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French Pages 432 [430] Year 2021
Fra nçO1 1Se
Chansons
sur toi et nous
DU MÊME AUTEUR
Le Grand Livre de la Vierge, avec Béatrice Guénin, Tchou, 1979, nouvelle édition, 2006. Entre les lignes, entre les signes, avec Anne-Marie
Simond, RMC
Éditions,
1986 ; J’ai lu, 2009. Les
Rythmes du zodiaque, Le Éditions de la Seine, 2006.
Cherche
Midi,
2003 ; Pocket,
2004 ;
Le Désespoir des singes et autres bagatelles, Robert Laffont, 2008 ; J’ai lu,
2009.
L'Amour
fou, Albin Michel, 2012 ; J’ai lu, 2014.
Avis non autorisés... Équateurs, 2015 ; J’ai lu, 2016. Un cadeau du ciel..…, Équateurs, 2016.
Françoise Hardy
Chansons
sur toi et nous
ÉQUATEURS
ISBN 978-2-849-90741-2. Dépôt légal : mars 2021. © Éditions des Équateurs / Humensis, 2021. 170 bis, boulevard du Montparnasse, 75014 Paris.
[email protected] www.editionsdesequateurs.fr
C'était l’un de ces dîners auxquels Olivier, mon
me
éditeur littéraire,
conviait plusieurs fois dans l’année avec deux amis communs
dans
un
restaurant
près
de
chez
moi.
Comme
à l’accoutumée,
l’ambiance était chaleureuse et décontractée. Olivier apportait à chacun de nous des livres susceptibles de l’intéresser, avec en prime
pour
moi
une bouteille
de Bordeaux.
Le dîner se passait
aussi joyeusement que d’habitude quand mon fidèle Marco fit une remarque
qui jeta un froid — tout au moins
dans mon
esprit. “Il
n’y a jamais eu de recueil de l’intégralité de tes textes de chanson, remarqua-t-il, et ce serait une bonne chose que ça existe. Olivier est intéressé.” >) € “Je ne veux pas que ça existe, m’insurgeai-je aussitôt, mes premiers textes sont trop mauvais.” Olivier et Marco se mirent à argumenter en faveur d’un tel recueil, mais je ne voulais rien entendre, assurant que ça n’aurait d’intérêt pour personne, encore moins
pour moi que pour quiconque.
“ Ce serait bien qu’il y ait
tes commentaires ”, suggéra alors l’un d’eux. Cette idée changeait quelque peu mon angle de vision et fit progressivement son chemin. Je finis par donner un accord de principe, mais le projet inattendu de l’enregistrement d’un nouvel album retarda les choses, et plus encore
le cancer du pharynx
qui s’ensuivit et nécessita de longs
mois d’hospitalisation. De retour chez moi, je continuai de subir les effets secondaires si handicapants séances
de
médicales,
radiothérapie. mais
domestiques,
aussi,
Il en
et interminables de trente-cinq résultait
puisque
administratives,
je
vis
comptables
tellement seule,
d’obligations
de
et autres
contraintes à gérer,
qu’il
n’y avait plus de temps pour quoi que ce soit d’autre. On m’a souvent donné l’occasion de raconter comment j’en étais arrivée à faire des chansons. Dans les années 50, mon argent de poche se bornait aux vingt francs que ma mère qui rentrait de son travail à 18h30 me donnait pour m'acheter un petit pain à la sortie de l’école et que j’économisais en secret. C’est avec ces quelques sous que, pré-ado, j'ai acquis deux partitions de chansons, sans doute pour en apprendre le texte par cœur, puisque je ne lisais pas la musique. Il s’agissait de Ÿe ne sais pas de Jacques Brel et %e r’appartiens de Gilbert Bécaud.
J’y vois la preuve
que
mode d’expression. Chaque notre
famille
d’accueil
je me
suis intéressée
très tôt à ce
été, quand ma sœur et moi étions dans
autrichienne
à Plumeshof,
j'étais attentive
aux chanteurs qui passaient à la radio. À l’époque, Caterina Valente était une célébrité en Autriche comme
en Allemagne, et je chantais
ses chansons en cherchant à l’imiter. Mais le grand déclic eut lieu quand, en tournant le bouton du poste de radio du deux-pièces où
nous
habitions,
au
24
de
la rue
d’Aumale,
je découvris
Luxembourg, your station of the stars et j'entendis fois
les jeunes
chanteurs
Bretagne et aux USA: Elvis
Presley,
Brenda
qui
avaient
un
pour la première
succès
fou
une nouvelle
en
Grande-
Cliff Richard et les Shadows, Marty Wilde, Lee,
les Everly
Brothers,
Neil
Anka, et tant d’autres. Il ne se passait pas de semaine découvre
Radio
chanson
enthousiasmante.
Sedaka,
Paul
sans que je
Les mélodies
et
les guitares électriques planantes qui les mettaient en valeur avaient une magie indicible qui m’envoûtait. Je m’interrogeais déjà sur une orientation professionnelle, et comme rien d’autre que cette musique
ne
m'intéressait,
j'avais
vaguement
en
tête
la
programmation
radiophonique ou l’édition musicale. J'ai été reçue à mon deuxième bac avec mention à l’âge de seize
ans et demi. Mon père n’avait jamais vécu avec nous, et les contacts entre ma mère et lui étaient aussi rares que glacials, mais elle prit sur elle et lui téléphona pour lui suggérer un geste qui marque le coup. Auparavant, elle m'avait demandé ce qui me ferait plaisir. C’est là l’un des grands mystères de ma vie. Je ne saurai jamais pourquoi j'hésitai entre une guitare et un petit poste transistor que j’aurais pu emporter partout. Je m'explique encore moins pour quelle étrange raison j’optai pour la guitare. Un ange gardien me dicta-t-il ce choix à mon insu? Toujours est-il que ce fut la décision qui détermina le reste de ma vie. Grâce à la méthode
sommaire
jointe à la guitare, j’appris trois,
quatre accords et, en faisant guiling guiling de la main droite, je m’aperçus que non seulement j’arrivais à fredonner quelques-uns des
morceaux
des
mélodies
élaborées,
que
j’entendais
simplettes,
des
morceaux
à la radio,
directement évoqués.
aussi
à composer
influencées
par
celles, plus
exemple,
sur
les
Par
mais
accords
primaires que je venais d’apprendre, j’arrivais à chanter D in love qu’interprétait Cliff Richard. J’eus l’idée de garder exactement la même découpe en retournant ou détournant quelque peu la mélodie originale, et c’est ainsi que Ÿ’suis d’accord se fit. Avant d’en arriver là, j'étais partie en courant de Sciences Po où ma mère m'avait inscrite d’office mais dont le niveau intellectuel était beaucoup trop élevé pour la midinette de seize ans que j’étais, et qui se sentait étrangère au milieu bourgeois élégant de ce prestigieux établissement. Inscrite à la Sorbonne en première année, dite propédeutique, d’une licence d’allemand, étudiants,
je me sans
sentais
doute
presque
à cause
d’une
aussi
mal
enfance
vis-à-vis et d’une
des
autres
adolescence
anormalement solitaires entre une mère et une sœur, mais le niveau
en était plus accessible et, surtout, j’avais beaucoup
plus de temps.
Dès mon retour à la maison, j’allumais donc la radio dans l’espoir d’entendre
sur
Radio
Luxembourg
de
nouvelles
chansons
et de
réentendre celles que j’appréciais le plus, puis j'allais dans la cuisine dont le carrelage avait l’avantage de mettre une sorte d’écho sur ma voix, grâce à quoi chanter s’avérait plus facile et plus agréable. Je me
pris vite au jeu de fredonner n’importe
quoi n’importe
comment et cela devint un hobby quotidien. J’ignore comment, sur la base de morceaux existants, j’en arrivai à faire de mauvaises copies que je pris pour des chansonnettes de mon cru. Je me rappelle juste mon état d’exaltation. Il était tel que je faisais presque une nouvelle
chanson
par
jour dont
j'infligeais
l’écoute
à ma
pauvre
mère. J'avais toujours un cahier de brouillon sur la table de la cuisine devant laquelle j’effectuais mes gling-gling, pour noter mes ébauches de texte. Comme je partais de rien, je ne me rendais pas compte que tout était à jeter, et grâce à mon inconscience, l’envie me prit peu à peu de passer une audition dans une maison de disques afin d’enregistrer un disque. Il me fallait le verdict de spécialistes pour que je renonce à l’utopie dans laquelle je me complaisais. Le seul journal un jour dans “Les
que ma mère achetait était France-Soir. Je lus potins de la commère”, une rubrique tenue
par Carmen Tessier, qu’une auditionner
des
jeunes
ayant
grande envie
maison de
de disques
chanter.
De
souhaitait nom,
je ne
connaissais alors que Pathé Marconi et Philips. Je pris l’annuaire et téléphonai d’abord à Pathé Marconi. Bingo! On me fixa une date et de cette audition finit par découler celle que l’on m’accorda chez Vogue, la maison de disques de Johnny Hallyday qui commençait à être célèbre. C’est là que l’on me ferait signer mon premier contrat. L’ingénieur du son, qui fut mon premier contact avec Vogue, m'avait informée que l’on cherchait un pendant féminin à Johnny et demandé
d’orienter
mon
audition 10
dans
une
direction
rock. Je
me
rendis
à Villetaneuse
et abusai des ye ve que
j’entendais
dans
les succès anglais ou américains d’alors, et que les chanteurs de ma génération singèrent eux aussi. Il est difficile d’établir chansons
des années
un
ordre
chronologique
exact
de mes
60, car certaines ne sont sorties que sur des
super 45-tours qui n’existent plus depuis longtemps, et les maisons de disques propriétaires des enregistrements ne cessent de sortir des compilations où tout est mélangé, en faisant croire qu’elles suivent un tel ordre. Il y a de quoi s’y perdre. Parallèlement, en vieillissant, la mémoire
joue des tours, c’est bien connu. Je ne suis donc
pas
fiable à cent pour cent quant aux années de sortie des chansons, encore moins en ce qui concerne la date de leur composition. Les ordinateurs
n’existaient
pas
et la date
n'étant évidemment pas la même
de
création de la chanson
que celle de son enregistrement, il
pouvait y avoir un décalage de deux ou trois années entre elles. À mes débuts, la mode était aux adaptations de succès étrangers —
anglais
bloquerait
et
américains
le premier
chez
surtout, l’éditeur
italiens
parfois.
concerné
C’était
la chanson
nombreux chanteurs du moment convoitaient en même
à
qui
que
de
temps. J’en
ai enregistré plusieurs. Si les adaptations que j’ai écrites ne figurent pas dans ce recueil, c’est simplement parce qu’en général j’essayais juste de traduire aussi bien que possible, en respectant les contraintes tant rythmiques que mélodiques du morceau, le sujet abordé dans le texte original. Un travail d’adaptateur n’est pas un travail d’auteur. Voici donc les textes que j’ai écrits tout au long de ma vie, avec des commentaires quand ils me viennent à l’esprit.
1962 -19
65
1962-1963
Tous les garçons et les filles Texte et musique : Françoise Hardy.
tous les garçons et se promènent dans tous les garçons et savent bien ce que
les filles de mon âge la rue deux par deux les filles de mon âge c’est qu'être heureux
et les yeux dans les yeux et la main dans la main ils s’en vont amoureux
sans peur du lendemain oui mais moi, je vais seule par les rues, l’âme en peine oui mais moi, je vais seule car personne ne m’aime
15
mes jours comme mes nuits sont en tout point pareils sans joie et pleins d’ennui personne ne murmure “ je t’aime ” à mon oreille
tous les garçons et font ensemble des tous les garçons et savent très bien ce
les filles de mon âge projets d’avenir les filles de mon âge qu’aimer veut dire
et les yeux dans les yeux et la main dans la main ils s’en vont amoureux sans peur du lendemain oui par oui car
mais moi, je vais seule les rues, l’âme en peine mais moi, je vais seule personne ne m’aime
mes jours comme mes nuits sont en tout point pareils sans joie et pleins d’ennui oh quand donc pour moi brillera le soleil?
comme les garçons et les filles connaîtrai-je bientôt ce qu’est comme les garçons et les filles je me demande quand viendra où les yeux dans ses yeux 16
de mon âge l’amour ? de mon âge le jour
et la main dans sa main j'aurai le cœur heureux
sans peur du lendemain le jour où je n’aurai plus du tout l’âme en peine le jour où moi aussi j'aurai quelqu’un qui m’aime.….. Depuis longtemps maintenant, je pense qu’il importe davantage d’aimer que d’être aimé, et tant mieux s’il existe une vraie réciprocité. “Lamour
n’est
le plus
souvent
qu’un
immense
égoïsme”,
a écrit
le
grand écrivain Sändor Märai. La vision qu’on en a, la façon dont on l’appréhende sont tellement tributaires des premiers conditionnements
affectifs, du tempérament et du niveau d’évolution! Comme beaucoup d’adolescentes, à seize, dix-huit ans, j’ignorais ce qu’aimer impliquait, et quand quelqu’un me plaisait, je croyais naïvement l’aimer.
J'suis d’accord Texte et musique : Françoise Hardy.
j'suis pour j'suis mais
d’accord pour le rock, le twist d’accord pour ne compte pas
le cinéma ou le cha-cha tout c’que tu voudras sur moi pour aller chez toi
dans la rue, si nous nous promenons
j'suis d’accord, pour de longues stations tu peux me faire mille propositions mais ne me demande pas d’aller chez toi
17
baby si tu n’es pas content je penserai que ça signifie que tu n’m’aimes pas comme tu le prétends et que, bien souvent, tu m’as menti
j'suis d’accord, ensemble on est heureux j'suis d’accord, on fait de notre mieux ça peut durer peut-être un mois ou deux si tu ne me d’mandes pas d’aller chez toi si tu ne me d’mandes pas d’aller chez toi. Ma
maison
de disques
station Europe
et le directeur de la programmation
n° 1 souhaitaient suis
d’accord comme
de la
titre-phare
de mon premier super 45-tours (ce support, très courant dans les sixties, comportait quatre titres). Mais je préférais de loin Tous les garçons et les filles et j’étais tétanisée à l’idée de devoir bouger maladroitement sur scène ou devant une caméra de télévision sur suis d’accord. Chacun restant campé sur ses positions, je finis, malgré ma timidité maladive, par dire que si on sortait 7’suis d’accord en titrevedette
je ne
ferais
aucune
promotion.
Mon
argument eurent gain de cause. Heureusement!
Il est parti un jour Texte et musique : Françoise Hardy.
il est parti un jour
en disant “je reviendrai” oui mais depuis ce jour 18
obstination
et
cet
beaucoup de temps a passé, oh oh beaucoup de temps a passé il est parti un jour
en disant “ sois-moi fidèle ” jurant que son amour pour moi serait éternel, oh oh pour moi serait éternel il est parti un jour
et je l’ai attendu mais je l’attends toujours il n’est pas revenu il est parti un jour vers de lointains paysages
dont il ne m’a jamais envoyé la moindre image, oh oh oh envoyé la moindre image il est parti un jour et je l’ai attendu
mais je l’attends toujours il n’est pas revenu il est parti un jour mais j’ai eu tort d’avoir cru
oui, Cru en son retour qu’à présent je n’attends plus, oh oh oh je rattrape le temps perdu... 19
De
mes
trois premiers
titres enregistrés,
seul le texte
de
Tous les
garçons et les filles est totalement autobiographique. Les autres n’ont rien à voir avec ma vie d’alors: je ne sortais avec personne et n’avais pas
connu
grand-chose
sur le plan
amoureux.
Je m’inspirais
sans
doute du peu que je comprenais des morceaux en anglais. Comme
la
plupart des autres chansons qui figurèrent ensuite sur mon premier album, j’avais composé la mélodie et écrit le texte en même seule dans mon en
tant
que
mélodiste,
de compositeur et Éditeurs musique,
coin. Mais
à cette époque, pour toucher ses droits
il était indispensable
à la SACEM
de Musique)
temps,
de
passer
(Société des Auteurs,
qui impliquait
l’examen
Compositeurs
de savoir écrire et lire la
ce dont j'étais incapable. Aussi, mon
éditeur et directeur
artistique, Jacques Wolfsohn, demanda-t-il à la première personne entrée dans son bureau lorsque je m’y trouvais — un obscur musicien belge — non seulement de faire les arrangements musicaux de mes chansons,
mais
de
signer
celles-ci
comme
compositeur.
rêvais des merveilleuses guitares des Shadows,
Moi
qui
je fus tout de suite
frustrée par les orchestrations mécaniques, sans la moindre
magie,
de Roger Samyn et je supporte mal de les réentendre. À sa décharge, comme lui, les musiciens de studio n’avaient jamais entendu les Shadows, et ils étaient encore moins en possession du matériel qui leur aurait permis d’aller dans cette direction.
C’est à cause de mon cas de figure qui fit bénéficier une tierce personne d’une partie de mes droits d’auteur que la SACEM modifia assez rapidement ses règlements. Il y a quelques années, je téléphonai pour savoir s’il m'était possible de récupérer les droits qui auraient dû me revenir. “Non, soupira mon interlocuteur. À moins que la personne qui les a touchés à votre place ne s’en désiste.” Avec la candeur qui me caractérise parfois, je pris le temps de rédiger une lettre aussi gentille et convaincante que possible à Roger Samyn. Sa réponse me stupéfña. Selon lui, le succès de Tous 20
les garçons et les filles et des chansons
qui avaient suivi était dû à
ses orchestrations ! “Et puis, ajoutait-il, si vous de
chanter,
c’est parce
que
je vous
avez été capable
avais fait travailler avant
les
séances.” J'avais affaire à un homme de mauvaise foi et à un mythomane — ou alors, comme il était bien plus âgé que moi, il était devenu gâteux en vieillissant et s’inventait des histoires à sa convenance. Hélas, personne ne m'avait fait travailler et c’était bel et bien la première fois que je chantais avec des musiciens lors de la séance du 25 avril 1962 dans un studio du XX ° arrondissement de Paris. Je fis le deuil définitif de mes
droits sur mes
chansons
de cette période, en particulier sur Tous les garçons et les filles, qui, de toutes celles que j’ai composées et écrites — ou juste écrites —, en aura rapporté et en rapporte encore le plus. Il était impossible d’insister avec ce genre d’individu. Il me reste à espérer qu’il aura été un brave homme
auquel cette rente fut utile.
C’est à l’amour auquel je pense Texte et musique : Françoise Hardy.
lorsque sa bouche à mon oreille vient murmurer mille mots tendres, mille merveilles, mille secrets
c’est à l’amour auquel je pense
et que j’espère et que j'attends lorsque ses lèvres sur les miennes viennent se poser et qu’il me tient entre ses bras très fort serrée c’est à l’amour auquel je pense
et que j’espère et que j'attends l'amour que j'appelle en silence à cet instant
21
un jour il vous jure “ je t’aime ” mais déjà le lendemain il n’est plus le même je ne suis plus rien
lorsque ses yeux au fond des miens viennent plonger et que mes cheveux par sa main sont caressés c’est à l'amour auquel je pense et que j'espère et que j'attends l'amour que j’appelle en silence à cet instant un jour il vous jure “ je t’aime ” mais déjà le lendemain il n’est plus le même je ne suis plus rien
et lorsque pour une autre fille, un beau matin il m'a quittée, laissée seule avec mon chagrin c’est à l'amour auquel je songe je me demande à ce moment s’il n’existe que dans les songes ou bien vraiment... Cette chanson est la première dont je fus fière en tant que mélodiste. Hélas, trouvant des mots en même temps que mes mélodies, je ne me rendis pas compte de la grosse faute de français qui en gâche le titre. Jacques Wolfsohn, mon éditeur et directeur artistique, de quinze ans plus âgé ainsi que plus cultivé que moi, aurait dû me la signaler mais ne se rendit compte de rien non plus. Peut-être se fichait-il complètement de mes petites chansons et ne les écoutait-il que distraitement ou pas du tout? En réentendant celle-là tout à l’heure pour la première fois 22
depuis des décennies, je suis à nouveau
étonnée par la qualité de la
mélodie, mais je me demande ce qui avait bien pu m’inspirer le texte. Je vivais déjà avec Jean-Marie Périer et rien de ce que j’y suggère ne ressemble de près ou de loin à mon vécu d’alors.
Ça a raté Texte et musique : Françoise Hardy.
un jour que dans la rue seule je me promenais
un garçon inconnu soudain m’a accostée j'ai fait celle qui n’entendait rien, ne voyait rien et l’ignorait mais Ça a raté le lendemain par hasard comme je me promenais je l’ai vu sans retard venir me relancer pour le décourager je lui ai parlé de moi sans arrêt mais Ça a raté il m'a dit: “que faites-vous ce soir? ” et il a si bien insisté que jusqu’à minuit et plus tard ensemble, oui, nous avons twisté 23
on se voit chaque jour et, dois-je l’avouer ? je suis prise à mon tour car je crois bien l’aimer moi qui voulais à tout prix l’éviter je suis bien heureuse que ça ait raté... Finalement,
je
la
trouve
assez
chansonnette
que j’ai longtemps
inspirée
mélodiquement,
cette
décriée. Il va sans dire qu'aucun
garçon ne m'avait jamais accostée dans la rue...
J’ai jeté mon cœur Texte et musique : Françoise Hardy.
j'ai jeté mon cœur un peu à tout vent à présent j’ai peur j'ai peur, je le sens qu’il ne sache plus battre comme avant qu’il ne sache plus ce que ça veut dire aimer vraiment j'ai jeté mon cœur et je m’en repens 24
plaisir et bonheur se confondent souvent j'ai voulu goûter à tout en même temps et j’ai oublié ce que ça veut dire aimer vraiment
les doigts qui tremblent dans sa main les gestes souvent maladroits font déjà partie du passé où je restais des nuits sans fin à penser et rêver à toi le premier que j’ai cru aimer j'ai jeté mon cœur un peu à tout vent plaisir et bonheur se confondent souvent quelqu'un viendra-t-il me le rapporter? quelqu'un viendra-t-il qu’enfin je pourrai vraiment aimer ? Ce
texte
chercher
me
fait un
à donner
peu une
honte. image
Étais-je de
complexée
fille volage,
au
point
de
d’aventurière,
de
séductrice, aussi éloignée que possible de l’ado que j'étais, incapable de faire un premier pas, empotée, timide, mal habillée et au physique 25
ingrat ? Ou rêvais-je secrètement d’avoir les qualités de séduction qui vont souvent de pair avec ce type de comportement ?
La fille avec toi Texte et musique : Françoise Hardy.
un de j'ai où
soir que je m’ennuyais trop penser à toi voulu m’en retourner nous allions autrefois
à peine c’est toi j'aurais mais tu qu’elle la fille comme que tu
étais-je rentrée que j’aperçus bien dû m’en aller m'avais déjà vue
était jolie avec toi tu lui as dit m'avais bien connue autrefois
je suis restée peu de temps j'avais trop de chagrin je t’aimais toujours autant pour toi, je ne signifiais rien qu’elle la fille comme que tu
était jolie avec toi tu lui as dit m'avais bien connue autrefois. 26
Cette chanson n’a rien d’autobiographique, si ce n’est que, comme beaucoup d’autres qui suivirent, le texte montre les effets désastreux sur l’image de soi qu’entraînent les critiques incessantes à propos de son physique et de son caractère qu’un parent malveillant adresse à un enfant. Cela a été le cas avec ma grand-mère qui a pris dès mon enfance un malin plaisir à me rabaisser en permanence sur tous les plans.
Ton meilleur ami Texte et musique : Françoise Hardy.
ton meilleur ami vient bien souvent me voir ton meilleur ami me téléphone tous les soirs
il me dit qu’il m’aime que sans moi sa vie ne vaudrait plus la peine oui voilà ce qu’il dit ton meilleur ami quand je lui demande pourquoi depuis des jours, des nuits je suis sans nouvelles de toi
il répond qu’il m'aime que sans moi sa vie ne vaudrait plus la peine oui voilà ce que dit ton meilleur ami
27
pourtant moi je ne veux pas croire que tu sois d’accord avec lui sûrement ce n’était qu’une histoire quand il me l’a dit ton meilleur ami ne vient plus me voir maintenant puisque je lui ai dit qu’avec moi il perdait son temps j'ai dit que je t’aime que sans toi ma vie ne vaudrait plus la peine voilà ce que j’ai dit à ton meilleur ami Je n’ai jamais connu cette situation, mais, en l’occurrence, j’en avais été témoin.
On se plaît Texte et musique : Françoise Hardy.
on ne sait pas comment ça finira et ça durera car on sait seulement que sera-ce toi ou moi, lequel des deux pour le moment, on ne s’en occupe on se plaît et même peut-être bien oui qui le sait peut-être qu’un jour toi et moi ça ira plus loin
et ce sera le grand amour 28
puis combien de temps l’on se plaît qui le premier partira ? pas puisqu’on se plaît
oui mais peut-être aussi que tu me quitteras pour une fille plus jolie ça peut arriver mais pas aujourd’hui puisqu'on se plaît te ferai-je du chagrin, me poseras-tu le premier un lapin? pour le moment encore on n’en sait rien puisqu’on se plaît on se plaît et même peut-être bien oui qui le sait ? peut-être qu’un jour toi et moi ça ira plus loin et ce sera le grand amour
on ne sait pas comment ça finira et puis combien de temps ça durera car on sait seulement que l’on se plaît que l’on se plaît oh oui, on se plaît, on se plaît.
Il est tout pour moi Texte et musique : Françoise Hardy.
il est tout pour moi je suis tout pour lui et ça durera toute notre vie n’aimer qu’une fois c’est encore possible aujourd’hui oui, OUi, Oui, oui
il a ses défauts
et moi j’ai les miens mais on fait c’qu'’il faut 29
et on s’entend bien il est tout pour moi loin l’un de l’autre nous ne sommes
rien
les jours auront beau passer notre amour est tellement fort qu’il ne pourra se briser oui il durera encore
être dans ses bras le jour et la nuit entendre sa voix ne penser qu’à lui voilà mon bonheur car il est la joie de mon cœur il a ses défauts et moi j’ai les miens mais on fait c’qu'il faut et on s’entend bien il est tout pour moi loin l’un de l’autre nous ne sommes rien Après
cette
série
de
chansonnettes,
exit Roger
Samyn.
J’ai donc
travaillé avec d’autres musiciens, parmi lesquels il y eut le premier pianiste qui m’ait accompagnée sur scène, Marcel Hendrix. Il y avait du progrès, mais je restais le plus souvent insatisfaite de ce qui se passait musicalement derrière moi.
30
1963 L'amour s’en va Texte et musique : Françoise Hardy.
l’amour s’en va, et le tien ne saurait durer
comme les autres, un beau jour tu vas me quitter si ce n’est toi, ce sera moi qui m’enirai l'amour s’en va et nous n’y pourrons rien changer car toi aussi, tu vas me dire mille toujours et moi aussi, je les redirai à mon tour
l'amour s’en va, je t’échappe quand tu me poursuis ou bien c’est moi qui refuse de croire tout fini et chaque fois, toujours on doit se l’avouer l'amour s’en va, mais sans cesse nous courons après. Quelle mouche avait donc piqué Lucien Morisse qui dirigeait Europe n° 1 en 1963 pour tenir à ce que je représente la Principauté de Monaco
avec
cette chanson
année-là? La vraie question les intérêts d'Europe n° 1, présence
à ce concours
au Concours
Eurovision
de
cette
est plus probablement: quels étaient financiers ou autres, pour que ma
semble
primordiale?
Participer à ce genre
de manifestation effrayait la grande traqueuse que j’ai toujours été et je commençai par refuser énergiquement. Je finis par donner mon accord quand Lucien Morisse me promit de programmer sur son antenne L'Amour d’un garçon, une adaptation peu dans mes cordes, figurant sur le même 45-tours et pour laquelle j’avais un faible — qui m'est d’ailleurs vite passé. Il ne tint évidemment pas sa promesse.
31
Comme
tant d’autres
Texte et musique : Françoise Hardy.
pourquoi serais-je la fille de rêve la fille que tu crois? celle qui lorsque le jour s’achève rentre seule chez soi c’est tant pis pour toi
ce n’est pas ma faute je ne suis que ça une fille comme tant d’autres pourquoi serais-je la fille de rêve qui n’a qu’un seul amour ? je sais trop que la vie est brève et j’en ai fait le tour c’est tant pis pour toi ça n’est pas ma faute je ne suis que ça
une fille comme tant d’autres tu me dis que tu m'aimes aujourd’hui tu le crois tout ça vaut-il la peine ? d’autres se sont lassés avant toi pourquoi donc vouloir à tout prix que je sois différente ? pourquoi me vouloir plus jolie ou plus intéressante? 32
regarde-moi bien ça n’est pas ma faute si je ne suis rien qu’une fille comme tant d’autres une fille comme tant d’autres. Voilà un texte d’une naïveté, d’une vanité et d’une confusion puériles. Des phrases comme Je sais trop que la vie est brève et j'en ai fait le tour ou d’autres se sont lassés avant toi sont risibles et tentent une fois de plus de donner une image fausse de ma petite personne en sousentendant qu’elle a déjà beaucoup vécu alors qu’il n’en était rien. Mais il y avait aussi la crainte, réelle en l’occurrence, que celui que l’on aime, ou croit aimer, vous idéalise et tombe vite de haut à votre
sujet... Le musicien qui joue de l’orgue n’est autre qu’Eddy Louiss, un jazzman qui commençait à se faire connaître. Un beau métis aux yeux bleus aussi.
Bien longtemps Texte et musique : Françoise Hardy.
bien longtemps j'ai erré dans les rues bien longtemps trop longtemps, j’ai bien cru pouvoir te retrouver, toi que j’avais perdu! bien longtemps je me suis souvenue 33
des instants qu'avec toi j’ai connus je vivais au passé et je ne vivais plus j’espérais qu’un certain soir je pourrais bien te revoir combien de fois j’ai rêvé
que tout recommençait ? bien longtemps j'ai pensé que jamais quelqu’un d’autre viendrait me délivrer et pourtant, c’est bien vrai,
j'ai fini de t’aimer!
Saurai-je ? Texte et musique : Françoise Hardy.
saurai-je un jour te comprendre ? et saurai-je aussi t’aimer ? tout ce que tu peux attendre vais-je te l’apporter? saurai-je te faire oublier ce que furent d’autres pour toi
en venant te procurer les plus grandes des joies?
34
car tout ce que je veux tout ce que je souhaite c’est de te rendre heureux
le temps que tu acceptes saurai-je bien correspondre au moindre de tes espoirs? pourrai-je ainsi te répondre sans jamais te décevoir ? et lorsque le jour viendra où tout s’en devra finir deviendrai-je alors pour toi ton plus beau souvenir ? Contrairement à d’autres, ce texte maladroit est authentique et pour une fois altruiste. Savoir aimer est à la portée de peu de gens et cela m'étonne que la toute jeune fille que j’étais se soit posé une question aussi importante.
J'aurais voulu Texte et musique : Françoise Hardy.
bouche à demi ouverte, elle te souriait
elle semblait offerte à tous ceux qui passaient
je la trouvais trop belle j'aurais voulu être elle 35
pour que tes yeux me regardent comme
ils la regardaient
allongée sur la plage, ses longs cheveux défaits était-elle un mirage qui soudain t’aveuglait ? je la trouvais trop belle j'aurais voulu être elle pour que tu veuilles de moi comme tu la voulais aurais-je fait de même à ta place? aurais-je tout quitté à ta place? appuyée contre toi heureuse et consentante, t’'emmenant loin de moi lointaine, indifférente
je la trouvais j'aurais voulu pour te faire pour te faire
trop belle être elle autant souffrir que je souffrais alors autant souffrir que moi je souffre encore
La fascination pour la beauté a toujours été grande chez moi et sans doute
avivée par l’impression
d’en être dépourvue.
Je ne réalisais
pas encore qu’une beauté extérieure non habitée est ennuyeuse, que sans cette lueur indicible dans le regard, une apparence est sans âme,
et il me suffisait qu’une jeune fille soit jolie pour imaginer que si le garçon avec qui j'étais la croisait, il me quitterait aussitôt pour elle. Cette chanson ne m’a pas été inspirée par quelqu’un en particulier, 36
mais je me souviens d’avoir été fascinée quelques
années plus tard
par un couple qui dansait dans l’entrée de la discothèque de Régine où il m’arrivait de rester assise pour converser avec tel ou tel ami. La beauté des deux visages, de leurs silhouettes si bien accordées et la grâce de leurs mouvements rendaient ce couple irrésistible. La pensée m’empoisonna vite le cœur que si Jean-Marie rencontrait la jeune femme, il en tomberait amoureux. Incroyable mais vrai: ce fut bel et bien ce qui arriva, mais nous avions rompu depuis longtemps et je n’en souffris pas, me réjouissant pour lui, au contraire. La dernière phrase de ce texte ne me ressemble pas: je n’ai jamais eu envie de faire souffrir qui que ce soit, mais les contraintes imposées par une mélodie emmènent parfois là où l’on n’irait pas dans la vie réelle.
Nous
tous
Texte et musique : Françoise Hardy.
nous tous ici qui avons le même âge nous vivons pour l'instant au jour le jour mais parfois on réfléchit davantage nos vies vont-elles prendre un autre tour?
si jusqu’à aujourd’hui, j’ai eu beaucoup de chance toi qui l’attends encore, toi, sais-tu bien
que d’un jour à l’autre après soudain tout change? qui peut savoir comment sera demain ? oh oui nous tous qui avons le même âge je me demande, qu’allons-nous devenir ? si aujourd’hui sur toi j’ai l’avantage que nous réserve l’avenir ? 37
insouciance d’un jour, insouciance d’un instant combien de temps cela va-t-il durer ? peut-être, comme moi, te demandes-tu souvent que serai-je dans quelques années ? Ce texte exprime maladroitement la conscience que les bonnes choses en général, le succès en particulier, sont rarement durables, ainsi que lPaspiration enfantine qui ne me lâche pas à ce qu’elles le soient.
Le sais-tu ? Texte et musique : Françoise Hardy.
j'ai rêvé tant de fois, le sais-tu, cet instant
où je s(e)rais devant toi et voilà, maintenant cet instant arrivé, ce que je voulais faire ce que je voulais dire, moi, j’ai tout oublié! je l’ai tant redoutée, le sais-tu, la seconde
qui me faisait penser à une fin du monde celle où tu serais là, tenant entre tes mains,
sans en être conscient peut-être, mon destin même si cette fois c’est moi qui gagne oui, même si bientôt j’ai ton amour sans cesse, il faudra relivrer bataille tu peux te lasser en si peu de jours
si je suis devant toi, un peu trop maladroite et si je ne sais pas trouver ce qui te flatte 38
je ne sais que t’aimer, ne m'en tiens pas rigueur
et viens me rassurer et viens chasser ma peur.
L'amour ne dure pas toujours Texte et musique : Françoise Hardy.
pourquoi t’inquiète mon silence crois-moi tu n’as plus de recours que prendre ton mal en patience lPamour ne dure pas toujours tu te jouais de moi je pense quand je croyais t’aimer d’amour aujourd’hui change la balance l'amour ne dure pas toujours
tu as été mon espérance je t’ai appelé au secours tu vins bien tard mais pour ma chance l'amour ne dure pas toujours tu fus aussi ma délivrance tout s’est passé en quelques jours avant, après, c’est la souffrance
l'amour ne dure pas toujours
tu ne fus donc qu’une expérience on s’est trompé chacun son tour mon cœur fatigué prend vacances l'amour ne dure pas toujours! 39
1964
Tout me ramène
à toi
Texte et musique : Françoise Hardy.
j'ai beau vouloir m’éloigner de tout ce qui nous fut commun j'ai beau vouloir oublier pourquoi j’ai tant, tant de chagrin les gens autour de moi un air, n’importe quoi tout, oh oh oh oui tout me ramène à toi
je sais que tout a une fin je sais depuis toujours qu'aucun amour ne finit bien
tout comme notre amour les gens autour de moi un air, n’importe quoi
tout, oh oh oh oui tout me ramène à toi. J'ai failli ne pas mettre le texte de
Tout me ramène
à toi, tellement
j'étais persuadée qu’il s’agissait d’une adaptation. Ce qui prouve que
la mélodie a un relatif intérêt.
40
Apprends-le-moi Texte et musique : Françoise Hardy.
si tu rencontrais un beau jour une autre fille, un autre amour
apprends-le-moi si tu pensais m'avoir trop vue si je ne te suffisais plus apprends-le-moi je t’en prie ne va pas mentir aie le courage de tout me dire apprends-le-moi si tu avais envie soudain d’être en d’autres bras que les miens apprends-le-moi si avec moi tu t’ennuyais si autre chose t’attirait apprends-le-moi
au lieu de me laisser chercher ce que tu voudrais me cacher apprends-le-moi apprends-le-moi
41
Jaloux Texte et musique : Françoise Hardy.
je voudrais tant qu’il soit jaloux rien qu’un peu de vous lorsque ce soir il me verra pendue à votre cou
je voudrais tant qu’il me regarde
et que sur nous ses yeux
quelques instants et plus s’attardent lorsqu'il nous verra tous deux
merci beaucoup de faire ça ce jeu bien fou rien que pour moi en nous voyant joue contre joue moi serrée dans vos bras je voudrais tant qu’il soit jaloux et qu’il revienne vers moi
42
En relisant ces textes de jeunesse naïfs, répétitifs et sans grand intérêt,
je me rends compte
que, contre toute attente, mes chansonnettes
valaient davantage par les mélodies, pas si mal que ça pour une nonmusicienne et plus variées que les mots moins inspirés posés dessus.
À force d’insistance, je finis par obtenir de Jacques Wolfsohn d’enregistrer à Londres avec un orchestrateur et des musiciens anglais - mon rêve! Le chanteur Richard Anthony avec qui j’avais fait une tournée en 1963, et qui enregistrait là-bas des disques qui me plaisaient beaucoup, m’y avait souvent exhortée. Ce furent les premiers arrangements musicaux par lesquels je me sentis portée et force est de constater que c’est à partir de là que j’ai commencé à mieux chanter.
Et même... Texte et musique : Françoise Hardy.
et même si, pour toi, rien n’a changé vraiment et même si tu m'aimes autant qu'avant peut-être que j’ai tort, sans doute as-tu raison mais pour moi tout est remis en question et même si notre amour est le seul important si elle ne fut qu’un caprice d’un instant il y a quelque chose qu’en toi je n’aime plus quelque chose qui me semble à tout jamais perdu
pourquoi, pourquoi avoir fait ça? plus rien n’est semblable pour moi tout me semble changé et tu me parais soudain étranger 43
et même si un jour ça devait arriver et si je sais qu’il faut n’y plus penser toi, tu n’y penses plus mais je ne vois que ça je ne vois que cette autre fille dans tes bras. Ce texte totalement imaginaire exprime ce qu’aurait été, ce que serait — je peux aller jusqu’à dire ce qu’a été —-, mon ressenti dans ce genre de situation. J’avais déjà enregistré la chanson mais la réalisation ne me satisfaisait pas et je demandai à Charles Blackwell, mon merveilleux nouvel orchestrateur, de s’inspirer du célèbre producteur américain Phil Spector. Son travail fut parfait. Quel bonheur
que d’entendre
sa chanson si bien produite que tout son potentiel en est actualisé!
Tu n’as qu’un mot à dire Texte et musique : Françoise Hardy.
on nous voit partout c’est vrai, tous les deux et l’on dit de nous qu’on est très heureux
mais toi, tu n’as qu’un mot à dire je cesse de lui mentir si tu m'aimes encore toi, tu n’as qu’un mot à dire pour me faire revenir si tu m'aimes encore sii tu m'aimes encore 44
on veut te faire croire que tout va pour moi depuis notre histoire puisqu’un autre est là
mais toi, tu n’as qu’un mot à dire et je le fais partir si tu m'aimes encore toi, tu n’as qu’un mot à dire pour me faire revenir si tu m'aimes encore si tu m'aimes encore
lorsqu'il est près de moi que je ferme les yeux moi, c’est toi que je vois car c’est toi que je veux toi qui n’as qu’un mot à dire pour me faire revenir si tu m'aimes encore si tu m'aimes encore.
Tu ne dis rien Texte et musique : Françoise Hardy.
tu ne dis rien, presque rien et je te sens toujours si loin 45
je ce ce je
me demande à quoi tu peux penser que je suis pour toi que tu veux de moi ne sais pas
je voudrais te rejoindre mais toi tu ne bouges pas je rêve de t’atteindre mais rien ne répond en toi et tu es là, toujours là mais loin, très loin, si loin de moi
pourquoi faut-il qu’au cœur même de l’amour on se sente encore plus seul qu’un enfant sans but et sans recours ? Voilà une belle mélodie, magnifiée par l’orchestration. Le texte exprime le désir que l’autre parle davantage, qu’il exprime davantage ses sentiments, qu’il se révèle en quelque sorte. Cela me fait penser à cette phrase
extraordinaire d’une
chanson de Bob
Dylan: 1 gave
her my heart, but she wanted my soul. Ou à ce qu’on peut lire dans le roman génial de Sändor Märai, Métamorphoses d’un mariage, qui va encore plus loin: “Quel est-il ce secret? ” demande le prêtre auquel,
pour mieux faire comprendre ce dont elle souffre, une femme éplorée vient de confier que son mari a un secret. “Vous voulez le connaître. Pourquoi voulez-vous savoir ce qui est caché dans une âme? Il ne faut pas aimer avec un tel acharnement. ”
46
Pars Texte et musique : Françoise Hardy.
pars et puis tant pis pour ce que tu es pars et puis tant pis si tu n’as pas su m’aimer tant pis pour tout ce que tu n’es pas tant pis pour toi et pour moi tant pis pour tous ces jours où j’ai vécu pour toi jamais plus je ne pourrai aimer autant que ça jamais plus tu ne pourras oublier cet amour-là pars et puis tant pis pour ce que je suis pars puisque nous sommes encore pires que le jour et la nuit puisque nous ne pouvons rien nous dire
sans avoir à en souffrir puisque l’on s’aime trop
pars sans me dire un mot pars sans me dire un mot... Rien d’autobiographique non plus dans ce texte, mais la mélodie me plaisait. Cette chanson me rappelle un tour de chant que je fis dans je ne sais plus quelle université britannique, en plein air sous les étoiles. Avant mon entrée en scène, des étudiants anglais étaient venus me supplier de chanter en français. Ils confortaient ainsi mon sentiment qu’il ne faut pas adapter une chanson dans une autre langue. Si son texte est beau, il y perdra forcément. Quoi qu’il en soit, dans cette 47
ambiance estudiantine chaleureuse, je me souviens avoir été portée par la mélodie
de Pars, comme
s’il y avait eu un véritable état de
grâce dont elle bénéficia plus encore que les autres chansons.
La nuit est sur la ville Texte et musique : Françoise Hardy.
la nuit est sur la ville près de moi, tranquille il est là, qui attend loin, dans une autre ville
toi que j’aime tant que fais-tu maintenant ?
j'étais si sûre de nous si confiante en tout mais voilà qu’à présent tout me semble fragile ce serait facile lui et moi, maintenant
loin de toi que je m'ennuie toute seule tant de nuits pourquoi? pourquoi tout me pousse-t-il vers lui tout de moi soudain t’oublie? pourquoi? pourquoi? le jour est sur la ville dans cette autre ville 48
dors-tu seul, insouciant?
tout n’est pas si facile je crois bien pourtant que je t’aime vraiment oui, je t’aime vraiment... Il s’agit là d’une
situation
que
je n’avais
pas
encore
vécue,
mais
que j'imaginais inévitable. Le texte fait également allusion aux questionnements et aux états d’âme que tout éloignement physique suscite.
