Chronique dite Saintongeaise: Texte franco-occitan inédit "Lee", à la découverte d'une chronique gasconne du XIIIème siècle et de sa poitevinisation [Reprint ed.] 9783111676333, 9783484520226


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Table of contents :
LIVRE PREMIER. LE VERITABLE MILIEU DU CHRONIQUEUR
I. La Chronique dite Saintongeaise
1. Premier Livre: Tote listoire de France
2. Livre Deuxième: Turpin interpolé
3. La Chronique, un diptyque littéraire
II. A la découverte de la langue du Chroniqueur
IIa. La scripta occitane
1.Le-d- interdental
2. La petite histoire de »Am« et du fief de Berbezil
3. Autres formes lexicales occitanes
4. La morphologie verbale
IIb. Les résidus gascons de Gascogne occidentale
1.La géminée LL: canset et mire
2. > r
3. ‘lue’ et ‘fuc’, ‘luec’ et ‘fuec’
4. ‘cout’, ‘brutier’ et ‘destrau’
5. La chute de l’-n- intervocalique en gascon non-septentrional
6. L’ ‘a’ prosthétique et Saint Arlodi en Médoc
III. A la découverte du milieu du Chroniqueur
1. Arguments de Bourdillon en faveur d’une origine saintongeaise du Chroniqueur
2.Interpolations insolites favorables à Saint-Seurin
3. La libération du Bordelais en faveur de Saint-Seurin
4. Liste des revenus de Saint-Seurin
IV. A la recherche d’une nouvelle source historique relative à Saintes
1. Transfert d’Agen à Saintes de l’épisode de Charlemagne espion
2. Les églises du faubourg septentrional de Saintes
3. Saint-Macou, église du faubourg occidental de Saintes
4. Saint-Eutrope et Saint-Sixte, églises du faubourg méridional de Saintes
DEUXIEME LIVRE. MELANGE DE SOUVENIRS DATANT DE PLUSIEURS EPOQUES
V. Les deux premiers substrats historiques de la libération de la Saintonge et du Bordelais: Une hypothèse de travail
1. La bataille de Champdolent
2. Landri de la Vau do Né, le comte de Flandres et le comte Ratiers
VI. Le troisième substrat historique
1. Taillefer, comte d’Angoulême
2. Richier duc de Normandie
VII. Quatrième substrat historique
1. Les batailles de la Fontaine de Bacon et de Luzac
2. La Bataille de Mont Basiron
3. Prise de Chartres-Pons
4. La Prise de Cordes
5. La Prise de Balaguier
6. Saint-Germain-de-Lusignan
CONFLUENCE DES GESTES DE FRANCE
VIII. La Geste de Garin de Monglane
1. Le lignage de Rainier, comte de Genevois
2. Le lignage d’Aimeri de Narbonne
3. A la recherche de l’emplacement d’Anseune, fief de Garin
IX. Les Gestes de Doon de Mayence et des Loherains
1. La Geste de Doon de Mayence
2. La Geste des Loherains
3. Quelques points communs entre Outremeuse et notre Chroniqueur
X. La Geste de Charlemagne et de Roland
1. Berthe au grand pied
2. Chanson d’Aspremont
3. Prise de Bordeaux et de Noble
4. Le substrat épique de la Chanson de Roland
XI. Chronique de Turpin
1. Le modèle commun de Briane et du Chroniqueur était-il une version latine ou une traduction française?
2. Le Ménestrel d’Alphonse de Poitiers, adaptateur de Nicolas de Saint-Lis
3. L’influence du Ménestrel sur les Grandes Chroniques de France
QUATRIEME LIVRE: LES REJETONS DE LA CHRONIQUE ORIGINALE: SCRIPTA, CONTAMINATION ET HYBRIDATION XII. Les manuscrits
1. Le manuscrit 5714
2. Le manuscrit Lee
3. Le manuscrit 124
XIII. Les remaniements
1. Les remaniements Lee 5714* et 124
2. Le remaniement Lee 124*
3. Indépendance du manuscrit Lee
4. Le remaniement 5714
5. Comparaison de texte
XIV. Les problèmes linguistiques posés par les textes-rejetons
1.A. Boucherie
2. Ewald Görlich
3. C. Pougnard *
4. Jacques Pignon
5. Les six étapes de la diffusion
XV. Grammaire comparée des trois textes-rejetons parallèles
1.Le vocalisme
A. Voyelles accentuées
B. Voyelles inaccentuées
2. Le consonantisme
3. La morphologie
LE TEXTE
Préambule du chroniqueur
Avant-Propos du traducteur
Début du texte turpinien
Chronique de Turpin proprement dite. Premier livre: Entrée d’Espagne
Interpolation A: Liberation de l’Agenais et Chanson d’Aspremont
Interpolation BI: Liberation de la Saintonge et du Bordelais
Interpolation BII: Prise de Bordeaux et du Bordelais en faveur de Saint-Seurin
Interpolation C: Prise de Noble
Interpolation D: Funérailles des martyrs de Panpelone à Saint-Seurin de Bordeaux
Interpolation E: Funérailles des martyrs »croisés« de Monjardin à Saint-Seurin de Bordeaux
Interpolation F: Anseïs de Cartage
Deuxième livre du Turpin: Defaite de Roncevaux
Interpolation G: Les tombes des héros et des héroïnes à Blaye
Interpolation H: Les tombes des héros à Belin, dépendance de Saint-Seurin, et à Saint-Seurin de Bordeaux
Appendice A: De la découverte du corps du Turpin de Martyr, redigé par le pape Calixte II
Appendice B: Li aumançors de Cordes. Miracle de Saint-Jacques le Majeur redigé par le pape Calixte II
Glossaire
Bibliographie
Carte: Itinéraire de Charlemagne
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Chronique dite Saintongeaise: Texte franco-occitan inédit "Lee", à la découverte d'une chronique gasconne du XIIIème siècle et de sa poitevinisation [Reprint ed.]
 9783111676333, 9783484520226

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BEIHEFTE ZUR ZEITSCHRIFT FÜR R O M A N I S C H E BEGRÜNDET FORTGEFÜHRT

VON GUSTAV

VON WALTHER

HERAUSGEGEBEN

120. Heft

GRÖBER

VON

VON KURT

PHILOLOGIE

WARTBURG

BALDINGER

A N D R É DE M A N D A C H

Chronique dite Saintongeaise Texte franco-occitan inédit 'Lee' A la découverte d'une chronique gasconne du XIII è m e siècle et de sa poitevinisation

MAX N I E M E Y E R VERLAG i 97°

TÜBINGEN

Avec une carte

I S B N 3 484 52022 1 Publiziert mit Unterstützung des Schweizerischen Nationalfonds zur Förderung der wissenschaftlichen Forschung ©

Max Niemeyer Verlag Tübingen 1970

Satz und Drude Poppe 8c Neumann, Graph. Betrieb, Konstanz Einband von Heinr. Koch, Tübingen

TABLE DES

MATIERES

Les Problèmes en Jeu

i L I V R E PREMIER

LE V E R I T A B L E M I L I E U DU

CHRONIQUEUR

I. La Chronique dite Saintongeaise

n

1. Premier Livre: Tote listoire de France 2. Livre Deuxième: Turpin interpolé 3. La Chronique, un diptyque littéraire a) b) c) d)

12 18 19

Elleposelle Turpins lo sacra Sainte-Eulalie Saint-Sauveur et Saint-Seurin

20 21 21 22

II. A la découverte de la langue du Chroniqueur

24

Ha. La scripta occitane

25

1 . L e -d- interdental a ) VIDUAS >

26

vezues

26

b) Saint Pou d'Osengie c) Mont Josec

26 28

2. La petite histoire de »Am« et du fief de Berbezil 3. Autres formes lexicales occitanes a) b) c) d) e) f) g) h) i)

30 32

nopseca coltivamen leonaz avau si -n auront (pronom partitif) mermança nenbrar malaptir et aptinença so (pronom démonstratif)

32 32 32 32 33 33 33 33 33

4. La morphologie verbale a) b) c) d) e) f) g) h) i)

34

Participe présent Présent de l'indicatif, 1ère pers. du pluriel Présent de l'indicatif, 3eme pers. du pluriel Présent du subjonctif Impératif (présent du subjonctif) Imparfait de l'indicatif Futur Imparfait du subjonctif Participe passé: 'fach'

34 34 34 34 35 3$ 35

3$ 36

Ilb. Les résidus gascons de Gascogne occidentale

37

1. La géminée L L : canset et mire 2. > r

37 38

V

a) MILLE > mire b) EULALIA > Aularie/Eulaie c) U B I > or

3. 'lue' et 'fuc', 'luec' et 'fuec' 4. 'cout', 'brutier' et 'destrau' 5. La chute de l'-n- intervocalique en gascon non-septentrional a) Lusignen > Lezine > Lezie b) SANCTA LUCIA > sancte Lezine

6. L ' 'a' prosthétique et Saint Arlodi en Médoc III. A la découverte du milieu du Chroniqueur

38 38

39 39 4° 41 41 42

43 46

x. Arguments de Bourdillon en faveur d'une origine saintongeaise du Chroniqueur 2. Interpolations insolites favorables à Saint-Seurin 3. La libération du Bordelais en faveur de Saint-Seurin . . . . 4. Liste des revenus de Saint-Seurin

46 48 50 54

IV. A la recherche d'une nouvelle source historique relative à Saintes 1. Transfert d'Agen à Saintes de l'épisode de Charlemagne espion 2. Les églises du faubourg septentrional de Saintes

58 58 60

a) Saint-Bebien b) Saint-Leofaire c) Saint-Trojan d) Saint-Saloine

3. Saint-Macou, église du faubourg occidental de Saintes . . . 4. Saint-Eutrope et Saint-Sixte, églises du faubourg méridional de Saintes

60 60 61 61

61

62

DEUXIEME LIVRE

MELANGE DE SOUVENIRS DATANT DE PLUSIEURS EPOQUES V. Les deux premiers substrats historiques de la libération de la Saintonge et du Bordelais: Une hypothèse de travail 1 . L a bataille de Champdolent 2. Landri de la Vau do Né, le comte de Flandres et le comte Ratiers

74 74 77

VI. Le troisième substrat historique

81

1. Taillefer, comte d'Angoulême 2. Richier duc de Normandie

82 85

V I I . Quatrième substrat historique 1. Les batailles de la Fontaine de Bacon et de Luzac 2. La Bataille de Mont Basiron 3. Prise de Chartres-Pons 4. La Prise de Cordes 5. La Prise de Balaguier 6. Saint-Germain-de-Lusignan

VI

88 88 91 92 94 96 97

TROISIEME LIVRE

C O N F L U E N C E DES GESTES DE

FRANCE

V I I I . La Geste de Garin de Monglane

103

1. Le lignage de Rainier, comte de Genevois 2. Le lignage d'Aimeri de Narbonne 3. A la recherche de l'emplacement d'Anseune, fief de Garin

103 105 . .

106

1 . L a Geste de Doon de Mayence 2. La Geste des Loherains 3. Quelques points communs entre Outremeuse et notre Chroniqueur

no 112

I X . Les Gestes de Doon de Mayence et des Loherains

no

115

c) V e r s i o n p a r t i c u l i è r e de la C h r o n i q u e de T u r p i n d) Anseis de C a r t a g e e) L e p a n a c h a g e des Gestes de F r a n c e

116 119 120

X . La Geste de Charlemagne et de Roland 1. 2. 3. 4.

114

a) M i r a c l e du r e c o u v r e m e n t de la v u e d u p a p e L é o n à l ' a r r i v é e de C h a r l e m a g n e à R o m e : les cinq étapes d u récit b) D é s i g n a t i o n de L o t h a i r e c o m m e successeur de C h a r l e m a g n e sur le trône i m p é r i a l

114

122

Berthe au grand pied Chanson d'Aspremont Prise de Bordeaux et de Noble Le substrat épique de la Chanson de Roland

122 125 127 140

X I . Chronique de Turpin

142

1. Le modèle commun de Briane et du Chroniqueur était-il une version latine ou une traduction française? 2. Le Ménestrel d'Alphonse de Poitiers, adaptateur de Nicolas de Saint-Lis 3. L'influence du Ménestrel sur les Grandes Chroniques de France

143 148 154

Q U A T R I E M E LIVRE

LES R E J E T O N S DE LA C H R O N I Q U E O R I G I N A L E : SCRIPTA, C O N T A M I N A T I O N ET H Y B R I D A T I O N X I I . Les manuscrits

160

1 . L e manuscrit 5714 2. Le manuscrit Lee 3. Le manuscrit 124

160 161 161

X I I I . Les remaniements

165

1.Les remaniements Lee 5714* et 124 2. Le remaniement Lee 124""

166 173

a) ' L e z i e ' r e m p l a c é p a r ' L e z i g n i e ' o u ' L e z z i n i e ' , p o u r indiquer S a i n t G e r m a i n - d e - L u s i g n a n , près de J o n z a c b) R o l a n d c h e z les belles dames de B o r d e a u x c) C l o v i s à table

173 173 174

VII

3- Indépendance du manuscrit Lee

175

a) Omission de 5 7 1 4 et 1 2 4

17j

b) Gin de N a n t o i l

175

4. Le remaniement 5714 5. Comparaison de texte

177 182

X I V . Les problèmes linguistiques posés par les textes-rejetons 1. A. Boucherie 2. Ewald Gôrlich 3. C. Pougnard 4. Jacques Pignon 5. Les six étapes de la diffusion

. . . .

189 189 19° 193 194 195

X V . Grammaire comparée des trois textes-rejetons parallèles . . . . 1 . L e vocalisme A. Voyelles accentuées B. Voyelles inaccentuées 2. Le consonantisme 3. La morphologie

198 202 202 223 227 239

LE

TEXTE

Préambule du chroniqueur Avant-Propos du traducteur Début du texte turpinien Chronique de Turpin proprement dite. Premier livre: Entrée d'Espagne Interpolation A : Liberation de l'Agenais et Chanson d'Aspremont Interpolation B I : Liberation de la Saintonge et du Bordelais . . . Interpolation B I I : Prise de Bordeaux et du Bordelais en faveur de Saint-Seurin Interpolation C : Prise de Noble Interpolation D : Funérailles des martyrs de Panpelone à SaintSeurin de Bordeaux Interpolation E : Funérailles des martyrs »croisés« de Monjardin à Saint-Seurin de Bordeaux Interpolation F: Anseïs de Cartage Deuxième livre du Turpin: Defaite de Roncevaux Interpolation G : Les tombes des héros et des héroïnes à Blaye . . . Interpolation H : Les tombes des héros à Belin, dépendance de SaintSeurin, et à Saint-Seurin de Bordeaux Appendice A : De la découverte du corps du Turpin de Martyr, rédigé par le pape Calixte II Appendice B: Li aumançors de Cordes. Miracle de Saint-Jacques le Majeur rédigé par le pape Calixte II Glossaire Bibliographie Carte: Itinéraire de Charlemagne après

VIII

255 255 257 257 267 272 285 296 301 303 311 312 321 322 330 331 333 343 360

LES P R O B L E M E S E N J E U

On parle souvent de messages en code dans les domaines de la diplomatie, de l'espionnage, de l'alphabet linéaire mycénien et dans d'autres encore, mais rarement de littérature en code. Or elle existe, et la Chronique dite Saintongeaise que nous présentons ici en est un exemple hors pair. De prime abord se pose le problème de la langue. Jusqu'à ce jour, on a pensé qu'un Saintongeais avait utilisé un parler saintongeais du X H I e siècle, qui appartient à la langue d'oïl du Sud-Ouest appelée . En réalité, il n'en est rien: le texte original perdu était écrit dans une langue inconnue que personne ne soupçonne - point du tout en - et personne n'a su faire sauter le de cette langue originale. A deux reprises, ce texte a été adapté ou traduit en , et ce sont ces deux traductions de base qui furent adaptées ou combinées à leur tour pour former les trois manuscrits conservés, occitanisés, francisés, ou encore poitevinisés puis occitanisés en partie. Chaque texte-rejeton conservé dépend donc de sa propre chaîne de transmission complexe, dont la connaissance nous permet de comprendre les éléments bigarrés de sa phonétique et de sa morphologie. 1 Sans cette connaissance, ces éléments sont indéchiffrables comme un texte en un code inconnu. Chaque processus successif d'adaptation linguistique peut être comparé à un tamis plus ou moins fin: certains éléments passent tels quels dans le nouveau texte, d'autres doivent d'abord être adaptés - parfois le radical occitan reste, mais une désinence de langue d'oïl lui est ajoutée. De temps à autre les résidus de la langue originale sont des toponymes de petits hameaux ou bourgs méridionaux que l'adaptateur saintongeais ou poitevin ne connaissait pas. Si l'auteur de la Chronique, un vrai phonéticien, a voulu marquer le point de prononciation du -d- interdental d'un lieu appelé (Mont Judaïque), il ne l'a pas écrit Mont-Judec ainsi que le font les habitants de cet endroit, mais Mont Jusec ou plutôt Mont Josec. Ce lieu étant inconnu à l'adaptateur, il n'a pas réalisé qu'il s'agissait d'une graphie occitane particulière du toponyme, et il l'a reproduit tel quel, ou encore il en a fait un Mont Josep, une .2 Avant de commencer l'examen phonétique du nom, il fallait donc d'abord identifier le lieu auquel il se rapporte; cette identification n'était guère possible, à 1 2

ch. XIII-XV ci-dessous. ch. Ila.i ci-dessous. x

moins de ne tenir compte, dès le début, des possibilités de transformation phonétique de la part de l'auteur. Il fallait donc être à la fois spécialisé en géographie méridionale et linguiste pour déchiffrer le code. Certaines parties de la Chronique contiennent beaucoup moins d'éléments français que d'autres, surtout le Premier Livre, Tote listoire de France.

En

outre les interpolations insérées dans la Chronique de Turpin sur Charlemagne en Espagne et à Roncevaux offrent une coloration beaucoup plus occitane que les chapitres du Livre Deuxième traduits de la Chronique de Turpin. Jusqu'ici ces différences semblaient curieuses, et les linguistes se sont demandés si le Premier et le Second Livres de la Chronique n'étaient pas dus à deux auteurs différents. C'est ainsi qu'un linguiste bien connu s'est limité à n'examiner que la morphologie du Livre Premier. Il en a retiré une quantité d'aspects occitans, sans se rendre compte qu'ils existaient également dans certaines sections du Livre Deuxième tout au moins. 8 Autrement dit, la fibre linguistique de la Chronique présente des énigmes indéchiffrables - un autre code. 4 L a Chronique de Turpin elle-même est pour ainsi dire écrite en code. Alors que le milieu et la fin surtout, empruntés à Eginard et à d'autres chroniqueurs anciens, se rapportent à un Charles, fils de Pépin, mort en 814, d'autres chapitres reflètent les faits et gestes d'un autre empereur conquérant et bâtisseur de cathédrales, personnage des plus grandioses du X l e

siècle.

Jusqu'en 1961, on a cru que celui-ci était Charlemagne, fils de Pépin, le code n'étant pas encore déchiffré. Dans les Interpolations A - F insérées dans la Chronique de Turpin, on parle également d'un Karles, roi des Francs et empereur: mais ce monarque chasse les Sarrasins du Sud-Ouest de la France, alors que Charlemagne n'a jamais eu besoin de le faire, son père et son grand-père ayant déjà accompli cette tâche. Ainsi, il est manifeste que le Karles des interpolations n'est pas Charlemagne, quelles qu'en soient les apparences, mais un autre personnage. D e même les ne sont vraisemblablement pas des mahométans, mais — peut-être comme dans Gormond

et

Isembard - des envahisseurs païens d'origine germanique. 5 Le problème qui se pose à nous est de déchiffrer ce code et d'identifier l'essence de ce camouflage d'une réalité historique inconnue. Cette volonté de camoufler la réalité est aussi celle du théâtre et de la mascarade. A l'instar de Huizinga, nous voudrions mettre en vedette le visage réel du moyen âge: il est fait non seulement d'émotion intense, de joie de v i v r e et de culte des morts, mais aussi de sens de théâtre et du jeu. Attribuer aux envahisseurs germaniques païens le nom de Sarrasins, appeler un roi et empereur combattant les Sarrasins était un jeu, une mascarade littéraire qui assimilait le récit nouveau à toute une tradition de chan-

3 4 5

ch. I.3 ci-dessous. ch. XI, X I I I - X V ci-dessous. Livre Deuxième: ch. V - V I I ci-dessous. 2

sons de geste et qui offrait au texte en question un public assuré et un énorme prestige. Confluence des Gestes de France, tel est le sous-titre que nous aimerions donner à cette Chronique. On a en effet l'impression en lisant ce texte que l'auteur a voulu réunir sur le même plateau tournant d'un théâtre les protagonistes les plus fameux de l'histoire de France et des chansons de geste, que ce soit pour une brève apparition ou un rôle plus important. 6 Il n'a pas seulement mobilisé les héros chrismatiques de la Geste de Charlemagne et de Roland, symboles de fidélité à la patrie et au roi, mais aussi les preux de la Geste de Monglane qui peuplaient les abords de la Gironde, du bassin d'Arcachon et de l'embouchure de la Charente, ainsi que les traîtres et partisans anti-royaux des Gestes de Mayence et des Loherains. Historien à la documentation vaste aussi bien que ménéstrel au répertoire étendu, cet auteur a voulu créer une oeuvre de synthèse comme ouvrage de précision. Les héros des diverses Gestes de France, dit l'auteur sont ceux-là mêmes «qui conquistrent la crestianté Nostre Segnior Deu Jhesu Crist». Ainsi, il a muni ces héros d'une auréole religieuse et chrétienne: on les voit se battre et mourir pour la foi, seconder dans son oeuvre de fondation de chapelles mortuaires, d'églises-mausolées un peu partout dans la province de Bordeaux. Le cimetière et l'abbaye de Saint-Seurin de Bordeaux jouent le tout premier rôle parmi les institutions religieuses de la France citées dans l'ouvrage: c'est le mausolée du Sud-Ouest dont la tradition remonte aux premiers siècles, l'échelle promise aux preux qui désirent entrer au paradis. 7 Ainsi l'auteur crée une image admirable de la noblesse du Sud-Ouest, l'une des plus brillantes qui aient jamais existé, une véritable milice aux ordres du Christ qui monte la garde face aux Sarrasins, protège les églises et les abbayes et sait toujours attribuer de nouveaux fiefs aux institutions religieuses du pays. Devant le dynamisme croissant de la bourgeoisie du X H I e siècle, la noblesse s'achemine peut-être vers une retraite comme l'affirment d'aucuns. Mais l'image qu'elle se peint d'elle-même et qu'elle impose au public est malgré tout des plus brillantes et marque une apothéose. Défenseur militant des intérêts et même des finances de Saint-Seurin de Bordeaux, l'auteur a trouvé un instrument idéal pour prouver l'ancienneté des nombreux fiefs auxquels prétendait son abbaye au X l I I e siècle - souvent à l'encontre des bourgeois furieux et du monarque Plantagenêt qui travaillait à leur émancipation politique. Il relate en plein texte historique que c'est d'abord saint Martial, puis Charlemagne lui-même qui ont attribué à l'abbaye ces divers fiefs en leur temps. En outre, il a empreint son oeuvre de son esprit religieux. On pourrait comparer la Chronique dite Saintongeaise à un chalet à deux étages dont le rez-de-chaussées serait en pierre et le premier étage en bois 6 7

ch. VIII-XI ci-dessous. ch. III ci-dessous. 3

orné de peintures et d'inscriptions. Dans la Chronique, le rez-de-chaussée serait représenté par des chroniques latines ou françaises telles le Liber Historiae Francomm, les Annales de Lorsch, la Vie de Charlemagne d'Eginhard, la Vie de Louis le Pieux de l'auteur surnommé l'Astronome Limousin, les rédactions de la Historia d'Adhémar de Chabannès 8 et surtout celles de la Chronique de Turpin,9 A u moyen âge, on considérait déjà ces oeuvres comme des documents historiques, comme aujourd'hui, exception faite de la Chronique de Turpin. Si le Chroniqueur s'était limité à la traduction de ces récits très répandus, l'intérêt de son oeuvre ne serait pas très substantiel. Cependant, il a su ajouter à cette documentation relativement bien connue quatorze interpolations de longueur variable absolument uniques qui forment la superstructure historique ou poétique de l'ouvrage: il nous relate la fondation par Clovis d'abbayes dans la province de Bordeaux, les donations de Charlemagne aux églises saintongeaises, les cachettes de trésors d'église au I X e siècle, le rôle de Taillefer, comte d'Angoulême, dans le Sud-Ouest au X e siècle. A propos de certains chapitres de Turpin sur la libération du Sud-Ouest du joug des Sarrasins par Charlemagne et ses troupes, l'auteur ajoute un récit des plus minutieux sur la libération de la Saintonge et du Bordelais. Il émaille son récit de relations sur Berthe au grand pied, mère de Charlemagne, et les Loherains, sur la jeunesse de Roland (Chanson d'Aspremont), sur l'attribution de l'Espagne à Anseïs de Cartage etc. A son point de vue, tous ces récits étaient historiques, alors qu'aujourd'hui nous faisons la part de l'histoire et de la littérature. Toutes ces parties dérivent de modèles différents ou représentent des témoignages propres de l'auteur. Mais l'ensemble, et surtout les interpolations, reflètent la même méthode, la même langue, le même style et surtout le même esprit: la pensée de l'auteur a su pénétrer l'ouvrage tout entier. O n trouve dans le Premier Livre sur les mérovingiens et les carolingiens des renvois au Deuxième (le Turpin interpolé) et vice versa, de sorte que l'unité de l'oeuvre saute aux yeux. 1 0 Malheureusement, le Deuxième Livre 1 1 a été imprimé bien avant le Premier 12 , de sorte que la critique s'est habituée à considérer chacune des moitiés comme des oeuvres indépendantes. 8 9 10 11

12

ch. I . i ci-dessous. ch. 1.2 et X I ci-dessous. ch. I.3 ci-dessous. A u r 77,2 j6ss. A i n s i que le d i t T h e o d o r A u r a c h e r l u i - m ê m e à l a p. 262, G u s t a v G r ö b e r , le directeur de la Z e i t s c h r i f t q u ' i l v e n a i t de f o n d e r , lui a b e a u c o u p aidé et pas seulement dans le t r a v a i l de r é d a c t i o n . N o s notes r e n v o i e n t a u x o u v r a g e s cités d a n s n o t r e b i b l i o g r a p h i e , plus e x a c t e m e n t au c o d e p l a c é en tête de l a description de c h a q u e o u v r a g e dans notre b i b l i o g r a p h i e . C e c o d e se c o m p o s e des trois premières lettres d u n o m de l ' a u t e u r et des d e u x derniers c h i f f r e s de l a d a t e de p u b l i c a t i o n de l ' o e u v r e . N o t r e note 11 m e n t i o n n e u n t e x t e < A u r 7 7 , 2j6ss.>, c'est-à-dire l ' o u v r a g e de T h . Auracher p u b l i é d a n s l a Zeitschrift en 1 8 7 7 a u x p p . 256 et suivantes. B o u 9 7 , a v e c l e t t r e - p r é f a c e de G a s t o n P a r i s . B o u r d i l l o n é t a i t historien et n o n

4

Les personnages peuplant les chapitres suivants sont tout d'abord les rois de France, de Clovis et Chilpéric à Charlemagne et Charles le Chauve, jusqu'à Saint-Louis. Autour d'eux se pressent les nobles et les clercs de chacun de leurs règnes, les héros épiques, les barons et évêques historiques, les papes et les saints martyrs, de saint Clément et saint Eutrope à saint Léon et saint . On y trouve aussi le monde Sarrasin, les émirs de Perse et de Babylone, Aiguolant et son fils Aumont, Marsile et son frère Baligant, l'énorme géant Ferragut de Najera et les gigantesques Guolias qui défendent Moragne et Bordeaux. Parfois l'attention se porte sur un simple prêtre de campagne, le Léon de Thaims chantant une messe pour Charlemagne, ou sur un maître-coq du roi découvrant les yeux du pape dans un poisson qu'il préparait dans sa cuisine. D'autre part, nous rencontrons de belles dames sarrasines telles Euraque et Bramimonde auxquelles Roland prodiguera ses charmes, enfin une comtesse puissante comme Yolande de Saint-Pol, née de Hainaut, mécène des lettres qui commande à Nicolas de Saint-Lis la traduction française du Turpin. C'est celle-ci qui sera ensuite adaptée par Willem de Briane en Angleterre, par le Ménestrel d'Alphonse de Poitiers en Poitou, par Dom Primat à SaintDenis, et surtout par notre Chroniqueur à Bordeaux. C'est sous le règne de Louis-Philippe que Raynouard, le premier, parla de cette Chronique: en 1838, dans le premier tome de son célèbre Dictionnaire roman, il émet l'idée qu'elle contenait le Turpin le plus ancien qui soit, le produit d'une langue commune» gallo-romane. Le premier traitement scientifique proprement dit fut appliqué au texte par Paulin et Gaston Paris en 1847et 1865. En raison de son contenu, de ses interpolations sur la Saintonge, et de son langage bigarré qui rappelait, au point de vue de la dialectologie embryonnaire de l'époque, les parlers de cette région interférentielles entre les domaines d'oil et d'oc, Gaston Paris appela la Chronique du nom de «Saintongeaise ». 13 En 1873 Boucherie publia un livre sur un dialecte qu'il aurait préféré appeler saintongeais, ainsi qu'il le dit dans sa préface, mais qu'il s'est finalement résigné à dénommer surtout parce que son ouvrage formait une réponse à une question posée en 1868 par la Faculté des Lettres de Montpellier sur les caractéristiques du z / ; SUDARE n'y devient pas suar comme dans l'alverno-méditerranéen septentrional,

6

Bru 97,20s.,428s. (v. ). Bau 76,111,378-381. 8 v. Bru 97,408 (charte de 1332). 8 Bru 97,404; Bau 76,111,381-384. 7

27

mais susar: le domaine occitan, au sud d'une ligne allant de Bordeaux au nord du Massif Central, aux Basses-Alpes et à Saint-Raphaël, forme une espèce de «forteresse linguistique» où SUDARE est devenu susar, LAUDARE lausar et AUDIRE ausir, alors que la ceinture septentrionale de ce domaine forme une sorte de «boulevard linguistique» plus proche de la langue d'oïl où cet amuïssement ne s'est pas produit. 10 Or, le Bordelais occidental au nord du bassin d'Arcachon n'appartient pas, lui non plus, à la forteresse linguistique archioccitane. De ce point de vue, il se trouve dans la périphérie, pour la plus grande partie des mots possédant un -d- intervocalique - donc en position faible - en latin. Cependant, dans cette région limitrophe, les isoglosses ne forment pas un faisceau mais varient suivant les cas, d'après le A L G . En outre, cet Atlas n'indique que l'état présent de la prononciation gasconne telle que M. Lalanne l'a notée pour cette région et nous ignorons jusqu'à quel point l'état du X H I e siècle lui ressemblait ou non. Expliquons-nous par un exemple concret: dans les chartes en gascon de Saint-Seurin, il est souvent question d'une localité du Médoc (à 8 kms de Lesparre) appelée, en l'honneur de saint Dizant, évêque de Saintes, evec d.n Mais dans la charte latine qui parle de cette même localité, on la nomme avec z. Il s'agit du point 549 N de l ' A L G , appelé dans le patois local avec d interdental. Dans les cartes, la graphie actuelle de ce toponyme ne suit pas la phonétique mais la graphie latine, au moins en ce qui concerne la consonne intervocalique: c'est Saint-Yzans avec z. Ceci nous permet de supposer que dans le Bordelais occidental entre le bassin d'Arcachon et la Gironde dont nous nous occupons, le -d- et le [-z-] sont très proches l'un de l'autre, ce qui explique le passage, dans la graphie, de Odengie > Osengie, Yi/ans > Yzans. De ce fait, notre Chronique peut apporter, nous semble-t-il, une contribution à la phonétique historique du gascon. Il est évident qu'ici, pas davantage que dans le cas du jeu de mot sur aunitz ou dans vezues, l'attitude phonétique du Chroniqueur est celle d'un Saintongeais ou d'un Poetevin: au contraire, c'est un personnage à la fine oreille occitane qui sait observer les fluctuations phonétiques de son temps. Voici un autre exemple du même phénomène, dont l'histoire est encore plus curieuse. c) Montjosec Après avoir cité une liste des dépendances de Saint-Seurin dans le Bordelais méridional, notre Chroniqueur parle d'un certain - ou (ms. 124) — où se trouve la tombe de Cayphas, «évêque des Juifs»; puis il continue par les listes des dépendances de Saint-Seurin dans le Médoc. «Cayphas qui esteit evesques daus Juès, dit-il, hi arriba e vinc a Bordeu, 10 11

Bec 63,40. Bru 97,192,216,219,276. 28

e fit molt dau poble de la vile a son talent, e trespassa; e quant f u trespassez, si f u seveliz a Mont Josec sobre une eve e fut mis en cassadoine e en maracle». 1 2 C e passage est resté pendant longtemps plein de mystère pour nous. C o m ment Cayphas, le souverain sacrificateur des Juifs responsable de la mise à mort du Christ, est-il allé finir ses jours à Bordeaux avant d'être enseveli au ? O r on a trouvé une plaque funéraire romaine au cimetière de Saint-Seurin, en bordure du Mont Judaïque ou , portant une inscription lisible: GAiiFAS. Comme il y avait à Bordeaux une ancienne colonie de Juifs qui possédaient leur plantier aux abords de l'église de Saint-Martin-duMont-Judaïque, 1 3 on a fait le rapprochement et on a imaginé que le grand prêtre Cayphas avait atterri à Bordeaux et y était enterré, naturellement au Plantier des Juifs. C e genre de légende était encouragé par la légende de l'arrivée en Bordelais de sainte Hélène et, selon une innovation de notre Chroniqueur, de sainte Véronique, 1 4 qui y aurait apporté les saintes reliques 12 13

14

Turpin interpolé, 292.17-20. «Plantarium Sancti Martini de Monte Judaico, in quo plantario sepeliuntur Judaei», dit une liève de la cathédrale de Saint-André du X l V e siècle, v. discussion dans Bau 7 6 , 1 1 , 1 9 4 - 2 1 1 et Mai 60,211 et n. 6. En mettant en vedette non pas le Waifarius dux Wasconiae des écrits historiques anciens, mais le Gaifarius ou Gaiferius avec G traduit du nom des chansons de geste , Turpin et les diffuseurs de sa Chronique en Bordelais ont augmenté le prestige local de celui-ci. Comme dans notre Chronique il est dit que était enterré justement au cimetière de Saint-Seurin (plus exactement dans son église Saint-Georges, 325.6 de notre Chronique), on a pensé que la plaque funéraire était celle non pas de Cayphas mais GAIIFARIUS, interprétation qui a prévalu vers la fin du moyen âge ainsi que le montre la marquise de Maillé. Puis récemment on a découvert qu'il s'agissait de GAII F. AS., donc sans doute de GAII FILIUS ASIATICUS, d'un personnage dont le nom commençait avec A S . . . et qui était le fils de Gaius. On comprend maintenant comment la légende de Cayphas à Bordeaux s'est formée, à partir d'une plaque funéraire romaine authentique. Enthousiaste des tombes célèbres du faubourg Saint-Seurin, notre Chroniqueur en fait l'article. Quelle peut avoir été la raison du Chroniqueur d'interrompre sa liste des dépendances de Saint-Seurin dans le Bordelais occidental pour revenir soudain à Bordeaux et au Mont Judaïque ainsi qu'à la tombe de Cayphas? Sans doute l'idée lui a été suggérée par son récit de l'atterrissage de sainte Hélène à Andernos (avec les reliques pour Saint-Martin de Carcans) en provenance d'Orient, de sorte que immédiatement après «sancte Helene hi... arriba» il a enchaîné avec «Cayphas ... hi arriba» : Cayphas lui aussi aurait atterri à Andernos, port abrité du Bassin d'Arcachon. Notre Chroniqueur est le premier témoin des légendes de sainte Véronique, donatrice des reliques de sainte Marie et de Jésus à Soulac, et aussi de l'interprétation «Cayphas» de la plaque funéraire romaine de GAII F AS. La marquise de Maillé pense que c'est peut-être notre Chroniqueur qui aurait voulu rehausser le prestige de ces reliques (déposées en partie à Saint-Seurin dans la suite) en attribuant leur 29

de Marie et de l'enfant Jésus. Il est possible, et même probable, qu'on prononçait avec un d interdental, ce que notre Chroniqueur à l'oreille fine aurait soigneusement noté. Signalons l'alternance o/u dans qui devient dans notre Chronique, alors que passe à : elle existe encore aujourd'hui en Gascogne. 2. La petite histoire de «Am» et du fief de Berbezil «Lo fe de Berbezil dona /Karles/ a l'arcevesque de Bordeu; e l'arcevesque lo dona a un son parent Am. .X. sol' de deniers de la tabble». Tel est le texte du ms. 5714 à propos du fief de Barbezieux, lignes z86.i6ss. Nous avons longtemps cherché à identifier ce fameux personnage de Am, parent de l'archevêque de Bordeaux et bénéficiaire du fief de Barbezieux. C'est encore le «Petit Sancius» de Saint-Seurin qui nous a livré la solution de ce nouveau casse-tête: dans une charte datant de 1060, le prince de Barbezieux «IN TERRITORIO BIRBIDELENSI» reconnaît l'église de Sainte-Marie à Berbezil comme dépendance de Saint-Seurin à Bordeaux. Audoin avait fondé l'église de Saint-Sauveur et Sainte-Marie avec la collaboration de l'archevêque Godefroi de Bordeaux, puis s'était fait moine et en avait fait don à l'abbaye de Saint-Pierre de Cluny. Après sa mort (en 1060) son fils Ytiers (HEITERIUS) reconnaissait le tort fait à Bordeaux et lui restituait l'église Sainte-Marie de Berbezil, sous l'archevêque Gotcelin — un des grands bienfaiteurs de Saint-Seurin dont nous avons déjà parlé. Un certain Eleazar - doyen de Saint-Seurin - fut compris dans cette restitution. Il devait verser .X. sol' annuels à l'abbaye pendant toute sa vie et il en était de même pour les futurs doyens, ses successeurs: «Et quoniam Eleazarus diligenter procuravit ut hec ecclesia Sanctum Severinum, cujus ipse decanus est, rediret, ab eodem sancto et archiepiscopo eam habet, et in unoquoque anno quamdiu vixerit beato Severino .X. sol' solvet tributum». 15 On a l'impression que notre Chroniqueur a consulté cette charte de 1060 ou sa copie dans le , cartulaire de Saint-Seurin rédigé dans la première moitié du X H I e siècle par le sacriste Rufat ainsi que le constate Brutails. 16 .

transfert à sainte Véronique. Peut-être a-t-il aussi été le premier à découvrir la plaque GAII F AS et à faire le rapprochement cité. Notons la précision de sa description du lieu de la tombe «sur une eve» de l'évêque des Juifs. 15 B r u 9 7 , 1 3 ; charte de 1060: Birbidelensi, c f . m s s . 5 7 1 4 et 1 2 4 : , ms. Lee ; cf. Virvicensis dans Bru 97,100, charte de 1070; un siècle plus tard: Berbezillo, Bru 97,100. v. historique de N . D . de Barbezieux selon le point de vue de Besse, dans Besse 10,296; les documents clunisiens examinés par Wollasch, Mager et Diener ne conservent pas le souvenir de la période clunisienne de Barbezieux, v. Woll 59,446a. 16 Bru 97, introduction. 3°

Le Chroniqueur aurait peut-être inséré ce passage sur la dépendance de Barbezieux pour renforcer la position de Saint-Seurin contre celle de Cluny dans le litige qui les opposait à ce propos. En effet, si l'on pouvait apporter la preuve que Charlemagne lui-même avait donné le fief à l'archevêque de Bordeaux, qui l'avait ensuite remis à un parent, les moines de Cluny auraint dû renoncer à leurs prétentions. La question du fief de Barbezieux n'avait pas perdu son intérêt après 1060, nous le savons par une charte datée de 1070, par une bulle du pape Alexandre III (1159-81) et encore par une charte du 10 janvier 1231 (Elie évêque de Saintes) toutes reproduites par Rufat. A u lieu de citer les seuls cinq sous dus à Saint-Seurin selon les documents de 1070-1181, notre Chroniqueur préfère citer les dix sous ou «.X. sol» de la charte de 1060. 17 Plein de délicatesse le Chroniqueur ne cite pas le nom du parent de l'archevêque ni son rapport étroit avec Saint-Seurin: l'archevêque le donna à «un son parent am diz sous d'omenagie de deniers de la table. N e se rendant pas compte que am ne représentait pas le nom du parent mais la préposition occitane ( < APUD) signifiant , le copiste de 5714 a écrit «un son parent Am» avec un A majuscule, prouvant ainsi à la postérité qu'il n'était sans doute pas de langue occitane, bien que son texte ait une apparence parfois moins languedoilisée ou plus occitanisée que les autres versions conservées. 18 Ailleurs il a reproduit am avec un a minuscule, car il n'y avait pas de méprise possible: Tote listoire 19.25 , Turpin interpolé 319.14 . A propos d'Arvert, notre Chroniqueur mentionne un certain Eleazar - au sujet de la bourse ayant appartenu à Saint-Martial, relique déposée à SaintSeurin de Bordeaux - comme s'il était seul du nom et comme si ce personnage était bien connu (291.11). Sans doute s'agit-il du doyen Eleazar de Saint-Seurin dont il est question dans la charte de 1060. N'est-ce pas délicat de sa part de ne pas l'avoir mentionné, en ne parlant que d'un de l'archevêque? D'autre part, les rédacteurs de la charte de 1060 - Ytier et l'archevêque Gotcelin - furent fort bien conseillés lorsqu'ils s'abstinrent de dire qu'Eleazar était le parent de Gotcelin. Même si l'on commettait du népotisme, il ne fallait pas l'afficher. Cette remarque est toutefois sujette à caution, car il nous est impossible de savoir si cette parenté - signalée par le Chroniqueur, généralement fort bien renseigné dans le domaine historique de Bordeaux et Saint-Seurin - est exacte ou non.

