumne Africanum superiorem, qui, Carthagine ampla ciuitate in Hispania expugnata, uirginem tempestiuam, forma egregia, nobilis uiri Hispani filiam captam perductamque ad se patri inuiolatam reddidit »8.
D’autres termes insistent plutôt sur les moyens stratégiques utilisés par les belligérants pour mettre la main sur l’ennemi. L’encerclement et l’embuscade qu’expriment les verbes circumuenire et comprehendere constituent, en fait, un « Traditus posthac Mithridates uectusque Romam per Iunium Cilonem, procuratorem Ponti » « Mithridate fut donc livré et transporté à Rome par les soins de Junius Cilo, procurateur du Pont », Ann., XII, 21. 2 « Ipse, ut ferme intuta sunt aduersa, cum fidem Cartimanduae reginae Brigantum petiuisset, uinctus ac victoribus traditus est, nono post anno quam bellum in Britannia coeptum », Ann., XII, 36, 1. 3 Suivant Tacite, elle « faisait croire qu’elle avait fourni à Claude la matière de son triomphe », Hist., III, 74. Il y a là une inexactitude historique, puisque le triomphe de Claude a lieu en 44 et la capture de Caratacus en 51 ap. J-C. Le texte fait plutôt allusion à une procession pour célébrer la capture du chef Silure et de sa famille. 4 La deditio n’ouvrait pas les portes du triomphe au vainqueur, car au lieu d’être acquise après des efforts réels, la victoire était pratiquement offerte au vaincu, Plut., Mar., XXII, 2-3 ; Gell., V, 21 ; Cl. Auliard, Victoires et triomphes à Rome…, p. 24. 5 Trahere signifie « emporter violemment, prendre de force », Dictionnaire étymologique…, s.v. Traho. 6 Prendre d’assaut ou forcer une place, cf. Dictionnaire étymologique…, s.v. Expugno. 7 « Ab Romanis confertus pedes, dispositae turmae, cuncta proelio prouisa ; hostibus contra omnium nesciis non arma, non consilium, sed pecorum modo trahi, occidi, capi », Annales, IV, 25. 8 « Publius le premier Africain qui, après avoir pris de force l’importante cité de Carthagène en Espagne, a rendu intacte à son père une jeune fille à l’âge de l’amour, d’une beauté remarquable, fille d’un noble espagnol, qui avait été prise et lui avait été amenée », VII, 8, 3 ; Velleius Paterculus en fait de même concernant la prise de force par les armées d’Auguste de la ville de Pérouse, II, 74 ; Suétone, Claude, XXI. 1
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premier pas vers la captivité. Selon Florus, c’est ainsi que le roi Teutobodus fut traîné au triomphe en 120 av. J-C. Surpris dans un défilé, il se retrouva enveloppé et fut ainsi fait prisonnier par les troupes romaines1. De même, pendant la guerre civile qui opposa Octave à Antoine, Maevius pris dans une embuscade, « circumuentus », est capturé par les troupes d’Antoine2. Arminius aussi conseilla à ses amis d’encercler l’armée romaine et de faire ainsi le plus de captifs possible3. Ces stratégies, utilisées par le captivator et fondées, en grande partie, sur l’effet de surprise (dont rend parfaitement compte le terme ereptus), sont parfois considérées seulement comme des tactiques irrégulières et jugées non conformes à l’éthique militaire. L’emploi des verbes, rapere, intercepere, continere, traduit la volonté de l’auteur d’insister sur l’irrégularité dans cette forme d’acte de prendre. En 17 ap. J-C, Arminius, le chef des Chérusques, exaspéré par l’enlèvement de sa femme à Ségeste, adressa des paroles injurieuses à Germanicus. « Le bon père ! Le grand général ! La valeureuse armée ! Tant de bras pour enlever une faible femme ! Lui, c’étaient trois légions, trois légats qu’il avait abattus ; car ce n’était pas par trahison ni contre des femmes enceintes, c’était au grand jour et contre des guerriers qu’il menait la guerre » lui lança-t-il à la figure4.
Il reprochait au Romain son manque de courage en mettant l’accent sur tous les efforts déployés par ses troupes rien que pour parvenir à capturer une « faible femme » qui, de surcroît, était en état de grossesse ! Florus utilise le verbe intercepere pour souligner la légendaire perfidia punica lorsque les Carthaginois prirent au piège le consul Asina Cornelius en le convoquant à une
« Certe rex ipse Teutobodus, quaternos senosque equos transilire solitus, uix unum, cum fugeret, ascendit proximoque in saltu comprehensus, insigne spectaculum triumphi fuit. Quippe uir proceritatis eximiae super tropaea sua eminebat ». « Leur roi lui-même, Teutobodus, habitué à sauter successivement sur quatre ou six chevaux, eut de la peine, dans sa fuite, à monter sur un et, fait prisonnier dans un défilé tout proche, attira tous les regards dans le cortège triomphal. Car l’homme, d’une taille hors du commun, dépassait les trophées conquis sur lui », I, 38, 10. 2 « Maeuius, centurio Diui Augusti cum Antoniano bello saepenumero excellentes pugnas edidisset, improuisis hostium insidiis circumuentus ». « Maevius, un centurion du divin Auguste : pendant la guerre contre Antoine, il s’était souvent montré excellent dans les combats, mais une fois quand l’ennemi avait monté une embuscade imprévisible, il fut fait prisonnier », Valère Maxime, III, 8, 8. 3 « Haud minus inquies Germanus spe, cupidine et diuersi ducum sententiis agebat, Arminio sinerent egredi egressosque rursum per umida et inpedita circumuenirent suadent ». « L’agitation n’était pas moindre chez les Germains tiraillés par l’espoir, la cupidité et les divergences entre les chefs : Arminius conseillait de laisser sortir les Romains et, quand ils seraient sortis, de profiter du terrain humide et difficile pour les envelopper », Tacite, Annales, I, 68, 1. 4 « Egregium patrem, magnum imperatorem, fortem exercitum, quorum tot manus unam mulierculam auexerint. Sibi tres legiones, totidem legatos procubuisse ; non enim se proditione neque aduersus feminas grauidas, sed palam aduersus armatos bellum tractare », Annales, I, 59, 2. 1
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prétendue conférence1. Valère Maxime semble avoir les mêmes préoccupations que l’auteur des Œuvres quand, à propos de la capture de Bituit, il écrit : « Cn. Domitius, citoyen de la plus haute naissance et d’une grande âme, devint perfide par un amour excessif de la gloire. Outré de ce que Bituit, roi des Arvernes, avait engagé sa nation et celle des Allobroges à se remettre aux mains de Q. Fabius, son successeur, tandis que lui-même était encore dans la province des Gaules, l’attira chez lui sous prétexte d’un entretien, le reçut sous la foi de l’hospitalité, le chargea de chaînes et le fit transporter à Rome par mer. Le sénat, qui ne pouvait approuver cet acte d’injustice, ne voulut pas non plus l’annuler, de peur que Bituit, entré dans son pays, ne renouvelât la guerre : on le relégua comme prisonnier dans la ville d’Albe »2.
Certains des termes déjà relevés sont parfois utilisés par euphémisme afin d’atténuer la perception plus ou moins dégradante que les auteurs ont de la captivité. Valère Maxime utilise « exceptus » pour expliquer comment Publius Crassus est tombé entre les mains des Thraces et a échappé à la captivité : « Militis hic in aduerso casu tam egregius tamque uirilis animus quam relaturus sum imperatoris. Publius enim Crassus cum Aristonico bellum in Asia gerens a Thracibus, quorum is magnum numerum in praesidio habebat, inter Elaeam et Zmyrnam exceptus, ne in dicionem eius perueniret, dedecus arcessita ratione mortis effugit »3 raconte-t-il.
L’étude du lexique révèle, ainsi, deux principales manières d’entrer en captivité, c’est-à-dire par la force ou volontairement (fig. 1). Quant aux formes de désignation du captif, que nous allons aborder dans le point suivant, ils s’élèvent à sept.
2. Les modes de désignation du captif Le prisonnier de guerre est désigné (en dehors des pronoms personnels), de différentes manières, par : - son nom propre ; - un vocable qui fait référence à son sexe ; - un terme qui a trait à son âge ; « Prae tanta huius uictoria leue huius proelii damnum fuit alter consulum interceptus, Asina Cornelius ; qui simulato conloquio euocatus atque ita oppressus, fuit perfidiae Punicae documentum ». « En comparaison de cette grande victoire, légère parut la perte subie au cours de ce combat en la personne de l’autre consul, Asina Cornelius ; celui-ci fut convoqué à une prétendue conférence et, ainsi pris au piège, fournit une preuve de la perfidie punique », I, 18, 11 ; Polybe (I, 21, 7) en donne une version beaucoup moins reluisante. 2 « Cn. autem Domitium, summi generis et magni animi uirum, nimiae gloriae cupiditas perfidum exsistere coegit ; iratus namque Bituito regi Aruernorum, quod suam et Allobrogum gentem se etiam tum in prouincia morante, ad Q. Fabii successoris sui dexteram confugere hortatus esset, per colloquii simulationem arcessitum, hospitioque exceptum, uinxit, ac Romam nave deportandum curauit : cujus factum senatus neque probare potuit, Bituitus bellum renouaret ; igitur eum Albam custodiae causa relegauit », IX, 6, 3. 3 « Voilà un soldat qui a montré dans le malheur un cœur aussi noble et digne d’un homme que celui que je vais présenter, chez un chef d’armée. Publius Crassus menait une guerre contre Aristonicos en Asie quand des Thraces, que celui-ci avait en grand nombre dans sa garde, le surprirent entre Élée et Smyrne : pour éviter d’avoir à se rendre au roi, il échappa à la honte en trouvant un moyen habile de mourir », III, 2, 12. 1
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- son ancien statut social qui se rapporte soit à sa condition d’homme libre ou d’esclave, soit à la fonction ou au rang qu’il occupait avant de tomber dans les mains de l’ennemi ; - ses liens de parenté supposés et/ou imaginaires avec un personnage renommé ; - sa condition juridique et la manière dont il s’est retrouvé sous la volonté de l’ennemi : captivus ou captus ; - l’entité politique à laquelle il appartient. Des unités lexicales telles que rex, dux, servus, uxor ou puella ont également été relevées puisque, placées dans un contexte précis, non seulement elles gardent leur sens propre, mais renvoient aussi aux prisonniers de guerre. La mention de leur sens propre constitue un procédé qui vise parfois à renforcer l’impact de la victoire en soulignant l’importance de la prise ainsi que ses répercussions politiques et militaires tout en conservant aux captifs, en question, leur condition d’origine. C’est le cas, en particulier, lorsqu’il s’agit d’un roi ou d’un général. Quant à puella et puer1, ils renvoient non seulement aux types de captifs, mais aussi à leur usage, potentiel ou effectif. Puer et puella peuvent même constituer des arguments de vente sûrs. L’âge représente un élément décisif dans l’estimation de la valeur marchande du captif dès lors qu’il indique l’état physique, c’est-à-dire la qualité du prisonnier ravalé au rang de produit. Lorsque Valère Maxime dit : « aurum quoque quod pro redemptione puella allatum erat summae dotis adiecit »2, ici, puella ne signifie pas seulement jeune fille, mais évoque également sa nouvelle condition de captive, ce que confirme l’emploi, en apposition, de redemptione. Il en est de même pour puer dans le passage où le même auteur écrit : « a quaestore suo hastae subiectos captiuos uendente puer exmise foemae et liberlis habitus missus est »3. La fonction principale de certaines manières de dénommer le captif (noms propres, fonction ou ancien statut social) est de permettre à l’auteur soit de mettre l’accent sur l’importance de la prise en insistant plus sur la qualité que sur la quantité étant donné qu’il est, dans la plupart des cas, évoqué individuellement4, soit de souligner la particularité d’un cas comme celui de Callidromus exposé par Pline le Jeune dans une lettre adressée à l’empereur Trajan5. C’est, d’ailleurs, le seul nom de captif d’origine servile rencontré dans Dans le Digeste (L, 204), le substantif puer revêt trois réalités. Premièrement, il désigne tous les esclaves. Deuxièment, il signifie garçon. Troisièment, il exprime aussi l’âge de l’enfant. Nous privilégions, dans le cadre du texte présent, les deux dernières acceptions étant donné que l’esclavage est exclu de notre champ d’investigation. 2 « Et même l’or qu’on avait apporté pour racheter la jeune fille [la fiancée d’Indibilis], il [Scipion] le fit ajouter au montant de sa dot », IV, 3, 1. 3 « Son questeur [celui de C. Publius Scipion] était en train de vendre aux enchères des prisonniers, et il lui envoya un garçon d’une remarquable beauté et de noble allure », V, 1, 7. 4 Valère Maxime, I, 1, 14 ; Suétone, Vespasien, V ; Florus, I, 18 ; Aulu-Gelle, VII, 4. 5 « Maître, le soldat Apuleuis qui appartient au poste de Nicomédie, m’a écrit qu’un certain Callidromus s’est […] réfugié au pied de ta statue ; conduit devant les magistrats, il a révélé qu’il avait été jadis esclave de Labérius Maximus, qu’il avait été fait prisonnier par Susagus en 1
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tout le corpus1. Contrairement à ces appellations qui soulignent une caractéristique du captif, capti et captivi sont souvent utilisés pour évoquer les prisonniers de guerre en foule afin de les plonger dans l’anonymat et de parvenir ainsi à les « dépersonnaliser » complètement. Ainsi, ils ne sont plus désignés par leur nom (exception faite d’une catégorie de captifs), mais plutôt, par leur nouvelle condition juridique. Néanmoins, l’emploi de capti et de captivi rehausse l’ampleur de la victoire remportée, car l’accent est, ici, mis sur le nombre d’ennemis défaits et pris. Velleius Paterculus et Valère Maxime se préoccupent moins d’apprendre l’identité des captifs ou le traitement dont ils firent l’objet que de connaître l’immensité des succès militaires de César en Gaule quand le premier dit : « cum deinde immanes res, uix multis uoluminibus explicandas, C. Caesar in Gallia ageret nec contentus plurimis ac felicissimis uictoriis, innumerabilibusque caesis et captis hostium milibus etiam in Britanniam traiecisset exercitum, alterum paene imperio nostro ac suo quaerens orbem… Per haec insequentiaque et quae praediximus tempora, amplius CCCC milia hostium a C. Caesare caesa sunt, plura capta »2
et que le second surenchérit en mentionnant : « Idem captiuos nostros oneribus et itinere fessos jam, prima pedum parte succisa relinquebat ; quos vero in castra perduxerat, paria fere fratrum et propinquorum jungens, ferro decernere cogebat : neque ante sanguine explebatur, quam ad unum victorem omnes redegisset »3.
La dénomination du captif par sa condition représente à elle seule plus de 30% du total des termes de désignation, l’ancien statut social 17% et l’âge seulement 3%. Sur l’ensemble des noms de captifs étrangers relevés, les rois représentent 66%, c’est-à-dire plus de la moitié, les généraux seulement 10% et le reste est constitué de nobles, surtout des fils de rois tels que Hélénos, fils de Pyrrhus, et Aristobule, fils d’Hérode. À partir de ces données chiffrées, une configuration du discours sur la captivité se dessine : les auteurs de notre corpus se focalisent sur la captivité de Mésie, et envoyé en cadeau par Décébale à Pacorus, roi des Parthes, qu’il est resté plusieurs années à son service, ensuite qu’il s’est enfui et que c’est ainsi qu’il a fini par arriver à Nicomédie. Conduit devant moi, il m’a fait le même récit ; aussi ai-je cru bon de te l’envoyer. Ce transfert est un peu retardé par la recherche d’un camée, représentant Pacorus avec ses insignes, que, disait-il, on lui avait soustrait », Lettres, X, 74. 1 Cette précision vise peut-être à dévaloriser la prise de l’ennemi. 2 « Tandis que C. César accomplissait en Gaule d’extraordinaires exploits pour le récit desquels de nombreux volumes suffiraient à peine et que, non content de ses multiples et très heureux succès, du massacre et de la prise d’innombrables milliers d’ennemis, il avait même fait passer en Bretagne son armée comme s’il cherchait un nouveau monde pour notre empire et pour le sien […] Au cours de cette période et de celle qui suivit ainsi que de celle dont nous venons de parler, plus de quatre cent mille hommes furent massacrés par C. César et un plus grand nombre fait prisonniers », II, 46-47. 3 « Lorsque ce général [Hannibal] voyait des prisonniers romains trop fatigués du poids de leurs fardeaux, et hors d’état de continuer leur route, il leur faisait couper le bout des pieds, et les laissait en chemin. Quant à ceux qui avaient pu arriver au camp, il les forçait de se battre deux à deux, frère contre frère, parent contre parent ; et ne se rassasiait point de voir couler leur sang, qu’il n’en restât plus qu’un vainqueur de tous les autres », IX, 2, 1.
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marque1. Ceci traduit, sûrement, leur intention de rattacher directement la captivité à la gloire de Rome. Le Boïen Maricc reste le seul nom de captif (auparavant libre) aux origines obscures cité. D’ailleurs, pour bien marquer sa naissance peu glorieuse, Tacite ajoute à son nom, quidam « un certain ». Mais son intrusion (c’est-à-dire son évocation ou sa mention) s’explique moins par ses origines modestes que par son rôle héroïque dans le soulèvement des Gaules contre Vitellius ce qui lui valut le titre de « libérateur des Gaules »2. L’appellation du prisonnier de guerre par son nom propre certifie presque d’emblée qu’il représente une véritable figure historique qui occupe un rang social élevé ou une fonction importante à l’image des rois Syphax, Persée ou Bituit. Authentiques trophées pour l’Urbs, ces captifs de marque rehaussent incontestablement l’impact de la victoire3. Cette précision identitaire révèle l’opposition entre l’élite et la masse des prisonniers de guerre en mettant en relief le poids du statut social dans la captivité, en particulier dans le sort du captif. Velleius Paterculus, Valère Maxime et Florus désignent, de manière assez fréquente, par leur patronyme, les plus illustres captifs de l’antiquité grécoromaine. Cela fait ressembler leur œuvre respective à une vraie galerie foisonnante de portraits où se côtoient le captivus et son captivator. En fait, cela constitue une manière de concevoir et d’écrire l’histoire, une histoire qui se construit et se lit à travers le vécu des grands hommes, c’est-à-dire « ceux qui ont contribué à réaliser le destin de leur patrie »4. Ainsi, offrent-ils, du coup, de véritables couples captivus/captivator qui retracent, dans une certaine mesure, l’histoire de la captivité dans le monde romain.
Cf. Tableau IX et Figure I de l’Annexe I. Histoires, II, 62. 3 Appien énumère tous les noms des captifs illustres qui défilèrent lors du triomphe de Pompée en 62 av. J-C. Il précise même leur filiation : Tigrane, fils de Tigrane, les cinq fils de Mithridate (Astaphernes, Cyrus, Oxathres, Darius et Xerxès) et ses filles, Orsabaris et Eupatra. Olthaces, chef des Colchidiens, Aristobule, roi des Juifs, Mithr., 117. 4 P. Grimal, Tacite, p. 312. C’est aussi une manière pour Tacite d’écrire l’histoire en exaltant les grands hommes tels qu’Agricola. Mais chez l’auteur des Annales, les couples captivus/captivator restent moins évidents. 1 2
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique Fig. 2. Couples de captivus/captivator
Captivus
Captivator
Regulus Syphax Persée Gentius Pseudo-Philippe Aristonicus Bituit Jugurtha Aristobule Tigrane Vercingétorix Juba Artavasdés Mithridate du Bosphore Caratacus Flavius Josèphe
Xantippe Scipion (le premier Africain) Paul-Émile L. Anicius Gallus Q. Caecilius Metellus Perpenna Fabius Maximus Marius Pompée Pompée Jules César Jules César Marc-Antoine Claude Claude Vespasien
Il faut, toutefois, préciser que ces couples captivus/captivator qui ressortent des textes ne reflètent pas fidèlement la réalité des événements ni les circonstances de la capture. Dans les faits, ni Persée, le dernier roi de Macédoine, ni Flavius Josèphe, l’insurgé de Jotapata, ne furent pris. Quant à Jugurtha, il fut remis à Marius par Sylla. Mais la hiérarchie militaire attribue d’emblée toute la gloire d’une prise au commandant en chef1. L’absence des femmes s’avère, quant à elle, flagrante2. Elle traduit un lexique à tendance masculine qui s’explique aisément par le contexte : la guerre, un lieu exclusivement dédié aux hommes. Rarement dénommée par sa nouvelle condition de femme capturée, la prisonnière de guerre était plutôt désignée par son ancienne fonction dans la société et son état civil antérieur. Les reines étaient, de la sorte, rattachées à leurs maris du moment qu’elles étaient Le questeur Sylla remit Jugurtha à Marius comme en témoigne une monnaie émise en 56 av. J-C. Au revers Sylla, à gauche, en togatus, assis sur un siège curule, recevait l’offre de paix de Bocchus qui lui tendait un rameau d’olivier et, à droite, Jugurtha, agenouillé, tête baissée et les mains attachées derrière le dos, E. Babelon, Cornelia, 59 ; H. A. Grueber, Coins of the Roman Republic in the British Museum, Oxford, 1970, 3824 ; E. A. Sydenham, The coinage of the Roman Republic, Chicago, 1967, 879. Pourtant, la capture du Numide est inscrite sur le tableau des prouesses de Marius. De plus, le captivator ne renvoie pas automatiquement à celui qui a capturé mais aussi à celui à qui une tierce personne a livré le captif. Flavius Josèphe précisa, pour sa part, qu’il ne fut pas pris, mais qu’il se rendit au tribun Nicanor qui, à son tour, le remit à Vespasien en 67 ap. J-C, La guerre des Juifs, III, 392. 2 Captiva apparaît, rarement, dans le corpus. Absent chez Velleius Paterculus, Juvénal, Pline et Suétone, le vocable captiva n’est cité qu’une fois par Tacite, Florus et Aulu-Gelle, voir Tableau I de l’Annexe I. 1
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présentées seulement en tant qu’épouses de rois, d’où l’expression regis uxor. Florus se contente de mentionner que : « la femme du roi Orgiacontis, violée par un centurion, donna un exemple mémorable : elle échappa à ses gardes et rapporta à son mari la tête coupée de son ennemi adultère »1.
De même, Tacite indique simplement que l’épouse et la fille de Caratacus furent capturées2. En dehors du cas très particulier de Cléopâtre, le corpus ne contient pas de captives appelées par leur nom propre. Les auteurs ont recours aux liens de parenté pour identifier les captifs à statut illustre. Valère Maxime ne précise pas le nom « inconnu » du prisonnier du roi Antiochus en conflit avec Rome, mais indique plutôt qu’il est le fils de Scipion l’Africain. C’est en même temps un procédé qui lui permet d’exalter les vertus antiques quand il s’interroge sur leur disparition : « En effet, qu’est-ce qui ressemble plus à un monstre que Scipion, le fils du premier Africain, lui qui, après être né dans la gloire si grande de cette maison, a accepté d’être pris […], alors que le suicide qui l’aurait anéanti eût mieux valu pour lui qu’une situation où, placé entre les surnoms resplendissants de son père et de son oncle, - l’un déjà acquis par l’écrasement de l’Afrique, l’autre en train de se former pendant qu’était reprise la plus grande partie de l’Asie - il offrait ses mains à l’ennemi pour qu’il les enchaînât »3.
Tacite, non plus, ne désigne pas par son nom le frère de Tacfarinas lorsqu’il fut capturé par Blésus. Il indique que : « à la fin de l’été, au lieu de suivre l’usage, de retirer ses troupes et de les mettre dans les quartiers d’hiver de notre ancienne province, il [Blésus] les répartit dans les forts […] il relançait Tacfarinas de gourbi en gourbi ; il ne revint qu’après avoir capturé le frère de Tacfarinas »4.
Valère Maxime aussi mentionne seulement que le neveu de Masinissa fut un des prisonniers de Publius Scipion avant d’être libéré5. La filiation constitue ainsi un procédé qui offre aux auteurs, préoccupés par la glorification de l’histoire des Quirites, l’opportunité de valoriser le captivator en rattachant son captivus à une célébrité. Le prisonnier de guerre pouvait également être désigné en référence à l’entité politique à laquelle il appartenait. Dans ces cas, le nom de son pays et/ou de son peuple servait parfois à l’identifier. Ce procédé de reconnaissance correspond à un indice fondamental qui sert en même temps à discerner les Œuvres, I, 27, 5-6. « Cette victoire fut éclatante : on fit prisonnières l’épouse et la fille de Caratacus, quant à ses frères, ils furent reçus à discrétion », Annales, XII, 35, 3. 3 III, 5, 1. 4 Annales, III, 74. 5 « Son questeur était en train de vendre aux enchères des prisonniers, et il lui envoya un garçon d’une remarquable beauté et de noble allure. Quand il [Publius C. Scipion] eut découvert que c’était un Numide, orphelin de père et élevé auprès de son oncle Masinissa, qu’à l’insu de celui-ci il s’était engagé avant l’âge dans la campagne contre les Romains, il jugea bon de pardonner à ses erreurs et d’accorder à l’amitié d’un roi si fidèle à Rome le respect qu’elle méritait », V, 1, 7. 1 2
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protagonistes et les lieux de provenance des captifs. Florus, dans la description qu’il fait de la cérémonie du triomphe de M’. Curius Dentatus en 273 av. J-C, après sa victoire sur Pyrrhus, énumère les peuples capturés et offerts au regard du populus Romanus. C’étaient, indique-t-il, « des Molosses, des Macédoniens, le Bruttien, l’Apulien, le Lucanien »1. Martial, quant à lui, appelle Germain un captif devenu esclave public à Rome en lui disant : « c’est l’eau de Marcius, ce n’est pas le Rhin qui jaillit ici, Germain : pourquoi arrêter cet enfant et l’empêcher d’approcher du jet de cette fontaine précieuse entre toutes ? Ô Barbare, n’écarte pas un citoyen pour boire à sa place : une eau victorieuse ne doit pas étancher la soif d’un captif réduit à servir »2.
La désignation du captif par sa « nationalité » traduit la volonté d’identifier et de répertorier les ennemis de Rome vaincus. Égrener un chapelet de peuples soumis met en relief non seulement l’envergure de la victoire mais, surtout, le caractère universel de la domination romaine. Le fait de nommer la personne capturée ou bien la localité géographique prise exprime, mieux que tous les autres procédés de désignation, le besoin d’insister sur l’identité de l’ennemi afin de mettre parfaitement en évidence l’ampleur et l’impact de la victoire remportée ou la défaite subie. Cette préoccupation est renforcée lorsque le nom propre s’accompagne de l’ancien statut social ou de la filiation du captif. Valère Maxime ne se contente pas seulement d’indiquer le nom d’Hélénos, fait prisonnier, mais il précise qu’il est le fils du roi d’Épire, Pyrrhus. « Quand on lui eut amené le fils de Pyrrhus, Hélénos, qui avait été fait prisonnier, il lui demanda de prendre la tenue et l’état d’âme d’un roi, fit enfermer les cendres de Pyrrhus dans une urne d’or et les lui donna pour qu’il les ramenât dans sa patrie, en Épire, à son frère Alexandre »3 écrit-
il.
De même, il insiste sur le fait que Syphax était « le roi le plus riche de Numidie »4. L’appellation par le nom ou par les liens de parenté constitue un moyen d’identification très précis qui fournit des informations sur la personne du captif, en particulier son ancien rang social et sa provenance. Cependant, la portée limitée de ce procédé de désignation l’empêche d’être entièrement opératoire puisqu’il n’embrasse qu’une catégorie sociale bien précise et exclut tous les autres captifs qui ne sont appelés que par rapport à leur condition juridique du moment. En ce qui concerne l’âge et le sexe, ils représentent des indices qui donnent la possibilité de reconnaître, parfois, les lieux où sont effectuées les prises. « Tum si captiuos aspiceres, Molossi, Thessali, Macedones, Bruttius, Apulus atque Lucanus », I, 13, 27. Épigrammes, XI, 96. Relevons ici le rapprochement entre le Germain et le Barbare et surtout l’assimilation du Barbare au captif. Un tel glissement fait ressortir les rapports intrinsèques entre la barbarie et la captivité. Cette relation est largement exploitée par l’iconographie, infra chapitre III. 3 V, 1, ext. 4. 4 « Syphacem enim, quondam opulentissimum Numidiae regem », V, 1, 1b. 1 2
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Quant à la dénomination du captif par sa condition (captivus ou captus), en spécifiant clairement le « statut » de l’individu, elle permet en même temps d’éviter les amalgames faits entre le prisonnier de guerre, l’otage (obses)1, l’esclave (servus) et celui qui se rend (le dediticius). Ces trois derniers substantifs sont classés dans la catégorie des « termes ambigus »2 afin de signaler et de signifier non seulement leur particularité, mais en même temps leur connexion avec le captivus (ils appartiennent tous, à des degrés variables, au monde de la dépendance), d’où leur ambivalence dans certains cas. Dès sa vente, le captivus bascule dans l’univers servile3, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle certains auteurs anciens ne distinguent pas nettement le captivus du servus. Dans d’autres cas, ils confondent le captivus avec le servus ou l’obses. Florus ne relève pas suffisamment la spécificité de l’otage lorsqu’il dit : « haec per Antistium Furniumque legatos et Agrippam hibernans in Tarraconis maritimis Caesar accepit. Mox ipse praesens hos deduxit montibus, hos obsidibus adstrinxit, hos sub corona iure belli uenundedit »4.
En fait, contrairement au captif qui était pris, l’otage était, quant à lui, remis au vainqueur par le vaincu comme gage de sa bonne foi5. Néanmoins, l’utilisation d’astringere, « enchaîner », « lier », fait apparaître aussi les transformations qu’a subies le contenu du vocable obses au cours de l’histoire romaine. De son côté, le dediticius peut ressembler au captivus par les traitements infligés6 alors que les deux conditions sont, juridiquement parlant, nettement distinctes. Ces amalgames et rapprochements des différents types de dépendants relevés expriment et reflètent, dans une certaine mesure, les mutations ou bien l’évolution du contenu de ces notions qui suivent les transformations de la mentalité et de l’idéologie politique romaines ainsi que l’attitude de l’armée romaine envers les vaincus.
Valère Maxime ne précise pas clairement si les personnes retrouvées à Carthagène par Scipion étaient des obsides ou des captivi. Il indique seulement que ce dernier « avait pris possession d’un grand nombre d’otages que les Puniques tenaient prisonniers », IV, 3, 1. 2 En eux-mêmes ces statuts ne sont pas ambigus, mais ils deviennent imprécis voire flottants lorsqu’ils ne sont pas clairement distingués du captivus, voir Tableau IV de l’Annexe I. 3 Ce fut, par exemple, le cas du Germain capturé par Marius et qui, une fois à Rome, devint un esclave public, Valère Maxime, II, 19. 4 « Ces succès, dus à ses lieutenants Antistius, Furnius et Agrippa, César (Auguste) les apprit à Tarragone, ville de la côte où il prenait ses quartiers d’hiver. Se rendant aussitôt lui-même sur les lieux, il fit descendre certains habitants de leurs montagnes, s’assura de la fidélité des autres en prenant des otages, et vendit le reste à l’encan selon le droit de la guerre », II, 33, 51. 5 M. Gueye, « Les otages dans le règlement des conflits et la conquête : l’exemple du Bellum Gallicum », Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, n°35, 2005, pp. 109-125. 6 Le fait de se rendre et de se confier à la bonne foi des Romains n’épargna à Persée ni l’épreuve du triomphe ni la prison, Velleius Paterculus, I, 7. Sur la définition et les modalités de la deditio, infra pp. 61-65. 1
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3. Le sort des captifs Une autre série de termes et de syntagmes traduisent et l’idée d’une liberté perdue, et les différents comportements du captivator à l’égard de sa propriété1. Considéré comme une partie de la praeda, le captif est enchaîné (vinctus), emprisonné, traîné au triomphe (in triumphum ductus) ou vendu (venundatus). Un sort plus agréable peut attendre aussi le captivus. Il s’agit de la mise en liberté2 par le rachat, la restitution, l’échange, la libération par la fuite3 ou après une victoire sur l’ennemi. Le prisonnier peut également subir un autre traitement, à savoir l’exécution capitale. Ce dernier cas de figure est largement attesté par la fréquence de l’utilisation des verbes caedere, occidere et trucidare4. Leur emploi récurrent met l’accent sur l’atrocité du comportement du vainqueur et, la plupart du temps, la violence et le carnage qui règnent sur le champ de bataille ou dans les villes prises d’assaut. Tacite utilise caedere et trucidare très souvent pour montrer le caractère, particulièrement cruel des guerres fratricides5. Ainsi, dans sa description de la prise de Crémone en 69 ap. J-C, il utilise non seulement à deux reprises caedes mais aussi truncare lorsqu’il écrit : « non dignitas, non aetas protegebat quo minus stupra caedibus, caedes stupris miscerentur. […] Dum pecuniam uel grauia auro templorum dona sibi quisque trahunt maiore aliorum ui truncabantur »6.
Il emploie aussi exactement les mêmes termes pour décrire l’occupation de la ville d’Uspé en 49 ap. J-C : « Quod aspernati sunt uictores, quia trucidare deditos saeuum, tantam multitudinem custodia cingere arduum ; ut belli potius iure caderent ; datumque militibus, qui scalis euaserant, signum caedis »1.
Cf. Tableaux V-VII de l’Annexe I. Ces deux tableaux, complémentaires, traduisent les différents types de traitement auxquels étaient soumis les captifs. Le premier expose les traitements courants, entre autres le port des chaînes, la vente, la figuration à la procession triomphale et l’enfermement. À ces deux derniers éléments se greffent parfois les tortures et les mises à mort abordées dans le second tableau. 2 Le Tableau VIII de l’Annexe I indique que le rachat, parmi toutes ces formes de mise en liberté, prédomine largement avec plus de 10 références en particulier chez Valère Maxime. Ensuite arrivent les cas d’échange et de libération notés plutôt par Aulu-Gelle, qui du reste est le seul à évoquer le postliminium (cf. Tableau VIII de l’Annexe I). Mais d’une manière générale, ce tableau fait ressortir la pauvreté des sources sur cet aspect de la captivité. Tacite, qui, pourtant, relate les conflits internes et externes du Ier siècle ap. J-C, ne fournit que quelques rares données, quant à Florus, il l’aborde à peine. 3 Il s’agit d’un cas de figure extrêmement rare. Pline est le seul à avoir signalé un cas de fuite, celui de Callidromus, Lettres, X, 74. 4 Vel. Pater., II, 46 ; II, 47 ; II, 12 ; Val. Max., I, 6, 6 ; Tac., Ann., IV, 25. 5 Hist., III, 19 ; III, 22 ; III, 26 ; III, 27 ; III, 77. 6 « Ni le rang ni l’âge n’étaient une protection ; on mêlait le viol au meurtre, le meurtre au viol. Des vieillards d’un grand âge, des femmes dont la vie était presque achevée, méprisées comme butin, étaient traînées pour servir de jouet », Hist., III, 34. 1
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Il est frappant de relever l’association verbale capere/caedere et les couples verbaux capere/trucidare, capere/occidere2 rencontrés au cours des affrontements entre ennemis aussi bien dans une ville prise que sur le champ de bataille. Ces associations verbales expriment clairement la violence et l’atrocité qui caractérisent ou accompagnent la captivité tout en spécifiant son cachet transitoire et provisoire. Ainsi associée au carnage, la captivité apparaît sous forme de traitement auquel certains vaincus sont soumis ou comme une alternative qui s’offre au vainqueur3. Dans l’énumération des types de traitement prévus pour le prisonnier de guerre, la captivité survient souvent après le massacre4 qui coïncide avec la première grande étape d’une confrontation, car le nombre d’ennemis tués présage l’issue de la bataille. Dans leurs textes respectifs, Velleius Paterculus, Valère Maxime et Tacite font précéder le carnage à la capture. Lorsqu’il relate les exploits et le comportement de Jules César en Gaule, Velleius Paterculus indique qu’il massacra et captura d’innombrables ennemis, « innumerabilibusque caesis et captis hostium »5. Dans le même ordre d’idées, il ajoute que plus de quatre cent mille hommes furent abattus par César et un grand nombre fait prisonniers. Quant à Valère Maxime, il résume le désastre de Cannes (216 av. J-C), en ces quelques mots laconiques : « dans la rencontre, 15 000 Romains furent tués, 6 000 faits prisonniers, 20 000 mis en fuite »6. De même, Tacite décrit l’attitude de l’armée romaine face aux troupes de Tacfarinas en trois mots : trahi, occidi, capi7. L’affrontement se solda par la mort du chef numide en 24 ap. J-C. Par ailleurs, le massacre est parfois directement rattaché à l’écoulement des prisonniers de guerre. Dans ce cas de figure, même si les auteurs ne précisent pas expressément l’étape de la capture, ils la sous-entendent, car la vente n’en est qu’une conséquence. Ce glissement est remarquable chez Tacite quand il écrit : « ac statim immissa cohorte Thraecum depulsi et consectantibus Germanis Raetisque per siluas atque in ipsis latebris trucidati. Multa hominum milia sub corona uenundata »8. Ann., XII, 17, 1-2. Tacite, Histoires, I, 68, 3 ; Annales, I, 56 et IV, 25. 3 Suivant Velleius Paterculus, « plus de cent mille [Germains] furent massacrés ou faits prisonniers » par Marius, « caesa aut capta amplius C milia hominum », II, 12. Tac., Ann., I, 56 ; XIII, 54. 4 « Nec prius finis caedibus datus, quam iugum et hostibus et duci capto reposuerunt », « et l’on ne mit un terme au carnage que lorsque les ennemis et leur chef, faits prisonniers, eurent à leur tour passé sous le joug », Flor., I, 11, 11. 5 « In ea namque acie xv milia Romanorum caesa, VI milia capta, XX milia fugata sunt », II, 46 ; II, 47. 6 I, 6, 6. 7 Annales, IV, 25. 8 « Alors, poursuivis par les Germains et par les Rétes à travers les bois, ils furent massacrés dans leurs retraites mêmes. Plusieurs milliers d’hommes furent tués, plusieurs milliers vendus à l’encan », Histoires, I, 68, 5. 1 2
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Il répète la même chose quand il évoque l’attitude romaine face aux Ampsivariens « iuuentutis erat caeduntur, imbellis aetas in praedam diuisa est »1. De l’examen du lexique nous pouvons constater que : - Premièrement ni l’appartenance sexuelle, ni la tranche d’âge2 encore moins la catégorie sociale3 ne mettaient le vaincu à l’abri de la captivité. Du roi au citoyen le plus humble, de l’homme né libre (ingenuus) à l’esclave (servus), du général au centurion, de la femme à l’homme, de l’enfant à la personne âgée, tout individu pouvait devenir captif en période de guerre. - Le second constat réside dans les interférences entre les champs lexicaux de la guerre étrangère et de la guerre civile4 en passant par la guerre servile5 et la piraterie. Nous avons répertorié sous la forme d’un tableau tous les termes relevés dans le corpus qui se rapportent à la captivité en période de guerres civiles6. L’exemple de Tacite reste ici le plus frappant étant donné qu’il a souvent recours au même vocabulaire aussi bien dans les Histoires que dans les Annales. On note que 14% des vocables et expressions relevés sont employés « Les jeunes hommes furent massacrés sur la terre étrangère, l’âge impropre à la guerre fut partagé comme un butin », Ann., XIII, 56, 6. 2 Les termes tels que mulier, uxor et puella se rapportent souvent à des captives d’origine noble, cf. Tableau III (Annexe I). 3 Chez Valère Maxime, presque toutes les catégories sociales sont sollicitées. Pline reste le seul auteur à évoquer le cas d’un esclave, Lettre, X, 74. Les exemples des rois prédominent. Cette situation s’explique par le rappel fréquent des chefs étrangers capturés pour valoriser les mérites des généraux romains, en particulier ceux de l’époque républicaine (cf. Tableau IX de l’Annexe I). Paradoxalement, les auteurs ne font pas état des soldats capturés, même s’il est évident qu’ils constituent une bonne partie des captifs. Une configuration sociale de la captivité se dégage du Tableau IX, lequel met en relief deux tendances : une attention particulière pour les captifs de marque plus souvent évoqués et un intérêt moindre vis-à-vis de la masse des captifs plongée dans l’anonymat. Parmi les captifs de marque, il faut relever la prédominance nette des rois (Valère Maxime et Florus en particulier). 4 (Guerre civile entre Antoine et Octave), Suétone, Auguste, XIII et XV ; id., Néron, II ; Valère Maxime, III, 8, 8 ; IV, 7, 4. (Guerres civiles entre 68 et 69) Tacite, Histoires, I, 50 ; I, 87 ; II, 44 ; III, 72 ; Annales, I, 41 ; cf. Tableau VI (Annexe I) où les interférences lexicales sont classées. 5 Dans sa relation des révoltes serviles de 104-101 (sous la conduite du pâtre Athénion) et celle de 80-72 (dirigée par Spartacus, Flor., II, 7, 11-12 ; II, 8, 7-9), Florus emploie les termes suivants : captus, captivus, praeda, dedere. Il écrit : « Ac ne quod decus iusto desset exercitui, domitis obuiis etiam gregibus paratur equitatus, captaque de praetoribus insignia et fasces ad ducem detulere. […]. Qui defunctorum quoque proelio ducum funera imperatoriis celebrauit exsequiis, captiuosque circa rogum iussit armis depugnare, quasi plane expiaturus omne praeteritum dedecus, si de gladiatore munerarius tum fuisset ». « En outre, pour que rien de ce qui convient à une armée régulière ne leur manquât, ils se procurent un corps de cavalerie en allant jusqu’à dompter les hardes de chevaux qu’ils rencontrent et donnent à leur chef les insignes et les faisceaux qu’ils avaient pris au préteur. […]. Il célébra également les funérailles de ses officiers morts dans la bataille avec la pompe réservée aux généraux en chef et fit combattre à mort des prisonniers en armes autour de leur bûcher, comme s’il voulait ainsi achever d’effacer l’infamie de son passé en donnant alors des jeux de gladiateurs, après avoir été gladiateur lui-même », II, 8, 7. 6 Cf. Tableau VI de l’Annexe I. Les termes spécifiques, excepté le vocable captivitas, sont particulièrement sollicités par Tacite. 1
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dans le contexte des guerres civiles. Il s’agit, certes, d’un pourcentage faible mais assez significatif dans la mesure où les guerres civiles ne sont pas largement abordées par les textes hormis dans les Histoires de Tacite. Concernant la piraterie, certaines unités lexicales (capere, captus, captivus, cruci, custodia, redemptus, vendere) utilisées et relevées interfèrent avec le vocabulaire des guerres étrangères même si nous ne disposons que d’un seul exemple dans tout notre corpus1. La capture de César par les pirates est un épisode relaté par Velleius Paterculus et Suétone. Les deux auteurs utilisent le participe de capere pour rendre compte de la capture de César par les pirates, « idem poste, admodum iuuenis, cum a piratis captus esset, ita se per omne spatium quo ab his retentus est apud eos gessit ut pariter his terrori uenerationique esset »2
indique Velleius Paterculus.
En outre, le même auteur répète capere à trois reprises dans le texte pour indiquer que César captura à son tour ses détenteurs avant de faire les crucifier3. Quant à Suétone, il écrit : « huc dum hibernis iam mensibus traicit, circa Pharmacussam insulam a praedonibus captus est mantsitque apud eos non sine summa indignatione prope quadraginta dies cum uno medico et cubicularis duobus »4. L’interférence des deux lexiques (celui de la piraterie et celui de la guerre étrangère) est déjà relevée dans le monde grec par Y. Garlan, « Signification historique de la piraterie grecque », DHA, 4, 1978, p. 2. Mais dans le monde romain ce phénomène lexical s’étend aussi aux guerres civiles. 2 « Par la suite, fait prisonnier par les pirates alors qu’il n’était encore qu’un jeune homme, il se conduisit auprès d’eux pendant toute la durée de sa captivité de façon telle qu’il leur inspira à la fois terreur et respect », Histoire romaine, II, 41. 3 « Quae nox eam diem secuta est qua publica ciuitatuum pecunia redemptus est, ita tamen ut cogeret ante obsides a piratis ciuitatibus dari, contacta classe et priuatus et tumultuaria, inuectus in eum locum in quo ipsi praedones erant, partem classis fugauit, partem mersit, aliquot naues multosque mortales cepit ; laetusque nocturnae expeditionis triumpho ad suos reuersus est, mandatisque custodiae quos ceperat, in Bithyniam perrexit ad proconsulem Iuncum - idem enim Asiam eamque obtinebat - petens ut auctor fieret sumendi de captivis supplicii : quod cum ille se facturum negasset uenditurumque captiuos dixisset - quippe sequebatur inuidia inertiam - incredibili celeritate reuectus ad mare priusquam de ea re ulli proconsulis redderentur epistulae, omnes quos ceperat suffixit cruci ». « La nuit même qui suivit le jour où il avait été racheté aux frais des cités d’Asie non sans qu’il ait contraint les pirates à donner auparavant des otages à ces cités, il rassembla à la hâte, sans disposer d’aucun mandat, une flotte et, se portant vers l’endroit où se trouvaient les pirates, il mit en fuite une partie de leur flotte, en coula une autre partie, s’empara de quelques navires et fit un grand nombre de prisonniers ; tout joyeux du succès de son expédition nocturne, il revint vers les siens et, ayant mis ses prisonniers sous bonne garde, il se rendit en Bithynie près du proconsul Juncus - ce dernier gouvernait cette province en même temps que l’Asie - le priant d’ordonner l’exécution capitale des prisonniers : celui-ci lui ayant répondu qu’il n’en ferait rien et qu’il vendrait les prisonniers - car chez lui la jalousie se joignait à l’indolence - César revint jusqu’à la mer avec une incroyable rapidité, avant que parvienne à quiconque une instruction du proconsul sur cette affaire, et fit crucifier tous ceux qu’il avait capturés », II, 42. 4 « Au cours de sa traversée, accomplie déjà pendant le mois d’hiver, il fut pris par des pirates à la hauteur de l’île Pharmacuse, et resta au milieu d’eux, non sans la plus vive indignation, près de quarante jours, avec un médecin et deux valets de chambre, car dès le 1
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La similitude de certains vocables, en particulier les « termes spécifiques », contrairement à ce qu’elle pourrait suggérer, ne signifie pas la légitimation de l’activité des pirates par Rome. Dans son approche, l’Urbs ne se fondait pas seulement sur une terminologie plus ou moins identique pour accepter ou rejeter les activités de l’autre (du pirate ou de l’ennemi), mais elle prenait en compte le contexte et la situation dans lesquels elles s’opéraient et se produisaient. De même, dans la vie courante à Rome, des substantifs tels que carcer se rencontrent quand il s’agit de l’emprisonnement d’un citoyen comme ce fut le cas de Marius : « iniecto in collum loro, in carcerem Minturnensium iussu duumuiri perductus est »1. Cette interférence lexicale découle du fait que les prisonniers de droit commun partageaient le même univers carcéral que les prisonniers de guerre. Ils étaient tous enfermés dans les mêmes endroits et subissaient quelquefois des peines analogues. Aulu-Gelle le confirme lorsqu’il mentionne que : « L. Cornelius Scipion l’Asiatique ayant, lors de ses triomphes, fait jeter à plusieurs reprises les chefs ennemis en prison, il paraît contraire à la dignité de l’État de conduire un général du peuple romain à l’endroit où ont été jetés les chefs ennemis »2.
Il est loisible de constater que capere et ses dérivés n’appartiennent pas exclusivement au contexte de la guerre étrangère comme nous l’avons montré. Ils font plus référence à l’acte de prendre, ce qui explique leur emploi dans des cadres très diversifiés. C’est pourquoi, les termes dits généraux rendent parfois mieux compte des réalités de la captivité puisqu’ils apportent des réponses à des questions ponctuelles même si les données chiffrées montrent une prédominance des dérivés de capere qui constituent 54% du corpus pour un total de quatre termes. - Enfin, la troisième remarque a trait à la diversité du vocabulaire qu’atteste le nombre de vocables relevés dans l’ensemble du corpus. Cette variété fait ressortir les différentes facettes de la captivité tout en attribuant à chacune sa spécificité. De plus, l’examen du vocabulaire permet de cerner la captivité dans le fonctionnement du discours des auteurs. En produisant une vision ou des visions de la captivité et une définition du captif, leur discours indique, explicitement ou implicitement, les sous-entendus et l’idéologie qui leur sert de fondement.
premier moment, il avait envoyé ses compagnons et autres esclaves chercher la somme exigée pour sa rançon », Cés., IV, 2. 1 « On lui passa au cou une courroie et, sur l’ordre d’un des duumvirs, il fut conduit dans la prison de Minturnes », Vel. Pater., II, 19 ; Appien, Les guerres civiles à Rome, I, 61 (traduction de J.-I. Combes-Dounous, Paris, Les Belles Lettres, 1993) ; T.-L., Per. 77 ; Plut., Marius, XXXIX, 2 ; Val. Max., II, 10, 6 ; cf. l’étude de S. Bertrand-Dagenbach, « La prison, lieu d’effroi », in Carcer, prison et privation de liberté dans l’Antiquité classique, Actes du colloque de Strasbourg 5 et 6 décembre 1997, Paris, E. De Boccard, 1999, pp. 215-217. 2 VI, 19, 7.
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Chapitre II
QUI EST CAPTIF ? APPROCHES JURIDIQUE ET LITTÉRAIRE Le captif, nous l’avons vu, est celui qui s’est fait prendre par l’ennemi pendant la guerre1. Cette définition reste encore vague et imprécise, car dans les sources, l’emploi de captivus ou de captus ne renvoie pas spécialement à cette catégorie de personnes. En effet, les auteurs utilisent indifféremment captivus ou captus aussi bien quand il s’agit de guerres serviles, civiles ou étrangères, que dans d’autres cadres tels que la piraterie ou la deditio2. Afin de mieux cerner l’objet principal de notre étude, nous faisons appel aux acceptions que fournit le droit antique. Ce dernier, en s’appuyant sur le jus postliminium, donne une définition propre du captif et lui assigne, en même temps, un statut particulier qui le distingue formellement du déserteur3 ou d’autres catégories de dépendants tels que le prisonnier des pirates, le prisonnier des guerres civiles, le dediticius ou l’obses. Le postliminium4 est une institution très ancienne dont « l’élaboration juridique générale doit revenir aux jurisconsultes républicains de l’époque la plus ancienne »5.
Aujourd’hui, suivant le droit international, « le captif est une personne appartenant aux forces armées d’un État belligérant et qui, tombé aux mains de l’État ennemi, est retenu par celui-ci et soumis à un statut fixé par le droit international », G. Cornu, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 1996, s.v. Prisonnier de guerre. Cependant, en dépit de sa précision, cette acception, extraite de la Convention de Genève du 12 Août, 1949 (décret 252-253 du 28 février 1952), n’englobe ni toutes les réalités ni les spécificités de l’Antiquité romaine. 2 Sur les interférences lexicales, supra pp. 26-27. 3 Le desertor est celui qui, après s’être éloigné ou enfui pendant un long espace de temps, est ramené au camp. Il ne bénéficie d’aucun droit puisqu’il a abandonné de son plein gré sa patrie, il est même « mis à la torture, et condamné à être exposé aux bêtes féroces ou au supplice de la fourche, quoique les militaires ne soient punis d’aucune de ces manières », Digeste, XLIX, 36, 3 ; M. Gueye, « Le délit de desertio et de transfugium dans les guerres civiles à Rome sous la République », Res Antiquae, 9, 2012, pp. 221-238. 4 Sur le vocable, lire J. Imbert, qui a consacré tout un chapitre à l’étymologie de postliminium en confrontant les textes de Cicéron (Topiques, 8, 37), Plutarque (Questions romaines, V) et Justinien (Institutes, I, 12, 5). L’auteur finit par « se ranger, faute de mieux » à l’étymologie donnée par Plutarque (post limen) ; M. Hernández-Tejero, « Aproximácion histórica al origen ius postliminium », Gerión, 7, 1989, p. 63. 5 M. Bartosek, « Un chapitre de la formation intérieure du droit romain », RIDA, 1, 1948, p. 49. Il donne cette conclusion dans « Captivus » (p. 159) où il soutient, en s’appuyant sur le cas de Regulus, que le postliminium était déjà au IIIe s. av. J-C fort élaboré. En outre, le fait même que les jurisconsultes du IIe s. av. J-C ne savaient plus interpréter, exactement, l’étymologie de postliminium en constitue une autre preuve (p. 160). L’ancienneté du postliminium est aussi attestée par les travaux de J. Imbert qui pense qu’« il doit remonter très haut dans l’Antiquité. Sans doute même le fait a précédé le terme », Postliminium…, p. 27. Néanmoins, la date effective de l’élaboration du jus postliminium ainsi que ses origines restent imprécises. 1
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Typiquement romaine, elle consistait pour le prisonnier de guerre à recouvrer ses droits lorsqu’il rentrait chez lui. Selon V. I. Kuzišcin, « the term captivus means people captured during the war (before the conclusion of peace agreement, which determined the occupation regime of the captured region and the population living there), including the prisoners of war, the inhabitants of captured cities »1.
Toutefois, dans sa définition, l’historien n’inclut pas les personnes qui sont livrées s’en tenant uniquement à celles qui sont prises. Or, nous avons relevé des cas de prisonniers qui, au lieu d’être capturés par l’ennemi lui furent livrés par une tierce personne, un allié en général2. Le droit romain reconnaissait cette catégorie de personnes comme appartenant à celle des prisonniers de guerre. Ceux qui étaient livrés se trouvaient sous le pouvoir de l’ennemi par la volonté d’un tiers et non par la leur (comme en cas de deditio). Dès lors, ils bénéficiaient pleinement du jus postliminium, « le droit de recouvrer sur un étranger une chose perdue, et de la rétablir dans son ancien état »3. Ainsi, en 49 ap. J-C Mithridate, le souverain du Bosphore, fut livré par Eunonès, le roi des Aorses, à l’empereur Claude4. De même Caratacus, le chef des Silures, fut aussi remis à Claude en 50 ap. J-C par la reine Cartimandua5. Modestin, dans le troisième livre des Règles, indique clairement que « ceux qui sont pris par l’ennemi ou qui lui sont livrés et qui reviennent, jouissent du droit de postliminium »6. Le droit définit le captif par rapport au postliminium. Le terme captivus désigne, par conséquent, soit une population (dans le cas d’une ville prise), soit un individu combattant ou civil pris par l’ennemi ou livré à celui-ci pendant la guerre, avant la conclusion d’une quelconque convention de paix7. « Captivi and non captivi, slaves in Ancient Rome », in Captius i esclaus..., p. 50. Il convient de distinguer le deditus du traditus dans l’acte de livrer un individu à un autre. Dans le premier cas, il s’agit d’un abandon noxial, qui se traduisait par l’expulsion d’un élément impur de la cité afin de la débarrasser de toute souillure. Dans le second cas, le deditus était remis à l’ennemi pour réparer un délit commis. Dans cette situation précise nous sommes en présence d’un geste dicté par des calculs politiques, car en remettant le captif, le détenteur espérait, en retour, bénéficier de faveur de la part de celui qui le recevait, cf. Fig. 1 (p. 32) et Tableau 2 (p. 123) où les cas de « livraison » de prisonniers sont repérés chez Valère Maxime et Tacite. 3 « Postliminium est jus amissae rei recipiendae ab extraneo, et in statum pristinum restituendae », Digeste, XLIX, 15, 19. 4 Tacite, Annales, XII, 19. 5 Id., ibid., XII, 36. 6 « Eos qui ab hostibus capiuntur, vel hostibus deduntur, jure postliminii reverti antiquitus placuit », Digeste, XLIX, 15, 4. 7 À Rome, le vocable captivus est bien codifié contrairement en Grèce où, selon A. Bielman, « le prisonnier de guerre désigne tout individu, combattant ou civil, au pouvoir d’un ennemi, que la capture soit le fruit d’une guerre ou d’un rapt commis par des pirates ou par des brigands », Études épigraphiques I. Retour à la liberté. Libération et sauvetage des prisonniers en Grèce ancienne. Recueil d’inscriptions honorant des sauveteurs et analyse critique, Lausanne, 1994, p. 249. 1 2
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I. Le jus postliminium L’aspect juridique de la captivité, en l’occurrence le jus postliminium ou le droit de retour, n’occupe qu’une infime partie de notre corpus. C’est un terme classé dans la catégorie des vocables les moins représentatifs numériquement1. Cependant, cela ne signifie pas que la question du retour des captifs n’est pas posée, même si c’est de manière très succincte et superficielle. En outre, les auteurs (sauf Aulu-Gelle) l’abordent plus sous l’angle moral qu’en termes juridiques. Mais quel que soit le type de source utilisé, dès l’instant où le captif se trouvait dans le camp ennemi, il perdait, forcément, son statut de citoyen ainsi que tous les droits qui s’y rattachaient. Il devenait alors l’esclave de l’État ennemi ou de ses citoyens (ab hostibus autem captus et servus est hostium) et non celui de Rome. M. Bartosek insiste, à juste titre, sur le fait que le captif était seulement in jure gentium servus hostium comme l’attestent d’ailleurs les expressions relevées dans le corpus, entre autres « in manus hostium incidere », « in manus hostium venire » et « in potestatem hostium venire »2. Ce sont autant de tournures idiomatiques explicites qui expriment, sans équivoque, la condition de dépendant et de dominé du captif lequel est entièrement soumis au pouvoir discrétionnaire de l’ennemi. Conformément aux lois de la guerre, la personne du captif relevait de la propriété (dominium) exclusive du vainqueur qui pouvait en disposer à sa guise. Pris pendant la guerre, le prisonnier demeurait la propriété incontestable du conquérant, au même titre que tout le reste du butin. Fort de ce droit, le « propriétaire » pouvait en user, le remettre à une tierce personne ou bien le tuer, car il était sa chose. La perte de son statut de citoyen faisait du captif un capite minitus jusqu’au IIIe s. av. J-C. En fait, à partir de cette date, les jurisconsultes républicains exprimèrent « l’idée que la capture n’éteignait pas tous les droits du captif »3. Ce dernier, par les effets de la captivitas était privé des droits et devoirs de citoyen que sa patrie lui avait reconnus. En quittant celle-ci sous le pouvoir de l’ennemi, la captivitas le transformait en véritable mort-vivant. Dans la législation romaine, le prisonnier de guerre était frappé d’une mort civile qui entérinait la suspension des droits attachés à sa personne. Le captif « qui n’est pas revenu de chez les ennemis est censé être un mort »4. Mais, une fois libéré et sur le sol romain, le prisonnier, par le jus postliminium, rentrait dès cet instant, en possession de tous les privilèges de citoyen dont la captivité l’avait dépouillés. Le postliminium correspondait ainsi à une suspension des droits du captif. Les prisonniers romains, retrouvés en Grèce en 194 av. J-C par Seul Aulu-Gelle l’emploie, voir Tableau VIII de l’Annexe I. Florus, I, 46, 9 ; id., I, 18, 23 ; I, 22, 10 ; II, 7, 11 ; Valère Maxime, II, 9, 8 ; IV, 7, 4 ; VI, 1, ext. 2. Cf. Tableau V de l’Annexe I. 3 M. Bartosek, Captivus, p. 209. Cet aspect capital différencie nettement le captif du mort ; M. Ducos, « Le juriste et la mort », in La mort, les morts et l’au-delà dans le monde romain, n. 25, p. 150. 4 Digeste, XLIX, 15, 18. 1 2
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Flamininus, après leur libération, recouvrèrent leur citoyenneté selon Valère Maxime1. Mais si l’ex-captif reprenait son ancien statut de citoyen, il perdait, en revanche, définitivement, toute la partie de ses droits qui exigeait sa présence physique, c’est-à-dire le conubium et la possessio. Pour bénéficier de ces deux prérogatives, la loi romaine exigeait l’animus (l’intention de disposer de la chose acquise) et le corpus (l’obtention du pouvoir physique sur l’objet) que l’absence du propriétaire, considéré comme mort, avait annulés. C’est pour cette raison que, jusqu’à la réforme justinienne, le mariage était automatiquement dissous si l’un des conjoints se trouvait en captivité2. Le droit postliminien permettait au citoyen de recouvrer sa « nationalité », son ingénuité, sa famille, sa puissance paternelle, ses obligations (créances et dettes). D’après Cicéron, il s’appliquait aussi bien à l’homme qu’ « au navire, au mulet de bât, au cheval, à la jument habituée à recevoir le frein »3. Une fois de retour dans la cité, le postliminium rendait son statut juridique antérieur au captif devenu libre. Aux yeux de la loi romaine, la captivité demeurait un état transitoire presque « irréel » dès l’instant où, par fictio, le droit postliminien supposait que le captif (de retour à Rome) était considéré comme quelqu’un qui n’avait jamais quitté sa patrie4. De même l’esclave, capturé pendant la guerre, était soumis à l’application du jus postliminium qui consistait à le retourner à son maître qui reprenait automatiquement tous ses droits sur lui. Pline le Jeune, dans une lettre adressée à l’empereur Trajan, lui expose le cas de Callidromus5, un esclave romain capturé par Susagus en Mésie et offert à Pacorus, roi des Parthes. Il était resté au service de ce dernier plusieurs années avant de se sauver et de rejoindre un poste romain à Nicomédie. De là, il fut envoyé à Pline alors gouverneur de la Bithynie. Dans son récit, Pline, préoccupé par la recherche d’un camée, représentant Pacorus avec ses insignes et une pépite rapportée des mines de Parthie, s’intéresse plus aux informations que Callidromus possédait qu’à son sort. D’ailleurs, l’absence de la réponse de Trajan ne permet pas de préciser ce qu’il advint de l’esclave. Mais, malgré le silence de Pline, il faut retenir que Cependant, Valère Maxime ne précise pas les modalités qui précédèrent ce recouvrement de la citoyenneté. Il se contente d’annoncer seulement que « Flamininus s’attacha à les rétablir dans leurs anciens droits », V, 2, 6. Notons qu’il s’agit d’un cas particulier puisque dans aucun autre exemple il n’est question d’une quelconque intervention du chef de l’armée dans le recouvrement des droits du captif. Mais son action s’explique parfaitement par son rôle de « libérateur » de ses concitoyens qui se considéraient d’ailleurs comme des « affranchis », infra p. 250. 2 L’empereur Justinien modifie la novelle 117 du chapitre 2 qui stipule que, désormais, la femme ne peut se remarier qu’à l’annonce de la mort certaine de son conjoint retenu captif, Dig., XLIX, 15, 8 ; J. Imbert, op. cit., pp. 105-106. 3 Top., VIII, 36 ; Dig., XLIX, 15, 2. 4 « Quia postliminium fingit eum qui captus est, semper in civitate fuisse », Institutes, I, 12, 5. 5 Il est l’esclave de Labérius Maximus, un des généraux de Trajan pendant les campagnes daciques de 103 ap. J-C. Malheureusement, nous n’avons pas retrouvé trace de Callidromus dans les autres lettres de Pline afin de connaître la décision de l’empereur. M. Durry suggère que les lettres ayant trait à la question parthique aient été supprimées volontairement pour des raisons d’État, Introduction aux Lettres, p. 11, n. 2-3 ; Lettres, X, 74. 1
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l’esclave était soumis au jus postliminium. Dès son retour à Rome, l’esclave-captif redevenait esclave, privé ou public, mais à condition de se retrouver sous la puissance de son maître1. Si cette clause n’était pas respectée, il devenait un esclave sans maître aux yeux de la loi. Dans le cas du captif citoyen romain en liberté, la rétrocession de ses droits se faisait à deux conditions : - Premièrement, le captif « devenu libre » devait se trouver « in fines nostros intraverit » ou « in civitatem sociam amicamue », c’est-à-dire à un endroit où il commençait à être en sûreté par la foi publique. Ici, l’élargissement de l’empire jouait en faveur du captif. - Deuxièmement, le captif devait avoir l’intention de rester dans sa patrie, c’est-à-dire celle à laquelle il avait appartenu avant sa captivité. Le postliminium est un droit qui agit non seulement en fonction de la personne du captif devenu libre, mais aussi en fonction de l’espace. C’est là un aspect supplémentaire qui différencie les captifs des guerres civiles de ceux des guerres étrangères : tout se passe à Rome dans le premier cas de figure, d’où l’absence du postliminium. D’après le Digeste, « on jouit de ce droit lorsqu’on est entré sur nos frontières », mais « on le perd dès qu’on en est sorti »2. Il faut impérativement un déplacement d’un endroit à un autre, d’un territoire ennemi à Rome. Une fois le captif libre au bon endroit, il fallait qu’il décidât d’y rester. La question de l’animus remanendi est posée par les sources du corpus à deux reprises, en 255 et en 216 av. J-C, pendant les guerres contre Carthage. La première fois avec M. Atilius Regulus et la seconde avec l’épisode des dix prisonniers romains envoyés par Hannibal au sénat. Valère Maxime et AuluGelle ont fourni les textes les plus complets sur ces deux épisodes. Fait prisonnier par le général lacédémonien Xanthippe3, Regulus, « envoyé à Rome pour proposer au sénat et au peuple d’échanger sa liberté, lui qui était seul et qui n’était qu’un vieillard, contre celle de tout un groupe de combattants puniques, conseilla le contraire et partit pour Carthage, sans ignorer bien sûr vers quels ennemis il revenait, combien ils étaient cruels et, à juste titre, irrités contre lui, mais parce qu’il leur avait juré que si les prisonniers ne leur étaient pas rendus, il retournerait chez eux »4.
Après la bataille de Cannes en 216 av. J-C, Hannibal avait aussi délégué auprès du sénat dix captifs romains pour négocier un échange de prisonniers entre Carthage et Rome : « Avant leur départ il leur fit prêter serment qu’ils reviendraient dans le camp carthaginois si les Romains n’échangeaient pas les prisonniers. Les dix prisonniers viennent à Rome. Ils exposent au sénat la proposition du général carthaginois. L’échange ne fut pas approuvé du sénat. […] Les parents, les familles et les alliés des prisonniers les embrassaient et disaient qu’ils étaient rentrés dans leur patrie par le droit de postliminium, Digeste, XLIX, 15, 19, 5 ; ibid., XLIX, 15, 30. Valère Maxime, XLIX, 15, 19. 3 « Xanthippe… combattit contre lui, le vainquit et le fit prisonnier », T.-L., Per., XVIII ; Val. Max., I, 1, 14 ; Flor., I, 18, 21–25 ; Gell., VII, 4. 4 I, 1, 14. 1 2
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Mariama Gueye que leur statut était entier et intact, et les priaient de ne pas revenir chez les ennemis. À cela huit d’entre eux répondirent qu’ils n’avaient pas légitimement le droit de postliminium du moment qu’ils étaient liés par un serment, et ils repartirent aussitôt chez Hannibal comme ils l’avaient juré. Les deux autres restèrent à Rome et disaient qu’ils étaient affranchis et libérés de l’obligation du serment parce que, une fois sortis du camp ennemi, ils y étaient rentrés dans une intention de ruse, prétextant un motif fortuit, et ayant ainsi satisfait l’engagement juré ils en étaient repartis sans prêter serment »1.
De retour à Rome, ni Regulus ni les dix prisonniers ne pouvaient bénéficier du jus postliminium puisqu’ils étaient revenus non pas pour demeurer dans leur patrie, mais uniquement pour remplir une mission2. Ils n’étaient pas à Rome en qualité de captifs « devenus libres », mais seulement comme des « envoyés assermentés ». Ils avaient juré aux Carthaginois de revenir si les prisonniers carthaginois ne leur étaient pas rendus. Cependant, contrairement à Valère Maxime3, ni Florus ni Aulu-Gelle ne signalent le serment qui liait Regulus aux autorités puniques et qui le tenait dans l’obligation de respecter scrupuleusement sa parole4. Cet « oubli » s’explique, en partie, par l’ambition des auteurs de faire du consul un exemplum en diluant la teinte dégradante de sa capture dans sa légendaire probité dans la mesure où n’étant lié par aucun serment et conscient des pires châtiments qui l’attendaient il retourna, quand même, chez l’ennemi. Or seul le serment, cette « affirmation solennelle placée sous la garantie d’une puissance divine » chargée de châtier le parjure5, pouvait le contraindre à regagner Carthage. En revanche, tous les auteurs ont noté l’épisode du serment dans le cas des dix captifs6. La rétrocession, en fait, n’accordait aucune importance aux moyens utilisés par le captif pour retrouver la liberté et rentrer à Rome, seuls l’animus remanendi et « la sûreté par la foi publique » étaient indispensables aux yeux de la loi : « Il n’importe pas comment le captif est rentré dans sa patrie ; qu’il ait été renvoyé par les ennemis, ou qu’il se soit soustrait à leur pouvoir par la force ou par la ruse, il faut cependant qu’il soit venu dans l’intention de ne pas retourner chez eux »7.
Aulu-Gelle, VI, 18. Horace l’explique quand il dit que, Regulus, en mettant le pied sur le sol romain, ne recouvre pas la liberté, il reste capite minitus, Odes, III, 5, 41. 3 Il écrit clairement « uerum quia his iurauerat si captivi eorum redditi non forent, ad eos sese rediturum », « parce qu’il leur avait juré que, si les prisonniers ne leur étaient pas rendus, il retournerait chez eux », I, 1,14. Sa version est d’ailleurs confirmée par Cicéron qui précise que Regulus « préféra retourner vers le supplice plutôt de manquer à sa parole », Les devoirs, I, 13. 4 Florus (I, 18, 21) parle seulement de « son retour volontaire [celui de Regulus] chez l’ennemi ». Cette expression manque de précision et ne reflète pas toute la complexité de la situation, dans la mesure où la parole donnée devait rendre ce retour obligatoire. 5 É. Benveniste, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes, t. II, p. 163. 6 Aulu-Gelle, VI, 18. 7 Digeste, XLIX, 15, 26. 1 2
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Ainsi le captif avait la possibilité de recourir à tous les subterfuges, même les plus malhonnêtes, pour recouvrer la liberté. Mais dans les cas de Regulus et des dix prisonniers romains, ces deux conditions « remplies » étaient rendues caduques par le serment. Il leur ôtait tout droit de bénéficier du postliminium parce qu’il le précédait : ils avaient juré avant de revenir à Rome. C’est à juste titre que les huit autres captifs répliquèrent à leur entourage qu’ils n’avaient pas légitimement le droit de postliminium. Nous ne partageons pas, par conséquent, l’opinion de J. Imbert qui, après avoir analysé le texte d’Aulu-Gelle, conclut que : « les captifs de retour, quelque malhonnête que soit le moyen employé par eux, ont l’animus remanendi. Ils l’avaient même avant de revenir puisqu’ils avaient pensé à se libérer de leur serment par la feinte d’un retour factice. Ils jouissent du postliminium, dans la mesure où ils n’ont pas été traités en esclaves, mais en citoyens. Ici aucun problème ne se pose »1.
Pourtant, il y eut un grand « problème » suffisamment mis en évidence par la scission du sénat en deux : d’un côté les sénateurs qui soutinrent les captifs et de l’autre ceux qui les blâmèrent. Les premiers privilégièrent surtout le fonctionnement juridique du postliminium qui ne prenait en compte que deux critères, c’est-à-dire le retour à Rome et l’intention d’y rester, reléguant au second plan le serment. Les deuxièmes mirent, quant à eux, en avant le serment et surtout sa priorité sur le retour. Et c’est pourquoi la proposition de renvoyer les prisonniers à Carthage, faite par certains sénateurs, fut tout simplement rejetée par la majorité. Malheureusement, les sources ne précisent pas l’identité des sénateurs, information qui aurait permis de comprendre leurs motivation et position au moment où la République profondément meurtrie et l’armée fortement amoindrie par la débâcle de Cannes étaient aux abois. Dans tous les cas, l’aile des sénateurs qui demanda le retour des captifs auprès d’Hannibal défendait non seulement le respect du serment - en rejetant la ruse utilisée par les deux captifs pour se libérer de leur engagement -, mais aussi la fides proverbiale des Romains toujours opposée à la fameuse perfidia punica2. En effet, la parole donnée aux Carthaginois liait les prisonniers romains et les tenait dans l’obligation de la respecter conformément aux principes du jus jurandum, car le serment était sacré. La déesse Fides, « la force divine engagée dans le serment » qu’elle protège3, veillait en permanence sur le respect des engagements pris, à la fois sous le couvert de la simple parole donnée ou du serment. C’est la raison
Postliminium…, p. 81. Cicéron explique cette mauvaise foi punique par la situation géographique de Carthage. À l’en croire, à force de côtoyer dans leurs ports des fraudeurs et trafiquants, les Carthaginois avaient contracté « l’amour du gain qui inclinait à la tromperie », Sur la loi agraire, texte établi et trad. par A. Boulanger, Paris, Les Belles Lettres, 1960, II, 35, 95. 3 P. Boyancé, « La religion romaine selon Jean Bayet », in Études sur la religion romaine, MEFRA, 1972, p. 40. 1 2
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pour laquelle les deux autres1 (parmi les dix Romains délégués auprès du sénat), qui, avant de quitter Carthage, avaient envisagé de rester à Rome (l’animus remanendi est incontestable), recoururent à des astuces pour se libérer de leur serment. Une fois sortis du camp carthaginois, prétextant un motif fortuit, ils y retournèrent. Ainsi, ayant satisfait l’engagement pris (celui de revenir) ils quittèrent le sol ennemi sans prêter serment cette fois-ci. Mais, antithétique à la fides, théoriquement la ruse ne peut gommer l’engagement dans le serment. C’est pour cette raison que, malgré la captivité qui entache sa réputation, Regulus reste un véritable héros dans la littérature latine2. En fait, en dépit de leur parjure, les captifs romains bénéficièrent, en partie, du jus postliminium avec la complicité du sénat. La majorité des sénateurs semblait approuver ainsi la ruse comme un moyen tout à fait légitime de contourner les obligations qui découlent du serment. Dans une certaine mesure, ils entérinèrent cette initiative qui constituait une violation flagrante de la fides. En réalité, les prisonniers ne furent privés que de leurs droits électoraux3 (par conséquent d’une partie de leurs droits). Or, le postliminium embrasse tous les droits du citoyen. Dans les deux cas, la foi engagée dans le jus jurandum, qui précède leur arrivée à Rome et surtout qui rend possible ce retour, les empêche moralement de jouir du droit de retour. La parole donnée devait rester inviolée, sous peine d’encourir l’ire jovienne et le dédain public. C’est ainsi que, selon certaines sources, les parjures furent sanctionnés par la société4. C’était une manière pour l’opinion publique d’exprimer son respect à l’égard des dieux, mais aussi d’éviter, en les approuvant, de diriger leur colère vers le populus Romanus tout entier. En dépit de toutes les conditions qui permettent au captif de retrouver ses droits antérieurs, Rome, par le postliminium, comme le relève justement J. Imbert, « n’a pas voulu porter remède à la captivité en général »5. Le droit, en définissant le captif par rapport au jus postliminium, restreint le cercle des bénéficiaires. Par conséquent, le jus postliminium constituait autant une peine Les sources ne s’accordent pas sur le nombre exact de ceux qui demeurèrent à Rome. Valère Maxime (III, 9, 8) ne fournit aucune précision. Pour Cicéron (Les devoirs, I, 13, 40) et Tite-Live (XXIV, 18) seul un des envoyés resta à Rome. Quant à Aulu-Gelle (VI, 18, 7), il mentionne qu’ils furent deux. Appien donne une version des faits très différente dans Le livre d’Annibal, 28, 118-121 (texte établit et traduit par D. Gaillard, Paris, Les Belles lettres, 1998). D’après lui, Hannibal envoya trois prisonniers à Rome, après leur avoir fait jurer de revenir à Carthage. Mais aucun, parmi les trois émissaires, ne demeura à Rome. 2 Valère Maxime considère que Regulus garde le premier rang en ce qui concerne le respect des prescriptions de la religion, I, 1, 14. 3 Val. Max., III, 9, 8. 4 Le traitement infligé par les Romains aux parjures diffère suivant les auteurs. Selon Valère Maxime, ils étaient sanctionnés par les censeurs F. Lucius Philus et le fils de Regulus qui les privèrent de leurs droits électoraux, II, 9, 8. D’après Appien, Ibérique, 18, 1 (texte établi et traduit par P. Goukowsky, Paris, Les Belles Lettres, 1997) certains sénateurs voulurent les renvoyer sous escorte à Hannibal mais la proposition fut rejetée par le sénat. 5 Postliminium…, p. 67. 1
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pour le desertor et le dediticius qu’une récompense pour ceux-là qui avaient risqué leur vie pour la patrie. L’Urbs comptait ainsi les dédommager, car : « l’équité naturelle a voulu que celui qui était détenu injustement par des étrangers rentrât dans tous ses droits dès qu’il aurait repassé les frontières en revenant dans sa patrie »1.
Les lois Cornelia et Hostilia du IIIe s. av. J-C contribuèrent largement à favoriser le captif, l’une en rendant possible sa succession après sa mort chez l’ennemi et l’autre en défendant les biens du captif contre le vol. J. Imbert y voit un regain d’intérêt pour le captif qui n’est plus perçu nécessairement comme un lâche2. Le jus postliminium constituait pour Rome un moyen de protéger la famille du captif et des Romains de l’ennemi. Le rejet du testament fait chez l’hostis, par exemple, préservait de toute usurpation les enfants du prisonnier de guerre3. En exigeant l’animus remanendi, la loi visait, en réalité, à éviter toute tentative de trahison et d’espionnage d’un captif revenu à Rome, mais qui pourrait être à la solde de l’ennemi. Pourtant, cette précaution s’avère, dans une certaine mesure, peu efficiente, voire dérisoire du moment que l’État romain ne disposait d’aucun moyen objectif pour le vérifier. Ainsi, la sanction restait purement morale, ce qui explique l’interdiction de séjour en Italie de certains prisonniers rachetés. Dans tous les cas de retour de prisonniers de guerre répertoriés dans notre inventaire, les sources ne font intervenir, à aucun moment, l’animus remanendi4 comme une obligation pour accéder au jus postliminium. D’après les textes, dès qu’il revenait à Rome, le captif recouvrait automatiquement ses droits5. Dans le postliminium, seul le retour du prisonnier de guerre demeure essentiel. Cependant, le jus postliminium, du fait même de sa condition première (le retour à Rome), ne s’applique pas au captif étant donné qu’il ne devient actif qu’à partir du moment où celui-ci retrouve la liberté. Toutefois, il ne s’agit plus d’un prisonnier, mais d’un homme devenu libre. Le jus postliminium, par son nom même, reste très éloquent puisqu’il signifie non pas le droit du captif mais le droit de retour du captif. La loi ne prévoit ni défense, ni garantie pour celui qui se trouve encore entre les mains de l’ennemi. D’ailleurs, de quel moyen objectif peut-elle disposer pour protéger « une chose » qui appartient légitimement à l’hostis ? Dès l’instant où la loi considère le prisonnier de guerre comme mort, « in omnibus partibus juris is qui reversus non est ab hostibus, quasi tunc Dig., XLIX, 15, 19. Postliminium…, p. 160. Les dates exactes de ces deux lois restent imprécises. Y. Garlan conclut, à partir de ces changements juridiques, que « le sort des captifs tendit peut-être dans l’ensemble à s’améliorer », La guerre dans l’Antiquité, p. 49. 3 À partir de Léon le sage, le testament du captif fait chez l’ennemi et devant trois témoins au moins était validé alors que juste avant l’empereur Justinien, le testament rédigé chez l’ennemi restait invalide (Justinien, Institutes, II, 12, 5). 4 Valère Maxime, II, 7, 15b ; V, 2, 5 ; V, 2, 6. 5 J. Imbert, op. cit., p. 74. À partir de la fin du IIe s. ap. J-C, le redemptus devait d’abord rembourser sa rançon avant de jouir, pleinement, du jus postliminium. 1 2
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decessisse uidetur, cum captus est »1 et esclave de l’hostis, elle le condamne jusqu’à ce qu’il retrouve le chemin de la liberté. En vérité, aucune clause juridique ne prend en compte la condition de captif. Le prisonnier de guerre n’a aucune réalité juridique. En définitive, le jus postliminium ne concerne pas celui qui est en état de captivité, mais uniquement celui qui en est sorti. Rome ainsi se désolidarisait complètement du sort de ses combattants capturés en les considérant comme des « absents » alors que c’est pour la défendre qu’ils avaient perdu la liberté. Par son attitude intransigeante envers les captifs, l’Urbs encourageait toute cette perception négative et dévalorisante que les Romains avaient de la captivité. Et, c’est en partie son objectif ultime en instituant le jus postliminium : combattre la lâcheté (d’où l’exclusion des dediticii) et pousser ainsi ses soldats à préférer la mort à la captivité en ne leur offrant qu’une seule alternative face à l’ennemi, vaincre ou mourir2. Certes, elle ne pouvait concrètement rien faire pour le prisonnier de guerre qui relève d’une autre autorité - étrangère et de surcroît ennemie - mais était-ce une raison suffisante pour le suspendre par présomption juridique, jusqu’à son retour ? Dans cette optique, le postliminium peut représenter un moment de réconciliation entre le captif romain redevenu libre et sa patrie. Néanmoins, tant qu’il restait captif, le Romain ne faisait plus partie de la communauté des citoyens. Ce rejet peut être perçu comme une manière d’esquiver les éclaboussures de la captivité. Dans ce sens, le postliminium qui, en réalité, ne prenait en compte que le captif libéré, était plus influencé par des motivations à caractères militaire et politique que par des raisons humanitaires. Par conséquent, même si le droit relatif au prisonnier de guerre subit une évolution certaine avec la suspension des droits du captif, ces mutations ne sont pas synonymes d’une amélioration du traitement du prisonnier du moment qu’aucune clause juridique ne touchait directement sa condition, qui relevait du droit des gens. Dans les faits, son nouveau « statut » de servus hostium écartait, d’emblée, le prisonnier de guerre de la civitas jusqu’à son retour et sa réintégration. Le jus postliminium, par son caractère sélectif, excluait toutes les personnes capturées par les pirates, celles prises pendant les dissensions civiles ainsi que les dediticii. Ils n’étaient pas considérés comme des prisonniers de guerre. II. La captivité dans la piraterie et pendant les guerres civiles Le droit ne reconnaissait pas aux personnes capturées par les pirates ou pendant les guerres civiles le statut de captif. La raison principale réside dans
« Dans toutes les parties du droit, le captif qui n’est pas revenu de chez les ennemis est censé être mort au moment où il a été pris », Digeste, XLIX, 15, 18. 2 Cf. M. Gueye, « Le suicide du soldat à Rome sous la République : aut uincere aut emori », Troïka. Parcours antiques, PUF-C, 2012, pp. 243-257. 1
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l’absence de belligérance et de toute forme d’« occupatio bellica » qui ne pouvait se produire qu’entre peuples étrangers et indépendants1.
1. Le prisonnier des pirates Une personne capturée par les pirates conservait pleins et entiers ses droits de citoyen et d’homme libre, car aux yeux de Rome le pirate, comme le bandit, n’était qu’un brigand2. Selon Cicéron, « le pirate n’est pas compté au nombre des belligérants, c’est l’ennemi commun à tous »3. Le seul exemple de prisonnier entre les mains de pirates dans notre corpus reste celui de Jules César. Fuyant les hommes de Sylla lancés à sa poursuite, César et ses compagnons (un médecin et deux valets de chambre et des compagnons et esclaves) furent capturés à la hauteur de l’île de Pharmacuse par des pirates Ciliciens4. Ces derniers les avaient gardés prisonniers pendant 35 jours5, le temps que les amis et esclaves de César rassemblent l’argent de la rançon. Les témoignages de Velleius Paterculus, Plutarque et Suétone établissent le traitement honorable dont César avait fait l’objet et qui le distinguait du prisonnier classique6. Son comportement vis-à-vis de ses détenteurs le faisait ressembler plus à un maître qu’à un captif. Velleius Paterculus explique que tout au long de sa détention, César se comporta « de façon telle qu’il inspira à la fois terreur et respect aux pirates. Il ne se déchaussa ni ne dénoua sa ceinture ». Il ne fut jamais considéré comme un véritable prisonnier de guerre par la littérature latine. La question relative à la suspension de ses droits de citoyen ne fut jamais posée non plus. Au lieu de le dévaloriser, sa captivité fit plutôt de Jules César un héros. Cette aura augmenta même après sa revanche sur les pirates qui l’avaient enlevé. Lorsque ses anciens geôliers tombèrent entre ses mains, César leur fit subir un sort atroce et humiliant7. Refusant de les vendre, il les fit crucifier lui-même. Ce traitement que Rome réservait aux brigands ne choqua aucune de nos sources. Défini par opposition aux normes civilisatrices érigées et véhiculées par l’Urbs, le pirate ainsi que J. Imbert, Postliminium…, p. 51. Dans le Digeste, il est stipulé que « ceux qui sont pris par les pirates ou par les voleurs demeurent libres », XLIX, 15, 19. D. Braund, Piracy under the pricipate and the ideology of imperial eradication, in War and society in the Roman world, Londres, 1993, p. 195. 3 Cicéron, Les devoirs, III, 29, 107 ; Pline l’Ancien, Histoire naturelle, II, 117 (texte établi et traduit par A. Ernout, Les Belles Lettres, Paris, 1972). 4 Plut., Cés., II, 3. Vel. Pater., II, 42, 2 ; Suét., Cés., IV, 3 ; supra pp. 59-60. 5 Plutarque et Suétone ne s’accordent pas sur le nombre de jours que César et ses compagnons passèrent chez les pirates : 35 pour l’un et près de 40 jours pour l’autre. 6 Appien distingue les pirates des captifs pris par Pompée. Dans son énumération des vaincus qui défilèrent pendant sa procession triomphale de 62 av. J-C, il précise bien : « une multitude de prisonniers et de pirates », La guerre de Mithridate, 116, (texte établi et traduit par P. Goukowsky, Paris, Les Belles Lettres, 2003). 7 La nuit même de son rachat par les cités d’Asie, César rassembla une flotte pour se mettre à la poursuite de ses anciens détenteurs. Il s’empara d’une partie de leurs navires, fit couler l’autre et captura un grand nombre de pirates. 1 2
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toutes les manœuvres ou actions qu’il peut entreprendre sont jugés illégitimes1. Derrière cette catégorisation du brigand, fondée sur le droit, se dissimule un sentiment purement impérialiste développé par Rome qui avait tendance à exclure et à censurer tout ce qui allait à l’encontre de son ordre. Une telle opinion ne pouvait qu’ôter toute légalité à l’existence des pirates. Ce refus manifeste de l’Urbs de compter le brigand au nombre de ses ennemis possédait aussi un fondement idéologique. La légitimité de l’adversaire et de ses entreprises était strictement définie par rapport au point de vue impérialiste de Rome. Elle reproduisit d’ailleurs le même schéma en forgeant de toute pièce les notions de bellum justum et de bellum injustum. Cette attitude romaine vis-à-vis de l’autre rend l’historien perplexe. Ce dernier se trouve confronté à un concept, celui de brigand, flottant et difficile à appréhender, qui est généreusement et abusivement attribué à certains ennemis de Rome ou, mieux, à tous ses opposants2, allant des pirates à ceux qui ouvrent les états de belligérance « sans déclaration » en passant par tout type d’insurgé.
2. Le prisonnier des guerres civiles Le droit romain ne considère pas l’individu capturé au cours d’un conflit civil comme prisonnier de guerre. Il se fonde sur l’inexistence d’une occupatio bellica : les guerres intestines opposent les Romains et se déroulent sur leur propre territoire. L’absence d’une occupatio bellica s’explique par la nonreconnaissance d’une guerre civile comme un conflit opposant de véritables ennemis, des hostes3. L’hostis est celui à qui le peuple romain a déclaré publiquement la guerre. Les juristes estimaient que les dissensions civiles ne représentaient pas une menace réelle pour la République puisque les armées ne s’affrontaient pas pour détruire Rome4. Par conséquent, les personnes prises pendant ces conflagrations n’étaient pas considérées comme du butin. C’est en partie pour cette raison que l’Italie refusa de racheter la population de Crémone mise en vente par les Flaviens après la prise de la ville. « Alors on se mit à les tuer ; mais quand le fait fut connu, leurs proches et leurs parents par alliance les M. Clavel-Lévêque, « Brigandage et piraterie : représentation, idéologie et pratiques impérialistes au dernier siècle de la République », DHA 2, 1976, pp. 22-25. B. D. Schaw considère les brigands comme les éléments irréductibles de l’ordre romain, « Bandits in the Roman empire », Past and Present, 105, 1984, pp. 3-52. Sur l’emploi de latro dans les discours politiques à Rome cf. le même auteur p. 378 sqq. 2 Sur le cas de Tacfarinas lire A. Gonzalès, « La révolte comme acte de brigandage. Tacite et la révolte de Tacfarinas », L’Africa Romana, n°31, 1996, pp. 937-939. 3 La guerre civile se définit comme une inimitié entre parents tandis que la guerre étrangère est une discorde entre étrangers. Les auteurs anciens se sont d’ailleurs attachés à établir une distinction radicale entre elles, Cicéron, Les devoirs, I, 12, 38 ; P. Jal, La guerre civile à Rome…, pp. 23-26. 4 En effet, « ceux qui embrassent l’un ou l’autre parti ne sont pas entre eux comme des ennemis qui ont réciproquement établi les droits de captivité et de retour. Aussi l’on a pensé que ceux qui avaient été pris, vendus, et dans la suite affranchis dans les guerres civiles, redemandaient inutilement au prince une ingénuité qu’aucune captivité ne leur avait fait perdre », Digeste, XLIX, 15, 21, 1. 1
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rachetaient en secret »1. La coloration civile de ce conflit invalide l’occupatio bellica. Ainsi, à Crémone, ceux qui furent pris ne furent pas considérés comme des captifs. Ils conservèrent intégralement leur statut de citoyen et continuèrent à bénéficier d’une « ingenuitas, quam nulla captivitate amiserant ». Toutefois, même si aux yeux de la loi les captifs de Crémone gardèrent leur statut de citoyen, dans les faits ils se trouvèrent sous le pouvoir d’un autre. Cette spécificité juridique qui leur refusait tout accès à la condition de captif, loin de les protéger, les exposait plutôt aux pires traitements. En effet, ne pouvant être vendus, le droit les condamnait à une mort certaine en leur ôtant toute possibilité d’être rachetés à l’instar du captif des guerres étrangères. Ici, le seul moyen de sauver un parent ou un ami fait prisonnier constituait une infraction à la loi. Ainsi le rachat s’effectuait dans la clandestinité puisque la loi ne reconnaissait pas les captifs des guerres fratricides comme du butin. En outre, la législation mettait le captivator dans une position embarrassante et l’obligeait à la limite à recourir à l’extermination. En effet, il ne pouvait ni entretenir ses prisonniers ni les mettre sur le marché encore moins prendre le risque de les remettre en liberté et renforcer ainsi les rangs de l’ennemi. La privation d’une partie essentielle du butin entraînait la frustration de la soldatesque qui se traduisait par le carnage inhumain qui caractérisait les guerres fratricides. En définitive, cette législation qui n’accordait pas au prisonnier des guerres civiles le statut de captif, le condamnait à mort, contraignait le vainqueur à se débarrasser de ses prisonniers « inutiles » et surtout obligeait les populations à passer outre afin de sauver la vie de leurs amis et parents. Cependant, cette différenciation entre les prisonniers des guerres civiles et étrangères reste purement juridique étant donné qu’au fond, elle a principalement pour objectif de restreindre les bénéficiaires du jus postliminium. Elle ne favorise en aucun cas un adoucissement de la condition des captifs des guerres civiles ou des pirates. D’ailleurs, pendant les conflits entre Romains, le comportement des vainqueurs est encore plus inhumain envers les vaincus2. III. Le dediticius et le captivus : ambiguïtés et contradictions Lorsqu’un pays ou une personne se rendait, il bénéficiait de la fides romaine si sa deditio était acceptée : c’est la deditio in fidem3. À l’origine, la deditio n’était entachée d’aucune touche avilissante ou dégradante. Elle constituait même « une forme normale »4 des rapports que Rome entretenait avec les autres peuples. Mieux, la deditio, comme l’a montré Cl. Auliard, représentait Tacite, Histoires, III, 34, 3-5. C’est pour cette raison que nous avons intégré dans notre étude les villes prises pendant les guerres civiles et certains cas de captifs pendant ces événements. 3 S. N’diaye, Les lois de la guerre à Rome de Sylla à César, thèse de IIIe cycle, Nancy, 1983, pp. 85-90. 4 A. Piganiol, « Venire in fidem », Scripta varia II, Les origines de Rome et la République, REL, vol. 132, 1973, p. 196. 1 2
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« l’instrument privilégié de la paix »1. L’Urbs considérait la deditio comme un acte qui rehaussait son « crédit » aux yeux de l’opinion internationale puisqu’elle témoignait de sa clémence et générosité même envers ses ennemis. En effet, « il fallait accueillir ceux qui, ayant déposé les armes, se remettaient à la loyauté du chef, même si le bélier avait abattu leur rempart »2.
La partie soumise sans perfidie devait, en retour, bénéficier de la protection romaine. L’abdication du vaincu comportait plusieurs actes. Les premiers consistaient d’abord à ouvrir les portes de la cité afin d’accueillir les vainqueurs. De son côté, le pays soumis devait : « livrer son territoire, ses villes, les hommes, les femmes, les fleuves, les ports, les temples, les tombeaux, car les Romains sont les maîtres et le dediticius n’est plus maître de rien »3.
Ensuite, le dediticius était tenu de rendre toutes les armes et machines de guerre sine perfidia au victor puisqu’il n’y avait de capitulation possible que si les armes étaient livrées4. Remettre à l’ennemi victorieux ses armes équivalait pour le vaincu à un aveu de sa défaite et de sa soumission : il acceptait la victoire de l’autre et reconnaissait qu’il ne désirait que la paix. Quant au second geste, il résidait dans la fidélité et la confiance au général victorieux. Mais, à partir du IIe siècle av. J-C, avec l’affirmation de la politique impérialiste de Rome, une interprétation nouvelle de la deditio commença à émerger. Les ambitions politiques démesurées des commandants en chef de l’armée transformèrent les conditions de la deditio. Elles devinrent déshonorantes, et même mortifiantes, car aux différents phases et actes déjà énumérés, vint se greffer la prosternation devant le vainqueur5. L’armée des Chauques qui se rendit à Tibère, après avoir accepté de livrer ses armes, « enfermée avec ses chefs dans le cercle étincelant de nos soldats en armes, dut ensuite se prosterner devant le tribunal »6. La position agenouillée7 du vaincu renforce le poids de l’humiliation déjà incluse dans la deditio. Cette dernière exigeait aussi la bonne foi du dediticius. C’est pourquoi toute trahison ou menace de défection après reddition était considérée comme une perfidie et « entraînait La diplomatie romaine..., p. 863. Cicéron, Les devoirs, I, 11, 35. 3 Pol., XXXVI, 4, 1-3. Tite-Live le confirme à travers le formulaire de la deditio de Collatie à Tarquin l’Ancien : « Le roi demande : “êtes-vous les représentants et les porte-parole mandatés par le peuple collatin pour nous livrer le peuple collatin et vous-même ?” - Oui Vous remettez-vous, vous et le peuple collatin, ville, terres, eau, temples, bornes, meubles, objets sacrés et profanes, en mon pouvoir et en celui du peuple romain ? - Oui - Et moi je vous reçois », I, 38, 2. 4 César, Guerre des Gaules, II, 32 ; Tite-Live, XXXVIII, 8. 5 Ces gestes humiliants imposés aux dediticii demeurent encore plus présents au IV e s. ap. J-C. Ammien Marcellin décrit plusieurs scènes où des chefs Quades, Sarmates et Chamaves se prosternaient ou bien se jetaient littéralement par terre pour bénéficier de la clémence du césar Julien ou de l’empereur Constance, XVII, 8, 5 ; XVII, 12, 9. 6 Velleius Paterculus, II, 106. 7 Au revers de la Monnaie XII est représenté un dediticius arménien, à genou, les mains tendues, demandant la paix à l’empereur (cf. Annexe II). 1 2
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automatiquement la remise en cause immédiate et unilatérale de la deditio »1. En revanche, le général victorieux était tenu de laisser la vie sauve à la partie soumise puisque les villes qui se rendaient devaient rester indemnes. Par ailleurs, il devait leur assurer une protection militaire. Dans une lettre adressée à la cité d’Héraclée du Latmos, en 188 av. J-C, les Scipions leur tinrent ce discours : « puisque vous vous êtes remis à notre fides... Nous vous accordons la liberté comme aux autres villes qui nous ont donné à nous occuper d’elles : elles peuvent administrer leurs propres affaires par ellesmêmes… Quant à tout le reste nous ferons toujours en sorte de vous rendre service et d’être cause pour vous de quelque bien » 2.
Cependant, cette autonomie se trouvait largement compromise par le stationnement des troupes romaines pendant une durée illimitée. En réalité, le fonctionnement de la deditio dépendait moins d’une procédure officielle que du bon vouloir du vainqueur. La fides de la deditio n’avait aucun fondement juridique du moment qu’il n’existait aucun contrat, engagement ou serment qui liait le vaincu au vainqueur. Ce dernier pouvait accepter ou même rejeter une deditio comme le rappela le chef numantin, Avaros, dans le discours qu’il adressa à Scipion : « Ce n’est plus de nous désormais, mais de toi, qu’il dépend que tu reçoives la reddition de notre cité, si tes ordres sont mesurés ou que tu laisses périr en combattant »3.