Dans le monde
entier
Texte et musique : Françoise Hardy.
dans le monde entier, cette nuit est pareille à tant d’autres nuits quand disparaît le soleil où tant de bonheur côtoie tant de détresse tant de choses meurent pendant que d’autres naissent tant de choses meurent pendant que d’autres naissent mais ce soir, tu n’es pas là ce soir tu ne viendras pas
et tu es si loin de moi j'ai peur que tu m'’oublies déjà que m'importe alors de savoir plus ou moins si d’autres, cette nuit, s’aiment ou bien ont du chagrin
si d’autres se déchirent ou se rejoignent enfin rien n’a d’importance sinon que tu es loin et que, cette nuit, de toi je ne sais rien. 49
Texte
totalement
autobiographique.
Je
ne
supportais
pas
la
séparation. Or, à cause de son travail de photographe, Jean-Marie voyageait sans cesse, et il en allait de même pour moi. Je me souviens de quatre années où les communications téléphoniques, auxquelles j'étais suspendue, étaient difficiles et où je pleurais tout le temps. Mais s’il ne s’agit pas, ici non plus, d’un grand texte, la mélodie est belle et m’épate encore aujourd’hui. Elle était influencée par des slow magnifiques que j’adorais d’Elvis Presley, tels que Where do you come from ?, Anything that's part of you, Are you lonesome tonight?. J'en parlai à Charles Blackwell qui eut l’intelligence de s’en inspirer et de faire chanter les chœurs
résultat
final m’enchanta.
à la façon des Jordanaires
De
toutes
les
chansons
de
d’Elvis.
Le
ce premier
album à Londres, l’éditeur et la maison de disques britanniques se focalisèrent sur celle-là qui devint Al over the world et eut un grand succès
en Angleterre,
en Afrique
du Sud,
en Nouvelle-Zélande
en Australie. Il faut écouter la version remixée années plus tard, dont le son est bien meilleur.
1965 Ce petit cœur Texte et musique : Françoise Hardy.
ce petit ce petit à peine d’avoir
cœur qui ne bat pour personne cœur qui ne bat que pour lui si ce petit cœur s’étonne pu changer ma vie
oh oh oh oh oh oh oh oh oh 50
et
et remastérisée des
ce petit cœur ennuyeux, monotone qui ne sait rien faire que pleurer sur lui tout juste si ce petit cœur frissonne lorsque le mien lui sourit oh oh oh oh oh oh oh oh oh
peut-être qu’un jour il souffrira mais ce ne sera pas pour moi et ce jour-là il m’oubliera ce petit cœur que je n’oublierai pas ce petit cœur qui passe tout son temps
à s’écouter et à se regarder ce petit cœur à qui il plaît tant de se savoir très aimé ce petit cœur, c’est bien lui pourtant dont le mien ne peut se passer oui ce petit cœur, c’est bien lui pourtant dont le mien ne peut se passer. Lors
d’une
tournée
interminable
à laquelle
Jean-Marie,
grand
pygmalion, m'avait conseillé l’empêchèrent de venir me
de participer, et où ses obligations retrouver de temps à autre, mon
attention
sur
participait quelques
finit par aussi.
se
porter
Notre
chansonnettes
quelqu'un
amourette et de me 51
eut
de
l'intérêt
charmant de
sortir un peu de mon
qui y
m'’inspirer extrême
solitude,
mais
la relation
d’importance
primordiale
Marie commença à se dégrader.
En t’attendant Texte et musique : Françoise Hardy.
le lit, le téléphone dans la chambre, personne en t’attendant les aiguilles du réveil c’est chaque fois pareil en t’attendant en t’attendant rien ne se passe
personne ne vient je me mets à pleurer en vain
allongée sur mon lit tout haut, je te maudis en t’attendant le téléphone sonne c’est ta voix qui s’étonne et qui comprend ce qui t’attend en attendant en attendant. 52
avec
Jean-
Tentative
de
renouveler
si peu
que
ce
soit l’un
récurrents.
Je pensais Texte et musique : Françoise Hardy.
je pensais bien qu’un jour tu allais me quitter
que pour un autre amour, un jour, tu partirais et qu’une autre que moi saurait se faire aimer de toi qu’une autre dans tes bras v’offrirait d’autres joies que moi je pensais bien qu’un jour, cela arriverait je pensais que nous deux ça ne pourrait durer qu’on était trop heureux et qu’une autre viendrait mais je n’aurais pas cru je n’avais pas prévu que toi
tu pourrais te tromper tu pourrais me quitter pour ça qu’étais-je donc pour toi si pour elle tu t’en vas?
53
de
mes
thèmes
Le mépris
consistant
à désigner
une
rivale qui vous
a supplantée
par le mot rabaissant de “ça” me fait honte. Pour me dédouaner, je dirai que cette rivale était inventée de toutes pièces et que le “ça” ne désignait donc personne de réel. Des années plus tard, je vécus la situation où une femme, que je me permis de trouver peu à la hauteur de l’autre, me fut préférée. La prétention d’un tel jugement ne faisait que trahir une regrettable étroitesse d’esprit et un grand manque d’imagination.
Tout ce qu’on dit Texte : Françoise Hardy. Musique : Mickey Jones et Tommy Brown.
tout ce qu’on dit ne vaut rien sans ce qu’on fait ce que tu dis c’est très bien mais est-ce vrai? >
cc:
car tu dis “je t’aime ”, “ je t’aime ” et tu ne fais rien du tout pourquoi n’es-tu pas plus fou ?
tout ce qu’on dit ne sert à rien et je devrais dès aujourd’hui partir loin pour t’oublier 54
mais tu vois je t’aime, je t’aime et moi non plus je l’avoue non, je ne fais rien du tout »
ce
quand tu dis “je t’aime ”, “je t’aime” essaie d’être un peu plus fou de toi et de moi, fais “nous ”.…
Je t’aime Texte : Françoise Hardy. Musique : Mickey Jones et Tommy Brown.
si j'ai du chagrin lorsque tu n’es pas là, si j'ai du chagrin quand tu n’appelles pas, si mon cœur bat fort chaque fois que je t’entends ou que je te vois, ne serait-ce pas parce que je t’aime ? oui, je t’aime si j’ai tellement peur qu’une autre t’intéresse si jai dans mon cœur
cette immense tendresse si je être cela oui,
veux tant compter pour toi aussi ce que je ne suis pas voudrait-il dire que je t’aime? je t’aime
55
si je sens que je vais souffrir et être heureuse à en mourir, il me semble que c’est parce que je t’aime oh oui je t'aime... J’appréciais beaucoup Jones,
musiciens
les musiques
anglais,
que Tommy
respectivement
Johnny dans les sixties, avaient composées
batteur
Brown
et Mickey
et guitariste
pour Sylvie (Vartan)
de et
peut-être pour l’“Idole” aussi. Ils le surent et m’apportèrent deux musiques (celles de Tout ce qu’on dit et Je t'aime) dont l’esprit et le son rock me plurent beaucoup. Ces deux jeunes gens étaient aussi charmants que talentueux. Futur fondateur du groupe The Foreigners, Mickey Jones, pas encore obèse, était très beau, et j’eus grand plaisir à travailler avec eux deux et à bénéficier enfin de la rythmique musclée et rock and roll dont je rêvais.
Tu peux bien Texte et musique : Françoise Hardy.
tu peux bien te perdre et tu peux demain sans rien me dire disparaître je sais bien que tu peux nous perdre toi qui ne veux pas que sur ton chemin on s’arrête mais tu vois
56
je rêve de me perdre si c’est me perdre avec toi, toi et je cours à ma perte si tu n’as rien d’autre pour moi, que ça tu peux bien tout faire pour nous séparer plus tu gagnes et plus je perds à t’aimer moi je veux, peut-être ce que je n’ai pas je te laisserais peut-être ce jour-là
où je et tu
lassée de tout perdre saurai partir loin de toi, toi par peur de me perdre croiras que tu veux de moi
Il se fait tard Texte et musique : Françoise Hardy.
il se fait tard
c’est l’heure de rentrer demain est presque là
demain est là chacun est fatigué 57
et toi tu dors déjà tu dors déjà quand je meurs à demi de ne pouvoir oser enfin oser te dire que je ne vis que lorsque je te vois le jour s’en va chercher d’autres jours ainsi que ce jour où tu partiras je ne peux pas te dire mon amour qui comme un amour un jour finira. Belle mélodie, bien orchestrée mais difficile à chanter, qui, comme
tant de mes
autres textes de chansons,
exprime
un défaitisme
sur
le plan amoureux qui était une façon de conjurer l’issue fatale tant redoutée.
Pendant l’année 65, j’enregistrai un super 45-tours avec les trois titres sans intérêt qui suivent:
58
J’ai bien du chagrin Texte et musique : Françoise Hardy.
j'ai bien du chagrin la bouteille de vin est presque vide comment faire? j'aurais tant besoin d’un grand verre de vin pour me remonter je me sens si fatiguée et si mal en train tous ces gens qu’il faut voir sans cesse brisent mes nerfs, causent ma faiblesse
j'ai bien du chagrin je n’ai goût à rien il y a partout de la poussière du linge sale qui traîne par terre je suis morte, à bout de nerfs, hébétée, à ne rien faire
j'ai bien du chagrin... Ce texte peu inspiré se passe de commentaire!
Bout de lune Texte et musique : Françoise Hardy.
bout de lune ou étoiles sont à jamais bien trop loin de moi 59
si sans cesse, moi, j’en rêve
peut-être est-ce bien à cause de ça! toi, tu n’es pas pour moi! est-ce bien à cause de ça
que je rêve de toi? est-ce seulement pour ça? bout de lune, impossible! vous, étoiles inaccessibles!
toi !
bout de ciel ou soleil sont là mais ne me connaissent pas comme toi, si je t’aime peut-être est-ce seulement pour ça...
Tu ne m’attendras pas Texte et musique : Françoise Hardy.
toi qui ou bien toi qui le cœur
es venu trop tard trop tôt, qui sait ? aujourd’hui repars lourd de regrets
ne m'en veux pas! tu ne sais pas ce que je sais, ce que je crois
60
je crois qu’un jour moi aussi, je te regretterai je regretterai notre amour
tu ne m’attendras pas pourtant je pourrais t’aimer
et nous ne pourrons pas nous rattraper jamais, jamais!
toi qui es venu trop tard ou bien trop tôt, qui sait ? toi qui aujourd’hui repars
peut-être avec regret
ne m'en veux pas! tu ne sais pas que j’ai pleuré et que je pleure qu’il soit trop tard ou trop tôt mais qu’il ne soit pas l’heure d’aimer pour ton cœur et mon cœur... Je suppose que j'avais dû fantasmer sur quelqu’un de l’équipe de deux cent cinquante personnes du tournage du film Grand Prix qui me mobilisa cinq mois pour dire trois phrases. Aucune autre explication, aucun souvenir correspondant à ce texte ne me viennent à l’esprit. Bonne mélodie en tout cas.
1966-1968
En
1966, j'avais participé au Festival de San Remo, très populaire
en Italie. Avant
le concours
de chansons,
il fallait passer par des
éliminatoires, quel que soit le degré de notoriété. Les Italiens de ma maison de disques souhaitaient que je chante une chanson qui ne m'’enthousiasmait pas d’Edoardo Vianello, Parlami di te, avec laquelle je fus
admise
sans
problème.
Adriano
Celentano
présentait
une
chanson géniale de sa composition : Il ragazzo della via Gluck, mais fut éliminé d’office. De dépit, il prit sa voiture et la jeta contre un mur. Heureusement, seule la voiture fut esquintée. J’étais si emballée par cette chanson que, de retour à Paris, je fis part à Jacques Wolfsohn de ma détermination à l’enregistrer en français. Il m’opposa d’abord un refus catégorique — cette chanson ne représentait sans doute aucun intérêt éditorial pour lui —, mais ma volonté était inébranlable et j’eus gain de cause. La maison où j’ai grandi eut beaucoup de succès en France, et l’original fit un carton en Italie. Des décennies plus tard, en 2012, Celentano, plus déifié encore que dans les années 60 où il était déjà vénéré, donna un concert extraordinaire retransmis par la RAI aux arènes de Vérone. À soixante-quinze ans, il avait toujours un charisme bluffant et une élégance, une classe folles. Les arènes étaient pleines à craquer et, après avoir joué à la guitare l’introduction 65
d’Il ragazzo della via Gluck, il laissa le public chanter seul le premier couplet. Ce public enthousiaste lui, comme
chanta le reste de la chanson avec
sans nul doute la plupart des téléspectateurs. Quarante-
six années s’étaient écoulées depuis les éliminatoires de San Remo! Sur mon album sorti en 1966 et dont La maison où j'ai grandi fut la locomotive, figurèrent les titres qui suivent:
Peut-être que je t’aime Texte et musique : Françoise Hardy.
si dormir avec toi n’est pas le bout du monde ce le devient pourtant dès que tu n’es plus là une vie près de toi risque d’être bien longue mais loin de toi c’est pire, elle n’en finit pas quand dans notre maison, nous échangeons nos rêves il arrive souvent que tes rêves m’ennuient et puis je m'en repars vers des villes nouvelles où je m'ennuie de toi au bout de quelques nuits peut-être que je t’aime peut-être que je t’aime j'ai appris que le ciel me il me fallait pour ça lever il me faudra toujours les si tu veux qu'autre chose
plaît moins que tes yeux les yeux au ciel oublier un peu, tes yeux toujours me les rappelle
peut-être que je t’aime peut-être que je t’aime... 66
Le dernier couplet de cette chanson est bien trouvé, mais globalement le texte fait partie de ceux, nombreux
dans mes
premières
années
d’auteur, dont j’ignore ce qui a pu les inspirer.
Comme Texte et musique : Françoise Hardy.
je t’aimais trop j'aimais trop ton visage comme un oiseau j'ai pu te mettre en cage mais un oiseau en pleure tes larmes me font peur
comme une fleur que l’on cueille en chemin j'ai pris ton cœur pour l’avoir dans ma main mais une fleur en meurt que deviendra ton cœur? comme un beau rêve voulu sans réfléchir l'amour s’achève je ne sais pas mentir mon rêve est à sa fin et j’ai mal de ton chagrin... J'avais un faible pour cette chanson à l’époque, à cause des quelques images poétiques qu’on y trouve. 67
Surtout
ne
vous
retournez
pas
Texte et musique : Françoise Hardy.
surtout, restez comme
je vous vois
surtout, ne vous retournez pas pas cette fois de dos, tu ressembles à mon rêve
je n’ai pas envie qu’il s’achève déjà c’est peut-être l’instant que je préfère le moment que malgré tout j'espère où tout pourrait basculer soudain où la vie pourrait changer, enfin alors, ne dis rien alors, ne fais rien
mais je ne peux pas l’éviter bientôt vous vous retournerez comme chaque fois
vous ne saurez pas retenir ce rêve que je cherche à saisir comme chaque fois
surtout, ne vous retournez pas surtout, ne vous retournez pas... Dans ma prime jeunesse, quand je ne travaillais pas, je sortais assez tard. J’allais chez Régine
ou chez Castel, les deux “boîtes de nuit”,
comme on les appelait, les plus courues, les plus célèbres du Paris des 68
sixties. Il m’arrivait régulièrement de fantasmer sur une silhouette ou une autre dont je ne voyais pas le visage. Le fantasme s’évanouissait chaque fois que je le découvrais. J’aime bien cette chanson, mais elle aurait nécessité des guitares dans le style Shadows et des chœurs moins aigus, autrement dit une ambiance plus planante, plus onirique, plus magique. Je me mords les doigts de ne pas avoir donné d’indications dans ce sens au réalisateur.
Si c’est ça Texte et musique : Françoise Hardy.
tu sais, si les gens que je vois passer qui n’ont rien à dire et rien à montrer et si les jours gris qui sont tous mes jours remplis de ces gens et vides d’amour tu sais, si c’est ça, la réalité
et si les nuits blanches que sont chaque nuit où je ne dors pas parce que je m’ennuie si ce que je fais — qui ne vaut pas mieux que ce que font d’autres, heureux, malheureux tu sais, si c’est ça, la réalité
mais si ton regard, mais si ton sourire que j'aime bien plus que je ne sais dire si tout ce qu’un jour tu m’as apporté dont je ne veux pas devoir me passer
69
tu sais, si c’est Ça, rêver
mais si ton visage, si toi tout entier
ce que tu m'as dit, ce que tu m'as fait mais si ton regard, mais si ton sourire mais si mon
amour, tous mes souvenirs
tu sais, si c’est Ça, rêver
fais-moi retrouver ce que j’ai rêvé redeviens pour moi la réalité comment vais-je faire ? tu ne m’entends pas comment vais-je faire? tu ne reviens pas... Je me souviens très bien du jeune homme qui m’a inspiré ce texte et dont le comportement m'avait mise au désespoir. J'avais eu un coup de foudre aussi imprévu
que ravageur pour lui et je compris
plus tard à quel point mon excès d’attirance avait dû l’effrayer. On a beau se contrôler au maximum
et montrer le moins possible ce que
lon ressent, certains signes facilement repérables vous trahissent. Il me semble qu’il y a eu deux versions voix-guitare de Sÿ c’est ça. Sur YouTube, j’ai trouvé deux versions qui se ressemblent comme des gouttes d’eau. S’il y a bien eu une deuxième version, alors je l’ai enregistrée à Paris avec un guitariste de Jacques que je connaissais à peine, car c’est la seule séance dont je me souvienne, mais je ne comprends
pas pourquoi j’ai tenu à la refaire, tellement les voix et
le reste présentent peu de différences. Ce n’est d’ailleurs pas l’une de mes meilleures chansons et mon interprétation m'a vite été insupportable et elle l’est restée longtemps. Je chante d’une façon trop martelée et mets trop à nu mon excès de dépendance, autrement dit mon
immaturité,
ainsi que la détresse qui était la mienne 70
à ce
moment-là et qui aura duré presque un an. Il m'est arrivé deux fois dans ma vie de me perdre dans ce genre d’impasse, pour, une fois le recul venu, remercier le ciel que ni l’une ni l’autre situation ne soit allée plus loin.
Je serai là pour toi Texte et musique : Françoise Hardy.
il y a tant de rêve par-delà ta nuit tant et tant de soleil derrière tes murs gris mais tu ne les vois pas car tu restes chez toi il y a tant de ciel par-dessus ton toit ta porte est-elle si vieille qu’elle ne s’ouvre pas? ou restes-tu chez toi par peur d’attraper froid ? tu sais, j’ai eu froid aussi tu sais, j’ai pleuré un jour où je suis sortie mais tu vois, aujourd’hui,
je ne veux plus rentrer
il y a peu de gens que l’on peut aimer 71
mais si tu voulais pourtant j'aimerais t’aimer
le jour où tu voudras je serai là pour toi. Belle chanson que je croyais inspirée par mes sentiments pour Jacques (Dutronc) qui m’a caché pendant des mois ce qu’il ressentait, comme je le faisais moi-même. Mais je vois qu’elle est sur l’album sorti en 1966, et c’est en 1967 que j’ai commencé à oublier mon dernier coup de foudre en date et à regarder dans sa direction. Je me demande donc à qui je pouvais bien penser quand j’ai écrit ce texte car le jeune homme qui m’obsédait ne correspond pas à ce que mon texte suggère.
Un texte prémonitoire peut-être?
Mes jours s’en vont Texte et musique : Françoise Hardy.
mes jours s’en vont, mes jours près de toi je sais bien qu’ils ne reviendront pas lorsque tu dors, je me dis parfois que là-bas d’autres, peut-être, ne dormiraient pas mes jours s’en vont, mes jours près de toi sans grand chagrin et sans grande joie quand tu t’ennuies, je me dis parfois que là-bas d’autres peut-être ne s’ennuieraient pas
72
mes jours s’en vont, mes jours près de toi mon cœur se fane et voilà pourquoi quand tu t’égares, je rêve parfois d’un là-bas où quelqu’un d’autre n’aimerait que moi... Texte
qui
traduit
l’ennui
que
l’on
ressent
quand
l’autre
vous
prend pour son repos du guerrier alors qu’on rêve qu’il se montre entreprenant, fougueux, démonstratif... Tout au long de ma vie sentimentale,
je savais
qu'être
trop
en
demande,
trop
acquise
à
l’autre est la meilleure façon de l’éloigner, en même temps je n’y croyais pas vraiment, Car en ce qui me concerne quand l’autre me donnait l’impression d’une parfaite réciprocité, la conscience que cela pouvait changer du jour au lendemain ne me quittait jamais et m’empêchait de la considérer comme
acquise.
Tu es un peu à moi Texte et musique : Françoise Hardy.
tu tu et et et
me semblais tout seul, et perdu dans tes rêves paraissais si loin des autres, si loin de moi je te croyais beau, et tu étais mon rêve je t’aimais d’amour, tu n’étais pas à moi je t’aimais d’amour, tu n’étais pas à moi
et je n’ai plus pensé qu’à entrer dans tes rêves et je n’ai plus pensé qu’à être auprès de toi mais tu ne m'’aidais pas et j'avais de la peine car je t’aimais d’amour, tu n'étais pas à moi car je t’aimais d’amour, tu n'étais pas à moi 73
tu n'étais pas tout seul, tu ne fais pas de rêves tu ne penses qu’aux autres, tu ne penses qu’à toi tu es loin d’être beau, tu es loin de mon rêve
mais je t’aime d’amour, tu es un peu à moi en attendant ce jour qui nous séparera… Considérer l’autre comme
à soi ou y aspirer, je le découvris peu à
peu, est une erreur qui trahit le manque de maturité et d’amour vrai.
1967 Sur mon quatrième album enregistré à Londres, tout ne fut pas réalisé par Charles Blackwell, mais les meilleures productions sont les siennes : Ma jeunesse fout l’camp, enregistrement qui, malgré son titre, n’a pas pris une ride, Des ronds dans l’eau, une reprise réussie de la version originale interprétée par Annie Girardot et Nicole Croisille dans le film Vivre pour vivre de Claude
Lelouch, Mon
amour adieu,
sublime mélodie américaine, Baby goodbye, de Kenny Rankin, dont je signai l’adaptation française.
C’était charmant Texte et musique : Françoise Hardy.
de temps en temps, je me souviens de vous c’était charmant cette nuit avec vous c'était charmant vos propos un peu fous vos airs d’enfant et j’ai aimé beaucoup c'était charmant, c'était charmant
74
ma jeunesse fout le camp.
c'était un peu un peu c’était
charmant, tendre et léger et doux de vent qui vous frôle la joue de pluie, vos larmes sur mon cou fini, je partais loin de vous
de temps en temps, je me souviens de vous c'était charmant, moi j’ai aimé beaucoup et vous ? La
chanson
aussi est charmante
et ça s’arrête là. Elle
a dû
sortir
de mon imagination à propos de ce qui aurait pu être ou de ce que j'aurais aimé qui ait lieu, car rien ni personne dans la réalité de cette année-là ne me rappelle quoi que ce soit qui ressemble de près ou de loin à ce qu’évoque le texte.
Viens là Texte et musique : Françoise Hardy.
viens là, viens là, viens là, me dire
viens pleurer dans mes bras n’aie pas honte de toi comme tu viens chaque fois ce que je sais déjà
viens là, tu as un drôle de cœur
qui part toujours à cent à l’heure un cœur qui n’a pas de mémoire si souvent il s’est fait avoir par des gens beaucoup moins bien que lui par des gens qui n’étaient pas gentils 76
et ces gens qui n’y ont rien compris ils ne méritaient pas que tu les aimes
viens là : on voudrait être comme toi aimer aussi souvent que ça souffrir pareil autant de fois. mais viens : dis-moi ce que tu as. J'ai toujours été fière de cette chanson, tant de la mélodie texte qui m'avait été en partie inspiré par ma d’artichaut était pire que le mien.
Voilà Texte et musique : Françoise Hardy.
voilà, je regarde les autres pourtant, je ne leur trouve rien c’est comme
ça
voilà, je vais avec les autres le temps passe plus mal que bien c’est comme ça et toi? que fais-tu, es-tu content de tout?
je suis là, devant toi, toujours la même oh pourquoi est-ce encore toi que j’aime que j'aime, que j’aime, que j’aime ? tu es là devant moi, toujours le même oh pourquoi ne puis-je pas te dire “je t’aime, je t’aime, je t’aime ” ?
77
que du
sœur dont le cœur
voilà, je m’en retourne aux autres qui m’aiment et que je n’aime pas c’est comme ça et toi, va retrouver cette autre tu l’aimes ou c’est ce que tu crois c’est comme
ça
voilà... on n’a rien, rien de plus à se dire je suis là, devant toi, toujours la même tu le vois, c’est encore toi que j’aime que j’aime, que j’aime, que j’aime tu t’en vas et plus rien ne vaut la peine oh pourquoi ne puis-je pas crier “je t’aime, je t’aime, je t’aime ” ? Mon
attaché de presse italien m’avait demandé
de composer
une
chanson spécialement pour l’Italie. J’adorais et adore toujours les chansons italiennes et les chanteurs italiens. Je fus contente de réussir quelque chose qui me semblait se rapprocher de leur esprit. J'étais séparée de Jean-Marie, mais quand il entendit Vz/à, il trouva la chanson
vieillotte,
ringarde,
et décréta
que
je me
fourvoyais.
Bien que l’orchestration faite par Jacques Denjean, un musicienarrangeur célèbre à l’époque, soit un peu lourde et pompeuse à mon goût, la critique virulente de Jean-Marie me fit pleurer. La suite des événements lui donna tort puisque ce fut le “tube” de l’album. Mais les deux chansons intemporelles qui le marquèrent, et que l’on entend encore aujourd’hui, restent bien sûr Ma jeunesse fout l’camp et Des ronds dans l’eau dont ma version fut beaucoup plus programmée que l’originale.
78
En vous aimant bien Texte et musique : Françoise Hardy.
puisque vous partez je dois m’incliner je ne ferai rien, non, plus rien que vous aimer bien puisqu'elle vous aime elle n’aura pas de peine j'irai mon chemin, dès demain en vous aimant bien
et puisque chaque amour se meurt avec les jours les regrets sont vains
et puisque mon amour finirait bien un jour mon amour, ne regrette rien puisque votre cœur n’ose pas, a peur tant pis pour le mien, ce n’est rien s’il vous aime mieux que bien.
Mais il y a des soirs. Texte et musique : Françoise Hardy.
pourtant j’aime la vie et je crois qu’elle est belle 79
je peux aimer la pluie autant que le soleil le jour comme la nuit rêver sous tous les ciels
mais où ça et ce où je
il y a des soirs ne suffit pas sont tous les soirs repense à toi
pourtant j’aime vraiment tout, car tout m'est mystère la ville et l’air du temps le bruit et la lumière les arbres, les fleurs, le vent l'infini et la mer
mais il y a des soirs où je n’y pense pas et ce sont tous les soirs où j'ai le mal de toi pourtant j’aime les gens autant que le désert j'aime ce qui est changeant comme ce qui est de pierre j'aime sur le moment des regards bleus ou verts
mais il y a des soirs où je déteste tout 80
et ce sont tous les soirs où je repense à nous où je voudrais pouvoir donner le monde entier pour revivre un instant
au moins notre passé et que tu ne sois plus mon plus beau souvenir mais toujours mon présent toujours mon avenir. Pour varier les plaisirs, ma maison de disques Pye et mon
éditeur
anglais Noel Rodgers me proposèrent un nouvel orchestrateur, John Paul Jones, bassiste du groupe prestigieux Led Zeppelin. Je détestai le travail qu’il fit pour moi. Heureusement, il ne produisit que deux de mes chansons: En vous aimant bien et Mais 1l y a des soirs. dont j'apprécie pourtant l’évolution mélodique
du dernier couplet ainsi
que les mots qui vont avec. En
1967 sortit, avant ou après l’album, un super 45-tours avec
Voilà, Qui peut dire?, Les petits garçons et Au fond du rêve doré.
Qui peut dire ? Texte et musique : Françoise Hardy.
si l’on sait que le jour viendra après la nuit qui peut dire si le jour sera bleu ou bien gris ?
si l’on sait que l’hiver 81
reviendra tous les ans
ce que sera l’hiver nul ne le sait vraiment
les jours, tous plus ou moins se ressemblent et les nuits mais qui peut dire demain sera comme aujourd’hui? qui peut être assez sûr? ce que l’on croit avoir on ne peut que le perdre mais si le ciel est noir c’est qu’il peut être clair
car tout commencement doit avoir une fin ce qui vit est changeant puis meurt et n’est plus rien les gens, tous plus ou moins se ressemblent alors, qui peut promettre à quelqu’un de n’aimer plus que lui... Je sentais qu’il fallait une rythmique musclée à cette chanson dont le texte ne brille pas par sa subtilité. L’idée vint de demander à Jacques 82
Dutronc Wolfsohn
de s’en occuper. qui y pensa
Je ne me
ou moi.
Mon
souviens
pas si c’est Jacques
seul souvenir
est l’arrivée en
studio — à Paris dans le studio du 54, rue d’Hauteville — de Jacques et de ses musiciens, puis de mon inquiétude grandissante, car je ne comprenais pas trop ce qu’ils fabriquaient et le temps passait. Mais tout à coup, ils se mirent en place et jouèrent la rythmique telle que je l’avais rêvée. Je ne me souviens pas non plus si je chantais en direct avec eux ou non. Jacques qui, pour certaines choses, a une meilleure mémoire que moi me dit que non.
Les petits garcons Texte et musique : Françoise Hardy.
que que que que
faut-il faut-il puis-je puis-je
faire pour que tu changes? faire? je n’en sais rien faire pour que tu changes ? faire? ne puis-je rien?
les petits garçons qui s’ennuient te ressemblent beaucoup comme toi ils passent leur vie à ne rien faire du tout ce n’est pas moi que tu regardes au fond de mes yeux
tout ce que tu veux c’est te voir un peu les petits garçons qui s’ennuient il y en a beaucoup 83
ils restent enfermés dans leur vie comme toi, jusqu’au cou tu as bien trop de temps à perdre et tu es en train de gâcher le mien car je le sais bien les petits garçons qui s’ennuient
ne savent pas aimer ils n’aiment qu’eux et s’ingénient à être aimés aussi sans souci du mal que cela fait les petits garçons qui s’ennuient m’ennuient aussi beaucoup pour s'intéresser à ta vie faut-il être assez fou! c’est pourtant toi que je regarde au fond de tes yeux tout ce que je veux c’est te voir un peu... La mauvaise
réalisation, que je ne sais plus à qui imputer,
n’était
sûrement pas de Charles Blackwell et le son est trop mauvais pour que l'enregistrement ait eu lieu en Grande-Bretagne. C’est la raison pour laquelle je voulus la refaire, des décennies plus tard, à Montreux, avec Erdal Kizilcay qui fit une rythmique musclée, mais ignora les jolies phrases mélodiques qui est dommage.
84
qui ouvrent cette chanson, ce
Au fond du rêve doré Texte et musique : Françoise Hardy.
j'ai envie de me noyer au fond d’un rêve doré toute mélangée à toi j'ai envie d’être avec toi car dans mon rêve doré tu ne ferais que m’aimer tu dormirais contre moi et tu ne t’en irais pas
toute mélangée à toi longtemps, toujours près de toi j'ai envie d’être avec toi j'ai envie de te toucher te garder, te regarder au fond du rêve doré où tu n’es jamais entré... Jolie petite chanson, réalisée en France, que j’ai eu plaisir à chanter. Étienne
(Daho)
l’aimait
beaucoup
et les
musiciens
de Air
aussi
puisqu'ils l’ont enregistrée sans sortir, hélas, l’enregistrement, sans doute parce qu’il ne les satisfaisait pas.
85
1968 Jean-Marie qui m'avait vue sur scène avec des musiciens laissant plus ou moins à désirer me suggéra de prendre comme pianiste Jean-Pierre
Sabar
dont
il me
vanta
le grand
talent
et qui
avait
joué avec des musiciens aussi prestigieux et surdoués que Stan Getz. “ Comment veux-tu que ça l’intéresse de jouer avec moi!” m'exclamai-je. “ Mais si, je crois bien qu’il t’apprécie”, m’assura Jean-Marie. Une rencontre fut organisée et Jean-Pierre se montra prêt à m’accompagner sur scène. Il m’impressionnait beaucoup.
C’était
en partie réciproque, puisque nous nous sommes vouvoyés pendant longtemps, jusqu’à ce que ma grande amie brésilienne Léna, qui travaillait avec moi et m’accompagnait partout, décrète qu’elle en avait assez de ce vouvoiement et que désormais le tutoiement entre nous
serait
obligatoire.
À ma
stupéfaction, Jean-Pierre
appréciait
mes musiques car, selon lui, elles n’étaient pas “ carrées”. J’entendais pour la première fois ce qualificatif à propos d’une mélodie et je crus vaguement
comprendre
sortais plus ou moins
que, comme
je n'étais pas musicienne,
des clous d’une
je
certaine tradition musicale.
Petit à petit, Jean-Pierre prit aussi la relève de Charles Blackwell à qui je dois tant de belles orchestrations.
Comme
ma
relation avec
Jacques avait commencé en septembre 1967, j'avais envie d’être plus souvent à Paris, ne voulant pour rien au monde revivre les affres
perpétuelles
que
la relation
entre Jean-Marie
et moi
avait
connues à cause des séparations incessantes dues à nos obligations professionnelles respectives. Je fis aussi la connaissance de Serge Gainsbourg qui deviendrait un ami cher. Chez un éditeur, je découvris un instrumental américain très accrocheur, 1t hurts to say good-bye. En le réécoutant chez moi, j’eus la conviction qu’il pourrait faire une très bonne chanson mais je ne me sentais pas capable de trouver un texte à la hauteur. 86
Mon
agent de l’époque d’adaptation
me suggéra de faire appel à Serge et
était
l’auteur-compositeur
le
qui
n’écrivait
pas
plus
demandé
par des interprètes de la dimension de Juliette Gréco.
Il
me reçut chez lui et, quand il entendit l’instrumental, accepta de s’attaquer au texte. Je me souviens du coup de fil que je reçus dans la chambre de l’Hôtel Savoy où je me produisais le soir devant un public très “sélect”. Il me lut le début de son texte et me proposa de venir me voir à Londres. J’étais évidemment emballée par son jeu si ingénieux et original avec des sonorités en x. Par ailleurs, il me
semblait indispensable
de garder fidèlement l’orchestration de
l’instrumental et impossible de demander un travail aussi ingrat à Charles Blackwell. Ce fut donc Jean-Pierre Sabar qui s’en chargea et Comment te dire adieu ? eut un succès immédiat. Voici les chansons de mon cru qui figurèrent sur le même ainsi qu’une chanson de single sortie cette année-là.
La mer, les étoiles et le vent Texte et musique : Françoise Hardy.
c’est drôle, on croit aimer la mer
la mer on n’en voit pas le fond la mer on n’en voit pas la fin et toi c’est plutôt le contraire toi tu ne caches aucun mystère c’est drôle, on croit aimer le vent
le vent ne vous obéit pas à son gré il vient et il va tu ne ressembles pas au vent toi qui t’attaches à tous mes pas 88
album
et l’on croit aimer les étoiles elles sont loin et elles brillent et l’on croit rêver aux étoiles
comme
on rêve à l’inaccessible
que de distance entre elles et toi ce sont des choses qu’on ne dit pas que je ne devrais pas te dire depuis que je te vois sourire la mer, les étoiles et le vent
je ne les aime plus autant...
À quoi ça sert? Texte et musique : Françoise Hardy.
comme toi j’ai un cœur qui ne peut rien promettre à qui l’amour fait peur mais qui t’aime peut-être
à quoi ça sert de le cacher? à quoi ça sert d’y échapper? je n’ai rien à t’offrir
que ce que mes yeux voient tu ne veux pas souffrir mais qui ne souffre pas? à quoi ça sert de l’éviter ? à quoi ça sert de t’en aller?
89
à rester dans ta tour d’ivoire en broyant du rose ou du noir tout seul, tout seul...
comme on n’est pas très malheureux on oublie qu’on n’est pas heureux tout seul, tout seul
je n’ai que les étoiles et rien d’autre pour toi si l’on doit se faire mal c’est la vie qui veut ça à quoi ça sert de rester seul? à quoi ça sert de vivre seul, tout seul ? À quoi ça sert ? a été inspiré par l’intuition aussi confuse qu’incertaine que mon attirance secrète pour Jacques était plus ou moins partagée. Face à son mutisme, j’en arrivai à me demander si je ne lui faisais pas un peu peur. Était-il effrayé par le pressentiment que je ne serais pas l’aventure d’un soir? Ou
craignait-il que je l’envoie promener,
exactement comme m’arrêtait la peur de sa réaction négative si je tentais le moindre pas vers lui? Le texte d’À quoi ça sert ? exprime ce que j'étais incapable de lui dire de vive voix. Il était toujours entouré de copains avec lesquels il s’amusait beaucoup, mais, pour moi, être seul revenait à ne pas partager sa vie avec quelqu’un qu’on aime. À la fin des répétitions qui précédaient les spectacles, Jean-Pierre Sabar me présentait ses idées de réalisation pour la chanson. Il mit un peu de temps avant de trouver le jeu pianistique formidable qui avec les cordes donne le relief voulu à la montée mélodique du pont de cette belle chanson. Cette année-là, sortirent deux single avec une adaptation et trois titres originaux: le premier avec La terre et Ÿ’ai fait de lui un rêve, 90
deux chansons dont je tire une grande fierté ainsi qu’Avec des si, que j’écrivis quand je me mis à désespérer qu’il se passe un jour quelque chose avec Jacques tellement nous avions un effet paralysant l’un sur l’autre. Sur le second single, il y avait Au fil des nuits et des journées, Il voyage et L'heure bleue.
J'ai fait de lui un rêve Texte et musique : Françoise Hardy.
j'ai fait de lui pour ne plus et je vis dans sans souvent
un rêve en souffrir mon rêve en sortir
d’autres que d’autres que je reste dans sans bien les
lui s’en viennent lui s’en vont mon rêve voir au fond
j'ai fait de lui un rêve qui m’empêche de sentir l'amour ou bien la peine je ne sais plus souffrir d’autres que lui s’en viennent d’autres que lui s’en vont je ne veux pas qu’ils m’aiment mon
cœur
est en prison
mais quand je l’aperçois 91
mon rêve disparaît j'ai mal comme une fois car mon espoir renaît avec mon désespoir j'ai fait de dont il est car je fais un peu de
lui un rêve loin parfois dans mon rêve cinéma
d’autres que lui s’en viennent je ne les retiens pas ils veulent briser mon rêve mais n’y arrivent pas... Malgré la date d’enregistrement, la chanson a sans doute été faite en 1967 quand je n’arrivais pas à me remettre de l’aimantation exercée sur moi à son insu par le beau jeune homme déjà mentionné. Belle mélodie, bon texte et magnifique orchestration de Jean-Pierre Sabar. Jean-Pierre écrivait des cordes géniales et le son que réussissait à obtenir Bernard Estardy dans son petit et désormais légendaire
studio CBE était parfait.
Avec des si. Texte et musique : Françoise Hardy.
si vous aviez été plus terre à terre si je vous avais moins intimidé si vous naviguiez moins dans de trop hautes sphères
si vous ne cachiez pas tout ce que vous sentez 92
moi si j’avais été moins romantique et si vous m’aviez moins impressionnée si nous avions osé mettre nos rêves en pratique si nous avions osé une fois nous parler avec des si... si... si... si l’on s’était moins fié aux apparences car vous et moi vivions avec des gens qui ne nous intéressaient pas beaucoup je pense mais c’était du contraire que nous faisions semblant si nous avions moins plaisanté ensemble de ce qui nous tenait le plus à cœur mais vous êtes comme moi et moi je vous ressemble c’est de cette façon que nous nous faisions peur avec des si... si... si... en bref, si nous avions été tout autres
nous ne nous serions sans doute pas aimés nous n’aurions pas perdu par notre propre faute tant de temps pour un geste que nous n’avons pas fait avec des si... si... si...
Ouverts
ou fermés
Texte et musique : Françoise Hardy.
ouverts ou fermés mes yeux ne voient que toi vide ou occupée 93
ma tête ne pense qu’à toi à vif, prisonnier mon cœur n’aime que toi seule à en pleurer car je ne veux que toi
ouverts ou fermés tes yeux ne me voient pas vide plus qu’occupée ta tête ne pense pas insouciant, léger ton cœur s’en vient, s’en va
trop sollicité qu’as-tu à faire de moi? et si et si
qu’ai-je à faire de tout c’est pour moi toute seule ? qu’ai-je à faire de tout ce n’est pas pour nous ?
tu dois t’en douter mais au fond tu t’en fous qu’ouverts ou fermés mes yeux te voient partout qu’à vif, prisonnier mon cœur devenu fou cherche sans trouver quelqu’un qui te ressemble.
94
La terre Texte et musique : Françoise Hardy.
la terre me semble grise et allez donc savoir ce qui fait qu’elle est grise est-ce elle? est-ce mon regard? ou encore la couleur du soir? la terre est grise la terre me semble triste ne l’ai-je pas vue gaie? est-ce moi qui vois triste ou elle ? qui a changé ? elle ou moi? ou tout ce qui est entre? la terre est grise la terre est triste la terre va sembler noire
quand descendra la nuit la terre sera-t-elle noire ou n'est-ce que la nuit? ou mes yeux qui voient noir quand tu dis que tout est triste que tout est gris que tu t’ennuies... Peu de gens
connaissent La terre, alors que la mélodie
m'ont toujours semblé particuliers et intéressants.
95
et le texte
C’est lui qui dort Texte et musique : Françoise Hardy.
les veux fermés, il ne dit rien et je ne sais pas s’il est bien si près de moi et pourtant loin, si loin c’est lui qui dort et c’est moi qui veille de moi à lui où en est-il se prête-t-il, c’est lui qui
j’ai fait le pas de lui à moi? ne se donne-t-il pas? dort mais c’est moi qui rêve
je ne tiens plus qu’à ce souffle, ce visage cet instant pour qui mon cœur a déjà fait naufrage et qui lui feront mal longtemps un mot lui faire je crains c’est lui
de moi peut tout changer peur ou le faire rester sa fuite, c’est pourquoi je me tais qui dort car c’est moi qui aime...
1970-1974
1970
Cette année-là sortit un nouvel album avec une pochette magnifique de Jean-Marie. Elles l’étaient toutes, mais à l’intérieur de celle-ci il
y avait en prime des photos exceptionnelles. On trouvait dans cet album des chansons déjà sorties en single en 1969, ainsi que des adaptations,
dont
celle d’une
chanson
américaine
que
j'intitulai
Soleil et qui eut beaucoup de succès. L’orchestration avec des cordes très belles était de Saint Preux et l’enregistrement eut évidemment lieu dans le studio de Bernard Estardy. J’avais fait la connaissance de Patrick Modiano en 1968, je crois, grâce à la chanson Étonnez-moi Benoît, que j'avais enregistrée et dont il était l’auteur. Pour l’album de 1970, il écrivit un texte amusant et inspiré,Je fais des puzzles, sur une musique de Tommy Brown et Mickey Jones: l’orchestration de Jean-Pierre en était exceptionnelle avec des cordes, une basse et une batterie incroyables, aussi ou encore plus modernes
que ce
qu’on entend aujourd’hui. La seule chanson composée et écrite par moi n’ayant pas figuré sur des single en 1969 était Point. Elle se basaït sur des jeux de mots plus ou moins heureux autour de ce mot, mais la mélodie était accrocheuse et rock. Mickey Jones et Tommy
Brown la produisirent.
Sur une musique 99
originale de ces
deux talentueux musiciens,
il y avait aussi un texte, Fleur de lune,
inspiré par La dame au blanc visage, un conte qui m'avait fascinée dans
mon
enfance
et qui se trouvait dans
Les contes verts de ma
Mère-Grand.
