De la médecine magique et religieuse à la médecine rationnelle: Hippocrate 9782296561410, 2296561411

L'Antiquité classique a connu la médecine magique, religieuse et, la plus importante, rationnelle. La première plac

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De la médecine magique et religieuse à la médecine rationnelle: Hippocrate
 9782296561410, 2296561411

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De la médecine magique et religieuse à la médecine rationnelle HIPPOCRATE

Sciences et Société fondée par Alain Fuchs et Dominique Desjeux et dirigée par Bruno Péquignot

Déjà parus Raymond MICOULAUT, Le Temps, L’Espace, 2011.

La Lumière,

S. CRAIPEAU, G. DUBEY, P. MUSSO, B. PAULRÉ, La connaissance dans les sociétés techniciennes, 2009. François LAROSE et Alain JAILLET, Le numérique dans l’enseignement et la formation. Analyses, traces et usages, 2009. Martine QUINIO BENAMO, Probabilités aujourd’hui. Nouvelle édition 2009, 2009.

et

statistique

Sezin TOPÇU, Cécile CUNY, Kathia SERRANO-VELARDE (dir), Savoirs en débat. Perspectives franco-allemandes, 2008. Jean-David PONCI, La biologie du vieillissement, une fenêtre sur la science et sur la société, 2008. Michel WAUTELET, Vivement 2050 ! Comment nous vivrons (peut-être) demain, 2007. Claude DURAND, Les biotechnologies au feu de l’éthique, 2007. Bruno PINEL, Vieillir, 2007. Régis MACHE, La personne dans les sociétés techniciennes, 2007. Alain GUILLON, Une mathématique de la personne, 2005. Marie-Thérèse COUSIN, L’anesthésie-réanimation en France, des origines à 1965. Tome I : Anesthésie. Tome II : Réanimation. Les nouveaux professionnels, 2005. Fernand CRIQUI, Les clefs du nouveau millénaire, 2004. Karine ALEDO REMILLET, Malades, médecins et épilepsies, une approche anthropologique, 2004.

Simon BYL

De la médecine magique et religieuse à la médecine rationnelle HIPPOCRATE

Ouvrages du même auteur

Vocabulaire grec de base, Bruxelles, Dessain-De Boeck, 1965-2006. Initiation à la civilisation grecque, Liège, Dessain, 2 vol., 1966-1967 (avec rééditions). Tableau synoptique des principales racines grecques, Liège, Dessain, 1966-19762. Initiation à l’art grec, Liège, Dessain, 1966. Petite anthologie de la Biologie d’Aristote, Liège, Dessain, 2 vol., 1974. (En collaboration avec Claire Préaux et Georges Nachtergael) Le paysage grec, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1979. Recherches sur les grands traités biologiques d’Aristote : sources écrites et préjugés, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1980. (En collaboration avec Robert Joly) Hippocrate. Le Régime, Berlin, Akademie der Wissenschaften (CMG I, 2, 4), 1984-20032. Mythe et Philosophie dans les Nuées d’Aristophane, Bruxelles, Ousia, 1994 (ouvrage collectif publié en collaboration avec Lambros Couloubaritsis). Hippocrate et sa postérité (éd.), Bruxelles, Ousia, 2001. Les Nuées d’Aristophane : une initiation à Éleusis en 423 avant notre ère, Paris, L’Harmattan, 2007. Le rire d’Aristophane, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2010.

© L’Harmattan, 2011 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-56141-0 EAN : 9782296561410

INTRODUCTION Parmi tant de progrès accomplis dans la connaissance du monde antique au cours des dernières décennies, l’un des plus notables est assurément constitué par le renouveau des études consacrées à l’histoire de la médecine. Sans doute Hippocrate de Cos, universellement qualifié de père de la médecine, a-t-il toujours figuré en bonne place sur la liste des grands noms de la pensée antique, mais il fallut attendre longtemps pour qu’un effort sérieux soit fait afin de situer de manière précise et nuancée Hippocrate dans l’histoire de la pensée et de la science médicale grecques. En matière historique, une telle tentative n’a de chance d’aboutir que si elle s’accompagne d’une étude nouvelle des documents mêmes sur lesquels s’appuie notre connaissance ; aussi l’édition pionnière — et admirable pour son temps — des Œuvres d’Hippocrate par Émile Littré (qui parut en dix volumes de 1839 à 1861) fut-elle peu à peu remplacée par diverses éditions partielles, souvent pourvues d’un commentaire et bénéficiant de tous les progrès de la science philologique moderne (ce travail de réédition est toujours en cours aujourd’hui). Dans cet ordre d’idées, peuvent être mentionnées l’édition de La nature de l’homme avec traduction et commentaire par Jacques Jouanna (CMG I 1,3, Akademie der Wissenschaften, Berlin, 1975-20022) et celle du Régime avec traduction et 7

commentaire par Robert Joly et Simon Byl (CMG I 2, 4, Akademie der Wissenschaften, Berlin, 1984-20072). Le présent volume est néanmoins centré davantage sur les autres aspects des recherches récentes en matière d’histoire de la médecine antique. Formé d’une réunion d’essais tous publiés antérieurement en revue ou dans les actes de congrès internationaux, il s’articule autour de plusieurs axes : 1 – Quoique la pratique de la médecine fût bien moins réglementée dans l’Antiquité gréco-romaine qu’elle ne l’est de nos jours, elle obéissait cependant déjà à certaines règles d’ordre quasi institutionnel. C’est la plus connue qu’étudie le chapitre 5, consacré au Serment hippocratique. L’activité du médecin était en outre plus itinérante qu’elle ne l’est ordinairement aujourd’hui : le chapitre 3 est consacré à un examen de l’aire géographique dans laquelle se plaçait la pratique médicale hippocratique. 2 – Des trois types de médecine qu’a connus l’Antiquité classique (magique, religieuse et rationnelle), c’est sans nul doute le troisième — la médecine rationnelle — qui est à nos yeux le plus important : c’est que le nom d’Hippocrate, qui lui est traditionnellement attaché, a été extrêmement valorisé pendant plus de deux millénaires, et il a influencé l’histoire de la médecine jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. On ne sera donc pas surpris que la première place ait été accordée ici à cette pratique rationnelle, parfois indûment qualifiée de scientifique. Les chapitres concernés (nos 3 à 16b) étudient des sujets aussi divers que l’alimentation, la rhumatologie, la gérontologie, la phrénitis, le traitement de la douleur, la thérapeutique par l’odeur végétale et par le miel. 3 – Bien des aspects de cette médecine rationnelle demeureraient toutefois incompréhensibles si l’on ignorait l’existence des médecines magique et religieuse, dont l’influence se fait encore sentir au cœur même de l’époque du logos : les deux premiers chapitres permettront au 8

lecteur de se faire une idée de cette médecine prérationnelle, dont l’Antiquité est toujours restée, peu ou prou tributaire. Ainsi, dans l’Odyssée IV, 210-232, Hélène, qui est une magicienne, pour rétablir de la gaieté dans un festin, verse une drogue magique dans le cratère où l’on puisait à boire. Ainsi aussi, Eschyle, dans les Euménides (v. 60-63), met dans la bouche de la Pythie les paroles suivantes : « Qu’en doit-il advenir ? Je m’en remets au maître de cette demeure, à Loxias tout puissant (= Apollon) : il sait guérir par ses oracles (iatromantis). » Si Apollon est assez souvent appelé le Médecin (iatros), comme dans le Serment, il fut éclipsé dans cet office par Asclépios dont les principaux sanctuaires étaient à Épidaure, à Cos et à Athènes. 4 – Une place exceptionnelle a été dévolue à la médecine de la femme ; en effet cette dernière, définie pourtant par Aristote comme une « défectuosité naturelle », est indispensable à la reproduction et celle-ci passe aux yeux des Anciens pour la principale fonction biologique. Un essai (cf. le chapitre 8) illustre ici ce secteur de la médecine antique. Dès lors, il ne faut pas s’étonner si les traités gynécologiques apparentés à ceux de Cnide (Nature de la femme, Maladies des femmes I et II et Femmes stériles) occupent le quart du Corpus hippocratique. 5 – Un autre progrès marquant de la recherche qui porte sur les œuvres médicales antiques réside dans l’attention accrue qu’a reçue la langue même dans laquelle les médecins anciens ont consigné leurs travaux. Une telle étude, rendue possible par l’achèvement récent d’importants ouvrages de référence (Concordance complète des œuvres hippocratiques ; Index hippocraticus, etc.), nous permet non seulement de mieux connaître le vocabulaire médical proprement dit (cf. le chapitre 4), mais aussi de mesurer son influence sur les œuvres d’autres écrivains anciens, par exemple sur celles 9

d’Aristophane. Deux chapitres (16a et 16b) relèvent de ce champ, fort neuf, des études hippocratiques.  Dans un livre remarquable, Le niveau de la science hippocratique, Paris, Les Belles Lettres, 1966, Robert Joly s’est insurgé contre une idée trop répandue, tant par des médecins que par des philologues, et trop facilement acceptée selon laquelle la médecine grecque classique, n’étant plus magique ni religieuse, est scientifique. Nous ne saurions trop recommander la consultation des deux livres suivants : Mirko D. Grmek, Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale, Paris, 1983 et Annie Verbanck-Piérard (éd.), Au temps d’Hippocrate. Médecine et société en Grèce antique, Mariemont, 1998 (avec de nombreuses illustrations). Au seuil de ce livre, il nous faut exprimer de tout cœur notre gratitude à trois de nos élèves, Anne Bargibant-De Fonvent, Anne-Françoise De Ranter et Bruno Vancamp, aujourd’hui professeur à l’ULB : tous trois ont été des collaborateurs fidèles et enthousiastes. Le chapitre 13, consacré à la phrénitis, a bénéficié du concours du docteur A. Willy Szafran, professeur émérite de la Vrije Universiteit Brussel, psychiatre et psychanalyste.

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I. LA MÉDECINE MAGIQUE

Chapitre I LE STELIO DANS LA NH DE PLINE À la mémoire de Guy Cambier (1934-1981), savant latiniste et brillant humaniste qui, pour moi, plus qu’un Collègue très cher fut un authentique Frère.

Aucun historien des sciences ne songerait à sousestimer l’importance et la richesse des informations fournies par l’encyclopédiste latin. L’intérêt de l’Histoire Naturelle est exceptionnel pour le chercheur qui étudie l’état des connaissances au premier siècle de notre ère ou des nombreux siècles qui l’ont précédé et pour celui qui se penche sur les écrits des épigones de Pline, jusqu’à l’aube de l’ère scientifique, voire même jusqu’au XIXe siècle. Pour témoigner de l’estime dans laquelle est tenue l’œuvre de Pline, il me suffira de signaler que Claire Préaux, dans son livre sur La lune dans la pensée grecque1, cite à 103 reprises l’Histoire Naturelle et que Madame Danielle Gourevitch, dans sa thèse récente2 intitulée Le triangle hippocratique dans le monde gréco-

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Palais des Académies (Bruxelles 1973). Voir mon compte rendu de cet ouvrage dans le volume de L’Antiquité Classique (1985). 2

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romain3, commente 98 fois l’un ou l’autre passage du naturaliste antique. D’un autre côté, Robert Lenoble, dans l’un de ses articles4, a démontré que l’Histoire Naturelle plinienne allait « cristalliser pour plus de quinze siècles la vision du monde et définir le type de science accommodé à cette vision »5. Je me permettrai de tenter d’illustrer cette affirmation en étudiant les 17 paragraphes dans lesquels Pline évoque le stelio que l’Oxford Latin Dictionary définit au sens premier comme a kind of lizard, Gecko6, mais que Théodore Mommsen considérait encore comme une sorte de scorpion7. Avant d’aborder les passages dans lesquels le naturaliste antique cite le Gecko, il est important de savoir que le zoologiste allemand A.E. Brehm, dans le tome 6 de son ouvrage Merveilles de la Nature8, n’ignorait pas que les Romains désignaient le gecko sous le nom de stelio et il se voyait encore dans l’obligation de dénoncer des préjugés qui avaient cours chez certains de ses confrères, comme Bontins, Hasselquist et Popping9 qui n’hésitaient pas à prétendre que la morsure de ce reptile absolument inoffensif était venimeuse et mortelle et qui partageaient ainsi une opinion populaire attestée en Italie au XIXe siècle et rapportée par Lucien Bonaparte selon laquelle

3 Le sous-titre de cette thèse est : Le malade, sa maladie et son médecin (Rome 1984). 4 « Les obstacles épistémologiques dans l’Histoire naturelle de Pline », in Thalès (1952), p. 87-106. 5 Ibid., p. 88. 6 Cf. P.G.W. GLARE, Oxford Latin Dictionary (Oxford 1982), p. 1817. 7 Théodore MOMMSEN , Le droit pénal romain, trad. J. Duquesne (Paris 1907), t. II, p. 404, n. 4. 8 Édition française par E. SAUVAGE (Paris, Baillière, 1885), p. 204 ss. 9 Ibid., p. 205-206.

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on ne reproche pas seulement aux Geckos ou tarentes de gâter les mets sur lesquels ils se posent ; on les accuse également de tuer un homme rien qu’en passant sur sa poitrine ; cette croyance est répandue dans tout le peuple10.

Mais revenons au stelio11 de Pline l’Ancien, cet encyclopédiste au sujet duquel se pose perpétuellement la question des sources. Ce problème de la Quellenforschung est sans doute plus aisé en ce qui concerne le naturaliste latin qu’en ce qui se rapporte aux modèles de son lointain maître Aristote12. D’abord, l’encyclopédiste tient — contrairement au Stagirite — à mentionner ses sources pour montrer sa prodigieuse érudition : c’est notamment l’objet de son livre 1 : ensuite, il n’hésite pas au fil de son discours à nous donner le nom de ses informateurs. À propos du stelio, Pline cite le philosophe d’Erèse, lorsqu’il écrit au § 111 du livre 8 : Théophraste nous dit que les Geckos, comme les serpents, dépouillent leur vieille peau (senectutem) et l’avalent aussitôt, pour éviter de fournir un remède à l’épilepsie. On raconte que leur morsure est mortelle en Grèce, mais inoffensive en Sicile.

Par le plus grand des bonheurs, nous avons conservé un fragment13 du disciple et ami d’Aristote dans lequel il déclare notamment ceci : On dit que le (! (c’est-à-dire le Gecko), parce qu’il jalouse l’aide qu’il apporte aux hommes, avale sa peau au moment de la mue ; c’est, en effet, un remède pour l’épileptique… Mais il est évident pour tout le monde que ce n’est pas par jalousie que cet animal (et d’autres) agissent ainsi, mais c’est l’imagination des hommes qui leur prête cette 10

Ibid., p. 206-207. J’adopte la graphie stelio alors que les manuscrits anciens et les éditeurs contemporains hésitent entre l’orthographe stelio et stellio. 12 Voyez sur ce sujet la première partie de mon livre Recherches sur les grands traités biologiques d’Aristote : sources écrites et préjugés (Bruxelles 1980). 13 THÉOPHRASTE, fr. 175 (ed. Fr. Wimmer, Leipzig, Teubner, 1862, t. III). 11

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intention. En effet, comment des êtres privés de raison pourraient-ils acquérir une telle sagesse que des hommes doués de raison n’acquièrent qu’au prix d’un grand effort ?… Et le (! (le Gecko) dévore sa peau poussé par quelque instinct naturel…

Un passage de l’Apologie d’Apulée14 vient appuyer ce fragment du scholarque du Lycée, en nous apprenant que Théophraste a composé un excellent ouvrage sur l’épilepsie et un autre qui traitait de invidentibus15 animalibus, dans lequel il indiquait remedio esse ait exuvias stellionum, quas velut senium more ceterorum serpentium temporibus statutis exuant. Et Apulée poursuivait son information en précisant qu’il faut se saisir du Gecko immédiatement, car « sinon l’animal, soit pressentiment jaloux, soit appétit instinctif, se retourne et dévore sa peau ». Outre Théophraste, Pline a dû disposer d’autres sources d’origine grecque puisqu’il nous apprend, au paragraphe 90 du livre 2916 que « les Grecs appellent le Gecko colotes, ascalabotes et galeotes ». L’helléniste, qui se livre à une recherche lexicographique destinée à éclaircir la citation plinienne, constatera que c’est le mot éã! qui, dans l’état de nos connaissances, apparaît en premier lieu : éã! se rencontre, en effet, sur une olpè découverte à Loutraki et qui se trouve aujourd’hui au Musée National d’Athènes. Ce vase, souvent décrit17, est daté de l’époque que les 14

APULÉE, Apologie, c. 51, texte établi et traduit par P. Vallette (Paris, Les Belles Lettres, 1924). Je modifie légèrement la traduction de P. Vallette. 15 Sur l’emploi du verbe invidere, voyez A.M. TUPET, La magie dans la poésie latine (Paris, Les Belles Lettres, 1976), p. 181. 16 J’emploierai toujours le texte de Pline, établi et traduit dans la Collection des Belles Lettres par A. Ernout et collaborateurs. 17 Je cite dans l’ordre chronologique H. C COLLITZ – F. BECKTEL, Sammlung der griechischen Dialekt Inschriften, III, 1 (Göttingen 1889), p. 68 (n. 3123) ; H. Payne, Necrocorinthia, 2e éd. 1971 (1ère éd. 1931), p. 165 (Olpè, n. 1408) ; R. ARENA, « Le

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archéologues appellent le corinthien récent, c’est-à-dire des environs de 560-55018 ; il est décoré de la représentation d’un quadrige qu’accompagne un conducteur nommé Akamas et d’un Gecko à côté duquel se lit l’inscription éã!. C’est sans doute au vers 170 des Nuées d’Aristophane (représentées aux Grandes Dionysies [mars de 423]) qu’apparaît pour la première fois, dans nos sources littéraires, le mot é(! qui, contrairement à ce qu’affirme P. Chantraine19, n’est donc pas plus anciennement attesté qu’éã!. C’est, à ma connaissance, aux vers 173 et 174 des Nuées, qu’apparaît pour la première fois le terme (! que l’on retrouve dans une œuvre du Corpus aristotélicien, le * "μ)  éμã  : (66, 835a 27-29) : lorsque le (! se dépouille de sa peau, comme les serpents, et qu’il a mué, il dévore cette peau ; ce fait est observé par les médecins car elle est utile aux épileptiques

(c’est en fait l’affirmation de Théophraste, fr. 175 confirmée par le texte de Pline, 8, 111). (148, 845b 4-6) : on dit qu’en Sicile et en Italie les « ont une morsure qui est mortelle et que cette dernière n’est pas, comme celle des « de chez nous, inoffensive et sans vigueur. iscrizioni corinzie su vasi », in Atti Accademia naz. dei Lincei (Rome 1967), p. 97 (on trouve une photographie de cette olpè n. 521 du Musée National d’Athènes à la pl. XIV de cet article) ; Fr. LORBER, Inschriften auf Korinthischen Vasen. Archäologisch-epigraphische Untersuchungen zur Korinthischen Vasenmalerei im 7. Jh. V. Chr. (Berlin 1979), p. 70, n. 107. 18 Je dois cette précision à la science et à la gentillesse de mon ami et de mon maître Charles Delvoye. Fr. LORBER, op. cit., p. 70, date aussi les inscriptions du vase de la deuxième phase du corinthien récent. 19 Cf. Pierre CHANTRAINE, Dictionnaire étymologique de la langue grecque (Paris, Klincksieck, 1968), t. I, p. 123, s.v. éã!. L’éminent linguiste exprime néanmoins l’avis qu’é(! semble un dérivé d’éã!.

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Les scholiastes des Nuées d’Aristophane et les lexicographes antiques (Hésychius, Stéphane de Byzance et la Souda20) sont tous d’accord pour établir l’équivalence entre l’é(! et le (! et à considérer cet animal comme un saurien. Aristote citera 7 fois é(!21, souvent à côté des serpents et une seule fois le  (!22 qui manifestement a embarrassé les traducteurs du Stagirite23, mot qui, selon Chantraine24, n’est qu’une variation de forme d’é(! dénonçant le caractère populaire du vocable. Plusieurs dizaines d’années avant le Stagirite, l’auteur hippocratique des Épidémies, 4, 56 (5, 194 L) avait mentionné un malade qui, à Abdère, évacua des excréments qualifiés de   °, mot qu’Émile Littré traduit par « matières allongées comme un lézard » mais que je rendrais plutôt par « matières à l’apparence extérieure d’un Gecko » (dont le dos semble parsemé de petites étoiles, d’où son nom latin de stelio).

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Le lecteur trouvera tous ces textes et leur traduction dans mon étude « Mention d’un saurien dans les Nuées (v. 170s.) d’Aristophane et ses rapports avec les mystères d’Éleusis », in Revue de Philosophie ancienne (1986), p. 107-132. 21 Cf. HA, 533a 27 ; 559a 31 ; 600b 22 ; 607a 27 ; 609 29-30 ; 614b 4 ; IA, 713a 17. 22 Cf. HA, 9, 1, 609b 19-21. 23 Jules TRICOT, Aristote. Histoire des Animaux (Paris, Vrin, 1957), t. II, p. 587, qui traduit simplement par colote et qui commente à la n. 5, l. 19 : «  (! (sic) paraît synonyme d’é(! (stellion) ». Mais certains auteurs, Scaliger notamment (Schn. Comm. II, 14 ; Cur. Post 481) pensent qu’il s’agit plutôt d’un insecte de la famille des scarabées. Camus, II, 239, ne se prononce pas. » Et dans l’Index Animalium II, p. 745, Jules Tricot note : «  ( colote (colota) (insecte ?) ». Pierre LOUIS, Aristote. Histoire des Animaux, livres VIII-X (Paris, Les Belles Lettres, 1969), t. III, p. 68, traduit par « colote » et il écrit en note : « Le sens exact de  (! est inconnu. Mais il est vraisemblable qu’il s’agit d’un lézard . » 24 Cf. P. CHANTRAINE, op. cit., p. 123.

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Le poète comique athénien Ménandre citait le (!25 et l’alexandrin Nicandre26 évoquait les morsures hostiles du Gecko (ou ascalabos). Le mot latin stelio n’apparaît pas avant le premier siècle, à l’époque augustéenne ; on est en droit de se demander s’il existait au deuxième siècle avant notre ère, car Térence, aux vers 688-689 de l’Eunuque, ayant à traduire l’expression de son modèle grec Ménandre (! °  écrit : Hic est vietus vetus veternosus senex Colore mustelino 27.

Donat, au IVe siècle de notre ère, expliquera que le poète comique latin a confondu (! avec ', la belette. C’est, semble-t-il, dans la 4e Géorgique de Virgile, v. 242-243 et dans les débris de l’œuvre De verborum significatu de M. Verrius Flaccus qu’apparaît la première mention du stelio. Le poète de Mantoue, dans deux vers dont se souviendra quelque dizaines d’années plus tard Columelle évoquant le venimeux Gecko (venenatus stelio)28, citera ce petit saurien comme un ennemi de la ruche. Quant au très savant grammairien M. Verrius Flaccus, il tente d’expliquer l’étymologie de stelio par l’expression virus instillet cibo29 (le stelio distille du poison sur la nourriture). 25

Cf. fr. 163 de l’   (ed. A. Koerte, Leipzig, Teubner,

1953).

26 Cf. Thériaques, v. 483-484, ed. Otto Schneider (Leipzig, Teubner, 1856). Voir aussi le fr. 56 de NICANDRE, in ANTONINUS LIBERALIS , 24, Mytholographi Graeci, vol. II, fasc. 1, ed. Edg. Martini (Leipzig, Teubner, 1896). 27 Texte établi et traduit avec une légère modification par J. Marouzeau (Paris, Les Belles Lettres, 1947) : « Celui-ci est un vieux rabougri, vétuste et vieillot, au teint de belette. » 28 Cf. COLUMELLE, De re rust., 9, 7, 5, ed. E.S. Foster et Ed.H. Heffner, Loeb Classical Library. 29 Cf. FESTUS, De Verborum significatione quae supersunt, ed. C.O. Müller (Leipzig, Teubner, 1880, editio altera), s.v. stelionem : genus aiunt lacertae, quod Verrius dictum ait, quia virus instillet cibo,

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Festus, qui nous rapporte l’explication de M. Verrius Flaccus, signale que d’autres auteurs étaient d’avis que le stelio tirait son nom du fait qu’il ressemble, en raison de la variété de ses couleurs, à une réunion de stellarum. Cette explication est celle d’Ovide qui, dans les Métamorphoses30, évoque la transformation par Déméter d’un enfant insolent en un animal d’une taille inférieure à celle d’un petit lézard dont le nom… rappelle la couleur de son corps, constellé de gouttes (de la boisson que la déese lui a envoyée en plein visage) qu’il a reçues çà et là : variis stellatus corpora guttis.

C’est là en réalité l’origine du mot retenue par les meilleurs étymologistes du XXe siècle31. Revenons aux différents paragraphes de Pline se rapportant à cet inoffensif saurien. Dans le premier texte cité du naturaliste32, nous avons pu constater que la peau de cet animal bien souvent assimilé par les Anciens aux plus redoutables des serpents33 passait aux yeux de Pline, potius quam, ut putant alii (codd. : abi) a stellarum similitudine, quia varium est. 30 Cf. OVIDE, Métamorphoses, 5, 446-461, texte établi et traduit par Georges Lafaye (Paris, Les Belles Lettres, 1928). 31 Cf. A. ERNOUT et A. MEILLET, Dictionnaire étymologique de la langue latine, 4e éd. (Paris, Klincksieck, 1959), p. 646 et A. WALDE – J.B. HOFMANN, Lateinisches etymologisches Wörterbuch, 3e éd., II (Heidelberg 1954), p. 588. ISIDORE DE SÉVILLE, Etymologiarum sive Originum libri XX, ed. W.M. Lindsay (Oxford 1911 ; rééd. 1962), t. II, 12, 4, 38 se souvient de l’explication fournie par Ovide : Stelio de colore inditum nomen habet ; est enim tergore pictus lucentibus guttis in modum stellarum. De quo Ovidius (Metam., 5, 461) : aptum colori / Nomen habet, variis stellatus corpora guttis. 32 Cf. HN, 8, 111. 33 Cf. supra [Aristote],       É  , 148, 845b 4-6 ; COL., RR, 9, 7, 5 (venenatus stelio) ; M. Verrius Flaccus, stelionem… virus instillet cibo et des textes de Pline lui-même que nous allons citer, sans oublier Aristote déjà en HA, 8, 29, 607a 26-27 (en certains points de l’Italie, même les morsures des geckos sont mortelles).

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comme déjà à ceux de Théophraste et de l’auteur du Pseudo-Aristote, pour une excellente thérapeutique contre l’épilepsie. Cette maladie, qui, parce qu’elle Frappe brutalement, à l’improviste et d’une manière spectaculaire, la totalité de l’être, en tordait et secouait le corps et aliénait l’esprit, suggérait totalement une présence extrapersonnelle qu’on n’osait guère la considérer comme tout à fait pareille aux autres maladies34.

C’est encore Apulée qui, dans l’Apologie35, nous apprend qu’à Rome, de son temps encore, on appelait « à juste titre » l’épilepsie « non seulement haut mal ou mal comitial, mais mal divin, comme chez les Grecs +å Ò! ». Contre cette maladie aussi redoutable, il fallait un remède auquel on attribuait une efficacité tout à fait exceptionnelle. L’historien des sciences, qui est aussi un épistémologue, doit se demander pourquoi la pensée non scientifique a pu pendant des siècles valoriser ainsi la peau d’un serpent, ou plus exactement du stelio, distingué rationnellement mais inconsciemment assimilé toujours à cet animal36 qui constitue pour le psychanalyste (un) symbole… phallique chargé d’une très forte ambivalence… agent de mort… aussi facteur de vie37 ;

l’historien des sciences se souviendra ici de cette profonde réflexion du grand Bachelard qui déclarait que 34

Cf. Mirko D. GRMEK, Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale (Paris, Payot, 1983), p. 69. 35 Apulée, Apologie, c. 50. 36 Voyez par exemple ARISTOTE, HA, 8, 17, 600b 19-24. Au XVIIe siècle, Lemery, dans l’article « Serpens » paru dans son Dictionnaire des Drogues (1697) confond le serpent et la couleuvre et il écrit de ce serpent-couleuvre : « Il y en a beaucoup d’espèces : ils muent tous, et ils quittent leur peau à l’automne et au printemps. Sa morsure est venimeuse et mortelle si l’on n’y porte remède. » 37 Robert LENOBLE, « Le thème du poison », in Archives internationales d’Histoire des Sciences (1955), p. 42-43.

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c’est un des traits fondamentaux d’une pensée valorisante que toute valeur peut être niée38 ;

en d’autres termes qu’une notion valorisée est toujours ambivalente. Robert Lenoble a noté39 que chez Pline nous trouvons un bel exemple de l’ambivalence de l’âme antique à l’égard du serpent, car nous découvrons une hantise permanente des bêtes sauvages, des animaux venimeux et des poisons, mais nous rencontrons en même temps l’idée que les animaux redoutables, comme le serpent, sont aussi l’emblème de la vie et du salut. Mais dans l’œuvre de Pline, il y a, sur le chapitre des remèdes efficaces contre le mal sacré, d’autres paragraphes que l’on découvre au livre 30 : On fait aussi (pour l’épilepsie) un magnifique éloge… de la cendre du Gecko d’outre-mer prise dans du vinaigre ; de la peau dont le Gecko se dépouille comme du serpent40, dans un breuvage. Certains ont fait prendre en boisson le Gecko luimême éventré avec un roseau et conservé…41

« Rien n’est préférable à ce remède (= la peau du Gecko) dans l’épilepsie… »42. J’ai tenté d’indiquer la raison pour laquelle un serpent ou un Gecko pouvait passer pour un remède absolument merveilleux contre le mal sacré ; j’aimerais montrer aussi les deux raisons subjectives pour lesquelles les thérapeutes de l’Antiquité valorisaient particulièrement la peau du saurien. La première cause rationnelle — mais non pas scientifique — est liée à l’idée que cette peau qui se renouvelle chaque année à des moments bien précis est le symbole même du rajeunissement. Un texte d’Ovide, Métamorphoses, 7, 271 s., en témoigne à suffisance. 38

Gaston BACHELARD , La formation de la pensée scientifique, 4 éd. (Paris, Vrin, 1965), p. 122. 39 Cf. op. cit., n. 4, p. 101. 40 Remarquez une fois encore la liaison serpent-Gecko. 41 HN, 30, 88. 42 HN, 30, 90. e

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Médée veut rajeunir son beau-père, le vieil Éson43 ; parmi les substances appropriées à cette transformation, nous dit le poète de Sulmone, « elle n’a point oublié la peau écaillée d’un petit chélydre du Cynips »44, ni le foie d’un cerf mort avec une longue vie ni le bec et la tête d’une corneille sur qui avaient pesé neuf siècles45. La seconde cause de la valorisation de la peau du Gecko nous est fournie par Pline lui-même : Il importe de connaître la façon de lui (= au Gecko) dérober rapidement sa dépouille ; autrement, lorsqu’il se débarrasse de sa peau d’hiver, il la mange, aucun animal ne déployant, diton, plus de ruses (fraudulentius) pour frustrer l’homme ; aussi est-ce de là que le nom de « stellion » est devenu une injure. On observe l’endroit où il gîte pendant l’été, généralement dans les revêtements des portes et des fenêtres, dans les lieux voûtés ou les tombeaux. C’est là qu’au début du printemps on tend des sortes de nasses tressées avec des roseaux fendus, dont l’étroitesse lui plaît d’autant mieux qu’il s’y dépouille plus facilement de la vieille peau qui l’entoure ; mais dès qu’il l’a quittée il ne peut s’en retourner 46.

Pline (30, 48) nous décrit longuement les techniques très sophistiquées de la capture de la dépouille du Gecko, ce que fera à sa suite Apulée47 mais non pas Élien48 qui, à propos du (!, se contente de suivre les informations fournies par Théophraste et de qualifier la peau du Gecko comme l’antidote de l’épilepsie.

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Cf. OVIDE , Mét., 7, 215-216. ID., ibid., 271-272. Le chélydre est un serpent venimeux de l’Afrique représenté dans le poème par le Cinyps, petit cours d’eau de la Libye. 45 Ce texte d’Ovide est cité et commenté par A.M. TUPET , La magie…, cit., p. 405. À ce texte, on peut joindre le vers 266 du chant 9 des Métamorphoses. 46 HN, 30, 89. 47 Cf. APULÉE, Apologie, 51. 48 Cf. ÉLIEN, NA, 3, 17, ed. A.F. Scholfield (Loeb Classical Library, 1958). 44

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C’est maintenant qu’il faut citer les réflexions qu’émet Robert Joly dans son ouvrage intitulé Le niveau de la science hippocratique49 à propos de remèdes cnidiens : Plus encore que la cherté, c’est souvent le caractère bizarre, insolite du produit qui semble le valoriser médicalement, de même que la difficulté à se le procurer. Beaucoup de préparations donnent l’impression, comme en magie, d’accumuler les difficultés qui rehaussent le prestige du remède50.

Or, semble-t-il, peut-il y avoir un remède plus bizarre, plus insolite, plus difficile à obtenir que la peau du Gecko, surtout pour un esprit qui est persuadé que cet animal est dangereux, venimeux et qu’il s’empresse de dévorer sa dépouille51 ? Comme je me suis longuement attardé au commentaire du Gecko et de sa peau comme antidote du mal sacré, je pourrai signaler plus rapidement les autres maladies que ce petit saurien est censé guérir. Un animal qui effrayait les Anciens mais qui jouit toujours d’une très mauvaise réputation est le scorpion. Nous ne serons pas surpris de voir Pline lui consacrer six paragraphes au livre 11 dans lesquels, à côté d’observations objectives, se dévoile au grand jour une mentalité qui n’est pas scientifique. Le naturaliste s’empresse de définir le scorpion terrestre comme une bête dangereuse, venimeuse comme les serpents avec cette seule différence que, par un supplice plus cruel, elle donne une mort lente avec une agonie de trois jours. Sa piqûre est mortelle pour les vierges toujours, et pour les femmes presque sans exception ; elle l’est pour les hommes le matin…52.

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Paris, Les Belles Lettres, 1966, p. 52. Dans le même ouvrage, il faut lire la note 3 de la page 54 qui mériterait d’être approfondie. 51 Sur la peau du Gecko comme antidote de l’épilepsie, Owsei TEMKIN , The Falling Sickness (Baltimore 1945), p. 21 et la n. 114, ne fait pratiquement aucun commentaire. 52 HN, 11, 88. 50

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À côté d’observtions objectives se révèlent ainsi des croyances qui trahissent les terreurs de la conscience ou des pensées qu’un psychanalyste n’éprouverait peut-être guère de peine à expliquer. Pline, qui croit qu’il existe toujours un remède contre toutes les affections même les plus graves ou contre les poisons, même les plus foudroyants, ne va pas cesser d’appliquer deux principes qu’un auteur du XVIIe siècle, cité par Robert Lenoble53, P. Kircher, dans un traité intitulé Mundus subterraneus et édité à Amsterdam en 1664-1665, érigera en aphorismes, le venenum est remède en même temps que poison (9, 1, 5) et les venena sont en guerre les uns contre les autres. Personne ne s’étonnera dès lors que l’encyclopédiste latin aille recommander comme remède au venin du scorpion la propre cendre de l’arachnide bue dans du vin54 ou les Geckos eux-mêmes plongés dans l’huile55. Dans cette dernière prescription, nous trouvons l’application d’un principe qui sévit dans toute la médecine ; c’est celui de l’antipathie et de la sympathie qui existent entre les différents corps qui constituent le monde et en particulier entre les différents animaux56. Pline, en effet, rapporte une tradition que l’encyclopédiste aurait pu trouver, selon une hypothèse de M. Wellmann, dans l’œuvre de Xénocrate d’Aphrodisias57 et qui sera attestée par une foule d’auteurs (Scribonius

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R. LENOBLE, Le thème du poison, cit., p. 51. De la même façon, Pline, en HN, 29, 71, recommande contre les morsures de serpents, même celles qui sont incurables, l’application sur la plaie des propres viscères des reptiles. 55 HN, 11, 90. 56 Sur ce principe de sympathie et d’antipathie, voir notamment A. ERNOUT, « La magie chez Pline l’Ancien », in Hommages à Jean Bayet (Bruxelles 1964), p. 193-194 ; J. ROEHR , « Der okkulte Kraftbegriff im Altertum, II. Die Sympathie und Antipathie », in Philologus Suppl., 17, 1 (1923), p. 34-76. 57 Cf. M. WELLMANN, « Xenocrates aus Aphrodisias », in Hermes, 42 (1907), p. 614-629. 54

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Largus, Compositiones, 16458, Pline, HN, 29, 9059, Galien60, Élien61, Isidore de Séville62 et finalement par les Geoponica63) : le Gecko est hostile au scorpion et c’est pourquoi on se sert du premier comme remède contre les morsures du deuxième. Inversément, mais toujours selon le principe de l’antipathie, Pline relate qu’il faut recourir au scorpion broyé pour neutraliser le venin des Geckos64. Nous ne serons pas étonnés de constater que l’encyclopédiste va citer le petit saurien comme remède d’une série d’autres maladies, les unes graves, les autres beaucoup moins : la fièvre quarte, contre laquelle la médecine clinique est impuissante65, peut être combattue notamment par un Gecko « enfermé dans une boîte qu’on a placée sous l’oreiller, et qu’on délivre à la fin de l’accès »66 ; la dysenterie sera soignée entre autres par un Gecko d’outre mer67 préparé selon une technique que

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SCRIBONIUS LARGUS, Compositiones, ed. Sergio Sconocchia (Leipzig 1983) : In Africa aut sicubi scorpiones sunt nocivi, stelliones aridum in cinctu oportet habere. 59 HN, 29, 90. Sur ce texte, voir notamment Luis G IL, Therapeia. La medicina popular en el mundo clásico (Madrid 1969), p. 191. 60 GALIEN, Ad Pisonem de Theriacis Liber (14, 243 K). 61 ÉLIEN, NA, 6, 22, ed. A.F. Scholfield (Loeb Classical Library, 1959) : le Gecko est tout à fait hostile au scorpion. 62 ISIDORE DE SÉVILLE, 11, 4, 38. 63 Geoponica, ed. H. Beck (Leipzig, Teubner, 1895), 13, 9, 7. D’après l’article d’ODER, « Geoponica », in RE, 7 (1912), la rédaction de cette œuvre se place aux alentours de 950. 64 HN, 29, 73. Gaston Bachelard, op. cit., p. 123-124, montre clairement la différence entre la mentalité qui est la nôtre et la mentalité qui est celle d’Aristote, de Pline et encore de l’Encyclopédie. 65 HN, 30, 98. 66 HN, 30, 102. C’est là un des remèdes prescrits comme amulettes par les mages (cf. HN, 20, 98). La fièvre quarte est une des formes du paludisme. Sur ce véritable fléau, cf. notamment Mirko D. GRMEK , op. cit., p. 13, 399. 67 HN, 30, 55. Sur cette maladie endémique, cf. encore Mirko D. GRMEK , op. cit., p. 16, p. 32.

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décrit Pline. La coxalgie (ischiadicis)68, l’hydrocèle69, les cors aux pieds70, le larmoiement chronique71 seront guéris grâce à l’absorption du saurien mangé en entier ou en partie. Mais Pline nous apprend aussi que le Gecko servait d’aphrodisiaque ou d’anti-aphrodisiaque : On raconte aussi une chose extraordinaire — si toutefois elle est vraie — sur la cendre du Gecko : enveloppée dans un linge et tenue de la main gauche, elle pousserait à l’amour, portée dans la droite, elle l’empêcherait72.

Il convient de noter que l’usage du Gecko, dans la magie amoureuse, est par ailleurs bien attesté, tant par des textes qui nous ont été transmis par des manuscrits73 que par des papyrus74. Comme je l’ai dit, toute notion valorisée est ambivalente : le Gecko, remède merveilleux dans de 68

HN, 30, 71. Voir Mirko D. GRMEK , op. cit., p. 19. HN, 30, 74. Plinius Secundus Iunior reprend ici, comme très souvent, la prescription du stellion dans les cas d’hydrocèle ou hydropisie des bourses (cf. De medicina, 2, 21, dans un chapitre intitulé Testiculis et Ramicibus, ed. Alf. Önnerfors, Berlin, CML, 1964). 70 HN, 30, 80. 71 HN, 29, 131. Dans cette affection, le malade doit prendre de la cendre de têtes de Geckos avec de l’antimoine. Sur l’antimoine comme remède pour les yeux larmoyants, cf. HN, 29, 118 ; pour les ulcères des yeux (HN, 33, 101 ; cf. DIOSCORIDE, 5, 84, 2). Les Anciens tiraient du stibi, au moins dès le IVe siècle a.C., un fard d’un noir très brillant. Cf. Bernard GRILLET, Les femmes et les fards dans l’antiquité grecque (Lyon, CNRS, 1975) notamment p. 49 s. 72 HN, 30, 143. 73 Cf. par exemple MARCELLUS, op. cit., 33, 8, qui stipule que quatre steliones ou calabotes déposés sur le gros orteil droit constituent un aphrodisiaque mais que transferrés sur le gros orteil gauche ils arrêtent leur effet. 74 C’est le cas du papyrus bilingue B.M. Pap. 10588 (Département égyptien) daté de la fin du IIIe siècle de notre ère et contenant une recette destinée à briser une union (charme que le P. Leid. V, 11, 6 appelle un Ò!) : dans cette recette le (! est mentionné huit fois. 69

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nombreuses affections d’origine très diverse75, pourra servir aussi à une composition maléfique : On le (= le Gecko) noie dans du vin, et la face de ceux qui en boivent se couvre de lentigo (lentigine). C’est pour cela que les femmes jalouses de la beauté de leurs rivales en font mourir dans les parfums. On y remédie avec un jaune d’œuf, du miel et du nitre76.

Pour comprendre cette propriété attribuée au Gecko, il faut avoir présente à la mémoire la description de l’ascalabotes grec fournie par Pline, de laquelle j’extrais ce détail : « Le Gecko grec est… un animal parsemé de taches lenticulaires »77. Il n’y a pas de doute que Pline ou sa source expliquait la propriété du Gecko de provoquer le lentigo en fonction d’un effet par sympathie. Pline nous apprend encore, dans un autre paragraphe, que la partie liquide des œufs du Gecko (ovorum stelionis liquor), mêlée à d’autres substances animales, servait aussi de cosmétique ; grâce à une préparation très sophistiquée, « après avoir arraché les cils gênants on les empêche de repousser »78. Je terminerai ce trop rapide et trop superficiel survol des passages de l’Histoire Naturelle dans lesquels le naturaliste romain a cité le stelio en évoquant le paragraphe dans lequel Pline mentionne les propriétés thérapeutiques attribuées au sésame : après avoir énuméré quatre affections d’étiologie très diverse susceptibles d’être guéries par cette plante, l’encyclopédiste ajoute : « (le sésame) combat les morsures des Geckos et les ulcères dits malins »79. 75

De même, on remarquera qu’un métal aussi valorisé que l’or par la mentalité non scientifique continuera, en plein XVIIe siècle, à passer pour un remède bivalent, c’est-à-dire dont l’action est à la fois somatique et psychologique. 76 HN, 29, 73. 77 HN, 29, 90. 78 HN, 29, 116. 79 HN, 22, 132.

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Il me resterait à répondre à une question fort importante : Pline adhérait-il inconditionnellement à ces milliers d’informations sur les remèdes tirés de l’homme, des animaux, des plantes et des minéraux qui font l’objet de tant de ses livres ? Ma réponse serait sans doute affirmative mais elle devrait être justifiée par un autre exposé80.

80

Il arrive parfois que Pline se moque des Mages à qui il emprunte tant d’informations (cf par exemple HN, 28, 94 : ut est sollers ambagibus vanitas Magorum…). Pline a peut-être voulu se mettre à l’abri de poursuites judiciaires et se prémunir contre des reproches d’excessive crédulité ; de plus, l’encyclopédiste ne devait pas être dépourvu de tout esprit critique ; mais malgré ces quelques mises en garde contre les Mages (cf. encore HN, 30, 15-20), le naturaliste ne cache pas son admiration devant les faits remarquables (HN, 30, 146 : notabilia animalium), les merveilles attribuées aux animaux (HN, 30, 147 : mirabilia). Sur l’attitude de Pline face à la magie je renvoie aux considérations de L. THORNDIKE, A History of Magic and Experimental Science, 4e ed. (New York 1947), vol. I, p. 62 s.

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II. LA MÉDECINE RELIGIEUSE

Chapitre II L’ÉTIOLOGIE DIVINE DANS L’ANTIQUITÉ CLASSIQUE L’étiologie divine est mentionnée dès les premiers textes médicaux. C’est ainsi qu’à Babylone la maladie résulte de la colère des dieux1 et qu’il en est de même dans l’Ancien Testament2. En II Samuel, 24, Iahvé est en colère contre le roi David qui a opéré, contre sa volonté, un recensement de la population et il envoie une pestilence en Israël qui causera la mort de soixante-dix mille hommes. Dans deux passages du Deutéronome3, Iahvé menace les coupables de ses flèches. Nous lisons dans le premier : J’amoncellerai contre eux les maux, j’épuiserai contre eux mes flèches. Minés par la faim, consumés par l’inflammation et par une peste biliaire…4

Il est assez facile de décrire le schéma de la maladie tel que nous pouvons le découvrir dès ces premiers textes : un 1

Cf. Georges CONTENAU , La médecine en Assyrie et en Babylonie, Paris, 1938, p. 77 ; Mirko D. GRMEK, Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale, Paris, Payot, 1983, p. 237. 2 Cf. par exemple I Samuel V, 6 ; II Samuel, 24 ; I Chroniques, 21. 3 Deutéronome XXXII, 23 ; 42. 4 Deutéronome XXXII, 23 (trad. Ed. Dhorme, Paris, La Pléiade, 1956). Des spécialistes de la médecine biblique pourraient sans doute contester la traduction de « peste biliaire ».

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péché est commis contre la divinité ; irritée, celle-ci châtie le coupable, notamment en provoquant en lui la maladie qui peut cesser si l’on parvient à apaiser son courroux. Lorsque le coupable est un roi, c’est tout son peuple qui peut être atteint par la maladie. La littérature classique, c’est-à-dire occidentale, s’ouvre par la narration d’un long épisode de pestilence provoquée par le dieu Apollon qui se sent outragé par le comportement du roi achéen Agamemnon envers son prêtre Chrysès. En effet, les vers 9 et 10 du chant I de l’Iliade nous apprennent déjà : « C’est lui (= Apollon) qui, courroucé contre le roi, fit par toute l’armée grandir une maladie funeste, dont les hommes allaient mourant… »5. C’est par ses flèches (v. 45 Ò ')6 qu’Apollon va répandre le  μÒ, la pestilence désignée traditionnellement — mais abusivement — par la peste, sur l’armée achéenne. Celse, dans sa Préface, § 3-4, rappellera la pestilence de l’Iliade et, montrant l’impuissance des médecins Podalire et Machaon, il écrira qu’alors — c’est-à-dire à l’époque d’Homère — on attribuait les maladies à la colère des dieux : … morbos tum ad iram deorum immortalium relatos esse.

Dans l’Antiquité classique, certaines maladies passaient pour plus divines que d’autres. Il y a d’abord — et surtout — la pestilence, appelée souvent « peste », qui, elle, est causée par le bacille de Yersin. La première pestilence est, nous l’avons vu, celle du chant 1 de l’Iliade. Au Ve siècle, Hérodote relate une pestilence (  μÒ) qui frappe quatre-vingt-dix-huit des cent jeunes

5

Traduction Paul Mazon modifiée. Voyez le titre de la thèse de H.F.T. HORSTMANSHOFF, De pijlen van de pest, Amsterdam, 1989. PLATON , dans le Cratyle, 405a, fait dire à Socrate qu’Apollon a notamment comme attributions l’$ Æ et la  Æ. D’après DIOSCORIDE, Materia Medica VI, 20, le terme  Ò au sens de poison vient de Ò , la flèche. 6

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gens de Chios envoyés à Delphes7. Un peu plus tard, Thucydide — narrant la pestilence qui frappa les Athéniens au début de la guerre du Péloponnèse — fit dire à Périclès qui devait mourir de l’épidémie : « Non il faut supporter ce qui vient du ciel comme inévitable (ã   μÒ ) et ce qui vient de l’ennemi avec courage »8. Thucydide nous apprend aussi qu’un bruit courait alors à Athènes selon lequel Apollon avait promis aux Spartiates qu’il leur prêterait lui-même son aide9. Au IIIe siècle av. J.-C., Callimaque chante Artémis qui a souvent puni des méchants en leur envoyant la pestilence (  μÒ)10. Dans la deuxième moitié du Ier siècle av. J.-C., Diodore de Sicile raconte que l’armée carthaginoise fut décimée par un terrible fléau en 396 av. J.-C., après le pillage, à Syracuse, par Imilcar, des temples de Déméter et de Perséphone11. Ovide évoque la « peste » d’Égine provoquée par la colère de Junon12. Tite-Live qui a relaté de nombreuses « pestes » — dix antérieures à l’invasion gauloise en 390 av. J.-C.13 — insiste souvent sur la colère des dieux : « Quant à Rome (en 460-459), par une soudaine colère des dieux, elle est en proie à la maladie »14. « La peste, dans les campagnes et à Rome, marque indiscutable du courroux des dieux… »15. Dans la 7

Cf. HÉRODOTE, Histoires VI, 27. Voir Paul DEMONT, « Hérodote et les pestilences », in Revue de Philologie, 1988, p. 9. 8 THUCYDIDE , Guerre du Péloponnèse II, 64, 2 (trad. J. de Romilly). 9 ID.,, ibid. II, 54, 4 et I, 118, 3. 10 Cf. CALLIMAQUE , Hymne III, 119-128. 11 Cf. DIODORE de Sicile XIV, 63 ; 70-71. Voir Mirko D. GRMEK, « Les ruses de guerre biologique dans l’antiquité », in REG, 92 (1979), p. 141-163. 12 Cf. OVIDE , Métamorphoses VII, 523-613. 13 Cf. J.M. ANDRÉ , « La notion de pestilentia à Rome : du tabou religieux à l’interprétation préscientifique », in Latomus XXXIX (1980), p. 3-16. 14 TITE-LIVE III, 6 (trad. G. Baillet) ; cf. IV, 25. 15 ID. V, 14.

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première moitié du Ier siècle ap. J.-C., Lucain, dans sa Pharsale, évoque un mal pestilentiel (contagia pestis)16 où « le fléau de feu gagne le visage échauffé par la maladie sacrée (sacro morbo) »17 ; quelques décennies plus tard, Silius Italicus en fera autant en insistant sur l’invidia divum18. Plus d’une fois, Plutarque relate des cas dus à la colère des dieux ; c’est ainsi que, d’après les Moralia, 773a-b, les Corinthiens, victimes de la sécheresse et de la peste (  μÒ), apprennent par le dieu de Delphes qu’ils sont en bute à la colère (μ  ) de Poséidon. Cependant, dans le de Defectu oraculorum, 14, Plutarque, disculpant les dieux, attribue les épidémies (  μÊ) à des démons mauvais, pleins d’ardeur et de violence. Au livre premier de sa Périégèse, Pausanias raconte l’histoire d’une pestilence envoyée par Apollon : la fille du roi argien Crotopos, qui s’appelait Psamathé, fut aimée d’Apollon dont elle eut un fils ; par crainte de son père, elle exposa cet enfant qui fut dévoré par les chiens de Crotopos. Irrité, Apollon envoya Poinè (vengeance) qui ravissait les enfants à leur mère. C’est alors qu’un jeune homme du pays, Coroebos, tua Poinè. Mais alors une maladie pestilentielle (Ò  μ! ) s’abattit sur Argos jusqu’au moment où Coroebos alla spontanément à Delphes pour s’y soumettre à la punition que le dieu lui imposerait19. Au IIIe siècle ap. J.-C., Porphyre, dans son de Abstinentia II, 40, rejette une étiologie divine mais il attribue les causes (‡  ) des souffrances qui sévissent sur la terre telles que les épidémies (  μ«) aux démons malfaisants («  «  μÒ). Au IVe siècle, l’historien Ammien Marcellin évoque un fléau (labes) 16

Cf. LUCAIN, La Pharsale, 6, 89 sq. Identifiée avec l’érysipèle. 18 SILIUS ITALICUS, Punica, 14, 582-583. 19 Cf. PAUSANIAS, Périégèse I, 43, 7. Voir Pierre GRIMAL, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, PUF, 19582, p. 100. 17

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engendrant avec virulence des maladies incurables, à l’époque de Vérus et de Marc Antonin, depuis la Perse jusqu’au Rhin at aux Gaules20 : Alice Gervais appelle ce fléau « la vengeance de la statue »21. En effet, l’épidémie avait commencé après le pillage de la Séleucie par les généraux de Vérus César et l’enlèvement de la statue d’Apollon Comaios installée ensuite dans le sanctuaire d’Apollon Palatin à Rome. Nous trouvons pour cette pestilence une étiologie analogue dans la Vie de Vérus VIII, 2 de l’Histoire Auguste. Les données y sont les mêmes : la pestilentia est provoquée par Apollon et un spiritus pestilens envahit le monde entier. Selon Alice Gervais22, le premier témoignage historique relatif à la peste bubonique appartient déjà à l’époque byzantine et il est dû à Procope de Césarée (VIe siècle), l’historien des guerres de Justinien qui, évoquant la peste de 542, écrit qu’il est impossible d’expliquer cette calamité sauf en l’attribuant à Dieu (    ˆ  Ú Ú é° )23. L’infirmité individuelle dont les dieux frappent le plus souvent les mortels est incontestablement la cécité24. Mais il faut dès à présent signaler que les aveugles semblent s’être pressés en foule dans les sanctuaires d’Asclépios25, notamment à Épidaure26 et que la cécité apparaît dans les Évangiles comme l’infirmité la plus 20

Cf. AMMIEN MARCELLIN, Res gestae XXIII, 6, 24. Cf. Alice GERVAIS, « À propos de la “Peste” d’Athènes. Thucydide et la littérarure de l’épidémie », in BAGB, 31 (1972), p. 416-417. 22 Cf. A. GERVAIS, op. cit., p. 420. 23 Cf. PROCOPE , Guerres de Justinien II, 22. Sur la « peste » dans l’Antiquité, voir la première partie de l’ouvrage récent de Giordana PISI, La Peste in Seneca, Rome, 1989. 24 Sur ce sujet, voir particulièrement le livre d’A. ESSER, Das Antlitz der Blindheit in der Antike, Leiden, 19612. 25 Cf. notamment ARISTOPHANE, Ploutos, 410-412 ; 653-747. 26 Cf. R. HERZOG, « Die Wunderheilungen von Epidaurus », in Philologus Suppl. XXII, 3 (1931), e.a. p. 95-97. 21

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fréquemment guérie par Jésus27. Dès Homère, de nombreux aèdes et devins passent pour être frappés de cécité pour avoir commis un acte impie mais ils reçoivent souvent, en compensation, un don de clairvoyance. Il y a ainsi le cithariste Thamyris qui avait poussé la démesure jusqu’à prétendre vaincre les Muses elles-mêmes28, Démodocos à qui la Muse, tout en le privant de la vue, avait accordé la douceur du chant29, Stésichore qui avait médit d’Hélène — mais qui put recouvrer la vue après la composition de la Palinodie30 ; il y a aussi le devin Phinée qui allait jusqu’à révéler aux hommes la pensée secrète de Zeus31 mais surtout Tirésias. Selon une version de la légende32, Tirésias est aveuglé par Athéna pour avoir transgressé un interdit visuel, c’est-à-dire pour avoir vu involontairement la déesse se baignant nue, mais il reçoit en compensation le privilège d’être le meilleur prophète. Selon une autre version de la légende, Tirésias, qui était passé par les deux sexes, fut invité à arbitrer une dispute qui séparait Jupiter et Junon qui se querellaient sur la part de jouissance sexuelle de l’un et l’autre sexes. Tirésias confirme l’avis de Jupiter qui avait soutenu que la volupté féminine était la plus grande ; il fut sur-le-champ aveuglé par Junon courroucée, mais il reçut de Jupiter l’honneur

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Cf. e.a. MATTHIEU, 9, 27 sq. ; 12, 22 ; 20, 29 ; MARC , 8, 22 sq. ; 10, 46 sq. ; JEAN, 9, 2 sq. Sur une cécité provoquée due à une étiologie religieuse, voir les Actes des Apôtres, 13, 8-11. 28 Cf. Iliade II, 594-600. Homère lui-même fut représenté, dès l’Antiquité, comme un aveugle. Voir déjà l’Hymne à Apollon, v. 172173. 29 Cf. Odyssée VIII, 63-64. Voir Mirko D. GRMEK, Les maladies…, op. cit., p. 46-47. 30 Cf. PLATON, Phèdre, 243a-b. 31 Cf. APOLLONIOS de Rhodes, Argonautiques, 2, 178-184 ; 220 ; 259. 32 Illustrée notamment par CALLIMAQUE , Hymne V, 75 sq. Voir l’ouvrage de Luc BRISSON , Le mythe de Tirésias, Leiden, Brill, 1976, p. 21-23.

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de connaître l’avenir33. Mais il n’y a pas que des devins et des aèdes qui soient frappés de cette terrible infirmité. Des personnages mythiques ou historiques le sont aussi. C’est ainsi que Zeus rendit aveugle ( Ò) Lycurgue qui avait poursuivi les nourrices de Dionysos34. Phéros, fils de Sésostris, devint aveugle ( Ò) pour s’être comporté avec une folle témérité (é "˙) : il avait lancé un javelot au milieu du Nil qui connaissait à ce moment une très forte inondation35 et il expia ( μ" ) sa faute par la perte de la vue. Dans sa tragédie Œdipe-Roi, Sophocle nous montre le roi de Thèbes se crevant les yeux de sa propre main, mais poussé dans ce geste par Apollon36 et recevant dans Œdipe à Colone une compensation : sa tombe sera la protectrice d’Athènes37. Ovide, condamné à l’exil à Tomes pour une « faute » sur laquelle les philologues s’interrogent toujours, évoque une cécité dont l’étiologie est isiaque : « Ne croyez pas, parce que j’ai mérité et éprouvé la colère du prince, qu’il refuse mon hommage. J’ai vu moi-même s’asseoir devant les autels isiaques quelqu’un qui avouait avoir offensé la divinité d’Isis vêtue de lin. Un autre, privé de la vue pour une faute semblable, criait dans les rues qu’il l’avait mérité »38. Divers historiens, comme Tite-Live39 et Valère 33

Cette version est illustrée par OVIDE, Métamorphoses III, 318338. Mais il existe 11 variantes de cette version. Cf. Luc BRISSON , op. cit., p. 12-21. Voir aussi HÉRODOTE, Histoires IX, 93-94 qui raconte l’histoire d’Événios devenu aveugle injustement mais qui reçut le pouvoir de divination. 34 Cf. HOMÈRE, Iliade, 6, 130-140. Voir P. GRIMAL, op. cit., p. 269. 35 Cf. HÉRODOTE, Histoires II, 111. 36 Cf. SOPHOCLE, Œdipe-Roi, 1329-1332 ; voir aussi les vers 1300-1302 ; 1328 de la même tragédie et les vers 1612-1614 des Phéniciennes d’EURIPIDE. 37 Cf. Œdipe à Colone, 576-578 ; 1522-1525. 38 OVIDE, Pontiques, 1, 1, 53-58 (trad. J. André). Sur Isis rendant aveugle, voir aussi JUVÉNAL, Satires XIII, 90-94. 39 TITE-LIVE, Ab Urbe Condita, 9, 29.