Même si la fides contenue dans la deditio n’offrait pas une garantie réelle entre le vainqueur et le dediticius, néanmoins, elle demeurait « implicite pour les deux interlocuteurs »4. Elle devait, par conséquent, éviter au dediticius, au moins, la mise à sac de sa ville et les injustices et abus contre sa population. Non seulement la ville dedita ne pouvait être laissée à elle-même, mais encore la deditio privait les soldats du butin. C’est ainsi qu’en 49 ap. J-C, les troupes romaines, en Orient, qui voulaient prendre d’assaut la ville d’Uspé, rejetèrent la deditio de ses habitants et la proposition de leur offrir en plus 10 000 esclaves s’ils les laissaient en vie. Tacite explique ce refus par les problèmes matériels qu’occasionne l’approbation d’une deditio, « parce qu’il était trop difficile », dit-il, « de garder matériellement une telle multitude »5. En fait, accepter la deditio d’une cité pose des problèmes matériels et de sécurité qui obligent parfois les troupes victorieuses à la rejeter. En effet, lorsqu’une ville se rendait, l’armée devait obligatoirement laisser sur place des garnisons qu’il fallait ensuite organiser. Ces mesures de sécurité retardaient l’avancée des troupes et diminuaient les effectifs de l’armée chargés aussi de faire régner l’ordre et de Cl. Auliard, La diplomatie romaine..., p. 857. Inscriptions historiques grecques, n° 122 (texte établi et traduit par J. M. Bertrand), Paris, Les Belles Lettres, 1991. 3 Appien, Ibérique, 413 ; Ch. Saumagne, La Numidie et Rome…, pp. 30-31 ; M. Lemosse, Le régime des relations internationales dans le Haut-Empire romain, p. 31. 4 Cl. Auliard, La diplomatie romaine…, p. 20. 5 Tacite, Annales, XII, 17, 1-2. 1 2
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s’assurer de la fidélité des populations soumises1. Mais l’explication de Tacite ne justifie pas le comportement équivoque et contradictoire de l’armée romaine en 49 ap. J-C. Si elle accepta la deditio de Soza, alors même qu’elle doutait de la sincérité de ses habitants2, en revanche elle rejeta celle d’Uspé. En fait, après l’occupation de la ville de Soza, abandonnée par Mithridate, les Romains voulaient donner une leçon aux alliés et sympathisants de l’ancien roi du Bosphore en les terrorisant par le massacre des habitants d’Uspé. Ils parvinrent de la sorte à décourager toutes formes de tentative de ralliement à la cause de Mithridate3. En renonçant au combat, le vaincu perdait, naturellement, tout droit. Et c’est plutôt la morale contenue dans la receptio in fidem et l’aspect religieux de l’invocatio fidei qui lui permettaient de jouir de certains privilèges et de limiter en même temps les droits du vainqueur. En vérité, la deditio ne sauvait pas systématiquement le dediticius4. La population de Locha, en dépit de sa capitulation en 204 av. J-C, fut sauvagement massacrée par l’armée de Scipion exactement comme si elle s’était battue jusqu’au bout. Choqué par l’attitude transgressive de son armée, l’imperator châtia sévèrement certains de ses hommes, car ils avaient ouvertement enfreint la fides contenue dans la deditio qui voulait que le général épargnât ceux qui se rendaient. Dans d’autres cas, même si la ville capitulait, sa population dedita était vendue à l’instar des captivi. La deditio de Numance n’empêcha pas Scipion de choisir cinquante Numantins, parmi ceux qui capitulèrent, pour son triomphe et de vendre le reste5. En vidant la deditio de son contenu primitif et primaire (en principe la redditio correspondait à une manière de sauver les remparts, la cité ainsi que ses résidents) les Romains lui ôtaient sa forte connotation morale et religieuse, en même temps, ils retiraient au dediticius toute chance d’être épargné. Dorénavant, les Romains privilégiaient l’aspect arbitraire et restrictif de la deditio, celui qui déniait au dediticius même l’espoir de faire appel à la clémence du vainqueur. Du Dans les faits, l’occupation romaine était synonyme de toutes sortes d’exactions telles que le paiement d’un tribut, la fiscalité, les levées de troupes, l’immixtion de la justice romaine dans les affaires privées, L. Harmand, L’Occident romain, Paris, Payot, 1969, p. 58. M. Rostovtzeff résume parfaitement la politique d’ingérence des Romains en Grèce après leur victoire : « the more troubles there, the better. The more imbroglios in the domestics affairs of every state, the greater the hope of Rome’s becoming the controlling, that is, the ruling power in the East », The social and the economic history of the hellenistic world, Oxford, Oxford University Press, 1953, t. II, p. 606. 2 Tacite avoue que les habitants adoptèrent une attitude ambiguë d’où le stationnement d’une garnison dans la ville, Annales, XII, 16. 3 Zorsinès, le roi des Siraques, ne tarda pas à faire sa deditio aux Romains, Annales, XII, 17. 4 À partir du IIe s. av. J-C, les abus et le manquement aux engagements devenaient de plus en plus flagrants et, comme le relève Cl. Auliard, la fides disparaissait dans les textes des références, La diplomatie romaine..., p. 867. 5 Nous suivons ici la version d’Appien (Ibérique, 42) différente de celle de Florus qui fait l’objet d’une discussion, infra p. 142. Nous reviendrons sur le traitement des populations des villes prises aux chapitres V et VI. 1
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coup, les conditions du dediticius (que cela soit le cas d’une ville ou d’une personne dedita) ressemblaient de plus en plus à celles d’une cité ou d’un individu captus au point que les deux vocables qui, pourtant, se rapportent à deux situations totalement différentes furent confondus parfois. Le cas de Persée, fils de Philippe V, permet d’illustrer notre propos. D’une manière générale, les sources ne considèrent pas le dernier roi de Macédoine comme un dediticius, mais plutôt comme un captivus alors que, dans les faits, il s’était rendu. Il ne fut pas pris ni livré aux Romains. Défait à Pydna en 168 av. J-C par Paul-Émile, Persée s’était enfui de la Macédoine pour se réfugier dans l’île de Samothrace afin de se placer sous la protection religieuse du temple. Encerclé par les forces romaines, le roi se laissa persuader par le préteur Cn. Octavius et se rendit à Paul-Émile. Pourtant, sa capitulation ne lui accorda pas de circonstances atténuantes. Il fut traîné au triomphe avant d’être emprisonné. Velleius Paterculus mentionne qu’après « sa capture », Persée, « mourut à Albe après quatre ans passés en liberté surveillée »1 alors que plus haut il explique que Cn. Octavius l’a persuadé par la raison plus que par la force de se confier à la bonne foi romaine2. Quant à Valère Maxime, il précise bien que « Persen regem a Paulo captum »3. Ailleurs, en relatant l’infortune du dernier roi de Macédoine, il indique qu’il avait perdu en peu de temps sa condition de roi pour tomber dans celle d’un captivus4. Florus, de son côté, appelle Persée « captae maiestatis », la « majesté captive »5. Aulu-Gelle se contente de dire que « Perses uictus captusque est »6. Les auteurs adoptèrent-ils cette position par pure commodité pour éviter d’entrer dans des détails explicatifs ou dans le but de maquiller cette capitulation en capture ou encore par confusion ? La seconde hypothèse nous paraît plus probable, car nous avons affaire à des auteurs qui, comme Florus, mettent tout en œuvre pour exalter la puissance du populus princeps et le mérite de ses généraux. Or, la capture est, de loin, beaucoup plus prestigieuse et retentissante que la deditio, qui exprime la volonté du vaincu qui se rend (bien qu’il soit contraint de déposer les armes) et non celle du vainqueur qui se contente simplement de le recevoir. La troisième hypothèse n’est, toutefois, pas à écarter car, comme nous l’avons montré plus haut, le captivus et le dediticius se ressemblent parfois par les traitements subis. Dans le sort des dediticii, deux attitudes déterminaient le comportement du victor, à savoir la reddition immédiate ou spontanée et la reddition par contrainte, qui se faisait après combat ou à la suite d’une résistance. Dans le premier cas de figure, les villes ou les personnes avaient plus de chances d’être épargnées. Dans le second cas, le dediticius recevait le même traitement que le captivus. En fait, celui qui se rendait, I, 11. I, 9. 3 II, 2, 1 4 V, 1, 8. 5 I, 28, 10. 6 « Persée fut vaincu et fait prisonnier », VI, 3, 5. 1 2
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après une résistance opiniâtre, n’avait aucun choix parce que défait. Cette attitude intransigeante se consolida avec l’affirmation d’une politique conquérante de Rome. Le cas d’Aristonicus est très éloquent. Coincé à Stratonicée en 129 av. J-C et contraint par la faim, Aristonicos, qui avait résisté aux troupes de Perpenna, finit par se rendre. Il fut non seulement conduit au triomphe, mais aussi étranglé dans son cachot1. Ni Vercingétorix en 52 av. J-C, ni Simon Bar Gioras en 70 ap. J-C après leur deditio ne furent épargnés : ils subirent tous la strangulation, alors qu’ils s’étaient rendus. La deditio par contrainte annihilait les bienfaits que le dediticius spontané attendait du vainqueur qui alors tendait à le traiter comme un captif. Cette attitude odieuse était encouragée par l’ambiance lourde et douloureuse d’un long siège ou d’une rude bataille qui rendait agressives et vindicatives les troupes qui attendaient leur part du butin. En dépit de tous ces facteurs, le droit distingue nettement le dediticius du captivus étant donné que le second reste le seul à bénéficier du jus postliminium. « Ceux qui, vaincus dans les combats, se sont livrés aux ennemis, ne jouissent pas du droit de retour »2. En définitive, le droit ancien accordait le statut de captif à une personne pourvu qu’elle soit prise ou livrée aux forces ennemies. L’état de belligérance, qui supposait au préalable la confrontation d’ennemis, demeurait indispensable. Cette condition première en posait une autre : la guerre devait être justa et pia. IV. Le bellum injustum : une borne à la captivité ? Rome forgea deux concepts essentiels qui reposèrent sur un fondement idéologique et religieux et régirent ses rapports avec les autres peuples : le bellum justum et son antonyme le bellum injustum. Suivant la conception idéologique romaine de la guerre, celle-ci devait être nécessairement une riposte à une agression extérieure3. Aux yeux des Romains, il importait beaucoup de mettre le bon droit de son côté, en ayant un casus belli valable et en respectant scrupuleusement la procédure fétiale afin de bénéficier du soutien des dieux. Pour leur casus belli, les Romains invoquaient soit la défense et la protection des intérêts des dieux, soit ceux du populus Romanus, soit alors ceux de leurs alliés. Parmi les causes relatives à la défense des divinités figuraient : la violation de l’asylie, la rupture d’un fœdus ou l’atteinte à la personne sacrée du fétial. Concernant celles qui touchaient à la garantie des intérêts du populus Romanus, il y avait la protection et la défense de l’ager Romanus ou celui d’un allié contre toute agression ennemie. Autant de motifs qui pouvaient légitimer n’importe quel conflit armé en le rendant justum et pium. Car, au nom de la fides, Rome devait préserver ses alliés contre toute attaque et, au besoin, intervenir militairement, en leur faveur. Dès lors, toute guerre faite, pour se venger ou Orose, Histoires, V, 10, 5. Digeste, LIX, 15, 17 ; J. Imbert, op. cit., p. 63. 3 Sur la conception idéologique de la guerre à Rome, cf. Cicéron, Les devoirs, I, 11-23 ; id., La République, III, 34-35 et Cl. Auliard, La diplomatie..., pp. 596-598. 1 2
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pour chasser l’ennemi du pays, était considérée comme juste. Les Romains la distinguaient nettement du bellum injustum, synonyme de latrocinium ou brigandage. Les entreprises guerrières des pirates étaient ainsi cataloguées comme actes de brigandage, car elles n’étaient animées par aucun des motifs nobles précités. Le bellum injustum était une guerre sans casus belli, une guerre « où c’est la gloire de la domination qui est en jeu »1, une guerre qui n’avait pour objectif ni la défense, ni le rétablissement de la souveraineté, de la justice et de la paix. Cependant, comme le relève à bon escient G. Dumézil, « justus pouvait recouvrir des ruses, voire des pièges, au moins de l’habileté »2. Au casus belli s’ajoutait aussi la déclaration de guerre par les fétiaux après réclamation, car faire la guerre ne suffisait pas, « encore convenait-il de la déclarer rituellement ». Ces « conservateurs de la paix » devaient, avant tout, chercher par le dialogue à « apaiser les différends », afin d’éviter la guerre et procéder à l’examen préalable de la justesse des griefs. En effet, « il n’y avait de guerre que celle qu’on faisait après réclamation »3. Si les prêtres les trouvaient arbitraires, les Romains devaient alors renoncer à faire la guerre. Une fois le sénat romain informé, muni d’une javeline armée de fer ou en cornouiller, à la pointe durcie au feu, le fétial se rendait à nouveau à la frontière ennemie, afin de déclarer la guerre4 au peuple ennemi. Avec l’élargissement de l’ager Romanus, cette forme de déclaration de guerre subit bien entendu au fil du temps des modifications. Ainsi, l’aspect formaliste et technique retenait plus l’attention des fétiaux. Car la simple prononciation de la formule consacrée pouvait rendre alors juste et pieuse la guerre la plus inique, étant donné que celle-ci était « notifiée et déclarée ». Justement le problème, pour nous modernes, réside dans l’interprétation des deux derniers mots, justa causa. Quelle valeur ou quel sens pouvons-nous conférer à cette expression, pour le moins équivoque, si cette idéologie est confrontée aux faits ? Question que Florus n’a pas manqué de se poser. En effet, Florus, en dépit de son admiration inconditionnelle envers la politique extérieure de Rome, avoue que la guerre menée contre Numance fut injuste. « On aurait de la peine - si l’on peut avouer la vérité - à trouver cause de guerre plus injuste »5 constate-t-il. Les Numantins entamèrent le conflit avec Rome pour des raisons légitimes. Ils intervinrent pour secourir leurs alliés et parents, les Segidenses. Ensuite, après leurs victoires successives de 140 av. J.C et 137 av. J.C sur les consuls Quintus Pompeius et Caius Cicéron, Les devoirs, I, 12, 38. La Religion romaine archaïque, Paris, Payot, 1966, p. 140. 3 Tite-Live décrit dans les moindres détails, la procédure suivie par les fétiaux, pour présenter une rerum repetitio, I, 24. 4 T.-L., I, 32, 3-9. Nous retrouvons les mêmes principes dans la convention de la Haye de 1907 en son article premier où il est stipulé que, « les Puissances contractantes reconnaissent que les hostilités entre elles ne doivent pas commencer sans un avertissement préalable et non équivoque, qui aura soit la forme d’une déclaration de guerre motivée, soit celle d’un ultimatum avec déclaration de guerre conventionnelle ». 5 I, 34. 1 2
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Hostilius Mancinus, les Numantins imposèrent et conclurent de manière régulière un foedus aequum avec les chefs de l’armée romaine. Mais l’Urbs rejeta cet accord qui ressemblait à une reconnaissance de sa défaite et le transforma en sponsio1, un accord privé ni reconnu, ni ratifié par le sénat. Néanmoins, l’attitude inique des Romains qui, une fois de plus, manquèrent à leur parole, comportement que déplore Florus, n’empêcha pas Scipion Émilien de traiter en captifs les survivants de cette petite ville d’Hispanie2. Par ailleurs, le contenu de la déclaration de guerre fut, à l’instar du rituel, remanié et refondu. Cette révision lui ôta, par là même, toute signification. En 218 av. J-C, Rome adopta, face aux Carthaginois, une attitude qui frisait l’injure. Devant le sénat carthaginois, P. Fabius, envoyé par l’Urbs pour demander réparation, après la prise de Sagonte, releva un pan de sa toge, avant de notifier aux Carthaginois ceci : « de ce pli je vous apporte la paix ou la guerre. Choisissez ! »3. On pourrait voir dans cette formule, un signe d’évolution de la déclaration de guerre à Rome qui se traduit par la volonté manifeste de rendre la confrontation inévitable4. Les apparences ainsi sauvées, les dieux ne pouvaient qu’être de leur côté, rendant ainsi cette guerre juste et sacrée. Mieux, à partir de la IIIe guerre de Macédoine, la déclaration de guerre n’était plus respectée. Polybe le déplore d’ailleurs en considérant que jusque vers 171-168 av. J-C, la franchise et la loyauté avaient été les maximes des Romains. Cette sincérité est largement remise en cause par de nombreux exemples tirés des sources5. Bref, « cette conception idéologique de la guerre n’est ni un principe ni une règle de comportement mais juste un mode de fonctionnement »6.
C’est un mode de fonctionnement qui permettait à Rome de justifier toutes ses interventions, de les maquiller en de véritables actions légitimes, voire héroïques et de s’ériger, par là même, en justicier ou défenseur des causes conformes à l’équité ; un mode de fonctionnement qui lui conférait surtout tous les pouvoirs et droits de décider de la légitimité des entreprises des autres. Progressivement, les notions de bellum injustum et de deditio se vidèrent de leur sens originel et finirent par devenir obsolètes avec l’expansion de l’Urbs. Matériellement, il devint impossible de respecter scrupuleusement l’idéologie Afin d’annuler le foedus, l’Urbs place Hostilius Mancius, les mains liées derrière le dos, devant les portes de Numance. Les Numantins, conscients de la fraude, refusent de le recevoir, Velleius Paterculus, II, 1. 2 Appien, Ibérique, 42. 3 Tite-Live, XXI, 18, 13. 4 G.-Ch. et C. Picard, Vie et mort de Carthage, Paris, Hachette, 1970, p. 146. 5 Selon Cl. Auliard, « il n’y eut que 95 actes en sept siècles et demi de conquêtes et de guerres quasi ininterrompues ayant eu pour objectif de porter un ultimatum, de demander réparation ou de menacer un interlocuteur d’une intervention armée », La diplomatie romaine..., p. 698. 6 Id., ibid., p. 699. 1
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qui les sous-tendait, car elles allaient à l’encontre de l’esprit et des pratiques impérialistes de Rome. En résumé, ni la deditio ni le bellum injustum ou le latrocinum ne représentaient des limites objectives et immuables à la captivité. Le droit, malgré toutes ses prescriptions formelles et strictes en matière de guerre et d’entrée en captivité, ne pouvait être mis en pratique. En période de guerre étrangère, le traitement du captif ne posait pas de problème majeur étant donné qu’il était considéré comme l’« esclave de l’ennemi ». En revanche, la piraterie et la guerre civile font surgir un paradoxe irréconciliable : tout en voulant protéger le citoyen fait prisonnier, le droit reste impuissant face au pouvoir discrétionnaire et illimité du captivator. C’est pourquoi (sauf sur le plan juridique bien sûr), rien ne distinguait les prisonniers détenus par les pirates de ceux qui étaient pris lors d’une guerre civile ou étrangère, qu’elle soit juste ou injuste. Dans sa conception et sa mise en application le jus postliminium reste très restrictif, car dans toute la démarche juridique, à aucun moment, l’instant où le captif se trouve sous le pouvoir de l’ennemi n’est pris en compte mais juste le moment où il devient libre. Néanmoins, le jus postliminium a le mérite de recenser et de classer par catégories les différents types de « prisonniers » et surtout d’anéantir complètement, en droit, les effets négatifs de la captivité après la libération. Dans la pratique, d’autres paramètres d’ordre social et anthropologique influent directement et réellement sur le sort et le vécu du captivus ainsi que sur le comportement du captivator reléguant au second plan les aspects juridique et conventionnel.
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Chapitre III
ÉLÉMENTS DÉMOGRAPHIQUES ET CARACTÉRISTIQUES ANATOMIQUES DES CAPTIFS Selon les lois de la guerre, les biens conquis sur l’ennemi pendant les conflits relevaient de la propriété exclusive et incontestable du vainqueur. Toutefois, bien qu’appartenant à l’adversaire victorieux, les captifs ne constituaient une partie du butin que dans le cadre des guerres étrangères1. Mais quelle était la place des prisonniers de guerre par rapport aux autres composantes du butin ? Cette interrogation en soulève une autre, concomitante et fondamentale : sur quels critères objectifs ou quelles valeurs pertinentes devait ou pouvait se fonder le vainqueur pour déterminer l’importance d’un captif ou des captifs dans le butin ? Tous les vaincus étaient-ils et surtout pouvaient-ils être faits prisonniers ? Pour répondre à ces interrogations, il convient d’abord d’étudier l’emploi et la signification du vocable praeda dans les textes ainsi que les formes sous lesquelles il se présente dans le discours iconographique, c’est-à-dire monétaire et statuaire, afin de déterminer la place des captifs dans le butin en les mettant en rapport avec ses autres éléments constitutifs. Ensuite, il s’agit d’aborder un facteur fondamental qui décrit, identifie et évalue le prisonnier de guerre aux yeux du vainqueur, notamment la qualité. Cette dernière embrasse trois critères principaux, à savoir le sexe, l’âge (qui permet d’estimer l’état de santé et les qualités physiques) et l’ancien statut social du captivus (car sa nouvelle condition de captif supplante désormais sa position sociale antérieure). Les éléments de réponse que fournissent aussi bien le discours textuel que le discours iconographique offrent la possibilité d’apprécier la composition de la population captive par rapport au sexe, à l’âge et à l’ancien statut social tout en produisant une représentation anthropologique du captif intrinsèque à celle du Barbare. Ces différents aspects permettent, par conséquent, d’évaluer aussi bien l’ampleur de l’influence des captifs sur la masse des esclaves dans laquelle elle est injectée que l’impact de la ponction faite sur la population des pays vaincus. I. Les captifs dans la praeda : discours textuel et plastique La praeda est, par définition, tout ce qui a été pris à l’ennemi, « praeda ab hostibus capta est »2. Elle englobe, par conséquent, les biens meubles et En période de guerre civile, ceux qui étaient capturés étaient normalement exclus du butin. Ils ne devaient, par conséquent, pas être convertis en numéraire, car ils n’étaient pas censés être vendus d’où leur exécution massive, Tac., Hist., II, 44, 2. 2 Varron, De la langue latine, V, 178 (texte établi et traduit par P. Flobert, Paris, Les Belles Lettres, 1985). A. Aymard émet des réserves quant à la traduction du substantif praeda par butin. Considérant l’interprétation péjorative et inadéquate, il emploie à la place « profits de la guerre » (« Le partage des profits de la guerre », Revue historique, 1967, p. 501). Son point de vue est partagé par Y. Garlan (« Partage entre alliés des dépenses et profits de guerre », 1
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immeubles arrachés à l’adversaire conformément aux droits de conquête et aux lois de la guerre aussi bien sur le champ de bataille que dans une ville prise. Il s’agit des prises de guerre. Dans la praeda, les prisonniers de guerre correspondent à la partie humaine, à côté du bétail, du mobilier, des armes et des métaux précieux. Le butin est largement tributaire des résultats du pillage. Une fois les éléments les plus dangereux, c’est-à-dire ceux qui sont capables de remettre en cause la prise effective de la ville, mis hors d’état de nuire, les soldats entamaient la seconde phase qu’était la direptio1. La notion de direptio2, que l’on retrouve dans les expressions telles que urbs direpta ou civitas direpta3, exprime, dans le vocabulaire militaire le plus courant le ravage, la destruction du territoire ou de la propriété de l’ennemi, mais concurremment, elle implique l’appropriation par le vainqueur des biens du vaincu, lui-même captus. Le pillage représentait, avant tout, une opération essentielle dans le déroulement de la guerre puisqu’il ouvrait l’accès au butin. Or, la praeda constituait non seulement un stimulant puissant pour le soldat qui espérait une gratification, mais aussi un facteur de cohésion pour l’armée. Le butin était la récompense et le couronnement de l’ensemble des efforts fournis par la soldatesque sur le champ de bataille, pendant le siège ou au cours de l’assaut. Comme le fait comprendre le chef de l’armée romaine, Sossius, à Hérode, roi de Judée : « c’était justice de permettre le pillage aux soldats, pour les payer des fatigues du siège »4. Il s’agit d’un acte tout à fait légitimé par l’armée, d’ailleurs, « il n’y avait ni gloire, ni profit à laisser intacte, mais sans défense une ville qu’on avait conquise »5. Cette règle de l’armée romaine était encore appliquée au IVe s ap. J-C. L’Empereur Constance ne rappela-t-il pas cette fonction du pillage à ses hommes après la défaite des Sarmates en 358 ap. J-C ? « Il y aura pour vous abondance d’ennemis prisonniers : car il faut que les braves reçoivent leur content de ce qu’ils ont gagné par leurs sueurs et à la force de leur bras »6 décréta-t-il.
Armées et fiscalité dans le monde antique, Paris, 1976, p. 149) et M. I. Finley (« La guerre et l’empire », in Sur l’histoire ancienne, la matière, la forme et la méthode, Paris, La découverte, 2001, p. 146). Nous traduisons praeda par l’expression « prises de guerre » pour nous conformer à la définition même de capere (la praeda étant tout ce qui est pris à l’ennemi). 1 Sur le pillage des villes prises, lire l’article de A. Ziolkowski, « Urbs direpta… ». 2 Diripere signifie « celeritere, rapere, abripere, eripere », Thesaurus…, s.v. Diripio. Le vocable n’est pas fréquent dans le corpus même si nous savons que c’est le sort réservé à la plupart des villes prises. Mais Tacite l’utilise surtout dans le cadre des guerres civiles afin d’augmenter l’effet de dramatisation et d’hypotypose. 3 Tacite, Histoires, III, 33, 1-3. Florus emploie cette expression à propos de la prise de Corinthe : « Tum ab incolis deserta civitas direpta primum, deinde tuba praecinente deleta est », « abandonnée par ses habitants, la ville fut d’abord pillée, ensuite détruite, au son de la trompette », I, 32, 5. 4 Flavius Josèphe, I, 355. 5 Tacite, Annales, XIII, 41, 3. 6 Ammien Marcellin, XVII, 13, 31.
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C’est à ce titre que la praeda, en elle-même, représentait aussi bien une motivation pour l’armée qu’un moyen de persuasion pour tisser des alliances ou pour agrandir leur cercle. La promesse de butin, après la victoire, galvanisait l’ardeur des soldats animés par l’espoir de profits1. La praeda était, en principe, la propriété de l’État, mais pour le succès des opérations, le général pouvait en disposer2. Par conséquent, l’accès au butin ne constituait pas un droit pour le soldat mais, à la limite, une marque de générosité du général vis-à-vis de ses hommes, un sentiment parfois largement influencé par des motifs personnels. Ainsi, les soldats pouvaient être récompensés par l’attribution de captifs3 qu’ils avaient le choix de vendre sur place en même temps que le reste du butin. Cette opération était supervisée par le général et menée par le questeur ou les tribuns militaires. Mais la distribution de la praeda obéissait à un certain nombre de règles. Suivant le témoignage de Polybe, après le pillage : « les tribuns procédaient à la répartition égale entre tous les hommes, c’est-à-dire non seulement ceux qui sont restés en couverture, mais encore ceux qui gardent les tentes, ceux qui sont malades et ceux qui ont été envoyés remplir quelque mission »4.
L’Achéen fait une description plutôt idéaliste de la répartition du Cette version est, à la limite, contre l’esprit et les objectifs même de la praeda, car cette dernière visait d’abord à récompenser la bravoure des combattants6. Or, dès l’instant où tous les soldats reçoivent la même gratification, il devient difficile d’évoquer le mérite du moment que même le soldat malade a droit à une reconnaissance identique à celle du soldat présent au front. Deux témoignages d’auteurs d’époques différentes, Tite-Live et Ammien Marcellin qui relatent des événements datant du Ve s. av. J-C et du IVe s. ap. J-C, remettent en cause la version de l’Achéen. En effet, leur narration respective indique que la répartition des captifs, ou du reste du butin, entre les soldats reposait fondamentalement sur le mérite et la valeur du miles. Tite-Live atteste qu’au lendemain de la prise de Fidènes en 426 av. J-C : butin5.
Id., XIX, 11, 2. À ce niveau, le captif pouvait être perçu comme une simple partie du butin vendue ou offerte en cadeau. La distribution des captifs, comme récompense, dépassait parfois le cadre restreint de l’armée pour s’étendre aux amis et alliés. Le captif était alors utilisé comme un moyen de propagande. Par la donation de captifs, Arminius espérait convaincre les Germains de le suivre, Tacite, Annales, XII, 38. 2 Th. Mommsen, Le droit public romain, Paris, 1984, pp. 274-275 ; I. Shatzman, « The roman general’s authority over booty », Historia, 21, 1972, p. 202 ; R. Combès, Imperator. Recherches sur l’emploi et la signification du titre d’imperator dans la Rome républicaine, Paris, 1966, pp. 247-250 ; P. Ducrey, « L’armée, facteur de profits… », p. 422 ; Cl. Auliard, « Les esclaves dans les butins républicains des premiers siècles de la conquête », Routes et marchés d’esclaves, p. 53. 3 Dion, LI, 24, 6-7 ; Tacites, Annales, XII, 39 ; César, Guerre des Gaules, VI, 3. La récompense pouvait aussi prendre la forme d’une somme d’argent tirée de l’écoulement du butin. 4 X, 15, 5. 5 A. Ziolkowski, « Urbs direpta… », p. 87. 6 Pline l’Ancien, XXXIII, 38. Le butin pouvait aussi servir aux ambitions politiques du général, cf. R. Combès, Imperator…, p. 250. 1
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Mariama Gueye « on donna un prisonnier à chaque cavalier et à chaque centurion, par voie de tirage au sort, et deux à ceux qui s’étaient distingués par leur courage »1.
La même règle est appliquée encore au IVe siècle comme le prouve le témoignage d’Ammien Marcellin. Après la capture de Mahozamalcha en 363 ap. J-C, le césar Julien partagea le butin en « pesant attentivement les mérites et les peines »2 de chacun précise l’historien. À la lumière de ces deux versions, nous constatons que dans la répartition de la praeda, chaque soldat pouvait recevoir sa part. Toutefois, la valeur de celle-ci variait d’un soldat à un autre en fonction du mérite. Ainsi, la distribution du butin avait principalement pour objectif de récompenser les efforts et les peines des milites, mais en distinguant les plus vaillants d’entre eux afin de susciter le sentiment d’émulation au sein de la troupe. La praeda est un terme très présent dans le corpus3. Cependant, si l’on considère isolément cette unité lexicale on constate que son emploi ne fournit aucune information sur le contenu exact, c’est-à-dire la composition et la nature des prises (humaine, animale et matérielle). L’importance de la praeda est étroitement liée au climat, à la richesse des populations et de l’armée vaincues ou de la ville prise mais aussi au comportement de la soldatesque4. Par conséquent, les textes restent souvent muets sur la présence de prisonniers de guerre et leur place ou leur poids dans la praeda. Lorsque Florus indique que « Regulus avait envoyé en avant vers la Ville une flotte déjà chargée d’un immense butin et lourde du triomphe à venir »5, il donne une description sommaire de la victoire éclatante remportée par le consul. En revanche, il ne précise pas exactement les différentes composantes de cet « immense butin ». Tacite fait de même quand il écrit à la suite de la victoire romaine sur Tiridate : « la foule impropre au service fut vendue à l’encan et le reste du butin échut aux vainqueurs »6. En revanche, lorsque les auteurs citent, expressément, les captifs dans la praeda, ils les différencient du reste. Ils sont énumérés séparément du reste du butin donnant l’impression qu’ils en sont exclus. Cependant, comme le relève Tacite, les captifs font bien partie de la praeda, c’est la raison pour laquelle il écrit que « l’âge impropre à la guerre fut partagé comme un butin »7, même s’il les distingue des autres composantes du butin.
IV, 34. XXIV, 4, 26. 3 Cf. Tableau V (Annexe I). Le vocable revient souvent en particulier chez Tacite et Florus. 4 Tacite, Annales, II, 17, en Germanie, Silius gêné par des pluies soudaines ne put qu’enlever un maigre butin ; id., Histoires, II, 13 ; III, 34 ; Florus, I, 34, 16. 5 I, 18, 17 ; I, 17, 4 ; I, 34, 16. 6 Annales, XIII, 39. 7 Ibid., XIII, 56, 6. 1 2
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Quant au discours plastique1, véhiculé aussi bien par les représentations monétaires que par les fragments de relief et les monuments, il établit sans aucun doute que les captifs ne sont que du butin. Au revers de certaines monnaies datant de l’époque républicaine, un captif figure souvent au pied du trophée, symbole du pouvoir fondé sur la victoire2. Sur l’une d’elles, le captif semble supporter de la tête le trophée, jouant ainsi la même fonction qu’un amoncellement d’armes sur lequel il semble être planté3. Le trophée « était à l’origine un amas de dépouilles récupérées sur le champ de bataille, transformées ensuite en monument symbolique durable »4. Sur certains revers, chaque bras du « mannequin » est chargé de boucliers pris à l’ennemi dont la représentation sert aussi bien à « visualiser la barbarie dans toutes ses manifestations menaçantes »5 qu’à identifier l’appartenance ethnique du captif et à préciser le peuple ou le pays vinctus et captus. Les armes, composées de boucliers oblongs et de carnyces, sont suspendues juste au-dessus de la tête du captif qui, dans sa réification, joue la même fonction d’ornement qu’elles. Au revers des monnaies césariennes, émises après sa victoire sur la Gaule et l’Espagne, ce même type de trophée est repris, mais à côté figurent un seul6 ou deux captifs (un homme avec les mains liées derrière le dos et une femme, le visage dans les mains)7 assis ou agenouillés au pied du trophée. Au droit est matérialisée l’effigie de Vénus, la bienfaitrice du général, divinité dispensatrice de charisme et de victoires. Des représentations similaires sont reproduites aussi sous les empereurs Auguste8, et Domitien1. Les prisonniers figurent parmi les autres Les images de captifs qu’il produit ont, sauf dans des cas exceptionnels, surtout une fonction allégorique. Elles ne renvoient pas forcément à des personnages bien déterminés. L’exemple de Persée et de ses enfants (cf. Monnaie I de l’Annexe II) reste l’une des rares représentations qui fait l’unanimité chez les spécialistes contrairement à l’image de Teutobodus (Grueber I, 1696) et à la tête de Vercingétorix (Monnaie V) qui suscitent beaucoup de polémiques. 2 G.-Ch. Picard, Les trophées romains. Contribution à l’histoire de la Religion et de l’Art triomphal de Rome, Paris, E. De Boccard, 1957, p. 233. 3 Cf. Monnaie IV de l’Annexe II. 4 R. Bedon, R. Chevallier et P. Pinon, Architecture et urbanisme en Gaule romaine, l’architecture et la ville, t. I, p. 101. 5 Ch. Pérez, Monnaie du pouvoir. Pouvoir de la monnaie. Une pratique discursive originale : le discours figuratif monétaire (1er s. av. J-C - 14 ap. J-C), Paris, 1986, p. 364. 6 Un captif barbu, à moitié nu, les mains liées à la hauteur des reins, les genoux pliés, les cheveux hirsutes à l’aspect effrayant est assis au pied d’un trophée portant un bouclier et un carnyx, cf. Monnaie IV de l’Annexe II. 7 Monnaies VI-VII. L’usage des armes empilées est aussi un rite gaulois, G.-Ch. Picard et J. J. Hatt, « L’arc d’Orange », XVe Supplément à Gallia, 1962, p. 78. 8 Mais sur certaines monnaies augustéennes, l’effigie de la déesse est remplacée par celle de l’empereur. Au revers d’une d’elles, un captif est représenté, presque nu, les mains liées derrière le dos, le pied droit à terre, la jambe gauche pliée au pied d’un trophée portant un bouclier (Grueber II, Spain, 113-115). Au revers de la Monnaie XV, des armes typiquement ibères (un bouclier rond au centre duquel est gravée une forme octogonale avec une bosse au milieu, une lance et une épée incurvée) célèbrent la défaite de ce peuple. 1
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composantes du butin constitué uniquement d’armes. Mais la monnaie la plus éloquente demeure celle frappée sous le règne de Trajan après sa victoire sur la Dacie (107-111 ap. J-C). Elle représente un captif dace, les mains liées derrière le dos portant un bonnet, une longue tunique et un pantalon, assis sur un tas de boucliers, de lances et d’épées courbées symbolisant la conquête de la Dacie2. De même, sur certains fragments de relief, les prisonniers figurent parmi les armes prises à l’ennemi. Sur un morceau de frise d’armes provenant de SaintRémy-de-Provence3, un prisonnier apparaît au premier plan, nu et les mains liées derrière le dos, tournant la tête vers la gauche, le genou gauche sur le sol et la jambe droite pliée. Autour de lui sont dessinés une pelta, deux boucliers oblongs et hexagonaux, un casque et une épée. Sur les détails de la cuirasse de Saint-Bertrand-de-Comminges apparaissent deux captifs, barbus agenouillés au pied d’un trophée chargé de boucliers ovales4. Leur nudité est couverte juste par les plis d’un tissu autour du cou dénotant la présence d’un manteau flottant autour des épaules. Enfin, sur une plaque de fourreau d’épée trouvée à Vindonissa5, datant de la première moitié du premier siècle ap. J-C, un prisonnier, nu, les mains attachées derrière le dos, le genou gauche par terre et la jambe droite pliée, la tête tournée vers la droite est dessiné juste au milieu d’une frise d’armes. Il est entouré de part et d’autre d’un bouclier ovale, d’une lance, d’une épée, d’un casque, d’une enseigne et d’un glaive. Sur la colonne aurélienne également (ce monument retrace les étapes de la guerre menée par l’empereur contre les Iazyges, les Quades et les Marcomans dans le Danube de 172 à 180) l’assimilation des captifs à du butin ne laisse aucun doute. Les captifs sont mêlés à des vaches et moutons, tous conduits par les troupes romaines6. Ces représentations imagières attestent clairement que le captif est bien intégré dans cette partie du butin « guerrier », ce qui ne laisse aucun doute sur les lieux de la prise ni sur les modalités suivant lesquelles elle s’est effectuée. Tacite le confirme d’abord quand il met dans la bouche d’Inguiomer ces paroles adressées à ses hommes, qui avaient encerclé les troupes romaines : Sur la Monnaie XIX (Annexe II) figurent, au pied du trophée, deux captifs. Une femme assise sur l’un des boucliers hexagonaux, le visage dans la main et, de l’autre côté du mannequin, un homme, portant une robe, les mains ligotées à la hauteur des reins. 2 Avec la légende DAC(cia) CAP(ta), (Monnaie XX, Annexe II), H. Cohen, Description historique des monnaies frappées sous l’Empire communément appelés médailles impériales, Paris, 1955, Trajan 117. 3 E. Espérandieu 8704. L’origine du captif reste incertaine, H. Walter, Les Barbares de l’Occident romain. Corpus des Gaules et des Provinces de Germanie, Paris, 1993, p. 116. Elle reprend la datation proposée par G.-Ch. Picard qui pense qu’il est « à peu près contemporain du trophée de Saint-Bertrand-de-Comminges », élevé entre 25 et 20 av. J-C. Voir aussi l’arc de Toulouse conservé grâce à un dessin du XVIe siècle représentant un trophée d’armes avec deux captifs enchaînés, R. Bedon, R. Chevallier et P. Pinon, Architecture et urbanisme en Gaule romaine, Paris, 1988, t. I, p. 193. 4 Cf. Fragment II de l’Annexe II. La datation de la statue cuirassée est controversée, H. Walter, op. cit., pp. 33-34. 5 Fragment III (Annexe II). 6 Fragment XV ; Voir G. Becatti, Colonna di Marco Aurelio, Milan, 1957, n°37-45. 1
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique « il fallait entourer en armes le retranchement ; on l’emporterait facilement d’assaut et le nombre de prisonniers serait plus grand et le butin intact »1, ensuite lorsqu’il indique que « Silius gêné par des pluies soudaines ne put qu’enlever un maigre butin avec la femme et la fille d’Arpus »2.
Ces constructions syntaxiques mettent surtout en évidence la place particulière qu’occupent les prisonniers de guerre dans le butin non seulement sous l’angle de leur valeur humaine, c’est-à-dire des ennemis vaincus et capturés, symboles vivants de la victoire romaine, mais encore par rapport à leur valeur marchande et leur valeur d’usage. Le captif est, effectivement, une portion du butin, mais il ne peut être assimilé indifféremment au reste. Le prisonnier de guerre, en plus de sa qualité de bien appartenant au vainqueur et contrairement aux autres éléments constitutifs du butin, demeure aussi un être humain. Par conséquent, il ne représente pas seulement une chose. Il est objet uniquement parce que propriété de l’ennemi, mais son utilité multiple aux yeux du vainqueur et ses différentes fonctions le distinguent nettement d’une simple « res »3. Bref, les captifs constituent la partie humaine de la praeda, utilisée et exploitée à des fins diverses après leur répartition. II. Le recensement et la répartition des captifs Le dénombrement des victimes et le recensement des captifs, qui suivaient la victoire sur l’ennemi, s’accompagnaient de la répartition de ces prises humaines entre la vente, la figuration au triomphe, les travaux forcés… L’inventaire des captifs et leur distribution correspondaient à des étapes décisives dans leur traitement et leur devenir, car c’est à cet instant précis que le vainqueur fixait leur sort. Cette opération de tri obéissait-elle à des règles établies ou bien alors dépendait-elle uniquement du bon vouloir du général victorieux ? Sur quels critères objectifs ou subjectifs se fondait le conquérant pour décider du sort de chaque prisonnier ? D’une manière générale, les auteurs du corpus distinguent essentiellement trois parties dans la répartition des prisonniers de guerre : - la première regroupe les captifs destinés à la vente ; - la seconde rassemble ceux qui étaient distribués aux soldats ou aux amis ;
Annales, I, 68, 1. Ibid., II, 17. 3 Ch. Dumont a déjà soulevé la problématique de la nature humaine de l’esclave qui n’est pas seulement un objet. « Le mot res revêt dans les textes juridiques une valeur classificatoire et, selon toute apparence, ne s’oppose jamais, dans la sémantique latine, au caractère humain » explique-t-il. Il ajoute que « les Romains avaient parfaitement conscience de la spécificité humaine de l’esclave par opposition aux autres bona, qu’il n’était pas pour eux ce que nous appellerions « une chose », Servus. Rome et l’esclavage sous la République, École Française de Rome, 1987, pp. 98-97. 1 2
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- la troisième réunit ceux qui devaient être envoyés à Rome pour la cérémonie du triomphe. Toutefois, cette opération de répartition des captifs ne respectait pas toujours un schéma immuable. Elle répondait plutôt à des impératifs militaires, stratégiques et politiques, de la République au Haut-Empire. Nous disposons principalement de trois témoignages complets sur la procédure de répartition des captifs après la victoire : les deux premiers remontent à l’époque de la République et le troisième date du Haut-Empire. Il s’agit des textes de Polybe et de Tite-Live sur la deuxième guerre punique en 209 av. J-C et d’un témoignage de Flavius Josèphe après la prise de Jérusalem en 70 ap. J-C. À la suite de la capture de Carthagène, Scipion rassembla la foule des prisonniers de guerre, qui étaient un peu moins de 10 000. Il ordonna ensuite, que les citoyens avec leurs épouses et leurs enfants fussent mis d’un côté et de l’autre les ouvriers. Il remit en liberté le premier groupe et décida de faire des ouvriers des esclaves publics de Rome. Ensuite, il décréta que : « tous ceux qui auraient manifesté leur dévouement et leur ardeur dans l’exercice de leur propre métier il promit la liberté, si la guerre contre Carthage s’achevait selon ses vœux. Il ordonna qu’ils se fissent inscrire auprès du questeur, et désigna un contremaître romain par groupe de trente ouvriers ; leur nombre total était d’environ 2 000. Choisissant parmi les captifs restants, ceux qui étaient les plus vigoureux et qui se distinguaient par la prestance et l’âge, il les incorpora à ses équipages… Après quoi, il fait mettre à part Magon et les Carthaginois qui étaient avec lui, deux membres du Conseil des Anciens avaient été faits prisonniers. Il en confia la garde à Caius Laelius, en lui ordonnant de prendre d’eux tout le soin qui convenait »1.
Le général romain avait donc bien privilégié et appliqué des critères sociaux, stratégiques et politiques pour fixer le sort de ses captifs. Si Scipion remit en liberté les citoyens de Carthagène, en revanche, il incorpora le reste dans ses propres équipages et mit sous surveillance ses véritables et redoutables adversaires, précisément Magon et les Carthaginois, probablement pour les envoyer à Rome. Mais il faut relever que l’acte de Scipion répondait à des calculs politiques qui conféraient à la situation sa spécificité. Il était destiné à inspirer aux citoyens de Carthagène « un grand dévouement et une grande loyauté » envers l’Urbs2. La même année à Baecula, à la suite de la défaite des troupes d’Hasdrubal et d’Hamilcar, Scipion ajouta aux critères sociaux l’entité politique à laquelle appartenait le captif3. Les paramètres liés au caractère physique furent relégués ainsi au second plan et n’intervinrent qu’au moment de l’enrôlement. Aucun captif de Carthagène ne fut mis en vente, du moins aucune des sources n’en parle. En revanche, à Baecula ceux qui se rendirent ou furent prisonniers la 1 Pol., X, 17, 6. Tite-Live confirme la précision de Polybe sur l’état physique des captifs affectés à la flotte en mentionnant que Scipion « prit les hommes jeunes et les esclaves valides », XXVI, 47. 2 Tite-Live, XXVI, 47 ; Florus, I, 18, 21 ; I, 37, 5. 3 Tite-Live, XXVII, 19, 8.
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même année furent vendus. Ceux-là furent répartis en deux groupes : les Ibères d’un côté et les Africains de l’autre. Il vendit à l’encan les seconds, sauf le neveu de Massinissa, et remit en liberté les premiers. La lecture de ses deux opérations, qui se déroulèrent pendant la seconde guerre punique, révèle quatre principales destinations pour les prisonniers : la liberté, l’armée, la vente et le triomphe ou la prison à Rome (ce qui devait être le cas de Magon et des Carthaginois). Il convient ici de préciser que les événements de Carthagène s’inscrivent dans un contexte très particulier dans la mesure où Rome avait besoin de se faire des alliés en Espagne. D’ailleurs, ce fut la seule fois que les descendants de Romulus, une fois vainqueurs, se conduisirent avec autant de clémence envers leurs prisonniers. Par conséquent cette répartition, dans laquelle la libération tient une place capitale, ne peut être considérée comme un schéma classique. Dans la plupart des cas, les textes du corpus ne s’attardent pas sur cette opération, néanmoins, nous pouvons relever parmi les sorts réservés aux prisonniers des invariants tels que la vente, la figuration au triomphe ou le fait d’offrir les prisonniers comme récompense aux soldats ou comme cadeaux à des amis1. Les témoignages de Flavius Josèphe le confirment et ajoutent même d’autres critères. À Tarichée, en Galilée, en 67 ap. J-C, les troupes romaines répartirent minutieusement les prisonniers, raconte l’auteur de La Guerre des Juifs. Vespasien, après la prise de la ville, « fit rassembler les prisonniers et porta son choix sur 6 000 jeunes gens parmi les plus robustes et les envoya à Néron à l’Isthme ; le reste de la multitude, au nombre de 30 400 il les fit vendre, exceptés ceux dont il fit cadeau à Agrippa »2.
Trois années plus tard, à Jérusalem d’autres jeunes prisonniers furent envoyés, cette fois-ci, en Égypte et une bonne partie aux amphithéâtres pour combattre et périr. Titus « chargea son ami Fronton de décider du sort de chacun. Fronton fit exécuter tous les rebelles et les brigands, … ; parmi les jeunes gens, il tria les plus grands et les plus beaux qu’il réserva pour le triomphe. Sur ce qui restait, il fit enchaîner ceux qui avaient plus de 17 ans et les envoya en Égypte pour les travaux. Titus fit cadeau aux différentes provinces du plus grand nombre, destinés à périr dans les théâtres sous le fer ou sous la dent des bêtes féroces. Ceux de moins de 17 ans furent vendus »3.
Dans un autre passage, Flavius Josèphe précise que Titus choisit parmi ses captifs 700, dont les chefs de la révolte Jean de Gishala et Simon Bar Val. Max., IV, 3, 4. Tacite explique que Corbulon, après la prise de la forteresse de Volande en 58 ap. J-C, partagea la foule des captifs en deux groupes : ceux qui furent vendus et ceux qui furent offerts aux soldats Ann., XIII, 39 ; Ann., XIII, 56, 6 ; Florus indique qu’Auguste, à la suite des victoires d’Agrippa et de Furnius sur les Cantabres en Espagne, fit vendre tous les captifs, II, 33, 51. 2 III, 539-541. 3 VI, 416-419. Polybe, dans son compte rendu de la répartition des captifs de Carthagène, ne s’attarde pas sur les rapports entre le sort des captifs et leur état physique, X, 15. 1
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Gioras, pour son triomphe. Un chiffre plutôt insignifiant comparé au nombre total des prisonniers qui s’élevait à 97 0001. En Judée, les captifs furent répartis en six groupes : ceux qui furent exécutés (les rebelles) ; ceux qui furent envoyés aux arènes et ceux qui furent conduits en Égypte pour les travaux de canalisation, ces trois groupes vinrent s’ajouter aux trois premiers déjà relevés. À partir des informations de Flavius Josèphe s’esquisse une configuration du traitement des captifs en fonction du nombre et de la qualité : un sort pour la masse différent de celui réservé à une minorité. En outre, il fournit une description détaillée du tri des prises humaines en insistant particulièrement sur les rapports étroits entre l’âge, l’état physique des captifs et leur sort respectif. En revanche, parmi les critères que Flavius Josèphe énumère, il ne fait, à aucun moment, intervenir le sexe comme facteur déterminant dans le sort du captif. Volontaire ou involontaire, cette omission pousse à penser que les femmes devaient sûrement être vendues ainsi que les enfants. La comparaison entre les manières dont les captifs furent répartis après la capture de Carthagène (malgré sa spécificité), l’occupation de Baecula en 209 av. J-C et la prise de Jérusalem2 en 70 ap. J-C dévoile la diversité des formes de traitement du captif. Cette distribution, en traduisant les exigences du moment, révèle, en outre, que le sort réservé aux prisonniers de guerre, au cours de cette opération, varie essentiellement en fonction du contexte politique, des besoins de l’armée et du bon vouloir du général. De Carthagène en Judée, les objectifs et préoccupations de Scipion, Vespasien et Titus de même que les contextes politiques divergent complètement. En Espagne, pour battre campagne contre Hannibal, Rome mena activement une politique de fidélisation, édifiée en partie sur sa clémence. En revanche, en Judée, Vespasien et son fils, maîtres incontestables du monde, durent mâter les foyers de révolte qui s’étaient allumés un peu partout en réponse aux exactions de Cestius Florus. La sélection des captifs, qui commençait en fait pendant l’occupation d’une ville ou sur le champ de bataille, obéissait, par conséquent, à un certain nombre de critères qu’il convient de séparer en deux catégories : - La première regroupe les signes les plus visibles ou les marques les plus flagrantes qui agissent directement sur le comportement du soldat pendant et après le combat, il s’agit du sexe, de l’âge et de l’aspect physique. - La seconde concerne principalement l’ancien statut social du captif, qui n’intervient qu’après identification, ainsi que tout ce qu’il implique, à savoir la naissance et l’ancienne fonction. Les sources affichent un silence total sur les procédés d’identification des captifs qui devaient sûrement être interrogés après leur capture ou au moment du dénombrement. Toutefois, la valeur réelle des prisonniers de guerre dans le butin et aux yeux du victor reste, essentiellement, déterminée par un principe : la qualité. Si 1 2
Flavius Josèphe, VI, 421 et VII, 116. Martial, VII, 55.
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l’abondance des prises humaines influe singulièrement sur l’apport financier des produits de la vente et sur la renommée qu’elle octroie ; en revanche, la qualité (qui est fonction de l’âge, du sexe, de l’aspect physique et de l’ancien statut social du captif) agit à trois niveaux, à savoir les profits de la vente, la gloire impérissable que confère la prise d’un captif de marque ainsi que le traitement, le sort et l’utilisation du captif. Si dans les textes, les rapports entre la qualité du captif et la valeur ou la gloire du captivator sont clairement établis, en revanche la corrélation directe entre la qualité du captif et son sort demeure moins évidente. Néanmoins, l’exploitation du corpus permet de la faire ressortir. D’une manière générale, l’analyse des textes laisse apparaître trois critères qui renseignent sur le captif et déterminent sa valeur aux yeux du vainqueur : l’âge, le sexe et l’ancien statut social. Les données textuelles du corpus (c’est-à-dire le nombre de références à chacune des trois variables déjà énumérées) sont traduites sous la forme d’un diagramme à secteurs (ci-dessous). Les différents critères de qualité jouent un rôle essentiel dans le futur du vaincu d’abord et dans celui du captif ensuite. Le graphique ci-après montre la prépondérance du statut social antérieur à sa captivité, qui occupe plus de la moitié des références à la qualité du captif1, c’est-à-dire 60%, alors que le sexe fait 29% et l’âge 11%. Fig. 3. Répartition des captifs selon la qualité
Age 11%
Sexe 29%
Statut social 60%
Source : corpus
L’ancien statut social du captif comme forme de désignation ainsi que ses implications sont déjà abordés dans la terminologie, supra pp. 35-38.
1
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La qualité du captif, relative à son ancien statut social, son âge et son sexe, constitue un paramètre essentiel dans la répartition et le sort du vaincu puis du captif, dès l’instant où de lui dépend l’intérêt ou l’indifférence du vainqueur vis-à-vis de sa prise. Le pourcentage, fort élevé, que détient le statut social exprime plutôt l’attention particulière que les auteurs portent aux origines et à la position sociales du captif afin de mettre l’accent sur l’envergure de la prise et de valoriser, de la sorte, les mérites du captivator. Pourtant, logiquement, la proportion des captifs de marque, c’est-à-dire les rois, les chefs de tribus et leurs familles, les commandants en chef de l’armée et les chefs de révolte, ne représente qu’une infime partie comparée à la masse obscure des combattants et des non-combattants.
1. L’ancien statut social Le statut social antérieur du captif est relatif à sa place et son rôle, déterminés par la naissance et la fonction, dans le système social auquel il appartenait. Une fois connu, il établit la valeur du prisonnier de guerre, c’est-àdire ce qu’il représente symboliquement aux yeux du vainqueur. Toutefois, rien ne nous indique que l’ancienne position sociale du captif pouvait constituer un argument décisif lors de la vente. Au contraire, tout nous pousse à croire qu’au moment de leur écoulement, les captifs se distinguaient surtout en fonction de leurs caractéristiques morphologiques qui déterminaient leur valeur marchande. Généralement, ceux qui étaient connus et qui occupaient une haute position sociale n’étaient pas mis en vente. En tout cas, ni les rois et leur famille, ni les généraux encore moins les chefs de révolte n’étaient vendus. Ils étaient plutôt gardés pour les besoins du triomphe ou alors utilisés pour d’éventuels échanges de captifs1. La divulgation de son ancien rang social pouvait protéger temporairement le captif en lui évitant la mort immédiate juste après la défaite ou la prise, mais cette préservation correspondait souvent à un sursis. Toutefois, les éléments rebelles les moins en vue étaient les premiers à être éliminés2, contrairement à leurs chefs qui étaient réservés pour le triomphe. Le rôle et le degré d’implication du captif dans la guerre ou la révolte agissaient directement sur le sort qui lui était réservé. Dans les guerres civiles, l’élimination physique d’un rival, chef du parti adverse, constituait une mesure de prudence. Après sa victoire sur Antoine en 30 av. J-C, Octave s’était acharné contre les captifs de marque3. Tacite explique parfaitement cette opiniâtreté à travers l’attitude de Vespasien vis-à-vis d’Aulius Vitellius en indiquant que : « Quand Vespasien s’empara de l’empire, ni lui-même, ni ses amis, ni ses armées ne se sentiront en sécurité qu’après la mort d’un rival […] César n’avait pas laissé la vie à Pompée, ni Auguste à Antoine »4.
Tableau 1, p. 119. Flavius Josèphe, VI, 415. 3 Suétone, Auguste, XIII. 4 Histoires, III, 66. 1 2
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Ainsi la mise à l’écart d’un hostis prééminent par la capture ou la mort s’avère, parfois, un moyen efficace pour briser les éléments du parti opposé. La détention d’un captif de grande valeur pèse et sur l’avenir du captivator et sur celui du pays vaincu, en particulier lorsqu’il s’agit des rois ou des chefs de révolte. D’une part, elle conférait la renommée au général victorieux pendant la République, mais sous l’Empire, ce prestige retombait sur l’empereur qui restait le seul à détenir le droit au triomphe ; d’autre part, elle représentait une arme pour déstabiliser l’ennemi ou alors briser les mouvements de révolte en décapitant l’organisation. L’importance de l’ancien statut social du captif était telle qu’elle parvenait même à gommer la manière dont le vaincu était pris : seul le résultat qu’est la capture importait. La mainmise sur un éminent chef ennemi ou un adversaire tenace rehaussait automatiquement les mérites du vainqueur qui voyait ainsi s’ajouter à sa valeur personnelle celle du captif. Le captivator, en plus de ses propres succès, s’adjoignait et s’appropriait naturellement ceux auparavant accomplis par son captif, rendant son palmarès plus long et plus éclatant. Le prestige rejaillissait, par ricochet, sur l’Urbs qui était, en dernière instance, le véritable propriétaire du captif. Cette conception de la victoire qui impliquait l’appropriation des mérites du prisonnier de guerre par le vainqueur ne subit pas de transformations majeures de la République au début de l’Empire. L’enjeu que représentait l’ancienne position sociale du captif, pour le captivator et l’État vainqueur, est tel que les auteurs jouent sur le vocabulaire pour déformer parfois même la réalité. Plusieurs faits, qui s’étalent de la République à l’Empire, illustrent et confirment l’impact de l’ancienne valeur sociale du captif sur l’ampleur de la victoire. En vérité, le roi de Numidie, Jugurtha, ne fut pas capturé par Marius, mais plutôt livré par son beau-père qui l’avait piégé1. En effet, le roi de Maurétanie, Bocchus, en 104 av. J-C, sous le prétexte d’un traité éventuel entre Rome et Jugurtha, fit venir ce dernier auprès de lui, le fit capturer et le remit au questeur de Marius, Lucius C. Sylla. Ici encore les sources ne relèvent pas l’irrégularité de la capture de l’aguellid, qui fut pris par subterfuge et traîtrise. Pourtant Valère Maxime, pour chanter la gloire et les actions illustres du général romain, met sur son compte la capture du roi numide, lorsqu’il écrit que : « la valeur de cet homme, Marius, comme si elle brisait et faisait sauter en éclat les barrières où la débauche l’enfermait, a passé des chaînes aux mains de Jugurtha »2.
Plus loin, il poursuit : « ce Marius citoyen si humble d’Arpinum, si inconnu à Rome, si méprisable dans ses campagnes électorales, a donné le Marius qui a soumis l’Afrique, qui a mené le roi Jugurtha devant son char de triomphe »3. Il avait négocié un traité de paix séparé avec Rome qui, en compensation, lui octroyait une partie de la Numidie. 2 VI, 9, 6. 3 VI, 9, 14. 1
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Florus reste le seul à préciser toutes les circonstances qui conduisirent Jugurtha à la parade triomphale1. Quant à Velleius Paterculus, dans sa version, il signale seulement que c’est grâce à Bocchus que Marius s’empara de Jugurtha2. Plutarque ajoute que : « Marius étala aux yeux des Romains ce spectacle inouï : Jugurtha prisonnier. Personne n’aurait espéré qu’on pût venir à bout des ennemis tant que Jugurtha vivait tellement il était fertile en ressources pour tirer parti des circonstances et tellement les ruses de toutes sortes s’alliaient chez lui de courage »3.
Ces témoignages qui mettent l’accent sur l’ingéniosité du chef numide soulignent, malgré tout, sa valeur réelle et symbolique d’ennemi intrépide. Jugurtha, qui avait toujours refusé le partage de la Numidie, tint en haleine les armées de la République de 112 à 105 av. J-C et leur fit subir de lourdes pertes à Muthul. Mais toute cette tradition littéraire n’est, au fond, qu’un prétexte pour établir un jugement moral à l’encontre de l’Africain et glorifier à la fois les mérites de Marius qui parvint à soumettre un adversaire pugnace et la toute puissance de la République. En 30 av. J-C, après Actium, Octave déploya, à son tour, toutes les manœuvres et ruses pour conserver la reine d’Égypte4. Il usa ainsi de menaces, de promesses et lui offrit même une prison dorée en vue de la faire figurer à son triomphe et de l’exposer au regard du populus Romanus5. Cléopâtre, devinant facilement les desseins du futur Auguste, choisit le suicide afin d’échapper aux outrages du triomphe6. Octave convoitait non seulement les trésors de la reine, récemment accrus par le butin récolté en Arménie, mais aussi et surtout sa personne, une descendante de l’illustre dynastie des Ptolémées, qu’il rêvait de faire défiler dans les rues de Rome7. À maintes reprises Cléopâtre offensa et défia Octave ainsi que la République. Non seulement elle séduisit Jules César, I, 36, 17. II, 12. 3 Mar., XII. 4 Suét., Aug., XVII ; Plut., Ant., LXXXVI ; Dion, XLV, 1-2. Mais à défaut de la personne de la reine, il exposa ses vêtements et ses robes magnifiques comme trophées et ses jumeaux Hélios et Séléné (enfants d’Antoine) après avoir exécuté Césarion, le fils de César, Plut., Ant., LXXXII ; Dion, XLV, 3. 5 Octave, après l’avoir empêchée une fois grâce à l’intervention prompte de ses hommes de se donner la mort en lui retirant l’arme qu’elle tenait, la fit surveiller dans son palais avec sa suite et son escorte habituelles, Plut., Ant., LXXVIII ; Suét, Aug., XI, 1. Cléopâtre fut soumise à une liberté surveillée même si elle demeura dans son palais. Fort irrité de se voir privé de toute la gloire de sa victoire, Octave fit venir des psylles pour sucer le venin de sa blessure et tenter de ranimer, en vain, la reine d’Égypte. 6 Pour éviter de figurer au triomphe de son ennemi, comme Arsinoé IV, sa sœur cadette et rivale, elle se fit mordre par un aspic, Suét, Aug., XLV, 2 ; Plut., Ant., LXXXVI ; Flor., II, 13, 88. Arsinoé s’opposa à César à Alexandrie mais, capturée, elle défila au triomphe du général en 46 avant d’être enfermée dans le temple d’Artémis à Éphèse (en Asie Mineure), César, Guerre d’Alexandrie, XXXIII. Suivant Dion, elle fut exécutée en 41 av. J-C par Antoine pour complaire à Cléopâtre, XLIII, 3. 7 P. M. Martin, Antoine et Cléopâtre, la fin d’un rêve, Paris, Perrin, 2000, pp. 245-247. 1 2
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son père adoptif, humilia Octavie sa sœur (car Antoine l’avait délaissée pour l’Égyptienne), mais aussi elle s’allia à l’ennemi d’Octave et, pour finir elle priva Rome de son triomphe sur le roi d’Arménie, Artavasdés, en 34 ap. J-C. La figuration de la reine d’Égypte à son triomphe signerait pour Octave sa double victoire sur Antoine, son adversaire pendant la guerre civile, et sur l’Égypte. Mais le vainqueur d’Actium dut se contenter de la légende AEGYPTO CAPTA et d’un crocodile attaché figurant aux revers des monnaies émises pour célébrer sa victoire. En somme, Octave voulait se glorifier de la capture de Cléopâtre, la reine d’Égypte, et de ses enfants. Une gloire similaire est recherchée pour l’empereur Claude, en 50 ap. J-C. Tacite exalte sa valeur par le truchement des mérites du chef breton, Caratacus, dont la renommée « avait passé dans les îles et dans les provinces voisines, d’où elle s’était répandue par toute l’Italie, et chacun souhaitait voir quel était cet homme qui, durant tant d’années, avait bravé notre puissance »1 écrit Tacite. L’auteur va encore plus loin lorsqu’il assimile le chef des Silures qui, en réalité, fut trahi et livré par Cartimandua, aux rois Syphax et Persée. Devant le sénat, il dit : « on entendit de nombreuses et magnifiques harangues sur la prise de Caratacus : c’était un exploit comparable à ceux qui jadis avaient permis à P. Scipion et à L. Paulus et à d’autres encore de montrer au peuple Romain Syphax, Persée et tant de rois enchaînés. On vota les insignes du triomphe »2.
Pourtant ni Syphax, ni Persée, ni Caratacus n’entrèrent de la même manière en captivité. Si le premier fut capturé et remis à P. Scipion, le second se rendit, quant au troisième, il fut livré. Tacite ne s’attarde pas sur ces modalités d’entrée en captivité qui ne semblent ni amoindrir la portée de l’acte, ni dévaluer le mérite du vainqueur. L’influence, parfois décisive, des captifs de marque sur la renommée du captivator est telle qu’elle peut susciter des discordes au sein même de l’armée entre consuls ou entre les généraux et l’empereur. En 67 av. J-C, Pompée provoqua la jalousie et la haine de Metellus Creticus3 à qui il avait enlevé des généraux captifs crétois, Lasthènes et Panarès, afin de les faire figurer dans son propre triomphe4. Alléguant la lex Gabinia, qui lui attribuait l’autorité suprême sur la région5, Pompée destitua Metellus de son imperium et lui ravit arbitrairement les lauriers de sa victoire. Florus soutient que Metellus, après avoir ravagé toute la Crète, traita si cruellement les prisonniers que certains Annales, XII, 36, 3. Ibid., XII, 38, 1. Sur les modalités d’entrée en captivité de ces rois cf. Tableau 1, p. 119. 3 Le proconsul célébra son triomphe sur la Crète en 62 av. J-C. 4 Velleius Paterculus, II, 34. Lucullus et Metellus et une partie du sénat dénoncèrent Pompée qui n’avait pas tenu ses promesses vis-à-vis de ceux qui l’avaient servi, II, 40. Plutarque s’indigne de l’attitude de Pompée, Pompée, XXX. 5 T.-L., Per., XCIX ; Flor., I, 42 ; Plut., Pomp., XXIX ; Dion, XXXVI, 18-19. La lex Manilia confirmait l’imperium de Pompée sur les mers et sur le gouvernement des provinces de Cilicie-Asie et de Bithynie-Pont. 1 2
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s’empoisonnèrent, tandis que les habitants qui s’étaient réfugiés dans des forteresses préférèrent se rendre à Pompée1. Toutefois, Florus omet de signaler que Pompée adopta un comportement abusif à l’encontre de Metellus en lui ordonnant de remettre ses pouvoirs à son lieutenant L. Octavius. L’argument de Florus ne suffit guère à justifier l’attitude de Pompée qui fut plutôt dictée par sa volonté de priver son rival des honneurs du triomphe, alors que Metellus avait largement participé à mâter les pirates de l’île. De leur côté, les empereurs, comme ce fut le cas de Domitien vis-à-vis de Gnaeus J. Agricola, considéraient quelquefois les victoires éclatantes de leurs généraux, symbolisées par la capture de prisonniers de marque, comme une tentative d’usurpation du pouvoir impérial. Tacite qui défend son beau-père, Agricola, indique clairement que Domitien était jaloux de l’artisan de la conquête de la Bretagne. Toutefois, il faut rappeler que la victoire était remportée sous les auspices du général en chef, puis sous ceux de l’empereur. La détention d’illustres captifs qui confère une gloire certaine servait aussi à frapper en plein cœur les mouvements insurrectionnels afin de les briser, du moins les paralyser momentanément, en distillant un sentiment de crainte dans les rangs adverses. En Afrique, pendant la guerre contre le chef numide Tacfarinas2 en 22 ap. J-C, Tibère ordonna d’utiliser tous les tactiques et artifices pour mettre la main sur lui afin de casser la révolte. Seule la mort du Gétule pouvait mettre un terme aux sept années de guérilla qu’il avait menées contre l’autorité romaine. Junius Blésus relançait alors Tacfarinas de gourbi en gourbi dans le désert jusqu’à ce qu’il s’emparât de son frère. Les mêmes raisons poussèrent également les Romains, pendant la guerre de Judée, à saisir Flavius Josèphe qui dirigeait l’insurrection en Galilée et la résistance de Jotapata assiégée par Vespasien. Il raconte lui-même qu’ils « se mirent à sa quête à la fois pour la colère qu’ils éprouvaient contre lui et parce que le général désirait ardemment s’en emparer, car il considérait sa capture comme un élément essentiel de la guerre »3.
Mais l’efficacité de cette tactique politico-militaire reste discutable. La capture des dirigeants et leur emprisonnement ou leur exécution, certes, déstabilisaient provisoirement les mouvements de révolte, le temps de choisir un autre chef, mais n’aboutissaient pas systématiquement à leur éradication complète ou à la conquête totale de la région en question : la pax romana n’était, en partie, que fiction. La capture de Persée n’avait pas dissuadé Andriscos de reprendre les armes contre Rome en usurpant le pouvoir en Macédoine4. De I, 42, 3. Cette guerre dura sept longues années (de 17 à 24 ap. J-C), Annales, IV, 2, 63. Tibère ordonna sa capture parce qu’il voulait punir le rebelle qui lui avait fait un affront. En contrepartie de l’arrêt du conflit, il exigea un territoire pour lui, Ann., III, 73. Vaincu à Auzea en 24 ap. J-C, il fut tué, Ann., IV, 13, 23-26. 3 La guerre des Juifs, II, 20, 4 ; III, 7 ; III, 8, 1. 4 Velleius Paterculus, I, 11. Il vainquit les troupes du préteur P. Iuventius en 149 av. J-C avant d’être livré à Q. Caecilius Metellus par le prince thrace Bizas. 1 2
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même, l’arrestation de Caratacus et le fait qu’il fût épargné n’avait pas réussi à détourner les Silures de leur projet de poursuivre la révolte. Au contraire, cet événement les avait galvanisés1. Tacite avoue que : « c’étaient encore les Silures qui nous avaient porté ce coup, et ils sillonnaient le pays en tous sens jusqu’à ce que A. Didius accourût pour les repousser »2.
Les Silures reprirent la révolte avec acharnement, afin de prendre leur revanche, enlevèrent à Ostorius deux cohortes auxiliaires et tinrent en échec les forces de Manlius Valens. Claude envoya, après la mort d’Ostorius, A. Didius Gallus qui mit fin à la guerre après moult péripéties. En définitive, si elle était importante, l’ancienne position sociale du captif pouvait se révéler un enjeu majeur pour le vainqueur qui l’utilisait pour se revaloriser et affaiblir le camp opposé. Toutefois, l’appartenance sexuelle s’avérait aussi un critère déterminant dans l’estimation de la valeur du captif.
2. Le sexe Au cours de l’opération qui consistait à répartir les captifs, le sexe, variable nominale dichotomique, fixait d’emblée les fonctions auxquelles ils étaient affectés. Toutefois, l’appartenance sexuelle n’est pas toujours précisée. Fig. 4. Répartition des captifs selon le sexe Indeterminés 12% Femmes 8%
Hommes 80% Source : corpus
Vénutius, l’ex-mari de Cartimandua (la reine des Brigantes) dirigea la révolte pour se venger de sa femme et des Romains qui l’avaient soutenue contre lui. À cause de cette insurrection inattendue, Ostorius qui auparavant avait reçu les insignes du triomphe pour la capture de Caratacus perdit un peu de sa gloire. Tacite explique que le lieutenant de César mourut de regret et d’inquiétude, Ann., XII, 39-40 ; voir Tableau IX de l’Annexe I. 2 Ann., II, 39, 1. 1
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Le diagramme circulaire ci-dessus montre que la majorité des captifs est constituée d’hommes : 80% de la population captive, tandis que les femmes n’en représentent que 8%. Mais ces estimations chiffrées ne signifient pas que la captivité touchait plus les hommes que les femmes dans la mesure où, si elle influait considérablement sur le traitement, l’appartenance sexuelle ne protégeait pas de la captivité. En effet, les femmes aussi bien que les hommes étaient capturés et asservis. Quant aux pourcentages avancés, ils traduisent le nombre de références faites aux captives dans le corpus. Conformément à la logique globale de la guerre, la population féminine se rencontrait plutôt dans les villes prises, contrairement aux hommes, présents aussi bien sur le champ de bataille que dans la cité. Le troisième élément du graphique, qui occupe 12%, recoupe la catégorie des indéterminés, c’est-à-dire les cas où les auteurs utilisent le pluriel sans spécifier le sexe des prisonniers de guerre. Cependant, nous émettons des réserves sur la pertinence de ces données quantitatives. D’abord, l’emploi du pluriel ne permet pas de déterminer le sexe des captifs, car ces derniers sont souvent évoqués en masse. Ensuite, la présence de captives n’est indiquée que dans des cas assez exceptionnels, lorsqu’elles sont apparentées (par le sang ou par les liens matrimoniaux) aux rois et/ou lorsqu’elles ont accompli des actes héroïques1 pour rehausser leur valeur qui retombe naturellement sur le vainqueur. De la sorte, la majorité des captives se trouve négligée et plongée ainsi dans l’anonymat. La capture d’une femme, composante de la population civile, vulnérable et non-combattante, reste beaucoup moins valorisante que celle d’un homme, un combattant (un ennemi dans tous les sens du terme)2. Arminius fit ressortir cette dimension dans les griefs qu’il adressa à Germanicus qui avait capturé sa femme en 17 ap. J-C. « Le grand général ! La valeureuse armée ! Tant de bras pour enlever une faible femme ! »3 fulmina-t-il. Enfin, les femmes constituaient la couche de la population qui avait le plus de chance d’être épargnée par les soldats parce que d’une part, elles appartenaient à la « foule des non-combattants » ou à la « foule impropre au service »4 ; d’autre part, elles possédaient une valeur Voir Tableau 1, p. 119. Val. Max., VI, 1, ext. 2 ; VI, 1, ext. 3. Généralement dans les sociétés anciennes les femmes, non citoyennes, étaient exclues de la sphère politico-militaire de la cité, cf. N. Loraux, « La cité, l’historien, les femmes », Pallas 32, 1985, pp. 7-39 ; P. Payen, « Femmes en guerre : peu de mots, des actes ? Grèce ancienne, VIIe – IVe s. av. J-C », Pallas 85, 2011, pp. 31-41 ; M. Gueye, « Attitudes féminines dans La Guerre Des Juifs : Flavius Josèphe et le discours monétaire des Flaviens », Analele Universitatii Bucuresti, Seria Istorie, LV, 2, 2011, pp. 23-39. 3 Tac., Ann., I, 59, 1-2. La capture de la reine Zénobie par l’empereur Aurélien était loin d’être considérée comme un événement glorieux. Les Romains lui reprochaient de n’avoir pris et traîné dans son triomphe qu’une femme ce qui était loin d’être digne de lui. Il fallut alors qu’il s’expliquât devant le sénat en mettant l’accent sur la valeur de la reine : son courage, sa trempe de femme avisée afin que sa défaite soit considérée comme une grande victoire, Histoire Auguste, XXIV, 30, 4-5. 4 Tac., Ann, XIII, 39 ; Flor., II, 33, 51. Cette représentativité faible des femmes ne peut pas seulement s’expliquer par la structure démographique du monde romain où les femmes 1 2
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intrinsèquement liée à leur sexe. Elles étaient utilisées par les soldats pour assouvir leur appétit sexuel après les longs et pénibles sièges ou les rudes batailles, sans oublier qu’elles étaient appréciées pour leur potentiel reproductif qui rehaussait leur valeur marchande. Dans la représentativité des captives, leur nombre a moins d’importance que leur fonction symbolique. Pour toutes ces raisons, nous pensons que, dans une ville prise d’assaut, les femmes doivent, au moins, représenter une bonne partie de la population captive, car contrairement au champ de bataille, la ville correspond à un espace d’interférences des deux sexes. Par conséquent, même si elles ne sont pas majoritaires, parce que leur nombre dépend de la population totale de la cité en question1 et de sa composition, elles ne peuvent être totalement absentes. Moins souvent représentées que les hommes, les femmes capturées sont pourtant plus présentes dans le discours figuré2 que dans le discours littéraire. Néanmoins, seuls les textes font état de femmes enceintes emmenées en captivité qui devaient, en principe, avoir une grande valeur marchande. Pendant la prise d’assaut des campements de Ségeste en 17 ap. J-C, les troupes de Germanicus avaient enlevé l’épouse d’Arminius, Thusnelda, alors qu’elle était en état de grossesse3. Les captives apparaissent fréquemment sur les monuments commémoratifs (arcs de Glanum et d’Orange) et aux revers des monnaies (en particulier césariennes et surtout flaviennes) au pied de trophées. À Glanum, sur les façades N-E et S-E de l’arc figurent deux captives aux poignets attachés. Au N-E, une captive vêtue d’une tunique transparente qui laisse voir la plénitude de ses formes, avec une longue chevelure tournant la tête vers la gauche, est debout à côté d’un captif, presque nu, au cou enchaîné et aux mains liées à la hauteur des reins. Sur la façade S-E, une autre prisonnière se tient debout, le corps bien recouvert d’une robe arrivant jusqu’aux pieds, les étaient en général moins nombreuses que les hommes et leur espérance de vie moins longue, P. Salmon, Population et dépopulation dans l’Empire romain, Latomus, Bruxelles, 1975, pp. 76109. À moins qu’il ne s’agisse de descendantes d’Amazones, dans ce cas, elles étaient citées au même titre que les captifs de sexe masculin puisqu’elles étaient des guerrières, Histoire Auguste, XXVI, 34, 1-3. 1 L’étude de la démographie dans le monde antique pose des problèmes parfois insurmontables malgré l’ingéniosité des spécialistes. Les statistiques fiables, assez rares, rendent parfois les conclusions hypothétiques. P. Salmon relève ainsi que les inscriptions funéraires ne reflètent pas de façon exacte la proportion des deux sexes ni des âges : si la mortalité infantile et juvénile est sous-représentée, la mortalité sénile est, quant à elle, « surreprésentée », « La limitation des naissances… », p. 103. 2 À côté de personnes âgées, les captives de Germanie et d’Orient apparaissent sur le Grand Camée de France pour célébrer la conquête et la soumission de ces régions, H. Guiraud, Intailles et camées romains, Paris, Antiqua, 1996, pp. 117-118, fig. 81. 3 Elle mit au monde un garçon à Ravenne, Tac., Ann. I, 56-57. Le passage que Tacite consacre à la vie de l’enfant d’Arminius à Ravenne est perdu. Toutefois il indique que le bébé avait subi quelques humiliations, I, 58, 6 ; Ammien Marcellin est l’un des rares auteurs à s’attarder sur les femmes enceintes emmenées en captivité tout en déplorant le sort de ces « enfants qui subissaient avant de venir au jour maints traitements impies », XXX, 8, 7-8.
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mains attachées et reposant sur son ventre1. Sur l’arc d’Orange2, se profilent également trois couples de prisonniers (hommes/femmes) assis au pied de trophées portant des armes. Au revers de certains deniers de César émis en 4645 av. J-C pour célébrer sa victoire sur les Gaules, un couple de captifs, assis au pied d’un trophée, est souvent gravé3. Sur la monnaie VII figure une captive complètement abattue, le visage dans la main, installée au pied d’un trophée. De même, les monnaies flaviennes exposent fréquemment des prisonnières accablées, assises, le genou plié, au pied d’un palmier à la place du trophée4. Cette forte représentativité féminine dans le discours figuré découle de deux facteurs qui assignent à l’image ses trois valeurs, à savoir une valeur de représentation, une valeur de signe et surtout une valeur de symbole5. Les deux premiers paramètres restent liés à la double fonction de la femme : captive et membre de la cellule familiale. Quant au troisième, il émane de sa fonction sémiologique, c’est-à-dire comme symbole d’une province ou d’un pays vaincu et conquis. La femme apparaît ainsi sur les monnaies ou sur les arcs suivant deux types de représentation : en tant que captive à côté d’un autre captif ou comme femme seule avec ou sans liens, en qualité de personnification d’une province soumise. Les postures, sans implication, varient selon le tableau : assise, agenouillée ou debout6, mais ce qui importe reste les invariants qui donnent la possibilité de reconnaître l’image et de décrypter ainsi le message de défaite. La figuration de captifs au pied du trophée, représentation typique de l’échec suivi de l’assujettissement de l’hostis et de la domination de Rome7, demeure très courante, en particulier à l’époque de César8. Ces représentations À Glanum, la représentation des personnages se fait par couple : au niveau de chaque panneau se dessine un couple de sexe différent (Fragments V-VI-VII de l’Annexe II) ou de même sexe (Fragment VIII). Cependant tous les personnages ne sont pas des captifs. Sur le Fragment VIII, un Romain ou un Gaulois romanisé met sur l’épaule du captif sa main, peutêtre dans un geste d’invite à la romanisation, scène qui souligne par le jeu de la présence ou de l’absence des habits, l’opposition entre la civilisation et la barbarie. Sur le Fragment VI, Roma est assise sur un amas d’armes, à ses côtés un captif nu, montré de dos, les mains attachées par une longue chaîne qui le lie au tronc du trophée. Sur l’arc de Glanum lire M. Clavel-Lévêque, « L’espace urbain de Glanum », in Puzzle gaulois…, p. 143 ; H. Walter, Les Barbares de l’Occident romain, p. 24. 2 Cf. Fragment XI. 3 Cf. H. A. Grueber, op. cit., II, Spain, 86 ; H. Cohen, op. cit., Jules César 13. 4 Cf. Monnaies XVI-XVII de l’Annexe II. 5 J. Aumont, L’Image, Paris, 1990, pp. 56-57. 6 Sur les façades N-E et S-E de l’arc de Glanum, cf. Fragments V et VII (Annexe II). 7 Elle figure aussi dans la glyptique. Sur le prase de Lyon apparaît un guerrier en armes nu debout à côté d’un trophée et dominant un prisonnier assis au pied de ce trophée, les mains liées derrière le dos, H. Guiraud, op. cit., fig. 81. 8 Ce type de représentation n’est pas une innovation romaine. En effet, « le plus ancien exemple d’un groupe où d’un prisonnier attaché au trophée est le monument rhodien d’Artemisia qui remonte en 351 », G.-Ch. Picard, Les trophées romains…, p. 48. La même structure binaire captif et captive enchaînés au pied d’un trophée figure sur le trophée d’Adamklissi à Dobrouja qui célèbre la victoire de Trajan sur la Dacie, J. Baradez, « Le 1
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iconographiques montrent, de manière suffisamment éloquente que la captivité touche aussi bien les hommes que les femmes menaçant, par conséquent, la cellule familiale de rupture. D’ailleurs, la structure binaire homme/femme, captif/captive constitue le symbole d’une victoire complète sur l’adversaire. En effet, dès l’instant où le couple (qui assure la reproduction, le renouvellement, la pérennité, la survie d’un peuple et, par conséquent, la revanche ou la reprise des hostilités) est détruit le peuple vinctus et captus scelle sa propre fin. Le danger qu’il représente est presque définitivement écarté par le métissage. Pline Le Jeune rappelle cette fonction de la captivité dans le monde animal lorsqu’il explique qu’elle apprivoise, mais aussi abâtardit1. Par le truchement de la femme, gardienne par excellence de la pureté de la « race » ainsi que de sa perpétuation, le vainqueur altère celle-ci2. La captivité devient pour le conquérant une arme efficace pour affaiblir ou dissoudre le peuple ennemi par hybridation afin de le maintenir sous la coupe de l’Empire. Par conséquent, les couples de captifs, par leur présence récurrente sur les arcs, renforcent non seulement la fonction de l’arc, qui consiste à « contribuer à l’exaltation de la puissance romaine avec un souci de propagande et peut-être aussi d’intimidation »3, mais aussi symbolisent la victoire complète de Rome. À Glanum figurent deux couples de captifs ; à Orange, trois couples de captifs sont représentés au pied d’un trophée ; à Carpentras, deux couples de captifs sont enchaînés au trophée4. En revanche, sur certains revers de monnaie, la femme apparaît toute seule. Sur certaines monnaies flaviennes, elle figure à côté d’un Romain représentant Vespasien tenant une lance, un aigle et une enseigne ; le pied posé sur un casque, debout près d’un palmier sous lequel est assise une captive, voilée, la main sur le front dans une attitude de désespoir total, après la conquête de la Judée5. Vespasien, debout, écrase de toute sa taille la femme assise rappelant l’image de sa victoire, la puissance irrésistible de Rome et la défaite du peuple juif traduite par la position assise. Deux postures, assis et debout, totalement opposées qui expriment de manière indiscutable deux trophée d’Adamklissi, témoin de deux politiques et de deux stratégies », Apulum, IX, 1971, pp. 505-523. 1 Pan., 18. 2 Dans la conception romaine de la famille, la femme libre demeurait le rouage essentiel de la reproduction biologique. Pivot naturel de la société, la femme en captivité remettait en cause le fondement de la société, Pline, Lettres, IV, 15. 3 H. Rolland, « L’arc de Glanum… », p. 46. 4 Cf. Fragments VI ; VIII-IX-X-XI. Néanmoins, il faut remarquer que la constitution des couples ne repose pas systématiquement sur une différence de sexe. 5 Monnaies XVI, voir H. Cohen, op. cit., Vespasien 239 ; S.W. Stevenson, op. cit., s.v. Judea. Sur une monnaie flavienne, une captive, la main sur le visage, assise au pied d’un palmier et habillée de voiles, relève légèrement la tête, cf. H. Cohen, op. cit., Vespasien 225. En revanche, sur la Monnaie XVII, la captive est debout au pied d’un palmier (qui prend ici la place du trophée) avec les pieds et les mains liés représentant sûrement la province de la Judée défaite, H. Cohen, Vespasien 241.
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réalités : défaite et victoire. Seule au pied d’un trophée ou à côté d’un autre personnage, l’image de la femme renvoie non seulement à celle d’une simple captive, mais elle symbolise également la province en question et son air triste reflète toute l’ampleur de sa défaite. La femme joue ici le même rôle que Roma, qui représente l’Urbs, une déesse incarnée par une femme dans la symbolique romaine et la légende ou la vêture permet de l’identifier. La femme possède ainsi une fonction sémiologique comme les emblèmes nationaux (animal, armes…). Sur les images, la prisonnière de guerre est constamment peinte en pleureuse : vulnérable, accablée, le visage dans la main dans une posture de désolation infinie. Elle participe à cette « tristesse de l’art, né dans les provinces, chez les peuples vaincus »1. Sur la colonne aurélienne, une séquence met en scène deux femmes, bousculées, encadrées de part et d’autre de deux lances que portent des soldats romains. Ces captives se trouvent dans un état pitoyable. L’une d’elles met son visage dans la main reprenant la pose de la « pleureuse »2. La production de cette imagerie stéréotypée de la captive éplorée3 renfermait une fonction symbolique et épistémique, par conséquent, loin d’être gratuite, elle était fabriquée en vue de certains usages. Dans un contexte politique où Rome, conquérante, entendait éliminer ses adversaires les plus farouches et imposer sa puissance irrésistible, l’utilisation de la force de l’image et de son impact demeurait très précise. Elle révélait et traduisait à la fois la peur de la captivité et ses corollaires, mais elle véhiculait aussi un avertissement implicite adressé aux ennemis de l’Empire et à ses opposants potentiels. Une autre attitude vient se greffer aux pleurs des captives, il s’agit de la soumission et de la docilité qui sont mises en évidence par la tête baissée et le visage dans la main. Les captives apparaissent dans la posture de celles qui acceptent leur sort sans se révolter. Cette position et ce comportement purement féminins opposent les captives aux captifs qui, en tirant sur leurs liens, tentent vainement de se libérer. De tels gestes d’insoumission et de rébellion semblent l’apanage des hommes comme on peut le constater à travers les monnaies césariennes aux revers desquelles figurent des captives, la main sur le front, sagement assises à côté de captifs qui s’efforcent vainement de briser leurs liens4. Pourtant, ces représentations monétaires et statuaires assez schématiques, qui véhiculent un discours normatif sur la captive barbare P. M. Duval, « L’arc d’Orange », XVe supplément à Gallia, 1962, p. 80. Cf. Fragment XVIII ; cf. aussi Monnaies VI-VII ; XVI-XVII ; XIX. 3 Fragment IV. La femme personnifie la province vaincue et désormais en partie intégrée dans l’Empire : dès 79 av. J-C, l’Hispanie est représentée en femme pour symboliser la défaite des Vaccéens et Lusitaniens. En 46 av. J-C, une femme en robe longue, portant des lances sous le bras gauche et offrant une palme de la droite, incarne la Bétique ou l’Hispanie qui accueille Pompée, Sydenham, The Coinage of the roman…1035/1036. 4 Monnaies VI-VII. De telles images reflètent le récit de Jules César de la bataille d’Alésia en 52 av. J-C. Il y décrit des Gauloises désespérées, des femmes en pleurs qui, les « mains ouvertes suppliaient les Romains de les épargner, de ne pas les massacrer, comme ils avaient fait à Avaricum avec les femmes et les enfants », G. G., VII, 1, 7. 1 2
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d’Occident ou d’Orient, ne correspondent pas exactement au contenu de la plupart des messages textuels aussi bien grecs que latins1. Certes, la plupart des auteurs anciens étalent la barbarie des captives et de leurs structures sociales2. Toutefois, en mettant en relief leur caractère excessif et passionné, les auteurs anciens soulignent, plus ou moins subrepticement, leur courage impressionnant qui frise la témérité, s’ils ne relèvent pas leur beauté originale. De leur côté, les modernes ont plutôt tendance à évoquer surtout la femme d’Occident (particulièrement celles de la Germanie et de la Gaule) lorsqu’ils abordent sa place capitale dans les sociétés barbares, son courage, son sens de la responsabilité et son implication dans la vie active. Pourtant, à la lecture des textes de Flavius Josèphe, des points similaires se dégagent entre les femmes barbares d’Occident et d’Orient. Tout en contredisant le message plastique, ils attestent que le fameux courage des femmes barbares n’est pas uniquement l’apanage de la Gaule ou de la Germanie. Cette controverse se perçoit à travers deux aspects essentiels, à savoir le rôle actif des femmes dans leur communauté pouvant aller jusqu’à l’exercice du pouvoir politico-religieux et leur participation dans les mouvements d’insurrection contre l’autorité romaine. Des femmes, en Gaule, assumaient des fonctions importantes de prêtresse3. Leurs dons divinatoires leur donnaient un pouvoir éminent dans les instances politiques et militaires. Ce pouvoir leur octroyait le droit d’intervenir dans la destinée de leur pays4. Plutarque explique que les hommes consultaient leurs femmes lorsqu’ils devaient délibérer de la guerre et de la paix. Ils les admettaient au « conseil » et les consultaient comme « arbitres dans leurs différends avec leurs alliés »5. M. Clavel-Lévêque, « Codage, norme, marginalité, exclusion. Le guerrier, la pleureuse, et la forte femme dans la barbarie gauloise », DHA 22/1, 1996, p. 235. Dion explique que « toute la race galatique est téméraire, craintive, infidèle par caractère», CLXIV. Cf. aussi Amm. Mar., XVI, 11, 8 ; XVII, 1, 13 ; XVIII, 2, 14. 2 Ils y voient surtout une inversion des valeurs, « une perversion complète de l’ordre naturel », Y.-A. Dauge, Le Barbare. Recherche sur la conception romaine de la barbarie et de la civilisation, Bruxelles, Latomus, 1981, p. 624. 3 À l’image de la prêtresse Velléda, prophétesse des Bructères cf. Ch. Goudineau, « La druidesse Velléda dans la redécouverte des druides », l’Archéologie n°2, 2000, p. 63. P. Le Roux et Ch.-J. Guyonvarc’h ont abordé l’étymologie de Velléda et ses dons de « voyante » dans Les Druides, Rennes, 1986, pp. 438-441. 4 Des pouvoirs de druidesses et de prophétesses semblables se rencontraient aussi bien chez les femmes de la Gaule que chez celles de Bretagne (dans l’île de Mona en 60 ap. J-C, Tac., Ann., XIV, 30-31). Leur puissance divinatoire permettait ainsi aux prophétesses gauloises de décider des moments propices pour affronter l’ennemi (Cés., G. G., I, 50 ; Plut., Caes., XIX). 5 Des vertus des femmes, VI. L’auteur des Vies raconte même que c’étaient les femmes qui avaient évité une guerre civile à la Gaule. « Leurs femmes s’avançant au milieu des armes et prenant en main leurs querelles, furent pour eux des arbitres et des juges exempts de reproches, qu’il naquit de là, entre eux de ville à ville, de maison à maison une merveilleuse amitié » écrit-il. Le témoignage de Plutarque montre la place importante et le rôle 1
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À en croire Tacite, les femmes de la Germanie faisaient l’objet d’une vénération semblable de la part de leurs hommes. Il raconte que : « ils croient qu’il y a en elles quelque chose de sacré et de prophétique et ils ne dédaignent leurs conseils ni ne négligent leurs réponses »1.
En dehors de leur fonction sacerdotale, les femmes barbares conduisaient des mouvements de révolte et exerçaient même le pouvoir politique2. La reine Boudicca de Bretagne incarnait l’image de la révoltée. Sous le règne de Néron en 61 ap. J-C, elle prit la tête de l’insurrection contre les exactions du pouvoir romain3. Ailleurs, en Judée, des femmes exerçaient le pouvoir politique. Alexandre Jannée, roi de Judée, avait légué le pouvoir à sa veuve Salomé-Alexandra qui régna, de 76 à 67 av. J-C, jusqu’à l’éclatement de la guerre civile4. Un second exemple est fourni par l’épouse d’Aristobule. Même si elle n’exerça pas l’autorité souveraine dans son pays, néanmoins, elle joua un rôle diplomatique important en 69 av. J-C. Elle avait osé conclure un pacte tacite avec le gouverneur de Syrie, Gabinius, afin de négocier la libération de ses enfants emmenés en captivité à Rome5. C’est ainsi qu’en échange, elle avait livré aux hommes de Pompée les places fortes de son mari en Judée, Machéronte et Alexandrion, alors qu’Aristobule se trouvait en pleine rébellion. Ces mêmes femmes barbares intervenaient également dans les mouvements de révolte contre le pouvoir romain, non en prenant des armes conventionnelles, mais en affichant une résistance pacifique et silencieuse jusqu’à la mort ou en accompagnant leurs maris, fils ou frères pour servir d’infirmières ou pour les encourager. prépondérant de la femme dans la société gauloise même si, sur le plan chronologique, il demeure très vague et imprécis. M. Green revient encore sur le rôle de la Gauloise en tant que porte-parole politique de sa tribu, « Les femmes et le druidisme », l’Archéologie n°2, pp. 44-46. 1 Tacite, La Germanie, VIII, 1 ; M. Clavel-Lévêque, « Codage, norme, marginalité, exclusion…», pp. 227-228. 2 Mais de telles responsabilités politiques, religieuses et militaires ne les empêchaient pas de faire face à leurs obligations conjugales et sociales. Plutarque raconte l’histoire poignante de l’épouse du Gallo-romain, Julius Sabinus, qui simula le deuil pour sauver son mari. Ce dernier, impliqué dans une révolte contre Vespasien, s’était caché dans un souterrain. Toutes les nuits elle le rejoignit et vécut ainsi pendant de nombreux mois (neuf ans selon Tacite, Hist., IV, 67, 2). Accompagnée de ses deux enfants, elle se rendit même à Rome, espérant obtenir pour lui le pardon de l’empereur, Plutarque, De l’amour, 25. Son courage d’épouse rappelle celui dont fit preuve Arria, la femme de Paetus qui avait participé à la révolte du légat de la Dalmatie Scribonianus en 42 ap. J-C. Elle supplia les soldats qui emmenèrent son mari à Rome de la prendre avec lui. Il faut bien leur disait-elle « qu’à un consulaire vous donniez quelques esclaves pour le servir à table, l’habiller, le chausser. Tout cela je le ferai seule ». Face au refus romain, elle loua alors une barque de pêche et suivit son homme, Pline le Jeune, Lettres, III, 16, 7 ; Strabon (III, 41, 17), Géographie, texte établi et traduit par F. Lasserre, Les Belles Lettres, Paris, 1966 ; Diodore, V, 13. 3 Tacite, Agricola, XVI ; Dion Cassius, LII, 6, 1-5. 4 Qui opposa ses deux fils Hyrcan et Aristobule le cadet, Flav. Jos., I, 107-109. 5 Flavius Josèphe, I, 168-174. Gabinius, gouverneur de la Syrie entre 56 et 54, en fit part au sénat qui les remit en liberté.
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Strabon1 fait part de l’intrépidité incroyable des femmes ibères. Des mères qui, pour soustraire leur progéniture à la captivité, l’éliminaient avant de se donner la mort à leur tour. Il révèle que cette vaillance ne reste pas le propre des Cantabres, elle est commune aux Thraces, aux Celtes et aux Scythes. Quant à Plutarque, il laisse une description impressionnante des Teutonnes à la veille de la victoire de Marius en 101 av. J-C. « Debout sur les chariots, vêtues de noir, tuant ceux qui fuyaient - leurs maris, frères ou pères - et, étranglant de leurs mains leurs jeunes enfants ; elles les jetaient sous les roues des chariots et sous les pieds des bêtes de somme, puis s’égorgeaient elles-mêmes »2 raconte-il.
Ces femmes refusaient la captivité de leur cité et de leurs enfants en combattant, en tuant ou en se donnant la mort. Par le suicide elles rejetaient les corollaires de la captivité, c’est-à-dire l’asservissement et le déshonneur. Les Teutonnes défaites refusaient de partager la couche des soldats romains. Devant le rejet de leur proposition de se faire vestales, adressée à Marius, elles choisirent de se donner la mort3. Cet acte de courage impressionne Valère Maxime au point qu’il pense que « les dieux ont bien fait de ne pas donner de telles dispositions à leurs maris pour qu’ils les amènent au combat ! Car s’ils avaient cherché à imiter la valeur de leurs femmes, ils auraient rendu bien incertains les trophées qui célèbrent notre victoire sur les Teutons »4.
