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French Pages 237 [236] Year 2014
CORROSION DES CIRCUITS PRIMAIRES DANS LES RE´ACTEURS A` EAU SOUS PRESSION Analyse historique
Pierre Beslu
17, avenue du Hoggar Parc d activite´s de Courtaboeuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France
Imprime´ en France ISBN : 978-2-7598-1084-0 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous proce´de´s, re´serve´s pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des aline´as 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement re´serve´es a` l’usage prive´ du copiste et non destine´es a` une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute repre´sentation inte´grale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (aline´a 1er de l’article 40). Cette repre´sentation ou reproduction, par quelque proce´de´ que ce soit, constituerait donc une contrefac¸on sanctionne´e par les articles 425 et suivants du code pe´nal. Ó EDP Sciences 2014
Remerciements
Je dédie ce livre à toute l’équipe avec laquelle, j’ai travaillé durant environ 20 ans et sans laquelle je n’aurais pu l’écrire. La plupart des résultats provenant de réacteurs et de boucles, par exemple, est due à leur compétence, à leur courage et à leur motivation. Je ne citerai pas de noms de peur d’oublier quelqu’un mais des prénoms sachant qu’ils peuvent désigner plusieurs personnes : donc que André, Serge, Claude, Philippe, René, Maxy, Gérard, Jean-Claude, Pierrot, Françoise, Florence, Jocelyne, Joël, Pierre, etc. sachent que je n’oublie pas ce que je leur dois. Que Alain B. et Philippe R., devenus des amis, soient aussi remerciés de leur soutien, pendant toutes ces années. Merci aussi à Serge, Frédéric et Jean-Raymond pour l’intérêt porté à ma démarche et aux discussions passionnées sur le fond que nous avons eues pendant l’écriture de mon document. Un merci très spécial, à Jean-Raymond Pagès et à Fred qui, de plus, l’ont relu, discuté et corrigé.
` Emmanuel, Thomas, Pablo et Gabin A En souvenir de Nathalie
Sommaire
Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . i Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Chapitre 1 : Introduction 1.1. Principe simplifie´ du fonctionnement des REP . . . . . . . . . . . . . . . 9 1.2. Spe´cificite´s des composants nucle´aires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
Chapitre 2 : Le caloporteur 2.1. Quelques caracte´ristiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. Radiolyse de l’eau [2] . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.1. Le rendement de la radiolyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.2. Les re´actions de recombinaison. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.3. Quantification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
13 18 18 19 23
Chapitre 3 : Mate´riaux auste´nitiques : corrosion uniforme 3.1. Ge´ne´ralite´s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. Corrosion ge´ne´ralise´e ou uniforme des aciers et des mate´riaux auste´nitiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.1. Mode`les de corrosion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.2. Corrosion de l’acier inoxydable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.3. Corrosion en milieu sature´. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.4. E´le´ments autres que le fer dans les mate´riaux auste´nitiques . . . . . . 3.2.5. Influence de la concentration en bore sur la corrosion ? . . . . . . . . . 3.2.6. Qualite´ de protection des oxydes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.7. Valeur de taux de corrosion et de relaˆchement. . . . . . . . . . . . . . . . .
25 27 27 36 40 47 54 55 58
iv
CORROSION DES CIRCUITS PRIMAIRES . . .
Chapitre 4 : Conse´quences de la corrosion dans le RCP 4.1. 4.2. 4.3. 4.4.
Formation des de´poˆts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 L’effet des de´poˆts sur la perte de charge et le de´bit . . . . . . . . . 72 L’effet des de´poˆts sur la re´activite´. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 Contamination . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78 4.4.1. Ge´ne´ralite´s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78 4.4.2. Impact des parame`tres de conception et de fonctionnement sur la contamination. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 4.4.3. Variabilite´ de la corrosion et de la contamination . . . . . . . . . . . . . . 102
Chapitre 5 : Mate´riaux auste´nitiques : corrosion sous contrainte 5.1. Ge´ne´ralite´s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 5.2. Influence de divers parame`tre sur la CSC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112 5.2.1. Influence de la contrainte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112 5.2.2. Influence de la tempe´rature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 5.2.3. Influence de la teneur en hydroge`ne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 5.2.4. Influence de la composition chimique du milieu . . . . . . . . . . . . . . . 113 5.2.5. Influence de la composition chimique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 5.2.6. Influence de la pre´cipitation des carbures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 5.2.7. Me´canismes de la CSC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 5.3. CSC dans les REP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115 5.3.1. Ge´ne´rateur de vapeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115 5.3.2. Piquages d’instrumentation des pressuriseurs . . . . . . . . . . . . . . . . . 120 5.3.3. Adaptateur des me´canismes de grappes de commandes . . . . . . . . . . . 121 5.3.4. Internes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
Chapitre 6 : Corrosion des gaines de combustible 6.1. Ge´ne´ralite´s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 6.2. Corrosion des alliages de zirconium . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 6.2.1. Cine´tiques de corrosion des alliages de zirconium en milieu REP. . . 127 6.2.2. Hydruration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149 6.2.3. Corrosion interne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151 6.2.4. Alliages autres que le zircaloy ; alliage Zr-Nb . . . . . . . . . . . . . . . . . 152 6.3. L’interaction pastille-gaine IPG/CSC de la gaine combustible . . 157 6.4. Re´sume´. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
TABLE DES MATIE`RES
v
Chapitre 7 : Contamination par les produits de fission 7.1.1. Origine des PF dans le circuit primaire des REP et conse´quences. . . 163 7.1.2. Me´canismes de rejet des PF (pour un crayon non e´tanche) . . . . . . . 165 7.1.3. Diagnostique de l’e´tat des gaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173 7.2. Conclusion sur les rejets de PF . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
Chapitre 8 : Petit de´tour chez les re´acteurs bouillants 8.1. Ge´ne´ralite´s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181 8.2. Injection de zinc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
Chapitre 9 : E´volutions re´centes 9.1. Vieillissement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185 9.1.1. Amincissement des parois. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186 9.1.2. Corrosion sous contrainte. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186 9.1.3. Corrosion ge´ne´ralise´e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192 9.1.4. Mode`les de transport et de contamination. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197 9.1.5. Contamination des circuits : REX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203 9.1.6. Corrosion des gaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210
Chapitre 10 : Conclusion
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Re´fe´rences
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Glossaire, sigles et abre´viations
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Avant-propos
Le nucléaire fait appel à de très nombreuses disciplines qui vont de la composition du béton à la physique atomique en passant par la métallurgie, l’hydraulique, la radioprotection, etc. Au niveau de la conception, il y a bien évidemment des disciplines reines comme la neutronique suivie, si l’on peut dire, par la thermohydraulique, la protection des réacteurs et la mécanique. En revanche, une fois le réacteur construit, au niveau de l’exploitation, c’est-àdire de la vie de tous les jours, les priorités changent. La neutronique, qui est de la physique mathématique presque pure très performante, n’est plus, en exploitation normale, que l’application de procédures, pour ne pas dire de la surveillance, aidée aujourd’hui par de l’informatique en ligne. Déjà en 1976, j’avais été frappé lors de la première divergence du réacteur TIHANGE 1, à laquelle j’ai eu la chance de participer, de constater que le réacteur était devenu « critique » exactement à l’instant où la concentration en bore avait atteint la valeur prévue par les codes de calcul. Ces domaines (neutronique, thermohydraulique…) posent donc rarement, en routine, des problèmes par eux-mêmes. En revanche, des événements extérieurs peuvent les impacter. Et il se trouve que ces événements extérieurs ont le plus souvent pour origine la corrosion des matériaux de structure et des composants qu’elle soit uniforme ou localisée. La chimie de l’eau dans le circuit primaire des réacteurs à eau sous pression (REP ou PWR en anglais) et la corrosion des matériaux de structure qu’elle conditionne ont été étudiées dès le début de l’ère nucléaire aux États-Unis. Dans ce domaine, Paul Cohen a été une référence. À la lecture de son livre [1], on pouvait, en 1969, presque conclure que tout avait été étudié et que presque tout était maîtrisé. Compte tenu de la somme d’informations que ce livre représentait, c’était presque vrai et en tous les cas rien de vraiment dramatique n’était à attendre dans ce domaine, si l’on appliquait les règles énoncées. Les Canadiens, cependant, furent sans doute, les premiers à fortement s’inquiéter et à attirer l’attention de la communauté internationale sur le risque ou au moins la gêne que représentait la contamination des circuits par les produits de corrosion (PC) activés. Cela, en raison des débits de dose très élevés relevés autour des circuits de leurs réacteurs à eau lourde sous pression (PHWR) et notamment celui de Douglas Point. On trouve même dans un de leurs rapports des années
2
Corrosion des circuits primaires…
1970, au travers de la définition qu’ils donnent du mot « crud1 », soit disant l’acronyme de Chalk River Unidentified Deposits, le signe de leur inquiétude sur le sujet. À Chalk River, d’ailleurs, s’était montée une équipe renommée et reconnue par ses pairs, étudiant la corrosion et ses conséquences sur la contamination des circuits. À sa tête, Derek Lister fut longtemps (pour moi en particulier) un interlocuteur et parfois un contradicteur des plus constructifs. Mais l’Europe n’était pas en reste et ce problème fut aussi étudié très tôt au sein d’Euratom. En France, les travaux sur ce sujet restaient cependant assez dispersés entre le constructeur (Framatome), l’exploitant (EDF) et les organismes de recherches comme le CEA. Ce fut le mérite de quelqu’un comme Philippe Berge, justement ancien d’Euratom passé aux Études et Recherches d’EDF, d’avoir, bien avant que ce ne soit institutionnalisé, incité les différents acteurs à coordonner leurs efforts. Lui aussi fut un débateur et un aiguillon subtil et positif. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, les recherches et les études dans ce domaine, furent gérées dans un cadre quadripartite comprenant le constructeur américain Westinghouse qui possédait jusque-là la licence des PWR construits en France, son licencié Framatome, EDF et le CEA. C’est à cette époque que j’eu la chance de faire la connaissance de Yale Solomon, acolyte de Paul Cohen (alors retraité ou sur le point de le devenir), qui me fit l’honneur de son amitié et avec lequel j’eu de nombreux échanges et des confrontations fructueuses. Ce fut lui qui imagina la boucle CORELE 1 construite au CEA Cadarache dont il sera question plus loin. Les études sur le sujet se sont poursuivies jusqu’à nos jours et les progrès faits sur l’exploitation journalière des réacteurs, la sûreté, la radioprotection et l’exposition du personnel sont parfois spectaculaires. On peut alors se demander pourquoi ce livre, à quoi pourrait-il servir ? Tout d’abord, parce que lorsqu’une technique est « installée » et qu’elle devient routinière, il est important, je crois, d’en écrire sinon les fondements du moins l’historique. Sinon elle devient rapidement « procédure automatique » dont on oublie ou transforme (avec les mutations, les départs en retraite ou autres) l’origine et les causes. Les exemples abondent et c’est ainsi qu’on entend des explications approximatives ou fausses, données en justification de telle spécification ou de telle manière d’opérer. Ensuite, parce que, si en routine et dans la majorité des cas, tout se déroule sans accroc, il arrive toujours un moment où dans une situation particulière, lors d’un petit changement ou d’une innovation, un événement inhabituel surviendra. Interpréter cet incident et en trouver le remède ne sera pas toujours évident. Il sera parfois nécessaire de faire appel à des mécanismes qui à une époque étaient connus, mais qui peuvent avoir été oubliés. Il faudra alors lancer des recherches, des expériences, bref gaspiller du temps et de l’argent. Mais tout cela, dira-t-on, peut se trouver dans des publications. Certes, mais l’expérience et en particulier le suivi des thèses montrent que, aujourd’hui, les chercheurs remontent dans leur bibliographie rarement au-delà de quinze années
1 En fait, un mot du langage familier américain qu’on aurait pu traduire en français par crasse.
Avant-propos
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et je ne suis pas sûr que la non-existence d’Internet soit la seule cause à cette limitation. De plus une recherche bibliographique sur des documents anciens nécessite des critères de tri et peut être longue. Un livre, en revanche, s’il possède les qualités requises et s’il est adopté peut espérer obtenir un statut particulier et devenir une référence, comme le fut un temps (et sans doute encore) celui de Paul Cohen. Cet ouvrage voudrait aussi faire passer d’autres messages concernant l’attitude à avoir face à une difficulté d’exploitation et d’une manière plus générale face à la compréhension des phénomènes. Devant un comportement nouveau, en effet, l’attitude des personnes concernées est le plus souvent de chercher ce qui a changé au niveau du système mis en cause. La description d’une différence va souvent être le maître mot. Cela fonctionne parfois mais on le sait assez vite et il est alors assez facile d’en démontrer la véracité. La métallurgie, en particulier, nous en fournit des exemples : dans le cadre des alliages à base de zirconium, le zircaloy aurait été « inventé » parce qu’une pièce d’inox serait tombée dans le bain en fusion. Plus près de nous, Daniel Charquet de Cézus2 démontra que la présence à l’état de trace de soufre dans les alliages de zirconium avait une influence bénéfique remarquable sur leurs propriétés mécaniques. Cette démarche est donc nécessaire mais jusqu’où doit-elle aller ? Elle va, bien souvent, focaliser, concentrer, orienter les recherches dans un domaine restreint. Un élément de trop, des morphologies inhabituelles vont provoquer l’excitation ce qui est normal. Mais le plus souvent l’observation ne peut pas se borner à la recherche d’« une porte », d’« une serrure », d’un élément, d’une structure ou d’un défaut dont la forme ou le dessin nous fournirait la clé de l’interprétation car elle devient trop souvent et trop rapidement « l’Explication ». Car comme le dit, mieux que je ne saurais le faire, un auteur français du début du xxe siècle, grand connaisseur de l’âme humaine, dont je vous laisse deviner l’identité : certains « … qui apprennent […] quelque détail exact en tirent aussitôt des conséquences qui ne le sont pas et voient dans le fait nouvellement découvert l’explication de choses qui précisément n’ont aucun rapport avec lui. » Et s’il y a un lien, il faudra d’abord essayer d’établir que la différence observée est bien une cause et non une conséquence. On oublie aussi dans le domaine du Nucléaire, que l’observation se fait le plus souvent post mortem. Exemple, l’examen des combustibles se fait sur un combustible « refroidi ». Je n’ai jamais entendu personne dans ce domaine se poser franchement la question de la transposition de ce qui est observé en « laboratoire actif » après plusieurs mois de « refroidissement », au même combustible en fonctionnement dont la température avoisine ou dépasse 1 000 ◦ C. On considère généralement que le refroidissement a tout figé tel que c’était juste avant l’arrêt. Il s’agirait d’une photographie instantanée, ce qui bien sûr n’est pas tout à fait le cas. Pour d’autres, on aurait ainsi « gelé » en quelque sorte le combustible avant l’observation. De cette observation de l’objet tel qu’il aurait été en puissance, on déduit alors, par exemple, que l’existence de bulles de gaz observées aux joints de grain est la manifestation du blocage ou du ralentissement de la sortie des gaz de la cristallite et de la migration 2 Devenu AREVA aujourd’hui.
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Corrosion des circuits primaires…
des gaz inter- et intra-granulaires. Un peu comme si, parce qu’il gelait à pierre fendre, je déduisais automatiquement que les roches qui se fendent, piégeaient l’eau et étaient donc, avant le gel, étanches ou en tout cas n’en permettaient pas la circulation. À partir de ces observations, une simple construction verbale de ce qui pourrait se passer dans le domaine sous-jacent sera parfois proposé et baptisé pompeusement « théorie » sans donner lieu à un système d’équations donc à un vrai modèle qui est un moyen sûr de vérifier que ladite théorie est compatible avec l’observation. Pourtant, dans certains cas, la description est si précise que l’on pourrait croire que le chercheur revient d’un voyage à Lilliput, et a pu ainsi se faufiler au milieu des molécules et/ou des atomes et nous rapporte donc ce qu’il a vu. Ce sera souvent invérifiable mais impressionnera le non-spécialiste. N’oublions pas qu’une théorie doit être contrainte par les lois naturelles et une étude approfondie montrera souvent que les explications proposées comportaient des impasses au niveau de la physique. Le phénomène sera (serait) alors réfutable au prix d’un effort d’analyse. Pourtant ledit phénomène s’il ne mène à rien après quelques temps d’études, est rarement remis en cause par son inventeur ou ses héritiers qui préfèrent penser que, s’il n’a pas fait progresser la connaissance, c’est parce que nous ne le connaissons pas encore assez bien, que nos outils d’observations ont été jusqu’ici trop grossiers. Ils vont donc essayer d’utiliser des outils d’investigations toujours plus puissants (microscopes de toute sorte – MET, MEB à effet de champ, Force atomique, etc. – sondes, rayonnement synchrotron, etc.). Comme si la marche vers la vision de l’infiniment petit ouvrait forcément des portes ? Quand nous verrons l’atome tout seul (et refroidi), va-t-il nous donner la solution (le secret) du mécanisme ? On entend pourtant dire que les modèles dans les années 1970-1980 étaient à l’échelle du centimètre ou du millimètre, qu’on est ensuite passé à l’échelle micrométrique et qu’il faut aller maintenant vers l’échelle nanométrique voire de l’angström. Or les concepts et les conclusions valables à une échelle ne sont pas forcément valables à toutes les échelles. C’est un principe essentiel en physique : décrire l’eau du circuit primaire d’un réacteur à l’échelle nanométrique avec des molécules et des atomes distincts est de peu de secours dans la description du liquide à l’échelle macroscopique homogène et uniforme et pour l’analyse de sa température, de sa viscosité, de ses changements de phase. Le déterminisme ne signifie donc pas que nous devons prédire3 obligatoirement le comportement de chaque molécule du système étudié mais que l’ensemble peut être décrit en termes de propriétés moyennes (température, coefficient de diffusion, masse volumique, viscosité, etc.). Autre attitude pour tenter de percer le mystère qui nous occupe : multiplier soit les observations et les examens, soit les expériences mais en se concentrant sur l’objet ou l’événement en espérant extraire la preuve de sa « culpabilité ». On cherche rarement à quantifier ledit effet ou à identifier le chemin qui y mène.
3 Je ne rejette pas des efforts faits à partir de calculs moléculaires et ab initio qui sont déjà fort utiles mais ne permettent pas, aujourd’hui du moins, de faire les calculs de propriétés macroscopiques dont on a besoin.
Avant-propos
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On cherche plutôt quelque chose de complexe ou d’étrange sous son instrument qui permettra d’incriminer l’objet étiqueté et la tendance générale pour expliquer un fait est de chercher « un bouc émissaire ». Dans le domaine du transport des produits de corrosion radioactifs dans les circuits des REP et de la contamination qui en résulte, le bouc émissaire fut tour à tour, la solubilité des ferrites de nickel, l’usure ou la corrosion des stellites, les colloïdes, les charges de surface, l’état de surface, la composition des matériaux, etc. Comme aucun bouc émissaire, seul, n’était capable d’expliquer toutes les observations, les différents sujets disparaissaient et revenaient finalement, tour à tour, sur le devant de la scène. La complexité des phénomènes a souvent pour origine les interactions et les rétroactions alors que les mécanismes de base sont, en général, simples et/ou connus (conservation de la masse, convection, diffusion, gradient de concentration, activation, décroissance, etc.). La démarche scientifique garante des progrès scientifiques consiste justement à « lever le voile de la complexité ». Dans l’exemple que je cite, presque tous les phénomènes cités jouent à un moment ou un autre un rôle dans la contamination en produits de corrosion des REP et interagissent entre eux4 . C’est là qu’intervient la modélisation. Il faut donc se lancer dans la fabrication de « vrais » modèles, c’est-à-dire des constructions mathématiques qui, avec les commentaires, limites et restrictions appropriés, permettent de décrire et de simuler les phénomènes observés. L’ambition de ce livre est donc d’être utile aux générations futures. A minima, il devrait leur faire gagner un temps précieux car il propose un certain nombre de références à des publications et communications5 ; le tri est donc déjà (en partie) fait. Mais il ne sera jamais qu’un passage de témoin et il devra lui-même être suivi par un autre ouvrage prenant en compte les derniers développements de la technique, à condition bien sûr que les filières de réacteurs n’aient pas trop évolué. Il est certain que dans le cadre de Génération IV, que les réacteurs soient refroidis par du sodium liquide ou du gaz, des ouvrages totalement nouveaux seront à écrire.
Avertissement Certaines idées ou positions prises dans ce document sont celles de l’auteur et n’engagent que lui. Elles ne peuvent en aucun cas être imputées et encore moins reprochées au CEA même si l’auteur y a fait toute sa carrière et doit beaucoup à cette institution.
4 Ils peuvent même agir sur l’hydromécanique, la thermique, la distribution de flux neutronique, ce qui aura en retour une réaction sur cette contamination. 5 Dans lesquelles on pourra trouver d’autres références.
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Introduction
C’est en 1943, pour le premier projet de construction de réacteurs à grande échelle, que l’eau a été choisie comme caloporteur sur la base de maigres informations concernant en particulier son comportement sous irradiation. En raison de son faible coût et de son efficacité, l’eau est aujourd’hui largement utilisée comme réfrigérant, modérateur et protection de plusieurs types de réacteurs. En ce début du xxie siècle, les réacteurs à eau légère (REL) sont de loin les plus répandus comme le montre le tableau 1.1. Les réacteurs à eau légère pressurisée (REP) représentent à eux seuls 65 % de la puissance installée dans le monde. Si l’on ajoute les réacteurs à eau lourde pressurisée du type Candu qui, en termes d’exploitation, sont très similaires, en particulier sur le plan de la corrosion, la proportion atteint 70 %. Enfin, si nous considérons tous les types de réacteurs modérés et refroidis par l’eau, c’est-à-dire incluant de plus les réacteurs à eau bouillante (REB), on voit qu’ils représentaient début 2006, plus de 90 % des réacteurs de puissance. La situation n’a guère évolué depuis cette date. En effet, d’après l’AIEA, au premier janvier 2010, le nombre de réacteurs en opération avaient légèrement diminué (437 au lieu de 443) tandis que la capacité de production avait, elle, très légèrement augmenté (371 GWe au lieu de 369,5), ce qui montre que les réacteurs mis en service sont plus puissants que ceux arrêtés. Et parmi les réacteurs récemment mis en service ou en construction, même si la proportion entre filières observées dans le tableau n’était pas respectée (principalement entre REP et VVER), presque tous sont des réacteurs à eau. Précisons que 56 réacteurs étaient en construction au début de l’année 2010 et que, comme on le sait, l’accident de Fukushima a conduit à plusieurs arrêts de réacteurs, notamment au Japon bien sûr, mais aussi en Allemagne et en Suisse. Mais on constate que la plupart des pays envisagent ou ont décidé de maintenir l’usage ou même le développement du nucléaire ; en Europe, 16 pays ont confirmé ce choix. En France, plusieurs filières de réacteurs furent développées : – 9 réacteurs graphite-gaz (UNGG) aujourd’hui déclassés ; – 1 réacteur gaz-eau lourde construit à Brennilis en Bretagne, aujourd’hui en phase ultime de démantèlement ;
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Corrosion des circuits primaires…
Tableau 1.1. – Principaux types de réacteurs de puissance en fonctionnement au 31/12/2005.
Type des réacteurs
Nombre Pourcentage Puissance en Pourcentage % MWe % REP ou PWR 214 48 205 375 55,6 Réacteurs à eau sous VVER 53 12 35 710 9,6 pression Total REP* 267 60 241 085 65 Eau REB 94 21 84 427 22,8 % bouillante (BWR + ABWR) Eau légère Total REL 361 81,5 325 512 88 Eau lourde PHWR 41 20 933 Pressurisés Eau 308 69,5 262 018 70,9 lourde + légère Réacteurs Total 402 90,7 346 445 93,7 à eau Réacteurs 22 4,9 10 664 2,88 gaz LWGR 16 3,6 11 404 3,08 Réacteurs 3 0,67 1 039 0,28 rapides Total Réacteurs 443 369 552 ∗ : sans les réacteurs embarqués.
– 2 réacteurs à neutrons rapides et caloporteur sodium, Phénix réacteur expérimental mais néanmoins producteur d’électricité (arrêté en 2009) et Superphénix (arrêté en 1997)1 . Tous ces réacteurs, on le voit sont aujourd’hui arrêtés et il reste en fonctionnement les 58 réacteurs à eau pressurisée (REP) auxquels il faut ajouter 2 EPR (European Pressurised water Reactor), un en construction à Flamanville (Manche) et un en projet ( ?) à Penly. La domination des réacteurs à eau durera encore quelques décennies, pourtant l’eau présente des inconvénients, liés à sa nature. D’abord, dans le processus de transport de la chaleur de sa source (le cœur ou les éléments combustibles) vers la zone d’échange (les générateurs de vapeur ou GV), l’eau véhicule également des produits solides (particules) et solubles (ions) qui peuvent conduire à des dépôts et éventuellement des gaz qu’il faut éliminer. Ensuite, le phénomène de ralentissement des neutrons est malheureusement accompagné par la capture d’une partie de ces neutrons (et quelquefois de protons), ce qui produit des corps radioactifs généralement indésirables (sauf pour la fabrication d’isotopes radioactifs pour la médecine et l’industrie). 1 Dans le cadre de Génération 4 cependant, les réacteurs surgénérateurs à neutrons rapides refroidis au sodium liquide reviennent fortement sur le devant de la scène et la construction d’un nouveau prototype, ASTRID, est prévu sur le site de Marcoule en « remplacement » de Phénix.
Chapitre 1 – Introduction
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L’absorption des rayonnements par l’eau, bien qu’utile pour l’absorption d’énergie et la fonction protection, est accompagnée de réactions dissociatives de la molécule d’eau. Enfin, l’eau réagit chimiquement avec presque tous les matériaux avec lesquels elle est en contact dans le réacteur. Il faut donc prendre en compte tous ces facteurs et se débrouiller avec les inconvénients qu’ils présentent. Mais, les propriétés de l’eau ont aussi des aspects très positifs qui permettent d’améliorer la conception et les performances du réacteur : citons, par exemple, l’utilisation de « poisons consommables » (quel oxymore, les Anglo-Saxons parlent plus logiquement de « burnable poisons »), l’utilisation de la chaleur de vaporisation principalement dans les réacteurs bouillants (REB), etc. De plus, le choix de l’eau comme caloporteur va bien sûr conditionner le choix des matériaux qui seront en contact avec ce fluide dans le circuit primaire du réacteur ou RCP. Les principes de ce qui va être exposé sont applicables à tous les types de REP, qu’ils soient européens, américains (PWR), russes (VVER), civils ou militaires (chaudières des sous-marins et porte-avions nucléaires).
1.1. Principe simplifié du fonctionnement des REP Les REP contrairement aux bouillants (REB) sont des réacteurs à cycle indirect. Ils comportent deux circuits distincts (figure 1.1) : le circuit primaire (RCP) qui extrait l’énergie produite dans le cœur et la transfère au circuit secondaire, qui la transforme en vapeur puis en électricité. Dans le RCP, l’eau qui joue donc le rôle de caloporteur, mise en mouvement par les pompes, est chauffée2 au contact du combustible où se produisent les fissions. Elle passe ensuite à l’intérieur des tubes des générateurs de vapeur (GV) où elle abandonne la chaleur acquise dans le cœur. De l’autre côté des tubes GV, l’eau du circuit secondaire à plus basse pression se transforme en vapeur au contact des tubes chauffés par le fluide primaire. La vapeur entraîne le groupe turboalternateur qui produit l’électricité puis passe dans le condenseur pour y être refroidie, condensée et renvoyée dans le GV. Le circuit primaire des REP se compose principalement (figure 1.2) d’un cœur situé à l’intérieur de la cuve, d’un pressuriseur qui sert à maintenir la pression dans le circuit à la valeur voulue et de 2, 3 ou 4 générateurs de vapeur (GV) et du même nombre de pompes « primaires ». Les principales caractéristiques des différents REP sont données dans le tableau 1.2.
2 Ceci quand le réacteur est en puissance. Au démarrage, en revanche, après avoir évacué l’air et l’oxygène du circuit, la température du fluide primaire est portée à la température d’arrêt chaud (> 285 ◦ C) grâce aux pompes primaires qui font circuler l’eau à grande vitesse via le « frottement » de l’eau sur les parois.
10
Corrosion des circuits primaires…
Figure 1.1. – Principe de fonctionnement des REP.
CHAUDIERE NUCLEAIRE REP
PRESSURISEUR GENERATEURS DE VAPEUR
MECANISMES DES GRAPPES DE CONTROLE
GROUPE MOTO-POMPE Primaire
Branche chaude CUVE DE REACTEUR
EQUIPEMENTS INTERNES
REF 3 Boucles type FRA
Eléments combustibles
INSTRUMENTATION DU COEUR
Tuyauterie Froide Branche en U
Figure 1.2. – Schéma d’une chaudière REP.
1.2. Spécificités des composants nucléaires Elles sont liées aux conditions de service, soit une durée de vie longue (40 à 60 ans) et un taux de charge (marche) élevé en raison du coût que représente l’indisponibilité d’un réacteur de production.
Chapitre 1 – Introduction
11
Tableau 1.2. – Principales caractéristiques des REP en France.
Principales caractéristiques unités 900 MWe 1 300 MWe Puissance thermique MW 2 785 3 817 Puissance électrique MW 880/915 1 320 Rendement % 31,7/333 35 Nb boucles primaires 3 4 Nb d’assemblages 157 193 Hauteur active cm 366 427 Taux de combustion* GWj/t 45** 45** Puissance linéique moyenne W/cm 182 171 Pression secondaire bar 58 64,8 Durée de vie technique ans 30/40 40
N4 EPR 4 250 4 250/4 500 1 450 1 500/1 600 35,8 36 4 4 205 241 427 420 45** > 60 184 159-168 71 78 40 60
∗ Taux de combustion moyen des recharges. ∗∗ Taux de combustion maximum autorisé aujourd’hui par l’AS.
Les composants doivent de plus avoir une bonne résistance à la corrosion en raison du contact avec le fluide caloporteur dont les teneurs en impuretés sont sérieusement contrôlées pour éviter tout risque de corrosion fissurante et une bonne résistance aux vibrations dues aux effets hydrodynamiques engendrés par la circulation des fluides caloporteurs. Enfin la principale spécificité est liée à un environnement particulier aux réacteurs nucléaires : l’irradiation. Celle-ci, en effet, est à l’origine de la fragilisation des aciers de construction, le gonflement et la diminution de la ductilité et de la résistance au fluage des aciers inoxydables ; elle complique les conditions d’exploitation en raison de l’activation d’éléments spéciaux, tel le cobalt qui se transforme en cobalt 60 à (relativement) longue durée de vie (T = 5,27 ans). Les sollicitations qui s’exercent sur les matériaux et qui induisent leur vieillissement sont résumées sur la figure 1.3. Toutes ces spécificités et sollicitations induisent des exigences traduites par des critères dits technologiques donnés ci-dessous : – les épaisseurs des tuyauteries et des enceintes seront conditionnées par la pression de fonctionnement et l’utilisation de matériaux à haute résilience et ténacité est requise. Ils doivent être également facilement soudables ; – il faut disposer d’une marge vis-à-vis du fluage et cela impose des températures (de calcul) de parois et de structures, inférieures en pratique à 375 ◦ C ; – le risque de rupture fragile de la cuve qui est une fonction décroissante de l’irradiation impose, elle, une limite en pression ; – afin de limiter les chocs thermiques, le gradient de température à l’intérieur du circuit est limité à 40 ◦ C (T < 40 ◦ C) ; – le risque de corrosion sous contrainte (CSC) des tubes gaines et des tubes GV impose de rester en dessous de 330 ◦ C en sortie de cœur ; – afin de réduire la fatigue des composants, les vitesses de montée et de descente en température doivent demeurer inférieures à 56 ◦ C/h.
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Corrosion des circuits primaires… Fatigue
Fluage
Corrosion sous contrainte (CSC), érosion - corrosion Sollicitations mécaniques
Température
Milieu
Vieillissement sous irradiation Fluage d’irradiation
Corrosion, oxydation
Irradiation
CSC assistée par l’irradiation (IASCC)
Figure 1.3. – Sollicitations des matériaux et vieillissements qui en découlent.
Enfin et en résumé, les matériaux utilisés pour le circuit primaire des REP doivent posséder les qualités ci-dessous : – faible section efficace de capture afin de conduire à une faible activation des éléments et des impuretés ; – faible gonflement sous flux ; – bonne résistance mécanique ; – bonne résistance à la corrosion ; – compatibilité des matériaux entre eux (chimie, électrochimie, couplage galvanique). Les matériaux qui ont été ou sont choisis, sont donc : – l’eau comme caloporteur et modérateur ; – l’acier inoxydable, pour le réflecteur et les internes de cuves, les revêtements des tuyauteries, de la cuve, du pressuriseur, etc. ; – les alliages riches en Ni, soit les alliages 600, 690, 718, 800 (Inconel, Incoloy) pour les tubes de générateur de vapeurs et quelques composants sous flux ; – un alliage de Zr, pour la gaine et les tubes guides.
2
Le caloporteur
La résolution des problèmes liés à l’utilisation de l’eau comme réfrigérant ou les solutions de conception identifiées depuis la fin des années 1940 à nos jours ont conduit à un ensemble de techniques que Paul Cohen a appelé « Reactor Water Coolant Technology » [1] que l’on peut traduire par la technologie de l’eau comme réfrigérant des réacteurs. C’est de cette « technologie » que nous allons d’abord traiter. Il faut remarquer qu’elle est présente dans toutes les phases de conception et de fonctionnement du réacteur : cela va des performances de l’installation à son intégrité en passant par son fonctionnement et sa maintenance, la sûreté et bien sûr l’environnement.
2.1. Quelques caractéristiques Les principales caractéristiques (températures, pression…) de fonctionnement du circuit primaire pour les différents REP sont données dans le tableau 2.1 et sur la figure 2.1. Les périodes d’arrêt sont également importantes en particulier pour ce qui concerne les déplacements des produits radioactifs. On peut d’ailleurs distinguer Tableau 2.1. – Principales caractéristiques concernant le circuit primaire.
Principales caractéristiques Pression Température moyenne H2 O Température Arrêt chaud Température eau entrée cuve Température eau sortie cuve Température paroi gaine max Volume du circuit primaire (avec pressuriseur)
Unité 900 MWe 1 300 MWe MPa 15,5 15,5 ◦C 300,4 306,5 ◦C 286 297,2 ◦C 286-289 292,8 ◦C 323-324 328,7 ◦C ≈ 343 3 m 271 399
N4 15,5 310,9 295,8 292,2 329,6
EPR 15,5 312,9
406
460
295,6 330,2
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Corrosion des circuits primaires…
Figure 2.1. – Température de l’eau d’un REP 1 300 MWe en fonction de la puissance de fonctionnement.
plusieurs phases d’arrêt qui requièrent chacune leurs propres spécifications et procédures : – l’arrêt à chaud qui correspond à la sous-criticité du réacteur, à pression nominale et température du fluide pratiquement isotherme entre 285 et 296 ◦ C. En arrêt chaud, la puissance résiduelle du cœur est évacuée par les GV ; – l’arrêt intermédiaire avec un réacteur également sous-critique mais dont la puissance résiduelle est évacuée par le circuit de refroidissement à l’arrêt (RRA) ; – l’arrêt à froid avec un réacteur sous-critique, une puissance résiduelle évacuée par RRA, mais une pression inférieure à 2,5 MPa, et une température inférieure à 120 ◦ C ; – l’arrêt pour rechargement (longue durée) à la pression atmosphérique et une température d’eau comprise entre 10 ◦ C et 60 ◦ C et le réfrigérant primaire en contact avec l’air donc un milieu oxydant. Nous avons vu que, ne serait-ce que pour éviter l’activation, l’eau devait contenir le minimum d’impuretés, c’est pourquoi les spécifications de l’eau d’appoint (qui est aussi de l’eau de démarrage) sont très sévères. Elles sont données dans le tableau 2.2. Cependant, l’utilisation de l’eau pure présente des inconvénients. Les premiers essais dans les années 1950 conduisirent à des dépôts sur les éléments combustibles (Saxton, Shippingport), à des accroissements de pertes de charge hydraulique, à des dégradations du transfert thermique. Ces inconvénients disparaissaient lorsqu’on ajoutait une base au milieu aqueux (KOH, NaOH, NH4 OH, LiOH) et qu’on maintenait le pH mesuré à 25 ◦ C à une valeur égale ou supérieure à 9,5 [1].
Chapitre 2 – Le caloporteur
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Tableau 2.2. – Spécification de l’eau d’appoint des REP (source RCC-MR).
Espèces Chlorure Cl− Fluorure F− Conductivité Résistivité Solides en suspension Silice SiO2 pH Turbidité, huiles, sédiments
Unité ppm ppm μS/cm Ω·cm ppm ppm
Valeur limite ≤ 0,15 ≤ 0,15 ≤2 ≥ 500 000 ≤ 0,1 ≤ 0,1 6-8 (≈ 7) Exempte
Par ailleurs, l’eau se décompose (se dissocie) sous irradiation par radiolyse. L’utilisation de l’eau pure était et est donc déconseillée pour le RCP des REP et nécessite l’addition de produits chimiques, ne serait-ce que parce que, aujourd’hui, le contrôle de la réactivité requiert l’injection de bore. Cet élément « neutrophage » est introduit sous forme d’acide borique. La réaction neutronique qui sert à ce contrôle de la réactivité, produit du lithium via la réaction d’un neutron sur le bore 10, 10 B(n, α)7 Li. Le contrôle du pH est, de ce fait, réalisé en ajoutant de la lithine LiOH enrichie en 7 Li, de préférence à toute autre base1 . L’oxygène doit être par ailleurs retiré et de l’hydrogène ajouté pour obtenir un milieu (chimiquement) réducteur. On peut voir, en effet, qualitativement sur le diagramme potentiel-pH du fer à 25 ◦ C donné en figure 2.2 qu’un milieu suffisamment réducteur (potentiel négatif) conduit à l’immunité du métal, tandis qu’un milieu acide et oxydant conduit à sa corrosion. En revanche, un pH basique et un potentiel adéquat conduisent à la passivation par formation d’un oxyde protecteur qui protège le métal en réduisant sa corrosion. Les diagrammes à 300 ◦ C, pour le nickel comme pour le fer, indiquent les mêmes tendances. Remarque : l’eau, on le sait, se dissocie naturellement en ions H+ et OH− . Pour des concentrations faibles en ions en solution, on peut assimiler l’activité des ions H+ à leur concentration. On peut alors écrire : et on a :
pH = − log10 [H+ ]
Kw = [H+ ][OH− ] équation chimique
(2.1)
Un pH de 7,0 à température et pression standard indique la neutralité. Les concentrations en ions H+ et OH− sont alors égales à 10−7 mol·l−1 .
1 La potasse KOH a néanmoins, au début, été utilisée sur quelques réacteurs comme sur le réacteur italien de Trino Vercellese, réputé jumeau du réacteur CNA ou CHOOZ A.
16
Corrosion des circuits primaires…
Figure 2.2. – Diagramme de Pourbaix du fer à 25 ◦ C.
Mais le produit ionique de l’eau ([H+ ][OH− ]) varie avec la pression et la température. La figure 2.3 donne la constante de dissociation de l’eau en fonction de la température d’après Mesmer et Baes à la pression de vapeur saturante. Le produit ionique de l’eau est donné aussi par d’autres auteurs. Ainsi Marshall et Franck proposaient en 1981 l’équation suivante : log Kw∗ = −4,098 − 3 245,2/T + 2,2362 × 105 /T 2 − 3,984 × 107 /T 3 + (13,957 + 1262,3/T + 8,5641 × 105 /T 2 ) log dw∗
(2.2)
dans laquelle Kw∗ = K w/(mol·kg−1 ) et dw∗ = dw/(g·cm−3 ) (pression de vapeur). À 300 ◦ C, on voit que le pH correspondant à la neutralité (l’eau pure) est voisin de 5,6. La valeur du pH doit donc toujours être associée à la température à laquelle il est mesuré ou calculé. Cette précision est indispensable sous peine d’erreur. Dans les REP cependant, on utilise souvent le pH à 300 ◦ C car cette température est voisine de la température moyenne. C’est une habitude commode parfois approximative dont il faut se méfier. En particulier, pour un réacteur embarqué ou pour un bouillant, cette valeur n’a plus de raison d’être employée. Finalement les spécifications du circuit primaire adoptées permettant le maintien d’un milieu réducteur et basique pendant le fonctionnement sont données dans le tableau 2.3. Ces spécifications varient légèrement d’un pays à l’autre. Les conditions optimales à appliquer seront discutées au chapitre 4 (§4.4.2.1).
Chapitre 2 – Le caloporteur
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-10 -10,5 -11 -11,5
Log Kw
-12 -12,5 -13 -13,5 -14 -14,5 -15 10
60
110
160
210
260
310
Température en °C
Figure 2.3. – Constante de dissociation de l’eau en fonction de la température (d’après Messmer et Baes).
Tableau 2.3. – Spécifications du circuit primaire dans certains pays.
Unités pH 25 ◦ C pH 300 ◦ C 7 Li B H2 O2 max Cl− , F− Suspension max Fer Si
ppm ppm cm3 /kg ppm ppm ppm ppm ppm
États-Unis (W 1982) 4,2-10,5 5,4-7,6 0,7-3,5 0-4 000 25-35 0,1 0,15 1
Japon (1982) 4,2-10,5
Allemagne VGB (1982)
EDF aujourd’hui
0,2-2,2 0-4 000 0-4 000 0,005 0,05 – 0,05 0,5
0,2-2
0,5-2,2 (3,5)
22,4-45 0,05 Cl− 0,2
25-50 < 0,1 < 0,15
< 0,01
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Corrosion des circuits primaires…
2.2. Radiolyse de l’eau [2] Le rayonnement dissocie les molécules d’eau : 1 H2 O → H2 + O2 2 Dans ce processus, de nombreuses espèces transitoires sont formées… radiation
H2 O −−−−−→ radicaux + molécules par exemple : radiation
H2 O −−−−−→ OH,HO2 ,e− aq (radicaux) + H2 O2 ,H2 (molécules) + H2 + O2 Les étapes physicochimiques de dissociation sont très rapides, 10−12 secondes ou moins !
2.2.1.
Le rendement de la radiolyse
Pour savoir combien d’espèces sont créées lors du transfert d’énergie entre le rayonnement et l’eau, on utilise une grandeur, le rendement radiolytique G : pour 100 eV déposés dans l’eau, on détermine le nombre d’espèces créées en précisant les valeurs de G correspondantes. Le tableau 2.4 montre quelques valeurs de G pour diverses espèces. Tableau 2.4. – Rendements de radiolyse pour divers rayonnements.
Rayonnement G (H2 O) G (e− aq ) G (OH) G (H) G (H2 ) G (H2 O2 ) G (HO2 ) γ neutron 10 B(n, α)7 Li
4,08 3,19 3,9
2,63 0,93 0,33
2,72 1,09 0,3
0,55 0,5 0,1
0,45 0,88 1,8
0,68 0,99 1,67
0,008 0,04 0,13
Ces rendements radiolytiques dépendent donc du transfert d’énergie linéique (TEL) et un peu de la température et du type de rayonnement (tableau 2.5). Le nombre d’espèces (radicaux produits) est très élevé mais des combinaisons et recombinaisons se produisent. Finalement, dans un système fermé, un équilibre s’établit : H2 O
rayonnements
1 H2 + O2 représente l effet global 2
Remarque : l’eau oxygénée H2 O2 est plus agressive que l’oxygène dissous : c’est une espèce importante mais H2 O2 se décompose rapidement à haute température et à pH élevé et disparaît donc rapidement dans les REP. Mais, dans les conditions de BWR (température et chimie), le temps de vie de H2 O2 est de quelques secondes, suffisant pour mesurer H2 O2 à la sortie du cœur.
Chapitre 2 – Le caloporteur
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Tableau 2.5. – Exemple de valeurs de G (en particules par 100 eV) en fonction de la température d’après la référence [3].
T ◦C Gamma e− aq
25
50
100
150
200
250
285
300
2,65
2,73
2,89
3,06
3,22
3,39
3,50
3,55
H H2 OH H2 O2 HO2 Neutrons e− aq
0,55 0,45 2,8 0,65 0,0
0,58 0,46 2,96 0,64 0,0
0,65 0,49 3,29 0,62 0,0
0,72 0,52 3,61 0,60 0,0
0,78 0,55 3,94 0,58 0,0
0,85 0,58 4,27 0,56 0,0
0,90 0,60 4,50 0,55 0,0
0,92 0,61 4,60 0,54 0,0
0,50
0,51
0,54
0,57
0,60
0,63
0,65
0,66
H H2 OH H2 O2 HO2
0,41 1,02 0,74 1,03 0,05
0,41 1,04 0,84 1,01 0,05
0,42 1,09 1,04 0,98 0,05
0,43 1,13 1,23 0,94 0,05
0,44 1,18 1,43 0,91 0,05
0,446 1,23 1,63 0,87 0,05
0,45 1,26 1,77 0,85 0,05
0,45 1,27 1,83 0,84 0,05
2.2.2.
Les réactions de recombinaison
Le temps spécifique de cette phase d’évolution va de la microseconde à quelques heures. Elle se caractérise par la recombinaison des diverses espèces qui ont été créées par la radiolyse. Un grand nombre (> 60) de réactions de recombinaison sont connues, qui font intervenir les diverses possibilités d’interactions entre atomes d’oxygène, d’hydrogène, les radicaux OH ou d’autres espèces plus complexes. Quelques-unes sont indiquées à titre d’exemple dans le tableau 2.6. Comme ces divers mécanismes de recombinaison n’ont pas tous la même cinétique, l’évaluation des concentrations des composés chimiques qui se développent fait nécessairement appel à des codes informatiques comme Aximachemist, Chemsimul, Facsimile, etc. Les valeurs de G et les constantes cinétiques de recombinaison peuvent varier avec la température selon des lois qui ne sont pas toujours bien connues. Cela rend les calculs délicats et les résultats assortis d’une assez grande incertitude d’autant qu’une bonne connaissance des conditions initiales est également nécessaire. Le phénomène de radiolyse dépend en effet principalement : – – – –
de l’intensité de l’irradiation (énergie incidente) ; de la densité d’absorption liée ou transfert d’énergie linéique (TEL) ; de la température ; et de la présence d’oxydant à l’entrée du circuit.
20
Corrosion des circuits primaires…
Tableau 2.6. – Quelques réactions élémentaires et leurs paramètres cinétiques utilisés par divers modèles. Code (nom) Réactions OH + OH → H2 O2 OH + e− aq → OH
Facsimile K25◦ C 5,5 × 109 3,0 × 1010
Maksima K22◦ C 5,5 × 109 3,10 × 1010
Chemsimul K22◦ C 65,5 × 109 3,0 × 1010
ITEPh K20◦ C 5,5 × 109 3,0 × 1010
OH + H → H2 O OH + O− →HO2 − OH + HO2 →H2 O3 OH + O2 − →OH− + O2 OH + O3 − → HO2 + O2 − OH + H2 O2 → H2 O + O2 − + H+ OH + H2 O2 → H2 O + HO2 OH + → H2 O + O2 − OH + HO2 − →HO2 + OH− OH + H2 → H2 O + H OH + OH− → H2 O + O− etc.
2,5 × 1010 1,8 × 1010 6,0 × 109 8,0 × 109 8,5 × 109 2,7 × 107 – 7,5 × 109 – 4,2 × 107 –
7,0 × 109 1,8 × 1010 – 1,0 × 1010 – – 2,7 × 107 – 7,5×109 3,4 × 107 1,2 × 1010
7,3 × 109 – – 1,0 ×1010 – – 2,7 × 107 – – 3,6 × 107 –
2,50 × 1010 – – 8,2 × 109 – – 4,06 × 107 – – 3,8 × 107 –
Intensité d’irradiation Dans un cœur de réacteur, la majeure partie de l’énergie est produite au sein du combustible et on estime l’énergie déposée dans l’eau à seulement une fraction de 2,8 à 3,5 % environ. Prenons l’exemple d’un réacteur 3 boucles de 2 800 MWth ou 900 MWe. Cette énergie est déposée par les neutrons, les β et les γ dans l’eau du cœur (dont le volume est d’environ 17 m3 ), ce qui correspond au final à une énergie déposée de 4,6 à 5,6 kGy/s ou kW/kg. À ces rayonnements qui viennent du cœur, il faut ajouter l’énergie, provenant de la réaction sur le bore (soit 0,22 kGy/s pour 600 ppm qui correspond à peu près à la concentration en milieu de cycle) qui transmet son énergie via les particules chargées (α et Li de recul) possédant un TEL élevé. Au total, cette intensité d’irradiation est en moyenne dans un REP 900 de 4,825,72 kGy/s ou kW/kg avec un maximum en début de vie (BOL) au point chaud de 6,5-7,7 kGy/s ou kW/kg ou encore 9,1 à 10,8 W/cm3 . Transfert d’énergie linéique Rappel : une particule chargée incidente subit un très grand nombre d’interactions avant d’être stoppée. Ce ralentissement progressif et continu est caractérisé par le transfert d’énergie linéique : TEL = dE /dx qui traduit l’énergie moyenne transférée au milieu par la particule (dE ) par unité de longueur de la trajectoire. En conséquence, plus le TEL est élevé, plus une grande quantité d’énergie est cédée sur une petite distance (ici dans l’eau). Le TEL correspondant aux principales particules dans un REP est donné dans le tableau suivant.
Chapitre 2 – Le caloporteur
21
Source d’énergie β, γ Neutrons 10 B(n,α)7 Li
TEL initial en MeV/m 200 4 × 104 2,4 × 105
Ces valeurs correspondent à un TEL moyen dans un REP de 2,45 × 104 MeV/m. Température
Espéces oxydantes (O2+H2O2) mésurée en sortie en µM
En accélérant les collisions entre les ions, la température favorise la recombinaison des espèces produites par la radiolyse et contribue à faire disparaître les produits de radiolyse. Cela peut être vu sur les figures 2.4 et 2.5. 16
14
12
10
8
6
4
2
0
0
100
200
300
400
500
600
700
800
900
1000
Concentration initiale en [H2] en µMole
Figure 2.4. – Concentrations d’oxydant (O2 + H2 O2 ) en fonction de la concentration d’hydrogène initiale 50 ◦ C.
Présence d’oxydant à l’entrée du circuit La présence d’oxydant à l’entrée du circuit ou au démarrage a pour effet d’augmenter la durée de vie des produits de radiolyse et leurs concentrations. En revanche, si de l’hydrogène dissous, H2 , est ajouté au système, les contre-réactions sont favorisées, et les produits de radiolyse disparaissent comme le montrent les essais réalisés dans la boucle INCA de Studsvik [3] rapportées figures 2.4 à 2.6. La figure 2.4 correspond aux essais effectués avec une température de l’eau de 50 ◦ C tandis que la figure 2.5 correspond à ceux réalisés à 150 ◦ C.
22
Corrosion des circuits primaires… 14
Espéces oxydantes (O2+H2O2) mésurée en sortie en µM
150 °C 12
10
8
6
4
2
0 0,00
100,00
200,00
300,00
400,00
500,00
600,00
Concentration initiale en [H2] µMole
Figure 2.5. – Concentrations d’oxydant (O2 + H2 O2 ) en fonction de la concentration d’hydrogène initiale à 150 ◦ C.
Figure 2.6. – Potentiel de corrosion mesuré dans le cœur en fonction de la concentration d’hydrogène dissous dans l’eau.
Chapitre 2 – Le caloporteur
23
On voit que la diminution est plus efficace à 150 ◦ C : les produits oxydants ont disparu pour des concentrations d’hydrogène inférieures à 200 μM ce qui n’est pas le cas à 50 ◦ C. Ces deux figures montrent donc l’effet de température et on peut, d’ores et déjà, penser qu’aux températures de fonctionnement des REP soit à 300 ◦ C ou plus, la présence d’espèces réductrices comme l’hydrogène seront encore plus efficaces. Mais le facteur important qui illustre la situation vis-à-vis du phénomène d’oxydo-réduction est le potentiel de corrosion (ECP) et fort heureusement, Molander et Cristensen [3] ont aussi mesuré ce potentiel durant leurs essais. Les valeurs qu’ils ont obtenues sont montrées sur la figure 2.6. On peut voir que le potentiel de corrosion devient négatif et par conséquent réducteur quand [H2 ] est présent avant le début de l’irradiation et cela même à basse concentration d’hydrogène (autour ou légèrement au-dessus de 1 cm3 /kg soit 45 ppb ou 22 μM !). La comparaison des deux séries de données fait là aussi apparaître l’effet de température mentionné précédemment au moins jusqu’à une concentration de 15 cm3 /kg (670 ppb ou 330 μM).
2.2.3.
Quantification
Le maniement des logiciels de calcul de la radiolyse étant délicat, on peut proposer, pour « débroussailler » le phénomène la formule empirique suivante qui donne de bons résultats : [H2 ]out = K ·f (Dw ,θ,L,α) = 10−6 (1 + 103 α)0,5 Dw0,5 θ−1,5 L en mol/L
(2.3)
– [H2 ]out est la concentration d’hydrogène à l’état d’équilibre en mol/L, mais aussi la concentration en oxygène [H2 ]out = [Ox]out ; – Dw l’énergie (la dose) déposée dans l’eau en W/cm3 ou en MW/m3 ; – θ est la température en ◦ C ; – L le TEL en MeV/m ; – α la concentration d’espèces oxydantes à l’entrée (α = [O2 ] + [H2 O2 ]−[H2] mais en général ≈ [O2 ]in ) en mole par litre. Et plus utile encore, je propose pour estimer la concentration limite de l’hydrogène nécessaire pour maintenir, à l’équilibre, le milieu dans des conditions réductrices, d’utiliser la formule parente (2.4) ci-dessous : [H2 ]lim = 0,09Dw0,5 θ−1,5 L/ρ en cm3 /kg TPN dans laquelle : – α = 0 (circuit désoxygéné) ; – ρ est la masse volumique de l’eau en kg/m3 . Le tableau 2.7 indique ce que donne ce type de calcul pour les REP.
(2.4)
24
Corrosion des circuits primaires…
Tableau 2.7. – Concentration d’hydrogène nécessaire pour la suppression des produits de radiolyse.
REP moyen, milieu de cycle REP max BOL [B] = 1 200 ppm Arrêt froid (50 ◦ C)
[H2 ] à l’équilibre produit par radiolyse pour α = 0 (sans produit oxydant à l’entrée) en mol/L 4 ×10−5
[H2 ]lim nécessaire pour la « suppression » de la radiolyse en cm3 /kg TPN 2,6
5,2 × 10−5
3,3
≈ 2 × 10−7
≈ 0,01
3
Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
3.1. Généralités Un métal conservé dans le vide reste stable indéfiniment. S’il n’est pas isolé, sa surface en contact avec le milieu ambiant va alors subir des modifications. Dans ces conditions en effet, le métal perd sa stabilité et il devient sensible à la corrosion qui se manifeste sous des aspects très variés. La corrosion est définie comme étant l’interaction physico-chimique entre un métal et son milieu environnant entraînant des modifications dans les propriétés du métal et souvent une dégradation fonctionnelle du métal lui-même ou du système constitué par les deux facteurs (métal + environnement). Dans la nature, pratiquement tous les métaux (sauf l’or et le platine) sont à l’état d’oxydes qui est leur forme thermodynamiquement stable (enthalpie < 0). Les métaux et les alliages s’oxydent à l’air ou dans des milieux oxydants et on ne peut que réduire la cinétique de la réaction d’oxydation par une couche étanche et compacte, isolant le métal de l’environnement. Certains métaux sont, grâce à leur couche d’oxyde très protectrice, naturellement inoxydables : – le chrome forme une couche de chromite (Cr2 O3 ) ; – l’aluminium forme une couche d’alumine (Al2 O3 ). Si l’on ajoute aux aciers au moins 12 % de chrome, la couche d’oxyde qui se forme, enrichie en chrome, rend les aciers eux-mêmes inoxydables. Il existe deux classes principales d’aciers inoxydables selon leur structure : les aciers ferritiques (13 à 17 % Cr) et les aciers austénitiques (18 % Cr et 8 % de Ni = acier 304, 316 et dérivés selon la dénomination américaine). Les matériaux choisis pour les composants en contact avec le fluide autres que la gaine du combustible sont justement des matériaux austénitiques (acier inoxydable ou alliage nickel), riches en chrome en raison de leurs propriétés mécaniques (en particulier pour résister à la pression) et de leur bon comportement en corrosion. La figure 3.1 donne la proportion des surfaces d’un REP 900 MWe, 3 boucles. Les générateurs de vapeur qui représentent la plus grande surface sont en alliage riche en nickel. Le reste des surfaces, en dehors des gaines du combustible et des tubes
26
Corrosion des circuits primaires…
Figure 3.1. – Répartition des surfaces du RCP.
guides, est presque exclusivement en acier inoxydable. La surface totale du RCP pour un REP de 3 boucles est de 22 500 m2 . La composition des principaux matériaux austénitiques utilisés est donnée dans le tableau 3.1. Tableau 3.1. – Composition des matériaux austénitiques utilisés dans les REP. % en poids Dénomination AFNOR US
Fe
Ni
Cr
Mn
Mo
C
Co
Z6CN18-09 304
67,8-71,9
8-10
17-19
2
-
0,07
< 0,1
Z2CN18-10 304L
66,9-70,9
9-11
17-19
2
-
0,03
< 0,1
Z2CND17-12 316L
68,4-69,4 10,5-13 16-18
2
2-2,5
0,03
< 0,1
0,15 max
< 0,05
0,5 max
Alliage 600 Inconel 600
6-10
Alliage 690 Inconel 690
9-10
≈ 60
29-30
0,2
0,25
< 0,05
0,2
Alliage 800 Incolloy 800
≈ 25
≈ 34
≈ 29,5 0,75
0,06
< 0,05
0,4
0-10
18-33
0,3-2,5
46,5-64,2
Stellites
72 min 14-17 1 max
Cu
W
0 à 18
Dans le cas des aciers austénitiques, lors d’un traitement thermique à une température intermédiaire (≈ 800 ◦ C), comme lors d’une soudure, les joints de grains peuvent être « déchromisés » dans la ZAT, par formation et précipitation intergranulaire de Cr23 C6 qui rend les joints sensibles à la corrosion. Le remède est alors un traitement d’hypertrempe c’est-à-dire une mise en solution à haute température (1 100 ◦ C) suivie d’une trempe de la structure. On obtient alors une solution solide sursaturée, mais homogène qui restaure la tenue à la corrosion. Une autre solution est de réduire le carbone dans l’alliage (comme pour l’acier 304-L) ou d’ajouter du titane ou du niobium qui favorisent la précipitation de carbures de Ti ou de Nb, et évitent la précipitation de carbures de chrome, responsables de la déchromisation locale (cas des aciers stabilisés 316 Ti).
Chapitre 3 – Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
27
Dans le circuit primaire des REP, deux types de corrosion sont principalement à considérer : la corrosion sous contrainte et la corrosion généralisée. Dans certains cas particuliers que nous ne ferons qu’évoquer, la corrosion galvanique, l’usure de contact – en anglais « fretting corrosion » – ainsi que la corrosion par fatigue peuvent survenir sur certains composants du circuit primaire.
3.2. Corrosion généralisée ou uniforme des aciers et des matériaux austénitiques La corrosion généralisée est la forme la plus commune de la corrosion et correspond à une attaque uniforme électrochimique ou chimique qui affecte toute la surface de métal (ou de l’alliage) exposée. Cette attaque conduit à une diminution de l’épaisseur de métal et cela peut aller jusqu’au percement de pièces, ce qui peut être extrêmement grave. Mais la corrosion uniforme peut être facilement évaluée (mesurée) par des essais de perte de poids et quantifiée par des équations empiriques ou théoriques, si bien que la vie des structures et des composants soumis à la corrosion uniforme peut être estimée avec suffisamment de précision. Nous verrons que, dans le cas du circuit primaire des REP, avec le conditionnement chimique imposé, la vitesse de corrosion est très faible (∼ 1 μm/an ou quelques mg/dm2 /mois). Du point de vue de l’intégrité des composants, la corrosion ne pose donc pas de problème et aurait pu être un phénomène inintéressant et ignoré pour le RCP. Malheureusement, en raison de l’importance des surfaces soumises à l’action de l’eau (22 500 m2 pour un 900 MWe) et à l’activation des éléments lors de leur passage et de leur résidence dans le cœur donc sous flux neutronique, la corrosion et ses produits peuvent avoir des conséquences que nous examinerons au chapitre 4 (§4.4).
3.2.1.
Modèles de corrosion
Les premiers modèles comme celui de Castle et Masterson [4] ont été établis à partir d’expérience sur de l’acier noir (mild steel), donc principalement composé de fer. Cet acier a été étudié à l’aide d’essais de corrosion en autoclave réalisés à haute température en milieu aqueux désoxygéné, neutre ou légèrement alcalin. Le film de magnétite obtenu dans ces conditions est protecteur et son volume est à peu près le double de celui du métal qu’il remplace puisque le facteur de Pilling-Bedworth de la magnétite, R , est égal à 2,1. Le rapport de Pilling-Bedworth, R , d’un oxyde métallique est défini comme le rapport du volume de l’oxyde, qui est produit par la réaction du métal et de l’oxygène, au volume de métal consommé. Pilling et Bedworth suggérèrent que, lorsque R est voisin ou plus petit que 1, l’oxyde tend à devenir poreux et non protecteur parce qu’il ne couvre pas toute la surface du métal. Plus tard, les chercheurs trouvèrent que, pour des R très grands, les importantes contraintes qui en résultent conduisent à des flambages et des desquamations de l’oxyde.
