Art et archéologie du Proche-Orient hellénistique et romain: Les circulations artistiques entre Orient et Occident: Actes de la journée d'études du 11 mai 2017, Institut Catholique de Paris 9781407316444, 9781407345338

Cette publication est le résultat de la première journée d'études sur l'art et l'archéologie du Proche-Or

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REMERCIEMENTS
SOMMAIRE
LISTE DES AUTEURS
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
LA CRÉATION URBAINE EN ORIENT HELLÉNISTIQUE ET ROMAIN
EUROPOS-DOURA SUR L’EUPHRATE : LIEU DE RENCONTRE ENTRE L’HELLÉNISME MACÉDONIEN ET L’ORIENT PARTHE ET ROMAIN
QU’Y A-T-IL DE GREC DANS LE SUD DU LEVANT A L’ÉPOQUE HELLÉNISTIQUE ?
JARDIN OU COUR ? LA PLACE DU VÉGÉTAL DANS LES ESPACES DÉCOUVERTS DES MAISONS ROMAINES EN ORIENT
CIRCULATION ET PARTAGE DES COULEURS ENTRE ORIENT ET MÉDITERRANÉE ANTIQUES : LA PLACE DES « SIMILIS »
DIONYSOS EN JUDÉE ? LE DÉCOR VÉGÉTAL, DES PALAIS D’HÉRODE AUX TOMBEAUX DE PALESTINE
MOTIFS GÉOMÉTRIQUES ET FLORAUX DANS LES MOSAÏQUES HÉRODIENNES : REGARDS CROISÉS
LA PART DES TRADITIONS LOCALES DANS LES DÉCORS FUNÉRAIRES DE LA JUDÉE HÉRODIENNE
LE HAURAN (SYRIE DU SUD) : UN ART FUNÉRAIRE ENTRE TRADITIONS ET INFLUENCES GRÉCO-ROMAINES
PAVEMENTS DE L’ÉPOQUE ROMAINE EN SYRIE CÔTIÈRE : LA MOSAÏQUE D’AMRIT
ENTRE INFLUENCES ET SINGULARITÉ : L’ART RELIGIEUX NABATÉEN DE DHARIH ET DE TANNUR
LES LIEUX DE CULTE DANS LE PROCHE-ORIENT ROMAIN : FORMES ET MODALITÉS DE LA TRANSFORMATION DES BÂTIMENTS RELIGIEUX, ENTRE TRADITIONS LOCALES ET APPORTS GRÉCO-ROMAINS
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Art et archéologie du Proche-Orient hellénistique et romain: Les circulations artistiques entre Orient et Occident: Actes de la journée d'études du 11 mai 2017, Institut Catholique de Paris
 9781407316444, 9781407345338

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This book is the result of the first of a series of study days on the Art and Archaeology of the Near East to be held at the Catholic Institute of Paris. Its purpose is to discuss circulation and artistic exchange, in order to examine such themes as local styles, cultural borrowings and novelties coming from outside cultures. The geographical area covered is vast: the Hellenistic Levant, Jerusalem and Herodian Judaea, the Nabataean kingdom, Europos-Doura... The themes treated are also very varied: religious architecture, private settings (mural paintings, mosaics), gardens, funerary art. In view of the present situation that prevents a large number of teams from working in the field, it seemed to the editors important to bring together specialists to carry out such an inventory of research in the Near East. Caroline Arnould-Béhar est maître de conférences en Histoire de l’art antique à l’Institut Catholique de Paris et membre de l’unité de recherche EA 7403 “Religion, culture et société”. Elle est également chercheur associé au sein de l’UMR 7041 ArScAn (Archéologie et Sciences de l’Antiquité). Ses travaux portent sur l’art de la Palestine hellénistique et romaine. Véronique Vassal est chercheur associé au sein de l’UMR 7041 ArScAn (Archéologie et Sciences de l’Antiquité, MAE René Ginouvès), ses recherches portent sur la mosaïque antique, ainsi que sur les échanges culturels et artistiques entre l’Orient et l’Occident. Parallèlement, elle enseigne et est directrice de la licence d’Histoire de l’art de l’Institut Catholique de Paris. Contributors: Komait Abdallah, Caroline Arnould-Béhar, Michel E. Fuchs, Philippe Jockey, Pierre Leriche, Éric Morvillez, Ségolène de Pontbriand, Annie Sartre-Fauriat, Delphine Seigneuret, Véronique Vassal, François Villeneuve

‘Cet ouvrage contient des contributions originales qui apportent un regard neuf sur la question des circulations entre Orient et Occident. Les données sont de première qualité.’ Prof. Anne-Marie Guimier-Sorbets, Université de Paris Nanterre

BAR  S2897  2018   ARNOULD-BÉHAR & VASSAL (Dir.)   ART ET ARCHÉOLOGIE DU PROCHE-ORIENT

Cette publication est le résultat de la première journée d’études sur l’art et l’archéologie du Proche-Orient hellénistique et romain qui s’est tenue à l’Institut Catholique de Paris. Le propos est d’aborder les circulations et les échanges artistiques afin de montrer les spécificités locales, les emprunts culturels et les apports extérieurs. Le domaine géographique traité est vaste : le Levant hellénistique, Jérusalem et la Judée hérodienne, le royaume nabatéen... Les thèmes abordés sont également très variés : l’architecture religieuse, les décors privés (peintures murales, mosaïques), les jardins, l’art funéraire. Compte tenu de la situation actuelle qui empêche un grand nombre d’équipes de travailler sur le terrain, il nous a semblé important de réunir des spécialistes afin de réaliser un état des lieux de la recherche au Proche-Orient.

ACTES DE LA JOURNÉE D’ÉTUDES DU 11 MAI 2017, INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS

Art et archéologie du Proche-Orient hellénistique et romain Les circulations artistiques entre Orient et Occident sous la direction de

Caroline Arnould-Béhar Véronique Vassal

BAR International Series 2897 B A R

2018

ACTES DE LA JOURNÉE D’ÉTUDES DU 11 MAI 2017, INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS

Art et archéologie du Proche-Orient hellénistique et romain Les circulations artistiques entre Orient et Occident

sous la direction de

Caroline Arnould-Béhar Véronique Vassal

BAR International Series 2897 2018

by Published in BAR Publishing, Oxford BAR International Series Art et Archéologie du Proche-Orient Hellénistique et Romain © The editors and contributors severally Détail d’un bas-relief du Temple de Bêl à Palmyre. Photo de C. Arnould-Béhar. The Authors’ moral rights under the UK Copyright, Designs and Patents Act are hereby expressly asserted. All rights reserved. No part of this work may be copied, reproduced, stored, sold, distributed, scanned, saved in any form of digital format or transmitted in any for m digitally, without the written per mission of the Publisher. ISBN 9781407316444 paperback ISBN 9781407345338 e-format DOI https://doi.org/10.30861/9781407316444 A catalogue record for this book is available from the British Library

BAR titles are available from: BAR Publishing Banbury Rd, Oxford, [email protected] + ( ) + ( ) www.barpublishing.com

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REMERCIEMENTS

Nous remercions en premier lieu le Professeur Anne Banny, doyenne de la Faculté des Lettres, d’avoir rendue possible l’organisation de cette journée. Pour l’aide qu’ils ont apportée à la réalisation de cette publication, nous tenons à remercier Eric Morvillez pour ses relectures, Ineke Bockting et Brigitte Steiger, qui ont été d’un grand secours pour les traductions anglaises, ainsi que Jane Burkowski et Chris Myers, des BAR, avec qui il fut très agréable de collaborer. Nous remercions également pour les crédits photographiques : Frédéric Alpi, Janine et Jean-Charles Balty, the Directorate General of Antiquities and Museums of Syria (DGAMS), l’Ecole Française d’Athènes (EFA), Rachel Hachlili, the Herodium Expedition, the Hebrew University of Jerusalem, and the Israel Museum, (Marcos Edelcopp, Gabi Laron, Zeev Radovan, the Israel Museum Restoration Laboratories), the Israel Antiquities Authority (IAA), l’Institut Français du Proche-Orient (IFPO), Amos Kloner, Talila Michaeli, la Mission Franco-Syrienne d’Europos-Doura (MFSED), la Mission Khirbet edhDharih, la Mission archéologique franco-saoudienne de Madian Saliha, l’UMR ArScAn, Silvia Rozenberg, Christian Vassal, Tomasz Waliszewski.

SOMMAIRE

Liste des auteurs ................................................................................................................................................................ vi Avant-propos ..................................................................................................................................................................... vii Introduction ........................................................................................................................................................................ 1 CAROLINE ARNOULD-BÉHAR ET VÉRONIQUE VASSAL La création urbaine en Orient hellénistique et romain ....................................................................................................... 5 PIERRE LERICHE Europos-Doura sur l’Euphrate : lieu de rencontre entre l’hellénisme macédonien et l’Orient parthe et romain ............ 15 SÉGOLÈNE DE PONTBRIAND Qu’y a-t-il de grec dans le sud du Levant à l’époque hellénistique ? ............................................................................... 27 FRANÇOIS VILLENEUVE Jardin ou cour ? La place du végétal dans les espaces découverts des maisons romaines en Orient .............................. 33 ÉRIC MORVILLEZ Circulation et partage des couleurs entre Orient et Méditerranée antiques : la place des « similis » ............................. 47 PHILIPPE JOCKEY Dionysos en Judée ? Le décor végétal, des palais d’Hérode aux tombeaux de Palestine ................................................ 59 MICHEL E. FUCHS Motifs géométriques et floraux dans les mosaïques hérodiennes : regards croisés .......................................................... 69 VÉRONIQUE VASSAL La part des traditions locales dans les décors funéraires de la Judée hérodienne ........................................................... 79 CAROLINE ARNOULD-BÉHAR Le Hauran (Syrie du Sud) : un art funéraire entre traditions et influences gréco-romaines ............................................ 89 ANNIE SARTRE-FAURIAT Pavements de l’époque romaine en Syrie côtière : la mosaïque d’Amrit ......................................................................... 97 KOMAIT ABDALLAH Entre influences et singularité : l’art religieux nabatéen de Dharih et de Tannur ......................................................... 105 DELPHINE SEIGNEURET Les lieux de culte dans le Proche-Orient romain : formes et modalités de la transformation des bâtiments religieux, entre traditions locales et apports gréco-romains (Résumé seulement) ......................................................................... 115 INGRID PÉRISSÉ

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LISTE DES AUTEURS

KOMAIT ABDALLAH Post-doctorant, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne UMR 7041 ArScAn, équipe Archéologie du Proche-Orient hellénistique et romain (APOHR) CAROLINE ARNOULD-BÉHAR Maître de conférences, Institut Catholique de Paris - EA 7403 : Langues, Cultures, Histoire et Education UMR ArScAn, équipe Archéologie du Proche-Orient hellénistique et romain (APOHR) MICHEL E. FUCHS Professeur, Université de Lausanne Institut d’archéologie et des sciences de l’Antiquité, Faculté des Lettres PHILIPPE JOCKEY Professeur, Université Paris Nanterre UMR ArScAn, équipe Archéologie du monde grec et systèmes d’information PIERRE LERICHE Directeur de Recherche émérite, CNRS CNRS-Ecole Normale Supérieure ÉRIC MORVILLEZ Maître de conférences, Université d’Avignon et des pays du Vaucluse UMR 8167, Orient & Méditerranée SÉGOLÈNE DE PONTBRIAND Post-doctorante CNRS-ENS AOROC UMR 8546, équipe Asie : Hellénisme d’Asie et Civilisations orientales ANNIE SARTRE-FAURIAT Professeur émérite, Université d’Artois (Arras, France) CREHS (Arras), Hisoma (Lyon) DELPHINE SEIGNEURET Chercheur associé, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne UMR ArScAn, équipe Archéologie du Proche-Orient hellénistique et romain (APOHR) VÉRONIQUE VASSAL Chercheur associé, Université Paris Nanterre UMR ArScAn, équipe Archéologie du monde grec et systèmes d’information FRANÇOIS VILLENEUVE Professeur, Université Paris 1 Directeur d’ArScAn Membre de l’équipe Archéologie du Proche-Orient hellénistique et romain (APOHR)

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AVANT-PROPOS

L’ouvrage rassemble onze recherches présentées au cours d’une journée d’études qui s’est tenue à l’Institut Catholique de Paris (ICP) le 11 mai 2017 sur le thème « Les circulations entre Orient et Occident : à propos du Proche-Orient hellénistique et romain ». Organisé par Caroline Arnould-Béhar et Véronique Vassal, toutes deux historiennes de l’art de l’Antiquité, l’événement a eu lieu l’année marquant le dixième anniversaire du Département d’histoire de l’art et a permis de rendre hommage au fondateur de celui-ci, Uwe Bennert, germaniste et historien de l’art médiéval, disparu un an exactement avant la tenue de cette journée. Alors que la situation de l’archéologie et de la conservation du patrimoine connaît une phase critique dans une partie de la région concernée, le Département d’histoire de l’art de l’ICP a souhaité inviter dans ses locaux de la Faculté des Lettres des spécialistes, archéologues, historiens et historiens d’art, chercheurs de renom et jeunes chercheurs aux compétences très variées, afin qu’ils partagent leurs découvertes. Douze chercheurs ont ainsi échangé autour de leurs travaux. L’ambition des organisatrices est de renouveler chaque année ces rencontres autour de l’art et l’archéologie du Proche-Orient hellénistique et romain en en diversifiant les axes. Le thème retenu pour 2017, celui des circulations entre Orient et Occident, est un sujet très vaste, dont seuls certains aspects ont été traités, ce qui a justifié l’organisation d’une deuxième journée sur le même thème, programmée le 29 mai 2018. Que soient ici remerciées Anne Banny, doyenne de la Faculté des Lettres, pour avoir rendue possible cette rencontre, Cécile Beaudoin pour l’avoir faite connaître, à l’ICP et en dehors, ainsi qu’Helena Romeo et Sophie Griselle, alors étudiantes de Master, pour leur aide aussi efficace que discrète dans la gestion de ses aspects pratiques. L’apport de données nouvelles, la qualité des interventions et le fait que certains des sites évoqués aient été récemment détruits, partiellement ou en totalité – Doura-Europos, Palmyre ou Apamée –, a justifié la publication des actes de cette journée, que les British Archaeological Reports ont bien voulu accueillir dans leur collection, assurant une rapidité de parution et une diffusion auprès de la communauté scientifique internationale très appréciables.

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INTRODUCTION

Abstract This book gathers together the work that eleven researchers presented during a study day that was held on 11 May 2017 at the Catholic University of Paris. Organised by Caroline Arnould-Béhar and Véronique Vassal, both specialised in Ancient Art History, it provided an opportunity for those involved in various fields to meet and discuss their studies. The title of the present volume refers to a subject that is positioned within the more comprehensive and much-debated issue of cultural transfers and hybridisation. The Near East presents, in the Hellenistic and Roman periods, a great diversity of situations regarding the adaptation to Greek and Roman cultures, and therefore constitutes a fertile ground for exploration. It seemed worthwhile to us to enrich the debate by highlighting this diversity. The studies collected here cover a vast geographical and temporal domain, that of Hellenistic Syria, the Nabatean and Herodian worlds, Hauran (South Syria) and Roman Palestine. Using widely varying examples of these domains, our purpose was to help highlight the contact points between the cultures of the West and the local cultures. We thus envisioned that there would be multiple points of view and diverse modes of expression. We did not try to draw any firm conclusions, instead preferring to focus on the examination of diverse situations while avoiding hasty or forced schematisations. From the collection of presentations emerges an evolution in historiography that allows researchers to reposition themselves within a less dualistic approach of a Western world in opposition to an oriental one, an approach that, in the words of François Villeneuve, is less “Eurocentric”. On the other hand, whatever the culture or the type of production examined, the persistance of local traditions is highly perceptible, even when combining with the contributions of the Graeco-Roman culture.

Le titre du présent volume renvoie à un sujet qui s’inscrit dans la question plus vaste et très discutée des transferts culturels et de l’hybridation. Le Proche-Orient présente, aux périodes hellénistique et romaine, une grande diversité de situations quant à l’adaptation aux cultures grecque et romaine et constitue, de ce fait, un terrain d’exploration privilégié. Il nous a paru justifié d’enrichir le débat à partir de quelques dossiers permettant de mettre en évidence cette diversité. Les études réunies appartiennent à un vaste domaine géographique et temporel, celui de la Syrie hellénistique, des mondes nabatéen et hérodien, du Hauran (Syrie du sud), de la Palestine romaine… et sont le fait de chercheurs aux domaines d’étude et aux pôles d’appartenance divers.

d’autant plus nécessaires les études consacrées aux sites concernés, Palmyre, Doura-Europos ou Apamée de l’Oronte, que des fouilles anciennes ou plus récentes ont contribué à documenter2. La distinction entre Orient et Occident peut paraître inadéquate. Elle est, bien sûr, très schématique et artificielle. Qu’entend-on au juste par Occident ? Les cultures de la Grèce et de Rome sont elles-mêmes imprégnées d’éléments qui se sont introduits depuis l’Orient. Et l’Orient n’a pas attendu la conquête des généraux d’Alexandre pour s’ouvrir à l’hellénisme. Le Proche-Orient est par essence une zone de contact et d’échange, réceptive aux apports d’un extérieur proche ou plus lointain, et les cultures qui s’y sont développées sont loin d’être uniformes. C’est justement cette hybridité qui fait tout l’intérêt de l’art du Proche-Orient hellénistique et romain.

L’art du Proche-Orient hellénistique et romain représente un domaine d’étude en plein renouvellement du fait de nouvelles découvertes et de publications majeures. Les séminaires – au premier rang desquels celui du professeur François Villeneuve à Paris IV – et de récents colloques attestent de cette vitalité et de l’intérêt renforcé porté à l’archéologie de ces régions. La suspension contrainte des fouilles en Syrie n’a pas mis un terme à l’activité des chercheurs qui se sont attelés à l’étude – rendue nécessaire – d’archives et de documentations anciennes et à la publication des résultats de leurs précédentes recherches. Les pillages et destructions du patrimoine et les problématiques de conservation et de restauration qui leur sont liées sont au cœur des débats actuels concernant l’archéologie de la Syrie1. Ces destructions rendent

Le terme de circulations a été préféré à celui d’échanges. Circulation de motifs, de techniques, de formes mais aussi de concepts et de modes d’organisation. A travers quelques exemples appartenant à des domaines volontairement très variés, et qui seront présentés à la fin de cette introduction, nous avons cherché à mettre en

                                                                                                 « Destroying Cultural Heritage in Syria - 2011-2017 » et lors de la journée d’études organisée par Pierre Gros et Pierre Ducrey à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres : « Les archives au secours des temples détruits de Palmyre ». Pour s’en tenir aux quelques événements s’étant déroulé en France. 2 Rappelons que les fouilles de Doura-Europos ne se sont interrompues qu’après 2011, date de la dernière campagne sur le site, dirigée par Pierre Leriche.

                                                             1 Ces questions ont été brillamment débattues lors du colloque qui s’est tenu à l’Institut d’Etudes Avancées à Paris en février 2018 :

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Caroline Arnould-Béhar et Véronique Vassal lumière les points de contact entre les cultures de l’Occident et les cultures locales. Qu’est-ce qui s’est transmis, selon quelles modalités, quels éléments relèvent de l’héritage local, comment les élites de la région et les artistes ont reçu les modèles grecs ou orientaux sont autant de questions soulevées par les intervenants. Le parti adopté a ainsi consisté à envisager la question de multiples points de vue et à travers des domaines d’expression les plus divers. Cette diversité des approches et des cas examinés rend sans doute la cohérence d’ensemble peu apparente mais elle est présente à travers la complémentarité des travaux.

région a bien connu une phase hellénistique, celle-ci ne s’accompagne pas des manifestations de la culture et des institutions grecques que le concept d’ « hellénistique » tel qu’il a été défini, laisse attendre. Que ce soit dans le monnayage, l’épigraphie ou l’urbanisme, les indices de l’hellénisation sont peu nombreux. C’est avec le thème du jardin qu’Eric Morvillez aborde la question des influences réciproques de l’Orient et l’Occident. Remettant en question l’idée répandue d’un jardin importé d’Orient vers l’Occident, il s’attarde sur quelques exemples bien documentés de résidences de la région syro-palestinienne, de Doura-Europos, de Palmyre et de Syrie du Nord, ce qui lui permet de faire apparaître la diversité des schémas rencontrés. Si la place des espaces plantés reste très limitée dans le cadre des maisons proche-orientales héritières des traditions locales ainsi qu’à Doura-Europos, la situation est plus variée en ce qui concerne les maisons à péristyle de tradition grécoromaine.

La thématique est abordée directement, comme l’hellénisation du sud du Levant questionnée par François Villeneuve ou, le plus souvent, indirectement, par exemple à travers la recherche de modèles italiens pour certaines mosaïques hérodiennes (article de Véronique Vassal), celle de survivances locales dans l’art funéraire, par ailleurs largement empreint d’hellénisme de la Judée hérodienne (article de Caroline Arnould-Béhar) ou dans les représentations figurées des tombeaux du Hauran romain (article d’Annie Sartre-Fauriat).

C’est à travers l’étude des « simili » que Philippe Jockey envisage la question de la circulation des couleurs entre la Grèce et le Proche-Orient. Il s’intéresse tout particulièrement à trois d’entre eux, la dorure à la feuille, le bleu égyptien et la laque de garance, destinés à se substituer, respectivement, à l’or jaune, au lapis-lazuli et à la pourpre, couleurs aussi rares que précieuses. S’appuyant sur le cas d’étude que présente la Délos hellénistique qui voit un remarquable essor de l’emploi des simili, l’auteur s’intéresse aux commanditaires qui, à travers l’utilisation des couleurs, calquent leur mode de vie sur celui des souverains hellénistiques.

L’ordre des textes dans l’ouvrage reflète le déroulement de la journée d’étude. L’ouvrage débute sur un état des lieux du phénomène urbain sous les Séleucides par Pierre Leriche. Passant en revue l’ensemble des fondations séleucides en Syrie, P. Leriche pose la question : « toute fondation séleucide a-t-elle pris, dès sa création, la forme d’une cité dont la fonction première aurait été de participer avant tout à l’hellénisation de l’empire ? ». Ses constatations le conduisent à affirmer l’existence de plusieurs phases dans ces fondations, qui furent souvent des postes de garde ou des colonies militaires avant de devenir des cités. La raison d’être des nombreuses fondations opérées par les Séleucides était de créer un maillage militaire de leur empire ainsi qu’un cadre pour leur politique de peuplement.

Les peintures de la « chambre royale » du théâtre de l’Hérodium amènent Michel Fuchs à s’interroger sur la figuration dans les décors peints et sculptés de la Judée hérodienne, et sur la présence du motif du lierre qu’il met en relation avec le culte dionysiaque. La représentation du lierre serait un support de la romanisation en Judée, tout comme celle du laurier et de la vigne. M. Fuchs observe ensuite la diffusion de ces thèmes végétaux dans les décors de la Palestine des siècles suivants où ils s’enrichissent de représentations animales et humaines.

La contribution de Ségolène de Pontbriand est centrée sur Europos-Doura qu’elle présente comme un lieu de rencontre entre les civilisations macédonienne, parthe, romaine et syro-mésopotamienne. La diversité ethnique et culturelle de la ville apparaît bien à travers le rapide panorama qu’elle dresse de sa vie religieuse et de sa production artistique. S. de Pontbriand s’attarde ensuite sur le dossier qu’elle connaît bien, celui de la Maison de Lysias. Cette résidence présente dans sa conception et son décor quelques emprunts à la culture grecque mais ils restent limités tandis que les traditions locales et orientales sont bien affirmées, principalement par la distinction entre la partie privée et la partie publique de la maison.

Véronique Vassal s’appuie sur plusieurs mosaïques de la période hérodienne afin d’aborder l’élaboration de leurs décors. Elle propose de reconnaître dans les représentations géométriques ou végétales figurées dans des bains à Jérusalem et Massada, des fleurs probablement indigènes. Ainsi, elle suggère tour à tour d’identifier le Lilium Candidum ou le Lys, fleur symbolique de la Judée, l’iris des marais ou la rose. A Massada, le motif d’une fleur à pétales bilobés est rapproché du motif de la mosaïque de Diospolis Parva en Égypte montrant ainsi la circulation des motifs entre l’Égypte et la Judée.

François Villeneuve s’interroge sur l’hellénisation du sud du Levant à partir des témoignages archéologiques. Si la 2

Introduction S’appuyant sur les décors de tombeaux, de sarcophages et d’ossuaires du début de la période romaine en Judée, Caroline Arnould-Béhar tente de faire apparaître ce qui relevait de la tradition juive ou de la culture régionale dans une iconographie et un style empreints d’hellénisme. Elle note l’attachement à certains motifs tels que le lys et le rejet de la figuration, ce dernier pouvant être vu comme un véritable « marqueur » du judaïsme. La forte stylisation des représentations et le recours à l’incision illustrent la persistance de traditions locales.

Delphine Seigneuret nous livre une étude iconographique approfondie du décor des temples nabatéens de Khirbet Dharih et Khirbet Tannur. Une partie des figures et scènes représentées est issue du répertoire gréco-romain, certaines pouvant être mises en rapport avec le culte dionysiaque. Le Zodiaque tenait une place importante dans ces décors dans lesquels il est associé au motif de la Victoire. Parmi les interprétations proposées, certaines sont liées à la culture locale. Les textes rassemblés dans cet ouvrage sont tous en français accompagnés de deux résumés l’un en français, l’autre en anglais. A la fin de chaque article se trouvent une bibliographie développée. En fin de volume, le lecteur trouvera le résumé de la communication donnée par Ingrid Périssé sur les sanctuaires de sources du Liban, dont le texte n’a pu être fourni par son auteur.

Annie Sartre-Fauriat aborde la question de l’apparition des représentations figurées des défunts sur des stèles ou des linteaux dans la région du Hauran à l’époque romaine, une pratique en contradiction totale avec les principes en usage dans les pays sémitiques. L’auteur se demande si cette pratique résulte d’une transposition pure et simple de modèles existant ailleurs dans le monde gréco-romain ou d’une adaptation locale de la néphesh. Elle remarque que les caractères stylistiques bien marqués de ces sculptures indiquent que les élites, qui ont adopté les modèles gréco-romains, sont restées attachées aux traditions locales.

Il n’est pas justifié de prétendre dresser un état de la question à partir des seuls dossiers envisagés. Nous n’avons pas cherché à dresser un bilan et préféré soumettre à l’examen des situations diverses en évitant les schématisations hâtives ou forcées. Deux remarques générales peuvent néanmoins être faites. De l’ensemble des communications, il ressort une évolution dans l’historiographie qui amène les chercheurs à se repositionner dans une approche moins dualiste d’un monde occidental et d’un monde oriental et une démarche, ainsi que le dit F. Villeneuve, moins « Européo-centrée ». D’autre part, quels que soient la culture ou le type de production envisagés, la persistance de traditions locales est bien palpable même lorsqu’elle se conjugue aux apports de la culture gréco-romaine.

Komait Abdallah étudie trois panneaux ayant appartenu à une mosaïque inédite découverte sur le site d’Amrit, au sud de Tartous, ville de la côte syrienne. Il nous livre une étude iconographique poussée de ces panneaux, récemment restaurés par le laboratoire de conservation des mosaïques de Damas et sur lesquels il identifie les figures de Gê et d’Hermès. L’auteur insiste sur la symbolique des différentes représentations. La figure de la terre, qui pourrait être la personnification de la localité, se trouve à l’entrée de la tombe, suivie par un motif d’étoiles puis par la représentation d’Hermès dans le fond. Cette disposition hiérarchique du décor conduit l’auteur à penser que la figure de la terre aurait pu évoquer le séjour terrestre du défunt, alors que celle d’Hermès aurait suggéré son séjour céleste, éternel, après la mort. Outre sa riche iconographie, la mosaïque présente le double intérêt de compléter le maigre corpus des mosaïques romaines provenant de la région de Tartous et de celles ayant orné des tombes.

Rassembler les travaux présentés lors de la journée d’étude du 11 mai 2017 au sein du présent ouvrage nous a semblé présenter un réel intérêt du fait des données inédites qu’ils pouvaient contenir, des exemples rarement évoqués qui y étaient étudiés et des interprétations nouvelles proposées. Caroline Arnould-Béhar et Véronique Vassal

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LA CRÉATION URBAINE EN ORIENT HELLÉNISTIQUE ET ROMAIN Pierre Leriche

Résumé L’action délibérée de fondation de nombreuses cités fait partie de l’image traditionnelle de la civilisation hellénistique née de la conquête de l’Orient par Alexandre. Cette action aurait été reprise par Rome lorsque celle-ci étendit son pouvoir sur les anciens royaumes pergaménien, séleucide et lagide. Cette conception tirée de l’œuvre de Droysen et reprise à l’envi par les historiens de l’Antiquité, célébrait le rôle civilisateur de l’hellénisme et de Rome. Aujourd’hui, ce schéma ne coïncide plus tout à fait avec la réalité du terrain telle qu’elle apparaît à travers les recherches archéologiques récentes. Une nouvelle image de cette colonisation se dessine ainsi et donne naissance à de nouveaux questionnements. Mots-cléfs : période hellénistique, Séleucides, Parthes, fondations urbaines, Jebel Khaled, Ibn Hani, Europos-Doura, Apamée de l’Oronte, urbanisme, fortifications. Abstract The deliberate creation of many cities is part of the traditional image of the Hellenistic civilization following the conquest of the East by Alexander. This process would have been carried on by Rome when it extended its power over the old Pergamene, Seleucid and Lagid kingdoms. This conception, derived from Droysen’s work and taken up by historians of antiquity, celebrated the civilizing role of Hellenism and Rome. Today, this image does not coincide entirely with what is actually shown by recent archaeological research. A new image of this colonization is emerging giving rise to new questions. Keywords: Hellenistic period, Seleucids, Parthians, urban foundations, Jebel Khaled, Ibn Hani, EuroposDoura, town planning, fortifications, Apamea-on-the-Orontes.

A sa suite et durant plus d’un siècle, en effet, les érudits ont scruté le discours des auteurs grecs et latins3, établi des listes de fondations attribuées aux successeurs d’Alexandre4, recherché les nombreuses occurrences tirées d’inscriptions glanées dans le monde ottoman5 ou encore exploité les descriptions de voyageurs (R. Pococke, G. Bell, F. Cumont etc.). C’est alors qu’ont été établis des inventaires et d’impressionnantes cartes des « fondations urbaines » hellénistiques (fig. 1).

On sait avec Marc Bloch, Paul Veyne et d’autres éminents historiens, que l’histoire a pour fonction de « faire comprendre le présent par le passé » pourvu qu’on soit exigeant dans la recherche et l’exploitation de la documentation écrite1. Et l’on sait aussi qu’auparavant il est arrivé que l’histoire ait confiné au merveilleux et que, récemment encore, elle ait été influencée par « l’air du temps ». Ainsi, l’histoire de la conquête de l’Empire achéménide par le jeune et fougueux souverain du petit royaume de Macédoine a longtemps relevé de l’hagiographie. Mais après la publication de la monumentale histoire d’Alexandre et des royaumes qui lui ont succédé de G. Droysen2, les historiens de l’Antiquité sont devenus plus exigeants dans leur démarche.

Mais, très vite, il est apparu qu’un grand nombre de ces « fondations » étaient douteuses et que le titre de « cité grecque » dont se paraient certaines d’entre elles était souvent controuvé6. Bouché-Leclercq déclarait alors : « L’historien a mieux à faire qu’à chercher les traces de ces implantations homonymes, qui font pendant à des

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Strabon, Isidore de Charax, Pline, Ptolémée, mais aussi des auteurs bien postérieurs à l'époque hellénistique comme Malalas ou Libanios. 4 C'est ainsi, par exemple, qu'on a pu dénombrer vingt-quatre fondations de Séleucos Ier, dont sept avec Antiochos Ier, seize fondations d'Antiochos Ier et quinze fondations d'Antiochos IV. 5 Avec, bien entendu, les ressources de la Paulys Realencyclopädie, de Pauly Wissowa. Dans cette tâche se sont distingués Kiepert, Müller, Droysen, von Oppenheim, Tscherikover, Cumont, Stein, Tarn et, encore récemment, G. Cohen avec son remarquable The Hellenistic Settlements I-III, Berkeley, 1995-2013, chez qui on trouvera toutes les références. 6 Les identifications des sites se heurtaient à de nombreux problèmes d'interprétation : déformation des noms ou retour à des noms antérieurs dans l'Antiquité même, remplacement du nom grec d'un grand nombre de sites par des toponymes arabes, iraniens ou turcs, problème de l'utilisation des distances antiques et du caractère approximatif des connaissances géographiques de l'Antiquité.

                                                             1 Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris, 1949. (Ecrit en 1942, inachevé en raison du fait que M. Bloch a été fusillé par les Allemands le 16 juin 1944). P. Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, 1996. 2 G. Droysen, Geschichte des Hellenismus, 3 vol. Berlin, 1833-1843. L’auteur a lui-même défini les règles de sa méthode sous le titre Grundriss der Historik, Leipzig, 1868. La traduction en français a été réalisée par un groupe d’érudits dirigé par A. Bouché-Leclercq sous le titre Histoire des Séleucides, Paris, E. Leroux, 1913-1914.

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Pierre Leriche

Fig. 1 : Carte des fondations hellénistiques  (d’après Grosser Historischer Weltatlas, Munich 1953, p. 20).

douzaines d’Alexandries semées par Alexandre et n’étaient parfois que des changements de nom appliqués à des villes déjà existantes »7.

Quant au monde des historiens et même chez certains archéologues classiques, le thème de l’action civilisatrice des successeurs d’Alexandre demeurait largement dominant. Ainsi, en 1989 encore, en introduction d’un article consacré aux villes de la Syrie hellénistique et romaine, un spécialiste reconnu du Proche-Orient hellénistique et romain écrivait11 :

A la même époque, l’archéologie biblique et mésopotamienne, puis sémitique s’ouvre et devient une nouvelle source d’histoire du Proche et Moyen Orient antique. Puis, à l’issue de la première Guerre Mondiale, les régions non anatoliennes sous domination ottomane passent dans le cadre nouveau des mandats anglais et français. Ces événements entraînent le dégagement d’impressionnants monuments sur de grands sites d’époque romaine ou médiévale (Baalbeck, puis Palmyre, le Krack des Chevaliers, etc.) et la découverte de cités antiques dont l’existence même était ignorée8.

« …Alexandre de Macédoine,… quand il entreprit de créer un empire universel de forme monarchique, ne put concevoir la civilisation hellénique – qu’il considérait comme la sienne – comme susceptible d’exister en dehors du cadre de la cité et donc de la ville. Et si la cité hellénique pouvait être dépouillée de l’essentiel de ses prérogatives politiques et être réduite à bénéficier seulement d’une autonomie plus ou moins grande, elle ne pouvait être mutilée de même dans sa fonction de pilier de la vie civilisée sous toutes ses formes.

En fait, cette première archéologie mettait au jour surtout les derniers états des villes antiques. Quelques tentatives faites pour atteindre les niveaux profonds des cités d’origine séleucide et étudier le processus de leur création9 ont révélé que ces niveaux étaient généralement masqués ou détruits par les états plus récents10.

Il ne pouvait ainsi être question pour Alexandre de se contenter de remplacer dans le vaste empire qu’il venait de conquérir quelques gouverneurs et d’installer un réseau de garnisons. Sa victoire avait été sans doute celle de la phalange macédonienne, mais aussi celle de la Grèce tout entière avec ses techniciens, ses artisans, ses artistes, ses savants et penseurs, ses banquiers, ses marchands. C’étaient eux qui allaient réorganiser et diriger le vieil empire achéménide. Un vaste mouvement

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Bouché-Leclercq, 1913-14. Dont Europos-Doura ou Mari. 9 Il a ainsi fallu attendre les travaux des années quatre-vingts pour découvrir que le plan en damier de Gérasa (Jordanie) était une création romaine et que l’état hellénistique à l’origine du site était un simple sanctuaire local (Seigne 1997). Sur ces questions, voir, par exemple, Sherwin White, Kuhrt 1993. 10 A Antioche, on compte plus de onze mètres d’épaisseur de couches plus tardives. A Séleucie de Piérie, tous les vestiges découverts étaient d’époque romaine. Sur d'autres sites, ces états étaient noyés par la remontée des eaux comme à Alexandrie ou à Séleucie du Tigre. De son côté, l’islamologue J. Sauvaget a décelé dans les plans de villes 8

                                                                                                 syriennes héritières de fondations séleucides, les survivances d’un quadrillage systématique de rues et d’îlots. Ces fondations étaient donc une réalité avec un plan hippodaméen orthogonal comme à Milet, Olynthe et Priène. Cette vision, modulée par R. Martin ou J. Lavedan, a été systématisée à l’excès par W. Hoepfner et E.-L. Schwandner (Hoepfner, Schwandner 1986). 11 Will 1989, p. 223-224.

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La création urbaine en Orient hellénistique et romain de colonisation se trouva ainsi amorcé, ce qui en terme grec, signifiait création de villes. »

concernant les modalités de l’hellénisation de l’Orient après Alexandre.

Il est vrai que, parmi ces cités nouvelles, les capitales comme Alexandrie, Antioche ou Séleucie du Tigre ont constitué, même bien après la fin du pouvoir macédonien, d’actifs foyers d’élaboration d’une civilisation fortement marquée du caractère hellénique12, rayonnant dans le monde méditerranéen et jusqu’en Inde. Et l’on sait que, outre ces capitales royales, certaines de ces fondations ont joué un rôle régional important de diffusion de l’hellénisme comme Laodicée de la mer, Apamée de Syrie ou Zeugma sur l’Euphrate.

A. De la fin de la première guerre mondiale aux années soixante-dix

Mais peut-on, pour autant, accepter comme vérité d’évidence, la tradition des auteurs anciens qui célébraient la rapide hellénisation de la Syrie grâce à la vigoureuse activité de création urbaine des Séleucides, « one of the most amazing works of the ancient world »13 ? Il est incontestable que ce sont les villes, dont on constate le remarquable développement à l’époque hellénistique puis romaine ou parthe, qui ont été le foyer principal de l’hellénisation de l’Orient. Mais avait-on le droit d’en déduire pour autant que toute fondation séleucide ait pris, dès sa création, la forme d’une cité dont la fonction première aurait été de participer avant tout à l’hellénisation de l’empire ? Cette question n’a jamais été posée dans ces termes, mais c’est pourtant celle qui s’est progressivement imposée depuis un demi-siècle grâce à l’archéologie.

C’est le cas, par exemple, de Doura-Europos, totalement inconnu jusque-là et découvert par hasard en mars 1920 lors d’une opération militaire contre les tribus de l’Euphrate. La révélation de ce site urbain a fait sensation et provoqué la création d’une fouille d’urgence conduite par l’académicien F. Cumont, puis, de manière plus durable et systématique, par un autre savant, spécialiste de l’histoire antique, M. I. Rostovtzeff.

Le rôle de l’archéologie contemporaine

D’une manière plus modeste, mais originale et fructueuse, un jeune islamologue, J. Sauvaget, analyse les paysages urbains de Lattaquié, Damas, Alep et Antioche. Il les compare à Doura-Europos et Apamée de Syrie et propose un plan commun des fondations urbaines séleucides (fig. 3).

  En Syrie-Liban du Mandat français, outre les grands sites phares d’époque classique que nous avons évoqués plus haut et dont le dégagement continue sous l’impulsion d’Henri Seyrig, quelques fouilles sont ouvertes sur de nouveaux sites d’époque classique qui provoquent souvent l’émerveillement devant la créativité urbanistique des héritiers d’Alexandre (fig. 2).

Mais l’attention se fixe alors surtout sur la frange méditerranéenne du monde syrien. Sur deux autres grands sites urbains antiques connus depuis longtemps et dont la fondation est attribuée par les textes à Séleucos Ier, Apamée de Syrie et Antioche. Des fouilles y sont alors ouvertes par une équipe d’archéologues belges en 1926 pour le premier, et américains en 1932 pour le second.

L’archéologie, en effet, a fait au XXe siècle des progrès considérables et s’est imposée comme la source principale de la réflexion scientifique sur l’explosion urbaine de l’Orient hellénistique. « Dans le domaine dont nous nous occupons, (...) il nous a paru que le site archéologique restait aujourd’hui la réalité fondamentale » déclare clairement D. Schlumberger14.

B. Depuis cinquante ans, un important renouvellement des données

  De nouvelles pistes, en effet, se sont ouvertes au lendemain de la deuxième Guerre Mondiale avec, en particulier, le renouvellement des problématiques et des méthodes de l’archéologie, avec un rôle majeur de l’école anglaise conduite par M. Wheeler, le fondateur de la « méthode stratigraphique ». Plusieurs chercheurs, appliquant alors les nouvelles techniques de l’archéologie, explorent le terrain du Proche et Moyen Orient et y découvrent une toute autre réalité. Une réalité plus banale, moins merveilleuse qu’on ne la décrivait au XIXe siècle, mais plus conforme à la réalité historique

C’est encore essentiellement le domaine syrien, centre de gravité de l’Empire séleucide puis frontière orientale de l’Empire romain, qui a été le lieu d’un grand renouvellement des données archéologiques et historiques. Les fouilles d’alors ont bouleversé les données du problème et renouvelé notre vision de la géographie historique de cette région et des modalités de l’urbanisation de l’Orient hellénistique. Ainsi, le développement des Etats du Proche-Orient avec la création de grands chantiers d’aménagement civils a provoqué la découverte de villes d’époque hellénistique, dont l’existence était restée jusque-là insoupçonnée comme Ibn Hani.

                                                             12 Une civilisation appelée « hellénistique » pour la différencier de celle de l’époque « classique » dominée par Athènes. 13 Tarn, Griffith 1966, p. 126. 14 Schlumberger 1970, p. 17, déclaration que, personnellement je complèterais en précisant : « à condition qu'elle soit menée de manière rigoureuse et replacée dans une perspective historique ».

D’autre part, à partir des années soixante-dix, la reprise d’intérêt pour l’archéologie antique a provoqué la relance de chantiers anciens, comme Apamée de l’Oronte,

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Pierre Leriche

Fig. 2 : Carte de la Syrie antique (cartographie IFPO).

Palmyre ou Europos-Doura15, ou la découverte de sites nouveaux par prospection, comme Jebel Khalid. Les fondations de la zone méditerranéenne syrienne

  L’existence d’Ibn Hani, sur la côte syrienne au nord de Lattaquié, a été découverte en 1975 lors de la création d’une station balnéaire (fig. 4). Il s’agit d’une fondation puissamment fortifiée, implantée par Ptolémée II en territoire séleucide, face à la cité séleucide de LaodicéeLattaquié, lors de la troisième guerre de Syrie (milieu du IIIe siècle av. n. è.)16. Abandonnée après un demi-siècle d’existence, la ville d’Ibn Hani nous fournit un instantané des conceptions défensives et des techniques de construction qui prévalaient dans la deuxième moitié du IIIe siècle av. n. è.17.

                                                             15 Et, bien sûr, d’Alexandrie en domaine lagide. Sur les recherches récentes au Proche-Orient, voir les contributions d’E. Netzer (Netzer 2014) et de M. Haggag (Haggag 2014). 16 Sa puissante enceinte urbaine, édifiée dès la fondation de la ville, s’étend sur un kilomètre est-ouest et 600 m maximum nord-sud en s’adaptant au tracé de la côte. La porte principale à recouvrement donne accès à une place monumentale circulaire. Une citadelle édifiée dans son angle nord-est, semble avoir existé lors de l’affrontement entre Cassius et Dolabella (42 av. n. è.). 17 En particulier, c'est ici que nous avons pu caractériser, pour la première fois, l'existence d’un système de construction en blocs de pierre de taille de dimensions modulaires (2 x1x1 coudées) disposés en appareil à carreau-boutisse en caissons. Cette technique a ensuite été reconnue sur d’autres fortifications d’époque hellénistique de la région : Apamée de Syrie, Apamée de l'Euphrate, Europos-Doura et Jebel Khalid.

Fig. 3 : Proposition de plans des fondations séleucides du Proche-Orient, selon J. Sauvaget (1934).

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La création urbaine en Orient hellénistique et romain A Apamée de l’Oronte, des sondages pratiqués le long de l’enceinte urbaine ont montré que cette muraille a été édifiée à la fin du IIIe siècle av. n. è. avec un appareil identique à celui identifié à Ibn Hani. En revanche, le plan hippodaméen de la ville, s’il a évidemment été conçu – au moins dans ses grandes lignes – en même temps que le tracé de la muraille, pourrait n’avoir été réalisé que plus d’un siècle après la fondation18. La cité d’Apamée est donc incontestablement une fondation séleucide. Mais il est clair que l’Apamée de Séleucos Ier était essentiellement circonscrite à sa citadelle et ne s’est étendue, à la surface du plateau qu’à partir de la fin des Séleucides.

 

 

 

Fig. 5 : Plan de la ville séleucide de Jebel Khalid sur l’Euphrate (H. Jackson, AJA 113/2, 2009).

Fig. 4 : Plan comparés : a. Plan de la ville séleucide de Ibn Hani (relevé P. Garczynski). b. Plan de la ville d’Apamée de l’Euphrate (relevé G. Thébault).

Les fondations de l’Euphrate

  Jebel Khalid est une autre fondation ex nihilo du début de l’époque séleucide couronnant une éminence d’une centaine de mètres d’altitude sur la rive droite de l’Euphrate. Il s’agit là aussi d’une fondation à vocation militaire avec sa puissante enceinte de 3,5 km de long, pourvue de trente tours et abandonnée au Ier siècle de n. è. Les fouilles y ont mis au jour une acropole abritant un palais, un temple, une insula d’habitation longue de 90 m et large de 35 m et une tombe monumentale dans une vaste grotte creusée au pied du site19 (fig. 5 et 6).

  Fig. 6 : Vue générale des fouilles de la ville séleucide de Jebel Khalid sur l’Euphrate (cliché de l’auteur).

A Europos-Doura20, la reprise de l’exploration du site a permis de confirmer que la création de cette cité d’une cinquantaine d’hectares remontait à la fin du IVe siècle av. n. è. Mais il ne s’agissait alors que d’un simple phrourion sur la grande route reliant les deux capitales de

                                                             18 J.-Ch. Balty : « Je n'ose pas remonter à Antiochus IV (…) mais j'avancerais la fin du IIe siècle (…) », (Balty 1994, p. 98). 19 La fouille conduite par une équipe australienne dirigée par Gr. Clarke a commencé en 1986 et s’est interrompue en 2010. Voir la série Jebel Khalid 1 à 5, Meditarch Supplements, Sydney, depuis 2002, sous la direction de G. W. Clarke. Voir aussi, dernièrement, H. Jackson (Jackson 2014).

                                                             20 L’inversion des noms attribués au site par F. Cumont tient au souci de bien mettre en évidence le fait que la ville d'Europos est restée macédonienne durant toute son existence et que le nom de Dura est seulement celui du camp romain installé dans la ville hellénisticoparthe.

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Pierre Leriche l’empire séleucide, Antioche et Séleucie du Tigre. La ville telle qu’elle apparaît sur le terrain n’a été créée qu’au début ou au milieu du IIe siècle av. n. è. et non à la fin du IVe siècle comme on le croyait auparavant, avec une puissante enceinte de pierre de taille à appareil modulaire et un plan hippodaméen. Ceci explique que la construction des remparts longs de 4 km, de l’agora et des temples principaux de la ville n’ait pu être achevée avant la conquête parthe (vers 113 av. n. è.). De même, on comprend que le premier dépôt d’acte notarié au chreophylakeion de l’agora ne soit pas antérieur à 129/8 (fig. 7, 8 et 9). A l’époque parthe, la ville a continué à se construire en respectant le système des îlots du plan hippodaméen à angles droits. C’est également à cette époque que l’aristocratie macédonienne a reçu le droit de se constituer en boulè se réunissant dans un bouleuterion.

  Fig. 8 : Vue aérienne vers l’ouest, de la ville d’Europos-Doura sur l’Euphrate (cliché MFSED).

  En Turquie, c’est la politique de construction d’une trentaine de barrages dans le sud du pays qui a conduit à des fouilles d’urgence. C’est ainsi que la perspective de mise en eau du barrage de Biredjik sur l’Euphrate a entraîné la fouille de Zeugma, le plus célèbre point de franchissement du fleuve dans l’Antiquité. Ce site est en fait constitué de deux villes jumelles fondées par Séleucos Ier : Séleucie, établie à flanc de coteau sur la rive droite concave de l’Euphrate, et Apamée, sur la rive gauche convexe et plate. A Séleucie de l’Euphrate, on a pu retrouver les défenses très ruinées d’une citadelle de la fin du IVe siècle av. n. è. mais l’agglomération qui s’est développée autour de cette citadelle est d’époque romaine. A l’époque hellénistique, il ne s’agissait donc que d’un poste militaire. Apamée de l’Euphrate, en revanche, est un véritable projet de ville hellénistique d’une cinquantaine d’hectares dont le plan hippodaméen comportait des îlots identiques disposés le long d’une rue principale est-ouest bordée de boutiques. La muraille urbaine, du IIIe siècle av. n. è., est l’exemple le plus caractéristique à ce jour de l’application des théories de Philon de Byzance22. En fait, c’est la conquête de la rive gauche du fleuve (vers 115 av. n. è.) par les Parthes qui aurait conduit la population d’Apamée à venir s’installer à Séleucie laquelle se serait alors progressivement développée à l’Est et au Sud de la citadelle d’origine 23.

  Fig. 7 : Plan de la ville d’Europos-Doura sur l’Euphrate  (réalisation S. de Pontbriand, d’après H. Detweiler).

La création de la ville en deux étapes distantes d’un siècle et demi et l’institution à l’époque parthe de la boulè, assemblée de type grec, introduit aussi dans l’image du processus de la création d’une colonie grecque un aspect progressif que l’on ignorait jusque-là21.

En Jordanie, c’est la politique de préservation du patrimoine qui a conduit à l’ouverture des chantiers de fouille et de restauration sur le site du palais des Tobiades à Iraq al Amir et sur celui de la ville de Jerash d’origine hellénistique.

                                                            

                                                            

22 Construite en briques crues sur un socle de pierre d’appareil polygonal, elle comportait de nombreuses tours rectangulaires espacées par des courtines en chevrons, une grande tour d'angle circulaire et quatre portes monumentales avec cour. 23 En Turquie également, de nouveaux espoirs sont suscités par la reprise des fouilles d’Antioche sous la direction du Pr. H. Pamir, de la Direction Générale des Antiquités de Turquie.

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Mentionnons pour mémoire, toujours sur l’Euphrate syrien, la création d’une Mission Libano-Syrienne en 2007 sur le site urbain de Cyrrhus. A ce jour, la datation « hellénistique » des fortifications ne tient qu’au fait que sa citadelle est dotée d’un rempart à appareil polygonal 21. Quant au relevé géophysique du plan d’une partie du site, il ne nous donne pas le schéma hippodaméen attendu.

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La création urbaine en Orient hellénistique et romain

Fig. 9 : Vue cavalière restituée de la ville séleucide d’Europos, à la veille de la conquête parthe, vers 113-110 av. n. è. (dessin F. Ory).

La forteresse de Failaka au Koweit est une fondation séleucide du début du IIIe siècle av. n. è. qui constituait une étape sur une route maritime vers l’Est. Elle n’a donné lieu à aucun développement urbain24..

- Enfin, des phrouria de dimensions réduites, à fonction militaire, qui sont demeurés tels quels et ont ensuite simplement disparu, comme Jebel Khalid ou Failaka.

Complexité du phénomène d’urbanisation de l’Orient hellénisé

D’autre part, quand on analyse le terrain, l’extension de la plupart des villes hellénistiques apparaît comme le résultat de tâtonnements plus ou moins longs et d’un processus par étapes. Ceci confirme ce que nous disaient déjà les sources sur Antioche ou Alexandrie qui ont connu plusieurs agrandissements après leur fondation. Des exemples qui n’ont pas été véritablement pris en compte.

De ces découvertes récentes combinées aux données anciennes on peut tirer un certain nombre d’enseignements qui viennent éclairer le débat sur le caractère civilisateur de la politique d’urbanisation des Séleucides en Orient. L’hellénisation de l’empire séleucide par une entreprise systématique de créations urbaines ex nihilo apparaît plus complexe que ce que l’on se plaisait généralement à affirmer.

Le constat est donc bien clair : à l’arrivée d’Alexandre, le Proche-Orient ne s’était pas encore véritablement relevé des destructions systématiques de villes infligées par les offensives et razzias des Assyriens et le pays, souspeuplé, était retourné à un état d’économie villageoise25. En procédant à de nombreuses fondations, les Séleucides, selon les conceptions du contrôle du territoire qui prévalaient dans l’esprit des Macédoniens, ont créé une armature militaire à leur nouvel empire et un cadre à une politique de peuplement.