Tacite ne dit-il pas de Thusnelda, la femme d’Arminius, capturée par Germanicus, qu’elle ne « s’abaissa pas à pleurer ni à supplier ; les bras croisés sur son sein, elle tenait les yeux attachés sur sa grossesse »5 ? Nous avons aussi l’exemple de ces femmes de la Germanie qui accompagnaient leurs maris aux combats afin de leur donner courage et « de les empêcher de fléchir ou de vaciller faisant barrière de leur poitrine »6. Un courage semblable se rencontre également en Judée. Flavius Josèphe dans ses récits de la guerre que menèrent les Juifs contre le pouvoir romain relate certains épisodes qui soulignent l’intrépidité des Juives entre 66 et 70 ap. J-C aussi bien en Galilée qu’en Judée. Elles prirent part à l’insurrection et aux combats menés dans l’enceinte des cités même. Les femmes de Japha, en juillet 67, résistèrent aux côtés des combattants pendant neuf heures alors que les forces romaines investissaient la ville7. Du haut des remparts, elles leur lancèrent tout ce qui leur tombait sous la main. L’épisode le plus atroce se Géographie, III, 17. Il mentionne aussi l’exemple d’une femme ibère qui s’était illustrée en massacrant ses compagnons de captivité. 2 Marius, XXVII, 2-3. 3 Florus, I, 38 ; Plutarque, Marius, XXVII, 2-4. 4 VI, 1, ext. 3. 5 Ann., I, 57. 6 Tacite ajoute qu’après les combats, les soldats « portent leurs blessures à leurs mères, à leurs femmes, et elles ne s’effraient pas de compter et de sonder les plaies, elles leur portent nourriture et encouragement », Tacite, La Germanie, VIII, 1. 7 Flavius Josèphe, La guerre des Juifs, III, 303. 1
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déroule à Jérusalem trois années plus tard, au moment où la faim sévit dans les murailles de Jérusalem. Une Juive, nommée Marie, tua et mangea son bébé. Flavius Josèphe en relatant cette anecdote met surtout l’accent sur le caractère épouvantable et contre-nature de l’acte. Par son geste, elle lança sûrement un défi aux « brigands » qui dirigeaient la résistance. Mais ce que Flavius Josèphe ne relève pas, certainement pour couvrir Titus et les Romains, est que l’attitude de Marie constituait une bravade contre les troupes romaines qui tenaient la ville sous la faim. Le discours qu’elle adressa à son fils le confirme : « au milieu de la guerre, de la famine et de la sédition, à quoi bon te conserver en vie ? Chez les Romains c’est l’esclavage qui nous attend, même si nous vivons jusqu’à leur arrivée »1.
En lui ôtant la vie, elle soustrait son enfant à une calamité : la captivité. Les sources produisent une vision de la femme barbare qui exerce aussi bien le pouvoir militaire, politique, religieux et social, ce qui pourtant ne correspond pas au message plastique. La représentation iconographique s’appuie plus sur l’image du Barbare impressionnable qui, en général, « oscille entre deux excès, celui de la ferocia et celui de l’abattement. Il faut peu de choses pour le plonger dans la stupéfaction, la terreur, le désespoir et son comportement est ainsi dans la dépendance du moindre événement inattendu »2.
Le message textuel axé sur le courage et la participation des femmes, d’Occident et d’Orient, dans la vie politique, économique ou sociale ne varie pas considérablement entre le Ier s. av. J-C et le Ier s. ap. J-C. Tout au long de cette période, elles n’hésitent pas à prendre part aux révoltes contre l’autorité romaine, directement ou indirectement, au risque de se faire tuer. Elles acceptent leur mort et celle de leur progéniture pour afficher leur refus. Toutes ces illustrations textuelles, qui s’échelonnent de la République au premier siècle ap. J-C, mettent en scène et au premier plan des femmes, ibères, gauloises, germaines, juives et thraces, des barbares insoumises qui n’acceptent pas, passivement, leur sort de prisonnière ni la perte de leur liberté d’antan. Elles ne correspondent pas, par conséquent, au discours plastique. Toutefois, l’efficacité des images produites par la monnaie et les bas-reliefs réside dans cette contradiction. En effet, tout en peignant le portrait de captives Id., ibid., VI, 3. La véracité d’un tel acte nous laisse perplexe. Flavius Josèphe, en relatant cette anecdote, est sûrement guidé par son désir ardent de montrer à quel point la population, réprimée par les factions de Jean et de Simon, souffre de la famine au point de commettre des actions répréhensibles. 2 Y.-A. Dauge, Le Barbare…, p. 345. Dion Cassius souligne le caractère versatile de la « race gauloise » qui, dès qu’elle se heurte « au moindre obstacle n’a plus d’espérance… En peu de temps elle se porte d’un mouvement rapide aux parties les plus contraires, ne trouvant dans le raisonnement aucune garantie pour aller dans un sens ou un autre », I, 26. M. ClavelLévêque remarque avec justesse que « c’est bien le comportement des hommes qui a structuré dans les textes le discours normatif sur la race gauloise », « Codage, norme, marginalité… », p. 238. 1
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barbares abattues, l’art romain récupère et utilise celui de la femme barbare, socle de sa structure familiale et sociale, afin de d’établir que sa captivité signifie la fin de son peuple. En affichant l’image de ces femmes, vaincues, découragées, soumises, infiniment désespérées, ces représentations visent à mettre l’accent à la fois sur la vanité de tout espoir de retrouver la liberté et la force impérieuse de l’Urbs.
3. L’âge L’âge constitue un facteur déterminant dans le traitement réservé au captif puisqu’il permet de fixer sa valeur d’usage, même si les textes n’en font pas état. La jeunesse, l’état et les caractères physiques, critères étroitement liés à l’âge, représentent des arguments décisifs. Ils agissent directement sur les décisions du vainqueur quant à l’utilisation éventuelle du captif comme monnaie d’échange, figure attractive au triomphe, pièce à vendre, force de travail pour le creusement de canaux et pour l’enrôlement ou comme objet de distraction dans les amphithéâtres. Cependant, nous ne disposons d’aucune information précise concernant l’âge exact des captifs, mais uniquement des renseignements approximatifs que nous avons classés en trois catégories : les personnes âgées, les jeunes (adolescents et adultes) et les enfants, sans tenir compte de leur sexe1. Fig. 5. Répartition des captifs selon l’âge
Personnes âgées 6%
Enfants 11%
Jeunes 83%
Source : corpus
Nous avons ainsi choisi la prudence en regroupant adolescents et adultes dans la catégorie des jeunes, c’est-à-dire les mobilisables et les jeunes gens. Sur la classification et le vocabulaire des âges de la vie à Rome lire J.-P. Néraudau, La jeunesse dans la littérature et les institutions de la Rome républicaine, Paris, Les Belles Lettres, 1979, p. 99. 1
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Le diagramme à secteurs ci-dessus affiche, d’une part, une très faible proportion des personnes âgées (seulement 6% des captifs) et des enfants (11%) et, d’autre part, un pourcentage élevé des jeunes (83%). Cette représentation semble logique dans la mesure où la rentabilité reste un facteur capital dans le sort des vaincus aussi bien sur le champ de bataille que dans une ville prise. Cependant, ces appréciations quantifiées tirées de l’exploitation du corpus ne reflètent pas fidèlement le contenu de certains textes qui indiquent que lorsqu’une ville est prise, une catégorie de personnes est très souvent épargnée pendant le massacre et vendue après les confrontations. Il s’agit de « l’âge impropre à la guerre », « l’âge impropre au service » ou « la foule des noncombattants », classe à laquelle appartiennent les enfants et les personnes âgées et faibles1. La tranche d’« âge impropre au service » englobe les mâles âgés de moins de dix-sept ans et de plus de soixante ans2. Par conséquent, la portion la plus bénéfique et la plus intéressante aux yeux du conquérant au moment de la capture reste celle comprise approximativement entre dix-sept et soixante ans et surtout entre dix-sept et quarante-six ans, c’est-à-dire la classe des juniores qui sont jeunes et vigoureux, susceptibles de supporter les corvées les plus ardues telles que le creusement des canaux ou les travaux miniers. En revanche, ceux qui ne sont pas mobilisables, les moins de dix-sept ans, sont vendus. Dans l’armée romaine, tout citoyen mâle à peine sorti de l’adolescence à dix-sept ans est inscrit sur la liste des mobilisables. Néanmoins, nous ne disposons pas de précisions sur l’âge de la mobilisation des autres peuples. Valère Maxime, en évoquant la captivité du neveu de Massinissa, Massiva, pose en même temps ce problème. En effet, Publius C. Scipion découvrit que le jeune Numide s’était engagé à l’insu de son oncle et qu’il n’avait même pas atteint l’âge de s’enrôler dans l’armée3. Les personnes âgées constituent la catégorie la moins représentative : seulement 6% de la population captive. Très peu d’exemples dans le corpus touchent cette tranche d’âge. Elle ne se rencontre pas fréquemment non plus dans le discours figuré4. Néanmoins, cela ne signifie pas que ces personnes n’existent pas ou qu’elles sont absentes puisqu’elles constituent une proportion de la population d’une cité, ce lieu de confluence de toutes catégories sexuelles et tranches d’âge. Pendant l’occupation de Crémone, les troupes d’Othon malmenaient les personnes âgées et les femmes dont la vie était presque achevée, elles s’en servaient comme des jouets car elles n’avaient aucune valeur comme butin, explique Tacite5. En fait les personnes âgées, hommes et Les personnes invalides figuraient-elles dans cette catégorie ? Les sources ne le précisent pas, elles affichent, au contraire, un silence total sur elles. 2 Cl. Nicolet, Le métier de citoyen dans la Rome républicaine, Paris, Gallimard, 1976, p. 133. 3 V, 1, 7. Mais peut-on se fonder sur les critères d’âge en vigueur à Rome pour affirmer avec Scipion que le neveu de Massinissa n’avait pas l’âge adéquat ? T.-L., XXVII, 19, 8. 4 Ils apparaissent sur le Grand Camée de France près d’autres captifs germaniques et orientaux, H. Guiraud, op. cit., pp. 117-118, fig. 81. 5 Hist., III, 33. 1
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femmes, ne sont susceptibles d’être utilisées ni comme force de travail ni comme élément figuratif pour la cérémonie du triomphe. D’ailleurs, c’est la seule fois que Tacite donne un exemple de mauvais traitement des personnes âgées1, alors que Crémone n’est pas la seule ville prise qui l’ait intéressée. Son intention de dramatiser la guerre civile de 69 ap. J-C n’y est pas étrangère dans son récit. Le mauvais traitement des personnes âgées n’est ni inhérent à leur captivité, ni une conséquence naturelle de leur captivité. Néanmoins, compte tenu de leur grand âge qui amoindrit ou annihile leur valeur marchande et d’usage, elles ont moins de chance d’être épargnées qu’un captif jeune. Suivant Appien, pendant la guerre contre Viriathe (147-139 av. J-C), si le préteur Vetilius, fut pris et tué à Tribola c’est parce qu’il était un « vieillard obèse »2, par conséquent et de prime abord, sans aucune valeur d’usage ou d’échange. Cette première impression fit, d’ailleurs, perdre au Lusitanien un captif de marque, un magistrat romain de surcroît. Par la suite, Viriathe regretta amèrement son acte irréfléchi selon Dion Cassius3. Le silence des sources sur la présence des personnes âgées dans la praeda et leur valeur marchande presque nulle nous poussent à croire que, faibles et/ou malades elles étaient, dans la plupart des cas, massacrées avant même d’être capturées ou alors, abandonnées sur place, elles mourraient de fatigue, de faim ou des suites de leurs blessures4 d’où leur quasi-absence dans les récits et reproductions imagières. L’analyse des textes fait ressortir que les personnes âgées et malades vaincues avaient rarement la chance d’atteindre la phase de la captivité : elles étaient souvent tuées sur place. Au stade de Tarichée où Vespasien fit rassembler les captifs en 67, il ordonna l’exécution des « vieillards et personnes impropres à la guerre » au nombre de 1 2005. Trois années plus tard, à Jérusalem, les troupes de Titus massacrèrent « les vieillards et les plus faibles » sans même en avoir reçu l’ordre. Cette désobéissance ne fut ni relevée, ni réprimée par le général ce qui suggère une certaine complaisance de sa part en dépit des efforts de Flavius Josèphe pour le disculper. En septembre 70, après un siège long et pénible, les troupes impériales détruisirent Jérusalem et exterminèrent les vaincus « inutiles ». Minutieusement, ils procédèrent à une sélection, ils abattirent « les vieillards ainsi que les faibles et gardèrent les hommes dans la fleur de l’âge et bons pour le service »6 comme s’il s’agissait d’une pratique courante. En vérité, les personnes âgées n’étaient pas absentes, comme les sources semblent le faire croire dans la mesure où elles constituaient une Il convient de tenir compte de la nature fragmentaire de cette œuvre. Ibér., LXIII, 266. Tite-Live, ne donne aucune indication sur l’état physique du préteur, Per., LII. Quant à Diodore de Sicile, il se contente d’indiquer que Vetilius périt des mains de Viriathe, XXXIII, 1, 3. 3 Dion Cassius, fr. XXII, 73 ; Orose, V, 4, 2. 4 Comme ce fut le cas à Amida, Ammien Marcellin, XIX, 6, 2. 5 Flav. Jos., III, 539. 6 Id., VI, 415. 1 2
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portion, même infime (l’espérance de vie étant comprise entre 25 et 30 ans)1, de la population vaincue2, mais elles étaient, assez souvent, exécutées sur place. Néanmoins, en cas de capture d’un « vieillard », un autre facteur pouvait entrer en jeu et gommer l’effet négatif que l’âge exerce sur son sort, c’est-à-dire son ancien statut social3. S’il s’agit d’une autorité, ses anciennes fonctions politiques et militaires ou sa position sociale antérieure prennent le dessus sur son grand âge. Les quelques rares exemples de captifs âgés relevés concernent tous de hautes personnalités, par leur naissance et par les hautes fonctions qu’elles occupaient dans leur pays d’origine. Quelle gloire peut-il bien y avoir pour le soldat et son général à capturer et garder en vie une personne âgée, non-combattante, trop vieille pour représenter un danger réel et pour avoir une valeur d’usage ? Les références à cette catégorie de prisonniers de guerre dans les sources s’expliquent souvent par leur ancien statut social qui fait d’elle une monnaie d’échange ou une valeur d’usage de choix. Carthage garda en vie le vieux consul M. Atilius Regulus, mieux, son sénat l’envoya tout seul4 à Rome négocier son échange contre plusieurs jeunes Carthaginois, chefs de tribus, faits prisonniers. Il faut relever que pendant la seconde guerre punique au lieu d’un seul prisonnier, Carthage en délégua dix5. Cette comparaison souligne l’importance de la fonction qu’occupait Regulus malgré son âge avancé, ce qui constituait, à juste titre, aux yeux des Carthaginois un atout majeur. Cependant, Regulus contrecarra la stratégie carthaginoise qui se fondait sur sa valeur en tant que consul, c’est-à-dire premier magistrat de la République et détenteur du pouvoir exécutif. Devant les sénateurs, à qui il proposa de le renvoyer à Carthage, il opposa son grand âge (qui fait de lui, objectivement, un captif sans grande valeur et à qui il ne restait plus longtemps à vivre) à celui des prisonniers carthaginois qui non seulement étaient jeunes, mais encore étaient des chefs de tribus, donc pleins d’avenir. Aulu-Gelle ajoute d’ailleurs que les jours de Regulus étaient comptés à cause du poison à effet retardé que lui firent boire les Carthaginois avant son départ pour Rome6. P. Salmon, Population et dépopulation, pp. 101-102 ; J.-N. Corvisier et W. Suder, La population de l’Antiquité classique, Paris, PUF, 2000, p. 101. 2 Seules deux références sont relevées chez Valère Maxime (Tableau III de l’Annexe I). 3 Cet impact de l’ancien statut social sur le sort du captif âgé est davantage mis en évidence par l’exemple de l’empereur Valérien, un « vieillard », capturé à Edesse en 260 et emprisonné par les Perses. Odénath de Palmyre, en particulier, s’efforça par tous les moyens de le soustraire à ses détenteurs en vain, en dépit de toutes les multiples démarches diplomatiques et militaires entreprises Histoire Auguste, XXII, 1, 1-2 ; XXII, 2, 3 ; Eutrope, Abrégé de l’histoire romaine, IX, 7. 4 Valère Maxime reste le seul à préciser que Regulus était un vieillard, I, 1, 14. Sa version est corroborée par celle de Cicéron, Les devoirs, III, 27,100. Ni Florus (I, 18, 24), ni Aulu-Gelle (VII, 4) ne font allusion à son âge. Leur silence confirme le fait que, dans le cas de Regulus, seul le statut de ce dernier importait. 5 Gell., VI, 18, 7. 6 VII, 4, 1. Aulu-Gelle reste la seule source qui précise les arguments de Regulus face au sénat alors que sur ce point Valère Maxime et Florus disent simplement que Regulus amena le sénat à rejeter la proposition carthaginoise. 1
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Néanmoins, sa mort programmée et proche n’écorna point le symbole politique et militaire qu’il incarnait aux yeux de la République et ne détériora pas, non plus, sa valeur d’usage. L’ancien statut social avait un impact incontestable sur la survie d’un captif âgé : il était utilisé au même titre qu’un argument diplomatique pendant les démarches pour la conclusion d’un éventuel accord1. De semblables motifs animèrent les Romains lorsqu’ils s’attachèrent à capturer un « vieillard » pendant la guerre contre Véies et surtout à le garder en vie. Rome voulait utiliser ses connaissances ésotériques afin de s’emparer de la ville ennemie2. Cependant, l’ancien statut social du captif n’intervint pas au moment de la capture à moins que son identité ne fût connue du captivator. À ce moment précis, ce dernier ne prend en compte que les aspects les plus flagrants de la personne qui se trouve entre ses mains, à savoir ses caractères morphologiques. À côté des personnes âgées, il faut ranger les enfants qui subissaient aussi les affres des conflagrations. D’abord, les auteurs restent très imprécis et vagues sur l’âge des petits garçons ou petites filles amenés en captivité avec leur mère. Tacite indique vaguement que l’épouse et la fille d’Arpus3, de même que la femme et la fille de Caratacus, ont été capturées4 en 51 ap. J-C sans aucune autre information explicative. Ensuite, les auteurs ne mentionnent pas les enfants captifs dans le butin. Or, ils sont présents au moment où les affrontements s’engagent dans l’enceinte de la cité, de même que pendant son occupation. Leurs profils se dessinent derrière leurs parents, leur mère en particulier. À maintes reprises, Flavius Josèphe évoque les enfants sous l’aile de leur génitrice pendant la prise des villes de la Judée. De Gamala à Masada, les enfants enduraient les violences de la guerre aux côtés de leurs parents5. Ces enfants étaient même massacrés par leurs parents afin de leur éviter la captivité, scènes très fréquentes pendant la prise d’assaut d’une ville. Toutefois, ces actes extrêmes ne concernaient que les cités où les populations avaient décidé de résister jusqu’au bout en se donnant la mort, à l’image de Numance en 133 av. J-C6 ou de Masada7. Qu’en était-il des autres situations ? À notre avis, même s’ils n’étaient pas signalés dans la composition du butin par les auteurs, ils y figuraient aux côtés ou séparés de leurs mères. L’exemple de Ventidius, un
App., Ibér., LXIII, 266. Val. Max., I, 6, 3. Les haruspices de Véies étaient réputés pour leur don divinatoire pendant l’Antiquité, T.-L., V, 15, 17. 3 Id., ibid., II, 7. 4 Tac., Ann., XII, 35, 3. 5 Flavius Josèphe relève la présence des enfants dans les villes du siège jusqu’à la prise : II, 6, 1 ; III, 7, 261 ; III, 7, 262 ; IV, 1, 79 ; IV, 2, 115 ; IV, 9, 488 ; VI, 5, 283 ; VII, 8, 321 ; VII, 8, 380 ; VII, 9, 383 ; VII, 9, 395 et VII, 9, 399. À Gishala, les femmes se rendirent aux Romains avec leurs enfants, Flav. Jos., IV, 2. 6 Suivant la version de Florus, I, 34. 7 Flav. Jos., VII, 8. 1 2
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jeune garçon1 qui, après la prise d’Asculum au moment de la guerre sociale en 89 av. J-C, avait défilé lors du triomphe de Pompeius Strabo « dans le giron » de sa mère en est une parfaite illustration. La faible représentativité des enfants s’explique par leur jeune âge qui, en faisant d’eux des êtres innocents et inoffensifs, ne procurait aucune renommée à leur captivator même s’il constituait un bon argument de vente. En revanche dans le discours figuré, si les enfants captifs sont absents sur les productions monétaires où l’image du couple ou de la femme symbolise la famille et par extension toute la population du pays vaincu, ils apparaissent assez fréquemment sur la colonne aurélienne. Sur ce monument, des séquences émouvantes se détachent et affichent des mères aux côtés de leur progéniture. La première visualise une mère, au visage éperdu et triste, portant son bébé dans les bras. Ils sont tous les deux malmenés et poussés derrière le dos par un soldat romain portant un bouclier et une arme à la main. La deuxième séquence met en scène une mère, bousculée par un soldat, qui tente farouchement de protéger son enfant en l’entourant de ses bras. Enfin sur la troisième, un soldat, armé d’un bouclier, essaie de séparer brutalement une mère de son enfant en tirant sur ses vêtements, mettant à nu son sein gauche tandis que l’enfant s’accroche désespérément à sa mère2. Ces séquences et textes confirment une fois de plus que la captivité n’épargne aucune tranche d’âge même si les adultes demeurent plus représentatifs dans le groupe des captifs. Ils occupent 83% des références tirées du corpus. Il s’agit des jeunes gens et adultes, c’est-à-dire les énergies mobilisables de l’armée3 et le segment de la population le plus actif, le plus productif aux plans politique, économique, social et biologique. Toutefois cette représentativité est très relative, voire même suspecte, bien qu’elle reflète la logique de la guerre, qui demeure, a priori, une affaire d’hommes. D’abord, les auteurs ne soulignent que la présence des jeunes et adultes, ils négligent complètement les autres tranches d’âge. Ensuite, ce taux très élevé semble écarter une réalité majeure : les jeunes et adultes étaient les plus exposés aux périls aussi bien sur le champ de bataille que dans les villes prises d’assaut. Ils étaient très souvent exterminés puisqu’ils constituaient la population combattante c’est-à-dire la plus dangereuse. Leur présence massive dans le butin servit surtout à mettre en exergue ou à rehausser la qualité, en l’occurrence la jeunesse des prises humaines dans le butin. En vérité, la captivité massive des hommes et femmes, jeunes et adultes, participait à célébrer la 1 Les auteurs ne s’accordent pas sur l’âge précis de Ventidius : si Aulu-Gelle (XV, 4) emploie pubes, Valère Maxime, de son côté, utilise impubes (VI, 9, 9). Les enfants en bas-âge sont décrits par Ammien Marcellin s’accrochant désespérément à leur mère, XXX, 8, 7-8. 2 Voir les Fragments XIX-XX-XXI de l’Annexe II. Des enfants aussi sont représentés sur le Grand Camée de France, H. Guiraud, op. cit., fig. 81, pp. 117-118. 3 Cf. Figure ci-dessus. Cl. Nicolet, Le métier de citoyen dans la Rome républicaine, p. 128. Nous ignorons complètement la proportion des jeunes et adultes par rapport à la population des pays vaincus évoqués.
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victoire sur l’ennemi dans la mesure où elle décrétait son anéantissement en perturbant ou en entravant son renouvellement biologique. La jeunesse des captifs évoquée dans les textes met en valeur la beauté du butin. En dehors de Tacite, qui a plutôt tendance à rapporter la valeur d’un captif à son ancien statut social, les auteurs restent très attachés à la beauté de son corps. Ces critères agissent directement sur l’intérêt du soldat vis-à-vis des vaincus. Selon Tacite, à Crémone, les soldats s’arrachèrent littéralement les plus beaux au point de les mettre en pièce. Il explique que : « quand une vierge nubile ou un homme d’une belle tournure se rencontraient, ils étaient mis en pièces par les mains brutales qui cherchaient à les entraîner et finissaient par provoquer entre les ravisseurs eux-mêmes un combat à mort »1.
La beauté du captif constituait un attrait pour le soldat et parfois une raison pour l’épargner. Déjà en 209 av. J-C après la prise de Carthagène, Scipion n’avait-il pas répondu à ses hommes qui lui avaient amené une belle captive ibère que s’il avait été « un simple soldat, il n’aurait pas reçu de présent plus agréable »2 ? La beauté conditionnait et expliquait quelquefois la conduite du vainqueur. Elle représentait même une force d’attraction qui créait une relation à sens unique entre le captivator et sa captive. Cependant, il n’est pas toujours facile de distinguer, à partir des sources étudiées, le rôle de la beauté dans le sort des captives au moment de la répartition, même si elle déteint sans doute sur l’attitude du soldat. Les sources ne relèvent pas systématiquement la beauté des captifs. En fait, si Scipion rendit sa belle et jeune captive à sa famille, après la prise de Carthagène, c’est surtout pour des raisons diplomatiques. Par ailleurs, les auteurs du corpus s’appesantissent plus sur le courage et la témérité des femmes de la Germanie (sauf concernant leur belle chevelure), de la Bretagne, que sur leur beauté. Toutefois, un fait reste certain, la beauté demeure un critère qui servait à mettre en valeur les qualités morales du captivator (à travers son comportement exemplaire envers ses captives) ou bien à justifier l’attitude immorale et décevante du soldat romain. C’est dans ce registre qu’il convient d’inscrire les épisodes relatés par beaucoup de sources sur l’attitude de Scipion vis-à-vis de sa captive3 et sur la tentative de viol de la femme d’Orgiagon par son gardien. Cette dernière, souligne Valère Maxime, était d’une beauté extraordinaire4. Les critères physiques s’avèrent importants dans la présentation des captifs comme en témoignent les images gravées sur les bas-reliefs et les pièces de monnaies. Ces figures participaient à l’identification et à la représentation du captif comme un Barbare. À travers le discours iconographique se dégage une Tacite, Histoires, III, 33. Polybe, X, 19, 4. 3 Val. Max., IV, 3, 4 ; Flor., I, 22, 39. Nous reviendrons sur cet épisode au chapitre VI. 4 Il est le seul à souligner sa beauté, VI, 1, ext. 2 ; Florus garde le silence, I, 27, 5. 1 2
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anthropologie physique du captif et de la captive barbares mais aussi une représentation qui varie du Barbare d’Occident à celui d’Orient. Un discours bref et concentré qui véhicule toujours des images stéréotypées du prisonnier de guerre. Les femmes barbares d’Occident comme d’Orient gardent le même moule : des chairs abondantes et des formes généreuses rappelant leur fécondité1. Sur la façade N-E de l’arc de Glanum2, figure une captive aux formes épanouies révélées par « le jeu des draperies plaquées ». La pleureuse de Mayence3 affiche aussi des formes pleines. De même les monétaires, par le plaquage et la transparence des vêtements, mettent en relief le corps charnu des captives juives derrière leurs voiles. Des chairs abondantes pour les femmes et un corps très musclé pour les hommes. Moins visible sur les monnaies, la représentation physique des captifs est, en revanche, nettement mise en valeur sur les fragments de relief et les monuments. Sur les monnaies de Vespasien et de Titus les captifs juifs sont représentés avec une carrure moins impressionnante que celle des Gaulois ou des Germains bien que les monétaires aient pris la précaution de souligner leur musculature et de les montrer à demi-vêtus. Les muscles sont très bien dessinés et mis en évidence par des mouvements de contraction « pour briser les chaînes » dans un geste de révolte ou sous l’effet de la douleur que provoque le port des chaînes. Sur tous les reliefs, une musculature développée caractérise la force physique des hommes, particulièrement les Gaulois4 et les Germains, qu’ils soient trapus ou de grande taille. La force presque herculéenne et la face grimaçante des captifs sont mises en relief délibérément par leur posture et leur vêture. Les captifs de Saint-Rémy à la musculature développée sont beaucoup plus impressionnants que ceux de l’arc de Carpentras. Physiquement, des traits caractéristiques distinguent les Gaulois, les Germains, les Arméniens5 et les Juifs6. La dissimilitude entre Barbares du Nord et Barbares de l’Est se voit surtout à travers l’arc de Carpentras7 qui célèbre les victoires romaines remportées sur l’Orient (Parthes ou Arméniens) et le Nord (Germains) au Ier s. ap. J-C. Cette dissemblance se lit à trois niveaux : le corps, la coiffure et la vêture. Sur la face Ouest de l’arc, deux captifs sont attachés au trophée par une longue chaîne dont les maillons sont nettement dessinés. À droite du trophée un Germain, les cheveux hirsutes, vêtu d’un rheno avec à ses Cf. M. Clavel-Lévêque, Puzzle gaulois…, pp. 325-326. Cf. Fragment VII (Annexe II) ; E. Espérandieu 111. 3 Fragment IV de l’Annexe II. 4 Martial souligne « l’énorme corpulence des Gaulois », VIII, 75. 5 Cf. Monnaies X et XII et Fragments IX-X de l’Annexe II. 6 Monnaie XVI de l’Annexe II. 7 L’arc fut-il érigé en l’honneur de Tibère en 20 ap. J-C après les victoires de Germanicus et Drusus (R. Turcan, « L’arc de Carpentras. Problèmes de datation et d’histoire », Annales Littéraires de l’Université de Besançon 294, 1984, pp. 809-819) ou pour célébrer l’expédition de C. César contre Tigrane d’Arménie en 3 ap. J-C ? R. Bedon et alii, op. cit. p. 179. Cf. Fragments IX et X de l’Annexe II. 1 2
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pieds un poignard (sica) ; à gauche un Arménien ou un Parthe vêtu d’une tunique attachée par une ceinture à la hauteur des reins et un pantalon. Sur la face Est, un autre couple de captifs se trouve debout au pied d’un trophée les mains attachées derrière le dos et reliées au trophée par des chaînes, un trophée chargé de faisceaux de piques de boucliers ovales et hexagonaux au tronc duquel sont suspendus deux poignards et une hache. À gauche un Asiatique aux longs cheveux porte une robe arrivant à la hauteur des genoux attachée à la ceinture, complétée par un long manteau avec les mains liées derrière le dos. À droite, un autre captif asiatique, barbu (un Syrien ou un Parthe ?) les cheveux courts et bouclés, vêtu d’un manteau et d’une robe, le regard farouche, a les mains liées à la hauteur des reins1. Sur la façade Ouest de l’arc de Carpentras, deux types d’habit s’opposent : le rheno que porte le Germain situé à droite du trophée et qui laisse voir ses jambes et ses biceps et la tunique et le pantalon qu’arbore l’Arménien, à gauche2. Leurs vêtements ne permettent de distinguer que leur bras et leur mollet. Cependant, ils laissent deviner des corps vigoureux avec une musculature moins marquée chez l’Asiatique que chez le Germain. Sur les deux façades, ce dernier reste le seul à se vêtir d’une peau de bête. La nature sommaire du vêtement révèle avec éloquence l’aspect « sauvage » et revêche des captifs que souligne aussi leur ornement pileux : hommes ou femmes, les captifs sont tous dotés d’une chevelure bien longue, touffue, et désordonnée alors que les Romains sur les droits des monnaies gardent toujours des cheveux lisses et bien coiffés. La différence physique est souvent utilisée comme un critère pour mesurer la dissemblance entre le Romain et le Barbare. Leur coiffure respective distingue le Germain aux cheveux hirsutes et bien touffus de l’Arménien coiffé d’une tiare. Si les captifs d’Occident sont souvent représentés avec les cheveux en désordre, ceux d’Orient, quant à eux, apparaissent plutôt avec une tiare ou une sorte de turban sur la tête3. La chevelure (la longueur, le désordre et la couleur des cheveux), constitue un aspect physique très important dans l’identification du pays d’origine des captifs. Les Germains sont en particulier réputés pour leurs cheveux à la couleur de feu même si on la rencontre chez les Gaulois. Selon Suétone, pour simuler une victoire sur la Germanie, l’empereur Caligula
Voir Fragment X (Annexe II) ; E. Espérandieu 243. L’arc de Carpentras, dans sa représentation des captifs, garde une particularité : ils sont tous correctement habillés. 2 Il est remarquable de constater que parmi les captifs figurant sur les monnaies sous la République, Persée et ses enfants furent représentés vêtus de manière décente (cf. Monnaie I), marque de leur civilisation, contrairement aux monnaies où, les captifs sont nus ou vêtus sommairement (voir les Monnaies IV et VI-VII de l’Annexe II). 3 Cf. Monnaies X et XII de l’Annexe II. 1
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Mariama Gueye « fit choisir dans les Gaules des prisonniers et des transfuges qu’il obligea non seulement à se teindre en rouge et à laisser tomber leur chevelure, mais encore à étudier la langue des Germains »1.
Au-delà de cette spécificité ethnique, cette couleur flamboyante était aussi une marque de captivité et de servitude au théâtre. Chez Plaute, « lorsque dans la rubrique d’une scène comique apparaissait le mot servus, celui-ci désignait à proprement parler une perruque rousse »2. La chevelure des captives servait à la fabrication de perruques3. En plus d’une chevelure touffue et désordonnée, les prisonniers affichent une stature très imposante et surtout redoutable à l’image du Germain massif de l’arc de Carpentras, drapé d’une énorme peau de bête à haute laine (un rheno) et des captifs de Mayence dont la nudité n’est recouverte que d’un pan de leur manteau sur l’épaule droite4. Flavius Josèphe confirme que les Germains sont particulièrement célèbres pour leur force physique herculéenne et leur grande taille. Ils ont des colères plus terribles que celles des bêtes féroces5. Les sculptures révèlent toute la masse musculaire des captifs, notamment leurs pectoraux, biceps, cuisses et mollets. La vêture assure en même temps une fonction symbolique assignant à chaque captif sa zone de provenance et parfois son statut social. L’uniformité6 lancinante et répétitive adoptée délibérément dans la représentation des captifs vise à divulguer la menace que constituent les nations ennemies de Rome et surtout à authentifier cette réalité. Mais cette structure monolithique dans le discours plastique se retrouve dans des cas bien précis, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit des Barbares d’Occident. Ceux d’Orient sont représentés avec plus de modération dans leur physique et dans leur habillement. Ils sont moins impressionnants et massifs, mieux coiffés et surtout beaucoup moins menaçants7. Par ailleurs, les auteurs ne s’attardent pas sur le type oriental. La barbarie des corps des captifs d’Occident telle qu’elle est mise Cal., XLVII. J. Ch. Dumont, Servus. Rome et l’esclavage…, p. 636 ; id., « Guerre, paix et servitude dans les captifs », Latomus, p. 510 ; Plaute, Captifs, 648. 3 Martial recommande vivement à une dame romaine d’utiliser une perruque faite avec les cheveux d’une captive de la Germanie, XIV, 26. Leur chevelure flamboyante grâce à une pommade faite d’un mélange de graisse et de cendre (appelée spuma batava, Mart., XIV, 26 ; Val. Max., II, 1, 5) est célèbre, Pline l’Ancien, XXVIII, 191 ; Tac., Hist., IV, 61 ; Suét., Cal., XLVII. 4 Ils consacrent la victoire romaine sur les Chattes en 83 ap. J-C, voir Fragment IX ; E. Espérandieu 5118 ; H. Walter, op. cit., 115-116. 5 Flav. Jos., II, 376. 6 G.-Ch. Picard souligne qu’« il est difficile de ne pas remarquer et regretter une certaine uniformité de silhouettes toutes détachées sur un fond neutre et dont la mise en place se répète sans beaucoup de rythme, ni même parfois de clarté logique », L’art romain, p. 109. 7 Ammien Marcellin fournit un témoignage sur la morphologie des Perses. Sur la route de Ctésiphon, le césar Julien pour encourager ses hommes fit défiler les prisonniers perses afin de leur montrer à quel point ils ressemblèrent à d’« affreuses chevrettes malpropres et répugnantes ». L’historien ajoute que ces prisonniers sont « naturellement minces comme le sont à peu près tous les Perses », XXIV, 8, 1. 1 2
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en relief ne peut rien présager de bénéfique ou de constructif. Dans sa description des Gaulois, Strabon souligne leur grande taille qui est à la mesure de leur armement1. Plutarque ajoute que leur force physique est telle que César les utilisa « pour donner de l’exercice à son armée, comme à la chasse, en engageant des combats contre ceux-là, ainsi, il la rendit redoutable et invincible »2.
Leurs corps monstrueux font ressortir l’analogie incontestable entre les animaux et eux. Et leurs âmes, nuisibles, féroces et cruelles sont à l’image de leur anatomie : des âmes de fauves. Sénèque assimile les Germains aux lions et les Scythes aux loups parce que, explique-t-il, « la vigueur qui leur est propre n’est pas celle qui convient à l’homme »3. Ces Barbares captifs représentent, par conséquent, un danger réel pour l’ordre romain synonyme de paix et de « civilisation ». Cet aspect est mis en relief par la morphologie des captifs gravés sur des frises d’armes ou assis au pied d’un trophée ayant sous leur tête des armes spécifiques à leur pays comme sur les monnaies. Leur force menaçante est soulignée non seulement par la détresse de la défaite, la rudesse des traits, la musculature bien dessinée, le regard courroucé et agressif, la nudité ou la seminudité, mais encore par la représentation caricaturale et disproportionnée de certains captifs caricaturés avec une grosse tête sur un petit corps. Ce type de discours produit sur celui qui regarde l’image un sentiment de révulsion envers ces captifs à la carrure monstrueuse. Il justifie et légitime, concurremment, la guerre que Rome mène farouchement contre eux. Il souligne également un aspect sous-jacent, à savoir la peur et l’hostilité des Romains envers ces peuples du Nord4 qui sont, physiquement, beaucoup plus féroces et menaçants que ceux de l’Est. La production de telles images exprime non seulement le grand choc tant matériel que psychologique5 qui découla de leur rencontre dès le IVe s. av. J-C, mais aussi le souvenir amer de la défaite et de l’occupation de l’Urbs. La représentation de la férocité du Barbare d’Occident à travers sa vêture Géographie, IV, 1, 2 ; IV, 4, 3. Il ajoute que, même leurs porcs étaient à leur image, des bêtes qui se distinguaient par leur grande taille et leur force. Avant Strabon, l’Achéen Polybe donne une description similaire sur leur taille tout en précisant aussi que les « Gaulois sont physiquement beaux et braves à la guerre », II, 75, 7. 2 Pompée, LI, 2. Selon Diodore, ils « sont d’un aspect effrayant, leur voix au son grave et des intonations tout à fait rudes ». 3 De la colère, II, 15, 4. Y.-A. Dauge a largement développé l’assimilation des barbares à des animaux par les Romains, Le Barbare…, p. 195, p. 605 sqq. Quant aux Grecs Platon et Aristote, ils avaient très tôt assimilé les barbares non seulement aux animaux mais aussi aux plantes soulignant davantage leur sauvagerie, cf. Plut., Mar. XLVI, 1 et T. S. Schmidt, Plutarque et les Barbares. La rhétorique d’une image, Louvain-Namur, 1999. 4 Principalement des Gaulois et des Germains que les Romains considéraient comme les plus barbares, Y.-A. Dauge, op. cit., p. 96, p. 145 et p. 477 ; Cic., Pour Fonteius, IV ; XXIII ; XXXIII. 5 Y.-A. Dauge, Le Barbare…, p. 61. Ceci est d’autant plus vrai que la conquête de l’Orient fit perdre à Rome beaucoup de ses troupes et que la pax romana ne couvrit pas tous les territoires d’où les nombreuses expéditions au Ier s. ap. J-C, voir Tableau IX de l’Annexe I. 1
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et sa coiffure les distingue des Barbares d’Orient. Les prisonniers juifs sur les monnaies ou les prisonniers arméniens et parthes de l’arc de Carpentras semblent beaucoup moins féroces, donc moins dangereux, que ceux de la Germanie ou de la Gaule. Par ailleurs, la force physique des prisonniers de guerre révèle, en même temps, les usages multiples et précis auxquels ils étaient destinés. Le type standard recherché (jeune, grand et bien musclé pour les hommes ; contours arrondis pour les femmes) devait répondre aux fonctions d’attraction, de distraction, de force de travail, de reproductrice ou d’objets sexuels auxquelles étaient destinés les captifs. La grande stature correspondait à un élément d’attraction pour le triomphe ainsi que la chevelure qui distinguait les captifs selon leur pays d’origine et par rapport aux Romains par leur caractère exotique, donc barbare et spectaculaire. L’altérité est facilement prétexte d’exhibition1. Pendant la cérémonie du triomphe, les hommes de grande taille focalisaient tous les regards. Suivant Suétone, Caligula avait réservé pour son cortège triomphal « les hommes les plus grands, suivant sa propre expression les hommes les plus dignes d’un triomphe »2. Chez Pline le Jeune, la stature imposante des rois daces capturés par Trajan rehaussait davantage la beauté du triomphe à venir3, des statures qui se mesuraient à leurs noms interminables. Le même rapprochement entre la carrure imposante des rois prisonniers et la beauté du triomphe se retrouve aussi chez Florus qui raconte que Teutobodus, roi teuton fait prisonnier à Aix en 102 av. J-C, attirait tous les regards dans le cortège triomphal. Quant à sa force titanesque, elle est soulignée par une information exagérée, à savoir sa capacité à sauter successivement sur quatre ou six chevaux. L’homme, d’une taille hors du commun, dépassait les trophées conquis sur lui4. Le spectacle reste un élément essentiel du triomphe aux derniers siècles de la République mais aussi au début de l’Empire, sa réussite reposait, en partie, sur l’exhibition de ces hommes « qui avaient des mesures de bêtes sauvages et un corps de taille plus qu’humaine »5. Quant à la morphologie des femmes, caractérisée par des formes généreuses et une grande taille, elle constituait une preuve éloquente de leur 1 G. Boetsch, « Anthropologie et « indigènes » : mesurer la diversité, montrer l’altérité », in L’Autre et nous, « Scènes et types », Paris, Syros, 1995, p. 55. 2 Cal., XLVII. 3 Environ une année sépara le triomphe sur la Dacie de Trajan qui eut lieu en 102 et le Panégyrique écrit en 101. Avec un mépris tout à fait impérialiste, Pline s’imagine « cherchant à reconnaître ces chefs aux noms interminables et aux statures dignes de ces noms », Pan., 17. La longueur de leurs noms se mesurait à leur barbarie à commencer par leur roi et constituait ainsi une réelle gêne pour les insérer dans les vers grecs d’après ce qu’il écrivit à son ami Caninius, Lettres, VIII, 4. 4 I, 38, 10. 5 Florus, I, 20 ; Plutarque souligne aussi la taille gigantesque des captifs qui suscite et focalise tout l’intérêt du public, Marcellus, VIII, 1.
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fécondité et vigueur. Ce cliché, conforme à la description des femmes de la Gaule, faite par Strabon, rappelle aussi les femmes d’Illyrie « robustes sans être laides »1. Elles étaient en mesure de remplir les fonctions de reproductrice, de nourrice et de travailleuse infatigable, par conséquent, un produit facile à écouler et une esclave parfaitement rentable. Ces représentations, malgré leur caractère banal qui est souvent souligné par les spécialistes, mettent cependant l’accent sur un aspect important de la captivité, à savoir l’état de santé que suggère leur morphologie. Il ressort nettement des « mises en image » que les prisonniers, comme l’ont montré les textes, étaient astreints à une sélection. Les productions iconographiques véhiculent des modèles et, précisément, un archétype pour chaque sexe. Sur les monnaies et fragments de relief, hommes et femmes réifiés sont tous physiquement beaux et en parfaite santé malgré l’aspect effrayant de certains. En outre, le discours figuré véhicule un message qui divulgue ce que suggèrent, implicitement, les textes lorsqu’ils gardent le silence sur les personnes âgées et invalides. Textes et images tiennent deux discours - l’un en restant muet sur certains captifs et l’autre en révélant un type d’individu - qui confirment tous que la frange des captifs est composée de vaincus jeunes, valides, impressionnants, féconds et influents. Bref, la jeunesse, la vigueur physique, la fertilité représentaient des valeurs physiologiques pour définir la catégorie des mâles et femelles susceptibles de figurer au triomphe, de supporter les travaux serviles, de lutter contre les bêtes dans les amphithéâtres et d’agrandir la familia. Mais au-delà de ces interprétations qui mettent l’accent sur la nature caricaturale et schématique des captifs, il faut souligner que ces images, même si elles ne correspondent pas à la réalité ou à des personnages bien déterminés, renvoient à des modèles canoniques conformes à la vision romaine du prisonnier de guerre et du Barbare par excellence. « Il ne paraît pas évident que les populations conquises se reconnaissent dans ces figures et, à leurs yeux de telles représentations renvoyaient à un autre plus lointain »2.
Mais là n’est pas la question, ce prototype ne correspondait ni à une zone géographique spécifique ni à un peuple précis, il obéissait plutôt aux normes attribuées au captif barbare dans l’imaginaire romain. Dans son système de représentation du monde, Rome assignait au Barbare une place bien circonscrite : il était à l’opposé de la civilisation, de la paix et de l’ordre. Il constituait un fléau constant et, par conséquent, un hostis. À la suite des nombreuses guerres victorieuses remportées par l’Urbs dans le bassin méditerranéen sous la République, l’image officielle du Barbare n’était plus Strabon, IV, 4, 3 ; Varron compare ces Illyriennes, fortes, aux Romaines « frêles comme le jonc et méprisables », Économie rurale II, 8 (texte établi et traduit par Ch. Guiraud, Paris, Les Belles Lettres, 2003). 2 X. Lafon, « Sur quelques représentations iconographiques des habitants de la Narbonnaise de César à Tibère », Ktêma 9, p. 95. 1
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seulement celle des peuples extérieurs au territoire romain, mais aussi celle des peuples vaincus et capturés1. La propagande romaine trouvait dans l’aspect menaçant des captifs barbares tous les justificatifs et toute la légitimité de la captivité qui demeurait ainsi la voie la plus adaptée pour neutraliser ce fléau qu’était la barbarie, et protéger la civilisation. Ainsi, aux yeux des Romains, la captivité correspondait à un bienfait dans la mesure où, en apprivoisant le Barbare, elle lui offrait l’opportunité d’entrer dans le monde civilisé et de s’humaniser. En définitive, après avoir étudié la composition de la population captive à partir de critères tels que l’ancien statut social, le sexe et l’âge, différentes remarques peuvent se dégager. D’abord, tous les vaincus n’étaient pas systématiquement convertis en captifs. Le passage de la condition de vaincu à celle de captif requérait une opération de sélection qui écartait fréquemment une certaine catégorie de personnes (les personnes âgées et impotentes). À partir de la lecture du tableau général des sources littéraires et iconographiques se détache un modèle de prisonnier de guerre standard et très recherché : un captif sain, fécond, valide, jeune, fort et influent. D’ailleurs, c’est en fonction de ces valeurs descriptives que les captifs étaient répartis entre les travaux forcés, les amphithéâtres, le triomphe ou la vente. Cependant, la frange jugée influente ou dangereuse, à savoir les rois, les princes ou les chefs de révolte ainsi que leurs familles, n’était le plus souvent pas vendue. La détention de cette catégorie de prisonniers de guerre constituait un moyen plus ou moins efficient pour Rome de les garder sous son contrôle. Par cette stratégie, l’Urbs disposait d’un arsenal d’« otages » qu’elle brandissait et manipulait afin d’exercer une menace permanente sur tous ses ennemis potentiels en leur rappelant le sort dégradant et terrible qui les attendrait. Cette politique de dissuasion et d’intimidation, érigée sur la captivité des reliques de la résistance anti-romaine, témoin de la domination incontestable de Rome, poursuivait un ultime objectif : décourager ou étouffer toute tentative insurrectionnelle. Ensuite, la sélection des captifs bouleversait sensiblement le système servile déjà en place. Cette nouvelle élite étrangère, qui gardait encore le parfum frais de la liberté, injectée dans la masse des esclaves représentait un risque. Quelle était l’ampleur des conséquences de l’incorporation de cette élite provenant d’horizons divers ? L’introduction de ces nouveaux éléments, parfois subversifs, agissait sans aucun doute sur la mentalité servile et le système économique et social du monde romain2. Des exemples d’esclaves, anciens prisonniers de guerre, tels que le Syrien Eunous, le Cilicien Cléon ou le fameux Sur l’évolution du concept de « barbare » à Rome, cf. E. Demougeot, « L’image officielle du barbare d’Auguste à Dioclétien », Ktêma 9, p. 126. 2 Tite-Live fait jouer aux captifs carthaginois un rôle prépondérant dans la révolte des esclaves de Sétia en 198 av. J-C. Il rejette sur eux toute la responsabilité de la conjuration. Ils eurent l’idée d’établir le contact entre les otages et les esclaves carthaginois gardés à Sétia et ceux qui furent basés à Norba et Cercei afin de préparer un soulèvement, mais le complot fut découvert, XXXII, 26. 1
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Thrace Spartacus qui réussirent à soulever leurs congénères, à braver les armées consulaires en 136, 104 et 73 av. J-C afin de recouvrer les chemins de la liberté le suggèrent. Spartacus, d’origine noble, battit à plusieurs reprises les forces consulaires et parvint à tenir pendant trois années jusqu’à ce que le consul Marcus Licinius Crassus le défît et décimât son armée1. V. I. Kuzišcin relève, à juste titre, que : « this leakage of brains and strength from the provinces was one of the important causes of economic and cultural development in Rome and Italy in the 2nd and 1st centuries B.C. »2.
Il constate que : « the good organisation of these revolts, the skilful command at troops, the victories over Roman legions had testified that the captivi-slaves had remembered their former free life very well, had conserved their former capacities and could fight for freedom event after very difficult conditions of slave life »3.
Néanmoins, même si l’impact décisif de cette élite servile en Italie reste irréfutable, il ne peut ni gommer le rôle effectif des captifs plus modestes ni le rendre négligeable. En effet, en procédant au tri, les Romains choisissaient aussi, pour le triomphe, des captifs qui étaient remarquables seulement par leur stature et non pour leur ancienne origine sociale prestigieuse ; mieux, cette première catégorie avait plus de chance de rester en vie, à l’inverse des plus influents qui étaient exécutés ou parfois enfermés à vie. Enfin, les opérations de tri auxquelles étaient astreints les captifs faisaient une lourde ponction dans les pays ennemis. Si les plus jeunes, les plus forts et sains étaient pris aussi bien chez les femmes que chez les hommes, l’adversaire se trouvait confronté à un problème de renouvellement biologique de sa population et de reconstruction de son pays. En effet, lorsque le vainqueur prenait les composantes les plus utiles, les plus productives et laissait sur place les plus faibles (s’il ne les tuait pas) il cherchait, certes, à se protéger tout en tirant profit de sa victoire, mais il visait surtout à étioler la sève nourricière de la population adverse. Ainsi, par le contrôle de leur jeunesse, synonyme de vie, de fécondité et gage de pérennité, car par « son énergie vitale, la jeunesse défie le temps et la mort »4, Rome détenait le pouvoir de neutraliser ou de condamner à mort les peuples ennemis. 1 Appien, Les guerres civiles à Rome, I, 116-120 ; C. Salles, Spartacus et la révolte des gladiateurs, Bruxelles, éd. Complexes, 1990, pp. 72-73. 2 Transformations from servus through libertinus to civis Romanus : the social and religious adaptation (1 st cent. B.C. - 1st cent. A.D.), actes du XXe colloque du GIREA, 1993, p. 231. À la suite de la guerre contre Carthage en 146 av. J-C, 55 000 captifs furent injectés dans la masse servile, entre 102-101 av. J-C, 150 000 Germains, Y.-A. Dauge, Le Barbare…, p. 83 et p. 96. Et les révoltes serviles ne furent pas plus nombreuses qu’entre le IIe s. et le Ier av. J-C : insurrections serviles en 135-132 av. J-C en Sicile, 103-101 av. J-C en Campanie et en Sicile, Flor., II, 7 ; A. Piganiol, La conquête romaine, pp. 409-410. 3 Op. cit., p. 51. 4 La jeunesse occupe une place fondamentale dans la conception romaine de la vie politique, J.-P. Néraudau, La jeunesse…, p. 238.
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Si le français désigne par « captif » ou « prisonnier de guerre » la personne tombée aux mains de l’ennemi, le latin emploie aussi plusieurs vocables et syntagmes pour traduire la même réalité. Les modes de désignation ne renvoient pas uniquement à captivus, terme classique, ou captus mais aussi à leur nom propre, sexe, âge et ancien statut social. Ces formes d’appellation, parfois arbitraires, ne s’appliquent pas à l’ensemble des captifs mais plutôt à une frange bien spéciale, les captifs de marque, contrairement à captus ou captivus qui, en désignant les captifs en foule ou le captif illustre, les dépersonnalise fondamentalement. Le substantif captivitas ne fait, quant à lui, son apparition dans la littérature latine qu’assez tardivement, c’est-à-dire à partir d’Auguste. Le décalage entre la conceptualisation tardive et la réalité permanente de la captivité explique, en partie, l’amalgame fait entre captivus et servus qui sont deux conditions ou statuts différents mais intrinsèquement liés. En revanche, l’unité lexicale captivator, « celui qui prend », est absente de notre corpus. Elle commence à être utilisée seulement à partir de saint Augustin. Sa présence dans notre texte s’explique uniquement pour des raisons de commodité. Retenons que la langue latine privilégie surtout, dans sa manière de définir capere et par ricochet ses dérivés, le fait de se trouver sous le pouvoir d’une tierce personne. Cette interprétation ou choix se trouve parfois à l’origine d’amalgame entre les substantifs dediticius et captivus qui sont, en réalité, des dépendants. Ainsi, captus participe pleinement à la symbolique impériale de la victoire. La majorité écrasante des termes spécifiques dans les discours, atteste non seulement qu’ils sont les premiers termes qui se présentent à l’esprit des auteurs, mais surtout qu’aucun autre vocable n’embrasse aussi bien et simultanément toutes les facettes et manifestations de la captivité. Ils définissent, d’emblée, des rapports de domination et de dépendance entre « celui qui est pris » et « celui qui prend ». Soulignons également les nombreuses interférences terminologiques qui subsistent entre la captivité en période de guerres étrangères et dans les cadres divers de guerres civiles, de guerres serviles et de guerres des pirates. Toutefois, loin de signifier ou de justifier une légitimation de toutes ces formes de conflits, ces multiples analogies lexicales traduisent plutôt l’existence de réalités qui les connectent. L’exploitation du lexique permet de dévoiler les différentes facettes de la captivité. Cette dernière renferme une réalité multiple et diverse, parfois équivoque que les sources juridiques permettent d’appréhender et de préciser afin de circonscrire et de saisir le vocable captivus qui, en définitive, ne se réfère pas seulement à l’individu qui est « captus » mais aussi à celui qui est « traditus ». Relevons enfin que, d’emblée, les sources littéraires soulèvent la question des amalgames et des contradictions dans les emplois de certains termes comme dediticius et obses. Le jus postliminium permet de dissiper cette confusion. Le prisonnier de guerre n’était ni un dediticius ni un obses. Néanmoins, l’appartenance au même univers qu’est la dépendance conjuguée aux similitudes dans leurs traitements respectifs rapprochaient le captivus du dediticius d’où la 112
Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique
persévérance des amalgames. Au fond, le traitement dont faisait l’objet le prisonnier de guerre ne changea pas en fonction des modalités de la prise, mais plutôt en fonction de trois principales variables, à savoir le sexe, l’âge et l’ancien statut social qui, en déterminant l’utilité du captivus aux yeux du vainqueur, c’està-dire ses valeurs symbolique, marchande et d’usage, scellaient, en même temps, son sort.
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TRAITEMENT ET EXPLOITATION DES CAPTIFS
Le traitement du captif reste fondamentalement lié à la définition même de ce substantif, « celui qui est pris », qui prescrit et scelle sa condition : « il est l’esclave de l’ennemi ». Cette acception légitime toutes les formes de traitement infligées au prisonnier de guerre et justifie, en même temps, les comportements du vainqueur envers sa propriété. Le contenu du vocable établit d’emblée des rapports de domination entre le captivator et son captivus. S’il est communément admis par les modernes que le prisonnier de guerre de l’Antiquité est mal traité, il se pose quand même une question essentielle : en quoi consiste(nt) ce ou ces traitements ? Cette interrogation explique notre adoption d’une démarche descriptive sur la base des données que fournissent textes et images afin de sérier et d’exposer les différentes formes de traitement subies par les captifs tout en suivant leur évolution ou leurs mutations. Il s’avère que le régime des traitements des prisonniers de guerre n’était ni uniforme ni impartial. En effet, si certains bénéficiaient d’un traitement de faveur, d’autres, en revanche, subissaient des supplices inhumains. Pourtant, Tite-Live n’hésite pas à affirmer que les Romains ont le droit de proclamer avec orgueil qu’aucun peuple n’avait montré plus d’humanité dans le châtiment1. À sa suite, Tacite confirme cette clémence légendaire de Rome envers les vaincus lorsqu’il fait remarquer que « la cruauté est inhérente à des esprits barbares »2. Pourtant, l’analyse factuelle laisse apparaître que les Quirites disposaient d’un riche éventail de tortures qu’ils infligeaient à leurs captifs du IIIe s. av. J-C au IIe s. ap. J-C3. En introduisant cette deuxième partie par le tableau ci-après, notre intention est de poser les problèmes qui feront l’objet des chapitres qui suivent, à savoir les formes de traitement réservées aux captifs, précisément la libération, le massacre, le viol, les supplices, la vente, la figuration au triomphe et l’incarcération. Signalons, tout de même, que l’état des sources ne permet pas toujours de saisir tous les types de traitement, ni chaque étape jusqu’à la disparition ou la vente du captif pour les raisons suivantes : - la nature fragmentaire des données textuelles ; - les versions multiples et contradictoires qui rendent vaine toute tentative de les démêler et arbitraire tout choix ; - l’attitude des auteurs qui se désintéressent du sort du captif après la procession triomphale. Ces insuffisances expliquent l’intérêt réel que nous portons aux témoignages d’Appien et de Flavius Josèphe en particulier. Quels étaient les rapports entre les modalités d’entrée en captivité et le sort du captif ? Les Romains traitaient-ils leurs prisonniers de guerre en tenant I, 28, 11. Sénèque considère la torture comme une pratique barbare, Des Bienfaits, II, 5, 3. Agricola, XVI, 1. 3 Cf. tableau ci-dessous. 1 2
Mariama Gueye
compte de la dimension morale qui ressort des modalités d’entrée en captivité, notamment la régularité ou l’illégalité de la prise ? L’attitude romaine oscillait entre la clémence et la cruauté. Cette ambivalence incite à s’interroger sur les véritables facteurs qui déterminent réellement le sort de la population captive. Cette dernière était ainsi fractionnée en plusieurs groupes, chacun avec un destin particulier en fonction de critères sociaux, démographiques et anthropologiques. Le massacre, l’emprisonnement, la figuration au triomphe, la libération ou la vente, tout reposait sur un système de tri qui fixait, parfois, irrémédiablement le destin du captif.
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique Tableau 1. Formes de traitement des captifs de marque Noms de captifs
Condition sociale et fonction politique
Modalités d’entrée en captivité
Traitement et sort
Massiva Syphax
Prince de Maurétanie Roi de Numidie
Capturé (209 av. J-C) Capturé (203 av. J-C)
Libération Triomphe puis prison
Chiomara
Reine des Galates
Capturée (191 av. J-C)
Viol - Fuite ou rachat
Se sont rendus (168 av. J-C)
Triomphe puis prison
Se sont rendus (168 av. J-C)
Triomphe puis prison
Persée, Roi de Macédoine et sa - ses fils famille - sa fille Gentius, Roi d’Illyrie et sa famille - son épouse (Etléva) - son fils - son frère (Caravantios) Pseudo-Philippe
Prince de Macédoine ?
Livré par Bizas à Triomphe puis Mettellus (146 av. J-C) exécution
Aristonicos
Bâtard du roi Eumène de Pergame
S’est rendu (129 av. J-C)
Bituit, - son fils (Congonnetiacus)
Roi arverne et son enfant
Enlevé de manière Triomphe puis prison irrégulière par Cn. Domitius (120 av. J-C)
Jugurtha, - ses deux fils
Roi de Numidie et ses enfants
Livré par Bocchus à Sylla (104 av. J-C)
Teutobodus Ventidius Bassus - sa mère Aristobule, - ses deux filles - ses deux fils
Roi des Teutons Enfant du Picenum
Capturé (102 av. J-C) Capturé (89 av. J-C)
Prince de Judée et ses enfants
Capturés (62 av. J-C)
Tigrane
Prince. Fils de Tigrane, roi d’Arménie
Capturé (62 av. J-C)
Triomphe puis exécution
Vercingétorix
Roi des Arvernes
Arsinoé IV
Princesse d’Égypte
S’est rendu (52 av. J-C) Capturée (46 av. J-C)
Triomphe puis exécution Triomphe puis prison
Juba
Prince de Maurétanie
Capturé (46 av. J-C)
Triomphe puis libération
Artavasdés - sa femme - ses enfants
Roi d’Arménie et sa famille
Enlevé de manière irrégulière par Antoine (34 av. J-C)
Triomphe d’Antoine à Alexandrie puis exécution.
Cléopâtre
Reine d’Égypte
Capturée (30 av. J-C)
Suicide
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Triomphe puis strangulation
Triomphe puis exécution Incarcération d’Oxyntas à Venouse Triomphe Triomphe puis libération Triomphe Fuite puis libération
Mariama Gueye Noms de captifs Pinnétès
Condition sociale et fonction politique Prince pannonien
Modalités d’entrée en captivité Livré par Baton (9 ap. J-C)
Traitement et sort Triomphe de Tibère
Thusnelda (en état de Femme et enfant grossesse ) d’Arminius
Capturée (15 ap. J-C)
Prison à Ravenne
La femme et la fille Famille princière d’Arpus (chef chatte)
Capturées (16 ap. J-C)
?
Fils et Frère de Tacfarinas Mithridate
Princes numides
Capturés (24 ap. J-C)
?
Roi du Bosphore
Livré par Eunonès à Claude (49 ap. J-C)
Libération
Caratacus, - son épouse - sa fille
Chef silure et sa famille
Livrés à Claude par Cartimandua (50 ap. J-C)
Triomphe puis libération
Flavius Josèphe
Chef de la révolte juive de Jotapata
S’est rendu (66-69 ap. J-C)
Libération
Maricc
Plébéien gaulois
Capturé (68 ap. J-C)
Livraison aux bêtes
Civilis
Chef batave
Capturé (69 ap. J-C)
Libération
Valentinius
Chef de révolte trévire
Capturé (69 ap. J-C)
Exécution
Simon Bar Gioras
Chef de la révolte juive
S’est rendu (70 ap. J-C)
Triomphe puis exécution
Jean de Gishala
Chef de la révolte juive
S’est rendu (70 ap. J-C)
Triomphe puis prison
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Chapitre IV
LA CAPTIVITÉ D’UNE LOCALITÉ : SIGNIFICATIONS ET SYSTÈME RÉFÉRENTIEL Ni l’étude détaillée des villes vaincues et prises, ni les traitements infligés à leurs populations respectives n’intéressent spécialement les auteurs du corpus. Nous nous proposons de rassembler l’ensemble des données fragmentaires qu’ils fournissent, indications complétées par les apports d’Appien et de Flavius Josèphe. Ce dernier, en particulier, relate non seulement l’occupation successive des différentes villes de Galilée et de Judée par l’armée romaine, mais aussi les traitements subis par les habitants entre 67 et 72 ap. J-C. Les sources sont d’abord regroupées et présentées en fonction de leur contenu afin de mettre en évidence l’état de la documentation et surtout la qualité ainsi que la distribution des informations qu’elle renferme. L’examen des données textuelles permet après de définir l’expression urbs capta. Il s’agit de cerner les acceptions auxquelles renvoie ce syntagme en posant le problème des enjeux de la prise d’une grande ville, aussi bien pour le vaincu, qui perdait sa liberté, que pour le vainqueur qui étendait son domaine foncier et renforçait ainsi sa puissance. L’exploitation des sources offre ainsi la possibilité d’étudier le système référentiel auquel peut renvoyer la locution urbs capta. Ensuite, à partir du décryptage des inscriptions et de l’examen des représentations sur les monnaies, sera abordée la signification de la prise d’un pays ou d’une localité traduite souvent par l’emploi de captus. Cette approche permet de mieux saisir les raisons qui sous-tendent les motivations des auteurs lorsqu’ils se contentent d’égrener un chapelet de noms de villes ou de localités prises ou bien un seul nom. Une fois ces problèmes soulevés, posés et en passe d’être résolus, nous aborderons dans le chapitre suivant les types de traitement subis par les populations des villes capturées. La capture d’une grande ville ou d’une région marque dans les textes et représentations iconographiques un moment crucial dans la trame historique du peuple soumis et du pays victorieux. C’est la raison pour laquelle, même si les informations livrées par Velleius Paterculus, Valère Maxime ou Florus sont globalement très sèches, elles renferment néanmoins une dimension significative. La prise d’une ville par l’ennemi correspond à un événement d’une ampleur variable en fonction de la place et du rôle de la ville en question par rapport à l’ensemble de la région. Il s’agit d’un fait historique qui annonce, sans aucun doute, l’occupation d’une partie du territoire par l’adversaire. Cette phase représente, par conséquent, les premiers pas (parfois décisifs) vers la conquête du reste du pays en question, augurant d’un avenir douloureux et précaire aux populations vaincues.
Mariama Gueye
I. Urbs capta : acceptions et réalités Dans la répartition des informations fournies par les sources du corpus, à propos des villes prises par Rome, trois observations s’imposent1 : 1. Ni Martial, ni Juvénal, encore moins Pline le Jeune, ne livrent d’informations sur le sujet. 2. Quant à Velleius Paterculus et Valère Maxime, s’ils égrènent de nombreux noms de villes ou régions occupées ou enlevées par Rome depuis la Royauté jusqu’à la République, en revanche, ils gardent le silence sur le sort de leurs populations, combattantes comme non-combattantes. 3. De leur côté, Tacite, Florus et Aulu-Gelle fournissent quelques renseignements sur le comportement des vainqueurs vis-à-vis des populations défaites. Quant à Suétone, il relate la prise de Pérouse par les troupes d’Octave au moment du conflit civil de 41 av. J-C. Nous disposons, en réalité, d’événements qui s’étalent sur une longue période du IVe s. av. J-C au Ier s. ap. J-C. Mais leur nature, à la fois fragmentaire et très succincte, rend difficile une étude évolutive. Les informations sont incomplètes, car lorsque les auteurs évoquent la prise d’une cité ils ne la mettent pas en corrélation avec les populations. Par exemple quand Tacite relate brièvement la capture de Ninive par Cassius et ses troupes, qui avaient fait leur jonction avec l’armée de Carènes en 49 ap. J-C, à aucun moment il n’est question de ses habitants. En effet, il indique furtivement qu’« ils prirent au passage la ville de Ninos, la très ancienne capitale de l’Assyrie »2. Quant à Florus, il mentionne, sommairement, que : « après avoir, en effet, poursuivi à l’Ouest les Arméniens et pris Artaxate, la capitale même de la nation, (Gnaeus Magnus) invita Tigrane, qui venait le lui demander en suppliant, à régner »3.
Ces passages donnent ainsi l’impression que les habitants constituent un élément subsidiaire dans la géopolitique et accessoire dans l’occupation de la cité.
Sur la distribution des références textuelles, cf. tableau ci-après. Annales, XII, 13, 2. 3 Florus, I, 40, 27. 1 2
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique Tableau 2. Villes prises Auteurs
Velleius Valère Villes Paterculus Maxime
Albintimilium Artaxate VII, 9, 9
Camerinum
VI, 5, 1c I, 7
V, 2, 1b I, 22, 40
VII, 8
I, 13 IV, 3, 4 Hist., III, 34 Titus, V
Ninus
I, 40, 30
Ann., XII, 13
Numance
II, 7, 1 VII, 6, 2
I, 34, 16
Pérouse
Aug., XV
Plaisance
IV, 7, 4
Pométia
Hist., III, 72 I, 14
Syracuse Troie
AuluGelle
I, 40, 27
II, 10, 4 IV, 3, 1
Corioles Crémone Jérusalem
Rome
Florus
I, 40, 10 I, 1, 1
Carthagène Corinthe
Suétone
Hist., II, 13 Ann., XIII, 41
Asculum Athènes Caenina (Véies) Capoue
Tacite
I, 1, 10 IV, 1, 2
Hist., I, 50 I, 82 ; III, 84 IV, 54.
I, 6, 9 IV, 1, 7 I, 2
Tigranocerte
Ann., XIV, 23
Uspé
Ann., XII, 16
Source : corpus
Nous entendons par l’expression ville prise, que le latin désigne par urbs capta1, toute ville prise de force ou d’assaut (expugnatio) par l’ennemi et qui ne s’est pas rendue par deditio2. La ville capta se distingue principalement de la ville dedita par la manière dont l’ennemi en prenait possession. Le recours à la force contre une cité était entraîné en général par la résistance opiniâtre Vel. Pater., I, 7 ; I, 13 ; Val. Max., I, 1, 10 ; I, 6 , 9 ; II, 10, 4 ; II, 7, 1 ; IV, 1, 2 ; IV, 1, 7 ; IV, 3, 4 ; V, 2, 1b ; VI, 5, 1c ; VI, 9, 9 ; VII, 6, 2 ; Tac., Hist., II, 13 ; III, 34, 3 ; III, 72, 4 ; Flor., I, 24, 40 ; I, 34, 16 ; II, 33, 50 ; Gell., I, 1, 1 ; VII, 8, 3 ; Amm. Marc., XIX, 9, 1 ; XX, 6, 7. 2 Sur la deditio cf. supra pp. 61-65. 1
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Mariama Gueye
qu’opposaient les habitants assiégés ou envahis par l’ennemi. C’est le cas de figure que préféraient, le plus souvent, les soldats en raison du butin1, car « on ne devait piller que les villes prises d’assaut et non celles qui se soumettaient volontairement »2. Les stratégies utilisées étaient en général le siège, l’assaut ou la surprise3. L’adoption de l’une d’elles reste étroitement liée au relief4, à la position géographique de la ville attaquée5. À l’image du captif, une ville prise est, par définition, un territoire, des biens meubles et immeubles, qui se trouvent au pouvoir de l’ennemi victorieux. Il faut entendre par cette acception, la ville ainsi que tout ce qu’elle contient : d’un côté les biens transférables, à savoir les hommes, le bétail, les provisions en réserve, les statues, les tableaux et chefs-d’œuvre6 telles « les coupes ouvrées par des artistes d’élite »7 et de l’autre les biens non transportables, c’est-à-dire les édifices, les bâtiments et le sol… Nous savons que la ville, centre nerveux de la cité, correspond à un réservoir de forces, car c’est le lieu où se rassemblent les hommes, où sont abrités les institutions juridiques, politiques et économiques, les édifices, les stocks divers ainsi que le pouvoir central8. En fait, la ville joue « un rôle hégémonique par rapport à son territoire »9. Cependant, il convient de distinguer les différents types de ville, en fonction de leurs poids et J. Harmand, L’armée et le soldat de 107 à 50 avant notre ère, Paris, éd. A. J. Picard, 1967, pp. 283-284 ; Cl. Nicolet, Le métier de citoyen…, p. 166. 2 « Dicendo captas, non deditas diripi urbes », Tite-Live, XXXVII, 32, 12. 3 Rome fut envahie par les Gaulois Sénons par surprise. Pendant que l’armée du consul Fabius se dirigeait vers Clusium, assiégée par les Gaulois, ces derniers s’en détournèrent et prirent la direction de Rome, ouverte et désarmée. 4 Florus souligne la situation défavorable de Numance face aux troupes romaines en 143 av. J-C : une ville « sans rempart, sans tours, située prés d’un fleuve sur une hauteur peu élevée », II, 33, 49. 5 Flavius Josèphe a fortement mis l’accent sur ce facteur dans l’occupation d’une ville. C’est en partie la raison pour laquelle il s’arrête souvent sur la géographie des villes de Judée. En effet, elle pesa considérablement dans leur histoire et permit à ses populations d’opposer une résistance féroce aux troupes romaines. Leurs tours et fortifications les rendirent presque imprenables ce qui explique les guerres d’usure que Rome mena dans ces contrées. Si à Jérusalem le premier rempart tomba entre les mains romaines en mai 70, la ville ne fut prise que le 28 septembre, VI, 8-9. 6 À la suite de la prise de Corinthe en 146 av. J-C, Mummius fit transporter en Italie les chefs-d’œuvre des plus grands artistes, Vel. Pater., I, 13 ; T.-L., Per., LII. L’Antiquité fut fortement marquée par la fameuse légende de l’aes Corinthium. Les auteurs anciens sont, d’une manière générale, émerveillés par le spectacle de la fonte de l’or et du bronze au moment où la ville était la proie des flammes. Après la prise de Syracuse également le consul Marcellus emporta un grand nombre d’œuvres artistiques pour orner le temple élevé en l’honneur de Virtus et de Honos, T.-L., XXV, 28, 3. 7 Juvénal, XI, 100-105. 8 Sur les fonctions de la cité antique ainsi que son organisation lire Cl. Nicolet et D. Nony, « La cité et le citoyen dans l’Antiquité », Le point sur. La documentation française, Paris, 1998, pp. 1-16. 9 M. Clavel et P. Lévêque, Villes et structures urbaines dans l’Occident romain, Paris, A. Colin, 1971, p. 53. 1
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique
rôle (politiques, administratifs, économiques, intellectuels ou religieux) dans la structuration et le fonctionnement de l’ensemble du territoire. La prise d’une ville entraîne ipso facto la perte des libertés individuelles, remises en cause par le stationnement des troupes ennemies, la captivité ou la déportation de ses habitants ainsi que la réduction du territoire en province. Par conséquent, la capture d’une ville reste une phase décisive dans le déroulement d’un conflit. En effet, elle met en péril la survie de la ville, voire même celle du pouvoir central si la localité en question est le principal centre économique, car « la vraie importance d’une cité vient de son rôle économique qui est avant tout commercial »1. C’est pourquoi la défaite sur le champ de bataille et la capture de soldats s’avèrent moins lourde de conséquences que la prise d’une ville qui menace même « son avenir de cellule humaine »2 si les populations sont exterminées ou vendues. Elle écarte en effet, les chances d’un repli ou d’un renforcement des troupes. Elle rend même aléatoire toute reprise de la guerre. La capture de soldats sur le champ de bataille, aussi importante soit-elle, reste un désastre moins paralysant que la prise effective d’une ville dans la poursuite des hostilités. Même si les troupes, au champ de bataille, sont entièrement anéanties elles peuvent être reconstituées à partir de la ville, cet immense réservoir de forces humaines et matérielles. En 216 av. J-C, à l’issue de la bataille de Cannes, l’armée romaine enregistra 50 000 morts et 22 000 prisonniers de guerre3. Aussi catastrophique qu’elle se révélât, cette rencontre n’empêcha pas l’Urbs de remettre sur pied une nouvelle armée, constituée certes en partie de 8 000 esclaves, pour reprendre et remporter la guerre contre Carthage4. Dans tous les cas, la prise d’une ville provoquait inéluctablement un transfert de pouvoir5 : d’autonome (si elle l’était avant son invasion) elle devenait le monopole et la propriété légitime du vainqueur conformément à « une loi universelle et éternelle qui veut que dans une ville prise par des ennemis en état de guerre tout, et les personnes et les biens appartiennent aux vainqueurs »6.
Flavius Josèphe décrit avec beaucoup d’émotion la prise de Jérusalem, en septembre 63 av. J-C, par Pompée. Le général romain pénétra ainsi avec sa suite
Id., ibid., p. 48. P. Ducrey, Le traitement des prisonniers de guerre..., p. 108. 3 App., Ann., 25, 108. 4 Cependant, Tite-Live donne un chiffre différent de celui d’Appien quant au nombre de morts : 45 000 Romains furent tués, LVII, 12. 5 Ce transfert de pouvoir est comparable à celui qui se produisait lorsque le grand pontife retirait la jeune vestale à son père, supra pp. 27-30. 6 Xénophon, Cyropédie, texte établi et traduit par M. Bizos, Paris, Les Belles Lettres, 1972, VII, 5, 73. 1 2
125
Mariama Gueye
dans le temple de Jérusalem, lieu saint, jusqu’ici interdit aux regards1. Florus le confirme quand il indique que Pompée, non content de fouler la terre de Jérusalem, vit à découvert le grand secret de « cette nation impie », « le ciel sur une vigne d’or »2. Mais le droit de conquête accordait à l’imperator l’autorisation légale d’entrer dans le temple bien que l’acte fût considéré par la communauté juive comme une violation de sa religion. Pourtant, Pompée n’en abusa pas, il laissa intacte l’enceinte sacrée et ordonna même sa purification. Cette même prérogative, qui ne subit au cours de la période abordée aucune mutation, légitimait tous les actes des vainqueurs qui, à partir de ce moment, pouvaient traiter suivant leur bon vouloir les territoires défaits ainsi que leurs populations. Après avoir étudié en substance la locution urbs capta, le contenu de nos sources nous invite à aborder le système référentiel auquel une ville prise peut renvoyer. II. La captivité d’une ville dans le discours littéraire L’énumération de noms de villes prises renvoie à un système de références dont le sens varie suivant qu’il s’agit d’une ou de plusieurs. De fait, la prise d’une ville rivale est la résultante d’une confrontation et la reconnaissance de la supériorité d’un des belligérants. Le déroulement d’une série de noms de villes vaincues et occupées sert à retracer l’histoire de la conquête romaine et, par conséquent, à mesurer tout le chemin parcouru par l’armée et le peuple de cette petite bourgade du Latium, devenue première puissance de son époque3. Cette montée fulgurante de la cité de Romulus se fit à coup de conquêtes de villes rivales comme le relève Florus lorsqu’il célèbre les victoires romaines sous le règne de Tarquin le Superbe, « de solides places fortes furent prises dans le Latium, Ardée, Ocricolum, Gabies, Suessa Pometia »4 clame-t-il. Plus loin, il mentionne furtivement que la prise de Carthagène et d’autres villes (sans aucune précision) signèrent la victoire de Scipion contre les Carthaginois en Espagne, il réussit ainsi à les chasser et à rendre la cité tributaire5. La liste des noms des villes prises se révèle d’autant plus éloquente qu’elle livre des renseignements sur trois points principaux, à savoir : - la succession et l’intensité des phases de pénétration et de conquête du territoire ennemi ; - l’étendue et l’impact de la victoire ; 1 C’est ainsi que Pompée et sa suite, une fois dans le temple où seul le grand-prêtre avait accès, purent voir le mobilier intérieur : « le lampadaire avec ses lampes, la table, les vases à libation, les encensoirs, tous les objets en or massif », La guerre des Juifs, I, 152. 2 Flor., I, 40, 30. Tacite mentionne seulement que « le temple était vide », Hist., V, 9. Mais, même s’il consacre une partie du livre V des Histoires (du chapitre I au chapitre XIII) à la Judée, il ne pose pas les problèmes relatifs à la prise de ses villes. 3 Voir Tableau 2 p. 123. 4 I, 1, 7. C’est dans ce même ordre d’idées qu’il convient de placer l’énumération des villes occupées par Aristonicos pendant la guerre qui l’opposa à Crassus : Myndos, Samos, Colophon, Flor., I, 35, 4. 5 Flor., I, 33, 7.
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique
- et les efforts déployés par le vainqueur pour parvenir à ses fins. Ces différents facteurs donnent tout son sens à la matérialisation des villes conquises sous forme de tableaux pendant la procession triomphale. Au même titre que les captifs ou leur image, le spectacle des villes capturées célèbre la victoire romaine. Après son triomphe sur la Bretagne en 44 ap. J-C, Claude fit représenter d’après nature la prise et le pillage d’une ville (qui doit être certainement Camulodunum, la capitale des Trinovantes, qui abrite son temple) au champ de Mars ainsi que la soumission des rois de Bretagne1. En revanche lorsqu’il s’agit d’une ville, non d’une série de villes, le code référentiel se fonde moins sur l’intensité de la conquête que sur la fonction, l’importance et le rôle de la ville en question par rapport au pays. La prise d’une ville importante consolide et rend effective la conquête puisqu’elle signifie l’occupation du centre nerveux du territoire par l’ennemi. La fonction de la ville se révèle d’autant plus déterminante que les textes ne manquent pas de la souligner lorsqu’il s’agit de la capitale. Florus précise qu’Artaxate en 58 ap. J-C, envahie par les forces romaines, est « la capitale même de la nation » arménienne2. C’est dans cette perspective que Tacite signale l’ancienne fonction de Ninive en précisant que les troupes de Cassius « prirent en passant Ninive, antique capitale de l’Assyrie, et une forteresse célèbre par la dernière bataille que se livrèrent Darius et Alexandre et où avait succombé la puissance des Perses »3.
Ici, la capitale symbolise l’ensemble du territoire : Artaxate et Ninive, en fait, n’en constituent qu’une partie, mais compte tenu de leur fonction primordiale, elles restent les plus significatives et les plus représentatives. La position stratégique et fondamentale de la capitale est mise en évidence par l’attitude même des auteurs qui, par synecdoque, ont plutôt tendance à l’assimiler à l’ensemble du territoire s’ils ne considèrent pas sa capture comme présage d’une victoire complète sur l’adversaire. Valère Maxime et Florus soutiennent que l’occupation de Carthagène annonçait déjà celle de l’Afrique par Scipion4. En outre, dans leur représentation symbolique de l’Afrique, ils assimilent la province à une ville, au même titre que Numance ou Corioles5, et l’identifient à la ville de Carthage6. 1 Il s’agit de l’actuel Colchester. Suétone ne précise pas le nom, Claude, XXI. Un siècle avant, Jules César avait fait matérialiser sur des tableaux le Rhin et le Rhône pour célébrer ses victoires sur les peuples de la Gaule, Flor. II, 13, 88 ; Juv., II, 160. 2 Flor., I, 40, 27. On peut citer Corioles, capitale des Volsques, Val. Max., IV, 3, 4. 3 Tac., Ann., XII, 13. Pour Dion Cassius, la prise de la capital Camulodunum fut le couronnement de la victoire de Claude sur les Bretons, LX, 21, 4. 4 Valère Maxime, IV, 3, 1 ; Florus, I, 22, 39. 5 Florus compare la capture de Corioles à celle de Carthage, symbolisée par l’Afrique, en affirmant que, « Corioles aussi on hésite à le dire ! Ce fut une si grande gloire de l’avoir vaincue qu’on vit Gnaeus Marcius Coriolan, qui l’avait prise, ajouter à son nom celui de cette ville, comme si c’était Numance ou l’Afrique », I, 5, 9. 6 Valère Maxime, II, 10, 4 ; Florus, I, 22, 8.
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Mariama Gueye
La prise d’une ville-capitale, par sa perception dans les textes - une image fondée sur son envergure, son rôle ainsi que les enjeux qu’elle suscite est souvent considérée et utilisée comme un traceur chronologique. Le moment de la capture sert de référent à Velleius Paterculus pour situer, précisément, certains événements dans le temps en les connectant à d’autres1. La prise de Troie lui permet, ainsi, de marquer le début du règne des Héraclides sur le Péloponnèse. À l’en croire : « c’est alors qu’environ quatre-vingts ans après la prise de Troie et cent vingt ans après l’ascension d’Hercule vers les dieux, les descendants de Pélops, qui après avoir expulsé les Héraclides […] furent chassés par les descendants d’Hercule ».
Il se sert du même procédé pour donner des indications sur les dates auxquelles ont été fondées la ville de Capoue et certaines colonies romaines. En effet, dans un de ses raisonnements, il écrit : « Caton dit que Capoue fut fondée par ces mêmes Étrusques, ensuite Nole, et que Capoue a subsisté, avant sa prise par les Romains, pendant environ deux cent soixante ans », « s’il en est ainsi, la prise de Capoue ayant eu lieu il y a deux cent quarante ans » il en déduit alors que « cela fait environ cinq cents ans qu’elle a été fondée »2.
C’est dans cette perspective qu’il convient de situer la narration de l’occupation de Rome par les Gaulois Sénons, un événement historique qui marqua profondément les esprits des Romains et bouleversa leur mémoire collective3. « Les enjolivements et les édulcorations » rendent encore plus sensible l’impact de cet épisode malheureux dans la mémoire collective des Romains4. Cet épisode a été relaté par Velleius Paterculus, Valère Maxime et Florus non comme une zone d’ombre, un moment de honte dans la trame de l’histoire de l’Urbs, à l’instar des autres cités occupées et prises, mais juste comme un coup du sort, un châtiment infligé par les dieux jaloux, afin de freiner « cette course si rapide de l’empire ». Ce fait historique permet, au contraire, de mettre en valeur la montée fulgurante de la puissance romaine que l’occupation gauloise n’est pas parvenue à briser. Ainsi, Velleius Paterculus relie subtilement la prise de Rome à la fondation de colonies décidée par le sénat
L’utilisation de la prise des villes comme traceur chronologique est mise en évidence par les emplois de ante et de post, supra p. 30. 2 « Stetisse autem Capuam, antequam a Romanis caperetur, annis circiter CCLX. Quod si ita est, cum sint a Capua capta anni CCXL, ut condita est, anni sunt fere D », I, 7. 3 L’occupation de Rome par les bandes de Brennus marqua particulièrement les historiens et poètes latins (Tac., Hist., I, 50 ; I, 82 ; III, 84, 7 ; T.-L., V, 37, 7 ; V, 46, 7 ; Lucain, V, 28) et grecs (Virgile, Énéide, VIII, 656-8). Mais toutes les sources ne s’accordent pas sur la chronologie : 390 av. J-C pour les Latins et 387 av. J-C pour les Grecs. 4 D. Briquel, Le regard des autres. Les origines de Rome vues par ses ennemis (début du IVe s. /début 1er s. av. J-C), Paris, Les Belles Lettres, 1997, p. 12. Cette grande terreur ressentie par les contemporains était restée tapie dans la mémoire collective même à l’époque de Plutarque qui atteste que le territoire gaulois inspirait la frayeur aux Romains à cause des événements de 390 av. J-C, Marcellus, III, 3-4. 1
128
Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique
sans pour autant préciser leurs noms1. Quant à Florus, il met plutôt l’accent sur la valeur romaine symbolisée par le courage et le flegme de ces sénateurs revêtus de leurs trabées, si majestueux dans leur chaise curule que les envahisseurs les prirent pour des dieux avant de les massacrer. Cependant, il note que cette défaite était la plus honteuse que l’Urbs eût essuyée2. Valère Maxime, de son côté, en profite pour rendre hommage à l’acte courageux du flamine de Quirinus et des Vestales qui, au moment fatidique de la pénétration des Gaulois dans l’enceinte, se préoccupèrent de sauver les objets de culte symboliques. Un acte pieux renforcé par l’attitude de Lucius Albinius qui fit descendre de son chariot sa femme et ses enfants afin d’y installer les Vestales et les objets de culte pour les conduire au bourg de Céré3. Cette narration est comparable à celle de Flavius Josèphe, à plus de trois cents années d’intervalle, au moment de l’occupation de Jérusalem par Pompée en 63 av. J-C. Les ministres du culte continuaient à célébrer les rites et les sacrifices quotidiens sous une « grêle de projectiles » au moment de la prise du Temple, alors qu’ils étaient massacrés autour de l’autel4, dit-il. Cette ferveur religieuse ne manqua pas de susciter l’admiration de Pompée face à leur courage et à leur détermination. D’une manière générale, dans tous ces textes cités, l’épisode de la prise de l’Urbs par les Gaulois sert de prétexte pour rehausser la puissance romaine et glorifier ainsi son histoire. En réalité, si Rome s’en était bien sortie c’est parce que les Gaulois préférèrent vendre leur départ plutôt que de laisser derrière eux une ville détruite5. En somme, la prise et l’anéantissement d’une ville appartiennent aux faits mémorables : un acte de bravoure exceptionnel. Elles offraient aux imperatores l’occasion de rehausser leur gloire en adjoignant à leur propre nom celui de la ville vaincue6. Certes, cette initiative rendait hommage au courage du général victorieux pourtant, en rappelant la prise de la ville ou parfois sa destruction, elle célébrait concomitamment la victoire sur l’adversaire. L’occupation et la destruction de cités ennemies ou rivales valurent à certains généraux une renommée formidable. Valère Maxime ne clame-t-il pas que : I, 14. L’historiographie latine récupère l’épisode de l’occupation de Rome pour affirmer la qualité et la supériorité morales des Romains sur les Gaulois qui, en s’attaquant aux dieux et à leurs temples, confirment leur impiété. 3 I, 1, 10. Florus a relaté l’épisode des vestales et du flamine de Quirinus qui, au moment de la prise de Rome, étaient surtout préoccupés de mettre à l’abri les objets sacrés. Cependant, il ne fait pas du tout allusion au comportement de Lucius Albinius, d’ailleurs, il ne mentionne même pas son nom. 4 I, 148. 5 T.-L., V, 10-12 ; Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, texte établi et traduit par V. Fromentin, 1998, XIII, 9 ; D. Briquel, « Le tournant du IVe siècle : la tradition », in Histoire romaine. Des Origines à Auguste (t. I), sous la direction de F. Hinard, Paris, Fayard, 2000, pp. 224-226. 6 À partir de l’époque impériale, le titre d’imperator était uniquement réservé à l’empereur qui était chef suprême des armées. 1 2
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Mariama Gueye « Cnéius Marcius, jeune homme appartenant à une famille patricienne et descendant illustre du roi Ancus, doit à la prise de Corioles, place des Volsques, d’avoir gagné le surnom qu’il porte »1 ?
Le plus célèbre reste Scipion qui parvint à décrocher deux surnoms fameux, l’« Africain » et le « Numantin ». Le premier, il le dut à l’écrasement de Carthage, l’ennemi héréditaire de Rome et le second à sa victoire sur « l’inexpugnable cité espagnole » en 133 av. J-C. Après sa prise, Numance fut détruite sur l’initiative de Scipion. Soulignons, quand même, que l’impact de cette victoire ne dépendit pas uniquement de l’importance de la cité hispanique, qui était une petite bourgade peu peuplée, mais bien précisément de la résistance opiniâtre qu’opposa sa population aux troupes romaines en dépit d’un rapport de forces inégal2. Toutefois, le titre d’« Africain » ne recoupe pas les mêmes réalités que celui de « Numantin », car au lieu d’une ville, il s’agit plutôt de la province romaine. Cependant, les auteurs utilisent une synecdoque, en prenant la partie pour le tout, afin de mettre davantage en valeur la victoire sur Carthage et aussi la titulature triomphale. Ce procédé stylistique se rencontre aussi bien chez Valère Maxime que chez Florus. Le premier mentionne que la réduction de la ville de Carthage valut à Scipion « le nom d’Africain, saluant d’abord sa prise, puis sa destruction »3. Quant au second, à la suite de la prise de Carthage, il parle de la « captivité de l’Afrique ». De même, lorsqu’Appien mentionne « Africain », il se réfère à Carthage. En effet, il atteste que : « les Romains tirent du sort malheureux que Scipion infligea à ces deux villes (Carthage et Numance) les noms d’“Africain” et de “Numantin” ».
Appien a parfaitement compris et décrypté le fonctionnement de la mentalité romaine lorsqu’il constate que « les grandes catastrophes répandent au loin la gloire du vainqueur »4. La capture et l’écrasement des cités rivales de Rome glorifiaient, certes, ses généraux mais elles mettaient également en garde ses ennemis potentiels en agitant l’étendard de la toute puissance de l’Urbs et de son armée. En 363 ap. J-C, le césar Julien, exploite ce message dans sa harangue de Cercusium pour stimuler le moral de ses troupes en leur rappelant que leurs « ancêtres ont sacrifié plusieurs générations, pour supprimer radicalement des obstacles gênants. Il a fallu une longue guerre compliquée pour venir à bout de Carthage, et un général glorieux n’en IV, 3, 4 ; Florus, I, 5, 9 ; Tite-Live, II, 21. En Espagne, l’armée romaine usa du siège et de l’assaut pour réduire la résistance opiniâtre des Cantabres et des Asturiens. Elle attaqua de vive force la place d’Aracelium et la prit. Numance tint tête aux forces romaines pendant onze années et endura un long siège : Scipion utilisa une tactique militaire imparable en affamant les résistants et réussit là où ses devanciers, Quintus Pompeius et Caius Hostilius Mancinus avaient échoué, Florus, II, 33, 49. 3 « Orientis enim illud iuuentae decus deorum atque hominum indulgentia ad excidium eius alebatur, ut superius cognomen Africanum capta, posterius euersa Corneliae genti daret », II, 10, 4. 4 Ibérique, 98, 426. 1 2
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique craignit pas qu’elle ne survécût à sa victoire. Scipion ruina Numance de fond en comble, au terme d’un long siège aux multiples dangers. Pour empêcher la croissance de Fidènes de porter ombrage à son propre empire, Rome la rasa. Elle écrasa aussi de la même manière Faléries et Véies »1.
En définitive, la dévastation de grandes villes conférait la gloire à Rome et à ses généraux2. Florus surnomme Scipion « l’homme qui avait détruit Carthage ». Même si ces faits d’armes sont plutôt valorisés comme exploits individuels, « tendance très romaine de l’histoire » qui, en partie, s’explique par la structure de la société aristocratique « recherchant avant tout les honneurs »3, il n’en demeure pas moins que leur prestige retombe sur l’empire et le populus puisque ces généraux ne sont, en dernière instance, que ses représentants et agents d’exécution. La postérité retient toujours les noms des vainqueurs mais n’oublie jamais de préciser « nos Ancêtres »4. Velleius Paterculus, Valère Maxime et Florus ne fournissent pas une liste de villes envahies, rasées ou incendiées, uniquement pour laisser aux générations futures un témoignage sur le comportement des troupes romaines victorieuses une fois en possession d’une cité ennemie. Cette approche leur donne aussi l’opportunité d’évoquer, selon le titre même de l’œuvre de Valère Maxime, les Faits et dits mémorables de cet illustre populus Romanus, et de retracer ainsi les différentes étapes de son ascension. Grâce à sa fortuna légendaire et sa force impérieuse défendue par une armée puissante, l’Urbs réussit à absorber ou à anéantir toutes ces cités rivales qui représentaient plus ou moins des obstacles à son rayonnement et à bâtir par la même occasion un vaste empire. Le système référentiel de la prise des villes dans les textes rejoint et renforce le sens des pays vaincus figurant aux revers des monnaies. III. La captivité d’une région dans le discours monétaire À partir d’Auguste5, apparaissent des monnaies mentionnant clairement la conquête d’une région donnée avec l’emploi de captus qui suit le nom du pays Ammien Marcellin, XXIII, 5, 20. « Si on laissait [une ville prise] intacte et sans garnison, il n’aurait servi à rien et n’aurait donné aucune gloire de l’avoir prise », Tacite, Annales, XIII, 41, 2. 3 J. Hellegouarc’h, dans son introduction à l’Histoire romaine, p. 41. 4 Juvénal, X, 140-145 ; Martial, V, 10. 5 Auparavant, la conquête des pays ennemis était symbolisée généralement par des captifs ou des armes ennemies au pied de trophées sur les revers des monnaies avec l’inscription du nom du vainqueur. Au revers du denier de Paullus Aemilius (émis en 168 av. J-C et portant la légende PAVLLVS TER. [pour rappeler les trois triomphes du Romain]) la conquête de la Macédoine est matérialisée par une représentation d’un trophée gigantesque et par l’image du général romain écrasant de toute sa stature impressionnante Persée et ses enfants, cf. Monnaie I (Annexe II). Sur les monnaies césariennes émises en 49-47 av. J-C, à la suite de ses victoires sur les Gaules on lit l’inscription CAESAR. Au revers de la Monnaie III sont représentées des armes gauloises : un carnyx, un bouclier hexagonal, une hache au pied d’un trophée. Quant à la Monnaie IV, elle expose un captif à moitié nu avec des cheveux hirsutes assis au pied d’un trophée et chargé d’un bouclier et d’un carnyx. Sur les Monnaies VI et VII deux captifs se trouvent au pied du trophée (cf. Annexe II). 1 2
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soumis. Captus traduit non seulement la défaite de l’ennemi, mais aussi la conquête du territoire en question. Ces deux aspects sont clairement signifiés par des légendes brutales certes, mais elles véhiculent un message sans équivoque qui ne laisse planer aucun doute quant à la nature effective de la conquête. Auguste fait émettre, à profusion, après sa victoire sur Antoine et Cléopâtre en 28 av. J-C, une monnaie au revers de laquelle est gravée l’inscription AEGYPTO CAPTA, une Égypte symbolisée par un crocodile1. Le même procédé de gravure est récupéré par les monétaires en 20 av. J-C pour célébrer la conquête de l’Arménie par Auguste, non par les armes, mais par la diplomatie. La légende ARMENIA CAPTA2 fut alors gravée au verso de certaines monnaies. Cette inscription se lit sur quatre types différents au revers et similaires à l’avers, la tête d’Auguste, datant entre 20 et 18 av. J-C. Au revers l’inscription est la même, toutefois les représentations iconographiques varient d’une monnaie à une autre. Sur le premier figure un soldat dans l’attitude du vaincu et précisément celle du dediticius. Debout et armé, il tient une lance et un arc, ses épaules tombantes et son air affligé expriment tout le poids de la défaite que renforce la légende CAESAR DIV. F. ARME(nia) CAPT(a) IMP(erator) VIII (I)3. Sur le deuxième type est représentée une Victoire, symbole de la puissance victorieuse de Rome, ailée, au galop avec l’inscription ARMENIA CAPTA4. Au revers du troisième type figurent des substituts sémanticoiconographiques qui caractérisent l’Arménie : une tiare, des flèches, un carquois et un arc avec la légende ARMENIA CAPTA5. Le quatrième exhibe un Voir Monnaies VIII et IX ; H. A. Grueber, op. cit., East 246 ; H. Cohen, op. cit., Auguste 12-3-4 ; H. Mattingly, op. cit., 650-655. La colonie des vétérans de Nîmes frappa un type de monnaie au revers de laquelle figure un crocodile, emblème de l’Égypte, enchaîné à une branche de palmier avec l’inscription COL(onia) NEM(ausus), Monnaie XI, H. Mattingly, Roman coins. From the earliest time to the fall of the Western Empire, Londres, 1960, pl. 48, 3 ; C. H. V. Sutherland, Monnaies romaines, Fribourg, 1974, 220-221. D. Roman, « Numismatique et autorité romaine en Gaule Cisalpine », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 1983, 4, p. 372. 2 Cf. Monnaies X-XI-XII de l’Annexe II. 3 Cf. Monnaie X ; H. A. Grueber, op. cit., II East 305-306 ; H. Cohen, Description historique…, Auguste 37 ; H. Mattingly, Coins of…, 676-678. 4 A. Grueber, op. cit., II East 308 ; H. Cohen, op. cit., Auguste, 8. Sur les différentes représentations de la déesse voir Ch. Pérez, Monnaie du pouvoir. Pouvoir de la monnaie. Une pratique discursive originale…, pp. 140-152. 5 H. A. Grueber, op. cit., II East, 301-304 ; H. Mattingly, Coins of…, 672-675. La distribution d’emblèmes, puisés dans le fonds culturel de chaque peuple vise à donner plus de portée à leur discours et surtout à faire passer un message sans équivoque : le carnyx est gaulois, l’essedum breton, la tiare arménienne. De même, le crocodile symbolise l’Égypte. Cependant, rien ne prouve que le palmier incarne la Judée bien qu’il soit fréquemment sollicité sur les monnaies qui commémorent la victoire flavienne. En effet, au revers d’un denier célébrant la victoire d’Actium, figure une branche de palmier sur laquelle est enchaîné un crocodile (Monnaie IX). Le palmier est un des plus anciens symboles dans l’art oriental, il est aussi l’arbre de vie, symbole de l’abondance accordée par la divinité. Nous partageons par conséquent l’explication de G.-Ch. Picard suivant laquelle le palmier exprime en fait la fortune des Flaviens, Les trophées…, p. 345. La victoire est ainsi matérialisée par le palmier 1
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique
Arménien portant une tiare, les mains tendues dans une attitude d’imploration avec l’inscription DIVI - F - ARME(nia) - CAPT(a) - CAESAR1. Une autre série de monnaies est frappée pour commémorer toujours la victoire d’Auguste, toutefois à l’envers, la légende CAPTA est remplacée par RECEPTA. Un premier type représente les mêmes armes arméniennes avec l’inscription ARMENIA RECEPTA. Sur le deuxième revers est représentée la Victoire ailée, debout sur une ciste avec à la main une couronne et une palme, entourée de deux serpents avec la légende ASIA RECEPTA2. Même s’il est vrai que la propagande monétaire augustéenne se singularisa par sa « grande ampleur »3 il faut, toutefois, relever qu’elle fut particulièrement claire. Cette précision repose sur les légendes sans équivoque inscrites aux revers des monnaies accompagnées d’emblèmes spécifiques à chaque peuple. Auguste utilisa la monnaie, « un système de communication social qui diffuse des idées, des pensées »4, en alliant image et texte. Ces monnaies augustéennes traduisent clairement la volonté de l’imperator de commémorer sa reconquête de l’Orient5. Son triomphe, qui corrobore le charisme de l’empereur, fut marqué d’une part par la récupération des étendards (perdus par l’armée de Marcus L. Crassus à Carrhae en 53 av. J-C) en 20 ap. J-C des mains des Parthes et d’autre part par la défaite de l’Arménie. L’emploi de captus participe ainsi à la célébration et à la symbolique de la victoire impériale. À la suite d’Auguste, les Flaviens récupérèrent le même modèle pour célébrer la conquête de la Judée en 70 ap. J-C par Vespasien6 et Titus et celle de qui fait figure de trophée et les prisonniers, cf. Monnaies XVI-XVII et XVIII de l’Annexe II. 1 Voir Monnaie XIV ; H. A. Grueber, Coins of…, 4517-4520 ; H. Cohen, Description historique …, Auguste 16. 2 Cf. Monnaies XIII et XV (Annexe II) ; H. Cohen, op. cit., Auguste 14 ; H. Mattingly, Coins…, 647-649. Recepta semble plus approprié pour rendre compte du déroulement des événements comme le traduisent les monnaies aux revers desquels sont dessinés un Parthe remettant les insignes de Crassus, un aigle et une enseigne militaire. En vérité, ce fut plus un succès diplomatique qu’une véritable victoire militaire : le roi Phraates, menacé d’une intervention armée, décida de remettre à Tibère les enseignes perdues par Crassus et l’Arménie accepta, ainsi, un roi vassal de l’Empereur. L’opinion romaine, comme le traduisirent d’ailleurs les monnaies et le discours plastique (les captifs parthes sur les trophées de l’arc de Carpentras évoquent cette défaite cf. G.-Ch. Picard, Les trophées romains…, p. 284), exagéra la portée de l’événement et y vit la reconquête de tout l’Orient. Pour Velleius Paterculus, il s’agit de la conquête de l’Orient par un nouveau Alexandre le Grand en la personne de l’Empereur Auguste, Histoire romaine, II, 91. 3 L’ampleur extraordinaire qu’eut la diffusion monétaire sous Auguste est déjà relevée par G.-Ch. Picard, Les trophées romains… et Ch. Pérez, Monnaie du pouvoir. Pouvoir de la monnaie… 4 Ch. Pérez, La monnaie à Rome à la fin de la République : un discours politique en image, Paris, éd. Errance, 1989, p. 67. 5 H. Mattingly, Roman coins…, pp. 67-68. 6 Vespasien ne revient pas sur les règles posées par Auguste, au contraire, il reprend le même modèle de légende sur les monnaies. Sur ces dernières est gravé captus précédé de IVDAEA avec un trophée ou un palmier (Monnaies XVI-XVII) au pied duquel des captifs sont assis ou debout. Titus reproduit, aussi, le même dessin cf. H. Cohen, op. cit., Titus 107 et
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la Germanie par Domitien. Les monnaies portent l’inscription IVDAEA CAPTA. En 80 ap. J-C, après sa victoire réelle ou fictive sur les Chattes, suivant les sources, Domitien fit diffuser des monnaies avec la mention GERMANIA CAPTA1. Dans le discours monétaire, captus2 représente un mot clé dans le dispositif de la propagande impériale. Si dans le discours littéraire l’emploi de captus paraît indifférencié, en revanche dans le discours monétaire il reste très précis et renvoie, systématiquement, à la conquête du pays en question. À partir d’Auguste, le discours monétaire ne laisse aucun doute quant à la signification de captus. Il apporte concision et netteté à l’image gravée sur la monnaie, car tout en signifiant la conquête d’une localité donnée ou la victoire de l’empereur sur un ennemi de Rome, captus dénote également l’extension de l’empire et le renforcement de la puissance romaine. L’emploi de captus rend effective la prise du territoire ennemi qui commence souvent par le massacre d’une partie de la population vaincue et capturée.