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Maxime40, rapportent qu’en l’An de Rome 441, le censeur Appius Claudius devint aveugle pour avoir méprisé la divinité d’Hercule. Dans sa Vie d’Alexandre, Plutarque raconte que l’oracle de Delphes avait fait savoir à Philippe qu’il « perdrait un de ses yeux, celui qu’il avait appliqué à la fente de la porte pour épier le dieu (= Zeus Ammon) qui, sous forme de serpent, était couché avec sa femme (= Olympias) »41. Plus tard encore, dans la première moitié du IIIe siècle, Philostrate rapporte qu’il y avait aux environs de Tyane, en Cappadoce, une source appartenant à Zeus-des-Serments qui apporte aux parjures un prompt châtiment en s’en prenant notamment à leurs yeux42. Pour se venger, les dieux frappent aussi leurs victimes d’une maladie très spectaculaire : l’épilepsie plus souvent appelée « la maladie sacrée », comme en témoigne encore au IIe siècle ap. J.-C. ce passage de l’Apologie d’Apulée qui nous apprend qu’à Rome, de son temps encore, on appelait « à juste titre » l’épilepsie « non seulement haut mal ou mal comitial, mais aussi mal divin (divinum morbum), comme chez les Grecs %å Ò… »43. Il n’est pas surprenant non plus que la maladie sacrée par excellence ait fait l’objet d’une thérapeutique sacrée, de la part d’Asclépios à Épidaure44 ou de celle de Jésus45, selon les Évangélistes. Mais, comme le fait remarquer Mirko D. Grmek, si la maladie dite sacrée désigne bien l’épilepsie généralisée, la crise de grand mal, elle peut inclure aussi « certaines autres formes d’épilepsie, des convulsions dues à l’encéphalite, des spasmophilies graves, 40

VALÈRE MAXIME , 1, 17. PLUTARQUE, Vie d’Alexandre, 3 (= 665E) (trad. R. Flacelière et E. Chambry). 42 Cf. PHILOSTRATE, Vie d’Apollonios de Tyane I, 6. 43 APULÉE, Apologie, c. 50 (trad. P. Vallette). 44 Cf. R. HERZOG , op. cit., p. 33. 45 Cf. MATTHIEU XVII, 14-18 ; MARC IX, 14-27 ; LUC, 37-43. Sur ces textes, voir l’ouvrage, qui reste fondamental pour l’histoire de l’épilepsie jusqu’à 1900, d’Owsei TEMKIN , The Falling Sickness, Baltimore, 19712, p. 91. 41

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l’éclampsie et, bien entendu, l’hystérie »46. On peut noter d’ailleurs que les mots 

" et "   ne sont attestés qu’à quatre reprises dans des œuvres anciennes du Corpus hippocratique47. C’est peut-être Héraclite d’Éphèse, au VIe siècle av. J.-C., qui, dans l’état de nos sources, a le premier utilisé l’expression %å Ò, la maladie sacrée dont il donne une définition ; nous ignorons cependant l’étiologie qu’il donne de cette maladie48, à moins de considérer qu’à la fin du VIe siècle, l’expression « maladie sacrée » avait encore complètement son sens premier, ce qui ne sera certainement plus le cas dans le dernier tiers du Ve siècle, quand l’auteur hippocratique du traité De la maladie sacrée, s’efforçant de démontrer l’étiologie naturelle de l’épilepsie, ne cessera cependant pas d’employer l’expression « maladie sacrée ». Euripide, dans sa tragédie Héraclès, nous montre le héros, poursuivi par la haine d’Héra (v. 840 Ü... Ò ), victime d’une crise de folie meurtrière au cours de laquelle il tue ses propres enfants49. Le vocabulaire de la folie est particulièrement riche dans cette tragédie : μ" (v. 835), μ" (v. 1037), μ μ°ƒ (v. 1189)… À Héraclès revenu à lui et qui lui demande quel est le meurtrier de ses enfants, Amphitryon, son père répond : « Toi, ton arc, et le dieu qui fut cause du crime »50. Il faut constater avec Mirko D. Grmek que l’un des anciens noms d’épilepsie était « mal d’Héraclès ». Il n’est pas sans intérêt de noter que la médecine moderne confirme pleinement l’existence de raptus meurtriers chez certains 46

Mirko D. GRMEK, Les maladies…, op. cit., p. 70. Cf. Concordance des œuvres hippocratiques G. MALONEY – W. FROHN , Québec, Éd. Du Sphinx, 1984, s.v. 48 Cf. HÉRACLITE, fr. 46 (= D IOGÈNE LAËRCE I, 132). 49 Cf. EURIPIDE, Héraclès, 923-1001. 50 ID., ibid., 1135. 47

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par

épileptiques51. Au IVe siècle, Platon continue à utiliser l’expression « maladie sacrée »52 et bien qu’il semble ne plus lui attribuer une étiologie divine, il tente néanmoins de justifier l’épithète « sacrée » accolée à cette maladie : « Et cette maladie de la substance sacrée (%ç = l’intellect) en nous, on l’appelle très proprement le mal sacré ($Ò) »53. Rapidement et pour très longtemps, jusqu’au Siècle des Lumières, l’épilepsie sera attribuée à la Lune. C’est ainsi qu’au IIe siècle de notre ère, Arétée de Cappadoce III, 4 est d’avis que l’épileptique est coupable envers la lune. Il ne faudra pas s’étonner de constater que la lune, astre aux phases périodiques, ait donné son nom, en grec comme en latin, à des malades qui souffrent de crises périodiques, les épileptiques et les fous54. À peu près au même moment, Artémidore, dans sa Clef des Songes, va écrire : « Le cynocéphale (apparu en rêve)… ajoute aux accomplissements une maladie, le plus souvent la maladie sacrée : car il est consacré à la Lune et les Anciens disent que cette maladie aussi est en dépendance de la Lune »55. Commentant la guérison d’un épileptique par Jésus telle qu’elle est relatée dans l’Évangile de Matthieu, Origène († 254) écrit : « Que les médecins offrent des explications naturelles, puisqu’ils pensent qu’en ce passage, ce n’est pas un esprit impur mais une affection corporelle… Nous, nous croyons l’Évangile en ce point aussi, à savoir que cette maladie provient d’un esprit impur (Êμ é ã), sourd et muet »56. La liaison entre la lune et l’épilepsie semble si évidente que Synésius, qui devient évêque vers 400, déclare : « Les 51

Mirko D. GRMEK, Les maladies…, op. cit., p. 71. Cf. PLATON, Timée, 85b ; Lois, 11, 916a ; 916b. 53 PLATON, Timée, 85b (trad. Rivaud). 54 Sur ce sujet, cf. Claire PRÉAUX, La lune dans la pensée grecque, Bruxelles, Palais des Académies, 1973, p. 91-92. 55 ARTÉMIDORE, Oneirocriticon II, 12 (trad. A.J. Festugière). 56 ORIGÈNE, Comm. In Matth., 13, col. 1105 sq. Cf. O. TEMKIN, op. cit., p. 92. 52

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épileptiques seuls remarquent les effets de refroidissement causés par la lune »57. Au Ve siècle, Caelius Aurelianus, l’adaptateur de Soranos, propose plusieurs explications pour justifier l’expression « maladie sacrée » : « L’épilepsie est appelée maladie sacrée soit parce qu’elle se produit dans la tête qui est, d’après l’opinion de nombreux philosophes, sacrée et le temple de la partie de l’âme née dans le corps »58. Nous retrouvons ici l’explication du Timée, 85 A-B. Mais Caelius Aurelianus offre une autre explication : « L’épilepsie est appelée maladie sacrée soit à cause de l’énormité du mal ; en effet, la foule appelle “sacrées” les choses trop grandes »59. Celse déjà parlait de morbus major60, comme le Moyen Âge, de « grand mal ». L’explication que tente de fournir Stephanus aux environs de 600 est édifiante car le commentateur veut disculper la divinité tout en incriminant la lune : « L’épilepsie n’a pas comme étiologie la colère divine, mais la maladie arrive en conformité avec le cycle lunaire, bien que je ne dise pas que c’est la colère de Dieu qui envoie la maladie par le mouvement des corps célestes »61. En vérité, il faudra attendre 1770 et le médecin de Lausanne, Tissot, pour que l’on mette en doute « les influences chimériques » de la lune sur l’épilepsie62. Il est aisé de trouver dans la littérature classique des maladies mentales dont l’étiologie est aussi attribuée à une divinité. On remarquera tout aussi aisément qu’Asclépios est le thérapeute divin de ces affections. Nous en avons un témoignage ancien, puisque nous le trouvons dans les Guêpes d’Aristophane, 57

SYNÉSIUS, Epist., 154, p. 736-737 (in Epistolographi Graeci, rec. R. Hercher, Paris, 1873). 58 CAELIUS AURELIANUS, Mal. Chr. I, 4 (éd. Drabkin, p. 60). 59 ID., ibid. 60 CELSE, De medicina III, 23. 61 STEPHANUS, Scholia in Hippocr. Prognosticum, vol. I, p. 73 (éd. Fr.R. Dietz, 1834). 62 Cf. TISSOT , Traité de l’épilepsie, Paris, 1770, p. 182.

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représentées en 422 av. J.-C. : le vieux Philocléon, qui a la folie de l’Héliée, est couché par son fils Bdélycléon dans le temple d’Asclépios à Égine63. Chez Homère, la maladie mentale passe pour incurable. C’est ainsi que les Cyclopes, croyant Polyphème fou, lui disent : « Personne64 ?… contre toi, pas de force ?… tout seul ?… C’est alors quelque maladie (Ë) qui te vient de Zeus, et nous n’y pouvons rien : invoque Poseidon, notre roi, notre père ! »65. Hérodote rapporte que le roi de Sparte Cléomène fut pris d’une maladie furieuse (μ" Ë), qu’il déraisonnait (Æ) et qu’il se tua en se déchirant lui-même : la plupart des Grecs, les Athéniens et les Argiens, étaient d’avis que la folie du roi était due aux dieux66, ce que démentaient les Spartiates eux-mêmes : selon ces derniers, Cléomène avait appris des Scythes l’habitude de s’enivrer souvent67. Dans l’Hippolyte d’Euripide, le chœur se demande si Phèdre n’a pas l’esprit égaré pour avoir commis quelque faute envers les dieux68. Dans ce texte, nous trouvons une liste de divinités associées par la pensée populaire du Ve siècle aux troubles mentaux ou psychologiques : Pan, Hécate, Cybèle, Dictynne69. Au Ve siècle de notre ère, le poète Nonnos de Panopolis fait dire à Mènè, la déese de la lune : « Au même titre que Bacchos je gouverne la folie (μ" ) insensée. Je suis la bachique Mènè, pas seulement parce que dans les cieux je tourne les mois mais

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Cf. ARISTOPHANE, Les Guêpes, v. 111-148 ; surtout 147-148. Ulysse avait fait croire à Polyphème que son nom éait Personne (Î ). 65 HOMÈRE, Odyssée IX, 410-412 (trad. V. Bérard modifiée). 66 Cf. HÉRODOTE, Histoires VI, 75. 67 Cf. ID., ibid VI, 84. Selon Mirko D. GRMEK , Les maladies…, op. cit., p. 75, Cléomène serait mort de delirium tremens. 68 Cf. EURIPIDE, Hippolyte, 141 sq. 69 Voir E.R. DODDS, Les Grecs et l’irrationnel, Paris, Aubler, 1965 (trad. De l’anglais), p. 84. 64

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parce que je commande la folie (μ" ) et que j’éveille la rage ( Ê) »70. La stérilité passe aussi, dans l’Antiquité Classique, pour être provoquée par la divinité. Elle était ainsi censée susceptible d’être guérie par Asclépios71. Pour Hésiode, la faute d’un seul suffit pour que le Cronide fasse tomber sur une ville entière « peste » et famine à la fois, de sorte que les femmes cessent d’enfanter72. Dans Œdipe-Roi, le prêtre de Zeus fait savoir à Œdipe que Thèbes est frappée de stérilité totale : « Tu le vois comme nous, Thèbes, prise dans la houle, n’est plus en état de tenir la tête au-dessus du flot meurtrier. La mort la frappe dans les germes où se forment les fruits de son sol, la mort la frappe dans ses troupeaux de bœufs, dans ses femmes, qui n’enfantent plus la vie. Une déesse porte-torche, déesse affreuse entre toutes, la “Peste” (  μÒ) s’est abattue sur nous… »73. De son côté, Hérodote évoque le cas de l’impuissance sexuelle de certains Scythes, maladie divine, résultant d’un châtiment divin : « La déesse (= Aphrodite) frappa d’une maladie de femme (Æ  Ë) les Scythes qui avaient pillé le temple d’Ascalon… »74. C’est encore Hérodote, mais aussi avant lui Eschyle, qui mentionnent la lèpre comme châtiment divin. En effet, l’historien nous apprend qu’en Perse, les gens s’imaginent que ceux qui souffrent de la lèpre ont commis une faute contre le Soleil : nous avons ici, une fois encore, le thème de l’èμã μ, de la faute, du péché envers la divinité, qui entraîne la maladie. Dans les Choéphores, Eschyle mentionne une redoutable maladie appelée   , sans doute la lèpre, qui menace Oreste oublieux de sa 70

NONNOS, Dionysiaques, 44, 226-229. Cf. R. HERZOG , op. cit., p. 22-24. 72 Cf. HÉSIODE, Les travaux et les jours, 240-245. Ce texte est cité par G.E.R. LLOYD , The Revolutions of Wisdom, University of California Press, 1987, p. 13, n. 36. 73 SOPHOCLE, Œdipe-Roi, 22-28 (trad. P. Mazon). 74 HÉRODOTE, Histoires I, 105 (trad. Ph.-E. Legrand). 71

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vengeance et qui provient d’Apollon75. La fièvre, si souvent mentionnée dans le Corpus hippocratique — puisqu’on relève 1037 occurrences de Ò — et considérée comme une maladie — même lorsqu’elle n’est qu’un symptôme — passe pour une maladie sacrée. C’est ce que laisse entendre l’auteur hippocratique de la Maladie Sacrée quand il écrit : « Les fièvres quotidiennes, tierces et quartes ne me paraissent aucunement moins sacrées ni moins dues à la divinité que cette maladie (= l’épilepsie) »76. Callimaque, dans la belle histoire d’amour d’Acontios et de Cydippé, nous fait entendre que la jeune fille souffrit à trois reprises de la fièvre quarte77 envoyée par Artémis qui voulait faire obstacle aux projets de mariage que formait le père de la jeune fille78, contre sa volonté. Deux siècles plus tard, Cicéron mentionne sur le Palatin un monument de la Fièvre (Febris) qu’il appelle une fois fanum79, une autre fois ara80. Une autre affection attribuée à une intervention divine ( μÒ ) est, selon le Pseudo-Aristote, la grossesse nerveuse81 ; il peut en aller de même de la mort en couches82. Dès Hérodote au moins, une étiologie divine peut être associée à une étiologie rationnelle ; c’est ainsi que l’historien raconte que Cambyse II, qui « mourut victime d’une ostéomyélite traumatique avec des complications septiques »83, fut blessé à la cuisse par la lame de son 75 Cf. ESCHYLE, Les Choéphores, 279-282. Voir Mirko D. GRMEK, op. cit., p. 244. 76 [HIPPOCRATE], Maladie Sacrée, 1 (L VI, 354). 77 Cf. O. TEMKIN, op. cit., p. 18-19 : « In all three cases the girl seems to have suffered attacks of the same disease, viz. quartan fever ». 78 Cf. CALLIMAQUE , Aitia IV, 12-19. 79 Cf. CICÉRON, De natura deorum III, 63. 80 Cf. ID., De legibus II, 28. 81 Cf. [ARISTOTE], Histoire des Animaux X, 3, 636a 24. 82 Cf. CALLIMAQUE , Hymnes III, 119-128 (passim). 83 Rétrodiagnostic établi par Mirko D. GRMEK, op. cit., p. 191.

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épée, c’est-à-dire « à l’endroit du corps où il avait luimême frappé le dieu des Égyptiens Apis »84. De très nombreux textes, dès Homère, attestent la croyance en une étiologie divine, sans pour autant préciser la nature des maladies. C’est ainsi qu’Homère évoque le cas d’un homme torturé par la maladie par la cruauté d’un dieu ("μ) mais sauvé par les autres dieux (")85. Hésiode dit que les maladies apportent en silence les souffrances aux mortels, car le sage Zeus leur a refusé la parole86. Dans la deuxième moitié du Ier siècle, Properce nous apprend que Cynthie, sa maîtresse, est très malade, mais il ne précise pas de quelle affection souffre sa bien-aimée ; cependant le poète songe à un châtiment divin : « En voyant qu’elle (= Cynthie) se comparait à elle (= Vénus), Vénus n’a-t-elle point été fâchée ? Vénus est une déesse qui n’aime pas que l’on puisse être belle à ses côtés. Aurais-tu dédaigné les temples de la grecque Junon ou bien osé contester à Pallas la beauté de ses yeux ? Vous ne savez pas toujours, ô belles, mesurer vos paroles. Voilà ce que tu dois à ta langue : c’est elle la coupable ; voilà ce que tu dois à ta beauté »87. Certes la mention des trois déesses évoque le Jugement de Pâris et elle pourrait nous faire croire qu’une étiologie divine ne relevait plus au Ier siècle que de la poésie. Ce serait faire peu de cas de tous les textes étudiés jusqu’ici et méconnaître ce texte-ci de Galien, au IIe siècle de notre ère : « Ce qu’est ce divin (#) que l’on doit percevoir dans la prognose, selon Hippocrate, ne fait pas l’unanimité parmi les interprètes. En effet, il y en a qui pensent que les hommes sont atteints par la maladie à cause d’une colère des dieux… Il semble qu’Hippocrate, dans aucun de ses 84

HÉRODOTE, Histoires III, 64. Cf. HOMÈRE , Odyssée V, 394-397. Voir F. KUDLEN , Der Beginn des medizinischen Denkens bei den Griechen, Zurich & Stuttgart, 1967, p. 49. 86 Cf. HÉSIODE, Les Travaux et les Jours, 102-105. 87 PROPERCE, Élégies II, 28, 9-14. 85

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propres écrits, n’a rapporté la cause d’une maladie à des dieux… Dans son livre De la Maladie Sacrée, il a encore écrit plus de choses pour réfuter ceux qui pensent que les maladies proviennent des dieux. Nous pensons donc que ni l’épilepsie ni l’amour ne sont des maladies divines… »88. Ce passage de Galien nous révèle qu’au IIe siècle de notre ère un médecin sentait encore le besoin de combattre les opinions de certains de ses confrères qui continuaient à penser que la maladie était un châtiment divin. Pourtant, dès le Ve siècle av. J.-C., médecins et philosophes avaient entrepris une véritable guerre contre cette conception. Plusieurs médecins du Corpus hippocratique ont combattu l’idée que l’épilepsie était une maladie sacrée. Il y a d’abord et surtout l’auteur du De morbo sacro89, mais aussi ceux du traité des Maladies des jeunes filles90 et des Vents91. Galien fera encore écho à cette polémique en écrivant : « Certains, victimes d’une opinion fausse, ont appelé cette maladie (= l’épilepsie) la “maladie sacrée”, comme cela a été écrit plus longuement dans le traité De la Maladie Sacrée »92. L’auteur hippocratique des Airs, des Eaux et des Lieux combat aussi longuement93 l’étiologie divine de l’impuisance sexuelle de certains 88

GALIEN, Hippocratis Prognosticon et Galeni in eum librum Commentarius I (= K XVIII B 17-21= CMG V, 9, 2, 205-228 sq.). Sur le # hippocratique, il y a toute une littérature. Jacques JOUANNA vient de publier une étude intitulée « Hippocrate de Cos et le Sacré », in Journal des Savants, 1989, p. 3-22. 89 Cf. Maladie Sacrée, 1 (L VI, 352-364), 2 (L VI, 364-366), 11 (L VI, 382), 18 (L VI, 394). 90 Cf. Maladies des jeunes filles, 1 (L VIII, 466-468). 91 Cf. Vents XIV (L VI, 110-114). Sur ce texte, voir Marie-Paule DUMINIL, Le sang, les vaisseaux, le cœur, Paris, Les Belles Lettres, 1983, p. 362. 92 GALIEN, In Hippocratis Epidemiarum librum VI. Commentaria I-VIII ediderunt E. Wenkebach – Fr. Pfaff, CMG V, 10, 2, 2-348, 19 f. 93 Airs, Eaux, Lieux, 22 (L II, 76-80). Voir G.E.R. LLOYD, Magic, Reason and Experience, Cambridge, 1979, p. 28.

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Scythes telle qu’elle avait encore été admise par son contemporain Hérodote. Le philosophe stoïcien Chrysippe, au IIIe siècle av. J.-C., s’est demandé dans son traité Sur la Providence « si les maladies des hommes viennent selon la nature », c’est-à-dire selon la providence et il apporte la réponse suivante : « Ça n’a pas été un dessein premier de la nature de soumettre les hommes aux maladies, cela est en incompatibilité constante avec l’auteur de la nature, qui a engendré tout le bien ». « Mais, ajoute-t-il, comme il créait et mettait au monde beaucoup de grandes choses très appropriées et très utiles, des inconvénients sont nés en même temps, inséparables de ce même qu’il faisait. Et il dit que ces derniers ont été faits par la nature mais en raison de connexions qu’il appelle lui-même å   Ê   (par conséquence)… De même les maladies et les souffrances sont venues au monde en même temps que la santé »94. L’épicurien Lucrèce va réfuter le caractère sacré de la pestilence d’Athènes95, de l’épilepsie96 ; il va rejeter l’étiologie divine de la stérilité masculine97. Même Pline l’Ancien s’indigne, comme Cicéron avant lui, de voir la fièvre, les maladies et autres fléaux comptés au nombre des divinités98. Cicéron avait dit non sans ironie qu’il croyait « que le rétablissement de beaucoup de malades (était) accordé par Hippocrate plutôt que par Esculape »99. Pour les Chrétiens du début de notre ère, ce ne peut être 94 AULU-GELLE, Noctes Atticae VII, 1, 7-12 (passim) (trad. R. Marache). 95 LUCRÈCE, De rerum natura VI, 1272-1277. 96 Cf. ID., ibid. III, 502-505. Voir Charles SEGAL, « Lucretius Epilepsy and the Hippocratic On Breaths », in Classical Philology LXV (1970), p. 180. 97 Cf. LUCRÈCE , De rerum natura IV, 1233-1241 ; aux vers 1248-1256, le poète donne l’explication rationnelle de la stérilité masculine. Voir Danielle GOUREVITCH, Le mal d’être femme, Paris, Les Belles Lettres, 1984, p. 145. 98 Cf. PLINE l’Ancien, H.N. II, 15-16. 99 CICÉRON , De natura deorum III, XXXVIII (91).

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Dieu qui inflige les maladies aux hommes. C’est ainsi que Tertulien, dans l’Apologétique datée de 197, tente de démontrer que les maladies tant physiques que psychiques, sont infligées par les démons, eux-mêmes identifiés aux dieux païens100. Quelques années plus tard, Minicius Felix exposera une doctrine assez semblable : ce sont des esprits impurs (impuri spiritus), des démons (daemones) qui engendrent les maladies (morbos fingunt) et épouvantent les esprits (mentes)101. Ce qu’il est fondamental de constater, c’est que ces Chrétiens continuaient de proposer une explication surnaturelle des maladies. Ce n’est que péniblement que la science vainc les ténèbres de la superstition ancestrale. Dès lors, il ne faut pas trop s’étonner qu’en 1983, un citoyen américain déclara à propos de la pandémie du SIDA : « C’est Dieu qui punit les homosexuels »102 et qu’en 1988, le couple d’évangélistes néerlandais L. et J. Goere annonçait, lors de prêches, que les victimes du SIDA étaient damnées et vouées à l’enfer et que « leur maladie était une punition de Dieu (Gods straf) pour leur péché d’homosexualité »103. L’étiologie comme la thérapeutique divines ont encore un bel avenir…104.

100 101 102

Cf. TERTULLIEN, Apologétique, 22-23. Cf. MINICIUS FELIX, Octavius, 27. Cf. Mirko D. GRMEK, Histoire du SIDA, Paris, Payot, 1989,

p. 70.

103

NRC – Handelsblad du 21 mai 1988, cité par H.F.J. HORSTMANSHOFF, op. cit., p. 17, n. 61. 104 Malgré ses qualités, la plaquette de Giuliana LANATA, Medicina magica e religione populare in Grecia, Rome, 1967, ne m’a pas été utile.

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III. LA MÉDECINE RATIONNELLE

Hippocrate et le Corpus hippocratique

HIPPOCRATE ET LE CORPUS HIPPOCRATIQUE La vie d’Hippocrate est mal connue. Cependant Platon, dès le Protagoras (311b-c), met Hippocrate de Cos sur le même pied que Polyclète et Phidias ; de plus le Maître de l’Académie évoque une doctrine d’Hippocrate dans le Phèdre (270b-c). Quelques dizaines d’années plus tard, Aristote, dans la Politique (VII, 1326a 15-16), évoque le « grand Hippocrate ». Il est donc permis de conclure que le médecin de Cos a joui de son vivant d’une très grande renommée, qui ne se démentira jamais. Il est possible d’attribuer à Hippocrate — au moins avec une forte probabilité — les traités suivants : Fractures, Articulations, Épidémies I et III. Par des témoignages très sérieux (Aristote, Ménon et Galien), nous savons qu’Hippocrate eut Polybe comme successeur et gendre : Polybe fut l’auteur du traité de La Nature de l’Homme. À côté des œuvres coaques se distinguent les œuvres de Cnide. Les spécialistes reconnaissent cependant aujourd’hui — presque unanimement — que l’opposition que l’on a voulu établir entre l’École de Cos et celle de Cnide est exagérée. Outre les œuvres coaques et cnidiennes, on trouve dans la Collection dite hippocratique des écrits fondés sur la philosophie comme le Régime ou le traité des Vents. Quelques traités sont plus tardifs que le Ve et le IVe siècle a.C. : ce sont la Loi, le Cœur, l’Aliment (d’époque hellénistique), les Préceptes, la 53

Bienséance et la première partie des Hebdomades (du Ier siècle après). Les Lettres, décrets et harangues relégués par É. Littré au tome IX de son édition sont considérés comme apocryphes. Signalons, pour clore cette brève présentation, que les spécialistes placent la naissance d’Hippocrate à Cos en 460 et sa mort à Larissa en 3701.

1

Sur ce sujet, voir notamment les études de Robert JOLY : « Hippocrates of Cos », in Dictionary of Scientific Biography, t. VI, New York, 1972, p. 418-431 ; « Hippocrates and the School of Cos », in Michael RUSE (ed.), Nature Animated, 1983, p. 29-47 ; « Hippocrate au Lycée », in Didactica Classica Gandensia, nos 24-25. Voir aussi Antoine THIVEL, Cnide et Cos ? Essai sur les doctrines médicales dans la Collection hippocratique, Paris, Les Belles Lettres, 1981 ; Simon BYL, « Hippocrate de Cos », in Sartoniana, 17, Gand, 2000, p. 78-125.

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Chapitre III L’AIRE GÉOGRAPHIQUE DES MÉDECINS HIPPOCRATIQUES

Le Corpus hippocratique compte un nombre impressionnant de noms géographiques : continents, pays, îles, villes, régions, peuples, montagnes et fleuves. Ces noms, avec leurs dérivés, totalisent 127 lemmes, soit 595 mots-formes. Mais beaucoup de ces lemmes se trouvent dans des écrits qu’Émile Littré considérait comme non authentiques et qu’il a réunis au tome 9 de son édition complète d’Hippocrate. Ce sont, dans l’ordre alphabétique : É!2#&, É(4&, ‡& (en Thrace), É#$!Ê& (en Phocide), Ö!&, %#Ò&, 2, %!Ê&, Ñã&, ÑÆ" #&, ##2, ##Ò&, Ö& (Ilion), É$!Ò&, $1& (ville d’Étolie), !"4& (ville de Phocide),

μÒ&,

2μ%,

!Ò&, 2, É Êμ &, "2 (port de Thessalie),

2& (contrée du nord de la Macédoine), !"Ò&, ÑÒ&, 2, Ê, !ƒã&, !ƒÒ&, %Ê& (habitant de la Phocide). Il y a donc trente lemmes qui ne se rencontrent que dans les écrits dits apocryphes. Ces lemmes-hapax totalisent 97 mots-formes. Nous fondant sur les 97 autres lemmes, nous allons tenter de nous demander quelle était l’aire géographique que pouvaient connaître, directement ou indirectement, les 55

médecins du Corpus dont l’œuvre date de la fin du cinquième siècle ou du début du quatrième. Les îles de la Mer Égée qui sont mentionnées sont les suivantes, leur occurrence étant précisée immédiatement après leur mention (n’ont évidemment pas été pris en considération les mots-formes des écrits dits apocryphes). On remarquera que l’île de Cos n’est mentionnée qu’exceptionnellement. 54& (8) 5#Ò& (1) Ö!& (2) 0& (3) É!#!2 (2) [ville d’Eubée] Î (1) ã"& (2) ã"& (14) !#Ò& (12) $1& (3) Ê !& (9)

“& (3) «& (1) Æ& (1) 0& (1)

ã!& (1) μ2& (1) ãμ& (1) Ê!& (1) Ê!& (1) °& (1) 4& (2)

Une seule île de la mer Ionienne est mentionnée dans le corpus : Ê(& (1). Au nord de la Grèce, en partant de Cos, sont citées les villes et les régions suivantes : Ö! (16) É(0 (2) ‰& (3) Ö(& (2) É##Ò& (33) ã#& (2) !2" (1) â& (2)

##Ò& (1) 2& (2) !ñ& (1) É$!«#& (1) !2 (2) Ò!(& (1) !1 (5)

ã!" (14) 56

!"4& (2) 1 (2) Ê& (1) ""%#Ò& (1) !Ê& (1) 2 (1) 4& (4) 5ã (6)

Ö $(& (4) É !'μ°& (1)

° (1)

 Ò"& (3)

°!(& 7) ã!"& (1) !2 (1)

Ce sont les mots se rapportant à la Thessalie et à la Thrace qui sont les plus nombreux. À la Thessalie se rapportent les mots suivants : ##Ò&, 2&, !1, ã!", !"4&, Ê&, 2, ã!"& et !2 ; à la Thrace Ö!, ‰&, Ö(&, ã#&, !2"&, ã"&, ã"& (Thasos est la grande île au sud de la Thrace), !ñ&, !2,

°!(&. Les villes les plus fréquemment citées sont donc Abdère (16) et Larissa (14 + 2). Dans les fiches des malades d’Abdère et de Thasos — Jouanna nous le rappelle sont précisées non seulement la cité d’origine, mais aussi parfois l’adresse du malade que l’on situait souvent par rapport à un endroit connu de la ville (…) ce qui permet de faire revivre avec une extrême précision le parcours des médecins en visite auprès des malades alités1.

Plusieurs de ces endroits ont été identifiés par l’École française d’Athènes. 28 mots-formes concernent la Thessalie ; 49 la Thrace. Il importe cependant de noter que ni la Thessalie (""2) ni la Thrace (!ò"") ne se trouvent mentionnées dans les écrits réputés authentiques du Corpus. Les villes suivantes de Thessalie sont citées dans les Épidémies : 1

J. JOUANNA, « Sur les traces d’Hippocrate de Cos », in P. DEMONT (éd.), Médecine antique, Amiens, 1991, p. 7-33.

57

!1 dans les Épidémies 2, 4 et 6 à raison de 1, 2, et 2 occurrences

ã!" dans les Épidémies 3 et 5 à raison de 2 et de 12 occurrences

!"4& dans les Épidémies 5 à raison de 2 occurrences Ê& dans les Épidémies 5 à raison de 1 occurrence 2 dans les Épidémies 3 à raison de 1 occurrence ã!"& dans les Épidémies 6 à raison de 1 occurrence !2 dans les Épidémies 5 à raison de 1 occurrence. Les villes ou noms géographiques de Thrace suivants sont cités dans les Épidémies : Ö! dans les Épidémies 3, 4, 5, 6 et 7 à raison de 6, 2, 1, 2 et 5 occurrences ‰& dans les Épidémies 2, 4 et 6 à raison de 1 occurrence pour chacun des livres Ö(& dans les Épidémies 5 et 7 à raison de 1 occurrence pour chaque livre ã#& dans les Épidémies 5 et 7 à raison de 2 occurrences ã"& dans les Épidémies 1, 3, 6 et 7 à raison de 5, 6, 2 et 1 occurrences !ñ& dans les Épidémies 3 à raison de 1 occurrence

°!(& dans les Épidémies 2, 4 et 6 à raison de 3, 1 et 2 occurrences. 28 mots-formes ont donc trait à la Thessalie, 49 à la Thrace. 58

Les mots désignant la géographie de l’Asie, au sens actuel, sont nombreux : Ñ!""Ê& (1) É"2 (5) É"Ò& (5) ÉÒ& (4) É%2 (3) !Ò& (2) 2& (2) )μ°& (2) 2& (27) Ê)& (1)

$2 (2) «#& (2)

!°& (4) Ò& (1) Æ"& (2) É ""Ò& (1)

°!"& (1)

#Ò& (1) $!μã#& (1) Ê(& (12) $(Ò& (4) "Ò& (1) ç"& (1)

Comme le souligne Jouanna2, Odesse, mentionné dans le Prorrheticon 1, 72, l’actuelle Varna en Bulgarie, est au nord la ville la plus lointaine où a exercé un médecin hippocratique. À l’Afrique, au sens actuel, se rapportent finalement les mots suivants : 5Ê #& (76) ‡$ #& (2) 5( Ò& (38) !'Ò& (5)

2

$!Æ& (1)

Ê (3)

$Ò& (2)

2$& (3)

J. JOUANNA, op. cit., p. 20.

59

À ces différentes listes, il faut encore ajouter plusieurs mots dont certains sont pourvus d’une fréquence assez élevée : !Ò& (2), à (3), ÑÒ& (2), È!1  (10), È!% 4& (2), Ñ 4& (1)3. Ainsi toute l’5$μ° connue vers 400 avant J.-C. semble avoir été mentionnée dans le Corpus : de la Scythie à l’Égypte, de Cadix à l’Inde. À l’exception de trois mots (5#Ò&, É$!«#& et ""%#Ò&), tous ces mots géographiques sont attestés dans des textes antérieurs ou contemporains d’Hippocrate, et souvent même dès Homère. De plus, ‡ est chez Homère, ÖÊ!& et ""2 chez Hérodote. On ne peut absolument pas soutenir que l’aire géographique des médecins hippocratiques soit plus large que celle d’Hérodote : c’est pratiquement la même ; cependant les termes géographiques abondent chez l’historien-géographe, au point que les termes géographiques commençant par la lettre A représentent, chez l’historien, 139 lemmes. Près de 95% des termes géographiques du Corpus sont cités par l’historien qui, par ailleurs, devait probablement connaître les quelques rares lieux qu’il ne mentionne pas. Nous aimerions maintenant nous demander pourquoi les médecins hippocratiques antérieurs à Aristote ont développé ainsi dans leurs écrits toute une géographie4. Ce n’est pas en vain que Pédech cite, après Hécatée et Hérodote, l’auteur hippocratique du traité De aere aquis locis (« Des airs, des eaux et des lieux ») comme représentants de la géographie grecque5. 3

Cf. J. DESAUTELS, « Les mots Rhipées et les Hyperboréens dans le traité hippocratique Des airs, des eaux et des lieux », in Revue des Études Grecques, 84 (1971), p. 289-296. Sophocle cite aussi les Rhipées, montagnes mythiques qu’il situe à l’extrême nord (Œdipe à Colone, 1248). 4 Cf. R. JOLY , Le niveau de la science hippocratique, Paris, 1966, p. 51 sq. 5 P. PÉDECH , La géographie des Grecs, Paris, 1976, p. 22.

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Voyons sa description de la Scythie — description qui, selon Desautels6, représente la source principale que nous a laissée l’Antiquité sur les Scythes : Ce qu’on appelle le désert des Scythes est une plaine riche en pâturages, sans arbres, convenablement arrosée. En effet, il y a de grands fleuves qui drainent l’eau hors des plaines (…) Le pays des Scythes est placé sous l’Ourse même et sous les monts Riphées, d’où souffle le Borée. Le soleil ne s’en approche qu’au solstice d’été ; et alors il ne l’échauffe que peu de temps et sans aucune violence. Les vents venant des régions chaudes ne l’atteignent pas, si ce n’est rarement et avec peu de force ; mais, du nord, soufflent continuellement des vents froids à cause de la neige, de la glace et de nombreuses pluies qui, en ne quittant jamais les montagnes, les rendent inhabitables. Le jour, un brouillard épais enveloppe les plaines dans lesquelles ils vivent ; c’est ainsi que l’hiver est perpétuel, tandis que l’été ne dure que quelques jours, et encore bien faiblement ; en effet, les plaines sont hautes, nues, elles ne sont pas encerclées de montagnes, elles procèdent en pente douce depuis l’Ourse7.

Les Scythes ont été l’objet des chapitres 17-22 d’Aer. (Ê(& y obtient 12 occurrences, $(Ò&, 4) ; nous n’en avons donné que des extraits relatifs à leur cadre physique. Par ailleurs les Macrocéphales, qui devaient habiter dans les environs de Trapézonte et dans le Pont, sont décrits au c. 14, les habitants du Phase en Colchide au c. 15. Le médecin d’Aer. décrit non seulement les pays d’Asie mais il compare aussi la vie sur les continents (È!1  est mentionné 10 fois, È!% 4& 2 fois ; É"2 y obtient 11 occurrences, É"Ò& 5). C’est que ce médecin est un partisan forcené du déterminisme géographique et qu’il fait dépendre la santé des

6

Cf. J. DESAUTELS, L’image du monde selon Hippocrate, Québec, 1982, p. 138, n. 63. 7 Des airs, des eaux et des lieux, c. 18-19 (2.68-72 L) (trad. personnelle).

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populations notamment de leurs conditions géographiques. Dès le premier chapitre d’Aer. — véritable table des matières — l’auteur déclare : Il faut que (le médecin) considère les saisons de l’année et l’effet que chacune d’elles peut produire (…) ensuite il doit considérer les vents (…) les propriétés des eaux (…) Lorsqu’un médecin arrive dans une cité qu’il ne connaît pas, il doit s’aviser de sa position par rapport aux vents et aux levers du soleil (…) Il doit aussi considérer le sol : s’il est nu et sans eaux, ou boisé et abondant en eaux, ou creux et chaud, ou élevé et froid.

Si l’auteur semble ne rien dire de l’Égypte et de la Libye, c’est que le texte a éprouvé une lacune importante au c. 12 ; en effet, à la fin de ce chapitre, consacré à l’Asie, nous trouvons les mots Ò# Êμ! 2# #å . #4& (!2&, sans rapport logique avec ce qui précède et suivis immédiatement de !3 μ¢ 6 5$ #2% 3 Ê% Ó#%& /' μ 4. Nous sommes donc fondé à croire qu’avant Ò# Êμ! (…) (!2& se plaçait un développement sur l’Égypte et la Libye. Toujours est-il que l’auteur d’Aer. donne l’impression de diviser la terre en deux continents et qu’il écrit que « le Palus Méotide (la mer d’Azov) est la limite entre l’Europe et l’Asie »8. L’auteur du Prognosticon semble s’opposer à la doctrine d’Aer., lorsqu’il écrit au c. 25 : « Les signes que j’ai énumérés se vérifient en Libye, à Délos et en Scythie ». Outre la géographie descriptive, il y a d’autres raisons qui expliquent la présence dans le Corpus de mots géographiques. Beaucoup de remèdes étaient importés de pays lointains : le lecteur a souvent l’impression que pour le malade comme pour le médecin, les remèdes paraissaient d’autant plus efficaces qu’ils venaient de loin. 8

Des airs, des eaux et des lieux, c. 13 (2.56 L).

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D’Égypte, le pays le plus souvent mentionné dans le Corpus (76 + 2) provient une série de substances : le parfum, l’huile blanche, tel gland, le fruit d’un chardon, l’alun, du sel, du safran, du nitre rouge et des fèves. Sur ces 78 occurrences, 56 se rencontrent dans les traités gynécologiques. Pour comprendre la fréquence des mentions de l’Égypte dans les traités du Corpus, il faut se souvenir des vers de l’Odyssée dans lesquels Homère proclame : La glèbe en ce pays (Égypte) produit avec le blé mille simples divers ; les uns sont des poisons, les autres, des remèdes ; pays de médecins, les plus savants du monde : tous de sang de Paeon (le médecin des dieux) 9.

Presque contemporain d’Hippocrate, Hérodote (2, 84) dira qu’en Égypte « tout est plein de médecins ». Pline présentera toujours l’Égypte comme la terre des herbes médicinales10. D’Éthiopie viennent surtout le cumin (35 occurrences) et la racine du Daucus11. Sur les 38 occurrences désignant l’Éthiopie, 35 se trouvent dans les traités gynécologiques. Plus ces substances viennent de loin, plus elles sont valorisées positivement. Le saponaire vient d’Andros, mentionné en De natura muliebri (« Nature de la femme ») et en De morbis muliebribus (« Maladies des femmes ») 1 ; le miel d’Attique est cité plusieurs fois12 ; la salaison (#ã!'&) de Cadix l’est 2 fois dans les De affectionibus internis (« Affections internes »), la terre d’Érétrie, 2 fois aussi en De morbis 3 ; l’asphalte de Zakynthos l’est 1 seule fois, en Mul. 2 ; le vin de Thasos apparaît 2 fois en Morb. 313 ; le sel de Thèbes est 9

Odyssée, 4, 228-232. Naturalis Historia, 25, 11. 11 Cf. M. MOISAN, Lexique du vocabulaire botanique d’Hippocrate, Québec, 1990, p. 34. 12 Il est cité aussi par ARISTOPHANE, Pax, 252-254. 13 Il est souvent cité par ARISTOPHANE, Lysistrata, 206 ; Ecclesiazusae, 1117 sq. ; Plutus, 1021. 10

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mentionné 2 fois dans deux traités gynécologiques, le poivre de l’Inde 4 fois dans les traités Mul. 1-3 ; l’hysope vient de Cilicie. Le grain de Cnide14 ou fruit de la quintefeuille paniculée est citée 26 fois. La Crète, qui apparaît 11 fois sur 12 dans les traités gynécologiques, fournit le dictame, le cédros et le lierre. Chypre fournit la spode noire (7 occurrences) et le sel (2 occurrences). Le vin de Cos est mentionné 2 fois dans Int., celui de Mendè dans le même traité, à raison de 4 occurrences. La feuille de Libye, mentionnée 1 seule fois, est, selon Moisan15, la graine du silphion ; le séseli cité en Mul. provient de Marseille ; la terre de Mélos employée en gynécologie apparaît en Mul. 3 (1 occurrence). Milet est cité pour sa laine (2 occurrences)16, le Pont pour ses noix (1 occurrence en Mul. 2), Pramnos pour son vin (les 4 occurrences se trouvent en Mul. 1 et 2)17 ; Samos, pour sa terre noire (1 occurrence en Nat. Mul.), Chios pour son vin (#“ ‡ƒ 2ƒ en De exsectione fœtus)18. Nous pouvons dès à présent conclure que ce sont les traités gynécologiques qui affectionnent le plus les produits venant des régions les plus éloignées. L’importance de l’origine géographique des produits pharmaceutiques a été bien saisie par Aristophane qui cite le remède suivant : Et avant toute chose, comme remède pour Néoclidès, il se met à broyer un onguent : dans le mortier il jeta trois têtes d’ail de Ténédos (une des Cyclades), qu’il écrasa ensuite en y mêlant du suc de figuier et de lentisque ; puis, ayant délayé le tout

14

Cf. M. MOISAN, op. cit., p. 48. ID., ibid., p. 79. 16 Il faut remarquer que la laine de Milet est citée par ARISTOPHANE en Lysistrata, 729. 17 Ce vin est mentionné par ARISTOPHANE en Equites, 107. 18 Le vin de Chios est cité par ARISTOPHANE en Ecclesiazusae, 1139. 15

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avec du vinaigre de Sphettos (en Attique), il en enduisit les paupières du malade19.

Une autre raison explique la présence de noms géographiques ou de leurs dérivés : des médecins éprouvent le besoin de préciser le lieu où se trouve le malade, c’est-à-dire aussi l’endroit où eux-mêmes exercent leur art. Sont ainsi cités Abdère (16 occurrences réparties sur les Épidémies, 3, 4, 5, 6 et 7), Athènes (Épid., 5), Ainos (Épid., 2, 4 et 6, livres datés par Deichgräber des années 399-395), Akanthos (Épid., 5 et 7, datées des environs de 360), Crannon (Épid., 2, 4 et 6), Datos et Délos (Épid., 5 et 7), Élis (2 occurrences en Épid., 5), Thasos (14 occurrences réparties entre les Épid., 1, 3, 6 et 7), la Thrace (Épid., 3), Cardia (Épid., 5 et 7), Cyzique (Épid., 3), Cos (Prorrh.1), Larissa (Épid., 3 et 5), Méliboea (Épid., 3), Oeniades (Épid., 5), Olynthe (Épid., 5 et 7), Pella (Épid., 7), Périnthe20 (Épid., 2, 4 et 6, De humoribus). Il est aisé de constater que ce sont les auteurs des Épidémies qui ont l’habitude de mentionner le lieu où se trouve(nt) le ou les malades et que ces lieux correspondent généralement à des sites du Nord de la Grèce (Macédoine, Thrace et Propontide). Les termes géographiques sont utilisés aussi pour désigner la ville ou la contrée où est né ou d’où provient un individu : Halicarnasse (Épid., 7), l’Eubée (Épid., 5), Clazomènes (Épid., 1), la Macédoine (Épid., 5 et 7), les Malies (Épid., 5), Mégare (Épid., 4) et Paros (Épid., 3). Ici aussi, ce sont les différents auteurs des Épidémies qui utilisent les termes géographiques. Enfin, les mesures de capacité et les monnaies sont parfois précisées par un terme géographique : 54& et 19

Plutus, 716-721. Voir M. D. GRMEK , Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale, Paris, 1983, p. 437-481 ; K. DEICHGRÄBER, Die Epidemien und das Corpus Hippocraticum, Berlin, 1971 2, p. 169, avait noté que les auteurs des Épidémies, 5 et 7 avaient décrit des cas de malades de différentes villes de Thessalie et de Thrace. 20

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5#Ò& s’appliquent à un statère, à un cotyle, à une drachme, à une obole, à un hémicotyle, É##Ò& à une obole, à un cotyle et à une tétrabole. En conclusion, si l’on fait abstraction des termes géographiques appliqués à des remèdes exotiques et à des mesures, nous pouvons dire que l’aire géographique où les médecins hippocratiques ont surtout exercé leur art est la Thessalie et la Thrace. C’est ainsi qu’une des villes de Thrace où ont œuvré les médecins hippocratiques est notamment Ainos, à une époque (fin du Ve siècle ou début du IVe) où cette ville souffrait de la guerre et d’une détérioration de son économie21. Ce n’est sûrement pas un hasard si deux des écrits relégués par É. Littré au tome 9 de son édition complète, le Presbeutikos (« Discours sur l’ambassade ») et l’Epibomios (« Sur l’autel ») — que leur plus récent éditeur, W.D. Smith, date de 350-250 avant J.C.22 — attachent une si grande importance à la Thessalie : l’Epibomios et le Presbeutikos, les deux seuls textes biographiques du Corpus, offrent, malgré leur brièveté, 2 occurrences de ""Ò& et 4 de ""2. Le Presbeutikos (27, 7) affirme qu’Hippocrate a vécu en Thessalie23 et l’Epibomos est un discours prononcé en Thessalie (mais l’auteur n’en précise pas la ville). Ces deux écrits pseudépigraphiques sont aussi en conformité avec les données fournies par les différentes Vies dont 21

Cf. Épid. 2, 4, 3 (5, 126 L) et Épid. 6, 4, 11 (5 ; 130 L), textes dans lesquels Grmek (op. cit., p. 324-327) voit un cas de lathyrisme (paralysie, qui apparaît en période de disette, lorsque le pain quotidien est remplacé par l’absorption de gesses destinées à l’alimentation du bétail). À ce sujet, voir en dernier lieu D. GOUREVITCH, « L’alimentation végétale de famine dans l’empire romain au IIe siècle de notre ère », in Acta Facultatis Medicinalis Fluminensis, 16 (1991), p. 62. 22 W.D. SMITH, Hippocrates. Pseudepigraphic Writings, Leiden, 1990, p. 7. 23 .4 [. 3 (""2&] (…) 3 !Ò#! 3 Ë ‡" ‰'.

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l’une — celle du Pseudo-Soranos (c. 11) — situe le tombeau d’Hippocrate à Larissa. De plus, étant donné qu’Abdère (la ville la plus proche de Thasos) obtient 16 occurrences dans les Épidémies (Thasos, rappelons-le, y ayant obtenu 14 occurrences), ce n’est sans doute pas un hasard si É!2#& et Ö! sont représentés 22 fois dans les Lettres démocritéennes (10-17). Sans doute, Démocrite était-il lié à Abdère mais rien n’obligeait l’auteur de ces Lettres à le rappeler avec une telle insistance, en moins de vingt pages du texte grec, si le nom d’Hippocrate lui-même n’avait été lié, lui aussi, à cette ville : l’auteur des Lettres vise à la plus grande vraisemblance possible. À la suite des recherches de Dugand24 qui estime qu’Hippocrate quitta définitivement son île natale après « le tremblement de terre — qui fut, aux dires de Thucydide (8, 41) — le plus violent dont les hommes aient gardé le souvenir » en 412, qu’il laissa à Cos Polybe et exerça d’abord son art en Thessalie, à Larissa et à Méliboea, pour passer ensuite en Thrace, à Abdère puis à Thasos, Grmek a émis l’hypothèse qu’Hippocrate a quitté Thasos en automne de 408 avant J.-C., a séjourné ensuite à Cyzique et est arrivé à Périnthe au plus tôt durant l’été de 40725. Mais ce n’est vraisemblablement pas en Thrace qu’Hippocrate passa la dernière partie de sa vie, mais en Thessalie. D’une part, comme nous l’avons vu, la Vie selon le Ps.-Soranos (c. 11) place à Larissa le tombeau d’Hippocrate ; d’autre part, toute une série de fiches 24

Cf. J.E. DUGAND, « Hippocrate à Thasos et en Grèce du Nord », in R. Joly (éd.), Corpus Hippocraticum. Actes du IIe Colloque international hippocratique, Mons, 1977, p. 233-245. Il faut cependant remarquer que la biographie d’Hippocrate par le Ps.-Soranos explique le départ du Maître pour la Thessalie par trois raisons différentes : il aurait incendié le dépôt des archives de Cnide ; il aurait voulu étudier les maladies régions par régions ou encore il aurait eu un rêve lui enjoignant de s’installer dans le pays des Thessaliens. 25 Cf. M.D. GRMEK , op. cit., p. 455.

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médicales d’Épidémies, 5, datant du deuxième quart du IVe siècle et donc de peu de temps après la mort du Maître, viennent de Larissa, à raison de 14 occurrences26. L’épitaphe d’Hippocrate, dont l’authenticité n’est pas assurée, nous a été conservée par l’Anthologia Palatina (7, 135) ; elle rappelle notament ses liens avec la Thessalie : Ci-gît le Thessalien Hippocrate, originaire de Cos lui qui est issu de la race de l’immortel Phoibos. Il a dressé maints trophées remportés sur les maladies avec les armes d’Hygie et a acquis une grande gloire non par chance, mais par science27.

26 Cf. R. JOLY , « Hippocrates and the School of Cos », in Michael Ruse (éd.), Nature Animated, Dordrecht, 1983, p. 33-34. Durant tout ce travail nous nous sommes servi du trésor que constitue la Concordance des œuvres hippocratiques (G. MALONEY, W. FROHN, Québec, 1984). 27 Le Dr Mirko Grmek a bien voulu nous signaler qu’il fallait tenir compte aussi d’un lemme-hapax : (Ë"&) 2, la maladie phénicienne qui apparaît dans le Prorrheticon 2, 43 (9, 74 L) et qui désignerait la lèpre. Cf. M.D. GRMEK, op. cit., p. 248.

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Chapitre IV NÉOLOGISMES ET PREMIÈRES ATTESTATIONS DE NOMS DE MALADIES, SYMPTÔMES ET SYNDROMES DANS LE CORPUS HIPPOCRATICUM Diego Lanza1 a eu sans doute raison d’écrire : « On doit bien distinguer entre néologismes et premières attestations ». Mais la distinction est souvent très difficile, sinon impossible, à établir. Aussi vais-je me limiter à rechercher les noms de maladies qui n’apparaissent qu’à partir des écrits les plus anciens du Corpus, c’est-à-dire du dernier tiers du Ve siècle2. Dans l’énorme masse du vocabulaire hippocratique (environ 418.000 mots), il nous faut d’abord relever les mots qui vont retenir toute notre attention. Le nombre de mots se rapportant à des maladies (grec : Òμ : 487 occurrences ; Ò : 926)3, à des symptômes et des 1 D. LANZA , « Quelques remarques sur le travail linguistique du médecin », in Formes de pensée dans la Collection hippocratique (ed. Fr. Lasserre et Ph. Mudry), Genève, 1983, p. 181-185. 2 R. JOLY, « Hippocrates of Cos », in Dictionary of Scientific Biography, t. VI, New York, 1972, p. 420, a raison d’écrire : « It is certain that most of the Collection should be placed between 430 and 380 B.C. for a number of cultural, linguistic, and historical reasons. » 3 Cf. G. PREISER, Allgemeine Krankheitsbezeichnungen im Corpus Hippocraticum. Gebrauch und Bedeutung von Nousos und Nosema, Ars Medica II, 5, Berlin- New York, 1976. P. Potter a mentionné 98 mots dans son Index of Symptoms and Diseases qui clôture la publication des six traités qu’il a traduits dans les volumes

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syndromes dans le Corpus Hippocraticum s’élève à environ 650. Je suis tout à fait conscient qu’un pareil travail, arbitraire et subjectif par essence, comportera des erreurs et qu’il ne pourra être qu’incomplet. Une remarque initiale s’impose : si j’ai établi une répartition : maladie, syndrome et symptôme, c’est que, pour le médecin antique, un syndrome (comme le « causus ») ou un symptôme pouvait être considéré comme une maladie ; de plus, comme l’a si bien écrit le Docteur Mirko D. Grmek, dans son chef-d’œuvre que sont Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale, Paris, 1983, p. 416-417, « la maladie (de Philiscos = Épid. I, malade I, L II, 682-684) n’est pas citée. Mais il serait faux d’en conclure qu’Hippocrate n’admettait pas le procédé intellectuel du diagnostic et qu’il bannissait l’usage technique du nom des maladies ». Le nombre d’occurrences4 de tous ces mots est extrêmement variable. En effet, il va d’une seule occurrence (par exemple éμ*, faiblesse de la vue,

ã

, gangrène, 

), goitre, Æ, hernie…) à 1037 occurrences (c’est le cas de  Ò, fièvre, maladie ou symptôme). Les maladies le plus souvent citées, leurs symptômes et syndromes, d’après l’indice de fréquence de leurs familles de mots, sont les suivantes :

V et VI d’Hippocrates, 1988, p. 340-343 (vol. VI). Sur les symptômes dans la médecine hippocratique, il y a lieu de consulter notamment l’étude de V. LANGHOLF, « Symptombeschreibungen in Epidemien I und III… », in Formes de pensée…, p. 109-120. Dans cette étude, je négligerai les champs sémantiques autres que celui de la maladie — tels que ceux de la thérapeutique et de la douleur et je renvoie le lecteur à des ouvrages comme celui de N. VAN BROCK, Recherches sur le vocabulaire médical du grec ancien. Soins et guérison, Paris, 1961. 4 Je me sers des données fournies par le trésor que constitue la Concordance des œuvres hippocratiques édité par G. MALONEY et W. FROHN, Québec, 1984.

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 Ò (fièvre) et sa famille : 1200 occurrences  μÆ (inflammation) et sa famille : 334 ‡ μ (gonflement, tumeur) et sa famille : 303 Æ (toux) et sa famille : 278 μÒ (spasme) et sa famille : 263 Ï  (hydropisie) et sa famille : 227  , (« pleurésie »)5 et sa famille : 180 $μÊμ (abcès purulent intérieur) et sa famille : 171 ã μ (fracture) et sa famille : 155   μ* (inflammation des poumons) et sa famille : 118 é * (insomnie) : 114 μ* (folie) et sa famille : 114 é * (aphonie)6 et sa famille : 108 ã (folie) et sa famille : 100 Ëμ (excroissance, tumeur) et sa famille : 98 ) (tumeur dans l’aine, tumeur) et sa famille : 98 ãμ (contusion) et sa famille : 88

  * (dysenterie) et sa famille : 85 * (consomption, phtisie) et sa famille : 85 Òμ (tremblement, frisson) et sa famille : 83  , (folie) et sa famille : 81  Ò (surdité) et sa famille : 78 ‡  (jaunisse) et sa famille : 77 Ë (« causus ») et sa famille : 75  Ò (folie) et sa famille : 74

ã (diarrhée) : 68   * (mal de tête) et sa famille : 61 

* (strangurie) et sa famille : 58 5

Sur le sens ce ce nom, cf. M.D. GRMEK, Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale, Paris, 1983, p. 20. 6 Cf. D. GOUREVITCH, « L’aphonie hippocratique », in Formes de pensée dans la Collection hippocratique (éd. Fr. Lasserre et Ph. Mudry), Genève, 1983, p. 297-305.

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μ  * (mélancolie) et sa famille : 50

* (difficulté pour respirer) et sa famille : 50 êμ (manque de souffle)7 et sa famille : 48  ã  (gangrène sèche) et sa famille : 48 ã  (e.a. angine)8 et sa famille : 45 Ò  (colique) et sa famille : 45 .μ* (hémorrhoïdes) et sa famille : 42 Une affection souvent mentionnée dans le Corpus — mais seulement par des adjectifs — est la stérilité désignée par ê  (9 occurrences), ê (23), ê  (22),  , (2), °  (1) ; une autre est l’épilepsie ($ *, 21 occurrences avec sa famille, désignée aussi sous l’appellation . å Ë, 12 occurrences) ; la varice (Ò) est citée 20 fois (22 avec ses composés) ; l’ophtalmie (Ù μ*) 22 fois ; la goutte n’est citée que 5 fois9 (20 fois avec la totalité de sa famille) ; la maladie de la rate (,)10 n’est mentionnée que 4 fois ; par contre le tétanos (°)11 l’est 34 fois (38 fois en comptant sa famille). De toutes ces familles de mots se rapportant à des maladies, à leurs symptômes et à leurs syndromes, c’est celle de ‡ μ12 qui est de loin la plus riche puisqu’elle comprend, outre ce 7

Cf. M.D. GRMEK , op. cit., p. 61. Cf. M.D. GRMEK , op. cit.,p. 479-480. 9 Cf. sur les mentions très rares de la goutte, mon article « Rheumatism and Gout in the Corpus Hippocraticum », in L’Antiquité Classique, 1988, p. 95-96, n. 37. 10 M.D. GRMEK, op. cit., p. 19, émet des réserves sur le sens du mot. 11 Voir les précisions de M.D. GRMEK , op. cit., p. 485-486. 12 H.W. MILLER, « Aristophanes and Medical Language », in Amer. Philol. Ass. Tr. and Pr., 76, 1945, p. 80, fait remarquer que « - ° is used constantly in the Corpus of the body, or parts of the body, swollen by infection… cf. ‡ μ » Cf. P. CHANTRAINE, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, 1968, p. 780. 8

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mot,

 °, - °, - °, - μã, - μ) , ‡ , - *, ‰ ,   °,  °, Í ° et Í ¢. Certains noms de maladies posent de sérieux problèmes de traduction, comme n’a cessé de le montrer Mirko D. Grmek dans Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale ; plusieurs, comme ¢ μ, attesté 9 fois dans le Corpus, devaient déjà faire difficulté dès l’Antiquité ; généralement traduit par « gonflement dans les articulations des membres inférieurs », le mot ° μ est défini par le glossaire hippocratique de Galien13 et par Érotien14, le grammairien contemporain de Néron. La formation de ces mots concernant les maladies présente souvent des caractéristiques identiques que je voudrais évoquer très rapidement15. Les adjectifs terminés par le suffixe -Ò abondent16 : .μ Ò (15 occurrences), .μÛÒ (2), éÒ (6), éÒ (8),   Ò (6), $μμÒ (1), $Ò (11), $« (2), (Ò (5), . Ò (3), - Ò (1), - Ò (2),   Ò (11), Ò (13), ÛÒ (1),   Ò (15),  Ò (18),    Ò (4),  Ò (2), μÒ (1), μÒ (2), μÒ (13), μ« (2), μ  Ò (34), μ  « (6),  Ò (13), ıÒ (2), ıÛÒ (2), Ò (17),  Ò (9),  « (1), Ò (8),   μÒ (32),  Ò (27),   Ò 13

Cf. Gloss. Hipp. (K XIX, 111). Cf. ÉROTIEN, K 15 (49, 15 sq. N). 15 Je renvoie évidemment le lecteur au classique ouvrage de P. CHANTRAINE, La formation des noms en grec ancien, Paris, 1933. 16 Cf. D.D. LYPOURLIS,    & ã - & &  * + Ú Ú Corpus, Thessalonique, 1968. 14

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(10), 

Ò (4),  Ò (1),  Ò (1), Í Ò (12), Í Ò (17), Ò (7),   Ò (55), Ò (1),  Ò (6). Si les adjectifs en -Ò sont au nombre d’une quarantaine, ceux en -) 17 sont encore plus nombreux : .μ)  (73 occurrences), .μ)  (7), éμ)  (5), é)  (76), é )  (6), )  (16),  )  (10),



)  (1),

  )  (13), - )  (3), ±)  (1), . )  (13), - )  (21), -)  (1), )  (11), )  (1), μ)  (10), )  (57),  )  (3), )  (1), μ)  (8), )  (30), )  (3),    )  (5),  )  (1),    μ)  (1), )  (1), μ)  (1), μ)  (5), μ  )  (3), - μ)  (1), Ù μ)  (3), Ù)  (4),  μ  )  (1),  μ)  (1),  μ)  (11), )  (46),  )  (39),  )  (2), )  (6), μ)  (73), )  (24),  )  (1), 

)  (6),  )  (3),   )  (1),   μ)  (3),  )  (3), μ)  (48),  )  (4), Í )  (12), )  (33),  μ)  (114), )  (2), )  (52), μ)  (3), )  (20), )  (274). Le suffixe -Æ ne joue presque aucun rôle dans la formation des adjectifs composés se rapportant aux maladies. Plusieurs mots importants dans la constitution du champ sémantique de la maladie sont terminés par le suffixe - ou - : é, (4), (, (15), 17

Cf. D. OP DE HIPT, Adjektive auf -)  im Corpus Hippocraticum, Hambourg, 1972.

