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French Pages [161] Year 1974
J. Gernet
Brisson J. Carlier
A.: Recel-Laurentin:
)ivination et Rationalité
Recherches anthropologiques sous la direction de Remo Guidierl
aux Éditions du Seuil; PÜili
DIVINATION ET RATIONALITÉ
JEAN-PIERRE VERNANT
Parole et signes muets
Autant que du bon sensdont parle Descartes, on pourrait dire de la
divination 'qu'elle est la chose du monde la mieux partagée. Nulle
société,au long de l'histoire humaine,qui ne l'ait à sa façon connue et pratiquée. En invitant des historiens des grandes civilisations du passéà confronter les techniques oraculaires, utilisées ici ou là?pour s'interroger en commun sur les formes qu'a pu revêtir l'intelligence divinatoire, ne prenait-on pas le risque de répéter un travail de docu-
mentation que d'autres avaient déjà mené à bien :?
En réalité, notre projet était à la fois moins vaste et plus ambitieux.
Nous ne prétendions pas présenter à notre tour un tableau presque exhaustif des normes de divination que les spécialistesont pu répertorier dans les diverses civilisations. Nous voulions tenter de répondre,
à partir de quelquescas topiques et par leur comparaison, aux deux problèmes fondamentaux que la divination nous paraissait soulever, ëïèslors qu'on l'envisage dans sa double dimension d'attitude mentale et d'institution sociale : quelle est, d'une part, la nature des opérations
intellectuelles impliquées dans le déroulement de la consultation ora-
culaire, en quoi consiste la logique du système mis en œuvre par le devin pour déchiRrer l'invisible et répondre à la demande des consul'
tants; en bref. quel type de rationalité s'exprime dans lejeu desprocédures divinatoires, l'appareil
des techniques et des symbolismes
oraculaires,les cadresde classiôcationutilisés par le devin pour trier, ordonner, manipuler
et interpréter
les informations
sur lesquelles
se fonde sa compétence? Quellessont, d'autre part, la place et la
fonction de ce savoir oraculaire dans une société donnée : puisque la
scienceprophétique s'exerceà l'occasion de choix, et de choix impor-
tants, qu'elle détermine des décisionstant publiques que privées,
jusqu'où s'étend son champ d'application, quels sont les domaines de la vie socialesoumis à son autorité, et comment se situent, sur ces plans, les rapports du devin avec les autres personnages qui disposent, 1. Nous pensonsen particulier à la série d'études rassembléesen deux volumes par
MM. Caquot et LeibovÎci, sous le titre : /a .Z)ïvi/zarïo/z,Paris, 1968.
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JEAN'PIERRE VERNANT
PAROLE ET SIGNES MUETS
à leur niveau, d'un pouvoir de décision, comme le roi, le prêtre,
mental qui les sous-tend ont pu imposer leur rationalité sur le plan
intellectuelcommeleur légitimité sur le plan social.
le juge g :?
Entre ces deux types de questions,on pouvait supposera priori
une certaine solidarité. Dans les sociétésoù la divination ne revêt pas, comme dans la nôtre, le caractère d'un phénomène marginal, voire aberrant, où elle constitue une procédure normale, régulière, souvent
Dans cette perspective, on pouvait se demander si les hellénistes étaient les mieux placés, les mieux armés pour faire démarrer la rechercheet proposer un programme d'enquête. Le statut de la divination en Grègeancienne apparaît à tous égards incertain et ambigu. Si les formes de consultation oraculaire pratiquées ici ou là ont été
même obligatoire, la logique des sytèmesoraculaires n'est pas plus
étrangèreà l'esprit du public que n'est contestablela fonction du devin. La rationalité divinatoire ne forme pas, dans ces civilisations, un secteur à part, une mentalité isolée, s'opposant aux modes de raisonnement qui règlent la pratique du droit, de l'administration,
fort variées, nous ne disposons pas cependant de documents compa-
de la politique, de la médecineou de la vie quotidienne; elle s'insère
rables,par le nombre et la précision,à ceux qu'oÆrentpar exemple les mondes chinois et mésopotamien. Surtout, nous n'avons pas à
dans ses démarchesintellectuelles à des normes analogues, tout de
dans des traités. Nous ne savons même pas au juste comment fonc-
de façon cohérente dans l'ensemble de la pensée sociale, elle obéit
faire à des systèmes organisés, à un corps de doctrines consignées
tionnait l'oracle par excellence,celui dont le renom, le prestigeéclipsaient tous les autres et dont l'autorité, à partir du Vile Siècle,s'est imposée à l'ensemble du monde hellénique : l'oracle de Delphes. Les questions y étaient-ellespréparéeset remises à l'avance ou for-
même que le statut du devin apparaît très rigoureusementarticulé, dans la hiérarchie des fonctions, sur ceux des autres agents sociaux responsables de la vie du groupe. Sanscette double intégration de l'intelligence divinatoire dans la mentalité commune et des fonctions
du devin dans l'organisation sociale, la divination serait incapable
de remplir le rôle que lui ont reconnules anthropologuesde l'école fonctionaliste : celui d'une instance oMcielle de légitimation proposant, dans le cas de choix lourds de conséquences pour l'équilibre des groupes, des décisions socialement ).En ché]oniomancie, ]e brû]age pouvait être répétéjusqu'à cinq fois sur une même écaille, et éventuellement de nouveau cinq fois
daire; d'où ]a nécessité de recourir parfois à un second hexagramme
quatre nombres 9, 8, 7 ou 6, appelés baser y//zg(littéralement
: , 'H représente deux mains manipulant des tiges divinatoires; l'aïïcêtl;' du' boulier chinois fut d'ailleurs une abaque où les valeurs numériques étaient matérialisées par des bâtonnets.
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JACQUES GERNET
Petits écarts et grands écarts Chine
Il faut soulignerla diÆérence radicalequi, en dépit d'une analogie apparente, oppose le système de divination yoruba l au système chinois
de divination par les hexagrammes.On trouve dans les deux cas des combinaisons de signes binaires dont l'ensemble semble corres-
pondre à la totalité des situations possibles. Chaque combinait;on renvoie à une légende dans le système yoruba, à des commentaires ésotériques dans le système chinois. Mais les combinaisons obtenues
par le jet de noix de palme chez les Yoruba jouent le rôle de simples intermédiaires dans une divination qui est essentiellement ora/e. Elles
Les pratiques divinatoires des populations de langue et de culture
servent à numéroter les légendes.Au contraire, dans la divination chinoise par les hexagrammes,dont la technique remonte à la pre-
très mal exploré. La documentation, extrêmement riche, s'étend sans discontinuité depuis le xlVe siècle avant notre ère jusqu'à nos
qui font l'objet de l'analyse divinatoire. C'est leur construction
chinoises constituent un vaste domaine de recherches qui est encore
jours. DiRërentessuivant leurs fonctions et les milieux sociaux, variables suivant les époques,ces pratiques divinatoires ont une histoire et, en bonne méthode, on devrait exclure toute considération d'ordre général sur la divination dans le monde chinois : on y retrouve en effet presque tous les procédés connus dans les autres civilisations
astrologie, interprétation des phénomènes anormaux, des rêves, des cris d'oiseaux, emploi de jetons, de coquilles, de pièces de monnaie, de plateaux tournants, recours à des médiums inspirés, écriture automatique, almanachs, observation de victimes sacrifiées ou d'animaux
vivants, physiognomonie, notation de paroles surprises dans la rue ou de chansonsd'enfants, recours à des grimoires... et il n'y a guère de phénomène qui ne puisse être retenu comme présage. On trouve
même, dans cette civilisation agraire, des présages végétaux : plantes dont l'apparition rarissime est considérée comme signe de bon augure,
et monstres végétaux. Cette diversité et cette richesse n'ont rien
de surprenantsi l'on songeà l'extensiondans le temps de notre documentation,à l'étenduegéographique du monde chinois et à la diversité des inûuences reçues par ses diŒérentesrégions au cours
de l'histoire (inüuencesde la Mésopotamieancienne,de l'lran, de l'Inde, de l'Islam, despopulationsnon chinoisesde la Chineet des autres régions de l'Asse orientale).
Cependant, on reconnaît dans ce foisonnement de pratiques la
prédominance de certaines orientations particulières au monde chinois qui sont la marque d'une civilisation originale. Et, puisqu'il s'agit ici de recherchescomparées,on peut indiquer commentse situent, par rapport à d'autres, certaines données chinoises.
mière moitié du ler millénaire, ce sont les combinaisons elles-mêmes des signes J,a/zg(lignes continues) et des signesyfn (lignes interrompues)
qui est interprétée, de même qu'étaient interprétés, dans la divination
plus ancienne par les os ou l'écaille de tortue, le senset la forme des
craqueluresproduites par le feu, comme l'indique l'excellenteétude de M. Vantlermeersch. Les lignes continues et discontinues des hexagrammes sont les symboles des deux forces fondamentales qui
sont à la base de la constitution de l'uûvers. L'hexagrammeest analogue à une cellule avec seschromosomesX et Y. Le devin analyse chaqueligne et chaquetrigramme (trigrammes inférieur et dupé'
rieur ainsi que trigrammes intermédiaires).
Mais il y a plus : si la divination est possible,c'est parceque l'équi-
libre des forces cosmiquesque traduit l'hexagramme au moment de la divination est un équilibre instable. L'objet de la divination est de savoir dans quel sens va se transformer le système à la suite d'une
modification minime; les lignes yï/z et yang symbolisent en eŒetdes réalités capables de mutation : suivant sa place dans l'hexagramme,
telle ligne yîn ou yang manifestera une tendance à se transformer en son contraire (le jeune J,a/zg(chibre 9) devient vieux yang (chibre 7) apte à se transformer en jeune yïrz(chiffre 6) qui devient vieux yïn (chibre 8) et se transforme en jeune yang...). Cela explique pourquoi
le plus ancien manuel de divination par les hexagrammesporte le nom de épïJ.
On est fort loin des modes de divination proprement orale des
civilisations sansécriture ou de celles où l'écriture n'a été introduite
que tardivement et ne joue qu'un rôle secondaire. Comme le souligne M. Bottéro, à propos de l'hépatoscopie dans la Mésopotamie ancienne,
il y a une relation étroite entre écriture et divination par l'analyse 1. Décrit par P. Verger, dans un séminaire au Centre de recherchescomparéessur
les sociétés anciennes,
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en 1968.
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de signesgraphques, entre scribe et devin spécialistedes Êgures divinatoires. Et il est probable que cette relation est plus étroite encore lorsque la pictographie ou l'idéographie accusele caractère autonome
de l'écriture par rapport à la parole, comme ce fut le cas aux plus hautes époques de la civilisation mésopotamienne et comme ce fut
fonction de sa direction et de l'heure de la journée. L'action humaine
n'est enGaGequ'à la condition d'être en accord avecle cadre général dans lequel
elle se situe
: la réussite
est fonction
et de la disposition des forces en présence rs/zi,).
du moment
rsÆO
Si les signesne sont jamais univoques, si la gauchen'est pas tenue
le cas en Chine pendant toute l'histoire. Cette permanencede l'écru/z/reiciëagrapàïque l dans le monde chi'
en elle.;même pour spécialement sinistre et de mauvais augure dans le monde chinois, mais est tantôt honorable et faste, tantôt de moindre
les plus originales. Tout en donnant lieu à une très riche littérature
dépend du cozzfexfe.Les devins chinois ne cherchent pas à déchiffrer
nomsn'est peut-être pas étrangère à certaines de ses orientations
et à un remarquableeffort de systématisation, la divination déductive par l'examen des entrailles de victimes en Mésopotamie n'a pas été relayée et remplacée par d'autres modes de divination fondés sur le même principe, comme ce fut le cas en Chine où l'analyse des conû-
gurations graphiquesdevint un des procédésprivilégiés de divination.
La source s'est tarie au Moyen-Orient alors qu'elle est restée active
en Asie orientale. La divination par les hexagrammesmarque en Chine un progrès radical par rapport à l'ancienne divination 'par le feu..Elle a permis tout à la fois d'approfondir l'analyse symbolique et de substituer à l'examen empirique des craquelures(qui avait donné naissance aussi à une véritable science divinatoire et à des écoles
de devins) une formulation mathématique qui a encouragé une spécu-
lation sur les nombresen tant que réalités individuelles douéesde vertus iuï generfs et en tant que principes d'organisation de l'espace et du
temps. La plupart
des grandes
orientations
de la pensée
scientifique chinoise apparaissent avec le développement de la divi' nation par les hexagrammes : notion de croissance et de déclin,
calculs par manipulations, prédominance de l'analyse des systèmes clos sur celle des séries linéaires, tendances algébriques des mathé-
matiques chinoises... Mais c'est aussi la notion d'ordre, et l'impor-
tance attribuée à une correspondance exacte entre ]es signes et les réalités, qu'on peut mettre en relation avec les spéculationsdivinatoires les plus anciennes. Le monde chinois marque une nette préférence pour les formes de
divination (&ducïïve: il ne s'agit pas généralementde connaîtrela volonté des dieux, mais d'analyser des situations. C'est pourquoi la divination porte d'ordinaire sur des ensembleset des conjonctions de signes : un présage isolé est rarement signiûcatif. De même qu'il
sembleque, dans les plus anciennesméthodesd'oniromancie. on tenait compte de la position des astresau moment du rêve, de même le cri du corbeau devait être interprété, dans le folklore moderne, en 1. Ce terme très inadéquat est employé à défaut d'un meilleur.
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valeur, c'est que les dispositions rituelles sont variables et que tout
les messages obscurs et ambigus d'une volonté divine, mais s'eŒorcent
d'analyser une situation globale, un rapport de forces dont l'équilibre est instable, des conjonctions mouvantes comme celles des secteurs
terrestreset desconstellationsqui tournent autour de l'axe polaire. Un homme rêve qu'un phénix mâle vient se poser sur sa main et
s'imagine naïvement que c'est bon signe. Mais un interprète des songes le met en garde et, en eŒet,le rêveur perd sa mère dix jours plus tard. Comment expliquer cette inversion du sens d'un présage qui avait toutes les apparences d'un signe faste? .Or le Rïfue/ ne dit-il pas que le bâton de deuil à la mort du père
doit être taillé dansun bambou et que le bâton de deuil à la mort de la mère est en sterculier? Le phénix s'est posé sur une main qui allait
tenir le bâton de deuil l Ce qu'on dénomme géomanciedans le monde chinois, et qui s'y
développeà partir des IVe.Vesiècles,n'est pas à proprement parler une méthode divinatoire, mais une sciencedes inâux inhérents aux configurations topographiques : le sens et la forme des plissements de terrain,
la disposition
des cours d'eau, l'orientation
du site révèlent, à qui sait en déchiŒrer la signiôcation,
générale
la présence
cachéede courants positifs et négatifs r)pinet yang,). Comme le corps humain ou le cosmos, les sites sont des lieux que traversent des f/1/7œx dont ]e bon équilibre est source de santé et de vie. Le géomancien
tient d'ailleurs le plus grand compte de ce champ de force dominant
qu'est ]e champ magnétique terrestre : il se sert d'une boussole,et
c'estpar rappoi't à la directionindiquéepar la boussoleque sont interprétées les diŒérentescaractéristiques du site.
Du choix d'un bon site pour une habitation ou un tombeaupeut
dépendre le bonheur durable d'une famille. Inversement, une suite
1. 7bÜf/zggæa/z.gjï, clap. 279,IXiaoJi, p. 2216del'éd. Zhonghuashuju.On notera
que le thème du présage faste qui serévèle néfaste.ou du bigne de mauvais augure qui se révèle de bon augure est assez fréquent. Mais il n'a pas du tout les mêmes implications
que dans le monde grec : à cette ambiguïté du signe n'est associéeaucune conception tragique de la destinée humaine.
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d'événementsmalheureux peut avoir pour origine le choix d'un lieu d'où se dégagent des inüux néfastes.