Sutherland 319. Ce modèle s’applique encore sous Trajan et Marc-Aurèle. En 105 ap. J-C est émise une monnaie portant au revers la légende [DAC(cia) CAP(ta)] et un captif assis sur un amas d’armes pour commémorer la conquête de la Dacie, (voir Monnaie XX, Annexe II). Au revers de la Monnaie XXI (cf. Annexe II), frappée entre 173 et 174 ap. J-C, est gravée l’inscription GERMANIA SUBACTA IMP. VI. COS - III. Le trophée porte à chaque bras un bouclier, oblong et hexagonal et une captive est assise à son pied, H. Cohen, op. cit., Marc-Aurèle 221-222. 1 Au revers de la Monnaie XIX (cf. Annexe II), un trophée portant un bouclier hexagonal au pied duquel sont jetés deux autres boucliers du même type et deux captifs : une femme et un homme aux mains ligotées avec la légende GERMANIA CAPTA (la Germanie capturée). Martial magnifie souvent le triomphe de son maître qu’il surnomme « illustre vainqueur du Rhin et père de l’univers » mais garde le silence à propos des captifs, V, 19 ; IX, 5. En revanche, Pline compare ce triomphe à un simulacre de victoire, Pan., 16, 3. 2 Capta peut être remplacé par d’autres termes qui traduisent aussi la défaite et la conquête d’un pays. Il s’agit de vocables tels que RECEPTA (cf. Monnaies XIII et Cohen, Octave Auguste 13/20-18), DEVICTA (Monnaie XVIII de l’Annexe II)) ou SUBACTA (Monnaie XXI). Ces termes expriment, certes, l’échec de l’ennemi mais ils insistent plus sur le résultat, c’est-à-dire la soumission, que sur l’action ou le processus qui a abouti à la défaite (la capture).
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Chapitre V
LE MASSACRE DES CAPTIFS Le massacre, sort ordinairement réservé aux habitants des villes prises, mais considéré aussi comme une stratégie militaire, agite une question pendante : le carnage était-il total ou, mieux, pouvait-il l’être réellement ? Les contradictions notées dans les textes, la présence des captifs en grand nombre dans les amphithéâtres et les résultats des études sur l’esclavage qui attestent que la guerre était la source principale d’approvisionnement en esclaves, surtout à partir du IIIe s. av. J-C1, remettent en cause le caractère systématique et aveugle du massacre des populations des villes conquises. Le comportement des soldats envers les habitants des cités prises soulève aussi une autre interrogation. L’autorité du général était-elle réelle ou fictive compte tenu des nombreux dérapages des troupes romaines ? La prise d’une ville comprend plusieurs phases et actions, à savoir l’entrée des troupes ennemies, le massacre des populations, la mise à sac de la ville, sa destruction par le fer ou par le feu et enfin le partage du butin. Mais sa capture ne devient effective qu’à partir du moment où l’ennemi exerce un contrôle absolu sur la ville et ses résidents. Pour étudier les différents traitements réservés aux populations combattantes ou non-combattantes, nous avons répertorié des exemples de villes prises par Rome entre le IIIe s av. J-C et le Ier s ap. J-C. Ces informations fournies en partie par nos sources, dont l’exploitation a abouti à un corpus de cités2, sont renforcées par d’autres exemples puisés chez Appien et Flavius Josèphe. L’ensemble de ces données est présenté dans le tableau ci-dessous. Ce dernier met en relief le comportement des envahisseurs et l’attitude des habitants afin de déterminer les rapports entre ces deux facteurs dans le sort d’une place investie. Cette démarche offre la possibilité de connaître, pendant cette période, les différents types de traitement infligés aux populations des villes prises et ainsi de suivre, dans la pratique, le comportement du soldat romain. La conduite des assaillants était-elle toujours dictée par celle des résidents ? L’attitude des troupes romaines dans les villes vaincues ou sur le champ de bataille et le sort de la population captive soulèvent un point essentiel qui intervient à tous les niveaux de la présente étude, c’est-à-dire l’autorité du général sur ses hommes.
1 Z. Yavetz, Slaves and Slavery in ancient Rome, Transaction Books, Oxford, 1988, p. 1. A. Aymard et J. Auboyer, Rome et son empire. L’occident et la formation de l’unité méditerranéenne, Paris, PUF, 1995, pp. 156-157. I. Biezunska-Malowist, « La guerre comme source d’esclavage », Captius i esclaus …, pp. 3-11. 2 Supra Tableau 2, p. 123. Certaines villes prises telles que Ninive ne figurent pas dans le tableau parce que les auteurs affichent un silence complet sur leur population.
Mariama Gueye Tableau 3. Sort des populations des villes sous le contrôle de l’ennemi Villes
Attitude des populations Attitude des assaillants assiégées envers les populations En fuite, Résistance Deditio Massacre Vente Clémence suicide
Carthagène Illurgia Astapa
x
x x
x x
Locha
x
Corinthe
x
Numance
x
x
Capsa Athènes
x
x
204 av. J-C
x
x
151 av. J-C
x
146 av. J-C
x
133 av. J-C
x x
Jérusalem
x
Pérouse
x x
107 av. J-C 86 av. J-C
x
63 av. J-C
x
Lancia
209 av. J-C 206 av. J-C 206 av. J-C
Cauca
x
Uspé
x
Artaxate
x
x x
x
x
40 av. J-C
x
25 av. J-C 49 ap. J-C 49 ap. J-C
Volande Tigranocerte
x
Dates
x
58 ap. J-C 60 ap. J-C
Legerda
x
x
60 ap. J-C
Séphoris Japha
x x
x x
67 ap. J-C Juil. 67 ap. J-C
Jotapata
x
x
20 Juil. 67
Tarichée
x
x
Septembre 67
Machéronte
x
x
71-72 ap. J-C
Masada
x
Gadara Gamala
x
Gerasa Gishala Hébron Jéricho Albintimilium Crémone Jérusalem
x
3 mai 72
x
x
68 ap. J-C
x
x
68 ap. J-C
x x
68 ap. J-C 68 ap. J-C
x x
Juin 68 ap. J-C Juin 68 ap. J-C
x x x
x x
x
69 ap. J-C x
x x
x x
136
69 ap. J-C 28 septembre 70
Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique
I. La question du massacre systématique des captifs Le tableau ci-dessus présente un échantillon de 32 noms de villes occupées par l’armée romaine entre le IIIe s. av. J-C et le Ier s. ap. J-C. Seule une infime partie des populations de ces villes est épargnée à l’image de celles de Carthagène et de Lancia. Toutefois, il convient de faire remarquer que non seulement cette clémence ne touche qu’une petite minorité et non la population dans sa totalité1, mais encore, au-delà du Ier s. av. J-C, elle est absente. Le tableau pose d’emblée la problématique du massacre total des résidents d’une ville prise. Dans la plupart des cas étudiés (plus de 43%), le carnage est le sort réservé aux populations des villes prises, particulièrement en Judée où les armées romaines se sont montrées impitoyables. Comme nous pouvons le constater, les auteurs n’indiquent pas toujours la partie de la population captive vendue. Le tableau révèle aussi que la deditio ne constitue pas une garantie absolument sûre contre le carnage : les populations massacrées ne correspondent pas toujours à celles qui résistent. Cependant, ces constats sommaires qui émanent du survol du tableau ne reflètent pas toute la complexité de la réalité des traitements des populations captives, d’autant plus qu’il s’avère périlleux d’affirmer de manière catégorique que tous les résidents d’une ville sont massacrés ou asservis. Dans la plupart des cas, les deux types de traitement sont appliqués : si une partie des habitants est tuée, l’autre, quant à elle, est amenée en captivité2. À Volande, en 58 ap. J-C, si une fraction des résidents fut passée au fil de l’épée, en revanche, l’autre fut vendue3. À Gérasa, au cours de l’année 68, Vespasien fit tuer 1 000 jeunes gens et fit prisonniers les femmes et les enfants de même qu’à Séphoris ou à Japha. En outre, ni les comportements des résidents, ni l’attitude des assaillants ne sont homogènes. Dans certaines villes, une partie des assiégés pouvait se donner la mort au moment où l’autre partie était exécutée ou se rendait4. En 146 av. J-C à Corinthe, la majorité des habitants prit la fuite tandis qu’une autre fraction fut tuée et le reste vendu. En 133 av. J-C à Numance, une portion de la population choisit la mort volontaire, tandis que l’autre capitula pour avoir la vie sauve.
La spécificité du contexte international de la seconde guerre punique et de la prise de Carthagène est déjà abordée, supra pp. 78-80. 2 Pendant les guerres civiles aussi la même pratique fut suivie par les assaillants. En 40 av. J-C, Octave choisit de mettre à mort 300 sénateurs après la prise de Pérouse (la ville s’est révoltée à la suite du partage arbitraire des terres par Octave), tandis que l’autre partie de la population fut épargnée et la ville incendiée, Suétone, Auguste, XV. Mais ici, la sanction visait une portion bien déterminée, infra p. 173. Velleius Paterculus en donne une version très modérée. Il ne fait pas allusion à ce massacre mais indique seulement que « si l’on sévit contre les Pérugins, ce fut en raison de la fureur des soldats que de la volonté de leur chef », II, 74. 3 Tacite, Annales, XIII, 39, 4. 4 Cf. Tableau ci-dessus. 1
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Bref, toutes ces attitudes contradictoires, mais imbriquées et imposées par les circonstances dans lesquelles la ville est prise, rendent toute tentative d’établir des données chiffrées fiables presque impossible et peuvent entraîner une déformation de la réalité. Cette dernière reste difficile à saisir vu que les auteurs fournissent de manière sporadique des données chiffrées qui ne permettent pas d’évaluer l’importance du nombre de morts encore moins celui de captifs afin de mieux appréhender le traitement infligé à la population des villes captae. En revanche, l’abondance des prises humaines dépend du nombre d’habitants ou des effectifs de l’armée mais aussi du caractère horrible des combats. C’est pourquoi la présence ou l’absence de captifs représente un indice révélateur qui demeure capital pour mesurer le degré d’atrocité d’un affrontement. Leur absence signifie plutôt l’extermination d’une population entière (à moins qu’elle n’ait pris la fuite) ou alors celle de toute une armée. Dès leur entrée dans la ville ennemie, les assaillants procédaient au massacre « conformément à la coutume romaine qui veut que le général lance la plupart de ses soldats contre les habitants de la ville, en leur ordonnant de massacrer ceux qu’ils rencontraient, sans épargner personne »1.
Cette opération, enclenchée sur un signal du commandant en chef, était une règle dans l’armée romaine. Elle fournissait aux légionnaires l’occasion d’assouvir leur furor et d’instaurer la terreur chez l’adversaire en répandant le sang partout2. Quant aux populations, croyant éviter le danger, elles s’enfermaient dans les maisons ou se cachaient dans les chaumières. Rues désertes et domiciles fermés3 sont les principaux aspects qui ressortent des tableaux des urbes captae peints par Tacite. Dans sa version de la prise d’assaut de la ville de Gamala en Galilée le 12 octobre 67, Flavius Josèphe explique que seules deux femmes, des filles d’une sœur de Philippe, fils de Jacimus, qui était commandant en chef de l’armée du roi Agrippa, réussirent à survivre car elles restèrent cachées pendant l’invasion de la ville. Cependant, cette solution pouvait s’avérer vaine dans les cas où les troupes mettaient le feu ou cherchaient même les cachettes afin d’en extraire les habitants4. À Jotapata, les jours qui suivirent la prise de la ville, l’armée romaine partit à la recherche des refuges censés abriter les habitants : les souterrains ou les cavernes, afin d’assouvir leur vengeance5. Polybe, X, 15. C’est pour cette raison que, selon Polybe, on voit dans les villes prises non seulement des hommes égorgés mais encore des chiens découpés en deux et les membres épars d’autres animaux, V, 15, 5. 3 Histoires, IV, 1. 4 D’où le verbe extrare qu’utilise Ammien Marcellin à propos de Nabdatés, commandant de la garnison perse à Mahozalmacha, qui fut arraché vivant de sa cachette, XXIV, 4, 25. Sur l’emploi des termes qui traduisent les différents modes d’entrée en captivité, supra pp. 31-35 et Tableau II (Annexe I). D’autres vocables comme expugnare indiquent la violence dans la prise. 5 Flavius Josèphe, III, 336. 1 2
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Les auteurs mettent davantage l’accent sur le carnage dans leur description d’une ville prise. Suivant Appien, le sort d’une urbs capta se caractérise par des « massacres aveugles », des violences infligées aux femmes, des rapts de jeunes filles. Ces malheurs sont considérés par Pline comme les maux ordinaires qu’éprouve une ville prise1. Quant à Tacite, il associe la prise d’une ville à la couleur rouge sang, rappelant ainsi cette violence caractéristique des conflits fratricides. Il souligne que « les rues sont pleines de meurtres, les places et les temples rouges de sang ». La prise de force d’une cité légitime le carnage. Les soldats s’en donnaient à cœur joie, surtout, lorsqu’il s’agissait d’une guerre fratricide, car les captifs n’étaient pas convertis en butin. Dans sa description de la prise de Crémone, en 69 ap. J-C, par les troupes d’Antonius, Tacite fait remarquer que : « 4 000 hommes d’armes s’y précipitaient sans compter un grand nombre de valets d’armée et de vivandiers, engeance plus rompue à toutes sortes de pratiques lubriques et cruelles. Ni le rang ni l’âge n’étaient une protection ; on mêlait le viol au meurtre, le meurtre au viol. Des vieillards d’un grand âge, des femmes dont la vie était presque achevée, méprisées comme butin, étaient traînées pour servir de jouet. Quand une vierge nubile ou un homme d’une belle tournure se rencontraient, ils étaient mis en pièces par des mains brutales qui cherchaient à les entraîner, et finissaient par provoquer entre les ravisseurs eux-mêmes un combat à mort »2.
Tacite, il est vrai, a plutôt tendance à exagérer l’atrocité des guerres civiles, le règne incontestable de la violence et la brutalité incontrôlable qui fait des soldats des « hors-la-loi »3. Cependant, le tableau qu’il a peint, certes plus tragique que celui de l’occupation de Volande en 58 ap. J-C, ressemble beaucoup à celui que présente Flavius Josèphe lors de la prise successive des villes de Judée (entre 67 et 70 après J-C). Selon le Juif de Rome : « c’est au moment d’être égorgés que les habitants comprenaient que la ville (Jotapata) était prise. Les Romains au souvenir de ce qu’ils avaient enduré dans ce siège, n’épargnaient personne et étaient inaccessibles à la pitié ; et, repoussant le peuple sur la pente qui descendait de la citadelle, ils faisaient un massacre général »4.
Le massacre n’est, cependant, pas toujours systématique lorsqu’une ville est prise5. Nous faisons appel aux chiffres laissés par l’auteur de La Guerre des Juifs afin de montrer que non seulement le carnage n’est pas total, mais que, dans certains cas, les captifs s’avèrent même plus nombreux que les morts.
Panégyrique, 55, 6-7. Hist., III, 33, 1-4. 3 M. Alain, Tacite et le destin de l’Empire, Paris, Arthaud, 1966, p. 197. 4 Flav. Jos., III, 324-329. 5 Dans son article, « Le traitement des populations dans les villes prises d’assaut par Rome durant les guerres puniques », S. N’diaye a montré que le sort réservé aux villes alliées de Carthage, occupées par les troupes romaines, est très variable, RAEC, 1996, p. 43. Leur traitement dépendait surtout du bon vouloir du vainqueur. 1 2
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Mariama Gueye Tableau 4. Tableau comparatif du nombre de captifs et de celui des morts1 Villes Gérasa Gishala Japha Jérusalem Jotapata Machéronte Tarichée
Nombre de captifs Les femmes et les enfants (nombre indéterminé) 3 000 2 130 indéfini 1 200 Les femmes et les enfants (nombre indéterminé) 36 400
Nombre de morts 1 000 6 000 1 500 6 000 40 000 1 500 12 100
N.B. Ces données sont tirées de La guerre des Juifs de Flavius Josèphe.
Le carnage exige certaines conditions préalables telles que la présence des résidents de la ville envahie et un refus de reddition2. Pour éviter la captivité ou la mort, les habitants, parfois, s’enfuyaient ou se donnaient la mort. En effet, dans certains cas, très rares certes, il arrive que les populations, mises au courant de l’imminence d’une invasion de l’ennemi, prennent la fuite3. En 146 av. J-C, Corinthe, membre de la Ligue Achéenne, fit voter la guerre contre Sparte, alliée de Rome. Mais à l’approche des troupes de Mummius, la capitale de l’Achaïe fut abandonnée par ses habitants. Suivant Florus, les troupes romaines trouvèrent une ville vide4. Pausanias, quant à lui, donne des événements une version différente. À l’en croire, à l’apparition de l’armée romaine, la plupart des Corinthiens prirent la fuite avec les Achéens qui ont survécu à la bataille. Mais, trois jours après le combat, Mummius prit la ville d’assaut, bien qu’elle eût ouvert ses portes. Pour éviter toute embuscade, il massacra la majorité de la population sur place, vendit les femmes et les enfants avant de raser complètement la ville5. En 16 ap. J-C, Germanicus assiégea le fort établi sur la Lippe, toutefois la fuite de ses habitants lui ôta toute possibilité de faire la guerre. En pénétrant chez les Chattes il ne put leur livrer bataille, car informés de son approche, ils s’étaient tous dispersés6. Pendant la guerre civile en 69 ap. J-C, les troupes d’Othon étaient irritées par le combat mené contre les forces rassemblées par les Vitélliens dans les Alpes Maritimes qui ne leur avaient procuré aucun butin. Elles se tournèrent alors contre le municipe Pour le bilan de la guerre de Judée, Flavius Josèphe compte 1 100 000 morts et 97 000 prisonniers de guerre (VI, 420). 2 Sur la deditio, supra pp. 61-66. 3 Val. Max., VII, 2, 9. 4 Flor., I, 32. 5 Paus., VII, 16, 7. Pausanias accusa la Ligue Achéenne et son stratège Critolaos d’être les responsables de la destruction de Corinthe. César la fit restaurer comme colonie en 44 av. J-C. Pausanias en Corinthie, texte, traduction, commentaire archéologique et topographique par G. Roux, Paris, PUF, 1957. Diodore de Sicile, dans sa narration de la destruction de Corinthe, garde le silence sur sa population, XXXII, 26-27. 6 Tacite, Annales, II, 7, 2. 1
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d’Albintimilium, vide d’hommes, car les paysans avaient rapidement pris la fuite1. Il ne restait qu’une femme enceinte, une Ligurienne, le seul butin des Othoniens. Néanmoins, la fuite ne constituait pas, à coup sûr, le meilleur moyen d’échapper à la captivité dans la mesure où les fugitifs pouvaient être aussi rattrapés et tués par l’ennemi. Titus envoya une partie de ses cavaliers à la poursuite de Jean2 et de ses compagnons. Ils tuèrent jusqu’à 6 000 d’entre eux et, cernant les femmes et les enfants, en ramenèrent presque 3 0003. Une fuite qui échouait prenait ainsi toutes les allures d’un carnage. Toutefois, cette solution ne concernait que les personnes bien portantes. La débandade excluait d’emblée les impotents ainsi que les personnes âgées, contraints de rester sur place. Lors de la prise de Ferrentium, seuls les « vieillards » et les personnes malades constituèrent la population captive, tout le reste des habitants avait pris la fuite avant l’arrivée des Romains. En plus, après un long siège, les résidents affamés et faibles ne pouvaient, physiquement, supporter les harassements qu’occasionnent les péripéties d’une fuite. En 86 av. J-C à Athènes, les Romains firent subir aux habitants un long siège au point qu’ils étaient pressés par la faim après qu’ils eurent dévoré tout leur bétail. Trop faibles pour prendre la fuite, les Athéniens étaient alors massacrés sur place par les hommes de Sylla qui n’éprouvèrent de la compassion ni envers les femmes ni envers les enfants4. L’autre cas de figure est le suicide collectif. Les assaillants pouvaient trouver la ville vide de toute âme, non parce que les résidents avaient pris la fuite, mais parce qu’ils avaient choisi de se donner la mort. En 206 av. J-C à Astapa, alliée fidèle de Carthage, les habitants assiégés par les troupes romaines rassemblèrent tous leurs biens sur la place du marché et préparèrent un bûcher5. Une fois la cité prise, les cinquante plus nobles parmi eux égorgèrent les femmes et les enfants, allumèrent le feu et s’y jetèrent eux-mêmes. En 133 av. J-C à Numance aussi les résidents décidèrent de se suicider avant l’arrivée de Scipion. À en croire Florus, le général romain trouva une ville sans vie. Appien, quant à lui, relate autrement les faits. Il indique que seule une fraction de la population se donna volontairement la mort tandis que l’autre se rendit à Scipion. Si cette partie, qui se trouvait dans un état pitoyable et lamentable, était épargnée c’est parce qu’elle s’était rendue. Selon l’auteur de l’Ibérique, « leurs corps qu’ils n’avaient pas nettoyés, n’étaient que poils, ongles et saleté, leur puanteur insupportable et ils portaient sur eux une défroque crasseuse qui n’était pas moins puante »6.
Tacite, Histoires, II, 12-12. Un des trois chefs (avec Eléazar et Simon Bar Gioras) de la révolte de Judée et de la guerre civile, Flav. Jos., La guerre des Juifs, IV, 560. 3 Ibid., IV, 115. 4 App., Mithr., 38 ; Vel. Pater., II, 23 ; Plut., Sylla, XIII-XIV. 5 La cité resta fidèle à Carthage pendant la seconde guerre punique. Appien, Ibérique, 132 ; Tite-Live (XXVIII, 22-23) et Zonaras (IX, 10) ont relaté l’épisode du suicide collectif. 6 Ibér., 422. 1 2
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La présence de ces Numantins, encore en vie, est confirmée par le témoignage de Valère Maxime qui raconte que : « lorsque la ville fut prise on trouva plus d’un habitant qui portait sous ses vêtements des membres entiers et des morceaux d’hommes égorgés »1.
Tout compte fait, Scipion n’occupa pas une ville complètement morte bien qu’il ne rassemblât que quelques captifs en piteux état. Le témoignage de Florus, contredit par Appien et Valère Maxime, s’explique plutôt par son désir de faire de Numance le prototype d’une cité héroïque. Elle incarne l’image de la cité qui a préféré la mort volontaire au massacre par l’ennemi ou à la captivité (une manière de poursuivre la résistance jusqu’au bout). Cette tendance marquée à exalter le courage des Espagnols, qui révèle peut-être ses origines ibériques2, semble d’autant plus suspecte qu’il ne l’adopte qu’à l’égard de ces derniers et jamais lorsqu’il s’agit d’autres peuples qu’il traite d’ailleurs avec beaucoup de mépris en mettant l’accent sur leur cruauté ou leur barbarie. Ce penchant l’obnubile au point qu’il n’insiste, dans son récit, que sur l’intrépidité irréductible des Numantins. Il n’est d’ailleurs pas le seul à louer leur courage cependant, il se singularise par son ardeur et son parti pris. En effet, Valère Maxime n’a pas manqué de faire allusion à « la vigueur et à l’ardeur fameuse de Numance »3. Appien, non plus, puisqu’il écrit : « tellement on était assoiffé de liberté et de bravoure dans une petite ville barbare ! Alors qu’ils n’étaient que huit mille environ à l’époque de la paix, tels furent les grands succès qu’ils remportèrent sur les Romains, tels furent les traités qu’ils conclurent avec eux sur un pied d’égalité, alors que Rome n’avait consenti à conclure de tels accords avec personne, tel fut le général qu’ils affrontèrent en dernier lieu et provoquèrent souvent au combat, alors qu’il les bloquait avec soixante mille hommes ! … Voilà donc ce que j’ai trouvé à dire au sujet des Numantins, considérant leur petit nombre, leur endurance, leurs multiples exploits et la durée de leur résistance »4.
Ajoutons à ces événements qui se sont déroulés entre le III e s. et le IIe s. av. J-C celui de Masada. Dans cette ville de la Judée, la population, sous la direction des sicaires, se donna la mort en 72 ap. J-C. Mais il restait encore 7 survivants : 2 femmes et 5 jeunes gens qui s’étaient cachés au moment du suicide collectif. Et, à l’entrée des troupes romaines, ils émergèrent de l’aqueduc et leur racontèrent le déroulement des événements5. Le suicide collectif des populations assaillies, pour se soustraire au pouvoir du vainqueur, demeurait une attitude assez courante. Val. Max., VII, 6, 2. C’est principalement la raison pour laquelle certains savants pensent que Florus est d’origine espagnole, P. Jal, op. cit., p. 113. À plusieurs reprises dans son texte, il fait référence à la bravoure des Espagnols qu’il oppose à la sauvagerie des « barbares » qu’il méprise, Flor., I, 22, 3-4 ; I, 34, 16. 3 Id., VII, 6. 4 Ibérique, 419-421. 5 Flav. Jos., VII, 388. Dans la suite de son récit, il ne revient pas sur le sort qui leur fut réservé. 1 2
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Ces conditions, citées plus haut, une fois réunies, les troupes romaines procédaient, dans certaines situations extrêmes, à l’extermination des habitants des villes prises. Cette option était, en général, dictée par la vengeance et le besoin d’assouvir de vieilles haines. Le carnage total exprime la volonté ferme d’éradiquer toute tentative de revanche ou de révolte contre l’ordre romain en distillant la terreur et la crainte chez l’ennemi et d’instaurer ainsi la soumission1. Pendant la seconde guerre punique, Scipion livra la ville d’Ilurgia (Espagne) en 206 av. J-C « à un massacre général qui n’épargne ni les femmes ni les enfants »2. C’était pour le Romain l’occasion de donner une bonne leçon à cette cité. D’abord alliée et amie de l’Urbs à l’époque du premier Scipion, à sa mort, elle se rangea secrètement dans le camp carthaginois à qui elle livra une armée romaine. Scipion l’Africain, révolté par cette trahison, détruisit la ville en quatre heures. À Athènes, en 86 av. J-C, Cornélius Sylla donna l’ordre de passer au fil de l’épée tous les habitants. Il leur reprochait leur alliance avec Mithridate, le roi du Pont, qui avait souscrit au massacre de 80 000 Italiens3. Au cours de la guerre civile en 69 ap. J-C, lorsque les Flaviens prirent la ville de Crémone, ils se comportèrent de manière cruelle avec les populations. Ils vouèrent une haine profonde à Crémone, accusée d’avoir soutenu le parti des Vitélliens, à qui elle avait fourni des vivres pendant la guerre contre Othon4. Enfin en Judée, l’armée de Vespasien, animée par de vieilles rancunes se montra impitoyable également envers les Juifs. Au cours de l’investissement de la ville de Gadara en 68 ap. J-C, les troupes impériales n’épargnèrent alors personne : « ils tuèrent tous les adultes, n’eurent aucune pitié quel que soit l’âge des victimes »5. À Jérusalem, des civils sans force et sans armes, représentant une grande partie de la population, furent égorgés, « ils se montrèrent sans pitié pour l’âge, sans respect pour la dignité : enfants, vieillards, laïcs, prêtres »6. Ces mêmes troupes n’épargnèrent personne à Gamala, ni ceux qui se défendaient, ni ceux qui tendaient la main pour supplier les Romains de leur laisser la vie. Cette cruauté s’explique par leur désir de venger la mort de leurs camarades ensevelis
Septime Sévère n’éprouva aucune pitié envers les Calédoniens lorsqu’il ordonna à ses soldats de ne laisser personne survivre à la destruction, « de n’épargner personne même pas les bébés qui se trouvent encore dans le ventre de leurs mères », Dion Cassius, LXXVII, 15, 1. 2 App., Ibér., 129 ; pour l’identification de cette ville cf. P. Goukowsky (dans sa traduction de l’Ibérique), n. 199, p. 121. 3 App., Mithr., 38. 4 Tac., Hist., III, 32. 5 La guerre des Juifs, VII, 133. Ici, la contradiction dans la phrase de Flavius Josèphe interroge. Pourquoi prend-il la précaution de préciser la mise à mort de la catégorie des adultes avant d’indiquer qu’aucune tranche d’âge n’est épargnée ? Cette contradiction montre encore une fois que le cas d’une extermination totale reste rare. 6 Ibid., VI, 259. 1
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lors du premier assaut dans les ruines des maisons effondrées1. Ils égorgèrent 4 000 Juifs, seules deux femmes survécurent. Une fois la place de Gadara2 investie, les troupes de Vespasien se montrèrent impitoyables quel que fût l’âge de leurs victimes. Leurs actes inhumains étaient surtout inspirés par leur haine pour la nation juive à cause de la mort de Cestius. Ce dernier subit une défaite cinglante à Béthoron le 25 novembre 66 et fit perdre à l’armée romaine 5 300 fantassins et 480 cavaliers3. En Galilée, à Jotapata en 67 ap. J-C, les troupes de Vespasien avaient voulu aussi venger la traîtrise dont fut victime le centurion Antonius4. À la rage des troupes, déclenchée le plus souvent par la longue durée des sièges, se greffaient souvent d’autres facteurs comme le jeu des mésalliances, les vieilles rancunes ou les règlements de compte. En 37 av. J-C, les centurions de Sossius, exaspérés par le siège de Jérusalem qui dura cinq mois, n’eurent aucune pitié pour ses habitants une fois la ville occupée5. L’extermination totale exprime plutôt la volonté du vainqueur de ne laisser aucun survivant ni aucun élément du parti opposé afin d’anéantir définitivement l’ennemi. Il est indubitable que, de manière récurrente, les auteurs anciens parlent de « carnage total » à la suite d’une prise de ville6. En vérité, placé dans ce contexte particulier, « général » ne signifie pas toujours littéralement « systématique » ou « total ». L’emploi récursif de l’expression « massacre général », qui ressemble à un topos littéraire, s’explique plutôt par le besoin qu’éprouvent les anciens de souligner l’horreur des massacres commis pendant la prise d’assaut des villes vaincues7. Cette formulation reste plus percutante que celle qui consiste à insister sur le nombre élevé de morts comparé à celui « Ne pouvant ni repousser les Juifs au-dessus d’eux ni s’ouvrir une retraite à travers les rangs, les Romains cherchèrent, alors, refuge dans les maisons de l’ennemi, dont le toit touchait le sol. Mais très vite, bourrée de soldats et incapable de supporter un tel poids, la toiture s’effondra. En s’écroulant, une seule maison en renversait plusieurs en-dessous d’elle et à leur tour celles-ci faisaient s’ébouler les maisons en contrebas : cela causa la mort d’un très grand nombre de Romains », Flav. Jos., IV, 1, 4. 2 Gadara se trouve en Galilée à 25 km environ à l’est de Ptolémaïs. 3 Cestius et son armée faillirent, d’ailleurs, être capturés, II, 550-555. 4 Un des Juifs réfugiés dans les grottes de Jotapata supplia Antonius de lui tendre la main en gage de protection et pour l’aider à remonter ; le Romain lui obéit et, l’autre brusquement le perça à l’aine et le tua, Flav. Jos., III, 335. 5 Flav. Jos., I, 351-352. 6 Tacite souligne encore cet aspect quand, après la prise de Crémone, il indique qu’Antonius était couvert de sang au point qu’« il se rendit en toute hâte aux bains » avant même le début de la direptio, Hist., III, 32. 7 J.-N. Corvisier relève, dans son étude consacrée aux villes grecques prises entre le VIII e s. et le IIe s. av. J-C, une contradiction similaire. La tradition a toujours tendance à affirmer la destruction de ces villes et le massacre ou la déportation de toute la population alors que l’archéologie atteste la continuité du tissu urbain, « Continuité et discontinuité dans les tissus urbains grecs », Démographie historique ancienne, Cahiers scientifiques de l’Université d’Artois, 1999, pp. 141-152. 1
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insignifiant de rescapés. Pourtant, la présence fréquente et massive des captifs dans le butin remet en cause le caractère aveugle et absolu du massacre des captifs d’autant plus que les armées romaines tenaient aussi à tirer profit de leur victoire or, les morts ne sont pas rentables. Des constructions telles que « on n’épargna personne » ou « ce fut un massacre général »1 sont plus des formules usuelles et indicatives que la réflexion de la réalité. Suivant les propres mots de Flavius Josèphe, les troupes de Vespasien, une fois à Jérusalem, « faisaient un massacre général ». Pourtant, après la destruction de la ville, le chroniqueur juif mentionne que les Romains « rassemblèrent douze cents prisonniers »2. Ces dernières paroles montrent clairement qu’ils ne furent pas tous occis. De telles expressions correspondent à une manière de signifier le nombre réduit des survivants par rapport à celui des morts : s’ils sont juste deux ou cinq. À Gamala en 68 ap. J-C, sur les 4 000 Juifs massacrés seules deux personnes, précisément des femmes, survécurent. Tandis qu’à Masada, les troupes romaines ne trouvèrent que cinq survivants sur des milliers de morts. Flavius Josèphe ne fournit aucune information sur ces rescapés3. Même si pendant la phase du massacre le miles est animé d’une furor sacrée et meurtrière, il n’en demeure pas moins qu’il lui arrive d’épargner une frange de la population. En réalité, le massacre ne se fait pas toujours indistinctement. Il ne concerne pas toutes les fractions de la population vaincue. À ce stade de l’entrée des troupes ennemies dans la ville, deux facteurs entrent en jeu : l’âge et le sexe. Les hommes, jeunes et adultes, restent toujours les plus exposés contrairement aux femmes, aux personnes âgées et impotentes. Ils sont dans la plupart des cas exterminés parce qu’ils représentent le danger principal : ils constituent la fraction des combattants. Leur élimination est imposée, avant tout, par la prudence et la stratégie militaire qui consistent à neutraliser les éléments les plus menaçants afin d’écarter toute tentative de riposte. Cette précaution reste d’autant plus justifiée que la résistance peut, même à l’intérieur des murs, se poursuivre comme ce fut le cas à Japha, en Judée en 67 ap. J-C. Trajan (père du futur empereur du même nom) et ses troupes livrèrent un combat acharné contre les habitants qui s’étaient regroupés à l’intérieur alors qu’ils croyaient avoir soumis la ville. « Les hommes valides leur lançaient dessus des projectiles dans les ruelles, et les femmes, du haut des maisons, leur lançaient tout ce qui leur tombait sous la main. Ils résistèrent six heures les armes à la main »4
indique Flavius Josèphe.
« Nil opus captivis, solam internieionem gentes finem bello fore », « On n’avait que faire des captifs, seul le massacre général de la nation mettait fin à la guerre » écrit Tacite, Annales, II, 21, 2. 2 III, 325 ; III, 337-339. 3 Nous n’avons retrouvé ni la trace des cinq survivants de Masada qui avaient réussi à échapper au suicide collectif ni celle des deux rescapés de Gamala. Flavius Josèphe ne revient pas sur le sujet dans le reste de son ouvrage. Nous ignorons ce qu’ils devinrent une fois entre les mains des Romains. 4 VII, 298-304. 1
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En effet, repoussés par l’ennemi qui réussit à entrer dans la cité, les assiégés avaient la possibilité de se replier pour préparer une riposte. D’après le récit que Tacite fait de l’occupation de la solide forteresse de Volande, en Arménie, dès leur entrée, les troupes de Corbulon en 58 ap. J-C passèrent tous les hommes adultes au fil de l’épée tandis que la masse des noncombattants fut vendue aux enchères1. De même, à Machéronte, 1 700 hommes furent massacrés2, à Séphoris, en Galilée, « tout ce qui était bon pour le service militaire était tué »3, dans la province de Judée, à Hébron en 68, « Céréalis massacra toute la foule des jeunes », à Japha « aucun mâle ne fut épargné, sauf les tout-petits »4. En général, une partie importante de la population des villes capturées est composée par les non-combattants5, c’est-à-dire les enfants, les femmes, les personnes âgées et impotentes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les textes insistent beaucoup sur la distinction entre « la foule des combattants » et « la catégorie des non-combattants ». La première rassemble les hommes en âge de porter les armes6, aptes à se défendre contre l’ennemi et à protéger la cité et ses habitants. Quant à la seconde, elle regroupe les civils et les non-citoyens, la frange de la population exclue des activités militaires à cause de son âge, son appartenance sexuelle ou son infirmité, il s’agit des enfants, des femmes et des personnes âgées et invalides. D’ailleurs, les auteurs s’affligent et dénoncent le fait que la seconde catégorie ne soit pas épargnée pendant les massacres lors de la prise des villes7. Néanmoins, aucune clause juridique n’est prévue pour la protection des non-combattants. De plus, dans la définition du captif aucune distinction entre combattants et non-combattants n’est faite. Flavius Josèphe déplora le fait que l’armée romaine n’épargnât pas les non-combattants à Jérusalem, elle « n’eut pitié ni des petits enfants, ni du grand âge, ni de la faiblesse des femmes ». Les assaillants comme des « fous furieux » s’en prenaient à tous. Le problème des estimations des personnes exterminées, principalement liées au nombre d’habitants, se pose aussi sur le champ de bataille. Nous ne disposons que de rares données chiffrées fiables mais imprécises, datant pour la plupart de l’époque républicaine. Selon Velleius Paterculus, dans les plaines Raudiennes en 101 av. J-C, Marius et le proconsul Lutatius Catulus firent massacrer ou capturer plus de 10 000 hommes8 ; dans les fortifications du port de Pirée en 86 av. J-C, au cours de sa guerre contre le roi Ann., XIII, 39, 4. VII, 208-209. 3 III, 62. 4 VII, 304. 5 Cés., G. G., VII, 78. 6 À Rome, dès l’âge de 17 ans les mâles étaient inscrits sur les listes des mobilisables, Cl. Nicolet, Le métier de citoyen…, p. 128. 7 T.-L., IV, 59, 4 ; VI, 3, 10 ; VII, 27, 7. Supra chapitre V. 8 Vel. Pater., II, 12. 1 2
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du Pont, Mithridate, Sylla fit tuer plus de 200 000 hommes1 ; plus de 400 000 hommes furent occis ou capturés par César en Gaule2. Ces données ne précisent ni le nombre de captifs, ni celui de morts. En revanche, lorsque les auteurs distinguent les morts des prisonniers, le nombre de personnes tuées s’avère souvent beaucoup plus élevé3. Valère Maxime mentionne qu’à la bataille de Cannes en 216 av. J-C, 15 000 Romains furent tués et seulement 6 000 faits prisonniers4 ; suivant Flavius Josèphe, à la bataille de Bethennabris en Judée, 2 000 Juifs furent pris et 15 000 massacrés5 et, dans son bilan de la guerre de Judée, il indique que le nombre de prisonniers atteignit 97 000 et celui des personnes ayant péri 1 100 0006. Le nombre d’hommes en armes massacrés sur le champ de bataille reste d’autant plus élevé que le carnage est une phase indispensable dans une confrontation, de plus, il procure la renommée en facilitant l’accès au triomphe, la célébration militaire la plus prestigieuse de la victoire à Rome7. Dans les textes, la nature sanglante d’une bataille reste un facteur dispensateur de gloire pour le général pendant la République. Les succès de Regulus étaient étroitement liés à ses massacres, qui avaient « répandu largement tout autour de lui la terreur de son nom »8. De même, Marius en Germanie9 et César en étaient présentés comme des imperatores de grande renommée dont les succès découlaient en partie des fameux massacres qui avaient matérialisé leur victoire éclatante sur les ennemis de l’Urbs. De fait, l’atrocité des combats11 prouvait que Id., II, 18. II, 46-47. Entre 58 et 51 av. J-C, le nombre de morts s’éleva à 1 000 000 et celui des captifs à 1 000 000 selon Plutarque, Pompée, LXVII, 10. 3 Entre le Ve et le IIIe s. av. J-C, Tite-Live donne des chiffres très élevés, en particulier pour les morts, au point de susciter le doute quant à l’exactitude de certains bilans. En 502 av. JC, Sp. Cassius aurait tué 10.300 Sabins et fait 4.000 prisonniers, T.-L., V, 49, 2. À la bataille de Sentium les troupes romaines auraient tué 25.000 Samnites et fait 8 000 prisonniers, T.L., X, 30, 4-6. En 225 av. J-C, à la bataille de Télamon, les hommes de L. Aemilius Papus massacrèrent 40 000 Gaulois et en capturèrent 10 000. En 120 av. J-C, l’armée romaine élimina 120 000 hommes de l’armée de Bituit, Per. 61. Ces estimations exigent beaucoup de prudence quant à leur exactitude vu que la mortalité était très élevée pendant l’Antiquité, P. Salmon, « La limitation des naissances dans l’empire romain », p. 104. Néanmoins, elles mettent en évidence l’importance capitale du carnage dans l’obtention de la victoire et des récompenses, en dépit du fait que le nombre élevé de morts n’ouvrait pas directement l’accès au triomphe. 4 Val. Max., I, 6, 6 ; II, 7, 15e. 5 La guerre des Juifs, IV, 435. 6 Ibid., VI, 420. 7 Les victoires de moindre envergure étaient, quant à elles, célébrées par un petit triomphe appelé ovatio. 8 Flor., I, 18, 21. 9 Vel. Pater., II, 12. 10 Id., II, 47. 11 Qui furent, d’ailleurs, considérés comme « heureux » lorsqu’ils étaient particulièrement sanglants comme le fut l’affrontement dans les plaines raudiennes entre Marius et les Germains, Vel. Pater., II, 12. 1 2
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l’échec de l’adversaire était total et que le général pouvait de la sorte obtenir le triomphe qui était non seulement une célébration, mais aussi une reconnaissance de ses brillants succès par le populus. En effet, « pour obtenir le triomphe, le général devait en un seul combat tuer 5 000 hommes sur le champ de bataille, et pour contrôler les abus, une loi menaçait de châtiment les généraux vainqueurs qui se seraient permis, dans leur rapport au sénat, de majorer faussement le nombre d’ennemis »1.
Ces précisions de Valère Maxime montrent à quel point le nombre de soldats abattus s’avère déterminant à la suite d’une confrontation et expliquent en même temps le nombre élevé des morts. Pline le Jeune le confirme, sans donner un chiffre précis, en louant « ceux du temps de jadis qui devaient le nom d’imperator aux champs couverts de morts et aux mers teintes par des victoires »2. Le carnage effectué, aussi bien sur le champ de bataille que dans une ville prise d’assaut, prouve que les guerres entreprises par Rome n’avaient pas, essentiellement, pour objectif de capturer des ennemis afin de les réduire en esclaves. La conception romaine de la victoire reste ainsi étroitement liée au massacre qui permet d’évaluer la ponction faite dans les rangs de l’ennemi et, de la sorte, l’éliminer ou, du moins, le paralyser momentanément. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les sources ne font souvent aucune allusion aux captifs à la suite d’un combat tandis qu’elles insistent beaucoup sur l’atrocité des affrontements, qui est loin de les choquer. La nature éclatante de la victoire se mesure et se lit à travers l’ampleur du carnage. Tacite dans le panégyrique de son beau-père, Agricola, oppose le faux triomphe de l’empereur Domitien, qui avait usurpé son triomphe, aux succès éclatants d’Agricola matérialisés par le nombre élevé d’ennemis massacrés. Domitien, relève-t-il, « avait conscience du ridicule encore récent de son faux triomphe sur les Germains : n’avait-on pas acheté des hommes sur le marché pour les travestir par le vêtement et la chevelure en prisonniers. Mais à présent, pensait-il, une vraie et grande victoire, après que des ennemis par milliers avaient été massacrés, était célébrée à grand bruit »3.
Dans le bilan que Tacite dresse à la suite de la confrontation entre les troupes d’Arminius et l’armée romaine à Idistavise en 16 ap. J-C, il conclut que ce fut une grande victoire, « les ennemis massacrés couvrirent un espace de 10 000 de leurs cadavres »4. En 61 ap. J-C, à la suite de la bataille qui opposa la reine Bouddica aux troupes romaines, Tacite, pour donner une idée de Val. Max., II, 8. Cependant, le chiffre qu’il avance ne coïncide pas avec celui, plus élevé, que fournissent Diodore et Appien. Pour le premier il faut que le combat fasse 6 000 morts (XXVI, 14) tandis que pour le second 10 000 ennemis doivent être tués (Les guerres civiles à Rome, II, 44). L’usage voulait que les généraux prissent le titre d’imperator non pas au début de leur commandement mais à la suite d’une victoire que confirmait le nombre de morts, Tac., Ann., III, 74 ; Dion, XXXVII, 40. 2 « Quibus imperatorium nomen addebant contecti caedibus campi et infecta uictoriis maria », Pan., 12, 1. 3 Tac., Agr., XXXIX, 2. 4 Ann., II, 21. 1
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l’ampleur de la victoire romaine, signale que les « soldats n’épargnèrent même pas les femmes, et les bêtes de somme percées de traits avaient grossi l’amoncellement de cadavres »1. Il en déduit que ce fut « une gloire éclatante, égale à celles des victoires antiques ; certains disent en effet qu’un peu moins de 80 000 Bretons périrent »2. Le nombre des captifs s’avère rarement plus élevé que celui des dépouilles sur le champ de bataille, parce que le carnage rend la victoire effective et éclatante. « Germanicus avait ôté son casque et priait ses soldats de s’acharner au carnage : on n’avait que faire des prisonniers, seul le massacre général de la nation mettait fin à la guerre »3 écrit Tacite.
Malgré les paroles anciennes de Xénophon suivant lesquelles « tout autant qu’au nombre des ennemis tués, la gloire d’un vainqueur se mesure à l’abondance du butin matériel et humain qu’il s’est approprié »4, il ressort des textes latins, passés en revue, que plus que le nombre de captifs, celui des vaincus occis s’avère plus déterminant et symbolique dans la consécration de la victoire. Le massacre focalise tout l’intérêt des auteurs, alors que l’absence des captifs reste flagrante (sauf quand il s’agit d’un captif de marque)5. L’étape du carnage au cours de la prise d’assaut d’une cité exige, surtout, la présence des habitants. Cependant, même si cette condition est pleinement remplie, le massacre ne signifie pas nécessairement une extermination complète et ne s’applique pas méthodiquement ou indistinctement à tous les vaincus. Il convient, quand même, de distinguer deux moments dans l’opération du carnage aussi bien pendant l’investissement d’une place qu’au cours d’affrontements sur le champ de bataille : d’une part, le massacre pendant les combats ou la prise d’assaut qui touche les non-combattants et les combattants (ils ne sont pas encore pris) ; d’autre part, le massacre qui survient après la capture de la ville ou la défaite de l’ennemi6. Dans les deux cas de figure, le carnage peut être analysé sous l’angle d’une stratégie militaire. Il correspond, surtout, à une mesure prescrite par un impératif : tous les vaincus ne peuvent être gardés prisonniers puisque ceci soulève un certain nombre de difficultés. Tout en constituant une marque de victoire, l’importance numérique des captifs pose à l’armée victorieuse des problèmes d’approvisionnement et de sécurité.
Ann., XIV, 31 ; Pline, Pan., 16, 3. Ibid., XIV, 37. 3 Tac., Ann., II, 21, 2. 4 Cyrop., VII, 5, 72-73. 5 Cf. Tableau IX de l’Annexe I. 6 Nous avons déjà établi ces différences qui créent de nombreuses confusions entre le massacre de combattants et celui de prisonniers au niveau de la terminologie, supra chapitre I. 1 2
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II. Le massacre : une solution à l’insécurité La relation entre le nombre élevé de captifs et la sécurité est relevée et établie par Appien et Flavius Josèphe. Les troupes devaient parer à toute éventualité d’une rébellion provenant des prisonniers confiés à leur garde. La première ou l’une des précautions prioritaires à prendre consiste à maintenir un équilibre entre l’effectif des captifs et celui des surveillants. Flavius Josèphe raconte qu’à Jérusalem, Titus « jugeait imprudent de relâcher des gens pris après le combat […], il se rendait compte que la garde d’un pareil nombre de prisonniers reviendrait à emprisonner les gardiens »1, car « cinq cents prisonniers et parfois plus étaient faits chaque jour ».
Un soulèvement inopiné peut se produire dès l’instant où les captifs se sentent supérieurs numériquement pour affronter les gardes. Tite-Live rapporte qu’en 296 av. J-C, l’armée samnite, embarrassée de son immense butin humain, dut faire face à une révolte soudaine des prisonniers de guerre qui, débarrassés de leurs liens, s’emparèrent des armes. Le Padouan ajoute que « c’était quelque chose de plus terrible que le combat même »2. Le problème de sécurité que pose le grand nombre de prisonniers rappelle celui soulevé par les villes qui, faute de garnisons disponibles, se voient refuser la deditio avant d’être détruites3. La surveillance des captifs, une mesure de sécurité indispensable, exige la mobilisation et le détachement d’un certain nombre de soldats or, ces opérations bouleversent l’organisation et la répartition des effectifs militaires. L’armée se trouve, ainsi, dans l’obligation de se défaire d’une partie de ses hommes, alors que les hostilités se poursuivent. Appien revient souvent sur ce problème crucial pendant les guerres mithridatiques et puniques aussi bien du côté romain que de celui de ses adversaires. Il explique que Manlius dut se débarrasser des 40 000 captifs tolistoboii en sa possession, ceux-là mêmes qui s’étaient réfugiés sur le Mont Olympe de Mysie, en les vendant aux premiers venus. Il lui était impossible de les tenir sous bonne garde d’autant plus que la guerre n’avait pas encore pris fin4. Hannibal, pris au piège par les troupes du dictateur Maximus Fabius, dut décapiter approximativement 5 000 prisonniers romains de peur qu’ils ne se révoltassent quand viendrait le moment périlleux5. Face à ces risques, l’exécution sélective des captifs peut correspondre à une mesure préventive pour le vainqueur. L’élimination physique des ennemis les plus dangereux, à moins qu’ils ne soient expressément réservés pour le triomphe, résorbe efficacement les difficultés relatives à la sécurité des troupes victorieuses. Tacite critique la conduite des Bretons en temps de guerre, car au lieu de se livrer à des trafics tels que la vente des captifs, ils préféraient les tuer. Flav. Jos., V, 451. X, 20, 13-16. 3 Nous avons tenté de montrer que la deditio n’est pas un rempart assuré contre la captivité, supra chapitre II. 4 App., Mithr., 42. 5 Id., Ann., XIV, 60. 1 2
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Mais, compte tenu du danger que pouvait représenter la détention d’un grand nombre de captifs et les contraintes qu’exigeaient leur surveillance ainsi que leur entretien, cette option se révélait parfois une mesure de prudence efficace que les Romains pratiquaient d’ailleurs. Bien qu’il déplore le massacre de vaincus, en particulier lorsqu’ils sont prêts à se rendre (attitude qu’il juge d’ailleurs barbare), Tacite reconnaît, néanmoins, l’obligation dans laquelle se trouve le vainqueur de se débarrasser de ses prisonniers pour se protéger. En vérité, le carnage ne relevait pas simplement de pratiques purement barbares, pourtant quelquefois il correspondait à une stratégie militaire imposée par des situations précaires, planifiée et ordonnée par les commandants en chef des armées. III. L’autorité du général sur ses troupes Le traitement des populations des villes prises soulève le problème de l’autorité du général et de la marge de manœuvre accordée à la soldatesque au cours du massacre et du pillage. Généralement, les textes mentionnent le son de la trompette ou le signal qu’émettait le chef des troupes pour marquer la fin d’une séquence ou le passage à une autre phase pendant la prise d’une ville1. À Henna en 214 av. J-C, L. Pinnarius d’un geste de sa toge donna l’ordre à ses hommes de massacrer la population2. En 209 av. J-C, Carthagène fut pillée puis détruite au son de la trompette de même que Corinthe en 146 av. J-C. Polybe fait une description complète des différentes étapes de la prise de Carthagène par P. Cornelius Scipion. Il en profite pour fournir un modèle parfait de la disciplina militaris illustrée par l’attitude obéissante des soldats romains3. Dès que Publius jugea suffisant « le nombre des troupes introduites dans la ville, il en détacha, suivant la coutume, la plus grande partie contre les assiégés, avec ordre de tuer quiconque se présenterait, sans rien épargner, et de ne se livrer au pillage qu’à un signal donné […]. Le signal donné, on cessa le carnage, et le pillage commença. Lorsque la nuit fut arrivée, la partie de l’armée qui avait reçu ordre de rester dans le camp s’y enferma ; Scipion se retira avec ses mille hommes dans la citadelle, et commanda par ses tribuns aux autres soldats de quitter les maisons qu’ils pillaient, de réunir leur butin sur la place publique et de veiller à l’entour. […] Voilà comme les Romains se rendirent maîtres de Carthagène » raconte Polybe4.
L’Achéen fournit plutôt un schéma conforme au règlement militaire romain qui voulait que le soldat obéît à son général « who had possessed
Ce signal de commandement est encore plus présent chez Dion Cassius. Dans les récits qu’il fait de la prise de Ctésiphon en 198 ap. J-C et l’île de Calédonie en 210 ap. J-C, il insiste beaucoup sur la décision du général, son contrôle absolu sur les troupes, LXXVI, 9, 4. 2 T.-L., XXIV, 39, 3. 3 Au Ier s. ap. J-C, cette fameuse discipline militaire romaine suscite la même admiration chez Flavius Josèphe qui constate que « cette merveilleuse obéissance fait que rien n’est si beau dans la paix ni si redoutable dans la guerre qu’une armée romaine », La guerre des Juifs, III, 6. 4 X, 15, 4-11. 1
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imperium militiae over his soldiers »1. Au cours de la cérémonie du sacramentum, organisée au moment de la levée des troupes, les recrues étaient astreintes à la prestation du serment qui les liait à leur commandant en chef2. Ce rituel, très ancien, accordait au général le droit de vie et de mort sur ses hommes, en contrepartie, il légitimait leurs actes violents (pillage, meurtre…). Les légionnaires devaient jurer de suivre leur chef, de respecter les enseignes et de se conformer strictement à la loi. L’obéissance et le respect dus au commandant en chef, contenus dans le sacramentum, font partie des fondements de l’armée romaine. Même si la disciplina militaris romana est restée très stricte pendant le début de la République comme l’atteste la prise de villes telles que Véies en 396, Tarente en 209, Chalcis en 200 av. J-C3, la description de la prise de Carthagène de Polybe n’est pas un modèle ordinaire suivi au cours de cette période. L’Achéen a peint un tableau un peu trop parfait, ce que A. Ziolkowski n’a pas manqué de souligner4. Lors du massacre ou du pillage, le soldat cédait souvent à sa fureur et d’ailleurs la clameur très forte l’empêchait parfois d’entendre distinctement les ordres de ses supérieurs. Des actes de désobéissance militaire furent notés à Locha, en Afrique, en 204 av. J-C. Lorsque Scipion donna le signal de la retraite, les soldats rendus furieux par les souffrances endurées pendant le siège refusèrent de reculer. Ils pénétrèrent alors dans la ville et commencèrent à tuer indistinctement femmes et enfants. Pour sanctionner l’insubordination de ses troupes, Scipion les priva de butin et élimina physiquement trois de ses soldats que la masse avait suivis5. Scipion ne fit qu’appliquer le règlement militaire qui décrétait l’application de la decimatio en cas d’insubordination. D’un autre côté aussi, en les empêchant de jouir du 1 S. E. Phang, Roman military service. Ideologies of discipline in the late Republic and early Principate, Cambridge, 2008, p. 115 ; P. Cosme, L’armée romaine, VIIIe s. av. J-C - Ve s. ap. J-C, A. Colin, Paris, 2007, p. 20 sqq. 2 Par le sacramentum, l’individu qui prêtait serment consacrait sa personne à une divinité, en cas de fausse déclaration ou de parjure. T.-L., X, 38 (serment de la légion du lin), Pol., VI, 21, 1-3. Le sacramentum liait le soldat à l’armée (son général, ses compagnons d’armes) et à la cité. Cependant, il finit par perdre tout son aspect mystique qui « pénétrait l’âme d’une religieuse terreur » et qui mettait le soldat dans l’obligation de suivre son général de peur d’encourir la colère de Jupiter. J. Harmand, L’armée et le soldat à Rome…, pp. 300-302. 3 T.-L., V, 21 ; XXVII, 16 ; XXXI, 23. 4 Dans son article, « Urbs direpta…», A. Ziolkowski montre que Polybe, en fournissant un modèle qu’il qualifie de « quasi-weberian ideal type of city’s sack » où le général contrôlait toutes les opérations, a surtout voulu illustrer la discipline et la modération qui régnaient dans l’armée romaine contrairement en Grèce, p. 89. Cl. Nicolet fait également remarquer que la militia telle qu’elle est présentée par Polybe est très idéaliste, Le métier de citoyen…, p. 166. 5 Ces trois soldats étaient des centurions désignés par tirage au sort conformément au code militaire romain qui stipulait que, lorsque plusieurs hommes étaient coupables de fautes militaires, les chefs n’infligeaient pas à tous la peine de mort mais procédaient par tirage au sort. Ceux qui étaient désignés étaient tués ou battus et les autres étaient contraints de se nourrir de farine d’orge au lieu de blé et de camper en dehors du retranchement, Pol., VI, 37-39. Le règlement militaire prescrivait d’exécuter un soldat sur dix en cas de désobéissance.
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butin, il suivit la prescription qui stipulait qu’« une armée n’aurait sa part du butin qu’à condition de ne pas avoir refusé le service »1. L’attribution d’une partie de la praeda aux soldats ne dépendait que de l’autorité absolue du général2 et de sa générosité. En principe, elle ne relevait aucunement des prérogatives du soldat. Or le butin, dont la conquête se traduisait par des gains substantiels qui complétaient aussi la solde, avait pour fonction principale de récompenser les soldats3 ; donc le général, en privant ses hommes, les punit conformément au règlement militaire. Retenons ici que c’est le seul cas rencontré où le général usa d’une mesure aussi radicale (l’exécution physique) pour châtier ses hommes4. En 190 av. J-C, à Phocée, les légionnaires romains procédèrent au pillage de la ville sans l’ordre de L. Aemilius Regulus qui, pourtant, leur avait enjoint d’épargner les habitants. Impunément, ils passèrent outre sous prétexte que les Phocéens avaient combattu âprement les troupes romaines avant de se rendre5. Cette rigueur ne fut pas toujours suivie à la lettre, « à partir de 140 av. J-C, on peut constater une dégradation de la situation disciplinaire […] La réforme marinienne n’a rien amélioré »6. À Crémone les soldats mirent le feu sans l’ordre de leur général. Tacite l’explique par un malentendu entre Antonius et ses hommes qui supposaient qu’il avait donné le signal alors que « pour se laver du sang dont il était couvert, il se rendit en toute hâte aux bains, et comme il se plaignait que l’eau ne fut pas tiède, une voix répondit qu’on allait la chauffer. Le mot fut recueilli et ce propos d’un esclave fit retomber sur Antonius tout l’odieux de ce qui arriva »7.
Néanmoins, bien que Crémone ait été incendiée à cause d’une méprise, Antonius ne prit aucune mesure pour sanctionner l’acte. Au contraire, à l’assemblée qu’il convoqua, s’il prit la peine de féliciter les vainqueurs et d’apaiser les vaincus, en revanche, il « ne dit rien de Crémone ni dans un sens ni dans l’autre » et ne laissa non plus aucune directive à ses hommes. Et, mieux encore, même lorsqu’il leur défendit de mettre en vente les captifs de Crémone, certains furent rachetés en cachette par leurs proches. Toutefois, il faut bien préciser que la prise de Crémone est un cas particulier puisqu’elle se déroule en T.-L., IV, 53, 10. H. Shatzman, op. cit., p. 203. 3 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, 33-38. 4 Scipion alla aussi loin, dans ce cas précis, parce que non seulement ses hommes n’avaient pas obéi à ses ordres mais encore et surtout Locha s’était rendue avant d’être envahie. 5 T.-L., XXXVII, 32, 7-17. Les troupes romaines maltraitèrent la population phocéenne en dépit des injonctions du préteur Aemilius qui leur rappela que la décision de piller n’appartenait qu’au commandant en chef. 6 J. Harmand, op. cit., p. 273. L’armée romaine disposait de toute une série de châtiments en fonction du type de délits commis (amendes, saisie de gages, bastonnade ou exécution). La désobéissance à l’autorité du général était une faute militaire grave et passible de punitions, Pol., VI, 37-39. Mais la discipline militaire romaine, très sévère au début de la République et qui suscita toute l’admiration de l’Achéen, tendit à se relâcher avec la paupérisation de l’armée. 7 Hist., III, 32. 1 2
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période de guerre civile où la discipline militaire est un peu relâchée. De peur de perdre leurs hommes au profit du camp adverse, les chefs de l’armée acceptaient beaucoup de compromis1. En Judée, précisément à Jérusalem en 70 ap. J-C, les soldats de Titus décidèrent d’eux-mêmes de mettre le feu au portique. Titus, de la voix et de la main, fit, pourtant, signe aux combattants d’éteindre l’incendie, mais eux ne prêtèrent attention aux gestes de leur général2. « Ni exhortations ni menaces ne pouvaient contenir l’impétuosité des légionnaires en train de charger : chacun n’avait d’autre général que sa fureur » explique Flavius Josèphe. Se rendant compte de son impuissance à contenir l’élan et la fureur de ses soldats qui ne se contrôlaient plus, Titus s’éloigna sans sévir contre cet acte flagrant d’indiscipline. Cette défaillance du commandement face au déferlement de la fureur soldatesque est d’ailleurs largement mise en évidence par l’attitude de Titus à Gishala en Galilée en 68 qui fut obligé, pour épargner les habitants de cette ville, de leur demander de se rendre, car une fois la cité prise d’assaut, ses soldats procéderaient à un massacre. Même si les textes disent le contraire, les faits établissent que le miles, dans une ville prise, disposait d’une marge de manœuvre assez large en dépit du règlement militaire qui stipulait que « c’était au général de décider du pillage et non aux soldats »3. Dans une urbs capta le légionnaire avait, pour ainsi dire, la liberté de tuer et de piller avec ou sans l’accord du général. Même si des sanctions telles que la privation de butin ou la decimatio étaient prévues par le règlement de l’armée, était-il possible, dans la pratique, de les suivre à la lettre sachant que la guerre se poursuivait encore ? La mise en application de la decimatio réduisait les effectifs tandis que la privation de butin pouvait susciter des mouvements d’humeur contre les chefs de l’armée ou générer des mutineries dans les rangs. De telles sanctions pouvaient réveiller des sentiments de mécontentement et de frustration qui menaceraient la cohésion et les performances de l’armée. Toutefois, ces actes de désobéissance relevés pendant la prise d’assaut des villes ennemies ne remettent pas, fondamentalement, en cause la discipline militaire dans l’armée romaine. La conduite de l’armée reste étroitement liée à l’autorité et au charisme du commandant en chef. Les généraux toléraient dans une certaine mesure l’insubordination, qui reste quand même une faute militaire4, en acceptant leur impuissance1 face à la colère de leurs troupes et en reconnaissant le pillage comme une récompense méritée. M. Gueye, « Le délit de desertio et de transfugium dans les guerres civiles à Rome sous la République », Res Antiquae, 9, 2012, pp. 236-238. 2 Malgré cette insubordination flagrante, Titus organisa, après l’occupation de Jérusalem et le stationnement de la Dixième Légion, une cérémonie de récompenses pour chacun de ses hommes qui reçurent des félicitations et leur part du butin, La guerre des Juifs, VII, 1-13. 3 T.-L., XXXVII, 32, 15. 4 La désobéissance est citée aux côtés de la lâcheté et de la fuite parmi les délits militaires que pouvait commettre un soldat romain puisque, par le sacramentum, il « s’engageait à obéir à 1
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Pour conclure, le traitement des populations des villes prises relevait normalement de règles établies par le commandant en chef pourtant, dans la réalité, il dépendait, en grande partie, du bon vouloir parfois incontrôlable des troupes. Dans certains cas, l’autorité du général sur ses hommes se révélait purement théorique. Si nous avons choisi d’étudier le traitement des populations des villes prises à part, c’est parce que nous ne les considérons pas encore comme de véritables captifs. De fait, elles ne se trouvent pas complètement sous le contrôle absolu de l’ennemi puisqu’elles pouvaient encore décider de se suicider, de se faire tuer, de s’enfuir ou de résister jusqu’au bout. Cette liberté d’action différencie, fondamentalement, le captivus de celui qui se trouve dans une urbs capta. Il convient, par conséquent, de bien distinguer sa propre captivité (celle du prisonnier de guerre en personne) de celle de sa ville ou localité. Sa captivitas commence à partir du moment où le captus se trouve entre les mains de l’ennemi, c’est-à-dire lorsque sa ville est sous la domination des forces de l’adversaire et lui-même considéré et traité comme du butin. Les traitements infligés aux populations des villes prises ne subirent pas de remarquables transformations entre la République et le Haut-Empire. D’une manière générale, les troupes romaines procédaient de manière presque identique. Le sexe et l’âge représentaient des critères déterminants dans la survie des habitants mais ne demeuraient pas les seuls paramètres qui pouvaient épargner le vaincu2 ; à côté il faut prendre en compte l’attitude des troupes et le contexte politique. C’est pourquoi, même si A. Ziolkowski a raison de faire remarquer que « all other considerations apart, sexual attractiveness was surely the victims’ best chance of survival »3, sa conclusion reste néanmoins restrictive.
ses chefs et faire de son mieux pour exécuter les ordres reçus » sous peine de devenir sacer, Pol., VI, 21, 1, Cl. Nicolet, Le métier de citoyen dans la Rome républicaine, pp. 141-146. 1 L’ascendant du général sur ses troupes était aussi rendu précaire, en partie, par le fait que l’armée romaine était composée de citoyens donc d’électeurs dès qu’ils redeviennent des civils, Cl. Nicolet, Le métier de citoyen…, p. 170. 2 Sur les relations entre le sexe, l’âge, l’ancien statut social du captif et son sort, supra pp. 71-111. 3 A. Ziolkowski, « Urbs direpta, or how the Romans sacked cities », p. 78.
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Chapitre VI
TORTURES ET MISES À MORT DES CAPTIFS La panoplie des formes de supplice et de mise à mort dont disposaient les Romains pour brutaliser ou torturer leurs prisonniers de guerre était riche et variée. Des exemples de captivi maltraités ou exécutés jalonnent toute la période couverte par la présente étude. Dans la mise en application de la peine, le corps du captif reste la cible majeure à travers laquelle s’exprime la violence et/ou la cruauté du vainqueur ainsi que sa volonté de traiter le vaincu en dominé. Dans l’acte de torture, la destruction du prisonnier de guerre, à cause de la menace qu’il représente ou qu’il incarne, n’est plus l’unique objectif du vainqueur mais surtout la souffrance qu’il lui inflige. Il convient de distinguer, toutefois, les tortures des formes de mise à mort, même s’il arrive que les secondes ne soient que les conséquences des premières. En effet, si certains types de supplice aboutissent inéluctablement à la mort de la victime (à savoir le crucifiement, les fœtus arrachés, le combat à mort ou le supplice du feu), en revanche, d’autres (comme le viol, les mutilations et l’envoi aux bêtes ne tuent pas forcément leur victime qui peut alors être achevée par un autre moyen) gardent leur fonction purement punitive : le captif survit à ses blessures, en porte les marques et fait figure de véritable exemple vivant. I. Le viol des captives Le viol n’est pas un type de traitement fréquemment évoqué par les auteurs du corpus1. Le vocable stuprum (comme traitement infligé aux captives) n’apparaît que chez Valère Maxime, Florus (qui relatent la même anecdote) et Tacite (pendant l’occupation de Crémone par les troupes d’Antonius). Il n’est utilisé qu’une seule fois par chacun de ces auteurs. Nous n’avons pas relevé l’exemple des femmes teutonnes capturées par Marius puisque l’acte de viol n’eut pas lieu. Elles firent comprendre au général romain leur refus catégorique de livrer leur corps aux vainqueurs. Valère Maxime emploie concubitus « union charnelle » au lieu de stuprum. Il écrit : « Teutonorum uero coniuges Marium uictorem orarunt, ut ab eo uirginibus Vestalibus donc mitterentur, adfirmantes aeque se atque illas uirilis concubitus expertes futuras, eaque re non impetrata, laqueis sibi nocte proxima spiritum eripuerunt »2.
La valeur transgressive et l’interdit social qui entachent et frappent l’acte de viol retiennent la plupart des auteurs à porter leur regard ou à s’attarder sur ce « sous-produit, fâcheux mais inévitable, de ce jeu nécessaire appelé
Cf. Tableau VII de l’Annexe I ; c’est un vocable qui n’apparait que trois fois dans le corpus. « Les femmes des Teutons, après la victoire de Marius, lui demandèrent de les envoyer auprès des Vestales pour leur être offertes, assurant que, comme elles, elles refuseraient de coucher avec des hommes : ne l’ayant pas obtenu, la nuit suivante, elles s’étranglèrent avec des lacets », VI, 1, ext. 3. 1 2
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guerre »1. Habités par le désir et la volonté de peindre une armée romaine exemplaire, ils évitent de faire allusion à cette forme d’agression en dépit de son caractère plus ou moins banal dans une ville prise d’assaut où le soldat, enragé et harassé, était souvent totalement livré à lui-même2. Salluste énumère parmi les traitements qui parsèment le triste sort des vaincus le « rapt des jeunes filles et des jeunes garçons, l’enlèvement des enfants à la tendresse de leurs parents, mères de famille livrées à la lubricité des vainqueurs, le pillage des temples et des maisons particulières, meurtres, incendies, et partout armes, cadavres, sang répandu, deuil »3.
Les rares fois où il en est question, le viol est un traitement uniquement infligé aux captives. Ce type de sévice est imposé aux femmes aussi bien pendant le pillage d’une ville qu’au moment de leur détention dans un camp militaire4. Dans une urbs capta, le pillage s’accompagnait du viol de femmes et de jeunes filles dans la description laissée par Appien qui évoque les « violences infligées aux femmes » et « les rapts de jeunes filles »5. Nous n’avons rencontré des cas de viol pendant la direptio qu’exceptionnellement. Appien lui-même, bien qu’il cite cette forme de violence parmi les mauvais traitements subis par les femmes pendant la prise d’une ville, à côté du rapt, ne fournit pas d’exemples. Quant à l’auteur de La guerre des Juifs, il n’a, à aucun moment, fait allusion à des cas de viol commis par les soldats romains au cours de tous les nombreux et divers récits de villes prises et investies, de massacre des populations juives6.
S. Brownmiller, Le viol, traduit de l’américain par A. Villelaur, New York, 1976, p. 44. Saint Augustin considère que le viol était un traitement très fréquent pendant les guerres de l’Antiquité, La cité de Dieu, I, (trad. L. Moreau, éd. Seuil, 1994). Dans son ouvrage (Le viol, pp. 43-45), S. Brownmiller a clairement établi le caractère tout à fait banal et courant du viol des femmes en période de guerre, de l’Antiquité à nos jours, malgré toute la législation qui le prohibe. Fait de guerre, le viol reste à la limite inévitable. R. Branche aussi fait le même constat en mettant dans la bouche d’un soldat ces mots : « depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, les envahisseurs ont toujours été, selon leur culture, leur encadrement, leur éthique, soupçonnés de viol », La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie 1954-1962, Paris, Gallimard, 2001, p. 290. Sur l’omniprésence de la violence sexuelle dans les conflits armés du XXe siècle, lire aussi R. Branche et F. Virgili, Viols en temps de guerre, Paris, Payot, 2011. 3 Conjuration de Catilina, LI, 9. 4 Aucun cas de viol n’est mentionné pendant la détention au carcer à Rome ou dans les autres villes. 5 Appien, Annibal, 48, 246. Tacite relate aussi le viol des filles de la reine des Icéniens, Boudicca, pendant l’installation des forces romaines à Camuludunum en 61 ap. J-C. Le roi, avant de mourir, avait désigné César comme héritier du royaume avec ses deux filles afin de protéger son trône. Mais, les centurions, une fois dans la ville, traitèrent les populations comme des esclaves. Ce dérapage provoqua la révolte des Bretons, Annales, XIV, 31. Ce fait montre une facette du comportement du centurion romain envers les femmes alors même qu’il ne se trouvait pas en territoire conquis. 6 Un silence qui s’explique peut-être par la sympathie et la reconnaissance du Juif envers ses bienfaiteurs. 1 2
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Toutefois, à l’instar de Tacite, il fait intervenir cet outrage sexuel pendant les guerres fratricides afin de dramatiser son récit. Tacite insiste sur le viol en utilisant à deux reprises le verbe stuprare lorsqu’il signale qu’à Crémone « non dignitas, non aetas protegebat quo minus stupra caedibus, caedes stupris miscerentur »1. Ajoutons qu’il est aussi le seul parmi nos auteurs à relever le comportement brutal et cruel des soldats flaviens qui se servaient des résidents comme des jouets en les traînant. La même année, en 69 ap. J-C, à Albintimilium, les Othoniens (rendus furieux par l’absence de butin à cause de la pauvreté des habitants, qui avaient d’ailleurs pris la fuite) s’en prirent à une Ligurienne. Elle avait caché son fils et, comme les soldats croyaient qu’elle avait dissimulé de l’argent avec lui, ils l’avaient torturé pour qu’elle révélât sa cachette, elle montra alors son ventre et répondit : « dans mes flancs »2. En fait, dans sa manière de retracer la prise de Crémone, Tacite ne néglige aucun détail horrible, peut-être même, emporté par son désir de montrer l’atrocité des guerres intestines, en a-t-il rajouté. Cependant, il s’avère assez difficile de réfuter sa version des faits dans la mesure où, sous l’emprise de leur fureur aveugle face à l’ennemi, les soldats ont du mal, parfois, à contrôler leurs pulsions en dépit de la rigueur militaire3. Flavius Josèphe, de son côté, ne manque pas de mentionner les violences sexuelles parmi les horribles traitements infligés aux femmes de Jérusalem au cours du conflit civil qui opposa Simon Bar Gioras, Jean de Gishala et Eléazar en 69 ap. J-C. « Le Juif de Rome » a tendance à faire de ces chefs de factions tantôt des malfaiteurs, tantôt des brigands qui assassinaient les Juifs et violentaient leurs femmes alors que, malgré leurs dérapages, ils s’opposaient vigoureusement à la domination romaine4. Le viol, quoiqu’il fît réellement partie des calamités généralement subies par les vaincues, constituait un argument d’amplification des drames vécus par les femmes de Jérusalem et participait aussi à montrer que cette ville, meurtrie, était abandonnée par son dieu. Si à l’extérieur, elle était assiégée par les Romains, à l’intérieur elle était rongée par une lutte fratricide sanglante entre les bandes de Simon, d’Eléazar et de Jean qui s’en prenaient aux populations. Le viol, commis par les Juifs euxmêmes et non par les Romains confirmait ainsi la malédiction divine. Pour Flavius Josèphe, même le dieu de Jérusalem était favorable aux Flaviens5.
1 « Ni le rang ni l’âge n’étaient une protection, le viol se mêla au meurtre et le meurtre au viol », Hist., III, 33. 2 Tac., Hist., XIII, 1-3. 3 Ces écarts posent le problème de l’autorité du général face à ses troupes, point déjà abordé dans le chapitre précédent. 4 IV, 560. Alors que Flavius Josèphe s’est rendu aux Romains. 5 La Guerre des Juifs, V, 367 ; A. Mosès, « Enjeux personnels, enjeux collectifs dans la guerre des Juifs », BAGB, 1986, p. 195.
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1. Autour du viol de Chiomara Le seul exemple de viol effectif d’une captive en détention dont nous disposions reste celui de la femme d’Orgiagon, Chiomara. La reine des Gallogrecs1, faite prisonnière à la suite de l’expédition menée par le consul Cn. Manlius Vulso en 191 av. J-C, fut placée sous la garde d’un centurion romain qui la viola. D’une manière générale, les différents auteurs s’accordent sur leur récit respectif2. Néanmoins, Tite-Live reste le seul à signaler que le soldat romain avait, d’abord, fait des avances à la femme d’Orgiagon (sans pour autant préciser son nom) avant de la prendre de force. « L’épouse du roi Orgiagon, qui était d’une beauté remarquable, était gardée avec plusieurs prisonniers ; un centurion débauché et cupide comme un soldat, commandait la prison. Il s’attaqua à son cœur : la voyant refuser avec horreur une débauche consentie, il viola son corps qui était du fait du destin son esclave »3.
Les Gallogrecs ou les Galates sont les descendants des Celtes qui immigrèrent en Asie au IIe s. av. J-C, T.-L., XXXVIII, 17, 49. 2 Il est relaté par de nombreux auteurs anciens aussi bien latins que grecs : Polybe (XXI, 38) dont le texte a été conservé par Plutarque, Œuvres morales, XXII (tome IV, texte traduit par J. Boulogne, Les Belles Lettres, 2002), Tite-Live, Valère Maxime et Florus. Plutarque reste le seul à préciser le nom de l’héroïne. Valère Maxime raconte que, « l’armée et les forces des Gallogrecs, dans leur rencontre avec le consul Cnaeus Manlius au pied de l’Olympe furent en partie anéanties, en partie capturées. La femme de leur roi Orgiagon, dont la beauté éveillait l’admiration, fut confiée à la garde d’un centurion qui la contraignit à se soumettre à lui ; mais quand on arriva à l’endroit où le centurion avait fait dire à la famille de la femme d’apporter la somme qui servirait à la racheter […], elle ordonna aux Gallogrecs, dans leur langue, de l’abattre. Puis, quand il eut été tué, on lui coupa la tête et elle la prit dans ses mains pour rejoindre son mari ; elle la jeta à ses pieds et lui exposa ce qu’avaient été l’injure qu’elle avait subie, et sa vengeance. Cette femme, dira-t-on qu’elle a laissé autre chose que son corps passer au pouvoir de l’ennemi ? Car son âme n’a pu être vaincue et sa pudeur soumise », VI, 1, ext. 2 ; Florus rapporte que « la femme du roi Orgiancontis, violée par un centurion, donna un exemple mémorable : elle échappa à ses gardes et rapporta à son mari, la tête coupée de son ennemi adultère » I, 27, 5-6 ; S. Ratti, « Le viol de Chiomara. Sur la signification de Tite-Live, 38, 24 », DHA 22/1, 1996, p. 97. 3 « Puis pour atténuer l’humiliation provoquée par le viol, il donne à la femme l’espoir de retourner auprès des siens comme complice, il permet à la femme d’envoyer un prisonnier de son choix au titre de messager à sa famille. Il choisit un endroit proche de la rivière où deux serviteurs de la prisonnière, pas plus, se rendront la nuit suivante avec l’or, pour la recevoir. Par hasard un des esclaves de la femme était gardé dans la même prison. C’est lui, comme messager, que le centurion fait sortir du camp au début de la nuit. La nuit suivante, d’un côté les deux esclaves de la femme vinrent au rendez-vous, de l’autre le centurion accompagné de la prisonnière. Là, comme ils montraient l’or, dont le total se montait à un talent attique, la femme leur ordonna dans sa langue de tirer leurs épées et de tuer le centurion qui était en train de vérifier le poids de l’or. Portant dans son propre vêtement la tête de l’homme égorgé, elle rejoignit son époux Orgiago qui, depuis l’Olympe, s’était enfui chez lui, avant de l’embrasser, elle jeta à ses pieds la tête du centurion ; et comme il demandait, étonné quelle était cette tête d’homme et quel était cet acte bien peu féminin, elle avoua à son mari l’humiliation faite à son corps et la vengeance de sa pudeur », poursuit le Padouan, XXXVIII, 24. 1
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Chiomara fut capturée en même temps que d’autres femmes que les Romains avaient vaincues au combat. « L’officier qui l’avait prise profita de la circonstance en soldat et la viola. C’était, en fait, un homme sans retenue ni contrôle de soi face au plaisir et à l’argent. Il fut cependant vaincu par sa cupidité et, comme la femme était convenue d’une forte rançon, il la conduisit pour l’échanger, sur le bord d’un fleuve formant frontière. Mais lorsque, après avoir traversé, les Galates lui eurent donné l’or et eurent repris Chiomara, elle donna d’un signe l’ordre à l’un d’eux de frapper le Romain qui l’embrassait et la cajolait. L’homme obéit et lui trancha la tête. Elle la ramassa, l’enveloppa dans les plis de son vêtement et partit. Quand elle eut rejoint son époux et eut lancé devant lui la tête, celui-ci lui dit avec admiration : « Femme, que la confiance est une belle chose ! » « Oui, répondit-elle, mais il est plus beau que ne soit en vie qu’un seul des hommes qui se sont unis à moi »1.
À l’unanimité, les sources dénoncent et condamnent la conduite dévergondée du centurion romain. Par opposition, elles mettent en relief la vaillance de la vertueuse reine de la Galatie d’une part et la lâcheté de l’immoral soldat romain d’autre part. Cette préoccupation transparaît dans leur récit où l’attention porte plus sur la dimension éthique que sur la réalité militaire et juridique du viol d’une captive. L’accent est, surtout, mis sur le comportement outrageux du soldat romain et sur le caractère dégradant du viol. Stuprum ou viol signifie aussi déshonneur, infamie, opprobre, honte ou attentat à la pudeur. Dans sa définition, stuprum renvoie à l’univers de la morale comportementale. Le viol, opportuniste ou prémédité, par la brutalité qui le sous-tend et le domaine intime auquel il appartient, est fondamentalement répréhensible en dépit de l’absence de tout texte juridique prohibitif. C’est d’ailleurs une raison qui justifie et couvre l’acte criminel commis par la reine pour se venger. En éliminant froidement son gardien, elle fit de l’effusion de sang le seul moyen de laver son déshonneur et celui de son peuple. Le meurtre assure ici une fonction double : purificatoire pour la victime (qui fut souillée) et expiatoire pour le coupable. Ainsi, à aucun moment, les auteurs ne dénoncent le délit criminel de Chiomara, au contraire, ils l’approuvent. Un sentiment d’admiration transparaît même à travers ces mots de Valère Maxime : « cette femme, dira-t-on qu’elle a laissé autre chose que son corps passer au pouvoir de l’ennemi ? Car son âme n’a pu être vaincue et sa pudeur soumise ».
Le courage de la reine des Galates impressionna également Florus qui rangea ce fait parmi les exemples mémorables. Toutefois, le caractère infamant du viol n’apparaît que lorsque, en la personne de Chiomara, seules la femme et la reine sont prises en considération2. Les auteurs anciens reprochent au centurion sa débauche et sa cupidité. Mais convient-il d’évoquer la dépravation morale ou même Plutarque, Les vertus des femmes, XXII. S. Ratti, op. cit., p. 105, a surtout mis l’accent sur la double offense faite à la reine (par le viol et le chantage) qui correspond à un double manquement à la morale romaine ; fautes qui font de lui un anti-modèle. Cependant, dans son analyse, il ne prend pas en compte la nouvelle condition de captive de Chiomara. 1 2
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l’intempérance d’un soldat victorieux dans ce contexte précis où il faut replacer l’épisode : la guerre et notamment la captivité ? Faut-il considérer ce viol comme une offense ? Replacé dans le cadre violent et cruel d’un conflit armé qui ne prévoit aucune assistance ni aucune protection pour le captif, le déshonneur reste moins flagrant et à la limite même inexistant. Certes, la violence sexuelle est un outrage à l’honneur de la femme et de la reine, pourtant quel que soit son charisme ou son ancien statut social, après la prise d’Ancyre, Chiomara, passa de la condition de reine à celle de captive. Son nouveau statut de captiva provoqua et permit le viol qui signait une double défaite, celle de la reine et celle de son peuple. Par conséquent, les sentences morales formulées à l’encontre de la conduite du légionnaire romain peuvent varier en fonction du cadre dans lequel l’épisode est placé. Le comportement du centurion s’expliquait par les circonstances : il avait en face de lui une prisonnière de guerre, qu’il avait de surcroît personnellement capturée, suivant la version de Plutarque. Elle représentait, tout bien considéré, sa part du butin. D’ailleurs, timidement, Plutarque et Tite-Live expliquent la conduite du Romain par la grande beauté de la captive et par sa fonction de soldat qui faisait de lui un homme « cupide » et dévergondé. La beauté et surtout la condition de captive de Chiomara, qui en faisait une dominée sous son contrôle, expliquaient la conduite du détenteur. La beauté constitue même une force d’attraction puissante qui crée une relation à sens unique entre le captivator et sa captive. Il n’est, en effet, pas toujours facile de se tenir à distance de la beauté1 surtout lorsqu’elle est incarnée par les traits d’une captive, une femme vaincue, sans défense et le centurion ne sut pas résister. Le soldat n’était pas seulement guidé par son plaisir mais il avait utilisé la captive comme du simple butin, plus précisément sa part. De plus, il semble qu’il ne reçut aucune directive quant à l’attitude à adopter. En fait, le viol échappait à la discipline militaire et constituait aussi le meilleur moyen pour un soldat de jouir de sa victoire, tromper son ennui et se divertir. Du reste, le comportement du centurion ne semblait pas choquer ses supérieurs hiérarchiques. Du moins, les sources affichent un silence complet sur une sanction éventuelle de l’acte de violence commis par le légionnaire. Tite-Live explique que tout se passa en secret ce qui indique de manière flagrante l’absence de contrôle. Sans les directives expresses Tous les auteurs anciens qui ont abordé les rapports entre le conquérant et sa captive, d’Homère à Ammien Marcellin en passant par Xénophon et Plutarque ont mis l’accent sur la beauté de leurs captives. Cette constance souligne bien l’impact de cet attrait physique dans la conduite du soldat victorieux envers sa captive. À travers les exemples d’Alexandre le grand, de Scipion et du césar Julien, les textes, en évoquant la beauté de leur captive, montrent que, autant ils étaient des amateurs de femmes, autant ils étaient généreux, cléments et vertueux. Cet aspect souligne ainsi toutes leurs qualités en tant que général et en tant qu’homme, Xénophon, Cyropédie, VI, 6, 11 ; Plut., Alex., XXII, 5. Scipion, quant à lui, préféra rendre sa captive à son fiancé alors que, par sa beauté, elle « surpassait toutes les autres femmes », Pol., X, 19, 3 ; T.-L., XXVI, 50. En revanche, Achille succomba aux charmes de sa captive Briséis, sa part du butin (Homère, L’Iliade, texte établi et traduit par P. Mazon, 2002, I, 324-334). 1
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du commandant en chef, les prisonniers de guerre se trouvaient livrés au pouvoir discrétionnaire de leurs surveillants. L’absence de réaction des autorités militaires et la condition de captive de la victime laissent croire que le viol, un des corollaires de la captivité, n’était, à la limite, qu’un fait banal pendant la guerre. En fait, si le général romain voulait réellement épargner certaines captives, il en donnerait l’ordre à ses hommes. Scipion se comporta de manière exemplaire avec les captives espagnoles (il adopta également la même attitude envers ses otages, la femme et la fille de Mandonius). Lorsque la plus âgée parmi les captives le supplia de leur accorder un meilleur traitement, le Romain leur promit alors de veiller sur elles comme si elles étaient ses sœurs ou ses filles1. Il les confia même à un homme d’« une moralité éprouvée » afin de prendre toutes les précautions. En revanche, l’absence de directives ou de promesses de la part de Manlius Vulso à propos de Chiomara (les auteurs cités ne disent rien à ce propos) semble être interprétée par le centurion comme une approbation ou une autorisation. Toutefois, l’intérêt que suscite le cas de Chiomara provient de son ancien statut social qui en fait une captive spéciale et un exemplum de courage. En 101 av. J-C, conscientes des lourdes conséquences d’une défaite pour les femmes, les Teutonnes demandèrent à Marius de devenir des vestales. Mais, devant le refus formel du général romain, elles choisirent de se donner la mort plutôt que de partager la couche des vainqueurs2. Au-delà du courage impressionnant dont avaient fait preuve ces Teutonnes, il est loisible de remarquer que, malgré le silence des auteurs anciens, partager le lit du conquérant correspondait quelquefois à une suite logique, mais pas immuable, de la défaite pour les femmes. Ces dernières devenaient, à cause de leur captivité, « le repos du guerrier », la récompense du vainqueur. Même si les textes n’indiquent pas, expressément, que le viol constitue une résultante probable de la captivité, les faits l’impliquent. Tacite cite la « violence » parmi les « fantaisies » que le détenteur pouvait exercer sur ses captifs3. D’ailleurs, les sources ne condamnent nullement l’attitude de Marius qui, du reste, fut parfaitement conforme aux lois de la guerre, le vaincu et ses biens appartenaient entièrement au vainqueur, au contraire elles présentent le suicide comme le seul moyen d’échapper au viol. En 63 av. J-C, l’histoire de l’eunuque du roi du Pont Mithridate, Ménophile, s’avère édifiante à ce propos4. Averti de l’arrivée imminente des troupes de Manlius Priscus, lieutenant de Pompée, qui avait défait et obligé le roi à se réfugier dans le royaume de Colchide, Ménophile choisit de mettre un terme à la vie de Drypetina, fille de Mithridate, alors même qu’il s’était occupé de la soigner et de la garder durant toute sa maladie dans la forteresse de Sinhorium. Pol., X, 18. Val. Max., VI, 1, ext. 3 ; Plut., Mar., XXVII, 2-3 ; Flor., I, 38. 3 Tac., Ann., VI, 7. 4 Ammien Marcellin est la seule source à faire part de cette anecdote. Il précise que si l’histoire retint le nom de l’eunuque de Mithridate ce fut grâce à l’action héroïque et glorieuse qu’il avait accomplie en 65 av. J-C au moment où le roi était vaincu par les Romains, XVI, 7, 10. 1 2
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Sa décision héroïque, qui fit de lui un exemplum, se justifia par sa conscience des cruels corollaires de la captivité pour les femmes. Il craignait que ce ne fût une honte pour son père qu’une fille noble eût survécu captive et déshonorée, « captiva et violata ». Les mêmes motifs inspirèrent en 51 ap. J-C, Zénobie, la femme de Radamiste, qui supplia ce dernier de la tuer afin d’échapper aux « outrages de la captivité ». Alors, son mari, pour lui accorder une mort honorable, « tire son cimeterre, la blesse et la traîne au bord de l’Araxe, et l’abandonne au courant pour ravir même son corps à l’ennemi »1. Le viol demeure une partie intégrante de ce que Tacite nomme les « contumeliae captivitatis ». C’est d’ailleurs cet aspect qui devait être le plus redouté par les populations et qui expliquait les réserves et la peur des Germains pour la captivité de leurs femmes. Comme nous l’avons déjà montré, du point de vue purement juridique et militaire, le captif quel que soit son ancien statut social demeure « l’esclave de l’ennemi » or, qui dit « servus » sous-entend aussi « res ». Entre les mains de l’adversaire, même s’il garde toujours sa condition de captif, qui n’est pas encore celle de l’esclave, la personne du prisonnier de guerre appartient intégralement au captivator2. Tite-Live relève, justement, que par la captivité, « le corps » de la reine Chiomara était l’« esclave » du centurion. En vérité, aucune clause juridique ne prévoyait la protection du captif encore moins le respect de son intimité ce qui serait en porte-à-faux avec l’esprit de la praeda (dont le prisonnier de guerre n’est qu’une composante), celui de la définition du captif et des lois de la guerre. Par conséquent, sa sexualité, à l’image de celle de l’esclave3, relevait exclusivement de l’autorité du captivator4. Dans le contexte de la guerre, les captifs, au même titre que les choses prises à l’ennemi, n’étaient que du butin qui servait de récompense à l’armée victorieuse après de longs sièges ou de rudes batailles. L’emploi de ce butin ne dépendait ni des vaincus ni d’un quelconque règlement juridique, il relevait strictement du bon-vouloir du vainqueur, en l’occurrence, le général. Même si la praeda n’était pas toujours Ann., XII, 45-51. Radamiste, fils du roi Hibère, Pharasmane, chassé d’Arménie, où il tentait de s’emparer du trône de son oncle Mithridate qu’il tua, prit la fuite avec son épouse. Cependant, Tacite ne relève, dans cet épisode, que la violence naturelle de Radamiste. 2 Précisons que la Convention de Genève, chargée de protéger les victimes des conflits armés, n’a ajouté le viol parmi les traitements à bannir qu’à partir de 1977. Sur l’étude du substantif captivus, supra pp. 23-27. 3 M. Morabito, souligne que « le droit appréhende la vie sexuelle de l’esclave comme manifestation de la propriété dominicale tant par les fonctions de reproduction que par le plaisir », « Droit romain et réalités sociales de la sexualité servile », DHA 12, 1986, p. 372. Ici, le centurion pourrait être assimilé au maître qui possédait le droit d’utiliser sa captive à sa guise puisqu’il avait pleine autorité sur elle tant qu’elle se trouvait sous sa garde. 4 L’empereur Proculus se vanta « d’avoir capturé cent vierges sarmates. En une nuit j’en ai possédé dix. Par ailleurs, je les ai toutes, dans la mesure de mes moyens, rendu femmes dans les quinze jours ». Dans sa critique, Flavius Vospiscus de Syracuse ne s’attaqua qu’à son comportement immoral « inconvenant et même franchement licencieux », Hist. Aug., XXIX, 12, 7-8. 1
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répartie entre les soldats, elle était, néanmoins, souvent évoquée pour motiver et stimuler le courage des combattants. En fait, l’abus sexuel n’exprime pas seulement l’injure à l’intégrité et à l’intimité féminines, mais il est surtout gros d’implications qui dépassent ce cadre restreint et touchent l’avenir de tout un peuple, sans compter sa signification dans la logique de la défaite. À travers le corps de la femme violé et violenté, le conquérant imposait sa volonté et humiliait la famille, voire le peuple de la victime. Le viol menace et déstabilise en réalité le couple, la famille qui constitue le socle même d’un peuple en remettant en question la « pureté du sang » ou de la race1. Le ventre de la captive brutalisée est ainsi utilisé comme un territoire conquis par le vainqueur. Cet acte offensant célèbre la victoire du plus fort qui, par la violence qu’il exerce sur le corps de la captive, lui impose son pouvoir, le pouvoir de disposer d’elle et de son peuple.