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 Ò (5),  , (8),  , (75), , (4) et  , (25)18. Pour la formation de certains verbes désignant des maladies, le suffixe -ã est important19 : .μ ã (3), -

ã (1), ã (14), ã (15)20, μ  ã (2), Ù μã (8),  ã (2),   ã (4),  ã (2), 

ã (4), ã (1), Í ã (4), Í ã (8), ã (3), »ã (1). Pour la formation des substantifs, les dérivés en - ont constitué essentiellement des noms d’action tandis que les dérivés en -μ ont exprimé un état passif. Pierre Chantraine fait remarquer que cette opposition s’observe nettement « dans la langue précise des médecins »21 : éμÊ (5 occurrences), 

* (2),

Ê (1), Êμ (1) – Ê (3),

ã μμ (3), ß (2), % μ (1), $Êμμ (7) – $Êμ (1), ßμ (4) – ß (9), $μÊμ (24) – $μÊ (14), $μ Êμ (4), $ãμ (16) – $ã (1), $ãμ (4) – $ã (2), %μ (1), ß (1), %μ (23) – % (13), $) (4), ãμ (14) – ã (25), ‡ (3), *μ (4), ã (2), ã μ (50), ã (2), Ê (3), Ê μ (9) – Ê  (6), ) μ 18

Cf. G. REDARD, Les noms grecs en -, - et principalement en -, -, Étude philologique et linguistique, Paris, 1949, p. 101 sq. Sur  ,, p. 103 et P. CHANTRAINE, Dictionnaire… (1980), op. cit., p. 1128. 19 J. IRIGOIN, « Préalables linguistiques à l’interprétation de termes techniques attestés dans la Collection hippocratique », in Formes de pensée…, p. 176, insiste sur la formation des verbes en -ç (de même qu’en -*  et en –)  pour exprimer « être malade de… ». Cf. e.a. éμ) (12). Voir P. CHANTRAINE, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, 1968, p. 73 20 Cf. J. IRIGOIN, ibid., « … sur * “pierre”, ã “avoir la maladie de la pierre” ». 21 Cf. La formation., op. cit., p. 286.

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(2) – )  (49), Æ (2), * (1), Ò μ (2) – Ò  (1), μ) (4), * (1), ‡ μ (162) – ‡  (1)22, ã (11), Æ (8), Êμ (2), ã μμ (1),  Ò (3), °  (1), Æ (2), Ê (15), = Ëμ (91), Ò (1), ãμ (11), °μμ (2), * (1), Ê  (4), Ïμ (12) – Ï (2), * (42), * (1), ) μ (1), )μ (3). À cette impressionnante liste de substantifs terminés par -, il faut ajouter une série de noms où le thème verbal se termine par une gutturale : la finale devient alors - : éÒ (2 occurrences), % (1), $ã (4), % (3), ã (1), ã (4), ã (4), =' (37), Æ (3), Ê (18), ' (6). Dans ce champ sémantique, ce sont les préfixes -, $-23 et - qui sont les plus féconds :  * (1 occurrence),   * (66),   Ò (6),

  )  (13), ° (1), μ° (3),

* (2), Ê  (1), ° (7), * (6), ° (2), * (21), Ê (27),

° (9),  ° (3),  * (17),

 Ê (1) ; à côté de -, $- : % (2), % (1), $ã (4), $ã (17), % (3), % μ (1), $Êμμ (7) et $Êμ (1) ; il faut ajouter les mots composés avec le préfixe $- : $ãμ 22

P. CHANTRAINE, La formation, op. cit., p. 286 fait remarquer qu’‡  signifie « le fait d’enfler » et qu’‡ μ désigne « l’enflure ». 23 Sur l’emploi de ces préfixes, voir notamment D. LANZA, op. cit., p. 183. P. CHANTRAINE , Dictionnaire…, op. cit., p. 302 signale que « - est un préfixe inséparable qui exprime l’idée de “mal, manque” et, finalement une notion privative ». L’éminent linguiste ajoute que « le vocabulaire de la prose, technique ou non, utilise des composés avec -, cf.   * “dysenterie”, etc. »

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(16), $ã (1), $ãμ (2), $ã (3), %μ (1), % (1). De nombreux mots, qui désignent une infirmité d’une faculté physique ou psychique, sont formés avec le préfixe - : Æ (13 occurrences), Ò (12), ã (11), Ò (17), Ê (72), °  (32), ° (6), Æ (8), ã (11), ã (4), ° (4), ã (5), ã (1),  * (4),  Ò (9),  « (1), Ò (8), ã (3), Æ (2). Il faut finalement noter qu’un assez grand nombre de noms de maladies tire son origine de la partie du corps affectée : é, (4),   * (66), $ãμ (4), $ã (2), (, (15), -ã (20),   * (36),    * (19),  , (8), Ù μ* (22),   μ* (85),  , (75),  ã  (5), , (4), Í Ò (17),  , (25). C’est certainement ce que voulait faire entendre l’auteur de Maladies IV, 51, 424, lorsqu’il écrivait, à la fin du Ve siècle : « Quand l’une des humeurs se fixe en un point du corps, la plupart du temps la maladie tire son nom de cette partie du corps. » C’est le traité des Affections qui présente le plus grand nombre de définitions ou tout au moins de descriptions de maladies : c’est que cet ouvrage est destiné au grand public (Ú - ) est employé trois fois à la fin du chapitre 1 de ce traité) et non au médecin. Citons, parmi les maladies décrites : la pleuritis, la péripneumonie, la phrénitis, le causus, l’hydropisie, la dysenterie, la

24

Cf. L VII, 586, p. 109 éd. R. Joly. Voyez la n. 1 de la p. 109 de l’édition R. Joly.

77

lientérie, le choléra, la strangurie, la sciatique, l’arthrite, la goutte, l’ictère, plusieurs dermatoses (c. 35)25. Il n’est pas inutile non plus de signaler que lorsqu’un mot médical ne trouve pas sa première attestation dans le Corpus, il apparaît souvent déjà dès Homère. Tel est le cas de : éÊ (Il., 5, 352), ê 26 (Od., 5, 456), êμ27 (Il., 16, 109), ß28 (Il., 4, 190), ã (Od., 18, 97), - * (Od., 20, 204), . Ò (Il., 2, 388), Æ (Il., 19, 27), Ëμ (Il., 5, 865),  Ò (Od., 2, 16), «μ29 (Il., 14, 359),  Ò (Il., 24, 54), μÒ (Il., 1, 61), - ° (Od., 5, 455), Ò (Il., 2, 599), Ê (Il., 23, 697), μ ° (Il., 21, 199),  ,30 (Od., 10, 522), Òμ (Il., 3, 34), * (Od., 24, 5, 7), * (Il., 23, 599), ã (Il., 18, 470), Ò (Il., 2, 217). D’autres mots se rencontrent aussi bien dans le Corpus que chez des auteurs contemporains ; ils ne sont donc pas des néologismes et ils ne peuvent pas être considérés comme des premières attestations. Ce sont notamment ê  (Eschyle),  ° (Aristophane), .μÒ (Euripide), .μ)  (Thucydide), éμÒ (Eschyle), éÒ  (Hérodote), é  * (Hérodote), ê (Hérodote),

  * (Hérodote), μ° (Hérodote), Ê (Sophocle), •)  (Euripide), •Ê  (Aristophane), -

ã (Aristophane), ã μ 25 La description des maladies se lit du c. 4 au c. 35 du traité des Affections (L VI, 210-246). P. Potter, dans son Introduction à ce traité, Loeb V, 1988, p. 3, croit, au contraire, que cet ouvrage s’adresse bien aux médecins. 26 Sur ce mot et sa famille, cf. D. GOUREVITCH, op. cit., in Formes de pensée dans la Collection hippocratique, Genève, 1983, p. 303-305. 27 Cf. M.D. GRMEK , op. cit., p. 61. 28 Cf. ID., ibid., p. 59, p. 188-189. 29 Cf. ID., ibid., p. 493. 30 Sur ce mot, cf. A. BOZZI, Note di lessicografia ippocratica. Il trattato sulle arie, le acque, i luoghi, Roma, p. 64.

78

(Hérodote), ã (Aristophane), Ò (Aristophane), ° (Hérodote),  Ê (Hérodote), Æμ (Aristophane), ° (Sophocle, Aristophane), ' (Aristophane),  ° (Sophocle), μ* et μ* (Hérodote), μ)  (Thucydide et Euripide), μ  ã (Aristophane), μ ã (Sophocle), μÒ (Euripide), ã (Aristophane), * (Sémonide), Ù μã (Hérodote), Æ (Eschyle), Ò (Aristophane), ° (Euripide, Aristophane), ã (Euripide), ã (Eschyle), ã (Sophocle), Æ (Hérodote),  ° (Sophocle, Aristophane),  ã (Aristophane), Ò (Aristophane), Æ (Démocrite), =ã (Aristophane),  ã (Aristophane), ã (Eschyle), μÒ (Hérodote), °  (Aristophane), Ò  (Aristophane), Ë (Aristophane),   & (Eschyle),   * (Hérodote),  ã  (Eschyle, Euripide), °μ (Euripide),  Ò (Euripide, Hérodote),  °  (Eschyle, Euripide),  Æ (Hérodote), * (Hérodote), )  (Euripide), ) (Hérodote) et »Ò (Euripide, Aristophane). Il est grand temps maintenant d’étudier l’originalité de la langue des médecins hippocratiques ou, du moins, de rechercher tous les mots qui apparaissent, dans l’état de nos connaissances, pour la toute première fois dans le Corpus et qui concernent les maladies. Ayant examiné le lexique technique des livres I et III des Épidémies hippocratiques, Pierangiolo Berretoni (in Annali Scuola Normale Superiore, Pise, 1970, p. 297) constate que ces livres contiennent une série de 208 mots qui trouvent leur première attestation directe dans le Corpus Hippocraticum. Ces 208 mots ne se rencontrent pas tous dans notre liste parce qu’ils ne concernent pas tous 79

directement la maladie (par ex.  ãμ ou °, » Æ etc.). Le vocabulaire qui se rencontre pour la première fois dans le Corpus est néanmoins tellement important que je devrai me contenter de dresser la liste des substantifs désignant des maladies, des syndromes et des symptômes (en l’absence de substantifs, je mentionnerai néanmoins un adjectif ou un verbe appartenant à la famille d’une maladie). J’indiquerai de nouveau entre parenthèses le nombre d’occurrences de chaque mot et je mentionnerai à côté du mot grec la signification qui me semble la plus fréquente dans un Corpus extrêmement technique mais où les mots sont souvent polysémiques. .μã – épanchement de sang (3) .μ * – flux de sang (51) .μ* – hémorrhoïdes (40) éμÊ – affaiblissement de la vue (5) éμ μÒ – affaiblissement de la vue (3) éμ* – faiblesse de la vue (1) é μ* (au Passif) – redevenir fiévreux (34) é *31 – impuissance à parler (7) é *μ – colique (2) ê – charbon, ulcère (25) é * – indigestion (3) é * – paralysie (8) é* – dégoût des aliments (9) é, – maladie des articulations (4) ê  32 (au pluriel) – aphte, ulcère (3) ê  – stérile (22) é *33 – aphonie (37) 31

Sur ce mot, cf. D. GOUREVITCH , op. cit., p. 303-305. Sur le sens de ce mot, cf. M.D. GRMEK , op. cit., p. 220-221. Voir aussi P. CHANTRAINE, Dictionnaire…, op. cit., p. 147 33 Cf. D. GOUREVITCH, op. cit., p. 297-302 ; P. BERRETTONI, op. cit., p. 47. 32

80

* – dureté de l’ouïe (2)   μ* – « infection » (1) Æ – toux (185)  μÒ34 – bruit des intestins (3) )35 – aine, tumeur dans l’aine, tumeur (96) ã 36 – rhume avec laryngite et trachéobronchite (16) Ê37 – qui a la respiration courte (4)

ã

38 – nécrose locale (1)

 *39 – action de manger de la terre (1)

μÒ – (yeux) chassieux (3)

Ê40 – glaucome ou cataracte (1)

Ò – mêlé de bile visqueuse (2)



) – tumeur scrofuleuse (1)

Æ – blessure ou coupure profonde (9)

μ ã – moisir ou se putréfier profondément (1)

Ê – suppuration (3)

Òμ – se durcir en cal (3)

 Æ – fracture (1)

ã – diarrhée (68)

Æ (au Passif) – être complètement pourri (9) 34

Cf. P. CHANTRAINE, La formation…, p. 401. Cf. M.D. GRMEK, op. cit., p. 217-218. Sur l’histoire de ce mot, cf. P. CHANTRAINE , Dictionnaire…, op. cit., p. 188. 36 Rétro-diagnostic établi par M.D. GRMEK, op. cit., p. 476, n. 96. Sur l’histoire de ce mot, voir P. CHANTRAINE, Dictionnaire…, op. cit., p. 192. Voir aussi A. BOZZI, op. cit., p. 19. 37 Sur la formation du mot, voir D. LANZA , op. cit., p. 182-183. 38 Cf. M.D. GRMEK, op. cit., p. 192. Voir aussi P. CHANTRAINE, Formation…, op. cit., p. 108-109 et Dictionnaire…, op. cit., p. 205. Cf. plus récemment Fr. SKODA, Médecine ancienne et Métaphore, Paris, 1988, p. 304-306. 39 Cf. I.M. LONIE, The Hippocratic Treatises « On Generation », « On the Nature of the Child », « Diseases IV », Berlin – New York, p. 360. 40 Sur ce mot, voir M.-H. MARGANNE, « Glaucome ou cataracte ? », in Hist. Phil. Life Sc., 1979, e.a. p. 201. 35

81

ã μμ – entorse (3)

 Æ – rupture par torsion (d’un membre fracturé) (17)

 Ò (au Passif) – s’enfler (2)

 ° – se gonfler (1)

*41 – furoncle (4)

 * (au pluriel) – malignité d’un ulcère (1)

* – difficulté de se mouvoir (2)

Ê  – tout à fait sourd (1)

* – rétention d’urine (6)

* – difficulté pour respirer (21)

° – accoucher péniblement (9) - Ò42 – colique violente qui fait qu’on se tord (21) %μ – bouton d’échauffement (2) % – inflammation (2) % – déchirure (1) $ã – trouble (4) %– amincissement (3) % μ – éruption de pustules (1) $Êμμ – ecchymose (7) ßμ – ulcère (4) $μÊμ – abcès purulent (24) $μ Êμ – emphysème (4) $ãμ – éruption de la peau (16) $ãμ – luxation (4) %μ – enflure (1) % – luxation (1) %μ – gonflement (23) % – gonflement (13) 41

Cf. M.D. GRMEK , op. cit., p. 193. M.D. Grmek., ibid., p. 20 nuance le sens du mot. Françoise SKODA rappelle, op. cit., p. 186, que Galien (X, 82) affirme que ce nom de maladie est constitué d’après le symptôme : - Ò est à rattacher à -¢, tourner, comme   μÒ à  *, tendre. 42

82

$ * – épilepsie (3) $) – formation de cals (4) ß43 – ulcère serpentin (5) $* 44 – érysipèle (30) ãμ – contusion (14) ·  – pustules (1) . )  – qui sue facilement (13) ‡  – jaunisse (40) ‡

 – vertige (3) ‡ – roulement d’yeux (3) ‡ – petit bouton sur la peau (1) -ã45 – maladie de la hanche (20) -° – suppurer (1)   * – maux d’estomac (9) * – mal de tête (19) * – cancer (14)   °46 – ramasser des brins de paille (1) )  – fermé par un sommeil léthargique (en parlant des yeux) (11) ã – lourdeur de tête (2) ã μ – fracture (50) ã  – attaque (5) μ* (e.a. au Passif) – s’amortir (en parlant d’ulcères) (3) ã (au Passif) – être plongé dans une torpeur (3) ã – fixité (du regard) (1) ã – affaiblissement (2) ã – flux (de ventre…) (4) 43

D’après M.D. GRMEK, op. cit., p. 222, n. 56. Voir M.D. GRMEK , op. cit., p. 20 et P. CHANTRAINE, Dictionnaire…, op. cit., p. 376. 45 Cf. M.D. GRMEK , op. cit., p. 19. 46 Cf. M.D. GRMEK , op. cit., p. 493. 44

83

ã47 – rhume avec laryngite (33)  Æ – profond sommeil (8) Ë48 – « causus » (75) ° μ49 – gonflements dans les articulations des membres inférieurs (9) ° – rendre rauque ; au Passif : être rauque (3)   *50 – mal de tête (36) Æ51 – hernie (1) Ò52 – varice (20) μÒ – démangeaison (20) Ò – courbature (38) Ò53 – rhume banal (15) ã 54 – diverses angines (26) Êμ – gonflement (5)    *55 – lientérie (19)    μ* – leucophlegmasie (1) Æ  – « léthargie » (5) * – maladie de la pierre (1) μ*56 – l’évanouissement (16) * – fièvre intermittente (4) Ò μ – attitude d’un corps courbé (2) 47

Cf. M.D. GRMEK , op. cit., p. 476. Cf. ID ., ibid., p. 419-420. M.D. Grmek a démontré que le « causus » était « un syndrome à étiologie multiple qui tient son unité d’un mécanisme pathogénique commun, c’est-à-dire d’un trouble particulier de l’équilibre hydrique et électrolytique ». 49 Cf. A. BOZZI, op. cit., p. 40-41. 50 Cf. ID., ibid., p. 41. 51 Cf. ID., ibid., p. 41. 52 Cf. ID., ibid., p. 42. 53 Cf. M.D. GRMEK , op. cit., p. 475-476. 54 Cf. ID ., ibid., p. 479-480. Fr. SKODA, op. cit., p. 317 signale que « l’activité prêtée aux affections apparaît » notamment dans ã  (ê  signifie « serrer, étouffer) ». 55 Cf. A. BOZZI, op. cit., p. 44. 56 Cf. J. IRIGOIN, op. cit., p. 175. 48

84

Ê  – hoquet (19) Ê57 – accès de fureur (ou) rage (1) μ Ò – mêlé de pus (1) μ  μÒ – enflure (6)  ,58 – « néphrite » (8)  μÒ – piqûre (1) ã 59 – nyctalopie (7)  μÒ60 – action de s’assoupir (3) Ù μ* – aigreur d’estomac (10) ÙÒ61 – tendu en arrière (16) ÙÒ – asthme où l’on ne peut respirer que le corps droit (24) Ù μ* – ophtalmie (22) μÒ – palpitation (17) ã – folie (11) °  – déraisonner (32) °62 – déraisonner (6) Êμ – suppuration (2) ã μμ – entorse (1)  μ  )  – accompagné de pustules (1)   μ* – péripneumonie (85)  Æμ – pourrir entièrement (1) ã  – surabondance d’humeurs (7)  ,63 – pleurésie (75)  μ* – poussif (4) 57

Voir M.D. GRMEK, op. cit., p. 60, n. 112. P. CHANTRAINE, Dictionnaire…, op. cit., p. 651, signale que le sens précis de « rage du chien » n’apparaît pas avant Xénophon. 58 M.D. GRMEK, op. cit., p. 19 qui nuance cette traduction. 59 Cf. D. GOUREVITCH, « Le dossier philologique du nyctalope », in Hippocratica, ed. M.D. Grmek, Paris, 1979, p. 167187. 60 Cf. M.D. GRMEK , op. cit., p. 495, n. 25. 61 Cf. ID., ibid., p. 498. 62 Cf. ID., ibid., p. 493, n. 22. 63 M.D. GRMEK, op. cit., p. 20 nuance la traduction de ce mot.

85

 ã  – goutte (5) ) – polype (dans le nez) (10) Ê – pus (24) ° – petit accès de fièvre (12) « – pierre (dans les urines) 11) = Ëμ – écoulement, rhume (91) =' – écoulement brusque de sang (37) = μÆ – crevasse (38) μÒ – gonflement des glandes près de l’oreille (= LSJ) (1)  ° – avoir de mauvais yeux (2)  )64 – tiraillement (4)  Æ – tumeur à la luette (première attestation dans ce sens) (16) 

* – strangurie (44)  Ò – louche (3) °μμ – luxation (2) Ê  – constiper (14) ã 65 – angines (3) Ê – consomption (18) Ë  – fistule (première attestation dans ce sens) (36)   μÒ – sensation douloureuse dans les intestins (10) ° – tétanos (34) ' – putréfaction (6) * – maladie du sein (1) Ïμ – bosse (12) Ï  – hydropisie (33) Ï  – hydropisie (80) Íã  – qui dort peu (2) Íã  – presque muet (1) 64 65

Cf. P. CHANTRAINE, Formation…, p. 361. Cf. M.D. GRMEK , op. cit., p. 479.

86

ÍÒ – qui bégaie un peu (5) Í Ò – malade de la matrice (17) Ò66 – consomption (2)   * – rupture d’une veine (1)  μÆ – inflammation (63) Ê67 – pustule (11) )  – dartreux (2)  ,68 – folie (25) ã (au pluriel) – scrofules (première attestation dans ce sens) (5) °69 – choléra )  – qui souffre d’un accès de bile (274). Bien que ce lexique ne comprenne en principe que les substantifs (moins nombreux cependant que les adjectifs dans ce champ sémantique de la maladie70), il totalise 174 mots qui sont soit des néologismes, soit des premières attestations dans la littérature qui nous a été conservée. En réalité, le lexique complet aurait compté 438 mots (j’ai d’autant moins de scrupules à renoncer à dresser la liste des adjectifs, des verbes et adverbes qu’ils appartiennent aux familles des substantifs cités). Il me reste à reposer la question abordée dès le début de cette étude : ces 438 mots relevant du vocabulaire technique et médical — concernant plus précisément la maladie — sont-ils des néologismes ou des premières attestations dans ce qui « constitue le plus ancien témoignage professionnel sur les maladies dans le monde

66

Cf. ID., ibid., p. 271-272. Cf. ID., ibid., p. 222. P. CHANTRAINE , Formation…, p. 31 est d’avis que le suffixe - a servi à former des noms de maladie, « en particulier des maladies répugnantes ». Cf. Ê. 68 Voir les nuances apportées par M.D. GRMEK, op. cit., p. 20. 69 Cf. M.D. GRMEK, op. cit., p. 20 et P. CHANTRAINE, Dictionnaire (1980)…, op. cit., p. 1267. 70 Cf. P. BERRETTONI, op. cit., p. 269. 67

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grec »71 ? Je répète qu’il est très difficile, sinon impossible, de répondre avec une totale précision à cette question. Il est cependant un texte qui éclaire quelque peu le débat. L’auteur du traité Du Régime dans les maladies aiguës, qui écrivait dans le dernier tiers du Ve siècle, évoque à plusieurs reprises ceux qu’il appelle les anciens (. é,)72 et il affirme notamment : « Sont aiguës les maladies que les anciens (. ç,) ont appelées “pleurésie, péripneumonie, phrénitis, léthargos, “kausos” et toutes les autres qui en dépendent et dont les fièvres sont, en général, continues »73. Ce médecin déclare, dès le début de son traité74 qu’il a accès à un ouvrage intitulé les Sentences cnidiennes composé (

ã  ) et remanié (Ï  $  ã ) par plusieurs médecins75. Il nous est donc permis de penser que le vocabulaire nosologique — ou du moins une partie importante — du Corpus Hippocraticum est antérieur à la période classique, antérieur donc à une période dont nous possédons des écrits76, le début du Ve siècle ou même la fin du VIe.

71

Cf. M.D. GRMEK , op. cit., p. 35. Cf. Régime dans les maladies aiguës III (L II, 226 = p. 36-37 éd. R. Joly) ; V, 1 (L II, 232 = p. 37 éd. R. Joly) ; XVII (L II, 260-262 = p. 43 éd. R. Joly) ; Prénotions coaques, 394 (L V, 672). 73 RMA V, 1 (L II, 232 = p. 37 éd. R. Joly légèrement modifiée). 74 Cf. RMA V, 1 (L II, 224 = p. 36 éd. R. Joly). 75 Cf. J. JOUANNA , Hippocrate. Maladies II, Paris, 1983, p. 29. 76 Dans un ouvrage antérieur, Hippocrate. Pour une archéologie de l’école de Cnide, Paris, 1974, p. 512 J. JOUANNA estime que la deuxième édition des Sentences cnidiennes date environ du milieu du Ve siècle et que la première se situe dans la première moitié du siècle ou légèrement plus haut. J. Jouanna considère cependant (ibid., n. 3) qu’« on ne peut pas toutefois remonter bien haut dans le VIe ». On peut encore noter qu’en RMA LI (L II, 334 = p. 58 éd. R. Joly), l’auteur déclare que ses prédécesseurs (, $μ Ë °) ignoraient les avantages et les désavantages du vin. 72

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Chapitre V LE SERMENT 1 Le Serment est l’un des textes les plus célèbres du Corpus hippocratique. Avant d’en aborder la lecture, il importe qu’on se rende compte de l’importance d’une morale médicale dans une société qui ignorait tout contrôle légal de l’exercice de la profession médicale2, comme celle de la Grèce antique. Un texte du Politique de Platon nous montrera que la médecine tombait souvent aux mains de charlatans et de rebouteux. Veulent-ils (les médecins) sauver quelqu’un d’entre nous, ils le sauvent, veulent-ils le maltraiter indignement, ils le maltraitent en le taillant, en le brûlant, en exigeant de lui des versements qui sont de véritables tributs, dont ils n’emploient au profit du malade qu’une part faible ou même nulle, et le reste pour leur 1 Nous avons tenté de mettre à la portée du lecteur l’interprétation du Serment que L. EDELSTEIN a fait valoir dans une étude remarquable intitulée The Hippocratic Oath ; Text, translation and interpretation, publiée dans les Supplements to the Bulletin of the History of Medicine, n° 1, Baltimore, The John Hopkins Press, 1943, et reproduite dans Ancient Medicine, The John Hopkins Press, 1967, p. 3-63. Voir les comptes rendus de ce volume, réunissant les principaux articles d’Edelstein sur la médecine antique, dans Gnomon, 1969, p. 201-204 par M. Robert Joly et dans l’Antiquité Classique, 1968, p. 744-746 par nous-même. 2 Cf. R. JOLY , Hippocrate – Médecine grecque, Coll. Idées, 1964, p. 205.

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propre usage et celui de leur maison ; et, qui plus est, pour en finir, ils se laissent acheter par les parents ou d’autres ennemis du malade, et le tuent3.

On se souviendra que dans notre XVIIe siècle français, Molière aussi a adressé des reproches aux médecins de son temps et qu’il a fait dire à l’un d’eux : « Nous taillons comme il nous plaît sur l’étoffe où nous travaillons4 ». On notera cependant que les médecins de Molière pêchent surtout par ignorance et sottise, ceux de Platon, par malhonnêteté. Après ce préambule, lisons le texte du Serment, en marquant des pauses qui permettront de distinguer les quatre parties de l’écrit : Je jure par Apollon médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que je remplirai, suivant mes forces et mon jugement, le serment et l’engagement suivant : Je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours ; je partagerai avec lui mon avoir, et dans la nécessité, je pourvoirai à ses besoins ; je tiendrai ses enfants pour des frères et, s’ils désirent apprendre la médecine, je la leur apprendrai, sans salaire ni engagement. Je ferai part des préceptes à mes fils, à ceux de mon maître et aux disciples liés par un engagement et un serment suivant la loi médicale, mais à nul autre. Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je les écarterai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne de drogue mortelle, si l’on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une telle suggestion ; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif. Je passerai ma vie et j’exercerai mon art dans la pureté et la sainteté. Je n’utiliserai pas le scalpel, pas même sur ceux qui souffrent de la pierre ; je laisserai cela aux gens qui s’en occupent. Quelle que soit la maison où j’entre, j’y entrerai pour l’utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur, et surtout de

3 4

PLATON, Le Politique, 298a (trad. A. Diès). Le Médecin malgré lui, Acte III, scène première.

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la séduction des femmes et des hommes, libres ou esclaves5. Quoi que je voie ou entende pendant l’exercice ou même hors de l’exercice de ma profession, concernant la vie des gens, je tairai ce qui ne doit jamais être divulgué, le regardant comme un secret. Si j’observe ce serment sans l’enfreindre, qu’il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais parmi les hommes ; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire6.

On n’aura guère de peine à déterminer les quatre parties du Serment : l’invocation aux dieux de la médecine, la promesse (ou les devoirs du jeune médecin à l’égard de son maître de médecine), l’éthique de l’art de guérir et la péroraison. On résumera très aisément les prescriptions relatives au poison et à l’avortement, en précisant que le médecin se refuse à remettre du poison et à pratiquer l’avortement. Pour comprendre toute la portée de ces deux interdictions, il faut révéler que le suicide d’un malade incurable, par recours au poison, était chose courante dans l’Antiquité et que l’avortement y était une pratique fréquente et autorisée. Théophraste7 mentionne des spécialistes qui ont inventé des poisons efficaces et indolores pour provoquer le suicide et il ajoute que ces gens étaient qualifiés dans toutes les autres branches de la médecine. Apulée8 atteste, lui aussi, l’usage du suicide dans le cas d’une maladie incurable. 5

Pour l’interprétation de ce passage du Serment, cf. R. JOLY, « Esclaves et médecins dans la Grèce antique », in Sudhoffs ArchivZeitschrift für Wissenschaftsgeschichte, Juli 1969, p. 11. 6 Trad. É. Littré, remaniée d’après le texte grec établi par I.L. Heiberg, Corpus Medicorum Graecorum I, 1, p. 4-5. 7 Histoire des Plantes IX, 16, 8. 8 Métamorphoses X, 9 : « … Il en avait besoin (= de poison), disait-il (au médecin), pour un malade qui, gravement atteint d’un mal ancien et incurable, brûlait de se soustraire au tourment de la vie » (trad. P. Vallette).

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On se gardera cependant de conclure que, dans l’Antiquité, tous les malades incurables songeaient à en finir avec la vie : on se souviendra que lorsque la médecine rationnelle était impuissante, le recours aux dieux était toujours possible et que cette confiance dans les dieux explique l’étonnant développement de certains sanctuaires, comme celui d’Asclépios à Épidaure ; on retiendra néanmoins de ces textes que tous les médecins antiques ne se conformaient pas à l’interdiction, exprimée dans le Serment, de ne remettre à personne de drogue mortelle. Les textes qui prouvent que l’avortement était une pratique courante et autorisée ne manquent pas. Ainsi, Platon fait dire à Socrate : Les accoucheuses savent encore, n’est-ce pas, par leurs drogues et leurs incantations, éveiller les douleurs ou les apaiser à volonté, conduire à terme les couches difficiles et, s’il leur paraît bon de faire avorter le fruit non encore mûr, provoquer l’accouchement ?

Théétète, l’interlocuteur de Socrate, se contente d’acquiescer : « C’est exact »9. D’autres textes10 ne permettent pas de douter que l’avortement n’était condamné ni moralement ni légalement. On ne s’en étonnera pas si on sait que même l’exposition d’enfants nouveau-nés était admise en Grèce11. 9

Théétète, 149d (trad. A. Diès). Maladies des femmes I, 68, 72, 78 ; ARISTOTE, Politique IV, 14, 10… 11 Cf. R. FLACELIÈRE, La vie quotidienne, p. 266 du tome 2 de La Civilisation grecque de l’Antiquité à nos jours, publié sous la direction de Charles Delvoye et Georges Roux, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1969 : « D’ailleurs, partout en Grèce, un nouveau-né, même parfaitement constitué, peut être abandonné à la naissance, si le père décide de ne pas l’élever. Le bébé est placé dans un pot ou une marmite d’argile jusqu’à ce qu’il meure… Tant que l’enfant n’a pas été agrégé par des rites particuliers au groupe social, tant qu’il n’a pas reçu de nom, il n’a pas d’existence réelle : “sa 10

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Des considérations qui précèdent on conclura que le Serment n’était pas prêté par tous les médecins antiques, mais par une minorité. La phrase qui suit les deux interdictions est éclairante : « Je passerai ma vie et j’exercerai mon art dans la pureté et la sainteté (è « ¢ ! ı ). » On constate que le médecin qui prête le serment veut dépasser une morale qui se contenterait de poser les principes de la responsabilité professionnelle et qu’il souhaite s’élever à une échelle de valeurs plus hautes ; on est conduit à se demander si ce n’est pas une conviction ou une philosophie particulière qui a dicté les règles exprimées dans le Serment et s’il n’y avait pas une secte philosophique qui interdisait le suicide et l’avortement. Un passage des Lois de Platon évoque le problème du suicide : Quant à celui qui tue ce qu’il a de plus absolument familier et, comme on dit, de plus chéri, quelle peine doit-il subir ? Je veux dire l’homme qui se tue lui-même, qui se dépouille par violence de la part de vie que lui a donnée le destin, sans que la cité l’y ait obligé par décision de justice, sans que l’y ait contraint, tombée sur lui, la douleur excessive d’une infortune sans issue, sans que le sort lui ait imposé une honte désespérée, sous laquelle vivre est impossible ; l’homme qui, simplement par lâcheté, par couardise et manque absolu de virilité, s’inflige à lui-même une punition injuste12.

On conclura, à la lecture de cette page, que Platon réprouvait le suicide, mais qu’il l’aurait toléré dans le cas d’une maladie incurable (… Ê ƒ éÊ ƒ

   Ê˙ ª é   ). Seuls, parmi tous les penseurs grecs, les Pythagoriciens ont banni le suicide, quelles que soient les circonstances disparition, dit P. Roussel, n’émeut pas ce que nous appelons les sentiments naturels”. Cette licence accordée par les lois et les mœurs au père de famille sera l’une des causes de l’oliganthropie, c’est-àdire de la dépopulation catastrophique de la Grèce aux époques hellénistique et romaine. » 12 Lois X, 873c (trad. A. Diès).

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où l’homme se trouve placé. Socrate, dans le Phédon, pour affirmer qu’il n’est pas permis de se faire violence à soi-même, cite comme garant de cette thèse le Pythagoricien Philolaos. Cébès lui pose cette question : « Comment peux-tu dire, Socrate, que ce n’est point permis de se faire à soi-même violence (Ú μ μÚ ‰  •Ú ã)… » Quoi ? Cébès, n’avez-vous pas été instruits sur ce genre de questions, Simmias et toi, vous qui avez vécu auprès de Philolaüs ?… Déjà, il est vrai, j’ai moi-même (c’est ce que tout à l’heure tu demandais) entendu dire à Philolaüs quand il séjournait chez nous, et déjà aussi à certains autres, que c’est une chose qu’on ne doit pas faire13.

Pour les Pythagoriciens, le suicide est une faute très grave envers la divinité : Une sorte de garderie, voilà notre séjour à nous, les hommes, et le devoir est de ne pas s’en libérer soi-même ni s’en évader 14.

On comprendra que le médecin qui a accepté un tel idéal philosophique et religieux doit évidemment s’abstenir de suggérer ou même de faciliter le suicide de l’un de ses patients et qu’il puisera dans sa foi la force de s’opposer à la volonté de son malade qui veut à tout prix en finir avec les souffrances de la vie. De même, l’interdiction de l’avortement ne peut s’expliquer si l’on n’admet pas que le Serment est d’origine pythagoricienne. La plupart des philosophes prônaient l’avortement ; Platon, par exemple le recommande quand les conjoints sont trop âgés15. Les Pythagoriciens considéraient que le fœtus était vivant dès la conception : l’avortement représentait donc pour eux la mort d’un être vivant. L’avortement était incompatible avec leurs conceptions biologiques, mais aussi avec leurs croyances morales. 13 14 15

Phédon, 61d-e (trad. L. Robin). Phédon, 62b. République V, 461c.

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Les Pythagoriciens bannissaient non seulement toute relation sexuelle extraconjugale, mais encore ils ne justifiaient l’acte sexuel à l’intérieur même du mariage que dans la mesure où il visait à la reproduction : le devoir des Pythagoriciens était d’avoir des enfants pour laisser, à leur mort, d’autres servants des dieux16. On jugera qu’il est raisonnable d’affirmer que le Serment, dans ses deux interdictions de suicide et d’avortement, a été inspiré par des doctrines pythagoriciennes et qu’il convient maintenant d’examiner si les autres prescriptions de ce texte s’accordent aussi avec l’enseignement des Pythagoriciens. On constatera que ce sont les règles concernant la diététique qui sont mentionnées les premières dans le code de l’éthique médicale ; on conclura que le médecin qui prête le serment tient cette discipline en grande estime et qu’il est visiblement convaincu qu’en faisant mener une vie réglée à ses malades, il les écartera « de tout mal et de toute injustice ». Or nous savons que, pour les Pythagoriciens, la médecine, c’est d’abord la diététique : ils en ont été vraisemblablement les inventeurs17. Comme Platon, qui s’inspira d’eux dans le Timée, les Pythagoriciens liaient soin de l’âme et soin du corps. Dans le Serment, après les prescriptions relatives à la diététique et à la pharmacologie (interdictions de fournir au malade du poison ou un pessaire abortif), il est question de la chirurgie : le médecin se refuse à la pratiquer. Cette attitude a fort embarrassé les commentateurs, car tout le Corpus hippocratique s’insurge 16 V.S.12 58c 4 : … ˜ "  " ß    Ë   " ß é ' • Ë «  Æ . 17 V.S.12 58d 1 : …  ¢ #  μã  μ¢ é ° Ú  Ú ‰  ! ‰  é ã   È“... Sur l’origine pythagoricienne de la diététique, se rapporter, à l’excellente notice (p. XI-XII) de l’édition du traité Du Régime parue dans la Collection des Belles Lettres (Paris, 1967) et due à Robert Joly.

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contre un tel refus : le médecin n’hésite jamais à couper. Le refus de pratiquer la chirurgie ne se comprend que dans un contexte pythagoricien : les Pythagoriciens, nous dit Aristoxène, dédaignaient la chirurgie18, sans doute parce qu’ils éprouvaient de la répulsion pour le sang versé. Mais, en fait, cette clause reste très difficile à expliquer. Les autres stipulations du Serment s’éclairent aussi, si l’on en admet l’origine pythagoricienne. Ainsi, le devoir de continence du médecin à l’égard de l’entourage du malade (hommes et femmes, libres ou esclaves) relève d’une morale fort austère. Sans doute, d’autres textes du Corpus recommandent la réserve. Parmi les prescriptions du traité Du médecin, on lit notamment : Quant au moral, l’homme sage non seulement sera discret, mais aussi il observera une grande régularité dans sa vie ; cela fait le plus grand bien à la réputation ; ses mœurs seront honnêtes…19.

Mais on aura tôt fait de remarquer que ce traité, contrairement au Serment, justifie l’attitude morale du médecin par l’intérêt qu’il y trouve. Quant au secret, que le médecin jure de respecter sur tout ce qu’il voit et entend, il n’est pas envisagé dans le Serment comme une mesure de précaution, mais comme un devoir moral ; or les Pythagoriciens considéraient comme une obligation morale de taire ce qui ne doit pas être communiqué à d’autres et ils passaient pour des gens peu loquaces et habitués au silence20. Enfin, dans la promesse que fait le jeune médecin à son « patron », les relations d’élève à maître sont envisagées comme des relations de fils à père, et de fait, les 18

V.S.12 58d 1 : … < å ¢ > ! å  μã  ! Ê   ã  é °. 19 Du médecin, § 1 (trad. É. Littré). 20 Cf. DIOGÈNE LAËRCE VIII, 15 : μ ‰  Ú ã 

ã  =ã. V.S.12 58d 1 :   Á ¢ ‰  ! é  Ê...

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Pythagoriciens tenaient à honorer ceux qui les avaient instruits comme leurs pères adoptifs21. L’analyse du Serment, telle qu’elle a été proposée, nous conduit à conclure que ce texte capital a trouvé naissance (sans doute au IVe siècle a.C.) dans un cercle très restreint, celui des Pythagoriciens, avant d’être universellement reconnu.

21

DIODORE X, 3, 4 (à propos des relations de Pythagore envers son maître Phérécyde) : …   $Ú °.

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Chapitre VI L’ALIMENTATION L’alimentation occupe dans le Corpus hippocratique une place qu’un médecin d’aujourd’hui a de la peine à imaginer. Le total du champ sémantique exprimant la notion d’alimentation, de diététique, y atteint environ 2.750 occurrences. Diaita (  ), le régime, et ses dérivés atteignent 325 occurrences, tandis que la famille de sition ( ), l’aliment solide, et celle de poton ( Ò), la boisson, comptent respectivement 621 et 344 occurrences (il me faut cependant rappeler que la notion antique de régime déborde largement celle de régime alimentaire, car elle comporte aussi les exercices). L’aliment qui semble le plus consommé est le pain : artos (ê  ) apparaît 92 fois ; maza (μã , pain d’orge) 53 fois. L’animal occupe une place de tout premier ordre : d’abord les mammifères : le bœuf (ou la vache), la chèvre, le porc, le mouton, le chien (ou le petit chien), le chevreau, le cheval, puis les poissons (le traité du Régime II, 48 en cite 17 à lui seul), les oiseaux (dont la poule) et les mollusques (dont le poulpe, la seiche…). Au total, les noms ou adjectifs d’animaux représentent environ 770 occurrences1. 1

Tous ces chiffres ont pu être établis grâce à la Concordance des œuvres hippocratiques éditée par Gilles MALONEY et Winnie FROHN, Québec, 1984.

99

Pour saisir l’importance de l’alimentation dans le Corpus lui-même ou dans les visées médicales de celui-ci, il suffit de songer au titre de quelques-uns des plus célèbres traités : le Régime, le Régime des maladies aiguës, le Régime salutaire (appendice du traité de la Nature de l’homme, œuvre de Polybe, gendre et successeur d’Hippocrate), l’Aliment qui date de l’époque hellénistique ; il n’est pas un seul traité d’où la diététique soit absente. C’est ainsi que les Affections internes prévoient un régime pour un cas de leucophlegmasie (c. 21, L VII, 220), d’hydropisie (c. 22, L VII, 222) et de maladie de la rate (c. 30, L VII, 244) ; les traités des Maladies des femmes I, 45 (L VIII, 104) et II, 133 (L VIII, 298-300) prescrivent des céphalopodes comme moyen de faire couler les lochies ou comme remède à l’obliquité latérale de la matrice ; le traité de la Superfétation, 29 (L VIII, 496) propose de petits chiens bouillis et un poulpe bouilli dans du vin comme traitement pour rendre une femme féconde (remarquons ici la mention du vin, ‰ , dans la thérapeutique du Corpus : ‰ compte 867 occurrences). Ailleurs, un régime alimentaire est prescrit pour une ulcération aiguë de l’utérus (Maladies des femmes I, 63 = L VIII, 128), pour une leucorrhée (Maladies des femmes II, 118 = L VIII, 254 et II, 119 = L VIII, 260). Il est d’innombrables cas où le médecin antique prescrit un régime qui surprend le médecin d’aujourd’hui. C’est ainsi qu’il est significatif que dans l’unique passage où il mentionne une maladie rhumatismale, l’auteur du Régime II, 54 (L VI, 558 = p. 174 éd. R. Joly-S. Byl) écrive : « Pour l’arthrite, la racine (du raifort) est mauvaise ». Paradoxalement, les médecins du Corpus n’ont absolument pas aperçu « les méfaits alimentaires liés à la consommation excessive ou exclusive de gibier,

100

particulièrement celui de la goutte »2. L’auteur du remarquable traité des Fractures – sans doute Hippocrate lui-même — insiste sur le régime alimentaire du blessé, prescrivant d’abord une diminution des aliments puis, après dix jours, un régime substantiel3. Le médecin antique donne donc — même très fréquemment — des prescriptions diététiques qui, aux yeux de la médecine d’aujourd’hui, ne s’imposent nullement dans des cas de fracture ou de luxation par exemple. L’auteur du traité de la Maladie sacrée est d’avis que l’aliment peut être une thérapeutique de l’épilepsie et qu’il n’est nullement besoin de purifications, d’artifices magiques et de charlatanisme4. Il est même un médecin, celui du traité de l’Ancienne Médecine, pour soutenir que la médecine fut à l’origine un art culinaire. Cet auteur écrit : À l’origine, on n’aurait jamais découvert l’art médical et l’on n’aurait jamais fait de recherches à son sujet (car on n’en aurait eu aucun besoin) s’il avait été profitable, dans le cas de maladie, d’user du même régime et des mêmes aliments que les bien portants quant au manger, au boire et généralement à tout le régime, et s’il n’y avait pas eu d’autres choses meilleures pour les maladies que celles-ci : en fait c’est la nécessité elle-même qui a fait que les hommes ont cherché et découvert la médecine, parce qu’il n’était pas bon aux malades, pas plus qu’aujourd’hui encore il n’est bon pour eux de prendre les mêmes aliments que les bien portants…

L’auteur poursuit en prétendant que c’est lorsque l’homme est passé des aliments crus, dont se contente tout animal, à une nourriture élaborée, par exemple à du grain

2

Janine BERTIER , « Les animaux dans la diététique hippocratique », in L’animal dans l’alimentation humaine. Les critères de choix, Paris, Anthropozoologica, 2e numéro spécial, 1988, p. 86. 3 Cf. Fractures, 7. Voir Robert JOLY , Le niveau de la science hippocratique, Paris, Les Belles Lettres, 1966, p. 239, n. 1. 4 Cf. Maladie sacrée, 21.

101

mondé, criblé, pétri et cuit au four que la médecine fut découverte : … à cette recherche et à cette découverte, quel nom plus juste ou plus convenable attribuer que celui de Médecine, s’il est vrai qu’elle a été découverte pour procurer à l’homme santé, salut et nutrition, à la place de ce régime d’où dérivaient les souffrances, la maladie et la mort ?5

L’auteur du Régime, qui nous a laissé le catalogue des aliments le plus complet (nous y reviendrons) est d’avis que « les maladies proviennent de la prédominance de l’un de ces facteurs (= alimentation et exercices), quel qu’il soit, et (que) la santé provient de l’équilibre entre eux »6. Quelques dizaines d’années plus tard, Aristote écrira : La science de la mesure en ce qui concerne l’alimentation, c’est la médecine7

et aussi … dans le cas de la vigueur et de la santé : l’entraînement pratiqué avec excès aussi bien que de façon insuffisante gâte la vigueur, de même que les boissons et les aliments pris en trop petite quantité gâtent la santé, tandis qu’au contraire un entraînement et une alimentation bien mesurés augmentent et sauvegardent la santé8.

L’importance de la diététique — sa surestimation même — étant établie pour les médecins du Corpus hippocratique, il faut maintenant se demander si ces praticiens du dernier quart du Ve siècle ou du premier quart du IVe ont eu des précurseurs dans le domaine qui nous occupe. Dans l’état de nos connaissances, ce sont les Pythagoriciens qui ont fondé la diététique. Jamblique, notre informateur et dont la source a dû être Aristoxène, nous apprend qu’ils cherchaient à connaître les signes du 5 6 7 8

L’ancienne Médecine, 3 (L I, 574-576 ; trad. A.J. Festugière). Régime III, 69 (L VI, 606 = p. 202 éd. R. Joly-S. Byl). L’Éthique à Nicomaque I, 4, 1096a 32-33. Ibid. II, 2, 1104a 14-18.

102

rapport entre les boissons et les aliments solides d’une part et le repos d’autre part9. Platon, de son côté, voit en Hérodicos de Sélymbrie, un des grands sophistes, le fondateur de la diététique10 au point que plusieurs philologues contemporains ont considéré qu’Hérodicos était l’auteur du traité pseudo-hippocratique Du Régime11, rédigé aux alentours de 400 a.C. Toujours est-il que c’est parce que l’auteur du Serment pseudo-hippocratique aborde les règles d’ordre proprement médical par le mot diaitèmasi, le régime, que Ludwig Edelstein a soutenu, à côté d’autres arguments sans doute plus décisifs, que ce texte très célèbre était un manifeste pythagoricien12 : en effet, pour les Pythagoriciens, la médecine, c’est d’abord la diététique. Toujours est-il qu’avant 400 a.C., il y avait déjà eu de nombreux diététiciens : c’est l’auteur du Régime qui nous l’apprend, dès le chapitre 1 de son livre I où il évoque à trois reprises ses prédécesseurs, précisant même qu’ils étaient nombreux. Il faut éviter cependant de croire que les auteurs hippocratiques remontaient, en matière de diététique, à une même source unique : « L’impression que l’on garde est que, d’une part, l’idée d’un catalogue d’aliments et de boissons était vulgarisée dans la diététique du Ve siècle, mais que, d’autre part, chaque auteur, loin de s’attacher à suivre une tradition formelle, se plaisait à donner un avis original, à nuancer une propriété, tout en restant dans les limites d’une vraisemblance acceptable »13. 9 10

Cf. V.S.13 58d 1. Cf. République III, 406a sq. ; Protagoras, 316d ; Phèdre,

277d. 11

Cette thèse a été lancée par F. Spät en 1897. In « The Hippocratic Oath. Text, translation and interpretation », in Supplements to the Bulletin of the History of Medicine, n° 1, Baltimore, The John Hopkins Press, 1943 ; reproduit dans Ancient Medicine, The John Hopkins Press, 1967, p. 3-63. 13 Robert JOLY, Recherches sur le traité pseudo-hippocratique Du Régime », Paris, Les Belles Lettres, 1960, p. 108. 12

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Nous constatons dans le Corpus une valorisation tout à fait excessive du régime. Aux exemples cités plus haut, j’en ajouterai un dernier, assez édifiant. L’auteur du Régime est persuadé que c’est l’alimentation de la mère qui détermine le sexe du bébé à naître et il écrit ceci : Les femelles, venant plutôt de l’eau, se développent à partir d’aliments, de boissons et d’un genre de vie froids, humides et mous ; les mâles, venant plutôt du feu, à partir d’aliments et d’un régime secs et chauds14.

Nous avons à nous demander les raisons pour lesquelles les médecins antiques ont valorisé ainsi l’alimentation. C’est Robert Joly qui a le mieux répondu à cette interrogation : « Pour le bon sens… l’aliment — solide ou liquide — est, avec l’air, la seule chose ingérée par l’homme. D’autre part, la maladie — qui à un moment donné n’était pas dans le corps et qui ensuite s’y déclare — semble bien avoir été ingérée. De là à rendre le régime responsable d’un très grand nombre de maladies, il n’y a qu’un pas vite franchi »15. À ces remarques, il faut ajouter que les médecins antiques savaient fort bien que l’alimentation était vitale : l’auteur du traité Des vents écrit que « l’homme privé de tout aliment solide et liquide pourrait vivre deux ou trois jours ou même davantage »16 ; ils savaient aussi que certains mets étaient toxiques. C’est ainsi que l’auteur des Épidémies VII note : La fille de Pausanias, ayant mangé un champignon cru (mukèta ômon), fut prise de haut-le-cœur, de suffocation, de douleur dans le ventre. Boire de l’hydromel chaud et vomir lui fut utile, ainsi qu’un bain chaud ; dans le bain elle vomit le champignon

14

Régime I, 27 (L VI = p. 142-144 éd. R. Joly-S. Byl). Robert JOLY , Le niveau de la science hippocratique, Paris, Les Belles Lettres, 1966, p. 121. 16 Des vents, 4. Voir ARISTOTE, De l’âme III, 12, 434b 19-23 qui déclare que les aliments s’avèrent indispensables à l’existence même de l’être vivant. 15

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et, les accidents étant sur le point de cesser, elle sua abondamment17.

Les médecins du Corpus — ou du moins certains d’entre eux — avaient saisi que la lithiase vésicale idiopathique des petits enfants — fréquente en Grèce antique18 — éait due à la mauvaise alimentation des nourrices19. Le professeur Mirko D. Grmek a fait remarquer que cette lithiase spécifique aux petits enfants, différente de l’urolithiase des adultes, est rare dans les sociétés modernes, à l’exception de celles où sévissent la pauvreté et les carences alimentaires20 (le même savant cite surtout pour la Grèce les carences protéiniques). Le succès de la diététique grecque antique fut énorme, surtout au Moyen Âge. Le traité du Régime — qui date, je le rappelle, des environs de 400 a.C. — en fournit un bel exemple. Au IIe siècle de notre ère, Galien, qui rédigea trois écrits sur la diététique mais qui ne considérait pas le Régime comme une œuvre d’Hippocrate, ne lui consacra pas de commentaires mais en fit quelques citations qui se trouvent presque toutes dans le De alimentorum facultatibus (Galien y cite notamment le début des chapitres 37 et 39, deux courts passages du chapitre 42 et le début du chapitre 43). Au VIe siècle, les deux premiers livres du Régime furent traduits en latin. La traduction du livre II a donné naissance aux Dynamidia Hippocratis, compilation anonyme de la seconde moitié du VIe siècle, complétant cette traduction par d’autres sources telles que les Medicinae ex oleribus et pomis (« Remèdes tirés des

17

Épidémies, 7, 102 (L V, 454). Voir Don et Patricia BROTHWELL, Food in Antiquity, Londres, 1969, p. 90. 18 Cf. Aer., 9 ; Morb. IV, 55 ; Progn., 19 ; Épid. VI, 3, 7 ; Aphor. III, 26… 19 Cf. Morb. IV, 55 (L VII, 600 = p. 116 éd. R. Joly). 20 Mirko D. GRMEK , Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale, Paris, Payot, 1983, p. 169.

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plantes potagères et des fruits ») de Gargilius Martialis du IIIe siècle21. Il faut se demander maintenant sur quels fondements repose la diététique du Corpus hippocratique. Il y a d’abord, je crois, les convictions populaires. C’est ainsi que si l’auteur du Régime affirme que « le cresson… provoque la strangurie »22, Aristophane, au vers 616 des Thesmophories, représentées en 411, fait dire à l’un de ses personnages : « Je souffre de strangurie ; en effet, j’ai mangé hier du cresson »23. Il y a ensuite l’expérience courante. Ainsi c’est parce qu’il s’appuie sur cette expérience que l’auteur du Régime peut écrire : Les fèves ont quelque chose de nourrissant, de resserrant et de flatulent ; de flatulent, parce que les pores ne peuvent recevoir la nourriture qui arrive en bloc ; de resserrant, parce que le résidu de la nourriture est peu important24.

Comme les fèves sont recommandées par d’autres auteurs hippocratiques comme traitement contre le syndrome dysentérique25 ou « du ventre dérangé »26, Mirko D. Grmek n’hésite pas à écrire : « La médecine moderne doit confirmer, dans l’essentiel, le bien-fondé de ces observations diététiques et de ces indications thérapeutiques. Les fèves contiennent des oligosaccharoïdes indigestibles qui, d’une part, provoquent des flatuosités et qui, d’autre part, peuvent avoir une action bénéfique dans le traitement de certaines diarrhées d’origine infectieuse »27. Un autre fondement de la diététique hippocratique — et sans doute le plus important — est l’a priori, le préjugé 21

Cf. Bibliographie des textes médicaux latins (éd. Guy Sabbah), Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1988, p. 73, p. 106. 22 Régime II, 54 (L VI, 558 = p. 174 éd. R. Joly-S. Byl). 23 Thesmophories, 616. 24 Régime II, 45 (L VI, 542 = p. 166 éd. R. Joly-S. Byl). 25 Cf. RMA, Appendice, 64 (L II, 518 = p. 96 éd. R. Joly). 26 Cf. Épid. II, 6, 7 (L V, 134). 27 M.D. GRMEK, Les maladies…, op. cit., p. 323.

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subi inconsciemment et d’autant plus difficile à extirper. Les exemples de ces affirmations fondées sur l’a priori sont tellement nombreux que je devrai me limiter. Plusieurs auteurs hippocratiques prétendent que le vin blanc est le seul à être diurétique28. Commentant cette affirmation, Danielle Gourevitch estime que cette opinion repose sur des raisons magiques évidentes29. C’est, bien sûr, une certaine identité de couleur entre le vin blanc et l’urine qui explique cette croyance, même si elle n’est pas erronée. L’auteur du Régime dans les maladies aiguës dramatise le changement (métabolè) d’une façon inouïe au point qu’il n’hésite pas à écrire entre autres : On pourrait dire encore beaucoup d’autres choses apparentées aux précédentes à propos des voies digestives, pour montrer qu’on supporte bien les aliments auxquels on est habitué, même s’ils ne sont pas bons de nature ; de même pour les boissons ; et qu’on supporte mal les aliments auxquels on n’est pas habitué, même s’ils ne sont pas mauvais, et de même pour les boissons30.

« À ce compte », écrit Robert Joly31, « nous ne sortirions pas vivants d’un restaurant chinois ». L’auteur de ce traité qui ne cesse de proclamer que « les changements brusques n’apportent que dommage et faiblesse »32 valorise négativement le changement au 28

Cf. Régime II, 52 (L VI, 554) ; Affections, 55 (L VI, 266) ; cf. aussi Épidémies VI, 67 bis (L V, 430). Chez Dioclès de Carystos (Wellmann, Fr. 130) et dans le traité Du Régime des maladies aiguës, 14 (L II, 334), nous apprenons que le vin blanc, qui ressemble à la salive par ses qualités humide et blanche, est un excellent sialagogue (note du Docteur Gerrit Cootjans). Le docteur en médecine Pierre Leroy de Bruxelles me signale que « l’augmentation notable du volume des urines serait fonction de l’acidité des vins blancs et de leur richesse en tartrates ». 29 Cf. Danielle GOUREVITCH, Le triangle hippocratique…, Paris-Rome, 1984, BEFAR, p. 201. 30 Régime des maladies aiguës, 36. 31 Robert JOLY, Le niveau., op. cit., p. 36. 32 Régime des maladies aiguës, 9 (L II, 284 = p. 48 ed. R. Joly).

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point qu’il emploie 14 fois métabolè (le changement) et 18 fois métaballo (je change). Voyons maintenant les raisons qui amènent l’auteur du Régime à soutenir que des poissons tels que l’anguille sont lourds, que la viande de bœuf est indigeste, que la chair du canard est humide… Ceux (des poissons) qui trouvent leur nourriture dans des endroits vaseux ou marécageux, par exemple le capiton, le mulet, l’anguille, de tels poissons sont plus lourds, parce qu’ils trouvent leur nourriture dans l’eau et la boue et ce qui y pousse33.

Il y a incontestablement, aux yeux de l’auteur, un phénomène d’osmose entre l’animal et son lieu d’habitat. La viande du canard et des autres volatiles vivant dans les marais ou dans l’eau est humide dans tous les cas34.

L’expérience courante aurait pu et dû apprendre au diététicien que le canard est « gras ». En réalité, le principe inconscient de l’osmose est l’obstacle épistémologique qui annihile même l’expérience courante. La viande de bœuf est… indigeste pour le ventre, parce que cet animal a le sang épais et abondant ; sa viande est lourde au corps, sa chair elle-même, son lait, son sang35.