17

Bru 97,14,100,149; Saint-Seurin aurait été donné à C l u n y autour de I O J O d'après les seuls actes de C l u n y même. A l o r s la donation aurait sans doute été révoquée sous peu. E n tous cas, pas de traces de ce transfert à Bordeaux, où SaintSeurin, l'antique siège des évêques, reste une annexe de l'archevêché, v . A d l e r 63,161 n . 6 3 (et 124 n. 10); H e r m a n n Diener, itinéraire de saint Hugues, dans W o l l 59,296 n. 488. cf. C l a u 66.

18

A n g 21,154 et n . 2 .

31

Nous le constatons, le Chroniqueur continue à défendre les intérêts de Saint-Seurin qu'il connaît fort bien et il use pour cela d'un language émaillé de mots dont le caractère occitan ne saurait être mis en doute. 3. Autres formes lexicales occitanes A propos de la tombe de Caiphas au Mont Judaïque, le Chroniqueur dit que celui-ci fut enterré de la façon suivante: «fut mis en cassadoine e en maracle». Auracher suggère qu'il faut lire marade, sans en donner la signification (292.20 et note). Aussurément, il s'agit du mot occitan maracde < S M A R A G D U qui est passé à maracle, de la même manière que le cobde < C U B I T U est passé à coble - ligne 274.27 dans le ms. 5714. On trouvera une quantité de termes occitans dans notre ci-dessous, dans notre glossaire et aussi dans l'Appendice I I I de l'édition Bourdillon de Tote listoire de France. Nous ne voudrions ici nous limiter qu'à quelques remarques au sujet de certains cas particuliers: a) nopseca Ce mot est un participe passé au féminin singulier: «Nostra leis crestiane desfent que je ne seia nopseca a maneira paiane». 19 Sans doute s'agit-il d'une forme du verbe nopseiar, nupseiar, noceiar (= se marier) cité par Raynouard (IV.3JO).

b) coltivamen En ce qui concerne la nature païenne des Saxons combattus par Charlemagne, on peut lire qu'ils étaient dans l'adoration des diables, dans le coltivamenz daus diables ou costivamenz daus diables selon le ms. Lee (cotivament dans diables d'après le ms. 5714) ligne 74.6 - terme que l'on retrouve seulement dans le dictionnaire occitan de Levy. 2 0 c) leonaz En langue d'oil, le petit de la lionne se nomme leonel, leonet ou lionet - selon les dictionnaires - alors que notre leonaz représente la forme occitane. 21 d) avau Dans sa traduction de la Vie de Charlemagne par Eginard, le Chroniqueur a rendu le latin FEROCES par avau, à la ligne 74.5, ce que le copiste de 5714 aurait reproduit, alors que le rédacteur de la version «poitevinisée» Lee a

18 20 21

Tote listoire, 8.23SS. ms. 5714. v. Glossaire. Turpin interpolé, 308.4; Raynouard IV,48a no. 6; Levy IV,368b, FEW V , 2 5 j .

32

remplacé ce terme occitan par le français cruel. Raynouard ne cite pas avau, mais seulement avol et la forme contractée de aul, avec la signification de .22 e) si '« auront (pronom

partitif)

On trouve souvent des cas semblables à celui-ci, où le n, devant une forme verbale, n'a pas une fonction négative comme en français, mais partitive comme en provençal: E cil qui la deffendront /l'église/ des Sarrazins, si "n auront par lur loier vie perdurable. (= ms. Lee et 124; ms. 5714: si 'n ouront. 336.4SS.). Ce sont de petits détails de ce genre qui ont échappé à la «censure» de la poitevinisation postérieure. f) mermança Dans le ms. 5714 de Tote listoire, nous trouvons la phrase suivante: «equi fu granz mermança de pubbla» (51.28). Dans le ms. poitevinisé Lee, le mot en question est mermance. Or, ce mot est un résidu du vocabulaire provençal de la Chronique originale. 23 g) nenbrar REMEMORARE devient toujours nenbrer, renenbrer dans notre Chronique: Ne vos nenbre . . ., renenbra tei que tu requieres partie de mon pere, renenbrant icel essample. (4.11, 10.7, 14.22 du ms. 5714). MEMORARE,

h) malaptir et aptinença Dans les cas suivants, le latin (classique ou vulgaire) -BT- a abouti, suivant la manière occitane, à un renforcement de la labiale sous la forme -pt- comme dans DUBITARE > doptar. 24 MALE-HABITU > malapti/malaptir ( 1 1 . 2 8 ms. 5714). Ce verbe malaptir est inconnu des dictionnaires. Pourtant, le FEW (VI.92) cite le substantif correspondant malaptia. On peut rapprocher ce traitement de la forme endeptiz dérivée de IN-DEBITATUS mais qui traduit le latin DEDICATUS du Liber Historiae Francorum ( 1 1 . 2 1 ) . ABSTINENTIA a passé dans nos manuscrits aux formes avec -pt- aptinence ou aptinança (25.11). i) so (pronom

démonstratif)

«Puis que Karles ot comencee la batallie, ne so laissa mie jusqu'il ot Desier lo roi despousé» (ms. Lee; ms. 5714 aussi so-, 73.28). E C C E - H O C > 50 en occitan. 22

Raynouard 11,159. Raynouard IV, 198. 24 Ang 21,142s. 23

33

4- La morphologie verbale a) Participe

présent

On trouve dans le ms. J 7 1 4 du Turpin deux formes en -ent

(typiquement

occitanes) : 335.9

destruient

302.2

creent

alors que dans les autres cas, le ms. 5 7 1 4 présente la forme française en -ant, constante dans les mss. Lee et 124. Au point 322.26, les mss. 5 7 1 4 et 124 conservent totpoent, Lee indique b) Présent de

l'indicatif

Lee

5714

1ère pers. du pluriel: c) Présent de

alors que le ms.

totpoant.

12.16

preiam



(= lacune)

5714

124

Lee

son

sont

sunt

son

sont

sont

328.10***

son

sont

sunt

329.6

on

ont

ont

14.12

firen





Ji-33

fuiren



fuiren

l'indicatif

3eme pers. du pluriel,

I

formes sans i de 5 7 1 4 :

j 308.4

280.14**

Les chiffres de 2 6 2 - 3 3 6 se rapportent aux pages de la Chronique

de

Turpin

interpolée, d'après le deuxième Livre de notre Chronique (avec numérotation identique dans les éditions Auracher et de Mandach) et les chiffres de 1 - 9 0 au manuscrit Lee donc à la première colonne du Premier Livre (v. éd. Bourdillon). Sauf mention contraire les citations offertes dans notre ouvrage sont prises du manuscrit Lee. v. ch. X V , début, ci-dessous, combaterent ms. 5 7 1 4 se rapporte à la p. 52, ligne 5 de Tote listoire, offrant le texte du ms. J 7 1 4 (et non pas combateren d) Présent du

j2.$

deuxième colonne

comme l'a mis Pignon). 2 5

subjonctif

ms. 5 7 1 4 : 6 cas de siant, 3 dans chacun des deux Livres 1 autre cas en -ant dans Tote listoire (63.21), 6 dans le Turpin. Ms. 124 et Lee: toujours -ont. Dans leur morphologie beaucoup plus que dans leur phonétique, les rédacteurs de «Lee» et de « 1 2 4 » ont francisé systématiquement la Chronique qu'ils avaient sous les yeux. C à et là, pourtant, ils ont oublié de le faire.

25

La Du 60, 1,250-255; Bou 73,361-371, Pign 39s.; Pign 6o-CCM,457-47i. 34

e) Impératif

f) Imparfait

(présent du

de

l'indicatif

Tote listoire Turpin I (sans verbes auxiliaires) ]

ms. 5J14

ms. Lee

14.28 14.29 39-23 39.26 39-27

giten meten levem aiam aiam

levom aiom aiom

40.J

estiam

estiom

subjonctif)

ms. 5 7 1 4 : 9 formes en-iant ms. Lee : 1 forme en-iant (63.21 chaiant) ms. 5714: 1 1 formes en -iant ms. Lee : 4 formes en -iant ms. 124 : 1 forme en -iant

Etre A la ligne 3.10 du ms. 5714, on trouve errant pour eriant, ce qui est probablement - à notre avis - une bévue du copiste qui commet encore une autre erreur immédiatement après: au lieu de «Les Goths» li guot, il met li guotli (dittographie). En outre, on trouve trois formes de eriant ou ariant, dans Tote listoire (82.29, 1 9 . 1 1 , 89.3) mais 7 (!) dans le Turpin. Dans deux cas, il y a erian sans t (280.2**, 335.16). Cela fait, en tout, pour la seule troisième personne du pluriel, 13 formes occitanes. Avoir Nous trouvons 1 forme avia pour «j'avais»; j formes aviant pour «ils avaient», dont 1 dans Tote listoire (88.33) mais 4 dans le Turpin. Voilà donc en tout 6 formes occitanes supplémentaires. Ainsi que le dit J . Pignon: «la forme en -iant s'explique. . . par un occitan». 26 g) Futur (ms. Lee et 124: formes en -ont) h) Imparfait

du subjonctif

Le ms. 5714 ne présente que deux formes en -ent, une dans Tote listoire (322.7, venissent) et une dans le Turpin ( 3 1 4 . 1 2 , preissent). Ces deux cas exceptés, le ms. 5714 offre la désinence en -ant. Le ms. 124 ne comporte qu'un cas en -ent (288.10, menassent); tous les autres sont en -ont. 28

Pign 6o-CCM,46 9 35

Le ms.Lee donne deux cas en -ent (310.9 estopassent, 3 1 3 . 1 9 enveiassent), tous deux dans le Turpin; à part cela, toujours des formes en -ont. 27 i) Participe passé: On trouve deux exemples du participe passé facb dans le ms. 5714, auquel correspond, dans les autres mss., la forme feit (=fait). «Ce traitement du groupe -et- se trouve, dit Pignon, - entre autres régions d'oc, en Limousin. Il en existe même plusieurs exemples dans une charte vraisemblablement rédigée à Nersac - à quelques kms d'Angoulême: Eycco fu fach l'an de l'encarnacio Jhuz Crist mil e dos et s a y s s a n t a . . . . 28 Pignon dit, avec prudence: «vraisemblablement». C'est Boucherie qui a supposé que cette charte avait été écrite à Nersac. Ceci nous rappelle le cas des deux chartes du traité de paix entre l'évêque de Metz et le sire Henri de Blâmont signé en 1291. L'une des chartes est dans une scripta adaptée ou parler de Metz, l'autre à celui de Blâmont à 109 km de là dans les Vosges. Schwan et Behrens les reproduisent toutes les deux dans leur célèbre grammaire, nous donnant ainsi un avant-goût des démonstrations très précises et convaincantes de M. Charles Théodore Gossen publiées en 1967. 29 La charte de 1260 rappelle par sa scripta non pas le parler de Nersac, patrie de Rampnon de Narsac à 10 km d'Angoulême, sur la Charente coulant vers la Saintonge, mais bien plus celui de la région de ou Barbezieux bien davantage orienté vers les aires occitanes, celle de «Arnauz Masoyer . . . fillz deu Rampnon Masoyer de Verlena eu la parrosi de Sanht Meart» (l'actuelle aproisse de Saint-Médard, à j km de Barbezieux). Ainsi s'explique la différence entre cette charte «presque exclusivement en langue d'oc» ainsi que l'appelle Boucherie lui-même en 1873, e t l e s chartes «languedoilisantes» des environs d'Angoulême et notamment du scriptorium du comte.30 Donc, le «fach» de la charte signalée par Pignon est une forme occitane qui convient fort bien à un texte «presque exclusivement de langue d'oc». Alors, contrairement à la conclusion de Pignon, nous considérons les facb du ms. 5714 comme typiques de l'occitan « A 2 » . 3 1 A elles seules, ces formes ne signifieraient pas grand'chose - les scripta sont souvent des mosaïques fort complexes et, ainsi que le dit le proverbe: «Une hirondelle ne fait pas le printemps». Ajoutées aux autres formes occitanes citées, elles complètent pourtant l'image que nous nous faisons de notre texte. En conclusion, le des adaptations poitevinisées de notre Chronique ne saurait être plus évident, surtout dans le domaine capital de la morphologie. En effet, comme de dit Pignon, «une communauté de traits

27 28 29 30 31

P i g n $1,267. Tote listoire, 32.19; Turpin interpolé, 319.8**; P i g n 60,273; 73>374Schwan-Behrens, Grammatik des Altfranzösischen, Leipzig, 12. Ausg. 1925,111,32. Bou 73,37 J et n. 1 ; La Du 60 et Goss 67. Turpin interpolé, 32.19, 319.8**.

36

morphologiques, fussent-ils peu nombreux, implique des liens plus étroits que la communauté de certains vocables, lesquels peuvent être aisément empruntés, même si les rapports entre le parler emprunteur et le parler auquel on emprunte sont moins constants». Dans sa thèse de Sorbonne, Pignon résume son impression en disant: «Rappelons enfin que, vers 1225, r a) MILLE >

mire

L'un des traits caractéristiques de notre Chronique est son emploi courant de mire avec -r- pour M I L L E . 3 7 A tout moment - littéralement parlant - la Chronique indique le chiffre de mire, à propos de bien des champs de bataille et de nombreuses donations aux abbayes. 38 b)

EULALIA >

Aularie/Eulaie

Notre Chroniqueur applique au nom de S A N C T A E U L A L I A les formes de S. Eulaie et de S. Eulade qui sont, à une exception près, attestée dans les seules chartes et plans de l'ancien Bordeaux où elles voisinent avec la forme 35

Pal 3 2 , 2 2 1 a , 2 1 9 a ;

Pal 6 1 , 1 9 3 a ;

F E W 11,173s.,

§ I . i ; autre explication

possible,

v. Mai 60,207. 36

Bru 97,100.

37

R o h l 3 5 , 1 0 1 § 3 9 8 ; Bec 6 3 , 4 9 § 4a.

38

ch.XV.2

§ 114a

1 ci-dessous; R 0 I 1 I 3 5 , carte I ; A L G 2 9 0 : point

J48

S a i n t - V i v i e n - d e - M é d o c , Gers etc.; cf. A L G 4 3 4 : garis etc. dans le M i d i de la Gascogne (dans le nord de la province, le français a chassé ); B r u 9 7 , 3 2 4 mil 3 5 , 1 0 1 § 3 8 6 ; Bec 6 3 , 4 9 § 4b.

38

conservé dans charte gasconne. Théorie: Rohl

. 39 Relevons à ce propos que dans le ms. de Wissembourg du Martyrologue attribué à saint Jérôme, on trouve, à la fête du 10 décembre, le nom d'Euladi, alors qu' à la date du 1 1 décembre on y trouve (tout comme dans le ms. d'Epternach de 703), le nom d'Eulaliae.i0 Peut-être la forme Eulade n'est-elle pas uniquement bordelaise ainsi que le croyait Jullian. c) UBI > or Le latin UBI devient or (= où) dans les deux livres de la Chronique (ms. 5714). Le rédacteur du ms. 1 2 4 a si bien poitevinisé son texte qu'on n'y trouve qu'un or pour et celui du ms. Lee a réussi à éliminer toutes ces formes gasconnes. 41 Comme nous le verrons, le rédacteur de 5714 révèle une attitude anti-gasconne et parfois francise le texte davantage que les autres adaptateurs. Ainsi, il n'est pas vraisemblable que ce soit lui qui ait introduit ce or partout dans sa version de la Chronique. 42 3. et , et A u § 2 1 de notre Grammaire comparée des trois textes parallèles (notre ch. X V ci-dessous) figure un tableau des formes de LOCUS et FOCUS dans notre Chronique. Signalons ici qu'on y trouve un bon nombre de formes en -uec, luec, fuec, fuecx; or, ce sont des formes pan-gasconnes. D'autre part, on y voit aussi les formes fuc, lue, phénomène typiquement landais-médocain, ainsi que M. Pierre Bec a bien voulu nous le signaler. Voici quelques cas de fuc glanés dans les anciens documents du domaine gascon occidental: On trouve aussi fuc en ancien béarnais, ainsi que le prouve le Dictionnaire béarnais de Despy-Raymond, 4 3 et en ancien gascon, preuve en est l'ouvrage Disciplines de clergie et de moralités, une traduction gasconne de la Disciplina clericalis de Pierre Alphonse. 44 Ces matériaux supplémentaires sur ces formes nous ont été suppléés par l'amabilité de M. Werner Ziltener, de l'Altgaskogniscbes Wôrterbuch en voie d'établissement à l'Université de Heidelberg sous la direction de M. K u r t Baldinger: on trouve aussi la forme fuc dans un texte de Bayonne daté de 1297. 4 5 Il y a un autre exemple, d'une autre contrée, Condom, daté de 1 3 1 4 . 4 6

39

Tote

listoire,

17.4SS., 8 5 . 1 8 ; Turpin

97,408; Jull 9 5 , 1 4 0 , 2 3 0 a

interpolé,

292.7**, 293.6**, 293,8,9,10**; Bru

(Pl. V I I ) ; D r o 7 4 , 3 0 0 s s . ; R o h l 3 5 , 1 0 2

§387;

v . ch. I . 3 ;

I I b . i / § b et X V . 2 § 1 1 4 ci-dessous. 40

Lev 27,153s.

41

Les 8 7 , 1 1 , 1 0 8 b (or, hor); G ô r 8 2 , 7 ; Bru 9 7 , 3 8 6 «. . . aqui or andeit en p. agradera a Sent Seurin».

42

ch. X I I I . 4 ci-dessous.

43

Les 8 7 , 1 1 , 3 9 3 a ; à côté de fug, foec,

44

D u c 08 (de 1400 environ). A n o 92,108.

45 46

hoec,

v. Les 8 7 , 1 , 3 7 2 a .

Ano 78,741.

39

Dans le Livre des Coutumes de Bordeaux publié par H . Barckhausen, on en trouve un exemple qui est probablement antérieur à 1325;: 47 Ajoutons que les formes gasconnes en -uc et -uec se trouvent aussi dans les Sermons de Maurice de Sully traduits dans une scripta mixte pour le SudOuest. Mais cette mixture supposée n'a pas encore été soumise à un examen solide par un linguiste moderne, et le travail de Boucherie est largement dépassé.48 L'existence de deux fuec aux v. 136 et 152 de la Passion de Sainte Catherine 2 examinée jadis par Tendering ne signifie pas grand' chose, car ce texte mixte n'a pas pu être localisé jusqu'ici.49 4. , et De même le cout (coin, recoin) employé dans notre Chronique à la ligne 80.22 de Tote listoire est un mot typiquement gascon dont l'aire ancienne nous est inconnue.50 Aujourd'hui, d'après Simin Palay, le terme est plus courant dans la région d'Orthez et des Landes, donc de l'ouest du domaine gascon. 61 Notre Chronique relate que le roi de Saintes a fait tuer saint Eutrope par des bru(s)tiers (280.10). Godefroy et d'autres érudits ont toujours essayé de trouver ce terme dans les chartes saintongeaises ou de langue d'oil en général, sans le moindre succès. Ce n'est qu'en 19 IJ qu'Antoine Thomas, un érudit sachant le gascon, a découvert qu'il s'agissait d'un mot modelé d'après le terme breuter, breoter, breutey du gascon qui signifie . En effet, dans les Vies de saint Eutrope latines auxquelles nous reviendrons dans notre chapitre IV, on dit que le roi de Saintes d'adressa aux CARNIFICIBUS de la ville pour faire tuer Eutrope. S'il est vrai que le terme breuter a pu appartenir aux parlers de tous le domaine gascon, il n'est pas moins exact qu'à La Réole, en 1 2 5 5 - 6 1 , donc à l'époque même de la naissance de notre Chronique, on écrivait breutey, alors que dans l'ouest de l'aire gasconne, à Saint-Sever (Landes) comme à Bordeaux, la forme en -r est maintenue. Dans une ordonnance de Louis X I datée de 1461 se rapportant aux bouchers de Bordeaux, il est dit: «O de autre hom que no sia breuter. Observât entre 10 breuters et en totas la brecarias.» Aujourd'hui encore on dit breutey dans le seul Bordelais, selon Palay. 5 2 On trouvera enfin dans notre glossaire un autre mot gascon, signifiant . 47

Bar 90,8 et 1 0 ; S c h u 9 3 , 8 3 . Bou 7 3 , 3 7 , 8 1 , 3 1 3 passim; Pign 60,41s., 164. 49 Pign 60,164; cf. Man 68, v. n. 62 ci-dessous. 50 Pal 3 2 , 1 , 3 2 7 a ; comme le cas cloître qui a passé au fém. aux lignes 82.3 et 283.9 de notre Chronique, en lou cout a passé ici au fém. en la cout. 51 Pal 3 2 , 1 , 3 2 7 a ; Pal 6 1 , 2 8 3 a . 62 T h o 1 5 , 3 3 4 ; Raynouard 1 1 , 2 3 0 ; Ordonnances des rois de France V V , 4 i 5 . ToblerLommatzsch 1 , 1 1 8 4 • • • : indication de 1448 comme date de la Charte de Louis 48

40

j . La chute de 1' -n- intervocalique en gascon non-septentrional a) Lusignen > Lezine > Lezie Après avoir conquis Saintes et la Saintonge occidentale, le singulier qui nous est décrit dans notre Chronique remonte la vallée de la Seugne, prend Chartres-Pons et conquiert Mont Guitmar; puis il fonde une église qu'il donne à l'abbé de Saint-Germain à Paris, église que les mss. 124 et Lee appellent Saint-Germain «de Lezzinie» ou «de Lezzignie». Dans cette église, fut enterré un certain Gautiers «de Lezignie» ou «de Lezzignie», d'après les mêmes mss. 124 et Lee (286.8, 10, 1 1 ) . Nos étudiants chargés de l'enquête topographique en Saintonge n'ont pas réussi à identifier ce lieu. Puis un jour, en relisant les chartes poitevines publiées par M. Milan S. La Du, il nous est apparu que Lusignan était écrit Lezignen, Leseignen, Lezegnen, Leseignien et même, à la ligne 15 de la charte 184, Jofre de Lezigne - nom transcrit naturellement comme Jofré de Lezigné par M. L a Du. Ailleurs, dans une charte de la Trinité de Vendôme datée de 1223, Hugues X de Lusignan s'appelle même Hugo de Lezin.53 Donc, Lezzinie ou Lezzignie pourrait représenter . D'autre part, en scrutant le ms. 124, nous avons découvert qu'il ajoutait, à propos de Mont Guitmar, qu'il s'agissait de l'ancien nom de Jonzac. Or, aux environs de Jonzac il y a, en effet, un Saint-Germain-de-Lusignan. Jonzac faisait même partie de l'ancienne paroisse Saint-Germain de Lusignan (située à 1 km.). Toute la région formait un des grands bastions de Hugues X de Lusignan et ses descendants, au X H I e siècle et plus tard. Gautier de Lezzignie, fils de Sospic, était donc un membre de la puissante dynastie poitevine des Lusignan. Jusqu'ici, aucun problème de phonétique gasconne ne se pose. Mais voici que dans le ms. 5714, dont nous connaissons la tendance conservatrice, nous trouvons un récit disant que l'église donnée à l'abbé de Saint-Germain (des Prés) est celle de . Comment expliquer ce passage de Lezine à Lezie ou Leziai II suffit de nous rappeler que LUNA devient luo en gascon, que le -n- intervocalique tombe dans la Gascogne située au sud du bassin d'Arcachon, de Pessac et de la Gironde - ainsi, d'ailleurs, que dans d'autres parlers romans, comme de vénète et le portugais. Nous avons même un cas semblable dans notre Chronique: S. SATURNINUS Saint-Sornin en saintongeais - dépendance de l'abbaye Saint-Etienne à Vaux près de Royan, est appelée non pas Saint-Sorene mais Saint-Sore (m.) ou X I - par erreur. C e roi n'a accédé à la couronne qu'en 1 4 6 1 . cf. Godefroy 1,748 . . . ; Arch. hist. de la Gironde IV,60: dans le testament de S. Colomb; «Coutumes de la Réole», Ibid. 1 1 , 5 2 4 - 2 6 5 : (années 1 2 5 5 , 1 2 6 1 ) ; G . Millardet, Recueil des textes des anciens dialectes landais, p. m : , en 1 4 3 7 à Saint-Sever; Pal 6 1 , 1 6 4 b : en Bordelais aujourd'hui, v. Glossaire cidessous. 53 L a D u 60,II, Index s. n. Lusignan; Met 9 3 , 1 2 5 s . p. .

41

même Sancte-Sore 824) '

(f.) dans les deux mss. de Tote listoire de France (ligne

Il semble que le rédacteur de 5714 ait fidèlement copié son modèle gascon, alors que ceux des mss. 124 et Lee (ou leur modèle commun indépendant de la version 5714), connaissant parfaitement les environs de Jonzac et le centre des Templiers à Saint-Germain-de-Lusignan, ont su rétablir le nom original saintongeais de Lezzinie ou Lezzignie. Cette évolution curieuse du nom des Lusignan n'a pas qu'un intérêt phonétique gascon, car elle jette aussi des lumières sur les rapports étroits entre les rédactions Lee et 124. b) SANCTA LUCIA >

sánete Lezine

Après avoir libéré Saintes et la confluence de la Boutonne et de la Charente, selon l'Interpolation BI, l'empereur passe la Boutonne selon le ms. 124. Sur les cartes d'aujourd'hui Montrompnie est appelée Moragne, tout comme le Marempnie de notre Chronique est dénommée dans les cartes actuelles du nom de Marennes.54 A cette indication est ajouté «sor la fontaine ou gist Sánete Lezine». C'est en vain que nos étudiants ont tenté d'identifier la sainte et la fontaine, jusqu'au jour où M. Gabet de Rochefort, un historien de la région fort bien documenté, nous a parlé de documents anciens citant une fontaine de sainte Lucie à La Pilette, à 2kms de Moragne. C'est là que se trouvait autrefois la fontaine miraculeuse de SANCTA LUCIA dont l'eau devait guérir les maladies des yeux. Comment expliquer le passage de SANCTA LUCIA à puis ? Or M. Kurt Baldinger a récemment mis en vedette une quantité de formes hypercorrectes précisément dans le domaine gascon: ici aussi nous aurions affaire à une forme hypercorrecte, une comme l'appelait notre vénéré Maître Karl Jaberg, fondée sur une réaction contre la chute de l'-rc-notée ci-dessus. Voici des cas typiques de la chute de l'-n- en gascon : FARINA > faria ou /harie/ UNA > ua 55 LUNA > lua. Voici donc que la phonétique du domaine gascon situé au sud du bassin d'Arcachon et de Pessac contribue de manière efficace à résoudre une devinette posée par un toponyme de notre Chronique. Serait-il possible de davantage le parler de notre Chroniqueur et son attitude phonétique? Sans aucun doute, un jour, les spécialistes y parviendront. 54 55

Turpin interpolé, 281.19s.; 2 8 2 . 1 4 , 2 1 . Bec 63,49; A L G p. ex. carte 874 ; Röhl 3 5 , 1 0 3 § 390; v. aussi la thèse de Fritz Fleischer, Flei 1 3 , 6 8 - 7 2 et carte 3 ; cf. travail capital de M. Baldinger, Bal 5 8 , 5 7 - 7 5 sur les formes hypercorrectes.

42

6. L ' prosthétique et S a i n t A r l o d i en M é d o c E n c h e r c h a n t à i d e n t i f i e r le Saint

Arlodi

en M é d o c cité dans la liste des

dépendances de Saint-Seurin de notre C h r o n i q u e , nous a v o n s pensé qu'il p o u v a i t s'agir de Saint-Trélody,

a u x portes de Lesparre. L e q u e l de ces d e u x

noms était p h o n é t i q u e m e n t le plus ancien? D a n s la c a r t u l a i r e de

Saint-

Seurin, l'église en question est appelée S. TRELODII, ce qui f a i t

supposer

que tel était le n o m ancien d u saint abbé. 5 6 L e peuple a u r a i t

prononcé

le

nom

Sent

Relodi,

ce

prosthétique gascon, Sent

qui

serait

Arelodi

devenu,

puis Sent

par Arlodi.

l'intervention M a i s cette

de

l'a

dernière

f o r m e , attestée p a r notre C h r o n i q u e , 5 7 a-t-elle v r a i m e n t existé en dehors de ce texte? E n 1876, a v a n t la p u b l i c a t i o n de notre C h r o n i q u e , l ' a b b é B a u r e i n d é c l a r a i t «Saint T r e l o d y ou, comme lodi,..

l'appellent

les gens du pays,

Saint

Ar-

,» 58 D o n c notre C h r o n i q u e u r qui connaissait, nous le savons, les

chartes de Saint-Seurin et p r o b a b l e m e n t leur copie dans la petite c a r t u l a i r e de l ' a b b a y e a v a n t 12JO, a p r é f é r é citer le n o m de l'église d'après sa f o r m e p o p u l a i r e locale, d o n c dialectale, et non la f o r m e juridique o u latine. C e c i nous suggère qu'il a bel et bien été sur place, en M é d o c . L a question du rôle q u ' a u r a i t p u jouer le r v i b r é de relodi arlodi,

p o u r q u ' o n écrive le n o m arelodi

ou

c o m m e a v e c un a prosthétique, est une autre paire de manches qui

ne nous concerne pas directement ici. 5 9 H i s t o r i e n bien d o c u m e n t é sur les églises d u M é d o c , l ' a b b é B a u r e i n i g n o r a i t c e p e n d a n t de quelle a b b a y e A r l o d i était abbé. C ' e s t notre C h r o n i q u e u r qui nous supplée cette i n f o r m a t i o n , en d é c l a r a n t que ce saint «fu abes de S a u gion» au D e u x i è m e L i v r e 292.21, et qu'il f u t enterré à S a u g i o n a u x côtés de saint M a r t i n (sans doute le f o n d a t e u r d u prieuré de S a u g i o n , saint M a r t i n «disciple de saint M a r t i n de Tours»). 6 0 A p r o p o s de la région de S a u j o n , signalons encore que C h a r l e m a g n e f o n d a près de M o n b a s i r o n l a chapelle de T h a i m s et la c h a p e l l e de Sainte M a r i e «que l ' o n apele abanele». N o u s ignorons l'origine de ce dernier n o m , mais il p o u r r a i t s'agir de , n o m q u ' o n d o n n a i t a u x églises nouvelles dédiés en l ' h o n n e u r de N o t r e D a m e , n o t a m m e n t t o u t près à P o n t l ' A b b é (canton de S a i n t - P o r c h a i r e ) : ? Comme signifie aussi bien que (RES GESTAE), il était parfaitement plausible d'appeler la Geste de Charlemagne et de Roland par le nom de leur père ou grandpère; mais pourquoi ajouter en raison des exigences de l'assonance ou rime et à cause de la longueur de l'hémistiche. Ecrivant en prose, notre Chroniqueur n'avait nul besoin de cette assez indirecte, mais il a simplement suivi son modèle, la chanson sur le Doon. Ensuite il a apparemment décalqué un passage du chapitre X I de la Chronique de Turpin qui forme le modèle principal de son Deuxième Livre: les batailleurs des Gestes font leurs conquêtes pour exalter la chrétienté. 1 2 3

Tote listoire, 90.21-25. Bou 97, xii et note. Guessard, éd., Doon de Mayence, Paris, 1859. Dans le manuscrit de base de Guessard, la graphie traditionelle de a été rétablie et ne correspond plus à la rime. v. P. Aebischer, La mesnie de Doon de Maience, Mélanges offerts à M. P. Le Gentil (sous presse). 101

« . . . Tant eust gent en l'ost Karle qu'il hi ot quarante mire chevaliers e de ceaus de pié n'en fu nus numbres. Icist qui sunt nomé e numbré, si furent tuit champion Jhesu Crist e bon baron: cist furent noble battaleor e cil maintindrent la crestianté ou monde; avoec ço li empereires de Rome conqmst E s p a g n i e o t l ' a i e Nostre

Segnior

Jhesu

Crist

...•».*

Le préambule du Chroniqueur prépare donc fort bien le lecteur au récit d'une espèce de croisade contre les païens, croisade dirigée par les membres de toutes les trois Gestes de France. En considérant cette transition - préambule comme un épilogue du Premier Livre, Auracher lui a enlevé tout sens: il aurait dû la transcrire au début de son édition, de sorte que dans la suite Bourdillon n'aurait pas eu besoin de l'imprimer à la fin de Tote listoire comme s'il s'agissait d'un épilogue. Le Chroniqueur ayant mis en tête les trois Gestes de France, avant le passage inspiré de Turpin, nous examinerons les textes dans le même ordre. Nous commencerons par la geste dont la contribution à la Chronique est la plus faible, celle de Garin de Monglane, puis nous étudierons la Geste de Mayence et ses gestes-satellites et enfin celle de Charlemagne et de Roland.

4

S m y 3 7 , X I I I . 3 9 - 4 3 ; Turpin interpolé, 296.4-9. Le ms. Lee est le seul a mettre (= .XL. mire) au lieu de soixante mille (.LX. mire) comme les autres manuscrits.

102

VIII. LA G E S T E D E G A R I N D E

MONGLANE

Demandons-nous de prime abord pourquoi Rainier ou son fils Olivier, connu habituellement sous le titre de »comte de Genevois«, portent dans divers récits des abords des Pyrénées en gascon, catalan ou occitan le titre de «de Lausanne». Puis nous tenterons d'identifier les fiefs ou lieux de sépultures de divers fils d'Aimeri de Narbonne (le frère de Rainier) dans le Sud-Ouest. L'un des fils d'Aimeri, Garin d'Anseune et son fief d'Anseune retiendra notre attention particulière. Dans ce contexte nous parlerons de la chanson Ronsasvals conservée dans le manuscrit d'Apt, alors que dans notre chapitre X.3 ci-dessous ce sera le Roland à Saragosse du même manuscrit qui fera le sujet d'un examen. C'est ainsi que les rapports entre le manuscrit d'Apt et notre Chronique seront mis en vedette. 1. Le lignage de Rainier, comte de Genevois Les comtes de la région de Genève s'appelaient à l'origine Gui de Nanteuil, l'ancien nom de Mirambeau près de Mortagne, SaintDizant-du Gua et Conâc, donc précisément dans le fief qu'Artaut reçoit de Charles selon notre Chronique. 1 Ce fief comprend Arnagues, appelé plus tard 1

C o n 52, V , i 2 9 ; Turpin interpolé, 286.22-287.8; cf. Florence Callu-Turiaf dans: Mélanges Lejeune, II,739ss; p. 78 ci-dessus.

