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French Pages 270 [263] Year 2007
Camp Boiro Parler ou périr
Alsény René Gomez
Camp Boiro - Parler ou périr
Alsény René Gomez
Guinée
CAMP BOIRO Parler ou périr
© L’Harmattan, 2007 5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-04287-2 EAN : 9782296042872
Alsény René Gomez
CAMP BOIRO Parler ou périr
L’HARMATTAN
Etudes Africaines Collection dirigée par Denis Pryen et François Manga Akoa Dernières parutions Paulin KIALO, Anthropologie de la forêt, 2007. Bruno JAFFRE, Biographie de Thomas Sankara. La patrie ou la mort..., nouvelle édition revue et augmentée, 2007. Mbog BASSONG, Les fondements de l’état de droit en Afrique précoloniale, 2007. Igniatiana SHONGEDZA, Les programmes du Commonwealth au Zimbabwe et en République sud-africaine, 2007. Fidèle MIALOUNDAMA (sous la dir.), Le koko ou Mfumbu (Gnétacéés), plante alimentaire d’Afrique Centrale, 2007. Jean de la Croix KUDADA, Les préalables d’une démocratie ouverte en Afrique noire. Esquisse d’une philosophie économique, 2007. Jacques CHATUÉ, Basile-Juléat Fouda, 2007. Bernard LABA NZUZI, L’équation congolaise, 2007. Ignatiana SHONGEDZA, Démographie scolaire en Afrique australe, 2007. Olivier CLAIRAT, L’école de Diawar et l’éducation au Sénégal, 2007. Mwamba TSHIBANGU, Congo-Kinshasa ou la dictature en série, 2007. Honorine NGOU, Mariage et Violence dans la Société Traditionnelle Fang au Gabon, 2007. Raymond Guisso DOGORE, La Côte d’Ivoire : construire le développement durable, 2007. André-Bernard ERGO, L’héritage de la Congolie, 2007. Ignatiana SHONGEDZA, Éducation des femmes en Afrique australe, 2007. Albert M’PAKA, Démocratie et vie politique au Congo-Brazzaville, 2007. Jean-Alexis MFOUTOU, Coréférents et synonymes du français au CongoBrazzaville. Ce que dire veut dire, 2007. Jean-Alexis MFOUTOU, La langue française au Congo-Brazzaville, 2007. Mouhamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle des droits fondamentaux en Afrique. L’exemple du Sénégal, 2007. Cheikh Moctar BA, Etude comparative entre les cosmogonies grecques et africaines, 2007. Mohamed Saliou CAMARA, Le pouvoir politique en Guinée sous Sékou Touré, 2007. Pierre SALMON, Nouvelle introduction à l’histoire de l’Afrique, 2007. Pierre KAMDEM, Camerounais en Ile-de-France, 2007.
SOMMAIRE Préface .............................................................................................. 7 Dédicace ......................................................................................... 11 Remerciements................................................................................ 13 Introduction..................................................................................... 15 Première partie Une curieuse mutation..................................................................... 17 Deuxième partie Des gouttes d’eau sur un chiffon...................................................... 25 Chapitre I Voyage vers l’inconnu ......................................... 26 Chapitre II Nouvelles réalités, nouvelles épreuves ................. 29 Chapitre III L’agression .......................................................... 33 Chapitre IV La cinquième colonne .......................................... 41 Chapitre V L’enfer de Boiro .................................................. 49 Chapitre VI La libération ...................................................... 113 Chapitre VII Ce que j’ai retenu............................................... 117 Troisième partie Pour eux… pour nous.................................................................... 147 Chapitre I Les différentes formes de tortures et de liquidations physiques ............................... 148 Chapitre II Les charniers et cimetières connus ..................... 177 Chapitre III Liste de détenus étrangers exécutés ou morts en détention......................................... 181 Chapitre IV La question ........................................................ 185 Chapitre V Liste alphabétique de disparus............................ 195 Quatrième partie Conclusion .................................................................................... 237 Témoignages et documentaires ................................................... 243
PRÉFACE La littérature de douleur s’enrichit d’un nouveau titre ; un prisonnier illustre se décide enfin à livrer ses souvenirs du camp Boiro, sinistre camp de la mort. On appelle littérature de douleur, ces productions qui relatent les crimes et atrocités des prisons guinéennes sous le règne de Sékou Touré. Des titres désormais célèbres ont assuré au camp Boiro une triste renommée. Il faut citer entre autres Prisons d’Afrique de Jean Paul Alata, La mort de Diallo Telli de Amadou Diallo, Camp Boiro de Ousmane Bah, Le dernier survivant du complot Kaman Fodéba de Touré Kindo, etc. Avec l’ouvrage dont nous gratifie Alsény Réné Gomez, nous nous enfonçons encore plus dans la gadoue du sinistre camp. Cet ouvrage est d’une grande originalité. Mu par la forte volonté de témoigner, l’auteur a voulu coûte que coûte éclairer un pan important de l’histoire de la Guinée, qu’une conjuration qui ne dit pas son nom tente d’occulter. En prison même, il prit la décision de tout faire pour « collecter le maximum d’informations, afin de pouvoir témoigner si Dieu un jour (le) sortait de cet enfer ». Cette décision prise, il s’emploiera à survivre et une fois hors de prison, il se livrera à un véritable travail de recherche sur le camp Boiro et sur les autres lieux de détention des prisonniers politiques. Le mérite est d’autant plus grand que le régime n’avait ni le culte du document écrit, encore moins la vertu de constituer des archives bien classées. De plus, il fallait être doté d’une grande audace pour se livrer à des recherches de ce genre sur un régime révolutionnaire soupçonneux et prompt à punir et à sévir. Homme méthodique, l’auteur a su fouiner là où il faut, et il a mis la main sur des pièces inédites, d’une rare valeur. On y reviendra. Le livre de Alsény Réné Gomez, comme les autres œuvres de la Littérature de douleur, nous fait découvrir l’univers carcéral et ses horreurs. Il a été pris et jeté en prison en 1971. C’est le complot dit de l’agression portugaise du 22 novembre 1970. Les combattants du Parti Africain de l’Indépendance de la Guinée Bissau et du Cap Vert (PAIGC) avaient fait prisonnier un pilote portugais, fils d’une haute personnalité de Lisbonne. Le pilote et d’autres prisonniers portugais étaient internés dans un quartier de Conakry. Les autorités de Lisbonne lancèrent une expédition sur la capitale, où un commando fut débarqué et réussit non seulement à se rendre maître du camp Boiro et d’une partie de la ville, mais aussi à libérer les prisonniers portugais et à regagner les bateaux qui mouillaient au large de la côte.
Le succès de l’expédition, selon les autorités de Conakry ne peut s’expliquer que par l’existence de complices guinéens, formant ainsi une 5ème Colonne. Le Gouvernement cria au complot. La machine déjà bien rodée se mit en branle, les listes de persécutions furent dressées. Réné Gomez, alors Directeur Général de l’Aviation Civile, n’échappa pas aux vagues d’arrestations qui déferlèrent sur Conakry et sur le pays tout entier. Ce fut la plus grande purge que la Guinée ait connue. Le Comité Révolutionnaire et le Tribunal Révolutionnaire travaillèrent en permanence à partir de novembre 1970. Arrestations de jour comme de nuit, sur les lieux de travail, à domicile ou sur la route. Une simple dénonciation suffit ; point n’est besoin de preuves. Tous les présidents de comité (les chefs de quartiers) étaient habilités à arrêter tout suspect. Une fois en prison, l’auteur découvre l’autre face de la Révolution ; le monde de la torture, de la faim, des interrogatoires, des sévices corporels, des exécutions sommaires. C’est au milieu des souffrances, de l’humiliation des traitements infamants que notre auteur, ayant subi ce qu’il a subi, se jura de témoigner devant la conscience humaine, au nom des droits de l’homme, dont le camp Boiro est la négation. Ainsi, par delà les descriptions récurrentes des séances de torture dans la fameuse cabine technique, des départs des condamnés vers les pelotons d’exécution, par delà l’évocation des scènes horribles des arrestations et des interrogatoires nocturnes, Alsény Réné Gomez se pose la question fondamentale de la responsabilité des crimes. Il pose une série de questions. « Pourquoi tout ce massacre ? Comment expliquer à défaut de pouvoir justifier un tel acharnement et une telle cruauté ». Sékou Touré endosse-t-il seul la responsabilité des tueries, des tortures ? Ceux qui sont prompts à le disculper, s’empressent d’accuser l’entourage, qu’on rend coupable de désinformation, de lui cacher la vérité. On ne peut pas dire que le Responsable Suprême de la révolution ignorait ce qui se passait dans le camp Boiro. L’ambassadeur André Lewin, dont le sort a fait un ami et un confident du Président Sékou Touré, dit : « Sékou Touré téléphonait en effet pour féliciter certains d’avoir avoué, à d’autres pour demander de le faire, et l’on peut voir en effet dans ces interventions curieuses des actes de tortures psychologiques. » Le doute n’est pas plus permis quand on lit une lettre écrite de sa main demandant à un prisonnier d’aider la Révolution (cf. en annexe la lettre de Kamissoko). Le problème se pose de savoir si Sékou Touré était un malade ; bien des points de vue ont été exprimés sur cette question. Les médecins ont parlé de syphilis qui aurait débordé sur la paranoïa. Un journaliste parle de la hantise du complot qui va le conduire peu à peu aux pires excès.
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Sékou Touré a-t-il succombé à l’irrationnel ? On ne peut nier l’influence des fétichistes et des marabouts. Mais cela n’explique pas tout ; il y a qu’un système a été mis en place à partir d’une idéologie, une machine implacable s’est mise en marche. Comment expliquer l’acharnement contre une ethnie : les Peuls ? Comment expliquer le violent désir de toujours écraser, anéantir ? Des interrogations il y en a, pour trouver les réponses, il faut se parler. La réponse à ces questions sollicite la réflexion, la sagacité de tous. Il y a surtout qu’aussi bien en Guinée qu’hors de la Guinée, les études, les recherches sur le temps de Sékou Touré, n’ont pas avancé. Dans sa perplexité, Alsény Réné Gomez, jetant un coup d’œil sur ce passé récent, pose le problème du bilan de la 1ère République. Quels résultats, s’exclame-t-il ? L’ancien prisonnier voit « un crime programmé, qui a contribué à la liquidation physique de deux générations de Guinéens, dont les cadres civils et militaires représentant l’élite de notre société, les femmes et les paysans, notre principale force productrice. Ce massacre a aussi privé notre pays de cerveaux et de bras indispensables pour le développement de toute la nation. » Nous sommes ici aussi devant l’éternelle question des dictatures. Hitler, avant de plonger le monde dans le chaos et perpétrer le plus grand génocide de tous les temps sur les Juifs, a été l’homme providentiel qui a restauré l’Etat, relancé l’économie de l’Allemagne par des réalisations spectaculaires. Le procès de Nuremberg a prononcé la condamnation du nazisme coupable de crimes contre l’humanité. Mutatis Mutandis. Sékou Touré a conduit la Guinée à l’Indépendance, il a réhabilité l’homme noir et la culture africaine, a donné une audience internationale à un pays dont ni la superficie ni la population ne sont significatives. Mais ce bénéfice extraordinaire justifie-t-il l’existence du Camp Boiro et d’autres prisons antichambres de la mort ? Il reste que Alsény René Gomez, fervent disciple de la paix et des droits de l’homme entend mener le combat et appelle à ses côtés les survivants, les veuves, les orphelins des victimes du Camp Boiro. Cinquante ans n’ont pas cicatrisé la plaie ; le devoir de mémoire qu’il pose devient incontournable ; il semble bien que les non-dit et autres silences sur les prisons de la 1ère République, constituent un blocage psychologique pour les Guinéens. Sournoisement, les gens de l’ancien régime ont détruit le Camp Boiro jusque dans ses fondements… sous les yeux des dirigeants de la 2ème République. Les non-dit s’accumulent. Il faudra bien crever l’abcès un jour. La réconciliation nationale l’exige. L’invite de Alsény René Gomez sera-t-elle entendue ? Les annexes abondantes de son livre renferment une documentation de toute première importance. Anciens prisonniers, veuves et autres parents sont invités à compléter la liste alphabétique des disparus, des victimes tuées au fil des complots. Il a identifié des charniers, des
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cimetières ; ses recherches devraient être poursuivies si l’on veut connaître toute la vérité. Militant du « plus jamais ça », Alsény René Gomez veut informer et mettre à nu le drame des prisons. Il veut honorer la mémoire des milliers d’anonymes. La documentation recueillie par lui instaure l’instruction du dossier ‘‘Camp Boiro’’. Il propose aux lecteurs des documents insolites, et on est tenté de dire : Quand un pays a été ébranlé par un drame aussi poignant, il est établi que « sans une réconciliation », sans un « pardon », rien ne peut marcher. Nous avons vu le cas de l’Afrique du Sud : Nelson Mandela a réussi à concilier, à rapprocher les composantes d’une société déchirée par près d’un demi-siècle d’Apartheid. Nous connaissons le cas de l’Espagne ; malgré un « pacte d’oubli », soixante-dix ans après la guerre civile, le passé rattrape les hommes et la plaie s’ouvre à nouveau. En Afrique, les conférences nationales dans les années 1990 ont aidé à évacuer le « temps du kaki couronné ». La Guinée elle, n’a pas encore trouvé l’opportunité de crever l’abcès des non-dit d’antan. Pourtant le développement est à ce prix. Si l’on n’ouvre pas un débat sur le drame de la 1ère République, si l’on n’exorcise pas ce passé, il sera difficile d’entretenir une paix sociale. Aujourd’hui, beaucoup pensent que le moment est venu de poser le problème de la réconciliation nationale ; Alsény René Gomez pour sa part, veut hâter ce moment. DJIBRIL TAMSIR NIANE
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DÉDICACE Ce livre est dédié : Avant tout à mon épouse, Hadja Nènè Fouta Bah, qui a su rester digne dans l’épreuve et préserver l’unité de la famille. A mes parents, pour l’éducation reçue, les sacrifices consentis pour ma formation, et surtout pour nous avoir donné l’occasion de vivre et grandir dans un foyer uni et paisible. A mon oncle Linséni Bangoura qui a toujours su être là où il fallait, au bon moment avec la bonne solution. A toutes les victimes, connues, ou inconnues qui, après avoir été accusées, sans preuves, ont été arrêtées, torturées, condamnées sans autre forme de procès, avant d’être éliminées très souvent sans trace, au cours de la longue période de gestion sans partage de la Guinée, par le Président Sékou Touré. Ensuite, un hommage à tous ceux qui ont risqué leur carrière et leur vie pour briser notre isolement. En particulier : Major Mamadouba Sakho, Adjudant chef Bah Sonkè, Adjudant chef Mamadou Niassa, Adjudant Chef Diallo. En rédigeant ce témoignage, j’ai une pensée spéciale pour le président Nelson Mandela et ses compagnons de Roben Island, et d’une façon générale pour tous les Sud-Africains. En effet, malgré toutes les humiliations, les injustices, les douleurs et les cruautés de toutes sortes, ils ont décidé de bâtir un Etat unitaire et démocratique sur les braises d’une société dont les fondements légaux étaient : l’inégalité et la ségrégation, l’exploitation, la torture et le massacre. C’est une première dans l’histoire des nations et je suis fier que cela se soit passé en Afrique. Cela devrait être un exemple pour tous.
REMERCIEMENTS Mes remerciements à RFI (Radio France Internationale), et à MSF (Médecins Sans Frontières) qui ont été les premiers à dépêcher des missions à Conakry pour visiter pour la première fois le Camp Boiro, et recueillir les témoignages de quelques rescapés et veuves. Ce fut aussi l’occasion de prodiguer les premiers soins aux libérés du 3 Avril 1984 dont certains portaient encore des plaies et des brûlures, conséquences des tortures. En leur servant de guide à Conakry et à l’intérieur du pays, ce fut pour moi l’occasion de recueillir à chaud des témoignages d’une rare densité. Un merci tout particulier à la RTG, la Radio Télévision Nationale, qui avait succédé à la voix de la révolution, dès après le changement de régime. En effet, l’une de ses premières initiatives fut la création d’une nouvelle émission qui avait pour titre : « A vous la parole ». Les rescapés des geôles se souviennent encore du nom de Facely II Mara, celui du journaliste qui avait créé l’émission, et qui en assurait l’animation avec tant de conviction et d’engagement, qu’il avait fini par recevoir des lettres de menaces d’un citoyen qui n’avait évidemment pas eu le courage de signer sa correspondance.
INTRODUCTION J’ai commencé la rédaction de ce manuscrit dès le lendemain des obsèques du Président Sékou Touré. En effet, après la libération, nous n’étions pas autorisés à sortir du pays, en tout cas pas officiellement. Si certains avaient osé et réussi, comme mon frère et ami l’ex ministre Diallo Alpha Abdoulaye Portos et son épouse Aïcha Bah, je m’étais quant à moi, résigné à rester au pays. La disparition de l’ancien Président avait surpris tout le monde. Il fallait donc faire vite pour restituer une réalité qui, avec le temps, risquait de passer au chapitre des souvenirs pour ne pas dire de la fiction. Ainsi la première frappe de cet ouvrage fut faite par madame Sogbè Béavogui, veuve du lieutenant Sâa Paul Koundouno. Elle était secrétaire à l’Ambassade de Guinée à Monrovia au Libéria, où j’avais pris fonction en tant qu’Ambassadeur, au cours du dernier trimestre de l’année 1984. Concernant donc cet ouvrage, je tiens tout de suite à préciser d’une part, que les faits relatés remontent à plus de trente années. Ceci étant un témoignage, des erreurs peuvent donc survenir dans l’orthographe de certains noms, ou la transcription de certaines dates. Je sais d’avance pouvoir compter sur l’indulgence des lecteurs concernés, qui voudront bien apporter les corrections nécessaires, car il s’agit d’une mémoire collective. D’autre part, je n’ai nullement la prétention de porter un jugement de valeur sur l’ensemble de la gestion du régime du Président Sékou Touré. Il me manque le recul et la compétence nécessaires pour le faire. Cependant, après huit années passées dans les geôles sous son régime, si toutefois je ne peux confirmer qu’il détenait réellement la vérité comme il le prétendait, je pense que je suis cependant en mesure, de pouvoir témoigner pour dénoncer les abus du régime, dans le domaine du respect de la personne humaine et de ses droits. Le récit qui suit n’est qu’une modeste contribution qui se fixe comme objectif de dénoncer certaines méthodes de cette impulsion et leur application systématique pendant toute la durée du régime de Sékou Touré.
PREMIÈRE PARTIE : Une curieuse mutation
Historique du camp camayenne, rebaptisé Camp Boiro en 1969 A l’origine se trouvait à cet emplacement, une plantation d’arbres fruitiers appartenant à deux français planteurs de bananes et d’agrumes. Pour assurer leurs exportations, il fallait trouver un label commun pour le financement au niveau de la banque. Ils avaient deux autres plantations dont l’une à Dubréka du nom de Donia et l’autre à la Kolenté du nom de Kalia. Ainsi la combinaison des deux noms avait finalement donné : Donka. Ce nom Donka était donc devenu non seulement le nom de leur label, mais aussi celui du village à proximité duquel se trouvait la plantation. En implantant quelques années plus tard un camp à la place de la plantation, les autorités coloniales avaient préféré prendre le nom plus connu de camayenne qui était celui du quartier jouxtant le village. Il faut rappeler qu’à la veille de la dernière guerre mondiale, la capitale Conakry était circonscrite dans la presqu’île de Kaloum. De ce fait l’emplacement actuel du camp se trouvait en très haute banlieue.
Etat des Lieux Au début, il y avait trois maisons en dur avec des toitures en tôles. La première, qui faisait office de bureau et de logement des planteurs, deviendra sous la Révolution, le siège du Comité Révolutionnaire, et abritera le bureau du commandant Siaka Touré. La deuxième sise à l’entrée de la plantation a successivement été utilisée : − comme local pour l’installation des alambics qui servaient à la distillation de l’alcool à partir des fruits provenant de la plantation. C’est ce qui explique l’absence de toiture du local central qui se trouvait être à ciel ouvert. − comme atelier pour tailleurs. − comme magasin d’armements. − comme centre de détention dénommé tête de mort par les détenus, car c’était un vrai tombeau à ciel ouvert. Quant au troisième bâtiment, utilisé à l’origine comme magasin de stockage, il deviendra finalement le garage du camp. En plus de ces trois constructions, on trouvait dans ce même domaine un cimetière. Cependant, avec l’urbanisation consécutive à l’extension de la ville, la plantation allait céder la place à un camp.
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Les différentes étapes de l’édification du camp 1950 - début de la construction du camp 1951 - début de l’implantation des maisons 1954 - construction de la cité 1956 - pose du goudron à l’intérieur de la cité 1958 - L’indépendance avait donc trouvé le camp fonctionnel comme une garnison ordinaire. Il faut cependant préciser qu’à l’emplacement du bloc actuel se trouvait un terrain d’entraînement. Le camp a donc été dénommé successivement : − Camp camayenne en 1950 − Camp de la garde territoriale sous la loi cadre en 1957 − Camp de la garde républicaine en 1958 En 1969, le camp sera débaptisé pour devenir camp Mamadou Boiro, du nom d’un commissaire de police largué d’un hélicoptère alors qu’il convoyait de Labé à Conakry via Kankan, des parachutistes accusés de complot. Ce qu’il faut donc retenir, c’est que la nouvelle configuration du camp et sa vocation spécifique pour la torture et les liquidations en série, étaient bel et bien une invention de la Révolution.
Le Camp Boiro C’est le bout du monde. Mais c’est également le monde qui boue, avec des hommes qui souffrent, qui gémissent, qui meurent. Car on n’y mange pas, on n’y boit pas, et après la mort, on vous enterre sans toilette, sans prière, sans linceul, dans l’anonymat. Car Boiro, c’était un monde à part.
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Le Bloc Boiro
Portail d’entrée donnant accès au bloc à l’intérieur du Camp Boiro. Un char d’assaut stationnait devant ce portail de novembre 1970 au 3 avril 1984. Situé à l’intérieur du camp du même nom, il a été conçu et réalisé par le régime mis en place par le PDG dès le lendemain de l’indépendance. Sa configuration finale était l’œuvre de Keita Fodéba alors ministre de l’intérieur et de la sécurité (1959-1960). En effet, en décembre 1961, à l’arrivée des détenus arrêtés dans le cadre du « complot des enseignants », il y avait déjà trois bâtiments avec portes en bois abritant trente cellules numérotées de un à trente aux dimensions de 3m/3m,50. A cette époque il n’y avait pas de mur d’enceinte, pas d’eau courante, pas de pots de chambre. Les détenus adultes (enseignants) étaient enfermés en permanence, alors que les élèves détenus étaient exceptionnellement autorisés chaque matin à se rendre à la plage toute proche pour leurs besoins. A l’heure de la vidange, le papier d’emballage remplaçait les pots. De décembre 1961 à février 1962, trois autres bâtiments seront mis en chantier pour faire face aux prévisions, car sous le régime du PDG tout était planifié à l’avance. Ainsi quarante-six nouvelles cellules seront construites. Numérotées de trente et un à soixante-seize, elles sont plus exiguës, 1m50/3m50, avec des portes métalliques. Les pensionnaires du moment se
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souviennent encore du démarrage du chantier alors qu’ils étaient enfermés à double tour. C’était toujours la nuit après zéro heure. Si cela avait été un chantier privé, l’on aurait pu dire que la société travaillait au noir. Mais s’agissant de l’Etat, c’était tout simplement un aveu de culpabilité. Quant aux détenus, ils étaient persuadés les premiers jours qu’il s’agissait de fosses communes à leur intention. En 1970 le bloc Boiro se présentait comme un domaine d’une superficie de plusieurs hectares, délimité par un mur d’enceinte de près de cinq mètres de haut. A l’intérieur de ce « no man’s land » se trouvaient six bâtiments, abritant soixante-seize cellules, le tout précédé d’une petite maisonnette transformée en poste de police, et dont l’une des pièces faisait office d’infirmerie. Un grand portail métallique, était l’unique accès à la route qui reliait le bloc aux bureaux du comité révolutionnaire.
Intérieur du bloc. Alignement de cellules avec des portes en bois.
Les différents commandants du camp 1951- Sous/Lieutenant Delavaux, inspecteur de la garde territoriale, avec comme adjoint, l’adjudant / Chef Sinimory Konaté
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Puis se sont succédé : − Un capitaine français − Capitaine Gueye − Lieutenant Condé Mamadou, de la garde républicaine − Lieutenant Condé Toya, militaire qui deviendra général de division sous la Révolution − Lieutenant Diallo, militaire − Lieutenant Condé Mamadou une deuxième fois − Capitaine Kaba − Lieutenant Kissi, militaire − Capitaine Mansaré − 1970 - Capitaine Siaka Touré « Quand on vous a arrêtés, les autorités nous ont dit, que vous étiez des éléments extrêmement dangereux, et que nous devions vous serrer. Il fallait vous casser le moral et vous briser. Seulement à la longue, nous avons eu le temps de vous connaître, mieux que vous ne le pensez. Nous savons maintenant que les difficultés de ce pays viennent en grande partie de ce que des gens comme vous sont ici à Boiro. » Ainsi s’exprimait l’Adjudant/chef Bayo Souleymane, chef de poste au bloc en 1962 lors d’une conversation avec des détenus. Il fut accusé et arrêté deux années plus tard (1964), puis fusillé l’année suivante (1965).
Rappel André Lewin, qui fut porte-parole du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, avait eu à s’acquitter en 1974 d’une mission toute spéciale : la libération d’un prisonnier allemand dénommé Adolf Marx. Finalement, il obtint la libération de trois Allemands, (on ignorait l’existence des deux autres). Dans l’exécution de cette mission, il était parvenu à normaliser les relations entre Conakry et Paris comme il l’avait fait auparavant avec Bonn. Ensuite il fut nommé Ambassadeur de France auprès de Sékou Touré de 1976 à 1979. Il a eu le rare privilège d’entendre Sékou Touré lui dire un jour, en réponse à une de ses questions : « Vous êtes maintenant mon ami, je vous fais totalement confiance. » C’est donc fort de cette amitié, qu’il avait un jour posé la question qu’aucun Guinéen n’aurait jamais osé poser à Sékou Touré.
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« Je lui ai dit un jour que je ne l’enviais guère, car il était le seul à vouloir faire la révolution dans un pays qui n’en avait aucune envie.» Réponse de l’intéressé : « Mais je détiens la vérité, et il n’y aurait pas de progrès si je ne donnais pas l’impulsion. »1.
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Livre Sékou Touré, Ce qu’il fut, ce qu’il a fait, ce qu’il faut défaire. Edition Jeune Afrique – Collection Plus.
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DEUXIÈME PARTIE : Des gouttes d’eau sur un chiffon
CHAPITRE I Voyage vers l’inconnu Je me nomme… : Ainsi débutaient toutes les dépositions au Camp Boiro en 1970, et pour mon cas, j’avais naturellement ajouté : Réné Gomez. Plus de trente années après, je vous livre ma seconde déposition, faite sans contrainte et sans haine, avec pour seul objectif, de vous faire connaître ma part de vérité. J’avais à peine quatorze ans lorsque venant de Tougué, je fus embarqué à Conakry sur le paquebot Foucault un jour de septembre 1950. Je me rendais en France pour y poursuivre mes études aux frais de mes parents. C’était à l’époque un très long voyage pour un enfant de mon âge. Après une dizaine de jours de traversée, avec deux escales à Dakar et aux îles Canaries, nous avons débarqué à Bordeaux. Ce fut une brève escale avant l’arrivée le lendemain matin à Paris par train. Une grande déception. Telle fut ma première impression de cette capitale aux murs très gris qui contrastaient avec les peintures vives des maisons sous les tropiques. Immédiatement pris en charge par mon oncle feu Linseni Bangoura, je fus tout de suite adopté par ses camarades, tous des vétérans dans la métropole. Ils avaient pour noms : Dupuis Charles, Mody Sory Barry, Diallo Ibrahima, Aminata Diallo sœur de Diallo Ibrahima et épouse de Mody Sory Barry, Diallo Yaya, Koulibaly Waféré dit Waf, Touré Fodé le Gros, N’Baye Cheick, Achkar Marof. A la rentrée des classes j’avais rejoint le collège Jules Ferry de Coulommiers en Seine-et-Marne. Il était dirigé par une Directrice dont la renommée avait fait le tour des colonies françaises. Ainsi son établissement était très vite devenu l’une des destinations privilégiées des jeunes élèves africains. J’y ai trouvé des aînés dont certains allaient devenir quelques années plus tard des célébrités africaines et mondiales, ou de hauts cadres nationaux tels que : − Thiam Papa Gallo, Sénégalais, qui fut champion de France de saut en hauteur. − Thiam Habib, Sénégalais, qui fut champion de France de course de vitesse et plus tard. Plusieurs fois ministre et Premier ministre au Sénégal. − William, Sénégalais champion de France triple saut.
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− Ferdinand Oyono, écrivain camerounais. − Etéki N’Bumua, Camerounais, qui fut plus tard secrétaire général de l’O.U.A. (Organisation de l’Unité Africaine) − Koly Aboubacar Kourouma, Guinéen qui fut ministre de l’agriculture (après 1984) − Almamy Traoré, Guinéen, qui fut ambassadeur de Guinée en Italie (après 1984). Après trois années scolaires, je quittais la Seine-et-Marne pour le pays de Rabelais sur les rives de l’Indre-et-Loire à Chinon. Je me préparais à rentrer à l’université lorsque je suis revenu en Guinée en août 1958 lors des vacances scolaires. C’est ainsi que j’avais pu suivre les discours historiques de Sékou Touré et du Général de Gaulle, debout devant la mairie de Conakry en compagnie de mon grand-père. C’était le 25 août 1958. Le 28 septembre 1958, j’étais déjà de retour à Paris, attendant avec impatience les résultats du référendum. C’est le lieu de rappeler que la FEANF (Fédération des Étudiants d’Afrique noire en France) était la toute première organisation africaine à revendiquer l’indépendance pour les colonies, avant même la loi cadre, par conséquent avant le choix des leaders politiques guinéens. Après une demi-douzaine d’années d’internat en province, je me suis retrouvé dans la grande ville « Paris » avec une chambre pour moi tout seul, à la maison des étudiants de l’AOF (Afrique Occidentale Française), 69 boulevard Poniatowski dans le 12ème arrondissement. Puis pour couronner le tout, sociétaire à part entière de la prestigieuse équipe de football du SCUA (sporting club universitaire africain). C’était la première équipe de football composée uniquement d’Africains et évoluant en métropole. C’est à cette époque que je fis la connaissance de ceux qui allaient devenir mes amis inséparables pendant tout le temps de mon séjour parisien. Je veux nommer : Koly Kanté, Fanoud Entoine, Ambofo Ernst, Saraka Kodjo, Thomas Koulibaly et André Koulibaly, tous venaient de la Côte d’Ivoire. Je me retrouvais complètement maître de mon temps et de mon programme. C’était trop beau, et ce qui devait arriver arriva finalement. En effet, après plusieurs mois de dilettante au Quartier latin, entre l’Ecole spéciale des TP Boulevard Saint-Germain et la Faculté des Sciences rue Jussieu, le tout agrémenté par des monômes et des manifestations de rue contre la guerre d’Algérie, le temps s’était écoulé sans que je m’en rende compte. Une fois de plus, mon oncle intervint à temps pour mettre fin à la recréation, et me réorienter vers l’aviation civile qu’il considérait comme une carrière d’avenir. C’est comme cela que j’intégrai l’Ecole Nationale de l’Aviation Civile (ENAC) sise à l’époque à Paris Orly. Diplômé ingénieur en 1964, j’avais mis à profit mes vacances pour faire un stage à l’aéroport du
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Bourget. C’est à cette époque que je fis la connaissance de El hadj Dianè N’Famoussa en stage lui aussi pour le compte de la compagnie nationale Air Guinée. Ce fut finalement un séjour de courte durée car le gouvernement m’invitait à rentrer au pays.
Le Retour Bien entendu j’avais un programme de formation sur le plan professionnel et des projets personnels et privés qui me tenaient à cœur. En l’absence de mon oncle retourné au pays après ses études, mes proches et amis étaient tous très inquiets. Ils me rappelaient qu’en 1960, des intellectuels avaient déjà fait l’objet d’arrestations et de condamnations. Pour étayer leurs arguments ils citaient les noms de certains anciens camarades de mon oncle, tels que : Diallo Ibrahima, Diallo Yaya, et Touré Fodé Le Gros. Ensuite en 1961 à l’occasion d’une seconde vague d’arrestations, des étudiants avaient été rapatriés des pays de l’Europe de l’Est pour se retrouver en cellule au camp Alpha Yaya de Conakry. On peut aisément comprendre leurs inquiétudes et leurs conseils qui se résumaient en un seul mot : Il faut rester. Ce rappel c’est tout juste pour montrer, comment un jeune Guinéen de 14 ans qui, ayant quitté son pays alors sous domination coloniale, s’était retrouvé sans transition sur un autre continent et avait réussi à s’intégrer dans une nouvelle société. Puis, il y a eu le référendum du 28 septembre 1958, au cours duquel la Guinée avait massivement voté NON. Par ce vote historique elle refusait ainsi la transition par la communauté, permettant de ce fait à tous les Guinéens de passer du statut de sujet à celui de citoyen. Ce changement de statut n’avait cependant occasionné aucune perturbation dans la poursuite de mes études. Il n’y eut que peu d’hésitation au moment de prendre ma décision malgré le très court délai qui m’avait été accordé. Il faut reconnaître que je n’étais pas préparé pour ce retour précipité, à cause des souvenirs de 14 années de ma vie d’adolescent. Ma décision fut finalement prise après consultation téléphonique avec mon oncle. Je me suis ainsi embarqué à l’aéroport du Bourget pour être à Conakry le 4 novembre 1964, quatre jours avant une importante date du calendrier révolutionnaire guinéen, celle du 8 novembre (la loi cadre). Ce faisant, je pensais avoir agi par amour pour mon pays, confiance aux dirigeants, et adhésion à leur programme. Etant le premier ingénieur guinéen dans ce domaine, je fus nommé par le chef de l’Etat directeur de la navigation et des transports aériens quelques semaines seulement après mon arrivée, puis directeur général de l’aviation civile quelques mois après (mars 1965). Cependant, au fil du temps, j’allais découvrir que les réalités étaient autres que ce que j’avais connu plus d’une décennie auparavant.
