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French Pages 368 [372] Year 2014
BEIHEFTE ZUR ZEITSCHRIFT FÜR R O M A N I S C H E BEGRÜNDET FORTGEFÜHRT
VON GUSTAV
VON WALTHER
HERAUSGEGEBEN
120. Heft
GRÖBER
VON
VON KURT
PHILOLOGIE
WARTBURG
BALDINGER
A N D R É DE M A N D A C H
Chronique dite Saintongeaise Texte franco-occitan inédit 'Lee' A la découverte d'une chronique gasconne du XIII è m e siècle et de sa poitevinisation
MAX N I E M E Y E R VERLAG i 97°
TÜBINGEN
Avec une carte
I S B N 3 484 52022 1 Publiziert mit Unterstützung des Schweizerischen Nationalfonds zur Förderung der wissenschaftlichen Forschung ©
Max Niemeyer Verlag Tübingen 1970
Satz und Drude Poppe 8c Neumann, Graph. Betrieb, Konstanz Einband von Heinr. Koch, Tübingen
TABLE DES
MATIERES
Les Problèmes en Jeu
i L I V R E PREMIER
LE V E R I T A B L E M I L I E U DU
CHRONIQUEUR
I. La Chronique dite Saintongeaise
n
1. Premier Livre: Tote listoire de France 2. Livre Deuxième: Turpin interpolé 3. La Chronique, un diptyque littéraire a) b) c) d)
12 18 19
Elleposelle Turpins lo sacra Sainte-Eulalie Saint-Sauveur et Saint-Seurin
20 21 21 22
II. A la découverte de la langue du Chroniqueur
24
Ha. La scripta occitane
25
1 . L e -d- interdental a ) VIDUAS >
26
vezues
26
b) Saint Pou d'Osengie c) Mont Josec
26 28
2. La petite histoire de »Am« et du fief de Berbezil 3. Autres formes lexicales occitanes a) b) c) d) e) f) g) h) i)
30 32
nopseca coltivamen leonaz avau si -n auront (pronom partitif) mermança nenbrar malaptir et aptinença so (pronom démonstratif)
32 32 32 32 33 33 33 33 33
4. La morphologie verbale a) b) c) d) e) f) g) h) i)
34
Participe présent Présent de l'indicatif, 1ère pers. du pluriel Présent de l'indicatif, 3eme pers. du pluriel Présent du subjonctif Impératif (présent du subjonctif) Imparfait de l'indicatif Futur Imparfait du subjonctif Participe passé: 'fach'
34 34 34 34 35 3$ 35
3$ 36
Ilb. Les résidus gascons de Gascogne occidentale
37
1. La géminée L L : canset et mire 2. > r
37 38
V
a) MILLE > mire b) EULALIA > Aularie/Eulaie c) U B I > or
3. 'lue' et 'fuc', 'luec' et 'fuec' 4. 'cout', 'brutier' et 'destrau' 5. La chute de l'-n- intervocalique en gascon non-septentrional a) Lusignen > Lezine > Lezie b) SANCTA LUCIA > sancte Lezine
6. L ' 'a' prosthétique et Saint Arlodi en Médoc III. A la découverte du milieu du Chroniqueur
38 38
39 39 4° 41 41 42
43 46
x. Arguments de Bourdillon en faveur d'une origine saintongeaise du Chroniqueur 2. Interpolations insolites favorables à Saint-Seurin 3. La libération du Bordelais en faveur de Saint-Seurin . . . . 4. Liste des revenus de Saint-Seurin
46 48 50 54
IV. A la recherche d'une nouvelle source historique relative à Saintes 1. Transfert d'Agen à Saintes de l'épisode de Charlemagne espion 2. Les églises du faubourg septentrional de Saintes
58 58 60
a) Saint-Bebien b) Saint-Leofaire c) Saint-Trojan d) Saint-Saloine
3. Saint-Macou, église du faubourg occidental de Saintes . . . 4. Saint-Eutrope et Saint-Sixte, églises du faubourg méridional de Saintes
60 60 61 61
61
62
DEUXIEME LIVRE
MELANGE DE SOUVENIRS DATANT DE PLUSIEURS EPOQUES V. Les deux premiers substrats historiques de la libération de la Saintonge et du Bordelais: Une hypothèse de travail 1 . L a bataille de Champdolent 2. Landri de la Vau do Né, le comte de Flandres et le comte Ratiers
74 74 77
VI. Le troisième substrat historique
81
1. Taillefer, comte d'Angoulême 2. Richier duc de Normandie
82 85
V I I . Quatrième substrat historique 1. Les batailles de la Fontaine de Bacon et de Luzac 2. La Bataille de Mont Basiron 3. Prise de Chartres-Pons 4. La Prise de Cordes 5. La Prise de Balaguier 6. Saint-Germain-de-Lusignan
VI
88 88 91 92 94 96 97
TROISIEME LIVRE
C O N F L U E N C E DES GESTES DE
FRANCE
V I I I . La Geste de Garin de Monglane
103
1. Le lignage de Rainier, comte de Genevois 2. Le lignage d'Aimeri de Narbonne 3. A la recherche de l'emplacement d'Anseune, fief de Garin
103 105 . .
106
1 . L a Geste de Doon de Mayence 2. La Geste des Loherains 3. Quelques points communs entre Outremeuse et notre Chroniqueur
no 112
I X . Les Gestes de Doon de Mayence et des Loherains
no
115
c) V e r s i o n p a r t i c u l i è r e de la C h r o n i q u e de T u r p i n d) Anseis de C a r t a g e e) L e p a n a c h a g e des Gestes de F r a n c e
116 119 120
X . La Geste de Charlemagne et de Roland 1. 2. 3. 4.
114
a) M i r a c l e du r e c o u v r e m e n t de la v u e d u p a p e L é o n à l ' a r r i v é e de C h a r l e m a g n e à R o m e : les cinq étapes d u récit b) D é s i g n a t i o n de L o t h a i r e c o m m e successeur de C h a r l e m a g n e sur le trône i m p é r i a l
114
122
Berthe au grand pied Chanson d'Aspremont Prise de Bordeaux et de Noble Le substrat épique de la Chanson de Roland
122 125 127 140
X I . Chronique de Turpin
142
1. Le modèle commun de Briane et du Chroniqueur était-il une version latine ou une traduction française? 2. Le Ménestrel d'Alphonse de Poitiers, adaptateur de Nicolas de Saint-Lis 3. L'influence du Ménestrel sur les Grandes Chroniques de France
143 148 154
Q U A T R I E M E LIVRE
LES R E J E T O N S DE LA C H R O N I Q U E O R I G I N A L E : SCRIPTA, C O N T A M I N A T I O N ET H Y B R I D A T I O N X I I . Les manuscrits
160
1 . L e manuscrit 5714 2. Le manuscrit Lee 3. Le manuscrit 124
160 161 161
X I I I . Les remaniements
165
1.Les remaniements Lee 5714* et 124 2. Le remaniement Lee 124""
166 173
a) ' L e z i e ' r e m p l a c é p a r ' L e z i g n i e ' o u ' L e z z i n i e ' , p o u r indiquer S a i n t G e r m a i n - d e - L u s i g n a n , près de J o n z a c b) R o l a n d c h e z les belles dames de B o r d e a u x c) C l o v i s à table
173 173 174
VII
3- Indépendance du manuscrit Lee
175
a) Omission de 5 7 1 4 et 1 2 4
17j
b) Gin de N a n t o i l
175
4. Le remaniement 5714 5. Comparaison de texte
177 182
X I V . Les problèmes linguistiques posés par les textes-rejetons 1. A. Boucherie 2. Ewald Gôrlich 3. C. Pougnard 4. Jacques Pignon 5. Les six étapes de la diffusion
. . . .
189 189 19° 193 194 195
X V . Grammaire comparée des trois textes-rejetons parallèles . . . . 1 . L e vocalisme A. Voyelles accentuées B. Voyelles inaccentuées 2. Le consonantisme 3. La morphologie
198 202 202 223 227 239
LE
TEXTE
Préambule du chroniqueur Avant-Propos du traducteur Début du texte turpinien Chronique de Turpin proprement dite. Premier livre: Entrée d'Espagne Interpolation A : Liberation de l'Agenais et Chanson d'Aspremont Interpolation B I : Liberation de la Saintonge et du Bordelais . . . Interpolation B I I : Prise de Bordeaux et du Bordelais en faveur de Saint-Seurin Interpolation C : Prise de Noble Interpolation D : Funérailles des martyrs de Panpelone à SaintSeurin de Bordeaux Interpolation E : Funérailles des martyrs »croisés« de Monjardin à Saint-Seurin de Bordeaux Interpolation F: Anseïs de Cartage Deuxième livre du Turpin: Defaite de Roncevaux Interpolation G : Les tombes des héros et des héroïnes à Blaye . . . Interpolation H : Les tombes des héros à Belin, dépendance de SaintSeurin, et à Saint-Seurin de Bordeaux Appendice A : De la découverte du corps du Turpin de Martyr, rédigé par le pape Calixte II Appendice B: Li aumançors de Cordes. Miracle de Saint-Jacques le Majeur rédigé par le pape Calixte II Glossaire Bibliographie Carte: Itinéraire de Charlemagne après
VIII
255 255 257 257 267 272 285 296 301 303 311 312 321 322 330 331 333 343 360
LES P R O B L E M E S E N J E U
On parle souvent de messages en code dans les domaines de la diplomatie, de l'espionnage, de l'alphabet linéaire mycénien et dans d'autres encore, mais rarement de littérature en code. Or elle existe, et la Chronique dite Saintongeaise que nous présentons ici en est un exemple hors pair. De prime abord se pose le problème de la langue. Jusqu'à ce jour, on a pensé qu'un Saintongeais avait utilisé un parler saintongeais du X H I e siècle, qui appartient à la langue d'oïl du Sud-Ouest appelée . En réalité, il n'en est rien: le texte original perdu était écrit dans une langue inconnue que personne ne soupçonne - point du tout en - et personne n'a su faire sauter le de cette langue originale. A deux reprises, ce texte a été adapté ou traduit en , et ce sont ces deux traductions de base qui furent adaptées ou combinées à leur tour pour former les trois manuscrits conservés, occitanisés, francisés, ou encore poitevinisés puis occitanisés en partie. Chaque texte-rejeton conservé dépend donc de sa propre chaîne de transmission complexe, dont la connaissance nous permet de comprendre les éléments bigarrés de sa phonétique et de sa morphologie. 1 Sans cette connaissance, ces éléments sont indéchiffrables comme un texte en un code inconnu. Chaque processus successif d'adaptation linguistique peut être comparé à un tamis plus ou moins fin: certains éléments passent tels quels dans le nouveau texte, d'autres doivent d'abord être adaptés - parfois le radical occitan reste, mais une désinence de langue d'oïl lui est ajoutée. De temps à autre les résidus de la langue originale sont des toponymes de petits hameaux ou bourgs méridionaux que l'adaptateur saintongeais ou poitevin ne connaissait pas. Si l'auteur de la Chronique, un vrai phonéticien, a voulu marquer le point de prononciation du -d- interdental d'un lieu appelé (Mont Judaïque), il ne l'a pas écrit Mont-Judec ainsi que le font les habitants de cet endroit, mais Mont Jusec ou plutôt Mont Josec. Ce lieu étant inconnu à l'adaptateur, il n'a pas réalisé qu'il s'agissait d'une graphie occitane particulière du toponyme, et il l'a reproduit tel quel, ou encore il en a fait un Mont Josep, une .2 Avant de commencer l'examen phonétique du nom, il fallait donc d'abord identifier le lieu auquel il se rapporte; cette identification n'était guère possible, à 1 2
ch. XIII-XV ci-dessous. ch. Ila.i ci-dessous. x
moins de ne tenir compte, dès le début, des possibilités de transformation phonétique de la part de l'auteur. Il fallait donc être à la fois spécialisé en géographie méridionale et linguiste pour déchiffrer le code. Certaines parties de la Chronique contiennent beaucoup moins d'éléments français que d'autres, surtout le Premier Livre, Tote listoire de France.
En
outre les interpolations insérées dans la Chronique de Turpin sur Charlemagne en Espagne et à Roncevaux offrent une coloration beaucoup plus occitane que les chapitres du Livre Deuxième traduits de la Chronique de Turpin. Jusqu'ici ces différences semblaient curieuses, et les linguistes se sont demandés si le Premier et le Second Livres de la Chronique n'étaient pas dus à deux auteurs différents. C'est ainsi qu'un linguiste bien connu s'est limité à n'examiner que la morphologie du Livre Premier. Il en a retiré une quantité d'aspects occitans, sans se rendre compte qu'ils existaient également dans certaines sections du Livre Deuxième tout au moins. 8 Autrement dit, la fibre linguistique de la Chronique présente des énigmes indéchiffrables - un autre code. 4 L a Chronique de Turpin elle-même est pour ainsi dire écrite en code. Alors que le milieu et la fin surtout, empruntés à Eginard et à d'autres chroniqueurs anciens, se rapportent à un Charles, fils de Pépin, mort en 814, d'autres chapitres reflètent les faits et gestes d'un autre empereur conquérant et bâtisseur de cathédrales, personnage des plus grandioses du X l e
siècle.
Jusqu'en 1961, on a cru que celui-ci était Charlemagne, fils de Pépin, le code n'étant pas encore déchiffré. Dans les Interpolations A - F insérées dans la Chronique de Turpin, on parle également d'un Karles, roi des Francs et empereur: mais ce monarque chasse les Sarrasins du Sud-Ouest de la France, alors que Charlemagne n'a jamais eu besoin de le faire, son père et son grand-père ayant déjà accompli cette tâche. Ainsi, il est manifeste que le Karles des interpolations n'est pas Charlemagne, quelles qu'en soient les apparences, mais un autre personnage. D e même les ne sont vraisemblablement pas des mahométans, mais — peut-être comme dans Gormond
et
Isembard - des envahisseurs païens d'origine germanique. 5 Le problème qui se pose à nous est de déchiffrer ce code et d'identifier l'essence de ce camouflage d'une réalité historique inconnue. Cette volonté de camoufler la réalité est aussi celle du théâtre et de la mascarade. A l'instar de Huizinga, nous voudrions mettre en vedette le visage réel du moyen âge: il est fait non seulement d'émotion intense, de joie de v i v r e et de culte des morts, mais aussi de sens de théâtre et du jeu. Attribuer aux envahisseurs germaniques païens le nom de Sarrasins, appeler un roi et empereur combattant les Sarrasins était un jeu, une mascarade littéraire qui assimilait le récit nouveau à toute une tradition de chan-
3 4 5
ch. I.3 ci-dessous. ch. XI, X I I I - X V ci-dessous. Livre Deuxième: ch. V - V I I ci-dessous. 2
sons de geste et qui offrait au texte en question un public assuré et un énorme prestige. Confluence des Gestes de France, tel est le sous-titre que nous aimerions donner à cette Chronique. On a en effet l'impression en lisant ce texte que l'auteur a voulu réunir sur le même plateau tournant d'un théâtre les protagonistes les plus fameux de l'histoire de France et des chansons de geste, que ce soit pour une brève apparition ou un rôle plus important. 6 Il n'a pas seulement mobilisé les héros chrismatiques de la Geste de Charlemagne et de Roland, symboles de fidélité à la patrie et au roi, mais aussi les preux de la Geste de Monglane qui peuplaient les abords de la Gironde, du bassin d'Arcachon et de l'embouchure de la Charente, ainsi que les traîtres et partisans anti-royaux des Gestes de Mayence et des Loherains. Historien à la documentation vaste aussi bien que ménéstrel au répertoire étendu, cet auteur a voulu créer une oeuvre de synthèse comme ouvrage de précision. Les héros des diverses Gestes de France, dit l'auteur sont ceux-là mêmes «qui conquistrent la crestianté Nostre Segnior Deu Jhesu Crist». Ainsi, il a muni ces héros d'une auréole religieuse et chrétienne: on les voit se battre et mourir pour la foi, seconder dans son oeuvre de fondation de chapelles mortuaires, d'églises-mausolées un peu partout dans la province de Bordeaux. Le cimetière et l'abbaye de Saint-Seurin de Bordeaux jouent le tout premier rôle parmi les institutions religieuses de la France citées dans l'ouvrage: c'est le mausolée du Sud-Ouest dont la tradition remonte aux premiers siècles, l'échelle promise aux preux qui désirent entrer au paradis. 7 Ainsi l'auteur crée une image admirable de la noblesse du Sud-Ouest, l'une des plus brillantes qui aient jamais existé, une véritable milice aux ordres du Christ qui monte la garde face aux Sarrasins, protège les églises et les abbayes et sait toujours attribuer de nouveaux fiefs aux institutions religieuses du pays. Devant le dynamisme croissant de la bourgeoisie du X H I e siècle, la noblesse s'achemine peut-être vers une retraite comme l'affirment d'aucuns. Mais l'image qu'elle se peint d'elle-même et qu'elle impose au public est malgré tout des plus brillantes et marque une apothéose. Défenseur militant des intérêts et même des finances de Saint-Seurin de Bordeaux, l'auteur a trouvé un instrument idéal pour prouver l'ancienneté des nombreux fiefs auxquels prétendait son abbaye au X l I I e siècle - souvent à l'encontre des bourgeois furieux et du monarque Plantagenêt qui travaillait à leur émancipation politique. Il relate en plein texte historique que c'est d'abord saint Martial, puis Charlemagne lui-même qui ont attribué à l'abbaye ces divers fiefs en leur temps. En outre, il a empreint son oeuvre de son esprit religieux. On pourrait comparer la Chronique dite Saintongeaise à un chalet à deux étages dont le rez-de-chaussées serait en pierre et le premier étage en bois 6 7
ch. VIII-XI ci-dessous. ch. III ci-dessous. 3