Dans notre inventaire, nous avons rencontré trois types d’implantations séleucides : - Des villes nouvelles créées dès l’origine comme des cités à part entière, comme Séleucie du Tigre, Séleucie de Piérie ou Antioche, Apamée de l’Euphrate et, peut-être, Ibn Hani.

Séleucos Ier et ses successeurs ont effectivement fondé quelques capitales conçues comme des cités de peuplement et pourvues de tout ce qui faisait une ville au sens hellénique du terme. Mais, entre ces capitales, un réseau de postes de garde des points névralgiques

- De simples colonies militaires (phrouria) qui ont donné naissance à des villes comme Apamée de Syrie, Europos-Doura, Séleucie-Zeugma et, sans doute, Apamée de l’Oronte.

                                                            

                                                             24

25

Voit l’excellente analyse d’H. Seyrig dans « Séleucus et la fondation de la monarchie syrienne », Syria 48, 1970, p. 290-311.

Sur Failaka, voir Hannestad 2014 et de Saxcé 2014.

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Pierre Leriche « quadrillait » l’espace à contrôler. Pour tenir un territoire que l’on vient de conquérir, il faut montrer sa domination et l’y maintenir. C’est ce qu’ont fait les Séleucides.

se sont rendus maîtres de l’Empire perse. Cela explique que l’on éprouve tant de difficultés à trouver la trace d’institutions délibératives dans les cités séleucides30. Cela explique aussi qu’Europos-Doura ne reçoive le droit de disposer d’une boulè qu’à l’époque parthe, lorsque le pouvoir impérial macédonien n’existe plus. Et c’est, me semble-t-il, une grave erreur d’attribuer aux Macédoniens Séleucides les mêmes conceptions que celles qu’on peut prêter à un citoyen d’Athènes31.

C’est ce que prouve l’identité de situation et de conception générale de sites urbains aussi éloignés qu’Apamée de Syrie, Séleucie de l’Euphrate et EuroposDoura. Toutes trois sont situées dans une position naturelle défensive et présentant un caractère militaire incontestable, si ce n’est dominant. Toutes trois possèdent une citadelle puissante et des remparts exploitant au mieux les accidents du relief. La dimension militaire de ces fondations est donc toujours présente, sinon dominante26.

Quant à l’idée que les souverains séleucides auraient voulu dès le départ helléniser l’empire, il s’agit, de toute évidence, d’une vision a posteriori des historiens d’époque romaine prenant la conséquence pour la cause. Une vision que beaucoup d’historiens modernes ont adoptée sans beaucoup procéder à une critique des sources. Le fait que la politique de colonisation séleucide semble avoir réussi au-delà des espérances de ses auteurs est apparemment dû, d’abord, et avant tout, au développement du grand commerce entre la Méditerranée et l’Orient lointain, appelé parfois « Route de la Soie ». C’est ce phénomène qui a créé les conditions d’une expansion urbaine dont certaines des nouvelles colonies ont profité. C’est, en effet, aussi le cas des villes arabes non concernées par la colonisation macédonienne comme Palmyre, Hatra ou Pétra, qui se sont alors largement développées et ont été acquises à la nouvelle civilisation32. Plus que la volonté du colonisateur, ce sont donc les échanges commerciaux qui ont entraîné le développement de l’hellénisation dans l’empire séleucide, un hellénisme qui ensuite a gagné l’Empire parthe et le reste du monde oriental.

Nous sommes donc bien loin du concept hérité de la plupart des historiens de la fin du XIXe siècle sur les bienfaits d’une colonisation systématique destinée à apporter la civilisation aux peuples de l’Orient. Un concept illustré par le fameux « white man’s burden » de Kipling, poussant l’Europe à civiliser le reste du monde en y créant des cités nouvelles27. Ce rôle militaire bien réel des cités séleucides était d’ailleurs considéré avec une certaine crainte par les souverains parthes, conquérants de l’Empire séleucide. C’est pourquoi ceux-ci avaient adopté le titre de « philhellènes » qui montrait leur disposition à respecter l’autonomie des cités grecques dans les territoires qu’ils conquéraient. D’ailleurs, ces cités ont effectivement continué à s’administrer elles-mêmes en présence d’un représentant (épistate) du Grand Roi, représentant qui a disparu au bout d’un certain temps28.

Conclusion Après l’époque hellénistique, certaines fondations séleucides sont abandonnées, d’autres continuent à se construire et deviennent de véritables villes. Dans tous ces différents cas, il apparaît que c’est le contexte politique et économique qui règle la destinée des fondations. En Syrie, Ibn Hani est abandonnée après la victoire d’Antiochos III à Panion, Europos-Doura est étendue par le pouvoir séleucide dans une Syrie devenue le cœur du domaine de la dynastie, Apamée de l’Euphrate s’éteint sous le pouvoir des Parthes et Jebel Khalid, située dans une position fortement défensive mais trop haute, perd son intérêt et disparaît dans le contexte de la Syrie romaine. On ne saurait donc identifier toutes les fondations hellénistiques à des créations urbaines !

Mais alors on peut se demander pourquoi Ernest Will pouvait encore écrire en 1989 : « Colonisation… ce qui en terme grec, signifiait création de villes ». La solution, me semble-t-il, se trouve dans cette formulation ellemême. L’ensemble des historiens qui parlent de l’époque hellénistique ont tendance à utiliser, comme Will ici, indifféremment « grec » et « macédonien ». Or ces deux termes ne sont absolument pas synonymes. Les Macédoniens, sont tard venus à la civilisation grecque et leurs dynastes n’ont absolument pas la même vision de la cité que les Grecs. La vision macédonienne de l’état est monarchique29 et ce sont des guerriers macédoniens qui

                                                             26 Quant au plan hippodaméen avec les monuments principaux inscrits dans le système des îlots, il faut peut-être se détacher du seul exemple des villes de civilisation grecque. Que l’on se rappelle simplement que ce système est celui adopté par toute ville de création artificielle, de Tell el Amarna à Alexandrie et aux bastides médiévales ou encore d’Odessa aux villes nées de la conquête russe de l’Asie. Sans parler des villes américaines. 27 Parfois aussi en Orient, comme à Kamichli, dans le Nord de la Syrie du mandat français, où le capitaine Terrier s’est vêtu de blanc pour tracer, avec une charrue à deux bœufs blancs, les limites de la cité qu’il fondait. 28 D’où le titre de « stratègos kai epistatès » adopté par les dynastes à la tête des cités « grecques » de la vallée de l’Euphrate, un titre qui a intrigué de nombreux historiens. 29 En dépit des tentatives d’Hatzopoulos de faire des cités du royaume macédonien des cités grecques.

En outre, on se souviendra qu’il est pratiquement impossible de retrouver sur le terrain la forme originelle d’une nouvelle colonie et, bien entendu, l’apparence des

                                                             30 Comme l’assemblée des « Péliganes » à Laodicée de la mer, ou celle des « compagnons » à Suse. Voir sur ce sujet, depuis E. Bikerman (Bikerman 1938) ou Ed. Will (Will 1981), L. Capdetrey (Capdetrey 2007). 31 Et je ne suis pas sûr que ce soit le cas d’un citoyen de Sparte ou de Thèbes. 32 Voir Gawlikowski 2014 : Venco Ricciardi 2014 ; Villeneuve 2014.

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La création urbaine en Orient hellénistique et romain fondations avec l’image que nous donne l’archéologie de leur dernier état. En fait, cet état est celui de l’extension maximale de ces fondations, à l’époque de leur acmè, avec généralement des retouches tardives33. Ce n’est donc pas parce que les vestiges d’une fondation hellénistique sont ceux d’une ville qu’on doit nécessairement penser qu’à sa création, cette fondation avait déjà la forme d’une ville.

aujourd’hui. Il suffit, d’ailleurs, pour s’en convaincre de se rappeler que la construction d’une cité représente un coût financier considérable pour la construction des remparts et des monuments34, sans parler, en Orient, de la mise en place d’un système d’irrigation. Quel budget colossal impliquerait la création de tant de cités ! Il faut donc se débarrasser des présupposés et des lieux communs concernant le « génie grec », en particulier de l’idée que les plans des villes nouvelles auraient été conçus dès le départ sous une forme si parfaite qu’ils se seraient conservés ne varietur durant toute l’existence de la ville.

Par exemple, les historiens de l’architecture et de l’urbanisme grecs se sont beaucoup servis du site d’Europos-Doura comme un des meilleurs exemples de l’urbanisme conçu et appliqué par les conquérants macédoniens : site naturellement bien défendu, fortifications puissantes et adaptées au relief dont elles exploitent les avantages défensifs, plan intérieur de type hippodaméen avec des voies perpendiculaires et un habitat modulaire réparti dans des îlots identiques.

Pour terminer, je voudrais rappeler de manière insistante la nécessité urgente de la vigilance archéologique face aux destructions en cours accélérées par le progrès technique ou par les convulsions politiques d’un nombre croissant de pays. C’est ainsi que la ville hellénistique d’Ibn Hani a pu être étudiée, au moins partiellement, avant de disparaître en partie sous les « chalets » de la nouvelle « Côte d’Azur » syrienne. De même pour le site de Zeugma dont une partie a failli être engloutie dans les eaux du barrage de Biredjik sans qu’aucune exploration d’importance n’y ait été entreprise. Ou comme Samosate, capitale du royaume de Cappadoce et patrie de Lucien, irrémédiablement noyée par un autre barrage dans l’indifférence des institutions scientifiques nationales et étrangères présentes dans le pays.

Ce faisant, ces auteurs présupposaient que ce plan avait été mis en place dès la fondation de la ville, donc que tout avait été conçu avant même la création de la cité, disonsle, de manière géniale. Cela n’avait rien de choquant puisque les auteurs de ces conceptions – et leurs lecteurs – étaient porteurs de l’idée du « génie grec ». Les travaux des vingt dernières années sur la topographie et l’urbanisme d’Europos-Doura ont très clairement montré que les fortifications, le plan hippodaméen et le réseau des rues de telles cités ne datent que du milieu du IIe siècle av. n. è. Europos avait donc connu une phase de vie antérieure à celle de l’agglomération que nous avons sous les yeux, celle d’une colonie militaire de trois cents colons macédoniens installés dans un phrourion, une forteresse établie sur la citadelle de la ville future, en aplomb au-dessus de l’Euphrate.

Malheureusement, ces recherches ne sont possibles que tant que les conditions politiques le permettent et tant que les sites sont accessibles et préservés. Chacun sait, en effet, ce que la fermeture de l’Afghanistan et maintenant de l’ensemble du Proche-Orient peut entraîner de dommages pour les sites archéologiques, à l’image de Mari, Apamée de Syrie ou Europos-Doura qui ont aujourd’hui disparu sous l’action organisée des fanatiques religieux et des pilleurs de sites.

Ce cas bien clair n’est pas isolé puisqu’on le retrouve à Zeugma où l’état le plus ancien du site (IIIe siècle av. n. è.) est une forteresse établie sur un point dominant la rive droite de l’Euphrate. De même à Apamée de l’Oronte avec une fondation originelle sur l’emplacement de ce qui est devenu la citadelle de la grande cité de la fin de l’époque hellénistique et de l’époque romaine.

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L’historien de l’Orient hellénistique doit donc faire preuve de la plus grande prudence dans l’interprétation des plans de villes en rejetant l’idée préconçue de la création, acquise une fois pour toutes, des cités hellénistiques, dès leur fondation et sous la forme que nous leur connaissons aujourd’hui.

Bikerman E. (1938), Institutions des Séleucides, Paris. Capdetrey L. (2007), Le pouvoir séleucide : territoire, administration, finances d’un royaume hellénistique (312-129 av. J.-C.), Rennes. Gawlikowski M. (2014), « Palmyre entre l’Orient et l’Occident », in P. Leriche, ed., Art et civilisations de l’Orient hellénisé, p. 201-207.

Ainsi, le tableau hérité des auteurs anciens nous présentant un empire séleucide pratiquant une politique continue d’hellénisation et qui aurait été un vaste chantier de construction de villes ne peut plus être accepté

                                                             34 Ne parlons pas ici de l'habitat privé qui, contrairement à ce qu'indiquent un certain nombre de restitutions où les maisons apparaissent toutes semblables, était le fait des colons eux-mêmes et non celui de l'autorité fondatrice, comme on a pu l'observer à DouraEuropos.

                                                             33

De tels grands fossés ont fréquemment été creusés pour isoler une citadelle de ville médiévale comme Alep, Damas et peut-être Apamée de Syrie.

13

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EUROPOS-DOURA SUR L’EUPHRATE : LIEU DE RENCONTRE ENTRE L’HELLÉNISME MACÉDONIEN ET L’ORIENT PARTHE ET ROMAIN Ségolène de Pontbriand   Résumé Cette forteresse des bords de l’Euphrate, fondée à la suite de la conquête d’Alexandre pour surveiller la route du fleuve, a été transformée en une cité moyenne avant d’être conquise durablement par les Parthes. Occupée ensuite par l’armée romaine, elle succombe en 256 après un long siège sassanide. Durant ces cinq siècles et demi d’existence, la civilisation qui s’est développée ici a intégré toutes ces influences combinées au substrat mésopotamien. Le riche matériel qui est issu des fouilles (sculptures, peintures murales, architecture, décor...) offre un mélange original et présente une version très caractéristique de ce que Daniel Schlumberger a appelé « l’art de l’Orient hellénisé ». Mots-clés : Europos-Doura, Euphrate, Empire parthe, Empire romain, peinture murale, sculpture, architecture, décor, Orient, hellénistique. Abstract This fortress on the banks of the Euphrates, founded following Alexander’s conquest to keep watch over the river route, became a medium-sized city before being conquered by the Parthians on a long-term basis. It was then occupied by the Roman army, only to succumb in 256 after a long Sassanid siege. During these five centuries of existence, the civilization that arose blended in all these influences while preserving its Mesopotamian substratum. The rich material that comes from the excavations (sculptures, mural paintings, architecture, decor ...) offers an original mix and presents a very particular version of what Daniel Schlumberger called « the art of the Hellenized East ». Keywords: Europos-Doura, Euphrates, Parthian Empire, Roman Empire, wall painting, sculpture, architecture, decor, Orient, Hellenistic. le lieu de rencontre entre quatre civilisations : macédonienne, parthe, romaine et syro-mésopotamienne4.

La ville d’Europos-Doura sur l’Euphrate syrien offre un exemple exceptionnellement préservé de la civilisation du Moyen-Orient gréco-romain au milieu du IIIe siècle de n. è., puisque la ville a été totalement dépeuplée et abandonnée vers 256 de n. è. à la suite du siège et de la prise de la ville par les Sassanides.

Il est possible de mesurer ce qui à Europos provient de chacune d’entre elles grâce à quelques exemples pris aussi bien à travers la population, la vie religieuse, la vie artistique et l’architecture.

Découverte en 1920 et activement fouillée entre les deux guerres mondiales, par deux missions successives1 qui ont dégagé près d’un quart de la surface du site, la ville d’Europos est généralement considérée comme une ville parthe et romaine.

I. Europos-Doura, une ville cosmopolite Sur la rive droite du fleuve, à environ 90 kilomètres au sud-est de la ville moderne de Deir ez Zor, EuroposDoura se situe dans un paysage particulier entre la steppe et la vallée fertile de l’Euphrate. La ville a été fondée vers de 300 av. n. è. comme un phrourion au sommet d’une falaise surplombant la vallée de 40 mètres. Cette place stratégique était une des étapes le long de la route royale allant d’Antioche sur la côte méditerranéenne vers la Babylonie en aval et Séleucie sur le Tigre5.

Cette perspective a été modifiée à la suite des nouvelles recherches menées depuis 19862 par la Mission FrancoSyrienne d’Europos-Doura (MFSED), des recherches qui ont mis en évidence le caractère hellénique de cette fondation séleucide3. Si nous prenons en compte l’héritage syro-mésopotamien, Europos-Doura est en fait

                                                             1

F. Cumont est envoyé par l’Académie des Inscriptions et BellesLettres pour fouiller le site (1922-1923) avec l’aide des soldats de l’Armée française au Levant. En 1924, les soldats stationnés sur place poursuivent les dégagements. En 1928, M. I. Rostovtzeff crée la Mission Américano-Française de l’Université de Yale qui fouille le site pendant dix campagnes jusqu’en 1937. 2 Création de la Mission Franco-Syrienne d’Europos-Doura par P. Leriche et A. Mahmoud. 3 Leriche 2011, p. 23-41.

                                                             4 Ce dernier aspect me paraît avoir été surévalué et mélangé avec une vision de la Syrie arabo-ottomane dans l’introduction d’un vocabulaire issu de la réalité contemporaine comme les termes « haremlik, selamlik, sheikhs et soukhs », voir Rostovtzeff 1938, p. 21, 47-48. 5 Chaumont 1984 : sur le toponyme « Dura », voir p. 88-92.

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Ségolène de Pontbriand

Fig. 1 : Plan général de la ville d’Europos-Doura (réalisation S. de Pontbriand et P. Leriche. Mission Franco-Syrienne d’Europos-Doura - MFSED).

Le site, tel qu’il nous apparaît à travers les fouilles couvre une surface de 50 hectares (à l’intérieur des remparts) sur un plateau entre deux wadis profonds, l’un au nord et l’autre au sud. La ville était entourée d’une puissante fortification hellénistique de pierre de taille de gypse et de brique crue. Son plan a été conçu selon le modèle hippodaméen, avec un réseau de rues perpendiculaires délimitant plus de cent îlots de dimensions identiques 70 x 35 m (soit 100 x 200 pieds) (fig. 1).

nous apportent des informations sur les nombreux groupes ethniques qui coexistaient à Europos-Doura.

Les nombreuses inscriptions, mais aussi les papyri et parchemins6 ou encore les graffiti7 retrouvés sur le site,

Le peuplement de la ville s’est, en effet, fait progressivement au cours de plus de cinq siècles d’existence (fig. 2). A l’origine, ce phrourion était peuplé de vétérans de l’armée macédonienne installés en garnison pour contrôler la route du fleuve. Il s’agissait donc au départ d’une population réduite de langue et de civilisation grecque. D’autre part, cette vallée n’était pas vide et les populations locales sont naturellement entrées en contact avec ces soldats. Ainsi, avant même la création de la ville sur le plateau un siècle et demi plus tard (vers 150 av. n. è.), on peut penser, comme c’est le cas ailleurs,

                                                            

                                                                                                

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7

Une histoire contrastée et une population composite

Welles et al., 1959.

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Frye et al., 1955.

Europos-Doura sur l’Euphrate

Fig. 2 : Nouvelle chronologie d’Europos-Doura (réalisation S. de Pontbriand. MFSED).

que des populations locales se sont installées autour de cette forteresse à la faveur des échanges naturels engendrés par la présence de cette colonie militaire.

Cette cohabitation s’est semble-t-il faite dans une relative tranquillité et le Grand Roi parthe a simplement laissé sur place son représentant, l’épistate, pour diriger la ville. Mais une autorité macédonienne, le stratège, était déjà en place, si bien qu’à partir de 50 av. n. è., c’est un macédonien, originaire d’une des grandes familles de la ville10 qui a pris la double titulature de « stratège et épistate ». Cet élément macédonien est renforcé par la création d’une boulè.

Dans une deuxième phase, cette garnison est devenue le noyau d’une ville nouvelle qui jouerait le rôle de petite capitale régionale. C’est alors qu’une ville de moyenne dimension, environ 50 hectares, à l’urbanisme régulier a été installée sur le plateau en intégrant l’ancien phrourion qui est devenu sa citadelle. Il est probable que l’objectif du pouvoir était d’attirer des colons d’origine hellénique afin d’appuyer sa domination territoriale sur ce qui restait alors de l’Empire séleucide, c’est-à-dire la Syrie actuelle8.

La ville joue un rôle de capitale régionale et d’étape sur la route des échanges est-ouest. Cette petite cité est proche de la frontière entre l’Empire parthe et l’Empire romain, et sa fonction militaire demeure. Dans l’Empire parthe, sa défense est assumée par les Palmyréniens. Après avoir été conquise puis perdue au bout de deux ans par l’armée de Trajan (115-117), Europos est définitivement intégrée dans l’Empire romain à la suite de l’offensive de Lucius Vérus en 165. Ce retournement de la situation fait d’Europos une forteresse romaine face à l’Empire parthe. L’installation, après un demi-siècle du camp romain dans la ville constitue un nouvel apport de populations venues de plusieurs parties de l’Empire qui amènent avec elles leurs propres traditions. De plus, en 212, l’empereur romain Caracalla donne la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de la cité. A son apogée, la ville comptait environ 20 000 habitants, devenus pour certains citoyens romains, même si chacun semble avoir gardé ses propres usages et sa langue.

Avec l’avancée des Parthes puis la conquête de la ville par ceux-ci vers 113 av. n. è., les conditions changent. La population macédonienne demeure sur place, mais il n’est plus question de faire venir de nouveaux colons du monde séleucide. Les autorités urbaines sont donc dans l’obligation d’intégrer à la ville les populations périphériques d’origine diverse. Mais les institutions continuent à préserver la domination de l’élément macédonien. Comme l’a souligné récemment M.-E. Duchâteau9, « l’origine gréco-macédonienne du nom ne doit donc plus être considérée comme une référence ethnique mais comme une référence sociale et culturelle, un partage de valeurs dont la base était la culture grécomacédonienne ».

                                                             8 9

                                                            

Le reste de l’Empire séleucide ayant été conquis par les Parthes. Duchâteau 2013, p. 590-591.

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La famille des Lysias.

Ségolène de Pontbriand renvoyons à l’article très récent de Ted Kaizer12, dans lequel on trouvera le point des recherches et la bibliographie associée.

Quand le pouvoir sassanide remplace l’Empire parthe, la ville voit ses fortifications renforcées et un camp romain s’installer à l’intérieur de ses murailles. Ce camp occupe le quart nord de la ville et progressivement l’autorité romaine finit par l’emporter sur l’autorité macédonienne qui n’en est pas moins restée en place, pratiquement jusqu’à la fin. En 256, la ville est assiégée, prise et dépeuplée par les troupes de Shapôur Ier.

Les sanctuaires polythéistes d’Europos-Doura ont été construits pour honorer des divinités d’origine grecque et d’autres pour des divinités purement sémitiques. On distinguera ici trois catégories de divinités qui correspondent aux trois périodes d’existence de la ville et sur lesquelles les discussions sont loin d’être closes.

Dans l’Empire parthe, les habitants de la cité macédonienne ont été confrontés avec des populations locales, mais aussi iraniennes. Des populations qui parlaient une autre langue et avaient des coutumes différentes. Cette période de prospérité permet aussi des contacts avec des territoires plus éloignés, comme l’oasis de Palmyre, et l’on voit venir s’installer à EuroposDoura, une communauté de Palmyréniens, des nomades sédentarisés qui commerçaient avec les cités de la vallée et avec la Méditerranée.

Le premier ensemble est constitué par deux divinités d’origine séleucide, Zeus et Artémis, honorés dans deux édifices qui remonteraient pour les états les plus anciens, à l’époque hellénistique (entre 300 et 113 av. n. è). Il s’agit du grand temple de Zeus Megistos (îlot C4), situé dans la partie sud-est de la ville, non loin du Palais du Stratège et du sanctuaire d’Artémis (îlot H2) qui se trouve dans le même îlot que le bouleuterion. Ces deux divinités faisaient partie des grandes divinités de la dynastie séleucide.

L’image de la civilisation qui s’est développée dans cette ville est donc entièrement conditionnée par son histoire. Les premiers documents apparus sont évidemment ceux de l’époque romaine et c’est ainsi que la ville a été identifiée comme « Doura ». Puis progressivement, les fouilles ont atteint les époques antérieures révélant les différentes strates historiques et de civilisation, avec une société beaucoup plus complexe qu’on a cru pouvoir l’affirmer au départ.

L’arrivée des Parthes vers 113 av. n. è. n’a pas véritablement changé l’aspect général de la ville, mais c’est à cette époque que se sont organisés de nouveaux cultes. La stabilité politique qui a suivi la conquête parthe a permis le développement économique et social de la cité. La population s’est aussi diversifiée et des populations sémitiques, honorant des divinités qui leur étaient propres, sont venues s’installer à Europos.

Ce n’est donc pas une cité romaine qui a été mise au jour, c’est une cité hellénistique (y compris à l’époque parthe) passée dans l’Empire romain et occupée par un camp romain durant un demi-siècle.

Au début de la période parthe, on voit la construction de sanctuaires comme le temple de la nécropole à l’extérieur des remparts (32 av. n. è.) et, en ville, ceux d’Atargatis (31 de n. è.), d’Aphlad (îlot N8, 12-13 de n. è.), de Bêl (îlot J7), de Zeus Kyrios-Baalshamin (îlot M8/M7, 28-29 de n. è.) ou encore d’Azzanâthkona (îlot E7). A la fin de la période parthe, à partir du Ier siècle de n. è., on voit l’installation de sanctuaires comme celui des Gaddé (îlot H1, peu av. 159 de n. è.), le sanctuaire de la rue principale (îlot M5) ou encore celui d’Adonis (îlot L5) ou Zeus Théos (îlot B3, 114 de n. è.). Il faut y ajouter un temple inconnu (îlot X9), qui existait déjà à l’époque parthe et qui a été désacralisé lors de l’installation du camp romain dans la partie nord de la ville à partir de 212 de n. è.13.

Un monde religieux ouvert et multiforme Si l’on s’intéresse à l’histoire religieuse de la ville, on voit très bien, à travers les dix-neuf édifices religieux découverts sur le site, la coexistence apparemment pacifique de cultes polythéistes d’origine occidentale ou orientale aux époques hellénistique et parthe, et l’émergence de cultes monothéistes à l’époque romaine (fin du IIe siècle - première moitié du IIIe siècle). Sur cette diversité religieuse, l’étude récente, conduite par M.-E. Duchâteau11, sur les divinités d’Europos-Doura à travers les pratiques religieuses et l’origine des populations qui les pratiquaient est tout à fait éclairante. Ce n’est pas le lieu ici de présenter un tableau exhaustif des religions, mon objectif à travers cet article est de présenter la grande variété des cultes qui reflète la complexité de l’histoire de la ville et la très grande variété des sensibilités religieuses en grande partie liée à la diversité ethnique de la ville. On ne mentionnera pas non plus les cultes domestiques et familiaux qui constituent un ensemble en soi et pour lesquels nous

L’époque romaine voit l’apparition de cultes liés à l’armée romaine ou au culte impérial. Le Dolicheneum (Zeus Dolichenus), le temple militaire (îlot A1). Près de la porte principale, dite Porte de Palmyre, un édifice a été identifié comme un Tychaion. Il faut également ajouter le mithraeum (îlot J7) construit le long du rempart occidental. Enfin, lors de la dernière campagne de fouille de la Mission franco-syrienne d’Europos-Doura en 2011,

                                                            

                                                             11

12 13

Duchâteau 2013.

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Kaizer 2017, p. 63-95. Leriche, Coqueugniot, de Pontbriand 2011, p. 35.

Europos-Doura sur l’Euphrate

Fig. 3 : Peinture du Temple de Bêl. Scène du sacrifice de Conon après restauration par la MFSED. Conservée au Musée National de Damas (cliché MFSED).

un édicule dédié à Zeus a été découvert au pied de la citadelle14.

Nous nous attacherons maintenant à montrer la diversité et la richesse de l’expression artistique mise au service des différents édifices religieux ou civils de la cité.

Enfin, dans cette même période, il existe des édifices cultuels liés à des communautés particulières qui pratiquent un culte monothéiste. Au sud de la porte de Palmyre, une maison a été transformée en lieu de culte chrétien (îlot M8) avec un baptistère orné de peintures, alors que la synagogue (îlot L7) est véritablement conçue comme un édifice religieux dès le départ, avec une grande salle d’assemblée et une cour intérieure.

II. Une expression artistique caractéristique Les peintures murales Les fouilles conduites par la Mission américano-française de Yale, le long de la rue du rempart occidental ont mis au jour des monuments qui illustrent à eux seuls, l’originalité de l’art qui s’est développé à Europos-Doura.

Tous ces vestiges montrent une grande effervescence religieuse dans une société multiple et tolérante, puisque dans les lieux de cultes sémitiques, on trouve aussi bien des noms de famille de type grec ou romain.

Je présenterai ici trois exemples de peintures ornant des édifices religieux situés l’un dans la tour 1 du rempart occidental et les deux autres plus au sud, le long de ce même rempart.

Cette présentation de la richesse religieuse du site est là pour nous montrer que la religion tenait une très grande place dans la vie de la cité et nombreuses ont été les études qui sont consacrées à ces aspects.

La peinture du Temple de Bêl, dite du « sacrifice de Conon », qui ornait le mur occidental du naos du temple a été datée, du Ier siècle de n. è. Celle-ci a été bien décrite par J. H. Breasted et F. Cumont15, qui voient dans cette

                                                            

                                                            

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de Pontbriand, Leriche 2018 à paraître.

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Breasted 1924 ; Cumont 1926.

Ségolène de Pontbriand présentation hiératique les prémices de l’art paléochrétien (fig. 3).

l’installation d’un baptistère surmonté d’un arc en plein cintre qui repose sur deux colonnes. Sous l’arc, on aperçoit notamment la scène du « Bon berger ». Les thèmes iconographiques sont semblables à ceux que l’on peut trouver dans les catacombes romaines. Le style des peintures de la Maison chrétienne est plus schématique et plus fruste, visiblement exécutées non par un artiste, mais peut-être par plusieurs personnes. On peut dater ces peintures de 241 de n. è., date à laquelle le baptistère a été construit (fig. 5).

La synagogue16 dont le plus ancien état remonte au lendemain de la conquête romaine, nous apparaît dans un état daté de 243. Elle a été fouillée à partir de novembre 1932, lors de la 6e campagne de la Mission de Yale et a été presque entièrement reconstituée au Musée National de Damas17. La salle d’assemblée (13,35 x 7,70 m) est pourvue de banquettes et au centre du mur occidental se trouve la niche de la Torah. Le mur de fond et les deux murs latéraux de la salle d’assemblée sont décorés de panneaux peints, sur plusieurs registres, représentant des scènes de la Bible, des prophètes ou des motifs décoratifs (fig. 4). L’iconographie des peintures reflète l’état des conceptions picturales du milieu du IIIe siècle dans cette région. Les personnages sont en général en position paratactique comme par exemple sur la scène de la résurrection des morts ou sur la scène de la traversée de la mer rouge. Figurés de face mais dans des attitudes animées, ils regardent le spectateur. Leur costume est visiblement de type local et les hommes portent des pantalons à plis, appelés « pantalon parthe ». D’autres personnages sont quant à eux vêtus à la romaine avec des toges ou des chlamydes.

  Fig. 5 : Peintures de la Maison chrétienne. Conservées à la Yale University Art Gallery, New Haven (cliché et montage S. de Pontbriand. MFSED).

Le plafond de la synagogue était fait de carreaux de terrecuite de 42 cm de côté qui comportaient un décor peint fait de différents motifs représentant des végétaux (fleurs et fruits), des animaux ou des têtes humaines. Un petit nombre de carreaux comporte des inscriptions dont l’une, en grec, nous donne la date de la synagogue vers 244-245 de n. è.

Ces trois exemples sont parmi les plus anciennes représentations de cet art figuré alliant le sens du mouvement et la frontalité « parthe ». Une conception picturale qu’a excellemment décrite D. Schlumberger à travers son concept d’ « Orient hellénisé »19. La sculpture Dans le domaine de la sculpture, nous trouvons à Europos-Doura des types figurés très différents. Excluons d’entrée la statue bien connue d’Aphrodite à la tortue découverte dans le temple d’Artémis20 et aujourd’hui conservée au Musée du Louvre. Exécutée en marbre de Paros, elle serait, d’après F. Queyrel, une importation de la côte syrienne de la fin de la période hellénistique.

Fig. 4 : Peintures de la Synagogue. Mur occidental. Conservées au Musée National de Damas (cliché MFSED).

Les nombreux temples de la ville ont fourni des basreliefs cultuels qui montrent le mélange d’influences hellénistiques, palmyréniennes, parthes et romaines. Ainsi, je ne présenterai ici que le bas-relief d’Aphlad, conservé au Musée National de Damas, qui me paraît tout à fait caractéristique. Celui-ci représente un dieu

La Maison chrétienne18 (îlot M8) a été dégagée en 193031 lors de la 4e campagne et les peintures sont aujourd’hui conservées à la Yale University Art Gallery à New Haven. Il s’agit d’une maison de plan standard transformée au IIIe siècle en lieu de culte chrétien, avec

                                                            

                                                            

19 Schlumberger 1970 et plus récemment sur le même sujet, Leriche 2014. 20 Cumont 1926, p. 206-216, pl. LXXX-LXXXI, 1-2 ; Queyrel 2012, p. 118.

16

Kraeling 1956. 17 Leriche 2012, p. 143-155. 18 Kraeling 1967.

20

Europos-Doura sur l’Euphrate d’un village de la vallée de l’Euphrate, cuirassé à la romaine, debout sur deux lions à l’orientale, en position frontale hiératique et accompagné d’une dédicace en grec (fig. 6).

peuvent être considérés comme des « résidences ». C’est le cas de la « Maison de Lysias» dans l’îlot D1, un monument qui a été presque entièrement fouillé par la mission de Yale, mais n’a jamais été publié. C’est la raison pour laquelle j’ai entrepris l’étude archéologique de ce bâtiment dans la perspective de le publier21. La résidence de Lysias se trouve dans la partie sud-est de la ville, que M. I. Rostovtzeff a appelé « l’Acropole » car, dans ce quartier, se trouvent deux des principaux monuments de la ville macédonienne : le temple de Zeus Megistos (îlot C4) et le Palais du Stratège (îlot C9). On sait par deux graffiti22 que cette maison était celle de l’épistate23 Lysias en activité en 159 de n. è. et qu’après cette date, cette résidence n’a pas connu de modification architecturale notable. Il s’agit donc d’un édifice d’époque parthe. Description générale du bâtiment La résidence couvre presque toute la surface d’un îlot (soit environ 70 x 35 m). Ce bâtiment est bien conservé avec des murs dans certaines parties supérieurs à quatre mètres. Il est composé de cinquante-six espaces organisés autour de six cours. Dans le dernier état, il n’y avait que deux portes ouvrant sur la rue, une sur la façade nord (entrée principale) et la seconde sur la façade occidentale (entrée secondaire). La structure interne de la maison reflète une organisation bien conçue de la vie domestique mais aussi, pour une part, officielle et porte la marque de diverses influences. La partie officielle (secteur A) représente approximativement la moitié de la surface de la résidence. Les trois unités privées (secteurs B, D et E) et la zone de stockage (secteur C) se partagent le reste de la surface à peu près de manière égale (fig. 7).

Fig. 6 : Bas-relief d’Aphlad.  Conservé au Musée National de Damas (cliché MFSED). 

 

Certains éléments de la résidence de Lysias ne sont pas courants dans l’architecture domestique d’EuroposDoura : les écuries24 (espaces 11 et 8a), les celliers (espaces 16, 27, 31 et 32) et l’autel privé dans la grande cour (cour 1). L’originalité des façades internes nord et sud de la cour 1 nous encourage aussi à considérer ce monument comme une résidence et non comme une simple maison. L’angle nord-ouest du bâtiment qui était

Les petits objets La culture matérielle reflète également cet aspect multiculturel jusque dans les faits de la vie quotidienne. C’est le cas en particulier de la céramique en usage dans la ville. Pour illustrer ce propos, voici trois exemples de la céramique que l’on trouve à Europos : une céramique typiquement grecque, d’époque hellénistique (vernis noir), un exemplaire de céramique dite parthe, avec cette glaçure bleu-vert caractéristique, et enfin un exemplaire de sigillée orientale qui illustre l’importance de l’influence romaine.

                                                             21

de Pontbriand 2012, p. 77-92. Deux graffiti découverts dans la maison nous donnent la date de 159 de n. è. 23 La fonction d’épistate a été créée pour représenter le Grand Roi parthe à Europos après que la ville a été conquise vers 113 av. n. è. Cette fonction est devenue héréditaire et détenue par un notable d’origine macédonienne qui a alors porté le titre de strategos (macédonien) kai epistates (parthe), ce qui revient à en faire le gouverneur de la ville. La résidence de ce personnage était donc celle de la personne la plus importante de la ville dont l’office se trouvait au Palais du Stratège tout proche. Sur la fonction de stratège et épistate voir Johnson 1932 et Leriche 1999. 24 D’autres écuries ont été identifiées dans la ville (îlots E4, G1 et X3/X5). 22

III. Un exemple d’architecture officielle : la résidence de Lysias Parmi les trois palais et une centaine de maisons fouillées sur le site, certains bâtiments de taille exceptionnelle 21

Ségolène de Pontbriand

Fig. 7 : Plan de la résidence de Lysias dans son dernier état (réalisation S. de Pontbriand d’après N. C. Andrews. MFSED).

plus haut que le reste de la résidence est également un élément monumental dont nous n’avons pas de parallèles dans la ville ou ailleurs dans la région.

Influences helléniques La conception de la résidence de Lysias présente quelques caractères grecs : un bâtiment qui s’insère dans un îlot, comme les autres maisons importantes, dans le plan urbanistique de la ville. Elle est peu ouverte sur l’extérieur, avec une salle de réception sans banquette mais plus probablement avec du mobilier fait de matériaux périssables.

La résidence de Lysias présente d’autres différences évidentes avec les maisons communes du site. Il n’y a pas de colonnade, comme c’est généralement le cas, du moins sur l’un des côtés de la cour. Il n’y a pas d’installation de cuisson dans la maison, seulement des étagères dans certains espaces et un bain privé (espace 46). Il y a des banquettes à l’extérieur dans une des cours (cour 1), mais pas à l’intérieur des salles de réception.

La salle de réception était située, comme il est d’usage à l’époque hellénistique, sur le côté sud de la cour, ce qui signifie que cette salle principale de la maison se trouvait toujours à l’ombre. En façade, elle était précédée par un vestibule comportant à la base un mur plein percé de trois portes et dont le sommet correspondait à celui de la porte centrale, plus haute. Ce mur portait une colonnade de type dorique formant un attique rhodien, plus haut que le reste de la résidence. A l’arrière de ce vestibule, le mur nord de la salle de réception, sans doute plein jusqu’au plafond, était lui aussi percé de trois portes, dont la porte centrale était monumentale.

Nous pouvons donc supposer l’utilisation de meubles en bois et de tapis comme dans les pièces 2, 23, 52 et 45b. Cela peut être considéré comme un signe de richesse. Il y a une banquette extérieure le long de la façade nord mais sa fonction n’est pas claire. Certaines portes ont été bouchées lorsque la maison a été étendue vers le sud. Nous devons imaginer que les habitudes de vie dans la résidence de Lysias étaient les mêmes pour chaque maison du site. Par exemple, il y avait une vie familiale sur les toits et, parfois, au premier étage. Dans la résidence de Lysias, cet aspect est confirmé par la présence de deux escaliers intérieurs (E1 et E2) menant à la zone familiale. Transferts culturels résidence de Lysias

dans

l’architecture

de

La façade nord de la cour présentait également une disposition particulière, mais avec deux différences majeures : sa hauteur était conforme à celle du reste de la maison et la façade elle-même comportait un mur jusqu’à mi-hauteur et, par-dessus, une série de piliers répondant esthétiquement à la colonnade du sud de la cour.

la

Toujours au nord, on observe un dispositif particulier, probablement tardif sous la forme d’une pièce d’étage (« pavillon ») pourvue à l’est d’une baie à deux colonnes, donnant sur les toits de la façade nord de la résidence. Cette partie était accessible par un escalier monumental (E1) partant de la cour intérieure. Peut-être s’agissait-il de l’appartement privé du maître de maison, avec une terrasse offrant une vue sur la vallée de l’Euphrate (fig. 8).

L’architecture de la résidence peut être considérée selon trois aspects : la conception du bâtiment (organisation générale, planimétrie), les techniques de construction (matériaux et processus de construction) et le décor intérieur de la maison.

22

Europos-Doura sur l’Euphrate En ce qui concerne les techniques de construction, la pierre de taille25 n’a pas été utilisée dans les soubassements de la résidence de Lysias, contrairement aux fortifications et à l’agora de la période hellénistique de la ville. Les seuls éléments de pierre taillée sont destinés au décor des ouvertures (seuils, jambages et linteaux). Il n’y a pas véritablement d’éléments de décor grec.

A Europos-Doura, l’utilisation du djousse dans la construction apparaît dès la période parthe comme mortier pour les fondations et ensuite pour les murs (Ier siècle av. n. è.), ce qui est le cas de la résidence de Lysias. Il y a deux caractéristiques dans le décor de la maison qui pourraient être attribuées à la période parthe : la forme des portes, qualifiées de « porte à l’égyptienne », c’est-à-dire avec des jambages non parallèles et les corniches moulurées en djousse qui sont très fréquentes dans l’architecture domestique du site30.

Enfin, hormis le plan, cette résidence ne présente aucun aspect « colonial » réel.

Les aspects romains Si nous regardons le dernier état de la résidence, les aspects romains peuvent être distingués plus facilement parce que la ville, qui était romaine depuis près d’un siècle, a été abandonnée et n’a jamais été réoccupée après le siège sassanide de la ville. Il est difficile de trouver des caractéristiques typiques de cette architecture occidentale qui rappelleraient des exemples comme Pompéi et de nombreux autres sites de l’Empire romain31. Si nous recherchons des similitudes spécifiques entre notre bâtiment et une domus romaine, le résultat sera maigre. En fait, pour la conception de la maison, il n’y a pas d’élément de comparaison concluant. Comme la plupart des maisons antiques, la résidence de Lysias possède plusieurs cours, mais ni atrium, ni fontaine32.

  Fig. 8 : Restitution de la résidence de Lysias dans son dernier état (réalisation S. de Pontbriand d’après H. J. Gute. MFSED).

L’héritage parthe Dans la résidence, on trouve des carrelages de briques cuites dans trois cours (1, 24 et 39). En ce qui concerne la toiture du bâtiment, comme sur les autres monuments de la ville, il s’agit de toit-terrasses et non pas de toits à double pente recouverts de tuiles. Les seuls éléments architecturaux qui pourraient être considérés d’influence romaine sont deux portes qui comportent un arc et la seule fenêtre conservée du bâtiment. Mais malheureusement, cette partie du bâtiment semble être de la fin de la période parthe d’après la date des graffiti33 gravés sur le montant nord de la fenêtre. En outre, nous l’avons dit plus haut, les techniques de construction utilisées dans la résidence de Lysias étaient toutes connues avant la conquête romaine d’Europos-Doura (en 165 de n. è.).

Parler de l’influence parthe est difficile parce qu’il y avait une présence très ténue de l’élément parthe dans la ville qui est restée pratiquement autonome pendant trois siècles. La conquête parthe d’Europos vers 113 av. n. è. n’a en effet modifié ni le plan de la ville ni la construction des maisons. Au contraire, c’est pendant la période parthe que la ville a été réellement construite selon le plan hippodaméen. Ce que nous connaissons de l’architecture parthe à Assour26, Hatra27 et Abou Qoubour28 ne nous apporte pas de point de comparaison. Le seul élément qui peut être cité est la présence d’une cour, mais les plans de ces résidences n’ont pas la régularité de celui de la résidence de Lysias. L’élément architectural caractéristique que l’on attribue à la période parthe est l’iwan, celui-ci est fréquent à Hatra29 mais on ne le rencontre pas à EuroposDoura.

En ce qui concerne le décor de la maison, il n’y a pas de colonnade dans la rue qui dessert la maison, comme on en trouvait dans la rue principale. L’entrée de la maison est

                                                             30

Shoe 1948, p. 1-40. Il y a bien sûr quelques similitudes entre la résidence de Lysias et une domus romaine : une zone fermée, une maison organisée autour d’une cour centrale entourée de différents espaces, comme une pièce de réception. Parfois, certaines maisons comportent des boutiques ouvrant sur la rue, mais ces aspects ne sont pas spécifiquement romains. 32 Il y a à Europos-Doura un exemple dans la « maison du grand atrium » (îlot D5), où il y avait effectivement, dans un état antérieur, un véritable atrium. 33 Les deux graffiti datés de 159 de n. è. : « Lysias, l’épistate est mort en expédition, son fils Lysanias a été nommé épistate », voir Frye 1955, p. 148. 31

                                                             25

Des blocs en orthostate ont été découverts dans des niveaux antérieurs à la résidence de Lysias et on ignore s’ils sont véritablement liés au bâtiment actuel. Il s’agit peut-être de blocs en remploi provenant d’un bâtiment hellénistique qui aurait été détruit. 26 Andrae, Lenzen 1922, pl. 11 ; Andrae 1938, p. 181-187, fig. 79. 27 Venco Ricciardi 2002, p. 72-76. 28 Gasche, Pons 1991, p. 11-34 ; Wright 1991, p. 75-91. 29 Venco Ricciardi 2000, p. 87-110.

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Ségolène de Pontbriand simplement décorée par deux colonnes engagées qui devaient supporter un linteau mouluré comme on le voit ailleurs sur le site. Dans la résidence de Lysias, aucun sol en mosaïque34 n’a été retrouvé, mais les travaux récents ont permis de retrouver quelques fragments de peintures murales non figuratives35. D’après les documents d’archives (photographies), des chapiteaux doriques ont été trouvés dans les fouilles associés à des colonnes non cannelées, mais nous avons aussi d’autres exemples de la période parthe (Temple des Gaddé ou Temple d’Artémis).

culturels réciproques (d’images, de valeurs ou de conceptions) entre Occident et Orient. Enfin, en ce qui concerne l’architecture de la résidence de Lysias, ces emprunts semblent limités. De nombreux aspects du bâtiment peuvent probablement être expliqués par les traditions locales ou des inventions que nous pouvons qualifier de syro-mésopotamiennes. L’aspect oriental fondamental est la séparation nette entre la vie privée et la vie publique à l’intérieur de la maison (comme dans les maisons grecques). Tout ce qui concerne la famille est d’accès unique et restreint, accessible par une porte ou un couloir unique avec plan en « baïonnette ».

Enfin, il y a très peu d’aspects romains dans la maison de Lysias malgré le fait que son dernier état date de cette période. La raison probable est que la Résidence de Lysias n’a pas été remaniée après 159 de n. è., date des deux graffiti qui ont été relevés. Cela signifie qu’il n’y a pas de modification après la conquête romaine de la ville (165 de n. è.), probablement parce que cette période a été celle du déclin et de la disparition du rôle de strategos kai epistates.

L’évolution architecturale de la maison suit la progression du rôle et de l’importance de la famille de Lysias dans l’histoire politique de la ville jusqu’à la disparition tragique de celle-ci. Mais on peut parler d’une relative unité de civilisation à Europos-Doura malgré des influences différentes importées ou adaptées dans un monde sémitique.

ABRÉVIATION

Pour conclure avec l’influence romaine à Europos-Doura en général, il faut mentionner certains aspects typiques qui ont été introduits par les Romains dans d’autres villes de l’Empire. Comme les rues à colonnades ou l’utilisation de l’eau de manière abondante. Nous savons qu’à la fin de l’existence de la ville, vers 250 de n. è., la rue principale a été décorée de colonnades comme celles que nous trouvons à Apamée de l’Oronte ou à Palmyre. A Europos-Doura, on a pu observer le même processus dans l’agora ou le long de la façade de certaines boutiques (une bijouterie dans l’îlot B6 ou la Maison de Nebuchélos dans l’îlot B8). Les rues n’étaient pas pavées de pierre, mais simplement faites de terre. Lorsque le camp romain s’est installé à l’intérieur même de la ville dans la partie nord en 212, plusieurs bains publics ont été érigés. On a également découvert un aqueduc relié à la fortification nord qui amenait l’eau de l’Euphrate au bain E3. De plus, à proximité de la Maison chrétienne, une canalisation a été trouvée dans la rue et il y avait un système d’égouts similaire dans le passage de la porte de Palmyre. Les Romains ont donc importé leurs propres techniques d’adduction ou d’évacuation de l’eau.

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Conclusion Le multiculturalisme d’Europos-Doura est à la fois le fait de son histoire pluriséculaire et de son emplacement géographique. La culture matérielle reflète ces transferts

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                                                             34 Les seules mosaïques découvertes sur le site se trouvaient dans des bains et comportaient en général des motifs géométriques. Voir Prel. Rep. VI, p. 104-105. En ce qui concerne l’architecture domestique, les fouilles anciennes mentionnent l’existence de fragments de mosaïques de galets dans la résidence de l’îlot E4. Voir Prel. Rep. VI, p. 15-16. 35 Il s’agit d’un enduit de plâtre, appelé localement « djousse », recouvert de peinture. Ces fragments d’enduits peints ont été découverts dans la partie nord-ouest du bâtiment et proviennent sans doute du premier étage. Sans motif, les couleurs les plus courantes sont le noir, le jaune et le rouge.

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QU’Y A-T-IL DE GREC DANS LE SUD DU LEVANT A L’ÉPOQUE HELLÉNISTIQUE ? François Villeneuve Résumé La période hellénistique est évidemment considérée partout comme une période d’hellénisation. L’archéologie du sud du Proche-Orient, en se développant lors des dernières décennies, a longtemps paru montrer, aussi, que c’était une période très évanescente, autrement dit peu représentée, avec un troisième siècle, en particulier, presque transparent. L’explication de cette situation a commencé à apparaître depuis quelque temps, quand on a compris que dans les zones rurales l’époque hellénistique n’avait à peu près rien de grec − il vaudrait mieux l’appeler « âge du Fer 4 », du point de vue de la civilisation matérielle, modes de construction y compris. Pour provoquer le débat, on peut étendre la proposition un peu plus loin : y avait-il quelque part, quelque chose de vraiment grec, y compris dans les zones urbaines, durant cette période, et si oui quoi ? Mots-clés : Proche-Orient, Levant, époque hellénistique, monnayage, épigraphie, urbanisme, fortifications. Abstract The Hellenistic period is obviously considered everywhere as a period of Hellenization. The archaeology of the south of the Near East, as it developed over the past few decades, seemed to have shown for a long time, too, that it was at very evanescent stage, that is to say not very much in the forefront, with a third century, in particular, almost fading out of view. The explanation of this situation began to appear for some time, when it was understood that in rural areas the Hellenistic era had almost nothing Greek − it would be better to call it "Iron Age 4", from the point of view of material civilization, including building techniques. Just to be provocative, we could ask: was there somewhere, something really Greek, including in urban areas, during this period, and, if so, what was it? Keywords: Near East, Levant, Hellenistic period, numismatic, epigraphy, town-planning, fortifications.