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CHAPITRE II Nouvelles réalités, nouvelles épreuves Ma première mission fut aussi ma première sortie depuis mon retour. J’avais alors dirigé la délégation guinéenne à une assemblée générale de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) à Montréal au Canada. Mon père Joseph Gomez est décédé à cette période. C’était en juin 1965. Une vraie catastrophe pour moi. En effet, parti à l’âge de 14 ans, je revenais après 14 années d’absence, fermement décidé à prendre le relais et soulager notre papa qui avait consacré sa vie à assurer à ses six enfants, une bonne éducation et une formation de haut niveau. Après tant de sacrifices consentis, il nous avait prématurément quittés au moment même où il allait commencer à profiter des fruits de son travail. Etant l’aîné de la famille, je mesurais tout le poids de l’héritage alors que mes frères et sœurs étaient encore sur les bancs des collèges et universités. Malgré la douleur, il fallait penser à l’avenir avec comme priorité, celle de fonder un foyer.
Un mariage non désiré Avec le temps, j’avais fini par me réintégrer dans la société après une si longue absence. Il fallait donc penser à concrétiser une promesse faite lors de mon départ précipité de France. Je voulais retourner à Paris pour célébrer mon mariage avec ma compagne qui m’y attendait toujours. Il se trouve que je fais très rarement des promesses, c’est sans nul doute pourquoi je tiens toujours à honorer celles qui sont faites. Il me fallait une autorisation, je décidai donc d’aller voir le chef de l’Etat car lui seul pouvait en décider. Ce que je fis. Le président Sékou Touré m’écouta avec patience. A la fin de mon exposé, il me répondit avec tant d’amabilité et de conviction que je crus un moment me trouver en face d’un père, au point d’oublier qu’il était avant tout un homme politique et de surcroît chef d’Etat. Erreur grave qui a failli me coûter la vie quelques années plus tard. En effet, il se trouve qu’il était hostile au mariage mixte, mais je ne le savais pas. Après la communication de ma demande de permission, le Président Sékou Touré commença son argumentaire par me parler de son séjour parisien au Palais Bourbon au moment de son mandat de député. Il avait continué en me parlant de ses
relations avec sa Secrétaire d’alors. Tout le monde pensait, me dit-il, que notre cohabitation allait se terminer devant le maire, mais il n’en fut rien. C’est finalement l’un de mes collègues africains qui avait accepté de se mettre la corde au cou. Ce rappel, c’était juste pour me mettre en garde car dans son entendement, l’on ne pourrait jamais avoir la totale confiance des camarades si l’on était marié à une blanche. Voulant mieux me convaincre, il cita le nom d’un membre de son gouvernement, qui était marié à une française. « Tu me vois, dit-il, quand nous nous retrouvons en conseil des Ministres, nous parlons avec appréhension, car nous ne pouvons pas lui faire totalement confiance ». Il s’agissait de Bala Camara, Ministre du commerce, qui sera d’ailleurs arrêté quelques mois après. Evidemment le message était clair mais je ne l’avais pas compris. Ainsi ma réponse fut-elle simple, courte mais courtoise. « Monsieur le Président, j’ai promis, et avec votre permission je souhaiterais honorer mon engagement. » Je ressortis satisfait après son accord.
Difficile intégration Je me suis rendu en France quelques semaines après cette audience pour célébrer mon mariage. Revenu seul, mon épouse Nicole Conte m’a rejoint un peu plus tard. Cette fois, c’est elle qui s’était retrouvée sur un autre continent et dans un univers totalement nouveau. Il faut reconnaître qu’il n’était pas facile de s’intégrer dans notre société, surtout lorsque le conjoint demeurait le seul compagnon, donc votre seul interlocuteur. Avec les obligations professionnelles qui me retenaient très souvent loin de la maison, les journées étaient interminables et finalement insupportables. Après quelques mois, la crise de nerfs semblait inévitable. Elle finit par demander que nous retournions en France. Naturellement, c’était une option difficile voire impossible à envisager, du moins en ce qui me concernait. En fin de compte une solution de compromis fut trouvée. Elle reçut un billet aller et retour d’une validité de 12 mois. Le temps nécessaire pour la réflexion. Ce fut un voyage sans retour.
Un nouveau départ Plusieurs mois après, c’était toujours le silence complet. Je décidai donc de penser à l’avenir et de refaire ma vie. C’est ce que je fis en épousant à Dalaba en novembre 1966, mademoiselle Nènè Fouta Bah, qui allait être ma nouvelle compagne pour le meilleur et pour le pire. Comme tous les nouveaux mariés, au sortir de la lune de miel l’avenir était en rose, et l’on ne
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pensait qu’au meilleur. Pourtant, le pire allait nous rattraper beaucoup plus vite que prévu.
Les premières arrestations Mon épouse avait une cousine du nom de Arabiou Diallo qui était mariée à Diop Tidiane un jeune cadre de Dinguiraye, administrateur dans la Société qui gérait ce qui était à l’époque la première usine d’alumine en Afrique : la société Fria. Lorsqu’en 1969 fut annoncée par le pouvoir la découverte de ce qu’on appela le complot Kaman-Fodéba, le Guinéen et l’intellectuel que j’étais, pensait alors que c’était une affaire purement « kaki ». En effet, Kaman était colonel et Fodéba ancien ministre de la défense et de la sécurité. En réalité je n’avais encore rien compris. En effet, à mon grand étonnement, les arrestations avaient continué au niveau du gouvernement d’abord, avec celles de Karim Fofana et Barry Diawadou. Puis ce fut au tour des industriels et hommes d’affaires très connus tels que Baidi Gueye. Tous ceux-là évoluant hors de mon milieu, j’avoue que je n’avais pas eu à l’époque suffisamment d’éléments d’appréciation. Cependant, lorsque ce fut le tour du docteur Maréga Bocar et Diop Tidiane, je commençai à avoir des doutes. Bien entendu, je n’étais pas sorti dans la rue pour le clamer, mais j’avais tenu à le manifester par mon comportement. En effet, Diop et son épouse étaient les premiers amis de notre couple. Je refusai de croire à sa culpabilité et continuai à rendre tous les jours visite à son épouse et à leur enfant. Pour moi, c’était un geste normal d’amitié et de soutien. Puis un dimanche, je me suis rendu à Dubréka une ville située à 50 kilomètres de Conakry, en compagnie d’un très proche parent de Diop qui était notre ami commun, Madany Kouyaté. Nous avions décidé de rendre visite au Gouverneur de la ville qui était aussi oncle paternel de mon épouse. Ancien chef de canton (province) du temps de la colonisation, et devenu gestionnaire depuis que Sékou Touré avait fait abolir la chefferie traditionnelle, il était bien placé pour connaître et l’homme et son système. Il était aussi très lié au père de Arabiou. Dans la tradition africaine, c’est mon beau-père, et c’est à ce titre qu’il avait tenu à nous prodiguer de sages conseils en parlant de l’actualité Nous avions donc fini l’année 1969 avec une pensée pour notre ami que nous espérions encore revoir un de ces jours car, nous pensions naïvement que les innocents sortaient toujours de prison. Finalement, Diop Tidiane n’était jamais revenu, et moi je n’avais jamais cessé de fréquenter sa veuve. Cependant, quelque chose avait changé car à partir de ce jour, le doute s’était installé dans mon esprit.
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Quant à ma petite famille, l’année 1970 s’annonçait en rose car mon épouse attendait notre deuxième enfant. Elle était finalement arrivée en juillet, c’était une fille. Nous vivions donc tranquilles et heureux jusqu’à cette inoubliable nuit du 22 novembre 1970.
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CHAPITRE III L’agression C’était un samedi, 22ème jour du mois de ramadan. Les fidèles musulmans respectueux des prescriptions du saint Coran, prenaient un repos bien mérité avant d’aborder la dernière semaine de carême. Malgré cela, les lieux de loisirs étaient bien fréquentés par la jeunesse de la capitale. En ce qui me concerne, je dormais profondément lorsque je fus réveillé par mon épouse qui avait le sommeil très léger à cause de l’enfant en bas âge. Des bruits sourds et répétés étaient perceptibles au lointain. Une fois réveillé, je regardai l’heure, il était 02h30 du matin. Surpris et inquiet, je pris immédiatement le téléphone pour appeler mon ministre de tutelle Karim Bangoura. Il mit du temps avant de répondre car il dormait. Puis je le mis au courant de la situation : − Monsieur le ministre je m’excuse de vous déranger, mais des bruits sourds et répétés sont perçus au lointain, et semblent provenir de la ville. − Je n’entends rien. − Il faut alors ouvrir votre fenêtre. − Oui j’entends à présent, mais j’ignore ce que c’est. − Y aurait-il des explosifs dans un bateau en rade ? − A ma connaissance non. J’avais alors demandé d’interrompre la communication pour me permettre de sortir dans la cour. Notre villa trônant sur une colline, les bruits étaient devenus plus faciles à identifier, et l’on pouvait à présent penser à des armes lourdes. Je fis le compte rendu à mon Ministre. Cela l’inquiétait et il voulut se rendre en ville, car disait-il, « dans ces conditions, ma place est auprès du Président.» Je lui avais alors recommandé d’attendre le lever du jour, pour avoir de plus amples informations, et surtout d’éviter d’aller à l’aveuglette, au risque de ne jamais arriver à destination. Quant à moi, je m’étais habillé pour me rendre à mon bureau qui se trouvait à quelques centaines de mètres plus bas. Une fois sur place, je constatai que tous les hommes étaient à leur poste, et que la
situation était normale. Je décidai alors de me rendre au village de Gbessia, situé en bordure de mer, au sud de la piste, pour voir Bangoura Facinet. Etant travailleur à l’aéroport, il était aussi membre de la section du parti, donc la plus haute autorité politique dont le domaine de compétence couvrait le secteur de l’aéroport. J’avais dû traverser seul en voiture la piste d’atterrissage pour me rendre sur place. Comme tout le monde, les populations de cette localité située en haute banlieue étaient au dehors et semblaient très angoissées. J’embarquai Facinet dans ma voiture et nous sommes revenus au bureau. Une fois sur place, je lui demandai de prendre un camion incendie pour se rendre au camp militaire Alpha Yaya qui se trouvait non loin de là, afin de connaître les dispositions envisagées par la hiérarchie militaire pour les installations de l’aéroport. Au camp, c’était la frustration voire même un début de débandade. En effet, les officiers étaient là impuissants, car disait-on « les clefs de l’armurerie étaient détenues par le Président, et tout le monde était dans l’attente. » En fin de compte, je suis resté consigné à mon bureau pendant quarantehuit heures sans regagner mon domicile, mes repas étant servis sur place. Le téléphone sonnait à tout moment et je devais répondre à chaque appel. L’aéroport étant une zone stratégique, chacun cherchait à connaître ce qui s’y passait. Fort heureusement, aucune perturbation n’était à signaler. Toutefois, après le lever du jour, les préoccupations de mes interlocuteurs avaient changé. La priorité c’était l’arrivée des troupes de renfort venant du camp Kémé Bouréma de Kindia, une garnison située à 150 kilomètres de la capitale. Conakry n’avait à l’époque qu’une seule voie d’accès, les convois devaient donc nécessairement passer devant l’aéroport. J’ai encore en mémoire les appels répétés et angoissés de certains de mes interlocuteurs qui étaient de hauts dignitaires du régime. Au fur et à mesure que le temps passait, l’inquiétude et le désespoir étaient nettement perceptibles dans leur voix. Il m’aura fallu attendre plusieurs mois et des témoignages de détenus pour savoir que : − 1. le groupe des assaillants qui devait attaquer l’aéroport et détruire les avions au sol, avait refusé d’exécuter les consignes. Le responsable de l’opération Jean Januaro Lopez avait justifié son refus en précisant qu’au moment où il recevait les instructions au port d’embarquement, leur destination n’avait pas été révélée. C’est une fois le débarquement effectué, qu’il se serait rendu compte qu’il s’agissait de la Guinée. Il était donc resté en embuscade avec ses hommes dans les hautes herbes le long de la piste. Au lever du jour, il avait effectivement envoyé un émissaire au village pour signaler leur présence, et transmettre la décision de leur reddition. Si la mission de Lopez avait été exécutée jusqu’au bout, peut-être que le cours des évènements aurait changé, et que moi-même je n’aurais pas eu
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l’occasion de relater ces faits. Ce geste avec tout ce qu’il comporte comme signification, n’avait pas épargné Januaro Lopez et ses hommes. Ils subirent le même sort que tous les autres assaillants faits prisonniers. − 2. que les appels angoissés que je recevais provenaient pour certains, de dignitaires cachés dans des chambres de l’hôtel Camayenne, alors que d’autres étaient terrés dans des maisons de quartier, au point que l’on disait qu’ils étaient sous les lits. De son côté, dès l’aube le ministre Karim Bangoura s’était rendu à la présidence. Plus de doute possible sur les origines des coups de feu nocturnes car les dégâts humains et matériels étaient visibles à certains points stratégiques de la capitale tels que : la route passant devant la centrale électrique en ville, et l’entrée du camp Boiro en banlieue. Stationnant dans nos eaux territoriales, les navires ennemis étaient encore là, à portée de canon, comme pour nous narguer face à l’impuissance de notre marine et notre aviation. Mais comment en était-on arrivé là ?
Les faits Au plus fort de la guerre de libération de la Guinée Bissau, les combattants du PAIGC, Parti pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap Vert, avaient fait prisonnier le pilote d’un avion portugais. Il se trouve que c’était le fils d’une personnalité très en vue à Lisbonne. Des contacts avaient donc été pris avec Cabral le premier responsable du PAIGC pour négocier sa libération. De source digne de foi, il semble que Amilcar Cabral aurait accepté le principe. Par contre, Sékou Touré, informé, aurait émis un avis contraire. Qu’à cela ne tienne. Une partie de la somme proposée au PAIGC aurait alors été utilisée pour monter une expédition sur Conakry. Cabral informé, communiqua la nouvelle à Sékou Touré en lui disant que la Guinée allait être attaquée. Sans faire référence à sa source, Sékou Touré en fit le thème principal de toutes ses conférences d’information tout au long de l’année 1970. A cet effet, des dispositions étaient prises au niveau des garnisons de Conakry pour faire échec à un tel projet. Les différentes missions étaient bien définies, avec les officiers responsables, et les hommes nécessaires pour leur accomplissement. La consigne était claire et simple : En cas d’alerte, tout le monde devait se retrouver au camp Samory pour le regroupement et la distribution des armes. Cependant, ce programme présentait des risques, et pas des moindres. C’est l’officier Kaba 41 Camara qui eut l’outrecuidance d’en parler, à savoir l’imprudence, voire même le danger d’une telle disposition. Remarque fort pertinente mais peu appréciée
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par la hiérarchie qui le lui fera savoir quelques mois plus tard avec un ticket pour le camp Boiro. Le jour de l’agression, ce que l’officier Kaba 41 craignait s’était malheureusement produit. Ce fut un vrai massacre aux abords du camp pour notre innocente et insouciante jeunesse qui, sortie précipitamment des bars et dancings, essayait de regagner les domiciles en empruntant la route qui passe devant le camp Samory. Pour comble, ces innocentes victimes seront accusées plus tard de complicité avec les assaillants qu’elles seraient venues accueillir au camp. Ce fut le cas de Bob Sow, un journaliste de la radio, et de tous ceux qui étaient avec lui. Que dire de ces dizaines de soldats et officiers qui, pour obéir à la consigne s’étaient précipités à l’entrée du camp Samory pour le rassemblement. Le capitaine Diallo Thiana dont le rôle avait été remarquable dans la défense de la capitale nous en donne un aperçu dans une interview parue dans un journal local en date du 20 février 2006. « Parmi les gens qui sont morts en défendant leur patrie : − Lieutenant Alfred Thomas − Capitaine Moriba Kourouma de la Marine Ceux-là sont morts à la porte du camp Samory. Il y a un jeune soldat qui a été tué devant moi au lieu même du rassemblement. En plus, il y a mon neveu Mané Moussa, et son chauffeur Sow qui sont morts à la porte même de l’Etat Major. A cette liste, il faudra ajouter le nom du Lieutenant Camara Massadian, officier adjoint du camp Boiro abattu lui aussi à l’entrée du camp Samory », et tant d’autres qui auraient peut-être survécu si la consigne avait été plus responsable. Triste et macabre spectacle que de voir ces corps jonchant aussi bien à l’intérieur que sur les trottoirs et les abords du camp. Il avait simplement fallu aux assaillants venus en pleine nuit et connaissant le terrain, attendre, camouflés dans les arbres qui bordaient l’entrée du camp. Pendant ce temps, la hiérarchie militaire conduite par le Général Keita Noumandian, chef d’Etat major des armées, s’était précipitée au palais présidentiel. A leur vue, le Président Sékou Touré croyant à un coup d’Etat perdit son sang-froid et levant les bras en l’air, leur dit en tremblant : « Tuezmoi, mais ne me livrez pas au peuple. Ne me faites pas honte ». (En malinké : alu kana na maloya). Les officiers de répondre : « Non Président, nous venons chercher les clefs des magasins de munitions ». Plus tard, le Général Noumandian racontera la scène à son vieil ami, le sage Elhadj Sinkoun Kaba qui lui dira : « Vous auriez dû improviser un coup d’Etat et l’arrêter. Vous avez eu tort, bien tort ». Et avec une certaine tristesse dans les yeux, une certaine émotion
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dans la voix, il ajouta : « Maintenant, il vous tuera tous ! Il n’épargnera aucun de vous.»2 Triste présage qui s’est avéré juste. Au même moment, à l’autre bout de la ville, en banlieue, et plus précisément au camp de la garde républicaine, devenu camp Boiro, les assaillants avaient pris le contrôle des lieux après une courageuse résistance des hommes de garde. Dans les cellules, c’était d’abord l’angoisse rapidement transformée en peur panique. Puis, l’agent porte-clefs tenu en joue avait ouvert les portes les unes après les autres. Il était suivi par un groupe d’hommes en uniforme, armés et portant plusieurs ceintures de munitions. Pendant ce temps, d’autres communiquaient par radio avec des correspondants éloignés mais dans une langue qui ressemblait au portugais. Une fois regroupés au dehors, les soixante-seize détenus surpris ne savaient que dire à ces libérateurs peu ordinaires. C’est alors qu’abordant celui qui semblait être le meneur, docteur Maréga demanda : « Chef, si vous savez que le Président Sékou Touré est en place, pardon n’aggravez pas notre sort, laissez-nous ici ! » Le capitaine Pierre Koivogui répliqua immédiatement : « Mes frères, si nous devons mourir, ne mourons pas dans ce trou, sortons d’ici ». Il n’eut pas besoin de le répéter car c’est au pas de course que les détenus se sont retrouvés au portail du bloc, du moins pour ceux qui étaient capables de se déplacer seuls. Ce fut une macabre course d’obstacles car ils avaient dû enjamber le cadavre du chef de poste Sambou Condé. Ce dernier avait pris service tout juste la veille avec son nouveau grade d’adjudant-chef. Il était mort pour avoir jusqu’au bout tenu à appliquer les consignes à la lettre, à savoir ne jamais ouvrir le portail à toute personne qui ne soit mandatée par le comité révolutionnaire. Malheureusement pour lui, le visiteur du jour avait lui, mandat de tirer au moindre obstacle. C’était un officier portugais blanc qu’il abattit sur-le-champ avant d’être déchiqueté à son tour par une rafale d’arme automatique tirée par les compagnons de l’officier. Ce fut pour les pensionnaires leur dernière vision du bloc. Triste et inoubliable nuit pour des centaines d’habitants de Conakry, civils et militaires, surpris dans leur sommeil pour les uns, alors que d’autres devaient se battre sans munitions et parfois même sans armes. Une nuit peu glorieuse pour le Responsable Suprême de la Révolution qui avait trouvé refuge dans un premier temps dans la famille Guichard en ville, puis en banlieue à Dixinn chez hadja Nènè Gallé Barry, l’une des épouses du gouverneur Bah Thierno Ibrahima. Cependant, il ne tarda pas à se ressaisir pour récupérer la situation, et donner une nouvelle « impulsion » aux évènements. 2
Livre Alpha Abdoulaye Diallo (dix ans dans les géoles de Sékou Touré ou la vérité du Ministre) l’Harmattan.
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La manipulation En effet, sur le plan extérieur, il fallait impérativement convaincre la communauté internationale, car son soutien était indispensable. C’est la mission qui fut confiée à Karim Bangoura, car le Président Sékou Touré savait qu’il avait été consacré meilleur ambassadeur à Washington au moment où il y représentait la Guinée. Malgré son retour au pays, il restait très apprécié à la Maison Blanche et à l’Onu. A la demande du Président, il s’était donc rendu au domicile du représentant du Secrétaire Général de l’Onu, qui habitait à l’époque sur la corniche nord dans le quartier Coronthie, et qui s’appelait Polgar. Sa mission fut effectivement couronnée de succès car, le message rédigé en sa présence, précisait entre autres : « De la fenêtre de ma résidence, je peux encore voir les bateaux des agresseurs stationnés au large des côtes guinéennes ». Un peu plus tard, les bateaux allaient lever l’ancre, après récupération des survivants de leur groupe, et avec tous les prisonniers portugais qui se trouvaient dans les prisons du PAIGC, notamment le pilote dont la libération avait fait l’objet de marchandage.
L’amalgame Il fallait maintenant trouver des coupables et des complices. Une fois la menace écartée, les arrestations avaient immédiatement débuté. Comme il fallait s’y attendre, les évènements avaient donné raison au docteur Maréga plus tôt que prévu. En effet, les anciens pensionnaires de Boiro furent les premiers invités par communiqué radio à se présenter dans les permanences du parti dès le lendemain. Une fois récupérés, ils furent accusés de complicité avec les agresseurs et transférés à la prison de Kindia, une ville située à 135 kilomètres de la capitale. Au cours de ce transfert, alors qu’ils étaient tous ligotés aux coudes et aux pieds, arrivés au niveau du barrage de contrôle de Foulayah, sans raison apparente, un gendarme sorti du groupe se saisit d’un fusil mitrailleur pour tirer à bout portant deux rafales sur le véhicule. On entendit alors le Capitaine Pierre Koivogui s’écrier : « Oh ! maman. » Mortellement atteint au bas ventre, il s’effondra sur la poitrine de Touré Kindo. Ce dernier, malgré son handicap, parvint cependant à lui fermer les yeux, mais ne put retenir ses larmes. Le véhicule qui était à l’arrêt, avait le plancher ruisselant de sang car deux autres personnes grièvement blessées avaient également rendu l’âme. Il s’agissait d’un deuxième détenu, et d’un adjudant-chef assurant l’escorte du convoi. Quant aux survivants, à quelques exceptions près, ils seront fusillés avant la fin de l’année 1971. Le signal étant ainsi donné, plus rien n’allait arrêter la machine infernale.
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« A quelque chose malheur est bon. » Ainsi aimait s’exclamer le Responsable Suprême de la Révolution. Peu de Guinéens comprenaient la réelle signification de cet adage. Malheureusement, ils n’eurent pas besoin d’attendre longtemps pour en faire les frais. En effet, mettant à profit les prises de position sans équivoque de l’ONU, et des organisations continentales africaines, Sékou Touré laissa les instances continuer à dénoncer l’agression et condamner l’agresseur portugais. Pendant ce temps, il s’était arrangé pour en faire une affaire intérieure sous forme de chasse aux complices. Ce fut le point de départ d’une purge programmée de longue date, dont l’agression aura été le prétexte. Ainsi est née la cinquième colonne, fruit de l’imagination d’un citoyen tchèque, le docteur Kozel, en service en haute Guinée dans la ville de Kankan, et d’un Guinéen manipulateur hors classe : Emile Cissé.
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CHAPITRE IV La cinquième colonne En guise de lever de rideau, il fallait un signal fort qui puisse symboliser la détermination du pouvoir et marquer les esprits. Pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître. En effet, pour souhaiter un joyeux Noël à Monseigneur Raymond Marie Tchidimbo, archevêque de Conakry, le pouvoir l’avait invité à aller laisser ses petits souliers au poste de police de la prison du camp Boiro. C’était au soir du 24 décembre 1970. A la place du Père Noël, c’est Fadama Condé chef de poste au bloc Boiro qui s’était présenté. Le ton ainsi donné devait faire réfléchir tout un chacun sur la partition que le PDG et son guide se préparaient à interpréter. Il ne fallut pas attendre trop longtemps pour être fixé. En effet, le mois de janvier allait débuter avec les arrestations des premiers membres du gouvernement et hauts cadres de l’Etat. Pour ma part, comme à chaque nouvel an, j’étais sorti très tôt de chez moi ce 1er janvier 1971 pour aller présenter mes vœux à mon oncle Linseni Bangoura. En cours de route, j’avais prévu une halte au domicile de mon ami Barry Baba, que nous avions quitté à 23 heures, mon épouse et moi, après un réveillon intime et très sobre, compte tenu de la conjoncture. Venu pour souhaiter une bonne année, je fus accueilli à la porte du salon par une épouse en larmes qui m’annonça l’arrestation de son mari quelque temps seulement après notre départ la veille au soir. Une vraie douche froide pour un nouvel an. Les jours suivants, mes camarades et moi avions essayé de ne rien modifier dans nos habitudes. Une fois par semaine, nous avions des entraînements sur le terrain annexe du stade du 28 septembre. La particularité de notre groupe résidait dans le fait que non seulement nous étions tous d’anciens étudiants diplômés d’écoles françaises ou européennes, mais il se trouvait que la grande majorité d’entre nous avaient eu comme épouses des Européennes. Je ne sais si ceci expliquait cela, toujours est-il que depuis le 1er janvier, à chaque entraînement nous enregistrions une absence. Ce furent, successivement celle de : − Barry Baba, directeur général Soguirep (usine de rechapage de pneus) ; − Camara David, inspecteur au ministère du commerce ; − Ghussein Fadel, chef de cabinet ministère du commerce ;
− Soumah Théodore, directeur général adjoint de la banque du commerce extérieur ; − Stéphen Paul, directeur de cabinet. Comme on peut le deviner, les entraînements se sont interrompus faute de joueurs car finalement nous nous étions tous retrouvés à Boiro avant le nouvel an. Fort malheureusement, nous n’avions pas prévu d’entraînement pour une telle épreuve. 1971 fut en définitive une année inoubliable.
Les convois de la honte Ce fut tout d’abord l’expulsion des familles des Guinéens arrêtés et qui étaient classées dans la catégorie : « mariage mixte ». En ma qualité de directeur général de l’aviation civile, j’avais pour mission de veiller au bon déroulement de l’opération. Ce fut ma première épreuve de torture morale, car c’était comme si je devais participer à l’expulsion de ma propre famille. J’y ai vécu une scène inoubliable lorsque, au bas de la passerelle, une mère avait été dépossédée de son enfant en bas âge juste au moment de monter dans l’avion. « Celui-là est un guinéen, il doit rester ici ! » dit l’agent, avant de tourner le dos à la femme que j’ai juste eu le temps de recueillir dans mes bras. Elle pleurait à chaudes larmes et moi j’essayais vainement de la consoler. J’avais pu identifier dans la longue file d’attente, en plus des Françaises, des ressortissants américains membres du corps de la paix, suivis de ceux de la République Fédérale d’Allemagne. J’apprendrai plus tard que les expulsés avaient tout juste eu 60 minutes pour faire leurs valises. Tristes et pénibles souvenirs. Cependant, je n’étais toujours pas au bout de mes peines dans l’exercice de mes fonctions, car après cette expulsion, j’allais être le témoin d’un débarquement tout spécial. En effet, quelques jours seulement après, l’avion d’Air Guinée avait décollé un soir pour un vol spécial sur Banjul en Gambie. J’étais à l’aéroport au retour du vol vers 2 heures du matin. Pour être spécial, c’était réellement une « cargaison spéciale ». Pour faire plaisir à son ami Sékou Touré, le président Daouda Kairaba Diawara avait fait procéder à des rafles dans les quartiers surpeuplés de sa capitale, et fait arrêter des dizaines de jeunes. C’étaient des saisonniers guinéens qui traversaient la frontière pendant la campagne agricole, à la recherche d’un emploi temporaire, et des ressortissants guinéens résidents. Dès que l’avion s’était immobilisé, des camions militaires étaient venus se garer avec les portières arrière ouvertes. Incroyable mais vrai ! Les passagers avaient voyagé avec les pieds attachés et les mains liées dans le dos. Ils ont été déchargés et embarqués dans les
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camions comme des colis postaux. Aucun doute n’était possible sur leur destination et leur exécution était déjà certainement programmée.
Les pendaisons Pendant ce temps, les dépositions sous forme d’aveux étaient diffusées sur les antennes de la Radio nationale, la Voix de la Révolution. Le 23 janvier 1971, sur leur demande expresse, les ministres Tibou Tounkara et Diallo Alpha Taran étaient auditionnés par les députés de l’Assemblée Nationale Populaire. Tous les deux avaient été dénoncés par le ministre Baldé Ousmane dans sa déposition. Ils avaient tenu à s’expliquer. Pourtant les Guinéens, dans leur très grande majorité, étaient unanimes à reconnaître le patriotisme et l’intégrité de ces deux cadres. La pertinence de leur argumentation et la sincérité de leurs déclarations devant l’Assemblée avaient ébranlé tous les participants, du moins en leur âme et conscience. En conclusion, tous les deux avaient demandé à être confrontés avec leur accusateur, en l’occurrence Baldé Ousmane. Bien entendu, ils ignoraient alors que : la confrontation n’était pas révolutionnaire, comme aimait à répéter Ismaël Touré le président du Comité Révolutionnaire. La réponse est arrivée quarante-huit heures après. En effet, je dormais lorsque je fus réveillé par un coup de téléphone me demandant d’aller voir des pendus au pont du 8 Novembre. J’avais d’abord cru à un canular. Face à l’insistance de mon interlocuteur, j’avais quand même attendu le lever du jour pour aller vérifier. En cours de route, je dépassai des gens qui accouraient de toutes parts. Je suis arrivé sous le pont avant le raz-de-marée. Une vision d’apocalypse et des scènes inoubliables. J’ai encore en mémoire trois faits qui m’ont marqué. Ce sont : 1. Les corps sans vie de quatre personnes qui étaient en train de se balancer sous le pont : − Baldé Ousmane, ancien ministre et ancien gouverneur de la Banque centrale. − Magassouba Moriba, ancien ministre. − Barry Ibrahima, dit Barry III, ancien ministre. − Keita Kara, commissaire de police. Baldé Ousmane avait un pantalon, tandis que les trois autres n’avaient que des culottes. Cela m’intriguait. On entendait dire que c’était à cause du fait qu’il était le premier signataire des premiers billets de banque guinéens. Il aura fallu que je me retrouve à Boiro pour savoir que le pantalon servait en réalité à camoufler les traces trop visibles de tortures.
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2. Les femmes, ces femmes guinéennes dont certaines n’ont même pas accès au cimetière le jour de l’enterrement, ce sont ces mêmes femmes qui étaient là, en train de chanter et danser, avec dans les mains des bouts de bois qui leurs servaient de piques qu’elles introduisaient dans les culottes des pendus. 3. Les enfants étaient ceux des écoles qui avaient été fermées pour les conduire au spectacle. Et dire que parmi ces enfants se trouvaient certains dont le père était là sur la potence, et l’on voudrait nous faire croire que c’était un geste révolutionnaire que de leur faire vivre ce macabre spectacle. Le choc fut tel que certains enfants ne sont revenus sur le pont que le 25 janvier 2005 à l’occasion de la commémoration de l’évènement par l’association des victimes du camp Boiro. Très tôt le lendemain, les cadavres avaient été transportés à Kissössö non loin de l’emplacement de l’actuel domaine occupé par le génie route de l’armée. Une grande fosse y était déjà creusée. Après y avoir jeté les quatre cadavres des pendus du pont du 8 Novembre, on avait fait venir madame Camara Loffo, ancien ministre, qui avait été transférée de Kindia le 24 janvier en compagnie des quatre autres victimes. Elle était en attente jusqu’alors au camp Alpha Yaya non loin de là, et l’on avait tenu à ce qu’elle puisse voir le contenu de la fosse avant d’être exécutée. Que retenir de ce spectacle ? Qu’à partir de ce moment, les Guinéens devaient savoir que le Rubicon avait été franchi, et que plus rien n’allait arrêter le processus.
L’engrenage Le scénario mis au point par le docteur Kozel et Emile Cissé étant bien assimilé, le travail pouvait commencer. Pour la circonstance, le Comité Révolutionnaire avait été décentralisé avec des commissions à Kankan, Kindia, et pour un certain temps à Gaoual et Koundara. Le système était simple mais efficace, à savoir : − arrestation de jour comme de nuit, sur les lieux de travail, à domicile, ou sur la route ; − diète, torture et interrogatoire, suivis d’aveux avec dénonciations ; − arrestation par les comités du Parti des personnes dénoncées, et leur transfert à Boiro via les permanences fédérales. Chaque soir, les Guinéens attendaient avec inquiétude les informations de 20 heures à la radio nationale. C’était le sursis pour les uns, et Boiro pour les personnes citées. C’est ainsi qu’un soir de juillet 1971, on entendit le commentateur parler du traître Karim Bangoura, et cela à plusieurs reprises.