28
Corrosion des circuits primaires…
La valeur de ce rapport étant ici égale à 2,1, il est normal d’attendre comme conséquence de l’oxydation des contraintes de compression et un gonflement. Ce type de comportement existe, en effet, pour l’acier noir dans certaines conditions et a été, en particulier, observé dans les générateurs de vapeur du côté secondaire. Il est apparu et a fait tristement parlé de lui, dans les années 1980. Il s’agissait de ce qui avait été baptisé par les américains « denting ». Il résultait en effet de la corrosion des plaques tubulaires des générateurs de vapeur. Les conditions physiques et chimiques sont ici très différentes du milieu primaire : phase vapeur, conditions oxydantes. Le gonflement des plaques conduisit logiquement à l’écrasement des tubes ! Dans ce cas correspondant à un film unique uniforme (qui pour l’acier semble correspondre à une corrosion vapeur) et aux fortes contraintes de compression qu’il entraîne, l’oxyde formé représente une barrière étanche. La corrosion est alors principalement gouvernée par la diffusion des ions O2− dans le réseau de l’oxyde. Nous reviendrons sur ce phénomène au chapitre 5 (§5.3.1). N’oublions pas cependant que R n’est pas le seul facteur à jouer un rôle. Les différences de valeurs des coefficients de dilatation thermique et l’adhérence entre oxyde et métal, par exemple, doivent, pour garantir l’aspect protecteur de l’oxyde, posséder des valeurs favorables. En conditions proches de celles du circuit primaire des REP et en particulier en milieu aqueux, la corrosion des aciers conduit à la formation d’une double couche d’oxyde (magnétite Fe3 O4 pour l’acier noir) [4]. La couche interne croît à la place du métal qui lui donne naissance. Des essais avec des marqueurs et des inserts n’ont montré aucun gonflement au niveau de cette couche dont les cristallites sont en relation épitaxique avec le métal de base lorsqu’elle est formée en conditions alcalines, ce qui est le cas des REP. Ce dernier point garantit une formation de la couche interne, in situ, à partir du métal de base. La corrosion des aciers noirs comme des matériaux austénitiques, (pour lesquels ce sera démontré plus tard), dans les conditions du primaire, ne conduisent donc pas à un gonflement malgré l’apport d’oxygène. Cette constatation implique que l’oxydation s’accompagne d’un départ d’éléments laissant la place à cet oxygène. Dans ce cas donc, il est clair que le mécanisme de corrosion se divise en deux processus. Le premier correspond à une oxydation in situ du métal de base, le deuxième afin de laisser la place à cette formation à une « évacuation » de métal pour conduire à la formation de la couche externe. On peut remarquer que cette « évacuation » que nous appellerons par la suite « relâchement » (release) a pour effet de conduire à un rapport R équivalent à celui de Pilling-Bedworth, voisin de 1. Ce qui d’après ces auteurs correspond à une situation où l’oxyde est peu protecteur et poreux. Les différents auteurs cités ont par ailleurs remarqué que la morphologie de la couche externe suggère qu’elle est formée par précipitation de la solution et croît donc à l’interface oxyde/solution. Cette observation suggère déjà que le deuxième processus, « l’évacuation » du métal, doit se faire sous forme ionique. Ajoutons, mais nous y reviendrons, que la vitesse de diffusion du fer ou de l’oxygène dans les oxydes sont, aux températures du circuit primaire des REP, trop faibles pour rendre compte des taux de corrosion mesurés.
Chapitre 3 – Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
3.2.1.1.
29
` de corrosion de Castle et Masterson [4] Le modele
L’ensemble des remarques précédentes ont logiquement conduit Castle et Masterson [4] à proposer leur modèle pour l’acier noir en le basant sur le fait que l’eau qui joue alors le rôle d’agent oxydant, a un accès continu à l’interface métal/oxyde par le biais des pores de l’oxyde. Le fer diffuse, à l’intérieur des pores, de l’interface métal/oxyde vers l’interface oxyde/eau où, en autoclave, il précipite pour former la couche externe. Le taux de corrosion est donc gouverné dans ce modèle par la migration des ions dans l’eau à travers la couche d’oxyde et la solubilité du fer. La diffusion contrôlant le processus, cela entraîne une croissance de l’épaisseur totale d’oxyde x, dite parabolique, car représentée par x 2 = kp t. x est donc en racine carré du temps x = (kp t)0,5 . La constante kp est reliée, dans ce modèle, directement à la constante de diffusion : kp = 2D. Le taux de corrosion, soit la quantité de métal affectée (oxydée), est bien évidemment égal à la somme algébrique du taux d’oxydation in situ et du taux de relâchement. Le fait que le facteur de Pilling-Bedworth devrait être égal à 2,1 si tout le métal corrodé était transformé in situ en magnétite dense et la constatation de l’absence de variation de volume au niveau de l’oxyde interne impliquent que les deux taux d’oxydation et de relâchement, exprimés en poids de métal, sont donc à peu près égaux entre eux. En se basant sur cette observation, on peut facilement déduire la loi de variation de la corrosion en t 0,5 , donnée par Castle et Masterson : si O représente l’oxydation ou la formation du film interne par exemple en g (ou g/cm2 ) et R le relâchement, la corrosion est alors donnée par C = O + R et O = R = C /2. Nous avons aussi O = xS ρ où x est l’épaisseur de l’oxyde, S la surface du métal considéré (par exemple 1 cm2 ), et ρ la masse volumique de l’oxyde. Le taux de corrosion est alors donné par dR /dt = kS ρD/x où D est le coefficient de diffusion des ions dans l’eau des pores. Puisque dO = dR = S ρdx, nous avons dt = xdx/kD et donc t = x 2 /2kD d’où, comme précédemment, une loi qui s’écrit aussi x = (2kD)0,5 t 0,5 (avec kp = 2kD).
3.2.1.2.
` de corrosion de PACTOLE [5] Le modele
Pour l’établissement du modèle de PACTOLE du CEA [5], il a été retenu les points saillants et basiques du modèle de Castle et Masterson et de Potter et Mann [6], à savoir le fait que l’oxyde était double et poreux et que l’eau avait donc un accès continu à l’interface métal/oxyde via les pores de l’oxyde interne. De plus, le modèle a été étendu aux aciers inoxydables et plus généralement aux matériaux austénitiques puisque les essais en autoclave comme en boucle ne semblaient montrer qu’une différence de degré dans leur comportement. Le modèle utilisé dans PACTOLE est strictement parlant un modèle de rejet dans le réfrigérant plus qu’un modèle de corrosion : le taux de corrosion étant simplement pris égal au double du taux de relâchement sur la base de ce qui vient
30
Corrosion des circuits primaires…
d’être dit. Le code en question étant destiné à calculer la quantité et l’activité de produit de corrosion (donc rejetée ou relâchée) dans le circuit, cette simplification pouvait être considérée comme suffisante. On verra plus loin que, sur le plan strict de la corrosion, elle peut conduire à une sous-estimation des phénomènes d’oxydation comme de relâchement. Ajoutons que ce modèle n’est valide qu’en milieu réducteur et pour un métal qui a déjà, au moins partiellement, été passivé. Le modèle de relâchement est caractérisé par l’utilisation de la solubilité Sw de l’élément concerné en équilibre avec l’oxyde présent sur la paroi (magnétite et ferrites) donné par les lois thermochimiques. Cette solubilité dépend donc du pH, de la température et du potentiel d’oxydo-réduction (ORP). La cinétique de relâchement dépend de la cinétique de transport des ions dans le caloporteur et pas de la cinétique des réactions chimiques (considérée comme non limitante aux températures concernées) Rj =
khDZj Sw − Cj DZj + hl
(3.1)
où : – k = coefficient dépendant des matériaux, de leur porosité, etc. Dans PACTOLE, k est appelé COR(I), où j est l’indice de la région d’intérêt ; – h = coefficient de transfert de masse qui dépend entre autres du nombre de Reynolds donc de la vitesse du fluide, on √ verra plus loin comment le calculer ; – l = longueur d’un pore. On prend l = x 2 ; – D = coefficient de diffusion donné par exemple par D = kB T /(3πηd) ; – Zj = proportion de l’élément j dans l’alliage ; – Cj and Sw représentent les concentrations de l’élément j dans le cœur du fluide et à la paroi.
3.2.1.3.
` bases ´ sur l’existence Critique des modeles de (micro-)pores
Dans le cadre du développement des logiciels, se repose régulièrement la question très ancienne (> 40 ans) du modèle de corrosion à adopter en milieu aqueux désaéré (réducteur) tel qu’il existe dans le circuit primaire des REP mais aussi dans tous les circuits en température et sous pression. En particulier, revient sur le devant de la scène, par exemple à propos des circuits de refroidissement d’ITER, l’opposition entre un modèle contrôlé par la diffusion des éléments à travers une barrière d’oxyde supposée étanche et un modèle contrôlé par la migration d’ions métalliques dans les pores de la même barrière d’oxyde. Le modèle PACTOLE originel [5], on l’a vu, était clairement basé sur le deuxième principe dit aussi modèle de Castle et Masterson [4].
Chapitre 3 – Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
31
Certes la diffusion1 est un phénomène incontournable de la physique qui est toujours présent, il ne peut donc être ignoré et encore moins nié mais il s’agit de savoir si, dans les conditions qui nous occupent (T < 340 ◦ C), ce phénomène est prépondérant et capable d’expliquer les observations. Rappelons que le domaine de validité de PACTOLE est le domaine des réacteurs à eau, REP, PWR, VVER, réacteurs embarqués, etc., c’est-à-dire milieu réducteur et température comprise entre 200 ◦ C et 350 ◦ C. L’utilisation du logiciel au-dessus de ces températures est inadéquate, et son utilisation en dessous nécessite quelques précautions. Plusieurs auteurs ont critiqué les modèles basés sur le transport d’ions par voie aqueuse à l’intérieur des pores. Parmi eux, citons J. Robertson en 1989 au congrès de Bornemouth [7]. Au premier et principal point d’achoppement qui est l’existence même des pores qui ne sont, de fait, pas facilement décelables sur laquelle nous allons revenir, Robertson ajoute deux autres points, comme on va le voir plus facilement contestables2 . 1) Les lois de corrosion sont-elles identiques quelles que soient la température ? Robertson met d’abord en avant la similarité qui existerait entre le taux de corrosion en vapeur dans lequel le transport par voie aqueuse ne peut exister et le taux de corrosion en eau pure comme le montre la figure 2 de son document [7]. La figure initiale du document, c’est-à-dire sans les droites qui ont été rajoutées, ici, sur la figure 3.2 qui reprend les données de Robertson, ne permet pas, en effet, de bien distinguer, s’il y a vraiment rupture de pente. Remarquons aussi que les 4 valeurs obtenues en eau, à 280 ◦ C sont très dispersées. Grâce à l’effet d’échelle, on peut croire, en jetant un coup d’œil rapide sur leur figure 2, qu’en raison de cette dispersion cet ensemble de points est dans le prolongement des précédents. L’auteur a en effet utilisé pour ses courbes un système de coordonnées semi-logarithmiques ce qui, avant l’ère des ordinateurs et des logiciels de calcul de régression, a piégé plus d’un observateur se fiant à l’effet visuel. Cette présentation qui présente de nombreux avantages, écrase malheureusement mais logiquement les différences quand un trop grand nombre de décades est affiché. La figure 3.3a reprend les données de la figure 3.2 en coordonnées linéaires. On s’aperçoit qu’effectivement cette présentation n’est pas très pratique car alors tous les points correspondant à une température basse se confondent avec l’abscisse, soit ici l’axe des températures, et on ne peut rien en dire. Les mesures en vapeur (en gris clair) sont confondues avec les mesures en eau (en noir). On comprend, alors, l’utilisation par Robertson des coordonnées logarithmiques qui permet d’avoir une vision de tous les points sur un même diagramme. C’est, en général d’ailleurs, le principal intérêt du choix de cette présentation. Mais l’utilisation de coordonnées linéaires est toujours possible, il suffit de ne pas représenter tous les points et de se concentrer sur l’espace qui présente un intérêt comme cela a été fait sur la figure 3.3b qui est donc un zoom de la figure 3.3a. 1 Dans un autre domaine, celui du rejet des produits de fission hors de l’UO , j’ai même, un 2 moment, défendu, presque seul, bec et ongle, ce processus pour expliquer les phénomènes observés. 2 Bien qu’en 1989, je n’ai pas été capable de le faire alors que (peut-être un peu parce que) Robertson intervenait juste après moi.
32
Corrosion des circuits primaires…
1E-17
1E-18
Constante de corrosion Kp en m2s-1
1E-16
Loi vapeur
Points en eau liquide
1E-19
1E-20 500
440
300
340
280
1000/T (T en °K)
1E-21
1,1
1,2
1,3
1,4
1,5
1,6
1,7
1,8
1,9
2
Figure 3.2. – Taux de corrosion en acier noir en eau et vapeur [6].
On voit sur cette figure que les points de mesures en dessous de 350 ◦ C s’écartent sans ambiguïté de la courbe en gris clair (qui est droite en coordonnées logarithmiques) donc de la loi de diffusion pure. Les valeurs obtenues à 400 ◦ C et au-dessus sont, en effet, bien alignées en coordonnées logarithmiques (droite en gris clair de la figure 3.2). Cette évolution implique que la loi de la variation de la corrosion exprimée en fonction de l’inverse de la température absolue suit une loi de type Arrhénius (k = e −Q/RT ) comme le coefficient de diffusion du Fe dans l’oxyde. Mais il est clair que cette loi n’est plus suffisante pour expliquer l’évolution de la corrosion en dessous de 350 ◦ C. Il s’en faut de presque une décade à 280 ◦ C comme le confirme la représentation linéaire de la figure 3.3b. D’autre part, la dispersion des points à 280◦ suggère (à la condition d’admettre leur fiabilité mais le sérieux des expérimentateurs permet de le faire) de plus que la température n’est ici sans doute plus le seul paramètre à jouer un rôle. Les mécanismes régissant la corrosion à des températures supérieures à 400 ◦ C et la corrosion en dessous de 374,15 ◦ C, température critique de l’eau, sont donc différents. Il n’y a donc pas similarité contrairement à ce qu’affirmait Robertson.
Chapitre 3 – Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
Constante de corrosion kp en m2m-1
(a)
33
1,60E+00 1,40E+00
x1016
1,20E+00 1,00E+00 8,00E-01 6,00E-01 4,00E-01 2,00E-01 0,00E+00
600
550
500
450
400
350
300
250
200
Température
(b)
kp en m2/s
1,2 10-19
extrapolation de la coube en vapeur en dessous de 400°C 0
350
340
330
320
310
300
290
280
270
260
250
Température
Figure 3.3. – (a) Corrosion de l’acier noir en eau et en vapeur en coordonnées linéaires. (b) Corrosion de l’acier noir en eau et en vapeur en coordonnées linéaires : zoom.
2) Quelle est l’énergie d’activation du phénomène ? L’énergie d’activation de la corrosion devrait être dans le modèle de Castle et Masterson [4] celui du coefficient de diffusion de Fe++ dans l’eau soit, environ 15 kJ/mol alors que celui de la figure 3.2 correspondrait (première courbe en gris clair) à environ 120 kJ/mol. De fait, la figure 3.4 montre bien qu’au-dessus de 400 ◦ C, la pente de corrosion n’est pas compatible avec D(aq) représentée, en haut à droite de la courbe et divisée par 107 afin d’apparaître dans le champ de la figure.
34
Corrosion des circuits primaires… 1E-14
Daq x10-7
1E-15
Dfe
dans Fe3O4
Kp en m2 s-1
1E-16
1E-17
Vapeur
1E-18
eau
1E-19
1E-20
1,2
1,3
1,4
1,5
1,6
1,7
1,8
1,9
2
1000/T (T en °K)
Figure 3.4. – Dépendance en température du taux de corrosion de l’acier noir dans diverses conditions (vapeur, eau) [7].
Malgré les efforts de l’auteur pour insinuer au lecteur une continuité3 sinon une similarité eau/vapeur, la courbure de la droite imposée par les points expérimentaux indique qu’un autre mécanisme vient s’ajouter à la diffusion dans l’oxyde (toujours présente mais dont l’importance ne cesse de diminuer) lorsque la température décroît. C’est déjà ce que suggéraient les droites rajoutées de la figure 3.2. Deux mécanismes distincts semblent donc bien intervenir. Le premier correspond à une diffusion dans l’oxyde comme on le peut voir sur la figure 3.4 avec une 3 Il a habilement courbé la droite de tendance au niveau de la mention « Steam/water » (en dessous de 400 ◦ C), ce qui est facilité par l’utilisation d’un axe des ordonnées comprenant 6 décades ! Il a de plus ajouté sur la figure de son article les droites correspondant à des conditions de corrosion très différentes et régies par des lois différentes de celles existant dans un circuit primaire de réacteur ; e.g. il est normal que la corrosion en milieu gazeux, O2 ou CO2 , soit régie par la diffusion à travers une couche d’oxyde étanche. On sait aussi que la loi de corrosion est très différente entre le circuit primaire et secondaire.
Chapitre 3 – Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
35
énergie plus faible que la diffusion du fer dans la magnétite. L’énergie d’activation apparente est sur cette courbe légèrement inférieure à 120 kJ/mol alors que celle de la diffusion du fer est d’environ 190 kJ/mol. Mais les valeurs observées sur la figure 3.2, sont la somme des deux mécanismes. Il faut donc tenter de les séparer. De fait, en soustrayant les points issus de la courbe noire extrapolée aux températures supérieures à 400 ◦ C (soit pour 1000/T < 1,48) aux mesures, on obtient de nouveaux points desquels on peut déduire une énergie d’activation de 183 kJ/mole. Cette valeur, compte tenu des incertitudes, peut cette fois être considérée comme très proche du coefficient de diffusion du fer. Finalement notre analyse permet de conforter l’affirmation de Robertson qui attribuait, justement mais un peu vite, la croissance d’oxyde à la diffusion du fer dans la magnétite ! Le second possède une énergie d’activation beaucoup plus faible. Malheureusement, les données de [7] comportent trop peu de mesures en dessous de 340 ◦ C et en eau (deux températures) pour une étude approfondie et une détermination de l’énergie d’activation. Nous disposons par bonheur d’une étude plus récente [8] concernant l’acier noir sur des essais de corrosion de longue durée entre 20 et 90 ◦ C, en milieu réducteur et oxydant mais en pH acide, ce qui donne des taux de corrosion élevés plus facilement exploitables. Les auteurs de cette communication extraient de l’ensemble des mesures de différentes origines une énergie d’activation voisine de 11 kJ/mol (donc très éloignée des valeurs précédentes de diffusion du fer dans l’oxyde) que les conditions soient réductrices ou oxydantes. Cependant, la dispersion des points, en partie due à des conditions d’essais différentes, rend pour le moins hasardeuse cette détermination. Les mêmes auteurs rapportent heureusement aussi les mesures d’un seul travail [9] qui (cf. figure 3.5) me semblent une base plus cohérente pour tenter une telle détermination. En utilisant les points obtenus en milieu réducteur comme dans les
Figure 3.5. – Taux de corrosion après 5 ans de l’acier noir en fonction de la température.
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Corrosion des circuits primaires…
REP, on peut déterminer que cette énergie d’activation est comprise entre 13 et 22 kJ/mol soit tout à fait compatible avec le coefficient de diffusion de Fe++ dans l’eau ! On retiendra seulement de cette détermination qu’au moins pour la corrosion en eau de l’acier noir donc pour des températures inférieures à 374 ◦ C, la diffusion dans la magnétite ne peut pas être retenue comme mécanisme moteur prépondérant.
3.2.2.
Corrosion de l’acier inoxydable
Intéressons-nous maintenant à la corrosion d’un acier plus représentatif de celui utilisé dans les réacteurs nucléaires : l’acier 304 qui est un acier inoxydable 18-10. Nous avons repris les valeurs rapportées par Robertson [7] pour l’A304 électropoli, sur la figure 3.6. Là encore, le taux de corrosion défini par le taux de perte de métal en fonction de la température suit une loi exponentielle du type Arrhénius entre 400 et 700 ◦ C. Cette fois-ci, l’accord sur la pente entre corrosion et coefficient de diffusion du fer, compte tenu des imprécisions, paraît bon : l’énergie d’activation est voisine de 190 000 kJ/mol pour la corrosion, à comparer à environ 170 000 pour le coefficient de diffusion. En revanche, en dessous de 350 ◦ C, il est plus que clair que la corrosion s’écarte de la loi exponentielle qui n’est plus du tout à même de rendre compte des observations (à 250 ◦ C, l’écart entre la loi extrapolée et la mesure est de 1 800, à 200 ◦ C il est de 420 000). Il ne s’agit même plus ici d’un changement de pente (d’énergie d’activation), puisque l’on assiste à une augmentation de la corrosion lorsque la température diminue de 300 à 200 ◦ C ! En conséquence, quand on y regarde de près et qu’on prend le temps d’analyser les données, il n’est plus possible de soutenir la thèse que Robertson défendait. L’affirmation de cette thèse lui était (à peine4 ) une fois encore, permise en raison de l’utilisation de coordonnées logarithmiques. La figure 3.6b reprend les points de la figure 3.6a dont la température est inférieure à 350 ◦ C mais en présentation linéaire ce dont on a plus l’habitude. Elle confirme, ce que montrait déjà la présentation logarithmique de la figure 3.6a, que la loi de corrosion en eau, en dessous de 350 ◦ C est complètement différente de la loi de diffusion obtenue pour la vapeur. Il est donc clair que certes la diffusion solide gouverne le phénomène de corrosion des matériaux austénitiques pour des températures de 400 ◦ C et plus, mais aussi et surtout que, en dessous de cette température et en particulier en milieu aqueux, son importance décroît pour devenir rapidement du second ordre puis négligeable. Enfin, si pour l’acier noir, en milieu aqueux, réducteur et de pH modéré, on pouvait admettre un modèle du type de celui de Castle et Masterson, il apparaît que pour l’acier inoxydable (et par extension les matériaux austénitiques), on doit avoir recours à un modèle plus complexe, faisant jouer plusieurs paramètres en plus de la diffusion des ions dans l’eau avec une dépendance différente de la température. 4 Pour être gentil.
Chapitre 3 – Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
(a)
Comparaison des lois de corrode l'acier 304 électropoli avec le taux de croissance du Chrome et et le coefficient de diffusion du Fer dans la magnétite
1E-15 0,5
Cte de Corrosion kp en m2s-1
1E-16
1E-17
37
700°C 0,7
0,9
300°C
400°C 1,1
1,3
1,5
1,7
Courbe de tendance, loi exponentielle ajustée entre 400 et 700°C
200 1,9
2,1
2,3
2,5
Tendance > 400°C A304 électropoli : mesures DFe in Fe3O4 Cr2O3 growth
1E-18
1E-19
1E-20
1E-21
vapeur
eau
1E-22
1000/T (T en °K)
(b)
Figure 3.6. – (a) Taux de corrosion de l’acier inoxydable 18-10(304) en fonction de la température. (b) Loi de corrosion en fonction de la température en coordonnées linéaires.
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Corrosion des circuits primaires…
En guise de conclusion pour ce point, on peut dire que l’énergie d’activation associée au phénomène de corrosion en vapeur et pour les températures de 400 ◦ C et plus, est compatible avec la diffusion solide de l’oxygène ou du fer (dans l’oxyde). Quant à l’énergie d’activation de l’acier noir en milieu aqueux légèrement alcalin, neutre ou acide, elle semble bien être compatible avec la diffusion d’ions dans l’eau. Pour l’acier inoxydable, si, au-dessus de 400 ◦ C, la diffusion solide gouverne toujours la corrosion, en revanche, en milieu aqueux, il est nécessaire de faire appel à un modèle plus complexe (que celui de Castle et Masterson) mettant en jeu des mécanismes dont la dépendance vis-à-vis de la température soit capable de contrebalancer celle due à la diffusion (des ions dans l’eau) comme l’est d’ailleurs celui du code PACTOLE (§3.2.1.2). Les pores existent-ils ? Le transport des ions Fe++ , Ni++ , Co++ , etc., à travers la couche d’oxyde par diffusion dans l’eau nécessite l’existence de pores mettant en communication le métal et le réfrigérant. Ces pores sont très difficiles à déceler et certains ont nié ou continuent à nier leur existence. C’est pourtant sur cette existence que repose le modèle utilisé par PACTOLE. Il nous faut donc maintenant absolument considérer cette hypothèse et les objections qui lui sont faites si on a l’intention de se servir de l’équation (3.1). – Il faut d’abord remarquer que l’examen des oxydes prélevés dans les boucles d’essai simulant la corrosion en REP puis ceux des réacteurs eux-mêmes ont montré que cet oxyde n’était pas totalement dense et comportait 20 % de « vide », de cavités ou de fissures. Il est donc a priori difficile d’affirmer qu’aucune de ces cavités, fissures ou pores, n’est ouverte et traversante et n’est donc pas capable de mettre en communication le métal et le réfrigérant. – Les pores qui ne sont certainement pas des canaux bien dessinés et perpendiculaires à la surface n’ont pas besoin d’avoir un diamètre important. Rappelons que la taille d’une molécule d’eau est de 0,3 nm et celle de l’ion Fe++ de 0,7 nm ! Des pores de l’ordre du nm sont donc suffisants comme dans la nanofiltration pour le passage de l’eau et ceux de quelques nm suffisants pour le passage des ions multivalents. Des pores de cette taille, tortueux, seront bien sûr difficiles à mettre en évidence même en utilisant des microscopes électroniques. J’ajouterai que les examens faits au microscope sont bien évidemment post mortem et donc à température ambiante. La baisse de température entraîne, bien sûr, une contraction de l’oxyde qui ne facilite pas l’examen5 . – Le facteur de Pilling-Bedworth de la magnétite égal à 2,1 est en principe en faveur de l’établissement d’une couche étanche mais on a vu d’une part 5 À mon grand étonnement, je n’ai jamais entendu évoquer cette difficulté qui est encore plus recevable dans les examens de combustibles UO2 ou PuO2 dont les températures de fonctionnement sont beaucoup plus élevées que l’oxyde des tubes GV !
Chapitre 3 – Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
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que, dans les conditions des REP, l’existence de deux couches détend les contraintes et revient à avoir l’équivalent d’un facteur voisin de 1 qui, lui, est favorable à l’existence de pores. Il faut ajouter que les différences de valeurs des coefficients de dilatation thermiques et l’adhérence entre oxyde et métal, par exemple, peuvent jouer un rôle sur la taille et l’existence de pores. – L’influence indubitable, importante et rapide du pH comme l’influence de la vitesse du fluide sur le taux de corrosion que ce soit en conduction réductrice ou, de manière singulière, en conditions oxydantes ne posent pas de problème d’interprétation si les pores existent. On verra aussi plus loin que l’influence apparente de la présence de bore s’explique si le milieu aqueux contenant acide borique et lithine a accès au métal de base. Toujours dans le même sens, comment expliquer que l’on peut avoir encore des taux de corrosion/relâchement décelables à des températures inférieures à 100 ◦ C en conditions normales ou aussi élevées que celles rapportées dans la référence [8] en milieu très acide si la diffusion des ions dans un solide était seule en cause. – Enfin la preuve cette fois-ci matérielle et non plus hypothétique ou déductive de l’existence de pores ouverts dans l’oxyde formés sur les matériaux austénitiques aux conditions du circuit primaire des REP a été apportée par l’efficacité de la décontamination par voie électrolytique. On sait que l’oxyde formé dans le circuit primaire des REP est pratiquement insoluble et on connaît la difficulté qui en découle à décontaminer les circuits par voie chimique. En revanche, le procédé de décontamination électrochimique qui agit en dissolvant le métal sous-jacent, détachant l’oxyde qui est ensuite filtré a toujours fait montre de résultats spectaculaires. Comment expliquer cette efficacité si l’électrolyte n’a pas accès au métal ? Nous avons donc maintenant la certitude que dans les conditions du fluide primaire des REP, la corrosion, des aciers et autres matériaux austénitiques est contrôlée par la migration d’ions métalliques dans les pores fins de l’oxyde. Certes la diffusion d’éléments (oxygène et/ou métal) dans la barrière constituée par l’oxyde interne riche en chrome est toujours présente mais ne devient prépondérante que pour des températures voisines et supérieures à 400 ◦ C. On peut donc affirmer : – que l’existence de pores, pour les matériaux courants (acier inoxydables, alliage 600), ne peut plus être mis en doute au moins lorsque les conditions correspondent à un milieu réducteur, un pH modérément basique (pH25◦ C < 11), neutre ou acide. Et que les pores ouverts permettent la communication directe des ions du métal vers l’interface oxyde/réfrigérant du fluide ; – que le taux de porosité ouverte, sur la base d’expérience de corrosion/ relâchement mentionné dans la littérature, est d’environ 4 %, ce qui conduit à avoir, pour des grains de quelques centaines de nm de diamètre, des pores de quelques nm de diamètre, ce qui est plausible et explique en même temps la difficulté à les mettre en évidence ;
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Corrosion des circuits primaires…
– qu’un modèle comme celui de PACTOLE est susceptible d’expliquer le comportement observé de la corrosion en milieu aqueux en fonction de la température entre 300 et 200 ◦ C, (cf. la référence [7] et la figure 3.6 de ce document). On peut encore ajouter : – que les taux de corrosion, calculés avec le modèle, présentent un accord satisfaisant avec plusieurs essais de corrosion : les relâchements de corrosion mesurés dans CORELE-1[10], ainsi que ceux mesurés par Lister [11], s’accordent avec la simulation PACTOLE sans avoir recours à aucun ajustement particulier ; – que les comparaisons des résultats de calcul avec les mesures in situ sur des réacteurs de types différents (REP, VVER, réacteurs embarqués) étaient mieux que satisfaisantes ; – qu’en tout état de cause, 20 % constitue une limite supérieure de porosité donc une limite théorique à la valeur de la porosité ouverte. Tous ces points pouvaient conduire à considérer la validité globale du modèle comme acquise. Mais un modèle, même s’il semble satisfaisant, n’est pas forcément la (seule) vérité et il peut être possible de trouver d’autres modèles, soit englobant le précédent, soit sur d’autres bases, mais autant ou plus capables de rendre compte des faits. Il faut rappeler aussi que le modèle n’est valide que dans un domaine donné de conditions chimiques et physiques et des objets (matériau) bien précis. Cela peut donner un bon accord calcul/expérience pour les fonctionnements et conditionnements normaux et donc pour la majorité des cas étudiés. Il est possible de s’en glorifier mais malheureusement c’est le plus souvent lorsque l’on sort de l’habituel qu’il est intéressant de savoir simuler, reproduire ou mieux prévoir6 . Le code PACTOLE, par exemple, a rendu des services au début de l’implantation de la filière REP mais lui ou son successeur gagneraient certainement à se généraliser pour traiter les anomalies. De plus, il est clair que ce modèle de corrosion est loin de reproduire et donc d’expliquer tous les faits connus concernant le phénomène étudié. Il est donc intéressant dans un premier point de balayer les prévisions du modèle proposé afin de les confronter avec les observations et de trancher point par point sur la validité des principes de base qui le sous-tend et ses lacunes éventuelles.
3.2.3.
Corrosion en milieu saturé
Lorsque le produit de solubilité de l’élément est atteint dans le cœur du fluide, la loi de relâchement (voir équation (3.1) du §3.2.1.2) conduit à un relâchement nul (gradient de concentration égal à zéro), ce qui paraît logique et ce que confirment 6 Un détecteur de vitesse qui mesurerait parfaitement la vitesse sur autoroute mais qui serait plafonné à 130 km/h ferait de bonne mesure dans plus de 95 % des cas mais serait de peu d’utilité.
Chapitre 3 – Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
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plusieurs essais comme les essais de la boucle CORELE-2 [10]. Mais la loi conduit également à un taux de corrosion (d’oxydation) nul. Or plusieurs auteurs dont Lister [11] ont observé que la corrosion semblait se poursuivre lorsque le fluide était saturé : « La corrosion totale d’échantillons exposés environ une semaine dans la même boucle à un réfrigérant saturé ou insaturé est approximativement la même ». Ce comportement semble être confirmé sur les REP. En effet, les épaisseurs d’oxyde des tubes de générateurs de vapeur calculées par PACTOLE apparaissent sous-estimées7 par rapport aux mesures faites sur des tubes de GV extraits. Si on admet que ces divergences sont dues au modèle, il faut donc, soit le modifier afin qu’il permette un taux de formation d’oxyde non nul en milieu saturé tout en bloquant le relâchement, soit ajouter un modèle indépendant. Dans le cas d’un modèle basé sur l’existence de pores comme celui de PACTOLE, la question de savoir comment, en l’absence de relâchement8 , on peut continuer à corroder sans provoquer de gonflement, se pose. En effet, avoir un apport d’ion dans un milieu saturé doit conduire à des précipitations et un bouchage des pores, ce qui conduit bien à un arrêt du relâchement. De plus, la transformation du métal en oxyde doit immanquablement se produire avec augmentation de volume. Mais commençons par regarder si un mécanisme pourrait permettre d’éviter le bouchage des pores et ainsi de continuer à avoir un courant d’ions dans un fluide saturé en cet ion. Cette problématique n’est pas nouvelle et se posait déjà en 1972 au séminaire sur la chimie de l’eau des réacteurs nucléaires à Ermenonville en présence de Paul Cohen ! L’organisateur même de ce séminaire, Philippe Berge, proposait logiquement en 1972 que l’hydrogène accompagnant la corrosion, provoquant une surconcentration de ce gaz, autorisait, dans les pores, une concentration en ion supérieure à la concentration d’équilibre dans les conditions du cœur du fluide. Le calcul montre malheureusement que cet apport est négligeable en raison de la concentration en hydrogène déjà élevée maintenue dans les REP. De plus, l’hydrogène effuse à travers le métal et la concentration d’équilibre ne croît que comme la puissance 1/3 avec la pression partielle d’H2 ! On peut aussi considérer que sur les tubes GV existe un gradient de température et que donc la solubilité n’est pas constante quand on passe de l’interface métal/oxyde jusqu’au cœur du fluide. Mais remarquons que cela peut aller dans le bon sens comme dans le mauvais sens et que les observations de Lister ont été faites sur une boucle isotherme. Aucune des hypothèses envisagées ci-dessus ne permettent de résoudre le problème posé, il nous faut donc examiner de plus près le processus de corrosion. La concentration d’équilibre est calculée dans PACTOLE pour le système magnétite/eau ou ferrite/eau. D’autre part, la réaction électrochimique qui impose 7 En raison d’une trop faible épaisseur dans les zones saturées, soit généralement, avec la chimie appliquée, au niveau des tubes de la branche chaude des GV. 8 On voit que le sens que je donne à relâchement, c’est tout ce qui est dissous du métal et laisse la place à la formation in situ d’oxyde. Donc les ions qui précipitent à l’interface oxyde-eau sans passer par le cœur du fluide font pour moi partie du relâchement. D’où des problèmes d’interprétation pour les résultats de CORELE pour lesquels il faut être très précis. En gros, seul le Co-60 donne presque sûrement cette valeur de relâchement.
42
Corrosion des circuits primaires…
le potentiel d’oxydo-réduction (ORP) est : H2 2H+ + 2e−
(3.2)
Mais à l’interface métal oxyde, on est en contact avec une surface métallique. On sait qu’une telle surface exposée à une solution électrolytique aqueuse possède des sites anodiques d’oxydation qui produisent des électrons et des sites de réduction (réaction cathodique) qui consomment les électrons produits par la réaction anodique. L’ensemble des « sites » forment la « cellule de corrosion ». La réaction anodique correspond à la dissolution du métal qui forme, soit des ions solubles, soit un composé métallique insoluble (habituellement un oxyde). Plusieurs réactions cathodiques sont possibles dépendant des espèces présentes. Cas de l’acier noir Dans le cas de milieu similaire au circuit primaire des REP, dans lesquels on essaye d’éliminer l’oxygène dissous (côté primaire même en présence de radiolyse), on a, pour un acier noir (sans chrome), deux réactions concomitantes : – au fond d’un pore, la réaction de dissolution anodique : Fe → Fe2+ + 2e−
(3.3)
– et éventuellement la formation d’un oxyde in situ selon l’équation générale : 3Fe + 4H2 O → Fe3 O4 + 8H+ + 8e−
(3.4)
On peut aussi considérer, ce qui revient au même pour le modèle, que la réaction (3.3) se produit d’abord et qu’une partie de Fe2+ précipite sur place selon la réaction : 3Fe2+ + 4H2 O → Fe3 O4 + 8H+ + 2e− (3.5) La réaction cathodique nécessaire pour respecter l’électro-neutralité, dans les conditions indiquées (absence d’oxygène), ne peut être que la réduction de l’eau qui produit de l’hydrogène 2H+ + 2e− → H2 . Parce que ces réactions anodiques et cathodiques se produisent simultanément, elles forment bien une cellule électrochimique avec courant de corrosion. Combinée avec cette réaction de réduction (2H+ + 2e− → H2 ), la réaction globale peut s’écrire : (3.6) Fe + 2H+ → Fe2+ + H2 La concentration d’ions Fe2+ étant donnée, elle, par : Log[Fe++ ] = −G0,Fe /(2,3RT) − 2pH − pH2
(3.7)
C’est bien évidemment cette réaction qui se produit de préférence à la réaction de dissolution de la magnétite9 car le fer est en principe plus instable, sinon c’est que 9 Qui serait Fe O + 8H+ + 2e− → 3Fe++ + 4H O. 3 4 2
Chapitre 3 – Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
43
nous sommes dans une zone d’immunité formée comme indiquée plus haut selon l’équation (3.4). Mais pour une surface déjà passivée d’acier noir (donc composé à 99 % de fer) avec des pores formés sur une épaisseur notable, le système vu par la solution ionique devient, à quelques distances atomiques du métal, un système oxyde/eau qui provoque immédiatement des réactions du type : Fe2+ + H2 O → FeOH+ + H+
(3.8a)
FeOH+ + H2 O → HFeO2− + H+
(3.8b)
et La somme des ions solubles Fe2+ , FeOH+ , HFeO2− ne peut dépasser la concentration d’équilibre avec les oxydes (magnétite ou ferrite). Tout dépassement entraînera, en effet, des réactions du type : 3Fe++ + 4H2 O → Fe3 O4 + 6H+ + H2
(3.9)
qui rétabliront immédiatement l’équilibre. Si cette concentration d’équilibre est déjà atteinte dans la solution donc dans le pore, le relâchement est stoppé et la réaction (3.3) ou (3.6) s’arrête. En revanche, on peut craindre que la réaction (3.4) ou (3.5) de formation d’oxyde continue. Mais le rejet de fer étant stoppé, l’oxyde va foisonner (gonfler, c’est ce qui se passe côté secondaire en milieu plus oxydant) comme le prévoyaient Pilling et Bedworth et cette nouvelle barrière d’oxyde devient de plus en plus étanche. L’eau n’étant plus en contact avec le métal, la réaction (3.4) ou (3.5), à son tour, est hors course. Il est donc clair, dans le cas de l’acier noir, que le modèle classique « PACTOLE » semble correct et un milieu saturé devrait entraîner dans ce cas, soit un arrêt de la corrosion, soit un bouchage des pores et dans tous les cas on a un arrêt du « relâchement net ». La poursuite d’une corrosion en milieu saturé nécessite d’envisager un autre mode de corrosion. Il est alors logique de se rappeler qu’il existe une corrosion gouvernée par la diffusion : – soit liée à l’apport d’oxygène par diffusion et formation à l’interface métal/oxyde d’un oxyde par l’équation nM + mO → Mn Om . Cette réaction se produit quand le réfrigérant contient de l’oxygène mais on sait que, en situation courante dans les REP, si les spécifications sont appliquées, la concentration d’oxygène du réfrigérant au niveau des GV est très faible ; – soit liée à la diffusion du fer dans la couche d’oxyde suivie par une réaction lorsque l’atome atteint l’interface oxyde/eau de formation de magnétite. Dans les deux cas, le transport se fait par diffusion atomique via des défauts et autres vacances anioniques mais aussi par diffusion aux joints de grain, etc. Le modèle peut donc être assez compliqué. Il faut aussi envisager une limitation par les réactions aux interfaces en particulier en l’absence d’oxygène.
44
Corrosion des circuits primaires…
Le transport de l’oxygène ou de fer par diffusion dans les oxydes n’est prépondérant, on l’a vu, que pour des températures élevées (T > 400 ◦ C). Aux températures caractéristiques du métal des tubes GV (∼ 300 ◦ C), la contribution de cette réaction est inférieure aux taux de corrosion observés en réacteurs mais n’est cependant pas tout à fait négligeable. Il est donc intéressant d’introduire (d’ajouter) le modèle de diffusion solide au modèle de corrosion via les pores ouverts (de type PACTOLE), plus particulièrement pour les réacteurs modernes dont les parois sont plus chaudes (> 320 ◦ C). Remarquons au passage que l’établissement du modèle PACTOLE s’est beaucoup appuyé sur les études faites sur l’acier noir. Le passage aux aciers inoxydables et alliages riches en nickel se fait en affectant au fer le rôle principal et en faisant l’élément contrôlant la corrosion. Cas de l’acier inoxydable et des alliages riches en nickel L’acier inoxydable et les alliages de type inconel et incoloy ou alliages 600, 690 et 800 se démarquent de l’acier noir par la présence d’éléments nickel et chrome en proportion importante. Le chrome, on le sait, joue un rôle prépondérant vis-à-vis de la corrosion. Les alliages comme l’acier inoxydable, utilisés pour le circuit primaire des REP, contiennent au minimum 18 % (en poids) de chrome, et les oxydes de chrome qui se forment en surface de l’alliage (avec une forte proportion de Cr2 O3 ) forment une barrière plus étanche10 que celle apportée par la magnétite, entre l’eau et le métal de base et, de plus, gênent la progression de l’oxygène ou le transfert d’électrons nécessaires à l’oxydation. Il se produit donc un net ralentissement de la vitesse de corrosion par rapport à la cinétique initiale de corrosion. Et de fait, tous les auteurs rapportent que l’oxyde au-dessus du métal est composé : – en milieu insaturé d’une couche d’oxyde très riche en chrome, chromite mixte, Ni(1−x) Fe(x+y) Cr(2−y) O4 ou Ni(1−x) Fe(x+y) Cr(1−y) O3 ) et des nodules de Cr2 O3s à l’interface métal-oxyde ; – et en milieu proche de la saturation, d’une double couche, l’oxyde interne correspondant à l’oxyde précédent riche en chrome et l’oxyde externe composé de précipités comportant des cristallites de spinelles de type ferrite de nickel (Ni(1−z) Fe(2+z)O4 ). Cela marque une grande différence avec ce que nous avons vu pour l’acier noir et on peut donc se demander si cette présence d’oxyde riche en chrome n’a pas un impact sur le phénomène de précipitation. Derek Lister [11], considère sur la base de ces observations que : « Tout le chrome corrodé précipite à l’interface métal oxyde entraînant un peu de fer et de nickel. Le reste de métal corrodé diffuse à travers la couche interne résultante et émerge dans la couche limite du fluide en écoulement où il se mélange avec les produits de corrosion transportés par le réfrigérant. Le réfrigérant est par conséquent sur-saturé localement en produit de corrosion, et une couche externe précipite à l’interface oxyde/réfrigérant. » 10 une meilleure protection soit un taux de porosité plus faible.
Chapitre 3 – Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
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Pour justifier un tel comportement, on peut donc imaginer que, contrairement avec ce qui a été vu pour l’acier noir, la couche d’oxyde interne étant ici composée d’oxyde de Cr ou très riche en Cr n’offre pas de site de germination et autorise une surconcentration dans les pores. Cela permet alors à la réaction Fe → Fe2+ + 2e− de continuer à imposer son potentiel (ECP) dans les pores jusqu’au moment où la solution ionique débouche sur la couche d’oxyde externe et que le système devienne franchement un système oxyde/eau. À cet endroit, les réactions de précipitation du type 3Fe++ + 4H2 O → Fe3 O4 + 6H+ + H2 (équation (3.9)) peuvent et vont se produire. Cela expliquerait en effet que la corrosion puisse continuer à relâcher des ions dans un milieu saturé. Si l’on adopte cette hypothèse, il faut bien sûr corriger les modèles de type PACTOLE tout en en gardant la structure et se contenter de modifier la concentration au fond des pores prise jusqu’ici égale à la concentration en équilibre avec l’oxyde, par la concentration d’équilibre correspondant au potentiel de la réaction (3.3) ou régie par l’équation (3.6). khDZj Sw − Cj il suffit d’utiliser Plus précisément dans l’équation (3.1) Rj = DZj + hl pour calculer Sw la valeur de concentration de [Fe++ ] calculée par (3.6) au lieu d’utiliser ce qui était fait jusqu’ici, les équations de solubilisation de la magnétite correspondant aux espèces solubles.
Figure 3.7. – Diagramme de Pourbaix en milieu aqueux du fer à 300 ◦ C.
Car rappelons-le, ce n’est pas l’ion Fe++ seul qui intervient dans le modèle PACTOLE mais la somme des ions FeOH+ , HFeO2 − et Fe++ . Si ce qui précède correspond à la réalité, ce qui reste à démontrer, soulignons que nous ne sommes plus exactement dans le cas d’une solution de fer plongé dans l’eau.
46
Corrosion des circuits primaires…
Le pH basique, la présence dans l’eau d’hydrogène et d’ion Fe++ , avant même que la corrosion ne se produise, réduiront néanmoins le taux de dissolution du fer qui sera régit par l’équation (3.6) : Log[Fe++ ] = –G0,Fe /(2,3RT) – 2pH – pH2 (équation (3.7)), qui donne alors la concentration à la paroi Sw . Dans le cœur du fluide et dans l’eau à l’entrée des pores, la concentration de fer soluble en équilibre avec la magnétite sera, elle, donnée par la somme Ceq = [Fe++ ] + [FeOH+ ] + [HFeO2 − ], chaque concentration étant donnée par les équations ci-après : Log[Fe++ ] = −G0,Fe3 O4 /(3 × 2,3RT) − 2pH + pH2 /3
(3.10)
Log[FeOH ] = −G0,Fe3 O4 /(3 × 2,3RT) − pH + pH2 /3
(3.11)
Log[HFeO− 2 ] = −G0,Fe3 O4 /(3 × 2,3RT) + pH + pH2 /3
(3.12)
+
et
où G0,Fe est l’enthalpie libre de la réaction (3.6) et G0,Fe3 O4 celle des réactions correspondantes de dissolution de la magnétite. En conséquence et étant en milieu saturé, tant que la concentration Sw = [Fe++ ]Fe donnée par l’équation (3.6) sera supérieure à Ceq , il y aura corrosion et relâchement d’ions [Fe++ ] qui migreront dans les pores jusqu’à atteindre la zone où le système devient un système magnétite (ou ferrite de Ni)/eau. À cet endroit, la réaction (3.8) se produit et les ions [FeOH+ ] et [HFeO2 − ] apparaissent au détriment de la concentration en ion [Fe++ ]. Mais celle-ci restera supérieure à celle donnée par l’équation (3.10) puisque la concentration d’ions [Fe++ ]Fe qui existait avant la transformation était supérieure à Ceq ([Fe++ ]Fe > [ions]Fe3 O4 ou Fe2 NiO4 ). Cette différence est appelée à précipiter in situ. Dans le cas où le pH est suffisamment élevé, cependant, la concentration d’ions [Fe++ ] donnée par l’équation (3.6) sera inférieure à Ceq ([Fe++ ]Fe > [ions]Fe3 O4 ou Fe2 NiO4 ) : on retrouvera la formulation habituelle pour laquelle Sw est donnée par la solubilité de l’oxyde et en particulier il y aura bien blocage de la corrosion quand la concentration d’équilibre sera atteinte dans le cœur du fluide. Remarquons, toujours si l’hypothèse précédente est exacte, qu’il faut que l’oxyde interne soit toujours très riche en chrome. Or plus on s’éloigne du métal, moins cela est vrai comme le montre, en moyenne, les analyses. On peut donc penser que seuls sont concernés les pores qui gardent le composé de chromite jusqu’à la limite oxyde/dépôt. Pour les autres, sans doute majoritaires, la loi habituelle considérant Sw égale à la concentration d’équilibre avec le ferrite s’applique. Cette concentration [Fe2+ ]Fe , introduite dans le modèle en lieu et place de la concentration des ions en équilibre avec l’oxyde pour une fraction de la surface se traduirait dans les conditions habituelles de fonctionnement, par une petite augmentation de la corrosion en milieu saturé comme insaturé. En revanche, en milieu (presque) saturé, il y aura en sortie des pores (en surface, dans la couche limite) précipitation proportionnelle à la différence des deux concentrations d’équilibre en ions [Fe2+ ] qu’il faudra prendre alors en compte dans le modèle.
Chapitre 3 – Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
47
Dans cette opération, il ne faudra pas oublier les nucléides radioactifs présents dans le fluide et l’activation de l’oxyde qui résultera de la précipitation.
3.2.3.1.
´ ´ Equilibre, pseudo-equilibre ou transitoire
L’hypothèse précédente est délicate et il reste à démontrer qu’elle est possible. Remarquons pour commencer que l’observation faite par Lister [11] ne portait que sur un essai d’une semaine, ce qui est court dans ce genre de processus, par exemple pour observer le bouchage des pores et la stabilisation de la corrosion. Elle demande à être confirmée. Par ailleurs, le plus probable pour expliquer les observations en boucle11 et surtout en réacteur est d’observer que l’arrêt du phénomène de relâchement et de corrosion correspond à une situation d’équilibre dans tous les sens du terme. Or un circuit de réacteur ou de boucle d’essai est soumis à des sollicitations nombreuses susceptibles de perturber l’équilibre (variations de toutes sortes, hydrauliques (turbulences), mécaniques (vibrations), chimiques (dilution, borication, lithiation), thermiques liées aux variations de puissance). Pendant ces variations, l’équilibre est déplacé localement et peut donc entraîner des variations momentanées des gradients de concentration et donc des précipitations et des dissolutions même dans les zones en principe et en moyenne saturées. C’est donc, à mon avis, l’explication la plus probable qui revient d’ailleurs à dire que les essais en boucles comme en autoclave ne sont pas des essais parfaits où tous les paramètres (ici, le maintien dans le temps d’un équilibre thermodynamique local) sont contrôlés. Dans un modèle comme Pactole qui, nous le verrons, traite des successions d’équilibre, ces variations ne sont pas, non plus, prises en compte et cela conduit à une sous-estimation de la corrosion des zones en condition saturée (en moyenne turbulente, la saturation au sens physique habituel n’existe pas). Pour y pallier, il suffirait d’introduire une correction pour tenir compte de ce phénomène et d’ajouter aussi la corrosion liée à la diffusion d’oxygène à travers l’oxyde interne.
3.2.4.
Éléments autres que le fer dans les matériaux austénitiques
Pour discuter de la corrosion et illustrer les modèles, on se contente le plus souvent, comme nous l’avons fait la plupart du temps jusqu’ici, de raisonner sur l’élément fer. En dehors du chrome, cette attitude était légitime pour les aciers inoxydables mais est-ce toujours vrai pour les alliages riches en nickel ? Il nous faut revenir au moins sur le comportement du Ni et des autres éléments et la manière de calculer leur relâchement. Dans le modèle PACTOLE, on considère, au moins dans un premier temps, que l’élément fer est le moteur de la corrosion et du relâchement. Les autres éléments sont corrodés et relâchés proportionnellement à leur composition. Autrement dit, 11 Il faudrait être sûr que dans l’expérience de Lister le milieu était bien saturé.
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Corrosion des circuits primaires…
on considère le relâchement/corrosion comme congruent. Toutefois, comme pour le fer, la solubilité impose une limite au relâchement car il ne peut y avoir dans le fluide de concentration supérieure à la concentration d’équilibre. Dans la formule (3.1) du §3.2.1.2, le relâchement d’un élément Ni ou autre, en principe congruent au fer, peut être freiné par la concentration réelle en raison de sa proportionnalité au gradient de concentration qui existe entre le fond du pore au contact du métal de base et la concentration dans le cœur du fluide. Cela est encore plus évident et s’applique en premier pour un élément comme le chrome pratiquement insoluble en milieu réducteur.
3.2.4.1.
Le chrome
Le cas du chrome est particulier. Cet élément est, en effet, le seul constituant des alliages qui nous intéressent qui soit moins noble que le fer : il présente un potentiel standard plus négatif, il s’oxyde donc plus facilement que l’hydrogène et que le fer mais en revanche l’oxyde formé est lui très stable et protecteur et sa zone de stabilité, de passivation est très étendue et couvre plus que le domaine de fonctionnement des REP (cf. figure 3.10). Le chrome va donc se corroder, c’est-à-dire : – soit s’oxyder in situ en formant un chromite Cr2 O3 ; – soit via la réaction Cr → Cr3+ + 3e− mais cet ion précipitera immédiatement à l’interface métal/oxyde en entraînant cette fois-ci Ni et Fer pour former par nucléation un chromite mixte par exemple.
3.2.4.2.
Le nickel
L’élément qui vient au troisième rang dans la composition de l’acier inoxydable est le nickel. Cet élément est d’un grand intérêt du point de vue de la corrosion et de ses conséquences dans le cas des REP. Dans les alliages utilisés pour les tubes GV, cet élément représente 30 à 35 % en poids pour l’incoloy 800, 57 % pour l’inconel 690 et 72 % voire plus pour l’inconel 600. Peut-on, pour ces matériaux, considérer que le fer est toujours l’élément moteur ? La comparaison des taux de corrosion globaux montre qu’ils sont peu différents de ceux de l’acier inoxydable dans des conditions semblables. C’est déjà une indication que le nickel dans ce type d’alliage n’a pas purement et simplement pris la place du fer comme moteur de la corrosion : dans ce cas, en effet le nickel étant plus noble que le fer (voir les figures 2.2, 3.7 et 3.8), on aurait pu s’attendre à une réduction de ce taux. Des essais en boucle menés par les Canadiens [11, 12] sur des coupons d’inconel ont permis, grâce à des mesures radiochimiques, de comparer les relâchements de cobalt, de fer et de nickel. Il est clair que les relâchements ne sont pas congruents et que le nickel et le fer sont freinés par rapport au cobalt en dépit de sa « noblesse ! » Cela s’explique car la concentration d’équilibre d’un élément comme le cobalt, à l’état de traces dans
Chapitre 3 – Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
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(a)
(b)
Figure 3.8. – (a) Diagramme de Pourbaix en milieux aqueux du nickel à 25 ◦ C. (b) Diagramme potentiel/pH du nickel à 300 ◦ C. Les deux points indiquent (au centre) le pH neutre (soit 5,65 à 300 ◦ C) ou la ligne de stabilité de l’eau (ligne grise).
l’alliage, ne sera, de fait, que très rarement approchée dans le cœur du fluide12 et cet élément comme, en particulier, son fils le 60 Co pourront, dans les essais de corrosion, servir à déterminer la « pénétration équivalente » qui correspond à la profondeur d’alliage nécessaire pour produire la quantité mesurée d’éléments ou de nuclides relâchés. C’est aussi une approche minimale de l’épaisseur d’alliage 12 C’est-à-dire qu’on a toujours C S dans la formule (3.1). w j
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Corrosion des circuits primaires…
qui a été attaquée dans le processus de corrosion : ce serait exactement l’épaisseur de corrosion si aucun ion cobalt n’avait co-précipité avec le chrome par exemple avant d’atteindre l’interface oxyde/eau. De la figure 3.9 qui est une reproduction d’une des figures de la référence [12], on déduit que, après 1 546 heures de fonctionnement correspondant à un conditionnement chimique REP (milieu réducteur, bore et lithium), le nickel (Ni63) et le fer (Fe59) sont respectivement relâchés à des taux 30 % et 15 % plus faibles que le cobalt qui peut servir de référence ou de meilleure estimation. représentation simplifiée et approximative
Pénétration équivalente en µm
10
Ni Fe Co
Co
1
Ni Fe
0,1
Chimie basique
0,01
0
500
Chimie neutre
1000
1500
2000
2500
Temps de l'essai en heures
Figure 3.9. – Pénétration équivalente correspondant au rejet de l’inconel (retracée d’après [12]).
L’explication la plus évidente est que ce ralentissement du relâchement du fer et du nickel observé est dû à l’atteinte ou l’approche de la concentration d’équilibre (saturation) de la boucle (probablement) en acier inoxydable : dans l’équation de la formule du §3.2.1.2 Rj = kh(Sw − Cj ), il est clair qu’une valeur de Cj non négligeable devant Sw , réduit le gradient de concentration et évidemment Rj . En revanche, comme nous l’avons dit précédemment, dans le cas du cobalt sauf pour l’étude des stellites, Cj (soit CCo ) sera toujours négligeable devant Sw (j ) soit Sw (Co). La boucle d’essais CORELE qui permet aussi des mesures par élément et par nucléide est bien adaptée pour répondre à la mesure du relâchement. La première version de cette boucle, CORELE-1 du CEA, conçue en collaboration avec Yale Solomon (Westinghouse/EPRI) et par une petite équipe composée en particulier de Maxy Noé et Gérard Fréjaville et votre serviteur, présentait de plus l’avantage par sa conception (utilisation de matériau inerte en dehors de la section d’essai, surface de la section d’essai faible, débit relativement élevé), de ne pas être gênée au niveau de l’interprétation par les problèmes de saturation du milieu et d’avoir Cj toujours voisin de zéro pour tous les éléments et donc un relâchement (quasi) proportionnel à Sw. Les essais rapportés en 1986 dans [11], confirment tout d’abord que tous les éléments en dehors du chrome (très peu ou pas relâché comme attendu en l’absence
Chapitre 3 – Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
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d’oxygène) montrent un relâchement proche de la congruence. Prenons comme référence le cobalt dont on a vu qu’il est le meilleur nucléide pour déterminer la pénétration équivalente (en préférence au fer, le Fe59 étant difficilement mesuré). Dans le cas de l’inconel 690, le relâchement de nickel n’est égal qu’à environ 78 % du relâchement du cobalt (entre 55 et 102 %) et pour l’inconel 600, il n’en représente que 56 % (50-63 %), alors que le relâchement du fer est lui congruent avec celui du cobalt pour les deux alliages. Les concentrations en fer et en cobalt dans l’eau ne pouvant pas ici, être invoquées, il ne peut pas être écarté que la corrosion du nickel est ralentie pour des raisons thermochimiques. Les diagrammes de Pourbaix respectifs confirment que le Ni est plus stable que le fer. On peut donc être dans une situation dans laquelle la concentration [Ni++ ] donnée par l’équation Log[Ni++ ] = −G0,Ni /(2,3RT) − 2pH
(3.13)
est plus élevée que la concentration donnée par [Ni++ ] = [Sw,Fe ] × Zni /Zfe ou [Fe++ ] × Zni /Zfe Zni et Zfe étant les compositions de Ni et de fer de l’alliage. Dans le cas où le nickel suit le fer soit lorsque [Ni++ ] = [Fe++ ] × Zni /Zfe , le relâchement est congruent. Dans le cas contraire, la corrosion du nickel est proportionnellement ralentie. Or un rejet des éléments congruents avec le fer, correspondant au premier cas où [Ni++ ] est donné par [Sw,Fe ] × Zni /Zfe , coïnciderait pour des tubes GV en inconel 600, à un rapport Ni/Fe au niveau du rejet, de 8 ou 9 [13]. Pour obtenir le rapport global de l’ensemble du circuit RCP, il faut prendre en compte, entre autres, les surfaces en acier inoxydable (tuyauteries, internes, etc.) du reste du circuit. Le rapport attendu au niveau des oxydes, si les relâchements de tous les éléments (à l’exception du chrome) sont congruents, est alors d’environ 4. Or les analyses des oxydes montrent que la valeur typique du rapport Ni/Fe tourne autour de 0,2-0,35. Il y a là un conflit entre théorie (un grand mot ici, disons simplement le bon sens) et les faits qu’il faut résoudre. D’abord, observons que cet oxyde est un ferrite dont la stœchiométrie est Fe2 NiO4 . Le rapport maximum autorisé par la stœchiométrie est donc 0,5. On ne pouvait donc pas trouver dans un ferrite un rapport Ni/Fe ayant une valeur supérieure. Ce rapport maximum conduit même par le jeu des différents étages de coprécipitation à une valeur moyenne dans l’oxyde de 0,333 qui concorde complètement avec l’observation. Les analyses faites sur dépôts confirment, à la fois, la nature ferritique des oxydes et les valeurs mesurées du rapport Fe/Ni dans ces oxydes. Un relâchement congruent ou presque congruent n’est donc pas compatible avec la formation du seul oxyde de type spinelle d’équation Fe2 NiO4 . Où (donc) passe, alors le Nickel ? s’exclamait déjà et avec raison Yale Solomon [13] au cours d’une des premières conférences BNES à Bornemouth (en 1980 ?).