110

Cônac ainsi que nous l'apprend le ms. 124, et v a «jusqu'à Nantoil, lai ou Guis desconfit les Sarrazins» (287.26s.). 2 Rappelons à ce propos que selon les chansons de geste, le seigneur Artaut fut le vassal du de Gascogne Y o n , donc du propre beau-père de Guibert d'Andernas dont nous venons de parler. 3 Garnier de Nanteuil eut une fille qui épousa Amaugis auquel elle donna quatre fils: Gui de Hautefeuille, Rahier, Alori et Hardré. Comme dans le cas de Gautier ou Gui d'Allemagne cité au ch. V I I . 1 ci-dessus et comme dans celui de Garnier-Gui de Nanteuil, un nom >G. de Hautefeuille< pouvait être complété sous la forme de Gui aussi bien que de Garin.* C'est ce qui explique le nom de Garin donné à un Hautefeuille dans la Chronique. En outre, les noms de dans notre Chronique. Chez Outremeuse on trouve au contraire les formes curieuses de Saint T r u f f i e n et de Saint Marseal (Bor 64, 1 1 1 , 1 5 2 ) . Or dans le ms C J 4ohi de Battle Abbey à Hastings de la traduction de Maître Jehans, on trouve les formes et (v. Man 6 1 , 390. Par erreur, nous avons donné la cote de ce ms. de Hastings comme B. M. R o y a l 4 G . X I , alors qu'en réalité, il s'agit de B. M. R o y a l 4 C X I ) . (Turpin, ch. V ) 8. M. Walpole a examiné les formes du nom de la ville de D a x en Gascogne, d'après les divers manuscrits de Maître Jehans. Il a découvert que l'un d'eux o f f r a i t la forme ou (ce qui est devenu dans le ms. Auchinleck) alors que d'autres mettaient ais, et tandis que le même manuscrit de Hastings o f f r a i t la forme de ays. Or c'est ce type de ays qu'Outremeuse a reproduit. Wal 45,3855s., Wal 47.

117

turpinien est celui des Grandes Chroniques de France de Primat de SaintDenis. 37 Un troisième semble être la Chronique des Rois de France du Ménestrel d'Alphonse de Poitiers. 38 En outre il y a deux cas où notre Chronique et Outremeuse possèdent des : En premier lieu, Outremeuse et notre Chronique sont les seuls à faire attribuer à Saint-Seurin des milliers d'onces d'argent et autant d'or par Charlemagne. Dans les autres versions, seul Saint-Romain de Blaye obtient cette fortune. 39 En second lieu, dans les chroniques de Turpin habituelles, Saint-Romain de Blaye obtient de Charlemagne le fief d'un rayon de 6 milles, donc comprenant au moins Gauriac, Saint-Trojan, Saint-Girons d'Aiguevives, Eyrans et Anglade. Dans les rédactions de Willem de Briane et du Ménestrel d'Alphonse de Poitiers (qui reflètent habituellement les innovations de Nicolas de Saint-Lis dans sa traduction), on lit que Charlemagne attribua à l'abbaye de Blaye non pas un rayon de six milles mais de six lieues, donc un territoire bien plus étendu. Or selon Outremeuse et notre Chroniqueur, ce rayon comprend non moins de sept lieues - soit en fait tout le sud de la Saintonge et une majeure partie du Médoc. 40 En troisième lieu, Outremeuse relate que Charlemagne «at prise Asserie et Tolete et Esturges». On ne voit pas pourquoi M. André Goosse considère 9. L ' é g l i s e de S a i n t - J a c q u e s de BITERRENSIUM (= de B é z i e r s ) est a p p e l é e

d o n c < S a i n t - J a c q u e s de Bourges> d a n s les m a n u s c r i t s d é r i v é s a u m o i n s e n p a r t i e d e l a v e r s i o n e m b e l l i e M de M o n s , n o t a m m e n t

dans

n o t r e C h r o n i q u e , c h e z le M é n e s t r e l , B r i a n e et M a î t r e J e h a n s . L e B e l g e O u t r e m e u s e a n a t u r e l l e m e n t p e n s é à Bruges de Bruge

en Flandre.

en l i s a n t Burges

et a mis S a i n t - J a c q u e s

- N o u s c o n v e n o n s q u e c e r t a i n s d e ces n e u f

arguments

n e s o n t p a s d é c i s i f s , m a i s ils s e r v e n t à c o n f i r m e r les a u t r e s q u i le s o n t . 37

Les Grandes

Chroniques

et

Outremeuse:

A u c h . I V d e T u r p i n , il est p a r l é de l ' i d o l e des S a r r a z i n s à C a d i x , SALAMCADIS, a p p e l é c h e z O u t r e m e u s e . S e u l s les t e x t e s des Grandes

Chroniques

et d ' O u t r e m e u s e d é c r i v e n t l ' i d o l e c o m m e é t a n t p e r c h é e a u h a u t d ' u n e c o l o n n e o u ( M o r 4 i , I I I , 1 3 ; G o o 6 5 - M y r e u r , I . 3 1 1 8 ) . S ' a g i r a i t - i l ici aussi d ' u n e c o ï n c i d e n c e ? - D a n s les d e u x seuls t e x t e s i n s p i r é s de T u r p i n des G r a n d e s n i q u e s et d ' O u t r e m e u s e Blanche» (Outremeuse)

o n t r o u v e le t o p o n y m e o u « A r l e s le B l a n t »

Arles

remplacé par

Chro-

«Arles

la

( G r a n d e s C h r o n i q u e s ) . M a i s il ne

s ' a g i t l à sans d o u t e q u e d ' u n e c o ï n c i d e n c e , c a r le s u r n o m de «le B l a n t » o u

«la

B l a n c h e » p o r t é p a r l a v i l l e d ' A r l e s est b i e n c o n n u a u m o y e n â g e . R a i m b e r t

de

Paris appelle la ville «Arles la Blanche» c o m m e plus tard Outremeuse (qui doit beaucoup

à Raimbert).

( M o r 4 i , 111,8 5 ; B o r 64, I I I , 1 $2; B a r r o i s , éd., L a

v a l e r i e O g i e r , v . 9 8 3 4 ; d ' a p r è s L a n 0 4 , 4 5 ; Roman

d'Arles:

Che-

. A i x -

e n - P r o v e n c e , B i b l . A r b a u d m s . M . O . 63, f o . 69V., r e p r o d u i t p a r R . L e j e u n e et J. S t i e n n o n d a n s : L e j 66, I I , p l . 1 9 6 . 38

Le Ménestrel

et Outremeuse:

A u ch. V

de T u r p i n , seuls le M é n e s t r e l et O u t r e -

m e u s e r e m p l a c e n t les c h a n o i n e s de l a r è g l e de s a i n t I s i d o r e p a r des m o i n e s de l a règle

de s a i n t B e n o î t

(ms. M C 51

du Ménestrel,

fo. 83a; G o o

6j-Myreur,

1.

3756SS.). 39

Turpin

interpolé,

40

Turpin

interpolé,

Mouskès. 118

3 2 J . 1 9 ; R e i 36, v . 9 0 6 0 - 8 0 ; B o r 64, I I I , 1 5 3 . 3 2 4 . 1 7 ; R e i 36, v . 9040SS.; B o r 64, I I I , 1 6 5 ; c f . c h . X . 1 , 2

sur

que les noms d'Asserie et d'Esturges sont des synonymes de rapportant à la ville d'Astorga (León). O r le ms. 1 2 4 nous o f f r e la solution de ce casse tête en relevant que «Asserie, que l'om apele M a d r i t » . D'après ce témoin, les trois villes citées seraient donc A s s e r i e - M a d r i d (au sud), puis Tolède (plus au nord, mais toujours en Nouvelle-Castille) et enfin Astorga (León) encore plus au nord. L'ancien nom romain était Ossaron, de l'Ossarie du ms. Lee que de l'Assarie

donc un nom plus proche

du ms. 1 2 4 de la Chronique et de

PAsserie d'Outremeuse. On ignore le site exact de POssaron ibéro-romain, en tous cas ce n'est pas O y a r z u n . 4 1 Ainsi que nous le montrons au ch. X I I I . 4 ci-après, le rédacteur de la rédaction 5 7 1 4 corrige p a r f o i s la Chronique dite Saintongeaise en s'inspirant de la V u l g a t e de la Chronique de Turpin. Sans doute a-t-il opéré ici aussi une correction et sauté les noms ibériques et celui de R o c h e f o r t ajoutés p a r notre Chroniqueur: Asserie, Malagon, Elarcos, Requena et Reias, villes qui ont joué un rôle dans la Reconquista; Salveterre (localité portant un nom courant en deçà et au delà des Pyrénées) et Rochefort. 4 2 Il est curieux de relever la f a v e u r dont Bordeaux jouissait auprès du Liégeois Outremeuse. Selon lui Ganelon aurait apporté le trésor qu'il avait reçu des Sarrasins en récompense de sa trahison, le «vendage» de R o l a n d , à «Bordeáis». Borgnet a eu de la peine à comprendre pourquoi cette ville y est mentionnée et suggère en note qu'il doit y a v o i r une lacune dans le récit conservé (p. I J 9 ) . Sans doute ce passage d'Outremeuse rappelle celui de la p. 1 4 0 de l'édition décrivant le transport du trésor de Ganelon à «Bordeáis». d) Anseis de

Cartage

Voici un autre point commun entre les deux auteurs: tous les deux insèrent dans leur récit une version spéciale de la chanson de geste Anseis de

Cartage

sous la forme d'un résumé élliptique en prose, et tous les deux placent ce résumé à la suite de la relation sur la campagne de Charlemagne en Espagne et du chapitre turpinien sur Compostelle et immédiatement a v a n t le récit de son retour à travers les Pyrénées. Voici la version du Chroniqueur d'après

41

42

Goo éj-Myreur, 1.4653, 4658, 4747, 4760; Turpin interpolé, 267.18 n. Le ms. 5714 semble avoir éliminé ces noms d'apparence apocryphe par rapport à son deuxième modèle, une Chronique de Turpin habituelle, v. ch. XIII.4 § D ci-dessous. Seul César E. Dubler pense que Ossaron = le petit bourg de Oyarzun près de Saint-Sébastien et Fuentarrabie, appelé d'habitude (= Oierçon) par les Romains. C. E. Dubler, Los Caminos a Compostela en la obra de Idrisi, Al-Andalus 14 (1949), 100 et n. 3. Turpin interpolé, 267.i8n.: Malagon, victoire chrétienne de 1 2 1 2 ; Alarcos, défaite chrétienne de 1 1 7 5 ; Requena, combats contre les Maures en 1189 (mort du comte d'Urgel) et 1 2 1 9 (défaite des Tolédains); Reias, l'un des nombreux d'Espagne; Salvaterre, peut-être bourg gascon entre Ostabat et Orthez sur la route des pèlerins, ou autre Salveterre, du Sud-Ouest de la France au des provinces espagnoles de Sarragosse, Alava, Badajoz, Pontevedra ou de Salamanque. Rochafort, de l'estuaire de la Charente. 119

le ms. Lee: «Puis que Karles li bons empereires ot tote Espagnie conquise en icel jorn , si fit equi Ansei roi e ballia li mil chevaliers de mainee e proia li de tenir paiz. E proia lo disore de conimbres son ami qu'il lo gardast corne son cors, et que se gardast de sa fillie, car s'il ne mesfazoit riens, il auroit tote Espagnie perdue». ( 3 1 3 . 7 - 1 3 ) Ms. 124: « . . . E proia lo de isore...» Tournons nous vers Outremeuse qui dit: «La [Espagne] comandat Charlon a Anseis, al la requeste de Ysoreit, que ilh ne toche a sa filhe Letiese, car mais en venroit.»i3 Sur le point de quitter l'Espagne, Charlemagne offre ce royaume à Anseis, le seigneur de la province d'ailleurs très grande de Cartagena appelée chez les Français. Il le prie cependant de ne pas toucher à Létise, la fille du sire Isoré de Coïmbre dite chez les Français, sinon un grand malheur lui arrivera. Nous mettrons donc dans notre édition «E proia lo d'Isoré de Conimbres, son a m i . . . » e) Le panachage des Gestes de France Notre Chroniqueur et Outremeuse créent tous les deux une véritable Geste de Charlemagne et d'Ogier dans laquelle ce dernier est souvent mis en lumière. Tous les deux s'inspirent directement de la chanson de Doon de Mayence et mélangent les gestes à plaisir tout en mentionnant divers héros relativement rares. Nous citons les pages du troisième tome de l'édition Borgnet: 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.

Arnars de Bealande Alori Guis d'Altrefolhe >chis de Louvain< (= le duc de Louvain) ly cuens de Flandre Richart ly duc de Normandie ly duc de Lamborc Garin de Loeraine Gerart de Roiselhon Gandis li castelains de Bordeais

p. p. p. p. p. p. p. p. p. p.

110 1J4 159 122 122 143 143 142 99 152

Dans le manuscrit du X V I e siècle suivi par Borgnet pour son tome troisième, au est souvent rendu par an. Dans notre nom no. 10 il faudra lire Gaudis. Ce Gaudi ou Gaudin du parti bordelais nous est connu, nous avons cité la mention de sa tombe à , aujourd'hui dans le Médoc (292.25) Hautefeuille devient dans notre Chronique (292.1 j), mais chez Outremeuse. Le duc de Limbourg est appelé correctement Saintes< ici, mais A Q U A E , c'est-à-dire Acs, pour rappeler le lavage du champ de bataille avec des eaux. De notre point de vue, la légende du lavage du champ de bataille prend comme point de départ l'étymologie du nom de A es (= D a x ) , tout comme dans notre Chronique le nom de Saintes, qui a l'air de ne pas avoir pu exister avant la christianisation de la ville, est le point de départ de la légende du baptême par Charlemagne. André Duchesne, de son côté, constate qu'avant l'annexion de la Guyenne par Louis V I I (en 1 4 5 1 ) , D a x portait le nom honorifique de , en raison des douze tours de la ville qui appartenaient aux douze familles oligarchiques de la cité, dont elles détenaient le pouvoir: depuis 1 4 5 1 , elle s'appelle Acqs.n M. Guiette en conclut que la ville de Noble, dont la conquête est décrite dans les récits épiques est, non pas Pampelune ainsi que le voudrait M. Aebischer, mais l'actuelle D a x en Gascogne. Le malheur veut que les textes cités par M. Guiette soient de l'époque de Philippe le Bon et de Louis X I I I , de sorte qu'ils ne prouvent pas grand chose pour l'époque de Philippe-Auguste ou du X l l e siècle. C'est alors qu'il est utile de consulter notre Chronique. Bien que composée sous Philippe-Auguste, ses interpolations épiques remontent à des sources antérieures. Or, la Chronique dite Saintongeaise confirme absolument le point de vue de D a v i d Aubert, Duchesne et de M. Guiette: 1. D'abord, elle décrit le rassemblement des troupes de Charlemagne dans les «landes de Bordeu» après la prise de cette ville (296.9SS.) 2. Ensuite, elle conte la prise de Noble par Roland (296.13SS.) 3. Puis elle relate le passage des Pyrénées en direction de Pampelone, avec Arnaud de Beaulande en tête, selon le récit de Turpin (296.18ss.) Donc, Noble est une ville située entre les landes de Bordeaux, c'est-à-dire entre les environs de Belin et de la Grande Leyre dont nous avons parlé, et les Pyrénées. Pour plus de précision, le Chroniqueur mentionne la fondation de l'église de Saint-Vincent de Nobles qui est sans doute la vieille église de ce vocable qui nous est bien connue en raison de l'allusion supposée à l'épitaphe du maire de palais Aggiardus, mort le I J août 778 lors de la célèbre déconfiture du train de Charlemagne. 1 2 Or, Mario Roques a proposé, nous l'avons dit, de distinguer diverses étapes de l'évolution, en l'occurence les stades A et B. A y regarder de près, on voit

11 12

Gui 55,76s.; Gui 6 1 , 2 0 9 - 2 1 3 ; Gui 4 0 , 1 , i 9 5 s s . v. René Louis, A propos de l'épitaphe métrique d'Eggihard, sénéchal de Charlemagne (1s août 77$), Studi in onore di Italo Siciliano, Firenze, 1966, 6 8 6 - 7 1 0 , surtout 695s.

129

qu'il se détache de la classe B des textes que l'on peut appeler le stade C. A u stade A , Noble est le surnom honorifique de la ville actuelle de Dax, en Gascogne. La conquête de cette ville suit la prise de Bordeaux. 13 Dans la suite, le siège de ville par Roland l'amoureux des dames est transféré à Saragosse, au stade B, et même à Luiserne au stade C . Noble se voit ainsi transférée automatiquement au-delà des Pyrénées, aux environs de Pampelune ou même à cette ville. Si donc M. Guiette a parfaitement raison, M M . Aebischer et Contini n'ont pas tort non plus. A. Stade A: Première branche de la Saga, Chronique dite Saintongeaise et David Aubert: La Prise de Bordeaux et de Noble Notre Chronique dite Saintongeaise est un document de valeur en ce qu'elle confirme parfois la description de la mise en prose par David Aubert dans sa Chronicques et Conquestes de Charlemaine, de 14 $ 8. Si notre Chroniqueur permet à Fourré de survivre à la conquête de sa ville, c'est tout simplement que, dans la suite, il traduira fidèlement le ch. X V I de Turpin où Fourré défend la forteresse de Mon jardin en Navarre contre Charlemagne. David Aubert choisira un autre expédient: Fourré meurt lors de la prise de sa ville, selon la légende ancienne et, par cette mort, il empêchera la conquête de l'Espagne par les chrétiens, ainsi que l'ange Gabriel l'avait prédit à l'empereur - selon la première branche de la Karlamagnus Saga. Chez D a v i d Aubert, ce ne sera pas Fourré qui défendra la forteresse de Monjardin, mais (comme chez Girard d'Amiens) son frère David. Dans le récit des sections 45 et J i - J 2 de la première branche de la Karlamagnus Saga, la prise de Bordeaux et celle de Noble se suivent, tout comme dans notre Chronique et chez David Aubert. Le récit norrois est très instructif: «Charlemagne est en train de guerroier en Saxe lorsque cet ange Gabriel lui apparaît et lui ordonne de libérer l'Espagne du joug Sarrasin - tout en le mettant en garde de ne surtout pas tuer le roi Fuir de . Alors le roi envoie Roland, Olivier et des troupes à Noble - tout en leur enjoignant expressément de ménager à tout prix la vie du roi Fuir. Ils arrivent à la Garonne, appelée Gerund en norrois, et là ils ne trouvent ni gué ni autre moyen de transport, et ils ne savent pas où traverser. «Alors le roi Charlemagne tomba à genou en prière et il pria que Dieu leur facilitât le passage à travers le fleuve, s'il voulait qu'ils aillent en Espagne. Et Dieu fit un miracle en faveur du roi Charlemagne: une biche blanche passa le fleuve à gué, et ceux-là chevauchèrent à sa suite. Alors le roi Charlemagne envoya Roland et Olivier en avant, et avec eux tous les meilleurs chevaliers, afin d'assiéger Nobilis. 13

R o q 62,1 J J - I 6 8 .

130

Et lorsqu'ils arrivèrent là, le roi Fuir avait organisé une grande armée contre eux. Alors Roland dit à Olivier: «Veux-tu entendre une folie, compagnon?» Olivier répond: «J'en ai entendu déjà assez; mais de quoi s'agit-il?» Roland répond: «Charlemagne, mon parent», dit- il, «nous a demandé de ne pas tuer le roi Fuir, qui n'est pas encore pris.» Olivier répond: «Ce serait une surprise, dit-il, pour qui le prend, si on peut le prendre.» Ensuite tous s'armèrent, et divisèrent l'armée en trois corps, cent mille dans chacun; Roland et Olivier étaient dans la quatrième partie. Le roi Fuir était avec sept mille chevaliers, tous bien armés et ordonnés en sept corps. Roland et Olivier piquèrent de l'éperon leurs chevaux et galopèrent les premiers, en avant de la colonne, contre le roi Fuir. Et le roi Fuir donna un coup de son épieu dans l'écu d'Olivier, si bien qu'il y resta planté. Mais Roland le vengea bien, et ficha au milieu de l'écu du roi son épieu, et traversa et l'écu et le côté, et le jeta à bas de son cheval. A cet instant Olivier frappa le roi Fuir de son épée à la nuque, à travers le heaume et la tête, si bien qu'il ne s'arrêta qu'au menton. Alors vint toute leur armée, de sorte qu'une grande partie de la gent païenne trouva la mort, de même que ceux qui étaient dans la ville; et ils prirent la ville et la surveillèrent pour le roi Charlemagne. Ensuite Roland et Olivier ainsi que toute leur armée s'en allèrent, et lavèrent et séchèrent tout le champ de bataille afin que le roi ne vît pas le sang, au moment où il serait venu. Alors il arriva à la ville déjà prise et demanda où était le roi Fuir. Roland répondit qu'il avait été tué. «Le roi fut irrité et frappa avec son gant sur son nez, parce qu'il avait donné l'ordre qu'on le lui livrât vivant«. 1 4 Dans notre Chronique, la Garonne est appelée , chez David Aubert . Au scriptorium de Ratisbonne sous Henri le Lion et la duchesse Mathilde la fille d'Aliénor d'Aquitaine, le passage miraculeux de la est bien connu. On la décrit dans l'Entrée d'Espagne résumée des premiers 360 vers du Ruolantes Liet de Chuonrat der Phafe où le nom rime avec . Dans la Kaiserchronik cependant on prend la pour une ville, on confond ce nom avec la ville de Bordeaux que baigne la rive gauche du fleuve. 1 5 Selon l'Entrée d'Espagne des Gonzague, Roland dirige la quatrième échelle lors de l'assaut contre Noble, fait que le Roman de Thèbes ne manque pas de rappeler au v. 8826 en 1 1 5 5, M. Roncaglia l'a montré. 16 La chanson de la Prise de Bordeaux et Noble telle que la reflète ces textes est donc antérieure au milieu du X l l e siècle, donc antérieure aux premières chansons de geste rimées. Voici un petit tableau synoptique des versions David Aubert et de notre Chroniqueur:

" Aeb 68,9-10. Man 68-Actes, n. 12 § 2.

15 16

R o n 6I,IBible< historique de l'époque, la Chronique de Turpin.

133

Par la suite, la rédaction originale Roland à Saragosse fut adaptée au dauphinois et remaniée à Grenoble - sans doute au cours du X l V e siècle, ainsi que M . H . E. Keller vient de le montrer. Il est difficile de déterminer la langue de la rédaction originale. Pour le moment, il suffit de rappeler que le rédacteur connaissait les environs de Saragosse et que sa scripta semble avoir contenu des éléments aussi bien occitans que de langue d'oïl, voire francopicards. Le rédacteur utilisait le mot dans le sens de lâcheté, un sens attesté uniquement en occitan, donc il pensait en occitan. Mais ce mot nous est parvenu sous la forme de sans v initial, à la manière des dialectes du N o r d et de l'Est de la France. 1 7 L a forme est du N o r d de la France, voire franco-picarde. Rappelons qu'à Saragosse, Huesca, Tudèle, Estelle et dans le quartier de Saint-Sernin de Pampelune il y avait une bonne proportion de gens qui parlaient occitan, et que Guilhem de Tudela et son collaborateur anonyme écrivirent la >Chanson de la Croisade contre les Albigeois< non pas en aragonais ou en latin mais en occitan. Les rois d ' A r a g o n dont Saragosse était la prestigieuse capitale étaient aussi les suzerains de la Catalogne et du marquisat de Provence, plusieurs d'entre eux étaient des troubadours et presque tous attiraient des troubadours à leur cour. Ainsi il existait un nombre de personnes ayant intérêt à écrire ou écouter une chanson occitane mettant Saragosse en vedette. Etant donné que le français était la langue favorite des chansons de geste, il était bon d'insérer des formes françaises dans le texte, afin de le rendre plus noble et plus «épique», sans parler du charme particulier d'une langue mixte. L a genèse de Roland à Saragosse mériterait d'être étudiée. La scène du combat au bord de la fontaine serait à rapprocher de l'épisode semblable de la Chanson d'Aspremont (R Bordeaux,

318SS.).

Il est curieux de voir que dans Roland

à

c'est Roland qui joue le rôle principal - Olivier n ' y a que faire.

C'est Roland qui se déguise en Sarrasin et combat ainsi. Dans Roland

a

Saragosse, c'est Olivier qui combat sous un déguisement sarrasin. Dans un récit analogue, la Chanson le Karlmeinet,18

d'Ospinel

à Saragosse qui nous est connue par

Olivier a le beau rôle, et dans certains récits d'Italie comme

le ms. V 7 de la Chanson

de Roland

il en est autant dans certains passages

relevés par M. A l d o Rosellini. Roland

à Saragosse se diffusa non seulement dans les domaines occitan et

franco-provençal mais aussi en Italie. O n trouve un épisode de >Orlando a Seragoza< dans la Rotta

di Roncisvalle

au chant II, strophes 4-30. Cette

chanson italienne indépendante f u t insérée au milieu du X V e siècle dans le manuscrit luxueux de Borso d'Esté à Ferrare qui contient surtout la Spagna in rima. Dans les éditions de la Spagna in rima imprimées à Venise, Bologne et ailleurs, la Rotta f u t réduite de plus en plus, car en somme c'est un corps

17 18

Kell 69,137-158, Roq 32, Roq 40, Roq 44,18-33, Roq 46, Roq 62. Aeb 60,1 I I S S . , Man 61,31 j : branche Va.

134

étranger dans la Spagna relevant d'une tradition différente. Mario Roques ayant étudié les rapports entre et les deux de Grenoble et de la Rotta, il est inutile que nous y revenions. M. Meredith Jones de son côté a signalé que l'idée du galant Roland, du Roland le Furieux, les personnages de Bramimonde et Euraque de ont inspiré en Italie les poètes les plus illustres, jusqu'à Arioste. Il est regrettable que les critiques de l'oeuvre d'Arioste n'aient jamais tenu compte jusqu'ici des judicieuses remarques de M. Meredith Jones. 19 La Chronique dite Saintongeaise était difficile d'accès jusqu'ici, dans la transcription complexe d'Auracher, ce qui explique le peu d'écho qu'elle a obtenu. C. Stade C: Entrée d'Espagne: et attribution du nom de Noble à Pampelune Selon les chansons de geste, Roland aurait conquis, à la suite de Bordeaux et de Noble, la ville de Luiserne. Rappelons à ce propos le vers de Gui de Bourgogne Il a près de .vii. ans que de Nobles partie Quant ala a Luiserna ou il encore siet.

Luiserne était encore plus éloigné de la France que Bordeaux ou même Saragosse, c'était donc le site épique idéal pour des envols d'imagination et de poésie. C'est ainsi que s'explique peut-être le transfert de certains passages de à Luiserne, la création d'un dans l'une des Entrée d'Espagne. Il est vrai que l'Entrée d'Espagne du no. $3 de l'inventaire des livres français des Gonzague de Mantoue (1407), le manuscrit Venise X X I conservé, ne contient pas l'épisode de . Sans doute ne le connut-il jamais, car ses trois lacunes se rapportent soit à Nàjera en Navarre, soit à Roland en Orient. Mais selon l'Inventaire cité il existait une autre version de l'Entrée d'Espagne, celle de , qui s'est perdue. On peut supposer qu'elle contenait un , car les deux dérivés principaux de la collection Entrée d'Espagne, la Spagna in rima20 et les Fatti di Spagna (alias Il Viaggio di Carlo Magno in Ispagna)21 contiennent chacun leur . Toutes ces oeuvres sont encore du X l V e siècle. Mario Roques a admirablement décrit les rapports entre et . Relevons seulement que dans la Spagna in rima, chant X X V I I , strophes 19-22, Roland quitte Pampelune pour aller vers l'Espagne (donc dans cette optique, vers le Léon et la Castille, vers l'Ouest) pour aller à Lucerna, mais là de nouveau on parle d'un grand fleuve.

19 20 21

Cat 3 9 , 1 1 1 , 2 4 1 - 2 4 8 ; Dio 5 9 , 2 0 7 - 2 4 : , Roq 62, Rugg 6j,2765s., Mer 38,I6OSS. Cat 39, 1 1 , 3 9 3 - 3 9 3 , c - X X V I I , ott. 1 9 - 2 2 . Rugg 5 1 , 9 8 - 1 1 3 ; Man 64,629s.

135

Or Lucerna, une ville détruite dans la suite, était située au bord du lac de Sanâbria (Leon), et non pas au bord d'un fleuve comme Saragosse. 22 Au stade A, la première branche de la Karlamagnus Saga, David Aubert et notre Chronique dite Saintongeaise relatent la Prise de Bordeaux et de Noble avec des scènes particulièrement intéressantes sur remonte à Jean Gras et son confrère le trouvère Gautier. Rappelons qu'on connaissait fort bien le Roman d'Alexandre dans les milieux gallo-romans de Pampelune, on disposait même d'une version navarraise écrite au X H I e siècle. Or l'inspiration alexandrine de l'Entrée est manifeste. L'esprit de tolérance et d'amitié entre les populations chrétiennes et mahométanes en Espagne avait favorisé l'éclosion d'un personnage dénommé Mudarra, héros épique des chrétiens de l'Ibérie qui fut mahométan de naissance. Ainsi que R. Menéndez Pidal l'a montré récemment dans un article posthume dans les Mélanges Rita Lejeune, la légende de ce héros Mudarra du Portugal s'est greffée sur celle du Galien telle qu'on la trouve dans le Galien français et dans le Ronsasvals occitan du manuscrit d'Apt pour donner un franco-italien né mahométan dans le royaume islamique du Portugal. 24 Par son étude le grand romaniste espagnol met en vedette le «couloir épique» qui relie la péninsule ibérique et sa coexistence arabe — espagnole - occitane au grand domaine des enthousiastes de la littérature occitane, domaine qui comprend notamment les centres de provençalistes du X I V e siècle: Padoue, Ferrare, Mantoue et Florence. Même si Jean Gras de Navarre et Gautier d'Aragon ont bel et bien existé comme hommes en chair et en os, le rôle de poète et de créateur du Padouan anonyme qui a refondu et développé l'Entrée d'Espagne originale est indéniable. C'est sans doute lui qui a inséré l'esprit courtois dans la chanson de

23

Néophilologus 3 (1918), T h o

24

13, v.

241SS.,

Béd.

12, II,120,

T h o i 3 , I , i v ; Jean et Gautier:

2779SS.,2810,2930.

R a m ó n Menéndez Pidal dans: Mélanges R. Lejeune, Gembloux, 1969, I,494ss. 138

geste,25 c'est lui qui a inventé ou développé le rôle de Désier le roi des Lombards, c'est sans doute lui aussi qui a manifesté sa haine de bon Padouan pour les hordes de guerriers impériaux germaniques en introduisant des Allemands détestables dans l'épopée. Grâce à sa culture classique élevée, il a su relever le niveau de l'épopée et lui donner son éclat tout italien. Rien de plus naturel en Espagne que de mettre en vedette les villes de Saragosse, de Pampelune et de Lucerna en y transférant des épisodes galants et héroïques de la vie de Roland et de ses compagnons. Notre Chronique de Bordeaux sert de témoin ancien du stade archaïque A . Elle nous permet de suivre l'évolution ultérieure à travers les pays et les siècles. On peut se demander à quelle date la Prise de Bordeaux et de Noble qu'elle contient fut rédigée. Sans doute est-elle antérieure aux années 1 2 0 5 - 2 0 de la Chronique. Nous avons des raisons de croire qu'elle est antérieure aux années 1 1 2 0 - 3 o. 26 En conclusion, M M . Robert Guiette et Paul Aebischer ont tous les deux raison, bien qu'ils défendent des points de vue différents: M. Guiette, éditeur des prend le point de vue du stade A (Dax) représenté dans cette oeuvre. M. Aebischer au contraire, éditeur d'un fragment capital de l'Entré

d'Espagne,

défend la perspective de

celle-ci. 25

Anna Maria Finoli dans Cultura Neolatina X X I (1961), 175SS. Voici un tableau de l'Entrée d'Espagne complète: I Rolant et Ferragut, éd. Thomas, v. 1-4214. Dédicace à saint Jacques de Compostelle, fondé sur Jean Gras de Navarre et Gautier d'Aragon, indirectement le ch. 17 de Turpin. Padouan anonyme. II. Siège de Pampelune, v. 421 J - I I 137, par Padouan anonyme, inspiré par Jean Gras et Gautier. Contient la Prise de Pampelune camouflée sous le nom de , v. 6678-6767, 9410-10938. Dans autre version peut-être: . III. Roland en Orient, v. 1 1 1 3 8 - 1 5 3 2 2 , par Padouan anonyme; lacune de plusieurs quaternions dans le manuscrit. IV. Prise de Pampelune, v. 15323SS. par Nicolas de Vérone, de Padoue. Seuls les 31 premiers vers conservés. Première partie de la par Nicolas. V. Prise du reste de la Navarre, manuscrit Venise V, éd. Mussafia sous le titre erroné , 1864. Deuxième partie de la Nicolas. (VI. Bataille de Roncevaux. A la fin du ms. Venise V, mention ).

La Spagna in rima, Spagna in prosa, Spagna magliabecchiana ne s'inspirent que des parties I—III et ajoutent une partie VI, soit selon la Rotta, soit selon d'autres sources. Les Fatti di Spagna s'inspirent de I - V I (Les Fatti parlent de Noble dans Rugg $1,46-53). 28 La Prise de Bordeaux et de Noble originale devait être antérieure à 1124, car la Prise de Noble a été adaptée à la mode de la prise d'une ville comme à Jéricho pour une que nous connaissons par ses traductions partielles en norrois et en latin. En norrois, dans la Karlamagnus Saga branche V, prise de Nobilis aux ch. 1,8-9. En latin, au ch. X X X I I I de la Chronique de Turpin, v. Man 65,94 et n. 1 ; Turpin interpolé, 332.8ss.; cf. aussi Smy 37, 49 et n. 3; Man 61,81 et n. 142,78; Aeb 67,1415s., Aeb 68,1-32. I

}9

Peu à peu les «couloirs épiques» rayonnant de la France du Nord et de l'actuelle Wallonie vers les pays riverains de la Mer du Nord et vers Bordeaux sont mis en lumières, tout comme les «couloirs épiques» menant de Bordeaux à Saragosse et Pampelune, et de là à Grenoble et en Lombardie. Dans le cadre de ces itinéraires épiques européens, la Chronique dite Saintongeaise tient une place de choix. 4. Le substrat épique de la Chanson de Roland L'une des légendes les plus curieuses relatives à Roland est celle de son agonie et le lancer de l'épée qui lui avait tant servi dans un cours d'eau afin qu'elle ne tombe aux mains des Sarrasins. Cette légende se trouve au chapitre 39 de la Chanson de Roland norroise de la Karlamagnus Saga. Ici seul Charlemagne peut arracher Durendal du poing du cadavre de Roland et il la jette dans un cours d'eau où elle s'abîme pour l'éternité. Or Roland est appelé dans la Chanson de Roland, et dans notre Chronique c'est le chadaigne Landri de la Vau do N é qui jette son épée à l'eau avant de mourir «car il ne voloit que li Sarrasin l'eussont» (287.17s.). Rappelons que d'après la section 36 de la première branche de la Karlamagnus Saga, c'est Landri, le , qui donne Durendal à Roland. 27 Au stade , dans le Ronsasvals, c'est dans un lac que Roland jette son épée pour éviter qu'elle ne soit utilisée par les Sarrasins. Au stade C, dans le Morgante de Pulci, c'est dans la mer que l'épée est jetée. Inutile d'ajouter qu'il n'y a ni lac ni mer au faîtes des Pyrénées, à Roncevaux. Nous observons ici une gradation curieuse qui rappelle celles que nous avons signalées précédemment. On trouve en somme dans les Gestes de Charlemagne norroise et galloise, dans les oeuvres sur Charlemagne et Roland de la périphérie de la France, notamment en Germanie, en Wallonie, à Bordeaux et dans les Pyrénées ainsi qu'à Grenoble et en Italie du Nord, des traces concrètes d'un état primitif de la Chanson de Roland. Il devait y avoir un diptyque littéraire rolandien offrant un premier volet sur l'Entrée d'Espagne qui préparait divers aspects dramatiques de la «bataille de Roncevaux>, et la Chanson de Roland proprement dite. Dans bien des cas, le premier volet était trop bien connu dans la France centrale, dans l'Angleterre francophone, de sorte que les jongleurs pouvaient se concentrer sur le deuxième volet plus tragique et donc plus beau, comme dirait Musset. Ceci n'est pas une raison pour nier l'existence d'une Entrée d'Espagne dans l'ensemble primitif. Toutes les allusions de la Chanson de Roland aux prises de Noble et de Cordes, à l'ambassade tra27

ce nom de de la Saga signifiant est curieux, cf. Entrée d'Espagne, v. 2257,6540: catan. Le terme occitan est . cf. it. Schlofihauptmann selon F E W 11.1,256a.