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Après un moment, ce fut un rectificatif disant qu’une erreur s’était glissée au cours du bulletin. « Il s’agissait bien évidemment du traître Karim Fofana dira-t-il alors, et non du secrétaire d’Etat Karim Bangoura ». Le père de Karim Bangoura, inquiet, fut reçu quelques jours après par le président Sékou Touré en compagnie de son fils. Il les rassura, et précisa même : « c’est l’un de mes meilleurs cadres, ce sont les ennemis de la Révolution qui font courir les fausses rumeurs de son arrestation. Il n’est pas question de l’arrêter ». Puis fait exceptionnel, quelques jours après, Karim Bangoura fut chargé de l’inauguration de l’usine de céramique que les Coréens venaient de réaliser à Matoto dans la proche banlieue de Conakry. C’étaient des missions dévolues jusqu’alors aux seuls membres du Bureau Politique du parti. Cependant, quelques jours après, plus précisément le 1er août 1971, le nom de Karim fut de nouveau cité dans une déposition. Aucun rectificatif n’ayant été fait jusqu’à la fin de la déposition, les responsables du comité sont venus le prendre à son domicile. Ils venaient tout juste de partir lorsque je suis arrivé chez lui. Je suis retourné chez moi complètement assommé. Bien entendu Sékou Touré pourra toujours dire qu’il avait tenu parole. Il n’avait pas arrêté Karim puisque c’est le peuple qui l’avait fait. Cette arrestation était venue confirmer les doutes que j’avais sur la culpabilité des personnes arrêtées. C’est pourquoi, après quelques jours, je me suis rendu au bureau de Diao Baldé, un ami d’enfance qui était ministre de la jeunesse et membre de l’instance dirigeante du parti. M’adressant non pas au responsable mais à l’ami, je lui fis part de mes doutes et de mes inquiétudes. J’évitai de parler de Karim car mes relations avec lui étaient connues de tous. J’avais préféré parler de l’affaire Tidiane qui avait été remise à jour par le Comité Révolutionnaire pour ratisser large dans les arrestations. L’on se souvient qu’il s’était jeté sur le président Sékou Touré qui était debout dans sa voiture décapotable alors qu’il recevait le président Keneth Kaunda de Zambie le 24-06-1969. Il avait réussi à le mettre à terre, avant d’être abattu par Guy Guichard, chef de la police, sur instruction du président Sékou Touré. C’est ce jour que M’Baye Cheik Oumar, qui faisait office d’interprète, avait lui aussi tiré son ticket pour Boiro. En effet, assis à l’avant du véhicule à côté de l’aide de camp, il s’était trouvé malgré lui là où il ne fallait pas, le jour où il ne fallait pas, pour être témoin de ce qu’il ne fallait pas voir. Dans les dépositions précédentes, on disait que Tidiane avait suivi des entraînements pour apprendre à monter dans une voiture en marche, et à manier le couteau. L’on précisait que ces entraînements avaient eu lieu sur la route de Nongo, précisément à Taadi, un village situé en très haute banlieue. Il se trouve que j’avais un terrain au lieu-dit Taadi. Le problème était que malgré mes fréquents déplacements, je n’avais jamais vu pareil exercice sur l’unique rue poussiéreuse de Taadi. Mieux, personne dans le village ne se souvenait d’une telle équipée.
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Après avoir écouté avec attention, mon ami avait souri, puis me regardant dans les yeux, il me demanda : « Est-ce qu’on t’a demandé quelque chose ?» J’avais répondu par la négative. « Alors retourne chez toi et reste tranquille », me dit-il. C’est ce que je fis jusqu’à ce mois de septembre 1971. En effet quelques semaines s’étaient déjà écoulées après cette visite lorsque, me rendant chez mon oncle, un après-midi, j’y trouvai une correspondance qui m’était destinée. Nous étions le 22 septembre 1971. C'était une convocation envoyée par un tribunal parisien, qui m’invitait à me rendre à Paris pour entamer une procédure de réconciliation, prélude à celle du divorce. Bien entendu j’étais loin d’imaginer qu’un autre tribunal allait avoir besoin de moi, plus tôt que prévu, avec comme particularité qu’il était surtout local et moins procédurier.
Mon arrestation 22 septembre 1936 et 22 septembre 1971. Deux dates, à jamais gravées dans ma mémoire. La première comme date de ma naissance, et la seconde comme date de mon arrestation. Date anniversaire, ce 22 septembre 1971 avait donc débuté par une première surprise plutôt inattendue, dans l’aprèsmidi lors de ma visite chez mon oncle. Heureusement une autre plus agréable m’attendait à la maison. En effet, comme chaque année depuis notre mariage, mon épouse Nènè Fouta m’avait préparé un cadeau d’anniversaire. Nous avions deux enfants, Joseph qui avait trois ans et Esther quatorze mois. En somme un anniversaire très intime, dans un foyer sans histoire. Très tard dans la nuit, je fus réveillé par des bruits sourds et répétés provenant de la porte du salon. Je me suis immédiatement levé pour aller ouvrir. Sous la véranda se tenait le commissaire Sékou Konaté accompagné de deux hommes armés et casqués. Un troisième se trouvait près de la voiture, une Volkswagen blanche sans numéro. « On a besoin de vous », me dit-il. Je demandai alors si je pouvais m’habiller. M’ayant répondu par l’affirmative, je me suis dirigé vers la chambre à coucher. Ils m’avaient suivi tous les trois. Mon épouse et mes deux enfants dormaient. Dans la deuxième chambre se trouvaient mes deux belles-sœurs, Binta Bah et Hafsatou Bah. Avec beaucoup de précautions j’ouvris l’armoire pour prendre mes habits. Je n’eus pas à chercher bien longtemps car ils venaient d’y être déposés dans la soirée. C’était mon cadeau d’anniversaire. Un ensemble marron brodé. Fort heureusement, mes enfants n’avaient pas été réveillés. Par contre, le bruit des pas et des portes avait fini par réveiller mon épouse et ses sœurs. Au moment où nous nous acheminions vers la sortie pour monter dans la
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voiture, je me suis retourné, mon épouse était déjà sur la véranda, secouée par des sanglots et soutenue par ses deux sœurs. « C’est pour une vérification », dit le commissaire, et je répliquai en clamant haut et fort : « Je suis innocent, je reviendrai ». C’est sur ces mots et sur cette dernière vision que j’ai quitté ma famille. La voiture avait déjà dévalé la pente et nous nous dirigions vers la ville, laissant l’aviation derrière nous. Arrivés à la hauteur de l’hôpital Donka, sur l’autoroute, nous avons viré à droite. Aucun doute n’était plus possible : c’était la direction du Camp Boiro. Je compris alors que mon tour était arrivé. On n’arrivera certainement jamais à identifier tous ceux qui ont eu à longer les murs de l’hôpital Donka, pour se retrouver au Camp Boiro. Arrivés à destination, je fus directement conduit au bloc. Après la fouille et le déshabillage d’accueil, il me restait encore ma montre au poignet. On m’invita à la déposer. A partir de ce moment, le temps s’est arrêté pour moi, du moins dans ce qui avait été jusqu’alors ma vie d’homme libre. Il était 1h du matin. J’allais rester finalement sept ans, sept mois, dix-neuf jours, dixneuf heures et trente minutes au Bloc Boiro. Une bien longue et pénible rupture dans la vie d’un homme de trente-cinq ans. J’ai vécu ces années et ces heures comme un spectateur dans la salle de projection d’un film en relief, où l’on a l’impression d’être la cible de tous les dangers. Impossible de tout raconter, car chaque minute de vie était un combat qui n’était pas gagné d’avance. Néanmoins, je vous invite donc à revivre avec moi, quelques étapes et certaines séquences spécifiques de ce qu’a été l’enfer de Boiro de septembre 1971 à mai 1979 période de ma détention.
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CHAPITRE V L’enfer de Boiro Il devait être 1h05 lorsque je fus déposé dans la cellule cinq. C’était ma première cellule. Personne ne dormait car à Boiro tous les évènements importants se passaient la nuit. Il avait fallu plusieurs minutes pour que mes yeux s’adaptent à la pénombre, avant de pouvoir m’orienter et dénombrer les silhouettes. Conformément à la tradition je déclinai mon identité et mes fonctions, après quoi ce fut le tour de chacun de mes nouveaux compagnons. Le protocole d’arrivée ainsi terminé, la question qui suivait était toujours la même : « Pourquoi as-tu été arrêté ? » C’était toujours aussi la même réponse : « je ne sais pas. » En effet, on se retrouvait toujours à Boiro sur dénonciation, par convocation ou par kidnapping, à des heures indues et en des lieux inappropriés. Après cette formalité, je fis connaissance avec mes compagnons de cellule. − Kaba Lamine, ex-gouverneur de Guekedou, mort en prison deux ans après. − Camara Mamadouba, chauffeur de Emile Cissé, libéré après plusieurs années. − Barry Oumar Rafiou, commissaire de police, mort à Boiro. − Camara Daouda, un militant du Front de Libération nationale de Guinée-Bissau (FLING). Parti opposé au PAIGC de Amilcar Cabral. Libéré après plusieurs années. Mes yeux s’étant habitués à l’environnement, je fis du regard le tour du propriétaire. C’était une pièce d’environ 3m-3,50 avec des murs de 3 mètres de haut, sans plafond. Au fond dans le coin droit, recouvert par un bout de carton, un pot de chambre qui devait être blanc à l’origine. Il portait sur le bas, à plusieurs endroits, de grosses enflures. J’allais savoir plus tard que c’étaient des trous bouchés avec du chiffon et du savon. Les détenus étaient couchés par terre. Seuls quelques privilégiés avaient un bout de carton qui arrivait tout juste à la hauteur du buste. Camara Daouda était l’un de ces heureux pensionnaires. Il m’invita à prendre place à côté de lui, tout près de la porte. Il y avait pour compléter ce tableau quatre gobelets de un litre, dont
la couleur blanche semblait un peu insolite entre les tenues sombres dans un décor de murs crasseux. La consigne était formelle : éviter au maximum l’utilisation du pot, hormis les cas d’urgence, car en cas de mauvaise manipulation, les bouchons pouvaient céder et le contenu se déverser dans la cellule, alors que la vidange avait lieu une seule fois en 24 heures. Le lendemain matin, j’avais négligé ma ration, le pain était insignifiant, puis de toute façon je n’avais pas faim. Mes compagnons me regardaient avec compassion, avec l’air de dire : « Cela te passera, nous avons tous connu cela ». Comment d’ailleurs avoir faim après une nuit d’insomnie, entièrement consacrée à penser à ma famille ? Pendant ce temps, d’après mon épouse, à la maison après mon départ, le reste de la nuit comme il fallait s’y attendre s’était passé en pleurs. Très tôt le matin, les miliciens étaient venus vider la maison de tout ce qui était transportable : nourriture, boissons, livres, disques et appareils, habits y compris ceux de nos enfants. Il avait certainement fallu à mon oncle Linseni Bangoura beaucoup de tact et de ruse, pour les convaincre d’accepter de remettre à la famille le seau de riz qu’il avait tenu à déposer lui-même très tôt le matin. Il avait pris soin de glisser des billets de banque au fond. Pendant les trois premiers jours qui ont suivi mon arrestation, ma famille était entièrement consignée à la maison. Aucune visite n’était autorisée. Le téléphone qui devait être coupé était finalement resté en marche, grâce à la complicité de l’oncle qui était directeur des télécommunications. Ainsi grâce à lui, la famille avait pu contourner le « blocus » pour rester en contact avec l’extérieur, et bénéficier d’un précieux soutien moral. Auparavant Madany Kouyaté, un ami de la famille avait été dépêché à Dalaba, ville située à plus de trois cents kilomètres. Il avait une difficile mission, celle d’aller voir ma belle-mère et lui annoncer la mauvaise nouvelle, dans l’espoir de prévenir toute réaction imprévue. Ce fut une très bonne initiative. Après quelques jours de réclusion à la maison, une fois le siège levé, la famille avait fait le tour des permanences du parti en quête d’informations. Finalement c’est par des sources non officielles qu’elle apprendra mon incarcération au Camp Boiro.
L’interrogatoire Pendant ce temps, en prison, les journées et les nuits se succédaient dans l’attente, l’inquiétude et l’angoisse. La trêve sera finalement de courte durée. En effet une semaine après mon arrestation, on est venu me chercher pour me conduire à la commission. C’était la nuit comme toujours, et nous étions le 29 septembre 1971. Je fus menotté dès ma sortie de la cellule avant même d’arriver au poste de police du bloc où m’attendait le lieutenant
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Oularé. On m’embarqua dans une jeep, assis entre deux agents en armes. C’est ainsi que je me suis retrouvé, quelques minutes plus tard, devant Diakité Moussa, ministre et membre du bureau politique du PDG, président d’une des commissions du Comité Révolutionnaire en charge des interrogatoires. Le commissaire Konaté Sékou était à ses côtés, en qualité d’assesseur. Sa présence me rassurait un peu, car il avait été sans brutalité le jour de mon arrestation. J’avais même cru un instant voir une lueur de compassion dans son regard. Puis l’acte d’accusation est tombé tel un couperet sur ma cuirasse d’innocence : « Vous savez que l’on ne peut pas arrêter un haut cadre sans preuves. Vous êtes du réseau allemand. Avouez.» J’étais débout les mains menottées, encadré par deux hommes armés. Mon accusateur était assis de biais, comme pour éviter mon regard. A croire qu’il n’est pas toujours facile d’accuser impunément sans preuve, un innocent qui vous fixe droit dans les yeux. Malgré tous les conseils préalablement reçus dans la cellule, j’étais surpris et devenu brusquement muet. C’était au-delà de tout ce que je pouvais imaginer. Plus par mon attitude que par les mots, on devina ma réponse. « Amenez-le à la cabine », dit le ministre Diakité Moussa. Le geste des sbires avait précédé l’ordre de leur maître. En effet, sans même que mes pieds touchent terre, j’étais déjà en route pour la torture. Je devais être le premier ce soir là car nous avions trouvé les tortionnaires de la cabine en train de jouer au damier. En somme, une façon toute pacifique de se faire la main. L’un d’eux s’était alors brusquement levé avec une mine de lauréat un jour de distribution de prix. « Enfin un client », dit-il en se frottant les mains. Après cette première séance, je fus ramené au bloc. Arrivé devant ma cellule, je reçus l’ordre de prendre mes effets et de sortir. En réalité il s’agissait d’un gobelet et d’une couverture que j’étais incapable de prendre tout seul, à cause des blessures aux bras et aux coudes. Mes camarades qui connaissaient le scénario se sont empressés de me porter secours en posant le tout sur mes bras. Je fus donc déplacé pour me retrouver seul dans la cellule n°71 (bâtiment 6 aux portes métalliques). L’isolement complet pendant toute la période d’interrogatoire, c’était la règle à Boiro. Une fiche fut déposée le lendemain avec un canevas sous forme de questionnaire. Naturellement, ce document avait pour objectif d’orienter ma déposition car la présomption d’innocence était une notion inconnue dans le vocabulaire de la révolution. La suite de l’interrogatoire dépendait de l’option choisie pour la réponse. Après une rapide lecture du document, j’étais surpris par la gravité des accusations, et aussi amusé par l’invraisemblance de certaines questions. Alors je pensais tout naturellement pouvoir rapidement apporter les démentis nécessaires. Avec douleur et beaucoup de peine, mes doigts se saisirent du
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bic. Finalement deux feuillets seulement avaient été remplis car la vérité de l’innocent n’avait pas besoin de beaucoup de commentaires. Après la collecte des feuilles et leur dépôt au Comité Révolutionnaire, la suite de la déposition avait eu lieu à la cabine technique. Ce fut une semaine infernale. Mon corps n’avait plus de frontière pour les pincettes de la gégène. La nuit c’était la danse macabre avec les convulsions et les hurlements provoqués par les brûlures électriques, ensuite dans la journée, la faim, la soif et l’insomnie. Alors je me suis souvenu des conseils prodigués par les anciens de la cellule n°5. L’instinct de conservation et la fatigue aidant, je décidai finalement de céder. Il m’avait fallu plusieurs jours avant d’accepter « La vérité du ministre ». Je tenais à éviter toute dénonciation de personnes encore en liberté et se trouvant en Guinée. C’est Lounsény Koné, un fonctionnaire de la présidence, qui fut chargé de l’enregistrement de ma déposition. Il eut le réflexe de bloquer l’appareil pendant près de cinq minutes, tout juste le temps pour moi d’extérioriser mon désespoir, et pour lui de faire un enregistrement audible. J’avais pleuré à chaudes larmes. Je pensais à ma famille et à tous mes amis lorsqu’ils entendraient ma voix. De retour au bloc, on mit fin à mon isolement comme j’avais rempli mon contrat en me gratifiant d’un compagnon. On l’appelait le « ministre » car il avait pour nom Ismaël Touré. Le même que celui du président du Comité Révolutionnaire. C’était un jeune délinquant d’une vingtaine d’années. Ce fut une cohabitation sans histoire car j’étais dans ma tour d’ivoire. Je savais d’après les anciens que ce genre de compagnon transféré immédiatement après la déposition était habituellement une taupe, avec pour mission de vous faire parler.
Une mission impossible Quelques jours après, l’adjudant chef Soumah Soriba est venu ouvrir la cellule. Nous étions en novembre 1971, un dimanche. « Tu es catholique ? » demanda t-il. Après ma réponse par l’affirmative, il m’invita à le suivre. « Je te confie une mission très importante, il faudra la mener à bien.» Il s’agissait de tenir compagnie à un détenu qui était seul en cellule afin de l’empêcher de faire des bêtises, sans autre précision. En quelques enjambées nous étions devant une cellule ouverte. Elle avait les mêmes dimensions que la précédente à savoir 1,50-3 m. Pas de plafond, avec des murs de séparation montant jusqu’au ras des tôles. Mon attention fut attirée par deux choses. Tout d’abord, à droite dans un coin près de l’entrée, se trouvait posée une assiette de riz gras, le repas du dimanche, bien apprécié des pensionnaires car le moins indigeste : le plat était intact. Puis en relevant la tête je vis un objet blanc attaché à l’une des poutres en fer. C’était un drap de lit. Je me suis alors souvenu que dans les hôpitaux les accidentés avaient souvent les
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pieds tenus en l’air par un dispositif similaire. Y aurait-il un blessé dans la cellule ? L’hypothèse fut vite abandonnée car il n’y avait pas de lit. Alors je me suis assis dans un coin pour attendre. Je somnolais déjà lorsqu’un visiteur inconnu franchit la porte. Il était suivi par un agent portant un lit picot. Une fois le lit installé, il s’est assis sans rien dire. La porte était déjà refermée, et les pas se dirigeaient vers le poste de police. Je compris alors que ce n’était pas un arrivant mais le permanent des lieux. Il était grand avec des cheveux blonds et un regard totalement absent. Je fus tout de suite intrigué par un anneau rouge qu’il avait autour du cou. C’était du mercurochrome. Il portait une chemise bleue qui lui arrivait tout juste à hauteur du nombril. Si nous étions à la maison, j’aurais dit qu’il avait porté l’une des tenues de son jeune frère. L’uniforme bleu qu’il portait se mariait très peu avec cette peau d’un blanc très pâle. J’étais impatient et inquiet. Je voulus engager la conversation, mais mon compagnon n’avait pas encore totalement retrouvé ses esprits. L’arrivée du major Sakho quelques minutes après fut pour moi très salutaire. Il avait vu la porte fermée et était venu la rouvrir à cause du rescapé. Une heure après, nous avions pu finalement amorcer un début de conversation. C’est ainsi que je commençai à découvrir mon compagnon. Il s’appelait Jean-Claude Verstrepen, de nationalité belge et professeur de français de son état. Il disait avoir servi à Labé puis à Conakry. On l’avait arrêté à l’aéroport à son retour de vacances. Je me suis dit que cette fois elles étaient effectivement terminées. Il m’expliqua qu’avec l’aide de son drap de lit, attaché à la poutre métallique, il avait tenté de se suicider en montant sur le dossier de son lit de fer. Le coup de pied sur le dossier au moment du saut final, et le bruit du lit, avaient fini par alerter Barry Amadou Gando de la cellule voisine. Ce dernier frappa avec force sur la porte de sa propre cellule. Le poste de police se trouvant à moins de dix mètres, le message fut immédiatement reçu. Ce fut son salut. Un agent est venu et la porte de la cellule voisine s’est ouverte. L’infirmier-major alerté est venu constater la situation. Il fallut plus d’une heure de temps pour le ramener à la vie. Alors il me dit : « En ouvrant les yeux, j’avais l’impression de sortir d’un rêve. Tout tournait autour de moi. J’étais au bord de la mer et j’assistais comme à un ballet de palmiers qui ne cessaient de bouger. Alors je me suis souvenu que j’étais en Afrique. » C’est ainsi que Jean-Claude me raconta son retour à la vie. Nous étions à la cellule n°55 en novembre 1971. C’était un garçon très calme, intelligent, très sensible et certainement plus à l’aise avec une craie devant un tableau noir. Toutefois, ici il ressemblait à un élève trop sévèrement puni pour une faute qu’il semblait même ignorer. Ma mission semblait à première vue sans grand risque. Cependant, en 1971 personne ne pouvait imaginer combien de temps allait durer le calvaire et quel en serait le dénouement. En attendant il fallait donc occuper le temps et si possible utilement. C’est ce que je fis. J’avais besoin de comprendre le geste de mon compagnon, car son comportement était quelque chose de
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nouveau pour moi. Il avait sa logique à lui. « J’ai toujours voulu donner un sens à ma vie, me disait-il, et pour y parvenir je m’étais imposé une certaine éthique. Avec cette arrestation et tout ce qu’on m’a fait dire et écrire, tout cela est à présent perdu. Je conçois que l’on m’arrête, que l’on m’accuse, par contre je ne peux pas supporter qu’on m’oblige à dénoncer une personne que je ne connais pas. D’ailleurs je n’ai plus personne qui me retienne dans ce monde. Mon père est décédé il y a fort longtemps. En quittant la Belgique j’avais laissé ma mère malade, personne ne sait si elle a survécu à l’annonce de mon arrestation. » En effet Louis Behanzin, un Béninois à l’époque inspecteur général de l’enseignement, était considéré comme l’idéologue du parti et homme de confiance de Sékou Touré. Le président du Comité Révolutionnaire Ismaël Touré tenait à tout prix à avoir sa tête. Pour parvenir à ses fins, il avait exigé sa dénonciation par Jean-Claude, un enseignant. Pour briser sa résistance, il n’hésita pas à lui remettre un engagement écrit et signé lui promettant la libération après sa déposition. Le papier était soigneusement plié et conservé dans un coin.
La désillusion Après quelques jours seulement de cohabitation, un agent était venu me prendre un matin pour me conduire dans la cour devant le bâtiment n°2. Je remarquai tout de suite un petit tabouret posé près du poste de la sentinelle, avec à terre une ardoise. Je fus surpris par la présence au bloc d’un civil avec un appareil en bandoulière. C’était un photographe. En regardant de plus près, je découvris mon nom écrit sur l’ardoise. Ce fut d’abord un choc, puis la désillusion, et en fin de compte le désespoir. Alors instantanément, tout mon espoir s’était envolé avec cette lecture, car nous imaginions tous, à l’époque, qu’une déposition non publiée pouvait favoriser une libération à court ou moyen terme. Puis on me fit asseoir avec l’ardoise plaquée sur ma poitrine. En une fraction de seconde, j’imaginai cette photo en première page du journal local Horoya. La stupéfaction de ma famille, la rage des mes proches, et l’étonnement de mes agents. De retour en cellule, je me suis mis dans un coin. Puis, sans un mot, la tête entre les mains je me suis mis à pleurer. Après l’accalmie, j’ai pris ma première décision de Boiro : à savoir, tout faire pour sortir vivant afin de pouvoir témoigner. J’apprendrai plus tard que ma déposition avait effectivement été publiée le 12 novembre 1971. Le temps avait passé et aucun signal ne venait de la commission. En m’exhibant son bout de papier, Jean-Claude me disait avec naïveté et étonnement, « je ne comprends pas comment un ministre de surcroît membre du Bureau Politique pouvait mentir ». En effet, il devait repasser devant la commission le 15 novembre 1971, mais personne n’était venu, ni les jours suivants. Nous devions apprendre plus tard que Sékou Touré avait mis un
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terme au mandat du Comité Révolutionnaire présidé par son jeune frère Ismaël Touré. Ainsi Béhanzin avait échappé à l’arrestation et bien d’autres innocents. A moins que ce ne fût lui l’intouchable. Tous les espoirs s’étaient envolés pour mon compagnon. Le bout de papier avait donc été jeté sous le lit. Les jours se suivaient et se ressemblaient avec en plus la grande chaleur de la saison sèche, et la déprime de plus en plus accentuée de mon compagnon. Puis à notre grande surprise, un matin du mois de février 1972, on ouvrit la porte de notre cellule. Le patron du camp Boiro, Siaka Touré, se tenait devant notre porte, sourire aux lèvres. S’adressant à mon compagnon, il lui tendit une feuille de papier et un stylo. « Je dois me rendre en Belgique la semaine prochaine, si tu veux envoyer un mot à ta maman il faut le faire. Tu remettras le tout au chef de poste. » Jean-Claude était bouleversé. Siaka avait à peine franchi le portail que les larmes inondaient déjà son visage. Il était incapable de tenir le bic. Pensant que c’était pour lui une occasion inespérée, je décidai d’écrire la lettre sous sa dictée. En fin de compte, il n’y eut même pas de message dicté car les sanglots empêchaient les mots de sortir de sa bouche. Finalement je me suis résigné à écrire la lettre en essayant de trouver les mots qu’il fallait pour apaiser une mère qui a son fils à Boiro, si toutefois il n’était pas trop tard. Dans tous les cas, elle allait se rendre compte que l’écriture n’était pas celle de son fils. Plus tard dans la soirée je me suis demandé si cela avait été une bonne initiative. De toute façon il était trop tard car la lettre était déjà partie. Je suis resté six mois à la cellule n°55 en compagnie de Jean-Claude. Je le sentais faiblir chaque jour davantage. Pour le raccrocher à la vie, j’essayais de l’intéresser à plusieurs sujets. J’abordai en premier lieu des sujets ayant trait à la religion, car dans un endroit pareil, c’était généralement le dernier refuge. Je compris très tôt qu’il n’était pas un croyant convaincu. Cependant il accepta le chapelet que j’avais confectionné avec de la mie de pain. Cela avait marché quelques temps, puis un matin le chapelet fut lui aussi abandonné sous le lit. Après quelques jours il avait disparu, ce que je constatai sans étonnement, car à Boiro les détenus n’étaient pas les seuls affamés en cellule. Une souris était passée par là. Je changeai donc de sujet pour aborder son domaine de prédilection, la littérature. Ce fut une idée géniale. Toute l’œuvre de Camus y passa, avec d’autres auteurs et les récits de films d’actualité. C’est grâce à ce répertoire que je réussis trois ans plus tard, en 1974, à animer des soirées cinématographiques à la cellule n°14. C’est à cette époque qu’un jour, au moment de la vidange, il me montra l’unique ampoule qui éclairait le local. Joignant le geste à la parole, il me dit : « Tu vois, si je veux mettre fin à ma vie, tu ne pourras pas m’en empêcher. Il me suffira d’enlever l’ampoule pour accéder au courant ». Après des semaines de littérature, nous revenions une fois encore sur le sujet qui était devenu chez lui une obsession : la mort. Jean-Claude en parlait avec une telle assurance que j’avais parfois
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l’impression qu’il avait passé son temps à apprendre comment se donner la mort. Il avait commencé par me citer toute une gamme de comprimés, en précisant pour chaque produit la quantité indispensable pour provoquer la mort, la durée de l’agonie et même les effets secondaires qui l’accompagnaient. La mort par pendaison, par le courant électrique, par le poison, tout fut passé en revue. J’ai ainsi connu plusieurs nuits blanches. En effet, j’avais en mémoire les consignes de l’adjudant-chef Soumah, je me disais qu’en cas de deuxième tentative de mon compagnon, mon compte était bon. Cependant, à la longue j’avais fini par relâcher ma vigilance, car j’étais peu à peu gagné par le découragement, pour la simple raison que, lorsque je me réveillais le matin, je le trouvais assis en train de pleurer. Il fallait savoir que pendant plusieurs mois j’avais fini par mettre de côté mon propre sort pour me consacrer exclusivement à celui de mon compagnon. Finalement j’étais à court d’arguments et à bout de force.
Gando à la voix d’or Entre-temps, j’avais eu l’occasion de faire plus ample connaissance avec le voisin de la cellule n°54, Barry Gando. C’était un jeune chauffeur originaire de Boké (Sonsoliya). Il venait de passer trois ans en Gambie comme chauffeur de taxi. Sa famille s’y trouvait encore. Tout juste un saut en Guinée pour saluer les parents et se retourner. Il n’avait même pas eu le temps d’ouvrir ses valises car il fut arrêté le soir même chez lui. « Mercenaire », avait-on dit. Il me parlait souvent de sa femme car il était nouvellement marié. A mon tour, je lui parlais de la mienne et de mes deux enfants, puisque j’avais la conviction que ses chances de libération étaient bien supérieures aux miennes. De ce fait, il était devenu mon principal interlocuteur. Point de littérature ou de scénario de suicide, Gando était un bon vivant qui avait encore le moral. Il aimait raconter de bonnes anecdotes comme seuls les chauffeurs de taxi en détiennent les secrets. J’avais alors constaté que le mot Gorgui revenait très souvent dans ses narrations, une façon détournée de m’interpeller sans alerter la sentinelle, pour savoir si j’étais toujours à l’écoute de l’autre côté du mur. En fin de compte, je suis devenu tout simplement Gorgui. Plus de trente ans après, où que je me trouve, dès que l’on m’interpelle en disant Gorgui, je sais immédiatement qui est là, car ils étaient deux à m’appeler ainsi, feu Barry Boubakar et lui. Gando avait une voix très mélodieuse, mais le contexte était tel qu’il était obligé de chanter en sourdine. Il se trouve qu’il avait aussi très bon appétit, et à l’inverse, je mangeais très peu car je n’arrivais même pas à finir ma ration. Que faire pour lui passer le restant de mon plat, enfermés que nous étions dans deux
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cellules contiguës, avec interdiction absolue de communiquer ? Une seule solution possible, il fallait passer par les agents. Le poste de garde étant proche de nos cellules, nous avons décidé de tenter notre chance. En effet, ce qui était interdit c’était la communication entre détenus, nous avons donc estimé que le chant pouvait être autorisé. Pour le savoir, il fallait essayer, et c’est ce que nous avons fait. Le poste de garde étant tout proche, nous avons choisi le tour de l’équipe du chef de poste Fadama Condé, car son adjoint l’adjudant-chef Diallo était d’une douceur et d’une bonté rares pour un lieu comme Boiro. C’était énorme dans ce temple de la cruauté et du secret. Ainsi donc le soir, au moment où les agents recevaient leurs repas copieux, nous étions informés grâce aux trous d’impact de balles qui se trouvaient sur les portes métalliques ; le signal étant donné, Gando se mettait immédiatement à chanter. Impossible de rester insensible à l’écoute d’une voix si mélodieuse, fût-elle celle d’un « mercenaire ». Pour l’encourager, l’adjudant-chef Diallo venait ouvrir sa cellule pour lui donner le restant de son repas. Dans la précipitation, avant même de dire merci il s’empressait de signaler : « Il y a un plat dans la cellule à côté, aidez-moi à l’avoir ». L’agent enchaînait immédiatement : « Comment sais-tu qu’il y a un plat chez ton voisin ? » Il ne fallait surtout pas tomber dans le piège ! Alors il répondait : « quand l’assiette ressort je vois qu’elle est presque pleine ». Ma porte était alors ouverte et le plat de riz disparaissait, occasion rare d’un bol d’air toujours apprécié. Les jours passaient, les plats se succédaient, et la voix du chanteur montait toujours plus haut avec un répertoire toujours plus varié. Il faut croire que les suppléments de riz que nous appelions « renforts » avaient un effet stimulant. Ce que j’ignorais alors, c’est que parallèlement au timbre de la voix et au répertoire, le volume du corps avait aussi augmenté. Le surplus de riz blanc avait fait son effet. Avec l’immobilité et la carence en vitamines, le béribéri avait transformé Barry Gando en un Bonhomme Michelin. Je le constatai le jour où, regardant par le trou d’impact des balles sur la porte, j’avais pu longuement visionner mon voisin qui revenait de la vidange. J’avoue que j’étais effrayé, je n’avais encore jamais vu une telle chose. Je me demandais comment il faisait pour passer par la porte de la cellule. On avait l’impression qu’avec le volume, le poids aussi avait augmenté, car sa démarche était devenue très lente et pesante. Barry, lui, prenait tout cela du bon côté. Ce même jour je fis une autre découverte insolite. Il se trouvait, dans l’une des cellules du même bâtiment, un groupe de détenus dits « mercenaires » arrêtés à la frontière de Boké. De paisibles paysans dont le seul crime était d’être natifs d’un village frontalier. Le village était guinéen, et les champs situés sur une partie considérée comme territoire de GuinéeBissau. Avec la guerre de libération qui n’en finissait plus dans ce pays voisin, l’alternative était difficile : abandonner les champs ou quitter le village ! Cependant les ancêtres avaient toujours vécu là, bien longtemps
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avant l’arrivée des blancs. Alors on décidait finalement de rester, et c’est ainsi que l’on devenait « mercenaire » en revenant de son champ, car il fallait évidemment trouver des coupables pour les différents sabotages intervenant à la frontière. Comme le groupe se préparait à aller à la vidange, Gando me demanda de suivre leur retour. A vrai dire j’étais très peu intéressé par un tel spectacle. Regarder des squelettes transporter un pot de chambre n’était pas du meilleur goût, surtout que certaines colonnes étaient souvent très parfumées. Comme il insistait, je me suis mis à l’observatoire. Incroyable ! Aucun membre du groupe n’avait de tenue car au moment de leur arrestation le stock était épuisé. Ils étaient cinq, trois jeunes et deux vieux, tous nus. L’un des vieux avait une hernie, et pour comble c’est ce dernier qui avait chopé le béribéri. Il faut savoir qu’une hernie en temps normal, c’est un petit poids et une grande gêne, surtout pour un corps squelettique. Par contre, lorsque la hernie était sous l’effet du béribéri, c’était un spectacle presque surréaliste. Finalement, de la hernie, du pot de chambre, ou de l’âge on se demandait ce qui pesait le plus sur le vieux. Malgré le côté avilissant de la scène, je fus pris d’un fou rire qui me surprit moi-même.
La séparation En avril 1972, j’étais toujours à la cellule n°55. Comme il est de coutume à Boiro, les évènements étaient imprévisibles. Il était aux environs de 22 heures, lorsqu’un soir on ouvrit la porte de notre cellule. « Venez », dit l’agent à Jean-Claude, et ce dernier se leva, précéda l’agent, et la porte se referma sur moi. Resté seul, j’étais tout heureux. Nous savions que la commission avait cessé toute activité depuis le mois de novembre 1971. A priori donc un tel mouvement isolé de nuit avait toutes les chances d’être une libération. Le lendemain matin on était venu me déplacer. Je me retrouvai deux cellules plus loin au n°57, avec un nouveau compagnon.