orné de peintures et d'inscriptions. Dans la Chronique, le rez-de-chaussée serait représenté par des chroniques latines ou françaises telles le Liber Historiae Francomm, les Annales de Lorsch, la Vie de Charlemagne d'Eginhard, la Vie de Louis le Pieux de l'auteur surnommé l'Astronome Limousin, les rédactions de la Historia d'Adhémar de Chabannès 8 et surtout celles de la Chronique de Turpin,9 A u moyen âge, on considérait déjà ces oeuvres comme des documents historiques, comme aujourd'hui, exception faite de la Chronique de Turpin. Si le Chroniqueur s'était limité à la traduction de ces récits très répandus, l'intérêt de son oeuvre ne serait pas très substantiel. Cependant, il a su ajouter à cette documentation relativement bien connue quatorze interpolations de longueur variable absolument uniques qui forment la superstructure historique ou poétique de l'ouvrage: il nous relate la fondation par Clovis d'abbayes dans la province de Bordeaux, les donations de Charlemagne aux églises saintongeaises, les cachettes de trésors d'église au I X e siècle, le rôle de Taillefer, comte d'Angoulême, dans le Sud-Ouest au X e siècle. A propos de certains chapitres de Turpin sur la libération du Sud-Ouest du joug des Sarrasins par Charlemagne et ses troupes, l'auteur ajoute un récit des plus minutieux sur la libération de la Saintonge et du Bordelais. Il émaille son récit de relations sur Berthe au grand pied, mère de Charlemagne, et les Loherains, sur la jeunesse de Roland (Chanson d'Aspremont), sur l'attribution de l'Espagne à Anseïs de Cartage etc. A son point de vue, tous ces récits étaient historiques, alors qu'aujourd'hui nous faisons la part de l'histoire et de la littérature. Toutes ces parties dérivent de modèles différents ou représentent des témoignages propres de l'auteur. Mais l'ensemble, et surtout les interpolations, reflètent la même méthode, la même langue, le même style et surtout le même esprit: la pensée de l'auteur a su pénétrer l'ouvrage tout entier. O n trouve dans le Premier Livre sur les mérovingiens et les carolingiens des renvois au Deuxième (le Turpin interpolé) et vice versa, de sorte que l'unité de l'oeuvre saute aux yeux. 1 0 Malheureusement, le Deuxième Livre 1 1 a été imprimé bien avant le Premier 12 , de sorte que la critique s'est habituée à considérer chacune des moitiés comme des oeuvres indépendantes. 8 9 10 11
12
ch. I . i ci-dessous. ch. 1.2 et X I ci-dessous. ch. I.3 ci-dessous. A u r 77,2 j6ss. A i n s i que le d i t T h e o d o r A u r a c h e r l u i - m ê m e à l a p. 262, G u s t a v G r ö b e r , le directeur de la Z e i t s c h r i f t q u ' i l v e n a i t de f o n d e r , lui a b e a u c o u p aidé et pas seulement dans le t r a v a i l de r é d a c t i o n . N o s notes r e n v o i e n t a u x o u v r a g e s cités d a n s n o t r e b i b l i o g r a p h i e , plus e x a c t e m e n t au c o d e p l a c é en tête de l a description de c h a q u e o u v r a g e dans notre b i b l i o g r a p h i e . C e c o d e se c o m p o s e des trois premières lettres d u n o m de l ' a u t e u r et des d e u x derniers c h i f f r e s de l a d a t e de p u b l i c a t i o n de l ' o e u v r e . N o t r e note 11 m e n t i o n n e u n t e x t e < A u r 7 7 , 2j6ss.>, c'est-à-dire l ' o u v r a g e de T h . Auracher p u b l i é d a n s l a Zeitschrift en 1 8 7 7 a u x p p . 256 et suivantes. B o u 9 7 , a v e c l e t t r e - p r é f a c e de G a s t o n P a r i s . B o u r d i l l o n é t a i t historien et n o n
4
Les personnages peuplant les chapitres suivants sont tout d'abord les rois de France, de Clovis et Chilpéric à Charlemagne et Charles le Chauve, jusqu'à Saint-Louis. Autour d'eux se pressent les nobles et les clercs de chacun de leurs règnes, les héros épiques, les barons et évêques historiques, les papes et les saints martyrs, de saint Clément et saint Eutrope à saint Léon et saint . On y trouve aussi le monde Sarrasin, les émirs de Perse et de Babylone, Aiguolant et son fils Aumont, Marsile et son frère Baligant, l'énorme géant Ferragut de Najera et les gigantesques Guolias qui défendent Moragne et Bordeaux. Parfois l'attention se porte sur un simple prêtre de campagne, le Léon de Thaims chantant une messe pour Charlemagne, ou sur un maître-coq du roi découvrant les yeux du pape dans un poisson qu'il préparait dans sa cuisine. D'autre part, nous rencontrons de belles dames sarrasines telles Euraque et Bramimonde auxquelles Roland prodiguera ses charmes, enfin une comtesse puissante comme Yolande de Saint-Pol, née de Hainaut, mécène des lettres qui commande à Nicolas de Saint-Lis la traduction française du Turpin. C'est celle-ci qui sera ensuite adaptée par Willem de Briane en Angleterre, par le Ménestrel d'Alphonse de Poitiers en Poitou, par Dom Primat à SaintDenis, et surtout par notre Chroniqueur à Bordeaux. C'est sous le règne de Louis-Philippe que Raynouard, le premier, parla de cette Chronique: en 1838, dans le premier tome de son célèbre Dictionnaire roman, il émet l'idée qu'elle contenait le Turpin le plus ancien qui soit, le produit d'une langue commune» gallo-romane. Le premier traitement scientifique proprement dit fut appliqué au texte par Paulin et Gaston Paris en 1847et 1865. En raison de son contenu, de ses interpolations sur la Saintonge, et de son langage bigarré qui rappelait, au point de vue de la dialectologie embryonnaire de l'époque, les parlers de cette région interférentielles entre les domaines d'oil et d'oc, Gaston Paris appela la Chronique du nom de «Saintongeaise ». 13 En 1873 Boucherie publia un livre sur un dialecte qu'il aurait préféré appeler saintongeais, ainsi qu'il le dit dans sa préface, mais qu'il s'est finalement résigné à dénommer surtout parce que son ouvrage formait une réponse à une question posée en 1868 par la Faculté des Lettres de Montpellier sur les caractéristiques du z / ; SUDARE n'y devient pas suar comme dans l'alverno-méditerranéen septentrional,
6
Bru 97,20s.,428s. (v. ). Bau 76,111,378-381. 8 v. Bru 97,408 (charte de 1332). 8 Bru 97,404; Bau 76,111,381-384. 7
27
mais susar: le domaine occitan, au sud d'une ligne allant de Bordeaux au nord du Massif Central, aux Basses-Alpes et à Saint-Raphaël, forme une espèce de «forteresse linguistique» où SUDARE est devenu susar, LAUDARE lausar et AUDIRE ausir, alors que la ceinture septentrionale de ce domaine forme une sorte de «boulevard linguistique» plus proche de la langue d'oïl où cet amuïssement ne s'est pas produit. 10 Or, le Bordelais occidental au nord du bassin d'Arcachon n'appartient pas, lui non plus, à la forteresse linguistique archioccitane. De ce point de vue, il se trouve dans la périphérie, pour la plus grande partie des mots possédant un -d- intervocalique - donc en position faible - en latin. Cependant, dans cette région limitrophe, les isoglosses ne forment pas un faisceau mais varient suivant les cas, d'après le A L G . En outre, cet Atlas n'indique que l'état présent de la prononciation gasconne telle que M. Lalanne l'a notée pour cette région et nous ignorons jusqu'à quel point l'état du X H I e siècle lui ressemblait ou non. Expliquons-nous par un exemple concret: dans les chartes en gascon de Saint-Seurin, il est souvent question d'une localité du Médoc (à 8 kms de Lesparre) appelée, en l'honneur de saint Dizant, évêque de Saintes, evec d.n Mais dans la charte latine qui parle de cette même localité, on la nomme avec z. Il s'agit du point 549 N de l ' A L G , appelé dans le patois local avec d interdental. Dans les cartes, la graphie actuelle de ce toponyme ne suit pas la phonétique mais la graphie latine, au moins en ce qui concerne la consonne intervocalique: c'est Saint-Yzans avec z. Ceci nous permet de supposer que dans le Bordelais occidental entre le bassin d'Arcachon et la Gironde dont nous nous occupons, le -d- et le [-z-] sont très proches l'un de l'autre, ce qui explique le passage, dans la graphie, de Odengie > Osengie, Yi/ans > Yzans. De ce fait, notre Chronique peut apporter, nous semble-t-il, une contribution à la phonétique historique du gascon. Il est évident qu'ici, pas davantage que dans le cas du jeu de mot sur aunitz ou dans vezues, l'attitude phonétique du Chroniqueur est celle d'un Saintongeais ou d'un Poetevin: au contraire, c'est un personnage à la fine oreille occitane qui sait observer les fluctuations phonétiques de son temps. Voici un autre exemple du même phénomène, dont l'histoire est encore plus curieuse. c) Montjosec Après avoir cité une liste des dépendances de Saint-Seurin dans le Bordelais méridional, notre Chroniqueur parle d'un certain - ou (ms. 124) — où se trouve la tombe de Cayphas, «évêque des Juifs»; puis il continue par les listes des dépendances de Saint-Seurin dans le Médoc. «Cayphas qui esteit evesques daus Juès, dit-il, hi arriba e vinc a Bordeu, 10 11
Bec 63,40. Bru 97,192,216,219,276. 28
e fit molt dau poble de la vile a son talent, e trespassa; e quant f u trespassez, si f u seveliz a Mont Josec sobre une eve e fut mis en cassadoine e en maracle». 1 2 C e passage est resté pendant longtemps plein de mystère pour nous. C o m ment Cayphas, le souverain sacrificateur des Juifs responsable de la mise à mort du Christ, est-il allé finir ses jours à Bordeaux avant d'être enseveli au ? O r on a trouvé une plaque funéraire romaine au cimetière de Saint-Seurin, en bordure du Mont Judaïque ou , portant une inscription lisible: GAiiFAS. Comme il y avait à Bordeaux une ancienne colonie de Juifs qui possédaient leur plantier aux abords de l'église de Saint-Martin-duMont-Judaïque, 1 3 on a fait le rapprochement et on a imaginé que le grand prêtre Cayphas avait atterri à Bordeaux et y était enterré, naturellement au Plantier des Juifs. C e genre de légende était encouragé par la légende de l'arrivée en Bordelais de sainte Hélène et, selon une innovation de notre Chroniqueur, de sainte Véronique, 1 4 qui y aurait apporté les saintes reliques 12 13
14
Turpin interpolé, 292.17-20. «Plantarium Sancti Martini de Monte Judaico, in quo plantario sepeliuntur Judaei», dit une liève de la cathédrale de Saint-André du X l V e siècle, v. discussion dans Bau 7 6 , 1 1 , 1 9 4 - 2 1 1 et Mai 60,211 et n. 6. En mettant en vedette non pas le Waifarius dux Wasconiae des écrits historiques anciens, mais le Gaifarius ou Gaiferius avec G traduit du nom des chansons de geste , Turpin et les diffuseurs de sa Chronique en Bordelais ont augmenté le prestige local de celui-ci. Comme dans notre Chronique il est dit que était enterré justement au cimetière de Saint-Seurin (plus exactement dans son église Saint-Georges, 325.6 de notre Chronique), on a pensé que la plaque funéraire était celle non pas de Cayphas mais GAIIFARIUS, interprétation qui a prévalu vers la fin du moyen âge ainsi que le montre la marquise de Maillé. Puis récemment on a découvert qu'il s'agissait de GAII F. AS., donc sans doute de GAII FILIUS ASIATICUS, d'un personnage dont le nom commençait avec A S . . . et qui était le fils de Gaius. On comprend maintenant comment la légende de Cayphas à Bordeaux s'est formée, à partir d'une plaque funéraire romaine authentique. Enthousiaste des tombes célèbres du faubourg Saint-Seurin, notre Chroniqueur en fait l'article. Quelle peut avoir été la raison du Chroniqueur d'interrompre sa liste des dépendances de Saint-Seurin dans le Bordelais occidental pour revenir soudain à Bordeaux et au Mont Judaïque ainsi qu'à la tombe de Cayphas? Sans doute l'idée lui a été suggérée par son récit de l'atterrissage de sainte Hélène à Andernos (avec les reliques pour Saint-Martin de Carcans) en provenance d'Orient, de sorte que immédiatement après «sancte Helene hi... arriba» il a enchaîné avec «Cayphas ... hi arriba» : Cayphas lui aussi aurait atterri à Andernos, port abrité du Bassin d'Arcachon. Notre Chroniqueur est le premier témoin des légendes de sainte Véronique, donatrice des reliques de sainte Marie et de Jésus à Soulac, et aussi de l'interprétation «Cayphas» de la plaque funéraire romaine de GAII F AS. La marquise de Maillé pense que c'est peut-être notre Chroniqueur qui aurait voulu rehausser le prestige de ces reliques (déposées en partie à Saint-Seurin dans la suite) en attribuant leur 29
de Marie et de l'enfant Jésus. Il est possible, et même probable, qu'on prononçait avec un d interdental, ce que notre Chroniqueur à l'oreille fine aurait soigneusement noté. Signalons l'alternance o/u dans qui devient dans notre Chronique, alors que passe à : elle existe encore aujourd'hui en Gascogne. 2. La petite histoire de «Am» et du fief de Berbezil «Lo fe de Berbezil dona /Karles/ a l'arcevesque de Bordeu; e l'arcevesque lo dona a un son parent Am. .X. sol' de deniers de la tabble». Tel est le texte du ms. 5714 à propos du fief de Barbezieux, lignes z86.i6ss. Nous avons longtemps cherché à identifier ce fameux personnage de Am, parent de l'archevêque de Bordeaux et bénéficiaire du fief de Barbezieux. C'est encore le «Petit Sancius» de Saint-Seurin qui nous a livré la solution de ce nouveau casse-tête: dans une charte datant de 1060, le prince de Barbezieux «IN TERRITORIO BIRBIDELENSI» reconnaît l'église de Sainte-Marie à Berbezil comme dépendance de Saint-Seurin à Bordeaux. Audoin avait fondé l'église de Saint-Sauveur et Sainte-Marie avec la collaboration de l'archevêque Godefroi de Bordeaux, puis s'était fait moine et en avait fait don à l'abbaye de Saint-Pierre de Cluny. Après sa mort (en 1060) son fils Ytiers (HEITERIUS) reconnaissait le tort fait à Bordeaux et lui restituait l'église Sainte-Marie de Berbezil, sous l'archevêque Gotcelin — un des grands bienfaiteurs de Saint-Seurin dont nous avons déjà parlé. Un certain Eleazar - doyen de Saint-Seurin - fut compris dans cette restitution. Il devait verser .X. sol' annuels à l'abbaye pendant toute sa vie et il en était de même pour les futurs doyens, ses successeurs: «Et quoniam Eleazarus diligenter procuravit ut hec ecclesia Sanctum Severinum, cujus ipse decanus est, rediret, ab eodem sancto et archiepiscopo eam habet, et in unoquoque anno quamdiu vixerit beato Severino .X. sol' solvet tributum». 15 On a l'impression que notre Chroniqueur a consulté cette charte de 1060 ou sa copie dans le , cartulaire de Saint-Seurin rédigé dans la première moitié du X H I e siècle par le sacriste Rufat ainsi que le constate Brutails. 16 .
transfert à sainte Véronique. Peut-être a-t-il aussi été le premier à découvrir la plaque GAII F AS et à faire le rapprochement cité. Notons la précision de sa description du lieu de la tombe «sur une eve» de l'évêque des Juifs. 15 B r u 9 7 , 1 3 ; charte de 1060: Birbidelensi, c f . m s s . 5 7 1 4 et 1 2 4 : , ms. Lee ; cf. Virvicensis dans Bru 97,100, charte de 1070; un siècle plus tard: Berbezillo, Bru 97,100. v. historique de N . D . de Barbezieux selon le point de vue de Besse, dans Besse 10,296; les documents clunisiens examinés par Wollasch, Mager et Diener ne conservent pas le souvenir de la période clunisienne de Barbezieux, v. Woll 59,446a. 16 Bru 97, introduction. 3°
Le Chroniqueur aurait peut-être inséré ce passage sur la dépendance de Barbezieux pour renforcer la position de Saint-Seurin contre celle de Cluny dans le litige qui les opposait à ce propos. En effet, si l'on pouvait apporter la preuve que Charlemagne lui-même avait donné le fief à l'archevêque de Bordeaux, qui l'avait ensuite remis à un parent, les moines de Cluny auraint dû renoncer à leurs prétentions. La question du fief de Barbezieux n'avait pas perdu son intérêt après 1060, nous le savons par une charte datée de 1070, par une bulle du pape Alexandre III (1159-81) et encore par une charte du 10 janvier 1231 (Elie évêque de Saintes) toutes reproduites par Rufat. A u lieu de citer les seuls cinq sous dus à Saint-Seurin selon les documents de 1070-1181, notre Chroniqueur préfère citer les dix sous ou «.X. sol» de la charte de 1060. 17 Plein de délicatesse le Chroniqueur ne cite pas le nom du parent de l'archevêque ni son rapport étroit avec Saint-Seurin: l'archevêque le donna à «un son parent am diz sous d'omenagie de deniers de la table. N e se rendant pas compte que am ne représentait pas le nom du parent mais la préposition occitane ( < APUD) signifiant , le copiste de 5714 a écrit «un son parent Am» avec un A majuscule, prouvant ainsi à la postérité qu'il n'était sans doute pas de langue occitane, bien que son texte ait une apparence parfois moins languedoilisée ou plus occitanisée que les autres versions conservées. 18 Ailleurs il a reproduit am avec un a minuscule, car il n'y avait pas de méprise possible: Tote listoire 19.25 , Turpin interpolé 319.14 . A propos d'Arvert, notre Chroniqueur mentionne un certain Eleazar - au sujet de la bourse ayant appartenu à Saint-Martial, relique déposée à SaintSeurin de Bordeaux - comme s'il était seul du nom et comme si ce personnage était bien connu (291.11). Sans doute s'agit-il du doyen Eleazar de Saint-Seurin dont il est question dans la charte de 1060. N'est-ce pas délicat de sa part de ne pas l'avoir mentionné, en ne parlant que d'un de l'archevêque? D'autre part, les rédacteurs de la charte de 1060 - Ytier et l'archevêque Gotcelin - furent fort bien conseillés lorsqu'ils s'abstinrent de dire qu'Eleazar était le parent de Gotcelin. Même si l'on commettait du népotisme, il ne fallait pas l'afficher. Cette remarque est toutefois sujette à caution, car il nous est impossible de savoir si cette parenté - signalée par le Chroniqueur, généralement fort bien renseigné dans le domaine historique de Bordeaux et Saint-Seurin - est exacte ou non.
17
Bru 97,14,100,149; Saint-Seurin aurait été donné à C l u n y autour de I O J O d'après les seuls actes de C l u n y même. A l o r s la donation aurait sans doute été révoquée sous peu. E n tous cas, pas de traces de ce transfert à Bordeaux, où SaintSeurin, l'antique siège des évêques, reste une annexe de l'archevêché, v . A d l e r 63,161 n . 6 3 (et 124 n. 10); H e r m a n n Diener, itinéraire de saint Hugues, dans W o l l 59,296 n. 488. cf. C l a u 66.
18
A n g 21,154 et n . 2 .