140

gique de Basin et Basile à Sarragosse, etc. suffisaient comme rappels à de longs récits antérieurs. Sans ceux-ci les allusions étaient sans intérêt. C'est pourquoi M. Paul Aebischer a tenté notamment en 1968 de se constituer une image de cette Entrée d'Espagne. Elle devait contenir avant tout les trois épisodes suivants: 1. Prise de Noble 2. Mort tragique des ambassadeurs Basin et Basile à Sarragosse 3. Les amours de Roland et de sa belle-mère Geluviz, la deuxième femme de Ganelon qui l'avait séduit en cachette, explication de la haine mortelle entre Roland et Ganelon. 2 8 L a Prise de Noble ne se trouve que dans la périphérie, nous l'avons montré, dans les textes norrois et dans notre Chronique, chez D a v i d Aubert. L a mort de Basin et Basile à Saragosse n'est conservée que dans le ms. Peniarth 7 de la Bibliothèque Nationale de Galles à Aberystwyth, dans le ms. également gallois de Hergest à O x f o r d , dans la version A a de la K a r l a magnus Saga (première branche) et dans l'oeuvre de Nicolas de Vérone citée. Le texte norrois est le plus laconique, celui des Gallois plus étendu, celui de Nicolas le plus développé. Le péché de Roland et la femme de Ganelon sa belle-mère ne s'est conservé que dans la Saga, et là seulement dans la version A a . Les rédacteurs très religieux de la version tardive Bb en Islande l'ont écarté, peut-être pour des raisons de morale. De même le péché d'inceste entre Charlemagne et Berte sa soeur, la mère de Roland, n'est relaté que dans la périphérie, dans l'atelier de la Kaiserchronik et du Ruolantes Liet de Ratisbonne on n'y fait qu'une brève allusions à propos de saint Gilles qui a absout l'empereur de son grave péché bien qu'il ait refusé de le confesser. Cet épisode un peu scabreux n'a été conservé que dans la périphérie, Mme Rita Lejeune l'a montré. 29 Sans doute y avait-il à l'origine un diptyque littéraire composé d'une Entrée d'Espagne suivie d'une Chanson de Roland, puis chacune des parties aurait suivi son chemin à lui, comme il arrive dans les cas de bien des diptyques artistiques ou littéraires. Oeuvre de périphérie, notre Chronique fait le pont entre le N o r d et l'Ouest de l'Europe et le N o r d de la France d'une part et l'aire occitane-italienne de l'autre.

28

29

L e j 6 6 , 1 ; II, pl. 2 7 (Cosmedin), pl. 7 1 , fig. 73 (appelée 7 4 ) sur Brindisi, pl. 4 4 , 1 7 , 1 1 7 ; Ross 6 8 , 4 9 , 5 3 , 5 5 ; M a n 69-Actes. L e j 66, cf. Rita Lejeune dans: Actes du I V e Congrès de la Société Rencesvals, Heidelberg, août-septembre 1 9 6 7 . Winter, Heidelberg, 1 9 6 9 (Studia romanica hrsg. v. K . Baldinger, G . H e s s , H . R . Jauss, E . K ö h l e r ) , 9 - 2 7 ; M a n 6 1 , 2 2 1 2 8 3 , surtout 2 6 8 - 2 8 3 ; M a n 69-Aspremont, Conclusion.

141

XI. C H R O N I Q U E DE

TURPIN

En 1961 nous avons montré que le modèle principal turpinien de notre Chronique dite Saintongeaise était la traduction française de Nicolas de Saint-Lis rédigée entre 1 1 9 5 et 1205 pour Hugues I V de Camdavène et son épouse Yolande, le comte et la comtesse de Saint-Pol. C'est en 1 1 9 5 que Baudoin V de Hainaut laissa à sa mort son manuscrit latin du Livre de saint Jacques avec Translation et Miracles de saint Jacques plus Chronique de Turpin remaniée et embellie à Mons (M2*) à sa soeur Yolande de Saint-Pol née de Hainaut. Avant 1205 Nicolas se chargea de la traduction de la Chronique de Turpin de ce manuscrit. 1 Sans doute en 1 1 8 4 et en tous cas avant la mort de Barberousse en 1190, Baudoin V de Hainaut avait fait don à cet empereur d'une copie de son manuscrit M2* avec récits sur saint Jacques et Turpin, et ce texte nous est conservé dans le manuscrit Madrid 1 6 1 7 (M2S-Smyser) publié en 1937 par Hamilton Smyser. 2 Grâce à cette édition nous connaissons le modèle exact latin de Nicolas. En outre nous connaissons trois dérivés de sa traduction, l'une notre Chronique dite Saintongeaise, l'autre la chronique de Willem de Briane que nous avons publiée en 1963, et en troisième lieu le Turpin de la Chronique des Rois de France du Ménestrel d'Alphonse de Poitiers (1250-70) que nous avons découvert depuis.3 Le modèle latin et les rejetons littéraires de la traduction de Nicolas nous permettent de nous faire une idée assez précise, dans bien des cas, de ce qu'elle a dû être. La connaissance du modèle turpinien français du Chroniqueur dit Saintongeais nous permet à son tour de mieux apprécier l'effort d'adaptation linguistique et littéraire de celui-ci. En examinant nos travaux de 1961 et 1963 à ce sujet, M. Jan Short fit l'observation suivante dans sa thèse de doctorat de philosophie (Ph. D.) de l'University de Londres de 1966: il est possible et même très probable que le modèle commun de Willem de Briane et de la >Chronique dite Saintongeaise< n'était pas écrit en français mais en latin. Donc Briane ne s'est pas fondé sur la traduction de Nicolas mais sur le modèle latin de celui-ci qui devait

1

2

3

Man 61,93-104, 296,369-372 surtout section 2b.; Man 6 3 , 2 5 - 3 1 ; Raynouard I, x x i ; Par 47,7415s.; Par 6$-PT, 44—5 y ; Mer 38,178; Wol 64,245s. Rou 95,474. Smy 37 (variantes «M» en note représentent les variantes du ms. Madrid 1 6 1 7 portant le sigle M2S-Smyser dans notre liste, Man 61,370 § 2b. v. ch. X I . 2 ci-dessous.

142

offrir déjà toutes les variantes ou erreurs communes qui unissent les deux textes. Cette hypothèse est digne d'un examen approfondi. A ce propos nous examinerons 13 cas témoins. En second lieu nous étudierons les rapports existant entre la traduction de Nicolas de Saint-Lis et le Turpin de la Chronique des Rois de France du Ménestrel d'Alphonse de Poitiers. En troisième lieu nous explorerons les liens qui rattachent les Grandes Chroniques de France de Primat de Saint-Denis à la Chronique du Ménestrel et indirectement à Nicolas de Saint-Lis. Ainsi nous obtiendrons de nouvelles données sur la diffusion de la traduction de ce personnage. 1. Le modèle commun de Briane et du Chroniqueur était-il une version latine ou une traduction française? Notre premier objectif est d'examiner la nature de 13 variantes communes existant entre le texte de Willem de Briane et celui du Chroniqueur dit Saintongeais. Est-il exact que ces variantes communes représentent des transformations issues du processus de traduction, dans bien des cas? Est-il juste que dans d'autres, les quiproquos commis par Briane ou le Chroniqueur ne furent possibles que si ces copistes ont eu un texte français sous les yeux? Nous avons arrangé les 1 2 variantes en trois groupes: I. Le modèle commun introduit de nouveaux éléments en fonction d'une source extérieure. Il peut s'agir indifféremment d'un modèle commun latin ou français. Cas a et b. II. Il existe non seulement identité d'une pensée supplémentaire, mais aussi identité d'expression - et ce qui est plus, une expression dépendante du pronom français . Favorable à la thèse d'un modèle commun français. Cas c, d, et e. III. Cas motivés par le processus de traduction ou de copie basé sur un modèle commun français. Favorable à la thèse d'un modèle commun français. Cas f-m. I. Dans certains cas, le rédacteur du modèle commun fait entrer dans son Turpin des éléments absents dans toutes les autres versions de la Chronique. Ce modèle commun peut être soit latin, soit français. a) Le rédacteur du modèle commun a puisé dans la légende de saint Torquat pour compléter le texte turpinien: il ajoute que l'abre de ce saint fleurit le 15 mai de chaque année, en une nuit ou du soir au lendemain.4 b) Le rédacteur du modèle commun remplace un passage turpinien emprunté à l'évangile selon saint Marc par la variante correspondante ex4

Briane, 130 (dans Man 63); Turpin interpolé, 267.11SS.; cf. Mer 36,99.1 et. p. 288. Nous devons cet apport à la thèse de M. Jan Short, London University College 1966.

143

traite de l'évangile selon saint Mathieu qui accentue le rôle de Marie la mère de Jésus. 5 II. Cas avec identité de pensée et d'expression c) La phrase «NOCTE ILLA RÉTRO REDIERUNT IN CAMPUM BELLI» du chapitre X V de Turpin est rendue ainsi par Briane: «e s'en emblerunt la nust de le oost. .. e vindrunt la ou la batayle avoyt esté». Comparons ce passage à celui du ms. 5714 de la Chronique: «quar en icela nuit s'enblerent de l'ost e vindrent on champ or la batalie avait esté».6 d) Dans la Chronique de Turpin le duel judiciaire de la scène du jugement de Ganelon se produit comme dans la Chanson de Roland entre Thierri et Pinabel. Thierri se bat PRO SEMETIPSO dans la Chronique, comme garant de Roland dans la Chanson. Or aussi bien Briane que notre Chroniqueur dit Saintongeais suivent à ce propos la leçon de la Chanson de Roland qu'ils insèrent dans leur traduction basée sur Turpin; Briane écrit «E pur ce s'en armerent deus chivalers Terry pur Rollant et Pynabel pur Genyloun», alors que le Chroniqueur dit «Maintenant si -n en pridrent batallie dui chevalier: Pynebeus per Guanelon Terris per Rollant, car Rollanz l'avoit feit chevalier.» 7 Ajoutons que dans le texte latin, Pinabel est écrit PINABELLUS avec i, alors que Briane et notre Chroniqueur écrivent tous les deux le nom avec y. L'emploi fréquent de en dans le modèle commun se manifeste très souvent aussi bien chez Briane que chez notre Chroniqueur, ce qui mène à des formes comme en enrencevaus, en engalice, de engalice dans les textes postérieurs (v. ch. X I . 2 sur le Ménestrel qui suit la même tendance qui s'inspire du même modèle commun). Dans notre édition de Briane en 1963 nous avions émis l'idée que seul Briane remplaçait PRO SEMETIPSO par pur Rollant de sorte que ce changement nous apparaissait comme dû à l'intervention de Briane. Aujourd'hui nous devons réviser cette opinion: c'est sans doute le rédacteur du modèle commun de Briane et du Chroniqueur (Nicolas) qui s'est inspiré de la Chanson de Roland pour »corriger« la Chronique de Turpin dans ce cas unique. e) Dans un autre cas, le rédacteur du modèle commun ajoute la phrase emmena (ou en mena) en Espaigne. Voici le texte latin: «eo quod omnes cives illius in Runciavalle gladio perierunt». Briane interprète ceci de la manière suivante: «pur ço ke il en mena en Espayne totes les gens e furrent occys en Rencevaus». Chroniqueur: «per ço que . . . car il en mena toz les homes avoec lui e tuit furent martyr en Ronscevaus». Il est vrai que les mots en Espagnie manquent ici, mais on les trouve dans le Turpin du 5 6 7

Smy 37, X X I V . 3 2 ; Briane, 8 j $ s . ; Turpin interpolé, 312.11s. Smy 37, X I X . i s . ; cf. Mer 3 6 , 1 4 3 . 2 1 ; Briane, 579s.; Turpin interpolé, 302.9. Briane, 1171SS.; Turpin interpolé, 323.6ss.; ms. J 7 1 4 : tel qu'il en existait beaucoup au moyen âge, ou par un autre moyen engageant un sort; en outre, il a remplacé le présent de (ou ) par un passé indéfini. Or, ce sont les traducteurs qui passent facilement d'un temps à l'autre, en traduisant le latin 8

8

10

Smy 3 7 , X I I I . 2 2 ; Briane, 3 7 8 S S . ; Turpin interpolé, 2 9 5 . 1 9 ; v. ch. XI.2 ci-dessous, Ménestrel, ms. MC JI ou Berne 607. fo. 92c]. Smy 3 7 , V l l . i é n . ; Briane, 2 0 2 S S . D'après l'édition de Willem de Briane par M. Jan Short, il faudrait mettre non pas au vi} comme nous l'avions indiqué dans notre édition de 1963, mais au wi} avec un w, à la manière anglo-normande. Turpin interpolé, 2 7 0 . 1 5 : Des apparaît souvent à côté du cas-objet Dé pour le latin D E U S - c'est la forme habituelle entre Vienne et Charente. Smy 3 7 , X X X I V , 4 2 ; Briane, 1 2 8 7 , Turpin interpolé, 329.19; Me Jehans LXXXVII.4.

I4i

en une langue vulgaire: et ce sont encore eux qui remplacent volontiers le présent (historique) qui sied au latin, par une passé (composé) convenant mieux au français. Briane mentionne: «Les Sarazyns diunt e unt

sorty»,

alors que notre Chroniqueur indique: «ço avoient il sorti». Ajoutons que le verbe sortir n'est pas fréquent en français médiéval. Il serait curieux que les deux, Briane et le Chroniqueur, par pure coïncidence, utilisent une forme identique au même endroit, pour rendre une circonlocution latine. 1 1 i) En un certain passage, les deux rédacteurs, Briane et le Chroniqueur, ajoutent ces trois mots en ce siècle: et . C'est de nouveau le traducteur qui a ajouté ces mots, en v r a i diffuseur désirant expliquer autant que traduire. 1 2 k) A propos de la description de la fresque de la musique au palais impérial d ' A i x , (chapitre X X X I ) il est parlé de grands mystères, un mot proche de en traduisant

MAGNA MIISTERIA

qui veut dire

MAGNA MYSTERIA,

MAGNA MINISTERIA.

facilement, commettre une erreur d'interprétation, prenant un

C'est

du latin que notre rédacteur du modèle commun a pu, très

MINISTERIA,

MYSTERIA

pour

et rendre ceci par ou comme

on le trouve chez Briane et le Chroniqueur. 1 3 1) A u chapitre X V I I I de Turpin il est dit que la

TERRAM PORTUGALLORUM

avait été attribuée aux Danois et aux Flamands. Le terme géographique latin est habituellement traduit en français par Portugal tingal.

Les Grandes

Chroniques

ou Portigal, Por-

mettent « . . . la terre de Portigal

aus

D a n o y s et aus Flamens». Cependant, le traducteur du modèle commun français de nos deux textes a eu l'idée de séparer de sauter le dernier élément,

PORTU

de

GALLORUM

tout en mettant le premier au génitif.

et

C'est

ce qui il est arrivé à la traduction , texte fidèlement copié par Briane et légèrement adapté par le Chroniqueur à son langage , texte conservé dans les mss. 5714 et Lee, ou comme dans le ms. 124. Le est représenté par au ch. III (267.20-23), mais tombe plus loin au ch. X V I I I (31 I.J). Même si Briane et notre Chroniqueur avaient tous deux eu le terme latin tellus Portu Gallorum

devant les yeux, il est très peu vraisemblable qu'ils

soient tombés indépendamment sur le même type excentrique de traduction , et qu'ils aient tous deux omis la traduction du terme Gallorum.u m) Pour terminer, revenons à un exemple présenté plusieurs fois ailleurs : Pour traduire le nom de

BITERRENSIUM

du ch. V de Turpin, les Grandes

Mer 36,102.11; Smy 37, VI.18; Briane, I6J; Turpin interpolé, 269.9s. Mer 36,204.16; Smy 37, XXVII.55 ; Briane, 1136; Turpin interpolé, 322.2. 13 Smy 37, X X X I V . 2 7 ; Briane, 1276; Turpin interpolé: 328.17 et n. 3. 14 Smy 37, XXIII.9; Briane, 831; Turpin interpolé, ms. 124,31 I.J n (les autres mss. mettent avec z). 11

12

146

Chroniques de France mettent Bediers,15 alors que la version occitane que nous croyons être du Quercy, le ms. 15a, met Bezers-16 Ce sont là les traductions normales et correctes. Briane et notre Chroniqueur, au contraire, mettent Borges ou Beorges, c'est-à-dire la ville de Bourges. Comment s'expliquer cette erreur? Par le modèle du traducteur qui, en l'occurrence, indiquait bitenensium et que le traducteur a cru devoir interpréter comme biturigum, soit Borges, l'actuel Bourges.11 Surtout les dix dernières variantes furent le résultat d'une traduction, d'une transformation linguistique du texte. Le modèle commun de notre Chronique, de Briane et du Ménestrel fut donc une traduction française et non un texte latin. Cette traduction fut sans doute celle de Nicolas de Saint-Lis rédigée à Saint-Pol. Avec cette translation, Nicolas inaugura toute une série de traductions turpiniennes en prose française (1.). 2. Après 1205, en 1206, Maître Jehan de Boulogne traduisit une version C de la Chronique de Turpin en prose française pour Renaud de Dammartin, comte de Boulogne. 18 Non seulement il s'inspira de la traduction de son voisin de Saint-Pol également en Picardie pro-Plantagenêt pour mettre Borges comme traduction erronée de BITERRENSIUM, mais aussi il s'inspira de l'introduction de Nicolas en faveur de l'historicité et de la véracité de la prose et pour la lisibilité et la diffusion majeure de la prose vulgaire (ms. C J 3*). Peu après la traduction de Maître Jehans fut remaniée stylisitiquement par Pierre de Beauvais (ms. C J 15), clerc qui traduisit en 1 2 1 2 la du ms. M2 de Baudoin V Yolande de Saint-Pol, avec dédicace à la comtesse Yolande. 19 3. Après 1206 Pierre de Beauvais copia le début de la traduction turpinienne de Maître Jehans de Boulogne pour le placer en tête de son Pèlerinage de Charlemagne en prose dédicacé à sire Willem de Cayeux (mort en 1214). 4. Plus tard un diffuseur a remanié le premier chapitre de la traduction originale de Maître Jehans de Boulogne en y insérant un résumé du Pèlerinage de Charlemagne en prose de Pierre de Beauvais et en commettant certaines erreurs de copie (ms. C J 20*). 5. Plus tard encore, mais encore avant la mort de Philippe-Auguste en 1223, un clerc remania et expurgea la traduction remaniée de Maître Jehans

15

v. Mor

16

v. M a n 6 1 , 3 8 6 ms. C

17

Smy 3 7 , V I . 2 9 n.; Briane, 1 7 8 ; Turpin interpolé, 2 6 9 . 1 9 ; cf. Mer 3 6 , 1 0 5 . 6 . Comme dans le cas h) cité ci-dessus, Me Jehans de la cour de Boulogne offre une leçon voisine ou identique: il met Boorges. v. Man 6 3 , 2 6 § 3 .

4 1 , III,i3

(comme dans Aimeri de Narbonne, 15a; Man

cf. Lan

04,95:

Besiers).

63,26.

18

Man

19

A . de Mandach, Le modèle et la méthode de Pierre de Beauvais dans son Livre de saint Jacques (sous presse), Max Berkey dans: Rom. 8 6 ( 1 9 6 5 ) , 7 7 - 1 0 3 , Rom. Phil. 1 8 ( 1 9 6 5 ) , 3 8 7 - 3 9 8 , Spéculum 4 1 ( 1 9 6 6 ) , 5 0 5 S S .

61,389.

147

pour sire Michel de Harnès et son roi, Philippe-Auguste, le vainqueur de Bouvines (ms. C J 100*). 2 0 Les indications (ms. C J 3*), (ms. C J 20*), (ms. C J 100*) se rapportent à notre classification des manuscrits de la Chronique de Turpin de 1 9 6 1 , p. 3895s. A cette époque nous n'avions pas encore analysé la position des écrits de Pierre de Beauvais. Personne jusqu'à présent n'a établi l'ordre chronologique de la chaîne de traduction en prose française entre 1205 et 1 2 2 3 , de sorte que M M . Woledge et Clive ne pouvaient pas s'en douter dans leur liste des premiers textes littéraires en prose française, en 1964. Cette liste met en vedette l'oeuvre des deux clercs ayant travaillé pour la comtesse Yolande entre 1200 et 1 2 1 2 , Nicolas de Saint-Lis et Pierre de Beauvais. Une comparaison des variantes de chaque version avec celle qui fut utilisée en 1 4 5 8 par David Aubert permet de voir que celui-ci s'est inspiré de la quatrième version, de la version remaniée de Maître Jehans que nous appelons le ms. C J 20*. Un examen des divers rejetons de C J 20* avec le texte de David Aubert montre que ce clerc qui travaillait alors à Hesdin et environs suivit le ms. C J 2 2 (B. N . fr. 5 7 1 3 ) qui appartenait alors à Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol, ville située à 22 kms de Hesdin. 21 On peut imaginer que David Aubert a également employé d'autres ouvrages épiques de la bibliothèque de Saint-Pol de si riche tradition. A u X l l e siècle déjà Graindor de Brie avait remanié la Chanson de Saint-Pol, en 1 1 9 7 on y écrivit le roman Guillaume

d'Antioche de Palerne

pour la cour en l'honneur

de Guillaume II de Sicile, le propre beau-frère de Richard Coeur de Lion, sire de Hugues I V de Saint-Pol. C'est dans cette ambiance favorable aux Deux-Siciles, à Saint-Pol, on le sait, que fut rédigée la Bataille

Loquifer.

A v e c Beauvais et Boulogne, Saint-Pol contribuait à l'essor épique de la Picardie. Voyons si l'influence de la traduction turpinienne de Nicolas de Saint-Lis ne s'est pas étendue vers la région de Poitiers.

2. Le Ménestrel d'Alphonse de Poitiers, adaptateur de Nicolas de Saint-Lis Par hasard, nous avons pu découvrir la traduction turpinienne insérée par le Ménestrel d'Alphonse de Poitiers dans sa Chronique France

20 21 22

de 1 2 J 0 - 7 0 . 2 2 En général, le Ménestrel suit la Chronica

des Rois Regum

de

Fran-

Man 61,391 § jb. Man 61,389, bas de la page, 314. La Chronique des Rois de France du Ménestrel d'Alphonse de Poitiers: les mss. Après avoir trouvé un Turpin dans la Chronique du Ménestrel, nous l'avons signalé à un jeune turpinien M. Jan Short de l'Université de Hull tout en lui envoyant la photographie du Turpin de Berne 590, suggérant qu'il envisage peutêtre une édition. De son côté M. Short a obtenu des résultats remarquables : il a découvert qu'il existe deux rédactions diverses du Ménestrel, et il a su dépister un nouveau ms. à Paris (ms. M C j 2 ci-dessous). En attendant des détails sur la 148

corum

ad annum

1214

rédigée dans le milieu de Robert de Saint-Marien

d'Auxerre. 23 Celle-ci contient un Turpin

abrégé, jusqu'ici inconnu des spé-

cialistes de la Chronique de Turpin - de la version C mise à la mode dans le milieu de Richard Coeur de Lion (et diffusée en français par Maître Jehans). Or pour son Turpin, le Ménestrel a suivi tantôt la version latine « C " de la Chronica,

tantôt la traduction française du type et de la plume de Nicolas de Saint-Lis. différence entre les deux rédactions, nous publions ici une simple liste qui n'en tient pas compte. M C 51

Exemplaire de dédicace au comte Alphonse de Poitiers et de Toulouse. 1. Berne, Bibl. des Bourgeois 607.1250-70. Chronique menée jusqu'à la mort du père d'Alphonse, le roi Louis V I I I , eni226. 2. Copiée de M C 50* par un scribe parfois peu méticuleux qui se laissait influencer par son parler régional. 3. 172 fos. conservé, sans compter 20 fos. au moins de perdus. Turpin: fo. 8ob-i2ob (c'est le texte que nous citerons toujours ci-après). Passa sans doute à la mort d'Alphonse de Poitiers à son neveu et héritier, Philippe I I I le Hardi. Exemplaire qui servit de modèle a) au texte du prologue, b) d'une partie du Turpin et c) à la miniature-dédicace du ms. de dédicace à Philippe I I I le Hardi en 1174 (ms. Sainte-Geneviève fr. 728). Miniature de M C J I : Ménestrel agenouillé devant Alphonse assis sur son trône et flanqué de deux évêques et d'une suite, offre un livre à son seigneur. Miniature du ms. Sainte-Geneviève 728: Primat agenouillé devant Philippe I I I assis sur son trône et flanqué d'évêques et de sa suite. Le ms. brouillon personnel de Primat (comme ses copies plus méticuleuses) aurait été été meilleur et plus exact que la copie de luxe pour le roi Philippe. Le ms. passa au milieu de Henry V I roi d'Angleterre, soi-disant roi de France, vers 1431, donc après la Prise de Paris par les Anglais; plus tard le ms. passa dans les mains de diplomate-bibliophiles d'Henry IV envoyés à Rome: Jacques de Dion, et Jacques Bongars dont la bibliothèque passa à celle de Berne en 1636. Encore sans table généalogique des rois; mène de Troyes et Pharamond à la mort de Louis V I I I .

MC j2

Paris, B. N . 2815. 1. Histoire de la Gaule de Clovis au couronnement de Philippe le Bel (1285), en partie d'après le Ménestrel. Turpin du Ménestrel aux fo. i/d~4}a, ligne 1. En outre, ch. X X du Turpin d'après Maître Jehans (ou une rédaction dépendante de sa version, p. ex. celle de Pierre de Beauvais), fo. 47bc. 2. Enfances de Jesu Crist, fo. 1 9 1 - 2 3 1 . chanson de geste de env. 6700 vers. Ms. probt. du règne de Philippe le Bel ( 1 2 8 J - 1 3 1 4 ) , roi de France qui choisit Charlemagne comme modèle, v. Short 69,9.

M C $3 1. Berne, Bibl. des Bourgeois J90. Début du X l V e siècle, Picardie. 3. Suivant la tendance habituelle, on a placé une histoire allant de la Création à l'histoire de l'antiquité grecque et romaine et jusqu'à Pharamons en tête de la Chronique des Rois de France originale, afin de créer une Histoire Universelle. Chronique des Rois menée jusqu'en 1 1 2 6 plus phrase se rapportant au début de 1226/27 (pape). Suivie d'autres textes. Turpin absent en raison d'une grosse lacune entre les fos. 60 et 61. Table généalogique des rois de France suit la Chronique propre149

C o m m e Nicolas, il ajoute que Thierri était le garant de R o l a n d lors de son duel justicier contre Pinabel (critère d); nous avons déjà mentionné son addition de

à propos d'Angelier (critère f). Il ajoute

en cest siecle dans le planctus de Charlemagne pour son neveu (critère i) et il rend BITERRENSIUM p a r Boorges Chronica,

(sic) (critère m). 2 4 Si le rédacteur de la

et le Ménestrel après lui, n'avaient pas sauté plusieurs chapitres

contenant d'autres passages-critères, il y aurait sans doute plus de variantes du type introduit p a r Nicolas. Comme le T u r p i n de la Chronica

Regum

Francorum

( C 50*), celui du

Ménestrel ne reproduit ni l'Epitre P r é f a t o i r e de T u r p i n à Leobrand d ' A i x , ni l'introduction du chapitre premier sur les conquêtes supposées de C h a r l e magne - y compris l'Angleterre. D e même que la Chronica,

le Ménestrel ne

copie pas le T u r p i n au-delà du ch. X X I X : le ch. X X X porte Saint-Denis aux nues, on le sait, et la Chronica n'est pas particulièrement f a v o r a b l e à Saint-Denis; au contraire, on le sait, Robert de Saint-Marien est entré dans l'ordre de Prémontré. D ' a u t r e part, la Chronica,

et le Ménestrel à sa suite, sautent la Prolongation

de la Disputation R o l a n d Ferragut et le Portrait de Charlemagne, les ch. ment dite. Passa à l'abbaye de Fleury, puis, au X V I e siècle, à Pierre Daniel et à Jacques Bongars. M C 5 7 1. Paris, B. N . fr. 5700. X I Y e s. 3. Chronique proprement dite, comme dans M C 5 1 . Table géncal. des Rois; texte en français de l'Ile-de-France (standardisé). Miniatures moins archaïques que celles de M C 5 1 . n i fos. Histoire menée de Pharamond à 1226. M C 5 9 1. Paris, B. N. fr. fond Jean-Pierre Mariette, cote inconnue (notre enquête au Cabinet des Manuscrits a été vaine). 3. Utilisée par Dom Bouquet dans son Recueil des historiens de la France. Graphie française standardisée. Fut propr. de l'abbé de Camp avant de passer dans la bibliothèque de Mariette. M C 6 1 1. Genève, Bibl. Publ. et Univ., fr. 81. milieu du X l V e s. 3. fo. 1 - 5 2 : Chronique des Rois de France proprement dite précédée d'arbres généalogiques; ensuite Pharsale de Nicolas de Verone (Ferrare, 1343); éd. Wahle; graphie italienne. 23

Les manuscrits de la Chronica Regum Francorum ad annum 1214 C 5 o* Chronica Regum Francorum ad a. 1 2 1 4 , original, de 1214 environ, perdu. C 5 1 Paris B. N . lat. 14663, anc fo. 20ir-203v; foliot. moderne, fo. 2i8r-220v.: Turpin. S'arrête à l'année de Bouvines, la grande victoire de PhilippeAuguste (1214). Anc. St Victor de Paris. X V e siècle. C 53 Paris, B. N . lat. 17008, nouv. fol. 20r~30v: Turpin. Texte d'un copiste peu soigneux et tardif. Le récit devait probablement être mené jusqu'à l'année 1214 (comme C J I ) , mais le texte s'arrête à l'année 1204 (conquête de la Normandie) [année de la fin de la Chronica de Robert de Saint-Marien d'Auxerre dont celle-ci s'inspire]. C 55 Dublin, Trinity College, E. 3.24. v. Short 69,8. 24 ms. M C 5 1 ou Berne 607: a) fo. 87a; e) fo. 118c.; f) fo. 92d.; k) fo. 1 1 7 b . ; h) fo. 83a. IJO

X V I I a et X X des versions longues de la Chronique de Turpin (telle que la version «C»). L a Chronica

reprend le récit exactement au même point

que la version A-Saint-Denis dont les rejetons des versions primitives ou embellies rayonnaient de Saint-Denis, des monastères normands ou anglonormands affiliés à Saint-Denis ou en rapport étroit avec ce centre historique royal, et également de Mons. Signalons un f a i t curieux: la Chronica latine C 50*, la Chronique du Ménestrel et notre Chronique dite Saintongeaise arrêtent subitement leur récit turpinien dès après la déclaration de R o l a n d disant qu'il est de la loi chrétienne (adressée au géant sarrasin Ferragut de N á j e r a ) . 2 5 Cette coïncidence est d i f f i c i l e à expliquer. Passons à l'examen de la personnalité du Ménestrel. Dans sa dédicace à Alphonse, il l'appelle «comte de Poitiers et de Toulouse». O r Alphonse a pris possession du comté de Toulouse en septembre 1 2 5 0 . D ' a u t r e part, c'est en 1 2 7 0 qu'il a quitté pour toujours le sol de la France pour se joindre à la croisade dirigée p a r son illustre frère et roi, Saint-Louis, et c'est en 1 2 7 1 qu'il est mort à son retour en Europe, à Savone. D o n c le Ménestrel dut écrire sa Chronique entre septembre 1 2 5 0 et 1 2 7 0 . Outre son style, ce sont certains passages favorables a u x bénédictins et à Saint-Savinien qui révèlent son attitude. Alors que Philippe Mouskès, le f u t u r évêque de Tournai, traduit les «CANONICOS» du ch. X I I I du p a r Templiers

Turpin

et montre ainsi les préférences qu'il a v a i t pour l'ordre du

Temple alors f o r t en vedette sous Saint-Louis, notre Chroniqueur de B o r deaux, partisan fanatique de Saint-Seurin (une abbaye sujette de l'archevêché d e B o r d e a u x ) t r a d u i t «ANTISTITEM E T CANONICOS (SECUNDUM BEATI ISIDORI

REGULAM)» p a r «arcevesques

e chenoines» - peut-être parce qu'il savait que

Compostelle était (depuis 1 1 1 9 ) un archevêché. L e Ménestrel, au contraire, montre la prédilection qu'il a v a i t pour les abbés bénédictins, en traduisant la même phrase latine p a r «abbé et chanoines selonc la riule saint

Beneet».2f>

D o n c notre Ménestrel non seulement remplace l'antistes p a r un abbé, mais encore il substitue à la règle de saint Isidore de Séville (qui était en réalité plutôt une coutume, selon l'abbé Pierre D a v i d ) p a r celle de saint Benoît. Voici un autre exemple du même genre: au ch. X X I I I , à propos de la confession de R o l a n d a v a n t son entrée en bataille, il est dit que d'habitude les guerriers de cette époque se faisaient confesser peu a v a n t la bataille et recevaient l'eucharistie - le CORPUS DOMINI comme l'appelle le Chroniqueur de B o r d e a u x qui f a v o r i s e les termes techniques en matière théologique - p a r les m a i n s des é v ê q u e s et des p r ê t r e s , PER MANUS EPISCOPORUM ET SACERDOTUM.

C e Chroniqueur traduit ceci de la f a ç o n suivante, selon le ms. 1 2 4 : «. . . quant il s'estoient feit confes ans arcevesques,

aus evesques e aus provoires.«

Les archevêques faisaient automatiquement partie du corps des évêques,

25 26

Mer 36,152.22 et 153.22; Turpin interpolé, 306.1/4. Man 61,295, Concordance, § 2 ; Mer 36,136.13; Mer 36,102.18; Turpin 269.13s.; M C 51, fo. 82d-83a.

interpolé,

IJI

il n'était pas nécessaire ou utile d'en faire une mention spéciale; en outre, il est douteux que des archevêques (au pluriel) soient là sur le champ de bataille dès avant un combat ou guet-apens, mais notre Chroniqueur est libre de montrer l'intérêt qu'il porte au rôle des archevêques peut-être était-ce son archevêque qui lui avait commandé sa Chronique qui n'inclut, nous l'avons dit, que les diocèses de la province de Bordeaux (sans Bazas donc). D'ailleurs le ms. 124 de la Chronique, souvent le plus archaïque, était la propriété de l'archevêque de Bordeaux dès le second quart du X l V e siècle au plus tard. Le Ménestrel, de son côté, met «a moines, a prestres et a evesques».27 Derechef l'ordre monastique est mis en relief. Au ch. X X V , Charlemagne pleure Roland qu'il vient de découvrir à Roncevaux roide mort. Il fait planter des tentes et embaumer les corps des principaux défunts et célébrer des EXEQUIAS MAGNAS CANTIBUS E T LUCTIBUS. Le Ménestrel est le seul à spécifier que le service funèbre fut célébré «as prestres et as clers, et as evesques et as abes qui la estoient».28 Il est naturel de faire célébrer des services pour les morts par des prêtres et des évêques, éventuellement avec l'aide de clercs, mais il est assez rare de voir des abbés figurer parmi les célébrants. Au ch. V I I I , Charlemagne arrive dans une région où il fonde une très belle église en l'honneur des saints Fagon et Primitif SANCTI FECUNDI E T PRIMITIVI. Au lieu de mettre Seynt Fagon ou Saint Fagunt comme Willem de Briane ou le Chroniqueur dit Saintongeais, le Ménestrel remplace l'église par une abbaye (!) érigée «en l'eneur Saint Savinien et Saint Primien les sainz martirs.» Qu'est-ce qui a pu induire le Ménestrel à remplacer Saint Fagon par saint Savinien? Les deux chapitres V I I I et X de Turpin rapportent le même miracle des lances fleuries de certains guerriers de Charlemagne qui sont prédestinés à la mort par Dieu, mais le premier se serait passé à Saint Fagon - Sahagun en Espagne, le deuxième près de Taillebourg en Saintonge. Ces deux chapitres s'inspirent sans doute des légendes de saints dont le bâton avait produit subitement des feuilles et des fleurs à la suite d'une prière du saint. On racontait la légende pour l'un des trois saints Savinien, celui de Troyes qui est céphalophore et qui est vénéré à Melle en Poitou et à Saint-Savinien près de Taillebourg au bord de la Charente, donc au lieu de la bataille des lances fleuries relatées dans le ch. X de la Chronique de Turpin. Dans les deux chapitres V I I I et X la légende originale du bâton fleuri par miracle a été transformée en une légende de la lance fleurie, et dans les deux cas ce miracle a été lié à une indication visible de la prédestination du croisé à la mort, en parallèle avec le chapitre X V I de Turpin qui relate le miracle du signe visible de la croix sur le dos des guerriers prédestinés à la mort, à propos de Monjardin dans les années postérieures à 1084 sans doute, donc avant que le 27

Smy 37,XXVI.52s.; Turpin interpolé, 318.25, 319.2-4 et notes; M C 5 1 , fo. ii2d.

2 8

M C J I , fo. 117c.