L’époque « hellénistique » est définie depuis qu’elle a été inventée, voici bientôt deux siècles, comme celle de la fusion, consécutive à la conquête d’Alexandre, entre formes grecques et formes orientales : celle de la diffusion de l’hellénisme, langue, cultures matérielles et spirituelles, religion, pouvoir, à travers l’Orient. Le concept est totalement passé dans les usages de la périodisation. Il fonctionne plutôt mal pour les zones périphériques extérieures, ou devenues extérieures, au pouvoir des royautés d’origine gréco-macédonienne, auxquelles il est pourtant parfois appliqué, comme le nord de la péninsule arabique. Mal également pour les périodes tardives : si chacun sait quand commence l’époque hellénistique, à la mort d’Alexandre ou plus simplement à sa conquête, personne ne sait quand elle finit, à des dates étonnamment variables selon les régions, avec parfois des périodes de transition très longues entre la fin du pouvoir gréco-macédonien et la provincialisation romaine, ce qui a conduit les milieux savants à des inventions prudentes mais peu parlantes, telles la « période préprovinciale » qui, de Damas à Amman par exemple, dure de Pompée à Trajan ! Considérer ces périodes de transition, ou les zones périphériques, comme « hellénistiques » est affaire de convention, mais l’accent alors porté sur l’aspect grec (du pouvoir ? de la langue principale ? des institutions ?

de la culture matérielle ?) plutôt que sur sa composante romaine ou sur son essence régionale relève d’un choix dont la validité reste à évaluer. En dehors de ces deux cas, régions périphériques et époque tardive, les réserves qu’on vient d’émettre ne s’appliquent pas et le concept d’ « hellénistique » est opératoire, au Levant, pour la périodisation. Mais la dose de culture et de culture matérielle grecques qu’il semble induire est-elle bien toujours là ? Si c’est le cas, qui cherche les traces de cette période sur des terrains encore négligés ou mal connus cherchera logiquement des inscriptions grecques, des tessons de céramique attique ou dérivée, des monnaies grecques, des fortifications de type grec, des pratiques funéraires gréco-macédoniennes, un décor architectural ou peint ou mosaïqué influencé par le centre de diffusion grec ou micrasiatique. Il risque, hormis découverte exceptionnelle, comme l’a été dans les années 1990 celle de l’éphémère et complète ville hellénistique du Jebel Khaled en Syrie sur les bords de l’Euphrate, de ne rien trouver du tout de tel, ou seulement quelques éléments. Il risque aussi, cherchant ces indices comme indices de datation (en cas de prospection de surface notamment) et ne les trouvant pas, de conclure que l’époque hellénistique est très sous-représentée, dans 27

François Villeneuve bien des zones du Levant lagide ou séleucide. Cette très brève note ne vise qu’à ouvrir une réflexion qui, après deux siècles de travaux de terrain précieux, devient inévitable. L’époque hellénistique doit être reconnue, au Levant, comme une période de sous-peuplement sédentaire (et probablement aussi nomade), de sousdéveloppement urbain et de sous-équipement. Elle n’est guère différente, en tout cas de la fin du IVe siècle au milieu du IIe siècle, de la période achéménide, Ve-IVe siècle, connue à bon droit comme une des pires périodes de l’histoire du Levant quant au nombre des hommes et au degré de développement − seule l’époque ottomane faisant aussi mal ensuite, mais avec des villes et quelques itinéraires dignes de ce nom. Peut-on se tromper beaucoup en disant que les monarchies hellénistiques, prédatrices − guerres constantes et besoins fiscaux − en sont en bonne partie responsables ? Mais ce souspeuplement ne doit pas être exagéré outre mesure, en particulier pour la période qui va du milieu ou la fin du IIe siècle à la provincialisation romaine. Or, si l’on cherche à construire une histoire du peuplement en datant les vestiges au IIe ou au Ier siècle sur la base de critères morphologiques grecs, l’on s’expose à un décompte infiniment trop faible. Il faut construire, zone par zone, des échelles chronologiques qui ne reposent plus sur l’idée que les objets ou l’architecture du IIe siècle, étant hellénistiques, sont grecs. Pour éviter de devoir conclure, chose excessive, que l’époque hellénistique n’existe pas, il faut admettre que l’époque hellénistique, au Levant − certes avec des exceptions, côtières surtout − n’est pas grecque.

faible des inscriptions grecques d’époque hellénistique recensé dans les Inscriptions grecques et latines de la Syrie ou dans le Corpus inscriptionum Judaeae Palestinae est forcément significatif. Certes, les inscriptions dans les autres langues sont rares également, mais si les conceptions usuelles des historiens sur l’époque hellénistique étaient valides dans ces régions, l’écrit grec aurait dû être un support de l’hellénisation. Ce fait s’est produit en effet, mais, comme chacun s’en rend compte à la lecture de ces corpus, à l’époque romaine.

  Fig. 1 : Revers d’une monnaie de bronze trouvée à Hégra, (Madian Saliha, Arabie Saoudite, IIe - Ier siècle av. J.-C. ?) : la chouette d’Athéna.  Etude inédite de C. Augé et T. Bauzou  (cliché Mission archéologique franco-saoudienne de Madian Saliha). 

  L’archéologie urbaine, bien développée en Palestine/Israël, Jordanie et Syrie du Sud, avec notamment d’immenses progrès depuis les années 1980, a fini par révéler une situation à laquelle il faut bien se résoudre. Sur le cours de l’Euphrate, il avait fallu admettre, voici une vingtaine d’années, sur la démonstration donnée par Pierre Leriche et son équipe, le caractère tardif de la grande ville de Doura-Europos telle qu’elle était connue avec son plan hippodamien : vers 130 av. J.-C. Auparavant, rien qu’une petite ville de garnison. Au moins tenait-on un hippodamisme micrasiatique de bon aloi dans la seconde moitié du IIe siècle. Rien de tel au sud du Levant, où la localité urbaine la mieux connue sans doute dans la durée, Gerasa (Jerash), ne commence à se doter de débuts d’éléments de plans structurants qu’au cours du Ier s. ap. J.-C. Les hypothèses échafaudées sur un « plan hellénistique » à Damas ont été, à bon escient réfutées comme fondées sur une analyse purement morphologique sur plans et images zénithales modernes. L’évolution − forte − de l’urbanisme de Jérusalem à l’époque hellénistique reste un sujet pour le moins débattu1, mais il est manifestement dominé par la masse

J’illustre le propos, dans ce qui suit, par des exemples pris dans le sud du Levant, non que la situation m’y paraisse différente du nord, mais parce que ma familiarité avec cette zone y rend ma conviction plus forte. Au sud du Levant, donc, les seuls éléments grecs tant soit peu communs, disons plutôt non exceptionnels, sont les monnaies émises par les royaumes gréco-macédoniens. Elles ne témoignent que d’une souveraineté grécomacédonienne et de courants d’échanges entre les capitales et l’arrière-pays. On peut en revanche se demander ce que véhiculent de « grec » des types iconographiques d’une aussi grande banalité que les aigles du monnayage lagide ou ceux du monnayage autonome de Tyr après 125. Pour que l’on comprenne mieux l’argument, je prends l’exemple d’un monnayage local abondant en Arabie du Nord-Ouest, du IIIe (ou IIe ?) au Ier siècles av. J.-C. : profil d’Athéna au droit, réduit à quelques traits « significatifs » (le nez, les lèvres, parfois le lobe de l’oreille), chouette de face au revers (fig. 1). Si la dérivation du monnayage attique, via Gaza peut-être et via toute une série de moulages de plus en plus déformants, est assurée, osera-t-on en inférer quelque chose sur une influence culturelle athénienne à Hégra ? Evidemment non.

                                                             1 La thèse de doctorat en cours d'achèvement − 2018 − de D.M. Cabaret, Recherches sur l'urbanisme des quartiers nord de Jérusalem du IIe s. av. J.-C. au IIe s. apr. J.-C., Université Paris 1, propose de mettre en évidence un plan d'époque hasmonéenne, très pensé et structuré, fondé sur des visées à longue distance, des axes, et la topographie naturelle, mais non sur un système de « grille ».

Concernant la langue, le nombre extraordinairement 28

Qu’y a-t-il de grec dans le sud du Levant à l'époque hellénistique ? d’un sanctuaire, ce qui a tout d’oriental, rien de grec et se trouve encore renforcé par Hérode à la toute fin de l’époque dite hellénistique. Une ville moyenne comme Maresha en Idumée, précieuse de par sa destruction définitive à la fin du IIe siècle av. J.-C. sans réoccupation ultérieure, offre certes dans les hypogées des exemples de peintures hellénisantes − il n’est certes pas question de dire ici que les modes grecques ne pénètrent en rien au Levant à l’époque hellénistique : l’œuvre de Flavius

prédilection à un tracé « en baïonnette ». La muraille de Jebel Khaled, ville de Syrie du Nord mentionnée plus haut, ou celle de Séleucie de Piérie, en sont de bons exemples. On en chercherait en vain un exemple bien typé dans les remparts urbains du sud du Levant. En revanche, la forteresse isolée de Sour, découverte en 1980, qui contrôlait les fortes pentes de la route de Jéricho à Amman/Philadelphia, est pratiquement un archétype à l’état pur de cette architecture militaire

Fig. 2 : Sour, forteresse entre Amman et le Jourdain   (plan dressé par R. de La Noue, F. Larché, F. Villeneuve et F. Zayadine. Document IFPO).

Josèphe témoigne assez des controverses entraînées par cette pénétration − mais par ailleurs s’avère être une ville levantine, iduméenne, du IIe siècle, avec un rempart et une architecture qui doivent bien plus à l’histoire constructive et aux besoins régionaux qu’au monde grec au sens étroit − ou même qu’à Alexandrie.

(fig. 2). Nous sommes ici à une heure de marche d’Iraq al-Amir, centre du domaine des princes tobiades, Judéens de la fin du IIIe et du début du IIe siècles où se trouve le Qasr al-Abd 2, le monument hellénistique relativement bien préservé du Levant tout entier. Les chercheurs

                                                            

L’imposition de la souveraineté gréco-macédonienne avec son cortège d’occupations militaires et de guerres est souvent mise en relation, à travers le monde hellénistique, avec des types de fortifications nouveaux, adaptés à la poliorcétique grecque et apparus en Grèce principalement à partir du IVe siècle av. J.-C. Ces remparts, qu’ils soient urbains ou de forteresses isolées, se caractérisent par une forte adhésion du plan aux caractères d’un relief choisi autant que possible pour ses forts talus et ses lignes raides et un recours en

2 La bibliographie sur Iraq al-Amir et son Qasr, immense, est rappelée en dernier lieu dans la recension par R. Etienne et F. Villeneuve de S. G. Rosenberg, Airaq al-Amir: The Architecture of the Tobiads (Oxford, 2006), dans Topoi, 17, 2011, pp. 691-696. L'organisation de ce domaine et l'architecture de ce manoir que R. Etienne préfère appeler un pavillon évoque à peu près tout sauf le monde grec : politique judéenne, vocabulaire achéménide, architecture orientale générale si l'on peut dire et mégalithisme côtier − à l'exception certaine du décor architectural et des reliefs animaliers − alexandrins. Il est vraisemblable qu'il y a surtout dans ce bâtiment ramassé, à deux niveaux, et de fonction vraiment mal définie, une expérimentation qui, en ce qui concerne au moins la grande salle de l'étage, à ordre appliqué périphérique, a pu préfigurer l'architecture hérodienne de la seconde moitié du siècle suivant.

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François Villeneuve d’hellénisme déconcertés par ce Qasr pouvaient se rassurer en trouvant à son voisinage un phrourion estampillé de poliorcétique grecque. Or, si la fouille de Sour n’a pas été possible, tout son matériel archéologique de surface milite pour une datation à l’époque d’Hérode ou de ses successeurs : c’est donc un exemple très attardé d’utilisation de l’architecture militaire grecque. Nous touchons là un autre aspect important de la pénétration au Levant des techniques, usages, culture et langues grecques : cette pénétration existe, mais dans sa masse elle est très tardive, post-hellénistique.

compte que les sites villageois, et même urbains, de date hellénistique existaient bel et bien − nombreux à partir du milieu du IIe siècle, alors que le IIIe siècle semble bien, quant à lui, rester « inexistant », comme à peu près partout −, mais qu’ils n’avaient rigoureusement rien de grec et apparaissaient donc comme des sites de l’âge du Fer : morphologiquement quant à leur architecture, mais aussi en bonne partie en ce qui concerne leur céramique, sans parler des cultes et de leur imagerie ou aniconisme totalement sémitique ou encore de leur rare épigraphie, araméenne. En bref, si c’est par boutade que je proposerais « âge du Fer IV » pour définir l’époque hellénistique dans cette région du Hauran, voire beaucoup plus largement, je pense que culturellement l’expression serait beaucoup plus appropriée que celle d’hellénistique avec ce qu’elle laisse supposer de croyances, cultures et techniques grecques. L’empreinte de ce « long âge du Fer », qui plus est, ne disparaît pas avec la fin (conventionnelle) de l’époque hellénistique (au tournant de l’ère chrétienne ?). En effet, la période de tâtonnements et d’imposition progressive de la souveraineté et de la provincialisation romaines complètes, entre Pompée et Trajan, est encore tout à fait, dans le fond des choses, de même nature, si l’on admet que le fond des choses est représenté par la vie des campagnes et donc que les prodiges d’expérimentation de l’architecture hérodienne, nabatéenne ou gérasénienne au Ier siècle ap. J.-C. ne sont qu’une petite facette de la réalité. Le plan du village de montagne de Sia (fig. 3) dans le Hauran, à une demi-lieue de la ville décapolitaine de Kanatha et adossé au fameux sanctuaire de Baalshamîn (Ier siècle av. J.-C./IIIe siècle ap. J.-C.) une enceinte épaisse et sans angles absolument similaire à celle des établissement ruraux un peu plus anciens étudiés par J. Rohmer pour l’époque hellénistique et très clairement dérivée des enceintes protohistoriques, et d’autre part des techniques architecturales, pour le bâti, fondées sur les piliers de pierres porteurs de plafonds en pierres : autrement dit le même système que celui mis en œuvre depuis l’âge du Bronze ancien − la révolution dans l’architecture domestique, c’est-à-dire le recours à l’arc clavé, ne survient qu’au IIe siècle ap. J.-C. Il est bien grec, et n’arrive qu’à l’époque provinciale romaine.

Dans tout le monde antique ce sont les campagnes qui sont prépondérantes, par le nombre des habitants et par la subsistance qu’elles doivent fournir. Les spécialistes de l’archéologie rurale, nombreux au Levant (Néguev, Jordanie centrale, Hauran de Syrie du Sud, Massif calcaire de Syrie du Nord) et comblés pour les époques romaine, byzantine et proto-islamique, avaient probablement fini par admettre, sans guère le dire jamais, au tournant des années 2000, que, selon la formule rhétorique utilisée plus haut, l’époque hellénistique, dans les campagnes, n’existait pas. Des exceptions étaient certes connues, rares : sur la côte phénicienne, au sud du Liban actuel, le bourg d’Oum al-Amed, étudié dans les années 1940, montrait les vestiges, d’époques achéménide et surtout hellénistique, d’une agglomération rurale plutôt prospère, et non fortifiée. D’une façon frappante, bien que situés sur la côte − plus et plus précocement pénétrée par l’hellénisme que l’arrière-pays dit-on − ces vestiges baignaient dans la culture phénicienne et nullement dans la culture grecque. C’était là un très bon indice qu’il fallait chercher l’époque hellénistique sans plus se soucier des marqueurs grecs, et surtout pas comme préalables. Un cas exemplaire, qui va vraisemblablement faire école désormais, est celui du Hauran (souvent dit « Syrie du Sud » par référence aux frontières contemporaines), très vaste et riche région prospectée dès le XIXe siècle et abondamment fouillée depuis les années 1975, où l’extrême abondance des villages et fermes romains et byzantins contrastait avec l’extrême rareté, l’inexistence presque, des sites d’époque hellénistique connus jusqu’au début des années 2000. Il était dès lors inévitable de théoriser (ici, et par extension de ce « modèle » hauranais probablement valide pour une bonne partie du sud levantin) sur un terrible creux de peuplement sédentaire, au demeurant non limité à l’époque hellénistique mais allant de l’âge du Fer 2 à l’époque préprovinciale romaine − de la conquête néo-assyrienne à celle de Pompée au moins.

Il découle de ces découvertes un impératif méthodologique, que les archéologues de la Palestine historique maîtrisent maintenant bien, mais qui n’est pas forcément parfaitement intégrée en Jordanie ou au Liban : si l’on ne veut pas passer à côté de trois siècles d’occupation (surtout le toujours évanescent IIIe siècle et encore la première moitié du IIe) et penser qu’à peu près tout le Proche-Orient méridional hormis quelques villes côtières ou Jérusalem était vide de sédentaires entre Alexandre et Pompée voire plus tard, il faut accepter que l’Hellénistique, en ces lieux n’a rien de grec et étudier et dater les sites, la céramique, l’épigraphie locale etc. sur la base de critères intrinsèques, et éventuellement bien entendu de moyens de datation absolue.

Or, pour le Hauran précisément, les travaux de terrain puis la thèse de Jérôme Rohmer3 ont permis de se rendre

                                                             3 J. Rohmer, Recherches sur le peuplement de la Syrie du Sud de la fin de l'âge du Bronze à la province romaine, IFPO, (Bibliothèque archéologique et historique), Beyrouth (s.p., 2018).

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Qu’y a-t-il de grec dans le sud du Levant à l'époque hellénistique ?

Fig. 3 : Sia, village antique de montagne en Syrie méridionale, à côté de Kanatha (Qanawat). Plan F. (F. Villeneuve. Document UMR ArScAn).

 

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JARDIN OU COUR ? LA PLACE DU VÉGÉTAL DANS LES ESPACES DÉCOUVERTS DES MAISONS ROMAINES EN ORIENT Éric Morvillez Résumé Dans les provinces orientales de l’Empire romain, la manière de traiter les cours et péristyles des maisons en contexte urbain varie considérablement d’une région à l’autre. Les données de fouilles sur l’aménagement des espaces découverts restent très inégales et les jardins semblent à première vue plutôt rares. Mais les textes apportent de précieux compléments et contredisent cette impression. Nous nous proposons de poser la problématique de la présence de jardin en contexte domestique, en envisageant les différents types de maisons connues au Proche-Orient. Nous commencerons par observer les plans de maisons de tradition locale, pour nous pencher ensuite sur le cas particulier de Doura-Europos, où se croisent plusieurs influences. Nous terminerons par les maisons à péristyle, en observant les sites d’Apamée et de Palmyre qui indiquent des particularismes liés autant au climat qu’aux usages sociaux des espaces. Beaucoup de propriétaires ont choisi l’option de revêtement de dallage de pierre ou de mosaïques, les zones destinées à la plantation apparaissant, comme on peut le déduire aussi à Antioche, relativement minoritaires. Des fouilles récentes, comme la maison des Fontaines à Beyrouth, indiquent cependant que la présence de jardins dans les cours à portiques peut être détectée dans les futures recherches archéologiques. Mots-clés : Cour, jardin, plantation, mosaïque, péristyle, Doura-Europos, Apamée, Palmyre, Antioche, ProcheOrient. Abstract In the eastern provinces of the Roman Empire, the way in which the courtyards and peristyles of houses are treated in an urban context varies considerably from one region to another. Excavation data on the layout of open spaces remain very uneven and gardens seem at first sight rather rare. But the texts provide valuable additions and contradict this impression. We propose to pose the problem of the presence of garden in a domestic context, considering the different types of houses known in the Near East. We will begin by observing the plans of houses of local tradition, to then look at the particular case of Doura Europos, where several influences intersect. We will end with the peristyle houses, observing the sites of Apamea and Palmyra which indicate particularities linked as much to the climate as to the social uses of the spaces. Many owners have chosen the option of paving stone or mosaics, the areas intended for planting appearing, as can also be deduced in Antioch, relatively minority. Recent excavations, such as the Fountain House in Beirut, however, indicate that the presence of gardens in porticoed yards may be detected in future excavation work. Keywords: courtyard, garden, planting, mosaic, peristyle, Dura Europos, Apamea, Palmyra, Antioch, Near East. suspendus de Babylone1, jusqu’au paradeisoi orientaux, imités par Alexandre et ses successeurs dans l’Orient méditerranéen. Il faut ajouter à cela le voyage de nombreuses plantes et arbres importés de l’est vers l’ouest du bassin méditerranéen, dans les bagages des conquérants romains. L’idée qu’à partir de l’époque romaine, les réseaux d’influence en matière de création de jardin ou de leurs représentations artistiques puissent être inversés, ou du moins réciproques dans certains domaines, est loin d’être acceptée. Pourtant, en ce qui concerne l’horticulture, l’étude des palais hérodiens a bien montré l’influence de l’art et des techniques des

Dans le cadre d’une réflexion sur les circulations entre Orient et Occident, thème commun de notre rencontre, la question du jardin m’a semblé particulièrement convenir pour s’interroger sur les influences réciproques que l’Orient et l’Occident avaient apportées en la matière. Dans notre inconscient collectif, l’idée se maintient que les jardins sont venus depuis l’Orient en Occident, d’un mouvement de l’Est vers l’Ouest. Cette idée, en partie fondée sur des évidences, est aussi une construction de l’esprit, une habitude de voir le péristyle grec importé en Occident, progressivement investi d’un jardin planté. Les cités campaniennes et leur impressionnant conservatoire n’ont fait qu’entériner et accentuer ce schéma pratique, mais simplificateur. S’ajoute à cela, dès l’Antiquité, la fascination pour les jardins royaux orientaux exceptionnels, connus ou fantasmés, des palais mésopotamiens et assyriens aux célèbres jardins

                                                             1 L’une des premières références de Pline l’Ancien dans son « historique » des jardins dans l’Histoire Naturelle, XIX, 19, 1 ; Besnier 2000, p. 25-45 ; Lion 2015, p. 21-31.

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Éric Morvillez jardins occidentaux2. Et l’on sait maintenant que les stéréotypes de la peinture de jardin ont pu pénétrer dès la mise en place du Principat aussi l’espace méditerranéen oriental, et y trouver des échos sur plusieurs siècles, dans le monde profane comme funéraire3.

correspondance du même Libanios consacre peu de lignes aux jardins. Mais au détour d’une lettre, datée de 360, nous voyons combien la plantation à des fins de plaisance est étroitement liée à la construction des deux espaces essentiels aux réceptions de l’aristocratie : les bains et les triclinoi8. Libanios fait intervenir Antioche elle-même dans sa lettre, dans l’espoir de convaincre un certain Datianos de retrouver le goût qu’il a eu pour sa patrie : « Certes, moi, dit la ville [Antioche], tu m’as parée de nombreuses maisons comme autant de colliers, et de nombreux bains, les uns à l’intérieur des murs, les autres juste devant leurs portes, tu as planté des jardins et tu as construit des salles de banquet, remèdes pour les plaisirs ; et voici des servantes qui m’entourent de tout côté : les demeures champêtres, elles aussi sont pleines de beauté ; mais toi, après tant de dépenses, tu t’es tourné d’un autre côté. »

A ces considérations sur les jardins de plaisance spectaculaires s’ajoute tout l’imaginaire véhiculé dès que l’on évoque le jardin d’Eden et la notion de Paradis, dont l’époque paléochrétienne s’est emparée pour la remodeler selon ses nouvelles perspectives religieuses4. Dans cette filiation recomposée, le fantasme du jardin importé d’Orient vers l’Occident semble privilégier pour nous un sens unique de circulation des modèles, de l’Est vers l’Ouest, sans prendre en compte de possibles courants d’influence inverses, à partir de la conquête hellénistique et romaine de la Méditerranée orientale. Faire un bilan sur la présence de jardin au sein de l’architecture domestique orientale à l’époque romaine n’est pas facile, compte tenu d’une documentation très éparse, beaucoup d’édifices étant incomplètement fouillés et publiés. On manque d’informations précises sur la nature du traitement des espaces découverts au cœur des édifices. C’est la raison pour laquelle, je préférerais poser ici quelques jalons méthodologiques, en analysant une série d’exemples de résidences suffisamment complets et documentés. D’un point de vue comparatif, en étudiant le jardin dans la domus entre monde romain et Antiquité tardive, j’ai finalement rencontré beaucoup moins de jardins assurés en Orient, que l’on aurait pu l’imaginer. Même si l’on s’y intéresse désormais, les exemples mis au jour par l’archéologie restent rares et minoritaires. Et pourtant, l’art des jardins de plaisance est incontestablement connu et apprécié dans les différentes couches de la société romaine du Proche-Orient. Le plaisir des sens qu’il apporte est d’ailleurs chanté par les sources littéraires. Le jardin reste un marqueur social de richesse et peut faire l’objet dans l’Antiquité tardive de critiques sévères de la part de l’Église qui condamne son côté somptuaire et ostentatoire5. La place du végétal dans le contexte urbain reste essentielle comme le montre l’Antiochicos de Libanios6 ou l’iconographie des mosaïques : la célèbre bordure topographique de la mosaïque de Yakto ou certaines images de sanctuaires sont ponctuées d’arbres et de végétal7. La prolifique

Comme on le pressent à la lecture de ce passage, ce n’est peut-être pas prioritairement au cœur de la maison de ville qu’il faut chercher de grands jardins, mais sans doute en périphérie des villes. C’est l’impression que donnent les descriptions de jardins champêtres de Daphné dans l’Antiochicos : le jardin fait partie du paysage urbain. Des jardins, au caractère sans doute ambivalent, à la fois vivriers et de plaisance, se trouvent séparés des habitations, dans des zones particulières. On l’a supposé à Doura-Europos, le long de l’Euphrate. Ils sont attestés à Antioche sur les berges de son fleuve : dans sa description de la ville, Libanios mentionne que la ville et ses portiques se poursuivent « par une floraison de jardins et eux-mêmes finissaient au bord de l’Oronte »9. On peut supposer le même principe à Apamée, comme l’image de la noria sur la mosaïque des portiques d’Apamée le suggère10. Sur le même schéma, on peut citer le cas de la cité de Jerash, en Jordanie. Jacques Seigne a proposé de placer à l’intérieur des murs une vaste zone de jardins : « il est également très probable (…) que la rive orientale du wadi, enclose tardivement à l’intérieur du périmètre remparé, ait été pendant longtemps un magnifique jardin au pied même des sanctuaires de Zeus et Artémis. Aucun vestige archéologique antérieur à la fin du IIe siècle de notre ère n’y a été mis au jour. Il est donc probable que la ville ne s’agrandit que très tardivement sur cette zone de la rive orientale du wadi où les jardins, généreusement irrigués par les eaux de la source Aïn Karawan, furent

                                                             2

Gleason 1993, p. 156-165 ; Gleason, Bar-Nathan 2013, p. 317-366. Michaeli (à paraître). On y notera deux peintures de jardin, similaires aux créations occidentales, l’une découverte dans l’une des niches du nymphée de Césarée Maritime, datée du IIIe siècle (fig. 15), l’autre, un décor de barrière stéréotypée, dans la nécropole de Giv’at Seled (fig. 7). 4 Je renvoie à ma synthèse sur la question dans le colloque Paradeisos, genèse et métamorphose de la notion de paradis dans l’Antiquité (2015) et à mon article : « Que reste-t-il du paradeisos dans l’Antiquité tardive ? », p. 249-296. 5 Par exemple, Jean Chrysostome, Explication du psaume 48. 6 Morvillez 2007, p. 71-73. 7 Arbres et hippodrome sur la bordure topographique de Yakto, images de villes, de sanctuaires et d’églises environnées de cyprès ou de pins dans les mosaïques tardives de Jordanie ou celles de Syrie (comme à Tayyabet el Imam par exemple). 3

                                                             8 La lettre est envoyée à Datianos, grand personnage de l’entourage de Constance, que sa carrière a tourné vers Constantinople. Elle est écrite à l’occasion d’une ambassade d’Antioche, menée par un de ses plus éminents curiales, Obodianos, pour faire venir l’empereur aux Jeux de 360. Libanios, lettres aux hommes de son temps, choisies, traduites et commentées par B. Cabouret, Les Belles Lettres, Paris, 2000, lettre 33, p. 89-90 (= 114 éd. de R. Foerster). 9 Antiochicos, discours XI, 201, tome III, trad. C. Saliou, Belles Lettres, 2016. 10 Balty J-Ch. 1983, p. 9-11.

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Jardin ou cour ? La place du végétal dans les espaces découverts des maisons romaines en Orient préservés aussi longtemps qu’il ne fut pas nécessaire de construire les " Grands thermes de l’Est " »11.

Ces contraintes auront, on le verra un impact essentiel dans l’évaluation de la place des jardins en milieu urbain. Au lieu de chercher à construire des séries de manière artificielle, en partant de constats typologiques comme celui de la présence de péristyle, je souhaite ici m’interroger par approches comparatives régionales, sur des sites où des résidences de types et de tailles différentes coexistaient. C’est par l’analyse du fonctionnement interne des espaces que les zones plantées et les jardins peuvent émerger. Je me concentrerai d’abord sur des ensembles de maisons héritières de la tradition locale, pour voir si leurs structures avaient déjà prévu la place d’un jardin intérieur, ou du moins de plantation. On pourra faire l’analyse à partir d’exemples de maisons des zones syropalestiniennes, puis avec le cas plus éloigné des rivages de la Méditerranée de Doura-Europos, qui offre l’indéniable avantage de fournir des séries. Nous y ajouterons quelques réflexions sur les maisons de village de Syrie du Nord, dont l’étude permet d’apporter un complément de réflexion sur les cours et des espaces plantés en zone rurale. Puis on terminera sur des plans de tradition gréco-romaine, installés au cœur dans des grands centres urbains héritiers de l’hellénisation, en abordant la question du péristyle et de la nature de ses aménagements.

Mais faut-il pour autant évacuer la question de la présence du végétal, au cœur de la maison de ville ? Encore une fois les textes nous en dissuadent, en particulier les sources juridiques. Par exemple, dans son traité d’urbanisme du VIe siècle, Julien d’Ascalon prend la peine d’écrire un chapitre complet sur la terre et les règles d’intégration du végétal au bâti urbain : « Les plantations, si elles s’opèrent sans que soit respecté un éloignement par rapport aux maisons proportionnel à la taille des plantes, entraînent pour les maisons des dommages non négligeables. En effet les plantes, qu’elles développent leurs racines ou qu’elles cherchent de l’eau pour grandir, se rapprochent des murs, des maisons et des fenêtres, et surtout des abreuvoirs et des rigoles des jardins, causant ainsi les plus grands dommages : elles déchaussent les murs de leurs fondations, provoquent les vols, puisqu’elles permettent de passer par les fenêtres, font de l’ombre aux voisins qui souhaiteraient percer des baies à leur étage, et lézardent, provoquant des fuites, les abreuvoirs et rigoles des jardins »12. Suit une liste des distances variables à respecter selon les espèces : vigne, pommier, grenadier « et plantes de même taille », sycomore, platane, peupliers noirs « ou arbres de même taille », pour distinguer ensuite arbustes puis plantes potagères, parmi lesquelles il désigne « les cardons, le persil et les roses ». La végétation peut donc être en ville une source de conflits de voisinage. Mais par ce biais juridique, on peut du même coup imaginer que les coursjardins, ombragées d’arbres volumineux, d’arbustes ou encore de treilles, fleuries, ne devaient pas manquer, dans le style des informal gardens tels que les a définis pour Pompéi Wilhelmina Jashemski. Au paragraphe suivant, Julien d’Ascalon se préoccupe aussi de la nécessaire protection des vues spécifiques : parmi celles-ci, il liste celle sur la mer, les montagnes ou sur les œuvres d’art. Mais il distingue aussi la vue sur les jardins, qui ne doit pas être empêchée, « dans la limite de 50 pieds »13. Indéniablement, la perspective sur la verdure est appréciée, et fait partie non seulement des privilèges des élites, mais aussi de l’environnement familier de la population urbaine.

Les maisons à cour, de tradition locale, sans jardin. L’architecture domestique du Proche-Orient a fait l’objet de plusieurs essais de synthèse14, qui soulignent « la forte influence égéenne, matinée de traditions locales »15. La question de la place du jardin y est très rarement évoquée, faute d’abord d’informations suffisantes, en particulier dans les publications des fouilles anciennes. Comme le rappelle Maurice Sartre, les modèles régionaux ont eu une très forte pérennité au Proche-Orient : chaque cité manifeste une tradition locale, dictée non seulement par des contraintes géographiques, mais aussi par un héritage historique très variable. Toute la question finalement repose sur la dose d’influence extérieure à l’œuvre sur chaque site. Pour la question du jardin, il faut se demander d’abord si la place du végétal était prévue et fréquente avant l’époque romaine dans les maisons de tradition locale.

Il faut dans tous les cas évaluer le traitement de l’intérieur des cours, et la présence ou non de revêtement sur les surfaces à ciel ouvert : dallage de pierre ou de marbre, sol de mosaïque neutre, géométrique ou figurée. Pour rester dans des limites raisonnables, c’est essentiellement dans le cadre de la Syrie antique et des zones limitrophes, que je choisirai mes exemples, pour étudier dans des régions aux conditions géographiques et historiques comparables. L’environnement naturel et les ressources en eau des sites peuvent en effet changer radicalement d’un site à l’autre.

À première vue, dans l’étude des maisons orientales des époques anciennes, antérieures aux apports grécoromains, la place du jardin est rarement évoquée. Le jardin semble plutôt l’apanage des résidences royales ou des sanctuaires. Si l’on connaît surtout les textes et les représentations des jardins des rois néo-assyriens, l’archéologie commence cependant à en faire connaître dans le contexte d’habitations privées : un premier exemple a été fouillé en Syrie, conjuguant la découverte

                                                            

                                                            

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Seigne 1997, p. 408 et fig. 1. 12 Saliou 1996, p. 70-71. 13 Saliou 1996, p. 72-73.

Parmi la nombreuse bibliographie, on citera Balty J.-Ch. 1989, p. 407-422 ; Sartre 2007, p. 25-36 ; Sartre 2001, p. 690-702. 15 Sartre 2007, p. 26-28.

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Éric Morvillez romain – nous nous y attacherons plus loin18. C’est la présence ou l’absence de colonnes qui semble indiquer une différence d’appartenance culturelle : la maison sans colonnes dans sa cour appartiendrait à la tradition locale, tandis que la cour avec colonnade indiquerait une innovation culturelle. Cela semble bien montrer que ces maisons « ordinaires », que l’on retrouve dans toute la région syro-palestinienne n’incluaient pas de jardins.

de fosses de plantations réelles et une représentation d’un jardin planté d’arbres en peinture16. Pour la période hellénistique et romaine, l’image des restitutions archéologiques des maisons ordinaires, qui se pressent souvent sur un espace urbain densément construit, apparaît actuellement plutôt vide de végétal. Dans l’ensemble, les cours, noyaux centraux des habitations des quartiers connus fonctionnent manifestement comme des espaces de circulation ou d’activité domestique : les revêtements sont plutôt utilitaires (dallages de pierre, brique, sol de terre battue …). Puisard, puits et parfois foyers s’y trouvent installés. Souvent, l’escalier qui permet de monter à l’étage (pièces d’habitation ou terrasses) y est inscrit. On peut prendre pour exemple le cas de Meiron, bourg intermédiaire entre le village et la cité, en Galilée : la maison MI, dans la ville basse se développe sur 180 m2 autour d’une cour dallée17 (fig. 1). Dans les restitutions prudentes, le côté minéral des cours apparaît, sans qu’aucun arbre ne les ombrage, ce qui peut paraître surprenant. On doit donc supposer que les zones de jardins devaient se trouver en périphérie des espaces urbains.

La même impression d’absence de jardin au cœur des quartiers d’habitation peut se lire dans les séries de maisons des villages de Syrie du Nord, suffisamment nombreux et bien analysés pour permettre de tirer des conclusions. Pour les maisons ordinaires, les plus fréquemment dégagées sur les sites, la cour « essentialise » la maison, au point que l’ensemble de la maison peut être appelée aulè19.On pourrait imaginer qu’en dehors de la ville, l’espace étant moins compté, auraient pu se développer des plans de maisons associant jardins et espaces de résidence. Georges Tate leur consacre, faute de preuves, une place réduite dans son livre sur les campagnes. Dans sa présentation de la « maison type » dans le Massif Calcaire, le jardin vient en tout dernier lieu20 : « Toute maison comportait un bâtiment à étage destiné à l’habitation et aux tâches économiques, que nous appellerons tout simplement « bâtiment », une cour et un mur de clôture ; certaines pouvaient comporter, en outre, un ou plusieurs autres bâtiments, une entrée indépendante, une galerie, un pressoir, une ou plusieurs pièces souterraines, une seconde cour, voire un jardin. » On voit bien que ce dernier est indiqué après l’existence possible d’une seconde cour, comme une possibilité, mais pas comme une habitude. La cour n’est d’ailleurs pas envisagée comme plantée : « Les espaces, au centre des maisons, sont des cours, non des jardins. Aucune culture n’y était praticable. Lieux de passage et de travail pour les hommes, de séjour pour les bêtes, elles sont parfois dallées »21. Il cite l’existence possible de jardin, notamment pour des maisons en périphérie de village, mais les exemples dans sa synthèse restent finalement très peu nombreux. C’est le cas des maisons 95 et 96 de Mugleyya22 qui est mis en avant dans son chapitre économique : « Il existe enfin, autour de Mugleyya, des murets bien conservés délimitant des parcelles que faute de mieux, nous appellerons jardins, puisqu’elles sont directement reliées aux maisons de la périphérie du village, distinctes de la cour par le plan et par les

  Fig. 1 : Restitution de la maison MI de Meiron (Galilée)  (d’après Galor K., Waliszewski T., 2007, fig. 4, p. 111).

La typologie des maisons établie par Yizhar Hirschfeld, reprise par Eric M. Meyers, à propos des établissements syro-palestiniens de la région de Galilée, introduit immédiatement la séparation entre les modèles locaux et les modèles importés : les trois premiers types sont autochtones : la maison simple à une seule pièce principale (Simple House), la maison complexe qui développe au moins deux ailes (Complex House), la maison à cour proprement dite plus vaste (the Courtyard House). La quatrième catégorie, la maison à péristyle (Peristyle House) s’inscrit dans un modèle radicalement différent et normé, hérité du monde méditerranéen gréco-

                                                             18 Sur la typologie de Hirschfeld reprise par Meyer, cf. Meyer 2007, p. 108-116. 19 Sur la définition, Tate 1992, p. 257 ss et note 31 : « oikos dans le Hauran, peut désigner aussi bien la maison qu’une pièce ou même n’importe quel bâtiment. La maison est rarement appelée domos mais fréquemment aulè ». 20 Tate 1992, p. 15. 21 Le dallage est conservé dans les maisons (2) et (28) à Gerade et dans la maison (7) de Babisqa (Tate 1992, p. 42, fig. 59-60). 22 Dans le Jebel Zawieh. Maisons 95 et 96 « qui forment un îlot. A l’est se déploie un espace à la fois séparé des cours des maisons et du terroir par un mur (…). Cet espace ne pouvait être qu’un jardin ». Tate 1992, p. 42.

                                                             16 A Dur-Katlimmu (Tall Seh Hamad), en Syrie, (VIIIe-VIIe siècle av. J.C.) ; Lion 2015, p. 33-34, avec bibliographie. 17 Meyer 2007, p. 110-111, fig. 3-4.

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Jardin ou cour ? La place du végétal dans les espaces découverts des maisons romaines en Orient dimensions, mais non des autres parcelles. Nous sommes donc réduits aux hypothèses pour leur utilisation. On pourrait penser que la proximité de la maison permettait aux paysans d’y consacrer plus de travail : tout en plantant des arbres, ils cultivaient peut-être des légumes, mais les preuves manquent »23.

d’éléments d’origine grecque ; la cour des maisons de Doura, en effet, n’est dotée d’aucun péristyle » 28. Faut-il alors parler comme Maurice Sartre « d’adaptation locale de modèles hellénistiques » ou plutôt considérer que seuls quelques éléments spécifiques de la culture hellénistique viennent se greffer sur un modèle local très « résistant ». On note bien qu’en dehors de quelques formes (comme les linteaux moulurés des portes), les colonnades et encore moins les péristyles ne font pas leur entrée dans les maisons de Doura.

Le cas particulier des maisons de Doura-Europos S’il est un site qui fournit suffisamment de maisons pour permettre des séries, c’est bien celui de la ville de DouraEuropos sur l’Euphrate. Pourtant, malgré le nombre d’unités fouillées, la question de l’usage des espaces découverts des cours reste à bien des égards problématique24. Aucune trace de plantation ne semble avoir été observée. La carte géophysique de Doura, établie grâce aux travaux de Christophe Benech, a permis de constater la grande régularité du découpage des îlots, qu’on pensait répartis en 8 unités, mais que la prospection a permis de montrer aussi fondée sur une partition de 6. Mais dans certains cas, comme la résidence de Lysias, c’est un découpage des îlots par 2 qui semble devoir être retenu25. On peut être assuré aujourd’hui que le plan d’urbanisme hellénistique a pu fonctionner jusqu’à la période romaine26. La vision d’ensemble montre que les surfaces des cours sont bien proportionnées avec celle de chaque habitation. Mais la régularité du maintien des cours semble indiquer aussi qu’elles ont été dès l’origine le cœur fonctionnel des maisons, déterminant une grande stabilité dans le temps entre les espaces couverts et découverts pour les maisons les plus communes. Autrement dit, la densité du parcellaire urbain ne permettait pas, dans la majorité des quartiers, l’ajout de jardin sur une surface non bâtie27. C’est apparemment à l’époque romaine que certains îlots ont pu être entièrement remaniés et certains réunis par un seul propriétaire.

Il en va de même des colonnes qui rythment un ou plusieurs côtés de certaines cours, comme des éléments de construction romains importés (brique cuites, bipedales ou les tubuli) : leur intégration, bénéfique sur le plan formel et technique, a manifestement un rôle de marqueur social. On a pu y voir une influence du développement des portiques à colonnades des grandes cités côtières ou de Palmyre. Mais cela ne modifie pas en profondeur les plans des habitations et l’usage de l’espace de la cour. Entre les maisons de la fondation hellénistique – certes mal connues –, celles de la période parthe, puis celles de l’époque de la domination romaine, le plan de base et les usages se sont apparemment peu modifiés. Comme le souligne en conclusion Anny Allara, les habitations de Doura sont bien « des maisons de tradition mésopotamienne, avec un vernis hellénistique »29, vernis qu’il faudrait à mon sens qualifier même d’hellénisticoromain. Une partie seulement du péristyle a été choisie : le portique à colonnade, mais la structure de la maison n’en a été en rien modifiée. Le jardin d’agrément qui pouvait l’accompagner n’y avait pas sa place – on le verra aussi plus loin en raison sans doute du climat. Lorsqu’on observe les plans et les restitutions proposées de maisons bien connues de Doura, comme la Maison chrétienne30 ou bien la maison des Scribes31, à l’angle sud-est de l’îlot 7 (fig. 2), ou encore la grande cour de l’îlot E4, on remarque que les sols des cours sont recouverts en dur, surtout de briques, probablement aussi pour faire fonction de surface de récupération des eaux de pluie.

Il reste hasardeux d’établir une évolution typologique des maisons de Doura. Ce sont les maisons de la période romaine qui sont les mieux connues et les plus largement dégagées, étant donné que ce sont les niveaux les plus récents qui ont été fouillés en extension. On retiendra du bilan d’Anny Allara, que « la typologie de la période finale [de la ville] découle de celle de la période précédente [parthe], à savoir un système organisé autour d’une cour centrale » et que le plan est presque dépourvu

Qu’en est-il à Doura des maisons plus étalées en surface, plus riches, où les espaces des cours sont plus grands, voire multiples ? La résidence de Lysias, dont le dossier a été entièrement revu par Ségolène de Pontbriand32, offre un bon exemple de la difficulté de l’analyse des zones découvertes. Considérée comme la

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Il leur consacre un paragraphe au titre éloquent : « le problème des jardins ». Tate 1992, p. 243-256. 24 Sur le matériel retrouvé en fouille et la difficile attribution des fonctions des espaces, voir les réflexions de synthèse de Baird 2006, chap. VI, iii : Domestic context at Dura: Nature of the Evidence and Method to be employed p.147 ss. 25 de Pontbriand 2015, p. 483-484. 26 Benech 2010, p. 403-416. 27 Il faudrait analyser de plus près certaines zones de la ville entourées de murs : dans son étude de l’îlot B2, Anny Allara mentionne la présence de deux espaces découverts (p. 10 et p. 23) qu’elle propose de voir plutôt comme des aires liées à des fonctions commerciales (des khans ?). Allara 2002, p. 189-191. Dans la majorité des cas, ces espaces découverts fermés, assez vastes et à proximité de maison, comme la maison A de l’agora, ont été associés à des activités marchandes.

                                                             28 Sur la typologie des maisons de Doura : Allara 1986, p. 59 ; Allara 2002, p. 48-53. 29 Allara 2002, p. 218. 30 Kraeling 1967. 31 Rostovtzeff, Bellinger, Hopkins, Welles 1936, p. 265-308, pl. X. 32 de Pontbriand 2012, p. 77-92 ; de Pontbriand 2015, thèse sous la direction de Pierre Leriche (soutenue en juin 2015), Université de Paris I, en cours de publication. L’auteur a fait un effort tout particulier pour rechercher de possibles zones de jardins. Notre synthèse lui est largement redevable ; Baird 2006, p. 527-530 (consulté en ligne) avec bibliographie.

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Éric Morvillez résidence privée du stratège, elle occupe avec ses 2450 m2, toute la surface d’un l’îlot. Trois cours y sont assurées (1), (24) et (39), dont la cour principale, dite à juste titre « cour d’apparat » (16 x 13,40 m), munie d’un puisard dans sa partie orientale. Toutes trois sont revêtues de briques cuites. On note peut-être aussi deux autres cours (30) et (14), plus utilitaires. Les fouilleurs qui ont observé les revêtements dallés des cours, privilégièrent d’ailleurs systématiquement à l’époque leur présence dans leurs restitutions. Comme le souligne S. de Ponbriand, l’absence de péristyle au cœur de cette demeure la place plutôt dans la tradition domestique hellénistico-parthe.

nord de la ville, la présence d’une grande cour bordée sur trois côtés de colonnades, constitue une exception, a « foreign intrusion »34, véritable importation romaine dans le paysage urbain de la cité35. On notera d’ailleurs que, d’après le rapport de fouille, la partie centrale comportait près des espaces (18) et (19), deux bassins bas en plâtre, l’un semi-circulaire, l’autre rectangulaire, non relevés sur le plan publié. D’après notre maigre documentation, on ne peut que constater la présence de cette vaste colonnade en pi, sans préjuger de la nature de son aménagement. Ailleurs, dans l’îlot D5, la maison F, dite du grand atrium, englobe un tiers de son l’îlot, soit 800 m2. La cour principale (13,35 x 15,45 m) était monumentalisée par au moins trois rangées de colonnes de pierre. On peut se demander avec Jenny Baird et Ségolène de Pontbriand si l’habitation, comme celle de Lysias, n’occupait pas tout l’îlot à l’origine, puis fut plus tard morcelée. Elle aurait pu avoir un caractère résidentiel élevé, notamment en raison de similitudes d’aménagement de sa cour et de l’espace de réception qui lui fait face. Ce qui fut dénommé par les premiers fouilleurs comme un atrium36, est en fait une cour à portiques assez monumentale : quatre colonnes sur un côté, six sur les deux autres et même peut-être une colonnade disparue sur le quatrième. Dans la dernière phase de l’histoire de la maison, ces entrecolonnements ont été fermés par des cloisons légères, qui sont conservées encore sur 1,10 m à 1,20 m de hauteur, sans qu’on puisse déterminer s’il s’agissait de chancel ou si elles montaient plus haut en fermant complètement les espacements (avec de possibles fenêtres pour conserver un éclairage dans les galeries). Aucune trace d’un revêtement en dur ne fut attestée sur le sol de cette cour dans les rapports de fouilles. On note enfin également l’installation dans le dernier état d’un bassin semicirculaire. Ces éléments conjugués ont fait proposer par Ségolène de Pontbriand la présence d’un possible jardin d’agrément dans la cour, réalisé par ajout de terre dans la dernière phase : les plantations auraient pu bénéficier de l’importante citerne située sous la cour, mais aussi du bassin-réservoir placé sur un des côtés. Mais cela reste bien sûr conjectural.

  Fig. 2 : Restitution de la maison des Scribes, Doura-Europos  (d’après Galor K., Waliszewski T., 2007 fig. 4, p. 29).

Il semble aussi qu’une partie de la vie sociale des habitants prenait place dans les appartements à l’étage, soigneusement ornés et qui bénéficièrent, eux, d’une « loggia » aux colonnes monumentales. La présence d’un jardin au rez-de-chaussée aurait donc eu peu de sens. De plus, l’existence d’écuries, au rez-de-chaussée de la maison, sur un des côtés de la cour principale, renforce son caractère utilitaire. Cette cour aurait surtout été une zone d’introduction, d’attente des visiteurs avant de pouvoir être reçu à l’intérieur et à l’étage. L’absence de carrelage dans la cour (42) fait proposer par S. de Ponbriand : « que cette sixième cour pourrait avoir été utilisée comme une cour d’agrément, avec peut-être un jardin intérieur »33. Elle note une plateforme en djousse construite au pied de l’escalier de la cour, à fonction utilitaire, offrant « une surface lisse et saine pour la préparation de la nourriture qui pouvait se faire sous l’arche de l’escalier ».

On constate finalement que, même en tentant de réévaluer avec optimisme les dossiers, les indices de la présence d’espaces plantés au cœur des maisons de Doura, problématiques, seraient plutôt rares et associés plutôt à des modifications de la période romaine. L’absence de jardins dans les cours des maisons de Doura peut sans doute s’expliquer par les conditions climatiques « très

                                                            

Quelques rares grandes maisons de Doura semblent en revanche intégrer des cours à colonnades qu’on peut qualifier de péristyles et qui auraient pu intégrer des jardins, ou du moins des plantations. Dans la maison dite du Commandant (îlot J1) (Prefect House) dans la zone

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Downey 2000, p. 165. La maison dite du Commandant, en grande partie inédite, occupe presque la moitié d’un îlot (Preliminary Report V, p. 235-237) ; Allara 1986, p. 56, note 50 ; de Pontbriand 2015, fiche analytique, p. 445, fig. IV, 39 à 42. 36 On notera que l’appellation « commode » donnée par les fouilleurs à la cour, ne correspondait en rien aux critères d’un atrium romain conventionnel, mais reposait sur une simple analogie de plan. On mesure là toute la distance artificielle entre le vocabulaire grec, romain ou même sémitique qui fut successivement plaqué sur les ruines. 35

                                                             33

de Pontbriand 2015, p. 281.

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Jardin ou cour ? La place du végétal dans les espaces découverts des maisons romaines en Orient Et l’on a pu montrer que certains bâtiments de Délos possédaient des péristyles plantés, au moins à l’époque romaine, et qu’il fallait être moins catégorique sur la présence ou l’absence de jardins dans les maisons grecques hellénistiques ou dans le cadre des palais hellénistiques.

contraignantes », selon l’expression de Bernard Geyer (variation de l’amplitude des pluies, nombre de jours où les températures dépassent 35°, représentant près du tiers de l’année) 37. Cela a eu une incidence sur la présence et l’entretien possible de jardins. La réverbération sur le plateau et la profondeur de la nappe phréatique – qu’il faut aller chercher à près de 40 m de profondeur – n’ont pas dû faciliter la tâche de ceux qui auraient souhaité maintenir des végétaux dans ces cours très chaudes. Les citernes des maisons sont essentielles et la ville ne dispose pas de grandes citernes publiques collectives, comme à Resafa. Les habitants devaient donc compter d’abord sur l’eau de l’Euphrate en temps normal, apportée par des animaux de bas ou des porteurs, les citernes privées étant manifestement insuffisantes38. Les jardins de subsistance ont donc dû se trouver concentrés le long de l’Euphrate : « la vallée, grâce à la présence du fleuve, est une oasis de verdure entourée de plateaux steppiques, de tout temps domaine des nomades et des troupeaux »39.

On sait aussi par les fouilles que dans des créations éloignées de la Méditerranée, dès l’époque hellénistique, le péristyle peut avoir été accompagné de plantations. C’est ce qu’ont pu démontrer les dégagements des Australiens de l’université de Melbourne, à Jebel Khalid42 : dans ce site militaire, situé sur la rive droite de l’Euphrate, une grande résidence de type grec a été implantée sur l’acropole. Elle comportait une grande cour péristyle dorique de 25 x 26 m dont la partie centrale devait être plantée en jardin d’agrément, d’après les prélèvements carpologiques effectués. Une citerne était aménagée dans la partie sud, tandis que les fouilles ont mis en évidence des canalisations au centre de la cour.

Des péristyles plantés en Orient ?

La plus grande difficulté d’analyse des séries de maisons à péristyle du Proche-Orient repose sur le fait que ces demeures ont connu une histoire souvent très longue et donc de multiples remaniements. On possède peu d’édifices avant le IIe siècle. C’est surtout à partir des Antonins que l’on commence à pouvoir rassembler un corpus, comme à Antioche, Séleucie ou Zeugma. Beaucoup de ces maisons ont une très complexe évolution sur plusieurs siècles, comme à Apamée : des édifices implantés au IIe siècle prolongent le statut de leurs espaces d’apparat jusqu’au VIe siècle au moins. La ruralisation intervient seulement avec le déclin des cités antiques, à la fin de la période byzantine et l’occupation arabe. La réoccupation des maisons, après la conquête arabe, a considérablement bouleversé, comme on le verra, les zones des péristyles, « squattées » en priorité par les activités agricoles et artisanales. En conséquence, l’interprétation des aménagements des espaces découverts est sujette à caution. On en connaît actuellement surtout l’état final, celui dégagé par les fouilles : la datation des dallages conservés reste donc problématique. Les séries de missions sur le site d’Apamée de Syrie ont permis entre les années 1970 et 1980, l’étude d’une dizaine de grandes résidences urbaines43. Tout naturellement absorbés par l’analyse des parties construites, les rapports préliminaires documentent moins qu’on le souhaiterait les aménagements des cours. Disons-le d’emblée : à

La place des espaces plantés reste donc très limitée dans le cadre des maisons proche-orientales héritières des traditions locales. Mais la problématique change radicalement lorsqu’on aborde des maisons construites sur des modèles architecturaux gréco-romains, organisés autour de véritables cours-péristyles. En important à l’époque romaine ces plans dominés par des quadriportiques, parfois monumentaux, les élites les conçoivent-elles plantés d’un jardin d’agrément ? Pour commencer, il faut nuancer l’approche en rappelant que l’on a considérablement modifié la vision portée sur l’habitat de tradition grecque et de son évolution au Proche-Orient. La maison grecque de la période classique apparaît dans la grande majorité des cas comme une maison dont la cour (aulè), pivot de la vie quotidienne, sert de cadre à une vie en partie en plein air. L’espace, dallé ou mosaïqué dans les belles maisons, reste largement dégagé pour permettre différentes activités de la vie quotidienne, et notamment la cuisine40. Des thèses sur la maison en Grèce à l’époque romaine ont apporté des corpus plus précis41.