2. Le conquérant et sa captive : l’exemple de Scipion l’Africain ou la reproduction du modèle d’Alexandre le Grand Toutefois, le viol ne fut pas systématiquement infligé à toutes les captives. En fait, certaines femmes étaient épargnées et traitées honorablement par leur détenteur. Cependant, ce régime plutôt spécial dépendait de l’autorité décisionnelle du général. En 209 av. J-C, après la prise de Carthagène, Scipion répondit à ses hommes qui lui avaient amené une belle captive ibère : « s’il avait été un simple soldat, il n’aurait pas reçu de présent plus agréable mais que, comme il était général, il n’en recevrait aucun, quel qu’il fût de moins agréable »2.
Les paroles de l’imperator illustrent le comportement idéal que le commandant en chef est supposé adopter vis-à-vis de ses captives. Toutefois, l’attitude du Romain, telle qu’elle est décrite par l’Achéen, ressemble à un topos qui vise à le présenter comme un général à la morale irréprochable. Il justifie sa conduite vertueuse en disant : « je le ferai à cause de ma propre morale et de celle du peuple romain, afin que ce qui est respecté chez tous les peuples ne soit pas souillé chez nous »3.
À cela, il ajoute qu’il doit éviter toute distraction qui serait également mauvaise pour le corps et pour l’esprit. Aulu-Gelle emprunte le même sillage lorsqu’il écrit : « on peut donc avoir une jolie discussion : s’il convient de considérer comme le plus vertueux, Publius le premier Africain qui, après avoir pris de force l’importante cité de Carthagène en Espagne, a rendu intacte à son père une jeune fille à l’âge de l’amour, d’une beauté remarquable, fille d’un noble espagnol, qui avait été prise et lui avait été amenée, ou le roi
Denys d’Halicarnasse, II, 25, 6. Pol., X, 19, 4. 3 T.-L., XXVI, 49, 14. 1 2
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Mariama Gueye Alexandre qui refusa de voir la femme du roi Darius, qui en était aussi la sœur »1.
La conduite exemplaire du général romain ressemble, de manière troublante et suspecte, à celle d’illustres conquérants présentés par la littérature antique comme des modèles parfaits de guerriers alliant la valeur militaire à la vertu2. Qu’il s’agisse de Cyrus ou d’Alexandre le Grand, aucun ne voulut adresser la parole ou même regarder sa captive de peur de succomber à sa beauté. Cyrus, selon Xénophon, ne leva pas les yeux sur sa prisonnière, Panthée. Le Macédonien évita aussi tout contact avec sa captive, l’épouse de son ennemi, le roi perse, Darius. « Pour moi, non seulement personne ne saurait dire que j’ai regardé ou désiré voir la femme de Darius, mais je n’ai même pas permis que l’on parlât de sa beauté devant moi » dit-il.
À son tour, Scipion aussi de peur de déflorer « leur virginale pureté » du regard, ne permit pas qu’on amenât les jeunes captives en sa présence3. Cependant, au-delà de ces considérations purement morales, des motifs politiques pèsent lourdement dans la décision de Scipion de rendre intactes ses captives. Le contexte politique et diplomatique n’était pas propice à des écarts de conduite même si dans la fin de son récit, Aulu-Gelle indique que « cette jeune prisonnière n’a pas été rendue à son père mais a été retenue par Scipion et prise par lui dans les plaisirs de l’amour »4. Son ambition de gagner la sympathie et la faveur des Espagnols, au détriment d’Hannibal, par des calculs stratégiques avait dicté la conduite de Scipion vis-à-vis de ses captifs5 en affichant l’image VII, 8, 3. Ammien Marcellin fait la même comparaison en ce qui concerne le césar Julien qui, après Mahozamalcha en 363, « ne voulut ni approcher les jeunes captives perses d’une beauté exceptionnelle ni même les voir » et qu’il n’a d’ailleurs pas manqué de comparer à Alexandre et Scipion l’Africain, XXIV, 4, 27. 2 J. de Romilly, « Le conquérant et la belle captive », BAGB, 1988, souligne les traits similaires forts troublants qui se dégagent du récit respectif des trois héros historiques : Cyrus, Alexandre et Scipion. Toutefois, elle n’établit pas, à partir de ces rapprochements, des filiations ou des influences entre ces personnages, p. 14. Cyrus et Alexandre gardèrent les femmes de leurs ennemis mais aucun ne voulut les regarder de peur de tomber sous le charme de leur beauté. Cyrus, par pure clémence, épargna la femme d’Abradatas, Panthée (cf. Xén., Cyr., VI, 6, 11), de même, Alexandre, après la bataille d’Issos en 333 av. J-C, prit soin de l’épouse et de la mère de Darius faites prisonnières et ne « permit pas que l’on parlât de leur beauté devant lui », Plut., Alex., 22, 5. 3 I, 22, 39-40. 4 VII, 8, 6. Ce témoignage dévoile un aspect moins élogieux du général, réputé être un amateur de femmes. Aulu-Gelle, rapportant les paroles de Cn. Naevius, écrit : « même celui qui souvent de son bras accomplit de grandes choses glorieusement, dont les actions ont aujourd’hui vie et vigueur, qui seul a prestige auprès des nations, son père le ramena de chez son amie avec un seul manteau », VII, 8, 5. Cette version est confirmée, d’ailleurs, par Valère Maxime qui mentionne que « Scipion s’est laissé aller au cours des premières années de son adolescence, d’après la tradition », VI, 9, 2. 5 Sur la politique de Scipion en Espagne, infra p. 167 sq. 1
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d’un général fort, généreux et vertueux. Florus confirme d’ailleurs les objectifs diplomatiques poursuivis par Scipion dans ses actions. « Il est certain, cependant, que ce qui contribua le plus à faire tomber définitivement la province, ce fut l’exceptionnelle chasteté du général, qui restitua aux Barbares de jeunes captifs, garçons et filles, d’une particulière beauté, sans même avoir permis qu’on les amenât en sa présence »1
souligne le Padouan.
En contrepartie de leur remise en liberté, Scipion exigea de ses captifs ou de leurs parents leur amitié envers le peuple romain2. Le contexte politique dans lequel se situe le traitement des captifs et des captives espagnols donne à cet épisode toute sa spécificité. Rome cherchait des alliances en Espagne pour évincer Hannibal en retournant contre lui ses anciens alliés. Il se dégage de l’ensemble des sources que Scipion était un général magnanime et généreux mais surtout un fin politique3. Tout dans son attitude en Espagne le montre : d’abord sa répartition des captifs, ensuite son comportement vis-à-vis des otages et des captifs. Force est de constater que le général romain n’eut pas la même générosité envers l’ensemble des prisonniers de guerre. En effet, si parmi les captifs il libéra tous les citoyens, les personnes influentes qui disposaient de clientèle, il ne donna aux esclaves que le vague espoir de retrouver les chemins de la liberté si les opérations militaires se terminaient heureusement4. Les exemples de captives traitées honorablement sont généralement le fait de personnages historiques, de véritables héros légendaires dont le sens éthique dépasse de loin celui du légionnaire rustre. Cela pour souligner que ce type de traitement nous semble exceptionnel ou du moins très rare pour ne pas dire inexistant puisque nous ne disposons pas d’autres témoignages pour réfuter ou remettre en cause ces versions. D’ailleurs, le fait de ranger la conduite de Scipion envers sa captive dans les exempla de vertu, atteste qu’elle n’est ni ordinaire ni courante. Cette démarche répond plus à un impératif, celui d’illustrer la haute morale et la continence du général romain qui combinait les qualités d’un excellent stratège et d’un homme vertueux que le souci d’établir l’authenticité des faits. Le rapport entre les captivatores et leur captive est ponctuellement posé par les sources mais sous l’angle de la morale. Toujours lié à la beauté, au sexe mais aussi à la condition de dominé qui l’occasionnent et l’expliquent, le viol en temps de guerre reste, malgré la condamnation des sources, banal, ponctuel dans une urbs direpta et pendant la captivité. I, 22, 39-40. À Allucius, fiancé de sa captive, il demanda en retour son alliance par ces paroles : « voici le seul prix que je fixe à ce présent : sois l’ami du peuple romain », T.-L., XXVI, 50. Ce dernier, une fois chez lui vanta la bienveillance du général et revint plus tard auprès de Scipion avec 1 400 cavaliers d’élite. 3 « La vertu de Scipion si abondamment illustrée est certes naturelle et spontanée. Mais, on ne peut l’évoquer sans constater qu’elle peut lui être aussi profitable », J. de Romilly, « Le conquérant et la belle captive », p. 13. 4 T.-L., XXVII, 19. 1 2
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II. Autres formes de torture et de mise à mort À côté du viol, spécialement réservé aux captives, d’autres formes de torture, douloureuses et dégradantes, étaient également infligées aux prisonniers pour différentes raisons. Parmi les types relevés, quatre appartiennent aux summa supplicia légaux1. Sur le tableau suivant figurent les différents types de torture et de mise à mort répertoriés à partir du corpus mais aussi l’origine géographique des captivatores, le sexe des captifs et leur ancien statut social ainsi que les jugements des auteurs. Ces différents facteurs sont mis en rapport afin de montrer d’abord dans quelle mesure l’appartenance à une catégorie sexuelle et/ou à une classe sociale données déterminait ou influençait le type d’exécution ou de supplice infligés aux captifs. Ensuite, il s’agit de tenter de voir quelles étaient les opinions des auteurs anciens sur les mauvais traitements qui étaient le lot de la plupart des prisonniers de guerre. Leurs jugements étaient-ils discriminatoires ?
1
La croix, le feu, la mise en fourche, l’envoi aux bêtes. Seul le culleus (sac) n’y figure pas.
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique Tableau 5. Formes de torture et de mise à mort Mises à mort ou tortures
Les captivatores
Combat à mort
Carthaginois
X X
Crucifiement
Esclaves (Spartacus) Carthaginois Germains
X
Bretons
X
Romains (César) Romains
X
Pirates
X
Romains
X
Romains (Octaviens) Romains (Vitelliens) Romains guerre civile Romains
X
Maricc le Boïen Soldats bretons Soldats
Bataves
X
Romains
X
Envoi aux bêtes Exécution immédiate
Hommes Femmes Enfants Identité captifs captives captifs du captif
X
Regulus
Flor., I, 18
X X
Vitellius
X
Valentinius
Fœtus arrachés
Thraces
Mutilation
Carthaginois
X
Romains
X
Carthaginois
X
Romains
X
Supplice de l’insomnie
Opinion Références des textuelles auteurs Cruauté Val. Max., IX, 2, 1 Flor., II, 8
Gaulois et Grecs X
Cruauté Soldats romains Soldats thraces Consul
Cruauté
Nobles
Riposte
Riposte Cruauté
carthaginois
Supplice de la fumée et du feu Tortures non précisées
Thraces
X
Romains
X
Romains (Othoniens)
Empoisonnement Carthaginois
X X
Soldats Cruauté romains Soldats Riposte thraces Une Cruauté Ligurienne Consul
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Tac., Ann., I, 61, 4 Tac., Ann., XIV, 33 Suét., Iul., LXXIV, 1 Tac., Hist., II, 62, 1-3 Tac., Agr., XXXVII, 3 Suét., Aug., XIII-XV. Tac., Hist., III, 74. Tac., Hist., IV, 2 Tac., Hist., IV, 85, 3 Tac., Hist., IV, 34 Suét., Cal., XXIX, 78 Flor., I, 39, 2 Val. Max., IX, 2, 1 Flor., I, 39, 7 Val. Max., IX, 2, 1 Gell., VII, 4, 2 Flor., I, 39, 2 Flor., I, 39, 2 Tac., Hist., II, 13
Cruauté Flor., I, 39
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Sur les 23 cas de torture et de mise à mort relevés et répertoriés, 12 sont commis par des Romains, 11 par des étrangers, précisément des Bretons, Carthaginois, Germains et Thraces. Quatre cas concernent les guerres civiles ; un seul provient de la guerre servile de Spartacus1 et de la piraterie tandis que le reste se répartit entre les révoltes provinciales et les guerres étrangères. Quand bien même les captifs des guerres civiles ne bénéficiaient pas du statut de prisonnier de guerre, nous avons, néanmoins, relevé ces exemples qui montrent aussi que les Romains pratiquaient la torture et surtout en période de conflits internes. Cette démarche permet de battre en brèche l’opinion, très répandue, de certains auteurs anciens selon laquelle la torture était l’apanage des peuples barbares. D’ailleurs, sur les 10 formes de mise à mort répertoriées, 7 sont pratiquées par les Romains avec une large prédominance des exécutions directes principalement au cours des guerres civiles. L’exécution instantanée par le fer reste la forme la plus banale et la plus courante de mise à mort appliquée aux captifs2, pratiquée pendant le massacre des populations, elle n’exige aucune formalité. Il faut remarquer aussi que les tortures étaient rarement infligées aux prisonnières (sur l’ensemble des 23 cas répertoriés, seuls deux concernent les femmes). Aucun exemple ne touche les enfants ni les personnes âgées (sauf le cas de Regulus qui, comme nous l’avons déjà vu, reste exceptionnel). Sur les deux exemples qui touchent les femmes, le premier met l’accent sur la cruauté des Thraces envers leurs captives tandis que le second, présenté par Tacite, a principalement pour but de souligner l’atrocité des guerres civiles. Avec minutie, Valère Maxime et Florus mettent l’accent sur les différentes formes de torture et de mise à mort, toutes plus raffinées et plus inhumaines les unes que les autres, facette indicatrice qui révèle la cruauté des ennemis de Rome. Seuls d’ailleurs les châtiments provenant de l’adversaire sont considérés comme féroces. C’est dans cette perspective qu’il convient de situer les explications fournies dès qu’il s’agit d’une torture infligée par un Romain : l’acte n’est qu’une riposte tout à fait justifiée. D’où le silence qui traduit aussi le malaise des auteurs dès qu’il est question de supplices provenant du camp romain. La torture ou la simple liquidation ne renvoie pas simplement à des jeux sadiques ou bien à des moyens de divertissement pour le soldat désœuvré. Le supplice des captifs, orchestré par leurs détenteurs, possède des fonctions punitive, dissuasive, stratégique et parfois religieuse. Par conséquent, le châtiment infligé à un prisonnier de guerre n’est pas fondamentalement gratuit. Par la souffrance et l’humiliation, la torture déstabilise l’adversaire capturé. En incarnant le bouc-émissaire parfait, le captif symbolise le peuple ennemi.
Spartacus « de tributaire thrace était devenu soldat, de soldat déserteur, puis brigand et ensuite, honneur dû à sa force, gladiateur », Flor., II, 8. 2 Cf. la scène de décollation en série sur la colonne aurélienne : les captifs tendent le cou aux armes romaines, Fragment XIX de l’Annexe II. 1
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Le supplice figure parmi les stratégies militaires, il s’agit d’une « technique », qui « ne doit pas être assimilé à l’extrémité d’une rage sans loi »1. En effet, le prisonnier est une mine potentielle d’informations à condition de parvenir à le faire parler. À ce niveau, la torture corporelle joue parfois un rôle décisif en servant de moyen efficace pour délier la langue du captif. De plus, le supplice et l’exécution de prisonniers de guerre ont pour but de châtier, parfois, avant de tuer pour donner l’exemple. Les corps suppliciés sont, par-dessus tout, porteurs de messages d’intimidation. Ils renferment parfois des fonctions religieuses lorsqu’ils servent de sacrifices aux dieux ou aux mânes d’un défunt. Par conséquent, la torture et la mise à mort peuvent être utilisées pour différentes raisons : comme moyen de représailles, comme moyen de pression et comme instruments religieux.
1. La mutilation Les premières mutilations de captifs rencontrées à Rome remontent au IIIe s. av. J-C avec l’épisode des prisonniers carthaginois livrés aux membres de la famille de Regulus2. Par la suite, et plus d’une fois, les Romains recoururent à cette pratique envers leurs captifs au cours de cette même période républicaine. Au moment de la guerre contre Viriathe (147-139 av. J-C), Maximus Aemilianus fit subir la mutilation aux compagnons de Connatos : il sectionna leurs deux mains. Il appliqua la même torture que les Lusitaniens qui avaient l’habitude de couper la main droite de leurs prisonniers de guerre, selon Appien3. En 55 av. JC, Marcus Licinius Crassus fit de même avec les captifs mèdes et sardes4. En 51 av. J-C, à Uxellodunum, César fit, à son tour, trancher la main à tous ceux qui avaient porté les armes contre lui et leur laissa la vie sauve, pour qu’on vît mieux comment il punissait les rebelles5. La mutilation du captif ne vise pas spécialement sa mort, elle s’explique plutôt par le besoin de faire de la victime une preuve vivante de sa faute et de son crime. Le corps mutilé, à l’image du corps enchaîné d’un captif, représente une sorte de trophée de chasse vivant. En effet, à l’instar d’un amas d’armes, il constitue un signe qui atteste de manière incontestable le pouvoir sur l’ennemi. Par l’amputation, l’adversaire est amoindri et rendu presque inutile. Il s’agit d’une pratique à valeur d’exemple. Néanmoins, la signification exacte de la mutilation et le message véhiculé dépendent de la partie de l’anatomie sectionnée : il s’agit surtout des mains et des pieds.
Fait remarquer M. Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, Paris, 1975, p. 38. 2 Néanmoins, cet épisode soulève de nombreux points d’interrogation qui remettent même son authenticité en question, infra pp. 188-190. 3 Ibér., LXIX, 292. 4 Dion, LI, 25, 4. 5 G. G., VIII, 44. 1
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L’amputation des mains1, par l’inaptitude à porter des armes qui en résulte et la perte de la faculté de commettre le mal, rejoint, dans une certaine mesure, le sens symbolique des mains liées. En coupant les mains d’un guerrier, on lui ôte toute faculté de combattre. Il devient invalide et diminué physiquement, par conséquent il perd complètement son cachet d’ennemi redoutable. Ceci explique le sentiment d’exaspération qu’éprouvèrent les prisonniers thraces que les Romains avaient abandonnés après leur avoir coupé les mains pour les obliger à survivre à leur châtiment2. Hannibal, quant à lui, choisit de sectionner le bout des pieds de ses prisonniers romains qui, trop fatigués, ne pouvaient continuer la route3. Cette mutilation s’explique par des raisons de sécurité. Le général carthaginois ne pouvait prendre le risque de laisser sur place ces captifs indemnes, incapables de poursuivre la route et qui ralentissaient la marche des troupes. Il s’agit plus de faire des exemples, à travers leurs pieds sectionnés qui rappellent aussi la partie inapte de leur corps, afin d’intimider l’ennemi, que de se débarrasser de ses prisonniers. En fait, la mutilation ne menace pas fondamentalement la survie de la victime qui, néanmoins, porte la marque indélébile d’un forfait qu’il doit traîner tout le long de sa vie. Cette punition permanente reste d’autant plus lourde qu’elle constitue un signe apparent. La victime se retrouve de la sorte diminuée, supportant jusqu’à la fin de ses jours sa honte et son humiliation. L’abandon de la victime suit automatiquement l’amputation. Ni les Romains ni Hannibal ne prirent avec eux les estropiés. Le prisonnier de guerre mutilé retrouvait, par conséquent, son autonomie. Toutefois, cette remise en liberté, loin de correspondre à une marque de clémence du vainqueur, représente un moyen de véhiculer son message d’intimidation à travers ce corps amputé, témoin de sa défaite humiliante qui de soldat-combattant le transforme en ennemi inoffensif et non-combattant. La mutilation des captifs, il faut encore le souligner, reste une pratique relativement rare sous la République même si elle continue d’exister encore pendant l’époque impériale. Titus devant les remparts de Jérusalem fit couper les mains des Juifs qu’il renvoyait ensuite aux rebelles afin d’amener la population à capituler et de parvenir à impressionner Simon et Jean4. Toutefois, la mutilation du corps des captifs, par ses objectifs, ne peut être considérée comme une véritable forme de mise à mort, mais plutôt comme un type de torture sanglant, même si la mort pouvait s’ensuivre. En revanche, dans les combats à mort le but poursuivi est la liquidation physique des ennemis. L’amputation est appréciée comme un signe supplémentaire de la cruauté carthaginoise en l’occurrence celle d’Hannibal même si les exemples cités montrent que la cruauté n’est pas seulement l’apanage des barbares. La mutilation figure aussi parmi les traitements infligés aux déserteurs, Hist. Aug., IV, 3-4 et aux espions, T.-L., XXII, 33. 2 Flor., I, 39, 7. 3 Val-.Max., IX, 2, 1. 4 Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs, V, 455. 1
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2. Les combats à mort et l’envoi aux bêtes Dans les arènes, les captifs affrontaient leurs congénères ou des fauves et étaient condamnés à y laisser leur vie. C’était l’objectif visé par leurs propriétaires qui, par ce truchement, pratiquaient une autre forme de mise à mort : la mort dans le spectacle. Venant tout juste d’être capturés, les prisonniers de guerre n’étaient pas formés aux techniques de la gladiature dispensées dans les casernes d’entrainement1. La beauté du spectacle, qu’auraient assurée des professionnels, ne constituait pas, par conséquent, le résultat escompté. Le combat à mort des captifs entre eux ou avec des bêtes2 dans les arènes ou dans les forums au cours du munus signait de manière incontestable et publique leur défaite et leur soumission à la toute puissance de Rome. Quant à la diversité ethnique, elle participait à la célébration de la dimension universelle de l’Empire : Daces3, Suèves, Bretons4 et Juifs5 prenaient part au munus. En se réalisant dans les mêmes endroits et pour des raisons similaires leurs combats glorifiaient la communion au sein de l’Empire avec comme élément de distinction leurs armes6. Le captif « gladiateur » préparait sa propre mort ou celle de ses concitoyens ou parents contre qui il se battait parfois. L’organisation de ces joutes sanglantes renferme plusieurs significations à travers leur fonction funéraire et ludique. Elle répondait d’abord à un désir de vengeance contre l’ennemi. Auguste, après la prise de Pérouse en 40 av. J-C, sacrifia 300 captifs comme des victimes aux Ides de Mars devant un autel élevé en l’honneur de César7. Verser le sang du prisonnier de guerre, bouc-émissaire idéal et incarnation du peuple ennemi dans la logique de la vengeance, paraît un procédé naturel pour riposter. Ensuite, dans certains cas, aux simples représailles se greffait la volonté d’appliquer la loi du talion. Ainsi, les Romains qui avaient l’habitude de faire combattre dans les arènes leurs captifs pour se divertir ou pour célébrer un événement devenaient, à leur tour, victimes de cette pratique. Cette dernière servait à commémorer les obsèques ou les
1 G. Ville signale l’existence de casernes d’entraînement de gladiateurs (ludus) destinées à former des gladiateurs professionnels depuis l’époque républicaine, La gladiature en Occident. Des origines à la mort de Domitien, École Française de Rome, pp. 228-283 ; E. Bouley, Jeux romains dans les provinces balkano-danubiennes du IIe siècle avant J-C à la fin du IIIe siècle après J-C, PUF-C, 2001, p. 32. Jusqu’au IIe av. J-C siècle, la guerre représente la principale pourvoyeuse de gladiateurs. 2 Les contingents de l’armée sont utilisés pour chasser les ours et les bisons afin d’approvisionner en animaux sauvages les spectacles ; cf. E. Bouley, Jeux romains dans les provinces balkano-danubiennes …, p. 235. 3 Pendant les jeux inauguraux du temple de Divus Julius célébrés par Octave en 29, Dion, LI, 21, 6. 4 Lors du munus de Claude en 47, Dion, LX, 30, 3. 5 Flav. Jos., VII, 37-40. 6 M. Clavel-Lévêque, L’Empire en jeux, Paris, 1984, p. 31. 7 Suét., Aug., XV.
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funérailles d’une haute personnalité ou à fêter son anniversaire1. Les sources fournissent deux exemples à travers lesquels les Romains subirent eux-mêmes la loi du talion avec Hannibal et Spartacus. Le général carthaginois, après la victoire de Cannes, obligea ses prisonniers romains « à se battre deux à deux, frère contre frère, parent contre parent et ne se rassasiait point de voir couler leur sang qu’il n’en restât plus qu’un vainqueur de tous les autres »2.
L’acte d’Hannibal s’adressait au sénat romain qui avait refusé de racheter les captifs en sa possession. En faisant combattre ces prisonniers romains, Hannibal leur fit subir l’humiliation avant leur mise à mort spectaculaire, d’autant plus que certains avaient un rang sénatorial. Mais la dimension funéraire demeure absente dans l’initiative du Carthaginois. Quant à Spartacus, lors des funérailles de ses officiers, il fit combattre à mort 300 ou 400 captifs romains autour de leurs bûchers. Selon Florus par ce geste, l’esclave thrace se comportait « comme s’il voulait ainsi achever d’effacer l’infamie de son passé en donnant alors des jeux de gladiateurs, après avoir été gladiateur luimême »3.
La double fonction funéraire et ludique de la gladiature est active. En organisant ces affrontements sanglants, Spartacus humiliait, certes, ses anciens maîtres mais il célébrait également la disparition de ses compagnons. Cet aspect est d’ailleurs relevé par Florus lorsqu’il indique que Spartacus honora la mémoire de ses amis « avec la pompe réservée aux généraux en chef ». Mais sciemment l’historien, compte tenu de la condition servile des insurgés, ne souligne pas le fait que parmi les morts figurait un des leaders de la révolte, le Gaulois Crixus4. Certes, il ne s’agit pas d’une offrande rituelle destinée à un dieu, néanmoins, l’organisation de ses combats célébrait la mémoire des défunts. Par cet acte, le sang versé était ainsi destiné aux mânes des morts. D’ailleurs, le contexte pousse à prendre en compte cette hypothèse. D’abord les combats se déroulèrent autour des dépouilles et survinrent pendant les funérailles de Crixus, ensuite en sa qualité de gladiateur, Spartacus connaissait sûrement la signification et les fonctions de la gladiature à Rome5. En offrant la vie de ses captifs à ses compagnons de révolte, Spartacus vengeait leur mort et tentait d’assouvir leurs mânes. En revanche, l’acte
La gladiature est originaire de l’Italie du sud cf. aussi G. Ville, op. cit., p. 8. Val. Max., IX, 2, 1 ; Diod., XXVI, 14, 2. 3 Flor., II, 8, 7-9 ; Appien, Les guerres civiles à Rome, I, 14, 117 ; Orose, V, 24, 3. 4 Crixus renforça considérablement les rangs des révoltés en fournissant à Spartacus 10 000 hommes. 5 G. Ville, op. cit., p. 13 ne le considère pas comme un sacrifice même si Appien écrit que Spartacus « immola aux mânes de Crixus 300 prisonniers romains », Les guerres civiles…, I, 117. Spartacus fait, en offrant ces combats, « un sacrifice-don » (M. Le Glay, Saturne africain, Paris, 1966, p. 304) aux mânes de ses compagnons de révolte. 1 2
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d’Hannibal se limitait au caractère ludique et revanchard et surtout au besoin d’humilier ses ennemis. Sous l’Empire, en 68-69 ap. J-C, le Boïen Maricc fut livré aux bêtes par Vitellius. Tacite, dans sa version des faits, met l’accent sur le ridicule et la naïveté de l’initiative du rebelle qui n’était qu’un plébéien et la conduite stupide de cette masse qui avait accepté de le suivre. Néanmoins, la réaction très vive de Vitellius traduit l’existence d’un danger réel et menaçant. Malgré toutes ces insinuations, Maricc avait réussi à soulever 8 000 jeunes gens, une véritable force menaçante pour l’ordre romain. En réponse à cet acte audacieux et téméraire, il devait mourir de façon spectaculaire : être déchiré par des fauves. Le récit de Tacite est clair : « Pendant que des grands personnages couraient ces dangers, un certain Maricc, j’ai honte de le dire, sorti de la plèbe des Boïens, osa se mêler au jeu de la fortune et provoquer les armes romaines en feignant d’être inspiré par les dieux. Et déjà ce libérateur des Gaules, ce dieu (car c’étaient les noms qu’il s’était donnés) avait soulevé huit mille hommes et entraînait les cantons voisins de celui des Éduens, quand cette cité pleine de bon sens leva l’élite de sa jeunesse et, avec l’aide de cohortes prêtées par Vitellius, dispersa cette multitude fanatisée. Fait prisonnier dans le combat, Maricc fut ensuite livré aux bêtes, mais comme elles ne le mettaient pas en pièces, la foule imbécile le croyait inviolable ; enfin sous les yeux de Vitellius il fut mis à mort »1.
L’année suivante en Judée, cette pratique de la damnatio ad bestias fut largement appliquée par les Flaviens. En 70 ap. J-C, Titus donna de nombreux combats de captifs à travers toute la Judée, les exhibant en train de se tuer les uns les autres pour célébrer, par le sang, sa victoire et l’apothéose de la dynastie flavienne. Pendant la répartition des captifs juifs, à la suite de la prise de Jérusalem, une bonne partie des prisonniers de guerre, destinée à périr dans les théâtres sous le fer ou sous la dent des bêtes féroces, fut offerte par Titus aux différentes provinces. La présence des prisonniers de guerre dans les arènes ne signifiait pas une simple exécution physique mais une mise à mort spectaculaire. Cette forme de condamnation était inscrite dans le « processus d’exécution des sentences du prince, de l’appareil judiciaire et psychologique de conquête et de romanisation »2. Les prisonniers étaient dévorés par les bêtes. Le combat de ces captifs avait pour but de célébrer avec éclat l’anniversaire de son frère Domitien. C’est ainsi que Titus fit « exécuter en son honneur un nombre considérable de prisonniers juifs : en effet le nombre de ceux qui périssent en luttant contre les fauves, ou entre eux ou dans les flammes dépassa 2.500. Tout cela paraissait aux Romains une punition trop légère malgré les innombrables formes que prenait leur supplice. Il y séjourna plus longtemps, déployant une magnificence encore plus grande à l’occasion de l’anniversaire de son père, tant par la somptuosité des spectacles que par d’autres dépenses Hist., II, 62, 1-3. Sur cet épisode lire M. Clavel-Lévêque, Puzzle gaulois…, p. 430. Les fauves n’achevaient pas automatiquement leur proie, ce que la foule considérait comme un miracle. Dans La guerre des Juifs, Eléazar expliqua que les survivants des combats avec les bêtes furent achevés par d’autres fauves jusqu’à ce qu’ils mourussent, VII, 8, 373. 2 E. Bouley, Jeux romains dans les provinces balkano-danubiennes …, p. 24. 1
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Mariama Gueye témoignant beaucoup de recherche. Et de nombreux prisonniers périssent dans les mêmes conditions que précédemment »1 explique
Flavius Josèphe.
En Judée, les Flaviens n’appliquèrent pas toujours des procédés similaires pour éliminer leurs captifs. Quatre autres formes principales de mise à mort peuvent être relevées, à savoir la croix, le combat à mort, l’envoi aux bêtes2 et la vivicombustion. Le feu assure ici une fonction punitive et purificatrice. Il débarrasse de la sorte toute la souillure laissée par la révolte considérée comme du brigandage, une initiative illégale3. Dans les arènes de la Judée, les captifs périssaient de manière spectaculaire, point commun de ces quatre formes de mise à mort pour célébrer, par delà le triomphe de l’empire, l’apothéose des Flaviens. Le « bon Titus » envoyait mourir les captifs juifs sous la dent des bêtes féroces ! Le spectacle est significatif à plus d’un titre. En effet, il permettait de châtier le coupable mais aussi, dans la mesure où tout se passait sous les yeux du public, il véhiculait un message officiel menaçant sans équivoque. Le supplice en question était ce qui attend tous ceux qui poursuivaient la résistance ou l’envisageaient. Le spectacle glorifiait aussi toute la puissance irrésistible de cette Rome qui contrôlait ses ennemis et décidait de leur vie et de leur mort. Le combat à mort devient, surtout au début de l’Empire, un traitement plus fréquent que sous la République.
3. Le sacrifice de captifs Les sources ne mentionnent pas, à proprement parler, le sacrifice de captifs, c’est-à-dire leur mise à mort rituelle. Elles font plutôt allusion à leur massacre en période de guerre. Nous avons déjà abordé ce point sous plusieurs angles aussi bien dans les villes prises que sur le champ de bataille. L’opération du carnage est étudiée d’abord en tant que stratégie militaire visant à affaiblir ou anéantir radicalement l’ennemi, ensuite comme un moyen de sélection qui a en vue d’éliminer la masse des éléments improductifs et dangereux pour parer aux problèmes ponctuels que pose la sécurité. Cependant, tuer des captifs pouvait répondre également à d’autres impératifs et remplir ainsi une fonction capitale dans l’obtention d’une victoire grâce à l’aide des dieux. La croyance des Romains dans l’intervention des Flav. Jos., VII, 37-40 ; VII, 96. La damnatio ad bestias est une forme de mise à mort qui est déjà appliquée depuis le IIe s av. J-C mais elle reste peu pratiquée pendant la période républicaine, P. Garnsey, op. cit., p. 129 ; G. Ville, op. cit., p. 235. C’était un châtiment réservé également aux déserteurs et aux transfuges de l’armée romaine mais les cas transmis par les sources ne concernaient que les soldats d’origine étrangère, M. Gueye, « Le délit de desertio et de transfugium… », p. 225. En 146 av. J-C, Scipion Emilien livra aux bêtes les transfuges de son armée, Val. Max., II, 7, 13-14 ; T.-L, Per. LI. 3 Après la prise de Mahozamalcha en 363, le césar Julien fit brûler vif Nabdatès, le commandant des troupes de la garnison, pour trahison car il ne respecta pas la promesse faite aux Romains de leur livrer la cité, Amm. Marc., XXIV, 4-5. 1 2
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divinités dans les conflagrations est attestée par les textes1. Suivant le témoignage de Valère Maxime, dans la confrontation qui opposa les forces du Bruttium aux Romains, Mars lui-même participa à la prise du camp adverse par les soldats romains ; il frappa de ses armes les ennemis. Il les écrasa et « les offrit aux Romains pour qu’ils n’eussent qu’à les massacrer ou à s’emparer d’eux »2. Appien explique la victoire du Métaure en 207 av. J-C par une action divine (il ne précise pas l’identité du dieu en question) en compensation de la débâcle de Cannes. Mais cette intervention résulte des pactes tacites conclus entre les dieux et les chefs de l’armée qui promettaient en échange d’une victoire un sacrifice, sanglant ou non3. Après la bataille de Chéronée (86 av. J-C) qui opposa Sylla à Archélaus, général de Mithridate, le Romain fit rassembler le butin constitué d’armes avant de le brûler en l’honneur des dieux de la guerre. À en croire Appien, il s’agit d’une coutume romaine4. Ces quelques exemples qui se distribuent sur une période allant du IIIe au Ier s. av. J-C montrent que les dieux, à l’instar des combattants, bénéficiaient, en contrepartie de leurs efforts et soutien, d’une partie du butin. La fraction qui revenait aux dieux pouvait être prélevée soit directement sur les constituants du butin, soit sur le produit de la vente de celui-ci : c’est la dîme5. L’attribution de cette part fait penser aux distributions de la praeda par le commandant en chef à ses hommes. Elle pouvait prendre plusieurs formes : biens matériels (armes, bijoux…) ou êtres vivants, animaux ou hommes. À l’image des soldats, les divinités recevaient des récompenses de même nature. Cependant, à la différence des individus qui pouvaient vendre leurs cadeaux (captifs), les divinités les recueillaient, parfois, sous forme de sacrifices sanglants. Ce type d’offrande s’avérait la plus agréable aux dieux et la plus efficace, car le sang, ce liquide précieux, « par la vie qu’il anime, est capable de revivifier la divinité »6. Le sacrifice majeur trouve toute sa signification dans la qualité supérieure accordée au sang humain, « il est doté du plus puissant régénérateur de forces de vie »7. Plusieurs sources corroborent cette pratique qui consiste à donner en offrande les prisonniers de guerre aux divinités chez beaucoup de peuples barbares et non chez les Romains. Dans leur majorité, les auteurs anciens considèrent que le sacrifice humain est un usage typiquement « barbare » perpétré par les Bretons, Gaulois, Germains, Thraces8 etc. Tacite 1 Mais la manière dont les dieux prirent part aux combats resta typiquement grecque, G.-Ch. Picard, Les trophées romains…, p. 159. 2 Val. Max., I, 8, 6. 3 Tite-Live rappelle l’exemple de Fabius. Avant de s’engager contre les Samnites, le Romain fit vœu à Jupiter de lui élever un temple et de lui consacrer les dépouilles des ennemis, X, 29. 4 App., Mithr., 6, 45 ; Y. Garlan, La guerre dans l’Antiquité, pp. 42-43. 5 R. Lonis, Guerre et religion en Grèce à l’époque classique. Recherches sur les rites, les dieux, l’idéologie de la victoire, Paris, Les Belles Lettres, 1979, p. 151. 6 M. Le Glay, op. cit., p. 304 ; G. Ville, op. cit., p. 11. 7 J. Bayet, Histoire politique et psychologique de la religion romaine, Paris, Payot, 1957, p. 13. 8 Cicéron condamne sévèrement cette coutume perpétrée par les Gaulois en écrivant : « que peut-il y avoir de saint et de sacré pour ces hommes qui, même quand la terreur leur fait
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déplore la pratique de sacrifices divinatoires et honorifiques des druides bretons de l’île de Mona. Ils honoraient les autels du sang des prisonniers de guerre et consultaient les dieux à partir d’entrailles humaines1. Florus relève une pratique similaire chez les Thraces qui versaient à leurs divinités des libations de sang humain2. Son témoignage est confirmé par Ammien Marcellin qui ajoute qu’« ils sacrifiaient leurs prisonniers » à leurs divinités3. Toutefois, comme le fait justement remarquer G. Ville, le sacrifice humain constituait une pratique courante dans les sociétés primitives et Rome n’y avait pas échappé4. C’est en 97 av. J-C, sous le consulat de Cn. Cornélius Lentulus et de P. Licinius Crassus, qu’un sénatus-consulte interdit, officiellement, d’immoler un homme5. Cette mesure sénatoriale prouve que cette pratique existait bien à Rome. En outre, les nombreuses études6 qui portent sur les enterrés vivants du Forum Boarium en novembre 228 av. J-C7 établissent de manière incontestable que le sacrifice concevoir qu’il faut apaiser les dieux, souillent leurs autels et leurs sanctuaires de victimes humaines, et ainsi ne peuvent célébrer un culte sans l’avoir d’abord profané par des pratiques criminelles ? », Pour Fonteius, XXXI (texte établi et traduit par A. Boulanger, Paris, Les Belles Lettres) ; Cés., G. G., VI, 16 ; cf. M. Clavel-Levêque, « Les syncrétismes galloromains : structures et finalités », in Puzzle gaulois…, p. 371. Il faut aussi remarquer que ces sacrifices humains n’étaient pas aussi fréquents que les sources le suggèrent. Ils s’expliquaient uniquement pour raison d’État relèvent J. Roux et Ch.-J. Guyonvarc’h, Les Druides, p. 74. 1 Ann., XIV, 30. En 61 ap. J-C, les troupes de Suetonius Paulinus détruisirent les bois consacrés à ces cultes. Afin de connaître l’issue d’une guerre, les Germains s’arrangeaient pour capturer un guerrier ennemi puis le mettaient aux prises avec un champion choisi parmi les leurs, la victoire de l’un comme de l’autre était reçue comme un présage, Tac., Germ., X, 6. 2 I, 39, 2. 3 « Les Scordisques, qui maintenant sont fort éloignés des Thraces actuels, en habitèrent une partie ; ils étaient jadis cruels et féroces et, comme l’enseignent les Anciens, ils sacrifiaient leurs prisonniers à Bellone et à Mars et buvaient avidement le sang humain dans des crânes », XXVII, 4, 4. Ammien Marcellin constate aussi que les Gaulois s’adonnaient aux mêmes pratiques, XV, 8, 6 ; Orose, V, 23, 18. 4 La gladiature en Occident. Des origines à la mort de Domitien, pp. 9-10. 5 Pline l’Ancien, XXVIII, 3, 3. Il semble que ce sénatus-consulte ne fut pas appliqué scrupuleusement. Non seulement des exemples de sacrifices humains, datant de la République, furent relevés par les sources mais aussi, les auteurs chrétiens comme Tertullien (Apologétique, 9, 5) ou Lactance, signalèrent que cette pratique était encore en cours au IIIe siècle. « De son temps encore », constate Lactance, « on immolait des êtres humains à Jupiter Latiaris », Les institutions divines, I, 21. 6 C. Bemont, « Les enterrés vivants du Forum Boarium », MEFRA 72, 1960, pp. 133-146 ; D. Briquel, « Les enterrés vivants de Brindes », Mélanges offerts à J. Heurgon, 1976, vol. I, pp. 65-88 ; A. Fraschetti, « Le sepolture rituali del fora Boario », in Le délit dans la cité antique, Rome, 1981, pp. 51-115 ; S. Ndiaye, « Minime Romano sano, à propos des sacrifices humains à Rome à l’époque républicaine », DHA 26, 1, 2000, pp. 119-128 ; F. Van Haeperen, « Sacrifices humains et mises à mort rituelles à Rome : quelques observations », Folia Electronica Classica, n°8, Université de Louvain, 2004. 7 En 216 et en 114 av. J-C, deux autres couples de Grecs et de Gaulois subirent aussi le même sort, T.-L., XII, 6-7.
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majeur, à certains moments cruciaux de l’histoire de la Ville, fut aussi pratiqué par les pouvoirs publics romains. Cependant, ni les sources ni les auteurs modernes ne spécifient la condition sociale de ces victimes de la place du Marché aux Bœufs. Leur intérêt a plutôt porté sur les origines, la signification, la fonction et le déroulement de cette pratique. Le couple de Gaulois, enterré vivant dans le Forum Boarium était, peut-être, un couple de captifs si l’on se fonde sur le récit de Plutarque. Selon l’historien grec, « le sacrifice eut lieu quand la guerre eut éclaté »1. Quelque temps après la première guerre d’Illyrie, Rome s’engagea dans un conflit contre une coalition des Gaulois d’Italie et des Gésates de la vallée du Rhône. Le couple gaulois offert en sacrifice avait été capturé, peut-être, au début du conflit. Néanmoins, nous ne disposons pas de témoignages sur l’identité des victimes du Forum Boarium pour étayer cette hypothèse. Mais certains scènes et fragments de textes attestent que loin d’être courant, le sacrifice de prisonniers de guerre n’était pas une pratique inconnue à Rome. Sur le fragment du cratère Lanckoronski qui date de la fin de la République, G.-Ch. Picard reconnaît une scène d’immolation de captifs. « À gauche », indique-t-il, « apparaît une Niké portant la palme puis défilent deux captifs nus, les mains liées derrière le dos, conduits par une Niké qui les entraîne vers un trophée […] au pied duquel un guerrier égorge un autre prisonnier ».
Pour conclure, il écrit : « la mise à mort » qui figure sur la scène « ne peut être considérée comme un épisode de combat ; il s’agit bien du sacrifice délibéré de prisonniers sans défense »2.
En mars 40 av. J-C, après la prise de Pérouse, Octave fit immoler devant l’autel de César 300 sénateurs et chevaliers pérugins, qui avaient soutenu le consul Lucius Antonius Pietas, c’est-à-dire plus d’un demi-siècle après le fameux sénatus-consulte dont parle Pline l’Ancien3. Dion Cassius précise clairement qu’ils ne furent pas « seulement exécutés » mais bien « sacrifiés »4. En plus de constituer une forme d’exécution, le sacrifice de captifs correspondait à une formule qui satisfaisait l’adversaire à plus d’un titre. En ôtant la vie à l’ennemi pour l’offrir à une divinité, le vainqueur assouvissait non seulement sa propre vengeance, celle des morts et des blessés de son camp, mais encore il bénéficiait des faveurs de la divinité en l’honneur de qui le « précieux liquide » était versé. Le sang du prisonnier de guerre renfermait une valeur de satisfaction morale aux yeux du conquérant. Symboliquement, en sacrifiant la vie de son ennemi aux dieux, le vainqueur compense et répare les pertes humaines et matérielles subies par son camp5. Dans le cadre de ce rituel, T.-L., XXII, 57 ; Plut., Marc., III. G.-Ch. Picard, Les trophées romains..., pp. 135-136. 3 Suét., Aug., XV. 4 XLVIII, 14. 5 Selon Tertullien, pendant les jeux offerts à Jupiter « les descendants d’Énée » sacrifièrent « un gladiateur », Apologétique, texte traduit par J.-P. Waltzing, Paris, Les Belles Lettres, 1929, IX, 5. Cette victime n’était pas seulement un malfaiteur comme le mentionne 1 2
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sanglant ou non, le captif dépasse sa fonction de bouc-émissaire pour atteindre celle d’un objet sacré, car « par l’acte même de consécration, la victime est entrée dans la zone divine »1. Dans l’acte d’offrande, la cible devient une propriété exclusive de la divinité, d’où les combats conçus comme sacrifices. De ce point de vue, cette opération constitue un moyen d’éviter au captif de rester sans sépulture, sort auquel étaient condamnés les crucifiés.
4. Le supplice de la croix Cruciare ne signifie pas seulement crucifier mais renvoie aussi à torturer, au sens large du verbe. Le vocable crux2 ne se réfère pas invariablement à un instrument de torture en forme de croix, il désigne parfois aussi la potence, le gibet. Valère Maxime ne précise ni le type d’instrument utilisé ni la forme de torture infligée lorsqu’il écrit : « cuius pater per summos cruciatus expirare quam fallere Carthaginienses satius esse duxerat »3. Dans le corpus, la croix figure comme un type de châtiment très rare, et même exceptionnel4. Le début de cette pratique à Rome ne fait pas l’unanimité chez les auteurs5. La crux demeure absente de La Loi des XII Tables, du Digeste et du Code Justinien6. Surnommée « servile supplicium », elle est considérée dans la société l’auteur chrétien mais il pouvait bien être un prisonnier de guerre devenu esclavegladiateur. 1 J. Bayet, Histoire politique et psychologique…, p. 131. 2 Cf. Tableau VII (Annexe I). Sur les différents types de mise en croix et leur fonctionnement lire E. Cantarella, op. cit., pp. 181-182. 3 « Il avait un père qui avait préféré mourir dans les pires supplices plutôt que de tromper les Carthaginois » en faisant allusion à Marcus A. Regulus, II, 9, 8. De même que Tacite : « Auxit inuidiam praeclaro exemplo femina Ligus, quae filio abdito, cum simul pecuniam occultari milites credidissent eoque per cruciatus interrogarent ubi filium occuleret, uterum ostendens latere respondit, nec ullis deinde terroribus aut morte constantiam uocis egregiae mutauit ». « L’odieux de leur conduite s’accrut du bel exemple donné par une Ligurienne : elle avait caché son fils et les soldats s’imaginant qu’avec lui elle cachait de l’argent la torturèrent et lui demandèrent où était ce fils : mais elle, montrant son ventre : “Il est caché là”, répondit-elle. Ni de terribles menaces ni la mort ne l’empêchèrent de soutenir la fermeté de ce mot admirable », Hist., II, 13. 4 Sur le Tableau VII (Annexe I), la croix est citée par Tacite, Florus, Valère et Suétone. Néanmoins, elle reste rare par rapport à l’ensemble des vocables employés. 5 Pline l’Ancien la fait remonter au règne de Tarquin l’Ancien qui fit crucifier certains plébéiens qu’il avait mobilisés pour des travaux publics en guise de punition contre ceux qui s’étaient suicidés pour ne pas participer au labeur. Pline rappelle que ce fut sans précédent, Histoire Naturelle, XXXVI, 24, 107 (texte établi et traduit par J. André et R. Bloch, Les Belles Lettres, 1981). Mais, l’épisode des travaux pour la construction d’un temple est relaté aussi par Tite-Live qui, en revanche, ne mentionne pas le crucifiement des plébéiens, I, 56, 1-2. Les Romains auraient emprunté aux Carthaginois cette pratique, A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique…, s.v. Crux. En fait, les sources livrent peu d’informations sur les débuts de cette pratique à Rome. E. Cantarella date l’apparition de la croix dans l’éventail des instruments de mort de l’État de l’époque impériale pour une période relativement brève, op. cit., p. 187. 6 Sur les différentes hypothèses émises concernant cette absence, lire l’article de D. Grodzynski, « Tortures mortelles et catégories sociales. Les summa supplicia dans le droit
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romaine comme un type de mort ignominieux, spécialement réservé aux esclaves1. Si la croix fait partie des châtiments privés (infligés par le maître à ses esclaves) elle n’est, en revanche, pas appliquée par l’État. L’idée d’un citoyen cloué à la croix était, pendant l’époque de la République, inacceptable à Rome. Cicéron oppose la croix à la liberté du civis dans le Pro Rabirius. « Mourons au moins en homme libre : que le bourreau, que le voile de la tête, que le nom même de la croix restent à l’écart non seulement du corps des cives romani, mais aussi de leurs pensées, de leurs yeux, de leurs oreilles »2 déclame-t-il dans son plaidoyer.
Cette méfiance ou répulsion découlait peut-être de la conséquence religieuse qu’entraînait le crucifiement : le supplicié se transformait en un insepultus3. Toutefois, condamnée à errer, l’âme du défunt insepultus devenait un danger réel pour les vivants qu’il continuait à hanter4. Même si la date de son apparition dans la panoplie des instruments de torture à Rome est controversée, la croix figure bien parmi les formes de traitement infligées aux prisonniers de guerre. Dans notre corpus, le seul exemple de crucifiement effectué par un Romain est celui de Jules César5. Mais les victimes n’étaient que des prisonniers pirates, ceux-là qui l’avaient auparavant capturé. Tous les autres exemples de crucifiement de captifs sont le fait de romain aux IIIe et IVe siècles », in Du châtiment dans la cité, supplices corporels et peine de mort dans le monde antique, École Française de Rome, 1984, p. 361. 1 Les esclaves à Rome étaient fréquemment soumis à cette forme de torture, cf. Plaute, Les Bacchis, V, 687 ; Poenulus, V, 369. Les fameux mots de l’esclave Scleredrus illustrent parfaitement le caractère ordinaire du supplice de la croix dans les traitements infligés aux esclaves à Rome. « Je sais que la croix sera ma tombe. C’est là que reposent mes ancêtres, père, grand-père, arrière-grand-père, bisaïeul et trisaïeul » dit l’esclave, Miles gloriosus, V, 372. 2 V, 16. Elle était surtout réservée aux esclaves, aux transfuges et aux provinciaux coupables de piraterie ou d’assassinats, de brigandage, d’excitation à la révolte. M. Hengel, Crucifixion. In the ancient world and the folly of the message of the cross, Londres, 1977, pp. 51-63. En 71 av. J-C, une fois les partisans de Spartacus vaincus, Licinius Crassus fit dresser, tout au long de la Via Appia, de Capoue à Rome, 6 000 croix. Sous l’Empire, la croix commença à devenir une peine plus fréquente et moins discriminatoire, dans l’Histoire Auguste, sous Galba, un tuteur, citoyen romain empoisonneur de son pupille, fut crucifié. Il obtint seulement que son pieu fût plus grand et blanchi, Vie de Galba, VII, 4. Sur le crucifiement comme peine de mort discriminatoire à Rome, cf. E. Cantarella, op. cit., pp. 181-187. 3 Cicéron, dans son plaidoyer Pour Rabirius, V, 16 (texte établi et traduit par A. Boulanger, Paris, Les Belles Lettres, 1960) demande qu’on lui accorde de mourir dignement et de ne pas être privé de la sépulture de ses ancêtres. 4 J.-L. Voisin, « Apicata, Antinoüs et quelques autres notes d’épigraphie sur la mort volontaire à Rome », MEFRA 99, 1, 1987, p. 262 ; id., « Pendus, crucifiés, oscilla dans la Rome païenne », Latomus 38, 2, 1979, p. 444. L’explication de cette damnation repose sur l’absence de tout contact physique au moment de la mort entre le crucifié et la Terre-Mère. La terreur qu’éprouva le client de Cicéron et la répugnance de ce dernier constituèrent des témoignages qui expliquent, en partie, l’absence de la croix dans la panoplie des tortures infligées aux captifs jusqu’à l’époque impériale. C’est à partir de cette période que les cas de crucifiement se multiplièrent. 5 Vel. Pater., II, 42, 2 ; Suét., Cés., LXXIV. Les pirates, « ennemis communs », n’étaient que de vulgaires brigands et non de véritables hostes.
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Barbares1, à savoir les Carthaginois au IIIe s. av. J-C, les Germains et les Bretons au Ier s. ap. J-C. Pourtant, selon le témoignage de Dion Cassius, Antoine fit fouetter2 Antigone après l’avoir attaché à une croix. Il précise « qu’aucun roi n’avait encore subi ce châtiment de la part des Romains »3. Cette version de Dion qui révèle la pratique du crucifiement par l’armée romaine dès 37 av. J-C, pendant la révolte juive, reste isolée. Ni Plutarque, ni Flavius Josèphe, qui n’a pas manqué de citer d’innombrables exemples de prisonniers juifs crucifiés en 70 ap. J-C, ne mentionnent cette information importante4. Fils d’Aristobule II, Antigone fut capturé pendant la prise de Jérusalem par les troupes de Sossius. Ensuite, envoyé à Antioche, il fut décapité à la hache5. Cette forme d’exécution précisée par les deux sources est réservée à Rome aux traîtres6. Or, Antigone était considéré comme un lâche. « Cet être attaché jusqu’au bout à la vie par une piètre espérance périt sous la hache, que méritait sa lâcheté »7 explique Flavius Josèphe. Ennemi de Pompée, il avait ensuite combattu Antoine qui l’avait écarté du pouvoir. En 40 av. J-C, les Parthes restaurèrent Antigone mais Hérode, déchu, demanda secours aux Romains. Une fois vaincu, Antigone n’hésita pas, pour obtenir le pardon de Rome, à se jeter aux pieds de Sossius qui alors l’appela « Antigona » pour le tourner en ridicule. Les deux récits (celui de Plutarque et celui de Flavius Josèphe) mettent en corrélation la faute avec la sanction et révèlent aussi que, pendant la révolte de 37 av. J-C, les Romains n’infligèrent pas le supplice de la croix aux captifs juifs mais recoururent, plutôt, à la décapitation. Plus honorable que la croix, cette forme de mise à mort, réservée au civis Romanus, dévoile, néanmoins, publiquement la lâcheté et la faute de la victime. Dans le cas d’Antigone, Antoine avait précisément pour but de dévaloriser et de discréditer le roi de Syrie aux yeux de son peuple afin de servir les ambitions de son adversaire, Hérode8. Cf. Tableau 4, p. 140. Ammien Marcellin fait souvent allusion au claquement du fouet sur le corps des captifs comme pour leur rappeler les mutations subies par leur statut social. En fait, le fouet appartient à la panoplie des instruments de torture domestique réservés aux fils et aux esclaves avant de devenir un supplice pénal accompagnant parfois d’autres formes de condamnation. Comme châtiment corporel, le fouet garde tout son caractère dégradant, P. Garnsey, Social status…, pp. 138-139. 3 LIX, 22, 3. 4 Plut., Ant., XXXVI et XXXVII ; Flavius Josèphe, Antiquités juives, XIV, 489-490 ; XVII, 191 ; id., La guerre des Juifs, I, 352-353. 5 Pompée fit exécuter de la même manière les principaux responsables de la révolte de Judée mais garda prisonniers Aristobule et sa famille : ses deux filles et deux fils, La guerre des Juifs, I, 154-158. 6 E. Cantarella, op. cit., p. 145. 7 La guerre des Juifs, I, 357. 8 Flavius Josèphe, Antiquités juives, XV, 9-10. Mais Flavius Josèphe révèle aussi qu’après la mort d’Hérode, éclata une révolte des Juifs, le proconsul de Syrie, Varus fit alors crucifier mille révoltés juifs, id., ibid., XVII, 295. 1 2
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Si jusqu’en 70 ap. J-C, le supplice de la croix est exceptionnel, voire même absent dans la panoplie des instruments de torture romains réservés aux prisonniers de guerre, à partir de cette date, qui coïncide avec le siège de Jérusalem, Flavius Josèphe fait de la croix, un supplice fréquemment utilisé par les Flaviens. Il présente ainsi un tableau différent de celui peint par les auteurs du corpus. Si l’on se réfère à leurs témoignages, ils considèrent que les Romains ne torturaient pas leurs captifs ou très peu, du moins ils ne leur faisaient pas subir le supplice de la croix1. Pourtant, à Jérusalem, pendant tout le siège de la ville, Titus fit crucifier un grand nombre de captifs juifs. Le récit du « Juif de Rome » reste crucial dans la mesure où il émane non seulement d’un témoin oculaire2, mais surtout d’un ancien prisonnier de guerre juif qui avait bénéficié des faveurs de Vespasien et de Titus et aussi qui avait fait œuvre de propagande pour l’Empire. Le chroniqueur juif, fait lui-même prisonnier à Jotapata, doit la vie et la liberté au fils de Vespasien. C’est pourquoi, tout au long de son ouvrage, il s’évertue à peindre un Titus bon et clément3. En dépit de sa position pro-romaine, il n’hésite pas à mentionner que, devant les remparts de la « Ville de David », les prisonniers de guerre juifs « étaient fouettés, soumis avant de mourir à toutes sortes de tortures, puis crucifiés face aux remparts. Leurs souffrances, certes, paraissaient pitoyables à Titus, cinq cents prisonniers et parfois plus, étant faits chaque jour ; mais il jugeait imprudent de relâcher des gens pris après combat… Cependant sa principale raison de ne pas empêcher ces crucifiements était qu’il espérait qu’à ce spectacle les Juifs, peut-être, se rendraient, dans l’idée qu’autrement ils subiraient le même sort. Les soldats, dans leur colère et par haine, ridiculisaient les prisonniers en les crucifiant dans toutes sortes de position et, vu leur nombre, la place manquait pour les croix et les croix pour les corps »4.
Partagé entre sa reconnaissance vis-à-vis de ses bienfaiteurs, sa pitié pour ses compatriotes et le remords d’avoir choisi la captivité, Flavius Josèphe essaya, en usant de son amitié avec Titus, de sauver trois de ses amis condamnés à subir la croix. Malgré son intervention un seul survécut5. Vespasien et Titus semblaient obéir, dans l’application des supplices aux Juifs de Jérusalem, à une conception romaine des peines : la faute commise devait correspondre au type de châtiment apparié. Les Romains voyaient, plutôt, en Cf. Tableau 5 p. 169. Ces atrocités commises par les Romains ne sont connues que grâce au témoignage précieux de Flavius Josèphe. Tacite (Histoires, V, 8-13) garde le silence sur ces événements précis de la guerre de Judée, nous privant de la sorte d’informations sur le comportement de l’armée romaine envers les prisonniers de guerre juifs. 2 Flavius Josèphe reste le seul à avoir relaté ces événements. Tacite, quant à lui, évoque brièvement la guerre de Judée sans soulever le traitement des captifs juifs, Histoires, V, 12. 3 Ce portrait, très flatteur, dressé par le chroniqueur juif est loin de ressembler à celui brossé par Suétone. Ce dernier décrit plutôt un despote, un prince cruel et impopulaire qui, pour fêter l’anniversaire de son frère, n’hésita pas à envoyer 2500 Juifs aux fauves. Selon Suétone, « personne peut-être ne devint empereur avec une réputation si mauvaise ni contre le vœu plus marqué de tous », Titus, VI, 3. 4 La guerre des Juifs, V, 449-451. 5 Autobiographie, 421. 1
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ces hommes des rebelles, des brigands et non de véritables hostes1. Or, à Rome, la crux était réservée non seulement aux esclaves, mais aussi aux brigands. Par conséquent, le supplice de la croix demeurait aux yeux des Flaviens la peine appropriée à la circonstance. Mais, en même temps, la croix constituait un stratagème : Titus espérait par l’application de cette peine capitale parvenir à fléchir les Juifs de Jérusalem par la crainte2. En fait, le crucifiement reste une mise à mort terrifiante car l’agonie peut durer une dizaine d’heures3. Il ordonnait ainsi la mise en croix des prisonniers juifs juste devant les remparts de la cité au vu des assiégés. Mais il en profitait aussi pour pousser l’ennemi à lui livrer des informations par « la question ». Les Flaviens jouèrent à fond sur le caractère avilissant et douloureux du crucifiement afin d’amener les Juifs à se rendre. En effet, le supplice de la croix suscitait d’autant plus la peur que la victime n’était pas toujours enterrée. Sa dépouille était laissée en pâture aux animaux, ce qui représentait le comble de l’humiliation. Ces efforts eurent plutôt l’effet contraire puisque les Juifs étaient encore plus déterminés à continuer la guerre jusqu’au bout. Néanmoins, Vespasien et Titus n’appliquèrent pas cette peine à tous leurs captifs. Les exemples de Flavius Josèphe, de Simon Bar Gioras et de Jean de Gishala sont, dans cette perspective, très révélateurs. En effet, ennemis entre les mains des Romains, aucun d’eux ne subit le supplice de la croix ou une autre forme de torture en dehors du port des chaînes, pourtant l’un dirigeait la révolte de Jotapata et les deux autres étaient des chefs de rébellion. Ce qui les sauva provenait en grande partie de leur ancien statut social et de leur rôle dans la révolte : comme ennemis illustres, ils devaient figurer à la procession triomphale même si juste après, ils furent exécutés. Le cas de Flavius Josèphe reste, quant à lui, exceptionnel. Il échappa au sort d’un captif ordinaire grâce à ses dons de prédiction4. Bref, le crucifiement, même s’il fut très souvent pratiqué à Jérusalem en 70 ap. J-C, n’était pas automatiquement infligé à tous les captifs ni appliqué dans toutes les villes de Judée pendant la guerre. En fait, les Juifs faits prisonniers en Galilée à Séphoris, à Gamala, à Gadara, ou même en Judée à Jéricho, ne subirent pas la croix. Ce qui montre la gravité de la situation, le caractère âpre des confrontations et l’enjeu que constituait la prise de Jérusalem, rempart derrière lequel s’étaient réfugiés les « rebelles » juifs. L’occupation du cœur de la Judée marqua officiellement à Rome la fin de la guerre romano-juive même si elle se poursuivit encore jusqu’en 73 ap. J-C avec la prise de la forteresse de Masada. Sur la définition de l’ennemi, supra p. 60. Id., V, 289. À leur suite, le légat de Judée Lucilius Bassus usa du même stratagème. En 72 ap. J-C, il réussit à emmener la population de Machéronte à se rendre en faisant mine, après avoir déshabillé et fait fouetter un captif devant les remparts de la ville, de le crucifier, Flav. Jos., VII, 200-204. 3 J. Prieur, La mort dans l’Antiquité, p. 41. 4 Flavius Josèphe tient ses prédispositions prophétiques du sacerdoce qu’il exerçait et de sa rencontre avec un ermite qui l’aida à développer ses facultés intuitives, sur l’ensemble de ces questions cf. A. Mosès, op. cit., pp. 186-201. 1 2
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Contrairement au chroniqueur juif qui montre que la croix constituait un instrument de mort largement utilisé par l’armée romaine, Tacite en fait, quant à lui, l’apanage des « Barbares », Germains et Bretons. Après le désastre de Teutoburg en 9 ap. J-C, les troupes d’Arminius soumirent au supplice de la croix les hommes de Varus1. Tacite n’emploie pas crux pour nommer l’instrument de torture mais patibulum. « Et ceux qui, survivant au désastre, avaient échappé à la bataille ou s’étaient sauvés de prison, disaient : “Ici, sont tombés les légats ; là, les aigles ont été prises ; ici le premier coup a été porté à Varus ; là, il a trouvé la mort en se frappant lui-même de sa main, l’infortuné”. Ils montraient le tertre du haut duquel Arminius avait harangué ses troupes ; ils énuméraient les gibets, les trous qu’il avait fait préparer par les prisonniers, les outrages que son orgueil avait prodigués aux enseignes et aux aigles »2.
Le crucifiement des captifs romains renforçait davantage le caractère déshonorant et dramatique de la débâcle des troupes de Varus aux yeux d’Auguste. Les soldats romains étaient non seulement capturés, mais encore ils subirent une mort servile donc infamante. Tacite critique également le comportement irresponsable et l’esprit naïf et cruel des Bretons pour qui, « faire des prisonniers, les vendre, se livrer à tout autre trafic de guerre eût paru long à ces Barbares : massacres, gibets, incendies, crucifixions, ils avaient hâte de voir tout cela se succéder, en gens sûrs d’être punis et dans la pensée qu’ils se vengeaient d’avance de leur supplice »3.
Pour Tacite, comme pour la plupart des auteurs anciens, le supplice de la croix pour les captifs est un trait caractéristique de la barbarie.
5. Le refus de sépulture ou la torture après la mort Notre objectif n’est pas de faire une étude exhaustive de la sépulture mais de montrer, à partir de sa place considérable dans la civilisation romaine et par extension antique4, dans quelle mesure son refus pouvait constituer en luimême un châtiment purement moral pour le mort. Par ce moyen, il demeure aussi intéressant de comprendre, en partie, pourquoi la mort en captivité inspirait une répulsion et même une frayeur réelle.
1 Le désastre de Teutoburg traumatisa l’Empire au point que, six ans après, les troupes de Germanicus s’évertuèrent à ensevelir les ossements des morts ne reconnaissant ni les Romains ni les ennemis, Tac., Ann., I, 60. 2 « Et cladis eius superstites, pugnam aut uincula elapsi, referebant hic cecidisse legatos, illic raptas aquilas ; primum ubi uuInus Varo adactum, ubi infelici dextera et suo ictu mortem inuenerit ; quo tribunali contionatus Arminius, quot patibula captivis, quae scrobes, utque signis et aquilis per superbiam inluserit », Annales, I, 61, 4. Le patibulum constituait la traverse dont étaient chargées parfois les épaules du condamné (la partie verticale s’appelle stipes) la croix ne prenait forme qu’au moment de l’exécution, E. Cantarella, op. cit., p. 181. 3 Annales, XIV, 33. 4 Flav. Jos., La guerre des Juifs, IV, 360 ; IV, 380-385.
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Les sources n’indiquent pas automatiquement le sort réservé aux dépouilles des captifs après leur exécution. Nous savons seulement qu’une partie tombait sous la dent des bêtes, il s’agit du corps des prisonniers de guerre qui combattaient et de ceux qui étaient exposés en pâture aux vautours. Pourtant, si certains étaient inhumés, il en existait d’autres qui restaient sans sépulture, c’était le cas des morts exposés1. L’inexistence de sépulture n’entraînait pas nécessairement une damnation de l’âme du défunt comme c’était le cas des pendus et des crucifiés2. En fait, par sa fonction même de lieu de repos éternel, l’absence d’une tombe condamnait l’âme à errer3. Le coin de terre réservé à l’érection de la sépulture constituait un prolongement de la maison du défunt, sa demeure dans l’au-delà d’où la pratique qui consistait à l’enterrer avec ses affaires, à savoir ses armes, ses habits, ses ustensiles… Certains passages, certes rares, soulignent la préoccupation des captifs sur le point d’être exécutés qui imploraient, comme dernière volonté, une sépulture. Auguste répondit à ses captifs, partisans d’Antoine, qui voulaient être inhumés après leur mort, « que leur dépouille serait bientôt l’affaire des vautours »4 pour leur signifier son refus et surtout sa volonté de poursuivre sa vengeance jusqu’au-delà de la mort. Dans la civilisation latine, la tombe est lourde de significations : elle reste fondamentale aussi bien pour le mort que pour les vivants. Ammien Marcellin la considère comme l’hommage suprême rendu au mort. Sepultura « supremitatis honor est »5 écrit-il. « La privation de sépulture est une peine plus grave que la mort. C’est une peine appliquée à ceux qui sont punis par les dieux »6.
En plus de symboliser le repos pour l’âme, elle perpétue le nom du disparu et rend impérissable sa gloire. Tacite précise d’ailleurs que la pierre tombale est un hommage particulièrement apprécié par les défunts7. Sur le monument funèbre était gravé parfois l’ensemble des cadres familial, social et Flavius Josèphe qualifie cette pratique d’impie. Pendant qu’ils occupaient Jérusalem, les Iduméens laissaient les Juifs sans sépulture alors que ces derniers « attachent une telle importance à l’enterrement que même les malfaiteurs qui ont été crucifiés sont détachés et ensevelis avant le coucher du soleil », La guerre des Juifs IV, 5, 2. Aux yeux du chroniqueur, le refus d’une sépulture est extrêmement grave puisque c’est le minimum qu’un vivant puisse rendre à un mort, néanmoins il ne fournit pas de précision sur les corps des prisonniers juifs crucifiés par Titus. 2 Les pendus comme les crucifiés appartiennent à la catégorie des insepulti : ils n’ont pas droit aux honneurs funéraires. Sur la question des pendus cf. J.-L. Voisin qui explique que parmi les suicidés seuls les pendus étaient frappés d’interdiction de sépulture, « Apicata, Antinoüs et quelques notes d’épigraphie… », p. 269 ; id., « Pendus, crucifiés… », p. 425 ; Voir aussi E. Cantarella, op. cit., p. 173. 3 Le corps de celui qui n’était pas incinéré ni inhumé selon les rites reste impur et les esprits refusaient de l’accueillir, J. Prieur, La mort dans l’Antiquité, p. 15. 4 Suét., Aug., XIII. 5 XXXI, 13, 17. 6 J. Prieur, op. cit., p. 17. 7 Tac., Ann., I, 62, 1. 1
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politique du mort retraçant le parcours de sa vie. Toutes ces informations sur le mort avaient pour objectif de rappeler aux vivants qui les lisaient ou s’arrêtaient sur les images, son passage sur terre. Elles lui évitaient, de la sorte, de tomber dans le gouffre de l’oubli. Le monumentum, par son aspect ostentatoire, a pour principale fonction de rappeler : c’est la « mémoire du mort »1. Quoiqu’il n’appartienne plus au monde des vivants, le défunt y demeure néanmoins rattaché. Ainsi, il ne plonge pas dans le néant. L’image du mort constituait un souvenir, une empreinte de ce qu’il avait été, d’où, par conséquent, cette importance capitale des masques funèbres pour certains membres de la société romaine. L’imago restait enfermée, seuls les titres demeuraient visibles2 contrairement à la sépulture (qui comporte aussi des bustes de défunt). Toutefois, à la différence de l’imago (le jus imaginum étant réservé à la noblesse patricio-plébéienne), la sépulture était plus accessible et sa privation touchait, par conséquent, tout captif romain. « Gardienne des cendres », la pierre tombale est un signe « adressé aux vivants »3. Dans cette perspective, le refus de sépulture représentait une punition pire que celle du supplice, un châtiment qui poursuivait la victime jusque dans la mort en la privant du repos éternel de son âme et en la condamnant irrémédiablement à l’oubli. Les conséquences de ce rejet expliquèrent aussi l’empressement de Germanicus, six années après le désastre de Varus en 9 ap. J-C, dans la forêt de Teutoburg, malgré l’opposition de Tibère, à enterrer ce qui restait des légions de Varus quoique les soldats ne parvinssent pas à distinguer dans les ossements les Germains des Romains. L’absence de sépulture était redoutée au point que l’empereur craignit que, devant un tel spectacle, les soldats prissent peur4. III. La cruauté de l’Autre Toutes ces formes de mise à mort ou de torture, soumises à la logique romaine, ne pouvaient être entièrement considérées comme de véritables actes relevant d’une cruauté gratuite et barbare5, mais plutôt comme un châtiment juste qui avait pour but d’éviter tout débordement capable de menacer l’équilibre de la paix romaine. Les auteurs distinguent dans la cruauté celle qui est juste (celle des Romains) de celle qui est inhumaine et arbitraire (celle des 1 H. Lavagne, « Le tombeau, mémoire du mort », in La mort, les mort et l’au-delà dans le monde romain, Actes du colloque de Caen 20-22 novembre 1985, publiés sous la direction de F. Hinard, 1987, p. 159 ; B. d’Agostino et A. Schnapp, « les morts entre l’objet et l’image », in La mort, les morts et les sociétés anciennes, Paris, 1982, p. 17. 2 L’empreinte du visage du défunt était prise dans de la cire pour fabriquer son imago. Il constituait ainsi une marque de noblesse qui était exhibée pendant les funérailles d’un membre de la famille, un moment de se rappeler les ancêtres d’où l’intérêt de ces images, F. Dupont, « La mort et la mémoire : le masque funèbre », in La mort, les morts…, pp. 167168. 3 P. Grimal, La civilisation romaine, p. 90 ; Pline, Lettres, IX, 19. 4 Tac., Ann., I, 62, 1-2 ; Suét., Cal., V. 5 Juvénal décrit la cruauté des habitants de Coptos (Numidie) en donnant l’exemple des Ombites qui, après avoir capturé un ennemi, « le coupent en quantité de morceaux, afin que chacun puisse avoir sa part du mort », Satires, XV, 75-83.
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Barbares). Cette dichotomie sert de critère référentiel pour caractériser comme monstrueux tout ce qui va à l’encontre de la conception romaine du châtiment. Ce trait moral auquel correspond la cruauté, présentée comme étant l’apanage du Barbare1, renforce et complète, en lui apportant un élément supplémentaire, le discours iconographique : la barbarie n’est pas seulement physique, mais elle est aussi morale et comportementale. Les auteurs anciens font correspondre les manières de s’emparer des corps des captifs romains et de les torturer à des gestes et mœurs qui révèlent l’identité barbare des captivatores. À travers leur style, Valère Maxime et Florus soulignent la cruauté des adversaires de Rome. Dans le compte rendu que fait Valère Maxime à propos du traitement des captifs romains, au cours de la première guerre punique, la cruauté atteint son paroxysme. Il commence par Regulus, en indiquant que : « les Carthaginois lui coupèrent les paupières, et l’enfermèrent dans une machine toute hérissée en dedans de pointes aiguës, où ils le firent périr autant d’insomnie que de douleur ; genre de torture bien plus digne de ceux qui l’avaient inventé que de celui qui l’endurait »2.
Toutefois, pour bien souligner cette inhumanité constante et typiquement carthaginoise, il ne mentionne pas l’épisode de la vengeance romaine. Ensuite, il en vient aux autres captifs romains dont les corps servaient « comme des rouleaux sur lesquels on faisait monter les navires pour les mettre à sec. Ces infortunés, écrasés sous le poids de ces énormes masses, offraient à ce peuple cruel, par un genre de mort extraordinaire, un spectacle capable d’assouvir sa férocité »3.
L’auteur reproduit le même schéma pendant la seconde guerre punique pour rajouter une preuve supplémentaire de la férocité légendaire de ce peuple4. Ce besoin de mettre en relief la cruauté implacable des Carthaginois explique en partie la divergence des récits des différents auteurs à propos de Regulus.
À propos des supplices de Regulus Les auteurs ne s’accordent pas sur les supplices infligés au consul romain, ni sur leur enchaînement, ni d’ailleurs sur leur nombre. Florus indique que le général romain fut d’abord emprisonné avant d’être mis sur la croix. Toutefois, il reste isolé dans sa version puisque cet instrument de mort n’est pas mentionné par les autres sources5. En revanche, le dispositif de torture qui fait presque l’unanimité chez les auteurs anciens reste, de loin, la cage aux clous. Les Carthaginois enfermèrent le consul romain « dans une machine toute hérissée Tac., Agr., XVI, 1. IX, 2, 1-2. 3 IX, 2, 3-4. 4 Val. Max., IX, 2, 6. 5 Cicéron, Diodore, Appien, Valère Maxime et Aulu-Gelle (ce dernier présente deux versions de l’histoire) n’évoquent à aucun moment la croix parmi les supplices subis par le consul. Mais Tertullien fait état du crucifiement de Regulus. « Si jusqu’ici aucun Regulus n’est sorti de vos rangs pour dresser sa croix, instrument sur lequel son corps serait cloué » écrit-il dans Ad Nationes, I, 18, 10 (texte traduit par A. Schneider, Neuchâtel, 1968). 1 2
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en dedans de pointes aiguës »1 afin de le faire mourir d’épuisement. L’autre forme de torture qu’il subit fut le supplice de l’insomnie. Selon Aulu-Gelle, « ils l’enfermaient dans des ténèbres noires et profondes, et longtemps après, lorsque était apparu un soleil très brûlant, ils le faisaient sortir soudain, le tenaient exposé aux coups du soleil et le contraignaient de maintenir ses yeux vers le ciel. Et pour qu’il ne pût cligner des yeux ils lui cousaient aussi les paupières écartées en haut et en bas »2.
Il ajoute aussi « qu’on l’empêcha longtemps de dormir, qu’il perdit la vie ainsi ». Les différentes versions des sources consultées donnent le tableau suivant : Tableau 6. Supplices infligés à Regulus Auteurs Cicéron
L’alternance de l’obscurité et de la pleine lumière Le bien et le mal, II, 65
Diodore Appien Valère Maxime Florus Aulu-Gelle VII, 4, 2-3
La cage aux clous
La privation La croix Le supplice de nourriture de l’insomnie Le bien et le Le bien et le mal, II, 65 mal, II, 65
XXIV, 12 X IX, 2, 1
IX, 2, 1 I, 18
VII, 4, 4
Nous mettons en doute la présence de la croix parmi les tortures infligées à Regulus. Préoccupés de mettre en relief la sauvagerie des Carthaginois, les auteurs ne peuvent pas passer sous silence cet instrument de torture dont l’application est considérée à Rome comme la mise à mort la plus cruelle et la plus douloureuse ; à moins qu’ils n’aient été retenus par son caractère abject qui pouvait jeter l’opprobre sur le consul exemplaire. En dépit des doutes que suscite l’authenticité du récit3, la description des types de torture infligés à Regulus met à découvert les intentions qui animent les auteurs lorsqu’ils abordent le traitement des captifs : souligner la férocité et la barbarie 1 Val. Max., IX, 2, 1 ; Gell., VII, 4, 3-4 ; Cicéron, Le bien et le mal, II, 65. Diodore décrit aussi une machine épouvantable, une sorte de cage garnie de clous qui obligeait le prisonnier à se mettre debout ou à se blesser, XXIV, 12. 2 Gell., VII, 4, 4 ; Cicéron mentionne aussi l’alternance de l’obscurité et de la pleine lumière et la torture de l’insomnie imposées à Regulus mais ajoute aussi la privation de nourriture, Le bien et le mal, II, 65 (texte traduit par J. Martha, Paris, Les Belles Lettres, 1997). 3 Sur la controverse autour de la véracité de l’histoire de Regulus, cf. Y. Le Bohec, « L’honneur de Regulus », Ant. Afr., n° 33, 1997, pp. 91-95. Même si nous doutons de la pratique réelle de certaines formes de torture infligées au consul romain telles que les paupières cousues, il faut cependant garder à l’esprit qu’en période de guerre l’imaginaire sadique de l’homme dépasse facilement les limites de l’acceptable. Quant à l’insomnie, elle n’a pas pu tuer le consul romain à elle seule, E. Haffen, Personnalité et privation de sommeil. Tolérance à une privation totale de sommeil de 64 heures chez 16 volontaires sains sans aide pharmacologique, Thèse IIIe Cycle 1997, Université de Franche-Comté, pp. 149-150.
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de l’ennemi. Les supplices infligés au Romain, par leur forme et leur bestialité, expriment un sentiment de vengeance. Le consul romain, par ses actes de bravoure, avait défié et offensé l’armée et le sénat carthaginois. Non content d’avoir capturé de jeunes et nobles carthaginois qu’il avait envoyés à Rome, il avait, en plus, saboté la mission carthaginoise auprès du sénat romain. Les sources exagèrent, sûrement, certains faits même si, aux yeux des Carthaginois, Regulus était un captif indomptable. Par hypotypose, elles créent un effet de dramatisation du récit qui vise à pointer du doigt la cruauté de l’ennemi et, en même temps, à justifier et légitimer l’attitude du sénat et de la famille du consul. Une fois la mort de ce dernier annoncée à Rome, le sénat livra aux enfants du défunt les captifs carthaginois les plus nobles pour le venger. Ils les soumirent alors minutieusement et exactement aux mêmes types de torture. Ils les enfermèrent dans un coffre et leur firent subir le supplice du sommeil1. Cependant cette réplique divulgue non seulement un « désir spasmodique de vengeance »2, mais aussi le besoin de justifier certains actes jugés barbares afin d’en rejeter l’entière responsabilité sur les autres, en l’occurrence l’ennemi. Bref, selon les sources la violence et la cruauté des Carthaginois avaient provoqué et déterminé celles des enfants de Regulus et, par extension, celles de l’État. Florus emprunte le même procédé pour évoquer la férocité des Thraces3. Valère Maxime et Florus s’attardent sur les moindres petits détails, des supplices décrits minutieusement, et tendent à une extrapolation incontestable. Ils incitent, de la sorte, le lecteur à prendre parti pour Rome et à condamner sévèrement le Barbare qui ne peut que lui inspirer un sentiment de répulsion. Le Romain, en ripostant, ne faisait que se défendre de la cruauté de l’ennemi. Cette stratégie consiste à rejeter toute la responsabilité des mauvais traitements des prisonniers thraces sur eux-mêmes. Florus explique que devant la conduite inhumaine des Thraces envers les captifs romains, l’armée romaine se trouva obligée de répliquer en infligeant à leurs prisonniers le même type de traitement. « Il n’est pas de cruauté qu’ils ne commissent pendant toute cette période dans les traitements qu’ils [les Thraces] firent subir à leurs prisonniers, versant aux dieux des libations de sang humain, buvant dans des crânes, souillant par des outrages de toute sorte une mort causée aussi bien par le feu que par la fumée, arrachant même, dans les tortures, les fœtus des femmes enceintes… Et le seul moyen que l’on eut de soumettre les plus Gell., VII, 4, 4. Diodore précise que les captifs carthaginois furent livrés à l’épouse de Regulus, XXIV, 12. 2 Ce désir procure au traitement infligé aux captifs carthaginois tout son caractère tourmentant qui met « en corrélation le type d’atteinte corporelle, la qualité, l’intensité des souffrances avec la gravité du crime », M. Foucault, op. cit. p. 38. 3 Rome envoya à plusieurs reprises son armée en Thrace où elle fut souvent battue. En 114 av. J-C, Caton fut défait ; entre 111-110 av. J-C, M. Livius Drusus fut envoyé en Thrace ; entre 78-76 ce fut le tour d’Appius Pulcher et entre 73-71 Terentius Varro Lucullus fut envoyé. Ces expéditions militaires successives mettent en évidence toutes les difficultés que posaient les Thraces aux Romains et expliquent l’hostilité qui transparaît dans le témoignage de Florus. 1
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Cette perception négative provient de la dissimilitude entre les instruments de mise à mort utilisés par Rome et ses ennemis. Les Romains ne pratiquaient pas encore le crucifiement ni le supplice de l’insomnie ni la fumigation, formes de torture utilisées par les Carthaginois et Thraces sur leurs captifs. Du moins, les textes n’attestent pas l’application de ces formes de traitement à Rome entre le IIIe s. et le IIe s. av. J-C. C’est un peu en contact avec ces ennemis que les Romains enrichirent leur panoplie d’instruments de torture et de mort infligés à leurs prisonniers de guerre. Et pourtant ceci est loin de signifier que les Quirites ne maltraitaient pas leurs ennemis défaits et capturés. Au contraire, malgré les efforts déployés par les sources pour disculper, justifier ou camoufler le comportement impitoyable des Romains envers leurs captifs (ce qui les rapproche des Barbares) il est loisible de constater que « quand on parle de cruauté, il est difficile d’attribuer la palme à une civilisation en particulier »2. En suivant l’application des peines et l’évolution des types de supplice et de mise à mort aussi bien à Rome qu’à l’extérieur dans le cadre des guerres, nous constatons principalement deux aspects. Le premier se fonde sur une ressemblance des peines entre le prisonnier de guerre et le criminel de droit commun. Le captif subit progressivement (en particulier à partir du Ier s. ap. J-C) toutes les peines majeures (l’envoi aux bêtes, la mise en fourche, le supplice du feu et de la croix) prévues pour le criminel sauf le culleus, supplice réservé aux parricides3. Le second, qui accompagne l’enrichissement et la diversification de la panoplie des tortures, est le durcissement du traitement du prisonnier de guerre surtout à partir du Ier siècle avec les crucifiements massifs en Judée et l’organisation fréquente des jeux qui mettaient en scène la mort programmée de milliers de captifs par le fer ou par les fauves pour célébrer la puissance irrésistible de l’Empire. C’est à cette période qu’il faut placer peut-être l’apparition de la croix parmi les supplices ordinaires infligés aux prisonniers de guerre, du moins le crucifiement en masse4. Pourtant, le silence qu’affichent les sources montre en même temps la rareté ou, mieux, le caractère exceptionnel du supplice de la croix. Le cas de la Judée reste particulièrement remarquable à ce propos. À Jérusalem, la pratique de cette peine, par sa massivité, souligne de manière flagrante le mauvais traitement des captifs juifs et les procédés 1 I, 39, 2 ; I, 39, 7 ; Amm. Marc., XXVII, 4, 4. La fumigation consiste à faire du feu de bois vert et humide dans un local étroit où est enfermé le condamné suivant les explications de Cicéron, Action contre C. Verrès, I, 17 (texte établi et traduit par H. de La Ville de Mirmont, Paris, Les Belles Lettres, 1960). 2 P. Veyne, « Humanitas : les Romains et les autres », in L’Homme romain, sous la direction de A. Giardina, Paris, 1992, p. 413. 3 Dig., XLVIII, 9, 9. 4 La conclusion rejoint celle de E. Cantarella qui pense que le supplice de la croix est une peine tardivement appliquée aux criminels de droit commun, op. cit., p. 187.
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impitoyables des Flaviens. En revanche, l’absence de ce type de traitement dans les autres villes aussi bien en Judée qu’en Galilée met en évidence également l’ambivalence dans le comportement des Romains et invite à une certaine prudence dans les conclusions. Cette divergence constitue, par conséquent, un élément qui renforce l’idée de la rareté de cette forme de torture mais ne remet nullement en cause sa pratique. Elle répond plutôt à des raisons tactiques et ne concerne ainsi qu’une faible portion de la population captive. Le seul cas de crucifiement massif reste celui de Jérusalem où la cruauté dans le traitement du prisonnier de guerre atteignit son paroxysme avec la pratique simultanée de la mutilation, des combats à mort, du supplice du feu et de la croix. En définitive, les informations à notre disposition restent rares et reposent sur une discrimination entre les Romains et leurs ennemis. Mais cette position découle, en partie, de l’image toute parfaite que certains auteurs anciens ont tenté de fabriquer pour Rome, un objectif qui les amène à se focaliser volontairement sur les aspects les plus remarquables et prestigieux1.
En conclusion, M. Hengel fait remarquer que « the relative scarcity of references to crucifixions in antiquity, and their fortuitousness, are less a historical problem than an aesthetic one, connected with the sociology of literature. Crucifixion was widespread and frequent, above all in Roman times, but the cultured literally world wanted to have nothing to do with it, and as a rule kept quiet about it », op. cit., p. 88. Néanmoins, cette pauvreté des références peut témoigner aussi de la rareté de ce type de traitement ou, du moins, du fait qu’il ne soit appliqué qu’à une partie des captifs et non à la majorité. 1
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Chapitre VII
LE TRIOMPHE ENTRE DEUX PASSAGES EN PRISON Une fois à Rome, les captifs, transportés dans des bateaux comme tout le reste du butin destiné à la célébration du triomphe, étaient gardés dans le carcer1. Nous ignorons complètement les conditions dans lesquelles se déroulait la traversée, car, à l’unanimité, les auteurs affichent un silence absolu2. À leur arrivée à Rome, les rois Persée et Gentius furent conduits à la prison avec leurs enfants indique de manière laconique Tite-Live3. À partir des exemples d’itinéraires de captifs fournis par le corpus et les sources complémentaires, le schéma ci-après se dessine. Dès leur débarquement, les prisonniers de guerre étaient incarcérés jusqu’au jour de la cérémonie du triomphe qui avait pour objet de célébrer avec le plus grand éclat une victoire militaire, la toute puissance de Rome et de remercier les dieux protecteurs de la cité4. À la fin de la procession triomphale, les captifs étaient répartis en trois groupes : - ceux qui retournaient en prison pour y subir la strangulation ; - ceux qui étaient enfermés dans le Carcer ou transférés dans des centres de détention installés dans les villes alliées à travers l’empire ; - et ceux qui étaient convertis en esclaves publics ou privés. Dans le contexte de la captivité en période de guerre étrangère, la prison et le triomphe ne correspondent ni à des destinations ordinaires, ni à des destins communs pour les captifs. À la limite, on peut même dire que l’incarcération ressemblait à un traitement de faveur. En fait, comme nous l’avons déjà montré, parmi les prisonniers de guerre seuls les plus influents par leur rôle politique et statut social antérieurs ainsi que les plus impressionnants Mais en droit, « on n’entend par custodia que la prison publique », Dig., L, 244. Custodia est ainsi plus fréquemment utilisé (Tableau V de l’Annexe I), il est présent chez tous les auteurs sauf Martial, Juvénal et Pline. Tacite emploie presque exclusivement custodia. Dans l’ensemble du corpus, custodia apparaît parmi les vocables utilisés entre 20 et 10 fois, il est même plus représentatif que captivitas et catenis. 2 Val. Max., IX, 6, 3. 3 T.-L., XLV, 35. Polybe donne une version proche. Selon l’Achéen, le transfert se faisait de Rome vers un autre endroit qu’il ne précise pas. Quant à Diodore, il se trompe sûrement lorsqu’il prétend que Persée et sa famille étaient confiés aux préteurs urbains pour les conduire à la prison d’Albe dès leur arrivée, en attendant la décision du sénat, Diod., XXXI, 9, 1. Ensuite, il donne une description du Tullianum, il ne peut s’agir que du carcer de Rome. En fait, en prenant en compte l’itinéraire de tous les exemples de captifs à notre disposition, un schéma commun se dégage : les prisonniers étaient, dans un premier temps, enfermés dans le carcer en attendant le triomphe, ensuite seulement, les survivants étaient envoyés dans d’autres centres d’incarcération à travers l’empire (ou dans des villes alliées sous la République, cf. schéma ci-dessus). 4 M. Lemosse, « Les éléments techniques de l’ancien triomphe romain et le problème de son origine », Études romanistiques, Annales de la Faculté de Droit et de Science Politique de l’Université d’Auvergne, Fascicule XXVI, 1990, p. 88. 1
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par leurs caractéristiques physiques étaient transportés à Rome pour le spectacle du triomphe. Rappelons qu’après la chute de Jérusalem, sur les 97 000 prisonniers juifs, Titus n’en choisit que 700, c’est-à-dire moins de 1% du total des captifs, pour les acheminer vers Rome. Aux yeux de certains auteurs, la figuration au triomphe ressemblait à un privilège, car ces captifs barbares étaient offerts au regard de ce « grand peuple », ils étaient applaudis et contemplés aussi comme de « véritables héros ». Tacite compte parmi les opportunités qui permettaient de connaître l’Urbs, la captivité quand il affirme avoir vu de ses yeux, « en Grande-Bretagne, un vieillard qui déclarait avoir pris part au combat où, lorsque César voulait envahir la Grande-Bretagne, les habitants essayèrent de le repousser du rivage et de le jeter à la mer, donc cet homme qui, soldat, combattit contre César, si la captivité, si sa volonté, si une circonstance quelconque l’avait amené jusqu’à Rome, il aurait pu entendre César lui-même et Cicéron et assister également à nos plaidoyers »1.
C’est dans ce même ordre d’idées que Florus considère la capture d’Andriscos et sa présence au triomphe de Q. Caecilius Metellus, en 146 av. JC, comme une faveur. Malgré ses épreuves, souligne-t-il, la Fortune lui fut pourtant indulgente, car « le peuple romain triompha de lui comme d’un roi véritable »2. Défiler sous les yeux du Princeps Populus le haussait au rang d’un authentique roi ou chef puisque ce sort restait principalement réservé aux captifs de marque alors que, aux yeux de l’historien, il n’est qu’un imposteur, un usurpateur. À partir des rapports entre la prison et le triomphe, nous tenterons de présenter une autre facette de cette cérémonie qui, perçue à Rome comme un moment suprême de gloire et de victoire sur l’ennemi, représente une forme d’humiliation et de torture morale tout à fait particulière pour le vaincu capturé. Des rapports de prolongement et de complémentarité se lisent tant aux niveaux topographique que fonctionnel entre, d’une part, l’emprisonnement des captifs et, d’autre part, leur figuration au triomphe : la même catégorie de captifs était destinée aussi bien à la prison qu’au triomphe. La prison marquait, réellement, le début de la vie carcérale du captif et annonçait parfois sa fin.
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Dial., XVII, 4-5. I, 30, 5.
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique Fig. 6. Itinéraire des captifs destinés au triomphe
Arrivée à Rome
Figuration au triomphe : sortie du carcer Triomphe Fin de la cérémonie : retour au carcer
Carcer de Rome - Incarcération momentanée - Strangulation - Incarcération à vie
Ou
Transfert Une autre prison - Liberté surveillée - Incarcération
Captifs Ou convertis en esclaves privés ou publics
I. Le carcer de Rome : ce lieu de supplices et de mort La prison publique à Rome a déjà fait l’objet de plusieurs études qui ont permis d’identifier son emplacement sous l’église San Giuseppe dei Falegnami, d’établir sa structuration et de déterminer son rôle dans le fonctionnement de la vie sociale et politique1. Située au nord du Forum, au 1 Ces études se sont particulièrement attachées à dresser son plan, identifier les pièces qui la composent ainsi que leurs fonctions respectives. Quant aux détenus dont il est question dans ces analyses, ils sont plutôt des prisonniers politiques ou des criminels de droit commun, bien que le cas de Persée soit souvent évoqué. Cf. J. Le Gall, « Notes sur les prisons à l’époque républicaine », MEFR, 1938, pp. 60-80 ; Y. Rivière, « Carcer y uincula : la détention publique à Rome sous la République et le Haut-Empire », MEFRA 106, 1994, 2, pp. 579-652 ; J.-M. David, « Du comitium à la roche tarpéienne. Sur certains rituels d’exécution capitale sous la République, les règnes d’Auguste et de Tibère », in Du châtiment dans la cité, MEFRA 1984, pp. 131-176. En revanche, les prisons dans les villes alliées ont bénéficié de moins d’attention ce qui, du reste, s’explique par la rareté voire l’absence de données textuelles. En effet, Tibur (Syphax), Alba Fucens qui possédait une puissante forteresse transformée en prison d’État (Syphax, Persée et sa famille, Bituit), Spolète (Gentius et sa famille), Iguvium (Gentius) et Ravenne (Thusnelda et son fils) ont abrité aussi des centres de détention où étaient gardés les captifs.
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tournant du Capitole, cette prison forme un véritable complexe composé de plusieurs pièces : un cachot souterrain, le Tullianum1 qui sert aussi de lieu d’exécution, une pièce supérieure aménagée en un centre de détention plus vaste (il s’agit des Lautumiae), de bâtiments administratifs et d’escaliers destinés à l’exposition des corps des condamnés2, les Scalae Gemoniae. Ces différentes pièces jouent des rôles complémentaires tout en attribuant à la prison ses fonctions coercitive et préventive. Notre objectif n’est pas de dresser une étude exhaustive de la prison ou du milieu carcéral dans le monde romain. Il consiste plutôt à montrer en quoi la prison représente non seulement un lieu de tourments et de mort, mais également un supplice proche des types de torture déjà exposés, sous des formes différentes. Il s’agit, par conséquent, d’aborder les conditions de détention des captivi à Rome en mettant l’accent sur l’environnement du carcer, les problèmes que posent l’alimentation des prisonniers de guerre et leur exécution après la cérémonie triomphale. La prison correspond, avant tout, à un lieu de détention et de sanction, conformément à sa fonction première : « surveiller et punir »3, mais aussi à une forme de torture qui, progressivement, aboutit quelquefois à la mort du captif par isolement, par abandon et privation de nourriture. Le Tullianum, la partie inférieure de la prison accessible par le plafond, est peint dans son humidité, sa puanteur et son obscurité. Son environnement immonde et terrifiant ressort clairement dans les récits de Salluste et de Diodore de Sicile. « Il y a dans la prison », note Salluste « quand on monte un peu sur la gauche un endroit nommé Tullianum enfoncé d’environ douze pieds sur terre. Il est de tous les côtés fermé par des murs et couvert d’une voûte en pierre de taille ; et la saleté, l’obscurité, l’odeur lui donnent un aspect sinistre et terrifiant »4.