Superstition condamnéepar les milieux cultivés, la géomancie
ne digère pas dans son principe des méthodesde divination les plus
typiquesdu monde chinois. Toute divination semblemettre en jeu
une représentation du cosmos et ]es premières conceptions cosmologiques sont issues des milieux de devins. La tortue dont la carapace ventra[e sert à ]a divination par ]e feu est une représentation du monde : ronde en haut comme le Ciel, elle est carrée à la base comme la Terre.
La carapace soumise au feu porte sur sa face externe 9 écailles (9 sera
le chibre du ya/zg,c'est le nombre des régions crééespar le souverain mytlüque Yu le grand) et 12 secteurssur sa face interne (12 est yî/z). Cette carapace était orientée dans le sens nord-sud au moment où
l'on procédait à la divination. Les devins de la fin de l'époque des Royaumes combattants (m' s.) et de l'époque des Han (-- 206 à + 220) se servaient d'un systèmede planchettesdénommé s/zï dont l'une, carrée,figurait la Terre, et dont l'autre, circulaire, pouvait pivoter par-dessus et portait
une représentation
des objets célestes.
D'après J. Needham, la ôgure de la Grande Ourse aurait été remplacée
sous les Han par une cuillère en magnétite, autre représentation qui pouvait pivoter sur elle-mêmeet s'orienter dans la direction du pôle.
Avant de se dépouiller de toute significationreligieuse,la plupart
des jeux chinois
(raæ/zæ,fléchettes lancées dans un vase, /fzïbo et weïqï,
jeux où les adversairesdéplacentdes pions de valeur opposéesur des échiquiers, xfanggi, échecs proprement dits...) semblent avoir eu la
fonction de rites divinatoires. Le weïgîest, à l'origine, un jeu royal qui servait à décider de la conduite des campagnes,des stratagèmes guerriers, des choix politiques... Une des plus anciennesformes du jeu d'échecsen Chine daterait desannées561-578et est probablement à l'origine du jeu d'échecs indien. Ses piècesreprésentaient,dit-on, la Lune, le Soleil, les étoiles, les constellations, les cinq puissances
Toute ïa pratique des physiognomonistesest fondée sur une géographie ou, 'plus 'exactement, une cosmologie du corps. humain. Le
visageest une carte de géographie ou une carte du ciel, orientée et divisée en une multitude de secteurs. Les mêmes éléments peuvent entrer dans des conôgurations diÆérentes, être diŒéremment
le nezest l'une descinq planètes,l'un des cinq pics cardinaux de la géographie chinoise, l'un de cestrois éléments constitutifs de l'univers
que sont le ciel, l'homme et la .Terre. Le ciel.(haut de la tête) doit erre rond et large (signe de réussite sociale), l'homme (le nez) régulier
et vigoureu;l (signe de longévité), la Terre (le bas du visage) carrée et massive (signe de richesse). Le même eRort pour dégager des données de l'observation certaines structures universelles se ïètrouve dans la géomancie. Certains manuels
permettent d'identifier les formes inÊnîes que peuvent. prendre les plissements de terrain, les collines et les montagnes, en les réduisant
à cinq types fondamentaux en rapport avec.lescinq puissancesfondement;les'(les wz{xf/zg) : une montagne en forme de ballon révèl! son
aHnité avec le métaÏJ'une montagne en forme de terrasse son aMnité avecla terre, etc. Toutes ces indications révèlent les rapports étroits qu'entretiennent dans le monde chinois divination et représentations cosmologiques et permettent de comprendre pourquoi les méthodes divinatoires recourent de préférence à des séries de symboles qui servent à.la notation du temps et de l'espace et qui peuvent à l'occasion se disposer sous forme de tableaux orientés. Ce sont -- les huit trigrammes et les 64 hexagrammes; --
les deux séries de signes cycliques(troncs
célestes, ffanga/z, au
nombrede dix, et branchester;estres,dzÆI,au nombre de.douze) qui Êgurent sur les plus anciens témoignage?. écrits(xîv' dont la combinaison sert à former un cycle de 60;
siècle) et
-- les douze animaux correspondant aux douze signes cycliques
fondamentales(cellesde la terre, de l'eau, du feu, de la végétation
dela série duodénaire;
La ligne médiane de l'échiquier chinois a d'ailleurs conservé le nom de voie lactée r/ïanÀe,).Il semble que les pièces devaient être disposées
leurs multiples; -- de façon générale, tous les ensembles cosmiques, célestes ou
et des métaux), le yïæ et le J,ang, les quatre secteurs de l'espaœ, etc.
avant le jeu conformémentà la situation des corps célesteset des forces cosmiques au moment même. On peut noter aussi que l'écho' quier du weigï comptait 361 intersections (19 x 19) qui sont un équivalent du nombre des jours de l'année l
1. Sur l'histoire des différents typesd'échecsen Chine et leur relation avecla tablette
-- les chiures de la série décimale (l à 9), leurs combinaisons et
géographiques(cinq
: eau: terre, feu, bois, métal; don-
née; e;sentielles de la géographie chinoise; yï/z et ya/zg; ciel et terre;
saisons; secteurs de l'espace ; constellations...). Des systèmes de correspondances permettent de passer d'un système
à l'autre et rendent possible une sorte d'algèbre divinatoire.
divinatoire des devins de l'époque des Han, l$ J. Needham, Scie ce and Cïvï/ïsafïa/z iÆ C&f/ïa, vol. IV, 1, p. 3 18 sq.
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JACQUES GERNET
Civilisation de l'écriture, la civilisation chinoise est la seule à possé-
der une infinité de signesgraphiquesqui épuisenttoutes les réalités del'univers (les « dix mille êtres>>,wa/zwzl) :. comme leshexagrammes, chacun d'eux peut être composéet décomposé,et chacun d'eux peut recéler des véritéscachées.De là un très'large emploi de l'analyse des caractèresde l'écriture dans les devinettes,les prédictions, les
Fuzhen rêve d'un vieillard qui lui annonce qu'il ne sera reçu aux concours officiels qu'à la quatrième tentative. et les noms dont
teau entre les dents et deux couteaux à chaque main. Un devin lui
en son milieu et de deux autres caractères dao dans sa
partie inférieure ;
Si ]a divination porte souventsur les noms personnelset les noms
divination par l'écriture sur un caractèrechoisi de façon apparemtèreyï(,un simpletrait horizontal). yï, dit le devin,est le dernier trait du caractère f's/zengJet le premier trait du caractère rxïJ : le malade n'en a plus pour longtemps. Cependant?
le devin se ravise et demandel'année de naissancedu malade. Il
les monstres s'étaient aRublés étaient des allusions à ces diŒérents
est né l'année du bœuf f'nïzzJ.Si l'on ajoute un trait au caractère /ziæ,
arbres. L'un des immortels portait le nom de Shibagong (Son excel-
tant s'en tirera 4 Sansdoute y a-t-il toute une part de jeu dans ces déductions, tant il est vrai que la divination a de fortes accointancesavec les activités
lenceno 18), dont les caractèresune fois réunis forment lè caractère gang,qui désignele pin.
Les signessont l'essencedesêtres et les noms que l'on porte déter'
minent la destinée.
Un nomméDoulu Fuzhenavait étépris en aŒection par le préfet
de Quzhou (Zhejiang), qui lui conseilla de changer de nom personnel
aprèsun nom de famille à deux caractères(Doulu), il ne convient pas
d'avoir un nom personnelqui soit composélui aussi de deux carac-
tères; pour leur senset leur euphorie, le préfet propose à son ami trois
caractèresentre lesquelsil lui laissele choix. Le soir même, Doulu
ÿ$!BWH$,BœB';aæ,Ba#:,: 58
on obtient de nouveau le caractère s/ze/zg: le père du consul-
ludiques(manipulations,jets de pièces,jeux de mots...). Mais c'est aussi une conceptionrelativement originale des fonctions du signe qui se dégage des données chinoises : ce que la divination met en
cause des structures mentales, dépassede beaucoup le cadre limité qu'on serait tenté de lui attribuer a priori. Le signe conçu comm!
l;f/zdïce d'une réalité cachée est aussi moue/z d'acfïan sur le réel : il 1. Zaïpï g gua/zgÿï,chap. 278, .Doulu Shu, p. 2205 de l'édition Zhonghua shuju
Pékin,
1961(conte
du vn'-vïn'
siècle).
2. 16/d., chao. 278, Song Yan, p. 2211. 3. /bïd., chap. 278, Jïangling Li ling, p. 2215. 4. Récit d'époque Song.
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PETITS ÉCARTS ET GRANDS ÉCARTS
suscitela réalitéou l'événement aussibienqu'il les traduit ou les
annonce. Cette double fonction du signe est admirablement illustrée par un conte d'origine chinoise recueilli dans le .Kb/!/'akumanage/arï sÆÜ,ouvrage japonais du XHe siècle :
Comment une vieille femme regardait chaquejour s'il y avait du saïtg sur un stûpa.
C'est maintenant du passé. Sous le règne des 'k++, de Chine,
il y avait à l'endroit appelé ++# shû une grande montagne. Sur le sommet de cette montagne, il y avait un stûpa. Au pied
de cette montagne, il y avait un village. ï)ans -cevillage, une
vieille femmedemeurait.Son âge était d'environ quatrevingts ans. Cette vieille femme,une fois par jour sansfaute, montait jusqu'au stûpa situé sur le sommet de cette montagne
et l'adorait. Comme c'était une montagne grande et haute,
pour la gravir du piedjusqu'à la cime, le parcoursétait abrupt et rude, le chemin était long. Néanmoins, sans que d'obstacle il y eût, fût-ce quand la pluie tombe; sansque de cesseil y eût, fût-ce quand le vent souille; sansque de peur il y eût, fût-ce quand surviennent le tonnerre et les éclairs; lorsque l'hiver est froid et qu'il gèle ; lorsque l'été est chaud et dur à supporter;
ne laissant pas passermême un jour, sansfaute elle montait et adorait ce stûpa. Il y avait des annéesqu'elle faisait ainsi. Les gens,voyant cela, n'en savaientabsolumentpas la cause. >Ainsi s'accordèrent.ils à dire et
là-dessus,vu que c'était chose habituelle, la vieille, en se traînant traînant, monta.
Les jeunes garçons, interrogeant la vieille, lui dirent : >Les
garçons dirent : >Elle dit et, faisant le tour
du stûpa, le regarda; puis elle redescendit.
Après cela, les garçonsde dire :« Cette vieille ne reviendra plus auUourd'hui, sans doute. Mais demain, lorsqu'elle va de nouveau venir et regarder le stûpa, nous allons l'effrayer, la faire courir et rirons. )>Ainsi s'accordèrent-ils à dire et, setirant
du sang,ils en barbouillèrent le stûpa puis, étant rentrés,œs garçons, ils parlèrent aux gens du village, di?ant : >.Un usage
attesté en Chine à l'époque contemporaine consiste à exposer au soleil levant, après un mauvais rêve, une feuille de papier où l'on a écrit ces mots :
Si on ne parvient pas à inverser leur sens ou à les cacher, ils produisent tôt ou tard
leurs
eŒets
Un débauchérêve qu'il est entraîné ligoté avec ses compagnons
de débaucheet des courtisanes. Son épouse fait au même moment un
leurs enfants avaient dû fuir. Faut'il le dire, qu'ils ne savaient point où étaient les richessesdes maisons, les objets; et qu'éle-
rêve identique (thème fréquent du même songe chez des personnes
avec soi sesenfants et petits-enfants, ne perdit point fût-ce un
de lire des sûtra bouddhiques et de faire des dons aux communautés de religieux. Mais, voyant que la prophétie ne se réalise pas, il s'enhar-'
vant la voix, ils criaient à l'envi? Seulecette vieille, entraînant objet de sa maison et, s'étant par avanceenfuie, s'installa tran-
quillement dans un autre village. Ceux qui avaient ri de la chose ne parvinrent pas à s'enfuîr et, tous, ils moururent.
Aussi faut-il croire les choses que des gens qui seraient âgés pourraient nous dire. Cette montagne, comme cela, s'écroula entièrementet devint une mer. Ainsi dit-on qu'il a été rapporté. Comme s'il y avait une nécessitélogique qui liait le signeà l'événement, ce qui n'était tout d'abord que simple présagedont l'appari-
tion spontanéeaurait été le signeprémonitoire de la catastrophese
transforme en une sorte de détonateur de la catastrophe quand il est le produit d'une intervention humaine. Le conte du .KbnÿaÆu mo/zoga-
ïarï a donc l'avantage d'attirer l'attention sur lesrapports qui unissent la divination à l'expressiondesvœux et destabous : du seul fait qu'ils sont énoncéset connus, présagesnéfastesou de bon augure tendent, 62
diRérenteset parfois fort éloignéesl'une de l'autre). L'homme se réforme et mène pendant trois ans une vie pieuse et austère, ne cessant
dit et commenceà se relâcher.Entraîné un jour à une partie de plaisir
sur un lac par une de ses anciennes connaissances, il périt noyé avec
tous ses compagnons û.
Plus significativeencore est cette histoire qui relate la mise à
l'épreuve d'un devin l.Jn homme vient consulter un spécialiste de l'interprétation des songeset prétend qu'il a rêvé d'un chien de paille (objet rituel). >Quant
à l'interprétation des trois rêves, elle se fonde sur l'identiâcation du rêveur à l'objet de son rêve : ce qui advient au chen de paille corres' pond aux trois phases successivesdu rite dans lequel il ûgure : après le banquet, le chien de paille est jeté à terre et foulé par les roues' des voitures. Puis, quand la cérémonie est terminée, les objets rituels sont r .es
IJn très beau texte sur les pouvoirs de ïa musique âgure dans le
.lïa/!Aeïzi(milieu du MesiècleavantJ.-C.') :
'
'
Le prince de Wei se rendant chez le prince de Jin bivouaque en cours de route sur les bords de la Puo et y entend un air étrange et
mélancolique qu'il fait noter par son maître de musique. Parvenu au terme de son voyage, il veut faire entendre cet air à son hôte. Mais
le maître de musique du prince de Jin en arrête ]'exécution dès ]es premi!!es notes : >Mais le prince de Jin, passionnéde musique,s'entêteet exige que cet air de mauvais augure soit joué intégralement. Puis il
demande s'il en existede plus mélancoliques. >Sur les injonctions de son prince,
le .maître .de musique est cependant contraint'de l'exécuter. A la pre:
migre exécution,huit couples de grues noires viennent du sud se percher au-dessus des portes de la cour. A la deuxième, les grues se
disposent sur deux rangs comme des danseurs.A la troisième, elles
crient en allongeantleur cou et se mettentà danseren déployant leurs ailes. Toute l'assistance est en liesse. Le prince de Jin demande s'il. n'existe pas d'air plus mélancolique encore. Mais le prince de Jin, passionné de musique, s'obstine. A la première exécution, des
nuagessombres s'élèvent, venus du nord-ouest. A la seconde, un ouragan se déchaîneet un déluge s'abat sur le palais, déchirant les tentes,brisant les tables et les plats du banquet, arrachant les tuiles des toits. L'assistance se disperseet le prince de Jin se réfugie sous une colonnade. A partir de ce moment, le royaume de Jin est frappé d'une sécheressede trois années consécutives et le prince de Jin tombe gravement malade.