Point Texte et musique : Françoise Hardy.
point je n’en ai qu’un c’est ce qui m’inquiète car il me met bien mal en point et il me tient fort comme un point faible sait faire à ce point c’est un point pas acquis un point noir dans ma vie jamais un point d'appui point pour faire le point j'essaie de l’interroger plus ou moins c’est en vain
de point en point je tourne en rond 100
point d’interrogation point sensible qui fait mal et pourtant point vital et peut-être point final point je n’en ai qu’un c’est ce qui m’inquiète car il me met bien mal en point et il me tient fort comme un point faible sait faire à ce point.
Tu ressembles à tous ceux qui ont eu du chagrin. Texte et musique : Françoise Hardy.
tu ressembles à tous ceux qui ont eu du chagrin mais le chagrin des autres ne m'intéresse point parce que les yeux des autres sont moins bleus que les tiens
et comme tous les gens qui ont eu du chagrin ton visage souvent a l’air dur et lointain 101
mais le visage des autres est moins beau que le tien
à cause d’un regard, à cause d’un chagrin je voudrais dire “ je t’aime ” et je voudrais dire “ viens ” mais ce n’est pas possible d’être sûre du bien ni du mal qu’on va faire, alors je ne dis rien j'aurais peur moi aussi de te faire du chagrin et pourtant aujourd’hui c’est à toi que je tiens et pourtant toi aussi peux me faire du chagrin
parce que les yeux des autres sont moins bleus que les tiens. Étrangement, ce texte m’a été inspiré par Jacques. Il me semblait, peut-être à tort, qu’il y avait en lui une souffrance intérieure qu’il
dissimulait
provocatrice,
derrière
une
désinvolte, voire
attitude
de
façade
cruelle. Encore
plus
ou
moins
aujourd’hui,
je suis
bluffée par cette chanson, en particulier par ce que je chante dans le pont (à cause d’un regard..….). Mais dans ma mémoire qui, comme toute mémoire, n’est pas toujours fiable, l’inspiration est venue de mes sentiments pour lui, avant que notre relation ne commence — courant 1967 donc. C’est d’ailleurs ce que confirme le texte. Les yeux bleus ne pouvaient être que les siens!
102
Un petit sourire, un petit mot. Texte et musique : Françoise Hardy.
les gens qui t’appelaient au secours et à qui tu ne répondais rien maintenant que c’est à toi le tour c’est normal qu’ils te laissent dans ton coin
les gens qui avaient besoin de toi d’un petit sourire, d’un petit mot tu planais, tu ne les voyais pas c’est normal qu’ils te tournent le dos tu planais, ton amour était rose tu planais, ne voulant rien savoir rien du monde, ni des gens, ni des choses et tu restes avec tes idées noires les gens, ils ont tous leurs petits drames
ça ne leur laisse pas beaucoup de temps pour s’occuper de tes états d’âme garde-les pour toi, fais comme avant oui, toi qui ne te souciais de rien qui trouvais les gens bêtes et pas beaux tu sauras que ça peut faire du bien un petit sourire, un petit mot... Je m’adressais en partie à moi-même dans cette chanson. J’avais pris conscience
qu'être
amoureuse
m’occupait
tellement
l’esprit
et le
cœur que je ne voyais pas ce qui se passait autour de moi, et je me 103
le reprochais. Mais l'inspiration a souvent plusieurs sources et c’est le cas ici.
Fleur de lune Texte : Françoise Hardy. Musique : Tommy Brown et Mickey Jones.
suis-je la fleur de lune ou bien l’eau qui dort? je suis née dans une brume là où le vent vient du nord suis-je l’herbe sauvage ou le ciel de pluie? viens te prendre à mon mirage
te noyer dans mes yeux gris ou que tu sois je t’appelle je sais que tu m’entends je sais qu’il faudra que tu viennes
ma cage est grande ouverte et ma prison t’attend suis-je l’étoile ou l’algue suis-je le faux-semblant ? viens t’enrouler dans mes vagues elles ont comme un goût de sang ou que tu sois je t’appelle je sais que tu m’entends je sais qu’il faudra que tu viennes
ma cage est grande ouverte et ma prison t’attend 104
suis-je la fleur de lune ou bien l’eau qui dort? suis-je l’herbe sauvage ou un ciel de pluie? viens dans mon mirage au fond de mes nuits. En
1970
d’albums
sortit
aussi un
précédents
album
qui mélangea
avec des chansons
des
originales
titres
à succès
qui avaient
été
des single: y figuraient Au fil des nuits et des journées, Avec des si... Il voyage, F’ai coupé le téléphone, L'heure bleue.
Au fil des nuits et des journées Texte et musique : Françoise Hardy.
les gens et les endroits défilent et comme
toi, se laissent aller
à vieillir plus ou moins dociles au fil des nuits et des journées de ces journées où tu t’ennuies où tu te sens découragé nuits sans désir jours sans envie où rien ne peut plus arriver faudrait-il te prendre la main? faudrait-il que vienne quelqu'un?
105
quelqu’un ce que tu quelqu'un ce que tu
qui te ne sais qui te ne sais
fasse plus fasse plus
regarder que voir écouter qu’entendre
mais personne ne veut arriver et tu vieillis sans rien attendre
au fil des nuits et des journées que tu n’essaies plus de comprendre.
Il voyage Texte et musique : Françoise Hardy.
lorsque vous lui parlez il ne vous répond pas
il semble vous regarder vous croyez qu’il écoute. ses yeux sont là sur vous mais vous n’y verrez pas ce qu’il pense de vous croyez-vous qu’il y pense? ou bien vous marchez dans la rue il vous lâche le bras et ni vu niconnu
il disparaît, il n’est plus là et vous allez souffrir car même
s’il revient
un seul de ses sourires 106
et c’est, je crois,
le piège dont on ne sort point voyez-vous, il voyage et il n’a pas besoin de vous là-haut sur son nuage il voyage ou bien vous flottez dans vos rêves le cœur contre son cœur quand voilà qu’il se lève en confisquant vos tout à l’heure et vous allez souffrir car même s’il revient sans lui, sans son sourire
votre ciel crève autour du soleil qui s’éteint voyez-vous, il voyage a-t-il seulement besoin de vous ? là-haut sur son nuage il voyage. — 1969-1989.
Vingt ans plus tard, je réenregistrai ce titre avec Erdal Kizilcay qui en fit une sorte de marche militaire regrettable, mais avec un bien meilleur son. Cette reprise m’obligea à écrire un troisième couplet, car en 1989 les chansons duraient plus longtemps qu’en 1969.
107
L’heure bleue Texte et musique : Françoise Hardy.
c’est l’heure que je préfère on l’appelle l’heure bleue où tout devient plus beau plus doux, plus lumineux c’est comme un voile de rêve qu’elle mettrait devant les yeux cette heure bien trop brève et qui s’appelle l’heure bleue c’est une heure incertaine c’est une heure entre-deux où le ciel n’est pas gris même quand le ciel pleut je n’aime pas bien le jour le jour s’évanouit peu à peu la nuit attend son tour cela s’appelle l’heure bleue le jour et tu te dans le l'heure
t’avait pris promènes soir de Paris bleue te ramène
c’est l’heure de l’attente quand on est amoureux attendre celui qu’on aime il n’y a rien de mieux quand on sait qu’il va venir 108
c’est le moment le plus heureux et laissez-moi vous dire que ça s’appelle l’heure bleue oui laissez-moi vous dire comme j'aime l’heure bleue. Petite chanson très réussie et joyeuse — pour une fois! — qui me plaît bien. Elle doit beaucoup au génial piano de Jean-Pierre Sabar.
J’ai coupé le téléphone Texte et musique : Françoise Hardy.
j'ai coupé le téléphone et je reste dans mon lit je dors, je rêve ou je lis dans mon lit je n’ai besoin de personne j'ai aussi fermé la porte qu’on soit l’hiver ou le printemps j'ai fermé la porte au temps aux intempéries de toutes les sortes je n’ai besoin de personne pour parler pour ne rien dire pour prouver que je suis meilleure ou pire je n’aimais qu’une personne mais rien 109
plus rien en moi ne l’étonne
non... J'aime bien aussi cette chanson...
Elle a été enregistrée
au studio
CBE avec Bernard Estardy qui savait traiter les voix aussi bien dans les retours de casque, lors de l’enregistrement, que dans les mix et qui,
comme
moi,
aimait
l’“écho”
sur la voix.
C’est lui qui,
à ma
demande, siffla le pont sur lequel je n’avais rien écrit.
1971 Courant
capitale
1968,
du
je donnai
Zaïre,
mon
ex-Congo
dernier
belge.
tour
Mon
de
chant
manager
à Kinshasa,
souhaitait
que
j'arrête les tournées et me consacre davantage à des enregistrements pour la France et d’autres pays. À la suite de deux procès, il n’était pas question de signer à nouveau
chez Vogue. La société Hachette
venait de créer un label de distribution discographique, Sonopresse, et nous obtîinmes d’excellentes conditions pour que je sois en mesure de financer mes enregistrements et en reste propriétaire. Léna, dont j'avais fait la connaissance la chanson et nous
où
à Rio, sa ville natale, lors d’un festival de
elle avait été mon
sortions
souvent
hôtesse,
ensemble.
Un
était venue
vivre à Paris
soir, elle m’emmena
dans
un petit restaurant brésilien sur les quais, près de l’Hôtel de Ville, La Feijoada, où se produisait, seule avec sa guitare, son amie Tuca. Je fus éblouie par les chansons, en particulier par celle en français, Même sous la pluie, et je lui fis part de mon vif désir de l’enregistrer. Hélas, la chanson était déjà réservée par une chanteuse que je ne connaissais
devinmes
pas. Mais, à la suite de cette soirée, Léna, Tuca
inséparables.
De
album de ses compositions
fil en aiguille, je fis avec Tuca
et moi
tout un
à elle et pus écrire le texte en français 110
sur trois d’entre d’elles:
Oui, je dis adieu, La
Question
et Mer. Ne
comprenant rien au portugais, je gardai juste les titres et réussis de beaux
textes, directement
inspirés par le tour douloureux
qu'avait
pris ma relation avec Jacques. Cet album me donna le sentiment de gravir un échelon et je le considère encore comme l’un de mes meilleurs.Y figure aussi Doigts, la mélodie dont je tire la plus grande fierté, et que Tuca m’encouragea à enregistrer sous sa direction.
La question Texte : Françoise Hardy. Musique : Tuca.
je je je et
ne sais pas qui tu peux être ne sais pas qui tu espères cherche toujours à te connaître ton silence trouble mon silence
je ne sais pas d’où vient le mensonge est-ce de ta voix qui se tait ? les mondes où malgré moi je plonge sont comme un tunnel qui m’effraie de ta distance à la mienne on se perd bien trop souvent et chercher à te comprendre c’est courir après le vent je ne dans je ne dans
sais pas pourquoi je reste une mer où je me noie sais pas pourquoi je reste un air qui m’étouffera 111
tu es le sang de ma blessure tu es le feu de ma brûlure tu es ma question sans réponse mon cri muet et mon
silence.
Mer Texte : Françoise Hardy. Musique : Tuca.
mer mon cœur pèse des tonnes et mon corps s’abandonne si léger à la mer la mer pleure ses vagues
qui ont un goût de larmes et s’en vont éphémères se perdre en la terre se fondre à la terre
mer magique, originelle dans son rythme essentiel le ventre de la mer
vous garde pour vous jeter dans un monde
desséché
qui n’est fait que de terre où je n’ai jamais su ce qu'il faut faire 112
et la vague danse et joue puis se brise et la mer tout à coup devient grise mon amour est si lourd à porter je voudrais doucement me coucher
dans la mer magique, originelle dans son rythme essentiel je voudrais que la mer
me reprenne pour renaître ailleurs que dans ma tête ailleurs que sur la terre où sans mon amour je ne peux rien faire.
Doigts Texte et musique : Françoise Hardy.
quand je t’apprends sur le bout de mes doigts ah! que ne suis-je mes doigts qui jamais ne se lassent je te connais sur le bout de mes doigts ah! que n’es-tu ce qu’ils croient juste un peu de surface
113
viens, apprends-moi sur le bout de tes doigts ah! que n’es-tu que tes doigts dont les marques s’effacent.… Je fus
très heureuse
quand
Greg
Gonzalez,
le leader
du
groupe
Cigarettes after sex dont j’adore la musique, m’apprit que c’était la chanson de l’album qu’il préférait.
Oui, je dis adieu Texte : Françoise Hardy. Musique : Tuca.
oui, je dis adieu ni ta vie, ni ton chemin
ta maison ou tes moments ne me disent plus rien avec toi je suis si seule toujours triste rien à faire avec toi tous mes sourires ont toujours un goût amer avec toi la vie est pleine de saudades tout le temps ça ne me dit plus rien
cette perte de mon temps oui, je dis adieu ton théâtre et ton tes faiblesses et ta ne me disent plus avec toi je ne suis
vide fatigue rien plus 114
que perdante ou bien perdue avec toi tous mes amis ne sont plus là aujourd’hui avec toi chaque jour passe sans avenir ni présent ça ne me dit plus rien cette perte de mon temps... J'ai hésité à mettre Oui, je dis adieu que je considère comme une adaptation plus que comme un texte original, car Tuca m'avait fait comprendre son texte que j’ai en partie traduit.
1972
Avec L’heure bleue, F’ai coupé le téléphone, Un petit sourire, un petit mot, il me semblait être allée dans une direction musicale différente, et
j'avais envie de faire un album qui y aille davantage encore avec des mélodies plus ou moins rock and roll ou bluesy dont la rythmique ne pouvait être faite qu’à Londres. J’ai oublié comment ce fut Tony Cox, un jeune musicien-producteur, devenu introuvable, à qui échut cette responsabilité, mais pas la façon dont cela se passa.
Ce fut la première fois que j’eus affaire à quatre musiciens qui, à partir de mes maquettes plus que sommaires, restèrent longtemps à chercher pour finalement jouer des rythmiques dont certaines — L'éclairage,
Où
est-11?, La
berlue, Le soir, Prisons — me
encore bluffantes. J’écrivis tous les textes
et composai
paraissent
toutes les
musiques sauf celle de Cafard, offerte par Jacques (Dutronc), et de Bowm Bowm Bowm, composition de mes chers Tommy Brown et Mickey Jones qui la produisirent en même temps que Et si je m'en 115
vais avant toi, qui conclut cet album dont, aujourd’hui encore, je
tire une grande fierté.
L’éclairage Texte et musique : Françoise Hardy.
je me lève péniblement j’enfile ma paire de vieux jeans quand je me brosse les dents la glace renvoie ma bonne mine je me pince un peu les joues ça manque de vitamines l'éclairage est en d(e)ssous d’tout faudrait le changer je fais le lit succinctement et un litre de thé de Chine que je vais boire bien brûlant sucré à la saccharine je regarde le paysage toujours couleur naphtaline décidément l’éclairage faudrait le changer.
Pardon Texte et musique : Françoise Hardy.
pardon je ne dis pas bonjour 116
je ne suis pas toujours ici mais ailleurs
ne le prenez pas à cœur je suis ailleurs, je suis chez lui quand on connaît chez lui — sans vouloir vous offenser — c’est dur de n’y pas penser
chez lui il ne fait pas très clair plus d’une fois je perds la tête à force de me cogner la tête à force de le chercher pardon je ne dis je passe si je suis ne m’en
pas bonsoir sans vous voir ailleurs tenez pas rigueur
je suis ailleurs, je suis chez lui sans connaître chez lui — sans vouloir vous faire de peine — difficile qu’on me comprenne chez lui 117
pourtant il y fait noir et je voudrais bien voir sa tête car très souvent je perds la tête à chercher la lumière pardon je ne dis pas bonjour.
La berlue Texte et musique : Françoise Hardy.
pour voir l’intérieur de ma tête ses eaux plates, ses tempêtes et ses idées reçues pour voir l’intérieur de mon âme ses minuscules
drames
ses états mal vécus
pour voir l’intérieur de mon cœur
ses films et ses erreurs et son peu d’étendue pour voir l’intérieur de ma tête 118
il te faut des lunettes car tu as la berlue.….
Bruit de fond Texte et musique : Françoise Hardy.
il je il je
me lui me lui
parle parle parle parle
des autres de lui d’ailleurs d’ici
et je parle et mais lorsque ou bien il ne ou répond à
je parle vient son tour dit rien côté
et il est mon mur de pierre et je suis son bruit de fond comme je sais très mal ce qui lui fait du bien souvent je suis en train de lui faire du mal je il il et
veux le est déjà veut me empire
retenir parti faire plaisir les choses
et il est mon mur de pierre et je suis son bruit de fond...
119
Le soir Texte et musique : Françoise Hardy.
dans la tiédeur du soir calme le parfum des fleurs qui se fanent se fond dans le vent te grise doucement et tu ne sais pas si tu t’ennuies tu peux compter les étoiles
tu peux écouter la cigale l’eau de la fontaine à son chant se mêle mais tu te demandes
si tu t’ennuies
tu te balances entre tes rêves tes habitudes et ta folie
tu voudrais savoir où s’achève et où commence ta nostalgie la nuit attend tu reposes l’odeur de l’encens des lis, des roses se fond dans le vent te grise doucement tu sais maintenant que tu t’ennuies.….
120
Le
soir révèle
l’influence
qu’eut
sur
moi
la musique
Brothers.
Cafard Texte : Françoise Hardy. Musique : Jacques Dutronc.
je m’étire les yeux à j'aperçois qui brille
et je fume demi clos le clair de lune derrière mes carreaux
un peu de vin d’orange me réchauffe le sang me fait voir passer des anges c’est une façon de tuer le temps de tuer le cafard les idées noires de tous les soirs
un ou deux somnifères seront-ils suffisants pour passer la nuit entière à dormir en me foutant de ne pas pouvoir ne pas le voir ni lui dire bonsoir.
121
des
Everly
Où est-il? Texte et musique : Françoise Hardy.
je l’ai vu posé sur le lit était-ce hier ou aujourd’hui? c’est bête d’être aussi étourdie où est-il? où est-il? où est-il? et bien qu’il soit un il est visible à mon serais-je atteinte de où est-il? où est-il?
peu petit avis myopie ? où est-il ?
pour une seconde d’inattention de négligence, de distraction on perd des choses ou sa raison j'ai sans doute un trou de mémoire doublé d’un mal au cœur bizarre — bizarre — il faut que je cesse de boire où est-il? où est-il? où est-il ? Peut-être la chanson que je préfère de l’album. Elle me fait rire et ce qui se passe derrière est formidable.
Prisons Texte et musique : Françoise Hardy.
malgré parfums et abat-jour 122
livres précieux, étoffes rares la nuit même en plein jour divans profonds, philtres bizarres où je tourne en rond
c’est drôle comme ils sont lourds ce cœur et ce corps qui m’alarment c’est drôle qu'après je coure quand déjà je me désincarne c’est drôle toutes ces prisons où moi je tourne en rond où toi tu tournes en rond c’est drôle toutes ces prisons.
Quand mon amour va prendre l’air Texte et musique : Françoise Hardy.
quand mon amour va prendre l’air c’est aussi pour 123
changer le mien il ne voudrait pas m’asphyxier et il sait qu’à sans cesse le respirer on ne sait plus l'air que l’air a alors sans rien dire il s’en va mais même
si l’air du dehors est doux il vient toujours le moment où quand même l'air du dehors n’est plus tout et la fenêtre ouverte sur le monde ne vaut pas celle fermée sur mon amour
quand mon amour va prendre l’air c’est aussi pour changer le sien je ne voudrais pas l’asphyxier mais je sais qu’à sans cesse vouloir en changer on ne sait plus l'air qui vous va et sans rien dire je reste là. C'était ma façon d'interpréter les fréquentes absences et disparitions de Jacques qui rendaient si difficile ma relation avec lui.
124
Ma vie intérieure Texte et musique : Françoise Hardy.
ma vie intérieure vous ressemble comme votre œil vert à votre œil gris elle me mine et il me semble qu’elle me coupe l’appétit elle me fait l’esprit absent et attentif à autre chose qu’à ce qui se passe vraiment j'ai l’œil fixe et l’air morose ma vie intérieure a vos yeux votre bouche, votre nez, vos mains on a la vie intérieure qu’on peut mais la mienne ne m’avance à rien qu’à me faire blanchir trois cheveux à tout me faire prendre en horreur je ne dors plus comme je veux
malgré mon acupuncteur j'aime bien les voyages qu’on fait à deux chez soi
alors ouvrez ma cage si ça ne vous plaît pas ma vie comme elle me qu’elle elle me
intérieure vous ressemble votre œil gris à votre œil vert mine et il me semble me met le cœur à l’envers fait tant de nuits blanches 125
qui ne laissent éveillée que moi que plus ça va et plus je flanche malgré les cours de yoga...
Bowm bowm bowm Texte : Françoise Hardy. Musique : Mickey Jones et Tommy Brown.
seule sur un rocher dans le soleil couchant j'ai fait bowm bowm bowm
le bruit des vagues mêlé au bruit du vent faisait bowm bowm bowm et même si les vagues et le vent couvraient ma voix faisant bowm bowm bowm le dieu de la mer m’exaucera
bowm bowm bowm
j'avais pris des roses pâles pour nous deux j'ai jeté en offrande au dieu
de la mer avec mes vœux les pétales pour nous bowm bowm bowm 126
rien que des fleurs et deux ou trois rubans peut-être bowm bowm bowm
et nous serons bien plus forts que le temps peut-être bowm bowm bowm
rien que des vœux que l’on fait en priant comme ça bowm bowm bowm et quelque part quelqu’un les entend tu sais bowm bowm bowm Le texte assez spécial de Bowm
bowm bowm rapporte fidèlement un
rituel brésilien que mon amie Léna m'avait indiqué lors d’un séjour à Rio et que je pratiquai une fois, après m'être purifié le corps avec une décoction de pétales de roses. Il fallait trouver un rocher de la baie de Rio, pour offrir au dieu de la mer un bouquet de roses noué par des rubans d’une couleur particulière. Ce poétique rituel m’enchanta. Est-il utile de préciser que l’objectif était que ma vie sentimentale devienne un peu plus heureuse ?
127
Et si je m’en vais avant toi Texte et musique : Françoise Hardy.
et si je m'en vais avant toi dis-toi bien que je serai là j'épouserai la pluie, le vent le soleil et les éléments
pour te caresser tout le temps l'air sera tiède et léger comme tu aimes et si tu ne le comprends pas très vite tu me reconnaîtras car moi je deviendrai méchante j'épouserai une tourmente pour te faire mal et te faire froid l'air sera désespéré comme ma peine et il le et et
si pourtant tu nous oublies me faudra laisser la pluie soleil et les éléments je te quitterai vraiment je me quitterai aussi
l'air ne sera que du vent comme l’oubli.
128
C’est le premier de mes textes qui évoque la possibilité de mourir avant l’être aimé. Tous orange”
les textes à cause
de de
cet album, la superbe
longtemps pochette,
désigné
sont
par “album
révélateurs
de
ce
par quoi je passais à cette époque-là, qui serait mon lot pendant si longtemps.
En
1972,
sortit
aussi
un
album
pour
l’Angleterre
avec
des
reprises de titres américains ou anglais plus ou moins connus, choisis avec mon accord par Tony Cox et réalisés par lui. Tel un cheveu sur la soupe, y figurait une chanson pas extraordinaire dont j'avais fait texte et musique: Brülure.
Brüûlure Texte et musique : Françoise Hardy.
une pluie un soleil a surgi
qui a séché ma pluie il m'a brûlée aussi une nuit
un éclair a jailli illuminant ma nuit
il m'a brûlée aussi une vie un amour lui survit 129
MESSAGE PERSONNEL
FRANÇOISE HARDY
il réchauffe ma vie et il me brûle aussi seule sans lui
douce est pourtant la pluie fraîche comme
avant la nuit
mais elle me brûle aussi...
1973 Après
l’échec
commercial
de mes
deux
derniers
albums
pourtant
originaux et forts, je n’avais plus de contrat avec Sonopresse, plus de manager,
et ne savais trop vers qui me tourner. Informé, Jean-
Marie décréta que je devais travailler avec Michel Berger. Depuis sa sortie en 1972, j'écoutais sans cesse le premier album de Véronique Sanson
qu’il
belle chanson
avait
coproduit
avec
elle, et je me
souvenais
de
la
Quand on est malheureux qu’il avait écrite, composée
et produite pour une certaine Patricia quelques années plus tôt. Autrement dit, Michel Berger m’impressionnait tellement que j’étais incapable de le contacter. Jean-Marie s’en chargea et Michel accepta de produire mon futur album en me prévenant d’emblée qu’il ne pourrait composer qu’une ou deux chansons — je crus comprendre par la suite qu’il était accaparé par la fin de l’enregistrement de son premier album que j’allais adorer et écouter un nombre incalculable de fois. Je le revois encore arrivant chez moi, au 10 de la rue Saint-
Louis-en-l’Île, s’installant au piano pour jouer et chanter — sans la partie parlée qu’il me demanda d’écrire — ce qui deviendrait Message personnel. Je perçus instantanément le potentiel très au-dessus de la moyenne de cette chanson qui n’avait pas encore de titre. C’est moi 131
qui dus le trouver, une fois le texte parlé écrit, et cela me prit trois jours pleins où je ne pensais qu’à ça.
Message personnel Texte parlé écrit par Françoise Hardy sur une musique de Michel Berger.
au bout et il y a tous ces qui sont je et je je
du téléphone, il y a votre voix les mots que je ne dirai pas mots qui font peur, quand ils ne font pas rire dans trop de films, de chansons et de livres
voudrais vous les dire je voudrais les vivre ne le ferai pas veux: je ne peux pas
je suis seule à crever et je sais où vous êtes j'arrive, attendez-moi, nous allons nous connaître.
préparez votre temps, pour vous j’ai tout le mien je je je je je
voudrais arriver reste me déteste n’arriverai pas veux: je ne peux pas
je devrais vous parler, je devrais arriver ou je devrais dormir
j'ai peur que tu sois sourd 132
j'ai peur que tu sois lâche j'ai peur d’être indiscrète je ne peux pas vous dire que je t’aime... peut-être... Taratata aura été une célèbre émission musicale de la télévision française. Dans celui du 2 novembre 2019, où se produisaient des artistes qui ont succédé à la vague yéyé et que j’admire beaucoup, l’animateur Nagui
amena Véronique
de
chansons
ses
plus
belles
Sanson
s’adressaient
à dire que
à Michel
plusieurs
Berger.
Elle
rappela que tel avait été leur seul moyen de communication, car elle n'aurait jamais osé lui téléphoner après la façon dont, alors qu’ils projetaient de se marier, elle avait disparu en partant aux USA avec Stephen Stills. Nagui avança que Michel lui avait, entre autres, fait une
déclaration
par
personne
interposée
dans
Message
personnel.
Véronique abonda dans ce sens, en précisant que je le lui avais dit. Or c’était impossible, puisque je l’ignorais. Lorsque Michel m'avait apporté cette partie chantée, Véronique n’était pas encore partie, du moins à ma connaissance, et même quand j’enregistrai la chanson, au dernier trimestre 1972, alors que ma grossesse tant espérée était en route depuis peu, je n’étais au courant de rien. Si j’avais su que Michel
passait par une
telle épreuve,
j’aurais mieux
compris
son
attitude fermée et peu engageante que je croyais due aux fautes rythmiques que je commettais sans m’en rendre compte dans le refrain et qui l’obligèrent à recourir à un choriste. Comme
les dates
s’emmêlent, il n’est finalement pas exclu que le texte chanté ait été inspiré par cette dramatique rupture. J’aime assez l’idée que Message personnel nous associe tous les quatre, Michel Berger, Véronique Sanson, Jacques Dutronc, auquel mon texte parlé s’adressait, et moi.
133
Pouce, au revoir Texte : Françoise Hardy. Musique : Jean-Pierre Castelain.
on fait tout beaucoup trop vite et pas bien on se prend et on se quitte c’est pour rien quand on voit tous les gens ils ne pensent qu’à l’argent ils sont de plus en plus bêtes et méchants moi aussi et je me sens si fatiguée je voudrais m’arrêter sur ton oreiller tous ces trains qui partent pour nulle part trop tôt, trop tard ça donne le cafard... je voudrais en finir arrêter de courir je voudrais pouvoir dire pouce, au revoir je voudrais me blottir dans tes bras et dormir je voudrais pouvoir dire pouce, au revoir on est mal et on a mal 134
tout le temps on se perd dans du banal dans du vent
les gens sont des moutons ils tournent tous en rond quoi qu’ils fassent ils savent
que leur compte est bon moi aussi et je me sens si fatiguée je voudrais m’arrêter sur ton oreiller tous ces trains qui partent pour nulle part trop tôt, trop tard ça donne le cafard. je voudrais en finir arrêter de courir je voudrais pouvoir dire pouce, au revoir. Quarante-sept ans plus tard, ce texte reste d’actualité…
On dirait Texte : Françoise Hardy. Musique : Jean-Pierre Pouret.
le ciel s’est couvert
tes yeux sont moins verts on dirait le ciel s’est caché tu t’es détaché 135
on dirait
et le ciel est comme toi indécis, ne sachant pas le ciel est tout gris soudain tu t’ennuies on dirait le ciel s’est fâché tu veux t’échapper on dirait et le ciel est comme
toi
fatigué et loin de moi et le ciel est comme toi indécis, ne sachant pas
fatigué et loin de moi le ciel change tout comme toi... Belle mélodie de Jean-Pierre Pouret que je n’ai fait que croiser, mais texte loin d’être l’un de mes meilleurs!
L’attente Texte : Françoise Hardy. Musique : Gérard Kawczynski.
lui il voudrait croire qu’il est libre il ferme la porte et s’en va sans me dire s’il reviendra
et voilà 136
moi je vais faire un tour en ville je rentre dans un cinéma et après, je ne sais pas
ça dépend des fois quelquefois je me promène j'attends, je traîne et je retourne chez moi lui il croit qu’aimer une fille c’est parfois comme être en prison et pour mieux voir l’horizon il s’en va moi
je n’me sens pas très utile en face de la télévision toute seule à la maison je ne tourne pas rond
quelquefois je change les draps j'appelle un tel et lui dis: “viens chez moi”. Autre belle mélodie, de Gérard Kawczynski cette fois, un guitariste qui
accompagna
quelques
grands 137
chanteurs
dont
Jacques.
J’ai
toujours
déploré
de ne pas avoir trouvé
mieux
— plus subtil, plus
élégant — que les dernières lignes, aussi éloignées que possible de ma réalité. Elles m’ont toujours gênée et me gênent encore.
1974 J'ai l'impression qu’il se passa au moins deux ans entre la sortie de l’album Message personnel et du suivant: Entracte. D'autant plus qu’entre-temps m'était arrivé le plus grand bonheur de ma vie, la naissance de Thomas le 16 juin 1973, et qu’à la rentrée 1974, Jacques, bébé Thomas
et moi emménageâmes
dans une grande maison que
j'avais eu beaucoup de mal à dénicher. Par-dessus le marché, était sorti un single avec une chanson de Michel Berger dont je n’aimais pas trop le texte — le titre surtout — %e suis moi. La face B était une mélodie à lui sur laquelle j’écrivis une sorte de resucée de ceux à mon actif: Demain, c’est hier.
Demain, c’est hier Texte : Françoise Hardy. Musique : Michel Berger.
demain, c’est hier
et tout s’en va et tout se perd entre le ciel, l’eau et la terre
je suis partout une étrangère demain, c’est hier
ou bien peut-être tout le contraire la tête au ciel, les pieds sur terre 138
je ne sais pas ce qu’il faut faire et rien, non, je ne sais rien!
comment
être bien
entre hier et demain? demain, c’est hier
et je te trouve et je te perds entre un été et un hiver comme j’ai aimé ton regard clair! demain, c’est hier
et je te trouve et je me perds de ton désert à mon désert j'hésite encore, je m’indiffère et loin, tu sembles si loin
je perds mon chemin entre hier et demain...
Superbes cordes de Michel Berger et Michel Bernholc. Revenons
à l’album Entracte. J’ignore pourquoi j’orthographiai
ce mot avec une apostrophe. L’avais-je vu ainsi écrit dans un vieux livre ou un vieux programme ? Toujours
est-il que ce titre résumait le propos du disque. Mon
intention — puérile, on ne se refait pas — était de rendre Jacques jaloux en racontant une aventure imaginaire d’un soir pour le réveiller un peu à mon sujet. Comme
il n’écoutait ni mes nouvelles chansons ni
les anciennes, il n’y avait aucune chance que j’atteigne peu ou prou
mon objectif. 140
Les
chansons
chronologique.
dont
j'ai écrit chaque
Ce soir évoque
texte
suivaient
un
ordre
l’excitation du premier rendez-vous
avec quelqu’un de nouveau qui plaît assez pour qu’on ait envie de lui plaire. J’appréciais beaucoup la musique et l’orchestration si efficace et moderne de Jean-Pierre Castelain. Quand je composais une mélodie, les mots me venaient en même temps, et quand mes limites de non-musicienne me poussèrent à renoncer à la composition, je ne pouvais écrire un texte qu’à partir d’une mélodie. Pas l’inverse. L’enchaînement logique avec Ce soir se devait d’évoquer les tout premiers émois amoureux. C’est le sujet de Merveilleux que j’écrivis sur une jolie mélodie de Gérard Kawczynski. La
plupart
des
orchestrateurs
de
cet
album
et
plusieurs
compositeurs avaient été amenés par Hughes de Courson, qui, quelques années plus tôt, avait tenté de me “placer” une chanson. Parmi toutes celles qu’il m’apporta, une seule me plut: Étonnez-moi Benott.
Patrick Modiano
en avait écrit le texte
surréaliste,
ainsi que nous fimes connaissance et entretinmes jeunesse que je qualifierai de loufoque.
une
Ce soir Texte : Françoise Hardy. Musique : Jean-Pierre Castelain.
ce soir, il y a quelqu'un
qui m'emmène dîner
pour m’arranger un peu je vais me faire les yeux ce soir, il y a quelqu'un que j’aim(e)rais regarder 141
et c’est
amitié
de
écouter de mon mieux car sans savoir ce qu’il veut ref. j'ai envie de lui plaire jai envie de lui plaire et j'ai peur qu’il me plaise je n’oserai rien faire je n’oserai rien faire je serai mal à l’aise
jai envie de lui plaire jai envie de lui plaire et j'ai peur qu’il me plaise qu’il me plaise je serai mal à l’aise ce soir il y a quelqu'un qui m’emmène dîner
pour m’arranger un peu je vais laver mes cheveux... ref. finir par: jai bien peur qu’il me plaise.
142
Merveilleux Texte : Françoise Hardy. Musique : Gérard Kawczynski.
me dire que c’est moi qui ai mis cette lumière dans ses yeux merveilleux
rougir à cause de ce qu’il dit et avoir peur de ce qu’il veut merveilleux et sentir battre un peu plus vite un cœur qui se croyait trop vieux merveilleux je voudrais le rencontrer
en cœur, en corps et en pensée je voudrais qu’il ait un visage
j'aimerais bien que dans la nuit souffle un ancien vent de folie balayant tout sur son passage.
Et voilà... Texte : Françoise Hardy. Musique : Jean-Pierre Castelain.
et voilà qu’il parle de lui comme s’il devait plaider sa cause on dirait qu’il se justifie et moi je pense à autre chose 143
il n’est pas tout à fait minuit je regarde brûler les bougies et voilà qu’il parle de moi mais c’est du déjà entendu on est sur nos gardes, je crois je ne sais pas, je suis déçue c’est tellement difficile tout ça la glace n’est pas encore rompue et voilà qu’il me parle d’elle de l’habitude et cætera il est tard, je n’ai pas sommeil j'aimerais t’oublier une fois quelque chose siffle à mon oreille est-ce qu’aux autres tu parles de moi? Johnny Walker est dans nos verres et voudrait bien nous rapprocher Johnny Walker est dans mon verre et j’ai envie d’être embrassée… Et voilà... (qu'il parle de lui) évoque les premières déconvenues d’une nouvelle
rencontre.
avec des hommes la forme.
Mon
Je sortais
mariés point
de
parfois,
qui me vue
en tout
bien
tout
honneur,
courtisaient plus ou moins
était si subjectif,
j'étais
pour
si entière,
que je supportais mal le discours attendu, destiné à justifier un comportement mensonger dont je découvris peu à peu qu’il était celui de neuf hommes
mariés,
ou “pris”,
sur dix. Je comprenais
davantage le besoin de se changer les idées, de conforter d’une façon ou d’une autre leur ego, des femmes 144
que l’objet de leurs tourments
délaissait plus
quelque
conviviale
peu...
Aurais-je
été plus
si j’avais pu concrétiser
joyeuse,
ce besoin
plus vivable,
comme
chanson ? Pas sûr.
Je n’aime pas ce qu’il dit Texte : Françoise Hardy. Musique : Jean-Pierre Castelain.
il dit qu’il tient à elle mais qu’il n’est pas fidèle qu’il préfère regretter ce qu’il a vraiment fait que les amours d’un jour font la journée plus belle qu’elles rendent le corps et le cœur plus légers il préfère regretter ce qu’il a vraiment fait c’est le plus sûr moyen d’éviter les regrets plutôt que faire un monde d’un regard qu’il ignore il essaie, s’il le peut,
d’en voir le fond d’abord il dit qu’il prend tout ce qui vient il l’oublie mieux après mais il ne voudrait sûrement pas lui faire de la peine même si l’amour vit des peines qu’on lui fait même si l’amour vit 145
dans
la
des peines qu’on lui fait il dit qu’il tient à elle mais qu’il n’est pas fidèle et qu’il n’est sûr de rien sauf du passage du temps que ses amours d’un jour font sa journée plus belle et qu’elles l’éloignent d’elle tout en l’en rapprochant il dit qu’il prend tout ce qui vient il l’oublie mieux après mais il ne voudrait vraiment pas lui faire de la peine même si l’amour meurt des peines qu’on lui fait même si l’amour meurt des peines qu’on lui fait. Ce texte prolonge le précédent. C’était surtout la vision des choses que je prêtais à Jacques et qui devait être proche de la réalité. J’aime bien la mélodie de Jean-Pierre
Castelain. L’occasion de retravailler
avec lui par la suite ne se présenta pas, et je n’entendis plus parler de lui.
Je te cherche Texte : Françoise Hardy. Musique : André Georget.
oui peut-être je suis ivre peut-être 146
ça me donne envie de vivre peut-être ça me fait déformer tout peut-être après tout, je m’en fous ça me fait déformer tout peut-être et je te cherche partout peut-être dans ces jeux que l’on se joue peut-être est-ce toi? est-ce nous ?
dans des mots et dans des gestes je te cherche je t’aime et je te déteste je te cherche dans ces jeux où l’on se blesse je te cherche toi toujours, toi sans cesse dans des nuits sans lendemain je te cherche je suis mal ou je suis bien je te cherche je ne trouve presque rien je te cherche toi jamais tu ne viens.
147
S’il avait été Texte : Françoise Hardy. Musique: Catherine Lara.
s’il avait été seulement un peu moins brillant j'aurais décroché peut-être un peu moins souvent il aurait été sûrement beaucoup moins content il aurait été beaucoup moins content de lui il devrait fumer une cigarette il est sûr de lui je vois à sa tête qu’il se donne au moins vingt sur vingt quand je le regarde, je regrette je voudrais qu’il parte j'avais juste besoin d’un peu de tendresse j'avais juste besoin de sa maladresse… J'ai connu Catherine grâce à Sylvie Nougaro qui avait quitté pour elle un mari indifférent. À l’époque, elle était exclusivement violoniste et nous étions vite devenues amies. L’année précédente, pour Palbum avec Tuca, elle s’était chargée de faire venir les musiciens de l'Orchestre
de Paris, avec
lesquels
elle travaillait. Ensemble,
ils
jouèrent de très belles cordes. Puis elle composa des chansons et se fit connaître comme chanteuse et compositrice Je ne me souviens pas 148
si c’est elle qui me proposa ou moi qui lui demandai des mélodies. Quoi qu’il en soit, je parolai deux musiques qu’elle m’apporta et qui me plurent. C’est probablement Hughes de Courson, en charge de la production de l’album, qui me parla de Del Newman, un musicienproducteur britannique connu qui travaillait, entre autres, avec Elton John. Il accepta de réaliser - magnifiquement — nos deux chansons. Le texte de S’1] avait été m'avait été inspiré par une aventure d’un soir au cours de mon année de célibat, avec quelqu’un qui ne m’attirait pas vraiment, mais j'étais complexée et ressentais le besoin de me “dégrossir ” quelque peu. C’est d’ailleurs ce qui se produisit au sens propre comme au sens figuré, puisque cet étalon m’offrit une nuit de gymnastique aussi acrobatique qu’interminable et ennuyeuse. J’eus le sentiment que tout ce qui l’intéressait était d’impressionner ses partenaires avec ses prouesses. Elles me fatiguèrent sur tous les plans et, le lendemain, la curiosité me poussa à me peser. La constatation que j'avais maigri de trois kilos ne m’étonna pas et me fait encore
rire.
Il y a eu des nuits. Texte : Françoise Hardy. Musique : Catherine Lara.
il y a eu des nuits où je mourais de toi comme on meurt de faim je pensais à ton souffle quand insensiblement il devient plus rapide et je ne dormais pas. quand je te regardais quand je fermais les yeux en tout temps, en tout lieu 149
j'avais envie de toi lorsque je t’ai donné quelques coups de canif c’était pour ne pas perdre tout à fait la raison c'était pour que tu sois un peu plus attentif que tu ne t’installes pas dans ma soumission y a-t-il eu trop de temps trop de gens entre nous ? en ce moment tu vois je n’ai vraiment plus goût à rien
et je meurs de personne comme
on meurt de quelqu'un...
Texte exprimant mon le pont.
ressenti et déformant un peu la réalité dans
À ce moment-là,
incartade, focalisée m’émeut encore.
que
j'étais bien j'étais
sur un
incapable seul
de la plus
être...
Cette
Chanson noire Texte : Françoise Hardy. Musique : Hughes de Courson.
je vois s’envoler du bout de votre cigarette des volutes de fumée violette de balancement immobile en vertige noir 150
petite
chanson
je perds l’équilibre et la mémoire tous ces sons qui tournent et puis plus jamais ne s’arrêtent me font vaguement mal à la tête d’aveugle folie en trop lucide désespoir tout semble inutile et dérisoire
lorsque va s’éteindre votre cigarette j'y verrai plus clair peut-être.
Bonjour, bonsoir. Texte : Françoise Hardy. Musique : Michel Sivy.
juste un joli bleu dans le cou sous le foulard rouge que je noue deux grands cernes et c’est tout juste un lit sens dessus dessous et de la cendre un peu partout du désordre et c’est tout bonjour... bonsoir. je me sens une faim de loup je ne tiens pas très bien debout courbatue et c’est tout je le vois de plus en plus flou qu’il m’oublie vite aussi surtout
un entracte et c’est tout 151
juste un joli bleu dans le cou sous le foulard rouge que je noue
une marque et c’est tout bonjour... bonsoir. juste un joli bleu dans le cou un foulard de soie que je noue un entracte, c’était tout.