Diodore, quant à lui, décrit ce lieu comme « une fosse souterraine et profonde ayant tout au plus la taille d’une pièce à neuf lits, remplie de ténèbres et d’odeurs fétides à cause de la multitude de ceux qui y avaient été jetés. Dans un endroit que le grand nombre de prisonniers rendait aussi étouffant, les corps des malheureux retournaient à l’état sauvage. Tout ce qui servait à la nourriture ou à la satisfaction des besoins de ces gens s’était à ce point détrempé qu’il arrivait que l’odeur
Sur l’étymologie du terme cf. Varron, qui pense que le vocable Tullianum résulte du fait que cette partie souterraine a été ajoutée par le roi Tullius, De la langue latine, V, 151 ; Dictionnaire de la langue latine, s.v. Carcer. 2 « Les corps des condamnés étaient jetés hors de la prison et laissés quelque temps sur cet escalier qui descendait du Capitole. Le temps d’exposition achevé, ils étaient tirés jusqu’au Tibre et abandonnés dans le fleuve. Ce jet du cadavre était une habitude ancienne, mais l’exposition était une pratique récente qui s’était probablement mise en place au cours de ces années de transition entre la République et l’Empire » explique J.-M. David, « Du comitium à la roche tarpéienne… », p. 172. 3 M. Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, Paris, 1975. 4 Cat., LV. Ce passage de Salluste rappelle la description faite par Plutarque des grottesprisons, ces cachots souterrains qui ne recevaient ni air ni lumière du dehors, Vie de Philopoemen, XIX, 4. 1
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique de pourriture qui se répandait était telle que personne ne s’en approchait sans avoir du mal à le supporter »1.
La fonction coercitive et dégradante du Tullianum ne laisse aucun doute2. La prison, dans le traitement du captif de marque, précisément celui de rang social élevé, n’avait pas seulement pour rôle de garder mais surtout de punir par l’humiliation. Le carcer, « ce vengeur des crimes impies dévoilés au grand jour », par son appellation, inspirait la peur et évoquait toute la dégradation sociale et humaine qu’entraînaient la perte de la liberté, les privations, l’isolement, la cohabitation avec les pires criminels et l’existence dans un milieu abject. Tite-Live explique l’édification du carcer par sa valeur dissuasive et répressive : le besoin qu’éprouvait le roi Ancus Martius de décourager les criminels par l’effroi de la prison3. Elle était synonyme d’une déchéance physique et morale qui justifiait la répugnance des personnalités de rang sénatorial qui, au lieu d’être emprisonnés, bénéficiaient de la garde à vue4. Cette dimension avilissante faisait de la prison un lieu de torture où un faisceau de tourments s’abattait sur le détenu. Ce dernier était privé d’assistance, coupé du monde, écarté de ses amis, exposé à la violence des locataires de la prison. La connotation péjorative attachée au carcer, les conditions de détention délibérément avilissantes et infernales mettent en évidence cette volonté consciente de Rome d’attenter à la dignité de ses captifs de haut rang. En fait, ces derniers partageaient le même espace avec les condamnés de droit commun, les prisonniers politiques mais aussi les criminels les plus dangereux5. Le carcer plongeait le captif dans un univers dégradant qui signait, en même temps, la négation de son humanité et de sa condition sociale, châtiment aggravé par le port des chaînes6. L’insalubrité, la puanteur des lieux, l’isolement et la
XXXI, 9. Mais, si Diodore et Salluste s’accordent sur la chaleur étouffante qui règne dans le cachot et qui s’explique aisément par l’entassement d’un grand nombre de prisonniers et des fentes d’aération apparemment réduites ou absentes, Plutarque affirme le contraire en mettant dans la bouche de Jugurtha : « Par Hercule, que vos bains sont froids », Mar., XII. Cette différence d’appréciation découle peut-être d’une différence de saisons. 3 I, 33 ; cf. l’étude de J.-M. David dans laquelle il montre qu’à partir de la fin de la République, la condamnation à la prison qui inspirait de l’effroi devient tout à fait banale en perdant une partie de sa connotation dégradante mais seulement dans le cas des prisonniers politiques, « Du Comitium à la roche tarpéienne… », pp. 170-174. En revanche, elle garde la même valeur pour les prisonniers de guerre. 4 C. Bertrand-Dagenbach, « La prison, lieu d’effroi », in Carcer, prison et privation de liberté dans l’Antiquité classique, Actes du colloque de Strasbourg 5 et 6 décembre 1997, Paris, E. De Boccard, 1999, pp. 216-217. 5 En 204, Q. Pleminus, le lieutenant de Scipion accusé d’avoir pillé le trésor de Proserpine fut enfermé dans le carcer, (T.-L., XXIX, 22, 10) de même que les complices de Catilina, Céthegus, Statilius, Gabinius et Céparius, T.-L., XXXVIII, 59 ; Cic., Cat., 2, 27 ; Val. Max., VI, 3, 1 ; Diod., XXXI, 9, 3-4 ; Hist. Aug., XXIV, 22,8 ; Juv., III, 310. 6 Les chaînes font aussi partie des corollaires de la captivité et de l’emprisonnement. Elles sont parfaitement traduites par le terme vincula qui signifie non seulement chaînes ou liens 1 2
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promiscuité faisaient de cet endroit une forme de supplice moral et psychologique. Le Tullianum, et par extension la prison, demeure pour le captif un lieu de tourments, de mort et d’exécution aussi bien pendant l’enfermement du captif compte tenu des conditions infernales qui y régnaient qu’après le défilé triomphal. L’univers carcéral fonctionne pour le captif plus comme une pièce essentielle dans la panoplie des formes de mise à mort que comme un instrument de punition ou de correction. Ce dernier aspect est, certes, indéniable principalement dans le cas des prisonniers qui sont relâchés par la suite et surtout utilisés à des fins politiques pourtant, il s’avère moindre, voire même nul, pour ceux destinés à la mort, condamnés à perpétuité ou étranglés par le bourreau. La prison pouvait être un lieu d’incarcération passagère ou permanente, car la durée de détention des captifs restait variable. Syphax y séjourna pendant deux années, Persée y croupit durant sept jours avant son transfert dans un endroit salubre, en revanche Vercingétorix y passa six longues années attendant que César, entraîné dans le tourbillon politique de l’époque, organisât son triomphe. La guerre des Gaules prit fin en 52 av. J-C et le triomphe n’eut lieu qu’en 46. Entre-temps, le proconsul s’occupait de la pacification des Gaules, ensuite il était pris dans un conflit avec le sénat qui voulait en 50 av. J-C mettre fin à son commandement, enfin une guerre civile contre Pompée de 49 à 47 l’entraînait en Afrique et en Orient où il faisait face à la révolte des Alexandrins et aux partisans de Pompée1. Nous mettons, néanmoins, en doute le long séjour du Gaulois au Tullianum compte tenu des conditions inhumaines qui y règnent2. Cet environnement misérable et crasseux l’exposait à toutes sortes de maladies ou de périls qui pouvaient mettre sa vie en danger comme ce fut le cas de Syphax. Selon Tite-Live, au bout de deux années de détention, le roi de Numidie trouva la mort dans cet endroit infernal avant même le triomphe de P. Cornelius Scipion3. Or, fleuron de la victoire sur les Gaules, Vercingétorix devait impérativement rester en vie, par conséquent, il aurait dû être incarcéré dans les Lautumiae plutôt que dans le Tullianum pour un temps aussi long. Car, « ceux qui vont recevoir le triomphe pour ce motif gardent plus longtemps en vie les chefs des ennemis, afin que leur présence dans le cortège triomphal offre au peuple romain le spectacle et le fruit le plus beau de la victoire »4.
mais aussi prison, Suétone, Vespasien, V. Nous reviendrons sur la signification des chaînes et de leur port, infra pp. 214-216. 1 Avec quelques sénateurs, Pompée s’était enfui en Orient, Flavius Josèphe, La guerre des Juifs, I, 183. 2 P. M. Martin pense qu’il croupit au Tullianum pendant tout ce temps même si aucune source ne le confirme, « Vercingétorix, le politique… », pp. 210-211. 3 XXX, 45, 4. Mais selon la version de Polybe, le roi figura au triomphe, XVI, 23. 4 Cic., Verr., II, 5, 77. Et pour des raisons similaires, nous rejetons le témoignage de Diodore lorsqu’il affirme que dans le cachot de Persée se trouvait un glaive pour lui donner les moyens de mettre fin à sa vie.
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique
La prison demeurait une nécessité pour l’Urbs aussi bien sous la République que sous l’Empire. Par mesure de prudence et de sécurité ou pour des raisons impérialistes, l’État romain ne pouvait pas prendre le risque de mettre en liberté, en autorisant leur retour, ses anciens ennemis en dépit de leur deditio ou parfois de leur repentir. L’objectif premier de l’emprisonnement et de l’exécution est de donner une bonne leçon aux récalcitrants et aux insurgés potentiels en leur transmettant un message d’avertissement et d’intimidation. L’État romain préférait garder sous bonne surveillance ses anciens adversaires afin d’en faire des reliques vivantes de sa victoire et des instruments de dissuasion pour maintenir la pax dans les régions « conquises ». Bien que Bituit n’ait pas été pris de manière régulière en 120 av. J-C, le sénat qui avait condamné l’acte de Domitius, le relégua pourtant en détention à Albe après sa figuration au triomphe de Q. Fabius Aemilius Maximus, fermant les yeux sur l’action perfide du Romain1. Toutefois, le fait qu’il soit épargné et gardé en résidence surveillée ne s’explique pas principalement par l’irrégularité de sa capture. L’exemple du roi des Arvernes n’est pas isolé. Il ne constitue pas le seul cas d’irrégularité relevé dans la capture de rois ou chefs de révolte mais aucun ne bénéficia d’une indulgence. Le roi Numide, Jugurtha, fut victime d’un enlèvement orchestré par le roi Bocchus avec la complicité du questeur Sylla en 104 av. J-C et on sait le sort qui lui fut réservé. Antoine n’épargna pas, non plus, le roi d’Arménie, Artavasdés, qu’il prit par ruse en 34 av. J-C. Dion explique son exécution par son orgueil et sa bravade à l’endroit de Cléopâtre qu’il avait refusé de saluer par son titre. En revanche, la reine d’Égypte fit libérer Artavasdés de Médie, qu’Antoine avait capturé en échange de son aide après Actium2. Ni l’irrégularité de la prise ni les modalités d’entrée en captivité n’influaient directement sur le sort du captif. L’exemple du chef arverne, Bituit, montre plutôt l’intransigeance de Rome lorsqu’il s’agit de la détention et du contrôle de ses ennemis de rang royal. Ni Persée, ni Gentius3 ne bénéficièrent d’un retour. La même politique se poursuivit aussi sous le Haut-Empire. L’exemple du roi marcoman, Maroboduus, est édifiant à ce propos. Maraboduus ne fut pas, à proprement parler, un captif, mais plutôt un « demandeur d’asile ». Velleius Paterculus, pour marquer la spécificité du cas, n’emploie pas le verbe capere mais continere4. « Quam illum ut honorate, sic secure continet ! » écrit-il. Allié des Romains, il ne fut cependant pas secouru par eux contre les menées d’Arminius qui, après le meurtre de Varus, lui avait envoyé sa Supra p. 35. Dion, LI, 5, 5. Mais Dion ne précise pas le sort réservé au reste de la famille royale d’Arménie après le triomphe. Antoine avait-il voulu aussi user du rituel militaire appliqué à la fin du triomphe ? 3 Persée avait gagné à sa cause le roi illyrien Gentius en lui promettant une somme de 300 talents, Pol., XXX, 22 ; T.-L., XLIV, 26 ; Plut., Paul-Émile, XIII. 4 « Comme il le garde prisonnier d’une manière aussi honorable que sûre ! », II, 129. La seule fois où nous avons rencontré ce terme dans le corpus. Par l’emploi de ce verbe qui signifie « maintenir, contenir » il fait allusion au traitement dont le roi a bénéficié. 1 2
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tête comme une invite à une coalition. Vaincu par le chef chérusque en 17 ap. J-C, et abandonné par les siens et même par les Suèves qui faisaient partie de son territoire et qui avaient rejoint Arminius, il demanda protection à Tibère. Ce dernier l’envoya en résidence surveillée à Ravenne où il demeura pendant dix-huit années (jusqu’à sa mort). Tacite ajoute que Tibère lui confia d’ailleurs qu’il « pourrait partir avec la même liberté qu’il était venu ». Toutefois, ces paroles nous semblent douteuses d’autant plus que, devant le sénat, l’empereur fit remarquer « que jamais Philippe pour les Athéniens, Pyrrhus ou Anthiochus pour les Romains n’avaient été aussi à craindre ». De plus, il n’hésita pas à brandir le nom de Maroboduus à chaque fois que les Suèves s’agitaient afin de les contenir par la crainte de son retour éventuel. La politique de l’empereur consistait à l’isoler par son alliance avec Rome afin d’éviter la réalisation d’une coalition entre les Germains1. Suétone résume exactement la politique poursuivie par Tibère et qui remonte à la République : « Les rois hostiles à Rome ou de tendances douteuses furent tenus en respect au moyen de menaces et de reproches plutôt que par la force ; il en attira certains auprès de lui par des flatteries et des promesses, et ne leur permit plus de repartir : tels furent le Germain Maraboduus, le Thrace Rhascuporis2 dont il réduit le royaume à l’état de province »3.
À son tour, l’empereur Claude ne concéda à aucun captif monarque le privilège d’un retour en dépit de la nature généreuse de sa politique extérieure, ce qu’affirme Tacite et confirment les cas de Mithridate du Bosphore4 en 49 et de Caratacus en 50 ap. J-C5. Ni l’un ni l’autre ne subit la strangulation à laquelle Drusus appliqua les directives impériales et contraignit, de la sorte, Maroboduus à l’exil. En 19 ap. J-C, le même accueil fut réservé à Goton Catualda qui envahit une partie du territoire du Marcoman. Mais, chassé par les Hermundures, il demanda, à son tour, l’exil aux Romains qui l’envoyèrent à Forum Julium, en Gaule Narbonnaise, Ann., II, 63. 2 Le personnage dont il est question ne fut pas un prisonnier de guerre mais Tibère le fit prendre pour le punir de l’usurpation du pouvoir de son neveu Cotys, Vel. Pater., II, 129 ; Tac., Ann., II, 64-67. 3 Suétone, Tibère, XXXVII. Le chef pannonien, à son tour, ne retourna pas, non plus, chez lui après sa deditio. Tibère l’installa à Ravenne après l’avoir comblé de cadeaux en guise de reconnaissance, car le Pannonien l’avait laissé s’échapper alors qu’il se trouvait dans une passe difficile avec ses troupes, Suétone, Tibère, XX. 4 Mithridate (à l’instar de Persée) demanda à ne pas figurer au triomphe de Claude mais, malgré l’intercession d’Eunonès (chef des Aorses), il ne put y échapper, Diod., LXI, 32, 4. Tacite explique la clémence de Claude par des calculs stratégiques aussi. « Mais, Claude, malgré la clémence dont il faisait preuve à l’égard des noblesses étrangères, ne laissa pas de se demander s’il devait recevoir un prisonnier en lui garantissant la vie sauve ou plutôt le réclamer au nom du droit, les armes à la main. Si le ressentiment des injures et le plaisir de la vengeance le poussaient à ce parti, on lui représentait d’autre part les dangers d’une guerre à entreprendre dans un pays sans routes et sur une mer sans ports » écrit-il, Ann., XII, 20. 5 « Claude fit grâce à Caratacus ainsi qu’à sa femme et ses frères. Alors on fit tomber les chaînes ». Comme le souligne le chef silure dans son discours, en gardant la vie, il « serait éternellement une preuve de la clémence de l’Empereur », écrit Tacite, Ann., XII, 37-38. L’exploit de la « capture » de Caratacus est comparé à celui de Syphax et de Persée (Tacite les met au même niveau) à la différence que, si le premier roi a été capturé, le second s’est 1
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fut soumis Simon Bar Gioras, vingt ans plus tard après le triomphe de Titus. Néanmoins, après leur parade à Rome, sous les yeux de l’empereur et du peuple, ils ne retournèrent point dans leur royaume. Tacite n’apporte aucun renseignement sur leur fin respective après le défilé. Mais ils devaient, sûrement, être incarcérés ou gardés en résidence surveillée, car à aucun moment de son récit, l’auteur ne fait allusion à la possibilité de leur retour. La grâce que leur accorda Claude se traduisit non par une remise en liberté, mais par le fait d’échapper aux mains du bourreau ou de bénéficier d’une liberté surveillée. Les textes ne précisent pas ce que recouvre exactement cette expression, libera custodia. Néanmoins, la liberté surveillée est une autre forme de privation de liberté, une peine plus sobre et moins contraignante. Cette formule traduit plus une mesure de sûreté destinée à contrôler les mouvements et à neutraliser les menées du détenu tout en lui accordant une marge de liberté peu significative qu’une sanction contraignante1. Dans le cas de Persée, Tite-Live, suivi par Velleius Paterculus et Valère Maxime, soutient qu’il bénéficia avec sa famille d’une liberté surveillée à Albe2. Selon le Padouan, le dernier roi de Macédoine vivait avec ses enfants et ses compagnons et rien ne lui était retiré de ses biens personnels : son argenterie et tous ses biens. En définitive, les captifs de marque, une fois à Rome, étaient condamnés à y rester jusqu’à la fin de leurs jours, faisant de la prison ou même de la ville où ils étaient détenus un lieu pour mourir, à moins qu’ils ne fussent libérés pour des raisons politiques ou qu’ils ne s’évadassent. L’éventualité d’une fuite justifie la méfiance romaine comme le prouvent l’exemple du pseudo-Philippe en 167-166 av. J-C et, un siècle plus tard, celui d’Aristobule en 66 av. J-C. Tous deux reprirent la révolte. Andriscos3 se fit passer pour le fils de Persée et prétendit ainsi au trône de Macédoine juste après la capture du roi. Il déclencha ainsi une guerre contre Rome avant d’être arrêté et remis aux Romains. Mais, une fois dans la Ville, il parvint à s’échapper et se réfugia en Thrace où il rassembla une armée et s’empara à nouveau de la Macédoine avant d’être livré par le prince thrace, Bizas. À sa suite, Aristobule et son fils cadet Antigone réussirent à se sauver en trompant leurs gardes4. Une fois en Judée ils rassemblèrent un grand nombre de Juifs et reprirent la guerre contre Hyrcan, le frère d’Aristobule, pour rendu et le chef silure a été livré, supra p. 50. Mais, à l’instar de ces deux premiers rois, Caratacus n’a pas été confié au carnifex. 1 Sur le cas de Cléopâtre, supra pp. 84-85. 2 Tite-Live (XLV, 42, 4), Velleius Paterculus (I, 11, 1) et Valère Maxime (V, 1, 1c) indiquent que Persée et sa famille bénéficièrent à Albe d’un bon traitement. 3 Vel. Pater., I, 11 ; Flor., I, 30, 5 ; Tac., Ann., XII, 62. 4 Auparavant, Alexandre, l’aîné s’était échappé du convoi de Pompée en cours de route ; de retour en Judée, il reprit la lutte contre Hyrcan. Pompée, dans la guerre civile qui opposa Hyrcan à son frère Aristobule, prit parti pour le premier et lui remit les rênes du pouvoir une fois les troupes d’Aristobule vaincues, Flav. Jos., I, 160.
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le détrôner1. Aristobule resta aussi l’un des rares cas de captif de statut royal qui, une fois libéré, retourna en Judée2. Cependant, pour mieux comprendre cette situation exceptionnelle, il convient de la replacer dans son contexte. En fait, la remise en liberté d’Aristobule en 49 av. J-C était favorisée par le climat politique exceptionnel qui régnait alors à Rome, à savoir la guerre civile entre César et Pompée. Bref, le fait de rester en détention constituait un invariant dans le traitement des captifs de qualité, notamment les rois. Les reines non plus ne bénéficiaient pas d’un retour, même si elles faisaient l’objet d’un traitement moins dur3 ; du moins, elles ne subissaient pas, de même que les enfants, la strangulation. Thusnelda fut gardée en résidence surveillée à Ravenne où elle mit, d’ailleurs, son enfant au monde. Fabius fit comprendre à Arminius, que sa femme et son enfant n’étaient pas traités en ennemis par les Romains. Quant aux cas d’évasion, ils étaient pratiquement inexistants (deux cas principalement), on peut en conclure que la surveillance dont les captifs faisaient l’objet était plutôt rigoureuse4. Toutefois, malgré le bon traitement de certains prisonniers de guerre, il n’en demeure pas moins que la prison, lieu d’abandon et d’oubli, correspondait à un endroit qui rendait possible tout type de supplice et de mise à mort, entre autres la privation de nourriture.
1. La question de l’alimentation de la population captive L’alimentation des prisonniers de guerre reste une question éludée par les sources comme, d’ailleurs, tous les autres aspects qui se rattachent à leurs conditions d’existence5. Elle s’avère, pourtant, capitale pour la survie des prisonniers de guerre en ce sens que certains d’entre eux mouraient d’inanition pendant leur captivité. Il arrivait souvent que la nourriture fût utilisée comme Gabinius, gouverneur de la Syrie, vint à bout de leur résistance, captura Aristobule et son fils Antigone et les renvoya une seconde fois à Rome où le sénat les retint. Mais Appien, dans sa version, fait mourir Aristobule après le triomphe de Pompée en 62 av. J-C, Mithr., XVII, 116. Plutarque, quant à lui, n’ayant d’ailleurs pas consacré un long passage à la guerre de Judée, ne s’attarde pas sur le sort des captifs après le triomphe, Pompée, XLV. Flavius Josèphe ne donne aucune indication concernant leurs conditions de détention qui semblent, compte tenu de leur fuite, plutôt relâchées. 2 Un captif qui réussit à prendre la fuite et surtout à se retrouver chez lui devenait libre à moins qu’il ne fût pris à nouveau dans une autre guerre, sur cet aspect du jus postliminium, supra pp. 52-53. 3 Même Zénobie, la reine de Palmyre, tant redoutée par l’empereur Aurélien qui la considérait comme n’importe quel ennemi de sexe masculin fut, après sa figuration au triomphe, reléguée en résidence surveillée à Tibur en 273 ap. J-C, Hist. Aug., XXIV, 30, 3. 4 Sous la République, elle semble être plus draconienne que celle dont les otages faisaient l’objet, ils réussirent à fomenter à Rome même des révoltes. D’ailleurs le cas de Démetrius 1er Sôter qui parvint à s’échapper en 162 av. J-C, après treize années de dépendance, en est une illustration, Pol., XXXI, 12-23. 5 Les sources ne font allusion ni aux conditions sanitaires et hygiéniques que pose l’approvisionnement en eau ni aux corvées dans les camps. 1
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un moyen coercitif et punitif. Cette question de la pitance se posait principalement à deux niveaux de la vie du captif : dans le camp de détention de l’ennemi et en prison à Rome ou dans les autres municipes. La garde de prisonniers de guerre exigeait non seulement des mesures de sécurité, mais également des dispositions pour augmenter les victuailles compte tenu de la hausse, parfois considérable, du nombre de bouches à nourrir. Or, pour des raisons stratégiques, les vainqueurs devaient cibler et définir leur priorité, à savoir assurer, avant tout, l’alimentation des combattants. L’insuffisance des provisions provenait du déséquilibre entre le nombre de personnes à sustenter et les réserves de vivres en possession de l’armée, surtout lorsque les territoires conquis, à la suite de longs sièges, avaient épuisé leurs stocks alimentaires. Pendant l’époque républicaine, Valère Maxime soulève le problème que posa la subsistance des captifs romains entre les mains des Capouans. Il mentionne que pendant le siège de Capoue en 212 av. J-C par Fulvius, les prisonniers romains étaient nourris non par les troupes ennemies mais plutôt par la bienveillance d’une femme, Cluvia Facula qui les avait pris en pitié1. À Alésia, en 52 av. J-C, César fut confronté à cette situation qui l’obligea à refuser d’accueillir les Gaulois qui voulaient se rendre. Dion Cassius explique que le proconsul de la Gaule risquait d’affamer ses propres troupes du moment qu’il ne disposait pas de provisions suffisantes. En 70 ap. J-C, en Judée, des difficultés semblables surgissent encore dans le camp romain. Flavius Josèphe y fait allusion à deux reprises : après la prise de Jérusalem et pendant la détention de Jean de Gishala. Les réserves alimentaires de l’armée n’étaient pas toujours à même de répondre aux besoins des effectifs. Il signale que dans les jours où Fronton procéda à la répartition des captifs après la prise de Jérusalem, 11 000 prisonniers moururent d’inanition, les uns parce qu’ils refusèrent la nourriture, les autres du fait de la haine des gardes : avec une telle multitude, même le blé faisait défaut. Mais si la famine sévissait à l’intérieur de la Ville, une situation différente prévalait à l’extérieur, dans le camp romain. Le chroniqueur juif avoue lui-même que les troupes romaines étaient largement approvisionnées en blé et autres vivres par la Syrie et les provinces environnantes2. Flavius Josèphe cherche, encore une fois, à protéger ses bienfaiteurs en les disculpant et en rejetant toute la faute sur les gardes. Le manque de victuailles qu’entraînait, parfois, la garde d’un nombre élevé de captifs explique aussi l’élimination physique des personnes âgées et invalides. Perçue comme des bouches inutiles dont le rendement demeure hypothétique, et même nul, cette catégorie de prisonniers de guerre s’avérait encombrante et improductive.
1 2
V, 2, 1b. Flav. Jos., La guerre…, V, 449-451 ; V, 520.
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La question de l’alimentation des captifs se pose également en prison où leur subsistance, précaire et insuffisante1, dépendait du bon vouloir des bourreaux et des gardes. L’absence ou, du moins, l’insuffisance de provisions prouve et scelle l’isolement du détenu, qui est un trait caractéristique du carcer de Rome. Les sources soulèvent le point relatif à la pitance des prisonniers de guerre à travers trois exemples : - le cas du roi de Macédoine, Persée, en 108 av. J-C, relaté par Diodore de Sicile ; - celui du roi de Numidie, Jugurtha, en 104 av. J-C, présenté par Plutarque ; - l’exemple de Jean de Gishala, en 70 ap. J-C, exposé par Flavius Josèphe. Diodore indique que Persée, privé de nourriture, en était réduit à en quémander auprès de ses compagnons de cellule qui, touchés par son infortune, acceptèrent de partager leur maigre pitance avec lui2. Il ajoute que le fils de Philippe V de Macédoine serait mort dans le Tullianum n’eût été la bienveillance de Marcus A. Lepidus qui le « fit transférer dans un endroit sain afin de lui procurer un régime plus humain »3. De son côté, Plutarque explique que Jugurtha, enfermé dans le Tullianum, dut « lutter contre la faim pendant six jours suspendu jusqu’à la dernière heure au désir de vivre, et il reçut enfin le châtiment que méritaient ses crimes »4.
F. Le Gall rejette le témoignage de Plutarque. Elle considère que sa version est un « petit détail sans doute, mais qui nous permet de supprimer définitivement la faim de la liste des supplices romains »5. Toutefois, les témoignages d’autres sources aussi bien dans les camps de détention que dans les prisons nous obligent à réfuter une telle déduction. Ni la subsistance des captifs ni la version de Plutarque ne peuvent être considérées comme des détails, au contraire, le premier aspect apparaît capital dans la survie du captif tandis que le second reste indicatif. Plutarque ne fait pas mourir l’aguellid de faim, ni de froid mais par strangulation. Néanmoins, la faim et le froid sont des souffrances qu’il subit au cours de son incarcération. De plus, l’auteur des Vies 1 Sur cette question lire M. Gueye, « Les conditions de détention à Rome et dans le monde romain entre la République et le début de l’Empire : isolement et alimentation », Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université Cheikh Anta Diop, n°34, 2004, pp. 8999. 2 Diodore (XXXI, 9) ; Salluste fait dire à Mithridate : « ce fut ensuite le tour de Persée, le fils de Philippe, qu’après des combats nombreux et d’issues diverses, ils avaient pris sous leur protection devant les dieux même de Samothrace ; et ces maîtres en fait de ruses et d’inventions perfides, comme ils lui avaient promis la vie sauve par traité, le firent périrent d’insomnie », Hist., VI, 7) et Plutarque, (Paul-Émile, XXXVII). 3 Diodore, XXXI, 9, 7 ; Plutarque, Paul-Émile, XXXVII. 4 Marius, XII. 5 « La mort de Jugurtha », Revue de Philologie, 1944, p. 100.
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n’est pas le premier ni le seul, d’ailleurs, à avoir soulevé la question de l’alimentation des prisonniers de guerre1. Le rejet de son témoignage ne résout en rien le problème que pose la subsistance des captifs. D’ailleurs, même les prisonniers de droit commun étaient confrontés à ce tourment. Ils étaient nourris juste pour ne pas mourir de faim et parfois leur alimentation était assurée par leurs proches. Ces témoignages ajoutés à ceux déjà étudiés pendant l’enfermement dans les camps établissent que le problème crucial de la nourriture des captifs ne relève ni de « l’anecdote ni du pittoresque » mais bien du réel2. L’insuffisance ou l’absence de vivres en prison est posée dans le récit légendaire relatif à une mère enfermée en prison qui ne survécut que grâce aux visites de sa fille qui venait l’allaiter3. En dépit de sa valeur essentiellement paradigmatique, cette relation reste, néanmoins, indicative du traitement auquel les détenus pouvaient être soumis. D’ailleurs, ce point sensible fut à nouveau soulevé en 71 ap. J-C par Flavius Josèphe. En effet, il fait mourir de faim Jean de Gishala qui, après la procession triomphale, était enfermé dans le souterrain4. La vraie question reste de savoir si Rome voulait assurer la subsistance de bouches inutiles, de captifs (des ennemis de surcroît) qui n’avaient qu’une fonction figurative et d’ornement, en particulier ceux qui étaient destinés à périr après le triomphe. En les plaçant dans des lieux d’abandon, l’Urbs scellait leur sort d’avance ce qui n’excluait pas la privation de nourriture. Que ce soit dans les camps de détention militaire ou dans les prisons, les sources rejettent toute la responsabilité sur les gardes5. Pourtant, l’absence de mesures en faveur de la survie des prisonniers de guerre aussi bien dans les camps que dans les prisons est significative. La condition du détenu qui n’est qu’un captif (l’ennemi par excellence) et le plein pouvoir des gardes sur eux permettent de faire deux constats : - d’abord, la privation de nourriture ou la modicité des rations alimentaires font partie des mauvais traitements subis par les captifs en détention dans les camps ou dans les prisons ; Cic., 2 Verr., V, 112 ; cf. Y. Rivière, « La détention publique à Rome… », p. 596 et J.-M. David, « Du Comitium à la roche tarpéienne… », p. 170 sqq. P. M. Martin frôle la question alimentaire en milieu carcéral sans la poser. Dans sa description imagée de l’apparence physique de Vercingétorix au triomphe, il le fait ressembler à « une loque blafarde et décharnée clignant des paupières sous le soleil de Rome », « Vercingétorix, victime de l’esprit de clocher », Historia, n°650, fév. 2001, p. 59. 2 Il s’agit d’un récit relaté par de nombreuses sources de l’Antiquité dont Pline l’Ancien (VII, 36, 121) et Valère Maxime (V, 4, 7). L’inanition était, dans certains cas, une forme de mise à mort, souvent réservée aux femmes condamnées, E. Cantarella, op. cit., p. 133. 3 Pline l’Ancien, VII, 36, 121 ; Val. Max. V, 4, 7. Sur la valeur de ce récit cf. M. Gueye, « Les conditions de détention… », pp. 94-95. 4 VI, 10. 5 Diodore explique que le dernier roi de Macédoine, Persée, demandait aux autres détenus une partie de leur portion alimentaire pour se sustenter. Flavius Josèphe confirme cette réalité du carcer lorsqu’il indique que les gardes refusaient de donner la nourriture aux détenus pour les punir. 1
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- ensuite, la responsabilité de Rome et de ses généraux, du moins, leur complicité dans le mauvais traitement des captifs. Le silence des sources révèle, dans une certaine mesure, leur malaise. Faire mourir ses prisonniers de guerre d’inanition est loin de correspondre à l’image de clémence, si généreusement attribuée à Rome où la faim est parfois utilisée comme une arme psychologique pour châtier leurs hostes après les avoir vaincus. Tout compte fait, le problème de l’alimentation des captifs, qui peut entraîner leur mort, se pose aussi bien pendant la République que sous le HautEmpire. La privation de nourriture, même si elle n’est pas officiellement reconnue, fait bien partie de la longue liste des formes de mauvais traitements subis par les prisonniers de guerre. L’absence ou l’insuffisance de vivres combinée à l’isolement, à l’insalubrité, à la puanteur des lieux, au climat de terreur qui règne dans le carcer, précisément dans le Tullianum, expliquent dans une large mesure l’espérance de vie abrégée des locataires du carcer. En les confinant dans un endroit réputé pour son atmosphère épouvantable, Rome scellait d’avance et implicitement leur sort en les faisant mourir à petit feu. Toutefois, l’exécution reste la forme de mise à mort la plus pratiquée et la plus connue. La strangulation intervenait à un moment bien déterminé, c’està-dire juste quand le cortège triomphal, ou cortège de la mort, arrivait au pied du Capitole. Cependant, l’exécution s’appliquait-elle à l’ensemble des prisonniers ou seulement à une catégorie bien précise ? Était-elle, réellement, un rituel militaire automatique et immuable ?
2. La strangulation : un rituel militaire facultatif Au tournant du Forum, les captifs de marque qui avaient figuré à la procession triomphale étaient entraînés au Tullianum pour y être exécutés, tandis que le reste des captifs était enfermé dans le carcer. À l’unanimité, les auteurs classent cette mise à mort dans le rituel militaire de la cérémonie du triomphe. « Quand les chars commencent à tourner du Forum vers le Capitole et le même jour voit finir le pouvoir des vainqueurs et la vie des vaincus »1.
Ces paroles de Cicéron sont confirmées par Flavius Josèphe qui explique que : « le point d’aboutissement du cortège était le temple de Jupiter Capitolin. Une fois arrivés là, ils s’arrêtèrent : c’était en effet une coutume ancestrale d’attendre l’annonce de l’exécution du général ennemi. En l’occurrence, c’était Simon, fils de Gioras, qui avait ce jour-là pris part au cortège parmi les prisonniers de guerre, puis la corde au cou, fouetté par ceux qui l’emmenaient, avait été traîné jusqu’au lieu, situé près du Forum où la loi prescrit aux Romains d’exécuter les criminels condamnés à mort. Quand on annonça qu’il avait cessé de vivre, et après les acclamations universelles provoquées par cette nouvelle, les princes commencèrent leurs sacrifices »2.
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Verr., II, 5, 77. VII, 151-155.
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Ces deux textes fondamentaux dans la connaissance du sort des prisonniers de guerre de marque après la parade triomphale, dont le premier remonte au premier siècle avant Jésus-Christ et le second au premier siècle après Jésus-Christ, font coïncider l’exécution des captifs avec la fin de la cérémonie militaire, précisément, une fois le cortège au pied du Capitole. D’emblée, ils dégagent un rapport topographique entre l’endroit où le cortège des captifs quittait la procession, le pied du Capitole et leur lieu de détention ou d’exécution, le carcer. Néanmoins, si les indications sur le point d’aboutissement du triomphe sont justes, qu’en est-il des implications sur leur mise à mort ? L’exécution suivait-elle automatiquement et immédiatement ? Si, comme l’indique Cicéron, la clôture du défilé annonçait la fin du « pouvoir » du triomphateur qui, tout au long de la cérémonie était l’égal de Jupiter1 (par ses habits, sa couronne et la peinture sur son visage), elle ne signait pas toujours la fin des captifs. Nous avons répertorié dans le tableau ci-après, en suivant l’ordre chronologique, 17 noms de captifs, des rois et des chefs de révolte, pour mettre en évidence le sort réservé à chacun d’eux après le défilé triomphal et montrer ainsi que la mort n’attendait pas, inéluctablement, le captif de marque.
1
Cependant, tout au long de la procession on lui rappelle qu’il n’est qu’un homme.
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Mariama Gueye Tableau 7. Sort des captifs de marque conduits au triomphe Captifs Syphax Persée Gentius PseudoPhilippe Aristonicos Bituit
Triomphe
Sort
Lieux d’incarcération Triomphe de Scipion (203 av. J-C) Détention Rome - Albe Mort naturelle Tibur Triomphe de Paul-Émile (168 av. J-C) Liberté surveillée Rome - Albe Mort naturelle Triomphe de L. Anicius Gallus (167 Liberté Rome - Spolète av. J-C) surveillée Iguvium Triomphe de Q. Caecilius Metellus Strangulation Rome (146 av. J-C) Triomphe de M’Aquilius (129 av. J-C) Strangulation Rome
Jugurtha Aristobule
Triomphe de Q. Fabius Aemilius Maximus (120 av. J-C) Triomphe de Marius (104 av. J-C) Triomphe de Pompée (62 av. J-C)
Tigrane
Triomphe de Pompée (62 av. J-C)
Arsinoé IV
Triomphe de César (46 av. J-C)
Juba II
Triomphe de César (46 av. J-C)
Vercingétorix Triomphe de César (46 av. J-C) Artavasdés
Liberté surveillée Strangulation Détention Libération Strangulation
Rome - Albe
Détention Exécution Détention Libération Strangulation
Temple d’Éphèse Rome
Rome Rome Rome
Rome
Triomphe d’Antoine en Égypte (34 av. J-C) Mithridate du Parade de Claude (49 ap. J-C) Bosphore
Exécution Alexandrie (Strangulation ?) Liberté Rome ? surveillée ?
Caratacus
Parade de Claude (50 ap. J-C)
Rome ?
Jean de Gishala
Triomphe de Vespasien et de Titus (71 ap. J-C)
Liberté surveillée ? Détention à vie Mort en prison
Simon Bar Gioras
Triomphe de Vespasien et de Titus (71 ap. J-C)
Strangulation
Rome
Rome
Le tableau ci-dessus permet de dégager principalement trois types de sort réservés aux insignis captivi à la fin du triomphe : la libération, l’enfermement et la mise à mort. 1- La libération du captif est une forme de traitement très rare, elle ne concerne sur les 17 cas répertoriés que 2 captifs (Juba II et Aristobule). 2- L’incarcération pouvait être à vie ou temporaire, suivie de la mise à mort du captif. Elle se présentait souvent sous sa forme la moins contraignante : la liberté surveillée à Rome ou dans une autre ville. Toutefois, 208
Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique
les sources ne permettent pas de connaître la fin de certains captifs comme Gentius, Bituit et Caratacus. 3- La mise à mort concerne presque la moitié des cas relevés. Comme type de traitement, l’exécution reste très fréquente à partir du IIe s. av. J-C et devient rare sous le Haut-Empire. La forme d’exécution la plus courante est la strangulation : 6 sur les 8 cas d’exécution recensés. Elle a toujours lieu à Rome, sauf dans le cas particulier d’Artavasdés. Même si le type de mise à mort n’est pas toujours précisé par les sources, elles montrent, quand même, que la strangulation ne concernait que les hommes1. En principe, le rituel militaire qui consistait à étrangler, dans le cachot, le captif après la parade triomphale, ne s’appliquait pas systématiquement à tous les insignis captivi. Entre la période républicaine et le Haut-Empire, plusieurs rois et chefs de révolte prirent part au cortège triomphal sans pour autant être exécutés à la fin. En revanche, les chefs rebelles ne bénéficièrent presque jamais d’un tel traitement. Cette dernière catégorie de captifs était rarement épargnée, mieux, les mauvais traitements dont ils faisaient l’objet commençaient au moment de la procession triomphale. Des coups de fouet accompagnaient la marche de Simon Bar Gioras à travers Rome. Quant à Jean de Gishala, bien qu’il ne fût pas étranglé, il fut enfermé à vie dans le carcer où il dut mourir de faim2. Cette situation s’avère rare puisque dans aucun des autres cas relevés la procession des captifs n’était accompagnée de coups de fouet. Les auteurs anciens, de même que certains historiens modernes, admettent que c’est une tradition à Rome d’exécuter les captifs de marque, précisément les rois et chefs de révolte, après la procession triomphale3. Partant de ce principe, P. Veyne explique le fait que Persée soit épargné par son origine grecque. Rome, tenant à son image de marque, voulait par cet acte montrer qu’elle pouvait faire preuve de clémence et d’équité même à l’endroit de ses pires ennemis. Suivant le même auteur, « Vercingétorix et Simon Bar Gioras qui se sont livrés seront mis à mort. Mais c’étaient des Barbares. Qu’allaient faire les Romains du premier roi grec qui deviendrait leur prisonnier après sa défaite ? Ils lui firent grâce : Persée ne fut pas mis à mort ; le sénat décida qu’il serait gardé en prison à Albe, afin de maintenir la réputation d’équité de Rome »4.
Cependant, cette humanitas, définie comme « la qualité des êtres humains qui sont dignes du beau nom d’homme parce qu’ils ne sont ni barbares ni inhumains ni incultes », dont Rome fit preuve envers le roi macédonien s’explique-t-elle par son origine grecque ? La particularité du cas de Persée Le seul cas de captive exécutée fut celui d’Arsinoé IV, la sœur de Cléopâtre, mais nous ne disposons d’aucune information à ce propos. 2 Flav. Jos., VI, 10. 3 J.-M. David, « Du comitium à la roche tarpéienne… », p. 151 ; P. Veyne, « Humanitas : les Romains et les autres », in l’Homme romain sous la direction d’A. Giardina, Paris, 1992, p. 435. Cependant, la date à laquelle remonte cette tradition reste indéterminée. 4 P. Veyne, « Humanitas : les Romains et les autres », p. 436. 1
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réside plutôt dans le fait qu’il fut le premier roi grec à se trouver entre les mains des Romains. Il prenait aux yeux de l’Urbs tous les traits d’un trophée exceptionnel d’où l’intérêt unanime des sources. Auparavant, Rome avait déjà eu à célébrer des triomphes sur des rois ennemis vaincus. Le premier triomphe sur un roi hellène fut celui de Pyrrhus, le roi d’Épire, en 274 av. J-C ; en 194 av. J-C, ce fut le tour du roi de Macédoine, Philippe, père de Persée mais aucun des deux ne figura en chair et en os au triomphe1. La présence physique de Persée accordait, de la sorte, à l’événement tout son prestige, son ampleur et sa spécificité. Il fut le premier roi grec défait, capturé et offert au regard du populus Romanus. Tite-Live ne manque pas de souligner, avec beaucoup d’exagération, la qualité exceptionnelle de la prise, n’hésitant pas à rattacher ce descendant d’Antigone le Borgne à Alexandre le Grand2. Pourtant, le sort que Rome réserva au dernier roi de Macédoine ne fut pas exceptionnel. Il est loisible de constater, à partir du tableau ci-dessus, que Persée n’était pas le seul monarque capturé à avoir bénéficié d’une telle faveur. Entre le IIIe s. et le milieu du IIe s. av. J-C, les rois ennemis capturés ne furent pas systématiquement étranglés dans leur cachot après leur participation au défilé. Par conséquent, il s’agit moins d’un traitement de faveur que d’un traitement commun aux captifs aussi bien les rois que leur famille pendant cette période. Avant Persée, le roi de la Numidie, Syphax3, bénéficia d’un traitement analogue même si le récit de Polybe ne concorde pas avec celui de Tite-Live. Le premier le fit figurer au triomphe de P. Cornelius Scipion, le premier Africain, peu de temps avant sa mort4, tandis que le second le fit mourir avant le triomphe de 201 av. J-C5. Néanmoins, les deux s’accordent sur la mort naturelle du roi, du moins ils ne le font pas mourir par strangulation. Leur version est confirmée par le témoignage d’Appien, qui ajoute que les autorités sénatoriales décidèrent de garder le roi en vie au souvenir de leur ancienne alliance, mais il tomba malade et mourut6. Le second cas est celui du roi illyrien, Gentius, emprisonné en même temps que Persée et ses enfants. À la suite du triomphe de L. Anicius, deux mois après celui de Paul-Émile, à l’instar de Persée, Gentius, non plus, ne fut pas exécuté. Avec ses enfants, sa femme et son frère Caravantius, il fut transféré à la prison de Spolète7. Val. Max., V, 2, 6. Sur l’ensemble des triomphes de l’époque républicaine se reporter au tableau dressé par Cl. Auliard, Victoires et triomphes à Rome…, p. 173. 2 Tite-Live, XLV, 7, 3. Alors qu’en réalité il descend d’Antigone le Borgne (un des généraux d’Alexandre le Grand). 3 Syphax tomba de cheval, c’est ainsi qu’il fut capturé par Massinissa à Campi Magni le 23 juin 203 av. J-C selon Ovide, Fastes, VI, 769 (texte établi et traduit par R. Schilling, Paris, Les Belles Lettres, 1993). 4 XVI, 23. 5 L’auteur précise que Syphax mourut à Tibur où de la ville d’Albe on l’avait transféré, XXX, 45, 4. La version d’Appien est moins précise : il n’indique pas que le roi s’éteignit avant ou après le triomphe, VIII, 5, 28. 6 Appien, VIII, 5, 28. 7 T.-L., XLV, 43. Le Padouan ajoute d’ailleurs que Gentius et sa famille furent transférés, encore une fois, à Iguvium ; Vel. Pater., I, 9. 1
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique
Placé entre ces deux cas, le sort du roi de Macédoine perd son caractère exceptionnel. En revanche, entre l’époque de Persée et celle de Vercingétorix ou de Simon Bar Gioras, Rome changea, radicalement, d’attitude envers ses captifs de renom1. Le fait de laisser en vie Persée rentre absolument dans le traitement habituellement réservé aux captifs de rang royal2 entre le IIIe s. et la première moitié du IIe s. av. J-C. Le sort des prisonniers de guerre, une fois à Rome, reposait principalement sur le pouvoir décisionnel du sénat sous la République3. L’Urbs paraissait particulièrement préoccupée par la capture des familles royales pour éviter tout risque de perpétuer leur dynastie et de garder les reliques vivantes. Néanmoins, le fait d’avoir épargné leur vie n’atténuait pas le caractère mortifiant de leur sort. Au contraire, les conditions dans lesquelles leur détention se déroulait l’aggravaient. L’indulgence de la politique sénatoriale envers les captifs royaux se lit aussi à travers les sépultures accordées aux rois Syphax et Persée dont les funérailles étaient organisées aux frais de l’État. « Syphax, qui avait été le roi le plus riche de Numidie, avait été fait prisonnier et incarcéré à Tibur, où il mourut : le sénat décida que le trésor paierait les funérailles qui seraient faites pour lui, pour ajouter à la vie qu’il lui avait accordée l’honneur d’une tombe. Semblable est la clémence dont il a fait preuve à l’égard de Persée. [Ce dernier] avait été relégué à Albe, en détention, et y était décédé ; le sénat envoya un questeur organiser aux frais de l’État ses funérailles, pour empêcher que la dépouille d’un roi restât abandonnée sans honneurs »4.
Le changement de la politique sénatoriale est radical si on pense à ce qu’il advint des corps de Jugurtha, d’Aristonicos ou de Vercingétorix. L’aggravation du traitement des captifs de marque se mesure, d’ailleurs, à travers la différence de ton entre la clémence qui ressort du discours de Paul-
Les modernes évacuent rapidement la question en se référant principalement au texte de Cicéron, Seconde action contre C. Verrès, V, 77 ; J.-M. David en conclut que « c’était l’application normale du supplice réservé aux hostes publici », « Du comitium à la roche tarpéienne… », p. 151. Ceux qui ont étudié le triomphe romain (cf. bibliographie) n’ont généralement pas soulevé le problème de la mise à mort des captifs. 2 Le général samnite, Caius Pontius fut décapité à la hache après le triomphe de Fabius Gurges. 3 Le choix du lieu d’incarcération et la décision des transferts furent pris pendant les séances du sénat. Ce pouvoir semble être exclusivement réservé au sénat dans la mesure où dans le cas de Persée, ce ne fut pas Paul-Émile qui intervint pour son transfert dans un autre endroit salubre (contrairement à ce que pense Plutarque, Paul-Émile, XXXIV) mais bien un membre du sénat, Marcus Aemilius, Diod., XXXI, 9. À partir de 43 av. J-C, le droit de triompher relevait de l’autorité des triumvirs. D’après Appien, Pompée n’envoya pas à la mort Ménandre le chef de la cavalerie du roi Mithridate du Pont ni d’ailleurs les chefs ibériens capturés. Suivant la version d’Appien, Aristobule, prince de Judée, fut amené à Rome puis exécuté, tandis que Flavius Josèphe indique qu’il fut épargné par Pompée et libéré par César. 4 Val. Max. V, 1, 1b. Suivant Tite-Live, la mort de Syphax ne passa pas inaperçue puisqu’il fut enterré aux frais de l’État, XXX, 45, 4. 1
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Émile à Persée en 1681 et l’âpreté évidente de celui de César à Vercingétorix en 46 av. J-C. Si le général romain conseilla au roi macédonien de garder espoir et de faire confiance à la fides romaine ; César, quant à lui, fit clairement comprendre à son « captif » que, malgré son geste de supplication, il ne devait s’attendre à aucune pitié de sa part du moment qu’il avait transformé leur ancienne amitié en hostilité déclarée2. Antoine soumit le roi Artavasdés au même rituel de mise à mort bien que le triomphe ne fût pas célébré à Rome mais à Alexandrie et non pas sous les yeux du populus Romanus mais sous ceux de Cléopâtre et de ses sujets3. Plutarque n’a pas manqué de reprocher à Antoine d’avoir privé Rome de ce triomphe sur l’Arménie. Toutefois, il rejette toute la responsabilité sur l’Égyptienne qu’il accuse d’être le brandon de discorde à cause de la passion aveuglante, mais nocive qu’elle inspirait au général romain4. À partir de la seconde moitié du IIe s., la strangulation commence à devenir un traitement fréquent, réservé aux rois ennemis, et particulièrement aux chefs de révolte pris et amenés à Rome. Le roi numide, Jugurtha, capturé de manière irrégulière, fut, à la suite du défilé, étranglé dans le carcer où il était incarcéré avec ses deux fils. Voici le récit de Plutarque, le témoignage le plus complet qui donne des informations détaillées sur le traitement subi par « l’enfant du désert » et sur son sort final : « Personne n’aurait espéré qu’on pût venir à bout des ennemis tant que Jugurtha vivait, tellement il était fertile en ressources pour tirer parti des circonstances et tellement les ruses de toute sorte s’alliaient chez lui au courage. Mais on dit qu’il perdit contenance quand il se vit conduit dans le cortège. Après le triomphe, il fut jeté en prison. Là, les uns lui déchirèrent violemment sa tunique, tandis que d’autres, dans leur hâte à lui enlever ses boucles d’oreilles en or, lui arrachèrent du même coup les lobes des oreilles. Puis on le poussa nu au fond du cachot, et, tout troublé, il dit en y tombant, avec un rire amer : “par Hercule, que vos bains sont froids !” Cependant, il lutta pendant six jours contre la faim,
Selon Tite-Live (XLV, 28), Paul-Émile releva le roi macédonien qui se jetait à ses genoux, l’introduisit dans sa tente et le fit asseoir face à ceux qui étaient convoqués au conseil. À Amphipolis aussi Persée et ses enfants jouirent d’un traitement de faveur : ils circulèrent à leur guise à un tel point que le général romain blâma la surveillance relâchée avant de les faire garder. Mais l’histoire de Persée est parsemée de nombreuses zones d’ombre : la date de sa mort (suivant les sources, il resta en vie à Rome pendant deux ans ou quatre ans) ; les types de traitement qu’il subit : une incarcération inhumaine suivant la version de Diodore ou bien une liberté surveillée qui lui aurait permis, suivant Tite-Live, de jouir de ses biens et d’avoir à ses côtés ses enfants et sa cour. 2 Dion Cassius, XL, 41. 3 Vel. Pater., II, 82, 3. Le triomphe d’Antoine ne fut pas seulement une pâle copie d’une procession triomphale mais trouvait son explication dans sa volonté de se rattacher à Alexandre le Grand par son mariage avec Cléopâtre (les Lagides se réclamaient les descendants d’Alexandre et avaient largement répandu la légende de l’identification d’Alexandre à Dionysos par son expédition en Orient), A. Bruhl, « Les influences hellénistiques… », p. 87, F. Hinard, Histoire romaine, p. 889. 4 Ant., L, 2. Dion Cassius cite, aussi, à côté de l’Arménien, sa femme et ses enfants, LIX, 39, 6. 1
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique suspendu jusqu’à la dernière heure au désir de vivre, et il reçut enfin le châtiment que méritaient ses crimes »1.
Les captifs de marque ne furent plus épargnés à partir de Jugurtha : seule leur mort spectaculaire pouvait assouvir le besoin de vengeance de Rome et celui de donner une bonne leçon à ses opposants. Successivement, Jugurtha, Aristonicos2, le pseudo-Philippe, Vercingétorix, Tigrane fils de Tigrane, roi d’Arménie, subirent le même sort : la strangulation après le triomphe3. Cette tâche était confiée au bourreau de Rome, le carnifex, esclave public préposé aux « basses œuvres »4. Il s’y prenait de deux manières différentes : soit avec ses deux mains, soit à l’aide d’un lacet ou d’une corde (corde que les captifs portaient autour du cou pendant la parade triomphale), qu’il serrait autour du cou du prisonnier jusqu’à ce qu’il perdît la vie5. Dans la littérature, le personnage du bourreau de Rome se caractérise par sa cruauté, les sources en font toujours un Barbare6 comme pour rejeter la sauvagerie des peines sur lui. Le carnifex travaillait avec la chair humaine plus précisément celle des individus déclarés « hors-la-loi », c’est-à-dire des « Barbares », des hostes, des perduelles et des servi récalcitrants, une catégorie méprisée et rejetée par Rome7. En abordant le mauvais traitement dont les captifs faisaient l’objet, les auteurs ont plutôt tendance à rejeter l’entière responsabilité sur le carnifex ou sur les surveillants. Dans le cas de Persée, après son transfert, Plutarque indique que : « les soldats qui le gardaient irrités contre lui pour je ne sais quel grief, ne pouvant trouver autre chose pour le chagriner et lui faire du mal, l’empêchèrent de dormir et, sans cesse appliqués à gêner son sommeil, ils le tinrent éveillé par tous les moyens jusqu’à ce qu’il mourût, épuisé de fatigue »8. Mar., XII ; Salluste, dans son récit de la guerre de Jugurtha, ne fournit aucune indication quant à la fin de « l’enfant du désert » qui tint tête aux armées romaines durant sept années. Tite-Live indique, vaguement, qu’après le triomphe, il fut exécuté, Per., LXVII ; Velleius Paterculus (II, 12) s’en tient, quant à lui, à une brève apparition du roi numide au triomphe de Marius en 104 av. J-C. Seul Orose précise qu’il fut étranglé dans son cachot, V, 15, 19 ; Th. Mommsen, Histoire romaine, Paris, 1985, p. 164. 2 Strabon, XIV, 1, 38 ne précise pas la forme de mise à mort. En revanche, Orose indique qu’Aristonicos fut étranglé dans son cachot sur l’ordre du sénat, « in carcere strangulatus », en 129 av. J-C ; Sall., Hist., IV, 69, 8-9. 3 Cf. Tableau 7, p. 208. 4 Sur le rôle et la place du bourreau dans la machine judiciaire romaine cf. M. Gueye, « Le carnifex : “un barbare” au service de la justice romaine », Analecta Malacitana, XXXIII, 2, 2010, pp. 425-441. 5 Flav. Jos., VII, 152 ; Pline, Hist. Nat., 144 ; Flor., II, 55 ; III, 17. 6 Ce personnage qui jouait le rôle de bourreau se situait à la lisière de société, il n’y appartenait pas en vérité. Mais, il est paradoxal de constater que Rome se servait d’un « Barbare » pour mettre fin à la vie des captifs « barbares » comme pour décliner toute responsabilité en envoyant dos-à-dos les « barbares ». 7 M. Gueye, « Le carnifex… », pp. 436-437. 8 Paul-Émile, XXXVII. Le récit de Plutarque, confirmé par Salluste, prend le contre-pied de la version livienne suivie par Velleius Paterculus. Tite-Live affirme qu’au roi Persée rien ne fut ôté : il garda à Albe son argenterie, sa cour. Velleius Paterculus parle de libera custodia. 1
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Toutefois, le sénat, en livrant les détenus au pouvoir discrétionnaire des gardes, donnait implicitement son consentement. L’unique et l’ultime honneur accordé au captif de marque demeurait la concession d’une mise à mort honorable. Contrairement au crucifiement ou à la pendaison, la strangulation était dans la panoplie des mises à mort considérée comme une forme à la fois honorable et privilégiée. À Rome, elle était réservée aux « condamnés dont la position sociale méritait des égards particuliers et dont l’exécution publique était déconseillée pour des raisons politiques »1.
D’une manière générale, de la République au début de l’Empire, l’exécution des captifs à la fin de la cérémonie triomphale, décision souvent soumise aux impératifs de la politique intérieure ou extérieure, n’était ni automatique ni obligatoire2. II. Les captifs au triomphe : la vêture et le port des chaînes La présence des prisonniers de guerre apparaît comme un aspect fondamental dans la célébration du triomphe du fait qu’elle renforçait et matérialisait son sens de victoire sur l’ennemi. Les captifs au triomphe avaient non seulement pour fonction de servir d’éléments d’ornement pour rehausser la qualité du spectacle, mais aussi de donner une preuve palpable de la victoire par la figuration, en chair et en os, de l’hostis vaincu et enchaîné. Au-delà des captifs, la captivité prise dans sa globalité représentait un élément moteur de cette célébration militaire de la victoire. En effet, elle se lisait à travers les tableaux matérialisant la conquête et la prise de villes ennemies, les pancartes portant les noms des cités défaites, les brancards transportant les dépouilles ennemies, le butin et enfin les prisonniers de guerre qui précédaient le char du triomphateur. La présence des captifs se prolongeait jusqu’à la fin de la procession3. Le L’état contradictoire mais cohérent des récits rend difficile toute tentative de les démêler : Persée fut-il maltraité ou bénéficia-t-il d’un traitement de faveur ? Sur la mort du roi cf. P. Meloni, « Perseo e la fine della monarchia Macedone », Rome, L’Erma Di Bretschneider, 1953, pp. 437-440. 1 E. Cantarella, op. cit., p. 133. Au sein de cette catégorie sociale de rang élevé figuraient, aussi, les prisonniers de guerre. 2 M. Lemosse met en doute l’appartenance de la mise à mort des prisonniers de guerre aux aspects originels du triomphe. Il conclut que « la mise à mort des captifs au moment du sacrifice final apparaît comme un élément tardif, du moins rajouté ; il peut dater de l’époque étrusque dont on connaît la pratique des jeux sanglants », « Les éléments techniques de l’ancien triomphe romain… », p. 93. 3 Le triomphe romain, ses origines et les influences étrangères tant étrusques qu’hellénistiques, les modalités d’attribution du triomphe ont principalement mobilisé l’attention des chercheurs tels que A. Bruhl, « Les influences hellénistiques dans le triomphe romain », Mélanges d’Archéologie et d’Histoire, XLV, 1928, pp. 77-95 ; L. B. Waren, « Roman Triumphs and etruscan Kings : the Changing face of the Triumph », JRS, LX, 1970, pp. 4966 ; Cl. Auliard, Victoires et triomphes à Rome. Droit et réalités sous la République, Besançon, PUF-C, 2001. Néanmoins, aucun n’a mis l’accent sur la place des captifs ni leur impact ou leur rôle dans le triomphe.
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triomphe visait à mettre en évidence la défaite complète de l’ennemi d’où le topos littéraire qui consiste à faire figurer auprès des rois capturés tous les membres de leur famille ou une partie. Cette démarche ostensible permettait ainsi de proclamer ouvertement l’amoindrissement ou la fin de la dynastie régnante. Ainsi dans les textes, au cours de la procession triomphale, le roi fait prisonnier était toujours accompagné au moins d’un membre de sa famille qui pouvait être le frère, le fils, la fille ou l’épouse afin de signifier la fin de toute une dynastie, d’un règne et d’une ère politique1. En 168 av. J-C, Persée apparut sous les yeux du populus Romanus avec ses fils et sa fille. La même année, Gentius, le roi d’Illyrie, fut accompagné de son épouse, Etléva, de son fils et de son frère, Caravantios. En 120 av. J-C, Bituit défila avec son fils Congonnetiacus. En 104 av. J-C, c’est au tour de Jugurtha, « l’enfant du désert », de figurer dans la parade triomphale de Marius avec ses deux fils. En 62 av. J-C, Aristobule fut escorté de ses deux filles et deux fils, Alexandre et Antigone. Au début de l’Empire également les chefs de révolte apparurent à côté de leur famille. Dans le cas de Persée, la volonté romaine ou celle des sources d’insister sur la fin de la dynastie macédonienne reste évidente. Aux côtés de Persée et de ses enfants défilèrent toute sa cour, les officiers et même les précepteurs2. Par l’enfermement ou l’exécution qu’entraînait la captivité, Rome avait les mains libres pour décider du sort du pays en question et s’attribuait ainsi le droit de choisir les nouveaux dirigeants. En mettant en évidence l’importance de l’ancien statut social du captif dans le dispositif de la victoire, le triomphe signait de manière éclatante la défaite officielle de l’adversaire qui, les mains ligotées derrière le dos, les chaînes autour du cou, était traîné, exhibé dans les rues de Rome sous les yeux du populus Romanus. C’est une des raisons qui expliquait la répugnance des captifs de marque à figurer au triomphe en plus de la peur d’être exécutés. Persée supplia même Paul-Émile de ne pas faire partie du cortège. Tite-Live explique que le Romain se moqua d’abord du Macédonien avant de lui signifier que ce qu’il demandait était précédemment en son pouvoir et comme encore aujourd’hui, mais « le lâche ne supporta point cette idée ». Diodore ajoute que dans sa prison avaient été jetés un glaive et une corde pour permettre au dernier roi de Macédoine de se donner la mort. Nous mettons, quand même, en doute ces propos pour deux raisons. La première, Persée qui refusait de participer à la cérémonie triomphale avait l’opportunité de se suicider si ces instruments étaient, effectivement, mis à sa disposition d’autant plus que le Romain avait rejeté sa requête. La deuxième, le poids déterminant de la capture de Persée dans l’échiquier de la victoire et son impact sur la gloire du général et de l’Urbs imposaient d’autres mesures que celles qu’avancent TiteT.-L., Per., LXVII ; Appien, Les guerres civiles à Rome, I, 42, 188 ; Orose, V, 15, 19. Persée avec ses deux fils et sa fille, Diod., XXXI, 8, 12. 2 Diodore précise que Persée défile avec ses deux fils, sa fille et deux cent cinquante de ses officiers, XXXI, 8. Plutarque ajoute les gouverneurs, les précepteurs et les pédagogues, PaulÉmile, XXXII, 6. 1
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Live et Diodore1. Au contraire, il fallait impérativement conserver en vie le roi grec en vue de l’exhiber pendant la célébration du triomphe et non prendre des risques pour perdre un trophée de cette envergure. Par ailleurs, la figuration des captifs au triomphe faisait de cette cérémonie militaire un moment privilégié de rencontre et de contact entre le populus Romanus et d’autres civilisations et entre le Romain et l’autre (le Barbare et plus rarement le Grec). Concomitamment, se déversaient à Rome tous ces peuples étrangers, grec, dans une moindre mesure, et, surtout, barbare. Martial, qui lui-même est un produit de la barbarie (Espagnol d’origine), le déplore dans l’une de ses épigrammes lorsqu’il compare la Ville à une prostituée qui reçoit le monde entier. « Tu te donnes à des Parthes, tu te donnes à des Germains, tu te donnes Célia à des Daces, sans dédaigner pour cela la couche des Ciliciens et des Cappadociens ; pour toi, pour te besogner, l’homme de Memphis quitte sa ville d’Égypte et prend la mer, tandis que le noir Indien s’élance des bords de la mer Rouge ; tu n’as pas de dégoût pour l’aine des Juifs circoncis, et l’Alain sur son cheval sarmate ne passe point devant ta maison sans entrer » déclame l’auteur des Épigrammes2.
Par ce contact visuel et direct le populus Romanus apprenait à connaître d’autres peuples à partir de leurs aspects extérieurs, c’est-à-dire à travers leur morphologie et leur vêture.
1. L’état de la vêture : un signe de mauvais traitement ? La vêture correspond, avant tout, à un critère de différenciation culturelle incontestable, quant à l’état vestimentaire il peut constituer un indicateur du type de traitement subi par le captif. Pour embrasser ces recoupements et implications, la vêture du prisonnier de guerre peut s’analyser à deux niveaux qui correspondent à deux moments distincts, à savoir celui de la capture et de la détention et celui du triomphe. Les sources iconographiques, particulièrement les fragments de relief, soulèvent la question de la vêture et de l’état vestimentaire des prisonniers de guerre. Ces derniers sont peints dans leur nudité ou semi-nudité menaçante et effrayante pour les hommes, pathétique et inoffensive pour les femmes. Dans les représentations, la nudité et la semi-nudité sont plus le propre des hommes que des femmes. La plupart des revers de monnaies sur lesquels figurent des captifs hommes révèlent leur nudité ou leur semi-nudité3, contrairement à la représentation de Persée et du captif dace assis sur un amas d’armes, décemment vêtus4. En revanche, les captives, parfois la tête voilée, apparaissent souvent couvertes d’habits épais5 ou de tissus transparents qui laissent Diod., XXXI, 9. VII, 30. 3 Cf. Monnaies IV ; VI-VII et XVI de l’Annexe II. 4 Cf. Monnaies I et XX de l’Annexe II. 5 Cf. Monnaies VI-VII ; XVI ; XVIII et XXI de l’Annexe II ; Fragments XVI-XVII-XVIIIXIX-XX et XXI (cf. Annexe II). 1 2
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apercevoir ou deviner la plénitude de leurs formes1. Quelquefois une partie de leur corps est dénudée, il s’agit surtout de l’épaule, du bras ou de la jambe2. Sur les fragments de relief également les prisonniers sont, presque toujours, à peine vêtus, laissant apparaître toutes les parties de leur corps, par exemple les captifs de Saint-Rémy de Provence, le captif de Saint-Bertrand de Comminges, les captifs de l’arc de Glanum, les deux captifs enchaînés de Mayence3. Seuls les prisonniers sur l’arc de Carpentras et la colonne trajane sont habillés convenablement. Il est loisible de remarquer que, suivant les représentations, le prisonnier de guerre est vêtu ou à demi-vêtu4. Nous pensons que l’état lamentable des habits, des vêtements déchirés ou carrément en lambeaux, est un artifice qui permet de mieux mettre en valeur la constitution physique du captif mais aussi un indicateur de son état physique et de sa nouvelle condition de vaincu et de dominé. Certains auteurs tels qu’Aulu-Gelle et Flavius Josèphe, en évoquant les habits offerts aux prisonniers, soulèvent en même temps le problème de leur état vestimentaire. Dans un passage des Nuits Attiques, Aulu-Gelle5 indique que Pyrrhus prit la précaution de vêtir ses prisonniers avant de les remettre aux ambassadeurs romains. Nous avons aussi relevé dans le texte du chroniqueur juif que Vespasien avait offert des habits à son prisonnier (il s’agit de Flavius Josèphe lui-même) pour le récompenser de ses dons de prédiction6. Notre première réaction a été de nous demander si les captifs étaient dévêtus dès qu’ils se retrouvaient entre les mains ennemies. Dans ce cas de figure, la nudité serait une marque, un signe de captivité qui permet de distinguer les prisonniers de guerre des autres mais aussi un moyen d’humilier le captif. Néanmoins les sources ne permettent pas de soutenir cette supposition. La seconde hypothèse reste la suivante : le don de vêtements pourrait s’expliquer par l’état dans lequel devaient se trouver les habits qu’ils portaient, des vêtements en lambeaux ou dont une partie est enlevée. L’état minable des habits s’explique principalement par deux facteurs : l’âpreté des affrontements qu’accompagnaient les poussées de violence et les mauvais traitements infligés aux prisonniers. Ces aspects sont confirmés par Tacite dans sa description du comportement des troupes d’Antonius à Crémone. Elles s’arrachaient, littéralement, les personnes de belle tournure au point de les mettre en pièces pour s’en emparer indique l’auteur des Histoires7. Un tel témoignage met en Fragments V et VII de l’Annexe II. Monnaies XVI-XVII et XXI de l’Annexe II. 3 Voir les Fragments I-II ; VI-VII-VIII ; IX ; XII de l’Annexe II. 4 Sur la fonction de la nudité dans la représentation du captif supra pp. 106-107 et 216-217. 5 III, 8, 5. 6 III, 407-408. Mais « le Juif de Rome » n’apporte aucune autre précision sur la nature de ces vêtements. Ces derniers étaient probablement romains pour marquer peut-être son entrée dans la romanité. 7 Hist., III, 33 ; Flor., II, 7, 11. Une telle attitude est encore courante au IIIe s comme nous pouvons le voir à travers certains discours plastiques. La colonne aurélienne met en scène des prisonniers de guerre bousculés, poussés brutalement par les mains ennemies, 1 2
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évidence un aspect de la conduite de la soldatesque qui, en se précipitant sur des proies de choix, se les arrachaient afin d’accéder à la renommée qui s’attachait à la capture d’une personne de marque ou de posséder une belle captive. Dans les textes, les auteurs adoptent un silence total quant aux blessures certaines des captifs dues aux bousculades, au claquement du fouet ou au port des chaînes. Appien soulève ce point lorsqu’il indique que leurs vêtements ne recouvraient aucune blessure, pour faire savoir que les captifs qui figuraient au triomphe de Pompée, en 66 av. J-C, étaient bien traités1. Flavius Josèphe fait allusion à l’aspect répugnant des déformations des corps des captifs juifs, cachées par la beauté et la variété de leurs vêtements2. Ces « déformations » devaient sûrement être des blessures, elles ne pouvaient constituer des malformations physiques puisque Titus prit le soin de faire figurer dans son triomphe des captifs de choix. En fait, même si les causes et les circonstances de ces blessures étaient indéterminées, elles pouvaient aussi bien provenir des affrontements que d’un mauvais traitement de la part de leur détenteur par le port des chaînes. Si rien ne prouve que les captifs fussent dévêtus, il reste indéniable que leurs vêtements devaient se trouver dans un piètre état compte tenu des circonstances violentes dans lesquelles se déroulait parfois la capture et l’environnement crasseux et infect du carcer. Au moment de la cérémonie du triomphe en revanche, les habits que portaient les prisonniers de guerre étaient, parfois, d’une grande somptuosité. Ils arboraient alors des tenues traditionnelles et exotiques afin de rehausser la beauté du spectacle. Les vêtements constituaient un facteur d’identification en même temps qu’un artifice qui donnait un cachet particulier au décor par la bigarrure et par l’exotisme des captifs3. Les spectateurs étaient non seulement subjugués par la richesse du butin et la somptuosité des vêtures des peuples d’Orient4, mais aussi frappés par l’originalité de ceux d’Occident. Persée défila en tenue traditionnelle, vêtu d’un manteau sombre et à la mode de son pays5. Jugurtha apparut dans le cortège, habillé d’une tunique et portant des boucles
Fragments XV-XVI-XVII et XXI (cf. Annexe II). Une captive est bousculée, une autre tirée par les cheveux par un soldat romain, Fragments XVI-XVII (cf. Annexe II). Cette dernière image de mauvais traitement rappelle celle du captif qui figure au revers de la Monnaie II de l’Annexe II. 1 App., Mithr., 103-116. 2 Ammien Marcellin reste l’un des principaux auteurs à relever les coups de fouet reçus par les captifs mais pas de la part des Romains, ce sont surtout les Perses qui appliquent ce châtiment, VIII, 7-8 ; Flav. Jos., VII, 138 ; V, 452. 3 Plus les peuples présents au triomphe sont divers et plus l’exotisme augmente, offrant au populus Romanus « un échantillonnage complet de la barbarie universelle », Y.-A. Dauge, Le Barbare…, p. 95. 4 A. Bruhl range le triomphe parmi les courants d’influences hellénistiques à Rome. À travers cette cérémonie militaire, « le peuple apprenait l’existence d’un monde matériellement plus avancé, il était conduit à adapter des croyances et des mœurs nouvelles », « Les influences hellénistiques… », p. 80. 5 Plutarque, Paul-Émile, XXXIII.
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d’oreilles en or1. La diversité des costumes reste, par-dessus tout, un paramètre qui permettait de mesurer l’étendue des conquêtes dont la récupération élevait le triumphator2 au rang de cosmocrator3. Pompée fit figurer dans son triomphe de 62 av. J-C une multitude de peuples, une manière de montrer l’universalité de sa victoire : le roi de Colchide, des prisonniers du Pont dont la famille du roi Mithridate, des Arméniens (Tigrane, le fils du roi), des Juifs (Aristobule et ses enfants), des pirates, des Scythes, des Albans, des Ibériens. Et chacun avait mis sa tenue traditionnelle suivant Appien4 qui, toutefois, n’en donne aucune description. Flavius Josèphe n’a, à son tour, pas manqué de relever « la variété et la beauté des vêtements des captifs » pour mettre l’accent sur la somptuosité du triomphe de Titus sur la Judée5. Plutarque, Appien, Flavius Josèphe témoignent de la beauté et de la somptuosité des vêtements des prisonniers au triomphe or, ni les circonstances de la capture ni les conditions de détention dans le Tullianum ne permettaient aux prisonniers de garder sur eux d’aussi beaux vêtements. L’exemple de Jugurtha montre que le captif était privé de toutes ses affaires si bien qu’il se trouvait nu au fond du Tullianum. L’état des habits pose, encore une fois, le problème du lieu de détention, le Tullianum ou les Latumiae ? Les conditions qui régnaient dans le Tullianum ne pouvaient permettre aux captifs de garder leurs habits en bon état à moins qu’ils ne fussent apprêtés en vue de la cérémonie or, aucune source ne fait allusion à des préparatifs6. Ou bien alors, ayant pour ambition de mettre en relief la somptuosité des triomphes romains et de clamer la toute puissance de l’Urbs, ces auteurs recourent à l’hypotypose en amplifiant les faits. Le contact direct entre les spectateurs et les prisonniers de guerre produit dans l’esprit des premiers une image du Barbare vaincu7, vision fabriquée, stéréotypée et qui répond à des préoccupations impérialistes. Le triomphe expose sous le regard du public romain des hommes à la morphologie Marius, XII. Plutarque, Pompée, LXV et Appien, Mithr., 17, 116. En 46 et 45 av. J-C, César offrit aussi au populus Romanus un spectacle qui frappa par la diversité et surtout son caractère universel, sa victoire sur le monde connu regroupant trois continents, à savoir l’Afrique (Maurétanie), l’Asie (Pont) et l’Europe (Gaule). 3 Pompée apparaît sur les deniers frappés à Rome par Faustus Sylla comme un cosmocrator, un imperator universel, par ses victoires sur l’œkoumène. Sur la description des revers de monnaie matérialisant l’universalité de la victoire de Pompée, cf. Ch. Pérez, Monnaie du pouvoir…, p. 201 et pp. 349-350. 4 XII, 103-106. 5 VII, 5, 5. 6 À moins qu’ils ne soient, à leur arrivée, gardés dans les Latumiae en vue du triomphe avant d’être transférés au Tullianum pour y subir leur peine ou dans une autre prison. 7 Florus souligne l’air terrifiant de Vercingétorix tandis que Dion insiste sur son aspect impressionnant. De plus, après un séjour plus ou moins prolongé au carcer, ces captifs ne pouvaient qu’avoir une apparence répugnante et effrayante, leur seule touche humaine provenait alors de la présence de leur famille. 1 2
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spectaculaire et redoutable1. La vision redondante de la nature gigantesque des Barbares n’est pas seulement un cliché sensationnel, mais elle possède bien un fondement réel qui s’explique par les types de captifs offerts au regard du peuple de Rome. Dans cette perspective, le triomphe n’est pas uniquement une cérémonie militaire mais aussi une foire à l’homme2. Cette dimension est largement mise en évidence par la présence du populus Romanus qui contemple ainsi ses ennemis sous leur jour le moins avantageux, défaits, fatigués, blessés parfois, enchaînés et croulant sous le poids de leur incommensurable infortune.
2. Le port des chaînes : marque distinctive de captivité et forme de répression L’emploi de vinculum et de catenae reste assez fréquent dans le lexique du corpus3. Ces deux vocables signifient non seulement lien, mais aussi prison et permettent ainsi l’assimilation du port des chaînes à la perte de la liberté4. D’une manière générale, vinculum désigne tout ce qui sert à attacher englobant par conséquent chaînes, colliers, cordes, ficelles et lacets. Quant au terme catena, au sens propre, il se réfère aux chaînes5. Sur les images, la marque la plus flagrante et qui permet d’établir des rapports étroits entre le Barbare d’une part et le captif de l’autre est les liens. Sur les vingt-un (21) pièces de monnaies que compte notre corpus d’images, douze (12) représentent des captifs dont neuf (09), c’est-à-dire la large majorité, exposent des captifs chargés de chaînes (en plus du crocodile enchaîné). Sur l’ensemble des vingt-un (21) fragments de relief et monuments sur lesquels figurent des captifs, treize (13) les montrent enchaînés. Somme toute, les liens apparaissent sur plus de la moitié de notre corpus d’images, une présence encore plus forte que dans le corpus textuel.
Sur la description physique du captif et de la captive, supra pp. 103-109. Ovide, donne une description particulière du triomphe en mettant l’accent sur la vision et la perception des captifs par le peuple. Ainsi, il écrit : « le peuple pourra contempler ces triomphes ; il lira sur les pancartes les noms des généraux et des villes prises ; il verra les rois captifs, le cou chargé de chaînes, marcher, oublieux de leur condition. Une partie des spectateurs s’informera des faits et des noms, une autre la renseignera sans en être très instruite : “celui-ci, qui resplendit altier sous la pourpre sidonienne, était le général en chef, celui-là son lieutenant. Celui-ci, qui se tient maintenant ses regards fixés misérablement sur le sol, n’avait pas cette contenance quand il portait les armes. Celui-là, l’air, farouche, l’œil étincelant de haine, fut l’instigateur et le conseil de guerre. Celui-ci a perfidement cerné les nôtres sur un terrain trompeur, c’est lui qui cache son hideux visage sous de longs cheveux. Le suivant, c’est le prêtre qui dit-on, immolait les chefs à un dieu qui les refusait souvent”… », Tristes, IV, 2. 3 Les locutions intégrant ces deux termes sont très variées, en particulier chez Florus. Catena et vinculum rentrent pleinement dans l’univers de la captivité et sont assez représentatifs mais catena est plus fréquemment employé, voir Tableau V de l’Annexe I. 4 Cette assimilation reste, néanmoins, allégorique, car, sur le plan juridique, « quoiqu’une personne soit en prison, on ne peut pas dire qu’elle est garrottée ni chargée de fers, si d’ailleurs son corps est libre », Dig., L, 216. 5 Grand Gaffiot et Dictionnaire étymologique…, s.v. Catena et vinculum. 1 2
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Les textes ne s’attardent pas sur la nature des attaches. Sur les images, non plus, il n’est pas toujours aisé de la déterminer. Cependant, à partir des données fragmentaires que nous avons rassemblées nous pouvons distinguer trois types de lien : les chaînes, les ficelles ou lacets et les colliers1. Les chaînes représentent le type d’entrave le plus utilisé pour ligoter les mains des captifs, pour leur enserrer le cou (collari) ou pour leur attacher les pieds. Instruments de droit pénal chargés de châtier le coupable, les chaînes constituaient aussi une partie intégrante du matériel militaire. Marcus Antonius prit le soin de transporter dans ses bateaux « plus de chaînes que d’armes » avant de s’attaquer à l’île de la Crète2. Elles restent un moyen efficace pour résoudre les problèmes que soulève la sécurité en mettant le captif hors d’état de nuire. Toutefois, entre les mains du prisonnier, elles se transformaient, parfois, en instrument d’autodestruction et de révolte. À la suite de la défaite des troupes de Varus en 9 ap. J-C, Velleius Paterculus rapporte que Caldus Caelius, échappa à la captivité en se donnant la mort. « Enfermant dans sa main une certaine longueur des chaînes par lesquelles il était lié, il s’en frappa la tête avec une telle violence qu’il mourut aussitôt dans un jaillissement de sang et de cervelle »3.
Toutefois, les fers ne représentaient pas les seuls instruments pouvant servir à ligoter les prisonniers de guerre. À côté, il faut aussi identifier les ficelles ou lacets qui ressortent sur certaines images matérialisant des captifs aux mains liées derrière le dos. La partie du corps qui, de loin, est la plus sollicitée demeure les mains aussi bien dans les textes que sur les représentations iconographiques. Quand ils sont pris4, au moment de la procession triomphale derrière le char du général, sur les représentations des bas-reliefs5 et des monnaies, lorsqu’ils figurent au pied de trophées, les prisonniers de guerre sont décrits et exhibés, presque, systématiquement, les mains attachées derrière le dos. « Nous n’apprîmes pas par la rumeur publique que les chefs les plus illustres des ennemis n’avaient pas été tués, mais le triomphe nous les montra dans leurs chaînes »6 écrit Pline Le jeune. À ces types de lien, Plaute ajoute les menottes (manicas, Les captifs, 659), les entraves aux pieds (par l’emploi de compedire, Les captifs, 945). Des entraves gallo-romaines avec des cadenas ont été mises au jour à Famechon, dans le Somme et à Rhus, cf. J. Sirat, « Les entraves gallo-romaines de Rhus », Bull. Arch. du Vexin Français, n°5, 1969, pp. 105-108 ; D. E. Vermeersch, « Une paire d’entraves gallo-romaine trouvée à Famechon », Rev. Arch. De l’Oise, n°8, 1976, pp. 12-13. Mais rien ne permet d’attester que ces entraves étaient destinées aux prisonniers de guerre. 2 Flor., I, 42, 2. Diodore indique que déjà, au IVe s. av. J-C, les Carthaginois transportaient deux fourgons d’entraves destinées aux prisonniers grecs d’Agathocle, XXIV. 3 II, 120. 4 Val. Max., I, 7, ext 8 ; Flor. I, 18, 21. 5 Cf. Fragments I-II-III, VI et VIII (Annexe II). 6 Vel. Pater., II, 121. 1
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Ce dernier, imaginant la somptuosité du triomphe de Trajan, « croit voir les brancards lourds des atrocités qu’ont osées les Barbares, chaque prisonnier suivre, les mains liées, l’image de ses forfaits »1. Ainsi les mains attachées, tordues derrière le dos, apparaissent comme le signe le plus distinctif, le plus évident et le plus explicite de la défaite et de la dépendance qui s’ensuit2. Il s’agit d’une marque constante, appliquée à toutes les catégories de captifs. Mieux, la matérialisation des chaînes reliant les captifs au tronc des trophées rend totale cette défaite. Sur les arcs de Glanum et de Carpentras3 de longues chaînes, aux maillons nettement dessinés, lient le trophée au prisonnier qui n’est plus seulement au pied du trophée mais y est enchaîné. Moyens d’expression et d’exécution de la volonté par excellence4, les mains ont un sens d’autant plus puissant dans le contexte de la guerre qu’elles sont censées porter les armes ou simplement les manipuler contre l’ennemi. Une fois les mains attachées, le prisonnier de guerre, par le danger qu’il incarne aux yeux de l’adversaire, est en partie neutralisé. De là la précaution impérative qui consiste à enchaîner les mains des ennemis capturés. Les captifs se retrouvaient aussi le cou enserré dans des chaînes manifestement écrasantes. Une chaîne enveloppe entièrement le cou de Vercingétorix5. De même, les deux captifs de Mayence portent des colliers reliés par une chaîne de huit maillons bien visibles6. Ces prisonniers ont, en plus, les mains tordues à la hauteur des reins et les jambes croisées. Ces dernières sont contractées peut-être sous l’effet de la douleur ou de la gêne terrible que doit, sûrement, provoquer le port des chaînes7. Ce type d’attache est généralement utilisé lorsque les prisonniers sont déplacés en grand nombre8 ou lors de la procession triomphale. Valère Maxime indique que, successivement, les rois Pan., 17 ; Val. Max., VI, 2, 3. Persée et ses enfants figurent les poignets liés derrière le dos, devant le vainqueur de Pydna Paul-Émile qui les domine de toute sa stature imposante, preuve de leur défaite et de leur soumission, cf. Monnaie I de l’Annexe II. Sur la plupart des revers de monnaies aussi les hommes, en particulier, assis au pied des trophées ont les poignets tordus derrière le dos, cf. Monnaies IV ; VI-VII (Annexe II). 3 Cf. Fragments VI ; VIII-IX-X (Annexe II). 4 G. Cornu, op. cit., s.v. Main. Les mains interviennent à deux moments essentiels de la captivité : elles annoncent le début de la capture d’où, par conséquent, l’emploi de ces expressions qui se rapportent « aux mains de l’ennemi » et la perte de la liberté avec comme marque distinctive le port des liens. 5 Cf. Monnaie VI de l’Annexe II. 6 Cf. Fragment XII de l’Annexe II. 7 Tyndare, esclave d’Hégion, se sentit soulagé de ne plus avoir le cou pris dans un carcan. « En vérité, je ne suis pas fâché d’avoir le cou débarrassé de ce collier » dit-il, Plaute, Les captifs, 357. 8 Les deux captifs qu’acheta Hégion étaient attachés l’un à l’autre par une grande chaîne. Pour les soulager, il demanda qu’on leur mît des chaînes séparées, Plaute, Les captifs, 110115. 1 2
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Syphax (IIIe s.) et Persée (IIe s.), le cou pris dans des chaînes, précédèrent les chars de triomphe de Scipion et de Paul Émile. À Rome, être chargé de chaînes revêtait une connotation sociologique très péjorative, car cette image correspondait à une marque de culpabilité flagrante1. Les liens étaient surtout l’apanage des esclaves, des voleurs de grand chemin2 et des criminels3. Cette perception infamante4 que génère le port des chaînes se lit aussi dans la captivité des ennemis. C’est peut-être l’une des raisons pour laquelle Rome se désolidarisait complètement du sort de ses captifs afin d’éviter d’être entachée par la honte qui entoure le port des chaînes. Cette connotation négative que revêtent les liens découle directement de la vision de la captivité qui pourtant, comme nous le verrons, varie suivant la condition sociale de la personne. Les chaînes possèdent une signification symbolique et réelle très puissante, évocatrice et surtout sans équivoque. Elles sont synonymes de prison et de dépendance : la personne qui en est chargée est privée de liberté5. L’instant précis où le captif est enchaîné marque concrètement le début de sa captivité et la rend effective en amenuisant toutes ses chances d’échapper à son captivator. Les attaches se justifient dès l’instant où le prisonnier de guerre perd juridiquement son statut de citoyen pour endosser celui d’esclave de l’ennemi. Par conséquent, le port des chaînes reste conforme et répond ou sied absolument à sa nouvelle condition de dépendant. Les liens rapprochent le captif de l’esclave tout en les distinguant nettement de l’homme libre ou, mieux, tout en les opposant radicalement6. En fait, ils sont synonymes de captivité et représentent simultanément un type de traitement infligé au captif. De même, dans la société grecque, comme l’indique P. Ducrey, « les accords conclus pour le règlement par voie juridique des litiges survenus entre cités spécifient parfois l’interdiction faite aux parties contractantes d’enchaîner un homme libre », Le traitement des prisonniers de guerre…, p. 221. 2 Amm. Marc., XIV, 11, 23. 3 Flav. Jos., IV, 628 ; Amm. Marc., XIV, 5, 3. 4 En Grèce, dans la législation de Dracon, les chaînes étaient considérées comme sévices et un châtiment principalement destiné aux esclaves, P. Ducrey, Le traitement…, pp. 220-221. Dans Les captifs (Plaute, 203), Tyndare, qui n’était qu’un prisonnier, déplora le port des chaînes et releva sa connotation mortifiante en disant : « oui mais quel sujet de honte pour nous de porter des chaînes ». Cette connotation négative, intrinsèque au port des chaînes, reste la même sous le Haut-Empire. En Judée, Titus ne manqua pas de faire remarquer à son père qu’« il se doit que l’humiliation de Josèphe lui soit enlevée avec ses fers. Il sera comme quelqu’un qui n’aurait été enchaîné du tout si, non contents d’élargir ses chaînes, nous les brisons », Flav. Jos., IV, 628. 5 Le crocodile enchaîné signifie la défaite de l’Égypte, plus précisément celle de Cléopâtre et d’Antoine, cf. Monnaie IX (Annexe II) ; Ch. Pérez, Monnaie du pouvoir…, p. 90 n. 170. 6 Ne plus porter des chaînes signifie aussi bien se libérer de ses liens que de sa condition d’esclave ou de captif. Lorsque Claude gracia Caratacus et sa famille, Tacite pour marquer leur retour à la liberté, écrit seulement « on fit tomber leurs chaînes », Ann., XII, 37. Dès l’instant où Flavius Josèphe se vit libérer de ses chaînes, il se compara à un « homme libre » au propre comme au figuré, La guerre des Juifs, IV, 629. 1
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Les nombreuses références dans le lexique montrent aussi que les attaches correspondaient à un traitement communément administré aux prisonniers de guerre : indistinctement captifs de marque et captifs anonymes sont chargés de chaînes. L’ancien statut social du captif n’influait aucunement sur le port des chaînes comme forme de traitement contrairement au sexe qui jouait un rôle très actif. En effet, si les hommes étaient systématiquement attachés tel n’était pas le cas des femmes1. Ni dans les textes, ni dans les représentations iconographiques, les captives n’étaient automatiquement gardées dans les fers. En général, sur les monnaies, elles ont les mains libres ainsi que les pieds. Dans sa pose de la femme éplorée, les mains de la captive sont utilisées par les monétaires et les sculpteurs à d’autres fins. Elles sont censées compléter le tableau du désespoir immense de la province défaite et de la femme, ce socle et ciment social. En dehors de cet intérêt esthétique utilisé à des fins politiques et idéologiques, qui est fondamental comme nous l’avons montré, un autre aspect est en même temps souligné, le fait que la femme soit inoffensive. Son appartenance sexuelle l’excluait naturellement des choses afférentes aux activités guerrières. Classée dans la catégorie des noncombattants, la femme était, par conséquent, jugée moins menaçante. Ses mains libres traduisaient plutôt un point distinctif de sa nature, traditionnellement considérée comme inoffensive. Cependant, sur certaines représentations, la captive a les mains liées. Sur une monnaie frappée sous Vespasien pour célébrer la prise de Jérusalem, une femme est dessinée derrière un palmier avec les mains et les pieds liés avec l’inscription IUDAEA DEVICTA. La captive, personnification de la province, dans ses fers traduit les mots gravés sur le revers2. Sur l’arc de Glanum, les femmes, comme les hommes du reste, ont les mains liées en avant ou derrière le dos plutôt pour compléter le tableau de la captivité qui concerne aussi bien les femmes que les hommes. Mais, d’une manière générale, les femmes, de même que les enfants, avaient les mains libres. Sur la colonne aurélienne, les captives apparaissent les mains déliées sur les 7 séquences qui les mettent au premier plan. Leurs mains libres servent à porter leurs bébés, à traîner derrière elles leur enfant ou bien elles sont même utilisées comme écran de protection, bien qu’il soit dérisoire. Les scènes figurant sur cette colonne exhibent des femmes maltraitées. Elles sont bousculées, traînées par les cheveux (image proche de celle qui figure sur le revers de la monnaie II qui affiche un captif traîné par les cheveux par un cavalier avec au droit la tête de la déesse Fides) et séparées de leur progéniture3. Les femmes figurent sur 7 revers de monnaies (sur un total de 21 pièces), sur les 6 elles ont les mains libres (la Monnaie XVIII prête à confusion la captive croise-t-elle expressément ses mains ou a-t-elle les mains liées ?). 2 Cf. Monnaie XVIII de l’Annexe II. 3 Cf. Fragments XV-XVI-XVII-XVIII-XIX-XX-XXI de l’Annexe II. Ces représentations de la colonne aurélienne (180-193 ap. J-C) frappent par leur violence mais aussi par leur différence remarquable avec celles matérialisées sur la colonne trajane (107-112/113 ap. J-C) bien que cette dernière ait servi de modèle à la colonne aurélienne, B. Andreae, L’Art 1
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Les liens participent activement à la dévalorisation et à la déshumanisation du captif, le Barbare par excellence. Chargé de fers, le prisonnier de guerre se rapproche des bêtes féroces qui, à cause du danger naturel et permanent qu’elles incarnent, doivent être impérativement neutralisées. En effet, les attaches témoignent de manière incontestable de la menace que représente celui qui les porte1. Ce tableau de férocité du prisonnier de guerre est complété par le port des entraves2. Le port d’entraves en prison est attesté par un témoignage de Tite-Live3. Au moment de la conjuration avortée des Carthaginois de Sétia en 198 av. J-C, les autorités romaines firent porter aux captifs des entraves pesant au moins 10 livres, par mesure de prudence sûrement, selon le Padouan. Mais les entraves restent absentes dans notre corpus4, ce qui insinue leur rareté : le port d’entraves n’était pas habituellement imposé aux prisonniers de guerre, sauf dans des cas extrêmes dictés par des mesures de sécurité5. Par ailleurs, la qualité des chaînes ne revêt dans le contexte de la captivité aucune valeur réelle qu’elles soient en or, en argent ou en fer parce que ce qui importe véritablement c’est la fonction du lien. Ce dernier signifie la privation de liberté, la soustraction à la communauté des hommes libres et la négation de l’humanité même du prisonnier. Cependant, les auteurs n’hésitent pas à préciser la qualité des chaînes que porte une catégorie de captifs bien déterminée. Velleius Paterculus indique qu’Artavasdés, le roi d’Arménie, fut chargé de chaînes en or6 par Antoine qui s’était emparé de lui de manière tout à dans l’ancienne Rome, dans la collection l’Art et les grandes civilisations, Paris, 1973, p. 207. Sur la colonne trajane aucune femme capturée n’apparaît ; de leur côté, les captifs daces emprisonnés ne subissent aucune forme de violence (cf. A. Malissart, « La colonne trajane », pp. 93-106. Quant aux têtes daces empalées dans des lances romaines nous ne pouvons savoir si elles appartiennent effectivement à des prisonniers (cf. A. Malissart, « La colonne trajane »). Il est loisible de comparer cette attitude clémente avec celle des femmes daces qui s’acharnent sur un prisonnier romain, nu et les mains liées (A. Malissart, « La colonne trajane »). Les images des deux colonnes indiquent, en même temps, une nette aggravation du traitement des captifs en particulier celui des captives. Sur de nombreuses scènes de la colonne aurélienne (que nous avons regroupées afin de mettre en évidence les mauvais traitements dont les femmes font l’objet) les captives barbares figurent au premier plan dans tout leur désespoir, maltraitées par les soldats romains. 1 De nos jours encore, les liens (menottes ou entraves) gardent la même signification, suivant le code pénal, « nul ne peut être soumis au port des menottes ou entraves que s’il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite ». 2 Les entraves sont un instrument mis aux jambes d’un animal pour gêner sa marche afin de le rendre inoffensif. 3 XXXII, 26. 4 Le seul cas fut celui de la reine de Palmyre, au IIIe s. ap. J-C, qui portait des liens en or aux pieds, Hist. Aug., XXIV, 30, 26. 5 Pour punir Tyndare de son subterfuge, Hégion ordonna qu’on lui mît des menottes aux mains et des entraves aux pieds, Plaute, Les captifs, 659 et 945. 6 Toutes les sources ne s’accordent pas sur la qualité des chaînes. Tacite ne la précise pas quand il écrit : « vaincu, Vonone trouve refuge en Arménie, pays alors sans maîtres et dont
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fait irrégulière en l’invitant chez lui. « Ne quid honoris deesset aureis uinxit »1 précise-t-il. L’auteur explique que ces chaînes en or étaient destinées à faire honneur à son ancien rang social. À son tour, Dion Cassius donne aussi la même raison : la qualité précieuse des chaînes avait pour objectif d’atténuer la peine et le caractère honteux qui entachent le port des chaînes. Mais cela n’explique pas alors pourquoi, pendant la procession triomphale, tous les autres rois barbares entre le IIIe s. av. J-C et le Ier s. ap. J-C, Syphax2, Gentius, Jugurtha, ou Caratacus3 et même Persée, un Grec, portèrent des chaînes tout à fait ordinaires, en tout cas, leur nature ne retint point l’attention des sources. La justification se trouve probablement dans la représentation de la richesse de l’Orient dans l’imaginaire du Romain pour qui l’or représentait un indicateur puissant de richesse4. Les rares exemples de captifs aux attaches dorées sont tous originaires d’Orient jusqu’à la reine de Palmyre, Zénobie (272 ap. J-C), qui « avait des entraves d’or aux pieds ainsi que des chaînes d’or aux mains, même son cou était ceint d’un lien d’or que soutenait un bouffon perse »5.