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Geyer 1988, p. 285-286. A cela s’ajoute une difficulté de définir exactement certains aménagements hydrauliques dans les cours, faute de fouilles et relevés précis : citernes, puits perdus (dénommé cesspool par les fouilleurs américains), latrines sèches (?). 39 Geyer 1988, p. 287 : « Dans cette vallée, l’Euphrate dessine de vastes méandres, situés un peu en contrebas de la plaine alluviale, dans un couloir qui était régulièrement inondé avant la fermeture des barrages syriens et turcs. C’est ici le domaine de la grande irrigation, de la culture céréalière, comme la base agricole de tout développement économique régional de quelque importance ». 40 Hellmann 2010, p. 47-48. 41 Voir en particulier le colloque édité par Ladstätter, Scheibelreiter 2010. Sur l’intégration de la forme de l’atrium dans les maisons en Grèce à l’époque romaine, cf. dans ce même volume l’article de Papaioannou 2010, p. 81-118 ; sur la maison en Grèce à l’époque romaine, on se reportera à la thèse d’Hélène Wurmser, Etude 38

                                                                                                 d’architecture domestique : la maison en Grèce à l’époque impériale, sous la direction d’A. Farnoux, Université Paris IV – Sorbonne, novembre 2008. 42 Clarke, Conor, Crewe 2002, p. 27. Une tranchée large d’environ 80 cm et allant jusqu’à 1 m de profondeur longe le stylobate du péristyle. Elle est remplie d’un sol brun, riche en azote et exempt de pierres et matériaux de construction. Les archéologues estiment que cette zone aurait pu être régulièrement plantée, facilement arrosée par les eaux des toitures des portiques. 43 Duval 1984, p. 447-470.

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Éric Morvillez Apamée, ce n’est pas le manque d’eau dans les maisons qui pourrait expliquer la parcimonie des jardins dans les grandes demeures connues. Malgré les effets des violents séismes du VIe siècle, qui endommagèrent l’aqueduc et les canalisations, ou les coupures du fait des invasions et du manque d’entretien, on semble réussir encore à l’époque byzantine, à pallier le manque d’approvisionnement des grandes maisons en eau par l’implantation de vastes réservoirs. De plus, un bilan récent sur les grands nymphées tardifs d’Apamée semble même permettre de démontrer que, contrairement à ce qu’on pensait auparavant, tout un secteur sud-est de la ville d’Apamée aurait été encore alimenté en eau courante, au cours du VIe siècle, impliquant des travaux de remise en route de l’aqueduc après les tremblements de terre majeurs de 526 et 52844. L’analyse successive des maisons les plus connues, devenues emblématiques, montrera combien dans un même quartier l’aménagement des cours est variable d’un édifice à l’autre. Prenons d’abord l’exemple de la Maison aux Consoles, fouillée entre 1973 et 1978, occupant un quadrilatère de 52 m sur 32,50, couvrant un tiers de son îlot45. Après une entrée en baïonnette, le regard du visiteur débouchait sur l’étendue d’une cour à portiques de 25 m sur 18,50, entourée d’une forêt de 30 colonnes. On note que l’esplanade était entièrement dallée, du moins dans son dernier état. De plus, la partie centrale de la cour était peu accessible : « le passage dans le péristyle se faisait obligatoirement per les galeries latérales (…), presque tous les entrecolonnements des côtés nord, ouest et sud étaient fermés par une sorte de grille constituée de trois tringles parallèles (vraisemblablement en métal, dont les trous d’ancrage sont bien visibles aujourd’hui encore à diverses hauteurs (…) »46. La plus haute des encoches se trouve autour de 1,05 m, soit une hauteur d’appui. Sont également notées des encoches dans le sommet des colonnes pour des poutres, qui ont pu servir à supporter des stores pour abriter du soleil les portiques47. Du côté est, vers la salle de réception axiale AA’, les colonnes du portique rhodien étaient entaillées dans les moulures des bases des colonnes, pour installer des chancels de pierre, dont des fragments ont été découverts lors de la fouille. Le passage vers la cour était possible uniquement par les deux entrecolonnements de l’extrémité orientale des galeries nord et sud (fig. 3 avec schéma).

  Fig. 3 : Plan de la maison aux Consoles, Apamée (d’après Balty J., ed., 1984, fig. 2, p. 21).

Dans l’état qui nous est parvenu, la maison n’avait donc conservé aucun espace destiné à la plantation dans son centre. De plus, aucun bassin d’ornement ne venait égayer la monumentale cour à portiques. C’est seulement dans la phase tardive, au VIe siècle, qu’un nymphée rectangulaire, assez simple, vient s’implanter à l’autre extrémité de la cour, dans l’axe de la salle de réception : le dallage de la cour semble avoir été enlevé pour son implantation48. L’absence de jardin se retrouve dans la maison des Chapiteaux à consoles49, qui s’étend sur 4500 m2 (fig. 4). C’est la cour centrale qui est « l’élément le plus impressionnant » comme le souligne F. Baratte, avec ses 56 m par 24 m soit une surface de près de 1350 m2. On a pu lire de nombreux remaniements de cet espace qui reste au cœur du plan pendant toute l’histoire de la maison. Le péristyle, à l’origine rhodien, développait un monumental ordre corinthien à fût lisse. Remanié sans doute après un tremblement de terre, il devient corinthien classique, sa galerie nord réduite en largeur et munie de deux colonnes bilobées. Comme dans la maison précédente, on lit des traces de clôture entre portiques et cour, sur la colonnade

                                                             44

Vanesse 2014, p. 487-518. Balty J. 1984, p. 19-57 ; Vanesse 2014, p. 494-495, 504, 507, 512513. 46 Balty J. 1984, p. 24. Peut-être pourra-t-on objecter que la forme des fermetures peut être différente : les trous d’encastrement, souvent irréguliers, n’impliquent pas forcément de simples barres métalliques. 47 Pour Janine Balty, il s’agirait d’une addition postérieure. 45

                                                             48 49

40

Vanesse 2014, p. 494-495, fig. 5. Baratte 1984, p. 107-126.

Jardin ou cour ? La place du végétal dans les espaces découverts des maisons romaines en Orient remaniée, du côté du stylobate nord50, ainsi que des trous de verrous d’un portillon dans le 4e entrecolonnement, « mais à une place qui montre bien qu’ils ne s’accordent pas avec l’état actuel ». Là encore, la circulation entre espace central et portiques était soigneusement canalisée. A l’extrémité nord de la cour, s’étalent symétriquement,

l’époque islamique mais dans l’état actuel, c’est le dallage de pierre qui domine (fig. 5). Il est impossible de se prononcer sur la nature du traitement originel du péristyle, très remanié. En revanche, la zone méridionale de l’habitation fut définitivement abandonnée, après un violent incendie, probablement d’après les fouilleurs au

Fig. 4 : Plan de la maison des Chapiteaux à consoles, Apamée (d’après Balty J., ed., 1984, fig. 1, p. 109).

début du VIIe siècle. C’est la raison pour laquelle cette zone n’a pas subi les habituels processus de ruralisation observés ailleurs dans la cité. On peut donc être certain de son traitement dans l’Antiquité tardive. On note d’abord sur le plan que les cours latérales servant de puits d’aération et de lumière au grand salon de réception (A) sont soigneusement dallées. Le grand espace suivant (G), large de 7,70 m, se développait de part et d’autre sur une vingtaine de mètres, desservant une zone explicitement réservée aux appartements d’hôtes : une petite salle à manger (AA) flanquée de deux appartements latéraux (AB et AC). Deux fontaines symétriques agrémentaient l’entrée de la petite salle à manger axiale, montrant une fois de plus le rôle privilégié des nymphées dans ces décors domestiques. Faut-il imaginer que cet espace était à l’air libre ? Il semble difficile de le couvrir. Le sol de ce large espace de circulation était recouvert dans son intégralité d’une mosaïque soignée, alliant motifs géométriques et figurés54.

face aux espaces de réception, deux grands bassins polylobés, « inattendus », comme le souligne lui-même F. Baratte qui occupent une zone de 15,20 m sur 6. On remarque que pour relier la grande salle d’apparat (F) et le centre de la cour, est aménagée une circulation médiane de 2,80 m de large, exactement dans l’axe de la porte du salon. Ces deux pièces d’eau, séparées par ce passage sont creusées au niveau de la cour51. On privilégie donc une perspective monumentale, un axe visuel entre le grand salon (F), les deux bassins, et la cour dégagée, apparemment très minérale. Dans l’état final connu, le dallage recouvre tous les espaces découverts, non seulement le grand péristyle, mais aussi l’espace en U qui entoure, à l’autre extrémité de la maison, l’alcôve du salon (F) qui aurait pu tout à fait se prêter à un espace d’agrément planté52. La maison du Cerf53, toujours à Apamée, confirme à son tour l’impression de rareté des jardins. Le péristyle ainsi que les zones nord et est de la maison furent réoccupés à

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Baratte 1984, p.110. Deux dispositifs d’évacuation sont à lier sans doute à une descente d’eau pluviale. Un auvent pourrait avoir recouvert une partie de ces bassins, « protégée » des intempéries. Baratte 1984, p. 111. 52 Une citerne monumentale sera installée à la période byzantine (donc tard), raccourcissant le péristyle qui perd une de ses galeries. Dans l’état dégagé par les fouilles, c’est encore le dallage qui domine autour de celle-ci. 53 Donnay-Rocmans, Donnay 1984, p. 155-180 ; Balty J. 1994, p. 187199 ; Balty J.-Ch et Balty J. 1995, p. 205-212. 51

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Balty J. 1994, p. 187-188 ; Vanesse 2014, p. 492-493, fig. 4.

Éric Morvillez des cours. Au départ, ce furent les colonnades des péristyles, restées debout, qui attirèrent les fouilleurs : en effet leurs structures ont parfaitement résisté, contrairement au reste des murs édifiés en brique crue, sur des bases de pierre. Éléments bien lisibles, ils ont servi de base à la restitution des maisons dont on releva finalement des plans assez schématiques. Notre figure (fig. 6) montre un bloc de maisons comportant trois cours péristyles complètes (les n° 24 à 27 du plan polonais actuel), mais on ne sait pas s’il s’agit de trois unités séparées ou d’une seule, ni l’aménagement du centre des cours.

  Fig. 6 : Palmyre, groupe de trois maisons à péristyle (n° 25 à 26 – plan compilé par l’équipe polonaise) (d’après Galor K., Waliszewski T., 2007, fig. 2 p. 81).

Dans les trois maisons 38, 39 et 45 présentées séparément dans la synthèse de Syria, on note que le cœur du péristyle (de 45) est représenté dallé, de même que la cour tétrastyle (de 38). Pour la maison d’Achille à Skyros, décrite surtout pour ses mosaïques, on note qu’aujourd’hui le centre du grand péristyle (5) apparaît dallé. La luxueuse cour (17), plus au nord, ornée de pavements géométriques et du panneau mythologique d’Achille, présentait au centre un revêtement de trois grandes dalles de marbres parallèles qui l’apparente plutôt à un impluvium ou un bassin (fig. 7)57. Dans la maison près du théâtre, on reste aussi dans l’incertitude pour la cour à portiques (XII) et les deux petites cours tétrastyles (VI et XXI) dégagées58.

  Fig. 5 : Plan de la maison du Cerf, Apamée  (d’après Balty J.Ch, Balty J., 1995, fig. 4, p. 212).

Heureusement, les fouilles polonaises menées à partir de 1988, sur un îlot complet, ont permis de considérablement nuancer l’approche de la lecture des plans palmyréniens (fig. 8)59. A la première approche du secteur, on avait identifié trois péristyles, faisant poser l’hypothèse de trois unités d’habitation correspondantes.

Le cas des maisons de Palmyre En se tournant vers Palmyre, on trouve encore d’autres conditions climatiques, mais aussi un contexte social particulier. L’analyse comparative des différentes maisons connues permet de lire l’intégration de modules architecturaux de la maison gréco-romaine, comme les colonnades. On connaissait une douzaine de maisons par l’étude d’Albert Gabriel de 192555, complétées par celles de Daniel Krencker en 193256 puis celle d’Edmond Frezouls en 1976. On doit rappeler que tirer un bilan reste difficile car les comptes rendus de fouilles ne précisent pas la plupart du temps de la nature des sols

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Rien n’est dit d’une évacuation. Stern 1977, p. 5, fig. 2 ; Balty J. 2014, p. 29-31, fig. 24 (vue de la cour – fond Henri Stern) et 25 (relevé). Une des colonnes d’un côté avait été supprimée. 58 Frezouls 1976. 59 Sur cette question, cf. Gawlikowski 1997, p 161-166 ; Gawlikowski 2007, p. 79-94, avec bibliographie.

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Gabriel 1926, p. 84-87. D. Krencker relève trois péristyles d’un seul ilôt, présentés comme le cœur de trois maisons individuelles voir Wiegand 1932, pl. 19.

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Jardin ou cour ? La place du végétal dans les espaces découverts des maisons romaines en Orient et d’aération. Cette organisation séquencée offre un rezde-chaussée couvert de 1200 m2, auquel M. Gawlikowski rappelle qu’il faut ajouter 700 m2 à l’étage d’habitation, sans compter les terrasses qui s’étendent sur les colonnades sur près de 500 m2 (fig. 9). La surface cumulée des cours ne représente que 350 m2 sur le total. L’introduction des colonnes monumentales contribue certes à « romaniser » les espaces de ces maisons à cour orientales. Mais ils conservent un rôle prioritairement de circulation, et ne semblent pas avoir abrité de jardin. Un rôle fonctionnel et utilitaire semble à privilégier. On ne note pas d’ailleurs d’installations de cuisine fixes à l’intérieur des pièces. Tout l’espace domestique morcelé se répartit sur autant de cour et de puits de lumière, utilisant souvent l’étage pour les pièces à vivre. Il est donc à lire très différemment de celui de la maison romaine méditerranéenne qui déroule méthodiquement en surfaces successives depuis l’entrée des séquences, allant des espaces de réception publics vers les quartiers privés. Pour des questions de prestige, une esthétique grécoromaine s’est mise en place à Palmyre, à travers l’introduction de ces hautes colonnades, des ordres, des peintures et stucs ou parfois de mosaïques et de marbre. Mais ces changements formels ne modifient pas les hiérarchies traditionnelles entre les espaces à vivre : on doit suivre l’idée de M. Gawlikowski du maintien dans ces demeures de modes de vies tribaux, avec des séparations des hommes et des femmes, un rôle essentiel des étages et terrasses et d’une vie familiale, en particulier féminine à l’étage61. La plantation n’a pas accompagné l’introduction de la forme architecturale des péristyles. Les raisons climatiques, comme on a pu le souligner plus haut pour Doura-Europos, doivent l’expliquer. Ces maisons de Palmyre ne disposent en effet pas d’eau courante, ni de citernes. Elles utilisent des puits, profonds de 5 à 7 m, mais qui sont nettement insuffisants : l’eau de consommation est sans doute apportée de l’extérieur. Une seule salle de bain très sobre, associée à une latrine voisine indique la rareté de l’eau. Tous ces indices ne plaident donc pas non plus en faveur de l’introduction de plantes consommatrices d’eau. Dans l’exemple que nous venons d’analyser, seule une partie de la cour (13) s’y prêterait.

Fig. 7 : Palmyre, relevé de la cour (17) (d’après Balty J., 2014, fig. 25, p. 30).

Les fouilles ont révélé que la maison F comportait en fait non pas 3 mais 5 cours hiérarchisées au total, dont il faut envisager le fonctionnement ensemble, en tenant compte aussi des multiples portes – pas moins de 6 – qui permettent d’accéder à la demeure. Celle-ci se développe donc sur 79 m de long par 26 m de large. La naissance de la maison nous reporte au IIe siècle, tandis que son abandon est marqué par des couches de destruction datées des VIIIe-IXe siècles : la stratigraphie de l’effondrement des parties hautes permet même de considérer que les plafonds d’origine se sont maintenus très longtemps, sur plus de 600 ans, jusqu’à l’écroulement final de la maison60. La cour nord de 10 m sur 14 m était la seule des 5 qui ne soit pas pavée et donc susceptible de comporter des plantations (?). Son entrée (16), directement ouverte dans le mur extérieur, était soigneusement organisée pour ne pas dévoiler l’intimité de la cour depuis la rue. La cour est ornée de colonnades sur deux côtés seulement, créant deux espaces en forme de pastas, desservant ensuite des séries de pièces, comme on les connaît dans l’architecture domestique grecque. En entrant par le vestibule (17), voisin du passage (16), on peut accéder au cœur de la maison à une seconde cour (22), plus au sud qui elle était dallée. Elle comporte elle aussi deux portiques de belles colonnes : cette fois-ci, deux salles de réception (20 et 21) sont desservies. Plus au sud, on trouve une troisième cour (35), bordée d’un portique en L et elle aussi dallée, plus enchâssée dans la maison encore que la seconde. Dans le dernier tiers de la demeure, deux autres petites cours soutenues par quelques colonnes (39) et (46) servent de puits de lumière

Au terme de cette enquête, on serait tenté sur le seul examen archéologique de conclure à une présence minoritaire des jardins au cœur des maisons du ProcheOrient romain. Les sources juridiques et littéraires, on l’a vu, contredisent cette vision. La variété des solutions de traitement des péristyles et des cours incite à faire des enquêtes régionales détaillées.

                                                            

                                                            

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Gawlikowski 2007, p. 87.

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Gawlikowski 2007, p. 89-90.

Éric Morvillez

Fig. 8 : Plan de l’îlot F de Palmyre (d’après Galor K., Waliszewski T., 2007, fig. 6, p. 84).

« villa constantinienne » ou du pavement du Phénix63. Mais nombre de chercheurs répugnent encore à imaginer ces grands espaces recouverts de fragiles mosaïques figurées, à l’air libre. Pourtant, beaucoup de pavements raffinés de cours de maisons moyennes de Daphné ou de Séleucie de Piérie semblent avoir longtemps résisté aux intempéries.

Des fouilles récentes bien documentées ont apporté d’ailleurs des indices nouveaux de la présence, souvent précoce, de jardins au cœur d’autres villes. Ainsi, une intéressante exception mérite d’être soulignée avec la découverte du quartier au cœur de Beyrouth qui a donné naissance, dans l’Antiquité tardive, à la maison dite des Fontaines62. Cette zone urbaine présente à la fin de l’Âge du Fer et de l’époque hellénistique une série de maisons homogènes, densément construites autour de petites cours sans jardin. Mais au début de l’époque romaine, dès le début du Ier siècle, les plans se modifient et des ajouts significatifs se produisent : par exemple, deux des maisons voient des colonnades installées dans leur cour, tandis qu’un jardin à péristyle – le plus ancien repéré dans le quartier par les fouilles – remplace la simple cour de la maison (4f) à la fin du Ier siècle. En revanche, avec la création à partir du milieu du IVe siècle, de la riche maison dites des Fontaines, on remarque que le goût change à nouveau : les cours et portiques, les nouvelles salles à abside prennent le pas par le marbre, la mosaïque ou les multiples jeux d’eau sur les espaces plantés. Une des explications du manque de jardin évident sur les sites connus pourrait venir d’une tendance du goût des propriétaires : ils auraient privilégié en ville, à partir du second siècle et jusqu’à la période byzantine, des surfaces en plein air utilisables, revêtues de dallage, mosaïques ou d’opus sectile. C’est ailleurs qu’au cœur des maisons qu’ils auraient aménagé les jardins de plaisance. Dès les années 30, lors des fouilles d’Antioche, on ne pouvait qu’être étonné des dimensions des vastes zones de mosaïque dégagées en contexte privé. Au point que certaines doivent être considérées comme des cours plus que comme des pièces : il paraît difficile par exemple de restituer des toitures au-dessus des mosaïques de la dite

  Fig. 9 : Restitution de l’îlot F de Palmyre  (d’après Galor K., Waliszewski T., 2007, fig. 13, p. 90).

En conclusion, on voit combien le bilan sur le traitement des cours au Proche-Orient est contrasté et pose plus de

                                                            

                                                            

62 Perring 2007, p. 95-106, notamment fig. 3, avec bibliographie détaillée, p. 96.

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Morvillez 2007, p. 76-77.

Jardin ou cour ? La place du végétal dans les espaces découverts des maisons romaines en Orient Balty J.-Ch. (1989), « La maison urbaine en Syrie », in J.-M. Dentzer, W. Orthmann, ed., Archéologie et histoire de la Syrie 2, Sarrebrück, p. 407-422.

questions qu’il n’en résout. Aucune généralisation de modèle n’est possible. Dans l’état actuel de nos connaissances, on peine à faire coïncider textes et archéologie : le traitement du végétal au cœur des maisons de ville reste limité dans les édifices privés, au profit de surfaces découvertes en dur, plus ou moins ornées, où l’eau et les fontaines jouent un rôle primordial. Parfois, le manque d’espace, dans les quartiers densément occupés, peut expliquer dans l’habitat moyen la disparition des cours plantées, pour gagner en surface utilitaire. Mais on l’a vu à Apamée, même des demeures à grands péristyles semblent ne pas avoir fait le choix du jardin d’agrément. Pourtant, comme on l’a vu plus haut, les sources textuelles ne manquent pas, comme l’iconographie pour faire revivre un bâti urbain ponctué de plantations. Il faudrait donc sur chaque site chercher les zones propices aux jardins, là où les conditions de culture et d’irrigation étaient favorables, comme le long des fleuves et des points d’eau notamment. Enfin, l’analyse doit passer par une compréhension des habitudes sociales traditionnelles locales. Le péristyle a pu prendre des significations sociales très différentes d’un site à l’autre et il est bien loin d’intégrer prioritairement un jardin d’agrément.

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CIRCULATION ET PARTAGE DES COULEURS ENTRE ORIENT ET MÉDITERRANÉE ANTIQUES : LA PLACE DES « SIMILIS » Philippe Jockey

Résumé Les attestations toujours plus nombreuses de l’emploi des couleurs et de la dorure par les Grecs pour toute sorte d’objets (sculpture, architecture, mosaïques, mobilier) au fil des siècles, ont confirmé leur usage commun et renversé l’idée d’une prétendue Grèce blanche. Il est temps, à présent, de reconsidérer l’opposition traditionnelle entre pratiques orientales et goût grec antiques, et de se poser la question d’un possible partage des couleurs entre l’Orient et la Grèce dans l’espace méditerranéen, sur différents plans. Pour en évaluer le degré de réalité, nous avons porté notre attention sur une catégorie particulière de couleurs, celle des « similis » qui semble avoir joué un rôle majeur dans ce partage à l’échelle méditerranéenne des techniques, des emplacements mais aussi des valeurs symboliques des couleurs. Mots-clés : couleurs, or, pourpre, lapis-lazuli, bleu égyptien, monde méditerranéen, sculpture, peinture, mosaïque, simili. Abstract More and more evidence of colours and gilding by Greeks for any kind of artefact (sculpture, architecture, mosaics and furniture), have confirmed their common use in the Greek world, all along the centuries, breaking down the ancient idea of the supposed whiteness of ancient Greece. It is now time to reconsider the traditional opposition between oriental practices and Greek taste during the Antiquity, and to look at a possible sharing of colours by both Orient and Greece in the Mediterranean space, from different points of view. For this purpose, we focus in this paper on the category of ”similis”, which seem to have play a major role in this global oriental and Mediterranean sharing of technics, locations and symbolic values of colours. Keywords: Colours, gold, purple, lapis-lazuli, Egyptian blue, Mediterranean world, sculpture, painting, mosaic, simili. Si les couleurs associées aux matières de prix, rares et précieuses, telles la pourpre, le lapis-lazuli ou encore l’or, proviennent du Proche-Orient, aux périodes les plus anciennes, dans une circulation descendante, vers la Méditerranée des cités grecques, notamment, en passant par l’Égypte, la circulation des couleurs semble progressivement adopter un mode horizontal aux époques les plus récentes. Peut-on vérifier aujourd’hui ce qui n’était jusqu’à présent qu’une intuition, à la faveur d’un contexte général inédit ?

interdisciplinaires. On retiendra la mise au point d’outils de plus en plus performants et mobiles pour caractériser les éléments rentrant dans la composition des couleurs (scanning XRF, imagerie hyperspectrale, etc.) ; en proposer des restitutions (3D) ; inviter à des parcours immersifs (réalité virtuelle). Encore faut-il s’entendre sur la notion de couleur même. L’ambivalence du mot « couleur » Par couleur nous entendons d’abord le matériau même, objet de production et d’échange, qu’il soit commercial ou à titre gracieux. Le français dispose ainsi de l’expression « marchand de couleurs ». Mais il faut ajouter à ce premier sens les valeurs symboliques attachées à chacune d’entre elles. Les travaux de Michel Pastoureau sur les couleurs du Moyen Âge, déclinées l’une après l’autre, ont conforté l’idée qu’à chaque couleur était attachée une (ou plusieurs) signification particulière, que l’historien a charge de retrouver et d’interpréter2. On voit immédiatement se détacher la question de l’universalité de ces valeurs symboliques, ou,

Des circonstances nouvelles facilitent aujourd’hui l’étude de ces circulations complexes. La reconnaissance de la place centrale des couleurs dans la structuration des sociétés anciennes fait son chemin. Elle ne se limite plus désormais à l’Orient, au sens large. La recolorisation en marche de la Grèce ancienne, après des siècles de déni1 (mythe de la Grèce blanche vs Orient des couleurs), permet en effet sa réintégration dans le concert international des couleurs antiques et autorise ainsi le développement d’une réflexion globale. À quoi s’ajoutent les progrès toujours plus rapides et décisifs des approches

                                                            

                                                             1

2 Cf. par exemple, Pastoureau 2002 ; Pastoureau 2008 ; Pastoureau 2013 ; Pastoureau 2016.

Jockey 2015.

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Philippe Jockey à l’inverse, de leur caractère irréductiblement local, à moins qu’il ne faille privilégier un entre-deux. La question n’est pas triviale ici : la circulation Orient/Méditerranée orientale et occidentale des couleurs impliquait-elle ou non une adhésion commune aux valeurs supposées portées par chacune d’entre elles ? Mêmes couleurs, mêmes valeurs ?

autant l’affaire des similis que des couleurs rares et précieuses. L’enjeu se situe bien ici dans cette tension qui aurait visé à donner aux similis des caractéristiques identiques aux colores floridi, mais à moindre coût. Au titre des couleurs rares et précieuses, trois d’entre elles se distinguent tout particulièrement, l’or jaune, le lapis-lazuli et la pourpre, sélection opérée aussi sur l’ancienneté de leur usage et sur la base de l’importance des données recueillies à leur propos récemment. Qu’on ne s’étonne pas du choix, ici, de traiter l’or jaune comme une couleur précieuse car, dans tous les cas, c’est bien le matériau et ses propriétés qui font la rareté et le prix d’une couleur. À quoi s’ajoute, dans le cas de l’or, un éclat atteint par aucune autre couleur, si vive soit-elle5. L’or est l’apanage des monarchies orientales, dès la fin du Ve millénaire en Mésopotamie, la pourpre – invention égéenne du second millénaire ? – intéressa elle aussi au plus haut point les souverains, au témoignage, entre autres, des sources cunéiformes6. La laine pourpre devint un tribut prisé des Mésopotamiens, générant une circulation spécifique en sa qualité de présent, tribut ou d’objet d’échange, récemment réétudiée pour le Ier millénaire et l’Égypte romaine7. Un certain nombre d’études sont récemment revenues sur son prix, généralement très élevé, quelle que soit la période8. Le lapis-lazuli, enfin, dont l’usage remonterait au IVe millénaire9, connut un succès toujours plus grand en Mésopotamie, de nouveau, à compter du IIIe millénaire, stocké à l’état brut ou déjà transformé (parures, sceauxcylindres, etc.). L’emploi de ces trois matériaux dans le monde grec, depuis l’Âge du bronze jusqu’à l’époque hellénistique, a fait l’objet récemment d’une mise au point très utile10.

Il est des cas où la réponse paraît facilitée par la rareté et le prix du matériau même, qui semblent bien déterminer, « urbi et orbi » en quelque sorte, des valeurs universelles : on pense à l’or jaune, mais aussi à la pourpre, au lapis-lazuli, voire au cinabre. Encore faut-il le vérifier, comme nous le verrons, par des exemples empruntés aux différentes régions qui les ont vu circuler et être échangés. Les concepts économiques traditionnels de valeur d’usage et de valeur d’échange sont ici opératoires et doivent s’appliquer aux couleurs, comme aux autres biens matériels. La question de leur valeur respective d’usage et d’échange est ici centrale, en effet, s’agissant de sociétés dont la structuration politique, religieuse et sociale est a priori très différente. Les trois grandes catégories de couleurs sous l’angle de leur rareté, de leur coût et de leur prix Si l’on applique aux couleurs dont la production et la circulation sont avérées pour les périodes et les régions qui nous occupent, les critères de rareté, coût et prix, trois grandes catégories se détachent : les couleurs rares et précieuses ; les couleurs communes et répandues ; les couleurs fabriquées pour imiter, à moindres coût et prix, les premières, et que je propose d’appeler ici les « similis », comme on parle, en français, de « simili cuir ». Cette dénomination est plus imagée et populaire que celle de « facsimilé » qui entretient en outre la confusion avec l’idée d’une reproduction exacte de l’original, matériau compris, ce qu’interdit le simili, plus proche en cela de l’allemand « Ersatz ». Le mot « simili » dans son acception actuelle ne paraît pas antérieur à la fin du XIXe siècle3. Il se développera surtout au XXe siècle à la faveur du développement des matériaux synthétiques. Les années 1970 virent par exemple le triomphe du simili dans l’habillement. Le XXIe siècle utilise lui aussi bien des similis sans plus les caractériser comme tels.

A ces couleurs il faudrait également ajouter l’incolore cristal de roche, pierre semi-précieuse appréciée en Mésopotamie, en Égypte comme dans le monde égéen, tout au long du second millénaire11. Les couleurs communes et répandues se confondent avec les colores austeri signalées par Pline. On pense à la gamme très étendue des ocres jaunes, bruns ou rouges, par exemple, d’extension locale ou régionale, « à portée de main », le plus souvent, sous la forme de filons affleurants, de faible circulation a priori, compte tenu de leur caractère commun. N’oublions pas non plus le noir de carbone ou le blanc de plomb, tous de production aisée et économique.

Cette classification des couleurs recoupe partiellement la fameuse distinction établie par Pline l’Ancien4 entre colores floridi et colores austeri qui se distribuent ainsi : si les colores austeri semblent bien, au témoignage de la plupart des commentateurs, correspondre aux couleurs communes et répandues, les colores floridi, eux, sont

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Jockey, Glanville, Seccaroni 2017. Cardon 1999. 7 Quillien 2015 (Mésopotamie), p. 108 ; Cardon et al., 2017 (Égypte romaine). 8 Sur son prix dans la Mésopotamie du Ier millénaire : Quillien 2015 ; sur le prix de la pourpre à Délos : Chankowski 2018. 9 Casanova 2013 ; Lafont et al., 2017 (ch. 1). 10 Brecoulaki 2014. 11 Nenna 2018, p. 214 sq. 6

                                                             3 Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, s.v. (http://www.cnrtl.fr/definition/simili). 4 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XXXXV, 30 et 97 ; Rouveret 2014, p. 255 sq.

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Circulation et partage des couleurs entre Orient et Méditerranée antiques formule CaCuSi4O10) »18 ? On trouve, on le sait, chez Vitruve19 la description du procédé de fabrication.

Enfin, je retiendrai ici au titre de similis, dorure à la feuille, bleu égyptien et laque de garance (mélangée ou non avec du bleu égyptien). Tous trois furent en effet des concurrents sérieux et durables respectivement à l’or, au lapis-lazuli et à la pourpre utilisés comme pigments. Je ne traite pas ici de la simili-pourpre utilisée pour teindre les vêtements à l’imitation de la laine pourpre rouge ou bleue et dont l’existence paraît avérée en Mésopotamie, au prix d’une innovation technique12. Leur circulation effective dut être fonction du degré de complexité de leur fabrication (impliquant ou non ateliers primaires et secondaires), fonction aussi du degré d’adhésion d’une société donnée aux valeurs que portaient les « originaux ». On ne s’étonnera pas de voir ici associée à des matériaux qui diffèrent des originaux une technique – la dorure à la feuille – qui recourt au même matériau que l’original, l’or massif. À moins qu’elle n’imitât l’éclat et la couleur du bronze. La patine verte de nos bronzes modernes ou altérés ne doit pas nous faire oublier en effet qu’un bronze antique sorti de coulée brillait de l’éclat de l’or dont il constituait, déjà, un simili. Qu’on se rappelle seulement l’effet produit par la réplique moderne en bronze de l’Apollon de Phidias exposée au Musée de Kassel 13.

Après son invention en Égypte au cours du IIIe millénaire, durant la IVe dynastie (2620 av. J.-C.)20, le bleu égyptien connut un succès ininterrompu durant toute l’Antiquité, au témoignage des trouvailles de matériau brut (pains, boulettes) comme dans ses applications (mosaïque, peinture murale, sculpture), d’une rive l’autre, d’un art l’autre. Très tôt, le bleu égyptien s’afficha comme un lapis-lazuli artificiel. C’est le cas en Égypte, explicitement, comme l’atteste sa dénomination supposée, au témoignage d’inscriptions hiéroglyphiques, « hsbd iryt », littéralement « lapis-lazuli fabriqué »21, fondant ainsi une distinction de nature (et de technique) entre les deux couleurs. Le bleu égyptien demeura omniprésent en Égypte, dans des contextes sacrés et funéraires, de son invention jusqu’à la fin de l’Antiquité. Un autre témoignage, plus tardif, mais toujours oriental, va plus loin et pose cette fois très clairement un bleu artificiel – bleu égyptien, verre ou faïence – comme un Ersatz au lapis-lazuli.

S’agissant de l’incolore, un autre simili digne d’intérêt, ruse de la technique pour imiter le cristal de roche, connut un succès foudroyant, deux siècles durant, à compter du dernier tiers du Ier siècle ap. J.-C. : le verre. MarieDominique Nenna vient de lui consacrer une mise au point qui nous dispense ici d’y insister davantage14.

Dans une correspondance appartenant aux archives d’Ougarit (XIVe/début XIIe siècle av. J.-C.), et opportunément citée par Valérie Matoïan22, un dénommé Taguhli s’adresse au roi d’Ougarit qui a cherché à se soustraire à l’obligation de fournir du lapis-lazuli comme tribut au roi hittite de Karkémish (ville au nord-est d’Alep)23 : « Le cœur du Roi est fort irrité et c’est à moi que le Roi s’en est pris : « est-ce que cet homme ne se moque pas de moi ? Une pierre comme cela, il l’a ramassée par terre et il me l’a fait porter en disant : à présent, je te fais porter du lapis-lazuli ! Est-ce bien du lapis-lazuli que tu m’as envoyé ? Mieux vaudrait ne rien envoyer plutôt que de ramasser et d’envoyer une pierre (glose : de la fritte) de cette sorte, afin de ne pas irriter ainsi le cœur du roi ! Maintenant, trouve du lapis-lazuli venant de quelque part… » (Traduction de Sylvie Lackenbacher) 24.

Dans certains cas, comme l’a rappelé récemment H. Brecoulaki, les similis pouvaient acquérir de la valeur, dans un contexte où les importations étaient difficiles et la production locale impossible. Elle donne pour exemple les vases archaïques d’Aiani15. Cette valeur approchaitelle celle des couleurs qu’elles imitaient ? Il est permis d’en douter, faute de preuves. Un simili exemplaire, le bleu égyptien : le modèle oriental L’exemple du bleu égyptien16 permet de mieux comprendre ce qu’on entend ici par « simili ». Pigment artificiel « obtenu par mélange de sable, de cuivre, de calcium et d’éléments alcalins (sodium ou potassium) »17, nous avons affaire, du point de vue chimique, à « un matériau composite constitué d’une phase vitreuse dispersée dans une phase cristalline correspondant à un minéral très rare à l’état naturel : la cuprorivaïte (de

Dans une autre missive, ce même haut fonctionnaire revient à la charge : « Au sujet du lapis-lazuli, dont tu as écrit au Roi : « j’ai cherché du lapis-lazuli mais je n’en ai pas trouvé », le cœur du roi est plein de griefs contre mon seigneur ; maintenant, que mon seigneur cherche du

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Cavassa 2018, p. 15. Vitruve, De l’Architecture, VII, 11, 1. 20 Cavassa 2018, p. 15-16, pour un rappel des arguments en faveur de cette datation. 21 Cavassa 2018, p. 15 (avec rappel de la bibliographie antérieure). 22 Matoïan 2015 ; Matoïan, Vita 2015. 23 Cette correspondance, qui provient du tell de Ras Shamra (côte de Syrie du Nord, à dix kilomètres au nord de lʼactuelle ville de Lattaquié) est citée et étudiée par V. Matoïan et A. Bouquillon : Matoïan, Bouquillon 2006 ; Matoïan 2015. 24 Lackenbacher 2002, p. 91 (RS 17.383 = PRU IV, 221, s. et pl. LXVI). 19

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Finkel, Granger-Taylor, Cardon 1999, p. 21-23 ; Quillien 2015, p. 116. 13 Museumlandschaft Hessen Kassel (Allemagne). 14 Nenna 2017. 15 Brecoulaki 2014, p. 32. 16 Mise au point la plus récente, y compris sur sa production aux époques hellénistique et romaine : Cavassa 2017, p. 13-34. 17 Cavassa 2018, p. 15.

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Philippe Jockey lapis-lazuli chez quelqu’un et qu’il en fasse porter au Roi. Le Roi recherche fort le lapis-lazuli. Si tu lui faisporter du lapis-lazuli, tu verras si le Roi ne te fait pas de faveurs…» (Traduction de Sylvie Lackenbacher).25

Le triomphe presque sans partage du bleu égyptien, toutes époques confondues, dans l’Orient et le monde grec La mise au point, ces dernières années, d’une nouvelle technique de détection et de caractérisation du bleu égyptien mobile, légère et non invasive par Giovanni Verri et d’autres chercheurs, développée au Courtauld Institute de Londres et au British Museum29, a multiplié en un temps très court l’évidence archéologique de son emploi, sur les supports les plus variés, peintures murales, éléments d’architecture, frises et ronde bosse, en Orient comme dans le monde grec.

Cette correspondance me paraît fondatrice du genre « simili » : elle a valeur de modèle en ce sens où elle nous donne le contexte dans lequel un simili est employé en toute connaissance de cause et les différents paramètres qui lui sont associés. On retiendra d’abord l’association entre instance souveraine et couleur de prix. Deux rois sont ici aux prises et l’échange est censé se faire de souverain à souverain : le roi hittite et son vassal, le roi d’Ougarit. Le lapis-lazuli, pierre précieuse de couleur bleue, se range en second lieu au nombre des matériaux du tribut, compte tenu de sa rareté (« j’ai cherché du lapis-lazuli mais je n’en ai pas trouvé ») et de son prix. Troisième élément caractéristique du simili : la tentation de la tromperie, en usant d’un subterfuge « bas de gamme » (« il l’a ramassée par terre »). Les deux textes ne soulignent pas un dernier élément caractéristique du « simili » : la mise en œuvre de savoir-faire innovants pour le produire, définition même de la technique (la fameuse technè grecque). V. Matoïan souligne, à propos de ce simili, que la ressemblance avec l’original précieux ne devait pas se limiter à la seule couleur mais aussi à ses autres caractéristiques, telles « la brillance, l’opacité ou la translucidité, voire la transparence »26. Cette même chercheuse, qui ne tranche pas sur la nature du simili substitué au lapis-lazuli – bleu égyptien, verre ou faïence ? – prend l’exemple d’éléments d’incrustation en forme de boucle, confrontant deux exemplaires, l’un en lapis-lazuli, l’autre en verre, provenant de Ras Shamra. Elle souligne que le verre, aujourd’hui décoloré, était à l’origine de couleur bleue27. Le verre sera très tôt un simili des pierres semi-précieuses, colorées ou incolores28.

L’exemple que G. Verri a présenté en 2009 sur un relief néo-assyrien daté de la fin du VIIIe siècle av. J.-C. atteste de manière spectaculaire l’usage du bleu égyptien sur un monument royal30. Il invite à nuancer l’idée d’un usage du simili exclusivement réservé à ceux qui n’appartenaient pas aux premiers cercles du pouvoir. Non, les souverains eux-mêmes y ont eu recours. L’Égypte du IIIe millénaire témoignait déjà de son usage dynastique extensif. Ce ne fut pas, loin de là, l’apanage des seules monarchies orientales. L’emploi du bleu égyptien en milieu grec cette fois est avéré désormais dès l’époque mycénienne. On l’a reconnu et caractérisé sur les murs du Palais de Nestor à Pylos31, associé d’ailleurs à une laque rose organique32. Aux époques archaïque et classique, le succès du bleu égyptien ne se dément pas. Pour ne prendre que quelques exemples, la frise archaïque du Trésor des Siphniens à Delphes associait azurite et bleu égyptien pour son fond33. Au Ve siècle, quand était réputé triompher un classicisme blanc, le plafond à caissons de l’Érechthéion, ou la frise Ouest du Parthénon, où d’importantes zones de bleu égyptien ont été révélées par VIL34 témoignent aussi de son succès.

De quelques similis antiques au succès éclatant au fil des âges

L’époque hellénistique étend seulement son emploi à tous les types plastiques, outre son utilisation dans la peinture murale. Songeons seulement aux Tanagras et à leurs répliques. Rome de même, en fera un grand usage. Elle renforce encore l’idée de son quasi-impérialisme au-delà de toute frontière réelle ou symbolique, tout au long de l’Antiquité35.

Il est possible de suivre le destin des trois similis dont nous sommes partis et dont le succès ne s’est jamais démenti, dorure à la feuille, bleu égyptien et laque de garance (en composition ou non avec le précédent). Cette passion pour ces trois similis est indissociable des tensions sociales qui ont agité royaumes et cités antiques, du IIIe millénaire à l’époque hellénistique. Les similis ne vont-ils pas se révéler d’excellents acteurs de paix sociale, en donnant notamment l’illusion du partage entre tous des valeurs portées par les mêmes couleurs ?

Face à une telle hégémonie, les écarts font sens aussi et l’emploi d’autres bleus doit tout à la fois être recherché et correctement interprété. C’est le cas du lapis-lazuli

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Dyer, Verri, Cupitt 2013. Verri et al., 2009. Brecoulaki et al. 2012. 32 Brecoulaki et al. 2012, p. 2874, fig. 9. 33 Alfeld et al. 2017. 34 Visible induced IR Luminescence : Papakonstantinou 2016. 35 Cavassa 2018, p. 19-20.

                                                            

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Lackenbacher 2002, p. 92 (RS 17.422 = PRU IV, 283, s. et pl. LXXII). 26 Matoïan 2015. 27 Matoïan 2015, fig. 6. 28 Nenna 2018.

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Circulation et partage des couleurs entre Orient et Méditerranée antiques employé comme pigment, attesté pour toute l’Antiquité par quelques exemples seulement36.

physico-chimiques rassemblées depuis une quinzaine d’années41.

Un simili peut en cacher un autre… L’utilisation conjointe de plusieurs similis

La dorure à la feuille fut à Délos le plus inattendu de ces similis. Elle connut au IIe siècle av. J.-C. un succès spectaculaire, qui ne se limita pas aux seuls sujets orientaux. On en reconnaît l’usage en effet dans plusieurs types de productions artistiques. On retiendra ici, pour leur caractère assuré, les exemples de la sculpture en marbre et de la mosaïque. Je laisse de côté la question des bronzes dorés. On sait combien les témoignages de l’art du bronze à Délos sont à la fois exceptionnels et rarissimes.

Deux exemples bien documentés, en Macédoine pour le premier, à Délos pour le second, grâce à la multiplication d’approches interdisciplinaires, témoignent du succès des similis dans la palette des peintres, de la fin du IVe siècle au début du Ier siècle. av. J.-C. Ils viennent concurrencer les couleurs précieuses, quand ils ne se substituent pas purement et simplement à elles. Entre le IVe et le IIIe av. J.-C., les tombes macédoniennes offrent une palette exceptionnelle de couleurs communes et de similis37. Outre les premières38, en effet, rois et aristocratie macédonienne recoururent très largement à la dorure à la feuille et à la laque de garance et exclusivement au bleu égyptien et pour peindre et dorer les façades de leurs tombes et le mobilier en marbre qui y était déposé39. Le coût et la commodité d’emploi de ces matériaux a dû jouer, compte tenu de l’étendue des surfaces à couvrir. Les souverains et leurs cours ont exploité les qualités chromatiques et mimétiques du simili tout en conservant à la couleur même sa valeur symbolique royale. Il est vrai que la plasticité chromatique du bleu égyptien, par exemple, qui se prête à toutes les nuances, fonction notamment de la finesse de broyage de ses grains, en faisait l’interlocuteur privilégié de tous les discours. Notons enfin, au titre de substitut au cristal de roche, l’usage du verre incolore dans le mobilier de ces mêmes tombes macédoniennes40.

Les statues en marbre doré, jusque-là réputées orientales, en raison des types iconographiques auxquelles elles renvoyaient, Isis, Anubis, Sarapis, avaient fait l’objet d’un premier développement majeur dans l’ouvrage de Jean Marcadé, Au Musée de Délos42. Il y avait bien quelques cas surprenants, qui paraissaient contrevenir à cette origine orientale, telle cette statuette féminine drapée entièrement dorée à la feuille, quoiqu’elle fût d’un type parfaitement classique. J. Marcadé n’avait pas alors les outils d’observation qui lui auraient permis d’aller plus avant. C’est dans ce contexte que l’enquête conduite dans les années 2000 sur la polychromie de la sculpture hellénistique en marbre de Délos43 en a révélé la présence sur des statues très classiques d’apparence, jugées jusqu’à présent au mieux polychromes, le plus souvent vierges de tout traitement de surface. J’en rappellerai trois exemples, présentés en détail dans des publications antérieures44, retenus ici parce qu’ils caractérisent trois types différents d’usages. Deux d’entre eux proviennent de quartiers d’habitation, le dernier de l’Agora des Italiens.

A Délos, on observe, moins de deux siècles plus tard, un même engouement pour les similis utilisés dans la peinture et la plastique (sculpture et terres cuites).

L’Apollon chrysochrome A 4135, trouvé dans la maison dite des Cinq Statues, présente la particularité d’associer à une très vive polychromie observée sur ses vêtements une dorure à la feuille pour les parties nues. On a proposé pour cela de l’appeler chrysochrome. Resterait à présent à explorer les attestations orientales de cette chrysochromie a priori inhabituelle dans le monde grec (mais en réalité, nous sommes à l’aube seulement d’une remise en question radicale de la grammaire des couleurs dans ce dernier cas). La restitution 3D proposée, fondée sur l’assemblage des unités chromatiques distinguées, permet de se faire une idée de son apparence originelle (fig. 1). Deux autres similis ont été identifiés sur cette même statue, outre la dorure : le bleu égyptien et une laque de garance.

Cette explosion des similis peut être mise en relation avec l’avènement d’une classe sociale internationale, mêlant acteurs orientaux et occidentaux, aux revenus moyens à élevés, à mi-chemin entre le simple citoyen et l’élite aristocratique voire monarchique, celle des diadoques, par exemple. Osons y reconnaître une « bourgeoisie » aisée de commerçants et de banquiers, au prix d’une forme d’anachronisme, du moins touchant au mot même de bourgeoisie. La ville de Délos, de ce point de vue, représente un cas de figure exemplaire, susceptible d’être appliqué à d’autres villes hellénistiques. Il est possible en effet d’y suivre la fortune singulière de ces trois matériaux et techniques, grâce à l’abondance de l’évidence matérielle et à la richesse des données

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Cavassa 2018, p. 18, n. 24 ; Brecoulaki, Kavvadias, Verri, 2014. Brecoulaki 2006. 38 Perdikatsis, Brecoulaki 2008. 39 Brecoulaki 2006. 40 Ignatiadou 2007.

Jockey 2017. Marcadé 1969, p. 407-468. 43 C2RMF. 44 Bourgois, Jockey 2005 ; Bourgeois, Jockey 2009. 42

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Philippe Jockey (fig. 3)46. Impossible, ici encore, de ne pas voir dans cette œuvre, très vite rapprochée des suites galatiques pergaméniennes, l’écho de ces consécrations en bronze dont les commanditaires étaient les souverains de Pergame eux-mêmes. À Délos même, Attale Ier avait offert un monument galatique placé à l’entrée du sanctuaire d’Apollon47. Les Italiens de Délos, suffisamment puissants pour imposer, en quelque sorte, leur « roman national » aux autres, en rappelant le triomphe de Rome ou de ses alliés sur les Gaulois, ne l’étaient cependant pas assez pour privilégier le bronze.

  Fig. 1 : Apollon (Délos, Musée, inv. A4135, vers 100 av. J.-C.) : modèle 3D (cliché : ArchéoMEd, C2RMF, EFA, F. Fauquet).

  Le Diadumène MNA 1826, trouvé dans la Maison du même nom, copie en marbre de la fameuse statue de Polyclète d’Argos, a réservé une immense surprise : sa dorure à la feuille intégrale, observée au revers de la statue et sur le support, dans les parties qui n’avaient pas subi un nettoyage trop radical pour qu’il subsistât encore, quoique à l’état de débris45. Nous avons affaire ici à un simili-bronze, imitation d’un bronze originel qui devait être lui un simili-or massif, qui eût ruiné son commanditaire. De l’or, le marbre doré conservait l’éclat et la couleur, à moindre coût pour son propriétaire (fig. 2).

  Fig. 3 : Gaulois blessé de l’agora des Italiens (Athènes, Musée archéologique national, MNA 247 : modèle 3D  (cliché : ArchéoMEd, C2RMF, EFA, F. Fauquet).

 

La dorure à la feuille ne se limitait pas, à Délos, à la seule sculpture en marbre. Un restaurateur grec, N. Tolis, occupé il y a quelques années à observer la mosaïque de pavement de la Maison de Fourni, mit indubitablement en évidence les vestiges d’une dorure à la feuille limitée aux bandeaux de cette mosaïque, en empruntant les mêmes techniques d’observation que celles que nous avions utilisées pour les statues48. De même, les figurines en terre cuite présentaient elles aussi les vestiges d’une dorure à la feuille d’un type comparable49. En résumé, l’exemple de Délos met à mal l’idée reçue d’une tradition exclusivement orientale de la sculpture dorée. Orient et monde grec voire romain, à Délos, autour du IIe siècle av. J.-C., partageaient un même goût pour l’éclat doré de leurs productions plastiques. Plus troublant est le fait que les techniques elles-mêmes, identiques d’un type « oriental » à l’autre, ne permettent pas non plus de

  Fig. 2 : Diadumène (Athènes, Musée archéologique national, MNA 1826) : modèle 3D (cliché : ArchéoMEd, C2RMF, EFA, F. Fauquet).

Le Gaulois blessé de l’Agora des Italiens provient, comme son nom l’indique, de cet ensemble architectural italien remarquable qui abritait, dans les niches de son péristyle, statues et groupes sculptés, pour la plupart perdus. Il a révélé, lui aussi, une dorure intégrale à la feuille, qui avait épargné les seules régions de la chevelure et de la toison pubienne, d’un ocre flamboyant

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Sur l’Agora des Italiens, en dernier lieu, Moretti 2015. Le dossier le plus complet (statue, type, date et situation dans l’agora) est à retrouver dans Marcadé, Queyrel 2003 (paru avant la découverte de la dorure). 47 Marcadé, Queyrel 2003, p. 43. 48 Tolis 2018, p. 263-274 ; p. 272 pour une vue au microscope numérique des restes de feuilles d’or sur des tesselles de la mosaïque, voir Bruneau 1972, EAD XXIX 336. 49 Bourgeois, Jockey 2009, p. 7-8.

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Bourgois, Jockey 2005, p. 273-274, fig. 5, p. 275-276, 279, fig. 12.

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Circulation et partage des couleurs entre Orient et Méditerranée antiques distinguer les traditions entre elles50. C’est aussi le cas pour la simili-pourpre.

La présence, à l’état malheureusement très fragmentaire, de feuilles d’or sur sa poitrine, parachève ce luxe de similis à moindre coût…

Imitation bon marché de la pourpre « picturale », elle associait bleu égyptien et laque de garance, voire, dans certains cas, d’autres pigments, en plus faible proportion, de manière à approcher au plus près la teinte souhaitée51. Elle, n’a pas fait l’objet, à ce jour, d’une enquête systématique, à l’échelle des grands centres méditerranéens et proche-orientaux. On observe pourtant, dès le début de l’époque hellénistique, un goût prononcé pour cette couleur pourpre tirant sur le mauve, obtenue par mélange de ces deux pigments anorganique et organique. À Délos, la simili-pourpre se reconnaît dans la sculpture. On ne retiendra ici qu’un exemple particulièrement éloquent, du fait de son état de conservation exceptionnel, son emploi pour donner à la paryphè d’une statuette d’Aphrodite, découverte à la fin des années 1940 dans la Maison de l’Hermès, sa coloration mauve (fig. 4 et 5)52.