Si les tabous sont l'envers des présages,c'est parce que domine une notion généralede l'ordre de l'univers d'où il résulte que toutes chosessonten correspondance. Le yue/ï/zg,ancien calendrier qui ûgure dans le Z,ÿï, rituel compilé
aux Ve.IVesièclesavant J.-C., indique, pour chaque mois de l'année, la position du soleil dans le ciel, les constellations qui apparaissent
au sud au crépusculeet à l'aube, les signescycliquesqui qualifient les jours de ce mois, le souverain mythique, le génie, l'espèce d.insecte, la note, le tuyau sonore, le chiffre, la saveur, l'odeur, le type de sacri-
fice domestiquequi correspondentà ce mois de l'année. Il indique les phénomènes
naturels
qui doivent
s'y produire
(par exemple
: .la
première ûoraison des arbres fo/zg, la transformation des rats des champs en alouettes, les premiers arcs-en-ciel...). Il rappelle quelle doit être la place qu'occupe le prince dans son palais, son type de voiture, ses}anioni, la couleur de sesvêtements,la sorte de jade qu'il doit porter, ses nourritures du mois, sa vaisselle,les comporte' mente et les activités en accord avec le mois, les tabous...
Si l'on met en vigueur au deuxième mois du printemps les règle-
ments de l'automnes dit le Z,üsÆÏcÆu/zgïu(ÛnMe siècle avant J.-C.)
où se trouve incorporé le texte du }'æe/ïng,le royaume nourrira d'inondations, les soupes du froid séviront partout et on verra surgir le brigandage et les guerres.
Si l'on met en vigueur les règlements de l'été au premier mois du printemps, le vent et la pluie viendront hors de saison, les plantes et
les arbres se dessécheront. En eŒet,la vertu du bois étant en pleine
activité au printemps, il convient d'y manifester bienveillanceet
g. rani'b.Ü.tl ':î, eK,:"i:: gh";Z;8:'æ;'ï:";œ:;,s'%ltf'!œ
générosité. Si l'on applique à cette époque de l'année les règlements
64
65
de l'été (époqueoù domine la vertu du feu), la végétationsourira
JACQUES GERNET
PETITS ÉCARTS ET GRANDS ÉCARTS
de cet excès hors de saison de la vertu du feu et se desséçheraavant
que ne soient venus l'automne et l'hiver.
De telles conceptions qui furent systématiquement .développées
du =e siècleavanieJ.-C. au ler sièclede notre ère, impliquent qu'à l'inverse les anomalies et les dérèglements de la nature soient conçus
comme les signes d'abus, de transgressions ou d'excès. Ils révèlent que le souverain abuse des châtiments, fât un trop grand usage des
armes, ou que les mesuresde faveur et les amnisties.sont trop fréquentes, que .les concubines et les impératrices.s'immiscent
dans les
alaires de l'État... On peut donc considérer les chapitres des anciennes histoires officielles qui classent les présages suivant les.cinq catégories
fondamentalesde la terre, de l'eau, du bois, du feu et du métal rwuxï/zgz#ïJcommeune démonstrationde la valeur des règlements saisonniersdu }'ue/ï/zg.
Ce qu'on demande aux spécialistes de la .divination? ce n'est pas seulement de savoir interpréter les signes, mais à l'occasion de fournir
les moyens de transmuter le néfaste en propiœ. ou de tourner la dimculté que présenteune interdiction ï. Connaître l'origine d'une anomalie ou d'un mauvais destin, c'est connaître aussi le plus souvent les remèdesà y apporter. Un conte du 7'aipfng gz/azzBI/ï 2 relate une grande sécheresseau
Hunan. IJn devin en voit l'origine dans un îlot surgi dans le cours d'une rivière : cet îlot est une tortue surnaturellequi pompe les soupes de la nature. Il suit de raser cette excroissanceanormale pour que la nature retrouve son équilibre. C'est qu'en eŒet>Ce disant, il rendra favorable l'énonciation oraculaire qui le concerne et < le mal > (à prévoir à la suite)
de son rêve ne-lui adviendrapoint 2
En réalité, ces namôz/rôï2 se rattachent, de soi, à la conjuration et à l'exorcisme 3; mais que, dans la pensée des usagers et des spécialistes
du temps, on les ait reliés à la divination, nous en trouvons la preuve
dansles passages des traités divinatoiresoù le /zamburôï2 compétent a été inséré tout de suite après l'oracle contre lequel il doit assurerla défense.Une pareille possibilité, oŒerteà tout un chacun, moyennant les formuleset recettesidoines,de transformer,en quelquesorte, le sensde l'avenir prévu par les devins, est un élément de la plus haute
importance pour nous aider à comprendrele propre contenu de la divination. Tous ces documents de la pratique sont donc d'un intérêt considérable; mais, mal répartis eux aussi dans le temps, l'espace et la variété
desobjets,ils nous laissenttrop souventsur notre faim et ne nous permettent de restituer qu'un aperçu fort lacunaire de l'expérience mantique, et encore moins de ses développementset modifications sur tant de siècles.
T
SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES
documentent surtout la divination populaire, ce sont en somme des fraîfës de casæùfïgue dïvïnafofre, traduisant une technique, une logique, une véritable science mantiques. Les plus anciens, une.centaine publiés à ce jour ï, sont de la ôn des temps .paréo-babyloniens, .aux
alentoursde 1600avant notre ère; du ler millénaire, notammentde l'époque des Sargonides,jusqu'à celle des Séleucides,juste avant .la disparition de la'Mésopotamïe comme unité politique et culturelle, nous en avons retrouvé positivement des milliers de tablettes, dont il est impossible ici de dresser un catalogue même sommaires Des plus vieux aux plus récents, tous se présentent, pour l'essentiel, de façon identique : semblablement disposés, avec le même.vocabulaire. la même nomenclature technique, les mêmes procédés d'analyse,
d'investigation et d'exposition, la même mentalité. Une pareille constancedans la forme est à mettre au compte du traditionalisme bien connu des lettrés mésopotamiens d'autrefois. Mais elle démontre également que, dès le XVHe siècle avant notre ère,. les techniciens locaux
de la divination avaient acquis, et sans doute depuis au moins .quelques siècles, une pleine maîtrise de leur art et de leur science, phéno-
mènequi devra retenir toute notre attention. Comment se présentent ces traités, qu'ils soient constitués d'un paragraphe de quelques lignes z, d'une seule tablette 3 ou .d'un nom-
bre plus ou moins grandi+ Suivant une forme /ogigueuniverselleen Mésopotamie ancienne depuis au moins la ûn du Me .millénaires, et dans laquelle sont coulés non seulement des rituels 6, mais plus ou moins tous les traités scientifiques : de jurisprudence v, de médecine 8, voire de musicologieo, ils sont faits d'une suite de propo-
:'Ë':ù næ W 11Hg#@ Foreruaner to gamma ô/zz,.HUC,4 40-41, 1969-1970, P. 87 s.
2. Ainsi. dansyOS. X, lesn'' 6, 12.
b. Z,a >,,qui lui répond a. Par
U
exemple
variantes. Dans les recueils anciens, ou copies d'ancien, cesvariantes sont volontiers désignés comme telles par la formule JanîJ ; a, et plus souvent encore la/zï2 Xu/n-Jæ.' , marque
presque toujours ce pronostic lui-même : la portion
des traditions
diΎrentes, voire les doctrines
d'écoles diRérentes
d'interprétation du mêïne phénomène, les copistes les ajoutant alors
d'avenir '
ad c0/7zp/eme/zft/nz docrr/nae .' pour que le lecteur ait sous les yeux tous
]es renseignementsconnus, un peu comme si, éditant un texte, on y alignait toutes les leçonsattestées,faute de critère assurépour choisir
1. DiŒérentesgraphies phonétiques et surtout idéographiquesse rencontrent de ce
gammaselon les écoles de scribes ou les temps. On trouve aussi trD/12m :>,
notamment à Bogazkôy.
2. Pour mieux marquer la distinction des deux, nous les séparerons ici par un long
tiret
X : n' 44 44); ?)et /nerelff (?)dans 2C,
83
ËamaË : XLII IO.
'v
JEAN BOTTÉRO
SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES
la meilleure d'entre elles ï. Voici un exemple assez typique, où les
ment et de mise en ordre de toutes sesprésentationsà l'œil de
comme s'il s'agissait de prévisions complémentaires
toires, même les plus anciens, des analyses d'une extraordinaire menu'
variantes, bien que d'un senscontraire, sont simplementjuxtaposées, Si, sur l'épiderme de son visage, à droite, se trouve une (marque-
de-naissance-appelée)umlafz{ -- il sera chanceux; (ou bien) cet homme deviendra pauvre '.
])ans la suite du traité, et selon une mise en forme tout à fait carac-
téristique de la littérature scientifique mésopotamienne depuis les
temps les plus reculés a, les oracles sont alignés et classés,
en fonction des protases, selon un ordre généralement rigoureux,
et constant pour un même sujet, lequel ordre est fondé sur une analyse
plus ou moins pousséede l'objet oraculaire. Si, par exemple, ce der-
nier est la présentation (externe) du corps humain, on commencera
l'examenpar la tête : le haut du crâne; l'occiput; le front; la cheve[ure; [es tempes; ]es sourci]s; ]es paupières; ]es yeux; ]es orei]]es;
le nez; la bouche; les dents; la langue; le menton; le cou; et ainsi de suite, en descendant,jusqu'aux pieds. De chacune des parties ainsi considéréessont mises en avant toutes les situations et tous les états
capablesd'en modifier le contenu omineux : sa présenceou son absence; ses dimensions et quantités : s'il est grand, très grand, petit, très petit, unique,à deux, trois, quatre, etc, exemplaî les ou subdivisions; sa disposition interne et sa position par rapport à d'autres éléments : s'il est debout, couché, penché, à l'envers, contigu,
éloigné,à droite, à gauche,en haut, au milieu, en bas, devant, derrière; sa coloration : s'il est rouge, noir, blanc, vert.jaune4,
l'observateur i. Il y a de la sorte, dans la plupart des traités divina-
tie, qui commandentdescentaineset desmilliers de présages diHërents, chacun avec son oracle. Par exemple, dans le traité classique de physiognomonie a, une tablette entière, la seconde, est consacrée au crâne, et principalement à la chevelure, lesquels sont détaillés en 166 présagesparticuliers. Lorsque l'objet en question ou l'un de sesaspects étaient à la fois
difïïçilesà décrire et facilesà représenter,il arrivait qu'un croquis, dansle texte,en précisâtla forme en vuea. Mieux encore,et surtout en matière d'aruspicine, on en faisait parfois des maquettes en argile 4 : ou dans le même dessein de préciser la silhouette oraculaire de l'objet,
ou pour en rendre l'étude plus commode. Dans un climat où la chair morte se décomposait rapidement, et où il n'était pas toujours possi'
ble ou utile de >la pièce anatomique nécessaire pour un examen ou pour un contre-examen mantiques -- les'
quelspouvaientavoir lieu à distanceplus ou moins longue' --, l;idée 'd'en
confectionner
une réplique en terre a dû venir
d'autant plus naturellement qu'un tel usage était universel dans ce pays d'argile î. Ces ôgurines ont pu servir aussi de spécimens,de 1. Ces schémas fo rment souvent des catégories récurrentes. Par exemple, chaque fois qu'une des positions est envisagée, mettoïis à droite, on.çnvisag? aussitôt après la position contraire : à gauche (exemples plus loin, p: 174 s). Chaque fois que se pose la
question du nombre, on le pousse,'selon les cas, de un ou deux à sept, ou davantage (ainsi, pour les naissances de jumeaux, triplés, etc., voir plus loin, iZ=170, et n. 6). Chaque
fois qu'est évoquée la ressemblance de l'objet avec un animal, il y a.toute une.liste
avec parfois de plus ou moins nombreusesnuances ô; puis l'addition,
d'animaux typiques,commefaite d'avance, qui peut en comporter jusqu'à une vingtaine
dont il existe, par exemple pour le corps humain, une bonne quinzaine
du traité de tératomancie, dans /zbæ, p. 32 s. : lignes 5 s.; la ÿ' tablette, fbïd.! p. 73 s. : lignes l s. et 90 s.; la Vll', ibld., p. 91 s. : lignes l s. etc.). L'rude d: ces rannffzï
ligne 26»); CÀafx, 1, p. 118 :
]. Ce procédése retrouve ailleurs dans tout le Proche-Orientancien
c'est lui qui explique,par exemple,la compilationdu Yahwiste,de l'Elohisteet des autres documentsqui composentnotre Hexateuque.Voir encorele très important article de 1. Guidé, L'historiographie chezles Sémites,.R.B,1906,p. 509s.
2 C7, XIX.Vlll, pl. 29 : revers12.
3. Voir l'article dans.D.Æ Z. 1, p. 360s.; et ici plus loin, p. 153. 4. Telles sont les couleurs fondamentales de la chromatique des Babyloniens, les-
quels, d'autre part, pas plus que les autres Sémitesanciens,n'ont jamais distingué
p. 9i, n' 547; à Ugarit et en Palestine, voir ci-dessus,lës notes 8, 9 de la p. 70 et 2 de la P. 7] 5. Voir le texte cité ci-dessus p. 76.
6. Voir par ex. .aRIa, 1 : n''40 9 s.; Il : n'' 134 6 s.; 139 10 s.; IV : n' 54, 5 ss,et
VI : n' 75 8 s. etc.
7. Sansinvoquer les innombrables ûgurines céramiques retrouvées dans le pays (voir
nettement entre le jaune et le vert, ni portégrande attention au bleu. Voir B. Landsberger
surtout M.-Th.'Barrelet,
face 25 - revers 6 du texte cité à la note 2.
locale, la matière première de l'Flamme créé par les dieux(voir par exemple ap: cïr., la planche qui suit la p. 6 : Le travail de l'argile par les dieux dans les texteshistoriques
dansJCS 21, 1967,p. 139s. 5. Sur ces nuances,voir ïôid., p. 142s. On en trouve onze en tout dans les lignes 6. Voir par exemplePO.B,p. 39 s.
}iïgzïrf es ef Re/fÊlÉse/z ferre cafre de /a it/ësopofamïe annq e
1968), on rappellera seulement ici que l'argile est à peu près toujours, dans la mythologie
et religieux), et que lei >.Certains grands foies d'argile sont de véritables atlas de la géographie hépatoscopique : chaque
était laissée à lardivinité, l'autre où elle
1. DÉFINITIONS
région omineuse y est délimitée, marquée et annotée de sa , que s'introduit une distinction fondamentale dans le domaine divi, natoire. Ou bien la connaissancedu futur était communiquéepar une
intervention personnelleet immédiate de l'être surnaturel censéle
connaître par soi-même et qui le : c'est ce que nous appellerons la dïPf/za/folkfnspfrée. Ou bien cette connaissance était acquise 1. VAT 7525 : 11130, dans H/O 18, 1957-1958,p. 62 s.
2. Æjd..1 15.
passive. La connaissanœ du futur --- parfois aussi du présent et du
passé -- y était censéecommuniquée spontanément et sans ïntermédiairq;par une divinité en personne : des dieux comme Dagan *, Adad a, Sama! ô, ltûr-Mêr 5; 'des déessescomme Annunît e, Bêlet' ekallim 7, Bêlet-bîri 8; parfois >ou ,sans autre précision, mais dont la personnalité était évidemment connue des intéressés 9
Ces divinités opéraient leur révélation, soit en la > r3apôræ,) ïo, le mode concret d'une telle commissionn.étant point défini; ou alors -- on ne le marquepastout net, mais le lecteur com' prend sans peine entre les lignes -- en provoquant une manière de chez leur correspondant, lequel se mettait à rgaôü,) n. Parfois, il est précisé que les destinataires immé1. ,4nnz/aï/z /Pô!)-/P70
3. .Lads, p. 103 s.