Un vrai mercenaire Jean-Yves Challeux c’était son nom, un jeune Français venant de Nantes. Tout naturellement j’étais impatient de connaître son histoire. Il ne se fit pas prier car il était resté seul en cellule depuis son incarcération au bloc. Il avait donc besoin de communiquer, et il me livra, sans réticence aucune, le récit de son itinéraire de Nantes à Boiro : « C’est la lecture d’un ouvrage de Bob Denard qui a réellement éveillé en moi un intérêt pour le mercenariat. Puis quelques temps après, ce fut l’annonce par les médias d’un débarquement de mercenaires en Guinée. Sans même savoir si l’opération
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avait réussi, je décidai de m’y rendre pour offrir mes services. Ainsi décidé ainsi fait. Mes économies devaient couvrir tous mes frais de Nantes à Conakry. Ce fut l’occasion de connaître Paris avant de m’embarquer pour Dakar. C’était ma première découverte de l’Afrique. Une fois à destination j’avais pris une chambre dans un hôtel. Impossible de rentrer en Guinée par avion, car on ne délivrait pas de visa. Un interlocuteur rencontré dans le hall avait bien essayé de m’en dissuader, mais sans succès. Les économies avaient fondu, il fallait prendre le train pour Bamako. Je me suis alors rendu compte que l’argent ne suffisait plus. Qu’à cela ne tienne, j’ai alors pris un billet pour une escale dont le coût de transport correspondait à la somme disponible. Arrivé à la gare correspondante, il a fallu revendre ma montre pour acheter le complément de billet pour Bamako. Une fois à destination, bien entendu pas question d’aller à l’ambassade pour un papier quelconque. La frontière était proche et les véhicules disponibles à tout moment. A la frontière, contre toute attente, je ne fus pas refoulé par les services d’immigration, bien au contraire je fus immédiatement pris en charge et conduit chez le gouverneur de Siguiri. Puis, un message fut envoyé à qui de droit. C’est ainsi que je fus embarqué par le premier avion à destination de Conakry. Bien entendu arrivé à Conakry j’ai eu droit à un comité d’accueil particulier. » Voilà comment un ouvrier couvreur de Nantes s’est retrouvé en tenue bleue à la cellule n°57 au camp Boiro. Une histoire pour le moins invraisemblable, mais à Boiro, tout était « waou-waou » (c’est-à-dire cause toujours mon gars !). Je me suis alors dit : « En voilà au moins un qui sait pourquoi il est à Boiro. » Au cours de mon séjour dans les cellules j’avais déjà entendu beaucoup de récits, et côtoyé des gens de toutes conditions, mais avec Jean-Yves c’était une nouvelle école. Je pouvais difficilement imaginer un garçon si équilibré être acteur d’une telle odyssée. Il était imperturbable, ne parlait jamais sauf pour répondre à mes questions. Il nous arrivait de passer des journées entières sans échanger un seul mot, nous étions comme en hibernation. Puis vint le mois de mars, un mois terrible à Boiro. Les murs qui montaient jusqu’au toit empêchaient toute possibilité d’aération. De plus, toutes les portes du bâtiment n°5 étaient métalliques. Très tôt le matin, on était ébloui par l’intensité des rayons solaires sous la porte. Le bâtiment avec une orientation nord-sud faisait face à l’est. Malheur à ceux qui se laissaient caresser par la réverbération car c’était le moyen radical pour s’abîmer les yeux. Malheureusement, beaucoup l’ont compris trop tard. En effet, la recherche d’une bouffée d’air avait poussé beaucoup à l’imprudence. Vers 10 heures du matin, si vous aviez réussi à somnoler, vous étiez réveillé par un bruit sourd. C’était celui de la porte métallique de la cellule qui se dilatait sous l’effet des chauds rayons de soleil. Puis les tôles enchaînaient par un
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grincement continu. Inutile de dire que la chaleur était insupportable. A cette époque nous recevions un morceau de savon par mois, et restions plus de trois mois sans douche ni lessive. Jean-Yves et moi coupions nos savons en miettes, pour les mettre dans les pots de vidange car nous pensions que cela pouvait les désinfecter. Nous ne savions pas encore que le savon était une devise forte recherchée par les agents. Après la canicule, vint la saison des pluies, c’était notre premier hivernage à Boiro. Avec les vents d’est dominants, notre cellule était transformée en marigot. L’eau entrait sous la porte pour ressortir par derrière par le trou d’évacuation. Jean-Yves avait un lit métallique avec matelas mousse. Quant à moi, couchant à même le sol, j’étais obligé de me tenir debout pour éviter la « noyade ». Je sentais mon compagnon gêné et c’est ainsi qu’il m’invitait souvent à venir le rejoindre sur le lit, offre que je déclinais toujours car il était trop étroit pour deux. Longtemps après la pluie, le sol restait encore humide, ce qui était préjudiciable pour la santé. Cette situation ne pouvait continuer, alors mon compagnon, sans me consulter, déchira son oreiller fait de mousse pour en faire un barrage sous la porte. C’était assurément une bonne initiative, mais malheureusement elle s’est avérée peu efficace. En effet, l’orage qui avait suivi avait tout emporté, et le marigot avait coulé quand même. Le lendemain au moment de la vidange, l’agent de service ramassa les morceaux de mousse que nous avions oublié de cacher avant d’aller à la vidange. Le chef de poste Fadama Condé, immédiatement alerté, en avait profité pour tenir une sorte de conférence de presse insolite car tous les auditeurs étaient derrière les verrous. Evidemment, il n’avait pas besoin de voir les têtes car il savait que nous étions tous à l’écoute. « Vous voyez comment les Européens sont ingrats. Le gouvernement leur donne des lits et des matelas, au moment où leurs compagnons africains sont par terre. Voila ce qu’ils font du matériel qui est mis à leur disposition ! » Il se trouve qu’il ne pouvait pas supprimer le lit qui avait été attribué par la commission du Comité Révolutionnaire En guise de sanction, il fit donc sortir le lit en fer pour le remplacer par un lit picot, ainsi disait-il, s’il lui arrivait de déchirer la toile il va se retrouver par terre. Finalement il faut reconnaître que Jean-Yves était un compagnon idéal pour un tel endroit, car j’étais moi-même très sobre en paroles.
La cohabitation A Boiro l’environnement avait toujours de l’importance pour le détenu. En ce qui nous concernait mon compagnon et moi, nous avions à notre droite à la cellule n°56 Barry Boubakar Koulaya, dit B-B ancien ambassadeur, une vraie encyclopédie. En effet il avait servi longtemps comme haut
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fonctionnaire au niveau du gouvernement fédéral à Dakar, avant d’occuper les fonctions de directeur de cabinet à la présidence à Conakry au lendemain de l’indépendance. Il connaissait donc tous les dossiers des responsables africains car il avait aussi servi aux archives de la police fédérale. En résumé il en savait trop. Je me souviens de l’époque où nous évoquions le cas de Diallo Telli, et de l’éventualité de son retour en Guinée. Nous souhaitions qu’il ne revienne pas. C’était son ancien camarade de promotion, et il le connaissait bien. Il pensait, quant à lui, que Telli allait tomber dans le piège tendu par Sékou Touré. Malheureusement, il avait finalement eu raison car nous devions avoir quelques mois après la confirmation du retour de Telli en Guinée. A la cellule n°55 se trouvait Emile Cissé qui avait été déplacé de la cellule 48 pour me remplacer. C’était une vraie pie. Que vous le vouliez ou non, il était toujours prêt pour la conversation, pratique formellement interdite entre cellules. Je crois que cela lui était devenu aussi nécessaire que la nourriture. Plus d’une fois Barry Boubakar avait eu à subir des diètes de punition de deux ou trois jours, par sa faute. A notre gauche à la cellule n°58 un groupe de paysans qualifiés de mercenaires, ils étaient tous des nouveaux venus et encore pleins d’énergie. De ce fait les disputes étaient très fréquentes entre eux. Ils furent très tôt déplacés et remplacés par monsieur Picot, un Français. C’est lui qui me donna des nouvelles de Jean-Claude, mon ancien compagnon, qui n’avait finalement pas été libéré mais transféré au poste X dans le même camp Boiro. Il me précisa aussi qu’il s’était suicidé le 2 octobre 1972, c’était le jour anniversaire de la proclamation de l’indépendance de la République de Guinée. Je crois savoir aussi que son père était décédé un 2 octobre. Dans tous les cas je savais qu’il avait programmé son suicide. J’étais réellement bouleversé. C’est à cette période qu’Emile Cissé et le commandant Mara Sékou Kalil reçurent des notes manuscrites de Sékou Touré leur demandant d’aider la Révolution. Ce fut le coup de massue pour le commandant, ex- chef d’état major de l’armée de terre, et une énorme désillusion pour le tortionnaire Emile Cissé, ex-président du Comité Révolutionnaire à Kankan puis à Kindia. Comme disaient certains, la révolution se préparait à dévorer un de ses fils, et pas des moindres. Cela se passait un après-midi de juillet 1972, je m’en souviens car je dormais, et ce sont les sanglots d’Emile Cissé qui m’avaient réveillé. Surpris, je demandai à Barry Boubakar les raisons de cet épanchement. Il me communiqua fidèlement ce que l’intéressé lui avait dit : « Quand je regarde cette note et cette signature, je ne peux m’empêcher de penser aux notes que le président m’envoyait lorsque j’étais à Labé. Il me demande de dire la vérité et d’aider la révolution. Il me croit donc coupable ? » Le malheureux n’avait donc toujours pas compris qu’il était déjà sacrifié par son protecteur, car il répondit en demandant à Sékou Touré soit de lui
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permettre de se rendre à la présidence, soit alors d’envoyer au bloc un de ses hommes de confiance, pour lui délivrer sa réponse : « Je détiens le bistouri qui seul pourra percer l’abcès dont nous souffrons » écrira-t-il finalement, oubliant que Sékou Touré ne pouvait avoir un meilleur homme de confiance que celui-là même qui avait la responsabilité de la gestion du camp Boiro. Il faut croire que n’étant plus aux commandes, Emile semblait avoir perdu les repères du système qu’il avait si aveuglement servi et dont il était l’un des plus zélés. Il sera donc broyé à son tour, au moment où le geôlier le décidera. Puis vint le mois de septembre, j’allais bientôt totaliser douze mois à Boiro. Le Vingt deux, à l’occasion de mes trente six ans, pour marquer l’évènement, je pris l’engagement de faire trois jours de jeûne les 21, 22 et 23 de chaque mois de septembre aussi longtemps que ma santé le permettrait. Bien entendu la résolution était valable pour Boiro, et après Boiro, si jamais j’en sortais vivant. C’était ma deuxième décision. Décision importante car c’était la manifestation d’une farouche volonté de marquer une date doublement importante : celle de l’anniversaire de mon arrestation arbitraire, et celle de ma naissance. C’était aussi la preuve que j’étais psychologiquement armé pour la survie. Grâce à Dieu, la promesse a été respectée pendant toute la durée de la détention, et jusqu’à présent.
Ma vraie expérience de vie en cellule Le 25 décembre, jour de Noël, j’avais eu quant à moi mon petit cadeau car ce jour je fus déplacé de nouveau, pour changer de bâtiment et me retrouver à la cellule n°24. La cellule était légèrement plus grande et la porte était en bois. Détail important, les murs ne montaient pas jusqu’au ras des tôles. J’ai retrouvé dans cette cellule : − Kaba Sory Sylla, barman, − Dramé Saïkou, tailleur, − Keita Kemoko, dit Metheko, instituteur. Ils étaient tous trois de Labé, arrêtés à cause d’Emile Cissé. Il y avait un quatrième, du nom de Sadabou Chérif chasseur originaire de Boké. Plus tard d’autres sont venus nous rejoindre, tels que Sylla Morlaye, un agent garde républicain, Baldé Diogo, de Tougué, Kaba Sory Sylla plus connu sous le nom de SKS était mon voisin immédiat. Nous étions tous couchés à même le sol, la tête côté porte et les pieds vers le fond. Il y avait un pot pour deux personnes. En réalité c’est à là cellule n°24 que j’ai commencé la vraie expérience de la vie en cellule. En observant tout ce monde, je me disais qu’il y avait là, sur moins de onze mètres carrés, un mélange social hétéroclite composé de personnes venant de différentes régions du pays.
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Tout entre nous était différence. L’origine sociale, la langue, l’éducation, la formation, les activités professionnelles, jusqu’à la pratique religieuse. Alors je me demandais : Quelle était réellement la légitimité de ce régime, contre lequel complotaient : des intellectuels, des commerçants, des artisans, des paysans, des religieux, des militaires, des femmes et même des enfants qui étaient dans le ventre de leurs mères. Que pouvait-il alors prétendre représenter ? Seulement à Boiro on était toujours interrompu dans ses pensées car la réalité quotidienne prenait toujours le pas sur les réflexions. Difficile de se soustraire aux contraintes liées à la promiscuité et au surnombre. D’ailleurs à lui tout seul mon voisin était un cas particulier. J’avais rarement eu l’occasion de rencontrer un homme aussi peu courageux. Il pouvait passer une nuit blanche, sous prétexte qu’un agent l’aurait regardé avec un mauvais œil au moment de la vidange. Il était toujours inquiet, et ne tarda pas à confirmer la très peu flatteuse opinion que j’avais de lui. En effet le 20 janvier 1973, il devait être minuit passé lorsqu’un coup de feu éclata au lointain. Aujourd’hui encore je suis incapable de dire qui a été le plus rapide, entre le coup de feu et Kaba Sory. En effet, au moment même où nous réalisions qu’il s’agissait d’un coup de feu, Kaba Sory était déjà sur le pot, victime d’une diarrhée instantanée. Très tôt le matin, nous allions apprendre qu’un attentat avait été commis contre Amilcar Cabral, premier responsable du PAIGC dont la résidence se trouvait à Conakry. Dans la nuit on avait arrêté un important contingent de militaires du PAIGC pour les enfermer au bloc Boiro. Nous avions donc été réveillés avec des tou-tiou-tiou tonitruants venant des cellules des bâtiments 5 et 6. C’étaient des lusophones, et il paraît que c’était leur manière de se dire bonjour. Nous étions surpris par leur nombre d’abord, puis par leur chahut, pratique totalement inconnue à Boiro. Leur situation ne semblait nullement les inquiéter. D’ailleurs leur séjour fut finalement réduit à un simple transit de quelques jours. Après cet intermède, nous avons renoué avec la monotonie, car sans nouveaux venus et sans interrogatoires. Si nous étions en bateau on aurait dit : « calme plat. » Quatre mois plus tard, plus précisément le jeudi 24 mai 1973, ce fut une journée de grandes émotions. Les agents ouvraient les portes les unes après les autres. Chaque cellule était délestée de deux ou trois de ses occupants. Ce fut tout naturellement des manifestations de joie, d’autant plus qu’on avait demandé aux heureux élus de laisser leurs affaires en place. Pas de doute possible cela devait être une libération. En ce moment il devait être dix heures du matin. Une fois le mouvement terminé, deux groupes se sont retrouvés face à face. D’un côté « les oubliés » tapis dans leurs cellules dont les portes étaient entrebaillées, regardant leurs anciens compagnons avec envie. De l’autre côté, dans les cellules ouvertes du bâtiment n°1 qui se trouvait en face du nôtre, se trouvaient trente-quatre anciens compagnons
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habillés et impatients. L’attente se prolongea jusqu’au repas de midi. Il était déjà 14 heures et nous étions toujours dans les mêmes positions. A présent, la joie et l’espoir avaient fait place à une inquiétude toujours grandissante. Puis ce fut le coup de théâtre lorsqu’un ordre fut transmis aux partants de prendre leurs tenues. Nous avons alors assisté à des scènes déchirantes. Il y avait ceux qui étaient restés, qui pleuraient car ils ignoraient la destination de leurs anciens compagnons. De l’autre côté, les partants aussi pleuraient parce qu’ils ne voulaient plus partir. Parmi eux, se trouvait mon camarade d’enfance Baldé Mamadou Alpha, dit « Marlon ». Tout le monde était dans l’attente ; agents comme détenus car personne ne connaissait la destination du convoi, on attendait l’ordre. Vers la fin de l’après-midi, l’ordre fut donné et l’embarquement eut lieu devant le portail du bloc où ils ont dû passer au milieu de deux rangées d’agents armés, avant de monter dans un camion militaire. C’était déjà le crépuscule. Plus de doute possible, cela n’avait rien d’une libération. Une fois en route, les passagers se regardaient et se comprenaient sans même se parler, car chacun pensait au pire. Le suspense fut à son comble, lorsqu’à 50 kilomètres de Conakry, le véhicule s’arrêta, et que des agents mirent pieds à terre, pour rentrer dans la brousse. Alors leur revenait en mémoire la formule très imagée utilisée par les agents pour designer les pelotons d’exécution : à savoir : « La corvée bois ». Etait-ce pour se soulager ? Dans tous les cas si c’était pour les torturer, cela ne pouvait pas être mieux fait. Tous les versets du Saint Coran, les psaumes de l’Évangile avaient été récités. Il y eut finalement deux autres arrêts avant l’arrivée à Kindia vers 22 heures, avec toutes les lumières éteintes à la prison centrale, au moment de leur débarquement. Sombre décor qui laissait présager un non moins sombre séjour. Tard dans la nuit, nous avions appris avec soulagement qu’il s’agissait d’un transfert au camp de Kindia, un autre lieu de détention situé à une distance de 130 kilomètres de Conakry. Je fus à mon tour transféré la même nuit à la cellule n°26, pour y découvrir de nouveaux compagnons qui étaient : − Thiam Abdoulaye, ancien ministre à Labé. − Condé Amadou, ancien responsable politique de Conakry. Peu de temps après, nous avons reçu Diallo Sanoussi, un Guinéen installé en Côte d’Ivoire à Gagnoa.
La reconversion C’est dans cette cellule que fut prise ma troisième décision, celle d’embrasser la foi musulmane. En effet, c’est en mai 1973, que pour la première fois de ma vie, je mis mon front par terre pour prier. Ce ne fut pas
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une décision spontanée, encore moins par mimétisme. Cela faisait suite à une recommandation transmise à Diallo Sanoussi par un patriarche blanc, alors qu’il se trouvait être mon voisin immédiat dans la cellule. Il lui avait d’ailleurs fallu plusieurs jours d’hésitation avant de s’exécuter. En effet, il m’expliqua que par deux fois, un message lui avait été transmis à mon intention, toujours au cours du sommeil. Il s’était jusqu’alors abstenu de le faire par crainte de ma réaction, car il savait que j’étais entré à Boiro comme pratiquant anglican. Il me précisa que le troisième message était comme une injonction suivie d’une menace à peine voilée à son endroit, c’est pourquoi il fut transmis dès mon réveil. Le vieil homme avec une barbe blanche qu’il voyait dans ses rêves me recommandait, disait-il, d’embrasser la religion musulmane. J’avais mis peu de temps à réfléchir avant de prendre ma décision. Une fois la décision prise, il me fallait apprendre pour bien pratiquer. J’avais besoin d’un maître coranique et le bloc en comptait plusieurs. Celui que tout le monde s’accordait à considérer comme le plus érudit se trouvait dans un autre bâtiment du bloc. Il n’avait pas bonne réputation sur le plan de la cohabitation. Quant à moi, j’étais prêt à supporter même l’insupportable, mais j’avais besoin auparavant de l’avis de mes compagnons, et ce fut un avis favorable. J’avais donc décidé de prendre mon maître en charge avec toutes les conséquences, car il y en avait effectivement. C’est ainsi qu’avec la complicité et l’aide de l’adjudant-chef Diallo, El hadj Dardai Moromi nous rejoignit à la cellule n°26. Pour être un cas, c’était vraiment un personnage exceptionnel. En effet, il lui arrivait très souvent de renverser les objets et leur contenu dans la cellule. De mauvaises langues disaient qu’il le faisait exprès. Bien entendu, je n’ai jamais accepté d’engager la polémique à ce sujet. Il fit son travail avec beaucoup de patience et de pédagogie, et m’enseigna les principaux versets du Coran. Il avait réponse à toutes mes questions, en retour j’étais chargé de laver ses habits et vider son pot. La cohabitation avec Sanoussi n’était pas des meilleures. Quant à moi, j’étais élève donc pas d’avis à donner. Pendant les quelques mois passés en notre compagnie, mon professeur avait réalisé des performances jamais égalées jusqu’à ma libération, à savoir : − 1. Il avait un burnous noir qu’il étalait au bas de la porte, aux chauds rayons du soleil. Les poux s’y promenaient comme des étudiants au quartier Latin un jour de monôme, pourtant je n’avais jamais vu mon professeur se gratter un seul jour ! − 2. A l’occasion d’un contrôle à l’infirmerie, on lui avait relevé une tension maximale supérieure à 20, et il était revenu en cellule sans aucun dommage apparent, alors que d’autres manifestaient des signes de début de paralysie pour des chiffres beaucoup moins élevés.
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Au cours de l’année, d’autres mouvements eurent lieu dans les cellules. Thiam Abdoulaye fut le premier à être déplacé pour aller à la cellule n°27. Après une première tentative avortée de libération, El Hadj Dardai avait finalement quitté notre cellule pour une autre après une mission bien accomplie en ce qui me concernait. En retour nous avions reçu de nouveaux compagnons : − Hassimiou Coumbassa, un jeune instituteur de Boké ; − Kanté Soumaoro, un vieux féticheur de Banko ; − Abdou Cissé, un Sénégalais de Casamance. A Boiro, comme dans toutes les prisons, il y avait des interdits qu’il ne fallait surtout pas transgresser sous peine de sanctions. Seulement, quand on lutte pour survivre, on est prêt à tout braver. C’est ainsi qu’en octobre 1973, les agents ont découvert dans notre cellule du crésyl, un désinfectant, lors d’une fouille générale inopinée. Tous les occupants furent sanctionnés par une diète de punition (privation d’eau et de nourriture) de quatre jours. Le capitaine des douanes, Sékou Diallo, autre sanctionné d’une cellule voisine, était venu grossir nos rangs. La diète fut très pénible. En effet, après plus de deux ans de détention, nos réserves physiques étaient complètement épuisées. Les conséquences ne se firent pas attendre. C’est ainsi que Abdou Cissé, Coumbassa Hassimiou, Soumaoro Kanté, et Condé Amadou mourront dans les dix mois qui suivirent cette diète. En fin de compte, la mort à Boiro ne faisait plus peur car on la vivait au quotidien. Le temps passait et chaque évènement nouveau était pour nous comme un nouveau sujet de méditation à défaut de dissertation. Assurément nous n’étions pas au bout de nos peines car le mois de novembre 1973 allait nous faire découvrir une nouvelle pratique en vigueur au bloc Boiro. Ce fut à l’occasion de l’arrivée d’un nouveau pensionnaire en la personne du lieutenant Saa Paul Koundouno, un jeune officier très populaire au camp Alpha Yaya de Conakry.
Le montage Des circonstances de l’arrestation du lieutenant Sâa Paul Koundouno : à l’approche des festivités du 22 novembre 1973, comme chaque année depuis 1970, le Guide de la Révolution Ahmed Sékou Touré, avait pour habitude de décréter l’alerte générale sur tout le territoire, afin de continuer à mobiliser et traumatiser la population. En exécution de cette décision, le lieutenant Saa Paul Koundouno fut dépêché par sa hiérarchie au centre émetteur de Kipé, en compagnie de l’adjudant chef Keita, de l’adjudant Cissé et du commissaire Diarra Condé. Le lendemain de cette mission, des militaires se sont rendus à son domicile, pour une autre mission toute spéciale. « Le
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ministre a besoin de vous à la cité ministérielle, mon lieutenant. » Ainsi s’exprima le chef de mission. Il s’était immédiatement mis à leur disposition, sans poser de question. Il avait pris soin de prendre son arme et des munitions, ce qui avait inquiété son épouse qui avait tout suivi. Il n’eut pas beaucoup de mal pour la rassurer car il n’avait rien à se reprocher. Il était adjoint au commandant Toya Condé du Camp Alpha Yaya, la plus importante garnison du pays. Mais dès qu’ils se sont retrouvés au dehors, on lui dit : « Vous êtes en état d’arrestation mon lieutenant ». C’était le 24 novembre 1973 à une heure avancée de la nuit. Il fut directement transporté au bloc du camp Boiro. Dès le lendemain, il fut conduit à la cabine technique où l’attendaient pas moins de trois officiers gendarmes, les lieutenants Bembéya, Cissé, et Fassou. C’est à ce moment et en ce lieu qu’il apprendra le motif de son arrestation.
L’acte d’accusation On l’accusait de s’être rendu au centre émetteur de Kipé, afin de faire une reconnaissance des lieux, se renseigner sur la situation, en vue de préparer un coup d’Etat. Magnanime, on lui laissait le choix entre deux options, soit reconnaître être l’instigateur de l’opération, ou avouer être mandaté par un haut dignitaire du régime. Saa Paul Koundouno étant marié à une sœur de Béavogui Lansana alors Premier ministre, la cible visée semblait toute indiquée.
L’interrogatoire Face au refus du lieutenant de reconnaître les faits, la commission décida alors de changer de tactique. Il fut donc ramené en cellule. Le jour suivant il était de nouveau dans la salle de torture, pour continuer l’interrogatoire. Puis à un moment, la sonnerie du téléphone est venue interrompre la séance. Une pause providentielle pour la victime. Bien entendu, seul celui qui avait pris l’écouteur pouvait entendre ce qui était censé se dire au téléphone. Puis après avoir posé l’écouteur, ce dernier annonça à l’auditoire : « le capitaine Siaka dit qu’il ne faut pas le torturer, il n’a fait que son devoir, il faut le ramener au bloc, il va être bientôt libéré ». Pour le mettre en confiance, il est ramené au bloc avec consigne spéciale de laisser entrebaillée la porte de sa cellule le matin. Pour justifier une pareille faveur on fait prévaloir son statut d’officier. Cependant, nous savions qu’au même moment le commandant Sylla Ibrahima, chef d’état-major de l’armée de l’air, avait porte fermée toute la journée. Dans une deuxième étape, on lui a trouvé un compagnon de cellule. Impossible de faire un contact pour le
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mettre en garde, car ce dernier avait pour mission de le mettre en confiance et le faire parler. En effet, il arrivait très souvent que des agents soient arrêtés et enfermés dans les cellules, pour disparaître après quelques mois seulement. Ce qui devait arriver arriva effectivement, car sous l’emprise de la colère, Saa Paul avait eu à déclarer un jour à son compagnon qu’il croyait d’infortune : « On m’a amené ici sur du faux, si je sors un jour, je reviendrai mais cette fois pour du vrai ». Ce fut le prétexte de sa condamnation à mort, car ses propos furent fidèlement rapportés. Après cette mise en jachère, il fut de nouveau ramené devant la Commission. Le scénario avait été modifié, et il était cette fois-ci accusé de tentative d’enlèvement sur la personne du chef de l’Etat Sékou Touré, sur le parcours Dalaba-Pita au moment où il était en service à Dalaba en 1969. C’est au cours de cette nouvelle série d’interrogatoires qu’une nuit, en revenant de la cabine, il entendit des cris dans la cour du bloc. Il n’eut aucun mal à reconnaître, malgré la pénombre, son ami le lieutenant Kamissoko, attaché à un arbre, et livré aux coups de crosse d’un agent excité. Ce dernier avait fui la Guinée en 1973 pour se rendre en Côte d’ivoire. Il n’était revenu en Guinée que sur insistance de sa famille. Sans état d’âme, la commission trouva finalement une liaison toute naturelle entre les deux cas, en déclarant que Saa Paul et Kamissoko faisaient partie d’un même réseau. Le premier étant resté en Guinée comme élément de l’intérieur, et le second comme correspondant extérieur. Comme par coïncidence, c’est ce moment précis que choisira le Responsable Suprême de la Révolution pour prendre sa plus belle plume et écrire une lettre à son frère Mamadou Kamissoko qui était déjà dans l’antichambre de la mort, et qui se terminait par cette terrible phrase : « Dis-nous donc toute la vérité si tu veux vivre, vivre désormais au sein de ton peuple. Courage. » Comme on le voit, Sékou Touré, l’homme-peuple, s’était érigé en homme Dieu, car il décidait maintenant seul de ceux qui devraient vivre ou non au sein du peuple de Guinée (réf lettre manuscrite en date du 19 février 1974). Cette lettre est restée sans suite. Par contre quelques jours seulement après, Saa Paul et Kamissoko furent mis en diète noire. Enfermés dans deux cellules contiguës, ils subirent la plus atroce des tortures, celle de l’isolement avec privation d’eau et de nourriture. Le 14 mars 1974 ils avaient cessé de vivre. D’ailleurs 1974 est à marquer d’une pierre noire dans les annales du camp Boiro. Elle a certainement été l’année la plus dure et celle qui a enregistré le plus grand nombre de morts. Arrêtés entre 1970-1971, les détenus étaient restés enfermés sans discontinuité pendant quatre années. Les portes n’étaient ouvertes que pour la vidange. Le temps et les tortures morales et physiques avaient depuis fort longtemps fini par épuiser toutes les réserves. Le moral avait faibli au point
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de laisser le désespoir s’installer chez beaucoup d’entre nous. Avec les méfaits de la malnutrition, toute maladie risquait d’être fatale. Impossible de résister plus de 48 heures à une diarrhée. L’ambulance faisait plusieurs navettes par jour. Chaque fois qu’un compagnon malade était déplacé, nous savions que ses jours étaient comptés. Nous avions fini par vivre avec la mort, conséquence des maladies et des mauvaises conditions de détention. Nous ignorions jusqu’alors l’existence de la « mort en laboratoire », celle qui, contrairement à la pendaison ou à l’exécution, était servie sur place, en cellule ! En effet, chose nouvelle et évènement inédit, nous apprenions avec stupéfaction que deux officiers étaient mis à la diète noire. Personnellement, j’ignorais l’existence de cette forme de liquidation. Cela concernait deux détenus que je ne connaissais pas, mais qui étaient certainement aussi innocents que moi. C’était une première depuis 1970. En ce moment j’avoue que j’eus réellement peur. J’étais loin d’imaginer qu’un être humain pouvait être capable d’infliger un tel traitement à un autre être humain. Complètement bouleversé, je me suis alors mis à douter de tout, de moi, de l’homme, de Dieu. C’est sous l’emprise de cette perturbation psychologique que j’ai composé le poème intitulé : « la Diète Noire. »
La diète noire Adieu, disait-il, dans un dernier soupir Adieu, disait-il, avant de rendre l’âme Adieu, à toi femme que j’ai tant aimée Adieu père, vous, qui m’avez tout donné Adieu maman, toi, qui m’as donné la vie. Souviens-toi fils que ton père était brave Souviens-toi, fille, que papa était tendre Adieu mes frères, adieu mes sœurs Adieu à tous mes amis d’hier, et de toujours Adieu à vous tous qui m’avez tant aimé. Toi, mon frère et compagnon d’infortune Toi dont le silence trahit la présence et la résignation Peux-tu encore prêter l’oreille pour un dernier message, Dans cette terrible solitude qui me pèse sans cesse Mon esprit se détache de ce corps sans vie Et je pense avec tristesse à l’existence qui fut la mienne. Adieu mon frère, adieu la vie
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La mort qui déjà me tend les bras Viendra bientôt m’emporter sur ses ailes. Des traces de sang et une écriture sur un mur C’est tout ce qui restera d’un dernier adieu. Et toi mon compagnon que je quitte pour toujours Peux-tu me dire si là où nous allons Il y a encore place pour la justice et la liberté ?
Cellule n°49. Intérieur de la cellule n°49, la plus célèbre et la plus funeste de Boiro avec des messages posthumes sur le mur. Kamissoko et Saa Paul avaient « voyagé », c’était la formule employée au bloc par les agents pour parler de la mort. En vérité, un voyage sans retour, qui s’était effectué dans des conditions atroces. Après le retrait des
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corps et le départ de l’ambulance, un détenu avait été sorti en corvée pour laver à grande eau les deux cellules. Les deux morts avaient-ils eu le même traitement avant leur enterrement ? J’en doute fort, car aucune installation n’était prévue pour ce genre d’opération.