52
Corrosion des circuits primaires…
Il faut remarquer que les analyses de la composition des dépôts sont bien sûr réalisées pendant un arrêt froid et il est bien connu que pendant cet arrêt des remises en solutions importantes d’éléments se produisent. Il faut donc tenir compte de ces mouvements dans nos bilans. On verra par exemple au chapitre 4 (§4.4.2.4) que dans les réacteurs avec des tubes de GV en alliage 600, le nickel se dépose sur les parties chaudes du combustible qui sont un véritable piège pour cet élément. Il n’est libéré par dissolution que pendant les arrêts froids au moment de l’oxygénation. Les masses déposées et libérées lors du pic de dissolution sont importantes et sont de l’ordre du kilogramme mais peuvent atteindre quelques kilogrammes sur certains réacteurs. Il est évident que ce nickel, qui ensuite est piégé sur les résines, doit être ajouté au bilan des relâchements. Ces observations nous obligent à supposer : 1) qu’il existe dans le RCP deux formes de nickel déposé ; en premier, le ferrite de nickel dont la quantité est conditionnée par l’abondance de fer dans le circuit et le rapport Ni/Fe permis par la thermodynamique et en second, du nickel avec la forme venant dans l’ordre de la stabilité juste après le ferrite. L’examen des diagrammes de Pourbaix indique que dans les conditions de réacteurs qui correspondent à une zone du diagramme située près et en dessous de la ligne (a) pointillée des figures 2.2, 3.7 et 3.8b représentant la dissociation de H2 en H+ pour une pression partielle de 1 atmosphère, cette autre forme est le nickel métallique. Ce nickel sera déposé principalement sur les parties chaudes du circuit et en particulier sur les surfaces les plus chaudes du combustible. On verra au chapitre 4 (§4.3 et §4.4.2.4), que cela est vérifié par l’observation. Ce nickel déposé ne peut pas être sous la forme NiO13 mais s’accorde avec le comportement attendu du nickel : la dissolution observée au moment de l’oxygénation lors d’un arrêt froid confirme bien que le composé de nickel déposé sur le combustible est Ni0 . On est en effet, en raison de la borication, à un pH acide (∼ 5) et on voit sur la figure 3.8a que le passage d’un milieu réducteur (par exemple –0,4 V) à un milieu oxydant (voltage positif) fait passer de Ni stable à Ni++ ; 2) et qu’alors les lois qui s’appliquent au nickel relâché en surabondance et non précipité sont celles d’un couple formé principalement par l’ion Ni++ avec le nickel métallique. Le nickel total relâché doit donc tenir compte non seulement du nickel contenu dans les oxydes internes et externes (chromites + ferrites) mais aussi du nickel dissous au moment des arrêts. Si donc, on admet une certaine rétention du nickel en milieu réducteur au niveau de la corrosion comme semble l’indiquer les mesures de CORELE-1 et si on tient compte d’un relâchement légèrement plus important de l’acier des tuyauteries et surtout des internes à plus hautes températures, 13 Tout le monde n’est pas d’accord sur la forme du Ni déposé sur les gaines et certains penchent pour NiO. Mais cette espèce ne peut expliquer la dissolution de nickel survenant au moment de l’oxygénation lors des arrêts pour rechargement. Pour l’oxyde NiO, en effet, l’équation de dissolution est NiO + 2H+ Ni2+ + H2 O soit pour la concentration Log[Ni2+ ] = GT,NiO /2.3RT − 2pH. On voit que la concentration d’O2 ne joue pas dans ce processus où seul le pH et la température interviennent.
Chapitre 3 – Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
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le bilan global du nickel devient cohérent et expliqué, et la réponse à Yale Solomon est donnée. Ajoutons que les ions nickel qui précipiteront seront d’abord co-précipités avec le chrome (et le fer) au niveau de l’oxyde interne puis avec le fer au niveau de l’oxyde externe. La part de nickel dans le ferrite ne peut pas dépasser 19 % du poids de l’oxyde, ce qui correspond au rapport Ni/Fe de 0,33. La précipitation totale du fer n’entraînera donc pas la disparition de tout le nickel soluble même si la concentration d’équilibre avec le ferrite est atteinte. Ce n’est que lorsque le fluide entrera au contact de parois chaudes comme celle de la gaine des éléments combustibles dans le haut du cœur que la concentration des ions nickel en équilibre avec le nickel métallique sera à son tour dépassée, entraînant la précipitation du nickel qui n’en partira, on l’a vu, qu’au moment de l’oxygénation. Remarque : de ce qui précède, on peut déduire que la solubilité du nickel n’est pas correctement traitée dans le modèle PACTOLE car le seul oxyde considéré jusqu’à aujourd’hui, est un ferrite de Ni. Remarquons que ce code reste cependant cohérent car l’examen attentif des résultats montre qu’il prédit une composition des oxydes, sur-stœchiométrique. L’analyse de ce résultat aurait dû conduire à s’interroger. Il serait vite apparu qu’en présence de grandes surfaces d’alliage riche en nickel comme les inconels, la proportion de nickel relâché par rapport au fer devait logiquement entraîner une sur-concentration et par précipitation un oxyde sur-stœchiométrique. Comme cela est malheureusement physiquement impossible, il aurait fallu modifier le modèle en conséquence. J’avoue, en tant que responsable du développement, ne pas avoir eu, à l’époque, cette perspicacité. Ce paradoxe est (aurait été pourtant) assez simplement résolu en introduisant, dans le système, une deuxième forme de nickel un peu moins stable que le ferrite. La solubilité du nickel à prendre en compte (en présence de grande surface d’inconel) ne peut donc être limitée à celle en équilibre avec le seul oxyde spinelle. Dans les régions de surconcentration, le nickel (et les autres éléments) co-précipite avec le fer mais son taux de précipitation doit respecter la proportion autorisée par la stœchiométrie. Cela peut donc laisser du nickel soluble en situation de surconcentration si l’on considère l’équilibre avec l’oxyde spinelle mais la nouvelle loi de solubilité à considérer et donc à introduire dans les modèles et les codes, est la solubilité du nickel régie par la réaction (3.13). Cette modification est indispensable. À cette condition, le fer peut rester l’élément moteur au niveau du mécanisme de corrosion et du relâchement lui-même dans les conditions de fonctionnement des REP et PWR14 .
14 Une petite correction doit encore être apportée pour pouvoir tenir compte des alliages très riches en nickel, s’ils sont introduits pour pouvoir traiter le cas où la concentration en [Ni++ ] déduite du relâchement congruent avec le fer dépasse les valeurs prévues par la thermochimie (équation (3.13)). Comme la forme de nickel la plus stable en dehors des chromites et ferrites gouvernées par le chrome et le fer est le nickel métallique, l’ion nickel retourne alors (précipite) immédiatement sous cette forme. À moins que tout simplement, ce qui revient au même du point de vue du bilan, la réaction soit bloquée au départ. Cela reviendrait à un non-relâchement voire une non-corrosion du nickel seul.
54
Corrosion des circuits primaires…
La variable l de l’équation (3.1) croîtra, quoi qu’il en soit, différemment entre un acier et un inconel suivant que le nickel co-précipitera ou non au niveau des pores. La pente en fonction du temps et de la corrosion et du relâchement sera donc différente pour un inconel que pour un acier. C’est bien ce qu’observe Derek Lister [11, 12], la dépendance du temps observé pour le relâchement net de l’inconel est 0,69 (t 0,69 ) au lieu de 0,44 pour l’acier. Le taux de relâchement de l’inconel étant aussi plus important, on peut en déduire que dans l’expérience en question, le nickel n’a pas ou peu co-précipité.
3.2.4.3.
ˆ ´ Relachement net (definition)
Avec ce modèle modifié, il nous faut revoir la définition du relâchement et introduire celle du relâchement net. Définissons d’abord ce qui n’est pas du relâchement. C’est évidemment les oxydes formés directement à partir du métal de base, les chromites et les oxydes de chromes et la magnétite et les ferrites formées selon une réaction de type (3.4). Mais nous considérerons aussi comme non-relâchement, l’oxyde formé en deux temps, d’abord par la réaction de dissolution de type (3.3) pourvu qu’elle soit immédiatement suivie par la réaction (3.5). La différence avec la réaction (3.4) est en effet pour nous purement académique. Il faut simplement que ces deux réactions se produisent à l’interface métal/oxyde. En revanche, on appellera relâchement ou « relâchement brut » toute dissolution de métal en ions pourvu que ces ions soient transportés dans les pores, du métal jusqu’au niveau de la couche d’oxyde externe. Là, ils pourront soit précipiter soit poursuivre leur migration par diffusion dans les pores et la couche limite et se retrouver dans le cœur du fluide. Le relâchement net correspondra donc aux seuls ions qui atteindront le cœur du fluide. C’est bien ce relâchement net qui est mesuré dans les expériences de type CORELE [10, 14, 15] ou décrites par Lister [11, 12]. On remarquera que selon cette définition et à partir de ce qui a été dit plus haut, seul le relâchement net du cobalt quand il est en concentration faible dans l’alliage et équivalent à une impureté aura toujours une valeur proche du relâchement brut. Cela est bien évidemment le cas des aciers inoxydables et des alliages riches en nickel. Ne manque alors que le cobalt éventuellement et faiblement entraîné lors des précipitations du chrome ( ?) et du fer. Pour la même raison, la pénétration équivalente déduite des mesures de relâchement de cobalt est inférieure mais assez proche de celle correspondant à la corrosion.
3.2.5.
Influence de la concentration en bore sur la corrosion ?
Une influence de la concentration en bore sur le comportement du relâchement/ corrosion a été signalée par certains auteurs [16] et a été observée dans CORELE-1 [10]. Elle n’est rendue à ma connaissance par aucun modèle jusqu’à présent. Cette
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observation est surprenante à première vue mais ne manque pas d’intérêt. Une tentative d’explication est donnée dans la référence [10]. L’examen attentif des résultats CORELE-1 issus du rejet de 60 Co plus fiable que ceux issus du Ni et moins dispersés que ceux issus du 58 Co montre que cette influence est principalement marquée pour les pH300 faible (< 7). Or, dans ce cas, la majorité des ions en équilibre avec l’oxyde (magnétite ou ferrite) sont des ions positifs du type M++ ou MOH+ ([Fe++ ], [Ni++ ], [FeOH+ ]). On peut même ajouter qu’à quelques distances atomiques du fond des pores, la corrosion va alimenter les pores en ions M++ , ce qui aura pour effet d’augmenter le pH localement. C’est d’ailleurs cela qui, en premier, stabilise normalement la vitesse de corrosion. On doit noter aussi que cette augmentation de pH va, elle, se traduire par un accroissement de la concentration en ions [OH− ]. Cette dernière augmentation n’aura que très peu ou pas d’incidence sur la dissociation de l’eau ou des bases et acides forts. La lithine, utilisée dans les REP (et dans CORELE), base forte donc (presque) complètement dissociée, est dans ce cas. En revanche, l’acide borique, acide faible à cette température, sera plus dissocié en raison de cette augmentation d’ions M++ et du pH. Plus la concentration en bore sera importante, plus cela se fera sentir en acidifiant le milieu à proximité du métal (dont le pH ne sera plus exactement celui calculé par le logiciel de calcul de pH car il nécessiterait pour sa détermination exacte des itérations tenant compte de ce mécanisme). Le point de mesure placé sur une courbe, à une valeur de pH calculée sans tenir compte de ce phénomène, donnera l’apparence d’une augmentation du relâchement. Ou si l’on préfère, c’est par son influence particulière sur le pH que l’acide borique augmente la corrosion. Pour les pH basiques, en revanche, la transformation des ions positifs en ions − négatifs comme HFeO− 2 ou Fe(OH)3 tamponnera la solution et effacera l’effet du bore. Au passage, signalons que cet effet est une pièce de plus en faveur de l’existence de réseaux de pores dans l’oxyde.
3.2.6. 3.2.6.1.
Qualité de protection des oxydes ´ ´ Cas des materiaux austenitiques ´ en milieu reducteur
Par milieu réducteur, il est entendu une eau pure soigneusement désaérée et dont la teneur en oxygène est inférieure à 0,5 ppb et le potentiel d’oxydo-réduction (ORP) inférieur à –300 mV, et ce, pour un pH voisin de 7 (ces deux derniers paramètres ramenés à une température de 25 ◦ C). Une concentration d’hydrogène dissous rendra bien évidemment le milieu encore plus réducteur. En ce qui concerne l’épaisseur d’oxyde x qui croît en même temps que la corrosion, ce qui a été dit sur le chrome remet en cause la façon dont il est calculé dans le modèle de Castle et Masterson et repris dans PACTOLE. Bien plus que le fer, en condition réductrice, c’est le chrome qui va conditionner la protection du métal et l’épaisseur d’oxyde interne. Le chrome va en effet
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Corrosion des circuits primaires…
pratiquement se transformer, in situ, en oxyde Cr2 O3 et en chromite de fer (et de nickel ?). Il sera donc aisé de calculer la valeur minimum de chrome contenu dans l’oxyde interne. L’expérience et les essais de corrosion pourront fournir la proportion de fer et de nickel contenue dans la chromite et on disposera alors de la valeur approchée de la quantité de métal formant cet oxyde interne. Enfin il faudra tenir compte de l’oxygène et du volume supplémentaire qu’il occupe. Pour cela, il faudra appliquer le facteur de Pilling-Bedworth du chrome qui est de 1,99. On voit donc que pour un acier contenant 18 % de chrome, la valeur de x correspondra à une valeur supérieure à 36 % de l’épaisseur de métal corrodé et pourra aller jusqu’à 72 % (cas d’un CrFeO3 stœchiométrique). Mais on peut s’attendre plus probablement à une valeur comprise entre 40 et 50 % (cela dépendra de la saturation de l’eau en fer), ce qui quantitativement sera très proche des valeurs données par le modèle actuel. En revanche, il conduira à des résultats différents et plus réalistes pour des alliages contenant des proportions différentes de chrome. Pour ces alliages, il est également probable que les valeurs de la constante k ou COR(I) devraient dépendre de la teneur en chrome ; l’alliage devant être d’autant plus protecteur qu’il contient plus de chrome.
3.2.6.2.
Milieu oxydant
Les conditions oxydantes sont une situation plus compliquée à modéliser. Néanmoins, on peut conserver le modèle décrit au §3.2.1.2 pour prédire les taux de corrosion moyennant certains aménagements. Il est nécessaire, en revanche, de distinguer différents niveaux d’oxydation et d’ORP. Mais une première difficulté se présente. Nous avons vu au §3.2.1.4 que le potentiel de corrosion électrochimique (ECP) n’est pas toujours complètement déterminé par le potentiel d’oxydoréduction de son environnement aqueux. Cela est encore plus vrai en présence d’oxydant (oxygène dissous, H2 O2 ) et est attendu lorsqu’on est en présence d’un mélange de produit oxydants et réducteurs (comme en situation de radiolyse) ou d’oxygène et de produits « inhibiteurs d’oxygène » (oxygen scavenger) comme le rappelle Anders Molander dans la référence [17]. Les valeurs de potentiel en mV variant avec la température et le pH sont données à titre indicatif pour des températures voisines de 25 ◦ C. Conditions légèrement réductrices –300 < ORP < 0 mV Dans le cas de conditions légèrement réductrices, soit une solution désaérée sans inhibiteur d’oxygène, on se trouve pour des pH modérés dans les zones de stabilité et de passivation aussi bien pour le fer que pour le nickel et le chrome. La surface des alliages se recouvre d’un oxyde protecteur magnétite Fe3 O4 pour le fer, Cr2 O3 pour le chrome, NiO pour le nickel qui croîtra avec le temps et ralentira la corrosion. Le modèle correspondant à l’équation (3.1) s’applique également en milieu oxydant. Il suffit de disposer des lois de solubilité des oxydes concernés, des valeurs de protection (k = COR(I)), et de la proportion de métal composant l’oxyde par rapport au métal relâché afin de calculer correctement l’épaisseur d’oxyde x. Cette proportion dépend de chaque alliage, de la présence de chrome, de la noblesse des métaux, etc.
Chapitre 3 – Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
57
Figure 3.10. – Diagramme de Pourbaix à 25 ◦ C.
Conditions franchement oxydantes ORP > 150 mV Ces conditions correspondent à des oxydes peu protecteurs : Fe2 O3 pour le fer. Pour les aciers, le chrome devient de plus en plus soluble lorsque le potentiel (ORP) augmente et le relâchement de chrome croît. L’oxyde de chrome ne joue plus son rôle protecteur. La corrosion et le relâchement vont donc augmenter. Le modèle PACTOLE est encore applicable, à condition de disposer des bonnes valeurs de solubilité de l’ensemble des éléments (Fe2 O3 , Cr2 O3 , etc.), des bonnes valeurs de k = COR(I) qui s’approcheront de l’unité et de l’existence et de la croissance de l’oxyde protecteur qui pourront être faibles et voisines de zéro. Conditions limites [O2 ] ≈ 4 ppb Dans ces conditions de concentration en oxydant faible, la valeur effective du potentiel d’oxydoréduction (ORP) et de l’ECP résultant est difficilement prévisible et varie sur une plage étendue comme le montre, par exemple, la figure 3.16 extraite du document de Molanders [17]. De fait, les expériences de corrosion effectuées, avec des valeurs faibles en oxygène dissous (conditions de circuit secondaire des REP par exemple) correspondant à ce niveau de concentration, font apparaître une corrosion accélérée difficilement prévisible. CORELE-2 confirme tout à fait ce type de comportement [19]. Même pour des valeurs d’oxygène dissous plus élevées (≈ 10 ppb) et des vitesses de fluide peu élevées (faible renouvellement), la consommation d’oxygène à la paroi conduit à atteindre localement cette valeur critique et produit un effet de vitesse inverse de l’effet normal attendu [20].
58
Corrosion des circuits primaires…
La modélisation de cette situation paraît complexe mais possible. Néanmoins, il vaudra mieux éviter d’opérer aux voisinages de ces conditions en maintenant une teneur en hydrogène élevée (≈ ou > 25 cm3 /kg) ou une teneur en oxygène élevée (> 30 pb).
3.2.7.
Valeur de taux de corrosion et de relâchement
Plusieurs auteurs proposent des lois empiriques de corrosion et de relâchement de la forme C = at n avec n plus ou moins proche de 0,5 et a un coefficient qui est en général établi à une température donnée. Ce coefficient a peut être parfois divisé en ar pour le relâchement et en aox pour l’oxydation seule. Il est clair qu’une telle formulation est tout à fait insuffisante pour représenter le relâchement qui dépend forcément grandement de l’environnement. Elle est en particulier incapable de prévoir une influence rétrograde de la température sur la corrosion-relâchement. En revanche, on peut concevoir que pour la relation concernant l’oxydation, une telle formulation peut s’accorder avec la diffusion solide (hypothèse de Robertson) de l’oxygène ou du fer dans l’oxyde. Les valeurs du coefficient a ne dépendent alors que du matériau, de la température et de la concentration en oxygène du milieu. Il reste qu’une telle formule ne peut être donnée et appliquée que pour des conditions voisines de celles de l’expérience qui a servi à son établissement. Son emploi dans un logiciel ou un code de calcul, constitue selon moi, une régression par rapport à une formule du type de celle donnée au §3.2.1.2 même si cette dernière n’est ni parfaite ni universelle. Notons aussi que les deux équations ne sont pas contradictoires. Un exemple de l’emploi d’une formule du type C = at n sera discuté au chapitre 4, au sujet de la corrosion du zircaloy qui semble, en effet, gouvernée par la diffusion solide. On verra alors qu’il faut barder ce type de formule d’un grand nombre de paramètres variables (correcteurs et empiriques), destinés à tenir compte de l’effet apporté par les variations de grandeurs liées à l’environnement immédiat du métal corrodé pour permettre une représentation proche de la réalité. La formule (3.1) du §3.2.1.2 montre, elle, que les taux de corrosion et de relâchement dépendent de plusieurs facteurs dont les conditions hydrauliques et chimiques. Au passage, remarquons que cette formulation est en total accord avec ce qui est montré dans les diagrammes potentiel-pH bien connus et admis de Pourbaix (figures 2.2, 3.7, 3.8). On peut aussi observer, en se rapportant à la formule (3.1) que dans les essais CORELE-1, on a Cj ≈ 0 (sauf si j = Cr soit pour le chrome). DZj + hl D’où on peut déduire Sw = Rj . khDρZj On a donc là un moyen de détermination indirecte de la solubilité des éléments car tous les autres paramètres sont connus ou mesurés d’autant que, compte tenu de la durée des essais, l’épaisseur d’oxyde à la paroi demeure voisine de zéro (comme le confirme la loi linéaire obtenue) et k voisin de 1. Dans le cas de CORELE-1, la formule se réduit donc à Sw ≈ Rj /hρ. Cette formule redonne bien les solubilités du fer, du nickel et du cobalt démontrant la cohérence de la formulation. Cet accord peut être vu sur les figures 3.11 et 3.12, sur lesquelles on a reporté
Chapitre 3 – Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
59
Mesure
Courbe calculée à partir des équations thermochimiques
Figure 3.11. – Solubilité du fer en fonction du pH à 300 ◦ C.
Figure 3.12. – Concentration de fer et du nickel en équilibre avec magnétite et ferrite ; comparaison avec CORELE.
60
Corrosion des circuits primaires…
la solubilité déduite des essais CORELE via la formule ci-dessus. On voit que les quelques valeurs reportées sont en accord avec à la fois les mesures directes de solubilité et les calculs théoriques. L’effet du pH sur la corrosion est bien montré par les premiers essais CORELE-1 [10] figure 3.13 et peut être vu aussi sur la figure 3.14.
Figure 3.13. – Relâchement du nickel en fonction du pH300 de l’inconel 600 TT ([B = 500 ppm], CORELE 1).
Figure 3.14. – Corrosion de l’acier noir par HCl et NaOH à 310 ◦ C, valeurs relatives.
Chapitre 3 – Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
61
Tableau 3.2. – Quelques valeurs de taux de rejet observés ou calculés. Température Conditions en ◦ C
Sources
284-320
REP/PWR observation sur sites Boucles CEA CORELE1 Formule (3.1) pour GV au 5e cycle
Réductrices 300 300
μ/an
Mesures mg·dm−2 ·mois−1
0,03-0,15 (0,5 sans base) 0,1-0,3
0,2-1 (3,3 sans base) 0,65-2
0,016-0,075
0,11-0,5
288
Oxydantes ≈ 200 ppb
BWR observations et essais
0,3-1,3
2-10
150
Oxydantes Boucle CORELE-2 [O2] ≈ 10 ppb
0,28-6
1,84-39,5
150
Oxydantes [O2] ≈ 4 ppb
Boucle CORELE-2
9,86-19
64,5-120
Le tableau 3.2 compare quelques valeurs de relâchement observées sur réacteur, d’abord en conditions réductrices qui sont les conditions normales des REP, à des valeurs obtenues en boucle d’essai. Il est normal que les relâchements constatés en boucle d’essai soient supérieurs et cela pour deux raisons : – les essais en boucle sont de relativement courte durée et l’épaisseur d’oxyde x reste négligeable ou faible ; – l’eau du circuit dans CORELE-1, à l’entrée de la boucle d’essai, est exempte d’élément (matériaux de la boucle en matière inerte), ce qui rend le gradient de concentration maximal et pratiquement proportionnel à Sw . Compte tenu de ces deux points, on ne peut qu’être satisfait de la comparaison des valeurs observées entre essais en boucle et observation en réacteurs. En ce qui concerne la comparaison des valeurs « REP » avec les résultats de calcul, l’accord peut là être considéré comme assez remarquable, même s’il est possible de déceler une légère tendance à la sous-estimation de la part de la formulation (et donc de PACTOLE) dont nous avons déjà parlé. Si l’on s’attache aux conditions oxydantes, il apparaît d’après le tableau 3.2 que le relâchement est bien, comme prévu, plus élevé qu’en conditions réductrice. Et il est clair que pour des concentrations voisines de 4 ppb, cette accélération du taux de corrosion peut être conséquente. Cette propension est confirmée par de nombreuses observations, certaines anciennes, comme du côté secondaire, d’autres plus récentes comme à Belleville 2 en 1998 que nous examinerons plus loin. La figure 3.15 illustre aussi l’influence de l’oxygène sur la corrosion. Bien qu’en ordonnée, ce soit la concentration en éléments dans l’eau qui soit représentée, celle-ci est dépendante de la corrosionrelâchement des parois de la boucle isotherme. Cette figure confirme le comportement du chrome qui ne se corrode qu’en présence d’oxygène, et ce, d’autant plus que le milieu est oxydant. La concentration en fer augmente, elle, très fortement quand la concentration d’oxygène passe de 50 à 3 ou 4 ppb.
62
Corrosion des circuits primaires… 100
Cr F
Concentration en Fe, Ni, Co, Cr en ppb
10
1 Fe
Ni
Ni Co Cr
0.1
C
0.01
0.001 1.00E+00
1.00E+01
1.00E+02
1.00E+03
Oxygène dissous en ppb
Figure 3.15. – Concentration de divers éléments dans l’eau d’une boucle d’essai en acier inox type 316 en fonction de la teneur en oxygène [17].
On peut se demander à quoi correspond cette concentration critique. Il semble bien qu’on se trouve dans ces cas, dans une situation instable ; un point de discontinuité entre conditions réductrices ou oxydantes comme indiqué dans la référence [17] et par la figure 3.16 montrant le potentiel de corrosion en fonction de la concentration en eau oxygénée. On voit que la zone comprise entre 3 et 5 ppb d’H2 O2 , est bien une zone critique puisque l’on passe brutalement entre ces deux concentrations d’environ –550 mV à +150 mV ! Enfin remarquons que pour les valeurs de taux de corrosion habituellement rencontrées dans le RCP des REP, le tableau 3.2 montre qu’ils ne sont en aucun cas un problème pour l’intégrité des composants. Comment se fait-il alors que la corrosion puisse avoir un impact négatif soit épisodiquement en raison de dépôts intempestifs, soit même en fonctionnement normal en raison de l’activité des produits de la corrosion résultant du mécanisme de relâchement/dissolution ? Pour
Chapitre 3 – Matériaux austénitiques : corrosion uniforme
63
200
100
0
ECP en mV
—100
—200
—300
—400
—500
—600 0,1
1
4 ppb
10
100
1000
10000
Concentration en H2O2 en ppb
Figure 3.16. – Potentiel de corrosion en fonction de la concentration en H2 O2 .
éclaircir ce point, il est nécessaire de comprendre les mécanismes de migrations des fameux produits de corrosion (PC) baptisés « crud » par les Anglo-Saxons.
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
4
Conséquences de la corrosion dans le RCP
4.1. Formation des dépôts Nous avons vu précédemment que la corrosion en milieu primaire des matériaux austénitiques comportait deux étapes concomitantes : – la formation in situ en lieu et place du métal de base d’un oxyde protecteur que nous appellerons oxyde interne ; – le relâchement d’éléments solubles (ioniques) dans le fluide. La figure 4.1 (issue de la référence [5]) illustre le devenir des produits ainsi relâchés dans le circuit, à partir du métal de base. Les ions après avoir migré dans les pores atteignent le cœur du fluide et sont entraînés par convection dans le circuit. Le RCP est un système (presque) fermé si l’on néglige les fuites et le système de purification. La concentration d’équilibre sera donc atteinte dans le fluide après quelque temps de fonctionnement. En condition isotherme, cela est clair. Mais comme, en dehors de l’arrêt chaud, la boucle n’est pas isotherme et que la solubilité des éléments (ou concentration d’équilibre) varie avec la température, celle-ci ne sera atteinte que dans certaines régions, ce que nous verrons plus loin. Il y aura aussi des situations où le fluide primaire atteindra, un moment, une région où, en raison de sa température différente, la concentration de la région précédente sera supérieure à la solubilité de la région atteinte. Le système chimique voudra retrouver une situation d’équilibre et il y aura alors précipitation des ions en molécules d’oxydes qui, par association suite aux chocs liés à l’agitation thermique et aux turbulences, deviendront des particules de taille appréciable mais qui seront limitées par les forces de cisaillement du fluide turbulent et resteront donc inférieures à environ 1,5 μm. Ces particules véhiculées à leur tour à travers le RCP par convection se déposeront sur la paroi et formeront un dépôt. Ce dépôt croîtra avec le temps mais verra son épaisseur limitée par le phénomène d’érosion dans les circuits turbulents. Il pourra aussi être soumis à une dissolution si le fluide est sous-saturé en produits solubles selon les conditions locales de température. Les équations qui régissent l’évolution des concentrations d’ions [18], de particules qui conditionnent le taux de formation des dépôts sont du type équation de
66
Corrosion des circuits primaires…
Figure 4.1. – Naissance et migration des produits de corrosion dans le RCP d’un REP (diagramme issu de la référence [5]).
Boltzmann, à savoir par exemple pour les éléments solubles dans une région du RCP de côte y dans laquelle la vitesse du fluide est Vy ; la section de passage A et le périmètre P : ∂Cj ,y ∂Cj ,y hX + Vy = (Sj ,p − Cj ,y ) ∂t ∂y A avec : X = P si Cj ,y > Sj ,p , soit une précipitation ; X = As Mj ,y + KR P si Cj ,y < Sj , soit dissolution + relâchement ; h : transfert de masse des ions de la paroi au cœur du fluide dans la région considérée ; Sj ,p : concentration d’équilibre de l’élément j à la température de la paroi ; Mj ,y : masse d’éléments j déposée par unité de surface sur la paroi (le dépôt) ; As : surface spécifique du dépôt ; khDZ KR = DZj +hlj voir la formule (3.1). Quelques termes du deuxième membre de l’équation méritent une attention particulière. Concentration dans le fluide Pour tous les phénomènes de dissolution et de précipitation, l’élément moteur qui gouverne le transfert de matière est, on le voit dans l’équation, le gradient de concentration qui existe entre le cœur du fluide et la paroi (le dépôt). Dans les conditions de fonctionnement du RCP (température élevée), la cinétique chimique est assez rapide et n’est pas le paramètre qui contrôle les réactions qui nous intéressent. La cinétique est, en revanche, régie par le transport des ions et des molécules. En conséquence, au contact de l’oxyde et des dépôts, le produit
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
67
de solubilité peut être considéré comme atteint c’est-à-dire que la concentration au contact des oxydes est égale à la concentration d’équilibre. Nous avons vu précédemment, à propos de la corrosion-relâchement, l’importance de cette concentration d’équilibre, nous ne reviendrons pas sur sa détermination. Pour les principaux éléments d’intérêt, elle peut être considérée comme bien connue et calculable grâce aux codes de thermochimie comme le montrent les figures 3.11 et 3.12. Mais, plus délicat à déterminer, car hors équilibre et dépendant entre autres de l’historique de fonctionnement, est le deuxième terme du gradient. Remarquons que tout fonctionnement est précédé d’une période de montée en température pendant laquelle le fluide du RCP, système presque fermé rappelons-le, est alimenté en ions par le relâchement des parois et la dissolution du dépôt. Il se comporte donc comme un bidon ou plus exactement une cocotte-minute qui se charge en ions et cela jusqu’à la saturation. Supposons pour simplifier que la température d’arrêt chaud qui précède le fonctionnement soit égale (elle est, en fait, très voisine) à la température de la branche froide à pleine puissance1 , que le réacteur passe directement de l’arrêt chaud à la pleine puissance et que le conditionnement chimique appliqué soit tel que la loi de solubilité des éléments et principalement du fer soit croissante entre la température branche froide et la température de sortie du cœur. Dans ces conditions, dès le démarrage du réacteur, la figure 4.1 montre que la concentration dans le fluide sera égale à la concentration d’équilibre dans les zones les moins chaudes, c’est-à-dire la branche froide et l’entrée de la cuve. Sur la figure 4.2, à partir de l’entrée cuve par exemple, quand on va suivre le sens du fluide de la gauche vers la droite et des températures froides vers les températures chaudes (en passant sur le cœur), on voit que la solubilité (courbe en gris foncé augmente). La concentration réelle en ions (courbe en gris clair) augmente elle aussi mais plus faiblement en raison de la cinétique de transport des ions de la paroi vers le cœur du fluide. Il existe alors un gradient de concentration positif entre la paroi et le cœur du fluide. Arrivée en haut du cœur, la température de paroi est maximale, la solubilité aussi, mais le gradient de concentration est toujours positif. En entrant dans la branche chaude et le GV, les températures diminuent, la solubilité diminue aussi, mais le gradient continue à être positif et dissolution et relâchement se poursuivent. Cependant, à un moment, les courbes de solubilité qui diminuent et les concentrations réelles qui croissent, se croisent comme on le voit sur la figure 4.2. C’est à partir de ce moment que le gradient de concentration s’inverse et que la précipitation (et la particulation) survient. Si toutes les conditions (puissance, température, thermohydrauliques et chimiques) restent constantes, on voit que la concentration décrit un cycle. La figure 4.3 correspond à une situation de chimie plus acide pour laquelle le minimum de solubilité correspond à une température plus élevée que la température d’entrée du cœur. La concentration réelle à l’entrée du cœur est alors inférieure à la concentration d’équilibre et le gradient de concentration est donc positif en partie basse du cœur. La situation est un peu plus complexe mais les concentrations réelles décrivent toujours un cycle. 1 En fait, elle est plus près de la température moyenne mais cela ne change rien au raisonnement.
68
Corrosion des circuits primaires…
Figure 4.2. – Cycle de concentration des éléments solubles dans l’eau du CRP en fonction de la température locale.
Pour un point y donné, la concentration Cj ,y est donc constante en fonction du temps. Cela ne veut pas dire, par exemple, que la précipitation se produira exactement au point où la concentration dans le fluide atteint la solubilité ; il y aura bien évidemment un décalage, une dérive dans le sens du courant. Une légère sursaturation est aussi envisageable, mais après que le fluide a fait un tour de circuit, soit environ une dizaine de secondes plus tard, les valeurs des concentrations seront identiques pour une position x donnée, le cycle de la figure 4.2 (ou un cycle proche) pourra être considéré comme établi. On est alors en droit de poser, pendant un temps d’une durée suffisante inférieure à un pas de calcul courant : ∂Cj ,y /∂t = 0, ce qui entraînera également pour les particules ∂Nj ,y /∂t = 0, ce qui simplifie évidemment considérablement l’intégration. Il est donc possible de simuler le comportement des produits de corrosion dans le RCP
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
69
7,00E+00
6,00E+00
Solubilité (valeur relative)
Deuxième cas : minimum de solubilité à une 8,00E+00
Solubilité dissolution précipitation
5,00E+00
4,00E+00
3,00E+00
2,00E+00
1,00E+00
0,00E+00 280
290
300
310
320
330
340
Température de l'eau en °C
Figure 4.3. – Cycle de concentration des éléments solubles dans l’eau du CRP en fonction de la température locale.
d’un réacteur donné, en traitant les variations de puissance et de chimie comme une succession de régimes permanents. En revanche, cela interdit de traiter correctement les situations transitoires rapides durant lesquelles Cj ,y et Nj ,y peuvent varier considérablement en fonction du temps. Le coefficient de transfert de masse Cette grandeur que nous avions déjà rencontrée au §3.2.1.2 intervient dans le transport des ions et des particules. Sa détermination est basée sur l’analogie massechaleur qui est bien vérifiée pour les ions et les particules de petite taille. Le flux de particules entre le cœur du fluide et la paroi est donné par l’équation : ∂C J =− D +ε ∂y
70
Corrosion des circuits primaires…
où : D est le coefficient de diffusion dans le réfrigérant ; C la concentration d’ions ou de particules dans le fluide ; ε la diffusivité due à la turbulence. On ajoute au deuxième membre de l’équation pour les petites particules et pour les ions un terme pour tenir compte du phénomène de thermophorèse qui intervient sur les surfaces soumises à un gradient de température. Ce terme est donné par VT C , VT étant la vitesse thermophorétique. Le coefficient de transfert de masse est défini en supposant que la concentration est homogène dans la zone de turbulence et en moyenne égale à C0 et au contact de la paroi Cp . En revanche, entre ces deux zones, on suppose que la concentration varie linéairement, on a alors J = h(C0 − Cp ). L’intégration de l’équation donnant J , en tenant compte des variations de ε entre la paroi et le centre de la canalisation, du tube ou du canal fournit la valeur de h. Il existe un grand nombre de formulations différentes du transfert de masse, adaptée à chaque géométrie. Pour une canalisation cylindrique et les petites particules, la plus courante et pratique est la corrélation de Dittus-Boelter2 : H = 0,023Re0,8 Sc0,23 où
υ Vd et Sc est le nombre de Schmidt Sc = ; Re est le nombre de Reynolds Re = υ D avec : V la vitesse du fluide, d le diamètre hydraulique de la canalisation ; υ la viscosité cinématique ou (μ/ρ) en m2 /s, D le coefficient de diffusion (m2 /s) ; μ la viscosité dynamique du réfrigérant (Pa · s ou N · s/m2 ou kg/m · s) ; ρ la masse volumique du fluide (kg/m3 ).
Pour les particules de plus grande taille (> 0,2 μm) pour lesquelles l’inertie est à prendre en compte, on pourra prendre la formulation de Beal [21], qui introduit la notion de distance d’arrêt et qui prend en compte à la fois la diffusion brownienne et l’entraînement par convection. La taille des particules joue un rôle très important sur la valeur du transfert de masse et la connaissance des tailles des particules est nécessaire. Pour les ions, cette taille est de quelques dixièmes de nm. En revanche, la taille des particules va être très dispersée. D’une dimension moléculaire juste après la précipitation, les particules (que l’on peut appeler à ce moment-là colloïdes) vont s’agglomérer par chocs liés à l’agitation thermique et principalement à la turbulence. L’expérience montre que la turbulence va aussi être responsable d’une limite pour les dimensions des particules. En suspension dans le fluide, à partir d’une certaine taille, elles vont être soumises à des forces de cisaillement. Ces forces vont augmenter avec la taille, jusqu’à atteindre la force de cohésion. À partir de ce moment, les grosses particules seront brisées et seront ainsi divisées en particules plus fines. In fine, on obtiendra un spectre de taille que l’expérience et les mesures ont montré comme ayant une distribution log-normale. 2 Dittus Boelter a établi sa formule pour la thermique. L’analogie masse-chaleur en permet l’extension en substituant le nombre de Prandtl par celui de Schmidt.
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
71
Il est évident que les caractéristiques (moyenne, écart type) de cette distribution doivent varier lorsqu’on passe à des réacteurs du type embarqué à l’EPR. Pour un réacteur 3 boucles 900 MWe comme Fessenheim 1, il a été observé une distribution dont la taille moyenne est centrée en nombre sur une valeur d’environ 0,45 μm avec un écart type de 1,78. Érosion Par analogie avec le phénomène dont nous venons de parler, on imagine bien que les turbulences sont également susceptibles de limiter la taille des dépôts via les forces de frottement qu’elles exercent sur la paroi. Les forces de frottement (friction) sont bien connues en hydraulique et utilisées pour calculer les pertes de charges des conduites rugueuses comme on peut le voir sur la figure 4.4.
Figure 4.4. – Coefficient de frottement en fonction du nombre de Reynolds (diagramme de Colebrook).
Dans une tuyauterie dans laquelle un fluide circule avec un fort débit, il existe un gradient de vitesse. La vitesse élevée au centre de la tuyauterie et dans le cœur du fluide diminue à l’approche de la paroi pour devenir nulle au contact de celleci. À proximité de la paroi, on peut distinguer une couche appelée sous-couche laminaire dans laquelle il n’existe plus de turbulences et à l’intérieur de laquelle le régime est effectivement laminaire. Dans cette sous-couche, les forces de frottement ou d’érosion sont donc quasi inexistantes. Il est donc logique de considérer qu’une petite particule qui est entrée entièrement dans cette zone calme aura toutes les raisons d’y rester. En revanche, une particule dont la taille (le diamètre si on la considère sphérique) est supérieure à l’épaisseur de la sous-couche laminaire, continuera à être
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Corrosion des circuits primaires…
soumise à des forces de cisaillement, même si elle est collée à la paroi par son autre extrémité. Il est donc également logique de considérer que, dans ce cas, la particule pourra être soit décollée soit cassée (désagrégée) par les turbulences du fluide. De fait, les expériences faites en boucle et les observations des dépôts confirment l’influence de l’hydraulique sur leurs épaisseurs. L’épaisseur limite est égale à l’épaisseur de la sous-couche laminaire donnée par e = 5d/Re f /2 e où d est le diamètre de la canalisation et f le coefficient de frottement représenté sur la figure 4.4 pour les conduites rugueuses. Cela revient à dire que l’érosion, quand elle existe, sera obtenue en empêchant tout ou partie des particules provoquant une épaisseur de dépôt supérieure à cette épaisseur limite. Dans les conditions normales, on voit donc que l’érosion a un effet quasi préventif en empêchant le dépôt de dépasser l’épaisseur maximale imposée par l’hydraulique. Elle s’exercera principalement sur les grosses particules et elle rejoint le phénomène de réduction de tailles desdites particules qui se produit dans le cœur du fluide. On voit aussi que le taux d’érosion variera donc en fonction de la position mais aussi du temps. Cette limitation d’épaisseur de dépôt est bien ce que l’on constate en boucles d’essais et en réacteurs pour les particules et les dépôts uniformes d’oxyde du type spinelle Fe2−x Nix O4 . En revanche, on le verra dans les chapitres suivants, des dépôts de structure et de nature différente possédant sans doute des forces de cohésion plus puissantes peuvent conduire à des comportements différents.
4.2. L’effet des dépôts sur la perte de charge et le débit L’effet des dépôts sur la perte de charge et le débit des boucles d’essais et des réacteurs est un phénomène connu et étudié dès les années 1960. C’est en particulier lui qui a conduit à conditionner le fluide primaire par une base comme la lithine. Par exemple, comme indiqué dans le livre de Paul Cohen [1], une variation de perte de charge de 22 % avait été constatée en 250 h lors d’un fonctionnement à 1 500 ppm de bore dans une boucle en pile. L’addition de lithine permit de réduire très rapidement cette perte de charge à 13 %. À la même époque, l’ajout d’une base fut également nécessaire pour réduire le frottement dans le réacteur de Shippingport pendant son fonctionnement. L’effet du dépôt (de crud) a été signalé depuis sur le combustible de nombreux réacteurs souvent associé au problème de basculement de flux, nous citerons par exemple : – en Suisse, Beznau 2, dans les années 1980, qui signala des problèmes d’ampérage sur l’alimentation des pompes primaires et des baisses de débit pendant un fonctionnement à bas Li ; – l’Electric Power Research Institute (EPRI) qui signala, en 1985, 14 cas de dépôts (crud) sur le combustible de réacteurs dus à des variations de la chimie primaire (concentration en lithine ou en oxygène à Calvert Cliff par
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
73
exemple, etc.) qui entraînèrent des problèmes hydrauliques le plus souvent associés à une anomalie d’axial offset (AOA) ou basculement de flux ; – début 1994, une réduction de débit d’environ 2 % fut observée sur Palo Verde 2, suite à une réduction de la concentration en lithine en vue d’un arrêt programmé à mi-cycle. Cette réduction fut, à l’époque, attribuée par l’exploitant et ABB à un dépôt de produit de corrosion sur le combustible dont l’épaisseur fut estimée de manière théorique à 8 μm. L’expérience a montré que les quantités d’oxydes concernées sont de l’ordre d’une dizaine de kilogrammes ; – en France, à CHOOZ B1, une baisse d’environ 2 % du débit primaire fut observée pendant les essais à chaud, due à l’augmentation de rugosité lors de cette période ; et, en 1998, l’évolution du débit primaire et de la perte de charge « cuve » sur le réacteur de Belleville 2 pendant un arrêt à chaud prolongé inquiéta fortement l’exploitant et les autorités de sûreté. L’analyse faite par EDF et confirmée par Framatome attribuait ces variations à une augmentation du frottement dans l’ensemble du circuit primaire. L’augmentation du frottement du fluide turbulent lié à la rugosité de ces dépôts est, en général, l’explication toujours admise dont le scénario est le suivant : une oxydation du milieu primaire due à une entrée d’oxygène ou à une insuffisance d’hydrogène dans l’eau et/ou un conditionnement à un pH insuffisamment basique conduisent à augmenter l’épaisseur de dépôt sur les parois chaudes du RCP donc du combustible. Si ce dépôt, en raison des conditions de nature des éléments le constituant ou des conditions de formation, présente une force de cohésion élevée, le mécanisme d’érosion que nous avons décrit au chapitre précédent ne peut plus se produire. On assiste, avec la croissance des dépôts, à une augmentation des forces de frottement près des parois et à une augmentation des pertes de charges et finalement, une diminution du débit dans les circuits. Illustrons ce qui se passe près d’une paroi dans le RCP. Les petits cercles simulent les particules qui circulent dans le fluide et se déposent sur les parois. Nous avons supposé que le dépôt formé est tel que les forces de frottement sont insuffisantes pour le « désagréger » ou l’éroder.
Le trait en pointillé représente la sous-couche limite laminaire dont l’épaisseur réduite est donnée par : y=
5D Re f /2
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Corrosion des circuits primaires…
Dans cette couche, nous l’avons vu au chapitre précédent, il n’y a plus ou presque plus de turbulence. Au-dessus de cette couche en revanche, des turbulences peuvent s’exercer. Les forces de frottement vont exister et, du point de vue transfert de masse, elles vont pouvoir éventuellement entraîner les particules prêtes à se déposer comme on le voit sur la figure mais aussi les transporter vers la paroi. Mais si la nature du dépôt est telle que les forces de cohésion sont supérieures3 à celles dont nous avons l’habitude (ferrites), une particule qui touche le dépôt au niveau des pics y restera collée. Les pics étant en première ligne, là où la convection, le transport et la concentration de particules sont plus importants comme les impacts, le dépôt se fait alors principalement au niveau des crêtes et la distance entre la hauteur des pics et le fond des vallées va augmenter ainsi que la rugosité du dépôt. En fonctionnement normal, c’est-à-dire en puissance avec gradient de température, le mécanisme de réduction du débit primaire est donc clair et le calcul numérique conforte l’explication précédente. Le dépôt se forme sur les parties les plus chaudes du circuit soit principalement les étages 6 ou 7 des gaines du combustible quand la solubilité des éléments est rétrograde c’est-à-dire lorsque le pH n’est pas assez élevé et/ou que les conditions sont oxydantes. Une chimie respectant les spécifications permet, en général, d’éviter le problème ou de retrouver une situation normale. Cas particulier de Belleville 2 À Belleville 2, comme d’ailleurs à CHOOZ B1, les problèmes se sont produits pendant des essais ou des arrêts à chaud. Dans ce cas, le circuit est quasiment isotherme, les gradients thermiques et chimiques sont nuls, il n’y a plus, en principe, de moteur pour les mécanismes de précipitation et de dépôt. L’analyse faite par EDF et Fra pour Belleville 2 montra que la perte de charge était répartie dans tout le circuit contrairement aux cas se produisant pendant un fonctionnement en puissance où elle est limitée au cœur. À Belleville 2, ce fut donc l’augmentation du frottement dans l’ensemble du circuit primaire qui était responsable de la perte de débit. Mais il fut clair aussi qu’un dépôt général d’oxyde (augmentant la rugosité) ne pouvait en être la cause : l’application de la loi précédente issue du diagramme de la figure 4.4 impliquait un transfert et dépôt de matière, pendant la période d’arrêt, de plusieurs dizaines voire de centaines de kilogrammes, ce qui est très improbable sinon impossible. L’analyse montra que, dans cette situation particulière, les dépôts n’étaient pas uniformes mais plutôt disposés en collines élevées de place en place. L’effet sur l’hydraulique de tels amas n’est pas alors, à proprement parler, lié à la rugosité de la paroi et aux forces de frottement mais au fait qu’ils détruisent le régime hydraulique (singularités d’écoulements, décollements de paroi…) comme le fait un coude ou un rétrécissement ou tout autre accident de géométrie de la tuyauterie. Ce genre de discontinuité nécessite une distance égale à plusieurs diamètres hydrauliques avant que le régime d’équilibre s’établisse à nouveau. Dans le cas de dépôts ou de défauts réguliers, le fluide peut rencontrer un nouvel obstacle avant d’être à nouveau en régime établi. L’impact sur la perte de charge sera alors similaire à celui d’une rugosité mais comme 3 Ce qui est donc apparemment le cas des dépôts riches en nickel métallique et en chrome.
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
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il s’agit de défauts localisés au lieu d’être continus, ils nécessitent une quantité de matière plus faible pour un effet équivalent. Des dents de 20 μm par exemple tous les 0,2 mm conduisent à une masse de matière beaucoup plus faible que pour un dépôt continu provoquant la même perte de charge. Le changement de morphologie des dépôts, pendant l’arrêt chaud de type inhabituel de Belleville, est probablement dû au changement de nature d’oxyde lié au passage du potentiel d’oxydoréduction d’un domaine franchement réducteur à un domaine oxydant en raison de l’absence de [H2 ], de l’apport possible d’[O2 ] et de [H2 O2 ] par radiolyse et d’air par dilution du fluide primaire. Il semble bien que la concentration en oxydant fut même « critique » (1 < [O2 ] < 5 ppb) comme illustré par les figures 3.15 et 3.16. Cela eut alors pour effet de changer la stabilité de l’oxyde : M3 O4 se transforme en M2 O3 moins protecteur et inhomogène (écailles ?) susceptible de détruire le régime hydraulique. L’hypothèse de l’effet de l’épaisseur des dépôts (rugosité ou hauteur de pic) sur le frottement fut totalement confirmée par le comportement en arrêt froid de Belleville 2 pendant les phases d’anomalies, en effet : – la réduction de débit et l’augmentation de perte de charge était beaucoup plus faible (voire effacée) pendant les arrêts froids et il n’y avait plus alors d’évolution des pertes de charges ni de débit quelle que soit la durée de l’arrêt froid ; – une restauration de la situation antérieure (décroissance du débit) était constatée dès que l’on repassait en arrêt chaud.
Épaisseur limite y = 5D/(Re√f/2)
Or, en arrêt froid, en raison de la variation de la viscosité de l’eau et du nombre de Reynolds d’un facteur voisin de 10, l’épaisseur limite est augmentée d’un facteur voisin de 5. Le schéma est alors comme indiqué ci-dessus. Les dépôts (ou les pics) sont totalement situés à l’intérieur de la sous-couche laminaire. Au niveau des crêtes mêmes, il n’y a plus de turbulence. La vitesse du fluide y est faible et il n’y a plus de convection, plus de frottement et plus de forces d’extraction, le dépôt peut se produire dans les pics aussi bien que dans les vallées. La vitesse du fluide étant d’autant plus faible qu’on s’approche des parois, cette fois, les particules non arrêtées par le pic auront le temps de « tomber » dans la vallée. En arrêt froid donc, il est clair que la rugosité elle-même n’augmente plus. On peut même envisager une réduction de celle-ci par comblement des vallées, ce qui semble s’être produit au cours de l’arrêt intermédiaire de Belleville 2.
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Corrosion des circuits primaires…
Les explications précédentes furent confirmées4 : une injection de [H2 ] qui ramena la concentration en hydrogène dissous à un niveau garantissant que le système soit bien réducteur, rétablit en effet presque totalement le débit nominal pendant la phase chaude qui suivit. Le caractère électrochimique du phénomène était ainsi démontré. Le retour complet à la normale fut obtenu dès le retour en puissance avec un conditionnement toujours réducteur et un pH élevé (haut [Li]), favorisant la dissolution des dépôts.
4.3. L’effet des dépôts sur la réactivité Le lien entre le pH et la réactivité neutronique est un fait connu et constaté depuis 1961 ; lors d’essais de contrôle de la réactivité par l’injection d’acide borique sur le réacteur Yankee, une réduction inexpliquée de celle-ci (de 600 pcm) fut observée lors de l’injection de 390 ppm de Bore. Le phénomène a ensuite été étudié via des essais faits sur les réacteurs de Yankee, Saxton, Selni. Effet Doppler [22] L’effet Doppler en neutronique est dû à certains isotopes de l’uranium et se traduit par une contre-réaction liée à l’augmentation de température. Il est lié à un problème de vitesse relative entre les neutrons et les noyaux résonnants, d’où son nom. Le principal responsable de cet effet dans les REP est l’uranium 238. La section efficace d’absorption (de capture) de cet isotope comprend des résonances dans le domaine épithermique. Dans un REP, après émission, les neutrons de fission (2 MeV en moyenne) sont ralentis par le modérateur (de l’eau pour les REP) jusqu’au domaine thermique (≈ 0,05 eV). Mais, une partie des neutrons est piégée par l’uranium 238 avant de pouvoir donner une fission de l’uranium 235, au niveau des résonances. Lorsque la température de l’uranium 238 augmente, ces résonances s’élargissent d’où une augmentation de l’absorption et donc une diminution du taux de réaction de fission et donc de la puissance et par conséquent de la température. C’est un effet bénéfique qui assure la sûreté intrinsèque des réacteurs nucléaires. L’effet Doppler conduit donc à une augmentation de la capture résonnante de l’uranium 238, une capture sans fission ; le facteur de multiplication des neutrons diminue et cela se traduit par un effet sur la réactivité. C’est la raison pour laquelle le coefficient d’« effet Doppler » est en pratique négatif et compris entre –2 à –3 pcm par degré Celsius. La réactivité ρ est définie par : ρ = (k −1)/k ; k étant le facteur de multiplication des neutrons à chaque génération. Elle s’exprime en p.c.m. ou pcm, ce qui signifie « pour cent mille ». 4 Rapport interne CEA : Pierre Beslu NT DRN/DEC 98-564 octobre 1998.
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
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Depuis de nombreux phénomènes ont été observés sur des réacteurs français (CNA, Blayais, Belleville) ou américains (14 cas recensés par l’EPRI en 1985), ils se traduisent par des variations de puissance globales ou spatiales (Axial Offset Anomaly – AOA – également appellées CIPS – Crud Induced Power Shift) en plus des effets sur la perte de charge et le débit. Dans tous ces cas, les dépôts sont clairement incriminés et le mécanisme principal par lequel ils jouent sur les paramètres physiques du cœur est l’effet Doppler. En effet, ces dépôts constituent une barrière thermique et augmentent la température du combustible. L’augmentation est donnée par T = xF /λd où x est l’épaisseur du dépôt, λd sa conductivité thermique, et F le flux de chaleur en surface de la gaine. Pour un REP, le flux de chaleur est de 60 W/cm2 en moyenne et de 87 W/cm2 au maximum. Il en résulte qu’un dépôt de 10 μm entraînera une augmentation de température de la gaine et du combustible d’au moins 6 ◦ C. En conséquence, on voit qu’un dépôt de ce type sur l’ensemble du cœur correspond à une variation de 12 à 26 pcm5 . On imagine alors bien qu’un dépôt sans doute plus épais, localisé entre les grilles 6 et 7, ne puisse pas non plus passer inaperçu du point de vue neutronique. Les dépôts, origines de ces anomalies, ont pour cause : – la présence d’oxydant dans le fluide primaire (6 cas sur 14 dans la base de l’EPRI) ; – une concentration trop basse en lithium et/ou une concentration trop élevée en bore (EPRI 5 cas sur 14) ; – un dépôt de nickel sur les partie chaudes du cœur pour les réacteurs possédant des tubes riches en ni et pauvre en fer (alliage 600). Dans le premier cas, tout le cœur est concerné. Dans le troisième cas, les parties chaudes donc hautes (par exemple l’étage 6) du cœur sont seules concernées. Quand ce dépôt est concentré sur le haut du cœur, il existe alors un déséquilibre de flux entre le haut et le bas du cœur qui est bien entendu enregistré par les capteurs (chambres de mesure de flux neutroniques). Ce basculement de flux se traduit par une anomalie que les Américains appellent « Axial Offset Anomaly » (AOA). La puissance du cœur qui a légèrement diminué est alors compensée par le mouvement des barres de contrôle (retrait) et/ou par une dilution du fluide primaire qui entraîne une diminution de la concentration en bore dans le RCP. Cela est pris en compte par les neutroniciens qui font un suivi neutronique : le cœur leur apparaît plus épuisé que prévu et cette moindre réactivité est prise en compte pour la gestion du cycle suivant. Mais au démarrage, surprise le plus souvent, la réactivité est restaurée. L’explication de ce comportement étrange est assez simple. Il est lié au fait que le dépôt de nickel responsable, précipité sur les zones chaudes, disparaît pendant la phase d’arrêt froid comme nous le verrons au paragraphe suivant. Bien entendu, l’effet Doppler n’est pas le seul phénomène responsable de la diminution de flux. La présence de matière (Ni, Cr) sur la gaine entraîne une capture supplémentaire de neutrons. Mais les calculs Apollo montrent que cette capture est trop faible pour rendre compte du phénomène. 5 L’épuisement dû à une journée de fonctionnement équivaut à une diminution d’environ 33 pcm.
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Corrosion des circuits primaires…
Pour beaucoup et on le trouve mentionné dans des publications récentes, cet « effet du pH » est lié à la séquestration du bore à la paroi et sa concentration dans les dépôts. Ce point a été largement étudié par Westinghouse en 1964 [1] et cette cause avait été écartée car il ne fut pas observé de concentration de bore déraisonnable dans les dépôts ; tout au plus, la présence d’un peu de bore dans les oxydes peut-elle contribuer à augmenter l’effet de « capture » du dépôt mais sans pouvoir expliquer tout l’effet observé. Mais la démonstration la plus flagrante du fait que le bore ne peut être considéré comme l’élément moteur du phénomène est que cet effet de pH se produit dans des essais sans bore ! On peut citer par exemple un événement survenu à CHOOZ-A (CNA) un peu avant son arrêt définitif. En fin d’un cycle, lors d’une campagne d’allongement du cycle (stretch out), donc avec un cœur épuisé, ce qui signifie que les barres de contrôle sont alors complètement relevées et le réfrigérant sans bore, l’exploitant fut amené à changer les résines échangeuses d’ions. La charge de remplacement utilisée fut par erreur une charge non saturée en lithium. Dès son entrée en fonction, la concentration en lithium dans le circuit chuta rapidement, ce qui eut pour effet la diminution du pH. Il en résulta une baisse de la puissance qui atteignit 30 %. Une injection conséquente de Li jusqu’à ce que les résines soient saturées permit de récupérer la puissance initiale prévue par les calculs de neutronique. Dans ce cas très particulier, il est clair que seule l’augmentation de température du cœur liée à l’effet Doppler était responsable de cet effet sur la puissance !
4.4. Contamination 4.4.1.
Généralités
Les matériaux austénitiques sous flux, donc susceptibles de s’activer, ont des surfaces relativement modestes. Les gaines elles, composées essentiellement de zirconium, comme on le verra plus loin, ne relâchent pas ou très peu d’éléments dans le réfrigérant, il en résulte que les éléments en circulation ou déposés proviennent majoritairement des tubes du générateur de vapeur (GV), donc en principe inactifs. Comment alors expliquer l’activité des produits de corrosion ? Ils vont s’activer lors du passage des ions et des particules dans le cœur mais surtout, lors de leurs séjours plus ou moins longs sous forme de dépôt sur les surfaces du cœur soumises à un flux de neutrons. L’activation d’un élément qui réside un temps tf sous un flux de neutrons thermiques th (du moins pour les réactions (n, γ)) est donné par : A = N σact th 1 − e −λtf A étant l’activité en Bq, N le nombre d’atomes cibles, σact la section efficace d’activation à la température d’intérêt en m2 , th le flux de neutrons à la même température en m−2 s−1 , λ la constante de désintégration en s −1 et tf le temps de résidence sous flux en seconde.
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
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Tableau 4.1. – Principales réactions d’activation. Réaction
σ 0,025 eV barn
Taux de réaction* σφ
Abondance isotopique %
T1/2
Énergie γ (keV)
γ)51 Cr γ)59 Fe
13,5
3,1 × 10−10
4,6
28 jours
320
58 Fe(n,
0,98
2,8 × 10−11
0,3
45 jours
1 099-1 292
54 Fe(n,
p)54 Mn
0,08
7,6 × 10−12
5,8
312 jours
835
58 Ni(n,
p)58 Co
0,1
9,2 × 10−11
67,8
71 jours
811
59 Co(n,
γ)60 Co
38
7,13 ×
10−9
100
5,3 ans
1 173-1 333
0,1
2,83 × 10−10
3,71
99,9 ans
12,3
1,08 × 10−10
48
250 jours
658-9371 384-1 504
4,1
9,4 × 10−11
43
60
603-1691
50 Cr(n,
γ)63 Ni 109 Ag(n, γ)110m Ag 62 Ni(n,
123 Sb(n,
γ)124 Sb
∗ Pour un REP de 900 MWe.
Le tableau 4.1 liste les principales réactions d’activation des produits de corrosion (PC) intervenant dans le RCP. Ces produits pourront, suite à des variations de conditions thermiques ou hydrauliques et surtout suite à des changements de conditions chimiques, être transférés vers d’autres surfaces éventuellement hors flux ou piégés au niveau des filtres et résines. Les produits activés dans le cœur, émetteurs gamma qui ont migré et se sont redéposés hors flux induisent un champ de rayonnement (une irradiation) autour du circuit primaire et des débits de doses que l’on peut mesurer dans les casemates du bâtiment réacteur et du bâtiment des auxiliaires nucléaires. Ils sont finalement responsables, en général, à 85 % ou plus de l’exposition du personnel et des doses absorbées par celui-ci. La dosimétrie ou dose collective en homme.Sievert enregistrée dans différents pays est montrée sur la figure 4.5. Elle correspond au total de l’exposition en Sv délivrée pendant une année à chaque travailleur qui est intervenu d’une manière ou d’une autre pour exploiter une tranche REP ou PWR. On voit sur cette courbe les progrès qui ont été faits dans ce domaine depuis les années 1980. Toutefois ce type de courbe ne dépend pas que du terme source mais dépend aussi fortement de l’organisation du travail et du type de travaux à effectuer. D’une année à l’autre, elles peuvent en effet être fort différentes. Elles seront pour un réacteur donné plus élevées par exemple s’il y a des changements ou remplacements de GV (RGV) ou s’il s’agit d’un arrêt décennal qui nécessite beaucoup de contrôles et d’opérations de maintenance. C’est pourquoi, afin de pouvoir plus facilement comparer les tranches entre elles, EDF a mis au point un indice de dose qui est la moyenne d’un certain nombre de mesures de débit de dose effectuées toujours aux mêmes endroits du RCP. L’évolution de cet indice de débit de dose avec le temps est donnée sur la figure 4.6. Cet indice est donné pour les REP d’EDF. Quatre indices ont été distingués. Un indice pour les tranches du programme CP0 , soit les premiers réacteurs 900 MWe
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Corrosion des circuits primaires… 7 Japon 6
USA Allemagne
5
h.Sv
France 4 3 2 1 0 1975
1980
1985
1990
1995
2000
2005
2010
Figure 4.5. – Comparaison de la dosimétrie moyenne annuelle des REP (PWR) de quelques pays (source CEA).