3. /bÏd.'. 16. 4. /bÏd.. II.
plli133.si
90; 111 : n' 40; xlII
4. A 4620, dans .D]WH, p. 85. 5. .4.RÀ/. X. : n' IO.
5. Par ex.. yOS. X. : n' 42. 1 51 etc.
6. Par ex. Ô/., 11,p. 23 64 etc.
7. Camp. l'usage d'expressionsidentiques dans le domaine proprement médical 7'HDP,.p. XXll s. Voir ici, plus haut, n. 6, p. 82, le cas particulier des oraclesethnique fort diRérents l
Ces titres, nous ne savons pas bien s'ils marquaient une fonction
et un état de vie, ou l'exercice casuel d'une activité : autrement dit, s'il y avait des ou professionnels:
habilités et habitués à recevoir les messagesdes dieux a, ou bien si
tout individu, choisi, au moins une fois, par un dieu pour son porteparole, devenait du même coup mzi/aÆ;zz2 ou llpî/u sans que cela ahan. gent le moins du monde son existence ou son statut social. La vérité
ou l@ï/œ,ou i@/zz(aufém. i@i//æ)::, ou tel autreplusexcepà8nnellb Leur sens est assez clair : le mll/aÆ& 12 est l' , l'individu
est probablement entre les deux : autrefois comme aujourd'hui, les psychiatresle savent,il y avait des habitudinairesde l'extase;
qui serapporte aussibien à l'interlocuteur qu'au garant î4), c'est-à-dire,
à moins que l'extatique ne fût par ailleurs connu et ,substituts courants de la personne, que l'on devait soumettre à une enquête -- sans doute divinatoire -- pour tirer au
net la qualité et l'authenticité de son message.
1. .,4.R]U. IX : n'' 7 et 8.
2. 1Bid. : n' lO (dans le temple!). 3. Voir C.41), A/2, p. 8 b : 6'. XLII
4. .R..4 42t.P..129; :n'sl12etl13.
..4.R]t/, XI : Bos 50, 51, 100 '
rêve au cours duquel le dieu. parle --l ' ' '' ''.'
5. Depui? .le rêve.d'Eanatum de.Lagan(env.2470;voir 1)]1/.4,p- 57), puis de Gudéa
1. La question des rapports entre le dg Mali et celui d'lsraël a été sou;:lnt étudiée.'Voir en dernier lieu J. G. Heintz, dans He/æs7es/onze/zrz//n, sz/pp/. ]7 (1969),p. 112 s., et le complément de bibliographie du même dansB/ô/lca 52, 1971,
(eny.2140; ïôjd., p. 58),et celui qui date la >:
Mais rêr/æ est aussi l'objet matériel essentiel de là divination
déductive : l'J?bjet qui
sert de présage,et s'il a ce sensdans le présentpassage,on .l'entendra.de l'exercice courant 'de l'aruspicine, au cours duquel un devin, c'est-à-dire un technicien de ce type de divination déductive, a pu. recevoir par hasard une révélation directe du dieu. ' 3. R.4 42, p. 132, ligne 5i, oti il faut lira faÆ-/œet non ka/-/u(Rëperfafre
.,410. HRÀ/, lll :t Xs 4050.78; et A 455 dans.Z)7WH, p. 79 s.; pour le féminin, voir n .ll= .[odJ, P. 103 s.; A 4260 dans .Z)J]/H,p. 85; .dRÀ/, X. : R's 9, 53, 81, et IXlll 12: Une gaàôafw, ou qammaflï(la lecture n'est pas certaine), dans ,4R]W, X : n' 80.
Al'époque2neosassy'benne,on connaît aussi les ràggima (maso.)et raggfmfa (fëm.) 13. Comme ma/zf/sde ma/æomaï,en grec. 14. Le verbe apæZa signiûe « répondre à une question », mais aussi et sa(sur ce damier sujet,
voir la note suivante). tée à la note précédenteet .4R.4/, VI : no 45; X : n" .7, 8, 50; XLII : n' '112. Et sur le sens de cet examen, se reporter à l'article de A. Finet, Les symbolesdu cheveu,du bord du vêtement et de l'ongle en.MésopotamieÏ.p: 101s. de l;auvïage cd\lectiî Eschatologie et Cosmologie, Ro 3 deél.Annalesdu Centre d'histoire des religio?ti
90
ï//anazzaz,
tion essentielleet commela çbcation du 'personnage;voir dans ce sens /ôïd.,ligne 8 s >>
est ambigu, compte tenu que tout.sujet était de soi ,et la forme de la
comme témoins dans les contrats a, ou comme bénéâciaires de distributions de vivres ou d'émoluments ô; certains semblent rattachés
nière, dans l'état présent d'un dossier imparfait, mais dont la valeur statistique paraît assez solide, c'est que si l'on y a manifestement
Lassa ô. Il n'est donc pas exclu qu'au moins tels ou tels de cesperson-
directe de la connaissance divine du secret et de l'avenir, faite à l'anté' ressé lui-même (par , ce qui suppose que ces derniers,
au moins, composaientun corps social.D'autre part, il sepeut bien
de certaines régions, en particulier -- si nous sommes bien infor-més -dans le nord-ouest (Mari) et le nord (l'Assyrie).
aussi que, comme à Mari, telle ou telle de ces personnalités ait, une
fois ou l'autre,joué un rôle politique; ainsi comprendrait-onmieux cette apodoseisolée d'un traité de tératomancie : ,des protases ont été conservées(voir
2. Voir notamment les passagescités (notes précédentes) du CHI), E et Z. 3. rCZ.,, ] : n' 57.20s.; X : n' 34 47. Le mot maÆ4z2 y est écrit ]es deux fois par son sumérogramme .[ C/.GC/B..B,4 : ,q'ui>, ou .
l'article cité de R. D. Biggs). C'est iÏonc ici quelque chose qui relève, premièrement: de la divination déductive. 'ÏbÜtefois, l'existence même de ces recueils, et précisément dans la mesureoù l'on y a supprimé les protases, et même si l'on a de bonnes raisons de croire
(Pour le sens,camp. la lettre de Mari citée plus haut, p. 92, n. l). 4. 7CZ,, X. : n' 39 Il et 69 4; il s'agit alors de femmes, qui ne sont du reste peut-
que quelquesprédictions on pu être faites, on ne sait dans quel but, ex .eve/zra; implique un certain intérêt endémiquepour les rêvé/af/o/z.ç touchant l'avenir et, de ce biais, trahit une mentalité plus ou moins inclinée vers la divination inspirée, domaine propre de la
être qu'au service chacune d'un ma&4ü (voir Z 4 59, 1969, p. 220, note 1049).
s. rcb X : n' 39 Il (à la déeÊs e Inanna de la ville de Zabalam), et 69 4 (au dieu NingiËzida, dont l'attache locale n'est point précisée).
comme telle. On peut également souligner, dans le même sens, que deux de ces recueils sont mis sur la bouche d'êtres divins, détenteurs naturels de la connaissancede l'avenir : un ancien roi qui, après sa mort, semble avoir été considérécomme un personnage surnaturel, Ëulgi, deuxième souverain de la llje dynastie d'Ur (env. 2093-2046), et surtout Marduk, devenu pratiquement le dieu suprême à Babylone,
6. .HUC,4 34, 1963, p. IO, ligne 89.
7. R. P. Dougherty,Records/rom E/ecÆ, 7ïmeof ]V2zbolz/dœi, pl. IV, n' Il -- avec
le duplicat VAT 8418, signalé dans HF0 2, 1924-1925,p. 108 s. -- : ligne 28.
8. /zbæ,p. 131 : tabl. XI 7.
9. Voir notamment.area/æ.s, p. 200et 249s.
à la ân du Il' millénaire.
10. Voir par ex. M. Streck, .Hxsz/rôan@a/, 11,p. 120 a : Annales V 95, avec la note 7.
95
94 r
ËHI
JEAN BOTTËRO
SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES
pratiques divinatoires pour tout un chacun ï. Entre autres procédés
b. Les pratiques annexes de la di'giration inspirée.
pour connaître le futur -- sur plusieurs desquels nous aurons à reye-
Il s'agit là encore de l'usage ofbçiel de la divination inspirée. Son
usage privé est mal documenté. La faveur qu'ont toujours
gardée,
depuis la haute époque, les révélations par songes porterait à penser que l'homme de la rue avait dans ce pays un faible pour la recherche
de l'avenir par un contact plus immédiat avec les dieux -- ce qui constituele trait essentielde la divination inspirée. L'impression est confirmée par deux ou trois pratiques : où subsiste la même note foncière, diversement mâtinée d'autres croyances et usages. Pour des raisons diÆérentes,elles sont assezmal connues.
La première est l'ïncuba/fon. On appelle ainsi un procédé, connu ailleurs a, qui cherche à provoquer un songe révélateur, un contact
onirique avec le monde surnaturel,.pour en tirer la connaissancede l'avenir. Un passagecélèbre de l'.l»épée de GÏ/gamesnous montre le héros qui, en route avecson ami Enkidu pour la Forêt desCèdres et anxieux de ce que leur réservera cette formidable entreprise, >,fait cette prière : s. Il se met donc en position d'obtenir plus immédiatement du monde divin la révélation nocturne de ce qui l'attend : la montagne,
à son sommet,le rapproche des dieux; l'espacesacré dans lequel il s'enferme l'isole du reste du monde; et la prière qu'il fait devrait être efficace-- et elle l'est. C'est donc de la divination inspirée, mais pro vogzfëe.Le mêmeusagereparaît çà et là û; et qu'il ait été répandu dans le peuple, on en trouverait la preuve, au moins pour les alentours du milieu du ler millénaire avant notre ère, dans une sorte de recueil de [. Faut-i]
ranger ici ]a >imploré 3. Il n'est pas tout à fait sûr que ce >de ce pays.. L'ampleur
ment exaucé, '(car) le dieu a entendu sa prière '
souci«.e le caractère implicite de dialogue avec le.monde .divin? de
contact plus immédiat avec.lesdieux,,qui est celui de la clêQonomau'
de l'exposé ci-dessous, comparé
au peu de pagesqu'on vient de lire touchant la divination.inspirée, est'à l'échelle de la documentationautrement considérablequi se trouve sur cc chapitre à notre disposition : à peu.près tout ce .qu'on a classéplus haut sous le titre de TëmoÜ/cages dïrecfsressortit à la divination déductive.
Il est vrai que, surtout pour les traités, mais aussi pour les observa-
tions et examensdivinatoires,il s'agit ici de textes savants,écrits par et pour destechniciens.De ce biais, on risque fort de.juger mal l'état réel des chosessi l'on étend, sansautre précaution, à la popula-
Ü :
ligëlignn
:sÂ:qEx=..
",
98
«
"""
"«"
tion entière ce que notre dossier exactement compris ne nous permet
d'attribuer qu'à un groupe après tout restreint. Maisl pour .quece dernier ait joui d'une aussi grande inRuence,pour qu.il se soit senti poussé et comme contraint à développer si extraordinairement. .sa discipline qu'elle est devenue à la fin, statistiquement, la première
dans les préoccupationsintellectuelleset littéraires du temps, ne 1. Voir les références données par L. Oppenheim, p. 54 et n. 10 de son article cité àla n. 3, p. 98. .
99
H
Ë.l l
l JEAN BOTTÉRO
SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES
faut-il pas qu'il ait été encouragépar une croyance universelle et profondes?Même si l'homme de la rue ne voyait pas du même œil que l'expert la divination déductivea, il devait donc, en Mésopo' tamis d'autrefois, la tenir plus ou moins confusémentpour quelque
formes et des aspects diŒérents, de chacun desquels on pouvait tirer, par analyse, des aspects diÆërents du future Il n'est donc pas surpre-
chose de très considérable.
De cette divination déductive,la partie à la fois la plus originale
et la plus clairement et abondamment documentéeest la théorique, la logique, disons hardiment :/aparfie ic'ïenr@gœe, qui réclame d'abord toute notre attention.
Pour mieux ordonner et comprendreune aussi énorme massede documentsa, il y faut introduire une distinction liminaire fondamentale, selon la double présentationpossiblede son objet premier le présage.Ou bien œlui-ci se trouvait d'embléeà la disposition de l'homme, lequel n'avait, ni plus ni moins, qu'à l'enregistrer et l'observer, avant de l'étudier; ou bien il ne lui était d'abord pas apparent, ou pas disponible,et il devait premièrementle rec&ercÀer ou le produire -- il faudra voir dans quelles conditions.
dont la variabilité est moindre par nature, comme le règne minéral, et même celui des végétaux, voire, dans une moindlle mesure, des animaux : ils ne sont pas restéshors de l'examen des devins, on va le voir, mais leur pauvreté formelle n'a point. permis qu'on leur consacrât des analyses très poussées et même de véritables traités indépendants?
comme ce fut le cas d'autres objets, de l'ordre des corps célesteset
surtout de l'ordre humain. On les a donc de préférence étudiés avec
plus ou moins de détails, comme autant de paragraphes ou.de cha-
pitres de traités dont le propos était tout autre: Le plus célèbrede ces traités, et le plus copieux, que nous aurons à citer. souvent?était une sorte d'encyclopédie divinatoire par les aléas de la vie quotidienne, centrée sur l;homme et sesconditions de vie, urbaine, sociale, familiale,
de 107 tablettes, c'est-à-dire quelque chose comme une dizaine,.de
Pour sauter tout de suite à une conclusion d'ensemble. dont le aux yeux de l'historien
général de ce mot -- et traité en parents pauvres des ordres entiers
son environnement, ses travaux et ses jours. Il comprenait plus
a. La di'pination déductive de simple observation. poids devrait être considérable
nant que les techniciensde la divination déductive.aient porté plus d'attention et de soin à observerles êtres les plus riches en singularités et en transformations, les plus >. 'Par malchance,'Iln'en existepasencore d'édition critique et à jour, et les étudesde F. Nôtscher l peuvent tout juste donner une
cité
101
11'
P
JEAN BOTTÉRO
SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES
pluies, orages, dontl'étude -- l'>-- attestée. encore modestement, dès la première moitié du He millénaire2, a produit une vaste compilation qui comprenait dans son état final 70 tablettes soit à peu près 7 000 oracles. On lui donnait pour titre, selon l'usage,
les premiersmots par quoi elle commençait': enûma..4/zæ En/ï/. les quels introduisent une façon de prologue cosmogonique marquant le rôle imparti aux astrSlspai' les dieux créateurs du monde : Une partie seulement,non petite, 'de ce > nous
a été.conservée,éditéed'abord, au début de ce siècle,par Ch. Virolïeaud dans sa monumentale
.4x/ra/agie c&a/cïëen/ze4, à quoi l'on a pu
ajouter beaucoup depuis, comme le montrent les études plus récentes,
de E. F. Weidner5 notamment.Une édition critique est en cours preparëe par Miss E. Rainer, à Chicago Le traité lui-même a été agrémenté de résumés d'extraits. de commentaires, Qe catalogues.avec toute une littérature d'observations, de rapports, de lettres tournant autour des préoccupations astroloBiques, surtout omcielles, mais aussi privées', principalement au ler millénaire,dans la seconde moitié duquel apparaissent meme
Si le jour de sa disparition, disparition, la Lune : s'attarde s'attarde dans le ciel (au lieu de disparaître
d'un coup) --'il
y aura sécheresse-et-
famine dans le pays ' Si le 29 du môi; d'Aiîar (avril-mai) se produit une éclipse du
Soleil -- le roi mourra, durement châtié par cama!; mortalité générale' Si Vénus s'attarde à son zénith -- les pluies cesseront4 Si au mois de Telrît (septembre-octobre),Mercure est visible à l'est, puis à l'ouest -- bataille 5
Si l'Orage 6 gronde au mois de Simân (mai:juin) -- révolte dans le pays' Si l'éclair se dirige du sud vers l'ouest -- pluies et inondations 8
S'il pleut au mois d'l.Jlûl (août-septembre),le 8' jour -- mortalité générale'.
DiRusée dans tout le Proche-Orient dès le milieu du Ue millénaire îo,
cette asfro/agie est devenue au ler (avec l'hépatoscopie) une des tech-
niques divinatoires les plus pousséeset les plus en faveur en Mésopo-
des horoscopesv.
tamie, d'où elle a continué de rayonner alentour et jusque fort loin ::
Voici maintenant quelques brèves citations du traité, pour donner une idée de la matière et de son traitement
tion >>est le dernier(28' ou 29') dü mois lunaire.