Toilette des morts. Plan incliné, fait en béton, construit tout juste derrière l’infirmerie, à partir du mois de mai 1976. La mort d’un détenu était peu de chose pour les agents, un de plus ou un de moins, quelle importance ? C’était devenu une routine, car la mort était présente à tout moment, et dans toutes les cellules. Après la liquidation de Kamissoko et de Saa Paul, ce fut le tour d’Emile Cissé avec un scénario tout à fait inédit, car utilisé pour la première fois depuis notre arrivée à Boiro. C’est la demie-diète prolongée ou la liquidation à petit feu, en un mot « la mort lente ». Mais qui était donc cette nouvelle victime de la révolution ? « Le Singe », « Emile Cissé », « Michel Emile », son nom variait suivant qu’il était évoqué par un membre de la commission d’enquête, un ancien collaborateur ou une de ses anciennes victimes. Mais qu’importe, puisqu’il était à présent à Boiro ! Il avait été tour à tour : enseignant, homme de théâtre, directeur d’école, puis gouverneur. D’autre part en 1969 au 71
moment où il assumait les fonctions de directeur de l’école de Kalédou, il fut à la base de lettres anonymes et autres dénonciations qui avaient abouti au déclenchement de ce qui allait être qualifié de révolte des parachutistes de Labé pour finalement devenir ce qu’on appela le Complot Kaman Fodéba. L’on peut dire qu’Emile Cissé avait été le prototype de « l’outil » de Sékou Touré. En effet, il fut un jour dénoncé et accusé publiquement par la population de Labé, lors d’un meeting au stade. Alors qu’on s’attendait à un limogeage ou au moins à un désaveu, Sékou Touré à la fin de la réunion le fit monter dans sa voiture, avant de se mettre lui-même au volant, pour rejoindre la villa présidentielle située à l’autre bout de la ville. Pour Emile Cissé, en Guinée, Sékou Touré était tout, personne d’autre ne comptait à ses yeux. Fort de sa position auprès du Guide de la Révolution, c’est ainsi qu’après l’agression de novembre 1970, il essaya un jour d’avoir l’aval de ce dernier pour procéder à l’arrestation de son jeune frère Ismaël Touré. Non seulement la tentative échoua, mais l’intéressé en fut informé. Ce fut une erreur qui lui sera fatale. Nommé gouverneur de Kindia après l’agression du 22 novembre 1970, puis membre d’une Commission d’enquête, il n’attendit pas longtemps pour se distinguer par son zèle, son acharnement et par sa cruauté. D’abord à Kankan où il fut envoyé en mission, ensuite à Kindia et plus particulièrement à Dalaba Tinka, où il s’acharna sur la famille de l’ancien chef de canton Bah Thierno Oumar Diogo. Rien ni personne ne sera épargné à commencer par la veuve de Thierno Oumar Diogo, communément appelée « la grand-mère », qui sera, malgré son âge avancé, arrêtée et contrainte d’accuser ses deux fils, El Hadj Bah Thierno Ibrahima et El Hadj Bah Bademba. Puis ce sera la tombe de Thierno Oumar qui sera profanée, à la recherche de caches d’armes finalement restées introuvables, pour la simple raison que tout avait été inventé. Le cauchemar allait continuer avec l’arrestation de deux épouses de El Hadj Bah Thierno, d’un autre de ses frères en la personne de Bah Mouctar, et des principaux notables de la ville de Dalaba. Cet épisode n’était qu’une initiative de plus pour manifester son engagement pour la Révolution et sa fidélité pour le Guide. En effet, ce qu’il venait de faire était une première en osant profaner une tombe abritée par une case et située dans l’enceinte même d’une propriété ! Tout un symbole. Avec un tel palmarès, il pensait pouvoir franchir allègrement un autre pas décisif pour lui, dans sa lutte de positionnement. Il voulait la tête d’Ismaël Touré, le jeune frère de Sékou, celui qu’il considérait comme son ennemi principal. Seulement pour y parvenir, il pensait réussir en obtenant des aveux provenant de personnes très liées à Ismaël Touré, soit par le travail, soit par des relations personnelles. C’est ce qui explique le traitement spécial réservé à Baldé Oumar au moment de son interrogatoire. Ingénieur de formation, il avait pendant longtemps occupé d’importantes fonctions dans les cabinets des différents ministères dirigés par Ismaël Touré. Il fut sauvagement torturé
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afin de lui extorquer des aveux. C’était encore insuffisant, il fallait compléter le dossier par des accusations provenant d’un vieil ami. Il en existait bien un, et de taille ! Seul inconvénient il se trouvait déjà au camp Boiro. Qu’à cela ne tienne, lorsqu’on a la confiance de Sékou Touré, on peut tout se permettre, pensait-il. A cet effet, une mission de la Commission d’enquête de Kindia fut dépêchée au camp Boiro pour aller pêcher Diop Alhassane, ancien ministre et ami d’enfance d’Ismaël Touré. Deuxième erreur fatale d’Emile Cissé, car le camp Boiro a été de 1970 à 1984 une zone interdite pour toute personne étrangère ou guinéenne, quel que soit son rang dans le gouvernement, l’armée ou le parti. Siaka Touré était seul maître à bord. Aucun transfert dans ou hors de Boiro n’était possible sans son accord. La mission d’Emile Cissé retourna donc à Kindia sans Diop Alhassane, elle aura donc échoué sur ce plan. Par contre elle aura réussi à alerter le clan sur ses intentions. Comme il fallait s’y attendre, la famille fit front commun pour avoir la tête du « Singe », comme ils aimaient le qualifier. Avec la complicité du général Diané Lansana, et Siaka Touré, Ismaël réussit à prendre de vitesse Emile Cissé. Pour la mise en exécution de son plan, il ordonna des arrestations massives à Kindia et Labé, lesquelles débouchèrent sur la dénonciation et l’arrestation d’Emile Cissé. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé à son tour à Boiro devant le Comité Révolutionnaire présidé par Ismaël Touré. Ce dernier le fit bastonner par tous les détenus venant de Labé, auxquels on avait préalablement promis la libération. Ismaël eut tout le loisir de savourer sa victoire. Ainsi relevant la tête d’Emile, malmené presqu’à l’agonie au moment de l’interrogatoire, il lui dit : « Je te ferai savoir que Sékou Touré n’est pas le seul descendant de Samory. Tu vas crever et cette fois-ci, ton ami ne pourra rien pour toi. » Suite logique, il se verra gratifié d’une demi ration dès le début de l’année 1974, c’est-à-dire la moitié de la maigre ration d’un détenu. Il survécut près de cent (100) jours. Le 15 mars 1974 il fut déplacé de « Harlem » où il se trouvait pour être enfermé et mis à la diète noire dans l’une des cellules restées humides après le retrait des corps de Kamissoko et Saa Paul. Puis le 23 mars 1974, le PDG dévorait un de ses fils. Un de plus. Certes Emile Cissé n’était pas aimé. D’abord à l’extérieur du camp Boiro, pour son comportement social. En effet on l’accusait de détournement de filles et de débauche dans son établissement de Kalédu, et surtout en prison par tous ceux qui avaient été arrêtés par lui, ou à cause de lui. Mais une fois que vous étiez au camp Boiro, vous étiez dans un autre monde, soumis à une autre réalité, donc à d’autres lois. Quand on était au bloc, et que l’on était croyant, il n’y avait aucun autre référentiel hormis Dieu. Lui qui nous a créés tous égaux, nous savions que nous étions tous embarqués dans la même galère, et que le même sort nous était réservé. Par conséquent, aucune mort fût-elle celle
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d’Emile Cissé, ne pouvait nous rendre indifférents, encore moins nous soulager. A Boiro, c’était comme au Comité du Parti, la ration était la même pour tout le monde. Il fallait tout simplement attendre son tour. Ce n’est pas pour rien que l’on disait que Boiro était une école, car nous venions d’achever un autre module. Puis comme si rien ne s’était passé, la vie continuait au bloc. Quelques semaines après, plus précisément le 1er mai 1974, j’étais de nouveau déplacé pour la cellule n°14. Je changeai de bâtiment, mais surtout de secteur pour aller à « Harlem ». Pourquoi ce nom, certainement parce que c’était un secteur très négligé, où se trouvait regroupée la majorité des détenus arrêtés aux frontières, et appelés « frontaliers ». Les cadres intellectuels étant qualifiés d’espions, les frontaliers étaient fichés comme mercenaires. De plus, le chef de poste y envoyait tous ceux qu’il considérait insupportables ou dangereux. C’est pourquoi je n’arrivais pas à comprendre la raison de mon déplacement. Il fallait obéir, et c’est ce que je fis. Finalement cela a été une bonne opération pour moi, car nous formions une bonne équipe dans ma nouvelle cellule. J’avais pour compagnons : − Barry Boubakar, mon ancien voisin de la cellule n°56 ; − Bangoura Bozi, un jeune cadre de la compagnie Fria ; − N’Diaye Oumar, de la marine nationale ; − Sylla Martin, dit « toto martin » de la marine nationale.
La lutte pour la survie Mon passage dans la cellule numéro 14 fut marqué par d’intenses activités culturelles et humanitaires. Dans la cellule à côté de la nôtre, Toto et moi avions eu la surprise de retrouver un ami commun en la personne de Barry Oumar Rafiou, commissaire de police. Ce fut l’occasion d’évoquer de vieux souvenirs parisiens. Quelques moments d’évasion étaient toujours salutaires. Les jours et les mois s’écoulaient, et nous avions déjà entamé le troisième trimestre de l’année, et une autre idée était déjà en gestation dans ma tête. Personnellement, j’avais noté la disparition de plusieurs de mes anciens compagnons. Les survivants étaient à bout de résistance. J’avais moi-même miraculeusement survécu à trois attaques de diarrhée. Il ne me restait pratiquement plus que la peau et les os. J’étais dans un état tel que j’avais sollicité et obtenu une consultation à l’infirmerie. En effet, j’avais pris peur car mes cheveux étaient devenus lisses. J’avais bien reçu quelques vitamines, mais la cause principale demeurait la malnutrition. Comme je n’étais pas maître de mon alimentation, il fallait trouver la solution ailleurs, et c’est ce que je fis. Heureusement, j’étais encore maître de mon corps et de mon esprit, c’est pourquoi je formai le projet de faire le jeûne continu. Je
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précise tout de suite que je n’ai jamais été un fanatique. Si la pratique du jeûne était souvent sous-tendue par une foi religieuse, pour moi la motivation principale était la survie. Bien entendu toute religion recommande à ses fidèles de tout faire pour sauver sa vie. C’est donc ce que j’avais décidé de tenter. Contre toute logique, je choisis de faire un jeûne continu, au moment où la famine faisait des ravages dans nos rangs. J’avais pris soin de demander l’avis de Bah Bano, un ami d’enfance qui était issu d’une famille d’érudits du Foutah. Il avait dans un premier temps réagi négativement compte tenu surtout de mon état physique. Il s’était laissé finalement convaincre lorsque je lui avais dit que je voulais justement mettre fin à cette dégradation, en soumettant mon corps à un régime que j’étais à même de contrôler. Il me demanda alors d’exclure les jours de fête de ramadan et de tabaski. Ainsi, le 22 septembre 1974, je pris mon quatrième engagement, celui de faire le jeûne continu, tous les jours et tous les mois à l’exception des jours des fêtes musulmanes comme recommandé. En plus de cet engagement personnel, c’est à cette période que nous avions décidé, mes camarades et moi, de nous organiser pour aider nos compagnons à survivre, en les assistant matériellement et moralement. A cet effet, une « banque » et un « orchestre » furent immédiatement constitués, le tout complété par une agence de « production cinématographique ». La banque avait été baptisée « banque Mac Namara ». Pour son fonctionnement, les transactions se faisaient avec la cigarette comme monnaie de base. Il se trouve que Bozi et moi étions non fumeurs, et la distribution de cigarettes se faisait à cette période deux fois par mois. Deuxième avantage, le bâtiment où nous nous trouvions n’avait pas de plafond et ses murs avaient une hauteur limitée. De sorte que l’on pouvait communiquer de la cellule 11 à la cellule 19 par courrier aérien. Le système était simple, à savoir pour une cigarette empruntée, on en remboursait deux lors de la distribution suivante, quinze jours après. Avec les bénéfices ainsi récoltés, nous pouvions tout acheter car la cigarette et le savon étaient les deux « devises fortes » au bloc. Chaque matin nous achetions du pain avec les fumeurs, que nous faisions parvenir aux frontaliers du bâtiment en face, considérés comme mercenaires donc privés de petit déjeuner par le chef de poste Fadama Condé. Le soir venu, je racontais les films que j’avais pris soin de composer dans la journée. Les jours de relâche, l’orchestre prenait le relais. Le doyen Barry Boubakar n’était pas tellement d’accord à cause du bruit, mais il s’était plié à la volonté de la majorité. C’est à cette époque que fut composée la chanson du pensionnaire, que nous chantions sur l’air d’une chanson bien connue des Bretons de France : « Vive les Bretons ». Souvenirs de vieilles rengaines d’étudiants. Dans le texte, le nom Boiro était remplacé par Belem, pour tromper la vigilance des geôliers.
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Les pensionnaires Les pensionnaires de Belem ont vraiment la belle vie Ils se font tous servir le café au lait au lit Refrain Les pensionnaires de Belem sont vraiment des gens très sobres Ils ne boivent que l’eau de ville et refusent le vin de palme Refrain Les pensionnaires de Belem sont vraiment des gens très sages Portes ouvertes ou portes fermées, ils sont là dans leurs cellules Refrain Les pensionnaires de Belem ont l’habitude de la bouillie Et c’est pourquoi tous les gars ont chopé le béribéri Refrain Les pensionnaires de Belem sont tous prêts pour la grande marche C’est pourquoi vous les voyez marcher au fond des cellules Refrain Les pensionnaires de Belem sont tous fiers de leurs tenues C’est pourquoi vous les voyez les porter pour la vidange Refrain Les pensionnaires de Belem, sont devenus tous mannequins C’est pourquoi tous les gars ont maintenant la taille de guêpe Refrain Les pensionnaires de Belem sont vraiment des gens pratiques Ils font tout dans leurs cellules, sans gêner leurs compagnons Refrain Les pensionnaires de Belem aiment vraiment les animaux Ils élèvent et engraissent chacun un troupeau de poux Refrain Les pensionnaires de Belem ont l’habitude de coucher par terre C’est pourquoi tous les gars ont toujours des maux de reins Refrain Les pensionnaires de Belem ont vraiment la nostalgie.
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C’est pourquoi ils voudraient rentrer chez eux après la fermeture des classes Le Refrain Ils ont les pieds nus, vive les pensionnaires ! Ils ont la belle vie, vive le pensionnat ! La vie continuait au bloc, et l’on commençait à percevoir un réel changement, non pas la joie de vivre, mais une volonté de mieux résister pour pouvoir survivre. J’étais personnellement plus à l’aise, car je me sentais à présent utile. Puis, un matin, le 22 octobre 1974, vers 10h, alors que j’étais sous l’effet de l’émotion suite à l’annonce du décès de Hassimiou Coumbassa, un ancien compagnon, j’avais brusquement sursauté, à cause de l’ouverture inattendue de la porte. J’ignorais les raisons de cette brève ouverture, toutefois j’avais eu le temps de voir dans la cour, un bras de chemise, probablement transporté là par le vent. Aucun doute n’était possible, c’était le bras de la chemise de Abdou Cissé, un compagnon de la cellule n°24. Arrêté à Labé en 1972, il était arrivé au bloc au moment où les tenues étaient épuisées. Cette chemise étant son seul habit, il ne s’en séparait donc jamais. Alors j’ai compris que Abdou Cissé avait « voyagé ». Un voyage sans retour, car il ne reverra plus jamais sa terre natale. Plus de 30 années se sont passées, et il y a certainement encore, là-bas au Sénégal, dans une famille de Casamance, un père, une mère, ou des frères et sœurs qui attendent encore Abdou. Pourtant il me disait toujours que son père n’avait jamais été favorable pour le voyage vers la Guinée de Sékou Touré. Le soir venu, il fallait chanter, et raconter des films, car plus que jamais, les survivants avaient besoin d’évasion, ne serait-ce que par la pensée, puisque celle-là au moins ne pouvait être maintenue en cellule. Pour cela, il fallait d’abord s’évader de cette réalité qui devenait de jour en jour insoutenable. Grâce à nos activités nous procurions l’évasion et cela avait beaucoup aidé nos compagnons. Avec tout ce programme, il fallait compter avec les imprévus du bloc. Finalement ce qui était appréhendé arriva au moment le plus inattendu, à l’occasion d’un mouvement général. Notre cellule ayant été complètement disloquée, chacun de nous s’était retrouvé dans une autre cellule. C’était le mardi 17 décembre 1974, N’Diaye Oumar et moi avions été transférés à la cellule n°41, le temps d’une brève escale de quarante-huit heures. En effet, le jeudi 19 décembre 1974, j’étais de nouveau déplacé, pour changer de cellule et de bâtiment, et me retrouver à la cellule n°18. Finis le cinéma et la musique, mais la banque continuait de fonctionner. Mon associé étant dans le bâtiment opposé, j’avais gardé la gestion de la banque Mac Namara, et nous avions créé une seconde banque dénommée, banque de Bilbao qu’il devait gérer à son tour. Nous étions en relations permanentes, et nous nous communiquions régulièrement la liste des mauvais payeurs, afin de bloquer toute nouvelle demande de crédit en leur faveur. La cellule n°18
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se trouvant près du mur d’enceinte côté corniche, nous étions à portée de voix du logement du commandant Siaka Touré. J’étais donc dans l’obligation de suspendre mes activités culturelles. J’avais trouvé là trois compagnons qui avaient pour noms : − Bah Telli Oury, de la météo ; − Diawara Mohamed, de la marine nationale ; − Sow Oumar, enseignant de Labé. Ce dernier était seul à disposer d’un lit picot car il était handicapé. Quelques temps après, Robert Souflet, un Français de la société Jean Lefèvre, était venu nous rejoindre. Lui était là pour punition, car aucun Européen ne séjournait à Harlem. Ce fut un compagnon sans problème. Fait nouveau, la douche qui était devenue mensuelle se prenait à présent presque régulièrement. C’était la seule occasion d’utiliser le savon pour nous laver et laver l’unique tenue bleue. C’est au cours d’une de ces lessives, que Bah Telli Oury fut victime d’une hémiplégie qui laissa paralysé tout le côté droit du corps. J’avais juste eu le temps de le soutenir pour l’empêcher de tomber. Le temps passait avec les mêmes préoccupations pour la survie, l’obsédante et continuelle pensée pour les familles, et l’espoir d’une libération toujours attendue. Puis la grande nouvelle est tombée le 24 février 1975. On s’attendait aux Français, ce sont des Libanais qui furent libérés, au nombre de sept. Après leur départ, des lits étaient disponibles dans le bâtiment n°1. Ce fut mon jour de chance. En effet, après avoir séjourné dans les six bâtiments du bloc, j’étais de nouveau ramené à la cellule n°5, ma toute première cellule, mais cette fois-ci avec un lit. Il aura fallu finalement près de quatre ans pour avoir droit à un lit sans matelas ! Quel bonheur ! Nouvelle cellule, nouveaux compagnons, qui avaient pour noms : − El Hadj Diallo Cellou, commerçant à Labé ; − El Hadj Diallo Oumar, transporteur à Conakry ; − Barry Amadou, administrateur. Ce dernier était à son deuxième séjour à Boiro, car il y était déjà venu en 1969 au moment de l’arrestation de son grand frère Barry Diawadou. Notre cellule faisait face au bâtiment n°3 où se trouvaient regroupés les détenus français. Il faut noter que depuis mai 1974, leurs conditions de vie avaient connu un certain assouplissement. Ils recevaient à présent des colis et du courrier de leurs familles. De plus, ils avaient les portes des cellules ouvertes toute la journée. Puis à partir de juin 1975, leurs portes n’étaient plus verrouillées la nuit. Le jour tant attendu est finalement arrivé, ce fut très certainement le plus beau 14 Juillet de leur vie ! Toutefois cette libération a connu deux faits marquants. Il s’agit du cas d’Edouard Lambin, habillé et convoqué au poste de police, qui sera finalement ramené dans sa cellule au
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moment de l’embarquement du groupe. Par contre, Jean-Paul Alata était resté en cellule, car son nom ne figurait pas sur la liste des Français à libérer. C’est seulement au moment de l’embarquement qu’il fut appelé pour se joindre au groupe des partants. Naturellement, inutile de se poser des questions sur les raisons de ce ballet de dernière minute, car les mystères de Boiro résistent à toute analyse objective.
L’intérieur de la cellule n°5 que j’ai occupée la première fois du 23-09-1971 au 29-09-1971 et la deuxième fois du 24-02-1975 au mois de juillet 1975. Avec mon retour à la cellule n°5, je me suis retrouvé éloigné de la zone dite dangereuse, il n’y avait donc plus de risque à reprendre mes activités culturelles. L’orchestre étant disloqué, je continuai à raconter des films la nuit, et dans la journée je faisais de la géographie et des dessins. Comme matériaux, j’utilisais de la pâte de riz pour la colle, et le papier argenté des paquets de cigarettes pour la décoration. Les murs de la cellule ont gardé en 79
souvenir une carte de l’Afrique et un plan de l’aérodrome de Conakry. Quelques semaines après ce transfert, Barry Amadou fut appelé au poste de police. A son retour, il était suivi par un agent portant un colis. Incroyable, et pourtant c’était bien pour lui. Face à la surprise et aussi à une certaine impatience, Koto Amadou, comme on l’appelait à Boiro, nous dira que son épouse, une Européenne de nationalité suisse, avait finalement réussi à obtenir l’autorisation de lui envoyer des colis. Aucune correspondance n’était jointe au colis. C’était une première car aucun détenu africain n’avait encore eu ce privilège à Boiro. Le colis fut entièrement partagé afin de permettre à chaque cellule de bénéficier de cette livraison providentielle. J’avais eu l’agréable mission de faire la distribution, accompagné par la sentinelle de service. Le chef de poste qui avait reçu sa part au poste de police, n’avait naturellement trouvé aucun inconvénient à cette tournée de bienfaisance. Dans la semaine qui a suivi l’arrivée du premier colis, ce fut la libération de El Hadj Cellou Diallo. Ce départ fut suivi quelques temps après de celui de El Hadj Oumar. Ainsi nous n’étions plus que deux dans la cellule. Nous avons été déplacés sans changer de bâtiment, pour nous retrouver, Barry Amadou et moi, à la cellule n°1, où nous avons trouvé : − Emile Hilal, un métis libanais ; − Sylla Mohamed, dit SM, un cadre administratif ; − Fofana Morlaye, dit Sadicom, comptable. Cette nouvelle cellule avait une position stratégique qui offrait des avantages certains. En effet, avec le système de lits superposés, on avait facilement accès aux deux trous d’aération situés au raz du mur côté sud. Grâce à ces ouvertures j’avais la possibilité de voir l’intérieur du camp Boiro avec les maisons des gardes, et parfois même de suivre les querelles de ménage. Pendant la journée, par le grand portail d’entrée du camp, je pouvais distinguer la lourde chaîne du poste de garde, qui était non seulement un symbole, mais aussi et surtout la frontière entre deux mondes qui se côtoyaient tout en s’ignorant. Par contre la nuit, j’avais parfois l’impression de m’évader en voyant défiler les lumières des véhicules dans la grande rue. Du coté ouest, on avait une vue complète du portail d’entrée du bloc grâce à une ouverture sous les tôles. En plus de ces avantages, des risques existaient et pas des moindres. En effet, les fouilles générales étaient toujours inopinées et elles débutaient toujours par la cellule n°1. Par conséquent, il fallait toujours être sur le qui-vive, car dans notre lutte quotidienne pour la survie nous étions sans cesse en infraction par rapport aux règlements draconiens en vigueur. Pendant ce temps, les colis de Koto Amadou continuaient à être livrés mensuellement et toujours plus volumineux. A la fin, ce n’était plus le colis de Koto Amadou, car les détenus parlaient de « notre colis » étant donné que la distribution profitait à toutes les cellules du bloc.
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Décidément, ce mois de juillet nous réservait une autre surprise. En effet, par le bruit des pilons dans les mortiers derrière les murs d’enceinte, nous avons constaté que les familles des gardes consommaient à présent du maïs. Pourtant nous n’étions pas au mois de carême, période de prédilection pour la consommation de la bouillie de maïs, et nous savions aussi que les services de sécurité étaient toujours privilégiés pour le ravitaillement. Déduction toute logique alors : si le maïs était pilé au camp, c’est que le riz manquait en ville. Or il était bien connu que les populations de Conakry se nourrissaient presque exclusivement de riz. Nous savions donc que les temps étaient durs au dehors, et alors nous pensions tout naturellement à nos familles. Nous nous demandions comment elles faisaient pour vivre. Nous devions avoir confirmation de cette nouvelle réalité quelques jours seulement après. En effet, des sacs de riz paddy avaient été déposés au bloc, puis nous avions eu droit à une communication du chef de poste : « Voici votre riz, l’Etat ne peut pas le piler à votre place. D’ailleurs vous êtes des privilégiés car ceux de la ville mangent des mangues séchées et bouillies. Si vous refusez de piler, il sera mis dans la marmite comme tel. » Nous étions en 1975, cinq années passées à manger du riz blanc sans viande ni poisson, rien que de l’eau chaude salée en guise de sauce, en un mot la mort à petit feu. A présent, on nous poussait au suicide en nous obligeant à dépenser l’ultime réserve d’énergie que nous avions miraculeusement réussi à préserver. Cependant nous n’avions pas le choix, car il fallait manger. A cet effet donc des mortiers, pilons, et des vans furent achetés et mis à notre disposition. Très rapidement, une organisation fut mise en place, et trois équipes furent constituées. Chacune était composée de six à huit volontaires. Quand aux deux femmes Djedoua Diabaté et Fatou Touré, elles étaient responsables du vannage des grains. Les anciens et les moins valides furent repartis en plusieurs groupes pour le tri. Tous les aveugles et myopes se trouvaient dans ce dernier groupe, car il fallait sortir tout le monde à la corvée pour avoir un peu d’air, et aussi pour bavarder librement. Au début, le tout se passait dans la première cour face au poste de police. C’était bien entendu pour des raisons de sécurité. Mais très vite le chef de poste s’était rendu compte que cette cour donnait accès au bâtiment n°5 où transitaient tous les nouveaux venus. Comme il fallait s’y attendre, les trieurs s’étaient installés sous la véranda, non loin des portes des cellules du bâtiment n°5. Il fallait donc nous éloigner et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés à Harlem. J’étais chef d’équipe pour le premier groupe. Noumouké Kaba, un ingénieur, et le lieutenant Laurent Gabriel Cissé des services de renseignements, étaient responsables des deux autres groupes. Chaque équipe avait 150 kg de riz paddy à piler chaque deux jours. Après chaque séance nous avions droit à la douche, et à un poisson frit par participant. C’était la première occasion pour nous de manger du poisson.
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L’opération avait duré environ trois mois. Quant à moi, je continuais mon jeûne malgré toutes ces activités. L’année 1976 avait débuté et j’étais toujours à la cellule n°1. Puis au mois de mars, à notre grande surprise, nous avions assisté à une distribution générale de lait. Une première, une boîte de lait concentré et sucré pour deux personnes et par mois. Comme nous étions cinq dans notre cellule, le cinquième avait dû partager sa boîte avec un autre détenu se trouvant à la cellule n°9. En réalité de nouveaux problèmes en perspective. Pour ceux qui étaient dans la même cellule, la solution était toute simple. Chaque matin, chacun d’eux avait droit à une cuillerée de lait, bien entendu mesurée en présence de l’associé de circonstance. Pour les autres, le partage devait se faire dès le premier jour. Il fallait ouvrir la boîte sans couteau, mais rapidement la technique fut trouvée. En effet, en frottant la boite de lait sur le sol cimenté et rugueux de la cellule, on arrivait à faire décoller le couvercle. Puis le partage se faisait alors aisément. En ce qui me concernait, c’était ma première ration de lait depuis 1971, une date à retenir. Malheureusement, l’opération fut de courte durée. Cependant il y avait une autre raison pour ne pas oublier cette période car quelques jours après, nous avions assisté à l’arrivée de Diallo Amadou Oury au bloc. Les derniers arrivants nous avaient dit que c’était un jeune cadre ayant travaillé à la Soguifab, une société d’Etat chargée de la fabrication de tôles et autres ustensiles en aluminium. Comme tout nouvel arrivant à Boiro, son cas était suivi au jour le jour, grâce à un système de communication dont l’efficacité n’était plus à démontrer. Sa déposition était écrite au bloc, et chaque soir, avant même sa transmission à la Commission au bureau de Siaka Touré, nous en connaissions le contenu. C’est ainsi que nous avions pu suivre à distance tout le processus de dénonciation des différents cadres cités dans sa déposition. Par le nombre et la position hiérarchique des personnalités citées, nous avions très tôt compris que Sékou Touré préparait un nouveau complot. Nous étions alors animés par un double sentiment de peur et d’inquiétude. Peur à cause de l’ampleur et de l’imminence du mouvement en gestation, inquiétude parce que nous savions que l’arrivée de toute nouvelle promotion au bloc entraînait un durcissement de nos conditions de vie. La détente amorcée le 14 juillet 1975 avait fait naître beaucoup d’espoir que nous pensions voir déboucher sur une libération en mai 1976, date commémorative de la fête du parti. Par conséquent, c’est avec beaucoup de pessimisme que nous avions suivi la fin de la déposition de Diallo Amadou, un mois avant la fête. Le 13 mai 1976 à notre grande surprise, pour la première fois au camp Boiro, plus de cent détenus retrouvaient leur liberté. Notre joie avait rapidement balayé notre pessimisme. Ce même jour, le bloc à lui seul avait
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enregistré soixante-seize départs. La grande majorité était constituée de détenus classés frontaliers. C’est-à-dire très peu de cadres mais beaucoup de paysans, ouvriers, petits commerçants, et des saisonniers rentrant des pays africains limitrophes, arrêtés aux frontières au moment de leur retour au pays. Le bloc n’avait encore jamais connu un tel mouvement. Une joie indescriptible régnait à Boiro. C’étaient les vieilles tenues que l’on donnait, des commissions faites dans la précipitation avec des regards d’envie. Les corvées étaient jusqu’alors réservées aux frontaliers considérés comme moins dangereux que les cadres qu’il fallait à tout prix isoler. Après cette libération, l’alternative était devenue claire. Le chef de poste était obligé de faire appel aux cadres, au risque de voir les porcs affamés dévorer les plus petits et le jardin rester à l’abandon faute de bras valides pour son entretien. La décision fut vite prise, car les porcs appartenaient au commandant Siaka Touré. Quant au jardin, il servait à ravitailler la cuisine du bloc et surtout celles des familles des hommes de garde et de leurs chefs. Comme conséquence, nos conditions de vie avaient changé du jour au lendemain, grâce à la corvée. Nous sortions le matin à 8h et l’après-midi à 16h pour effectuer les multiples corvées. Ainsi à travers les allées du jardin ou dans les différentes cours du bloc, on n’était plus surpris de rencontrer, bâton en main, l’ancien ministre du budget Bah Bano surnommé « ministre poulet ». S’il vous arrivait de croiser un monsieur râblé, au sourire malicieux, aucun doute possible, c’était « Sergent Canard » un autre surveillant, officier gendarme de son état. En entrant à Boiro, chacun d’entre nous avait laissé son « manteau » au poste de police. La lutte pour la survie était devenue notre principale préoccupation. Ainsi, des ingénieurs étaient devenus spécialistes à la porcherie, alors que d’anciens ministres maniaient la daba au jardin, et des ex-gouverneurs recyclés en écailleurs de poisson. On appelait cela le « corps à corps ». Au détour d’un chemin ou à proximité d’une butte, quand vous entendiez « Allahou Akbar » vous étiez certain qu’un poisson, ou des légumes étaient camouflés dans un arrosoir attendant l’occasion propice pour être transférés en cellule. Il faut rappeler qu’en dehors de quelques cas isolés et sporadiques, aucune libération significative n’avait eu lieu depuis 1971. Pendant plusieurs semaines nous avions ainsi pu nous abandonner à des rêveries, jusqu’à ébaucher des projets. En effet, nous avions à présent une double raison d’espérer. Nous savions qu’une libération était toujours possible au bout du parcours, si toutefois nous arrivions à survivre. Plus réconfortant encore, nos familles allaient pouvoir percer une partie du mystère de Boiro, grâce aux camarades qui venaient de sortir. Même pour celles qui n’étaient pas concernées par la présente libération, une fois la déception passée, l’espoir renaîtrait de nouveau, rendant l’attente un peu moins pénible. Plus qu’avant, j’avais à présent la conviction que la sortie était envisageable, et alors je me suis mis à penser à la libération. Il se trouve
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qu’avec l’arrivée sans discontinuité de nouveaux au bloc, nous avions des informations plus actuelles sur ce qui se passait au dehors. En particulier le traitement qui avait été réservé à nos familles, et les conséquences qui avaient suivi. A cette occasion j’ai composé le poème La Libération.
La libération Demain, tu seras libéré Et alors, tu seras libre de ne plus porter la culotte et la chemise bleues Libre de franchir enfin le grand portail sur tes deux pieds Alors, et alors seulement, tu seras un homme libre Demain, tu seras libéré Et alors tu seras libre d’aller là où ta maison n’est plus ton foyer Là où ta femme a déjà accompli son veuvage Demain, tu seras libéré Et alors tu seras libre d’aller sur la tombe de tes vieux parents Emportés par le vent de ton arrestation Et tu seras libre contre quelques sous de monter dans ta voiture devenue un taxi Demain tu seras libéré Et tu sauras alors que les enfants laissés en bas âge Ont grandi et se sont libérés de ta présence Demain tu seras libéré Et alors, tu auras encore la liberté de reconnaître Ceux qui sont nés en ton absence Dans une famille dont tu étais le seul et l’unique guide Demain tu seras libéré Et alors tu évolueras dans un milieu curieux et méfiant Recherchant vainement une épouse remariée Des enfants très tôt déscolarisés, et des frères en exil Demain tu seras libéré Et alors tu comprendras qu’après tant d’années d’absence Tous ceux pour lesquels tu avais souhaité cette libération Te sont devenus inaccessibles s’ils n’ont pas totalement disparus
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Alors et alors seulement, tu comprendras Que la libération n’est pas réellement la liberté Qu’une nouvelle vie commence à présent pour toi Dans laquelle tu devras te forger une nouvelle destinée En parlant ainsi de libération, je pensais à ceux qui venaient de nous quitter, alors que je me préparais sans le savoir à connaître ma première libération sans sortir du bloc.
Les premières vraies nouvelles de ma famille En effet, je fus mis en relation avec mon épouse Nènè Fouta peu de temps après les libérations du 13 mai 1976, et de la façon la plus inattendue. Je resterai éternellement reconnaissant à Barry Alpha Amadou, dit Ibadan, et à l’adjudant-chef Bah Sonkè qui furent les initiateurs et les artisans de cette communication. Barry Alpha Amadou avait quitté la Guinée à l’âge de dix ans en compagnie de son père. Une fois installé au Nigeria, le père n’était plus jamais revenu en Guinée. Après sa mort, et après un exil de plus de vingt ans, Barry Ibadan avait décidé de revenir au pays pour saluer la famille. C’est ainsi qu’il s’était retrouvé à Boiro, accusé d’être « mercenaire ». Le sentiment de solidarité que les anciens manifestaient toujours à l’endroit des nouveaux venus était à la base de mes relations avec lui. J’avais eu à l’assister moralement et matériellement pendant tout son séjour. Sa libération nous avait agréablement surpris tous les deux. De ce fait, il était donc parti sans commission et même sans un au revoir. Une fois en liberté, il avait réussi après plusieurs investigations à retrouver ma famille. Ce fut tout d’abord une première visite de prise de contact, pour s’identifier et donner de mes nouvelles, certainement les seules nouvelles fiables depuis cinq ans. C’était déjà un acte de courage et d’amitié que mon épouse avait hautement apprécié. Puis quelques jours plus tard, il s’était présenté à la maison en compagnie de l’adjudant-chef Bah. Ce dernier ignorait l’identité de la personne visitée. Les présentations furent faites seulement une fois à la maison. « Voilà dit-il à l’adjudant-chef Bah, celle-ci est ta sœur, vous venez du même coin. Son mari est à Boiro et tu le connais. Tu es le seul à pouvoir l’aider ». Mon épouse avait alors fondu immédiatement en larmes. C’est après cette entrevue qu’une nuit, l’adjudantchef Bah était venu ouvrir la cellule n°1 et me demander de le suivre. Nous sommes descendus au jardin. C’est là qu’il me raconta tout ce qui s’était passé, et me demanda de faire un premier mot pour rassurer mon épouse. C’est ce jour que le premier anneau de ma chaîne fut brisé à Boiro.