Nous ne serons pas surpris d’apprendre que l’auteur est d’avis, dès lors, que la viande de chevreau est la plus légère de toutes36. Sans vouloir entrer dans le détail des régimes éminemment complexes prescrits par les auteurs des différents livres des Maladies, notamment de Maladies II37, j’aimerais, pour clore cet exposé, attirer l’attention 33

Régime II, 46 (L VI, 548 = p. 171 éd. R. Joly-S. Byl). Régime II, 47 (L VI, 548 = p. 171 éd. R. Joly-S. Byl). 35 Régime II, 46 (LVI, 548 = p. 169 éd. R. Joly-S. Byl). Même idée en Affections, 5 (L VI, 262). 36 Ibid. 37 Cf. entre autres Maladies II, 51, 3-5 (L VII, 78-80 = p. 188189 éd. J. Jouanna). Voici le régime que le médecin prévoit dans le 34

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sur un principe de la diététique hippocratique qui aura la vie particulièrement longue. De nombreux auteurs du Corpus prescrivent l’abstention d’aliments solides pendant la fièvre (puretos, pur, le feu souvent confondu avec la maladie elle-même) : tel est le cas de l’auteur du traité des Maladies II38. L’auteur des Aphorismes I donne les prescriptions suivantes : Quand la maladie est très aiguë…, il est urgent de prescrire l’extrême diète39.

Le même auteur déclare ailleurs : Les régimes humides conviennent à tous les fébricitants, surtout aux enfants et à ceux qui sont habitués à un tel genre d’alimentation 40.

Le médecin, auteur du traité du Régime des maladies aiguës, qui a à soigner des maladies graves, souvent mortelles, est du même avis et il est donc contraint à ne prescrire comme thérapeutique qu’un régime humide. Il va alors se mettre à la quête d’une panacée, la ptisanè, un léger gruau d’orge et il se lance alors dans une foule de distinctions qui ne répondent à aucune réalité objective41. cas d’une phtisie dorsale, c’est-à-dire d’une vésicule infectieuse : « Quand le malade présente ces symptômes, si vous intervenez dès le début, après lui avoir donné un bain de vapeur sur tout le corps, faites boire un évacuant par le bas (pour intervenir, choisissez de préférence le printemps) ; et après l’évacuation faites boire du petit-lait ou du lait d’ânesse [il y a 276 mentions de gala, le lait, dans le Corpus]. Donnez à boire du lait de vache pendant quarante jours ; le soir, tant que le malade est au régime lacté, donnez-lui en potage de la décoction de gruau ; il s’abstiendra d’aliments solides. Une fois qu’il a cessé le régime lacté, restaurez-le avec des aliments (sitiois) émollients en commençant par une petite quantité et faites-le grossir le plus possible. 38 Cf. e.a. c. 40, 41, 44… 39 Aphorismes I, 7 (L IV, 462). Cf. ibid., 8 (L IV, 464), 10 (L IV, 464). 40 Aphorismes I, 16 (L IV, 466). 41 Cf. Régime des maladies aiguës X-XXV. Sur la diététique antique en général, cf. Ludwig EDELSTEIN, « The Dietetics of

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Il faudra attendre la chimie des aliments et la physiologie de l’assimilation pour que naisse enfin une diététique scientifique.

Antiquity », in Ancient Medicine…, op. cit., p. 303-316. Sur l’alimentation en général, cf. S. et L. BROMMER, Die Ernährung der Griechen und Römer, München, 1943. Mon texte était rédigé quand je reçus le livre de Georg WÖHRLE, Studien zur Theorie der antiken Gedundheitslehre, Stuttgart, Fr. Steiner, 1990, consacré à l’histoire de la notion de diaita. J’en donne un compte rendu dans la RBPH, 1992.

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Chapitre VII LE VIN SELON LES ÂGES ET LES SEXES DANS LE MONDE GRÉCO-ROMAIN Les médecins hippocratiques mentionnent très souvent le vin ( ‰ ) ; en effet, le Corpus compte 867 occurrences d’ ‰ , le vin. Les médecins insistent souvent sur les avantages ou sur les désavantages du vin pour la santé de l’homme1. C’est dire que cette boisson sera donnée comme remède dans une série de maladies ; le tétanos2, le choléra sec3, l’hydropisie4, les maux d’yeux5, la strangurie et la dysurie6, les souffrances hystériques7, l’ictère8 et de nombreuses affections gynécologiques9. Mais, pour nous, il est dans le Corpus une prescription plus surprenante encore : Polybe, l’auteur de la Nature de l’Homme, recommande comme boisson pour les petits enfants ( )… en bas âge du vin trempé et non tout à 1

Cf. Régime des maladies aiguës L-LII (L II, 332-336). Cf. L II, 470, 472, 474. 3 Cf. L II, 494. 4 Cf. L II, 528 ; L V, 130, § 10. 5 Cf. L IV, 570, § 31, 582, § 46. 6 Cf. L IV, 582, § 48. 7 Cf. L V, 430, § 64. 8 Cf. L VI, 322, § 28. 9 Cf. L VII, 332 ; VIII, 108, § 50 ; VIII, 214, § 90 ; VIII, 390 ; VIII, 448. 2

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fait froid, qui ne gonfle pas le ventre ni ne cause de flatuosités10 ; ceci, dit le médecin, afin qu’ils soient moins sujets aux convulsions. Quelques décennies plus tard, Aristote (384-322) répétera que le vin non mélangé d’eau et le vin flatulent sont nuisibles et provoquent les convulsions des petits enfants11. De même, le Stagirite écrira dans son traité Du sommeil et de la veille, 3, 457a 14-17 : …le vin n’est pas utile aux enfants ni à leurs nourrices (que ce soit eux-mêmes ou leurs nourrices qui le boivent, cela ne présente peut-être aucune différence…

Avant lui, son Maître Platon avait écrit dans sa dernière œuvre Les Lois : N’édicterons-nous pas tout d’abord, pour les enfants de moins de dix-huit ans, la totale abstention du vin, en leur apprenant qu’il ne faut pas verser feu sur feu dans le corps et dans l’âme, avant qu’ils n’aient commencé d’aborder les labeurs, et qu’ils doivent se garder des tendances passionnées de la jeunesse ; après cela, dirons-nous, que l’on prenne du vin avec modération jusqu’à trente ans, mais que les jeunes hommes s’abstiennent de l’excès et de l’ivresse ; lorsque, allant sur la quarantaine, on festoiera dans les repas en commun, on appellera les dieux et en particulier on invitera Dionysos à ce qui est à la fois le mystère et la récréation de l’âge ( « ), ce vin qu’il a donné aux hommes pour subvenir et remédier au dessèchement de la vieillesse12.

Pour bien comprendre ce texte et les suivants, il faut savoir que, pour la pensée médicale gréco-romaine, le vieillard est froid et sec, l’enfant chaud et humide, tandis que le vin est réputé, lui aussi, chaud et humide : le vin ne 10

Cf. Nature de l’homme (= Régime salutaire), 6 (L VI, 80). Cf. Histoire des animaux VII, 12, 588a 3-7. Voir mes Recherches sur les grands traités biologiques d’Aristote : sources écrites et préjugés, Bruxelles, Palais des Académies, 1980, p. 61 et les notes 152-154. 12 Les Lois II, 666b (trad. É. des Places). Pierre BOYANCÉ a consacré tout un article à ce sujet : « Platon et le vin », in BAGB. Suppl. Lettres d’humanité X, décembre 1954, p. 3-19. 11

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convient donc vraiment qu’au vieillard pour contrebalancer l’excès de ses propriétés naturelles13. Le vin, qui nous est apparu dès les textes hippocratiques comme un remède, se révèle donc une boisson excellente ou exécrable, selon les âges. À la suite du texte cité plus haut, Platon fait dire à son interlocuteur : Pour ce qui est du vin, en particulier, l’opinion courante, à ce qu’il paraît, le prétend donner aux hommes pour leur châtiment, afin de les égarer ; celle que nous défendons, au contraire, en fait un remède qui facilite à l’âme l’acquisition de la pudeur et au corps celle de la santé et de la force14.

Pour Platon, le vin peut donc être un remède pour l’âme comme pour le corps. À l’époque de Trajan, le médecin Rufus d’Éphèse, après avoir rappelé que le vin pouvait développer la chaleur, déclare qu’il est le remède du chagrin ( Ê  ã μ )15. Mais l’éloge du vin par Rufus avait été précédé par bien d’autres. Ainsi au IVe siècle a.C., Mnésithée avait dit : Les dieux ont révélé le vin aux hommes pour le plus grand bien de ceux qui en usent correctement, pour le plus grand mal de ceux qui l’utilisent sans règles. Il donne un aliment à ceux qui en usent, ainsi que la force aux âmes comme aux corps… Si on le mélange par parties égales, il provoque la folie…16

Le médecin Asclépiade de Bithynie (c. 170-191) avait composé, selon Pline l’Ancien (23, 32) un volume sur la prescription du vin, ce qui lui valut son surnom (de donneur de vin,  ) ; quand aux volumes

13

Sur ce sujet, voir notamment mes deux études : « La vieillesse dans le Corpus hippocratique », in Formes de pensée dans la Collection hippocratique (éd. Fr. Lasserre et Ph. Mudry), Genève, Droz, 1983, p. 85-95, et « La gérontologie de Galien », in History and Philosophy of the Life Sciences, 10, 1988, p. 73-92. 14 PLATON, Lois II, 672d. 15 ORIBASE, Collect. med. V, 7, DAREMBERG, tome I, p. 354. 16 MNÉSITHÉE , fr. 41 (trad. J. Bertier).

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de ceux qui, par la suite, firent le commentaire de ce travail, ils sont innombrables17.

C’est sans doute Galien qui, au IIe siècle de notre ère, a le mieux exposé les vues des médecins qui, depuis longtemps, faisaient dépendre des âges l’usage ou l’abstention du vin. Le médecin de Pergame cite le passage du livre II des Lois mentionné plus haut : Je rappellerai à ces philosophes, même s’ils ne le veulent pas, que Platon dont ils usurpent le nom, a écrit sur ce sujet, non pas une ou deux fois mais souvent. Il me suffira donc d’ajouter aux passages du Timée sur la nourriture les passages du deuxième livre des Lois qui, tous deux, concernent l’usage du vin18.

Galien cite par ailleurs un cas concret : un jeune esclave, enfermé dans la maison par son maître, fut tourmenté par la soif ; il ne trouva pas d’eau et but du vin vieux (c’est-à-dire chaud,  μÒ) en abondance. Et à partir de ce moment, il resta éveillé ; plus tard, il eut la fièvre ; l’insomnie amena le délire et il mourut19.

Galien a consacré tout un chapitre aux vins dans son De sanitate tuenda ; c’est là un sujet qui intéresse l’histoire de la viticulture mais surtout celle de la médecine. De même que pour les enfants, le vin est tout à fait contraire, de même il est tout à fait utile pour les vieillards… le premier très grand bienfait qui résulte du vin pour les vieillards est qu’il réchauffe toutes leurs parties… ceux, parmi les vins qui sont pâles ou jaunes, qui sont épais engendrent du sang et nourrissent le corps ; c’est pourquoi ces vins pourraient être utiles aux vieillards au moment où ils n’ont pas d’humidité

17

Texte cité par Danielle GOUREVITCH, « Asclépiade de Bithynie dans Pline : problèmes de chronologie », in Pline l’Ancien témoin de son temps, Salamanque-Nantes, 1987, p. 79. 18 Quod animi mores corporis temperamenta sequantur, 10 (K IV, 808-809) (trad. Anne Bargibant). 19 De locis affectis II, 10 (K VIII, 132).

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séreuse dans leurs veines et où ils ont besoin d’une nutrition plus abondante…20.

Ce chapitre contient de très longues listes de vins recommandés ou non pour leurs qualités. Galien répète ailleurs ces considérations sur le vin. De même, dit-il, que le miel est excellent pour les vieillards21 mais nuisible aux tempéraments chauds, le vin, comme Platon l’a proclamé22, est utile aux vieillards au tempérament froid et qui ont peu de sang23. Il est facile d’admettre que, pour Galien, l’objectif de la gériatrie soit de « réchauffer et d’humidifier (le vieillard) »24. Mais l’usage du vin ne dépend pas seulement des classes d’âge mais aussi des sexes. En effet, très nombreux sont les auteurs, grecs25 comme latins26, qui rapportent que le droit primitif de Rome interdisait aux femmes de boire du vin et que les femmes qui enfreignaient ce tabou pouvaient être condamnées à mort. Cette interdiction se retrouve déjà à Marseille27. De tous ces textes anciens, je choisis les paragraphes 89-90 du livre XIV de l’Histoire Naturelle de Pline l’Ancien : À Rome, il n’était pas permis aux femmes de boire du vin. Nous voyons, entre autres exemples, que la femme d’Egnatius Maetennius, pour avoir bu du vin au tonneau, fut bâtonnée à mort par son mari et qu’il fut absout du meurtre par Romulus. Fabius Pictor a écrit dans ses Annales qu’une dame, pour avoir fracturé le coffret où l’on rangeait les clefs du cellier, fut contrainte par les siens à mourir de faim. Selon Caton, les parents embrassaient les femmes pour savoir si elles sentaient 20

De sanitate tuenda V, 5 (K VI, 334-339, passim). Cf. mon étude La gérontologie…, op. cit., p. 81-82. 21 Cf. De naturalibus facultatibus II, 8 5 (K II, 123). 22 Cf. Lois II, 666b (texte cité supra). 23 Cf. De simplicium medicamentorum temperamentis ac facultatibus I, 8 (K XI, 395). 24 De sanitate tuenda V, 8. 25 Cf. e.a. PLUTARQUE, Rom., 22 ; Num.-Lyc., 3, 10… 26 Cf. e.a. PLINE L’ANCIEN, H.N. XIV, 89-90 ; AULU-GELLE, Les Nuits attiques X, 23. 27 Cf. THÉOPHR., fr. 117 ap. AEL ., N.A., 2, 38.

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le temetum. C’était alors le nom du vin, d’où vient aussi temulentia (ivresse)… (trad. J. André).

Depuis longtemps, les historiens se sont interrogés sur les raisons de ce tabou et ils ont suivi, en général, l’explication fournie par Valère Maxime (II, 1, 5) écrivant qu’il n’y a souvent qu’un pas de l’intempérance de Bacchus aux désordres illicites de Vénus. L’interprétation de Marcel Durry mérite d’être retenue28 ; elle est fondée sur des raisons médicales et sociales : boire du vin équivaudrait pour une femme à utiliser un moyen anticonceptionnel ou abortif. En effet, Soranos, le grand gynécologue de l’époque de Trajan et d’Hadrien, mentionne l’ivresse (μ° ) parmi les causes d’avortement29 et il déconseille le vin pendant les sept jours qui suivent les rapports, afin que l’utérus ne soit pas ébranlé30 et porte son fruit à terme. Le même médecin recommande à la femme comme moyens contraceptifs et abortifs un peu de vin et des mets irritants31. Plutarque, dans sa Vie de Romulus, 22, affirme que les trois pratiques suivantes : avortement par philtres, vin et adultère, remontaient à la plus haute antiquité. Ces interdictions avaient pour but la pérennité de la race en dehors de tout mélange32. En des termes à peu près identiques, Caton déjà, aux dires d’Aulu-Gelle33, avait rapporté que les femmes « étaient punies par le juge non moins si elles s’étaient permis le vin que le déshonneur et l’adultère ».

28

Cf. Marcel DURRY, « Les femmes et le vin », in REL, 1956, p. 108-113. 29 Cf. SORANOS, Maladies des femmes I, 16 (p. 43), Paris, Les Belles Lettres, 1988. 30 Cf. ID., ibid., p. 44. 31 Cf. ID. I, 20, p. 62 et la note 308 de Danielle Gourevitch. 32 Cf. M. D URRY, op. cit., p. 112. 33 AULU-GELLE Les Nuits attiques X, 23 (trad. R. Marache).

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Avec le temps cette sévérité disparut mais laissa vraisemblablement des traces dans la pensée médicale antique. L’interdiction qui fut faite aux femmes de boire du vin fut sans doute renforcée aussi à l’origine par le préjugé d’origine sociale selon lequel « la nature des femmes se rapproche de celle des enfants »34.

34

ARISTOTE, Génération des animaux V, 3, 784a 5 (trad. P. Louis). Il est utile de consulter la très récente « Bibliographie sur l’alcoolisme et la lutte contre l’alcoolisme dans l’Antiquité grécoromaine » de Danielle GOUREVITCH in Lettre d’information n° 18 (Centre Jean Palerne), 1991, p. 11-13.

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Chapitre VIII L’ÉTIOLOGIE DE LA STÉRILITÉ FÉMININE La femme est considérée, par la mentalité grecque archaïque et classique, comme un être inférieur. L’auteur du traité Des maladies des jeunes filles n’hésite pas à écrire que « le naturel de la femme est moins courageux et moins ferme (que celui de l’homme) »1. Thucydide fait dire à Périclès : S’il me faut d’un mot évoquer aussi des mérites féminins, pour celles qui vont maintenant vivre dans le veuvage, j’exprimerai tout avec un bref conseil : si vous ne manquez pas à ce qui est votre nature, ce sera pour vous une grande gloire ; et de même pour celles dont les mérites ou les torts feront le moins parler d’elles parmi les hommes2.

De son côté, Euripide fera dire à Macarie dans les Héraclides : « Pour une femme, rien n’est plus beau que le silence et la réserve, et une paisible contenance à l’intérieur de la maison »3. Mais c’est évidemment Aristote, dont les théories sur la reproduction se sont souvent écartées de celles des Hippocratiques, qui, dans la deuxième moitié du IVe siècle, a formulé le préjugé de 1

Des maladies des jeunes filles, 1 (L VIII, 466). Pour des témoignages hippocratiques relatifs à la prétendue infériorité de la femme, voir Robert JOLY, Le niveau de la science hippocratique, Paris, Les Belles Lettres, 1966, p. 111-116 (e.a.). 2 THUCYDIDE II, XLV, 2 (trad. Jacqueline de Romilly). 3 EURIPIDE , Les Héraclides, 476-477 (trad. Louis Méridier).

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l’infériorité de la femme dans les termes les plus saisissants. C’est ainsi qu’il a soutenu que la femelle ressemblait à un mâle stérile4, à un mâle mutilé5, qu’il avait affirmé que le tout premier écart de la nature était la naissance d’une femelle au lieu d’un mâle6, qu’il fallait considérer la nature des femelles comme une défectuosité naturelle7 et que la nature des femmes se rapprochait de celle des enfants8. Plusieurs dizaines d’années auparavant, Platon avait affirmé que « la femme est dans toutes (les fonctions) inférieure (é ° ) à l’homme »9. Avec une telle mentalité, on pourrait être surpris que de très nombreux traités du Corpus hippocratique aient été consacrés en entier ou en partie aux maladies des femmes, plus précisément au problème de la stérilité féminine. Ce serait oublier l’affirmation de W.K. Lacey d’après laquelle « Living together ( ") is the Greek for being married, and the procreation of children was its explicit object »10. Danielle Gourevitch fait une constatation assez analogue à propos du monde romain lorsqu’elle écrit : « L’ancien mariage romain consistait à faire passer une femme d’une famille à une autre, dans le but important mais limité de la procréation… La femme est un objet procréateur (ce qui n’est nullement un objet sexuel)… »11. 4

Cf. G.A. I, 20, 728a 17-18. Cf. G.A. II, 3, 737a 27-28. 6 Cf. G.A. IV, 3, 767b 8. 7 Cf. G.A. IV, 6, 775a 15-16. 8 Cf. G.A. V, 3, 784a 5. Sur ce préjugé, cf. mon livre Recherches sur les grands traités biologiques d’Aristote : sources écrites et préjugés, Bruxelles, Palais des Académies, 1980, p. 210-222. 9 PLATON, République V, 455e ; cf. aussi République V, 456a et Timée, 90e. 10 W.K. LACEY , The Family in Classical Greece, LondonSouthampton, 1968, p. 110. 11 Danielle GOUREVITCH , Le mal d’être femme. La femme et la médecine dans la Rome antique, Paris, Les Belles Lettres, 1984, p. 21. 5

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Enfin, si nous voulions définitivement être convaincus de l’importance cruciale de la procréation dans la mentalité antique, nous devrions nous souvenir que l’examen des ex-voto d’Épidaure nous révèle que la stérilité est le fait de 15% des consultants, ce qui représente plus de la moitié des femmes s’étant rendues au temple12. Les médecins du Corpus hippocratique, en étudiant la question de la fécondité et de la stérilité, répondaient donc en fait à un problème de société. Dans une société où il était extrêmement important, capital, pour un couple de procréer, il était naturel que les médecins se soient penchés sur l’aspect médical de la procréation, en recherchant les moyens de la favoriser, en essayant de découvrir les causes de la stérilité et ses traitements. Les textes littéraires contemporains des traités hippocratiques sont innombrables pour révéler que la naissance d’un enfant — et surtout celle d’un fils — apparaissait comme le bonheur suprême et que la procréation constituait presque l’unique finalité du mariage. Force me sera de me contenter de citer quelques grands textes, au milieu d’une centaine de témoignages13. Je me limiterai à la citation de vers d’Euripide et, plus rapidement, à celle de quelques passages de Platon et d’Aristote. Aux vers 418 et 419 de la pièce qui porte son nom, Andromaque s’écrie : « Pour tous les hommes, je le sais, les enfants sont la vie »14. Aux vers 620-622 de l’Alceste, le vieux Phérès rend grâce à l’héroïne défunte de ne pas l’avoir laissé ê :

12

Cf. Jean-Nicolas CORVISIER, Santé et société en Grèce ancienne, Paris, 1985, p. 163. 13 Le lecteur trouvera tous ces textes réunis par Georges RAEPSAET, dans son excellent article « Les motivations de la natalité à Athènes aux Ve et IVe siècles avant notre ère », in L’Antiquité Classique, 1971, p. 80-110. 14 EURIPIDE , Andromaque, 418-419 (trad. Marie Delcourt, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1962).

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Il faut honorer la dépouille de celle qui est morte pour te laisser, mon fils, en vie, celle à qui je dois de ne pas rester sans enfant (ê), à user, privé de toi, mes vieilles années dans le deuil.

Dans la même tragédie, Admète invective son père et il évoque ainsi quelques motivations de la natalité : Allons, ne perds pas plus de temps, engendre des enfants qui te nourriront quand tu seras vieux ( Æ), qui, lorsque tu mourras, pareront ton cadavre et dresseront ton dernier lit. Ma main refusera de t’inhumer ; si je rencontre un autre sauveur et si je vois la lumière, je dis que je suis son fils et le soutien bienveillant de sa vieillesse ( ! Ò ) 15.

L’antistrophe du premier stasimon de l’Ion est un chant qui célèbre la procréation : Le plus grand bonheur pour les hommes est solidement établi quand dans les chambres des époux fleurissent de jeunes vies prometteuses de fruits. Les fils recevront de leurs pères le riche patrimoine qu’ils transmettront un jour à leurs propres enfants. Dans le malheur, des fils sont notre force, notre joie dans la bonne fortune. Quand vient la guerre, à leur patrie, leur lance apporte salut et victoire. Plus que les trésors, plus que le lit d’un roi, j’estime la joie d’élever chez moi mes propres enfants. Une vie sans enfants (ê ) me ferait horreur, honte à celui qui la préfère ! Je ne demande que peu de biens, pourvu qu’en mes enfants je sois bénie16.

Une fois encore, ce texte contient un cri de haine contre l’é !, la stérilité qui, si elle peut être encore aujourd’hui un sujet de grande préoccupation, était, dans la Grèce des Ve et IVe siècles, une authentique obsession. Dans l’Iphigénie en Tauride, Oreste, s’adressant à Pylade, révèle que le souhait le plus cher au cœur d’un 15

EURIPIDE , Alceste, 662-668 (trad. Marie Delcourt modifiée). EURIPIDE , Ion, 472-491 (trad. Marie Delcourt). Le mot é ! apparaît au v. 511 de l’Ion (Créuse, femme de Xouthos, est restée stérile). 16

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Grec est de ne pas voir son nom (ˆμ), sa famille ( Òμ) s’éteindre avec lui : Sauve ta vie. Tu auras des enfants de ma sœur que je t’ai donnée pour épouse, et mon nom (ˆμ) survivra, et l’on ne verra pas s’éteindre ma maison ( Òμ) faute de descendant17.

Ce désir d’immortalité du genre humain est explicité par plusieurs textes de Platon et d’Aristote. En effet, Platon considérait que toutes les actions des animaux visent à la reproduction d’un être nouveau et semblable afin de participer à l’immortalité, autant qu’il est possible à la nature mortelle. Pourquoi, demande Diotime à Socrate, les bêtes (qui ne sont pas guidées par la réflexion) sont-elles prêtes à se battre les unes contre les autres, à souffrir de la faim et même à sacrifier leur vie pour assurer leur descendance ? Ce n’est pas par un choix réfléchi, mais par une tendance profonde et inconsciente que l’être vivant vise à la reproduction18. La nature mortelle cherche, selon ses moyens, à se perpétuer et à être immortelle ; or le seul moyen dont elle dispose pour cela, c’est de produire de l’existence, en tant que perpétuellement à la place de l’être ancien elle en laisse un nouveau…19

De même, à propos de l’espèce humaine, Platon déclare dans Les Lois que : La race humaine a une affinité naturelle avec l’ensemble du temps, qu’elle accompagne et accompagnera à travers la durée, c’est par là qu’elle est immortelle, en laissant des enfants de ses enfants, et ainsi, grâce à la permanence de son unité toujours identique, en participant par la génération à l’immortalité20.

À son tour le Stagirite écrira : 17

ID, Iphigénie en Tauride, 695-698 (trad. Marie Delcourt). Cf. PLATON, Banquet, 207a-c. 19 ID., ibid., 207d (trad. Léon Robin). 20 PLATON, Les Lois IV, 721c (trad. É. des Places). Cf. aussi Lois VI, 773e. 18

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La plus naturelle des fonctions pour tout être vivant parfait, qui n’est pas incomplet ou dont la génération n’est pas spontanée, c’est de produire un autre vivant semblable à soi : l’animal produit un animal, la plante une plante, pour participer à l’éternel et au divin autant que possible…21

Les quelques textes que j’ai cités, depuis ceux d’Euripide jusqu’à celui d’Aristote, nous expliquent, pourquoi les problèmes de stérilité (et de fécondité) occupent une énorme place dans la vie sociale, politique, économique, militaire et artistique. Comme l’a bien écrit W.K. Lacey, « The high value placed on children also made a fertile wife much valued »22. La stérilité était la maladie de la femme, par excellence. Dans la mentalité courante des Anciens, la stérilité était considérée comme un fléau (μÒ), c’est-à-dire comme un châtiment envoyé par les dieux et frappant la collectivité23. Hésiode déjà nous fournit plusieurs exemples de cette conception24, comme celui-ci : Souvent même une ville entière se ressent de la faute d’un seul, qui s’égare et trame le crime. Sur eux, du haut du ciel, le Cronide fait tomber une immense calamité, pestilence et famine à la fois. Les hommes se meurent, les femmes cessent d’enfanter, les maisons dépérissent, par le conseil de Zeus Olympien 25.

Hérodote, l’exact contemporain des plus anciens hippocratiques et qui vécut environ deux siècles après le poète d’Ascra, atteste de la même mentalité. C’est ainsi qu’il relate le cas des Pélasges punis par les dieux pour avoir accompli une action répréhensible à leurs yeux : 21

ARISTOTE, De l’Âme II, 4, 415a 25-31 (trad. E. Barbotin). J’ai rassemblé les textes de Platon et d’Aristote cités supra dans mes Recherches…, op. cit., p. 373-374. 22 W.K. LACEY , op. cit., p. 169. 23 Cf. Marie DELCOURT, Stérilités mystérieuses et naissances maléfiques dans l’antiquité classique, Paris, 1938. 24 Cf. HÉSIODE, Les Travaux et les Jours, 225-237 ; 240-245. 25 HÉSIODE, Les Travaux et les Jours, 240-245 (trad. Paul Mazon).

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Après que les Pélasges eurent fait périr leurs propres enfants et leurs femmes, la terre ne produisit plus de récolte, ni les femmes, ni les troupeaux n’engendrèrent comme avant. Accablés par la famine et le manque d’enfants (é !˙), ils envoyèrent à Delphes une ambassade pour demander d’être délivrés des maux présents26.

Ailleurs, Hérodote évoque l’impuissance sexuelle de certains Scythes ; il nous rapporte que, parvenus à la ville syrienne d’Ascalon, quelques Scythes pillèrent le temple d’Aphrodite Ourania : Ceux des Scythes qui pillèrent le temple d’Ascalon et leurs descendants à perpétuité furent frappés par la déesse d’une maladie de femme ; le fait est que les Scythes expliquent leur maladie de cette façon, et que les voyageurs qui se rendent en Scythie peuvent constater par eux-mêmes leur état ; les Scythes les appellent Énarées27.

À la même époque, l’auteur du traité Des airs, des eaux et des lieux, à la différence d’Hérodote, refuse le caractère divin de la maladie scythe, de cette impuissance ou stérilité masculine (les deux affections restant confondues) ; il ne se contente pas, comme l’historien, d’un récit légendaire, fabuleux et mythique ; il en recherche une explication qui, si elle n’est pas scientifique, est néanmoins rationnelle. Le médecin hippocratique rapporte que la grande majorité des Scythes est frappée d’impuissance… on les appelle Anaries. Les indigènes attribuent la cause ( #! ) de cette impuissance à la divinité ( “) ; ils honorent et adorent cette espèce d’hommes, chacun craignant pour sa personne une pareille affection. Pour ma part, je pense que cette maladie est divine et que toutes les autres le sont et qu’aucune n’est plus divine ou humaine qu’une autre. Chaque

26

HÉRODOTE, Histoires VI, 139 (trad. Anne-Françoise De Ranter). 27 HÉRODOTE, Histoires I, 105 (trad. Ph. E. Legrand).

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affection a sa nature propre et aucune ne se produit sans sa cause naturelle…28

L’auteur hippocratique propose alors une étiologie de l’affection : la pratique de l’équitation cause aux plus riches des Scythes des gonflements aux articulations ; ils se soignent en se coupant la veine placée derrière l’oreille ; or, pense l’auteur, la semence génitale est détruite par ce traitement, car il y a des veines derrière les oreilles qui, si on les coupe, causent l’impuissance de ceux qui ont subi cette opération. L’explication n’a pas, pour le médecin d’aujourd’hui, de valeur scientifique mais elle est indubitablement rationnelle. Il nous faut faire nôtre l’opinion de Robert Joly quand il note : « il est clair selon nous qu’une médecine qui a rompu avec la magie et l’explication religieuse n’est pas encore nécessairement et par le fait même scientifique. Elle est certainement rationnelle, mais il peut y avoir encore un abîme entre “rationnel” et “scientifique” »29. Le chapitre 22 du traité Des airs, des eaux et des lieux est l’un des seuls textes de la Collection qui envisage l’impuissance (ou la stérilité) masculine. Effectivement, pour la mentalité antique, particulièrement pour celle des époques archaïque et classique, la stérilité était principalement le fait de la femme et c’est très exceptionnellement que, au sein du couple, l’homme était accusé de stérilité. 28

Des airs, des eaux et des lieux, 22 (trad. personnelle). Sur ce texte célèbre, voir en dernier lieu Alain Ballabriga, « Les eunuques scythes et leus femmes », in , vol. I, 1 (1986), p. 122-138. Cf. aussi à propos de la différence d’attitude entre Hérodote et l’auteur d’A.E.L., Jeanne DUCATILLON, Polémiques dans la Collection hippocratique, Lille, 1977, p. 151-157. Sur la date d’A.E.L., voir l’état de la question par Antoine THIVEL, « L’explication des maladies dans le traité hippocratique Des Airs, des Eaux et des Lieux, in Hommage à Jean Granarolo, Les Belles Lettres, 1985, p. 129-130 et n. 2. A. Thivel placerait plutôt ce traité entre 430 et 420. 29 Robert JOLY, Le niveau…, op. cit., p. 5.

126

Ce préjugé, démenti par la médecine contemporaine30, est très certainement la conséquence de l’image de la femme, image véhiculée pendant toute l’antiquité. Comme nous l’avons dit au début de notre exposé, la femme passe pour un être inférieur, un être à μ  négative31, responsable du malheur de l’homme. Il suffit de se souvenir qu’Hésiode, par exemple, considère que la femme est pour les hommes un grand malheur (μ°   μ), un mal, un malheur (Ò  μ)32 et surtout que c’est elle qui disperse par le monde « les maladies douloureuses qui apportent le trépas aux hommes »33. C’est cette idéologie masculine qui explique que ce soit la femme qui sera jugée presque toujours responsable de la stérilité du couple et que tant de textes hippocratiques seront consacrés à l’étude de sa stérilité. Outre le chapitre 22 du traité Des airs, des eaux et des lieux, quelques très rares textes du Corpus envisagent aussi une responsabilité masculine34. Lorqu’on étudie les causes de la stérilité féminine dans les écrits du Corpus hippocratique, il faut se souvenir que les médecins des Ve et IVe siècles ignoraient complètement l’existence des ovaires35 et des trompes 30

Cf. H. DE TOURRIS , M. LE GUILLOU , Ch. BOCQUENTIN, Abrégé d’andrologie, Paris, Masson, 1976, p. 96 estiment que la stérilité masculine serait dans 15 à 40% des cas responsable de la stérilité conjugale. 31 Cf. mon article « Le thème de la mètis de la femme dans la littérature grecque », in Grec et Latin en 1980, Bruxelles, 1980, p. 110. 32 Cf. HÉSIODE , Les Travaux et les Jours, 54-58 ; 79-82 (passim). 33 ID., ibid., 92. Cf. le début du v. 94 Éå Æ … 34 Cf. Des lieux dans l’homme III, 4-5 (éd. R. Joly, p. 42) ; De la génération II, 1-3 (éd. R. Joly, p. 45-46) ; Aphorismes V, 63 (L IV, 557) ; Régime II, LIV, 4 (éd. R. Joly–S. Byl, p. 177). 35 Il est possible que ce soit Hérophile qui ait découvert les ovaires et leur rôle dans l’élaboration du « sperme » (cf. G ALIEN, De

127

utérines et qu’ils considéraient que le seul organe génital féminin était la matrice36. Malheureusement, les médecins connaissaient d’autant moins bien cet organe qu’ils ne pratiquaient généralement pas eux-mêmes le toucher vaginal : les examens gynécologiques et les accouchements étaient d’ordinaire pratiqués par les sagesfemmes37. L’auteur des Maladies des femmes I se lamente ainsi sur les conséquences très sérieuses dues à la « pudeur alarmée de femmes » : Souvent, chez les femmes qui ne connaissent pas la source de leurs souffrances, les maladies sont devenues incurables, avant que le médecin ait été instruit par la malade de l’origine du mal. En effet, par pudeur (# °), elles ne parlent pas, même quand elles savent ; et l’inexpérience et l’ignorance leur font regarder cela comme honteux (#Ò) pour elles » 38.

Semine II, 1 = K IV, 596-597). Sur la découverte d’Hérophile, cf. Jutta KOLLESCH, « Galens Auseinandersetzung mit der aristotelischen Samenlehre », in Aristoteles Werk und Wirkung II, Berlin-New York, de Gruyter, 1987, p. 17-19. 36 Æ apparaît 485 fois dans le Corpus hippocratique, Í°, 307 fois. Cf. Gilles MALONEY et Winnie FROHN, Concordance des œuvres hippocratiques, Québec, 1984, s.v. (soit 792 emplois de mots qui désignent la matrice). 37 Cf. Danielle GOUREVITCH , op. cit., p. 219 et du même auteur « Pudeur et pratique médicale dans l’Antiquité classique », in La Presse médicale, 2 mars 1968, p. 544-546. Voir notamment Maladies des femmes I, 59 (L VIII, 119) ; Nature de la femme, 6 (L VII, 321). À propos du toucher vaginal, voir aussi Louis BOURGEY , Observation et expérience chez les médecins de la Collection hippocratique, Paris, Vrin, 1953, p. 177 et la n. 6 qui se termine ainsi : « Cependant, et cette lacune surprendra, on n’utilise pas le toucher vaginal pour reconnaître la grossesse. » 38 Malades des femmes I, 62 (L VIII, 127). Sur ce sentiment de pudeur, voir aussi EURIPIDE , Hippolyte, 293-296. Cf. sur ces deux textes, Jackie PIGEAUD , La maladie de l’âme. Étude sur la relation de l’âme et du corps dans la tradition médico-philosophique antique, Paris, Les Belles Lettres, 1981, p. 395-396.

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Les médecins hippocratiques vont, la plupart du temps, rendre la matrice responsable de la stérilité39. C’est ainsi qu’ils vont considérer, dans tous les cas, la déviation utérine, sur laquelle nous allons revenir, comme cause de cette affection. Les gynécologues contemporains sont loin de partager cet avis. C’est ainsi que Jean Cohen et Raoul Palmer, dans leur Abrégé de stérilité conjugale40, précisent que les rétrodéviations utérines sont souvent incriminées à tort comme cause de stérilité. Parmi les innombrables textes hippocratiques41 qui associent les déviations de la matrice ou de l’orifice utérin et la stérilité, je mentionnerai un passage du traité De la nature de la femme : Si la matrice est déviée, les règles ne paraissent pas et la semence n’est pas produite42.

Or, pour les médecins hippocratiques, la conception est le résultat de la rencontre de la semence de l’homme avec celle de la femme43. Si la semence féminine fait défaut, il est inévitable que la conception n’ait pas lieu. Si les déviations de la matrice constituent pour les auteurs du Corpus la principale cause de la stérilité, elles sont 39

L’auteur des Lieux dans l’homme XLVII (L VI, 344-348 = p. 77-79 éd. R. Joly) dit sans ambages que « la matrice est la cause de toutes les maladies (de femme)… ». 40 Paris, Masson, 1979, p. 98. G. HENRY et ses collaborateurs, dans leur Précis de gynécologie, Paris, Masson, 1979, p. 42, 474-475 sont d’avis que la majorité des déviations utérines — et notamment les rétro-déviations qui sont de loin les plus nombreuses — n’entraîne aucune conséquence sur la vie sexuelle de la femme mais ils ajoutent néanmoins que l’hyperantéflexion se manifeste chez la femme jeune par deux signes : la dysménorrhée et la stérilité (les latéro-déviations ne nécessitant aucun traitement). 41 Cf. De la nature de la femme, 14 (L VII, 332), 40 (L VII, 384), 6 (L VII, 320), 8 (L VII, 332), Maladies des femmes II, 131 (L VIII, 278), 134 (L VIII, 302), 135 (L VIII, 306), 137 (L VIII, 308), 132 (L VIII, 280) ; Des femmes stériles III, 213 (L VIII, 408) ; Maladies des femmes I, 10 (L VIII, 40), 2 (L VIII, 20), 13 (L VIII, 50)… 42 L VII, 386. 43 Cf. par exemple De la génération V, 1-2 (éd. R. Joly, p. 48).

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néanmoins loin d’être les seules. Nous pouvons en dénombrer une quinzaine. Il y a la fermeture de l’orifice utérin, pathologie qui se signale par la disparition plus ou moins complète des règles, par la douleur, par l’impossibilité pour la matrice de recevoir le sperme. C’est le toucher qui permet de reconnaître les cas d’orifice utérin fermé44. À sept reprises, les auteurs mentionnent comme cause de stérilité les ulcérations de la matrice et de l’orifice utérin45. Ces ulcérations sont dues à des règles purulentes (car, sans doute, elles ne se sont pas écoulées plusieurs fois de suite) qui, séjournant un certain temps dans la matrice, causent la mort de la femme ou sa stérilité. Quelques textes signalent comme cause l’ouverture excessive de la matrice46. C’est ainsi que l’auteur du traité Des femmes stériles III écrit que quand la matrice est plus béante qu’il ne faut (μç Ë Ë), c’est encore un empêchement de conception ; car elle ne retient pas le sperme ; cela aussi est reconnaisable par le toucher 47.

L’excès a toujours été détesté par les Grecs tandis que le juste milieu a toujours été prôné. Pour les médecins grecs, la santé est-elle autre chose qu’un juste milieu ? C’est ce qu’ont affirmé Alcméon, Polybe, dans la Nature de l’homme, l’auteur du Régime et tant d’autres48. La maladie est-elle autre chose qu’une rupture d’équilibre ? 44

Les textes qui abordent cette étiologie sont les suivants : De la nature de la femme, 7 (L VII, 320), 39 (L VII, 382) ; Des maladies des femmes I, 13 (L VIII, 50) ; Des maladies des femmes II, 146 (L VIII, 322), 162 (L VIII, 338), 163 (L VIII, 342) ; Des femmes stériles III, 228 (L VIII, 436). 45 Cf. Des maladies des femmes I, 2 (L VIII, 20), 3 (L VIII, 24), 8 (L VIII, 36), 67 (L VIII, 140) ; De la nature de la femme, 21 (L VII, 340) ; Des femmes stériles III, 213 (L VIII, 408), 230 (L VIII, 438). 46 Cf. Des femmes stériles III, 213 (L VIII, 412), 241 (L VIII, 454) ; De la nature de la femme, 45 (L VII, 390). 47 Des femmes stériles III, 213 (L VIII, 408). 48 Pour les références précises, voir mes Recherches…, op. cit., p. 249, n. 57.

130

De plus, une image, fondée sur une conception anthropomorphique de la matrice, explique aussi cette dernière cause de stérilité : la matrice est un être vivant (“)49 dans un autre être vivant, la femme ; elle possède une bouche (Òμ), un col (ÈÆ, ã ). Or, une bouche trop béante ne retient pas l’aliment dont elle devrait se saisir. L’excès est aussi considéré comme une cause de stérilité, quand il s’agit de l’humidité de la matrice. Mais seul l’auteur du traité Des maladies des femmes I en fait mention : Si l’orifice utérin est trop humide (Í Ò ), la matrice ne peut attirer la semence50.

Outre du pus51 et des callosités52, les auteurs mentionnent plusieurs fois comme cause une inflammation de la matrice ou métrite53. Dans notre XXe siècle, les gynécologues savent que les infections utérines sont plutôt rares car la matrice est protégée de l’infection par la desquamation de l’endomètre à chaque menstruation54. D’après le traité Des femmes stériles III55, une matrice qui est lisse reçoit le sperme mais ne le retient pas. Le lecteur d’aujourd’hui a le sentiment que le sperme glisse, dans ce cas, hors du récipient qu’est l’utérus. Les traités De la nature de la femme et Des maladies des 49

Cf. PLATON , Timée, 91b-c. Si l’image n’est pas explicite dans le Corpus hippocratique, elle est certainement implicite. 50 Des maladies des femmes I, 18 (L VIII, 58). Voir aussi Maladies des femmes I, 10 (L VIII, 40), 12 (L VIII, 48). 51 Cf. Des femmes stériles III, 226 (L VIII, 428). 52 Cf. ibid., 244 (L VIII, 458). 53 Cf. Maladies des femmes II, 169 (L VIII, 348), 170 (L VIII, 350), 171 (L VIII, 350). Voir aussi De la nature de la femme 11 (L VII, 326). 54 Cf. H. DE TOURIS et R. HENRION, Abrégé de gynécologie et d’obstétrique, Paris, 1973, p. 96. 55 Cf. Des femmes stériles III, 213 (L VIII, 420). Voir aussi De la nature de la femme, 46 (L VII, 390).

131

femmes II56 affirment que si la matrice se remplit de vent, la conception est impossible. Les deux mêmes traités57 soutiennent aussi que si des caillots sanguins se forment dans la matrice, ils obstruent l’orifice, ce qui a pour résultat que les règles ne s’écoulent pas et que la semence n’est pas retenue. Ce sont toujours les deux mêmes traités qui, à plusieurs reprises58, mentionnent une pathologie responsable de la stérilité féminine : le cancer de la matrice. L’auteur du traité Des maladies des femmes II59 explique que si la matrice devient squirrheuse, c’est-à-dire cancéreuse, les menstruations disparaissent, l’orifice utérin se ferme, l’endroit atteint est dur et la femme est incapable de concevoir. En réalité, le cancer utérin décrit par les deux traités gynécologiques est une affection qui touche plus particulièrement les femmes ménopausées (dans huit cas sur dix) qui souffrent également d’hypertension, de diabète ou d’obésité. Les symptômes en sont la métrorragie (contrairement à ce qu’avancent les auteurs du Corpus qui parlent de suppression des règles) et la leucorrhée60. Les auteurs, coaques aussi bien que cnidiens61, sont d’avis qu’un orifice utérin gras ou bouché par la graisse constitue un obstacle à la conception. Mais je reviendrai sur le problème de l’embonpoint. Les médecins hippocratiques ont toujours considéré que les variations qualitatives et quantitatives des menstruations pouvaient être une cause de stérilité. Mais, même dans ce

56

Cf. De la nature de la femme, 41 (L VII, 384) ; Maladies des femmes II, 154 (L VIII, 328), 177 (L VIII, 358), 179 (L VII, 362). 57 Cf. De la nature de la femme, 42 (L VII, 386) ; Maladies des femmes II, 165 (L VIII, 344). 58 Cf. De la nature de la femme, 36 (L VII, 378), 37 (L VII, 380), 31 (L VII, 346) ; Des maladies des femmes II, 156 (L VIII, 330). 59 Cf. Des maladies des femmes II, 156 (L VIII, 330). 60 Cf. H. DE TOURRIS et R. HENRION, Abrégé…, op. cit., p. 96. 61 Des maladies des femmes I, 13 (L VIII, 52) ; Des airs, des eaux et des lieux, 21 (L II, 76).

132

cas, c’est la matrice qui reste responsable de la stérilité car, comme l’écrit l’auteur des Aphorismes V, 57, les règles étant trop abondantes, il survient des maladies (Ë) ; les règles ne coulant pas, les maladies (Ë) qui naissent viennent de la matrice (çÚ   Í° ) 62.

Les médecins estiment que les règles purulentes63, bilieuses64 et pituiteuses65 entraînent la stérilité. Pour comprendre cette pathologie fantaisiste, il faut évidemment se souvenir que « le médecin hippocratique dit fréquemment qu’un malade vomit de la bile ou du phlegme, ces deux humeurs étant responsables de l’essentiel des maladies internes. Beaucoup de lecteurs, même spécialisés, prennent ces déclarations pour argent comptant. Or, le phlegme est une notion extraordinairement vague et la bile hippocratique n’est pas du tout la bile de notre médecine. Elle est certes déjà liée au foie, mais un flux de bile peut circuler à peu près partout dans le corps, atteindre n’importe quel organe, causer par ses flux les maladies les plus diverses… La bile hippocratique est un mythe, une croyance que le médecin grec croit observer tous les jours »66. Les médecins hippocratiques se sont longuement attardés sur les modifications quantitatives des règles. C’est ainsi que plusieurs textes ont été consacrés à la disparition des menstruations67 considérée comme cause de stérilité. Il est plus que probable que les médecins avaient constaté que certaines femmes souffrant de stérilité voyaient leurs règles s’interrompre et ils en avaient conclu tout naturellement que cet arrêt ou cette interruption était 62

L IV, 552. Cf. Des maladies des femmes I, 2 (L VIII, 20). 64 Cf. ibid. I, 8 (L VIII, 34). 65 Cf. ibid. I, 9 (L VIII, 38). 66 R. JOLY, Hippocrate au lycée, FPGL, 1985, p. 21. 67 Cf. Des maladies des femmes I, 3 (L VIII, 22) ; Nature de la femme, 18 (L VII, 338) ; Des femmes stériles III, 213 (L VIII, 410). Voir aussi Maladies des femmes I, 2 (L VIII, 14). 63

133

responsable de cette stérilité : ils établissaient ainsi un lien de cause à effet qui n’existe pas. L’aménorrhée est, en effet, un symptôme d’une autre pathologie. Ses causes sont multiples : générales (tuberculose, cirrhose), utérines, ovariennes, hypophysaires ou hypothalamiques68 que les médecins hippocratiques ne pouvaient même pas imaginer. L’auteur du traité Des maladies des femmes I69 considère aussi que des menstruations excessives peuvent entraîner la stérilité ou même la mort. Il estime curieusement que ce sont des femmes, qui commettent des excès de nourriture et de relations sexuelles, qui sont atteintes de cette affection qui aurait été ainsi, comme la goutte70, le châtiment d’un genre de vie. De toute façon, l’auteur a considéré, ici encore, comme responsable de la stérilité féminine ce qui n’est qu’un symptôme d’une autre pathologie. La polyménorrhée peut être observée chez la jeune fille comme chez la femme adulte et elle résulte d’affections différentes71. Si les médecins hippocratiques n’ont pas complètement ignoré ce que nous nommons aujourd’hui les causes iatrogènes provoquant la stérilité, comme des remèdes trop actifs72, des médecins, tant cnidiens que coaques, ont considéré que l’embonpoint était l’une des causes possibles de la stérilité. Font mention de cette étiologie les auteurs du traité Des airs, des eaux et des 68

45.

Cf. H. DE TOURRIS et R. HENRION , Abrégé…, op. cit., p. 40-

69

Cf. Des maladies des femmes I, 6 (L VIII, 28-30). Cf. Danielle GOUREVITCH, Le triangle hippocratique dans le monde gréco-romain, Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 1984, p. 164-216 et du même auteur « Gout in GrecoRoman Nonmedical Literature », in Art, History and Antiquity of Rheumatic Diseases, Brussels, Elsevier (ed. Thierry Appelboom), p. 66-68. 71 Cf. H. DE TOURRIS et R. HENRION, Abrégé…, op. cit., p. 37 ; p. 79-96. 72 Cf. Nature de la femme, 21 (L VII, 340) ; Des femmes stériles III, 230 (L VIII, 438) ; Maladies des femmes I, 67 (L VIII, 140). 70

134

lieux73, de la Ve section des Aphorismes74 et de la Nature de la femme75. Les médecins ont correctement observé que de nombreuses femmes obèses ne conçoivent pas mais ils ont établi, ici aussi, un lien de cause à effet qui n’existe pas. En réalité, l’obésité peut être une des manifestations d’une pathologie portant le nom de syndrome de Stein-Leventhal (problème de dystrophie ovarienne) dont un autre symptôme est précisément la stérilité76. Il nous reste à mentionner une cause. L’auteur Des airs, des eaux et des lieux soutient que dans une cité ouverte aux vents froids, les eaux seront dures, froides et sèches et que les femmes sont stériles77. Il y a exactement cinquante ans, dans une thèse restée inédite, je faisais l’hypothèse que si les femmes sont stériles, c’est que   Ò est proche de ° , dur78. La stérilité hippocratique n’est-elle pas souvent en définitive une dureté, ou une résistance, un obstacle, une « fermeture » ? 73

Cf. Des airs, des eaux et des lieux, 21 (L II, 76). Cf. Aphorismes V, 46 (L VII, 548). 75 Cf. Nature de la femme, 21 (L VII, 340). 76 Cf. H. DE TOURRIS et R. HENRION, Abrégé…, op. cit., p. 144. 77 Cf. Des airs, des eaux et des lieux, 4 (L II, 22). 78 Cf. H IPPOCRATE, Des airs, des eaux et des lieux. Traduction et commentaire, ULB, 1962, p. 91, p. 136. Andrea BOZZI, Note di lessicografia ippocratica. Il trattato sulle arie, le acque, i luoghi, Roma, 1982, p. 64 note à propos de ce terme : « L’agggetivo… è sinonimo di  " attestato in relazione alle sterilità dei bovini, a partire dai poemi omerici (cfr. Od. 10, 522), °  si legge in Aristofane (cfr. Th. 641), Platone (Tht. 149b) ed Aristote (cfr. H.A. 611a 12) : in Teofrasto (C.P. 2, 11, 1) è riferito al mondo vegetale. » Le mot   Æ dans les Thesmophories, 641 a été relevé par Harold W. MILLER, « Aristophanes and Medical Language », in Amer. Philol. Ass. Tr. and Pr., 76, 1945, p. 83 qui signale aussi (n. 27) que la correction par Coray du passage hippocratique est universellement acceptée (Coray a corrigé la leçon des manuscrits en  ! ). Sur l’obstacle, la « fermeture » provoquant la stérilité, cf. aussi Robert JOLY, Le niveau…, op. cit., p. 60, p. 190. 74

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Pour clore cette étude, nous allons tenter de situer le niveau scientifique des explications proposées et nous nous demanderons si les médecins hippocratiques n’auraient pu aller plus loin et, dans l’affirmative, pourquoi ils ne l’ont pas fait. À ces interrogations d’ailleurs, Robert Joly a répondu déjà dans un livre remarquable qui concerne la plupart des traités du Corpus79. Il nous faut bien admettre que ces médecins étaient très loin d’avoir une idée exacte de l’étiologie de la stérilité. Bien que, dans plusieurs cas, leurs observations aient été correctes, les praticiens ne sont pas parvenus à élever la gynécologie à un niveau authentiquement scientifique. De très nombreuses raisons expliquent cet état de choses. Il y a d’abord l’insuffisance des connaisances en anatomie : nous avons vu que les médecins hippocratiques ignoraient l’existence des ovaires et des trompes utérines. Il y a l’insuffisance des connaissances en physiologie : signalons ainsi la méconnaissance du système endocrinien. Ces médecins ne pouvaient pas pratiquer la dissection humaine80 et ils n’avaient pas les moyens, nécessitant une « technique de pointe », de mettre en évidence le rôle fondamental de l’hypothalamus, de l’hypophyse et des différentes hormones. Ils auraient pu cependant éviter toute une série d’erreurs ; ainsi, ils auraient pu se rendre compte qu’une pathologie comme la déviation utérine est rarement une cause de stérilité. Mais ils étaient surtout aveuglés par de nombreux obstacles épistémologiques, au sens où le grand 79

Cf. Robert JOLY, Le niveau…, op. cit., e.a. p. 60-77 (pour la gynécologie). Voir aussi du même auteur, son article « Un peu d’épistémologie historique pour hippocratisants », in Hippocratica. Actes du Colloque hippocratique de Paris, édités par Mirko D. Grmek, CNRS, 1980, p. 285-298. 80 Cf. sur ce sujet, Ludwig EDELSTEIN, « The History of Anatomy in Antiquity », in Ancient Medicine, Baltimore, 1967, p. 247-301.

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Bachelard entendait l’expression81, qui les amenaient à croire notamment que l’utérus, comme les humeurs, pouvait se déplacer comme bon lui semblait et provoquer, par ses mouvements et ses errances, des maladies telles que l’hystérie ou la stérilité. C’est ainsi qu’ils étaient intimement convaincus que des règles pouvaient être pituiteuses ou bilieuses et que la matrice pouvait se porter partout, éventuellement dans la tête et provoquer ainsi l’hystérie82. Ces médecins étaient sûrement victimes d’une conception anthropomorphique de la matrice, authentique “ avec une bouche qui s’ouvre ou se ferme, un cou et un nez puisqu’elle est influencée par les odeurs, bonnes ou fétides83. Cette conception aura la vie longue car si elle est attestée au Ier siècle de notre ère chez Arétée de Cappadoce84, elle se rencontre toujours chez Jean Liébaut et André du Laurens, au XVIIe siècle85. La matrice est un “ ; elle est également un é ", un récipient,

81

Cf. Gaston BACHELARD , La formation de l’esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective, Paris, Vrin, 19654, p. 11. 82 Cf. Maladies des femmes II, 123 (L VIII, 266). Voir I. VEITH, Histoire de l’hystérie, Paris, 1973 (édition originale, 1965) et Danielle GOUREVITCH, « L’aphonie hippocratique », in Formes de pensée dans la Collection hippocratique (Actes du Colloque de Lausanne, Genève, Droz, 1983, p. 297-305). Voir aussi Y. MALINAS et D. GOUREVITCH, Chronique anachronique, I. « Suffocation chez la femme enceinte », in Rev. fr. Gynécol. Obstétr., 1982, 77, 11, p. 753755. 83 Robert JOLY, Le niveau…, op. cit., p. 59, n. 1 cite à ce sujet : Maladies des femmes § 123, 125, 127, 128, 131, 143, 145, 149, 154, 201, Nature de la femme, § 3, 4, 14, 18, 41. 84 Cf. Signes et causes des maladies aiguës II, 11. 85 Cf. mon article « Survivance de quelques préjugés hippocratiques et aristotéliciens relatifs à la reproduction humaine dans les écrits médicaux et biologiques de l’“âge baroque” », in RBPH LXIV (4), 1986, p. 696.

137

comme l’a si bien dit Robert Joly86. Au long de notre étude, nous avons rencontré d’autres préjugés qui ont d’ailleurs sévi dans les sciences de la vie jusqu’à la fin du XVIIIe siècle : dévaluation du principe féminin, valorisation du juste milieu, absence de quantification ou de mesure… Nous n’adressons évidemment aucun reproche aux médecins de Cnide et de Cos dont les écrits ont retenu notre attention car, à l’instar de Robert Joly, nous pensons que « The proof of their success may be found in that for two millenia no better work was accomplished, and often worse was done »87.

86

Cf. Robert JOLY, Le niveau…, op. cit., p. 75 : « la physique du récipient ». 87 Robert JOLY, art. « Hippocrates of Cos », in Dictionary of Scientific Biography, vol. VI, p. 429 (New York, 1972).

138

Chapitre IX LA THÉRAPEUTIQUE PAR LE MIEL Au moins dès Homère, le miel1 est une substance très valorisée dans le monde grec. Si Aristote, au IVe siècle a.C., qualifiera l’abeille d’insecte divin ( ), Homère ne cessera d’insister sur la douceur de cet aliment2 et l’auteur de l’Hymne homérique à Hermès3 appellera le miel blond (μ°   Ò ) le doux aliment des dieux («  Æ ). Cette valorisation ne peut s’expliquer et se comprendre parfaitement que si l’on connaît les usages innombrables du miel chez les Anciens : cette substance a joué pour eux le même rôle que le sucre pour nous et elle était employée pour la pâtisserie, la confiserie, la pharmacie, la préparation des vins doux et les friandises. La valorisation du miel sera encore beaucoup plus évidente dans le Corpus Hippocraticum que dans les poèmes homériques : dans les traités du Corpus, les occurrences de μ°  et de ses

1

Les occurrences de μ°  et de ses principaux composés dans le Corpus hippocratique sont celles de G. MALONEY-W. FROHN , Concordance des œuvres hippocratiques, Québec, 1984. 2 ARISTOTE, GA III, 761a 4-5. Cf. aussi XÉNOPHON , Oec. VII, 32 ; PLATON, Ion, 534b-c ; Iliade I, 249 ; XVIII, 109 ; Odyssée XXIV, 68 ; XX, 69. 3 Hymne homérique à Hermès, 560-562.

139

principaux composés (μ   , Ù Êμ ,  ,

 Òμ , Ù μ   ) atteignent le chiffre de 542. En voici le détail : μ°  : 399 occurrences μ   : 112 occurrences Ù Êμ  : 12 occurrences

 : 16 occurrences

 Òμ  : 1 occurrence Ù μ   : 1 occurrence. Près des deux tiers des occurrences de μ°  (= 254) se rencontrent dans les traités gynécologiques. Cette fréquence très élevée s’explique par le fait que ces traités sont ceux qui offrent le plus grand nombre de préparations phamaceutiques : le miel jouant tantôt le rôle d’excipient, tantôt d’agent curatif. Après les traités gynécologiques, c’est le traité des Affections internes qui recommande le plus le miel (= 50 occurrences de μ°). Le miel est donc une substance thérapeutique (ou parfois nocive) la plus utilisée, comme l’indique le tableau que nous venons de dresser. C’est dans le traité des Affections que l’on trouve le plus bel éloge du miel comme celui du vin : « Le vin et le miel sont meveilleusement appropriés aux hommes, si, en santé comme en maladie, on les administre avec à-propos et juste mesure suivant la constitution individuelle. Ces substances sont bonnes prises seules ; elles sont bonnes aussi mélangées à d’autres »4. Les médecins hippocratiques se servaient aussi de breuvages ou de remèdes à base de miel tels que le mélicrat et l’oxymel. Le mélicrat (le mot figure déjà chez Homère, Odyssée X, 519 où il intervient dans une libation offerte aux morts) est en médecine du miel mélangé à de l’eau : c’est donc de l’hydromel. L’éloge le plus net de 4

Affections, 61 (VI, 270, 15-17 L). Cf. J. JOUANNA, Hippocrate, Paris, 1992, p. 238.