Figure 4.6. – Indice moyen de débit de dose en fonction du nombre de cycles de fonctionnement (source CEA).
français (Fessenheim, Bugey), un pour le programme CPY , un pour les 1 300 MWe et un pour les réacteurs du programme N4. On voit sur les plus anciens (les réacteurs 900 We) les progrès qui ont pu être faits grâce essentiellement à l’évolution des règles d’exploitation. Pour les plus récents qui ont profité dès le départ des enseignements venant des réacteurs 3 boucles, la bonification avec le temps est moins évidente [26].
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
81
La figure 4.6 montre également qu’il est difficile de comparer des réacteurs avec des caractéristiques différentes. Les débits de dose dépendent en effet eux aussi de beaucoup de facteurs : de l’origine de la contamination (le terme source) certes, mais aussi de l’épaisseur des tuyauteries, de leur géométrie, de leurs dispositions, de la présence ou non de petites tuyauteries ou d’autres composants, bref de la conception du réacteur. Néanmoins, on ne peut que se féliciter de cette évolution malgré (ou, peut-être, en partie grâce à) l’augmentation de leur taille. On peut aussi utiliser pour comparer les réacteurs entre eux (et en particulier pour les réacteurs étrangers qui n’ont pas ce programme de mesures d’indice de débit de dose), le débit de dose dans la boîte à eau des GV, moins sensible à la géométrie. Bien que parlante, cette méthode est moins fiable car ce débit de dose n’est pas mesuré systématiquement avec précision, ni à chaque arrêt. De plus, le débit de dose est une mesure globale. Pour comprendre le comportement des produits de corrosion, pour connaître quels nucléides et si possible quels composants sont vraiment responsables de la dose et pour valider des codes de calcul, il est tout de suite apparu, en France, au CEA comme chez le constructeur (à l’époque Framatome devenu depuis AREVA) et chez l’exploitant (EDF), que la mesure des activités du fluide mais surtout de l’activité déposée dans les circuits était nécessaire. Dès le début des années 1970, des mesures in situ de spectrométrie gamma, ont été entreprises par le CEA sur le réacteur de la CNA à CHOOZ [23, 24]. Ce programme s’est ensuite poursuivi [25, 26]. Les acquisitions, qui donnaient à l’époque des débits de fluences de photons gamma ayant traversé la matière sans interaction, étaient déconvoluées à l’aide de codes d’atténuation en ligne droite (qui fournissaient la fonction de transfert de la source – le dépôt – au détecteur). Elles permirent d’accéder à l’activité déposée. Depuis, le CEA a développé un ensemble de mesures in situ utilisant le même principe mais plus précis, plus maniable et plus pratique, l’EMECC (figure 4.7) [27]. Cet ensemble permet des mesures de l’activité déposée nucléide par nucléide comme l’illustrent les figures 4.8 et 4.9. La figure 4.8, elle, illustre le type de résultats que l’EMECC permet d’obtenir, ici pour le 58 Co. On obtient la même chose, pour tous les radio-nuclides déposés en quantité suffisante, pourvu qu’ils soient émetteurs gamma de suffisamment haute énergie : le 51 Cr qui comme on peut le voir sur le tableau 4.1 émet un gamma de 320 keV, n’est donc pas détecté sur les gros composants (GV, tuyauteries primaires, etc.) Insistons aussi sur le fait que les nuclides provenant des PC ne sont pas les seuls détectés et les autres produits d’activation mais aussi les produits de fission seront mesurés s’ils sont présents. De telles données sont uniques pour ce qui est de la compréhension du comportement et l’origine des PC dans les réacteurs. Sur ce dernier point, par exemple, on peut non seulement connaître quels sont les nucléides qui contribuent le plus à l’irradiation autour des circuits mais encore, en un point donné (lieu de travail), quels composants contribuent au débit de dose comme l’illustre la figure 4.9. Par exemple, le débit de dose même au contact d’une tuyauterie primaire principale comme la branche chaude peut venir essentiellement des tuyauteries moins épaisses situées à proximité comme celles
82
Corrosion des circuits primaires…
Figure 4.7. – Ensemble EMECC de mesures de la contamination des circuits du CEA au cours d’une acquisition sur une tuyauterie primaire d’un REP (source CEA).
Figure 4.8. – Mesures EMECC - REP EDF Activités déposées en 58 Co dans le circuit primaire (source CEA).
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
83
Figure 4.9. – Contribution des isotopes et des circuits au débit de dose au point M (source CEA).
du by-pass, du RRA, RCV, REN… [28] On saura ainsi où placer des écrans de protections s’ils sont nécessaires. Elles ont aussi permis le développement et surtout la validation de codes comme les codes PACTOLE et PROFIP [29] : une hypothèse donnée, introduite dans un modèle, résiste rarement à la confrontation des résultats de calcul avec des données aussi fines, si elle est erronée ou farfelue. Nous allons voir maintenant quelques enseignements sur le comportement des PC et l’impact des paramètres de conception et de fonctionnement sur la contamination des circuits.
4.4.2.
Impact des paramètres de conception et de fonctionnement sur la contamination
On ne s’étonnera pas après ce qui a été dit à propos de la corrosion et de la formation des dépôts que la chimie de l’eau du circuit primaire et le mode de fonctionnement du réacteur soient des paramètres pouvant impacter le niveau de contamination des circuits. En particulier, on a vu que pour réduire la quantité de matière véhiculée à l’intérieur du circuit primaire, il est essentiel d’appliquer une bonne chimie de l’eau ; c’est-à-dire un pH suffisamment basique et des conditions réductrices grâce aux concentrations en lithine et à la teneur en hydrogène dissous. Toutes ces recommandations sont certes déjà présentes très tôt dans les exigences des constructeurs et sont exposées dans le livre de Paul Cohen [1] mais comme on va le voir, elles ont été par la suite précisées et optimisées. En ce qui concerne les paramètres de conception, la nature et la composition des matériaux sous flux, et en particulier leur teneur en cobalt, joueront un rôle important. La composition des matériaux hors flux et des générateurs de vapeur ne
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Corrosion des circuits primaires…
sera pourtant pas à négliger. Une mention particulière doit être faite pour les matériaux durs que l’on trouve au niveau des éléments mobiles ou tournants (pompes, vannes, support, etc.) qui doivent résister à l’abrasion. Ces matériaux à l’origine et aujourd’hui encore sont riches en cobalt (stellites). Ils sont cependant remplacés par des matériaux sans cobalt dans les réacteurs de troisième génération comme l’EPR d’AREVA et l’ATMEA1 d’ATMEA de AREVA NP et MHI. La gamme de fabrication des matériaux et en particulier in fine le traitement de surface font aussi partie des éléments qui influent sur la corrosion et la contamination.
4.4.2.1.
Chimie de l’eau primaire
Le conditionnement du RCP doit donc conduire à rendre le milieu réducteur et légèrement basique. La solution adoptée pour rendre le milieu réducteur est dans un premier temps la suppression de l’oxygène puis l’ajout d’hydrogène. Suppression de l’oxygène, injection d’hydrazine Lors du démarrage initial ou d’un démarrage après un arrêt froid ayant nécessité l’ouverture du couvercle et/ou l’oxygénation du circuit, le RCP est soigneusement éventé pour éliminer l’air. La teneur en oxygène est contrôlée et lorsqu’elle est suffisamment faible, l’exploitant injecte une quantité d’hydrazine (1,5 fois la quantité nécessaire pour éliminer l’oxygène) à partir d’une température du RCP de 80 ◦ C afin d’obtenir une concentration résiduelle d’oxygène inférieure à 0,1 mg/kg (100 ppb) lorsque la température du fluide primaire est inférieure à 120 ◦ C. Rappel : l’hydrazine est un composé chimique de formule N2 H4 , avec une odeur et des propriétés voisines de celle de l’ammoniac mais quinze fois plus faible. C’est un produit réducteur pratique car c’est un liquide de densité voisine de celle de l’eau et ses produits de réaction sont l’eau et l’azote. Il est donc souvent utilisé comme antioxydant, piégeur d’oxygène et inhibiteur de corrosion dans les chaudières et les systèmes de chauffage. Dans les REP, ce composé est utilisé pour l’eau d’appoint et le secondaire des GV. Remarque : il est donc interdit de dépasser la température de 120 ◦ C si la concentration en oxygène n’est pas inférieure à 100 ppb. Ajout d’hydrogène Dans les VVER, la concentration d’hydrogène était obtenue en injectant de l’ammoniaque qui par décomposition radiolytique donnait de l’azote qu’il fallait éliminer et de l’hydrogène H2 . Dès l’origine, dans les PWR de Westinghouse puis dans les REP français, la concentration d’hydrogène dans l’eau est obtenue via le ballon RCV dans le ciel duquel une pression de 2 à 3 atmosphères d’hydrogène est maintenue, pression nécessaire à l’aspiration des pompes de charge du RCV. Cette pression
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
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conduit (loi de Henry) à des concentrations (30 à 50 cm3 /kg) très supérieures à celle nécessaire pour combattre la radiolyse (voir §2.2.3). Il s’agit de très fortes marges et on est ainsi sûr, en l’absence (d’entrée intempestive) d’oxygène, que le milieu est réducteur. En fin de cycle mais avant l’arrêt du réacteur en quasi-absence de Bore dans le réfrigérant, cette concentration est ramenée à 5 cm3 /kg, cela afin d’en permettre l’élimination plus rapide avant l’ouverture du couvercle et ainsi de réduire le temps d’arrêt. Présence d’acide borique Les REP utilisent, nous l’avons vu, un poison neutronique « consommable » (burnable) soluble pour le contrôle neutronique du réacteur : à une concentration supérieure à 2 000 ppm de bore pendant un arrêt froid ; supérieure à 1 100 ppm de B au démarrage d’un cycle combustible et voisine de 0 ppm de B, à la fin du cycle. La concentration adéquate est obtenue par dilution ou injection via le circuit RCV. Le bore est ajouté sous forme d’acide borique obtenu à partir de l’oxyde de bore. L’acide borique dans l’eau se combine avec les OH− B(OH)3 + H2 O → B(OH)4− + H+ Soulignons que l’acide borique est un acide faible à haute température. De ce fait, compenser l’acidité apportée par la présence de bore ne nécessitera pas, en fonctionnement, des concentrations équivalentes donc élevées de base forte. Solution pour maintenir le pH, l’injection de lithine Une base forte doit toujours même en l’absence de bore6 être ajoutée pour maintenir le pHt au-dessus d’un minimum afin d’éviter les dépôts sur le combustible. La lithine, LiOH, est choisie en général parce que son activation est faible pourvu que le Li soit enrichi en 7 Li pour éviter la formation de tritium sur le 6 Li via la réaction : 6 1 3 4 3 Li + 0 n → 1 T + 2 α Mais aussi et surtout parce qu’il se forme du 7 Li à partir du bore via la réaction et que cet élément lithium se trouvera présent dans le fluide dès les premiers neutrons. La concentration en lithium dépend essentiellement de cette production, de la disparition par dilution et des ajouts d’ajustement. En première partie de cycle, la concentration en Li augmente « naturellement » par production sur le bore et diminue en fin de cycle où le taux de dilution est élevé dans le but, justement, de réduire la concentration en bore. On sait par ailleurs que des concentrations de lithium élevées (> 70 ppm) attaquent les alliages de zirconium, endommagent les gaines du combustible,
10 B(n,α)7 Li
6 Comme en fin de cycle.
86
Corrosion des circuits primaires…
fissurent l’alliage 600 et endommagent les générateurs de vapeur. Une limite haute est donc imposée pour éviter ces désagréments. La limite haute a été longtemps de 2,2 ppm. On a vu que les observations des années 1950 avaient montré qu’un pH mesuré à 25 ◦ C supérieur ou égal à 9,5 était nécessaire pour éviter les dépôts sur le combustible. Sans bore, cela correspond à une concentration en lithium, [Li] égal à 0,22 ppm. Les ingénieurs Westinghouse de l’époque choisirent banalement pour limite haute un incrément de une unité pH, ce qui correspond toujours sans acide borique à une concentration de lithium [Li] = 2,2 ppm ! Ce faisant, ils savaient être loin des limites de dangerosité du lithium mais ils n’avaient pas alors de raison de s’en approcher plus. Aujourd’hui, l’augmentation de température des REP, l’introduction d’acide borique [B(OH)3 ] et la tendance à son augmentation en début de cycle (allongement de cycle) entraînent une augmentation concomitante de la teneur en [Li]. Mais en raison des risques que peuvent apporter des concentrations élevées de cet élément, les autorités de sûreté sont assez réticentes en particulier en France pour accepter, sans preuve de son innocuité, une augmentation de la limite haute en Li. On est loin, certes, des 70 ppm, mais il ne faut pas oublier que selon les conditions de fonctionnement et de chargement, des zones du cœur peuvent présenter une ébullition dite nucléée qui pourrait conduire à concentrer le lithium en surface de gaine. Le lithium est donc ajouté en début de vie dans le fluide primaire et les résines échangeuses d’ions doivent être saturées en Li. Pendant le cycle, la concentration en lithium commence alors par augmenter en raison de la forte concentration en bore du fluide. Quand la limite haute est atteinte, l’exploitant dérive le circuit de décharge vers des résines non lithiées positionnées en parallèle des pots de résines courantes. Ces résines extraient alors le lithium7 du fluide primaire jusqu’à ce que la nouvelle concentration visée soit atteinte. En fin de cycle, la dilution du fluide primaire nécessaire pour faire baisser la concentration en bore entraîne également une baisse de la concentration en lithium. Des injections de Li sont alors nécessaires quand la limite basse est atteinte. Le pH en fonction des concentrations en lithium et en bore à la température de 300 ◦ C est donné sur la figure 4.10. Dès le début des années 1980, une chimie dite coordonnée fut recommandée pour les REP d’EDF [30]. Basée sur les études effectuées à l’aide du code PACTOLE qui utilisait à l’époque les solubilités de la magnétite et des ferrites de Sweeton et Baes [31] et de Digby Mac Donald [32], elle préconisait le maintien d’un pH voisin de 7 à 300 ◦ C (le pH à 300 ◦ C, pH300 , de l’eau pure ou neutre étant égal à 5,7) pendant la plus grande partie du cycle. En fin de cycle du combustible, l’expérience du premier réacteur à avoir adopté ce mode de conditionnement, Tihange 1, conduisit à imposer une concentration de lithium minimale d’environ 0,7 ppm, et cela, en raison des fortes dilutions réalisées pendant cette période et du risque présenté par des valeurs trop basses en lithium et des pH acides. 7 et retirent alors aussi du circuit l’élément césium s’il est présent suite par exemple à la non-étanchéité d’une ou plusieurs gaines de combustible.
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
87
Figure 4.10. – pH300 en fonction des concentrations en bore et en lithium dans l’eau.
Suite aux travaux sur les solubilités des ferrites de nickel menés en particulier par le CEA [33] et Westinghouse [34] dans le cadre d’un accord de recherche liant EDF, Framatome, Westinghouse et le CEA, le pH300 optimal fut ensuite porté à 7,2. En résumé, avant 1980, le conditionnement chimique des premiers cycles des premiers REP était plus ou moins bien contrôlé et la teneur en lithium erratique entre 0,2 et 2,2 ppm. Au début des années 1980, il fut décidé d’adopter une « chimie coordonnée B-Li » correspondant pendant la majorité du cycle à un pH300◦ C voisin de 7,0. Ce changement s’est traduit par une diminution de la contamination. Dans les années 1990, le conditionnement évolua vers une chimie coordonnée B-Li correspondant à pH300◦ C de 7,2. Les effets d’un tel changement furent assez décevants surtout en regard de ce que prévoyait (figure 4.11) le code PACTOLE qui avait pourtant intégré les derniers développements correspondant aux calculs du pH et des solubilités [35]. Comment expliquer alors que l’effet de la chimie est plus faible que ce qui était espéré pour un pH300 plus élevé (7,2) ? On pourrait bien sûr invoquer, le fait que les spécifications ne sont pas forcément toujours respectées : le fait que les analyses étaient manuelles et périodiques permettait des incursions en dehors des spécifications qui n’étaient corrigées qu’après analyse. Seule une analyse automatique continue et une injection/épuration asservie, actuellement en cours d’équipement, permet d’éviter cet inconvénient. Mais cette observation paraît en soi aléatoire et bien insuffisante.
88
Corrosion des circuits primaires… 1.0
mSv/h
0.8 pH 7.0 [Li] > 0.7 ppm
0.6
pH 7.2 [Li] < 2.2 ppm 0.4
pH 7.2 [Li] < 2.2 ppm
0.2
0.0 0
2
4
6
8
10
12
CYCLE
Figure 4.11. – PACTOLE : influence du pH sur l’indice de débit de dose (source CEA).
On peut remarquer, plus sérieusement, que la recherche du pH optimal est basée sur la solubilité d’éléments en équilibre avec la magnétite et/ou un ferrite de nickel dont le minimum de solubilité à 300 ◦ C se trouve à un pH300 effectivement voisin de 7,2 d’après [33, 34]. Or nous avons vu qu’en raison de la composition de l’inconel, le nickel surabondant conduit à un rapport Ni/Fe supérieur à ce que peut contenir le dépôt constitué de ferrites. Il doit donc être présent sous une autre forme ; la forme la plus stable après le ferrite est le Ni métallique dont la solubilité malheureusement décroît avec la température au pH d’intérêt. En conséquence, l’influence du pH optimal est réduite spécialement pour le 58 Co puisque la solubilité de son parent, le nickel, décroît avec la température, ce qui entraîne que le dépôt sur le combustible et son temps de résidence est presque égal à la durée du cycle. Notons que le 60 Co sera aussi touché quoique dans une moindre mesure : en effet une des sources du 60 Co est le 59 Co formé par la réaction sur le 58 Co via la réaction 58 Co(n,γ)59 Co. Cette analyse est confortée par le fait que les réacteurs Siemens (KWU), dans lesquels l’alliage 800 qui contient moins de nickel (≈ 33 %) et plus de fer (≈ 40 %) est utilisé à la place de l’alliage 600 → (> 72 % de nickel et ≈ 8 % de fer), font apparaître une influence du pH plus efficace sur la contamination et les débits de dose (figure 4.12). L’oxyde présent dans ce type de réacteur est, en effet, du type spinelle Fe2 NiO4 et le Ni métallique en est absent8 . Remarquons qu’en vertu du mécanisme invoqué (déséquilibre du rapport Ni/Fe), l’injection de fer dans le circuit serait plus judicieuce que l’injection de zinc 8 Ce qui fait, que contrairement à ce qui a été parfois dit, le code PACTOLE est plus adapté et approprié à ce type de réacteur qu’aux REP et PWRs équipés de GV en inconel 600 !
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
89
0,6 Réacteur D = Chimie pH300≈7
Débit de dose en mSv/h
0,5
Co remplacé dans tous ces réacteurs
0,4
C D E F
0,3
G
0,2 Réacteurs C, et E, F, G = chimie modifiée pH300≈7,4
0,1
0
0
1
2
3
4
5
6
7
8
Cycles de fonctionnement
Figure 4.12. – Effet de la chimie. Débit de dose au contact des tuyauteries primaires de 5 REP Siemens dont les pièces stellitées ont été retirées [36].
préconisé par certains pour réduire l’activité des dépôts, point sur lequel nous reviendrons plus loin. Le conditionnement recommandé aujourd’hui en France, une chimie modifiée ou haut lithium (pour les cycles allongés), comme dans plusieurs autres pays, est proche de celui représenté sur la figure 4.13. Il est encore trop tôt en France pour en tirer les éventuels effets bénéfiques. Notons que le conditionnement chimique modifié de Siemens [36] est légèrement différent des conditionnements chimiques coordonnés 7,2 et modifiés d’EDF puisqu’il consiste à opérer avec une concentration en lithium compris entre 2 et 2,2 ppm en début de cycle jusqu’à que le pH300 atteigne 7,4. De plus, ils utilisent du bore enrichi en 10 B, ce qui leur permet de fonctionner avec des concentrations d’acide borique moindre. Moins basique que le « modifié » d’EDF en début de vie et plus basique en fin de vie que « le coordonné 7,2 », il se situe un peu entre les deux. Il démontre néanmoins l’effet du pH sur la contamination.
4.4.2.2.
Effet du potentiel
Un examen attentif des figures 3.8 et 3.10 montre qu’un potentiel moins négatif accompagné d’un pH plus acide ou un potentiel franchement oxydant font basculer le nickel et le chrome dans une zone de corrosion. On peut donc en conclure que : – toute entrée d’oxygène entraînera une corrosion et un relâchement des matériaux austénitiques et cela se fera surtout sentir sur le chrome et le nickel ;
90
Corrosion des circuits primaires… 4 [Li]max = 3,5 ppm
pH300°C visé = 7,2 Chimie haut Li
Li (ppm)
3
2
pH300°C visé = 7,0 Chimie modifiée
1
pH300°C visé = 7,2
0 1800
1500
1200
900 Bore (ppm)
600
300
0
Figure 4.13. – EDF – Chimie modifiée/Chimie haut Li.
– tout fonctionnement, nous venons de le voir, à pH plus acide (inférieur à environ 7 à 300 ◦ C) entraînera un relâchement plus important du nickel des alliages riches en cet élément, essentiellement les inconels. La difficulté est de connaître précisément les conditions chimiques appliquées réellement tout le long de la vie du réacteur : la surveillance n’est pas continue et des écarts peuvent échapper (rarement) à la vigilance de l’exploitant. Néanmoins, à l’appui de la thèse de l’effet du fonctionnement à bas pH, notons que les phénomènes de basculement d’Axial Offset ou variations de flux neutroniques liés à la présence de dépôts9 sur le haut des éléments combustibles (chauds donc) se produisent le plus souvent sur les réacteurs utilisant des cycles longs et des concentrations en bore élevées en début de cycle. On sait que la concentration en lithine est limitée à 2,2 ppm et que pour maintenir le pH à une valeur voisine de 7,2 à 300 ◦ C une concentration beaucoup plus élevée serait nécessaire. Ces réacteurs fonctionnent donc pendant une période de temps notable à un pH relativement acide. Pour le pH, il faudrait disposer pour chaque réacteur du nombre d’heures ou de jours pendant lequel le réfrigérant du circuit primaire est demeuré en dessous d’une valeur critique (pH300 ◦ C < 6,9 ou 7 par exemple). 9 Nous avons vu au §4.3 que ces dépôts de nickel sur la gaine sont responsables de ce basculement. Un arrêt froid, avec oxygénation qui dissout le nickel et fait disparaître ce dépôt, fait disparaître aussi ce basculement. Des calculs neutroniques montrent que l’absorption des neutrons par le seul nickel est insuffisante à expliquer la dépression de flux correspondant à l’AO observé. Il est donc couramment admis que ces dépôts piègent du bore, élément neutrophage, ce qui expliquerait bien sûr le basculement de flux. Nous pensons que cette explication est erronée. Outre que cette séquestration est théoriquement difficile à justifier, il suffit de remarquer qu’un tel dépôt, épais car concentré entre les grilles 5 et 7, est une barrière thermique importante qui provoque localement une élévation de température de la gaine et du combustible sous-jacent. Il suffit d’un calcul de coin de table pour voir que l’effet Doppler déprime suffisamment le flux neutronique à l’élévation correspondante pour provoquer l’AO mesuré.
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
91
Notons aussi qu’un bon traceur de la présence d’oxygène est le chrome. La présence de chrome (et de chrome 51) dans l’eau et les dépôts a été, par exemple, observée dans le circuit de Belleville 2 au 5e cycle où l’augmentation de l’activité volumique de l’eau, des dépôts sur les éléments combustibles, de l’activité et de la perte de charge des filtres s’est révélée principalement due à une augmentation générale du chrome et du nickel. En fonctionnement courant (normal) pourtant, on observe des niveaux d’activités relativement faibles dans l’eau primaire. La fourchette des activités moyennes typiques observées à partir du cycle 3 sont : – –
60 Co 58 Co
: 1 à 3 MBq/t ; : 8 à 25 MBq/t.
La figure 4.14, montre l’augmentation d’activité du 58 Co et du 51 Cr notée sur le réacteur de Belleville 2 au cours du cycle 5. Sur un autre réacteur présentant les mêmes symptômes, des grattages effectués sur un élément combustible montra une prépondérance du 51 Cr à tous les étages et une très forte augmentation de l’activité des dépôts en 58 Co et 51 Cr, entre la grille 6 et la grille 7 (étage 6). 100000
100
10000
50
0
MBq/t
Pn (%)
1000
100
-50
10
1 août-93
-100
oct-93
BELLEVILLE 2 CYCLE 5
déc-93
mars-94 Co58
Co60
mai-94 Cr51
juil-94 Mn54
sept-94
-150 nov-94
Puis. moy.
Figure 4.14. – Augmentation des activités volumiques sur le réacteur de Belleville 2 (source CEA).
En conséquence, en face d’une augmentation d’activité des produits de corrosion, il faut d’abord enquêter de manière approfondie sur l’état du milieu du point de vue oxydo-réduction et pHt . On a vu qu’un fonctionnement en dehors des limites (surtout dans la direction des pH acides) de la spécification de pHt recommandée était relativement aisé et même parfois inévitable. En revanche, un fonctionnement en milieu oxydant même intempestif paraît plus improbable. La teneur en hydrogène dissous, découlant de la surpression d’hydrogène dans le ballon RCV dont la valeur dépend de la
92
Corrosion des circuits primaires…
pression demandée à l’aspiration des pompes de charges, correspond à une concentration des spécifications largement supérieure à la concentration nécessaire (voir tableau 2.6) pour maintenir des conditions réductrices surtout au niveau des tubes de GV. Il faut une volonté délibérée comme dans le cas du cycle 1 d’Obrigheim 1 – pas d’additif donc pas d’ajout d’hydrogène (ni de Li), ou des erreurs de branchements comme à Douglas Point conduisant à une absence de deutérium dans le fluide primaire ou à une entrée intempestive d’oxygène comme dans le cas de Calvert Cliff, pour obtenir que le milieu soit oxydant. Ce genre d’incident ou d’erreur ne devrait pas, en principe, passer inaperçu de l’exploitant. L’impact du potentiel sur les arrêts froids sera discuté plus loin dans ce chapitre 4 (§4.4.2.4).
4.4.2.3.
´ Composition des materiaux
Les principaux matériaux utilisés dans le RCP sont donnés sur la figure 4.15 ciaprès. Il faut ajouter que tous les circuits auxiliaires en relation avec le RCP sont en acier inoxydable à l’exception de petites surfaces dures au niveau des vannes qui sont le plus souvent en matériau riche en cobalt comme les stellites. Alliage de Ni
Alliage Zr
Acier inox Acier inox
Figure 4.15. – Proportion des surfaces primaires et des matériaux d’un REP 900 MWe.
Il est évident que la composition des matériaux va jouer un grand rôle dans la contamination des circuits. Les gaines du combustible sont en alliages de zirconium (zircaloy 4 ou Zr-Nb). Leur corrosion sera étudiée au chapitre 5. Nous nous contenterons ici de remarquer que cette corrosion, correspondant à une oxydation in situ sans relâchement, n’aura que peu de contribution à la contamination par les PC. Nous avons vu précédemment que la teneur en nickel élevée des générateurs de vapeur entraînait un relâchement de cet élément qui dépassait les capacités d’absorption par précipitation du ferrite de nickel et que cela induisait la présence d’une deuxième forme solide de nickel, le nickel métallique Ni0 . Nous avons déjà discuté de plusieurs conséquences dues à cette présence : les AOA, l’augmentation de la contamination en 58 Co et même en 60 Co, la nécessité d’augmenter le pH. Nous verrons plus loin son effet lors des arrêts froids.
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
93
Nous allons maintenant nous intéresser à l’influence de la teneur en cobalt des matériaux. Teneur en cobalt Le cobalt est présent dans les matériaux tels que les aciers inoxydables ou les alliages de nickel à faible teneur (≈ 0,1 %). Il est considéré comme une impureté. Cependant, possédant une section efficace importante (avec résonance) et émettant à 100 % deux photons gamma de fortes énergies, son fils le 60 Co est souvent le principal responsable des débits de dose autour des circuits. Par exemple, la suppression d’une source anormale de cobalt sur les réacteurs CP0 au 13e cycle de leur fonctionnement a permis de faire passer l’activité déposée sur les tuyauteries froides de ces réacteurs de 10,5 à environ 3 GBq · m−2 en 7 cycles de fonctionnement et a permis de pratiquement retrouver le niveau de contamination normale des autres réacteurs de 900 MWe 3 boucles. Il est évident que l’influence du cobalt sera plus importante si le matériau qui le contient est sous flux neutronique. Or, on trouve dans la cuve, hors les structures internes principalement en acier inoxydable, des composants particuliers contenant des matériaux spéciaux pouvant être riches en cobalt comme les grilles (brasures) et quelques matériaux stellités (support). Influence des grilles combustibles sur les débits de dose Les grilles combustibles étaient, dans les premiers assemblages standards, en inconel 718 qui pouvait contenir un peu de cobalt. Elles étaient surtout brasées avec du nickel qui, lui (principalement en Allemagne), pouvait être très riche (quelques %) en cobalt. La figure 4.16 montre le gain que prévoyait le code PACTOLE correspondant au remplacement de l’inconel 718 par du zircaloy 4, pour les REP français. La courbe en gris correspond au débit de dose avec un fonctionnement de dix cycles avec un assemblage standard. La courbe en gris clair correspond au même fonctionnement mais avec un assemblage comportant des grilles en zircaloy. La courbe en noir montre le gain voisin de 20 % obtenu sur le débit de dose lors d’un changement de type d’assemblage survenant au début du sixième cycle. Et la figure 4.17 montre l’évolution de l’activité totale déposée en 58 Co et 60 Co observée après le remplacement des grilles standards par des grilles en zircaloy au début du cinquième cycle d’un REP français. Il est difficile de percevoir un impact sur le cobalt 60, celui-ci n’étant pas encore à l’équilibre radioactif (demivie de cinq ans), son activité continue à croître. Cependant la légère décroissance d’activité après le 7e cycle, alors qu’on s’attend à une légère croissance, est sans doute à mettre sur le compte du changement de grille. L’effet sur le 58 Co est, lui, sans discussion et correspond à une diminution voisine de 37 %. Cette seule réduction du 58 Co induirait au point M de la figure 4.9 une diminution de débit de dose de plus de 15 %. On voit donc que prévisions et observations sont ici en assez bon accord.
94
Corrosion des circuits primaires… 4
DDD unit é arbitraire
3 Assemblage standard (Co 800 ppm ) 2
AFA (grilles Zr) AFA ( grilles Zr)
1
0 0
2
4
6
8
10
12
CYCLE
Activité totale déposée hors flux. (GBq)
Figure 4.16. – PACTOLE : influence des grilles combustibles sur les débits de dose (source CEA).
100000 CO58 CO60
80000 60000
Introduction de grilles Zry
40000 20000 0 2
3
4
5
6 CYCLE
7
8
9
10
Figure 4.17. – Effet de l’introduction de grilles zircaloy sur un REP 900 MWe (source CEA).
Cas des réacteurs germaniques Mais c’est sur les réacteurs allemands (Siemens ex-KWU) que les conséquences du retrait du cobalt activable sous flux ont été le plus spectaculaires. La suppression du cobalt au niveau des grilles (leurs brasures étaient effectuées avec du nickel très riche en cobalt – les teneurs atteignaient parfois quelques %) et le remplacement des stellites sous flux furent très efficaces vis-à-vis des débits de dose. La raison de cette efficacité est liée au faible relâchement-corrosion des tubes de GV allemands grâce à leur composition – moins de nickel, plus de fer – au contraire des autres REP ou PWR américains, français, japonais utilisant jusque-là de l’inconel 600. Dans ces réacteurs, il y avait une faible participation au bilan cobalt
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
95
et un faible relâchement de nickel des tubes GV. Presque tout le 60 Co (et les débits de dose) avait donc pour origine le cobalt sous flux et les stellites. Ceux-ci éliminés, la contamination générale des circuits se révéla très faible en comparaison avec les autres PWRs. Sur la figure 4.18, on peut constater que la suppression du cobalt est plus efficace encore que le conditionnement chimique (effet déjà montré sur la figure 4.12 mais visible aussi ici) vis-à-vis de la réduction des débits de dose sur les REP KWU/Siemens. 4
Débit de dose en mSv/h
3,5 3
Réacteur A avec cobalt sous flux Chimie Coord pH300≈7
2,5
A remplacement Co non B remplacement Co non C remplacement Co oui
2 avec Co sous flux
1,5 1
Réacteurs B et C = chimie modifiée
pH300≈7,4 0,5
sans Co
0
0
2
4
6 8 Cycles de fonctionnement
10
12
Figure 4.18. – Effet des stellites. Débit de dose au contact des tuyauteries primaires de 3 REP Siemens.
On peut même dire que les réacteurs Siemens qui étaient parmi les plus irradiants avant ces changements (suppression du cobalt sous flux et pH élevé) sont maintenant parmi les plus « propres ». Notons qu’en France, avec l’introduction de l’inconel 690, de gros progrès ont été effectués et l’irradiation autour des circuits des réacteurs N4 se rapproche de celle des Convoy allemands. L’EPR marquera probablement encore un progrès dans ce domaine. Teneur en cobalt des GV En raison de leur surface importante, les GV peuvent être une source notable de cobalt dans le circuit. Leur influence a été clairement démontrée sur les premiers cycles des premiers REP français (CP0 ) dont la teneur en cobalt des tubes était, à l’époque, très variable. La tendance s’est ensuite estompée car des changements dans la conception et l’exploitation intervenant ensuite, furent également responsables des variations de contamination et brouillèrent le signal. Néanmoins leur contribution demeure encore assez claire comme on peut le voir sur la figure 4.19.
96
Corrosion des circuits primaires…
Figure 4.19. – Activité déposée en cobalt 60 sur les surfaces hors flux des REP CP0 et CPy français en fonction de la teneur en cobalt des tubes GV (source CEA).
4.4.2.4.
ˆ froids Comportement des PC pendant les arrets
Le déroulement d’un arrêt froid classique est indiqué sur la figure 4.20. Après la « chute des barres », la puissance neutronique est nulle. Il reste néanmoins une puissance dite résiduelle à évacuer, ce qui est fait à l’aide des générateurs de vapeur et du circuit secondaire. La température et la pression sont, grâce à ce refroidissement, abaissées au bout de quelques heures à environ 180 ◦ C et 28 bars. Le refroidissement est alors relayé par le circuit de refroidissement à l’arrêt (RRA). On remarque sur les figures 4.20 et 4.22 que la baisse de la température du circuit s’accompagne d’une augmentation continue des activités contenues dans le fluide primaire. Cette augmentation est constatée aussi pour d’autres nucléides comme le 59 Fe ou le 54 Mn. Cette croissance est liée à la dissolution des dépôts consécutive à l’acidification du circuit : injection d’acide borique, diminution par dilution de la concentration en lithine et baisse de la température. Lorsque la température du circuit passe en dessous de 80 ◦ C, si la procédure le prévoit, de l’eau oxygénée est injectée dans le fluide primaire afin de le rendre oxydant. On constate alors une augmentation brutale des activités des cobalts 58 et 60 d’un facteur 20 ou plus [37, 38]. En l’absence d’injection préalable d’H2 O2 , cette augmentation d’activité des cobalts intervient au moment de l’ouverture du couvercle de la cuve puisque l’air, alors en contact avec le fluide primaire, rend le milieu oxydant grâce à son oxygène. Mais cette activité qui atteint et dépasse parfois 200 GBq/t pour le 58 Co dans les 1 300 MWe (pour le 60 Co, le pic est en moyenne d’environ 2 GBq/t) provoque un débit de dose important au-dessus de la piscine de déchargement, ce qui retarde le début des opérations de déchargement/rechargement. On doit alors attendre que l’épuration des filtres et résines retire cette activité et la ramène à un niveau acceptable pour les travailleurs. Cette phase peut prendre plusieurs dizaines d’heures.
300 250
Collapsage Arrêt des de la bulle GMPP RRA Injection d'H2O2
200 150 100 50 0 27/08 28/08 29/08 30/08 31/08 Temp.
Bore
H2
O2
97
Puissance nulle Injection H2O2
1.E+5
400
1.E+4
200
1.E+3
0
1.E+2
-200
1.E+1
-400
1.E+0
-600
1.E-1
-800
1.E-2
-1000
1.E-3
-1200
T (°C) - B (ppm/10)
Puissance nulle
Activités volumiques (GBq/t)
T (°C) - B (ppm/10)- H2 (cc/kg*10) - 02 (ppm)
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
27/08 28/08 29/08 30/08 31/08 58Co Temp.
60Co Bore
Figure 4.20. – Mise à l’arrêt froid. Variation des concentrations de bore et de gaz dissous et des activités des cobalts (source CEA).
Figure 4.21. – Variation des activités de cobalt pendant un arrêt froid en coordonnées linéaires.
La figure 4.20 montre que, dans cet exemple, l’activité décroît d’un facteur dix en environ 40 heures. Remarque : l’injection d’H2 O2 permet d’obtenir le pic d’activité plus tôt dans la séquence, d’effectuer les opérations d’épuration en temps masqué et donc de réduire la période d’arrêt.
98
120
100
100
10
80
1
60
0,1
40
0,01
20
GBq/t
1000
0,001 6/4
7/4
8/4
9/4
10/4
58Co/60Co
Corrosion des circuits primaires…
58Co 60Co 59Fe 58Co/60Co
0 11/4
Figure 4.22. – Activités volumiques pendant l’arrêt froid d’un REP de 900 MWe à la fin de son troisième cycle (source CEA).
Il faut faire attention au fait que, sur la figure 4.20, l’échelle des ordonnées, représentant les activités volumiques, est logarithmique. Cela, on l’a déjà vu, a pour effet d’écraser les variations et les pics. Pour bien s’en rendre compte, les activités des cobalts 58 et 60 ont été reprises sur la figure 4.21, en coordonnées linéaires. Pour qu’elles soient visibles, les activités de 60 Co ont, néanmoins, été multipliées par vingt, ce qui revient, à peu près, à normer les activités du 60 Co sur celles du 58 Co avant le refroidissement et l’oxygénation. Pour connaître l’origine de ce pic d’activité, il faut regarder un peu plus en détail ce qui se passe. L’incrément observé au moment de l’oxydation est un peu plus important pour le 58 Co que pour le 60 Co et l’activité est alors principalement véhiculée sous forme soluble. Une courbe détaillée et un œil attentif montrent aussi que l’augmentation du 58 Co semble débuter avant celle du 60 Co. Or étant tous les deux, isotopes du même élément, ils devraient avoir le même comportement (chimique). Pour comprendre ces comportements et résoudre ce paradoxe apparent, il faut d’abord se rappeler que ces deux nuclides ont des pères différents, le nickel pour le 58 Co, le cobalt pour le 60 Co. La figure 4.23 nous montre, l’évolution de la concentration des particules et des éléments au cours du même arrêt que celui de la figure 4.22 qui, elle, rapporte l’évolution des activités volumiques observées pendant l’arrêt d’un réacteur 900 MWe à la fin de son troisième cycle. On voit sur cette figure 4.23 : – que les particules augmentent d’un facteur 100 pendant le refroidissement et sont peu sensibles à l’oxygénation ; – que le nickel soluble augmente lui d’un facteur au total voisin de 5 000 ! – que le pic d’activité des cobalts 58 et 60 (et aussi 57) correspond au pic de concentration du nickel. Le comportement du cobalt 58 est donc bien lié au nickel et quand on considère l’activité spécifique du Ni représenté par le rapport 58 Co/Ni en Bq/g, on constate
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
99
Figure 4.23. – Concentrations des éléments solubles et particulaires pendant la phase d’arrêt (source CEA).
qu’au moment de l’oxygénation (de l’injection de H2 O2 ), ce rapport passe de celui des dépôts habituels à une valeur qui est proche d’un matériau cible ayant séjourné longtemps sous flux, c’est-à-dire pendant presque toute la durée du cycle qui se termine. On peut observer également la même tendance sur le rapport 58 Co/60 Co donné sur la figure 4.22 : il grimpe d’une valeur comprise entre 3 et 5, qui est celle des dépôts habituels hors flux, à une valeur supérieure à 80, qui est celle d’un dépôt de nickel pur ayant séjourné sous flux pendant plusieurs centaines de jours. En effet, sur du nickel sous flux, le cobalt 58 se forme par une réaction (n, p) sur le nickel 58, ce 58 Co, s’il reste sous flux, sera lui-même activé et fabriquera du 59 Co via la réaction 58 Co(n,γ)59 Co et enfin, ce 59 Co donnera du 60 Co également via une réaction (n,γ). On conçoit et on peut calculer que le rapport d’activité des deux cobalts 58 Co/60 Co sera alors très élevé. On assiste donc à une dissolution d’une masse importante (un ou plusieurs kg) de nickel sous flux libérant les isotopes du cobalt formés en son sein ; on retrouve là « notre dépôt » de nickel du §4.3. Une question qui s’est posée à la fin des années 1970 au sujet de cette très importante quantité d’activité circulante dans le fluide primaire puisque, comme le montre la figure 4.24, elle avoisine l’activité totale déposée hors flux et se retrouve in fine concentrée dans les filtres et résines, fut : « est-ce que cette opération ne revenait pas à une décontamination gratuite et avantageuse des circuits hors flux ? » Il fallut déchanter, les mesures d’activité déposée hors flux montrèrent que ce n’était pas le cas, appuyant au passage la thèse d’une activité provenant de noyaux situés sous flux et peu mobiles. À l’opposé, on pouvait craindre qu’une activité si importante, circulant même pendant un temps court puisse conduire à une contamination des parties hors flux : le circuit, en effet, n’est pas tout à fait isotherme. Un petit gradient de température demeure pendant la phase d’arrêt due à la chaleur résiduelle du cœur. Ce gradient pouvait être responsable de précipitation et donc de dépôt et de contamination. De plus, comme cela est indiqué sur la figure 4.20, il existe une opération qui est
100
Corrosion des circuits primaires…
Figure 4.24. – Activité totale relâchée pendant l’arrêt (source CEA).
dénommée « collapsage ou noyage de la bulle ». Cette opération consiste à faire disparaître (condenser) la phase vapeur du pressuriseur et à la rendre liquide. On dit que le caloporteur est alors devenu « solide » pour manifester le fait que tout à coup de pression est transmis sans amortissement à l’ensemble du circuit (on dit aussi dur, l’eau n’étant pas compressible). Ce noyage a aussi pour effet de dissoudre les « incondensables » comme l’hydrogène gazeux dans le fluide primaire et a pour conséquence de changer le potentiel d’oxydo-réduction du RCP et donc influe rapidement sur la solubilité des espèces en solution dans le fluide primaire. Il peut donc en résulter des précipitations de certains éléments qui, s’ils sont radioactifs, peuvent alors augmenter les activités déposées sur les circuits. Les figures 4.25 et 4.26 indiquent bien qu’il peut y avoir une contamination du circuit primaire essentiellement par du 58 Co pendant la procédure d’arrêt froid. 120% 100%
Tubes GV 58Co
80%
60Co
60% 40% 20% 0% -20%
Mises en arrêt à froid
Figure 4.25. – Variation relative de l’activité déposée entre la fin et le début de la mise en arrêt froid (source CEA).
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
101
3 AIR
H2 O2
GBq/m²
2
1
0 60 -1
70
80 90 100 110 Température à l' oxygénation
120
Figure 4.26. – Contamination en 58 Co des tubes de générateur de vapeur pendant l’oxygénation (source CEA).
La figure 4.26 démontre qu’une telle contamination peut être diminuée et même évitée si l’oxygénation est effectuée à une température inférieure à 80 ◦ C. Il a été vu par ailleurs que le « collapse ou collapsage de la bulle » avait, lui aussi de la même façon, entraîné des contaminations. Notons que le cobalt n’est pas le seul élément d’intérêt, sensible aux variations d’oxydo-réduction en particulier liées au noyage de la bulle, l’iode, quand le circuit, est contaminé en produit de fission, va lui être remis en solution. Cette remise en solution consécutive à la réduction du potentiel explique l’apparition de pics d’iodes 131, 133, etc. lors des mesures continues de ces éléments ! Enfin, confirmant que le dépôt de nickel sous flux relâché par la corrosion des GV en inconel 600 est bien à l’origine des pics d’activité cobalt, faisons remarquer que les quantités d’activité à gérer pendant un arrêt de réacteurs équipés de tubes GV en alliage 80010 ou en inox sont très faibles en comparaison : au « pic », ces activités sont, pour les réacteurs allemands, comprises entre 0,5 à 5 GBq/t pour le 58 Co (au lieu d’environ 200) : à CHOOZ-A dont les gaines et les tubes de GV étaient en acier inoxydables, le pic était voisin de 5 GBq/t ; et sur les VVER-440 possédant également des GV en inox (teneur en nickel 8 %), il reste inférieur à 1 GBq/t.
4.4.2.5.
Cas particulier de l’antimoine et de l’argent
L’antimoine et l’argent sont deux éléments qui ne sont pas toujours présents dans les réacteurs, mais qui peuvent apparaître à des niveaux élevés, en particulier au moment des arrêts froids. Ils peuvent aussi être détectés dans les dépôts et particulièrement au niveau des circuits auxiliaires après les filtres et les résines où ils peuvent être très gênants. En effet, les composants situés en aval du système d’épuration sont peu contaminés par les autres produits radioactifs et l’exposition du personnel y est normalement faible. 10 Soit les réacteurs allemands comme les réacteurs embarqués.
102
Corrosion des circuits primaires…
Du fait de cette intermittence, il est très peu probable que ces deux éléments puissent être considérés directement comme des produits de corrosion. – Antimoine : des pics très importants de 122 Sb et 124 Sb, pouvant même dépasser en activité volumique celle du 58 Co, apparaissent parfois, c’est-à-dire lors de certains cycles de certains réacteurs, au moment de l’oxygénation. Notons que cela est particulièrement gênant, dans les REP dont les tubes de GV sont en alliage 800 (Siemens) pour lesquels le pic de 58 Co est lui de faible niveau. Contrairement aux autres éléments (nucléides), le 124 Sb qui a une demi-vie de 60 jours (contre 3 pour le 122 Sb) va contaminer au cours de l’arrêt l’ensemble du circuit au point de multiplier par trois les activités surfaciques. On trouve de l’antimoine à une concentration d’environ 1 ppm dans le zircaloy des gaines des crayons combustibles mais ce ne peut être là l’origine des contaminations en raison de l’aspect aléatoire de l’apparition et du faible niveau de cet élément. Il provient soit d’une rupture des sources de démarrage Sb-Be soit plus probablement de l’usure anormale de paliers de pompe. – Argent : un autre nucélide peut également apparaître lors de l’oxygénation bien qu’à un niveau moindre (quelques dizaines de GBq/m3 ), il s’agit de l’110m Ag formé sur l’argent 109 qui représente 48 % de l’argent naturel, par l’absorption d’un neutron. L’argent 110m possède une demi-vie de 250 jours. L’origine de l’argent dans le circuit est à associer aux barres de contrôle d’argent, indium, cadmium ou AIC. Cependant, pour libérer l’argent, la gaine du crayon d’AIC doit être non étanche. Cela peut arriver comme nous le verrons au §5.3.4 quand nous traiterons le phénomène de corrosion sous contrainte assistée par irradiation. Solubles dans les conditions de chimie REP, l’argent n’est pas arrêté par les filtres et mal épuré par les résines échangeuses d’ions. Ils se déposent ensuite sur les parties froides des circuits RCV, RRA, PTR et en particulier au niveau des échangeurs. À CRUAS-1, au cycle 11 par exemple, Serge Anthoni et Frédéric Dacquait [39] signalent que près de 80 % du débit de dose autour des échangeurs RRA, était dû à l’110m Ag. Éviter la présence de ces nucléides afin de réduire encore l’exposition du personnel surtout sur les réacteurs modernes moins contaminés par les PC, grâce à l’utilisation des alliages 690 ou 800 en remplacement de l’alliage 600, est un souci des constructeurs. Les solutions sont pour l’antimoine de remplacer les paliers de pompes et pour l’argent l’alliage AIC par du carbure de bore.
4.4.3. 4.4.3.1.
Variabilité de la corrosion et de la contamination Impact de la gamme de fabrication
Les REP possèdent le plus souvent 3 ou 4 boucles identiques dans lesquelles circule le même fluide aux mêmes températures, à un débit très voisin, etc. Aussi, il fut très surprenant de constater dès la fin des premiers cycles des réacteurs CPy d’EDF (Tricastin, Dampierre, Gravelines), que les débits de dose mesurés au contact de deux générateurs de vapeur d’un même réacteur pouvaient différer d’un facteur 3 ou 4.
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
103
Les mesures de l’activité déposée sur les tubes confirmèrent complètement cette observation. On comprit très vite que ces différences étaient liées au fabriquant : les tubes GV en alliage 600 non traités thermiquement Vallourec étaient jusqu’à 4 ou 5 fois plus contaminés que les tubes GV Westinghouse ou Sandvik comme le montre la figure 4.27. 10
Activités déposées en
58
Co (GBq/m²)
DAMPIERRE 1 - Tubes GV en alliage 600
GV1 (VAL) 5
GV2 (WES) GV3 (VAL)
0
1
2
3
7
Cycles
Figure 4.27. – Activité déposée sur les tubes GV de Dampierre 1 : impact de la fabrication (source CEA).
L’analyse de la fabrication montra que sur les tubes de GV Vallourec demeurait la trace de l’opération de laminage à pas de pèlerin. Cela se traduisait grossièrement par une bosse de 200 μm tous les deux centimètres environ. Cet « accident de surface » suffisait, comme nous l’avons déjà signalé au §4.2, pour perturber localement le régime hydraulique dans le tube, celui-ci ayant besoin d’une longueur équivalente à 15 ou 20 fois le diamètre hydraulique pour se ré-établir. Il est clair que dans les tubes (dont le diamètre est aussi d’environ 2 cm) comportant cette particularité, le transfert de masse à la paroi (ainsi que les échanges de chaleur) était considérablement augmenté. Les tubes GV Vallourec se comportaient comme un gigantesque filtres de PC, comme permet de le déduire la figure 4.28 : l’activité déposée sur les tuyauteries primaires11 des REP possédant au moins un GV Vallourec est plus faible que ceux équipés exclusivement de GV des autres fabricants. De cette figure, on peut déduire aussi, via l’activité de 58 Co, que le nickel relâché dans le circuit et probablement la corrosion généralisée sont plus importants sur ces GV Vallourec que sur les GV provenant d’autres fabrications. Cette observation est cohérente avec l’augmentation du transfert de masse qui résulte des « accidents » de surface et qui induit une augmentation (cf. équation (3.1)) de la corrosion/relâchement et une augmentation du transport des particules au niveau des tubes de GV. 11 Elle est évidemment a contrario beaucoup plus élevée sur les tubes de GV mais, compte tenu de la géométrie et des épaisseurs d’acier à traverser, l’impact de cette augmentation est plus acceptable que celle autour des tuyauteries.
104
Corrosion des circuits primaires… 58
Activité totale déposée hors flux en Co 100
REP 900MWe GV en 600NTT
TBq
Tubes GV
1 à 3 GV VAL
10
0 GV VAL
Tuyauteries primaires
1 0
5
10 Cycles
15
20
Figure 4.28. – Activité en 58 Co déposée hors flux et sur les tuyauteries primaires : comparaison entre procédés de fabrication (source CEA).
Ajoutons enfin pour clore ce chapitre que le traitement thermique (figure 4.29), introduit plus tard après la phase de laminage, réduit d’un facteur environ deux l’effet « pas de pèlerin » sans augmenter la contamination des branches. Activité déposée moyenne en
58
Co sur les tubes GV (cycle 5)
5
GBq/m²
4 3 2 1 0 GV VAL 600NTT
GV VAL 600TT
GV VAL 690TT
Figure 4.29. – Activité moyenne en 58 Co déposée sur les GV en fonction du traitement final (source CEA).
Le passage à l’inconel 690 TT permet de retrouver une valeur encore plus faible de contamination globale et proche de celle des autres fabricants mais notons que l’effet « filtre » disparaît alors.
4.4.3.2.
´ Influence des etats de surface
On observe aussi, entre des réacteurs dont le design, les fabricants, les matériaux utilisés et le fonctionnement sont réputés quasi identiques, des différences de
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
105
contamination très importantes en 58Co principalement12 . On lie bien évidemment ces variations à une variabilité de la corrosion et du relâchement. On soupçonne alors souvent la métallurgie et l’état de surface des tubes dans le cas des générateurs de vapeur d’être à l’origine de ces comportements différents. Le procédé de fabrication et surtout la phase finale ont, on vient de le voir, un impact important sur cet état de surface. En dehors des changements de procédés déjà signalés comme les traitements finaux correspondant à des aciers détendus (stress release annealed) ou traités thermiques (thermal treated) pris en compte et dont l’effet vient d’être mis en évidence, ni le constructeur ni l’exploitant n’ont jamais signalé de changement dans le design ou le fonctionnement susceptible d’expliquer cette variabilité. On peut penser (et certains l’ont fait) à utiliser un code de calcul pour expliquer ces variations. Un modèle complet (c’est-à-dire qui n’ignorerait ou ne négligerait aucun phénomène) devrait, en effet, pouvoir aider à trouver les paramètres susceptibles d’expliquer ces différences de comportement. Il est clair cependant que quel que soit le code de calcul, le même jeu de données donne le même jeu de résultats. Il faut donc avoir une idée de ce qui peut être susceptible d’induire cette variabilité. En l’absence d’indices fournis par le constructeur ou l’exploitant, le chercheur doit faire preuve d’imagination. Sans prétendre résoudre le problème, à la lumière des réflexions précédentes je voudrais modestement livrer une piste à explorer. Remarquons d’abord que cette variabilité semble se produire principalement et de manière plus marquée sur les réacteurs équipés de tubes de générateur de vapeur en inconel 600 soit ceux dont la teneur en nickel est la plus élevée. Ensuite, constatons que les unités sur lesquelles on constate une augmentation de contamination en particulier en 58 Co conservent cette singularité pendant plusieurs années sans que soit observée une diminution dans le temps. Qualité de protection des oxydes Le comportement du nickel vis-à-vis du relâchement peut donc être logiquement suspecté. Remarquons pourtant que cela est théoriquement surprenant puisque le nickel étant plus noble que le fer, on devrait, au contraire, s’attendre à un meilleur comportement des alliages les plus riches en cet élément. La tentation est grande de suspecter aussi la qualité de protection de l’oxyde et donc le taux de porosité ouverte. Cela dans la formule (3.1) revient à faire varier la variable k (ou COR(I) dans PACTOLE) pour tenter de rendre compte des différences de contamination en 58 Co (et 51 Cr) qui existent entre des réacteurs, répétons-le, de designs, de matériaux et de conditions de fonctionnement quasi identiques.
12 Le 58 Co a pour origine le nickel ; il se forme par une réaction (n, p) sur le 58 Ni. Le 60 Co qui se forme, lui, par réaction (n, γ) sur le 59 Cobalt ne montre pas la même dispersion surtout quand on le corrige de la teneur en cobalt d’origine. On relie assez bien l’activité en 60 Co du circuit à la teneur en cobalt global du circuit considéré. Alors que la teneur en nickel est la même pour tous les réacteurs équipés de GV en inconel 600, l’activité en 58 Co peut varier sur environ une décade !
106
Corrosion des circuits primaires…
Rapport des activités NEP/EP
8
6 58Co 60Co
4
2
0 Bol
Plaque de partition
Figure 4.30. – Impact de l’électro-polissage des boîtes à eau des GV au niveau de la contamination des surfaces (source CEA).
Mais se servir du taux de porosité ouverte seul pour simuler ces différences de comportement est décevant surtout si l’on reste à l’intérieur de la limite théorique, en milieu réducteur, de 20 %. Certes, on va augmenter le taux de corrosion mais aussi rapidement l’épaisseur d’oxyde, ce qui tendra à modérer dans le temps cette augmentation. La loi est auto-correctrice et c’est surtout le relâchement en début de vie qui va être augmenté. Cette augmentation diminuera au fil des cycles de fonctionnement et, au bout de quelques temps, le relâchement reviendra à une valeur supérieure certes mais voisine de la valeur qu’il aurait eue avec le taux de porosité habituel. De plus, ce paramètre devrait jouer encore plus pour un nuclide comme le 60 Co dont le parent est (presque) toujours loin de la saturation que pour le nickel dont le relâchement net est inférieur aux taux de corrosion et au taux de relâchement brut. Or le cobalt stable et le 60 Co sont beaucoup moins sensibles à ces types de variations. Sans nier que ce paramètre puisse jouer un rôle surtout lors des premiers cycles, il semble bien incapable d’expliquer totalement ces observations. Il faut donc chercher une cause dans une autre direction. État de surface Si l’enquête ne révèle rien de suspect, alors seulement on pourra soupçonner l’état de surface du matériau. Un très bon état de surface peut réduire de manière spectaculaire la contamination comme l’a montré l’électro-polissage des boîtes à eau des générateurs de vapeur et comme on peut le voir sur la figure 4.30 qui montre le rapport des activités déposées entre surface électro-polies et non électro-polies. Des essais en boucle montrent que l’électro-polissage a, de plus, un effet bénéfique sur la corrosion. À l’inverse, un mauvais état de surface peut avoir un impact sur le régime hydraulique local et augmenter le transport des ions (via l’augmentation du coefficient de transfert de masse). Toutefois l’équation (3.1) montre, là aussi, que dès que l’épaisseur d’oxyde sera conséquente, ce paramètre jouera de moins en moins. Il est en plus logique de penser que l’oxyde lui-même atténuera les irrégularités.
Chapitre 4 – Conséquences de la corrosion dans le RCP
107
Oxydation, effet mémoire ? Il faut considérer aussi que les GV ou les tuyauteries ont une (pré-)histoire. Avant le démarrage, il existe des phases d’essais fonctionnels à froid, à chaud et précritiques pendant lesquels une oxydation se produit dans des conditions différentes du fonctionnement normal. Encore plus avant, les différents composants ont pu être soumis lors de la fabrication, du stockage, du transport, à des conditions spéciales en général oxydantes. On peut concevoir alors que les surfaces des tubes soient, au démarrage d’une unité, recouvertes d’oxydes (de rouille ?). Or ce type d’oxyde peut n’être pas protecteur et donc au moins en début de vie, il sera responsable d’une augmentation du relâchement. En principe, il devrait se transformer au cours du temps en un oxyde stable dans les nouvelles conditions et devenir alors protecteur. Mais remarquons que cette transformation elle-même est une source locale d’oxygène. On peut voir sur la figure 2.2 que cet oxyde est, pour le fer, l’hématite Fe2 O3 , laquelle aura tendance à se transformer dans le milieu primaire en magnétite selon la réaction : 1 3Fe2 O3 → 2Fe3 O4 + O2 2 ou encore pour le nickel (figure 3.8) : 1 NiO → Ni + O2 voire Ni3 O4 → 3Ni + 2O2 2 La cinétique de telles réactions, s’agissant de la transformation de solides, est sûrement plus lente qu’une réaction de dissolution. Cependant, on peut s’interroger sur le temps nécessaire à la transformation complète de cet oxyde initial. Un effet prolongé sur plusieurs années de fonctionnement nécessiterait, a minima, qu’une profondeur de métal supérieure au μm soit attaquée. Est-ce suffisant pour que l’effet soit étalé sur plusieurs cycles, comme il le faudrait pour expliquer la constance de la contamination en 58 Co ? C’est ce qu’il faut vérifier. Une autre possibilité serait un effet mémoire de cette oxydation qui empêcherait que le métal se recouvre efficacement d’un oxyde protecteur. Rappelons qu’un oxyde non protecteur se traduit au niveau de l’équation (1) à la fois par une valeur de k = COR(I) élevée (0,1 < k < 1) et par une faible ou une non-croissance de x. Il ne s’agit là bien sûr que de pistes qu’il faudrait étudier à l’aide de boucles d’essai de corrosion comme CORELE en utilisant des échantillons qui auraient été préalablement soumis à une oxydation atmosphérique ou autre.
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
5
Matériaux austénitiques : corrosion sous contrainte
5.1. Généralités Le phénomène qui se traduit par la fissuration du matériau sous l’action simultanée d’une contrainte et d’un milieu est appelé corrosion sous contrainte (CSC) (en anglais « Stress Corrosion Cracking », SCC). La corrosion sous contrainte est un phénomène compliqué car gouverné par l’action combinée de facteurs électrochimiques et mécaniques. Il touche les réacteurs à eau bouillante mais aussi dans certaines conditions que nous verrons les réacteurs à eau sous pression. La morphologie de l’attaque peut être transgranulaire (TGSCC), c’est-à-dire que la fissure traverse alors les grains ou intergranulaires (IGSCC), dans ce cas la fissure suit les joints de grains. Les deux modes peuvent se produire sur le même alliage en fonction de sa microstructure, de la tension appliquée et de l’état de la déformation. Non seulement les deux modes peuvent coexister mais un mode peut aussi se substituer à un autre. La fissuration sous contrainte présente plusieurs caractéristiques : d’abord son aspect fragile, puis le fait que le matériau ne soit pas entièrement attaqué, enfin la ramification des fissures. Le degré de ramification des fissures peut néanmoins varier. Ajoutons que les fissures liées à la CSC se propagent globalement, perpendiculairement à la contrainte principale. Les fissures se propageant avec très peu de déformation plastique, l’apparence d’un alliage métallique affecté par une corrosion sous contrainte reste brillante. Il ne présente pas non plus en général de propriétés mécaniques anormales sauf dans le cas particulier où l’alliage est soumis à des dommages d’irradiation. Ce sont les contraintes de traction ou de tension d’où le nom de « corrosion sous tension » donné parfois à ce mode d’attaque qui sont dangereuses, les contraintes de compression exerçant au contraire une action protectrice. La corrosion sous contrainte mécanique peut se produire même dans des milieux qui sont en l’absence de toute contrainte, peu ou non agressifs à l’égard du métal ou de l’alliage (par exemple, eau et vapeur à haute température pour les aciers inoxydables austénitiques). Aucune fissuration ne serait, en revanche, observée en l’absence de contrainte ou sans le milieu. Les figures 5.1a et 5.1b donnent deux exemples de corrosion sous contrainte : transgranulaire et intergranulaire.