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Comment décrire ma joie et mon soulagement, à la réception de la première note manuscrite envoyée par mon épouse. Je peux dire que les jours qui ont suivi, j’étais à Boiro sans y être, car seul mon corps demeurait encore emprisonné. Je voulais tout savoir concernant mes enfants, mes parents, mes amis. En quittant la maison le 22 septembre 1971 mon fils avait quatre ans, et ma fille quatorze mois. Ils avaient grandi et fréquentaient à présent l’école. L’école nouvelle avec l’enseignement en langues nationales. Je fus donc au comble de mon bonheur, le jour où je reçus dans une boite d’allumettes, une note de mon épouse accompagnée de deux autres notes écrites par mes enfants. Ils se seraient exprimés en hébreu ou en chinois, je suis certain que je n’aurais eu aucun mal à les déchiffrer. Ces notes me serviront de livre de chevet pendant plusieurs semaines, avant d’être renvoyées aux expéditeurs pour archives (doc N° 4) traduits en langage clair, cela donnait : Note N°1 (expéditeur, Joseph Gomez, neuf ans) bonjour papa, je t’aime beaucoup, je t’embrasse bien Signé : Jo Note N°2 (expéditrice, Esther Madeleine Gomez six ans) note en langue nationale SUSU, papa bonjour, Signée : Mi
Premières vraies nouvelles de ma famille. Le courrier avec les familles était acheminé dans des boîtes d’allumettes avec la complicité des agents.
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Note N° 3 leçon d’alphabétisation Koko = coco, Lalaba = rameur, Sèbèli = l’écriture Aujourd’hui encore, alors qu’ils sont tous les deux devenus père et mère de famille, j’ai un pincement au cœur chaque fois que je les relis. Avec le départ des frontaliers, les cadres étaient enfin sortis en corvée pour le jardin et la porcherie. C’est ainsi que je me suis retrouvé chef de secteur au jardin. J’avais douze planches à entretenir pour la production de la salade et des aubergines. Avec ces nouvelles occupations, c’était le grand air, le mouvement, et surtout les moyens d’enrichir notre alimentation. De ce fait, nous avions à notre disposition de nouveaux atouts qui allaient nous aider à mieux rééquilibrer notre état médical. Pour preuve, les mouvements de l’ambulance étaient devenus plus espacés. Bien entendu la nourriture n’avait pas varié, mais l’ouverture réglementée des portes, et les différentes corvées y étaient pour beaucoup. Une certaine détente s’était instaurée au bloc, et mieux encore, nous étions en bonne position pour contrôler les sources de production. En tant que travailleurs au jardin et surveillants à la porcherie, rien ne pouvait être fait sans nous, surtout qu’en ville au même moment après la suppression du commerce privé, les prix étaient devenus inabordables. Pour la majorité des agents du camp Boiro, le prix du ravitaillement qui leur était alloué mensuellement par le gouvernement était supérieur à leur solde. De ce fait le retrait se faisait en deux étapes, un premier lot de marchandises était retiré pour être revendu au marché noir. Puis le produit de cette vente était utilisé pour sortir le reste du ravitaillement. La tentation était devenue trop forte devant les belles aubergines, les laitues, ou les porcs dont l’entretien et la comptabilité étaient sous la responsabilité de Diawarra Ibrahima, un architecte détenu promu au grade de chef de corvées. Au fil du temps, nous voyions les agents revenir de chez eux le matin avec des sacs de plus en plus gros. A la porcherie, les manquants étaient de plus en plus fréquents. Nous étions devenus complices des agents, mais en retour, nous bénéficions de la nourriture et de la détente. Donc nous étions gagnants sur tous les tableaux. De ce fait, je pouvais dire que Boiro avait changé de visage. Non pas un changement physique, mais grâce à une nouvelle atmosphère de détente instaurée à tous les niveaux. Avec le concours de l’adjudant chef BAH, une correspondance régulière s’était instaurée entre ma femme et moi. En plus de la boîte d’allumettes, elle avait fini par prendre le risque d’envoyer de la nourriture. C’était comme une lune de miel. Puis au moment où on s’y attendait le moins, l’adjudant chef Bah avait été muté et une autre équipe était venue remplacer la sienne. Le brusque sevrage fut très difficile, car j’avais l’impression d’être à nouveau emprisonné. Le départ de l’adjudant/chef Bah a eu lieu au mois de juin 1976, à l’occasion d’un important mouvement au niveau des hommes de garde. Sur le coup, nous n’y avions accordé aucune importance particulière
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car de semblables opérations avaient lieu deux fois par an. Cependant, ce dernier mouvement ne correspondait à aucun calendrier habituel. Il aura fallu attendre l’arrivée des nouveaux pensionnaires, à partir du 17 juillet 1976, pour comprendre l’agencement des faits, à savoir : Que la libération en grand nombre de détenus dits frontaliers, le 13 mai 1976, avait pour objectif de libérer de nouvelles places au bloc. Que le remplacement du personnel d’encadrement avait été mis à profit pour « baliser » le bloc Boiro. Pour la première fois, nous constations qu’aucun agent d’ethnie peuhle (militaire, gendarme, garde républicain) ne figurait au sein du nouvel effectif. Le décor ainsi planté à Boiro, la machine infernale pouvait donc se mettre en branle au-dehors. En réalité, le scénario avait débuté depuis le 13 mai 1976, avec l’arrestation d’un adolescent de 12 ans du nom de Lamarana Diallo. Il aurait été appréhendé perché dans un arbre, porteur d’une arme automatique lors de la visite du Président Sékou Touré à l’Institut polytechnique de Conakry. C’était la version officielle pour les militants et l’opinion internationale. Mais vu de l’intérieur, nous savions que c’était une mise en scène une fois de plus. En effet, nous avions suivi au bloc le montage du scénario qui avait servi à faire la photo de Lamarana perché dans un arbre qui se trouvait en réalité dans la cour du bloc. Ensuite, par deux fois en juin 1976, Sékou Touré avait prononcé de très violents discours dénonçant de nouveaux supposés complots qui se tramaient contre le régime. Pour rendre plus crédibles ses accusations, dès le 4 juin, quelques jours avant la visite du président mozambicain Samora Moïse Machel, un important dispositif militaire avait été mis en place autour du palais de la présidence. Rompu dans l’art de la mise en scène, Sékou Touré avait pris la parole lors d’un conseil économique régional tenu le 15 juillet 1976 pour dénoncer la préparation d’un complot contre sa personne. Comble du raffinement ou point final de la mise en scène, le soir du 18 juillet 1976, Diallo Telli était invité à sa table pour le dîner. A la fin du repas, Sékou Touré lui dit : « Mon cher Telli, j’ai au moins une qualité qu’il faut bien me reconnaître, c’est de ne jamais me laisser surprendre ! » Mais qui veut te surprendre Président, rétorqua Telli ? « Au revoir Telli ». Et trois heures plus tard, Diallo Telli était au camp Boiro3. 3
Livre Diallo Telli. Le tragique destin d’un grand africain – André Lewin, Edition Jeune Afrique Livres.
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Ainsi débuta l’affaire Telli Diallo ou « le Complot peuhl ». En quelques jours le vide était comblé, toutes les cellules étaient remplies. Les nouveaux pensionnaires venaient des principales régions de la Guinée, de Conakry pour les membres du gouvernement, et les principaux cadres, de Kindia, Pita, Labé, Mali, pour les autres détenus. A cette occasion, Barry Boubakar qui se trouvait déjà en détention depuis décembre 1970, fut isolé pour une nouvelle déposition. Ismaël Touré le président du Comité Révolutionnaire savait que Barry était un camarade de promotion de Diallo Telly à L’Ecole Normale William Ponty au Sénégal. Après la fin des études, tous les deux faisaient partie du cabinet du Gouverneur Général de l’ancienne Fédération de L’Afrique Occidentale (AOF) à Dakar. Avec l’arrivée à présent de Diallo Telly à Boiro, on se demandait à quoi pouvait servir une telle déposition. En réalité, le pouvoir pensait qu’en faisant dénoncer Diallo Telly par un camarade de promotion, et de surcroît originaire de la même région, cela pourrait donner du crédit à tout le montage fait pour justifier son arrestation. Seulement après plus de cinq années de détention, la manipulation n’était plus possible avec un ancien détenu qui avait déjà tout vu et tout enduré. C’est pourquoi l’isolement fut finalement de courte durée pour Barry Boubacar.
Le cas Diallo Telly Quelques semaines après l’arrivée de Telli et de ses compagnons, les nouveaux pensionnaires avaient déjà pu bénéficier de la relative détente qu’ils avaient trouvée au bloc. Grâce aux facilités de mouvements offertes par les corvées, les contacts se sont faits plus facilement. Docteur Barry Alpha Oumar, kidnappé sur son lit à l’hôpital Donka de Conakry, avait droit à un peu d’air avec la porte de sa cellule entrebâillée. Ainsi la détente exceptionnelle et occasionnelle trouvée au bloc n’avait pas permis à certains d’entre eux de faire dès le début, une évaluation réelle du système, et donc mesurer la gravité de leur situation. Le temps s’était ainsi écoulé sans trop de dégâts physiques pour certains d’entre eux, à tel point qu’après plus de six mois au bloc, ces derniers étaient réellement optimistes. Cependant, avec plus de cinq années d’incarcération, il était évident que cet optimisme n’était pas partagé par les anciens. La règle étant à Boiro de toujours préserver le moral, certains d’entre nous jouaient le jeu. C’est ainsi qu’un jour, j’avais surpris un camarade de corvée en train de confier des messages à Dramé Alioune pour sa famille en cas de libération. De pouvoir arpenter le jardin, traverser la cour sans être interpellé par un agent, nous retrouver et bavarder ensemble, tout cela nous donnait l’impression d’être libres. La vie s’égrenait donc sans incidents notables pour les anciens, au rythme des corvées que nous souhaitions toujours plus nombreuses.
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Pendant ce temps, d’autres parmi les nouveaux venus méditaient sur leur sort avec tristesse et certainement beaucoup d’amertume. Diallo Telli était de ce nombre. En effet, dès son arrestation, il avait été soumis à des interrogatoires intensifs relayés par des séances de torture et une diète de mise en condition. Il occupait la cellule 54. Cependant, comme tous ceux qui l’ont précédé en ces lieux de dégradation de l’être humain et de destruction de l’homme, il savait qu’il allait finir par accepter la vérité du ministre. C’est ce qu’il fit en enregistrant une déposition le 31 juillet 1976. Après les corrections et les retouches d’usage, les militants du PDG et les représentants des missions diplomatiques avaient pu entendre la diffusion des « aveux » d’Alioune Dramé et Diallo Telli. C’était le 9 août 1976 au palais du peuple. Malheureusement pour le metteur en scène, cette première déposition était loin d’être convaincante car la voix était lasse, monotone, cassée, et souvent méconnaissable. Décidément, reconnu pour avoir été un brillant universitaire et un excellent diplomate, Telli se révélait être un mauvais élève à Boiro ! Qu’à cela ne tienne, à Boiro le repêchage était une pratique courante. C’est ainsi qu’une deuxième déposition fut obtenue le 22 août 1976. Excès de zèle ou manque de vigilance, on constate que pour aider Telli à faire cette nouvelle confession, le Comité révolutionnaire avait fait preuve d’une grande médiocrité. En effet, pour ceux qui écoutaient avec des oreilles non militantes, il était facile de relever que le texte fourmillait d’inexactitudes et d’invraisemblances que Telli n’aurait jamais admise. A moins qu’il n’ait voulu là encore, laisser à l’intention des observateurs avertis, des traces évidentes de la fausseté des aveux.4 C’est pourquoi le stratège Sékou Touré comme on aimait le qualifier, était dans l’obligation d’intervenir directement. En effet, après quatre mois de répit et de méditation, Sékou Touré se sentait conforté dans son projet par le silence de l’Afrique et l’indifférence de la communauté internationale. Il décida donc de s’impliquer personnellement pour essayer de donner plus de crédibilité à la déposition de Diallo Telli. Sa première lettre adressée à Diallo Telli était de ce fait datée du 23 décembre 1976. On peut la résumer en citant les deux premières et les deux dernières phrases. « Telli, au-delà de nos responsabilités respectives devant notre peuple et l’histoire, nous pensons que tu es bien placé pour coopérer étroitement avec 4
Livre de André Lewin. Diallo Telli, le tragique destin d’un grand africain – Jeune Afrique Livres.
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la révolution. Si pendant dix-neuf jours de souffrance tu t’es obstiné à utiliser le droit des autres pour prouver ton innocence, nous ne pouvons nous fier à cette littérature juridique. En vantant tes mérites créés de toutes pièces, la presse réactionnaire compromet la visite que le Président de la République française a accepté de rendre à notre peuple. Désormais, ton sort est lié à ta sincérité pour le Parti Etat de Guinée. En pensant que pour une fois tu sauras te mettre aux côtés de notre peuple, nous te rappelons que tu es encore utile à ta famille. Prêt pour la Révolution. » Sékou Touré. 5 Nous retenons principalement dans cette lettre trois choses qui confirment s’il en était besoin ce que beaucoup de monde savait déjà : − 1. Que le comité révolutionnaire recevait les instructions directement du chef de l’Etat. En effet avec cette lettre, nous pouvons affirmer que Sékou Touré était au courant de la pratique des tortures dans les prisons. Dans ce cas précis, il en connaissait même la durée, car les dix-neuf jours de souffrances dont il parle dans sa lettre correspondaient à la durée exacte de la diète et de l’interrogatoire musclé de Diallo Telli. − 2. Que si Telli avait été un brillant universitaire et un diplomate de renommée internationale, il n’était pas de bonne foi de dire que ses mérites étaient créés de toutes pièces. Mais là aussi, c’était la confirmation d’un constat bien connu : à savoir qu’en dépit des qualités évidentes dont Diallo Telli avait fait rapidement preuve sur la scène internationale, à moins que ce soit précisément à cause d’elles, Sékou Touré au lieu de s’en réjouir en prenait ombrage et lui mesurait finalement son appui. − 3. Que le sort de Diallo Telli était scellé bien longtemps avant son incarcération. Cette lettre était aussi une confirmation du verdict final, car en lui rappelant qu’il était encore utile à sa famille, elle sous-entendait qu’il ne l’était plus pour la Révolution. Le message a été bien compris comme en témoigne la lettre réponse datée du 24 décembre 1976. Pour la résumer, nous retiendrons quelques passages. « Cher président, En recevant ta lettre du 23 courant, j’ai voulu y répondre par une longue et profonde lettre, mais le nouvel environnement m’en empêche. Mon 5
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unique sauveur est Dieu. Il est trop tard pour lui demander de me sortir de Boiro. En dernière analyse, j’ai une grande part de responsabilité dans cette triste fin qui me guette. Je le prie tous les jours pour que mon sang et mon innocence servent à bâtir une Guinée libre. Je souhaite qu’après moi en Guinée, en Afrique ou en n’importe quel lieu du monde, des enfants, des vieillards, et des femmes ne paient plus de leur vie l’irresponsabilité d’hommes qui, au lieu de créer et d’entretenir la liberté la torpillent. Vive la justice et la liberté » Diallo Telly.6 Cette réponse se passe de commentaire. Relevons cependant, que l’intellectuel et le fonctionnaire respectueux qu’il était, éprouve encore de la pudeur pour parler de la torture et de la rigueur carcérale qu’il qualifie de nouvel environnement. A moins que l’homme qui utilise le droit des autres, ne trouve les pratiques de la Révolution trop dégradantes au point d’éviter l’utilisation du vrai qualificatif. Il aura fallu attendre le 12 janvier 1977 pour recevoir la suite. Correspondance de Sékou Touré : « Telly, - Après la lecture de ta lettre du 24-12-76, nous ne comprenons pas que tu sois résigné à cette mort que tu es en train de préparer toi-même. Que tu refuses d’aider la révolution comme nous l’avions souhaité dans notre lettre du 23-12-76, rien n’est plus normal pour la classe anti-peuple que tu persistes à représenter… - Grâce à l’humanisme naturel de notre révolution populaire et démocratique, notre peuple te nourrira dans ses prisons en vue de te restituer un jour, sain et sauf, à ta propre famille. A cet effet des instructions seront données à Siaka qui en assurera l’exécution. »7 Bien entendu, à ce stade du processus, Diallo Telli ne se faisait plus d’illusions, comme l’indique sa lettre réponse en date du 13 janvier 1977. « Président, Bien que je dispose encore d’un grand stock de courage et de morale, ta lettre, à cause de mon état physique, risquait d’être sans suite. Mais le bon sens m’oblige à te répondre. 6
Livre de André Lewin. Diallo Telli, le tragique destin d’un grand africain – Jeune Afrique Livres. 7 Même livre.
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Je crois que pour des raisons qui te sont personnelles et que je ne veux pas évoquer ici, tu vas épargner à nos familles l’horreur de notre mort publique par pendaison ou fusillade. Mais je t’ai découvert à Boiro et tout laisse à penser que mes jours sont désormais comptés. Je n’appellerai ni Siaka Touré, ni Moussa Diakité, ni encore moins toi. Je n’appellerai qu’Allah le Tout Puissant. Je sais que lui seul pourra me répondre. Vive la justice et la liberté Diallo Telli »8 Oui je peux témoigner devant Dieu que Telli a tenu parole, et qu’il a répondu à l’appel d’Allah par de continuelles prières. Après cette mise à mort par petites touches, le coup de grâce attendu est intervenu exactement un mois jour pour jour après la lettre du 12 janvier 1977, sous forme d’instruction à Siaka Touré. Celui-là que l’on devait nourrir pour le restituer sain et sauf à sa famille, va être définitivement arraché à son affection. C’est alors et alors seulement que l’on comprendra le sens et la profondeur de cette déclaration du fils de Diallo Telli : « Son dernier repas d’homme libre, mon père l’a pris à la table de Sékou Touré. Trois heures plus tard, il était au camp Boiro pour y mourir de faim et de soif six mois plus tard. »9
La mise à mort Tout avait débuté le 12 février 1977. Un jour inoubliable comme malheureusement tant d’autres qui ont fini par rendre célèbre la cellule N° 49. Aux environs de 17h00, le jardin était en plein mouvement, et la porcherie très animée et bruyante comme à l’accoutumée. Puis comme un coup de tonnerre, nous avons entendu « Barrage ! Barrage ! ». Cela venait du poste de police. Nous savions tous que ce cri était à la fois un signal, et en même temps un ordre. Il annonçait toujours l’arrivée au bloc de l’ambulance, ou d’un membre du Comité Révolutionnaire. Nous devions immédiatement rejoindre les cellules, puis en rabattre les portes. Nous avions tout abandonné au-dehors, arrosoirs, pelles et autres outils, en attendant la fin de l’alerte. Puis les agents sont passés mettre les loquets aux portes. Ce signe ne trompait pas, quelque chose d’important se préparait. Branle-bas de combat dans les cellules. Immédiatement les trous d’aération situés au ras du toit 8
Livre de André Lewin. Diallo Telli, le Tragique destin d’un grand africain – Jeune Afrique Livres. 9 Même livre.
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furent utilisés comme radar. Les occupants du bâtiment N°30 avaient ainsi pu suivre l’événement en direct. Incroyable mais malheureusement vrai. Le bâtiment N°5 était parmi les six que comptait le bloc le plus proche du poste de police, donc le plus facile à surveiller. Il était habituellement réservé aux malades, et aux nouveaux venus. Toutes les portes des cellules étaient ouvertes. Certains détenus furent déplacés, les autres mis au-dehors, devant leurs cellules. Puis, comme dans une mise en scène bien agencée, les agents se sont mis à vider cinq cellules de tout leur contenu : (carton, gobelet, pot de chambre, chiffon, etc.). Après ces formalités, les cinq anciens occupants furent invités à rejoindre leurs cellules. Tout cela était si inattendu et si rapide. Nous étions encore à nous poser des questions jusqu’au moment où les portes refermées ont été verrouillées, et les lettres DN hâtivement inscrites. C’était donc la diète noire pour :
Bâtiment n°49. Suite de cellules utilisées pour la mise à mort dite « diète noire ». − − − − −
1. Diallo Telli, ancien Ministre 2. Docteur Barry Alpha Oumar, ancien Ministre 3. Sy Savané Souleymane, magistrat 4. Capitaine Kouyaté Lamine, ancien aide de camp 5. Lieutenant Diallo Alhassane, ancien aide de camp 94
Finalement, sur les six derniers occupants du bâtiment N°5 un seul avait été épargné : Dramé Alioune. Trois jours après, coup de théâtre. Les inscriptions DN étaient effacées sur la porte de la cellule de Sy Savané, et transcrites sur celle de Dramé Alioune ancien Ministre. Mise en scène, erreur, torture morale, près de trente années après, l’on se demande encore ce qui a bien pu se passer, pour expliquer cette modification de dernière minute. Tout ce que je peux retenir, c’est que la vie de l’homme était peu de choses pour le pouvoir en place, et que Sy Savané quant à lui, s’était retrouvé miraculeusement sauvé. Pendant plus de deux semaines, ce fut pour les survivants l’une des formes les plus insupportables de tortures morales. En effet, il fallait continuer à monter et descendre, manger, boire, inonder les planches d’eau, et la nuit se coucher en faisant semblant de n’être au courant de rien, au moment ou d’autres étaient en train de mourir de privation d’eau et de nourriture. Oui Boiro c’était réellement l’école de la vie, car pendant ces longues journées et ces insupportables nuits, nous avions appris d’une part à respecter davantage ces dignes fils du pays à cause de leur foi et de leur courage face à la mort, et d’autre part à découvrir une autre séquence de la tragédie dont nous étions en même temps spectateurs et victimes potentielles. On pourrait dire que l’appel de Telli avait donc été entendu lorsqu’il demanda dans sa lettre du 13 janvier d’épargner à leurs familles l’horreur de la mort publique par pendaison ou fusillade. Ce qui est sûr et certain, c’est qu’il ignorait l’existence à Boiro d’une mort plus ignoble, plus insupportable et plus inhumaine, à savoir la diète noire ou la mort par privation d’eau, de nourriture, et même d’air frais. En effet c’est ce qui fut infligé à Diallo Telli et à ses compagnons L’horreur était à son comble, sans parler de la peur et de l’inquiétude qui régnaient dans toutes les cellules. On ne pouvait imaginer de plus dégradants traitements pour la personne humaine. Puis après cette pénible attente, l’ambulance a commencé son macabre ballet. − Le 22 février 1977, Docteur Barry Alpha Oumar − Le 28 février 1977, Diallo Alhassane − Le 28 février 1977, Kouyaté Lamine − Le 01 mars 1977, Dramé Alioune − Le 01 mars 1977, Diallo Telli Diallo Alhassane et Kouyaté Lamine étaient deux officiers de l’armée qui se sont succédé à la présidence dans les fonctions d’officier d’ordonnance du président Sékou Touré. Mais que sont devenus leurs prédécesseurs et leurs successeurs ? Essayons de nous souvenir :
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− Abou Soumah officier, arrêté en 1969, évadé à la faveur de l’agression du 22-11-1970, revenu en Guinée après le changement de régime, décédé en juin 1984 − Mamady Oularé, officier à la retraite − Kaman Diaby, grade colonel arrêté en 1969 et fusillé le 29-05-1969 − Zoumanigui Kékoura, grade commandant arrêté en 1971 et fusillé nuit du 30/31-07- 1971 − Bah Mamadou, grade lieutenant garde de corps arrêté en 1971 et fusillé le 03-07-1971 − Keita Sidi Mohamed Lamine − Doumbouya Kémoko, grade capitaine arrêté en 1971 et fusillé nuit du 30/31-07-1971 − Kouyaté Lamine, grade capitaine arrêté en 1976 et DN le 28-02-1977 − Doumbouya Fodé − Diallo Alhassane, grade lieutenant arrêté en 1976 et DN le 28-021977 − Conté Lansana grade colonel, menacé d’arrestation quelques jours seulement après le décès de Sékou Touré, en a échappé grâce à la prise du pouvoir par l’Armée le 3 avril 1984. Au vu de ce qui précède, on peut dire sans se tromper qu’il y avait problème au niveau de ce poste : − Soit autour du fauteuil ! − Soit dans le fauteuil même ! Après ce quintuple assassinat, le chef de poste, Fadama Condé, attendra une semaine après la mort de Diallo Telli, pour sortir les sous-vêtements de ce dernier qu’il avait subtilisés, et les remettre à une corvée pour la lessive. Le cadavre avait été dépouillé avant son transfert dans l’ambulance. La curiosité ayant fini par vaincre l’indignation et le dégoût, je m’étais approché de la corvée pour voir et toucher les seuls témoins du dernier combat de l’illustre disparu. J’avais tout juste eu le temps de déchiffrer la marque des sous-vêtements. Ils portaient la griffe d’une maison anglaise de renom. Puis la confrontation étant devenue insoutenable, j’avais brusquement quitté les lieux, pour aller me réfugier au jardin. Longtemps après la libération, nous apprendrons grâce au responsable du quartier de l’époque, le maire Lamina, que dans la nuit du 1er Mars, Sékou Touré s’était rendu au cimetière de Nongo pour faire exhumer le corps de Diallo Telli et demandé à voir son visage. En somme l’acte final d’une liquidation programmée de longue date. Dans tous les cas, il savait à
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présent que celui-là ne pourrait plus jamais le surprendre, si tant est qu’il avait pu en avoir l’intention ne serait-ce qu’en pensée. Mais comment en était-on arrivé là ?
Le sens du devoir En effet, en 1972 à la fin de son dernier mandat à la tête de l’organisation panafricaine (OUA), des personnes de tous les milieux : parents, amis, collaborateurs, et chefs d’Etats, avaient tous demandé à Diallo Telli de ne pas revenir en Guinée. On peut citer entre autres : le Président Senghor, et le journaliste Diallo Siradiou. Pourtant, envers et contre tout il était revenu. La question qui se posait était donc de savoir pourquoi ce retour en Guinée malgré toutes ces mises en garde ? Etant des Africains et vivant en Afrique, certains diront que c’était la fatalité. D’autres diront avec conviction : c’est l’irrationnel car on avait utilisé des travaux occultes pour le faire revenir. Mais que dire alors pour convaincre tous ceux, et ils sont nombreux, qui ont connu, apprécié et admiré Diallo Telli au cours de sa longue carrière internationale ? Quel argument avancer lorsqu’on s’adresse à des hommes d’Etat ou autres hautes personnalités européennes, asiatiques, américaines ou autres ? Peut-être un début de réponse dans la lettre du 24 décembre 1976 adressée à Sékou Touré : « J’ai une grande part de responsabilité dans cette triste fin qui me guette. » Et une autre indication dans celle du 13 janvier 1977, toujours à l’adresse de Sékou Touré : « Mais je t’ai découvert à Boiro, et tout laisse penser que mes jours sont désormais comptés. »10 Oui, Diallo Telli avoue, malgré toutes les mises en garde, qu’il aura fallu attendre qu’il soit admis à « l’école de la vie » pour connaître Sékou Touré. Il avait ainsi donné raison à Diallo Siradiou, un grand journaliste africain qui l’avait bien connu, d’abord sous le régime colonial, puis en tant que homme d’Etat, et qui a fait partie de ceux qui avaient essayé de le dissuader de revenir. « Oui Diallo Telli était naïf. Pourquoi en effet a-t-il regagné Conakry malgré tout après le sommet de Rabat ? Parce que, confiait-il, avec la pureté d’un juriste, du moment qu’on a rien à se reprocher, aucun tribunal ne peut vous condamner. Sur quelle base 10
Livre Diallo Telli (Le tragique destin d'un grand africain. Auteur : André Lewin. Edition : Jeune Afrique Livres.
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et à partir de quel délit pourrait-on vous appréhender, interrogeait-il, avec tout de même un léger éclair de doute dans la voix ? Ce qu’il ne savait pas et ne découvrira qu’une fois dans sa cellule du camp Boiro, c’est que sous un régime de dictature, point n’est besoin d’avoir fait quelque chose pour être arrêté et condamné. Combien de personnalités guinéennes connues pour leur intelligence, leur courage physique et leur habileté sont tombées comme Diallo Telli, dans l’infernal piège tendu par le Responsable Suprême de la Révolution ? Elles ont tout simplement eu tort de croire jusqu’au bout, que le pire ne pouvait arriver qu’à ceux qui auraient effectivement comploté contre le chef de l’Etat. C’est cette conviction qu’un innocent ne peut être condamné qui a conduit ces personnalités civiles et militaires à expérimenter la fameuse « cabine technique ». Tristes souvenirs d’évènements douloureux et inoubliables ! Mais comme toujours, à Boiro la réalité finissait par prendre le pas sur les sentiments les plus pénibles. Ainsi, malgré tous ces évènements les différentes corvées n’avaient jamais été interrompues, car pour les gestionnaires, ce qui venait de se passer au bâtiment N°5 était considéré comme une simple parenthèse dans la gestion courante du bloc. Avec la possibilité offerte d’évoluer à l’air libre, et surtout l’accès permanent à l’eau, la grande canicule du mois de mars n’était plus une hantise. Le bloc avait retrouvé son animation normale, et nous pensions déjà au prochain mois de mai, avec la fête anniversaire de la création du PDG pour de possibles libérations.
Un éphémère espoir Nos rêves furent de courte durée. En effet, le 13 mars 1977 comme chaque dimanche, nous attendions le repas du jour, le riz gras. Nous l’appelions « riz des gardes » car les agents l’appréciaient plus que nous. A partir de 13h30, la corvée commençait la distribution des repas. Nous étions alertés par le bruit des assiettes que l’on posait devant les cellules. Avant même l’ouverture des portes, nous pouvions apprécier la quantité du riz par le seul bruit de l’assiette métallique sur le ciment. Ensuite un concert de bruit de portes que l’on refermait indiquait la fin de la distribution. C’était toujours un moment important que celui du repas de midi. Il marquait la fin d’une matinée et l’annonce de la prière de la mi-journée. Les prières étant faites en groupe, deux ou trois cellules pouvaient s’entendre pour prier derrière un imam choisi en commun accord. Comme cela arrivait souvent, ce jour la prière avait précédé le repas. Le commandant Ibrahima Sylla était le muezzin du bloc. Sa voix était si forte qu’elle était perçue bien au-delà des limites de notre prison. Il assumait ce rôle avec beaucoup de conviction car sa foi s’était réellement renforcée en prison. Une fois la prière terminée,
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c’était le moment du partage du riz. Un rituel bien respecté au bloc où le système de tour était de règle dans toutes les cellules. Le premier du jour étant le premier à procéder au choix, pour toute nourriture ou autre dotation servie pendant 24 heures. Le lendemain il rétrogradait à la dernière place, pour céder la place à son second et ainsi de suite. Ibrahima Sylla, dernier de service ce jour dans sa cellule n’avait donc pas eu besoin d’interrompre son chapelet. Il était dans cette occupation quand tout à coup la porte s’ouvrit, et l’agent le désigna du doigt. Il était déjà à la porte lorsqu’on lui dit : « Laissez votre chapelet et venez ». Au même moment, d’autres portes étaient ouvertes puis refermées aussi brusquement au niveau des autres bâtiments. Toutes les cellules étaient déjà alertées et aux aguets. Le riz était oublié. Un silence d’espoir régnait dans les cellules. Après le drame collectif du 12 février 77, on ne pouvait penser à autre chose qu’à une sortie. Honnêtement, même les plus pessimistes d’entre nous n’avaient d’autre pronostic que celui de la libération. Je me trouvais toujours à la cellule N°1, en compagnie de Koto Amadou, frère de Barry Diawadou, alors que le commandant Ibrahima Sylla était à la cellule N°3. C’était un compagnon de détention, mais aussi et surtout un ami, que dis-je un frère d’armes en quelque sorte puisque nous étions de la même branche : l’aéronautique. Jeune et brillant officier de l’armée nationale, il avait déjà fait plus de trois ans au bloc. Pour nous tous, sa libération aurait eu une grande signification. Grâce au système de lits superposés je m’étais mis au radar, pendant qu’un compagnon couché les yeux rivés sous la porte, faisait le guet. De mon poste d’observation je surveillais le grand et lourd portail du bloc. Il était resté immobile et silencieux tout le temps. Plus tard dans l’après-midi, les portes des cellules furent rouvertes. L’espoir se lisait sur tous les visages. Les conjectures allaient bon train. Et pourtant, moi je savais que personne n’était sorti du bloc. Cependant, les instants de bonheur collectif étaient si rares à Boiro que j’avais choisi de me taire. Puis le lendemain, c’était jour de corvée de bois, la vraie corvée de bois pour la cuisine. Laho Diallo, un ancien responsable du Parti à Conakry, et moi étions les spécialistes pour empiler le bois. Nous sommes donc sortis les premiers pour la corvée. Il se trouve que la cellule N°48 était transformée en magasin de stockage de bois depuis le transfert récent de la cuisine au bloc. Quelle surprise, lorsque nous avons entendu le Commandant Sylla réciter le coran à la cellule N°49. Pourtant aucune inscription n’était marquée sur sa porte. J’avais alors pu lui passer un message, et un seul : sméleille, « Courage » en russe car il avait fait ses études en Russie au même moment que mon ami Laho. Il fallait tout faire pour ne pas se faire remarquer, le poste de police étant tout près. A ce moment, nous étions convaincus qu’il ne s’agissait que d’une punition.