  Fig. 5 : Vue au vidéomicroscope d’un détail de la fig. 4, montrant la composition de la simili-pourpre de la paryphè (cliché : C2RMF, EFA).

On est revenu récemment sur l’alliance de l’or et de la pourpre, insistant sur leur caractère indissociable et les valeurs royales qu’elles portaient53. Qu’ils fussent des « marqueurs de statut social » ne fait aucun doute54. À Délos, la simili-pourpre se mariait de manière éclatante avec le simili-or, pour l’ornement des riches demeures de cette nouvelle aristocratie financière et marchande avide de rivaliser avec les maîtres du pouvoir politique et militaire de l’Orient et de la Méditerranée. Sur les profils des commanditaires de ces similis Les quelques exemples évoqués ci-dessus permettent en effet d’esquisser le profil des commanditaires de ces similis. On ne propose ici que quelques réflexions exploratoires, qui devront être poussées plus avant et confirmées par des études étendues à d’autres régions. Premier enseignement, simili ne rimait pas nécessairement avec pouvoir d’achat faible. Les premiers commanditaires des similis furent en effet les souverains orientaux eux-mêmes, à date haute, déjà. N’étaient-ils pas pourtant les détenteurs sourcilleux, pour la richesse de leurs palais, des couleurs précieuses et rares, ou plus exactement, des matériaux avec lesquels elles se confondaient : lapis-lazuli, or et pourpre (celle des vêtements précieux teintés avec ce colorant) ? Leur emploi des couleurs précieuses et des similis se fit selon un partage qui, à quelques exceptions près, se laisse mieux entrevoir aujourd’hui : une thésaurisation quasiexclusive des couleurs rares et précieuses ; un emploi public (au sens large, usage sacré compris), de leurs similis, pour bâtiments et objets destinés à être vus de tous. Les quelques témoignages de l’emploi de lapis-

  Fig. 4 : Aphrodite (Délos, Musée, inv. A 4200) : photographie en fluorescence d’ultraviolets montrant la fluorescence très vive de la laque de garance et la large bande centrale (paryphè) couleur pourpre (cliché : Collet/ EFA couleur pourpre).

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Bourgeois, Jockey 2009. Bourgeois, Jockey 2017, p. 159. 52 Bourgeois, Jockey 2010, p. 229, fig. 172.

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Grand-Clément 2018. Grand-Clément 2018, p. 278.

Philippe Jockey lazuli pour ces derniers ne remettent pas en cause cette tradition même s’ils obligent à réfléchir au sens de leur emploi. On verra un peu plus loin que pour les possesseurs des matières originales, jouer la carte des similis provoquait en retour un renchérissement des premières !

aussi les marqueurs de l’état d’une société. Les techniques pour les obtenir aussi ? Mais il faut élargir à présent l’enquête sur le « modèle délien » à d’autres régions où se sont croisées des traditions moins différenciées qu’on ne le pensait jusqu’à présent. Ce n’est évidemment pas un hasard si l’on retrouve à Tel Dor, en Israël, une mosaïque d’un type extrêmement proche des pavements déliens avec lesquels elle partage matériaux, techniques, valeurs… Et couleurs61.

Ces souverains orientaux inaugurent une tradition dont on retrouvera les premières expressions royales ou aristocratiques grecques dans le monde mycénien de la fin de l’âge du bronze. L’appropriation par le modèle de la cité-État, dès l’époque archaïque, des valeurs symboliques portées par les couleurs royales est un fait notable, qui n’a peut-être pas encore été l’objet d’études approfondies. Peindre le Parthénon aux mêmes couleurs qu’un temple égyptien ou assyrien était-il si anodin que cela ? Il est permis d’en douter. Quoi qu’il en soit, le recours aux similis ne se démentira plus et réunira au fil des siècles traditions orientales, grecques et romaines dans une même koinè technique voire symbolique. Il trouvera son acmè dans un mode de vie partagé auquel aspire une élite d’un nouveau genre.

Des commanditaires aux artisans Demeure la question des artisans de ces similis, de leur origine, de leur circulation. Le bilan physico-chimique actuel de ces similis frappe par les similitudes touchant à leur composition comme à leurs techniques d’application62, au « mystère » des liants près, peu élucidés, encore à ce jour, même si l’on observe des progrès importants ces derniers temps dans quelques cas63. Deux questions se posent à leur propos : celle des lieux de production de ces similis ; celle de l’origine des artisans ayant procédé à leur application : locaux, itinérants ?

Une classe nouvelle s’approprie, elle, en effet aussi ces similis, celle de la bourgeoisie financière et marchande internationale de l’époque hellénistique, si bien représentée à Délos, qui devient à cette époque un véritable « carrefour international des couleurs »55. Point commun à ces élites économiques, l’aspiration à un mode de vie partagé avec le pouvoir royal, défini par la notion de truphè (τρυφή) qui signifie « mollesse, luxe, débauche, bonne vie »56.

Laetitia Cavassa a posé en des termes renouvelés la question des lieux de production du bleu égyptien, en insistant sur la distinction indispensable entre ateliers primaires et ateliers secondaires, une distinction établie sur le critère de la présence ou non de creusets, qui seraient les marqueurs exclusifs des premiers. A cette occasion, elle livre de ces derniers des reproductions et des coupes du plus grand intérêt64. Elle ne reconnaît, au terme de son enquête et dans l’état actuel de la documentation archéologique, que deux grands centres de production primaires, respectivement situés en Égypte, à Memphis et en Italie du Sud, à Pouzzoles et à Cumes, notamment. Les ateliers primaires prétendument situés à Cos n’en seraient pas65. Sans doute faut-il rester prudent, tant les aléas des découvertes archéologiques sont grands. Ces deux grandes régions reconnues n’étaient sans doute pas les seules. Quoi qu’il en soit, la circulation des pains et boules de bleu égyptien, depuis ces deux pôles, était aisée, et le faible nombre de ces centres de production primaires plaiderait plutôt en faveur d’une faible mobilité des artisans, dans la mesure où les ateliers secondaires pouvaient être installés et fonctionner à peu près partout, sans beaucoup de moyens. Ici, le matériau brut pouvait circuler « seul », sans l’accompagnement de l’artisan appelé à le transformer et à l’utiliser.

Plusieurs autrices ont rappelé récemment l’importance de cette truphè, apanage royal et oriental bientôt repris par les élites aristocratiques ioniennes, dès l’époque archaïque57. Une truphè qui associait précisément l’or et la pourpre dans son ostentation58. Anne-Marie Guimier-Sorbets a souligné qu’elle était une ligne de conduite des souverains hellénistiques, une philosophie royale et caractérisée par le luxe, la douceur de vivre, l’ostentation, qui se diffuse dans les classes les plus aisées de l’époque hellénistique, concluant : « La couleur participe de la truphè hellénistique. »59. J’ajouterais volontiers que les similis en rendent possible son accès à une catégorie plus large d’individus que la seule aristocratie royale. Il est piquant d’observer que l’étymologie de cette même truphè renvoie à l’idée de broyage, contenue dans le verbe « θρύπτω»60. Faut-il y voir simple coïncidence ? Peut-être pas. Du degré de broyage des boulettes de bleu égyptien dépendait l’intensité du bleu obtenu. Les tons des couleurs étaient

Qu’en était-il des deux autres similis évoqués ici ? On a vu que la laque de garance, associée au bleu égyptien, offrait une simili-pourpre très convaincante, dans ses

                                                            

                                                            

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Jockey 2014. 56 Chantraine 1983, s.v. 57 Grand-Clément 2018 ; Guimier-Sorbets 2017. 58 Grand-Clément 2018, p. 282. 59 Guimier-Sorbets 2018, p. 293. 60 Chantraine 1983, s.v.

Wooton 2012. Brecoulaki et al., 2009. 63 Verri et al. 2009, p. 57 ; Brecoulaki et al., 2012. 64 Cavassa 2018, p. 24, fig. 1 et 2 (Memphis) ; p. 32, fig. 8, p. 33, fig. 9 et 10 (Cumes). 65 Cavassa 2018, p. 25. 62

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Circulation et partage des couleurs entre Orient et Méditerranée antiques applications en peinture. Produite à partir de la racine de la garance, plante méditerranéenne des plus communes, ses lieux de production n’ont à ma connaissance pas été identifiés à ce jour avec certitude. La simplicité du processus de transformation de la racine, tout récemment rappelée par nos collègues du Laboratoire d’Archéologie Moléculaire et Structurale66, plaide en faveur d’une grande légèreté et fugacité des installations, suggérant même une production à flux tendu.

avantage, sa pureté (théoriquement), garantie par sa couleur jaune. La cartographie de l’or natif, alluvionnaire et éluvionnaire, a fait l’objet de mises au point fort utiles74. Il reste à croiser les signatures respectives de l’or de chacune des mines ainsi localisées avec les données livrées par les feuilles elles-mêmes. Parions que les résultats en seront surprenants et ne respecteront pas non plus les frontières que nous autres modernes avons tracées entre usages des uns et des autres.

Les liants organiques associés à ces deux premiers similis, gomme arabique, blanc d’œuf et autres résines ne nécessitaient pas non plus une production hyperspécialisée et centralisée.

Le succès des similis n’entraîna pas une quelconque dépréciation des couleurs rares et précieuses, comme on pourrait le croire, mais bien au contraire leur renchérissement, dans une relation dialectique des unes aux autres. Pline l’Ancien avait observé un pareil phénomène à propos du verre incolore, au livre XXVII de son Histoire Naturelle, on lit en effet : « Présentement on fait des vases de verre qui ressemblent merveilleusement au cristal ; et néanmoins, chose étonnante, le cristal, loin de diminuer de prix, a augmenté »75.

Quant aux feuilles d’or utilisées en simili de l’or massif ou du bronze, il suffit on le sait d’une installation « légère », creuset et enclume sur laquelle battre l’or, pour produire des feuilles d’une qualité exceptionnelle. Les mesures opérées sur les exemplaires déliens ont révélé une épaisseur approchant les deux microns67. Que sait-on des ateliers antiques eux-mêmes ? Pas grandchose. Le témoignage de l’iconographie pallie parfois les lacunes de notre information touchant à l’évidence archéologique des ateliers de batteurs d’or des temps anciens. Le « Papyrus de Turin », qui livre un témoignage exceptionnel – le plus ancien plan connu à ce jour – sur l’emplacement de la mine de Ouadi Hammamat, en Haute-Égypte68 reste muet sur cette question. On n’y aurait retrouvé au mieux que des ateliers de purification de l’or extrait des montagnes69. Citons plutôt la scène de battage ou de martelage représentée dans une tombe de Saqqara et datée de 2500 av. J.-C., qui témoigne d’une économie de moyens70. La découverte d’un carnet de feuilles d’or égyptien conservé au Musée du Louvre, malheureusement de date inconnue, témoigne aussi de la légèreté, dans tous les sens du terme, de tels dispositifs71. La visite, fin 2017, d’un atelier de batteur d’or vénitien, l’atelier Berta Battiloro, situé au Cannaregio, au nord de Venise, qui fournit aujourd’hui aux restaurateurs de la basilique Saint-Marc les feuilles nécessaires à la restauration de ses mosaïques à fond d’or, suffit à nous convaincre qu’il est surtout besoin de quelques outils et d’une grande agilité pour battre l’or, aujourd’hui comme hier72.

C’est bien dans cette tension dialectique entre ces deux catégories de couleurs qu’il faut comprendre le succès conjoint des couleurs précieuses et de leurs similis. Sans celle-ci, jamais les souverains n’auraient toléré qu’on développât les similis aux dépens des premières. Le partage de leurs techniques, emplois et valeurs invite à reconsidérer aujourd’hui les clivages traditionnels entre Orient et monde grec en matière de couleurs, à ne pas les poser non plus en termes de circulation simple des premiers aux seconds mais plutôt de valeurs partagées et diffusées sur le mode horizontal. Vaste programme de recherches, à conduire désormais collectivement. Orient et monde grec n’ont pas fait couleurs à part, comme on l’a trop longtemps pensé. Matériaux, techniques et valeurs chromatiques ont circulé d’un monde à l’autre sur un mode inédit, qu’on entrevoit davantage aujourd’hui : horizontal, privilégiant l’échange et le partage, dans la durée.

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DIONYSOS EN JUDÉE ? LE DÉCOR VÉGÉTAL, DES PALAIS D’HÉRODE AUX TOMBEAUX DE PALESTINE Michel E. Fuchs

Résumé La découverte des stucs et des peintures murales qui garnissaient les palais érigés par Hérode le Grand ouvre des perspectives d’analyses autant sur les schémas décoratifs choisis que sur les thèmes abordés. L’un d’eux, foisonnant, est celui du monde végétal, feuilles de lierre, pampres, fleurons, volutes végétales et même palmiers dans des tableautins. Il est certes le reflet du goût de la fin du Ier siècle avant J.-C. mais n’est-il pas aussi un hommage au maître gréco-romain des jardins, Dionysos ? Lorsque plus tard, les rinceaux et autres végétaux s’invitent dans les tombeaux du Proche-Orient, conservent-ils quelque chose de la vision florale antérieure ? Jardins d’Hérode et jardins de l’au-delà incitent à s’interroger sur leur essence. Mots-clés : Dionysos, paysages idyllico-sacrés, végétal, lierre, laurier, rinceaux, volutes, stucs, peintures murales. Abstract The discovery of the stuccoes and mural paintings adorning the palaces erected by Herod the Great opens up angles of analysis in respect of both the chosen decorative schemes and on the topics addressed. One of them, found in proliferation, is that of the vegetal world, ivy leaves, vines, fleurets, swirling foliage and even palm trees in small paintings. It is certainly a reflection of the taste of the later part of the first century BC but is it not also a tribute to the Greco-Roman master of gardens, Dionysus? When, later on, foliage and other plants make an appearance on the tombs of the Near East, do they retain anything of the previous floral vision? Gardens of Herod and Gardens of the Hereafter lead us to question ourselves on their essence. Keywords: Dionysus, idyllic-sacred landscapes, plants, ivy, laurel, foliage, scrolls, stucco, mural paintings. son royaume. C’est ce qu’avancent certains chercheurs à considérer le manque ou l’extrême rareté des motifs figurés connus pour l’époque hérodienne4. Des oiseaux essentiellement ont été observés sur la peinture de certaines pièces privées du Mont Sion, dans la Maison dite de Caïphe, et dans le tepidarium des thermes du palais supérieur de l’Hérodium5. Des tableautins de paysages idyllico-sacrés étaient peints dans la partie haute du décor de la Chambre royale de ce même palais (fig. 1), placée au centre et au sommet des gradins du théâtre que s’est fait construire le roi de Judée6. Même si l’endroit ouvre sur une scène, se voit entouré d’un public lors des représentations, la Chambre royale, au même titre que le pulvinar de l’empereur en bordure du Cirque Maxime, est un lieu réservé aux seules personnes habilitées. Le figuré ne participe donc pas du discours officiel général mais est limité aux proches, à une élite invitée, offrant un signe fort de romanisation à l’œuvre via le personnage principal de la région concernée.

Le renouvellement de l’approche d’Hérode le Grand et l’exposition qui lui a été consacrée à Jérusalem en 2013 sont à l’origine des réflexions qui suivent, centrées sur les représentations végétales en Judée et confrontées aux tombeaux peints en Israël qu’aborde une étude récente1. L’influence décisive d’Hérode sur l’architecture et l’urbanisme de la Judée et de la Palestine à la fin du Ier siècle avant J.-C. et dans les premiers siècles après J.-C. est aujourd’hui reconnue, aussi bien dans des cités comme Antipatris, Césarée Maritime, Phasaelis et Sébastè, dans les palais-forteresses de l’Hérodium, de Jéricho, Machaerus et Massada que dans les demeures d’Alexandreion, d’Ascalon, Banyas, Betharaphtha, Hyrcania et Sepphoris2. Tout en lançant des projets audacieux et grandioses dont rendent compte Flavius Josèphe et les découvertes archéologiques dans les sites où il est intervenu, n’hésitant pas à aménager richement et en couleurs variées la tour de Mariamne à Jérusalem, plus ornée que les tours au nom masculin3, Hérode semble bien cependant avoir respecté au mieux le deuxième commandement interdisant les représentations humaines et animales, du moins dans les bâtiments de

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Rozenberg 1996, p. 128 ; Roller 1998, p. 118 ; Rozenberg 2006, p. 373 ; Talgam, Peleg 2006, p. 382 ; Netzer et al. 2013, p. 144. Voir Hadas-Lebel 2017, p. 201 : « On l’imaginerait (Hérode) volontiers respectueux des coutumes juives en Judée et libre de toute contrainte en dehors de son royaume ». 5 Ovadiah, Michaeli 1987, p. 243, fig. 1 ; Fittschen 1996, p. 142-143, fig. 3 ; Rozenberg 2007, p. 196-197, fig. 6 ; Rozenberg 2013, p. 187. 6 Netzer et al. 2013, p. 149-157, en part. p. 155.

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Rozenberg, Mevorah 2013 ; Michaeli 2009. Strange 2003, p. 105 ; Richardson 1999, p. 198-202. Voir Baltrusch 2012, Zangenberg 2016. 3 Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs, V, 171. 2

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Michel E. Fuchs Construit entre 23 et 10 av. J.-C., dans le désert de Judée, le théâtre pouvait recevoir 300 à 400 personnes ; loin d’être de la taille d’un théâtre de ville, il est prévu pour la cour d’Hérode et celle d’un Auguste ou d’un Agrippa. Rappelons qu’Auguste vint une première fois en Judée en 30 av. J.-C. et une deuxième fois en 20 av. J.-C. avec son épouse Livie, chez son ami et roi Hérode, qui les reçut avec tous les honneurs7. En 15 av. J.-C., c’est au tour d’Agrippa d’être reçu fastueusement. Flavius Josèphe précise d’ailleurs qu’Hérode avait prévu des palais en contrebas de l’Hérodium pour les amis8. De tous les bâtiments édifiés par Hérode, c’est le seul qui reçoit le nom du roi lui-même ; il est donc le reflet d’une implication personnelle forte, loin des tracas de Jérusalem ou de Bethléem9. La Chambre royale associée au théâtre a bénéficié d’une ample rénovation juste avant la venue d’Agrippa10. La décoration choisie ne peut qu’être en lien direct avec un tel événement. C’est avec cet arrière-fond qu’il faut considérer deux motifs capitaux dans la compréhension de la révolution iconographique qui se dessine à cette époque en Judée.

intérieur –, mais bien de sept tableautins aux sujets se détachant sur le fond bleu caractéristique des représentations de pinakes12. Sur les trois tableautins conservés sur les parois de la Chambre royale, l’un montre un rocher que gravissent des chèvres et au bord duquel est assis vraisemblablement leur berger plutôt qu’un faune ou un satyre, que regarde son chien assis un peu plus loin ; le mur d’enclos d’un jardin occupe la partie droite. Au centre de l’espace, sur le bas, un timon et son joug sont posés obliquement à la droite de deux bovins qui se font face, signant le thème agreste, bucolique, choisi ici.

  Fig. 2 : Hérodium, Chambre royale, tableautin avec scène nilotique  (d’après Rozenberg 2017, fig. 3). © Courtesy of the Herodium Expedition, The Hebrew University of Jerusalem, by Gabi Laron.

  Le même thème semble bien occuper un deuxième tableautin, incomplètement conservé, montrant une vache s’avançant sur la gauche vers des rochers et un arbre feuillu ; une deuxième vache la suivait. Dans un second plan, une porte et le mur d’enceinte d’un port se dessinent alors qu’un bateau s’avance au loin. Un troisième tableau installe un paysage nilotique que marque la présence d’un crocodile sur la gauche ; une ancre est posée obliquement sur le devant à droite. Deux édifices se détachent à l’arrière de la scène, l’un à gauche agrémenté d’un personnage debout, l’autre à droite occupé par un animal au-devant d’un mur. Le fragment d’un quatrième tableautin montre deux bateaux côte à côte, voile au vent, chargés de soldats tenant lance et bouclier13. Une cinquième scène issue de la Chambre royale montre deux

  Fig. 1 : Hérodium, Chambre royale, décor peint de la paroi sud (20 – 15 av. J.-C.) (d’après Rozenberg, Mevorah 2013, p. 179). © Courtesy of the Herodium Expedition, The Hebrew University of Jerusalem, by Marcos Edelcopp.

  Le premier motif à considérer est celui des tableautins (fig. 2). D’après Silvia Rozenberg, ceux-ci ne représentent pas des natures mortes ou des scènes mythologiques et théâtrales, mais s’inscrivent dans la série des paysages idyllico-sacrés. Il ne s’agit pas de fenêtres ouvertes sur des paysages, comme l’avançait dans un premier temps S. Rozenberg11 – les volets qui les bordent seraient alors curieusement ouverts du côté

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Croisille 2010, en part. p. 68 sq. ; Rozenberg 2017, p. 229-230. Rozenberg 2017, p. 231, avance que les pinakes donnent malgré tout l’illusion de fenêtres ouvertes sur des paysages et des édifices, que les exemples en sont rares, ce que contredisent les témoignages recueillis par exemple par Peters 1963 ou Croisille 2010, p. 35-45, plus particulièrement ceux rattachés aux IIe et IIIe styles. Selon S. Rozenberg, les peintures de l’Hérodium pourraient bien précéder l’extension du mouvement égyptisant qui va se manifester à Rome et en Campanie à la fin du Ier siècle av. J.-C. Les peintures seraient donc l’œuvre d’un atelier alexandrin et non romain. Sans nier cette possibilité, il nous paraît tout aussi vraisemblable qu’un peintre romain ou levantin de qualité ait pu être à l’œuvre dans un tel contexte, comme nous le proposons plus bas. 13 Netzer et al. 2013, p. 153-156, 159 ; Rozenberg 2013, p. 179-187.

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Rozenberg, Mevorah 2013, p. 296 ; Hadas-Lebel 2017, p. 121. Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs, I, 421. Sur l’amitié qui lie Agrippa et Hérode, probablement dès 40 av. J.-C. et le premier voyage du roi à Rome, voir Roller 1998, p. 15-16, 43-53. 9 Netzer 1999, p. 90 ; Netzer et al. 2013, p. 129. 10 Netzer et al. 2013, p. 157. 11 Rozenberg 2013, p. 179. 8

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Dionysos en Judée ? banqueteurs couronnés de feuilles, rapidement esquissés sur fond blanc14, signe que le fragment provient d’une autre partie de la décoration, peut-être du plafond, ou qu’il décorait la pièce d’étage. Il est frappant de noter la proximité de traitement des paysages de la Chambre royale de l’Hérodium et de ceux des corridors F et G de la maison sous la Farnésine, propriété d’Agrippa : le style est proche et les sujets identiques15. Faut-il y voir l’œuvre du Levantin Seleukos, qui a laissé sa signature dans l’un des cubicula de la Farnésine ? Toujours est-il que pour recevoir ses invités de marque, Auguste ou Agrippa, Hérode a fait faire des peintures semblables à celles de ses amis dans un endroit de réception et, par excellence, de démonstration du statut de la personne invitée ou du roi lui-même.

Le deuxième motif à prendre une importance indéniable au vu de sa répétition dans la Chambre royale, est celui du végétal. Il adopte la forme du lierre et du laurier en alternance sur les interpanneaux stuqués de la zone centrale des parois (fig. 3a-b), qui donnent l’illusion de pilastres sommés de leurs chapiteaux. L’entablement supérieur quant à lui laisse courir sous une corniche à modillons une frise de rinceaux de feuilles d’acanthe et de rosettes en stuc blanc (fig. 4)16. Comme l’a démontré Gilles Sauron à partir de l’étude de l’Ara Pacis d’Auguste à Rome, rinceaux, lierre et laurier participent de l’annonce du retour de l’Âge d’or, du règne d’Apollon que signifie le laurier, de l’abondance sur terre, de la fécondité de la nature, en présence de Dionysos qu’invoque le lierre, son emblème17. Mais ce lierre n’erre pas de tous côtés, pour reprendre un vers de Virgile (Bucoliques IV, 19) ; il est ordonné sur sa tige comme le laurier avec lequel il alterne sous le flexible acanthe de l’entablement18. Le végétal apollinien du discours augustéen règne donc sur la pièce de réception de l’Hérodium, sans pour autant abandonner le lierre dionysiaque, évocation naturelle au sommet d’un théâtre. Sans qu’aucune figure explicite n’intervienne, l’imprégnation romaine des divinités impériales est bien présente dans la salle d’apparat, au sens plein du terme, qu’est la Chambre royale.

  Fig. 4 : Hérodium, Chambre royale, entablement supérieur stuqué (d’après Rozenberg, Mevorah 2013, p. 219). © Courtesy of the Herodium Expedition, The Hebrew University of Jerusalem and The Israel Museum, Jerusalem / by the Israel Museum Restoration Laboratories.

  Reconnaissons que mis à part ce cas exceptionnel, le figuré ne fait pas florès sur les parois hérodiennes de Judée19. Seuls peuvent être ajoutés, à ce jour, des oiseaux sur les parois du tepidarium des thermes supérieurs de l’Hérodium, certains trouvés dans des édifices du Ier siècle av. J.-C. sur le Mont Sion et d’autres sur les parois d’une tombe de même période à

  Fig. 3a-b : Hérodium, Chambre royale, interpanneaux stuqués  (d’après Rozenberg, Mevorah 2013, p. 178). © Courtesy of the Herodium Expedition, The Hebrew University of Jerusalem, by Gabi Laron.

 

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Rozenberg 2013, p. 180 et 219. Sauron 2000, en part. p. 31, 42-43, 57-61. À propos des frises végétales en lien avec l’Ara Pacis, voir Jacobson 2002, p. 88. 18 Sauron 2000, p. 188-191. 19 Voir la discussion autour des représentations figurées en Judée chez Rozenberg 2007, p. 200-201. 17

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Rozenberg 2013, p. 189. Bragantini, De Vos 1982, p. 337 sq. ; Croisille 2010, p. 84-86, fig. 105-108.

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Michel E. Fuchs Jéricho20. Pour ce qui est des thermes de l’Hérodium, le même type de contexte que la Chambre royale peut être avancé pour comprendre l’apparition de tels motifs, dans un endroit réservé aux proches du roi. Dans les deux autres cas, le contexte devrait être précisé. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’une évolution nette se fait jour à la fin du règne d’Hérode et chez ses successeurs. Le végétal envahit plus généralement le troisième palais de Jéricho après 15 av. J.-C., si l’on en croit les fragments de peintures qui sont issus de son aile nord, que ce soit dans la salle du trône, dans le triclinium ou dans les pièces adjacentes : de fins motifs floraux, volutes et rinceaux se mêlent aux décors géométriques et architecturaux dans un IIIe style qui n’a rien à envier à ce que l’on voit à Rome21 ; S. Rozenberg n’hésite d’ailleurs pas dans ce cas à attribuer cette décoration à un atelier venu des provinces occidentales de l’Empire romain, voire issu même de ceux qui étaient responsables des maisons impériales à Rome, au service d’Auguste et d’Agrippa22. Sur les monnaies de bronze qu’Hérode avait le droit de frapper ne figure pas l’effigie du souverain mais son nom, suivi du titre de basileus ; sont représentés par contre le diadème accompagné d’un khi, la grenade et la palme, reprises du monnayage hasmonéen, mais aussi le casque et le bouclier, la corne d’abondance, le caducée, la couronne de laurier, l’ancre ou le navire23. A nouveau, sans que soient clairement mises en évidence la personne du roi et ses constructions, les emblèmes de sa royauté et ses effets sont empruntés au monde hellénistique et romain. Ses fils vont quant à eux, dès sa mort en 4 av. J.-C., ajouter la grappe pour Archélaos qui tient Jérusalem et qui reprend le monnayage de son père, garder la couronne de laurier et y joindre la feuille de palmier pour Hérode Antipas qui règne sur la Galilée et Tibériade, alors que Philippe qui a reçu le nord-est du royaume n’hésite pas à faire figurer Tibère, Livie ou sa propre tête à l’avers de ses monnaies et à afficher le temple d’Auguste à Panias/Paneion au revers. Plus tard, significativement, sous Caligula et Claude, le petit-fils d’Hérode le Grand, Agrippa I, fait figurer la tête de l’empereur régnant sur l’avers et un temple avec trois personnages autour d’un autel au revers ; c’est lui qui restaure l’entièreté du royaume hérodien entre 34 et 44 ap. J.-C. Le dernier descendant de la dynastie, Agrippa II (49-94 ap. J.-C.), adopte un monnayage semblable à son prédécesseur, avec par exemple la tête de Vespasien sur un avers et Tyché-Fortuna au revers ; il ne règnera pas sur la Judée et ne pourra empêcher la rébellion de 66 ap. J.-C.24. L’étude de l’iconographie monétaire choisie par la dynastie hérodienne mériterait d’être approfondie autant en fonction des zones de sa diffusion que pour son évolution dans le temps. Un premier

constat permet malgré tout de remarquer sa romanisation progressive, que l’on dira effective dès l’époque de Claude, correspondant en cela à un phénomène que l’on observe dans les autres provinces de l’Empire. Le grand avantage de la situation du royaume de Judée est de nous montrer véritablement les modèles à l’œuvre depuis Hérode le Grand. L’exclusion du figuré n’est pas aussi strictement observée que l’on a voulu le croire, ce que le texte de Flavius Josèphe à propos du temple de Jérusalem laissait déjà entrevoir25 : dans la première partie du temple lui-même, le portail qui y donnait accès était surmonté de pampres de vigne en or « d’où pendaient des grappes de la taille d’un homme » ; c’est une véritable frise qui est ainsi décrite ou un décor de couronnement de façade aux dimensions adaptées au gigantisme du Temple, et non pas une unique grappe ni non plus cette curieuse treille de vigne que l’on voit suspendue à des poutres au-dessus de la porte intérieure du temple dans une récente restitution26. Ce n’est donc pas tant l’évocation de la grappe transportée par deux des espions envoyés par Moïse dans le pays de Canaan (Nombres 13, 23) qui est représentée, mais bien un traitement sur-dimensionnant les frises de rinceaux caractéristiques du monde hellénistique et romain des IIe et Ier siècles av. J.-C. On notera avec intérêt que c’est le seul endroit de l’ensemble du temple ayant droit à la description d’un motif, qu’accompagne le voile tendu devant le portail dont les matériaux utilisés à sa confection sont une image de l’univers, évoquant les quatre éléments ; « sur l’étoffe était représentée une carte complète du ciel, sauf les signes du Zodiaque » précise Flavius Josèphe (G. J. V, 214)27. Cette dernière observation montre bien les limites de l’acceptation du figuré dans un tel endroit, rejoignant la remarque faite par le même Flavius Josèphe dans ses Antiquités Judaïques (XV, 329), où il relève qu’Hérode a construit des temples : « il ne le fit pas sur le territoire juif car les Juifs n’auraient pu le supporter, puisqu’il nous est interdit, par exemple, d’honorer à la manière des Grecs, des statues et des figures modelées »28. Il ne faut pas cependant oublier qu’Hérode, depuis qu’il a rallié le parti d’Auguste après la bataille d’Actium, a été le constructeur de nombreux édifices dans la province de Syrie : neuf cités ont bénéficié des largesses de leur riche voisin29. De même Hérode est celui qui initie le temple de type romain en Orient, que ce soit à Sébastè/Samarie, à Césarée Maritime ou à Panias, sites de la province de Syrie intégrés au royaume d’Hérode, en bordure de la Judée ; les temples y sont tous consacrés à Auguste, initiant ainsi le culte impérial dans la région. Qu’il y ait eu culte à l’empereur régnant, l’exemple de Césarée Maritime ne laisse aucun doute à ce sujet si l’on en croit Flavius

                                                            

                                                            

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Rozenberg 2006, p. 373 ; Rozenberg 2013, p. 187 ; Broshi 1976, pl. 19 ; Hachlili, Killbrew 1999, couv. 21 Rozenberg 2013, p. 189-197. 22 Rozenberg 2017, p. 229. 23 Hadas-Lebel 2017, p. 130-131. 24 Rozenberg, Mevorah 2013, p. 52-54, 61-65.

Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs, V, 210. Roddaz, Golvin 2014, p. 115. 27 Voir la notion de monument syncrétique avancée pour caractériser le Temple hérodien de Jérusalem par Strange 2003, p. 105. 28 Texte cité par Hadas-Lebel 2017, p. 198. 29 Roller 1998, p. 89-90. 26

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Dionysos en Judée ? Josèphe (G. J. I, 414) : « face au goulet du port se dressait sur une colline un temple de César remarquable par sa beauté et sa grandeur. Il contenait une statue colossale de l’empereur, qui ne le cédait pas en grandeur au Zeus d’Olympie, dont elle était inspirée, et une de Rome, de même taille que l’Héra d’Argos »30. A Jérusalem, si rien ne permet de dire que le Temple ait reçu d’autres éléments figurés que ceux évoqués plus haut, soulignons qu’Hérode fit graver le nom d’Agrippa sur la porte qu’il a fait construire (Flav. Jos., G. J. I, 416). Le procédé n’est pas sans rappeler les dédicaces inscrites en façade des temples romains, à commencer par celle du Panthéon d’Agrippa à Rome attestant sous Hadrien la date de la première construction de l’édifice en 27 av. J.-C., au début du principat. Dans la ville haute de Jérusalem, le palais d’Hérode voyait des portiques se succéder, entourer des jardins aux promenades bordées de « bassins tout garnis de statues de bronze par où l’eau se déversait » (Flav. Jos. G. J. V, 180). Une telle description, dans un édifice qui a suscité l’admiration de Flavius Josèphe, démontre bien l’existence de « figures modelées » à l’intérieur des demeures d’Hérode en Judée même, qui ne sont certes pas objets de culte, mais bien présentes. Un texte des Antiquités Judaïques va dans ce sens (XV, 306) : lors d’une année de disette en 25-24 av. J.-C. « pensant qu’il fallait ne négliger aucun moyen de venir en aide à son peuple, [Hérode] fit mettre au creuset tous les ornements d’argent et d’or de son palais, sans épargner les pièces luxueuses de son mobilier ou les objets ayant une valeur d’art »31. Cette dernière assertion invite à nuancer l’avis donné sur un bassin trouvé dans les thermes de l’Hérodium (fig. 5) : avec ses pattes de lion surmontées de corps féminins ailés et ses masques de satyres sur le côté, ce labrum en marbre aurait tout d’un objet hors contexte et serait à comprendre comme un cadeau d’Auguste ou d’Agrippa à leur royal ami32. Une telle interprétation n’est certes pas à négliger, d’autant qu’un bassin du même type a été trouvé à Rome, mais rien n’empêche d’admettre qu’au même titre que les tableautins de la Chambre royale, le bassin arborant des satyres a été volontairement choisi par Hérode pour la zone thermale de son palais inférieur. Flavius Josèphe ne souligne-t-il pas à propos de l’Hérodium qu’il fut aménagé avec « beaucoup plus de faste » que toutes ses autres constructions, que « l’intérieur des bâtiments y offrait un spectacle magnifique » et qu’au pied de son palais, « il fait construire d’autres palais pouvant recevoir du mobilier et des amis »33 ? Quoi qu’il en soit, les masques de

satyres qui ornent la base des anses du bassin, tout comme le rinceau de lierre qui borde la mosaïque du laconicum de ces mêmes thermes (fig. 6) ou celui du pavement du tepidarium des thermes inférieurs de l’Hérodium34, font entrer le spectateur dans le monde de Dionysos, lui le maître des jardins, de leur abondance et de leur fertilité.

  Fig. 5 : Hérodium, thermes du palais inférieur, labrum  (d’après Rozenberg, Mevorah 2013, p. 144). © Courtesy of the Herodium Expedition, The Hebrew University of Jerusalem, and The Israel Museum, Jerusalem, by Meidad Suchowolski.

   

 

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Roller 1998, p. 119 estime qu’il y a exagération de la part de Flavius Josèphe ou plutôt volonté de mettre les statues en question à l’égal des sept merveilles du monde et qu’en réalité les statues devaient être plus proches de celles de Jules César sur son forum à Rome. 31 Parmi ces objets d’art devaient figurer des skyphoi en argent niellé d’or comme celui d’une collection privée de New York (Rozenberg, Mevorah 2013, p. 66) comparable à celui d’Alise-Sainte-Reine conservé au Musée de Saint-Germain-en-Laye (Chew 2017), tous deux considérés comme d’éventuels cadeaux impériaux. 32 Rozenberg, Mevorah 2013, p. 144-145. 33 Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs, I, 419-421.

Fig. 6 : Hérodium, thermes du palais inférieur, mosaïque du laconicum  (d’après Rozenberg, Mevorah 2013, p. 147). © Courtesy of the Herodium Expedition, The Hebrew University of Jerusalem, by Zeev Radovan.

                                                             34 Netzer 1999, p. 104-105, fig. 147 ; Rozenberg, Merovah 2013, p. 146147, attribuent la mosaïque au caldarium. Mosaïque des thermes inférieurs : Rozenberg 2013, p. 207.

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Michel E. Fuchs espace. Même si aucune représentation de satyre ou d’un autre personnage du thiase de Dionysos n’est visible, le dieu du théâtre est bien là grâce au végétal qui lui est consacré. Hérode a fait trois fois le voyage à Rome, connaît aussi bien le contexte grec que romain, est un proche d’Auguste et d’Agrippa : tout le discours lié aux dieux de Rome et d’Athènes ne lui est pas étranger. Le lierre signifie la présence de Dionysos sans qu’il soit nommé, figuré. Le végétal emblématique du dieu, répété sur les murs de la Chambre royale et en bordure de la mosaïque des thermes, est aussi un indice fort de la romanisation en action sous le règne d’Hérode le Grand. La transposition de l’honneur rendu au dieu par l’entremise de plantes particulières a trouvé son expression la plus aboutie, en suivant la thèse de Gilles Sauron39, dans les reliefs de l’autel de la Paix, sous Auguste. La symbolique dégagée par les rinceaux de vigne a été transférée sans difficulté du monde dionysiaque d’origine aux mondes juif et chrétien, affirme G. Sauron40. Rappelons qu’avant qu’Hérode n’orne le Temple d’un rinceau de vigne, le Grand Prêtre des Juifs Aristobule offre une vigne d’or à Pompée, qui la présentera dans son triomphe de 61 av. J.-C. puis la déposera dans le temple de Jupiter Capitolin41. De plus, des deniers émis par Aulus Plautius Varus lors de son édilité curule en 55-54 av. J.-C. figurent au revers le même Aristobule à genoux à côté d’un chameau ; la légende de la scène est BACCHIVS IVDAEVS, le « prêtre juif de Bacchus »42. Le Dieu des Juifs est ainsi assimilé à Dionysos. C’est précisément dès le milieu du Ier siècle av. J.-C. que se développe la représentation du rinceau de vigne dans la région, tout comme celle de la guirlande de laurier et celle des branches de lierre43. Dans le palais occidental de Massada, un pavement de mosaïque est paré, en bordure du médaillon central, d’un rinceau faisant alterner feuilles de vigne et feuilles de lierre entre des grenades disposées dans les angles44. A Jérusalem, dans la Maison dite de Caïphe, une guirlande de feuilles verticale et des guirlandes en festons agrémentaient la peinture d’un décor architectonique45. Dans le quartier juif, deux fragments de guirlandes portant des pommes ornaient une paroi de IIe style46. Les rinceaux de vigne se retrouvent sur un sarcophage du Mont Scopus, sur un autre du Mont des Oliviers, sur un troisième de la tombe de la famille des Hérodes à Jérusalem et sur un fragment d’architecture provenant de la basilique du Mont du Temple, tous datés du règne d’Hérode, plus spécifiquement du troisième

Le culte de Dionysos est connu aux portes de la Judée, dans la seule ville de la Décapole située sur la rive droite du Jourdain, en Basse Galilée actuelle : le site de Beth Shean, Scythopolis ou Nysa dans l’Antiquité, a livré plusieurs témoignages dans ce sens. Quatre statues de Dionysos datées du IIe siècle ap. J.-C. ont été trouvées dans la stoa d’un temple, incitant à l’attribuer soit à Dionysos soit à Nysa, sa nourrice35. Le portrait de Dionysos se retrouve sur l’une des faces d’un autel hexagonal, daté de 141-142 ap. J.-C. par sa dédicace, à côté de la tête de Pan figurant sur une deuxième face, thyrses, syrinx et pédum occupant les autres faces, accréditant ainsi parfaitement le fait que le dieu du vin est bien la grande divinité de la cité. Un chapiteau de la première moitié du IIe siècle ap. J.-C. montre le buste de Dionysos sur l’abaque. Parmi les émissions monétaires de la ville, 27 frappes sur les 67 connues pour Beth Shean présentent au revers l’effigie de Dionysos debout, tenant thyrse en main gauche et canthare en main droite, versé en direction de la panthère qui lève la tête aux pieds du dieu36. Une telle référence est sans doute due à une tradition que rapporte Pline l’Ancien (H. N. 5, 74) qui veut que Nysa, la nourrice de Dionysos, ait été enterrée à cet endroit par le dieu, à son retour du voyage en Inde. Cette assertion serait à mettre en relation avec les grands changements apportés dans la région par l’hellénisation qui a suivi la conquête d’Alexandre le Grand, à l’origine de l’extension du culte de Dionysos37. Le même héritage doit être invoqué à propos du sanctuaire de Panias : à la source même du Jourdain, du moins celle considérée comme telle dans l’Antiquité, un sanctuaire est consacré à Pan, ce qu’attestent monnaies, sculptures et niches creusées à côté de la grotte qui fait le charme de l’endroit (Flav. Jos., A. J. XV, 364) ; c’est là qu’Hérode fit ériger un temple de marbre blanc dédié à Auguste (Flav. Jos., G. J. I, 404). Pan fait partie du thiase de Dionysos38. Dans la Judée d’Hérode, ce sont donc les motifs végétaux qui seront le support essentiel du discours, eux que l’on va voir prendre place dans l’espace public comme dans les palais. Les végétaux représentés ne sont pas de simples visions schématiques ou réalistes mais reflètent un choix précis du type qu’ils recouvrent. Le rinceau de lierre qui intervient régulièrement dans les interpanneaux de la Chambre royale de l’Hérodium rehausse et le statut de la salle et son lien avec le théâtre tout en s’accordant avec le côté triclinaire d’un tel

                                                             35

Quatre temples ont été dégagés à Beth Shean dont un au sommet du tell qui caractérise la ville et trois dans sa partie basse ; c’est l’un des trois qui est attribué à Dionysos : Ovadiah, Turnheim 2011, p. 35-41, en part. 38-39. 36 Mucznik, Ovadiah, Turnheim 2004, « Dionysos in Beth Shean », p. 33-54, fig. 1-13. 37 Mucznik, Ovadiah, Turnheim 2004, p. 33. 38 Autour du sanctuaire de Panias et de son « lac sacré », voir Roller 1998, p. 99, fig. 10 ; Friedland 2012 ; Roddaz, Golvin 2014, p. 152153 ; Ovadiah, Turnheim 2011, p. 3-19. Le lien de Pan avec Dionysos est souligné par ces derniers auteurs, qui renvoient au masque de Pan sur l’autel de Beth Shean cité ci-dessus et à la mosaïque du thiase dionysiaque de Sheikh Zouède au nord du Sinaï (Ovadiah, Turnheim 2011, p. 10, n. 85).

                                                             39

Sauron 2000, p. 52-64. Sauron 2000, p. 228. 41 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XXXVII, 14 ; Flavius Josèphe Antiquités Judaïques, XIV, 34-35. 42 Crawford 1974, n° 431, pl. LII, cité par Sauron 2000, p. 228. 43 A propos des rinceaux de style néo-attique et néo-pergaménien adoptés dans l’ornementation des édifices hérodiens, voir Jacobson 2002, p. 86 ; Mathea-Förtsch 1996. 44 Rozenberg 2013, p. 204-205. 45 Ovadiah, Michaeli 1987, p. 243, fig. 1. 46 Fittschen 1996, p. 148, fig. 13-14. 40

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Dionysos en Judée ? quart du Ier siècle av. J.-C.47. L’un des sarcophages du mausolée de l’Hérodium est décoré de guirlandes de lierre et de petites fleurs sur les côtés du coffre, de guirlandes de laurier et de leurs baies [plutôt que d’olivier] sur le couvercle, dans une finesse de traitement qui rejoint celle du rinceau en stuc de la Chambre royale (fig. 7)48. Hérode a intégré et diffusé le discours par l’image que l’on peut tenir à partir de tels motifs. Les rinceaux qu’il choisit de faire figurer sur ses monuments ne sont certes pas peuplés, mais ils magnifient la vigne, cette reine des végétaux pour reprendre le mot de Flavius Josèphe (G. J. III, 519) : « Ces rois des fruits que sont le raisin et la figue, elle en fournit sans interruption pendant dix mois ». L’historien parle ici de la région du lac de Gennésar, soit celle du lac de Tibériade, connue pour sa grande fertilité. Plus bas, non loin du Jourdain, c’est le territoire de Jéricho qui bénéficie des richesses que procurent le palmier dattier et le baumier, ce si précieux arbre à parfum49. Les jardins des palais hérodiens et plus particulièrement ceux de Jéricho, dans leur deuxième et troisième état dès 25 av. J.-C., occupent une part importante de la surface aménagée et sont garnis d’arbres et d’arbustes de différentes espèces qui, à Jéricho, ont été plantés en pots50. Ce n’est pas seulement l’amour d’essences variées qui anime le roi, « dont toute la partie à ciel ouvert [de son palais de Jérusalem] était plantée en gazon, avec des bosquets d’arbres de toutes sortes » (Flav. Jos., G. J. V, 180). Il s’inscrit dans la lignée des souverains hellénistiques et de leurs paradeisoi autant que dans l’actualité des nobles romains et de leurs jardins savamment orchestrés51.

Le propos végétal va donc servir de support à la romanisation qu’imprime Hérode sur la Judée, lui qui était déjà présent sous les Séleucides comme le montre la mosaïque d’Adonis de Dor à thème dionysiaque, en opus vermiculatum, datée d’environ 100 av. J.-C.52. Le rinceau de vigne et la grappe de raisin, aussi bien référence au décor de l’entrée du temple de Jérusalem qu’à Dionysos et au discours eschatologique qui l’accompagne, se retrouvent sur deux sarcophages de Jérusalem datés du Ier siècle ap. J.-C. : dans la tombe du Nazirite sur le Mont Scopus, les longs côtés du premier sarcophage développent un rinceau de vigne proche du modèle de l’Hérodium (fig. 8) ; provenant du tombeau des Rois et conservé au Louvre, le couvercle du second sarcophage allie rinceau de lierre, de vigne et de grenades courant sur ses bords et rinceau de vigne en son centre. Des guirlandes de laurier complètent chacun des décors. Une guirlande végétale et florale occupait par ailleurs l’entrée principale du tombeau des Rois ; au-dessus de l’entrée du vestibule, une frise alterne bouquets d’acanthe, couronnes de feuilles et grappes de raisin53. A Jéricho, toujours au Ier siècle ap. J.-C., la tombe juive de la famille Goliath offre une entrée au plafond peint de sarments de vigne avec leurs grappes stylisées que viennent picorer des étourneaux esquissés en noir54.

  Fig. 8 : Jérusalem, Mont Scopus, tombe du Nazirite, sarcophage, Ier s. ap. J.-C. (Cliché C. Arnould-Béhar).

Entre milieu et troisième quart du IIIe siècle ap. J.-C., la romanité installée, l’hypogée des oiseaux à Jérusalem se garnit sur fond jaune de sarments de vigne et de leurs grappes auxquels se mêlent paons et autres oiseaux sur le plafond, pigeons et perdrix sur les extrados des arcosolia (fig. 9)55. Le motif de la vigne est celui qui apparaît le plus souvent sur les peintures funéraires découvertes en Israël. Un tombeau de Césarée Maritime en a son plafond couvert au milieu du IIe siècle ap. J.-C. alors que ses parois sont rythmées de guirlandes rouges et roses en festons et de guirlandes beiges et noires verticales, enrubannées et attachées par un clou à l’intersection des guirlandes en festons posées au-dessus des loculi56. En Haute Galilée, les parois des tombes d’Hanita et de Horvat Humzin sont recouvertes, au cours du IIIe siècle,

  Fig. 7 : Hérodium, sarcophage, 15-4 av. J.-C.  (d’après Rozenberg, Mevorah 2013, p. 270). © Courtesy of the Herodium Expedition, The Hebrew University of Jerusalem,  and The Israel Museum, Jerusalem, by Meidad Suchowolski.

                                                               52

Martin, Stewart 2009. Rozenberg, Mevorah 2013, p. 272-273 ; Humbert 2017, p. 26 – au vu de la série proposée ici, nous privilégions l’interprétation de grappes de raisin plutôt que d’un cédrat. 54 Hachlili 1985. 55 Michaeli 2009, p. 67-82, fig. 77-99, en part. p. 72-73 sur le décor de vigne. 56 Michaeli 2009, p. 4-35, en part. p. 16-17, fig. 1-3, 5, 16, 19.

                                                            

53

47

Mathea-Förtsch 1996, fig. 2, 4, 6, 9, 10, 12, 17. Rozenberg, Mevorah 2013, p. 270-271. 49 Hadas-Lebel 2017, p. 109-110. 50 Rozenberg, Mevorah 2013, p. 100-115, en part. 110-111 pour les pots ; Roddaz, Golvin 2014, p. 89-97. 51 Baratte 2014. 48

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Michel E. Fuchs de sarments de vigne s’enroulant en volutes et chargés de grappes de raisin57. Le tombeau des Nymphes à Ascalon, qui doit son nom aux deux divinités des eaux qui figurent dans un paysage nilotique au fond de la chambre funéraire, laisse s’ébattre des animaux, lièvre, antilope, héron, pigeon, félin, chien poursuivant une biche, au milieu des enroulements de sarments d’une vigne que vendangent des Amours au son de la syrinx de l’un d’entre eux ; une tête de Méduse veille au centre de la composition très romaine de ce décor daté du troisième quart du IIIe siècle58.

  Fig. 9 : Jérusalem, hypogée des oiseaux, paroi nord et plafond (cliché © Courtesy of Prof. Amos Kloner). e

  Fig. 10a-b : Tombe de Lohamey ha-Getaoth, paroi ouest (clichés Talila Michaeli).

e

Plus tard, à la fin du IV ou au début du V siècle, une tombe de Lohamey ha-Getaoth, en Galilée occidentale, propose un programme chrétien proche de celui des catacombes romaines, en insistant toutefois, à côté de bouquets de fleurs rouges et roses, sur un décor végétal hérité de la tradition régionale, palmiers, grenadier, rinceau de vigne, lierre et grenades59. La paroi qui fait face à l’entrée réunit tous les éléments d’un discours syncrétique digne du lieu (fig.10a-b) : Daniel entouré de deux lions entre deux chandeliers dans la partie basse, un rinceau simple sur la banquette, un cratère d’où s’échappe des sarments de vigne dans les volutes desquels prennent place des oiseaux, paon, héron, perdrix et peut-être un flamant au fond de l’arcosolium ; une croix bordée de l’alpha et de l’oméga le surmonte. Une nouvelle croix est placée au centre de l’arc de l’extrados. Entre deux groupes de trois poissons attachés au plafond se succèdent enfin une croix, un vase de type cratère non côtelé et la croix de Golgotha. Le sens de lecture est marqué par l’axialité du décor, de Daniel au plus petit des vases, en passant par le plus grand et les deux croix intermédiaires. Le message du salut et de la résurrection grâce au Christ multipliant les poissons sur le lac de Tibériade et mourant sur la croix est le moyen par lequel le défunt pourra accéder au paradeisos, au jardin éternel.

Le monde funéraire n’est pas seul à promouvoir le végétal en référence à la fertilité, au vin, à la vigne, à Dionysos. Celui-ci est honoré sur la mosaïque dionysiaque de Sepphoris, qui a donné son nom à la maison qu’elle habite, à la fin du IIe ou au début du IIIe siècle. Dionysos y boit en compagnie d’Héraclès au milieu de son thiase et de ses adeptes représentés dans divers compartiments ; un très riche rinceau peuplé d’oiseaux, de félins, de cervidés et d’Amours chasseurs borde l’ensemble sur fond noir, ponctué par le majestueux buste d’une femme couronnée, peut-être Eudaimonia la vertueuse, victorieuse de l’ébriété60. Plus tard, la mosaïque de la villa de Lod, au IIIe siècle, se règle sur une thématique qui n’est pas si éloignée de celle de la tombe de Lohamey ha-Getaoth61 : sur un premier tapis, des poissons divers accompagnent deux bateaux en pleine mer ; une succession d’oiseaux, d’animaux à la chasse, chassés ou pêchés garnissent les hexagones d’un deuxième tapis. Le tapis principal au centre fait se succéder dauphins affrontés dans les écoinçons, animaux variés en encadrement d’une scène où se côtoient félins, girafe, taureau, éléphant et hippopotame au pied et de chaque côté du kétos sorti des profondeurs des mers, vision du monde apaisée évoquant Orphée sans Orphée.