Fin d’après-midi Texte et musique : Françoise Hardy. Pont instrumental: Jacques Dutronc.
tu es quelque part à Paris
ou chez toi tout seul ou avec des amis je n’sais pas moi, je suis allongée sur mon lit dehors y a trop de gens de voitures et de bruit j'ai posé un instant ce livre qui m’ennuie tout doucement descend la nuit et je vois par la fenêtre le voisin qui croise les bras
152
moi, je suis allongée sur mon lit je me sens un peu faim il est 6 heures et demie je ne sais pas très bien de quoi j'aurais envie. Retour aux habitudes... Fin de l’entracte, fin de la comédie. Fin d’un
après-midi banal... Je suis très fière de la mélodie de Fin d’après-midi. J’avais composé les couplets et demandé à Jacques de trouver un pont qui m’échappait. Il s’exécuta, mais je n’appréciai pas sa ligne mélodique alors que la suite harmonique qui allait avec me semblait parfaite. Je la gardai donc et, grâce à André Georget qui orchestra quelques chansons de cet album -— %e te cherche entre autres -, j’eus la meilleure réalisation musicale possible avec surtout un jeune saxophoniste noir remarquable dont je n’ai jamais su le nom et que je n’ai jamais revu non plus. Son improvisation tout au long de cette chanson est géniale. Il me semble que la chanson Fin d'après-midi est l’une des dernières dont je fus à la fois l’auteur et le compositeur, et je ne sais plus trop quand la décision d’arrêter de composer des mélodies s’imposa à moi. En me limitant à un petit nombre d’accords de guitare et aux quatre temps, mon
ignorance musicale m’empêchait
de me
renouveler. Il y avait deux options possibles: soit j’entreprenais de m'instruire suffisamment pour découvrir de nouveaux accords, soit je m’adressais à des compositeurs à la cheville desquels je n’arriverais jamais, même après des années d’études. La deuxième option était une solution de facilité, mais elle me parut la plus sage. Quand
je composais
avec
ma
guitare,
je gratouillais
sur
les
quelques accords primaires que je connaissais, jusqu’à ce qu’un début de mélodie me vienne en tête. À partir de là, l’idée générale du
texte
ou
les
mots
arrivaient
peu
153
à peu,
mais
je devais
m’y
reprendre à maintes reprises pour parfaire la ligne mélodique ainsi que les mots susceptibles d’aboutir à un texte valable. Pendant des années, je composai surtout dans les salles de bains ou les toilettes de mes chambres d’hôtel, dont l’acoustique amplifiait ma voix et me facilitait le chant. Chez moi, je me contentais de chanter devant un gros magnétophone. À vrai dire, je ne me souviens pas bien de la façon précise dont le miracle de l’inspiration finissait par se produire. Il m'est qu’auditrice
plus facile d'évoquer mon travail d’auteur. comme en tant qu’auteur, la magie d’une
En tant mélodie
qui donne envie de la réécouter encore et encore a toujours été ma priorité absolue, même si les circonstances m’ont amenée quelquefois à enregistrer des chansons
qui en étaient dépourvues.
Pour que je
retienne de mon plein gré une mélodie que l’on m’envoie, elle doit donc
me
ravir
et m’émouvoir
quasi
instantanément.
J’appelle
ça
l'effet drogue. C’est celui qu’avaient produit sur moi à la fin des années 50 et au début des sixties les musiques évoquées des Shadows, et de jeunes chanteurs anglais et américains, les premiers à me faire prendre conscience de ma réceptivité à cette magie particulière qui m’est si indispensable. Les chanteurs français ayant l’instinct de la magie mélodique sont en général les plus populaires — parmi tous les noms qui me viennent en premier à l’esprit, je citerai Charles Trenet, Georges
Brassens,
Charles
Aznavour,
Gilbert
Bécaud,
Barbara,
Serge Gainsbourg, Jacques Dutronc, Michel Polnareff, Julien Clerc,
Michel Berger, Véronique Sanson, Jean-Jacques Goldman, le tandem indissociable Souchon-Voulzy, Francis Cabrel, etc. Impossible de les citer tous et je m'en tiens aux artistes des générations anciennes, puisqu’il est sûr et certain que leurs chansons survivront longtemps à leur disparition. À mon grand étonnement, quelques auteurs-compositeursinterprètes qui jouent d’un instrument font des mélodies dénuées du moindre grain de magie. Ils privilégient le texte sans donner à la 154
mélodie l’importance qu’elle mérite. Si leurs textes valent le détour, je ne m’en
rends
pas
compte,
car leurs
chansons
m’ennuient
au
point de n’y prêter aucune attention. J'avais été surprise quand, dans les années dit que
80, quand
la mélodie
je l’interviewais pour RMC,
Renaud
m'avait
ne servait qu’à véhiculer le texte, la reléguant
ainsi au second plan, alors que celle de ses chansons
que le public
préfère, Mistral gagnant, est une mélodie d’une grande beauté, sans doute sa plus belle, avec un texte du même de ce préjugé qu’il eut comme
niveau. Est-ce à cause
première intention de laisser tomber
Mistral gagnant? Quoi qu’il en soit, nous devons une fière chandelle à sa femme
qui le menaça
de
divorcer
s’il ne
l’enregistrait
Songeons par ailleurs à toutes ces formidables chansons
pas!
en anglais
ou en italien qui nous enthousiasment aujourd’hui comme hier, et dont la compréhension du texte, bon ou mauvais, nous échappe et nous importe peu au fond. Recevoir
une
paroler m’exalte de me
mélodie et me
assez magique
stresse en même
débarrasser de l’angoisse
tellement
à noircir la page
pour
que
je tente
de la
temps. J’ai tellement hâte
qui m’empoisonne
de la meilleure
façon
la vie, j’aspire possible,
que
je
me mets immédiatement au travail. Cela consiste d’abord à noter en chiffres la découpe mélodique et rythmique — nombre de pieds par phrase,
indication
des temps
localisation des couplets
forts
et faibles, longs
et courts,
et des refrains. Puis j'écoute sans relâche
la maquette, jusqu’à ce que quelques mots
arrivent que je teste en
les fredonnant sur celle-ci, afin de me rendre compte si l’adéquation est bonne ou laisse à désirer. Au début, je pars de n’importe quoi et j'améliore peu à peu. Mon
cahier de brouillon se remplit de mots
insignifiants et de débuts de phrases sans queue ni tête. S’il tombait sous d’autres yeux que les miens, j'aurais honte! Dès qu’une phrase prend un peu forme, je la transcris dans l’ordinateur. Le soir venu, je mets le cahier sur ma table de nuit avant de me coucher, car lors de 155
mes quelques réveils nocturnes, la seule chose que j’ai en tête est cette mélodie
et il arrive parfois qu’un mot introuvable
dans la journée
surgisse la nuit. On l’aura compris, je suis quelqu’un d’obsessionnel et de compulsif. La peur de ne pas être à la hauteur de la mélodie que lon me fait la grâce — car c’en est une — de me confier me met une telle pression qu’elle m’oblige à ne penser qu’à ça, à ne faire que ça, jusqu’à ce que j’aie terminé. En général, j’avance donc relativement vite et l’écriture d’un texte me prend entre quinze jours et quelques semaines, plusieurs mois parfois pour les mélodies les plus difficiles, mais il est rare que ce soit aussi long. Si l’angoisse peut favoriser la maladie, elle est aussi un puissant accélérateur!
1975-1983
FRANCOISE HARDY
D
!
MAQUELQUUN
QUI SEN VA
1975 Impossible chansons
de me
rappeler pourquoi,
avec Jean-Michel Jarre. Sans
comment, doute
une
j’enregistrai deux idée de Warner,
ma maison de disques. C’est l’année suivante qu’il sortit son album de musique électronique, Oxygène, qui eut un succès planétaire. Je le connaissais donc davantage comme auteur que comme musicien. J’appréciais beaucoup Les paradis perdus, dont il avait écrit le texte pour Christophe, ainsi que celui tout aussi inspiré de Faut pas rêver, interprété par Patrick Juvet. Il me proposa une mélodie à lui, sur laquelle j’écrivis le texte Que vas-tu faire? et une autre dont il avait signé texte et musique
et que j'ai oubliée — Le compte à rebours ou
quelque chose comme ça. J’eus plaisir à travailler avec lui. Il s’avéra d’une grande patience et me donna l’impression d’être une main de fer dans un gant de velours. La chanson dont j’écrivis le texte n’est pas mémorable, mais elle se défend quand même. Les images “goutte d’eau dans la mer” et “ grain de sable du désert” faisaient bien sûr allusion à mon tout petit Tom et exprimaient l’inquiétude que l’on éprouve pour son enfant — pour tous les enfants en général —
quand on pense au monde difficile qu’ils vont devoir affronter.
159
Que vas-tu faire? Texte : Françoise Hardy. Musique : Jean-Michel Jarre.
vivre sans se comprendre jour après jour sans rien s’apprendre
sans autre amour qu’amour de dépendance que faux amour ? dans ce monde de violence de désordre et d’impatience où les choses vont trop vite où les gens s’aiment et se quittent toi ma goutte d’eau dans la mer tout seul dans ce monde que vas-tu faire? dans ce monde d’apocalypse tout au bord du grand précipice où l’amour se change en peine où l’amour se change en haine toi mon grain de sable du désert tout seul dans ce monde que vas-tu faire? vivre sans se connaître ni l’un ni l’autre sans pouvoir être ni soi ni l’autre se laisser prendre au piège du faux amour ?
toi mon grain de sable du désert tout seul dans ce monde que vas-tu faire?
160
pour l’amour de la liberté pour l’amour de l’humanité de l’un comme
de l’autre côté
on se donne le droit de tuer goutte d’eau et grain de poussière tout seul dans ce monde que vas-tu faire?
1977 Entre 1975 et 1977, Michel Berger me contacta pour me proposer de travailler avec lui à nouveau, ce qui me fit très plaisir, car j'étais et reste inconditionnelle intention début
des
d’avoir années
que je pense
de ce grand
son propre 80.
artiste. Il me
label discographique,
Malheureusement
à un concept
était déjà un et que je me
album,
pour
moi,
parla de son qu’il créa
il souhaitait
alors que l’album Entracte
sentais incapable
au
d’imaginer
en
un autre
concept. De plus, j’avais très envie d’enregistrer Star, une chanson à laquelle je m'’identifiais de l’Américaine Janis Ian et dont la première adaptation française pour Marie Laforêt était ratée. Cette chanson m’amena
n’intéressait pas Michel.
Un
concours
de circonstances
à rencontrer un grand compositeur-producteur,
Gabriel
Yared, qui allait avoir une importance primordiale tant dans ma vie professionnelle que dans ma vie personnelle — c’est un merveilleux ami. Nous fimes cinq albums ensemble, et ce fut une période où j'écrivis beaucoup moins, car Gabriel m’amenait des chansons toutes faites. Certaines ne me correspondaient pas, mais je pensais devoir faire des concessions pour avoir le privilège de travailler avec lui et de chanter des chansons aussi belles que Nous deux, nous deux 161
et rien d’autre…. sur l’album Musique saoule, ou Que tu m’enterres sur Gin tonic. Pour le premier album, en dehors d’une nouvelle adaptation de Star, plus fidèle au texte d’origine, j’écrivis cinq textes dont la source d'inspiration restait à peu près la même, et que voici:
Chanson sur toi et nous Texte : Françoise Hardy. Musique: Gabriel Yared.
on dit que le temps qui passe peu à peu fait qu’on se lasse des gens qu’on croit aimer le mieux c’est vrai que tout va trop vite les gens qui s’aiment se quittent ferons-nous un jour comme eux? on s’aimait sans se connaître on se connaît et on s’aime et pour se connaître encore mieux
s’aimer mieux qu’on ne sait faire je dis qu’une vie entière une vie: c’est presque peu
mon amour tout ce temps avec toi fut si court
mon amour les années ont passé comme des jours au bout des caps difficiles et des illusions fragiles 162
qui peuvent casser les choses en deux j'aim(e)rai autant ta vieillesse que j’ai aimé ta jeunesse si c’est là ce que toi tu veux...
L’impasse Texte : Françoise Hardy. Musique : Pierre Papadiamandis.
quoi que tu me dises quoi que tu me fasses et même si par moments je sais me mettre à ta place toutes les choses que je comprends sont celles qui me cassent et je ne peux rien vraiment je suis dans l’impasse c’est bien un enfer c’est bien une impasse chaque fois que je te perds en allant chercher ta trace dans tes longs, désespérants silences de glace je ne peux plus rien vraiment je suis dans l’impasse comment sortir de là?
c’est une drôle d’angoisse d’être dans l’impasse
163
alors j’aime tomber au fond d’un Chivas car je me mets à rêver que c’est toi qui me ramasses que tu veux bien me parler et que tu m’embrasses pour m'aider à supporter d’être dans l’impasse comment sortir de là? c’est une drôle d’angoisse d’être dans l’impasse…. Étrange
voisinage
de
deux
textes
aux
antipodes
qui
semblent
presque se contredire. L’expression touchante d’un amour
éternel,
inconditionnel
manque
qui
stimule,
coexiste
avec
celle
d’un
douloureux de communication qui désespère. Deux fenêtres, deux clés, deux réalités qui s’avèrent indissociables car elles partagent le même rêve et se nourrissent l’une l’autre.
Je ne suis que moi Texte : Françoise Hardy. Musique: Catherine Lara.
si j'étais la terre solide sous tes pas un jour il te faudrait l’air pour en alléger le poids si j'étais le feu qui brûle sous ta peau pour te rafraîchir un peu un jour il te faudrait l’eau 164
tu veux être ce que tu n’es pas Être une autre en même temps que moi tu veux être partout à la fois Être ici en même temps que là
si j'étais la un jour de au-delà de tu voudrais
mer toute façon l’horizon d’autres mystères
si j'étais l’amour au bout de nos questions je deviendrais ta prison et tu voudrais voir le jour tu veux être ce que tu n’es pas Être une autre en même temps que moi tu veux être partout à la fois et c’est trop pour toi, trop pour moi
je veux être partout à la fois et c’est trop pour toi, trop pour moi je ne suis que moi...
Drôle de fête Texte : Françoise Hardy. Musique : William Sheller.
dans la fumée des cigarettes je vois 165
toutes les fleurs baisser la tête comme moi
c’est une drôle de fête j’observe tout derrière mes lunettes il est très tard du reste je le connais quelqu’un vient d’ouvrir la fenêtre j'ai froid pouvez-vous me passer ma veste là-bas ? c’est une drôle de fête derrière les mots et au-delà des gestes on fait des découvertes je le connais c’est si je c’est je le
une drôle de fête me cache derrière mes lunettes pour rêver peut-être connais.
J'ai failli oublier
ces
deux
chansons.
Le
titre de
celle
composée
par Catherine Lara, Ÿe ne suis que moi, ne faisait aucune allusion à celui qui me dérangeait, Ÿe suis moi, de Michel Berger. Ce n’est qu’aujourd’hui que je réalise la similitude. Mon titre était amené par tout ce qui précède dans le texte, mais, pris isolément, il me correspondait mieux. Il est vrai que les deux chansons ne parlent pas du tout de la même
chose.
166
Fatiguée Texte : Françoise Hardy. Musique : Gabriel Yared.
j'aurais voulu te dire j'aurais voulu te dire pourtant quelque chose quelque chose de gai ou de très différent mais je n’ai plus d’idées et je suis fatiguée j'aurais voulu te dire j'aurais voulu te dire vraiment quelque chose autre chose tu sais mais je n’ai plus d’idées et je suis fatiguée je suis fatiguée depuis longtemps déjà je sais que tu t’en vas depuis longtemps... Belle mélodie
et superbes
à venir, et la chanson
cordes de Gabriel. L’inspiration tardant
finissant l’album, je me
contentai de décrire
l’état dans lequel je me trouvais. Et, en effet, je devais être fatiguée avec tout ce que je devais faire et tout ce à quoi il me fallait penser en même temps! Sans doute cette belle mélodie méritait-elle mieux, bien que le résultat soit finalement plus qu’agréable à entendre.
167
1978 Pour l’album suivant, Musique saoule, tous les textes furent écrits par Michel Jonasz sur des mélodies soit de lui, soit de Gabriel. Gabriel était amoureux
de la voix de Michel, moi aussi, et nous
étions l’un
comme l’autre admiratifs de son triple talent d’auteur, de compositeur et de chanteur. J’avais très mal chanté À Vannes sur Palbum précédent — chanson dont l’univers, tant de la mélodie
que du texte, différait
trop du mien —, mais il réussit cette fois-ci à capter une partie de ma personnalité et fit des chansons
qui me correspondaient mieux,
mais aussi d’autres où j’eus la nette impression que Gabriel et lui s’amusaient en me faisant interpréter des mélodies et des mots aussi éloignés que possible de ce que j'étais et de ce que je savais faire. J'écrivis un seul texte, Perdu d’avance, sur une musique de Gabriel et
j'enregistrai la voix avec lui m’accompagnant au piano, peu rassurée par la situation et persuadée que je commettais de nombreuses fautes rythmiques. Michel Berger m'avait fait prendre conscience de mes problèmes souvent insurmontables sur ce plan.
Perdu d’avance Texte : Françoise Hardy. Musique : Gabriel Yared.
papier buvard je bois tes lettres, les taches noires de tes départs dans d’autres trains, pour d’autres gares perdu d’avance pas une chance
168
tissu éponge j’essuie le vrai et le mensonge je coule, je plonge j'ai froid, j’ai peur et je me ronge perdu d’avance pas une chance
et pars n'oublie pas tes cigarettes le ciel est si gris
pars tant pis si jen perds un peu la tête trop tôt, trop tard d’accords ratés en faux départs lPamour se barre change de dieu et de hasard perdu d’avance pas une chance si cher, si rare il suffit d’un de tes regards pour te savoir perdu d’avance..
169
1980 Année comparable à la précédente: j’écrivis un seul texte, Gin tonic, qui donna son titre à l’album, et je l’enregistrai avec Gabriel, qui en avait composé la mélodie, dans les mêmes conditions que celles de Perdu d'avance.
Gin tonic Texte : Françoise Hardy. Musique : Gabriel Yared.
deux gin tonic... merci beaucoup... quelle heure est-il? ça va et vous? air de blues sur piano triste je n’entends pas ce que vous dites allers-retours cosmopolites dans ce bar de grand hôtel Ray-Ban foncées qui vous évitent et nos discours superficiels
se dire une fois “je t’aime” même si les mots sonnent un peu faux les dire quand même... lui dire une fois “je t’aime ” boire un peu trop rêver tout haut plus rien qui nous retienne mais je perds le fil 170
que disiez-vous ? à qui pense-t-il ? où sommes-nous ?
1981 L'année 1981 fut une année de rattrapage pour moi en tant qu’auteur, puisque je signai sept textes. Trois d’entre eux valent le détour.
À suivre... Texte et musique : Françoise Hardy.
je le respire comme une fleur je le caresse comme une soie je suis suspendue à son cœur mon ciel, mon enfer à la fois je l'écoute comme un oracle — magie infinie d’une voix — je le regarde comme un miracle
dont mes yeux ne reviennent pas je le protège comme un enfant fragile, dans le creux de mes bras il me fait peur comme le temps qui passe et que l’on ne retient pas il m’émerveille comme
un rêve
qui s’est enfin réalisé 171
et il me fait mal comme
un rêve
dont il va falloir m’éveiller… J'avais cette chanson dans mes tiroirs mais je la croyais musicalement inintéressante. Gabriel ne fut pas du même avis et insista pour qu’elle figure dans l’album auquel elle donna son titre. Le recul aidant, je lui donne raison.
Voyou, voyou Texte : Françoise Hardy. Musique: Louis Chedid.
voyou, voyou tu vas où? au bout d’tes voyages y a l’désert voyou, voyou y a rien du tout prends pas tes mirages pour la mer maman, papa t’ont pas pigé et l’père Noël t’a oublié pas drôle, pas facile change pas la cage où tu es né pour une autre bien plus fermée terrible
voyou, voyou t'es pas fou? après quoi tu cours 172
dents serrées?
voyou, voyou gare aux coups la haine c’est d'l’amour
qui a gelé tu veux rien ou tu veux la lune
tu t’f’ras descendre pour des prunes pas drôle mais banal t’aimes pas les gens et tu t’aimes pas voudrais faire sauter tout ça normal
voyou, voyou m'dis pas vous j'ai pas d’clé pour toi ni d’verrou voyou, voyou faut qu’tu t’secoues la clé est sur toi si tu la cherches pas j'pourrai pas entrer te chauffer. Quelques
années
émission
de
plus tôt, Louis
télévision
dont
Chedid
il partageait
m'avait invitée dans une la vedette
avec
Daniel
Balavoine. Mon attachée de presse crut que c’était sans intérêt mais je la détrompai: il s’agissait de deux grands artistes et c’était un honneur
qui me
la fin du tournage déplorai qu’entre
comblait de ma
chanteurs
d’être invitée dans
chanson,
remercier
et je
on se croise la plupart du temps
trop
173
Louis vint me
leur émission. À
rapidement, sans prendre le temps de se connaître un peu mieux. En Poccurrence, nous nous revimes d’autant plus souvent que sa femme Marianne
et lui habitaient près de là où nous vivions et avaient des
enfants à peu près du même âge que Thomas. Je ne me souviens pas si c’est lui qui m’offrit cette musique ou si c’était une idée de Gabriel. Toujours est-il que la mélodie me plut beaucoup et que je sortis de mes thèmes habituels pour un texte plutôt réussi. On peut y détecter l’attirance qu’exercent parfois les mauvais garçons sur les pures jeunes filles enfermées dans le carcan de leur bonne éducation.
Tamalou Texte : Françoise Hardy. Musique : Pierre Groscolas.
t’as mal où? mal au cœur mal à la tête mal partout et tu pleures et tu t’embêtes tout à coup coup de pompe attention : gueule du loup attention: signal d’alarme stop! fini de faire joujou t’as mal où? mal à... dis à quoi tu penses es-tu soûl? mal de bruit ou de silence ? 174
mal de sous ? mal de dents ? r’es sens dessus dessous attention : nervous breakdown
stop ! fini de faire le fou dodo enfant do coucher là masser le dos dodo enfant boire de l’eau potion magique bonbon soporifique rester bien au chaud dodo enfant do coucher là
gentil, tout beau dodo ré, mi, la, si, do rêver cadeaux t’as mal où? mal de foi
en qui, en quoi? flou, tout flou mal de mer? maman
c’est moi
doux, si doux 175
toujours lorsque fatiguée et qui a Connu
là tu es à bout du temps qui passe raison de nous.
comme
chanteur
et mélodiste
talentueux,
Pierre
Groscolas
m’envoyala maquette d’une chanson qui m’accrocha instantanément, tout comme l’ambiance musicale très Malheureusement, elle déplut à Gabriel de la maquette
à un
point
qui nous
Beatles qui allait avec. et il s’éloigna de l'esprit
désola,
Pierre
et moi. Trop
mécanique et sans magie, la réalisation n’empêcha pourtant pas la chanson d’avoir du succès. Cela faisait longtemps qu’on ne m'avait pas arrêtée dans la rue en me parlant d’une de mes chansons. Je m'étais bien sûr inspirée de mon quotidien et crus constater que beaucoup de femmes semblaient le partager: un mari qui se plaint un peu trop et qui compte sur sa femme pour le dorloter et ne surtout rien lui demander.
Coupure de courant Texte : Françoise Hardy. Musique : Pierre Groscolas.
c’est une coupure de courant et Ça saigne un peu vite une ou deux gouttes d’alcool la ligne est en dérang(e)ment système défectueux ou malentendu sous-entendu : on ne s’entend plus
176
c’est peut-être une petite mite pas vraiment gentille — où ai-je mis l’antivol ? — un criquet, un parasite qui brouille les fils discours décousu tohu-bohu on ne s’entend plus
trop de sons qui détonnent trop de sirènes trop de cris et de larmes et toi toujours aphone ou mes antennes qui tombent toujours en panne changement de longueur d’onde ou manque de piles cœur en pièces et face molle il faudrait qu’il me réponde car les murs vacillent comme si j’avais bu à mon insu on ne s’entend plus c’est un fâcheux contretemps une interférence faut vérifier nos boussoles erreur de cap, accident ou panne des sens 177
atomes décrochus accents aigus on ne s’entend plus... Je
m'étais
amusée
à
jouer
avec
les
mots
et
j'aimais
bien
la
mélodie de Pierre Groscolas et la réalisation d'Hervé Roy. À cette époque-là, Jacques et ses copains désignaient les filles par des mots incompréhensibles, comme “ mite ” et “soute ”. Entre autres!
Ça va comme
ça
Texte : Françoise Hardy. Musique : Pierre Groscolas.
t’emmêle pas quand jme mêle de c’qui m’regarde pas t’enfonce pas quand je fonce un peu dans le tas t’embrouille pas quand je brouille tes p’tits œufs au plat
ça va comme ça t’embarque pas quand je braque mon projo sur toi dans des “bah”, des “j’sais pas ”, des “n’importe quoi” un de ces quatre, tu tomb(e)ras l’nez dans ton caca
ça va comme ça dis-le au bénéficiaire de tes heures supplémentaires que t’en peux plus, qu’ t’en as marre de rentrer tard tous les soirs dis-lui s’il veut tout savoir que j’ai encore peur du noir ton boulot, tes impôts, tes soucis-cela 178
tu m’expliques des trafics que j’te demande pas saugrenus, ton nez r’mue et j’ai deux p'tits doigts ça va comme ça tes salades à la noix, je n’les digère pas j'suis malade, j’suis comme toi, on n’vit pas deux fois jérémiades et blabla et pati pata
ça va comme ça parle-moi du bénéficiaire de tes heures supplémentaires dis pas d’arrêter mon char que t’en peux plus, qu’ t’en as marre tu devrais pourtant savoir que j’ai encore peur du noir. Il me semblait y avoir une forme d’agressivité dans la mélodie et je tentai un texte au diapason.
Vert ouvert Texte : Françoise Hardy. Musique : Gabriel Yared.
ouverts tes yeux ouverts sur des bleus tristes ou verts ton corps couvert et moi j’insiste
sous verre quel temps fait-il ? encore 179
couvert? à mots couverts tu parles et glisses enfer de tes mystères de mes éclipses prière de n’pas trop te pencher au-dehors tant de temps morts et pire encore c’est une forme de cancer tout à fait meurtrière qui met à l’envers par terre folie, colère douleur physique amère chagrin amer dimension X envers de travers et de torts étouffants d’un décor
sans air dans la poussière de tes coulisses pas claires j'ai mes œillères 180
qui s’agrandissent que faire? j't’aime à perdre le nord j't’aime trop fort tant de temps morts et pire encore des refus, des “prière d’pas passer la frontière”? à quand ton feu vert?
0]
ouverts tes yeux ouverts sur des bleus tristes ou verts ton corps couvert et moi j’insiste j'espère pourtant il pleut encore.
Plus personne Texte : Françoise Hardy. Musique : Daniel Perreau.
douleur douce, dure descente d’où l’on ne remonte plus couleur claire, obscure mort lente 181
d’amour et de temps perdus c’est le soleil qui s’est figé c’est la mer de glace l’autre côté l’espace lPéternité c’est la prison du corps vaincu s’écroulant sur l’inconnu destruction absolue voulue
douleur dure indécente quand tes yeux ne me voient plus malheur pur nuit noire, mort lente
de larmes de sang qui tuent il n’y a plus personne ni toi ni moi, personne... En réécoutant cette dernière chanson effacée de ma mémoire, elle me semble
assez belle finalement, la mélodie est particulière, mais force
est de reconnaître
que
cet album
n’est pas l’un de mes
meilleurs,
malgré quelques bonnes chansons, mais pas de grandes chansons.
182
1982 Sur l’album de cette année-là, Quelqu'un qui s’en va, on trouve deux grandes mélodies de Gabriel, celles de Quelqu'un qui s’en va et de Mazurka. I] était tombé amoureux d’une jeune femme qui désirait écrire des textes et il lui fit confiance. Quand il découvrit Mazurka, Michel Jonasz exprima le regret que Gabriel n’ait pas pensé à lui pour le texte. Dommage, en effet... Je n’en écrivis que trois sur des mélodies proposées par d’autres compositeurs.
Cauchemar en scope et stéréo Texte : Françoise Hardy. Musique : Daniel Perreau.
des gens qu’on assassine à coups de feu, à coups de mots un avion s’abîme dans la glace au fond de l’eau des p'tits enfants dans des tombeaux tout l’monde s’en fout et parle trop cauch(e)mar en scope et stéréo
des présidents qui friment le sourire cachant mal les crocs s’amusant aux missiles à la bombe et autres lotos sur le flipper des idéaux ils font sauter les statu quo cauch(e)mar en scope et stéréo j comprends pas très bien 183
sensation de froid dans l’dos tout ça n’me dit rien pince-moi trois fois, joue du piano jme sens pas très bien et toi? peut-être au bout du rouleau ? tiens-moi fort la main oui c’est ça, fermons les rideaux...
L’auréole néon Texte : Françoise Hardy. Musique: Michel Fugain.
l’auréole néon sur la tête t'as les cheveux blonds l'iris net t'es rose, t’es bleu
j'ai mal aux yeux fatigue peut-être?
t’as une bonne mémoire c’est ma fête quand tu dis dans l’noir un bout d’texte r’es juste, t’es faux j'aime pas les mots j'préfère les gestes c'était mieux
quand t’étais plus “p(e)tit” tu savais rien dire 184
maint(e)nant t’as appris j'ai envie d’partir
c'était mieux quand t’étais moins “ vieux ” tu savais souffrir maint(e)nant tu joues l’jeu j'ai envie d’partir….
Tabou Texte : Françoise Hardy. Musique : Michel Fugain.
tabou faut rien dire du tout de nos p(e)tits secrets qui devront rester jusqu’au bout tabou
tous nos rendez-vous dans des lieux cachés classés X, indécents comme
tout
sans goût
tabou tous nos petits jeux où les gens ne voient rien que du feu jeux à dormir debout à rendre fou je me l’avoue pas vous ? 185
où voulez-vous que l’on fasse encore joujou à se mettre sens dessus dessous quel prétexte allons-nous laisser en plan bureau et appartement ? je cherche soufflez-moi des mensonges et des silences sans la moindre transparence tabou faut rien dire du tout rentrer bien à l’heure se plaindre un peu, juste au cas où tabou tirer les verrous
faire comme
d’habitude
et fuir toutes les interviews
casse-cou surtout trouver des idées pour que nos jeux puissent progresser jeux à dormir debout à rendre fou je me l’avoue pas vous ? 186
où — pas trop tard — et avec quels accessoires dans quel bouge, dans quel bar nous voir sous quel nom et dans quelle situation inventer d’autres façons ? je cherche soufflez-moi d’inavouables recettes à nous faire perdre la tête tabou faut rien dire du tout! Les deux chansons ci-dessus ont été composées par Michel Fugain, artiste que j'ai toujours apprécié comme mélodiste et comme chanteur. La réalisation musicale de Gabriel est parfaite et la chanson Tabou m’amusait beaucoup et m'amuse encore. Elle me fut inspirée par certaines situations hors normes de ma vie personnelle, mais chut faut rien dire du tout!
1983 Semblant regretter de m’avoir plus ou moins contrainte à enregistrer des chansons peu dans mes cordes, telles que Swing au pressing, Jazzy retro Satanas, Juke me
proposa
box, Musique
de faire tout un
saoule et quelques
album
ensemble.
autres, Gabriel
Il composerait
les
musiques et j’écrirais les textes. Cet excitant projet ne vit pas le jour, 187
car Gabriel ne pouvait composer une mélodie qu’à partir d’un texte, tandis que je ne pouvais écrire un texte qu’à partir d’une mélodie. Louis
(Chedid)
m’apporta
alors
deux
mélodies
qui
me
plurent
beaucoup. Moi vouloir toi et Casse pas toute ma maison firent l’objet d’un single, enregistré dans son home studio et sous sa houlette.
Moi vouloir toi Texte : Françoise Hardy. Musique: Louis Chedid.
pour décoller d’la planète y a des plans plus ou moins nets comme les piqûres en cachette l'alcool et les cigarettes y a des pilules, des tablettes des salades sans vinaigrette moi j'suis toujours à la fête j'aitoi pour décoller d’la planète et s’envoler à perpète j'ai la meilleure des recettes moi vouloir toi moi vouloir toi
de haut en bas de bas en haut sans bas ni haut sans haut ni bas moi vouloir toi
188
pour décoller d’la planète autrement qu’en super-jet qu’en soucoupe ou en navette en yogi ou en ascète pour perdre carrément la tête sans presser sur une gâchette exclusif, je regrette moi vouloir toi moi vouloir toi
de haut en bas de bas en haut sans bas ni haut sans haut ni bas moi vouloir toi...
J’appréciais
cette chanson
au texte humoristique
sur une mélodie
accrocheuse. Mais la réalisation de Louis était trop minimaliste. On aurait dit une maquette. Mon PDG fut d’accord pour une deuxième version
où
demandé.
je bénéficiai Elle s’avéra
du
talent
nettement
de plus
Manu
Katché,
efficace
Casse pas toute ma maison Texte : Françoise Hardy. Musique : Louis Chedid.
189
très
et c’est elle qu’on
entendit.
trop d’gens qui gesticulent de projecteurs, de majuscules autour de toi l’idole qu’adulent des foules qui crient, des fans qui hurlent
batteur
j'connais tes pièges, j’connais tes armes j'connais mes manques, mes ombres, mes failles t'as p’t’êt’ un cœur, t’as p’t’êt’ une âme seulement les miens sont pas d’taille
alors casse pas, casse pas toute ma maison viens pas faire basculer ma raison
casse pas, pour un caprice, une chanson pour un peu d’rêve, d’illusion
casse pas toute ma maison retourne-t’en vite dans ta bulle car, mine de rien, tu manipules
des poisons rares que t’inocules au p'tit hasard dans les cellules éloigne un peu tes tentacules tes tapis rouges, tes strass, tes tulles le cinéma m’rend incrédule tu vois j marche pas, j’recule
alors casse pas, casse pas toute ma maison viens pas faire basculer ma raison casse pas, pour un caprice, une chanson pour un peu d’rêve, d’illusion casse pas toute ma maison oh non...
190
Troublée
par la nouvelle
son dévolu sur un homme
qu’une
star célèbre et attirante avait jeté
marié de ma connaissance, j’imaginai ma
réaction dans le même genre de situation.
1985
-19
89
Op
IOONVCE
1985 Je ne sais plus toujours
quand
manifesté
embarrassante.
une
Jacno
est entré
grande
en contact
affection
ainsi
avec
moi. Il m’a
qu’une
admiration
Son beau visage était déjà ravagé par des habitudes
destructrices. Quand je le voyais, je ne pouvais m'empêcher de penser que c'était peut-être la dernière fois, tellement sa mine m’effrayait. Je travaillais chaque semaine à RMC en tant qu’astrologue, lorsqu'il me prévint qu’un de mes plus grands fans s’y trouverait le même jour que moi et que je le rendrais très heureux en lui accordant quelques minutes. C’est ainsi qu’Étienne (Daho) et moi fimes connaissance. En dehors
de quelques
dîners
auxquels
je le conviais, Jacno -— que
j'appelais par son prénom Denis — venait de temps en temps me voir pour me faire entendre ce qu’il faisait. La demande qu’il me fit d’écrire un texte pour lui me déstabilisa, car aucune de ses musiques ne me plaisait, mais il avait quelque chose de désarmant et je ne pus lui refuser ce qui semblait tellement lui importer. Ne sachant quoi écrire, je m’appesantis sur le côté sombre de sa personnalité, et fis un texte caricatural qu’il accepta quand même. Peut-être l’avais-je mis dans la situation où il m’avait mise lui-même et n’osa-t-il pas me le refuser Il avait frappé à la mauvaise porte: je n'étais pas l’auteur qu’il lui fallait.
195
Tant de baisers perdus Texte : Françoise Hardy. Musique : Facno.
tant par par par
de baisers perdus trop mangé, trop bu trop fumé, fondu trop maté, rien vu
tant de baisers perdus pour des accents aigus des accords mal tenus coït interrompu tant par par par
de baisers perdus pas osé, pas su écouté, pas cru resté sur mon cul
cul out, cul in
picrate, cocaïne
tant de baisers perdus pour des idées tordues quand je touchais au but je l’avais assez vue tant de baisers perdus pour raisons ambiguës début et fin connus quand elle veut, moi j'veux plus
196
tant de baisers perdus souvent à son insu par peur d’être déçu largué, foutu, cocu cul out, cul in
picrate, cocaïne
tant pour d’où c’est
de baisers perdus des soupçons confus tu viens? qui t’as vu? quoi c’parfum qui pue ?
tant de baisers perdus baveux, lippus, goulus plus le baiser qui tue faudrait que je conclue tant de baisers perdus pourtant j l’aime bien toute nue — merci d’être velue et d’avoir un beau cul — cul out, cul in
picrate, cocaïne
1986 Par un hasard de circonstances — mais le hasard
existe-t-il? — Ivan,
le coiffeur qui coupait les cheveux de Thomas, exprima le regret de 197
ne plus m’entendre et je lui expliquai que les meilleurs compositeurs réservaient leurs chansons connais
un très bon
à eux-mêmes
compositeur dont
ou à leur compagne.
“Je
ce n’est pas le cas et je te
l'envoie”, m’annonça-t-il. Quelques jours plus tard, Jean-Noël Chaléat débarqua chez moi en me prévenant qu’il n’avait pas grandchose et que ce qu’il m’apportait n’était pas pour moi. Mais ce qu’il me fit d’abord entendre et ce qui se passait autour me parut tout de suite original et intéressant. Je gardai la maquette
et eus assez vite
l’idée de VI.P car il n’est pas évident de trouver trois mots ou trois lettres sur trois notes appuyées qui se détachent nettement les unes des autres. Le texte de V1.P est en partie l’expression d’un fantasme. La face B du single qui sortit était une mélodie de Jean-Noël qui me plaisait beaucoup aussi et dont le texte abordaït le problème si répandu de l’absence de concordance dans un couple entre les humeurs de l’un et celles de l’autre.
V. L P. Texte : Françoise Hardy. Musique : Jean-Noël Chaléat.
attention à l’heure, voilà
son avion au bout de la piste attention au cœur qui bat beaucoup trop fort et beaucoup trop vite attention aux yeux l'éclat du soleil autour du cockpit attention branle-bas d’combat passager très spécial en transit
VIP. most important person to me 198
VIP. bienvenue à Paris-Orly duty free just, just him and me VI. première classe accueil garanti
VIP. like a glass of Glenmorangie
quelque chose d’un peu à part de troublant toujours le désigne son allure et son regard ont cette grâce qui vous assassine c’est l’amour aléatoire le silence qu’il faut qu’on devine limousines, palaces et bars où tout sans lui devient anonyme...
Jamais synchrones Texte : Françoise Hardy. Musique : Jean-Noël Chaléat.
comment savoir à quoi il pense derrière son masque d’indifférence son humour noir, son insolence
un coup j’me bloque, un coup j'me lance
j'ai rien à dire pour ma défense j'pardonne pas trop l’abus d’confiance 199
souvent j’bats froid, je perds patience un coup j'me tais, un coup j'balance ouh j’sais pas où on va jamais synchrones, c’est pire qu’un rituel il touche le fond quand j'veux monter au ciel jamais synchrones, jamais là quand j’appelle c’est le symptôme, c’est l’histoire habituels jamais synchrones: problème existentiel
faut pas se fier aux apparences les mécanismes de défense font dire l’inverse de ce qu’on pense un coup j'descends, un coup j’encense ouh j’sais pas où on va jamais synchrones, c’est pire qu’un rituel qui casse le rythme et qui vous coupe les ailes jamais synchrones, court-circuit, étincelles ça cacophone, ça cogne et ça s’emmêle jamais synchrones, c’est pire qu’un rituel il touche le fond quand j'veux monter au ciel 200
jamais synchrones, jamais là quand j’appelle c’est le symptôme, c’est l’histoire habituels jamais synchrones : aveu confidentiel. En 1986, sortit un album de Diane Tell auquel je participai en écrivant un texte sur trois de ses musiques: Faire à nouveau connaissance, Paradis d’espace et L'âge bête. Comme tout le monde, j’adorais la chanson de Diane Ah si j'étais un homme. J'ai oublié comment nous nous rencontrâmes, mais je me souviens qu’elle vint en Corse avec son fiancé du moment,
et qu’elle croquait chaque jour une gousse
entière d’ail cru qu’elle prétendait bonne pour la santé. Devant un tel argument, j’essayai d’en faire autant — je n’avais jamais mangé d’ail de ma vie —, mais eus un début de malaise ! Diane avait toujours sa guitare avec elle et chantait à tout bout de champ, si bien qu’au bout d’un moment, on mourait d’envie de lui dire de prendre une pause. Sa bonne humeur était inaltérable et je la lui enviais. Elle émigra
à Biarritz où elle rencontra
à nouveau
le grand
nous perdîmes contact.
Faire à nouveau connaïssance Texte : Françoise Hardy. Musique : Diane Tell.
rien que du pain quotidien et toi qui n’as plus très faim rien que des breaks anodins du style “ j’suis mort, à demain” et c’est comme
si
t’avais moins envie
de nos corps à corps 201
amour,
et
quand tu t’ennuies je voudrais si fort comme comme faire à à New
un printemps qui commence un hiver qui finit nouveau connaissance York ou à Paris
quand reviennent la transparence la tiédeur douce des nuits faire à nouveau connaissance du début de nos folies moins de mal, de hâte, de peur
“bye bye sois sage, à tout à l’heure”? moins de regards, moins d’études un avant-goût de solitude
0]
des alibis qui se multiplient points-virgules ou points morts il fait si gris je voudrais si fort comme un printemps qui commence comme un hiver qui finit faire à nouveau connaissance à Montréal ou à Paris quand reviennent la transparence la tiédeur douce des nuits 202
faire à nouveau connaissance du tournant de nos deux vies
faire à nouveau connaissance de la fureur et du bruit du désir qui recommence que jamais rien n’assouvit de joie en désespérance et d’enfer en paradis faire à nouveau connaissance n’en avoir jamais fini...
Paradis d’espace Texte : Françoise Hardy. Musique : Diane Tell.
comment casser sans faire saigner sans faire plus mal la chaîne si lourde à porter ombilicale ?
comment s’évader de cette île sans plage, sans ciel ni mer être autre chose que la cible d’un jeu cruel, pervers? paradis d’espace où trouver un paradis d’espace ? paradis d’espace paradis d’espace liberté d’envol, d’air et de place 203
comment crever sans aggraver sans avoir peur l’abcès qui va faire exploser
nos têtes et nos cœurs et ne plus remuer le couteau dans la plaie? s’il te plaît
assez assez ne plus salir, abîmer, s’enliser
paradis d’espace où trouver un paradis d’espace loin de tout ce qui nous cloue sur place? va pas plus loin, pitié, attention jeu de massacre, danger, destruction on est dans l’rouge, éloigne l’addition.….
L'âge bête Texte : Françoise Hardy. Musique : Diane Tell.
arrête de dire que tout va mal d’jérémier ta télé et ton journal arrête de fuir dans des dédales où y a plus qu’ le revers de la médaille
204
arrête d’attendre qu’ la femme fatale tombe toute nue, toute crue, de son piédestal
et vienne se rendre perde les pédales d(e)vant tes mines caricaturales c’est peut-être l’âge bête tes rires jaunes et tes mèches de cheveux vertes tes berk, tes bof au secours ÂArt Janov
r’es là, t’es pas là, jamais nulle part t'as pas de route pas même de trottoir r’es toi, t’es pas toi, va donc savoir
t'es interchangeable comme le hasard cesse de rêver que je me change en p(e)tite sœur, en gros lot, ou en bon ange j'dois m'en aller mais si t’en manges un jour j't’amèn(e)rai des oranges faudrait qu’ t’arrêtes l’âge bête tes allures, tes discours sans queue ni tête tes berk, tes bof au secours Art Janov
r’es là, t’es pas là, jamais nulle part t’as pas de route, pas même de trottoir r’es toi, t’es pas toi, va donc savoir
t'es interchangeable comme le hasard.
205
Ma
mémoire
avait effacé ces deux dernières
chansons
du mal à retrouver car je ne me souvenais même les réécoutant
comme
si c’était la première
que j’ai eu
pas des titres. En
fois, je me
demande
comment j’ai pu accepter d’écrire sur ces musiques peu inspirantes. L’irrésistible
sourire
de
la facilité à mémoriser
Diane
sans
doute...
ses mélodies,
que
Ou,
plus
sûrement,
j’ai toujours
considérée
de Labbey,
son agent,
comme un atout.