110
Corrosion des circuits primaires…
(a)
(b)
Figure 5.1. – Coupe de fissures de corrosion sous contrainte. (a) Transgranulaire dans l’acier inoxydable. (b) Intergranulaire dans les alliages de cuivre (source : D.H. Lister & W.G. Cook).
Si les pertes en poids résultant de ce type de corrosion sont généralement très faibles, la CSC peut néanmoins provoquer des dégâts très graves. Le développement des fissures peut, en effet, aller jusqu’au percement ou à la rupture de la pièce. Elle constitue donc un risque permanent dans de nombreuses installations industrielles, tant sur le plan des incidences économiques que sur les aspects sécuritaires (personnel, fiabilité des équipements, respect de l’environnement). Le phénomène de corrosion sous contrainte présente deux phases : une phase d’amorçage ou d’initiation et une phase de propagation. Le temps d’amorçage est très variable selon les conditions et cette variation peut atteindre plusieurs décades (figure 5.2). Trois conditions sont nécessaires dans les réacteurs à eau (REP, PWR, REB, BWR) et doivent être présentes en même temps pour qu’il y ait CSC et la diminution en dessous d’un certain seuil de seulement un de ces trois facteurs prévient en principe son apparition. Ces trois prérequis sont : – un matériau susceptible ; – une contrainte de traction ; – un environnement aqueux. Citons comme exemples, la fissure de l’acier inoxydable en milieu caustique et la fissure de l’acier inoxydable en milieu chloré (Cl− ) mais on ne trouvera pas, pour l’acier, de fissure en milieu ammoniaqué (contrairement au cuivre). On ne connaît pas de classe de métaux ou d’alliages commerciaux qui soient rigoureusement insensibles à ce type d’attaque. Cependant la corrosion sous
Chapitre 5 – Matériaux austénitiques : corrosion sous contrainte
111
Figure 5.2. – Courbes composites illustrant la résistance vis-à-vis de la CSC d’aciers inoxydables dans le chlorure de Mg bouillant (d’après D.H. Lister et W.G. Cook).
contrainte ne se produit pas pour tous les alliages dans tous les environnements et un environnement qui induit la corrosion sous contrainte pour un alliage ne l’induira pas forcément pour un autre alliage. Remarque : la CSC est courante en solution aqueuse mais existe aussi dans les métaux liquides, sels fondus et liquide inorganiques. Il faut se souvenir aussi que, dans les composants manufacturés, il existe habituellement des contraintes résiduelles résultant de l’écrouissage, du soudage, des traitements de surface comme le meulage, le polissage ou le grenaillage, etc., aussi bien que des contraintes appliquées pendant l’utilisation telles que les pressions hydrostatiques, les tensions et charges résultant de cintrage, etc. Les moyens pour réduire cette corrosion sont alors l’élimination des contraintes résiduelles par traitements thermiques de détente, l’épuration du milieu, l’action sur le matériau, sur l’état de surface ou encore l’application des moyens de protection extérieurs : protection cathodique, inhibiteurs ou revêtements. En ce qui concerne les réacteurs nucléaires, la corrosion sous contrainte est un mécanisme rencontré surtout dans les BWRs : il y a eu deux facteurs essentiels qui ont contribué à la CSC intragranulaire des alliages austénitiques des circuits primaires des réacteurs bouillants : la sensibilisation thermique et le laminage. La sensibilisation thermique des alliages se produit principalement dans les zones affectées thermiquement (ZAT) aussi bien lors des soudures que durant les traitements thermiques de détensionnement. Les matériaux austénitiques sont sensibilisés lorsqu’ils sont soumis à des températures comprises entre 500 et 800 ◦ C pour des durées s’étendant de quelques dizaines de secondes à plusieurs heures. La sensibilité dépendant de la teneur en carbone de l’alliage. Cette sensibilisation thermique s’explique par la formation de carbure de chrome aux joints de grain et un appauvrissement du chrome dans les grains adjacents. C’est cette réduction du chrome qui augmente la susceptibilité à la CSC.
112
Corrosion des circuits primaires…
Bien que les mêmes aciers soient utilisés dans les systèmes de refroidissement des REP et autres PWR, les problèmes rencontrés sur les bouillants sur ces matériaux sont pratiquement absents. Cependant les REP ou PWRs sont également concernés lorsque les composants sont en alliage 600 (inconel) et autres alliages riches en nickel comme les alliages 132, 182, X-750. Ces alliages sont connus pour être sensibles de manière générique à la CSC intergranulaire dans les conditions chimiques habituelles du circuit primaire des REP. Mais cette CSC est attribuée à la combinaison de plusieurs facteurs comme la présence (accidentelle) d’oxygène se trouvant dans des zones mortes (du point de vue hydraulique), une sensibilisation thermique ou la présence d’écrouissage.
5.2. Influence de divers paramètre sur la CSC La phase de propagation comporte souvent une phase de propagation lente et une phase rapide agissante qui est utilisée pour caractériser l’intensité de contrainte, KI , par rapport à une valeur seuil du facteur d’intensité de contrainte critique, noté KIscc . De nombreuses études ont été consacrées à l’influence des différents paramètres (milieu, matériau et mécanique) sur la sensibilité à l’amorçage et à la propagation des fissures de CSC principalement pour l’alliage 600. Dans ce qui suit, j’ai largement puisé dans l’exposé introductif des excellentes thèses de Pierre Lagouhartis [40] et de Frédéric Delabrouille [41]. Je conseille d’ailleurs à ceux qui désireraient approfondir ce sujet, surtout en ce qui concerne les alliages à base nickel, de se reporter à leurs travaux.
5.2.1.
Influence de la contrainte
Bien entendu, plus grande est la contrainte sur le matériau, plus vite il fissurera mais il existe un seuil de contrainte au-dessous duquel il n’y a pas propagation ; à ce seuil correspond un facteur d’intensité de contrainte. La contrainte maximale que l’on peut alors appliquer avant que la CSC apparaisse aussi bien que la contrainte minimale à appliquer en compression pour prévenir la CSC dépendent de la composition et de la structure des alliages, de la température, et de la composition de l’environnement. De tels seuils de contraintes peuvent être situés entre 10 % et 70 % de la résistance élastique des matériaux sous tension. Dans le cas de l’alliage 600, la propagation de fissures de CSC se manifeste au-delà du facteur d’intensité de contrainte critique, KIscc correspond à ce seuil de contrainte. Sa valeur varie de 5 à 15 MPa·m1/2 pour des essais effectués à charge constante de 325 à 360 ◦ C en milieu primaire. Le temps d’amorçage dépend de la contrainte selon une loi phénoménologique du type σ −4 . Plus la contrainte est élevée, plus le temps d’amorçage sera donc court. La contrainte a un effet accélérateur [40, 41]. Les plus grands dommages se produisent dans les derniers stades de progression de la fissure, l’épaisseur saine diminue, la contrainte s’accroît jusqu’à ce que la rupture mécanique se produise.
Chapitre 5 – Matériaux austénitiques : corrosion sous contrainte
113
On détermine en général un temps à rupture en fonction des conditions (cf. figure 5.2 qui montre le temps à rupture, fracture time, d’aciers inoxydables commerciaux dans le chlorure de Mg bouillant).
5.2.2.
Influence de la température
La corrosion sous contrainte de l’alliage 600 en milieu REP est un phénomène thermiquement activé. Il est donc normal de trouver les fissures principalement sur les tubes situés côté chaud (à l’entrée d’eau) des générateurs de vapeurs. L’influence de la température a surtout été étudiée pour l’amorçage de la CSC. La sensibilité à l’amorçage peut être exprimée selon une loi de type Arrhenius : −Q 1 RT S = Ae ta – S est la sensibilité à l’amorçage proportionnelle à l’inverse du temps d’amorçage ta ; – Q est l’énergie d’activation apparente de l’amorçage ; – T est la température absolue. Le bilan des résultats expérimentaux rapporte une valeur moyenne de 180 kJ · mol−1 pour l’énergie d’activation apparente de l’amorçage. Toutefois, l’effet de la température est variable suivant la coulée de l’alliage avec une forte dispersion de 36 à 217 voire 280 kJ · mol−1 . Une élévation de la température du milieu de 10 ◦ C entraîne une diminution du temps à l’amorçage d’un facteur voisin de 2. Ceci explique que certains composants sont affectés plus rapidement par la CSC. Les différents auteurs s’accordent sur le fait que l’énergie d’activation apparente d’amorçage diffère de celle liée à la propagation, ce qui suggère que les mécanismes mis en jeu sont différents [40].
5.2.3.
Influence de la teneur en hydrogène
L’hydrogène dissous dans le milieu peut avoir un rôle aggravant. À l’amorçage, la sensibilité maximale a été constatée pour une pression entre 10 et 100 kPa. Cette gamme de concentration en hydrogène est proche du potentiel d’équilibre thermodynamique Ni/NiO. Quant à la sensibilité à la propagation, la vitesse de fissuration atteint un maximum pour une teneur en hydrogène de 20 à 40 kPa, donc encore proche du potentiel d’équilibre thermodynamique du couple Ni/NiO [40].
5.2.4.
Influence de la composition chimique du milieu
L’étude de l’influence du milieu chimique sur la CSC en milieu REP est difficile, dans la mesure où certains composants du milieu n’ont pas une influence
114
Corrosion des circuits primaires…
indépendante sur la CSC. Toutefois, il semble que l’augmentation du pH augmente légèrement la sensibilité à la CSC de l’alliage 600 en milieu REP [40, 41]. Cependant les essais sur la teneur en lithium entre 0,7 et 3,5 ppm (qui joue sur le pH de la solution) conduisent à des résultats contradictoires.
5.2.5.
Influence de la composition chimique
Le chrome a un effet bénéfique sur la résistance à la CSC pour des alliages ayant des teneurs en chrome variant de 5 % à 30 %. Par exemple, l’alliage X-718 qui possède une teneur en chrome plus élevée est moins sensible à la CSC que le X-750. Pour une teneur de 17 % de chrome dans l’alliage, il se forme du Cr2 O3 alors que pour 5 % de chrome dans l’alliage, une couche à base de Ni moins protectrice se forme préférentiellement. Entre 17 % et 30 %, la nature de la couche d’oxyde et par conséquent ses propriétés protectrices ne changent pas beaucoup. Pour expliquer l’influence du chrome sur la résistance de l’alliage à la CSC, plusieurs hypothèses ont été émises, parmi lesquelles la nature protectrice de la couche d’oxyde formée en surface est associée à une vitesse de re-passivation plus rapide. Il a été montré que l’augmentation de la teneur en chrome améliore la tenue mécanique de l’oxyde [40].
5.2.6.
Influence de la précipitation des carbures
Un alliage riche en carbures intergranulaires est généralement peu sensible à la CSC tandis que, s’il est riche en précipités intragranulaires, il devient très sensible à la CSC. Pour expliquer cette différence en fonction de la localisation des carbures, l’influence des précipités est interprétée différemment selon les auteurs. Les précipités joueraient le rôle d’ancrage des dislocations aux joints de grain et ainsi ralentiraient le fluage ou le glissement intergranulaire. Ils pourraient aussi jouer le rôle d’obstacle à la diffusion de l’oxygène en avant du fond de fissure dans le joint de grain et ralentiraient ainsi la progression de l’oxyde [40].
5.2.7.
Mécanismes de la CSC
De nombreux mécanismes ont été proposés dans la littérature pour expliquer la fissuration en corrosion sous contrainte. Mais la CSC dépendant du couple matériau/environnement, il est difficile d’identifier le mécanisme responsable. Plusieurs familles de mécanismes de corrosion sous contrainte peuvent être distinguées, rendant compte de la propagation de fissures d’apparence fragile dans un matériau ductile [40, 41] : – le modèle de dissolution anodique suppose que la fissure se propage par rupture discontinue de la couche protectrice, rupture provoquée par une
Chapitre 5 – Matériaux austénitiques : corrosion sous contrainte
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déformation du substrat. La cinétique d’avancée de la fissure dépendrait de la quantité de métal dissous ; le modèle lié à la mobilité des atomes de surface dans lequel l’étape élémentaire est le remplacement en pointe de fissure d’un atome par une lacune. Au niveau du fond de fissure, la contrainte à la surface est, en effet, importante, ce qui augmenterait la concentration de lacunes. La chimie du milieu pourrait augmenter la mobilité des atomes de surface et fournir des lacunes [41] ; le modèle lié au microclivage et à la plasticité est basé sur une sursaturation en lacunes sous la surface, due à la dissolution anodique qui conduirait à la formation de bi-lacunes qui, elles, diminueraient l’écrouissage et accélèreraient le fluage. Ce modèle suppose la rupture du film protecteur produit par la déformation plastique en fond de fissure et un retard dans la re-passivation à cause d’espèces agressives (tels Cl− pour les aciers). Une zone non oxydée doit donc être observée en pointe de fissure ; le modèle d’endommagement par fluage, où la rupture est due à la coalescence des vides intergranulaires créés par fluage. La rupture de ces ligaments aux joints de grains se fait de façon ductile. Le milieu permet d’accélérer les phénomènes d’endommagement par fluage [41] ; le modèle de CSC assistée par l’hydrogène : l’hydrogène dissous bloquerait le mouvement des dislocations et augmenterait donc la contrainte d’écoulement. Dans ce modèle, l’hydrogène diffuse sous l’action d’un champ de contrainte, vers la tête d’un empilement de dislocations, qui sont dans le prolongement des fissures. L’énergie d’interaction élastique des dislocations est diminuée et donc le nombre de dislocations augmente dans l’empilement ; le modèle de fragilisation par l’hydrogène dans lequel il existe un champ de contrainte hydrostatique important en pointe de fissure qui favorise l’entrée de l’hydrogène dans le matériau et sa diffusion rapide. L’hydrogène se répartit de façon non homogène dans le matériau, il vient préférentiellement aux niveaux des précipités et des joints de grains. Il est nécessaire que l’hydrogène soit fortement localisé en pointe de fissure [40] ; il existe aussi des modèles de fragilisation par le plomb, le soufre, l’oxygène, etc.
On voit donc que la compréhension du phénomène et l’établissement d’un modèle mécaniste sont des champs encore ouverts aux études et aux recherches.
5.3. CSC dans les REP1 5.3.1.
Générateur de vapeur
En ce qui concerne le circuit primaire des REP, le matériau principalement concerné est l’alliage riche en nickel, l’alliage 600, qui a servi à la fabrication des tubes
1 J’ai beaucoup emprunté pour la rédaction de ce chapitre à l’excellent document de Pierre Saint-Paul de la référence [43] mais aussi et encore à la thèse de Frédéric Delabrouille [41].
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Corrosion des circuits primaires…
de GV, et ce, malgré la mise en évidence en laboratoire, dès 1959, par le CEA [42], de la sensibilité de ce matériau à la CSC dans l’eau à haute température et soumis à de fortes contraintes. On peut généralement distinguer deux principaux modes d’endommagements des tubes : – la corrosion intergranulaire généralisée (IGA, pour la dénomination anglaise Inter Granular Attack), tous les joints de grains du matériau sont attaqués sans direction privilégiée. L’IGA se développe dans l’épaisseur du tube de façon uniforme (généralement au niveau de la plaque à tube) ; – la corrosion sous contrainte intergranulaire (IGSCC, Inter Granular Stress Corrosion Cracking) : la fissuration sous contrainte apparaît en présence de polluants et avec l’action d’une contrainte [41]. En milieu primaire REP, c’est ce dernier mode que l’on rencontre généralement avec la corrosion sous contrainte assistée par irradiation (Irradiation-Assisted SCC, IASCC). Les premières manifestations dans les réacteurs en fonctionnement apparaissent d’abord aux États-Unis dès les années 1970 [43]. Dans les années 1980, les premiers cas de fissuration par corrosion sous contrainte en surface interne des tubes en alliage 600 (côté primaire) apparaissent sur le parc nucléaire français (1980 à Fessenheim). Ce risque contraint l’exploitant à de nombreux contrôles et lorsque les tubes sont fissurés, ceux-ci sont bouchés ; pour des raisons évidentes de sûreté nucléaire et de protection de l’environnement, une barrière étanche doit être maintenue entre les milieux primaires et secondaires. Le bouchage de tubes diminue la puissance du GV et in fine du réacteur. Quand trop de tubes sont bouchés, on procède au changement du GV, opération gigantesque, longue et coûteuse en argent et en exposition du personnel baptisé RGV ! Les zones fortement sollicitées par la CSC côté primaire sont les zones de transitions de dudgeonnage et les cintres de petits rayons de courbure. Ce sont les premières zones touchées et elles le sont après quelques dizaines de milliers d’heures de fonctionnement. Cependant la fissuration due à la CSC dans la zone de transition de dudgeonnage représente la majorité des problèmes rencontrés. Pour réduire ce problème, le procédé de dudgeonnage a été amélioré, afin de réduire les contraintes longitudinales. Un traitement thermique de détensionnement à 700 ◦ C sous vide a été appliqué à partir du début des années 1980. Pour les tubes installés avant 1979, un détensionnement par grenaillage de précontrainte a été réalisé en 1985. Nous l’avons vu, la propagation de fissure de CSC dans les alliages base nickel est un phénomène thermiquement activé et les valeurs d’énergie d’activation apparentes existant dans la littérature présentent une grande dispersion (80 à 280 kJ/mol). On peut ajouter que les valeurs d’énergie d’activation pour l’amorçage sont supérieures à celles observées pour la propagation.
Chapitre 5 – Matériaux austénitiques : corrosion sous contrainte
117
CSC des GV REP
L’ébullition dans les crevasses concentre les impuretés et peut conduire à avoir des milieux très acides (Cl-) ou très basiques (NaOH)
écrasement des tubes : denting
Figure 5.3. – Corrosion sous contrainte dans les GV des REP : fissuration au niveau de la plaque à tube et des plaques entretoises (d’après [41]).
Quelques autres observations montrent : – que la fissuration est rencontrée principalement dans les branches chaudes des générateurs de vapeur ; – que les teneurs élevées en lithium (> 2,4 ppm) semblent diminuer le temps à fissuration des tubes à 300 ◦ C ; – que des essais à charge constante et en traction lente indiquent qu’une augmentation du pH augmente légèrement la sensibilité de l’alliage 600 à la CSC en milieu primaire. Ces connaissances permettent de tenter de réduire le phénomène mais le principal progrès pour lutter contre les conséquences de la CSC consiste dans le changement de matériau. Depuis 1990, un nouveau matériau pour les tubes de générateur de vapeur est utilisé en France, l’alliage 690 (60 % Ni, 30 % Cr, 10 % Fe). Ce matériau a été choisi en raison de sa grande résistance à la CSC en milieu primaire. L’Allemagne quant à elle a préféré utiliser, avec succès, l’alliage 800, qui a une base fer avec 30 à 35 % de nickel et 19 à 23 % de chrome. Malheureusement ce qui précède n’est pas là pour les tubes de GV, la seule cause de fissuration. Bien que cette autre cause prenne sa source côté secondaire, nous allons aussi l’évoquer car les conséquences se retrouveront côté primaire. Il s’agit de fissuration susceptible d’apparaître au niveau de la plaque à tubes et des plaques « entretoises ». Dès le début des années 1960, Américains et Européens se sont inquiétés des risques
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Corrosion des circuits primaires…
de CSC des alliages austénitiques utilisés pour les tubes de GV. En effet, en cas de fuite au condenseur, du chlore (pour les centrales en bord de mer ou en eau saumâtre) pouvait pénétrer dans le GV, côté secondaire. Ce fut même la raison du choix de l’alliage 600 (moins sensible au chlore) pour la fabrication des tubes de GV en remplacement de l’acier inoxydable (les premiers réacteurs européens, moins puissants qu’aujourd’hui, de type REP, CHOOZ-A ou CNA, Trino Vercellese en Italie possédaient des tubes de GV en acier inoxydable qui donnèrent satisfaction). Les impuretés et les matières particulaires en suspension constituent une couche de matières étrangères qui s’accumulent à la surface des tubes des générateurs de vapeur et forment des dépôts de « boues » dans des zones à écoulement faible. Si l’installation de traitement d’eau ne fonctionne pas bien, cela peut alors contribuer à des concentrations élevées d’impuretés ioniques comme les chlorures, les sulfates, le calcium et le magnésium dans le générateur de vapeur. Et même avec un contrôle strict du traitement de l’eau, dans les zones où l’écoulement est faible ou restreint, par exemple dans des fissures, les produits en suspension et en solution dans l’eau peuvent atteindre par concentration des niveaux élevés. Les produits de corrosion, habituellement des oxydes de fer (et de cuivre selon les matériaux utilisés), se forment dans l’ensemble du circuit de vapeur et d’eau d’alimentation du générateur de vapeur. Ils sont, dans les REP, les principales sources de matières particulaires inorganiques en suspension. L’eau brute de refroidissement peut être une autre source de pollution si des tubes du condenseur sont perforés ; cela contribue principalement à la présence de silicate de calcium et de silicate de magnésium. Si donc à la suite de ces événements (corrosion toujours présente et éventuellement défauts de conditionnement, fuites) des dépôts de boues et de tartre se forment dans des parties sensibles du circuit du générateur de vapeur, de graves problèmes de corrosion risquent de survenir sous les dépôts. La concentration des impuretés dans ces zones d’écoulement du générateur de vapeur peut augmenter jusqu’à 10 000 fois voire plus à cause de l’effet de concentration découlant de l’ébullition. La corrosion par piqûres sous des dépôts de boues peut alors résulter des concentrations élevées de chlorures ou de sulfates à la base des tubes du générateur de vapeur. L’hydroxyde de sodium peut aussi causer une attaque caustique des tubes du générateur de vapeur. Les particules entraînées dans l’eau en mouvement peuvent contribuer à la corrosion-érosion. Tout processus de corrosion peut donc raccourcir la durée de vie des tubes du générateur de vapeur, ce qui contribue à la possibilité de fuite du circuit primaire vers le circuit secondaire. Les dépôts de « tartre » sur les tubes du générateur de vapeur peuvent également contribuer à la corrosion et, en outre, réduire l’efficacité du transfert de chaleur, élevant la température dans le circuit caloporteur ou réduire le coefficient de transfert de chaleur. Et ce qui n’arrange rien, au fil du temps, les boues peuvent devenir extrêmement difficiles à enlever. Dans le circuit secondaire des REP lorsque la « boue », principalement constituée de dépôts de magnétite, se dépose au pied des tubes au niveau de la plaque à tube, l’hydraulique, nous l’avons dit, peut alors être très contrarié et de l’ébullition
Chapitre 5 – Matériaux austénitiques : corrosion sous contrainte
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Figure 5.4. – Comportement des alliages austénitiques dans la soude à 350 ◦ C. Solutions de NaOH désaérées ; échantillons contraints à la limite d’elasticité suivant ASTM STP 425.
se produire au cœur de ces amas. Cette dernière concentre les impuretés ou les produits chimiques présents. Bien que cette concentration puisse aussi conduire pour les sites en bord de mer à avoir un milieu très acide (Cl− ), pour les alliages de nickel utilisés maintenant, le principal risque à craindre est, en général, la corrosion caustique [43]. La figure 5.4 indique le temps minimal pour former une fissure de 0,5 mm à 350 ◦ C en fonction de la concentration en soude. En présence de soude ou d’un pH élevé, les « plaques entretoises » en acier noir se corroderont et l’oxyde formé au niveau de ces plaques entraîne un gonflement (rapport de Pilling-Bedworth) qui conduira à l’écrasement des tubes d’inconel 600 (denting2 ). Il s’en suit une forte tension et finalement des fissures apparaissent conduisant à des fuites du primaire vers le secondaire. Il semble néanmoins que certaines fissures côté secondaire soient difficilement attribuables à la soude caustique, ne serait-ce qu’en raison du conditionnement chimique appliqué pour éviter ce type de désagrément. La présence significative de plomb décelée dans les fissures côté secondaire sur des tubes extraits fait suspecter un rôle nocif de cet élément [43]. Dans certains cas, les teneurs en plomb peuvent atteindre plusieurs pour cent dans les dépôts. Dans ce cas, le faciès de la fissuration est souvent remarquable puisqu’il est à la fois inter- et transgranulaire. En résumé, la CSC exacerbée par le rôle des impuretés a des effets néfastes sur la performance du générateur de vapeur. Ces effets comprennent notamment : – la corrosion sous contrainte par piqûres ainsi que les attaques caustiques qui surviennent sous les dépôts de boues ; 2 Ainsi nommé à cause des dents qui apparaissent sur les relevés de mesures par « courants de Foucault » (eddy current, en anglais).
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Corrosion des circuits primaires…
– au fil du temps, les boues, devenant difficiles à enlever, nécessitent des interventions relativement fréquentes lors des arrêts ; – des pertes de production liées aux pannes qui se produisent à cause des fuites des tubes du générateur de vapeur, du temps pris pour enlever les dépôts, et finalement du temps pris pour changer les générateurs de vapeur ; – une résistance accrue au transfert de chaleur due au dépôt de tartre, ce qui diminue les performances du GV. Les remèdes préventifs autres que le changement de matériau pour lutter contre la CSC, côté secondaire, sont : – l’utilisation de teneur élevée en hydrazine, N2 H4 . Ce traitement se traduit par l’ajout de plusieurs centaines de ppb de N2 H4 à l’eau d’appoint afin de produire une atmosphère réductrice (moins oxydante) à l’intérieur du GV ; – un traitement à l’acide borique correspondant à l’ajout de 5 à 10 ppm B dans l’eau d’appoint. Ce traitement réduirait le taux de corrosion et les épaisseurs d’oxyde responsables du denting et améliore (probablement) la résistance des tubes vis-à-vis de la CSC ; – l’injection de morpholine ou d’éthanolamine, à la place de l’ammoniac dans l’eau d’appoint produit un environnement basique plus homogène dans le circuit secondaire. Le transport des PC dans le GV serait ainsi minimisé ; – la gestion du rapport molaire des cations aux anions dans l’eau du GV réduirait l’apparition de corrosion sous contrainte de l’alliage 600 dans les crevasses et sous les dépôts. Pour les environnements caustiques, le rapport molaire adéquats est Na/Cl < 0,5. On voit que les efforts faits pour supprimer ou réduire ces phénomènes liés à la CSC sont inventifs et variés. L’importance de ce problème peut être décelée aussi dans les coûts engagés pour le remplacement des GV. En 2003, les générateurs de vapeur avaient été changés dans 11 centrales EDF, la dépense totale correspondante en matériels neufs et en intervention était estimée à 957 millions d’euros. Les pertes annuelles d’exploitation entraînées par le remplacement des générateurs de vapeur étaient de l’ordre de 0,15 % de l’énergie disponible entre 1990 et 2002.
5.3.2.
Piquages d’instrumentation des pressuriseurs
En 1989, lors du renouvellement d’épreuve hydraulique du RCP de deux centrales 1 300 MW, des fuites (suintement de quelques gouttes) sont apparues à la pression d’épreuve (20,7 Mpa) [43]. Des piquages d’instrumentation en étaient responsables. Les expertises effectuées ont mis en évidence un réseau de fissures de plusieurs mm de longueur affectant la peau interne du tube en alliage 600 à proximité de la soudure du piquage sur le pressuriseur. Cette fissuration provenait d’un phénomène de corrosion sous contrainte de l’alliage 600 dans le fluide primaire identique à celui constaté sur les générateurs de vapeur. Les contraintes de tension responsables étaient les contraintes résiduelles subsistant après le dudgeonnage et le soudage du piquage dans le pressuriseur.
Chapitre 5 – Matériaux austénitiques : corrosion sous contrainte
121
Compte tenu du caractère générique et des risques, certes faibles, mais réels d’éjection d’un piquage, une stratégie a été mise en œuvre de manière à aboutir au remplacement de l’ensemble des piquages en alliage 600 par des piquages en acier austénitique 18 Cr-10 Ni.
5.3.3.
Adaptateur des mécanismes de grappes de commandes
En fin d’année 1991, une autre fissuration de pièces en alliage 600 du RCP a été constatée. Là encore, à l’occasion d’une épreuve hydraulique, dans le cadre d’une visite décennale ; un léger écoulement d’eau fut observé à la pression de 20,7 MPa sur le bord du couvercle de la cuve de Bugey 3. Les examens visuels et télévisuels montrèrent que la fuite provenait d’une gaine ou manchon (baptisé adaptateur) en alliage 600, fretté et soudé sur le couvercle, permettant le passage de la tige de commande d’une grappe de contrôle. Après dépose du couvercle de cuve et démontage du mécanisme de grappe, des examens par ressuage, courants de Foucault, ultrasons, ont mis en évidence des fissures longitudinales en partie basse de l’adaptateur au voisinage de la zone de soudure du couvercle [43]. Ces fissures affectent en majorité les adaptateurs de périphérie ; situés sur la partie la plus bombée du couvercle, ils sont soumis à des déformations et des contraintes plus élevées. Ce mécanisme de corrosion sous contrainte de l’alliage 600 dans le milieu primaire est toujours supérieur à 20 000 heures. Ensuite, la vitesse de propagation des fissures va, elle, dépendre essentiellement de la température. Les causes des dégradations étant identifiées, il a été jugé, en France, plus avantageux pour la sûreté et pour la performance économique de planifier les remplacements des couvercles de cuve plutôt que de devoir réagir dans l’urgence, au fur et à mesure de l’identification des dégradations. Comme pour les tubes de GV, sur les nouveaux couvercles, l’inconel 690 remplace l’inconel 600 et les contraintes de surfaces sont réduites par la réalisation d’un meilleur état de surface. Au Japon, une action similaire a été décidée et le programme de remplacement des couvercles de cuves a débuté en 1996.
5.3.3.1.
´ Consequences de la CSC des adaptateurs sur les couvercles de cuves
Aux États-Unis, une dégradation significative du couvercle fut également découverte sur la centrale de Davis Besse. La CSC de l’alliage 600 similaire à celle constatée à Bugey fut là aussi identifiée comme la cause originelle de la dégradation. Davis Besse avait accumulé presque 16 années équivalentes à pleine puissance (AEPP) lors de son treizième arrêt pour rechargement du combustible le 15 février 2002. Au cours de cet arrêt, l’exploitant du réacteur de la centrale à Oak Harbor dans l’Ohio réalisa plusieurs inspections des adaptateurs du couvercle de cuve.
122
Corrosion des circuits primaires…
Figure 5.5. – Dégradation du couvercle près du manchon adaptateur n◦ 3 de pénétration du couvercle.
Elles mirent à jour une cavité dans le couvercle de cuve de 15,24 cm d’épaisseur en acier noir bas carbone (figure 5.5). D’une largeur pouvant atteindre 7 cm, cette cavité se révéla occuper presque toute l’épaisseur du couvercle (de 10 à 12,7 cm), l’étanchéité n’étant presque plus assurée que par le revêtement interne du couvercle en acier inoxydable type 308 d’une épaisseur de 0,635 cm ! Le 11 février 2003, la NRC a finalement lancé un programme exhaustif d’investigation de tous les couvercles de cuve de l’ensemble des réacteurs à eau pressurisée en service aux États-Unis. On ne peut, à l’examen de l’incident de David Besse, que se louer de la démarche d’anticipation de l’autorité de sûreté française et d’EDF qui se trouva ainsi confortée. Les couvercles de cuve des paliers 900 MWe et 1 300 MWe ont été remplacés avec une fréquence moyenne de 5 à 7 par an entre 1994 et 1997, puis de 4 par an entre 1999 et 2001 et enfin de 1 à 2 par an jusqu’en 2008. En définitive, cette opération aura porté sur les 28 tranches du palier 900 MWe et sur 15 tranches du palier 1 300 MWe. Le budget total du remplacement des couvercles de cuve atteint 200 millions d’euros et les pertes d’exploitation entraînées par le remplacement des couvercles de cuve ont été estimées par EDF à 0,1 % de l’énergie annuelle disponible entre 1994 et 1997.
5.3.4.
Internes
La rupture intergranulaire d’aciers inoxydables austénitiques dans des milieux a priori non corrosifs et sous des contraintes de tension a priori acceptables mais sous irradiation neutronique a été constatée au niveau du cœur, en particulier des internes [43]. La fissuration des vis de cloisonnement des internes inférieurs fut mise en évidence début 1989. À l’intérieur de l’enveloppe du cœur et vissé sur celle-ci, on trouve, en effet, un ensemble de plaques horizontales et verticales vissées entre
Chapitre 5 – Matériaux austénitiques : corrosion sous contrainte
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elles, qui occupent l’espace compris entre le périmètre externe du cœur de forme polygonales et l’enveloppe cylindrique. Cet ensemble est le cloisonnement du cœur dont la fonction est de maintenir latéralement les assemblages mais surtout de séparer hydrauliquement l’espace entre l’enveloppe et le cœur pour éviter le mélange du caloporteur venant de la branche froide de celui circulant le long des crayons combustibles. La détérioration du cloisonnement qui ne jouait plus son rôle protecteur visà-vis de la différence de pression existant de part et d’autre donna lieu à des jets de fluide vers les crayons combustibles situés à proximité (jet de baffle dont nous reparlerons au niveau des ruptures de gaines). Ces excitations provoquèrent par usure vibratoire la détérioration de ces crayons et entraîna un incident sur un assemblage combustible. Une méthode de contrôle par ultrasons a alors été mise au point pour vérifier l’état des vis. Les contrôles effectués entre 1989 et 1991 ont permis de dénombrer la fissuration d’un peu plus de 70 vis sur les six premières tranches du palier 900 MW (il y a 960 vis par cloisonnement) ; les tranches suivantes, dont le cloisonnement est de conception différente, ne sont pas affectées par ce processus. La parade trouvée pour éviter les fissurations fut l’inversion du sens de circulation du fluide de refroidissement (up flow) réduisant la différence de pression entre l’intérieur et l’extérieur de la cloison et l’augmentation de la circulation d’eau autour des vis et leur refroidissement. Les examens de vis extraites ont montré que la fissuration était intergranulaire et que les caractéristiques mécaniques n’avaient pas été très affectées par l’irradiation. D’ailleurs les dommages d’irradiation seuls n’étaient pas, en principe, suffisants pour expliquer la fissuration intergranulaire des vis. Pourtant, l’analyse des corrélations entre fluence, température, efforts et les vis fissurées montre un accord satisfaisant puisque l’on peut définir un domaine de sensibilité à la fissuration des vis en fonction de la contrainte et de l’irradiation. On est là devant un phénomène de corrosion fissurante assistée par l’irradiation (Saint Paul [43]) (IASCC, Irradiated Assisted Stress Corrosion Cracking) dont le mode d’action peut être très variable ; soit cette irradiation influe sur le milieu chimique (radiolyse de l’eau, concentration d’espèces nocives (LiOH ?) par surchauffe…) ; soit elle agit sur le matériau (diffusion des lacunes et des atomes, ségrégation d’impuretés aux joints de grain, déchromisation). L’IASCC est discuté dans de nombreux articles et publications depuis plus de quinze ans [44–47]. L’importance de la fluence de neutrons sur l’IASCC pour les aciers inoxydables est illustrée sur la figure 5.6. « Un autre exemple concerne la fissuration des gaines des crayons de grappe de commande qui sont en acier AISI 304. Ces crayons qui contiennent un absorbant neutronique (Alliage Ag-In-Cd, B4C) servent à régler la puissance du cœur et l’arrêt éventuellement immédiat des réactions de fission et donc du réacteur par leur chute. Certaines de ces gaines se fissurent au niveau de l’ogive inférieure après avoir subi un léger gonflement. Celui-ci est dû au tassement de l’absorbant en extrémité inférieure et à la diminution de densité de ce dernier sous l’effet de l’irradiation par les neutrons (transmutation de l’indium en étain).
124
Corrosion des circuits primaires…
Figure 5.6. – Effet de la fluence des neutrons sur la susceptibilité à l’IASCC des aciers inoxydables dans un environnement de réacteurs à eau légère.
Des expertises ont montré que la fissuration était inter-granulaire. Comme pour les vis de cloisonnement, a priori, les dommages d’irradiation étaient considérés comme trop faibles pour justifier cette rupture intergranulaire. Cependant, des essais de fluage ont reproduit cette fissuration sur des matériaux de gaine irradiés et non sur du matériau non irradié. Ainsi, il semblerait que pour les gaines, la fissuration soit due essentiellement aux dommages d’irradiation qui fragilisent le matériau et qu’il suffit d’une légère déformation pour le rompre intergranulairement ; dans le cas des vis de cloisonnement, les dommages d’irradiation seraient insuffisants et il faut une concomitance avec un autre phénomène comme I’IASCC pour expliquer les ruptures [43]. »
6
Corrosion des gaines de combustible
6.1. Généralités En tant que source d’énergie, le combustible est bien évidemment l’élément fondamental des réacteurs nucléaires. Dans les REP, il est constitué de « crayons » qui sont des tubes d’alliage métallique d’environ quatre mètres et de presque un centimètre de diamètre dans lesquels sont empilées les pastilles combustibles sous forme d’oxyde d’uranium, UO2 . Ces crayons sont regroupés en assemblages (aujourd’hui 17 × 17). Le combustible et le matériau de la gaine sont très sollicités en raison du flux neutronique : dans les REP, le dommage d’irradiation au niveau des gaines atteint 2 à 4 dpa/an. Mais les conditions et les contraintes thermiques et mécaniques sont également sévères. Les premiers réacteurs ayant fonctionné, comme Chooz A-CNA en France et Trino-Vercellese en Italie, possédaient une gaine en acier inoxydable. Cependant l’acier inoxydable présentait l’inconvénient de trop capturer les neutrons. Le matériau de gaines doit, en effet, répondre à un certain nombre de critères et d’exigences. Il doit posséder une faible section efficace de capture, contenir peu d’éléments et d’impuretés susceptibles de s’activer et de se libérer, ne pas (ou peu) gonfler sous flux, posséder une bonne résistance mécanique et une bonne résistance à la corrosion. Les matériaux utilisés au niveau de l’assemblage doivent, de plus, être compatibles d’un point de vue chimique et électrochimique (couplage galvanique). Le zirconium dont les propriétés physiques sont rappelées dans le tableau 6.1 a très tôt intéressé les pionniers du nucléaire car ce métal possède une faible section efficace de capture, capable d’améliorer le bilan neutronique du réacteur. Mais les critères ci-après étant à respecter pour la conception des gaines et des assemblages afin qu’ils possèdent les propriétés mécaniques requises, il fallut allier le zirconium à d’autres éléments. Une pollution accidentelle, dit-on, par un morceau d’acier inoxydable a conduit à la découverte du caractère bénéfique en corrosion d’additions de petites quantités de fer, de chrome et de nickel.
126
Corrosion des circuits primaires…
Tableau 6.1. – Propriétés physiques du zirconium.
Masse spécifique Expansion thermique Module de Young Conductivité thermique Capacité calorifique Section efficace de capture Paramètre cristallin
unité kg·m−3 K−1 GPa W·m−1 K−1 J·kg−1 K−1 Barn (10−28 m2 ) nm
valeur 6,5 6,7×10−6 105 22 276 0,185 a = 0,323 c = 0,515
– Le nombre de cycles mécaniques des gaines doit rester inférieur au nombre de cycles de ruptures par fatigue (en cas de cyclage de puissance du réacteur). – Le grandissement des crayons sous irradiation est limité par la distance entre les embouts. – La gaine doit être autoportante afin d’éviter l’écrasement des pastilles. – La pression interne dans les crayons doit rester inférieure à la pression du primaire afin d’éviter la réouverture du jeu pastille-gaine. – La déformation et les contraintes de la gaine doivent toujours être inférieures aux limites de ruptures (IPG/CSC). – L’épaisseur de la couche d’oxyde doit être telle que la température de la gaine reste toujours inférieure à 400◦ , ce qui revient à limiter cette épaisseur à environ 100 μm. – L’ hydruration des gaines doit demeurer inférieure à la limite de solubilité de l’hydrogène dans le zirconium.
Cela a conduit à la grande classe d’alliage connu sous le nom de zircaloy : dont le zircaloy 2 avec un ajout de Fe, Cr et Ni, et le zircaloy 4 dans lequel le nickel a été éliminé pour réduire la prise d’hydrogène lors de l’oxydation. L’oxygène, élément durcissant, est lui ajouté lors de l’élaboration en mélangeant de la zircone au bain. L’étain a été ajouté aux alliages zircaloy pour améliorer la résistance à la corrosion. Le niobium est l’élément principal de la deuxième grande classe d’alliages industriels. Soluble à toute concentration en phase β, cet élément permet une métallurgie développée autour du contrôle de la transformation β − α[40]. C’est ainsi que, dans un premier temps, le zircaloy 2 fut utilisé pour les réacteurs bouillants moins chauds que les REP, le zircaloy 4 pour les PWR et les REP, les VVER russes préférant un alliage Zr-Nb. Les gaines ne sont pas les seuls composants à utiliser les alliages de zirconium. Les tubes guides dont la température de paroi est un peu moins élevée que celle des gaines mais qui séjournent plus longtemps en réacteur et les grilles de maintien sont
Chapitre 6 – Corrosion des gaines de combustible
127
Tableau 6.2. – Composition de quelques alliages de gaine.
Alliage Zircaloy 2 (BXR) Zircaloy 4 M5 Zirlo (W) Russe
Sn 1,2/1,7
Fe 0,07/0,2
Cr 0,05/0,1
Nb –
1,2/1,7 0,18/0,24 0,07/0,13 < 10−4 – – – 1 1 0,1 – 1 1,2 0,4 – 1
Ni 0,03/0,08
O 0,11/0,14
< 7 × 10−5 0,11/0,17 – 0,12 – ? – ?
Impuretés max Co < 20 ppm ; Hf < 100 ppm ; U < 3,5 ppm ; plus quelques ppm de S, sans quoi les alliages perdent leurs qualités mécaniques.
aujourd’hui également entièrement en zircaloy 4 dans les REP. Le tableau 6.2 donne la composition des principaux alliages de zirconium utilisés dans les réacteurs. Nous nous intéresserons par la suite à la corrosion des alliages de zirconium.
6.2. Corrosion des alliages de zirconium Dans un réacteur à eau pressurisée, si l’on excepte l’UO2 , le matériau de gaine du combustible est soumis aux plus hautes températures et gradient thermiques. Les risques de corrosion de ce matériau sont alors de deux types : – le premier, compte tenu de la grande affinité du zirconium pour l’oxygène, est la corrosion généralisée des surfaces en contact avec le milieu primaire ; – le second est un risque de corrosion sous contrainte : la céramique combustible se fracture, change de densité, crée des produits de fission dont des iodes qui sont gazeux aux températures de fonctionnement. Si des variations brutales de température surviennent, des interactions possibles entre le combustible et la gaine peuvent produire des contraintes de tension insuffisamment accommodées par le fluage de la gaine. Dans ces conditions, un phénomène de fissuration (contraintes de tension en présence d’iode) peut apparaître.
6.2.1.
Cinétiques de corrosion des alliages de zirconium en milieu REP
La réaction de corrosion du zirconium dans l’eau désoxygénée à haute température est responsable de la formation d’une couche de zircone d’épaisseur en général homogène sur la surface de gaine et de la formation d’hydrogène responsable du phénomène d’hydruration.
128
Corrosion des circuits primaires…
Elle peut être représentée par la relation chimique suivante : Zr + 2H2 O → ZrO2 + 4H2 Attention, cette équation globale ne rend pas compte des mécanismes élémentaires qui interviennent lors de l’oxydation. L’oxyde ZrO2 croît vers l’intérieur de la gaine. Le rapport Pilling-Bedworth, déjà rencontré, « volume ZrO2 /volume de Zr consommé », est égal à 1,56 pour le zircaloy. Le volume de zircone étant plus grand que le volume de zirconium qui lui a donné naissance, cela entraîne un gonflement (foisonnement) qui fait apparaître des contraintes de compression de l’ordre du GPa dans la zone interfaciale métal/oxyde. Ces contraintes sont responsables d’un « décollement » de l’oxyde au-delà d’une certaine épaisseur, visible sur les micrographies. Le métal de base est ensuite à nouveau en contact direct avec le métal et une nouvelle formation d’oxyde protecteur redémarre. La zircone possède deux variétés : monoclinique et tétragonale (quadratic pour les Anglo-Saxons). La zircone tétragonale est instable pour les températures supérieures à environ 900 ◦ C. Mais les contraintes de compression résultant du foisonnement, qui sont supérieures à 2 GPa, permettent la stabilisation de la zircone tétragonale aux températures de la gaine (T < 350◦ C) ! Il n’est pas impossible que ce phénomène joue un rôle dans la création de porosité et/ou au niveau de la transition et de l’apparition de fissures longitudinales (figure 6.1).
-, Épaisseurs de transition des cinétiques en autoclave M5 oxydé 1 011 j à 360 °C dans 10 ppm Li/650 ppm B
En REP strates similaires : M5 6 cycles, étage 6
Figure 6.1. – Corrosion des alliages Zr : stratification des couches d’oxyde (source CEA).
On peut inférer de ce décollement de l’oxyde, chaque fois que les contraintes sont trop fortes, l’aspect cyclique de la cinétique d’oxydation des alliages base Zr soit une succession de régimes paraboliques, interrompus par des transitions cinétiques.
Chapitre 6 – Corrosion des gaines de combustible
129
– Cette succession de cycles résulte d’une compétition entre l’évolution d’une couche barrière interne (limitant la diffusion des espèces oxydantes vers l’interface métal-oxyde) et l’évolution d’une couche poreuse externe. – La transition cinétique est provoquée par la dégradation de la couche barrière interne. Au niveau macroscopique cependant, la corrosion des alliages à base de zirconium et en particulier du zircaloy 4 est caractérisée par plusieurs types de lois cinétiques, intervenant successivement. Phase 1 : phase prétransitoire La phase initiale de corrosion correspond à la constitution d’une couche de zircone protectrice. La vitesse de corrosion décroît régulièrement. L’épaisseur formée S suit une loi approximativement cubique dans le cas du zircaloy 4 : S n = Kpré e −Q /RT t
(6.1)
relation dans laquelle Q représente l’énergie d’activation de la réaction, R la constante des gaz parfaits, T la température absolue en degré Kelvin, t le temps d’exposition et Kpré est une constante caractéristique de l’étape prétransitoire ; n étant donc peu différent de 3 pour le zircaloy comme cela a été établi depuis longtemps [1, 49–51]. Il est admis que n est voisin de 2 pour les alliages au niobium comme le rapporte Hillner [49] à partir d’essais anciens réalisés en autoclave à 350 et 400 ◦ C par Kiselev. Et en général, dans les essais en eau entre 300 et 360 ◦ C, la cinétique suivie par les alliages binaires à faible teneur en Nb (2,5 % ou moins) serait mieux représentée par une loi de type parabolique. Pour Urbanic [52], en milieu lithié à 300 ◦ C, la cinétique de corrosion d’un alliage Zr-1Nb est aussi proche d’une loi parabolique (pour des épaisseurs faibles) mais est plus élevée et pratiquement cubique pour l’alliage Zr-20Nb. En fait, un examen attentif de la littérature montre qu’il n’y a pas consensus sur ce point. Épaisseur de transition À partir d’une certaine épaisseur (Str comprise entre 1,5 et 3,5 μm) qui dépend de l’alliage et des conditions d’oxydation, la loi cinétique change et après quelques oscillations (répétitions) la vitesse de corrosion semble devenir constante. L’épaisseur de transition est donnée par l’ensemble des auteurs par l’équation : Str = A e −Qtr /RT
(6.2)
avec A dépendant en particulier des impuretés et de la microstructure de l’alliage. L’épaisseur de transition augmenterait donc avec la température. Hillner [50] aboutit à cette équation mathématiquement, en égalant la loi « prétransitoire cubique » et la loi « post-transitoire linéaire » dont nous allons discuter plus loin, au moment de la transition. Rien que le fait que l’on observe souvent une succession de
130
Corrosion des circuits primaires…
cycles en début d’oxydation permet de douter de cette approche. Il est probable que les deux lois sont indépendantes et qu’il faille écrire la loi post-transitoire comme indiqué au paragraphe suivant. Dyce [53], propose des valeurs d’épaisseur de transition en fonction de la température qui semblent être le résultat d’observations. Le modèle de la référence [49] et le modèle COCHISE [51] utilisent également les points de Dyce pour calculer la transition. On voit donc que cette dépendance de l’épaisseur de transition ne repose que sur des points publiés en 1964 sur le zircaloy-2 ! Ce comportement cependant semble confirmé, au moins qualitativement, pour le zircaloy-4 par les expériences publiées dans [54] dans laquelle des baisses de température conduisent dans un premier temps à des augmentations de cinétique attribuables au franchissement de la transition. La plupart des auteurs signalent que l’état métallurgique (en particulier la nature, la taille et la répartition des précipités [55]) affecte le temps de transition. L’augmentation de la teneur en étain ( ?), la présence de lithium réduiraient également le temps de transition. Il ne semble pas cependant y avoir d’étude définitive sur ce sujet. La présence de niobium dans l’alliage allongerait, elle, le temps de transition. C’est ce que rapporte encore Hillner [50] au vu d’essais russes. Phase 2 : phase post-transitoire Après la transition survenant au temps ttr , la loi cinétique devient donc approximativement linéaire : S = Kpost e −Q /RT (t − ttr ) + Str (6.3) Pour les deux étapes, la vitesse d’oxydation est activée thermiquement (Q = 132 000 kJ·mole−1 ) avec une énergie d’activation qui est voisine de celle de la diffusion d’oxygène dans la zircone. Notons qu’aux incertitudes de détermination près, Q garde la même valeur pour les deux étapes. Ce point demanderait à être étudié de manière plus approfondie. Il existe en effet une certaine dispersion entre les auteurs et pour un même auteur des différences légères entre période de prétransition, post-transition, entre conditions d’obtention (boucle, autoclave, réacteur) et en présence ou non de lithium, etc. [51, 56, 57]. Remarque : la valeur de Q doit être déterminée ou confirmée pour chaque nouvel alliage. Durant cette phase post-transitoire, la corrosion est influencée par les facteurs suivants : – la chimie de l’eau : le lithium accélère la cinétique d’oxydation du zircaloy 4 et des autres alliages lorsque les conditions chimiques sont très supérieures à celles des REP actuels (Li > 20 ppm, B = 0). On ne note pas, en revanche, en l’absence d’ébullition (qui concentre le lithium à la paroi), d’impact marqué consécutif à une augmentation de la teneur en lithium entre 0,2 et 10 ppm.
Chapitre 6 – Corrosion des gaines de combustible
131
Le bore modère voire supprime l’effet néfaste de Li sur la corrosion. L’oxygène accélère la cinétique d’oxydation des alliages Zr-Nb. – la thermohydraulique : effet du flux de chaleur et de l’ébullition : il semble bien que le flux de chaleur (ou l’hydraulique ?) ait un impact en soi comme semble le montrer la comparaison des cinétiques d’oxydation entre autoclaves et boucles (> 15 %). Par ailleurs, l’ébullition modifie localement la chimie de l’eau en enrichissant et en concentrant, en particulier, le lithium à la paroi. Pour des taux de vide faibles (< 1 %), on ne constate pas d’effet. Pour des taux de vide compris entre 1 et 11 %, ce qui correspond à un débit vaporisation de 0,08 à 0,15 g/cm2 ·s dans les conditions de combustible REP, l’effet semble être assez constant. En revanche pour des taux de vides élevés (> 30 %), la cinétique d’oxydation se met à s’accélérer fortement même si on est, au départ, à l’intérieur des spécifications des REP. – la métallurgie : la composition chimique (Sn, V, C, S, Fe) a un impact sur la cinétique d’oxydation, ainsi que le traitement thermique (RXA, SRA, trempé β, gammes basse température, mixte). Phase 3 : phase de corrosion accélérée Enfin, dans certaines conditions, par exemple avec de fortes concentrations en lithium ou pour des échantillons hydrurés ( ?) en autoclave ou en boucle et pour des combustions massiques élevées en réacteur, une troisième étape, la phase 3, apparaît et correspond à une accélération, en générale brutale, de la cinétique. Ces trois phases sont représentées schématiquement sur la figure 6.2.
Figure 6.2. – Exemple didactique de cinétique de corrosion du zircaloy.
132
Corrosion des circuits primaires…
Remarque : il ne s’agit que d’un schéma didactique concernant le zircaloy et les valeurs inscrites ne sont là que pour fixer les idées. Nous reviendrons en particulier sur le problème du temps d’essai qui perturbe la comparaison en présence d’un transfert de chaleur. La figure n’est donc strictement valable que pour le cas d’école correspondant à une température d’interface métal oxyde presque constante en fonction du temps d’exposition. On relève sur cette figure une différence entre les trois modes d’oxydation : l’autoclave, la boucle hors pile (sans irradiation mais avec transfert de chaleur à la paroi) et le réacteur. La différence entre autoclave et boucle hors pile est attribuée à la présence du transfert de chaleur. La différence entre réacteur et boucle hors pile est attribuée à la présence de l’irradiation, phénomène sur lequel nous reviendrons. Mais avant, il nous faut préciser un phénomène relativement trivial lié à l’existence d’un flux thermique.
6.2.1.1.
´ Temperature d’interface
La température d’intérêt dans le phénomène d’oxydation est la température à l’interface métal/oxyde (m/o). En autoclave, cette température est la même que celle du fluide. En revanche, en boucle avec transfert de chaleur et en réacteur au niveau du combustible, cette température dépend de l’épaisseur de zircone et du flux de chaleur. T = Tp + S φ/λox avec : – – – – –
Tp , la température à la paroi ; T, la température à l’interface m/o ; S, l’épaisseur de l’oxyde (éventuellement augmenté de l’épaisseur de dépôt) ; φ, le flux de chaleur surfacique. λox , la conductivité de l’oxyde.
À partir d’une dizaine de μm et avec les flux de chaleur existant dans les REP, l’effet de l’augmentation de température sur la cinétique d’oxydation ne peut plus être négligé. Cette augmentation est responsable de l’allure incurvée (écart par rapport à la linéarité) des courbes donnant l’évolution de l’épaisseur d’oxydation en fonction du temps (ou de la combustion massique) en boucle et en réacteur. Cette allure normale donc, en présence d’un flux de chaleur peut néanmoins masquer un effet accélérateur supplémentaire1 . Cela rend difficile la comparaison non seulement avec des essais en autoclave mais également entre deux crayons possédant des historiques de puissance différents qu’ils aient été irradiés dans le même réacteur ou dans des réacteurs distincts. 1 Au-delà de 45 GWJ/t, on note, en effet, une inflexion de la courbe supérieure enveloppe des observations réacteur qui ne peut être expliquée par le seul effet du flux de chaleur.
Chapitre 6 – Corrosion des gaines de combustible
133
À ce titre les graphiques, donnant les épaisseurs d’oxyde en fonction de la combustion massique, peuvent être trompeurs et manquent pour le moins de précision. Si l’on veut s’affranchir de ce problème dans la présentation des résultats, il est possible d’utiliser un temps réduit ou équivalent [58].
6.2.1.2.
´ ´ Temps equivalent ou reduit
La loi de corrosion en régime post-transitoire semi-empirique mais universellement admise est, on l’a vu précédemment : dS = ke −Q /RT dt Il y a alors linéarité avec le temps lorsque T ne dépend pas de S. Nous proposons de définir le temps réduit t∗ , par : dS = k(e −Q /RT dt) = kdt ∗ temps réduit
S exprimée en fonction de t ∗ ne dépend plus de l’historique de cuisson ou d’irradiation. Insistons sur le fait que T doit être la température d’interface métal/oxyde (m/o). Prendre pour T , la température de surface, comme cela est fait dans [58], est insuffisant dans le cas des REP et plus généralement chaque fois qu’il existe un transfert de chaleur. Il devient alors possible de comparer directement les courbes d’épaisseur exprimées en fonction de ce temps réduit, que les essais aient été effectués en autoclave, en boucle ou en réacteur. Il permet ainsi : – de s’affranchir des différences de régime thermique liées aux variations de régime thermohydraulique ; – de comparer les observations de plusieurs crayons ayant des historiques différents avec des taux de combustion voisins ; – de déduire le temps simulant un nombre de cycles « réacteur ». Cette équivalence dans le cas de l’essai Reggae avec 70 ppm de Li et 650 ppm de Bore est donnée, à titre d’exemple, ci-dessous. AFA 2G Durée essai Reggae 450 j
Équivalence en jours d’opération en REP de 900 MWe à différentes hauteurs du combustible Étage 6/7 Étage 5/6 Étage 4/5 Étage 7/8 1 200
1 500
≈ 1 800
≈ 1 600
On voit que, dès aujourd’hui, l’essai Reggae a un effet accélérateur de 2,67 à 4 suivant l’élévation du crayon combustible. Il est équivalent thermiquement à environ 5 cycles pour les parties de gaine situées entre les grilles 5 et 6, mais n’est équivalent qu’à environ 4 petits cycles de combustible pour l’étage le plus chaud (6/7).
134
Corrosion des circuits primaires… 60 50
Epaisseur
40 30 20 10 0 0.00E+00 1.00E-09 2.00E-09 3.00E-09 4.00E-09 5.00E-09 6.00E-09 7.00E-09 8.00E-09 9.00E-09 1.00E-08 Temps Equivalent REP REGGAE (Li=70,B=0) AUTOCLAVE (Li=70,B=0) M5 Autoclave 70 ppm de Li Zy 4 Autoclave 1.5/650 Reggae Zy4 10/650
REGGAE (Li=10,B=650) REGGAE (Li=1.5,B=650) AUTOCLAVE (Li=1.5,B=650) Reggae10/650 alliage X Zy 4 Autoclave 70 ppm
Figure 6.3. – Cinétique d’oxydation en fonction du temps réduit. Comparaison avec la cinétique « réacteur ».
Une température chaude fait se déplacer la courbe vers des temps réduits plus élevés, ce qui est normal puisque la température accélère le processus. En fait t* sera donné par : t ∗ = ti e −Q i /Ri Ti Un exemple est donné sur la figure 6.3. Les évolutions restent alors linéaires même en présence d’un flux de chaleur si aucun autre phénomène n’est venu accélérer le processus d’oxydation. En revanche, en utilisant cette approche, l’écart par rapport à la linéarité des points expérimentaux est la manifestation d’un phénomène non lié directement à la thermique. Sur notre exemple, il s’agit de l’effet lithium, mais cela aurait pu être aussi bien la mise en évidence d’autres causes – hydrogène, etc. L’intérêt de cette présentation apparaît immédiatement : – elle fait ressortir naturellement ce qui n’est pas lié à l’histoire thermique du crayon ou de l’échantillon ; – elle permet d’évaluer quel essai est le plus représentatif de la corrosion en réacteur. Ici par exemple, sous réserve de confirmation et jusqu’à ce que l’effet lithium se manifeste, l’essai en autoclave à 360 ◦ C et 70 ppm de Li serait l’essai le plus représentatif d’un fonctionnement en réacteur ! Il faut sans doute tempérer cette affirmation et vérifier que pour les alliages différents du zircaloy 4, cela reste vrai.
Chapitre 6 – Corrosion des gaines de combustible
6.2.1.3.
135
Retour sur la transition
Les formules ci-dessus sont semi-empiriques. Elles sont pratiques pour évaluer l’épaisseur de corrosion mais sont insuffisantes pour expliquer les mécanismes. Il n’est en particulier pas évident à première vue qu’il existe une différence de mécanisme entre le régime de prétransition et de post-transition. Les mesures fines de cinétique d’oxydation montrent que, très souvent et au moins au début, on observe une succession de cycles semblables au premier cycle de prétransition. Un exemple de ce phénomène est illustré sur la figure 6.4. Le cycle se produirait chaque fois que l’épaisseur du nouvel oxyde atteint une valeur de 1,5 à 3,5 μm selon les conditions, le matériau. 14 cycle successif 12 Epaisseur (unité arbitraire)
approx. linéaire 10 8 6 4 2 0 0
100
200
300
400
500
600
Duréee
Figure 6.4. – Cinétique d’oxydation du zircaloy 4 en fonction du temps.