On a pu lire plus haut un compte rendu d'observation d'éclipse.
1. Mot à mot : « le dieu »'Ïil s'agit de Sîn, dieu de la Lune; aÆérente n'a fait que s'entier avec les siècles, et
l'ouvrage classiqueconsacré à l'aruspicine est devenu une >imposante, plus encore que celle qui est consacrée à l'astrologie. Malheureusement,cette littérature n'est bien connue à ce jour que d'un ou deux spécialistes qui, s'ils ne manquent pas une occa-
sion de souligner qu'ils la connaissent bien, ne semblent pas s'être souciés encore d'en préparer, ou même seulement d'en annoncer.
pour le bien commun,je ne dis pas une édition critique -- travail considérable, qui nécessiterait toute une équipe --, mais du moins un modeste schéma de mise en ordre des documents. Faute de mieux, je tirerai donc des seuls traités paléo-babyloniens les quelques oracles
gescÆRHe,8. 1941IP0 81 : 7. ligne avant la ûn.
j. Mot à'mot : à n'a point de porte ».
l .RJ
6î,.p.. 4q 1.51 ?:; à la ligne 57 du même document, les parallèles (yOS, X
n" 25 8' et.70'; 26 lï.[10J; .51 s. 1116;.ainsi que 20 21; 25 47'; 26'11 30 et ïiï 43)'et le sens(voir .4Hw, p 693)invitent à considérerle ï-na/-'i-fd du texte comme une faute du
scribe pour ÈXaAëï-f! .: /za'édæveut dire >-- l'intéressé est en proie à une vieille dette d'argent vis-à-vis de Sîn 5
3
lorsque tu verges(la substance aromatique) sur la braise, la
fumée s'échappe (seulement) vers la droite, non vers la gauche
tu l;emporteras sur ton adversaire. Si elle s'échappe(seulement)
Cette discipline mantique ne semble guère avoir donné lieu à une littérature, technique ou non, importante : du moins en avons-nous, grâce à G. Pettinato, une édition récente et à jour 6
Du dossier qu'il a rassemblé, il ressort que, pratiquée plus volon-
tiers.à l'époque ancienne (et connue chez les Hittites 7),la léëanomancie
l'était encore au l'r millénaire 8, mais avec une autorité ofûcielle fort diminuée, peut-être au prout des bonnes gens de la rue. Tel paraît également avoir été le cas des deux autres techniques apparentées,
versla gauche,non vers la droite -- ton adversairel'emportera
sur toi D
1. Orle/zla/lan. s. 32, 1963,p. 384 s. : 7 s. et 19s. : apodose>(voir p. 87)
2. 1.oc cü.(inoteinrecédtons, Po381s' manuscritssubsistantssont du ï" millénaire
lesquelles ne sont même plus attestées, dans notre'dossier, après le
He millénaire.
1. Z.4 57, 1965,P. 128: 6.
2. Blot à mot : « sije fais(la manipulation))>.
4. 1bid. 4 5. Zbfd.,p.14.et 25 6. Citée Îci : ô/.
8 Apodose (voir çi-dessus, p. 87).
7. Voir C7:#, p. 9S : 542. Un des textes trouvésen Mésopotamie est d'Assur,
àà dater millénaire :: X,4R, .K,4R.n dater de de la la ûn ôn du du Il' Il'.millénaüe n' 151, (d/« p. 77 s.). Les trois autres, les plus copieux, soit paléo-babyloniens. i. Voir ôl., 1, p. 19 s:
116
qu'ilysoit
dissous,
' 4. Libanomanzia
ét le mauvais presto
destin avec lui:
i Babilonesi,
dans.
4ïvïsr!.deg/ï
p. 303 s; voir aussi R. D: Biggs dans.R.A 63, 1969, P. 73.
5. Art. citédeG. Pettinato,p. 318: 3 s.
117
.
..
.
.
ôïz/dz
..- '
. ,. '.
orle/z rail
'li,
.'- ...,
iyoo,
SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES
JEAN BOTTÉRO
Si la partie haute de la fumée se regroupe comme (les branches
d') un palmier, tandis que la partie inférieure demeure grêle -- un chagrin surviendra à l'intéressé l
Ces trois techniques -- et peut-être, d'un peu plus loin, ce que j'ai
ç. La di'giration déductivepopulaire Il n'en va pas de même pour ce que l'on peut appeler la dîvï/zaïhzz
de nouveauà la méthodede la divination déductive.Dans tous les
c2ëduc/ïve pope/aire ï, laquelle, peut-être très tôt a, s'est trouvée mise en parallèle et en rivale pauvre à la divination des techniciens.D'une
autres présages, observés autour de soi ou recherchés parmi les
de témoignages écrits : nous en avons assez, ç?ependant, pour mus en
appelé la -- apportaient quelque chose
entrailles de la victime, le segmentd'avenir 1;s'il ne s'en approchepas, c'est que le malheureux amant a été >4
Dans le petit vade-mecumdivinatoire à l'usage du tout-venant, déjà cité à propos de l'incubation
ô, il est conseillé à qui veut connaître
l'avenir de prendre pour présage,par rapport à une questionprécise
devins aient beaucoup apprécié cette sorte de promotion de leur rôle
d'autres techniquesanaloguesen grand nombre eussentété imaginables;et pourtant nous n'en connaissonsaucune,en dehors de la lécanomancieet des deux autres, qui ait été mise au point et surtout codifiée 3 -- ce qui était la marque de la divination déductive cljîcïe//e et savante.
1. Art. cité de G. Pettinato,p. 318 : 12. 2. C'est içi que s'insère pareillementl'ordalie(ci-dessus,p 87), en dépit du
pl 3. lolns pc l qu'nn appelait le /zÎJ /iZ)ôi,mot à mot le « lever du cœur », métaphore
fait qu'elle recherchait non le futur mais le passédans sa relation avec le présent : quel
üis4Erl$,DmaiB transp$5ln9;'C.4, Jlzcîelzr À/esoparamfaPZ Parency Incalzrarfa#s,p. 46,
3. C'est-à-dire dont la matière ait été analyséeen toutes sespossibilités, comme c'est
n'5. E. Rainer, Fortune Telling in Mesopotamia, dans /NAIS 19, 1960, P. 23 S., cité
était le coupable du crime commis.
le cas pour tous les domaines explorés par la divination déductive(ci-dessus.
118
p. 84).
p.97,n.l
119
SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES
JEAN BOTTÉRO
et posée à l'avance, les réactions d'un bœuf brusquement arrosé d'eau
froide, en pleine nuit ï. Il en est prévu dix-sept, énumérées,comme c'est l'habitude dans les traités, par contraires ou par variantes : ou >;en rêve, desquels chacun fournit
les grands traités : ou .lci, comme on le voit, c'est toujours de la divination déductive, où toutefois le>non seulement produit ses présages,
œlui de l'asfro/agie, toujours dans le même recueil de >,pour la Balance; ,pour le Capricorne. Pour obtenir une de ces cases, et peut-être plusieurs, car il pouvait y avoir des combinaisons multiples, on devait se servir de dés ou d'osselets.L'orientation divina-
toire du systèmen'est pas contestable.Mais, ici, le de la tablette attire l'attention sur un élément nouveau. Le>en question porte en eŒetle nom de n'indique pas nécessairement qu'elle aît été du même coup
1. Voir C,4.Z), K, p. 435b : 2. 2. /bïd.,
ô,. Divination populaire et ÜÂ jeu de hasard »
1, p. 198 b s., et .,4.#w, p. 881 b s.
3. Pour les parts d'héritage, voir les textes cités, par ex., sous /sgæ,dans CH.D,
/oc. cff. Pour les fonctions publiques, voir la curieuse pièce, justement én fo rme de dé,
publiée dans F.J. Stephens, Ho/fveaædJ7 forica/ 7exh..., pl. XXVll, n' 73 : >J'ai alors traité les présages. Dans le premier, il y
si l'on
en croit les traités, chaque détail signiÊcatif d'un point oraculaire constitue un présage et donne un oracle : le devin, ici 2, ne mentionne même pas le résultat anal, sans doute parce qu'il l'a trouvé conÊrmé
Pied (?) était tourné vers [la Membrane (?)] du Creuset; l 'Assise du Pasteur était liée à droite [et détachée à gauche?]; il y avait le Choc-du-Front de l'Ennemi[... ] ; la partie gauche du Doigt était brisée ; l'Excroissance [...] ; ]es Parties-hautes étaient
par le contre-examen.Car il procèdeaussitôt, commeGétait apparem'
[.-]; le Cheminétait normal; ]a Demeurede gauche[...]; ]a
façon de balance entre les éléments favorables et défavorables de
ment la règle, à la vériôcatioïi épïgï/fu 3) sur une secondevictime, dont
il détaille l'autopsie comme il avait fait pour la première..A la. ûn, seulement,il donne le résultat général : le roi n'a pas à s'inquiéter
normales. Dans (la pièce traitée pour) mon contre-examen,
pour
Porte du Palais [était normale (?); ]'Assise du Pasteur (?)] était détachée à droite [et liée à gauche(?)] ; à la gauche de [... ]e/]a...]
l'épreuve et de la contre-épreuve. Il est possible que le devin lui:même, grâce au détail de son examen, se soit fait une idée plus nuancée de la
était fendu(e) [...] ; il y avait l'Implantation du Trône; ]e Doigt
était normal; l'Excroissanceétait très renforcée(?); les Poumons étaient normaux; le Cœur était normal; les Partieshautes étaient normales. (En conséquence), Monseigneur ne
doit pas s'inquiéter au sujet de son arméea.
L'opération divinatoire est ici complète.Elle est faite dansun but défini, marqué en toutes lettres et mêmeavec un certain détail, au
son armée.
Sans doute
a-t-il
tiré
cette
conclusion. .d'une
situation à venir, répondant mieux au détail du questionnaireposé en tête de l'opération; mais ce détail, il ne le précisepas ici : il se contente. en somme -- et sans doute est-ce là ce qu'avant tout l'on attendait de lui, comme d'un médecin, à qui personne ne songerait à
demanderautre choseque le fïn mot du diagnosticou du pronostic de donnerau roi, en'l'occurrenœ,le ,commeil aurait donné le en cas de résultat ûnalement défavorable.
début : quel sera le sort précis que réserve à l'armée de Mari sa ren-
contre avec le roi de Babylone? Capture? Défaite? Par llammürabi en personne,-ousesalliés? Choc hostile, ou arrêt des hostilités par entente
pacifique? Retour en bon état à Mari? Le devin d'abord une première victime rmaërfrœ,),dont il se contente d'énumérer les sites oraculaires qu'il y a relevés,en notant leur présenceou leur état, mantiquement significatifs. Il y en a une douzaine, dont certains
portent une dénominationqui paraît tirée de l'oracle essentielqu'ils contiennent : ainsi le ,probablement l' > ou « oniromancien ». Peut-être leur faut-il ajouter d'autres techniciens,comme ceux de
ï.
.,4.Zïw, p. 684 b, s. v. mæ.ibÆÆ'œ.
2. Ils sont à plus d'une reprise mentionnéscôte à côte : voir le texte cité p. 73
n. 7; et ]esvers 1 52 et Il 6 s. du .Lœd/œ/ ôê/ /zêmegi,dans .BMZ, p. 32 s., 38 s.; autres réf.,
îb/d, p. 284,note sur 52.
3. Ainsi encore J. Ronger, dans Z,4 59, 1969, p. 204 : naissance,jouissant d'une totale intégrité corporelle îo, obligations évidemment crééespar le corps desZ)ôrüeux-mêmes,peu soucieux d'ouvrir à n'importe qui leur mandarinat, au risque de dévaluer
leurs privi[èges. ]] faut d'ai]]eurs convenir que ]a seu]e nécessité limi-
naire d'interminables étudespour posséderà fond toute la panoplie des traités de la scienceet des manuelsde la pratique divinatoires n,
célèbrez. Il n'y en avait pas toujours dans les agglomérations secondaires'2,mais les villes, surtout d'une certaine importance politique a, en comptaient un certain nombre, et même parfois beaucoup trop, comme le laisse entendre un présage de la lre.tablette du Jumma ô/u. qui voit là?.non sans humour, une menace de >rsapéézlJ
pourra villes
Rien ne dit qu'ils aient été rattachés à un temple, à un sanctuaire, et encore moins à un de ces,au sensgrec du terme, inconnus
dans le pays5. Si certains épisodesde l'examen divinatoire 'pouvaient coïncider avecdes moments de la liturgie ofhcielle 6 et, par conséquent,
se dérouler au lieu par excellencedu culte, avec, de ce point de vue, une préférence possible pour tels ou tels sanctuaires 7, il arrivait aux
devins d'ofHcier ailleurs, par exemple au palais 8. En réalité, c'est
sansdoute là surtout qu'était leur point d'attache : ils étaient au service du roi 9, qu'ils suivaient même en ses déplacements, et surtout
dans..sesexpéditions militaires 10. Soit dit par parenthèse,une telle
mobilité démontre combienpeu localisé était l'exercice de leur art. En tout cas, assimilés comme on vient de les voir au personnel du
palais et du roi, ils étaient donc, en tant que ôôrü, tout à fait et profanes, non moins même
Chaque ôôrî2 était donc une sorte de (haut) fonctionnaire î', occupant une >,et qui parfois s'y rendait
texte de Mari cité plus haut nous a permis d'entrevoir les approches
[. A. Fa]kenstein, dans .D ]W], p. 48 s. Au ]''
($68-627), qui«
11, p. 362 :
voulut
2. A. Falkenstein, /oc. c/z'.,p. 46.
)>(M. Streck, .4ssærôaæfpa/,
3: (dans
'
W. Ring, Baby/onfa/z .jazz/zdary Sfopzes
lignes 16, etc.
4. ..4.R]U, Vll, p. 235, n. 1, et .Z)JWH,p. 92. S. R. Fmnkena, Brf(gë airs de/?z.BrffisÆ.4/KseKmi,p. 10 s. : n' 17, lignes 13-15.
6. R.4 53, 1959, p. 58 : 7, et sur ce personnage (Asqudum), voir i)À/l,
p. 92.
7. Celle desmdr ôôrê(mot à mot : >,idiotisme qui n'implique nulle-
ment une charge héréditaire) : réf. dans Z.4 59, 1969, p. 214, n. '1009.
8. MaÆÏ/ ôô/ê, 32@ïr&drê ; >(réf. fôfd., n. 1010 s.), et plus tard, raôî bôrê ; >(C.4D, B, p. 125 b).
9. Mot à mot : : e//H (voir CHI), E, p. 105 : 3 a); il'ne s'agit point de
{'appartenance à une aristocratie, qui n'existait pas'dans le pays, mais seulement à une famille aisée et indépendante. IO. .8B.R, p. 118 : n' 24 27 s.
11. Allusion fbfd, p. 118 : n' 24.22, qui renvoie à p. 96 s. : n' 1-20; comp. Streck,
..4xsœ/üaæ/pa/, 111p: 362 : /, 3 .Mais, comme nous le verrons mieux plus loin ô, toute cette casuistique ne fournissait que les paradigmes d'une science dont les principes non écrits devaient permettre de résoudre /ous les cas c'est lace aux imprévus qu'un bon (devin montrait son métier ». comme un bon médecin devant un syndrome inattendu ou Jamais décrit Chaque présage étant ainsi résolu en son oracle, il fallait au Z)ôrü, comme un parallélogramme des forces 9 qui donnait la réponse
Tout devin que je suis, (j'ai trouvé) mes présages-hépatosco-
pisser à un troisième examen(CT, XX, pl. 46 : 11128 s.). Il est possible que çes e)iamens
omineuse en question : >;parfois en vain, au moins pour retrouver l'exacte situation
le cas échéant,équilibrer ce contenu oraculaire composite, en pondé'
Au long de cette étude, et comme pour en accuser le caractère humain et faillible, pouvaient se glisser des >r'egü/æJ3
surgir des complications inattendues, voire des discussionsentre gens un a moine de métier 4. On même aes des cas où l'opérateur déclarait forfait et
compétenceet l'attention de plus d'un bôrü à la fois a.
au prix de recherchesplus ou moins fastidieuses au sein de cet énorme fatras :(C.4D. B, p. 123'b), ou >(ÀJïw, p. 791 b :
B 3): Camp. du reste le texte cité par L. Oppenheim, .4Pzcfeizf À/eiopafamfa p. 369, e: 74, et commenté
p. 227(trad.
fr. p. 376 et 236). A. Reisner, SumeÜscÆ-baàJ,lbnïscÆe
.27ym/ze/z..., p. 8, n' 4 : 52 s., marque que les devins pouvaient forfaire à leur métier et « mentir >>.