                                                             57 Michaeli 2009, fig. 250-251. Des précisions sur le décor de ces deux tombes non publiées nous ont été fournies par Talila Michaeli, que nous remercions. 58 Michaeli 2009, p. 36-66, fig. 22-76. 59 Michaeli 2009, p. 131-152, fig. 162-208.

                                                             60 Talgam, Weiss 2004 ; Mucznik, Ovadiah, Turnheim 2004, p. 169192. 61 Mucznik 2010.

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Dionysos en Judée ? Bragantini I, De Vos M., a cura di. (1982), Le decorazioni della villa romana della Farnesina. Museo Nazionale Romane, Le pitture II, 1, Rome.

Dans l’encadrement de cette dernière scène, un couple de panthères à la peau ocellée grimpe sur les bords d’un cratère. Image placée dans l’axe de la pièce, elle convoque immédiatement Dionysos le bienfaiteur, l’organisateur du monde et des banquets, le distributeur de la vigne et du vin. Entre le milieu du IVe et le milieu du Ve siècle, la mosaïque de Sheikh Zouède dans le Sinaï, trouvée au sommet d’une colline, sans doute dans une villa, se distingue encore par une scène dionysiaque mouvementée qui occupe le centre du pavement62 : Dionysos est là sur son char que conduit un Amour, tiré par un centaure flûtiste et une centauresse joueuse de lyre ; les membres de son thiase lui font triomphe, ménade et satyre dansant, ménade en extase et satyre soufflant dans sa corne, Héraclès titubant d’ivresse soutenu par un satyre ; au centre de la partie basse, mis en évidence par ses grandes dimensions, on reconnaît Pan dans un pas de danse, portant pardalide et tenant crotales en main gauche, grappe de raisin en main droite, audessus d’un cratère auquel s’agrippe une panthère. L’importance donnée à Pan est à relever, traité de manière à accentuer sa part dionysiaque, occupant une place éminente dans la composition alors qu’il n’est généralement qu’un petit personnage dans le cortège du dieu du vin. Faut-il voir là une conséquence de l’importance de la figure de Pan dans la région, générée par le sanctuaire de Panias aux sources du Jourdain ? C’est en tout cas la joyeuse troupe débridée du dieu qui se met en branle sous l’austère histoire rapportée sur le second tapis figuré du pavement, où le propriétaire a choisi d’illustrer à titre éducatif, comme un avertissement, la triste évocation de Phèdre et d’Hippolyte. Aux Ve et VIe siècles, les mosaïques des églises et des synagogues intègrent régulièrement la référence au monde végétal et floral. Cratères, sarments de vigne et grappes de raisin ne se rapportent plus au Bacchus juif. Les floralies chantées par Ovide ont pris une autre tournure. En demeurent les dons printaniers : « si la vigne fleurit bien, vive Bacchus ! » (Fastes V, 264) ; « on ne porte pas de couronne autour du front pour se livrer à des tâches sérieuses et les guirlandes de fleurs ne sont pas l’apanage des buveurs d’eau pure. Tant qu’on ne savait pas, Acheloüs, mélanger ton eau au jus de la treille, on ne connaissait pas le bonheur de se parer de roses. Bacchus aime les fleurs » (Fastes V, 341345).

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Livres

XI-XV,

MOTIFS GÉOMÉTRIQUES ET FLORAUX DANS LES MOSAÏQUES HÉRODIENNES : REGARDS CROISÉS Véronique Vassal

Résumé Dans le cadre d’un questionnement sur les ateliers et les échanges, il semble pertinent de présenter les corrélations qui peuvent exister entre les représentations géométriques et les représentations florales décorant les mosaïques hérodiennes en Israël, entre la fin du Ier siècle av. J.-C. et le début du Ier siècle ap. J.-C. En effet, le répertoire iconographique des pavements de Massada, de Jérusalem, de l’Hérodium… puise dans la tradition hellénistique, mais également romaine en adoptant des décors, qu’il est difficile de définir du point de vue structurel. Cette étude tentera de définir quels sont les apports du monde gréco-romain et ceux de traditions plus locales. Mots-clés : mosaïque, lilium candidum, lys, rose, nelumbo nucifera, lotus, fleuron, Jérusalem, Massada, Papyrus de Zénon. Abstract If one subjects the workshops and mutual influences between craftsmen to closer scrutiny, it seems relevant to present links which may exist between the geometrical representations and the floral representations decorating the herodian mosaics in Israel, between the end of the 1st century BC and the beginning of the 1st first century AD. Indeed, the iconographic repertory of the pavements from Masada, Jerusalem, Herodium, etc. draws on the Hellenistic but also Roman tradition by adopting schemes which are difficult to define from the structural point of view. This study attempts to define which contributions arise from the Greco-Roman world and which from more local traditions. Keywords: mosaic, lilium candidum, lily, rose, nelumbo nucifera, lotus, flower, Jerusalem, Masada, Zenon Papyri. généralement trichrome : blanc, rouge, noir ; d’autres, au contraire, développent une palette chromatique plus riche et des motifs plus complexes2.

Les sols décorés datant de l’époque du roi Hérode sont assez peu nombreux. Ils ont souvent été étudiés d’un point de vue formel. Néanmoins, il m’a semblé nécessaire de revenir sur certaines descriptions et interprétations. J’ai choisi de présenter plusieurs mosaïques dont il est difficile de déterminer si l’élaboration de leurs décors est une simple reproduction de motifs géométriques ou s’ils sont nés de l’adaptation ou de la stylisation d’éléments floraux existants. Les mosaïques présentées dans cet article proviennent principalement de zones de bains et nous chercherons à définir s’il peut y avoir un lien entre le décor et la fonction de la pièce, ou si le décor est devenu, entre la fin du Ier siècle av. J.-C. et le début du Ier siècle ap. J.-C., une simple reprise de modèles existants, stéréotypés. Cette étude permettra de s’interroger plus particulièrement sur les phénomènes d’adaptation des motifs floraux et sur les variations introduites dans les compositions géométriques des décors des mosaïques hérodiennes.

La première mosaïque étudiée se situe dans un espace de bains - Aire F43 - du quartier hérodien (fig. 1a). Le panneau est décoré d’un fleuron à trois-feuilles, accompagné de trois fuseaux indépendants en aplat de couleur rouge se détachant sur un fond blanc ; à chaque écoinçon, on note une croisette composée de quatre tesselles rouges autour d’une cinquième de couleur noire. Ce motif est peu commun dans les décors de mosaïques. En revanche, il est bien identifié sur les ossuaires judaïques contemporains4 où le trois-feuilles est fréquemment reproduit dans un cercle ne présentant pas d’autres éléments décoratif à ses côtés. Ce motif semble naître d’une simplification du motif du sixfeuilles, réalisé couramment en partant d’un cercle parfait, qui constituait le point de départ du motif géométrique − traités aussi bien en décor de pierre, d’ébénisterie ou de mosaïque. Il fallait ensuite ajouter

Dans la ville haute de Jérusalem, dans le « quartier hérodien », une riche aristocratie juive orne ses maisons de mosaïques ressemblant à celles des palais d’Hérode. La composition de ces sols présente fréquemment un tapis monochrome blanc, décoré d’une ou de plusieurs bandes colorées entourant un petit panneau central1,

                                                                                                 pavements à fond blanc uni, agrémentés d'un cadre noir ou d'un tapis à dessin géométrique noir sur blanc. Pour des décors plus riches, on recourt à des modèles grecs en y introduisant des ornements de type local. On ignore si ce style très particulier s'est limité à la Judée et s'il a survécu à Hérode ». 2 Talgam 2014, p. 15-19. 3 Talgam 2014, p. 15-16, fig. 16-17. 4 Rahmani 1994, p. 47, pl. 11, n° 65 ; Hachlili 2009, p. 9.

                                                             1 Stern 1968, p. 250 : « Le style reflète les influences auxquelles était soumis l'art de la cour d'Hérode. Celle de Rome est dominante dans les

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Véronique Vassal des cercles secondaires au compas afin d’obtenir un fleuron à six-feuilles5. Ce dernier est attesté en composition centrée de cercles sécants dans le principal tepidarium de l’Hérodium6, mais aussi dans la sphère grecque à Halicarnasse7 ou à Kourion8 ; dans le monde romain, il apparaît sur plusieurs sols de mortier de tuileaux, notamment à Capoue9 où les cercles sécants définissent des trois-feuilles. S’il ne semble pas qu’il y ait de connotations religieuses dans la pièce de bains de l’Aire F4, en revanche c’est certainement le cas pour les décors d’ossuaires où le trois-feuilles apparaît parfois10. Cependant, il est possible d’envisager qu’il s’agisse, ici, d’une stylisation du lys blanc ou Lilium candidum11 (fig. 1b), fleur à six tépales, c’est-à-dire, composée de trois pétales et de trois sépales presque identiques. Le lys peut porter par ailleurs un sens symbolique. Dans la numismatique, en effet, le lilium apparaît sur des monnaies perses, dès le IVe siècle av. J.-C. Sur l’avers est reproduit un faucon avec une inscription en alphabet paléo-hébraïque : « YDH », qui signifie Yehoud, nom araméen d’une province de l’Empire perse achéménide, formée à partir de l’ancien royaume de Juda. Sur le revers est représentée de profil une fleur de lys − symbole juif12 − sous la forme d’une aigrette trifide où n’apparaissent que trois tépales sur six. (fig. 2). L’iconographie du lys se perpétue sur des monnaies, sous les règnes de Jean Hyrcan (134-104 av. J.-C.) et d’Alexandre Jannée, rois de Judée (103-76 av. J.-C.). Ces types monétaires portent généralement une fleur sur le revers (identifiée au lys) dont les pétales plus arrondis rappellent parfois la rose figurée sur les monnaies de Rhodes13. Le lys est également présent sur les ossuaires : une forme stylisée fréquente montre souvent trois pétales avec deux étamines, matérialisées par des lignes brisées, surmontées d’anthères à forme triangulaire14. Selon Flavius Josèphe, le lys symbolise

Jérusalem en souvenir de sa représentation sur les chapiteaux des deux colonnes (Yakîm et Boaz) du temple de Salomon : « un chapiteau fendu en forme de lys haut de cinq coudées et entouré d’un réseau pressé de palmes d’airain dont le lys était recouvert »15.

  Fig. 1a : Jérusalem, mosaïque de bains, aire F4 (cliché C. Vassal). Fig. 1b : Lilium candidum (cliché de l’auteur).

 

  Fig. 2 : Monnaie perse en argent, vers 333 av. J.-C. Avers : aigle avec inscription YHD (Yehud ou Juda) - revers : lys (cliché de l’auteur, coll. privée).

L’Ecclésiastique16 cite plusieurs fois le lilium qui est assimilé parfois à l’iris pseudacorus ou iris des marais (fig. 3a). En effet, l’iris est une fleur composée de trois petits tépales intérieurs et de trois grands tépales extérieurs ou sépales disposés en cyme unipare qui rappelle le motif du trois-feuilles. En revanche, les pièces de l’enveloppe florale du lys sont nettement placées sur deux rangs. On considère que le rang externe est constitué de trois sépales et le rang interne de trois pétales évoquant peut-être le trois-feuilles. Ne pourrait-on reconnaître sur la mosaïque de la ville haute de Jérusalem de l’Aire F4, la représentation schématisée de cette fleur symbolique (fig. 3b) ? Les trois fuseaux indépendants pourraient être la stylisation d’autres éléments végétaux disposés de façon à donner plus d’intensité à l’élément central17.

                                                             5

Hachlili 1988, p. 9. Rozenberg, Mevorah 2013, p. 207, 209 ; Talgam 2014, p. 11-12, fig. 6-7 ; Vassal 2016, p. 31-32. 7 Poulsen 1994, p. 127-128, fig. 14, 17, 19. 8 Loulloupis 1991, p. 53-54. 9 Pagano, Rougetet 1987, p. 755, 759, 765, fig. 9. 10 Rahmani 1994, p. 39 et note 74. 11 Feliks 1957, p. 234-238 ; Crewe 2009, p. 17 : « Lilium candidum est originaire de Palestine, mais on le trouve seulement en Haute-Galilée et sur le mont Carmel, probablement cultivé durant l’antiquité pour son parfum et sa beauté ». 12 Levine 2002, p. 38 ; Zlotnik 2009, p. 5, 19. 13 Voir Jacobson 2013, p. 18-19, 25 : « To a degree, the ubiquitous Rhodian rose may be seen as a haunting emblem or “logo” and an instance of branding in antiquity that was so successful that it displaced for a time the lily as the floral symbol of Judea ». L’auteur propose d’identifier sur certaines monnaies de Judée, non pas un lys mais une rose qui serait une imitation de la fleur représentée sur les monnaies de l’île de Rhodes. Lors des conquêtes de la République romaine en Orient, la supériorité maritime et commerciale dans les mers de la Grèce appartenait à Rhodes. Son monnayage se développa et la circulation de ses monnaies fut très étendue. Les pièces rhodiennes sont très communes, elles ont pour type, d'un côté la tête, vue de face et radiée, d’Hélios, dieu protecteur de l'île, de l'autre, le symbole de la rose. 14 Crewe 2009, p. 18-19, pl. 12, 12a. La présence d’éléments floraux à trois pétales a également été découverte sur les estampilles de jarres en terre cuite à Jal el-Bahr au nord-est de Tyr, mais la forme de ceux-ci est surtout trilobée), Kaoukabani 2005, p. 32, 42, 48, 53, 57. 6

                                                             15

Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, VIII 4, 76, 81. L’Ecclésiastique ou Siracide, 39.14 ; 50.8 : « […] comme le lys sur le bord des eaux […] ». 17 Voir Bauckham 2015 où des fuseaux sont également disposés entre les pétales d’un six-feuilles sur la « pierre » de de la synagogue de Magdala (Ier ap. J.-C.). 16

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Motifs géométriques et floraux dans les mosaïques hérodiennes

  Fig. 3a : Iris pseudacorus (cliché de l’auteur). Fig. 3b : Lys, coloration artificielle des pétales (cliché de l’auteur).

  En s’appuyant sur les sources antiques et les textes bibliques, il est impossible de prétendre à une nomenclature botanique stricte. Les identifications sont incertaines, tant les interprétations sont nombreuses. Dans les textes hébraïques, le lys se nomme parfois, shoshan (‫)שושנה‬19 et est apparenté ou shoshanna18 philologiquement à l’akkadien šišnu et à l’égyptien sšn, qui désignent le lotus ou le nénuphar20. Il est envisageable de penser que le même nom était donné à des plantes diverses, toutes répandues en Palestine21. Malgré ces confusions et ces imprécisions, on ne peut nier la ressemblance entre le motif géométrique du troisfeuilles et le profil du lys.

  Fig. 4 : Massada palais ouest, mosaïque de bains  (cliché C. Vassal). 

Rachel Hachlili veut y voir un fleuron composé de feuilles de lierre ou hedera24. Cette forme très répandue dans l’Empire est régulièrement employée au ProcheOrient, par exemple sur un sarcophage en plomb moulé de la région de Tyr25 (Ier-IIe siècle ap. J.-C.) ou sur le détail de la bordure d’une autre mosaïque conservée dans l’oecus 456 du palais ouest de Massada26. Or, si l’on observe dans la nature des feuilles de lierre, on remarque un bord lisse, un sommet pointu et un léger rétrécissement sur le contour de la partie moyenne du limbe, profil qui n’apparaît pas sur les éléments bilobés de la mosaïque. Pour ma part, il semble plus juste de comparer ces éléments bilobés à des pétales de fleur, notamment ceux de la rose27, peut-être la rosa canina de la famille des rosacées (fig. 5). Théophraste nous livre justement un certain nombre d’informations sur les roses, au livre VI des Recherches sur les plantes28 : VI, 6, 2 : « Il y a au contraire de nombreuses variétés de roses, qui se différencient par leurs pétales plus ou moins nombreux, leur caractère hispide ou glabre, la beauté de

En 2004, dans le quartier hérodien de Jérusalem, les fouilleurs ont découvert une mosaïque partiellement endommagée sur ses côtés est et sud22. Le décor présentait un panneau central encadré par deux bandes monochromes rouges. Au centre du panneau, seuls trois cercles noirs dessinant deux cercles étaient conservés, divisés en huit secteurs égaux, suivant deux médiatrices et deux diagonales, dans lesquels étaient inscrits des pétales bilobés traités en dégradés de couleur23. Ce type de décor, bien que très rare, est également présent sur une autre mosaïque conservée dans une pièce de bains du palais ouest de Massada (fig. 4). Il s’agit d’une composition centrée présentant un fleuron à huit éléments bilobés se détachant sur un fond noir ; ici, les rayons ne sont matérialisés que par l’opposition de couleur rouge sur le fond sombre. Si l’on observe le centre du fleuron, ce dernier est réalisé à l’aide de bandes concentriques de différentes largeurs : noire, blanche, noire, rouge et d’un dégradé de nuances de gris autour d’un bouton central.

                                                             24

Hachlili 2009, p. 9. Musée du Louvre, département des Antiquités Orientales, inv. : AO 17268. 26 Foerster 1995, p. 142, fig. 255 ; Talgam 2014, p. 13, fig. 9. 27 Jésus Ben Sirah, l’auteur de L’Ecclésiastique, signale la présence de la rose ; cette dernière était cultivée et employée comme ornement en Judée : L’Ecclésiastique, 29.18 : « Je me suis élevée comme le pаlmier de Cаdès, et comme les plants de rosiers de Jéricho », 39.17 : « Une voix me dit : Ecoutez-moi, germes divins, et portez des fruits comme le rosier plаnté près des eаux courаntes », 50.8 : « Il étаit comme l'аrc-enciel qui brille dаns les nuées lumineuses, et comme lа fleur des rosiers аux jours du printemps, […] ». Selon Joret 1896, p. 126 : « Le traité de Maaseroth fait mention d'un jardin près de Jérusalem, dans lequel croissaient de magnifiques figuiers, sur lesquels on ne prélevait pas la dîme, parce que, pour préserver les roses, l’entrée n’en était permise à personne ». 28 Théophraste, Recherches sur les plantes, Livre V, Les Belles Lettres 2003. 25

                                                             18 Peut-être, à cause du nombre de ses feuilles qui sont au nombre de six, en hébreu shesh. 19 Le lys et la rose sont parfois confondus. 20 Koehler, Baumgartner 2001. Pour la confusion entre « lys » et « lotus », voir Keel 1997, p. 96, l’auteur mentionne qu’il s’agit d’une simple adaptation aux représentations grecques. Il cite Hérodote, Histoires II.92 : « Quand le fleuve (Nil) est en crue et transforme le pays en un lac, de nombreux lis, appelés lotus en Egypte croissent dans l’eau ». 21 Plantes diverses, remarquables par leurs fleurs aux couleurs éclatantes, ressemblant plus ou moins au lys : iris, narcisse, anémone, asphodèle. (Livre d’Osée, 14.5 ; L’Ecclésiaste ou Qohelet, 39.14 ; 50.8). 22 Geva 2007 ; Talgam 2014, p. 18, fig. 22. 23 Mosaïque conservée au Musée d’archéologie Wohl à Jérusalem.

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Véronique Vassal

Fig. 5a : Rosa Canina (cliché de l’auteur). Fig. 5b : Massada, détail de la mosaïque du palais ouest (cliché C. Vassal).

leur coloris et la suavité de leur odeur. La plupart sont à cinq pétales, d’autres à douze et à vingt pétales, les autres en ont un nombre encore plus grand […] ».

les textes bibliques, comme le Cantique des cantiques ou le Livre d’Isaïe qui nomment la rose, mais dont l’identification est sujette à caution31. Si nous acceptons de reconnaître sur la mosaïque une fleur d’églantier (probablement, espèce indigène en Judée) et que nous poussons plus loin l’observation, nous remarquons que la fleur possède des pétales bilobés ; il est à noter également, une transition progressive de sa couleur vers une teinte plus pâle : rose, rose pâle, blanc (fig. 5a).

VI, 6, 5 : « En général, comme il a été dit, la beauté du coloris et la suavité de l’odeur varient selon les lieux […] ». Pline29 reprend Théophraste au Livre XXI de l’Histoire Naturelle et ajoute : « […] Le végétal qui porte la rose est plutôt une épine qu’un arbuste ; elle vient aussi sur une ronce, et elle y a même un parfum agréable, quoique faible » (H. N., XX1, 14).

Dans les sources antiques, les fleurs sont souvent décrites par la forme de leur corolle, caractère toujours fondamental pour la détermination comme pour la reconnaissance32. À noter, un caractère peu évoqué dans les descriptions de Théophraste et de Pline : la couleur. Les auteurs ici n’en tiennent pas compte, généralement, ils se fondent sur le comparatisme, comme par exemple chez Homère ou Hésiode, la mer est « semblable au vin », et l’est aussi à la violette […] « semblable à la fleur ion »33. Les dénominations étaient bien différentes de leur perception visuelle. La transmission se faisait par l’image.

Il s’agit certainement, ici, de la rosa canina ou une variante, la rosa sempervirens. Pline nous dit plus loin, après avoir fait un inventaire des différentes roses : H. N. XXI, 16-17 : « […] Les roses diffèrent par le nombre des pétales, par la rudesse, le poli, la couleur, l’odeur. Celles qui ont le moins de pétales en ont cinq […] ». D’après Théophraste et Pline, il existe donc un grand nombre de variétés de roses cultivées ou sauvages qui résultent de la culture et du climat. Certaines espèces sont si voisines qu’elles pourraient aisément être considérées comme des variations d’une seule espèce, tandis que d’autres montrent suffisamment de variation pour mériter d’être classées séparément. Si nous suggérons d’identifier l’élément central de la mosaïque de Massada (fig. 5b) comme la représentation de la rosa canina ou fleur d’églantier, c’est que la présence de cette dernière est attestée dans l’Antiquité30. Nous n’évoquerons pas, ici,

                                                             31

Le Cantique des cantiques, 2. 1: 1 : « Je suis la rose de Sharon, et le lys des vallées ». La plupart des exégètes pensent que la rose mentionnée n'est pas ce que nous identifions aujourd'hui comme la rose, mais suggère la tulipe de montagne, l'anémone, le safran ou l’asphodèle ; dans le Livre d’Isaïe, 35, 1-5 ; 8-10 : « Le désert et la terre de la soif, qu’ils se réjouissent ! Le pays aride, qu’il exulte et fleurisse comme la rose, qu’il se couvre de fleurs des champs, qu’il exulte et crie de joie ! ». 32 Kéi 2007, p. 2 : « Rappelons que les fleurs occupent une place privilégiée dans le monde de l'esthétique ; leurs formes, leurs coloris variés souvent éclatants, et leurs parfums, les rendent agréables aux sens ». 33 Grand-Clément 2013 : « La référence à une essence florale permet de faire surgir ensemble des sensations colorées et d’autres types de sensations, à la fois visuelles, tactiles et même olfactives : forme, texture, densité, épaisseur, odeur. La fleur ion évoque ainsi, dans l’imaginaire grec, une couleur plaisante mais aussi un aspect ourlé, une certaine douceur et peut-être une fragrance subtile ».

                                                             29 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, Livre XXI, Les Belles Lettres 2003. 30 Ronel, Lev-Yadun 2009, p. 758.

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Motifs géométriques et floraux dans les mosaïques hérodiennes Les jardiniers se plaisent souvent à inventer des mots, c’est ainsi qu’ils qualifient de « suffusés »34 des pétales dont la décoloration se dégrade délicatement et irrégulièrement. On peut parler d’une fleur d’églantine aux pétales roses, suffusés de rose pâle au cœur (fig. 5a). Cette décoloration que l’on observe sur la fleur d’églantine et sur d’autres variétés peut être matérialisée sur la mosaïque par les dégradés de gris. Il est donc envisageable de penser que les mosaïstes s’inspiraient de la nature pour réaliser un décor floral, matérialisé par les pétales bilobés qui s’éloignaient de la représentation d’une forme simplement géométrique (fig. 5b).

Massada à ce bas-relief, on peut supposer que le dégradé de couleur, au centre du motif, n’est pas tant la matérialisation d’un changement de coloration, mais bien la représentation d’un cœur floral. Entre chaque pétale bilobé de l’ossuaire, on peut apercevoir des dards. Certains pétales très détaillés nous laissent penser qu’il s’agit, peut-être d’évoquer l’éclosion, le déploiement des pétales, ce qui symboliserait, dans un contexte funéraire, le renouveau.

Un traitement similaire, mais avec un rendu plus naturaliste, peut être observé sur une mosaïque de la maison III N de Délos, au quartier du théâtre35 où un fleuron à six pétales et six sépales indépendants semble tournoyer (fig. 6). Les pétales recourbés à leurs extrémités, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, créent un effet de mouvement, accentué par les dégradés de couleur. La composition de la mosaïque est très semblable à celle de Massada : tapis avec bordures d’encadrement de différentes couleurs (noir, blanc, rouge), bande de postes inversée au regard du modèle délien, panneau carré à fond noir. La proximité de la composition de ces deux sols montre l’influence des modèles grecs sur les mosaïques hérodiennes36. À Tyndaris37 en Sicile, une fleur à six pétales semble également tourner sur elle-même ; le traitement illusionniste et les bandes colorées ornant les pétales suggèrent le relief. La fleur est composée de deux corolles superposées, alternant des pétales bilobés et trilobés qui évoquent par leur traitement la profondeur. La mosaïque de Massada serait-elle une pâle représentation d’un modèle hellénistique où le traitement illusionniste aurait disparu ?

Fig. 6 : Délos, mosaïque del l’oecus minor de la maison III N – quartier du théâtre. Fin IIe /déb. Ier s. av. J.-C. (cliché de l’auteur).

La fleur stylisée, réinterprétée sur la mosaïque de Massada est certainement née de l’observation du monde végétal, peut-être la fleur d’églantier, même si le nombre de pétales diffère entre la représentation mosaïquée (à huit pétales) et l’inflorescence réelle (à cinq seulement). La nature est extrêmement variée et n’a pas d’ordre apparent, mais dans la plupart des cas, les pétales des fleurs, lorsqu’elles s’épanouissent, s’inscrivent dans un cercle et se disposent presque toujours selon les lois de la géométrie, présentant plusieurs axes de symétrie et un centre. Les deux systèmes formels, nature et géométrie, jouaient ainsi souvent en contrepoint, qu’ils se répartissent sur des surfaces voisines, ou bien que les motifs inspirés par les formes de la nature se fondent ou se mêlent aux figures géométriques. Il y avait une double interprétation de la forme : le traitement naturaliste devenait géométrie et la géométrie devenait plante, respectant ainsi l’interdit aniconique39. Les artisans concevaient un programme iconographique original, qui se manifestait par des décors qui leur faisaient sens, présentant presque toujours une symétrie, certainement afin de faciliter le processus de réalisation. Il était ainsi possible d’observer le motif selon différents axes, la forme restant inchangée. Les mosaïstes, afin de clarifier la lecture de cette planéité foliaire et de ses bordures, jouaient volontairement sur l’alternance du clair et du foncé.

Les fleurs à pétales bilobés apparaissent rarement dans les mosaïques hellénistiques et romaines impériales, ce qui laisserait supposer qu’il s’agit d’une interprétation locale, attestée assez rarement sur des ossuaires contemporains. Un exemple en calcaire, conservé au Musée du Louvre et datant du Ier siècle av. J.-C. ou du Ier siècle ap. J.-C. présente sur l’une de ses parties latérales un décor de rosaces (fig. 7)38. Au centre un motif circulaire en saillie avec un bouton central représente le cœur de la fleur. Si l’on compare notre mosaïque de

                                                             34 Suffusion : (du latin suffusio). Action d’une humeur qui se répand sous la peau. 35 Chamonard 1924, p. 22, 44-45, 69-73, 173, 396, 398, 400-402, pl. III, V-VI ; Guimier-Sorbets 2011a, p. 621, fig. 7 ; Guimier-Sorbets 2011b, p. 182. 36 Hachlili 2009, p. 14. 37 Boeselager 1983, p. 39-46, pl. VII ; Spigo 2005, p. 46, fig. 7-8, p. 53 ; Guimier-Sorbets 2011a, p. 697, 700, fig. 5. 38 Ossuaire judaïque à décor de rosaces : Musée du Louvre, département des Antiquités Orientales, AO 1215. Pour le motif de la rosace voir Goodenough 1953, p. 179-180. On peut également évoquer le sarcophage du roi Hérode, conservé au Musée d’Israël à Jérusalem. Les faces latérales de la cuve sont décorées de fleurs ou rosaces, constituées de plusieurs corolles dont l’une est composée de 16 pétales bilobés.

                                                             39 Le livre de l’Exode, 20.4 : « Tu ne te feras point d'image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre […] ».

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Véronique Vassal W. Daszewski fait mention dans son corpus des mosaïques d’Égypte40 d’un pavement provenant de Diospolis Parva de datation incertaine, placé entre les IIe et Ier siècle avant J.-C (fig. 8). Le motif central est décrit comme un : « Fleuron ouvert dont les pétales sont roses, rouges, gris bleu et jaune, traités en dégradés ». L’intérêt de ce sol est la grande proximité qu’il peut avoir avec celui de Massada, bien que la composition centrée soit insérée, pour l’un dans un tapis circulaire, pour l’autre dans un tapis carré. Plusieurs auteurs41 nous rappellent que dans le papyrus de Zénon, ce dernier fait mention d’un cahier des charges pour la réalisation de sols mosaïqués de deux structures circulaires, des tholoï appartenant à des bains dans la région du Fayoum. La première pièce, probablement un bain destiné aux hommes, devait apparemment contenir une fleur (anthos), pour laquelle l’exécutant devait suivre un modèle (paradeigma) fourni par le palais royal ; malheureusement le papyrus est peu lisible à cet endroit42. En ce qui concerne la tholos destinée aux femmes, les instructions sont mieux conservées. La pièce devait contenir une bande noire, puis probablement une bande de kochlos nautikos, identifiés aujourd’hui au motif des postes, une autre bande à ajuster et enfin au milieu une fleur de la famille des papaveraceae, peut-être le pavot43. Ce texte nous permet de supposer qu’il existait donc une sorte de codification dans l’ornementation de certains types de pièces en Égypte au IIIe siècle av. J.-C, certainement dans un environnement hellénisé. La présence de fleurs dans des bains est attestée notamment à Karnak44 aux IIIe-IIe siècle av. J.-C. et à Canope45 à la fin du IIe siècle av. J.-C. Dans ces deux exemples, la fleur représentée n’est pas un pavot mais un lotus ou, plus précisément, un nelumbo nucifera46, plante qui participe à la fois de l’élément humide et de l’élément terrestre ; il est donc légitime qu’elle orne des bains, elle évoque très certainement le Nil47. Cette fleur est décrite par Théophraste qui fut totalement tributaire d’autrui pour traiter de végétaux exotiques inconnus de lui : « On sait qu’Aristote, empêché par son état de santé d’accompagner Alexandre en Orient, obtint pour son jeune cousin Callisthène la charge d’historiographe et de « secrétaire scientifique » de l’expédition. C’est donc l’équipe constituée autour de Callisthène qui renseigna

  Fig. 7 : Ossuaire judaïque, détail d’une face latérale à décor de rosace, Musée du Louvre AO 1215 (cliché de l’auteur).

 

                                                             40

Daszewski 1965, n°46 ; Daszewski 1978, p. 123-125, fig. 110-112 ; Daszewski 1982, p. 397, fig. 5 ; Guimier-Sorbets 2009a, p. 101, 105. 41 Dunbabin 1999, p. 23, 278 ; Guimier-Sorbets 2009a, p. 104, (voir note 19 : pour les auteurs ayant commenté le papyrus). 42 P.Cair.Zen. IV, 59665. 43 Préaux 1947, p. 44 ; Bruneau 1980, p. 134-143 ; Daszewski 1985, p. 6-14 ; Dunbabin 1999, p. 23, 278 ; McKenzie 2007, p. 152 ; GuimierSorbets 2009a, p. 103-104. 44 Boraik et al. 2013, p. 61, p. 71, fig. 13 ; Guimier-Sorbets 2017, p. 149, p. 160, fig. a et b. 45 Daszewski 1978, p. 125-126, fig. 113-114 ; Guimier-Sorbets 2009b, p. 650, fig. 8 ; Guimier-Sorbets, Redon 2017, p. 149, 168, fig. 33. 46 Amigues 1995, p. 51, 63. 47 Guimier-Sorbets 2009b, p. 652 ; Guimier-Sorbets 2017, p. 148.

Fig. 8 : Diospolis Parva (Égypte), mosaïque fragmenaire provenant d’une rotonde dans des bains (dessin de l’auteur, détail, d’après Daszewski 1985, p. 170, fig. 11).

74

Motifs géométriques et floraux dans les mosaïques hérodiennes

Fig. 9a : Canope (Égypte), dessin d’une mosaïque fragmentaire. Fin IIe siècle av. J.-C. (dessin de l’auteur, d’après Guimier-Sorbets 2009b, p. 650, fig. 8). Fig. 9b : Nelumbo nucifera (cliché de l’auteur).

Théophraste sur la flore des pays conquis par le Macédonien » 48. Théophraste nous la présente ainsi : « La fève d’Égypte pousse dans les marécages et les lacs. Sa tige atteint au maximum quatre coudées de longueur sur un doigt d’épaisseur. Elle ressemble à un roseau tendre et sans nœuds, mais présente intérieurement des interstices répartis sur tout son « diamètre » comme les rayons de cire. Cette tige est surmontée de la tête qui ressemble un peu à un petit nid de guêpes arrondi. Chacune des alvéoles contient une fève légèrement proéminente ; on en compte trente au maximum. La fleur est le double d’un pavot et sa couleur un rose saturé. La tête se dresse audessus de l’eau »49. Le nelumbo nucifera se compose de plusieurs corolles (fig. 9a), la première étant généralement composée de cinq pétales et non de six comme sur l’exemple des bains de Canope (fig. 9b). Ce qui permet de constater, encore une fois, que les mosaïstes empruntaient à la nature, comme l’atteste le réceptacle50 très naturaliste du Nelumbo représenté à Canope, mais qu’ils réinterprétaient les éléments selon un schéma géométrique, afin de faciliter la mise en place de leur dessin.

bien d’une fleur (anthos), probablement inspirée de la famille des rosaceae52, peut-être l’églantine comme nous l’avons proposé plus haut pour la mosaïque de Massada. D’autres éléments floraux sont attestés dans des bains en dehors de lÉgypte, notamment à Athènes, dans la tholos des bains de Diocharès (milieu du IVe - IIIe/IIe siècle av. J.-C.), aujourd’hui détruite et dont, malheureusement, l’identification du décor est incertaine : « fleur polychrome [en] galet »53. Dans une pièce au nord de la tholos des bains d’Amathonte54 (IIIe-IIe siècle av. J.-C.), deux panneaux de galets noirs et blancs sont décorés de six-feuilles, disposés sans symétrie. Si l’identification du motif floral n’est pas toujours possible, il n’en est pas de même pour les bordures de postes attestées, pour n’en citer que quelques-unes, dans les bains du Centaure à Corinthe55 (dernier quart du Ve siècle et première moitié du IVe siècle av. J.-C.), à Pergame56, à Antipolis57 ou à Cortona58 en Italie. Parmi d’autres exemples, une mosaïque fragmentaire de Machéronte provenant des bains de la forteresse d’Hérode, présente également une bordure de postes autour d’un panneau fragmentaire dont nous ne connaissons malheureusement pas le décor central. La mention dans le papyrus de Zénon d’une bande de kochlos nautikos comme équivalent antique des « postes »59, est bien attestée en Grèce et en Égypte hellénistique. Ces modèles sont repris en partie pour les

Le pavot probablement évoqué plus haut dans le papyrus de Zénon est une fleur dont il est moins aisé d’expliquer la présence dans des bains, mais qui symbolise tout autant l’Égypte, notamment en pharmacopée comme le signale Théophraste51.

                                                             52 La rose, inconnue à l’époque des Pharaons, fut cultivée sous les Ptolémées, dans la région d’Arsinoé, voir Joret 1892, p. 32, 126. 53 Fournet et al. 2013, p. 283. 54 Fournet et al. 2013, p. 304. 55 Williams 1977, p. 43, 46-47, 51, fig. 2, pl. 19 ; Salzmann 1982, n° 63, p. 22, 95, pl. 9.1-3 ; Guimier-Sorbets 2009-a, p. 102. 56 Radt 1982, p. 544-546, fig. 18 ; Radt 1988, p. 160-163, fig. 55, pl. 23 ; Radt 1999, p. 139-141, fig. 82-83 ; Scheibelreiter 2005, p. 761, note 6. 57 Morena, Counord 1994, p. 45, 58-59 ; Arnaud, Moréna 2004, p. 231, 248, fig. 3-4 ; Broise, Jolivet 2004, p. 106-108, fig. 152-153 ; Zschätzsch 2006, p. 29, n° 3. 58 Broise, Jolivet 2004, p. 105-106, fig. 151 ; Zschätzsch 2006, p. 30, n° 9. 59 Bruneau 1988, p. 53.

Dans la tholos de Diospolis Parva, la fleur ne ressemble ni à un nelumbo nucifera, ni à une fleur de pavot. Il s’agit

                                                             48

Amigues 2001, p. 1656-1657. Théophraste, Recherche sur les plantes, IV, 8, 7 (Traduction S. Amigues 1989, p. 90). 50 Reçoit le fruit multiple, les akènes. 51 Théophraste, Recherche sur les plantes, IX, 8, 2. ; Pline, Histoire Naturelle, XX, 198-200. Pour l’usage de l’opium, voir Day 2013, p. 5811. 49

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décors des pièces de bains en Judée avec une adaptation au contexte (composition carrée et non circulaire, certainement due aux espaces plus petits).

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  Nous ne disposons pas d’exemples suffisants pour savoir si le genre de directives données par Zénon étaient suivies par ses contemporains dans l’ensemble de la koinè hellénistique. Les bains à tholos en Grèce ou en Égypte ne possèdent pas tous des éléments floraux en leur centre ; cependant, les quelques exemples présentés montrent bien une certaine parenté du décor par la présence fréquente des bordures de postes et la représentation médiane d’une fleur au rendu plus ou moins naturel. Les motifs floraux de la période hellénistique s’offrent donc à nous sous plusieurs formes : les pétales plats ou en perspective sont séparés l’un de l’autre ou unis ; le milieu du fleuron peut-être indiqué ou non, comme un cœur, et la partie supérieure détachée de l’inférieure. Le traitement, parfois linéaire, est plus souvent illusionniste et cherche à représenter les éléments floraux. Mais sur les mosaïques hérodiennes que nous venons de commenter, les artisans s’orientent vers une stylisation, une géométrisation des formes, une simplification du modèle original. Néanmoins l’aspect naturaliste est certainement toujours sous-jacent, peutêtre pour contourner tout en le respectant les interdits de représentation des images. L’ornementation géométrique est souvent un système plastique, sans signification propre, mais dont la richesse sémantique est précisément de pouvoir s’ouvrir, selon l’usage que l’on en fait, à des sens multiples.

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LA PART DES TRADITIONS LOCALES DANS LES DÉCORS FUNÉRAIRES DE LA JUDÉE HÉRODIENNE Caroline Arnould-Béhar   Résumé Plusieurs centaines de tombeaux appartenant à la période du Ier siècle av. - Ier siècle ap. J.-C. ont été répertoriés à Jérusalem et plusieurs dizaines d’autres dans le reste de la Judée. Leur typologie et leurs aménagements témoignent de nombreux emprunts aux cultures hellénistique et romaine mais aussi quelques spécificités qui peuvent être mises en relation, d’une part avec des traditions régionales, d’autre part avec les pratiques juives. Le décor de ces tombeaux, de même que celui des ossuaires et des sarcophages contemporains, fait également apparaître, derrière l’apport gréco-romain, la persistance d’éléments appartenant à la culture locale, dans le style comme dans l’iconographie. Mots-clés : iconographie, Jérusalem, tombeaux, sarcophages, ossuaires, période hérodienne, raisin, lys, traditions locales, aniconisme. Abstract Hundreds of tombs dated between the 1st c. BC. and the 1st c. A.D. have been listed in Jerusalem and dozens more in the rest of Judea. Their typology and their lay-out testify to many borrowings from Hellenistic and Roman cultures but some specificities may be ascribed to both regional traditions and Jewish practices. The decoration of these tombs, as well as that of the ossuaries and contemporary sarcophagi, also show, behind the Greco-Roman contribution, the persistence of elements belonging to local culture, both in style and in iconography. Keywords: iconography, Jerusalem, tombs, sarcophagus, ossuaries, Herodian period, grape, lily, local traditions, aniconism.

Plusieurs centaines d’hypogées appartenant à la période hérodienne1 ont été répertoriés à Jérusalem et plusieurs dizaines d’autres dans le reste de la Judée. Un tiers environ de ces tombeaux présente un décor, sculpté dans la quasi-totalité des cas, sur la façade et parfois aussi à l’intérieur des chambres. Ces tombeaux ont, par ailleurs, livré une très grande quantité d’ossuaires − coffrets utilisés pour la réinhumation, une pratique courante du judaïsme de l’époque − et une vingtaine de sarcophages dont le décor peut être analysé parallèlement à celui des tombeaux.

dire de la région syro-palestinienne, d’autre part avec la culture de la Judée dont la population est à cette période totalement juive. Nous nous attacherons à mettre en évidence quelquesunes des manifestations de l’expression de ces traditions locales, dans l’iconographie comme dans l’organisation et le traitement du décor. I. Iconographie 1. Le répertoire

Il convient d’étudier ces décors avec un postulat de base qui est celui de leur hétérogénéité. Les plus connus de ces tombeaux comme ceux de la Vallée du Cédron à Jérusalem, sont fréquemment vus comme de simples témoins de l’hellénisation du pays, tandis que les ossuaires sont, eux, souvent appréhendés sous l’angle de leur spécificité juive, ce qui, dans les deux cas, est très réducteur. Ces monuments et ces objets montrent de nombreux emprunts aux cultures hellénistique et romaine mais aussi des particularités qui peuvent être mises en relation, d’une part avec des traditions régionales, c’est-à-

Nous nous intéresserons dans un premier temps au choix des motifs afin de mettre en évidence ceux qui pourraient avoir une origine régionale ou être spécifiquement juifs. Le répertoire est plutôt restreint. Il comprend principalement des motifs végétaux, avec une prédominance de la vigne et du lierre, souvent sous forme de rinceaux, de guirlandes et de couronnes. En dehors du registre végétal se trouvent des motifs géométriques et des représentations architecturales, celles-ci étant plus rares. Enfin, la rosace ou rosette, sous des formes multiples, occupe une place prédominante. Nous nous en tiendrons aux motifs qui ont été vus ou peuvent être vus comme

                                                             1 La période ainsi désignée correspond aux règnes d'Hérode le Grand et de ses successeurs et au mandat des premiers procurateurs et s'étend de la deuxième moitié du Ier siècle av. J.-C. à la fin du Ier siècle ap. J.-C.

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Caroline Arnould-Béhar d’inspiration locale, en commençant par les motifs végétaux2.

« naos hellénistique » du sanctuaire de Zeus à Jerash daté du Ier siècle av. J.-C., pour citer un exemple ancien, ou sur l’archivolte du tombeau-tour de Kitot à Palmyre, contemporain des témoignages hérodiens4.

Le rinceau de vigne et le rinceau à fruits multiples Les exemples sont nombreux, parmi lesquels peuvent être cités les frontons du Tombeau du Juste (Sanhedria, tombeau 14) et du Tombeau de Josaphat à Jérusalem (fig. 1), le couvercle de sarcophage hémicylindrique provenant du Tombeau des rois et conservé au Musée du Louvre (fig. 2) ou celui d’un ossuaire3 provenant de Dominus Flevit et conservé au musée du Studium Biblicum Franciscanum de Jérusalem.

La grappe de raisin Deux aspects peuvent être retenus en ce qui concerne le motif du raisin dans l’art funéraire hérodien. Le premier est la représentation exclusive d’une grappe composée de trois parties, comme sur la façade du Tombeau des rois (fig. 3) ou celle de la Tombe aux raisins ou sur le sarcophage dit du Nazarite (ou Nazirite)5 (fig. 4), entre autres exemples. R. Hachlili y voit un « type juif »6 mais son usage dépasse largement la sphère juive. A l’époque romaine, elle est très répandue en Syrie et en particulier à Palmyre, et on en connaît quelques exemples occidentaux à la fin de la période républicaine comme la Tombe aux guirlandes de Pompéi ou une tombe d’Isernia. La grappe tripartite est déjà présente sur les bas-reliefs néo-assyriens ainsi que sur les vases d’Hadra, produits à l’époque hellénistique.

  Fig. 1 : Fronton du Tombeau de Josaphat à Jérusalem  (photographie Auguste Salzmann).

  Fig. 3 : Frise du Tombeau des rois à Jérusalem  (photographie Auguste Salzmann).

 

 

Le second aspect constitue une originalité de l’art funéraire de la Judée. C’est l’image de la grappe seule telle qu’elle apparaît sur les façades du Tombeau des rois et du Tombeau de la Retraite des Apôtres à Jérusalem, tandis qu’elle est, ailleurs, reliée à un rameau ou un rinceau de vigne et accompagnée de feuilles et de vrilles. Dans le premier cas cité, elle est particulièrement mise en valeur par sa position centrale et par son encadrement de

H. Seyrig comme E. Will ont bien noté son origine hellénistique et sa faveur dans la Syrie romaine. Même s’il a pu se rencontrer dans les décors de l’Italie tardorépublicaine, c’est un thème issu de la région syropalestinienne. On le rencontre dans la décoration du

                                                            

  Fig. 2 : Couvercle de sarcophage provenant du Tombeau des rois à Jérusalem, Musée du Louvre (cliché de l’auteur).

4 On notera l'originalité que constitue, en Judée, le thème du rinceau se développant dans le cadre d'un fronton comme dans le cas des tombeaux cités. 5 Trouvé sur le mont Scopus à Jérusalem (Israel Museum, Jérusalem, IAA 1974-1552). 6 Hachlili 1988, p. 318 ; Hachlili 2005, p. 139.

                                                             2 Par commodité, nous emploierons le terme de « local » pour désigner ce qui est propre à la Judée et celui de « régional » pour ce qui concerne l'ensemble de la région syro-palestinienne. 3 Possiblement un sarcophage.

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La part des traditions locales dans les décors funéraires de la Judée hérodienne

Fig. 4 : Sarcophage « du Nazarite » provenant du mont Scopus (cliché de l’auteur).

période suivante10. Le motif est alors réintroduit dans le monnayage (monnaies de la première révolte) et figure parmi les plus appréciés pour le décor des lampes à huile du type « Darom » produites en Judée dans la période postérieure à la première révolte, selon V. Sussmann11. Sur ces documents, la grenade peut être un motif isolé, ce qu’elle n’est pas à la période hérodienne.

deux couronnes (fig. 3), ce qui indique le pouvoir bénéfique qui était attribué au raisin. M. Avi Yonah7 suggère que le motif de la grappe tripartite ait fait référence à la vigne d’or qui décorait le temple reconstruit par Hérode à Jérusalem selon Flavius Josèphe8. Son aspect très décoratif et le goût de la région pour les motifs ternaires pourraient davantage expliquer sa faveur. La symbolique de fertilité qui est attachée au raisin aussi bien dans les écrits juifs que dans le monde gréco-romain a conduit à lui donner une place de choix dans l’ornementation funéraire.

Le lys12 Le lys, qui est également vu comme un motif juif13, a connu, à l’inverse de la grenade, une faveur particulière dans le répertoire funéraire de la Palestine hérodienne. En témoigne le nombre élevé de ses occurrences dans le décor des sarcophages et des ossuaires et le fait qu’il soit parfois représenté surélevé, ce qui pourrait indiquer son assimilation à un objet sacré. Sur plusieurs ossuaires, dont deux provenant de Giv’at Hamivtar à Jérusalem14, le lys occupe une position centrale et se trouve surhaussé par une base, elle-même placée sur deux degrés (fig. 5).

La grenade Présente dans le répertoire décoratif de l’Israël de l’époque du Fer, elle est tenue pour un motif local. Elle a, selon la Bible, constitué l’un des ornements du temple de Salomon et de son mobilier ainsi que du vêtement sacerdotal. On notera qu’elle fait partie des rares espèces végétales décorant les sceaux et bulles judéennes de la fin de la période pré-hellénistique. A propos du monnayage hasmonéen, Ch.-G. Schwentzel indique que la grenade figure en tant qu’emblème sacerdotal et symbole de la Judée9.

Il peut aussi être placé sur un socle à degrés ou au-dessus d’une sorte de pilier, lui-même surélevé15. La Tombe des raisins à Jérusalem présente également dans son décor intérieur un motif de lys placé sur un socle. A propos du monnayage hasmonéen, Ch.-G. Schwentzel indique que le motif du lys aurait constitué un symbole de la Judée tout en possédant une signification religieuse16. E. Regev parvient à la même conclusion, précisant : « …whether the lily symbolized the physical Jerusalem, the Jewish

Dans l’art funéraire de la période hérodienne, la grenade n’est pas plus représentée que d’autres végétaux tels que la vigne, le lierre ou le laurier. Elle ne bénéficie pas non plus d’un traitement visant à la mettre en valeur, à l’inverse de la grappe de raisin ou de la fleur de lys par exemple. On peut en déduire qu’elle n’occupait pas une place autre que celle d’une plante poussant dans la région syro-palestinienne et, de ce fait, présente dans son répertoire iconographique, place accrue par la symbolique de prospérité qui lui était attachée.

                                                             10 Il est toutefois reconnu pour la période hérodienne par plusieurs auteurs dont O. Peleg-Barkat (Peleg-Barkat 2016, p. 33-34.) L'auteur explique bien les raisons qui en ont fait un motif de prédilection, principalement le fait que le fruit soit évoqué dans le Deutéronome comme l'une des sept espèces de la terre d'Israël et qu’il soit associé au Temple de Jérusalem. 11 Sussman 1982. 12 Le terme de « fleur liliacée » peut lui être préféré car rendant compte de la diversité des espèces représentées. 13 Meshorer 2013, p. 237 : « the representation of Jewish symbols, notably the lily flower ». Voir aussi Jacobson 2013, p. 16-17. 14 Rahmani 1994, n° 411 et n° 431. 15 Rahmani 1994, n° 600. 16 Schwentzel 2007, p. 140.

Son rôle d’emblème juif apparaît plus clairement à la

                                                             7

Avi Yonah 1961, p. 24-25 (= Avi Yonah 1981, p. 142-143). Antiquités Judaïques XV, 1, 3. 9 Schwentzel 2007, p.142. 8

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Caroline Arnould-Béhar people, or the Jewish religion, it was undeniably meant to be a Jewish ethnic marker. »17. Les représentations évoquées attestent que, pour les commanditaires de tombeaux ou de récipients funéraires, le motif continue à l’époque hérodienne à renvoyer à une symbolique liée à l’identité juive.

particulièrement du lotus et peut-être de la coiffure isiaque, et pourrait avoir été rapprochée, par son contenu sémantique, de l’image du vase dans l’art de la Mésopotamie19. Les motifs architecturaux Les éléments architecturaux (colonne, arcade...) sont parfois mis en lien avec le Temple de Jérusalem et auraient, de ce fait, constitué des motifs proprement juifs. Si c’est bien le cas pour la période romaine tardive, dans le décor des synagogues en particulier, cette relation n’est, à notre sens, pas la raison d’être de ces images dans les décors funéraires hérodiens.

  Fig. 5 : Ossuaire décoré d’un lys sur une base (d’après Rahmani 1994, n°431).

Peut-on établir un lien entre les plantes représentées et le texte biblique ? Le lys y est évoqué de façon récurrente mais il est admis que le nom recouvre plusieurs espèces de fleurs sauvages telles que l’anémone, la jacinthe, le narcisse ou encore l’iris18. De plus, la distinction entre lys et lotus n’est pas toujours aisée, les deux pouvant être confondus sur le plan étymologique, ce qui est vrai aussi pour l’iconographie.

Le motif décorant les ossuaires pourrait être, plutôt qu’une nefesh, un pilier votif ou cultuel. Il serait apparu dans l’iconographie de la Palestine à la période achéménide comme en témoigne le décor d’un autel à encens de Tel Seraʻ. Nous avons suggéré que cette représentation se soit inspirée de l’architecture des sanctuaires de la région des époques du Bronze et du Fer ainsi que de l’image de l’arbre sacré dans l’ancien Orient24. Dans certains cas, le motif pourrait ainsi résulter d’une fusion entre le thème du pilier et celui de l’arbre sacré. Plutôt que de la représentation de chapiteaux protoéoliens, les volutes sont à voir comme un élément de l’iconographie de ce dernier25. L’exemple de la période achéménide atteste de la continuité entre les deux périodes, le motif passant du contexte domestique au contexte funéraire.