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En effet quelques jours auparavant, Sylla avait eu une altercation avec docteur Barry Kandia, à propos du cas de deux jeunes aviateurs malades. L’affaire était apparemment sans gravité, et nous savions qu’elle avait déjà trouvé sa solution. Comment penser que j’étais la dernière personne à adresser la parole à Sylla dans ce foutu monde ! Je l’ai finalement su le lendemain 15 mars au moment de la vidange, lorsque nous avons vu les lettres DN (diète noire) marquées sur les portes de la N°49, et de quatre autres cellules du même bâtiment. Grâce au système de communications, nous avions très tôt connu les noms des compagnons du commandant Sylla. Il s’agissait de : − Moussa Boiro, mécanicien − Bemba Botje Boiro, lutteur traditionnel − Yéro Goullel Boiro, cultivateur − Yaya Boiro, ancien combattant Tous les quatre étaient originaires de la même région. Le premier était mécanicien, le deuxième était champion de lutte traditionnelle, le troisième un paysan venant du Sénégal, où il était parti rendre visite à sa fille qui y était mariée, le quatrième un ancien combattant de retour de Dakar où il s’était rendu pour sa pension. A première vue, aucune relation particulière entre les quatre sauf le fait de porter le même nom. Cependant tout le monde savait que le nom Boiro dans leur Badiar natal était aussi fréquent que celui de Dupont en France. Ce que tout le monde ne savait pas par contre, c’est le lien qui pouvait exister entre eux et un officier supérieur qu’ils ne connaissaient pas ! Plus de trente années se sont écoulées, et aujourd’hui encore la question est sans réponse. Les jours qui ont suivi cet autre ignoble assassinat collectif, allaient être pour moi d’une intensité dramatique encore jamais égalée. En effet, le 16 mars j’étais au jardin ou en tant que chef secteur, je m’occupais d’une douzaine de planches. Deux des planches qui longeaient le bâtiment N°49 se trouvaient tout juste derrière les cellules occupées par les quatre Boiro. Le long de ces planches serpentait un chemin reliant les douches à l’infirmerie et à la cuisine. Ce jour nous travaillions tous en silence, car le cœur n’y était pas. C’était un ballet de pas entre les planches, le balancement des arrosoirs et le bruit de l’eau nourricière sur les planches, une veillée à notre façon. Puis brusquement, venu de je ne sais où, des appels furtifs et étouffés mais répétés « Psst-Psst-Psst ». J’avais tout de suite regardé autour de moi, aucun voisin immédiat n’était visible. L’appel persistant, j’avais alors tourné mon regard vers les cellules qui étaient là, tout juste derrière moi. Je me suis retrouvé en face d’une apparition digne d’une séquence de film de science-fiction, devant laquelle je suis resté comme pétrifié. En effet, là devant moi, au bas du mur de la cellule, par le petit trou d’évacuation
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d’eau usée, une main osseuse tenait péniblement entre ses doigts un chiffon ! Elle réclamait un peu d’eau sur le chiffon, pour le sucer. Que fallait-il faire ? Donner de l’eau ? cela pouvait me valoir la diète noire si cela était su ! Refuser ? Une responsabilité que je n’aurai jamais pu supporter ! Après un rapide coup d’œil à gauche et à droite pour vérifier la position de la sentinelle, je décidais de passer à l’action. Grâce aux mouvements oscillatoires verticaux donnés à l’arrosoir, je réussis à orienter le jet d’eau vers cette apparition d’outre-tombe. La main avait disparu depuis fort longtemps lorsque Djedoua Diabaté, une des détenues vint me surprendre figé au milieu du chemin. Elle comprit immédiatement que quelque chose de très grave venait de se passer : « Qu’est-ce que tu as mon frère ? Ça ne va pas ? » J’étais là débout, figé tel un boxeur assommé par les événements. Je resterai éternellement reconnaissant à cette sœur qui, non seulement respecta mon silence, mais en plus à partir de ce jour, m’apporta son soutien moral et matériel jusqu’à sa libération un an plus tard. Elle attendra finalement juin 1984, pour recevoir la réponse de sa question du 16 mars 1977, car Boiro avait survécu. Quelques gouttes d’eau sur un chiffon, c’est peu de chose quand on a entre ses mains, un arrosoir rempli. Mais pour un condamné à mort par inanition, c’était un mirage d’espérance, face à une mort inévitable. L’agonie avait été très longue, silencieuse pour certains, de révolte pour d’autres, interminable et insupportable pour les survivants. Commandant Sylla avait quant à lui, dès le début choisi le Coran comme compagnon, et il s’est éteint en prononçant le nom de Dieu. Quant à Yéro Goullel Boiro, il était toujours en vie après quinze jours de diète noire. Cependant, il lui restait encore assez d’énergie et de volonté pour clamer son innocence et dénoncer la cruauté du chef de poste central Fadama Condé. Au dix-septième (17ème) jour de sa diète, ce dernier était venu ouvrir la porte de sa cellule pour se retrouver en face d’un Yéro Goullel encore lucide et agressif. C’était l’ultime occasion pour un condamné à mort, de se retrouver face à son bourreau. Il avait donc réussi à rassembler tout ce qui lui restait comme force, pour exprimer son mépris et défier Fadama Condé chef de poste central, et symbole personnifié du régime de Sékou Touré. Surpris et vexé, ce dernier fit appel à de solides agents qui se sont rués sur le moribond. Quelques minutes plus tard, Yéro Goullel était abandonné dans sa cellule pieds et mains liés, avant de voir la porte se refermer sur lui pour la dernière fois. Le lendemain, 30 mars 1977, Yéro Goullel Boiro avait cessé de vivre, assassiné lui aussi. Je me demande aujourd’hui encore pourquoi ?
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Deux vagues d’assassinats à un mois d’intervalle, l’on se demandait alors « à quand la prochaine » ? La peur et l’inquiétude se lisaient sur tous les visages. La preuve était faite qu’il n’existait aucun seuil de sécurité à Boiro. La liquidation était possible à tout moment au cours du séjour, sans aucun motif prévisible. Une nouvelle fois mes nuits et ma tête étaient remplies de questions auxquelles je cherchais en vain des réponses. Le poème « Pourquoi » fut donc composé à cette occasion.
Pourquoi Ils t’ont pris en pleine nuit T’arrachant à ta famille Sous les yeux inquiets des tiens Tout en faisant croire que c’était pour une simple vérification Ils t’ont conduit directement en prison Sans enquête, ni jugement Abandonné, sans soins des années durant Au fond d’une obscure cellule de Boiro Tout cela pour rien Affamé, humilié, méprisé Détruit par les diètes et les tortures Miné par de fréquentes maladies Rongé par les souffrances morales et physiques Quand tu trouves encore la force de te révolter contre cet injuste sort Tu te dis que tout cela ne sert à rien Quand, dans le lourd silence de la nuit Tu te mets à gémir et à pleurer pour demander des soins Face à l’indifférence totale des gardiens C’est encore pour rien Ils ont volontairement sali ton passé Dénaturé ton action Compromis ton avenir Tout cela pour rien Alors sans passé pour te situer Sans avenir pour t’accrocher Et dans un pénible présent qui se déroule sans fin
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Tu te dis qu’en définitive tu vis pour rien Bientôt, emboîtant le pas à ceux qui t’ont déjà précédé Tu sais qu’un jour cela pourrait être ton tour De franchir le grand portail les pieds en avant Et ce serait toujours pour rien Alors camarades, battons-nous, résistons et accrochons-nous à la vie Car un témoin de l’histoire a obligation de sortir vivant et de témoigner Une fois encore, pour les survivants en sursis, la lutte pour la survie allait servir d’antidote pour aider à gérer les grandes douleurs. Pour cela nous devions focaliser notre esprit sur les préoccupations quotidiennes, à savoir : comment améliorer l’ordinaire et comment et quand violer les interdits sans se faire prendre. C’est ainsi que nous avons pu, non pas oublier, mais tirer un rideau sur les sinistres épisodes des mois de février et mars. Après le contrôle du jardin et de la porcherie, une nouvelle étape avait été franchie dans la gestion des unités de production. En effet, les repas étaient à présent préparés par les détenus, sous la supervision de deux gardes républicains : Niassa Mamadou chef cuisinier, et Keita Mamady son adjoint. Ils étaient nouveaux et comme dit un dicton peuhl (kodho no n’dara, kodho no n’darè), traduit cela donne : « Si le nouveau venu observe les gens, il faut aussi savoir que les gens observent le nouveau venu ». Ces derniers suscitaient un intérêt tout particulier au niveau des pensionnaires car ils contrôlaient l’unique « usine » de Boiro. En effet, la nouvelle batterie de cuisine était l’objet de toutes nos préoccupations et la finalité de tout le corps à corps. En attendant de voir, nous étions intéressés par les personnages. De ce point de vue, nous devions remercier Dieu car ils n’avaient rien de comparables aux sbires qui étaient affectés dans les lieux de détention pour les besoins de la cause. Finalement nous les trouvions très abordables voire même sympathiques. Après quelques semaines de cohabitation, les faits allaient confirmer cette appréciation. Affecté à la corvée cuisine, j’avais pour ma part un contact permanent avec eux. C’est au cours de cette période que profitant de son jour de repos, le chef Niassa accompagna un de ses camarades chauffeur à la direction des garages du Gouvernement, en charge de la gestion de tous les véhicules de l’Etat. Ce dernier sollicitait la réforme de son camion de service qui était immobilisé dans la cour du camp depuis plus de deux ans. Arrivés sur les lieux, on leur dit qu’il fallait faire une demande écrite, ce qu’ils n’avaient manifestement pas prévu vu leur
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embarras. Fort heureusement pour eux, la secrétaire du directeur général qui les observait à distance était venue à leur secours. Au moment de la frappe du document, un employé de passage avait lancé un bonjour Madame Gomez. Cela fit un déclic dans la tête du chef Niassa car c’est un nom qui lui était familier quelque part. Après le dépôt de la demande, les remerciements furent l’occasion d’une petite conversation apparemment anodine. Fixé après cela sur l’identité et le statut de son interlocutrice, il profita d’un aparté pour lui donner rendez-vous le soir à Dixinn près de la mosquée. Bien entendu, l’origine du véhicule concerné donnait une claire indication sur le lieu de travail des deux visiteurs. Dans un premier temps, mon épouse était tout d’abord sous l’effet d’une joie intérieure intense, suivie immédiatement par un sentiment de méfiance voire même de peur car elle ignorait tout de son interlocuteur. Avant la fin de l’heure, elle prit contact avec l’ami et le confident de toujours : Madany Kouyaté. Sur encouragement de ce dernier, elle était partie au rendez-vous. Dès le premier abord, Niassa avait remarqué une certaine méfiance chez la visiteuse. Il avait donc commencé par la mettre en confiance. « Vous nous avez rendu ce matin un grand service sans même nous connaître. Je veux à mon tour vous aider. J’habite à côté, je suis aussi un père de famille, nous allons partir je vais vous présenter à ma famille ». C’est ce qui fut fait dans le quart d’heure qui a suivi car il habitait tout près. Le contact fut rapide et très facile avec ses deux épouses. Est-ce que tu peux reconnaître l’écriture de ton époux demanda-t-il ? Ayant reçu une réponse positive, il enchaîna : « si tu oses établir une correspondance avec ton mari je peux t’aider ». Le lendemain, alors que nous bavardions seuls autour de la grosse marmite de campagne, il m’expliqua qu’il avait rencontré mon épouse et me demanda de faire une note. C’est ainsi que le courrier fut rétabli avec ma femme. A moins de trois mois après le départ de Bah Sonkè. Les communications furent maintenues, jusqu’à la veille de ma libération. Avec ce nouveau maillon de ma chaîne qui partait, ma vie au bloc allait connaître en peu de temps des changements qualitatifs successifs. Par exemple le travail à la cuisine était la corvée la plus convoitée car les avantages étaient loin d’être négligeables. Ce fut hélas un poste de courte durée. En effet, le 7 août 1977 disparaissait l’Almamy de Mamou, la dernière figure du pouvoir féodal en Moyenne Guinée. Deux de ses enfants avaient été arrêtés dont l’un exécuté depuis 1971, à savoir son fils Mody Oury accusé d’être comploteur. L’Almamy pouvait donc difficilement avoir longue vie après une telle torture morale. C’est donc avec inquiétude et désolation que la famille avait suivi la dégradation continuelle de sa santé. Bien entendu, Sékou Touré n’ignorait rien de la situation. On comprendra
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donc les motifs de l’envoi d’une importante délégation à Mamou début août 1977 pour s’enquérir de l’état de santé de l’Almamy. Composée de membres du gouvernement et du bureau politique du parti, elle était rehaussée par la présence de madame Andrée Touré épouse du chef de l’Etat. Une façon pour le Président de mieux exprimer sa préoccupation pour l’état de santé de l’illustre malade. L’Almamy qui savait que ses jours étaient comptés, avait saisi l’occasion pour transmettre à la première Dame une ultime doléance à l’intention de son époux, à savoir : revoir son fils Barry Ibrahima Kandia avant de quitter ce monde. De retour à Conakry, la commission fut fidèlement transmise et c’est ainsi que le commandant Siaka Touré reçu l’instruction de sortir docteur Kandia de Boiro. Ordre reçu et exécuté. En effet, après quelques jours de mise en condition, docteur Kandia fut extrait du bloc encadré par quatre agents dont un capitaine, pour se retrouver chez le commandant Siaka Touré dont le logement était proche du camp. Ils trouvèrent ce dernier en compagnie de Ismaël Touré président du comité révolutionnaire, et de Kabassan Keïta officier de la marine, membre du gouvernement. Ce dernier dans un geste spontané le prit dans ses bras pour manifester sa joie. Toutefois, le docteur ne pu s’empêcher de se cabrer en arrière lorsqu’Ismaël voulut en faire autant. Dépité ce dernier dit alors à Siaka : (ita fô ayé) dis-le-lui ! Ce dernier s’est alors mis à réciter sa leçon. Ton papa est malade et te réclame. Le Responsable Suprême dans sa magnanimité t’a gracié afin que tu puisses aller rester à ses côtés et lui porter assistance. Toujours sous escorte, le docteur est retourné au bloc pour être embarqué dans la nuit dans une jeep pour une destination inconnue. Partis de Conakry à 3 heures du matin, rien ni dans le décor ni dans la mise en scène ne le rassurait. Pour cause : le décalage était trop brusque et la confiance depuis fort longtemps rompue. Pendant tout le trajet, il s’attendait au pire à chaque fois que le véhicule ralentissait. Ce fut le soulagement à 7 heures du matin lorsque le véhicule traversa la ville de Mamou pour aller stationner dans la cour du gouverneur. Madame Andée Touré épouse du chef de L’Etat, et les ministres Diakité Moussa et Barry Alpha Bakar se trouvaient à l’intérieur de la résidence. Il fut reçu par le Ministre de la santé Kékoura Camara. Ensuite Alpha Bacar est allé chercher le grand frère el hadj Boubacar Barry. Une fois l’ensemble des acteurs réunis, la délégation conduite par la Première Dame se rendit chez l’Almamy. Arrivés sur les lieux, le Ministre Moussa Diakité déclara : Le Président de la République nous a demandé de vous ramener votre fils. L’Almamy qui était fatigué et couché, puisa dans sa joie la force nécessaire pour se lever et se jeter dans les bras de son fils.
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Puis dans l’après-midi vers 16 heures, le malade envoya chercher son fils pour un dernier entretien. Il faut croire que c’était l’adieu car le lendemain matin, l’illustre vieil homme avait tiré sa révérence. Le départ de Docteur Barry Kandia de Boiro fut pour moi une nouvelle occasion de changer de statut. En effet, Docteur Barry faisant partie de l’effectif du service médical du bloc, il fallait penser à son remplacement. Il y avait dans les cellules des médecins et autres personnes ayant un profil bien adapté pour ce poste. Avec ma formation d’ingénieur en aéronautique, on pouvait facilement comprendre ma surprise lorsque le choix s’est porté sur moi. Ainsi le 10 août 1977 j’étais promu infirmier au bloc Boiro. Ce passage à l’infirmerie fut l’occasion d’une très riche expérience de la prison et des prisonniers. Deux semaines après, c’était l’effervescence au bloc.
La révolte des femmes Le 27 août 1977, le service était assuré par l’équipe N°2. Il faut préciser qu’au bloc tous les chefs de poste étaient des gendarmes, et leurs adjoints relevant d’un corps différent, généralement de la Garde Républicaine. Ce jour le chef de poste étant absent, Kédi Sylla un Garde Républicain assumait les fonctions de chef de poste central. Il habitait le camp Boiro et toute sa famille y résidait. Dès que l’alerte fut donnée par le clairon, sa première réaction fut de se précipiter vers le portail pour aller d’abord s’occuper de sa famille. Il fut retenu de justesse à la porte par un de ses agents, car il avait oublié qu’il était ce jour le premier responsable. Il fit demi-tour et le dispositif habituel de sécurité fut installé. Nous avions vécu cela plusieurs fois auparavant au bloc, seulement nous avions du mal à nous y habituer. Quand vous avez le canon d’une arme automatique pointé vers vous, alors que vous êtes enfermés à double tour, vous êtes loin de vous sentir en sécurité. Nous avions plutôt le désagréable sentiment d’être face à un peloton d’exécution. Pendant ce temps à l’extérieur du bloc, dans le camp Boiro des coups de feu étaient tirés alors qu’une voix hurlait en vain pour demander d’envoyer le char à l’entrée du camp. C’était le char qui était garé en permanence près du portail du bloc depuis novembre 1970, et il refusait de démarrer. Alors nous revenaient en mémoire les cris du « Néron africain » haranguant la foule des militants au stade le 28 septembre à Conakry : « Si les mercenaires attaquent de nouveau la Guinée, précipitezvous vers les prisons et égorgez la cinquième colonne »11. Nous ignorions les causes de cette alerte en plein jour, et nous nous attendions au pire. Beaucoup de chapelets perdirent leurs grains ce jour-là, 11
Discours du Président Sékou Touré lors du meeting au stade le 28 Septembre de Conakry (1971).
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car les fils ne pouvaient résister à la tension des nerfs et des doigts. Le lendemain l’équipe de Fadama Condé prit la relève. Fidèle à son habitude, il avait fait entrebailler les portes pour nous faire une communication : « Voilà ce que l’un de vos anciens compagnons vient de faire, il a écrit un livre. C’est pourquoi l’on ne veut pas vous laisser sortir car vous nous récompensez en monnaie de singe. Hier vos enfants et vos femmes ont voulu se révolter, et sont descendus dans la rue ». C’est ainsi que nous avions appris la sortie du livre de Jean Paul Alata, « Prisons d’Afrique » et la révolte des femmes du 27 août 1977. Cette journée est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de notre pays. En effet, face à l’ampleur du mouvement le Président Sékou Touré avait été sorti en catimini du palais du peuple où il avait convié les femmes. Arrivé au palais de la République, du haut de son balcon où il était presque assiégé, il avait été obligé de dénoncer publiquement la police économique et annoncer sa dissolution immédiate. Il faut savoir que les femmes représentaient la principale force du P.D.G. On comprendra donc pourquoi depuis ce jour, rien ne fut plus comme avant pour Sékou Touré. Bien entendu pour le pouvoir, ce n’était pas un mouvement spontané, mais un complot. Ainsi dès le 28 août les premiers pensionnaires étaient déjà logés à Boiro. C’est ainsi qu’un après-midi alors que j’étais en poste à l’observatoire, je vis un homme tout de blanc vêtu entrer au bloc Boiro encadré par des agents. C’était Chérif Nabanihou secrétaire fédéral du Parti à Conakry II. Il faut préciser que le grand marché de la capitale, point de départ de tous les mouvements, se trouvait sur son territoire politique. Il avait été interpellé lors des premières assises politiques réunies sous la présidence de Sékou Touré pour tirer les leçons des évènements en cours. Pour nous c’était du déjà-vu. En quelques jours le bloc était plein à craquer. Ce mouvement n’ayant rien changé au programme des corvées, la vie suivait son cours pour les anciens. Puis moins de trois mois après, nouveau coup de théâtre, mais cette fois avec une suite heureuse. En effet le 18 décembre 1977 pour la première fois en Afrique, une équipe de football en l’occurrence le HAFIA de Conakry, réussissait à conquérir pour la troisième fois le titre de champion d’Afrique. La coupe portait le nom du Président Kwamé N’Krumah alors en exil en Guinée. Pour commémorer cet évènement exceptionnel, Sékou Touré autorisa la libération de plusieurs détenus. Fait nouveau, plusieurs cadres administratifs et politiques faisaient partie du lot. Les libérations avaient commencé au bloc le 19 décembre par celle de Fatou Touré ancienne responsable nationale du Parti au niveau de l’organisation des femmes, suivie par d’autres dans l’après-midi. Djédoua Diabaté une autre responsable libérée le 20 décembre, fut la dernière à sortir du bloc. Siaka Touré était venu personnellement la chercher. Elle était encore sous la douche au moment où elle fut appelée.
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Habillée à la hâte et sortie dans la précipitation, elle s’était retrouvée sans transition hors du camp assise à côté de Siaka dans sa Mercedes en pleine ville. Si le corps était bien tranquille, l’esprit lui continuait à divaguer. Elle ne fut convaincue de sa libération que lorsque le véhicule pénétra dans la cour où résidait sa maman. Avec cette série de libérations, des places étaient de nouveau disponibles au bloc. Elles le resteront encore pour plusieurs mois. Ce qui d’ailleurs n’était pas pour nous déplaire. Puis ce fut la célébration de l’anniversaire de la fête du PDG le 14 mai 1978. Pour notre grand bonheur ce fut une occasion pour le pouvoir de délester les prisons. Ainsi à Boiro, comme à Kindia, les effectifs étaient réduits. De fréquentes exécutions et quelques libérations sporadiques avaient fini par ramener le nombre à un carré de rescapés. Le 14 mai 1978 ceux qui étaient à Kindia furent transférés au camp Boiro. Ils avaient pour noms : N’Diaye Costa, Barry Mamadou dit petit Barry, Baldé Marlon, tous trois en service à Syli cinéma, Tounkara Cellou, Bangoura Kerfalla, Roger Soumah, et tant d’autres. La plupart d’entre eux avaient déjà fait un séjour à Boiro avant leur transfert à Kindia. Ils n’étaient donc pas des étrangers au bloc, et furent immédiatement intégrés. Depuis 1971 la règle au camp Boiro était de ne jamais laisser les agents en service plus de six mois. Il fallait éviter les contacts prolongés avec les détenus pour ne pas favoriser la compassion, voire l’amitié et donc la complicité. Les dates du 14 mai et du 22 novembre, étaient les dates choisies pour le changement d’équipe. C’est donc avec surprise et inquiétude que nous avions enregistré l’arrivée en mai 1978 d’un groupe de parachutistes venu remplacer les militaires. C’était une première ! Nous pensions qu’ils étaient venus pour nous casser. Bien au contraire, ce fut pour nous une providence. En peu de temps le ton était donné. Avec leur équipe les portes étaient ouvertes à 180°. Ils furent les premiers à oser ouvrir les cellules le soir. Ensuite tous les tabous furent progressivement mis en veilleuse. Nous n’étions plus traités comme des mercenaires, espions, ou autres ennemis du peuple, mais en hommes responsables auxquels on demandait de considérer le séjour à Boiro comme une volonté de Dieu. Je crois que nous avions su mériter leur confiance, car aucun incident ne fut jamais signalé pendant leur service. Ceux-là connaissaient la valeur et la place de l’être humain. Pour expliquer leur comportement, ils nous disaient avoir eu l’occasion de sortir du pays, pour aller servir en Angola et en Sierra Leone. C’est là qu’ils ont vu et su comment les personnes étaient traitées dans les prisons politiques. Ils nous disaient toujours : « Nous pouvons très bien faire la casse, seulement quand nous avons à faire à un ennemi. Vous, vous n’êtes pas des ennemis mais des cadres valables dont le pays a cruellement besoin ».
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Grâce donc à cette nouvelle équipe, nous avons connu un réel changement au bloc. De sorte que l’hiver 1978 s’était passé dans de meilleures conditions que les précédents. Ainsi le mois de novembre était arrivé sans que l’on s’en rende compte. Le 21 novembre 1978, c’est donc avec joie que nous avons été témoins de la libération de plusieurs cadres à l’occasion de la fin des travaux de clôture du onzième Congrès du PDG. Ce jour, la presque totalité des détenus venus de Kindia en mai 1978 furent libérés. Comme cela était déjà arrivé à plusieurs reprises depuis 1971, des détenus venaient, nous trouvaient puis étaient éliminés, transférés, ou libérés, c’était aussi ça le bloc Boiro. Les jours suivants nous étions en train de faire des commentaires autour de la dernière libération, lorsqu’on nous annonça l’arrivée très prochaine du Président français Giscard d’Estaing. Cette nouvelle avait suscité beaucoup d’espoir à Boiro. Le groupe des anciens était à présent réduit à une trentaine de personnes. Nous espérions réellement voir « la dernière des cordées » sortir à l’occasion de cette visite qualifiée d’historique. En effet, pouvait-on logiquement continuer à garder en prison, des espions appointés par la France alors qu’on avait libéré le 14 juillet 1975 les agents recruteurs, et que l’on se préparait à recevoir en grande pompe le premier responsable du pays commanditaire ? La visite eut lieu, mais de libération point. Cette nouvelle déception était donc venue s’ajouter à celle du 21 novembre au cours de laquelle, des anciens compagnons avaient retrouvé leur liberté. Comme cela était arrivé à chacun d’entre nous, à des périodes plus ou moins critiques de notre séjour, j’avais flanché à mon tour. N’eût été le soutien moral de mon épouse, je suis sûr que j’aurais eu beaucoup de mal à me remettre de ce décrochage. Cidessous le rappel de quelques extraits significatifs de la lettre que je lui avais adressée à cette occasion.
Décembre 1978 « J’ai honte car j’ai flanché au moment le plus inattendu. Tu es la seule qui puisse m’écouter et me comprendre, car depuis sept ans je sais que tu ne m’as jamais réellement quitté. Après réflexion, je crois que deux phénomènes importants pourraient être à la base de ce passage à vide. − 1. Avec les libérations du 21 novembre, je me suis brusquement senti isolé car j’ai beau réfléchir, je ne peux comprendre pourquoi eux sans moi. Il n’y a aucune logique apparente dans cette exclusion et cela me révolte. Ne pouvant pas l’extérioriser alors je l’ai couvée. − 2. Mes nouvelles fonctions à l’infirmerie comme je te le disais me donnent des privilèges très rares à Boiro. Mais il y a aussi l’envers de la médaille. La blouse blanche a fait de moi un autre homme. Par la
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grâce de Dieu, j’avais jusqu’alors réussi tout d’abord à sauver, puis à préserver ma vie. A présent mon objectif était de parvenir à aider ceux de mes compagnons qui sont moralement et physiquement éprouvés. Je dois côtoyer tous les jours la misère morale et physique, la maladie et même la mort. Non pas la mienne, mais celle de tous ces inconnus que je visite quotidiennement, certains pour recevoir des comprimés, et d’autres pour une injection. Il arrivait très souvent une fois que la cellule était ouverte par l’agent, de trouver que le patient n’était plus en vie. Cette foi qui m’a aidé jusqu’alors à franchir tous les obstacles, cette foi que la blouse blanche était venue renforcer, c’est la même foi qui m’aide à cohabiter avec cette mort impitoyable qui rôde à toutes les heures devant les cellules. J’ai vu que nous n’étions que de simples petites créatures, qui passent de vie à trépas, le temps d’un pauvre petit souffle, et puis, plus rien. Tout se passe comme si on n’avait jamais existé, on disparaît et la vie continue. J’ai alors eu un brusque dégoût de la vie. Je me suis demandé si je représentais encore quelque chose pour ces enfants qui grandissent sans connaître leur père ? Si une photo pouvait remplacer la chaleur d’un baiser le matin au sortir du lit ? Surtout j’ai eu à penser à cette brave femme qui a tant souffert pendant sept ans, et je me suis demandé, s’il était encore possible de sortir de cet enfer ? Comme tu le vois j’étais au fond de l’abîme. C’est avec difficultés que je faisais mes prières. Je restais toute la journée sans prier, ce n’est que le soir avant de me coucher que je décidais de tout payer. Le pire c’est que je me sentais seul, seul loin de vous. Puis un matin j’ai repris courage, et j’ai commencé un wirdou de 41 jours pour me rattraper. Tu as raison, Dieu n’oublie personne, j’en suis de nouveau convaincu. J’ai retrouvé à présent mon équilibre et je te promets de ne plus flancher ». Effectivement j’avais retrouvé mon équilibre, je pensais à présent à ma famille, et plus précisément à ma maman. Après tous ces rendez-vous manqués, je me devais de les rassurer et de leur remonter le moral. Le nouvel an approchant, j’en avais profité pour adresser mes vœux à la famille.
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Cellule N° 65. Transfert de la cellule 5 à la cellule 65 le 20-12-1977. Libéré de cette cellule le 13 mai 1979.
Maman « Meilleurs vœux de nouvel an. Je pense que 1979 sera l’année du retour. Soyez sans crainte pour moi, Dieu me protège. Il faut tout faire pour maintenir l’unité de la famille. C’est le plus bel héritage que vous puissiez nous laisser courage. Je vous embrasse tous ». C’est sur cette note d’optimisme que j’avais terminé l’année 1978 à Boiro, pour entamer la nouvelle année.
L’année 1979 Au bloc c’est presque l’autogestion. En effet le noyau des anciens, restés en attente, avait fini par contrôler tous les secteurs de production. Le jardin pour la production et la vente des légumes, la porcherie pour l’abattage clandestin, la cuisine avec une nouvelle ration quotidienne de poissons, l’inventaire du magasin de stockage du ravitaillement et les clefs de l’armoire à médicaments à l’infirmerie. Après la libération des deux 111
femmes détenues au bloc, Fatou Touré et Djédoua Diabaté les 19 et 20 décembre 1977, deux cellules avec fenêtres étaient disponibles dans le bâtiment N°6. Depuis le 20 décembre 1977, j’avais quitté la cellule N° 1 pour la cellule N° 65, pour y retrouver Docteur Ousmane Keita. Nous avions porte ouverte 24 heures sur 24. Une certaine hiérarchie s’était imposée, de ce fait les corvées étaient à présent assumées par les moins anciens. Nos corps ayant repris un peu de forme, nous étions préoccupés par des activités spécialement intellectuelles. Les cours du bloc étaient devenus des amphithéâtres en plein air. Chacun de nous était prêt à donner ou recevoir ce qui nous avait tant fait défaut pendant plusieurs années. Le service médical étant réduit à de simples visites de contrôle, je mis le temps à profit pour prendre des cours de sténo et d’espagnol avec Coumbassa Saliou professeur de lettres, et ancien ministre de la justice. Les programmes étaient si chargés que le temps passait sans que nous nous en rendions compte. J’ai connu à cette époque une double cohabitation. En effet quelques semaines après mon arrivée dans la cellule, nous avions eu un soir la visite d’une chatte. Notre cellule était une des rares sinon l’unique à disposer d’une fenêtre avec barreaux. Assise sur le rebord, elle nous observait sans peur mais avec prudence. Je voulais savoir si c’était une habituée des lieux ? Après la réponse négative de docteur, nous avions continué nos causeries. Elle était à la même place lorsque nous nous sommes endormis. Quelle surprise lorsque très tôt le matin, j’ai vu la visiteuse sortir dessous mon lit et passer par la fenêtre. La scène s’est répétée les jours et les semaines qui ont suivi. Puis un matin, en regardant sous mon lit, je fis une découverte qui m’avait profondément marqué. La chatte était couchée sur le flanc, ses chatons en train de téter. Il y en avait trois. Le premier mot qui m’était venu dans la bouche avait été : « Allahou Akbar ». Dieu est grand. En effet, j’avais interprété cette vision comme un message d’espoir, car dans cet enfer où des hommes envoyaient d’autres hommes vers une mort programmée, DIEU nous montrait qu’il est celui qui peut donner la vie là où il veut et quand il veut. Ce fut une cohabitation des plus silencieuses. Cependant, une chose continuait à m’intriguer. Pas de bruit pas d’odeur, je voulais vérifier. Un matin, j’avais de nouveau regardé sous le lit en prévision d’un éventuel coup de balai. Absolument rien, le sol était sec et surtout aucune trace de déchet. Je n’en revenais pas. Décidément, après tant d’années à Boiro je me suis rendu compte qu’il me restait encore beaucoup à apprendre. La séparation était arrivée un matin avant la sortie des corvées. Les petits avaient à présent les pattes assez solides pour marcher mais pas pour sauter. C’est pourquoi ce jour-là, Espoir c’était son nom, était sortie par la porte avec ses chatons. C’était la première fois et aussi la dernière. Quelques semaines après, ce fut mon tour de sortir par la même porte pour la dernière fois.
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CHAPITRE VI La libération Le Retour dans la Famille Mois de mai 1979, comme à l’approche de chaque anniversaire du PDG, c’était l’espoir dans les familles et dans les cellules. D’un côté avec le frigidaire garni, et le pyjama neuf soigneusement rangé dans l’armoire, puis côté cellule où l’on avait déjà dressé la liste de ceux qui devaient hériter de la vieille couverture, de la ténue délavée, ou des ustensiles fabriqués localement. Depuis plusieurs jours déjà, bien avant la date anniversaire du parti le 14 mai, nous étions prêts et nous attendions. Dès le 9 mai j’avais expédié ma dernière note et demandé de suspendre momentanément le courrier.
L’école de la vie « Ma scolarité tire bientôt à sa fin. Dans quelques jours je serai parmi vous, revenant de l’école, celle que l’on appelle l’école de la vie. On n’y entre non sur demande ou concours, mais par simple convocation. Si pendant tout ce temps vous n’avez reçu aucun bulletin de notes, sachez qu’on n’en délivre pas. La scolarité était de cinq ans pour les promotions précédentes. Mais la nôtre qui était exceptionnelle a eu à faire des spécialités diverses. Chez nous les mauvais élèves ne sont jamais renvoyés, et tous ceux qui finissent en sortent diplômés. A maintes reprises j’ai eu à côtoyer la mort, à me familiariser avec elle, mais jamais à la souhaiter. Je l’ai combattue pour les autres et pour moimême, mais plus d’une fois elle a eu le dernier mot. Ainsi j’ai fini par comprendre que la mort n’avait rien d’épouvantable, et que la vie valait la peine d’être vécue. J’étais entré sans foi et j’en ressortirai plein de foi. Foi en moi-même car j’ai appris à mieux me connaître. Foi en vous, épouse, enfants, maman et parents, qui n’avez jamais cessé de croire en moi et d’espérer.
Foi en DIEU car en ces lieux et dans ces circonstances, il était impossible de croire à d’autres lois que les siennes. C’est ainsi qu’il m’a appris que : Là où il y a la liberté Là est le paradis sur terre Là est la seule patrie de l’homme » Ce fut ma dernière note.