152

signe de la croix devienne, dans la «Première croisade», le signe de la prédestination à la mort certaine.29 Saint-Savinien sur Charente fut fondé en 1034 comme dépendance de SaintJean d'Angély, plus tard ce prieuré bénédictin fut affilié à Cluny. On voit encore la chapelle et les vieux bâtiments qui servent aujourd'hui de chais et de magasins, au sud du bourg. A la suite d'une erreur de Joanne, Connoué a cru que c'était un prieuré augustinien.30 Plus tard la légende de la bataille des lances fleuries a été transférée une deuxième fois, notre Chroniqueur crut qu'elle eut lieu entre Taillebourg et Saintes à Saint-Saturnin, aujourd'hui Saint-Saturnin de Séchaud, lieu où les anges eux-mêmes auraient enseveli les guerriers morts selon la volonté de Dieu qui les avait prédestinés au martyre ( 2 8 1 . 8 ) . Plus tard encore, la légende fut transférée une troisième fois, à Ecurat tout près de là, non plus à une bataille livrée par Charlemagne mais par Saint-Louis, lors de sa victoire dite de Taillebourg ( 1 2 4 2 ) contre les Anglais. 31 Les vitraux actuels d'Ecurat représentent Saint-Louis et on montre tout près la maison MontLouis où le roi aurait passé la nuit après la bataille. Tel est le chemin parcouru par une légende. A l'origine elle était hagiographique et devait prouver la puissance extraordinaire de la foi. Puis elle devint historique-militaire et épique. Dieu fit le miracle non pour un saint mais pour un roi de France, Charlemagne ou même Saint-Louis. Simple bâton fleuri et feuillu à l'origine, l'objet du miracle devint un instrument de guerre, une lance fleurie, objet assez difficile à peindre sur les boucliers et ailleurs comme le signe de l'intervention divine et de la prédestination du croisé volontaire à la mort. Très vite on prit ce symbole pour une fleur de lis, de sorte que la fleur de lis devint le symbole du roi de France, du >Charlemagne< tel qu'il fut représenté à partir du milieu du X l l e siècle, et de tous les rois de France depuis Louis V I I . Ainsi l'oeuvre du Ménestrel d'Alphonse de Poitiers ne manque pas d'intérêt pour nous. C'est elle qui nous a mis sur la trace des rapports entre les légendes des saints locaux de Sahagun et Saint-Savinien et les légendes analogues racontées dans la Chronique de Turpin à propos de batailles miraculeuses de Charlemagne ayant eu lieu en ces endroits. En 1 2 7 1 Alphonse de Poitiers, auquel le Ménestrel avait dédicacé le manuscrit M C 5 1 , mourut soudainement, en cours de voyage en Italie. N'ayant pas laissé d'enfants, ce fut son neveu le roi Philippe le Hardi qui hérita de ses terres et de sa bibliothèque. Qu'advint-il du manuscrit M C j 1 du Ménestrel? Jusqu'à présent cette question est restée sans réponse. 28

30

91

Smy 37, VIII.5s.; Briane, 229; Turpin

interpolé,

2 7 1 . 1 3 ; M C 5 1 , fo. 85b.

Hubert Le Roux, Recherches sur l'église Saint-Savinien de Melle, Bull, de la Soc. des Antiquaires de l'Ouest, 4e série 7 (1963), 2 5 1 - 3 0 3 ; Van der Straeten dans Analecta Bollandiana 80 (1962), i2jss., 84 (1966), 5 3 0 S S . , Cott 35,288s., Con 52, III,i38s. Smy 37,26 n. 1 et Beau 94,504.

153

3- L'influence du Ménestrel sur les Grandes Chroniques de France Peu après être venu à Poitiers pour chercher l'héritage de son oncle Alphonse, en 1 2 7 1 , Philippe la Hardi remis sans doute l'exemplaire de dédicace de la Chronique des Rois de France à son spécialiste en histoire de France présentée en langue française, à Primat de Saint-Denis. Celui-ci l'utilisa pour le début de ses Grandes Chroniques de France. N o n seulement il reprit le texte du début du prologue général du Ménestrel, comme on le sait, mais aussi il s'inspira sans doute de la dédicace miniature montrant le Ménestrel agenouillé présentant son livre à son seigneur flanqué de personnages de marque. Peu après Primat offrit ses Grandes Chroniques au roi sous la forme d'un manuscrit actuellement à la Bibliothèque de Saint-Geneviève qui possède elle aussi sa miniature-dédicace avec divers traits semblables. 32 En outre Primat s'inspira de plusieurs passages du Turpin du Ménestrel: 1. il remplace le T E D R I C O PRO SEMETIPSO de son modèle latin habituel, le m s . B . N . lat. 5925 (appeléB7par Meredith Jones et O par Gaston Paris, Hàmel et nous-même) par Tierri pour Rollant dans la scène du duel judiciaire du jugement de Ganelon. En outre Primat met ses connaissances épiques à profit pour assimiler ce Tierri avec Tierri d'Ardenne, héros célèbre de la Geste des Loherains. 33 2. Le Ménestrel télescope Gaifier le roi de Bordeaux et Engelier duc d'Aquitaine en un personnage unique et en un seul personnage (284.11). Au contraire à propos de la bataille de Nanteuil - Mortagne inspirée d'une chanson de geste, il utilise la forme habituelle des chansons,

  • (286.29). Tel est en tous cas le texte des manuscrits Lee et 5714, car le ms. 124 semble avoir corrigé en
  • afin d'éviter que le pauvre amiral d'Arabie ne fasse apparition après sa mort, peut-être sous l'influence de la mention de
  • chaiere< de Saint-Seurin par l'archevêque. Au-dessus de la note relative à l'an 1338 il y a une note en langue vulgaire datée de 1 4 1 4 relative à un personnage (Tonibet de Sugre ???) de Saint-Andriu (donc de la cathédrale de Saint-André à Bordeaux) qui mourut à Soulac. Plus haut on voit une quatrième note, relative à un Adrianus, un Giraud, Rome etc. Ensuite il y a une quantité de notes anciennes quasi illisibles au fo. 2 i v . Dès avant 1527 le manuscrit passa à Paris (peut-être après la prise de Bordeaux et l'annexion de la Guyenne à la couronne de France en 1453). Les deux livres du manuscrit, les parties A et B, furent combinés et enrichis de variantes prises dans un manuscrit de la Chronique de Turpin A - SaintDenis pour créer une espèce d'édition critique en style Renaissance fondé surtout sur le Turpin interpolé de notre Chronique; ce texte fut adapté au goût du public de Rabelais, développé de manière romantique, ainsi que l'a montré lise Deinlein, une disciple d'Adalbert Hàmel. 6 Le texte fut muni d'une dédicace à François 1er par Regnault Chaudieres et imprimé en 1527. Plus tard Richelieu recueillit le manuscrit dans sa bibliothèque princière et le fit munir d'une belle reliure en cuir. Avec cette bibliothèque le manuscrit passa à la Bibliothèque du Roi aujourd'hui la Bibliothèque Nationale. En 1877 Auracher en a publié les variantes en note de son édition du ms. 5714. Ses erreurs de transcription sont peu nombreuses. Il a pris la tige en encre rouge du K majuscule de Kyraguo pour un petit s placé à mi-hauteur entre K et y, à la ligne 267.180. (cf. fol. id). Pour Giunna Auracher a mis Guima, 1 . 1 6 7 . 1 8 . La mention de S. Benedicte, la fondatrice du futur Saint6

    Dei 40; Man 61,92a et 96a: carte Bi et schéma généalogique B2. 163

    Seurin, placée en marge par l'artiste, en encre noire, a échappé à l'attention d'Auracher. Signalons que la langue des titres et sous-titres est plus occitane que le texte: Au lieu de dans le texte, il y a negre dans le titre, 3 1 6 . 1 ; tractatz 263. i3n; Rolla pour , 31 j . 2 i n . etc. Le ms. 124 fut pendant des siècles le manuscrit capital de la Chronique dite Saintongeaise de l'abbaye de Saint-Seurin, donc du monastère mis aux nues par ce texte. Il est un témoin de l'importance à elle attribuée à Saint-Seurin même. Chacun de ces trois manuscrits, 5714, Lee et 124 possède son caractère à lui. Chacun est le reflet d'une époque et d'une région différente. Voyons si du point de vue du contenu et de la forme linguistique ils offrent autant de variété.

    164

    XIII. LES

    REMANIEMENTS

    Le rapport entre les manuscrits de la Chronique pose de nombreuses difficultés. «Uebrigens ist das Verhältnis der Handschriften zueinander nicht leicht zu urtheilen.» disait Auracher en 1877, parlant du rapport entre les mss. 5714 et 124 qu'il publiait alors. D'une part, 124 offre un texte beaucoup plus complet, où les nombreuses lacunes capitales de 5714 sont absentes, de sorte qu'il n'est pas une copie de ce dernier et se prêterait à servir comme base d'une édition. D'autre part, le ms. 5714 est plus proche de la Vulgate de la Chronique de Turpin telle qu'Auracher la connaissait. Il en conclut que, nécessairement, ce dernier manuscrit devait être plus rapproché de la Chronique originale que le ms. 124; de ce fait, il ne pouvait pas dépendre de cette rédaction-ci. Ainsi que nous Talions démontrer, cette proximité particulière de 5714 et de la Vulgate du Turpin s'explique par l'utilisation d'un Turpin latin par le rédacteur de 5714, pour corriger la Chronique dite Saintongeaise qu'il avait devant les yeux. En 1882, Ewald Görlich prit note des observations d'Auracher d'une manière très superficielle et maintint à tort que, d'après ce savant, la rédaction 124 était dérivée de 5714. Cette conclusion erronée a malencontreusement fait école. Si Auracher a choisi le ms. 5714 comme base de son édition, c'est que ce texte présente dans l'ensemble une scripta beaucoup plus mixte et souvent bien plus occitane d'apparence, de sorte que, du point de vue de la dialectologie naissante des parlers du Sud-Ouest de la France, il offrait plus d'intérêt. En 1897, Bourdillon a publié Tote listoire de France, d'après Lee et 5714, en plaçant le texte qui lui semblait le meilleur et le plus complet - Lee dans une première colonne et en ajoutant celui de 5714 dans une deuxième colonne, pour permettre la comparaison. Ainsi, il mettait en vedette les qualités du ms. Lee qui était sa propriété personnelle. Dans son introduction, il a donné une liste d'erreurs évidentes de Lee absentes dans 5714 et une autre liste de fautes de 5714 absentes dans Lee. Le premier n'a pas été copié sur l'autre; en outre, aucun des deux récits n'est l'original. 1 Maintenant qu'il est possible de comparer, côte à côte, les trois manuscrits du Livre Deuxième, on peut arriver à des résultats plus précis. Distinguons, en premier lieu, le remaniement Lee 5714"" écrit dans un langage sans doute encore très proche de celui du modèle commun, avec des formes gasconisées 1

    Bou 97,xviis.

    165

    comme Saint Germain de Lezie (pour de Lusignan), version dont la rédaction 124 est indépendante. En second lieu, nous examinerons le remaniement Lee 124* à la morphologie systématiquement poitevinisée et dont la rédaction 5714 est également indépendante. En troisième lieu, nous nous questionnerons sur l'indépendance et l'intérêt de la rédaction Lee. En quatrième lieu, nous étudierons le remaniement très spécial 5714. Pour terminer, nous comparerons entre eux un même épisode des trois textes précités et d'autres rédactions turpiniennes, latines et françaises. Ceci nous permettra de nous rendre compte de l'originalité de chaque récit et des points communs existant entre eux. Enfin, cette comparaison de textes nous donnera une vue d'ensemble sur le développement des traductions françaises de la Chronique de Turpin, les premiers récits qui soient en prose française et se rapportent à l'histoire. 1. Les remaniements Lee

    57X4*

    et

    124

    D'abord, nous scruterons quelques transformations de copiste qui se trouvent dans les seuls mss. Lee et J 7 1 4 , ainsi que certaines lacunes volontaires. Ensuite, nous examinerons une dizaine de cas où le ms. 124 offre des précisions géographiques sur les sites visités par Charlemagne à Blaye et en Saintonge, surtout dans la région de Pons-Jonzac. S'agit-il d'addition du rédacteur de 124 (ou de son modèle immédiat) ou, au contraire, de passages originaux omis dans le remaniement Lee 57x4^? C'est une question qui reste ouverte. Scrutons donc, en premier lieu, les transformations de copiste et les petites lacunes ou transformations présentes dans Lee et J 7 1 4 , mais absentes dans 124:

    A i . Passage de ràl. En sonnant du cor à Roncevaux, Roland se rompit les nerfs. «Li ner li rompirent» aisi que le dit la rédaction 124. Par assimilation (ou lecture erronée) ceci devint li nerri ronpirent, dans les mss. Lee et $714, v. à la ligne 318.6 et n. Dans sa vision à Vienne, Turpin vit le diable qui allait VERSUS L O T H A R I N GIAM, ainsi que le rapporte la Vulgate latine. Ceci est traduit, d'après le ms. 124, comme «qui aloient vers loeregne», ce qui est juste. Par assimilation, les mss. Lee et 5 7 1 4 en ont fait vers roeregne (ligne 3 3 0 . 1 3 ) ) . Az. li luis. Pour Locus, le ms. 124 met li lus, une forme courante ailleurs dans la Chronique et aussi dans le Sud-Ouest moyen. A sa place, les mss. Lee et 5 7 1 4 comportent li luis, à la ligne 2 6 8 . 2 1 . S'agit-il d'une bévue du copiste du modèle commun de ces deux mss. ou d'une graphie de ce copiste qui correspondrait à une réalité phonétique? Nous l'ignorons. Relevons pourtant que Pignon signale - à la page 164 de son ouvrage sur les parlers du Poitou - une charte de Fontenay-le-Comte datée de 1249 qui 166

    traduit Locus par lois. Or, lois et luis sont bien proches l'un de l'autre. Quoiqu'il en soit, nous avons là un lien curieux entre 5714 et Lee. A3. Ainsi que l'ont montré Lacarra et Raoul Mortier, la date de l'inauguration de l'abbaye de Roncevaux en 1 1 3 8 était le 16 juin, les anciens calendriers de la région liégoise placent la fête de la Saint-Roland à cette date, le fragment néerlandais de la Chanson de Roland aussi cite ce jour de juin (édition Kloeke de 1939), la Vulgate du Turpin également. Or le ms. 124 reproduit ce chiffre correct, le xvi. jour avant les calendes de juillet. Seuls les manuscrits Lee et 5714 commettent ou reproduisent l'erreur de mettre le .xiii. jour ici ( 3 3 1 . 1 1 ) . B i . , . Le de la ligne 8 de Nicolas a été reproduit par Briane sous la forme d'apparelast, puis celle-ci a suggéré, à la ligne 18 du même rédacteur, un plus formel que le s'atorna correspondant du Ménestrel. Dans la suite, dans le ms. Arundel 220 du X l V e siècle qui seul nous conserve le texte de Briane, cette forme a été déformée comme : deux a sont tombés. Les lignes 21 et suivantes montrent comment Briane et Ménestrel se laissent influencer par la version longue du type C de la Chronique de Turpin. est traduit par eux, surtout Briane, lui qui est toujours conscient de la hiérarchie féodale ainsi que nous l'avons montré ailleurs, ne peut pas s'empêcher de parler des princes de sa 183

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    cbivalrye. Tous les deux ajoutent à Roland son fidèle compagnon Olivier baron qui n'est pas cité dans le Turpin court (archaïque) sauf au ch. 1 1 et 29, avec tous les autres chefs de Charles. Ainsi que le montrait encore récemment M. Aebischer, à la phase ancienne de la Note Emilianense et de la version courte (A) du Turpin, Olivier est encore entièrement à l'arrière-plan. C'est ce qui explique qu'il le soit aussi dans le récit d'origine turpinienne de la Chronique dite Saintongeaise. La phrase des lignes 17-20 est reproduite une première fois par le Chroniqueur, puis il reproduit la même idée avec une deuxième variante formelle. Cette réitération épique n'est-elle pas fort curieuse? Il tient à accentuer le fait que Ganelon dit que cela était bien - comme le bon Dieu lors de la Création - et on sent la satisfaction évidente du vieux traître. Puis il ajoute Karles l'outroia. A la fin du paragraphe suivant, à la ligne 34, il ajoute le pendant de cette phrase, dans un effort de créer un parrallélisme entre l'oncle et le neveu: Rollanz l'outroia. Le Chroniqueur ajoute à tout moment la conjonction e. A la ligne 33 on s' attendrait à (avec), mais il y a deux e dans son texte. Ailleurs, il a ajouté un e entre «Turpin l'archevêque de Reims> et faisant ainsi deux personnages distincts d'un seul. Peut-être pensait-il qu'un archevêque de Reims et primat de Gaules ne pouvait pas être un simple du roi - lui qui est si conscient des rangs hiérarchiques de l'Eglise. Déjà M. Meredith Jones a noté ce dédoublement, tendance que nous avons pu observer à propos de divers passages. De même, de Roland son neveu, le comte du Mans et prince de Blaye, il a fait trois personnages en ajoutant un e avant li cuens et un li avant princes aux lignes 24-2 j. Alors que 124 et 5714 reproduisent l'ancienne graphie locale de Blaives du Chroniqueur (et du Ménestrel), le rédacteur de Lee préfère moderniser et franciser et écrire Blavies. Aussi saute-t-il le second daus melliors devant chivaliers (I.29). Surtout, il réarrange plus clairement la phrase des lignes 22-24 e n mentionnant à nouveau Rollant. Du point de vue phonétique, il est curieux de voir le rédacteur de 124 diphtonger plen et Manz pour en faire plein et Mainz (1.2,25), tendance que l'on retrouve ailleurs dans ce texte - il suffit de parcourir notre phonétique comparée des trois rédactions, au ch. X V ci-dessous, pour s'en apercevoir. Le ms. 5714 offre les formes plus «langue d'oil> quand il met crestiens pour crestians, Guanelons pour Guanelos aux lignes 10 et 17. Il affectionne les diphtongues en -ai- (I.2) et les z. De plus en plus nous en venons à examiner les aspects phonétiques et morphologiques des trois rédactions de notre Chronique, sujets sur lesquels nous allons nous concentrer dans les chapitres suivants. En somme les rapports entre les trois rédactions de la Chronique sont très complexes. L'étude de leurs divergences relatives au contenu nous préparent 187

    fort bien à l'examen de leurs différences linguistiques. Bien que la transmission orale ne joue pas de rôle dans le cas de cette Chronique en prose, elle pose des problèmes d'une solution difficile. Il est bon de se le rappeler quand on examine les chaînes de transmission des chansons de geste avec leurs phases orale, écrite, mixte et indéterminée. 18

    19

    Man 65 - Barcelona, 1J3SS. 188

    XIV. LES PROBLEMES L I N G U I S T I Q U E S LES

    POSES

    PAR

    TEXTES-REJETONS

    Dans le passé la Chronique dite Saintongeaise a été la cendrillon des linguistes. Jacques Pignon déclarait en 1951 à propos de Tote listoire de France: «la langue de ce texte n'a donné lieu à aucune étude d'ensemble», et cette conclusion s'applique également au Turpin interpolé et à la Chronique vue comme un tout organique. 1 Notre but est de combler un peu cette lacune: dans le chapitre qui suivra, on trouvera une grammaire comparée des trois rédactions parallèles de la Chronique. Avant de nous attaquer au vocalisme, au consonantisme et à la morphologie verbale de ces textes, nous voudrions définir les problèmes tels qu'ils se posent. Faisons d'abord l'historique des points de vue exprimés jusqu'ici avant de présenter le nôtre sur la complexité des chaînes de transmission et la variété des scripta littéraires. 1. A. Boucherie Professeur de lycée à Montpellier, A. Boucherie participa dès 1867 à un concours ouvert par le Comité des travaux historiques et des sociétés savantes de sa ville sur le dialecte et inaugura ainsi l'étude linguistique des parlers du Sud-Ouest moyen. Dans son Dialecte poitevin au XlIIe siècle il publia les Sermons de Maurice de Sully et plusieurs autres textes du X l I I e siècle et s'attaqua au problème de notre Chronique (1873). En 1871 déjà il publia des extraits de Tote listoire de France selon le ms. 5714 et du Turpin interpolé selon le ms. 124 dans le deuxième volume de la Revue des langues romanes fondée peu avant dans sa ville. S'il appelle notre Chronique c'est que c'était un terme à la mode, car au fond aurait été mieux approprié. Sans doute l'aurait-il appelé si ce terme avait été prescrit dans le concours. Auracher a mis en vedette le problème en intitulant son édition du Turpin interpolé des mss. 5714 et 124 «Die sogenannte poitevinische Uebersetzung des Pseudo-Turpin», la «traduction supposée poitevine du Pseudo-Turpin», ou «la traduction dite poitevine...» Bien que l'étude de Boucherie fut une oeuvre de pionnier, il n'a pas tenu compte de l'état d'alors de la philologie du gallo-roman, ainsi que le disait Tobler en 1874 dans les Göttingische gelehrte Anzeigen: «Diese Arbeit läßt »Pign 51,273.

    189

    jedoch . . . nach dem damaligen Stande der Wissenschaft die Lautlehre, auf die es am meisten ankommt, fast ganz außer Acht.»2 Comme le déclare Ewald Görlich en 1882, ces insuffisances sautent aux yeux. Il a pris des formes pan-gasconnes pour des formes , il a suggéré que le ms. $714 de notre Chronique venait de Charroux puisqu'elle rappelle par son mélange bizarre de formes méridionales et septentrionales celui de la Seconde Coutume de Charroux. Relevant les nombreuses indications géographiques très précises sur la région de Pons-Jonzac dans le ms. 124, il sauta à la conclusion qu'il s'agissait d'additions fournies par ce manuscrit dont le rédacteur devait être de la région citée de Saintonge méridionale. Du fait que le Chroniqueur s'inspire beaucoup d'Adhémar de Chabannes, moine qui a débuté à Saint-Cybard d'Angoulême, il devait être lui-même d'Angoulême et même de Saint-Cybard, bien que cette abbaye ne soit jamais mise en vedette. Pour l'époque les publications de Boucherie étaient tout-demême d'un niveau fort intéressant. 2. Ewald Görlich C'est en 1882 qu'Ewald Görlich publia l'ouvrage fondamental sur l'ensemble des textes littéraires et des chartes du Sud-Ouest de la langue d'oil aux X l I I e XlVe siècles. Ce travail systématique n'a pas perdu sa valeur aujourd'hui. Son étude n'a pas été analysée à fond jusqu'ici, de sorte que nous croyons utile d'ajouter à ce bilan positif quelques réserves importantes. a) Evidemment, Görlich ne connaissait aucun texte exactement du même type hybride franco-occitan comme celui de J714. Il ne lui était pas possible de le localiser parmi les textes du Poitou, de la Basse-Marche, de l'Aunis ou de la Saintonge - évidemment. Alors il a songé à l'Angoumois. Du fait qu'il ne connaissait que 4 chartes en tout et pour tout du comté d'Angoulême (les nos. V I I - I X , X I I I de sa liste à la p. 17) il connaissait mal la structure linguistique de cette région assez hétérogène au X H I e siècle. Alors, il a imaginé que le ms. 5714, son Turpin I, venait de l'Angoumois. Cette conclusion, née du vide, était pour le moins imprudente. b) En outre, Görlich ne s'intéressait qu'à la phonétique et à la morphologie des textes examinés. Le contenu n'avait pas d'importance à son avis. C'est ainsi qu'il n'a pas lu attentivement l'introduction d'Auracher à son texte où cet érudit mettait le lecteur en garde contre l'hypothèse d'une dépendance du ms. 124 du ms. 5714 ou vice versa. En dépit des lacunes de 5714 absentes dans 124, il croyait que le copiste de 124 aurait eu devant les yeux celui de 5714, à la p. 7: «Aber durch den von ihm benutzten Text I (= 5714) wird er (Turpin II ou 124) gezwungen, seine eigene Dialektformen zu gebrauchen... Daß der Kopist des Turpin II den Turpin I benutzt hat, kann bei einer Vergleichung beider Texte nicht zweifelhaft bleiben». Puis il présente ses argu2

    Gör 190

    82.2.

    ments qui n'ont guère de valeur: «Beide Texte gebrauchen an derselben Stelle die sonst in den Texten nicht zu belegenden Formen: enpuchent pochiam chevalieurs

    265.7 272.32 284.9.»

    (II enpochiont) (II pochom)

    Nous reviendrons plus loin à la forme erronée du dernier exemple. c) De plus, Görlich ne s'est pas rendu compte que Tote listoire de France (qu'il appelle die ) de 5714 et le Turpin interpolé «Turpin I» appartiennent au même manuscrit et forment un tout linguistique, stylistique, historique et littéraire. Ainsi il emploie des formes de Tote listoire du ms. 5714 pour confirmer l'existence, dans le domaine du Sud-Ouest de la langue d'oïl, de formes du Turpin interpolé du même manuscrit. d) Il maintient à la p. j que le modèle turpinien de $714 et 124 appartenait à la Picardie, mais à la p. 8, il maintient que ce même modèle appartient à l'Est du domaine de langue d'oïl. L'idée d'une origine picarde lui vient de l'introduction du Turpin interpolé sur la comtesse Yolande de Saint-Pol en Picardie qui commande la traduction du Turpin latin à Nicolas de Saint-Lis (ou Senlis). Gaston Paris et d'autres pensaient qu'on retrouvait des éléments picards nombreux, mais en réalité, il n'y en a guère. Ainsi que le disait L. Remacle en 1948 à propos de la première scripta picarde, «il n'est pas étonnant non plus que les premières chartes en langue vulgaire (autour de 1220) provenant de villes picardes, contiennent assez peu de picardismes.» Or Nicolas de Saint-Lis écrivait vers 1202-05. Görlich a également pensé que les Sermons de Maurice de Sully avec leurs formes en -ire et -ile ( < - A R I A ) devaient leurs picardismes à l'influence du modèle sans doute picard de l'adaptateur . Ainsi qu'on l'a remarqué depuis, et comme le dit avec raison Jacques Pignon, cette hypothèse d'un modèle picard des Sermons ne peut être maintenue aujourd'hui: «Le traducteur des Sermons, dit Pignon en conclusion à son examen, a sous les yeux un texte français».3 e) A la p. 20, Görlich traite le a devant l et déclare que la conservation du a dans cette position est un trait caractéristique des parlers du Sud-Ouest: «Wie schon Tobler . . . hervorgehoben hat, ist es ein den südwestlichen Dialekten eigentümlicher Zug, daß a vor l erhalten bleibt» (p. 21). Ajoutons à la défense de Görlich, que dans la suite, dans son étude 1889 sur les dialectes bourguignons, il s'est corrigé lui-même sur ce point. Il est donc utile de tenir compte des publications ultérieures de Görlich en jugeant son traité sur les parlers du Sud-Ouest. f) Continuons à scruter la première moitié de la p. j . Görlich dit que le Turpin I (= 5714) offre la leçon aparellie avec accent sur le i au point 265.18,

    3

    Pign 60,42. 191

    alors qu'en réalité cette forme appartient au Turpin II (= 124) et est un participe passé t'a aparellié. Le Turpin I met . g) A u lieu de Ronsceviaus avec se à la ligne 316.4, il met Ronceviaus avec c. h) Turpin II, dit-il, met castel pour C A S T E L L U M . En réalité Turpin II met chastel lorsqu'il s'agit du terme lexical p. ex. à la ligne 304.6. Dans l'exemple donné par Gôrlich, ligne 282.1, il s'agit du toponyme Châtelaillon en Aunis: Turpin II met deux fois «Pastel alion>, mais dans la transcription Auracher il y a d'abord ensuite ce qui a induit Gôrlich en erreur. Turpin I saute la phrase mentionnant le lieu pour la deuxième fois. Il y a là une combinaison d'erreurs. i) Puis Gôrlich donne une liste de formes présentes dans les textes qu'il a examinés, mais absentes en général dans le Sud-Ouest du domaine de langue d'oïl, notamment S C A L A > du Turpin II de la ligne 334.20. A la p. 2 i , il ajoute que la forme S C A L A > dans le Turpin I (= le ms. 5714) représente une exception à la règle qui veut que le a devant l se conserve dans le Sud-Ouest. Ailleurs il cite S C A L A > de la ligne 269.15. O r il suffit de consulter le contenu du texte, ou de son modèle latin, pour constater qu'il s'agit non pas d'échelles mais de cloches données à une église ou contribuant à la musique: C A M P A N A et T I N T I N N A B U L I S . Evidemment qu'il s'agit de dérivés de l'ancien franconien *SKILLA dont les formes eschiles, escbeiles, eschailes sont parfaitement normales (v. ch. X V . 1 § 1 et n. 1. cidessous). Cependant, l'erreur de Gôrlich est instructive: dans la forme escheles du seul ms. 5714 à la ligne 334.20, il est possible que le copiste ait subi l'influence de eschele(s) < S C A L A . k) Ensuite Gôrlich cite conquisent sans donner de référence, ce qui empêche tout contrôle. 1) Impossible de trouver le rient cité par Gôrlich pour la ligne 295.5 dans Turpin II. m) Il est exact qu'Auracher a imprimé chevalieurs avec leurs à la ligne 284.9 mais c'est une erreur de transcription évidente: Auracher écrit chi'vah'e«rs, car dans le ms. les lettres entre l et s ne sont indiquées que par une abbréviation que l'on peut transcrire er ou 1er suivant les exemples de ces mots écrits en toutes lettres dans ce même manuscrit. Mais ieur est une bévue d'Auracher. Voici encore d'autres errata qui montrent que le texte de Gôrlich mérite parfois d'être contrôlé, personne n'ayant relevé ces passages erronés. Errata de Gôrlich, quelques spécimens Gôrlich n) 265.16 o) 266.13 192

    124

    correct

    aidereires

    aideires

    graices

    (en réalité 266.12)

    p) 268.10

    124

    q) 274-25

    5714

    Gôrlich

    correct

    paen

    paian pau (n'existe pas)

    r) 297-3 s) 299.14

    5714

    t) 307.5,6

    queu

    queus

    maira

    en réalité 307.5,5; 2 maira sur la même ligne

    u) 310.6

    5714 124

    freres freires

    pas de à cette ligne

    v) 3 1 8 . 1 7

    124

    freire

    référence correcte: 318.21

    empereires

    ewpereires (quant le mot est écrit en toutes lettres, il est épelé avec en-)

    w) Gôrlich, p. 19

    En dépit de ses erreurs de perspective et de ses petites bévues, Gôrlich a rendu un éminent service à la linguistique et il mérite notre reconnaissance. 4

    3. C . Pougnard Quant à C. Pougnard et son étude sur le parler franco-occitan d'Aiript, il a traité nos manuscrits à propos de l'a inaccentué. «Les documents diplomatiques et littéraires étudiés par Gôrlich (§ 45), dit-il, présentaient à cet égard un flottement entre a et e. Entre Turpin I (5714) et Turpin I I (124), l'aspect du problème était plus net: -a- était la forme presque exclusive du second document; il semble donc qu'il soit antérieur au premier. Les deux mss. de [Tote] l'Istoire [de France] différent sur le traitement de a à la finale. 57x4 a noté souvent par a l'a final latin, le ms. Lee a, au contraire: e. Mais cela ne prouve pas que la réalité phonétique ait présenté des différences aussi nettes que celles qui apparaissent dans l'écriture. Les deux mss. ont généralement l'un et l'autre a à la contre-finale, mais 5714 atteste aussi: comencemenz (1) et comencamertz (3). L a forme saintongeaise

    4

    Ainsi que le dit Ronjat, Gôrlich «relève les traits dialectaux [des textes bourguignons] sous chaque rubrique du vocalisme, du consonantisme et de la morphologie, mais il n'en présente pas un tableau d'ensemble avec essai de classement métodique [sic] des différents parlers R o n j o , 1 , 3 0 § 1 8 .

    193

    du héros saintongeais est Talliafer. Les formes anciennes de nom de lieu Tallepied, dans les Deux-Sèvres (la plus ancienne «Tallepé» en 1 2 1 8 ) n'ont jamais de a\ il en est d'ailleurs de même dans de nombreux composés du type: «Chanteloup» (Les formes franco-provençales de l'Est, pour les deux mots, seraient taillipia (talipia), Chantalou (ts- ou s- antalou). 5 Bien que Pougnard ne s'occupe que d'un seul petit aspect de la langue de nos textes, ses remarques sont dignes d'intérêt. Comme ses contemporains, il est convaincu que les manuscrits de Tote listoire de France et du Turpin interpolé sont saintongeais, pour la seule raison que la Chronique dont ils dérivent a été baptisée «Saintongeaise» ou cours du X I X e siècle. Peut-être qu'à l'aide des § 24 et 25 de notre grammaire comparée présentée ci-dessous et, mieux encore, une recension plus complète des cas, ce disciple de notre regretté Maître Antonin Duraffour pourra nous donner des conclusions moins provisoires et plus complètes.

    4. Jacques Pignon Pignon est le seul linguiste de ce siècle qui se soit occupé de notre Chronique. En 1 9 j i , il a examiné la seule morphologie verbale de la seule Tote listoire de France, et en 1960, dans sa thèse monumentale de Sorbonne sur l'évolution phonétique des parlers des départements de la Vienne et des DeuxSèvres, il a inclu celle-ci et le Turpin interpolé dans son enquête. Comme linguiste, Pignon s'est fondé sur les historiens de la littérature tels Gaston Paris et Bourdillon qui maintenaient que la Chronique était saintongeaise. Acceptant cette proposition mal établie comme un fait absolu, Pignon est arrivé à la conclusion suivante: puisque telle et telle forme (effectivement occitane, gasconne, poitevine ou française) est présente dans Tote listoire, il est d'ores et déjà bien établi qu'elle existait bel et bien dans la Saintonge du X l I I e siècle. En réalité, c'est à l'inverse qu'il faut procéder et se demander dans quelle région tel manuscrit de Tote listoire et du Turpin interpolé aurait pu être rédigé, dans quelle aire son modèle immédiat fut écrit, et dans quelle zone gallo-romane la Chronique originale fut conçue. «Cependant, dit-il à propos du Turpin interpolé, le nombre des traits occitans qui sont restés dans ces manuscrits permet de préciser assez exactement le caractère des parlers saintongeais dans les dernières années du X l l e . siècle.» «L'auteur, dit-il à propos de Tote listoire, a compilé et traduit en dialecte saintongeais plusieurs chroniques latines contant l'histoire des rois de France».6 On peut dire à la décharge du linguiste qu'il a été la dupe des historiens littéraires, et d'autre part il est évident que, pour comprendre la mosaïque linguistique de ces textes, il faut s'intéresser à leur contenu, aux rapports entre les manuscrits, aux divers modèles en langue latine, française, occitane 5

    Pou 52,29s. 194

    ou indéterminée. En outre, il faudrait peut-être davantage tenir compte des nombreux travaux capitaux de ces dernières décennies sur la scripta. Dans son article de 1 9 5 1 , Pignon est convaincu que le texte original de Tote listoire était occitan, alors que le ms. $714 en donne une version fortement poitevinisée, sans parler du ms. Lee encore plus francisé. Mais alors pourquoi dire, dans sa thèse, que les deux manuscrits ne reproduisent point exactement la Chronique originale. Aussi Pignon ne semble pas s'être rendu compte de la présence du Turpin interpolé à la suite de Tote listoire de France dans le ms. Lee.6 Il serait plus exact de dire que les manuscrits de la Chronique dite Saintongeaise reflètent l'état existant au cours des X H I e et X l V e siècle, que la Chronique originale reflétait l'état du premier tiers du X I I l e siècle, et de ne pas maintenir comme Pignon qu'il faut y voir un témoin de la fin du Xlle siècle. En dépit des remarques que nous avons été obligé de formuler, nous devons être très reconnaissant à ces quatre érudits Boucherie, Gôrlich, Pougnard et Pignon des travaux fondamentaux qu'ils nous ont procurés.

    5. Les six étapes de la diffusion Il est utile de distinguer six étapes de l'évolution de la Chronique. Selon notre habitude, nous mettons deux numéros d'étape «en réserve» pour d'éventuels besoins des futures recherches dans ce domaine. 1 . Les modèles. Ecrits en latin, en français, ou encore en une langue galloromane indéterminée (occitan, langue d'oïl ou langue mixte). 2. La Chronique originale. Langue occitane ou franco-occitane émaillée de gasconismes. 3. Etape intermédiaire mise en réserve. 4. Les remaniements Lee 5714*, Lee 124*, etc. Langue poitevinisée. 5. Etape intermédiaire mise en réserve. 6. Les manuscrits conservés, croisements entre les remaniements des étapes précédentes. Diversité des tendances linguistique de chaque version. A mesure que les substrats linguistiques des divers manuscrits seront mieux identifiés par les chercheurs, à mesure que d'autres manuscrits seront retrouvés, il sera peut-être possible de combler les lacunes et identifier les étapes intermédiaires. Nous espérons que notre souci de réserver d'ores et déjà sa place légitime aux résultats de la recherche future, trouvera la compréhension des érudits. A propos des modèles, rappelons qu'outre des modèles latins de toute sorte et le modèle français du Turpin de Nicolas de Saint-Lis, le Chroniqueur semble avoir disposé de modèles gallo-romans, ainsi que nous l'avons noté à propos de la Passion de saint Eutrope aux p. 68s ci-dessus. 6

    Pign 60, $7. I

    9i

    Quant à la langue de la Chronique originale, il est difficile de préciser aujourd'hui le caractère précis de sa scripta franco-occitane gasconisante. Le Chroniqueur désirait-il écrire en une «koinê» compréhensible aussi bien aux Saintongeais qu'aux Bordelais de son temps, une espèce d'«Esperanto» franco-occitan médiéval? Dans notre compte-rendu sur l'édition Avalle de la Passion de Clermon-Ferrand nous avons montré combien la prudence est indiquée dans des cas de ce genre. La localisation des rédactions conservées d'après des critères linguistiques n'est pas facile, et les Französische Skriptastudien de M. Charles Théodore Gossen nous invitent à la prudence. Retenons que selon son frontispice le ms. 124 est de la Bordeaux du X I V e siècle et que d'après le dessin-frontispice du Turpin interpolé du ms. Lee celui-ci pourrait bien être de La Rochelle, mais ce n'est point du tout certain. En somme chaque phase de la transmission complexe de la Chronique offre des points d'interrogation. L'essentiel est de se rendre compte des aspects problématiques de la scripta littéraire. Il appartenait à Jules Feiler, M. Valkhoft, et surtout MM. L. Remacle, M. Delbouille et Ch. T. Gossen à mettre au point le caractère de la scripta des parlers gallo-romans du moyen âge, en particulier dans le domaine picardwallon. 7 Leurs ouvrages sont la base indispensable de tout examen dans notre domaine. La scripta des premières chartes franco-picardes (autour de 1220) contiennent assez peu de picardismes, dit M. Gossen. «Avec le temps, cette scripta franco-picarde s'affermit et acquiert, surtout dans la Langue de Chancellerie, un caractère plus défini, tout en restant composite. N'oublions pas qu'une scripta - de chancellerie ou littéraire - n'est jamais le miroir de la langue parlée. Elle est le produit artificiel d'une certaine couche sociale. Il est hors de doute que les scribes du moyen-âge ne connaissaient pas seulement leur propre dialecte. Ils auront ressenti le besoin de normaliser la langue écrite, de la placer, pour ainsi dire dans un cadre plus vaste.»9 C'est exactement ce qu'on a voulu faire dans le Sud-Ouest moyen, semblet-il, créer une langue littéraire mixte intelligible aussi bien sur les bords de la Gironde que dans les bassins de la Charente et de la Sèvre Niortaise, grosso modo dans la province ecclésiastique de Bordeaux. Se rendant compte de l'importance des limites de cette province pour les parlers du Sud-Ouest moyen, M. Gossen a pris le soin de les indiquer dans sa carte morphologique poitevine publiée dans la Vox Romanica de 1962.9 Pour comprendre ce qui s'est passé, il faudrait d'abord tenter de situer le rôle de la Reconquista de la Saintonge par les chrétiens des X e - X I I I e siècles qui colonisèrent le pays dévasté et vidé par les invasions et occupations nor7 8 8

    R e m 48,1s. (avec bibliographie); Goss J I . Goss 5 1 , 3 2 . Goss 62.