1987 Cette
année-là,
à l’instigation de Bertrand
Julien Clerc m’envoya trois maquettes. Les chansons parurent sur l'album Les aventures à l’eau. À vrai dire, je ne me rappelle plus trop les conditions dans lesquelles je reçus ces trois musiques et écrivis dessus. Je croyais même qu’elles étaient postérieures à Fais-moi une place. J’aime beaucoup
la chanson Mon
ange et ne renie pas Appel
urgent, mais j'avais complètement oublié Pour qui tu t’prends ? qui ne figurait même pas dans la liste des textes que je garde sur ordinateur. En retrouvant la chanson grâce à Google pour le texte et YouTube pour l’enregistrement, j’ai été désagréablement surprise. Moi qui me vante de ne pouvoir écrire qu’à partir d’une mélodie inspirante, je constate que j'ai enfreint cette règle plus souvent que j’imaginais. Comment
ai-je pu accepter de tenter un texte sur cet air sans grand
intérêt? Surtout, comment Julien a-t-il pu accepter de chanter un tel texte, aussi dur, aussi éloigné de son image et de ce qu’il est?
206
Pour qui tu t’prends ? Texte : Françoise Hardy. Musique : Julien Clerc et Matt Clifford.
mais pour qui tu t’prends? j'vais dev(e)nir méchant tu rêves ou quoi avec tes grands airs? redescends sur terre dehors, de l’air!
rhabille-toi bien gentiment retourne chez papa-maman file, va-t’en!
tu penses que t’as tous les plans? tu t’fous d(e)dans t’as quel âge exactement ?
mais pour qui tu m’prends ?
pour un communiant ? tu voulais quoi ? qu” j’aille tout foutre en l’air juste pour te distraire? tu manques pas d’air! pas la peine de prendre des gants les comme
toi, c'était tentant
drôle un temps t'as tort de t’croire tout permis tu vois, c’est cuit
casse-toi vite, sors de mon lit!
tu sais seulement qu’ t’es jolie 207
tant pis va voir ailleurs si jy suis c’est drôle comme t’as rien compris!
mais pour qui j'te prends? juste pour un passe-temps un accident amuse-toi à briser l’cœur de tous tes admirateurs j'ai d(é)jà donné t'es trop blindée pour ton âge allez dégage! j m'inquiète pas pour ton voyage pour qui tu t’prends? j'aime pas les filles qui décident qui prennent les d(e)vants reviens quand tu s(e)ras timide! pour qui tu t’prends? tout dehors et rien dedans du vide, du vent
reviens aux premiers ch(e)veux blancs pour qui tu t’prends?
Mon
ange
Texte : Françoise Hardy. Musique : Julien Clerc.
tu rêvais d’un amour tout en soie et velours 208
que dire maintenant ? je n'étais qu’un chasseur capturant les cœurs volage, don juan tu as posé sur moi et d’un ange à la sortie
tes yeux bleu ciel j’ai vu les ailes de lumière d’un tunnel
bel ange mon ange mélange se venge se change en démon
mon ange me mord me mange j'suis mort j'suis marron
toi la petite fille sage qui as peur de l’orage que faire maintenant ? jouer à la poupée douc(e)ment te bercer t’aimer tout le temps ? 209
malgré tout l’or et tout le miel de ton cœur si fidèle j'suis pas l’ange dont tu rêves ça non j'descends pas du ciel j'dérange mon ange je change quand l’ange se change en prison j' décolle j m’envole je flâne je plane j'fais des bonds mon ange se fâche mon ange se cache me lâche pour de bon
mon ange que j’aime j'tai fait d’la peine oublions 210
moi pour faire sécher tes larmes vois : j’ai déposé les armes tu sais bien: c’est toujours toi qui gagnes plus de chagrin, plus de larmes. Une dizaine d’années plus tard, Julien me téléphona pour me parler du spectacle qu’il donnerait au Palais des Sports à l’occasion de son cinquantenaire. Il souhaitait que je chante Mon ange avec lui. Très embêtée, je lui expliquai qu'ayant arrêté la scène depuis trois décennies, il était hors de question que j’y retourne, si peu que ce soit, car on ne fait bien que ce que l’on fait souvent. Devant mon refus aussi radical après qu'avant son argumentation, il finit par me dire: “Je t’assure qu’on ne te verra et qu’on ne t’entendra pas!” “Dans ces conditions, c’est OK”, m’esclaffai-je. Il n'empêche que l’idée de chanter avec lui les refrains de Mon ange, me mit dans tous mes
états plusieurs
jours avant le concert
et que mon
trac était à
son comble dans ma loge, juste avant de me prêter à ce périlleux exercice. Je n’avais qu’une hâte, c’était que ce soit fini, et je sortis de scène en courant.
Appel urgent Texte : Françoise Hardy. Musique : Fulien Clerc.
hey ! là-haut réveille-toi hey! t’as plus beaucoup d’voix t'es l’roi d’la corrida mais tes combats ça nous laisse froids 211
hey! l’illustre inconnu hey! j’ai bien trop couru tes matchs, tes balles, tes buts
ça m'amuse plus et dire qu’ jy ai cru
moi j’voulais amour, douceur et harmonie c’est tout l’contraire ici: haine, violence et bruit
hey! là-haut tu m’entends? j' décroche, j'suis pas content
ton espace-temps j'suis mal dedans
moi j’voulais chansons, soleil, caresses, belle vie
y a rien d’tout ça ici: coups, douleur et cris descends une fois d’ton piédestal change toute l’histoire fais qu’ ça finisse moins mal réinvente tout: l’écrit, l’oral
avant qu’ je cale
hey ! hey! hey ! hey!
là-haut réveille-toi faut donner d’la voix vise les poux, les rats c’est pas mon climat...
212
1988 Jean-Noël Chaléat et moi devîinmes vite très proches. V1.P ayant eu un certain succès, le PDG de Flarenasch, Alain Puglia, nous demanda
de faire tout un album ensemble. L’année
1987 fut donc consacrée
à son élaboration qui consistait à trouver des musiques, à mettre des mots dessus et à réfléchir à la future production. Finalement, JeanNoël composa cinq mélodies, coproduisit l’album et j’écrivis tous les textes. Nous enregistrâmes à partir de février 1988, au studio Guillaume Tell à Suresnes, avec comme
coproducteur un ingénieur
du son britannique dont nous découvrîimes peu à peu l’incompétence et la malhonnêéteté.
Une miss s’immisce Texte : Françoise Hardy. Musique : Jean-Noël Chaléat.
une miss s’immisce
subrepticement entre nous indices prémices qui rendent fou caprices d'artiste qui trahissent un chang(e)ment de goût
213
j'dévisse j'rap(e)tisse j'suis à bout je sais bien que ton p'tit ego est au point zéro t'avais besoin de faire le beau le Zorro je sais bien que notre duo a quelques défauts horizontaux et verticaux j'le sais trop la miss
si mystérieuse visse et me casse mon coup sévices supplices ruses de Sioux la miss insiste t’es complice tu me dis pas tout
éclipse bien triste plus d’atouts 214
quand y a l’moral qui dégringole quand le cœur somnole rien de tel que l’corps qui s’affole qui décolle rien de tel que quitter le sol en changeant de vol de cabine et de cabrioles t’as du bol une miss
t’attise je suis disqualifiée out cette miss
factice fait joujou une miss
s’immisce dix sur dix avis : tu es où? une miss
s’immisce
I miss you
à mon tour j'ai mon p(e)tit ego 215
au bord du KO
(chaos), trop c’est trop
cherche fiancé tout nouveau, tout beau
un p(e)tit peu macho doué pour tous jeux horizontaux une miss s’immisce
avec des kiss une miss s’immisce
avec délice une miss s’immisce
et moi je miss... tout... La mélodie de cette chanson présentait à peu près les mêmes difficultés que WI.P avec des phrases mélodiques de deux pieds, et bien que les sons en s ne soient pas l’idéal, j’eus l’idée qui tarda beaucoup à venir d’Une miss s’immisce d’où découla le reste d’un texte qui joue avec les mots avec plus ou moins de bonheur.
Dilettante Texte : Françoise Hardy. Musique : Jean-Noël Chaléat.
vous avez une allure de dilettante qui fonctionne d’abord à l'instinct les situations trop dérangeantes vous les évitez très bien 216
jamais là quand on vous cherche jamais là où l’on vous cherche vous avez une technique sûre, éloquente pour tous jeux de mots, jeux de mains votre art des pirouettes élégantes en déstabilise plus d’un jamais là quand on vous cherche jamais là où l’on vous cherche vous aimez suivre les démons qui vous parlent de transgression qu'importe la casse, les autres paieront l’addition et dans ce contexte flou, inachevé qui fascine, inquiète ou déplaît toutes vos facettes mêlent le faux, le vrai qui vous êtes au fond personne ne le sait
la partie promet d’être éprouvante vos numéros sont très au point mais ma crédulité n’est qu’apparente jusqu'où irez-vous trop loin ?
217
jamais là quand on vous cherche jamais là où l’on vous cherche prévenez tous vos démons Mercure, Neptune et Pluton de plus demander le bon Dieu sans confession ça suffit, j'arrête ce bref aparté j'me paye votre tête on dirait la vôtre ou la mienne vos dés sont pipés j'ai rien à attendre de votre bonté votre complexité n’est qu’apparente la fin justifie les moyens fait partie de vos clés évidentes comme brouiller les pistes sans fin
jamais là quand on vous cherche jamais là où l’on vous cherche. Chaque fois que le climat musical d’une mélodie me semble agressif, j'écris un texte qui va dans ce sens, ce qui me permet quelques
défoulements.
218
La sieste Texte : Françoise Hardy. Musique : Jean-Noël Chaléat.
et si tu mettais le répondeur c’est mieux qu’ les boules Quies t’as pas remarqué que c’est l’heure de faire la sieste? t’agiter trop tôt s(e)rait une erreur t’as besoin d’repos a dit l’docteur et moi c’qu’il me faut c’est d’la douceur
ferme les volets et n’aie pas peur j'suis pas une ogresse tant pis si tu es d’mauvaise humeur malade et le reste tant pis si tu t’plains de la chaleur faut qu’on achète un ventilateur en attendant viens sinon je pleure
219
tu sens bon l’eau de toilette
jme sens des intentions malhonnêtes c’est drôle comme souvent les parfums montent à la tête au temps pour moi je regrette
t’as toujours été un séducteur pardonne ma faiblesse j'peux pas résister j'ai des vapeurs au diable les promesses ça m’démange les doigts d(e)puis tout à l’heure si tu m’donnes le droit j'fais un malheur du style attentat à la pudeur sit’es
à vendre, je t’achète j'irai jusqu’à laver tes chaussettes qu'est-ce que tu dirais 220
de prolonger notre sieste sit’es d’accord, je suis prête
ya quetes baisers tes battements d’cœur qui au fond m'intéressent faut m’les réserver fais pas d’erreur ou j'te mets en pièces j'veux pas t’partager chacun ses mœurs si tu viens m’vanter
l'amour à plusieurs j'te mets au piquet et j’dors ailleurs. J'adore la légèreté et l'humour de cette chanson. Les Anglais firent une rythmique bien trop lourde qui ne respectait pas son esprit, au point que je la réenregistrai peu après avec Bernard Estardy à qui je n’eus pas besoin d’expliquer dans quelle direction il devait aller, puisqu’elle s’imposait d’elle-même. Autant j’avais eu du mal à chanter
sur la première
et lamentable
orchestration
qui figure
hélas sur l’album, autant ce fut un vrai bonheur sur la seconde. Les
Anglais
auxquels
j’eus affaire travaillaient essentiellement
avec un
synclavier et Bernard me demanda comment j’avais pu chanter avec de fausses cordes toutes légèrement décalées d’un quart de ton entre elles et le reste. Jamais, en effet, je n’avais eu de telles difficultés de
justesse. Lorsqu’en général on chante juste et qu’on se met à chanter faux, il faut en chercher la cause. Elle peut venir d’un mauvais retour 221
de voix, d’un excès de réverbération dans le réglage du son de la voix, mais aussi d’instruments mal accordés et parfois de cordes trop omniprésentes
et trop chargées
qui noient en partie l’écoute de la
VOIX.
Je suis de trop ici Texte : Françoise Hardy. Musique : Jean-Noël Chaléat.
biche aux abois qui passe elle a tout pour que l’on veuille l’apprivoiser la beauté et la grâce elle a tout pour elle et moi je ne peux pas lutter pas besoin d’préavis ni de point sur les i un seul regard a suffi j'ai compris sensible et réfractaire tu as tout pour que l’on cherche à t’attirer le charisme, le mystère tu as tout pour toi, comment pourrait-elle résister? le charme de l’inédit lattrait de l’interdit ont fait le reste, moi je suis de trop ici le soir
descend si triste sinoir 222
je vais tomber sans bruit tout au fond de la nuit je pars tu perds la mémoire cauch(e)mar du voile qui se déchire impression de mourir
ça crève tous les yeux le courant magique qui passe entre vous deux et j’attise le feu malgré moi, je rends vos jeux un peu plus dangereux être intruse dans ta vie je refuse, j’ai envie de disparaître car je suis de trop ici le soir
s’étend trop vite trou noir je suis tombée sans bruit tout au fond de ma nuit
tu pars je perds tout espoir qu'y faire? qui parle de souffrir quand je me sens mourir?
223
y a quelque chose dans l’air quelque chose de trouble m’empêche de respirer me prive de lumière quelque chose, quelqu'un... soudain mon miroir s’est brisé une faute d’harmonie pour qu’une autre mélodie se mette en place, oui je suis de trop ici. C’est peut-être la chanson que je préfère de toutes celles avec JeanNoël. Elle est la sublimation réussie d’une douleur par laquelle nous passons tous un jour ou l’autre. Quand on a la chance d’avoir un petit don pour faire des chansons, ce genre de sublimation n’atténue pas la douleur, mais aide à la supporter, car le sentiment d’avoir réussi quelque chose de beau à partir d’une déchirure fait du bien. Un jour où, pour je ne sais plus quelle raison, j’étais chez Serge (Gainsbourg), il me fit entendre les premières mesures de Ÿe suis de trop ici pour me dire: “Ça, je ne sais pas faire...” C’était le plus grand compliment qu’il puisse m'adresser, alors qu’il donnait l’impression de ne pas trop s'intéresser à ce que faisaient les autres chanteurs. J’avoue que recevoir ce compliment inattendu de la part d’un tel génie dans son domaine pour une chanson que peu de gens connaissent, mais dont je suis particulièrement fière, me mit du baume au cœur.
Arrêtons Texte : Françoise Hardy. Musique : Xavier Géronimi.
météo: temps nuageux les conditions atmosphériques changent, je 224
cherche à tâtons les bonnes et les mauvaises raisons
de ces foutues perturbations qui aggravent tout: inhibitions, confusion, illusions
j'ai beau tourner des tas d’boutons toutes ces satanées stations font de la désinformation arrêtons
j'suis au bord d’la dépression arrêtons météo : temps orageux sautes de tension jusqu'où va-t-on jouer ce jeu de destruction? j'ai beau varier les positions lotus, poirier, califourchon j'ai beau baisser, monter le ton arrêtons
j'suis au bord d’la dépression j'ai perdu l'inspiration pas géniale de toute façon arrêtons
météo : temps orageux 225
situation
plutôt critique d’un moi-je sans réaction je dors pas bien, j’ai des boutons plus mal aux reins et ganglions ces va-et-vient sont plus d’saison arrêtons il dit rien: ni oui, ninon
j'suis au bord de l’explosion ldoux objet de ma passion m'’donne bien peu satisfaction moi qui aime pas les papillons j'suis au bord d’la démission arrêtons…
Vibrations Texte : Françoise Hardy. Musique: Rico Conning.
des pistes verglacées à peine esquissées tous ces slaloms m'épuisent, m’assomment j'en ai assez des des des des
signaux inversés portes cad(e)nassées jeux d’cache-cache coups qui gâchent 226
tout
faut qu’ t’écartes tes quatre murs qu’on s’éclate sans rupture qu’on ait besoin de s’faire du bien faut qu’on parte à l’air pur qu’on s’colmate nos blessures j'ai tant besoin qu’on s’fasse du bien enfin j'veux des vibrations à l’unisson cellules grises dégrisées seuil limite frisé j me sens en cage comme un otage j'en ai assez des citrons pressés et autres panacées j'en ai ma claque j men fous, je plaque tout 227
pour
nous
faut q qu’on abatte les murs qu’on s’éclate et qu’ ça dure qu’on ait besoin d’créer des liens faut qu’on parte sous l’azur qu’on adapte nos pointures j'ai tant besoin qu’on s’fasse du bien enfin j'veux des vibrations à l’unisson au diapason entre les différences sources et de l’attirance et des problèmes de fond je cherche des vibrations pour faire le pont des vibrations à l’unisson des vibrations au diapason.
228
J'adore
me
remémorer
le moment
où, après
quelques
fous
rires,
Jean-Noël et moi fimes avec jubilation les chœurs qui arrivent à la fin de ce morceau.
Laisse-moi rêver Texte : Françoise Hardy. Musique : Étienne Daho.
regard bleu pâle qui filtre à travers les cils je me sens mal verdict le cœur trop fragile ne plus trembler regard bleu pâle qui teste intense, immobile
pression brutale du geste audacieux, habile
ne plus jouer
mais se laisser séduire n'être plus que désir et objet se laisser, se laisser aimer 229
le laisser, le laisser m’aimer laisse-moi, laisse-moi rêver laisse-moi, laisse-moi rêver
douceur spéciale du grain de peau sous les doigts moment crucial comme un éclair qui foudroie ne plus parler
issue fatale déjà je vole en éclats ne plus penser brûler du même
désir
se fondre et s’évanouir en fumée se laisser, se laisser aimer le laisser, le laisser m’aimer laisse-moi, laisse-moi rêver laisse-moi, laisse-moi rêver.
Étienne Daho
m’apporta
les musiques
d’Arrétons et de
Vibrations,
composées, la première par Xavier Géronimi et Boris Crepinior, deux musiciens qui l’accompagnaient, et la seconde par Rico Conning, un 230
musicien-producteur britannique
avec qui il avait travaillé. Laïsse-
moi rêver était une composition à lui. En réécoutant aujourd’hui ces trois titres, il me semble qu’ils ont bien vieilli.
Dire tout Texte : Françoise Hardy. Musique : Jean-Pierre Mader et P Double.
tout dire tout des effets et des causes qui ouvrirent le feu essayer de parler de ces choses qui un jour vous rentrent par les yeux
et ressortent en affects douloureux dangereux
tout dévoiler tout avant que ça n’explose arrêter le jeu de l’indifférence, faire une pause
le courant qui va d’la tête aux doigts chercher à l’inverser juste une fois d’lui à moi
tout pour mettre un terme à cette léthargie qui paralyse insidieus(e)ment ma vie
au gâchis des sentiments cachés retenus, empêchés 231
comprimés sublimés
tout dire tout ce que jamais je n’ose
passer aux aveux arriver à exprimer ces choses qui un jour vous rentrent par les yeux et vous cassent aussitôt l’cœur en deux rien de mieux
tout comment dire tout sans un seul signe de lui comment franchir tous les sens interdits qu’il brandit et je fais marche arrière dans mon imaginaire où j'espère solitaire
tout pour en finir avec la comédie “bonjour, ça va? il fait beau aujourd’hui bien dormi?” abolir la distance la peur et le silence les tabous et dire tout lui dire tout... Alain
Puglia, le PDG
demanda
de
ma
à Jean-Pierre Mader
maison
de
disques
à cette
époque,
qu’il avait également signé, s’il avait 232
quelque chose à me proposer. Jean-Pierre m’envoya une mélodie qui me plut et qui devint Dire tout.
La vraie vie, c’est où ? Texte : Françoise Hardy. Musique : William Sheller.
avec mes pulls, mon piolet tous mes tralala verrai-je un jour le sommet l'Himalaya ? j'tire un peu la langue et même j' perds mes mailles et je caille je déraille toi tu bâilles aïe aïe aïe
des fois
d(e)vant ma tasse de thé au lait — Darjeeling extra — j peux pas bien m’imaginer le nirvana j'trouve pas la détente et même des fois j prends en grippe tous ces types qui s’agrippent à leur trip trip de lutte ou trip de chute si on discute au bout du trip 233
y a quoi? où sont passés les sorciers les grands Initiés ceux qui ont les clés? où trouver les gourous y a pas d’Katmandou la vraie vie c’est où? au fond de ma tasse de thé y a des p(e)tits chinois qui sont en train d’se noyer tu comprends pas faut un maît(re) nageur et c’est pas moi tu t’fourvoies j't’aime / j’t’aime pas charabia cinéma y a pas qu’ ça l'herbe du diable, la p(e)tite fumée finalement j’sais pas si on d(e)vrait pas imiter Castaneda qu’on y croie ou bien qu’on n’y croie pas y en a marre qu’ la vie s’barre au hasard sans savoir la vie s’barre en moins d’regards 234
qu’il faut pour voir qu'y a pas d’espoir qu’y a rien. Voici
ce que
j'ai noté
dans
le fichier
concernant
cette
chanson:
“Chanson non éditée, texte d’abord écrit sur la musique de William Sheller à sa demande, maïs refusé par lui, la même musique avec un autre texte de William figurant sur son disque sous le titre de Darjeeling. Puis avec l’autorisation verbale de William, j’ai enregistré sa musique avec mon texte sur l’album Décalages. Situation éditoriale jamais régularisée, malgré mes demandes réitérées. ” Encore aujourd’hui, je m’interroge. demander “ encore un petit effort” à ce cher William?
Partir quand même Texte : Françoise Hardy. Musique : Jacques Dutronc.
partir quand même pendant qu’il dort pendant qu’il rêve et qu’il est temps encore partir quand même au moment fort briser les chaînes qui me lient à son sort vont faire de moi un poids mort un objet du décor partir quand même avant qu’il veuille 235
Devrais-je
couper mes ailes et dompter mon orgueil
partir quand même partir d’abord quitter la scène dans un ultime effort avant de dire “je t’aime ” que le piège se referme partir quand même rester maître
de ses jeux et de mes énigmes disparaître à ses yeux ne plus donner signe avant de n’plus pouvoir revenir en arrière avant qu’il soit trop tard pour éviter la guerre avant de dire “je t’aime ” savoir partir quand même... Un jour, dans la maison où nous avons vécu vingt-quatre ans, au 13 de la rue Hallé, j’entendis pour la première fois un beau thème
mélodique,
où je travaillais.
en
provenance
Quand
Jacques
de
l’étage
au-dessus
sortit de la pièce
de
consacrée
celui à la
musique, je voulus savoir ce que c’était et il m’apprit qu’il s’agissait 236
de sa dernière me demanda
composition. Ayant
constaté
mon
enthousiasme,
il
le lendemain si je “ sentais” d’écrire un texte dessus.
C’est ainsi que naquit le texte de Partir quand même, inspiré par le problème que Jacques m’a toujours semblé avoir avec l’engagement. Malheureusement,
en raison d’un arrangement musical aberrant, il
ne parvint pas à chanter la chanson. Aussi, quand il fut question que je fasse un nouvel album, me donna-t-il son feu vert pour que je tente de l’enregistrer à mon tour. Bien qu’un peu lourde, l’orchestration anglaise fut plus efficace. Je préfère celle plus légère, plus subtile, d’Erick Benzi qu’il fit des années plus tard pour un duo avec Julio Iglesias, et pour laquelle nous demandâmes à Thomas d’apporter les réponses guitaristiques qui manquaient. Il y a de formidables chansons qui ont du mal à trouver l’orchestrateur idéal. Cela aura été le cas pour celle-là. Un soir de début 2008, je reçus un coup de fil d'Henri (Salvador). Chaque fois qu’il me téléphonaiït, je percevais une timidité vis-à-vis de moi qui me touchait d’autant plus que j'adorais depuis toujours son immense talent ainsi que sa voix et sa façon de chanter. “Sur mon prochain album, m’annonça-t-il, je vais enregistrer Partir quand même avec quarante musiciens.” Je me demande même s’il ne me parla pas de son ami Quincy Jones pour la réalisation. J’étais au deuxième étage de notre duplex et je descendis en trombe au premier apprendre la nouvelle à Jacques. Nous étions heureux comme tout à l’idée que cette belle chanson trouve enfin son interprète et son orchestration rêvés. Hélas, Henri disparut peu après.
En musique
1988,
ou
de
Jacno
peu
avant,
pour
les
j’écrivis
un
deuxième
mêmes
raisons
texte
et dans
les
sur
mêmes
conditions que celles qui avaient prévalu pour le texte précédent:
237
une
Tout m’fout en rogne Texte : Françoise Hardy. Musique : Facno.
c’est pas un lit c’est une paillasse c’est pas une fille
c’est une grognasse qu'est-ce qui m’a pris ? faut que j'me casse faut que j'déplie ma carcasse j'ai les yeux qui sont plus en face des trous la nuit quand j'suis en chasse souvent j'me dis grand bien m'’fasse
car d’toute façon j’aime personne j'aime pas les femmes ni les hommes d’toute façon tout l’monde m’assomme les Blancs, les Noirs et les Jaunes
c’est quoi la vie? tirer des chasses des alanguies ou des voraces c’est beaucoup d’bruit et beaucoup d’crasse beaucoup d’ennui 238
et de poisse j mets au défi l’premier qui passe d’m’offrir un d(e)mi à une terrasse tous des pourris des limaces mais d’toute façon j’aime personne j'aime pas les femmes ni les hommes rien n’m'intéresse ni n’m’étonne j me marre que quand tout déconne si j'suis bouffi vire-moi les glaces mais pas l’whisky y a qu’ ça qui passe ya qu’ ça qu’'agit contre les angoisses et pour l’oubli en surface si jsuis aigri cherche pas des traces d’maman enn(e)mie
pas douce, pas classe c’est plus ça qui
me tracasse car d’toute façon j'aime personne 239
d’toute façon tout m’fout en rogne j'aime pas les babas au rhum j'aime pas les poires ni ma pomme...
1989 Cette
année-là
sortit
une
compilation
avec
une
seule
chanson
dont j'avais écrit le texte sur une très bonne musique de Jean-Noël Chaléat: En résumé, en conclusion. La première version de Jean-Pierre Mader avait eu du succès mais n’actualisait pas assez à nos yeux le potentiel de la chanson, ce qui m’incita à la refaire au Mountain Studios à Montreux, en compagnie de Jean-Noël et sous la houlette de David Richards, l’ingénieur du son, et d’Erdal Kizilcay (musicienproducteur) qui ont beaucoup travaillé avec David Bowie.
En resumé, en conclusion Texte : Françoise Hardy. Musique : Jean-Noël Chaléat.
il parle pas beaucoup il sourit et c’est tout — et c’est trop — jai le pressentiment d’un terrain très glissant
il s’entoure d’un igloo jme d(e)mande à quoi il joue — si il joue — ses regards déroutants m'’attirent comme un aimant 240
qui me dira à quoi ça sert la mémoire si j peux pas fuir déjà la souricière qui s’prépare? en résumé ça va faire mal j'vais plonger ce type va m'infliger lPsupplice de Tantale en conclusion bonjour les cernes j'en réponds ce type est un poison
à usage interne attention poison sans rémission c’est comme une marche arrière que je suis en train d’faire d’quoi j’ai l’air? retour au point zéro d’un très vieux scénario
devant lui mes repères 241
s’écroulent ou s’font la paire j'désespère cœur usé en lambeaux qui repart au galop qui me dira à quoi elle sert ma mémoire si j peux pas planter là cette souricière dérisoire? en résumé ça va faire mal j'suis touchée ce type va m’attacher comme un animal en conclusion si ce type ferme sans façon j'irai toucher le fond sait-il que je l’aime? attention amour sans rémission.….
1990-1993
BLUES
1902 721995
1990 C’est probablement l’année précédente que Julien Clerc me fit venir chez lui et me chanta ses nouvelles mélodies en s’accompagnant au piano. Je me souviens de ma
consternation en les entendant. Elles
me paraissaient en effet très inférieures à ce à quoi il avait habitué ses fans, dont j'étais. Voyant que rien ne m’accrochait vraiment, il évoqua un air au sujet duquel il semblait avoir quelques doutes. Dès que je l’entendis, je sus que c’était typiquement le genre de mélodie susceptible de m’inspirer quelque chose et repartis avec. Le texte que j'écrivis exprimait mes propres états d’âme et non ceux, que je ne connaissais pas, de Julien. J’ai été surprise que la maison de disques choisisse cette chanson comme premier single, car je trouvais qu’il y en avait de bien supérieures sur l’album, en particulier Le chiendent de Jean-Claude Vannier pour les paroles, de Julien pour la musique. Et encore plus surprise qu’elle ait tant de succès et nous vaille une Victoire de la musique. Au fond, je pense que ce n’était pas trop une chanson pour Julien que je trouve meilleur dans les grandes mélodies qu’il a l’art de composer et qui inspirent à ses paroliers des textes lyriques où il est vocalement plus à l’aise qu’avec des mots simples de tous les jours comme ceux de Fais-moi une place.
245
Fais-moi une place Texte : Françoise Hardy. Musique : Fulien Clerc.
fais-moi une place au fond d’ta bulle et si j't’agace si j’suis trop nul je deviendrai tout pâle, tout muet, tout p’tit pour qu’ tu m’oublies fais-moi une place au fond d’ton cœur pour que j’t’embrasse lorsque tu pleures je deviendrai tout fou, tout clown, gentil
pour qu’ tu souries j'veux qu’ t’aies jamais mal qu’ t’aies jamais froid et tout m'est égal tout, à part toi je t’aime
fais-moi une place dans ton av(e)nir pour que j’ressasse moins mes souv(e)nirs je s’rai jamais éteint, hautain, lointain 246
pour qu’ tu sois bien fais-moi une place dans tes urgences dans tes audaces dans ta confiance je s(e)rai jamais distant, distrait, cruel
pour qu’ tu sois belle j'veux pas j'veux pas j voudrais Pgoût du je t’aime
qu’ tu t’ennuies qu’ t’aies peur qu’ tu oublies malheur
une petite place ici, maint(e)nant
car le temps passe à pas d’géant je me ferai tout neuf, tout beau, tout ça...
pour être à toi...
I1991I
Ne me rappelant plus du titre de Paradis d’espace écrit pour Diane Tell, j’ai utilisé la fonction Recherche de l’ordinateur et suis tombée des nues en lisant sur l’un des fichiers sortis que j’avais cosigné une chanson de Patrick Juvet en 1991, Solitudes. Ne pas m’en souvenir au 247
point de mettre en doute le fait que j’en aie écrit le texte me trouble. J'ai déniché facilement cette chanson sur YouTube.
chanson,
remarquablement
réalisée
et chantée,
C’est une bonne
mais
qui n’éveille
aucun écho en moi. De plus, je ne connais pas le mot “ boulage” qui figure dans le texte et dont j'ai dû chercher la signification, assez floue, sur Internet. Il est possible que ce soit Patrick Juvet (que je ne crois pas avoir rencontré et dont j'adore la chanson Faut pas rêver) qui ait mis ce mot à la place de je ne sais quel autre. Car le doute n’est pas permis quant à ma petite contribution à son album -— qui porte le même titre que la chanson.
Solitudes Texte : Françoise Hardy. Musique: Patrick Fuvet.
y a trop de désirs parasites trop de tentations qui me harcèlent et m’incitent à pas lâcher mes démons y a trop de paumés satellites et d’invitations à des plaisirs illicites moi j’ai jamais su dire non à ces effets spéciaux qui font tomber de haut aux boulages, au pipeau, qui
vous
cassent
en
morceaux
j'en ai marre d’la solitude 248
trop de détours et de fuites par appréhension de l’amour et de ses suites mais j’suis quand même en prison me demande pas où j'habite ni quel est mon nom si le mot d’passe c’est shit on est presque au diapason des qui des qui
effets très spéciaux laissent sur le carreau idées mégalos tombent toujours à l’eau
j'en ai marre d’la solitude j'en ai marre et des effets spéciaux qui me mènent en bateau des péchés capitaux qui usent les points vitaux j'en ai marre d’la solitude j'en ai marre d’la solitude
249
1992 En 1988, la promotion télévisée était devenue une telle épreuve que je voulus arrêter ce cirque. Mon contrat avec Flarenasch touchait à sa fin et son PDG, Alain Puglia, espérant sans doute un effet positif sur les ventes de l’album Décalages, me demanda l'autorisation d’annoncer publiquement mon retrait. Déterminée à ne pas aller plus loin, j’acceptai. Je pensais naïvement m'en pour d’autres, ce qui fut le cas pendant trois ans.
sortir en écrivant
Impossible de me rappeler quand, exactement, j’écrivis les textes sur deux musiques d’Alain Lubrano -— il avait été l’assistant du studio sur l’album Décalages — avec qui j'avais conclu un accord après
avoir entendu
quelques-unes
de ses maquettes.
Ce
éditorial dont
je
suis sûre, c’est qu’il avait promis sa première chanson à Dani dont il était alors le compagnon. Quand je l’entendis, j’eus un coup de foudre pour la mélodie et acceptai donc d’en écrire le texte. Je ne me souviens pas non plus des circonstances qui firent que ce fut moi qui finalement l’enregistrai pour un double CD, Urgence, destiné à récolter des fonds pour la recherche sur le sida et auquel participèrent vingt-sept autres artistes. Alain et Dominique Blanc-Francard produisirent S7 ça fait mal dans le mythique studio Plus XXX, et je fus enchantée du résultat. La chanson aurait dû s’intituler Même si ça fait mal, mais le titre avait déjà été déposé par deux illustres inconnus que je dus rencontrer dans l’espoir d’un arrangement. Ils posèrent des conditions tellement impossibles que nous dûmes nous résigner à remplacer le mot “ même ” du titre par des points de suspension.
250
.… Si ça fait mal Texte : Françoise Hardy. Musique et titre : Alain Lubrano.
drôle de douleur comme un bébé qui pleure une absence, une pesanteur comme un manque de chaleur où il les passe toutes ces plombes ? qui le ramasse quand il tombe ? s’il m’arrête trop souvent pour panser le mal fait sans y penser je l’inciterai à me chasser
peu à peu de ses pensées même
si ça fait mal
drôle de chagrin comme un p(e)tit chat qui a faim comme plus lui tenir la main quand il se sent pas bien où il se casse quand ça tombe ? qui il embrasse qui il tombe ? s’il m’arrête trop souvent pour changer 251
son mal en bien prolongé j'élimin(e)rai mon corps étranger de son cœur désagrégé même
si ça fait mal
2° fois :
je ferai tout pour désagréger cet amour non partagé même
si ça fait mal
le temps déplace les zones d’ombre et les coups d’grâce en surnombre s’il m’arrête trop souvent pour panser la mal fait sans y penser
je l’inciterai à me chasser peu à peu de ses pensées même
si ça fait mal...
Ayant aperçu Alain Lubrano en ma compagnie, Alain Puglia s’y intéressa et lui fit signer un contrat de chanteur sur un nouveau label dont il me confia la charge et que j’intitulai Vibrations. Mes souvenirs de cette période sont flous, mais je suis étonnée de constater que j’écrivis au final neuf textes sur des musiques inédites d’Alain et que son unique album, Eaux troubles, s’enregistra la même année. Il y eut même Puglia
une réédition en 1993 avec la chanson S% ça fait mal qu’Alain nous
demanda
d’enregistrer 252
en
duo.
J’acceptai
plusieurs
émissions
de
télévision
beaucoup.
C’est
pour
promotionner
probablement
la même
ce
duo
que
année
que
Lewis
j'aimais Furey
tourna un merveilleux clip de Sï ça fait mal, avec Alain et moi. Sur le plan de la réalisation musicale cette deuxième version était différente de la première mais tout aussi réussie.
Profil Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
lui
il brûle sa vie se met au défi rapports de force, fureur et bruit batailles de pouvoir de yens, de dollars femmes d’un seul soir de hasard
et tout au fond la peur le vide, l’ennui
et tout au fond du cœur la nostalgie elle
tourne dans la cage d’un drôle de mariage où y a pas eu de lune de miel
253
s’invente des voyages pour chasser l’image d’un horizon sans passion
comment casser le mur de l’habitude vaincre le temps, l’usure la solitude ? comme un train qui suit toujours les rails elle peut pas agir ni dire bye bye le destin l’a collée dans un moule et elle coule tout le temps
pendant qu’elle attend il n’a pas le temps de prendre le temps de temps en... tant d’heures perdues pourtant à courser le vent et faire semblant d’être content comment
sortir une fois
de sa prison moins écouter la voix
de la raison? 254
elle silencieuse et sage s’invente des voyages une autre vie, un autre ciel
prend de l'altitude change de latitude destination émotion loin du train qui jamais ne déraille elle décolle, s’envole, elle dit bye bye loin des freins, des rites, des mascarades
elle s’évade.… Les discographies indiquent l’année 1992 comme première date de sortie à la fois de Sï ça fait mal et de Profil d’un album Epic/Sony destiné au marché japonais. La chanson Profil était une commande d’une chaîne de magasins japonais qui me valut un voyage à Tokyo, et elle sortit discrètement
en 1993
en France sur une compilation
BMG qui avait repris la société Vogue et distribuait les disques Sony. Les clichés qui circulaient sur l’homme et la femme japonais m'inspirèrent le texte que j’écrivis sur une jolie musique d’Alain très différente de celle de Sÿ ça fait mal.
255
La fuite en avant Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
le bout du tunnel? suis mon r(e)gard. lav(e)nir éventuel ? déjà noir pour me faire la belle c’est trop tard mais de toutes les façons j'coupe l’image et le son rien à cirer d’avoir tort ou raison j'roule à mille à l’heure et j m’éclate pour des âmes pas sœurs scélérates qui filent du malheur à la carte des meufs givrées, bidon du genre pute ou poison des expertes imbattables en destruction quand t’es mal dans l’présent quand t’es mal dans tes sentiments tu peux te faire le plan de la fuite en avant de l’anesthésie générale
256
j'étais mal dans l’présent au secours maman j'ai forcé sur le plan de la fuite en avant j'ai dû juste m’endormir je sais plus où est ma tire. c’est sûr, je vais m’en sortir moins souffrir. un arrêt dans le temps terminus: on descend j'étais le meilleur client de la fuite en avant...
Baby doll Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
dis-moi, tu dis quoi des fois, dis
baby doll ? tu diriges l'as dix piges ma parole. tu divagues tu fais des vagues des rigoles tu disqualifies scies déboussoles
257
vas-y, tire bien sur tout c’qui bouge toujours plus fort, toujours dans l’rouge dis-moi: tu dis quoi, dis-moi baby doll tu discutes tu dis zut tu décolles tu disputes et t’exécutes Pierre ou Paul tu fais des grandes phrases nases comme une folle claque bien le blé, les doigts, les portes le monde entier est à ta botte me cherche pas, sauf où t’es pas, me réveille pas, de là où t’es pas
je m’suis pas trouvé où t’as jamais été laisse-moi rêver où t’iras jamais
des mois que tu dis quoi, dis baby doll? tu déguises à ta guise tu t’crois drôle ? ça t’distrait 258
d’tirer des traits ça t’console
quand tu discrimines mines des mongols vas-y, aiguise ton sens critique balance tes flèches, tes pointes, tes piques
me cherche sauf où t’es me réveille d’là où t’es
pas, pas, pas, pas,
j'me suis pas trouvé où t’as jamais été laisse-moi rêver où t’iras jamais.
Dormir debout Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
liaisons hasardeuses
faux prétextes lésions nerveuses
connexions douteuses dans l’cortex
quand j’étais entier je filais droit et doux gentil, civilisé,
bien passe-partout quand je l’ai plus été après l’coup d’grisou qui m’a catapulté 259
au fond du trou
r’étais envolée, moi dans la merde jusqu’au cou zombie déglingué au point de dormir debout quand j'étais entier je menais la vie banale d’un type clean, régulier recommandable les plombs ont sauté pas loin des cervicales je pouvais plus distinguer le bien du mal comment résister à l’attraction du dégoût ? je m'suis désisté au point de dormir debout, dormir debout quand j'étais entier les gens me trouvaient fiable attentionné, discret
un vrai régal à moitié dessoudé on m'a pris pour un diable un mec à éviter un marginal et j’ai décroché et j’t’ai cherchée partout et je t’ai rêvée 260
au point de dormir debout dormir debout... dormir debout...
Comment savoir ? Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
foutu dedans, mis dehors
pour problème de fermeture sous tous rapports immature mais la mémoire, c’est dans le corps... comment savoir où tu vas? quand ça va? le besoin de toi m’étrangle un peu je ferme les yeux, je plonge. j't’ai bien plantée, malmenée et quoi encore? comment savoir qui je suis qui tu suis? le besoin de toi me coupe en deux j'ai plus d’feu je plonge et je me noie dans un verre d’eau imbécile comment savoir où tu es? deux, trois photos de toi, c’est si facile
je te perdrai jamais depuis trop de temps, je te retiens je bois ton verre pour ne pas oublier. tant de nuits, tant de jours
261
comment savoir Où tu vas quand tu vas? le besoin de toi m’étrangle un peu me fait vieux je plonge. et je me noie à mes risques et périls comment savoir où tu en es? deux, trois photos de toi au fond c’est facile je ne te bless(e)rai jamais depuis trop de temps je te retiens je bois ton verre pour ne pas oublier. depuis si longtemps en exil presque immobile comment savoir qui tu aimes qui tu es? le besoin de toi me casse un peu c’est le jeu je plonge. et je me noie dans des questions inutiles comment savoir où je vais ? deux, trois photos de toi, c’est trop facile jamais je ne te perdrai.….
Parallèle Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
ni gages ni promesses je n’suis pas vraiment de l’espèce 262
des chiens qu’on caresse tient en laisse. pas la place pour deux personnes dans c’casino où la donne sent pas bon la nuit dévoile ses lueurs de faux-semblants les anges sales vont surgir du néant la radio parle sur fond neutre, indifférent
infos jetables pour désastre imminent piégé par une vague vague rangé des sirènes lassé des états d’âme qui portent aux extrêmes puis éteignent.… elle est pas née la madone qui pourra faire qu’ j’abandonne mes démons le temps s’emballe un seul doigt sur le volant quitter les rails et se faire le tournant piégé par une vague vague rangé des arènes lassé des échanges d’armes 263
dans tous les domaines piégé en terrain vague rangé des Cheyennes lassé des visages pâles qui injectent dans les veines lPamour-haine piégé par une vague vague dernier à l’appel le jour où je rends l’âme j'irai dans un ciel parallèle.
Eaux troubles Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
toutes sortes de personnes marchent dans les rues femmes et hommes à peine entrevus j’attire pour rien, des sourires inconnus
tu me tiens comme une cause perdue oublie-moi chaque jour un peu plus t'as pas le choix, affaire entendue ça vient de loin, l’envie de rien faire j'aurais besoin d’un pote, d’un frère pour faire le point, tenter d’y voir clair et que demain soit mieux qu’hier car toi et moi, mêmes dépendances 264
même goût pour les eaux troubles, souffrance faiblesse qui enveniment les relations trop intimes de toi à moi toutes sortes de personnes croisent mon chemin me questionnent souvent pour mon bien
toutes sortes de femmes cherchent à me prendre la main mais le charme ne va pas plus loin oublie-moi chaque nuit un peu plus c’est comme
ça
message bien reçu je mettrai du mien pour descendre sur terre trouver quelqu'un du moins j'espère un jour, demain, t’auras des nouvelles tout ira bien, la vie sera belle car toi et moi, même
même
attirance
goût pour les eaux troubles, souffrance.