140

l’hydromel est proposé par l’auteur du Régime des maladies aiguës, 56 Joly (= 15, II, 344, 5 L) ; dans ce chapitre, le diététicien célèbre la force (Ê) de cette boisson, déclarant notamment que « l’hydromel, bu seul, est beaucoup plus fort que l’eau » et ajoutant même qu’il est plus fortifiant que certains vins légers. L’oxymel est une boisson ou plutôt un médicament fait d’un mélange de miel et de vinaigre. Avant d’aborder la thérapeutique par le miel, nous nous proposons d’abord de mentionner les procédés d’administration de la substance sucrée. Le malade « boira ( °) un mélange de miel, d’eau et de vinaigre » (Affections internes, 48, VII, 286, 24 L). En Maladies II, 45, 2 Jouanna = VII, 64, 3 L, dans un cas de « pleurésie », il est conseillé de donner à boire « un rayon de miel (  ) en le faisant macérer dans de l’eau, pour le rendre tout juste légèrement doux ; et associez ensuite de l’eau ». Le miel, s’il n’est pas pris en potion, peut l’être en éclegme, « bâton de réglisse (qui) est enduit d’un produit considéré comme actif et sucé lentement, pour rester longtemps en contact avec la partie malade »5. En Maladies III, 14 (VII, 136, 8 L), dans une description de la thérapeutique de l’iléus, l’auteur écrit : « auparavant, il (= le malade) prendra un éclegme de l’excellent miel ». En Régime des Maladies aiguës, Appendice 34, 1 Joly (11, II 466, 1 L) nous lisons « Électuaire pour la péripneumonie : du galbanum et de la graine de pomme de pin, dans du miel attique ». Le suppositoire de miel est souvent prescrit dans des affections des intestins. Ainsi en Maladies III, 14 (VII, 134, 21 L), dans un cas d’iléus : « On fera encore avec du miel seul un suppositoire (ã  ) long de dix doigts, on enduira l’extrémité avec de la bile de taureau ; ce suppositoire sera introduit et deux et trois fois, jusqu’à ce que tous les excréments calcinés dans le rectum soient expulsés ». Dans le petit 5

Note de D. GOUREVITCH, Soranos, 1990, p. 118, n. 306.

141

traité Des hémorroïdes 8 (VI 442, 15-17 L), l’auteur prescrit un suppositoire avec du miel pour traiter les hémorroïdes. Le pessaire de miel est très fréquemment recommandé dans les traités gynécologiques. Un pessaire pour concevoir ( Æ  Ò ) est mentionné dans le premier livre des Maladies des femmes 75 (VIII, 168, 3 L) : « Pessaire pour faire concevoir : miel, myrrhe, fruit de myrice, résine molle, graisse d’oie, piler le tout ensemble, rouler dans la laine et appliquer ». Le lavement ( Ê ) apparaît comme mode d’administration dans les différents traités gynécologiques, une seule fois dans celui des Affections internes, 42 (VII, 272, 14 L) dans un cas de dérangement intestinal avec fièvre : « Vous pouvez encore prescrire (ce lavement) : prenez une cotyle de mélicrat, râclez-y de la thapsie, et faites prendre en lavement. Le malade ainsi traité guérira très promptement ». Le verbe ° , infuser, est fréquemment employé dans les traités gynécologiques, notamment dans les passages suivants : « Si une femme […] ne devient pas enceinte […] mêlez du miel et du vin, et infusez dans les parties génitales » (Maladies des femmes stériles III, 227, VIII, 436, 11 L). Le miel est ici employé contre la stérilité. En Maladies des femmes II, 144 (VIII, 316, 20 L), l’auteur déclare qu’« il faut […] faire fondre du miel et de la résine à parties égales et infuser dans la vulve ». Les verbes signifiant oindre, tels que  ou  sont aussi utilisés dans la thérapeutique par le miel : ainsi en Maladies des femmes I, 65 (VIII, 134, 16 L), dans le cas d’une ulcération aiguë de l’utérus, l’auteur recommande de prendre du miel, d’en oindre les parties génitales ( ) et il insiste : « oindre ( ) aussi avec la résine, le miel et l’axonge ». L’onction peut être rendue aussi par é  ou même Í  , comme dans cette préparation ophtalmique dans Maladies des femmes I, 105 (VIII, 228, 11 L) : « Pour employer en onction sur 142

l’œil (Í  ) : miel aussi beau que possible, vin vieux doux, faire cuire ensemble ». Voyons maintenant en recourant à quelques grands textes hippocratiques, les qualités que les médecins attribuaient au miel, à l’hydromel et à l’oxymel. L’auteur du Régime II, 53 (VI, 556, 13 L) soutient que « le miel pur échauffe et dessèche ; avec de l’eau, il humecte et est laxatif pour les bilieux, mais resserrant pour les flegmatiques ». L’auteur du traité des Affections, 58 (VI, 266, 18 L) ne partage pas exactement le même avis, puisqu’il écrit : « le miel mangé avec autre chose est nourrissant et donne bon teint ; mais, mangé seul, il atténue plutôt qu’il ne restaure, car il pousse aux urines et aux selles ». Quant à l’hydromel, nous avons vu déjà que l’auteur du Régime des maladies aiguës, 56 insistait sur son caractère fortifiant. Comme l’a noté Jacques Jouanna6, c’est « l’auteur du Régime des maladies aiguës [c. LIV-c. LVII] qui (a entrepris) un vigoureux plaidoyer en faveur de cette boisson ». C’est le même auteur7 qui consacre un long développement à l’oxymel auquel fait allusion aussi l’auteur du traité des Maladies II, 44, 3 Jouanna = VII, 64, 10 L, dans un cas de « pleurésie » : « ensuite, versez sur le miel bouilli et le vinaigre, en fonction de la quantité restante, dix-neuf parties d’eau ». Jacques Jouanna, dont nous venons de donner la traduction, fournit le commentaire suivant : « Ce médicament à base de vinaigre et de miel bouillis avec de l’eau n’est autre que de l’oxymel »8. Nous avons étudié précédemment les procédés d’administration du miel aux malades ; nous allons maintenant rechercher les pathologies où le miel — rarement cité seul — est censé intervenir comme un agent thérapeutique. L’hydromel, l’oxymel et le mélicrat acidulé 6 7 8

J. JOUANNA, Hippocrate, Paris, 1992, p. 238. Régime des maladies aiguës, 58 Joly (16, II, 348, 7 s. L). J. JOUANNA, Hippocrate, Maladies II, Paris, 1983, p. 244.

143

(Ù μ   ) sont employés pour provoquer l’expectoration et calmer la toux ; l’hydromel amollit aussi le poumon, il le calme et fait remonter les crachats9. Pour un cas de « pleurésie », l’auteur du traité des Lieux dans l’homme, 17, 1 (VI, 308, 23 L) propose la thérapeutique suivante : « on prescrira pour boisson ou le mélicrat acidulé ou un mélange de vinaigre et d’eau ; on donnera cette boisson aussi abondamment que possible, afin qu’il y ait humectation et que l’humectation provoque l’expectoration ». Mais le miel n’agit pas que sur les voies respiratoires, car c’est une véritable panacée. Il traite aussi les hémorroïdes, intervient de multiples façons dans la thérapeutique gynécologique (pour aider la femme à concevoir, pour purger la matrice, pour soigner la stérilité, pour accélérer l’accouchement, pour soigner l’ulcération aiguë de la matrice) ; le miel est employé aussi pour cicatriser une plaie10. Sans doute, comme le signalent plusieurs pharmacologues, le miel a-t-il un pouvoir bactéricide11 mais aucun médecin ne songerait aujourd’hui à voir en lui une panacée. Le miel et ses composés passent aussi pour avoir la propriété de calmer la douleur : les textes qui le disent sont très nombreux. Devant de pareils textes, il faut se rappeler, comme nous avons tenté de le montrer dans notre communication du Colloque hippocratique de Madrid, qu’il y a pour les médecins hippocratiques une synonymie presque parfaite entre douleur et maladie. Le miel intervient dans une recette contre les douleurs 9

Cf. Régime des maladies aiguës, 53-54 Joly (15, II, 336, 8342, 11 L) ; 58 (16, II, 348, 7 ss. L) ; Affections internes 1 (VI, 166, 3 L) ; 4 (VI, 178, 3 L). 10 Cf. Maladies II, 33, 3 Jouanna = VII, 50, 18 L. 11 J. Worth ESTES, The Medical Skills of Ancient Egypt, Canton (Mass.), 1989, p. 68-71 ; H. MAJNO, The Healing Hand :Man and Wound in the Ancient World, Cambridge (Mass.)-London, 1975 [19912], p. 115-120.

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goutteuses12, contre les douleurs post partum13, dans la maladie de l’éructation14 ou dans les douleurs de la matrice15. Mais l’action du miel n’est pas toujours bénéfique. En effet, les médecins du Corpus signalent assez souvent des méfaits attribués au miel. L’auteur du traité du Régime des maladies aiguës, 59, 2 (II, 354, 1 L), après avoir fait l’éloge de l’oxymel, n’hésite pas à parler des méfaits du miel et de l’oxymel (pour cette boisson, il emploie le mot  ã). L’auteur des Épidémies VII, 47 (V, 414, 21 L) évoque le cas d’un patient qui, à la suite de fatigues et d’exercices, mangea du miel durant quelques jours. Cet homme devint incapable de se tenir debout et de marcher. L’auteur des Épidémies V, 71 (V, 244, 20 L) évoque le cas du pugiliste Bias qui tomba dans une affection cholérique « après avoir usé de viandes, surtout de porc succulent, de vin aromatique, de gâteaux, de friandises au miel (μ μã ) ». L’auteur des Affections internes, 42 (VII, 270, 7 L) évoque, lui aussi, une pathologie, un Ë , liée à l’absorption de friandises au miel (μ °  ). Les auteurs hippocratiques ne mentionnent cependant pas le diabète sucré sans doute à cause de sa rareté, alors que Galien le citera souvent. Gaston Bachelard 19654 avait raison de nous montrer qu’une substance valorisée est toujours ambivalente. Faute de temps, nous ne pourrons que décrire de façon très brève la survie de la thérapeutique par le miel dans l’Antiquité grecque. Le miel ou l’eau miellée sera recommandée pour l’enfant qui tousse aussi bien par Mnésithée que par Soranos. Mnésithée écrira : « S’il survient à l’enfant une toux ou un rhume […] lui faire 12

Cf. Maladies des femmes I, 98 (VIII, 224, 6 L). Cf. Maladies des femmes I, 51 (VIII, 108, 23 L). 14 Cf. Maladies II, 69 (VII, 104, 14 L). Dans ce chapitre, ÙÊ  apparaît 6 fois tandis que Ë  n’y figure qu’une seule fois. 15 Maladies des femmes II, 144 (VIII, 316, 13 L). 13

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manger beaucoup de miel et lui presser doucement la langue avec le doigt. Car il rend beaucoup de mucus »16. Au début de notre ère, Soranos donne ce conseil : « Nous donnons (à l’enfant qui tousse), goutte à goutte mais continuellement, de l’eau miellée (μ   ) »17. Aristote, au livre IX de l’Histoire des animaux, 40, 627a 3-4, écrit, à la suite d’auteurs du Corpus hippocratique, que « le (miel) blanc ne vient pas uniquement du thym, mais il est bon pour les yeux et pour les plaies ». Ces informations d’Aristote se trouvent respectivement en Maladies II, 33, 3 (VII, 50, 16 L), pour les plaies, et en Maladies des femmes I, 105 (VIII, 228, 11 L), pour les yeux. Le texte d’Aristote nous amène cependant à une remarque : le Stagirite mentionne l’origine du miel (ici le thym) tandis que les médecins, à une exception apparente près, ne le font pas. L’exception apparente, c’est l’auteur du traité des Plaies, 12 (VI, 414, 4 L) qui écrit μ° 

° le miel de cèdre. Émile Littré a précisé sa traduction par une explication entre parenthèses : liqueur découlant de l’arbre. Partout, pour désigner le miel, l’auteur des Plaies emploie uniquement μ° . Théophraste, dans l’Histoire des plantes IX, 20, 3 mentionne aussi le miel dans un contexte médical : « La racine du dracontium donnée dans du miel est utile pour faire cesser la toux ». Selon la Vie de Théophraste de Diogène Laërce V, 44, le disciple d’Aristote a écrit un traité en un volume Sur le miel. Dioscoride, dans sa Matière médicale II, 82, 1 est d’avis que le miel attique est le plus prisé de tous. L’auteur des Affections internes, 51 (VII, 296, 1 L), bien auparavant, avait fait entendre que

16

In J. BERTIER, Mnésithée et Dieuchès, Leyde, 1972, n° 20, p. 176-177. 17 In Maladies des femmes II, 22 Gourevitch (II, 54, 91, 8-12 Ilberg).

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le miel attique était le meilleur18. Aristophane, dans la Paix, 252-254, nous apprend que le miel attique était le plus cher. Galien, dans le De naturalibus facultatibus II, 8 (II, 123, 1 K) dira que le miel est excellent pour les vieillards mais nuisible aux tempéraments chauds. Il ne faut cependant pas oublier qu’à côté des textes littéraires la papyrologie nous apporte des renseignements précieux. Ainsi le P. Oxy 54.3724 (= Pack2 2410.11) de la fin du Ier siècle contient une recette d’é Æ (recette pour la trachée ou les bronches) renfermant notamment du miel et le P. Cairo Zen. 59.426 du IIIe siècle a.C. présente un remède à base de miel attique pour les yeux19.

18

Dans le Corpus, outre ce texte, deux passages recommandent le miel attique : Régime des maladies aiguës (Appendice) 34 Joly (= 11, II, 464, 12 s,s. L) ; Femmes stériles, 224 (VIII, 432, 13 L). 19 Cf. M.-H. MARGANNE, rec. CHOULIARA-RAÏOS, 1989, Bibliotheca Orientalis 48, 5/6, 1991, p. 837-841 ; Claire PRÉAUX, Les Grecs en Égypte d’après les archives de Zénon, Bruxelles, 1947, p. 36-37.

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Chapitre X L’ODEUR VÉGÉTALE DANS LA THÉRAPEUTIQUE GYNÉCOLOGIQUE

Pour bien comprendre la logique de la thérapeutique gynécologique du Corpus hippocratique, il faut avoir à l’esprit ce qu’écrit Danielle Gourevitch dans son remarquable livre Le mal d’être femme (Paris, Les Belles Lettres, 1984, p. 113-114) : « Depuis les temps hippocratiques et jusqu’au XVIIe siècle au moins, il est tout un courant de pensée pour considérer l’utérus comme un être autonome, capable de se déplacer en tous les lieux des cavités du corps, et par conséquent de provoquer des suffocations dans les lieux où il s’arrête malencontreusement. Dans les textes d’Hippocrate, le maintien de l’utérus en position normale dépend de son hydratation, elle-même liée à sa chaleur. Si la matrice est desséchée, elle se déplace en direction de l’organe le plus chargé d’humidité, qui est le foie. Cette migration est dangereuse, et le rétablisssement de la santé s’obtient si on réussit à obliger l’utérus à revenir à sa vraie place. » C’est dans cette optique qu’intervient la thérapeutique par l’odeur. À ma connaissance, seuls quatre ouvrages récents abordent, dans leur ensemble ou dans une de leurs parties, le thème de l’odeur dans l’Antiquité grecque. Ce sont :

149

The Treatment of Odours in the Poetry of Antiquity de Saara LILJA, Helsinki, 1972. Les jardins d’Adonis. La mythologie des aromates en Grèce de Marcel DETIENNE, Paris, 1972. Les femmes et les fards dans l’antiquité grecque de Bernard GRILLET, Lyon, 1975. Parfums et aromates de l’Antiquité de Paul FAURE, Paris, 1987. Aucun de ces livres ne consacre une page entière à l’odeur dans le Corpus hippocratique et pourtant, comme le montrera le tableau que j’ai dressé, le vocabulaire de l’odeur y est extrêmement riche, particulièrement dans les traités gynécologiques. -----------------------------------------------------------------------------------Nombre d’occurrences dans l’ensemble du C.H.

Nombre d’occurrences dans les traités de gynécologie

-----------------------------------------------------------------------------------êμ (inodore) 7 3 êμ (inodore) 3 0 êμ (arome, plante aromatique) 25 24 μ+ (mauvaise odeur) 2 0 Êμ (fétide) 7 7 )  (fétide) 42 4 + (odeur fétide) 3 0 #  (huile) 1 313 221 Îμ (qui a une odeur agréable) 9 5 È)  (odoriférant) 150 122 È+ (bonne odeur) 1 0 &Êμ (à l’odeur agréable) 4 4 (μ (essence) 3 2 μ+ (parfum) 10 10 μ+μ (fumigation aromatique) 10 10 μ+  4 4 μÒ (qui exhale de la fumée) 5 5 1

Ce mot ne peut pas nécessairement se rapporter à la sphère de l’odeur, mais sûrement dans des expressions telles que =Ò  #  (qui se rencontre 22 fois).

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μ ã (faire brûler des parfums) 56 52 Êμ (parfum, aromate) 2 2 ãμ (puant) 28 14 )  (fétide) 29 25 μ Ò (de parfumerie) 2 2 μÊ (parfum) 93 91 ˆ (exhaler une odeur) 43 26 ÙμÆ (ou ÙμÆ) (odeur) 54 16 Ù +μ (sentir) 10 4 ˆ    (odorat) 3 0 + (fumigation)2 96 71 +μ (fomentation) 10 6 + (employer une fumigation) 247 185 Íμ ã (remplir en dessous de fumée) 3 98 97 -μ (onguent, parfum)4 9 1 51 24 + (oindre)4 -----------------------------------------------------------------------------------1429 1165 occurrences5 pour 33 lemmes

occurrences5 pour 28 lemmes

------------------------------------------------------------------------------------

Qu’entendre par traités gynécologiques du CH ? Je grouperai sous cette appellation les traités suivants : Des maladies des femmes I, II, Des femmes stériles III, De la génération, De la nature de l’enfant, Maladies IV, De la 2

Les fumigations sont très souvent aromatiques. Cf. Mal. fem. I, 13 (L VIII, 50)  ª $ ª È) «  « ; Mal. fem. I, 16 (L VIII, 54) ; Aphorismes V, 28. 3 Ces fumigations peuvent être fétides (), Nat. fem., 4) ou aromatiques (é)μ , Nat. fem., 14). 4 Ces mots peuvent ne pas nécessairement se rapporter à la sphère de l’odeur, mais sûrement dans des expressions telles que : μʃ +  in Mal. fem. II,, 145 μʃ ... Èム+  in Mal. fem. II, 201 +  =+ƒ in Mal. fem. II, 205… 5 J’ai pu citer ces chiffres et réaliser tous ces calculs grâce au trésor que constitue la Concordance des œuvres hippocratiques éditée par Gilles MALONEY et Winnie FROHN , Québec, 1984, 4.869 p. L’Index Hippocraticus de Hambourg est en voie d’achèvement.

151

nature de la femme, Du fœtus de huit mois, Du fœtus de sept mois, De la superfétation, Aphorismes V, 28-62. Toutes ces œuvres datent de la fin du Ve siècle et du début du IVe siècle6. Elles totalisent moins de 90.000 mots et représentent donc quantitativement moins d’un quart de l’ensemble du Corpus (le traité du Régime compte, à lui seul, 20.085 mots). Pourquoi les auteurs du Corpus, et particulièrement les auteurs des traités gynécologiques, ont-ils accordé une importance extrême à l’odeur ? Les hommes de science, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, ont valorisé l’odeur, lui prêtant des propriétés thérapeutiques : depuis l’Antiquité jusqu’au siècle des Lumières a sévi ce qu’on peut appeler l’aromathérapie. C’est ainsi que Malouin n’hésite pas à écrire : « La fiente du bœuf sert particulièrement à retenir en son lieu la matrice relâchée »7. Comme le fait remarquer Gaston Bachelard8, nous constatons dans ce texte « la fixation de la matrice par une matière malodorante ». Le psychanalyste Jones a eu raison d’écrire : « Il convient de rappeler que l’assa foetida9 et la valériane10 ont été administrées pendant des siècles, parce qu’on croyait que l’hystérie résultait des migrations de l’utérus à travers le corps, et on attribuait à ces remèdes malodorants la vertu de pouvoir remettre l’organe dans sa position normale, ce qui devait avoir pour effet la 6 Voir notamment Robert JOLY, Indices lexicaux pour la datation de Génération, Nature de l’enfant et Maladies IV, in Corpus Hippocraticum, Mons, 1977, p. 136-147. 7 MALOUIN, Chimie médicinale, Paris, 17552, t. I, p. 112. 8 In La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 19654, p. 179. 9 « Assa-Foetida… gomme résine d’une odeur désagréable, provenant de la racine d’une plante ombellifère (v. Férule) utilisée en médecine comme antispasmodique ». Cf. Petit ROBERT, 1977, p. 112. 10 « Valériane… racine de l’espèce (de valériane) officinale utilisée comme antispasmodique et calmant ». Cf. Petit ROBERT, p. 2061.

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disparition des symptômes hystériques »11. Jones aurait pu ajouter que les bons parfums passaient pour avoir les mêmes vertus. Dans les textes modernes que j’ai mentionnés, ce sont tantôt des substances animales, tantôt des substances végétales qui sont utilisées pour les vertus prêtées à leur odeur. Je n’étudierai ici que les végétaux et leurs dérivés, bien que les substances animales n’aient nullement été ignorées. C’est ainsi, par exemple, que les médecins hippocratiques prescrivent 42 fois la sécrétion du testicule de castor ou castoréum (sur 42 occurrences, 38 proviennent de traités gynécologiques). Il n’y a aucun doute que le castoréum ait été prescrit notamment pour son odeur, mais aussi parce que c’est un produit mâle. En effet, l’auteur du traité de la Nature de la femme, 3212 qualifie le Ò  d’êμ et celui des Maladies des femmes II, 206 recommande : " * Ò  '  « éμã (y jetant du castoréum ou quelque autre aromate)13. La bouse de vache (Ò ) est recommandée 14 fois (toujours dans les traités gynécologiques), le crotin (Ù+), 7 fois (exclusivement en gynécologie). Nous allons comprendre que c’est dans la droite ligne des Anciens que s’inscrit Macquer, au milieu du XVIIIe siècle, lorsqu’il écrit : « Une grande partie de la vertu des plantes réside dans ce principe de leur odeur, et c’est à lui qu’on doit les effets les plus singuliers et les plus merveilleux que nous leur voyons produire tous les jours »14. 11

JONES, Traité théorique et pratique de Psychanalyse, trad., 1925, p. 25. 12 Cf. L VII, 358. 13 Cf. L VIII, 400. 14 MACQUER , Éléments de chymie pratique, Paris, 1751, t. II, p. 54 (cité par G. BACHELARD, op. cit., p. 115). Au Ier siècle de notre

153

Dans le domaine de l’histoire de la médecine et plus particulièrement de la gynécologie antiques, très rares ont été les historiens qui se sont penchés sur le problème de la thérapeutique par l’odeur. Certes, il y a d’abord Robert Joly qui, dans une perspective bachelardienne, lui a consacré plusieurs pages pleines d’intérêt15. Évoquant les pathologies utérines, Paola Manuli a pu comparer l’utérus à un dieu apaisé par les arômes16. Ceci m’amène à une nouvelle question : pourquoi l’odeur parfumée ou fétide apparaît-elle beaucoup plus souvent dans les traités gynécologiques que dans la masse de tous les autres écrits hippocratiques (la proportion, d’après le tableau du champ sémantique, est de 1165 occurrences contre 264) ? J’ai dit et écrit, dans ma récente communication au VIe Colloque hippocratique de Québec, que « ces médecins étaient sûrement victimes d’une conception anthropomorphique de la matrice, authentique “ (animal17 avec une bouche qui s’ouvre et se ferme, un cou18 et un nez puisqu’elle est influencée par les odeurs, bonnes ou fétides) ». Comme l’odeur a une force pénétrante, les médecins vont s’en servir pour essayer de déterminer si une femme est féconde ou stérile. Bien que

ère, PLINE L’ANCIEN, H.N. XV, 110, avait déjà écrit : sua et in odore miracula. 15 In Le niveau de la science hippocratique, Paris, Les Belles Lettres, 1966, e.a. p. 45-46, p. 58-59. 16 In Fisiologia e patologia del feminile negli scritti ippocratici dell’antica ginecologia greca, in Hippocratica, CNRS, Paris, 1980, p. 399-400. 17 À la n. 49 de ma communication L’étiologie de la stérilité féminine dans le Corpus hippocratique, j’écrivais : « Cf. PLATON, Timée, 91b-c. Si l’image n’est pas explicite dans le Corpus hippocratique, elle est certainement implicite ». 18 En gynécologie, cette bouche se dit Òμ, le cou ou col, ÈÆ, ã .

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les tests de fécondité fondés sur l’odeur soient nombreux19, je n’en mentionnerai qu’un seul : Si une femme ne conçoit pas, et si vous voulez savoir si elle peut concevoir, enveloppez-la de couvertures, et brûlez sous elle des parfums (μ+ ã) : si l’odeur (& ÙμÆ) semble arriver à travers le corps jusqu’aux narines et à la bouche, sachez qu’elle n’est pas stérile de son fait20.

Les médecins étaient ainsi persuadés que si l’odeur, partie du sexe, arrivait jusqu’à la bouche et aux narines de la femme, cette dernière n’était pas stérile, car l’odeur n’avait rencontré sur son passage aucun obstacle, aucune « fermeture » empêchant la pénétration du sperme du partenaire dans la matrice. Nous aurons remarqué que dans le texte des Aphorismes V la nature des produits aromatiques n’était nullement précisée. C’est là une constatation que nous pouvons faire souvent et nous devons souscrire, en partie tout au moins, à ce qu’écrit Robert Joly : Très souvent, dans le détail d’un régime, le médecin veut que le vin soit de bonne odeur, sans autre spécification 21 et dans un remède, on conseille, sans plus de précisions, des substances odorantes22. Les fumigations… sont bien plus souvent spécifiées par la qualité de l’odeur que par la nature du produit à utiliser 23.

Sans doute devrons-nous nuancer quelque peu l’affirmation de Robert Joly car la nature des produits, notamment des végétaux, est très souvent mentionnée. Il est néanmoins vrai que l’on trouve fréquemment dans les traités gynécologiques des prescriptions telles 19

Cf. Aphorismes V, 59 (L IV, 554) ; Nature de la femme, 96 (L VII, 412), Des femmes stériles, 214 (L VIII, 414), 219 (L VIII, 424) ; Des maladies des femmes I, 78 (L VIII, 178) ; De la superfétation, 25 (L VIII, 488). 20 Aphorismes V, 59 (L IV, 554). 21 Par exemple, Mal. fem., 23 (bis). 22 Maladies III, I (L, 118, 17) ; Hémorr., 9 (L VI, 444, 2). 23 Robert JOLY, op. cit., p. 58.

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que : , Íμ % ÍÚ å .- å ), ÍÚ ¢ å =- å È)24. « Fumigations fétides aux parties génitales, aromatiques aux narines » (dans le cas d’une chute de matrice) ou de prescriptions inverses telles que : , °  å =- , Íμ % å ), ÍÚ ¢ å Í° å Í)25. « On fait des applications aux narines ; on fait une fumigation fétide pour le nez, aromatique pour les matrices » (quand cellesci se sont portées vers le foie). Comme la matrice, cet animal pourvu d’un sens olfactif, erre à travers tout le corps, le médecin, en cas de chute de l’organe, recourt à une fumigation fétide aux parties génitales et aromatique aux narines : ce qui est fétide repousse, ce qui est odorant ou odoriférant attire. Le Petit Robert ne donne-t-il pas comme synonyme de fétide l’adjectif repoussant ? Il est tout à fait exact que le vin (‰, mentionné 867 fois dans les traités gynécologiques) est très souvent qualifié par son odeur : êμ26, È)27, È°28, … È°29, Îμ30. Le vin est le dérivé de végétal le plus souvent mentionné31. Contrairement à Robert Joly, je ne pense donc pas que la nature du produit à utiliser dans les fumigations soit moins souvent spécifiée que la qualité de l’odeur. 24

Nature de la femme, 4 (L VII, 316). Nature de la femme, 3 (L VII, 314). 26 Mal. fem. II, 203. 27 Nat. fem., 32. 28 Nat. fem., 3. 29 Steril., 222. 30 Mal. fem. II, 202 ; 350. 31 C’est ce que constataient déjà Jacques DESAUTELS et MarieChristine GIRARD, Les végétaux dans le Corpus Hippocratique, p. 190, in Formes de pensée dans la Collection hippocratique, Genève, Droz, 1983. Après le vin, vient le miel (avec 399 occurrences dont 255 dans les traités gynécologiques). 25

156

Car les références à un végétal — et plus précisément à un végétal odoriférant, ainsi qu’à un dérivé ou à un composé de ce végétal — sont innombrables. Le chapitre 32 de la Nature de la femme32 est, dans cette optique, particulièrement précieux car il énumère 31 aromates : aromates (é)μ), le thym (Êμ), la thymbra (Êμ ), la fougère ("+ ), l’hypéricon (Í Ò), le pavot blanc (μÆ Æ), les racines et la graine de crethmos (Æμ), les racines de la mauve (μã ), la graine et les feuilles de la mercuriale ( ) ), la graine de l’ortie (+ ), la sauge ("+ ), le peuplier (‡  ), le dictame (+μ), le pseudo-dictame (+μ), l’amome (êμμ), le cardamome (ãμμ), l’« éristion » ("+ ), l’aristoloche (é +) le castoréum (Ò ), l’adiante (é+) le dracontium (Ò ), le peucedanum (°), les feuilles et les graines de la rue ( ã), la graine du persil (+), la graine du fenouil (μã), la graine et les racines de l’hipposelinum (/+), la graine et les racines de l’hippomarathron (/μã), la graine et les racines du struthium (+), l’hysope de Cilicie (Ï), l’érysimon ("Ê μ), la pivoine ( + ), le panaces (ã).

Nous remarquons que, dans cette longue liste, un seul parfum est d’origine animale : le castoréum. Nous allons nous efforcer de déterminer si ces aromates se retrouvent dans le Corpus et particulièrement dans les traités gynécologiques. -----------------------------------------------------------------------------------Nombre d’occurrences dans l’ensemble du C.H.

Nombre d’occurrences dans les traités de gynécologie

-----------------------------------------------------------------------------------Êμ (thym) 6 3 Êμ 1 – 32

L VII, 356-358.

157

Êμ (sarriette) 6 3 "+ (sorte de bruyère) 1 1 Í Ò (herbe de la Saint-Jean) 16 13 μÆ (pavot) 26 21 μ )  (suc de pavot) 7 2 %μ (crète marine) 11 10 μã (mauve) 13 12 Ò  (mercuriale) 60 49 + (ortie) 19 14 "+  (sauge) 32 19 ‡   (peuplier noir) 5 4 +μ (dictame) 11 11 +μ (pseudo-dictame) 1 1 êμμ (amome) 1 1 ãμμ (cardamome) 5 1 "+  (non cité dans le L.S.J.) 1 1 é Ò  (aristoloche) 7 4 é+ (adiante) 16 10 Ò  (dracontium) 4 2 ° (peucédanum) 8 8 Æ  (suc) 36 26 °  (ache ou persil) 60 36 μã (fenouil) 34 30 /°  (hipposelinum) 3 3 /μã (hippomarathre) 4 4 Ê  (saponaire) 4 4 Ï (hysope) 3 1 Ï "Ê μ (vélar) 16 13

+ (pivoine) 34 33 ã (panaces) 7 6 -----------------------------------------------------------------------------------467 352 occurrences

occurrences

------------------------------------------------------------------------------------

Nous constatons donc que les 30 aromates cités dans le chapitre 32 de la Nature de la femme sont mentionnés 352 fois dans les seuls traités gynécologiques du C.H. Mais ces 30 aromates sont très loin d’être les seuls végétaux odoriférants à être utilisés dans des pessaires, des 158

fumigations, des affusions, des injections, des infusions, des émétiques, des purgatifs ou des cataplasmes par des médecins qui tentaient de soigner les multiples affections de la matrice33, le seul organe génital connu (les ovaires ne seront découverts que par Hérophile, au IIIe siècle a.C.). Il arrive plus d’une fois que les médecins précisent que les produits végétaux, dont ils se servent dans leur thérapeutique gynécologique, sont pourvus de telle ou telle odeur. J’en dresse ici la liste : -----------------------------------------------------------------------------------Nombre d’occurrences dans l’ensemble du C.H.

Nombre d’occurrences dans les traités de gynécologie

-----------------------------------------------------------------------------------28 22

Æ (pouliot) 34 ã  (laurier) 37 36 3 2 ã   (de laurier) 35  + (baie de laurier) 7 6 ‡  (d’iris) 36 11 11 6 6 ‡  (iris) 37 ãμ (roseau, calamus) 38 21 17 + (résine de cèdre) 4 4 16 13 °  (de cèdre) 39 33

Æ apparaît 485 fois dans le C.H., Í°, 307 fois (soit 792 emplois de mots qui désignent la matrice). 34 En Affections internes, 44 (L VII, 276), on lit : , & Æ •μ° % È+  · « on y jettera pour l’aromatiser du pouliot qui cuira dedans ». 35 En Mal. fem. I, 74 (L VIII, 160), on lit : μÊ ... ã   (parfum de laurier). 36 J’ai relevé 7 fois le groupe ‡  μÊ. Ainsi, on lit en Mal. fem. I, 74 (L VIII, 160) μÊ ‡  (parfum d’iris). 37 Dans le traité Des femmes stériles, 235 (L VIII, 450), on trouve le groupe ‡  È) (iris odorant). 38 On trouve ãμ È) (calamus odorant) en Mal. fem. I, 78 (L VIII, 190) et ãμ μ Ò (calamus odorant) en Mal. fem. II, 133 (L VIII, 294).

159

°  (huile de cèdre) 1 1 + (fruit du cèdre) 10 10 ° (cèdre) 17 15 Ò (conyze) 40 18 17 μÆ  (de pommier) 1 1 μ% (pomme) 41 12 2 24 24 +  (de narcisse)42 + (narcisse) 6 5 ° (huile d’amandes amères)43 52 49 1 1 éãμ (suc du baumier) 44 92 91 =Ò  (de rose) 45 =Ò (rose) 12 12 - (jonc) 46 13 13 -----------------------------------------------------------------------------------392 358 occurrences

occurrences

------------------------------------------------------------------------------------

39

On trouve souvent °  # . Le miel est parfois qualifié de ° . Voir Ulc., 12 (L III, 414). 40 En Mal. fem. I, 75 (L VIII, 166), on trouve Ò Îμ (conyze de bonne odeur) ; en Mal. fem. I, 78 (L VIII, 184-186), on lit Ò $ &Êμ (conyze odorante). 41 On trouve μ% È) (pommes de bonne odeur) en Mal. III, 17 (L VII, 160). 42 On trouve μÊ +  (parfum de narcisse) en Nat. fem., 109 (L VII, 430) et #  +  (huile de narcisse en Mal. fem. I, 80 (L VIII, 200). 43 Le ° est classé parmi les é)μ en Nat. fem., 16 (L VII, 336). 44 On trouve μʃ Ùãμƒ en Nat. fem., 34 (L VII, 374). 45 On trouve très souvent =Ò  μÊ (parfum de rose) comme en Nat. fem., 16 (L VII, 336) et 22 fois Ò  # . 46 De nombreux textes insistent sur la bonne odeur du jonc ou de sa fleur. Ainsi, on lit en Mal. fem. II, 177 (L VIII, 360) : , é)μ "μã , + ê … (où l’on jette des aromates, par exemple la fleur du jonc odorant). Cf. aussi Mal. fem. I, 78 (L VIII, 190) - È) : Mal. fem. II, 133 (L VIII, 294) + % μ % : Mal. fem. II, 206 (L VIII, 398) : - Ú &Êμ.

160

Jusqu’à présent, nous avons relevé 42 végétaux odorifrants, se rencontrant 859 fois dans l’ensemble des traités du Corpus, 710 fois dans les traités gynécologiques. Mais il reste une longue liste de végétaux à propos de l’odeur desquels les auteurs hippocratiques ne nous disent rien. Je vais tenter de les identifier (ce qui n’est pas toujours une tâche aisée) et voir s’ils ont un rapport avec une odeur, agréable ou fétide. Au préalable, je voudrais signaler que les végétaux (arbres, plantes, fleurs47, herbes et leurs dérivés) mentionnés dans le C.H. sont souvent odoriférants mais que quelques-uns ont néanmoins une odeur nauséabonde. Mais ce sont surtout des produits des règnes animal ou minéral qui sont utilisés pour dégager une odeur désagréable, voire fétide. En voici quelques exemples : -----------------------------------------------------------------------------------Nombre d’occurrences dans l’ensemble du C.H.

Nombre d’occurrences dans les traités de gynécologie

-----------------------------------------------------------------------------------ê  (asphalte) 48 19 16 "Ê  (mèche de lampe) 49 3 3 24 17 - (soufre) 50 20 18 ° (corne) 51 ) (phoque) 52 16 16 ------------------------------------------------------------------------------------

47

Ö est cité 77 fois dans le C.H., 35 fois dans les traités gynécologiques, mais sur les 77 emplois d’ê, 46 concernent la fleur de cuivre et d’argent. Ö  (préparé avec les fleurs) se rencontre 13 fois dans le C.H., dont 12 fois dans les écrits gynécologiques. 48 Qualifié de ) en Nature de la femme, 26 (L VII, 342). 49 Idem. 50 Idem. 51 Idem. 52 Idem et déjà HOMÈRE , Odyssée IV, 406.

161

Voici la liste des végétaux odorants ou odoriférants relevés dans le C.H. : -----------------------------------------------------------------------------------Nombre d’occurrences dans l’ensemble du C.H.

Nombre d’occurrences dans les traités de gynécologie

-----------------------------------------------------------------------------------ê  (gattilier) 16 11 éÒ (aurone) 5 4 é+ (acacia) 1 1 ê (acanthe) 1 1 é% (sureau) 41 36 éμã  2 2 éμã (marjolaine) 1 1 éμ) (anémone) 5 5 éμ+ (fleur de vigne) 2 2 ê  (anis) 52 50 é+ 4 4 ê (genévrier) 4 4 éã (genêt) 1 1 é+  (armoise) 15 13 ã  1 1 ã  (sclarée) 2 2 ã (ronce, mûre) 18 16 Ò (oignon) 4 3 Ê (mousse) 8 8 Û (pin) 18 18 Ë (panais) 11 5 "° (garance) 2 2 ß (serpolet) 5 5 &Êμ (menthe) 3 3 ‡ (violette) 3 3 ‡ 7 4 μ+ (calament) 4 3 + (faux cannelier) 6 6  ãμμ (cinnamone) 7 7 + (ciste) 2 1  Ò (lierre) 18 14  μã  (clématite) 5 5 Ò +  (grain de Cnide) 73 49

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Òμμ (gomme) + (coriandre) Ò  (coriandre) Ò (safran, crocus) Òμμ (oignon) ãμ  (cyclamen) Êμ  (cumin) Ê (souchet) + (cyprès) Ê  (cytise) )  (ciguë) ÒÛ (leucoïum) Æ (ladanum) + (encens)  Ò +  (lis) Ò (lotus) μã (mauve) μ Ò (mandragore) μã (grain d’encens) μ+ (mélilot) μ+ (menthe) μÊ  μ+ ((myrte) μÊ μÊ ã (nard) .ã (fleur de vigne) Ùμ ã  (verjus) Ù+  (origan) ° (poivre) + (poix) + (pin) ã  (marrube) ã (poireau) =ãμ (nerprun épineux) = + (raifort) =ã 

4 13 5 24 20 32 86 24 42 5 6 12 1 2 67 1 34 13 8 11 2 8 1 40 11 4 2 7 2 44 17 15 9 5 55 7 8 7

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2 4 4 18 12 31 71 24 39 4 5 12 1 2 57 1 27 12 4 8 1 1 1 38 10 2 2 5 1 19 9 12 8 3 43 6 2 5

= + (résine) 53 94 80 = ã (grenadier, grenade) 36 26  ã  (assa foetida) 1 1 ° (séséli) 27 23  ãμ (sésame) 22 10 +  (écorce de grenade) 29 20 + (°) (sorte de melon) 34 16 +  (silphion) 46 24  Êμ  (sisymbrion) 1 1 μÊ (myrrhe) 150 132 Ê  (lis) 4 4 Æ (huile parfumée de myrrhe) 2 1 Ê (styrax) 7 7 - (lentisque) 8 8 °  3 3 μ+  3 2 °μ  (térébinthe) 7 3  Êμ (euphorbe) 8 5 %  (fénugrec) 3 1 ã  (sorte de plante à odeur de bouc) 2 2 ÍÊμ (jusquiame) 8 6 Ò (lentille) 36 16 Òμ (molène) 3 2 ã (galbanum) 17 14 » μ (basilic) 5 1 ------------------------------------------------------------------------------------

Je me refuse à établir un chiffre précis des occurrences des végétaux et de leurs dérivés, odorants ou odoriféants, répertoriés dans cette dernière liste, car j’en ai inévitablement omis : de toute façon, il y en a ici plus de 1.200, rien que dans les traités gynécologiques auxquels il faut ajouter les 710 occurrences mentionnées plus haut. Ainsi donc près de 2.000 occurrences de végétaux odorants ou odoriférants et de leurs dérivés (si l’on ne tient pas compte du vin très odorant et du miel parfumé) 53

La nature de cette résine est souvent précisée. Ainsi, nous lisons = + + (Superf., 33), = +   +  (Nat. fem., 34), = +   +  (Nat. fem., 109).

164

se rencontrent dans les traités gynécologiques sur les quelque 2.400 mentionnées dans l’ensemble du Corpus. La vogue de cette thérapeutique par l’odeur (surtout végétale) n’allait pas faiblir avant la fin du XVIIIe siècle : nous l’avons déjà constaté dès le début de cette étude. C’est ainsi qu’en 1623, Jacques Bury, chirurgien natif de Châteaudun, préconise toujours le procédé suivant pour déterminer si une femme est susceptible de concevoir : Si la femme ne sent point l’odeur de ces choses (= des herbes aromatiques que l’on fait brûler sous son sexe) luy venir à la bouche ou aux narines, cela signifie que les voyes sont opilées (= bouchées) et par conséquent stériles ; mais au contraire, si elle ressent ledit odeur, elle est propre à concevoir54.

Et pourtant, comme l’a si bien fait remarquer Danielle Gourevitch55, Soranos56, le plus lucide des gynécologues de l’Antiquité, qui vécut à l’époque de Trajan et d’Hadrien, avait déjà rejeté ces méthodes fondées sur l’odeur et destinées à s’assurer de la fertilité de la femme. Quel est encore le savant de notre siècle qui a osé prétendre qu’il était plus facile de désagréger un atome qu’un préjugé57?

54

Voir mon étude « Survivance de quelques préjugés hippocratiques et aristotéliciens relatifs à la reproduction humaine dans les écrits médicaux et biologiques de l’âge baroque », in RBPH LXIV (1986), 4, p. 698. 55 Cf. Danielle GOUREVITCH , Le mal d’être femme. La femme et la médecine à Rome, Paris, Les Belles Lettres, 1984, p. 134-135. 56 Danielle Gourevitch et alii ont fait paraître une édition avec traduction des Gynaikeia de Soranos (Paris, Les Belles Lettres). 57 Personne ne sera, dès lors, étonné que Pline l’Ancien ait cité Hippocrate comme la première source médicale de son livre XX consacré aux plantes médicinales.

165

Chapitre XI LE RHUMATISME ET LA GOUTTE Le Corpus Hippocraticum1,qui totalise 418.000 mots, n’est pas l’œuvre du seul Hippocrate de Cos2, le grand médecin de la deuxième moitié du Ve siècle avant notre ère bien connu des philosophes du siècle suivant, Platon et Aristote. Le Corpus, ou la Collection, comporte une soixantaine d’écrits médicaux dont la majorité date des dernières décennies du Ve siècle a.C. et de la première moitié du IVe ; quelques-uns même ont été rédigés au Ier ou au IIe siècle de notre ère. Plusieurs de ces traités proviennent de l’île de Cos, au sud-est de la mer Égée, au 1

La bibliographie relative au Corpus est énorme : le précieux ouvrage de G. MALONEY et de R. SAVOIE, Cinq cents ans de bibliographie hippocratique (1473-1982), Québec, Les Éditions du Sphinx, comporte déjà 3.332 titres de livres et d’articles. Le numéro 2.251 cite une monographie d’Anibal RUIZ MORENO, Las afecciones reumáticas en el Corpus Hippocraticum, Buenos Aires, 1941 que je n’ai pu consulter et au sujet de laquelle aucun hippocratisant n’a pu me renseigner. 2 Sur l’historicité d’Hippocrate, voir notamment Robert JOLY, « Hippocrates and the School of Cos. Between Myth and Skepticism », in Michael RUSE (ed.), Nature Animated, p. 29-47, Dordrecht, D. Reidel Publishing Company et, du même auteur, malgré son titre modeste, Hippocrate au lycée, FPGL, 1985, 25 p. + 4 p. (extrait des Didactica Classica Gandensia, nos 24-25, relatifs au Colloquium Didacticum Classicum X Basiliense : Les sciences dans les textes antiques, Bâle, 1984).

167

nord de Rhodes, patrie d’Hippocrate et de son successeur Polybe ; d’autres, du centre médical voisin de Cos, celui de Cnide, ville du littoral de la Carie, en Asie Mineure ; quelques-uns enfin, comme le célèbre traité Du Régime3, daté des environs de 400 a.C., relèvent d’a priori philosophiques, de conceptions bien attestées dans les fragments des Présocratiques. Les doctrines des écoles de Cos et de Cnide semblent aujourd’hui présenter beaucoup moins d’oppositions que ne l’ont pensé pendant longtemps les historiens, à la suite des travaux d’Émile Littré, au XIXe siècle, et de Louis Bourgey, au milieu du XXe. Les médecins des deux grandes écoles, à quelques nuances près, partagent le « concept of disease processes » suivant : « In an internal disease, such as is often caused by fluxes of indigestible humors, coction — a kind of slow cooking that restores equilibrium and normal properties to the disturbed humors — may occur4. The disease reaches a crisis, “the decisive transformation which takes place at a given moment in the development of the disease and orients its course in a favorable direction” (L. BOURGEY, Observation et expérience chez les médecins de la Collection hippocratique, Paris, Vrin, 1953, p. 237). « The crisis is marked by critical signs and symptoms and occurs on certain critical days in the course of the disease »5. Si la rhumatologie est une discipline jeune, en plein essor depuis le milieu du XXe siècle, les médecins 3

Récemment édité par Robert JOLY avec la collaboration de Simon BYL, in Corpus Medicorum Graecorum, Berlin, Akademie der Wissenschaften, 1984, 332 p. 4 La doctrine des humeurs se rencontre dans les écrits des deux écoles : pour les auteurs coaques, il y aurait quatre humeurs dans le corps, mentionnées par Polybe dans La nature de l’homme : le phlegme, le sang, la bile jaune et la bile noire ; les traités cnidiens admettent aussi quatre humeurs exposées en Maladies IV, à savoir l’eau, le sang, le phlegme et la bile. 5 Robert JOLY, art. « Hippocrates of Cos », in Dictionary of Scientific Biography, t. IV, p. 421-422 (New York, 1972).

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hippocratiques ont déjà souvent été amenés à décrire, à expliquer et à tenter de soulager les maladies des articulations. On se convaincra aisément de l’importance que ces médecins ont accordée à l’étude des articulations lorsqu’on saura que le Corpus ne compte pas moins de 314 emplois du mot grec árthron (= articulation), de 8 emplois de l’adjectif arthritikós et de 4 du substantif arthrîtis6 et si l’on se souvient qu’un auteur hippocratique, Hippocrate lui-même probablement7, a consacré tout un traité aux Articulations. Le dépouillement systématique des très nombreux passages du Corpus où apparaît le mot árthron m’a amené à constater que ce terme désignait, une fois sur 314 occurrences, une « articulation » très surprenante pour les rhumatologues d’aujourd’hui : en effet, au chapitre 19 du traité Des chairs8, le mot árthron désigne le sexe de la

6

Ces chiffres sont fournis par la Concordance hippocratique établie par ordinateur par Gilles Maloney et ses collaborateurs de l’Université Laval. Dans leur étude intitulée « Arthritis, Ancient and Modern : Guidelines for Field Workers » (in Henri Ford Hosp. Med. J. 27 [1979], p. 74-79), A. Cockburn, H. Duncan et J.M. Riddle écrivent à la p. 74 : « because life expectancy thousands of years ago was very much shorter than it is today, “arthritis” must have struck in earlier decades of life. If life expectancy today were 40 years of age, as it was in antiquity, instead of 70 years, few people in the 20th century would have any of the recognized major forms of arthritis », d’où leur conclusion : « Arthritis was more common in antiquity than it is today ». 7 Voir notamment G.H. K NUTZEN, Technologie in den Hippokratischen Schriften…, Wiesbaden, p. 65 sq. Sur ce traité et celui des Fractures, cf. aussi Ammeris ROSELLI, La chirurgia ippocratica, Florence, 1975. 8 Cf. L VIII, 610 (p. 201 éd. R. Joly) « (les femmes dès qu’elles sont enceintes) éprouvent aussitôt du frisson, de la chaleur, des grincements de dents, du spasme au sexe (árthron) et dans tout le corps, et de l’engourdissement à la matrice » ; au chapitre 10 du même traité, le mot árthron désigne une articulation au sens actuel (L VIII, 596 = p. 194 éd. R. Joly).

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femme, ses parties génitales9. Je ne sais si c’est un(e) rhumatologue ou un(e) linguiste qui pourrait le mieux m’expliquer ce glissement sémantique. Si les rhumatologues de 1996, malgré des techniques d’examen très sophistiquées et des traitements de plus en plus perfectionnés, insistent encore volontiers sur les difficultés et la complexité de leur discipline, personne ne sera surpris d’apprendre que l’auteur du traité De l’art10 souligne avec force les difficultés que présentent les maladies internes qui sont occultes (adéla)11, au nombre desquelles figurent ce que nous appelons aujourd’hui les maladies rhumatismales : « Voyez les articulations ellesmêmes où roulent les jointures des os mobiles ; il n’est aucune de ces parties… où des cavités n’existent ; cavités révélées par l’humeur (ichór)12 qui, lorsqu’elles sont ouvertes, s’en écoule avec grande abondance et grande malfaisance »13. Outre la podagre ou goutte, les médecins du Corpus distinguent plusieurs affections des articulations qu’ils désignent sous différents noms, l’arthrite, les arthritiká, les árthron pónoi, les oidèmata et épárseis des articulations, les kédmata et l’ischias. Pour toutes ces maladies rhumatismales, les médecins insistent sur la douleur qui les accompagne ; ils tentent d’en proposer une étiologie et de procurer aux patients une thérapeutique. Je dois me contenter d’évoquer les textes les plus significatifs. 9

Au chapitre 87 du livre III des Histoires d’Hérodote, le mot désigne les parties sexuelles d’une jument. 10 Cf. J. DUCATILLON , « Qui est l’auteur du traité hippocratique de l’Art ? », in Corpus Hippocraticum, Mons, 1977, p. 148-158 ; Polémiques dans la Collection hippocratique, Lille-Paris, 1977, p. 76 sq. voit en Hérodicos de Sélymbrie l’auteur de ce traité. 11 Cf. De l’art, 11 (L VI, 18). 12 Sur le sens d’ichór dans ce passage, voir Marie-Paule DUMINIL, Le sang, les vaisseaux, le cœur dans la Collection hippocratique, Paris, Les Belles Lettres, 1983, p. 175. 13 De l’art, 10 (L VI, 18).

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L’arthritis n’est pas mortelle mais elle laisse fréquemment des lésions permanentes14 ; elle fait l’objet du chapitre 30 des Affections, alors que la goutte est étudiée au chapitre suivant du même traité. Aussi n’est-ce pas sans joie que le regretté Louis Bourgey, se référant à ces deux chapitres, a pu écrire : « La séparation de l’arthrite, rhumatisme articulaire aigu, et de la goutte est faite pour la première fois avec précision (dans le Corpus Hippocraticum) »15. Citant ce chapitre 30, le Professeur Mirko D. Grmek signale que « la Collection hippocratique contient une description succincte et néanmoins parfaitement identifiable de la maladie de Bouillaud »16. Voici la traduction de ce texte : « Dans l’arthrite, la fièvre survient, une douleur aiguë s’empare des articulations du corps, et ces douleurs, tantôt plus aiguës, tantôt plus douces, vont se fixer tantôt sur une articulation, tantôt sur une autre. Il convient d’appliquer sur la partie douloureuse des raffraîchissants, de débarrasser le ventre par des lavements ou un suppositoire et de donner en potages et en boissons ce qui vous paraîtra utile. Quand la douleur s’est relâchée, on donne un purgatif, puis on fait boire du petit lait cuit ou du lait d’ânesse. Cette maladie provient de la bile et du phlegme, qui, mis en mouvement, se sont fixés sur les articulations ; elle est de courte durée et aiguë, mais non mortelle ; elle attaque les jeunes plus 14

Cf. Maladies I, 3 (L VI, 144 = p. 8 éd. R. Wittern [1974] qui rend le mot grec par arthritis). 15 Louis BOURGEY, Observation et expérience chez les médecins de la Collection hippocratique, Paris, Vrin, 1953, p. 69, n. 1 ; cf. aussi p. 163, n. 6, où L. Bourgey signale une distinction assez voisine établie par l’auteur du Prorrhétique II, 42 (L IX, 72). 16 Mirko D. GRMEK , Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale, Paris, Payot, 1983, p. 130 et n. 147. On voit combien CHARCOT, Note à la traduction de la Goutte de Garrod par Ollivier, Paris, 1867, p. 5, a donc sans doute eu tort d’écrire : « Les anciens ont toujours confondu la goutte et le rhumatisme articulaire (articulorum passio) ; et il ne semble même pas qu’aucun d’eux ait jamais songé à établir entre les deux affections une séparation tranchée ».

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volontiers que les vieux »17. On aura remarqué que l’auteur insiste à quatre reprises sur la douleur (en grec odúnè) qui est le maître symptôme de la maladie. Les médecins du corpus mentionnent très souvent aussi, sans guère plus de précisions, des gonflements dans les articulations, toujours accompagnés de douleurs qu’ils s’efforcent de soulager de diverses façons18. Ils décrivent aussi, comme le signale le Professeur Grmek19, la sciatique brutale (ischiás)20, syndrome de la hernie nucléaire discale : « Dans la sciatique (ischiás), la douleur occupe la jointure de l’ischion, l’extrémité du siège et la fesse ; finalement elle se promène dans tout le membre inférieur (dans les lignes suivantes, le médecin préconise une thérapeutique très complexe destinée à “adoucir” la douleur puis il expose l’étiologie de l’affection). Cette maladie vient quand la bile et le phlegme se sont fixés dans le vaisseau sanguin, soit à la suite d’une autre maladie, soit autrement, suivant que telle ou telle quantité de sang a été viciée et coagulée par le phlegme et la bile, car ce sang se promène le long du membre inférieur par le vaisseau sanguin, et, là où il s’arrête, la douleur se fait surtout sentir. La maladie est longue et douloureuse, mais non mortelle… »21.

17

Des affections, 30 (L VI, 242). Cf. entre autres textes, Aphorismes, 5, 25 (L IV, 540) ; De l’usage des liquides, 6, 2 (L VI, 132 = p. 169 éd. R. Joly) ; Affections internes, 41 (L VII, 266-270) ; Maladies des femmes I, 4 (L VIII, 2428 : dans ce cas, les gonflements des articulations sont dus à des règles moins abondantes qu’il ne faudrait) ; Prorrhétique II, 4 (L IX, 20 : la douleur (odúnè) et le gonflement (éparsis) aux articulations sont indiqués par une urine épaisse, ayant un sédiment blanc) ; Épidémies, 6, 1, 12 (L V, 272). 19 Cf. Mirko D. GRMEK , op. cit., p. 128 et la n. 137. 20 Sur ce concept, cf. M. LANDSBERG, Ueber die Hippokratische Behandlung der Ischias. Ein Beitrag zur Geschichte der Medizin, Leipzig, A. Lorentz, 1931. 21 Des affections, 29 (L VI, 240-242). 18

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Beaucoup d’autres textes du Corpus concernent la sciatique ou ischiás22. Une œuvre d’obédience cnidienne, le traité Des lieux dans l’homme, décrit tout à fait l’ischiás comme un rhumatisme au sens étymologique23 : « (la septième fluxion [rhóoi] d’humidité venant de la tête) coulant peu à la fois produit, quand elle s’arrête, le mal de hanche (ischiada) et les engorgements (kédmata)… »24. Le traité Des affections internes propose pour la sciatique une étiologie qui semble différente et en décrit les douleurs avec un réalisme saisissant : « La sciatique (ischiás) est produite chez la plupart de cette façon : on s’expose au soleil pendant longtemps, les hanches s’échauffent, et l’humide qui est dans les articulations se dessèche par la chaleur. Voici ce qui me prouve qu’il se dessèche et se coagule : le malade ne peut tourner ou mouvoir les articulations, à cause qu’il y éprouve de la douleur et que la colonne vertébrale est devenue rigide. Il souffre surtout aux lombes, aux vertèbres qui sont sur le côté des hanches et aux genoux. Une douleur aiguë et brûlante se fixe longtemps aux aines ainsi qu’aux hanches. Si on lève le malade ou qu’on le remue, il pousse de hauts cris à cause de la douleur. Parfois il survient des spasmes, du frisson, de la fièvre… »25. La thérapeutique, qui est longuement décrite dans la suite du chapitre, comporte notamment — et cela surprendra fort sans doute le 22

Cf. notamment Des airs, des eaux et des lieux, 22 (L II, 80) ; Épidémies V, 91 (L V, 254) ; VII, 100 (L V, 452-454) ; Des maladies I, 3 (L VI, 144) ; Des lieux dans l’homme X, 6 (L VI, 296 = p. 50 éd. R. Joly) ; ibid. XXII (L VI, 314 = p. 60 éd. R. Joly) ; Des jours critiques, 8 (L IX, 304) ; Des affections internes, 51 (L VII, 292-298). 23 Sur l’étymologie peu satisfaisante de notre actuel mot « rhumatisme », cf. André Paul PELTIER, art. « Rhumatologie », in Encyclopaedia Universalis, 15, Paris, 1985, p. 1128. 24 Des lieux dans l’homme X, 6 (L VI, 296 = p. 50 éd. R. Joly). Sur ce texte, cf. Armand DELPEUCH, Histoire des maladies, la goutte et le rhumatisme, Paris, 1900, p. 35. 25 Des affections internes, 51 (LVII, 292-298). Cf. aussi Des jours critiques, 8 (L IX, 304).

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rhumatologue d’aujourd’hui — un régime alimentaire très complexe. Les médecins hippocratiques mentionnent souvent, à côté de la sciatique ou ischiás, une autre affection articulaire qu’ils désignent par le mot kédmata26, traduit généralement par « gonflements aux articulations des membres inférieurs » et qui devait poser des problèmes d’identification dès l’Antiquité, car il est défini par le glossaire hippocratique de Galien27 et par le grammairien Érotien28, contemporain de Néron. Galien définit ce terme ainsi : « condition morbifique chronique, provoquée par un écoulement (rheúmatos), qui concerne soit toutes les articulations, soit particulièrement celles de la hanche »29. Hippocrate — en qui, comme je l’ai dit, nous pouvons sans doute voir l’auteur de l’admirable traité Des articulations — a rencontré et mentionné d’autres affections qui relèvent aujourd’hui de la rhumatologie : il a probablement observé la spondylarthrite ankylosante30, lorsqu’il note que « le rachis s’incurve… par la vieillesse ou cédant aux douleurs »31. Le même auteur a laissé une description de l’incurvation de l’épine dorsale par cause interne, où il note la coïncidence, et même établit le lien causal entre l’affection pulmonaire et la gibbosité angulaire acquise32. Le Professeur Grmek, après avoir cité 26

Cf. entre autres textes : Des airs, des eaux et des lieux, 22 (L II, 80) ; Des maladies I, 3 (L VI, 144) ; Des lieux dans l’homme X, 6 (L VI, 296)… 27 Gloss. Hipp. (K XIX, 111). 28 ÉROTIEN, K 15 (49, 15 sq. N). 29 Sur l’interprétation de ce mot, cf. Renate WITTERN, Die Hippokratische Schrift De morbis I, Hildesheim-New York, 1974, p. 192. 30 Ce diagnostic rétrospectif est proposé par Mirko D. GRMEK, Les maladies…, op. cit., p. 133. 31 Articulations, 47 (L IV, 200 = Petrequin II, 411). 32 Cf. Articulations, 41 (L IV, 176-180 = Petrequin II, 391-393). Pour un texte analogue, mais beaucoup plus concis et moins précis, cf. Aphorismes, 6, 4 (L IV, 574).