    196

    mandes. Il faudrait voir jusqu'à quel point les maisons d'Angoulême, d'Anjou, de Poitiers, de Lusignan, de Châtellerault, et surtout les grands monastères de l'Angoumois, de la Marche (Charroux) du Poitou et de la Loire, ont contribué, par leurs nombreuses colonies (monastiques) en Saintonge, au reflux des parlers franco-occitans et occitans. Dans le cas de l'Espagne, qu'il s'agisse de la détermination des aires dialectales à travers les siècles ou de l'évolution linguistique générale, l'étude de la Reconquista joue un rôle primordial - les équipes de philologues espagnols groupées autour de M. Ramon Menéndez Pidal l'ont prouvé, tout comme la récente analyse en profondeur de M. Kurt Baldinger. Mais dans le cas du Sud-Ouest moyen, jusqu'ici, le rôle de la Reconquista a échappé aux linguistes. C'est pourquoi l'étude historique sur les colonies angoumoises, marchoises ou poitevines dans la région de Cordes-Jonzac - Saint-Germain-de-Lusignan et le matériel linguistique offert ci-dessous ne serviront qu'à poser la première pierre d'un édifice en devenir.

    197

    XV. G R A M M A I R E COMPAREE DES TEXTES-REJETONS

    TROIS

    PARALLELES

    Dans les pages qui suivent, nous présentons une triple grammaire, une grammaire pour chacune des trois adaptations poitevinisées de la Chronique mise en parallèle avec les autres. Ainsi nous pouvons comparer à loisir les formes de tel ou tel mot dans les trois manuscrits et tenter, avec ou sans l'aide du modèle latin ou français du Chroniqueur pour ce mot particulier, de nous faire une image de la forme correspondante de la Chronique originale. Nous avons arrangé le texte en quatre colonnes: dans la première, nous donnons le numéro de référence, dans la deuxième, la forme du ms. 5714, dans la troisième celle du ms. 124, également du fonds français de la Bibliothèque Nationale de France, et finalement, dans la quatrième, la forme du ms. Lee que nous publions ici. Souvent les formes de 5714 possèdent une coloration plus méridionale, voire occitane - ou du moins d'apparence occitane. Les formes de la colonne suivante, celle de 124, donnent une impression plus septentrionale, voire poitevinisée, et celles de la quatrième colonne, du ms. Lee, offrent une langue plus systématiquement poitevinisée. Quand le ms. Lee suit son modèle Lee 5714'', les formes des colonnes J 7 1 4 et Lee sont semblables ou identiques; quand le ms. Lee suit au contraire son modèle Lee 124*, ce sont les colonnes 124 et Lee qui offrent des formes semblables ou identiques. Chaque cas est différent de l'autre, parfois les trois formes d'un mot sont identiques, c'est-à-dire que tous les trois manuscrits reproduisent fidèlement la forme de leur modèle commun, ou alors ils la poitevinisent tous de la même manière. Parfois 5714 et 124 vont de pair et se coalisent pour ainsi dire contre la forme de Lee, parfois au contraire 5714 et Lee, ou 124 et Lee vont de pair. Dans la morphologie au contraire il est curieux d'observer que les mss. 124 et Lee vont de pair, en général, offrant la même forme de langue d'oïl, alors que le ms. 5714 se plaît à fournir des formes plus ou moins occitanes (ou d'apparence occitane). Ceci est d'ailleurs naturel, car les formes verbales sont conçues à l'intérieur d'un certain système de référence qui tend tout normalement vers l'uniformité, la comparaison entre les morphèmes s'imposant à tout moment au sujet qui parle. Ainsi la phonétique est en somme d'un intérêt beaucoup plus grand pour nous. C'est elle qui nous permet d'observer pas à pas comment le rédacteur de Lee joue alternativement «sur les deux claviers», comment la rédaction 124 conserve parfois une leçon beaucoup plus archaïque qui correspond

    198

    exactement au modèle turpinien (français ou autre) du Chroniqueur. Parfois le ms. 5714 altère la forme de Lee 5714* de manière curieuse, mais le plus souvent il la conserve fidèlement alors que le ms. Lee la poitevinise. A l'intérieur de la phonétique, on peut distinguer les deux grandes divisions que voici. En premier lieu, il y a le consonantisme, l'épine dorsale des mots qui ne se laisse transformer qu'avec lenteur, puis le vocalisme, la matière souple que chaque village, chaque dialecte et chaque rédacteur de scripta hybride peut adapter à loisir. C'est ce qui explique la différence entre les quantités de formes diverses que nous citons pour le vocalisme de nos textes, alors que le consonantisme offre un tableau moins bigarré et moins riche. C'est pour cette raison que nous avons divisé notre triple grammaire en trois chapitres: 1. vocalisme, 2. consonantisme, 3. morphologie. Nous recommandons au lecteur de suivre le sens inverse et de commençer avec le no. 3, morphologie, afin d'observer les rapports étroits qui existent entre les textes 124 et Lee qui se coalisent pour ainsi dire contre les formes de 5714. Puis dans le no. 2, le consonantisme, l'image des rapports mutuels entre les textes devient plus complexe. Et finalement dans le ch. 1, vocalisme, on arrive dans une situation pleine de casse-têtes. Les voyelles antérieures a et e ont la part du lion dans notre chapitre sur le vocalisme - et cela non sans raison. Il serait facile d'ajouter à chaque section une petite dissertation, mais cela alourdirait trop l'appareil de la grammaire. Nous avons préféré indiquer les discussions correspondantes de Jacques Pignon et d'Ewald Gôrlich. Notre but ici est de présenter les matériaux, la discussion est renvoyée à une étape ultérieure. La référence. Dans la première colonne de notre triple grammaire, on trouvera la référence. Celle-ci consiste en un numéro de la page en question suivi d'un point et du numéro de la ligne; parfois ce premier numéro de ligne est suivi d'une virgule et d'un second numéro de ligne. Les numéros de page 1-90 se rapportent au Livre Premier, Tote Listoire de France, pages 1-90, et la ligne indiquée à la suite se rapporte à la première colonne, celle qui reproduit le ms. Lee. Le texte du 5714 a été publié par Bourdillon dans la deuxième colonne, et celle-ci est souvent plus courte que la première parce que le ms. 5714 offre généralement un texte moins ample que celui de Lee. Prenons le premier exemple du § 1 ci-dessous, la référence 72.11 : on trouvera à la page 72 de l'édition de Tote listoire, à la ligne 1 1 , quiel de Lee dans la première colonne, et quau dans le texte correspondant de la deuxième colonne qui donne la version 5714. Les numéros 262-336 se rapportent au Livre Deuxième, Turpin Interpolé, pages 262-336 de l'édition Auracher (1877) des mss. 5714 et 124 et aux numéros de référence correspondants dans l'édition du ms. Lee que nous reproduisons ci-dessous. 199

    Deux astérisques ajoutés au numéro de référence indiquent que le passage en question fait partie de l'une des neuf interpolations insérées dans le Turpin du Livre Deuxième et ne dépend donc pas nécessairement d'un modèle français semblable au Turpin de Nicolas de Saint-Lis. Voici une liste de ces neuf interpolations. Le d. de 27jd. signifie le début de la ligne, m. le milieu et /. la fin. P A S S A G E S I N T E R P O L E S DANS L E T U R P I N * * INTERPOLATION

    A B C D E F G H I

    2 7 3 . 1 4 f . - 2 7 j . 1 2 d . , 27j.16f.-276.1d., 277.1 i f - 1 2 278.6f.-294.1d. 296.i3~i8d. 302.2f.-jf. 303.18 3I3-7-I3 324.11f.-14d. 32j.j-23d. 328.20-2ld.

    Il est facile de constater que souvent les passages des p. 2 j y ' * - } ! ^ * portant deux astériques et les passages numérotés des p. 1 - 9 0 offrent des formes occitanes, ou occitanes poitevinisées, alors que les passages des pages 262-336 sans astérisques présentent des formes de langue d'oïl. On ne trouvera les formes chanoines reulers ou eve de langue d'oïl que dans des passages des p. 262-336 sans astérisques du ms. J 7 1 4 - pour donner un exemple. Ainsi la recherche des modèles offre son concours au linguiste. Trois astérisques ajoutés au numéro de référence indiquent que le passage en question est d'origine turpinienne, mais il est absent de la version latine «courte embellie» M2* utilisée par Nicolas de Saint Lis, et apparemment aussi absent de la traduction française de Nicolas. Quand on aura identifié le caractère linguistique de ce second modèle turpinien, on saura quel modèle est indiqué par les trois astérisques. Voici les trois passages en question absents de la version M2*. P A S S A G E S T U R P I N I E N S ABSENTS DANS LES MSS.

    M2*, M2S-Smyser, M3* ***

    1. Prolongation de la Disputation Roland-Ferragut: 306.3-308.i8d.*** 2. Ch. X X X : Saint-Denis: 326.12-327.16d.*** 3. Appendice A, passage sur étymologies des noms des héros: 3 3 4 . J - 1 2 * * * Quand la colonne

    § 22. o ouvert non-diphtonguê (à la manière occitane) Gôrlich, 68s. § 39 Le ms. j714 donne ui, sauf dans les cas suivants: 264.20

    noit

    nuit

    =

    265.28

    poisse

    puisse

    =

    320.9

    oi

    hui

    hui

    334.13

    pos

    (après)

    post

    13 14

    cf. § 212 et n. 3j. cf. ch. X I I I . 1 § A2 (de *lius ??) 222

    réf.

    S7'4

    124

    2 8 7 . 4 * * PODIUM

    poi n poi poi

    pui poi

    297-25 3 0 5 . 7 POST

    322-x5 »

    Lee = =

    =

    =

    =

    =

    VI. au (§23) Pignon, 253SS., Gôrlich, 70 § 42 276.7

    331-9 en syllabe accentué 264.11 272.24 291.8** 292.24** 303.8 310.9 310.12 322.27

    336-5

    roube roubes repousereit pouvreté Mouretagnie oucesirent enclousit ourellies ourelies ouret ouront

    =

    =

    =

    =

    repouseroit

    =

    =

    =

    Mauretagnie ocisdrent enclôt =

    orellies aureit auront

    = = = = =

    auroit -

    PAUCU 316.18 330.18

    poi n

    =

    =

    =

    =

    B . VOYELLES INACCENTUÉES

    La § 24. a final Gôrlich, 72 § 45 début 1. Le -a latin est graphie -a à l'occitane dans le ms. 5714, en général, mais dans les mss. Lee et 124 il est graphie -e. Le ms. Lee offre de très rares exceptions, p. ex. arma, la forme de tous les trois manuscrits à la ligne 272.67, une graphie oubliée dans les processus successifs de poitevinisation qui ont abouti à ce ms. Dans le ms. 124 les exception sont plus nombreuses, Auracher les a signalées spécialement dans son édition (dans la plus grande partie des cas); voici des specimen: 306.9 320.6

    alemanda ycela

    274.1 j

    icesta

    300.22 293.23

    nostra tota

    266.21, 274.24**

    terra

    284.30**, 287.26**

    329-8 223

    réf.

    ¡714

    124

    Lee

    2. On trouve parfois dans le ms. J 7 1 4 des hypercorrections où la voyelle d'appui [a] est également notée a, comme en ancien catalan : 283.2**

    faira

    273.23** 270.13

    veintra bevra

    Dans le cas typique suivant, le ms. 5 7 1 4 donne une finale en -a à un mot de langue d'oil: 262.11

    estoira

    noms de personne et de lieu 264.22

    Karla

    Karle

    265.19 268.9,10

    „ „



    =

    noms de lieu en -e sauf 54 noms de ville de 266.23-268.18 (cf. A u r 77,261 § 1 ) cas curieux où seul 124 met un - a : 295.IJ

    Aquitaine §2 a

    Aquitaina

    protonique

    devant la

    Aquitaine

    terminaison-ment

    Gôrlich, 7 2 - 7 3 § 4 j Dans la majorité des cas, 124 et Lee conservent le -a- ancien, alors que 5714 o f f r e un -e-. Exemples: 294.3

    isnelement

    isnelament

    297. IJ

    durement

    durament

    = =

    297.29,30

    comandemenz

    comandamenz

    =

    298.8

    malement

    malament

    =

    Parfois J 7 1 4 conserve le -a- ancien, comme dans les exemples suivants: 262.14

    domeinament

    =

    =

    263.17

    novelamenc

    =

    =

    265.20

    amonestament

    =

    =

    266.7

    avenament

    =

    268.10

    belament

    =

    272.28

    longiament

    =

    286.2**

    solament

    =

    293.20**

    premerament

    =

    =

    294.17

    isnelament

    =

    =

    § 26.

    a protonique

    = =

    en hiatus

    Gôrlich, 73s. § 46-47 Il devient le plus souvent e. Exceptions avec a dans 5 7 1 4 : 2 6 J . 3 0 (bons)

    aurez

    eurez

    301.j

    aussant

    eussont

    314.1J

    aust

    eust

    224

    Lee

    S7'4

    124

    aust

    eust

    310.3

    aurent

    orent

    328.19 328.21** cf. 265.7s. 331.11 309.28

    bonauretez

    boneuretez

    n bon eureté

    n bone aureté

    sau

    sou

    paor

    poor

    paoros chaer

    chaoir

    chaoir

    1IX

    - (devant)

    - (devant)

    réf. 32é.2lf***

    332.19***

    310.13 315.11 316.27 318.3 318.20 321.1 3I7-25 321.14

    boneauretez bonaureté

    autres cas: devant 269.21 285.3** (cf. 84.14 333-1

    chamin seboltura

    savolture

    engienz

    engeing

    ochiso ocheison(s) chival

    ochison

    chivau »

    chival »

    chevau

    cheval

    angieng)

    (palatale +) a e i 299.9 (8.33, 9.12 270.11 270.13 274.23** 281.26** 273.16** 18.20 (cf. 18.23,26 18.33 22.8 281.22** 285.17** 267.14 270.5 276.8 15

    chavau chevaus chevau chivau

    ochiso -)

    cheval

    cheval chevaus cheval

    chivaus chivaler

    chevalier

    Auracher interprête ici l'abréviation comme -ter au lieu de -er- sans raison valable.

    22J

    réf.

    5714

    124

    Lee

    chivaliers 1 5

    =15

    (cf. 50.20

    cheveus

    -

    chaveaus

    291.17

    chemise

    chemise

    =)

    276.5

    chevaliers

    276.22



    285.9**

    A côté de chascun(e) (s) on trouve dans }714 des formes comme chescun(e) 267.12

    chescun

    cheun

    299.13

    n

    n

    =

    299.27

    n

    »

    =

    273.25**

    chescuns

    =

    cheuns

    304.20

    n

    =

    n

    cheuns

    „„

    3 307.27*** 322.24

    =



    =

    »

    =

    »

    =

    »

    cheun

    =

    331-7

    »

    »

    =

    3 2 9- 2 7

    chescuna

    cheune

    324.18

    (s):

    II. e §27.

    e+ra

    Gôrlich, 74 § 48 3°3-*5 270.4

    arraument

    erraument

    =

    arbergiez

    arbergez

    arbergiez

    271.27

    arberges

    arbergies

    =

    272.13

    arbergies

    =

    =

    273. i4f.**

    arbergia

    =

    =

    284.12**

    »

    =

    =

    273.15**

    arbergié

    273.18**

    arbergie

    arbergé arberge

    arbergie

    318.7

    arbergez

    arbergiez

    =

    322.11

    arbergiast

    =

    =

    arbergierent

    =

    arbergiarent

    334.21 ECCLESIA

    (mot

    arbergié

    mi-savant )

    285.18

    eglise

    iglise

    =

    iglise

    I2X

    IIX

    -

    yglise

    8x

    269.17 278.8** 278.7**

    15 16

    yglise(s)

    8x =

    =

    iglises

    Yglises

    iglize

    iglise

    v. p. 225 ci-dessous pas de données statistiques sur le ms. Lee.

    zz6

    réf.

    5714

    124

    Lee

    2. Le consonantisme Dans notre chapitre sur le consonantisme, nous distinguons cinq groupes: I. II. III. IV. V.

    Les Les Les Les Les

    gutturales dentales labiales liquides nasales

    [k], g t, s, d, z p, b, y r, 1 m, n

    Tous les paragraphes sont numérotés de manière consécutive du § 101 - § 116.

    I. Les gutturales Le C latin [k] § 101. k intervocalique et kt Görlich, 90s. § 99-104 segurs neguns nengune nenguna engau

    2ÓJ.2I

    288.4** 307.14 307.15 80.22

    274-33** 286.2' 324.17

    leguees

    275-J' 17.23 284.30**

    leguea

    d'intérêt

    seurs nul nule nullie engal (= égal)

    leguee leguee

    leguee particulier.

    306.9*** 332.26 268.29

    nogieu negiates depreèer 17

    nogel negiastes desproier

    fach

    feit

    CTch 319.8 32.19 69.9

    feit 18 ochene (kalende)

    n (.viii.)

    k conservé 313.10

    amie

    ami

    pour LOCU et FOCU nous renvoyons au § 21 ci-dessus

    " c f . avoier dans LaDu 60,387, charte no. 23J.34, LaDu 60 charte no. 236.32, La Rochelle, 1299-1300. 18 v. ch. Ha. 5 § i.

    227

    réf.

    iJ14

    124

    Lee

    § 102. C (+E, I) intérieur derrière Formes sans yod dans

    voyelle

    ¡714:

    Gôrlich, 91s. § i o j 270.15 278.30** 279.19**, 21** 281.4** 283.25**

    fazoit fasoit fazoit (lacune) fazoit

    = fazoit = =

    fazeit

    313.11** 329.15 282.19** 267.10 293.15**

    mesfazeit fazoent gies giest „

    mesfasoit = gist gist

    mesfazoit

    jest

    gist

    282.20** 303.18 325.14**

    giesent

    gisent

    =

    292.8** 292.22** 293.11

    jesent

    gisent = (lacune)

    jesent gisent =

    gisent gist luors =

    „ gisent = =

    325-15** 281.20** 282.30** 283.20** 287.8** 292.14 292.28** 293.10**

    gist =

    325>3

    325.18** 326.9 331.23 270.11

    jezent luzors preza

    §103.

    le groupe QU (= kw)

    Pignon, 441SS., Gôrlich, 92s. § 106 273.20** 290.4** 292.23**

    seguerent

    seguirent

    seguet

    segui

    310.3 274.20** 282.20** 282.26** AQUA: y . § 9 ci dessus

    228

    réf.

    I2

    S7'4

    4

    § 104. Pronom

    Lee démonstratif

    A côté de (i)cist, (i)cest, (i)cel, (i)cil, etc. on trouve d'autres formes

    (ECCU + ISTE;

    ECCU + ILLE) : 268.1$

    icist

    icest

    278.26"

    =

    =

    =

    equist

    287.26**

    =

    n

    288.5**

    icest iquest

    iquist

    iquist

    284.10**

    291.22** 285.1**

    iquesta

    3197

    »

    282.31**

    equesta iquele iquela

    292.21** 292.22**

    =

    iceste iqueste =

    iquele



    = =

    iceste icele «

    5i°S- S Gôrlich, 93 § 108 vengia

    normal

    arbergies



    arbergia dédoublement

    „ des palatales

    souvent souvent

    loggia leggierement

    logia legeirement

    297.6

    locgiez Ocgiers/Oggiers Rocgiers lecgierement

    logies Ocgiers Rogiers legeirement

    logiez

    cas curieux: 56.32

    (traduit latin

    VETANDO;

    dérivé du verbe

    NEGARE) REGULARES c f . § 1 0 CL-deSSUS

    roazons v. glossaire ci-dessous

    1 4 . 1 8 ROGATIONES

    LEUGAS 329.9

    19

    leuees

    les voies 19

    a été interprêté p a r le réd. du ms. Lee 124* comme (ou dans notre genre de transcription) ce qui voulait dire ( < V I A E ) , de sorte qu'il a écrit dans son français , le mot qu'il retrouvait quelques lignes plus bas (ligne 329.11 de l'édition). Cf. A Q U A qui abouti à , dans la Chronique ( 3 1 8 . 1 8 ) . Le texte 229

    réf.

    ¡714

    124

    Lee

    II. Les dentales § 106. t Gôrlich, 82s. § 85; Goss 69,63 § 4 + a + tr + + e + tr+

    -air -eir

    (paire . ..) cf. § 3 ci-dessus (peire . . . ) cf. § 14 ci-dessus

    cas curieux: Pour traduire QUADRATA, Wille mde Briane met quarré (1. 1 6 1 ) ; le Chroniqueur en a fait cairee: 269.2

    cairee

    =

    Pour traduire DUO ORTHOGRAPHIE CODICES, notre Chroniqueur met (la forme qu'on trouve partout dans les passages de la Chronique inspirés de Nicolas, dans les mss. Lee et 124, v. § 9 ci-dessus); = écrit , mot que le copiste aura pris à Saint-Pol pour . L'article féminin en Picardie étant souvent , il a cru devoir rendre celui-ci la dans son texte français normé, ce qui donna , terme qui a abouti normalement à

    COP

    BR

    282.5

    SOBRE

    =

    287.15**

    SOVRE

    sobre

    292.20**

    SOVRE

    298.14 308.12

    recebrai abrir

    c) POPULU cf. § 20

    passim d) p conservé dans

    recevrai obrir

    ci-dessus

    poble, puble pubble

    poble

    j714

    CAPUT

    chief chiep

    270.16 283.12**

    chiep

    287.23** 293.4**

    chep

    293.14** 324.15

    chief daus chiepz chief

    chiep

    chies chep

    chiep

    80.20 310.9

    (pl.)

    chepz

    282.13** 305.15 7-3 69.1

    (le)chiep

    chiep les chiepz

    69.9 NEPOTEM/NEPTEM

    7.29 (modèle latin

    nepça

    NEPTEM) 58.21

    niepces

    3 1 4 . 1 1 et passim

    nevo (et nepz)

    52.29 (modèle : Mira- nepcier cula S. Bened.)

    nepçes nevo (et nies) -

    nepcier

    e) APUD dans le . Pas de statistique disponible p. 124 et Lee. Ceux-ci remplacent souvent ob par ot et parfois par avoec ot 67X o 5X

    232

    réf.

    5714

    ob 21

    7 ix ix IX

    124

    Lee

    Turpin interpolé (286.7 e t 3 I 9- I 4> Tote listoire, 19.27 ms. 5714

    1

    ci-dessus)

    § m. b Görlich, 96s. § 1 1 8 - i 21 UBI

    passim 307.1*** (je) 307.6***

    or doptei

    ou, on

    »

    =

    2 7 4 . 2 7 (CUBITU)

    cobde -

    11.28

    cob/e aptinença malaptir

    Í7-I

    malades

    -

    mala«des

    reveloent

    -

    revelarent

    25.II

    =

    =

    aptinence

    -

    6 6 . 2 6 (REBELLAVERUNT)

    cf. iHERico (= Jéricho) Jericoè 332.26

    =

    5714 double souvent les b: pobble, pubbles, nobble, estabblirent, estabblit, etc. 5112. v Görlich, 97s. § 1 2 2 - 1 2 3 278.29*» 283.13**

    noeles

    noveles

    303.19 86.27

    noela

    328.5

    guoerné

    78.29

    guoernerent

    79-iJ

    guoerna

    3I9-I7 322.2 323.14 (cas-sujet, pl.) 270. 15 (cas-sujet, sg.) 270.23 (cas-sujet, sg.) 23.5d.

    noveles noeles noveles novele

    goerne

    chaitiu

    chaitif

    viu

    vif

    guoerné guoernarent goerna(!)

    vif vis né

    nef né

    passim, Tote listoire et Turpin interpolé



    cas curieux: 14.33 21 22

    ait

    cf. Gör 8 2 , 1 1 6 - 1 1 7 , Pign 60 - CSM, 469. cf. § 3 ci-dessus et notre Glossaire ci-dessous.

    233

    réf.

    124

    Í7I4

    Lee

    IV. Les liquides § 113- r a) chute de l-r dans ¡714

    (ou dans 124 et Lee)

    269.8

    pendret

    336.8

    apendre

    prendreit aprendre eschirpe

    291.9** (aumônière) eschipa cf. 2 9 1 . 1 2 * * 291.22** 85.13 3 0 0 . 2 2 KAROLU

    eschirpe eschirpa (lacune)

    b) r inséré dans le mot (dans ¡714) 318.15 332.23 7 . 3 2 (PAUPERES)

    293.10 a res terre

    pendreit (lacune) eschirpe

    eschirpe en Chale 23 Gôrlich, 79 § 7 1

    estreindre Drambredé provre 24

    esteindre Dambredeu -

    [ arres terre 25 [ a rres terre ~~ (deux possibilités de transcription)

    = Dambredeu -

    cf. § 13 ci-dessus (STEPHANUS) Estevre

    Estevre

    14.4 (qui era evesques) qui rera evesques

    -

    (modèle latin: QUI IN EA URBE ERAT EPISCOPUS Krusch 88,266) c) r > l, v. Gôrlich, 79 § 68 BERENGARIUS

    296.3 326.5 49-5 49.2 322.9 (PARADISO) 2 9 5 . 2 1 (GERINUS)

    23

    Berengiers Berengiers Belengiers Berengier

    Belengiers Belenguier

    palais Gualins

    parais

    Berengiers Belengiers Belengiers Belengier

    écrit en un mot: « . . . mie enchale» dans les textes-rejetons 124 et Lee. Dans leur modèle commun, Lee 124*, il devait y avoir déjà: « . . . mie enchale»; mais dans la Chronique originale, il devait être écrit mie en chale, dérivé du . . . mie en charle de la traduction française de Nicolas. Le rédacteur de 5714 semble ne pas avoir compris et a sauté la phrase. - cf.
  • , charte de 1270 du Cartulaire du Bas-Poitou no. 3 1 3 . 1 0 , v. Gôr 82,100 § 125. 24 cf. PAUPERE > praube en gascon. 25 cf. influence de l'a prosthétique et du redoublement de l'r en gascon, p. ex. Ramon > Arramon dans les chartes de Seint-Seurin, cf. ch. Ilb. 6 ci-dessus.

    234

    réf.

    }714

    124

    royaume d'Aquitaine

    trad. par: région d'Aquitaine / légion

    72.18 87.16 (cf. 73.4

    region d'Aguina region [de Tors] regions

    Lee d'Aquitaine legion d'Aguiaine 2 ' legion regions)

    S II4•l Görlich, 78 § 65 a) passage de -II- et l à r I. MILLE mire passim cf. ch. IIb.2 § a ci-dessus

    passim

    passim

    mil mil

    mil mil mi/e homes

    exceptions: (modèle français! I ou 5 suit:) 302.15

    mil Zi crestiens mil Sarrazines mire homes

    3I3-23 295.21 2. IDOLA ydre(s)

    passim

    3. VANDALOS Vandres

    Vaudres

    332-13 4. ANGELU en général exceptions: 301.2 6 288.6 13.19 291.27 280.18 320.21 cf. 320.12

    angre(s) angres angele angela angres angre angres arcanges

    angries angrie

    anges

    angries angrie angels arcangels

    angres angre anges arcanges

    vers Roeregna

    vers Loeregne

    vers Äoeregne

    en region

    eu region

    en region

    5. EVANGELU passim

    evangire

    6. LOTHARINGIA 33O.I3 7. IN LEGIONEM 280.16

    b) passage de l'intervocalique eulalia

    Eulade

    à -d- puis à -i-

    Eulaie

    v. ch. IIb.2 § b. et n. 39 ci-dessus

    " c f . modèle latin, Annales de Lorsch, Kur 95,138.3; le Chroniqueur connait aussi le mot : 78.18: reambres - reaumes.

    235

    réf. c) vocalisation

    5714

    124

    Lee

    chasteus

    chastiaus

    chasteus/chasteaus

    de l

    ex. CASTELLU

    v . § 18 ci-dessus, G ô r l i c h J4, § 31 et ch. X I V . 2 § h ci-dessus FIDELES

    320.9

    fieus

    =

    SELVA

    25.19

    sieuva

    29.18

    seuva

    d) chute de l, G ô r l i c h , 77 § 64 266.10 288.3**

    sepucre

    sepocre

    325.16

    »

    325.10

    sepucra

    273.9

    Lamançor

    Laumançor

    Laumaçor

    autre expression »

    sos

    1

    3 Í-7 315.22 (SOLOS)

    sos

    317-3 303.27 (SOLUS)

    SO

    292.4**

    Pos

    324.3

    Pos

    sol Pos Pos

    263.8

    Pou

    336.6 18.26 (SOLUTUS)

    t o z sous

    t o z sous

    passim

    cos

    eos

    317.10

    cop

    289.20**

    couèe

    312.23

    sevotura

    322.5 (DULCEM)

    dos

    317.12,14

    dossa

    317.21

    doça

    25.29

    cop i sevultura

    sevolture

    I sevoltura

    sevosture 2 7

    doce

    (fo/dres)

    e) passage del

    fodres

    -

    à s

    v . p. 255 n. i ci-dessous V. Les

    Nasales

    §115•

    m

    G ô r l i c h , 79s. § 7 3 - 7 6 insertion 281.9** 27 28

    parasitique

    de m devant chámpele 2 8

    labiale: chápele

    y . ch. é t a b l i s s e m e n t du texte> ci-dessous. v . H . E . K e l l e r , «Pantoufle», Etymologica 453b et n. 3, F E W 14,291a. 236

    (Mélanges

    .. Wartburg),

    452; F E W 4,

    réf.

    § 116. a) n intervocalique

    Lee

    124

    5714

    n

    > r (cf. Gôrlich, 80, § 77) :

    89.29 (FAMINA)

    famire

    -

    famire 2 9

    275.15

    mangarel

    mangonel

    manguonel

    (MANGANELLUS)

    cf. ch. X I I I . 4 § 5A ci-dessus b) autres cas n~> r 268.26,28,30

    ymagie

    ymagre

    269.4 269.6



    263.28

    Dambredeu Dambredé

    299.21 312.10

    33 2 - 2 3

    Dambredeu

    n Drambredé

    ANIMA

    passim

    arma, arme(s)

    arme(s)

    arme(s) 30

    (7X arma, 19X arme(s) ) c) chute de l'-n- intervocalique Lezine Lezie

    Lezie (Lusignan) Lezine (réaction)

    (en gascon) v. ch. Ilb. 5 ci-dessus

    d) chute de l'n instable, Gôrlich, 81 § 80 PATRONU (El Padrón en Galice) 266.11

    Peiro

    270.1

    Milo

    Peiron

    295.2 289.25

    Guanelos

    296.3

    Guanelons

    318.9 289.27**

    3I3-I9

    Guanelos Guanelo

    Gua/elo Guanelon

    314.21

    3 2 3-7

    29

    30

    Guanelon

    v. Tobler-Lommatzsch 3 , 1 6 2 2 ; apparaît uniquement ici et trois fois chez Wace. Deux fois famire avec r est cité, Saint-Nicolas, v . 2 8 1 , Vie de la Vierge Marie, v. 26, les deux fois dans des laisses en -ire. Troisième cas, Roman de Rou 11,3982 (éd Andresen): le ms. o f f r e famine avec n dans une laisse en -ire. - Signalons que -n-intervocalique passe encore aujourd'hui à -r- dans la Vallée d'Aoste, v. A L F carte 722 , points 975,966. cf. charte de Réthel dans les Ardennes: > , Goss 67,41 s. cf. Villon, Testament, v . 1065SS. où il écrit en poitevin. 237

    réf.

    5714

    124

    Lee

    AURELIANUS

    281.16 (cas-sujet) 281.17 8.1,25 9.24 10.19,22 11.1,4,10 12.2 7-31

    273.4

    300.2 330.12 280.3** 311.22 326.21 8.33 9.12 8.10 299.9 316.14 321.19

    Aurelians (de Rome) Aurelias

    Aurelian Aurelianz

    Aurelian (messager de Clovis) a Orléis (au lieu de 29

    243

    réf.

    5714

    316.26 12.16

    avom preiam tormam

    Ji-9

    124

    Lee

    = =

    -

    retornom

    j e p. />/. formes sans -t dans 5714: 280.14** 308.14*** son 328.10*** 329.6

    on

    14.12

    firen fuiren

    JM

    sunt sont sunt

    sont ont

    = -

    fuiren 3 3

    curieux: 27.2 262.8 3oo.:3

    ant sevient servient

    ont sievent

    =

    =

    siervent

    § 206. Présent du subjonctif Gôrlich, 119s., § 151 a) désinence 272.32

    pochiaw

    poehoOT

    pochiom

    désinence accentuée -ant ou -ent 271.4 289.15** 298.13 301.24 308.21 320.13 320.13 280.14,15,16**

    sachiant vengiant aiant sachiant aiant angiant (= aillent) conduiant siant

    15.1

    M

    -

    »

    soient

    »

    »

    24.9 24.13 46.27 39-3°

    sachiont vengiont aiont sachiont aiont angiont conduiont soient

    =

    = =

    =

    = =

    soient



    «

    pochiant

    pochiont b) radical

    formes en -gie -gia 265.31 289.15** 298.9

    33

    prengia vengiant avengia

    prengie vengiont avengie

    = = =

    Pignon cite un à la ligne 52.5, par erreur (il y a -t), v. Pign 51,260. 244

    Lee

    réf.

    57¡4

    124

    320.1}

    angiant revengies tienges

    angiont (retornes)

    330-I7 9-34 estre 298.12 289.8** 280.1 j , 1 6 302.19

    sies siaz siant sient

    14.28 14.29 39- 2 4 39.26

    giten meten levem aiam

    291.28

    mef 34 (tes piez)

    soiez soient Í 207.

    Impératif

    levora aiom met

    § 208. Imparfait

    de

    l'indicatif

    Gôrlich, 120SS. § I J 2 Conjugaison

    en -are dans ¡714:

    335-5 276.9 276.19 279.16** 281.23** 28J.20**

    exemples:

    remenoes

    portot

    (autre expression)

    remenoies portot

    cuidot

    quidot

    cuidot

    parlot

    276.10 276.11 280.21** Conjugaison

    -oe, -oes, -ot, oent.

    ramenoes

    en -ere,

    gardot demorot

    =

    portoent aloent tochoent

    portoient aloient tochoient

    portoent

    cf. \ 202 ci-dessus; statistique pour le Turpin interpolé

    dans

    5714: ire p. sg. 2e 3e

    -oie -oies -eit -et -oit -ot

    10 1 80 50 140 10

    ex. ex. ex. environ ex. » ex. » ex. »

    je p. pluriel: formes accentuées sur la désinence: -iant, Turpin interp. Tote listoire

    8x

    au moins (63.21)

    9X

    2X IX

    cas curieux: 273.16** 34

    murian

    murioi

    cf. charte poitevine citée dans LaDu 60,450.51 nevouf au lieu de nevouç ( < NEPOTE).

    245

    réf.

    57H

    124

    Lee

    280.2** 335.16

    erian

    estiont

    =

    n

    »

    =

    329.12

    acegnient

    acegnioient

    acegnient

    en général:

    -iant

    -oient (et-oent)

    -oient

    Tote listoire d'après Pignon (Pign 5I,268SS.) être pas d'exemple

    eret era erent

    7X 7X jx

    3.10 82.34 19.12 89.3

    errant eriant ariant

    estoient

    »

    »

    avia

    -

    aviant

    avoient

    » »

    »

    avoir ire

    p.sg.:

    10.19 je p. pl.: 88.33

    §20p.

    Futur

    Gôrlich, 122 § 1J3 -ont

    ont

    ont

    (souvent -ant) ex.: 272.30

    conbatrant

    conbatront

    combatront

    ex. curieux: 317.11

    faldra

    =

    faildra

    §210. Dans s714: 303.5

    Conditionnel

    -et, -eit, eent -oit, -ot, -oient, -oent morriant

    murroient

    § 211. Le parfait: I. Les conjugaisons

    faibles

    a) ire conjugaison faible (-are), dans ¡714: -ai, -as, -am, astes ou ates, -erent -arent, c f . Goss 62,2114 Gôrlich, 123 § 155 ex. en -arent dans 5714: 271.2 6 271.2 6

    aparelarent ficharent

    apparelliarent =

    » =

    277-19 272.3 280.24** 293.13**

    » gitarent portarent

    = =

    = enportarent

    246

    ou

    I2

    réf.

    5714

    282.27** 326.10

    alarent „

    Lee

    4

    alerent (alames)

    (alames)

    Ces formes sont d'autant plus curieuses que le vocalisme en a est inconnu de l'ancien occitan! b) 2e conjugaison

    faible (-ire): -i, -is, -i ou -it; -imes, ites, -irent ds.