265
La situation Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
c’est facile pour toi de t’acharner sur une cible que tu as dessinée insensible cadeau empoisonné ce débile qui sait jamais demander, décider, fuir, insister, laisser tomber la situation n’est pas très claire qui veut passer la marche arrière qu’on en finisse avec ce massacre ? j'enrage c’est subtil de me voir à ton idée malhabile attentiste et muet pas possible comment t’as deviné ? ces vieilles clés tellement rouillées la pudeur des douleurs, pleurs intérieurs, frayeurs majeures la situation n’est pas très claire je ne te jette pas la pierre 266
qu'est-ce qui retient d’passer aux actes? j'enrage la situation n’est pas très saine faudrait pourtant que tu comprennes je me méfie du point d’impact je nage overdose si tu m’écoutes je propose quoi qu’il en coûte une seule chose balayer les doutes si on ose reprendre la route se mélanger, s’éloigner rire, déprimer laisser aller la situation n’est pas claire je ne te jette pas la pierre c’est pas ta faute si je manque d’air.…. Pendant
les séances
d’enregistrement, Dominique
Blanc-Francard
et moi avions constaté qu’Alain n’avait pas les qualités requises pour chanter. Ce fut sans doute la raison pour laquelle son parcours de chanteur s’arrêta là.
267
1993 Quand
Christophe
chanson
deux
Rose,
Étienne, Étienne
mélodies
qui
le compagnon avait rendue
lui étaient
de
Guesch
célèbre, vint me
destinées,
j’acceptai
tenter un texte sur chacune d’elles. Cela donna
Patti
que
trouver
sans
hésiter
sa avec
de
Un peu, beaucoup, à la
Jolie que Guesch enregistra en 1995 en faisant quelques écarts un tant soit peu malvenus concernant le texte lui-même et la mise en place qui allait avec. Elle ne fut pas intéressée par La saison des pluies dont la mélodie est moins intéressante que celle de la première chanson, mais dont le texte est l’un de mes meilleurs. Il se fonde sur le symbolisme de quelques lames majeures du Tarot de Marseille qui m’intéressait beaucoup à cette époque-là. De retour dans les studios à partir de 1995, je l’enregistrai moi-même en 2000 pour l’album Clair-Obscur. Hélas, ni la production ni moi ne fûmes à la hauteur de cette chanson.
La saison des pluies Texte : Françoise Hardy. Musique : Christophe Rose.
tourne la Roue
de la Fortune m'en aller où dans la nuit sans lune? dans le brouillard hostile qui imprègne la ville qui embrume ma vie c’est la saison des pluies
tourne le Monde aux quatre coins 268
l'orage gronde j'entendrai moins bien l'ange noir quand il passe quand ses ailes me froissent le battement de ses cils léger, imperceptible tourne le Mat dans tous les sens
le temps se gâte quoi que tu en penses trouver la direction du rêve, de la raison ne m'est plus guère possible tout tenait à un fil
fil du temps électrique la vie, l'amour? des jeux pris dans une logique beaucoup plus forte qu’eux plus forte que tes beaux yeux Partie parlée sur la partie instrumentale : vent force 7 à 8 mer forte à agitée avis de froid humide dépression annoncée prudence recommandée mauvais temps persistant réseaux routiers précaires nombreuses pannes de courant 269
progression de l’hiver sur tout le territoire les nuages seront noirs et la marée aussi ; . . c’est la saison des pluies… tourne le Pendu au bout d’une corde tel est mordu qui avait cru mordre nos violons se sont tus avant qu’ils ne s’accordent brisés à leur insu en plein cœur du désordre tourne l’Ermite avec sa lanterne
valse implicite entre les extrêmes agir ou laisser faire ? l’ombre ou bien la lumière ? mais du nord jusqu’au sud c’est la même solitude tourne la Roue
de la Fortune m'en aller où dans la nuit sans lune? vers quelle destination quelle mission impossible ? la folie? la raison ? 270
tout ne tient qu’à un fil fil du temps élastique la vie, l'amour? des jeux pris dans une logique tellement plus forte qu’eux plus forte que nous deux petits fétus de paille déchirés, inflammables
tout petits grains de sable si légers, si friables vent force 3 à 4 mer calme, peu agitée plus besoin de se battre la tempête est passée maïs le ciel reste gris c’est la saison des pluies …
Un peu... beaucoup... à la folie. Texte : Françoise Hardy. Musique : Franck Langolff.
tu m'aimes
un peu? beaucoup ? tu m'aimes comment ? jusqu'où ? jusqu’à quand? 271
pas du tout c’est flagrant je t’aime à la folie je t’aime pour la vie j'te d’mande pardon c’est juste une chanson une manière de m'distraire
juste une manière d’moins souffrir en attendant de guérir du mal de toi qui me lâche pas Danv: d’l’envie que tu me touches de tes yeux, de ta bouche je m’sens plus rien et j'aurais besoin d’un signe de vie enfin tu m'aimes pourquoi? pour qui? pour toi ou moi?
pour rire? pour détruire? et partir sans rien dire?
272
je t’aime à la folie et j'aime plus ma vie j'effeuille des fleurs
pour tuer les heures souvent je pleure j'ai si peur d’aimer plus rien ni personne avec ce poids de cent tonnes l’poids du malheur que j’ai dans l’cœur de mes mains sans tes mains du début de la fin ma tête explose d’une overdose de doute et de silence à qui tu penses ?
1994-1998
1994-1995 C’est en 1994 qu’Étienne insista pour que nous dînions avec Fabrice Nataf qui avait été son premier PDG
chez Virgin.
Comme
je lai
raconté plusieurs fois, celui-ci eut la phrase historique, surprenante dans la bouche de quelqu'un dont la fonction est d’assurer le meilleur
chiffre d’affaires possible à la société qui l’emploie: “ Ce qui compte, ce n’est pas que les disques se vendent, mais que les chansons existent.” Autrement dit, il était prêt à me signer sans obligation de promotion. Soucieuse de faire les choses plus sérieusement que d’habitude, je signai finalement avec Emmanuel de Buretel qui avait succédé à Fabrice Nataf chez Virgin. Depuis
l’âge de dix-neuf ans, où un grave problème génétique
cardiaque avait failli l'emporter, Alain Lubrano se savait condamné à moyen terme et était très seul. L’envie de travailler avec lui et de contribuer d’autant
à le faire plus
forte
connaître chez
moi
et reconnaître que
ses
fut une
musiques
me
motivation plaisaient.
Parallèlement, j'étais une grande fan du groupe Kat Onoma 1988, et j’adorais, entre autres, les boucles mélodiques
que Rodolphe
depuis
envoûtantes
Burger, le leader du groupe, composait. J’eus donc
assez vite l’idée d’aller dans une direction musicale rock and roll avec 277
ces deux amis. Fin 94 et tout 95, j’écrivis tous les textes de l’album sur huit morceaux d’Alain, trois de Rodolphe et deux de Jean-Noël. Je fus particulièrement
inspirée
et très heureuse
du résultat final.
Alain réalisa ses titres et, en plus des siens, Rodolphe s’attaqua à ceux de Jean-Noël. L'enregistrement eut lieu dans le mythique studio ICP
de Bruxelles avec le déjà légendaire ingénieur du son Djoum.
L'ambiance
harmonieuse
entre Rodolphe, Alain et moi était tendue, mais devint
dès l’arrivée d’un Jean-Noël
souriant et très heureux
d’être là, à ICP, avec nous.
Mode d’emploi Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
la tourner sept fois dans sa bouche à défaut la donner au chat ne pas broncher quand il fait mouche essayer qu’elle reste de bois la différence pourrait bien menacer l’autre joue. son silence ne dit rien ne me dit rien du tout des remous
la planquer au fond d’une poche et ne plus desserrer les dents y a-t-il ou non anguille sous roche ? ver dans le fruit? fièvre dans le sang? 278
pour des raisons pratiques
— me comprenne qui voudra — j'aim(e)rais que l’on m'indique où se trouve le mode d’emploi je ploie sous le poids à chaque pas chaque fois je ploie sous le poids ne jamais le vider vraiment
ne pas en montrer tous les tours ni se faire prendre la main dedans en claquer des centaines par jour
l'indifférence peut très bien servir de garde-fou... voyez-vous son silence ne dit rien mais parle aussi beaucoup très entre nous. entre nous pour des raisons — me devine qui j'aim(e)rais que un peu mieux le je ploie
techniques pourra — l’on m’explique mode d'emploi
279
sous le poids à chaque pas chaque fois je ploie sous le poids... — Début novembre 1994.
Les madeleines.… Texte : Alain Lubrano et Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
quand il s’en va chercher sa madeleine il sent déjà le lait le caramel
mais s’il prend les vessies pour des lanternes il s(e)ra saigné très vite aux quatre veines doucement, gentiment
comme un enfant innocent boit-il du jus d’orange ou fume-t-il des mélanges 280
qui lui font voir la mer en plein désert? quand il s’en va chérir sa Madeleine quand je le vois courir à perdre haleine ouvrir ses bras charmants à la vilaine
qui cassera ses dents de porcelaine nez
au vent,
comme
un
en
rêvant
enfant
innocent
à quinze pieds du sol il pare d’une auréole les guêpes pas du tout folles qu’il trouve en solde quand il s’en va chercher sa Madeleine
281
je me mets à pleurer comme une mad(e)leine il connaît pas vraiment les stratagèmes
qui datent pourtant d’avant Mathusalem et il s’en va
croquer sa madeleine puisqu’il la croit dorée sucrée au miel et les gens rient de lui comme des baleines
but don’t you take all this too personnel nez
au
comme
vent, un
en
rêvant
enfant
innocent
282
la tête dans les nuages il part dans des voyages où tous les marécages
sont transparents. —Mai 1994.
Sur la maquette
qu’Alain m’envoya,
le premier
couplet
était écrit
par lui, ce qui orienta le reste du texte. Impossible de savoir ce que j'aurais fait sans ce couplet aussi original qu’inspirant.
Le danger Texte : Alain Lubrano et Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
tu te croyais à l’abri du danger tu avais fermé la porte, tout rangé tiré quelques traits gommé des portraits des ratures, des bavures
camouflé les blessures de ta vie tout rangé comment pouvais-tu sentir le danger? tu récitais ta leçon, sans bouger rendais les devoirs jamais en retard appliquais les consignes sans lire entre les lignes de ta vie sans bouger 283
tu n'auras pas vu venir le danger il ne te reste plus rien: tout changer revoir ta copie remuer les amis les ennuis, les envies
les désirs et les sens
de ta vie tout changer je voudrais t’amener tout ce qui fait du bien pouvoir redessiner les lignes de ta main conjurer le malheur être assez forte pour deux mais je retiens mes larmes, mes rêves mes cris et je voudrais te dire ça ira mieux demain t’arracher un sourire mais tu n’entends plus rien c’est peut-être la peur qui rend aveugle et sourd qui étrangle l’amour en étouffe pour toujours les cris. — Fin janvier 1994.
284
Là encore, je reçus la maquette
avec le premier
couplet en partie
écrit, il me suffisait d’enchaîner. Alain adorait sa mère et elle souffrait
depuis
peu
d’un
cancer
qui
l’emporterait
rapidement.
pensant à elle qu’il rédigea l’émouvant premier couplet.
Ici ou là? Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
le navire sent le roussi
et même pire il est cuit. y aurait-il un raccourci pour sortir
d'ici? ici ou là des tours infernales ici ou là des bancs de sable ici ou là le feu du diable ici ou là
pardon si j'vous dérange mon bel ange mais chez vous fait-il doux 285
C’est
en
plus doux? le bateau a des ennuis il prend eau jour et nuit plein le dos des avaries comment fuir d’ici?
ici ou là souffle un vent glacial ici ou là la mer est sale ici ou là grève générale ici ou là pardon si jvous appelle du bordel mais je vous cherche partout
partout ici ou là qui tient le bon bout? ici ou là pourquoi pas nous? ici ou là 286
où êtes-vous ici ou là? — Fin juillet
1994.
Zéro partout Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
ce qu’on doit faire, ce qu’on doit pas faire j'ai pas besoin d’un pape pour ça à condition qu’y ait pas la guerre la débâcle au-dedans de moi à condition que mes contraires ne pèsent pas le même poids ce qu’il faut dire, ce qu’il vaut mieux taire j'ai pas besoin d’un psy pour ça à condition d’avoir les nerfs assez solides pour les états qui me replongent trop en arrière ou qui me tirent vers le bas plus rien à perdre plus rien à voir c’est zéro partout plus rien à perdre veux-tu Savoir à quel point je m'en fous ? mon doux seigneur si je vous offense c’est juste parce que j’ai froid aux yeux 287
et que parfois ma résistance à la douleur faiblit un peu chacun ses torts, ses divisions
chacun ses morts et son poison plus rien à perdre le seul problème bien sûr c’est l’amour son absence, ses contrefaçons je ne propose aucun concours car je gère mal mes émotions en résumé: tes longs détours auront bien fait péter mes plombs plus rien à perdre plus rien à voir c’est zéro partout plus rien à perdre veux-tu Savoir à quel point je mens plus rien à perdre plus rien à boire zéro jusqu’au bout plus rien à faire va-t’en savoir à quel point je m'en. fous. —Mai 1994.
288
À sa merci. Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
glisser entre les doigts tomber en poussière risquer le tout pour le rien briser en mille éclats
les cages de verre lâcher loups et chiens. il fait ça très bien
comme une messe comme
une orgie
comme une guerre à sa merci
mise en demeure je n’ai vraiment pas droit à l’erreur mise en danger victime désignée, innée je glisse. là, sous ses yeux de ciel et d’enfer je lisse mes plumes, replie mes deux ailes
289
je fixe en plein milieu le cœur du mystère il est tout c’que j’aime il fait ça très bien mieux que le ciel avec la terre mieux que le sel au fond de l’eau
au pied du mur je ne compte plus les coups, les coupures pourquoi lutter? les dés sont jetés, jy vais, je. .… glisse et s’il fait feu c’est comme il préfère il risque ma peau bien plus que ma haine il vise
entre les yeux sans en avoir l’air tuer qui il aime il fait ça. — Avril 1994.
290
Tout va bien Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
que puis-je ajouter que tu ne saches déjà et si tu restais ça avancerait à quoi? chercher l’erreur partir ou rester est-ce que le problème est là ? mieux vaut affronter les lézards au fond de soi chercher l’erreur
je te vois souffrir baisser les bras au point de mentir même à toi même à chercher nommer chercher
ton cœur... l’erreur les peurs l’erreur
pour pas qu’on meure à p'tit feu dans son coin conforté par les âmes sœurs qui nous veulent du bien tout va bien 291
c’est certain ça ira même
mieux demain
dixit pythies et devins tu vas bien je vais bien on se tient à distance, et vu de loin c’est l’bonheur au quotidien tout va très bien
si ton but était de limiter les dégâts alors je me tais pour mieux me mordre les doigts courir ailleurs
cacher mes pleurs chercher l’erreur
en profondeur
pour pas qu’on meure peu à peu dans son bain nettoyé par des âmes sœurs qui nous veulent du bien tout va bien c’est certain ça ira même mieux demain dixit pythies et devins
292
tu vas bien je vais bien on se tient à distance et vu de loin c’est l’bonheur au quotidien bien, tout va bien tous témoins optimistes, costauds, sereins
dans l’attente du dernier train tout va très bien suite et fin va et vient
l'amour du soir au matin as-tu besoin d’un dessin ?
pourquoi tu dis rien? plus jamais rien. — Fin mai, début juin 1994.
L’obscur objet Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
vous êtes l’obscur objet des désirs les plus clairs mais vous restez figé cramponné à quels repères? vous la cible idéale 293
des flèches les plus légères vous commettez le mal en ne voulant pas en faire
cessez de vous poser les questions qui servent à rester sur vos positions
cessez d’étouffer vos émotions comme vous faites vous êtes le clair objet des désirs les plus sombres et moi-même d’ailleurs j’ai tant couru après votre ombre
cessez de vous terrer dans une antre qui sert à cacher les peurs qui vous hantent
cessez d’échapper à votre centre comme vous faites moi
je décroche un peu à force de marcher sur des œufs moi j'appelle de mes vœux des sauts beaucoup moins périlleux 294
si tel était l’enjeu que l’honneur soit sauf à vos yeux si vous n’allez pas mieux j'ai morflé pour quoi nom de Dieu ?
vous êtes l’obscur objet des désirs les plus clairs que vous découragez à votre étrange manière vous êtes — en clair — sujet aux pensées les plus sombres
pourquoi ne pas changer juste une fois de longueur d’onde ? cessez d’éluder le vrai problème voyez où vos préjugés vous amènent cessez d’incriminer qui vous aime comme vous faites moi — désormais hors jeu — je balance tout ce que je veux pas de fumée sans feu 295
ni feu sans fumée dans les yeux
vous par contre — avouez-le — ne trichez-vous pas quelque peu?
tout ça n’est pas sérieux faut-il dire tant pis ou tant mieux? vous êtes l’obscur objet des désirs les plus clairs et vos moindres rejets ont des effets pervers vous la cible idéale vous le cœur en hiver qui faites tant de mal en ayant peur d’en faire. — Début février 1995.
Je n’ai vu que très récemment le film Cet obscur objet du désir de Luis Buñuel que je n’ai pas aimé. Mais le titre m’avait toujours frappée et je l’empruntai sans vergogne. Pour en revenir à la chanson, la mélodie était rythmiquement trop difficile pour moi et, en certains endroits, Alain dut faire un travail titanesque de remise en place de ma voix. Si on prête l’oreille, cela s’entend, ce qui n’est pas très heureux
et me rappelle l’un des moment
les plus pénibles de mes
séances d’enregistrement. Quand on n’a pas ce qu’avait Ella Fitzgerald (Ella, elle l’a) et que certains rythmes vous sont étrangers, le compositeur ne pense pas à vous faire travailler sa mélodie avec lui avant les séances, de façon à 296
vous apprendre à rectifier à temps ce que vous faites de travers. Vous vous amenez comme une fleur au studio après avoir beaucoup
travaillé
dans votre coin — je parle pour moi — et pris des faux plis dont vous n'arrivez plus à vous défaire et qui favorisent une ambiance à couper au couteau dans le studio, à cause du mécontentement impatient et énervé du compositeur. Il est même arrivé que celui-ci imagine que je faisais exprès de ne pas être en place, parce que je n’appréciais pas la chanson!
La seule fois où l’on me fit travailler avant les séances,
ce fut avec Tuca, qui vint chez moi pendant un mois, plusieurs jours par semaine, pour me faire répéter ses mélodies. En direct au studio CBE, avec un contrebassiste de jazz et elle-même à la guitare, nous n’eûmes pas besoin de plus de deux ou trois prises pour que tout soit dans la boîte.
La beauté du diable Texte : Françoise Hardy. Musique : Rodolphe Burger.
destination plus ou moins connue. porté ou non disparu ? pas sûr... passé pas simple avenir exclu la beauté du diable le rend identifiable
entre tous. sa beauté du diable
aveugle qui 297
la regarde en face et malgré lui cloue sur place vous crucifie par sa présence sans domicile histoires décousues.…
imprévisible ambigu. cœur pur... vie dissolue mort violente prévue la beauté du diable le rend inoubliable entre tous. sa beauté du diable entraîne qui
la voit de trop près vers la folie à jamais vous démolit par son absence. — Début août 1994.
Jadore
la rythmique
que
fit Rodolphe
Burger,
mais
nous
eûmes
quelques désaccords en séance de voix. Je tenais à ne pas articuler certaines
finales
et à en faire un
peu
traîner d’autres.
Rodolphe
n’apprécia pas et je me pliai donc à ses desiderata, mais quand il eut 298
le dos tourné, je demandai à Djoum de refaire une prise à mon idée
et c’est celle qui fut finalement retenue.
Dix heures en été Texte : Françoise Hardy. Musique : Rodolphe Burger.
comment décrire le jardin dévasté dix heures du soir en été... à quoi bon vous dire le chaleur lourde d’avant la foudre ? la vie qui part la terre qui s’ouvre le feu aux poudres. dans leurs regards entre leurs mains, la fin de l’histoire
à tout jamais la beauté niée détournée… l'orage éclaté la pluie qui tombe dans un fracas de fin du monde... on aimerait rire
des faux soupirs au moins lui dire le vain miroir
qu’elle tend, les fards le vent qu’elle vend 299
comment décrire tout le carnage d’après l’orage? dix heures en été la nuit qui tombe dans un néant de fin du monde... il devrait fuir les faux sourires se dessaisir du vain miroir qu’elle tend, des fards du vent qu’elle vend... — Début août 1994.
Dès
que j’entendis
atmosphère
cette boucle
à la Marguerite
magique,
j’eus l’impression d’une
Duras. J’écrivis le texte un soir d’été
orageux, vers 22 heures. Ce n’est qu’après l’avoir terminé que je me souvins d’un livre de ce grand écrivain, avec la vague impression d’une similitude entre son titre et celui qui s’était imposé à moi. Il y avait un nombre impressionnant de livres dans notre grande maison du XIV° arrondissement, et je mis du temps
à dénicher un
très vieil exemplaire broché et tout jauni de Dix heures et demi du soir en été. Je le relus et réalisai que mon texte résumait en quelques mots ce qu’exprimait le roman. Encore aujourd’hui, quand quelqu’un évoque l’album Le danger, c’est presque toujours cette chanson qui est citée.
300
Contre-jour Texte : Françoise Hardy. Musique : Rodolphe Burger.
le soleil en contre-jour çà et là quelques contours quelques ombres floues... noir et or
l’odeur sucrée des glycines la douceur que l’on devine menaçante comme l’eau qui dort il lui disait dans un souffle qu’il voulait ce qu’elle voulait elle le voulait plus près d’elle il lui disait dans un souffle
gentiment, comme à regret qu’il ne fallait pas qu’elle l’aime
un murmure, à peine un souffle pour éteindre le feu qui naît ou pour incendier les veines dans la bouche un goût de cendres combien d’années à attendre que les souvenirs s’évaporent combien d’années de mort lente pour qui remonter la pente esclave en son âme, en son corps ?
301
il lui disait dans un souffle de ne pas l’abandonner de le garder sous son aile elle répondait dans un souffle les toujours et les jamais de la passion qui déferle quelquefois les hommes qui souffrent préfèrent les lieux tempérés les tons gris ou bleu pastel comme ces fleurs bardées d’épines
sa douceur est assassine
éloignez de vous l’eau qui dort quand arrive la fin du jour regrette-t-il les amours aux couleurs de feu, noir et or? —Fin mars 1995.
J'aime particulièrement ce texte qui fait partie de mes préférés.
Regarde-toi.… Texte : Françoise Hardy. Musique : Jean-Noël Chaléat.
regarde-toi au fond des yeux les hommes ont tort d’accuser Dieu ce dieu du fond des âges qu’ils créent à leur image 302
aveugle et sourd, si orgueilleux
regarde-toi au fond du cœur écoute un peu battre ses peurs maquillant ta faiblesse sous des couleurs diverses tu t’es laissé prendre à ton jeu regarde-toi au fond de l’âme ni tous mes bleus ni tous tes blâmes ni ton indifférence n’en altèrent l’innocence
je t’aimerai toujours pour deux... Il est très difficile d'aborder le vaste et complexe domaine de la spiritualité dans une chanson et j’étais contente de mon premier couplet, car ce que j’y dis sur Dieu me semble une réalité essentielle à laquelle on ne pense pas assez. Jean-Noël n’était pas arrivé à composer un pont, et la mélodie s’avéra difficile à orchestrer. Après quelques essais infructueux, nous décidâmes de piano-voix. Ce fut sans doute la bonne décision.
faire
Un peu d’eau Texte : Françoise Hardy. Musique : Jean-Noël Chaléat.
un peu d’eau qui coule et scintille puis s’arrête juste au bord de ses cils et l’amour qui passe s’arrête aussi
un peu d’eau... ce n’est rien, dit-il 303
un
simple
rien du tout : une petite escarbille et le rêve qui passe s’envole aussi un peu d’eau et le temps change le combat n’est pas fini qui oppose le diable à l’ange dresse la mort contre la vie
accordez-lui juste un peu d’eau dans son cœur un peu d’eau l’eau vive de ses pleurs un peu d’eau au bord de ses cils qui frémissent, redeviennent immobiles et l’amour qui passe se fige aussi un peu d’eau... quand donc s’écrie-t-il lâcherez-vous vos lubies infantiles? et la haine qui passe le raffermit un peu d’eau et le ton change le jour cède devant la nuit quelque chose en lui se venge quelque chose qui le détruit accordez-lui juste un peu d’eau dans son âme un peu d’eau 304
l’eau pure de ses larmes
un peu d’eau dans son cœur un peu d’eau l’eau vive de ses pleurs un peu d’eau, un éclair qui brille vient voiler un instant ses pupilles et l’amour qui passe me trouble aussi un peu d’eau... c’en est trop dit-il arrêtez ces délires imbéciles! et le rêve qui passe se brise ainsi un peu d’eau pour qu’il s’épanche — il est son pire ennemi — qu’il arrête de scier la branche sur laquelle il est assis accordez-lui juste un peu d’eau dans son cœur un peu d’eau l’eau vive de ses pleurs un peu d’eau dans son âme un peu d’eau l’eau pure de ses larmes. — Février 1995.
305
J'aime beaucoup malgré
une
cette chanson
deuxième
version
qui n’eut pas le succès faite
à Montreux
avec
escompté, le tandem
David Richards-Erdal Kizilcay et plus efficace que la première, due à Rodolphe, malgré aussi un beau clip tourné à Séville. Le texte évoque un comportement auquel j’ai dû me confronter souvent et qui consiste à faire deux pas en arrière pour un pas en avant. On trouve ce genre de profil chez le personnage masculin joué par Daniel Auteuil dans le film bouleversant de Claude Sautet, Un cœur en hiver.
J'utilise d’ailleurs cette expression dans un autre texte (L’obscur objet)
du même
album.
1997-1998 La sortie du Danger en 1996 me valut la meilleure presse possible mais fut un échec commercial qui dut être préoccupant et douloureux pour Alain Lubrano, car il succéda à celui de son propre album. Mon prochain album ne sortirait qu’en 2000. D'ici là, j’écrivis assez peu. Il y eut d’abord le texte de Yeanne écrit en juin 1997 pour et avec le groupe Air sur lequel Virgin misait gros. Plus que chaudement recommandés, Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel vinrent chez moi me montrer la jolie mélodie qu’ils me destinaient et que nous enregistrâmes peu après. Elle figura sur leur single Sexy boy qui sortit en
1998.
Puis
on me
demanda
une
chanson
de Jane Birkin, À la légère, qui sortirait en
novembre
pour le futur album
1998,
97, le texte de La pleine lune sur une
Lubrano.
306
et j’écrivis, début
musique
d’Alain
Jeanne Texte : Françoise Hardy. Musique : Nicolas Godin et Jean-Benoîit Dunckel.
Jeanne met toutes ses billes dans la course au pouvoir, au succès Jeanne n’est pas à court de ressource pour séduire qui lui plaît Jeanne connaît bien l’art des retouches et l’envers du décor elle corrige la forme de sa bouche les lignes de son corps ref. petite Jeanne deviendra grande
quand ses rêves auront changé petite Jeanne deviendra forte quand ses jouets préfabriqués s(e)ront usés (22 fois : “ cassés ”)
Jeanne aim(e)rait dîner au champagne tous les soirs de l’année éclipser les autres par son charme son talent, ses idées
307
Jeanne voudrait avoir à ses pieds des amants riches et beaux au bras de qui elle sourirait à la une des journaux ref. Jeanne voudrait dormir dans la soie le velours, le satin
Jeanne en veut, fait tout, croise les doigts
pour aider le destin non Jeanne n’a pas besoin qu’on lui fasse un dessin.
La pleine lune Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
désolée d’avoir tiré bel oiseau rare
vous m’aviez le premier fusillée vingt fois du regard désolée
votre arme était posée sur la table
308
quelle idée! on ne devrait jamais tenter le diable! on ne devrait jamais tailler des costumes ni montrer les dents aux fiancées présumées quand la pleine lune fait tourner les sangs légitime défense c’est une présomption d’innocence la mort vous va si bien j'envisage de devenir un rien nécrophage
on ne devrait jamais voler dans les plumes ni compter les heures des fiancées chavirées quand la pleine lune accélère le cœur légitime démence petit meurtre sans importance... légitime défense c’est une présomption d’innocence
309
désolée vous étiez si changeant si immoral désolée je n’voulais pas vraiment vous faire de mal je parle et je parle
mais vous restez sourd et muet étrangement pâle. ne changerez-vous jamais ? Je me
suis bien amusée
à écrire ce texte. Le mot
“désolée”
étant
irrésistible dans la bouche d’une Anglaise, ce fut mon point de départ. Pour la suite, je m’inspirai de la personnalité pleine d’humour et de fantaisie de Jane. Hélas, la production fut détestable et le producteur commit l’erreur de la faire chanter encore plus haut que d’habitude, alors que l’inverse aurait été nettement plus indiqué. Voilà pourquoi je repris un peu plus tard La pleine lune, mais le résultat ne fut pas non plus à la hauteur de mes espérances. Dommage!
Cela m’affecte
toujours quand on passe à côté d’une bonne chanson à cause d’une réalisation inappropriée.
2000-2004
françoise
Rfairobscur hardy
2000 L'album Clair-Obscur qui sortit en 2000 eut un succès dû à la géniale chanson Puisque vous partez en voyage de Jean Nohaïin et Mireille qui avait enregistré la version originale avec Jean Sablon en 1935. J’ai le souvenir d’une promenade solitaire dans un sentier désert du bois de Boulogne au début du printemps, tout près de là où nous habitions. Les buissons etles arbres qui commençaient à bourgeonner et à fleurir m'’enchantaient.
Mon
humeur
était euphorique,
comme
souvent à
cette période de l’année quand, d’un seul coup, cette chanson me vint à l’esprit. Je me
mis
à la fredonner
et, tout
aussi subitement,
l’idée de la reprendre en duo avec Jacques (Dutronc) s’imposa. À ce sujet, j’ai souvent dit que, de là où elle était, Mireille avait dû me l’insuffler, mais j’ai regretté de ne pas y avoir pensé de son vivant, car elle nous aimait beaucoup et cela l’aurait comblée de joie. Jacques admirait Mireille et accepta tout de suite ma proposition. Mireille aimait aussi beaucoup Thomas. Il lui amena des tas de copains au Petit Chaillot où il la vit sur scène pour la première et dernière fois, car il eut un véritable coup de foudre pour ses chansons. Je tenais à ce qu’il assure la guitare de la reprise de Puisque vous partez en voyage, pour que nous soyons présents tous les trois sur l’enregistrement. 313
L'album est inégal et peu homogène. Les quatre bonnes chansons que j’ai parolées sur des musiques d’Alain Lubrano, souffrent d’une mauvaise réalisation. Il s’agit de Ducks-blues et de La vérité des choses, ainsi que de La pleine lune et de La saison des pluies déjà évoquées. Le texte que j’écrivis sur Tears, une musique de Django Reinhardt et Stéphane Grappelli, est original. Mais dès lors que leurs héritiers m’accordaient l’autorisation exceptionnelle d’écrire un texte sur la mélodie de ces deux génies de la musique, il allait de soi qu’il s’agirait d’une forme d’adaptation. Jacques écoutait rarement de la musique à la maison,
c’est pourtant
là que
j’entendis
pour la première
fois
Tears dans la version de Chet Atkins et Mark Knopfler, et je m’enquis aussitôt de ce que c’était. L’envie d’en faire une chanson me démangea vite. Comme il s’agissait de la musique de prédilection de Thomas, il assura la guitare solo et organisa la participation de ses amis manouches
à l’enregistrement de la rythmique au studio Plus XXX.
Je découvris ainsi la difficulté à gérer ces talentueux et sympathiques artistes qui se plient de mauvaise grâce à certaines règles. Le fils de Django, dit Babik, né comme réalisation musicale. Nous
nous
moi
en
1944, fut en charge de la
souvenions
l’un autant
que
l’autre
de l’après-midi où, adolescente, j’étais venue chanter à la prison de Fresnes devant un public de jeunes prisonniers parmi lesquels il était. Ces “ mauvais garçons” m’avaient réservé un accueil aussi chaleureux que respectueux qui m’attendrit encore quand j’y pense!
Tous
mes
souvenirs
me
tuent
Musique instrumentale de Django Reinhardt et Stéphane Grappelhi. Adaptation : Françoise Hardy. tous
mes
souvenirs
me
tuent
les trop tard, les jamais plus 314
où sont la douceur de vivre les beaux jours, le bateau ivre d’idéal et d’absolu
je voudrais que rien n’efface la magie, l’état de grâce de nos paradis perdus les rêves, l'amour fou
la beauté surtout de l’avenir devant nous
tous mes souvenirs me tuent. la perte de l’innocence… cette douleur que relancent
mensonges ou malentendus ça me semble hier à peine le soir tombe sur la Seine comme sur les espoirs déçus. ainsi va la vie la fête est finie même Paris n’est plus Paris tous mes souvenirs me tuent mais toi-même comment vas-tu ?
que devient le mal de vivre qui t’empêchait de me suivre? comment as-tu survécu ? —1999.
315
Jose espérer que mon texte transmet en partie l’indicible mélancolie du thème
mélodique
de
Tears. Ma
préoccupation
majeure
en tant
qu’auteur aura toujours été de me mettre au service du cadeau du ciel qu’est une belle mélodie hauteur.
Contre
et d’arriver autant que possible
vents
et marées
Texte de Françoise Hardy, écrit sur l’instrumental d'Eric Clapton : < Theme from a movie that never happened”.
oublie les apparences le silence n’est jamais immobile
toute attente a un sens aie confiance imagine les forces en présence continue ton effort pense au but, cherche encore le monde et toi êtes soumis à des lois songes-y quelquefois
avant que tu t’élances que tu danses que tu coures sur ton fil que tes belles évidences ta violence tombent en ruines bien des deuils t’attendent.. 316
à sa
tu dois juste avancer regarder sans tricher la vérité suivre ta route coûte que coûte contre vents et marées si nul n’échappe à ces orages qui balayent au passage les repères qui éteignent la lumière. dans la nuit noire tôt ou tard va briller un espoir et germer ta victoire arme-toi de patience la souffrance n’est jamais inutile elle élève en silence tisse les fils invisibles d’une autre naissance
vois la mer qui se calme le soleil dans les arbres sèche tes larmes sois vivant, reste vrai
contre vents et marées. —
Août 1998.
317
Ayant découvert un peu par hasard un instrumental d’Eric Clapton, Theme from a movie that never happened,
qui figurait en face B de je
ne sais plus quel single, j’en avais adoré le thème mélodique au point d’avoir envie d’écrire un texte dessus pour en faire une chanson. Je me souviens avec émotion de la séance où Thomas fit la guitare, ainsi que de la mémorable soirée où nous allâmes écouter Clapton au Zénith et fimes sa connaissance avant son concert. Il fut adorable,
félicitant Thomas et allant jusqu’à jouer à mon intention quelques mesures sur scène de ce beau morceau. J’ai oublié quand exactement son petit garçon de trois ans se tua en tombant par la fenêtre d’un gratte-ciel. Cette tragédie inspira à son père une chanson aussi déchirante que belle: Tears in heaven, et je l'avais présente à l’esprit pour le texte sur fond de spiritualité de Contre vents et marées.
Clair-obscur Texte : Françoise Hardy. Musique: Khalil Chahine.
clair-obscur je n’aime rien tant que la fêlure qui lézarde le mur de sa résistance sombre et pâle fragile et pur comme un cristal transparent, idéal quand j'y pense et je me tiens ni trop près, ni trop loin passager clandestin 318
d’un rêve incertain je sais qu’il ne va pas vraiment bien je n’attends rien je lui tends juste la main il a fermé à double tour pour pas souffrir, pour pas pleurer car il croit que l’amour peut tuer clair-obscur je n’aime rien tant que la blessure protégée par le mur de ses apparences sombre et pâle coupant et dur comme un métal mon ange, comme tu fais mal quand j’y pense etilse tient toujours à mi-chemin du rejet, du besoin de ce qui l’atteint je sais qu’il ne va pas vraiment bien je n’attends rien je lui tends juste la main il ouvrira sa porte un jour pour voir le ciel, pour respirer et l’amour entrera sans frapper. — 16 décembre 1990.
319
Vive Internet qui permet de rafraîchir la mémoire et d’éviter certaines erreurs. J'avais complètement oublié que j'avais d’abord écrit le texte de Clair-Obscur pour un album de Khalil Chahine, venu à la maison me faire entendre sa sublime mélodie et me demander d’en écrire le texte. Dans un premier temps, je crus avoir fait une faute de frappe en ayant tapé 1990 au lieu de 1999 sur le fichier où se trouve le texte. Prise de scrupules dans un deuxième, je fis l’effort de vérifier et constatai que ce morceau avait d’abord été enregistré par Khalil sur son bel album Zurkoïse sorti en 1991 et interprété par Serge Ponsar, un talentueux chanteur. Je me souviens par contre avoir été vraiment contente de mon travail que je trouvais parfaitement adapté à la musique, aussi beau et émouvant qu’elle. Mais quand Khalil vint entendre la voix que j’avais enregistrée sur sa maquette, je le vis se rembrunir de plus en plus, pour finir par me dire qu’il ne supportait pas le mot “ amour” et qu’il était impératif que je trouve autre chose à la place. Grande fut ma consternation, car il me semblait impossible de changer la moindre virgule de ce texte. Heureusement, les amis de Khalil auxquels il fit entendre la maquette insistèrent pour qu’il n’y apporte aucune modification, ce qui le sauva. Petit regret: je préfère la réalisation de Khalil sur Turkoïse à celle qu’il fit pour moi. Mais je continue de penser que l’album Clair-Obscur vaut à la fois par le duo avec Jacques, et par les trois titres exceptionnels évoqués.
Ducks-blues Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
quelle vie de chien quel monde de loups bien malin qui me dira où 320
trouver la douceur échapper aux nouveaux délateurs j'aim(e)rais bien tenir le coup mais j’ai rien qui soit à ton goût les goûts, les couleurs t’appelles ça des cas de force majeure j'appelle ça des différences et honni soit qui mal y pense du haut de son intellect mon brillant Barbe-Bleue s’amuse à trancher les têtes comme il veut, quand il veut
au fond de son placard déplumé, comateux lPvilain p(e)tit canard marche sur des œufs frotte ses yeux les assassins
sont parmi nous allez viens faire d’une pierre deux coups décide des erreurs lance tes flèches en tout bien tout honneur
321
avec des idées toutes faites on coupe le monde en deux pour mieux pouvoir mettre en miettes qui on veut, comme on veut au fond de son brouillard hésitant, laborieux
lPvilain p(e)tit canard rêve du juste milieu flotte un peu c’est pas par hasard même s'ils font de leur mieux qu’ les vilains canards sont souvent boiteux pauvres vieux! j’aim(e)rais comprendre à quoi on joue ne plus dépendre des garde-à-vous plus me pendre à ton cou plus jamais tendre l’autre joue. —1998.
322
La vérité des choses Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
balayer la poussière qui s’amoncelle oublier les histoires personnelles regarder le ciel aller vers l’essentiel balayer un avenir pas très rose dégager la vérité des choses démêler les causes des questions qui se posent dans la nuit d’été partir en fumée sous une pluie d’étoiles sentir s’éloigner les images qui font mal lâcher à jamais les années triviales voir enfin émerger un calme idéal balayer toutes les erreurs de jeunesse cultiver un début de sagesse. 323
la beauté du geste est la seule qui nous reste sous la Voie lactée dans l’air parfumé et la douceur du soir sentir s’envoler les tristesses, les déboires entendre s’élever un air de guitare... comme un appel, comme qui repart.
un espoir
Été 1997. C’est en 2000 qu’Henri Salvador sortit son album Yardin d’hiver qui fit un carton, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps et le remettait
à sa juste place.
m'avait téléphoné
pour me
Quelques
semaines
parler de cet album
plus
tôt, il
et de son désir
d’enregistrer un duo avec moi. Me sachant vocalement pas du tout à sa hauteur, je lui fis valoir qu’il y avait beaucoup de chanteuses bien meilleures que moi et qu’il aurait intérêt à s’adresser à l’une d’elles. “ Oui, mais c’est toi que je veux”, me répondit-il sur un ton très touchant dont le souvenir me remue encore. Il m’envoya la musique qu’il avait composée pour que j’en écrive le texte. La chanson
s’intitula Le fou de la reine, mais la réalisation musicale,
minimaliste
et peu
porteuse,
ne
m’aida
guère
à chanter
une
mélodie un peu trop étendue pour moi, au point que, quand je fis un album de duos en 2006, je pensai tout de suite à la reprendre avec Khalil Chahine et Thomas. Grâce à eux deux et au talent d'Henri qui eut la gentillesse de se prêter au jeu, la deuxième version me paraît nettement meilleure que la première. 324
Le fou de la reine Texte : Françoise Hardy. Musique : Henri Salvador.
de vous à moi il y a tant de pas beaucoup trop je crois la nuit tombe déjà entre rire et larmes j'ai perdu mon âme à vos jeux de dames et de rois
j'étais pour vous un clown voilà tout l’idiot et le fou tellement fou de vous pardon jolie dame de quitter le jeu je dépose les armes adieu de vous et moi il ne restera pas grand-chose je crois vous êtes loin déjà votre rire, mes larmes
quelques bleus à l’âme pour un pauvre diable 325
aux abois
car je n’aurai jamais été pour vous qu’un clown voilà tout lPidiot et le fou tellement fou de vous adieu jolie reine rendez-le heureux ce prince qui vous aime pour deux... — Avril 2000.
2004, Ce fut l’année du début de mes problèmes de santé par lesquels, malgré ma fragilité, j’avais eu la chance d’être épargnée jusque-là. Sans eux, la chanson Tant de belles choses n’aurait pas existé, car c’est la conscience que je ne serais peut-être plus là à la fin de l’année pour ceux que j'aime, en particulier pour mon fils auquel je m’adressais directement en l’occurrence, qui m'inspira ce texte sur une mélodie de Pascale Daniel envoyée par Alain Lubrano. Il y a plusieurs chansons inspirées sur cet album qui eut du succès — ceci ne découlant pas forcément de cela. J’écrivis neuf textes et ce fut ma première collaboration non seulement
avec
Pascale
Daniel,
mais
aussi
avec Thierry
Stremler,
mélodiste français, Perry Blake, artiste irlandais, dont j’enregistrai deux très beaux morceaux dans leur version originale, ainsi qu’avec Ben
Christophers,
dont la chanson My
auteur-compositeur-interprète beautiful demon,
entendue
Inrockuptibles, m’avait littéralement scotchée. 326
dans
britannique, l’émission des
Le directeur artistique de Virgin, ma maison de disques depuis 1995, insista pour que Thomas
réalise quelques titres. Connaissant les
difficultés inhérentes à la réalisation musicale d’une chanson, j’hésitai un peu avant de donner mon feu vert. Peut-être appréhendais-je l'extrême tension qui régit souvent les rapports réalisateur-chanteur quand ce dernier découvre l’orchestration en studio et qu’il n’y adhère pas à cent pour cent. Ce fut finalement un véritable plaisir pour moi de l’avoir à mes côtés — un peu moins pour lui, sans doute — et le résultat me combla.
Tant de belles choses. Texte : Françoise Hardy. Musique : Pascale Daniel et Alain Lubrano.
même s’il me faut lâcher ta main sans pouvoir te dire “ à demain” rien ne défera jamais nos liens même s’il me faut aller plus loin couper des ponts, changer de train l'amour est plus fort que le chagrin
l'amour qui va sublimer transformer tu as tant de
fait battre nos cœurs cette douleur le plomb en or belles choses à vivre encore
tu verras au bout du tunnel se dessiner un arc-en-ciel
et refleurir les lilas tu as tant de belles choses devant toi 328
même si je veille d’une autre rive quoi que tu fasses, quoi qu’il t’arrive je s(e)rai avec toi comme autrefois
même si tu pars à la dérive l'état de grâce, les forces vives reviendront plus vite que tu ne crois dans l’espace qui lie ciel et terre se cache le plus grand des mystères comme la brume voilant l’aurore il y a tant de belles choses que tu ignores
la foi qui abat les montagnes la source blanche dans ton âme penses-y quand tu t’endors l'amour est plus fort que la mort dans le temps qui lie ciel et terre se cache le plus beau des mystères penses-y quand tu t’endors l'amour est plus fort que la mort... — Janvier 2004.