On remarquera aussi que le palmier, si présent dans les livres bibliques, n’occupe pas une place très importante dans l’iconographie de la période hérodienne. Dans la littérature juive contemporaine des décors étudiés, l’image de l’arbre et de la plante est très présente mais la corrélation avec l’iconographie funéraire est difficile à déterminer. Les végétaux rencontrés sont présents dans l’art romain tant en Occident qu’en Orient. Seule, parmi eux, l’acanthe est spécifiquement gréco-romaine, les autres végétaux étant issus des répertoires de l’Égypte et de l’ancien Orient. Or l’acanthe est plutôt rare dans l’iconographie funéraire de la Judée. On notera, en parallèle, l’absence ou la rareté de certaines espèces végétales répandues dans l’art romain, telles que la rose, le blé ou le chêne. La Judée montre un goût prononcé pour le végétal à trois feuilles ou trois pétales et présentant une forme de calice, avec les feuilles ou pétales externes se recourbant vers l’extérieur. C’est la forme qu’adopte le lys dans l’art hérodien, et aussi celle du culot d’acanthe dont il sera question plus loin. Elle est inspirée de l’iconographie végétale de l’Égypte ancienne,

                                                             19

Nous développerons ce sujet dans une prochaine étude. Hachlili 1981, p. 34-35 ; Rahmani 1994, p. 31-32. 21 Par exemple, Rahmani 1994, n° 122 et n° 601. Des représentations très semblables sont dessinées sur le mur d'une tombe de Jéricho : Hachlili 1981. 22 Celles de la façade du Tombeau aux Obélisques de Pétra adoptent la forme caractéristique de l’obélisque. 23 Allag 2012, p. 127. 24 Arnould-Béhar 2017, p. 58-59. N. Perrot, discutant de l'iconographie du « poteau », indique : « Arbre ou poteau représentent d'ailleurs le même symbole (...) » ; « les poteaux-colonnes de l'entrée des temples (...) ont pu revêtir à l'origine un caractère sacré (...) » (Perrot 1937, p. 43). Dans la glyptique égéenne comme dans celle de la Mésopotamie se rencontre l'image d'animaux antithétiques placés de part et d'autre d'un élément qui est tantôt un arbre tantôt un pilier. 25 Arnould-Béhar 2017, p. 58-59. 20

                                                             17 18

L’image de la nefesh, une forme propre au monde sémitique, a été reconnue dans quelques représentations20. Parmi elles, celle de colonnes cannelées, placées sur un support et couronnées d’un élément pyramidal ou conique et complétée, dans quelques cas, de volutes21 (fig. 6). Aucun monument de ce type n’est attesté dans la région et ces représentations sont assez éloignées de celles des nefesh telles qu’on en connait à Pétra, entre autres22. Elles trouvent leur meilleur parallèle dans le graffito de l’ilôt B8 de Doura Europos, même si le couronnement en diffère. C. Allag y voit un thymiaterion, et sur d’autres graffiti pouvant lui être rapprochés, un édicule cultuel23.

Regev 2013, p. 209. Crewe 2007, p. 18.

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La part des traditions locales dans les décors funéraires de la Judée hérodienne illusionniste28. Ces dernières caractéristiques sont régionales et se retrouvent sur les représentations de la Syrie hellénistique et du début de la période romaine.

La forme conique ou pyramidale au sommet représente toutefois une difficulté dans l’identification d’un pilier mais elle est bien présente dans l’art funéraire de la Judée, pouvant être rapprochée du couronnement de tombeaux comme ceux d’Absalom et de Zacharie à Jérusalem ou le « tombeau d’Hérode » à l’Hérodium.

La spécificité du motif dans l’art hérodien réside surtout dans l’emphase mise sur le culot. Elle se traduit de plusieurs manières. Le plus souvent, en étant placé au centre et de grande taille, il constitue l’élément le plus important du rinceau. Sur l’un des sarcophages du Tombeau de la famille des Hérodes à Jérusalem (fig. 7), il est surélevé en étant placé sur un socle. Enfin, dans quelques cas, il constitue un motif indépendant, n’étant pas relié à un rinceau et étant traité pour lui-même. On peut citer à nouveau la façade du Tombeau des rois où deux culots d’acanthe figurent parmi les motifs centraux de la frise dorique (fig. 3) et le plafond de la chambre principale du Tombeau d’Anne à Haceldama (Jérusalem) orné de quatre culots d’acanthe placés aux angles, le centre étant occupé par une grande rosette.

 

Si, dans l’art hellénistique, le culot s’est vu accorder une certaine ampleur29, il n’a pas été, comme sur ces exemples, dissocié du rinceau.

Fig. 6 : Ossuaire à décor de nefesh ? (d’après Hachlili 2005, pl. VIII-2b).

Un lien avec le bétyle n’est pas à exclure complètement. La plinthe à trois degrés pourrait-elle évoquer la crépis d’un temple ? De toute évidence, en surhaussant la structure placée au-dessus d’elle, dans le cas du lys comme dans celui du pilier, elle introduit une notion de sacralité.

Nous pouvons suggérer que le bouquet ou culot d’acanthe isolé se soit développé dans l’art funéraire en raison de la puissance symbolique du motif du cratère qu’il aurait rejoint, tout comme le lys30.

2. L’interprétation locale d’un motif : l’exemple de l’acanthe L’acanthe ne compte pas parmi les végétaux les plus courants de l’art funéraire hérodien et n’est pas un motif régional26 mais il est intéressant d’observer l’interprétation qui en a été faite. Comme on le sait, le rinceau d’acanthe a connu un essor important dans l’art au temps d’Auguste. Bien que contemporaines des réalisations de la période julioclaudienne, les représentations locales en sont très éloignées, dans le traitement comme dans la compréhension du motif.

  Fig. 7 : Détail du sarcophage du Tombeau de la famille des Hérodes, (Niképhourieh), Jérusalem (d’après C. Watzinger, Denkmäler Palästinas, II, Leipzig, 1935, pl. 29, fig. 67).

Il n’existe, en premier lieu, pas d’exemple de rinceau d’acanthe simple, auquel a été préféré le rinceau de vigne ou mêlant plusieurs végétaux. Le motif se distingue aussi par l’absence de la couronne de feuilles se développant à la base de la touffe27 et par un traitement dépourvu de naturalisme et qui ne présente pas de caractère

  3. L’absence de figuration A une exception près, les décors funéraires sculptés de la Judée hérodienne ne montrent aucune représentation

                                                             28

M. Mathea-Förtsch, (Mathea-Förtsch 1996, p. 182) a bien noté qu'en Orient, le motif avait reçu un traitement moins naturaliste, résultant de l’influence de l'art grec et d’une « rudesse provinciale ». 29 Mathea-Förtsch 1996, p. 185. 30 E. R. Goodenough a déjà établi un lien entre le motif appelé « coupe d'acanthe » et le vase : Goodenough 1953-1965, vol. 1, p. 79.

                                                             26 J. Dentzer-Feydy a rappelé qu'il avait été importé dans la région à la période hellénistique (Dentzer-Feydy 1993, p. 99). 27 A quelques exceptions, dont celle d'un ossuaire provenant de la Tombe de Nicanor à Jérusalem.

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Caroline Arnould-Béhar humaine ou animale31. Cette exception est la représentation probable de deux bucrânes sur l’ossuaire 17 de la Tombe 2 d’Haceldama (fig. 8). Les archéologues ont mis leur présence sur le compte d’un apport culturel venu d’un contexte païen, la famille commanditaire de la tombe étant supposée être originaire de Syrie32. Afin de respecter la coutume juive de l’aniconisme, les reliefs auraient, selon eux, été laissés inachevés intentionnellement33. En fait, des motifs très comparables de bucrânes stylisés à l’extrême ornaient un sarcophage de bois découvert dans la nécropole de Khirbet Za’aquqa, à proximité de Maresha, et daté du IIIe siècle av. J.-C. Cette tombe aurait appartenu à des colons grecs et la schématisation des bucrânes d’Haceldama ne peut ainsi pas être imputée à un impératif lié au judaïsme. Elle permet néanmoins de conclure que l’unique exemple de représentation animale dans les décors funéraires hérodiens résulte d’une influence de la culture grecque.

absentes, remplacées par des motifs végétaux dont l’élaboration tend à prouver que le choix du végétal à la place de la figure n’a pas été motivé par une recherche de simplicité35. L’aniconisme est une spécificité de la Judée du début de la période romaine36. On notera que c’est dans le domaine funéraire que l’évitement de la figuration est le plus strictement appliqué. Dans les décors domestiques et palatiaux ou dans le monnayage, les exceptions à cette règle sont en effet moins rares37. II. Organisation du décor La composition en bandes Seuls deux documents, à notre connaissance, présentent ce type de composition : le couvercle de sarcophage hémicylindrique du Tombeau des rois au Louvre (fig. 2), déjà évoqué, et celui de l’ossuaire de Dominus Flevit où il est plus simple. Tous deux ont aussi en commun d’être ornés d’un rinceau à fruits multiples.

L’ossuaire à décor de façades du Mont Scopus34 témoigne d’une réelle volonté de rejet de la figure. Le décor d’arcades ou de niches qui orne ses faces longues est habituellement un dispositif destiné à mettre en valeur des figures de divinités ou de héros. Elles sont ici

Le parallèle avec les encadrements des baies du temple de Bêl à Palmyre et de ses niches, proposé en premier lieu

Fig. 8 : Ossuaire n° 17 d’Haceldama, Jérusalem (d’après Shadmi 1996, fig. 2.12).

                                                             35

Il a aussi été suggéré que le décor du fronton représenté sur une face latérale de cet ossuaire ait été destiné à remplacer le masque ou la tête de Méduse qui orne habituellement cet emplacement (Kloner, Whetstone 2016, p. 236). 36 Ce sujet, beaucoup traité, dépasse le cadre de notre étude. 37 Voir les exemples donnés par Michel Fuchs dans ce même ouvrage.

                                                             31

Des représentations d'oiseaux se rencontrent dans les décors peints. Avni, Greenhut, Ilan 1994, p. 210. 33 Shadmi 1996, p. 45. 34 Rahmani 1994, n° 482 ; Kloner 1994. 32

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La part des traditions locales dans les décors funéraires de la Judée hérodienne

Fig. 9 : Ossuaire à décor de « chip-carving » (d’après Goodenough 1953-65, vol. III, fig. 148).

par H. Seyrig38 est assez frappant. J. Dentzer-Feydy a noté toutes les occurrences de la composition en bandes dans la région et son origine probable dans l’artisanat textile39. Etudiant les chambranles de la porte du sanctuaire de Si’a 8 (Syrie du sud), elle observe aussi une parenté avec l’artisanat du bois40. Mais, à Si’a, les bandes de séparation sont saillantes, ce qui correspond bien au travail du bois, tandis que sur nos exemples, les registres sont séparés par des baguettes cordées. Le rapprochement avec les textiles est, de ce fait, plus convaincant et l’on peut évoquer les tissus trouvés dans le tombeau-tour de Kitot à Palmyre, à peu près contemporain de nos objets.

compartiments délimités par des bordures et renfermant des rosaces. M. Avi Yonah lui attribue une origine orientale41. Ce schéma, aussi appelé « à panneaux », est très fréquent dans la céramique de l’ancien Israël, principalement à la période du Bronze Récent, et de l’Orient en général, mais également dans la céramique égéenne. Comme la composition en bandes, ce type de décor dériverait de l’artisanat. Le goût pour des dispositions compartimentées se traduit, à la période hérodienne, par l’adoption fréquente de la frise dorique dans le décor des façades de tombeaux.

Ces différents exemples témoignent de la transmission de schémas décoratifs de l’artisanat à l’architecture comme à la sculpture et de leur diffusion dans l’ensemble de la région.

III. Facture et style

Adopté pour le décor de certains ossuaires, il consiste en

Un grand nombre d’ossuaires présente un décor incisé, exécuté au compas ou à main levée. Cette technique de l’incision résulte d’un savoir-faire qui appartient à la tradition locale. On peut citer, pour la période achéménide principalement, la production d’autels à encens domestiques, au décor entièrement incisé. Une autre technique, utilisée exclusivement pour le décor des ossuaires de calcaire tendre, est celle qui permet, par enlèvement de matière au ciseau, d’obtenir un relief en creux ("chip-carving"). Les exemples en sont très nombreux (fig. 9). Avi Yonah y voit la persistance de traditions issues du monde mésopotamien42. L’absence constatée d’exemples antérieurs à la période hérodienne en Palestine va à l’encontre de cette théorie. La technique pourrait être dérivée du travail du bois mais, là aussi, les exemples manquent pour permettre de l’affirmer43. Elle peut, en tout cas, être considérée comme un savoir-faire propre à la Judée à cette période.

                                                            

                                                            

38

41

La composition tripartite Le mode d’organisation privilégié pour le décor des faces longues des ossuaires est centré et tripartite. C’est un décor le plus souvent composé de deux rosaces encadrant un motif central, celui-ci se développant en hauteur. Il est tentant de relier ce type de composition aux représentations d’animaux antithétiques placés de part et d’autre d’un élément central dans l’iconographie mésopotamienne, mais il n’existe peut-être pas de lien et il paraît hasardeux d’en conclure à une inspiration régionale, les compositions centrées étant très largement répandues. Le schéma « à métopes »

Seyrig 1940, p. 326. 39 Dentzer-Feydy 2003b, p. 437-438. 40 Dentzer-Feydy 2003a, p. 86.

Avi Yonah 1950, p. 59 (= Avi Yonah 1981, p. 96). Avi Yonah 1961, p. 16-21. 43 Sur cette technique, voir Rahmani 1988. 42

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Caroline Arnould-Béhar Une petite série d’ossuaires montre un décor en bas-relief traité avec un certain modelé et de manière assez réaliste44. Ils se rapprochent, de ce fait, des productions de l’art grec même si la stylisation y est plus forte. Quelques ossuaires présentent ainsi un aspect qui n’est pas très éloigné de celui d’urnes cinéraires de la période julio-claudienne et l’on pourra comparer, par exemple, sur le plan de la facture comme de l’iconographie, le décor de couronne des faces latérales d’un ossuaire du Mont Scopus45 à celui de la face arrière d’une urne du Musée Paul Getty de Malibu46.

BIBLIOGRAPHIE

Le plus souvent, cependant, dans le décor des ossuaires comme dans celui des façades de tombeaux, les sculptures présentent un relief très plat avec des motifs peu dégagés du fond. Ces motifs apparaissent en deux dimensions, sans illusion de volume, et son dépourvus de caractère plastique. On constate, de plus, un désintérêt manifeste pour une symétrie rigoureuse, pour la régularité et l’échelle de proportions. Les représentations sont souvent extrêmement schématisées, les motifs traités de manière abstraite qui les rend parfois difficiles à identifier. Ces caractéristiques relèvent de traditions régionales.

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Conclusion Le refus de la figuration a conduit à créer un répertoire décoratif dans lequel certains motifs, présents dans l’art gréco-romain, se sont vus accorder une place prééminente et un traitement distinct, en rapport avec la charge symbolique qui leur était attribuée. Le motif du lys placé sur une base à degrés ou celui du culot d’acanthe isolé sont ainsi des créations locales. Du point de vue de l’iconographie comme de la composition et du style, ces décors partagent de nombreux traits avec ceux de la Syrie hellénistique et romaine. On peut citer, parmi eux, le thème du rinceau de vigne ou à fruits divers ou la composition en bandes. Cette parenté s’observe aussi dans le traitement de la plupart des reliefs qui s’inscrivent dans une tradition régionale même si quelques décors laissent paraître une plus grande conformité aux conventions de l’art grec.

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L’absence, ou quasi-absence, de figures est la plus grande originalité de ces décors. Elle distingue l’art funéraire de la Judée hérodienne de celui des régions voisines et de l’ensemble de l’Empire à cette époque. Elle en constitue aussi l’aspect juif le plus apparent puisque justifié par une motivation religieuse. La prédilection pour certains motifs tels que le lys reflète, elle aussi, les croyances funéraires juives de l’époque.

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                                                             44 Par exemple, l'ossuaire décoré de rosettes et d'anneaux conservé au Walters Art Museum de Baltimore (n° 23.240). 45 Rahmani 1994, n° 893. 46 Koch 1988, p. 3.

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LE HAURAN (SYRIE DU SUD) : UN ART FUNÉRAIRE ENTRE TRADITIONS ET INFLUENCES GRÉCO-ROMAINES Annie Sartre-Fauriat   Résumé Le Hauran (Syrie du Sud) a longtemps fait figure chez les spécialistes de la Grèce et de Rome de région fortement imprégnée de culture indigène en raison de son éloignement des centres du pouvoir. Cet article entend examiner le cas du portrait funéraire, inhabituel en pays sémitique, qui, après de timides ébauches sur des stèles, se développe dans une élite qui imite les modèles gréco-romains, mais sans renier ses fondements culturels. Mots-clés : Syrie, Hauran, stèle, épigraphie, épitaphe, tombeau, funéraire, sculpture, portrait, néphesh. Abstract The Hauran (Southern Syria) has long been recognized by specialists in Greece and Rome as a heavily influenced region by indigenous culture because of its remoteness from centers of power. This article intends to examine the case of the funerary portrait, unusual in Semitic country, which, after brief sketches on stelae, develops in a social elite that imitates the Greco-Roman models, but without renouncing its cultural backgrounds. Keywords: Syria, Hauran, stele, epigraphy, epitaph, tomb, funerary, sculpture, portrait, nephesh. organisée à l’ICP de Paris en mai 2017 m’a donné l’occasion de revenir sur l’un des aspects de la question, celui de l’apparition des représentations figurées des défunts sur des stèles ou des linteaux, pratique en contradiction totale avec les principes en usage dans les pays sémitiques. Il n’est en effet pas habituel dans ces civilisations de représenter des figures humaines et, le bétyle ou la néphesh y sont les manières les plus courantes de donner forme symboliquement aux divinités ou aux personnes. Or, à une date difficile à définir précisément, on voit apparaître dans le Hauran des représentations humaines sculptées dans la pierre, destinées à être placées sur les tombes ou encastrées dans les façades des monuments funéraires. Les défunts y sont figurés de différentes manières : le plus souvent seuls en bas-relief, soit en buste, soit à mi-corps et même en pied, plus rarement en ronde-bosse et, dans le cas des linteaux, plusieurs personnes peuvent être représentées simultanément.

Le Hauran est la région de la Syrie actuelle comprise entre le sud de Damas et le nord de la Jordanie d’une part, et entre le Jawlan à l’ouest et le désert du Safa à l’est d’autre part (fig. 1). Cette région enclavée, loin de la mer et sans axes de communication faciles, peuplée de sémites araméens, a connu de multiples dominations politiques et culturelles successives dont la présence, plus ou moins longue ou plus ou moins pesante, pose la question de leur influence sur les populations. J’avais abordé ce problème il y a déjà quelques années dans une thèse consacrée aux monuments et à l’épigraphie funéraires de la région entre le Ier siècle av. J.-C. et le VIIe siècle ap. J.-C.1 La journée d’études

Quelle est la raison de ce choix qui marque manifestement une évolution dans la manière de commémorer les morts, et sous quelle influence s’est-il imposé dans certaines familles autochtones ? Assiste-t-on à une transposition pure et simple de modèles existant ailleurs dans le monde gréco-romain ou bien à une adaptation locale de la néphesh ? Le corpus de ces représentations provenant du Hauran n’est pas très abondant par comparaison avec celui d’autres régions, comme Palmyre où les bustes funéraires en bas-relief sont innombrables. On ne possède en effet à ce jour qu’une soixantaine de blocs, stèles et linteaux, portant des représentations figurées, dont quelques-uns avec une épitaphe, qui ne laissent aucun doute sur leur destination funéraire. En effet, ce sont généralement les

Fig. 1 : Carte du Hauran (carte de l’auteur).

                                                             1

Sartre-Fauriat 2001.

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Annie Sartre-Fauriat petites stèles simples, provenant surtout de la zone située à l’ouest de la région, la plaine du Hauran, qui servent majoritairement à commémorer les morts individuellement1. Ces dernières, plus ou moins soignées, sans ornement ni relief, constituent la documentation la plus importante pour la connaissance des individus dont on se contente de rappeler le plus souvent uniquement le nom, la filiation et l’âge.

type et de même époque connus au Proche-Orient. C’est le cas notamment de deux tombeaux de la vallée du Cédron à Jérusalem (ceux de Zacharie et d’Absalom), datés pour le premier de l’époque hérodienne (fin du Ier siècle av. J.-C.), et pour le second du début du Ier siècle ap. J.-C.5, d’un monument de Jérash situé dans le même intervalle chronologique6, et de celui de Hermel au Liban, avec des bas-reliefs en rapport avec la chasse sur le soubassement, daté du début de l’ère chrétienne, et attribué à un prince local régnant sur la Coilè-Syrie7.

Le passage du simple bloc inscrit à la représentation semble s’être fait de façon progressive, bien qu’il ne soit pas aisé de le dater. D’une manière générale, sur les stèles simples comme sur celles portant des représentations figurées, la date n’est que très rarement, pour ne pas dire presque jamais, mentionnée. Mais, lorsqu’une épitaphe accompagne ces représentations, elle est toujours rédigée en grec ; aucun exemple à ce jour en effet n’est connu accompagné d’un texte en araméen. Or, l’implantation du grec dans le Hauran n’est pas antérieure au début du Ier siècle ap. J.-C. dans le nord de la région où il remplace progressivement l’araméen, présent encore dans quelques très rares inscriptions bilingues, et pas avant le IIe siècle au Sud2. On serait donc tenté de mettre en rapport l’apparition des « portraits » funéraires avec l’expansion de la domination romaine, plus précoce au nord de la région dont l’entrée dans la province de Syrie date de 64 av. J.-C., qu’au sud resté sous domination nabatéenne jusqu’à la création de la province d’Arabie en 105-106 ap. J.-C. Toutefois, on ne peut négliger de s’interroger sur l’influence qu’auraient pu avoir les princes hérodiens, en charge de l’administration du nord du Hauran pour le compte de Rome entre la fin du Ier siècle av. J.-C. et la deuxième moitié du Ier siècle ap. J.-C., sur le développement d’un processus d’ouverture culturelle. On sait en particulier qu’Hérode le Grand et ses successeurs furent très actifs dans la construction et l’embellissement, au cours de cette période, du grand sanctuaire de Baalshamin à Si‘ où œuvrèrent architectes et sculpteurs3.

Or, c’est vers une date identique, le tout début du Ier siècle ap. J.-C., que conduit la forme des lettres de l’inscription funéraire en araméen gravée sur l’une des faces du tombeau de Suweida8 (l’autre face portant un texte presque identique en grec)9. Le constructeur (Odainath) qui honore sa femme de cette construction monumentale était certainement quelqu’un de riche et d’important. Or, des fouilles menées récemment à la citadelle de Suweida ont révélé l’existence d’un établissement qui ressemble à une résidence palatiale de dynaste local que l’on aimerait pouvoir relier à ce tombeau10. Le choix qui a été fait pour l’architecture et les décors du monument funéraire montre que son commanditaire avait incontestablement connaissance de modèles de tombeaux d’inspiration hellénistique ou bien avait fait appel à des architectes et à des sculpteurs extérieurs, familiers de ces modèles, pour le réaliser. Toutefois, les traditions locales ont été respectées, comme le suggère le mot néphesh dans l’épitaphe en araméen pour désigner ce monument totalement plein, érigé probablement sur une sépulture souterraine, à l’exemple d’une stèle, et l’usage du matériau local qu’est le basalte. Ainsi, ces similitudes pourraient bien être le fruit des échanges, favorisés par la présence hérodienne et les travaux au grand sanctuaire de Si‘ dans les dernières décennies du Ier siècle av. J.-C. et avoir contribué à l’apparition de nouvelles formes d’architecture et de sculpture dans la région.

Dans ce contexte, on s’interroge sur le lien que l’on pourrait établir entre cette présence et l’apparition de formes nouvelles d’architecture puisées au répertoire grec, comme celles de ce tombeau, aujourd’hui disparu, mais qui fut dessiné par plusieurs voyageurs au XIXe siècle encore, situé à Suweida, ville au pied du Jebel Druze, à quelques kilomètres du sanctuaire de Si‘4. L’architecture et le décor de cet imposant tombeau (9,96 m de côté sur 10,50 m de haut) en opus quadratum, orné de colonnes de style dorique engagées dans les quatre murs avec, dans les entrecolonnements, des trophées d’armes en bas-relief (cuirasse, casque, boucliers), surmonté d’une frise dorique à triglyphes et métopes lisses sur l’entablement et peut-être d’une pyramide de couverture, s’apparente à plusieurs monuments du même

Il est malgré tout difficile de savoir pourquoi et quand exactement certains individus dans le Hauran choisirent de faire orner leurs pierres tombales ou leur tombeau d’un portrait à leur effigie. Plusieurs stèles retrouvées dans les cimetières actuels d’Adraa-Der’a, ville située dans le sud du Hauran, et qui ont recouvert les nécropoles de cette cité dans l’Antiquité, donnent peut-être un indice de la façon dont s’est faite l’évolution, du moins dans cette zone. A la fin de l’épitaphe en grec, on remarque des

                                                             5

Avigad 1954, p. 91-133. Seigne, Morin 1995, p. 175-191. 7 Perdrizet 1938, p. 47-71. 8 En araméen : nfšh dy ḥmrt dy bnh lh ’dynt b‘lh : « nephesh de Hamrath qui fut érigée pour elle par Odeinat son mari ». 9 En grec : Οδαινατος Αννηλου ᾠκοδόμησεν τὴν στήλην Χαμρατῃ τὴν αὐτοῦ γυναικί : « Odainatos, fils d’Annelos, a fait construire la stèle pour Chamratè sa femme ». 10 Kalos, Renel, Dentzer 2010, p. 147-158. 6

                                                             1

Sartre-Fauriat 2001, vol. II, p. 105-112. Sartre-Fauriat 2001, vol. II, p. 103-104. 3 Cf. le corpus épigraphique de Si‘ avec la synthèse sur le site dans Sartre-Fauriat, Sartre, (à paraître). 4 Sartre-Fauriat 2001, vol. I, p. 196-198. 2

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Le Hauran (Syrie du Sud) représentations schématiques que les premiers éditeurs hésitaient à relier à des individus (fig. 2)1.

  Fig. 3a : Stèle funéraire de Der‘a - Musée de Der‘a, IGLS XIV, 40. Fig. 3b: Stèle funéraire du Hauran - Musée de Damas, IGLS XIV, 623 (clichés de l’auteur).

  L’ensemble, très maladroit, est peut-être à attribuer au faible savoir-faire du graveur, mais peut-être plus sûrement à une volonté encore timide de donner forme au disparu sans trahir le sens de la néphesh, censée incarner à elle seule le mort. D’autres stèles sont, quant à elles, un peu plus explicites dans la volonté de représenter le défunt, mais elles restent néanmoins encore très frustes, omettant notamment de donner au visage des traits bien caractéristiques comme sur cette stèle provenant de Nawa (fig. 4)4. On ne peut pas dire si ces dernières sont contemporaines des précédentes et témoignent d’un meilleur savoir-faire, ou si l’on assiste à une évolution des pratiques dans des familles qui franchissent le pas des interdits.

  Fig. 2 : Stèle funéraire de Der‘a - Musée de Der‘a, IGLS XIV, 221 (cliché de l’auteur).

Si dans certains cas, on peut en effet s’interroger sur le sens des gravures et y voir une simple ornementation, notamment une couronne (fig. 3a)2, dans d’autres on ne peut douter qu’il y ait eu une volonté de schématiser un buste humain (fig. 3b)3.

  Fig. 4 : Stèle funéraire de Nawa - IGLS XIV, 441b (d’après Alt 1933, pl. 1, n°1).

Le passage à une représentation anthropomorphique réelle intervint sans doute, à défaut de pouvoir le situer dans le temps, dans des milieux financièrement plus

                                                             1

Mouterde 1925, p. 215-252 ; Sartre-Fauriat, Sartre 2016, p. 221. Sartre-Fauriat, Sartre 2016, Derʻa : n°40 et 50. 3 Sartre-Fauriat, Sartre 2016, Derʻa : n°139, 219, 221, 623.

                                                            

2

4

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Alt 1933, p. 19 ; Sartre-Fauriat, Sartre 2016, Nawa : n°441b.

Annie Sartre-Fauriat aisés, capables de s’offrir mieux qu’un simple « caillou gravé », ou peut-être aussi plus acculturés, s’autorisant de ce fait une représentation plus proche de la réalité physique du défunt (fig. 5) ; mais on mesure mal ce qui les a fait évoluer et s’affranchir des traditions ancestrales. C’est sans doute dans les mêmes milieux que se prit l’usage de faire encastrer des linteaux avec des portraits familiaux dans les murs des tombeaux (fig. 6)1. En voyant ces représentations, on ne peut s’empêcher de les comparer à celles que firent réaliser les familles d’affranchis à Rome à la fin de la République pour orner la façade de leur tombeau2.

sémitiques et l’usage du grec. Faut-il y voir la conséquence d’une acculturation plus poussée dans certaines familles que dans d’autres et des influences venues plutôt de régions du monde proche-oriental, plus précocement en contact avec l’art gréco-romain, comme l’Asie Mineure ou la Syrie du Nord où l’on connaît des représentations de même type à Qatura, Hiérapolis ou Zeugma4 ?

Fig. 6 : Linteau funéraire - Musée de Damas (cliché de l’auteur).

Une autre étape dans la figuration est franchie avec des sculptures en haut-relief ou en ronde-bosse partielle ou totale de défunts (fig. 7 et 8)5 parfois représentés en pied ou assis qui montrent l’achèvement du processus d’anthropomorphisation des morts à l’époque romaine en Syrie du Sud. Ces statues n’ont malheureusement jamais été retrouvées in situ et nous ne pouvons donc dire avec certitude si elles étaient destinées à l’intérieur des sépultures ou à leur exposition à l’extérieur. Mais un type de tombeau très original, retrouvé dans la nécropole ouest de Bosra, laisse envisager que les quatre exèdres qui le surmontaient en surface pouvaient être destinées à les abriter6, à moins que l’on y ait placé des sarcophages, autre évolution à mettre au compte de l’époque provinciale dans la manière d’inhumer les morts et dont les motifs sculptés des cuves s’inspirent aussi du répertoire gréco-romain (mythe des Centaures et des Lapithes, ou portrait du défunt soutenu par des Victoires).

Fig. 5 : Stèle funéraire - Musée de Damas (cliché de l’auteur).

Mais par quel canal ceci serait-il parvenu dans le Hauran ? Ce n’est probablement pas par le relais des militaires romains de passage dans la région après la création de la province, car ils n’apparaissent jamais portraiturés ainsi. Les pierres tombales des soldats étrangers à la région et celles de leur famille, y compris ceux qui viennent d’Italie, appartiennent à des modèles très différents (autels, blocs verticaux moulurés) et surtout ils usent du latin pour leur épitaphe3. Bien que certains hommes apparaissent en costume militaire sur les stèles et les linteaux du Hauran, ce sont clairement tous des autochtones, comme en témoignent leurs noms

On s’accordera toutefois à constater que toutes ces sculptures, même les plus élaborées, même les plus proches des modèles gréco-romains, affichent des particularités stylistiques fortes. Elles sont tout d’abord uniquement réalisées dans le matériau local qu’est le basalte, aucun exemple d’usage du marbre n’est connu

                                                             4

Parlasca 1982 ; Gatier 2008, p. 12-15 ; Parlasca 2008, p. 149-152, pl. CXLIX-CLI ; p. 150, pl. CL, fig. 3. 5 Fig. 7 : Sartre-Fauriat 2001, vol. I, n°43, p. 280-281, fig. 373 ; SartreFauriat, Sartre 2016, El-Harrah : n°495. Fig. 8 : Sartre-Fauriat 1990, p. 675-685. 6 Sartre-Fauriat 2001, vol. I, p. 46-50.

                                                             1

Sartre-Fauriat 2001, vol. I, n°39, p. 277-278, fig. 369. Kleiner 1977. 3 Sartre-Fauriat 2001, vol. II, p. 118-122. 2

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Le Hauran (Syrie du Sud) dans le Hauran, pas plus dans la sculpture que dans l’architecture. Les spécialistes de la sculpture classique trouveront sans doute bien grossières et parfois étranges ces représentations, dues incontestablement à des artisans et artistes locaux, dont nous connaissons le nom de certains, et non à des importations.

note d’une manière générale l’absence de modelé des visages, toujours pleins et lisses, des cous forts, des mains épaisses ou mal proportionnées. Les coiffures des hommes comme des femmes sont extrêmement schématisées par des boucles en coquille d’escargot, des crans ou des tresses sans finesse, tout comme les barbes faites de petites boules juxtaposées ou les seins en forme de petits cônes en relief et l’on est frappé aussi par l’absence de rendu de l’anatomie des corps. Par ailleurs, bien que réalistes, ces portraits ne cherchent pas à donner au modèle une apparence physique fidèle : Bersès 15 ans (fig. 7) a des allures de matrone quand Ioulia 63 ans ressemble à une jeune fille (fig. 9).

Fig. 8 : Stèle funéraire en haut-relief (Musée du Louvre) (cliché de l’auteur).

Dans ses recherches sur la sculpture en ronde-bosse du Hauran, G. Bolelli avait déjà mis en évidence ces caractères et faisait siennes certaines observations antérieures d’Ernest Will qui distinguait trois catégories d’œuvres en Syrie : les œuvres gréco-romaines importées, les œuvres provinciales plus ou moins transformées ou adaptées des modèles gréco-romains, et les œuvres irréductibles à ceux-ci et restées « primitivistes »2. Elle attribuait la permanence de ces dernières à des traditions antérieures à la provincialisation, celles de l’art de l’Orient ancien dont les caractéristiques propres à ce matériau difficile à

Fig. 7 : Statue funéraire d’El-Harrah - Musée de Damas (cliché de l’auteur).

Tous ces portraits du Hauran gardent un caractère éminemment local et sont fortement empreints de caractères indigènes dans leur réalisation. Certaines pièces conservent, par leurs volumes géométriques et leur plastique très sommaire des corps et des visages, des caractères frustes (fig. 9)1. Les personnages sont presque toujours représentés de face, dans une attitude statique, les yeux largement ouverts et cernés de bourrelets ; on

                                                            

                                                            

1

Cf. Sartre-Fauriat 2001, vol. I, n°7, p. 251-252, fig. 341 ; SartreFauriat, Sartre 2016, musée de Der‘a : p. 618.

2

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Will 1965, p. 511-525.

Annie Sartre-Fauriat modeler qu’est le basalte auraient favorisé le maintien1. On constate que, dans le domaine de l’art funéraire, la première catégorie n’existe jamais, mais que les deux autres sont bien représentées. Il est donc très probable que les sculpteurs ont fait perdurer ces traditions lorsque l’art du portrait funéraire s’est installé et que c’est dans ce fonds oriental qui leur était familier, plus que dans le répertoire gréco-romain, que les sculpteurs ont emprunté leur technique pour satisfaire une évolution du goût et des mœurs de la société locale.

hommes (cheveux et barbes bouclés, tunique plissée et manteau) que chez les femmes (restées à quelques exceptions près plus traditionnelles), ne sont pas restées ignorées, et cela montre que le Hauran, dans ce domainelà aussi, a su faire preuve d’ouverture culturelle dans le respect de ses traditions3.

BIBLIOGRAPHIE Alt A. (1933), « Das Institut im Jahre 1932 », PalästinaJahrbuch 29, p. 5-29. Avigad N. (1954), Ancient Monuments in the Kidron Valley, Jérusalem, p. 91-133. Bolelli G. (1986), « La ronde-bosse de caractère indigène en Syrie du Sud », in J.-M. Dentzer, ed., Hauran I, Recherches archéologiques sur la Syrie du Sud à l’époque hellénistique et romaine, 2e partie, Paris, p. 336-341. Gatier P.-L. (2008), « Un relief funéraire du Moyen-Euphrate au musée des Beaux-Arts de Lyon », Cahiers du musée des Beaux-Arts de Lyon, 2002-2006, p. 12-15. Kalos M., Renel F., Dentzer J.-M. (2010), « Formation et développement des villes en Syrie du Sud de l’époque hellénistique à l’époque byzantine », in M. al-Maqdissi, F. Braemer, J.-M. Dentzer, dir., Hauran V. La Syrie du Sud du Néolithique à l’Antiquité tardive, vol. 1, Beyrouth, (Bibliothèque archéologique et historique 191), p. 147-158. Kleiner D. (1977), Roman Group Portraiture. The Funerary Reliefs of the Late Republic and Early Empire, New York. Mouterde R. (1925), « Inscriptions grecques conservées à l’Institut Français de Damas », Syria 6, p. 215-252. Parlasca K. (1982), Syrische Grabreliefs hellenistischer und römischer Zeit. Fundgruppen und Problem, Mayence. Parlasca K. (2008), « Sculpture during the Roman Period in the Region of Zeugma », in R. Ergeç, ed., Internatinal Symposium on Zeugma: from Past to Future, Gaziantep 20-22 mai 2004, Paris, p. 149-152. Perdrizet P. (1938), « Le monument de Hermel », Syria 19, p. 47-71.

Fig. 9 : Stèle funéraire de Inkhil - Musée de Dera (cliché de l’auteur).

Sartre-Fauriat A. (1990), « Obbè, fille de Sachamélos, un buste funéraire syrien », Syria 67, p. 675-685.

Toutefois, avec le temps, avec le développement des échanges qui ont favorisé la circulation de modèles venus de l’extérieur dans les ateliers (comme il en existait pour le répertoire décoratif ainsi que les travaux de Andreas Schmidt-Colinet l’ont montré pour Palmyre2), avec le développement important des constructions de toute sorte qui témoigne de l’enrichissement des populations, tout cela n’a pu que contribuer à l’évolution des représentations. Malgré leurs maladresses d’exécution, ces pièces montrent à l’évidence que les modes capillaires et vestimentaires, plus visibles chez les

Sartre-Fauriat A. (2001), Des tombeaux et des morts, Monuments funéraires, société et culture en Syrie du Sud du Ier siècle av. J.-C. au VIIe siècle ap. J.-C., 2 vol., Beyrouth, (Bibliothèque archéologique et historique 158). Sartre-Fauriat A., Sartre M. (2016), Inscriptions Grecques et Latines de la Syrie, (IGLS) « La Batanée et le Jawlan oriental », T. XIV, 2 vol., Beyrouth, (Bibliothèque archéologique et historique 207). Sartre-Fauriat A., Sartre M. (à paraître), Inscriptions Grecques et Latines de la Syrie (IGLS), « Le Jebel al-’Arab

                                                             1 2

                                                            

Bolelli 1986, p. 336-341. Schmidt-Colinet 1995.

3

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Cf. Sartre-Fauriat 2001, vol. II, p. 203-208.

Le Hauran (Syrie du Sud) (Jebel Druze) : le Nord-Ouest », T. XVI/1, 2 vol., Beyrouth, (Bibliothèque archéologique et historique).

Schmidt-Colinet A. (1995), Palmyra. Kulturbegegnung im Grenzbereich, Mayence.

Seigne J., Morin T. (1995), « Preliminary Report on a Mausoleum at the Turn of the BC/AD Century at Jerash », Annual of the Department of Antiquities of Jordan (ADAJ) 39, p. 175-191.

Will E. (1965), « La Syrie romaine entre l’Occident grécoromain et l’Orient parthe », in Le rayonnement des civilisations grecques et romaines sur les cultures périphériques, Actes du VIIIe congrès international d’archéologie classique, Paris, p. 511-525.

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PAVEMENTS DE L’ÉPOQUE ROMAINE EN SYRIE CÔTIÈRE : LA MOSAÏQUE D’AMRIT Komait Abdallah Résumé Peu de mosaïques datées de l’époque romaine ont été découvertes sur les sites côtiers de Syrie. Une seule mosaïque a été découverte dans un village à côté de Lattaquié. D’autres mosaïques jusqu’alors inconnues ont également été mises au jour dans la région de Tartous et à Ain el Heloue, près de Lattaquié. La mosaïque inédite, découverte sur le site d’Amrit, au sud de la ville de Tartous, constitue donc un exemple tout à fait intéressant. Découverte par hasard en 1976, dans une tombe, elle n’a jamais fait l’objet d’une étude exhaustive. La récente restauration faite sur cette mosaïque en 2008 a attiré l’attention sur l’importance du programme iconographique représenté. C’est pourquoi nous souhaitons proposer dans le cadre de cette journée une étude iconographique de cette mosaïque d’Amrit, dans son contexte funéraire, pour tenter d’en déterminer la chronologie et montrer son importance pour l’histoire de l’art de la mosaïque en Syrie, notamment sur la zone côtière au IIIe siècle. Mots-clés : mosaïque, tombe, Syrie, Proche-Orient, restauration, Amrit, Gê, inscription, calathos, Hermès. Abstract Among the few mosaics from Roman times discovered in the coastal sites of Syria, only one was discovered in a village next to Latakia. Another mosaic discovered by chance in 1976 on Amrit site, South of Tartus, is a very interesting example. This mosaic has never been the object of an exhaustive study, but its restoration, realized in 2008, has drawn the attention about the importance of its iconographical program. That is why we would like to propose at this symposium an iconographical study of this mosaic, in its funerary context, in order to determine its dating and to evaluate its importance for Art History of mosaics in Syria, especially in the coastal zone during the 3rd century AD. Keywords: mosaic, tomb, Syria, Near East, restauration, Amrit, Gê, inscription, kalathos, Hermes. Amrit est un site d’origine phénicienne, à 7 km au sud de la ville de Tartous, sur la côte syrienne méridionale. Il est surtout connu par ses monuments, un temple, un stade et des tombes à tours, datés probablement du début de la période hellénistique. En 1976, ont été découverts, par hasard, lors de travaux publics effectués dans le Centre de recherches agricoles, les restes très ruinés d’une tombe, − selon les fouilleurs : une pierre de seuil, un pavement de mosaïque et deux autres pierres, provenaient probablement de l’effondrement de la voûte1. La mosaïque a été transportée à Damas, où elle a été restaurée, puis exposée à la citadelle de l’île d’Arouad en face de Tartous en 1979. En 2008, ce pavement a fait l’objet d’une nouvelle restauration par le Laboratoire de conservation des mosaïques de Damas2. Le croquis réalisé au moment des fouilles et la photographie de la mosaïque prises in situ (fig. 1) montrent le plan en L d’un édifice mesurant environ 3 m d’est en ouest et 2 m du nord au sud3. La mosaïque comporte un fond blanc, sur lequel se détachent deux

panneaux représentant des bustes, masculin et féminin, le troisième étant orné de motifs géométriques. Nous allons successivement décrire les différents panneaux de mosaïque à partir de l’entrée de la tombe.

                                                             1

Haïkal 1976, p. 1. Je tiens à remercier les restaurateurs M. Kayed et B. Alzaraa pour les photographies des pavements après restauration, réalisées au Laboratoire de restauration des mosaïques installé dans la citadelle de Damas. 3 Le croquis et les photos sont conservés aux archives de la Direction Générale des Antiquités de Syrie, à Damas.

 

2

Fig. 1 : Photographie de l’ensemble du pavement de la tombe in situ (d’après les archives de la DGAMS).

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Komait Abdallah Le premier panneau de forme rectangulaire (fig. 2), de 195 cm de long sur 142 cm de large contient en son centre un tableau figuré, encadré par une large bordure ornée d’un quadrillage de filets dentelés de quatretesselles, déterminant des triangles, en opposition de couleurs4. Chaque case du quadrillage comporte un petit carré dentelé emboîté de couleur grise, chargé d’une croisette jaune, avec tesselle blanche centrale. Deux carrés sont chargés différemment, différence due certainement à la restauration5 .

tournée de trois quarts vers le spectateur. L’épaule droite et une partie du cou sont couvertes par une tunique. Les cheveux bouclés, réalisés en tesselles rouges et noires, tombent sur le front et sur l’épaule droite. La tête est couronnée de rameaux chargés de fruits disposés symétriquement, de part et d’autre d’un petit calathos. Un sarment porte deux grappes de raisin disposées de chaque côté du visage, sur un autre sont disposés symétriquement, une grenade et un fruit rond. Enfin un troisième rameau se termine par des fleurs (?).

 

  Fig. 3 : Détail du buste féminin  (d’après les archives de la DGAMS).

Fig. 2 : Photographie du premier panneau (d’après les archives de la DGAMS).

 

L’oreille gauche, seule visible, est ornée d’une boucle d’oreille à pendentif orné de trois perles. Au-dessus de l’épaule gauche, on aperçoit une corne d’abondance, dont la partie inférieure est aujourd’hui détruite, d’où émergent un objet rectangulaire traité dans les mêmes couleurs que la corne, et de part et d’autre une grenade et un fruit indéfini. Le visage inexpressif, presque rond, est bien marqué par de grands yeux au regard en oblique. Les joues bien dessinées se caractérisent par un dégradé de tesselles roses, comme le nez large placé dans le prolongement du front. Cette figure évoque celle de la déesse de la terre Gê, représentée sur de nombreuses mosaïques du Proche-Orient aux époques romaine et byzantine. Elle apparaît généralement sous les traits

Le panneau est bordé en haut et en bas par deux rectangles allongés, occupés chacun par un losange couché de couleur rouge (fig. 3). Le losange placé audessus d’une figure nous aide à identifier le nom du propriétaire de la tombe, grâce à une inscription en grec faite de tesselles blanches. La première lettre a disparu, mais on peut lire [M]NHΘH KEΡΔΩN, qui signifie « à la mémoire de Kerdon ». La figure centrale du tableau, identifiée par une inscription incomplète : ΒΗΘΝΕ, représente le buste d’une jeune femme, de face, la tête

                                                             4

Balmelle et al. 1985, pl. 124-e. L’un contient quatre carrés rouges ; l'autre comporte deux triangles inversés, séparés par trois petits carrés rouges.

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Pavements de l’époque romaine en Syrie côtière d’une jeune femme tournée de trois quarts, couronnée de fruits, de fleurs et de feuilles entremêlés, tenant une corne d’abondance remplie de fruits6. L’exemple le plus proche de notre figure est celui de la mosaïque de Gê et des Saisons d’Apamée de Syrie (fig. 4)7 : dans cette mosaïque, Gê, comme ici, est représentée en buste, la tête surmontée d’un calathos, l’épaule gauche soutenant la corne. Le calathos se rencontre aussi à Shahba sur la tête de Gê, dans la mosaïque dite d’Aiôn, Gê et Prométhée8, mais aussi sur un masque couronné de fruits, placé dans un angle de la bordure de la mosaïque de Dionysos et Ariane du même site9. On le retrouve enfin sur la tête d’un dieu fleuve trouvé dans les thermes découverts à Ghallineh, à côté de Lattaquié10. Cet élément, d’origine orientale a toujours été interprété comme un symbole de fertilité11.

de la déesse punique de la fertilité Tanit, comme en témoignent les stèles de la Ghorfa en Tunisie (datées entre le Ier siècle av. J.-C. et le IIe siècle ap. J.-C.)13, où les branches végétales sont tantôt placées dans les mains, tantôt disposés sur la tête des personnages. La boucle d’oreille à pendentif, modèle courant de la bijouterie romaine, se rencontre sur la figure de la déesse, sur la mosaïque de Gê et des Saisons d’Antioche14 ainsi que sur un tissu copte15 représentant la même divinité. En ce qui concerne l’inscription placée sous la figure, il me semble que la première partie du nom est composée de « BHTH », qui signifie dans les langues sémitiques « la maison »16. Il ne reste que deux lettres de la deuxième partie de l’inscription, « NE ». Il existe plusieurs exemples de noms de localités commençant avec « BETH » : c’est le cas de Baethocécé qui se trouve à l’ouest d’Amrit. Il est donc possible que l’inscription soit le nom d’un lieu. Toutefois, Amrit était appelée aux époques hellénistique et romaine Marathos17. Comme la zone archéologique d’Amrit est très vaste18 et que le nom écrit sur notre mosaïque est inconnu, il n’est pas impossible qu’il désigne un faubourg d’Amrit. Cependant, la figure identifiée est caractéristique des divinités de la terre et ne ressemble pas à celles personnifiant les villes ou les provinces, qui sont généralement coiffées d’une couronne murale19. On peut penser, dans ce cas, que le nom de la localité est un nom théophore, composé de « BETH » et du nom d’une déesse de la terre, dont il ne reste que les deux premières lettres « NE ». Associer le nom d’une divinité à « BETH » était courant chez les habitants de la côte syro-phénicienne20. On peut donc proposer comme complément le nom de la déesse égyptienne Terre-Mère : Neith21, qui est connue chez les Phéniciens et associée notamment aux déesses Astarté et Tanit à Carthage22. La représentation féminine de la

                                                             13

Bisi 1978, p. 24-37, fig. 1, 3-6, 13-15. Levi 1947, pl. LXXXI-CLXIX-a. Ghisellini 1994, p. 880, n°15. 16 Je tiens à remercier l'épigraphiste D. Feissel pour son aide précieuse pour l’analyse de l’inscription. 17 Strabon, Géographie XVI, 2.8-12 ; Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, V, 18. 18 Almaqdessi, Benech 2009, p. 209-211. 19 Il est intéressant de constater qu’à cette époque, sur les monnaies d'Amrit et d'Arados, Tyché portait une couronne murale (Duyrat 2012, p. 86). La Fortune de la cité est souvent associée à la grande déesse ; les deux divinités, régulièrement confondues, échangent leurs attributs (Rey-Coquais 1974, p. 245). 20 Rey-Coquais 1967, p. 273. On peut citer comme exemple « bétyle » qui veut dire « maison du dieu ». Le bétyle localise la présence divine et marque l'emplacement du lieu saint (Lipiński 1995, p. 76). 21 Pinch 2004, p. 170. Cette déesse, la maîtresse de la ville de Saïs sur le delta du Nil, est aussi la protectrice des morts selon les traditions égyptiennes (Lesko 1999, p. 55-56). 22 Shamahd 2013, p. 35 : « All the way into the punic culture of Carthage; nit/Neith wherein referencing Kemetic language means land of Nit, and just as Neith, was a sky godesse of war, a virginal mother goddess, and nurse, and lesse specifically, a symbole of fertility so was Tanit who's symbol remarkably resembles the Kemetic Ankh, wherein her shrine in southern Phoenicia in Serepta reveals inscriptions that associated Tanis with the Phoenician goddess Astarte the Phoenician parallel to Neith ». 14 15

  Fig. 4 : Personnification de Gê, mosaïque d’Apamée de Syrie provenant de l’édifice au triclinos (d’après Balty 1977, p. 73).

  La représentation de rameaux chargés de fruits est connue sur une figure de Gê, datée du VIe siècle, dans l’église nord de Marrata, en Syrie du Nord12. Les rameaux portant notamment grenades et grappes de raisin sont les attributs

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Balty 1973, p. 341, Balty 1977, p. 74. Balty 1973, pl. XV, 1, pl. XVI, 1-2. Balty 1977, p. 28. 9 Balty 1977, p. 50. 10 Balty 1995, p. 67-68. 11 Balty 1977, p. 14. 12 Abdallah 2009, pl. XII, fig. 2. 7 8

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Komait Abdallah mosaïque porte tous les attributs de la déesse Terre, ce qui ne se rencontre sur aucune autre personnification de ville ou de province. Ceci conforte l’existence probable d’un lien entre le toponyme et le nom d’une divinité. Plusieurs témoignages épigraphiques et monétaires montrent la diffusion des divinités féminines dans cette région, par exemple Astarté (Aphrodite)23. Le deuxième panneau, petit tableau à motifs géométriques mesurant 90 cm de long par 46 cm de large, reliait les deux panneaux figurés (fig. 5). Il s’agit d’un pavement orné de deux étoiles à quatre pointes, tangentes, déterminant un losange rouge sur la pointe se détachant sur fond blanc. Ce motif d’étoile banal, est souvent utilisé dans le décor des mosaïques d’Antioche, surtout aux IIe et IIIe siècle24 ainsi que sur une mosaïque de Byblos du IIe siècle25. Dans la majorité des exemples, les étoiles ont une composition tangente, tandis que les couleurs et le motif de remplissage diffèrent.

  Fig. 5 : Photographie du deuxième panneau. Motif géométrique  (d’après les archives de la DGAMS).

 

Le troisième panneau, fragmentaire, est comme le premier, de forme rectangulaire (129 x 64 cm), (fig. 6).

Fig. 6 : Photographie du troisième panneau. Buste de jeune homme et bordure de postes (d’après les archives de la DGAMS).