Le passage à la loi linéaire pourrait être dû alors à la raréfaction des points de mesure avec le temps qui conduirait en somme à un lissage grossier, un passage de mesures hautes fréquences à des mesures basses fréquences. Dans certaines expériences, cependant, l’augmentation du nombre de mesures semble montrer qu’il existe véritablement une « linéarisation » progressive de la loi. D’autres auteurs dont O. Sicardy [59] proposent un autre type d’explication basée sur les déphasages des différents régimes cubiques locaux. L’épaisseur de transition serait liée (cause ou conséquences ?) à des fissures observées dans l’oxyde et parallèle à l’interface m/o. La répartition des intervalles de fissuration (de la distance entre fissure) varie d’un lieu à l’autre dans l’oxyde. Pour une loi cubique de départ, la cinétique tendrait vers une cinétique post-transitoire linéaire, et ce, d’autant plus vite que la distribution est suffisamment dispersée. C’est aussi l’approche proposée par Y. Tsuchiusi
136
Corrosion des circuits primaires…
[60] qui trouve de plus une relation entre la vitesse de corrosion et la dispersion des fissures ainsi qu’avec l’intervalle entre fissures. Les deux auteurs aboutissent à la même relation entre Kpré et Kpost soit : Kpost = Kpré /Es2 Es étant l’intervalle moyen entre fissure. Cette formulation est loin d’être contredite par les déterminations expérimentales de Kpré et Kpost et mériterait d’être plus analysée et étudiée afin de l’étendre aux cas de fonctionnement en boucle. Il faudrait vérifier aussi que ce comportement est conservé en réacteur. Rien n’indique jusqu’ici, à ma connaissance, que sous flux neutronique, il existe une succession de loi cubique ou parabolique et qu’on n’ait pas linéarité dès la première transition.
6.2.1.4.
´ ´ Effet reacteur, effet de l’irradiation sur la cinetique
L’accélération de la corrosion du zircaloy sous flux a plusieurs causes. Ces causes peuvent être dues à l’environnement physique et chimique : – la température à l’interface métal/oxyde, interface qui dépend elle-même de la température de l’eau et du flux de chaleur local ; – les conditions thermohydrauliques et la présence d’ébullition nucléée. En principe il y a peu d’ébullition nucléée dans les réacteurs de conception française mais la présence d’arcures ou de dépôts peut en créer ou en augmenter localement le taux ; – la chimie de l’eau (teneur en lithium…). L’irradiation en elle-même a une influence sur la cinétique mais il est difficile de distinguer ce qui revient à un effet du flux, à un effet de la fluence de neutrons et/ou à la radiolyse. En présence d’oxygène Dans les REP dont le conditionnement chimique suit les spécifications en vigueur (en particulier celles concernant les teneurs en hydrogène et oxygène dissous), l’irradiation a beaucoup moins d’impact sur la cinétique de corrosion du zircaloy que dans les réacteurs bouillants2 . On connaît en fait l’effet accélérateur de l’irradiation en milieu oxydant lié à la radiolyse de l’eau. Ce point a été très étudié dans le passé. On trouve déjà en 1969 une bonne synthèse du phénomène dans le livre de P. Cohen [1]. Les effets de la puissance, de la température et de la présence de gaz d’oxydant dans le réfrigérant sont bien démontrés. Plusieurs auteurs ont travaillé sur le sujet de manière assez intensive comme A.B. Johnson [61, 62], B. Cox [63], etc. 2 Remarquons que c’est seulement le facteur d’accélération qui est plus fort dans les REB, car grâce à la température plus faible des bouillants, l’épaisseur d’oxyde observée sur les crayons REB est plus faible que celle des crayons REP.
Chapitre 6 – Corrosion des gaines de combustible
137
Videm [64] et Lunde [65] ont observé ce qui se passait dans les réacteurs à eau bouillante. De leurs travaux et en particulier des expériences en pile et hors pile et des observations en réacteur, on peut déduire un facteur d’accélération dû à l’irradiation en présence d’oxygène dans le réfrigérant (de 0,3 à 1 ppm d’oxygène dissous). Ce facteur est le rapport entre les épaisseurs d’oxydation obtenues pour les mêmes temps d’exposition en pile et hors pile sur la même boucle. L’évolution de ce facteur en fonction de la température pour différent flux de neutrons rapide est montrée sur la figure 6.5. 50 Flux=2.E13 n/cm2/s
45
F=4.E13n/cm2/s F=8.E13n/cm2/s Sans Oxygéne
40
REP/Zircaloy 4 Corbéta , Halden, etc.
Facteur d'accélération
35
30
Effet de la Radiolyse en milieu oxydant
25
20
15
10
5
0 260
sans O2 1.30E+14
280
300
320
340
360
Température durant l'irradiation
Figure 6.5. – Effet de l’irradiation sur la corrosion du zircaloy en fonction de la température, du flux neutronique et de la teneur en oxygène de l’eau.
Il est clair même si les dispersions n’ont pas été rapportées sur ces courbes que le phénomène dépend fortement de la température et également du taux d’irradiation représenté par le niveau de flux rapide.
138
Corrosion des circuits primaires…
Pour des niveaux de flux voisin de celui des réacteurs de puissance, il est d’environ 10 à 340 ◦ C et supérieur à 20 à 300 ◦ C ! Existence d’une accélération en milieu REP On sait depuis longtemps [49] qu’il existe dans les REP un effet « réacteur » sur la cinétique d’oxydation comme cela est illustré sur la figure 6.2. En l’absence d’oxygène dans le réfrigérant (< 0,05 ppm et le plus souvent < 1 ppb, et en présence d’hydrogène), on ne dispose malheureusement dans les expériences décrites au §3.1 que d’une seule température – 280 ◦C – (mais de plusieurs mesures à cette température) pour un flux de 1,2×1018 n·m−2 ·s−1 et une fluence de neutrons rapides (E > 1 MeV) de 1.1 × 1025 n·m−2 . Le facteur d’accélération « brut » est alors compris entre 1,75 et 4 comme le montre la figure 6.5. Les études menées à partir du retour d’expérience des REP d’EDF [56] montrent que le facteur global d’accélération de la cinétique d’oxydation du zircaloy 4 à prendre en compte tout le long du crayon est relativement constant. La valeur moyenne obtenue sur l’ensemble de la base de données disponible à l’époque est égale à 3,12. La dispersion autour de ces valeurs est d’environ +/– 30 % près, au moins jusqu’à 45 MW·j/kg U. Cette valeur est donc compatible avec le point à 280 ◦ C de Johnson [61]. Les résultats d’expériences en pile à des températures de 330 à 350 ◦ C [66, 67] montrent également que la cinétique d’oxydation sous flux neutronique s’accorde bien avec ce facteur d’accélération voisin de 3. On peut donc déjà conclure comme le montre la figure 6.5 que dans les conditions réductrices des REP, en présence de suffisamment d’hydrogène dissous, l’effet d’irradiation est non seulement plus faible que celui observé dans les réacteurs bouillants mais est de plus indépendant de la température. Ce fait est d’importance car certains auteurs qui en général n’avaient pas correctement pris en compte l’effet du flux de chaleur, n’excluaient pas une variation de ce facteur avec la température. Précisons qu’on parle ici d’un effet accélérateur de l’irradiation sans préciser quel(s) mécanisme(s) le(s) sous-tend(ent). Cet effet « réacteur » peut être un effet direct ou indirect de l’irradiation. D’autres observations, sur du zircaloy 4 standard, montrent qu’au moins au-dessus d’un certain seuil (≈ 1017 n·m−2 ·s−1 d’énergie supérieure à 1 MeV), cet effet est indépendant du flux de neutrons rapides. En particulier Phillipe Billot et al. [68] ont établi en analysant le retour d’expériences des REP (mesures faites en laboratoire chaud dont les triangles et cercles gris de la figure 6.6 nous montrent un exemple) qu’à température de paroi égale, l’épaisseur3 d’oxydation était identique au droit du combustible de la grille 2 à la grille 7 ou le flux est à peu près constant (φE > 1 MeV ≈ 1 × 1018 n·m−2 ·s−1 ), mais aussi entre la grille 7 et la grille 8 ou le flux est notablement plus faible, et surtout au niveau du plénum où le flux rapide est dix fois moindre. Les expériences en pile citées précédemment dont les flux thermiques varient de 3 × 1017 à 2 × 1018 n·m−2 ·s−1 , renforcent cette conclusion 3 Mesurés par courant de Foucault mais aussi à partir d’examens métallographiques donc difficilement contestables.
Chapitre 6 – Corrosion des gaines de combustible
Zircone épaisseur en µm
45
139
Cochise V1.5 37.3 GWJ/t
40
GRAV4 3 cycles 37.2 GWJ/t min
35
GRAV4 3 cycles 37.2 GWJ/t max
30 25 20 15 10 5 0 0
50
100
150
200
250
300
350
400
élevation en cm depuis le bas du crayon
Figure 6.6. – COCHISE : comparaison calcul/mesure pour le Zy 4 std (source CEA/AREVA).
puisqu’elles sont globalement en accord avec le facteur d’accélération déterminé en REP pour le zircaloy 4 standard. Ces deux faits, indépendance de la température et indépendance dans une certaine plage du niveau de flux rapide, écartent le phénomène de radiolyse de l’eau comme élément susceptible d’expliquer cette accélération de cinétique (le facteur 3) dans les REP. Il a pourtant été proposé par un certain nombre d’auteurs [66, 69] que cette accélération en milieu REP (c’est-à-dire en milieu réducteur hydrogéné justement pour supprimer les produits de radiolyse et leur effet néfaste) soit quand même due à ce phénomène en raison de conditions locales particulières pouvant exister voire subsister au fond des pores. Or on sait (savait, cf. §2.2) que les phénomènes liés à la radiolyse sont au contraire fortement dépendants de ces deux facteurs : – la sensibilité à la température est liée aux cinétiques de recombinaison d’autant plus efficaces et rapides que la température est élevée ; – la création d’espèce dépend, elle, du flux de neutrons. L’indépendance constatée rend donc improbable que la radiolyse soit la cause principale de l’accélération de la corrosion sous flux en milieu fortement hydrogéné exempt d’oxydant. On doit quand même remarquer et se demander pourquoi, malgré l’indépendance annoncée vis-à-vis du flux, certains auteurs comme ceux de Siemens et d’ABB font intervenir le flux rapide directement dans leur modèle [68]. Le retour d’expérience sur l’oxydation des tubes guides abordé au §6.2.1.6 nous permettra de donner un éclairage nouveau sur l’effet de l’irradiation et apportera une justification à cette prise de position. Ces caractéristiques – indépendance de la température et du flux rapide – sont essentielles pour la modélisation de ce phénomène.
140
Corrosion des circuits primaires…
Différence entre pré- et post-transition Jusqu’à une date récente, la majorité des chercheurs considérait que la corrosion n’était pas accélérée en dessous d’une épaisseur critique. À peu près tout le monde s’accorde aujourd’hui pour admettre un facteur d’accélération dû à l’effet réacteur (l’irradiation) compris entre 2,5 et 4 pour le zircaloy au-delà de cette épaisseur. Cependant, plusieurs valeurs sont proposées pour l’épaisseur à partir de laquelle cette accélération débute. Elles s’étalent entre 2 et 6 μm. F. Garzarolli [57] publie des données provenant de REP mais sur des surfaces isothermes (probablement correspondant aux tubes guides). Il conclut à partir des mesures présentées figure 6.7 que la corrosion suit une cinétique similaire à celle provenant des essais hors pile jusqu’à une épaisseur de 6 μm. 3,50E+01
ajustements moindre carré
Epaisseur de corrosion en µm
3,00E+01
2,50E+01
2,00E+01 Mesures 1,50E+01
1,00E+01
5,00E+00
cinétique autoclave hors pile
0,00E+00 0
500
1000
1500
2000
Temps d'exposition à 310 °C
Figure 6.7. – Cinétique d’oxydation en REP hors flux de chaleur. Comparaison avec cinétique autoclave.
L’examen attentif de ces points montre que, si au-delà de 5 à 6 μm l’existence d’une accélération est indubitable, on ne peut pas exclure qu’elle ait débuté avant. En fait, la fréquence des mesures et la dispersion des observations ne permettent pas d’être affirmatif. En effet si l’effet réacteur modifie la vitesse de corrosion (c’est-àdire qu’il est multiplicatif de la constante Kpost de l’équation du §6.2.1 par exemple comme cela est modélisé dans COCHISE), l’effet sur la vitesse d’oxydation ne sera pas immédiatement perceptible, comme le montrent les simulations. Ce sera encore plus difficile à prouver si la dispersion sur les mesures est importante. Nous allons reprendre la discussion à partir de l’analyse de ces points et d’autres observations du CEA. Les mesures présentées par Garzarolli ne sont pas les seules mesures en isothermes sous flux neutroniques dont nous disposons, le CEA a conduit des expériences dans le réacteur OSIRIS, destinées à étudier entre autres la croissance des feuillards et des tubes-guides sous irradiation en milieu REP et oxydés.
Chapitre 6 – Corrosion des gaines de combustible
141
2,50E+01 Cochise sans irradiation Cochise 310 °C Mesures Garzarolli
2,00E+01
Epaisseur de corrosion en µm
effet irradiation en prétransition
1,50E+01
1,00E+01
5,00E+00
0,00E+00 0
200
400
600
800
1000
1200 1400
1600
1800 2000
Temps d'exposition à 310 °C en jours
Figure 6.8. – Comparaison de la corrosion isotherme en REP avec COCHISE.
Les échantillons sont placés dans un flux voisin de 2 × 1018 n·m2 ·s−1 , à une température comprise entre 315 et 330 ◦ C, en eau lithiée, boriquée, exempte d’oxygène et en présence d’hydrogène (> 25 cm3 /kg TPN). Les mesures d’épaisseur ainsi obtenues ont été analysées à l’aide du code COCHISE et nous nous sommes posés la question de savoir s’il existe un effet de l’irradiation en prétransition ? En effet, on a vu que l’effet « réacteur » n’est pas sensible immédiatement d’autant que les mesures comportent une certaine dispersion. De plus en phase prétransitoire, l’équation du §6.2.1 montre que l’effet de l’irradiation jouerait sur l’épaisseur comme la racine cubique du facteur multiplicatif. En d’autres termes, le facteur 3 devient inférieur à 1,5 ! Dans ces conditions, n’est-on pas victime d’une certaine « myopie » ? Pour le savoir, nous avons appliqué COCHISE aux expériences précédentes en lui imposant cette modification4 dès l’origine. Comme on peut le voir sur la figure 6.8 reprenant les résultats de Garzarolli, l’écart net entre cette prédiction et les épaisseurs observées jusqu’à 1 200 jours permet d’écarter cette hypothèse. La même application effectuée pour les essais du CEA conduit à la même conclusion. La simulation avec effet de l’irradiation dès l’origine n’est pas compatible avec les points expérimentaux. Cela ne fait que confirmer ce qui ressort des équations. Si l’épaisseur de transition n’est pas changée par l’irradiation, le temps de transition, lui, serait en fait 4 La constante K pré multipliée par 3,125 dès l’origine.
142
Corrosion des circuits primaires…
modifié linéairement par une accélération de cinétique et si celle-ci était multipliée par 2 ou 3, elle ne pourrait passer inaperçue. On peut donc conclure à partir de ces deux expériences que ni l’épaisseur, ni le temps de transition ne sont affectés, dans la limite des incertitudes de mesures, par un « effet réacteur ». Il en résulte également que la cinétique d’oxydation pendant la période prétransitoire est peu ou pas touchée par cet effet. Nous pouvons donc affirmer que l’irradiation n’a pas d’effet décelable en période prétransitoire, ni sur l’épaisseur, ni sur la cinétique ni sur le temps de transition. Effet de l’irradiation en post-transition Cela ayant été établi, il s’agit maintenant de déterminer à partir de quel moment ou de quelle épaisseur d’oxyde la cinétique de corrosion accélère. Il est tentant, voire normal, de considérer que ce changement d’efficacité d’un événement extérieur au processus étudié coïncide avec un changement de comportement, un changement de régime d’oxydation. Il est donc tentant de considérer, en attendant d’en comprendre le mécanisme, que l’effet de l’irradiation jouera à partir de la transition. C’est ce que simule le code COCHISE et cette simulation représente bien ce qui est observé en référence [65] jusqu’à 900 jours ainsi que dans d’autres essais en particulier du CEA. À partir de différentes observations, une analyse quantitative conduit donc à conclure ce qui paraît naturel, que l’irradiation accélère la cinétique d’oxydation du zircaloy 4 dès le début de la phase post-transitoire. Remarque : cela ne veut pas dire que l’irradiation n’a pas d’effet pendant la phase prétransitoire mais seulement que cet effet n’est pas (encore ?) décelable à partir de la cinétique d’oxydation. Notons que ces conclusions viennent conforter de manière indépendante l’analyse des mesures post mortem d’épaisseur de zircone effectuées (comme l’illustre la figure 6.6) au CEA en collaboration avec EDF et AREVA au niveau des étages inférieurs des crayons examinés en laboratoires chauds.
6.2.1.5.
´ eration ´ Accel de l’oxydation : phase 3
On trouve beaucoup d’exemples d’accélération de l’oxydation après la période linéaire. Ce comportement correspond à la phase 3. Elle peut être redoutée si elle se produit en réacteur. Les courbes (présentant les épaisseurs d’oxydation en fonction de la combustion massique, paramètre très dépendant du temps) montrent souvent une accélération de courbure aux valeurs élevées (> 45 GW·j/t). Nous avons vu qu’une grande partie au moins de cette courbure est naturelle et résulte de la présence d’un flux de chaleur dû à l’oxyde croissant (plus d’éventuels dépôts). Cette allure est calculable par les codes. Il semble cependant que dans certains cas ce phénomène ne soit pas suffisant pour expliquer les pentes des courbes d’oxydation en fonction du temps. Mais le calcul des codes dépend des valeurs de conductivité thermique de l’oxyde et d’énergie d’activation utilisées. Or il semble bien aujourd’hui (on l’a signalé pour
Chapitre 6 – Corrosion des gaines de combustible
143
l’énergie d’activation et on peut le déduire des travaux effectués par le CEA et à Halden pour le NFIR [70]) que ces valeurs soient à préciser. Une nouvelle analyse s’impose donc et il faut être prudent vis-à-vis des interprétations possibles pour les différentes phases observées. L’effet du flux de chaleur ne peut cependant être nié comme cela est presque proposé dans [67], il existe bel et bien en REP et son effet sur l’augmentation de température de l’interface m/o est confirmé qualitativement et quantitativement (en utilisant les λ courants) sur les REP fonctionnant en régime d’allongement de campagne comme à Fessenheim. On est sûr par ailleurs de provoquer ce départ en phase 3 en utilisant des concentrations élevées en lithium dans le réfrigérant mais qui peut aussi être obtenu par concentration du lithium à la paroi [71–73] en présence d’ébullition. Il semble cependant que ce n’est pas la seule possibilité et de nombreux expérimentateurs présentent des évolutions plus rapides que la linéarité (courbure positive) en fonction du temps, par exemple en autoclave à 360 ◦ C pour des durées supérieures à 600 jours ou plus. Récemment Mardon [74] obtient également une évolution à courbure positive dès 300 jours sur du zircaloy 4 détendu à teneur en étain élevée en vapeur à 400 ◦ C. Garde [75] montre que la présence de grandes quantités d’hydrogène et la précipitation conséquente d’hydrures accélère la corrosion et l’existence d’une « deuxième transition ». Les travaux d’EDF/DER de M. Blat et D. Noel [76] viennent appuyer cette thèse. Ce phénomène semble donc lié à la sensibilité du matériau mais aussi à l’environnement (chimie, présence d’hydrures, température, etc.). Le passage en phase 3 et l’accélération de corrosion conduisent à avoir pour des taux de combustion supérieurs à 45 000 MW·j/t, des épaisseurs de zircone qui atteignent voire dépassent 100 μm. Outre qu’une telle épaisseur conduit à dépasser les critères de conception qui imposent une température de gaine inférieure à 400 ◦ C, elle peut, en réacteur, s’accompagner de desquamation de la gaine. Un exemple de crayon desquamé dans une expérience en boucle est montré sur la photographie de la figure 6.9. Pour des raisons de sûreté, un assemblage comportant de tels crayons (e > 100 μm, desquamés) doit être déchargé.
Figure 6.9. – Exemple de desquamation sur un élément chauffant gainé zircaloy 4 exposé en boucle d’essai (source CEA).
Soulignons enfin que cet effet n’a été établi que pour le zircaloy 4 et pourrait être le principal facteur limitant son utilisation à fort taux de combustion. En revanche, nous allons le voir, les observations réalisées à ce jour pour l’alliage 5 jusqu’à 70 MW·j/kg ne font pas apparaître d’accélération supplémentaire. Doit-on associer ce comportement à la plus faible hydruration du matériau ? Il est trop tôt pour conclure mais la piste est à creuser et nous y reviendrons au §6.2.2.
144
6.2.1.6.
Corrosion des circuits primaires…
Effet de la fluence ?
Nous n’avons considéré jusqu’à présent que l’effet du flux ou plus exactement du débit de fluence de neutrons rapide sur la cinétique d’oxydation. La détermination, peut-être trop globale, du facteur d’accélération Kirr des codes comme COCHISE à partir de l’ensemble des points de mesure, ne faisait pas apparaître d’influence caractérisée de la fluence ou du temps passé en réacteur, l’accélération au-delà de 45 GW·j/t étant attribuée au passage en phase 3, observé aussi sur des oxydations hors flux. En revanche, certains auteurs, on l’a déjà mentionné, font intervenir la fluence dans la cinétique post-transitoire. Certains résultats d’expertises réalisées au CEA et les données Framatome (AREVA) obtenues sur site suggèrent aussi une influence de la position, sur un même tube guide (TG), vis-à-vis de l’épaisseur d’oxyde. Cette observation paraît donc en contradiction avec ce qui a été écrit précédemment et établi pour les gaines soit, rappelons-le, l’indépendance de la cinétique d’oxydation vis-à-vis du niveau de flux rapide pourvu qu’il soit supérieur à 1017 n·m2 ·s−1 . Remarquons que, sur un même crayon ou tube, toutes les parties ont séjourné le même temps en réacteur. Il est donc impossible de séparer l’effet du débit de fluence (le flux), de l’effet de la fluence (flux intégré) et ce dernier d’un phénomène évolutif. En revanche, la comparaison des observations faites sur plusieurs grappes ou crayons ayant séjourné à des temps différents ou ayant été soumis à des flux différents permet de trancher entre flux de neutrons et fluence ou les phénomènes qui en dépendent. Les tubes guides présentent l’avantage par rapport au crayon, d’abord de ne pas être soumis à un flux de chaleur ; la température de paroi est alors pratiquement égale à la température du fluide à la côte considérée et ne dépend plus de l’épaisseur de corrosion. Il est donc plus facile de détecter un effet de la fluence ou du temps d’irradiation. De plus, la température à la même côte sera donc plus faible sur un tube guide que sur un crayon combustible ; il en résulte, pour un temps de fonctionnement donné, une épaisseur d’oxyde plus faible et donc, en principe, pas de départ en phase 3 même pour des taux de combustion élevés ; l’interprétation en est alors facilitée. Bien que, sur les tubes guides, on dispose de peu de points expérimentaux, il y en a suffisamment cependant pour pouvoir présenter sur un même graphe (figure 6.10) cet effet exprimé comme le rapport de l’épaisseur d’oxyde mesurée à l’épaisseur d’oxyde attendue (prévision COCHISE) en fonction de la fluence sur des TG AREVA. On observe une augmentation notable de ce rapport avec la fluence. Pour les fluences inférieures à 4,2 × 1025 n·m−2 , le facteur d’accélération de la cinétique est compris entre 2 et 4 et ne semble pas en dépendre. En revanche audelà d’environ 5 × 1025 n·m−2 , on observe une tendance du rapport à augmenter notablement en fonction de la fluence. Cela est mis en exergue sur la figure 6.10 par la séparation des points expérimentaux en deux groupes : ceux correspondant à des fluences inférieures à 4,2 × 1025 n·m−2 et celles supérieures à 4,9 × 1025 n·m−2 . Au vu des points de mesures de la figure 6.10, il est possible d’admettre une quasi-insensibilité des valeurs « basse fluence » vis-à-vis de ce paramètre
Chapitre 6 – Corrosion des gaines de combustible
145
9
Facteur d'accélération : effet de fluence seul
8
7 y = 6E-26x + 1.0725 2
R = 0.4559
6
5
4
3 y = 5E-33x + 2.9147 2
R = -0.0274
2
1
0
0.00E+00
2.00E+25
4.00E+25
6.00E+25
8.00E+25
1.00E+26
1.20E+26
Fluence en n.m-2
Figure 6.10. – Effet de l’irradiation en fonction de la fluence : mesures sur des TG, recherche de corrélation.
(coefficient de corrélation voisin de zéro, valeur faible du coefficient de fluence en x). De plus, on retrouve ce qui a été vu sur les figures 6.7 et 6.8 (expérience Siemens) jusqu’à 900 jours soit, sans doute, pour une fluence voisine également de 4 × 1025 n·m−2 . Sur cette figure 6.10, le facteur moyen d’accélération (≈ 3) est très voisin (7 % d’écart) de celui déterminé sur les gaines pour l’effet « réacteur » malgré la dispersion des mesures et les incertitudes liées à la prévision. Si on se limite donc aux mesures à basse fluence qui correspondent quand même à au moins deux cycles d’irradiations équivalentes pleine puissance (pour les tubes guides de Paluel par exemple) et à 4 ou 5 cycles pour les parties situées en haut des tubes guides (au niveau de l’intergrille 7), on rejoint la conclusion établie pour les gaines : il existe sur la cinétique un « effet réacteur » voisin de 3 indépendant (dans la limite des incertitudes de mesures et de prédiction) de la valeur du flux rapide au moins dans la plage 1017 −1018 n·m2 ·s−1 . Pour les fluences égales ou supérieures à 5 × 1025 n·m−2 sur les tubes guides, il apparaît, cette fois-ci sans ambiguïté, une augmentation de la cinétique de corrosion lorsque la fluence augmente. Il en est de même sur la figure 6.8, pour des fluences que l’on peut évaluer à 1 200 jours voisines de 6 × 1025 n·m−2 .
146
Corrosion des circuits primaires…
Facteur d'accélération apparent
9 8.5
-0.0089x
y = 1434.4e 2 R = 0.8571
8 7.5 7 6.5 6 572
574
576
578
580
582
584
586
588
590
592
Température en °K
Figure 6.11. – Accélération de l’oxydation en fonction de la température fluence = 1025 n·m−2 ·s−1 .
Mais il faut remarquer la grande dispersion des valeurs du facteur d’accélération notamment pour les fluences comprises entre 7 et 8 × 1025 n·m−2 . Cette dispersion illustrée sur la figure 6.10, par la valeur faible (45 %) du coefficient de corrélation, indique que la fluence dans cette zone a probablement un effet multiplicateur sur la cinétique d’oxydation mais qu’elle n’est pas le seul paramètre responsable de cette accélération. Un des premiers autres paramètres responsables de la variabilité de ce facteur peut être décelé en remarquant que les points de la figure 6.10, situés au voisinage de 8 × 1025 n·m−2 ·s−1 , bien que dispersés proviennent du même tube guide mais à des côtes donc des températures différentes. Tracer alors ces points en fonction de la température montre que cette dispersion n’est pas toute aléatoire. L’influence de la température sur l’accélération d’oxydation apparaît bien sur la figure 6.11. S’étendant sur une plage de 20 ◦ C, elle peut être considérée comme significative (c’est ce qu’illustre le coefficient de corrélation) même si elle reste approximative. À partir de cette constatation, il est tentant de normaliser les points de la figure 6.10 à une même température afin de voir si cela rend les observations plus cohérentes. C’est ce que nous avons fait5 sur la figure 6.12 ou l’effet de fluence, en principe, est seul représenté. Sur cette figure, les valeurs6 , à une même fluence sur un même
5 Nous avons également exclu les mesures correspondant à une fluence de 1025 n·m−2 ; leur proximité avec la transition les rendant trop incertaines. 6 Les points utilisés ont été extraits de publications et rapports et sont donc approximatifs. L’utilisation des valeurs brutes conduiraient sans doute à un résultat légèrement différent. Cela a peu d’importance compte tenu de la dispersion des points. Toutefois s’agissant des points KWU, signalons que la fluence indiquée est probablement sous-estimée : l’abscisse de la figure 6.8 est donnée en jours et la transformation en fluence a été faite avec le même taux que pour les REP français. Or les réacteurs allemands opérant en base, la puissance et le flux moyens sont sans doute plus élevés.
Chapitre 6 – Corrosion des gaines de combustible
147
Figure 6.12. – Accélération du taux de corrosion observée en fonction de la fluence déduite des mesures sur TG normalisées à 310 ◦ C et moyennées.
crayon, ont, après avoir été normalisées à la même température, été moyennées. On a introduit une barre d’incertitude pour tenir compte de la dispersion restante sur ces points. Sur cette figure, nous avons de plus ajouté, en gris clair, les valeurs moyennées mesurées sur les réacteurs allemands (KWU) de la figure 6.8. L’examen de cette courbe montre qu’il est maintenant difficile de maintenir qu’il existe encore deux groupes distincts de valeurs. On ne peut pas exclure, compte tenu des dispersions, que cet effet supplémentaire apparemment lié à la fluence ne soit pas continu et croissant une fois le régime de post-transition atteint. Par exemple, dans le cas des mesures AREVA, la droite de régression basée sur toutes les valeurs de fluence est quasi identique à celle n’utilisant que les points correspondant aux fluences supérieures ou égales à 4,9 × 1025 n·m−2 ·s−1 . La figure 6.12 confirme qu’en dessous d’une certaine valeur de fluence (voisine de 5 × 1025 n·m−2 ), cet effet est faible et le facteur d’accélération reste voisin de l’unité. Dans la détermination du facteur Kirr , il peut donc, en raison des fortes dispersions observées (± 30 % pour les crayons, ± 40 % pour les TG), ne pas être détecté. Il serait d’ailleurs intéressant de déterminer à nouveau ce facteur lié au débit de fluence par une normalisation en tenant compte de la température et de la fluence réelle. Pour les valeurs de fluence plus élevées, l’effet accélérateur est sans ambiguïté que l’on considère la figure 6.8 ou 6.12. On retiendra donc, pour « l’effet de fluence » sur le taux de corrosion, la loi empirique suivante : Ffluence = 142 exp (1,0 × 10−26 t − 0,0089T )
(6.4)
148
Corrosion des circuits primaires…
où : – Ffluence est le facteur multiplicatif lié à la fluence t ; – est le flux de neutrons et t le temps d’irradiation ; – T est la température de paroi à l’interface métal/oxyde du zircaloy 4 en K. Cette loi empirique, bien qu’établie sur les tubes guides, n’a aucune raison de ne pas s’appliquer sur les gaines fabriquées avec le même alliage. Exception faite de la différence des états métallurgiques des deux matériaux7 , rien ne permet de penser que la gaine puisse échapper aux mécanismes responsables de l’augmentation de la cinétique à forte fluence. Remarquons d’ailleurs que dans le cas des gaines de crayons combustibles : – l’accélération déjà signalée pour les taux de combustion > 45 MW·j/kg donc correspondant aux plus fortes fluences peut sans mal être associée au phénomène observé sur les TG : – lorsqu’on ajuste les codes afin d’avoir une bonne prédiction sur les mesures à faible taux de combustion, les épaisseurs d’oxyde calculées pour les fortes fluences sont alors sous-prédites ; – la température de gaine étant plus élevée, l’effet, s’il est identique, sera moindre sur le matériau de gaine et sera donc visible pour des niveaux de fluence plus élevés. Les remarques ci-dessus sont qualitatives. Mais même si les lois tirées des observations sur les tubes guides sont empiriques et grossières, elles donnent une idée de l’importance du phénomène et peuvent être utilisées pour vérifier sa compatibilité (quantitative) avec les nombreuses mesures dont nous disposons sur les gaines. Les calculs effectués avec cette hypothèse montrent que l’effet observé sur les tubes guides est non seulement compatible avec l’oxydation des gaines des crayons combustibles en réacteur mais qu’il est susceptible d’améliorer la prévision et d’expliquer le changement de pente observé à haut taux de combustion sans avoir à recourir au départ en phase 3. À titre d’exemple, l’épaisseur d’oxyde calculée à l’aide des formules (6.1) et (6.3), au niveau de l’intergrille 6 (point chaud avec une température de paroi voisine de 343 ◦ C) pour un taux de combustion de 50 GW·j/t (> 1 500 jours de fonctionnement) est de 49 μm. Corrigée par la fluence avec la formule (6.4) de ce paragraphe, l’épaisseur atteint alors 72 μm. Pour un taux de combustion de 60 GW·j/t (> 1 800 j), les épaisseurs calculées deviennent 71 et 124 μm. On voit qu’effectivement, les valeurs corrigées de l’effet de fluence rendent bien compte des valeurs hautes des observations réacteurs (figures 6.9 et 6.17) sur le zircaloy 4. Nous avons attribué l’effet observé sur les TG à la fluence. Mais il est probable que la fluence n’a pas d’effet par elle-même et qu’au mieux on a à faire à un effet indirect lié à celle-ci, voire même seulement au temps d’irradiation ou de fonctionnement. En effet, la fluence rapide sur une gaine ou un TG est à une côte donnée pour un taux de combustion donné, toujours pratiquement identique et ne présente pas de caractère aléatoire. Expliquer cette dispersion observée sur les 7 Le tube guide est en Zy4 recristallisé alors que la gaine est en Zy4 détendu. Il faut ajouter le fait que les TG sont oxydés de plus intérieurement.
Chapitre 6 – Corrosion des gaines de combustible
149
Figure 6.13. – Image montrant les précipités d’hydrures d’un tube guide après passage en réacteur (donc à froid) pour une teneur en hydrogène de 225 ppm [77].
réacteurs et visible sur les figures 6.9 et 6.17 oblige à abandonner l’idée d’expliquer l’accélération de corrosion constatée par la fluence neutronique. Un autre phénomène est donc à rechercher. Néanmoins, la fluence présente l’avantage d’intégrer à la fois le temps et l’historique de puissance du réacteur. Le fait que la formule cidessus rende assez bien compte de l’évolution temporelle de la corrosion maximale observée permet : – d’une part, de continuer à utiliser ladite formule, en attendant mieux, pour prédire les épaisseurs maximales de corrosion attendues ; – d’autre part, de penser que le phénomène en cause dépend lui aussi du temps et de l’historique de puissance et de température au niveau de la gaine ou du TG concerné. Un effet d’un mécanisme lié à la fluence de neutron rapide comme l’amorphisation des précipités peut par exemple être invoqué. Un autre phénomène que nous avons déjà rencontré peut être avancé. Il offre, lui, l’avantage d’être général, c’est-à-dire de ne pas être réservé à la corrosion sous irradiation : il s’agit de la formation d’hydrures dans le métal que nous allons maintenant traiter.
6.2.2.
Hydruration
L’équation générale d’oxydation du zirconium en présence d’eau comme nous l’avons vu au §5.2.1 libère de l’hydrogène. Une partie de cet hydrogène est absorbée par le métal. Dans le cas des REP, la fraction absorbée se situe entre 10 et 20 %. Dès que la concentration en hydrogène dans l’alliage de zirconium dépasse la limite de solubilité du matériau, il y a formation d’hydrures qui précipitent sous forme de plaquettes. La solubilité de l’hydrogène atteint environ 100 ppm à 350 ◦ C mais est inférieure à 1 ppm à 20 ◦ C. Aussi, lors du refroidissement, l’hydrogène présent en solution précipite sous forme d’hydrures de formule Zr3 H5 . Une gaine fortement hydrurée devient fragile à la température ambiante et sa ductilité est très faible. Au-dessus de 200 ◦ C, en revanche, les hydrures deviennent
150
Corrosion des circuits primaires…
Figure 6.14. – Concentration en hydrogène en fonction de la hauteur dans le cœur de Ringhals mesurée sur des pièces (tubes guides, grilles) en zircaloy 4 [78].
ductiles et la fragilité qu’ils induisent à froid disparaît. Cette fragilité à température ambiante peut être à l’origine de problèmes de manutention au cours des opérations de déchargement/chargement. L’hydruration provenant de la réaction de corrosion, il y a une forte corrélation entre épaisseur d’oxydation et teneur en hydrures. La figure 6.14 montre la teneur en hydrogène mesurée sur des tubes guides du réacteur suédois de Ringhals en fonction de l’emplacement dans le cœur. Cette courbe est, on le voit, similaire à celle de l’oxydation [78]. Signalons que cette prise d’hydrogène est multipliée par deux sous fort taux de vide (> 30 %). L’hydruration (cf. §6.2.1.5) est également soupçonnée de pouvoir influencer l’oxydation. Par exemple, une couche dense d’hydrures en surface (330 ppm) provoque une forte accélération de corrosion d’échantillons en Zy4 ou en alliage de composition proche. Malheureusement, le mécanisme de formation des hydrures est en fait assez mal connu. La précipitation a lieu quand la limite de solubilité est atteinte localement dans l’alliage de zirconium. Bien que les sites de germination soient mal déterminés, l’état des contraintes locales en semble le facteur essentiel. La formation d’une plaquette très fine conduit à déformer localement la matrice de l’alliage. Cela entraîne une augmentation de la contrainte autour de l’hydrure. Le gradient de contrainte va faire diffuser l’hydrogène vers cette première plaquette. La teneur en hydrogène va donc augmenter et conduire à former un nouveau précipité proche de la
Chapitre 6 – Corrosion des gaines de combustible
151
première plaquette. Ce mécanisme conduit à l’empilement de petites plaquettes d’hydrures. L’emplacement de cet amas dépend donc du site initial de germination. On conçoit donc que la présence de plaquettes à un endroit donné soit aléatoire comme on peut le voir sur la photo de la figure 6.13. Les hydrures se répartissent de façon hétérogène dans l’épaisseur du tube mais dans le cas des gaines soumises à un fort gradient thermique en fonctionnement, on observe, comme cela est prévisible, une concentration d’hydrogène plus importante dans la moitié externe de la gaine. On peut donc émettre l’hypothèse que la proximité d’un amas d’hydrure et peut-être son orientation accélèrent le taux de corrosion, et ce, d’autant plus que l’hydrure est proche de l’interface métal/oxyde. Un précipité d’hydrures voire une coalescence de plaquettes juste sous cette interface provoquerait une accélération maximale correspondant à la formule (6.4) ; l’absence de plaquettes à proximité au contraire conduisant à une épaisseur voisine de celle prédite par les formules classiques (6.1) et (6.3) sans accélération particulière liée à la fluence ou à l’historique du crayon ou du TG concerné. La mesure faible correspondant au haut du tube guide (PIE data Guide thimble end) de Ringhals (mais constatée aussi sur les REP français) s’explique par le fait qu’en cet emplacement, le flux rapide est beaucoup plus faible et que l’effet de l’irradiation ne se fait plus sentir. L’épaisseur d’oxyde mesurée en ce point est en effet voisine de 10 μm (alors qu’au maximum au voisinage de la côte 3400, elle est de 22 μm) et tout à fait compatible avec la valeur calculée en l’absence de flux rapide (Kirr = 1). La sensibilité (diminution) du facteur d’accélération avec la température s’explique, elle, par la solubilité de l’hydrogène qui augmente avec la température de l’alliage. L’hydruration pourrait donc être l’explication du départ en phase 3 du zircaloy 4. On peut ajouter que, si c’était le cas, le phénomène serait à rétroaction positive : une oxydation plus importante conduisant à former plus d’hydrures et la présence de plus d’hydrures accélérant l’oxydation. Cela expliquerait parfaitement l’effet d’emballement de la phase 3. L’absence de phase 3 pour le M5 qui s’oxyde moins et dont la fraction de prise d’hydrogène est plus faible peut être vue comme un élément supplémentaire en faveur de cette hypothèse. Un alliage se corrodant peu comme le M5, s’hydrure donc peu comme le montre la figure 6.15. Il est clair que des études supplémentaires sont nécessaires pour parfaire la compréhension du phénomène et pour mettre au point une modélisation ou au moins une formulation destinée à remplacer la formule (6.4) basée sur la fluence.
6.2.3.
Corrosion interne
La fission est oxydante : l’uranium dans l’UO2 possède la valence 4 et est donc supérieure aux valences des produits de fission. Cela entraîne une libération d’oxygène, ce qui conduit à une oxydation de la surface interne de la gaine. Cependant les épaisseurs de zircone observées sur la surface interne des gaines sont toutes inférieures à 10 μm après 5 cycles d’irradiation. Cette oxydation n’est
152
Corrosion des circuits primaires… 900
Teneur en hydrogène en ppm
800
700
Zircaloy 4 600
500
400
300
200
100
M5
0
Taux de combustion du crayon combustible en MWj/t
Figure 6.15. – Teneur en hydrogène en fonction des taux de combustion du zircaloy 4 et du M5.
pas dommageable et n’a que peu de conséquences. Tout au plus cet oxyde pourrait avoir un effet protecteur vis-à-vis de l’Interaction Pastille gaine dont nous allons discuter au chapitre suivant. Encore faut-il noter que cet effet est peu probable aux températures usuelles.
6.2.4.
Alliages autres que le zircaloy ; alliage Zr-Nb
Ce qui vient d’être dit n’est valable, stricto sensu, que pour les alliages zircaloy 2 et 4. Venons-en maintenant aux alliages Zr-Nb et en particulier à l’alliage M5 proposé aujourd’hui par AREVA. Les essais en autoclaves à 360 ◦ C, comme dans le cas du zircaloy 4, montrent clairement : – qu’à partir de 3 μm, la cinétique s’écarte d’une loi parabolique ; – que l’évolution au-dessus de 3 μm s’accorde avec une loi linéaire. Certains auteurs cependant ont observé des transitions pour ce type d’alliage même avec des teneurs en Nb de 1 %. Godlewski [55] obtient trois « transitions » sur un alliage Zr-1 % Nb oxydé en autoclave à 400 ◦ C avant d’obtenir une croissance linéaire. Le gain de masse est alors d’environ de 3,4 μm. L’influence de l’état métallurgique peut être évoquée pour expliquer ces différences de comportement. Ces résultats sont tout à fait confirmés par les expériences réalisées dans la boucle hors pile REGGAE avec flux de chaleur, comme on peut le voir sur la figure 6.16. Il n’y a pas de différence notable entre les lois cinétiques régissant la corrosion de ces deux alliages dans les conditions d’oxydation de REGGAE effectuée avec une teneur en lithium de 10 ppm.
Chapitre 6 – Corrosion des gaines de combustible
153
Oxydation du M5 et de l'AFA2G dans Reggae [Li]=10 ppm [B]=650 ppm 100 AFA2G
Epaisseur d'oxyde en µm
M5 Calcul Cochise
10
1 100
Temps d'oxydation en jours
1000
Figure 6.16. – Comparaison du comportement dans Reggae du M5 et de l’AFA2G(Zr4) avec les prédictions COCHISE (CEA).
Au passage, notons que, ni dans ces essais ni pour le retour d’expérience des REP, on a besoin de faire appel à des valeurs d’énergie d’activation différentes entre le zircaloy 4 et les alliages Zr-1Nb comme le M5. Finalement, les essais en boucles et les observations sur les crayons ayant séjourné en réacteurs indiquent que le comportement en corrosion du M5 se traduit par : – une croissance d’oxyde en autoclave similaire à celle du zircaloy 4 si les deux alliages ont le même traitement métallurgique (SRA or RXA) ; – une croissance d’oxyde dans les expériences en boucles hors-pile est là encore similaire au zircaloy 4 ; – pas ou peu d’augmentation de la cinétique sous flux neutronique (pas de facteur d’accélération soit Kpost ≈ 1) ; – pas d’accélération supplémentaire à fluence élevée ; – une sensibilité à l’oxygène. On peut donc conclure que zircaloy 4 et le M5 suivent les mêmes lois hors irradiation et que la présence du flux neutronique seul introduit une modification dans leur comportement. La position générale, la pensée dominante est, cependant, de considérer simplement que le facteur d’accélération est touché et qu’il faut prendre pour le M5, un facteur voisin de 1,5 au lieu d’un facteur supérieur à 3 pour le zircaloy. Certains considéraient et considèrent peut-être encore que la corrosion du M5, en réacteur, était athermique. Ce comportement pouvait être, en effet, observé sur des courbes
Average of the thicknesses measured by eddy current in µm
154
Corrosion des circuits primaires… 12 COCHISE Cycle 2 27. GWJ/t M5 Graveline 2 cycles average values
10
M5 Grav 2 Cycles tendance sur moyenne
8
6
4
2
R = 0,842
2
0 0
50
100
150
200
250
300
350
400
Elevation in cm
Figure 6.17. – Comparaison des mesures courant de Foucault sur un crayon M5. Mesures CEA.
où l’échelle était adaptée aux épaisseurs plus élevées de corrosion du zircaloy 4. Dans ce cas, les épaisseurs de zircone en fonction de la hauteur du combustible apparaissent, par effet d’échelle, assez plates. Mais un examen attentif des épaisseurs d’un crayon donné comme celui rapporté en figure 6.17 montre que l’allure de la courbe est plutôt en dos de chameau et présente donc deux bosses. En particulier, l’effet de température ne peut être nié aux extrémités du crayon. Il faut aussi noter que les épaisseurs sont des mesures par courant de Foucault et que chaque point représente une moyenne d’un certain nombre d’acquisitions. L’allure générale est donc lissée. Heureusement, sur un certain nombre de crayons, des mesures plus coûteuses, plus délicates donc plus rares, ont été réalisées comme cela est montré sur la figure 6.18. Sur cette figure, les métallographies sont représentées par des carrés ; ce sont des mesures locales comparées aux mesures courant de Foucault qui sont des moyennes sur environ 5 cm. Métallographie et d’ailleurs mesures « courant de Foucault » non moyennées8 sont en accord pour dire que (contrairement au zircaloy 4), les valeurs d’épaisseurs sont très dispersées (facteur 2 à 3) en partie basse du crayon. On voit en particulier que les mesures métallos effectuées en partie basse du crayon sont tout à fait comparables aux prévisions du code Cochise appliqué ici sans accélération due à l’irradiation soit avec un Kirr = 1. Les mesures métallographiques mais aussi les mesures courant de Foucault aux extrémités des crayons n’autorisent donc pas le rejet pur et simple des lois de 8 Elles sont rarement publiées pour ne pas encombrées les fichiers mais elles exstent et on peut les obtenir auprès des expérimentateurs.
Chapitre 6 – Corrosion des gaines de combustible
155
Calculation/measurement Comparison for M5 after one cycle of Operation
Zirconia average thicness in cm
12
Cycle 1 14.8GWJ/t M5 GRAV 1 cycle
10
Metallogaphy 8 6 4 2 0 0
100
200
300
400
Elevation in cm
Figure 6.18. – Épaisseurs de zircone mesurées par métallographie et courant de Foucault le long d’un crayon.
cinétiques habituelles (que l’on a constaté s’appliquer en autoclave et en boucle hors pile). Comment peut-on alors expliquer le comportement du M5 en réacteur ? Revenons à la figure 6.17. La courbe de tendance basée sur les points de mesures esquisse une (la ?) solution. Il semble plus que probable que nous soyons en présence de deux mécanismes de corrosion différents : – le premier correspondant à l’oxydation classique identique à celle établie pour le Zy 4 (formule (6.3)) mais sans effet d’irradiation (Kpost ≈ 1). Dans ce cas, la loi est la même que la loi utilisée (pour le Zy 4) dans les boucles hors pile comme les boucles CEA Reggae ou CORAIL (cf. figure 6.13) ; – le second mécanisme « causé » par l’irradiation décroît avec la température. Quel peut donc être ce second mécanisme qui se produit en présence d’irradiation et qui décroît avec la température ce qui est surprenant pour un phénomène de corrosion. C’est ici qu’il faut se rappeler que nous avons déjà rencontré (il n’y en a pas beaucoup) un phénomène lié à l’irradiation qui décroît avec la température. C’est évidemment la radiolyse (chapitre 2.2). Certes, on fera remarquer que l’hydrogène dissous rajouté dans le circuit est là pour supprimer les produits de radiolyse. Mais en fait l’hydrogène et la température ne font qu’accélérer les réactions de recombinaisons mais n’empêchent pas la radiolyse de se produire et des espèces oxydantes d’exister (un temps certes très court) en surface de gaines. D’ailleurs, le M5 qui, nous l’avons signalé, est sensible à l’oxygène, présente en réacteur des manifestations liées à des effets de couplage (corrosion localisée sous les grilles possédant encore un ressort en inconel supprimé aujourd’hui). Or le couplage galvanique ne peut se produire que dans un milieu où existent des produits oxydants.
156
Corrosion des circuits primaires…
Figure 6.19. – Résistance des gaines M5 à la corrosion. Conditions dans la boucle REGGAE T = 360 ◦ C : Li = 10 ppm ; taux de vide Z4 = 3 %, M5 = 0,5 à 5,3 % (CEA).
Ce mécanisme de corrosion oxydante, galvanique, provoquée par des produits de radiolyse explique la cinétique de corrosion variant de façon inverse en fonction de la température. Cela conduit à des épaisseurs d’oxyde faibles dans les parties chaudes, plus importantes et sporadiques en bas du crayon (froid). Mais ce mécanisme explique également les épaisseurs d’oxydes relativement importantes localisées sous les grilles (régions effectivement plus froides que les régions adjacentes amont et aval) lorsqu’elles ou leurs ressorts sont en inconel. Il est ensuite évident que la somme résultante de deux mécanismes d’oxydation, l’un classique croissant avec la température, l’autre augmentant d’abord avec le flux neutronique puis décroissant fortement quand la température augmente, apparaît plus plate qu’avec le zircaloy 4 et peut ressembler finalement à une courbe en dos de chameau. Malgré cette corrosion liée à la radiolyse qui ne conduit qu’à des épaisseurs de zircone faible (< 10 μm en l’absence de couplage fort-inconel), le comportement global du M5 est beaucoup plus satisfaisant que celui du zircaloy 4, comme cela pouvait être prédit suite aux expériences du CEA dans la boucle Reggae (figure 6.19) dans laquelle 550 jours d’essais sont équivalents à six cycles ou à un taux de combustion du crayon en réacteur d’environ 65 GW·j/t. Ce comportement satisfaisant voire enviable fut confirmé en réacteur comme l’illustre la figure 6.20 extraite d’une présentation d’AREVA [79]. Sur cette figure, on perçoit, dès que le taux de combustion dépasse 45 000 MW·j/t, le départ en phase 3 discuté plus haut, des crayons en zircaloy 4. En revanche, il est clair que les épaisseurs de zircone de crayons M5 restent inférieures à 30 μm, même à des taux de combustion de 70 000 MW·j/t.
Chapitre 6 – Corrosion des gaines de combustible
157
Zy4
M5
Figure 6.20. – Épaisseurs de zircone observées dans les REP en fonction du taux de combustion (figure extraite de [79]).
6.3. L’interaction pastille-gaine IPG/CSC de la gaine combustible Ce mécanisme, très important pour la gaine et la marche du réacteur soumis à des variations de puissance, est à l’origine essentiellement mécanique. Mais il est actuellement admis que la corrosion par l’iode est nécessaire pour expliquer l’apparition de fissures et de ruptures de la gaine. Pour comprendre l’IPG, rappelons que, en cours d’irradiation, la pastille combustible subit un fort gradient thermique et que son centre se dilate beaucoup plus que sa périphérie. Cette dilatation différentielle induit un champ de contraintes thermiques localement supérieures à la limite de rupture du matériau. Il en résulte des fissurations radiales et axiales de la pastille. De plus, l’effet des dilatations différentielles génère une mise en « diabolo » des fragments de pastille qui ne restent pas cylindriques. Conjointement, la gaine soumise à un différentiel de pression imposé par le fluide réfrigérant et soumise à une température moyenne de l’ordre de 350 ◦ C se déforme vers l’intérieur par fluage. Ces deux phénomènes ont pour conséquence de réduire le jeu pastille-gaine initial jusqu’à l’établissement d’un contact faible. Le crayon se trouve alors en situation d’interaction pastille-gaine (IPG), faiblement contraint. Une variation de puissance en cours de fonctionnement peut provoquer la mise en traction de la gaine et une amplification locale
158
Corrosion des circuits primaires…
Figure 6.21. – Gradient thermique radial → effet diabolo ; fluage gaine → fermeture jeu ; accumulation PF (source CEA).
des contraintes tangentielles au niveau des interfaces pastille-pastille où les sollicitations mécaniques sont amplifiées par l’effet « diabolo » au droit des fissures radiales du combustible (figure 6.21). C’est ce qu’on appelle l’interaction pastille-gaine ou IPG. Le chargement mécanique vu par la gaine est alors constitué de trois sollicitations : la pression externe (pression du réfrigérant), la pression interne dans le crayon et la poussée des pastilles. La concentration de contraintes vis-à-vis d’une pastille fragmentée est due principalement à l’accrochage des lèvres de la fissure résultant du frottement entre la pastille et la gaine et à l’ouverture de cette fissure lors des montées en puissance. En régime incidentel, lors d’une augmentation rapide de puissance appelée « rampe » pour rampe de puissance, une importante et rapide élévation de température se produit dans le combustible : à cœur, la température peut passer très rapidement d’environ 1 000 ◦ C à environ 2 000 ◦ C. Il s’en suit un chargement de traction sur la gaine en raison de la dilatation du combustible et le gonflement gazeux. Prenons l’exemple d’un crayon REP irradié pendant 2 cycles, sujet à une rampe faisant passer la puissance du crayon de 200 à 450 W/cm en deux minutes et demie. La contrainte dans cette gaine atteint alors une valeur maximale de 350 MPa puis décroît rapidement à 210 MPa après sept minutes en palier de puissance de la fin de rampe. Des fissures de CSC peuvent se développer sur la gaine à cause de cette forte IPG dans un milieu agressif (iode). Pour évaluer l’état des crayons du point de vue de la CSC, on utilise des logiciels de calculs numériques thermomécaniques qui traitent le comportement global du combustible comme les codes « Toutatis » ou « Méteor » du CEA, Cyrano d’EDF, COMETHE, Transuranus, etc. Ces codes sont calibrés et validés sur de larges bases expérimentales consistant en des essais de rampes de puissance effectués dans des réacteurs de recherche comme celui de Studsvik ou le réacteur d’Osiris du CEA
Chapitre 6 – Corrosion des gaines de combustible
159
Cladding diameter (µm)
After PWR irradiation After power ramp test
Inter-pellet levels
9485 9465 9445 9425 55
85
115
145
Axial position (mm)
Figure 6.22. – Exemple de rupture de gaine par corrosion sous contrainte.
Saclay. Ils permettent de simuler le comportement thermomécanique des crayons combustibles. Les rampes de puissance sont réalisées sur des crayons ayant séjourné (en général deux cycles) en réacteur de puissance. Une limite « technologique » est déduite de ce programme. Par exemple pour un crayon en zircaloy 4 standard ayant séjourné deux cycles en réacteur, les risques de fissures et de ruptures de la gaine sont élevés pour une rampe de 100 W/cm par minute, pour une puissance supérieure à 420 W/cm. Les fissures apparaissent après quelques minutes en palier haut (> 420 W/cm). Elles sont localisées aux inter-pastilles et en face des fissures radiales des pastilles comme le montre la figure 6.22. Cette dernière constatation, défauts et ruptures en face des fissures radiales du combustible, prêche en faveur du rôle de l’iode et de l’existence de la corrosion sous contrainte au moins dans l’activation du phénomène. Le risque de rupture est maximum en fin de second cycle figure 6.23.
6.4. Résumé L’encart ci-dessous donne un jeu de constantes permettant de calculer rapidement et sans logiciel, l’épaisseur de zircone attendue sur des gaines combustibles ou des tubes guides pour des historiques simples. L’oxyde sur les gaines en alliage de zircaloy est formé in situ et donc sans rejet en fonctionnement normal. Il se traduit par un accroissement de volume (gonflement/swelling). Lorsque l’alliage utilisé est du type zircaloy, il y a accélération de la cinétique de corrosion quand les taux de combustion dépassent 45 GW·j/t et les épaisseurs d’oxyde dépassent 40 μm (phase 3). Il y a alors possibilité de desquamation (scaling) principalement quand l’oxyde devient très épais (≥ 100 μm).
160
Corrosion des circuits primaires…
Figure 6.23. – Puissance linéique maximale en fonction du taux de combustion (source RGN 2008 N◦ 2).
Quelques valeurs pour le calcul approché de l’épaisseur de zircone Q = 132 800 J/mol En réacteur avec Li Qpre = 132 800 + 19 *[Li] Kpre = 1,5×1010 en (μm/J)3 [Li] en ppm Qpost = 132 420 + 116 * [Li] R constante des gaz parfait 8,314472 J·mol−1 .K−1 K = f (Matériau, Irradiation, [Sn], Fluence…) = Kpost × Kirr × KSn × KF × . . . Kpost = 2,3 × 109 μm/J Kirr ≈ 3,15 pour le zircaloy 4, Kir ≈ 1 pour le M5 KSn = 1,25(Sn-1,38) + 1 pour Sn ≤ 1,38 % en poids = 0,75(Sn-1,38) + 1 pour Sn > 1,38 % en poids KF = 1 pour Ft < 4 × 1025 n·m2 et pour F t > 4 × 1025 n·m2 , KF = 2,84 × 10−25 × F t×e(−0,0072θ) avec t le temps en secondes, θ la température en ◦ C, F t la fluence de neutron en m−2 , formule validée sur les tubes guides en zircaloy 4 soumis à des fluences élevées. Et, on peut craindre, dans ce cas, un rejet de Zr et de Nb dans le circuit et une rétention de ces éléments au niveau des filtres et résines ce qui pourrait augmenter l’activité des « déchets B » (94 Nb). Si l’alliage utilisé est le M5, non seulement on ne constate pas d’accélération de corrosion même pour des taux de combustion autour de 70 GW·j/t mais l’épaisseur de corrosion est plus faible que celle du zircaloy 4 et reste en dessous de 35 μm même dans les étages chauds.
Chapitre 6 – Corrosion des gaines de combustible
161
Par ailleurs, si spécifications et limitations (T < 400 ◦ C, e < 100 μm, [Li] < 3,5 ppm, Plin < 420 W/cm, etc.) sont respectées, la corrosion des gaines en alliage de zirconium ne provoque pas de rupture de gaine. N’étant pas cause de rejet d’espèces radioactive (sauf très faiblement par corrosion nucléaire), ni à l’origine de défaut d’étanchéité, la corrosion des gaines ne peut pas être tenue pour responsable de la contamination du circuit ni par les PC ni par les produits de fission (PF). Néanmoins, cette dernière éventualité reste possible, et si elle ne s’est jamais produite, à ma connaissance, sur des réacteurs électrogènes, cela s’est produit sur des réacteurs d’essais dans des conditions très sévères. Quelle est alors l’origine des défauts d’étanchéité qui ont été observés sur les combustibles REP ? La plupart des défauts sont d’origine hydro-mécanique : – jets de baffle : jet d’eau dû à la différence de pression des deux côtés du baffle du cœur, ce qui entraîna des sollicitations et des vibrations mécaniques qui finirent par entraîner la rupture du ou des crayons concernés ; – usure de la gaine provoquée généralement au droit de la grille inférieure de l’assemblage par les vibrations de débris métalliques ayant circulé dans le circuit primaire jusqu’à être bloqués par cette grille ; – mélange d’assemblages de type différent : e.g. AFA2G/AFA3G ; – défauts de la fabrication ; – … L’addition d’un dispositif anti-débris (assemblage AFA2G) au niveau de l’embout inférieur a permis de réduire le taux de défaut d’étanchéité dû à cette origine, si bien que la fiabilité du combustible est aujourd’hui excellente, le taux est d’environ 1 × 10−5 par an soit moins de 1 défaut par tranche et par an.
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
7
Contamination par les produits de fission
Ni la corrosion uniforme, ni la corrosion sous contrainte des gaines, nous venons de le voir, n’ont été jusqu’ici à l’origine de défauts d’étanchéité et de contamination du circuit dans les réacteurs de puissance à eau sous pression. Cependant, il n’est pas à exclure que la corrosion des gaines pourrait dans des circonstances futures (par suite d’augmentation de performance, de non-respect des spécifications, d’incidents, etc.) être responsable de défauts d’étanchéité. L’oxydation de frottement (fretting corrosion) et la corrosion sous contrainte des vis de cloisonnement à l’origine du phénomène de jets de baffle ont été plusieurs fois responsables de l’apparition de défauts d’étanchéité. D’autre part, lors des mesures, produits de fission et produits de corrosion en circulation ou déposés apparaissent mélangés. Certains nuclides sont même les deux à la fois. Pour ces raisons, nous considérons que la contamination par les produits de fission a ici sa place et nous allons maintenant l’étudier.
7.1.1.
Origine des PF dans le circuit primaire des REP et conséquences
La gaine des crayons combustibles constitue la première barrière de sûreté vis-àvis de l’UO2 . Nous avons déjà mentionné son excellente fiabilité, la probabilité de défaut étant comprise entre 10−6 et 10−5 (moins de un crayon défectueux par réacteur et par cycle). Néanmoins, en cas de petits défauts de la gaine, les produits de fission volatils à la température de l’UO2 soit principalement les xénons, kryptons, iodes et césium s’échappent du volume libre à travers le défaut dans le réfrigérant primaire. On observe, dans l’eau du RCP, principalement les PF émetteurs gamma possédant une demi-vie égale ou inférieure à 8 jours. Cette apparition n’entraîne pas pour autant d’arrêt systématique du réacteur. Les difficultés de fonctionnement dues aux défauts de gaine sont un peu les mêmes que celles des produits de corrosion : – pic d’activité de PF à l’arrêt du réacteur (principalement les iodes et césiums) ; – risque de contamination et d’irradiation gamma durant les opérations de maintenance ;
164
Corrosion des circuits primaires…
– allongement des temps de purification ; – les PF émetteurs β à vie longue (129 I, 135 Cs) piégés sur les filtres RCV et les résines contribueront à augmenter les déchets ; – gestion particulière du combustible défectueux dans la piscine de déchargement et à l’usine de retraitement. La dissémination de matériaux fissiles apparaît en cas de défauts de grandes tailles. Elle est généralement due à des problèmes mécaniques (jet de baffle ou baffle jetting) ou d’hydruration secondaire (rare dans les REP) qui peut provoquer une rupture circonférentielle. Habituellement quelques grammes sont disséminés mais la quantité rejetée et déposée dépasse parfois les 100 grammes. Les difficultés d’opération dues à la contamination en matériau fissile sont un peu plus sérieuses : – l’uranium de contamination (tramp uranium en anglais) insoluble et les produits qu’il contient se déposent sur les surfaces primaires. Cela entraîne une contamination d’émetteurs « alpha » des surfaces (et de l’atmosphère pendant les périodes d’arrêt avec ouverture des circuits) ; – on assiste également à une émission par recul des produits de fission volatiles et non volatiles dans le circuit à partir des dépôts sous flux neutronique. Il n’existe pas dans ce cas de processus « naturel » rapide de nettoyage des surfaces. Dans le fluide primaire, les émetteurs alpha et les émetteurs bêta à vie longue sont en suspension et se retrouvent in fine sur les filtres RCV et dans les effluents. Ces inconvénients ont vite rendu nécessaire de comprendre et donc de modéliser le comportement des PF et des actinides dans le circuit primaire, pour satisfaire les besoins industriels : – – – –
réduire la dosimétrie ; limiter l’impact environnemental ; optimiser le fonctionnement de l’installation ; réduire la production de déchets (A ou B).