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ce beau texte, n’hésite pas à conclure : « La familiarité de l’auteur de ces lignes avec la maladie de Pott ne fait aucun doute »33. Hippocrate a aussi consacré un très long texte à la description du pied-bot et à sa thérapeutique34 ; il note d’ailleurs que « le pied-bot de naissance est curable dans la plupart des cas » et il propose aussi notamment le port de chaussures appropriées. Si les médecins de l’Égypte pharaonique ne semblent pas avoir connu la goutte35, il n’en est pas de même de ceux de la Grèce classique, car les auteurs du Corpus la mentionnent 20 fois : podágra (= la goutte) est citée 5 fois, podagráo et podagriáo (= souffrir de la goutte) respectivement 1 et 4 fois, podagrikós (= relatif à la goutte) 10 fois. Comme le remarque Andrea Bozzi36, si la goutte est connue des contemporains d’Hippocrate, elle ne semble pas avoir été très répandue de son temps ; Galien l’avait déjà noté, contrairement à des historiens contemporains pourtant très compétents et savants qui en font une « affection courante dans l’expérience clinique des auteurs du Corpus Hippocraticum », car ils se fondent surtout sur un passage du traité platonicien apocryphe, le Second Alcibiade, 140a, qui présente la goutte, en compagnie de la fièvre et de l’ophtalmie, comme paradigme de maladie. Au IIe siècle de notre ère, Galien avait affirmé qu’« à 33 Mirko D. GRMEK , op. cit., p. 288 ; cf. aussi la n. 89 de cette page, sur la richesse de l’iconographie relative à ce mal, aux époques hellénistique et romaine. 34 Articulations, 62 (L IV, 262-268) ; cf. aussi Mochlique, 32 (L IV, 374). Il faut noter, à propos de ces textes, le lien entre santé et esthétique. Voir à ce sujet Danielle GOUREVITCH, « Les principes de l’esthétique médicale de Galien », in Les Études Classiques, 1987 (1). 35 Cf. Mirko D. GRMEK , Les maladies…, op. cit., p. 115. 36 Cf. Andrea BOZZI, Note di lessicografia ippocratica. Il trattato sulle arie, le acque i luoghi, Rome, 1982, p. 57, § 105 : « Il termine (= podágra)… non è frequente » ; ibid., n. 115 : « Rari sono anche gli aggetivi derivati ».

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l’époque d’Hippocrate, il n’y avait que très peu de podagres… »37. 37

GALIEN, In Hippocr. aphor. XVIII A 42 K. Cf. Paul MORAUX , Galien de Pergame. Souvenirs d’un médecin, Paris, Les Belles Lettres, 1985, p. 123. Danielle GOUREVITCH, dans Le triangle hippocratique dans le monde gréco-romain : le malade, sa maladie et son médecin, École française de Rome, 1984, p. 224 signale « l’augmentation de cas de goutte à l’époque impériale, et surtout dans le monde romain proprement dit ». Les philologues peuvent remarquer que le mot podágra est vraiment très rare dans la littérature des Ve et IVe siècles ; il en va de même de ses dérivés : ces mots sont absents du vocabulaire des historiens, des orateurs, des poètes tragiques et comiques (à l’exception d’une seule occurrence dans le Ploutos d’Aristophane ; cf. n. 52), des philosophes (chez Aristote, le mot désigne parfois une maladie qui relève de la médecine vétérinaire)… ; Leonard BRANDWOOD , A Word Index to Plato, Leeds, 1976, à la p. XVII, classe l’Alcibiade II parmi les « unauthentic or suspect works » et c’est là l’opinion de tous les platonisants, sans exception, depuis 20 ans ; cf. Holger THESLEFF, Studies in Platonic Chronology, Helsinki, 1982, p. 231-232 qui situe la rédaction de l’Alcibiade II à la fin du IVe siècle (certains spécialistes ont même cru relever dans ce traité l’influence des stoïciens et d’Arcésilas ; ce fut encore le cas de Carlini en 1962). L’authenticité de l’Alcibiade II étant rejetée, il faut remarquer que la podagre n’est jamais citée par Platon, que l’ophtalmie (ophtalmía) l’est 4 fois et la fièvre (puretós) 8 fois. C’est peut-être A. DELPEUCH, op. cit., p. 7-8 qui est responsable de cette conception de la goutte, maladie courante à l’époque de Périclès et de Socrate, bien que l’auteur de cette monographie, remarquable pour l’époque, ait su (cf. p. 8) que « le témoignage de Socrate… se trouve, non dans un des écrits authentiques de Platon, mais dans un des dialogues qui lui sont contestés ». A. Delpeuch, qui est d’avis que la goutte était alors une maladie d’une « fréquence relative », invoque le témoignage d’Aristophane (Ploutos, 559-560) pour conclure : « le fait qu’elle (= la goutte) se trouve dans une comédie jouée devant le peuple athénien tout entier montre assez qu’il ne s’agissait pas d’une maladie exceptionnelle, désignée par un nom technique, mais d’une affection que tous connaissaient bien… ». A. Delpeuch ne se montre pas conscient de ce que le grand poète athénien n’a pas cessé de recourir à un vocabulaire médical technique que seuls sans doute des initiés pouvaient saisir (cf. apóplektos, Guêpes, 948 ; cotylédon, Guêpes, 1495 ; steríphe, Thesmophories, 641 ; strangouria, Guêpes, 810 ; phlyctaina, Assemblée, 1057 ; Guêpes, 1119 ; Grenouilles, 236…). À

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Néanmoins l’ancienneté de la goutte est bien établie dans le monde grec, dès l’Âge du bronze moyen (vers 1700 a.C.), comme l’a prouvé le paléopathologiste John L. Angel38. L’auteur coaque de la 6e section des Aphorismes affirme que les eunuques39, les femmes tant qu’elles sont réglées40 et les jeunes garçons avant l’usage du coït41 ne sont pas atteints par la goutte. Cette affirmation, fondée pour l’essentiel sur une observation réelle42, n’a cependant pas été unanimement reçue par tous les médecins antiques, par Celse43 et Galien notamment44 et par tous les mon avis, l’auteur de l’Alcibiade II, en 140a, a voulu désigner toutes les affections de son temps : les plus communes du climat oriental : les fièvres (puretós apparaît 418 fois dans le Corpus hippocratique et est la « maladie » la plus répandue), les affections courantes (l’ophtalmie) et celles qui, à l’époque, étaient relativement rares encore (la podagre) mais qui allaient devenir fréquentes (cf. entre autres, Plutarque, Lucien et surtout Galien). 38 John L. ANGEL, The People of Lerna, Analysis of a Prehistoric Aegean Population, Princeton & Washington, Smithsonian Institution Press, 1971, p. 51, 89 et 92 ; pl. XXIV. 39 Cf. Aphorismes, 6, 28 (L IV, 570). 40 Cf. Aphorismes, 6, 29 (L IV, 570). 41 Cf. Aphorismes, 6, 30 (L IV, 570). A. DELPEUCH, op. cit., p. 48 peut écrire : « Les trois aphorismes inséparables 28, 29 et 30 de la VIe section… formulent… ce qu’on peut appeler la théorie génitale de la goutte ». 42 Cf. Le diagnostic en rhumatologie, sous la direction de S. De Sèze et A. Ryckewaert, Paris, Masson, 1978, p. 63 : « (est atteint de goutte) neuf fois sur dix, l’homme, en général entre 30 et 50 ans, souvent obèse et bon vivant » ; Danielle GOUREVITCH , Le mal d’être femme. La médecine à Rome, Paris, Les Belles Lettres, 1984, p. 62. 43 Cf. CELSE, De medicina, 4, 29 ; 4, 31, 1-2. 44 Cf. GALIEN , In Hippocr. aph. XVIII A 42-43 : « Les eunuques, eux aussi, sont frappés de la goutte, bien qu’ils soient totalement privés des plaisirs de l’amour. Leur paresse, leur gloutonnerie, leur amour du vin sont si grands que, même sans s’adonner à l’amour, ils peuvent être atteints de la goutte aux pieds ». Sur cette question, voir G.D. KERSLEY, « Eunuchs do not take the Gout », in Med. J. Soutw., 71 (1956), p. 136-137 et A.J.S. McFADZEAN, « A Eunuch takes the Gout », in Brit. med. J., 1 (1965), p. 1038-1039.

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philosophes45. Elle sera exprimée aussi partiellement par l’auteur des Prénotions coaques qui mentionnera la goutte (podagriká) parmi les maladies qui ne se développent pas avant la puberté qu’il fixe à quatorze ans46. Le même auteur de la 6e section des Aphorismes est d’avis que « dans les affections goutteuses, l’inflammation tombe et se dissipe en quarante jours »47 et il affirme aussi que les accès se produisent au printemps et à l’automne48, ce que n’a pas vérifié la médecine moderne49. L’auteur du traité Des maladies I écrit que la goutte n’est pas mortelle mais qu’elle laisse fréquemment des lésions permanentes et qu’elle est de longue durée chez les vieillards50 ; celui du Prorrhétique II soutient que la goutte est incurable chez ces derniers : « Quant aux goutteux, ceux qui sont vieux ou qui ont des concrétions (epiporómata) autour des articulations, ou qui mènent une vie oisive et ont le ventre resserré, tous ceux-là sont au45

Cf. SÉNÈQUE, Ep., 95, 20. Texte cité par Danielle GOUREVITCH, Le triangle hippocratique…, op. cit., p. 239. A.T. SANDISON et Calvin WELLS, chap. 43 « Endocrine Diseases », p. 525 de Diseases in Antiquity, éd. Don Brothwell et A.T. Sandison, Springfield-Illinois, 1967 notent à propos des trois Aphorismes : « There are some interesting references to phenomena which we now realise are probably related to sex hormone activity ». 46 Cf. Prénotions coaques, 5e section, § XXX, 502 (L V, 700) ; sur l’exactitude de l’affirmation, Danielle GOUREVITCH, Le triangle hippocratique…, op. cit., p. 221. 47 Aphorismes, 6, 49 (L IV, 576). La même affirmation se trouve dans le traité Des crises, 19 (L IX, 282). Cette durée peut surprendre le rhumatologue d’aujourd’hui puisque selon Georges SERRATRICE et Alain SCHIANO, Les rhumatismes, Paris, PUF (« Que sais-je ? »), 1983, p. 66 « l’accès (goutteux) dure quatre à dix jours ». 48 Cf. Aphorismes, 6, 55 (L IV, 576). Voir aussi CELSE, op. cit, 4, 24 ; LUCIEN, Tragédie de la goutte, 43-48 ; 117-118. 49 Cf. Danielle GOUREVITCH , Le triangle hippocratique…, op. cit., p. 229. Le docteur Florent COSTE, dans Le rhumatisme, Paris, PUF (« Que sais-je ? »), 1958, p. 111 mentionne cependant le printemps et l’automne comme saisons où réapparaissent les accès goutteux. 50 Cf. Des maladies I, 3 (L VI, 144).

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dessus des ressources de l’art humain, autant du moins que je sache… Mais celui qui est jeune, qui n’a pas de concrétions autour des articulations, qui soigne son genre de vie, aime l’exercice et a le ventre obéissant aux choses administrées, celui-là, rencontrant un médecin intelligent, guérira »51. De tout le Corpus Hippocraticum, ce texte est le seul à lier la goutte au genre de vie. Je crois que c’est là un hasard, car Aristophane, dans le Ploutos, sa dernière comédie qui fut représentée en 388 a.C., associe la goutte à la richesse et à l’obésité52. L’auteur du Prorrhétique II est aussi le seul des médecins du Corpus Hippocraticum à avoir souligné l’importance du facteur familial53 : « Au sujet des hydropisies, des phtisies, de la goutte et de ceux qui sont affectés de la maladie dite sacrée, je dis ceci qui est jusqu’à un certain point commun à toutes ces affections, c’est que, chez celui qui y a une disposition congénitale, il faut savoir que la guérison sera difficile »54. Dans la suite du texte déjà cité, Galien se montre tout à fait conscient du caractère héréditaire de l’affection : « Aux raisons que j’ai données pour expliquer que la 51

Prorrhétique II, 8 (L IX, 26-28). Sur ce texte, voir mon étude « La vieillesse dans le Corpus hippocratique », in Formes de pensée dans la Collection hippocratique, Genève, 1983, p. 93-94. Dans ce texte, on trouve sans doute pour la première fois le nom grec des tophus (epiporómata, synonyme de poros). 52 Cf. ARISTOPHANE, Le Ploutos, 559-560. Ce texte est cité à la p. 323 de mon étude « Lucien et la vieillesse », in Les Études Classiques LXVI (1978). Voir aussi l’article d’Harold W. MILLER, « Aristophanes and Medical Language », in American Philological Association, Transactions and Proceedings, 76 (1945), p. 83 (l’auteur y signale, à côté de l’emploi du participe podagrontes au v. 559 du Ploutos, les 4 emplois hippocratiques du verbe podagriáo). C’est peut-être la goutte que veut désigner l’auteur des Aphorismes, 7, 65 (L IV, 598) qui lie des douleurs articulaires à un excès alimentaire. 53 Georges SERRATRICE et Alain SCHIANO , op. cit., p. 65 : « Un facteur familial est présent dans un quart des cas ». 54 Prorrhétique II, 5 (L IX, 20). Sur ce texte, voir M.D. GRMEK, op. cit., p. 280 et la n. 63 et D. GOUREVITCH, Le triangle hippocratique…, op. cit., p. 245.

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goutte est très répandue à notre époque vient s’en ajouter une autre : beaucoup sont issus de pères et de grands-pères déjà podagres eux-mêmes ; il est évident que leur semence était déjà de mauvaise qualité et que, pour ce motif, elle a entraîné chez leurs descendants une assez grande faiblesse des parties menacées »55. C’est le traité cnidien56 Des affections, daté du premier quart du IVe siècle par les spécialistes57, qui offre pour la goutte l’exposé le plus circonstancié : « La podagre est la plus violente de toutes les maladies articulaires, la plus longue et la plus tenace ; elle se produit quand le sang qui est dans les veinules a été vicié par la bile et le phlegme ; et, comme là sont les vaisseaux du corps les plus ténus et les plus étroitement serrés, ainsi que des tendons et des os rapprochés, là aussi le mal a le plus de persistance et de ténacité. Les mêmes moyens qu’à l’arthrite conviennent ici ; la maladie est longue et douloureuse, mais non mortelle. Si la douleur (odúnè) reste fixée sur les gros orteils, on brûlera les vaisseaux de l’orteil un peu au-dessus du condyle et on brûlera avec du lin écru »58. Nous trouvons dans ce tableau une description des symptômes, une étiologie, une thérapeutique et un bref développement sur le pronostic. Dans un des traités de Cos les plus célèbres et les plus anciens, celui Des airs, des eaux et des lieux, daté généralement du dernier tiers du Ve siècle, nous 55

GALIEN, In Hippocr. aphor. XVIII A 43 K. Jacques JOUANNA , Hippocrate et l’École de Cnide, Paris, Les Belles Lettres, 1974, e.a. p. 290 a démontré l’appartenance du traité Des affections à l’École de Cnide. 57 J. W ITTENZELLNER, Untersuchungen zu der pseudohippokratischen Schrift Peri Pathon, Diss. Erlangen, Nürnberg, 1969, p. 103-104 et 120 propose la date de 390 tandis que Jacques JOUANNA, op. cit., p. 513 penche pour les années 385/375. 58 Des affections, 31 (L VI, 242-244). A. DELPEUCH, op. cit., p. 82 note qu’en brûlant les vaisseaux « on se proposait, d’une part, de dessécher, de fortifier par ce moyen les parties trop humides et trop faibles et, d’autre part, d’intercepter le cours du sang et d’empêcher l’afflux des humeurs morbides ». 56

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rencontrons une étiologie différente : en effet, l’auteur, dans un chapitre consacré à l’impuissance sexuelle des Scythes, prétend que « là où les gens pratiquent l’équitation, particulièrement et très fréquemment, beaucoup sont atteints (de différentes affections articulaires et) de la goutte (podagrion) »59. Les médecins du Corpus Hippocraticum vont essayer de combattre la goutte par des moyens les plus divers et surtout de faire disparaître sa manifestation clinique la plus évidente : la douleur. L’auteur de l’appendice du traité Des maladies des femmes I propose le traitement suivant : « Dans les douleurs goutteuses, appliquer sur les parties gonflées du sel dont on fait une pâte avec de l’eau et ne pas détacher de trois jours ; puis, quand vous l’avez ôté, piler du nitre rouge cru et un peu de miel, et s’en servir comme du sel, le même temps ; le sel pilé se jette dans un vase, puis on le saupoudre d’un peu d’alun, alors on met les chaudrons sur le feu et derechef on saupoudre avec le sel et l’alun, enfin on le laisse se cuire une nuit et un jour »60. L’auteur de la 5e section des Aphorismes préconise un autre remède : « Les gonflements et les douleurs, sans plaie, dans les articulations, la goutte, les ruptures (musculaires) sont généralement soulagées par d’abondantes affusions d’eau froide qui diminuent la tuméfaction et amortissent la douleur ; un engourdissement (nárkè) modéré a la propriété de dissiper la douleur »61. L’auteur du court texte intitulé De l’usage des liquides, qui consacre des développements spécifiques 59

Des airs, des eaux et des lieux, 22 (L II, 80). Sur ce texte, voir notamment Robert JOLY, Le niveau de la science hippocratique, Paris, Les Belles Lettres, 1966, p. 209. 60 Des maladies des femmes I, 98 (L VIII, 224). 61 Aphorismes, 5, 25 (L IV, 540). A. DELPEUCH, op. cit., p. 80 écrit : « On connaît le sentiment d’Hippocrate au sujet des affusions froides. Cette pratique, très approuvée dans l’antiquité, a été fort critiquée, et avec raison, par les modernes ».

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au rôle du froid et du chaud, exprime des considérations analogues à celles professées par l’auteur de la 5e section des Aphorismes car, comme l’écrit Robert Joly : « Il est manifeste qu’un texte est inspiré par l’autre. Mais lequel ? »62. « Les deux (= le froid et le chaud) sont utiles pour les gonflements aux articulations, pour la goutte sans ulcération, pour la plupart des spasmes ; dans ces cas, beaucoup d’eau froide en affusion sèche la sueur et engourdit (narkoí) la douleur. Un engourdissement (narkè) modéré calme la douleur et le chaud aussi dessèche et assouplit »63. Nous constatons par ces textes que les médecins hippocratiques s’efforçaient de provoquer un engourdissement (narkè) de la douleur. Il n’est pas téméraire d’affirmer aujourd’hui que leurs résultats 62 Robert JOLY , Hippocrate, tome VI, 2, Paris, Les Belles Lettres, 1972, p. 160. 63 De l’usage des liquides, 6, 2 (L VI, 132 = éd. R. Joly, p. 169). L’auteur du même traité (4, 2 = L VI, 128 = R. Joly, p. 168) est d’avis aussi que le vinaigre « serait efficace pour la goutte, s’il ne blessait la peau ». Il avait soutenu quelques lignes plus haut (4, 1 = L VI, 126 = R. Joly, p. 168) : « Le vinaigre est analogue à l’eau de mer pour la peau et les articulations et il est plus efficace par affusion ou vapeur ». Cet auteur semble donc, lui aussi, distinguer la goutte des autres maladies rhumatismales. THÉOPHRASTE, Histoire des plantes IX, 9 recommandait, contre la goutte, la racine de mandragore (Mandragora officinarum). Faut-il dire que je suis ébahi de lire sous la plume de Georges SERRATRICE et d’Alain SCHIANO , op. cit., p. 6 l’affirmation suivante : « Dès le Ve siècle avant Jésus-Christ, Hippocrate… propose le traitement des accès (de goutte) par l’extrait de colchique » ? Dans une monographie fondée, pour l’antiquité au moins, sur une documentation de seconde main et intitulée « Petite histoire de la rhumatologie et de sa thérapeutique », in Histoire de la thérapeutique, 3 (1971), p. 5, P. HUARD écrit plus exactement, me semble-t-il, « Vers le Ve siècle (= p.C.), un médicament spécifique et efficace, le colchique d’automne fut acquis par les Byzantins. Mais il n’était valable que pour la podagre ». S.L. WALLACE, dans sa communication, a mis les choses au point. Cf. « Colchicum cures Everything », in Art, History and Antiquity of Rheumatic Diseases, Bruxelles, Elsevier (éd. Th. Appelboom), p. 88-90.

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devaient être médiocres, sinon nuls. C’est cette inefficacité des remèdes rationnels qui explique que les malades atteints de la goutte aient eu recours à la médecine religieuse des sanctuaires, comme celui d’Épidaure64, ou aient été acculés au suicide65. Il est temps de conclure cette communication qui a dû être la plus brève possible. J’aimerais dire un mot — rien qu’un — sur le niveau de la médecine hippocratique dans la discipline, la spécialité qui est devenue de nos jours la rhumatologie. Les médecins dont nous avons cité les textes ne font en aucune façon intervenir l’explication magique ou religieuse. Mais ils sont tous des adeptes de la théorie des humeurs et victimes inconscientes de la polyvalence causale : pour eux, une même cause peut engendrer de multiples effets très variés, la bile et le phlegme sont les causes obstinées de presque toutes les maladies66 et une maladie peut être provoquée par des 64

Une inscription d’Épidaure (I.G., 4, 2 [1] 122-133), du IVe siècle a.C., relate la guérison d’un goutteux. Voyez déjà Salomon REINACH , « La seconde stèle des Guérisons miraculeuses découvertes à Épidaure », in Revue archéologique, 1885, p. 270 propose la traduction suivante pour les lignes 132 à 134 : « Un tel, goutteux… Comme cet homme approchait (du sanctuaire ?) à l’état de veille, une oie (texte conjectural) se jeta sur ses pieds, les ensanglanta et le guérit ainsi de la goutte ». Sur Asclépios et son culte, en particulier à Épidaure, on peut consulter R. HERZOG, Die Wunderheilungen von Epidauros, Leipzig, Philologus Suppl. Bd., 22, 1931, 164 p. et E.J. EDELSTEIN et L. EDELSTEIN, Asclepios. A Collection and Interpretation of the Testimonies, 2 vol., Baltimore, 1945 (repr. New York 1975). 65 Voir à la fin du Ier siècle de notre ère, PLINE LE JEUNE, Ep. I, 12. Cf. Danielle GOUREVITCH, Le triangle hippocratique…, op. cit., p. 246. 66 Jacques JOUANNA , Hippocrate. Pour une archéologie…, op. cit., p. 294-295 le reconnaît lorsqu’il écrit : « Toutes les maladies, en dépit de leurs différences, sont expliquées par ce (même) mécanisme » ; voir aussi sa n. 1 de la p. 295. Robert JOLY, Hippocrate au lycée, op. cit., p. 21 a tout à fait raison de noter : « Le phlegme est une notion extraordinairement vague et la bile hippocratique n’est pas du tout la bile de notre médecine. Elle est

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causes très différentes. C’est ainsi que l’auteur des Affections internes, à la suite du texte que j’ai mentionné67, écrit : « Cette maladie (= la sciatique ou ischiás) vient de la bile ; elle vient aussi du phlegme et du sang »68. Du côté de la thérapeutique, la polycausalité sévit aussi. C’est ainsi que nous avons vu l’auteur du court texte De l’usage des liquides (6, 2) conseiller, contre la goutte, le froid et… (ou) le chaud. Les médecins accordent une grande importance à la doctrine des jours critiques (c’est ainsi que, dans les affections goutteuses, l’inflammation tomberait et se dissiperait en quarante jours69) et ils surestiment le régime alimentaire, non seulement en cas de goutte (ce qui s’impose70), mais dans toutes les affections certes déjà liée au foie, mais un flux de bile peut circuler à peu près partout dans le corps, atteindre n’importe quel organe, causer par ses flux les maladies les plus diverses. Il est tout à fait exceptionnel qu’on puisse vomir de la bile, ce que nous appelons bile. La bile hippocratique est un mythe, une croyance que le médecin grec croit observer tous les jours ». 67 Cf. supra. 68 Affections internes, 51 (L VII, 294). 69 Gaston BACHELARD, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 19654 (avec de très nombreuses rééditions), p. 212-213 dénonce avec pertinence les pièges de la mathématisation : « L’excès de précision, dans le règne de la quantité, correspond très exactement à l’excès de pittoresque dans le règne de la qualité. La précision numérique est souvent une émeute de chiffres, comme le pittoresque est, pour parler comme Baudelaire, une émeute de détails ». Cf. Robert JOLY, Hippocrate au lycée, op. cit., p. 9. 70 Georges SERRATRICE et Alain SCHIANO, op. cit., p. 67 : « Le traitement de fond de la goutte comporte d’abord le régime interdisant en particulier alcool, abats, gibiers, poissons gras, charcuterie et conseillant des boissons abondantes ». Je ne suis pas du tout certain qu’un médecin hippocratique aurait préconisé ces mesures diététiques alimentaires. Robert JOLY, Le niveau…, op. cit., p. 120-121 a bien montré les raisons pour lesquelles tous les médecins antiques ont attaché « une importance souvent démesurée, en tout cas disproportionnée, au regard de ce qu’ils peuvent sûrement savoir en diététique ».

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rhumatismales, ce qui ne doit pas nous surprendre puisqu’ils donnent même fréquemment des prescriptions diététiques qui, aux yeux de la médecine d’aujourd’hui, ne s’imposent nullement dans des cas de fracture et de luxation71. Robert Joly qui a finement analysé le niveau de la médecine hippocratique, et moi-même, « son disciple », si nous sommes conscients des limites de la médecine et de la biologie grecques classiques, nous nous empressons néanmoins de reconnaître la difficulté et l’énormité de la tâche que les médecins hippocratiques ont entreprise. « The proof of their success may be found in that for two millenia no better work was accomplished, and often worse was done »72.

71

Voir les textes rassemblés par Robert JOLY, in Le niveau…,, op. cit., p. 239, n. 1. Il est significatif de constater que, dans l’unique passage où il mentionne une maladie rhumatismale, l’auteur du long traité Du Régime II, 54 (L VI, 558 = p. 174 éd. R. Joly-S. Byl) écrit : « Pour l’arthrite, la racine (du raifort) est mauvaise ». 72 Robert JOLY, art. « Hippocrates of Cos », op. cit., p. 429.

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Chapitre XII LE TRAITEMENT DE LA DOULEUR Le champ sémantique de la douleur est extrêmement important dans le Corpus hippocratique : il est presque aussi riche même que celui de la maladie, encore que les deux concepts se confondent assez souvent. Le premier comporte plus de 3000 occurrences1. C’est la famille d’ÙÊ qui est la plus riche, avec 1038 occurrences parmi lesquelles 772 pour ÙÊ même. La famille de Ò compte 795 occurrences, celle d’ê , 499, celle de ã, 444 et celle de Ê , 59. D’autres mots désignent parfois la douleur, comme, par exemple, le mot homérique #μ que l’on rencontre une fois dans le petit traité Des Glandes2, daté par son dernier éditeur de la fin du Ve siècle ou du début du IVe : ceci montre que Madame Mawet a eu tort d’être aussi catégorique lorsqu’elle a écrit : « Dans la littérature post-homérique, #μ… est totalement absent… du vocabulaire… médical »3. Il est

1

Il y a assurément des cas où Ò signifie seulement « exercice » (cf. le Régime, passim). ã n’a pas toujours le sens de douleur, de souffrance. 2 Des Glandes, 12, 11 (L VIII, 566 ; p. 119 éd. R. Joly). 3 Francine MAWET, « Évolution d’une structure sémantique. Le vocabulaire de la douleur : Apollonios de Rhodes et Homère », in L’Antiquité Classique L (1981), p. 506, n. 13.

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très difficile de savoir si les médecins hippocratiques établissaient une nuance de sens entre é &, ê μ, ê  (attesté seulement 14 fois), ÙÊ , ÙÊ μ, Ò, ã , ã μ, ã et #μ. Nous avons néanmoins plutôt le sentiment que tous ces mots sont, pour les médecins du Corpus, tout à fait interchangeables et en tout cas, nous ne creuserons guère les distinctions possibles, insistant plutôt sur les similitudes. En comparant l’Aphorisme VI, 404 avec l’Aphorisme VII, 525 qui lui est tout à fait parallèle, nous constatons que Ò est le parfait synonyme d’ÙÊ . Au chapitre 15 du traité Des affections6, c’est é Æμ qui est synonyme d’ÙÊ ; dans le paragraphe 542 des Prénotions coaques, 67, ê μ est explicité par Ò tandis qu’au paragraphe 73 des Épidémies V8, ê μ est remplacé par ÙÊ . Un passage du traité Des lieux dans l’homme XLII9 nous amènerait même à penser que la douleur (ÙÊ ) se confond avec la maladie (Ò μ), ce qui ne doit pas trop nous surprendre puisque nous constaterons que la thérapeutique de la douleur est identique à celle de la maladie. Il serait cependant abusif de penser que les médecins hippocratiques ont toujours confondu douleur et maladie. En effet, l’auteur de l’Ancienne Médecine écrit ces lignes : « (les hommes qui ont modifié la nourriture crue et créé ainsi la médecine) pensèrent que les 4

L IV, 572. L IV, 592. 6 L VI, 224. 7 L V, 708. 8 L V, 246. 9 L VI, 334 (p. 71 éd. R. Joly). Mirko D. GRMEK, dans son Histoire du Sida, Paris, Payot, 1989, p. 149 écrit qu’encore aujourd’hui « la grande majorité des gens confondent dans un concept général assez flou les lésions, les symptômes, les syndromes, les états de maladie et les maladies. Même le langage des médecins souffre souvent de telles confusions ». 5

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substances qui seraient trop fortes pour pouvoir être surmontées par la nature, produiraient, si elles étaient ingérées, des douleurs (Ò), des maladies (Ò) et la mort (ã) »10. L’auteur établit donc ainsi une sorte de crescendo, qui, partant des douleurs, passe par les maladies et aboutit à la mort, terme irréversible. Peut-on savoir pour quelle raison le champ sémantique de la douleur est si important dans tout le Corpus ? Y a-t-il un auteur du Corpus qui réponde à cette question ? L’auteur du traité de l’Art, antérieur, selon Robert Joly, à la fin du Ve siècle11, déclare : « Quant à la médecine (car c’est d’elle qu’il s’agit), j’en vais faire la démonstration ; et d’abord, la définissant telle que je la conçois, je dis que l’objet en est, en général, d’écarter les souffrances des malades (éã  « Ò Á 12

μã) » . Comme le titre de ma communication l’indique, je ne vais traiter que de la thérapeutique de la douleur. Apaiser la douleur, la supprimer, c’était souvent, pour les médecins hippocratiques, la chasser, l’expulser : nous avons ici des images qui évoquent une conception ontologique archaïque de la maladie. En fait foi le 10

L’Ancienne Médecine, 3 (L I, 578). Cf. Robert JOLY, Hippocrate. Médecine grecque, Paris, 1964, p. 224. Cette date est proposée par Jacques JOUANNA, Hippocrate. Des vents – De l’art, Paris, Les Belles Lettres, 1988, p. 191. 12 Art, 3 (L VI, 4). L’auteur du traité Du Régime I, 15 (L VI, 490 = p. 136 éd. R. Joly-S. Byl, Berlin, CMG I, 2, 4, 1984) écrit : « Ceci aussi est le propre de la médecine : débarrasser de ce qui fait souffrir (Ú ° éã )… ». L’auteur du traité des Vents (L VI, 92 = p. 105 éd. J. Jouanna) définit « la médecine » comme une « soustraction (é' ) et addition, soustraction de ce qui est en excès, addition de ce qui est en défaut ». Je mets en exergue cette phrase de Mirko D. GRMEK, in Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale, Paris, Payot, 1983, p. 11 : « La thérapeutique et la prophylaxie n’ont eu, jusqu’au début du XIXe siècle, pratiquement aucune influence sur la nature et la fréquence des maladies présentes dans une société ». 11

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vocabulaire. À côté de Ê13 et de Ê/Êμ 14, qui sont les deux verbes les plus fréquents pour marquer la résolution de la douleur, se rencontrent de nombreux verbes dont le préverbe marque souvent l’éloignement : éã15, é °16, é'17, éã18, é °19,  '20,

'21,

 ã22, Ò23, ã24,  Ò25, = *26 et ã27. Il s’agit donc maintenant pour nous de déterminer les innombrables moyens par lesquels les médecins hippocratiques tentaient d’apaiser ou plutôt d’expulser la douleur d’une partie malade. La thérapeutique hippocratique est particulièrement complexe. Le patient grec ne pouvait pas, comme c’est généralement le cas 13

Ê se trouve notamment, dans le champ sémantique de la douleur, en II, 268 (= Ê), II, 272, IV, 504, IV, 532 (Ê ), IV, 572 ; IV, 592, IV, 594, V, 250, V, 276, V, 602, V, 620, V, 644, V, 648, V, 682, V, 708, V, 728 (+ le substantif !  ) ; VIII, 224. Le verbe est déjà employé avec cette acception dès Homère (cf. Odyssée V, 397). 14 Ê/Êμ , dans le champ sémantique de la douleur, se rencontre notamment en I, 618, II, 146, II, 252-254, II, 274, V, 354, V, 460, V, 668, VI, 236, VI, 240, VI, 310, VII, 30, VII, 32, VII, 88, VI, 238, VII, 400, VIII, 110, VIII, 114, VIII, 278, VIII, 448-450, IX, 160. 15 Cf. I, 618, VI, 4, VI, 210, VI, 454-456, VI, 490, VII, 22. 16 Cf. VII, 106. Voyez Jacques JOUANNA , Hippocrate. Maladies II, Paris, Les Belles Lettres, 1983, p. 209, n. 1. 17 Cf. VI, 210-212. 18 Cf. V, 650. 19 Cf. VI, 490. 20 Cf. IX, 160. 21 Cf. V, 212. 22 Cf. IX, 68-70. 23 Cf. VI, 118. 24 Cf. VI, 240. 25 Cf. VI, 132. 26 Cf. IV, 540. 27 Cf. VII, 20, VII, 30, VII, 104-106.

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aujourd’hui, se contenter d’absorber une substance analgésique, suivant une posologie proposée par le médecin ; il était soumis à des traitements multiples au point que si Robert Joly a pu parler de polypharmacie28, je n’hésiterai pas à parler de polythérapie. Bien que les exemples en soient très nombreux, je me limiterai à un seul, celui qui, en Maladies II, évoque ce que Jacques Jouanna appelle la maladie de l’éructation : « … quand le malade est en proie à la douleur (Ë " $ ÙÊ !˙), baignez-le dans beaucoup d’eau chaude et faites des applications tièdes ( ãμ). Et quand le ventre est douloureux (˜ '  ª ( $ ÙÊ ¬) et a des vents, administrer un clystère (Í Ê ). Faites bouillir de la mercuriale et mélangez la décoction obtenue à la décoction d’orge mondé ; pardessus le malade boira du vin doux jusqu’à ce que la douleur se soit relâchée (!'í $ ÙÊ ã˙) ; le malade boira pendant six jours de l’eau de marcs de raisins doux qui auront macéré une nuit ; s’il n’a pas de marcs de raisins, il prendra du miel et du vinaigre bouilli. Quand le malade est débarrassé de sa douleur (# ÙÊ  é Æ˙)… »29. Nous constatons par ce seul texte que le malade est soumis à de multiples traitements et que le médecin considère que guérir son patient, c’est le débarrasser de sa douleur. Je me propose maintenant de tenter d’établir une classification des traitements infligés au malade par le médecin qui essaie d’expulser la douleur. Le régime occupe une place tout à fait démesurée30 dans la thérapeutique hippocratique de la douleur31. C’est 28 Cf. Robert JOLY, Le niveau de la science hippocratique, Paris, Les Belles Lettres, 1966, p. 49. 29 Maladies II, LXIX, 2-3 (L VII, 104-106 = p. 208-209 éd. J. Jouanna). Sur l’ensemble de ce chapitre, ÙÊ apparaît 6 fois, Ë 1 seule. 30 Cf. Robert JOLY, Le niveau…, op. cit., p. 120.

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ainsi qu’on peut lire au chapitre 33 des Affections ces considérations : « … Pour tout ce qui tient aux aliments, aux boissons, aux potages, aux médicaments donnés pour la douleur (ÙÊ  · ), on les administrera constamment sans aucun danger, si on les administre conformément à ce qui a été écrit »32. L’auteur de Maladies III recommande à son patient atteint de douleurs aux hypocondres de « boire à jeun aristoloche, hysope, cumin, silphion, mécon blanc, fleur de cuivre, miel, vinaigre et eau »33. Nous noterons aussi que, plus d’une fois, les médecins imposent à leurs patients l’abstention de vin. C’est ainsi que le même auteur stipule, dans le cas d’une phlegmasie cérabrale : « Le vin est défendu absolument (é ° ) »34 et qu’il fait suivre cette interdiction d’une autre prescription diététique : « Pour potage le malade prend la décoction d’orge froide ». À la fin d’un traitement très complexe d’une douleur due à un orifice de la matrice trop béant, le médecin de la Nature de la femme ajoute cette prescription à l’adresse de sa patiente : « Elle mangera des poulpes et de la mercuriale »35. Le mot '  apparaît d’ailleurs parfois 31

Cf. notamment II, 146-148, II, 496, II, 522, V, 250, V, 324, V, 380, V, 668, VI, 216-218, VI, 244, VII, 30, VII, 88, VII, 146-148, VII, 238, VII, 400, VIII, 108-110, VIII, 114, VIII, 2224, VIII, 352, VIII, 402. 32 Affections, 33 (LVI, 244). 33 Maladies III, 16 (L VII, 146-148). 34 Maladies III, (L VII, 118). Cf. aussi VII, 120, VIII, 352 et VI, 216-218. Il faut remarquer que l’abstinence de vin peut être une prescription religieuse. Cf. Hymne homérique à Déméter, 200-210. Mais dans d’autres cas, le vin est recommandé. Cf. le texte cité supra de Maladies II, LXIX, 2 (L VII, 104-106 = p. 208 éd. J. Jouanna) ; parfois le vin entre dans la préparation d’une fumigation : VIII, 400. L’auteur du traité Du Régime des maladies aiguës L-LII consacre un long développement à l’usage médical du vin et, en LI, 2 (L II, 334), il écrit : « Voilà de bons critères des avantages et désavantages du vin, mais ils étaient ignorés de mes prédécesseurs » (éd. R. Joly, p. 58). 35 Nature de la femme, 45 (L VII, 390). La mercuriale est une plante médicinale de la famille des euphorbiacées.

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dans une recette contre la douleur. Ainsi au chapitre 15 du Pronostic, nous lisons : « Quand les souffrances (é μã) des régions thoraciques ne cessent (pas) par… le régime alimentaire ( ')… »36. La chaleur — les médecins hippocratiques diraient le chaud (Ú μÒ) — joue un énorme rôle dans les remèdes contre la douleur. Il y a d’abord les fomentations ( Æ ,  ãμ)37. Les textes où apparaissent les fomentations sont extrêmement nombreux ; aussi vais-je me limiter à deux d’entre eux. J’emprunte le premier à un chapitre de Maladies II, où nous lisons : « Quand le malade présente ces symptômes (de la « pleurésie »), appliquer des fomentations à l’endroit de la douleur (% ÙÊ !˙,  ãμ  ° ) »38. Nous trouvons dans ce texte l’idée, souvent répétée ailleurs39, que le remède contre la douleur doit être appliqué à l’endroit de la douleur. C’est dire qu’un médecin hippocratique aurait été fort surpris de constater que ses confrères du XXe siècle prescrivent généralement des analgésiques per os, qui n’agissent cependant pas du tout au même niveau du corps. J’emprunte le deuxième texte à un traité gynécologique. Dans le cas d’une métrite, l’auteur du traité Maladies des femmes II propose notamment cette prescription : « … Si les douleurs sont pressantes (  ' ), fomenter ( # ) avec des 36

Pronostic, 15 (L II, 146-148) ; cf. Prénotions coaques, 2, 388 (L V, 668). 37 Cf. II, 368, II, 464, V, 238-240, VI, 104, VI, 210-212, VI, 216218, VI, 224, VI, 240, VII, 32, VII, 62, VII, 64, VII, 82, VII, 88, VII, 104-106, VII, 126, VII, 132, VII, 146-148, VII, 184, VII, 202, VII, 206, VII, 378, VII, 390, VIII, 332, VIII, 346, VIII, 352, VIII, 402, VIII, 448-450… 38 Maladies II, XLIV, 2 (L VII, 62 = p. 175 éd. J. Jouanna). Sur la « pleurésie » antique, cf. Mirko D. GRMEK , Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale, Paris, Payot, 1983, p. 20, 30. 39 Cf. V, 430, VI, 216-218, VI, 242, VII, 64, VII, 82, VII, 88, VII, 126, VII, 132, VII, 148, VII, 184, VII, 202, VII, 206, VIII, 346348…

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éponges chaudes trempées dans l’eau et l’huile et exprimées… »40. Les auteurs hippocratiques préconisent souvent aussi, dans leurs recettes contre la douleur, le bain41, très généralement le bain chaud42. L’emploi du bain, dans la thérapeutique de la douleur, se comprend fort bien si nous reconnaissons, avec René Ginouvès, que les médecins du Corpus avaient « le sentiment général que le bain favorise les évacuations (Épidémies L V, p. 320 ; Affections L VI, p. 224), le vomissement (Régime salutaire L VI, p. 80 ; Affections L VI, p. 238), qu’il fait uriner (Maladies II, VII, p. 22), qu’il favorise la sudation… (Lieux dans l’homme L VI, p. 310) »43. C’est dire que le bain devait passer pour un remède particulièrement adapté à l’expulsion de la douleur. En témoignent les exemples suivants : « Si des douleurs se jettent ( μ° ) sur la tête, il importe d’échauffer ( μ' ) la tête du patient en la baignant avec beaucoup d’eau chaude (Ê “ μ“…)44. Pour toutes les douleurs naissant soudainement dans le corps, sans fièvre, il convient de laver (Ê ) le patient avec beaucoup d’eau chaude »45. C’est parfois l’eau de mer qui est recommandée pour le

40

Maladies des femmes, 2, 171 (L VIII, 352). Cf. René G INOUVÈS, Balaneutikè. Recherches sur le bain dans l’antiquité grecque, Paris, De Boccard, 1962, p. 368-369 (et la n. 12 de la p. 368). 42 Cf. II, 346, V, 434, VI, 222-224, VI, 224, VI, 233-240, VI, 316, VII, 64, VII, 88, VII, 104-106, VII, 146-148, VII, 202, VIII, 278, VIII, 332, VIII, 402. 43 René GINOUVÈS , op. cit., p. 368, n. 12. René Ginouvès ne parle cependant guère de la médecine. 44 Affections, 2 (L VI, 210). 45 Affections, 16 (L VI, 224). Il faut se souvenir que Platon, vers 350, dans les Lois VI, 761c n’admettra l’installation de bains chauds dans les gymnases qu’en les réservant aux vieillards,  å å μã, aux malades, et aux cultivateurs fatigués par les travaux des champs. Cf. R. GINOUVÈS , op. cit., p. 135-136. 41

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bain46. C’est ainsi que nous lisons dans les Épidémies VII : « Onisantidès avait une douleur de l’épaule survenue en été à la suite d’un dépôt. Baigner le corps et l’épaule dans la mer aussi longtemps que possible pendant trois jours ; boire un vin blanc léger en étant couché dans la mer, et uriner dans la mer »47. Commentant ce texte, Robert Joly écrit : « Surdétermination bien naturelle : la mer, dans la conscience collective, purifie tout »48. Si les médecins prescrivent très souvent le bain, ils l’interdisent parfois. C’est ainsi que l’auteur de Maladies II écrit pour un malade dont le cerveau souffre de la bile : « Il s’abstiendra des bains pendant la durée de la douleur »49. Suivant en cela le grand Bachelard50, nous dirons qu’une notion valorisée (comme le vin, le bain et d’autres notions) est toujours ambivalente. Si le bain chaud est souvent recommandé, c’est que le chaud est valorisé. C’est ainsi que l’auteur du petit traité De l’usage des liquides écrit : « Pour les yeux, le chaud est bon en cas de 46

Cf. G. ROCCA-SERRA, « La mer, agent thérapeutique dans l’antiquité classique », in Archives internationales d’histoire des sciences, Paris, 1969, p. 17-44. 47 Épidémies VII, 76 (L V, 434). Cf. Épidémies V, 58 (L V, 240). 48 Robert JOLY , Le niveau…, op. cit., p. 228. Dans le Ploutos, 657-658, Aristophane se moque d’un traitement de médecine religieuse comportant un bain de mer froid : « Par Zeus, il devait être heureux, le vieillard, d’être baigné dans l’eau salée froide ! ». Un auteur tardif, Diogène Laërce, Vie de Platon, raconte que Platon tomba malade « en Égypte et qu’il y fut guéri par les prêtres grâce à un remède d’eau de mer, ce qui lui fit dire : “La mer lave tous les maux de l’homme” ». 49 Maladies II, XIX, 2 (L VII, 32 = p. 153 éd. J. Jouanna). Il n’est peut-être pas sans intérêt de se souvenir que les charlatans qui prétendaient guérir l’épilepsie prescrivaient à leurs patients l’abstinence de bains (cf. Maladie sacrée, L VI, 354 : «  é° ). 50 Cf. Gaston BACHELARD , La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 19654, p. 122 : « C’est un des traits fondamentaux d’une pensée valorisante que toute valeur peut être niée ».

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douleurs… »51 ou « le chaud… calme les douleurs (é&) »52. L’auteur du traité Des lieux dans l’homme proclame qu’« on calmera la douleur par des médicaments échauffants, dans le cas d’une “pleurésie” et d’une péripneumonie (μ '  μã   ) »53. D’autres textes vont tout à fait dans le même sens54. Mais si le chaud est souvent valorisé, le froid l’est aussi. C’est ainsi qu’on lit dans le chapitre 30 des Affections consacré à l’arthrite : « … Il convient d’appliquer sur la partie douloureuse des raffraîchissants (Ê μ) »55 ou dans le chapitre 19 de Maladies II : « quand le malade présente ces symptômes (= le cerveau souffrant de la bile), appliquez-lui des réfrigérants à la tête (Ê μ) »56 ou encore au chapitre 1 de Maladies III : « (en cas de phlegmasie cérébrale)… il faut, quand la douleur est intense, rafraîchir la tête (Ê ) ; le mieux est de la raser, et de mettre dans une vessie ou un boyau quelque réfrigérant («   «  ), par exemple le suc de strychnos et la terre du potier ; on applique et on retire tour à tour avant que la substance appliquée ne s’échauffe… »57. Nous lisons aussi dans le petit traité De l’usage des liquides, qui consacre des développements spécifiques au rôle du froid et du chaud, ces considérations : « Les deux (= le froid et le chaud) sont utiles pour les gonflements aux articulations, pour la goutte sans ulcération, pour la plupart des spasmes ; dans ces cas beaucoup d’eau froide en affusion sèche la sueur et engourdit ( )) la douleur. Un engourdissement (ã ) modéré calme la 51

De l’usage des liquides VI, 4 (L VI, 132 = p. 169 éd. R. Joly). Ibid. VI, 5 (L VI, 134 = p. 170 éd. R. Joly). 53 Des lieux dans l’homme XVII, 1 (LVII, 32 = p. 153 éd. J. Jouanna). 54 Cf. VII, 20, VII, 30. 55 L VI, 242. 56 Maladies II, XIX, 2 (L VII, 32 = p. 153 éd. J. Jouanna). 57 Maladies III, 1 (L VII, 118). 52

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douleur et le chaud aussi dessèche et assouplit »58. Nous constatons ici que le médecin hippocratique s’efforce de provoquer un engourdissement (ã ) de la douleur, par le froid ou par le chaud et qu’il est donc victime en thérapeutique de ce que Robert Joly a appelé la polyvalence causale ou polycausalité59. Dans la thérapeutique de la douleur intervient souvent la purgation60 qui semble un des moyens les plus efficaces d’expulser la douleur. C’est ainsi que nous lisons dans un passage du Régime des maladies aiguës : « (l’euphorbe et l’ellébore noir) apaisent la douleur (qui se situe sous le diaphragme sans se déclarer à la clavicule). Beaucoup d’autres purgatifs (Í ã) l’apaisent aussi, mais ce sont les deux meilleurs que je connaisse »61. Un aphorisme nous apprend que la purgation peut se faire par le haut ou par le bas : « Les douleurs au-dessus du diaphragme sont une indication de purger par le haut (ê μ ' ) ; au-dessous, de purger par le bas »62. Dans une recette complexe de Maladies II63 figure notamment la prescription suivante que nous avons déjà mentionnée : « Et quand le ventre est douloureux (˜ '  ª ( $ ÙÊ ¬) et a des vents, administrer un clystère (Í Ê ) ». Dans le cas de Polycrate relaté par l’auteur des Épidémies V, la purgation dut être très efficace puisque nous apprenons qu’« après un lavement

58

De l’usage des liquides, 6, 2 (L VI, 132 = p. 169 éd. R. Joly). Cf. aussi Aphorismes V, 25 (L VI, 540). 59 Robert JOLY, Le niveau…, op. cit., p. 32 sq. 60 Cf. II, 146-148, II, 274, II, 466, IV, 504, IV, 506, V, 246, V, 650, VI, 214, VI, 222-224, VI, 242, VII, 30, VII, 104-106, VII, 146148, VII, 490, VIII, 278. 61 Régime des maladies aiguës XXXIII, 2 (L II, 274 = p. 46 éd. R. Joly). 62 Aphorismes, 4, 18 (L IV, 506). 63 La référence se trouve à la n. 29.

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émollient, la douleur cessa ( Êμ ¢ μ “  μ°ƒ !  $ ÙÊ ) »64. Pour venir à bout de la douleur, le médecin hippocratique avait recours aussi aux vomitifs, moyens énergiques d’expulser ce qui est censé être la cause de la douleur, de la maladie65. Un seul texte, extrait du Prorrhétique II, suffira à nous le montrer : « Les douleurs (ÙÊ ) survenant aux épaules, et qui, descendant dans les bras, produisent des engourdissements et des douleurs (ÙÊ) n’ont pas d’apostases, mais elles guérissent (Í ã ) avec le vomissement d’une bile noire. Mais celles qui demeurent là aux épaules, ou même qui vont au dos, se dissipent (  ã ) par un vomissement ( μ°) de pus ou de bile noire »66. Ce texte est plein d’intérêt. En effet, il nous rappelle d’abord que douleur et maladie peuvent se confondre, que la douleur peut se guérir (Í ã , dont le sujet est ÙÊ ) par une expulsion (Ê ã ), en l’occurrence par un vomissement de l’agent causal de la douleur, la bile noire ou le pus. Un autre moyen d’expulser la douleur est la saignée ou phlébotomie. Les textes, qui nous en parlent, sont assez nombreux67. J’emprunte deux exemples à l’œuvre de Polybe, la Nature de l’homme, où nous lisons : « Il faut donc, pour les douleurs du dos et des hanches, faire les saignées aux jarrets, et aux chevilles du côté externe »68 et aussi : « Il faut donc faire les saignées (μ') 64 Épidémies V, 73 (L V, 246). Il est intéressant de constater qu’au v. 1340 des Grenouilles d’Aristophane, « é Ê implique que le lavage débarrasse de quelque saleté ». Cf. R. GINOUVÈS, op. cit., p. 28, 3 : le verbe a encore une connotation magico-religieuse ! 65 Cf. notamment VI, 210-212, VI, 222-224, IX, 68-70. 66 Prorrhétique II, 40 (L IX, 68-70). 67 Cf. II, 146-148, II, 272, V, 250, V, 648, V, 668, VI, 58, VI, 330, VII, 118. 68 Nature de l’homme, 11, 1, 3 (LVI, 58 = p. 194 éd. J. Jouanna).

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pour les douleurs des lombes et des testicules, aux jarrets et aux chevilles, du côté interne »69. Une autre façon d’expulser la douleur est de provoquer l’éternuement70. C’est ainsi qu’on lit dans un texte des Épidémies VII : « La douleur de la tête ne cessant pas, on lui (= Polyphante, à Abdère) administra des sternutatoires (μ ã) »71. Dans un texte des Affections, dont j’ai cité plus haut un extrait, nous lisons ces prescriptions : « Si des douleurs se jettent sur la tête, il importe… de provoquer l’issue du phlegme et de la mucosité en déterminant l’éternuement (μÒ) »72. Pour soulager les douleurs gynécologiques, les médecins ont parfois recours aux fumigations73, très généreusement pratiquées en gynécologie hippocratique. C’est ainsi qu’on lit dans un paragraphe du traité Des maladies des femmes II : « Pour la douleur de matrice (ÙÊ  Í°) : vin d’excellente qualité, coupé d’eau par moitié, trois demi-conges attiques, racines et graines de fenouil un tiers, huile de rose une demi-cotyle, jetez dans un vase neuf, versez le vin et donnez la fumigation ( #)… »74 ; dans un autre paragraphe du même traité, c’est à une infusion utérine que le médecin recourt pour la douleur de la matrice (μ ° ÙÊ  ! )75 avant de proposer une autre fumigation ( # ) propre à calmer les douleurs utérines (Í° ÙÊ  Ë).

69

Nature de l’homme, 11, 2, 9 (L VI, 58 = p. 194 éd. J. Jouanna). Cf. notamment V, 324, V, 460, V, 210, VII, 132. 71 Épidémies VII, 112 (L V, 460). 72 Affections, 2 (L VI, 210). À la p. 236 de son livre Le niveau.…, op. cit., Robert JOLY écrit : « on sait l’importance de l’éternuement comme signe ominal dans la religion grecque : fausse rationalisation de la mantique populaire ». 73 Cf. notamment VIII, 278, VIII, 352-354, VIII, 400. 74 Maladies des femmes II, 206 (L VIII, 400). 75 Cf. Maladies des femmes II, 172 (L VIII, 352). 70

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Assez paradoxalement sans doute, le médecin hippocratique n’hésite pas à cautériser son patient… pour calmer sa douleur76. Ainsi, dans un chapitre des Épidémies VI, pour combattre les douleurs, le médecin prescrit la cautérisation à côté de la purgation ( ' ), de l’incision, de l’application du chaud, du froid, des éternuements…77. Il peut nous paraître étrange aujourd’hui de lire à plusieurs reprises dans le Corpus qu’« une douleur violente et subite (du foie) est dissipée par une fièvre (Ò) qui survient »78. Mais il ne faut pas perdre de vue que la fièvre est un feu, Ë, élément chaud par excellence qui, par ailleurs, peut provoquer l’exsudation et que le mot simple Ë peut, dans un contexte médical, signifier la fièvre. Les médecins avaient encore d’autres moyens de lutter contre la douleur, de l’expulser du corps du patient : l’évacuation de crachats79, l’onction80, l’hémorragie81, l’incision82 et l’emploi de ventouses83. Citons un dernier texte très bref, emprunté au traité des Affections internes : « (dans un érysipèle du poumon) la douleur persistant, 76

Cf. notamment V, 324, VI, 244. Cf. Épidémies VI, 3 (L V, 324). Sur le sens d’« évacuer » que possède dans le Corpus le verbe ' , cf. L. MOULINIER, Le pur et l’impur dans la pensée des Grecs, Paris, 1952, p. 158 sq. 78 Prénotions coaques, 2, 440 (L V, 682). Cf. aussi IV, 572, IV, 592. Il faut noter la fréquence d’emploi de Ò : 1037 occurrences dans le Corpus. Je dois l’intégralité des chiffres de mon étude à l’admirable outil de travail qu’est la Concordance des œuvres hippocratiques éditée par Gilles MALONEY et Winnie FROHN, Québec, 1984. Il faut savoir aussi que l’auteur des Vents est d’avis que « la fièvre » est « la maladie la plus commune » (L VI, 96 = p. 109 éd. J. Jouanna). 79 Cf. notamment II, 146, II, 146-148, V, 620. 80 Cf. notamment VII, 132, VII, 184, IX, 160… 81 Cf. notamment V, 602, V, 648, V, 708. 82 Cf. notamment VI, 196, VII, 202. 83 Cf. V, 136. 77

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oignez (') d’huile la partie douloureuse (Ú ° μ°) »84. Pour être complet, je devrais encore citer, dans cet arsenal de moyens thérapeutiques contre la douleur, la succussion85, les cataplasmes86 et les borborygmes87, signes qui annoncent vraisemblablement une expulsion. Robert Joly estime que, dans cette polypharmacie, cette polythérapie, « il est possible, après tout, que quelquesuns des remèdes utilisés aient une vraie valeur thérapeutique… »88. C’est ainsi que nous avons constaté que les médecins utilisaient contre la douleur le « mécon » ou pavot qui fournit l’opium ; mais ils l’emploient tellement rarement comme analgésique que nous sommes en droit de nous demander s’ils étaient conscients des propriétés de ce végétal. Il n’est donc pas téméraire d’affirmer aujourd’hui que les résultats des médecins devaient être médiocres, sinon nuls. C’est cette inefficacité des remèdes rationnels — qui présentent cependant parfois des relents magiques et religieux — qui explique que les malades incurables et torturés par la douleur, aient eu recours à la médecine religieuse des sanctuaires, comme celui d’Épidaure, ou aient été acculés au suicide89. Même aujourd’hui, à l’aube de l’an 2000, ce type de comportement, s’il a 84

Affections internes, 7 (L VII, 184). Cf. V, 354. Sur ce procédé, cf. Louis BOURGEY, Observation et expérience chez les médecins de la Collection hippocratique, Paris, Vrin, 1953, e.a. p. 59-60, 158-159, 173-174 ; Armelle DEBRU, Hippocrate. La consultation, Paris, Hermann, 1986, p. 277. 86 Cf. V, 428-430, IX, 160. 87 Cf. V, 644-646. 88 Robert JOLY, Le niveau…, op. cit. p. 50. À la suite de cette phrase, Robert Joly s’empresse d’ajouter : « encore que l’auteur, vu la variété même des préparations qu’il préconise, en paraisse peu conscient ». 89 Cf. Danielle GOUREVITCH, Le triangle hippocratique dans le monde gréco-romain. Le malade, sa maladie et son médecin, BEFAR, 1984, p. 169-216. 85

201

vraisemblablement diminué par rapport à l’Antiquité, grâce aux progrès constants d’une médecine de plus en plus performante, n’a pas disparu90.

90

Le banal article de M.A. HALEVY et S. HALEVY , « Le problème de la douleur et de l’analgésie chez Hippocrate », in Actes du XVIIe congrès international d’histoire de la médecine, AthènesCos, 1960, vol. I, p. 167-175, n’est d’aucune utilité.

202

Chapitre XIII LA PHRENITIS Le mot    (phrenitis) atteint 25 occurrences dans le Corpus hippocratique ;   Ò (phreniticos) figure 55 fois dans le même Corpus1. Les occurrences de ces deux mots se trouvent dans les œuvres suivantes : les livres III, IV, V et VII des Épidémies, les Prénotions coaques, les Aphorismes, le Prorrhétique I, les Maladies I et III, les Affections, le Régime des maladies aiguës et le Pronostic. Ce sont les Épidémies qui comptent, avec les Prénotions coaques, le plus grand nombre d’occurrences, à savoir 22 pour chacune des deux œuvres. Mirko D. Grmek a très justement remarqué que l’usage et la signification du mot phrenitis se sont perdus2. Nous nous proposons dès lors d’établir le dossier complet de la    hippocratique et de déterminer ensuite s’il est possible d’identifier la nature de cette affection. Au IIe siècle de notre ère, soit près de six siècles après la rédaction des grandes œuvres hippocratiques, Galien3 1

Cf. Concordance des œuvres hippocratiques éditée par G. MALONEY et W. FROHN , Québec, Les Éditions du Sphinx, 1984, t. V, p. 4631-4632. 2 Mirko D. GRMEK , Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale, Paris, Payot, 1983, p. 20. 3 Sur la phrenitis chez Galien, voir M. CENTANNI, « Nomi del male. Phrenitis e epilepsia nel corpus Galenicum », in Museum

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écrit dans son Commentaire au Prorrhétique I : « (Hippocrate) appelle phrenitis un délire ininterrompu dans une fièvre aiguë… Tout le monde s’accorde à utiliser “mainesthai” pour des malades qui délirent sans fièvre, par opposition à “phrenitizein” pour ceux qui délirent avec fièvre. Quant au délire qui arrive en pleine fièvre, on emploie les termes de parakopsai, parechthènai, paralérèsai, paraphronèsai… Hippocrate appelle donc phrénitiques tous ceux qui ont la pensée dérangée sans interruption comme les maniaques, la seule différence entre eux étant la fièvre »4 ». Comparant Hippocrate et Galien, Jackie Pigeaud a écrit fort correctement : « Galien, considérant le consensus des médecins pour distinguer, par la présence de la fièvre, la phrenitis de la manie, a sans aucun doute raison à son époque. Mais rien ne dit que chez Hippocrate la chose fût si claire »5. Bien qu’il ait considéré que la phrenitis ait été engendrée par l’affection du cerveau, Galien rappelle qu’« aucune partie ne cause un délire continu, sinon le diaphragme. En effet, le délire est presque continu dans ce cas ; aussi les Anciens jugeaient-ils que l’inflammation de cette seule partie produisait la phrenitis, et l’ont-ils nommée phrênes, dans l’opinion qu’elle a de l’influence sur la partie pensante »6. Néanmoins, ces textes de Galien ne nous aident pas à poser un rétrodiagnostic. Au Ve siècle, Caelius Aurelianus définit la phrenitis de cette façon : « délire aigu avec fièvre intense, carphologie

Patavinum, 5, 1987, p. 47-79. Sur cette affection, voir aussi A. SAKAI, « Phrenitis, inflammation of the Mind and Body », in History of Psychiatry, 2 (2) n° 6, 1991, p. 193-205. Consulter aussi J. POSTEL et Cl. QUÉTEL (dir.), Nouvelle histoire de la psychiatrie, Toulouse, Paris, 19942. 4 K XVI, 492-494. 5 Jackie PIGEAUD, Folie et cures de la folie chez les médecins de l’antiquité gréco-romaine. La manie, Paris, Les Belles Lettres, 1987, p. 35. 6 GALIEN, Lieux affectés (K VIII, 327 sq.) trad. Ch. Daremberg.