Il est constitué d’un tapis comprenant une autre figure en buste, encadrée par une large bordure de ligne de postes réalisée en tesselles rouges. Au centre est figuré un jeune homme dont l’identité est inconnue : contrairement au premier, le panneau ne possède pas d’inscription.

Le buste est légèrement incomplet à gauche. Son visage est presque rond et le nez prolonge un front large. Les variations de couleur sur le cou sont probablement dues à une restauration moderne. L’épaule droite était peut-être couverte d’un pan de manteau (?). Les cheveux frisés couvrent en partie l’oreille et sont serrés au sommet du front par un bandeau fin, formant presque un diadème doré. On remarque une petite aile dépliée du côté gauche du front et la naissance de l’autre, symétrique, à droite. Derrière l’aile conservée se dresse un bouquet de quelques longues feuilles pointues. Enfin, la tête est surmontée par un objet de forme arrondie au sommet pointu, traité comme un objet métallique : il émerge des cheveux. Ce buste aux cheveux entremêlés de feuilles pourrait s’apparenter à certaines personnifications de fleuves sur les mosaïques d’Antioche26. Toutefois, aucun

                                                             23

Rey-Coquais 1974, p. 244-245. Comme par exemple sur la mosaïque de la maison de Polyphème (Levi 1947, pl. III, b) et sur celle du Bateau des Psychés (Levi 1947, pl. XXXIX, a), ici les pointes sont faites en tesselles noires et les carrés centraux sont chargés d’un motif d’étoile. C’est aussi dans la maison du Pavement rouge que se trouve un motif semblable : seuls, les carrés sont chargés d’une croisette (Levi 1947, pl. XCVI, b). On rencontre également le même motif sur le pavement de la maison de Dionysos ivre, mais ici, les étoiles sont réalisées à l’aide de deux couleurs et les carrés sont chargés d’une croisette. (Cimok 2004, p. 51). 25 Chehab 1957, pl. VII, 1. 24

                                                             26 On peut citer quelques exemples de figures de divinités fluviales proches dans leur exécution de la figure de la mosaïque d’Amrit : celle

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Pavements de l’époque romaine en Syrie côtière bains D (fig. 8) 32, dont la tête est ornée d’un bandeau ou diadème qui enserre les cheveux, au milieu duquel se dresse un objet de forme conique assimilable à celui de notre personnage.

des exemples connus ne porte d’ailes sur la tête. Ce détail se retrouve sur la tête des divinités des vents27, mais notre personnage a d’autres attributs qui ne se rencontrent pas dans la figure de ces entités, comme le bandeau dans les cheveux et l’objet arrondi et pointu surmontant la tête (fig. 7). D’autre part, les deux ailes sur le front caractérisent également la figure d’Hermès, comme cela est bien attesté sur les mosaïques du Proche-Orient à Antioche28, Shahba29 ou Édesse30 ou encore à Chypre à Néa Paphos31. Mais dans tous ces exemples, à la différence de notre figure, il est représenté en pied, portant parfois son attribut traditionnel, le caducée. Le visage d’Hermès ou sa représentation en buste sont déjà attestés à l’époque romaine. On notera une certaine parenté des attributs entre notre personnage et l’Hermès de la maison des Mystères d’Isis d’Antioche par la représentation des ailes et des feuilles, mais également avec celui de la mosaïque d’Hermès et Dionysos des

                                                                                                 représentant le fleuve Tigre dans la mosaïque de la maison de Cilicie (ici, la divinité est barbue) (Cimok 2000, p. 64) ; dans la maison des Portiques à Séleucie, la personnification d’Alpheios a les épaules nues (Cimok 2000, p. 98) ; Pyramos est représenté sur la mosaïque du même édifice, (Cimok 2000, p. 98) ; enfin, dans le bain E, l’Euphrate a une épaule découverte (Cimok 2000, p. 100). 27 On les trouve souvent dans des contextes funéraires, par exemple sur la voûte peinte de la tombe de Djel El-Amad près de Tyr (IIIe siècle) (Cumont 1942, 153, pl. lX). Sur les mosaïques d’Ostie se trouvent les portraits de quatre dieux avec des ailes, mais ils sont représentés de profil, sans feuilles dans les cheveux, avec la bouche ouverte (Cumont 1942, 152, fig. 23). Parfois, on rencontre juste la tête avec les ailes sculptées notamment, sur les stèles des tombeaux à l’époque romaine (Cumont 1942, p. 153-162). Cumont 1942, p. 150 : « Ces divinités aériennes sont beaucoup plus fréquemment figurées par des bustes ou de simples têtes, dont le souffle impétueux est matérialisé sous la forme d’une sorte de cornet, qui sort des lèvres et va en s’élargissant, comme par exemple sur un bas-relief mithriaque de Mayence ». Cumont 1942, p. 150-153 : « Parfois, mais non toujours, ces têtes portent en outre, des ailes pour marquer la vélocité de leur mouvement, semblable à celui d’un oiseau rapide fendant l’espace. Leurs visages aux sourcils contractés, aux joues enflées, expriment souvent l’effort musculaire grâce auquel ils projettent au loin leur haleine. Ailleurs, ces divinités prennent parfois l’apparence à demi-animale de Satyres aux oreilles pointues. Fréquemment ces bustes de vents sont accouplés ou réunis par quatre, les unes barbus, les autres imberbes. Lorsqu’ils sont quatre, on les place souvent dans les écoinçons de reliefs, dont le centre est occupé par le cercle du zodiaque ou un planisphère. C’est un type traditionnel de représentation cosmographique, dont l’origine remonte à la distinction que faisaient les Babyloniens des autres Vents du ciel : ceux de nord-est, du sud-est, du sud-ouest et du nord-ouest ». 28 Sur les mosaïques d’Antioche, Hermès est représenté, en général, sous l’aspect d’un jeune homme imberbe, couvert partiellement d’un manteau et qui porte d’une main son attribut traditionnel, le caducée, comme le montre la mosaïque du Jugement de Pâris conservée au Louvre (Cimok 2000, p. 29). Dans la mosaïque d’Hermès et de Dionysos, il est figuré avec deux ailes sur la tête et deux ailes à chaque pied (Cimok 2000, p. 229). Dans la maison des Mystères d’Isis, la tête d’Hermès porte deux ailes et des feuilles pointues mêlées à ses cheveux (Levi 1947, pl. XXXIII, a). 29 Hermès apparaît dans une scène au côté d’Aiôn, de Gê et de Prométhée à Shahba, où il maintient l’âme (Psyché). Il est représenté jeune, imberbe, partiellement couvert, avec deux ailes et son caducée (Balty 1977, p. 28). 30 Dans cette mosaïque, Hermès est figuré presque nu, avec deux ailes sur le front, portant l’âme au côté de Prométhée (Balty, Briquel Chatonnet 2000, p. 38). 31 Dans la mosaïque d’Aiôn à Néa Paphos à Chypre, Hermès est représenté assis, habillé d’une tunique, portant deux ailes sur le front et un ruban enserrant ses cheveux (Michaelides 1987, pl. XXII. 27).

  Fig. 7 : Photographie du troisième panneau. Détail du buste masculin (d’après les archives de la DGAMS).

Dans l’art romain, on connaît également plusieurs figures du dieu Mercure-Hermès dont la tête est surmontée d’un objet pyramidal. Cet objet a souvent été identifié comme un bouton de lotus, ou comme une plume33.

                                                             32

Levi 1947, pl. CLXVI. Simon, Bauchhenss 1992, p. 535. Pour ces deux auteurs, cet objet est un bouton de fleur de lotus. Dans certaines descriptions, on précise qu’il s’agit d’une plume. Dans tous les cas, ce motif est attribué au dieu égyptien Thot, dieu de la sagesse et de la guérison, qui est assimilé à Hermès chez les Grecs. J. Balty en abordant la question de l’objet dont la base à une forme pyramidale, caractéristique de l’iconographie de Dionysos en Syrie, pense qu’il peut être lié au bouton de lotus associé à Isis en Egypte antique, qui symbolise la fécondité. Le bouton de lotus est probablement l’objet conique visible sur quelques cornes d’abondance. J. Balty considère prudemment ce motif comme un élément à part, qui peut avoir une symbolique purement syrienne (Balty 1973, p. 337-339). 33

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Komait Abdallah mosaïques de la maison du Dionysos ivre36, du Triomphe de Dionysos37 ou de la maison des Mystères d’Isis38. Les figures sont réalisées à l’aide de tesselles plus petites que celles du fond, les plus fines étant réservées aux détails, notamment les yeux. Le mosaïste joue avec les contrastes d’ombre et de lumière par l’utilisation de lignes de tesselles de couleurs opposées et de tâches colorées pour offrir du modelé aux figures. Parfois, il utilise un contraste d’une seule couleur (claire ou foncée) comme le blanc pour essayer de donner un effet de relief et plus de réalisme (par exemple les fruits). Il utilise également la couleur blanche pour indiquer la brillance des objets métalliques comme dans le calathos et la corne de la première figure. Les contrastes entre zones claires et foncées sont particulièrement utilisés dans les visages, mais aussi pour le traitement du manteau sur l’épaule de la femme où les plis sont marqués par des tesselles plus sombres. Le jeu de contraste entre zones d’ombre et de lumière est caractéristique de l’époque sévérienne. La position oblique des yeux donne aux visages une impression de tristesse, une forme de pathos, hérité de la tradition hellénistique. Nous pouvons citer, à titre de comparaison, le traitement des personnages sur la mosaïque d’Héraclès découverte à Homs39 ou celle des thermes de Ghallineh près de Lattaquié.

  Fig. 8 : Hermès portant l’enfant Dionysos, mosaïque provenant des bains D d’Antioche (d’après Levi 1947, pl. CXCVI).  

Sur la mosaïque d’Amrit, cet élément ressemble plus à une plume : en son milieu, un trait en tesselles noires évoque certainement le rachis ou la tige pleine de celle-ci. Malgré l’absence de l’attribut traditionnel du dieu, le caducée, l’iconographie du personnage et ses attributs nous invitent à l’identifier comme Hermès/Mercure. L’objet sur la tête du personnage évoque probablement la plume, il s’agirait peut-être d’Hermès/Thot ou Hermès Trismégiste. Sa présence ne serait pas surprenante à Amrit qui est un site phénicien. D’après Philon de Byblos (IIe siècle), Hermès Trismégiste est un dieu phénicien, appelé aussi Taautos (taautos, trois fois dieu). D’après l’auteur, ce dieu est assimilé à Thot, dieu égyptien de la lune34. De surcroît, les monnaies de Marathos prouvent que le culte d’Hermès était avec celui d’Apollon, l’un des cultes principaux dans la région depuis l’époque hellénistique35.

D’après les critères stylistiques, ces mosaïques peuvent être probablement placées dans la première moitié du IIIe siècle. Ces deux représentations en bustes ornaient une tombe avec un lien à rechercher entre l’iconographie et le contexte sépulcral. La présence de la figure d’Hermès en milieu funéraire n’est pas surprenante : en effet, ce dieu est souvent représenté dans les tombeaux à l’époque hellénistique et romaine, pour son rôle psychopompe, apparu dans l’iconographie des mythes, des rites et des cultes funéraires40. L’association du dieu Hermès avec la déesse Terre-Mère (Gê ou Déméter) est aussi connue dans l’art hellénistique et romain. Les deux personnages sont présents dans la scène de l’enlèvement de Perséphone par Hadès, où Hermès paraît guider l’attelage du dieu, prenant sa fonction de guide des âmes aux Enfers (comme dans la peinture de la tombe de Massiaf)41. On les trouve également dans la scène du retour de Perséphone, où Hermès se tient au côté de la déesse et de sa mère Déméter42. Hermès et Isis sont également

Un programme décoratif à visée symbolique. La mise en page et le programme décoratif de cet ensemble sont typiques de l’iconographie des mosaïques syriennes aux IIe et IIIe siècles. L’organisation des panneaux était faite pour être lue à partir de l’entrée de la tombe. Ce principe décoratif de petits panneaux successifs, encadrés de bordures géométriques simples, ornés tantôt de motifs géométriques, tantôt d’un personnage, est très fréquent sur les mosaïques d’Antioche, au IIe siècle et jusqu’à la première moitié du IIIe siècle. On peut citer quelques exemples comme les

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Levi 1947, p. 40-41. Levi 1947, p. 93-94. 38 Levi 1947, p. 163. 39 Chehab 1957, pl. VII, 1. 40 Siebert 1990, p. 228. 41 Chapouthier 1954, pl. XXI, fig. 1. On les trouve surtout sur les reliefs des sarcophages romains. 42 Sur un relief votif d’Olbia en Sardaigne (d’époque hellénistique), on trouve Cybèle trônant. À côté d’elle est représenté Hermès accompagné d’une femme. La même scène est sculptée sur une table en marbre à Thasos en Grèce (IIe siècle). Une femme à côté d’un trône, accompagnée d’un lion, est ici identifiée à la déesse Hécate (Siebert 1990, p. 773-774). 37

                                                             34

Du Mesnil du Buisson 1973, p. 70-80. Rey-Coquais 1974, p. 273. Il faut rappeler que l'on a trouvé une inscription en deux langues, grec et phénicien à Arados (dédicace d'un gymnasiarque en 24/25 avant J.-C.), qui cite le nom d'Hermès avec celui de Melqart (Rey-Coquais 1970, p. 25-26). 35

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Pavements de l’époque romaine en Syrie côtière Balty J. (1995), Mosaïques antiques du Proche-Orient. Chronologie, Iconographie, Interprétation, Paris.

présents sur une même scène, sur une mosaïque de la maison des Mystères d’Isis d’Antioche. Une déesse de la Terre, interprétée par D. Levi comme Isis, est debout devant une femme (celle dont l’âme est initiée) qu’Hermès touche de sa bague, signe pour entrer dans l’au-delà43. Dans tous ces exemples, Hermès et une déesse chthonienne sont figurés dans le cadre d’une scène mythologique, à consonance rituelle, montrant le lien entre ces deux divinités. Dans notre édifice, on constate que les deux divinités ne sont pas liées à une scène commune ni associées à d’autres personnifications. Néanmoins l’organisation hiérarchique des images dans la tombe nous aide peut-être à comprendre cette relation. On constate que la figure de la Terre se trouve à l’entrée de la tombe, suivie par le motif d’étoiles, puis par le dieu Hermès. Cette disposition hiérarchique du décor nous conduit à penser que l’image de la Terre pouvait personnifier la localité, évoquant probablement le séjour terrestre du défunt, alors que celle d’Hermès/Thot suggère son séjour céleste, éternel, après la mort. Chez les Phéniciens, Hermès/Thot fait allusion à la lune et symbolise le ciel. Le séjour astral de l’âme après la mort est une notion d’origine orientale, très répandue à l’époque romaine. D’ailleurs, les influences égyptiennes et chaldéennes dans la religion phénicienne aux époques hellénistique et romaine sont bien attestées dans l’iconographie et la littérature44.

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Ces nouvelles mosaïques d’Amrit prennent donc une place de grande importance dans le contexte de la production syrienne : se positionnant dans la série peu nombreuse des mosaïques funéraires d’époque romaine de la région, elles illustrent cet art encore peu connu sur la côte syrienne pour cette époque. Par ailleurs, elles s’inscrivent stylistiquement parfaitement dans les traditions artistiques des mosaïques de l’école d’Antioche des IIe et IIIe siècles de notre ère.

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Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, traduit, présenté et annoté par Stéphane Schmitt, Paris, 2013.

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ENTRE INFLUENCES ET SINGULARITÉ : L’ART RELIGIEUX NABATÉEN DE DHARIH ET DE TANNUR Delphine Seigneuret Résumé Il s’agira ici de s’interroger sur la sculpture du temple de Dharih et du haut lieu de Tannur. En effet, les deux monuments étaient initialement ornés d’un décor exubérant taillé dans du calcaire : bas-reliefs encadrés, rinceaux végétaux, grenades, petits personnages et animaux, bustes zodiacaux et Victoires ailées. L’ensemble est traité dans un style indigène mais les représentations se rapportent à différents répertoires du monde méditerranéen. Nous nous demanderons donc quelle est la signification de tout cet ensemble et dans quelle mesure le programme iconographique et décoratif de ces deux sites est complémentaire. Mots-clés : architecture, sculpture, décor, môtab, griffon, centaure, aigle, Méduse, zodiaque, victoire. Abstract The purpose, here, is to question ourselves about the carved decor of the temple of Dharih and the prime site of Tannur. Indeed, the two monuments were initially adorned with an exuberant decor carved in limestone: framed bas-reliefs, garlands of foliage, pomegranates, small characters and animals, zodiacal busts and winged Victories. The whole is depicted in a native style but the representations are drawn from different repertories of the Mediterranean world. We will therefore delve into the significance of all of this, and the extent to which the iconographic and decorative program of these two sites is complementary. Keywords: architecture, sculpture, decor, môtab, griffon, centaur, eagle, Medusa, zodiac, victory.

Khirbet edh-Dharih, situé à environ 80 km au nord de Pétra et à 150 km au sud d’Amman, s’étend sur environ 500 m du nord au sud et sur 200 m d’est en ouest1. Ses vestiges, localisés à un peu plus de 700 m d’altitude sur une terrasse naturelle, dominent le wadi La’ban et le wadi Sharheh et font face au gebel Usba2.

espace hypèthre devant un mur de temenos entourant un autel monumental6. Les phases d’occupation des sites de Dharih et de Tannur sont très semblables. Les commanditaires du sanctuaire de Dharih ont certainement été à l’origine des constructions cultuelles de Tannur : les bâtisseurs et les artisans des deux sites devaient être sous la direction du même maître d’œuvre.

Le sanctuaire était en lien avec une petite bourgade rurale contemporaine, construite à la fin du Ier siècle de notre ère. L’ensemble a été utilisé jusqu’en 3633. La population était donc nabatéenne, d’abord indépendante puis, à partir de 106 ap. J.-C., sous tutelle romaine4. Les fouilles archéologiques, précédées d’une campagne de prospection préliminaire, ont été menées de 1984 à 2008 sous la direction de F. Villeneuve (professeur à l’université de Paris 1) et de Z. al-Muheisen (professeur à l’université du Yarmouk, Jordanie)5.

Le grand lieu de culte de Dharih a été édifié progressivement à partir de la fin du Ier siècle de notre ère ou du début du IIe siècle en débutant par le temple puis en terminant par les cours et leurs aménagements, jusqu’à la fin des années 150, date à laquelle les murs du temenos ont été bâtis. Quelques travaux de réaménagement ont eu lieu durant les IIe et IIIe siècles avant l’abandon des lieux au IVe siècle7.

À sept kilomètres au nord de Dharih se trouve le haut lieu de Khirbet at-Tannur. Dans l’Antiquité, l’endroit était – semble-t-il – uniquement voué aux pèlerinages ponctuels provenant du sanctuaire de Dharih, atteignable par une bonne heure de marche. Le complexe cultuel, bâti en calcaire local et aujourd’hui complètement arasé, comprenait une cour dallée et un

Un premier temple nabatéen a été partiellement détruit, puis intégré dans le bâti du deuxième temple d’époque nabatéo-romaine avec la même orientation. Le deuxième état du temple, sujet de cet article, est daté de la toute fin du Ier siècle ou du début du IIe siècle de notre ère8 : mesurant 16,80 m de large sur 22,60 m de long, il est ouvert en direction du sud. L’édifice est doté d’un vestibule menant à une cella au nord de laquelle a été érigé un môtab. De part et d’autre de cet édicule ont été

                                                             1

Al-Muheisen, Villeneuve 1994, p. 736. Villeneuve 1984, p. 437. 3 Villeneuve 2002a, p. 192. 4 Al-Muheisen, Villeneuve 2005a, p. 424. 5 L’auteur remercie F. Villeneuve pour l’autorisation de publier des données et des documents concernant le site de Dharih. 2

                                                             6

McKenzie, Gibson, Reyes 2002a, p. 44. Al-Muheisen, Villeneuve 2005a, p. 426. 8 Al-Muheisen, Villeneuve 2005b, p. 493. 7

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Delphine Seigneuret aménagées quatre pièces d’angle. L’une d’entre elle est munie d’un escalier.

animaux, bustes zodiacaux et Victoires ailées. L’ensemble est traité dans un style indigène mais certaines images se rapportent à différents répertoires du monde gréco-romain.

J. McKenzie a proposé de réajuster les trois phases proposées par N. Glueck9 en s’appuyant sur l’étude architecturale et iconographique du haut lieu de Tannur10. La première débuterait au IIe siècle avant notre ère, moment durant lequel un petit autel a été construit11. Une deuxième grande phase commencerait à la fin du Ier siècle voire au début du IIe siècle de notre ère12 après sa destruction due, semble-t-il, à un tremblement de terre13 : l’autel est alors agrandi et devient monumental14. Une volée de marches a été placée à l’arrière de cet autel afin d’atteindre aisément sa partie haute et des pilastres décorés ont été installés à chaque angle de la façade (est). Au centre de cette façade a été restituée une niche cultuelle abritant un couple divin (Qôs-Dushara/ Atargatis)15.

Nous nous arrêterons donc sur ces représentations et sur leurs significations dans des monuments dédiés à un culte sémitique. Nous tenterons également de comprendre dans quelle mesure le programme iconographique et décoratif de ces deux sites est complémentaire. Pour répondre à ces interrogations, nous présenterons dans un premier temps l’emplacement des différents décors sur les monuments puis, dans un second temps, les thématiques iconographiques influencées par l’art méditerranéen occidental (les animaux symboliques, les objets et les personnages). I. L’emplacement des différents décors sur les monuments

Durant une troisième et dernière phase, débutant au IIIe siècle de notre ère16, l’autel monumental de Tannur est transformé en plate-forme cultuelle encore plus imposante dont les piédroits sont ornés de bustes zodiacaux17. Un escalier démarrant côté sud permettait d’atteindre le sommet du monument.

À Dharih, le décor figuré se déployait sur la façade du temple, sur celle du môtab et sur le mur nord de la cella ; à Tannur, sur la façade du temenos intérieur et sur celle de l’autel monumental (plate-forme monumentale). L’intérêt de ces deux monuments est considérable. Grâce aux différentes études, nous développons nos connaissances sur l’architecture nabatéenne. Le décor sculpté nous renseigne sur les divinités vénérées et sur les possibles cultes effectués.

En mettant en parallèle les phases de construction – concordantes – des deux sites, l’émergence de ces deux lieux de culte au tournant de l’ère chrétienne coïncide probablement avec le début de la sédentarisation des Nabatéens dans la région. Compte tenu de leur fréquentation croissante, les deux sites ont été agrandis et restructurés à la fin du Ier siècle et au début du IIe siècle18.

A. Sur le temple de Dharih 1.

La lacune épigraphique nous restreint à quelques hypothèses concernant les occupants et les commanditaires de ces deux sites. Il est possible qu’une grande famille sacerdotale, ou que les membres d’une lignée princière exilée de Pétra suite à l’annexion, soient à l’origine des développements conjoints du village de Dharih et du lieu de culte de Tannur19.

La façade

Le mur de façade s’organisait selon un arrangement symétrique de deux demi-colonnes et deux quarts de colonnes accolés aux pilastres d’angle surmontés de demi-chapiteaux corinthiens20. La porte centrale était flanquée de chaque côté d’un piédestal, lui-même surmonté d’une fenêtre placée à 7 m de haut. Cette partie inférieure maintenait un entablement mural constitué, de bas en haut, d’une architrave sculptée de motifs végétaux et d’animaux, d’une frise faisant alterner des bustes personnifiés du zodiaque et des Victoires ailées debout. L’ensemble était surmonté d’une corniche denticulée. Cet entablement soutenait un fronton triangulaire dont le côté ouest a pu être en partie restitué. Le tympan de ce fronton était scindé en deux parties par un arc clavé.

Il s’agira dans cet article de s’interroger sur la sculpture du temple de Dharih et du haut lieu de Tannur. En effet, les deux monuments étaient initialement ornés d’un décor exubérant taillé dans du calcaire : bas-reliefs encadrés, rinceaux végétaux, grenades, petite personnages et

                                                             9

Voir Glueck 1966. McKenzie, Gibson, Reyes 2002a, p. 72-73 ; McKenzie, Reyes, Greene 2012, p. 381. 11 McKenzie 2013, p. 47 ; Reyes, McKenzie 2013, p. 60. 12 McKenzie, Gibson, Reyes 2002a, p. 50 ; McKenzie, Reyes, Greene 2012, p. 381. 13 McKenzie 2013, p. 59. 14 McKenzie 2013, p. 65. 15 McKenzie 2013, p. 69. 16 McKenzie, Gibson, Reyes 2002a, p. 50. 17 McKenzie, Reyes, Greene 2012, p. 384. 18 Al-Muheisen, Villeneuve 2003, p. 90. 19 Al-Muheisen, Villeneuve 2003, p. 100. 10

                                                             20

L’équipe de la mission de Dharih, notamment F. Larché et R. de la Noue, a beaucoup œuvré au sujet de la restitution du temple depuis le début de la mission archéologique dans les années 1980. J’ai pu continuer ces travaux durant ma thèse à partir de 2008. L’analyse des représentations figurées est effectuée par Pascale Linant de Bellefonds et par François Villeneuve qui travaillent encore tous deux sur ces aspects. J’ai pu apporter ma contribution durant ma thèse sur ces différents éléments.

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Entre influences et singularité : l’art religieux nabatéen de Dharih et de Tannur 2.

était agrémentée d’un pilastre d’angle et d’un quart de colonne accolé, ensemble surplombé de chapiteaux corinthiens et d’un entablement composé d’une architrave et d’une frise toutes deux sculptées d’un décor végétal. Ces pilastres étaient ornés de représentations de bustes zodiacaux.

Le môtab

Sur le stylobate se trouve sur trois côtés (façade exclue) un ensemble de colonnes disposées selon un plan en Π (ou en U) : six colonnes cylindriques aux fûts lisses et quatre éléments d’angle de section cordiforme (piliers avec deux demi-colonnes accolées).

Le décor figuré du temple de Dharih aurait– selon toute vraisemblance – été martelé sous les Abbassides ou même peut-être après, mais nous ne pouvons être plus précis. Le temple est converti en église au VIe siècle puis avec la partie nord du sanctuaire, il est ensuite transformé en résidence à activités agricoles. Notons que plusieurs tremblements de terre ont également ébranlé les deux sites : aux IVe, VIIIe et XVIIIe siècles.

Les piliers sud du môtab – les seuls visibles depuis la cella – étaient ornés de bas en haut de trois cadres moulurés superposés contenant des décors végétaux, puis d’un grand rinceau (lui-même inscrit dans un cadre) de feuilles d’acanthe qui s’étendait jusqu’à la base des chapiteaux. Les piliers d’angle A3 et A4, situés à l’arrière du môtab, étaient lisses et sans ornementation. Ces éléments étaient surmontés de chapiteaux corinthiens. L’entablement du môtab présentait initialement deux ordres superposés en façade et sur son mur nord avec l’usage conjoint de pilastres-nains corinthiens placés audessus des colonnes et des piliers cordiformes corinthiens.

A Tannur, et contrairement à Dharih, le site a été réoccupé très sporadiquement donc quelques éléments ont été effacés mais des bustes nous sont parvenus intacts comme nous le verrons. II. Les thématiques22

B. Sur l’ensemble cultuel de Tannur A. Les Griffons et les Méduses 1.

La façade du temenos intérieur L’un des blocs (6098) du temple de Dharih, restitué dans l’entrecolonnement ouest de la façade, présente une scène symétrique (fig. 1) : de part et d’autre d’un personnage central ailé se déploient deux animaux ailés eux aussi tournés vers lui, lesquels semblent être des griffons. Leurs queues sont dressées et empiètent sur le cadre de la face de parement, tout comme les rémiges de leurs ailes.

La façade du temenos interne de Tannur présente des similitudes avec celle du temple de Dharih. Conçue, elle aussi, de manière symétrique, elle mesurait un peu plus de 10 m de haut. L’arrangement des colonnes était semblable à celui de la façade de Dharih puisque, à Tannur, la porte centrale était flanquée de demi-colonnes engagées ; les angles externes de la façade étaient composés de pilastres dans lesquels s’inséraient de chaque côté des quarts de colonnes engagées21. La façade était percée en son centre d’une porte qui donnait accès à la plate-forme. Les colonnes et les chapiteaux corinthiens, similaires à ceux de Dharih, soutenaient un couronnement qui présentait une frise décorée alternant des bustes personnifiant les sept planètes du système solaire et des Victoires ailées. Une corniche denticulée surplombait cette frise. La façade s’achevait dans sa partie supérieure par un fronton triangulaire surmonté d’un attique. D’après les restitutions de J. McKenzie et de son équipe, la porte était surmontée d’un arc au sein duquel se trouvait le relief d’une « Déesse de la Végétation » inscrite dans un décor à motifs floraux et végétaux rappelant celui de Dharih. 2.

  Fig. 1 : Bloc n° 6098 : personnage central ailé et griffons, Dharih (cliché : J.-P. Lange et A. Guillois, 1996-1997).

Ce type de scène est attesté à Pétra sur deux blocs en fort relief mis au jour au nord-est du Qasr al-Bint23 : un génie ailé nu est représenté de face au centre, deux lions ailés

La façade de l’autel monumental

Dans son troisième état (au IIIe siècle de notre ère), la façade de l’autel monumental était constituée d’une niche centrale abritant les sculptures d’un couple divin. Cette niche était flanquée de part et d’autre de pilastres surmontés de chapiteaux. Chaque extrémité du monument

                                                             22 Nous ne reviendrons pas ici sur l’analyse du relief symbolisant un animal nourricier (possible louve romaine), déjà longuement étudié et restitué dans l’entrecolonnement oriental de la façade du temple de Dharih. Voir Villeneuve 2002b, p. 94 et Seigneuret 2015, p. 168. Les représentations de vases cultuels, de foudres et de peltes en façade du temple sont également présentées dans : Seigneuret 2015. 23 Adrian, Delcros, Tholbecq 2013, fig. 3, p. 105.

                                                             21

McKenzie 2013, p. 76.

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Delphine Seigneuret sont disposés symétriquement de chaque côté, la patte antérieure levée, comme sur le bloc du temple de Dharih. Même si les griffons sont entrés dans le répertoire des motifs décoratifs grecs à l’époque archaïque et sont restés en usage à l’époque impériale, leur signification demeure obscure24. Selon la légende, le griffon était l’attribut de Némésis25. Nous pouvons très bien supposer que ces animaux fantastiques revêtaient ici un rôle apotropaïque de gardiens et de protecteurs du temple de Dharih.

B. Les Centaures marins D’après la restitution de la façade du temple de Khirbet edh-Dharih, un centaure marin occupait la hauteur du fronton (dans le tympan ouest) et semblait le soutenir de sa main gauche (fig. 3). Un personnage comparable est restitué à l’est. Tous deux étaient dotés d’un buste d’homme, de membres antérieurs de cheval et d’une queue de monstre marin rappelant les Tritons.

Signalons également les quelques représentations de Méduse dans la sculpture du même édifice. L’une d’entre elles se trouvait initialement à l’extrémité de l’architrave de la façade soulignant ainsi le décor architectural de l’entablement. La même image est replacée à l’est, par symétrie. La figure est identifiable par sa chevelure formée de grosses mèches épaisses ainsi que par les possibles traces du serpent fixé autour de son cou. Deux autres blocs sculptés ornés de cette figure mythologique sont restitués sur l’entablement du môtab (mur sud) (fig. 2). Méduse était donc représentée quatre fois sur le monument : à l’aplomb des portes et plus particulièrement au-dessus des accès menant aux espaces sacrés.

Fig. 3 : Reconstitution du décor du tympan ouest du fronton, Dharih : 3 m de long sur 1,30 m de haut  (cliché : Mission Khirbet edh-Dharih).

C’est un thème bien connu dans le monde grec comme on le remarque sur le grand autel de Pergame, notamment avec la représentation de la Gigantomachie26, mais aussi en contexte romain27 et notamment en Afrique du Nord28. Une mosaïque décorant la pièce P37 de l’une des maisons de Zeugma, datant du IIe ou du IIIe siècle de notre ère, présente une Aphrodite marine installée dans une coquille soutenue par deux ichthyo-centaures29 identifiés : Aphros (la personnification de l’ « Écume marine »), le plus jeune, et Bythos, le plus âgé (la personnification des « abymes profonds »).

En contexte cultuel, comme ici sur la façade du temple de Dharih, cette représentation servait donc probablement à protéger l’édifice lui-même et à bien marquer la délimitation entre l’espace profane et l’espace sacré.

Quelle interprétation peut-on donner aux deux centaures marins de Dharih situés de part et d’autre de l’arc central ? Tous deux pourraient justement symboliser Aphros et Bythos30. Seul le décor du tympan ouest est bien restitué : le centaure marin y apparaît âgé, ridé, avec un corps amaigri et une musculature tombante, caractéristiques physiques de Bythos (10071 et 10076). Il était glorifié par un petit personnage ailé (une possible Victoire) s’approchant de lui et tenant une couronne de sa main gauche31. Nous ne sommes pas en mesure de préciser si le centaure marin Aphros était son symétrique. Si tel était le cas, ce personnage devait être doté d’antennes de homard. Cependant, la lecture iconographique du bloc 10131 (côté est du fronton) est rendue impossible en raison d’une forte érosion ou d’un

26

Chambon, Janif et al. 2002, p. 48. Avec l’exemple d’un relief appartenant au monument appelé autel de Domitius Ahenobarbus (IIe siècle av. J.-C.) orné du mariage d’Amphitrite et de Poséidon qui pourrait symboliser une victoire navale : voir Zanker 1988, fig. 10b, p. 13. 28 Abadie-Reynal 2002, p. 760. 29 Abadie-Reynal 2002, p. 760 ; Grimal 1963, p. 225. 30 Al-Muheisen, Villeneuve 2000, p. 1553. 31 Collart, Vicari 1969, p. 168. 27

Fig. 2 : Bloc n° 4152 restitué sur l’entablement du temple de Dharih (cliché : Mission Khirbet edh-Dharih). 24 25

Lyttelton 1985, p. 20. Bolelli 1985-1986, p. 345.

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Entre influences et singularité : l’art religieux nabatéen de Dharih et de Tannur violent martelage. Ces deux centaures marins placés au sommet de la façade du temple évoquent aussi un épisode mythologique sculpté bien connu et cité précédemment, celui de la Gigantomachie du Parthénon qui relatait le combat entre les Géants et les divinités, symbole de lutte perpétuelle entre les dieux grecs et les dieux étrangers32. Enfin, cette composition rappelle également le décor de la cuirasse de la statue de Gaius César33 (tournant de l’ère chrétienne) sur laquelle un centaure marin tenant un gouvernail de bateau fait face à un centaure terrestre tenant une corne d’abondance et dont le corps s’achevait en rinceaux de vigne. Il s’agissait certainement là d’une référence à une victoire navale (terra marique) et donc, par voie de conséquence, à une certaine renaissance. À Dharih, cette scène placée à plus de 12 m de haut pouvait interpeller les pèlerins et les voyageurs en mettant en valeur la continuité et la répétition des événements, notamment dans le cas de la vie religieuse et politique. Les images du tympan étaient manifestement symboliques. Il s’agissait peut-être aussi d’une transcription idéologique du nouveau pouvoir mis en place. Cependant la prudence s’impose dans l’interprétation (référence à la terre, à l’eau et à la fertilité).

L’aigle est parallèlement associé au pouvoir et à la victoire, notamment lorsqu’il est associé à une couronne ou à une palme. En effet, sur le revers des monnaies frappées durant la dynastie ptolémaïque, nous savons que l’emblème royal était représenté par l’aigle, ensuite repris dans la symbolique impériale dès le début de l’époque augustéenne35. Sur la façade du temple de Dharih, on le trouve donc ornant certains cadres restitués dans les entrecolonnements ainsi que dans le fronton. Le parallèle le plus proche de ce type de représentations est celui de l’acrotère restitué à l’aplomb du « panneau d’Atargatis » sur la façade du temenos intérieur du haut lieu de Tannur36. L’aigle, représenté de face et inclinant sa tête vers la droite, était probablement la marque d’un pouvoir divin. D. Héraklès et l’Hydre de Lerne Nous soulignons ici une autre référence à la mythologie gréco-romaine dans l’entrecolonnement oriental de la façade du temple de Dharih. Sur l’un des blocs restitué est dépeint Héraklès, tenant sa massue et terrassant l’Hydre de Lerne37 (10019) (fig. 5). Il n’est pas étonnant d’observer la représentation d’un Héraklès en façade si l’iconographie sculptée du temple est véritablement dédiée à un Zeus-Dushara. Le héros était en effet fils de Zeus38 et d’Alcmène, élevé, selon la légende, sous un platane par Héra. L’arbuste dépeint sur la partie gauche du bloc pourrait être une réminiscence du mythe.

C. Les aigles L’un des blocs (fig. 4) replacé dans l’entrecolonnement ouest du temple de Dharih est décoré d’une couronne centrale – à l’intérieur de laquelle est représenté un aigle de face – laquelle est tenue symétriquement par deux personnages ailés faisant quasiment sa hauteur (6127). L’aigle est debout et se déploie à travers tout l’espace interne de la couronne. Il peut évoquer des divinités telles que Zeus, Bêl ou Baalshamin34.

  Fig. 5 : Bloc n° 10019, façade du temple de Dharih  (cliché : Mission Khirbet edh-Dharih).

E. Une scène de foulage ?

  Fig. 4 : Bloc n° 6127, façade du temple de Dharih  (cliché de l’auteur).

L’un des blocs restitué sur la deuxième assise en partant du haut (entrecolonnement ouest de la façade du temple de Dharih) est presque entièrement martelé (6096) (fig. 6). Seuls ont été épargnés les motifs suivants : à droite, un entrelacs végétal avec deux feuilles de vigne et

                                                            

                                                            

35

Will, Larché, Zayadine 1991, p. 249. Tholbecq 2003, p. 175 ; McKenzie 2003, fig. 180, p. 175. 37 Communication personnelle de P. Linant de Bellefonds. 38 Grimal 1963, p. 188.

32

36

Isaac 2008, p. 590. 33 Zanker 1988, fig. 178 et p. 223. 34 Augé, Linant de Bellefonds 1991.

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Delphine Seigneuret une grappe de raisin puis, à gauche, un amoncellement de petites boules sur trois niveaux symbolisant soit des rochers, soit des grains de raisin disposés juste avant une action bien spécifique dans le monde agricole, le foulage (même si ces grains semblent être un peu gros).

scène est délimitée par une figure ailée placée à chaque extrémité du cadre. 2. La divinité était peut-être une Néréide étendue sur une couche, une thématique fréquemment reproduite sur les sarcophages dès l’époque hellénistique40. En effet, la célèbre « toilette de Vénus », mise en relief en contexte funéraire aux IIe et IIIe siècles, était souvent constituée d’un cortège marin composé de Néréides, surmontées de voiles, chevauchant tritons et hippocampes41.

Trois ou quatre personnages étaient originellement représentés mais il est impossible de le préciser. Tous ces éléments laissent penser qu’une scène de vendange a été sculptée sur ce bloc, probable référence à une thématique dionysiaque et/ou agraire.

G. Les Zodiaques, les Victoires ailées et les Planètes

  Fig. 6 : Bloc n° 6096, façade du temple de Dharih  (cliché : Mission Khirbet edh-Dharih).

F. Une divinité étendue Une scène restituée dans l’entrecolonnement oriental de la façade du temple de Dharih est sujette à controverses (6024) (fig. 7).

La frise, une composante majeure de l’entablement de la façade du temple de Dharih, mesurait quasiment 1 m de haut et trônait à presque 12 m depuis le sol du sanctuaire : son message sculpté était très visible, offert à tous. Il se devait d’être donc compréhensible immédiatement, et de loin (fig. 8). Les Zodiaques personnifiés restitués à cet endroit symbolisaient certainement un événement marquant, glorifiant, comme l’indique la présence des Victoires ailées les couronnant. L’importance de ce Zodiaque en domaine nabatéen se traduit à plusieurs niveaux : d’une part, le cycle, sculpté en façade, était présenté de façon linéaire ; d’autre part, les éléments mis au jour récemment sont tous anthropomorphes, notamment le Cancer et le Taureau qui habituellement sont figurés sous leur forme animale. Le Taureau évoque peut-être ici Pan (auquel Apollon Karneios, le « cornu » est assimilé42), dieu protecteur des vignes et des champs dont le culte s’est répandu au Proche-Orient. Un sanctuaire rupestre lui avait d’ailleurs été dédié à Banyas, dans le Golan, dès le IIe siècle avant notre ère43.

  Fig. 7 : Bloc n° 6024, façade du temple de Dharih  (cliché : Mission Khirbet edh-Dharih).

Le bloc le mieux préservé est orné de deux personnages facilement identifiables puisqu’il s’agit des Gémeaux assimilés aux Dioscures, Castor et Pollux, lesquels sont reconnaissables grâce au pileus, le bonnet conique qu’ils portent sur les cheveux, et à leurs cuirasses. Les deux figures ne sont pas représentées côte à côte : l’une est au premier plan, et l’autre au second44. Le Cancer est facilement identifiable puisqu’il est pourvu de pinces de crabe derrière les oreilles et au-dessus de la tête. Cette représentation peut éventuellement être rapprochée du dieu Hermès, protecteur des voyageurs dans le monde gréco-romain.

Une divinité – à demi-étendue ou assise sur ce qui pourrait s’apparenter à une kliné – est surmontée d’un grand voile qu’elle semble tenir et qui dépasse du cadre du bloc. Le décor figuré étant extrêmement martelé, les figures sont difficilement analysables. Nous soumettons toutefois deux hypothèses d’interprétation : 1. l’un des pieds de la klinè est penché et la masse centrale fait davantage penser au corps maladroitement représenté d’un animal. La référence à l’enlèvement d’Europe par un taureau est peut-être hasardeuse mais doit être mentionnée39. En effet, la

                                                                                                 décor de la frise de la façade du temple. Pour le mythe de l’enlèvement d’Europe, voir Grimal 1963, p. 151. 40 Augé C., Linant de Bellefonds P., « Le Décor figuré du temple de Dharih », étude non publiée, 1991. 41 Will 1995, p. 874. 42 Al-Muheisen, Villeneuve 1999, p. 80 ; Al-Muheisen, Villeneuve 2000, p. 1553. 43 Al-Muheisen, Villeneuve 1999, p. 80. 44 Linant de Bellefonds, Villeneuve 2012, p. 352.

                                                             39

Le taureau dont Zeus avait pris la forme devint une constellation placée parmi les signes du Zodiaque, ce qui pourrait faire référence au

110

Entre influences et singularité : l’art religieux nabatéen de Dharih et de Tannur

Fig. 8 : Restitution séquence zodiacale ouest de la frise de la façade du temple de Dharih (cliché de l’auteur). Le buste de la Balance, est moins bien préservé, mais reconnaissable grâce aux deux mesures placées sur sa poitrine.

Ces trois niveaux de lecture correspondaient peut-être à une commanditaires du temple49.

Entre chaque buste zodiacal était placé une Victoire ailée debout et faciale tenant généralement une palme45 d’une main et une couronne, de l’autre46.

La référence au décor de la façade du temenos interne de Tannur, construite elle-aussi au début du IIe siècle de notre ère, est explicite : les visages des bustes sont de même facture sauf que, à Tannur, les personnages figurent les Planètes et non les Zodiaques.

Toute la séquence ouest de la frise, restituée de manière sûre, permet de constater que le Taureau et les Gémeaux étaient couronnés une seule fois tandis que le Cancer était couronné des deux côtés par les Victoires nos 9161 et 805047, peut-être en référence au solstice d’été (mois de juin).

indissociables volonté des

Pour essayer d’éclaircir la question, observons la sculpture de la période III (début du IIIe siècle de notre ère, soit un siècle après l’élaboration du décor de Dharih) de l’autel monumental de Tannur, qui représente également un cycle zodiacal. Sur la devanture de cet autel, ont été sculptés douze bustes zodiacaux de part et d’autre de la niche cultuelle sur des pilastres ajoutés au IIIe siècle de notre ère.

La présence de ce Zodiaque reste problématique et énigmatique. Dans l’Empire romain, dès l’époque augustéenne, l’image du Zodiaque rencontre les thèmes de la propagande impériale48.

Ce cycle zodiacal sculpté était donc scindé en deux parties et se présentait de la manière suivante (du haut vers le bas) : - côté sud (gauche) : Bélier, Taureau, Gémeaux, Cancer, Lion et Vierge ; - par symétrie, côté nord (droit) : Balance, Scorpion, Sagittaire, Capricorne, Verseau et Poissons.

Cette frise zodiacale était-elle une référence au nouvel ordre cosmique romain (annexion de la Nabatène à l’Empire) ? Ces bustes personnifiés avaient-ils un rapport avec un culte astral ? Ou bien cette frise mettait-elle uniquement en avant des divinités, ce qui expliquerait les bustes théomorphiques ?

D’une part, un tel arrangement pouvait faire référence aux deux fêtes du Nouvel An célébrées par les Nabatéens et plus généralement par les Sémites : la première au printemps et la seconde à l’automne. Le Bélier et la

                                                             45

La première connotation de la palme est la victoire. Mais celle-ci peut également se rapporter à la fertilité, au succès et à la paix. D’après Isaac 2008, p. 595, note 70 et Dentzer-Feydy 2008, p. 207. 46 À Dharih, les Victoires ailées ne reposent pas sur un globe contrairement à celles de la frise de la façade du temenos intérieur de Tannur : McKenzie, Reyes, Greene 2012, p. 383. 47 Linant de Bellefonds, Villeneuve 2012, p. 355. 48 Gury 1997, p. 497.

                                                             49

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Al-Muheisen, Villeneuve 2000, p. 1553.

Delphine Seigneuret F. Villeneuve a eu l’opportunité d’observer le matériau dans lequel cette œuvre a été sculptée. D’après lui, la roche calcaire possède les mêmes caractéristiques que celle de Tannur : une couleur beige-orangé et un aspect plutôt friable. Le calcaire n’a pas le même aspect que celui des carrières de Dharih.

Balance étaient en effet placés au sommet des pilastres : ces deux Zodiaques pouvaient symboliser les équinoxes. D’autre part, cette composition pouvait traduire une conception plutôt cosmologique. Comme la Vierge et les Poissons étaient situés sur la partie inférieure des piédroits, ils étaient directement reliés à la terre et donc symboliquement à la notion de fertilité : la Vierge portait des épis de blé et les Poissons reflétaient la vie aquatique, voire même maritime.

Toutes ces données de fait nous amènent à plusieurs constats. Deux blocs, au minimum, ornés d’une divinité centrale inscrite dans un médaillon sont attestés, mais il en existait peut-être davantage. Tous deux mesuraient entre 0,30 m et 0,40 m de long. Le premier relief est replacé en façade de l’autel cultuel de Tannur , mais il est pour le moment impossible de replacer le second.

Nous proposons deux autres parallèles provenant du site de Tannur : 1. Un haut-relief a été replacé, très hypothétiquement, dans la niche de la façade de l’autel monumental audessus des deux statues de culte, pour que les rayons du soleil l’atteignent lors des équinoxes. Il représente une Victoire ailée brandissant de ses deux mains – avec les bras placés à la perpendiculaire – un disque au centre duquel se trouve une Tychè, à droite de laquelle est représenté un petit croissant de lune. Ce disque est bordé d’une bande circulaire figurant un cycle zodiacal, mais représenté, encore une fois, différemment des normes habituelles et notamment du cycle romain conventionnel. Pourquoi ? Si l’on scinde ce disque en son milieu, les deux représentations sommitales sont celles, à gauche, du Bélier et à droite, de la Balance. En suivant le cycle vers la gauche, on parvient à l’extrémité inférieure au symbole de la Vierge et en suivant le cycle vers la droite, on aboutit à l’extrémité inférieure au symbole des Poissons. Cette disposition en deux parties rappelle exactement celle de la façade de l’autel décrite précédemment : les signes de l’automne et de l’hiver vont « dans le sens des aiguilles d’une montre », côté droit, contrairement aux signes printaniers et estivaux, côté gauche.

Les dimensions de ces blocs leur confèrent toutefois un caractère amovible. Nous n’excluons pas que ces éléments aient pu être retirés de leur emplacement originel lors de rituels bien précis afin d’être transportés d’un site à l’autre, entre Dharih et Tannur. Toute la période comprise entre le Ier siècle et le IVe siècle de notre ère est connue pour avoir été foisonnante parallèlement dans les domaines de l’architecture et de l’art : plusieurs monuments nabatéens ont été conçus dans un style hybride mêlant traditions orientale et occidentale. Le temple de Dharih en est un exemple incontestable. Les formes, les idées et les images circulaient grâce aux commerçants, mais surtout grâce aux artistes. Tout un réseau routier permettait aux marchands nabatéens de se rendre d’Arabie jusqu’en Égypte, en Syrie, en Grèce et à Rome, voire même en Extrême-Orient, comme en Chine et en Inde. Les populations installées dans des petits villages agricoles, aux alentours du wadi al-Hasa et du wadi Mujib, devaient certainement aller à la rencontre de caravaniers venant de Pétra, et ce afin d’échanger des produits locaux contre d’autres richesses : épices, encens, parfums, matériaux (fer, cuivre, or, ivoire), animaux.

2. Chose encore plus intrigante : l’existence d’une œuvre véritablement analogue à celle juste décrite ci-dessus (voir Ciliberto, p. 287-294), dont nous avons pris connaissance en 2013. Un bloc, conservé au Musée archéologique du « Studicum Biblicum Franciscanum » à Jérusalem, long de 0,30 m environ, est sculpté d’un médaillon au centre duquel figure un personnage très martelé. Le mauvais état de conservation de cet élément rend la lecture iconographique difficile.

Certains échanges pouvaient se faire à proximité du village d’edh-Dharih, et pourquoi pas à l’entrée même du hameau, ce qui expliquerait l’agrandissement du sanctuaire au IIe siècle de notre ère et la construction de structures d’accueil au sud de tout cet ensemble (caravansérail et bains) ainsi que la réfection du haut lieu de Tannur à la même époque.

Ce médaillon était initialement subdivisé en douze rectangles ornés de symboles zodiacaux disposés de la même manière que sur la sculpture précédemment décrite. Même si le bloc est très abîmé (érodé ou martelé) , le cycle zodiacal peut être restitué : les signes printaniers et estivaux étaient disposés à gauche (du Bélier à la Vierge) et les signes automnaux et hivernaux à droite (de la Balance aux Poissons).

La profusion de rinceaux de vignes, de grappes de raisin, de vases à boire dans la sculpture de la façade du temple étaient peut-être des références implicites à Dionysos ou, tout du moins, à une divinité céleste et solaire, responsable du temps et des récoltes : les notions de fertilité et de renouveau temporel lié aux saisons et aux récoltes étaient donc placées sous la protection des Planètes et des zodiaques.

Comme sur le premier relief de Tannur, le Taureau et le Scorpion sont dépeints sous leur forme animale tandis que le Bélier et la Balance sont personnifiés par des bustes anthropomorphes. 112

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Nous joignons ici, le résumé de la communication donnée par Ingrid Périssé (Assistant-Professor ; directrice du Département d’Archéologie et Histoire de l’Art à PSUAD : Paris Sorbonne Abu Dhabi (PSUAD) – Chercheur-enseignant associé HISoMA) lors de la journée d’études du 11 mai 2017, dont le texte n’a pu être fourni par son auteur.

LES LIEUX DE CULTE DANS LE PROCHE-ORIENT ROMAIN : FORMES ET MODALITÉS DE LA TRANSFORMATION DES BÂTIMENTS RELIGIEUX, ENTRE TRADITIONS LOCALES ET APPORTS GRÉCO-ROMAINS Résumé Au lendemain de la conquête de Pompée en 64 av. J.-C., la toute nouvelle Province de Syrie connaît un fort développement urbain avec la mise en place de bâtiments publics et notamment religieux dont l’aspect extérieur marque l’emprise de Rome. Les vestiges, mais également les sources épigraphiques et numismatiques attestent d’un développement monumental des sanctuaires conforme à ce qui se passe alors dans le reste de l’Empire. Néanmoins, cette « romanisation » des sanctuaires semble gagner plus difficilement et plus tardivement les campagnes, où les formes architecturales locales et les rites anciens se maintiendront sur plusieurs générations, comme l’attestent les découvertes archéologiques réalisées ces dernières années sur de nombreux sites, dont Chhîm au Liban. Abstract After the conquest of Pompey in 64 BC., the brand new Province of Syria underwent significant urban development with the establishment of public, and, in particular, religious buildings, the external appearance of which showed the influence of Rome. The remains, but also epigraphic and numismatic sources attest to a monumental development of sanctuaries in accordance with what was then happening in the rest of the Empire. Nevertheless, this "romanisation" of the sanctuaries seems to have spread more painstakingly and at a slower pace to the countryside, where local architectural forms and ancient rites were kept up for several generations, as evidenced by archaeological discoveries made in recent years at many sites, including Chhîm in Lebanon.

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