La richesse de l’Orient fut telle que ses rois pouvaient se permettre de se montrer avec des entraves en or6. Pourtant, mise à part cette connotation de richesse, la nature des liens n’atténue aucunement le sens péjoratif des liens. En revanche, elle rehausse pleinement la somptuosité du triomphe. Et, cette consolation que l’or ou l’argent est présumée apporter au captif demeure bien vaine7 dans la mesure où elle ne change en rien sa condition de captif et d’esclave de l’ennemi. En effet, quelle que soit leur nature, les chaînes revêtent une fonction punitive et répressive. Tout en privant de liberté le coupable, en l’occurrence, l’ennemi, elles constituent un moyen de s’en venger. Comme forme de répression, le port des chaînes aggrave ainsi le traitement infligé au la fidélité peu sûre hésitait entre la puissance des Parthes et celle des Romains à cause du crime d’Antoine qui, après avoir, sous prétexte d’amitié, séduit Artavasdés, roi des Arméniens, l’aurait chargé de fers et enfin mis à mort », Ann., II, 3 ; Ann., I, 65. Dion, de son côté, soutient que les chaînes, dont étaient chargées le roi, étaient en argent, XLIX, 39, 4-6. 1 « Pour que rien ne manquât à l’honneur qui lui était dû, ces chaînes étaient d’or », II, 82, 3. 2 Valère Maxime dit seulement que « Syphax et Persée, précédant le char triomphal, avaient des chaînes qui enserraient leur cou », « catenae ceruices », VI, 2, 3. 3 Tacite indique sobrement « uinclis absolutis », Ann., XII, 37, 4. 4 C.-F. Prévotat, « L’or de la fin de la République romaine. Représentation, valeur symbolique », in L’or dans l’Antiquité de la mine à l’objet sous la direction de B. Cauvet, Aquitania 1999, p. 464. Elle souligne les nombreuses occurrences relevées dans les textes de Cicéron qui montrent les rapports directs entre l’or et la richesse, pp. 457-466. 5 « Uincti erant praeterea pedes auro, manus etiam catenis aureis, nec collo aureum uinculum deerat, quod scurra persicus praeferebat », Hist. Aug., XXIV, 30. 6 Cette même connotation de richesse attribuée au port des chaînes en or est relevée par Hérodote mais chez les Éthiopiens. Ils étaient si riches que « les prisonniers étaient attachés avec des entraves en or », indique-t-il, Histoires, III, 23. 7 Au IVe s, Ammien Marcellin fournit exactement les mêmes informations dans le cas d’Arsace II qui fut pris et chargé de chaînes d’argent par le roi Sapor, XXVII, 12.
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captif. En effet, elles sont aussi causes de blessures et de plaies1 pour le prisonnier de guerre. Ce dernier, qu’il se déplace ou reste immobile, endure une gêne qui peut aller jusqu’à une douleur intenable au moindre petit geste. Ainsi l’existence des liens constitue, outre un obstacle à toute tentative d’évasion, une raison pour laquelle la masse musculaire des captifs est si intensément contractée et si savamment exploitée par l’iconographie romaine. Cette contraction n’est, au bout du compte, qu’une contorsion sous la douleur, complétée par un visage déformé par la colère mais aussi par la souffrance. Ces nouvelles indications, tirées de l’analyse des textes, renforcent la cohérence du discours iconographique mais révèlent aussi son fondement réel.
1 D. E. Vermeesch, « Entraves de Famechon », Revue Archéologique de l’Oise 8, 1976, p. 12 ; L. Armand-Calliatot et A. Audin, op. cit., RAE 13, 1962, pp. 36-37.
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Chapitre VIII
LES CAPTIFS SUR L’ÉCHIQUIER INTERNATIONAL Sur l’échiquier de la guerre, le prisonnier, loin d’être seulement un agent passif, place que lui assigne naturellement sa condition d’« esclave de l’ennemi », assurait quelquefois des fonctions fondamentales qui lui conféraient un rôle déterminant dans l’acquisition de la victoire par l’ennemi. Nous examinerons dans ce chapitre le rôle du captif dans la guerre à travers le dispositif militaire et la stratégie de l’adversaire. L’utilité du prisonnier de guerre se lit sur plusieurs niveaux : - Il est source de profits d’ordre économique et matériel souvent nécessaires à la poursuite des opérations militaires. - Il constitue aussi une force de travail très accessible et utile puisqu’il fournit à l’ennemi une main-d’œuvre gratuite et quelquefois qualifiée. - Il représente également une source d’informations parfois capitale pour contrecarrer les plans de l’adversaire. - Il est encore utilisé comme pion pour renforcer ou nouer des alliances sur l’échiquier de la diplomatie. Dans les faits, l’intérêt que représente le prisonnier de guerre aux yeux de son captivator dépasse, souvent, sa qualité de butin1 ou de chose seulement convertible en numéraire. En effet, son utilité embrasse toute sa personne du moment que, aussi bien son physique, son intellect que son ancienne position sociale sont exploités et mis, gratuitement, aux services du conquérant. I. Le captif, une source de revenus et une force de travail Le butin faisait de la guerre un excellent moyen d’acquisition de gloire et de richesses. « Warfare played a central role in the economies of all ancient states »2. Comme le fait remarquer Z. Yavetz, « the Romans were enriched first and foremost by spoils and plunder »3. Les captifs, composantes essentielles de la praeda, constituaient ainsi un puissant générateur de revenus. Toutefois, la praeda posait elle-même un problème logistique sérieux aux vainqueurs, surtout lorsque la guerre se poursuivait encore4. Elle pouvait représenter une gêne réelle5 aux déplacements et surtout à la progression rapide des troupes qui non Sur la définition de la praeda et la place des prisonniers de guerre, supra pp. 71-77. G. Woolf, « Roman peace », War and society in the Roman world, p. 171. L. Montesquieu, au premier chapitre des Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, relève que « la guerre était toujours agréable au peuple, parce que par la sage distribution du butin, on aurait trouvé le moyen de la lui rendre utile », Paris, éd. Jullian, 1900. 3 Slaves and slavery, p. 5. Octave se servit du butin conquis sur les Dalmates pour bâtir une librairie et pour reconstruire la portique Octavia, du nom de sa sœur, Dion, LXIX, 43, 8. 4 Les problèmes logistiques sont abordés supra pp. 150-151. 5 Tacite explique le début des déconvenues de Tacfarinas par l’embarras du butin qui l’empêchait de poursuivre sa tactique qui consistait à se déplacer tout le temps fatiguant ainsi les troupes romaines, Ann., III, 21. 1 2
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seulement devaient transporter le matériel militaire, mais encore s’occuper des captifs pour faire face à tout acte d’insubordination et assurer la sécurité des troupes1. Aux yeux du captivator, le meilleur moyen de se débarrasser des prisonniers de guerre, tout en en tirant profit, restait, bien sûr, la vente.
1. Le captif : une source de revenus La vente des captifs n’est pas souvent évoquée par les auteurs du corpus. Absente chez certains, cette opération lucrative reste à peine effleurée par d’autres2. Velleius Paterculus3 qui a, dans tout son ouvrage, évoqué les guerres entreprises par Rome de la République à l’Empire, n’a pas abordé la vente des prisonniers de guerre ni après la prise d’une ville, ni à la suite d’une bataille. Quant à Florus, il y fait à peine allusion. Après la victoire d’Auguste sur les Espagnols, en 25 ap. J-C, il mentionne, laconiquement, que l’empereur mit en vente tous les captifs après en avoir choisi un certain nombre pour en faire des otages4. Tacite évoque, rapidement, la vente des prisonniers de guerre helvètes à la suite de leur insurrection. N’ayant pas été mis au courant de la mort de Galba (tué le 15 Janvier 69 ap. J-C), les Helvètes refusèrent de reconnaître Vitellius comme empereur et s’insurgèrent contre Caecina. Après l’affrontement qui les opposa aux forces de Vitellius, plusieurs milliers d’Helvètes révoltés furent pris et vendus5. Tacite fait, brièvement, allusion à ce sujet à propos de Crémone, en pleine guerre civile, lorsque les soldats romains mirent en vente les habitants rachetés par leur parentèle alors que, dans ce contexte particulier et selon les règles militaires, les captifs ne devaient, en aucun cas, être convertis en butin6. Ce silence ou ces indications brèves et parcimonieuses, loin de signifier l’absence ou la rareté de cette pratique lucrative dans l’armée romaine, en vérité, découlent fondamentalement du centre d’intérêt des auteurs et révèlent leur choix. L’attention particulière accordée à une catégorie de prisonniers de guerre, à savoir les captifs de marque, amoindrit lourdement les informations relatives à la mise en vente. Effectivement, les insignis captivi ne faisaient pas souvent, juste après leur capture, l’objet de vente, d’où par conséquent, le silence fréquent des sources du corpus. De fait, l’écoulement des captifs correspondait à une opération déterminante dans la guerre. Elle agissait tant au niveau stratégique qu’au niveau économique et suivait parfois automatiquement la victoire sur l’ennemi. La mise en vente des prisonniers de guerre représente une stratégie militaire pour faire face aux problèmes que posent leur entretien et leur garde, plus précisément l’insécurité et le ravitaillement en vivres. Elle reste le meilleur En revanche, s’il s’agissait d’une victoire qui marquait la fin de la guerre, le butin était parqué dans une ville-entrepôt ou dans un endroit en attendant son embarquement pour Rome. 2 Cf. Tableau V de l’Annexe I. 3 Il ne fait part que du rachat de César, capturé par les pirates, II, 42. 4 II, 33. 5 Hist., I, 68. 6 Hist., III, 34. 1
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moyen pour se débarrasser du butin humain, animal et matériel. En Arménie, après la prise de Volande, les troupes de Corbulon ne s’encombrèrent point de captifs. Elles mirent plutôt en vente « la foule impropre au service »1, tandis que les adultes furent passés au fil de l’épée. À aucun moment, Tacite ne fait allusion à d’éventuels prisonniers de guerre envoyés à Rome. Dans certains cas, pour des raisons stratégiques, l’armée ne disposait pas de temps suffisant pour procéder au tri ou à la répartition du butin puisqu’elle devait poursuivre sa marche et ses combats, d’où la nécessité de se débarrasser de toutes formes d’encombrement superflu. Cette méthode se révélait d’autant plus efficace qu’elle permettait de se séparer de l’ennemi défait, à l’instar de la liquidation physique. Mais, contrairement à cette dernière solution radicale, l’écoulement des captifs générait des devises substantielles et précieuses non seulement pour le bon fonctionnement de l’armée, la conduite, la poursuite et la réussite des opérations guerrières, mais également pour le renflouement des caisses de l’État romain. D’ailleurs, le général possédait le droit de faire des prélèvements sur le butin en vue de la bonne marche de l’armée pour payer les soldes et pour motiver ses hommes. Ainsi la vente était le sort qui attendait la majorité des captifs. Quelquefois il arrivait même que toute une population fût mise en vente. Deux verbes sont employés pour traduire le fait de vendre les prisonniers de guerre : vendere et venundare. Tous les deux signifient vendre, mais le second est plus précis puisqu’il s’emploie dans les cas spécifiques de vente d’esclaves ou de prisonniers de guerre. On retrouve aussi ces deux lexèmes dans des expressions techniques et commerciales telles que « sub corona vendere »2 et « sub hasta vendere » ou « sub hasta venundare ». Ces tournures idiomatiques mettent l’accent sur le déroulement de la vente et le décrivent. « Sub hasta vendere » s’appuie sur un objet symbolique, la hasta, qui charge de sens l’expression. La hasta ou la lance renvoyait à un signe de butin conquis3 or, pour montrer la nature publique de la vente, une pique était enfoncée dans la terre afin de signaler que les captifs étaient mis en vente comme du butin. Cette lance désignait également l’instrument par lequel l’ennemi s’était retrouvé pris et mis en vente, d’où l’expression « pris au bout de la lance ». Quant au syntagme « sub corona vendere », l’auteur des Nuits Attiques donne deux explications très claires.
Ann., XIII, 39. La couronne n’était pas seulement un objet de récompense ou une marque d’affection mais servait également à décorer les victimes avant le sacrifice. Les prisonniers de guerre, aussi, en portaient, parfois, en marque de supplication, une coutume qui, très vite, disparut selon P. Leuregans, « … achats sous la couronne d’esclaves… », Hommages à G. Boulvert, Index 15, pp. 203-204. 3 L’emploi de « sub hasta vendere » est moins fréquent que celui de « sub corona vendere ». 1 2
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Mariama Gueye « Depuis l’Antiquité », écrit-il, « les esclaves pris par le droit de la guerre étaient vendus la tête couronnée, et c’est pourquoi l’on disait qu’ils étaient vendus sous la couronne »1.
La couronne était donc la marque distinctive des prisonniers de guerre à vendre, fournit-il comme première explication. Quant à la seconde, il indique que : « il y a une autre opinion sur la raison pour laquelle on a l’habitude de dire que les captifs étaient vendus sous la couronne, c’est que les soldats entouraient les troupes de prisonniers à vendre pour les garder, et ce cercle de soldats montant la garde s’est appelé couronne »2.
Nous avons retrouvé le second sens de « couronne » chez Tacite3, ce qui, peut-être, signifie que le premier a dû se perdre avec le temps au profit du second. Le rituel qu’exigeait le couronnement de la tête de tous les captifs ne pouvait être scrupuleusement respecté compte tenu de leur nombre (qui, avec le temps, dut augmenter considérablement) et des risques de retarder la progression des troupes, parfois pressées par le temps. La deuxième signification qui se rapporte à la sécurité est plutôt liée aux difficultés que posait la garde des captifs. Le cordon de surveillants tissé autour des prisonniers de guerre reste une nécessité pour prévenir les tentatives d’évasion. Par conséquent, la seconde signification épouse mieux les mesures de précaution qu’exigeait la détention des captifs. L’organisation et le déroulement des ventes publiques sont évoqués par les textes anciens, mais ils laissent entier le problème des captifs amenés à Rome pour le triomphe. Il s’agit plus particulièrement de ceux qui étaient d’origine obscure et qui n’étaient pas utilisés comme fleurons de la victoire ou comme otages. La vente devait sûrement s’effectuer à Rome, mais dans le cas contraire que devenait cette catégorie de captifs après la procession triomphale ? L’État romain pouvait-il se permettre de les entretenir gratuitement dans la mesure où ces prisonniers de guerre pouvaient atteindre un nombre très élevé ? Deux solutions s’offraient aux Romains : soit convertir ces captifs en esclaves publics, soit les vendre pour en faire des esclaves privés. Ni Appien, ni Flavius Josèphe ne précisent exactement ce que devinrent les nombreux captifs de Scipion et de Titus après les processions triomphales. Flavius Josèphe ne livre des indications que sur les deux chefs de la rébellion, Simon de Gioras et Jean de Gishala. Mais qu’advint-il des 688 prisonniers restants ? Furent-ils vendus ou déclarés esclaves publics ? La vente, « Sicuti, inquit, antiquitus mancipia iure belli capta coronis induta ueniebant et idcirco dicebantur “sub corona” uenire. Namque ut ea corona signum erat captiuorum uenalium », VI, 4, 3. 2 « Est autem alia rationis opinio cur dici solitum sit captiuos “sub corona” uenundari, quod milites custodiae causa captiuorum uenalium greges circumstarent eaque circumstatio militum “corona” appellata sit », VI, 4, 4 ; H. Wallon, Histoire de l’esclavage dans l’Antiquité, Paris, 1988, p. 384. 3 Les Vitélliens, défaits à Rome, se remirent à Primis Antonius. Ces troupes les entourèrent d’une couronne de gardes afin de les surveiller ; la preuve, dès que ceux qui tentèrent de réagir contre les sarcasmes de la foule, osèrent rompre le cordon, ils furent abattus sur le champ, Hist., IV, 2. 1
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dans ces situations précises, correspondait à une solution applicable à tous les captifs et ne soulevait aucun obstacle logistique étant donné que le marché des esclaves à Rome se trouvait juste à l’angle du Forum, près du temple de Castor et de Pollux. Cette solution pouvait se révéler d’autant plus alléchante que le prix de ces captifs triés sur le volet devait être élevé, du moins supérieur à celui des prisonniers de guerre mis en vente juste après la victoire1. Les mangones ou marchands d’esclaves2 qui suivaient parfois le déplacement des troupes3 tiraient plus profit de ces circonstances où l’armée était pressée de se débarrasser de ses prisonniers qui atteignaient quelquefois des proportions extrêmement élevées4. Prenons seulement quelques chiffres entre le IIIe s. av. J-C et le Ier s. ap. J-C pour mettre en évidence leur nombre important (des chiffres sûrement exagérés). À la suite de la première guerre punique, 27 000 Carthaginois furent pris et vendus5 ; après la capture de Tarente en 209 av. J-C, 30 000 Tarentins furent écoulés ; en 177 av. J-C, en Sardaigne, 20 000 Sardes furent mis en vente6 ; en 167 av. J-C, à la suite de la IIIe guerre de Macédoine, 150 000 Épirotes furent vendus7 ; en 146 av. J-C, après la prise et la destruction de Carthage, 50 000 Carthaginois furent mis en vente8 ; en 104 av. J-C, 140 000 Cimbres et Teutons furent vendus ; en 57 av. J-C, César fit vendre 53 000 Atuatuques9 ; en 67 ap. J-C, Vespasien mit en vente 30 400 prisonniers de guerre juifs après la prise de Tarichée en Galilée10. De prime abord, nous pouvons remarquer que les informations se concentrent entre le IIIe s. et le Ier s. av. J-C. À partir des chiffres présentés nous constatons que les textes mettent l’accent sur le nombre très élevé d’ennemis réduits en captivité, une captivité qui pouvait frapper toute une population. À partir du Ier s. ap. J.-C., les textes s’intéressent beaucoup moins à cet aspect de la guerre, l’asservissement massif de captifs. Toutefois, peut-on se fonder sur
À l’époque de Martial (X, 31) le prix d’un bel esclave pouvait atteindre 100 000 à 200 000 sesterces, M. Garrido-Hory, Martial et l’esclavage, Annales littéraires de l’Université de Besançon, 1981, p. 113. 2 Cés., G. G., IV, 2. 3 Id., ibid., IV, 2. 4 Il n’existe, à notre connaissance, aucune structure organisée pour la vente des prisonniers de guerre. 5 Eutrope, II, 21 ; Orose, IV, 8, 7. 6 Ce nombre élevé de Sardes fit chuter le cours du marché des esclaves d’où l’expression « bon marché comme un Sarde ». Le nombre de Sardes, pris et vendus, n’étant pas plus élevé que celui d’autres peuples (Épirotes ou Carthaginois), le prix d’achat d’un esclave au cours du IIe s. av. J-C devait être plutôt bas. 7 T.-L., I, 8. 8 Appien, Libyca, 129. 9 Cés., G. G., II, 33, il mentionne qu’il sut par les acheteurs que le nombre de têtes était de 53 000, ce qui montre la présence auprès de César des marchands d’esclaves. En Gaule, le général romain fit un million de captifs selon Plutarque, (Cés., XV), quant à Velleius Paterculus, il avance le chiffre de 400 000. 10 Flav. Jos., La Guerre…, III, 539-541. 1
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leur silence pour conclure que l’asservissement par la captivité a baissé1 ? L’analyse de notre corpus témoigne du silence évident des sources. Velleius Paterculus, Valère Maxime et Florus ont voulu retracer toute l’histoire romaine depuis les origines jusqu’au début de l’Empire. Mais ni Valère Maxime2 ni Florus ne se focalisent sur le nombre de captifs faits à la suite des nombreuses confrontations dont il est souvent question dans leurs textes. Velleius Paterculus reste le seul à fournir des chiffres qui, toutefois, datent tous de l’époque républicaine3. Quant à Tacite, qui pourtant relate les conflits du Ier s. ap. J-C parmi lesquels la guerre de Judée, il ne fournit aucune indication sur le nombre de captifs. Pourtant son silence ne signifie pas que des Juifs ne furent pas capturés à la suite de ces nombreux affrontements puisque Flavius Josèphe donne le bilan de la guerre de Judée. Ce tableau s’avère très sombre, et pourtant Tacite le passe sous silence4. À partir des rares chiffres que livrent les sources de manière épisodique, il reste très difficile de conclure avec certitude que l’asservissement des captifs baissa. Mais le ralentissement de l’activité militaire sous le Haut-Empire permet de le supposer5. Nous ne disposons pas de source comparable à Tite-Live sur le Haut-Empire pour établir des comparaisons concluantes. Florus souligne lui-même que sous Auguste le temple de Janus ferma ses portes à deux reprises. Bref, il est difficile d’établir une courbe de variation de l’intensité de l’asservissement par la vente en période de guerre entre le IIIe s. av. J-C et le Ier s. ap. J-C. Néanmoins, les chiffres indiquent qu’entre les IIIe et le IIe s. av. J-C le nombre de prisonniers mis en vente fut sans précédent. D’un autre côté, il reste intéressant de constater la rareté ou l’absence de corrélation entre le nombre de captifs et leur vente ce qui donne ainsi l’impression que cette opération financière était la seule, ou du moins la forme d’asservissement la plus courante. À partir du Ier s. ap. J-C, les auteurs tels que Tacite et Flavius Josèphe le font rarement ou s’abstiennent d’établir ce rapport entre captivité et vente. Certes, Flavius Josèphe met l’accent sur le nombre élevé des prisonniers juifs faits à la suite des affrontements dans les villes ou sur les champs de bataille, en revanche, au moment de la répartition des captifs, après la prise de Jérusalem, il insiste plus sur d’autres formes de traitement que sur la vente. Il répartit les captifs entre la gladiature, les travaux d’Égypte et le V. I. Kuzicšin constate une baisse de l’asservissement en comparant le manque d’intérêt de Dion Cassius et de Suétone aux données denses que fournissent Polybe, Cicéron, Tite-Live et Diodore. « Of course the enslavement of captivi had continued in the Ist and the IIsnd cent. A.D., in spite of these theoretical opinions, but probably the intensity of this process was diminished » conclut l’historien, « captivi and non captivi… », pp. 56-57. 2 Il précise plutôt le nombre de prisonniers romains (6 000) faits à Trasimène pour souligner surtout l’état désastreux dans lequel se trouvait l’armée romaine, I, 6, 6. 3 II, 12 ; II, 23 ; II, 47. En revanche, aucune indication n’est donnée sur le bilan des guerres en Pannonie ou en Dalmatie, II, 114. 4 Tacite souligne plutôt la division qui régnait dans le camp juif, Histoires, V, 12. 5 E. Hermann-Otto, « Modes d’acquisition des esclaves dans l’Empire romain… », Routes et marchés d’esclaves, pp. 116-118. 1
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triomphe1. L’introduction de ces différentes voies d’asservissement fit baisser le nombre écrasant de captifs conduits au marché. L’apport financier de cette masse servile mise en vente reste dans ces cas étroitement lié au nombre de captifs. Mais l’état des sources ne permet pas non plus de préciser le prix par tête pendant la vente publique et de connaître, par ce truchement, le prix moyen des captifs ni de comparer les prix de vente aux montants des rançons négociées par les gouvernements et par les familles des prisonniers2. Nous supposons seulement que, compte tenu des impératifs des campagnes militaires, l’embarras et les contrariétés qu’entraînaient l’entretien d’un nombre élevé de prisonniers, l’espace qu’ils devaient occuper, influaient certainement sur le cours du marché. Les prix pratiqués pendant la vente publique devaient être plus bas, mais nous ne disposons pas de chiffres pour le certifier. Au cours de la première guerre punique, les prisonniers romains faits à Palerme, en 254 av. J-C, coûtèrent chacun 200 drachmes3 en revanche, les captifs puniques faits aux îles Aegates, en 241 av. J-C, ne valurent que la somme dérisoire de 18 deniers4. En 217, les Carthaginois et Fabius Cunctator « avaient convenu que la partie qui recevrait plus qu’elle n’en donnait paierait deux livres et demi par soldat »5. Les Romains reçurent 240 captifs de plus que les Carthaginois. Le montant de la rançon s’élevait alors à 590 livres d’argent. À la suite du désastre de Cannes, Hannibal fixa le prix de chaque soldat capturé suivant son grade : 100 deniers pour un esclave ; 300 pour un fantassin et 500 pour un cavalier au quadrige6 alors que quelques jours avant, il avait exigé une rançon moins élevée7. En 194 av. J-C, Flamininus les fit rechercher et libérer. Le montant fut alors de 600 000 deniers, soit 100 talents, soit 500 deniers par tête, le nombre de prisonniers romains en Achaïe s’élevait à 1 200 ; en revanche, Valère Maxime avance le chiffre de 2 000 sans préciser la
Néanmoins, après la capture de Tarichée en 67 ap. J-C, il précise que 30 400 prisonniers ont été vendus, III, 539. 2 Des problèmes semblables se posèrent aussi en Grèce ancienne. Après avoir discuté les suggestions de M. H. Hansen qui croit que « it was more advantageous to allow a prisoner to be ransomed than to be sold » (Aspects of athenian society in the fourth century B.C., Odense, 1975, p. 32) et de W. K. Pritchett, qui pense que « when prices were paid according to a convention recognized in advance, the sums for either belligerent were lower than the commercial value of slaves » (The Greek state at war, vol. V, Berckley and Los Angeles, 1991, p. 253), D. Whitehead, conclut que « we do not have the evidence to test or control such suggestions », (« Le prix de la libération des prisonniers de guerre », Esclavage, guerre, économie en Grèce ancienne, Hommages à Yvon Garlan, Presses Universitaires de Rennes, 1997, p. 145). 3 Diod., XXIII, 18, 3-5. 4 Pol., I, 63, 1 ; T.-L., XXI, 41 ; S. Lancel, Carthage, Paris, Fayard, 1992, p. 389. 5 T.-L., XXII, 23. Plutarque avance le montant de 250 drachmes par tête au lieu de 210, Vie de Fabius, VII, 5-6. 6 T.-L., XXII, 58. 7 Juste après la reddition de ces soldats, Hannibal avait fixé les rançons de la manière suivante : 300 deniers pour les cavaliers romains, 200 deniers pour les alliés et 100 deniers pour les esclaves, T.-L., XXII, 52. 1
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somme d’argent exigée1. Le 17 décembre 51 av. J-C, Cicéron écrit lui-même que, après sa victoire en Cilicie, la vente des captifs du Pindénissus rapporta 120 000 sesterces2. La courbe des prix variait profondément et la nature fragmentaire (aucune des sources étudiées ne donne des précisions sur les prix pratiqués sous le Haut-Empire), contradictoire et rare des indications que livrent les sources rendent vaine et discutable toute démarche pour la suivre et pour l’établir. Le prix moyen du captif, au cours de la République (qui semble être d’après les chiffres à notre disposition de 200 drachmes environ), reste difficile à évaluer et rend conjecturales les tentatives. Néanmoins, l’on peut constater que les prix changeaient en fonction de la guerre, des circonstances de la vente (elle pouvait se faire aux niveaux public, privé ou diplomatique sous la forme de rançon), de l’ancienne position sociale du prisonnier de guerre et, sûrement, de ses qualités physiques3. Le profit tiré du captif pouvait aussi revêtir une autre forme, à savoir son exploitation comme force de travail. Le savoir-faire du prisonnier de guerre était alors mis au service du conquérant.
2. Le captif : une force de travail gratuite L’exploitation physique du prisonnier de guerre débutait dès son arrivée dans le camp ennemi ou après l’opération du tri. Parmi les captifs, certains étaient employés immédiatement comme ouvriers. Juste après la prise de Jérusalem en 70 ap. J-C, Titus envoya en Égypte une partie des captifs, notamment ceux qui étaient âgés de plus de dix-sept ans, pour des travaux d’amélioration du système des canaux4. Auparavant, après la défaite de Tarichée en 67 ap. J-C, Vespasien expédia 6 000 jeunes prisonniers de guerre à Corinthe où l’empereur Néron5 avait engagé des travaux de creusement du canal à l’Isthme. Le contingent de captifs, jeunes et vigoureux, que délégua le général devait renforcer les équipes des prétoriens. Suétone ne fait pas allusion à la présence de ces nombreux captifs juifs envoyés pour le percement du canal. Il ne rapporte que la présence de Néron qui donna, en personne, les premiers coups de pioche6.
1 Un tel chiffre élèverait la rançon à plus de 166 talents au lieu de 100 comme l’indique TiteLive. 2 Att., V, 20, 5, soit la somme de 30 000 deniers. 3 J. Schmidt cite parmi les critères la personnalité, le talent, l’éducation, les qualités intellectuelles et morales de l’esclave, Vie et mort des esclaves dans la Rome antique, Paris, 1973, p. 41. Mais ces dernières aptitudes ne pouvaient être prises en compte lorsqu’il s’agit d’un captif mis en vente. 4 Flavius Josèphe, La Guerre…, VI, 416-419. Ces travaux entrepris sous le règne de Vespasien se poursuivirent sous Domitien. 5 Ibid., III, 539-541. 6 Pour donner l’exemple aux prétoriens, il remplit de terre une hotte et l’emporta sur ses épaules, Suétone, Néron, 19.
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L’autre volet de l’utilisation du savoir-faire des prisonniers était l’enrôlement. Les généraux romains incorporaient-ils dans l’armée des prisonniers comme soldats malgré tous les risques évidents qu’une telle initiative pouvait comporter1 ? Aucune source de notre corpus n’en fait état. Ni Tacite, ni Flavius Josèphe, qui constituent des sources fondamentales pour le premier siècle de notre ère, ne font allusion à l’enrôlement des prisonniers de guerre comme soldats. De plus, les études faites sur le rôle des Barbares dans l’armée romaine ne mentionnent pas distinctement la présence de prisonniers de guerre mais plutôt celle d’esclaves2. L’exemple qui revient souvent est celui des captifs ibères de Carthagène pris par Scipion en 209 av. J-C. Après la prise de la ville, l’imperator incorpora dans ses équipages 2 000 ouvriers et artisans ibères en leur promettant la liberté en cas de victoire s’ils se montraient dévoués. Il s’agit d’un cas exceptionnel qu’expliquent aisément les circonstances. En effet, Scipion venait de prendre aux Carthaginois 18 navires qu’il avait ajoutés à sa flotte. Ces machines de guerre capturées nécessitaient un équipage ce qui contraignit le général romain à se tourner vers les Ibères sous son pouvoir. Toutefois, il faut préciser que ces prisonniers ibères n’étaient pas enrôlés dans l’armée de terre mais dans la marine, section méprisée « où étaient envoyés les plus démunis et ceux qui étaient punis »3 et seulement en qualité de rameurs non en tant que combattants. Si, à partir des textes du corpus, rien ne permet d’attester avec certitude que les prisonniers de guerre étaient automatiquement enrôlés dans l’armée romaine, en revanche, il est sûr que leurs connaissances en matière d’art, de techniques et de tactique militaires étaient quelquefois directement mises à profit. Les indications livrées par les prisonniers de guerre prenaient parfois la forme d’enseignements. Ils étaient alors utilisés pour instruire leurs ennemis. Les leçons touchaient principalement l’art militaire, c’est-à-dire l’usage et/ou la conception d’armes et de machines de guerre, l’apprentissage de nouvelles stratégies militaires et de techniques des sièges, la construction de remparts ou de tours… César lui-même indique que les Nerviens apprirent, au contact des prisonniers romains, la construction de remparts, de tortues et de tours4. À sa V. I. Kuzišcin, sans préciser ses sources, pense que « in I-II cent. A.D. was started the recruitment of slaves as the soldiers of Roman armies. However during I-II cent. A.D, this experience was utilised otherwise : the Empire included the recent captivi warriors in auxilia (without enslaving) », « Captivi and non captivi slaves in Ancient Rome », p. 60. 2 Cf. N. Rouland, Ab omni militia servi prohibantur…, Dig. XLIX, 16, 11, Marcien. Les esclaves romains en temps de guerre, Aix-en-Provence, 1975 et P. Jal, « Le rôle des Barbares dans les guerres civiles de Rome, de Sylla à Vespasien », Latomus XXI, 1962, pp. 8-48. Dans Les Saturnales (texte traduit par Ch. Guittard, Paris, 1997, I, 11, 30-32), Macrobe revient sur toutes les fois que Rome dut recourir à l’aide de ses esclaves pour combattre l’ennemi pendant les guerres puniques et pendant la guerre sociale. 3 N. Rouland a déjà montré que les Romains éprouvaient un certain mépris envers la marine, op. cit., pp. 72-82. 4 G. G., V, 42. 1
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suite, Tacite mentionne que les Transrhénans et les Bataves n’avaient aucun savoir-faire en matière d’art militaire1. En 69 ap. J-C, pendant le siège de Vetera Castra, en Germanie, les troupes bataves de Civilis apprirent des prisonniers romains et des déserteurs « à construire en bois de charpente une sorte de pont puis à le monter sur des roues et à le pousser en avant »2.
Tacite ne précise pas ce que faisaient certains soldats de Varus dans l’armée chatte lorsqu’ils furent délivrés, après quarante ans de servitude, par les troupes du légat P. Pomponius en Germanie Supérieure3. Servaient-ils de manœuvres ou de techniciens dans l’armée chatte ? L’auteur des Annales révèle également que les Arméniens et les Parthes découvrirent l’usage des machines de guerre et la technique des sièges, la partie de l’art militaire que les Romains connaissaient le mieux, au contact des prisonniers de guerre romains4. Certes, ces différents témoignages visent à mettre en relief l’ignorance de ces peuples, un trait caractéristique de la barbarie, ou du moins la supériorité technique de l’armée romaine, mais ils font également ressortir le courant d’échanges qui passait nécessairement entre les captivi et leurs captivatores. Ces rapports d’échanges, fondés sur le transfert de connaissances et d’expériences militaires5 et dans lesquels les prisonniers de guerre représentaient des vecteurs actifs quoiqu’ils fussent pressurés, se révélaient enrichissants surtout lorsqu’ils dépassaient le cadre militaire pour embrasser le domaine socio-culturel. Entre les mains du vainqueur, le captif est naturellement exploité, mais en retour il apprend à découvrir l’ennemi à travers la langue, les mœurs et les coutumes. Les connaissances en art militaire des captifs romains étaient certes mises à profit par les Barbares, mais, en contrepartie, leur séjour forcé leur offrait l’opportunité de connaître le Barbaricum. Libéré par Scipion, au cours de la seconde guerre punique, Terentius Culleo, qui avait acquis des connaissances diverses au contact des Carthaginois, fut à maintes reprises consulté par le sénat pour les négociations de paix entre Carthage et Rome6. C’est ainsi qu’en 196 av. 1 Mais Tacite ne fait pas jouer aux prisonniers barbares, entre les mains des Romains, le rôle d’« agents de renseignement » ni dans les Histoires ni dans les Annales. 2 Hist., IV, 23. La captivité, comme l’enrôlement d’esclaves barbares, en période de guerre civile, mettait les Barbares en contact avec les techniques romaines d’où le danger que représentaient, souvent, les révoltes animées par les rebelles barbares qui auparavant faisaient partie de l’armée romaine et l’amertume des Romains qui voyaient en eux des traîtres et des brigands. 3 Tac., Ann., XII, 27, 3. 4 Hist., XII, 45. 5 J. Kolendo relève la monnaie versée pour les rançons comme un lien de contact et d’échange avec l’autre, « Le rachat des captifs romains », pp. 116-117. Il a axé ses études sur l’Europe centrale et il suppose même que, l’apparition de la céramique dans le Sud de la Pologne au début du IIIe s. est liée à l’afflux des prisonniers à la suite des guerres marcomanes, « Les influences de Rome sur les peuples de l’Europe centrale habitant loin des frontières de l’Empire. L’exemple du territoire de la Pologne », Klio 63, 1981, pp. 453462. 6 T.-L., XXXIII, 47, 7 ; J. Gagé, « Les clientèles triomphales… », pp. 7-10.
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J-C, l’ancien prisonnier de Carthage fut sollicité, de nouveau, par le sénat pour régler les conflits entre les Puniques et Massinissa. II. Le captif sur l’échiquier militaire et diplomatique
1. Le captif dans le dispositif du renseignement militaire L’utilisation des prisonniers de guerre comme informateurs pose le problème de l’implication du captif dans le « renseignement » militaire et son importance stratégique en période de conflit. Elle est attestée par les sources. Les textes du corpus mettent l’accent sur le rôle des captifs en tant que témoins. Tacite donne la parole aux prisonniers de guerre romains qui s’étaient échappés après le désastre de Varus en 9 ap. J-C. Ils indiquèrent eux-mêmes à Germanicus et à ses hommes les lieux où s’étaient produits les affrontements et toutes les péripéties par lesquelles étaient passées les troupes romaines, quels traitements atroces et humiliants Arminius fit subir à certains d’entre eux avant de les faire crucifier. « Ici sont tombés les légats ; là, les aigles ont été prises ; ici le premier coup a été porté à Varus ; là, il a trouvé la mort en se frappant lui-même de sa main, l’infortuné », racontèrent-ils1.
La qualité de témoin du captif qui découle naturellement de sa situation de rescapé et de survivant lui attribuait une valeur stratégique ambivalente, précieuse aux yeux de son captivator et dangereuse pour ses compatriotes2. Les aléas de la guerre transforment le captif-témoin en un véritable réceptacle d’informations provenant aussi bien de son propre camp que de celui de l’ennemi, d’où par conséquent la menace qu’il représentait parfois. En 21 ap. J-C, Sacrovir, le chef de la révolte gauloise, fut démasqué à cause des prisonniers gaulois. Ces derniers aidèrent les Romains à le prendre à son propre jeu : Sacrovir feignait de faire la guerre aux côtés des Romains tout en animant l’insurrection gauloise. Découvert, il se donna la mort afin d’échapper à la captivité et à ses corollaires3. Sa connaissance du milieu naturel, de l’organisation, des menées ou projections de son armée rendent le captif très utile à l’ennemi. Mais, bien entendu, sa maîtrise des plans de son armée dépend étroitement de son ancienne position ou de son grade. Ces atouts sont largement explorés et mis à profit par les vainqueurs de deux manières principalement : les captifs sont utilisés en qualité de guides ou en tant qu’informateurs. L’exploration et l’exploitation des connaissances stratégiques des prisonniers de guerre par Rome, en période de conflit, furent pratiquées aussi bien pendant la République (particulièrement au cours des campagnes Tacite, Ann., I, 61. Le chef des Marses, Mallovend, qui se trouvait sous le pouvoir romain, indiqua à Germanicus l’endroit où avait été enterré et gardé l’aigle d’une des légions de Varus, Tac., Ann., II, 25. 3 Tac., Ann., III, 41. 1 2
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césariennes) que sous le Haut-Empire et même au quatrième siècle par le césar Julien comme l’établit le témoignage d’Ammien Marcellin1. Il s’agit d’une tactique militaire efficace et parfois nécessaire. « Tactical intelligence, once hostilities have broken out, always required the exploitation of as many different types of collectors as possible both Roman and non-Roman. They included prisoners, refugees and their military counterparts, deserters and local informers »2.
S’emparer dès le débarquement sur le territoire ennemi d’un homme du camp adverse facilite la connaissance du terrain et des habitants. Ce prisonnier de guerre est alors utilisé comme guide et indicateur pour effectuer une mission de reconnaissance des lieux en vue de l’élaboration de plans d’attaque. Flavius Josèphe raconte qu’à la suite de la destruction de Jérusalem les soldats romains ne retrouvèrent les trésors d’or, d’argent et d’objets précieux, qu’ils recherchaient sous les ruines de la ville, que grâce aux indications d’un captif juif3. Il leur révéla ainsi les cachettes où la population avait enfoui ses biens. Par sa maîtrise du terrain, le prisonnier de guerre s’avérait un atout indispensable, en tout cas utile, pour déjouer les plans de l’ennemi ; ce rôle en fait, parfois, un « sauveur ». Velleius Paterculus explique que c’est grâce à un captif romain, détenu par les Mèdes, que Marc-Antoine fut sauvé. Le triumvir avait lancé une expédition, en 36 av. J-C, pour venger le désastre de Crassus à Carrhes. Il voulait alors prendre d’assaut la capitale Phraaspa, mais il échoua et perdit une bonne partie de ses soldats. Le prisonnier « s’approcha nuitamment d’un poste de garde romain et donna l’avis de ne pas suivre l’itinéraire qui avait été établi, mais de s’échapper par un autre à travers bois »4.
Les informations que fournit le captif dépassent parfois le cadre indicatif et touchent directement les plans de campagne, la stratégie militaire à adopter. Dans ces cas, ses renseignements s’avèrent essentiels et bienvenus pour le vainqueur, mais dramatiques pour son propre camp. En fait, ils permettent de dévoiler les desseins de l’ennemi pour déjouer les pièges ou faire face aux embuscades. Par ce truchement, le captif participe, involontairement mais sûrement, à la défaite de son propre camp. Les renseignements qu’il livre peuvent même, parfois, changer le cours de la guerre. Durant le siège de Numance, en 133 av. J-C, Scipion Émilien rejeta la deditio sous condition que lui XVII, 10, 5 ; T.-L., V, 26, 2. N. J. E. Austin et N. B. Rankov, Exploratio Military and Political Intelligence in the Roman World from the Punic War to the Battle of Andrianople, Londres, 1995, pp. 9-10 ; R.-M. Sheldon, Renseignement et espionnage dans la Rome antique, Paris, Les Belles Lettres, 2009. 3 La guerre des Juifs, VII, 5, 2. 4 II, 82, 2 ; Plutarque, quant à lui, parle d’un Marde, une peuplade de Médie, Antoine, XL. La version de Velleius Paterculus paraît plus probable. Il nous semble qu’un Romain devait être plus disposé à sauver une armée romaine en difficulté qu’un Mède contre qui les troupes en question se trouvaient en guerre. Florus ajoute que Marc-Antoine s’attaqua aux Mèdes pour la gloire mais ne donne aucune indication sur l’identité de son sauveur qu’il surnomme « un survivant du désastre de Crassus » « unus ex clade Crassiana Parthico », II, 20, 4 ; T.-L., Per., 130. 1 2
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proposèrent les cinq émissaires numantins, qui en contrepartie de leur reddition, demandaient d’être traités avec modération. L’imperator décida alors de poursuivre le siège afin d’obtenir la capitulation de Numance, car il avait déjà appris des prisonniers numantins qu’une faim insoutenable sévissait à l’intérieur de la ville. Cette situation dramatique ne laissait aucune autre issue aux habitants en dehors d’une reddition inconditionnelle1. Le général romain qui recourut le plus aux connaissances de ses captifs fut sans doute César au cours de ses campagnes en Gaule entre 58 et 51 av. J-C2. Par la valeur des renseignements qu’ils lui fournissaient, les prisonniers de guerre faisaient partie de son dispositif d’attaque et de défense. À chacun de ses déplacements, et même avant de mettre sur pied un plan de campagne, il faisait appel aux renseignements que possédaient ses captifs pour éviter les embûches. Il sut, ainsi, déjouer le piège tendu par le chef bellovaque Corréos qui avait regroupé dans un endroit 6 000 fantassins et 1 000 cavaliers. L’auteur du Bellum Gallicum avoue lui-même avoir échappé à l’embuscade tendue par Vercingétorix à Avaricum grâce aux indications livrées par des prisonniers de guerre3. L’attestation par les sources de l’utilisation des captifs comme « agents de renseignement » fait, toutefois, surgir une interrogation : quels étaient les voies empruntées et les moyens employés pour accéder à ces renseignements capitaux dans un conflit ? La promesse d’une mise en liberté et la torture, comme formes de pression, étaient utilisées pour faire parler les prisonniers. Cependant, la seconde tactique semble être la plus efficace, en tout cas, la plus usitée étant donné que les auteurs ne font pas allusion à la première4. Il est significatif de remarquer que, tout au long de ses campagnes, entre 58 et 51 av. J-C, César transforma ses captifs en « agents de renseignement », mais, à aucun moment, le général5 ne fit allusion aux procédés employés pour leur soutirer des informations. Il donna ainsi l’impression d’avoir recueilli ces révélations spontanément. Après avoir constaté le rôle important des prisonniers durant les campagnes césariennes, Ch. Goudineau s’interroge sur « le degré de contrainte App., Ibér., 413-412. Scipion exigea qu’ils lui remissent leurs personnes entre les mains et lui livrassent la ville avec les armes. 2 N. J. E. Austin et N. B. Rankov, op. cit., p. 7. À côté des captifs, il utilisa également les déserteurs pour connaître les plans militaires de l’ennemi. « Dans sa Guerre civile, César évoque souvent les transfuges qui, sous sa plume, se transformaient en de véritables agents de renseignement. D’ailleurs à maintes reprises, il avoue avoir sollicité leurs services dévoilant par la même occasion le rôle stratégique et parfois décisif des transfuges sur l’échiquier de la guerre. En Afrique, c’est grâce aux transfuges gétules, venus le rejoindre en grand nombre, qu’il put échapper aux pièges tendus par les Pompéiens », M. Gueye, « Le délit de desertio et de transfugium dans les guerres civiles à Rome sous la République », Res Antiquae, 9, 2012, p. 232. 3 VII, 18. Lorsque l’auteur de la Guerre des Gaules fait allusion aux captifs, ils étaient, dans la plupart des cas, décrits en qualité d’informateurs, II, 17 ; V, 48 ; V, 8 ; V, 9 ; V, 52 ; VI, 32 ; VI, 35 ; VI, 36 ; VI, 39 ; VII, 72 ; VIII, 7 ; VIII, 17. 4 Nous ne l’avons relevée que chez Ammien Marcellin, XVII, 10, 5. 5 Pourtant, il n’a pas hésité à faire couper les mains de tous ceux qui avaient porté les armes à Uxellodunum en 51 av. J-C, G. G., VIII, 44. 1
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qu’ils avaient à subir, en un mot : étaient-ils torturés ou non ? »1. À cette question, il réplique : « difficile de répondre […], mais tous les passages de la Guerre des Gaules attestent une telle rapidité à donner les informations qu’on doit imaginer des procédures expéditives assez puissantes pour que leur mise en action ou leur éventualité ait provoqué d’immédiates confidences »2.
Il est vrai que les sources n’ont pas spécialement abordé la pratique de la torture des captifs dans le but de leur soutirer des renseignements pendant la guerre des Gaules. Néanmoins, elles ont laissé des informations précises sur l’application de cette pratique par l’armée romaine pendant la seconde guerre punique et au cours de la guerre de Judée en 70 ap. J-C. Ainsi, certaines sources permettent de penser et de soutenir que les captifs étaient soumis à des tortures. Dans le cas contraire, il reste difficile d’admettre que, combattant pour sa patrie au prix de sa vie, le soldat une fois capturé la trahit spontanément, gratuitement et consciemment. Les nombreux exemples de mauvais traitements de prisonniers de guerre dont parlent les auteurs anciens ne laissent aucun doute sur l’application de la torture. Alors pourquoi ne pas l’utiliser pour vaincre l’ennemi en lui soutirant des renseignements3 ? Le recours à « la question » par l’armée romaine est attesté par les sources. Nous disposons des témoignages de Tite-Live et de Flavius Josèphe : l’un remonte au IIIe s. av. J-C et l’autre au Ier s. ap. J-C. Suivant le premier, pendant la seconde guerre punique en 210 av. J-C, Marcus Valerius Messala soumit à la torture les prisonniers carthaginois qui finirent par lui dévoiler le projet de débarquement d’Hamilcar en Sicile. Ces révélations furent confirmées par les prisonniers d’Hiéron de Syracuse qui le prévinrent de l’imminence d’un débarquement de 35 quinquérèmes carthaginois avec pour instruction l’occupation de Lilybée. Les forces carthaginoises qui comptaient sur l’effet de surprise échouèrent lamentablement et furent obligées d’affronter les troupes du préteur M. Aemilius, gouverneur de la Sicile. C’est ainsi qu’elles furent défaites et que 1700 soldats carthaginois se retrouvèrent prisonniers4. Le second témoignage provient de Flavius Josèphe pendant la guerre qui opposa les Juifs aux Romains en Galilée. À Jotapata, Vespasien fit torturer un captif juif en le soumettant au supplice du feu pour le faire parler afin de lui
César, Guerre des Gaules, texte traduit par L. A. Constans et présenté par Ch. Goudineau, 1994, n. 42, p. 395. 2 César et la Gaule, Paris, éd. Errance, 1990, p. 258. 3 Ceci d’autant plus que les sources ne font pas état d’agents spéciaux de renseignement en dehors des marchands, des déserteurs et transfuges. La présence d’espions est parfois signalée, Amm. Marc., XVI, 11, 9 ; XXVII, 8, 9. 4 T.-L., XXI, 49. 1
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soutirer des informations sur la situation interne de la ville. Mais, devant l’attitude tenace et défiante du Juif qui gardait le silence, il le fit crucifier1. En définitive, ces formes d’exploitation et d’instrumentalisation du prisonnier de guerre lui font jouer un rôle terrifiant, celui de « traître » ou d’« intermédiaire » dans la mesure où il dessert son propre camp en servant d’agent de renseignement ou de médiateur à l’ennemi.
2. Le captivus redemptus Le captif pouvait être remis en liberté de différentes manières : - par la voie privée : le prisonnier de guerre pouvait se libérer par ses propres moyens en s’évadant ou alors la parentèle ou une tierce personne pouvait le racheter à ses captivatores. Toutefois, le rachat par un inconnu aboutissait à un asservissement à moins que le redemptor n’acceptât, par un contrat tacite, qu’un proche du captif lui remboursât la somme dépensée ou allât la négocier ; - par la voie militaire : le captif était alors libéré par une intervention armée ; - par la voie diplomatique : le captif pouvait être remis en liberté par son propre gouvernement ou par un État allié2. Cette libération pouvait alors prendre les formes d’un rachat, d’un échange ou d’une restitution par traité ; enfin il pouvait être libéré par ses « propriétaires ». Les négociations autour de la libération ou du rachat des captifs soulevaient souvent de multiples obstacles entre les pays belligérants. Qui était chargé du rachat des captifs ? Dans le cadre des relations diplomatiques, les captifs intervenaient parfois directement dans les négociations entre les pays belligérants en servant de monnaie d’échange ou en se faisant racheter par leur État d’origine. Pendant les deux premières guerres puniques, les captifs romains furent chargés par Carthage de négocier, personnellement, leur libération auprès du sénat. Si le montant de la rançon fut fixé par les généraux de chaque camp, la décision du rachat du prisonnier par l’État romain relevait, exclusivement, du sénat. Son autorité était souveraine sur la volonté de la parentèle lorsqu’il s’agissait de redemptio. Mais l’État d’origine du captif n’acceptait pas toujours ni automatiquement de le racheter, pour différentes raisons. Le rachat de prisonniers de guerre par le gouvernement romain s’avère assez rare dans les textes. Ces derniers reprennent, toutes les fois qu’il en est question, les mêmes exemples, à savoir ceux des deux premières guerres puniques. Tite-Live le dit lui-même lorsqu’il indique que Rome est un État Flav. Jos., La Guerre…, III, 320-321. Il relève avec une certaine fierté la loyauté des Juifs entre eux et leur mépris du châtiment et de la mort : le prisonnier juif se fit crucifier le sourire aux lèvres. Ce qui n’avait, sûrement, pas manqué d’exaspérer le général romain. 2 Au retour d’Idistavise, la flotte fut assaillie en pleine mer par une tempête qui rejeta les soldats sur les îles. Alors, certains se retrouvèrent capturés et vendus Tac., Ann., II, 24. Les Agrivariens qui venaient tout juste après la défaite d’Arminius de capituler et de se constituer deditici les rachetèrent. 1
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« qui, depuis l’Antiquité, n’avait jamais eu d’indulgence pour les prisonniers »1. Le paiement de la rançon des captifs romains, pendant la République, soulève une question capitale : pourquoi le sénat rejetait-il souvent le rachat des prisonniers romains2 ? Valère Maxime pose le problème en 217 et en 216 av. J- C. En 217, il explique que le dictateur Fabius Maximus « avait fait libérer des prisonniers par Hannibal en s’engageant à lui faire donner une rançon. Mais comme le sénat ne la fournissait pas il envoya son fils à Rome, vendit le seul fonds de terre qu’il possédait, en versa le prix à Hannibal aussitôt »3.
L’auteur des Faits et dits mémorables, suit la version de Tite-Live qui s’avère toutefois plus complète. Selon le Padouan, « pour l’échange des prisonniers, […], les deux généraux romain et carthaginois étaient convenus que la partie qui en recevrait plus qu’elle n’en donnerait paierait deux livres et demi par soldat. Le Romain en ayant reçu deux-cent quarante-sept de plus que le Carthaginois, et la somme due pour eux, quoique le sénat eût souvent débattu la chose, ayant été, parce que Fabius ne l’avait pas consulté, ordonnancée trop tard, le dictateur envoya à Rome son fils Quintus vendre la propriété qu’avait épargnée l’ennemi, et acquitta cet engagement public sur sa fortune privée »4.
Le sénat refusa de payer la rançon des 247 prisonniers romains restants. Tite-Live explique cette opposition par le fait que le dictateur n’avait pas obtenu, au préalable, le consentement des sénateurs avant de donner son accord au général carthaginois. Quant à Valère Maxime, il ne fournit aucun éclaircissement à ce propos. Il se contente de souligner plutôt la générosité et surtout la fides du dictateur5. Pourtant, l’explication du Padouan semble peu convaincante si l’on se réfère aux événements de 216 av. J-C, c’est-à-dire une année après la dictature de Fabius Maximus. Une fois encore, le sénat, sous d’autres prétextes, rejeta l’offre de rachat des prisonniers romains formulée par Hannibal. Après le désastre de Cannes, le général carthaginois n’avait personne en face de lui pour engager des pourparlers en vue de la libération des 8 000 prisonniers romains en sa possession. Paul-Émile était mort tandis que Varron
T.-L., XXII, 61, 1. Sur le Tableau VIII (Annexe I) où figurent les termes qui désignent la fin de la captivité apparaissent plus fréquemment les dérivés de redemptare particulièrement chez Valère Maxime. La plupart de ses références (II, 7, 15e ; IV, 8, 1 ; V, 1, 1a) exprime le refus du sénat de racheter les prisonniers romains. 3 IV, 8, 1. 4 T.-L., XXII, 23, 6-8. Plutarque donne une explication similaire. Le sénat reprocha à Fabius de racheter des soldats assez lâches pour se faire prendre par l’ennemi sans consulter l’honneur ni l’intérêt général, Plutarque, Fabius Maximus, VII. 5 Valère Maxime relève et insiste beaucoup sur ce respect des valeurs lorsqu’il indique que le dictateur se fit voler sans le dire publiquement parce qu’il ne fut pas remboursé par le sénat. Son mérite ne se mesure pas à la somme versée qui n’est pas importante mais à son geste généreux, III, 8, 3 ; IV, 8, 1 ; T.-L., XXII, 23. 1 2
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avait détalé pour se réfugier à Vénouse1. Avec qui le général carthaginois pouvait-il négocier le rachat des prisonniers ? Hannibal fit une proposition au sénat par l’intermédiaire des dix prisonniers romains qu’il envoya comme « émissaires » pour régler leur sort. Dans sa démarche il n’innova point, car en 250 av. J-C, au cours de la première guerre punique, les Carthaginois avaient aussi délégué auprès du sénat un captif (Regulus) pour négocier un échange de prisonniers. Mais le consul romain, devenu captif, conseilla aux sénateurs de rejeter les propositions carthaginoises. En 216, les prisonniers de guerre romains, liés à Hannibal par un pacte tacite de bonne foi, étaient personnellement chargés de négocier, à leur tour, leur rachat auprès du sénat qui refusa. Dans les deux exemples, l’État romain avait repoussé les propositions d’échange ou de rachat pendant la guerre. Après le désastre de Cannes, Hannibal permit aux prisonniers romains de se faire racheter. Pourtant, le sénat, par la voix de Titus Manlius Torquatus, rejeta sa proposition. Tite-Live fournit deux justifications au refus du sénat, à savoir le déficit financier du trésor public et la légendaire rigueur militaire romaine. « Quoique la plupart des sénateurs fussent eux aussi unis à des captifs par la parenté, non seulement des exemples antérieurs donnés par un État qui, depuis l’Antiquité n’avait jamais eu d’indulgence pour les prisonniers, mais la somme à dépenser fit impression : car on ne voulait ni l’indulgence pour les prisonniers, mais on ne voulait ni épuiser le trésor auquel on avait déjà demandé une forte somme pour racheter les esclaves pour les enrôler ni enrichir d’argent Hannibal quand d’après les bruits courants, c’était la chose dont il manquait le plus »2 écrit le
Padouan.
Tite-Live reste le seul auteur à donner une explication pécuniaire au refus du sénat3. Ni Cicéron4, ni Appien5, encore moins Valère Maxime1, n’en T.-L., XXII, 59, 2. Si Cicéron (Les devoirs, III, 32, 114) avance le chiffre de 8 000 qui correspond au nombre d’esclaves achetés par le sénat, Valère Maxime donne celui de 6 000, II, 7, 15e ; Plut., Fab. Max., 16, 3. Cl. Auliard se demande bien avec qui Hannibal marchanda le montant de la rançon, La diplomatie romaine…, p. 481. En tout cas, le Carthaginois l’ajusta au statut, au grade et à la « nationalité » de chaque captif. D’ailleurs, ce montant augmenta en quelques jours expliquant ce besoin d’argent que le sénat ne voulait pas combler. 2 T.-L., XXII, 61, 1. 3 Un problème semblable se posa la première fois pendant la première guerre punique. Le sénat était confronté à des difficultés d’ordre financier. Suivant Polybe, les Romains avaient perdu 700 navires. Le trésor public ne pouvait plus soutenir, à lui seul, l’effort de guerre d’où l’appel lancé aux fortunes privées. Les aristocrates campaniens avaient fourni des navires équipés à la seule condition d’être remboursés en cas de victoire, I, 59 ; S. Lancel, Carthage, p. 389. 4 Il va encore plus loin dès l’instant où il soutient que l’État romain, s’il le voulait, pouvait racheter, « à peu de frais », les 8 000 prisonniers qui étaient en la possession d’Hannibal, Cicéron, Les devoirs, III, 32, 114. 5 Appien affirme seulement qu’au cours des débats, la partie des sénateurs qui remporta le vote « pensait qu’on ne devait pas habituer les soldats à fuir par cette marque de pitié » (qui est ici le paiement de la rançon) « mais à vaincre en combattant ou à périr dans la pensée qu’il est impossible au fuyard d’être pris en pitié même par ses parents », Ann., XXVIII, 119. 1
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font état. Ils insistent uniquement sur le volet relatif à la discipline militaire. Cl. Auliard adopte plutôt l’explication fondée sur les difficultés financières que fournit le Padouan. Cette hypothèse n’est pas à écarter2. Rome, ayant perdu pendant la bataille de Cannes 72 000 hommes, 50 000 étant massacrés et 22 000 capturés, ne pouvait pas se permettre, dans une situation aussi dramatique, de refuser de racheter ses soldats sans une puissante raison. Comme l’explique le Padouan, le trésor public était largement entamé par l’achat et l’armement de 8 000 esclaves pour les enrôler. Néanmoins, cette justification, quoique bien fondée, semble insuffisante étant donné que les familles des captifs, ellesmêmes, voulaient les racheter à leurs propres frais. Selon Appien : « les parents des prisonniers, qui avaient entouré la Curie, s’engageaient à libérer leurs proches chacun à ses propres frais et ils exhortaient le sénat à leur accorder cette faveur, et le peuple se joignait à leurs larmes et à leurs prières » 3.
En outre, les exemples des années précédentes4 nous poussent à croire que l’état déficitaire du trésor public ne constituait pas la seule raison. En 217 av. J-C, le sénat avait bien refusé de payer la rançon des 247 prisonniers romains, une somme plutôt dérisoire du moment que la vente aux enchères d’une propriété de sept jugères aurait suffi pour les racheter. Pourquoi l’État romain, d’un côté, accepta-t-il de débourser une fortune pour affranchir des esclaves et pourvoir à leur armement et, de l’autre, refusa-t-il de racheter des prisonniers romains qui, de surcroît, étaient des Quirites ? Malgré les raisons économiques qu’évoque Tite-Live, il n’a, cependant, pas manqué de relever qu’ « on préféra ces soldats-là » (c’est-à-dire les esclaves enrôlés), « quoiqu’on pût, pour un moindre prix, racheter les prisonniers »5. Ce fut une conduite que certains sénateurs ne manquèrent ni de souligner ni de critiquer. D’après Appien : « parmi les sénateurs, les uns n’admettaient pas qu’après tant de malheurs, la cité subît la perte d’autres citoyens en si grand nombre ni de voir négliger des hommes libres alors qu’on affranchissait des esclaves »6.
Encore une fois, le sénat adopta sa ligne de conduite traditionnelle qui désapprouvait et décourageait le rachat des prisonniers romains pour leur inculquer un comportement militaire implacable et exemplaire. Vaincre ou « Les sénateurs, devant les propositions de Hannibal, pensèrent qu’une telle masse de jeunes gens pourvus d’armes, s’ils avaient voulu mourir dans l’honneur, n’auraient pas pu être prise honteusement », II, 7, 15e. 2 La diplomatie romaine de la fondation de Rome à la fin de la République, p. 256. 3 App., Ann., XXVIII, 18. 4 T.-L., XXII, 23 ; Val. Max., IV, 8, 1. 5 « Hic miles magis placuit, cum pretio minore redimendi captiuos copia fieret », XXII, 58, réflexion qui rejoint parfaitement celle de Cicéron, Les devoirs, III, 32, 14. 6 App., Ann., XXVIII, 119. Le délégué des prisonniers reprit à son compte, dans le discours qu’il adressa aux sénateurs, les mêmes arguments pour fléchir le sénat en vain. Il lui reproche d’enrôler « des hommes de tout âge, de toutes conditions ; j’entends dire qu’on arme 8 000 esclaves. Notre nombre n’est pas inférieur, le prix auquel on peut nous racheter n’est pas plus élevé que celui auquel on les achète », T.-L., XXII, 59. 1
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mourir, telle devait demeurer la devise du soldat romain1. A. Bielman, à la suite de Cl. Nicolet, perçoit dans l’attitude du sénat une originalité qui le distingue de ses voisins grecs qui n’hésitaient pas à payer la rançon de leurs soldats. Rome, par ses refus successifs, s’écartait des règles politiques et militaires adoptées par ses voisins2. Mais derrière cette spécificité romaine, fondée sur l’honneur ou les intérêts collectifs, se profilait une représentation de la captivité3 qui lui imposait une attitude intransigeante vis-à-vis des captifs originaires de Rome et une position radicale par rapport aux modes de remise en liberté. Au fond, le sénat ne désapprouvait pas, dans son principe, la libération des captifs romains mais il refusait plutôt certaines formes de remise en liberté au profit d’autres. La libération par évasion et la libération par une tentative militaire étaient approuvées. Ce dernier cas est, du reste, très rare. Tacite est le seul auteur à l’avoir mentionné et une seule fois lorsque les troupes romaines arrachèrent, après quarante ans de servitude, les prisonniers faits par Armininius lors du désastre de la forêt de Teutoburg4. Rome préférait exiger la restitution de ses captifs par les lois de la guerre, dès lors qu’en sa qualité de vainqueur elle avait tous les droits plutôt que de les racheter. Lorsque la rétrocession de prisonniers de guerre revêtait les allures d’une contrainte diplomatique, elle attestait une supériorité sur l’adversaire. Dans le règlement diplomatique des conflits armés, la restitution de captifs constituait souvent une des clauses des traités de paix. Or, Rome qui sortait souvent victorieuse de ses guerres avait plus l’habitude d’exiger la libération de ses captifs que de payer leur rançon qui, de surcroît, enrichissait et renforçait l’ennemi au moment où le contexte exigeait d’autres dispositions5. La libération de captifs romains par traité est plus fréquente dans les textes, plus tolérée par Rome à cause de son caractère moins dégradant que le rachat qui ressemble à une reconnaissance de sa faiblesse. La demande de restitution des captifs romains dans un traité était une tradition à Rome : elle se vérifia à toutes les époques entre le IIIe s. av. J-C et le IIer s. ap. J-C. Dans le traité de 241 av. J-C avec Carthage, la rétrocession des prisonniers romains figura à la troisième S. E. Phang, Roman Military Service. Ideologies of Discipline in the Late Republic and Early Principate, Cambridge, 2008, p. 121 ; C. Wolff, op. cit., p. 106. M. Gueye, « le suicide du soldat à Rome sous la République : aut uincere aut emori », Troïka. Parcours antiques, Hommages au professeur Michel Woronoff, PUF-C, 2012, pp. 243-257. L’explication de Cicéron rejoint celle de Tite-Live même si le montant de la rançon devait être, sûrement, considérable compte tenu du fait que le nombre de prisonniers s’élevait à 8 000 ce que confirme le Padouan lorsqu’il avoue que « la somme à dépenser fit impression », XXII, 61, 1. 2 Études épigraphiques. Retour à la liberté. Libération des prisonniers en Grèce ancienne, p. 337 ; Cl. Nicolet, Le métier de citoyen…, pp. 124-125. 3 Sur cette perception de la captivité en période de guerre cf. la conclusion générale. 4 Annales, XII, 27, 3. 5 Si les exemples de rançons acquittées par l’État romain sont rares tel n’est pas le cas en ce qui concerne la libération de captifs par accords diplomatiques. La restitution de prisonniers de guerre figurait, très souvent, dans les conditions de paix, App., Ibér., 341 ; App., Mithr., 8, 55. 1
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place (c’est-à-dire après l’évacuation de la Sicile et la paix entre Syracuse et Carthage) parmi les conditions qu’imposa Rome aux Puniques1. À Nicée, en 196 av. J-C, Flamininus exigea de Philippe V de Macédoine, en premier lieu, le retour de tous les captifs romains en sa possession. En 189 av. J-C, aussi, dans le traité romano-étolien la restitution des prisonniers de guerre, transfuges et déserteurs, fut la première exigence formulée par Rome. Mieux, le traité stipula que : « les prisonniers qu’on ne pourra retrouver au bout de 100 jours devront être rendus sans fraude dès qu’ils auront été découverts »2.
Velleius Paterculus cite l’exemple de Sylla qui exigea à la paix de Dardanos, en 85 av. J-C, la restitution des captifs romains3. Dans les traités de paix du IIe s. ap. J-C4 la même condition fut imposée également. Nous ne disposons, néanmoins, pas de pactes datant du Ier s. ap. J-C. La restitution des prisonniers romains reste une clause presque permanente dans les négociations de paix, seule sa place par rapport au reste des conditions variait5. Sous le Haut-Empire, nous n’avons rencontré aucun exemple de rachat de la part de Rome. Cependant, Dion Cassius donne le cas des captifs de Teutoburg rachetés6 sans indiquer, pour autant, l’autorité qui initia ou pilota la transaction : était-ce le sénat ou l’Empereur ? Néanmoins, le système de la redemptio hostibus semble s’assouplir puisque ce qui fut refusé aux prisonniers d’Hannibal, au IIIe s. av. J-C, fut accordé aux captifs de la forêt de Teutoburg. À la suite du désastre de Varus, en 9 ap. J-C, Dion Cassius atteste que les prisonniers romains furent rachetés par la parentèle mais ils demeurèrent en dehors de Rome7. À partir de la fin du IIe s. ap. J-C, Rome facilita le rachat des prisonniers de guerre ce qui s’explique peut-
Cette exigence arrivait même avant le montant des indemnités que devait verser Carthage à Rome, Pol., I, 62. 2 Pol., XXI, 32, 5-6. À Apamée, en 188 av. J-C, Manlius Vulso exigea d’Antiochos la restitution des prisonniers romains. 3 II, 23. À Numance, Pompée en fit autant, App., Ibér., 341. En Espagne aussi, Brutus eut une attitude similaire, App., Ibér., 308. 4 Les Quades s’engagèrent à rendre tous les captifs romains, en 172 ap. J-C, pour signer un accord de paix avec Marc-Aurèle, Dion, LXXI, 11. Pour obtenir la paix, les Iasyges firent de même en 175 ap. J-C, Dion, LXXII, 16. En 180 ap. J-C, Commode exigea la même condition aux Marcomans, Dion, LXXIII, 2, 2. 5 Cette modalité devint une véritable exigence au IV e s. avec le césar Julien qui la cite toujours en premier lieu au point que toute infraction remettait en question le processus des négociations, Amm. Marc., XVII, 10, 3. Cette question était tellement primordiale que lorsque le roi Alaman Hortaire, malgré sa promesse, ne lui remit pas tous les prisonniers romains l’empereur romain fit prendre quatre de ses compagnons pour l’obliger à lui rendre les autres captifs, Amm. Marc., XVII, 10, 7. 6 Tacite ne parle pas de ces prisonniers romains mais fait, plutôt, allusion à ceux qui s’étaient évadés (Ann., I, 61) et à ceux qui étaient libérés par l’armée (Ann., XII, 27, 3). 7 LVI, 22, 4. 1
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être par le nombre élevé de Romains capturés au cours des guerres marcomanes1. Cette période marque le début d’une modification majeure du rachat des prisonniers de guerre avec la constitutio de redemptis2 : le redemptus devenait l’esclave du redemptor jusqu’à ce qu’il lui remboursât la totalité de la rançon versée pour sa libération. Jusqu’à cette époque, la redemptio était considérée comme un bienfait et le redemptor un « sauveur » puisqu’il permettait au captif d’échapper à la servitude3. Toutefois, à l’origine, le substantif redemptor ne signifiait pas « sauveur » (servator) mais désignait, en droit romain, la personne qui, dans un contrat de louage d’ouvrages, se chargeait d’une entreprise à faire, moyennant une rétribution. Et la redemptio renvoyait surtout au rachat ou à la rançon mais, par l’effet d’un glissement, le vocable recoupait aussi bien l’acte du rachat que la conséquence de l’acte, c’est-à-dire le sauvetage du prisonnier des mains du vainqueur4. Un rapport est ainsi établi entre l’achat qui est « le fait de prendre quelqu’un qui est exposé pour la vente et qu’on tire à soi »5 et la rédemption, car en rachetant le captif on le libérait, en même temps, des mains de l’ennemi. Sous cet angle, le rachat dépassait la dimension purement pécuniaire de la transaction entre le captivator, le captivus et celui qui achetait (le redemptus n’étant pas tenu de rembourser la rançon) pour revêtir la forme d’un sauvetage. Valère Maxime, ainsi, utilise le vocable « conservare », qui signifie « sauver », lorsqu’il dit à propos de Flamininus que ce qui redoubla son éclat était « à la fois les ennemis qu’il avait vaincus et les citoyens qu’il avait sauvés… »6. Pourtant, le général victorieux n’avait pas payé personnellement, comme Fabius Maximus, environ vingt années plus tôt, le montant des rançons mais les Achéens s’en étaient chargés, il avait le mérite de réclamer les J. Kolendo, « Le rachat des captifs romains… », pp. 123-124. Dig., XLIX, 15, 12. La date précise ne fait pas l’unanimité chez les spécialistes. Suivant E. Lévy, la constitution fut votée entre 161 et 198 ap. J-C, « Captivus redemptus », Classical Philology, 1943, p. 169) ; J. Kolendo propose, quant à lui, l’année 180, c’est-à-dire la fin des guerres marcomanes, « Le rachat des captifs romains… », p. 123. 3 Pris dans ce sens, redemptor récupère la signification de redimere qui renvoie non seulement à racheter mais aussi sauver, tirer d’un danger quelconque, Grand Gaffiot, s.v. Redimo ; Dictionnaire étymologique…, s.v. Redimo. 4 La conception du « civis servatus » subit de nombreuses mutations du moment que le citoyen sauvé était un « citoyen mobilisé qu’un de ses camarades avait sauvé, en pleine action militaire, durant un combat » et non pas un citoyen redemptus dans l’ancienne Rome, J. Gagé, « Les clientèles triomphales de la République romaine. À propos du “principat” d’Auguste », Revue Historique, 1957, p. 6. Dans le sens religieux, redemptor se traduit par « sauveur » : celui qui sauve des péchés ; cf. É. Benveniste, Le vocabulaire des institutions…, t. I, p. 136. 5 E. Benvéniste, Le vocabulaire des institutions…, t. I, pp. 134-137. 6 « Geminarunt ea decus imperatoris a quo simul et deuicti hostes et conservati ciues spectaculum patriae praebuerunt », V, 2, 6. Dans un autre passage, le même auteur qualifie cet acte de « magni animi ». Il écrit : « C’aurait été de la magnanimité que de soustraire à l’esclavage des prisonniers » « Magni animi fuisset a tot captiuorum capitibus seruitutem detraxisse », IV, 8, 5. Mithridate tient le même discours lorsque, pour récupérer Léonicos, il se montra prêt à l’échanger contre tous les prisonniers rhodiens en sa possession, Val. Max., V, 2, ext. 2. 1 2
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prisonniers romains, et par cet acte il les sauva. C’est ainsi que le rachat se retrouvait classé parmi les autres formes de libération telles que l’échange et la restitution qui étaient considérées, elles aussi, comme des bienfaits. D’après Cicéron, « les généreux sont ceux qui aux dépens de leurs propres moyens, ou bien rachètent les prisonniers aux pirates, ou bien assument les dettes de leurs amis »1.
Il ajoute que « cette bienfaisance est aussi utile à l’État : racheter de l’esclavage les prisonniers. Je préfère cet usage de la bienfaisance à la largesse des spectacles »2.
Empruntant la même logique, Tite-Live fait dire à un des délégués des prisonniers romains devant les sénateurs en 216 av. J-C : « vous aurez en ces hommes, de bons, de vaillants soldats, mais en nous aussi, qui seront encore plus dévoués à la patrie quand, par un bienfait de votre part, nous aurons été rachetés et rétablis dans notre patrie avec nos droits »3.
Mais cette bienfaisance n’était pas complètement gratuite à partir du moment où le redemptus restait moralement redevable à son redemptor, par conséquent, le rapprochement ou le lien entre l’acte de « racheter » et celui de « sauver » ou de libérer pouvait n’être que symbolique. Notre corpus livre deux exemples de libération de captifs romains par un général. Dans les deux cas de figure, aucune rançon ne fut versée, pourtant les prisonniers libérés se sentirent moralement redevables aux généraux en question et se considérèrent, même, comme des affranchis aux yeux de leur patron. Terentius Culleo, libéré par Scipion, qui avait exigé avant toute négociation de paix avec Carthage la restitution des prisonniers romains, défila derrière le char triomphal du général la tête recouverte d’un pileus pour signifier son affranchissement. L’explication qu’en donne Valère Maxime est très claire. « C’est que, à l’égard de celui qui lui avait assuré la liberté, comme s’il était son patron, il a exprimé sa reconnaissance pour le service qu’il avait reçu de lui, sous les yeux du peuple romain, et il a eu raison »4 dit-il.
Les prisonniers romains, retrouvés en Grèce par Flamininus, éprouvèrent également la même gratitude vis-à-vis de leur « libérateur » alors que leur rançon ne fut pas payée par le général, mais par les Achéens. Deux mille prisonniers romains, le pileus sur le crâne, suivirent le char de Flamininus pendant son triomphe sur Philippe de Macédoine. Leur figuration à la cérémonie triomphale et le port du bonnet d’affranchi matérialisaient les signes d’allégeance qui attestaient et symbolisaient, incontestablement, leur Cic., Les devoirs, II, 16, 55. Id., ibid., II, 18, 63. 3 « Sed et illis bonis ac fortibus militibus utemini, et nobis, etiam promptioribus pro patria, cum beneficio vestro redempti atque in patriam restituti fuerimus », XXII, 59, 11. 4 « Auctori enim libertatis suae, tamquam patrono, accepti beneficii confessionem spectante populo Romamo merito reddidit », V, 2, 5. 1 2
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reconnaissance1. Une fois racheté et libéré, l’ancien prisonnier de guerre devenait moralement redevable à son sauveur qui lui avait rendu non seulement sa liberté, mais encore sa citoyenneté2. É. Levy et J. Kolendo considèrent surtout la redemptio comme un bienfait. Toutefois le rachat n’est pas seulement une marque de « bienfaisance ». Lorsqu’il n’est pas un don, il devient un prêt même avant la promulgation de la constitutio de redemptis qui le transforme complètement en dette. Le redemptus avait la possibilité de rembourser la rançon à son bienfaiteur. En 217 av. J-C, par exemple, les prisonniers rachetés après la défaite de Trasimène par Fabius Maximus voulurent lui rendre l’argent de la rançon, mais le dictateur refusa3. S’il ne voulait pas tisser un quelconque lien d’amitié ou de fidélité avec son « bienfaiteur », le redemptus avait toujours la possibilité de recourir au remboursement intégral du montant de sa rançon. Sénèque donne le cas de figure d’un bienfaiteur malhonnête, « un homme dont le corps est prostitué et la bouche souillée jusqu’à l’infamie ». Il pose alors la question suivante : « lorsqu’il m’aura sauvé, quelle reconnaissance lui témoigner ensuite ». Le philosophe fournit la réponse la suivante : « même de la part d’un homme comme lui j’accepterai l’argent que je dois verser pour ma rançon, mais je l’accepterai comme un prêt et non comme un bienfait ; je le rembourserai et, si l’occasion se présente de le tirer d’un danger, je l’en tirerai ; pour de l’amitié, sentiment qui n’unit que gens de la sorte, je ne m’abaisserai pas à lui en témoigner, et je ne le compterai point pour mon sauveur, mais pour un créancier à qui je me sais tenu de rendre ce que j’en ai reçu »4.
La nature des liens qui pouvait unir le captif à son bienfaiteur ne dépendait que du redemptus. Néanmoins, ce choix n’était offert qu’aux prisonniers de guerre qui pouvaient se le permettre et non aux soldats qui n’étaient que de pauvres gens et qui étaient tenus par cette reconnaissance morale. À la fin du IIe s. ap. J-C apparut la constitutio de redemptis qui obligeait le redemptus à rembourser son redemptor pour regagner le chemin de la liberté. Selon J. Kolendo : « la constitutio de redemptis est une tentative pour sauver les prisonniers romains qui restaient sur les territoires barbares après les guerres marcomanes ».
1 Valère Maxime explique qu’« ils étaient si reconnaissants, ces gens qui se sont trouvés avoir repris le statut si recherché de citoyen libre », « quia tam grati exoptatum libertatis statum recuperauerunt », V, 2, 6 ; cf. J. Gagé, « Les clientèles triomphales… », pp. 7-8. 2 Denys d’Halicarnasse cite le rachat parmi les bienfaits que le client devait à son patron lorsque celui-ci ou son fils se trouvait entre les mains de l’ennemi, Antiquités romaines, II, 10, 2 (texte traduit et commenté par V. Fromentin et J. Schnäbele, Paris, Les Belles Lettres, 1990). 3 Plut., Fab. Max., 7, 4, 5. 4 Des Bienfaits, II, 21 (texte établi et traduit par F. Prechac, Paris, Les Belles Lettres, 1961).
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L’explication qu’il donne nous paraît plausible puisqu’elle permettait, sans aucun doute, de faciliter le rachat des prisonniers romains1. L’État romain se désolidarisait du sort de ses prisonniers en chargeant les particuliers de les racheter. Ainsi, protégé par la constitutio, le redemptor avait moins d’appréhension pour racheter un prisonnier dès lors qu’il était sûr d’être remboursé. Nonobstant, la constitutio n’est une solution ni pour la captivité, ni pour le traitement du prisonnier de guerre. En vérité, avec elle, la situation du prisonnier de guerre démuni ne changea pas fondamentalement. Le prisonnier de guerre passait des mains de son captivator à celles d’un autre maître pour devenir un esclave. De servus hostis, le captif racheté devenait servus redemptoris. « Le rachat donne la faculté de retourner dans sa patrie sans rien changer au droit de retour »2. Mais il constituait, quand même, une barrière à l’application directe du droit de retour qui considère le captif libre une fois qu’il se trouve sur le territoire romain. Avec la constitutio de redemptis, le captif devait remplir une condition supplémentaire, à savoir le remboursement de sa dette avant de devenir réellement libre3. Dans les faits, le rachat par un étranger n’était, souvent, pas gratuit pour le redemptus qui devait rembourser en nature ou en espèces sa dette. L’obligation changea plutôt de forme à travers les siècles mais elle garda toujours son caractère contraignant.
3. L’exploitation de l’ancienne position sociale du captif : la libération peut-elle être gratuite ? Il arrivait que le captif fût remis en liberté par son captivator sans contrepartie. Des actes d’une telle générosité n’étaient pas singuliers dans l’histoire de Rome entre le IIIe s. av. J-C et le Ier s. ap. J-C4. L’altruisme du propriétaire pouvait même revêtir une forme différente de celle d’une remise en liberté pure et simple lorsque le captif bénéficiait d’un traitement de faveur 1 « Le rachat des captifs… », p. 123 ; J. Kolendo suit le rapprochement fait par E. Lévy (« Captivus redemptus », CPh, 1943, p. 169) entre la promulgation de la constitutio et les guerres marcomanes. Aux pages 167-168 de la même étude, E. Lévy montre aussi que cette constitutio ne s’adressait pas exclusivement aux esclaves mais à tous les prisonniers de guerre. Elle se rapproche même de certaines lois relatives au rachat du prisonnier de guerre en Grèce au IVe s. av. J-C. Il s’agit de la loi de Gortyne et d’une clause de la législation attique. Suivant la première, « si un homme libre a été vendu à l’ennemi et si sur sa demande quelqu’un qui est dans l’obligation de le faire le rachète de l’étranger, il sera à la disposition de celui qui l’aura acheté jusqu’à ce qu’il ait remboursé ce qu’il doit », M. Guarducci, Inscriptiones Creticae, I-IV, 1958-1970. Quant à la seconde, elle stipule que tout prisonnier racheté demeurait engagé visà-vis de celui qui avait avancé l’argent libérateur, aussi longtemps que cette somme n’était pas remboursée », Démosthène, LIII, 11 ; sur les effets de ces lois en Grèce, cf. A. Bielman, op. cit., pp. 309-310. 2 Dig., XLIX, 15, 12. 3 Sous Léon le Sage, le redemptus était tenu de rendre cinq années de service à son redemptor, R. Monier, Vocabulaire de droit romain, s.v. Redemptus ab hostibus. 4 P. Ducrey remarque, quant à lui, que de tels cas s’avèrent rares en Grèce pendant la période qu’il a étudiée, Le traitement des prisonniers…, p. 251.
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comme nous l’avons déjà vu avec Persée1. Mais, au fond, aussi généreux fussent-ils, ces agissements demeuraient, quand même, exceptionnels compte tenu, d’une part, de l’étiquette du captif considéré par définition comme l’ennemi et, d’autre part, de son utilité multiple aux yeux de son captivator. La politique clémente de Rome vis-à-vis de ses captifs ne fut pas toujours constante encore moins égalitaire d’où aussi son caractère exceptionnel et surtout calculé2. Se donner une bonne image et ménager ainsi l’opinion internationale constituèrent toujours les priorités de l’Urbs dans ses orientations politiques. Chacune des guerres qu’elle mena était censée être justa et pia. Sa clémence envers les prisonniers de guerre en sa possession participait aussi à cette logique dynamique qui visait à entretenir l’image d’une Rome forte mais juste et bienfaisante, même à l’endroit de ses ennemis irréductibles. Toutefois, la mise en liberté du captif par son captivator pouvait-elle réellement être gratuite ? La libération « gratuite » et volontaire du prisonnier de guerre (individuel ou en masse) par le vainqueur répondait, dans la plupart des cas, à des calculs diplomatiques. La délivrance d’une certaine catégorie de captifs visait parfois à gagner les faveurs de son pays d’origine ou à consolider les relations entre les peuples. Cependant, il faut signaler que cette pratique diplomatique ne fut pas seulement le propre des Romains, les Barbares l’employèrent aussi3. La générosité d’un acte de libération d’un captif était souvent le résultat de calculs politiques. « Il demeure que la libération d’un vaincu sans que le vainqueur ne requière en échange aucune rançon est un phénomène peu commun qui n’est jamais passé sous silence et que l’on cite parfois même en exemple »4.
Nous avons déjà abordé le traitement de faveur de certains captifs (Persée, Caratacus) pour montrer l’objectif poursuivi par le captivator, supra pp. 210-211. 2 Sur le triomphe, supra pp. 214-216. 3 Appien précise qu’Hannibal traita avec humanité tous les alliés des Romains (les Latins) mais maltraita les Romains, Ann., 42-43. C’est ainsi qu’il réussit à obtenir l’alliance des Thuriens, Ann., 146-147. L’objectif du Carthaginois était d’affaiblir ou de briser l’alliance entre Rome et les Latins. Après Cannes, le général punique fixa des rançons plus basses pour les Latins que pour les Romains : 200 deniers pour les premiers et 300 puis 500 pour les Romains, T.-L., XXII, 52. Flav. Jos., I, 238. 4 P. Ducrey, Le traitement des prisonniers… p. 251. En Grèce aussi la remise en liberté d’un captif par son détenteur obéissait à des calculs comme le relève, à la suite de P. Ducrey, A. Bielman, « qu’elle soit motivée par des mobiles politiques ou militaires, par l’espoir d’un profit personnel, par la crainte d’un revers de fortune, par le désir d’embellir la réputation morale d’un chef ou d’un camp tout entier, par le respect de certains usages grecs dans la conduite de la guerre, la libération sans rançon de captifs par la seule volonté de leur détenteur n’apparaît jamais comme un acte seulement humanitaire », op. cit., p. 282. En 191 av. J-C, Philippe V de Macédoine, en guerre contre l’Étolie, libéra Nicandros, l’un des chefs du parti étolien, en lui recommandant de se souvenir toujours de la générosité avec laquelle le roi de Macédoine l’avait traité. Nicandros se dévoua, alors, à la cause macédonienne et 1
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Se concilier l’opinion internationale, afin d’agrandir le cercle des alliés, avait toujours constitué une raison puissante dans toute la démarche politique de Rome1, surtout au cours de la seconde guerre punique. Valère Maxime expose trois épisodes qui datent de la seconde guerre punique au cours desquels l’Urbs fit preuve de générosité en libérant des prisonniers de guerre carthaginois. - Le premier événement se réfère à Scipion à Carthagène, un exemplum qui revient très souvent dans les textes et que nous avons déjà étudié2. - Le second épisode se produisit la même année, en 209 av. J-C, près de Baecula en Espagne. Après la prise de Carthagène, l’armée de Scipion défit les troupes d’Hamilcar et d’Hasdrubal, qui détalèrent. Certains hommes d’Hamilcar se rendirent ou se firent prendre par le général romain. Scipion fit réunir pour la vente les captifs parmi lesquels se trouvaient des Ibères et des Africains. Il rendit la liberté à tous les Ibères sans rançon et mit en vente les Africains. Parmi eux se trouvait un jeune prince numide, Massiva, le neveu de Massinissa3. Quand il l’eut identifié, il le renvoya auprès de son oncle. Il lui fit alors cadeau d’un anneau d’or, d’une tunique avec un sayon espagnol, d’une agrafe en or et d’un cheval tout harnaché avant d’ordonner à ses cavaliers de l’accompagner4. Lorsqu’il remit en liberté les Ibères, le général romain poursuivait sa politique de fidélisation des Espagnols afin de les encourager à abandonner Hannibal. Seulement, s’il restitua le neveu du chef numide, ce fut pour tisser une alliance avec Massinissa qui disposait d’une excellente cavalerie et qui pouvait lui être utile en cas de poursuite des combats en Afrique. Le roi avait ramené aux Carthaginois un important renfort de cavaliers. Paradoxalement, lorsqu’en 190 av. J-C, le roi Antiochos de Syrie renvoya chez lui Scipion, le fils du premier Africain, chargé de cadeaux, Valère Maxime condamne sa capture, qu’il juge indigne5. En lui restituant son fils, Antiochos voulait obtenir une paix à son avantage. Publius Scipion rejeta les présents ainsi que l’argent et n’accepta que la libération de son fils, mais sans contrepartie. S’agit-il, réellement, d’une incompréhension6 ou simplement d’une volonté de rejeter toute forme de compromis ? Peut-on parler d’ignorance dans la mesure où l’Urbs pratiquait et excellait même dans la politique de la libération gratuite
refusa, plus tard, de s’opposer à Persée. Sa conduite lui valut d’être envoyé à Rome, car soupçonné de trahison, Pol., XX, 11, 1-10. 1 Cette conception reste aussi valable pendant la guerre civile. César, après la mort de Pompée en 48 av. J-C, traita avec beaucoup de générosité les Pompéiens capturés par Ptolémée XIV dans l’espoir de les attacher à sa cause au détriment de ses adversaires, Plut., Cés., 48, 3. 2 Sur le viol des captives, supra pp. 157-165. 3 Tite-Live est le seul à préciser son nom, T.-L., XXVII, 19, 8. 4 T.-L., XXVII, 19-21 ; Val. Max., V, 1, 7. 5 Val. Max., II, 10, 2a ; III, 5, 1 ; Appien mentionne que Scipion est le fils de Paul-Émile que Publius Scipion adopta, XI, 6, 28. 6 A. Bielman, op. cit., pp. 337-338.
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de captifs ? Le problème est que l’application de cette politique n’est valable à Rome que dans un sens, le sien. - Le troisième épisode se déroula en 201 av. J-C. Valère Maxime présente les faits ainsi : « une délégation de Carthage était venue chez nous racheter des prisonniers, et aussitôt, sans accepter d’argent, le sénat lui a rendu les jeunes soldats, dont le nombre atteignait le total de deux-mille-sept-centquarante-trois. Une telle troupe d’ennemis remise en liberté, une telle somme méprisée, tant d’injustices subies de la part des Puniques et pardonnées ! » 1.
Encore une fois, l’historien s’attache à souligner la générosité légendaire du sénat qu’il trouve ici bien trop grande ! Curieusement cette magnanimité était plus guidée vers les ennemis que vers les Romains euxmêmes. Pourquoi le sénat réagit-il avec autant de désintéressement ? En fait, suivant Tite-Live, ces prisonniers carthaginois ne furent pas libérés ni confiés aux ambassadeurs puniques, ils furent, au contraire, conduits en Afrique auprès de Scipion2. Si ces prisonniers lui furent remis ce fut plutôt dans l’intention de mettre à sa disposition un moyen de pression efficace afin d’obliger les Carthaginois à accepter ses conditions de paix. De la sorte, Scipion pouvait exercer une forte pression sur la délégation punique dans la mesure où parmi les prisonniers, se trouvaient des nobles. Leur ancien statut social explique ainsi le choix des émissaires. En privilégiant les valeurs morales au détriment, parfois, de la réalité, Valère Maxime déforme les faits dans leur enchaînement et développement. En vérité, les trois épisodes exposés font ressortir que la libération de ces prisonniers de guerre, aussi bien carthaginois que numides, n’était pas gratuite au fond. Au contraire, elle obéissait plutôt à des calculs diplomatiques liés au contexte politique et militaire de la seconde guerre punique. Dans la situation particulière des guerres civiles ou sociales où le prisonnier de guerre (celui qui fut pris au cours d’un conflit entre Rome et un autre pays) pouvait se trouver au centre d’importants enjeux politiques et diplomatiques, la libération du captif répondait à d’autres types de calcul : le prisonnier de guerre était plutôt utilisé pour combattre l’adversaire. Ennemi de Rome au moment de sa capture, le captif de marque était transformé le lendemain en allié d’un des protagonistes de la guerre civile. Il était alors entraîné dans le tourbillon des luttes politiques et son sort se trouvait étroitement lié au contexte de la politique intérieure. L’ancienne position sociale du prisonnier de guerre était ainsi utilisée comme moyen de pression contre son gouvernement. Caius Papius, qui commandait les forces alliées pendant la guerre sociale (91-89 av. J-C), fit libérer le fils de Jugurtha, un farouche ennemi de Rome, capturé et exécuté en 105 av. J-C. Après avoir fait venir Oxyntas de V, 1, 1a ; Tite-Live indique seulement 200 prisonniers carthaginois parce que les ambassadeurs voulaient racheter certains captifs qui étaient au nombre de 200. Peut-être que le chiffre qu’avance Valère Maxime correspond à celui de l’ensemble des prisonniers. 2 T.-L., XXX, 43, 5. 1
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Vénuse1, où il était incarcéré, il le para de pourpre royale afin de brandir sa figure emblématique aux yeux des Numides qui étaient dans les rangs du parti romain sous les ordres de Sextus César. Il parvint, ainsi, à les intimider par la présence symbolique du fils de Jugurtha et les persuada de quitter Sextus César. La réussite de sa machination est confirmée par Appien qui indique que « plusieurs d’entre eux allaient d’eux-mêmes se ranger sous les drapeaux de leur roi »2. En 49 av. J-C, Jules César utilisa la même stratégie. Dès son retour à Rome, le proconsul de la Gaule fit libérer le prince juif Aristobule. Ce dernier fut capturé en 63 av. J-C, traîné au triomphe et emprisonné par Pompée qui, dans la rivalité qui l’opposait à son frère aîné (désigné pour régner), avait soutenu Hyrcan3. Une fois défait, Aristobule fut chargé de chaînes. Et pourtant, lorsque la guerre éclata entre Pompée et César en 49 av. J-C, celui-ci se rapprocha d’Aristobule, un hostis de Rome mais qui, par la force des choses, devint aussi l’ennemi de Pompée. César ne le fit pas libérer par pure bonté. Aristobule, par son statut d’héritier légitime au trône, se révélait un allié essentiel pour combattre les Pompéiens en Judée4 et s’assurer la fidélité de la province. Alors César le fit sortir de prison et lui confia deux légions avant de l’envoyer en Syrie5 au moment où Pompée et certains sénateurs s’étaient enfuis en Orient. Dans la logique paradoxale des guerres civiles, les chefs de partis n’hésitaient pas à nouer des alliances avec les ennemis de Rome pour combattre l’adversaire6. L’utilisation du captif ne s’effectuait pas uniquement dans le cadre restreint de la guerre, mais elle s’inscrivait également dans un vaste système de domination dans lequel le captivus constituait un maillon fort. Les prisonniers de guerre pouvaient, de la sorte, être utilisés comme des agents de romanisation. Ceci représentait une arme efficiente pour surveiller et contrôler la gestion des gouvernements étrangers en s’alliant toujours avec les descendants des ennemis.
Vénuse (Venosa) est une colonie latine depuis 291 av. J-C, localisée entre l’Apulie et la Lucanie. 2 App., Les guerres…, I, 42. Il ne précise pas si Oxyntas fut remis, définitivement, en liberté ou si, après sa brève apparition, il retourna croupir en prison. 3 Pompée avait une entrevue avec Hyrcan et son frère Aristobule, en 63 av. J-C, mais retint ce dernier et l’envoya à Rome. Leur mère Alexandra dirigeait la Judée, depuis la mort de son mari Alexandre Jannée, lorsqu’éclata la guerre civile entre les deux frères. 4 Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs, I, 183. 5 Il ne put rien faire parce qu’il fut empoisonné par les partisans de Pompée qui le laissèrent pendant longtemps sans sépulture. Son fils Alexandre fut exécuté à la hache à Antioche sur l’ordre de Pompée, Flav. Jos., I, 184-185. 6 « Pompée et César étaient fatalement entraînés tous les deux aux mêmes actes pour arriver à leurs fins ; ils ne pouvaient y parvenir sans faire la guerre à des concitoyens et sans armer des Barbares contre leurs concitoyens » constate Dion Cassius, XLI, 54. P. Jal relève une autre forme de ce paradoxe qui se produisait pendant les conflits civils à Rome qui amenaient un général à solliciter l’aide de peuples qu’il avait vaincus lui-même une quinzaine d’années auparavant, « Les Barbares dans les guerres civiles… », p. 31. 1
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L’exemple type fut celui de Juba II1, fils du roi Juba Ier, ennemi de César au cours de la guerre civile. Âgé de cinq ans lorsqu’il fut fait prisonnier, son jeune âge et surtout son ancien statut social le protégèrent du sort commun des captifs et contribuèrent, largement, à faire de lui un pion politique entre les mains de César puis d’Auguste. L’un après l’autre lui donna une éducation romaine très poussée, au point que Plutarque souligne que la capture du jeune garçon « fut pour lui un grand bonheur, car de Barbare et Numide qu’il était, il devient l’un des plus savants historiens grecs »2. Cette instruction devait faire du futur Juba II un véritable prince romanisé, à qui d’ailleurs Auguste confia le trône de la Maurétanie en 25 av. J-C3. Il resta fidèle à Rome. Pendant la révolte de Tacfarinas (entre 17 et 23 ap. J-C), il dépêcha des troupes pour renforcer l’armée romaine. Aux côtés de Tacfarinas combattaient des Maures qui contestaient peut-être la politique pro-romaine de leur roi. La romanisation du prince barbare n’était, en vérité, qu’un moyen de contrôle qui faisait de la Maurétanie un État satellite4. Le destin ou plus précisément le traitement du captif ne dépendait pas uniquement des lois, il restait étroitement lié au contexte politique (interne ou externe) et surtout à son ancien statut social, qui agissait à tous les niveaux. Le seul cas de remise en liberté qui se rapprocherait de la générosité serait celui de Flavius Josèphe qui revêtit plutôt les formes d’une récompense5. Après la prise Fils du roi de Numidie Juba Ier, défait à Thapsus en 46 av. J-C par César, fut élevé à Rome par César et Auguste en vue de l’utiliser comme un roi allié. 2 Cés., 55. La capitale de la Maurétanie prit le nom de Césarée, et fut bâtie selon les règles de l’urbanisme romano-hellénistique. 3 En 19 ap. J-C, il épousa la fille de Marc-Antoine et de Cléopâtre, Séléné. 4 L’exemple de Juba fut, du reste, assez proche et même comparable à celui des otages étrangers à Rome : ils étaient utilisés comme des « instruments de romanisation », A. Aymard, « Les otages barbares au début de l’Empire », Études d’Histoire Ancienne, Paris, 1967, p. 459. Cependant, à l’inverse des captifs, les otages n’étaient pas pris mais remis au vainqueur comme gage de bonne foi. Mis à part le statut du prince qui est captif, son cas ressemble, sur plusieurs points, à celui des otages par sa position sociale, par son traitement et par son retour. L’État romain portait son choix sur les premiers personnages de la cité défaite pour en faire des otages. Ces derniers, une fois à Rome, suivaient dans des structures pédagogiques un enseignement de la civilisation romaine et ils bénéficiaient d’une manière générale d’un bon traitement. Cf. M. Gueye, « Les otages dans le règlement des conflits et la conquête : l’exemple du Bellum Gallicum », Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université Cheikh Anta Diop, n°35, 2005, pp. 109-125. À leur retour, ces otages se « faisaient plus ou moins consciemment les propagandistes ou les propagateurs de la culture et de l’esprit de Rome ». L’exemple le plus éloquent est celui de Démetrios fils de Philippe V de Macédoine et frère de Persée. Remis comme otage à Rome en 197 av. J-C pour garantir la trêve romano-macédonienne, Démetrios ne revint en Macédoine qu’en 190 et commença à s’impliquer dans la politique intérieure. Les Romains ne consultaient que lui (Pol., XXIII, 7) semant de la sorte la discorde dans la cour antigonide. 5 La guerre des Juifs, IV, 626-629. La prédiction favorable à Vespasien fit naître en lui un sentiment de sympathie envers Flavius Josèphe au point qu’il lui donna en mariage une captive prise à Césarée, Autobiographie, LXXV, 414-415. Cette attention témoigne du bon traitement dont le prisonnier juif fit l’objet à Césarée avant sa libération bien qu’il prétendît 1
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de Jotapata le 20 Juillet 67 ap. J-C, le « Juif de Rome » se réfugia dans une grotte avec quarante autres personnes. Seulement, une femme révéla leur cachette. Il tenta alors de convaincre ses compagnons d’infortune de se rendre, en vain. Par tirage au sort les réfugiés de la caverne s’entretuèrent, mais Flavius Josèphe, qui était le dernier survivant, se livra au tribun romain, Nicanor. Il fut remis à Vespasien qui décida de l’envoyer à Néron. Lorsqu’il demanda une entrevue avec le général romain, il lui prédit l’Empire ainsi qu’à son fils Titus. Dans un premier temps, ses paroles furent considérées par Vespasien comme une ruse, une imposture, il le fit alors enchaîner. Flavius Josèphe, bien traité, garda, néanmoins, ses chaînes pendant deux années et demi de juillet 67 à décembre 69. Ce n’est qu’en 69, une fois que « le sort désigne » Vespasien empereur, que ce dernier le fit libérer. L’empereur le libéra-t-il en vue de l’utiliser comme intermédiaire ? Après sa délivrance, il mena une campagne pro-romaine auprès de ses concitoyens. L’utilité de Flavius Josèphe se révéla plus tard au cours du siège de Jérusalem en 70 alors qu’il n’était plus captif. Toutefois, sa nouvelle condition d’homme libre le rendait encore plus utile aux yeux de Titus1. Il incarnait, réellement, la preuve vivante de la clémence romaine même envers ses plus farouches ennemis. Sa connaissance de la langue et de la culture judaïques, son appartenance au sacerdoce et sa popularité faisaient de Flavius Josèphe le meilleur instrument de propagande pour amener les résistants juifs à se rendre. Mais l’arme que constituait Flavius Josèphe était à double tranchant compte tenu du fait que, captif de guerre bien traité et symbole de l’indulgence de Rome, il était considéré comme un traître2 aux yeux de ses anciens concitoyens, l’exemple à ne pas suivre. Et cette dernière impression triompha, vu l’échec de ses missions successives3. Titus espérait « obtenir par la guerre psychologique ce qui, de toute évidence, allait être très long à obtenir par les armes »4. avoir été maintenu dans les fers. Le mariage, pendant sa captivité, semble un peu contradictoire avec le port des chaînes, La guerre …, IV, 628-629. 1 Titus, poursuivant la même stratégie pour convaincre les Juifs de capituler, laissa la plupart des Juifs, qui quittèrent la ville et se rendirent, se répandre à travers les campagnes, La guerre des Juifs, V, 420. 2 Il essaie, tout au long de son ouvrage, de montrer qu’il n’avait pas trahi les Juifs mais qu’il avait agi sous une impulsion divine. D’ailleurs, c’est pour cette raison que Flavius Josèphe adopte une vision de la captivité complètement différente de celle de la plupart de ses contemporains. Si, pour les assiégés de Jérusalem, il était préférable de se donner la mort plutôt que de capituler devant l’ennemi, lui, au contraire, par des arguments religieux et philosophiques, s’évertua à montrer que la captivité était un acte de bravoure, III, 352-392 ; P. Savinel, « Flavius Josèphe ou du bon usage de la trahison », pp. 11-12. 3 Flavius Josèphe, convaincu que la population était restée dans les murs de Jérusalem contre sa volonté, opprimée par Jean de Gishala et Simon Bar Gioras, tenta à trois reprises, par des harangues suggestives, de faire comprendre à ses « concitoyens » que la reddition était un acte courageux, une manière de sauver la patrie ainsi que le patrimoine des Juifs, La guerre des Juifs, V, 420. Pour toute réponse, les Juifs blessèrent à l’épaule gauche Nicanor qui l’accompagnait, V, 114 ; V, 261. 4 M. Hadas-Lebel, Flavius Josèphe..., p. 180.