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et pouls petit et serré »7. Il faut noter ici que les médecins hippocratiques négligeaient l’étude du pouls. Au tome II de ses Oeuvres complètes d’Hippocrate, publié en 1840, Émile Littré nous apprend que des historiens de la médecine de son temps admettaient que le nom de phrenitis désignait l’encéphalite ou la méningite. Quant à Littré, il était d’avis que la phrenitis était « une variété des fièvres remittentes et continues des pays chauds »8. Au début du XXe siècle, W.H.S. Jones estimait que la phrenitis était une forme de malaria9. Les auteurs de la récente anthologie, Hippocrate. De l’art médical, (D. Gourevitch, M. Grmek et P. Pellegrin), Paris, 1994, p. 600 expliquent de cette façon le mot phrenitis : « maladie “psychiatrique” aiguë qui associe au symptôme majeur du délire, l’agitation et la fièvre ». Nous commencerons par vérifier cette définition. – maladie « psychiatrique » : le vocabulaire hippocratique relatif à la phrenitis ne laisse aucun doute à ce sujet. Ainsi Apollonios d’Abdère, qui mourut au trentequatrième jour de sa phrenitis, délirait (paralêros)10. Un jeune homme de Mélibée, phrénitique, eut au dixième jour de sa maladie un délire (parekrousen) modéré ; au quatorzième jour, il eut des hallucinations (parekrousthê) et beaucoup de délire de paroles (parelegen)11. À Abdère, Polyphante « délira comme on délire dans la phrenitis » (parekrouse)12. L’auteur du traité Des maladies I, 30 affirme que le patient atteint de phrenitis délire (paranoeei) et qu’il est hors de lui13 ; quelques lignes plus 7

Cf. Émile LITTRÉ, Oeuvres complètes d’Hippocrate, Paris, Baillière, 1840, t. II, p. 572. 8 ID., ibid. 9 In Malaria and Greek History, Manchester, 1909, p. 68. 10 Cf. Épidémies III, 13e malade (L III, 141). 11 Cf. Épidémies III, 16e malade (L III, 149). La forme verbale parekrousen se trouve aussi en Épidémies III, 4e malade (L III, 117119). 12 Cf. Épidémies VII, § 112 (L V, 461). 13 Cf. L VI, 201

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loin, le même médecin emploie le mot paraphronêsis pour désigner le délire ; quatre paragraphes plus loin encore, il recourt au même vocabulaire (paraphroneousin, paraphroneontes)14. Au paragraphe 10 du traité des Affections, l’auteur signale que l’intelligence du phrénitique se dérange (tou nou parakopê), c’est-à-dire que le patient délire (tou nou parakoptontos)15. Au paragraphe 9 des Maladies III, le médecin souligne deux fois le symptôme majeur de la maladie : le délire (ekphrones), en ajoutant que le patient a le regard fixe16. Nous remarquons que le délire en grec s’exprime par des mots formés avec les préfixes para- ou ek-. – La définition relevée dans De l’art médical comporte les mots « maladie… aiguë ». Le traité hippocratique Du Régime des maladies aiguës définit celles-ci comme celles qui tuent le plus grand nombre de gens17 et compte parmi elles la phrenitis et toutes celles dont les fièvres sont continues18. Le médecin, qui est l’auteur du troisième livre des Épidémies, dit des causus — dont nous reparlerons — et des phrenitis qui commencèrent avec le printemps que ce furent les maladies qui attaquèrent le plus de monde et qu’elles étaient aiguës et mortelles19. L’auteur des Prénotions coaques, qui insiste notamment sur la fixité du regard des malades, envisage la phrenitis comme une fièvre aiguë20. Celui des Affections écrit de son côté : « Quant aux maladies du ventre, il faut se recorder ceci : la pleurésie, la péripneumonie, le causus, la phrenitis sont dites maladies aiguës »21. Dans la définition de la phrenitis 14 15 16 17 18 19 20 21

Cf. L VI, 204. Cf. L VI, 217-219. Cf. L VII, 129. Du Régime des maladies aiguës V, 1 (L II, 232). Ibid. Cf. Épidémies III, 6 (L III, 81). Cf. Prénotions coaques, § 223 (L V, 633). Des Affections, 6 (L VI, 215).

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donnée par l’index de l’Art médical, sont cités encore deux symptômes : l’agitation et la fièvre. Le premier de ces symptômes, qu’Émile Littré rend souvent par le mot transport, est exprimé par deux verbes à l’aoriste :  μã  (exemanê)22 et  ã  (ekstantes)23, formés avec un préverbe très significatif,  , hors de, que nous avons déjà rencontré. Mais la fièvre est assurément le symptôme de la phrenitis le plus fréquemment mentionné par les médecins hippocratiques. Passons en revue quelques-uns des nombreux passages du Corpus où la fièvre (puretos, Ò) est associée à la phrenitis : – « le malade atteint de phrenitis, s’étant alité le premier jour… fièvre tremblante, très forte… deuxième jour… fièvre aiguë »24. – « Dans l’île de Thasos, la femme de Déalcès, qui demeurait dans la Plaine, fut prise, après avoir éprouvé un chagrin, d’une fièvre tremblante et vive (puretos phrikodes… oxus)… la fièvre était légère, froid des extrémités… Phrenitis »25. – « Polyphante, à Abdère, souffrait de la tête avec une forte fièvre… phrenitis… »26. – « Dans une fièvre aiguë, (les) malades… sont pris de phrenitis »27. – « la phrenitis… vu la force de la fièvre »28. Bien que la fièvre ait toujours été mentionnée d’une manière qualitative, il ressort néanmoins de tous ces textes que la fièvre des phrénitiques devait être généralement

22

Cf. Épidémies III, 6 (L III, 83) ; III, 16e malade (L III, 149). Cf. Prénotions coaques I, 2, § 94 (L V, 603) ; Prorrhétique I, § 15 (L V, 515). 24 Épidémies III, 4e malade (L III, 117-9). 25 Ibid., 15e malade (L III, 143-147). 26 Épidémies VII, § 112 (L V, 461). 27 Prénotions coaques, § 223 (L V, 633). 28 Maladies I, 30 (L VI, 201). 23

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très élevée. Ce n’est pas sans raison, comme Littré29 l’a bien remarqué, que les médecins hippocratiques ont nommé constamment la phrenitis à côté du causus traduit généralement par fièvre ardente (mais, ainsi que le remarque Mirko D. Grmek30, cette expression ne fait pas partie du vocabulaire médical moderne). Mirko D. Grmek, après avoir constaté que le mot causus dérivait certainement du verbe grec kaio (= je brûle ; cf. cautériser ; caustique), conclut ainsi son examen : « le mot kausos n’est pas traduisible dans le langage actuel : il recouvre une notion périmée, sans équivalent dans la conceptualisation nosologique moderne »31. Il ajoute ceci : « le kausos est, certes, un nom de maladie pour les médecins grecs mais, quant à la réalité nosologique sousjacente, c’est un syndrome à étiologie multiple qui tient son unité d’un mécanisme pathogénétique commun, c’està-dire d’un trouble particulier de l’équilibre hydrique et électrolytique »32. Le causus est une affection fébrile et, pour cette raison, il a été nommé une vingtaine de fois, dans les textes hippocratiques, à côté de la phrenitis. Mais, dans le Corpus, dans les textes où se trouve mentionnée la phrenitis, il se trouve signalés beaucoup d’autres symptômes que nous citerons d’après leur fréquence. Tout d’abord, le phrénitique souffre d’insomnies (ê  – agrupnos)33 ; ses urines ont souvent les caractéristiques suivantes : elles sont tantôt

29

Cf. É. LITTRÉ, op. cit., p. 571. Op. cit., p. 417, n. 26. 31 Ibid. 32 Ibid., p. 419. 33 Cf. Épidémies III, 13e malade (L III, 141) ; ibid., 16e malade (L III, 149) ; Prénotions coaques, § 223 (L V, 633) ; § 571 (L V, 717)… 30

208

ténues ( ã)34 ou tantôt transparentes et incolores (  °,  ã)35. C’est surtout en hiver que la phrenitis se manifeste. En témoignent les exemples suivants : « la sœur d’Hippias, en hiver, prise de phrenitis… »36 ; « l’habitant d’Halicarnasse… souffrit, en hiver, de l’oreille et de la tête non médiocrement… des accidents de phrenitis survinrent… »37 ; « la pleurésie, la péripneumonie, le causus, la phrenitis sont dites maladies aiguës ; elles surviennent le plus souvent et avec le plus d’intensité en hiver…38 ». La douleur de la phrenitis se porte souvent à la tête ; le seul paragraphe 112 du septième livre des Épidémies en porte témoignage : « Polyphante, à Abdère, souffrait de la tête… la douleur de la tête ne cessant pas… phrenitis… ; la servante d’Évalcidas, à Thasos,… souffrait de la tête ; étant devenue phrénitique… ; l’habitant d’Halicarnasse… souffrit de l’oreille et de la tête non médiocrement… des accidents de phrenitis survinrent »39. En témoigne aussi cet extrait du protocole du quatrième malade — un phrénitique — du livre III des Épidémies : « … pesanteur de la tête et du col, avec douleur »40. Le phrénitique, en proie à une forte fièvre, a des « sueurs continues et générales »41 ; il est très souvent plongé dans le « coma », état qui ne correspond pas à ce que nous entendons aujourd’hui par ce mot ; en effet, le 34

Cf. Épidémies III, 4e malade (L III, 117) ; 13e malade (L III,

141). 35

Cf. Aphorismes, 4e section, § 72 (L IV, 529) ; Prénotions coaques, § 568 (L V, 715). 36 Épidémies VII, § 53 (L V, 423). 37 Épidémies VII, § 112 (L V, 461). 38 Des affections, 6 (L VI, 215). 39 L V, 461. 40 L III, 117. 41 Epidémies III, 4e malade (L III, 117) ; un peu plus bas dans le texte, le médecin mentionne de nouveau la sueur du patient.

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« coma » désigne, dans le Corpus, un état de somnolence puisque le patient demeure conscient42. Le texte suivant est très significatif : « Les phrenitis et les causus étaient particulièrement accompagnés de “coma” ; ce symptôme survenait aussi dans le cours de toutes les autres grandes maladies qui étaient avec fièvre. En somme, on observait chez la plupart, ou un “coma” profond, ou des sommeils courts et légers »43. L’aphonie — qui ne correspond pas non plus à notre banale aphonie44 — est parfois associée à la phrenitis. Il faut rappeler ici que l’aphonie hippocratique peut être l’aphonie hystérique, l’aphasie due à une atteinte cérébrale, le mutisme ou encore la mutité. Trois textes45 mentionnent l’aphonie parmi les nombreux symptômes de la phrenitis mais deux d’entre eux ne font que signaler cette pathologie ; l’un des trois souligne toutefois que la patiente46 garda le silence au début de sa maladie. Plusieurs cas de phrenitis comportent la mention de nausées et de vomissements. Ainsi le quatrième malade du troisième livre des Épidémies, atteint de phrenitis, « eut des vomissements abondants de matières érugineuses (c’est-à-dire à l’aspect du vert-de-gris) et ténues… »47 ; le seizième patient eut des nausées48. Le Prorrhétique I signale que « dans les affections phrénitiques, le ptyalisme, avec un grand refroidissement, annonce un vomissement noir »49. 42

Cf. Fernand ROBERT , in Mirko D. GRMEK, op. cit., p. 493. Épidémies III, 11 (L III, 91)3). 44 Sur ce sujet, cf. Danielle GOUREVITCH, « L’aphonie hippocratique », in Formes de pensée dans la Collection hippocratique (ed. François Lasserre et Philippe Mudry), Genève, Droz, 1983, pp. 297-305. 45 Cf. Épidémies III, 4e malade (L III, 119) ; ibid., 15e malade (L III, 147) ; Épidémies VII, § 53 (L V, 423). 46 Il s’agit de la 15e malade (voir la note 45). 47 L III, 117. 48 Épidémies III, 16e malade (L III, 147). 49 Prorrhétique I, 31 (L V, 519). Pour le ptyalisme, voir infra. 43

210

Quelques cas de phrenitis sont accompagnés par la description de carphologie qui est évoquée de cette façon dans un texte célèbre : « J’ai observé ce qui suit sur les mouvements des mains : dans les fièvres aiguës, dans les péripneumonies, dans les phrenitis, dans les céphalalgies, les mains promenées devant le visage, cherchant dans le vide, ramassant des fétus de paille, arrachant brin à brin le duvet des couvertures, détachant les paillettes des murs de l’appartement, présentent autant d’indices d’une terminaison funeste (thanatodeas) »50. Ces deux derniers mots nous amènent à constater que presque tous les cas de phrenitis aboutissent à la mort ; dans l’ensemble du Corpus, nous n’avons découvert que deux cas de guérison : « Le foulon à Scyros atteint de phrenitis… au dix-huitième jour, amendement ; le mal disparut sans sueur »51. Le phrénitique est parfois caractérisé par son adipsie (ê  – adipsos)52, par le fait qu’il boit peu (Ò – brachupotai)53. Dans les descriptions de phrenitis sont parfois mentionnés d’autres symptômes tels que la sputation54, surtout si elle est fréquente, les convulsions (spasmoi)55, les frissons56, l’inflammation57, la surdité (kophoma)58 et la stupeur (nothrotês)59. 50

Pronostic, § 4 (L II, 123). Voir aussi Prorrhétique I, 34 (L V,

519). 51

Épidémies VII, § 79 (L V, 435-437). Cf. Épidémies III, 16e malade (L III, 149). 53 Cf. Prénotions coaques, § 95 (L V, 603). 54 Cf. Prorrhétique I, § 6 (L V, 511) ; Prénotions coaques, § 239 (L V, 637). 55 Cf. Épidémies I, 6 (L II, 637) ; Épidémies III, 4e malade (L III, 119). 56 Cf. Épidémies III, 16e malade (L III, 147) ; Prénotions coaques, § 90 (L V, 603). 57 Cf. Épidémies VII, § 79 (L V, 435) ; Épidémies VII, § 80 (L V, 437). 58 Cf. Épidémies VII, § 71 (L V, 433à. 59 Cf. Prénotions coaques, § 90 (L V, 603). 52

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Plusieurs textes hippocratiques concernent l’étiologie et la thérapeutique de la phrenitis. Mais quelques-uns concernent aussi le siège de la pathologie. Ainsi le traité des Affections nous apprend que la phrenitis « …se fixe aux viscères et aux parties phréniques (phrenas) »60. Celui des Maladies III signale que le phrénitique « a la région phrénique (phrenas) douloureuse, à ce point qu’il n’y laisse pas porter la main… » 61. Si l’affection tire son nom des phrènes, c’est alors une étymologie conforme à ce que laissait entendre l’auteur des Maladies IV, 51, 4 lorsqu’il écrivait, à la fin du Ve siècle : « Quand l’une des humeurs se fixe en un point du corps, la plupart du temps la maladie tire son nom de cette partie du corps ». Plusieurs textes abordent donc le problème de l’étiologie de cette pathologie. Selon l’auteur des Épidémies III, 16e malade, la phrenitis peut être due à « des excès de vin et de femme »62 ; selon d’autres médecins, l’affection est due à la bile63, comme le soutient entre autres l’auteur des Maladies I selon qui « la phrénitis se comporte ainsi : le sang dans l’homme apporte la plus grande part de l’intelligence ; quelques-uns même disent qu’il l’apporte tout entière. Quand donc la bile mise en mouvement a pénétré dans les veines et dans le sang, elle ôte à ce liquide, en le déplaçant et en le changeant en sérum, son mouvement et sa constitution habituelle, et elle l’échauffe. Échauffé, il échauffe à son tour le corps entier ; dès lors le patient délire et est hors de lui, vu la force de la fièvre et le changement qu’a subi le sang par sa modification séreuse et dans son mouvement. Les malades atteints de phrenitis ressemblent surtout aux individus en proie à la folie atrabilaire (melanchotosi kata tên paranoian). En effet, c’est quand le sang est gâté par la bile et le phlegme 60

Affections, 10 (L VI, 219). Des Maladies III, § 9 (L VII, 129). Sur le siège de la phrenitis, voir Jackie PIGEAUD, La maladie de l’âme, Paris, 1981, p. 77-79. 62 Épidémies III, 16e malade (L III, 147). 63 Cf. Des affections, 10 (L VI, 219). 61

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que les mélancoliques sont pris de leur mal et qu’ils délirent ; quelques-uns même ont le transport. Il en est de même dans la phrenitis. Au reste, le transport (maniê) et le délire (paraphronêsis) sont moindres en proportion que la bile est plus ou moins faible »64. Ce texte aussi révèle que la phrenitis est bien une maladie « psychiatrique ». La thérapeutique se trouve évoquée dans quelques rares textes. Ainsi, on lit dans le septième livre des Épidémies que Nicoxène, qui va guérir, « … prit en boisson l’eau de farine, parfois du suc de pomme et de grenade, mêlé avec de l’eau de lentilles grillées, avalé froid ; de la lavure de farine prise cuite et froide ; une décoction d’orge légère ; il se rétablit »65. La thérapeutique fournie par le traité des Affections est plus circonstanciée : « … pour la douleur, on administrera ce qui a été dit à l’article pleurésie, et on fomentera l’endroit douloureux ; on aura soin du ventre… Il y a une exception pour la boisson : on emploiera, il est vrai, la boisson que l’on voudra, à condition que le vin soit exclu ; on peut encore donner le vinaigre, le miel et l’eau. Le vin ne convient pas quand il y a délire, soit dans cette maladie, soit dans les autres. Il importe, dans cette affection, de faire des effusions chaudes et abondantes sur la tête ; car le corps étant assoupli, il y a davantage tendance à la sueur, aux évacuations alvines et urinaires, et au retour de l’intelligence »66. Dans des prescriptions de thérapeutique, l’auteur des Maladies III insiste beaucoup sur les boissons destinées à humecter le ventre du patient mais, comme l’auteur des Affections, il exclut le vin67. Quelques rares textes mentionnent l’âge des phrénitiques ou l’âge à partir duquel un individu peut souffrir de cette maladie. C’est ainsi que dans les 64

Maladies I, 30 (L VI, 201). Ce texte est évoqué par MariePaule DUMINIL, à la p. 229 de son livre Le sang, les vaisseaux, le cœur dans la Collection hippocratique, Paris, 1983. 65 Épidémies VII, § 80 (L V, 437). 66 Des Affections, 10 (L VI, 217). 67 Cf. Des Maladies III, 9 (L VII, 129).

213

Aphorismes on trouve cette longue liste de maladies : « Chez les individus qui ont passé… vingt-cinq ans, des asthmes, des pleurésies, des péripneumonies, des léthargies, des phrenitis, des causus, des diarrhées chroniques, des choléras, des dysenteries, des lientéries, des hémorroïdes »68. Un autre Aphorisme nous apprend que « ceux qui sont pris de phrenitis après quarante ans ne guérissent guère ; car ce qui diminue le danger, c’est le rapport de la maladie avec la constitution et l’âge du malade »69. Un passage des Épidémies VII signale que l’habitant d’Halicarnasse, qui mourut de phrenitis, était âgé d’environ cinquante ans70. Les textes hippocratiques nous apportent encore d’autres renseignements sur cette maladie ; en effet, outre le ptyalisme souvent donné71 comme un symptôme de la phrenitis, la métastase — c’est-à-dire le changement d’une maladie en une autre — est mentionnée, comme en témoignent ces textes : – « la phrenitis peut… se changer (methistatai) en péripneumonie »72. – « cette métastase se fait ainsi… »73. – « il y a changement de pleurésie en causus, de phrenitis en péripneumonie, mais non de péripneumonie en causus »74. L’histoire de la phrenitis a commencé, pour nous, avec Hippocrate, à la fin du Ve siècle avant notre ère ; elle va se poursuivre jusqu’au XIXe siècle avec Pinel75. Soulignant les difficultés du diagnostic rétrospectif, Mirko D. Grmek écrit ceci : « … on ne dira jamais assez 68 69 70 71 72 73 74 75

Aphorismes, 3e section, § 30 (L IV, 501). Aphorismes, 7, 82 (L IV, 607). Cf. Épidémies VII, § 112 (L V, 112). Cf. déjà supra, n. 49. Cf. e.a. Prorrhétique I, § 12 (L V, 515). Des Affections, 10 (L VI, 219). Des Affections, 12 (L VI, 221). Des Maladies I (L VI, 145). Cf. sa Nosographie philosophique, Paris, 18135, t. 2, p. 397-

413.

214

combien, en règle générale, le diagnostic rétrospectif est difficile et fragile. Il est toujours hypothétique, souvent douteux et rarement exclusif… Sans doute, dans l’avenir, un ordinateur pourra donner, pour un bon nombre de descriptions anciennes, des listes presque exhaustives des diagnostics possibles, mais sans pouvoir assortir chaque proposition d’un indice de probabilité »76. Comme nous venons de le noter et comme nous le rappelle aussi Akio Sakaï77, le terme grec phrenitis a été employé jusqu’au XIXe siècle et il a été remplacé par les mots delirium et par celui de confusion. Il est certain, comme l’a souligné Mirko D. Grmek, qu’un rétrodiagnostic est ici particulièrement difficile ; ceci est d’autant plus vrai qu’un diagnostic précis d’une psychopathologie contemporaine est déjà très malaisé. Les symptômes qui appartiennent à la phrenitis hippocratique nous font cependant penser que la correspondance avec un diagnostic actuel se situe dans le cadre des syndromes mentaux organiques dont nous donnons le tableau d’après le D.S.M. III R, pp. 87-88 (Manuel diagnostique et statistique des maladies mentales, 19873, version française abrégée)78. 76

Mirko D. GRMEK, op. cit., pp. 20-21. Pour l’étude de la phrenitis dans la médecine arabe, voir l’article de Danielle JACQUART, « Les avatars de la phrenitis chez Avicenne et Rhazès », in Maladie et Maladies. Mélanges en l’honneur de Mirko Grmek (éd. Danielle Gourevitch), Genève, Droz, 1992, pp. 181-192. L’article le plus récent est celui de J. GODDERIS, « Une antique description du délire fébrile : Galien de Pergame et la “phrénitis” ou “delirium cum febre” », in Medi-Sphere, Bruxelles, novembre-décembre 1994, numéro 35 (Medi-Sphere est une publication mensuelle réservée aux généralistes et internistes belges et tirée à 15.000 exemplaires). 77 Cf. op. cit. 78 Syndromes mentaux organiques. Delirium. A. Diminution de la capacité à maintenir l’attention envers les stimulations externes (par exemple, les questions doivent être répétées car l’attention ne se fixe pas) et à s’intéresser de façon appropriée à de

215

Plus particulièrement, et même si ce concept de phrenitis, selon certains auteurs, est le point de départ d’un modèle d’affection médicale qui présente des manifestations tant somatiques que psychiques, la description des patients hippocratiques atteints de phrenitis se rapproche de ce que nous appelons le syndrome délirant organique, caractérisé de la façon que voici par le D.S.M. III R, pp. 91-92 : nouvelles stimulations externes (par exemple, le patient persévère à répondre à une question posée antérieurement). B. Désorganisation de la pensée, comme le montrent des propos décousus, inappropriés ou incohérents. C. Au moins deux des manifestations suivantes : 1. obnubilation de la conscience, par exemple difficultés à rester éveillé pendant l’examen ; 2. anomalies de la perception : erreurs d’interprétation, illusions ou hallucinations ; 3. perturbation du rythme veille-sommeil, avec insomnie ou somnolence diurne ; 4. augmentation ou diminution de l’activité psychomotrice ; 5. désorientation temporo-spatiale, non reconnaissance des personnes de l’entourage ; 6. troubles mnésiques, par exemple impossibilité de retenir des éléments nouveaux comme une liste de plusieurs objets sans liens entre eux énoncée cinq minutes avant, ou de se souvenir des faits passés, comme ceux caractérisant l’épisode pathologique en cours. D. Évolution de cette symptomatologie sur une courte période (habituellement de quelques heures à quelques jours) et tendance à des fluctuations tout au long de la journée. E. soit 1., soit 2. : 1. mise en évidence d’après l’histoire de la maladie, l’examen physique ou les examens complémentaires, d’un (ou de plusieurs) facteur(s) organique(s) spécifique(s), jugé(s) étiologiquement lié(s) à la perturbation ; 2. en l’absence de cette mise en évidence, on peut présumer l’existence d’un facteur organique si les symptômes ne sont pas explicables par un trouble mental non organique, comme par exemple un épisode maniaque expliquant l’agitation et les modifications du sommeil.

216

A. Les idées délirantes sont prédominantes. B. Mise en évidence d’après l’histoire de la maladie, l’examen physique ou les examens complémentaires d’un (ou de plusieurs) facteur(s) organique(s) spécifique(s) jugé(s) étiologiquement lié(s) à la perturbation. C. Ne survient pas de façon exclusive au cours de l’évolution d’un Delirium. Or, l’on sait actuellement que, parmi les facteurs organiques, il y a, entre autres, l’hyperthermie, les troubles métaboliques, toxiques…

217

Chapitre XIV LA VIEILLESSE Quelle qu’ait été l’École à laquelle ils appartenaient, les médecins de la Collection hippocratique n’ont cessé de répéter qu’il fallait prendre en considération l’âge du patient. Les textes sont innombrables, qui insistent sur l’importance de l’âge du malade à côté d’autres facteurs tels que les saisons, les vents, la constitution du patient, les lieux… Le texte suivant, extrait du chapitre premier du traité De la nature de la femme, est un exemple parmi bien d’autres formules analogues : : ¢ "Ú Ù '«% "Ë" & 8("… 6! "ã% " Ê!% "« #« 9 "å% 38% 9 "å% À % 9 "Á% "Ò#% = í ¬1. C’est donc pour exercer correctement (Ù '«%) son art que le praticien doit tenir compte, entre autres facteurs , de l’âge du malade. 1

De la nature de la femme, 1 (L VII, 312). F. HEINEMANN, Ê!% und Òμ%…, Bâle, 1945, p. 202, n. 92 a noté que cette tournure était caractéristique de la prose grecque archaïque. Voyez un autre exemple en Maladies des femmes II, 111 (L VIII, 240) : : ¢ "Ú Ù '«% "Ë" & Êμ 6! •ã!"" "å% Ê!% "« #« 9 "Á%  Á% 9 "å% 38% 9 "å% À % 9 "Á% "Ò#% 9 "å Êμ".

219

Le médecin considère l’âge du patient pour établir le diagnostic2, le pronostic3, la thérapeutique4 et le régime5. Il n’est donc pas surprenant que les auteurs des Épidémies aient eu soin de mentionner l’âge des patients qu’ils observaient, mais néanmoins ils l’ont fait moins souvent et avec moins de précision qu’on ne s’y serait attendu. C’est ainsi que pour l’ensemble du livre III des Épidémies, qui compte 28 observations de malades, on ne rencontre que deux mentions précises de l’âge, dans des cas de patients qui sont décédés : « Le jeune homme qui demeurait sur la place des Menteurs. mourut. Il était âgé d’environ vingt ans »6. Et : « … quatorzième jour : … mort. Cette femme était âgée d’environ dix-sept ans »7. Le même auteur, dans la deuxième Constitution ("ã!"!%) de la 3e section, précise que l’érysipèle se développait surtout chez les personnes d’environ soixante ans (μã!" ¢ ":!  9 •Æ" 1")8.

2

Cf. Épidémies, livre I, 3e section, 10 (L II, 668-670)… Cf. Prorrhétique, livre II, 33 (L IX, 66) ; ibid., 39 (L IX, 68) ; Maladies I, 16 (L VI, 168)… 4 Cf. Épidémies, livre II, 3e section, 2 (L V, 104) ; Des maladies des femmes, livre I, 1 (L VIII, 11) ; Régime des maladies aiguës, Appendice 4 L. VI, 1 (L II, 404) ; Ibid., 11 L. XXXI, 2 (L II, 458) ; Aphorismes, 1ère section, 2 (L IV, 458)… 5 Cf. Aphorismes, 1ère section, 17 (L IV, 466-468) ; Du Régime I, 2, 2 (L VI, 470) ; Nature de l’homme, 17, p. 208, 18 sq. (= Salubr. 2) (éd. J. Jouanna). Voir J. JOUANNA, Hippocrate, La nature de l’homme, Berlin, 1975, p. 35 et la note 4 de cette page. 6 Épidémies, livre III, 2e section, 8e malade (L III, 56). 7 Ibid., 12e malade (L III, 66). Il faut ajouter que, dans d’autres observations, l’auteur note que sa patiente venait d’avoir ses premières règles (cf. Épidémies III, 3e section, 7e malade, L III, 122), ou qu’elle venait de mettre au monde deux filles jumelles (cf. Épidémies III, 3e section, 16e malade, L III, 146). On peut penser que ces détails remplaçaient la mention exacte de l’âge, très rarement fournie d’ailleurs dans les autres écrits de la Collection. 8 Cf. Épidémies III, 3e section, 2. Constitution (L III, 70-72). 3

220

Les auteurs des autres livres des Épidémies ne sont pas plus précis mais, assez souvent, ils signalent que leur patient est une femme ou un homme âgé9. On a le vif sentiment que les médecins du Corpus envisageaient la vieillesse d’un point de vue beaucoup plus qualitatif que quantitatif. À ce sujet, il est important de constater qu’il est difficile, sinon impossible, de déterminer avec exactitude l’âge à partir duquel les médecins considéraient que l’homme devenait un ° $ et la femme une  Ë% ou une  :, et surtout d’établir avec précision ce que les auteurs entendent par des expressions telles que <  8" , <  8" 10, <  !Ê" , < Ò" , <  !Ë", <  !Ê""... Sans doute est-il légitime de penser que les médecins du Corpus situaient le seuil de la vieillesse aux environs de la soixantaine mais il est prudent de signaler qu’ils n’adhéraient pas tous au même terminus post quem. En effet si, pour l’auteur des Articulations, la vieillesse semble commencer à soixante ans11, pour celui des Prénotions coaques, elle ne débute qu’à soixante-trois12 et pour celui du traité Des Semaines, elle apparaît dès cinquante-six13 (les deux derniers auteurs adhèrent à une division différente de la vie humaine par hebdomades14).

9

Épidémies IV, 2 (L V, 144) ; ibid., 30 (L V, 172-174) ; ibid., 42 (L V, 182) ; ibid., 55 (L V, 194) ; Épidémies V, 25 (L V, 224) ; Épidémies VII, 8 (L V, 378-380). Sur ce dernier texte, voyez l’article de M. GRMEK et de F. ROBERT, « Dialogue d’un médecin et d’un philologue sur quelques passages des Épidémies VII », in Corpus Hippocraticum, Mons, 1977, p. 276-282, qui voient dans cette description celle d’un tétanos chronique (cf. p. 277-278). 10 Dans le traité Des maladies des femmes, livre premier, 72 (L VIII, 152), ":!  "° ! désigne… des fœtus plus âgés. 11 Cf. Des Articulations, 41 (L IV, 182). 12 Cf. Prénotions coaques, 5e section, XXX (L V, 700). 13 Cf. Des Semaines, 5 (L VIII, 636). 14 Cf. Antoine THIVEL, Cnide et Cos ? Essai sur les doctrines médicales dns la Collection hippocratique, Paris, 1981, p. 232.

221

Tous les auteurs de la Collection qui abordent la question considèrent que la vieillesse est froide. L’auteur de la première section des Aphorismes semble résumer des vues universellement admises lorsqu’il note : « … chez les vieillards la chaleur est petite, elle n’a donc besoin, chez eux, que de peu de combustible : beaucoup l’éteindrait. Pour la même raison, les fièvres ne sont pas aussi aiguës chez les vieillards, car le corps est froid (#& Ú å "Ú !«μ) »15. Le combustible dont parle le médecin est évidemment l’aliment dont le vieillard n’a qu’un faible besoin, lui qui, d’ailleurs, de tous les êtres, supporte le plus facilement le jeûne16, au contraire de l’enfant, l’être qui possède le plus de chaleur innée17. Au sujet des fièvres, notons que l’auteur de Maladies I soutient aussi qu’en cas de pleurésie et de péripneumonie, elles sont moins fortes et moins fréquentes chez les vieillards que chez les jeunes gens18. Si les médecins du Corpus sont unanimes à considérer que le vieillard est froid et que l’enfant est chaud, c’est qu’ils se fondent sur l’expérience première : l’être vivant 15

Aphorismes, 1ère section, 14 (L IV, 467). Voyez aussi Épidémies, livre I, 2e section, 6 (L II, 638). 16 Ibid., 13 (L IV, 467). 17 Ibid., 14 (L IV, 467). 18 Cf. Maladies I, 22 (L VI, 186). Jacques JOUANNA, Pour une archéologie de l’École de Cnide, Paris, 1974, p. 332, n. 2 est d’avis que « l’importance accordée par l’auteur de Maladies I dans ces deux chapitres (= c. 16 et 22) à la saison, au tempérament du malade, à son âge rappelle les traités coaques ». Pour ma part, j’ai le sentiment que la doctrine des âges appartient à toute la médecine ancienne et n’est en aucune façon un critère de datation, car on la rencontre aussi dans la deuxième partie des Maladies II, c. 21 (…3 ¢ Ë!%  "!#"° ! μç 8" 4 $"° ! ) (L VII, 36. Le texte a été édité par J. JOUANNA, op. cit., p. 56) que M. Jouanna considère comme la section la plus ancienne et qu’il date de 440-420. Pour une analyse critique de l’ouvrage de M. Jouanna, voyez Robert JOLY, « L’École médicale de Cnide et son évolution », in L’Antiquité Classique XLVII (1978), p. 528-537.

222

est chaud tandis que le cadavre est froid et qu’ils sont bien près de souscrire à l’affirmation que fera le Stagirite : « La vieillesse, comme la mort, est… froide »19. Sans doute ne trouve-t-on pas d’affirmation aussi catégorique dans le Corpus hippocratique, mais il est incontestable que les médecins ont considéré que la mort était un refroidissement20. L’auteur du Prorrhétique, livre deuxième, a décrit dans le détail les effets du froid chez le vieillard, dans le cas d’une affection de la hanche : « … chez les sujets âgés ("«  "° $), quand les engourdissements (· " ã ) et les refroidissements ("Ê%) des lombes et des membres inférieurs sont le plus intenses, que le membre viril n’est pas susceptible d’érection, que les selles ne cheminent pas si ce n’est par remèdes et qu’une abondante mucosité fécale est évacuée, la maladie se prolongera le plus… »21. Il n’est pas étonnant que cet auteur soit d’avis que les affections de la hanche sont de plus courte durée ( &Ê" ) chez les jeunes gens. Deux auteurs, celui du Régime et celui de la Nature de l’homme, sont d’accord pour soutenir que le vieillard est non seulement froid mais encore qu’il est humide. 19

ARISTOTE, De la longévité et de la brièveté de la vie, 5, 466a 17-20. Sur ces conceptions d’Aristote, voyez mon livre Recherches sur les grands traités biologiques d’Aristote : Sources écrites et Préjugés, Bruxelles, 1980, p. 230-231. 20 Cf. Maladies II, 8 (L VII, 16). Le texte est invoqué par A.THIVEL, op. cit., p. 271 et il est édité et traduit par J. JOUANNA, op. cit., p. 64-65 « …Si le sang et le reste du corps l’emportent au point de se réchauffer, le malade en réchappe ; si en revanche le phlegme l’emporte, le sang se refroidit davantage et se coagule ; et si le sang en arrive à ce degré de froid et de coagulation, il ne peut que se coaguler complètement ; alors l’homme se refroidit entièrement et meurt ». Voyez aussi Épidémies, livre IV, 55 (L V, 194). L’auteur du Pronostic, 5 affirme qu’une respiration froide, du nez ou de la bouche, est un signe de mort. 21 Prorrhétique II, 41 (L IX, 70).

223

Partisan d’un système dualiste (le feu et l’eau), le diététicien, jonglant avec les quatre qualités fondamentales, considère que l’enfance se caractérise par l’humide et le chaud, l’adolescence par le chaud et le sec, la maturité par le sec et le froid et la vieillesse par le froid et l’humide22 : « Les vieillards sont froids et humides, parce qu’il y a retrait du feu et afflux de l’eau, éloignement des éléments secs et installation des humides »23. Polybe, l’auteur de la Nature de l’homme, est d’avis que « le corps à cet âge (= la vieillesse) est humide, mou et froid »24. Commentant ce passage, J. Jouanna le rapproche fort judicieusement du chapitre 33 du Régime et il écrit qu’on trouve ici la « distinction classique dans la Collection entre les jeunes qui ont le corps sec (et chaud) et les vieux qui ont le corps humide et froid »25. Par contre, G.E.R. Lloyd, commentant le passage du  9 8"% sur les qualités fondamentales de la vieillesse, est d’une opinion différente puisqu’il écrit : « in particular his view that the old are wet runs counter to the generally accepted Greek notions (see above, p. 45)

22

Cf. Du Régime I, XXXIII (L VI, 510-512). Du Régime I, XXXIII, 2 (L VI, 512. Traduction R. Joly). L’auteur du  9 8"% avait déjà soutenu plus haut (en I, 25, L VI, 496) que le corps du vieillard était froid (#& Ë "Ë !6μ"%) et il répétera cette affirmation en II, 63, 2 (9 ":!  !#"° ! å Ë "Ë !6μ"%). 24 La Nature de l’homme, 17 (= Salubr., 2) (éd. Jouanna, p. 208) ; dans le même chapitre, Polybe soutient aussi que le corps des jeunes est sec. Au chapitre 12 (éd. J. Jouanna, p. 200, 1-8), il avait affirmé que l’homme est à son maximum de chaleur au premier jour de sa vie et à son maximum de froideur, au dernier jour de son existence. 25 J. JOUANNA , « Hippocrate. La nature de l’homme », in op. cit., p. 303. 23

224

though it also appears in Salubr. ch. 2 (L VI, 74, 19 ff.) »26. Je me rangerais plutôt à l’avis du professeur de Cambridge en disant qu’il me semble que la doctrine du Régime et du Régime salutaire est originale, car ailleurs, tant dans le Corpus hippocratique que chez les Présocratiques, chez Aristote et Galien, le vieillard est défini comme un être froid et sec. Le gynécologue à qui l’on doit le traité Des maladies des femmes soutient que les femmes âgées sont plus sèches que les jeunes, ont peu de sang27 et qu’elles ont la matrice desséchée par la fatigue28. Nous trouvons les mêmes considérations générales dans la Nature de la femme : « Les jeunes sont généralement plus humides et ont le sang abondant ; les âgées sont plus sèches et ont peu de sang (< ¢  !Ê"%  Ò"  9 Ù8μ)29. Un Présocratique comme Hippon devait partager la même opinion puisqu’aux dires de Ménon, il affirmait que « les vieillards sont secs et insensibles, car ils sont sans Í Ò"% »30 ; de même Aristophane, contemporain des Hippocratiques, emploie l’adjectif Ô% pour qualifier un vieillard31 et il recourt à l’image de l’irésione desséchée pour désigner une femme âgée32.

26

G.E.R. LLOYD, Polarity and Analogy. Two Types of Argumentation in Early Greek Thought, Cambridge, 1966, p. 60, n. 1. 27 Cf. Des maladies des femmes II, 111 (L VIII, 238-240). 28 Cf. ibid. I, 7 (L VIII, 32). 29 De la nature de la femme I (L VII, 312). 30 HIPPON, in VS14, 38 A 11. 31 Cf. ARISTOPHANE, Lysistrata, 385. 32 Cf. ID ;, Ploutos, 1054. Voir mon étude « Le vieillard dans les comédies d’Aristophane », in L’Antiquité Classique XLVI (1977), p. 53.

225

Aristote33 et Galien34 sont d’accord pour voir dans le vieillard un être froid et sec. Nous avons vu plus haut que les auteurs hippocratiques considéraient que le vieillard, parce qu’il est froid, supportait mieux le jeûne et connaissait moins de fièvres aiguës que l’homme plus jeune. De la froideur du vieillard découlent d’autres conséquences. Chez le vieillard, explique l’auteur du Régime, le sperme ne peut se développer : « vu que le mouvement est lent et le corps froid, elle (= l’âme-sperme) se consume pour le dépérissement du corps »35. Chez le vieillard, note l’auteur d’un Aphorisme36, les affections des reins et celles de la vessie se guérissent difficilement ; cette affirmation est confirmée par l’auteur des Épidémies VI, qui écrit qu’il n’a jamais vu les affections des reins guérir au-delà de cinquante ans37. L’Aphorisme VI, 6 s’éclaire vraisemblablement s’il est mis en relation avec un autre38 qui nous apprend que le froid est ennemi et mortel dans différentes affections dont celles de la vessie tandis que le chaud est particulièrement utile. Or le vieillard est froid. 33

Cf. ARISTOTE, G.A. V, 4, 784a 30-34… Cf. mon article « Platon et Aristote ont-ils professé des vues contradictoires sur la vieillesse ? », in Les Études Classiques XLII (1974), p. 125. 34 Cf. GALIEN, De Sanitate Tuenda, livre V, ch. 3 (VI, 319 K). Sur ce texte, cf. H. ORTH, «    Die Geriatrie der griechischen Antike », in Centaurus, 8 (1963), p. 19. 35 Du Régime I, 25, 1 (L VI, 498) (trad. R. Joly). R. JOLY, Recherches sur le traité pseudo-hippocratique Du Régime, Paris, 1960, p. 30-31 a montré que #&Æ équivalait ici à !° μ. 36 Cf. Aphorismes, 6e section, 6 (L IV, 564). 37 Cf. Épidémies, livre VI, 8, 4 (L V, 344). Il faut noter aussi que l’auteur des Affections, 28 (L VI, 240) est d’avis que la strangurie, plus longue chez les vieillards que chez les jeunes, provient du phlegme quand la vessie est froide, sèche ou vide. 38 Cf. Aphorismes, 5e section, 22 (L IV, 540). Celse I, 9 écrira que « le froid est ennemi du vieillard, du faible, de la blessure, de la poitrine, des intestins, de la vessie… ».

226

Chez le vieillard, soutient l’auteur de la Maladie sacrée39, l’épilepsie tue ou elle provoque la paralysie, pour les raisons suivantes : la pituite, humeur froide40, congèle le sang qui, chez le vieillard, est ténu, froid et peu abondant ("Ú 0Ú 9 #& Ú 9 Ù8)41, et la fluxion, si elle se fait avec abondance et pendant l’hiver, tue. Cette mention de l’hiver n’est pas sans importance. Pour en saisir toute la portée, il faut se souvenir que la doctrine des âges est solidaire de la théorie des saisons, comme en témoignent les quelques textes suivants : « Certaines maladies et certains âges sont bien ou mal disposés pour telle saison… »42. Quant au rapport des natures individuelles avec les saisons, les unes sont bien ou mal disposées pour l’été, les autres pour l’hiver ; telles sont bien ou mal disposées pour un pays, un âge, un genre de vie, et les diverses constitutions des maladies, et telle pour telle autre ; les âges aussi le sont aussi bien ou mal pour une saison, un pays, un genre de vie et les constitutions des malades »43. « … Il faut savoir que les âges ont des rapports avec les saisons tant pour la 39

Cf. Maladie sacrée, 9 (L VI, 378). Sur ce texte, cf. C.W. MÜLLER, « Die Heilung “durch das Gleiche” in den hippokratischen Scriften De morbo sacro und De locis in homine », in Sudhoffs Archiv, 49 (1965), p. 229, n. 6. 40 Cf. ibid., 6 (L VI, 370) : "Ú °μ #& Ò. 41 Quelques lignes plus haut dans le même texte, l’auteur avait déjà déclaré que le sang des vieillards était peu abondant, ténu et aqueux (Ù8 "° 0!" 9 "Ú 9 Í °%). Sur les qualités du sang des personnes âgées, cf. supra. Sur la quantité de sang aux différents âges, on consultera aussi les Prénotions coaques, 2e section, XV, 274 (L V, 644) et le Pronostic, 21 (L II, 172) qui soutiennent que l’hémorragie est plus probable chez les individus au-dessous de trente-cinq ans. 42 Aphorismes, 3e section, 3 (L IV, 486). 43 Des humeurs, 16 (L V, 496-498). Sur ce texte, cf. F. ROBERT, « Les adresses de malades dans les Épidémies II, IV et VI », in La Collection hippocratique et son rôle dans l’histoire de la médecine, Leyde, 1975, p. 177. Voyez aussi Prorrhétique, livre II, 39 (L IX, 68).

227

coloration que pour le mode d’être »44. « Dans les êtres vivants, les âges ressemblent aux saisons et aux années »45. Ce faisceau de textes nous fait mieux comprendre pourquoi l’auteur de la Maladie sacrée affirmait que l’épilepsie tuait les vieillards pendant l’hiver46 ou encore que l’hiver était pour les vieillards la saison la plus défavorable : :! ¢  !Ê"˙! ı &μ7 μ6""Ò% 0!"47. Il est temps de rappeler ici que Robert Joly a démontré de façon magistrale combien la pensée préscientifique avait valorisé indûment l’importance des saisons48, et nous ajouterons que souvent la valorisation des saisons va de pair avec celle de l’âge et que la prétendue influence des premières va aggraver ou équilibrer les qualités reconnues à la vieillese. D’autres textes vont nous le confirmer. Dans un long chapitre de typologie somatique, l’auteur du Régime soutient qu’une nature humaine qui est froide et humide, c’est-à-dire qui présente les qualités que le diététicien attribue à la vieillesse, est plus exposée à la maladie en hiver qu’en toute autre saison et qu’avec une telle constitution ce sont les vieillards qui sont les plus maladifs49. L’auteur, on le constate, adhère de façon inconditionnelle à l’idée de l’action réciproque de la constitution, de la saison et de l’âge. Selon un raisonnement analogue, l’auteur du Prorrhétique II déclare que les atrophies musculaires dans 44

Des humeurs, 19 (L V, 500). Ibid., 11 (L V, 492). Cette opinion rappelle un mot attribué à Pythagore (in D IOGÈNE LAËRCE VIII, 10) : :% ß , 8!% '° %, 8% 'Ò$ , ° $, &μ6. 46 Maladie sacrée, 9 (L VI, 378). 47 Ibid., 10 (L VI, 380). 48 Robert JOLY, Le niveau de la science hippocratique, Paris, 1966, p. 203 s. 49 Du Régime I, 32, 3 (L VI, 508). 45

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les paralysies se guérissent le plus difficilement chez les vieillards et que l’automne et l’hiver sont moins propres que le printemps et l’été à la solution de ces affections50. Le même auteur est d’avis qu’il faut attendre le printemps et l’été pour voir soulager les affections de la hanche qui frappent plus cruellement les sujets âgés51. L’auteur d’un aphorisme expose une doctrine complète sur l’influence des saisons et la santé des différents âges : « Quant aux saisons, pendant le printemps et le commencement de l’été, les enfants, et ceux qui approchent le plus de cet âge, vont le mieux et jouissent de la meilleure santé ; pendant l’été et, en partie, l’automne, les vieillards ; pendant le reste de l’automne et l’hiver, l’âge intermédiaire »52. C’est par la même dialectique des qualités contraires que s’explique le régime que les médecins prescrivent aux vieillards. Polybe qui, comme nous l’avons vu, considère que le vieillard est humide, lui recommande un régime plutôt sec53. De même, l’auteur du  9 8"% prescrit aux natures qui vieillissent vite (c’est-à-dire aux natures froides et humides) « un régime qui échauffe et dessèche, exercices et aliments » et il leur enjoint de « faire les exercices concernant l’extérieur du corps plutôt que l’intérieur »54 ; il conseille aussi aux gens d’un certain âge les courses où l’on garde ses vêtements (car elles 50

Cf. Prorrhétique II, 39 (L IX, 68). Cf. ibid., 41 (L IX, 70). 52 Aphorismes, 3e section, 18 (L IV, 494). 53 Nature de l’homme, 17 (= Salubr. 2), p. 208 (éd. J. Jouanna). Au contraire, Galien, dans le De Sanitate Tuenda, livre V, c. 3 (VI, 319 K), qui pense que la vieillesse est sèche, recommande aux personnes âgées un régime humide (et chaud). Sur le régime recommandé aux vieillards par des médecins en dehors de la Collection, cf. l’article déjà mentionné de H. ORTH et celui de E. EYBEN, « Antiquity’s View of Puberty », in Latomus XXX (1972), p. 679. 54 Du Régime I, 32, 4 (L VI, 508). 51

229

échauffent plus vite)55 et la pratique du coït en hiver56 (car, selon l’auteur57, le coït échauffe). Quelques textes — fort rares, il est vrai58 — attestent que les médecins hippocratiques s’étaient interrogés sur les causes de la longévité et sur celles du vieillissement précoce. L’auteur des Épidémies II est d’avis que la possession d’un plus grand nombre de dents est un signe de longévité : < μ Ò 8#% ÙÒ"% 1&#!59 Celui de Airs, Eaux et Lieux considère que les habitants d’une cité exposée aux vents froids doivent normalement vivre plus longtemps qu’ailleurs (μ 8#%)60. On aperçoit ici la liaison implicite que le médecin établit entre la qualité des vents et la froideur du vieillard61. L’auteur du Régime pense que les natures sèches et chaudes (c’est-à-dire formées du feu le plus fort et de l’eau la plus légère) vivent longtemps et qu’elles ont une belle vieillese (μ Ò8 " 9 Î )62 : on voit une fois de plus que le diététicien adhère au principe de l’équilibre des contraires et on ne sera pas surpris 55

Cf. ibid. II, 63, 2 (L VI, 578). Cf. R. JOLY , Recherches…, op. cit., p. 116. 56 Cf. ibid., 68, 5 (L VI, 596). 57 Cf. ibid. II, 58, 2 (L VI, 572). 58 Ludwig EDELSTEIN, « Hellenism of Greek Medicine », in Ancient Medicine, Baltimore, 1967, p. 387, s’est demandé pour quelles raisons les médecins grecs se sont si peu préoccupés du problème de la longévité et même de la vieillesse. Selon le savant historien, ce manque d’intérêt s’expliquerait, en partie du moins, par l’attitude des Grecs face à la vieillesse, considérée comme un âge détestable, ne comportant que des disgrâces. 59 Épidémies II, section 6, 1 (L V, 132). L’affirmation sera reprise par ARISTOTE, H.A. II, 3, 501b 22-23 et par PLINE, H.N. XI, 114. 60 Cf. A.E.L., 4 (L II, 20). 61 Il est probable que le vieillard, pour l’auteur de A.E.L., 4 (L II, 20), était non seulement froid mais aussi sec, car les habitants d’une cité exposée aux vents froids doivent être secs (3 å  Ò"%…). 62 Cf. Du Régime I, 32, 5 (L VI, 510).

230

d’apprendre que cet auteur considérait que les natures froides et humides vieillissaient vite ("&°$%  ã!#!)63. Victime du préjugé de l’infériorité de la femelle et de la femme en particulier, l’auteur du Fœtus de huit mois affirme qu’à cause de la faiblesse de leur corps et de leur régime, les femmes vieillissent plus vite que les hommes ('ç!!…  ã!#!)64. Le traité des Articulations contient cette remarque pertinente sur le rôle de l’exercice dans le processus de vieillissement : « Pour le dire sommairement, toutes les parties du corps qui sont faites pour qu’on s’en serve, employées convenablement et exercées au travail auquel chacune est habituée, sont saines, développées et tardives à vieillir (Î ) ; inexercées et tenues dans le repos, elles sont maladives, mal développées et vieillies avant le temps ("&Ê ) »65.

63

Cf. Du Régime I, 32, 3 (L VI, 508). Cf. Du fœtus de huit mois, 9, 6 (L VII, 450). L’idée sera reprise par ARISTOTE, H.A. VII, 3, 583b 26-28 et G.A. IV, 6, 775a 11-22 (passim). Il est néanmoins exact que dans la Grèce antique, la longévité des hommes était supérieure à celle des femmes (vraisemblablement à cause des très nombreux décès de femmes lors de leurs couches). Cf. M.D. GRMEK , « La réalité nosologique au temps d’Hippocrate », in La Collection hippocratique, op. cit., p. 243. 65 Des articulations, 58 (L IV, 254). L’auteur du même traité, c. 41 (L IV, 182) note, sans doute avec raison, que ceux qui souffrent d’une gibbosité ont souvent une vie assez courte ( &#6" ). Sur l’emploi de l’adjectif composé "&Ê %, cf. Diego LANZA, Lingua e discorso nell’Atene delle professioni, Naples, 1979, p. 118. On pourrait rapprocher le § 58 des Articulations du ch. 18, 6 du livre VI de Thucydide consacré aux avantages d’une politique active préconisée par Alcibiade et aux méfaits d’une politique inactive, celle voulue par Nicias, et ainsi enrichir le dossier des rapprochements entre cette section du livre VI de Thucydide et la médecine. Cf. Jacques JOUANNA, « Politique et Médecine. La problématique du changement dans le Régime des Maladies Aiguës et chez Thucydide (livre VI) », in Hippocratica, 1980, p. 299-318 (particulièrement p. 304-305). 64

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Dans la masse incroyable d’informations médicales que nous a transmises le Corpus hippocratique, il nous est possible de glaner d’assez nombreux détails nosologiques concernant les vieillards. Plusieurs textes énumèrent les maladies qui s’attaquent de préférence aux personnes âgées. L’auteur d’un Aphorisme nous donne la liste suivante : « Chez les personnes âgées, des dyspnées, des catarrhes accompagnés de toux, des stranguries, des dysuries, des douleurs articulaires, des néphrites, des vertiges, des apoplexies, des cachexies, des démangeaisons de tout le corps, des insomnies, des humidités du ventre, des yeux, du nez, des amblyopies, des cataractes (#6!%), des duretés de l’ouïe »66. 66

Aphorismes, 3e section, 31 (L IV, 500-502). Le docteur Jules SICHEL, « Mémoires sur le glaucome », in Annales d’oculistique, t. VI, Bruxelles, 1842, p. 213-236 et 248-270, identifie les #6!% aux cataractes lenticulaires (mais cf. infra, même note). Sur cette affection frappant surtout les vieillards, cf. aussi Épidémies, livre IV, 30 (L V, 174) et ARISTOTE, G.A. V, 1, 780a 17-20. Dans les Épidémies I, 2e section, 6 (L II, 638), il est fait mention des cécités qui frappent les vieillards (!" Æ!% Ù'μ«). Simone DE BEAUVOIR , dans son essai La Vieillesse, Paris, 1970, p. 23, fait allusion à ce texte des Aphorismes III, 31, en l’attribuant sans référence plus précise à Hippocrate. Sur le sens de Ê$μ, voir l’article de M.-H. MARGANNE , « Le système chromatique dans le Corpus aristotélicien », in Les Études Classiques, 46 (1978), p. 185203 (spécialement les p. 197-198) et surtout son étude « Glaucome ou cataracte ? Sur l’emploi des dérivés de 

en ophtalmologie antique », in History and Philosophy of the Life Sciences, Florence, vol. I, n. 2 (1979), p. 199-214 (e.a. p. 202, où l’auteur écrit : « Pour être précis, et sans doute exact, ce diagnostic (de Jules Sichel) est anachronique. Il implique des connaissances qu’Hippocrate ne possédait pas. En réalité, le terme (#6!%) recouvre toutes les affections caractérisées par ce type de coloration (i.e. colorations gris bleu de la pupille) ». GALIEN, dans ses Commentaires aux Aphorismes d’Hippocrate, 31 (XVII, 2, 651 K) considère, à l’instar d’Aristote (G.A. V, 1, 780a 15-20) que les #6!% sont causées par un dessèchement excessif des organes : #6!% ¢ å "2

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Cette énumération assez complète des maladies séniles peut être précisée par d’autres textes de la Collection. Nous savons déjà que plusieurs auteurs considèrent que le vieillard souffre des maladies des reins et de la vessie67. Nous apprenons par celui du Prorrhétique II que la goutte est incurable chez le vieillard : « Quant aux goutteux, ceux qui sont vieux ou qui ont des concrétions autour des articulations, ou qui mènent une vie oisive et ont le ventre resserré, tous ceux-là sont au-dessus des ressources de l’art humain, autant du moins que je sache »68. Le même auteur ajoute qu’au contraire les jeunes gens qui n’ont pas de concrétions autour des articulations et qui sont actifs guérissent de la goutte. L’auteur de Maladies II partage l’avis de celui d’Aphorismes, 3, 31 quand, après avoir décrit toutes les manifestations qui accompagnent l’apoplexie, il précise que cette affection atteint plus souvent les personnes âgées que les jeunes69. L’auteur du Prorrhétique II signale que les lientéries continues, de longue durée, sont particulièrement redoutables (Ò"") pour les vieillards70 et celui de l’Aphorisme, 2, 40 estime que les catarrhes et les coryzas n’arrivent pas

"« Ù ã$ êμ"   Ò"" 9 å "Ú "2 ;° "Ë Í&Êμ"% 1&. 67 Cf. supra. Voir notamment Épidémies VI, 8, 4 (L V, 344) ; Prénotions coaques, 7e section, XXXIV, 578 (L V, 718) ; Des maladies I, 3 (L VI, 144) ; Aphorismes, 6e section, 6 (L IV, 564). 68 Prorrhétique II, 8 (L IX, 26). Lucien ajoutera que la goutte menace le vieillard, surtout s’il est riche (cf. Les fêtes de Cronos I, 7 ; III, 28 ; Sur ceux qui sont aux gages des grands, 39). Sur ce thème, cf. mon étude « Lucien et la vieillesse », in Les Études Classiques XLVI (1978), p. 323. 69 Cf. Des maladies II, 21 (L VII, 36). 70 Cf. Prorrhétique II, 23 (L IX, 52). Le même auteur, c. 30 (L IX, 62) mentionne les vertiges (!"Ò) dont sont pris les vieillards.