Alain Lubrano eut la primeur de mon texte qu’à ma grande surprise il rejeta d’emblée pour me faire part ensuite du rejet de Pascale Daniel. Sûre de mon fait autant qu’ils l’étaient tous deux du leur, je tins bon. Il y eut un autre problème: je n’aimais pas la réalisation d’Alain, et pris sur moi de contacter Erick Benzi dont j’appréciais le travail. Je me sentis portée par son orchestration et reste convaincue 329
que la chanson
Tant de belles choses serait restée aux oubliettes si je
m'en étais tenue à sa première version.
Jardinier bénévole Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
le carnaval
partout bat son plein les gens qui parlent ne me disent rien leur idéal me laisse sur ma faim
tellement de mal pour si peu de bien les sentiments auxquels je m'abonne sont là pour embellir la maison mais si les sentiments t’abandonnent n’aie pas peur de dire les choses comme
j'ouvrirai grand mes bras de prisonnière sur parole mettrai les choses à plat j'aurai été à bonne école dans les armoires il ne reste rien
ni perle rare ni mot de la fin. l'être ou l’avoir? 330
elles sont
mieux vaut faire le point tout nous sépare et tout se rejoint les sentiments auxquels je m’adonne sont là pour embellir le jardin mais si les sentiments t’abandonnent inutile de mettre de l’eau dans ton vin
j'ouvrirai grand mes bras de jardinier bénévole qui brave la pluie, le froid et garde la tête sur ses épaules. j'ouvrirai grand les bras
pour que tu prennes ton envol et je resterai là sans jamais perdre la boussole... —24 mars 2004.
Bonne et belle chanson qui exprime ma conception de l’amour et dont la réalisation me convint davantage que plusieurs autres récentes
d’Alain Lubrano.
Il avait tenu
à faire les chœurs
et cela
m'avait émue, car, à tort ou à raison, jy avais vu le besoin de laisser
une trace. Ce n’est d’ailleurs pas la seule chanson où il fit en sorte qu’on entende sa voix.
331
Soir de gala. Texte : Françoise Hardy. Musique : Thierry Stremler.
juste un ange qui passe
une vague menace qui plane soudain dans l’air du soir comme un fil qui casse sans bruit ni trace un doute surgi de nulle part
que faire? parler ou bien se taire rester ou changer d’air ne plus le revoir ? rien ne brise la glace le face-à-face a tourné
court
sans
crier gare
hier le ciel était si clair la vie tellement légère belle et pleine d’espoir comédie mais comment donc! donnez-moi le “la”.
parodie bien dans le ton d’un soir de gala. 332
laissons faner les roses
gardons nos portes closes et restons-en là
juste un ange qui passe un fil qui casse une ombre qui plane dans l’air du soir
hier le cœur en bandoulière j'aurais tué père et mère pour un seul regard... — Fin octobre-début novembre 2003.
Thierry Stremler, que j'avais très vaguement aperçu quand il venait à la maison avec des copains de Thomas, m’avait envoyé un CD de mélodies mes
à lui, juste avant mon départ en vacances. Je le mis dans
bagages,
on m'envoie
mais
j’eus
beaucoup
la flemme
de l’écouter.
de maquettes
très mauvaises. Les scrupules aidant, de mon retour à Paris, pour mieux me objet. Mais oh surprise, deux mélodies téléphoner aussitôt à leur compositeur.
À ma
décharge,
qui, neuf fois sur dix, sont
je fis l’effort requis la veille débarrasser de l’indésirable m’accrochèrent au point de J’eus tout de suite Thierry au
bout du fil. Il était en Inde, me dit-il, et là où il se trouvait, on était
en train d’envoyer je ne sais quoi dans le ciel avec un canon pour que la pluie tombe
enfin. C’était si saugrenu
que cela me
fit rire,
et je dois dire que, par la suite, je trouvai souvent Thierry Stremler déconcertant et drôle — parfois malgré lui. De ce premier contact résultèrent deux bonnes chansons: Soir de gala et Grand Hôtel, dont la réalisation fut confiée à mon fils Thomas. Thierry a toujours eu la mauvaise habitude d’envoyer une flopée décourageante de chansons, 333
mais si on se donne la peine de tout écouter, on est presque sûr de trouver une ou deux perles.
Grand hôtel Texte : Françoise Hardy. Musique : Thierry Stremler.
si vous pouviez lire dans mes pensées mes vies passées quelle est ma tasse de thé n’allez pas en douter. dans l’hôtel déserté le temps s’est arrêté un temps compté si je pouvais
percer vos secrets trop bien gardés voir dans le marc de café qui vous fait de l’effet les intentions larvées dont l’enfer est pavé
vont me tuer à quoi dois-je imputer vos nombreux apartés qu’attendez-vous mon ami que sonne le tocsin? faut-il pour décrypter vos quatre volontés 334
vous mettre les points sur les i vous faire un dessin ? si l’on pouvait changer les données déprogrammer avant la fin du dîner nos vies bien ordonnées.… comment vous désarmer ? est-il possible d’aimer encore une fois?
un pianiste inspiré joue mes airs préférés allez-vous bâiller d’ennui ou prendre ma main? les reflets irisés des lumières tamisées vous donnent — c’est inouï — vingt années de moins. — Octobre 2003.
Sur quel volcan? Texte : Pascale Damiel et Françoise Hardy. Musique : Pascale Daniel.
j'emprunte des passages, des allées je capte des messages, des secrets dans cet espace, en filigrane verrai-je un morceau de votre âme ?
335
sur quel volcan allons-nous danser vous et moi? à quels dépens ? qui va s’y brûler vous où moi?
j'emprunte des passages condamnés où gronde un orage annoncé le feu qui couve et le scandale bientôt détruiront votre bal sur quel volcan allons-nous danser vous et moi? à quels dépens ? qui va s’y brûler vous ou moi?
les beautés qui se cachent sont celles auxquelles je m’attache sur quel volcan allons-nous danser vous et moi? à quels dépens ? car tout va brûler brûle déjà. — Octobre 2003.
336
Deuxième
mélodie
de Pascale
Daniel
sur laquelle
elle avait
écrit
quelques lignes que je complétai. Hélas, on ne put utiliser le piano électrique,
plein de
sensibilité
et de finesse,
qu’elle
jouait
maquette et qui ajoutait à la magie de l’ensemble.
Tard dans la nuit. Texte : Françoise Hardy. Musique : Pascale Daniel et Alain Lubrano.
elle n’est pas celle qu’il faut blâmer tant de rêves partent en fumée mieux vaut les rues ne derrière les des chiens
raser les murs sont pas sûres portes blindées aboient sans pitié
nul n’a pu dire d’où les coups sont partis tard dans la nuit mieux vaut presser l’allure déjouer les forces obscures qui rôdent ici ou là pour se jeter sur leur proie nul n’aura nul n’aura empêcher tard dans
su pu la folie la nuit
337
sur sa
elle a peut-être pipé les dés tant de signes non décodés.… les liens ne sont pas sûrs rien n’est encore élucidé tant de notes mal accordées
personne n’avoue qui parmi vous a vu venir les coups? les murs ne parlent pas mieux vaut hâter le pas derrière les glaces teintées un tueur masqué va tirer les murs ne parlent pas. — Septembre 2003.
Troisième chanson de Pascale Daniel, cosignée par Alain Lubrano. Elle me laisse un peu sur ma faim, car la réalisation aurait pu être meilleure et la voix aurait gagné à avoir un niveau un peu plus élevé. Tard dans
la nuit m’a
été inspiré
en partie
par la tragédie
Marie
Trintignant / Bertrand Cantat. J’admirais beaucoup ce dernier et ce qui arriva au couple me bouleversa.
La folie ordinaire. Texte : Françoise Hardy. Musique : Ben Christophers.
les laisser dire, les laisser faire laisser la folie ordinaire 338
tout dévorer comme un cancer? n'est-il pas bien trop tard pour qu’émerge du brouillard au milieu de nulle part dans la nuit noire un peu d’espoir? l’horizon s’éloigne nos trains déraillent tous où veux-tu que l’on aille? n'est-il pas bien trop tard pour un nouveau départ loin des murs qui nous séparent ? j'aimerais pouvoir refaire l’histoire trouver la force d’y croire. — Février 2004.
Je réécoute souvent cette chanson pour la guitare solo improvisée par Thomas, ainsi que pour les formidables interventions et réponses au chant qu’il joue ensuite. Elles expriment de la façon la plus inspirée et la plus juste qui soit l'émotion dont la mélodie est porteuse.
339
Un air de guitare Texte : Françoise Hardy. Musique : Facno. Improvisation à la guitare : Thomas Dutronc.
dédicaces livres d’or quelques traces inodores du décor billets doux mots de vous faux raccord
entrée par hasard sans alibi dans ce piano-bar ce cagibi poussée sans égards vers la sortie mots qui tuent en douceur peines perdues maux de cœur
mise mots lettre mots pour
en boîte pour rire morte qui flattent ouvrir 340
votre
porte
je guette l’oiseau rare l'oiseau de nuit prêt pour le départ vers l’infini loin des gens bavards de tout ce bruit
mots d’auteur mots sérieux mots trompeurs mystérieux poudre aux yeux et voilà les grands mots qui vous noient dans l’ego mot de trop un air de guitare berce la nuit... comme par magie. je largue les amarres mots qui parlent mots qui taisent cordes vocales qui vous laissent sur la paille 341
bec cloué gorge nouée mots
secrets
un parfum d’espoir flotte dans la nuit un air de guitare... comme
un sursis
une éclaircie petits mots pris au mot dernier mot... — Septembre 2003.
À l’origine, il s’agissait d’un instrumental signé Jacno et intitulé Lulu. Le leitmotiv de guitare et les réponses improvisées que jouait Thomas
m’enthousiasmaient. À force de les écouter, l’idée me vint
d’en faire une chanson. C’est ainsi que je pus enfin écrire quelque chose d’honorable sur une création de Denis.
Côté jardin, côté cour Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
j'ai lâché tant de lest essuyé tant de refus colmaté quelques brèches forcé des portes sans issue 342
dites-moi où le bât blesse si vous l’avez jamais su même si quelque chose est mort je ne m’avoue pas vaincue j'espère marquer encore quelques buts
côté jardin, côté cour c’est toujours le temps qui court et moi qui cours après vous côté jardin, côté cour la distance me prend de court je me sens mal tout à coup des bunkers-forteresses se dressent à perte de vue mes signaux de détresse n’ont pas été entendus même s’il fait mauvais dehors même si la cause est perdue j'aurai une fois encore survécu côté jardin, côté cour pourrait-on faire demi-tour ? tout revoir de bout en bout? côté jardin, côté cour 343
m’avez-vous percée à jour ? je ne tiens plus bien debout faut-il défier le sort et recharger les accus faire semblant d’être fort? je ne sais plus
côté jardin, côté cour seriez-vous aveugle et sourd ? l'air du soir devient plus doux côté jardin, côté cour c’est toujours le temps qui court et moi qui cours après vous... Alain Lubrano m’envoya cette mélodie en dernier et le moins que je puisse en dire, c’est qu’elle ne m’enthousiasma guère. Mais quand j'ai débuté, les 33-tours comportaient toujours six chansons d’un côté, six de l’autre, et je tentai un texte sur cette musique respecter
la règle de
douze
chansons
par
album
que
pour
la force
de
l'habitude m’imposait. L’orchestration n’était pas terrible, elle ne me portait pas et il y avait sans doute, comme la plupart du temps avec Alain, une façon bien plus rythmique d’interpréter cette chanson qui n’était pas dans mes cordes. Finalement, il aurait mieux valu se passer de Côté jardin, côté cour qui détonne sur plusieurs plans à côté des autres chansons.
2006-2010
2006 À
la fin de l’année précédente, Virgin me demanda d’enregistrer un
album de duos. Bien que les duos n’aient pas encore été banalisés par
la mode, ma première réaction fut de refuser. Mais en y réfléchissant, je réalisai que ce serait l’occasion ou jamais de rencontrer des personnalités que j’appréciais. Quelques années plus tôt, un inconnu suisse, Jean Bart, m’avait envoyé un morceau
dont
je gardais
rythmique, quoi
la maquette.
original,
en faire, jusqu’à
insolite, Modern
style,
Il s’agissait d’un texte parlé sur une
accrocheur,
mais
ce que, grâce
très
noir.
Je ne
à la proposition
savais
pas
de Virgin, le
côté sombre de la fascinante personnalité d'Alain Delon me donne l’ambitieuse idée d’un duo avec lui. À ma grande joie, il accepta. La séance était prévue le 9 mars. Il arriva pile à l’heure avec un ravissant bouquet
d’anémones
une bonne
fête. Que
blanches nous
qu’il me
fussions
tendit
en me
souhaitant
le jour de la Sainte-Françoise
n’était indifférent au point de m'être sorti de la tête, mais si elle ne m'étonna guère, l’élégance de ce geste inattendu me toucha. J'avais déjà posé ma voix et Alain me demanda de rester à ses côtés pendant qu’il enregistrerait la sienne, pour lui taper légèrement sur l’épaule chaque fois qu’arriverait son tour de parler sur la rythmique inspirée 347
de Rodolphe
Burger. C’était surréaliste! Nous
n’étions que trois —
Dominique Blanc-Francard, le propriétaire du studio Labomatic, sa femme Bénédicte qui le remplaçait à la console, moi donc -, et fûmes impressionnés par l’intensité dramatique d’une parfaite justesse que cet immense
acteur mit immédiatement dans son interprétation de
Modern style. Ce fut un moment inoubliable. Autre
exemple:
magnifiquement qu’il aurait
j’avais toujours
pensé
que Julio Iglesias aurait
chanté Partir quand même, toujours imaginé
eu une
meilleure
orchestration
que
aussi
celle sur laquelle
javais chanté la première version. Je trouvais formidables ses reprises américaines ainsi que sa version de Caruso en duo avec Lucio Dalla qui reste, de très loin, la meilleure
que je connaisse.
Il accepta
et
souhaïita enregistrer sa voix de son côté, ce qui m’arrangeait bien. Par la suite, il eut la gentillesse de venir en jet privé de sa lointaine République
dominicaine
pour
participer
à
deux
émissions
de
télévision avec moi. Je lui en serai toujours reconnaissante. Et
comment
ne
pas
évoquer
Alain
Bashung?
Je
l’admirais
beaucoup, lui aussi, et les circonstances avaient permis que nous nous croisions quelques petites fois et que j’aie un aperçu de sa personnalité timide, originale et très attachante. Ayant lu quelque part que c’était l'une de mes chansons préférées, il m’avait déjà proposé de chanter Que reste-t-il de nos amours ? de Charles Trenet, en direct avec lui, pour Canal+. Mais j'avais arrêté depuis longtemps les ve à la télévision et je ne me sentais pas à même
de récidiver, encore moins
avec un
artiste de sa dimension. Il accepta que nous la chantions en studio et mon trac disparut dès que nous commençâmes à enregistrer. Quand je lui avouai que l’idée de chanter avec lui, mais aussi de m’attaquer à une chanson sacrée comme
celle-là, m’avait tétanisée, il me fit cette
remarque extraordinaire : “ Il en va des grandes chansons comme des très belles femmes: il ne faut pas trop les respecter.” Finalement, cet 348
album
connut plusieurs de ces moments
de grâce que la mémoire
n’efface jamais et dont on remercie le ciel. Le titre de Parenthèses s’imposa, puisque tous les duos représentaient des parenthèses dans mon parcours professionnel, et il n’y eut que deux chansons
dont j'avais écrit le texte. J’ai déjà évoqué
Le fou de la reine. Quant au texte de La rue du babouin, il dormait dans mes tiroirs depuis deux ou trois décennies, car je l’écrivis sans musique, avec la vague intention de le montrer à Catherine Lara. Au fil des années, je le remaniai et l’améliorai par-ci par-là. Après la perte de sa fille cadette, Michel Fugain envoya une lettre très touchante à plusieurs auteurs. Il était en quête de textes en vue d’un futur album.
Supposant
que c’était sa façon de remonter la pente,
si peu que ce soit, il me parut impératif de répondre à sa demande.
“Le
seul problème,
lui répondis-je,
positivement
c’est que je ne
peux écrire qu’à partir d’une mélodie.” De son côté, m’apprit-il, il ne pouvait composer qu’à partir d’un texte. J’avais pourtant écrit Tabou et L’auréole néon sur ses mélodies
et non l’inverse. Le seul et
unique texte dont je disposais étant celui de La rue du babouin, je le lui envoyai et il composa
une belle mélodie
dessus. Je crois me
rappeler qu’il me la fit entendre l’été suivant dans sa maison de Corse et peut-être même que cette année-là il hébergeait Maurane pour les vacances. Après la sortie de son album, on entendit si peu la chanson
que
je demandai
à Maurane,
que j'aimais
et admirais
beaucoup, si elle serait OK pour que nous la reprenions en duo. Elle fut partante et mon ami Khalil Chahine fit l’orchestration pour un résultat final que j’ai plaisir à réécouter. Mais
s’il fallait choisir un
ce serait celui de My
duo
entre
tous
ceux
de Parenthèses,
beautiful demon avec son créateur sur tous les
plans, Ben Christophers. Erick Benzi qui aimait cette chanson fit une orchestration d’une absolue perfection, et l’on pouvait se reposer sur lui pour l’enregistrement et le traitement des voix. 349
La rue du Babouin Texte : Françoise Hardy. Musique: Michel Fugain.
vous viviez autrefois dans la rue du Babouin vous étiez la grâce en personne mais nos champs de bataille me laissaient sur ma faim et pourquoi moi? que faisiez-vous à Rome? vous parliez pour le monde d’un imminent déclin je buvais, muette, vos paroles qui brisaient le silence autant que mon destin et m’enivraient beaucoup mieux que l’alcool
vous disiez que l’amour
est un leurre sans fin une sorte d’auberge espagnole autour de nous flottaient des senteurs de jasmin où êtes-vous ? où sont nos années folles? fascinée, j’admirais dans les glaces sans tain la beauté du fond, de la forme
qui épinglait les cœurs 350
sans un geste, un à un en ce temps-là, vous n’aimiez pas les hommes
vous viviez autrefois dans la rue du Babouin et pourquoi moi? et pourquoi pas ? que faisions-nous à Rome ? — Février 1999.
2010
En 2008, parut mon autobiographie qui obtint un succès inattendu. L'année
suivante, en 2009, je commençai
à écrire des textes en
vue d’un futur album qui, comme souvent, emprunterait son titre à l’une des chansons: La pluie sans parapluie. Dominique Blanc-Francard, que j’appelle le “grand magicien”, m'informa que l’un des artistes avec lesquels il travaillait lui avait laissé une maquette à mon intention. Il s’agissait de Calogero, excellent mélodiste et excellent chanteur. Quand j’écoutai sa proposition, je fus instantanément emballée et convaincue de son fort potentiel, au point de préférer confier l’écriture du texte à quelqu’un d’autre, car la découpe
présentait
des difficultés
auxquelles
je n’avais
pas
envie de me confronter une fois de plus. Je pensais aussi qu’un autre auteur ferait mieux que moi. Calogero avait déjà travaillé avec Zazie dont les textes étaient formidables
et je lui suggérai de faire appel
à elle. À mon grand étonnement, elle écrivit un texte sur les signes du zodiaque,
un sujet peu
chantable, 351
ne collant en rien à l’esprit
émotionnel
et passionnel
Patrick Loiseau nous
de la mélodie.
qui écrivait de très bons
Je me
tournai
alors vers
textes pour Dave.
Nous
connaissions depuis des années et ce qu’il m’envoya était sur
la longueur
convenait
d’onde
pas
de
la chanson,
à la dynamique
mais
le ton
triste, résigné,
de la mélodie. Je le remaniai
ne
donc
dans ce sens et nous cosignâmes. Aujourd’hui, en dehors de “me pendre haut et court” ou de “ l’oreille d’un sourd” que trouva Patrick, je suis incapable de dire qui a fait quoi. Peu importe, puisque le résultat final est, je crois, à la hauteur de la mélodie. Calogero assura la production, déjà bien avancée dans la maquette. C’est quelqu’un de très réservé et de très sérieux avec qui il est agréable de travailler.
Noir sur blanc Texte : Patrick Loiseau et Françoise Hardy. Musique : Calogero et son frère.
noir sur blanc j'écris mes maux les nerfs à cran sans garde-fou ni faux-semblants de but en blanc trop souvent blanc ou noir peut-être qu’il n’est pas trop tard pour sortir de ma tour d’ivoire? si vous passez sans me voir la peine vaudrait bien tant pis pour tous les lancés dans la nuit et si à votre cou je peux
le prix de ce dernier détour non-dits, les appels au secours tombant dans l’oreille d’un sourd me pendre haut et court
352
nous laiss(e)rons en blanc les sujets un peu trop brüûlants qui pourraient me glacer le sang vous faire partir en courant seul point noir si vous n’aimez pas les regards
qui vous transpercent de part en part vais-je passer sans vous voir ?
la peine vaudrait bien le prix de ce dernier amour je paierais comptant les cris, les appels au secours lancés dans la nuit et tombant dans l’oreille d’un sourd si à mon cou vous veniez vous pendre haut et court viendrez-vous ? sachez que tout ne tient qu’à vous viendrez-vous ?
la peine vaudrait bien le prix, je n’f(e)rais pas demi-tour garderais pour moi les cris, et tous les mots d’amour viendrez-vous ? sachez que tout ne tient qu’à vous viendrez-vous ? — 14-19 juillet 2009.
353
Mieux le connaître. Texte : Françoise Hardy. Musique : Thierry Stremler.
mort subite du cœur qui hiberne se désiste et largue ses aliens seuil limite besoin d’oxygène d’une visite de sang dans les veines
je ne vous le fais pas dire... question indiscrète comment faire pour mieux le connaître? jours de fuite lueurs incertaines
qui crépitent vacillent et s’éteignent rêves sans suite fantasmes allergènes parasites qui vont et qui viennent
vous mènent par le bout du nez... vous montent à la tête comment faire pour mieux le connaître? Sur les fichiers de mes textes de chanson, très peu de textes de cette année-là portent la date de leur finition. J’en ignore la raison. Quoi 354
qu’il en soit, Mieux le connaître est l’une des chansons que je préfère sur cet album, quand bien même mon texte exprime une énième fois
ma propension aux fantasmes, aux amours platoniques, autrement dit mon impossibilité congénitale à aller au-devant des rares hommes qui m'auront attirée. Heureusement que les circonstances ont quelquefois contribué à ce que les choses aïllent plus loin! J’adore la mélodie et la réalisation de Thierry Stremler au point qu’il m'arrive de la réécouter pour l’émotion qu’elle me procure à chaque fois.
Champ
d’honneur
Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
il y a des jours où c’est trop, la coupe est pleine mauvaises nouvelles, catastrophes à la chaîne où l’on voudrait disparaître, mettre un terme à cette vie de labeur et de peine. sans plus de remords qu’un vieux cheval mort mais que tu tombes ou non au champ d’honneur pas plus de vaincus que de vainqueurs retour en beauté à l’envoyeur du chemin de croix avec des fleurs il y a des nuits d’insomnie garantie où l’on se tourne, retourne dans son lit
à l’horizon ni solution ni sortie et dans le corps une drôle d’inertie pas plus de ressort qu’un vieux hareng saur 355
et que tu tombes ou non au champ d’honneur que l’on t’oublie vite, que l’on te pleure il n’y a pas de prix pour la douleur pas plus de vaincus que de vainqueurs avant qu’on claque là, tout à trac vider son sac comme Ça en vrac
que tu tombes ou non au champ d’honneur pas plus de vaincus que de vainqueurs pierre, Paul ou Jacques, la crise, le krach foutu micmac rien dans les bacs massive attaque le feu au lac. joyeuses Pâques! Après les déceptions dues à nos dernières collaborations, Alain Lubrano, qui en avait sans doute tiré un enseignement, m’apporta Champ d’honneur (le titre vient de lui) que je trouvai réussi. Dans le “yaourt” qu’il chantait dessus, je gardai certains mots tels que hareng saur qui m’aidèrent à trouver une direction pour le texte. Sa production fut à la hauteur de ses espoirs et des miens.
356
Les pas Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
compter les pas faire les cent pas: des petits pas aux pas d’géant... ça marche pas nada, néant les premiers pas les entrechats les pas de deux
ça marche pas mieux... à pas de loup je quitte les clous
au diable l’hémorragie de temps et d’énergie au diable les séquelles je jette à la poubelle les référentiels tels les routines, les piqûres de rappel des poisons mortels
compter les coups les quatre cents coups les coups du sort compter les morts bataille perdue et bouche cousue 357
compter les heures attendre son heure est-ce déjà l’heure du coup de blues ? je soigne en douce mes coups de cœur au diable les vieux refrains vulgaires, manichéens au diable les scanners, les mises en examen
mieux vaut passer la main arrêter de remettre à demain il flotte un parfum
un peu spécial subtil et entêtant rien d’anormal ça fait juste un peu mal de mourir au printemps compter les heures attendre son heure c’est bientôt l’heure du dernier blues je soigne en douce mes crève-cœur au diable les vieux refrains
vulgaires, manichéens au diable les scanners, les mises en examen 358
mieux vaut passer la main arrêter de remettre à demain c’est un mal pour un bien
c’est un mal pour un bien... —19 mars 2009.
Le temps de l’innocence Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
les lois de la nature
le goût de l’amateur aller droit dans le mur en écoutant son cœur
la fin de l’aventure et la déconfiture ça fait partie du jeu changer la règle si jeunes, quand j'y pense, ingénus, sans défense
devant les errances du temps de l’innocence qui vole en éclats le trouble délicieux qui vous rosit les joues vous fait baisser les yeux et va vous rendre fou 359
les larmes qui défigurent les besoins du “ moi-je ” et autres impostures jouer le jeu la et où un
chambre des tortures du septième ciel voilà qu’on se jure amour éternel
l’aliénation soudaine le baiser de la mort l’addiction souveraine
le diable au corps si jeunes, quand j'y pense,
exigeants, sans nuance piégés par l’urgence du temps de l’innocence je rêve en silence
aux amours qui commencent la foi, l'espérance du temps de l’innocence comme c’est loin déjà mes plus chers ennemis
vous restez ma lumière dans la nuit
360
je rêve en silence à nos heures d’insouciance la fougue, l’allégeance du temps de l’innocence comme c’est loin tout ça.
Je ne vous aime pas Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lubrano.
vous lisez en moi comme dans un livre un livre grand ouvert...
je me sens sur la défensive transparente, linéaire. je n’vous aime pas un zeste de bluff suffit-il pour trouver vos clés. quand on surfe par les vagues sans cesse aveuglé ? vous ne mettez pas vos points sur mes i je suis en manque d’a priori vous ne me dites ni non ni oui ni rien de tout ce qui trahit je perds le fil, je perds l’esprit je n’vous aime pas
gardez pour d’autres le savoir-vivre je n’en ai rien à faire qu’un électrochoc nous délivre 361
de ce mortel transfert. je n’vous aime pas
en voix off à mes heures de lucidité philosophe si jamais je tombe à côté je ne mettrai pas mes points sur vos i
tous mes secrets sont bien enfouis et tant pis si je m’évanouis devant le flash qui m’éblouit de votre enviable suprématie je n’vous aime pas me détacher ou bien vous suivre même combat, même enfer qu’un électrochoc me délivre de ce mortel transfert je n’vous aime pas... Des chansons d’Alain sur cet album, c’est celle que je préfère car elle me semble la plus réussie sur tous les plans. Peu avant de m’attaquer au texte, j’entendis à la radio une interview de Danielle Darrieux au cours
de laquelle elle évoqua
pas ” dans le film de Max
la fameuse
Ophüls Madame
réplique “ %e n’vous aime de...
(Madame
de... se
la répète derrière la porte où se trouve l’homme joué par Vittorio De Sica dont elle est tombée amoureuse.) La pensée que ce serait une bonne idée pour un texte de chanson m'avait traversé l’esprit. Aussitôt pensé, aussitôt fait. L’ami Khalil se chargea des cordes — très réussies — et, aujourd’hui
encore, 362
la chanson
tient la route. À
sa sortie, je m’empressai d'envoyer le CD
à Danielle Darrieux qui
vivait retirée à la campagne. Elle me répondit très vite au dos d’une carte que je garde précieusement. Je fus frappée par la jeunesse de son écriture et de son propos, conforme à la personnalité pétillante, malicieuse, pleine de vitalité que j’avais vue lors de l’une de ses dernières
apparitions télévisées dans l’émission
de Michel Drucker
Vivement dimanche
où Simone Veil, l’invitée vedette, avait souhaité
sa présence.
Esquives Texte : Françoise Hardy. Musique : Ben Christophers.
quand vais-je enfin lever le voile sur le non-dit des banquises, des nuits sans étoiles la bienséance exquise, les noirs desseins ? ne jamais donner prise garder la main et sourire, l’air de rien
quand mettrez-vous un point final à tous ces feux d’artifice au vide abyssal de ce double langage d’équilibriste aux traits imperturbables qui brouille mes pistes? lâcher la proie pour l’ombre 363
oser les coupes sombres m'effacer et me fondre dans la nuit fuir d’ici sans faire de bruit. Décidément, Ben Christophers a bien du talent. Les trois chansons de lui que j'aurai enregistrées sont très belles. Mon unique regret est qu’il n’y en ait pas eu davantage.
Un cœur éclaté Texte : Françoise Hardy. Musique: Pascale Daniel.
on dit qu’il vit seul a-t-il fait le deuil des idéaux passés ? debout sur le seuil face à ses écueils
est-il déjà usé comme
une lame émoussée ?
ni retour de flamme ni rappel ni renouveau a-t-il versé trop de larmes trop courbé le dos? là-bas, loin du monde
lorsque la nuit tombe par quoi est-il hanté? 364
la peur de son ombre plane-t-elle sur le nombre
de ses amours ratées comme
un cœur éclaté?
ni geste ni signal serait-il encore trop tôt?
a-t-il versé tant de larmes qu’il n’a plus d’eau pour baigner son âme et vivre à nouveau?
les jours se confondent a-t-il pu se fondre et apprendre à nager? des lieues à la ronde personne pour répondre m'aurait-il mal jugée ? à jamais étrangers ni retour de flamme ni rappel ni renouveau
a-t-il versé tant de larmes qu’il n’a plus d’eau? privée de son âme je pars en lambeaux
au fil de l’eau. 365
L’extrême sensibilité de Pascale Daniel qui émane m’émeut
particulièrement.
Un
texte
de
de ses mélodies
chanson
écrit
à partir
d’une musique est, bien sûr, inspiré par celle-ci et il est primordial d’en saisir l’esprit. Le simple fait qu’une mélodie prouve l’existence de connexions avec votre propre
vous touche sensibilité. Il
est parfois arrivé que la lecture d’un livre m’aide à l’expression de l'émotion provoquée par la musique, dans la mesure où je percevais intuitivement des points communs
entre le climat du livre et celui
de la mélodie. En l’occurrence, la mélodie composée par Pascale me fit penser au roman de Rosamond
Lehmann,
que je venais de lire,
Le jour enseveli. Le texte d’Un cœur éclaté est finalement une sorte de synthèse des longueurs d’onde qui me semblèrent relier à la mélodie mon vécu, mon ressenti et quelques pages de roman.
L'autre côté du ciel Texte : Françoise Hardy. Musique: Pascale Daniel.
c’est déjà la tombée du fondus-enchaînés rouge un peu aux couleurs de une dernière lueur dans un aperçu intemporel l’autre côté du ciel
soir et noir notre vie la nuit
une force inconnue vous attire vous dépossède des peurs, des désirs mystère de la brèche entre les mondes où les particules et les ondes sont régies par des lois nouvelles de ce côté du ciel 366
soudain propulsé hors de terre à la vitesse de la lumière vous n’êtes qu’une bille, un point compact ignorant la cible et l’impact dans l'infini surnaturel de ce côté du ciel mais voilà que tout s’accélère dilution fatale dans l’éther ou bien déflagration anodine ni mains tendues ni fourches Caudines plus de solo, plus de duel de ce côté du ciel... Ce texte m’a été inspiré par un cauchemar récurrent que je faisais dans
ma
prime
graphique même
enfance.
Étrangement,
c'était
un
rêve
abstrait
—
— où je voyais quelques grands cercles de lumière
très fins se détacher sur un fond noir gigantesque. Cette seule vision me terrifiait et ma terreur allait croissant, car j'étais réduite à l’état désincarné d’une sorte de minuscule bille projetée vers l'infini par une force extérieure d’une extrême puissance. La vitesse de la projection s’accélérait jusqu’à ce que la bille ne soit plus qu’un point et se dilue finalement dans le cosmos
totalement, irrémédiablement
noir. Aujourd’hui, je me pose des questions sur cet étrange rêve que j'ai fait à plusieurs
reprises
mais
uniquement
quand
j'étais toute
petite et fiévreuse. Je suis réceptive à l’idée selon laquelle un être humain serait une âme venue d’un autre espace-temps habiter un corps qui, contrairement à elle, est d’essence matérielle. On dit que les très jeunes enfants seraient encore imprégnés de ce par quoi leur âme — leur “ être ” — a dû passer pour s’enfermer dans le volume étroit, 367
fini, lourd et compact qu’est le corps matériel qu’elle va “animer”, le temps
d’une
vie, dans
le but d’élever, si peu
que
ce soit, son
niveau de conscience. Je me demande si certaines terreurs nocturnes
enfantines précoces
ne viendraient pas de là, de cet autre espace-
temps, de cet au-delà, cet autre côté du ciel, d’où notre “essence”
proviendrait. Ou, plus exactement, de la transition éprouvante entre les deux dimensions.
2012-2018
FRANCOISE HARDY
2OI2
C’est sans doute en 201 1 que j’écrivis la plupart des textes de l’album L'amour fou qui sortit en 2012, puisque je constate en relisant ma correspondance
de cette année-là, que j’entrai en studio fin 2011
pour y retourner peu après les fêtes, début lun
de
mes
hélas décédé
meilleurs
souvenirs
en mai 2011
de
2012. Cet album reste
studio.
et les rapports
Alain
Lubrano
était
de travail étant souvent
conflictuels avec lui, j’avais perdu l’habitude de l’harmonie qui régna pendant tout l’enregistrement de ce nouvel album. Aucun problème majeur ne surgit, chaque réalisation me sembla parfaite, et malgré la difficulté de certaines chansons, tout se passa aussi bien que possible sur le plan vocal. Bien qu'ayant du mal à demander
quoi que
ce
soit à qui que ce soit, j'avais envoyé un mail à Calogero pour savoir s’il n’aurait pas une mélodie pour moi, et je fus enthousiasmée par celle qu’il m’envoya. Julien Doré, que j’appréciais beaucoup depuis ses premières lui sa belle
apparitions et qui avait tenu à ce que je chante avec chanson
Bébé
baleine sur son dernier
album,
sut que
j'en préparais un à mon tour et m’envoya Normandia, une superbe chanson
dont il avait fait texte et musique
et qu’il produisit avec
une maestria étonnante. Nous eûmes aussi la chance de retrouver de
vraies cordes grâce à la possibilité de les enregistrer en duplex avec la Macédoine où les tarifs étaient beaucoup moins élevés qu’en France — on m’apprit qu’une séance d’environ vingt cordes en Macédoine ou en Tchécoslovaquie équivalait à ce que coûtait un seul violoniste en France, ce que les maisons de disques n’étaient plus en mesure
de financer.
L'amour fou Texte : Françoise Hardy. Musique : Thierry Stremler.
Madame la Comtesse venez vite, le temps presse il vous attend pour un dernier hommage armez-vous de courage faites semblant sa blessure est mauvaise
et ne nous en déplaise c’est sans espoir sachez que Son Altesse se meurt mais n’a de cesse
de vous revoir partie parlée: votre calèche est avancée et votre cocher a reçu les instructions Monsieur le Comte ? 1l dort encore! on saura quoi lui dire à son réveil si vous n’êtes pas de retour. n'ayez crainte.
372
dépêchez-vous Madame car c’est vous qu’il réclame — éperdument — l'ultime désir de l’âme met du baume sur le drame du dénouement sa beauté, sa jeunesse riches de tant de promesses étaient à vous seriez-vous insensible à l’amour impossible à l’amour fou? partie parlée : on ne sait pas, non, on ne sait pas s'il s’agit d’un duel, d’une balle perdue ou d’un suicide, personne ne sait, personne n’est au courant — hormis quelques fidèles… dépêchez-vous Madame, il va bientôt mourir et veut vous trouver belle une dernière fois… vous l’êtes, vous l’êtes, vous êtes superbe ! personne ne dira rien, personne ne saura rien ! n'ayez crainte ! —24-25-26 avril 2011.
Quand je reçus la maquette de Thierry Stremler, je n’eus pas besoin de l’écouter deux fois pour savoir qu’elle était formidable. À cette époque, écrivains
j'étais
encore
préférés
dont
en français. Je ne me
plongée
dans
Henry
j’ai lu quasiment souviens
pas dans 373
James
-— l’un de
mes
tout ce qui a été publié lequel de ses romans
ou
plutôt laquelle de ses nouvelles il était question d’un duel. Toujours est-il que la musique si originale et belle de Thierry me fit penser au x1x° siècle et que j’eus l’idée de ce texte, que j’aime particulièrement aussi, de L'amour fou.
C’est, me
semble-t-il, l’un des morceaux
plus réussis de l’album.
Mal au cœur Texte : Françoise Hardy. Musique : Thierry Stremler.
des bouffées de chaleur un peu mal au cœur c’est tout, mais c’est rien, ma sœur
seuls signes avant-coureurs une drôle de pâleur qui part comme elle vient, docteur j'avais mis le curseur sur ma vie antérieure réflexe idiot, fatale erreur
un sourire ravageur du maître de votre cœur vous voilà en apesanteur close-up et montage sans rime ni raison des noms sans visage des visages sans nom
374
les
atterrir en douceur comme Ça, sans moteur mission impossible, ma sœur
privée d’amortisseurs le risque est majeur le champ enfin libre, docteur et dire que tout à l’heure le bourreau de mon cœur me couvrait de si jolies fleurs un air en ré mineur je nage dans le bonheur en tout mal, en tout déshonneur
tête dans les nuages et temps suspendu... arrêt sur image d’un profil perdu d’où vient votre air songeur ? faut-il avoir peur?
vous en pensez quoi, ma sœur ? tremblements et stupeur quel mauvais quart d’heure ! ne restez pas coi, docteur !
que cesse le turn-over que partent les visiteurs 375
les faux amis, les beaux parleurs un seul a mes faveurs jai tell(e)ment mal au cœur allez vite le chercher docteur. — Avril 2011.
Mélodie inspirante et texte inspiré.
Soie et fourrures Texte : Françoise Hardy. Musique : Thierry Stremler.
derrière le masque, la vitrine quelles tragédies, quels abîmes l’altèrent? statue fragile aux pied d’argile singulière nul n’a idée des mensonges des impostures qui la rongent derrière les apparences tant de souffrance qu’elle doit taire soie et fourrures
sous les parures la dentelle des forces obscures 376
contre-nature la malmènent l’écartèlent
lui plaire encore, le séduire toujours garder le sourire et l’air d’être charmée heureuse, aimée
solidaire là, sous l’armure
coupante et dure son enfer reste le lieu sûr
les quatre murs
qu’elle préfère. rien à faire mieux valent les miettes qu’il lui laisse mieux valent sa geôle et sa laisse qu’un air
sans l’oxygène de leurs “ je t’aime ” sans lumière. — Début septembre 2011.
Troisième mélodie de Thierry Stremler à laquelle je préfère les deux précédentes. Un fait divers qui faisait les gros titres de la presse écrite et le régal de tous les médias m’inspira en partie le texte. Je prêtai à 377
la femme inconnue qui en était la principale victime quelques-uns de mes traits, sans doute très éloignés des siens.
Piano-bar Texte : Françoise Hardy. Musique : Alain Lanty.
dernier bis dernier rappel attente émue au bar de l’hôtel piano triste pénombre, cocktails pour interlude intemporel trop de gens autour de lui de faux-semblants,
de faux bruits quelle folie de nous revoir ainsi! tel un ange tombé du ciel il vient vers moi: peut-être que je rêve ? blues étrange sourire mortel il vient vers moi le jour se lève
378
point de mire des cœurs transis sans avenir
dans sa vie mieux vaut partir, fuir très loin d’ici loin de lui
trop d’attente a priori étoile filante dans ma nuit quelle folie de vous aimer ainsi... quelle folie le monde est si petit! —Mars 2012.
La mélodie que me fit parvenir le pianiste et compositeur Alain Lanty, bien connu des chanteurs, m’évoquait irrésistiblement un pianobar, donc la nuit, donc les fantasmes à propos de l’inaccessibilité qui semble devenir miraculeusement accessible. Le texte s’imposa de lui-même et il me fut particulièrement agréable de chanter cette belle mélodie sur le non moins beau piano joué par son talentueux et sympathique compositeur.
379
L'enfer et le paradis Texte : Benoît Carré et Françoise Hardy. Musique : Benoît Carré.
quand je je pense et quand je chante
pense, à vous... je chante pour vous
toute une vie à nous attendre à nous combattre, à nous défendre. toute une vie de feux de joie, de tas de cendres
mais c'était le paradis l'enfer aussi. l'enfer et le paradis vous l’ai-je dit? quand je parle je parle de vous. et quand j’ai mal j'ai le mal de nous toute une vie dans le silence de mes dilemmes, de vos absences toute une vie
de petites morts, de renaissances mais c'était le paradis l'enfer aussi. l'enfer et le paradis j'en rêve la nuit...
380
L'éditeur m’envoya cette chanson en partie parolée par Benoît Carré — le frère d'Isabelle Carré qui s’était fait connaître quelques années plus tôt avec Lilicub et la chanson
Voyage en Italie. Mais il me fallut
modifier et compléter le texte pour qu’il me corresponde mieux et ce fut Erick Benzi qui assura la réalisation, déjà assez avancée dans la maquette. J’aime aussi beaucoup cet enregistrement.
Les fous de Bassan Texte : Françoise Hardy. Musique : Pascal Colomb.
c’est par une nuit sans lune qu’elle s’est enfuie vers les dunes
vers son sort. le vent du nord soufflait si fort nul n’a revu son corps belle, mais sans défense les mains nues,
folle, comme l’espérance voulait-elle gagner la mer?
dans quel but, pour quelle chimère ? un corsaire? un ange noir au cœur de pierre surgi un soir ? douce comme
l’innocence
sans retenue... 381
tuée par quelle violence quel inconnu? si belle, si seule
endormie dans quel linceul ? si pure, si jeune vit-elle au ciel
l'amour éternel loin des cris perçants des fous de Bassan?
loin des feintes si loin des pièges de l’atteinte des sortilèges… Assurément une grande chanson, l’une des meilleures de cet album! La très belle mélodie de Pascal Colomb, que j’avais connu assistant à Plus XXX,
m'inspira
un
texte
sur
les
subites
disparitions, suivies en général de la découverte dans des conditions
et mystérieuses de leur assassinat
atroces, de jeunes filles qui ont mal placé leur
confiance. Ce n’est pas évident de traiter un sujet aussi tragique, mais j'espère y être parvenue et que la chanson est aussi émouvante que possible.