Le CEA a développé très tôt de tels codes en coopération avec EDF et FRAMATOME-ANP AREVA [80–84]. Ils ont permis la prévision d’activité pour les différents scénarios de dégradation de combustibles et pour un réacteur dans lequel les mesures d’activité, en particulier du fluide, laissent suspecter la présence de défauts d’étanchéité. Ces logiciels permettent de préciser l’existence, le nombre de ces défauts et de donner des indications sur leurs tailles, leurs natures, le taux de combustion du (des) crayon(s) défectueux, la taille (équivalente) du défaut… Ils permettent de déterminer (à partir des activités du fluide) s’il y a dissémination de la matière fissile (masse, histoire…), les activité maximales à attendre pour les iodes (les PF les plus gênants en opération, et les activité du pic d’iode à attendre durant les arrêts de fin de cycle, les activités des émetteurs α et β à vie longue (129 I, 135 Cs) sur les filtres et résines (gestion des déchets) et leurs évolutions. Toutes ces informations peuvent aussi servir à déterminer si les critères de sûreté sont respectés.
Chapitre 7 – Contamination par les produits de fission
7.1.2.
165
Mécanismes de rejet des PF (pour un crayon non étanche)
Les produits de fission (PF) sont relâchés du combustible lorsqu’ils atteignent tout endroit en communication avec le volume libre à l’intérieur du crayon. Les zones de collection des PF incluent la chambre d’expansion ou plenum, le jeu combustible-gaine s’il existe encore et les porosités à l’intérieur du combustible qui communiquent avec le volume libre. Les fractures et les porosités interconnectées (figure 7.1) représentent en effet la majorité des porosités du combustible.
Figure 7.1. – Migration des produits de fission dans l’UO2 .
Les mécanismes de relâchement des PF peuvent se classer en fonction de leur dépendance vis-à-vis de la température et du gradient de température à l’intérieur du combustible. À basse température (en dessous d’environ 900 ◦ C), la mobilité des atomes est trop faible pour permettre leur mouvement sur une distance perceptible. Ils sont comme « gelés » dans la matrice d’UO2 et seuls les PF créés très près de la surface externe peuvent s’échapper. Le relâchement se produit alors à la fois par la projection d’un des PF issus de la fission hors du combustible sous l’effet de son énergie cinétique par le processus dit de recul (recoil) ou par interaction du PF émis vers la surface avec un atome qui l’entoure ; l’énergie cédée à l’atome lui permet de sortir du combustible par le processus d’éjection (knock out). Ces mécanismes sont bien sûr indépendants de la température du combustible. Les phénomènes de recul et d’éjection n’affectent qu’une couche en surface d’épaisseur équivalente
166
Corrosion des circuits primaires…
au parcours des fragments de fission dans l’UO2 soit moins de 10 μm pour le recul et 20 nm pour l’éjection. Pour des températures supérieures à 900 ◦ C, le mouvement des atomes à l’intérieur du combustible devient de plus en plus important au point d’en permettre la sortie par diffusion hors des cristallites d’UO2 . Cette sortie ou ce relâchement doit comprendre non seulement la diffusion en volume dans les grains, mais également le piégeage des atomes dans les porosités fermées, mais aussi la diffusion et le piégeage au niveau des joints de grains, dans les porosités ouvertes et sur les surfaces du combustible et de la gaine. Tout modèle doit donc prendre en compte ces trois mécanismes : – le recul ; – l’éjection ; – la diffusion dans les cristallites du combustible éventuellement modifié par la diffusion et le piégeage en surface des grains.
7.1.2.1.
Le recul
Ne sortent par recul que les PF créés près de la surface externe (face à la gaine) du combustible et cela pour des raisons de longueur de trajets. La fraction relâchée instantanée d’un nuclide i est égale à : Fi = avec :
1 S p 4 V
– p la longueur du parcours du fragment de fission dans l’UO2 (environ 8 μm) ; – S la surface géométrique et V le volume du combustible. Au moment de la fission, chaque fragment est émis avec une énergie cinétique donnée et il reste, en général, une certaine énergie au PF, lors de son entrée dans le jeu. Au cours de son trajet dans le jeu, le fragment émis perd son énergie par choc élastique avec les atomes du gaz de remplissage du jeu (hélium pour un combustible sain, vapeur d’eau pour un combustible défectueux). Lorsque leurs pertes d’énergie ne sont pas trop importantes, les fragments de fission viennent se ficher dans l’épaisseur de la gaine et ne comptent plus au niveau du rejet dans l’eau primaire en cas de défaut d’étanchéité de la gaine. La proportion des PF qui perdent la totalité de leur restant d’énergie dans le jeu dépend de l’énergie de recul, de la taille du jeu et de la pression du gaz de remplissage. La fraction de PF émis hors du combustible par recul et restant dans le jeu s’écrit : Fi = ηpS /V , η étant fonction de la largeur du jeu, de la masse volumique du gaz de remplissage et de l’énergie du fragment de fission. Si l’on exprime e en mètres, μ en kg/m3 , la formule η = 16 eμ rend assez bien compte des phénomènes pour les PF de masses atomiques compris entre 90 et 130. La valeur maximale de η est de 0,25 (largeur du jeu 100 μm).
Chapitre 7 – Contamination par les produits de fission
167
La fraction relâchée peut alors s’écrire : Fi = 16eμp
S V
L’application au crayon REP donne pour valeur maximale (jeu de 100 μm) de Fi : – avec de l’hélium (6 MPa) – avec de la vapeur d’eau (15 MPa) – et en eau liquide
7.1.2.2.
2,4 × 10−4 ; 6,14 × 10−4 ; 0,001.
´ Ejection (knock out)
Un fragment de fission qui se déplace dans la matrice de combustible subit des chocs avec les atomes qu’il rencontre auxquels il cède une partie de son énergie. Ces atomes ou molécules (principalement de l’UO2 mais aussi ce qui nous intéresse ici d’autres PF inclus dans la matrice) choqués peuvent être éjectés de l’oxyde s’ils sont situés près de la surface (< 20 nm) ; c’est l’éjection primaire. Les atomes situés près de la trajectoire d’un PF et choqués par celui-ci peuvent aussi transmettre l’énergie reçue par choc élastique à d’autres atomes qui pourront à leur tour éventuellement être éjectés. C’est l’éjection secondaire. Cette éjection n’est cependant possible que si l’atome choqué se trouve initialement à environ 5 nm de la surface de l’oxyde mais ce phénomène intéresse un plus grand nombre d’atomes que le précédent. Les probabilités d’éjection sont en effet de l’ordre de 50 atomes par fragment de fission pour l’éjection primaire et de 2 000 à 20 000 atomes pour l’éjection secondaire [85–87]. Le taux d’émission du nuclide i dans la zone d’éjection est donné par : Ri =
1S pFvNi 4V
avec : – p, l’épaisseur de la zone de recul (≈ 8 μm soit 8 × 10−4 cm) ; – F, le taux ou nombre de fission par cm3 et par seconde ; – v, volume d’UO2 éjecté par fission (≈ 5 × 10−18 cm3 , soit environ 10 000 atomes) ; – Ni , concentration de PF i dans la zone éjectée. Les mesures réalisées en réacteurs d’essai aussi bien que les observations faites sur les REP présentant un défaut d’étanchéité sur un crayon, ont montré que le phénomène d’éjection contrairement au recul ne concernait pas que la surface extérieure des pastilles mais l’ensemble des cristallites et dépendait donc du rapport S/V du combustible. S est donc la surface d’un grain de combustible et V en est le volume et S/V est en cm−1 . La valeur de S/V variera en fonction du taux de combustion. Pour un combustible neuf ou peu irradié (cristallite d’environ 300 μm
168
Corrosion des circuits primaires…
de diamètre), S /V aura une valeur voisine de 100 et pour un combustible fortement irradié ou défectueux, ce rapport atteindra des valeurs de 3 000 ou plus. Les PF émis par éjection se mélange donc à ceux émis par diffusion.
7.1.2.3.
Diffusion
Au-dessus de 900 ◦C donc, l’agitation moléculaire croît à l’intérieur de la cristallite et la diffusion devient suffisamment importante pour conduire à une émission notable de PF hors de celle-ci. Le modèle le plus classique et le plus couramment utilisé est en général un modèle de transport par diffusion dans une sphère dite équivalente, comme le modèle de Booth. Le transport des produits de fission dépend de la température et du gradient de concentration. L’équation générale est de la forme : ∂c ∂ 2 rc − λc + B/V =D ∂t ∂ r2
(7.1)
avec : c , le concentration de produit de fission m−3 ; t, le temps en s ; r , la coordonnée d’espace en m ; D, le coefficient de diffusion effectif m2 ·s−1 ; λ, constante de désintégration en s−1 ; B/V, le taux de production de PF m−13 ·s−1 . Pour le rejet, il suffit de trouver la solution de l’équation de Fick donnant le taux de sortie de la sphère équivalente : ∂c J = −D (7.2) ∂r a Et la fraction relâchée qui sort d’une sphère à une température t est donnée par la formule générale t 4πa Jdt F = 4/3c0 πa 3 0 F dépend donc du gradient de concentration à la surface. Dans la situation qui nous occupe, c’est-à-dire pendant le fonctionnement du réacteur, on peut montrer que la fraction relâchée par rejet des PF hors de la sphère équivalente, et le rapport du taux de rejet sur le taux de formation à l’instant t (R /B)t sont donnés par la formule ci-dessous
n=∞ n2π R 6 1 − exp −λt 1 + 2 F = = B t x 2 + n2π 2 x n=1
avec :
x=
λa 2 D
(7.3)
Chapitre 7 – Contamination par les produits de fission
169
et où : – – – –
t est le temps d’irradiation (s) ; D le coefficient de diffusion en m2 ·s−1 ou cm2 ·s−1 ; a le rayon de la sphère (équivalente) en m ou cm ; avec λ constante de désintégration en s−1 .
La production et le rejet dans la cristallite vont atteindre rapidement l’équilibre. L’équation (7.3) peut se mettre également sous la forme :
n=∞ exp −λt 1 + n 2 π 2 R 1 3 F = coth x − −6 = (7.4) B t x x x 2 + n2π 2 n=1
Remarquons aussi que pour des conditions d’irradiation constantes et à l’équilibre (c’est-à-dire pour t 1/λ), on a F = R /B avec : R /B =
1 3 coth x − x x
(7.5)
qui se réduit pour des R /B faibles : D 3 ∼ R /B = = 3 x λa 2
(7.6)
Cette équation révèle le trait caractéristique souvent évoqué et constaté de dépendance des nucléides radioactifs à vie assez courte avec λ−0,5 . La figure 7.2 extraite de la référence [77] par exemple montre que la pente lors d’essai en pile d’émission de PF est bien voisine de 1/2.
Figure 7.2. – R /B en fonction de la constante de désintégration (d’après Turnbull [77]).
170
Corrosion des circuits primaires…
Pour les gaz de fission stable (λ = 0 donc A = 0), l’équation (7.3) se réduit à : ∞ 1 − exp n 2 π 2 Dt/a 2 F = 1−6 n2π 2
(7.7)
n=1
On vérifie bien que F tend vers 1 quand t tend vers l’infini. On peut aussi démontrer que la formule (7.7) tend pour t suffisamment petit vers la formule d’approximation classique. 6 F = √ π
Dt a2
1/2 (7.8)
Remarque sur le coefficient de diffusion Le coefficient de diffusion des produits de fission dans l’oxyde d’uranium comme celle de l’oxygène dans la magnétite ou dans la zircone ou du fer dans la magnétite par une relation d’Arrhénius D = D0 e−Q /RT . Cependant, on constate expérimentalement, dans le cœur d’un réacteur en fonctionnement, qu’en dessous de 900 ◦ C, la diffusion n’est plus gouvernée par l’agitation thermique des atomes mais par la traversée des fragments de fission qui bousculent les atomes le long de leur trajet. Tout se passe comme si ce phénomène augmentait localement la température de l’UO2 . Il existe donc, dans le combustible, une valeur minimale du « coefficient de diffusion », ne dépendant que de la puissance nucléaire et donc indépendante de la température. L’ajustement aux valeurs expérimentales conduit à adopter pour ce coefficient de diffusion apparent et minimal lié aux fissions dans l’UO2 , la valeur : Dfiss ≈ 1,7×10−23 P où : – P est la puissance linéique en W/cm ; – et Dfiss la composante athermique de la diffusion en m2 ·s−1 .
7.1.2.4.
´ Migration dans le jeu, rejet par le defaut de la gaine
Les PF étant sorti du combustible, il reste à traiter la migration dans le jeu et la sortie de la gaine. Pour les gaz nobles, la migration est très rapide si le jeu est ouvert. On a alors une contribution de toute la colonne combustible au rejet gazeux, même pour les gaz à vie courte. Les mécanismes prédominants d’entraînement sont probablement liés aux oscillations de pression, la vaporisation, la radiolyse de l’eau entrée dans le jeu, etc. En cas de jeu fermé, on peut avoir éventuellement un piégeage mécanique des PF à l’état gazeux. Cependant, à chaud, le réseau de pores interconnectés est important et la diffusion gaz-gaz dans ces pores, rapide puisque la température approche et dépasse souvent, à cœur, 900 ◦ C. Ce réseau permet le transport, en un
Chapitre 7 – Contamination par les produits de fission
171
temps relativement court, des PF qui sont sortis des cristallites vers le défaut de la gaine même si le jeu est fermé. Dans tous les cas, on a sur la paroi interne de la gaine (et externe de l’UO2 ?) une précipitation et un piégeage chimique des iodes et des césiums. Le rejet de PF à travers le défaut est proportionnel à la quantité disponible dans le jeu (soit Ni pour le nuclide i) et est relié à la taille du défaut par la vitesse de relâchement du défaut : Ri = νg Ni . En fait, le défaut sera limitant s’il est très petit. L’expérience prouve que, dès que le défaut dépasse une certaine taille et tant qu’il ne permet pas le rejet d’UO2 , νg garde une valeur constante voisine de 10−4 s−1 qui correspond au temps (environ deux heures) mis par le PF entre sa sortie de la cristallite et sa sortie du crayon. En présence d’un défaut donc au retard à la diffusion s’ajoute un retard à la sortie qui se traduit par une fraction relâchée et un R /B dépendant de la constante de désintégration. Ce retard est, sauf en cas de défaut minuscule, principalement apporté par la diffusion gaz-gaz dans le réseau de pores interconnectés qui est alors le phénomène (de transport) limitant.
7.1.2.5.
´ ´ Cas des gros defauts disseminants. Contamination ` par la matiere fissile
Elle est due à l’érosion de la colonne fissile par l’eau dont la taille du défaut permet l’entrée. Cette matière fissile se dissémine ensuite sur les surfaces du circuit primaire. Ce combustible libéré dans le fluide se comporte de manière similaire aux produits de corrosion : il est relativement insoluble (le diagramme de Pourbaix de l’oxyde d’uranium est assez proche de la magnétite) et se dissémine, et finalement se dépose en fines particules également. Les dépôts sur les surfaces du circuit primaire sont comme les PC soumis à l’érosion, ce qui conduit à un transfert, entre surfaces, d’environ 5 % par cycle. On constate la présence de cette matière fissile sur le cœur, même après un déchargement. En fait, un déchargement revient à retirer grossièrement un tiers ou un quart de la matière fissile sous flux si la fraction de combustible déchargée (et rechargée) est de un tiers ou un quart. En revanche, un arrêt sans rechargement ne conduit à retirer que très peu d’activité sur les surfaces hors flux (tuyauteries, GV, internes, etc.). Comme et peut être plus que pour les PC, la fraction dans le fluide par rapport au dépôt est faible et la purification ne retire que très lentement cette matière fissile. On vérifie parfaitement l’évolution neutronique des dépôts d’UO2 sous flux (l’absence d’autoprotection conduit à un enrichissement en plutonium de l’uranium déposé). Une augmentation légère d’activité ne veut donc pas forcément dire une augmentation de la contamination en matière fissile et le comportement des kryptons par rapport aux xénons (le Pu n’ayant pas le même rapport de rendement de fission pour ces éléments) permettra de confirmer s’il s’agit ou pas d’une surgénération. L’émission hors de ces dépôts relativement froids se fait naturellement par recul et éjection.
172
7.1.2.6.
Corrosion des circuits primaires…
´ ements ´ ´ El additionnels sur la modelisation
Plusieurs raffinements peuvent être apportés aux modèles de diffusion et de sortie du combustible. On peut par exemple considérer que le relâchement à la surface du combustible est gouverné plus par le phénomène d’éjection que par la loi de Fick. On peut considérer aussi la diffusion aux joints de grains, faire intervenir les bulles de gaz et leur mouvement, etc., et aboutir à des systèmes d’équations très compliquées. La résolution de ces équations nécessite alors la connaissance de nombreux paramètres que l’on essaye de mesurer par exemple lors d’examens en laboratoire chauds en utilisant des instruments (sonde ou microscope électroniques) de plus en plus puissants. Ces examens sont certes nécessaires et peuvent apporter des indications sur le comportement du combustible mais il ne faut pas oublier qu’ils sont post mortem et que certains paramètres ont pu évoluer ne serait-ce qu’au cours du refroidissement (fissures, existence, taille et forme des bulles, etc.). In fine d’ailleurs le plus souvent, le modélisateur est conduit à ajuster ces paramètres (coefficient de diffusion et de piégeage équivalent, longueur de diffusion équivalente, etc.) sur des expériences globales d’irradiation, ce qui relativise l’intérêt de la complexité. De plus, cet effort est sans doute beaucoup moins nécessaire pour la simulation des crayons défectueux que pour les crayons sains qui n’ont pas le même comportement, en particulier en fonction du temps. Pour les crayons défectueux, l’activité des PF mesurée dans l’eau d’une boucle d’essai ou pendant le fonctionnement d’un REP comportant un crayon non étanche apporte des informations quasi continues sur le combustible alors que, pour le crayon sain, on est obligé d’attendre plusieurs mois après son déchargement avant d’avoir une information correspondant à toute l’histoire du crayon (1, 2, 3 ou 4 ans en réacteur). Mais, il faut se poser aussi la question des différences qui pourrait expliquer les comportements distincts entre les deux types de crayons. Le tableau ci-dessous indique donc ce qui différencie le combustible défectueux du combustible sain. Combustible sain Gaz de remplissage He + (Xe et Kr) qui augmente du jeu avec le taux de combustion et dégrade la conductivité thermique du gaz Oxyde Dégradation rapide limitée à la UO2 + PuO2 zone périphérique (RIM) pour le combustible UOx (figure 7.3) et aux amas de Pu pour le MOX Microstructure Croissance lente de S /V et diminution de la taille de grain avec le taux de combustion
Combustible défectueux Vapeur d’eau et/ou oxygène et hydrogène de radiolyse
Oxydation par H2 O et O2 et formation d’UO2+x L’oxydation provoque une dégradation rapide de la microstructure réduisant la taille des grains à environ 10 μm de diamètre équivalent
Le point le plus important est donc la dégradation de la microstructure due à la formation d’UO2+x . Cela revient à élever très rapidement le rapport surface/volume (S/V) du combustible et à le rendre presque immédiatement
Chapitre 7 – Contamination par les produits de fission
Structure initiale
173
Structure après irradiation
Figure 7.3. – Exemple d’évolution de la microstructure sous irradiation – périphérie d’une pastille de combustible (Source : CEA).
équivalent à celui d’un fort taux de combustion. La conséquence est un rejet, pour des taux de combustion en dessous de 45 GW·j/t de produits de fission, beaucoup plus important de la part d’un combustible défectueux par rapport à celui d’un combustible sain non encore ou peu irradié ; phénomène qui surprit d’ailleurs les expérimentateurs CEA du réacteur Siloé du CEA Grenoble (habitués aux rejets des combustibles sains) lors des premières expériences sur des crayons (neufs) pré-percés. Remarque : au passage, signalons que l’évolution de la taille des grains avec le taux de combustion explique le relâchement plus important des crayons MOx (enrichi en Pu) par rapport aux crayons UOx. Le taux de combustion des amas de Pu des crayons MOx augmente localement beaucoup plus vite que la moyenne du taux de combustion des crayons UOx ayant un historique semblable. Cela a pour effet de dégrader beaucoup plus rapidement l’oxyde de l’amas et d’en augmenter le S/V et donc le relâchement. Ce comportement est en revanche effacé si le crayon MOx est défectueux car l’oxydation de l’oxyde égalise très rapidement la taille des grains des oxydes de chaque type de combustible et explique qu’on observe très peu de différence entre le rejet d’un combustible défectueux UOx et MOx. Cette différence sur l’évolution de la microstructure du combustible en fonction du taux de combustion explique pourquoi les modèles de calcul de rejet hors d’un crayon défectueux sont en principe moins complexes que ceux d’un crayon sain.
7.1.3.
Diagnostique de l’état des gaines
Puisqu’un modèle comme celui de PROFIP reproduit correctement les activités volumiques réelles du fluide primaire en présence d’un crayon défectueux [80–84], on conçoit qu’à l’inverse, les activités volumiques des produits de fission mesurées dans le fluide primaire d’un réacteur puissent être interprétées à l’aide d’un tel
174
Corrosion des circuits primaires…
modèle. Et nous allons voir qu’il est, en effet, possible de tirer des informations plus qu’intéressantes pour l’exploitant et l’organisme de sûreté sur l’état du cœur à partir de la mesure des activités du fluide primaire en Xe, Kr, I et Cs. Cependant, les activités en PF du réfrigérant mesurées par unité de volume en Bq/m3 , seules, sont insuffisantes pour évaluer correctement l’état de la gaine car ces activités dépendent de l’intensité de la source mais aussi de plusieurs autres facteurs comme le volume du réfrigérant, les volumes gazeux (ballon RCV, pressuriseur…), le taux de purification, le taux de fuite, etc. Les codes (comme PROFIP ou DIADEME du CEA) sont nécessaires pour transformer l’activité de chaque nuclide (Bq/m3 ) en taux de rejet en Bq/s ou atome/s, réellement utile. Bien entendu le rejet R dépend de facteurs variables et inconnus comme le nombre et la gravité des défauts, la puissance instantanée et intégrée, la température de l’oxyde, le taux de combustion du ou des crayons. On procède alors à une normalisation en reliant le rejet R (Release) à la création B (Birth) de PF, pour une quantité de combustible donnée (en général un crayon) à la puissance moyenne du cœur (pendant une période donnée assez longue). B en At/s ou en Bq/s est calculé par le (un) code. Cette normalisation est automatique avec DIADEME. On calcule alors le rapport R /B qui est un nombre sans dimension. Attention, on aura d’une part le R /B théorique, calculé pour un défaut moyen sur un crayon moyen et le R /B expérimental ou Rr /Box . L’indice r désigne un (ou plusieurs) crayon(s) réel(s) tandis que B = Box , ox désigne l’oxyde du crayon de référence (à la puissance moyenne du cœur, Pmoy ). Rr /Box permet aussi la comparaison de rejet (l’état de la gaine) pour des historiques et des cœurs différents. En toute rigueur, le R /B expérimental devrait être donné par Rr /Br ou Br est la création dans le crayon défectueux, calcul qui ne pourra être fait que lorsque le crayon aura été identifié. La fraction relâchée et le R /B sont équivalents à l’équilibre mais les conditions de fonctionnements doivent demeurer constantes pour que l’équilibre radioactif soit conservé. L’évaluation se fera donc pour une période de marche à puissance constante si possible de plusieurs jours (ce qui est difficile à obtenir quelquefois, particulièrement pour les réacteurs embarqués). – À l’équilibre le rapport du R /B expérimental et du R /B de référence des nuclides de demi-vie suffisante donne alors une estimation du nombre de défauts équivalents. – L’utilisation de tous les radionuclides mesurés nous apprend plus. Par exemple, plus les PF auront de la difficulté à s’échapper, plus le temps aura une influence sur le R /B, plus le R /B des vies courtes sera donc bas ; de l’importance de cette influence, on pourra déduire des informations sur la température moyenne du combustible défectueux ou éventuellement de la taille du défaut. Finalement, si l’on est en présence de « petits » défauts, on est capable, pourvu qu’ils soient similaires, de déterminer avec une précision suffisante : – le nombre ; – la nature du combustible des crayons concernés ;
Chapitre 7 – Contamination par les produits de fission
175
– le taux de combustion des crayons concernés ; – la taille (grossièrement) des défauts. En cas de « gros » défauts (> 35 μm) disséminants, on est capable de déterminer la masse et la distribution de l’uranium de contamination. Remarque importante : il est évident que si plusieurs défauts de nature ou de gravités très différentes coexistent, la précision de la détermination s’en ressentira : un gros défaut pourra éventuellement masquer un ou plusieurs petits défauts. Cas particulier du réacteur sans défaut On pourrait croire dans ce cas que le RCP ne contient pas de PF. Or quel que soit le réacteur, les produits de fission sont présents, détectables et détectés dans le fluide primaire. Cela est du à l’uranium de contamination et à l’uranium contenu dans l’alliage. Pendant la fabrication, en effet, la gaine peut être légèrement recouverte de poussière d’UO2 . On estime cette très faible contamination à environ 10−8 g/cm2 , ce qui correspond à moins d’un gramme d’UO2 pour l’ensemble du cœur (un réacteur 4 boucles de 1 300 MWe contient 104 tonnes d’uranium enrichi). Le fin dépôt correspondant subira des fissions, dont la moitié des produits passeront par recul immédiatement, c’est-à-dire sans retard, dans l’eau du circuit primaire. D’autre part, l’uranium est présent partout dans la croûte terrestre et également dans le minerai ayant servi à l’extraction du zirconium. Le traitement métallurgique ne faisant pas disparaître l’uranium, l’alliage de la gaine en contient environ 3 ppm. Cet uranium sera lui aussi fissionné. La gaine étant plus froide que le combustible, la seule possibilité d’émission des produits formés lors de la fission sera là aussi le recul et l’éjection très près de la surface externe. Dans ce cas, le rejet ne subissant aucun retard à la sortie est indépendant du temps et de la constante de désintégration λ. Ce rejet de PF se traduit par un bruit de fond toujours présent que le réacteur comporte ou pas de rupture de gaine. En présence d’au moins un défaut de gaine, la sortie de PF est alors l’addition de plusieurs phénomènes. Une combinaison de deux termes peut être généralisée à tous les modes de sortie. On exprime alors pour des conditions d’irradiation constantes la fraction relâchée par (R /B)total = (R /B)diffusion + (R /B)λ−independant . Comme le montre la droite horizontale de la figure 7.4, la participation de l’uranium en contact avec l’eau (contamination ou autre) est plus visible et apparaît toujours plus tôt sur les iodes et césium qui, en raison du piégeage (dépôt) sur la gaine interne, ont un R /B apparent et global plus faible que les gaz rares pendant le fonctionnement du réacteur. Il est donc nécessaire de retirer ce bruit de fond du R /B global afin de pouvoir séparer la composante de rejet par diffusion de celle indépendante du temps et donc de la constante de désintégration λ avant de faire des évaluations. Remarquons qu’à l’uranium de contamination ou de l’alliage peut venir s’ajouter des particules d’UO2 libérés au cours du cycle considéré (ou d’un cycle précédent) par un crayon présentant un défaut disséminant. Ce combustible libéré dans le fluide se dépose en fines particules et étant en contact avec l’eau, donc froid, les PF en sorte par recul ou éjection (quand bien sûr le dépôt est situé sous flux) et leurs PF s’ajoutent au bruit de fond [84].
176
Xe
I
138
134
Kr
87
Kr I
88
132
Kr 85m
Xe
I
135
135
133
I
Xe 133m
Xe
133
131
I
Corrosion des circuits primaires…
1,00E-01
Rejet de gaz hors du crayon défectueux
R/B reactor
1,00E-02
134
I
1,00E-03
Uranium de contamination Tramp uranium
Rejet d’iode et de césium hors du crayon défectueux 1,00E-04 1,00E-06
1,00E-05
1,00E-04
1,00E-03
Lambda (s-1)
Figure 7.4. – Fraction relâchée de gaz et d’iode dans le circuit primaire par un crayon défectueux.
7.1.3.1.
Apport des transitoires
Au moment d’un arrêt du réacteur, la chute de la température va contribuer à ouvrir le jeu gaine/combustible. De l’eau entrera par le défaut dans ce jeu, ce qui aura pour effet de remettre en solution l’iode et le césium déposés sur la paroi interne de la gaine (sur les surfaces d’UO2 froid ?). Une fois solubilisés, l’iode et le césium seront transportés et passeront à travers le défaut, en général au moment de la dépressurisation, libérant assez rapidement la quantité totale de ces nuclides piégés dans le jeu avant le transitoire. On assiste alors à des pics d’activité comme celui de l’iode 131 au cours du 13e jour d’arrêt sur la figure 7.5, correspondant bien à la diminution de la pression du RCP. L’ajout du rejet des PF hors du combustible à celui déterminé en fonctionnement donne la fraction relâchée totale indépendante des caractéristiques du défaut. La nouvelle valeur de la fraction relâchée obtenue se place sur la droite des gaz (cf. figure 7.4) et améliore le diagnostic du nombre de défauts de gaine. De plus, le rapport des activités 134 Cs/137 Cs dépend du taux de combustion et des temps d’arrêt du réacteur. À l’aide de l’historique de puissance et de codes de calcul, il est alors possible de remonter au taux de combustion du crayon défectueux (s’il est seul). Cas de la matière fissile et des actinides Seulement 1 % de la matière fissile déposée (quand il y en a) passe dans l’eau pendant le transitoire, il n’y donc pas de purification efficace et on ne peut pas compter comme pour les PC sur cette phase pour les éliminer.
Chapitre 7 – Contamination par les produits de fission
177
1,0E+06
Activity (MBq/t)
1,0E+05 1,0E+04
250
200
1,0E+03
150
1,0E+02
100
1,0E+01
50
1,0E+00
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
20
Power (%Pn)/Purificition flow rate (t/h) Temp. (◦C)/Pres. (bar)
300 131I 132I 133I Power Purification Temperature Pressure
0
Days
Figure 7.5. – Activité des iodes pendant un arrêt de réacteur en fonction du temps (CEA).
L’accroissement de l’activité α durant le transitoire d’arrêt est cependant assez important et est relié en général à l’érosion des particules d’oxydes déposés. Toutefois, l’américium (Am), le plutonium (Pu) et le neptunium (Np) sont des éléments qui se solubilisent partiellement après l’oxygénation comme le montre la figure 7.6.
7.2. Conclusion sur les rejets de PF Les codes CEA PROFIP et DIADEME, basés sur les principaux mécanismes de sortie des produits de fission hors du combustible, furent utilisés avec succès comme le montre les figures 7.6 et 7.7 pour évaluer : – le rejet des PF hors du combustible défectueux des réacteurs français utilisant principalement du combustible UO2 mais aussi MOX jusqu’à des taux de combustion de 45 GW·j/t. La gaine des combustibles analysés était en zircaloy 4 et M5. On obtient un bon accord pour les fractions relâchées de gaz et d’iodes et de césium hors de l’UO2 . Pour ces deux derniers, seulement après avoir additionné les contributions obtenues à l’état d’équilibre (en fonctionnement courant) et en transitoire ; – l’activité des PF volatiles (Xe, Kr, I, Cs) et leurs distributions dans le RCP. La figure 7.7 montre l’excellent accord obtenu sur une large gamme d’activités ; – la distribution des actinides dans le circuit primaire, les dépôts sur les surfaces, la concentration dans le réfrigérant primaire et l’activité retenue sur les filtres et résines du RCV.
178
Corrosion des circuits primaires… 1000000
350 58Co 60Co 239Np Power Purification Temperature Pressure
Activity (MBq/t)
100000 10000
300 250 200
1000 150 100
100
10 1
50
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
20
0
Days
Figure 7.6. – Comportement du 239 Np pendant un transitoire d’arrêt (source CEA). Calculé 1,0E+00
1,0E-01
1,0E-02
1,0E-03 1,0E-03
1,0E-02
1,0E-01
1,0E+00
Mesuré
Figure 7.7. – Activité en iode 131 et 133 dans le fluide primaire. Comparaison mesures/calculs PROFIP (source CEA).
L’activité des émétteurs « alpha » déposés sur les surfaces du circuit primaire est plus dispersée que pour les produits volatiles et solubles mais l’accord est jugé suffisant pour l’opérateur et l’organisme de sûreté.
Chapitre 7 – Contamination par les produits de fission
179
1,0E+01
Aactivité α calcllé en MBq /m2
CAT 308
1,0E+00 CRUAB 413
1,0E-01
1,0E-02
1,0E-03 1,0E-03
1,0E-02
1,0E-01
1,0E+00
1,0E+01
Moyenne des mesures α en MBq /m 2
Figure 7.8. – Activité alpha déposée sur les parois du RCP. Comparaison mesures/calculs (source CEA).
Sur ces bases, il a été établi des spécifications radiochimiques pour l’état d’équilibre concernant : – le niveau d’activité d’131 I équivalent1 (somme des iodes pondérés par leur radiotoxicité) afin de limiter l’irradiation gamma et les risques de contamination ; – l’activité du 133 Xe pour éviter de fonctionner avec de trop nombreux défauts de gaines et plus général le niveau d’activité massique instantanée en somme de gaz rares ; – le niveau d’activité de l’134 I pour limiter la dissémination de matière fissile (134 I traceur de l’uranium de contamination sous flux de neutrons). Et, in fine, l’expérience du suivi de l’activité des PF et du diagnostic de l’état des gaines du combustible permet de conclure que les spécifications imposées par l’Autorité de Sûreté et appliquées par EDF pour l’état d’équilibre limitent à un niveau très raisonnable le rejet de PF, la contamination globale des circuits et le niveau de déchets (B) des REP. Ces règles de conduite facilitent l’exploitation, la protection des travailleurs, protègent l’environnement et renforcent la sûreté des réacteurs.
1 En fait , il y a deux limites : l’activité massique instantanée et l’activité massique moyenne en équivalent 131 I.
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
8
Petit détour chez les réacteurs bouillants
Nous avons évoqué plusieurs fois les réacteurs bouillants à titre de comparaison ou de référence. Il est donc intéressant d’examiner rapidement ce type de filière d’autant qu’aujourd’hui AREVA propose un réacteur à eau bouillante dans ses cartons avec le projet KERENA.
8.1. Généralités Les réacteurs à eau bouillante (REB ou BWRs pour Boiling Water Reactors) contrairement aux REP et autres PWRs sont des réacteurs à cycle direct. Cela leur permet de fonctionner à une pression de 7 MPa (70 bars) et une température de 288 ◦ C, plus basse donc que celle des REP. Cette pression plus faible autorise des épaisseurs de tuyauteries et de cuves moins épaisses que celle des REP. Une partie du réfrigérant passant à travers le cœur est convertie en vapeur qui est asséchée à l’aide de sécheur-surchauffeur situé à l’intérieur de la cuve. La vapeur va directement à la turbine tandis que l’eau est re-circulée vers le bas du cœur. Un courant dérivé est continuellement « purifié » à l’aide de filtres et de déminéraliseurs pour maintenir les conditions chimiques requises. Des déminéraliseurs purifient le débit total (contre moins de un pour mille pour le circuit primaire des REP et PWR) des condensats afin d’éliminer les entrées éventuelles d’impuretés dans le circuit et les produits de corrosion et d’érosion en provenance du circuit vapeur. On voit que, par rapport aux REP, il n’y a pas de générateur de vapeur dans les BWR, ce qui est un gain au niveau des investissements et une facilité au niveau d’exploitation (tous les ennuis que l’on a vus qui peuvent conduire jusqu’au RGV sont évités). En revanche, l’ensemble du circuit vapeur (y compris la turbine et le condenseur) sera contaminé et donc situé en zone contrôlée alors que, pour les REP, tous ces circuits sont dans un bâtiment séparé, classique (en zone non contrôlée), ce qui facilite grandement l’exploitation et particulièrement les opérations de maintenance et de réparation. La chimie de l’eau des BWRs est indiquée sur le tableau 8.1. À l’origine, l’eau d’appoint, les condensats et l’eau primaire ne contenaient pas d’additifs. La décomposition radiolytique de l’eau produisait des concentrations d’O2 dans la cuve,
182
Corrosion des circuits primaires…
Tableau 8.1. – Chimie de l’eau des BWRs∗ .
Variables
Valeur médiane
Eau du réacteur Conductivité à 25 ◦ C, μS/cm ca 0,11 Cl, ppb 1 SO4 , ppb 2 Zn, ppb (si programme d’injection de Zn) 5-10 Potentiel électrochimique, V < –0,23 V O2 dans l’eau de recirculation, ppb ≈ 200 sans addition de H2 ≈ 10 SiO2 , ppb < 100 Eau d’appoint/condensat Eau d’appoint, conductivité 25 ◦ C, μS/cm 0,06 Eau d’appoint, fer total, ppb 1-3∗∗ Eau d’appoint, Cu total 0,1-0,2∗∗ O2 , ppb 30 ∗ Valeurs correspondant au fonctionnement normal. ∗∗ Valeurs dépendant de la conception du réacteurs et des procédures d’exploitation.
s’étendant d’environ 200 ppb dans l’eau de recirculation à environ 20 ppm d’O2 dans la vapeur. Une quantité « stœchiométrique » d’hydrogène était aussi créée donnant à l’équilibre une concentration de 25 cm3 /kg TPN d’H2 dans l’eau de recirculation. L’eau d’appoint contenait, elle, environ 30 ppb d’oxygène. La décomposition radiolytique de l’eau du circuit primaire est bien entendu un facteur déterminant du comportement des matériaux composant le système. Quelques-unes des premières unités BWR possédaient des réchauffeurs de l’eau d’appoint dont les tubes étaient en alliage de cuivre. L’environnement correspondant à une concentration élevée en oxygène et de l’eau pure (pH neutre) peu favorable pour la corrosion du cuivre conduisirent à des concentrations de cuivre importantes dans l’eau d’appoint et à la formation de dépôts indésirables, en particulier, sur le combustible. Dans quelques cas, les dépôts de cuivre entraînèrent une chute de pression dans le cœur et nécessitèrent la réduction de la puissance du réacteur. Les alliages de cuivre furent alors éliminés du circuit d’eau dans les installations futures comme dans presque toutes les installations existantes. Peut-être plus que dans les REP, on assiste dans les circuits des BWRs à de nombreux événement liés à la corrosion sous contraintes intergranulaires (IGSCC) des aciers inoxydables et des alliages riches en nickel. La CSC intergranulaire ou IGSCC fut d’abord observée dans les tuyauteries de recirculation et plus tard sur les internes de la cuve, puis toucha principalement les zones thermiquement affectées d’acier 304 situées près des soudures. Trois facteurs sont importants, nous l’avons vu, pour ce type de corrosion : les contraintes, la sensibilisation de la zone affectée et les espèces chimiques présentes telles que l’oxygène et l’eau oxygénée dans l’eau.
Chapitre 8 – Petit détour chez les réacteurs bouillants
183
Parfois, pour les tuyauteries de recirculation, le chauffage par induction des zones soudées après réalisation, a été utilisé pour changer les contraintes de tension à l’intérieur des tuyauteries en contrainte compressive. Ce changement réduit, en effet, la probabilité d’attaque intergranulaire. L’acier inoxydable de type 316NG remplace maintenant le 304 afin d’éliminer cette sensibilité. Les expériences de laboratoire ont montré que l’IGSCC peut être atténuée si le potentiel électrochimique (ECP) pouvait être diminué à −0,23 V en référence à l’échelle de l’électrode à hydrogène standard (ESH ou SHE en anglais) dans l’eau ayant une conductivité de 0,3 μS/cm. L’application, en vraie grandeur, aux réacteurs s’est révélée ensuite bénéfique. Des équipements ont été développés pour contrôler, pendant le fonctionnement du réacteur, le potentiel ECP dans les lignes de recirculation et aux endroits stratégiques comme le bas et le haut du cœur dans la cuve. La valeur du potentiel recherchée ne peut être obtenue que par l’injection de H2 dans l’eau d’appoint : sans addition d’hydrogène, la concentration d’oxygène dans la ligne de recirculation est aux environs de 200 ppb et l’ECP correspondant entre zéro volt et jusqu’à + 250 mV. L’expérience montre que la concentration d’H2 nécessaire est d’au moins 0,4 ppm (≈ 4,5 cm3 /kg TPN) bas du cœur et de 1,6 ppm (≈ 18 cm3 /kg TPN) dans la ligne de recirculation. Remarque : ces valeurs sont supérieures à celles que l’on peut calculer (≈ 2,3 cm3 /kg TPN) à partir de la formule 2.4 mais il faut se rappeler que cette formule correspond à une situation d’équilibre. Dans un réacteur bouillant, la présence de deux phases oblige, bien entendu, à une injection continue et à une concentration plus importante que la valeur calculée à l’équilibre. Constatons tout de même qu’on reste, en bas du cœur, proche de la valeur calculée (facteur 2). L’ajout d’hydrogène à l’eau d’appoint (HWC) aide donc à résoudre les problèmes de potentiel (ECP) et en particulier diminue la contamination par les PC mais cela a malheureusement d’autres effets. On constate, en effet, un accroissement du niveau de rayonnement non seulement pendant les arrêts de tranche mais aussi en fonctionnement. En puissance, l’augmentation du niveau de rayonnement atteint un facteur cinq autour des installations « vapeur », en raison de la plus grande volatilité du nuclide radioactif à vie très courte mais émetteur γ très énergique, l’azote 16 ou 16 N, (7,1 s de période) formé sur l’oxygène 16 de l’eau lors de son passage dans le cœur. Sans ajout d’H2 , l’16 N du fluide quittant la cuve est sous forme d’acide nitrique, HNO3 ; avec ajout d’H2 , l’16 N est sous forme d’ammoniac, NH3 , qui est plus volatile que HNO3 , et est ainsi entraîné avec la vapeur vers la turbine.
8.2. Injection de zinc Bien que le fer soit le principal produit de corrosion présent dans le réacteur, le 60 Co, plus encore que pour les REP, est le principal responsable des débits de
184
Corrosion des circuits primaires…
dose autour des circuits pendant les arrêts des BWRs. Il a été noté que certains BWRs présentaient des niveaux de rayonnement pendant les arrêts substantiellement plus faibles que les autres installations similaires, tout en pratiquant le même conditionnement chimique. Les investigations montrèrent que ce comportement particulier était lié à la présence de tubes en laiton contenant donc du zinc au niveau des condenseurs et à une mauvaise purification des condensats par les déminéraliseurs. Les études qui suivirent montrèrent qu’un ajout de zinc dans l’eau d’appoint suffisant pour maintenir une concentration de zinc de 5 à 10 ppb dans l’eau du réacteur conduisait à un effet équivalent vis-à-vis des débits de dose autour du circuit : le Zn se substitue au cobalt dans les oxydes déposés. Il faut signaler que le zinc s’active aussi et est responsable de la présence de points chauds dans l’installation. L’avantage est que le 65 Zn, résultat de l’activation, émet des gammas moins puissants que le 60 Co mais surtout possède une demi-vie de 244 jours au lieu de 5,25 ans pour le cobalt et disparaît donc plus vite.
9
Évolutions récentes
Ce qui précède évoque les débuts des études sur la chimie de l’eau et les phénomènes de corrosion dans les réacteurs et retrace les développements et observations réalisés entre les années 1960 et le début des années 2000. Il serait dommage, sans prétendre être exhaustif, de ne pas s’informer sur les tendances et les progrès de cette dernière décennie. C’est ce que nous allons tenter dans ce dernier chapitre. On peut dire que les changements les plus marquants dans le domaine qui nous occupe sont probablement l’attention donnée aux problèmes du vieillissement d’une part et aux examens microscopiques s’appuyant sur les dernières techniques d’analyses d’autre part. Ces préoccupations et pratiques existaient certes déjà mais elles se sont développées en raison de la demande d’extension de la durée de vie des réacteurs jusqu’à 60 ans et en raison de la multiplication des outils d’examen tels que la microscopie à transmission, à force atomique, la tomographie X à l’échelle atomique et autres spectroscopie de masse à ionisation secondaire – SIMS ou microscopie électronique à balayage, MEB – à effet de champ, sous vide, etc.
9.1. Vieillissement Le vieillissement des réacteurs nucléaires touchent des composants aussi divers que la structure du bâtiment réacteur, la cuve, les matériaux constitutifs des circuits. Les mécanismes de vieillissement sont très variés. Certains sont spécifiques du nucléaire, en particulier la fragilisation et le gonflement des aciers sous irradiation (cuve) et la corrosion sous rayonnement, d’autres sont plus classiques comme la fatigue des matériaux, la corrosion sous contrainte, la corrosion-érosion, et l’usure par frottement. Ces différents mécanismes n’agissent pas isolément : c’est leur action conjointe, « synergique », qui contribue à accélérer le vieillissement des composants d’une centrale nucléaire, et qu’il s’agit de maîtriser. Nous allons nous intéresser ici bien sûr au vieillissement des matériaux en contact avec l’eau et donc lié à la corrosion et en particulier à la corrosion sous contrainte qui est l’une des dégradations les plus significatives conduisant au vieillissement des gros composants des réacteurs REP (PWR) comme des réacteurs bouillants (BWR) et qui demeure encore une problème technique important non complètement résolu.
186
Corrosion des circuits primaires…
Tableau 9.1. – Principales mesures pour réduire la corrosion accélérée par le débit de fluide (FAC) dans les REP, BWR et centrales classiques. Installation
Arrivée de l’eau d’appoint
Amélioration au niveau matériau
Chimie de l’eau
Amélioration
Remarque
pH
[O2 ]
REP
Générateur de vapeur
Augmentation du Cr
Accroissement du pH
AVT(H&O)
Minimisation de [O2 ] à l’entrée du GV
REB
Cœur du réacteur
idem
Neutralité
Injection d’oxygène
[O2 ] généré par la radiolyse
Fossile
Chaudière
idem
Accroissement du pH
AVT(O) OT
AVT : traitement entièrement volatile. AVT(H&O) : addition d’oxygène au traitement AVT(R). AVT(O) : AVT en condition oxydante (présence d’oxygène résiduel). AVT(R) : AVT en condition réductrice par ajout d’un agent réducteur.
9.1.1.
Amincissement des parois
En ce qui concerne la corrosion généralisée, le seul problème qui pourrait inquiéter est l’amincissement des parois ; celui-ci pourrait conduire par exemple sur le long terme à des ruptures de tuyauteries. Nous l’avons vu cependant, la chimie appliquée à l’eau du circuit primaire est telle que les taux de corrosion sont trop faibles (< 1 μm/an) pour menacer l’intégrité des circuits. Cependant, la corrosion accélérée par la vitesse du fluide qui peut atteindre des valeurs élevées dans certaines portions de circuit est une menace principalement au niveau des tuyauteries d’alimentation et de condensat et il est alors essentiel de prévenir les risques de ruptures de ces tuyauteries sur les vieilles installations. Il est donc intéressant de savoir qu’il existe des procédures et des logiciels pour estimer et prévenir cette corrosion accélérée. Ces moyens permettent de diminuer le nombre d’inspections. Les références [91, 92] décrivent des codes 1D et 3D de simulation de cette corrosion accélérée par le débit qui permettent à la fois de déterminer les zones sensibles, la vitesse d’amincissement et les temps à rupture. Ces papiers donnent aussi les contre-mesures à appliquer pour réduire ces attaques. Et comme le montre le tableau 9.1, le moyen le plus facile, quelle que soit l’installation pour lutter contre cette corrosion accélérée, est le contrôle de la chimie. On vérifie que le circuit primaire des REP et autres PWR, dont la chimie de l’eau est très stricte et optimale vis-à-vis de la corrosion généralisée, n’est pas concerné.
9.1.2.
Corrosion sous contrainte
Les fissures induites par corrosion sous contrainte, par exemple la CSC intergranulaire des réacteurs bouillants et la CSC en milieu primaire des REP, restent
Chapitre 9 – Évolutions récentes
187
toujours parmi les problèmes de matériau le plus souvent rapportés par les installations nucléaires de puissance d’après l’excellente synthèse publiée par l’AIEA en 2011 [93]. Cette synthèse confirme pas mal de points relatés au chapitre 5 mais indique aussi plusieurs progrès ou confirmations au niveau de la connaissance du phénomène (comme sur la microstructure, l’effet de l’irradiation) et présente les parades recommandées aujourd’hui pour l’éviter. Par exemple, il est admis qu’il existe un seuil pour l’apparition de la CSC intragranulaire au niveau du potentiel de corrosion : on doit maintenir ECP ≤ –230 mV (ESH) pour éviter ce problème. On sait que les conditions normales de chimie des BWR (NWC) conduisent à la présence de produits de radiolyse très oxydants qui influencent (augmentent) la valeur du potentiel ECP. Ces conditions environnementales associées aux facteurs métallurgiques tels que la sensibilisation aux joints de grains, l’écrouissage et les fortes contraintes sont donc pour les réacteurs bouillants susceptibles potentiellement de déclencher de la corrosion sous contrainte intergranulaire (IGSCC). Dans le cas des circuits primaires de REP, nous l’avons vu au chapitre 5, la CSC pose moins de problème, mais cela se produit cependant sur les alliages riches en nickel et dans certaines conditions d’exploitation particulières. Il est clair que les paramètres environnementaux principaux favorisant la CSC sont la température et la teneur en hydrogène et, dans une beaucoup moindre mesure, la teneur en Li reliée au pH et la présence de zinc. Ces dernières années, les paramètres qui jouent sur la vitesse de croissance des fissures (CGR ou crack growth rate) dans l’alliage 600 et ses dérivés de soudure (182 et 132) ont été précisés. Par exemple, la température accélère le taux de croissance des fissures comme cela est montré sur la figure 9.1 extraite de la référence [93], pour l’alliage 182 et pour trois concentrations d’hydrogène. La figure montre en plus de l’effet de la température et de [H2 ] que pour les fortes concentrations en hydrogène correspondant à une valeur plus faible que celle donnée par l’équilibre Ni/NiO, la vitesse de propagation des fissures décroît, ce qui est en accord avec ce qu’on a vu pour les bouillants. Comme l’illustre la figure 9.2 issue de la référence [95] et la courbe noire de la figure 9.3 extraite de la référence [98], la vitesse de propagation des fissures de l’alliage 600 présente un léger maximum dans l’alliage 600 pour une concentration d’hydrogène correspondant approximativement au potentiel d’équilibre Ni/NiO. Cela est encore plus marqué pour les alliages 182 et 132. Comme l’illustre aussi la figure 9.3, le temps d’amorçage des fissures décroît régulièrement lorsque la concentration d’hydrogène croît. Pratiquement à l’intérieur de la plage habituelle de concentrations (25-50 cm3 /kg) qui existent dans les REP pendant le fonctionnement, l’influence de l’hydrogène sur l’amorçage de fissure est faible. La figure 9.2 est basée sur des expériences américaines (exp. 1 [96]) et canadienne (exp. 2 [97]). La zone marquée par des flèches à gauche du graphique correspond à des conditions de fonctionnement présentant de forts risques de trouver des produits de radiolyse et donc d’être en condition oxydante.
188
Corrosion des circuits primaires…
Figure 9.1. – Influence de la teneur en hydrogène et de la température sur la croissance des fissures de corrosion sous contrainte pour l’alliage 82 (d’après Andersen et al. [94]).
Taux normalisé de croissance des fissures
1,00E-11
340°C
1,00E-12
325° Ajustement sur les points expérimentaux
1,00E-13
1,00E-14
1,00E-15
1,00E-16
1
10
100
1000
3
Concentration en hydrogène dissous en cm /Kg
Figure 9.2. – Vitesse de croissance des fissures en fonction de la concentration en hydrogène dissous pour l’alliage 182 (d’après [95]).
9.1.2.1.
´ Mecanismes
Malgré les progrès accomplis sur le comportement des matériaux et les parades vis-à-vis de la CSC, les mécanismes gouvernant ce phénomène ne sont toujours pas
Chapitre 9 – Évolutions récentes
189
Figure 9.3. – Effet de l’hydrogène sur le temps d’amorçage et le taux de croissance de la fissure de CSC pour un alliage 600 détendu (d’après A. Molander et al. [98]).
compris d’après [93]. Par exemple, l’effet apparent du potentiel de corrosion au voisinage de la stabilité de l’oxyde (Ni/NiO) n’a toujours pas été expliqué. Seules des relations empiriques basées sur les observations et les résultats de recherche existent. C’est ce que semble confirmer EDF dans la référence [95] présentée à la Nuclear Plant Chemistry Conference NPC qui s’est tenue à Paris en septembre 2012 : « L’amorçage et la propagation de l’alliage 600 riche en nickel a été largement étudié au cours des 50 dernières années. Laghoutaris [40] (que nous avons déjà rencontré au chapitre 5) analyse la pertinence des principaux modèles de CSC des REP et n’en garde que trois : l’oxydation sélective aux joints de grains, l’interaction entre oxydation et plasticité et les fissurations « pseudo-intergranulaires ». Néanmoins jusqu’à présent aucun mécanisme universellement admis n’expliquent toutes les observations. » M. Labousse et ses collaborateurs [95] eux-mêmes font effort de modélisation et proposent deux modèles pour interpréter les données sur l’amorçage et la propagation des fissures. Le premier selon leurs propres mots est une « approche empirique » basée sur un modèle gaussien dont on peut voir les résultats sur la figure 9.2 (325 ◦ C fit et 340 ◦ C fit). Ce modèle n’a pas la prétention de décrire « en aucune façon les mécanismes microscopiques. » Un second modèle, dit alternatif, donnant des résultats très proches du modèle empirique gaussien, est lui « basé sur l’idée que les phénomènes peuvent être modélisés en termes élémentaires simples ». Mais les mécanismes microscopiques ne sont pas plus considérés que dans le modèle précédent. Le modèle est basé sur un compromis entre l’inhibition de l’apparition de fissures lorsque la concentration en H2 est très élevée et une simple protection de l’alliage par une couche passive pour les faibles concentrations de H2 .
190
Corrosion des circuits primaires…
Si l’on a peu progressé, semble-t-il, au niveau des mécanismes, en revanche, de nouvelles actions destinées à prévenir ou à réduire les effets de l’apparition de fissures par CSC sont apparues et les anciennes se sont précisées comme le montre le chapitre suivant.
9.1.2.2.
´ ´ a` minimiser Actions preventives destinees ´ ´ au vieillissement par CSC les degradations liees
Le document de l’AIEA [93], en particulier, passe en revue et présente divers moyens de gérer les problèmes de vieillissement liés à la CSC. BWR Pour les réacteurs bouillants, l’accent est mis sur l’amélioration de la chimie de l’eau et l’utilisation d’une eau de meilleure qualité afin de minimiser la concentration d’impuretés dans les fissures et par abaissement du potentiel de corrosion (ECP). Ce dernier point dont nous avons déjà parlé au chapitre 8 est obtenu par ajout d’hydrogène (HWC) qui permet de faire disparaître les produits oxydants de radiolyse, principalement l’oxygène et l’eau oxygénée (H2 O2 ) et, par conséquent, d’abaisser le potentiel ECP en dessous d’environ –230 mV (ESH). Les développements récents montrent que ce traitement est plus efficace et nécessite moins d’hydrogène quand on le combine avec l’ajout de métal noble au niveau de trace. Un autre nouveau développement pour réduire l’ECP est d’utiliser les photo-électrons émis par l’effet Vavilov-Tcherenkov (Cerenkov) sur des dépôts minces d’oxyde de titane (TiO2 à la surface des composants, ce qui devrait améliorer l’efficacité dans les régions dont le régime hydraulique est diphasique [93]. REP, PWR Les possibilités de changement de la chimie primaire des REP restent en comparaison des BWR assez limitées. D’après l’étude d’EDF [95], il semble qu’une légère augmentation (jusqu’à 50 cm3 /kg TPN de la teneur en H2 ) soit bénéfique vis-à-vis de la propagation des fissures. Le tableau extrait de cette référence résume les effets des variations de concentration de la teneur en H2 sur le comportement des alliages 600 et 182. L’injection de zinc soluble semble être également capable de freiner significativement l’amorçage de l’alliage 600 et des alliages de soudure compatibles. Côté secondaire des générateurs de vapeur, la réduction des effets de la CSC est d’abord liée à un meilleur contrôle de l’eau d’appoint afin de minimiser la formation de solutions concentrées en impuretés dans les fissures surchauffées situées à proximité des tubes. Mais surtout les générateurs de vapeur sont en train d’être remplacés dans beaucoup de REP par de nouveaux GV dont les tubes sont en alliage 690 ou 800 beaucoup plus résistant et dont la conception réduit le risque de piégeage des impuretés. D’une manière générale dans les REP, l’alliage 600 et ses alliages de soudures 132/182/82 sont remplacés par l’alliage 690, 152 et 52, ces deux derniers pour les
Chapitre 9 – Évolutions récentes Matériau et phénomène
Alliage 600 Propagation Alliage 600 Amorçage Alliage 182 Propagation Alliage 182 Amorçage
191
[H2 ] ou DH : Augmentation du DH meilleure valeur à 25 → 50 cm3 /kg (TPN) l’intérieur de la plage actuelle de fonctionnement (25-35 cm3 /kg) 35 cm3 /kg (TPN) Bénéfique Indifférent (35) 35
Bénéfique ou neutre Bénéfique
Peu étudié, probablement comme l’alliage 600
Diminution du DH 35 → 15 cm3 /kg (TPN)
Fiabilité du diagnostic
Néfaste
85 %
Neutre
75/50 %
Néfaste
∼ 75 %
Neutre
X
soudures. Ces alliages sont caractérisés par une teneur en chrome significativement plus élevée (environ 30 %) et une moindre teneur en nickel. Aucune fissure n’a été rapportée pour ces alliages après plus de 20 ans de service. Beaucoup d’études de laboratoire en ont aussi confirmé la très grande résistance à l’amorçage pour des températures allant jusqu’à 360 ◦C comme celle de B. Chetroiu et de ses collaborateurs [99]. La meilleure résistance de l’alliage 690 est illustrée ici par la figure 9.4 extraite du document de l’AIEA [93].
Figure 9.4. – Alliage 690 TT et 600 détendu : résultats d’essai EPRI montrant qu’il n’y a pas de fissures après 73 000 heures pour l’alliage 690.
192
Corrosion des circuits primaires…
Au passage, cette figure montre l’effet de la contrainte sur la CSC et le temps à la rupture. Quel que soit le type de réacteurs REP, PWR ou BWR, une vigilance constante est nécessaire pour éviter une contamination en surface des composants, en particulier en acier austénitique par les chlorures qui peuvent avoir pour origine des fuites accidentelles d’isolants thermiques, de liquide de refroidissement ou de lutte contre le feu et même d’aérosols. La réduction des contraintes induisant la CSC peut être obtenue par diverses méthodes : – des conditions de fabrication qui réduisent le temps de maintien en température afin de réduire la sensibilisation thermique ; – des techniques de fabrications voire de soudure permettant de limiter voire d’éviter ou de faire disparaître l’écrouissage ; – l’utilisation de nouveau matériau offrant une meilleure résistance à cette sensibilisation thermique tels que les aciers bas carbone avec ou sans azote. La sensibilisation thermique peut en effet être contrecarrée en utilisant des aciers bas carbone type 304L (AFNOR Z3CN18-10) ou 316L (AFNOR Z2CN17-12) dans lesquels la teneur en carbone est limitée à C ≤ 0,03 % ou par des aciers stabilisés dans lesquels la majorité des carbures est liée à des éléments (en quantité appropriée) ayant une forte affinité avec les carbures, tels que le niobium et le titane (par exemple l’acier 321, AFNOR Z6CN18-10) ; – une combinaison du bas carbone et de la stabilisation peut accroître le bénéfice attendu (par exemple avoir Nb/C > 13) ; – une technique baptisée MSIP (Mechanical Stress Improvement Process) consiste dans l’application d’une contrainte compressive sur la surface interne du matériau à protéger ; – l’utilisation d’un faisceau laser sur la surface externe (Outer Surface Laser Improvement Process) ; – le revêtement d’une couche de soudure bout à bout réalisée par incrustation de l’alliage 52/52M ou la pulvérisation et l’enrobage par tout autre matériau résistant.
9.1.3.