31
Nous le constatons, le Chroniqueur continue à défendre les intérêts de Saint-Seurin qu'il connaît fort bien et il use pour cela d'un language émaillé de mots dont le caractère occitan ne saurait être mis en doute. 3. Autres formes lexicales occitanes A propos de la tombe de Caiphas au Mont Judaïque, le Chroniqueur dit que celui-ci fut enterré de la façon suivante: «fut mis en cassadoine e en maracle». Auracher suggère qu'il faut lire marade, sans en donner la signification (292.20 et note). Aussurément, il s'agit du mot occitan maracde < S M A R A G D U qui est passé à maracle, de la même manière que le cobde < C U B I T U est passé à coble - ligne 274.27 dans le ms. 5714. On trouvera une quantité de termes occitans dans notre ci-dessous, dans notre glossaire et aussi dans l'Appendice I I I de l'édition Bourdillon de Tote listoire de France. Nous ne voudrions ici nous limiter qu'à quelques remarques au sujet de certains cas particuliers: a) nopseca Ce mot est un participe passé au féminin singulier: «Nostra leis crestiane desfent que je ne seia nopseca a maneira paiane». 19 Sans doute s'agit-il d'une forme du verbe nopseiar, nupseiar, noceiar (= se marier) cité par Raynouard (IV.3JO).
b) coltivamen En ce qui concerne la nature païenne des Saxons combattus par Charlemagne, on peut lire qu'ils étaient dans l'adoration des diables, dans le coltivamenz daus diables ou costivamenz daus diables selon le ms. Lee (cotivament dans diables d'après le ms. 5714) ligne 74.6 - terme que l'on retrouve seulement dans le dictionnaire occitan de Levy. 2 0 c) leonaz En langue d'oil, le petit de la lionne se nomme leonel, leonet ou lionet - selon les dictionnaires - alors que notre leonaz représente la forme occitane. 21 d) avau Dans sa traduction de la Vie de Charlemagne par Eginard, le Chroniqueur a rendu le latin FEROCES par avau, à la ligne 74.5, ce que le copiste de 5714 aurait reproduit, alors que le rédacteur de la version «poitevinisée» Lee a
18 20 21
Tote listoire, 8.23SS. ms. 5714. v. Glossaire. Turpin interpolé, 308.4; Raynouard IV,48a no. 6; Levy IV,368b, FEW V , 2 5 j .
32
remplacé ce terme occitan par le français cruel. Raynouard ne cite pas avau, mais seulement avol et la forme contractée de aul, avec la signification de .22 e) si '« auront (pronom
partitif)
On trouve souvent des cas semblables à celui-ci, où le n, devant une forme verbale, n'a pas une fonction négative comme en français, mais partitive comme en provençal: E cil qui la deffendront /l'église/ des Sarrazins, si "n auront par lur loier vie perdurable. (= ms. Lee et 124; ms. 5714: si 'n ouront. 336.4SS.). Ce sont de petits détails de ce genre qui ont échappé à la «censure» de la poitevinisation postérieure. f) mermança Dans le ms. 5714 de Tote listoire, nous trouvons la phrase suivante: «equi fu granz mermança de pubbla» (51.28). Dans le ms. poitevinisé Lee, le mot en question est mermance. Or, ce mot est un résidu du vocabulaire provençal de la Chronique originale. 23 g) nenbrar REMEMORARE devient toujours nenbrer, renenbrer dans notre Chronique: Ne vos nenbre . . ., renenbra tei que tu requieres partie de mon pere, renenbrant icel essample. (4.11, 10.7, 14.22 du ms. 5714). MEMORARE,
h) malaptir et aptinença Dans les cas suivants, le latin (classique ou vulgaire) -BT- a abouti, suivant la manière occitane, à un renforcement de la labiale sous la forme -pt- comme dans DUBITARE > doptar. 24 MALE-HABITU > malapti/malaptir ( 1 1 . 2 8 ms. 5714). Ce verbe malaptir est inconnu des dictionnaires. Pourtant, le FEW (VI.92) cite le substantif correspondant malaptia. On peut rapprocher ce traitement de la forme endeptiz dérivée de IN-DEBITATUS mais qui traduit le latin DEDICATUS du Liber Historiae Francorum ( 1 1 . 2 1 ) . ABSTINENTIA a passé dans nos manuscrits aux formes avec -pt- aptinence ou aptinança (25.11). i) so (pronom
démonstratif)
«Puis que Karles ot comencee la batallie, ne so laissa mie jusqu'il ot Desier lo roi despousé» (ms. Lee; ms. 5714 aussi so-, 73.28). E C C E - H O C > 50 en occitan. 22
Raynouard 11,159. Raynouard IV, 198. 24 Ang 21,142s. 23
33
4- La morphologie verbale a) Participe
présent
On trouve dans le ms. J 7 1 4 du Turpin deux formes en -ent
(typiquement
occitanes) : 335.9
destruient
302.2
creent
alors que dans les autres cas, le ms. 5 7 1 4 présente la forme française en -ant, constante dans les mss. Lee et 124. Au point 322.26, les mss. 5 7 1 4 et 124 conservent totpoent, Lee indique b) Présent de
l'indicatif
Lee
5714
1ère pers. du pluriel: c) Présent de
alors que le ms.
totpoant.
12.16
preiam
—
(= lacune)
5714
124
Lee
son
sont
sunt
son
sont
sont
328.10***
son
sont
sunt
329.6
on
ont
ont
14.12
firen
—
—
Ji-33
fuiren
—
fuiren
l'indicatif
3eme pers. du pluriel,
I
formes sans i de 5 7 1 4 :
j 308.4
280.14**
Les chiffres de 2 6 2 - 3 3 6 se rapportent aux pages de la Chronique
de
Turpin
interpolée, d'après le deuxième Livre de notre Chronique (avec numérotation identique dans les éditions Auracher et de Mandach) et les chiffres de 1 - 9 0 au manuscrit Lee donc à la première colonne du Premier Livre (v. éd. Bourdillon). Sauf mention contraire les citations offertes dans notre ouvrage sont prises du manuscrit Lee. v. ch. X V , début, ci-dessous, combaterent ms. 5 7 1 4 se rapporte à la p. 52, ligne 5 de Tote listoire, offrant le texte du ms. J 7 1 4 (et non pas combateren d) Présent du
j2.$
deuxième colonne
comme l'a mis Pignon). 2 5
subjonctif
ms. 5 7 1 4 : 6 cas de siant, 3 dans chacun des deux Livres 1 autre cas en -ant dans Tote listoire (63.21), 6 dans le Turpin. Ms. 124 et Lee: toujours -ont. Dans leur morphologie beaucoup plus que dans leur phonétique, les rédacteurs de «Lee» et de « 1 2 4 » ont francisé systématiquement la Chronique qu'ils avaient sous les yeux. C à et là, pourtant, ils ont oublié de le faire.
25
La Du 60, 1,250-255; Bou 73,361-371, Pign 39s.; Pign 6o-CCM,457-47i. 34
e) Impératif
f) Imparfait
(présent du
de
l'indicatif
Tote listoire Turpin I (sans verbes auxiliaires) ]
ms. 5J14
ms. Lee
14.28 14.29 39-23 39.26 39-27
giten meten levem aiam aiam
levom aiom aiom
40.J
estiam
estiom
subjonctif)
ms. 5 7 1 4 : 9 formes en-iant ms. Lee : 1 forme en-iant (63.21 chaiant) ms. 5714: 1 1 formes en -iant ms. Lee : 4 formes en -iant ms. 124 : 1 forme en -iant
Etre A la ligne 3.10 du ms. 5714, on trouve errant pour eriant, ce qui est probablement - à notre avis - une bévue du copiste qui commet encore une autre erreur immédiatement après: au lieu de «Les Goths» li guot, il met li guotli (dittographie). En outre, on trouve trois formes de eriant ou ariant, dans Tote listoire (82.29, 1 9 . 1 1 , 89.3) mais 7 (!) dans le Turpin. Dans deux cas, il y a erian sans t (280.2**, 335.16). Cela fait, en tout, pour la seule troisième personne du pluriel, 13 formes occitanes. Avoir Nous trouvons 1 forme avia pour «j'avais»; j formes aviant pour «ils avaient», dont 1 dans Tote listoire (88.33) mais 4 dans le Turpin. Voilà donc en tout 6 formes occitanes supplémentaires. Ainsi que le dit J . Pignon: «la forme en -iant s'explique. . . par un occitan». 26 g) Futur (ms. Lee et 124: formes en -ont) h) Imparfait
du subjonctif
Le ms. 5714 ne présente que deux formes en -ent, une dans Tote listoire (322.7, venissent) et une dans le Turpin ( 3 1 4 . 1 2 , preissent). Ces deux cas exceptés, le ms. 5714 offre la désinence en -ant. Le ms. 124 ne comporte qu'un cas en -ent (288.10, menassent); tous les autres sont en -ont. 28
Pign 6o-CCM,46 9 35
Le ms.Lee donne deux cas en -ent (310.9 estopassent, 3 1 3 . 1 9 enveiassent), tous deux dans le Turpin; à part cela, toujours des formes en -ont. 27 i) Participe passé: On trouve deux exemples du participe passé facb dans le ms. 5714, auquel correspond, dans les autres mss., la forme feit (=fait). «Ce traitement du groupe -et- se trouve, dit Pignon, - entre autres régions d'oc, en Limousin. Il en existe même plusieurs exemples dans une charte vraisemblablement rédigée à Nersac - à quelques kms d'Angoulême: Eycco fu fach l'an de l'encarnacio Jhuz Crist mil e dos et s a y s s a n t a . . . . 28 Pignon dit, avec prudence: «vraisemblablement». C'est Boucherie qui a supposé que cette charte avait été écrite à Nersac. Ceci nous rappelle le cas des deux chartes du traité de paix entre l'évêque de Metz et le sire Henri de Blâmont signé en 1291. L'une des chartes est dans une scripta adaptée ou parler de Metz, l'autre à celui de Blâmont à 109 km de là dans les Vosges. Schwan et Behrens les reproduisent toutes les deux dans leur célèbre grammaire, nous donnant ainsi un avant-goût des démonstrations très précises et convaincantes de M. Charles Théodore Gossen publiées en 1967. 29 La charte de 1260 rappelle par sa scripta non pas le parler de Nersac, patrie de Rampnon de Narsac à 10 km d'Angoulême, sur la Charente coulant vers la Saintonge, mais bien plus celui de la région de ou Barbezieux bien davantage orienté vers les aires occitanes, celle de «Arnauz Masoyer . . . fillz deu Rampnon Masoyer de Verlena eu la parrosi de Sanht Meart» (l'actuelle aproisse de Saint-Médard, à j km de Barbezieux). Ainsi s'explique la différence entre cette charte «presque exclusivement en langue d'oc» ainsi que l'appelle Boucherie lui-même en 1873, e t l e s chartes «languedoilisantes» des environs d'Angoulême et notamment du scriptorium du comte.30 Donc, le «fach» de la charte signalée par Pignon est une forme occitane qui convient fort bien à un texte «presque exclusivement de langue d'oc». Alors, contrairement à la conclusion de Pignon, nous considérons les facb du ms. 5714 comme typiques de l'occitan « A 2 » . 3 1 A elles seules, ces formes ne signifieraient pas grand'chose - les scripta sont souvent des mosaïques fort complexes et, ainsi que le dit le proverbe: «Une hirondelle ne fait pas le printemps». Ajoutées aux autres formes occitanes citées, elles complètent pourtant l'image que nous nous faisons de notre texte. En conclusion, le des adaptations poitevinisées de notre Chronique ne saurait être plus évident, surtout dans le domaine capital de la morphologie. En effet, comme de dit Pignon, «une communauté de traits
27 28 29 30 31
P i g n $1,267. Tote listoire, 32.19; Turpin interpolé, 319.8**; P i g n 60,273; 73>374Schwan-Behrens, Grammatik des Altfranzösischen, Leipzig, 12. Ausg. 1925,111,32. Bou 73,37 J et n. 1 ; La Du 60 et Goss 67. Turpin interpolé, 32.19, 319.8**.
36
morphologiques, fussent-ils peu nombreux, implique des liens plus étroits que la communauté de certains vocables, lesquels peuvent être aisément empruntés, même si les rapports entre le parler emprunteur et le parler auquel on emprunte sont moins constants». Dans sa thèse de Sorbonne, Pignon résume son impression en disant: «Rappelons enfin que, vers 1225, r a) MILLE >
mire
L'un des traits caractéristiques de notre Chronique est son emploi courant de mire avec -r- pour M I L L E . 3 7 A tout moment - littéralement parlant - la Chronique indique le chiffre de mire, à propos de bien des champs de bataille et de nombreuses donations aux abbayes. 38 b)
EULALIA >
Aularie/Eulaie
Notre Chroniqueur applique au nom de S A N C T A E U L A L I A les formes de S. Eulaie et de S. Eulade qui sont, à une exception près, attestée dans les seules chartes et plans de l'ancien Bordeaux où elles voisinent avec la forme 35
Pal 3 2 , 2 2 1 a , 2 1 9 a ;
Pal 6 1 , 1 9 3 a ;
F E W 11,173s.,
§ I . i ; autre explication
possible,
v. Mai 60,207. 36
Bru 97,100.
37
R o h l 3 5 , 1 0 1 § 3 9 8 ; Bec 6 3 , 4 9 § 4a.
38
ch.XV.2
§ 114a
1 ci-dessous; R 0 I 1 I 3 5 , carte I ; A L G 2 9 0 : point
J48
S a i n t - V i v i e n - d e - M é d o c , Gers etc.; cf. A L G 4 3 4 : garis etc. dans le M i d i de la Gascogne (dans le nord de la province, le français a chassé ); B r u 9 7 , 3 2 4 mil 3 5 , 1 0 1 § 3 8 6 ; Bec 6 3 , 4 9 § 4b.
38
conservé dans charte gasconne. Théorie: Rohl
. 39 Relevons à ce propos que dans le ms. de Wissembourg du Martyrologue attribué à saint Jérôme, on trouve, à la fête du 10 décembre, le nom d'Euladi, alors qu' à la date du 1 1 décembre on y trouve (tout comme dans le ms. d'Epternach de 703), le nom d'Eulaliae.i0 Peut-être la forme Eulade n'est-elle pas uniquement bordelaise ainsi que le croyait Jullian. c) UBI > or Le latin UBI devient or (= où) dans les deux livres de la Chronique (ms. 5714). Le rédacteur du ms. 1 2 4 a si bien poitevinisé son texte qu'on n'y trouve qu'un or pour et celui du ms. Lee a réussi à éliminer toutes ces formes gasconnes. 41 Comme nous le verrons, le rédacteur de 5714 révèle une attitude anti-gasconne et parfois francise le texte davantage que les autres adaptateurs. Ainsi, il n'est pas vraisemblable que ce soit lui qui ait introduit ce or partout dans sa version de la Chronique. 42 3. et , et A u § 2 1 de notre Grammaire comparée des trois textes parallèles (notre ch. X V ci-dessous) figure un tableau des formes de LOCUS et FOCUS dans notre Chronique. Signalons ici qu'on y trouve un bon nombre de formes en -uec, luec, fuec, fuecx; or, ce sont des formes pan-gasconnes. D'autre part, on y voit aussi les formes fuc, lue, phénomène typiquement landais-médocain, ainsi que M. Pierre Bec a bien voulu nous le signaler. Voici quelques cas de fuc glanés dans les anciens documents du domaine gascon occidental: On trouve aussi fuc en ancien béarnais, ainsi que le prouve le Dictionnaire béarnais de Despy-Raymond, 4 3 et en ancien gascon, preuve en est l'ouvrage Disciplines de clergie et de moralités, une traduction gasconne de la Disciplina clericalis de Pierre Alphonse. 44 Ces matériaux supplémentaires sur ces formes nous ont été suppléés par l'amabilité de M. Werner Ziltener, de l'Altgaskogniscbes Wôrterbuch en voie d'établissement à l'Université de Heidelberg sous la direction de M. K u r t Baldinger: on trouve aussi la forme fuc dans un texte de Bayonne daté de 1297. 4 5 Il y a un autre exemple, d'une autre contrée, Condom, daté de 1 3 1 4 . 4 6
39
Tote
listoire,
17.4SS., 8 5 . 1 8 ; Turpin
97,408; Jull 9 5 , 1 4 0 , 2 3 0 a
interpolé,
292.7**, 293.6**, 293,8,9,10**; Bru
(Pl. V I I ) ; D r o 7 4 , 3 0 0 s s . ; R o h l 3 5 , 1 0 2
§387;
v . ch. I . 3 ;
I I b . i / § b et X V . 2 § 1 1 4 ci-dessous. 40
Lev 27,153s.
41
Les 8 7 , 1 1 , 1 0 8 b (or, hor); G ô r 8 2 , 7 ; Bru 9 7 , 3 8 6 «. . . aqui or andeit en p. agradera a Sent Seurin».
42
ch. X I I I . 4 ci-dessous.
43
Les 8 7 , 1 1 , 3 9 3 a ; à côté de fug, foec,
44
D u c 08 (de 1400 environ). A n o 92,108.
45 46
hoec,
v. Les 8 7 , 1 , 3 7 2 a .
Ano 78,741.