382
Pourquoi vous ? Texte : Françoise Hardy. Musique : Calogero.
j'ignore si ce que j’aime en vous c’est vous... mes idées deviennent floues je suis à bout pourquoi vous ? et ce vertige qui me prend tout à coup il me viendrait d’où? de moi ou de vous? je me sens vraiment en dessous
de tout je ne tiens pas bien debout sans doute un coup de grisou ? inutile de me mettre en joue j'avoue comme un arrière-goût d’amour fou tabou
n’essayez pas de m’arracher la moindre bribe du moindre secret lever le voile pourrait gâcher tout ce qui nous lie de loin ou de près 383
je ne viendrai jamais à bout du flou qui brouille mes vues sur vous mais si j'échoue on s’en fout se peut-il qu’il y ait l’un de nous qui joue à tendre l’autre joue? si c’est vous j'absous vous resterez au grand jamais
le plus brûlant de tous mes secrets nous resterons au grand jamais loin l’un de l’autre et pourtant tell(e)ment près. Les phrases rythmiques
et mélodiques
qui n’utilisent que quelques
notes et, pour ne rien arranger, les espacent un peu trop réduisent drastiquement l’éventail de mots possibles pour trouver un texte. Ces quelques mots d’une syllabe orientent donc le thème qui va être abordé. Bien que la mélodie me plût beaucoup dès la première écoute, j'étais un peu inquiète quant aux difficultés que l’écriture du texte laissait présager, pensant qu’elles me prendraient beaucoup de temps
à contourner.
Bizarrement,
les mots
adéquats
et le lien
entre eux arrivèrent assez vite. Calogero assura bien sûr la réalisation et j’aimais beaucoup — et aime toujours — le résultat final, au point de penser que c’était la chanson désignée pour un single. Quand je lui annonçai
de
disques,
ce choix, fait d’un
il sembla
surpris
commun
et me 384
accord
félicita
pour
avec ma
cette
maison
prise
de
risque. Peut-être avait-il raison de penser que c’était davantage une chanson
d’album
qu’un
single,
puisqu’elle
n’eut
presque
programmation radiophonique.
Rendez-vous dans une autre vie. Texte : Françoise Hardy. Musique : François Maurin.
fin du dernier acte qui ne m’a pas fait décoller il faut qu’on parte même si je garde une impression d’inachevé où sont mes marques ? y a-t-il une porte dérobée une soupape pour que je zappe ce long passage obligé? pardon et sans pardon la pièce
si je pars en catimini préavis pour ce soir, pour hier aussi est finie
rendez-vous plus tard, dans une autre vie ailleurs ou ici pour nous aimer mieux et plus qu’aujourd’hui ce n’est qu’un sursis si nous prenions date 385
pas
de
dans l'intention de respecter ce drôle de pacte la porte étroite serait-elle moins triste à passer ? où sont nos marques ? où sont nos doigts entrelacés nos cœurs qui battent brüûlent et s’exaltent et nous qui nous sommes tant aimés ? si mal aussi mais aujourd’hui je voudrais juste vous dire merci mes plus beaux rêves folies et fièvres je vous les dois cent fois tous vos non-dits vos interdits ont fait le sel de ma vie ses plus grands défis pardon si je pars en catimini et sans préavis
pardon pour ce soir, pour hier aussi la pièce est finie rendez-vous plus tard dans une autre vie ailleurs ou ici 386
pour nous aimer mieux et plus qu’aujourd’hui ce n’est qu’un sursis. —2012.
On
m'avait
envoyé
la mélodie
lors
de
la préparation
de
l’album
précédent pour lequel j’en avais trop. Je ne la retins pas mais ne l’oubliai pas non plus. Toute référence de nom ayant hélas disparu, le directeur artistique de ma maison de disques dut mener une enquête pour retrouver le compositeur, François Maurin. L'intérêt de sa maquette m’amena à lui demander d’assurer la réalisation musicale de son morceau.
Cela faisait longtemps
que
j’avais envie d’écrire
un texte sur l’idée d’un rendez-vous dans une autre vie. Je n’y crois pas dur comme fer, mais il me semble que c’est une possibilité qu’il vaut mieux ne pas exclure puisqu’elle peut faire rêver, voire, grâce à l’ouverture qu’elle constitue, faciliter la séparation si douloureuse d’avec ceux qu’on aime qu’est la mort physique. Quand on enregistre un
album,
on
est
amené
à entendre
souvent
la
même
chanson
et j'avoue que celle-ci m’a souvent mis les larmes aux yeux. En particulier le couplet où je remercie l’autre pour des attitudes qui, certes, n'étaient pas faciles à vivre mais qui “ ont fait le sel de ma vie”. Quand on arrive au bout de cette vie, les difficultés auxquelles nulle relation n’échappe disparaissent et il ne reste plus que la gratitude d’avoir vécu ce qu’il faut bien qualifier de grand amour. Jacques écouta toutes les chansons précédentes de cet album avec moi, mais l'introduction musicale de celle-ci lui déplut et il ne voulut pas en entendre davantage, alors que c’était celle qui lui était destinée en priorité.
387
2018 L'amour fou faisant partie de mes quatre-cinq meilleurs albums, la sagesse commandait d’en rester là. Quoiqu'il arrive, me disais-je, je ne pourrais
jamais
faire mieux
ni même
aussi bien. Quand,
fin
2015, je réussis par miracle à sortir d'importants problèmes de santé qui avaient nécessité cinq mois d’hospitalisation et failli m’emporter, les séquelles d’un œdème pulmonaire et d’un second décollement de plèvre me rendaient de toute façon incapable de chanter. Je dus répondre
par la négative
à Michel
Legrand
qui me
proposait
de reprendre sous sa direction sa chanson Sans toi — que j'avais beaucoup aimée en voyant, des décennies plus tôt, le film d’Agnès Varda Cléo de 5 à 7. Quelques mois plus tard, la chanson Sleep d’un groupe finlandais, Poets of the Fall, que je découvris par hasard sur You Tübe, joua un rôle déterminant. À force de réécouter inlassablement cette superbe mélodie si magnifiquement chantée par une voix exceptionnelle, je me surpris à la fredonner et constatai que ma petite voix revenait. Pendant ce temps, en coulisse, mon ami Marco exhortait ma maison de disques à me relancer, faute de quoi, prévenait-il, je ne ferais plus jamais d’album. Contractuellement, je devais encore un album à Parlophone — désignation actuelle d’une maison de disques avec laquelle j'avais signé en 1995 et qui a changé plusieurs fois de nom. La productrice exécutive commença donc à m'envoyer des morceaux branchés anglais, italiens ou autres qui ne me touchaient pas ainsi qu’à me proposer de solliciter des compositeurs tels que Julien Clerc, Laurent Voulzy, Vianney, etc. De guerre lasse, je lui maïlai Sleep en lui disant que seules des mélodies de cette dimension seraient susceptibles de m'inciter à retourner en studio — ce dont, à moment-là, je n’avais nulle
envie — et en lui demandant de retrouver la trace deThierry Stremiler, disparu de la circulation depuis quelques années. 388
FRANÇOISE HARDY
PERSONNE
D'AUTRE
Dans
un
premier
temps,
Sleep en français. Dans
j’envisageai
un deuxième,
une
vaguement
d’adapter
fois l’adaptation écrite,
je m’interrogeai sur la possibilité de la chanter malgré mes limites vocales. Dans un troisième, je pensai à Erick Benzi, le seul de ma connaissance capable de produire un tel morceau sans faire un copiercoller de la version originale, tout en en gardant l’esprit. C’est ainsi que les choses commencèrent petit à petit à prendre forme. Erick eut beaucoup de mal avec ce morceau pour lequel les Poets of the Fall nous avaient donné leur feu vert, et j’en eus encore plus que lui pour l’interpréter car ma tessiture ne couvrait pas une telle étendue mélodique. Notre première entrevue à ce sujet donna à Erick l’idée qui me surprit beaucoup de m’envoyer des mélodies de son cru. Ne sachant pas si j'étais encore capable d’écrire un texte, je m’y essayai. En quelques semaines, je me rendis compte qu’un nouvel album était en train de s’élaborer presque à mon insu. À l’exception du Large, que mon amie Sophie la Grande, que je n’avais pas sollicitée, me fit parvenir à mon retour de vacances, de You’re my home de Yael Naim, une artiste que je ne connaissais pas personnellement et n’aurais pas eu l’idée de contacter, ainsi que d’une reprise de Seras-tu la ?, l’une de mes chansons préférées de Michel Berger, j’écrivis tous les textes.
Brumes Texte : Françoise Hardy. Musique : Erick Benzi.
noyées dans la brume les lignes s’effacent
avec nos traces dans la nuit sans lune les tons se fondent 390
avec nos ombres
tout s’évapore un seul rêve me hante encore
rien qu’un fantasme sur toi qui te caches toi qui te tais as-tu vraiment existé ?
disparue la crainte des comptes à rendre au goût de cendres trop loin, hors d’atteinte l'état de grâce des face-à-face j'entends des voix se peut-il que ce soit toi? montre ton visage nous n’avons plus d’âge mais tu te tais aurais-je tout inventé ?
donne-moi un signe la clé de l’énigme quel est mon crime aurais-tu tout oublié ?
391
il n’y a plus d’étreintes de cris, de larmes
de mort dans l’âme juste quelques empreintes des portes closes un mal sans cause. — Juillet 2017.
Je reçus ce premier envoi d’Erick qui correspondait à mes goûts et le laissai dormir dans son coin. Un soir, en me préparant à dîner, j'en eus soudain l’air dans la tête et quelques paroles me vinrent à l'esprit, si bien que, malgré mon appréhension de la page blanche, je décidai de me mettre au travail le lendemain. La mélodie avait quelque chose d’aquatique et c’est ce qui me donna l’idée de Brumes. Pour le reste, mon âge joue forcément un rôle, puisque la plupart de mes textes sont en grande partie autobiographiques, et qu’à plus de soixante-dix ans on ne vit pas les mêmes
choses qu’à trente.
Un seul geste Texte : Françoise Hardy. Musique : Erick Benzi.
ni direction ni boussole ni signal ni repères rien qu’un banal jeu de rôles sans endroit ni envers trop de paroles en l’air et voilà qu’on s’y perd où aller? que faut-il faire?
392
une main tendue, une épaule une halte nécessaire dans cette course vaine et folle aux bonheurs éphémères trop d’amours délétères de retours en arrière comment voir un peu plus clair? un seul geste pourrait-il faire apparaître au bout du chemin peut-être une porte ouverte ?
suffirait-il d’un seul geste nous parler, lâcher du lest essayer de nous connaître pour pouvoir renaître ? car tous les marqueurs s’affolent et le temps s’accélère nulle part les mots qui consolent qui rassurent ou éclairent des couleurs, une lumière
quelques fleurs, un feu vert un espoir qui pousse à faire le seul geste de laisser la porte ouverte pour que le malheur déserte
nos cœurs et nos têtes
393
suffirait-il d’un seul geste de la douceur qui s’apprête à calmer les plaies secrètes chasser le mal-être? un seul geste c’est peut-être
ta porte ouverte à franchir un seul geste pour renaître et qu’on arrête de souffrir. — Derniers jours de juillet-août 2017.
Je planchai longuement sur cette mélodie. Erick chantait en anglais un “yaourt” intéressant qui m’indiquait une direction. En l’occurrence, il parlait de porte ouverte ou fermée, je ne m’en souviens plus. J’étais en Corse et y travaillais chaque jour. Dommage pas été le deuxième single.
qu’Un seul geste n’ait
Train spécial Texte : Françoise Hardy. Musique : Erick Benzi.
dans ce décor crépusculaire malmené trop souvent par des courants, des vents contraires il me reste peu de temps
394
pour prendre avec toi le train spécial qui va nous emporter loin du désordre, des peines capitales vers la lumière et la liberté laissons de côté nos logiciels pour mieux tourner la page lever les yeux, revoir le ciel et toucher les nuages monte avec qui n’arrive destination tenons-nous
moi dans le train spécial qu’une fois intersidérale prêts : départ immédiat
monte avec moi dans le train spécial c’est de première urgence car l’amour seul peut ouvrir le bal et nous accorder une dernière danse rien ne s’achève mais tout commence lâcher-prise général beauté de rêve, mystère, présence sous une pluie d’étoiles monte avec moi dans le train spécial de l’aller sans retour destination intersidérale et pas question de faire demi-tour monte avec moi dans le train spécial 395
c’est de première urgence car l’amour seul peut ouvrir le bal et nous accorder une dernière danse monte avec moi dans le train spécial de l’aller sans retour. —Août 2017.
Pour Train spécial, il ne pouvait être question d’un voyage romantique en amoureux à Venise, je pris donc l’option d’une sorte de voyage cosmique. Certains journalistes crurent que j’aspirais à mourir en même
temps
que Jacques
et avec lui. Cette
(mauvaise)
idée ne
m’effleura pas un instant, je voulais juste utiliser celle d’Erick pour que, chantée par moi, elle s’avère crédible. J’avoue que ce n’est pas la chanson que je préfère de l’album et que j’avais beaucoup hésité avant de me décider à m’y impliquer. J’avais sans doute tort, car plusieurs
personnes
l’apprécièrent
et me
reprochèrent
l'avoir prise en deuxième single.
À cache-cache Texte : Françoise Hardy. Musique : Erick Benzi.
à cache-cache malgré moi je joue tout contre toi
pile ou face le tout pour le tout pour qui, pour quoi?
396
de
ne
pas
jeux de glaces miroirs déformants où l’on se voit sans qu’on sache qui l’autre est vraiment ni où il va nous nous sommes heurtés à des murs et plus d’une fois brûlés, fracassés il est tellement tard déjà carré d’as ou bien mauvaises cartes
sans dame ni roi
dans l’impasse réflexes d’automate et mauvaise foi à cache-cache même joue contre joue ça va de soi à la masse fatigués surtout de ces jeux-là nous nous sommes heurtés à des murs et plus d’une fois 397
brûlés, fracassés
il est tellement tard déjà nous avons aimé à en mourir quelquefois pleuré, espéré il est plus tard que tu crois... — 15-25 septembre 2017.
Cette mélodie et ce qui se passait derrière sur la maquette me plurent tout de suite, bien que je me retrouve avec le casse-tête des phrases mélodiques
trop courtes. Finalement,
l’idée pas très originale d'À
cache-cache arriva vite et le reste du texte en découla.
Personne d’autre Texte : Françoise Hardy. Musique: Pascale Daniel.
un signe, comme un appel un air intemporel personne d’autre que toi pour l’entendre
tes yeux couleur de ciel quelque chose d’irréel et moi qui reste là à t’attendre en quels temps, en quels lieux, sur quelle planète? ma mémoire se trouble un peu elle invente, me prend en traître 398
pour des signes en creux autre vie, autres mots, en pure perte à quoi bon fermer les yeux ? comment perdre autant la tête pour un signe ou deux?
univers parallèles faux contacts, étincelles
et moi qui baisse les bras désolée après les coups mortels les regrets éternels et toi où que tu sois exilé
autre temps, autre espace, autres conquêtes ma mémoire se brouille un peu elle invente, me prend en traître
pour des signes en creux autre époque, autres rêves, autres tempêtes même un cœur sorti du jeu risque de battre encore peut-être pour un signe ou deux
pour un signe ou deux... — Octobre 2017.
399
Alain
Lubrano
lune de mes
et
sa
grandes
prénommèrent
compagne
Sophie,
devenue
par
la
suite
amies, eurent en 2004 une petite fille qu’ils
Lisa. Depuis
sa naissance,
tous
les trois passaient
le mois d’août à Monticello avec Jacques, deux autres proches et moi. Peu à peu, aller en Corse prit beaucoup d’importance pour Lisa et, après le décès de son père en 2011, elle voulut continuer à y passer une partie de ses vacances d’été avec sa maman. Cette année-là, voyant que je travaillais à ce qui ressemblait à un futur album, Sophie me proposa de contacter son amie Pascale Daniel, alors qu’elle m’avait informée de son renoncement à la musique et de sa reconversion dans la décoration intérieure. “ Peut-être a-t-elle en
réserve
une
ou
deux
mélodies,
me
dit-elle.
Si tu veux,
je lui
poserai la question. ” C’est ainsi que Pascale me maila dès la rentrée une mélodie intitulée Subrles are the signs qu’elle chantait en anglais. Bizarrement, la première écoute me déçut, mais après deux autres je fus littéralement envoûtée et commençai à m’angoisser à l’idée de ne pas trouver un texte à la hauteur. Le titre me mit sur la voie, puisqu'il me rappela l’année 1967 où je cherchais vainement le moindre signe de réciprocité de la part de Jacques, tout en pressentant qu’il en existait une, et où lui-même devait en faire autant. Je partis donc de la subtilité des signes que nous nous étions envoyés l’un à l’autre, pour résumer
une longue
histoire en quelques
phrases. L’une
des
expressions utilisées dans le texte, “ personne d’autre”, devint le titre de la chanson, mais aussi celui de l’album, non pour mettre celle-ci
en avant, mais parce qu’il était simple et accrocheur.
400
Quel dommage... Texte : Françoise Hardy. Musique : Amandine Maissiat.
pas de grandes phrases mettons vos roses rouges dans un vase essayons de briser la glace car Sur nos carapaces un ange passe et si personne ne bouge n’ôte son masque quel dommage! j'entends la musique je revois le film tellement romantique de sommet en abîme les notes de piano sur les images un tel fiasco vraiment quel dommage! retour en grâce ? qu’attendez-vous, très cher? que l’on fasse amende honorable et volte-face? un autre tour de valse? la même musique pour le même film si mélancolique 401
déchirant mais sublime ?
impossible, hélas pour les otages du temps qui passe vraiment quel dommage! j'entends la musique et je nous revois tellement romantiques vous-même autant que moi où sont les photos de ces visages si jeunes, si beaux? mon Dieu, quel naufrage! si jeunes, si beaux mon Dieu, quel dommage! — Derniers jours d’octobre 2017.
Amandine Maissiat est une auteur-compositrice-interprète de talent que j’apprécie beaucoup et une amie. Il était convenu qu’elle essaierait de me proposer une chanson. Elle vint chez moi avec trois mélodies dont l’une retint mon attention, malgré quelques ébauches de texte inenvisageables, en ce qu’elles se rapportaient à son âge à elle, mais en aucun cas au mien. Finalement, je retins cette mélodie,
et lui demandai inaboutie. lécriture continuité
de l’améliorer,
Comme du
texte.
Amandine On
de Personne
peut d’autre
car elle était à la fois répétitive et manquait
dire
que
de temps,
Quel dommage!
en traitant grosso 402
elle me
modo
confia
est dans
la
du même
sujet autrement. Pour le dernier couplet, j’avais en tête une photo datant de 1973 de Jacques et moi, qui nous valorise autant l’un que l’autre et qui informe
en partie tant sur sa personnalité
à lui que
sur la mienne, mais aussi sur le lien qui nous unissait et qui, d’une certaine façon, nous unit encore. Les deux premières phrases sortent de mon imagination car les contraintes mélodiques obligent souvent à s'éloigner du vécu.
Trois petits tours Texte : Françoise Hardy. Musique : Thierry Stremier.
c’est un garçon énigmatique un furet qui file entre les doigts l’avez-vous vu passer par ici et repasser par là
sans qu’il s’attarde une seule fois ? trois petits tours puis s’en va je n’sais pas s’il est sympathique
par moments on dirait presque un chat jamais vous ne l’entendez venir et soudain il est là qui sourit, ne parle pas trois petits tours et s’en va seule dans mon bunker
je crois comprendre ses absences et entendre dans ses silences battre son cœur
403
et rythmiques
il lui arrive d’être cynique comme un ours, il inquiète et fait peur
il faut juste ne pas forcer sa porte ne pas jouer aux plus fortes le laisser venir à soi trois petits tours et voilà seule dans mon bunker
j'entends l’appel de son âme comme
une douleur, une alarme
un cri du cœur j'aim(e)rais qu’il me joue sa musique et lui jouer la mienne aussi parfois
mais tant pis s’il n’est pas disponible tous les rêves impossibles ont su me donner le “la” trois petits tours et voilà la vie, l'amour, c’est comme
ça
trois petits tours et s’en va... —17-18-19 septembre 2017.
Thierry mit du temps à se manifester et finit par me mailer, comme à son habitude, une quantité accablante de chansons. J’avais déjà une dizaine de chansons
parolées et il ne restait plus beaucoup
de
place. Mais j’appréciai la mélodie qui, une fois surmontée la détresse habituelle devant la page blanche, m’inspira Trois petits tours. J’ignore comment
me
vint cette idée
découvris
sur le site de la SACEM
portaient le même
qui me
sembla
bonne.
que plusieurs
Plus
tard, je
autres chansons
titre. Par chance, je ne les connaissais pas, car si 404
tel avait été le cas, jy aurais renoncé. Quand, plutôt contente de moi, j'envoyai le texte à Thierry avec ma voix sur sa maquette, il réagit négativement, me disant que ça lui faisait penser à Mireille et Jean Nohaïin -— deux immenses texte démodé,
artistes. Il entendait par là que c’était un
dépassé, has been. Mais
je tins bon, sans me
douter
que je n’étais pas au bout de mes peines puisque, contrairement à l’habitude, l’enregistrement fit l’objet de nombreux désaccords. Entre autres, au sujet de mon interprétation dont Bénédicte Schmitt — Mme
maila
Blanc-Francard
une
mise
à plat,
—, ma
juste
merveilleuse
après
ingénieur
du
son,
me
l’enregistrement.
Je
l’écoutai
avec une certaine appréhension mais fus agréablement surprise et rassurée. Quelques minutes plus tard, je reçus un mail déconcertant de Thierry. Il venait lui aussi d’écouter le rough et jugeait impératif que je réenregistre la voix. Je pris donc Bénédicte à témoin, car je la savais objective et capable de me livrer le fond de sa pensée si je le lui demandais. À mon grand soulagement, elle aussi pensait qu’il ne fallait surtout pas refaire la voix et Thierry, le mal luné, en fut pour ses frais. Cela dit, je n’étais pas enchantée non plus par sa réalisation, car il m’avait habituée à mieux.
Un mal qui fait du bien Texte : Françoise Hardy. Musique : Thierry Stremier.
c’est déjà loin la croisée des chemins le pied de nez du destin si troublants et soudains un mal, un bien?
pourquoi forcer la main? 405
pourquoi penser à demain ? tout est si incertain rien d’anodin un mal qui fait du bien j'arrête là, je me retiens: ni dernier mot ni mot de la fin... — Septembre 2017.
De toutes les mélodies que Thierry me maila pour ce dernier album, ce fut celle qui me nécessité
d’un
pont
toucha le plus. Mais s’imposait.
Il m’en
elle était très brève proposa
plusieurs
et la
qui ne
collaient pas. Le bon pont dut arriver un peu trop tard pour que j’écrive dessus. Ou bien je me dis que les /a la la seraient plus jolis que des mots sur cette ligne mélodique inspirée. Malgré une réalisation décevante chanson,
à certains égards, j'étais quand même d’autant plus indiquée
pour
conclure
fois-ci, je tenais à ce que la fin soit ouverte.
contente de cette l’album
que, cette
Je n’aime pas écrire le mot FIN. Je n’aime pas être en fin de parcours, en fin de vie. Je n’aime pas finir ma vie en assistant à
l’effrayante fin d’une époque, dont les désastres ont été annoncés dès les années 50-60. Comme tout le monde, je suis angoissée par les problèmes autour de nous, ceux qui ont toujours existé mais qui s’aggravent, ainsi que ceux qui surgissent et promettent de durer, je pense évidemment aux problèmes environnementaux: le climat, l’air, l’eau, la terre, la déforestation,
besoins mondiaux
l’énergie
dont
les
exponentiels jouent le plus grand rôle dans les
émissions de gaz à effet de serre. Il y a aussi, un peu partout hélas, la progression du populisme et de l’arrogance d’un nombre croissant de
personnes
persuadées
de
détenir
la vérité
mais
totalement
inconscientes de l’immensité de leur ignorance et du tort qu’elles causent — aux autres autant qu’à elles-mêmes — en voulant coûte que coûte imposer des jugements
et des revendications absurdes
car dépourvus de vision globale et déconnectés de certaines réalités incontournables. Un
spectacle
trottinent
avec
m’enchante : celui des leurs
petites
jambes 409
en
très jeunes
enfants
s’efforçant
de
qui
marcher
aussi vite que en
leur maman
permanence
un
ou leur papa
émouvant
regard
vers lesquels interrogateur.
ils lèvent Ils
sont
irrésistibles ! On voudrait tellement se tromper quand on pense à l'ampleur grandissante des problèmes En
1968, un Américain,
prévoyait
sept milliards
évoqués
qu’ils vont subir !
Paul R. Ehrlich, publiait La bombe P qui
d'hommes
pour
l’an 2000.
Ce sujet est
tabou, mais je reste persuadée que la surpopulation est à la source de ce qui a amené notre planète là où nous en sommes aujourd’hui et qui la menace davantage encore à court et moyen terme. Heureusement,
Beaucoup
de
il
gens
reste
ne
la
musique,
connaissent
il
pas
reste
la
les
chansons.
signification
des
formulations “ art majeur ” et “art mineur ”. L’art majeur requiert des études poussées, une initiation complexe. L’art mineur ne requiert aucune formation spéciale et est à la portée de tous. Mais il peut y avoir des horreurs comme des chefs-d’œuvre dans les deux arts. Que ce soit celle du concerto n° 2 de Rachmaninov ou d’une mélodie
de Charles Trenet, pour ne prendre
que deux exemples
parmi des centaines d’autres ou davantage, la musique vraiment inspirée
sur le plan mélodique
cet ailleurs. Ne transcende? encore,
dit-on pas
vient d’ailleurs
qu’elle vous
Je suis émerveillée
après
toutes
les
existent, arrivent à nous
et fait croire
transporte,
par les artistes qui,
œuvres
ou
chansons
en
qu’elle vous aujourd’hui
magnifiques
qui
éblouir. Cet été, j’ai découvert La rose et
l’armure d’un inconnu, Antoine Élie. Venue du cœur, cette chanson
entre
directement
dans
le vôtre
en vous
mettant
les larmes
aux
yeux, tellement elle est belle — aussi belle que la rose qu’elle évoque et que l’âme de son auteur-compositeur-interprète. Je pense plus que
jamais
qu’une
grande
chanson
comme
celle-là,
et comme
tant d’autres, se caractérise par l’authenticité et la profondeur de l’émotion qui l’a inspirée ainsi que par une façon différente, personnelle, talentueuse,
de l’exprimer. 410
Une
grande
chanson
est
intemporelle
et j’ai toujours
été
en
quête
de
mélodies
qui
me
semblaient l’être. Le texte est aussi important que la mélodie, mais il doit être à son service et non l’inverse. C’est le secret. Mai 2019-mars 2020.
Illustrations
Page 14: Tous les garçons et les filles, Vogue, 1962. Photo: Jean-Marie Périer. Page 64: La maison où j'ai grandi, Vogue, 1966. Photo: Jean-Marie Périer. Page 75: Ma jeunesse foutle camp.….., Vogue, 1967. Photo: Jean-Marie Périer. Page 87: Comment te dire adieu, Vogue, 1968. Dessin Jean-Paul Goude. Page 98: Et si je m'en vais avant toi, Sonopresse, 1972. Photo: Jean-Marie Périer.
Page 130: Message personnel, Warner Bros, 1973. Photo: Jean-Marie Périer. Page 139: séance photo pour l'album Entr'acte, 1974. Photo: Jean-Marie Périer. Page 158: Quelqu'un qui s'en va, Flarenasch, 1982. Photo: Serge Gainsbourg. Page 194: Décalages, Flarenasch, 1988. Photo: Jean-Marie Périer. Page 244: Blues, Mis, 1993. Photo: Jean-Marie Périer.
Page 276: Le danger, Virgin, 1996. Photo : Dominique Issermann. Page 312: Clair-obscur, Virgin, 2000. Photo: Jean-Marie Périer. Page 327: Tant de belles choses, Virgin, 2004. Photo: Jean-Marie Périer. Page 346: (Parenthèses.….), Virgin, 2006. Photo: Jean-Marie Périer; graphisme: Jean-
Louis Duralek. Page 370: L'amour fou, Virgin, 2021. Jean-Louis Durale.
Photo:
Gilles-Marie Zimmermann;
Page 389: Personne d'autre, Parlophone, 2018. Photo:
Page 407: Françoise Hardy sur le tournage
gaphisme:
Yann Orhan.
du film Grand Prix, réalisé par John
Frankenheimer, 1966. Photo: Giancarlo Botti.
Droits réservés.
L'auteur et l'éditeur remercient Jean-Marie Périer pour toute l'aide qu'il a apportée à la réalisation de cet ouvrage.
Table alphabétique des chansons
À cache-cache
.....................4444............
396
Appel urgent .......................................
211
Apprends-le-moi À QUOI Ça Sert? AFTÊTONS
.................................... .......
eee
..........................................
41 89 224
À Sa METCI... secs eee see eee
289
À SUÏVIG...
171
eee
eee
Au fil des nuits et des journées..........................
105
Au fond du rêve doré.................................
85
Avec des si...
......................................
92
Baby doll..........................................
257
Bien longtemps
.....................................
33
Bonjour, bonsoir... ..................................
151
Bout de lune Bowm
.......................................
bowm bowm
59
.................................
126
......................................
119
Brüûlure
.........................................2.
129
Brumes
...........................................
390
Çaaraté...................................4....
23
Bruit de fond
Cafard
...........................................
Casse pas toute ma maison
............................ 413
121 189
Cauchemar en scope et stéréo
..........................
183
....................................
178
Ce petit cœur.......................................
50
Ça va comme Ce soir
ça
...........................................
141
C’est à l’amour auquel je pense .........................
21
C’est lui qui dort
...................................
96
C'était charmant ....................................
74
Champ
d’honneur...................................
355
Chanson noire......................................
150
Chanson sur toi et nous...............................
162
Clair-obscur
.......................................
318
Comme...........................................
67
Comment savoir?
...................................
261
tant d’autres.................................
32
Contre-jour.......................................
301
Contre vents et marées
...............................
316
................................
342
Coupure de courant..................................
176
Dans le monde entier. ................................
49
Demain, c’est hier ...................................
138
Dilettante
.........................................
216
Dire tout..........................................
231
Dix heures en été....................................
299
Doigts
113
Comme
Côté jardin, côté cour
...........................................
Dormir debout
.....................................
259
Drôle de fête .......................................
165
Ducks-blues........................................
320
Eaux troubles
264
......................................
En resumé, en conclusion
.............................
240
En vous aimant bien
.................................
79
..........................................
363
Et même... ........................................
43
Et si je m’en vais avant toi.............................
128
Et voilà... ........................................
143
Faire à nouveau connaissance
..........................
201
..................................
246
................................,........
167
Esquives
Fais-moi une place Fatiguée
Fin d'après-midi
....................................
152
Fleur de lune.......................................
104
Gintonic
.........................................
170
Grand hôtel........................................
334
Icioulà?.........................................
285
Ilest parti un jour ...................................
18
Ilest tout pour moi..................................
29
I se fait tard
.......................................
57
................................,........
106
I voyage
Il y a eu des nuits...
.................................
149
J'ai bien du chagrin..................................
59
J'ai coupé le téléphone
...............................
109
J'ai fait de luiunrêve.................................
91
J'ai jeté mon cœur ...................................
24
Jaloux
42
..........................,.,.,,,,,.,,,428
Jamais synchrones
...................................
199
Jardinier bénévole
...................................
330
J'aurais voulu.......................................
35
Jeanne..............................,.,.,.,.,...
307
Je n’aime pas ce qu’il dit ..............................
145
Je ne suis que moi
...................................
164
Je ne vous aime pas ..................................
361
Je pensais. .........................................
53
Je serai là pour toi ...................................
71
Je suis detropici....................................
222
Je t'aime
............................,...,.,,,.,
Je te cherche
55
.......................................
146
J'suis d’accord......................................
17
La beauté du diable..................................
297
La berlue..........................................
118
La fille avec toi
.....................................
26
La folie ordinaire... ..................................
338
La fuite en avant ....................................
256
L'âge bête
204
.........................................
Laisse-moi rêver
....................................
La mer, les étoiles etle vent
L'amour fou
229
...........................
88
.......................................
372
L'amour ne dure pas toujours
..........................
39
L'amour s’en va.....................................
31
La nuit est sur la ville. ................................
48
La pleine lune ......................................
308
La question ........................................
111
La rue du Babouin. ..................................
350
La saison des pluies..................................
268
La sieste
..........................................
219
La situation ........................................
266
Laterre
..........................................
95
L’attente
..........................................
136
L’auréole néon
.....................................
416
184
L'autre côté du ciel ..................................
366
La vérité des choses..................................
323
La vraie vie, c’est où?
................................
233
L’éclairage........................................
116
Le danger
283
...............................,...,....
Le fou de la reine
...................................
325
L'enfer et le paradis..................................
380
Le sais-tu?.........................................
38
Les fous de Bassan. ..................................
381
Les madeleines.......................................
280
Le soir............................................
120
Les pas
357
...........................................
Les petits garcons
...................................
Le temps de l’innocence
83
..............................
359
L'heure bleue. ......................................
108
L'impasse
.........................................
163
L'obscur objet......................................
293
Mais il y a des soirs... ................................
79
Mal au cœur
.......................................
Ma vieintérieure Mer
374
...................................
125
.....................................444.222.
112
Merveilleux
.......................................
143
Mes jours s’en vont ..................................
72
Message personnel. ..................................
132
Mieux le connaître... .................................
354
Mode d'emploi
.....................................
278
Moi vouloir toi. .....................................
188
Mon
.........................................
208
Noir sur blanc......................................
352
ange
417
Nous tous
.........................................
37
On dirait..........................................
135
On se plaît.........................................
28
Où est-il?
.........................................
Oui, je dis adieu
122
....................................
114
..................................
93
....................................
203
Parallèle. ..........................................
262
Pardon
.........................................2.
116
Pars..............................................
47
Ouverts ou fermés Paradis d'espace
Partir quand même
..................................
235
.....................................
168
Personne d’autre ....................................
398
Peut-être que je t’aime................................
66
Piano-bar..........................................
378
Plus personne
......................................
181
Point...........................................2.
100
Pouce, au revoir
...................................,
134
Pour qui tu t’prends?.................................
207
Pourquoi vous? .....................................
383
Prisons
...........................................
122
Profil.......................................,.222.
253
Quand mon amour va prendre l'air ......................
123
Quel dommage... ...................................
401
Que vas-tu faire?
...................................
160
Qui peut dire?......................................
81
Regarde-toi... ......................................
302
Rendez-vous dans une autre vie... .......................
385
Perdu d’avance
Saurai-je?
......................................... 418
34
… Si ça fait mal Sic’estça
..........................,.,.,,,..
251
.........................................
69
.......................................
148
S’ilavaitété
Soie et fourrures
....................................
376
Soir de gala... ......................................
332
Solitudes..........................................
248
Sur quel volcan?
....................................
335
Surtout ne vous retournez pas ..........................
68
Tabou
..........................................2.
Tamalou
.........................................
Tant de baisers perdus
185 174
...............................
196
Tant de belles choses... ...............................
328
Tard dans la nuit... ..................................
337
Ton meilleur ami....................................
27
Tous les garçons et les filles ............................
15
Tous mes souvenirs me tuent...........................
314
Tout ce qu’on dit....................................
54
Tout me ramène à toi.................................
40
Tout m’fout en rogne
................................
238
Tout va bien
.......................................
291
Train spécial
.......................................
394
Trois petits tours ....................................
403
Tuesun peuàämoi..................................
73
Tu n’as qu’un motàdire..............................
44
Tu ne dis rien
......................................
45
Tu ne m’attendras pas ................................
60
Tu peux bien.............................,.........
56
Tu ressembles à tous ceux qui ont eu du chagrin... ..........
101
Un air de guitare ....................................
340
Une miss s’immisce
.................................
213
Un mal qui fait dubien...............................
405
Un petit sourire, un petit mot... ........................
103
Un peu... beaucoup...
à la folie... .......................
271
Un peu d’eau.............................,.....,..
303
Un seul geste.......................................
392
Vert ouvert
........................................
179
Vibrations .........................................
226
Viens 1à...........................................
76
VLP..............,.,.4444 eee eee eee
198
Voilà .............................................
77
Voyou, VOyYOU
.......................4..ee..eee.
172
Zéro partout
....................................4..
287
Table des matières
1962-1965 1962-1963 ..........................................
1963
15
Tous les garçons et les filles ............................
15
J'suis d'accord ......................................
17
Il est parti un jour ...................................
18
C’est à l'amour auquel je pense .........................
21
ŒGaaraté........................................
23
Jaijeté mon cœur ...................................
24
La fille avec toi
.....................................
26
Ton meilleur ami....................................
27
On se plaît.........................................
28
Il est tout pour moi..................................
29
..............................................
31
L'amour s’en va.....................................
31
Comme
32
tant d’autres.................................
Bien longtemps
.....................................
33
........................................
34
J'aurais voulu.......................................
35
Nous tous .........................................
37
Le sais-tu?.........................................
38
Saurai-je?
39 40 40 41 42 43 Tu n’as qu'un motädire..............................
44
Tu ne dis TIEN
45
...............4ee
eee
47 48 49 50 Ce petit cœur.......................................
50
En t’atten dant..................................,..
52
Je pensais
53
Tout ce qu’on dit....................................
54
Je t'aime
55
Tu peux bien.............................,.........
56
Il se fait tard
.......................................
57
J'ai bien du chagrin..................................
59
Bout de lune
59
.......................................
60
66 67 Surtout
ne
Si c’est ça
vous
retournez
pPaS............
soso
68 69
1967
1968
Je serai là pour toi ...................................
71
Mes jours s’en vont ..................................
72
Tu es un peu à moi
73
..................................
..............................................
74
C'était charmant....................................
74
Viens 1à...........................................
76
Voilà .............................................
77
En vous aimant bien
.................................
79
Mais il y a des soirs... ................................
79
Qui peut dire?..............................,......
81
Les petits garcons
...................................
83
Au fond du rêve doré.................................
85
.............................................. La mer, les étoiles et le vent
À QUOI Ça SCrt?
......
86
...........................
88
eee.
89
J'ai fait de luiunrêve.................................
91
Avec des si...
92
......................................
Ouverts ou fermés Laterre
..................................
93
.........................................
95
C’est lui qui dort
...................................
96
1970-1974 1970
..............................................
99
Point............................................
100
Tu ressembles à tous ceux qui ont eu du chagrin... ..........
101
Un petit sourire, un petit mot...
........................
103
Fleur de lune.......................................
104
Au fil des nuits et des journées..........................
105
I voyage
................................,.,.,.,..
L'heure bleue. ......................................
Mer
...................,.,...,4444 eee eee
Doigts
...........................................
Pardon
.................................,.,.,.,..
Où est-il? Prisons
.................................,.......
...........................................
Quand mon amour va prendre l'air ...................... Ma vieintérieure
...................................
Message personnel. .................................. Pouce, au revoir
...................................,
On dirait........................,...,...,.,,,448
424
Demain, c’esthier...................................
138
Ce soir
141
...........................................
Merveilleux
.......................................
143
Et voilà... ........................................
143
Je n’aime pas ce qu’il dit ..............................
145
Je te cherche
.......................................
146
S’ilavaitété
.......................................
148
Il y a eu des nuits...
.................................
149
Chanson noire......................................
150
Bonjour, bonsoir... ..................................
151
Fin d'après-midi
152
....................................
1975-1983 1975
..................................44..ee4. Que vas-tu faire?
1977
...................................
...................444. eee eee eee eee L'impasse
163
......................................... ...................................
164
Drôle de fête .......................................
165
Fatiguée
167
................................,.........
.............................................. .....................................
.............................................. Gintonic
1981
161 162
Perdu d’avance
1980
160
Chanson sur toi et nous............................... Je ne suis que moi
1978
159
.........................................
.............................................. À SUÏVIG...
eee
eee eee
168 168
170 170
171 171
Tamalou
........................................2.
174
Coupure de courant..................................
176
Ça va comme
....................................
178
........................................
179
Vert ouvert
ça
Plus personne
1982
......................................
.............................................. Cauchemar en scope et stéréo
1983
183
..........................
183
.....................................
184
..........................................2.
185
L’auréole néon Tabou
181
..............................................
187
Moi vouloir toi. .....................................
188
Casse pas toute ma maison
189
............................
1985-1989 1985
.............................................. Tant de baisers perdus
1986
...............................
196
..............................................
197
VLP..............,...4444 eee eee
198
Jamais synchrones
199
...................................
Faire à nouveau connaissance
..........................
201
....................................
203
.........................................
204
Paradis d'espace L'âge bête
1987
195
..............................................
206
Pour qui tu t’prends?.................................
207
Mon ange
.........................................
208
Appelurgent.......................................
211
426
Une miss s’immisce
.................................
213
.........................................
216
..........................................
219
Je suis detropici....................................
222
ATTÊtONS
..........................................
224
Vibrations .........................................
226
Laisse-moi rêver
....................................
229
Dire tout..........................................
231
La vraie vie, c’est ou?
................................
233
..................................
235
................................
238
Dilettante La sieste
Partir quand même Tout m’fout en rogne
1989
.............................................. En resumé, en conclusion
.............................
240 240
1990-1993 1990
.............................................. Fais-moi une place
1991
..................................
.............................................. Solitudes..........................................
1992
.............................................. … Siça fait mal
245 246
247 248
250
..........................,.,.,,,..
251
Profil.........................................222.
253
La fuite en avant ....................................
256
Baby doll..........................................
257
Dormir debout
259
Comment
.....................................
savoir?
...................................
Parallèle. ..........................................
261 262
Eaux troubles
1993
......................................
264
La situation ........................................
266
..............................................
268
La saison des pluies..................................
268
Un peu... beaucoup...
271
à la folie... .......................
1994-1998 1994-1995
..........................................
Mode d'emploi
277
.....................................
278
Les madeleines.......................................
280
Le danger
...............................,.....,..
283
Icioulà?......................................2.
285
Zéro partout
287
......................................
À Sa METCI... esse
289
Tout va bien
.......................................
291
L'obscur objet ......................................
293
La beauté du diable..................................
297
Dix heures en été....................................
299
Contre-jour.......................................
301
Regarde-toi... ............................,.........
302
Un peu d’eau.............................,........
303
1997-1998 ..........................................
306
Jeanne..............................,...,.,,,..
307
La pleine lune ......................................
308
2000-2004 2000
..............................................
313
Tous mes souvenirs me tuent...........................
314
Contre vents et marées
316
...............................
Clair-obscur
2004
.......................................
318
Ducks-blues........................................
320
La vérité des choses..................................
323
Le fou de la reine
325
...................................
..............................................
326
Tant de belles choses... ...............................
328
Jardinier bénévole
...................................
330
Soir de gala... ......................................
332
Grand hôtel........................................
334
Sur quel volcan?
....................................
335
Tard dans la nuit... ..................................
337
La folie ordinaire... ..................................
338
Un air de guitare ....................................
340
Côté jardin, côté cour
342
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2006-2010 2006
.............................................. La rue du Babouin. ..................................
2010
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347 350
351
Noir sur blanc......................................
352
Mieux le connaître... .................................
354
Champ
d’honneur...................................
355
Les pas
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357
Le temps de l’innocence
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359
Je ne vous aime pas ..................................
361
Esquives
363
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Un cœur éclaté
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L'autre côté du ciel ..................................
364 366
2012-2018 2012
.............................................. L'amour fou
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372
Mal au cœur
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374
Soie et fourrures
2018
371
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376
Piano-bar..........................................
378
L'enfer et le paradis..................................
380
Les fous de Bassan. ..................................
381
Pourquoi vous? .....................................
383
Rendez-vous dans une autre vie... .......................
385
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388
Brumes
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390
Un seul geste.......................................
392
Train spécial
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394
.......................4.....4.......
396
Personne d’autre ....................................
398
Quel dommage... ...................................
401
Trois petits tours ....................................
403
Un mal qui fait du bien...............................
405
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