5. Joœrna/ o/ fÆe Roya/ .4sfaffc Sache/y, Ce/zf. sapé/,
pl. 3, revers 2; voir
aussi
.BMZ, p: 32 : 52; 38 : 6; 44 : 109, où il est fait allusion à l'impuissance ou à l'incapacité desdevins; et, par ex. JC, Il' suppl. : LXl1 30 : « les ôôrü ne font aucune réponse aux présages».
133
T b
JEAN BOTTÉRO
SYMPTÔMES, SIGNES, . ÉCRITURES
IJn médecin, un mathématicien, un juriste n'eussent pas procédé,
opéra/ions divinatoires
fiques.
liturgique )>,où le cérémonialétait à sa place. Et pourtant l'immersion que nous constatons là dans la croyance religieuseet la piété, il semble que nous devions l'étendre à tout exercice de mantique
raisonné ni parlé autrement. Comme technique, la divination déductiveétait donc aussi que ces disciplines scienti-
: : les seules que nous connaissions
un peu
mieux semblent être justement celles qui tiennent de la >(lettre paléo:llabylonienne : R. Frankena, Tabw/ae 'c iefMormes... de l,labre-Bô#/...,
lÿ
: n' 50, 22 s.).
On pouvait aussi consulter les devins, non devant un présage, mais à l'occasion d'une
préoccupation ou d'un projet dont on voulait connaîtreÎ'issue : .l?ar e3emplg,une affaire de santé (J. Nougayrol, et le texte n' 218, pl. LXXXll,
JCS 21, 1967, p. 220 : B : 1-2; p. 221 : E : 1:2; etc. ligne 29, de E. M. Grime, Records /ram [/r and ].a/:a?
tation mantique. C'est pourquoi, afin de donner une idée du côté religieuxde la divination déductiveen so/zexercice,il est utile de rappeler ici ce que nous savons des pratiques divinatoires, même si nos documents ont chancede se rapporter surtout à celles que nous avons appe]ées . Les conditions de lieu, de temps, de présentation
des personnes,
d'abord, y trahissent le sentiment du >et la conscienced'une
certaine communion avec le monde divin.
Nous ne savonspas bien si n'importe quelle consultation divina-
toire pouvait se faire n'importe où, encore que ce n'ait pas toujours
été obligatoirementdans un sanctuaire,mais elle ne pouvait certainementpas sefaire n'importe quand. Il y avait pour elle aux dieux o6ciellement -- c'est-à-dire
au nom du souverain,et non pour un simple particulier(voir ci-dessus,EfZ)id). D.ans le cas des pouvoirs publics, il y avait naturellëmeïit des prises de présages cirëgnstanciées et « sur commande >>(voir 'p. ex. .4.R]W, Il : n' 13ÿ 5-10; et' l)À/.4, p 88 s.). Mais
Les Grands ])jeux de la Nuit
il est vraisemblable que se t;ouvait instituée une sorte de consultation divinatoire
permanente pour faire en quelquemanièreà tout momentle point sur la marche à venir des affaires publiques. Dans ce but, on a dû obliger les fonctionnaires à
communiquerd'ofïicë et d.'urgenceaux devins ofËlciels,ou à la cour, les événements
1. Ceque l'on appelaitnêpegfïbôrî (Z.4 59, 1969,p. 208et n. 953).
extraordinaires etpar conséquent présumés omineux(ci-dessus, p. 100 s., n. 4, et camp. p. 92, et p. 133,n. 2) dont ils auraient eu connaissance à travers le pays, et à régulariser aussi lest prises de présages», terme qui seréfère à la consultation des.qruspices, avec
2. NBK, p. 220 : 1 50 s. et 226 : Il 60 s. (Nabonide); et comp. .4BZ,,XLII : n' 1278, B 6 s. (trad. dans Ze/fers, 1, p. 288 s., n' 340); .K'HR : n' 151, revers 56; et DIWH, p. 32
ple, lorsqu'on lit le texte cité plus haut(p. 112,n. 1), on a bien l'impie?sion que le cérémonial'liturgique, ûxé d'autre part, était normalement doublé, en.quelque sorte, d'une
augure : rCZ,, VI : pl. XIX, n' 9, face, 24. Voir aussi le passagecité p. 165, et n. 1,2.
tout ce qu'elle impliquait : sacrifices de victimes, dissection et examen. A Mari, par exem-
façon de surveillance divinatoire, avec présence du bôrz2 à côté des sacriûcateurs et
examensystématiquepar lui desvictimes(ce qui, soit dit en passant, conârme ïg caractère; de'l'aruspicine : cf. ci-dessus, p. 112, et n. 2). Tous ces éléments,
on le voit, donnaient une variété considérableau cérémonialdesopérations mantiques.
134
ut n. 3 s
3. Ainsi, apparemment, le jour de la fête du dieu local, puisqu'il est de mauvais 4. Voir déjàplushaut,p. 96 et n. 3, où la scène-- il est vrai qu'il s'agit d'incuba-
tion =-- sepasseévidemmentde nuit. Nous savonsaussi(voir W. G. Lambert dans/raq 27, 1965,p. 6 : 111,24 s.) que la cérémonieordalique se préparait par une veillée pro-
longée
135
T b
JEAN BOTTÉRO
SYMPTOMES, SIGNES) ÉCRITURES
Le lumineux Gibil, Irra le valeureux, l'Arc, le Joug. le Dragon,
paroles. Leur caractère déprécatoire suent, pour l'heure, à nous mon-
Le Chariot, la Chèvre,et le Bison et l'Hydre,
trer, avectout ce qui précède,à quel point la divination déductive--
Qu'ils se présentent(maintenant)
très diÆéremment toutefois de la divination inspirée 1 --
(O vous tous,) dans le présageque je traite...
baignait,
elle aussi, en quelque sorte, dans une religiosité profonde, et était mise
Placez la Vérité î!
entre les mains des dieux.
D'un autre côté, l'acte divinatoire requérait une certaine prépara-
Nombreux sont les dieux qui intervenaient de la sorte, d'une manière
tion. Non seulement la victime, quand la procédure choisie en voulait une, devait être, selon la règle a, >
ou d'une autre, dans les opérations divinatoires, appelésà l'aide ou invoqués par les devins et les fidèles : des moindres, comme Gibil,
('e//æ,Xuk/œ/z/J a, mais le devin lui-même, de quelque grande déesse, lëtar sans doute.
137
T SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES
6
JEAN BOTTÉRO
jugeait toutes les actions humaines, dont pas une n'échappait à son
déductive appliquée, tenue.pour présidant aux actes divinatoires et garants de leur résultats : Samaget Adad. C'est eux que l'on « inter-
regard 1 : c'est indubitablement en tant que dieu de la Justice que Sa-
mai est devenule dieu par excellencede la divination. Nous allons revenir sur cette équivalence. De tout ce qui précède,il ressort donc que, si la divination déductive,
rogeait au cours de l'examen-divinatoire (ôîrzi) 1 >>,l'on
procédait à cet examen, qui aboutissait à ]a épurzlssüJ a, laquelle était prise et portée
sous toutes ses formes, apparaît, par son mëcanfsmeune activité
.C'est pourquoi on les invoquait si souvent comme >
était pourtant da/zssa prafïgue imbibée de religiosité a, et mise en
(pur isiD 7 et de la >f'iÆrïZ)œ; '.
rapports étroits avec le monde divin. A ce point que le devin luîmême, dont nous avons pourtant vu combien la réponse à la question divinatoire dépendaitde son travail, de sesréflexions,de ses
L'intervention d'Adad 9 dansle domainemantiquen'est pas facile
à expliquer : c'était premièrement un dieu de la Tempête, de la Pluie, de l;éclair, de l'Orage îo. La clé du mystère est peut-être à chercher
études,de son application de la méthode et de la logique propres à sa
dans un usage emprunté aux Sémites de l'Ouest, puisqu' Adad était une divinité purement sémitiquen, comme SamaË.Ce dernier,
ou de :{ prédiction >>,mais en termes de rôê/ê ôîrï,' bê/êïkrïbïJ, mais
cama!, seigneur-et-maîtredu jugement-divinatoire, Adad, seigneur-et-maître de la prière-consécratoire (pour obtenir une réponse divinatoire) et de l'examen-divinatoire, vous qui trônez sur un sièged'or et mangez à une table de lapis-lazuli,
oraculaire >>rbê/ê dhï,' bê/ê pærusiê,),les propres mots qui servent
oraculairez
que patrons de la mantique, étaient appelés, non seulement ne se
confond absolument pas avec l'avenir inéluctable. Car, pas plus que
le verdict du juge, celui du devin n'était inévitablementexécutoire. Prenons par exemple l' 129 du de Uammurabi.
C'est en réalité une sentencequi condamneà mort une épouse prise en flagrant délit d'adultère, et son complice; mais le texte ajoute que « si le mari veut faire grâceà son épouse,le roi pourra de mêmefaire grâce à son serviteur >>,l'amant de l'infidèle i. Les dieux qui décidaient
l'avenir par la consultation-divinatoire n'avaient pas moins que le souverain d'ici-bas droit de repentir et de grâce. Aussi le consultant ,c'est-à-dire qui avait reçu du devin une réponse défa-
vorable touchant son avenir, gardait-il loisir de se tourner vers ses juges suprêmespour leur demandergrâce.Voilà pourquoi il existait des lzamôurbû z, des rituels (MÂË.E
pÀ î), spécialement des hauts dignitaires du clergé, laquelle impliquait
1. LES ORIGINESET L'EMPIRISME
l'exercice de l'aruspicine a. Moins d'un siècle plus tard, vers 2450,
un passagede la stèle des vautours d'Eanatum de Laganmontre {>est un terme ambitieux et impropre, au bout du compte,
puisqu'il ne serapporte, en l'occurrence,qu'à ce que nouspouvons savoir de la divination dansle pays à partir du moment où, grâce à l'existence de documents écrits et intelligibles, il est entré dans l'ère historique.
que l'on croyait alors à la valeur omineuse des songes -- par plutôt que par oniromancie proprement dite 3. Après 2350, à ['époque d'Accad, est attesté ]e recours usue] à ]'orda]ie,
]aque]]e,
à sa façon, illustre la pratique de la divination déductiveavecproduction de présages.Les plus vieilles croyancesastrologiques4 et clodo' nomantiques 5connues, le sont vers 2130, sur des documents de Gudéa
a. Les plus vieux témoignageset ïa protohistoire de la divination. Si l'écriture cunéiforme a été inventée en Basse Mésopotamie vers
2850avantnotre ère,îl a d'abord fallu prèsd'un demi-siècle,pour le
moins, avant que l'on perfectionnât sufbsamment ce primitif amas de signes mnémotechniques pour en tirer un véritable système graphique, apte à exprimer assezbien la langue parlée, et intelligible à d'autres
qu'à ceux qui ne l'avaient d'abord employéque pour aider leur mémoire î. De longues années encore, il sera surtout utilisé pour la
comptabilité, l'administration et les >d'affaires, puis étendu
au domaine des inscriptions votives et commémoratives et, vers 2600, à la proprement dite. Réservé d'abord à la langue sumé-
rienne, il est alors adapté à l'accadienne, qui l'emploie couramment dès avant le dernier quart du Me millénaire 2.En l'une et l'autre langue, de plus en plus copieux avec le temps, les documents de œtte période
1. Pour l'histoire et les originesde l'écriture cunéiforme, voir notamment R. Labat.
p. 73 s. dans/'.Écrfrre ef la PiycÆologfe dexpeau/es, 1963.Onn'a, m'cst avis,jamais assezinsisté sur le caractère mnémotechniqueoriginel et longtemps essentielà œ système graphique : voir .,4/z/zœafre /970-/97/,'p. 89 s. 2. C'est cette adaptation à une langue phonétiquement et morphologiquement aussi diüërente du sumérien que le sémitique(accadieÔ), qui devait conférer â l-'écriture cunéiforme sescapacités de.rendre ]e plus exactement possible par écrit tout ce qu'expri-
mait le langageparlé. Voir /oc. cïf., p. 90 s.
144
de Laga!. Et c'est à la fin du =e millénaire, au cours de l'époque d'Ur 111,qu'on tombe pour la première fois sur le nom, désormais classique en sumérien, du spécialiste par excellence de l'aruspicine : wÂË.gu.Gfn.
cfD ô. Si l'on veut poussercette période jusque vers 1900,on la terminera sur les trente-deux maquettes de foies inscrites, trouvéesà Mari, qui constituent les plus vieux témoignages touchant la discipline mantique déductive. Mais peut-être est-il plus sagede les reléguer aux premiers temps de la période suivante.
Ce butin est suggestif à l'extrême, puisqu'il nous autorise à faire
remonter très haut, dans le pays, l'importance du rôle, même public,
joué par la divination;la coexistence de la divinationinspirée ' (songe d'Eanatum; clédonomancie des Cylindres de Gudéa) et déductive; et, pour cette dernière notamment, sinon l'usage de techniques 1. .DÀ4H, p. 47. Coma. A. Lads, .Le rôle des oracles dans la nomination des rois et
dcs prêtres'
P. 91 s
chez ]es ]sraé]ites,
]es 'Égyptiens
et
]es Grecs,
dans .Bië/anges
]14a#lero,
l,
2. Le rôle du « chevreau>>dans ce choix d'un personnageà promouvoir à quelque
haute charge de l'État, ne s'explique guère autremeïit, surtout compte tenu de la pratique ultérieure. Voir plus haut, p. 112, n. 6, pour l'importance probable du phénomène
dansé'histoire delà divination. 3. 4. 5. 6.
.Z)À4H,P. 57 s. 1bïd., p. 64 s. ÆÏd., P. 66. 1bfd, p. 47, et ci-dessus,p. 129.
7. Il s'agit naturellement de divination inspirée au senslarge(çi-dessus, p. 96 s.) et
non pas au sens strict et (p. 88 s.).
145
JEAN BOTTÉRO
SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES
déjà diÆérenciées,au moins la prédominance de l'aruspicine. Mais tout cela n'intéresse que l'exïsfe/zce de la mantique et son importance, que
nous pouvons déjà pressentirfort grande. Sur l'esse/zcede cette divi-
nation, l'idée qu'on s'en fàsaît, la techniquedivinatoire,ces vieux témoignages restent complètement muets. Est-ce à dire qu'il faut nous résigner à ne rien connaître de ce point
capital et renoncer à , ce
qui est, en Histoire, le seul moyen de les bien comprendre?En dépit desapparences,les documentsne nous manquent pourtant pas pour
retrouver ce premier état de la divination en Mésopotamie.Mais il
faut les chercher où ils se trouvent : non dans cette période, mais dans
la suivante.