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique
Cette dernière partie, comme on peut s’en douter, aboutit à une interrogation essentielle : le traitement des prisonniers de guerre s’est-il amélioré ou aggravé au cours de la période abordée ? Cette question délicate porte sur deux catégories de prisonniers de guerre, à savoir les captifs romains et les captifs barbares. On peut trouver la réponse à travers les mutations apportées au régime des traitements auquel étaient soumis les captivi, un régime profondément influencé par le contexte international et l’évolution de la vision romaine de la barbarie. Le sort du captif romain subit des modifications capitales avec la loi Cornelia au IIIe s. av. J-C et la constitutio redemptis à la fin du IIe s. ap. J-C. La première considérait le prisonnier de guerre non plus comme un « mort » mais comme un « absent », tandis que la seconde, elle, facilitait le rachat des captifs romains. Pourtant, aucune de ces lois n’était, réellement, destinée à améliorer les conditions de vie du prisonnier de guerre en tant que telles. En effet, si l’une ne concernait que le captif libéré, l’autre, en revanche, plongeait le captif « redemptus » dans une autre forme d’asservissement. Quant aux traitements réservés aux prisonniers de guerre barbares, on peut remarquer, d’une part, la disparition progressive ou, du moins, la pratique de plus en plus rare du sacrifice de captifs et, d’autre part, la constance dans d’autres formes de traitement telles que les mutilations, le port des chaînes, la vente ou la figuration à la cérémonie du triomphe. Entre le IIIe s. av. J-C et la première moitié du Ier s. ap. J-C, le traitement des prisonniers de guerre barbares ou hellènes ne connut pas de changements majeurs en dehors des cas de rois capturés qui étaient de moins en moins épargnés, à l’image de Jugurtha ou de Vercingétorix. Le discours iconographique délivré par les monnaies, monuments, statues et camées reste invariable. Le captif apparaît avec les mains et/ou les pieds liés, le visage triste et désemparé ou révolté au pied d’un trophée ou au milieu du butin. Bref, entre le IIIe s. av. J-C et la première moitié du Ier s. ap. J-C, le traitement des prisonniers de guerre a changé de forme, mais il ne s’est pas, pour autant, véritablement, amélioré. Le captif restait l’esclave de l’ennemi et la captivité participait, ainsi, à la définition des rapports logiques et constants de domination par la victoire. Le durcissement de l’attitude romaine envers les captifs de rang royal s’étendit, à partir de la seconde moitié du Ier s. ap. J.C., sur l’ensemble des populations captives. L’apparition et la pratique de plus en plus fréquente de certaines formes de mise à mort et de supplice comme le crucifiement, l’envoi aux bêtes ou les combats à mort, qui firent baisser le nombre de prisonniers de guerre réservés à la vente, l’attestent. Les juifs capturés furent, en masse, crucifiés devant les remparts de Jérusalem en 70 ap. J-C et les chefs de révolte exécutés. Pour le reste, les uns furent envoyés aux travaux forcés et les autres destinés à mourir dans les arènes par le fer ou sous la dent des fauves. Le mauvais traitement des captifs barbares, qui participait à la répression sanglante des mouvements insurrectionnels, correspondait à une réponse aux nombreuses révoltes qu’animaient les élites locales, et qui devenaient de plus en plus 259
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menaçantes pour la stabilité de l’Empire. Cette situation s’avérait d’autant plus alarmante que le recours à la terreur ne parvenait pas à éradiquer les germes de ces agitations. Au IIe s. ap. J-C, la menace barbare s’affirma davantage. L’ordre romain était mis en danger à l’intérieur comme à l’extérieur du limes. Entre 101 et 107 ap. J-C, Trajan mena deux expéditions contre les Daces sur le Danube. Pour célébrer sa victoire, il envoya périr une multitude de prisonniers daces dans les amphithéâtres1. En 132 ap. J-C, éclata, à nouveau, en Judée la révolte de Bar Kokhéba ; en Égypte, entre 152 et 153 ap. J-C, la population s’insurgea ; en 169 ap. J-C, le roi des Parthes, Vologèse III, envahit l’Arménie et la Syrie. À partir de ce siècle, le traitement du captif prit une autre allure comme le montre la colonne aurélienne. Cette dernière marqua un tournant décisif dans l’histoire de la captivité. La représentation du prisonnier barbare et l’attitude romaine subirent des transformations majeures et simultanées. Le Barbare n’était plus figé dans une position, il était ouvertement maltraité. Femmes et enfants captifs se retrouvaient victimes de la cruauté et de la brutalité du légionnaire romain, car le Barbare mettait sérieusement en péril la survie de l’orbis Romanus. La captivité ainsi que les traitements de plus en plus inhumains infligés à la masse des captivi correspondaient à des moyens stratégiques et des leviers sur lesquels s’appuyaient les Quirites pour endiguer le danger barbare qui, du reste, se révélait encore plus menaçant et pressant au IIIe s. ap. J-C avec, d’une part, les poussées germaniques de plus en plus fortes aux frontières et, d’autre part, le péril perse.
A. Bodor, « Dacian slaves and freedmen in the Roman Empire and the fact of the Dacian prisoners of war », Acta Antiqua Philippopolina I, Studia Historica et philologica, Sofia, 1963, p. 50.
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CONCLUSION La vision romaine de la captivité En guise de conclusion, nous allons aborder un point fondamental de notre étude, à savoir la vision romaine de la captivité. Elle sera analysée, d’une part, à partir de la place qu’occupent les captifs et la captivité dans les textes et, d’autre part, en suivant les fluctuations et enjeux des décisions et positions politico-militaires de l’Urbs et de son sénat, qui déteignaient sur le comportement des Romains envers leurs propres prisonniers et vis-à-vis des captifs d’origine étrangère entre le IIIe s. av. J-C et le IIe s. ap. J-C. Circonscrire l’espace réservé au thème de la captivité dans le discours produit par les auteurs permet, certes, de mettre en évidence les traits saillants tels que la pauvreté ou la richesse des sources à des périodes bien précises, mais surtout de dégager les forces et les limites du corpus. En fonction du type de discours, du genre littéraire et du volume des ouvrages, l’importance du thème (exprimée par le nombre d’occurrences) varie d’un auteur à un autre1. Un large écart sépare poètes et historiens. Si cette question suscite un intérêt inégal, elle occupe une place minime dans les textes anciens où, paradoxalement, la guerre constitue un point central. Seule la délimitation de l’espace spatio-temporel permet de préciser dans quel contexte et à quel moment du discours les prisonniers de guerre se manifestent. Le tableau chronologique, tiré du corpus, est essentiellement dominé par les rapports conflictuels entre Rome et le reste du monde2. L’espace géographique qui spécifie les zones de provenance et les zones de destination des captifs est largement influencé par la dimension temporelle qui fixe les périodes au cours desquelles les captifs sont présents ou absents. On constate, d’un côté, que les prisonniers de guerre n’apparaissent pas systématiquement ni au moment des conflits, ni au cours des règlements diplomatiques ; de l’autre, qu’ils n’interviennent pas exclusivement dans ces situations ou circonstances. Florus, par exemple ne fournit aucun bilan précisant le nombre de captifs faits par l’armée romaine, quoiqu’ils existent, à la fin de la guerre contre Numance. Toutes les informations se concentrent principalement sur l’époque républicaine qui occupe 63% du corpus en particulier aux IIe et Ier s. av. J-C. Elles se distribuent entre l’Afrique, l’Espagne, la Gaule, la Germanie et le monde grec. Velleius Paterculus, Valère Maxime, Florus et Aulu-Gelle couvrent surtout cette période, tandis que Tacite, lui, se La Figure II (cf. Annexe I) met en évidence la forte contribution de Tacite (avec quatre ouvrages comptabilisés, dont deux portent sur l’histoire de Rome entre 14 et 69 ap. J-C) et les apports très faibles des poètes, Martial et Juvénal. La courbe souligne la particularité de leur genre littéraire. Dans la poésie satirique où « l’auteur ne raconte ni ne décrit, il exprime, au sens le plus précis du terme, le sentiment qui l’habite et le texte qui en résulte constitue comme une fixation par l’écriture d’un état d’âme tel qu’il a existé à un moment donné », la question de la captivité reste, tout simplement, subsidiaire. 2 Tableau IX de l’Annexe I. Pline couvre un espace temporel et spatial très réduit contrairement à Valère Maxime ou à Florus. 1
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focalise sur le Ier s. ap. J-C entre la Bretagne, le Danube, la Gaule et la Numidie. Mais, cette distribution sur une longue durée n’offre pas toujours la possibilité de suivre les faits dans leur évolution à cause de la nature sèche et fragmentaire des données disponibles. Il ressort de la lecture et de l’analyse de ces textes qu’un type de prisonnier de guerre précis focalise particulièrement l’attention des auteurs : les insignis captivi. Ils constituent 55% des cas de captifs relevés. La capture d’un ennemi de grande renommée ne se passe jamais sous silence. Un tel choix se justifie par l’objectif poursuivi par les auteurs du corpus à travers leurs écrits, à savoir opposer à l’inertia Caesarum la fameuse époque où Rome était active et conquérante. L’inertie, dont il est question ici, n’est pas synonyme d’une inactivité ou bien d’une absence de conquête qu’attesterait la présence clairsemée de captifs dans les textes. Mais elle consiste plutôt en une absence ou en une rareté d’insignis captivi. Sur l’ensemble des prisonniers de marque répertoriés, 72% appartiennent à la période républicaine. Parmi eux, on peut citer Syphax, Chiomara, Persée et sa cour, Gentius et sa famille, Andriscos, Aristonicos, Bituit, Jugurtha et ses enfants, Aristobule, Tigrane, Vercingétorix… Alors que, pour l’époque impériale, Tacite ne cite que Thusnelda et son enfant, la famille d’Arpus, celle de Tacfarinas, Caratacus et Valentinius. Certes, les captifs sont plus présents entre le IIIe et le Ier s. av. J-C, mais Velleius Paterculus, Valère Maxime ou Florus évoquent rarement la masse d’ennemis pris à la suite de campagnes militaires. En se focalisant sur les captifs de qualité (les rois et leur entourage), ils réduisent la masse des prisonniers à des individualités ou la plongent dans l’anonymat. Ainsi dans leur discours même, ils opèrent une dichotomie entre l’élite, les « insignis captivi », et la foule des captifs. Tacite garde un silence total sur les Silures et les Musulames sûrement pris au cours des révoltes conduites par Caratacus en Bretagne et Tacfarinas en Afrique. En revanche, il met l’accent sur la capture des familles princières et celle du chef des Silures. Une corrélation directe est établie ainsi entre les captifs de marque et les victoires de grande envergure, faisant correspondre l’absence de tels prisonniers de guerre à un défaut d’importantes conquêtes pour mieux souligner le caractère banal, voire même inoffensif des révoltes provinciales. Ce choix délibéré et arbitraire influe directement sur les informations que livre le corpus et fixe les forces et les faiblesses du discours sur la captivité. Dès lors, les types de traitement infligés aux prisonniers « vedettes », notamment l’emprisonnement, la figuration au triomphe ou la strangulation dans le carcer sont mieux connus (bien que la fin de ces captifs soit souvent imprécise ou carrément ignorée) que ceux réservés à la foule des prisonniers de guerre. Ces derniers sont, ainsi, relégués au second plan. Toutefois, cette démarche adoptée par les sources rend difficiles ou impossibles les tentatives d’apporter des réponses précises sur la valeur numérique des prisonniers de guerre. Ces renseignements rendraient possible l’établissement et le suivi de l’évolution de la courbe d’approvisionnement des marchés d’esclaves. Ceci afin de mieux 262
Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique
connaître l’importance de la guerre comme source d’esclaves entre le IIIe s. av. J-C et le IIe s. ap. J-C et de statuer sur les fluctuations des cours de l’humain. Malgré cette lacune qui révèle les limites et la spécificité du corpus, ce dernier confirme l’asservissement des populations vaincues en pleine pax romana, qui ne correspond pas à une interruption totale de leur vente, mais plutôt au ralentissement de l’activité militaire. D’un autre côté, en mettant en avant la captivité de marque, le corpus fait intervenir dans le sort du prisonnier de guerre son ancien statut social comme variable essentielle et décisive à côté de l’âge et du sexe. Cet indicateur actif met en relief et explique les inégalités dans le traitement du captif. À ces trois critères (sexe, âge et ancien statut social du captif) s’adjoint un quatrième paramètre, moins perceptible mais puissant. Il s’agit du contexte politique et international qui conditionne parfois même le destin du prisonnier de guerre tout en conférant à la captivité une dimension plus large et plus complexe. Les textes remettent en question le caractère systématique et aveugle de certaines formes de traitement comme le massacre et la strangulation ainsi que la fréquence d’autres, à l’image de la vente. Ils dévoilent plus ou moins subrepticement d’autres catégories moins évidentes comme l’isolement, la privation de nourriture ou le viol des femmes. En revanche, ils mettent bien en évidence la nature exceptionnelle des traitements tels que la mise en liberté. Ainsi, la captivité fonctionne comme un miroir où se reflètent à la fois la gloire, la grandeur du populus Romanus et de son armée (supérieurs aux Barbares par le savoir-faire et la morale) et la médiocrité des peuples barbares qui se lit non seulement à travers leur défaite, mais aussi leur ignorance et grossièreté. Si les uns se montrent dignes et courageux face à la captivité, en revanche, les autres étalent toute leur sauvagerie au point « de mordre leurs chaînes »1. La vision romaine de la captivité, fondée sur le rapprochement entre captivité et défaite, qui émerge dans tout le corpus, construit sa dévalorisation. Par la défaite qu’elle signe, la captivitas est synonyme de lâcheté et de honte. Dans quelle mesure le discours des auteurs reflète-t-il l’état d’une opinion plus large face aux mauvais traitements infligés aux prisonniers de guerre ? C’est bien difficile de le dire. Toute l’attitude du vainqueur se justifie par le contenu et les implications du vocable captivus. Les textes permettent de cerner de près cette unité lexicale en lui conférant la définition précise que confirment les données juridiques, en dépit des problèmes d’amalgames et de confusions terminologiques. Cependant, ni les modalités d’entrée en captivité ou les circonstances de la prise, ni la nature des conflits n’agissent directement sur le traitement du prisonnier de guerre qui dépend d’abord des troupes ennemies et de leur commandant en chef. Les instances politiques n’interviennent qu’une 1
Flor., I, 27, 5 ; II, 27, 17.
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fois à Rome. Quel que soit son sexe, son âge ou son ancien statut social, aucune clause juridique ne protège, dans les faits, le captif. Le sort du prisonnier de guerre ne dépend, en aucun cas, d’un quelconque droit des gens. Certes, l’évolution du droit laisse entrevoir des transformations entre le IIIe s. av. J-C et le IIe s. ap. J-C pour rétablir l’ancien captif dans ses droits civiques et faciliter le rachat du prisonnier de guerre, mais la perception négative de la captivité ne change pas, elle reste réelle et fortement présente dans tous les discours. Elle n’offre, au fond, qu’une issue honorable au prisonnier de guerre, le suicide, en dépit du fait qu’il rend caduc le jus postliminium. Toutefois, la vision globale de la captivité à Rome reste plutôt ambivalente dans la mesure où, si pour l’hostis, la captivitas revêt les allures d’un privilège, en revanche elle correspond à une réelle calamité pour le civis Romanus. Lorsque l’Urbs soumet des rois ennemis, un tel succès consacre la défaite indubitable de l’adversaire sans pour autant que sa nouvelle situation soit dépréciative. Aucun des textes ne remet en question l’honneur ou la bravoure d’un roi ennemi de Rome qui s’est laissé prendre. Le procédé courant des auteurs consiste à encenser l’adversaire, à souligner ses mérites afin de rehausser ceux du vainqueur. On le voit chez Tacite à travers l’exemple de Caratacus qui, présenté pendant la guerre comme un bandit, devient, une fois pris et traîné à Rome, un être plutôt « civilisé », entouré de sa famille et qui suscite même compassion et respect chez l’empereur Claude. La captivité représente ainsi pour les Barbares une aubaine, une opportunité de s’élever à la civilisation. Elle s’affiche comme un moyen de lutte contre la barbarie. Mais Rome n’appliquait pas cette conception à ses propres prisonniers. Dès qu’il s’agissait des siens, sa perception basculait radicalement : la captivité relevait automatiquement alors du déshonneur. C’est d’ailleurs principalement pour cette raison que l’Urbs ne voulut pas réintégrer à leur poste les prisonniers de guerre que Pyrrhus, en 280 av. J-C, avait libérés. Valère Maxime les surnomme, dédaigneusement, « l’aumône honteuse de Pyrrhus »1. La méfiance que suscitait le captif de retour constitue également une explication tout à fait valable. L’Urbs ne disposait d’aucun moyen de contrôle sûr et objectif pour s’assurer du patriotisme ou de la fiabilité du captif libéré par les soins de l’ennemi. Elle exigea des prisonniers restitués par le roi d’Épire de ramener deux fois des dépouilles de l’adversaire afin de vérifier qu’ils n’étaient pas des espions à la solde de l’ennemi. La honte qui entachait la captivité et les réserves émises quant à l’attachement effectif du captif à son pays expliquaient le comportement de Rome, qui accepta le rachat des prisonniers de Teutoburg par leurs parents à condition qu’ils demeurassent hors de l’Italie. Mais le besoin d’éviter le sentiment de défaite apparié à la captivité justifiait la plupart des décisions et réactions de l’État romain. D’une manière générale, lorsqu’il s’agissait des soldats romains, la captivité se révélait foncièrement dévalorisante. C’est d’ailleurs pour éviter les 1
II, 7, 156.
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Captifs et captivité dans le monde romain : discours littéraire et iconographique
éclaboussures d’un tel déshonneur que Rome refusait, fréquemment, de racheter ses prisonniers, préférant se les faire restituer. La devise du soldat romain devait rester vaincre ou mourir. Les textes ne s’attaquent pas à ces conception et position parfois implacables qui ne prenaient en compte ni l’engagement patriotique du soldat, ni les risques réels auxquels il s’exposait pour la défense de son pays. En fait, ils inscrivent tous ces mauvais traitements dans l’ordre des choses (puisque, en dernière instance, le captif n’est que l’esclave de l’ennemi) et s’en servent pour souligner l’inhumanité des Barbares. Si pour la masse des prisonniers de guerre romains, la captivité est dégradante, pour l’élite, en revanche, elle paraît tout à fait normale sinon honorifique. En usant d’artifices ingénieux du discours, Valère Maxime, Velleius Paterculus, Juvénal ou Florus, parviennent à atténuer le caractère avilissant de la captivité dès qu’il s’agissait des chefs de l’armée romaine. Ils font alors intervenir dans le champ de la captivité des paramètres tels que l’éthique, la religion et le destin, en insistant sur ses vacillations impondérables, pour justifier et maquiller leur défaite. Ces trois valeurs creusent davantage le fossé qui sépare l’élite et la masse des prisonniers de guerre romains. Les principes de la morale et de la religion intervenaient plutôt comme des justificatifs pour légitimer l’acte commis ou subi par un captivator, sa moderatio et sa continentia, ou bien alors pour louer le courage d’un captif. Ils assignaient, ainsi, aux prisonniers de marque une place toute particulière. Dès qu’il était question de la capture des commandants en chef de l’armée, des représentants de l’Urbs par excellence, l’État ne pouvait pas se désolidariser de leur sort compte tenu de leurs position et rôle essentiels dans la vie sociale, politique et militaire de la cité. Pour couvrir l’attitude paradoxale et ambivalente de l’État romain, tout en disculpant les chefs de l’armée capturés, les sources font intervenir le fatum ou destin qui tient un rôle fondamental et déterminant dans l’enchaînement des événements et dans la vie des individus. En effet, suivant ses caprices inconstants et imprévisibles, le destin entraîne l’homme dans les situations les plus déconcertantes telle la captivité. Par conséquent, n’importe qui peut se retrouver dans la situation d’un captif à partir du moment où la condition humaine est soumise à un « incertissimus flatus fortunae ». Ainsi, c’est ce fatum qui explique la capture de Regulus (malgré toute sa témérité), la prise du consul Cn. Cornelius Scipio Asina1 et même celle de Publius Ventidius2. Pour tous ces exempla, la tradition annalistique ne retient, au fond, que leur vaillance et la place de cette fortuna aléatoire dans leur vie, même si, en réalité comme n’importe Florus justifie la capture du consul par la perfidie des Carthaginois qui l’avaient presque enlevé, I, 18, 11. Alors que Polybe atteste que les Puniques avaient infligé une défaite navale à Cn. Cornélius qui finit par se rendre à l’ennemi, I, 21, 7. Encore une fois, la perfidie légendaire des Puniques servit de justificatif pour maquiller en rapt la défaite cuisante du consul romain. 2 Velleius Paterculus, II, 65, 3 ; Valère Maxime VI, 9, 9 ; Juvénal VII, 197-202 ; Aulu-Gelle, XV, 4. 1
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quel soldat, ils furent tout simplement défaits et pris par l’ennemi. Ces deux attitudes, paradoxalement contradictoires envers ses propres milites capturés, s’expliquent essentiellement par le besoin d’éviter la honte qui retomberait sur l’Urbs. Par le contenu même du vocable captivus et ses implications, Rome refusait, en vérité, la captivité des siens.
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ANNEXES
N.B. : Les tableaux et figures qui sont dans cette annexe ont le corpus textuel comme source.
Annexe I. Tableaux et Figures Tableau I. Termes spécifiques Termes Capere Auteurs Velleius I, 7; II, 23 Paterculus II, 42 II, 91 Valère I, 6, 2 Maxime I, 6, 3 I, 8, 6 II, 7, 15e III, 2, 23 III, 4, 5 III, 5, 1 IV, 1, 7 IV, 3, 1 I, 1, ext.2
Capta
Capti
Capto
Captum
I, 2 ; I, 7 I, 13 ; I, 14 II, 12 ; II, 47 I, 1, 10 I, 6, 6 I, 6, 9 I, 8, 6 II, 7, 5 II, 7, 15e II, 10, 4 III, 2, 13 IV, 1, 2 IV, 7, 4 VII, 6, 2
II, 19 ; II, 41 II, 39 II, 46 ; II, 82
I, 11 II, 114
IV, 3, 4 V, 2, 1b V, 2, 5 VI, 1; VI, 5 VI, 9, 11
I, 8, 1b II, 2, 1
Captivitas Captiva Captivi
Martial Juvénal
IV, 125 XV, 75-83
II, 160
Tacite
Agr., XXXVII, 2 Hist., II, 13 III, 17 III, 56. Ann., II, 86 IV, 16 IV, 25 XIV, 33 V, 22
Pline
Pan., 81
Hist., I, 89 Agr., II, 17 XIII, 5 III, 13 XLI, 3. III, 29 Germ., III, 72, 11 XXXVII, 5 III, 72, 4 Hist., III, 84, 7 I, 50 ; I, 82 IV, 1; IV, 18 II, 44 ; II, 62 IV, 15 IV, 17 IV, 54 IV, 76 IV, 62 XI, 24 IV, 77 Ann., IV, 32 Ann., XII, 35 IV, 7 XII, 39 XII, 37 XIII, 41 III, 54 XV, 22 XV, 1 Pan., 82 Pan., 17
Suétone
Aug., XXXI, 3 Titus, V
Aug., XV XXIX, 7-8
Iul,, IV LXVIII. Ner., II
Florus
I, 18, 2 I, 18, 17 I, 33 I, 35 I, 38
I, 35, 6 I, 40, 27
AuluGelle
I, 12, 1 I, 12, 9 I, 12, 13 I, 12, 15
I, 1, 7 ; I, 5 I, 6, 8 ; I, 13 I, 17 ; II, 22 I, 28 ; II, 33 II, 7 ; II, 8 II, 33 I, 12, 9 I, 12, 13 (bello capta) I, 12, 19 VI, 4, 3 VII, 8, 3 XV, 4
II, 23, 10 VI, 4, 1
Hist., III, 44 III, 45 Ann., III, 74
Hist,. IV, 56 IV, 85 Ann., I, 56 XII, 39
Dial., XVII, 4 Germ., VIII, 1 Hist., V, 17 Ann., IV, 25 XI, 23 XII, 38 XVI, 2
II, 23 ; II, 40 II, 42 ; II, 65 II, 82 ; II, 120 I, 1, 14 ; I, 7, ext.8 II, 7, 15b ; II, 9, 8 III, 8, 2 ; IV, 3 IV, 8, 5 ; IV, 8, 1 V, 1, 1a ; V, 1, 1b V, 1, 7 ; V, 1, 8 V, 1, ext.3 V, 1, ext.4 V, 2 ; V, 4, ext.7 VI, 9, 8 VI, 9, 9 ; VI, 9, 11 IX, 2, 1 ; IX, 6, 3 XI, 96 VII, 80 ; VIII, 26 XIV, 26 VII, 197-202 X, 133-141 X, 276-282 Ann., Germ., X, 6 XV, 15 Agr., XXV, 5 XXXIX, 2 Hist., III, 34, 3 III, 66 ; IV, 23 IV, 33 ; IV, 34 IV, 61 Ann., I, 68 II, 21 ; II, 25 II, 41 ; III, 41 IV, 26 ; XII, 20 XII, 39 ; XIV, 30 XIV, 31 ; XV, 29
Lettres , X, Pan., 55 74
I, 11, 11 I, 1, 1 I, 5, 9 I, 26, 3 I, 45, 15 II, 33, 49 II, 33, 50 VII, 4, 1
269
I, 18 I, 22 II, 27 II, 33
I, 42
VII, 8
Iul., XXVIII Aug., XIII ; XXI Vesp., V Cal., XLVII I, 13, 14 ; I, 13, 27 I, 18, 23 ; I, 22, 39 I, 28, 10 ; I, 38, 15 I, 39, 2 ; I, 39, 7 I, 42, 3 ; II, 8, 7 II, 13, 88 ; II, 30 III, 8, 5 ; VI, 4, 3 VI, 4, 4 ; VI, 18, 2 VI, 18, 3 ; VI, 18, 4 ; VI, 18, 7; VII, 4, 1 VII, 4, 2
Tableau II. Modalités d'entrée en captivité Auteurs Termes Circumuenire
Velleius Paterculus
Tacite
Pline
Suétone
Florus
III, 8, 8 II, 129
Comprehensus
I, 38, 10
Dedere (se)
I, 27, 5 II, 7, 11 I, 35, 6
Deditio
Ann. III,46 XII, 35, 3 Hist., IV, 2 Ann., XII, 17 XV, 1 Ann., I, 57
Deditus Ereptus Exceptare
II, 10, 2a
Exceptus
III, 2,12 V, 2, ext.2 IX, 6, 3
Expugnare
II, 74
Ann., I, 68, 1
Intercepere Interceptus
Rapere Raptus
Tradere Traditus Trahere Victus
AuluGelle
Ann., I, 68, 1 XII, 27, 3
Circumuentus Continere
Valère Maxime
II, 10, 2a III, 8, 7 V, 2, 6
Ann., XII, 39, 2 Germ., X, 6 Agr., XXVII, 4. Hist,. I, 67 II, 17 Ann., II, 7
I, 30, 5 II, 10, 9
Cl., XXI
VII, 8 I, 42, 2 I, 18, 11
Ann., I, 59 I, 61, 4 II, 24 IV, 7 XV, 15, 3 Hist., III, 56
I, 8, 6 III, 8, ext.1 VI, 1, ext.2 Ann., XII, 21 XII, 36, 1 Ann., IV, 25 Lettres, XIII, 16, 7 I, 11 ; II, 4 Ann., I, 41 XII, 36, 1 II, 25 XIV, 30
270
I, 5, 9 VII, 8 I, 22, 39 II, 10, 9
Tableau III. Termes connotant le sexe et l'âge Termes Impubes Auteurs Velleius Paterculus Valère VI, 9, 9 Maxime Martial
Iuventus
Mulier
Pubes
Puella
Puer
V, 1, 7
V, 1, 7
Uxor
Senex
VI, 1, ext.2 I, 1,14 VI, 1, ext.3 V, 4, ext.7.
Juvénal Tacite
Ann.,
Ann., I, 57 I, 59 ; II, 35
XIII, 39
Pline Suétone Florus
I, 18, 21 I, 39, 2
I, 22, 40 I, 22, 40 I, 27, 5 I, 38, 6 VII, 8, 6 XV, 4 VII, 8, 3
Aulu-Gelle
Tableau IV. Termes ambigus Termes Barbarus Auteurs Velleius Paterculus Valère Maxime XI, 96 Martial Tacite
Deditus
Obses
Servus II, 19
IV, 3, 1
Ann., XI, 24 ; XII, 17 XV, 1
Germ., VIII, 1
Pline
Lettres, X, 74
Suétone Florus
I, 39, 7
I, 30, 5 ; II, 10, 9
Aulu-Gelle
II, 33, 51 II, 23, 10
271
Tableau V. Termes et expressions dénotant ou connotant la captivité Auteurs Mar- JuvéVelleius Valère Tacite Termes Paterculus Maxime tial nal Ante /sub VI, 2, 3 VIII, 2 currum Carcer II, 19 VI, 9, 9
SuéPline tone
Catenae
II, 120
Pan., 17
Custodia /Custodire In libera custodia Direptio
I, 1 II, 42 II, 87
In manus hostium incidere/venire In potestatem redigere In potestatem hostium venire In triumphum ductus
VI, 2, 3 VI, 6, 2 VI, 9, 6 VI, 9, 11 VI, 9, ext.7 V, 1, 1b IX, 6, 3 VI, 1, ext.8
I, 18, 23. Aug., XIII
AuluGelle XV, 4 VI, 19, 7
I, 27 ; I, 30 I, 34 ; I, 36 I, 40 ; II, 27
Hist., I, 67, 3 I, 87 ; IV, 63 Ann., XII, 21
Cal., I, 27, 5 XXIX, II, 21, 10 7-8
Hist., I, 50 III, 33 ; IV, 15
Cl., XXI
VI, 4, 4
I, 18 ; I, 22 I, 46 ; II, 7 II, 30 I, 6 ; IX, 2 IV, 3 II, 9 IV, 7 VI, 1, ext.2
Iul., IV Iul., LXXIV
I, 9 ; II, 4 II, 12 II, 65
Manus vinciendae Praeda
III, 5, 1 VII, 80
Triumphari Vendere Vendere sub corona Vendere sub hasta Venundare
II, 42
Vincire
II, 82, 3
V, 1, 7 VI, 5, 1c
XI, Hist,. II, 13 100 II, 44 ; III, 34 Ann. I, 57 ; I, 65 I, 68 ; III, 21 XII, 27 ; XII, 28 XII,32 ; XIII, 39 XIII, 56 ; XV, 6 XVI, 2 Ann., XII, 19 Hist., I, 68, 3 Ann., III, 39
I, 6 ; I, 13 I, 17, 2 I, 17, 4 I, 18, 21 I, 18 , 28 I, 18 ; I, 34 II, 7 ; II, 30
II, 30, 24 II, 33, 51
Agr., XXI XXVII, 4 Ann., XIX, 33
Vinculum Vinctus
Hist., III, 74 IV, 13 Ann. II, 3
Florus
II, 18 II, 120 II, 121
IV, 1, 7 VI, 6, 2 IX, 6, 3 VI, 9, 11 I, 7, ext.8
Ann., XII, 37, 1 Hist., I, 6, 6 Ann., I, 65 IV, 25 ; XI, 8 XII, 36 ; XII, 38
272
Vesp., V I, 18 ; I, 35 I, 45
VI, 4, 3 VI, 4, 4
Tableau VI. Terminologie des guerres civiles : interférences lexicales Auteurs
Termes Capere/Captus
Valère Maxime
Captivus Catena Circumuentus Custodia (in) Cruciatus
Tacite, Histoires
Suétone
Florus
II, 13 ; I, 50 ; I, 82 ; I, 89 ; II, 17 ; II, 44 ; II, 62 III, 13 ; III, 17 ; III, 29 ; III, 44 ; III, 45 ; III, 56 III, 72 ; III, 84 ; IV, 1 ; IV, 56 III, 34 ; III, 66 ; IV, 85
Iul., LXVIII Nér., II Aug., XIII
II, 7, 11 II, 8, 7
III, 74 ; IV, 13
Aug., XIII
II, 8, 7
III, 8, 8 I, 67 ; I, 87 ; IV, 2 II, 13
Dedere se Deditus
II, 7 IV, 2
Direptio Interceptus
III, 8, 7
I, 50 ; III, 33 ; IV, 15 I, 67 ; II, 17
Praeda Redemptare
II, 13 ; II, 44 ; III, 34 III, 34
Stuprum
III, 3
Supplicium
II, 7, 11
Vinctae manus
III, 13
Tableau VII. Termes spécifiant les types de châtiment Auteurs
Velleius Termes Paterculus
Cruciare /Crux
Valère Maxime
Tacite
Suétone
II, 9, 8
Hist., II, 13 Ann., XIV, 33 Hist., II, 61, 2
Iul., LXXIV I, 18, 23
Feris obiectus
Florus
Insomnia cruciatus
VII, 4, 2
Manus abscisae
I, 39, 7
Patibulum Supplicium
Stuprum
AuluGelle
Ann., I, 61, 4 XIV, 33 II, 42
VI, 1
Ann., XIV, 33 Iul., IV Hist., III, 74 ; IV, 13 IV, 85, 2
I, 18, 23 II, 7, 11
Hist., III, 33
I, 27, 6
273
Tableau VIII. Termes connotant la fin de la captivité Auteurs Velleius Valère Termes Paterculus Maxime Fugere
Tacite
Pline
Suétone
Florus
Lettres, X, 74
Ius postliminii
VI, 18, 7
Liberare Libertas
Aug., XXI II, 18
Permutare
IV, 8 ; V, 2, 1b V, 2, 5 II, 9, 8
VI, 18, 3 VII, 4, 1 VI, 18, 2 VI, 18, 4 VII, 4, 1
Permutatio
Reddere
I, 1, 14 V, 1, 1a
Redemptare
II, 8, 5
IV, 3, 1 II, 42
Ann., II, 24
Reditus
I, 1, 14
Redimere
II, 7, 15e V, 1, 1a VI, 1, ext.2 VI, 5, 1c
Remittere Restituere
Ann., I, 24 Hist., III, 34
Redemptio Redemptus
AuluGelle
Ann., II, 24 II, 18
I, 13, 14
274
Tableau IX. Présence des captifs dans les guerres entre le IIIe s. av. J-C et le début du IIe s. ap. J-C Événements
Velleius Valère Maxime Paterculus
280 - Guerre contre Tarente 272 - Prise de Tarente 264-241 - Première guerre punique 254 - Capture de Regulus 218-201 - Deuxième guerre punique 216 - Débâcle de Cannes 211 - Prise de Syracuse 209 - Prise de Carthagène 191 - Expédition de Manlius Vulso contre les Galates 191 - Victoire des Thermopyles 188 - Paix d'Apamée 177 - Guerre d'Histrie 172-168 - Troisième Capture guerre de Macédoine de Persée (I, 9) 146 - Rébellion de la Pas de Ligue achéenne captifs - Destruction de (I, 13) Corinthe 146 - Destruction de Carthage 146 - Guerre contre Andriscos le pseudo-Philippe capturé (I, 11) 143-133 - Guerre de Numance 132-130 - Révolte Aristonicos d'Aristonicos capturé (II, 3) 120 - Domitius contre les Arvernes
Captifs romains libérés par Pyrrhus (II, 7, 15b) Captifs carthaginois (I, 6 ; IX, 2) Capture de Regulus (I, 1 ; II, 2) Capture de Syphax (IX, 6, 3) Rachat de 2743 captifs carthaginois (I, 1, 1a) Prise d’Hamilcar à Syracuse La fiancée d'Indibilis (IV, 3, 1) Captives teutonnes et la femme d'Orgiagon (VI, 1, ext.2 ; VI, 9, 14) Libération du fils de Scipion par Antiochos (II, 10, 2a ; III, 5, 1)
Tacite
Florus
Martial Juvénal Pline Suétone Aulu-Gelle Captifs romains Prisonniers (I, 13, 14 libérés par I, 13, 27) Pyrrhus (Gell., III, 8) Captifs Capture de Regulus carthaginois Capture de (Gell., VIII, Regulus (I, 18) 4) Captifs ibères Scipion et de Scipion ses captifs ibères (Gell.,VII, 8) Prisonniers romains de Cannes (Gell., VI, 18) La reine des Gallogrecs (I, 27, 5-6)
Capture d'Épulon (I, 26, 3) Captivité de Captivité de Persée et de ses Persée enfants (I, 28, 10) (Gell., VI, 3)
Prise de Carthagène (II, 10, 4)
Captifs numantins (VII, 6, 2) Capture et suicide de Crassus (III, 2) Capture d'Aristonicos (III, 4, 5) Capture de Bituit (IX, 6, 3)
275
Pas de captifs (I, 34, 16-17) Capture d'Aristonicos (I, 35, 4-5) Capture de Bituit (I, 37, 5)
Événements
Velleius Valère Maxime Paterculus
112-105 - Guerre de Numidie
Tacite
Florus
Martial Juvénal Pline Suétone Aulu-Gelle
Capture de Capture de Jugurtha Capture de Jugurtha (VI, 9) Jugurtha (I, 36) (II, 12) 102-101 - Marius Plus de Teutoboduus contre les 100 000 (I, 38, 10) et Germains prisonniers prisonniers cimbres (I, 38, ou morts 15) (II, 12, 4) 91-89 - Prise de Ventidius Ventidius (VI, 9, 9) Ventidius Picenium et sa mère (Gell., XV, (II, 65) 4) 88-85 - Première Capture de Échange de captifs guerre contre M' Aquilius (V, 2, ext.2) Mithridate VI (II, 18) 86 - Prise d'Athènes 200000 captifs 85 - Prise de Dardanos (II, 23) 88-82 av. J-C guerre civile ( Marius - Sylla ) 67 - Campagne en Crétois Prisonniers captifs Crète crétois (I, 42, 3) (II, 40) 63 - Prise de Aristobule Jérusalem capturé (I, 40, 30) 58-51- Guerre des Plus de Capture de Gaules 400 000 Cassuelanus 54 - Campagne Capture de captifs contre la Bretagne Vercingétorix 51 - Prise d'Uxellodunum 49-45 av. J-C guerre civile (César - Pompée) 47 - César prend Prise d'Arsinoé Alexandrie (II, 13, 88) Victoire de César sur le roi Pharnace Capture de Juba 46- Victoire de César et des Maures en Afrique (II, 13, 88) 41 - Soulèvement des Captifs de Italiens à Pérouse et Pérouse (Suét., prise de la ville Aug., XV) 39-38 - Ventidius Captifs de Ventidius contre les Parthes (Juv.,VII) 36 - Campagnes Artavasdés Ann., d'Antoine contre II, 3 capturé les Parthes (II, 82) 34 - Triomphe à Alexandrie
276
Événements
31-30 - Défaite d'Antoine et de Cléopâtre
Velleius Paterculus
Valère Maxime
Tacite
Florus
Martial Juvénal Pline Suétone Aulu-Gelle
33-30 av. J-C Guerre civile (Antoine/Octave) Cléopâtre Cléopâtre séquestrée séquestrée (II, 21, 10) (II, 87) 27 av. J-C- 14 ap. J-C Auguste
29- Fermeture du temple de Janus 26-25 - Auguste contre les Cantabres 25 - Nouvelle fermeture du Janus 16-9 - Drusus et Capture de Maroboduus Tibère en Europe centrale (II, 1) 11-9 - Opérations militaires contre les Thraces 9 ap. J-C - Désastre (II, 120) de Varus Prisonniers romains
Vente de prisonniers cantabres (II, 33, 51) Beaucoup de captifs (II, 30, 24) Prisonniers thraces et romains (II, 27) Prisonniers romains (Germ. , XXXVII, 5)
14-37 Tibère Velleius Paterculus, Histoire romaine - Valère Maxime, Faits et dits mémorables 16-17- Campagnes Captivité de la famille de Germanicus d'Arminius (Ann., I, 56) Capture de la famille d'Arpus (Ann., II, 7) 17-24 - Soulèvement Capture du fils et du de Tacfarinas frère de Tacfarinas (Ann., III, 74 ; IV, 25) 21 - Révolte de Suicide de Sacrovir Florus et de Sacrovir (Ann., III, 46) 29-28 - Opérations contre la Mésie 37-41 Caligula 41-54 Claude 43-51- Révolte de « Des rois capturés » Caratacus (Agr., XIII, 5) 43 - Campagne Captivité de Caratacus contre la Bretagne et de sa famille Triomphe de Claude (Hist., III, 45 sur la Bretagne Ann., XII, 35, 3) 55-60 - Corbulon Plusieurs prisonniers en Arménie faits à Volande, 58 - Prise d'Artaxate (Ann., XII, 39) et de Volande 61 - Révolte de Boudicca
277
Événements
Velleius Paterculus
Valère Tacite Maxime
Florus
Martial Juvénal Pline Suétone Aulu-Gelle Flavius Josèphe (Suét., Vesp., V)
66-70 - Soulèvement de la Judée 67 - Percement de l'isthme de Corinthe 68-69 ap. J-C - Guerre civile : Galba - Othon - Vitellius. 69-79 Vespasien 69 - Prise de Vente de captifs Crémone (Hist., II, 17 ; III, 33) 69-70 - Insurrections Capture et exécution de en Gaules Maricc (Hist., II, 62) Capture et libération de Civilis (Hist., IV, 13) Captifs romains faits par Civilis (Hist., IV, 17 et 34) Capture et exécution de Sabinus et de Valentinius (Hist., III, 74) 77-84 - Agricola en Prisonniers bretons (Agr., XXV, 2 ; XXXVII, Bretagne 2) 79-81 Titus 81-96 Domitien Martial, Épigrammes 81-86 - Guerres sur Captifs romains (Agr. , le Danube XLI) Captifs germains au 86 - Triomphe sur les Chattes triomphe (Agr., XXXIX, 2) 96-98 Nerva Juvénal, Satires - Tacite, Vie d'Agricola 98-117 Trajan Tacite, Histoires et Annales - Pline le Jeune, Lettres et Panégyrique de Trajan 102 - Triomphe de CallidroTrajan sur les Daces mus, (Pline, Lettres, X, 74) Triomphe sur les Daces, (Pan., 17) 117-138 Hadrien Florus, Œuvres - Suétone, Vie des douze Césars 138-161 Antonin le pieux Aulu-Gelle, Nuits Attiques
278
Fig. I. Modes de désignation des captifs
Nationalité 6%
Condition de captif 34%
Liens de Parenté 6%
Statut social 17%
Noms propres 27% Age 3%
Sexe 7%
Fig. II. Importance du thème de la captivité par auteur 160 140 120 100
V a l e u rMonnaies s
80 60 40 20 0 Velleius
Valère Martial Juvénal Tacite Maxime Auteurs
279
Pline
Suétone Florus
AuluGelle
1.
Annexe II. Monnaies, fragments de relief et monuments Monnaies
Numéros et titres des illustrations I. Paul-Émile et ses captifs : Persée et ses enfants II. Captif traîné par les cheveux III. Défaite de la Gaule IV. Victoire de César sur la Gaule V. Défaite de la Gaule : tête de Vercingétorix VI. Couple de captifs au pied d'un trophée : victoire de César sur l'Espagne VII. Victoire de César sur l'Espagne VIII. Défaite d'Antoine et de Cléopâtre
Références Babelon, Aemilia, 10 ; Grueber I, 3373 ; Sydenham 926926b. Denier Paullus Aemilius Lepidus/62 av. J-C. Babelon, Licinia, 24 ; Grueber I, 3999-4002 ; Sydenham 954. Denier Aulus Licinius Nerva/47 av. J-C. Babelon, Iulia, 25-26 ; Grueber I, 3953-3955 ; Crawford 452/1-2 ; Cohen, Jules Cesar 17 ; Sutherland 109-110 ; Sydenham, 1008-1009. Denier Caius Julius Caesar/49-48. Babelon, Iulia, 27-28 ; Grueber I, 3959-3960 ; Sutherland 111-112 ; Sydenham, 1010-1011. Denier Caius Julius Caesar/49-48 Sydenham 952 ; Crawford 448/2a ; Sutherland 144-145 . Denier L. Hostilius Saserna/48 av. J-C. Grueber II, Spain, 89 ; Cohen, Jules Cesar 13 ; Sydenham 1014 ; Babelon, Iulia,11 ; Crawford 468/1. Denier Caius Julius Caesar/49-48 av. J-C. Babelon, Iulia,12 ; Grueber, II, Spain, 86 ; Cohen, Jules Cesar 14 ; Sydenham 1015 ; Crawford 468/2. Denier Caius Julius Caesar/45 av. J-C. Grueber II, East, 244-250 ; Mattingly 650-655 ; Babelon, Iulia, 148a-151/28 av. J-C.
IX. L’Égypte en captivité
Sutherland 231-232/28 av. J-C.
X. Soumission de l'Arménie
Grueber II, East, 305-306 ; Cohen, Octave Auguste 56-57, 36 ; Mattingly 676-678/20-18 av. J-C.
XI. Victoire sur l'Arménie
Grueber II, East, 307 ; Cohen, Octave Auguste 13/20-18
XII. Défaite de l'Arménie
Grueber 4517-4520 ; Cohen, Octave Auguste ; Mattingly 43/20-18 av. J-C.
XIII. Victoire d'Auguste sur l'Arménie
Cohen, Octave Auguste14/29 av. J-C.
XIV. Défaite de l'Espagne XV. Soumission de l’Espagne XVI. Défaite de la Judée
Cohen, Octave Auguste 402-403 ; Grueber II, Spain, 116119 ; Mattingly 283-286/21 av. J-C. Cohen, Octave Auguste 405-406 ; Grueber II, Spain,113115 ; Mattingly 280-282/21 av. J-C. Cohen, Vespasien 232-240 ; Sutherland 350-351/71 ap. J-C.
XVII. Victoire de Vespasien
Cohen, Vespasien 239/71 ap. J-C
XVIII. Soumission de la Judée
Cohen, Vespasien 241/71 ap. J-C.
XIX. Victoire de Domitien sur les Chattes
Cohen, Domitien 135/85 ap. J-C.
XX. Victoire de Trajan en Dacie
Cohen, Trajan 117 ; Sutherland 355/105 ap. J-C.
XXI. Conquête de la Germanie par Cohen, Marc Aurèle 221-222/ 173-174 ap. J-C. Marc Aurèle
280
D’après Ch. Pérez, Monnaie du pouvoir…, p. 342
D’après Ch. Pérez, Monnaie du pouvoir…, p. 322
I
II
III D’après M. Clavel-Lévêque, Puzzle gaulois, p. 321
281
IV D’après M. Clavel-Lévêque, Puzzle gaulois, p. 321
V D’après M. Clavel-Lévêque, Puzzle gaulois, p. 320
D’après M. Clavel-Lévêque, Puzzle gaulois, p. 321
VI
VII D’après Ch. Pérez, Monnaie du pouvoir…
282
VIII D’après M. Gueye
IX
D’après M. Gueye
D’après Ch. Pérez, Monnaie du pouvoir…, p. 365
D’après Ch. Pérez, Monnaie du pouvoir…, p. 365
283
X
XI
D’après Ch. Pérez, Monnaie du pouvoir…, p. 365
XII
XIII
D’après M. Gueye
D’après Ch. Pérez, Monnaie du pouvoir…, p. 362
D’après Ch. Pérez, Monnaie du pouvoir…, p. 363
284
XIV
XV
D’après M. Gueye
D’après M. Gueye
XVI
XVII
XVIII
XIX
XX
XXI
D’après M. Gueye
285
2. Fragments de relief, monuments et entraves Numéros et titres des illustrations
Références
I. Captif gaulois de Saint-Rémy-de-Provence Espérandieu 8700/Walter 1/Entre 25 et 20 av. J-C. II. Captifs du trophée de la cuirasse de Saint-Bertrand-de-Comminges
Espérandieu 7656/Walter 87-88 - Aquitaine Datation incertaine.
III. Captif dans une frise d'armes de Vindonissa
Walter 167- Germanie/Ier s. ap. J-C.
IV. La pleureuse de Mayence
Espérandieu 5829. Walter 113-114.
V. Captives et captifs de l'arc de Glanum : façade S-E
Walter 5-4. Saint-Rémy-de-Provence/Entre 10-20 ap. J-C.
VI. Arc de Glanum : façade S-O
Walter 7-6.
VII. Arc de Glanum : façade N-E
Walter 9-8.
VIII. Arc de Glanum : façade N-O
Espérandieu 111/Walter 11-10.
IX. Captifs de l'arc de Carpentras : façade Espérandieu 243/Walter 14/Ier s. ap. J-C. Ouest X. Captifs de l'arc de Carpentras : façade Est Espérandieu 244. XI. Les trois couples de captifs de l’arc d’Orange : façade Est XII. Captifs germains enchaînés
Espérandieu 260.Entre 19 et 26 ap. J-C.
XIII. La capture
Colonne aurélienne/G. Beccatti/180-193.
XIV. Décollation de captifs
Colonne aurélienne/G. Beccatti/180-193.
XV. Captives dans le butin
Colonne aurélienne/G. Beccatti/180-193.
XVI- XVII. Captive brutalisée
Colonne aurélienne/G. Beccatti/180-193.
XVIII. Captives en pleurs
Colonne aurélienne/G. Beccatti/180-193.
XIX-XX-XXI. Femmes et enfants captifs
Colonne aurélienne/G. Beccatti/180-193.
Espérandieu 5118/Ier s. ap. J-C.
286
I
II
III
IV Clichés H. Walter, Les Barbares de l’Occident romain
287
Captifs et captives de l’arc de Glanum
V
VI
VII
VIII
Clichés H. Walter, Les Barbares de l’Occident romain 4-10.
288
Captifs de l’arc de Carpentras (IX-X)
IX. Cliché H. Walter, Les Barbares…
X. Cliché M. Gueye
XII. Cliché H. Walter, Les Barbares…
XI. Cliché M. Gueye
289
Les captifs de la colonne aurélienne
XIII
XIV
(Clichés M. Gueye)
290
XV
XV I
(Clichés M. Gueye)
XVII
291
XVIII
XX
XIX
XXI
(Clichés M. Gueye)
292
INDEX GÉNÉRAL
B Baecula : 78, 80, 254. Barbare : 12, 16, 41, 71, 92, 96, 103110, 117, 141, 151, 167, 170, 177, 182, 185, 188, 190, 194, 209, 213, 216, 219221, 225, 226, 235, 235-238, 251, 253, 257, 259-260, 263-265. Barbare et captif : 12, 16, 41, 71, 92, 96, 103-104, 107, 109-110, 151, 177, 182, 191, 194, 209, 219-220, 225, 260. Barbaricum : 12, 14, 238. Barbarie et civilisation : 14, 73, 75, 90, 106-108, 110, 188, 191, 194, 209, 216, 257, 263-264. Bellum injustum : 60, 66-69. Bellum justum : 60, 66. Bienfaiteur : 13, 26, 251. Bituit : 35, 38-39, 119, 147, 195, 199, 208, 215, 262. Bocchus : 39, 83-84, 119, 199. Boudicca : 94, 158. Bretagne : 37, 86, 93-94, 103, 127, 194, 262. Brigandage/Brigands (cf. aussi Latrocinium) : 15, 50, 59-60, 67, 79, 96, 159, 176, 184. Butin (cf. Praeda) : 25-26, 51, 60-61, 63, 66, 71-77, 80, 84, 98, 101-103,124, 135, 139-141, 149-150, 152-155, 159, 162, 164, 177, 193, 214, 218, 229, 231, 259. C Caldus Caelius : 221. Caligula : 105, 108. Callidromus : 36, 52. Cannes (bataille) : 43, 54-55, 125, 147, 174, 177, 235, 244-246. Capere/Caedere : 44. Capere/Occidere : 43, 44. Capere/Trucidare : 43-44. Capite minitus : 51, 54. Capta bello : 27, 29. Captif de marque : 81, 99, 149, 197, 207, 214, 255. Captivator : 33, 34, 38-40, 43, 61, 69, 81-85, 101-103, 113, 117, 162, 164, 167-169, 188, 223, 229-230, 238-239, 249, 252, 253, 265. Captivi (insignis) : 208, 209, 230, 262.
A Aegypto capta : 85, 132. Afrique/Africains : 12, 40, 83, 86, 127, 130, 254. Âge : 23, 28, 35, 36, 37, 41, 45, 71, 74, 78, 80, 81, 82, 97, 98, 99-102, 110, 113114, 139, 143, 144-146, 155, 165, 257, 263, 264. Agricola : 86, 148. Aikhmàlōtos : 24. Alba Fucens (Albe) : 195. Albintimilium : 123, 136, 141, 159. Alexandre le Grand : 133, 165, 166, 210, 212. Alimentation : 196, 202- 206. Amphithéâtre : 79, 97, 109-110, 135, 260. Andriscos (pseudo-Philippe) : 86, 194, 201, 261. Animus remanendi : 53, 54- 57. Antoine : 34, 39, 45, 82, 84, 85, 119, 132, 182, 186, 199, 208, 212, 223, 225, 240, 257. Arc de Carpentras (cf. Annexe II) : 91, 104-106, 108, 133, 217, 222. Arc de Glanum (cf. Annexe II) : 8991, 104, 217, 222, 224. Arc d’Orange (cf. Annexe II) : 89, 90, 91. Aristobule : 37, 38, 39, 94, 119, 182, 201, 202, 208, 211, 215, 219, 256, 262. Aristonicus : 39, 66. Armenia capta : 132. Arminius : 34, 73, 88, 89, 95, 120, 148, 185, 199, 200, 202, 239, 243. Arsinoé : 84, 119, 208, 209. Artavasdés : 39, 85, 119, 199, 208, 209, 212, 225. Artaxate : 122, 123, 127, 136. Asservissement : 95, 234, 235, 243, 259, 263. Astapa : 136, 141. Athènes/Athéniens : 123, 136, 141, 143, 200. Auguste/Octave : 12, 28, 31, 33, 34, 42, 75, 79, 82, 84, 113, 132, 133,134, 173, 185, 186, 230, 234, 257.
295
Constitutio de redemptis : 249, 251-252, 259. Corbulon : 146, 231. Corinthe : 72, 123-124, 136-137, 140, 151, 236. Cornelia et Hostilia (lois) : 57, 259. Corps du captif : 89, 103-108, 157, 160-161, 164-165, 171-172, 182-183, 186, 188, 196, 211, 216, 218, 221. Crassus (M. Licinius) : 111, 133, 171, 181, 240. Crémone : 43, 60, 61, 98-99, 103, 123, 136, 139, 143, 153, 157, 159, 217, 230. Crocodile : 85, 132, 223. Crucifiement : 157, 169, 181-185, 189, 191-192, 214, 259. Crux : 180, 184-185. Custodia : 43, 46, 193. Libera custodia : 201, 213. D Daces/Dacie : 76, 108, 134, 173, 216, 222, 260. Damnatio ad bestias : 175, 176. Décollation/Décapitation : 170, 182. Dediticius/Captivus: 23, 32, 42, 49, 6166, 113, 114, 132. Deditio : 39, 42, 50, 61-67, 68, 69, 123, 136-137, 150, 199, 241. Denier : 90, 131, 132, 219, 235-236. Dépendance (rapports de) : 30, 42, 96, 113, 222-223. Direptio : 72, 158. Domination (rapports de) : 25, 30, 41, 67, 90, 110, 113, 117, 155, 159, 256, 259. Domitien : 75, 86, 134, 148, 175. Drachme : 235-236. Drypetina : 164. E Échange de captifs : 243-245, 249. Égypte : 79-80, 84-85, 119, 132, 199, 208, 216, 235-236, 260. Eléazar : 141, 159, 175. Enfants : 41, 45, 57, 78, 80, 85, 94, 95, 96, 97, 98, 101, 102, 119, 120, 129, 131, 137, 140, 141, 143, 146, 152, 158, 169, 170, 190, 193, 201, 202, 210, 212, 215, 219, 222, 224, 260, 262. Enrôlement : 237-238.
Captivitas : 16, 26, 27, 45, 51, 113, 155, 193, 263. Captivité/Civilisation : 13, 105, 107, 191, 257, 264. Captivité/Esclavage : 16, 26, 36, 96, 135, 250. Captivus (définition) : 11, 15, 16, 23-27. Captivus /Captus : 16, 24, 27, 30, 31, 42, 49. Caratacus : 85, 87, 101, 120, 200, 208, 226, 262, 264. Carcer : 47, 193, 195-198, 201, 206-209, 212, 218, 262. Carnage : 43, 44, 61, 135, 137, 139, 141, 143-144, 147-149, 151, 176. Carnifex : 201, 213. Carnyx : 75, 131, 132. Carthage : 53, 56, 78, 100, 125, 130, 131, 141, 233, 239, 243, 247-248, 250. Carthagène : 33, 78-80, 103, 123, 126127, 136-137, 151-152, 165, 237, 254. Cartimandua : 33, 50, 85, 120. Catena : 220. Chaînes : 35, 83, 104-105, 184, 197, 214-215, 218, 220-223, 225-226, 256, 258-259, 263. César (Julien) : 74, 106, 130, 166, 176, 240, 248. César Jules : 25, 37, 39, 44, 46, 59, 82, 84, 90, 107, 147, 169, 171, 173, 179, 182, 194, 198, 202-203, 208, 211-212, 233, 238, 241, 256-257. Champ de bataille : 43-44, 72, 75, 80. 88-89, 98, 102-125, 135, 146-140, 176. Châtiment : 13, 21, 29, 54, 117, 128, 148, 170, 172, 180-184, 186-187, 197, 204, 212. Chattes : 25, 134, 140. Chiomara : 160-160, 262. Claude : 33, 39, 50, 85, 87, 120, 127, 201, 208, 264. Cléopâtre : 40, 84-85, 119, 132, 199, 212, 223, 257. Colonne aurélienne (cf. Annexe II) : 28, 76, 92, 102, 170, 224, 260. Colonne trajane (cf. Annexe II) : 217, 224. Combat à mort : 103, 139, 157, 169, 173, 176. 296
Glyptique/Camée : 37, 52, 89-90, 102, 259. Grèce/Grecs : 14, 26, 51, 169, 209, 210, 215-216, 226, 247, 250, 261. Guerre civile : 16, 31, 34, 45, 60, 69, 85, 94, 99, 141, 143, 154, 169, 198, 202, 230, 255, 257. Guerre étrangère : 16, 31, 45, 47, 69, 193. Guerre servile : 16, 31, 45, 170.
Entraves : 220, 221, 225-226. Esclave (cf. aussi Servus) : 14, 26, 27, 30, 36, 42, 45, 52, 53, 58, 59, 63, 71, 78, 109, 110, 125, 135, 148, 153, 160, 164, 167, 169, 174, 181, 184, 193, 222, 231235, 237, 245-246, 249, 252, 259, 263. « Esclave de l’ennemi » : 11, 26, 69, 117, 164, 223, 226, 229, 259, 265. Espagne : 12, 75, 79, 80, 126, 130, 143, 165, 167, 254, 261. Eunonès : 33, 50, 120, 200. F Faim/Famine : 6, 96, 99, 141, 203-206, 209, 212, 241. Fatum : 265. Fides : 55-56, 61, 63-64, 66, 212, 224, 244. Flamininus : 26, 52, 235, 248-250. Flaviens : 69, 89-91, 133, 143, 159, 175-176, 183-184, 192. Flavius Josèphe : 13, 39, 72, 79, 80, 86, 93, 96, 99, 101, 106, 117, 120-121, 125, 129, 135, 138-140, 146-147, 150, 154, 176, 182-186, 203-206, 217-219, 233, 237, 240, 242, 257-258. Forum Boarium : 178-179. Fouet : 182, 209, 218. Fronton : 79, 203. Fuite : 43-44, 119, 136-138, 140-141, 159, 201. G Gadara : 136, 143-144, 184. Galilée : 79, 86, 95, 121, 138, 144, 146, 154, 184, 192, 233, 242. Gallogrecs/Galates : 119, 160, 161. Gamala : 101, 136, 138, 143, 145, 184. Gaule/Gaulois : 25, 35, 37, 38, 44, 75, 90, 93, 96, 104-109, 120, 128-129, 147, 169, 174-175, 177, 179, 198, 203, 239, 24-242, 256, 262. Gentius : 39, 119, 193, 199, 208, 210, 215, 226, 262. Gérasa : 136-137, 140. Germanicus : 25, 34, 88-89, 95, 140, 149, 187, 239. Germanie : 93-95, 193, 105-16, 108, 144, 147, 238, 261. Gishala : 79, 136, 140, 154. Gladiateur/Gladiature : 173-174, 235
H
Hannibal : 53, 150, 166-167, 172, 174175, 235, 244-248, 254. Hélénos : 37, 41. Hérode : 37, 72, 182-183. Hostis/Hostes : 32, 44, 51, 57, 58, 60, 83, 90, 109, 184, 206, 213, 214, 252, 256, 264. Hypotypose : 70, 190, 219. Hyrcan : 201, 256. I Idistavise : 148, 243. Iguvium : 195, 208, 210. Imperator/Imperium : 30, 64, 85, 126, 129, 133, 147-148, 152, 165, 237, 241. In libera custodia : 201, 213. Inertia Caesarum : 11, 262. Renseignement militaire (Le) : 239-243 Insécurité (cf. Sécurité) : 63, 149-150, 172, 176, 199, 203, 221, 225, 230-232. Interférence lexicale : 26, 47. J Japha : 95, 136-137, 140, 145-146. Jean de Gishala : 159, 183, 203-205, 208-209, 233. Jeunes : 79, 95, 97, 98, 99, 100, 102, 103, 108-111, 137, 139, 142, 145- 146, 158, 165-167, 175, 190, 236, 257. Jérusalem : 13, 78-80, 96, 99, 123-125, 129, 136, 140, 143-146, 150, 154, 159, 172, 175, 182-186, 192, 194, 203, 224, 235, 240, 258-259. Jotapata : 13, 39, 86, 120, 136, 138-140, 144, 183-184, 242, 258. Juba II : 119, 208, 257. Judaea capta (cf. Annexe II). Judée/Juifs : 13, 72, 80, 91, 94, 95, 101, 121, 133, 137, 139, 142-143, 145-147, 297
Nudité/Semi-nudité : 76, 106-107, 216-217. Numance/Numantins : 63, 64, 67-68, 101, 123, 127, 130-131, 136-137, 141142, 241, 261. Numidie/Numides : 12, 41, 44, 83-84, 86, 98, 119, 198-199, 204, 210, 211212, 254-257, 262. O Occupatio bellica : 59, 60, 61. Octave (cf. Auguste) : 34, 82, 84-85, 122, 179. Orgiagon : 103, 160. Otage (Obses) : 23, 42, 49, 113, 163, 167, 230, 232, 257. Othon/Othoniens : 98, 140, 141, 143, 159, 169. Oxyntas : 119, 255-256. P Palmier : 90-91, 132-134, 224. Parthes : 52, 104-105, 108, 133, 182, 216, 138, 260. Patibulum : 185. Paul-Émile : 39, 65, 208, 210, 211, 215, 244. Pax Romana : 11, 12, 86, 263. Pérouse : 122-123, 136, 173, 179. Persée : 11, 25, 38-39, 65, 85-86, 119, 193, 198-199, 201, 204, 208-216, 218, 222, 226, 253, 262. Personnes âgées : 97-99, 101, 109-110, 141, 145-146, 170, 203. Pileus : 26, 250. Pillage (cf. Direptio) : 72-73, 127, 151154, 158. Piraterie/Pirates : 16, 31, 45-47, 49, 5861, 67, 69, 86, 113, 169-170, 182, 219, 250. Pompée : 38-39, 59, 82, 85-86, 92, 94, 125-126, 129, 163, 182, 198, 202, 208, 218, 256. Pontifex : 28-29. Postliminium : 13-16, 49-61, 66, 69, 113, 264. Praeda : 25, 43, 45, 71-74, 77, 99, 153, 164, 165, 177, 229. Prises de guerre (cf. Butin) : 26, 31, 72. Prison (cf. Carcer). Prisonnier de guerre (cf. Captivus).
154, 175-176, 184, 191-192, 201-203, 219, 234, 242, 256, 260. Jugurtha : 11, 39, 83-84, 119, 199, 204, 208, 211-215, 218-219, 226, 255-256, 259, 262. Jus Jurandum : 55-56. Justinien : 15, 16, 52, 181. L Latrocinum : 15, 57. Lautumiae : 96, 98. Libération/Liberté : 16, 43, 52, 69, 79, 94, 117-120, 208, 243-244, 247, 249, 250, 252-255. Locha : 64, 136, 152. Logistique : 229, 233. Loi des douze Tables : 29. M Macédoine : 39, 65, 68, 86, 119, 131, 201, 204, 210, 215, 233. Machéronte : 94, 136, 140, 146. Mahozamalcha : 74, 138, 166, 176. Mancipium : 24. Manlius Vulso : 160, 163, 248. Maricc : 38, 120, 169, 175. Marie de Jérusalem : 96. Marius : 39, 47, 83-84, 95, 146-147, 157, 163, 208, 215. Maroboduus : 199-200. Masada : 101, 136, 142, 145, 185. Massacre (cf. Carnage). Massinissa : 210, 239, 254. Massiva : 98, 119, 254. Maurétanie : 83, 119, 257. Mayence (captifs de) : 104, 106, 217, 222. Ménophile : 163. Métaure (Bataille du) : 177. Mithridate du Bosphore : 33, 39, 50, 64, 120, 200, 208. Mithridate du Pont : 143, 147, 163-164, 177, 219. Mummius : 124, 140. Mutilation/Amputation : 157, 169, 171-172, 192, 259. N Néron : 79, 94, 236-237, 258. Nicanor : 39, 258. Ninive (Ninos) : 122, 127, 135. 298
100-103, 106, 110, 113-114, 162-164, 168, 184, 193, 215, 223, 255, 263-264. Strangulation : 66, 119, 193, 195, 200, 202, 204, 206, 208-210, 212-214, 262. Stuprum (cf. Viol) : 157, 161. Sub corona (Vendere) : 42, 44, 231, 232. Sub hasta (Vendere) : 231. Suicide : 13, 40, 84, 95, 119, 136, 141, 142, 163, 215, 264. Summa supplicia : 168. Supplice de l'insomnie : 169, 188-189, 191. Supplice du feu : 157, 169, 191-192, 242. Synecdoque : 127, 130. Syphax : 11, 38-39, 41, 85, 119, 198, 208, 210-211, 222, 226, 262. T Tacfarinas : 12, 33, 40, 44, 86, 120, 257, 262. Tarichée : 79, 99, 136, 140, 233, 236. Teutobodus : 34, 75, 108, 119. Teutoburg : 185, 187, 247-248, 264. Teutonnes : 95, 157, 163. Thraces : 12, 25, 35, 95-96, 111, 169170, 172, 174, 177-178, 190-191, 200, 201. Thusnelda : 89, 95, 120, 202, 262. Tibère : 62, 86, 120, 133, 200. Tibur : 195, 202, 208, 211. Tigranocerte : 123, 136. Titus : 13, 79-80, 96, 99, 104, 123, 133, 141, 150, 154, 172, 175-176, 183-184, 194, 201, 208, 218-219, 233, 236, 245, 258. Trajan : 36, 52, 76, 108, 145, 217, 221, 260. Triomphe : 13, 25-16, 34, 41-43, 47, 44-66, 74, 77-88, 97-98, 102, 108-111, 117-120, 127, 131, 133, 137, 147-148, 150, 176, 193-222, 226, 232, 235, 250, 256, 259, 262. Trophée : 38, 75, 76, 89-91, 90, 104108, 171, 179, 209, 221-222, 259. Tullianum : 196-198, 204, 206, 219. U Urbs capta : 121-123, 126, 139, 154-155, 158. Uspé : 43, 63-64, 123, 136.
Pydna (Bataille de) : 65, 222. Pyrrhus : 37, 41, 200, 210, 217, 264. Q Q. Culleo Terentius : 26, 238, 250. R Rachat/Rançon : 43, 59- 61, 119, 161, 235-236, 243-252, 259, 264. Radamiste : 164. Ravenne : 120, 195, 200, 202. Redemptio hostibus : 248. Redemptor : 243, 249-252. Regulus M. A. : 25, 39, 53-56, 74, 100, 147, 153, 169-171, 180, 188-190, 245, 265. Restitution de captifs : 43, 243, 247248, 250. S Sacrifice humain (Sacrifice de captifs) : 171, 174, 176-180. Saint-Bertrand-de Comminges (cf. Annexe II) : 76, 217. Saint-Rémy-de-Provence (cf. Annexe II) : 76, 104, 217. Salomé-Alexandra : 94. Scaela Gemonia : 196. Scipion l'Africain : 40, 64, 78, 80, 85, 103, 126-127, 130, 131, 141, 143, 151152, 163, 165-167, 237-238, 250, 254. Sécurité (cf. Insécurité). Séphoris : 136-137, 146, 184. Sépulture : 185-187, 211. Serment (cf. Jus jurandum) : 53-56, 63, 152. Sesterce : 233, 236. Servus (cf. Esclave) : 23, 26, 42, 45, 51, 106, 113, 164. Sexe : 23, 30, 35, 41, 71, 80-82, 87-90, 97, 109-110, 113-114, 145, 155, 167168, 223-264. Silures : 33, 50, 85, 87, 120, 262. Simon Bar Gioras : 66, 79, 96, 120,159, 172, 184, 201, 206, 208-211, 233, 258. Oxyntas (Fils de Jugurtha) : 119, 255256. Spartacus : 111, 169-170, 174, 181. Spolète : 195, 208, 210. Statut social (cf. aussi Captif de marque) : 23, 26, 36-38, 41, 71, 80, 81-83, 299
V Varus : 185, 187, 199, 221, 238-239, 248. Vente : 14, 27, 36, 42, 44, 60, 77-82, 102, 110, 117-118, 136, 150, 153, 177, 188, 230-236, 246, 254, 259, 263. Ventidius Bassus : 101-102, 119, 265. Vercingétorix : 11, 39, 66, 75, 119, 198, 208-211, 222, 241, 259, 262. Vespasien : 13, 39, 79, 80, 82, 86, 91, 99, 104, 133, 137, 143-145, 183-184, 208, 217, 224, 233, 236, 242, 258. Vestale et captive : 27-30, 95. Vétilius : 99. Vêture : 92, 104, 106-107, 214, 216, 218. Viol/Stuprum : 16, 103, 117, 19, 139, 157-168, 263. Viriathe : 99, 171. Vitellius/Vitélliens : 38, 82, 140, 143, 169, 175, 230. Vivicombustion : 179. Volande : 136-137, 139, 146, 231. X Xantippe : 25, 39. Z Zénobie (épouse de Radamiste) : 164. Zénobie (reine du Palmyre) : 88, 202, 226.
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TABLE DES ILLUSTRATIONS I- Figures et tableaux Figures Modes d’entrée en captivité ...................................................................................... 32 Couples de captivus/captivator ..................................................................................... 39 Répartition des captifs selon la qualité .................................................................... 81 Répartition des captifs selon le sexe ......................................................................... 87 Répartition des captifs selon l’âge ............................................................................. 97 Itinéraire des captifs destinés au triomphe ............................................................ 195 Modes de désignation des captifs ............................................................................ 279 Importance du thème de la captivité par auteur ................................................... 279 Tableaux Formes de traitement des captifs de marque ....................................................... 119 Villes prises ................................................................................................................ 123 Sort des populations des villes sous le contrôle de l'ennemi ............................. 136 Tableau comparatif du nombre de captifs et de celui des morts ....................... 140 Formes de torture et de mise à mort ...................................................................... 169 Supplices infligés à Regulus ...................................................................................... 189 Sort des captifs de marque conduits au triomphe ................................................ 208 Termes spécifiques .................................................................................................... 269 Modalités d'entrée en captivité ................................................................................ 270 Termes connotant le sexe et l'âge ............................................................................ 271 Termes ambigus ......................................................................................................... 271 Termes et expressions dénotant ou connotant la captivité ................................. 272 Terminologie des guerres civiles : interférences lexicales .................................... 273 Termes spécifiant les types de châtiment ............................................................... 273 Termes connotant la fin de la captivité .................................................................. 274 Présence des captifs dans les guerres entre le IIIe s. av. J-C et le début du IIe s. ap. J-C .......................................................................................................................... 275 II- Monnaies et fragments de relief Monnaies Paul-Émile et ses captifs : Persée et ses enfants (cliché EA 4011 Université de Franche-Comté - Besançon) ........................................................................................ 281 Captif traîné par les cheveux (cliché EA 4011 - Besançon) ................................... 281 Défaite de la Gaule (cliché EA 4011- Besançon) ..................................................... 281 Victoire de César sur la Gaule (cliché EA 4011 - Besançon) ................................. 282 Défaite de la Gaule : tête de Vercingétorix (cliché EA 4011 - Besançon) .......... 282 Couple de captifs au pied d'un trophée : victoire de César sur l'Espagne (cliché EA 4011 - Besançon) ................................................................................................... 282 Victoire de César sur l'Espagne (cliché EA 4011 - Besançon) .............................. 282 Défaite d'Antoine et de Cléopâtre ......................................................................... 283 313
L’Égypte en captivité .............................................................................................. 283 Soumission de l'Arménie (cliché EA 4011 - Besançon) ........................................ 283 Victoire sur l'Arménie (cliché EA 4011 - Besançon) ............................................ 284 Défaite de l'Arménie ................................................................................................ 284 Victoire d'Auguste sur l'Arménie (cliché EA 4011 - Besançon) .......................... 284 Défaite de l'Espagne (cliché EA 4011 - Besançon) ............................................... 284 Soumission de l’Espagne (cliché EA 4011 - Besançon) ........................................ 284 Défaite de la Judée .................................................................................................... 285 Victoire de Vespasien ................................................................................................ 285 Soumission de la Judée.............................................................................................. 285 Victoire de Domitien sur les Chattes ...................................................................... 285 Victoire de Trajan en Dacie ..................................................................................... 285 Conquête de la Germanie par Marc Aurèle ........................................................... 285 Fragments de relief et monuments Captif gaulois de Saint-Rémy-de-Provence (cliché EA 4011 - Besançon) ......... 287 Captifs du trophée de la cuirasse de Saint-Bertrand-de-Comminges (cliché EA 4011 - Besançon) ..................................................................................... 287 Captif dans une frise d'armes de Vindonissa (cliché EA 4011 - Besançon) ..... 287 La pleureuse de Mayence (cliché EA 4011 - Besançon) ...................................... 287 Captives et captifs de l'arc de Glanum : façade S-E (cliché EA 4011 Besançon) .................................................................................................................... 288 Arc de Glanum : façade S-O (cliché EA 4011 - Besançon) ................................. 288 Arc de Glanum : façade N-E (cliché EA 4011 - Besançon) ................................ 288 Arc de Glanum : façade N-O (cliché EA 4011 - Besançon) ................................ 288 Captifs de l'arc de Carpentras : façade Ouest (cliché EA 4011 - Besançon) ..... 289 Captifs de l'arc de Carpentras : façade Est .......................................................... 289 Les trois couples de captifs de l'arc d'Orange : façade Est ................................ 289 Captifs germains enchaînés (cliché EA 4011 - Besançon) .................................... 289 La capture .................................................................................................................. 290 Décollation de captifs .............................................................................................. 290 Captives dans le butin .............................................................................................. 291 Captive brutalisée ...................................................................................................... 291 Captives en pleurs ..................................................................................................... 292 Femmes et enfants captifs ....................................................................................... 292
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TABLE DES MATIÈRES Préface ............................................................................................................................. 9 Introduction ................................................................................................................. 11 Lexique, définition et composition de la population captive ......... 19 Chapitre I. Le vocabulaire de la captivité ................................................................. 23 I. Les termes spécifiques .......................................................................................... 23 La capta bello : la captive et la vestale................................................................... 27 II. Les termes généraux ............................................................................................ 31 1. Les modes d'entrée en captivité .................................................................. 31 2. Les modes de désignation du captif............................................................ 35 3. Le sort des captifs .......................................................................................... 43 Chapitre II. Qui est captif ? Approches juridique et littéraire .............................. 49 I. Le jus postliminium ............................................................................................... 51 II. La captivité dans la piraterie et pendant les guerres civiles .......................... 58 1. Le prisonnier des pirates .............................................................................. 59 2. Le prisonnier des guerres civiles ................................................................. 60 III. Le dediticius et le captivus : ambiguïtés et contradictions ................................. 61 IV. Le bellum injustum : une borne à la captivité ? ................................................. 66 Chapitre III. Éléments démographiques et caractéristiques anatomiques des captifs ............................................................................................................................. 71 I. Les captifs dans la praeda : discours textuel et plastique ............................... 71 II. Le recensement et la répartition des captifs ................................................... 77 1. L’ancien statut social..................................................................................... 82 2. Le sexe ............................................................................................................ 87 3. L’âge ................................................................................................................ 97 Traitement et exploitation des captifs .................................................. 115 Chapitre IV. La captivité d’une localité : signification et système référentiel... 121 I. Urbs capta : acceptions et réalités ..................................................................... 122 II. La captivité d’une ville dans le discours littéraire ......................................... 126 III. La captivité d’une région dans le discours monétaire ................................. 131 Chapitre V. Le massacre des captifs ....................................................................... 135 I. La question du massacre systématique des captifs ...................................... 137 II. Le massacre : une solution à l'insécurité........................................................ 150 III. L'autorité du général sur ses troupes ............................................................. 151 Chapitre VI. Tortures et mises à mort des captifs................................................ 157 I. Le viol des captives .............................................................................................. 157 1. Autour du viol de Chiomara ..................................................................... 160 2. Le conquérant et sa captive : l’exemple de Scipion l’Africain ou la reproduction du modèle d’Alexandre le Grand ........................................... 165 315
II. Autres formes de torture et de mise à mort ................................................... 168
1. La mutilation................................................................................................ 171 2. Les combats à mort et l'envoi aux bêtes ................................................. 173 3. Le sacrifice de captifs ................................................................................. 176 4. Le supplice de la croix ................................................................................ 180 5. Le refus de sépulture ou la torture après la mort................................... 185 III. La cruauté de l’Autre ....................................................................................... 187 À propos des supplices de Regulus ............................................................... 188
Chapitre VII. Le triomphe entre deux passages en prison.................................. 193 I. Le carcer de Rome : ce lieu de supplices et de mort ....................................... 195 1. La question de l'alimentation de la population captive ......................... 202 2. La strangulation : un rituel militaire facultatif......................................... 206 II. Les captifs au triomphe : la vêture et le port des chaînes ............................. 214 1. L’état de la vêture : un signe de mauvais traitement ? .......................... 216 2. Le port des chaînes : marque distinctive de captivité et forme de répression ........................................................................................................ 220 Chapitre VIII. Les captifs sur l'échiquier international ...................................... 229 I. Le captif : une source de revenus et une force de travail ........................... 229 1. Le captif : une source de revenus ............................................................. 230 2. Le captif : une force de travail gratuite .................................................... 236 II. Le captif sur l’échiquier militaire et diplomatique ......................................... 239 1. Le captif dans le dispositif du renseignement militaire ......................... 239 2. Le captivus redemptus ...................................................................................... 243 3. L'exploitation de l’ancienne position sociale du captif : la libération peut-elle être gratuite ? ..................................................................................... 252 Conclusion. La vision romaine de la captivité ..................................................... 261 Annexes ..................................................................................................................... 267 Annexe I. Tableaux et figures .................................................................................. 269 Annexe II. Monnaies, fragments de relief et monuments ................................... 280 Index général .......................................................................................................... 293 Bibliographie ........................................................................................................... 301 Table des illustrations ........................................................................................... 313
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L’histoire aux éditions L’Harmattan Dernières parutions Essais d’histoire globale
Sous la direction de Chloé Maurel ; Préface de Christophe Charle
L’histoire globale est une approche novatrice qui transcende les cloisonnements étatiques et les barrières temporelles et promeut un va-et-vient entre le local et le global. Développé depuis plusieurs années aux États-Unis, ce courant connaît un essor récent en France. Voici un tour d’horizon varié des travaux récents en histoire globale (concernant l’abolition de l’esclavage, l’histoire du livre et de l’édition, des revues et celle des organisations internationales). (23.00 euros, 226 p.) ISBN : 978-2-336-29213-7, ISBN EBOOK : 978-2-296-53077-5 Vers un nouvel archiviste numérique
Ouvrage collectif coordonné par Valentine Frey et Matteo Treleani
La réinvention permanente apportée par le numérique suscite de nombreux débats. Notre rapport à la mémoire et à l’histoire, longtemps basé sur l’objet matériel et sa conservation physique, est à présent bouleversé. Les techniques ont beaucoup évolué, apportant de nouvelles problématiques, dans le domaine de l’informatique comme celui des sciences humaines. Quelles tensions entre technique et mémoire ? Comment se souvenir du passé à travers ses vestiges ? Que change le numérique ? (Coll. Les médias en actes, 22.00 euros, 224 p.) ISBN : 978-2-336-00174-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-53103-1 mensonges (Les) de l’Histoire
Monteil Pierre
Chaque génération hérite des a priori et des idées reçues de la génération précédente. Ainsi, nombreux sont les mensonges de l’Histoire qui ont survécu jusqu’à nos jours. Nos ancêtres les Gaulois ? Napoléon était petit ? Au Moyen Age, les gens ne se lavaient pas ? Christophe Colomb a découvert l’Amérique ? Ce livre revient sur 80 poncifs considérés par beaucoup comme une réalité... (Coll. Rue des écoles, 28.00 euros, 282 p.) ISBN : 978-2-336-29074-4, ISBN EBOOK : 978-2-296-51351-8 Flavius Josèphe Les ambitions d’un homme
Cohen-Matlofsky Claude
Quelles furent les ambitions cachées de Flavius Josèphe, historien Juif de l’Antiquité ? Il prône, à travers ses écrits, le retour à la monarchie de type hasmonéen, à savoir d’un roi-grand prêtre, comme réponse à tous les maux de la Judée. La question fondamentale est la suivante : comment les élites locales ont-elles géré leurs relations avec la puissance romaine et quel rôle les membres de l’élite ont-ils assigné à leurs traditions et constitution politique dans cet environnement d’acculturation ? (Coll. Historiques, série Travaux, 15.50 euros, 152 p.) ISBN : 978-2-336-00528-7, ISBN EBOOK : 978-2-296-51387-7 mer (La), ses valeurs
Groupe «Mer et valeurs» Sous la direction de Chantal Reynier – Préface de Francis Vallat
La mer, plus que jamais, est la chance des hommes et la clef de leur avenir. Elle leur apprend la responsabilité, suscite l’esprit d’initiative, mais elle oblige tout autant à rester humble devant ses
forces naturelles. Le groupe de réflexion «Mer et Valeurs», réunissant navigants et universitaires, examine l’influence de ces valeurs rapportées à toutes les activités humaines. Des références historiques et géographiques illustrent le développement intellectuel et économique des pays qui se sont tournés vers la mer. (21.00 euros, 188 p.) ISBN : 978-2-336-00836-3, ISBN EBOOK : 978-2-296-51412-6 Métamorphoses rurales Philippe Schar : itinéraire géographique de 1984 à 2010
Sous la direction de Dominique Soulancé et Frédéric Bourdier
Philippe Schar était convaincu que la géographie ne saurait exister sans la dimension du temps et la profondeur de l’histoire, seules capables de mettre pleinement en lumière le présent et de le restituer dans toutes ses dimensions. On retrouve en filigrane dans ses recherches concises et pointues la volonté de replacer les opérations de développement à l’interface des logiques promues par les décideurs d’un côté et par les populations de l’autre. Cet ouvrage présente une sélection de ses écrits. (33.00 euros, 320 p.) ISBN : 978-2-296-99748-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-51501-7 Pouvoir du Mal Les méchants dans l’histoire
Tulard Jean
L’Histoire n’est pas une magnifique suite d’actions héroïques et de gestes admirables. Sans le Mal pas d’Histoire. Et il faut l’avouer, les méchants sont les personnages les plus fascinants de la saga des peuples. En voici treize, présentés à travers des dramatiques interprétées jadis sur les ondes. Treize portraits où l’on retrouve méchants célèbres comme Néron ou Beria et héros insolites comme Olivier Le Daim ou le prince de Palagonia. Ils illustrent le pouvoir du Mal. (Coédition SPM, 25.00 euros, 270 p.) ISBN : 978-2-917232-01-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-51010-4 vies (Les) de 12 femmes d’empereur romain Devoirs, intrigues et voluptés
Minaud Gérard
Grâce à un méticuleux travail de recherche se redéploie ce que furent les vies de 12 femmes d’empereur et leur influence, non seulement sur leur mari mais aussi sur le destin de Rome. Les pires informations se mêlent. Un amour maternel allant jusqu’à l’inceste, un amour conjugal virant au meurtre, un amour du pouvoir justifiant tout. D’un autre côté, un sens du devoir exceptionnel, une habileté politique remarquable, un goût du savoir insatiable. (34.00 euros, 332 p.) ISBN : 978-2-336-00291-0, ISBN EBOOK : 978-2-296-50711-1 monde (Le) des morts Espaces et paysages de l’Au-delà dans l’imaginaire grec d’Homère à la fin du Ve siècle avant J.-C.
Cousin Catherine
Ce livre propose d’étudier l’évolution des conceptions que les Grecs ont pu se former des espaces et des paysages de l’au-delà, jusqu’à la fin du Ve siècle avant J.-C. Monde invisible, interdit aux vivants, mais sans cesse présent à leur esprit, les Enfers relèvent pleinement de l’imaginaire. Une comparaison entre productions littéraires et iconographiques enrichit cette étude et laisse entrevoir l’image mentale que les Grecs se forgeaient du paysage infernal. (Coll. Kubaba, série Antiquité, 39.00 euros, 402 p.) ISBN : 978-2-296-96307-8, ISBN EBOOK : 978-2-296-50624-4 Corps et âmes du mazdéen Le lexique zoroastrien de l’eschatologie individuelle
Pirart Eric
Selon les conceptions mazdéennes, l’individu posséderait plusieurs types d’âmes. Est-ce vrai ? Et qu’advient-il de telles âmes au-delà de la mort ? De quel sexe sont-elles ? Et le corps ? Pour
répondre à de telles questions, Éric Pirart analyse les textes zoroastriens des diverses époques anciennes ou médiévales et y décrypte le lexique de l’eschatologie individuelle. (Coll. Kubaba, 29.00 euros, 294 p.) ISBN : 978-2-296-99286-3, ISBN EBOOK : 978-2-296-50580-3 3000 ans de révolution agricole Techniques et pratiques agricoles de l’Antiquité à la fin du XIXe siècle
Vanderpooten Michel
De la Grèce et la Rome antiques à l’Andalousie arabe, des campagnes gauloises à la France des Lumières et de la Révolution industrielle du XIXe siècle, l’évolution des connaissances et des pratiques agricoles est ici retracée à travers l’étude de près de 4000 documents. Les étapes de la production agricole, à différentes époques, sont étudiées, ainsi que l’entrée de l’agriculture dans l’ère de la chimie et du machinisme. (Coll. Historiques, série Travaux, 34.00 euros, 332 p.) ISBN : 978-2-296-96444-0, ISBN EBOOK : 978-2-296-50329-8 Antiquité (L’) moderne
Wright Donald
Ce livre étudie le regard que l’homme de la Belle Époque porte sur l’Antiquité. Il analyse la modernité de la Troisième République et ce que celle-ci doit à une interprétation systématique et scientifique des apports grecs et romains. Au travers des textes littéraires et scientifiques ainsi que de nombreux documents ensevelis puis retrouvés dans les archives françaises, ce livre est une étude sociologique d’une époque moderne par excellence qui se veut «classique». (Coll. Historiques, série Travaux, 27.00 euros, 274 p.) ISBN : 978-2-296-99168-2, ISBN EBOOK : 978-2-296-50407-3 Grandeur et servitude coloniales
Sarraut Albert - Texte présenté par Nicola Cooper
Albert Sarraut fut l’un des maîtres-penseurs du colonialisme de la période de l’entre-deux-guerres. Cet ouvrage de 1931 est l’un des meilleurs exemples de la justification du colonialisme français : il touche à tous les impératifs coloniaux de la France, du tournant du siècle aux débuts de la décolonisation. C’est essentiellement Sarraut qui façonna le langage avec lequel les Français parlaient de leur empire colonial. (Coll. Autrement mêmes, 24.00 euros, 200 p.) ISBN : 978-2-296-99409-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-50121-8 Homo Sapiens (L’) et le Neandertal se sont-ils parlé en ramakushi il y a 100000 ans ? Paléontologie génétique et archéologie linguistique
Diagne Pathé
Cet ouvrage présente les découvertes qui permettent pour la première fois d’éclairer de manière factuelle la révolution culturelle et linguistique, qui a planétarisé avec l’avènement de la parole de Sapiens, voire de Néandertal, le monothéisme et les cultes bachiques de bonne fortune et de fécondité, à partir de 300000 et 200000 ans av. J.-C. Les faits qui rendent compte de manière précise de cette révolution sont portés par le ramakushi et son vocabulaire comme langage datable matériellement entre 8000 et 10000 ans av. J.-C. (Editions Sankoré, 14.50 euros, 138 p.) ISBN : 978-2-296-99334-1, ISBN EBOOK : 978-2-296-50189-8 Histoire des peuples résilients (Tome 1) Traumatisme et cohésion VIe-XVIe siècle
Benoit Georges
Ce livre revient sur l’histoire de communautés éparses qui, surmontant le traumatisme de leur naissance improbable, firent preuve de résilience collective. Histoire particulière, marginale, de rescapés et de fuyards qui se prirent en charge pour se sauver, trouvant en eux-mêmes, dans leur cohésion intime, cette énergie qui les hissa au-dessus de l’ordinaire. Histoire de petites sociétés
horizontales qui, vivant en périphérie du continent européen, irradièrent au loin jusqu’à se poster en économies-monde, quand la société médiévale, toute pétrie de verticalité hiérarchique, clouait la population au sol. (Coll. Historiques, série Essais, 23.00 euros, 222 p.) ISBN : 978-2-296-99201-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-50168-3 Histoire des peuples résilients (Tome 2) Confiance et défiance XVIe-XXIe siècle
Benoit Georges
Au XVIe siècle, la Contre-Réforme déclara le meilleur de la bourgeoisie persona non grata et, poussant des communautés entières à l’exil, elle les contraignit à se réfugier dans une Eglise plus sociétaire, à tramer du lien social - source de cohésion et de puissance, à faire preuve de cette résilience collective qui fit la fortune de l’Amérique puritaine. Dans ce second tome, cette histoire dit aussi ce que - privées d’une aventure commune - l’Inde des castes et l’Italie du Mezzogiorno ne furent pas ; ce que - par esprit de défiance - l’Amérique des temps modernes pourrait ne plus être. (Coll. Historiques, série Essais, 23.00 euros, 224 p.) ISBN : 978-2-296-99200-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-50167-6 vagabond (Le) en occident. Sur la route, dans la rue (Volume 1) – Du Moyen Age au XIXe siècle
Sous la direction de Francis Desvois et Morag J. Munro-Landi
Les textes ici réunis se proposent de fixer une image du vagabond dans les cultures occidentales. Du Moyen Age à nos jours, les sociétés occidentales ont hésité entre fascination et répulsion pour le nomadisme, enviable quand il est choisi, détestable et harassant quand il est imposé. Ces contributions reviennent sur l’histoire de ce phénomène, son accueil et sa pénalisation, ainsi que sur ses représentations dans la littérature et les arts plastiques. (38.00 euros, 378 p.) ISBN : 978-2-296-99153-8, ISBN EBOOK : 978-2-296-50110-2 vagabond (Le) en occident. Sur la route, dans la rue (Volume 2)
Sous la direction de Francis Desvois et Morag J. Munro-Landi
Ce volume s’interroge sur l’esthétisation progressive et simultanée, partout en Occident, du vagabond. Bohème et poète, on le voit dériver lentement d’une recherche d’identité plus ou moins consciente et assumée vers la désagrégation personnelle et le désenchantement incarnés par les bandes de voyous et les punks. Le vagabondage retrouve alors sa fonction première de quête de la survie, mais avec un horizon beaucoup plus sombre désormais. (35.00 euros, 346 p.) ISBN : 978-2-296-99154-5, ISBN EBOOK : 978-2-296-50111-9 baleines (Les) franches
Soulaire Jacques
Véritable encyclopédie richement illustrée, ce livre nous plonge dans les mers froides, à la découverte de l’univers passionnant des baleines franches. Un premier volet détaille l’anatomie et la physiologie de ces géants du monde animal, un second déroule l’histoire de leur pêche par pays de manière chronologique, ce qu’aucune histoire de la chasse à la baleine n’avait fait auparavant. (SPM, 39.00 euros, 560 p.) ISBN : 978-2-901952-93-0, ISBN EBOOK : 978-2-296-50078-5
L'HARMATTAN ITALIA Via Degli Artisti 15; 10124 Torino L'HARMATTAN HONGRIE Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest L'HARMATTAN KINSHASA 185, avenue Nyangwe Commune de Lingwala Kinshasa, R.D. Congo (00243) 998697603 ou (00243) 999229662
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CAPTIFS ET CAPTIVITÉ
DANS LE MONDE ROMAIN
Pour les Anciens, la perte de la liberté est la conséquence immédiate et directe de la captivité, que mettent en avant tous les auteurs, pour qui le captif est « l’esclave de l’ennemi ». Dès lors, tout traitement infligé aux prisonniers de guerre semble normal en dépit des règles établies par le jus gentium. Mais ce droit minimal reconnu entre les « nations » qui définit la condition du captif ne le protège pas. La confrontation des textes et des images livre ici un catalogue éloquent des mille et une façons dont les Romains vainqueurs ont pu, abolissant toute considération d’humanité, humilier, exploiter, torturer les masses de vaincus réduits en esclavage ou les révoltés de l’intérieur. La dureté de la répression répondant dans les provinces soumises à la crainte de voir ébranler la domination de Rome. Et les échos critiques sont rares des condamnations de captifs aux combats et aux bêtes de l’amphithéâtre comme célébration symbolique de la toute puissance de l’Urbs.
Mariama GUEYE est enseignant-chercheur au département d’histoire de la faculté des lettres et sciences humaines de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (U.C.A.D.). Titulaire d’un doctorat en Histoire et Cultures de l’Antiquité, elle est l’auteur de travaux scientifiques portant sur le monde romain.
Collection Histoire, Textes, Sociétés dirigée par Monique Clavel-Lévêque et Laure Lévêque
ISBN : 978-2-343-01360-2
33 €