39
Dans le Livre des Coutumes de Bordeaux publié par H . Barckhausen, on en trouve un exemple qui est probablement antérieur à 1325;: 47 Ajoutons que les formes gasconnes en -uc et -uec se trouvent aussi dans les Sermons de Maurice de Sully traduits dans une scripta mixte pour le SudOuest. Mais cette mixture supposée n'a pas encore été soumise à un examen solide par un linguiste moderne, et le travail de Boucherie est largement dépassé.48 L'existence de deux fuec aux v. 136 et 152 de la Passion de Sainte Catherine 2 examinée jadis par Tendering ne signifie pas grand' chose, car ce texte mixte n'a pas pu être localisé jusqu'ici.49 4. , et De même le cout (coin, recoin) employé dans notre Chronique à la ligne 80.22 de Tote listoire est un mot typiquement gascon dont l'aire ancienne nous est inconnue.50 Aujourd'hui, d'après Simin Palay, le terme est plus courant dans la région d'Orthez et des Landes, donc de l'ouest du domaine gascon. 61 Notre Chronique relate que le roi de Saintes a fait tuer saint Eutrope par des bru(s)tiers (280.10). Godefroy et d'autres érudits ont toujours essayé de trouver ce terme dans les chartes saintongeaises ou de langue d'oil en général, sans le moindre succès. Ce n'est qu'en 19 IJ qu'Antoine Thomas, un érudit sachant le gascon, a découvert qu'il s'agissait d'un mot modelé d'après le terme breuter, breoter, breutey du gascon qui signifie . En effet, dans les Vies de saint Eutrope latines auxquelles nous reviendrons dans notre chapitre IV, on dit que le roi de Saintes d'adressa aux CARNIFICIBUS de la ville pour faire tuer Eutrope. S'il est vrai que le terme breuter a pu appartenir aux parlers de tous le domaine gascon, il n'est pas moins exact qu'à La Réole, en 1 2 5 5 - 6 1 , donc à l'époque même de la naissance de notre Chronique, on écrivait breutey, alors que dans l'ouest de l'aire gasconne, à Saint-Sever (Landes) comme à Bordeaux, la forme en -r est maintenue. Dans une ordonnance de Louis X I datée de 1461 se rapportant aux bouchers de Bordeaux, il est dit: «O de autre hom que no sia breuter. Observât entre 10 breuters et en totas la brecarias.» Aujourd'hui encore on dit breutey dans le seul Bordelais, selon Palay. 5 2 On trouvera enfin dans notre glossaire un autre mot gascon, signifiant . 47
Bar 90,8 et 1 0 ; S c h u 9 3 , 8 3 . Bou 7 3 , 3 7 , 8 1 , 3 1 3 passim; Pign 60,41s., 164. 49 Pign 60,164; cf. Man 68, v. n. 62 ci-dessous. 50 Pal 3 2 , 1 , 3 2 7 a ; comme le cas cloître qui a passé au fém. aux lignes 82.3 et 283.9 de notre Chronique, en lou cout a passé ici au fém. en la cout. 51 Pal 3 2 , 1 , 3 2 7 a ; Pal 6 1 , 2 8 3 a . 62 T h o 1 5 , 3 3 4 ; Raynouard 1 1 , 2 3 0 ; Ordonnances des rois de France V V , 4 i 5 . ToblerLommatzsch 1 , 1 1 8 4 • • • : indication de 1448 comme date de la Charte de Louis 48
40
j . La chute de 1' -n- intervocalique en gascon non-septentrional a) Lusignen > Lezine > Lezie Après avoir conquis Saintes et la Saintonge occidentale, le singulier qui nous est décrit dans notre Chronique remonte la vallée de la Seugne, prend Chartres-Pons et conquiert Mont Guitmar; puis il fonde une église qu'il donne à l'abbé de Saint-Germain à Paris, église que les mss. 124 et Lee appellent Saint-Germain «de Lezzinie» ou «de Lezzignie». Dans cette église, fut enterré un certain Gautiers «de Lezignie» ou «de Lezzignie», d'après les mêmes mss. 124 et Lee (286.8, 10, 1 1 ) . Nos étudiants chargés de l'enquête topographique en Saintonge n'ont pas réussi à identifier ce lieu. Puis un jour, en relisant les chartes poitevines publiées par M. Milan S. La Du, il nous est apparu que Lusignan était écrit Lezignen, Leseignen, Lezegnen, Leseignien et même, à la ligne 15 de la charte 184, Jofre de Lezigne - nom transcrit naturellement comme Jofré de Lezigné par M. L a Du. Ailleurs, dans une charte de la Trinité de Vendôme datée de 1223, Hugues X de Lusignan s'appelle même Hugo de Lezin.53 Donc, Lezzinie ou Lezzignie pourrait représenter . D'autre part, en scrutant le ms. 124, nous avons découvert qu'il ajoutait, à propos de Mont Guitmar, qu'il s'agissait de l'ancien nom de Jonzac. Or, aux environs de Jonzac il y a, en effet, un Saint-Germain-de-Lusignan. Jonzac faisait même partie de l'ancienne paroisse Saint-Germain de Lusignan (située à 1 km.). Toute la région formait un des grands bastions de Hugues X de Lusignan et ses descendants, au X H I e siècle et plus tard. Gautier de Lezzignie, fils de Sospic, était donc un membre de la puissante dynastie poitevine des Lusignan. Jusqu'ici, aucun problème de phonétique gasconne ne se pose. Mais voici que dans le ms. 5714, dont nous connaissons la tendance conservatrice, nous trouvons un récit disant que l'église donnée à l'abbé de Saint-Germain (des Prés) est celle de . Comment expliquer ce passage de Lezine à Lezie ou Leziai II suffit de nous rappeler que LUNA devient luo en gascon, que le -n- intervocalique tombe dans la Gascogne située au sud du bassin d'Arcachon, de Pessac et de la Gironde - ainsi, d'ailleurs, que dans d'autres parlers romans, comme de vénète et le portugais. Nous avons même un cas semblable dans notre Chronique: S. SATURNINUS Saint-Sornin en saintongeais - dépendance de l'abbaye Saint-Etienne à Vaux près de Royan, est appelée non pas Saint-Sorene mais Saint-Sore (m.) ou X I - par erreur. C e roi n'a accédé à la couronne qu'en 1 4 6 1 . cf. Godefroy 1,748 . . . ; Arch. hist. de la Gironde IV,60: dans le testament de S. Colomb; «Coutumes de la Réole», Ibid. 1 1 , 5 2 4 - 2 6 5 : (années 1 2 5 5 , 1 2 6 1 ) ; G . Millardet, Recueil des textes des anciens dialectes landais, p. m : , en 1 4 3 7 à Saint-Sever; Pal 6 1 , 1 6 4 b : en Bordelais aujourd'hui, v. Glossaire cidessous. 53 L a D u 60,II, Index s. n. Lusignan; Met 9 3 , 1 2 5 s . p. .
41
même Sancte-Sore 824) '
(f.) dans les deux mss. de Tote listoire de France (ligne
Il semble que le rédacteur de 5714 ait fidèlement copié son modèle gascon, alors que ceux des mss. 124 et Lee (ou leur modèle commun indépendant de la version 5714), connaissant parfaitement les environs de Jonzac et le centre des Templiers à Saint-Germain-de-Lusignan, ont su rétablir le nom original saintongeais de Lezzinie ou Lezzignie. Cette évolution curieuse du nom des Lusignan n'a pas qu'un intérêt phonétique gascon, car elle jette aussi des lumières sur les rapports étroits entre les rédactions Lee et 124. b) SANCTA LUCIA >
sánete Lezine
Après avoir libéré Saintes et la confluence de la Boutonne et de la Charente, selon l'Interpolation BI, l'empereur passe la Boutonne selon le ms. 124. Sur les cartes d'aujourd'hui Montrompnie est appelée Moragne, tout comme le Marempnie de notre Chronique est dénommée dans les cartes actuelles du nom de Marennes.54 A cette indication est ajouté «sor la fontaine ou gist Sánete Lezine». C'est en vain que nos étudiants ont tenté d'identifier la sainte et la fontaine, jusqu'au jour où M. Gabet de Rochefort, un historien de la région fort bien documenté, nous a parlé de documents anciens citant une fontaine de sainte Lucie à La Pilette, à 2kms de Moragne. C'est là que se trouvait autrefois la fontaine miraculeuse de SANCTA LUCIA dont l'eau devait guérir les maladies des yeux. Comment expliquer le passage de SANCTA LUCIA à puis ? Or M. Kurt Baldinger a récemment mis en vedette une quantité de formes hypercorrectes précisément dans le domaine gascon: ici aussi nous aurions affaire à une forme hypercorrecte, une comme l'appelait notre vénéré Maître Karl Jaberg, fondée sur une réaction contre la chute de l'-rc-notée ci-dessus. Voici des cas typiques de la chute de l'-n- en gascon : FARINA > faria ou /harie/ UNA > ua 55 LUNA > lua. Voici donc que la phonétique du domaine gascon situé au sud du bassin d'Arcachon et de Pessac contribue de manière efficace à résoudre une devinette posée par un toponyme de notre Chronique. Serait-il possible de davantage le parler de notre Chroniqueur et son attitude phonétique? Sans aucun doute, un jour, les spécialistes y parviendront. 54 55
Turpin interpolé, 281.19s.; 2 8 2 . 1 4 , 2 1 . Bec 63,49; A L G p. ex. carte 874 ; Röhl 3 5 , 1 0 3 § 390; v. aussi la thèse de Fritz Fleischer, Flei 1 3 , 6 8 - 7 2 et carte 3 ; cf. travail capital de M. Baldinger, Bal 5 8 , 5 7 - 7 5 sur les formes hypercorrectes.
42
6. L ' prosthétique et S a i n t A r l o d i en M é d o c E n c h e r c h a n t à i d e n t i f i e r le Saint
Arlodi
en M é d o c cité dans la liste des
dépendances de Saint-Seurin de notre C h r o n i q u e , nous a v o n s pensé qu'il p o u v a i t s'agir de Saint-Trélody,
a u x portes de Lesparre. L e q u e l de ces d e u x
noms était p h o n é t i q u e m e n t le plus ancien? D a n s la c a r t u l a i r e de
Saint-
Seurin, l'église en question est appelée S. TRELODII, ce qui f a i t
supposer
que tel était le n o m ancien d u saint abbé. 5 6 L e peuple a u r a i t
prononcé
le
nom
Sent
Relodi,
ce
prosthétique gascon, Sent
qui
serait
Arelodi
devenu,
puis Sent
par Arlodi.
l'intervention M a i s cette
de
l'a
dernière
f o r m e , attestée p a r notre C h r o n i q u e , 5 7 a-t-elle v r a i m e n t existé en dehors de ce texte? E n 1876, a v a n t la p u b l i c a t i o n de notre C h r o n i q u e , l ' a b b é B a u r e i n d é c l a r a i t «Saint T r e l o d y ou, comme lodi,..
l'appellent
les gens du pays,
Saint
Ar-
,» 58 D o n c notre C h r o n i q u e u r qui connaissait, nous le savons, les
chartes de Saint-Seurin et p r o b a b l e m e n t leur copie dans la petite c a r t u l a i r e de l ' a b b a y e a v a n t 12JO, a p r é f é r é citer le n o m de l'église d'après sa f o r m e p o p u l a i r e locale, d o n c dialectale, et non la f o r m e juridique o u latine. C e c i nous suggère qu'il a bel et bien été sur place, en M é d o c . L a question du rôle q u ' a u r a i t p u jouer le r v i b r é de relodi arlodi,
p o u r q u ' o n écrive le n o m arelodi
ou
c o m m e a v e c un a prosthétique, est une autre paire de manches qui
ne nous concerne pas directement ici. 5 9 H i s t o r i e n bien d o c u m e n t é sur les églises d u M é d o c , l ' a b b é B a u r e i n i g n o r a i t c e p e n d a n t de quelle a b b a y e A r l o d i était abbé. C ' e s t notre C h r o n i q u e u r qui nous supplée cette i n f o r m a t i o n , en d é c l a r a n t que ce saint «fu abes de S a u gion» au D e u x i è m e L i v r e 292.21, et qu'il f u t enterré à S a u g i o n a u x côtés de saint M a r t i n (sans doute le f o n d a t e u r d u prieuré de S a u g i o n , saint M a r t i n «disciple de saint M a r t i n de Tours»). 6 0 A p r o p o s de la région de S a u j o n , signalons encore que C h a r l e m a g n e f o n d a près de M o n b a s i r o n l a chapelle de T h a i m s et la c h a p e l l e de Sainte M a r i e «que l ' o n apele abanele». N o u s ignorons l'origine de ce dernier n o m , mais il p o u r r a i t s'agir de , n o m q u ' o n d o n n a i t a u x églises nouvelles dédiés en l ' h o n n e u r de N o t r e D a m e , n o t a m m e n t t o u t près à P o n t l ' A b b é (canton de S a i n t - P o r c h a i r e ) : ? Comme signifie aussi bien que (RES GESTAE), il était parfaitement plausible d'appeler la Geste de Charlemagne et de Roland par le nom de leur père ou grandpère; mais pourquoi ajouter en raison des exigences de l'assonance ou rime et à cause de la longueur de l'hémistiche. Ecrivant en prose, notre Chroniqueur n'avait nul besoin de cette assez indirecte, mais il a simplement suivi son modèle, la chanson sur le Doon. Ensuite il a apparemment décalqué un passage du chapitre X I de la Chronique de Turpin qui forme le modèle principal de son Deuxième Livre: les batailleurs des Gestes font leurs conquêtes pour exalter la chrétienté. 1 2 3
Tote listoire, 90.21-25. Bou 97, xii et note. Guessard, éd., Doon de Mayence, Paris, 1859. Dans le manuscrit de base de Guessard, la graphie traditionelle de a été rétablie et ne correspond plus à la rime. v. P. Aebischer, La mesnie de Doon de Maience, Mélanges offerts à M. P. Le Gentil (sous presse). 101
« . . . Tant eust gent en l'ost Karle qu'il hi ot quarante mire chevaliers e de ceaus de pié n'en fu nus numbres. Icist qui sunt nomé e numbré, si furent tuit champion Jhesu Crist e bon baron: cist furent noble battaleor e cil maintindrent la crestianté ou monde; avoec ço li empereires de Rome conqmst E s p a g n i e o t l ' a i e Nostre
Segnior
Jhesu
Crist
...•».*
Le préambule du Chroniqueur prépare donc fort bien le lecteur au récit d'une espèce de croisade contre les païens, croisade dirigée par les membres de toutes les trois Gestes de France. En considérant cette transition - préambule comme un épilogue du Premier Livre, Auracher lui a enlevé tout sens: il aurait dû la transcrire au début de son édition, de sorte que dans la suite Bourdillon n'aurait pas eu besoin de l'imprimer à la fin de Tote listoire comme s'il s'agissait d'un épilogue. Le Chroniqueur ayant mis en tête les trois Gestes de France, avant le passage inspiré de Turpin, nous examinerons les textes dans le même ordre. Nous commencerons par la geste dont la contribution à la Chronique est la plus faible, celle de Garin de Monglane, puis nous étudierons la Geste de Mayence et ses gestes-satellites et enfin celle de Charlemagne et de Roland.
4
S m y 3 7 , X I I I . 3 9 - 4 3 ; Turpin interpolé, 296.4-9. Le ms. Lee est le seul a mettre (= .XL. mire) au lieu de soixante mille (.LX. mire) comme les autres manuscrits.
102
VIII. LA G E S T E D E G A R I N D E
MONGLANE
Demandons-nous de prime abord pourquoi Rainier ou son fils Olivier, connu habituellement sous le titre de »comte de Genevois«, portent dans divers récits des abords des Pyrénées en gascon, catalan ou occitan le titre de «de Lausanne». Puis nous tenterons d'identifier les fiefs ou lieux de sépultures de divers fils d'Aimeri de Narbonne (le frère de Rainier) dans le Sud-Ouest. L'un des fils d'Aimeri, Garin d'Anseune et son fief d'Anseune retiendra notre attention particulière. Dans ce contexte nous parlerons de la chanson Ronsasvals conservée dans le manuscrit d'Apt, alors que dans notre chapitre X.3 ci-dessous ce sera le Roland à Saragosse du même manuscrit qui fera le sujet d'un examen. C'est ainsi que les rapports entre le manuscrit d'Apt et notre Chronique seront mis en vedette. 1. Le lignage de Rainier, comte de Genevois Les comtes de la région de Genève s'appelaient à l'origine Gui de Nanteuil, l'ancien nom de Mirambeau près de Mortagne, SaintDizant-du Gua et Conâc, donc précisément dans le fief qu'Artaut reçoit de Charles selon notre Chronique. 1 Ce fief comprend Arnagues, appelé plus tard 1
C o n 52, V , i 2 9 ; Turpin interpolé, 286.22-287.8; cf. Florence Callu-Turiaf dans: Mélanges Lejeune, II,739ss; p. 78 ci-dessus.
110
Cônac ainsi que nous l'apprend le ms. 124, et v a «jusqu'à Nantoil, lai ou Guis desconfit les Sarrazins» (287.26s.). 2 Rappelons à ce propos que selon les chansons de geste, le seigneur Artaut fut le vassal du de Gascogne Y o n , donc du propre beau-père de Guibert d'Andernas dont nous venons de parler. 3 Garnier de Nanteuil eut une fille qui épousa Amaugis auquel elle donna quatre fils: Gui de Hautefeuille, Rahier, Alori et Hardré. Comme dans le cas de Gautier ou Gui d'Allemagne cité au ch. V I I . 1 ci-dessus et comme dans celui de Garnier-Gui de Nanteuil, un nom >G. de Hautefeuille< pouvait être complété sous la forme de Gui aussi bien que de Garin.* C'est ce qui explique le nom de Garin donné à un Hautefeuille dans la Chronique. En outre, les noms de dans notre Chronique. Chez Outremeuse on trouve au contraire les formes curieuses de Saint T r u f f i e n et de Saint Marseal (Bor 64, 1 1 1 , 1 5 2 ) . Or dans le ms C J 4ohi de Battle Abbey à Hastings de la traduction de Maître Jehans, on trouve les formes et (v. Man 6 1 , 390. Par erreur, nous avons donné la cote de ce ms. de Hastings comme B. M. R o y a l 4 G . X I , alors qu'en réalité, il s'agit de B. M. R o y a l 4 C X I ) . (Turpin, ch. V ) 8. M. Walpole a examiné les formes du nom de la ville de D a x en Gascogne, d'après les divers manuscrits de Maître Jehans. Il a découvert que l'un d'eux o f f r a i t la forme ou (ce qui est devenu dans le ms. Auchinleck) alors que d'autres mettaient ais, et tandis que le même manuscrit de Hastings o f f r a i t la forme de ays. Or c'est ce type de ays qu'Outremeuse a reproduit. Wal 45,3855s., Wal 47.
117
turpinien est celui des Grandes Chroniques de France de Primat de SaintDenis. 37 Un troisième semble être la Chronique des Rois de France du Ménestrel d'Alphonse de Poitiers. 38 En outre il y a deux cas où notre Chronique et Outremeuse possèdent des : En premier lieu, Outremeuse et notre Chronique sont les seuls à faire attribuer à Saint-Seurin des milliers d'onces d'argent et autant d'or par Charlemagne. Dans les autres versions, seul Saint-Romain de Blaye obtient cette fortune. 39 En second lieu, dans les chroniques de Turpin habituelles, Saint-Romain de Blaye obtient de Charlemagne le fief d'un rayon de 6 milles, donc comprenant au moins Gauriac, Saint-Trojan, Saint-Girons d'Aiguevives, Eyrans et Anglade. Dans les rédactions de Willem de Briane et du Ménestrel d'Alphonse de Poitiers (qui reflètent habituellement les innovations de Nicolas de Saint-Lis dans sa traduction), on lit que Charlemagne attribua à l'abbaye de Blaye non pas un rayon de six milles mais de six lieues, donc un territoire bien plus étendu. Or selon Outremeuse et notre Chroniqueur, ce rayon comprend non moins de sept lieues - soit en fait tout le sud de la Saintonge et une majeure partie du Médoc. 40 En troisième lieu, Outremeuse relate que Charlemagne «at prise Asserie et Tolete et Esturges». On ne voit pas pourquoi M. André Goosse considère 9. L ' é g l i s e de S a i n t - J a c q u e s de BITERRENSIUM (= de B é z i e r s ) est a p p e l é e
d o n c < S a i n t - J a c q u e s de Bourges> d a n s les m a n u s c r i t s d é r i v é s a u m o i n s e n p a r t i e d e l a v e r s i o n e m b e l l i e M de M o n s , n o t a m m e n t
dans
n o t r e C h r o n i q u e , c h e z le M é n e s t r e l , B r i a n e et M a î t r e J e h a n s . L e B e l g e O u t r e m e u s e a n a t u r e l l e m e n t p e n s é à Bruges de Bruge
en Flandre.
en l i s a n t Burges
et a mis S a i n t - J a c q u e s
- N o u s c o n v e n o n s q u e c e r t a i n s d e ces n e u f
arguments
n e s o n t p a s d é c i s i f s , m a i s ils s e r v e n t à c o n f i r m e r les a u t r e s q u i le s o n t . 37
Les Grandes
Chroniques
et
Outremeuse:
A u c h . I V d e T u r p i n , il est p a r l é de l ' i d o l e des S a r r a z i n s à C a d i x , SALAMCADIS, a p p e l é c h e z O u t r e m e u s e . S e u l s les t e x t e s des Grandes
Chroniques
et d ' O u t r e m e u s e d é c r i v e n t l ' i d o l e c o m m e é t a n t p e r c h é e a u h a u t d ' u n e c o l o n n e o u ( M o r 4 i , I I I , 1 3 ; G o o 6 5 - M y r e u r , I . 3 1 1 8 ) . S ' a g i r a i t - i l ici aussi d ' u n e c o ï n c i d e n c e ? - D a n s les d e u x seuls t e x t e s i n s p i r é s de T u r p i n des G r a n d e s n i q u e s et d ' O u t r e m e u s e Blanche» (Outremeuse)
o n t r o u v e le t o p o n y m e o u « A r l e s le B l a n t »
Arles
remplacé par
Chro-
«Arles
la
( G r a n d e s C h r o n i q u e s ) . M a i s il ne
s ' a g i t l à sans d o u t e q u e d ' u n e c o ï n c i d e n c e , c a r le s u r n o m de «le B l a n t » o u
«la
B l a n c h e » p o r t é p a r l a v i l l e d ' A r l e s est b i e n c o n n u a u m o y e n â g e . R a i m b e r t
de
Paris appelle la ville «Arles la Blanche» c o m m e plus tard Outremeuse (qui doit beaucoup
à Raimbert).