Tout d'abord, dès l'ouverture de cette dernière, un fait capital
s'impose : les premiers traités de divination déductive î. ïls nous appa-
raissent d'emblée sous une présentation littéraire et technique si parfaite et définitive qu'à moins d'en appeler à la génération spon'
fanée, nous sommes contraints d'y voir le résultat de plusieurs siècles,
pour le moins, d'une étude intensive et d'une tradition orale ou même écrite l Si de cette tradition rien ne nous est resté, avant les Foies de Mari, il est pourtant possible de retrouver dans les traités ultérieurs un cer-
tain nombre d'oracles que la critique interne nous autorise à faire remonter à cette période première. C'est l'analyse de tels oracles qui va nous permettre de nous faire une idée sufRsammentprécise de la
De ces oracles antiques fossilisés dans les traités plus récents, les
f
plus faciles à reconnaître, parce qu'ils portent en eux-mêmes,pour ainsi dire, la marque de leur temps, sont les , comme nous avons appelé ceux qui, au lieu d'impliquer, selon le schème courant, une apodose au/urtzr, l'ont au passé, et généralement
autour d'un grand nom ou d'un'événement plus ou moins notable de l'histoire. Par exemple
Si(dans le Foie), la Porte du Palais: est double,qu'il y a
trois Rognons l et qu'à droite de la Vésicule-biliaire sont creusées épa/Jzz,) deux perforations épi/iu,) bien marquées :(c.est
le) présage des ApiËaliens, que Narâm-Sîn (env. 2260-2223), par le moyen de sapes fpi/Jœ,)fit prisonniers 2 Et encore
Si, à droite du Foie, se trouvent deux Doigts l -- (c'est le) présage du Temps-des-Clompétiteurs
3
Si l'on met en compte le nombre total des apodosesque nous con: naissons,plusieurs dizaines de mille pour le moins, ces oracles.historiques forment un ensembleassurémenttrès modeste,mais qui n'est pas du tout négligeable : on peut en dénombrer à peu près deux cents ô. Presque tous se caractérisent d'abord par le libellé, communément
divination déductive en sa période de formation. Certes, nous devrons,
dans ce but, recourir à un certain nombre d'hypothèses et de raisonne-
ments, mais l'Histoire, quand elle y est réduite par le manque de témoignages explicites et contemporains, ne répudie pas de tels pro-
cédésde connaissance, pourvu qu'ils soient tirés, avec rigueur et prudence, de données indubitables et convenablement analysées.
1. Cî-dessus, p. 88s.Il faut noter que, dès les premierstémoignages(enréalité
les Foies de Mari), la seille langue acçadienneest utilisée pour transcrire les présageset les oracles : dans toute l'histoire de la divination, sur près de deux millénaires, à ] 'exception de quelques rares passages(le prologue, du reste retraduit de l'arcadien, de la
grande
série astrologique
: ci-dessus, p.
102 et n. 3;
et quelques
passages
dispersés et forts brefs, comme O. R. Gurney, Semer 9, 1953, p. 25, n' 28, et /zbæ, p. 69 s. : apodoses de 36-38 -- qui sont plutôt des idéographies savantesrecherchées et
plus ou moins çïyptographiques), jamais le sumériencommetei n'ëst utilisé comme langage divinatoire -- et mêmele vocabulaire accadien propre à la divination ne compte
que très peu d'emprunts au sumérien. Si l'on tient compte dela situation fort diRérente pour d'&utres comme celle de l'exorcisme, c'est là une forte présomption
en faveur de l'idée que la tradition mantique(déductive) n'a pas été mise par écrit
1. Termes techniques de l'anatomie hépatique .: voir déjà pt 73, n. 1, etc.
2. yOS, X : n' 24 9. Pour la ville d'ApiËal, voir p. 164, n. 4. 3. Mot
à mot
: > sont probablement récentset peuvent ne .pas signiûer.grand-chose..Ceci aussi est en
146
147
avant que la langue accadienne fût écrite, et même devenue le langage of6ciel des docu2160). Voir encore plus loin, p. 149.
faveur d'une certaine antériorité de l'extispiêine(voir
déjà p. 112, n. 6 et aussi p. 148, n. l).
r JEAN BOTTÉRO
inusité ailleurs, de leur apodose : >
tiennent à notre temps : la majorité aux dynasties d'Accad et des Qutû,
ainsi que d'Uruk IV; puis un bon nombre à celle d'(Jr 111et à celle d'lsin 1; de la période antérieure,on ne relève que peu de noms, ou alors dans un contexte vagueet plus ou moins mythologique a; et des temps qui suivent, trois ou quatre seulement : une fois !jammurabi 4; une fois un monarque cassite dont le nom n'est plus lisible en entier s;
et une fois Nabuchodonosor 1 (1123-1103),de la ]le dynastie d'lsin,
vers la ûn du second millénaire ô. Il y a gros à parier que cesexemples erratiques ne sont que l'eŒet d'une imitation consciente des anciens 7
après la période ici contemplée,il n'y a donc pratiquement plus eu d'oracles historiques.
Or, et voici qui est capital, ces oracles, partout où les événements
qu'ils rapportent sont contrôlables par d'autres sources documentaires, se révèlent parfaitement dignes de foi, au moins dans l'essentiel tant et si bien que les hstoriens -- sans se défendre évidemment d'en
fore d'abord la critique -- les ont traditionnellement pris pour une des sourcesles plus ancienneset les plus sûres de leur reconstruction
de cette haute époqueo. C'est admettre implicitement que, d'une manière ou d'une autre, de tels ont touché de près aux événementsdont ils témoignent. Le fait est que le dernier roi mentionné par son nom dans les Foies de Mari, IËmê-Dagan d'lsin (env. 1953-
1935), ne devait guère précéder leur rédaction que d'une cinquantaine d'années au pluso.
1. amûfæsigniûe d'abord le foie en tant qu'examiné par l'aruspice; puis, par dérivation, le présage(tiré decet examen): CAD, A/2, p. 96 s.-- nouvellemarque probable d'une antique prépondérance de l'hépatoscopie. D'autres fo rmules introdtictoires sont
plus rares(et figurent seulementdansles traités plus récents):
Ceci nous permet donc de retrouver dans les traités, plus récents, une suMsanteportion des oraclesélaborésau cours de la période qui retient ici toute notre attention. Leur première caractéristique,
c'est qu'ils relèvent tous de ce type de divination que nous avons appelée (/zôæ, p. 105 : Vl11, 41'). Exemples analogues dans R. Labat, 'tl/n ca/eæd/ïer ôlz'6y/o/deæ..«.p. 150 s. : 5 s. etc.; et les
textes cités par L. Oppenheim, Orle/z/a//an. s. 5, i936, p. 207, n. Il ; 210, n. 1; 219 s.; 22
Ce caractère concret. détaillé et manifestement >décrits dans les traités de tératomancie(un exemple ti-dessus, p. 106 s. et
107,n.4, et un autre plus loin,p. 151,ûn dela lr' ilote).
'
''
1. A0 7029 5 dans .R,4 38, 1941, p. 82, et 40, 1943, p. 84, sub 10. Autres réf. ïô/d. On
trouve aussi d'autres tournures, comme telle ville : Ur (Reports,n" 1714 s.; 1724 s.); Kig (1).4, p. 65,ligne 60');"Dér (ïbïd.,p. 208, bord droit,
2) etc., qui font elles aussi allusion à de vieilles défaites de çes cités, éliminées pour un temps ou peut-être à jamais de l'avant-scène politique. 2. Pour la note explicative
: > fXa), comp. par ex. /zôæ, p. 46 : Il 6.
3. On verra plus loin, p. 165 et notes, le cas des apodoses détaillées et de type >(Cr, XXXIX, pl. 14 ; 13; voir F. Nôtscher dans Orfenfa/fa 51-54,'p. 122);(fÀfd., pl. 4 : 68 s.; Nôtscher, /ac. cif., p. 48). Des témoignages d'une telle ,dans le pays.
Elle consiste en ceci, pour le rappeler d'un mot, que la connaissance de l'avenir y est tirée, par un raisonnement de l'homme, d'un présage,
c'est-à-dire d'un objet quelconque où elle se trouvait donc comme incluse et cachée.
tisme )>, la partie sémitiquedu plus vieux peuplementde la Mésopotamie l se serait laisséesi totalement conquérir par la forme telle' ment plus>qu'était la divination déductive. Un pareil engouement pour la divination déductive, qui aurait réduit presqueà rien, en Babylonie propre, une tendanceatavique au \, comme butin
de guerre?
même civi]isation, c'est justement ]a mise au point de l'écriture.
par exemple,autrementdit : ,,).
'ils représentaient pour'leur faire évoquer immédiatement les maïs, agrégats' de phonèmes, par lesquels le sumérien rendait. œs .choses -- le plus vieil exemple connu est celui du signe de , >>, >>,
monosyllabisme d'un grand nombre de. mots, et par !onséquent
de signes,a favorisé l'usage plus universel de beaucoup.d'entre.eux, et la constitution
d'une sorte de syllabaire, qui a réduit considéra-
blement la panoplie, d'abord inûnie, des signes û, et grandement
puisque tout l'est et le nord du pays étaient bornés de chaînes qui
en délimitaient les frontières d'avec le monde habité î: et ainsi de
1. Voir A. Falkenstein,..4rc/zaï.çc&e 7ex/e...,p. 37s.
suite. D'autres associations pouvaient être suggéréespar la juxtapo-
2
sition ou l'entremêlement de divers signes : celui du' dans
œlui de >,pour ou « de Djemdet Naçr », au cours de laquelle s'est faite la découverte capitale de la valeur phonétique des signes : ci-dessus, p. 155, n. 3. Voir du reste A. Falkenstein /'ïscÀe/" }He/rgesc#ïc/zre,11, p. 44 s.
2. Elle ne comportait qu'une vingtaine de consonnes et trois voyelles.
3. Ce progrès a été presque accompli une fois, dans des circonstances que nous
i gnomons,en Assyrie, au début du Il' millénaire : l'écriture paréo-assyrienne,à part un
nombre fort restreint de signesà valeur idéographique,n'emploie guère qu'à peu près 130caractères représentant, en gros, 230 valeurs phonétiques, dont un certain nombre sont
rares ou utilisées seulementdans des cas peu nombreux et précis. Voir K. Hecker, GrammaffÆ der .K&//epe-Zexz'e, 1968, p. 12 : 5 c. Mais le système n'a ni rayonné ni
survécu
4. On les appellevolontiers
Danîe4 V, S-28(le festin de Balthazar et la ïnain qui écrit sur le mur...)
159
mythe,
H/z/zœaïre
Ë
nAN BOTTÉRO
lui conférer plus de force et de notoriété; mais /a rab/elfesz/r gz/oï
SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES
dans l'antique et obstinéetradition pictographiquede l'écriture
saient comme autant de pictogrammes qui leur servaient à notiôer leurs décisionstouchant Ïe destin d'autres choses : c'est à savoir les hommes. Tel est sans doute le sens profond de la divination
autrement dit la chose-destin-de-l'intéressé. En somme, les présages
succès millénaire
il l'inscrivait, c'était le support matériel du présage, et ïl \'écrirait cunéiforme
: la chose-présage ûgurant et signiûant la chose-oracle,
n'étaient que les ï(7ëogrammes, marquéspar les dieux, des oracles, c'est-à-dire du desfï/zfixé par eux. Une fois ce point de vue adopté, un certain nombre de traits relatifs
à la divination déductive prennent toute leur valeur et leur sensvéri-
table : par exemple le fait que, dans le directoire des devins, c'est la tablette et le calame qui composent les emblèmes corporatifs des Z)tiré1, signe que l'écriture tenait en leur discipline une place beaucoup
plus foncière que dans les autres branchesdu savoir de tradition écrite. Par exempleencore, l'idée d'appeler >ou {>('Jïtir Jams,) 2 la disposition des astres et des cons-
tellations sur la voûte étoilée devient éloquente, et davantage si l'on pense à la qu'en faisaient les astrologues. Et, pour ne point
tout citer, il arrivait souvent, en extispiscine et en physiognomonie
notamment, que le présagelui-même consistât comme tel en un signe d'écriture marqué sur le foie, ou sur le front 3
Ainsi s'explique, enûn et surtout, un des noms les plus anciens et
les plus courantspour désignerle : ïêrfu, qui, en vertu
déductive. et telle la raison foncière de sa primauté, de son incroyable en Mésopotamie
ancienne : non seulement elle
s'accordait parfàtement avec la mentalité, la rationalité des habitants du pays et leur façon de voir le monde, mais elle.en était issue et n'en
formait que la traduction dans le domaine de l'intérêt porté vers la marche future des choses. j
c. La « pictographie » desprésages.
Pour en revenir maintenant aux oracles élaborésau cours de la période ancienne qui, dans notre opinion, a vu la mise au.point de la divination déductive comme discipline, un certain nombre de questions se posent à leur sujet.
Ët d' abord = quel était le support des « messages» divins qu'ils
constituaient ou,'si l'on veut, ïa forme et l' apparence de ses e( picto-
grammes )>?Nous savons déjà qu'on y doit compte!,.et sans doute depuis de longs siècles, les entrailles des victimes sacriûées, les mouve-
ments des astres et peut-être les songes et les rumeurs omïneuses,
ûn de compte, « la mission que donne un supérieur à son inférieur )>,
mais,bien que nul témoignagedirect ne nous en.soit resté.à.ce jour, il y a de sérieusesprobabilités que d'autre? techniquesdivinatoires
en bonne règle par écrit û, en somme : le>qui porte cet
ordre. Le >est de la sorte le support et le libellé d'un tel « mandement», rédigé par les dieux pour marquer le sort de l'intéressé-- autrementdit le rôle futur qu'ils lui réservent,ce qu'ils ont
attestéesplus tard, comme la tératomancie,.aient déjà été en exercice '. Sans doute même faut-il aller plus loin. Si les vieux Mésopotamiens
décidé de son avenir.
imaginaient en vérité que les dieux écrivaient en intervenant dans la >,>et, en
Donc, les dieux, à mesure qu'ils faisaient les chosesô, les dispo1. .BBR,p. 118 s. : ligne 20.
Z. R.êî. dans 1. ].(3elb, Standat'd Operaliîtg Procédure Jot ïhe Assyrien Dictionary, p. 31 et 32 s.; et N. H. Tur-Sinai dans .4rOr 17/2, 1949, p. 424.
' 3. Voir p.' ex. yOS, X : n' 14, 5 s. et ï4 s. (hépatoscopie);n' 61, 1 et 7 rïrem); rBP, n' 6 (pl. 12s.) : revers 12-66;et n' 27, pl. 35 s. (avecdessins!);et aussi J. Nougayrol, .R.440, 1945-1946,p. 79 s. 4. Ainsi, dans le Mythe d'Anzû, le messager divin Adad >
lnmense page d'écriture. On trouve cette idée dans un Hymne d'Assur-
banipal (668-627) à cama! -- dont nous savonsjustement l'importance en matière divinatoire Tu scrutés à la lumière (de) ton (regard) la terre entière comme (autant de) signes cunéiformes *.
ri/qe rêrra,iqu'on lui donneà porter(LXH, n' 1 : face lï 33; 11128 etç.; trld. dans R.'Labat,'Z,et Relfgïani d PracÆe-Orieæf...p. 89, vers 85 etç.L Référencesd'époque paléo-babylonienne
: F. R. Kraus, .Brf(#ë a i dem .4rcÆïve des lgamaJ-ëazir, .p. 44 s .=
n' 65, 7;'H. H. Figulla, l,effets and i)ocæmenrs of f/re O/d .Baby/ola/z Per/od, Ur Excava/iozzs Texrs, V : n' 10, 22(ordre
du roi), etc.
5. Il s'agit ici naturellement des chosesdans la disposition desquellesles hommes ne pouvaient intervenir : comme celle du fétus dans lë ventre de sa.mère, la mise en place des astres et météores, le fait que chacun ait tel ou tel visage, telle.ou telle marque de naissancesur le corps, ou soit entmîné dans telle ou telle aventure onirique, la conduite
160
reste plus haut, p. 100 s, n. 4, et plus loin,. ci-dessous.