Corrosion généralisée
Les recherches concernant l’oxydation et la corrosion se sont, bien entendu, orientées sur les matériaux nouveaux ou nouvellement employés comme l’alliage 690 [100]. L’utilisation d’outils d’examens et de caractérisation très perfectionnés permettent de voir et de déterminer la structure et la composition des oxydes et donnent une idée de la protection des alliages par ces oxydes. Il semble bien de ce point de vue que la formation d’une sous-couche riche en chrome qui se forme sur l’alliage 690 protège presque totalement le métal sous-jacent. La corrosion et le relâchement (faibles) seraient alors gouvernés par la diffusion en volume en raison de l’établissement de cette couche interne étanche (c’est-à-dire sans les pores qui assurent la communication directe du réfrigérant primaire avec le métal de base) [101].
Chapitre 9 – Évolutions récentes
193
Les études sur l’oxydation, la corrosion et le relâchement cependant ne semblent pas faire, en général, preuve d’innovations notables car elles restent basées sur l’utilisation d’autoclaves et de boucles d’essais classiques du type BOREAL [100]. En effet, même si, en ce qui concerne le comportement des matériaux, ce type d’essais peut apporter des informations ou des pistes intéressantes à explorer, leurs résultats quantitatifs et qualitatifs ne peuvent en aucun cas être transposés ni même extrapolés brutalement à une installation comme un circuit primaire de réacteur. Rappelons ici que dans le circuit primaire d’un REP et en particulier à l’intérieur d’un tube de GV, le fluide est turbulent, la paroi soumise le plus souvent à un flux de chaleur et à un gradient de température conséquent entre le fluide et le métal. Le circuit primaire est très loin d’être isotherme et il existe en fonctionnement un autre gradient de température (≈ 40 ◦ C) entre l’entrée et la sortie du cœur. Il s’ensuit qu’il est rare qu’en un point donné du circuit d’un réacteur en puissance, il n’existe pas de gradient de concentration d’élément soluble entre la paroi et le cœur du fluide. À l’opposé, dans un autoclave, seule la température et les conditions chimiques sont reproduites. La température est quasi isotherme et le fluide stagnant, il en résulte une formation d’oxyde par un mécanisme particulier, la « germination et croissance ». Dans une boucle à recirculation, la turbulence peut être, en plus, correctement simulée mais rares sont les boucles qui ne sont pas isothermes. L’« isothermie », on l’a vu, implique l’atteinte rapide du produit de solubilité, l’absence de gradient, la quasi-absence de particules et le ralentissement du relâchement. On peut ajouter qu’un réacteur est soumis (en France plus encore qu’ailleurs où le fonctionnement en base, donc à puissance quasi constante, est général) à de nombreux transitoires qui provoquent non seulement des variations mécaniques et thermiques et des dilatations différentielles mais aussi des variations de conditions chimiques et des changements de concentration et de gradient de concentration. Toutes ces évolutions plus ou moins brutales joueront sur la structure des oxydes et les flux de matière. Ce sera très peu le cas des autoclaves et des boucles à recirculation. Ces équipements favorisent la protection des alliages, la fermeture de pores s’ils existent et la corrosion gouvernée par la diffusion solide à travers un oxyde interne étanche. On ne peut donc en déduire par exemple avec certitude, comme semble le faire certains, qu’en réacteur, corrosion et relâchement sont toujours gouvernés par cette diffusion solide en volume. De même, on ne peut pas affirmer sans preuves supplémentaires que la composition et la structure des oxydes formés dans ces installations hors flux thermique et hors flux de rayonnement, sont identiques à celles existant en fonctionnement dans les REP. En plus de ces problèmes de représentativité, il faut ajouter que les observations même avec des appareils sophistiqués se font sur des échantillons ayant subit des transformations comme le passage d’un milieu chaud et fortement réducteur à un milieu oxydant à la température ambiante. Ces changements ne peuvent pas ne pas avoir eu d’influence. Par exemple, on sait que même en REP lors des arrêts froids, le passage du milieu réducteur au milieu oxydant fait disparaître les dépôts spécifiques de nickel sur les éléments combustibles (voir le chapitre 4, §4.4.2.4) au point que certains utilisent ce fait pour évaluer le taux de corrosion des GV
194
Corrosion des circuits primaires…
des réacteurs concernés [102]. Ce comportement montre la quasi-impossibilité de mettre en évidence la présence de ce nickel (métallique ?) dans les dépôts s’il y a eu oxygénation du fluide. De même, la présence de la forme NiO pour ces dépôts parfois signalée est sujette à caution, d’abord parce que les oxydes du type Fe3 O4 s’écrivent aussi Fe(II) O·Fe(III) 2 O3 et Fe2 NiO4 s’écrit Ni(II) O·Fe(III) 2 O3 et également parce que le passage quasi obligé avant examen par une phase oxydante ne permet pas d’exclure la formation de trace de NiO pendant cette phase de plus ou moins longue durée. Toutes les constatations faites à la suite de ces expériences et mesures comme la présence de NiO, l’absence de Ni métallique, la structure et composition des oxydes, etc. pendant le fonctionnement en puissance demandent donc d’autres confirmations pour être garanties et extrapolées.
9.1.3.1.
` de corrosion et de relachement ˆ Modeles
Il en est un peu de même pour ce qui concerne les lois de corrosion et de relâchement. Celles déterminées à partir des expériences en boucle ne peuvent être appliquées telles quelles à un réacteur de puissance si elles se contentent, comme il est le plus souvent proposé aujourd’hui, d’être des lois empiriques [103]. Sawochka [103], par exemple, propose comme taux de corrosion (CR) une formule somme de deux exponentielles dépendant du temps : C = A1 e −A2 t + B1 e −B2 t qui, bien entendu, n’ont pas de signification physique et n’ont comme intérêt que de s’ajuster au mieux aux observations dont les auteurs disposaient. Dans la référence [104], la formule proposée, pour la corrosion ou l’épaisseur 0,5 d’oxyde équivalente en nm, r = At + C (1 − e −Bt ) pourrait paraître plus phénoménologique. Le deuxième terme correspond à la corrosion très rapide de début de vie qui aboutit assez vite à une épaisseur égale à la constante C (environ 19 nm) et représente sans doute la formation de la couche protectrice. Le premier terme exprime la corrosion sur le long terme et est linéaire certes avec un coefficient A petit mais prend néanmoins le pas très vite sur l’expression comportant l’exponentielle négative. L’ennui est que la plupart des mesures et observations résultant d’expériences de longue durée (c’est-à-dire une fois la passivation effectuée et une couche d’oxyde protectrice établie) s’accordent avec des lois en t n où n possède une valeur plus petite que 1 et en général voisine de 0,5. Cela est encore montré dans la figure 2 de la référence [105] qui résulte d’une revue de la littérature et d’une analyse statistique à la suite de laquelle les auteurs concluent que le taux de relâchement est bien représenté par une loi parabolique1 soit avec n voisin de 0,5. 1 En toute rigueur, les points sont assez dispersés et l’incertitude sur la valeur de n assez grande.
Les auteurs attribuent justement cette dispersion aux variations liées à l’état de surface, aux procédés de fabrication, aux conditions chimiques différentes et variables, aux caractéristiques des boucles d’essai, etc. On peut ajouter que l’élément qui s’écarte le plus de la loi parabolique avec un n pour le relâchement/corrosion voisin de 1/3, est le cobalt. Toutefois, si l’on élimine les points de début de vie, beaucoup plus soumis à des fluctuations aléatoires (consécutives à l’état de surface, à des oxydations différentes durant le stockage et la préparation, à l’établissement de la couche de passivation…), la valeur de n redevient très voisine (par exemple après une semaine de fonctionnement) de cette valeur n = 0,5.
Chapitre 9 – Évolutions récentes
195
CR = at−0,5 (ou pour la corrosion globale R = at+0,5 ) est aussi la loi choisie pour le taux de corrosion par l’EPRI [106]. Par ailleurs quel que soit le mécanisme, la diffusion intervient et dans ce cas les équations montrent que n doit être égal à 1/2 (ou moins) si tous les paramètres demeurent constants, ce qui est rarement le cas même en autoclave ou en boucle pour des essais de longue durée. Remarquons que les essais sur lesquels se sont appuyés nos auteurs n’ont, eux, duré que deux mois au maximum. Sur cette courte période, la somme d’une loi linéaire et d’une loi un peu compliquée (en t 0,5 au début puis constante après quelques jours) peut bien sûr correctement représenter les points expérimentaux. Cependant, pour des périodes plus longues, les 19 nm deviennent rapidement négligeables et la loi devient purement linéaire, ce qui, on vient de le voir, ne s’accorde pas à ce qui est observé ni attendu. On a aussi, dans le papier cité en référence [102], une démonstration de l’impossibilité d’extrapoler brutalement les lois quantitatives déterminées sur une boucle d’essai à un réacteur réel : l’application faite par les auteurs de la formule et des coefficients donnés dans la référence [104] est complètement différente (il y a un facteur 17, par exemple, sur la constante de temps) de celle ajustée sur le réacteur de North Anna ! On peut regretter enfin que dans ce type d’essais, on ne fasse pas plus souvent varier la température. La corrosion ou le relâchement en fonction de la température permettrait, en effet, de mettre en évidence sans ambiguïté que, dans les conditions de fonctionnement, ces phénomènes sont régis par exemple par la diffusion en volume à travers une couche d’oxyde étanche grâce à la détermination (éventuelle) d’une constante d’activation et de sa comparaison avec celles des coefficients de diffusion des éléments (Fe, Ni, O…) dans un oxyde (cf. chapitre 3 et en particulier les figures 3.3 et 3.6). En conséquence, il semble bien que, du point de vue de la corrosion généralisée, l’évolution des connaissances soit actuellement en palier (statu quo) et, malheureusement, dans certaines études, en régression (voir en particulier le §3.2.5) par rapport à des modèles comme celui proposé au chapitre 3 (§3.2.1.2).
9.1.3.2.
Solubilite´
Les mesures de concentration d’équilibres des ions avec les métaux et les oxydes ainsi que l’amélioration des modèles de calcul tels que MULTEQ et PHREEQCEA se sont poursuivies [107, 108]. La solubilité d’éléments nouveaux comme le cuivre a été déterminée [109] mais aussi celle d’espèces nouvelles comme la solubilité du Ni métallique et de NiO. En effet, on a vu aux chapitres 3 (§3.2.4.2) et 4 (§4.3) que lorsque les tubes de GV sont riches en nickel et possèdent un taux de corrosion équivalent ou supérieur à celui des aciers inox, la quantité de nickel dans le circuit primaire est surabondant par rapport au fer. C’est-à-dire que le rapport Ni/Fe est alors supérieur à la valeur théorique 0,5 correspondant à l’oxyde de la forme Fe2 NiO4 . Il est donc évident que le surplus doit se trouver (précipiter) sous une forme différente de nickel qui doit être la plus stable après le ferrite. Dans les conditions de fonctionnement des REP, la thermochimie prédit que c’est le nickel métallique (Ni0 ) qui est donné pour être stable dans ces conditions de pH, quelle que soit la température (de 50 à 340 ◦ C) pourvu que le potentiel d’oxydo-réduction
196
Corrosion des circuits primaires…
reste suffisamment réducteur comme on peut le voir sur la figure 3.8b en accord d’ailleurs avec les codes MULTEQ et PHREEQCEA. Mais il est vrai aussi que les deux limites qui séparent Ni et NiO et H2 et H+ ne sont pas très éloignées et il est possible de penser que ce type de diagramme n’étant pas suffisamment précis, NiO puisse être l’espèce présente. Cette école de pensée, favorable à la présence de NiO, dans les oxydes des REP et autres PWR, existe en France et aux États-Unis. Cela a conduit certaines équipes à mesurer la solubilité du nickel métallique (CEA en France), d’autres celles du NiO (EPRI aux États-Unis). La surprise est que les concentrations obtenues dans les deux cas [110] sont égales aux incertitudes de mesures près. Mais est-ce vraiment une surprise ? Si l’on a deux espèces x1 et x2 du même élément telles que la stabilité dans les conditions de l’essai de x2 soit légèrement supérieure à x1. Lors de la mise en contact de la solution avec x1, moins stable, va se traduire par une solubilisation et la solution s’enrichira en ions jusqu’à atteindre l’équilibre correspondant. Mais, dans le même temps, l’espèce x1 se transformera en surface d’abord et sans doute plus lentement ensuite, en x2. L’existence de site x2 provoquera la précipitation autour de ces sites des ions dès que la concentration atteinte dans la solution sera supérieure à la concentration d’équilibre de ces ions avec x2, accélérant ainsi la transformation x1 → x2. Très vite, la concentration mesurée sera plus faible que la concentration d’équilibre avec l’espèce x1 et quand le nombre de site sera suffisant, la concentration mesurée sera pratiquement égale à la concentration d’équilibre avec x2 ! Finalement, il est presque possible de dire que peu importe la nature de la poudre de départ si les conditions physico-chimiques de l’essai sont représentatives et le temps d’essai suffisamment long. Le CEA a donc conduit avec la boucle d’essai SOZIE des mesures de concentrations en équilibre avec du nickel métallique. Les analyses DRX faites en fin d’essai sur la poudre utilisée montrent que celle-ci n’avait pas évolué et était toujours sous forme Ni0 . L’EPRI [111] a obtenu des résultats de concentrations en équilibre avec l’oxyde et l’hydroxyde de nickel – NiO et Ni(OH)2 – en fonction de la température et du pH. Il ne semble pas, malheureusement, que des analyses DRX aient été effectuées en fin d’essai. Les deux résultats sont utilisables pourvu que les conditions des essais soient bien représentatives des conditions de réacteurs (garantir l’absence d’oxygène est parfois délicat). Le problème se pose lors de l’intégration dans les codes de ces données. Pour MULTEQ, il y aura incohérence puisque ce logiciel prévoit une meilleure stabilité du nickel métallique. Demandons-nous, une nouvelle fois, ce qu’il en est dans le circuit primaire des réacteurs. – D’un point de vue analytique, récemment, K. Hisamune et ses collaborateurs ont mis en évidence par DRX, dans les dépôts (crud) prélevés sur des éléments combustibles à la fin du septième cycle, du nickel sous forme métallique. Bien que la majorité du nickel déposé a dû être solubilisée lors de l’oxygénation, ce qui le rend difficile à détecter, c’est là la preuve qu’en dehors du nickel présent sous forme de ferrite, le nickel déposé sous flux est sous forme métallique. – D’un point de vue théorique le mieux est de regarder de plus près les équations chimiques.
Chapitre 9 – Évolutions récentes
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À l’état final de l’oxygénation, c’est-à-dire avec un potentiel très oxydant, la dissolution du nickel métallique est donnée par les deux équations Ni → Ni2+ + 2e− et 2H2 O O2 + 4H+ + 4e− . D’où il résulte Ni + 2H+ + 12 O2 Ni++ + H2 O et pour la concentration Log[Ni2+ ] = −GT,Ni /2,3RT − 2pH + 12 pO2 . La concentration en Ni++ dépend donc du pH et de la teneur en oxygène. Elle augmente quand la concentration en oxygène augmente, ce qui correspond tout à fait à ce qui se passe au moment des arrêts froids et la valeur de concentration. Pour l’oxyde NiO, en faisant les mêmes démarches, on aboutit à l’équation : NiO + 2H+ Ni2+ + H2 O et pour la concentration : Log[Ni2+ ] = −GT,NiO /2.3RT − 2pH avec GT,Ni et GT,NiO , les enthalpies libres des réactions correspondantes. On observe que, comme pour le nickel, l’abaissement du pH conduit à une augmentation de sa solubilité ce qui est conforme à ce qu’indique la figure 5. En revanche, l’oxygène ne joue ici aucun rôle ; le passage d’un milieu réducteur à un milieu oxydant n’aura donc aucun effet sur la solubilité de NiO ! En conclusion, si l’on écrit les équations chimiques, on ne peut en aucun cas expliquer la dissolution brutale qui se produit lors de l’oxygénation au moment des arrêts puisque la transformation de NiO en ion ne dépend pas du potentiel d’oxydoréduction et de la présence d’oxydant. (Pour être complet, cela ne veut pas dire que l’oxygène n’aura pas d’effet sur NiO, mais il tendra à le transformer en oxyde supérieur Ni3 O4 et Ni2 O3 .) Il y a donc toutes les raisons de penser que c’est le CEA et son logiciel PHREEQCEA qui sont dans le vrai en ce qui concerne la solubilité du nickel.
9.1.4.
Modèles de transport et de contamination
Le document de l’AIEA [112] édité en 2012 décrit les modèles d’une douzaine de pays et les expertises à l’aide d’un exercice de comparaison en aveugle (blindbenchmarking exercise). On peut aussi se rapporter à cette référence pour s’informer sur le contenu de chaque modèle. Dans cette revue, en revanche, il n’est pas vraiment présenté de code des États-Unis. Or, l’EPRI a développé des modèles simulant le transport de produits de corrosion dans les circuits de PWR. Ces modèles sont inclus dans le code BOA décrit dans les références [106, 113]. Des applications de BOA aux réacteurs de Vandellos II et de Sizewell B sont également présentées en [114]. Le code PACTOLE décrit au chapitre 4 faisait, lui, partie de l’exercice AIEA et cet organisme conclut que ce logiciel prédit correctement la contamination des circuits primaires des REP. (“While the results of the blind benchmarking are encouraging, clearly, the French PACTOLE code should work well for French PWRs such as CRUAS”.) Ce document signale aussi que le CEA, afin de prendre en compte l’interaction mutuelle des produits de fission, des actinides (code PROFIP) et des produits de corrosion (code PACTOLE) décida de fondre ces deux codes. Il en a donc, en coopération avec EDF et AREVA NP, créé un nouveau, unique et avancé : le code
198
Corrosion des circuits primaires…
Figure 9.5. – Cattenom-2. Activité en 58 Co et 60 Co déposé sur les tubes de générateur de vapeur (côté chaud et froid).
OSCAR (pour Outil de Simulation de la ContAmination des Réacteurs nucléaires) [115, 116] qui simule la contamination générale de tous les réacteurs à eau sous pression. Le développement de la plateforme logiciel OSCAR, combinant les caractéristiques des deux anciens codes mentionnés précédemment, est motivé par le fait que même s’ils ont des origines différentes, les produits contaminants sont soumis aux mêmes conditions sévères (≈ 300 ◦ C, 150 bars, flux de rayonnement et notamment de neutrons, vitesse de fluide allant jusqu’à 15 m · s−1 ) et suivent les mêmes mécanismes de transport et de dépôt à l’intérieur du circuit primaire des REP et autres PWRs. La version V1.1 de la plateforme OSCAR est qualifiée pour les produits de fission (Xe, Kr, I, Sr), les actinides (U, Np, Pu, Am, Cm) et les produits de corrosion (Ni, Fe, Co, Cr). Dans la nouvelle version du code V1.2 [117, 118], on note d’autres améliorations notables comme la possibilité de simuler les arrêts froids, l’amélioration des données thermodynamiques de base, grâce à l’utilisation du module chimie, PHREEQCEA. Ainsi, le manque concernant le code PACTOLE, signalé dans la remarque 4.2.4.2, est donc corrigé dans OSCAR et grâce à l’utilisation de ce logiciel, la solubilité de Ni0 est maintenant prise en compte. Le dépôt dans les conditions d’ébullition nucléée2 a également été introduit dans OSCAR en 2013. Comme nous l’avons vu, la vaporisation du fluide à la paroi ainsi que la formation de bulles dans le dépôt entraînent un transfert et une précipitation plus importants ; l’ébullition provoque localement un enrichissement en espèces ioniques qui peut entraîner une précipitation et le dépôt de particules turbulent et inertiel est lui aussi favorisé par un tel régime. La prise en compte de ces mécanismes, développés au sein du Laboratoire de modélisation des interactions et transferts en réacteur au CEA, conduit à une bonne reproduction des résultats expérimentaux issus du retour d’expérience des centrales françaises, tant au niveau des dépôts formés dans les régions avec ébullition que des activités volumiques. D’une manière générale, la validation du code s’est faite en comparant ses prévisions avec les mesures d’activité déposée réalisées sur cinq réacteurs ayant des 2 Voir la thèse d’Alexandre Ferrer « Modélisation des mécanismes de formation sous ébullition locale des dépôts sur les gaines de combustible des réacteurs à eau sous pression conduisant à des activités volumiques importantes » soutenue le 10 septembre 2013 à Cadarache.
Chapitre 9 – Évolutions récentes
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Figure 9.6. – GOLFECH 2. Cycle 2 Arrêt froid : procédure/historique et activité volumique.
conceptions et des modes opératoires différents. Un exemple de cette comparaison est donné sur la figure 9.5. Probablement première mondiale, OSCAR simule le comportement des produits de corrosion durant un arrêt froid et l’activité volumique calculée et l’activité mesurée sont comparées sur la figure 9.6. Les variations d’activité de 58 Co mais aussi de nickel sont bien reproduites. Il s’agit avec OSCAR d’une avancée très conséquente et d’un progrès important, néanmoins ses auteurs sont conscients que des améliorations peuvent encore être apportées aux modèles afin de mieux reproduire les phénomènes [118] comme ceux concernant les transports particulaires et ioniques, les mécanismes de relâchement et d’érosion, le traitement des éléments autres que le cobalt, la simulation des arrêts, etc.
200
9.1.4.1.
Corrosion des circuits primaires…
ITER, PACTITER
Signalons que pour prévoir l’activité en produit de corrosion dans les systèmes de transfert de chaleur (PHTS) de l’International Thermonuclear Experimental Reactor dont les boucles sont principalement en divers aciers inoxydables, le code PACTOLE a été utilisé. Cependant les conditions opératoires particulières, la composition des matériaux, la chimie de l’eau d’ITER PHTS (pas de bore soluble, domaine de température plus faible, 100-240 ◦ C, et surtout la présence d’alliage de cuivre dans la boucle de refroidissement du Divertor) ont conduit au développement d’un code dédié nommé PACTITER [119], remplacé aujourd’hui par OSCAR-FUSION. Il a donc été appliqué pour prédire le terme source pour toutes les boucles de refroidissement PHTS d’ITER. L’inventaire et la répartition des produits de corrosion dans les circuits d’ITER, calculés par le code ont été utilisés pour les analyses d’accident et la prévision de la dose collective du personnel d’exploitation. Ces résultats sont inscrits dans le rapport de sûreté (Generic Site Safety Report ou GSSR).
9.1.4.2.
Colloïdes
Plusieurs équipes [120, 121] s’intéressent aujourd’hui aux colloïdes afin d’expliquer la migration et le dépôt de matière dans le circuit primaire et d’en proposer un modèle. Ce point a été étudié dans les années 1980 par les Nord-Américains et en raison de la faiblesse des forces mises en jeu révélées par les difficultés de mesures même dans des expériences de laboratoire, la conclusion en fut que ce type de suspension, s’il existait dans les REP, ne pouvait avoir qu’une influence négligeable sur la migration de la matière et de l’activité : la détermination de la mobilité électrophorétique des particules, grandeur essentielle pour le calcul du potentiel Zeta, illustre la faiblesse des forces en question ; celle-ci se fait dans un capillaire et entre en compétition avec la mobilité électro-osmotique ! Rappelons qu’on appelle historiquement colloïdes les particules non visibles au microscope optique donc invisible au xixe siècle. Les colloïdes sont donc des particules de très faible diamètre (inférieure à 0,2 μm) et, en fait, il n’existe pour le reste aucune autre définition précise de cette entité même concernant sa composition chimique et sa forme. Pour les décrire et les distinguer on va avoir recours à certaines caractéristiques, à certaines propriétés et donner des exemples de colloïdes. On s’aperçoit alors qu’ils sont principalement organiques, agroalimentaires ou culinaires (émulsion, mousse, gel, micelle, aérosol, fumée, brouillard, peinture, encre, lait…). On remarque que ces exemples ont peu à voir avec le fluide primaire d’un réacteur. Et quand les métaux sont cités comme étant colloïdaux, il s’agit principalement de métaux nobles comme l’argent (Collargol) ou l’or qui sont présentés comme suspension colloïdale bien qu’il s’agisse, dans ce cas, de micro-suspension. Quant aux oxydes (Fe2 O3 ,TiO2 ), ils servent de support (noyaux) et doivent être enrobés (on dit aussi encapsulés) par un autre produit pour avoir les propriétés particulières recherchées chez les colloïdes et invoquées par nos auteurs pour expliquer le comportement des produits de corrosion ! Les auteurs cités ont néanmoins pour objectif d’expliquer la contamination des circuits à partir des interactions électrostatiques particule-particule et
Chapitre 9 – Évolutions récentes
201
particule-paroi, via les notions de charge de surface et du potentiel zêta (ζ ). La densité de charge de surface ou simplement « charge de surface » résulte du bilan des charges positives et négatives de la surface. La charge de surface dépend de la concentration en protons dans la solution, donc du pH. Le pH pour lequel la charge de surface est nulle est appelé le point de charge nulle (point of zero charge, PZC). Au point de charge nulle, la concentration en sites positifs est égale à la concentration en sites négatifs et les interactions électrostatiques s’annulent. Le potentiel zêta est relié à la charge de surface et le pH pour lequel le potentiel zêta est nul (pas de déplacement des particules sous l’effet du champ électrique) est appelé le point isoélectrique (PIE) qui est égal au point de charge nulle : on a donc PIE = PZC. Lorsque deux solides ont un potentiel zêta de même signe, il y a répulsion électrostatique, et donc les solides restent en suspension, alors que lorsqu’ils possèdent un potentiel zêta de signe opposé, il y a attraction et possibilité de dépôt. Autour du pH pour lequel le potentiel zêta est nul, les interactions électrostatiques sont inexistantes. Une première remarque est qu’en fonctionnement, on s’arrange pour être proche du point où les ions provenant des produits de corrosion sont tels que la concentration des ions positifs est égale à la concentration des ions négatifs (minimum de solubilité). À l’exception du nickel lorsque celui-ci est surabondant (c’est-à-dire avec des GV en alliage 600), les forces électrostatiques vont donc être très faibles. Une deuxième remarque est qu’il existe une difficulté avec tous les modèles basés sur les charges électriques ; c’est qu’une fois que la surface s’est couverte d’ions de signe opposé, celle-ci devient neutre, ce qui limite considérablement son influence. Troisième remarque : les surfaces de dépôt sont de nature différente (alliage de zirconium, acier inoxydable, alliage de nickel…), qui offrent des potentiels zêta différents. Par exemple, le potentiel zêta de la zircone, représentant la couche d’oxyde à la surface des crayons combustibles, et celui des particules sont négatifs dans les conditions physico-chimiques du fluide primaire d’après [121], ce qui ne favorise pas l’adhésion des particules et devrait diminuer l’activité spécifique des dépôts même hors flux. Or rien n’indique qu’un tel phénomène tendant à réduire l’épaisseur de dépôt sur les éléments combustibles se produise. Dans les codes comme PACTOLE et OSCAR, les mêmes lois de transfert de masse, érosion, solubilisation sont appliquées, quelle que soit la nature de la surface de dépôt. Nul n’est besoin d’avoir recours à un quelconque ajustement du style probabilité de collage qui pourrait résulter de cette répulsion ou attraction. Cela indique clairement que, si ce phénomène existe, il reste secondaire. De plus, durant la vie d’un REP, le pH et la température varient sur de très larges plages : pendant le fonctionnement en puissance, le pH300◦ C varie de 6,9-7,3 mais durant les phases de démarrage et d’arrêt ramené à 25 ◦ C, le pH varie de 4 à 10. À un moment ou à un autre, les variations de conditions (température, chimie, etc.) impliquent que le pH de la solution prenne une valeur au-dessus ou au-dessous du PZC, or aucune discontinuité dans le comportement des produits de corrosion n’a vraiment été constatée sans trouver ailleurs son explication.
202
Corrosion des circuits primaires…
Enfin, s’il y a présence de colloïdes dans le fluide primaire des REP, cela devrait se voir avec les méthodes d’examen actuel (MEB, MET…). Or toutes les images qu’elles soient issues d’essais, d’autoclaves ou de prélèvement de dépôt de REP montrent un aspect similaire (à la distribution de taille près) à celui de la figure 9.7 issue des publications [122, 123] sur les colloïdes faite à NPC 2012. Les particules sont des petits cristaux et on n’observe nulle trace de colloïdes dont on sait que la grande majorité est de forme sphérique induite par la minimisation de l’énergie de surface intervenant lors de la nucléation et de la croissance.
Figure 9.7. – Image MEB de la surface d’inconel 690 après une exposition statique de 80 jours dans les conditions physicochimiques représentatives du circuit primaire d’un REP.
Par ailleurs, en raison donc de la petite taille des colloïdes, leur propriété générale (toujours présente) est le fait d’être soumis au mouvement brownien. Signalons, aspect peu connu, que cette propriété est bien prise en compte dans les modèles PACTOLE et OSCAR au travers de la répartition granulométrique (distribution de taille) des particules et du calcul du transfert de masse qui inclut le phénomène de thermophorèse. De ce point de vue, il est faux de dire que ces codes ne prennent pas en compte l’aspect colloïdal des particules. Et les autres forces mises en jeu (liées aux propriétés particulières issues des charges de surface, du potentiel isoélectrique dit potentiel zêta, de l’électrophorèse, des forces de Van der Waals…) sont tellement faibles qu’elles sont de toutes les façons négligeables aux températures des REP devant les forces de cisaillement hydrauliques, etc. Ce dernier point est conforté par le fait qu’aucune manifestation des colloïdes liée aux forces électrostatiques n’a jamais été constatée malgré le nombre d’annéesréacteurs. Il en résulte que les recherches dans ce domaine ne semblent pas très prometteuses pour le sujet qui nous intéresse ici.
Chapitre 9 – Évolutions récentes
9.1.5.
203
Contamination des circuits : REX
L’étude de la conséquence des problèmes de vieillissement soit principalement ceux liés à la tenue des matériaux et à la corrosion et la vérification de l’efficacité des remèdes proposés pour les limiter (changement de matériaux, de conception, de procédures, de conditionnement etc.) ont continué sur l’ensemble des réacteurs. La conférence NPC (Nuclear Plant Chemistry Conference) organisée par la Société française d’énergie nucléaire (SFEN), qui s’est tenue à Paris en septembre 2012, a apporté de nombreux et importants renseignements sur l’intérêt de ces évolutions et changements. Par exemple, L. Guinard, G. Ranchoux et F. Dacquait [124] ont caractérisé la contamination des circuits de REP français d’EDF et de PWR européens présentant un bon comportement au travers d’une fructueuse comparaison de résultats de campagnes de mesures de débit de dose et d’activité déposée. Cela a permis de justifier ou de confirmer les bonnes pratiques de ces dernières années comme le retrait des stellites, l’abaissement de la teneur en cobalt des matériaux de tubes de générateurs de vapeur et des matériaux sous flux neutronique, procédures de fonctionnement diverses, etc. Fredéric Dacquait et ses collaborateurs ont montré [125] magistralement, à travers le changement de GV à la fin du 11e cycle de fonctionnement du réacteur de Saint Laurent B1, la supériorité de l’alliage 690 sur l’alliage 600 vis-à-vis de la corrosion et du relâchement, principalement de nickel, du circuit primaire. L’activité déposée en 58 Co sur les tubes GV décroît spectaculairement après le remplacement des anciens GV en alliage 600 par des nouveaux en 690 avec un traitement de surface final amélioré (identique à celui des REP N4 de 1 450 MWwe). Cela est observable sur la figure 9.8. Cette contamination rejoint les niveaux les plus bas du parc nucléaire alors qu’ils étaient dans la moyenne voire proches des plus hauts avant le changement de GV.
Figure 9.8. – Activité en 58 Co déposé sur les tubes de GV de Saint Laurent B1. Comparaison avec les autres REP français (d’après [115]).
204
Corrosion des circuits primaires…
Figure 9.9. – SLB1 - Pic d’activité en 58 Co durant les arrêts froids.
Mais plus spectaculaire encore, est le rejet dans le réfrigérant de nickel et de L’importance de ces rejets est caractérisée par les valeurs de pic atteint au moment de la procédure d’oxygénation des arrêts froids. La concentration maximale atteinte à la fin du cycle 20 est de 0,3 ppm au lieu de plusieurs ppm avant le changement de GV ; l’évolution du 58 Co est indiquée sur la figure 9.9. Ces évolutions et quelques autres observations établissent sans ambiguïté que les dépôts de Ni métallique avec un temps de résidence élevé (donc peu ou non mobiles), qui se produisaient avec les anciennes fabrications de tubes (essentiellement en alliage 600), n’existent plus avec ces nouveaux tubes. On a donc vu le rôle du changement d’alliage (690 au lieu de 600) mais il faut noter que la composition de ceux-ci n’est pas suffisante pour expliquer les différences observées ; les procédés de fabrication, en particulier ceux qui concernent l’état de surface final (absence de sablage et traitement thermique), sont également nécessaires et constituent probablement un facteur clé du succès aussi bien à SLB1 que dans les REP 4 boucles de 1 450 MWe comme Civaux mais aussi pour le réacteur britannique de Sizewell B. Avec ce matériau, la contamination et les débits de dose autour des circuits de Saint Laurent B1 et des réacteurs N4 (4 boucles) d’AREVA présentent (in fine pour SLB1) les mêmes niveaux faibles que les PWR Konvoi en alliage 800. De l’utilisation de ces matériaux (alliage 690 TT et alliage 800), il résulte finalement que la corrosion et le relâchement qui l’accompagne sont beaucoup plus faibles. Cette réduction est plus importante pour le nickel que pour les autres éléments, si bien que tout le nickel rejeté par ces alliages est assez bas pour que les oxydes formés ensuite soient sous forme ferrite très stable. Ce ferrite ne présentant pas de solubilité rétrograde dans le domaine de température de fonctionnement des réacteurs et les conditions chimiques utilisées permettent d’éviter des dépôts 58 Co.
Chapitre 9 – Évolutions récentes
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d’importance sur le combustible réduisant ainsi la transmutation de cet élément en cobalt 58 et par une réaction (n, γ) subséquente en 60 Co. Une différence dans l’activité entre le faisceau chaud (en entrée) et le faisceau froid (en sortie) des tubes GV a été constatée. Cette observation confirme le rôle de la solubilité sur le dépôt via le taux de dissolution : avec un fonctionnement à pH voisin de 7,2, la concentration dans l’eau est quasi égale à la concentration d’équilibre, le gradient de concentration est nul de même que le taux de solubilisation. En revanche, côté froid, il existe un gradient de concentration entre la paroi et le cœur du fluide (cf. figure 4.2), le taux de solubilisation qui n’est plus nul diminue la croissance du dépôt. On note également dans le comportement des produits de corrosion à SLB1 (voir en particulier la figure 9.9) que, lors du cycle qui suit le changement de GV, il se produit généralement une légère augmentation des activités. Les auteurs l’attribuent, fort justement, au fait que la couche d’oxyde protectrice n’est pas encore formée en début de vie. Cela justifie la recommandation par certains d’appliquer une procédure spéciale de passivation durant les essais à chaud [126, 127]. Toutefois, cette procédure n’aura d’effet et d’intérêt au mieux que pendant un ou deux cycles puisque, comme on le constate à SLB1, la contamination rejoint après quelques cycles celle de Sizewell B où cette procédure a été appliquée [128].
9.1.5.1.
Injection de zinc
Devant le succès de l’injection de zinc dans les BWRs, de nombreuses personnes, en particulier aux États-Unis, voulurent étendre la procédure aux REP. Le premier PWR à avoir injecté du zinc dans le circuit primaire fut le réacteur de Farley 2, en juin 1994, plus d’ailleurs pour réduire la corrosion sous contrainte que la contamination en 60 Co. Fin 2007, il y avait déjà dans le monde 43 réacteurs à eau sous pression, dont 2 en France, injectant du Zn. Cette procédure s’est généralisée et on trouve beaucoup de communications traitant de ce sujet [129–134]. En 2009, par exemple, EDF a retenu 14 tranches pour un programme d’injection et aujourd’hui plus de 80 PWRs, dans le monde, ajoutent du zinc. Bien qu’un large consensus international existe pour considérer comme positif cette procédure, l’impact de l’injection de Zn annoncé est très variable. Sur certaines tranches, on constate même des augmentations de débit de dose à la suite des injections (Bugey 2, Biblis A et B, Sequoyah 2, Palisades). Plus récemment, les débits de dose autour des circuits de Flamanville 2, Chooz B2 et Paluel 1 demeurent stables après plusieurs mois d’injection [133]. La non-reproductibilité des mesures et les variations d’exploitation, de chimie ou d’autres événements d’une tranche à l’autre rendent difficiles les comparaisons et l’interprétation. La figure 9.10 extraite de [129], montrant l’évolution des débits de dose après qu’une injection de zinc ait débuté dans les réacteurs étudiés, semble pourtant en démontrer l’intérêt. Cependant ce type de graphe est notoirement insuffisant pour tirer des conclusions. En effet, on sait que l’évolution de la contamination des circuits (activités déposées sur les parois) dépend de multiples facteurs : la puissance
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Corrosion des circuits primaires…
Figure 9.10. – Réduction de débit de dose observée sur des REP, tracée en fonction de la quantité de zinc injectée en ppb par mois (extraite de [129]).
moyenne du cycle, le conditionnement chimique appliqué, les événements et les incidents de fonctionnement, l’âge du réacteur, etc. Les courbes de la figure 9.10 montrent simplement que les débits de dose autour des circuits diminuent avec le temps. Or, on le sait, cette évolution se produit, après quelques cycles de fonctionnement, si aucun événement particulier (changement de GV par exemple) ne survient, sans qu’il y ait injection de zinc. Ce comportement des produits de corrosion n’est pas surprenant et s’explique par le fait que le taux de corrosion (après un ou deux cycles) suit une loi approximativement en t−05 d’où il résulte que de moins en moins d’éléments et notamment de cobalt, toutes choses – chimie, érosion de stellite, type de combustible, etc. – restant égales par ailleurs, entrent dans le circuit. On peut donc se demander à propos de la figure 9.10 et des autres courbes de ce type le plus souvent exhibées pour démontrer l’influence du zinc, si la décroissance observée n’aurait pas été la même sans injection. Pour se prononcer plus sûrement à partir de ce type de graphe, il faudrait, en effet, mettre en évidence des changements systématiques de pente avant et après le début des injections, dans l’évolution des points de mesures. Or les mesures de débits de dose et d’activités déposées faites par EDF et le CEA [130, 131] sur les tubes de GV et les tuyauteries primaires des réacteurs Bugey 2, 4 et Biblis B avant et après l’injection de zinc, ne montrent pas de changements de pente anormale ni même notable après l’injection. Les quelques mesures en provenance de Bugey 2, réacteur sur lequel les injections de zinc ont commencé au début du 22e cycle, montrées sur la figure 9.11, illustrent ce comportement.
Chapitre 9 – Évolutions récentes
207
Figure 9.11. – Évolution des activités et des débits de dose sur le réacteur de Bugey 2 en fonction du temps.
Des mesures CEA(EMECC), réalisées sur le réacteur d’Obrigheim, ne montrent pas, non plus, de signe de réduction d’activité déposée après deux cycles d’injection de Zn. Pour mieux comprendre, éclairer et interpréter les changements que provoquent la présence de zinc, on dispose d’une analyse poussée basée sur des mesures d’activité réalisée par le CEA à Bugey [130]. Ces mesures montrent pour commencer que les valeurs de pics de 58 Co (nucléide marqueur du nickel déposé sous flux) qui se produisent au moment de l’oxygénation sont supérieures (après un cycle) ou quasi égales (ensuite) à celles observées avant l’injection. A. Tigeras et ses
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Corrosion des circuits primaires…
collaborateurs [131] indiquent que cette augmentation du pic de 58 Co est générale. Le 58 Co ayant une demi-vie relativement brève3 , cette augmentation du pic indique que la quantité de nickel déposée sur le combustibles et donc celle relâchée dans le circuit par les tubes GV au cours de chacun des cycles après injection est, pour le moins, voisine de celle relâchée avant les injections. Ce comportement est confirmé par les valeurs maximales de nickel et de fer atteintes au moment de l’oxygénation qui sont comparables à celles obtenues sur les autres réacteurs du parc EDF qui ont fonctionné sans injection de zinc soit environ 4 500 μg/kg pour le nickel and 92 μg/kg pour le fer. Le fait que l’activité du pic en 60 Co observé à Bugey 2 est toujours multipliée par plus de 3, indique clairement que le zinc a augmenté le temps de résidence du nickel sous flux non pas d’un facteur 3 puisque, nous l’avons vu au paragraphe 8.2, le 60 Co résulte ici d’une double activation (sur le 58 Co dans un premier temps et sur le 59 Co formé ensuite), ce qui lui confère une augmentation d’activité en t 2 , mais par environ 1,7. Il est clair que l’oxygénation provoque un pic de Zn possédant une forte activité spécifique même si les pics obtenus à Bugey 2 (cycles 22 et 23) et Bugey 4 (cycle 23) sont deux fois plus hauts que les pics observés jusqu’à maintenant ailleurs (300 μg/kg). Mais le plus intéressant est que le comportement du zinc, après atteinte de sa concentration maximale, est différent de celui du cobalt. Les isotopes du cobalt sont retirés du fluide primaire par les résines et la diminution de leurs activités volumiques correspond à la cinétique imposée par le taux d’épuration. L’activité du zinc 65, en revanche, décroît très vite en comparaison des activités des cobalts 58 et 60. Le zinc comme le prévoit la thermochimie est alors sous forme solide dans les conditions de l’arrêt donc particulaire et son activité est gouvernée manifestement par la constante de dépôt. Il est alors plus que probable que c’est la dissolution du nickel qui entraîne le décollement du zinc déposé qui se redépose ensuite sur l’ensemble du circuit. Il n’est donc pas possible comme le font de nombreux auteurs (dont ceux de la référence [136]), d’alléguer l’absence de dépôt (crud) sur les éléments combustibles lors des examens post-irradiatoires (PIE) pour conclure à l’absence d’impact des dépôts pendant le fonctionnement puisque la plus grande partie de ceux-ci (Ni0 + Zn) sont presque entièrement dissous ou décollés pendant la procédure d’arrêt au moment de l’oxygénation du circuit soit plusieurs mois avant l’examen. Ce schéma est conforté par l’évolution des activités en 58 Co et 60 Co mesurées dans le fluide primaire qui semblent bien corrélées avec celles du zinc, avec la différence que les activités des cobalts sont continues alors que celles du 65 Zn sont très chahutées. On retrouve, en fonctionnement, un comportement équivalent à celui de l’arrêt, l’augmentation des cobalts dans l’eau correspond (sauf exception) à une mise en solution de dépôt tandis que le zinc libéré l’est sous forme particulaire. De plus, sur Bugey les variations de l’activité du zinc et du 58 Co et 60 Co suivent les variations de puissance et pendant le fonctionnement en strech-out (allongement de cycle pendant laquelle la température moyenne du fluide baisse), les activités 3 71 jours mais en raison de la réaction de capture sur le 58 Co, sous flux neutronique dans le cœur, cette demi-vie est presque divisée par 2.
Chapitre 9 – Évolutions récentes
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des radiocobalts et la concentration de nickel dans l’eau augmentent. Il est donc logique de penser qu’au cours du cycle aussi, ce sont des dissolutions de nickel (Ni0 ) déposé sur les éléments combustibles, provoquées par des changements de chimie, puissance et température, qui libèrent le zinc sous flux qui reste lui sous forme insoluble et qui, une fois libéré, se redépose rapidement sur l’ensemble du circuit. Au final, il est donc plus que probable que le dépôt de nickel sous flux est au moins aussi important qu’en l’absence d’injection de zinc mais que s’y ajoute un dépôt important de zinc (sous forme ZnO ?). Ce constat est conforté par Henshaw et ses collaborateurs [135] qui estiment que la précipitation typique du zinc conduit à des dépôts sur le combustible de 10 μm et plus. Des dépôts plus importants encore ont été observés sur les éléments combustibles de Diablo Canyon et de Vandellos II : sur ce dernier réacteur, l’épaisseur de dépôt (crud) atteint 50 μm et la quantité de zinc déposé sur le combustible 750 g au cycle 17 ! Ces auteurs [135] constatent aussi à partir des activités spécifiques en 65 Zn que le temps de résidence sous flux de ce zinc est très élevé. Il est alors étonnant de constater que tout le monde ou presque conclut à l’absence d’impact des injections de zinc sur le combustible. Un dépôt de 10 μm, qui semble donc courant et habituel dès que du zinc est injecté, provoque une augmentation de température de la gaine et du combustible d’environ 6 ◦ C. Cette augmentation de température augmentera automatiquement la corrosion de la gaine sous-jacente et ce n’est pas la comparaison trop globale de la figure 5 de la référence [130] qui peut conclure le contraire ; d’abord, elle montre que les épaisseurs de zircone mesurées à Bugey sont finalement assez élevées, ensuite tous les paramètres susceptibles de jouer un rôle ne sont pas pris en compte dans cette comparaison comme la puissance et les températures des gaines des crayons mesurés, la chimie de l’eau appliquée, la présence ou non d’ébullition nucléée (on sait, par exemple, que les débits des réacteurs français et en particulier ceux du contrat programme CP0 donc ceux de Bugey sont élevés, ce qui réduit et les températures et la présence d’ébullition), etc. L’effet Doppler consécutif à cette augmentation de température (> 6 ◦ C) provoquera obligatoirement des changements de réactivité : si l’épaisseur de dépôt supplémentaire sur le cœur est assez homogène, elle provoquera simplement une diminution de puissance qui sera corrigée automatiquement par une variation de la côte des barres de contrôle ou une diminution de la concentration en bore et si, comme c’est le plus probable, le dépôt se trouve concentré sur les parties les plus chaudes, on constatera un basculement de puissance de haut vers le bas du cœur (Axial Offset) qui deviendra une anomalie (AOA) gênante et signalée que si le basculement est trop important et inhabituel4 . Mais dans tous les cas, il y aura répercussion sur la gestion du combustible et les personnes à interroger, pour plus de certitudes, sont celles chargées de cette gestion. Enfin, le modèle le plus courant présenté pour expliquer l’effet du zinc sur la contamination des circuits est la substitution du nickel, du fer et surtout du cobalt 4 Les cas d’AOA sévère se produisent lors de fonctionnements incidentels (cf. §4.3) tels que des fonctionnements à pH acide ou entrée d’oxygène. L’injection de Zn n’a pas été testée dans de telles conditions pourtant c’est dans ce cas que sa présence pourrait être néfaste pour le fonctionnement du réacteur.
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Corrosion des circuits primaires…
par le zinc dans les oxydes ferrites et chromites qui se sont formés sur les parois du circuit primaire et en particulier des tubes GV et des tuyauteries primaires [131, 135]. Cette substitution ne peut être basée que sur la diffusion dans les grains d’alliage que l’on sait être un processus lent à des températures voisines de 300 ◦ C. Mais surtout, un tel processus devrait conduire, sur les réacteurs après un ou deux cycles de fonctionnement réguliers pour que la corrosion et l’épaisseur des dépôts soient stabilisées5 , à une diminution des activités en radiocobalts supérieure à celle attendue de la part de la décroissance radioactive. Or la décroissance observée correspond pratiquement toujours et à peu près à cette décroissance qui est d’environ 15 % par cycle pour le 60 Co. Ces observations et mesures conduisent donc à des conclusions en contradiction complète avec ce qui est généralement admis et rapporté comme dans les références [129, 131, 134] qui annoncent : – moins de dépôt en général et en particulier sur les éléments combustibles ; – un effet de passivation ; – une réduction6 des taux de corrosion et de relâchement en présence de zinc (dans les conditions du circuit primaire des REP) ; – une substitution du Ni, Fe et Co dans les oxydes par le nickel ; – un temps de résidence sous flux plus faible ; – un risque AOA réduit. Ces essais montrent au contraire que les taux de corrosion et de relâchement ne sont pas ou peu impactés pas l’injection de Zn alors que le temps de résidence de Ni0 sous flux, lui, est augmenté et que l’épaisseur de matière déposée sous flux est plus importante, ce qui ne peut pas être indifférent pour le combustible, etc. L’injection de zinc actuellement recommandée ne semble donc pas tenir ses promesses. Son effet sur la réduction des débits de dose et son innocuité totale en particulier vis-à-vis du combustible restent douteux et non démontrés. De plus, comme nous l’avons vu au paragraphe 9.1.5, l’objectif de réduction des doses semble atteint par l’utilisation pour la fabrication des tubes GV de matériaux tels que les alliages 690 TT et 800. Dans ce cas, l’injection d’un élément qui s’active comme le zinc ne semble plus nécessaire et risque même d’augmenter le niveau d’irradiation globale devenu très bas. Cette voie devrait être à mon avis abandonnée sauf peut-être en présence de surfaces non oxydées comme après un RGV ou lors de la mise en service d’un réacteur ; le Zn pourrait permettre sur ces surfaces la création d’une couche très protectrice et conduire à la diminution de la corrosion.
9.1.6.
Corrosion des gaines
En ce qui concerne la corrosion des gaines en alliage de zirconium, plusieurs ouvrages assez récents [137, 138] font le point de la situation et indiquent les dernières évolutions et les résultats obtenus, en particulier sur les nouveaux alliages 5 Soit en gros pour que R ≈ kt 1/2 et la quantité d’éléments relâchés = quantité d’éléments retirés par
épuration et opération de déchargement, ce qui est largement le cas des réacteurs de Biblis et Bugey. 6 Cette réduction est déduite de résultats d’essais en autoclave ou en boucle hors pile isotherme.
Chapitre 9 – Évolutions récentes
211
Figure 9.12. – Impact de la puissance linéique de l’élément combustible sur la corrosion de l’alliage M5 (issue de la référence [139]).
remplaçant le zircaloy 4 : M5, Zirlo, HANA (High performance Alloy for Nuclear Application, alliage coréen). Le bon comportement de l’alliage M5 est détaillé par Joel Thomazet et ses collaborateurs dans le papier en référence [139] ; la figure 9.12 issue de cette référence montre par exemple le bon comportement de l’alliage même dans le cas de puissance linéique élevée. De même, le bon comportement du zirlo est présenté et discuté en [140]. Cependant, en ce qui concerne les mécanismes, il ne semble pas que soient proposées des innovations marquantes et il semble que les recherches se soient ralenties dans ce domaine et que certaines équipes aient même disparu. Cette évolution, si elle est confirmée, peut s’expliquer par les excellents résultats obtenus sur ces nouveaux alliages et que l’objectif étant considéré comme atteint ne demande plus le même effort de recherche.
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10
Conclusion
Il est clair que la chimie de l’eau est bien essentielle à une exploitation sûre et fiable des réacteurs nucléaires : des conditions impropres peuvent, en effet, conduire à la mise en défaut, à des dommages et à la panne des équipements qui, à leur tour, provoqueront des périodes d’arrêts non programmés pour les réparer. Il est clair également que la chimie de l’eau a aussi un rôle primordial sur le niveau de rayonnement autour des circuits pendant le fonctionnement comme pendant les périodes d’arrêt. Ce point peut même affecter la disponibilité du personnel à exécuter les tâches d’exploitation et de maintenance du réacteur. On note que, bien souvent, la présence ou l’absence d’une poudre de « perlimpinpin » ou plus sérieusement d’un élément ou d’un produit chimique peut avoir des répercussions considérables : – une fraction de ppm de moins de lithium dans l’eau, pas assez d’hydrogène, ou un tout petit peu d’oxygène auront des effets spectaculaires sur l’hydraulique, le fonctionnement des pompes primaires, la forme du flux neutronique du cœur du réacteur et aussi sur la contamination des circuits ; – trop de nickel et pas assez de fer, et voilà les circuits plus contaminés et des pics d’activités pendant les arrêts ; – quelques ppm de soufre dans les alliages de zirconium et les propriétés mécaniques seront excellentes ; – un pour cent de Nb en lieu et place d’autres métaux (Sn, Fe, Ni) et voilà la corrosion de la gaine ralentie en REP, etc. Pourtant la plupart des phénomènes pouvaient être prévus et quantifiés au travers de lois ou de formules plus ou moins empiriques. Pour certains d’entre eux, on a même fabriqué des modèles, c’est-à-dire des constructions mathématiques qui permettent de simuler le (ou les) phénomènes observé(s). La justification principale de ces modèles réside justement dans le fait qu’ils « marchent » et surtout qu’ils sont prédictifs. Ce sont des Modèles dits OPérationnels (MOP) qui peuvent contenir néanmoins des descriptions fidèles des phénomènes réels et même des modèles mécanistes. Les logiciels globaux qui leur correspondent sont ainsi un moyen de capitaliser les connaissances d’un moment. Dans le domaine qui nous intéresse, les modèles logiciels les plus élaborés sont sans doute ceux traitant de la corrosion du zircaloy [51], de la contamination par les produits de corrosion avec PACTOLE [18, 89] et par les produits de fission avec
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Corrosion des circuits primaires…
PROFIP [29]. Ces deux derniers logiciels obtinrent, d’ailleurs, en 1990, le prix de la Société française d’énergie nucléaire. Ces logiciels ont été aujourd’hui fusionnés en une seule plateforme OSCAR qui est sans cesse améliorée. Malgré les accords rapportés entre résultats de calcul et observations, il est néanmoins important de rappeler qu’un modèle est simplement notre perception de la réalité et ne doit pas être confondu ou pris pour la réalité elle-même. Il n’existe pas de modèle exact ! Tous les modèles sont, à certains égards, déficients par un aspect ou un autre, comme le révélera un jour l’expérience et doivent à ce titre être remplacés lorsqu’ils ne sont plus capables de prédire correctement les phénomènes avec une précision voisine de celle de l’observation. Contrairement à ce que pensent beaucoup de gens et n’en déplaisent aux expérimentateurs, il faut aussi être circonspect vis-à-vis des observations et des expériences qui sont imaginées et programmées pour vérifier une théorie. Il faut, en premier, s’assurer que les conditions de ces essais et les théories qui sont développées pour rendre compte des observations, doivent être intercompatibles vis-à-vis des hypothèses sous-jacentes. D’après Digby Macdonald [90], il doit absolument exister une « confluence » (j’aurais dit cohérence) entre la théorie et l’expérience pour pouvoir justifier ou condamner l’une par rapport à l’autre. Sans compter que, comme le dit James Gleick dans Chaos : « In the age of computer simulation, when flows in everything from jet turbine to heart valves are modelled on supercomputers, it is hard to remember how easily nature can confound an experimenter. » Cette citation illustre tout à fait certaines interprétations faites au sujet de multiples expériences en pile ou hors pile. J’ai, à ce sujet, dans ma besace pas mal d’anecdotes éloquentes et croustillantes, négatives ou positives, à raconter à mes petits-enfants ! Dans le domaine qui nous a occupés, les disciplines concernées sont nombreuses et se chevauchent aussi bien au niveau des conséquences que pour la modélisation d’un domaine : la corrosion nécessite la connaissance précise des températures locales, ce qui pour l’alliage nécessite le couplage avec un code de thermohydraulique. Pour la contamination par les produits de fission et de corrosion, la chimie côtoie la physique des particules, l’hydraulique, la thermique, la neutronique, etc. L’appel à des spécialistes est souvent nécessaire mais il ressort qu’il est très difficile de faire communiquer deux spécialités sans dépenser une énergie importante. Chacune a son vocabulaire, chacune sa mentalité, chacune ses priorités. C’est pourquoi, je crois que le nucléaire nécessite, comme en médecine, des généralistes et même des super généralistes capables d’avoir une vue d’ensemble des problèmes et s’ils ne peuvent toujours les résoudre eux-mêmes, capables de traduire au spécialiste la question posée dans sa discipline par le phénomène concerné. En ce qui concerne les connaissances et les modèles exposés ci-avant, si on peut être satisfait des progrès faits, il n’en reste pas moins que de nombreux points restent encore insuffisants ou même obscurs et nous allons en indiquer quelques-uns. La raison de la dispersion de la corrosion et de la contamination particulièrement en 58 Co entre REP de conception et d’exploitation semblables n’est pas certaine. L’origine de l’augmentation en 58 Co et 51 Cr, principalement dans le fluide primaire, et le colmatage des filtres de certains cycles de réacteurs n’ont pas été complètement élucidés.
Chapitre 10 – Conclusion
215
Il reste à modéliser la présence de nickel métallique dans les circuits et les conditions oxydantes qui, bien que hors spécifications, peuvent néanmoins exister en situation incidentelle. Le mécanisme exact de l’oxydation des alliages de zirconium n’est pas parfaitement connu. Plusieurs théories s’affrontent. Le facteur d’accélération de la corrosion (Kirr ) du zircaloy n’est pas du tout expliqué, là aussi plusieurs hypothèses sont avancées, seules certaines ont pu être éliminées. L’absence d’accélération de la corrosion de l’alliage M5 et plus généralement des alliages Zr-Nb reste également mystérieuse. L’implication des hydrures suspectée n’est toujours pas correctement établie. Le rôle effectif de l’iode lors des interactions pastille-gaine n’est toujours pas certain ni modélisé, etc. Mais les observations, mesures de débits de dose et d’activités récentes effectuées sur les circuits primaires des réacteurs REP ou PWR, montrent que les choix faits au niveau des matériaux – en France l’alliage 690 TT pour les tubes de GV, les alliages 52 et 152 pour les soudures, les aciers bas carbone ou stabilisés (Ti, Nb…) pour certaines structures – ont été particulièrement judicieux et efficaces vis-à-vis de la corrosion sous contrainte, de la corrosion généralisée et de la contamination des circuits. Il en est de même pour ce qui concerne les gaines de combustible avec l’utilisation de l’alliage à base de zirconium M5 contenant du Nb, en lieu et place du zircaloy 4. Ce changement permet aujourd’hui de fonctionner avec des puissances linéiques élevées et permet d’atteindre de forts taux de combustion puisque, même dans ces conditions, les épaisseurs de zircone et l’hydruration demeurent largement en dessous des critères de sûreté. En conséquence, pourvu que les conditions chimiques respectent les spécifications (milieu oxydant, pH300 supérieur ou égal à 7,2 dès que possible et jamais inférieur à 7), ces choix rendent peu efficaces voire parfois nuisibles les procédures ou actions comme l’injection de Zn, destinées à réduire les corrosions et leurs conséquences.
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Glossaire, sigles et abréviations
AEG AIEA ATMEA BWR CEA CNA crud
CANDU CSC dpa
Denting
ECP EDF EPR FRA GV IASCC
Allgemeine Elektricitäts-Gesellschaft Agence Internationale de l’Énergie Atomique Co-entreprise (joint venture) fondée par AREVA et MHI Boiling Water Reactor Commissariat à l’Énergie Atomique Centrale Nucléaire des Ardennes ou Chooz-A mot familier (jargon) américain désignant ici les dépôts de produits de corrosion dans le circuit primaire des PWR et parfois par extension les particules en suspension dans le fluide. signifie CANada Deuterium Uranium, filière canadienne. C’est un PHWR. Corrosion Sous Contrainte ou sous tension (SCC ou Stress Corrosion cracking) déplacements par atome caractérisés par le rapport du nombre des atomes déplacés dans un volume fixé au nombre d’atomes présents dans ce même volume. phénomène apparu sur les tubes des générateurs de vapeur aux ÉtatsUnis. En France, on a traduit ce mot par « striction » pensant donner la bonne traduction du phénomène qui avait pour conséquence un écrasement (une morsure) de tubes dû à l’oxydation foisonnante de pièces en acier noir. Alors que « denting » baptisait en fait le signal courant de Foucault observé à l’endroit où se produisait cet écrasement. Ce signal correspondait à une forêt de pics (dents) que le technicien baptisa « denting » en ignorant tout de l’origine dudit signal. Les noms de baptême, surtout quand l’enfant grandit, peuvent être trompeurs. Potentiel de corrosion électrochimique (Electro Corrosion Potential) Électricité de France European Pressurized Reactor Framatome Générateur de Vapeur (SG en anglais) Irradiation-Assisted SCC ou corrosion sous contrainte assistée par irradiation
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IGA IGSCC
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Inter Granular Attack ou corrosion intergranulaire généralisée Inter Granular Stress Corrosion Cracking ou corrosion sous contrainte intergranulaire KWU La société Kraftwerk Union était une filiale de Siemens et d’AEG responsable, en particulier, de la construction de réacteurs nucléaires en Allemagne. MHI Mitsubishi Heavy Industries, Ltd MOX Combustible mixte plutonium uranium ORP Potentiel d’Oxydo-Réduction (Oxido-Reduction Potential) PC produit de corrosion PF produit de fission ppm partie par million ppb partie par milliard (en anglais part per billion) PHWR Pressurized Heavy Water Reactor PWR = Pressurized Water Reactor. Dans ce livre, on réserve l’utilisation de PWR pour les réacteurs américains à moins qu’il ne soit accompagné d’un adjectif de pays. RCP Circuit Primaire du Réacteur REB Réacteur à Eau Bouillante ; BWR en anglais. REL Réacteur à Eau Légère, comprend les réacteurs pressurisés et les bouillants. REP Réacteur à Eau sous Pression (PWR en anglais). Dans ce livre, on utilise le terme REP pour désigner les réacteurs français ou pour désigner tous les réacteurs à eau sous pression français et étranger. On réserve l’utilisation de PWR pour les réacteurs américains à moins qu’il ne soit accompagné d’un adjectif de pays. RGV Opération de Remplacement des Générateurs de Vapeur RRA Circuit de Refroidissement à l’Arrêt SCC Stress Corrosion Cracking ou CSC en français. SCRAM Safety Control Rod Axe Man = chute des barres de contrôle SFEN Société Française d’Énergie Nucléaire SG Steam Generator Stretch Out Fonctionnement en allongement de cycle pour augmenter la durée de vie d’un cœur obtenu en baissant la température du réfrigérant. TEL Transfert d’Énergie Linéique TG Tube Guide UOx Combustible classique Oxyde d’Uranium ou UO2 UNGG Réacteur à Uranium Naturel modéré au Graphite et refroidi au Gaz USA États-Unis d’Amérique VVER REP russe ZAT Zone Affectée Thermiquement