( M o r 4 i , 111,8 5 ; B o r 64, I I I , 1 $2; B a r r o i s , éd., L a
v a l e r i e O g i e r , v . 9 8 3 4 ; d ' a p r è s L a n 0 4 , 4 5 ; Roman
d'Arles:
Che-
. A i x -
e n - P r o v e n c e , B i b l . A r b a u d m s . M . O . 63, f o . 69V., r e p r o d u i t p a r R . L e j e u n e et J. S t i e n n o n d a n s : L e j 66, I I , p l . 1 9 6 . 38
Le Ménestrel
et Outremeuse:
A u ch. V
de T u r p i n , seuls le M é n e s t r e l et O u t r e -
m e u s e r e m p l a c e n t les c h a n o i n e s de l a r è g l e de s a i n t I s i d o r e p a r des m o i n e s de l a règle
de s a i n t B e n o î t
(ms. M C 51
du Ménestrel,
fo. 83a; G o o
6j-Myreur,
1.
3756SS.). 39
Turpin
interpolé,
40
Turpin
interpolé,
Mouskès. 118
3 2 J . 1 9 ; R e i 36, v . 9 0 6 0 - 8 0 ; B o r 64, I I I , 1 5 3 . 3 2 4 . 1 7 ; R e i 36, v . 9040SS.; B o r 64, I I I , 1 6 5 ; c f . c h . X . 1 , 2
sur
que les noms d'Asserie et d'Esturges sont des synonymes de rapportant à la ville d'Astorga (León). O r le ms. 1 2 4 nous o f f r e la solution de ce casse tête en relevant que «Asserie, que l'om apele M a d r i t » . D'après ce témoin, les trois villes citées seraient donc A s s e r i e - M a d r i d (au sud), puis Tolède (plus au nord, mais toujours en Nouvelle-Castille) et enfin Astorga (León) encore plus au nord. L'ancien nom romain était Ossaron, de l'Ossarie du ms. Lee que de l'Assarie
donc un nom plus proche
du ms. 1 2 4 de la Chronique et de
PAsserie d'Outremeuse. On ignore le site exact de POssaron ibéro-romain, en tous cas ce n'est pas O y a r z u n . 4 1 Ainsi que nous le montrons au ch. X I I I . 4 ci-après, le rédacteur de la rédaction 5 7 1 4 corrige p a r f o i s la Chronique dite Saintongeaise en s'inspirant de la V u l g a t e de la Chronique de Turpin. Sans doute a-t-il opéré ici aussi une correction et sauté les noms ibériques et celui de R o c h e f o r t ajoutés p a r notre Chroniqueur: Asserie, Malagon, Elarcos, Requena et Reias, villes qui ont joué un rôle dans la Reconquista; Salveterre (localité portant un nom courant en deçà et au delà des Pyrénées) et Rochefort. 4 2 Il est curieux de relever la f a v e u r dont Bordeaux jouissait auprès du Liégeois Outremeuse. Selon lui Ganelon aurait apporté le trésor qu'il avait reçu des Sarrasins en récompense de sa trahison, le «vendage» de R o l a n d , à «Bordeáis». Borgnet a eu de la peine à comprendre pourquoi cette ville y est mentionnée et suggère en note qu'il doit y a v o i r une lacune dans le récit conservé (p. I J 9 ) . Sans doute ce passage d'Outremeuse rappelle celui de la p. 1 4 0 de l'édition décrivant le transport du trésor de Ganelon à «Bordeáis». d) Anseis de
Cartage
Voici un autre point commun entre les deux auteurs: tous les deux insèrent dans leur récit une version spéciale de la chanson de geste Anseis de
Cartage
sous la forme d'un résumé élliptique en prose, et tous les deux placent ce résumé à la suite de la relation sur la campagne de Charlemagne en Espagne et du chapitre turpinien sur Compostelle et immédiatement a v a n t le récit de son retour à travers les Pyrénées. Voici la version du Chroniqueur d'après
41
42
Goo éj-Myreur, 1.4653, 4658, 4747, 4760; Turpin interpolé, 267.18 n. Le ms. 5714 semble avoir éliminé ces noms d'apparence apocryphe par rapport à son deuxième modèle, une Chronique de Turpin habituelle, v. ch. XIII.4 § D ci-dessous. Seul César E. Dubler pense que Ossaron = le petit bourg de Oyarzun près de Saint-Sébastien et Fuentarrabie, appelé d'habitude (= Oierçon) par les Romains. C. E. Dubler, Los Caminos a Compostela en la obra de Idrisi, Al-Andalus 14 (1949), 100 et n. 3. Turpin interpolé, 267.i8n.: Malagon, victoire chrétienne de 1 2 1 2 ; Alarcos, défaite chrétienne de 1 1 7 5 ; Requena, combats contre les Maures en 1189 (mort du comte d'Urgel) et 1 2 1 9 (défaite des Tolédains); Reias, l'un des nombreux d'Espagne; Salvaterre, peut-être bourg gascon entre Ostabat et Orthez sur la route des pèlerins, ou autre Salveterre, du Sud-Ouest de la France au des provinces espagnoles de Sarragosse, Alava, Badajoz, Pontevedra ou de Salamanque. Rochafort, de l'estuaire de la Charente. 119
le ms. Lee: «Puis que Karles li bons empereires ot tote Espagnie conquise en icel jorn , si fit equi Ansei roi e ballia li mil chevaliers de mainee e proia li de tenir paiz. E proia lo disore de conimbres son ami qu'il lo gardast corne son cors, et que se gardast de sa fillie, car s'il ne mesfazoit riens, il auroit tote Espagnie perdue». ( 3 1 3 . 7 - 1 3 ) Ms. 124: « . . . E proia lo de isore...» Tournons nous vers Outremeuse qui dit: «La [Espagne] comandat Charlon a Anseis, al la requeste de Ysoreit, que ilh ne toche a sa filhe Letiese, car mais en venroit.»i3 Sur le point de quitter l'Espagne, Charlemagne offre ce royaume à Anseis, le seigneur de la province d'ailleurs très grande de Cartagena appelée chez les Français. Il le prie cependant de ne pas toucher à Létise, la fille du sire Isoré de Coïmbre dite chez les Français, sinon un grand malheur lui arrivera. Nous mettrons donc dans notre édition «E proia lo d'Isoré de Conimbres, son a m i . . . » e) Le panachage des Gestes de France Notre Chroniqueur et Outremeuse créent tous les deux une véritable Geste de Charlemagne et d'Ogier dans laquelle ce dernier est souvent mis en lumière. Tous les deux s'inspirent directement de la chanson de Doon de Mayence et mélangent les gestes à plaisir tout en mentionnant divers héros relativement rares. Nous citons les pages du troisième tome de l'édition Borgnet: 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.
Arnars de Bealande Alori Guis d'Altrefolhe >chis de Louvain< (= le duc de Louvain) ly cuens de Flandre Richart ly duc de Normandie ly duc de Lamborc Garin de Loeraine Gerart de Roiselhon Gandis li castelains de Bordeais
p. p. p. p. p. p. p. p. p. p.
110 1J4 159 122 122 143 143 142 99 152
Dans le manuscrit du X V I e siècle suivi par Borgnet pour son tome troisième, au est souvent rendu par an. Dans notre nom no. 10 il faudra lire Gaudis. Ce Gaudi ou Gaudin du parti bordelais nous est connu, nous avons cité la mention de sa tombe à , aujourd'hui dans le Médoc (292.25) Hautefeuille devient dans notre Chronique (292.1 j), mais chez Outremeuse. Le duc de Limbourg est appelé correctement Saintes< ici, mais A Q U A E , c'est-à-dire Acs, pour rappeler le lavage du champ de bataille avec des eaux. De notre point de vue, la légende du lavage du champ de bataille prend comme point de départ l'étymologie du nom de A es (= D a x ) , tout comme dans notre Chronique le nom de Saintes, qui a l'air de ne pas avoir pu exister avant la christianisation de la ville, est le point de départ de la légende du baptême par Charlemagne. André Duchesne, de son côté, constate qu'avant l'annexion de la Guyenne par Louis V I I (en 1 4 5 1 ) , D a x portait le nom honorifique de , en raison des douze tours de la ville qui appartenaient aux douze familles oligarchiques de la cité, dont elles détenaient le pouvoir: depuis 1 4 5 1 , elle s'appelle Acqs.n M. Guiette en conclut que la ville de Noble, dont la conquête est décrite dans les récits épiques est, non pas Pampelune ainsi que le voudrait M. Aebischer, mais l'actuelle D a x en Gascogne. Le malheur veut que les textes cités par M. Guiette soient de l'époque de Philippe le Bon et de Louis X I I I , de sorte qu'ils ne prouvent pas grand chose pour l'époque de Philippe-Auguste ou du X l l e siècle. C'est alors qu'il est utile de consulter notre Chronique. Bien que composée sous Philippe-Auguste, ses interpolations épiques remontent à des sources antérieures. Or, la Chronique dite Saintongeaise confirme absolument le point de vue de D a v i d Aubert, Duchesne et de M. Guiette: 1. D'abord, elle décrit le rassemblement des troupes de Charlemagne dans les «landes de Bordeu» après la prise de cette ville (296.9SS.) 2. Ensuite, elle conte la prise de Noble par Roland (296.13SS.) 3. Puis elle relate le passage des Pyrénées en direction de Pampelone, avec Arnaud de Beaulande en tête, selon le récit de Turpin (296.18ss.) Donc, Noble est une ville située entre les landes de Bordeaux, c'est-à-dire entre les environs de Belin et de la Grande Leyre dont nous avons parlé, et les Pyrénées. Pour plus de précision, le Chroniqueur mentionne la fondation de l'église de Saint-Vincent de Nobles qui est sans doute la vieille église de ce vocable qui nous est bien connue en raison de l'allusion supposée à l'épitaphe du maire de palais Aggiardus, mort le I J août 778 lors de la célèbre déconfiture du train de Charlemagne. 1 2 Or, Mario Roques a proposé, nous l'avons dit, de distinguer diverses étapes de l'évolution, en l'occurence les stades A et B. A y regarder de près, on voit
11 12
Gui 55,76s.; Gui 6 1 , 2 0 9 - 2 1 3 ; Gui 4 0 , 1 , i 9 5 s s . v. René Louis, A propos de l'épitaphe métrique d'Eggihard, sénéchal de Charlemagne (1s août 77$), Studi in onore di Italo Siciliano, Firenze, 1966, 6 8 6 - 7 1 0 , surtout 695s.
129
qu'il se détache de la classe B des textes que l'on peut appeler le stade C. A u stade A , Noble est le surnom honorifique de la ville actuelle de Dax, en Gascogne. La conquête de cette ville suit la prise de Bordeaux. 13 Dans la suite, le siège de ville par Roland l'amoureux des dames est transféré à Saragosse, au stade B, et même à Luiserne au stade C . Noble se voit ainsi transférée automatiquement au-delà des Pyrénées, aux environs de Pampelune ou même à cette ville. Si donc M. Guiette a parfaitement raison, M M . Aebischer et Contini n'ont pas tort non plus. A. Stade A: Première branche de la Saga, Chronique dite Saintongeaise et David Aubert: La Prise de Bordeaux et de Noble Notre Chronique dite Saintongeaise est un document de valeur en ce qu'elle confirme parfois la description de la mise en prose par David Aubert dans sa Chronicques et Conquestes de Charlemaine, de 14 $ 8. Si notre Chroniqueur permet à Fourré de survivre à la conquête de sa ville, c'est tout simplement que, dans la suite, il traduira fidèlement le ch. X V I de Turpin où Fourré défend la forteresse de Mon jardin en Navarre contre Charlemagne. David Aubert choisira un autre expédient: Fourré meurt lors de la prise de sa ville, selon la légende ancienne et, par cette mort, il empêchera la conquête de l'Espagne par les chrétiens, ainsi que l'ange Gabriel l'avait prédit à l'empereur - selon la première branche de la Karlamagnus Saga. Chez D a v i d Aubert, ce ne sera pas Fourré qui défendra la forteresse de Monjardin, mais (comme chez Girard d'Amiens) son frère David. Dans le récit des sections 45 et J i - J 2 de la première branche de la Karlamagnus Saga, la prise de Bordeaux et celle de Noble se suivent, tout comme dans notre Chronique et chez David Aubert. Le récit norrois est très instructif: «Charlemagne est en train de guerroier en Saxe lorsque cet ange Gabriel lui apparaît et lui ordonne de libérer l'Espagne du joug Sarrasin - tout en le mettant en garde de ne surtout pas tuer le roi Fuir de . Alors le roi envoie Roland, Olivier et des troupes à Noble - tout en leur enjoignant expressément de ménager à tout prix la vie du roi Fuir. Ils arrivent à la Garonne, appelée Gerund en norrois, et là ils ne trouvent ni gué ni autre moyen de transport, et ils ne savent pas où traverser. «Alors le roi Charlemagne tomba à genou en prière et il pria que Dieu leur facilitât le passage à travers le fleuve, s'il voulait qu'ils aillent en Espagne. Et Dieu fit un miracle en faveur du roi Charlemagne: une biche blanche passa le fleuve à gué, et ceux-là chevauchèrent à sa suite. Alors le roi Charlemagne envoya Roland et Olivier en avant, et avec eux tous les meilleurs chevaliers, afin d'assiéger Nobilis. 13
R o q 62,1 J J - I 6 8 .
130
Et lorsqu'ils arrivèrent là, le roi Fuir avait organisé une grande armée contre eux. Alors Roland dit à Olivier: «Veux-tu entendre une folie, compagnon?» Olivier répond: «J'en ai entendu déjà assez; mais de quoi s'agit-il?» Roland répond: «Charlemagne, mon parent», dit- il, «nous a demandé de ne pas tuer le roi Fuir, qui n'est pas encore pris.» Olivier répond: «Ce serait une surprise, dit-il, pour qui le prend, si on peut le prendre.» Ensuite tous s'armèrent, et divisèrent l'armée en trois corps, cent mille dans chacun; Roland et Olivier étaient dans la quatrième partie. Le roi Fuir était avec sept mille chevaliers, tous bien armés et ordonnés en sept corps. Roland et Olivier piquèrent de l'éperon leurs chevaux et galopèrent les premiers, en avant de la colonne, contre le roi Fuir. Et le roi Fuir donna un coup de son épieu dans l'écu d'Olivier, si bien qu'il y resta planté. Mais Roland le vengea bien, et ficha au milieu de l'écu du roi son épieu, et traversa et l'écu et le côté, et le jeta à bas de son cheval. A cet instant Olivier frappa le roi Fuir de son épée à la nuque, à travers le heaume et la tête, si bien qu'il ne s'arrêta qu'au menton. Alors vint toute leur armée, de sorte qu'une grande partie de la gent païenne trouva la mort, de même que ceux qui étaient dans la ville; et ils prirent la ville et la surveillèrent pour le roi Charlemagne. Ensuite Roland et Olivier ainsi que toute leur armée s'en allèrent, et lavèrent et séchèrent tout le champ de bataille afin que le roi ne vît pas le sang, au moment où il serait venu. Alors il arriva à la ville déjà prise et demanda où était le roi Fuir. Roland répondit qu'il avait été tué. «Le roi fut irrité et frappa avec son gant sur son nez, parce qu'il avait donné l'ordre qu'on le lui livrât vivant«. 1 4 Dans notre Chronique, la Garonne est appelée , chez David Aubert . Au scriptorium de Ratisbonne sous Henri le Lion et la duchesse Mathilde la fille d'Aliénor d'Aquitaine, le passage miraculeux de la est bien connu. On la décrit dans l'Entrée d'Espagne résumée des premiers 360 vers du Ruolantes Liet de Chuonrat der Phafe où le nom rime avec . Dans la Kaiserchronik cependant on prend la pour une ville, on confond ce nom avec la ville de Bordeaux que baigne la rive gauche du fleuve. 1 5 Selon l'Entrée d'Espagne des Gonzague, Roland dirige la quatrième échelle lors de l'assaut contre Noble, fait que le Roman de Thèbes ne manque pas de rappeler au v. 8826 en 1 1 5 5, M. Roncaglia l'a montré. 16 La chanson de la Prise de Bordeaux et Noble telle que la reflète ces textes est donc antérieure au milieu du X l l e siècle, donc antérieure aux premières chansons de geste rimées. Voici un petit tableau synoptique des versions David Aubert et de notre Chroniqueur:
" Aeb 68,9-10. Man 68-Actes, n. 12 § 2.
15 16
R o n 6I,IBible< historique de l'époque, la Chronique de Turpin.