.
. . .
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,. .. -.---:
,..
1. 0n peut le déduirenotammentd!..l'existencea' « oraclesHistoriques » panui içs
3891S€Hil'liii;XdHK3i.:'ütœ':. gî;t ".',:*«".'-161
JEAN BO'lTÉRO
SYMPTOMES, SIGNES, ECRITURES
Tout ici bas était donc omineux,. et l'on peut gagerà coup sûr
que, dès cette époque ancienne, et justement parce qu'une telle attitude était commandée par leur propre conception du phénomène divinatoire et de l'action divine, les antiques Mésopotamiens avaient au moins inauguré -- mais non certes encore, sans doute, systématisé
-- cette immensecuriosité universelle,cette sorte d'extraordinaire volonté de déchiH'ramentdu cosmos, qui est une des caractéristiques de leur esprit.
pictographie, comme la propre écriture indigène cunéiforme : c'est-àdire un ensemble de signes, parfois tirés du réel et encore reconnais-
sables, parfois purement conventionnels, et qui représentaient des choses,ou des mots une façon de code, comme on dit volontiers
aujourd'hui. Que les vieux devins en aient eu conscience,on peut +e pressentir devant quelques indices qui subsistent dans la plus vieille littérature divinatoire. Par exemple, ces désignations de certains aspectsdu présage, principalement en extispicine, évidemment tirées de leur signiûcation omineuse : >,>,etc î. Ou encore, une fois
ou l'autre, la mise en valeur de la généraled'un de ces sacrificielle
et son contenu, a des chances de se référer à un événement historique
Si, d'emblée, le produit-anormal a sa bouche soudéel -- le roi mourra de sa belle mort 2 et un personnage-important prendra le commandement du pays 3
à la bouche,et la mort naturelledu roi, suivied'une façon
Deuxième question, plus complexe : comment arrïvaff-on à {ëcÀ{8rer ces messages'divins ainsi imcrits dans ïes présages? C'était \à une
n'avait, de soi, rien de commun avec ce qu'i]s étaient œnsés évoquer.])e ceux-là, le contenu signiôcatif n'avait pu être découvert que par hasard -- par
de
2 )>
Si, sur la poitrine de l'oiseau (sacriûé),à droite et à gauche, se trouvent quantité de taches-rouges-- mes soldats et les soldatsde l'ennemi, aprèss'être rencontrés,ne se battront
point; le nom de ce (présageest) : remontre'.
Après un exemple co/zcrefde >mantiques et les réalités : l'évocation immédiate, un symbolismeplus ou moins subtil, ou alambiqué, ou reposant sur des croyances ou des imaginations très archaïques-- telle encore, cette idée qui rattache le succèset le bonheur à la d/aile, l'échec et la malchanceà la gauche3. C'est par là surtout que beaucoup de ceséquivalencesnous restent impénétrables
séparésde ces vieilles gens par des millénaires, nous n'avons plus du
tout la même façon de voir qu'eux, les mêmes expériences, les mêmes
traditions, la même mentalité et la même logique. L'important, toutefois, n'est pas que zzoz/s puissionstout lire commeeux, tout comprendre comme eux, mais que nous sachions qu'mx lisaient et comprenaient,que leur lecture n'était pas arbitraire ou fantaisiste, mais, à sa façon, objective et rationnelle. Le même phénomène se produit çà et là pour les documentsécrits qu'ils nous ont laissés, et notammentla partie idéographiquede leur écriture : il y a des pictogrammes, des idéogrammes que nous ne comprenons plus, mais qui avaient un sensparfaitement clair aux yeux de ceux qui les avaient écrtts
Un pareil empêchementintervient beaucoupmoins dans les cas où le > serapportantà un mof, sa signiôcationsejoue sur un jeu d'assonancesphonétiques. Par exemple, dans l'autre oracle historique cité p. 147, des pel:Horafionsconstatéesfpf/iæ pa/3uJsur le foie, on passeaux sapesfpï/iizJ qui ont servi à réduire une ville forte, dont le nom lui-même, Hpïla/ 4, est composé des mêmes phonèmes constitutifs, avec une légère métathèse. Quantité de .C'est pourquoi les prédictions anciennes,
remplies de détails superfétatoires, ont un caractère si réaliste et,
pour tout dire en un mot, anecdotique 1. Mot à mot : etc.),' se compren-
JEAN BOTTÉRO
attardât
: il était indispensable
SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES
de chercher d'abord
à comprendre
comment est née, parmi les vieux Mésopotamiens, la divination déductive, et comment, dès le principe, elle n'a été en somme qu'un pj'oduit
authentiquede leur mentalitéet de leur rationalité.Il nous reste à la voir maintenant,per sunna calf/a, évoluer avecelleset comme
elles
11
naissancedu corps humain ï-. Nous le savonsdéjà, et ne le répétons ici que par commodité, dans les traités, cet objet omineux est présenté
par les protasesen toutes sesvariations : un noevus,par exemple, se trouvant supposé, à la suite, aŒectertoutes les parties du corps humain, énuméréesà la lettre de la tête aux pieds a; dans les recueils anciens, l'analyse semble généralement moins poussée que plus tard $,
LE PASSAGE A L'ÉTAT])E ,nombre qui n'a guère chance
d'avoir jamais été observéici-bas,l'auteur du traité pouvait diMcilement chercher son apodose ' dans une constatation
quelconque,
mais setrouvait contraint de recourir à une lecture aprïorï : en exploi-
tant, par exemple, une valeur du chibre , lequel pouvait évoquer, mettons l'idée de perfection et totalité; aussi donne-t-il
pour oracle : « (]] y aura) ]'Empire : >>.Et quand, à ]a fin d'une énumération partie de >;.Et, comme dans les ,mais
d'une façon plus détaillée et méthodique encore, ces de Hammurabi
vides lorsqu'on n'y peut rien restituer, et plus ou moins remplis dans
problèmes juridiques suHsamment dégagés de leurs circonstanœs trop individualisantes, exposés en leurs données essentielles, puis
les inconvénientsen remplaçant cette interminable ritournelle par
les appelle lui-même des [...] 6 son voisinage le . mentionnera en mauvaise part contre son voisinage, dans un procès [il ['emporterai
sur sa bassejoue de droite
sur le milieu de son cou
[sur
il aura juste de quoi retourner son bénéûce à son bailleur-de-fonds
hurla partie bassede sonnez
surson cou,à gauche
séjour? en prilson? incendie [...?] parmi sa parenté-de-sang, un homme
L quelques ïigttes perdues \
il aura toujours un 6
sur le coin de son œil, à droite
sa lèvre dans/avec [ le mal... [
le mal au >de l'autorité ;
c'est le cas du .Par exemple, à la partie droite répond toujours un mauvais augure,et un bon à la gauche : l'umfaru sur le sourcil de droite annonce qu'on n'obtiendra pas ce que l'on désire; sur le sourcil de gauche,qu'on l'obtiendra
È
consultation sur l'avenir à connaître par divination déductive tour' naît régulièrementautour d'une question poséeet à laquelle on atten-
dait une réponsepar oui ou par non. A quoi pouvaientdonc être
(face 7 s.) :; et encore : les enfants n'auront pas, ou auront de la chance,
utiles, en ces cas, des répertoires interminables où l'on ne trouve jamais la moindre réponse catégorique, mais seulement-: on vient
selonla position à droite ou à gauchedu nœvussur la paupièreinférieure (face 12 s.), et de mêmeen allait-il pour la paupièrehaute, et
de le voir encore -- des pronostics plus ou moins
le ,en dépit de la cassure qui nous en masque le mauvais
sort, à la ligne 10 de la face. Même opposition entre la promises aux enfants à l'occasion de la basse-
touchant ce qui devait se passer dans æ/zdomaine c fermïné comme la
vie familiale (ainsi face 10 s., 20 s.; revers 12') ou personnelle (revers 14' s., 18', 28' s.) ou sociale (revers 16' s., 20' s., 27' s., 30' s.) ou écono-
joue (lôïd. 20 s.), et entre la tristesse geignarde et la joie débordante à propos de la basse région jambière (rev. 28's.); le sens de la dénon-
mique (face 15 s.; revers 19' etc.)? Ces cataloguesjouaient pour les
sera la victime si l'æmgafz{se trouve à droite, et l'auteur (apparemment
devins le même rôle que les >,c'est'à-dire si la demande
a pour objet le pronostic d'une maladie; ou et de l'ave-
R
6. Très fréquent. Mais voir particulièrement des apodosescomme fZ)fd. :' n' 311 48-
50; [V [O; n' 47 90 s ; et son para]]è]e 48 27 s. Comp. .D], p. 7': 17' ]igne en partant
du haut.
179
T JEAN BOTTÉRO
SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES
l Un nir du du ménage ménage ï. Un peu peu plus tard surtouta, on trouvera prévus,
constances plus précises, comme c'était l'once du juge d'appliquer le droit à chaque cas particulier
dans cette même optique, jusqu'à l'état social ou économique de l'intéressé : si c'est >4; et, parmi les traités plus récents tout au moins, ûgurent, çà et là, de véritables listes d'objets possibles du même acte divinatoire
Si c'est un malade, il mourra; si c'est une armée partie en
campagne, elle ne s'en reviendrapoint(saineet sauve) : S'il s'agit d'un notable, (il aura encore plus de) notabilité;
s'il s'agit d'un pauvre,(encoreplus de) pauvreté2
Si tu fâs acted'extispicine pour(t'informersur)ce bien-être
Le passagesuivant, par sa formulation même, marque parfaitement à quel point la consultation divinatoire, telle qu'on l'enregistrait dans
du roi, Ke succèsd)es armes,(le déroulement d')un voyage, la prise d'une ville (assiégée),la guérison d'un malade, la pluie
du ciel(::: pour savoir s'il pleuvra), desopérationscommerciales(= pour savoir si elles apporteront profit ou perte)
les traités, se trouvait,
en sa décision, command/ëepar so/z des/fzzafaïre
Si tu fais acte-de-lécanomancie 3 en vue d'un mariage 4
ou bien d'autres (objets) (encore).- '.
laisse tomber à part (dans la coupe d'eau) un jet d'huile pour
(représenter) l'homme, et un pour(représenter) la femme: si
Ce qui, en somme, équivalait à souligner la po/yva/once de/'apodose 6,
dont il fallait seulementaccommoderle contenu essentieli des cir-
(les gouttes) demeurent l'une contre !'autre, le destin de cet
homme et de œtte femme est de s'épouser; si après être restées ainsi accolées, la goutte-qui-représente l'homme disparaît 5
1. Ô/., 11,p. 62 14.Texte cité plus loin (p. 181,n. 6).
2. Mais voir déjà, pour l'époque paléo-babylonienne,yOS, X : n' 56 1 19, où,
l'homme mourra (le premier); si c'est elle de la femme: la
en.réponse.à un même présage, l'oracle est d'abord donné>(niôfu),
puis spéciûérm ikênæ) : le premier doit s'attendre à une défaite; le second,à être ruiné par le âsc.
femme mourra (la première) '
3. ]wop. xiv. p f84Ïi :s. 6; cz. :xxxvni, pï. ï3 : ïoo; pï. 26 : 4i; pï. 36 : 6i; 4. ]WID& IXIV, p. 50 s. ; 111 14 s. Dans le même passage, on prévoit en outre l'appli+
des techniques divinatoires en mantiques d'intérêt public(notamment extispicine et
astrologie) et d'intérêt privé(en partïciüier physiognÔmonie et oniromancie). fl est vrai que ces dernières, par la qualité même de leurs présages(accidents du corps et compter
cation de l'oracle au cas d' « un prisonnier ». A ma connaissance.l'« esclave ». comme
tel, n'est jamais mentionné dans'depareils contextes.Dans C7 et .K,4.R. Zoc.cü'. à la n. précédente, et dans D.4, p. 226 : 22, il est question du>(m ikênziJ. lbfd. : 20, c'est le.mot a/îïê/æ.glE.paraît avoir ce même sens,et ainsi peut-être ailleurs, çà et là par exemple CT, XXX.Vlll, pl. 21 .: 2, où l'incise ana amê/ï, placée étrangement entre le ?ujet(mark :.un âls) et le.verbe, fait l'eÆetd'une note ajoutée pour marquer qu'il s'agit
tement ou aventures oniriques d'un particulier, lequel était sans doute couramment
rence.par l'usage de la l ''. personne,.comme souvînt. Il ne faudrait toutefois pas donner trop d'importance à ce point : en réalité amê/a, ou am.êZa Ja le plus souvent : « Phoïnme », ou « cet homme », désigne régulièrement , pour le distinguer du souverain, désignéen l'occur-
nent le bien public plus que le destin de tel ou tel intlividu, desprédictions appropriées à ces derniers : par exemple yOS, X : n' Il 11121 etc.; et quelquefois par passages entiers : ibïd. : n' 18 54-60 etc. De même, si certaines apodosei de traités àstroiogiqües semblent exclusivement dévouées, par exemple, à des prédictions météorologiques, par une sorte de souci de garder présage et oracle sur le même plan(,4C, Adad : :kX),'on
soit parce.qu'il lui est survenu,.soit parce qu'il a consulté l'aruspice pour connaître
l'avenir grâce à lui: dans ce dernier cas,.on le dénomme aussi ôê/ fm»zerï ='«lle propriétaire du mouton (sacriûé pour l'examen divinatoire) >>(yOS, X : no. Il IÏ1 16: 31 V 16
y rencontreailleurs desprédictions, non seulementd'intérêt public(ou« le chef
>etç. : par exemple, ïôid. : 111 33) mais primé(ainsi >(,K:4R, n' 389 : VAT 10481. 6i. Mais, comme
(cet)homme )>: iôfd. = Xil 14). ôn aurait donc tort d'insÈter trop sur une telle distinc-
on rencontre !usai rmôfæ) se trouve opposé,dans'i'application de l;oracle, au souverain( 4C, Sema: : Vl11 6), il est permis' d'avancer que, de toute façon, le mot
2. JWDP, XIV, P. 51 16 s.
a/?zê/æClu.!!Pinsindirççtement,l se rapporte au simple sujet. 5. . C7. XX, pl:44 : 59 ô-61. Voir aussi .8.BR,p. 196 : 11121 ç., et 7CZ,, V, pl. XLII s. passim (41, 46 57 s. etc). 6.. C'est justement à cause de cette manifeste polyvalence de l'apodose, ainsi soulignée de teglps.!!.temps par des notes explicites(voir encore pour l;époque récente les listes dans.Cr, X.X, pl. 44 : 59 -b-61; et comp. 7CZ,, VI, PI. XLII : Be j face 46, ûn: 58,
3. Mot à mot : >(.4C, 2' suppl : LXVI 3 ; camp. aussi f&fd. ; LXXVïïï,
1936, p. 209 s. -- mais.fomp . sa.réservep. 214, et les exceptions qu'il signale p. 220
n. 2 --, et Dreams, p. 239 a), d'admettre qu'il y 'ait eu, vraiment, une distinction réelle
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SYMPTOMES, SIGNES, ECRITURES
Réexaminées sous œt angle, bien des ), soit, le plus souvent,:ous la forme abstraite d'ui substantif(;
$guïe dans te présage, ï'oracle doit comporter telle lecture, telle idée \. ïô Jamais sans doute en Mésopotamie l'on n'a été si près de la formulation d'un ensemble de qui réduisaient à l'essentiel, et en clair,
l'exégèsedes signes-- ce que nous avons appelé la >desprésages,et ce qui fait le propre fonds de la
divination déductive. En même temps, jamais l'on n'a mieux montré
combien cette méthode était rationnelle : les présagescontenant en eux-mêmes les éléments des oracles, il sufRsait d'analyser correcte'
û)oud'uninôMtif(,,etc. L'équivalence des deux est exem:
l'énoncé même de quelques présages laisse entendre qu'on discernait déjà consciemment les éléments de la