    5714

    rien de particulier c) je conjugaison

    faible (type

    dedi)

    formes de la 3e p. en -et et -erent dans 5 7 1 4 ; dans 124, généralement en -i et -irent (parfois -it au sg.); dans Lee -i et -irent. Exemples: 273.26** 274.20** 283.28**

    desfendet

    desfendi segui perdit

    =

    seguet perdet

    284.10** 273.20** 293.20**

    conbaterent seguerent renderent

    conbatirent seguirent rendirent

    =

    § 212. a) ire conjugaison

    forte

    Le parfait: II. les conjugaisons Gorlich, 1 2 3 - 1 3 0

    =

    P'

    =

    =

    fortes

    (-i)

    Statistique pour le ms. 5 7 1 4 : 2x venguit, 8x vinct, 43X vinc dans Turpin 288.11

    devine

    =

    301.4

    revinc

    =

    =

    308.18***

    venguit

    vinc

    =

    310.28***

    „35

    293.13**

    venguirent

    vingrent (!)

    vindrent

    310.4

    »

    vindrent

    =

    avenguirent

    avindrent

    avindrent

    . une

    tint

    =



    une

    continc

    =

    =

    331.15 tenir,

    contenir:

    16^.6 317.11 272.9 b) 2e conjugaison

    forte

    (-si)

    283.9**

    mesit

    mist

    286.6**

    mesirent

    misèrent

    26.11

    tramesirent

    286.27**

    aucesirent

    35

    interpolé.

    =

    mistrent tramistrent

    ocistrent

    ocisdrent

    Le rédacteur recopie le texte qu'il a déjà copié plus haut (lignes 308.17s. au début de la deuxième colonne recto du fo. 69) ici au bas de la première colonne verso du fo. 70. Il s'agit d'un passage traduit du deuxième modèle turpinien du Chroniqueur, celui de la version dont nous ignorons la langue.

    247

    réf.

    57H

    124

    Lee

    292.24** (310.14 310.22 (26.16

    oucesirent oscidrent occesirent oscistrent

    ocisdrent ocistrent

    ocidrent)

    288.9** 289.13**

    deissirent

    distrent

    293.28** 310.14 26.6

    remansirent traissirent quesirent

    aussi: apremsit estenxit rempsit cremsirent

    de aprendre esteindre reembre, raembre cremir (= craindre)

    M

    n ocistrent)

    =

    treidrent quistrent

    c) je conjugaison forte (-ut): cas intéressants cf. G o s s 6 2 , 2 5 1 ; A L F 9 6 , 3 6 1 , 4 0 2 , 1 0 8 9 , 1 2 0 3 , 1 5 1 6 1. avoir oc apparaît 12X dans le Turpin interpolé de J 7 1 4 , oct 6x 277-23 279.2**

    ogrent

    2

    73-3 274.23** 282.29** 306.19***

    oguit

    335-6 289.12**

    aguit oguirent

    ot orent

    agrent

    2. pouvoir 265.25

    poc

    268.4 279.13 289.22** 303.10 318.14 318.19 273.20** 278.1 307.11,15,17* 308.8,11,12

    poec poet poec

    puec

    puec pogrent poguit

    poec/poet/pout poec

    poec

    3. savoir 271.15 272.16 282.12,14** 283.15** 290.22 248

    sot

    réf.

    57'4

    124

    Lee

    293.24** 311.9

    soc

    soc

    sot

    »

    »

    »

    282.26** 333.18 285.26 330.24 279.18

    soct sogrent soguit sogui seguit

    sot sorent sot soi sot

    =

    sogrent =

    sogui »

    4. vouloir 261.9 177-1} 311.15 318.9

    veut voec voc

    = =

    »

    =

    »

    =

    333-8

    »

    =

    3IÎ-I5 334.12

    voec

    =

    293.18,27** passim (courant)

    veoc

    »

    vogrent

    =

    autres verbes: connaître, croire, mouvoir, recevoir, suivre, p l.i: ri' 276.19 291.6 280.4** 273.21 if-5 277.26 274.21** 290.16**

    conegut creiguit creguirent moguit moguit receguirent conseguit ploc

    conut =

    creurent mogui reçurent consut plot

    = =

    =

    mou esmoguit receurent = =

    S213• Imparfait du subjonctif a) je p. pl. en -ant dans ¡714, surtout -ont dans 124 et Lee cf. Goss 62,256 passim 269.10 273.23** 275.8 275.12** 280.3** 280.10** 285.2** 287.18** 288.10** 294.4,13,17 305.2 318.20 297.24 301.5

    fussant rebosissent donessant fuissant falissant ocesisant tuessant fissant oguissant menassant venissant

    fussont reboucissont donessont (s'en foist) falissont tuessont »

    fissont eussont menassent venissont

    fussont =

    (donast) = = = = = =

    menassont =

    »

    »

    =

    »

    »

    =

    eussant aussant

    eussont eussont

    =

    aussont

    réf.

    57'4

    124

    3°3-9 3I5-I3 309.24 310.8 310.9

    mûrissant morissant ferissant covrissant estopassant enveissant receussant preissant fissant

    murissont morissont ferissont covrissont estopassont envoiessont receussont preissont fissont

    Lee =

    murissont (ferist) =

    estopassent enveiassent

    3I3-I9 3I3-I9 318.21 314.14 324.18 315.14

    n retornassant

    retornessont

    3 1 5- 1 5 324.19 324.19

    pechassant paguissant donassant

    pechassont paguissont donassont

    2.29 (de avoir)

    aguissant

    -

    33.16 (de aller)

    anassant

    alessont

    »

    =

    presissont = =

    retornassont =

    = =

    b) Quant aux autres problèmes relatifs aux conjugaisons fortes, voici quelques cas intéressants : ire conjugaison forte 274.10** 289.9** 283.27**

    tenguist »

    tenist venist

    venguist

    je conjugaison forte 265.31 276.2 307.14,16 287.18** 317.26 324.19

    apareguisses poguist » oguissant chaiguist paguissant

    apareusses peust peust/poust eussont chaist paguissont

    peust

    cas curieux 24.16 (de )

    fich

    fich § 214. Participe passé Görlich, 118 § 149

    ire conjugaison forte 279.30**

    vengue

    venue

    =

    289.8**

    venguz

    venuz

    =

    2tne conjugaison forte 319.8**

    fach

    feit

    =

    32.19



    -

    feit

    sou „

    = =

    jme conjugaison forte 331.10 281.1** 250

    sau sogu

    réf.

    S7"4

    I2

    Lee =

    4

    283.13**

    corregu

    correu

    300.17

    ogu

    eu

    heu

    325.23**

    recegu

    receu

    =

    aprems

    -

    apremps

    cas curieux 36.16

    (de , opprimer, écrit ici à la ligne 28.2, cf. parfait , 47.18).

    LE T E X T E

    P R E A M B U L E DU CHRONIQUEUR

    Transition entre son Premier Livre, Tote listoire Livre, le Turpin

    interpolé

    de France,

    et son Deuxième

    adapté de la traduction de Nicolas de Saint-Lis. 1

    [p. 68] Trois Gestes ot en France: l'une fu de Pépin e de l'angre; e l'outre de [Doon] de Maence; e l'outre de Guarin de M[onglane]. Ecist conquistrent crestianté Nostre Segnior Deu Jhesu Crist. 2

    A V A N T - P R O P O S DU T R A D U C T E U R

    262.1 [p. 69] En l'enor Nostre Segnior qui est Peres e Filz e Sainz Esperiz e si est / uns Deus en trois persones, e el nom de la gloriose mere ma dame / Sancte 1

    Les principes de notre transcription. Nous avons ajouté tous les titres, les soustitres et les signes diacritiques de notre édition. Les titres que nous donnons aux chapitres sont basés sur ceux de l'édition latine fondamentale de M. Meredith Jones (1936). Cette édition reproduit l'organisation de la vulgate de la Chronique de Turpin. Or entre 1 1 7 2 et 1189, les clercs de Baudoin V à Mons l'ont réorganisée, et c'est cette nouvelle répartition que suivent Nicolas de Saint-Lis, notre Chroniqueur et le ms. Madrid 1617, tout comme l'édition Smyser de 1937. Celle-ci donne les variantes de Madrid 1 6 1 7 qui sont aussi celles que semble suivre notre Chroniqueur sauf en trois passages supplémentaires que nous avons indiqués. A la fin de chaque chapitre turpinien nous renvoyons en note au chapitre correspondant de l'édition Smyser, afin de permettre au lecteur de suivre phrase par phrase le texte du modèle latin. Une lettre placée entre parenthèses carrée est une addition de notre part, une lettre entre parenthèses rondes est présente dans le manuscrit, mais nous en suggérons l'omission, un passage entre parenthèses à chevron (. . .) est présent dans le manuscrit Lee (et souvent aussi dans le manuscrit 124), mais absent du ms. 5714, la base de l'édition Auracher. Le simple trait diagonal / indique la fin de la ligne dans cette édition, le trait double / / l a fin de la page dans celle-ci; en marge nous indiquons les numéros correspondants des pages et lignes de cette édition. Le p a tige barrée est transcrit per, sauf quand l'étymologie atteste une autre graphie comme dans ptie = partie. -1- en ligature avec -t- donne parfois l'impression d'être un -st-, mais sans doute s'agit-il d'une combinaison graphique spéciale pour -lt-, de sorte que nous transcrivons le produit de MULTUM comme molt et non comme most à la manière de Gaston Paris, Boucherie et Bourdillon. Nous transcrivons donc le produit de VULTUNNA comme et non pas comme : c'est le cours d'eau de la Boutonne, prononcée [butun] aujourd'hui selon I'ALF. Les -s- hypercorrects devant -t- sont transcrits comme tels -st-, comme dans d'étoffe appelée . 2 ms. odon dç maence. e l'outre guarin de maence. cf. p. 101 ci-dessus.

    255

    Marie, voil comencer l'estoire si cum li bons empereires Karlemaines / en ala en Espagnie per la terre conquerre sore Sarrazins. 5 Maintes / genz si en ont oi chanter e conter, mes n'est si mançongie non ço / qu'il en dient e en chantent cil jogleor ne cil conteor; nus contes / rimés no est verais,* car tot est mançongie, ço qu'il en dient, car il / n'en sievent rienz, fors quant per oir dire. 8 Li bons Baudoins, li cuens / Chainau, si ama molt Karlemaine, si n'en veut i o onques croire chose que / l'om en chantast. Ainz en fit cerchier [p. 70] totes les bones abeies de France e / esgarder per toz les armaires, per saver si l'om i troveroit la veraie istoire, / ni onques trover ne li porent li clerc. - Tant avint après que uns sis clers si ala / en Borgognie per quere l'estoire. Tot issi cum a Deu plot, si la trova / a Sanz en Borgognie: icele estoire domeinament 15 que Turpins li / bons arcevesques de Rempz escrit en Espagnie qui avoec le 263.1 bon / / empereor fu. E tot le / conquest qu'il fit, e les miracles si cum li avenoient le jor (e qu'il sot que vers f u ) , si les / escrivoit la nuit e le jor quant il en avoit leisir, ont en feit / mieuz cil acroire qui hi fu e qui le vit, que ne font 5 cil qui rienz / n'en sevent fors quant par oir dire. — Li clers au bon conte Baudoin contreescrit / l'estoire e a son segnior l'aporta qui molt la tint en grant / cherté tant cum il vesqui. E quant il sot qu'il dut morir, si envoia son livre / a sa seror, a la bone Jolent, a la contesse de Saint Pou, e si li manda que / per amor de lui gardast 10 le livre tant cum ele vivroit. La bone / contesse se ha gardé le livre jusqu'à hore. Ore me proie (fet l'arcevesques Turpins) 4 que je le mete / de latin en romanz sanz rime: per ço que teus set de letre qui de latin / ne le seust eslire, e per ço que per romanz sera il mieuz gardez. O r si oez que li bons / arcevesques en reconte. 5 /

    * Nus... verais exponctué dans le ms., par une personne qui ne partageait pas la méfiance des mécènes cités vis-à-vis des récits rimés. Attaque curieuse contre les récits en vers sur Roland et Charlemagne, la Chanson de Roland y comprise, lancée vers 1202 à Saint-Pol par Nicolas de Saint-Lis qui n'y pioche qu'un seul détail sur Thierri, garant de Roland lors de son duel contre Pinabel, v. p. 144 § d. En 1205 également en Picardie, Maître Jehan devait s'inspirer de cette attaque, au début de sa traduction turpinienne. En outre Jehan rend BITERRENSIUM par Bourges au lieu de Béziers et LYMPHAE IN CYPHO par au lieu de E f a t u r l o rei chez N i c o l a s sans doute, puis chez le C h r o n i q u e u r et 5 7 1 4 ; Lee et 124 renforcent le / et combinent les d e u x mots en un seul . 5 9 ALIS = Alis chez le Ménestrel, Alys chez Briane, Ais dans 5714, Ois dans L e e et 124, cf. ch. X I I I . 2 ci-dessus.

    266

    roi de / Marroc; Alphinor, lo roi de Majorie; e Mucion, lo roi de Meque; / 10 Hebraim, lo roi de Sebille; e l'aumançor, lo roi de Cordes. 60 Lors / s'en vinc Aiguolanz en Gascognye a une cité que l'om apele Agent, 61 e si la prist. / D'iloec manda a Karle, 62 (qui a Paris esteit, batallie.)

    INTERPOLATION A : LIBERATION DE I'AGENAIS ET CHANSON d'AspREMONT

    1. Miracle de la fontaine de Beauce, en faveur de Charlemagne 14 ( E quant Karles oi) si s'en vinc en Beausse a une jornee de Paris. E si arber1 j gia / tote soz en une terre loing d'eve e quant furent arbergié, li / chevalier e li cheval muriont de se, car n'avoient point d'eve. / E Karles fit equi endroit oreison a Nostre Segnior qu'il li donast de l'eve, e Nostre Sires dona lor / eve si que per devant cheune arbergie de baron sorsit une fontaine / la 20 mieudre qui onques fust. E tuit li Franceis s'en esjoirent molt. E / p er icest miracle lo seguirent de France tuit cil qui onques armes pogrent / portar. 63 2. Donations à Saint-Hylaire de Poitiers et Saint-Martial de la lance fleurie, à Paunat en Périgord

    de Limoges

    Miracle

    E adonc se mou li bon rois e vinc s'en a Sancte / Croiz d'Orlienz. E d'iloec si s'en vinc a Saint Martin a Tors e vellia e fit / oreizon a Nostre Segnior e a mon segnior saint [p. 85] Martin qu'il li donast veintre / les Sarrazins; e 2 j d'iloec si s'en vinc a Saint Ylaire a Pestiers, e vellia, e / comanda que l'om rendist a mon segnior Saint Hylaire cheuns / quatre deniers, p er ço qu'il 274.1 desfendi tote Aguiaine d'aler en essil.64 - E / / puis si s'en ala a Limoges a mon segnior Saint Marçau et dona / hi molt granz dons. - E d'iloec si s'en ala a Sarlat ou il fit molt riche yglise / e molt riche abeie e dona hi quatre leguees de terre en toz senz.65 - E / puis s'en vinc d'equi en j Peiregorc a une fontaine arbergier. E trova iloec un / bon home e manda li que si il avoit vin, qu'il l'en tramesist. E li / bons hom dist qu'il n'avoit vin, e tramist li de l'eve, e iço fu li mieudre / vin dau monde. E au matin quant

    60

    61 62

    63

    64 65

    ALTUMAIOREM

    REGEM CORDUBE.

    coble dans ms. 5715, v. ch. XV.2 § m . Historique p. 125s. ci-dessus. Iconographie: Lej 66,11, pl. 163,384. 69 CLARIACUM, C L A I R A C E N S I S , Saint-Pierre de Clairac, fondé, dit-on, en 767 par Pépin le Bref, Cott 35,794; Besse 10,113. Peigné-Delacourt a confondu ce Clairac (Lot-et-Garonne) avec Clerac (cant. de Montguyon, arrond. de Jonzac, CharenteMaritime) ce qui a induit en erreur M. Meredith Jones, Mer 38,165 n. 4, cf. Pei 68, Appendice. Tote listoire, 86.18-20. 66

    268

    b) Charlemagne envoie la tête, le bras et l'anneau d'Aumont Aiguolant, en réponse à son ultimatum outrecuidant

    à son père

    E de tot ço ne savoit rienz Aiguolanz. Ainz / manda a Karle qu'il li rendist treu e lui comanda per trois rois, o / si que non, si s'en foist de tote France. E Karies li tramist la teste d'Omunt e / lo braz ot tot l'anel. E quant Aiguolanz le vit, si ot molt grant duel (e tuit Ii Sarrazin firent molt grant doel en la cité d'Agent). 7 0 / io - Puis vine Karies près d'Agent e fit iloec une chapele de Sancte Croiz. c) Adoubement de Roland et institution des douze pairs E / fit iloec Rollant che-[p. 8/]valier. E Turpins li establi iloec . X I I . conpagnions / qui ne li falissont. E iço furent Ii . X I I . per. 71

    Turpin IX., fin: Prise d'Agen 4. Siège et fuite honteuse d'Aiguolant, par les latrines Puis s'en vine Karies a la cité d'Agent e si la assist e / sist hi entor l'espaice de .VI. mois, et au eisen mois si ot feit feire ses engeings / e drecer au mur; ço 15 furent manguonel72 et pereires / et truies et assez outres engeinz dont l'om puet / prendre chastel. / / / 277.5 E quant ço vit Aiguolanz a une nuit / si prist ses rois e les plus auz homes de l'ost e si s'en essi de la / cité, mes ço fu permi les longaines73 et en larronçin, e / s'en passa permi Guarone qui cort delez la cité, e tot issi eschapa / daus mainz Karle. - L'endemain si entra Karies en la cité ot molt / grant victoire. Lors hi ot molt mort des Sarrazins e molt en eschapa / qui s'enfoirent permi 10 l'eve. Mes totes voies hi ot mort vint mire Sarrazins. 74 / / / [Fin du chapitre I X , dans la Vulgate turpinienne] Trois fondations pieuses de Charlemagne qui poursuit Aiguolant, d'Agen à Taillebourg en Saintonge: a) L'évêché d'Agen, b) L'abbaye de SaintEmilion, c) L'abbaye de Guîtres 5.16/17 / / / E Aiguolanz s'en esteitja venuz aBordeu, e auna molt grant ost, e/ajosta quant que ajoster poec. - E puis a Chastellion passe Gironde. E d'equi s'en 2 7 7 . 1 1 ala / Aiguolanz a / / / Elleposelle 75 qui adonc esteit a Sarrazins e a 275.18 lors / comandamenz, e iloec s'est arestez ob ses genz, / / / e d'iloec manda

    70 71

    72 73 74 75

    Nouvel épisode de YAspremont, v. ch. X . 2 épisode b) ci-dessus. Aspremont, ch. X . 2 épisode c) ci-dessus; Tote listoire, 86.20SS. Iconographie: Lej 66, II, pl. i 6 5 , i 6 j b i s , i 6 i . Institution des douze pairs: Lej 66, II, pl. joo. v. p. 1 7 8 § A , 2 4 1 et glossaire. v. glossaire ci-dessous. Modèle latin: Smy 3 7 , X . 3 2 - 4 0 . Elleposelle = Saintes, p. 20, 180s. ci-dessus.

    269

    Karle batallie. Karles si fit evesque / [a] Agent, e chenoines a Saint C a prais. 76 Adonc conquist Karles / Ageneis, e quant ot conquis tôt Ageneis, si s'en vinc a Saint-Melion e fit iloec l'abeie. 77 E puis s'en vinc a (Guistres sor 276.1 la Drone, e fit iloec l'abeie. 78 Apres si s'en passa jusqu'à) / / / Tallieborc 70 (qui est près de la cité d'Elleposelle.) [Fin de l'interpolation A ]

    Turpin IX milieu: L'épisode de l'espionnage de Charlemagne 2 7 3 . i i / / / E iloec manda Aiguolanz a Karle qu'il venist a lui parler tôt en pais, e ne amenast / gueires ob sei de gent. E li manda qu'il li [p. 88] donrroit assez or e argent e outres richezces e / vint somiers chargiez de pailes e de cendez, si il devenoit sis hom e feist ses 276.1 comandamenz. / / / E tôt ço disoit il per ço qu'il lo voloit conoistre / e qu'il le peust fere ocire. E quant Karle oit ço, si prist deus mire chevaliers daus melliors de sa terre / e ala adonc vers Aiguolant, tant qu'il f u bien 5 près a une lieue de la cité. E il fit / totes ses genz arester, fors quant solament quarante chevaliers qu'il mena ob sei tresque a / une montagnie qui est bien près de la cité: si que l'om la poet bien / veoir, e iloec si les laissa; lorz mist Karles jus sa roube, car trop esteit bone, / e prist une outre plus mauveze, e si s'en ala vers la cité ob un sol chevalier / sanz lance, mes il portot son escu 10 detres son dos, car tôt / issi les portoent lors les escuz li messagier quant il esteit guerre. / Sarrazin ne sei quant furent issu de la cité qui se aloient deduire. / E lors quant il virent noz genz, si tornarent a eaus e lor demandarent / queus genz il estoient, e il respondirent: «Messagier somes Karlemaine / qui nos envoie I J a Aiguolant vostre roi.» - Lors si les menarent li / Sarrazin tresque per devant Aiguolant e si li distrent: »Karles nos envoie / a toi qui est venuz issi cum tu li mandas ob solament quarante chevaliers e (mande tei per nos que tu) / paroles ob lui tôt en pais!» - Lorz s'arma Aiguolanz e si dist aus messagiers: / «Alez vos en e si dites a vostre roi qu'il m'atende!» - Aiguolanz ne / cuidot mie que ço fust Karles qui ot lui parlot. [p. 89] E tôt issi co20 nut / Karles Aiguolant, e si esgarda Karles la cité de quieu part ele esteit / plus legeire a prendre, e vit toz les rois qui avoec Aiguolant estoient. — / E puis si s'en retorna a ses quarante chevaliers qu'il avoit amont laissez, e 76

    77

    78

    79

    AGINUM, Agen, n'est devenu un évêché qu'au début du X e siècle. Saint-Caprais fut fondé comme collégiale au X l e siècle et devint une cathédrale au X I X e siècle. S. AEMILIANUS, Saint-Emilion, abbaye dépendante de Nanteuil-la-Vallée. Fondée par saint Emilion de Vannes (mort en 767), Cott 35,2662, Hig 63,123s. et

    n. 50; Tote listoire, 85.7.

    AQUISTRENSIS, GUISTRENSIS, Notre-Dame de Guistres, sur la Dronne, abbaye bénédictine antérieure à 1108. Cott 3 5 , 1 3 6 3 , H i g 6 3 , 1 3 0 . Pour contourner la ville de Saintes aux mains des , Charles a dû passer de Guîtres à Barbezieux, Cognac et Saint-Hilaire, traverser la Charente à Taillebourg.

    270

    puis / ala tant qu'il vine aus deus mire chevaliers. Aiguolanz si ala molt tost 277.1 après, ob / / set mire Sarrazins armez per ço car il les voloient ocirre, e Karles et toz les / outres. Mes Karles s'aperçut molt bien 80 . Fondation de Vaux et visite de St-Sardolin. Libération de la région de Didonne et de Suzac. j E après / si s'en vinc a Saugion 27 e prist lo; e quant l'ot pris, si lo dona a Talliafer / de Léon au compte d'en Guolesme [sic]. — Apres s'en vinc Karles a Sans doute erreur. Il doit s'agir de Marempnie, c'est-à-dire Marennes. Aiguolant fuit toujours vers la mer et ses bateaux, cf. ligne 2 0 - 2 1 ci-dessous. ** cette phrase «E Aiguolanz s'en foi en Oleiron ob ses genz» est placée sans doute par erreur en tête de la suivante «e e q u i . . . Luzac» au lieu d'à sa suite: d'abord, Aiguolant est battu à Luzac près de Marennes, ensuite il s'enfuit vers Oléron. 24 25 26 27

    ch. V I I . 1 ci-dessus. p. 88ss., lofiss. ci-dessus, Lej 66, 1,48 et n. 16. p. 90 ci-dessus. p. 43 ci-dessus et Tote listoire, 8 3 . 1 3 - 1 6 .

    277

    Anseune / e prist la; si la dona a Guarin e tote la terre d'Arvert. / Guarins li cuens fit l'abeie de Vaus, e Turpins sacra l'outer devers / la cloître 28 ou il mist molt riche sanctuaire. 29 10 Apres nos en alames a l'iglise / Saint Saornin ou trovames lo cors saint Valentin. 30 Apres nos / en alames, (fet Turpins,) a Didone e a Susac e presimes tote la terre. E / au chiep de Susac fit Karles une chapele de Saint Roman. 10. Echappés des prisons de Chartres-Pons, les Sarrazins massacrent les chrétiens de Saintes. Charles accourt mais rencontre Aiguolant et ses hommes partis de Mortagne pour lui couper la route. Bataille de Montbasiron près Thaims. Apres ço li vindrent / noeles a Karle que li Sarrazin daus Chartes 31 avoient correu a Xaintes / e avoient li molt mort de sa gent: trente mire en i j hi estoient. Li bons / rois quant ho sot, si vinc après. E Aiguolanz esteit a Mauretagnie / ob deus cenz* mire Sarrazins e mis sei au devant Karles a Mont Basiron. / Equi f u molt granz la batallie de Karle e d'Aiguolant. Aiguolanz s'en / foi aus Chartres ou molt grant planté de Sarrazin aveit. 32 11. Fondation de deux chapelles: Ste-Marie Thaims. Etymologie de .

    et St-Pierre

    de Teinz

    -

    A Mon Basiron / remest Karles ou il fit does chapeles: l'une f u de Sancte 20 Marie / que apelent ou la fillie Karle gist. E trova [p. 98] iloec Karles un bon / home qui avoit nom Léon e chanta moi-Caresme messe a Karle / e dist e per ço a nom li loecz a Teinz. E equi / fit sevelir les barons qui mort estoient en la batallie. Apres ço li / demanda Karles au bon home per quoi il avoit iteu messe 2 j chantee. E il li dist que per / ço l'avoit chantee / que Deus li fazoit majors miracles que a toz les outres rois qui / fussont ou monde. E equi moime li rois li parti son anel d'or et puis li dist que / quant il lo manderoit qu'il venist a lui en quieuque lu ou il fust. 33 * Ms. : ceuz. 28

    au féminin aussi dans Tote listoire, 82.3 et 84.27, cf. dans le testament de Pierre de Barbeziou, clerc de Saintes au XHIe siècle, LaDuéo, no. 413.9. 29 p. ioéss. ci-dessus. Saint Etienne de Vaux, Vaux-sur-Mer (cant. de Royan). Son abside est l'une des plus belles pages de l'architecture saintongeaise romane, Con 52, 1,194s. et pl. 97; cartulaire de l'abbaye publ. par l'abbé Cholet, Tote 30

    31

    32

    33

    listoire, 82.iss.

    s. SATURNINUS VALLENSIS, Saint-Saturnin-de-Vaux, appelé aujourd'hui Saint-Sardolin ou Saint-Sordelin (Gui 64,330), Sancte Sore[ne] dans Tote listoire, 82.4s. v. cartulaire de Saint-Etienne-de-Vaux, éd. Cholet, no. 4,56,58,655. p. 92SS. ci-dessus.

    p. 91SS. ci-dessus.

    Tote listoire, 66.11-27,83.1135., Con 52,1,i8is., p. 43s., 91SS. ci-dessus.

    278

    PRISES DE C H A R T R E S , CORDES ET BALAGUIER PAR CHARLEMAGNE, O G I E R ET LA GESTE DE G A R I N DE M O N G L A N E

    12. Charlemagne remonte la vallée de la Seudre et passe dans la vallée haute de la Seugne, faisant ainsi un cercle autour de la citadelle sarrazine de Chartres-Pons. Bataille de la Pierrière de Lussac. Fondation de deux chapelles et enterrements: Saint-Pierre et Saint-Martin. E après ço si s'en vinc Karles / a Lusac (e encontra sei ob genz sor le Peiré de / Lusac.) E equi perdi Karles deus 284.1 Aiguolanz diz / / mire. — E equi fit Karles does chapeles, e outre de / Saint Martin. Devant l'iglise Saint Piere fu seneschaus / Karle; e a l'iglise Saint Martin uns evesques li uns / a destre e li outres a senestre joste l'outer. 34

    Aiguolant e ob ses mire chevaliers, e une de Saint Piere, seveliz Gileberz li e uns arcevesques,

    1 j. Arrivée de quatre ducs de France, avec renforts. Prise de Chartres-Pons. Fondation de St-Sauveur de Pons, sur Oudure et SainteMarie-de-l'lle, sur la Seugne. j Apres s'en ala li bons / rois a la Fontaine de Limenz 85 ou aveit trois motes de Sarrazins qu'il / prist. - L'endemain li vindrent en secors quatre duc de France: li uns / si aveit nom Raineaumes, 36 li outres li dux Ratiers de Flandres37 e Richiers / dux de Normandie 38 e Landrix li Chapdaines 39 qui dux esteit de Namborc 40 / qui li amenarent trente mire chevaliers molt bons con10 bateors. / Equist se conbatirent ob Aiguolant aus Chartres, e perdi hi Aiguolanz / . X V . mire Sarrazins, e fu hi morz li rois d'Arabie e li rois de / Bugie. Li bons rois si arbergia lo ser aus Chartres ot ses genz. Apres / hi fit li bons rois aus [p. 99] Chartres une chapele de Saint Sauveor. E une outre en / fit de Saint Gieudas qui est sobre l'eve d'Oudure [joste I J Pont]. 4 1 Apres en / fit une* outre sore la Soignie de Nostre Dame Sancte Marie. En cele yglise seveli / Karles les evesques e les abez qui furent mort en icele batallie. / E les outres en fit porter a Saint Eytrope a Xaintes, / e furent seveli ou cimisteri que li angre sacrarent très / l'iglise Saint Eytrope. Karles 20 laissa en iceste yglise de Nostre Dame Sancte [Marie] sor la Soigne la croiz / qu'il portot a son col. En icele croiz si ha dau sanc Nostre Segnior, e / de la * Ms. : fine. 34

    35

    38 37 38 39 40 41

    p. 92s. ci-dessus. inconnu, cf. Lan 04, 2 7 8 : Gillebert 9. = Fontaine de (saint) Climenz près de Pons, cf. Saint-Clément de Pons, Cott 35, 2 3 2 4 et p. 93, 1 7 0 § C j ci-dessus. Rainaumes dans les autres mss. et 1.285.3 ci-après, v. p. 1 1 3 et n. 2 1 ci-dessus. p. 1 1 3 ci-dessus et 1. 2 8 5 . 2 1 . ch. V I . 2 ci-dessus. ch. V . 2 ci-dessus. p. 1 1 3 et n. 20 ci-dessus. p. 1 7 0 § C 6 ci-dessus, dans le seul ms. 124.

    279

    roube Nostre Dame, e daus peaus, e dau monument e dau drap / de que II fu envelopez au monument, e mainte outre sanctuaire qu'il mist / en l'outer. 42 14. Passage sur la rive droite de la Seugne et à la Font d'Orville et à la Font (Saint) Martin. Bataille du Val de Bucirande. Donation de Ste-Sone St-Richer à St-Ausone d'Angoulême Equi endroit passa Karies la Soignie e s'en ala a la Font d'Orvile. / E Ocgiers Ii Daneis e soi conpagnion a la Font Saint Martin. 2 j D'equi ala / Ocgier a Cordes ob . X V . mire crestiens. Lai isseit Aiguolanz / de Cordes ob deus cenz mire Sarrazins e conbati sei ob Ocgier en la Val de / Bucirande: en icele batallie fu morz Ii dux Rainaumes e li dux Rogiers / e dui mire crestien. Rogiers fu portez a Sánete Sone e equi mist / Karies la jote Saint Bercomé 30 en l'outer e i mist daus Innocenz e de maintes / outres vertuz. E i dona une leguee de terre contre soleil levant. / / 285.1 Iqueste bone yglise dona li bons rois aus nonains de Saint Osoine / d'Enguolesme per ço qu'eles fissont servir l'iglise per amor daus martyrs / Nostre Segnior. Rainaumes fut seveliz en un chamin près de l'iglise de Sánete Sone.43 i f . Prise de Cordes sur le Trèfle. Don de Cordes a l'abbé de Charroux, le donne à Williaume de Fougeires.

    qui

    Apres ço si assegia / Karies Cordes e esta hi l'espaice [p. 100] de deus mois, j Apres fit une / yglise de Saint Bebien sor la Vau de Bucirande. Aiguolanz si esteit de l'une partie de l'eve de Trevel, e Karies esteit de l'outre. 44 Apres ço si / vindrent troi duc de vers Lombardie e Ii dux Rollanz ob eaus : ço / fu Arnauz de Beaulande, e Girars de Viane, e Rainiers de Losane / e 10 Oliviers sis filz; 4 5 icest li amenarent vint mire chevaliers. Si / assalirent Cordes devers midi, car p er alliors n'i pooient assalir, / e pridrent la cité. Equi fu morz li dux d'Uisseu46 e fu seveliz en / la chápele Saint Bebian. Li empereires e li son ocisdrent en la cité / .xii. mire Sarrazins. E Karies si dona la cité e les Chartres e tote la terre / qui asfiert, de si que i j a la Font Saint Eytrope entre lo N é e lo / Seudre, (a l'abé de Charros) e l'abes de Charros dona equi endroit tote iceste terre a son nevo Williaume / de Fougeires {e puis li dist: «Beaus nies, de ceste terre) seras hom a l'abé de Charros, e de ton homenagie / te det doner l'abes diz livres o deus chivaus; mè tu des / garder l'abé e les moines e l'iglise de Charros come ton cors!». -

    42 43 44 45 48

    Pp. p. p. p.

    93 ci-dessus. 8 jss., 94 ci-dessus. 94s. ci-dessus. 1 0 3 S S . ci-dessus. 169 § B7 ci-dessus.

    280

    20 En / la cité de Cordis si aveit un paleis, e on paleis si aveit un clusel ou / fu mis li avers aus Sarrazins. 47 16. Prises de Mont-Guitmar et de Balaguier (Jonzac). Nouvelle attaque d'Aiguolant, partie de son quartier général de Mortagne. Bataille. Longue poursuite d'Aiguolant jusqu'à Y vier, près de Cballais en Angoumois. Enterrements à Baignes et donations à Saint-Etienne de Baignes. Maintres que Karies demorot a icel clusel / querre, Ratiers li cuens de Flandres ala a Mont Guitmar ou il ocist / deus mire Sarrazins, e prist Balaguier qui esteit de l'outre partie. 48 Quant Aiguolanz oi que ses genz estiont mortes, si vinc de Mauretagnie / ob 2 j cent mire Sar-[p. ioi]rrazins e conbati sei ob noz barons e ocidrent / Ratier e Guibelin e Antempne lo chapelan Karle, e deus mire des / outres. Karies quant o sot, si en fu molt marriz e dolenz / e vinc après e vit les morz, e ala apres Aiguolant. E si l'ateint / a Y v i e r ou il ocist set mire Sarrazins. Puis s'en torna a / l'abaie de Beagnie que Aiguolanz avoit destruite. 49 C'equi 30 fit sevelir / ses barons, car sainz Marçaus l'avoit edifiee. E mist tot outre286.1 tant / / d e reliques en l'outer, cum en avoit a Nostre Dame Sancte Marie a Solac / fors quant solament dau lait Nostre Dame e hi dona does leguees de terre / en toz senz a l'abeie. 50 17. Retour à Mont-Guitmar-Jonzac. Donation de reliques à Saint-Gervais de Jonzac. Fondation de Saint-Germain-de-Lusignan. Octroi du fief de Jonzac à Saint-Germain de Paris et du fief de Barbezieux à l'archevêque de Bordeaux. Puis s'en torna li bons rois a Mont Guitmar arreire ou/Turpis sebelisseit ses j barons: saint Antempne seveli ou mostier Saint / Girvais très l'outer molt perfont la piere naive; per amor de / lui e des outres hi mistrent daus Innocenz, e de la povre saint Johan / Baptiste e de Saint Thomas d'Inde, e de maintes outres vertuz. 5 1 / ch. VII.4 ci-dessus. Iconographie de la Prise de Cordes par R o l a n d : Lej 66, II, pl. 88-89,200B, cf. M o r 4 4 , X , i 8 image 4 (fol. n v du ms. P-Heidelberg) et v . 609,841 et notes du Texte de Conrad. 48 p. 96, I I J , 120, 170 § C 9 ci-dessus. 47

    49

    B E A N I A , BEAUNIA, BEGINA, B R E G I N A , S a i n t - E t i e n n e - d e - B a i g n e s ,

    abbaye bénéd.

    anc.

    sur le Cavallon, aujourd'hui le Pharon. Fondation de 769 par Charlemagne - tout comme Charroux. Rebâtie au X l e siècle, consacrée le IJ mai 1060-66, cf. ch. V I I . j ci-dessus. Obtient chapelle de Jonzac en 1080, collation de Jonzac et région en 1121 sous Pierre de Confolens, évêque de Saintes. Donnée à C l u n y en 1097 en présence d'Arduin de l'église de Saintes (= cathédrale de Saintes), W o l l 59,371,388; N a n 94,111,464; C o t t 3 j . 50 auj. à Vieux-Soulac, cant. de Saint-Vivien, arrond. de Lesparre (Gironde), p. 56 et n. 39 et Turpin interpolé, 291.12, p. 31, 49 ci-dessus, Bau 76, 1,2 8ss. 5 1 ch. V I I . j ci-dessus. Il s'agit saint Thomas l'apôtre, surnommé , évangélisateur de l'Inde. 281

    L'abes de Saint Girmain de Paris fit fere l'iglise de Lezzignie, ou / il mist i o maintes sanctuaires en l'outer; e hi fu seveliz Gautiers / de Lezzignie qui fu filz Sospic, ot mainz outres. / Equi dona Karies a Saint Girmain de / Paris tote la terre qui asfiert de la Mène jusqu'à la font del Très, / fors cele qu'il dona a la meison de Beagnie. E l'abbes la dona a son / nevo, a Guilliaume de 15 Paris. E puis li dist: «Beaus nies, de ceste terre seras hom a l'abé / de Saint Girmain de Paris, e rendras en treze costeaus e un euer / de cerf!» 52 Lo fé de Berbesil dona ensement Karies a l'arcevesque de Bordeu. E l'arcevesques / lo dona a un son parent am diz sous d'omenagie de déni-[p. 102] ers de la table. 53

    PRISE DE LA SAINTONGE MÉRIDIONALE PAR ROLAND E T L A GESTE DE N A N T E U I L

    18. Offensive contre Mortagne-sur-Gironde. Bataille de Nantoil près de Beaumont. Prise de Mortagne par Rolland. Funérailles à Saint-Etienne de Mortagne, Saint-Romain de Beaumont et à Combes -Saint-Dizant-du-Gua Apres tot ço Aiguolanz manda batallie a Karlemaine a Mauretagnie. / Kar20 les si vine molt près de Mauretagnie e fit hi l'iglise Saint Denis. 54 / Equi mist Karies deus cors sainz e outres vertuz maintes, entre / l'outer e une petite porte. - Apres Aiguolanz ajosta ses oz a Beaumont / qui es [en]tre Cosnac e Mauretagnie. 55 Karies rengia ses oz / e comanda a Gui"' de Nantoil 5 6 qu'il alast devers Gironde; e Terris / d'Ardene e li dus Nembres 57 et li dus 2 j Naimes amenarent ob / eaus vint mire chevaliers, e Ocgiers e soi conpagnion vint mire, / Rollanz e soi conpagnion outres vint mire: e tuit icest ferirent en l'ost / Aiguolant e oucisdrent daus Sarrazins quarante mire, e li très Aiguolant / hi fu abatuz. Apres s'en foi Aiguolanz vers Arnagues; 58 e li amiraus / de Raibe 59 s'en foi vers Mauretagnie, e ob volonté de ( K a r l e ) ,

    * les deux autres mss. mettent , par erreur, v . ch. X I I I . 3 §b cidessus. 52 53 54

    55

    p. 4 1 , 173 ci-dessus. p. 30s. ci-dessus. = l'actuel , à 12 kms de Jonzac et à 18 kms de Mortagne. U n e petite église romane avec un portail à plusieurs voussures, des chapiteaux et des modillons curieux existait encore en 1850 à Saint-Genis, puis elle f u t remplacée par l'édifice moderne actuel, v . C o n 52, V , i 3 2 . P o u r SANCTI DYONISII > San Genesio, v . G . Gröber, Romanisches aus mittelalterlichen Itinerarien, Bausteine zur romanischen Philologie, Festgabe A . Mussafia, H a l l e , 190J, 519 no. 22. Cosnac = ancien selon ms. 124. A u j . C ô n a c à 15 kms au sud de MAURITANIA > Mortagne sur Gironde, p. 170 § C 3 ci-dessus.