133
Par la suite, la rédaction originale Roland à Saragosse fut adaptée au dauphinois et remaniée à Grenoble - sans doute au cours du X l V e siècle, ainsi que M . H . E. Keller vient de le montrer. Il est difficile de déterminer la langue de la rédaction originale. Pour le moment, il suffit de rappeler que le rédacteur connaissait les environs de Saragosse et que sa scripta semble avoir contenu des éléments aussi bien occitans que de langue d'oïl, voire francopicards. Le rédacteur utilisait le mot dans le sens de lâcheté, un sens attesté uniquement en occitan, donc il pensait en occitan. Mais ce mot nous est parvenu sous la forme de sans v initial, à la manière des dialectes du N o r d et de l'Est de la France. 1 7 L a forme est du N o r d de la France, voire franco-picarde. Rappelons qu'à Saragosse, Huesca, Tudèle, Estelle et dans le quartier de Saint-Sernin de Pampelune il y avait une bonne proportion de gens qui parlaient occitan, et que Guilhem de Tudela et son collaborateur anonyme écrivirent la >Chanson de la Croisade contre les Albigeois< non pas en aragonais ou en latin mais en occitan. Les rois d ' A r a g o n dont Saragosse était la prestigieuse capitale étaient aussi les suzerains de la Catalogne et du marquisat de Provence, plusieurs d'entre eux étaient des troubadours et presque tous attiraient des troubadours à leur cour. Ainsi il existait un nombre de personnes ayant intérêt à écrire ou écouter une chanson occitane mettant Saragosse en vedette. Etant donné que le français était la langue favorite des chansons de geste, il était bon d'insérer des formes françaises dans le texte, afin de le rendre plus noble et plus «épique», sans parler du charme particulier d'une langue mixte. L a genèse de Roland à Saragosse mériterait d'être étudiée. La scène du combat au bord de la fontaine serait à rapprocher de l'épisode semblable de la Chanson d'Aspremont (R Bordeaux,
318SS.).
Il est curieux de voir que dans Roland
à
c'est Roland qui joue le rôle principal - Olivier n ' y a que faire.
C'est Roland qui se déguise en Sarrasin et combat ainsi. Dans Roland
a
Saragosse, c'est Olivier qui combat sous un déguisement sarrasin. Dans un récit analogue, la Chanson le Karlmeinet,18
d'Ospinel
à Saragosse qui nous est connue par
Olivier a le beau rôle, et dans certains récits d'Italie comme
le ms. V 7 de la Chanson
de Roland
il en est autant dans certains passages
relevés par M. A l d o Rosellini. Roland
à Saragosse se diffusa non seulement dans les domaines occitan et
franco-provençal mais aussi en Italie. O n trouve un épisode de >Orlando a Seragoza< dans la Rotta
di Roncisvalle
au chant II, strophes 4-30. Cette
chanson italienne indépendante f u t insérée au milieu du X V e siècle dans le manuscrit luxueux de Borso d'Esté à Ferrare qui contient surtout la Spagna in rima. Dans les éditions de la Spagna in rima imprimées à Venise, Bologne et ailleurs, la Rotta f u t réduite de plus en plus, car en somme c'est un corps
17 18
Kell 69,137-158, Roq 32, Roq 40, Roq 44,18-33, Roq 46, Roq 62. Aeb 60,1 I I S S . , Man 61,31 j : branche Va.
134
étranger dans la Spagna relevant d'une tradition différente. Mario Roques ayant étudié les rapports entre et les deux de Grenoble et de la Rotta, il est inutile que nous y revenions. M. Meredith Jones de son côté a signalé que l'idée du galant Roland, du Roland le Furieux, les personnages de Bramimonde et Euraque de ont inspiré en Italie les poètes les plus illustres, jusqu'à Arioste. Il est regrettable que les critiques de l'oeuvre d'Arioste n'aient jamais tenu compte jusqu'ici des judicieuses remarques de M. Meredith Jones. 19 La Chronique dite Saintongeaise était difficile d'accès jusqu'ici, dans la transcription complexe d'Auracher, ce qui explique le peu d'écho qu'elle a obtenu. C. Stade C: Entrée d'Espagne: et attribution du nom de Noble à Pampelune Selon les chansons de geste, Roland aurait conquis, à la suite de Bordeaux et de Noble, la ville de Luiserne. Rappelons à ce propos le vers de Gui de Bourgogne Il a près de .vii. ans que de Nobles partie Quant ala a Luiserna ou il encore siet.
Luiserne était encore plus éloigné de la France que Bordeaux ou même Saragosse, c'était donc le site épique idéal pour des envols d'imagination et de poésie. C'est ainsi que s'explique peut-être le transfert de certains passages de à Luiserne, la création d'un dans l'une des Entrée d'Espagne. Il est vrai que l'Entrée d'Espagne du no. $3 de l'inventaire des livres français des Gonzague de Mantoue (1407), le manuscrit Venise X X I conservé, ne contient pas l'épisode de . Sans doute ne le connut-il jamais, car ses trois lacunes se rapportent soit à Nàjera en Navarre, soit à Roland en Orient. Mais selon l'Inventaire cité il existait une autre version de l'Entrée d'Espagne, celle de , qui s'est perdue. On peut supposer qu'elle contenait un , car les deux dérivés principaux de la collection Entrée d'Espagne, la Spagna in rima20 et les Fatti di Spagna (alias Il Viaggio di Carlo Magno in Ispagna)21 contiennent chacun leur . Toutes ces oeuvres sont encore du X l V e siècle. Mario Roques a admirablement décrit les rapports entre et . Relevons seulement que dans la Spagna in rima, chant X X V I I , strophes 19-22, Roland quitte Pampelune pour aller vers l'Espagne (donc dans cette optique, vers le Léon et la Castille, vers l'Ouest) pour aller à Lucerna, mais là de nouveau on parle d'un grand fleuve.
19 20 21
Cat 3 9 , 1 1 1 , 2 4 1 - 2 4 8 ; Dio 5 9 , 2 0 7 - 2 4 : , Roq 62, Rugg 6j,2765s., Mer 38,I6OSS. Cat 39, 1 1 , 3 9 3 - 3 9 3 , c - X X V I I , ott. 1 9 - 2 2 . Rugg 5 1 , 9 8 - 1 1 3 ; Man 64,629s.
135
Or Lucerna, une ville détruite dans la suite, était située au bord du lac de Sanâbria (Leon), et non pas au bord d'un fleuve comme Saragosse. 22 Au stade A, la première branche de la Karlamagnus Saga, David Aubert et notre Chronique dite Saintongeaise relatent la Prise de Bordeaux et de Noble avec des scènes particulièrement intéressantes sur remonte à Jean Gras et son confrère le trouvère Gautier. Rappelons qu'on connaissait fort bien le Roman d'Alexandre dans les milieux gallo-romans de Pampelune, on disposait même d'une version navarraise écrite au X H I e siècle. Or l'inspiration alexandrine de l'Entrée est manifeste. L'esprit de tolérance et d'amitié entre les populations chrétiennes et mahométanes en Espagne avait favorisé l'éclosion d'un personnage dénommé Mudarra, héros épique des chrétiens de l'Ibérie qui fut mahométan de naissance. Ainsi que R. Menéndez Pidal l'a montré récemment dans un article posthume dans les Mélanges Rita Lejeune, la légende de ce héros Mudarra du Portugal s'est greffée sur celle du Galien telle qu'on la trouve dans le Galien français et dans le Ronsasvals occitan du manuscrit d'Apt pour donner un franco-italien né mahométan dans le royaume islamique du Portugal. 24 Par son étude le grand romaniste espagnol met en vedette le «couloir épique» qui relie la péninsule ibérique et sa coexistence arabe — espagnole - occitane au grand domaine des enthousiastes de la littérature occitane, domaine qui comprend notamment les centres de provençalistes du X I V e siècle: Padoue, Ferrare, Mantoue et Florence. Même si Jean Gras de Navarre et Gautier d'Aragon ont bel et bien existé comme hommes en chair et en os, le rôle de poète et de créateur du Padouan anonyme qui a refondu et développé l'Entrée d'Espagne originale est indéniable. C'est sans doute lui qui a inséré l'esprit courtois dans la chanson de
23
Néophilologus 3 (1918), T h o
24
13, v.
241SS.,
Béd.
12, II,120,
T h o i 3 , I , i v ; Jean et Gautier:
2779SS.,2810,2930.
R a m ó n Menéndez Pidal dans: Mélanges R. Lejeune, Gembloux, 1969, I,494ss. 138
geste,25 c'est lui qui a inventé ou développé le rôle de Désier le roi des Lombards, c'est sans doute lui aussi qui a manifesté sa haine de bon Padouan pour les hordes de guerriers impériaux germaniques en introduisant des Allemands détestables dans l'épopée. Grâce à sa culture classique élevée, il a su relever le niveau de l'épopée et lui donner son éclat tout italien. Rien de plus naturel en Espagne que de mettre en vedette les villes de Saragosse, de Pampelune et de Lucerna en y transférant des épisodes galants et héroïques de la vie de Roland et de ses compagnons. Notre Chronique de Bordeaux sert de témoin ancien du stade archaïque A . Elle nous permet de suivre l'évolution ultérieure à travers les pays et les siècles. On peut se demander à quelle date la Prise de Bordeaux et de Noble qu'elle contient fut rédigée. Sans doute est-elle antérieure aux années 1 2 0 5 - 2 0 de la Chronique. Nous avons des raisons de croire qu'elle est antérieure aux années 1 1 2 0 - 3 o. 26 En conclusion, M M . Robert Guiette et Paul Aebischer ont tous les deux raison, bien qu'ils défendent des points de vue différents: M. Guiette, éditeur des prend le point de vue du stade A (Dax) représenté dans cette oeuvre. M. Aebischer au contraire, éditeur d'un fragment capital de l'Entré
d'Espagne,
défend la perspective de
celle-ci. 25
Anna Maria Finoli dans Cultura Neolatina X X I (1961), 175SS. Voici un tableau de l'Entrée d'Espagne complète: I Rolant et Ferragut, éd. Thomas, v. 1-4214. Dédicace à saint Jacques de Compostelle, fondé sur Jean Gras de Navarre et Gautier d'Aragon, indirectement le ch. 17 de Turpin. Padouan anonyme. II. Siège de Pampelune, v. 421 J - I I 137, par Padouan anonyme, inspiré par Jean Gras et Gautier. Contient la Prise de Pampelune camouflée sous le nom de , v. 6678-6767, 9410-10938. Dans autre version peut-être: . III. Roland en Orient, v. 1 1 1 3 8 - 1 5 3 2 2 , par Padouan anonyme; lacune de plusieurs quaternions dans le manuscrit. IV. Prise de Pampelune, v. 15323SS. par Nicolas de Vérone, de Padoue. Seuls les 31 premiers vers conservés. Première partie de la par Nicolas. V. Prise du reste de la Navarre, manuscrit Venise V, éd. Mussafia sous le titre erroné , 1864. Deuxième partie de la Nicolas. (VI. Bataille de Roncevaux. A la fin du ms. Venise V, mention ).
La Spagna in rima, Spagna in prosa, Spagna magliabecchiana ne s'inspirent que des parties I—III et ajoutent une partie VI, soit selon la Rotta, soit selon d'autres sources. Les Fatti di Spagna s'inspirent de I - V I (Les Fatti parlent de Noble dans Rugg $1,46-53). 28 La Prise de Bordeaux et de Noble originale devait être antérieure à 1124, car la Prise de Noble a été adaptée à la mode de la prise d'une ville comme à Jéricho pour une que nous connaissons par ses traductions partielles en norrois et en latin. En norrois, dans la Karlamagnus Saga branche V, prise de Nobilis aux ch. 1,8-9. En latin, au ch. X X X I I I de la Chronique de Turpin, v. Man 65,94 et n. 1 ; Turpin interpolé, 332.8ss.; cf. aussi Smy 37, 49 et n. 3; Man 61,81 et n. 142,78; Aeb 67,1415s., Aeb 68,1-32. I
}9
Peu à peu les «couloirs épiques» rayonnant de la France du Nord et de l'actuelle Wallonie vers les pays riverains de la Mer du Nord et vers Bordeaux sont mis en lumières, tout comme les «couloirs épiques» menant de Bordeaux à Saragosse et Pampelune, et de là à Grenoble et en Lombardie. Dans le cadre de ces itinéraires épiques européens, la Chronique dite Saintongeaise tient une place de choix. 4. Le substrat épique de la Chanson de Roland L'une des légendes les plus curieuses relatives à Roland est celle de son agonie et le lancer de l'épée qui lui avait tant servi dans un cours d'eau afin qu'elle ne tombe aux mains des Sarrasins. Cette légende se trouve au chapitre 39 de la Chanson de Roland norroise de la Karlamagnus Saga. Ici seul Charlemagne peut arracher Durendal du poing du cadavre de Roland et il la jette dans un cours d'eau où elle s'abîme pour l'éternité. Or Roland est appelé dans la Chanson de Roland, et dans notre Chronique c'est le chadaigne Landri de la Vau do N é qui jette son épée à l'eau avant de mourir «car il ne voloit que li Sarrasin l'eussont» (287.17s.). Rappelons que d'après la section 36 de la première branche de la Karlamagnus Saga, c'est Landri, le , qui donne Durendal à Roland. 27 Au stade , dans le Ronsasvals, c'est dans un lac que Roland jette son épée pour éviter qu'elle ne soit utilisée par les Sarrasins. Au stade C, dans le Morgante de Pulci, c'est dans la mer que l'épée est jetée. Inutile d'ajouter qu'il n'y a ni lac ni mer au faîtes des Pyrénées, à Roncevaux. Nous observons ici une gradation curieuse qui rappelle celles que nous avons signalées précédemment. On trouve en somme dans les Gestes de Charlemagne norroise et galloise, dans les oeuvres sur Charlemagne et Roland de la périphérie de la France, notamment en Germanie, en Wallonie, à Bordeaux et dans les Pyrénées ainsi qu'à Grenoble et en Italie du Nord, des traces concrètes d'un état primitif de la Chanson de Roland. Il devait y avoir un diptyque littéraire rolandien offrant un premier volet sur l'Entrée d'Espagne qui préparait divers aspects dramatiques de la «bataille de Roncevaux>, et la Chanson de Roland proprement dite. Dans bien des cas, le premier volet était trop bien connu dans la France centrale, dans l'Angleterre francophone, de sorte que les jongleurs pouvaient se concentrer sur le deuxième volet plus tragique et donc plus beau, comme dirait Musset. Ceci n'est pas une raison pour nier l'existence d'une Entrée d'Espagne dans l'ensemble primitif. Toutes les allusions de la Chanson de Roland aux prises de Noble et de Cordes, à l'ambassade tra27
ce nom de de la Saga signifiant est curieux, cf. Entrée d'Espagne, v. 2257,6540: catan. Le terme occitan est . cf. it. Schlofihauptmann selon F E W 11.1,256a.
140
gique de Basin et Basile à Sarragosse, etc. suffisaient comme rappels à de longs récits antérieurs. Sans ceux-ci les allusions étaient sans intérêt. C'est pourquoi M. Paul Aebischer a tenté notamment en 1968 de se constituer une image de cette Entrée d'Espagne. Elle devait contenir avant tout les trois épisodes suivants: 1. Prise de Noble 2. Mort tragique des ambassadeurs Basin et Basile à Sarragosse 3. Les amours de Roland et de sa belle-mère Geluviz, la deuxième femme de Ganelon qui l'avait séduit en cachette, explication de la haine mortelle entre Roland et Ganelon. 2 8 L a Prise de Noble ne se trouve que dans la périphérie, nous l'avons montré, dans les textes norrois et dans notre Chronique, chez D a v i d Aubert. L a mort de Basin et Basile à Saragosse n'est conservée que dans le ms. Peniarth 7 de la Bibliothèque Nationale de Galles à Aberystwyth, dans le ms. également gallois de Hergest à O x f o r d , dans la version A a de la K a r l a magnus Saga (première branche) et dans l'oeuvre de Nicolas de Vérone citée. Le texte norrois est le plus laconique, celui des Gallois plus étendu, celui de Nicolas le plus développé. Le péché de Roland et la femme de Ganelon sa belle-mère ne s'est conservé que dans la Saga, et là seulement dans la version A a . Les rédacteurs très religieux de la version tardive Bb en Islande l'ont écarté, peut-être pour des raisons de morale. De même le péché d'inceste entre Charlemagne et Berte sa soeur, la mère de Roland, n'est relaté que dans la périphérie, dans l'atelier de la Kaiserchronik et du Ruolantes Liet de Ratisbonne on n'y fait qu'une brève allusions à propos de saint Gilles qui a absout l'empereur de son grave péché bien qu'il ait refusé de le confesser. Cet épisode un peu scabreux n'a été conservé que dans la périphérie, Mme Rita Lejeune l'a montré. 29 Sans doute y avait-il à l'origine un diptyque littéraire composé d'une Entrée d'Espagne suivie d'une Chanson de Roland, puis chacune des parties aurait suivi son chemin à lui, comme il arrive dans les cas de bien des diptyques artistiques ou littéraires. Oeuvre de périphérie, notre Chronique fait le pont entre le N o r d et l'Ouest de l'Europe et le N o r d de la France d'une part et l'aire occitane-italienne de l'autre.
28
29
L e j 6 6 , 1 ; II, pl. 2 7 (Cosmedin), pl. 7 1 , fig. 73 (appelée 7 4 ) sur Brindisi, pl. 4 4 , 1 7 , 1 1 7 ; Ross 6 8 , 4 9 , 5 3 , 5 5 ; M a n 69-Actes. L e j 66, cf. Rita Lejeune dans: Actes du I V e Congrès de la Société Rencesvals, Heidelberg, août-septembre 1 9 6 7 . Winter, Heidelberg, 1 9 6 9 (Studia romanica hrsg. v. K . Baldinger, G . H e s s , H . R . Jauss, E . K ö h l e r ) , 9 - 2 7 ; M a n 6 1 , 2 2 1 2 8 3 , surtout 2 6 8 - 2 8 3 ; M a n 69-Aspremont, Conclusion.
141
XI. C H R O N I Q U E DE
TURPIN
En 1961 nous avons montré que le modèle principal turpinien de notre Chronique dite Saintongeaise était la traduction française de Nicolas de Saint-Lis rédigée entre 1 1 9 5 et 1205 pour Hugues I V de Camdavène et son épouse Yolande, le comte et la comtesse de Saint-Pol. C'est en 1 1 9 5 que Baudoin V de Hainaut laissa à sa mort son manuscrit latin du Livre de saint Jacques avec Translation et Miracles de saint Jacques plus Chronique de Turpin remaniée et embellie à Mons (M2*) à sa soeur Yolande de Saint-Pol née de Hainaut. Avant 1205 Nicolas se chargea de la traduction de la Chronique de Turpin de ce manuscrit. 1 Sans doute en 1 1 8 4 et en tous cas avant la mort de Barberousse en 1190, Baudoin V de Hainaut avait fait don à cet empereur d'une copie de son manuscrit M2* avec récits sur saint Jacques et Turpin, et ce texte nous est conservé dans le manuscrit Madrid 1 6 1 7 (M2S-Smyser) publié en 1937 par Hamilton Smyser. 2 Grâce à cette édition nous connaissons le modèle exact latin de Nicolas. En outre nous connaissons trois dérivés de sa traduction, l'une notre Chronique dite Saintongeaise, l'autre la chronique de Willem de Briane que nous avons publiée en 1963, et en troisième lieu le Turpin de la Chronique des Rois de France du Ménestrel d'Alphonse de Poitiers (1250-70) que nous avons découvert depuis.3 Le modèle latin et les rejetons littéraires de la traduction de Nicolas nous permettent de nous faire une idée assez précise, dans bien des cas, de ce qu'elle a dû être. La connaissance du modèle turpinien français du Chroniqueur dit Saintongeais nous permet à son tour de mieux apprécier l'effort d'adaptation linguistique et littéraire de celui-ci. En examinant nos travaux de 1961 et 1963 à ce sujet, M. Jan Short fit l'observation suivante dans sa thèse de doctorat de philosophie (Ph. D.) de l'University de Londres de 1966: il est possible et même très probable que le modèle commun de Willem de Briane et de la >Chronique dite Saintongeaise< n'était pas écrit en français mais en latin. Donc Briane ne s'est pas fondé sur la traduction de Nicolas mais sur le modèle latin de celui-ci qui devait
1
2
3
Man 61,93-104, 296,369-372 surtout section 2b.; Man 6 3 , 2 5 - 3 1 ; Raynouard I, x x i ; Par 47,7415s.; Par 6$-PT, 44—5 y ; Mer 38,178; Wol 64,245s. Rou 95,474. Smy 37 (variantes «M» en note représentent les variantes du ms. Madrid 1 6 1 7 portant le sigle M2S-Smyser dans notre liste, Man 61,370 § 2b. v. ch. X I . 2 ci-dessous.