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à maturité (È 8") chez les personnes très âgées (":! !Ò   !Ê"˙!) 71. Le médecin des Airs, Eaux et Lieux écrit que dans un endroit où les eaux sont abondantes les gens de plus de cinquante ans sont surpris par des flux d’humeur ("ã ) qui proviennent du cerveau et qui les paralysent72. L’auteur du Pronostic est d’avis que les empyèmes qui succèdent aux péripneumonies sont fatales surtout aux personnes avancées en âge73. À plus d’une reprise, les médecins du Corpus mentionnent des maladies qui vieillissent avec le patient (!#" ã!)74 ou qui disparaissent avec la vieillesse (é ã!"%... é8)75. L’auteur de l’Aphorisme, 2, 39 soutient que « les vieillards ont, en général, moins (5!!) de maladies que les jeunes gens »76. Cette idée est répétée et développée par d’autres médecins qui adhèrent à une croyance en une sorte d’osmose : la maladie présente les qualités reconnues au vieillard (lenteur et faiblesse). L’auteur du Pronostic note que la douleur d’oreille aiguë, avec fièvre continue et intense, tue les jeunes gens le septième jour et même plus tôt mais beaucoup plus lentement (“  Ê" ) les vieillards car, à leur âge, la fièvre et le délire surviennent moins facilement 71 Cf. Aphorismes, 2e section, 40 (L IV, 482). Sur la notion de coction, !μÒ%, voir Louis BOURGEY, Observation et expérience chez les médecins de la Collection hippocratique, Paris, 1953, p. 258. 72 Cf. A.E.L., 3 (L II, 18). Ce chapitre a été commenté par R. JOLY, Le niveau…, op. cit., p. 185-189. 73 Cf. Pronostic, 18 (L II, 162). 74 Cf. notamment Maladies IV, 54, 7 (L VII, 598) ; Maladies des femmes II, 116 (L VIII, 252) et 145 (L VIII, 320) ; Des Maladies II, 73 (L VII, 112) ; Aphorismes, 2e section, 39 (L IV, 482) ; Maladies I, 22 (L VI, 182)… 75 Cf. Maladies II, 55 (L VII, 88), 66 (L VII, 102), 69 (L VII, 106) ; Épidémies VI, 5e section, 3 (L V, 316). 76 Aphorismes, 2e section, 39 (L IV, 480).

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(5!!)77 ; l’auteur des Prénotions coaques78 répète que cette douleur tue des personnes âgées plus lentement ( Ê" ) et il ajoute qu’elle les tue moins souvent (5!!). L’auteur des Maladies I affirme, lui aussi, que les affections de la poitrine, telles que la pleurésie et la péripneumonie, frappent rarement (Ùã%) les vieillards qui, lorsqu’ils en sont atteints, souffrent moins (é!'°!" )79. Cette dernière affirmation s’explique, selon ce médecin, par le fait que les vieillards sont faibles (é!'°!" ) et elle ne traduit nullement un réel avantage que le vieillard pourrait avoir sur l’homme jeune car l’auteur termine son exposé sur la pleurésie et la péripneumonie en précisant : « À la vérité, les vieillards eux-mêmes ne guérissent pas de telles affections, seulement ils les gardent et se consument longtemps, crachant tantôt du pus, tantôt du sang, et parfois ni l’un ni l’autre ; finalement le mal meurt avec eux et ils périssent surtout de la sorte, quand une maladie analogue à celle qu’ils portent les saisit ; alors, ayant cette nouvelle maladie, et l’ancienne devenant par là plus forte, ils meurent d’ordinaire »80. Sans doute, les médecins de la Collection ont-ils tous beaucoup pratiqué la polémique81 mais ils auraient unaniment souscrit à la remarque d’un écrit tardif, le traité

77

Cf. Pronostic, 22 (L II, 174). Cf. Prénotions coaques, 2e section, 5, 185 (L V, 624). 79 Cf. Maladies I, 22 (L VI, 184). Le médecin répète cette affirmation un peu plus loin, ibid. L VI, 186 : … ÙÊ 1! μ°, 1! ¢ "8… En fonction du même qualitativisme, POLYBE, Nature de l’homme, 10, croit que les maladies les plus graves surviennent dans la partie la plus forte du corps et qu’une maladie dans une partie faible est faible. 80 Maladies I, 22 (L VI, 186-188). 81 De là le titre de la thèse soutenue par Mlle J. DUCATILLON, Polémiques dans la Collection hippocratique, Paris-Lille, 1977. 78

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de la Bienséance : « Dans la fleur de l’âge, tout est gracieux ; dans le déclin c’est le contraire »82.

82

De la bienséance, 14 (L IX, 270). Pour lutter contre les atteintes de l’âge les plus manifestes, les rides et la calvitie, les médecins grecs préconisaient des remèdes. Cf. Maladies des femmes II, 188 (L VIII, 368) et 189 (L VIII, 370) et ils tentaient d’expliquer un phénomène comme la canitie. Cf. Nature de l’enfant XX, 6 (L VII, 510). Sur ce texte, cf. R. JOLY, Le niveau…, op. cit., p. 107-108.

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Chapitre XV VALORISATION DES COULEURS Il me semble que les hommes de science ont eu recours aux termes désignant les couleurs plus souvent que les poètes et les dramaturges. Ainsi chez Pindare, que Jacqueline Duchemin a qualifié de « grand visuel »1 et pour qui elle a consacré tout un chapitre intitulé « La mystique de l’or, de la lumière et des couleurs »2 on ne trouve guère qu’une quarantaine d’occurrences d’adjectifs marquant la couleur3. Il en va de même, à peu près, pour Aristophane dont toute l’œuvre totalise 70 occurrences4. Par contre, si nous nous tournons vers le Corpus hippocratique, dont beaucoup d’œuvres sont contemporaines d’Aristophane, la situation change énormément : j’ai relevé 13 termes simples de couleur et 4 composés totalisant plus de 1400 occurrences5 : ce sont glaukós (vert pâle), eruthrós (rouge) (avec exéruthros et hupéruthros), kuanous (d’un bleu sombre), leukós (blanc)

1

Jacqueline DUCHEMIN, Pindare, poète et prophète, Paris, Les Belles Lettres, 1955, p. 196. 2 ID., ibid., p. 193-228. 3 Cf. Lexicon Pindaricum, Leipzig, Teubner, 1883 (ed. I. Rumpel). 4 Cf. Index Aristophaneus, Cambridge, 1932 (ed. O.J. Todd). 5 Cf. Concordance des œuvres hippocratiques éditée par Gilles MALONEY et Winnie FROHN , Québec, 1984, 5 vol.

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(avec hupérleukos), mélas (noir), xanthós (jaune), peliós (livide), poliós (gris), purrós (roux) (avec hupópurros), skliódes (ombreux, sombre), phoinikous (écarlate), chlorós (vert tendre), ochrós (jaune) (avec exochrós). Les traductions que je viens d’énumérer ne donnent qu’une idée approximative de la réalité chromatique ; en effet, Marie-Hélène Marganne a révélé qu’il fallait se garder de toujours traduire ces mots grecs par le même mot français. L’helléniste liégeoise a démontré qu’ochrós va du vert-jaune au jaune orangé ; xanthós englobe le jaune verdâtre, le jaune et le brun ; purrós, le rouge et le fauve ou le roux ; eruthrós, le jaune, le rouge et le rougebrun ; la gamme de phoinikous s’étend du jaune vif au rouge sang ; … kuanous, le bleu foncé et le bleu-noir ; glaukós, le gris, le gris-bleu, le bleu grisâtre et le bleu pâle… ; chlorós chevauche le vert et le jaune »6. Disons donc que le champ couvert par ces adjectifs grecs n’est pas le même que celui que couvrent nos adjectifs français ; d’où une impression très gênante d’imprécision. Cette imprécision du vocabulaire chromatique grec n’est pourtant rien par rapport à celui d’autres langues comme le sango par exemple, langue de l’Oubangui qui ne connaît que trois couleurs fondamentales. Et pourtant, comme l’écrit G. Mounin, cela « n’empêche pas la femme sango de distinguer les couleurs de toutes les étoffes qu’elle appelle vuko, aussi bien que les nôtres distinguent toutes les nuances du bleu ou du vert »7. La couleur (qui se dit en grec chroiá ou chroma) sera donc étudiée dans des textes relatifs aux sciences de la vie, la médecine et la biologie, selon la perspective de Gaston Bachelard d’après qui « c’est un des traits d’une

6

Marie-Hélène MARGANNE, Le système chromatique dans le corpus aristotélicien, Mémoire de licence, Université de Liège, 19751976, p. 94 et, du même auteur, un article au titre identique dans L.E.C., 1978, p. 185-203. 7 G. MOULIN, Clefs pour la linguistique, Paris, 1971, p. 19.

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pensée valorisante que toute valeur peut être niée »8. En d’autres termes, une notion valorisée, comme l’est la couleur, peut toujours être ambivalente, positive ou négative. Pour l’esprit grec, la couleur est bien une qualité valorisée et elle marque la substance qu’elle signe d’une valeur positive ou négative : à la couleur s’associent souvent les notions de force ou de faiblesse. Comme l’a fort bien souligné Robert Joly9, ce réalisme des couleurs apparaît déjà nettement dans la Collection hippocratique. Je commencerai par citer deux exemples. C’est ainsi que l’auteur de Maladies IV n’hésite pas à écrire que « quand on s’enivre de vin noir (mélanos), les selles sont noires (mélana) »10. La couleur noire est une substance en soi qui traverse le corps sans se laisser altérer. C’est à cause de la même mentalité que trois auteurs hippocratiques soutiennent que les vins blancs (leukoi) dont diurétiques11. Évoquant ces textes, Danielle Gourevitch explique cette affirmation par « des raisons magiques évidentes »12. En effet, une certaine analogie de couleur justifie cette affirmation hippocratique. Ces deux exemples révèlent à quel point la mentalité qui se découvre dans les corpus hippocratique et aristotélicien a 8

Gaston BACHELARD, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 19654, p. 122. 9 Cf. Robert JOLY, Le niveau de la science hippocratique, Paris, Les Belles Lettres, 1966, p. 108 ; Hippocrate, tome XI, Paris, Les Belles Lettres, 1970, p. 120, n. 4. 10 Maladies IV, 56, 6 (L VII, 608 = p. 120 éd. R. Joly). 11 Régime II, 52 (L VI, 554 = p. 172 éd. R. Joly-S. Byl) ; Des Affections, 55 (L VI, 266) ; Épidémies VI, 67bis (L V, 430). 12 Danielle GOUREVITCH , Le triangle hippocratique…, ParisRome, BEFAR, 1984, p. 301. Chez Dioclès de Carystos (Wellmann, Fr. 130) et dans le traité Du Régime des maladies aiguës, 14 (L II, 334), nous apprenons aussi que le vin blanc, qui ressemble à la salive par ses qualités humide et blanche, est un excellent sialagogue (note du Docteur Gerrit Cootjans). Le Docteur Pierre Leroy de Bruxelles me signale que « l’augmentation notable du volume des urines serait fonction de l’acidité des vins blancs et de leur richesse en tartrates ».

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attaché de l’importance, a valorisé la couleur, l’apparence sensible, l’aspect extérieur. Cela ne signifie cependant pas que les médecins hippocratiques ou Aristote n’aient jamais critiqué euxmêmes cette valorisation des couleurs. C’est ainsi que le Stagirite, s’en prenant à plusieurs de ses prédécesseurs présocratiques, déclare : « Ce n’est pas le blanc (de l’œuf) qui est le lait, c’est le jaune : car le jaune est la nourriture des petits. On croit que c’est le blanc à cause de la similitude des couleurs (avec le lait) »13. Nous voyons donc Aristote formuler dans ce texte une critique qui semble pertinente d’un obstacle épistémologique dont, nous le constaterons, il ne parvient pas lui-même à se débarrasser. Ainsi donc, le philosophe reproche à ses prédécesseurs un travers dont il est lui-même victime ; l’a priori est inconscient et d’autant plus difficile à extirper. Il est réellement émouvant de constater la lucidité avec laquelle Aristote a critiqué ses devanciers et l’impuissance qu’il éprouve à se débarrasser des préjugés qu’il discerne chez autrui14. Nous allons maintenant envisager la valorisation de plusieurs couleurs attestées dans les corpus hippocratique et aristotélicien. L’aigopón, couleur jaune comme celle des yeux des chèvres, est un mot non attesté dans les écrits hippocratiques mais figurant quatre fois dans le corpus aristotélicien. Dans un passage de physiognomonique, cette fausse science qui prétend déduire des traits psychologiques de notions somatiques, des signes du visage en particulier, le Stagirite soutient que : « Cette couleur (de l’iris, jaune comme les yeux des chèvres, aigopón) est le signe d’un très bon caractère et elle est la

13

ARISTOTE, Génération des Animaux III, 2, 752b 26-28. Cf. mes Recherches sur les grands traités biologiques d’Aristote : sources écrites et préjugés, Bruxelles, Palais des Académies, 1980, p. 279-280. 14

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plus favorable à l’acuité visuelle »15. Le biologiste antique valorise donc l’aigopón et il attribue notamment un excellent caractère aux individus dont la couleur de l’iris rappelle celle de l’œil de la chèvre. La valorisation de la couleur dénommée aigopón s’explique par l’animal luimême : les données de la vie quotidienne révèlent qu’en Grèce, comme dans tous les pays méditerranéens, la chèvre était — et est encore — un animal très apprécié16. Glaukós a généralement une connotation négative, péjorative. C’est ainsi que, chez Platon, le mauvais cheval du Phèdre (253e) est non seulement de couleur noire (melánchros) mais il est de plus aux yeux glaukoi, « grisbleu ». Mais si les yeux glaukoi sont considérés comme disgracieux chez une personne, ils ne le sont pas pour une divinité : l’épithète traditionnelle d’Athéna est, dès l’Iliade17, glaukopis. Aristote, dans un passage de la Génération des Animaux (V, 1, 779b 10-12), va affirmer que le « gris bleu » (glaukótes) est une faiblesse : asthéneia dé tis è glaukótes. Les yeux glaukoi — qui indiquent une faiblesse physique — vont suggérer plus tard l’idée de faiblesse morale18. 15

Histoire des Animaux I, 9, 492a 3-4. Sur la couleur des yeux des chèvres, cf. aussi G.A. V, 1, 779a 33, 779b 14. 16 Cf. mes Recherches…, op. cit., p. 266-267. La chèvre, ou aix, se trouve citée 41 fois dans le Corpus hippocratique ; aigeios, 44 fois (= de chèvre). 17 Cf. e.a. Iliade I, 206… Voyez, au Ve siècle, PINDARE, Néméennes VII, 96 (kóran te glaukópida)… Cf. P. CHANTRAINE, « Grec glaukós, Glaukos et mycénien “karauko” », in Mélanges J. Carcopino, Paris, 1966, p. 193-203. La déesse porte l’épithète glaukopis, au regard clair et perçant, comme celui de la chouette chevêche, son emblème en Attique. Cf. Liliane BODSON, Hierà Zoia, Bruxelles, 1978, p. 97. 18 Cf. [ARISTOTE], Physiognomoniques, 68 ; ADAMANTIOS, Physiogn. I, 6 ; 8 ; 13. Voir l’excellent article de Marie-Hélène MARGANNE , « Glaucome ou cataracte ? Sur l’emploi des dérivés de glaukós en ophtalomologie antique », in History and Philosophy of the Life Sciences, 1979, p. 281 et nos Recherches…, op. cit., p. 281 et l’étude plus récente encore de P.G. MAXWELL-STUART, Studies in

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L’analyse de xanthós nous permettra de relever une étrange croyance des Anciens : les eaux auraient la propriété de colorer le poil des animaux. Euripide aux vers 224-229 des Troyennes, est peut-être le premier à attester de cette croyance, à propos du Crathis : le fleuve aurait la propriété de dorer les cheveux de ceux qui s’y baignaient. Dans un contexte de biologie, Aristote va écrire : « Il semble également que le fleuve Scamandre fasse les moutons bruns (xanthá). On dit que c’est pour cela qu’Homère l’appelle Xanthe au lieu de Scamandre »19. Le Stagirite se réfère ici au célèbre vers 74 du chant XX de l’Iliade : hòn Xánthon kaléousi theoí, ándres dè Scamandrion. Cette idée que l’eau colore le poil des animaux traversera les siècles et elle se retrouvera notamment chez Virgile (Géorgiques II, v. 146-148) et chez Pline l’Ancien (H.N. II, 103). Rappelons que, dans le domaine médical, xanthós est l’adjectif qui désigne l’une des deux biles, la bile jaune, l’autre étant la bile noire, comme en témoigne une phrase du fameux traité De la nature de l’homme, § 7, œuvre de Polybe, successeur d’Hippocrate : « Il y a d’abord la bile jaune (xanthè) ; l’autre est la noire (mélaina) ». Cette bile xanthè secrétée par le foie et la bile noire seront bien connues d’Aristote20 et elles seront appelées à connaître un succès qui dépasse de beaucoup le cadre chronololgique de l’Antiquité. L’analyse de l’adjectif purrós nous révélera aussi la valorisation ambivalente d’une couleur. En effet, dans un texte d’apicologie qui fut fort discuté, le Stagirite prétend que les « rois » des abeilles les meilleurs sont de couleur rousse (purrós) et que les autres sont noirs et tachetés21. Greek Colour Terminology, vol. I, Glaukós (Mnemosyne, Suppl. 65), Leyde, Brill, 1981. 19 H.A. III, 12, 519a 18-20. Cf. aussi G.A. V, 6, 786a 2-7. 20 Cf. H.A. III, 2, 511b 10 ; P.A. II, 3, 649a 33-34 ; De l’Âme III, 1, 425b 1-3. 21 Cf. H.A. V, 21, 553a 25-27 ; IX, 40, 624b, 21-24.

242

Malgré les essais d’identification des biologistes contemporains22, il semble bien que les deux variétés de reines n’existent que dans l’imagination d’Aristote qui, dans ce cas, valorise la couleur rousse. Le biologiste antique soutient aussi que la semence des « rois » est d’une couleur roussâtre (hupópurros)23. Pour ma part, je vois dans ces deux affirmations une valorisation du roux (purrós), considéré comme la couleur royale par excellence. Mais dans d’autres textes, les hommes de science ont dévalorisé la rousseur. C’est ainsi que l’auteur hippocratique des Épidémies II24 affirme que les roux (purroí) au nez pointu, aux yeux petits, sont méchants ; ce texte nous fait comprendre pourquoi Galien a pu attribuer l’invention de la physiognomonique à Hippocrate25. Un auteur aristotélicien soutiendra la même affirmation en écrivant : « les roux (purroí) sont très roués (panourgoí) »26. Dans un développement sur la canitie, Aristote lui-même croit pouvoir affirmer que « les poils roux (hai purraí) blanchissent plus vite que les noirs » et il explique ainsi cette pseudo-observation : « La couleur rousse est une espèce d’infirmité du poil, et tout ce qui est faible vieillit plus vite »27. Marie Delcourt a admirablement démontré l’ambivalence de la rousseur et elle a pu écrire : « On arrive à cette conclusion paradoxale que si les rousseaux sont maléfiques, les cheveux roux, en soi, ne le sont pas. Bien plus, la couleur elle-même signifie force, vigueur, 22

Cf. mes Recherches., op. cit., p. 344, n. 20. Cf. H.A. V, 22, 554a 24-25. 24 Cf. Épidémies II, 5, 1 (L V, 128). 25 Cf. GALIEN VI, 797 K ; XIX, 530 K. 26 Cf. Physiognomoniques, 6, 812a 16. 27 G.A. V, 5, 785a 19-21. L’étymologie explique en partie au moins cette valorisation (positive ou négative) de purrós. Selon Pierre CHANTRAINE, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1968, p. 960 : « Le rapport de ce groupe de mots (purrós…) avec púr « feu »… est évident… ». 23

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ressemblance avec les dieux ». Elle note aussi : « Teinté d’or et de pourpre, le roux devait bénéficier des associations d’idées qui résultent du double voisinage »28. C’est ici pour moi le moment de rappeler que, pour Aristote comme pour toute la tradition grecque, l’abeille est un insecte divin (theion)29 ; Xénophon (Économique VII, 32) est un témoin de cette tradition antérieure au Stagirite. Même si certains peuvent considérer aujourd’hui que le blanc et le noir ne sont pas des couleurs à proprement parler, je ne manquerai pas de les étudier, car pour les Anciens, blanc, noir et gris sont incontestablement des couleurs. Un texte de la Métaphysique d’Aristote peut nous en convaincre : « Et si dans les couleurs (chromasi), on va du blanc (ek tou leukou) au noir (eis tó mélan), on atteindra le rouge (eis tó phoinikoun) et le gris (kaí phaión) avant le noir »30. La valorisation ambivalente du blanc et du noir remonte, dans nos textes, à Homère. En effet, dès l’Iliade, le noir (mélan) caractérise la mort31, le deuil32, la douleur33… De plus, un texte de Diogène Laërce (VIII, 34) nous apprend que Pythagore aurait professé que le blanc (leukón) est de la nature du bien (tagathou) et que le noir (mélan) de celle du mal (kakou)34. De son côté, G.E.R. Lloyd nous a rappelé que le blanc était souvent 28

Marie DELCOURT , Pyrrhos et Pyrrha. Recherches sur les valeurs du feu dans les légendes helléniques, Paris, Les Belles Lettres, 1965, p. 24. 29 Cf. G.A. III, 10, 761a 4-5. Cf. mes Recherches…, op. cit., p. 341, n. 7. 30 Métaphysique X, 7, 1057a 24-26. 31 Cf. Iliade II, 834 ; XVI, 350… 32 Cf. Iliade XVIII, 25… 33 Cf. Iliade XVIII, 22… Sur les couleurs chez Homère, voir notamment A. DE KEERSMAECKER, Le sens des couleurs chez Homère, 1883 et A.E. KOBER , The Use of Colour Terms in the Greek Poets from Homer to 146 B.C., New York, 1932. 34 V.S. 58 C 3.

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associé aux divinités olympiennes et que le noir l’était aux divinités chtoniennes, infernales35. Il ne faudrait cependant pas ériger en règle universelle le précepte pythagoricien liant la blancheur au bien et le noir au mal. La réalité dans nos textes scientifiques est beaucoup plus complexe. Le blanc reçoit incontestablement une connotation positive lorsque le Stagirite proclame, à de nombreuses reprises, que le sperme (de l’homme) est blanc, que c’est une écume blanche36, mais aussi chaude37, apportant l’âme du vivant38. Il faut rappeler ici que, pour Hésiode, au VIIe siècle déjà, le sperme est une écume blanche (leukòs aphrós)39. Cette valorisation du blanc se retrouve dans la description que le Stagirite donne de certains œufs : « Ainsi dans le cas des œufs à deux couleurs, l’animal reçoit du blanc (ek tou leukou) le principe de la génération (car le principe psychique réside dans le chaud), et du jaune (ek tou ochrou), sa nourriture. Dans ces conditions, chez les animaux dont la nature est plus chaude, il y a distinction de ce qui fournit le principe et de ce qui nourrit, c’est-à-dire du blanc et du jaune, et la partie blanche et pure (tò leukòn kaì katharón) est toujours plus abondante que la partie jaune et terreuse (tou ochrou kaì geodous) »40. En vérité, dans ce texte, Aristote s’oppose aux vues d’Alcméon41, d’Anaxagore42 et de l’auteur hippocratique de la Nature de l’enfant43 qui avaient soutenu le contraire et étaient en quelque sorte plus près 35

G.E.R. LLOYD, Analogy and Polarity. Two Types Argumentation in Early Greek Thought, Cambridge, 1966, p. 46. 36 Cf. G.A.II, 2, 735a 31 ; 735b 33 ; 736a 8-9. 37 Cf. G.A. II, 2, 735b 33-34 ; 736a 1-2. 38 Cf. G.A. II, 4, 748b 25-27. 39 Cf. Théogonie, 190-191. 40 G.A. III, 1, 751b 2-10. 41 Cf. V.S.14 24 A 16. 42 Cf. V.S.14 59 B 22. 43 Cf. De la nature de l’enfant, 30 (L VII, 536).

245

of

de la vérité que lui : en réalité, c’est dans la partie supérieure du jaune que se trouve une tache circulaire transparente de quelques millimètres de diamètre, le germe ou cicatricule44. Cette valorisation du blanc lié au chaud se retrouve même dans des considérations de diététique dans lesquelles le Stagirite soutient que « les bêtes blanches sont pour ainsi dire plus chaudes et ont une chair plus savoureuse »45. Dans les textes étudiés jusqu’ici, le blanc est valorisé, associé aux notions de chaleur et de pureté ; dans d’autres, au contraire, il sera uni aux notions d’humide, de faible, de féminin. Pour comprendre cette liaison du blanc et du féminin, il faut savoir que l’esthétique grecque exigeait que la femme libre soit blanche de teint (l’homme étant bronzé, mélas), l’espace féminin étant l’intérieur de la maison (éndon), l’espace masculin, l’extérieur (éxo)46. Il ne fallait cependant pas que la femme soit plus blanche que nature, c’est-à-dire par le recours à des fards. Il suffit, pour s’en convaincre, de remarquer l’indignation d’Ischomaque, dans l’Économique de Xénophon (X, 2) : « Alors Ischomaque réplique : “Eh bien, je l’ai vue un jour toute fardée de céruse pour avoir le teint encore plus blanc (leukotéra) que nature” ». Si la blancheur des femmes est un trait distinctif sur plusieurs des vases à figures noires, la blancheur est aussi, dans la comédie ancienne, la couleur du masque des efféminés, tel le poète tragique Agathon47. Voici quelques textes hippocratiques ou aristotéliciens où le blanc est associé aux idées de féminin, d’humide, de faible. Dans 44

Cf. P.P. GRASSE, La vie des animaux. La progression de la vie, Paris, Larousse, 1969, p. 30-31. 45 G.A. V, 6, 786a 15-16. 46 Cf. J.P. VERNANT, Mythe et Pensée chez les Grecs, Paris, Maspero, 1966, p. 104-105 et mes Recherches…, op. cit., p. 337. Sur l’éndon, espace féminin, cf. ARISTOPHANE , Lysistrata, v. 149, 495, 510 (voir l’emploi d’éxodos au vers 16 de la même comédie). 47 Cf. ARISTOPHANE, Thesmophories, v. 191-192.

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deux textes gynécologiques du Corpus hippocratique48, nous apprenons que les femmes très (ou trop) blanches (hupérleukoi) sont plus humides, plus sujettes aux flux, que les noires (mélainai) sont plus sèches et compactes tandis que les brunes (oinopoi) tiennent le milieu. Deux textes d’Aristote vont dans le même sens : « Et même au cours du coït, celles qui sont blondes (leukóterai) naturellement émettent une plus grande quantité d’humeur que les brunes (melainon) »49. « Les pertes blanches (tà leuká) se produisent aussi chez les fillettes très jeunes, surtout si elles usent d’une nourriture humide »50. Nous voyons ici que pour Aristote les pertes blanches témoignent d’un excès d’humidité ; elles doivent donc avoir comme cause principale un régime alimentaire trop humide. C’est dans la même optique qu’Aristote dévalorise le lait blanc (tou leukou), plus faible que celui de couleur foncée (tò pelióteron) et qu’il considère que les blondes (ton leukon) ont un lait moins bon que les brunes (hai mélainai)51. Si le noir est souvent le représentant d’une valeur négative, il l’est aussi parfois d’une valeur positive. C’est ainsi que l’auteur hippocratique des Épidémies VI52 déclare : « Que [le fœtus mâle est] dans l’endroit le plus chaud, le plus solide, à droite [de la matrice] ; c’est pour cela que les mâles sont plus bruns (mélanes)… » À juste titre, Robert Joly qui commente ce texte a pu écrire : « Épidémies VI, 2, 25 (est une) véritable somme des préjugés en la matière »53. En effet, nous voyons ici 48

Cf. Maladies des femmes II, § 111 (L VIII, 238) ; Nature de la femme, 1, 3 (L VII, 312). 49 H.A. VII, 2, 583a 10-12. 50 H.A. VII, 1, 581b 2-3. 51 Cf. H.A. III, 21, 523a 9-12. 52 Épidémies VI, 2, 25 (L V, 290). Sur mélas, signe de virilité, voir notamment ARISTOPHANE, Thesmophories, 31 : … ho mélas, ho karterós. 53 Robert JOLY, Le niveau…, op. cit., p. 69.

247

juxtaposées les notions de : mâle, chaud, solide, droite et brun (mélas). Je crois aussi que si la couleur noire se rencontre assez souvent dans des remèdes gynécologiques, c’est que la femme est blanche et que les médecins fondent leur pratique sur le principe « contraria contrariis curantur ». C’est ainsi que l’auteur des Maladies des femmes I, dans un cas d’hématémèse attribué à une lésion du foie, prescrit du lait de vache noire (boòs melaínes gála)54. Dans un cas d’hystérie produit par un déplacement de la matrice, l’auteur des Maladies des femmes II préconise le remède suivant : « sous les narines on fait une fumigation avec des raclures de corne noire (mélan) de chèvre ou de cerf »55. Le même auteur recommande, pour un cas d’hystérie, l’application aux narines du médicament noir (tou pharmákou tou mélanos)56 dont la recette nous est fournie par l’auteur des Maladies des femmes I (tò mélan phármakon…)57. Dans ces remèdes des traités des Maladies des femmes, 56 sont à base d’oinos qualifié de mélas, 8 sont préparés avec de l’helléboros qualifié de mélas. Le gynécologue, auteur des Maladies des femmes I58, prescrit contre une diarrhée consécutive à un accouchement le remède suivant : du raisin sec noir (mélainan), du vin noir (oíno… melanichróo), du fromage de chèvre… Commentant ce remède, Robert Joly écrit : « La couleur foncée est associée à la notion de sec et la couleur claire à celle de liquide ; le remède d’une diarrhée doit être sec, desséchant et, par conséquent, de couleur foncée. Tous les aliments prescrits répondent à cette condition : le fromage de

54

Cf. Maladies des femmes I, 43 (L VIII, 102). Même recette en Nature de la femme, 52. R. JOLY commente cette recette dans Le niveau., p. 37-38. 55 Maladies des femmes II, 126 (L VIII, 272). 56 Cf. Maladies des femmes II, 126 (L VIII, 270). 57 Cf. Maladies des femmes I, 96 (L VIII, 222). 58 Cf. Maladies des femmes I, 42 (L VIII, 100).

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chèvre, qui entre également dans la préparation, est un des plus secs et il fonce avec le temps »59. Si le noir est, pour l’auteur de l’Iliade, la couleur de la mort et du deuil, il l’est toujours pour les auteurs du Corpus hippocratique qui sont d’avis que « le noir (tò mélan) est mortel »60, que « les vêtements noirs (tà mélana, vus en rêve) sont plus néfastes et plus dangereux »61. L’auteur de cette dernière affirmation va avancer une opinion qui ne nous surprendra plus : « Les (animaux) noirs (mélana) (sont) plus secs (xerótera) que les blancs (leukon) »62. Nous ne sommes plus étonnés de relever la liaison entre la couleur foncée et la sécheresse. La surdétermination du noir se rencontre aussi dans ce passage biologique d’Aristote : « S’ils (= les scorpions) piquent un homme ou une bête quelconque, la mort s’en suit, même pour les cochons qui sont très peu sensibles aux autres morsures, et parmi eux ce sont surtout les noirs qui en sont victimes »63. Un dernier texte hippocratique va témoigner de cette valorisation du noir et du blanc. Au chapitre 12 du Pronostic, l’auteur décrit les urines et il est d’avis que « les nuages qui flottent dans l’urine, blancs, sont de bon augure (leukaì mèn agathai), noirs, sont de mauvais augure (mélainai dè phlaurai…) »64. Or, dans la réalité, des nuages blancs sont du pus tandis que l’urine foncée est celle d’hépatiques. Tous ces textes — au nombre de plusieurs dizaines, de plusieurs centaines si l’étude était complète — révèlent que la couleur est une notion valorisée, donc ambivalente. Ce dernier aphorisme hippocratique en témoigne à lui 59

Robert JOLY, Le niveau…, op. cit., p. 38. Maladie Sacrée, 1 (L VI, 356). 61 Régime IV, 91, 2 (L VI, 658 = p. 228 éd. R. Joly-S. Byl). 62 Régime II, 49, 2 (L VI, 552 = p. 173 éd. R. Joly-S. Byl). 63 H.A. VIII, 29, 607a 17-19. 64 Pronostic, 12 (L II, 138-140). Pour un commentaire de ce texte, voir Robert JOLY , Le niveau…, p. 236. 60

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seul : « Une femme enceinte a bonne couleur (eúchroos) si elle porte un garçon, mauvaise (dúschroos) si elle porte une fille »65. Le préjugé de l’infériorité de la femme66 est ici encore et toujours solidaire de celui de la valorisation des couleurs.

65

Aphorismes V, 41 (L IV, 42). Cf. aussi Des femmes stériles III, 216 (L VIII, 416). Soranos, au Ier siècle de notre ère, combattra cette affirmation hippocratique qu’il qualifie de « préjugés erronés » (p. 42 du livre I des Maladies des femmes, Paris, Les Belles Lettres, 1988), ce qui n’empêchera pas les médecins de l’âge baroque de continuer à lier le sexe du fœtus et le teint de la mère : « La femme qui est grosse d’un masle est mieux colorée », écrit Jean Liébault au XVIe siècle. 66 Sur ce préjugé, cf. Robert JOLY, Le niveau…, op. cit., p. 111116 et mes Recherches…, op. cit., p. 210-222.

250

Chapitre XVIa LE VOCABULAIRE HIPPOCRATIQUE DANS LES COMÉDIES D’ARISTOPHANE ET PARTICULIÈREMENT DANS LES DEUX DERNIÈRES

En 1945, Harold W. Miller publiait un remarquable article intitulé Aristophanes and Medical Language1, dans lequel il s’efforçait de relever les mots ou les expressions que le grand comique athénien avait empruntés à la médecine, d’une façon littérale ou métaphorique. L’étude de Miller est presque exhaustive mais, parce que nous disposons aujourd’hui d’un instrument de travail merveilleux, la Concordance des œuvres hippocratiques2, nous pouvons nous efforcer de compléter la liste de points de rencontre entre les comédies d’Aristophane et les œuvres du Corpus hippocratique. Néanmoins nous laisserons pour plus tard l’examen des deux dernières comédies, l’Assemblée des femmes (392) et le Ploutos

1

In Amer. Philol. Ass. Tr. and Pr., 76 (1945), p. 74-84. D’autres études dans le même domaine sont à citer : L. GIL-I.R. ALFAGEME, « La figura del médico en la comedia atica », in Cuadernos di Filologia clásica, 3 (1972), p. 35-91 ; I.R. ALFAGEME, « Higiene, cosmética y dietética en la comedia atica », in C.F.C., 9 (1975), p. 241-274 ; C. BEVILACQUE, « La medicina nel teatro di Aristofane », in Lanternino, 10 (5), 1987, p. 1-4. 2 Éditée par Gilles MALONEY et Winnie FROHN, Québec, 1984, 5 vol.

251

(388). Voici le complément que nous proposons à la liste de Miller : %($"°) (Grenouilles, 931) (= rester éveillé) est un verbe rare qui se rencontre dans le livre VII des Épidémies, 120. É %ã+#!#* (Cavaliers, 41 ; fr. 594a) est cité par Miller3 mais sans référence au Corpus ; or, é %+#!> se rencontre aussi au livre VII des Épidémies, 11. L’adjectif veut dire irascible. É"!Æ*, mot extrêmement rare (= chétif) ne se trouve qu’1 fois dans l’œuvre d’Aristophane, dans les Guêpes, 1045 où le mot est employé avec un sens métaphorique ; il n’est attesté qu’1 seule fois aussi dans le Corpus, dans une œuvre très ancienne, le traité Des Airs, des Eaux et des Lieux, 15. É& %ãμ( '#* (Cavaliers, 292 = qui ne cligne pas les yeux) se lit aussi dans le livre II des Épidémies, 6, 1. #,Æ" (= furoncle) figure au vers 1172 des Guêpes et est attesté 4 fois dans le Corpus ; mais le mot est employé de façon métaphorique par Aristophane4. É"Ò%+* (= pourvu de ses organes génitaux) se lit 3 fois chez Aristophane (Lysistrata, 661 ; Cavaliers, 1385 ; Oiseaux, 569). Le mot 6"#%+#* se rencontre 1 seule fois dans le Corpus (Régime II, 49) mais il se trouve déjà dans l’Iliade, 23, 147. â'%#", au vers 509 des Thesmophories, désigne le « bas-ventre », la « panse » d’une marmite. C’est le seul exemple de 'Ú ;'%#", attesté 29 fois dans le Corpus, dans ce sens figuré5.

3

Op. cit., p. 84, n. 31. Cf. Jean TAILLARDAT , Les images d’Aristophane, Paris, Les Belles Lettres, 19652, § 75. Ce mot rare est employé encore par d’autres poètes comiques (HERMIPPE, 30, TÉCLÉCL., 43). 5 Cf. Jean TAILLARDAT, op. cit., § 273. 4

252

á * (= muscle), que l’on rencontre au vers 86 de la Paix, est un mot rare en dehors de la sphère médicale ; il est attesté 10 fois dans le Corpus.

!μ>& #* (= petit chalumeau) (Acharniens, 1034) est un terme médical, comme les scholiastes l’ont bien vu6 (cf. Hémorroïdes, 6).

(!#ã) (= avoir les paupières supérieures gonflées) (Lysistrata, 472) est vraisemblablement un mot créé par Aristophane sur le terme médical Ê!#" (la paupière supérieure), attesté 3 fois dans le Corpus, et sur le mot #A°) (attesté 98 fois). (!#ã) ne se rencontre pas au Ve siècle ailleurs que dans la Lysistrata.

)Ò* (= sourd) (Acharniens, 681) et (4 ) )Ò) (= assourdir) (Cavaliers, 312), même s’ils peuvent se rencontrer dans des textes non techniques, relèvent, surtout à l’époque, du vocabulaire médical et ils se rencontrent respectivement 4 et 9 fois dans le Corpus.

(&'ã-) (= s’assoupir) est un mot qui apparaît pour la première fois au livre VII des Épidémies, 17 et au vers 638 des Oiseaux. É(%μ> (fr. 473) est un terme médical qui se rencontre 10 fois dans le Corpus (Ù(%μ$'#* (Grenouilles, 942, 953) est un mot médical7 signifiant la « promenade hygiénique » et attesté 78 fois dans le Corpus ($%$'°) l’est 51 fois). Il est traduit dans les Grenouilles par « digressions » (qui font maigrir… la tragédie). '&ã"8, qui ne se trouve que dans deux fragments (fr. 159, 412), est un mot très courant dans le Corpus où il est attesté 101 fois ; il désigne la tisane d’orge mondé. 6 Cf. scholie Ach., 1034 : 'Ú" !μ>& #" : 'Ú" +! #Ë" : é%(%#Ë", #·#(* 5+#(&" #B A'%#>. 7 Cf. Jean TAILLARDAT, op. cit., § 779, n. 2. 8 Cf. E. DARMSTÄDTER, « Ptisina. Ein Beitrag zur Kenntnis der antiken Diaetetik », in Archeion, 15, 1933.

253

Ñ$'ã-) est employé aux vers 27 et 28 de la Lysistrata. Comme le note fort justement Jean Taillardat, « l’expression =$'ã-" •('Ò" se dit proprement d’un malade qui ne cesse de se retourner dans son lit sans trouver le sommeil (Mal. II, 17, etc.) »9. Il faut constater que =$$'ã-) se rencontre 7 fois dans le Corpus (=$'&μÒ* a 13 occurrences). É"-&'ã-) (Guêpes, 702) est une image qui, d’après la scholie10, fait allusion aux soins qu’on donnait aux malades de l’oreille. ("Ò* (Guêpes, 1364) et '(#°%)* (Nuées, 908 ; Lysistrata, 335-336) sont deux mots qui désignent un vieillard dont l’esprit est émoussé ; ils ont été formés sur le terme médical 'Ë#*, attesté 6 fois dans le Corpus et signifiant « la torpeur, la stupeur ». Ñ$#ã&'%#", le bas-ventre, se rencontre 2 fois chez Aristophane (Guêpes, 195 ; Fr. 364) et 9 fois dans le Corpus. Ñ$Ò )#* (= un peu sourd) (Cavaliers, 43) est attesté 2 fois dans le Corpus. !%Ò* (= souple) (Guêpes, 1495) apparaît dans un contexte médical, puisqu’au vers 1494 le vieux Philocléon évoque ses articulations (4" ê%,%#*). Or, +!%Ò* apparaît 35 fois dans le Corpus (dont 15 fois dans le traité des Articulations). À cette liste nous pourrions ajouter +)!Ò* (= boiteux), attesté 7 fois chez Aristophane et 20 fois dans le Corpus : il s’agit d’un terme médical mais qui a été employé aussi, dès Homère, dans le langage courant ; il en va de même de '(!Ò* (= aveugle) (utilisé 14 fois par Aristophane, 9 Jean TAILLARDAT , op. cit., § 857. Cf. aussi Jeffrey HENDERSON, Aristophanes’ Lysistrata, Oxford Clarendon Press, 1987, p. 71. 10  é$Ú μ'#%ç* '«" 'å Œ' é!#Ê"')", ? ' 4%>#( 4$&'-#μ°")" 5!#" 'å %+Ê.

254

surtout dans le Ploutos, mais ne comptant que 7 occurrences dans le Corpus).  Si nous tenons surtout à mettre en évidence le vocabulaire médical qui se dissimule dans les deux dernières comédies d’Aristophane, l’Assemblée des femmes et le Ploutos, c’est que ces œuvres furent composées à une époque qui coïncide avec celle du terminus ante quem de la rédaction du Corpus. En effet, Robert Joly a eu parfaitement raison d’écrire que « it is certain that most of the Collection should be placed between 430 and 380 B.C., for a number of cultural, linguistic, and historical reasons »11. É$#$'°) (= aller à la selle) se rencontre au vers 351 de l’Assemblée des femmes ; ce verbe fait partie du riche vocabulaire scatologique de la pièce et se trouve 27 fois dans le Corpus (le substantif é$Ò$'#* s’y trouve 17 fois). Au vers 1059 apparaît le mot ê##*, l’excrément, dans l’expression A* ê##" analogue à é$Ò$'#" (Acharniens, 81)12. Le substantif ê##* apparaît 15 fois dans le Corpus et plusieurs fois dans l’expression 4* ê##"13. Ò$%#* (= excrément), que l’on rencontre 2 ou 3 fois chez Aristophane (Nuées, 1431 ; fr. dub. 923 ; Assemblée, 360), n’est pas exclusivement un terme médical ; il apparaît néanmoins 49 fois dans le Corpus. É+%ã* se rencontre au vers 355 : c’est Blépyros constipé qui prétend que « quelque poire sauvage (é+%ã*) ferme le passage aux aliments ». Il semble bien que le mot 11

Robert JOLY, art. « Hippocrates of Cos », in Dictionary of Scientific Biography, t. VI, New York, 1972, p. 420. 12 Cf. R.G. USSHER, Aristophanes Ecclesiazusae, Oxford, 1973, p. 222. 13 Cf. Fract., 16 ; Affect., 26 ; Haem., 2 ; Fist., 7…

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é+%ã* ne soit pas attesté avant les environs de 400 : il n’apparaît qu’1 seule fois dans le Corpus, au livre II du Régime, 55, où l’auteur est plus nuancé qu’Aristophane : « Les poires sauvages d’hiver, mûres, sont laxatives et purgent le ventre ; vertes, elles sont resserrantes »14. Æ'') (= tousser) (qui apparaît au fr. 682 et au vers 56 de l’Assemblée) se rencontre parfois en dehors du Corpus où sa fréquence est particulièrement élevée : on y trouve 60 occurrences de ce verbe. #%#%Ê-) est un terme médical qui exprime le bruit intestinal (Int., 6) et qui est attesté 4 fois dans le Corpus (le substantif #%#%(μÒ* s’y trouve 3 fois). Aristophane va créer sur le verbe simple le composé é"#%Ò%(" (Assemblée, 433) qui se dit des gens de la campagne qui « éclatent en murmures ». Il convient de noter que si ce composé est un hapax, on rencontre 3 fois #%#%Ê-) et 4 fois Í$##%#%Ê-)15 dans le Corpus. Pour désigner un homme chassieux, le poète emploie le mot !ãμ)" (Assemblée, 254, 398 ; Grenouilles, 588). C’est !μ(%Ò* qui est employé 3 fois dans le Corpus à propos d’yeux chassieux : Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, 1968, p. 225 parle de « doublet dialectal ». É $>$') est employé par la première vieille dans un souhait qu’elle formule à l’égard de sa jeune rivale : v. 906 É $°&# &#( 'Ú '%8μ (Puisse choir ton étui). Alphonse Willems, dans une note infra-paginale, a remarquablement explicité ce vers : « En termes médicaux : chute de l’utérus, Í&'% ? $%#$'Ê&*. É $>$'" est le verbe consacré, celui qu’en pareil cas Hippocrate emploie constamment »16. Il est tout à fait 14 15

L VI, 562 = p. 176 éd. Robert Joly-Simon Byl, CMG, 1984. Cf. Jean TAILLARDAT , op. cit., § 489 ; R.G. USSHER , op. cit.,

p. 135. 16

Alphonse WILLEMS, Aristophane, Paris-Bruxelles, t. III, 1919, p. 196, n. 1.

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exact que l’expression B Í&'°% 4 $>$'#(& est assez courante dans le Corpus (cf. Mul., 2, 144, 149, 153…) et que l’expression $%#[&]$°&)&" B μ8'% se rencontre 1 fois (Superf., 36). âμ%Ò"'' (= stupide) figure au vers 793. Ussher, qui a édité et commenté l’Assemblée des femmes, ne songe pas à un texte du Corpus, pas plus d’ailleurs que Jean Taillardat qui écrit : « Cette métaphore, qui n’est attestée qu’une fois au Ve siècle, chez Sophocle, devient très commune dès le début du siècle suivant »17. En fait, au vers 1386 de l’Ajax, Sophocle emploie l’adjectif 4$%Ò"''#* et non 4μ%Ò"''#* qui apparaît, pour la première fois, aux environs de 400, dans le Régime. Au chapitre 35 du livre I de ce traité, nous lisons : « On nomme de telles gens… idiots (4μ%#"'Æ'#(*) » (ou étonnés, au sens premier). É %",, le calament, est citée pour sa mauvaise odeur18 au vers 648 de l’Assemblée. À l’époque classique, le mot semble très rare mais il se trouve 4 fois dans le Corpus, dans des œuvres anciennes.

"&ã) est employé au vers 919 de l’Assemblée : le mot n’est pas attesté ailleurs dans la comédie d’Aristophane et il ne se rencontre pas dans le Corpus. Il faut traduire le verbe, employé par la jeune fille à l’adresse de la vieille femme, de la façon que voici : « tu as envie de te caresser le sexe » ou ainsi « tu éprouves une démangeaison sexuelle ». En effet, si "&ã) n’apparaît pas dans le Corpus, "&μÒ* est attesté 20 fois et c’est sur 17

Jean TAILLARDAT , op. cit., § 475. Cf. Marcel DETIENNE, Les Jardins d’Adonis. La mythologie des aromates en Grèce, Paris, 1972, p. 146. 18

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ce substantif qu’aura été créé le verbe. Si Aristote, dans la Génération des Animaux (I, 18, 723b 32-34) définit le plaisir (9#"Æ) qui accompagne les rapports sexuels comme une démangeaison ( "&μÒ*), il emprunte ce terme à l’auteur pseudo-hippocratique de la Génération, 1 (L VII, 470) qui établit la même équivalence, au chapitre 4 de son traité (L VII, 474) à propos des femmes (9#"Æ = "&μÒ*)19. Au vers 10 de l’Assemblée se trouve le participe !#%#(μ°")" (= se cambrer) dont le sujet est &)μã')" : le contexte y est éminemment érotique (au fragment 619 apparaît le substantif !#%Ú* qui précède le groupe A* 4μ#!Æ" : c’est Galien, dans son commentaire du traité des Fractures, qui nous a conservé le fragment 619 dans lequel apparaissent ces deux mots bien attestés dans le Corpus, particulièrement dans le traité des Fractures). Dans le Corpus, !#%>") est attesté 2 fois, !#%Ò*, 6 fois, !#%Ò), 2 fois, !Ò%)μ, 2 fois et !Ò%)&*, 1 fois20. !+#!ã) est employé par le poète dès 414, dans les Oiseaux, vers 14 ; il sera utilisé plus souvent dans les deux dernières pièces (Assemblée, 251 ; Ploutos, 12, 366, 903). H.W. Miller est d’avis que « In Aristophanes the verb has not lost completely its medical significance »21 et, se fondant sur la présence de μ!+#!ç" chez Aristophane dès 414, Robert Joly est d’avis que « en ce qui concerne l’École de Cos… la bile noire y est connue 19

Cf. mon livre Recherches sur les grands traités biologiques d’Aristote : Sources écrites et préjugés, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, 1980, p. 71-72. Sur la création des verbes en -ç", voir notamment Jean IRIGOIN , « Préalables linguistiques à l’interprétation de termes techniques attestés dans la Collection hippocratique », in Formes de pensée dans la Collection hippocratique, Genève, 1983, p. 175-176. 20 Cf. Harold W. MILLER, op. cit., p. 82 ; Jean TAILLARDAT, op. cit., § 201, n. 2. 21 Harold W. MILLER, op. cit., p. 82.

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comme humeur spécifique antérieurement à la Nature de l’homme »22. Dans le Corpus, μ!+#!ã) est attesté 2 fois, mais 1 fois seulement dans une œuvre ancienne (Affections, 36) ; μ!+#! Ò* est présent 34 fois, μ!+#! «*, 6 fois et μ!+#!"#μ 43 22 et composés comme 4 μ>") 2 19 μ«%#* 2 11 $%ã"# 5 3 +#!ã) 525 1 Í$%+#!ã) 1 1 26 +#!Æ 359 5 !(%@'*27 figure au vers 417 de l’Assemblée : c’est la seule attestation du mot dans l’œuvre d’Aristophane. Ce 24

C’est é+%+#!> qui apparaît dans le Corpus (ce que Miller a omis de signaler). Cf. supra. Il faut noter aussi qu’il existe chez Aristophane de nombreuses images traduisant la folie qui ne sont évidemment pas attestées dans le Corpus. Cf. Jean TAILLARDAT, op. cit., § 473-484. 25 La scholie du vers 833 des Nuées écrit : 'Ú ¢ +#!«&" é"'? '#Ë μ"#μ°"#*. 26 Si Jean TAILLARDAT, op. cit., § 478, a pu écrire que « le mot +#!Æ lui-même est synonyme de μ"> à Paix, 66 », nous ne pouvons évidemment pas en dire autant des 359 occurrences du Corpus où +#!Æ désigne très généralement la bile, une des quatre humeurs. Il faut se souvenir d’une précieuse remarque de Jean IRIGOIN, « La formation du vocabulaire de l’anatomie en grec » (in Hippocratica, éd. M.D. Grmek, Paris, CNRS, 1980, p. 254) : « le nom de la bile, +#!Æ, déjà homérique avec le sens de colère » formé sur un radical qui signifie « jaune »… 27 Sur le sens de ce mot, cf. Mirko D. GRMEK , Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale, Paris, Payot, 1983, p. 20.

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mot technique désigne l’une des maladies le plus souvent citées par les médecins du Corpus : on compte 75 occurrences de ce terme.  Ò%##" apparaît au vers 404 de l’Assemblée dans une préparation pseudo-pharmaceutique qui reparaît aux vers 716-725 du Ploutos. Les vers 404 à 406 de l’Assemblée méritent d’être traduits : « Broyez (ıμ#Ë '%>"'') de l’ail (& Ò%#') avec du jus de silphium (Ù$“), y mettre de l’euphorbe (',Êμ!!#" 4μ!Ò"') de Laconie, et t’en oindre ($%!>") les paupières ('å !°%) le soir ». Chaque mot de cette recette figure dans le Corpus, avec un indice de fréquence généralement très élevé. Voici, en effet, pour chaque mot, le nombre d’occurrences : & Ò%##" (= 72), ıμ#Ë (= 77), '%>) (= 505), Ù$Ò* (= 81), ',Êμ!!#* (= 8), 4μã!!) (= 235), $%!>) (= 5)28, !°%#" (= 35). Ce qui est est comique dans ces vers, ce n’est pas seulement la parodie très fine d’une recette médicale ; c’est surtout que cette prescription soit faite par Blépyros à l’adresse de Néoclidès le chassieux, alors que, selon le traité du Régime29 « l’ail est… mauvais pour les yeux ; car en imposant au corps une purge considérable, il affaiblit la vue ». Dans le passage parallèle du Ploutos, c’est toujours une préparation à base d’ail (& #%Ò)") qui enduit les paupières retournées du malheureux Néoclidès « pour que la douleur fût plus cuisante ». Il y a encore d’autres mots du vocabulaire médical — mais non exclusivement techniques — qui apparaissent dans l’Assemblée. (%Ò" (= cheville), qui compte 4 emplois dans l’œuvre d’Aristophane, se trouve au vers 1110 de 28

%!>) n’est pas attesté dans le Corpus : il a peut-être été employé pour des raisons métriques : É!>) est représenté 48 fois dans le Corpus 29 Régime II, 54, 1 (L VI, 556 = p. 174 éd. Robert Joly-Simon Byl).

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l’Assemblée ; il compte 47 occurrences dans le Corpus. Au vers 276 des Guêpes, &(%Ò" accompagne un verbe typiquement technique, attesté dans le Corpus, !μ>") (4!°μ""). !Ê '" (= pustule), attesté 11 fois dans le Corpus, apparaît 3 fois chez Aristophane (Guêpes, 1119 ; Grenouilles, 236 et Assemblée, 1057). Le caractère technique du mot, reconnu par plusieurs philologues30, est évident : Assemblée, 1057 : 4 ·μ'#* !Ê '""31 ±μ&μ°". !ã) remonte à l’Odyssée mais il avait été adopté par la langue médicale au sens de palper, plus spécialement au sens de pratiquer le toucher vaginal. Le verbe obtient 6 occurrences dans le Corpus, dont 3 se trouvent dans les traités gynécologiques ; le substantif !ã&* a 4 occurrences qui se rencontrent toutes dans le traité des Maladies des femmes II et dans celui des Femmes stériles, avec le sens de toucher vaginal. C’est peut-être la raison pour laquelle Aristophane, qui affectionne les métaphores d’ordre sexuel32 et le langage médical, se sert au vers 315 de l’Assemblée, comme déjà au vers 691 de la Paix, du verbe !ã)33. À côté de !ã) et de !ã&*, les médecins du Corpus se servaient du verbe 4$-ã)34 (11 occurrences, dont 8 dans les traités des Maladies des femmes 1 et 2). 30

Cf. Harold W. MILLER, op. cit., p. 84 ; R.G. USSHER, op. cit,

p. 221. 31 32

Sur les !Ê '", cf. Mirko D. GRMEK , op. cit., p. 222. Cf. J. HENDERSON , The Maculate Muse, New Haven-London,

1975.

33 Telle n’est pas l’interprétation de Jean TAILLARDAT, op. cit., § 670 qui voit dans !ç" 4" & Ò'ƒ une locution figurée, probablement proverbiale qui renouvelle l’expression 'å $%ãμ' μ'+%>-&,. Mais les deux interprétations peuvent peut-être se combiner. 34 Cf. Louis BOURGEY , Observation et expérience chez les médecins de la Collection hippocratique, Paris, Vrin, 1953, p. 177.

262

É>") est aussi un mot homérique qui est passé dans la langue des médecins ; il apparaît 5 fois dans le Corpus, au sens d’éprouver les douleurs de l’enfantement35, et 2 fois chez Aristophane (Thesmophories, 502 et Assemblée, 529). Le poète comique se sert du verbe au sens littéral ; il n’en fait pas une image, comme par exemple Eschyle au vers 211 des Choéphores36. Le vocabulaire médical n’est pas moins courant dans le Ploutos que dans la pièce de 392 : le Ploutos n’est-il pas le récit de la guérison du dieu qui recouvre la vue ? é"' "Æμ se rencontre au vers 784 dans un contexte qui n’est pas spécifiquement médical, contrairement à celui du vers 907 des Cavaliers : 'é" '#@&" é"' "μ>#* •! Ê% $%!>" (« … un petit pot d’onguent pour frotter les petits ulcères de tes tibias » ; contrairement à ce qu’affirme H.W. Miller, p. 77, •! Ê%#" apparaît 3 fois dans le Corpus). Le mot é"' "Æμ#", qui n’est pas très fréquent dans la littérature classique, est représenté 4 fois chez Aristophane et 9 fois dans le Corpus (voir Dieter IRMER, « Die Bezeichnung der Knochen in Fract. und Art. »., in Hippocratica, p. 282). É$!!ã" & '8* Ù,!μ>*, promet Chrémyle à Ploutos, au vers 115. H.W. Miller, qui a relevé le mot Ù,!μ>37, est d’avis que le verbe é$!!ã&&" n’a pas un sens technique. Cela ne nous semble pas exact ; en effet, sur les 103 occurrences d’é$!!ã&&) dans le Corpus, plusieurs ont le sens d’apaiser la douleur, de l’expulser (cf. entre autres L I, 618 ; VI, 4 ; VI, 210 ; VI,

35

É>*, le travail de l’accouchement, apparaît 12 fois dans le Corpus. 36 Cf. Jean D UMORTIER, Le vocabulaire d’Eschyle et les écrits hippocratiques, Paris, Les Belles Lettres, 19752, p. 28, qui insiste sur l’acception métaphorique d’»>* en ce vers 211. 37 Harold W. MILLER, op. cit., p. 82.

263

454-456 ; VI, 490 ; VII, 22…). É,!μ> est utilisé 22 fois dans le Corpus. &'%"' 4" 'ª &'%>. Le vers 484 des Thesmophories en est ausi très proche : &'%Ò#* μ' 5+ '7" &'°%' … #%ã) (souffrir de la goutte) se rencontre 1 seule fois chez Aristophane, au vers 559 du Ploutos ; le mot est très rare à l’époque et il n’apparaît, avec ses dérivés, que 20 fois dans le Corpus. +@"#*, lentisque, n’apparaît dans les 11 comédies qu’1 seule fois, au vers 720 du Ploutos. Nous avions annoncé cette prescription pseudo-pharmaceutique, mais il vaut la peine de la citer intégralement, du vers 716 au vers 722 : $%«'#" ¢ $ã"')" '“ # !>˙ ã%μ #" 'ã$!&'#" 4"+>%& '%>", 4μ!=" & #%Ò)" !å* '%@* ">)". Ö$'' 5! 4" 'ª ,(?& &(μ$%μ"Ê)" Ù$Ú" ? &+@"#": ‰'' ˆ °μ"#* ''>ƒ '°$!&" È'#Ë 'å !°%' 4 &'%°*, ·" 43

Cf. Jean TAILLARDAT, op. cit., § 307 et § 442.

266

Ù("“'# μç!!#"... Le vocabulaire de ces 6 vers et demi est intégralement médical. Nous tenons à le montrer, en indiquant le nombre d’occurrences qu’obtient chaque mot dans le Corpus : ã%μ #" = 520 ; '%>) = 505 ; 4μã!!) = 235 ; & Ò%##" = 72 (& #%Ò)" ¢ !å* '%@* se lit en Maladies des femmes II, 55) ; ,(> = 6 ; &(μ$%μ>&) = 1 ; Ù$Ò* = 81 ; &+@"#* = 8 ; ˆ#* = 140 ; >μ = 152 ; '$!ã'') = 70 ; !°%#" = 35 ; Ù("ã) = 51). Nous pouvons constater, rien que par l’analyse de cette recette, combien l’œuvre du génial poète athénien était loin d’être le fruit du hasard. )C* ne se trouve qu’au vers 535 du Ploutos et au fr. 34544. Le mot, qui désigne une brûlure sur la peau, est très rare mais il figure 3 fois dans le traité des Maladies II (54, 57, 58), un traité que le poète a lu sans aucun doute. (&ã) est un mot courant puisqu’il se rencontre 17 fois dans l’œuvre d’Aristophane ; une fois au moins, il apparaît avec une connotation médicale : au vers 699 du Ploutos, nous lisons : 9 &'7% å% 4$Ê&'Ò μ#( (mon ventre était ballonné). Or si (&ã) est un verbe fréquent dans le Corpus, puisqu’il se rencontre 46 fois, l’expression 9 &'7% (&ç' est tout à fait courante et se rencontre en Épidémies VI, s. 3, 5 ; Maladies II, 69 ; Intern., 31 ; Nature de la femme, 41 ; Maladies des femmes II, 154 ; Régime des Maladies aiguës, Appendice, 51. Il y a d’autres mots médicaux comme $!(%ã (Ploutos, 546) ou =>* (Ploutos, 314, 703) que nous n’étudierons guère : ce sont des mots courants autant que techniques ($!(%ã apparaît 143 fois dans le Corpus et =>*, 344 fois). Ceci ne signifie pas que nous partageons entièrement l’affirmation de Jean Psichari selon qui « au Ve siècle, les termes médicaux n’étaient pas, comme 44

Cf. Harold W. MILLER, op. cit., p. 84.

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aujourd’hui, des termes savants… mais des termes absolument courants »45. Au contraire, il faut remarquer que le génial poète comique n’a pas cessé de recourir à un vocabulaire médical technique que seuls, sans doute, des initiés pouvaient saisir (é$Ò$! '#*, Guêpes, 948 ; #'(!