    56

    p. 110 sur Gui de Nanteuil.

    57

    N o m inconnu. v . n. 5 j ci-dessus. p. 156 ci-dessus.

    58 59

    282

    i Rollanz sis / / nies s'en entra enz Mouretagnie, l'espee treite, ou il e soi conpagnion / ocisdrent diz mire Sarrazins.60 De crestiens hi ot mort numbre / de quatre mire. Li un furent seveli a l'iglise que sainz Marçaus fit en / l'enor de saint Esteine.61 - Karles fit une chapele j de Saint Roman au pui / de Beaumont ou furent seveli li outre.62 E per l'amor daus barons / qui hi furent seveli, hi mist en l'outer de la pointe dau Clo / Nostre Segnior e maintes outres vertuz. - Apres fit la chapele / Saint Lezaire o gist Aloris63 e soi conpagnion. Apres en l'abeie de / Cumbes qui fu o jadis abeie fit porter les outres ou ha molt reliques / de saint Dizens e maintes outres vertuz.64 19. Prise d'Arnagues-Cônac. Bataille de Trois-Fontaines près Saint-Aubin. Fondation de Sainte-Marie et de Saint-Martin. Octroi du fief de Arnagues-Cônac à Artaud. Apres assegia Karles Arnagues / ob ses genz e hi esta un mois e puis lo prist e ocist hi / deus mire Sarrazins. [p. 103] E Aiguolanz s'en esteit ja foiz a Blaives, e / Landris li Chapdaines ala après ob set mire crestianz et fit molt / 5 grant damagie en la terre de Blaives. E cum il s'en tornot, Aiguolanz / vinc après e si lo trova sore les trois fontaines e conbati / sei ob lui, e ot hi mort diz mire Sarrazins e troi mire / crestianz. Quant Aiguolanz ot feri Landri lo Chapdaine, si lo gita mort: il [Landris] gita / s'espee en l'eve, car il ne voloit que li Sarrazin l'eussont.65 E Artaus / s'en eschapa ob deus mire cre60

    cf. rébellion des Mortagnais contre leur seigneur Roland, plus tardive, dans Tote listoire, 66.i6ss. 61 v. église de paroisse de Saint-Etienne à Mortagne, mutilée et rénovée, Con 52, 1 , 1 7 3 . Son trésor fut caché en 8 7 7 - 7 9 à , sans doute s'agit-il de , l'ancien ermitage monolithe creusé dans le roc sous Mortagne, là où saint Martial aurait habité lorsque sainte Benedicte l'invita à venir à Bordeaux, cf. Tote listoire, 8 3 . 2 0 S S . , Turpin interpolé, 2 9 0 . 3 0 et p. 6 8 ci-dessus. La chapelle-grotte se prêtait fort bien à servir de cachette. Sur le transfert de Mortagne de son ancien site à son site actuel par Charlemagne, et la fondation de l'église de Saint-Michel par l'empereur, v. Tote listoire, 66.2jss. Toute trace du transfert semble avoir disparu, selon lettre de M. Delafosse, l'aimable directeur des Archives de Charente-Maritime à La Rochelle. 62 Saint-Romain-de-Beaumont sur carte au 50 ooome qui n'indique pas Beaumont même. La chapelle était sise sur la hauteur près de la Gironde, visible de marins en détresse; aujourd'hui elle est assez distante de la Gironde. 63 Chapelle et tombes de Saint-Lazare inconnues, cf. sarcophages de Saint-Thomasde-Cônac, Con 52, V,i5és. Pour Alori, héros au nom wisigoth, v. p. m cidessus. 64 Située sur une , l'ancienne abbaye méritait son nom. Déjà du temps du récit elle n'existait plus. Actuellement Saint-Dizant-du-Gua où se situait l'ancien gué traversant le Taillon. L'église actuelle est moderne et placée sous le vocable de saint Michel. Vestiges gallo-romains, avec nécropole; château de Beaulon, résidence d'été des archevêques de Bordeaux pendant des siècles, Gui 6 4 , 3 4 6 ; Con 52, V.124S. 85

    P- 77> I 4 ° ci-dessus. 283

    20 stianz e vinc s'en a Karle e conta li / cornent avoit esté. E Karles ala après equi ou li mort gisoient, ou il e soi conpagnion firent / molt grant doel. Apres fit une chapele de Nostre / Dame Sancte Marie: equi fu seveliz Landris e soi conpagnion: e / per amor d'aus mist en l'outer lo chiep saint Aubin.66 - E fit une / chapele de Saint Martin en la vau (joste Arnagues), 67 25 e mist ou pié de l'outer reliques de / saint Martin e assez d'outrés. E après ço dona Arnagues a Artaut e tote / la terre qui asfireit; 68 equist fez dure de la Gironde jusqu'à Nantoil, / lai ou Guis desconfit les Sarrazins. 69 E Rollanz retint Mauretagnie a / son obz. [Fin de la première partie de l'interpolation B ]

    68

    comme l'église de a y a n t obtenu les reliques de saint Dizant, pris le nom de Saint-Dizant ( - d u - G u a ) dans la suite, les trois fontaines ornées d'une chapelle, ayant reçu des reliques de saint Aubin, serait devenu l'actuel S a i n t - A u b i n de Blaye, situé sur la route passant de C ô n a c à Blaye choisie par L a n d r i (??). " c h a q u e manuscrit o f f r e sa variante particulière, v . p. 1 7 0 § C n ci-dessus. 68 69

    p. 78 ci-dessus. v . n. 56 ci-dessus.

    284

    I n t e r p o l a t i o n B I I : Prise de B o r d e a u x et du Bordelais en f a v e u r de Saint-Seurin 1. Prise de Blaye et vie de Saint-Romain

    de Blaye

    Apres ço ala Karies a Blaives ob tote s'ost. E Rollanz e Oliviers / e lur con30 pagnion si trovarent les genz Aiguolant hors de la vile, si se conbatirent / ob la gent Aiguolant. E dura molt Ii chappies entr'eus. E mesleament / s'en 288.1 entrarent enz la vile ob eus e tuarent toz les Sarrazins qui ne / / vogrent estre crestian, e cil qui le vogrent estre, ne tuarent / mie. E après je Turpins si cerchai totes les yglises de la vile que / Aiguolanz avoit destruites, fors quant l'iglise e lo sepocre Saint Roman 1 / ou nus Sarraj zins ne poet entrer ne mal fere. [p. 104] Laienz si a deus cors / sainz, saint Sycaire 2 e saint Roman. Equist bons eurez sainz Romanz / si fu d'Affrique e per voiz d'angrie vine a Blaives. - Si aveit adonc a Blaives / une ysdre que Ii Sarrazin aoroent ou tens Blaise 3 qui rois esteit de / la vile. Sainz Romanz vine en la vile e predicha lo nom Jesu Crist. / E Ii Sarrazin cuidarent 10 lo ocire e distrent li que si lor deu n'aorot, / il esteit morz. E il adonc lor dist qu'il lo menassont a lor deu, a celui qu'il aoroent. / E il adonc li menarent. E quant sainz Romanz l'ot conjuré de part Deu, si devine cendre. / Apres sainz Romanz hi fit une yglise de Saint Sauveor, e fit hi abeie. E / [per la] proieire de lui Deus hi fit maint miracle; e maimament sovre la / 1 j dame de la vile; e sor mainte outre gent de mainte maladie. / E après Rollanz ferma l'iglise Saint Roman e hi mist chenoines / [Oliviers mist a Saint Sauveor moines ners]. 4 2. Bataille de Montauban; fondation des églises de Saint-Vincent et de SaintGirons et octroi du fief au comte d'Angoulême. Bataille du Pas de Mont Mor près Saint-Andrê-de-Cubzac. Passage de la Dordogne, avance sur Lormont. Apres ço li bons rois / s'en ala a Munt Auban 5 ob tote s'ost qu'il asali e si lo prist. Equi ocist les / Sarrazins qui croire ne voloient en Deu. saint Romain de Blaye aurait vécu entre 335 et 38j environ. Eglise, plus tard abbaye bénédictine, chanoines réguliers attestés dès 1085, dès 1135 l'église abbatiale devient aussi paroissiale, Lem 59,1 53SS.; B e l l 9 0 ; C 0 U 3 5 ; H i g 6 3 , 1 2 3 ; Turpin interpolé, 324-7ss.,325ss. 2 saint Sicaire, s. SICHARIUS, archevêque de Bordeaux entre env. 816 et 825. Lem 59,170; Mai 60,320 n. 5,106,187 . . . 3 BLAVIAE et BLASIUS (saint Biaise) ont convergé phonétiquement [blaiz] ce qui a prêté à confusion. 4 Seul le ms. 124 mentionne les moines noirs (de saint Benoît) installés là par Olivier. Historiquement ils furent installés à Saint-Sauveur de Blaye à sa fondation peu après 1100. cf. p. 154 ci-dessous. 5 Les ruines du château (de Renaud) de Montauban conservées au port de Cubzac. Appelé en gascon le , des quatre frères fils d ' A y m o n , donc Castet des Frays, plus tard . 1

    28J

    Equi fit Karies does yglises: / l'une fu de Saint Vincent qui equi repose, e 20 sainz Relevez. 6 Apres hi fit / une outre yglise, de Saint Giront. - E dona la terre au compte d'en Guolesme, / a Talliafer, de Leon esteit li chasamenz.7 Apres s'en ala Karies vers Mon / Mor, e ou pas de Mon Mor trova la gent Aiguolant e lui moime; equi / Rollanz e soi conpagnion li togrent lo pas per force, e dura la batallie / de si que a Saint Andres. 2 j E lai fu morz li rois de Sebille, a après lui / diz mire Sarrazin, e de crestianz deus mire; e furent seveli a Saint / Andres, e a Saint Esteine qui desertes estoient. E Aiguolanz s'en / foi per mer a Bordeu ot ses rois. E Karies [p. 1 0 5 ] ob son navire passa / oltre ob Rollant e ob ses oz e per vive bruneaut8 vinc a Lor289.1 munt. / / Equi fit chapele de mon segnior saint Martin. 3. Roland le Furieux: Roland tue le Salatrapz et prend ses armes pour se déguiser en Sarrazin, s'introduit ainsi à Bordeaux chez les «dames» Euraque et Braidemonde qui lui révèlent l'absence d'Aiguolant. Départ de Roland qui tue vingt Sarrazins «devant les dames» et rentre à Lormont. Dequi Rollanz, l'endemain, quant li / floz de la mer s'en fu tornez, passa oltre toz s'os e si vinc vers la vile / de Bordeu. E encontra un Sarrazin qui s'a [lot] esbaleier,9 si l'ocist / Rollanz. E cil Sarrazins si aveit le melior che5 val de paenisme. E Rollanz laissa / ses armes e son cheval e prist les armes au Sarrazin. E si ala vers la vile de Bordeu. / E vinc a une porte o aveit desus une sale. Le / Sarrazin que Rollanz aveit mort, si aveit nom Salatrapz. Li portiers, quant lo vit venir, / si l'apela e li dist: «Bien soiez vos venuz, sire Salatrapz». E Rollanz / li dist qu'il li tenist son cheval - qu'il ireit laissus 10 parler aus dames. / E monta apui amont.* E salua Braidemontde e Euraque; e dist puis a totes qu'il les / mariereit e lor donrroit les melliors chevaliers de l'ost, e eles cuidarent / que ço fust Salatrapz. E quant Rollanz se demostra, si-n agrent eles molt / grant joie, e il lor demanda cornent il poirroit aver la vile, e eles li distrent / que Aiguolanz esteit alez a Nobles, 15 encontre a toz les Sarrazins de / paenisme, per ço qu'il li vengiont secorre. Adonc Rollanz senti les Sarrazins / qui s'en issoient de la vile, si prist congié daus dames e monta sor le cheval. E Ii Sarrazins portiers demanda si ço est

    * ms. 5 7 1 4 : e munta apui; ms. 1 2 4 : e monta amont v. p. 173s. ci-dessus. 6

    Tote listoire, 85.ISS.: « A Saint Vincent de Mont Auban midrent lo trésor e lo cors Saint Vincent en l'outer.» Peigné-Delacourt a cru qu'il s'agissait du SaintVincent situé en face, sur la rive gauche de la Dordogne (Saint-Vincent-dePaule). Le Saint-Vincent mentionné par le Chroniqueur était probablement la chapelle du château. Là où les Annales de Lorsch disent QUI DICITUR MONTIS, Tote listoire, 58.22s. met . Saint Relevez = inconnu. 7 < CASAMENTUM. ms. 124 selon notre lecture du ms., d'après Auracher . Ms. 5 7 1 4 . 8 ms. 5 7 1 4 (cf. ligne 288.23 ), ms. 124 = ??. 9 v. glossaire ci-dessus. 286

    Salatrapz. E il dist que / non «Ainz sui Rollanz!», [fet]il. Rollanz e li rois de Lubie se laissent / chevaus corre, si fiert Rollant permi l'escu, si que tôt le 20 li faussa, e / Rollanz treit Durendat, teu cop li done sor le chiep fp. 106] que tôt le / trenchia jusqu'aus arçons. Rollanz ocist vint Sarrazins devant / les dames, ainz que partist devant la vile. Rollanz ne poec plus sosfrir les / Sarrazins e passa s'en areire a Lormunt. 10 4. Arrivée de quatre ducs de France avec renforts, Ganelon y compris. N'ayant pas de sympathie pour Ganelon, Roland part en éclaireur vers Cenon, sur la Garonne, en face de Bordeaux. Passage de la Garonne à la suite d'une miraculeuse biche blanche, avec toute l'armée.

    Visite de Sainte-Croix et Saint-Seurin de Bordeaux. Libération héroïque de la Porte deus Paus. Apres tôt ço quatre / duc vindrent de France qui amenarent vint mire cheva25 liers: ço fu Auberi(n)s li / Borgoins e li dux Gerins de Loeregne; 11 e Guanelos, li traîtres / e Angeliers li dux d'Aquitaine. Rollanz, per ço qu'il voleit mal a / Guanelo, se parti de lost Karle, ob 290.1 quarante mire chevaliers e ala s'en / / a Senon près de Gironde. A u matin, quant il fu levez, si oit messe, / e vit essir dau bois une cergie tote blanchie. 12 Apres si fit armer tote l'ost / e ala après la cerge, e la cerge se mist en Gironde, e il tuit après, / e seguirent la a une abeie de Sancte Croiz qui fu 5 jadis, mes li Sarrazin / l'avoient destruite. E Turpin entra en l'abeie, e trova cum / Claudille la funda. Apres s'en ala Rollanz sor Bordeu, e passa / l'eve a Lonc Pont, 1 3 e essagua lai ou sainz Seurins gisoit, e maint / outre cor saint. E Turpins entra en l'iglise e trova en un marbre / les rendes que l'iglise avoit, e les vertuz qui [i] estoient. 10 Apres s'en ala / Rollanz e Turpin a la vile lai ou il avoit laissé les dames. E les / dames avoient adonc guerni lor sale contre les Sarrazins. Rollanz assali / equi e soi conpagnion molt durament, e adonc uns Sarrazins leva / une eschale contre la sale ou les (dames) estoient, e cuida hi monter, e / 15 Rollanz lança un pal, e dona itel au Sarrazin que mort lo trébuché; / e li paus se ficha on mur. - Quant ço virent li outre Sarrazin, si s'en foirent. / E Rollanz trenchia les baroilz de la porte si cum Deu plot.

    10 11 12

    13

    p. 1 3 0 S S . ci-dessus et 2 9 0 . 1 0 S S . , 2 9 3 . 1 6 S S . p. 112, 120, 123 ci-dessus. p. 51, 130s. ci-dessus. Iconographie, selon l'artiste Le Tavernier, sous Philippe le Bon: Lej 66, 1,38 n. 47s. et II, pl. 402. p. 57 et n. 4 j ci-dessus. Claudille, Clotilla, Clotidis, Clotildeus, Clotadeus, première reine chrétienne des Francs, sainte Clotilde, épouse de Clovis 1er. Tote listoire,

    17.8 et 2 0 . 1 2 ; M a i 60,217SS.

    287

    j. Prise de Bordeaux par Roland. Réconciliation de Charlemagne et Roland. Si entra enz jusque a une eve qui [p. 107] a nom la Devise. Equi trova / Guolias que Aiguolanz hi avoit laissé ob vint mire Sarrazins. Equi fu / 20 molt granz la batallie: e si ocidrent diz mire Sarrazins. Adone s'en / fui li rois de Bugie vers Arcaisson.14 Li Sarrazin de la vile qui vogrent / estre baptize ne morirent mie, e cil qui ne vogrent estre baptize si / furent mort. Quant Karles sot que Bordeus esteit pris, si vine ob / ses oz. E fu molt dolens per ço qu'il s'esteit [irascuz]* ot Rollant son nevo, per Guanelo. / Adone fit paiz ot son nevo. 15 6. La cathédrale de Saint-Seurin de Bordeaux: a) Fondation de Saint-Seurin 2 j Apres ço Turpins cerchia les yglises de / la vile. La premeire qu'il cerchia"""' si fu icele de Saint Seurin. Mes / ou tens saint Marçau, l'avoit edifiee Sánete Benedicte en l'enor saint Sauveor; 16 / e Sainz Marçaus en hi fit une en l'enor saint Esteine e hi fit / un outer de terre ou il mist molt precioses vertuz car mis sire / sainz Marçaus converti lo poblé de Bordeu - e Sánete Bene30 dicte l'aveit / converti per l'amor de Stagne17 qui lai l'ala quere. b) Miracle de la Sainte Verge 291.1 Lai li ballia la Sánete / / Vergie que Nostre Sires ballia a saint Piere, e mis sire sainz Pieres / la ballia a mon segnior saint Marçau, e mis sire sainz Marçaus en / resuscita un son conpagnion en la voie de Rome. E ma dame sánete Benedicte / en franssit totes les ydres de Bordeu qui estoient au Cansset 5 que / li Sarrazin aoroent, e en gita lo diable qui esteit en une tor, e en / gari son mari Philibert18 qui dux esteit de Bordeu. Adone creiguit / Philiberz Nostre Segnior molt fermament. c) Miracle de l'aumônière de Saint-Martial E mis sire sainz / Marçaus quant il departi les reliques au Mauretagnie que / sánete Veronique avoit aporté, si ballia une molt grant eschirpe19 a ma 10 dame / sánete Benedicte, e l'outre partie tramist en Beagnie, e l'outre * Irascuz suppléé d'après les deux autres manuscrits. le seul ms. 124 a conservé ici la forme apparemment originale: trova;

    :íí

    v. p. 169

    14

    p. 155 ci-dessus. p. 136 § c ci-dessus. p. 26, 69, 102 ci-dessus et Mai 60,290 n. 5. p. 68 ci-dessus > Philibert>. Vivant comme saint Martial au premier siècle, sainte Benedicte aurait cependant eu un mari au nom germanique! cf. 293.9 ci-dessous. v. glossaire, p. j j ci-dessus.

    15 16 17 18

    19

    288

    15

    20

    25

    30 292.1

    partie [p. 108] / enporta Eleazars en Arvert à ma dame sánete Marie-en-TOe ou il les / mist en Pouter, e l'outre partie remes a Ssolac. En ceste escliirpe / esteit li ors e la mirre qui furent offri a Nostre Segnior, e dau berçol / Nostre Segnior, e de la crepche ou il fu mis, e dau monument o / il fu pousez, e d'equi ou il fu bagniez, e li correi ot que il fu / liez, e de la guonele Nostre Dame quant Nostre Sires nasqui de li / e la mangie de la chamise Nostre Dame; e de la manne, e de la farine / dont Helies li profetes viveit; e de la pierre dont sánete Anne espose / f u ; e dos daus deniers qui corriont ou tens Cesar de Rome; e tot iço fu envolopé en une aube en que mis sire sainz Marçaus / chantot la messe. Quant mis sire sainz Amanz trespassa, si mistrent / iceste eschirpe en l'outer Saint Amant; iquist fu conpains de mon segnior / saint Seurin. E iço fu ou tens mon segnior saint Martin de Tors: si / que cum mis sire sainz Martins trespassa, mis sire sainz Seurins / oit les angres chanter cum il enportoient l'arme de mon segnior saint / Martin, si qu'il apela un son arcidiacre, e dist li que sainz Martins / esteit trespassez, e que li angre enportoent l'arme de lui ou cel. / E il n'en oi rienz. E il li dist: «Met tes piez sore les mienz, e oiras / ho!» E il si fit. E tot issi oit. Et tot lo trésor de l'iglise midrent soz / terre tres l'outer Saint Auban en une cropte, per poor d'Aiguolant. / E hi mistrent un escharboncle que sánete Benedicte avoit doné / / a l'iglise Saint Seurin. 20 d) Le cimetière sacré de Saint Seurin.

    Apres Karies e Turpins [donarent a l'iglise Saint Sauveor]* la terre que sánete Benedicte / avoit donee a l'iglise Saint Sauveor que Sainz Mar[p. io serians (= serviteurs), remplacés par sous l'influence de la ligne suivante. **

    QUI T A L E S H A B E T ALUMPNOS QUI, CUM A V I T A

    MIGRAVERINT, TÂMEN

    IN

    VIVOS

    SIBI REBELLES ITA SE VINDICANT. Nous avons ajouté trois mots entre parenthèses carrées afin de rendre le sens au texte. Signalons: VITA > , probablement par l'intermédiaire de puis . Cette dégradation du mot explique la tendance hypercorrecte du rédacteur de 5714 à rétablir la forme latine , p. ex. I.307.25. *** mot capital, à rapprocher du qui précède, sauté par Auracher. 69

    Modèle latin: Smy 37, X X X V I I I - X X X I X . Historique: Manéi,86s.; pour n. partitif, v. ch. IIa.3 § e ci-dessus. 70 La fin de l'explicit est remplacée dans le ms. 124 de Saint-Seurin par une formule pieuse (Finito libro. Sit laus et gloria Christo). Peut-être se rendait-on compte à Saint-Seurin à l'époque de la rédaction du ms. 124 que le Chroniqueur bordelais n'était point du tout nommé Nicolas de Saint-Lis. Nous reproduisons le distique final du ms. 5714, le seul qui l'ait conservé (au fol. 85 r.). Cris doit rimer avec Lis, de sorte que le £ final est de trop (hypercorrect). A propos de Nicolas, v. ch. X I . 1 ci-dessus.

    332

    GLOSSAIRE

    Toute la Chronique dite Saintongeaise avec I, Tote listoire de France (p. 1-90) et II, Turpin interpolé (p. 262-336) est représentée ici dans le Glossaire. Beaucoup de mots curieux apparaissent aussi bien dans l'un des deux livres que dans l'autre, de sorte qu'il semble utile de traiter ce vocabulaire spécial du Chroniqueur comme un tout. acarbanta (contra), p. défini, ici intrans., 7.9ms. 5714, = se jeta (contre): «Clodoveus . . . acarbanta contra un pubble e vencu iquau puble [de Toringua].» Serait forme d'un verbe jusqu'ici inconnu de type occitan 'acarbantar (contra)', < AD + CREPANTARE. cf. occitan, catalan, aragonais 'crebantar', trans., 'renverser, abattre'. En esp. 'quebrantar'. FEW 1 1 , 1 3 1 6 a b; Godefroy 1,85b; II,358c; Raynouard II,508; R E W 2 3 1 2 . acliné p. passé, 3 1 1 . 1 7 (de 'acliner') = sujet: «Eveske et archeveske sunt a moi acliné», Renaud de Montauban 2,7, Tobler-Lommatzsch I,88.22SS., Godefroy 1,59a; anc. prov. 'aclinar'; A C C L I N A R E ; FEW 1,14b. Modèle latin: SUBJECTAM (Mer 36,170.3). adepti, p. passé, 74.5, = adonné. Du verbe de type occitan avec -pt- '*adeptir\ Cf. anc. fr. 'adeti' Tobler-Lommatzsch 1,142.33, Godefroy I , i o i b . Absent des FEW, REW, Raynouard, Levy. C f . autre forme curieuse 'occitanisante' avec -pt-: 'endeptiz' dans notre Glossaire, ci-dessous. aideire et aiveira, s. m.; 1. 'aideire' 265.I6 mss. Lee et 124. 'aidere' ms. 5714 v. Tobler-Lommatzsch 1,226.245s., 'aiderre, aidiere'; Godefroy I , i 8 i c , A L F 12, FEW I,34ab. Raynouard III, 610a 'ajudayre, ajudador'. < ADIUTATOR. 2. 'aiveira' cf. anc. fr. 'aivere, aiveor' Godefroy 1,203b; FEW 1,34a; cf. verbe 'aiver' dans Tote listoire, 1 2 . 1 1 ms. 5714. Pas attesté dans ToblerLommatzsch. < ADIUVATOR. (cf. 'avotré' dans notre Glossaire ci-dessous). am, prép., 286.17 e t 3 I 9- I 4> occitan, = avec. < APUD, V. p. 30s. ci-dessus. anassant, imp. subj. du verbe prov. 'anar', 33.16 ms. 5714, = allassent v. p. 250 § 2 1 3 a ci-dessus. angrie, s. m., passim, = ange. Forme rare dérivée de ANGÉLUS, à laquelle se joignent dans la Chronique les formes plus usitées de 'angre, angel, arcangel, angele, angela'. Anc. prov. et fr. 'angel' d'après Raynouard II,86b, Godefroy 1,290a, Tobler-Lommatzsch 1,388-389, cf. p. 235 § 1 1 4 a § 4 ci-dessus. apidiniepz, s. m., 67.2 ms. Lee. 'apidiniemps' dans ms. 5714 = citadin. Modèle latin OPPIDANORUM, sur lequel ce mot insolite a été calqué par notre Chro-

    333

    niqueur. cf. OPPIDANI > opidain (env. 1380, anc. liégeois, aussi en moyen français), cf. 'oprems, opremps' qui devient, dans le contexte occitan de notre Chronique, '«prems, opremps', v. ci-dessous dans notre Glossaire. apendre, inf., 28.2 ms. Lee; 'apendra' dans ms. J714. = opprimer, réprimer;
    atenance' (chute de l's!). L'emprunt 'abstinence' n'apparaît qu'à partir de 1422, chez G. de Machaut. Godefroy 1,457^4583. Cf. 'endepiiz', < "endebtiz, Glossaire, ci-dessous, p. 33 ci-dessus. 334

    arsirent, p. déf., 8 7 . 1 1 , 1 6 , 2 1 , = brûlèrent, incendièrent; synonyme de 'abrasarent' 87.13, 'ap[ra]sarent' 84.30, v. ce mot ci-dessus, cf. verbe 'arsi' de l'anc. prov., 'asi' du gascon, FEW 1 , 1 3 2 a ; R E W 620. Absent de Raynouard (mais 'arsura', 1 1 , 1 1 7 a ) , Levy, Godefroy. v. aussi curieuse forme 'arsé' Turpin interpolé, 297.14 ms. Lee. ascone, s. f., 331.26, = javelot, mss. Lee et 124; 'ascona' dans ms. 5714. v. p. 44 n. 61 ci-dessus. asenot, p. déf. d'as(s)ener, 334.6, mss. Lee et 5714; 'assenot' ms. 124. Modèle latin: EXCELLIT 'Roland dépassait tous les princes en divine sagesse'. Ici le traducteur a repensé la phrase originale en vers latins pour écrire 'Roland instruisit' «R. asenot toz les princes de devine sapience». v. ToblerLommatzsch 1,578.16 'versehen, in Besitz setzen'; Godefroy 1,434a 'instruire' R E W 7932. astapir, se, v. = se cacher 'se estapissoient, se estapirent, astapi', 316.26, 28.15, 3 1 5 . 1 mss. Lee, 124; ms. 5714: formes sans s devant t, 'atapissoient' etc. Le Chroniqueur ajoute à loisir des s, p. ex. le fleuve ibérique de l'Ebre, IBERUM dans le modèle latin, devient 'Isberum' dans son texte. On peut rapprocher le modèle de a(s)tapir de deux formes en anc. fr. : atapir et estapir Tobler-Lommatzsch 1,622.375s. et 3,1361.395s; Godefroy 1,464c4 6 j d [qui cite le participe passé de 5714] et I I I 601a (contamination?). avau, adj. m., 74.5 ms. 5714 = cruel. Le ms. Lee met cruel. Modèle latin, dans Eginard, FEROCES. Gaston Paris supposait qu'il s'agissait du résultat d'une erreur de copie, un scribe ayant pris cruau pour auau (Bou 97,ioon.). Mais avol, aul existe en occitan, et même en occitan latinisé 'avulsus', Pseudo-Turpin (Man 6 1 , 1 1 3 ; version H A de 1 1 6 0 - 7 0 , Man 65,78,1.1237) v. ch. IIa.3 § d ci-dessus. avisonques, 330.18, mss. Lee, 5714; = à peine. < AD VIX UMQAM. Dans la Romania d'abord AD VIX, sans UMQAM: roumain: abea-, anc. esp. aves; l'anc. fr. a ajouté très tôt 'onques' pour mieux le distinguer d'autres mots semblables (avis < ADVISU). Il faut remarquer trois étapes: j mots: 'a vis onques' (Phil. de Thaon, Comp.63; Thèbes, 4164; 2 mots: 'avis onques' {Saint-Alexis, 1 1 5 e ; Marie de France, Espurg., 1046; s. Martin, p. 3277, M. S. Michel 3197). 1 mot: 'avisonques, avisonkes' (notre Chroniqueur, cité par Godefroy; Dialogues S. Grégoire 6,34; 341,26). Ce mot rare était le plus répandu en terre (anglo-) normande, moins en France du Nord en général, et encore moins dans le Sud-Ouest. C'est sans doute Nicolas de Saint-Lis qui l'a introduit dans sa traduction. Le Chroniqueur l'aurait copié. Mais les cribe du ms. 124-Bordeaux ne le comprenait plus, vers 1330-70, de sorte qu'il a mis 'amsonques' avec m. v. R E W 224, Tobler-Lommatzsch 1,744.18, Godefroy 1,532c. avoltré, adj., 330.4 mss. Lee, 124; 'avoltra' ms. 5714. D'après Bourdillon, ce serait 'avostré, avojtra' (v. Bou 97,95-97 et notre introd. au Texte cidessus). cf. 'avoltresse' n. f. 38.2 ms. Lee; 'avoltressa' ms. 5714 ('avostresse, avoîtressa' selon Bourdillon). = adultère, cf. anc. fr. 'avoutresse' (dont 335

    'avoltresse' représente une graphie hypercorrecte), anc. prov. 'avouteri', s. n. et 'avoutrairitz' s. f. Levy I,i 16a. barbote, s. f., 309.25 mss. Lee, 5714; ms. 124 et éd. de 1527 'barboce' = masque. Modèle latin turpinien: LARVAS BARBARAS. N e sachant comment traduire cette expression, les traducteurs français du X H I e siècle ont apparemment opéré un calque du deuxième élément, soit 'barberes' (W. de Briane, avant 1218, v. Man 63,87) 'barboires' (Mousket, Primat, etc.). Godefroy 1,580a. Tobler-Lommatzsch 1,837.415s. Ainsi que Godefroy et Tobler-Lommatzsch le montrent fort justement, c'est devenu plus tard 'barbëoires' (afin de mieux associer le mot à l'objet appelé 'barbe'?): C'est après coup que l'association avec 'barbe' < BARBA s'est imposée. C'est donc sous BARBARA et non sous BARBA que, génétiquement, il faudrait placer ce mot. cf. FEW 1,244a. Comment notre Chroniqueur a-t-il pu remplacer le 'barbere' ou 'barboire' de Nicolas (reproduit ou adapté par Briane) par 'barbote'?. L'occitan 'barbut' ou 'barbat' = barbu aurait-il joué un rôle dans la création du mot 'barbote' = masque à barbe? (Pas de rapport avec FEW 1,443b.). brustier, s. m., 280.10, mss. 5714, 124 'brutier' = gascon p. 'boucher', p. 40 ci-dessus. cansset, s. m., 291.4, ms. 124; mss. 5714, Lee: 'aucansset' au lieu de 'au cansset', p. 37, 169 § B5 ci-dessous. cassadoine, s. m., 292.20, mss. Lee, 124; ms. 5714: 'casadoine'. = calcédoine, chalcédoine. < CHALCEDONIA. anc. prov. et anc. fr. (env. 1180) 'cassidone'; dès X H I e s. 'cassidoine' qui est aussi la forme de l'anglais moyen. FEW 11,619; Tobler-Lommatzsch 2,67.1; absent des dict. Raynouard, Levy, Godefroy. coltivamenz, s. m., 74.6ms. Lee; ms. 5714: 'cotivamenz', = culte, v. ch. IIa.3 § b ci-dessus. deivé, adj. 310.1, = hors de sens, fou, furieux, enragé, forcené en parlant de personnes. Modèle latin: QUASI AMENTES FUGERE COEPERUNT, Mer 3 6 , 1 6 4 . 14. Traduit p a r : «il commençarent a foir arreire come deivé». Formes attestées ailleurs en anc. fr.: 'desvé, devé, dervé, deivé' Godefroy II,678ab. Tobler-Lommatzsch2,1813.1 iss. (bibliogr.), 1 8 1 5 . n s s . REW2585a 'derivare'. Forme diphtonguée inconnue des dict. consultés. deserte, s. f., 3 1 1 . 2 3 'de deserte' mss. Lee et 1 2 4 ; ' — d e s e r t a ' ms. 5 7 1 4 . 'Deserte' mérite bon ou mauvais, la récompense ou la peine due aux mérites, ce qu'on a mérité, desservi, Godefroy II,j78C.-579a. Tobler-Lommatzsch 2,1567.105s. FEW 111,53a 'deservire'. 'a deserte' = à juste titre, justement. Les dict. consultés ne connaissent pas d'exemple du mot précédé de la prép. 'de'. Modèle latin: EX DEBITO. destrau, s. f., 6 . 2 5 , 3 5 ; 7-2> anc. gascon 'hache, cognée' (du bûcheron). Ici = 'hache à deux tranchants'. Dans le domaine pyrénéen actuel, c'est une hache à un tranchant, v. trois types de 'destral' de la Catalogne, av. dessins, Alcover-Moll, Diccionari IV,3456. Il est curieux de voir que dans les 336

    variantes de ce mot, comme dans lorganisation des chapitres, notre Chroniqueur préfère suivre les indications de Grégoire à leur paraphrase par le Liber Historiae Francorum. p. chapitres, v. Bou 97,xxv n. Quand Grégoire et le L H F mettent 'bipenne, quod est franciscain' (la hache aux deux tranchants, à la manière des Francs [de l'époque de Clovis]), notre Chroniqueur met 'destrau' (v. Krusch 88,2 52.29). Plus loin, Grégoire met SECURIS, le L. H. F. BIPENNIS, et notre Chroniqueur 'cogniea' (Krusch 88, 253.11). Puis Grégoire parle d'une SECUREM . . . QUOD EST BIPENNIS, et notre Chroniqueur traduit par 'destrau' (Krusch 88,253.12s.). Enfin, FRANCISCAM est rendu par 'cogniea'. Dans son Turpin, le Chroniqueur reprend le vocabulaire français de Nicolas, soit 'coing/coig' ou 'cogniee', 335.17,21, mss. 124/5714. Le passage en question manque dans le ms. Lee. FEWIII, 62b-63a; Pal 61,347a; Raynouard IV,77ab (Guillaume de Tudèle). Dès 1444 seulement attesté en fr., Godefroy V,77ab. cf. Du Cange 111,846.