142
offrir déjà toutes les variantes ou erreurs communes qui unissent les deux textes. Cette hypothèse est digne d'un examen approfondi. A ce propos nous examinerons 13 cas témoins. En second lieu nous étudierons les rapports existant entre la traduction de Nicolas de Saint-Lis et le Turpin de la Chronique des Rois de France du Ménestrel d'Alphonse de Poitiers. En troisième lieu nous explorerons les liens qui rattachent les Grandes Chroniques de France de Primat de Saint-Denis à la Chronique du Ménestrel et indirectement à Nicolas de Saint-Lis. Ainsi nous obtiendrons de nouvelles données sur la diffusion de la traduction de ce personnage. 1. Le modèle commun de Briane et du Chroniqueur était-il une version latine ou une traduction française? Notre premier objectif est d'examiner la nature de 13 variantes communes existant entre le texte de Willem de Briane et celui du Chroniqueur dit Saintongeais. Est-il exact que ces variantes communes représentent des transformations issues du processus de traduction, dans bien des cas? Est-il juste que dans d'autres, les quiproquos commis par Briane ou le Chroniqueur ne furent possibles que si ces copistes ont eu un texte français sous les yeux? Nous avons arrangé les 1 2 variantes en trois groupes: I. Le modèle commun introduit de nouveaux éléments en fonction d'une source extérieure. Il peut s'agir indifféremment d'un modèle commun latin ou français. Cas a et b. II. Il existe non seulement identité d'une pensée supplémentaire, mais aussi identité d'expression - et ce qui est plus, une expression dépendante du pronom français . Favorable à la thèse d'un modèle commun français. Cas c, d, et e. III. Cas motivés par le processus de traduction ou de copie basé sur un modèle commun français. Favorable à la thèse d'un modèle commun français. Cas f-m. I. Dans certains cas, le rédacteur du modèle commun fait entrer dans son Turpin des éléments absents dans toutes les autres versions de la Chronique. Ce modèle commun peut être soit latin, soit français. a) Le rédacteur du modèle commun a puisé dans la légende de saint Torquat pour compléter le texte turpinien: il ajoute que l'abre de ce saint fleurit le 15 mai de chaque année, en une nuit ou du soir au lendemain.4 b) Le rédacteur du modèle commun remplace un passage turpinien emprunté à l'évangile selon saint Marc par la variante correspondante ex4
Briane, 130 (dans Man 63); Turpin interpolé, 267.11SS.; cf. Mer 36,99.1 et. p. 288. Nous devons cet apport à la thèse de M. Jan Short, London University College 1966.
143
traite de l'évangile selon saint Mathieu qui accentue le rôle de Marie la mère de Jésus. 5 II. Cas avec identité de pensée et d'expression c) La phrase «NOCTE ILLA RÉTRO REDIERUNT IN CAMPUM BELLI» du chapitre X V de Turpin est rendue ainsi par Briane: «e s'en emblerunt la nust de le oost. .. e vindrunt la ou la batayle avoyt esté». Comparons ce passage à celui du ms. 5714 de la Chronique: «quar en icela nuit s'enblerent de l'ost e vindrent on champ or la batalie avait esté».6 d) Dans la Chronique de Turpin le duel judiciaire de la scène du jugement de Ganelon se produit comme dans la Chanson de Roland entre Thierri et Pinabel. Thierri se bat PRO SEMETIPSO dans la Chronique, comme garant de Roland dans la Chanson. Or aussi bien Briane que notre Chroniqueur dit Saintongeais suivent à ce propos la leçon de la Chanson de Roland qu'ils insèrent dans leur traduction basée sur Turpin; Briane écrit «E pur ce s'en armerent deus chivalers Terry pur Rollant et Pynabel pur Genyloun», alors que le Chroniqueur dit «Maintenant si -n en pridrent batallie dui chevalier: Pynebeus per Guanelon Terris per Rollant, car Rollanz l'avoit feit chevalier.» 7 Ajoutons que dans le texte latin, Pinabel est écrit PINABELLUS avec i, alors que Briane et notre Chroniqueur écrivent tous les deux le nom avec y. L'emploi fréquent de en dans le modèle commun se manifeste très souvent aussi bien chez Briane que chez notre Chroniqueur, ce qui mène à des formes comme en enrencevaus, en engalice, de engalice dans les textes postérieurs (v. ch. X I . 2 sur le Ménestrel qui suit la même tendance qui s'inspire du même modèle commun). Dans notre édition de Briane en 1963 nous avions émis l'idée que seul Briane remplaçait PRO SEMETIPSO par pur Rollant de sorte que ce changement nous apparaissait comme dû à l'intervention de Briane. Aujourd'hui nous devons réviser cette opinion: c'est sans doute le rédacteur du modèle commun de Briane et du Chroniqueur (Nicolas) qui s'est inspiré de la Chanson de Roland pour »corriger« la Chronique de Turpin dans ce cas unique. e) Dans un autre cas, le rédacteur du modèle commun ajoute la phrase emmena (ou en mena) en Espaigne. Voici le texte latin: «eo quod omnes cives illius in Runciavalle gladio perierunt». Briane interprète ceci de la manière suivante: «pur ço ke il en mena en Espayne totes les gens e furrent occys en Rencevaus». Chroniqueur: «per ço que . . . car il en mena toz les homes avoec lui e tuit furent martyr en Ronscevaus». Il est vrai que les mots en Espagnie manquent ici, mais on les trouve dans le Turpin du 5 6 7
Smy 37, X X I V . 3 2 ; Briane, 8 j $ s . ; Turpin interpolé, 312.11s. Smy 37, X I X . i s . ; cf. Mer 3 6 , 1 4 3 . 2 1 ; Briane, 579s.; Turpin interpolé, 302.9. Briane, 1171SS.; Turpin interpolé, 323.6ss.; ms. J 7 1 4 : tel qu'il en existait beaucoup au moyen âge, ou par un autre moyen engageant un sort; en outre, il a remplacé le présent de (ou ) par un passé indéfini. Or, ce sont les traducteurs qui passent facilement d'un temps à l'autre, en traduisant le latin 8
8
10
Smy 3 7 , X I I I . 2 2 ; Briane, 3 7 8 S S . ; Turpin interpolé, 2 9 5 . 1 9 ; v. ch. XI.2 ci-dessous, Ménestrel, ms. MC JI ou Berne 607. fo. 92c]. Smy 3 7 , V l l . i é n . ; Briane, 2 0 2 S S . D'après l'édition de Willem de Briane par M. Jan Short, il faudrait mettre non pas au vi} comme nous l'avions indiqué dans notre édition de 1963, mais au wi} avec un w, à la manière anglo-normande. Turpin interpolé, 2 7 0 . 1 5 : Des apparaît souvent à côté du cas-objet Dé pour le latin D E U S - c'est la forme habituelle entre Vienne et Charente. Smy 3 7 , X X X I V , 4 2 ; Briane, 1 2 8 7 , Turpin interpolé, 329.19; Me Jehans LXXXVII.4.
I4i
en une langue vulgaire: et ce sont encore eux qui remplacent volontiers le présent (historique) qui sied au latin, par une passé (composé) convenant mieux au français. Briane mentionne: «Les Sarazyns diunt e unt
sorty»,
alors que notre Chroniqueur indique: «ço avoient il sorti». Ajoutons que le verbe sortir n'est pas fréquent en français médiéval. Il serait curieux que les deux, Briane et le Chroniqueur, par pure coïncidence, utilisent une forme identique au même endroit, pour rendre une circonlocution latine. 1 1 i) En un certain passage, les deux rédacteurs, Briane et le Chroniqueur, ajoutent ces trois mots en ce siècle: et . C'est de nouveau le traducteur qui a ajouté ces mots, en v r a i diffuseur désirant expliquer autant que traduire. 1 2 k) A propos de la description de la fresque de la musique au palais impérial d ' A i x , (chapitre X X X I ) il est parlé de grands mystères, un mot proche de en traduisant
MAGNA MIISTERIA
qui veut dire
MAGNA MYSTERIA,
MAGNA MINISTERIA.
facilement, commettre une erreur d'interprétation, prenant un
C'est
du latin que notre rédacteur du modèle commun a pu, très
MINISTERIA,
MYSTERIA
pour
et rendre ceci par ou comme
on le trouve chez Briane et le Chroniqueur. 1 3 1) A u chapitre X V I I I de Turpin il est dit que la
TERRAM PORTUGALLORUM
avait été attribuée aux Danois et aux Flamands. Le terme géographique latin est habituellement traduit en français par Portugal tingal.
Les Grandes
Chroniques
ou Portigal, Por-
mettent « . . . la terre de Portigal
aus
D a n o y s et aus Flamens». Cependant, le traducteur du modèle commun français de nos deux textes a eu l'idée de séparer de sauter le dernier élément,
PORTU
de
GALLORUM
tout en mettant le premier au génitif.
et
C'est
ce qui il est arrivé à la traduction , texte fidèlement copié par Briane et légèrement adapté par le Chroniqueur à son langage , texte conservé dans les mss. 5714 et Lee, ou comme dans le ms. 124. Le est représenté par au ch. III (267.20-23), mais tombe plus loin au ch. X V I I I (31 I.J). Même si Briane et notre Chroniqueur avaient tous deux eu le terme latin tellus Portu Gallorum
devant les yeux, il est très peu vraisemblable qu'ils
soient tombés indépendamment sur le même type excentrique de traduction , et qu'ils aient tous deux omis la traduction du terme Gallorum.u m) Pour terminer, revenons à un exemple présenté plusieurs fois ailleurs : Pour traduire le nom de
BITERRENSIUM
du ch. V de Turpin, les Grandes
Mer 36,102.11; Smy 37, VI.18; Briane, I6J; Turpin interpolé, 269.9s. Mer 36,204.16; Smy 37, XXVII.55 ; Briane, 1136; Turpin interpolé, 322.2. 13 Smy 37, X X X I V . 2 7 ; Briane, 1276; Turpin interpolé: 328.17 et n. 3. 14 Smy 37, XXIII.9; Briane, 831; Turpin interpolé, ms. 124,31 I.J n (les autres mss. mettent avec z). 11
12
146
Chroniques de France mettent Bediers,15 alors que la version occitane que nous croyons être du Quercy, le ms. 15a, met Bezers-16 Ce sont là les traductions normales et correctes. Briane et notre Chroniqueur, au contraire, mettent Borges ou Beorges, c'est-à-dire la ville de Bourges. Comment s'expliquer cette erreur? Par le modèle du traducteur qui, en l'occurrence, indiquait bitenensium et que le traducteur a cru devoir interpréter comme biturigum, soit Borges, l'actuel Bourges.11 Surtout les dix dernières variantes furent le résultat d'une traduction, d'une transformation linguistique du texte. Le modèle commun de notre Chronique, de Briane et du Ménestrel fut donc une traduction française et non un texte latin. Cette traduction fut sans doute celle de Nicolas de Saint-Lis rédigée à Saint-Pol. Avec cette translation, Nicolas inaugura toute une série de traductions turpiniennes en prose française (1.). 2. Après 1205, en 1206, Maître Jehan de Boulogne traduisit une version C de la Chronique de Turpin en prose française pour Renaud de Dammartin, comte de Boulogne. 18 Non seulement il s'inspira de la traduction de son voisin de Saint-Pol également en Picardie pro-Plantagenêt pour mettre Borges comme traduction erronée de BITERRENSIUM, mais aussi il s'inspira de l'introduction de Nicolas en faveur de l'historicité et de la véracité de la prose et pour la lisibilité et la diffusion majeure de la prose vulgaire (ms. C J 3*). Peu après la traduction de Maître Jehans fut remaniée stylisitiquement par Pierre de Beauvais (ms. C J 15), clerc qui traduisit en 1 2 1 2 la du ms. M2 de Baudoin V Yolande de Saint-Pol, avec dédicace à la comtesse Yolande. 19 3. Après 1206 Pierre de Beauvais copia le début de la traduction turpinienne de Maître Jehans de Boulogne pour le placer en tête de son Pèlerinage de Charlemagne en prose dédicacé à sire Willem de Cayeux (mort en 1214). 4. Plus tard un diffuseur a remanié le premier chapitre de la traduction originale de Maître Jehans de Boulogne en y insérant un résumé du Pèlerinage de Charlemagne en prose de Pierre de Beauvais et en commettant certaines erreurs de copie (ms. C J 20*). 5. Plus tard encore, mais encore avant la mort de Philippe-Auguste en 1223, un clerc remania et expurgea la traduction remaniée de Maître Jehans
15
v. Mor
16
v. M a n 6 1 , 3 8 6 ms. C
17
Smy 3 7 , V I . 2 9 n.; Briane, 1 7 8 ; Turpin interpolé, 2 6 9 . 1 9 ; cf. Mer 3 6 , 1 0 5 . 6 . Comme dans le cas h) cité ci-dessus, Me Jehans de la cour de Boulogne offre une leçon voisine ou identique: il met Boorges. v. Man 6 3 , 2 6 § 3 .
4 1 , III,i3
(comme dans Aimeri de Narbonne, 15a; Man
cf. Lan
04,95:
Besiers).
63,26.
18
Man
19
A . de Mandach, Le modèle et la méthode de Pierre de Beauvais dans son Livre de saint Jacques (sous presse), Max Berkey dans: Rom. 8 6 ( 1 9 6 5 ) , 7 7 - 1 0 3 , Rom. Phil. 1 8 ( 1 9 6 5 ) , 3 8 7 - 3 9 8 , Spéculum 4 1 ( 1 9 6 6 ) , 5 0 5 S S .
61,389.
147
pour sire Michel de Harnès et son roi, Philippe-Auguste, le vainqueur de Bouvines (ms. C J 100*). 2 0 Les indications (ms. C J 3*), (ms. C J 20*), (ms. C J 100*) se rapportent à notre classification des manuscrits de la Chronique de Turpin de 1 9 6 1 , p. 3895s. A cette époque nous n'avions pas encore analysé la position des écrits de Pierre de Beauvais. Personne jusqu'à présent n'a établi l'ordre chronologique de la chaîne de traduction en prose française entre 1205 et 1 2 2 3 , de sorte que M M . Woledge et Clive ne pouvaient pas s'en douter dans leur liste des premiers textes littéraires en prose française, en 1964. Cette liste met en vedette l'oeuvre des deux clercs ayant travaillé pour la comtesse Yolande entre 1200 et 1 2 1 2 , Nicolas de Saint-Lis et Pierre de Beauvais. Une comparaison des variantes de chaque version avec celle qui fut utilisée en 1 4 5 8 par David Aubert permet de voir que celui-ci s'est inspiré de la quatrième version, de la version remaniée de Maître Jehans que nous appelons le ms. C J 20*. Un examen des divers rejetons de C J 20* avec le texte de David Aubert montre que ce clerc qui travaillait alors à Hesdin et environs suivit le ms. C J 2 2 (B. N . fr. 5 7 1 3 ) qui appartenait alors à Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol, ville située à 22 kms de Hesdin. 21 On peut imaginer que David Aubert a également employé d'autres ouvrages épiques de la bibliothèque de Saint-Pol de si riche tradition. A u X l l e siècle déjà Graindor de Brie avait remanié la Chanson de Saint-Pol, en 1 1 9 7 on y écrivit le roman Guillaume
d'Antioche de Palerne
pour la cour en l'honneur
de Guillaume II de Sicile, le propre beau-frère de Richard Coeur de Lion, sire de Hugues I V de Saint-Pol. C'est dans cette ambiance favorable aux Deux-Siciles, à Saint-Pol, on le sait, que fut rédigée la Bataille
Loquifer.
A v e c Beauvais et Boulogne, Saint-Pol contribuait à l'essor épique de la Picardie. Voyons si l'influence de la traduction turpinienne de Nicolas de Saint-Lis ne s'est pas étendue vers la région de Poitiers.
2. Le Ménestrel d'Alphonse de Poitiers, adaptateur de Nicolas de Saint-Lis Par hasard, nous avons pu découvrir la traduction turpinienne insérée par le Ménestrel d'Alphonse de Poitiers dans sa Chronique France
20 21 22
de 1 2 J 0 - 7 0 . 2 2 En général, le Ménestrel suit la Chronica
des Rois Regum
de
Fran-
Man 61,391 § jb. Man 61,389, bas de la page, 314. La Chronique des Rois de France du Ménestrel d'Alphonse de Poitiers: les mss. Après avoir trouvé un Turpin dans la Chronique du Ménestrel, nous l'avons signalé à un jeune turpinien M. Jan Short de l'Université de Hull tout en lui envoyant la photographie du Turpin de Berne 590, suggérant qu'il envisage peutêtre une édition. De son côté M. Short a obtenu des résultats remarquables : il a découvert qu'il existe deux rédactions diverses du Ménestrel, et il a su dépister un nouveau ms. à Paris (ms. M C j 2 ci-dessous). En attendant des détails sur la 148
corum
ad annum
1214
rédigée dans le milieu de Robert de Saint-Marien
d'Auxerre. 23 Celle-ci contient un Turpin
abrégé, jusqu'ici inconnu des spé-
cialistes de la Chronique de Turpin - de la version C mise à la mode dans le milieu de Richard Coeur de Lion (et diffusée en français par Maître Jehans). Or pour son Turpin, le Ménestrel a suivi tantôt la version latine « C " de la Chronica,
tantôt la traduction française du type et de la plume de Nicolas de Saint-Lis. différence entre les deux rédactions, nous publions ici une simple liste qui n'en tient pas compte. M C 51
Exemplaire de dédicace au comte Alphonse de Poitiers et de Toulouse. 1. Berne, Bibl. des Bourgeois 607.1250-70. Chronique menée jusqu'à la mort du père d'Alphonse, le roi Louis V I I I , eni226. 2. Copiée de M C 50* par un scribe parfois peu méticuleux qui se laissait influencer par son parler régional. 3. 172 fos. conservé, sans compter 20 fos. au moins de perdus. Turpin: fo. 8ob-i2ob (c'est le texte que nous citerons toujours ci-après). Passa sans doute à la mort d'Alphonse de Poitiers à son neveu et héritier, Philippe I I I le Hardi. Exemplaire qui servit de modèle a) au texte du prologue, b) d'une partie du Turpin et c) à la miniature-dédicace du ms. de dédicace à Philippe I I I le Hardi en 1174 (ms. Sainte-Geneviève fr. 728). Miniature de M C J I : Ménestrel agenouillé devant Alphonse assis sur son trône et flanqué de deux évêques et d'une suite, offre un livre à son seigneur. Miniature du ms. Sainte-Geneviève 728: Primat agenouillé devant Philippe I I I assis sur son trône et flanqué d'évêques et de sa suite. Le ms. brouillon personnel de Primat (comme ses copies plus méticuleuses) aurait été été meilleur et plus exact que la copie de luxe pour le roi Philippe. Le ms. passa au milieu de Henry V I roi d'Angleterre, soi-disant roi de France, vers 1431, donc après la Prise de Paris par les Anglais; plus tard le ms. passa dans les mains de diplomate-bibliophiles d'Henry IV envoyés à Rome: Jacques de Dion, et Jacques Bongars dont la bibliothèque passa à celle de Berne en 1636. Encore sans table généalogique des rois; mène de Troyes et Pharamond à la mort de Louis V I I I .
MC j2
Paris, B. N . 2815. 1. Histoire de la Gaule de Clovis au couronnement de Philippe le Bel (1285), en partie d'après le Ménestrel. Turpin du Ménestrel aux fo. i/d~4}a, ligne 1. En outre, ch. X X du Turpin d'après Maître Jehans (ou une rédaction dépendante de sa version, p. ex. celle de Pierre de Beauvais), fo. 47bc. 2. Enfances de Jesu Crist, fo. 1 9 1 - 2 3 1 . chanson de geste de env. 6700 vers. Ms. probt. du règne de Philippe le Bel ( 1 2 8 J - 1 3 1 4 ) , roi de France qui choisit Charlemagne comme modèle, v. Short 69,9.
M C $3 1. Berne, Bibl. des Bourgeois J90. Début du X l V e siècle, Picardie. 3. Suivant la tendance habituelle, on a placé une histoire allant de la Création à l'histoire de l'antiquité grecque et romaine et jusqu'à Pharamons en tête de la Chronique des Rois de France originale, afin de créer une Histoire Universelle. Chronique des Rois menée jusqu'en 1 1 2 6 plus phrase se rapportant au début de 1226/27 (pape). Suivie d'autres textes. Turpin absent en raison d'une grosse lacune entre les fos. 60 et 61. Table généalogique des rois de France suit la Chronique propre149
C o m m e Nicolas, il ajoute que Thierri était le garant de R o l a n d lors de son duel justicier contre Pinabel (critère d); nous avons déjà mentionné son addition de
à propos d'Angelier (critère f). Il ajoute
en cest siecle dans le planctus de Charlemagne pour son neveu (critère i) et il rend BITERRENSIUM p a r Boorges Chronica,
(sic) (critère m). 2 4 Si le rédacteur de la
et le Ménestrel après lui, n'avaient pas sauté plusieurs chapitres
contenant d'autres passages-critères, il y aurait sans doute plus de variantes du type introduit p a r Nicolas. Comme le T u r p i n de la Chronica
Regum
Francorum
( C 50*), celui du
Ménestrel ne reproduit ni l'Epitre P r é f a t o i r e de T u r p i n à Leobrand d ' A i x , ni l'introduction du chapitre premier sur les conquêtes supposées de C h a r l e magne - y compris l'Angleterre. D e même que la Chronica,
le Ménestrel ne
copie pas le T u r p i n au-delà du ch. X X I X : le ch. X X X porte Saint-Denis aux nues, on le sait, et la Chronica n'est pas particulièrement f a v o r a b l e à Saint-Denis; au contraire, on le sait, Robert de Saint-Marien est entré dans l'ordre de Prémontré. D ' a u t r e part, la Chronica,
et le Ménestrel à sa suite, sautent la Prolongation
de la Disputation R o l a n d Ferragut et le Portrait de Charlemagne, les ch. ment dite. Passa à l'abbaye de Fleury, puis, au X V I e siècle, à Pierre Daniel et à Jacques Bongars. M C 5 7 1. Paris, B. N . fr. 5700. X I Y e s. 3. Chronique proprement dite, comme dans M C 5 1 . Table géncal. des Rois; texte en français de l'Ile-de-France (standardisé). Miniatures moins archaïques que celles de M C 5 1 . n i fos. Histoire menée de Pharamond à 1226. M C 5 9 1. Paris, B. N. fr. fond Jean-Pierre Mariette, cote inconnue (notre enquête au Cabinet des Manuscrits a été vaine). 3. Utilisée par Dom Bouquet dans son Recueil des historiens de la France. Graphie française standardisée. Fut propr. de l'abbé de Camp avant de passer dans la bibliothèque de Mariette. M C 6 1 1. Genève, Bibl. Publ. et Univ., fr. 81. milieu du X l V e s. 3. fo. 1 - 5 2 : Chronique des Rois de France proprement dite précédée d'arbres généalogiques; ensuite Pharsale de Nicolas de Verone (Ferrare, 1343); éd. Wahle; graphie italienne. 23
Les manuscrits de la Chronica Regum Francorum ad annum 1214 C 5 o* Chronica Regum Francorum ad a. 1 2 1 4 , original, de 1214 environ, perdu. C 5 1 Paris B. N . lat. 14663, anc fo. 20ir-203v; foliot. moderne, fo. 2i8r-220v.: Turpin. S'arrête à l'année de Bouvines, la grande victoire de PhilippeAuguste (1214). Anc. St Victor de Paris. X V e siècle. C 53 Paris, B. N . lat. 17008, nouv. fol. 20r~30v: Turpin. Texte d'un copiste peu soigneux et tardif. Le récit devait probablement être mené jusqu'à l'année 1214 (comme C J I ) , mais le texte s'arrête à l'année 1204 (conquête de la Normandie) [année de la fin de la Chronica de Robert de Saint-Marien d'Auxerre dont celle-ci s'inspire]. C 55 Dublin, Trinity College, E. 3.24. v. Short 69,8. 24 ms. M C 5 1 ou Berne 607: a) fo. 87a; e) fo. 118c.; f) fo. 92d.; k) fo. 1 1 7 b . ; h) fo. 83a. IJO
X V I I a et X X des versions longues de la Chronique de Turpin (telle que la version «C»). L a Chronica
reprend le récit exactement au même point
que la version A-Saint-Denis dont les rejetons des versions primitives ou embellies rayonnaient de Saint-Denis, des monastères normands ou anglonormands affiliés à Saint-Denis ou en rapport étroit avec ce centre historique royal, et également de Mons. Signalons un f a i t curieux: la Chronica latine C 50*, la Chronique du Ménestrel et notre Chronique dite Saintongeaise arrêtent subitement leur récit turpinien dès après la déclaration de R o l a n d disant qu'il est de la loi chrétienne (adressée au géant sarrasin Ferragut de N á j e r a ) . 2 5 Cette coïncidence est d i f f i c i l e à expliquer. Passons à l'examen de la personnalité du Ménestrel. Dans sa dédicace à Alphonse, il l'appelle «comte de Poitiers et de Toulouse». O r Alphonse a pris possession du comté de Toulouse en septembre 1 2 5 0 . D ' a u t r e part, c'est en 1 2 7 0 qu'il a quitté pour toujours le sol de la France pour se joindre à la croisade dirigée p a r son illustre frère et roi, Saint-Louis, et c'est en 1 2 7 1 qu'il est mort à son retour en Europe, à Savone. D o n c le Ménestrel dut écrire sa Chronique entre septembre 1 2 5 0 et 1 2 7 0 . Outre son style, ce sont certains passages favorables a u x bénédictins et à Saint-Savinien qui révèlent son attitude. Alors que Philippe Mouskès, le f u t u r évêque de Tournai, traduit les «CANONICOS» du ch. X I I I du p a r Templiers
Turpin
et montre ainsi les préférences qu'il a v a i t pour l'ordre du
Temple alors f o r t en vedette sous Saint-Louis, notre Chroniqueur de B o r deaux, partisan fanatique de Saint-Seurin (une abbaye sujette de l'archevêché d e B o r d e a u x ) t r a d u i t «ANTISTITEM E T CANONICOS (SECUNDUM BEATI ISIDORI
REGULAM)» p a r «arcevesques
e chenoines» - peut-être parce qu'il savait que
Compostelle était (depuis 1 1 1 9 ) un archevêché. L e Ménestrel, au contraire, montre la prédilection qu'il a v a i t pour les abbés bénédictins, en traduisant la même phrase latine p a r «abbé et chanoines selonc la riule saint
Beneet».2f>
D o n c notre Ménestrel non seulement remplace l'antistes p a r un abbé, mais encore il substitue à la règle de saint Isidore de Séville (qui était en réalité plutôt une coutume, selon l'abbé Pierre D a v i d ) p a r celle de saint Benoît. Voici un autre exemple du même genre: au ch. X X I I I , à propos de la confession de R o l a n d a v a n t son entrée en bataille, il est dit que d'habitude les guerriers de cette époque se faisaient confesser peu a v a n t la bataille et recevaient l'eucharistie - le CORPUS DOMINI comme l'appelle le Chroniqueur de B o r d e a u x qui f a v o r i s e les termes techniques en matière théologique - p a r les m a i n s des é v ê q u e s et des p r ê t r e s , PER MANUS EPISCOPORUM ET SACERDOTUM.
C e Chroniqueur traduit ceci de la f a ç o n suivante, selon le ms. 1 2 4 : «. . . quant il s'estoient feit confes ans arcevesques,
aus evesques e aus provoires.«
Les archevêques faisaient automatiquement partie du corps des évêques,
25 26
Mer 36,152.22 et 153.22; Turpin interpolé, 306.1/4. Man 61,295, Concordance, § 2 ; Mer 36,136.13; Mer 36,102.18; Turpin 269.13s.; M C 51, fo. 82d-83a.
interpolé,
IJI
il n'était pas nécessaire ou utile d'en faire une mention spéciale; en outre, il est douteux que des archevêques (au pluriel) soient là sur le champ de bataille dès avant un combat ou guet-apens, mais notre Chroniqueur est libre de montrer l'intérêt qu'il porte au rôle des archevêques peut-être était-ce son archevêque qui lui avait commandé sa Chronique qui n'inclut, nous l'avons dit, que les diocèses de la province de Bordeaux (sans Bazas donc). D'ailleurs le ms. 124 de la Chronique, souvent le plus archaïque, était la propriété de l'archevêque de Bordeaux dès le second quart du X l V e siècle au plus tard. Le Ménestrel, de son côté, met «a moines, a prestres et a evesques».27 Derechef l'ordre monastique est mis en relief. Au ch. X X V , Charlemagne pleure Roland qu'il vient de découvrir à Roncevaux roide mort. Il fait planter des tentes et embaumer les corps des principaux défunts et célébrer des EXEQUIAS MAGNAS CANTIBUS E T LUCTIBUS. Le Ménestrel est le seul à spécifier que le service funèbre fut célébré «as prestres et as clers, et as evesques et as abes qui la estoient».28 Il est naturel de faire célébrer des services pour les morts par des prêtres et des évêques, éventuellement avec l'aide de clercs, mais il est assez rare de voir des abbés figurer parmi les célébrants. Au ch. V I I I , Charlemagne arrive dans une région où il fonde une très belle église en l'honneur des saints Fagon et Primitif SANCTI FECUNDI E T PRIMITIVI. Au lieu de mettre Seynt Fagon ou Saint Fagunt comme Willem de Briane ou le Chroniqueur dit Saintongeais, le Ménestrel remplace l'église par une abbaye (!) érigée «en l'eneur Saint Savinien et Saint Primien les sainz martirs.» Qu'est-ce qui a pu induire le Ménestrel à remplacer Saint Fagon par saint Savinien? Les deux chapitres V I I I et X de Turpin rapportent le même miracle des lances fleuries de certains guerriers de Charlemagne qui sont prédestinés à la mort par Dieu, mais le premier se serait passé à Saint Fagon - Sahagun en Espagne, le deuxième près de Taillebourg en Saintonge. Ces deux chapitres s'inspirent sans doute des légendes de saints dont le bâton avait produit subitement des feuilles et des fleurs à la suite d'une prière du saint. On racontait la légende pour l'un des trois saints Savinien, celui de Troyes qui est céphalophore et qui est vénéré à Melle en Poitou et à Saint-Savinien près de Taillebourg au bord de la Charente, donc au lieu de la bataille des lances fleuries relatées dans le ch. X de la Chronique de Turpin. Dans les deux chapitres V I I I et X la légende originale du bâton fleuri par miracle a été transformée en une légende de la lance fleurie, et dans les deux cas ce miracle a été lié à une indication visible de la prédestination du croisé à la mort, en parallèle avec le chapitre X V I de Turpin qui relate le miracle du signe visible de la croix sur le dos des guerriers prédestinés à la mort, à propos de Monjardin dans les années postérieures à 1084 sans doute, donc avant que le 27
Smy 37,XXVI.52s.; Turpin interpolé, 318.25, 319.2-4 et notes; M C 5 1 , fo. ii2d.
2 8
M C J I , fo. 117c.
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signe de la croix devienne, dans la «Première croisade», le signe de la prédestination à la mort certaine.29 Saint-Savinien sur Charente fut fondé en 1034 comme dépendance de SaintJean d'Angély, plus tard ce prieuré bénédictin fut affilié à Cluny. On voit encore la chapelle et les vieux bâtiments qui servent aujourd'hui de chais et de magasins, au sud du bourg. A la suite d'une erreur de Joanne, Connoué a cru que c'était un prieuré augustinien.30 Plus tard la légende de la bataille des lances fleuries a été transférée une deuxième fois, notre Chroniqueur crut qu'elle eut lieu entre Taillebourg et Saintes à Saint-Saturnin, aujourd'hui Saint-Saturnin de Séchaud, lieu où les anges eux-mêmes auraient enseveli les guerriers morts selon la volonté de Dieu qui les avait prédestinés au martyre ( 2 8 1 . 8 ) . Plus tard encore, la légende fut transférée une troisième fois, à Ecurat tout près de là, non plus à une bataille livrée par Charlemagne mais par Saint-Louis, lors de sa victoire dite de Taillebourg ( 1 2 4 2 ) contre les Anglais. 31 Les vitraux actuels d'Ecurat représentent Saint-Louis et on montre tout près la maison MontLouis où le roi aurait passé la nuit après la bataille. Tel est le chemin parcouru par une légende. A l'origine elle était hagiographique et devait prouver la puissance extraordinaire de la foi. Puis elle devint historique-militaire et épique. Dieu fit le miracle non pour un saint mais pour un roi de France, Charlemagne ou même Saint-Louis. Simple bâton fleuri et feuillu à l'origine, l'objet du miracle devint un instrument de guerre, une lance fleurie, objet assez difficile à peindre sur les boucliers et ailleurs comme le signe de l'intervention divine et de la prédestination du croisé volontaire à la mort. Très vite on prit ce symbole pour une fleur de lis, de sorte que la fleur de lis devint le symbole du roi de France, du >Charlemagne< tel qu'il fut représenté à partir du milieu du X l l e siècle, et de tous les rois de France depuis Louis V I I . Ainsi l'oeuvre du Ménestrel d'Alphonse de Poitiers ne manque pas d'intérêt pour nous. C'est elle qui nous a mis sur la trace des rapports entre les légendes des saints locaux de Sahagun et Saint-Savinien et les légendes analogues racontées dans la Chronique de Turpin à propos de batailles miraculeuses de Charlemagne ayant eu lieu en ces endroits. En 1 2 7 1 Alphonse de Poitiers, auquel le Ménestrel avait dédicacé le manuscrit M C 5 1 , mourut soudainement, en cours de voyage en Italie. N'ayant pas laissé d'enfants, ce fut son neveu le roi Philippe le Hardi qui hérita de ses terres et de sa bibliothèque. Qu'advint-il du manuscrit M C j 1 du Ménestrel? Jusqu'à présent cette question est restée sans réponse. 28
30
91
Smy 37, VIII.5s.; Briane, 229; Turpin
interpolé,
2 7 1 . 1 3 ; M C 5 1 , fo. 85b.
Hubert Le Roux, Recherches sur l'église Saint-Savinien de Melle, Bull, de la Soc. des Antiquaires de l'Ouest, 4e série 7 (1963), 2 5 1 - 3 0 3 ; Van der Straeten dans Analecta Bollandiana 80 (1962), i2jss., 84 (1966), 5 3 0 S S . , Cott 35,288s., Con 52, III,i38s. Smy 37,26 n. 1 et Beau 94,504.
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3- L'influence du Ménestrel sur les Grandes Chroniques de France Peu après être venu à Poitiers pour chercher l'héritage de son oncle Alphonse, en 1 2 7 1 , Philippe la Hardi remis sans doute l'exemplaire de dédicace de la Chronique des Rois de France à son spécialiste en histoire de France présentée en langue française, à Primat de Saint-Denis. Celui-ci l'utilisa pour le début de ses Grandes Chroniques de France. N o n seulement il reprit le texte du début du prologue général du Ménestrel, comme on le sait, mais aussi il s'inspira sans doute de la dédicace miniature montrant le Ménestrel agenouillé présentant son livre à son seigneur flanqué de personnages de marque. Peu après Primat offrit ses Grandes Chroniques au roi sous la forme d'un manuscrit actuellement à la Bibliothèque de Saint-Geneviève qui possède elle aussi sa miniature-dédicace avec divers traits semblables. 32 En outre Primat s'inspira de plusieurs passages du Turpin du Ménestrel: 1. il remplace le T E D R I C O PRO SEMETIPSO de son modèle latin habituel, le m s . B . N . lat. 5925 (appeléB7par Meredith Jones et O par Gaston Paris, Hàmel et nous-même) par Tierri pour Rollant dans la scène du duel judiciaire du jugement de Ganelon. En outre Primat met ses connaissances épiques à profit pour assimiler ce Tierri avec Tierri d'Ardenne, héros célèbre de la Geste des Loherains. 33 2. Le Ménestrel télescope Gaifier le roi de Bordeaux et Engelier duc d'Aquitaine en un personnage unique et en un seul personnage (284.11). Au contraire à propos de la bataille de Nanteuil - Mortagne inspirée d'une chanson de geste, il utilise la forme habituelle des chansons,