Ma libération A présent que tout avait été réglé il fallait attendre, et comme dit un proverbe bien guinéen : « Lökhè boukhi nan na, lökhè fâtaré mou na » : « Des jours lointains, il y en a toujours, mais jamais de jour qui n’arrive pas. » Le 13 mai vers 20h00 je me trouvais à l’infirmerie, lorsque le major Sakho fit son apparition. Il venait tout droit du bureau de Siaka Touré. « Je crois qu’il va y avoir libération, dit-il, on vient tout juste d’amener la liste. Je n’ai pas pu la lire mais je pense que l’opération est imminente ». Je venais tout juste de raccrocher ma blouse blanche. Les détenus avaient rejoint leurs cellules, mais les portes étaient restées ouvertes. En rejoignant ma cellule, j’avais eu le temps de propager la bonne nouvelle sur mon passage. Trente minutes plus tard, le papier était arrivé au poste de police. Nous étions dix-huit sur la liste. A notre sortie du bloc nous avions fait un bref arrêt au bureau de Siaka Touré le temps de recevoir les dernières recommandations. Puis comme tout le monde, j’avais reçu un certificat de libération en date du 13 mai 1979, confirmant que j’avais été gracié par le Responsable Suprême de la Révolution. Après cette formalité nous avons été livrés dans nos différentes familles comme des colis. Quant à moi, je fus ramené chez mon oncle car j’ignorais le domicile de ma famille. D’ailleurs, même si je le savais je ne pouvais pas le dire, sans que l’on me demande comment je l’avais su. Arrivé au quartier Sans-Fil, en franchissant la porte du salon pour aller me jeter dans les bras de ma tante, j’ai dépassé sans même m’y attarder, un adolescent qui était à la porte. Puis le pointant du doigt ma tante me dit : « Voilà ton fils. » Alors, en une fraction de seconde j’avais pu mesurer le temps passé en prison, et tout le préjudice fait à ma famille. Après avoir embrassé mon fils, je fus conduit coutume oblige, au bord de la mer pour un bain de purification, tout juste derrière les bureaux des anciens combattants, tout un symbole. De là j’ai été conduit accompagné de
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mon fils à Dixinn dans la concession familiale. Ma femme qui avait été informée par ma tante, n’avait pu attendre à la maison. Elle avait donc décidé d’aller à Dixinn à notre rencontre. Quel bonheur de retrouver mon épouse, ma mère et mes sœurs. Il avait fallu à ma tante beaucoup de tact et de persuasion pour m’arracher à la foule des voisins et amis du quartier, où tout le monde connaît tout le monde. Puis ce fut le départ pour la maison, celle qui allait devenir maintenant ma maison. Par coïncidence il se trouvait que le 13 mai était la date anniversaire de Yayé Aye une belle sœur. Lorsque je suis arrivé le premier à la porte du salon, les décibels et la lumière inondaient la pièce. Personne ne faisait attention, car personne dans l’assistance ne me connaissait. Puis tout s’est arrêté tout d’un coup, lorsque mon épouse qui était derrière est rentrée à son tour. La soirée d’anniversaire était achevée, et une autre commençait pour moi, qui allait se prolonger presque jusqu’au petit matin, avec les visiteurs qui venaient voir et toucher l’extraterrestre que j’étais. Au milieu des pleurs des proches et la curiosité des autres visiteurs, une lueur d’espérance pour l’avenir. On dit que bon sang ne peut mentir. C’est ainsi qu’après avoir embrassé ma fille qui avait quatorze mois à mon arrestation, et qui avait eu ses neuf ans à présent, celleci était sortie en courant pour aller interpeller ses copines. « Venez voir moi aussi j’ai un père ». Je crois que c’est à partir de ce moment que je me suis senti réellement libéré. La première semaine de liberté est toujours épuisante. Beaucoup de mains à serrer, et très peu de visages retenus. Surtout des nuits blanches au cours desquelles nous avions eu à revivre en huit jours, huit années d’absence. Puis par Décret N° 210 en date du 21 mai 1979, j’apprenais avec étonnement que j’avais été effectivement condamné et emprisonné à la prison civile de Conakry. Moi qui croyais avoir fait tout mon temps au camp Boiro, je ne me retrouvais plus. J’avais oublié que la République Populaire et Révolutionnaire de Guinée, n’avait pas de détenus politiques. Je n’étais que le quatre cent vingt-trois (423ème) détenu de droit commun ayant bénéficié d’une remise sur une peine de durée inconnue, à l’occasion de la fête du PDG. Après ma sortie, je fus très soulagé par le soutien moral et matériel de ma famille. Avec ma première voiture offerte par mon oncle Linseni, je m’étais tout d’abord rendu à Dalaba où se trouvait ma belle-famille afin de pouvoir profiter non seulement du climat et de la quiétude des lieux, mais aussi pour passer quelques bons moments auprès de ma belle-mère et de ma fille qui s’y trouvait. Après ce séjour, faute d’autorisation de sortie pour l’extérieur, j’avais pu finalement profiter de la généreuse hospitalité de mon ami d’enfance Coumbassa Abdoulaye, dit Durac, directeur des douanes à Kamsar une ville industrielle située à 300 kilomètres de la capitale. Ainsi grâce à ses relations, j’ai pu bénéficier gratuitement d’une prise en charge
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par l’hôpital de la compagnie dont les équipements et le personnel étaient de très grande qualité. Finalement les dégâts physiques étant circonscrits et jugés acceptables, il me restait une dernière obligation.
La cérémonie de ma reconversion Ma reconversion avait eu lieu en prison. Ce qui y avait été fait pouvait être considéré comme suffisant pour la circonstance. Après ma libération, j’avais tenu à refaire la cérémonie dans une mosquée et surtout avec la participation de la famille et des proches. Malheureusement cela se fit en l’absence de mon oncle Linseni décédé depuis. Ce fut pour moi un grand regret, mais nous étions impuissants devant la volonté de Dieu. C’est pourquoi j’avais tenu à ce que la cérémonie ait lieu à la mosquée de Sans-Fil, celle qu’il fréquentait. Ce fut une cérémonie émouvante et inoubliable. En plus des membres de ma famille, j’avais hautement apprécié la présence d’El Hadj Boubacar le fils de l’Almamy, venu spécialement de Mamou en compagnie de son jeune frère Docteur Barry Kandia, un compagnon de Boiro. C’est à l’occasion de ce baptême que je décidai de prendre comme prénom Alsény, en souvenir de mon oncle. Sans affectation et sans travail, je continuai mon repos. Cependant, j’étais mal à l’aise car il me manquait quelque chose. Une partie de moi était encore à Boiro. A défaut de pouvoir l’en sortir, il fallait l’assister moralement et matériellement. J’avais ainsi réussi à maintenir le contact avec les derniers compagnons au bloc, et à continuer à faire de fréquentes visites dans leurs familles. Bien entendu il y avait d’autres détenus à Boiro, car depuis sa construction cette prison n’a jamais été vidée de la totalité de ses occupants, excepté le jour de l’agression du 22 novembre 1970, lorsque les agresseurs étaient venus ouvrir les portes et libérer tous les prisonniers. Les anciens, ceux de ma promotion, ceux-là étaient une partie de moi-même. Il aura fallu attendre le 22 novembre 1980, pour que je sois enfin complètement libéré, car Yoro Diarra, Keita Ousmane, et Diallo Alpha Abdoulaye Portos étaient revenus chez eux. Ils étaient les derniers survivants de la 5ème colonne.
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CHAPITRE VII Ce que j’ai retenu Plus de vingt-cinq années après ma libération, il m’arrive toujours de penser à la prison. Je ne peux pas oublier, car je ne dois pas oublier. C’est vrai que les souffrances sont vécues, et que beaucoup de souvenirs sont dilués. Mais il y a des visages qui continuent encore à me hanter, des cris qui me reviennent en écho, et surtout des paroles et des écrits, devenus comme des messages non transmis. Ce que j’ai retenu ce sont des messages posthumes, confiés aux murs des cellules, et les confidences, d’un brave et inoubliable infirmier major affecté dans les prisons pour sauver les apparences, et qui finalement, deviendra un sauveur pour les détenus. En fin de compte, je retiens que pour tous ceux qui ont pu sortir des camps de la mort, il a fallu mener une lutte acharnée et quasi quotidienne pour la survie. Cette survie nous le devons à Dieu, à la foi, et aussi à l’aide précieuse et providentielle du major Sakho, et de certains agents qui ont risqué leur vie pour nous aider à survivre et à briser notre isolement. C’est donc la survie qui a favorisé la libération.
La survie au bloc La vie au bloc, c’est la vie dans les cellules. En effet, pour les personnes arrêtées dans le cadre de la cinquième colonne, (1970-1971), tous les records ont été battus. − nombre d’arrestations. − nombre de lieux d’incarcération. − nombre de morts. − durée de détention. − diversité des formes de liquidations massives (pendaisons exécutions - diète noire - tortures) Il aura fallu résister pendant cinq années de claustration complète, avant de commencer à parler de vie extracellulaire.
− 1. Quand on était seul enfermé dans une cellule, pendant des mois voire des années, c’était le terrible isolement et ses corollaires : neurasthénie, dépression. − 2. Quand on était à deux dans une cellule, le baromètre variait suivant l’humeur du compagnon. La cohabitation pouvait être détendue et pleine d’intérêts, si le compagnon était sociable. Par contre, la cellule devenait un enfer, lorsqu’on tombait sur un sujet « type Boiro », c’est-à-dire une « bête sociale ». − 3. Le cas le plus fréquent était la cohabitation à plusieurs. Il y avait certes des avantages, car vous aviez un choix d’interlocuteurs. Par contre, les problèmes et les risques de tensions étaient beaucoup plus fréquents. La journée à l’intérieur de la cellule, il y avait un semblant de détente, car les interrogatoires étant programmés la nuit, on avait comme un moment de répit. Pendant ce temps, chacun s’occupait à sa façon. Les communications, les discussions, les disputes, et même les bagarres qui étaient sanctionnées par des punitions ou diètes à durée limitée de 1 à 5 jours se faisaient toujours dans la journée12. La nuit, c’était la veillée car dès le crépuscule, commençait le concert de portes qui s’ouvraient et se refermaient, suivi quelque temps après, de lamentations pour ceux qui étaient torturés à la cabine technique, dont les cris parvenaient comme des suppliques. Nous étions alors en proie à une angoisse d’une intensité rare. Assis ou allongé, le sommeil n’était possible qu’après le premier chant du coq, prélude à la prière du matin et l’annonce d’une nouvelle journée de répit. Il ne fallait surtout pas se laisser déprimer par l’environnement et la monotonie pour finalement se laisser gagner par le désespoir. A cet effet, il y avait des antécédents qui n’immunisaient pas mais favorisaient une meilleure adaptation, voire une plus grande faculté de résistance à l’anéantissement physique et moral. A savoir : − le service militaire − l’internat − l’aventure − une vie carcérale antérieure D’une façon générale, la survie dépendait en grande partie des activités physiques et intellectuelles qu’il fallait à tout prix inventer à l’intérieur des cellules et plus tard, à l’extérieur dans la cour. Cependant le fondement primordial de toute survie aura été de façon indéniable, LA FOI. 12
Voir document annexe.
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Le quotidien Si vous réussissiez à élaborer un programme de survie, alors vous aviez le temps de penser et réfléchir pour essayer de comprendre l’univers dans lequel vous viviez. La première chose qui vous frappait c’était le nombre important d’agents qui avaient pour mission de vous surveiller pendant vingt-quatre heures, au moment où vous étiez enfermés avec loquets à l’extérieur. En cas d’urgence, lorsque vous frappiez à la porte pour signaler un cas de maladie, c’était toujours trois agents de corps différents qui se présentaient : un Militaire, un Gendarme et un Garde Républicain. Alors vous compreniez que vous étiez bien gardés, et votre gardien (homme de quart) très bien armé. Puis un jour, au moment où vous vous y attendiez le moins, la porte s’ouvrait brusquement devant une équipe d’agents, et vous entendiez le major du bloc venu chercher votre compagnon malade dire : on va l’amener à l’hôpital. Ce sera par le bruit particulier de l’ambulance qui seule entre au bloc, que vous saurez les jours ou heures qui suivront que votre ancien compagnon vous a quitté pour toujours. Le bloc ne tenant pas de registre de décès et pour cause, le major marquera quelque part sur un simple cahier, ou une feuille, pour mémoire et compte rendu « cellule N° X détenu décédé par suite de longue maladie. » Pendant ce temps dans les cellules, la vie s’organisait, des amitiés se nouaient, et les expériences s’accumulaient. Un jour, sans raison apparente, les portes des cellules sont ouvertes les unes après les autres, devant une équipe d’agents munie d’une liste. Lorsque le mouvement avait lieu la nuit, pas d’erreur possible c’était pour une exécution. Si c’était dans la journée, alors c’était un transfert. Puis avec le temps, en observant sous les portes pour voir ce qui se passait au dehors, vous étiez alors révoltés de voir qu’il y avait une catégorisation parmi les détenus qui ressemblait fort à de la discrimination. En effet, un Européen arrivant au bloc avait droit à un lit, une couverture, un régime alimentaire de survie appelé spécial avec de la salade, du pain, un beefsteak, la douche à des intervalles irréguliers, et la porte entrouverte pendant quelques heures. Il arrivait très souvent que le plat de beefsteak soit sans viande, malgré tout il était appelé beefsteak. Au même moment, le détenu africain quel que soit son rang social, était couché à même le sol, enfermé 24 heures sur 24 heures, se nourrissant de riz blanc et d’eau tiède salée en guise de sauce. Les diètes de sanction étaient-elles aussi le plus souvent, réservées aux Africains. Quand par chance vous réussissiez à vous faire examiner par le docteur européen détaché au camp Boiro pour des visites médicales périodiques, vous vous rendiez vite compte que ses prescriptions étaient rarement appliquées par le chef de poste central du bloc. Le temps passant, les compagnons aussi changeaient car vous étiez déplacé sans consultation et sans motif apparent. Ce qui fait que dans le
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même camp Boiro, vous pouviez passer de la Tête de mort au Poste X, pour finalement échouer au bloc. Alors, si vous étiez curieux et lettré et que votre vision n’était pas trop altérée, vous pouviez vous rendre compte que les murs de Boiro parlent à travers les écritures et les graffitis.
A la Tête de mort (bâtiment situé à l’entrée du camp Boiro) − Mes amis rien n’est plus cher que la liberté individuelle. − Chers compatriotes, sortir de son pays pour des raisons de famille, n’est pas un signe de non-patriotisme. Mais y revenir sans aucune contrainte est un acte de patriotisme, et un amour pour le régime en place. − Donc dans cette vie-là, quand tu seras heureux tu compteras assez d’amis, et quand tu seras dans le sombre, tu resteras seul. Alors camarade du courage et de la patience. Signé MATHIAS. − Oousmane Ivoirien et Safifou Diallo. − Le courage et la vérité sont des actes politiques payants. − Cheick Kéita dit ICKE. − Oui attention, il existe un DIEU créateur. − Camarade soyez le bienvenu car le destin est inévitable. − Unissez-vous, rien n’est éternel, et tout passe au fil du temps. Oubliez les soucis. − NB : A la tête de mort, il n’y a pas de craie, pas de charbon, et même plus d’ongles pour gratter les murs. Les inscriptions ont été faites avec les excréments des détenus, parfois avec leur sang.
Au Bloc Boiro, au hasard des cellules : − Dieu Tout Puissant libérez-nous. Que la haine des dirigeants devienne de la pitié pour nous (cellule N° 67). − Le capitaine Lamine Kouyaté est mort fidèle au peuple, à la Révolution, à Ahmed Sékou Touré, torturé, condamné par Moussa Diakité le 09 juillet 1976 avec le faux, pour haine, fierté, règlement de compte, grandeur personnelle. Mais là, LAMINE, un jour le peuple et l’histoire lui donneront raison, et l’honoreront PPR. (prêt pour la révolution) vendredi 10 octobre 1976 − Œuvres de tant de jours en un jour effacées. − Une mauvaise direction politique ne peut réaliser une Révolution.
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− I believe to day on my African Brotherhood. This is my last word before my death. − The revolutionary movement shall for ever succeed, because we are convinced face to that wonderful movement. − J’ai toujours servi une cause juste, et pour ce faire, j’ai utilisé l’arbitraire. J’étais chargé d’arrêter tous ceux qui sont susceptibles d’exprimer la volonté populaire. Je n’ai compris que lorsque je fus arrêté à mon tour le jour fatidique arriva. (cellule N°72). Signé Fodéba Kéita. − Un jour Sékou Touré sera mis à nu, et ce jour-là, le monde saura qui il est réellement. Signé Emile Cissé
Le corps à corps ou la lutte pour la survie : les corvées Quand vous aviez réussi à passer le cap des cinq années, vous étiez devenu une épave humaine. Mais grâce à Dieu, avec le temps et les épreuves, le moral s’était forgé et la détermination à vivre était devenue encore plus grande. Par conséquent on était volontaire pour toutes les corvées car en fin de compte, l’air libre et les mouvements étaient des facteurs indispensables de survie dans la longue et pénible marche que représentait la vie en prison. Au début, les corvées étaient réservées à ceux qui avaient réussi à sauvegarder une certaine vigueur. Mais au fil du temps et grâce à la détente, nous avions fini par créer d’autres corvées mieux adaptées et moins physiques. Cela a commencé tout d’abord à l’intérieur des cellules, ensuite sous les vérandas, pour finalement nous retrouver au-dehors dans le jardin, ou quelque part dans la cour sous les arbres. Si les corvées se sont diversifiées vers la fin du séjour, les retombées étaient différentes d’une corvée à l’autre. 1- La porcherie : C’est au cours du deuxième semestre de 1974 que les deux premiers porcs sont arrivés au bloc. Ils évoluaient en liberté dans la cour au moment où toutes les cellules étaient encore fermées. Ils passaient devant les cellules dévorant tout ce qui traînait. A plusieurs reprises, ils avaient d’ailleurs eu à goutter à nos plats posés devant les cellules avant l’ouverture des portes. L’expérience aidant, nous avions très vite compris l’avantage que nous pouvions tirer de cette situation. On dit dans les versets coraniques que le Prophète Mohamed (paix et salut sur lui) a dit de ne pas manger du porc car c’est une souillure. Il se trouve qu’à Boiro la souillure était mieux traitée que les détenus. Il faut aussi savoir que toutes les
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confessions religieuses y étaient représentées. Il y en avait même qui étaient entrés croyants et qui avaient cessé de croire, tel Kanté Soumaoro mon compagnon à la cellule n°26. Dans tous les cas, en ce qui concernait les musulmans, Dieu et son Prophète n’auraient aucun mal à comprendre les pensionnaires du bloc, tant étaient pure et grande leur foi et forte leur volonté de sauver leur vie. Nul doute que par l’opportunité offerte par la corvée, les porcs avaient rendu d’énormes services. C’est pourquoi très peu d’entre nous avaient pu finalement résister à la tentation. Face à la famine et à la malnutrition, l’instinct de conservation avait prévalu. C’est donc sur nos subtils conseils qu’une porcherie avait été construite, avec des box séparés et un bassin d’eau. Beaucoup de détenus se sont ainsi retrouvés du jour au lendemain hors des cellules. Tout d’abord pour la construction, puis pour la nourriture et l’entretien. A tout Seigneur tout honneur, les deux premiers porcs avaient été envoyés par Siaka Touré, commandant du camp. Puis le chef de poste central et son adjoint avaient à leur tour ramené une paire chacun. C’est à cette occasion que beaucoup d’entre nous avaient pu approcher cet animal car, chez nous, les quelques rares personnes qui en faisaient l’élevage s’installaient à la périphérie des villes. Nous avions ainsi pu nous rendre compte que l’animal avait très bon appétit et qu’il était aussi très fécond car en quelques mois seulement la centaine était dépassée. Il fallut donc trouver des signes distinctifs pour chacun des propriétaires. C’est à ce niveau que je devais intervenir en ma qualité d’infirmier de service, pour couper les oreilles des jeunes pourceaux. Naturellement la hiérarchie avait été bien respectée en la matière. Un trait pour ceux de l’adjoint, deux traits pour le chef de poste, et trois traits pour le capitaine Siaka Touré. Il y avait des échantillons vraiment dignes d’intérêt, « Delphine » étant de loin la préférée de tous. Finalement, par entente tacite entre le major responsable du magasin où se trouvait l’huile de cuisine, le chef de poste, et les détenus, il arrivait très souvent que Fadama Condé décidât de l’abattage d’un porc. La comptabilité était tenue par Diawara Ibrahima, chef des corvées. Il n’y avait donc aucun risque que cela apparaisse dans les archives du bloc. La cuisson se faisait toujours de nuit. Pendant que les hommes s’affairaient à la cuisine, je prenais ma blouse blanche pour distribuer une ration générale de comprimés Ganidan contre la diarrhée. En effet avec le temps et l’expérience des précédentes distributions de viande de porc, cela avait provoqué des diarrhées dans plusieurs cellules. De ce fait j’avais dû me transformer en pompier le matin pour laver certaines cellules à grandes eaux, car il y avait encore beaucoup de handicapés au bloc. Je me trouvais à ce moment à la cellule n°1, en compagnie de Diallo Laho, qui était de corvée à la porcherie. Très souvent je l’entendais raconter comment il avait trouvé le matin des pourceaux morts dans les boxes. Finalement j’avais suggéré au docteur Kéita Ousmane de faire appel à nous pour constater les décès, car
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mon ami revenait chaque soir avec une boîte Guigoz pleine de viande et de graisse après une longue escale à la cuisine. Merci à Delphine et à tous les autres car sans eux, beaucoup de détenus n’auraient jamais eu l’occasion de goûter à la viande en prison. 2- Le jardin : Le porc est connu pour sa voracité. Il fallait trouver une solution peu coûteuse pour l’alimentation des animaux dont le nombre augmentait très rapidement. Le son non produit sur place devait être acheté. C’est ainsi qu’est née l’idée d’un jardin, toujours sous l’instigation des détenus. Le but premier du jardin était de produire de la nourriture pour les cochons et non pour les détenus. Une deuxième vague de prisonniers fut ainsi sélectionnée. Il ne restait plus qu’à trouver les outils de travail (pelle, daba, râteau). Il restait un troisième élément pour la bonne réussite de l’entreprise : l’engrais. La solution fut vite trouvée. Une fosse sceptique se trouvait le long du mur d’enceinte, côté corniche derrière le bâtiment n°6. Des bassines furent rapidement achetées pour le transport du matériau. Finalement Laho et moi étions les seuls volontaires pour cette corvée. Une vraie découverte que de vider une fosse sceptique de prison. Notre attention avait tout d’abord été attirée par une multitude de taches blanches qui surnageaient. C’étaient des graines d’aubergines résultant des bouillons améliorés. Assurément les cochons n’étaient pas les seuls à profiter des produits du jardin. Puis au fur et à mesure que nous remontions le sceau, des objets de toute nature étaient extraits du trou. Cependant, notre plus étonnante découverte au cours de cette corvée aura été « des cartes du parti PDG », repêchées dans cette eau trouble et nauséabonde. Nous n’avions pas voulu jeter ces documents par terre comme les autres objets, il fallait les remettre dans le trou car c’était bien là leur place. Quand la fosse était pleine, on en sortait dix-sept bassines d’engrais bio. Le soir, après cette corvée, nous étions obligés de faire une toilette préliminaire avec du désinfectant avant de passer sous la douche. J’avais d’ailleurs remarqué que pendant les vingt-quatre heures qui suivaient cette opération, les femmes détenues ne passaient plus par le jardin pour aller à la cuisine. Avec le jardin un vocabulaire nouveau avait été inventé, à savoir « bouillon reconditionné » obtenu en prenant l’eau chaude et salée qui était servie en guise de soupe, à laquelle on ajoutait les légumes dérobés au jardin, (aubergine, salade, piment). Nul doute que grâce au jardin et à ce bouillon, les détenus dans leur majorité ont connu une réelle amélioration de leur ordinaire.
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Bâtiment n°6. Avec, au fond, le réduit servant de local pour la vidange journalière. 3- La cuisine : Depuis la création du bloc Boiro, la cuisine pour les détenus était faite à l’extérieur du camp Boiro. Un véhicule militaire était chargé d’assurer le transport des bassines de riz sans couvercle, pour les livrer aux différents lieux de détention : le bloc, le poste X, la tête de mort, tous les trois situés dans le camp Boiro, et aussi le camp Alpha Yaya situé à plus de dix kilomètres du camp Boiro. Le militaire qui était chauffeur du camion me confia en 1984, après le changement de régime, que la consigne était de « toujours retarder la livraison des repas ». La consigne avait été bien respectée car les repas étaient toujours livrés à des heures irrégulières. Il avait fallu attendre l’année 1976 pour voir la cuisine transférée au bloc : deux grosses marmites de campagne. C’est bien ce qu’il nous fallait, car nous étions réellement en campagne. N’eussent été les arrivées successives de nouveaux pensionnaires, la foi et la cuisine en cellule, la campagne se serait assurément terminée faute de survivants. Les préposés à la cuisine étaient aussi chargés du partage du riz devant les cellules. Pendant ce temps, les compagnons restés en cellules s’occupaient de la préparation du bouillon amélioré. Avec les produits du jardin ajoutés à un morceau de poisson, le tour était joué grâce à la boîte de « Guigoz » en aluminium, une boîte d’allumettes, et quelques brindilles ramassées au-dehors. Malgré la chaleur
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dégagée par les marmites de campagne, c’était tout compte fait la corvée la plus convoitée. 4- Les poulets : Après les libérations en grand nombre enregistrées au cours de l’année 1976, le bloc était quelque peu décongestionné. Les cellules n° 74, n° 75, n° 76 proches de la vidange furent désaffectées pour servir de poulaillers. Le chef de poste avait très tôt compris qu’il pouvait utiliser la main-d’œuvre à bon marché qu’il avait à sa disposition. Ainsi deux détenus avaient pu trouver une occupation utile. A longueur de journée il fallait suivre la volaille pour l’empêcher d’aller au jardin, ou vers le poste de police. Par contre, l’entrée des cellules n’était pas interdite pour les poulets. C’est ainsi qu’un jour Sow Ibrahima vit deux poulets se suivre et entrer dans sa cellule dont la porte était entrebaillée à Harlem. Sans bruit et sans se faire remarquer, il tira tout doucement sa porte, puis ni vu - ni connu. Le lendemain les deux corvées-poulets ont arpenté tout le bloc à la recherche des manquants. Il avait fallu plus de 48 heures pour convaincre le chef de poste de leur disparition. Finalement il avait cru à une évasion car il existait des trous d’évacuation dans les murs d’enceinte. Quinze jours après cet évènement, on vit un matin des plumes de poulet coincées dans le trou d’évacuation d’une cellule du bâtiment n°40. Vérifications faites, Sow Ibrahima avait mangé les poulets crus. Il avait été trahi par les plumes, seules parties non consommées de son copieux repas. Acte de lèse-majesté qui lui coûta une diète de punition de plusieurs jours. A la fin de sa diète, il était si faible qu’il était tombé près d’un arbuste en allant vider son pot. Nous étions tous passés à côté de lui en allant à la vidange sans oser lui porter secours. Au moment de regagner nos cellules, il était toujours couché à la même place. Le lendemain le 17 juin 1977 nous devions apprendre le décès de Sow Ibrahima, originaire de la république du Mali (Nioro du Sahel). 5- La corvée bois (la vraie) : La corvée bois était limitée à trois personnes. Deux par candidature et la troisième par désignation d’office. A partir de 1977, les femmes détenues restées au poste X avaient été autorisées à faire elles-mêmes leur cuisine. Cette mesure tout à fait exceptionnelle n’était intervenue que lorsque les responsables du camp avaient estimé qu’une telle faveur était possible compte tenu du nombre réduit de pensionnaires. Leur ravitaillement en bois était assuré à partir du bloc où le bois était entreposé et fendu. L’acheminement se faisait ensuite par un agent. Grâce au concours de Djedoua Diabaté, j’avais réussi à faire partie de cette corvée tant convoitée. Elle donnait droit après chaque séance à une douche et un poisson frit, une vraie aubaine. Quant à l’approvisionnement de la cuisine du camp, il était assuré mensuellement par un camion militaire. Le bois déversé au portail côté cour était acheminé au magasin à bout de bras, grâce
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à une double chaîne humaine. Pour l’empilage du bois au magasin dans la cellule n° 48, Diallo Laho et moi en avions le monopole car nous maîtrisions mieux la technique dans ce domaine. L’autre corvée bois : À la prison de Kindia, quand une exécution était programmée on entendait les agents parler de « corvée bois. » En effet les liquidations se faisaient très souvent dans les bois, au pied du mont Gangan, ou sur la route de Mamou dans la zone de Gomba. 6- La cour du bloc Boiro : Le nettoyage de la cour a été ma première corvée, et de loin l’une des plus importantes. Cela se passait en 1976. Pour réussir il fallait avoir un bon intermédiaire et savoir profiter des opportunités. Je resterai toujours reconnaissant à l’ex-commissaire Diarra Condé, un compagnon de détention, qui avait joué le rôle d’avocat auprès du chef de poste du groupe n°2 car ce dernier était moins allergique à la sortie des cadres intellectuels pour les corvées. De ce fait, je faisais relâche chaque fois que Fadama Condé et son équipe étaient de garde. Au cours de cette corvée, je glanais beaucoup de renseignements tout en évitant de parler à mes interlocuteurs. Couchés sous les portes de leurs cellules, les détenus pouvaient très facilement me parler, à voix basse au moment où je donnais d’innocents coups de balais dans les différentes cours du bloc. Je devais rester muet et éviter de tourner la tête car la sentinelle veillait et elle ne devait pas voir mes lèvres bouger. A la fin de la corvée, après avoir eu l’occasion de passer devant les six bâtiments, j’avais toutes les nouvelles du bloc et de la ville. Nous étions principalement intéressés par les mouvements de nuit (Arrivées, interrogatoires, départs, etc.). Encouragé par les résultats obtenus, je m’étais porté volontaire pour assurer la fonction d’éboueur. Il s’agissait de laver à grandes eaux le WC réservé aux hommes de garde et le local réservé à la vidange des pots. Je n’avais eu aucun mal pour avoir l’accord du chef de poste, car c’était de gré à gré, faute de concurrents. Ainsi j’avais eu à assumer cumulativement le rôle d’éboueur et de balayeur jusqu’au mois de mai 1976. A partir de cette date, j’avais dû abandonner ces deux postes à la suite d’une « promotion », pour devenir jardinier. 7- Le poisson : Avec l’arrivée des marmites au bloc, il n’a pas fallu longtemps pour voir cette autre activité assurée par les détenus, sous la surveillance de deux gardes républicains : Niassa Mamadou et Keita Mamady. A cette occasion, la corvée poisson avait été installée tout juste devant ma fenêtre à l’infirmerie. Le choix de ce lieu par le chef de poste répondait à deux exigences. La confiance n’excluant pas le contrôle, il fallait d’une part être à portée de vue des deux gardes en charge de la cuisine. D’autre part le travail du poisson nécessitant de l’eau, il fallait le concours de l’infirmerie où se trouvait le seul robinet du poste de police. Malgré cette
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surveillance, il m’était arrivé plus d’une fois de voir un poisson volant passer par la fenêtre pour atterrir à l’infirmerie. Bien entendu, il y avait toujours une boîte vide sous la table pour la circonstance. C’était la part du docteur Gomez, car à Boiro tout porteur de blouse blanche était appelé docteur. 8- Des spécialisations : à côté des corvées dont le nombre et les exigences excluaient d’office les plus âgés et tous ceux qui n’étaient pas aptes pour le travail physique, d’autres activités avaient été créées par les détenus, au fur et à mesure que l’étau se desserrait sur nous. Entre autres : − Pour la réparation des matelas et lits picot, sans conteste le spécialiste était le lieutenant Laurent Gabriel Cissé, un officier des services de renseignements devenu pensionnaire au bloc. − Pour le travail du carton et de la cordonnerie, il fallait s’adresser au docteur Baba Kourouma, ex-gouverneur de la ville de Conakry. − Quant aux anciens, car ils n’aimaient pas qu’on les qualifie de vieux, à savoir, Diop Alhassane, ex-ministre, El Hadj Fofana Mamoudou, ex-ministre, Condé Sory, ex-gouverneur, ils s’occupaient de l’atelier bois et métaux. Sur commande, avec bien entendu la fourniture de matériau par le client, vous pouviez avoir votre assiette métallique transformée en marmite (capacité 6 quarts). Certains préféraient les tabourets ou des damiers. Après notre sortie, beaucoup d’agents possédaient encore chez eux des outils ou objets d’art produits dans les ateliers de Boiro. − Il y avait une autre équipe avec : Emile Kantara, ancien responsable syndical à la société Fria, ancien directeur administratif, Mamadi Camara dit chinois, ancien ambassadeur en Chine, Blaise N’Diaye, ancien membre de la Direction à la société Fria. Ces trois étaient les spécialistes pour le travail du carton et du papier couleur. Vous aviez le choix entre : les médailles, les boucles d’oreilles, les bracelets ou d’autres jouets ou objets de toutes sortes et de toutes dimensions. Les femmes et les enfants détenus du poste X représentaient tout naturellement la principale clientèle de cet atelier. − Comme il se doit. A tout Seigneur tout honneur. Monseigneur Raymond Marie Tchidimbo, ancien archevêque de Conakry, était sans concurrent dans sa spécialité. En effet, il était le maître incontesté du pinceau pour le travail de l’aquarelle et la confection des sacs. A Boiro, où l’on nous disait que même l’air que nous respirions était une faveur, il était superflu de préciser que le détenu n’avait qu’un droit : celui d’attendre avec résignation la mort qui lui était réservée. C’est pourquoi dans la lutte pour la survie tout lui était permis. Ainsi le vol était
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devenu la spécialité de certains détenus qui s’étaient particulièrement distingués par leur ingéniosité.
Les techniques de vol 1- Faire tomber accidentellement le sac de riz : Au moment du déchargement, il fallait réussir à faire sortir deux personnes de la même cellule en corvée de riz. La première se positionnant dans le camion pour défaire la couture du sac de riz et la deuxième comme volontaire pour le transport du riz. Une fois arrivé en face de la cellule, le sac devait tomber accidentellement. Les grains ainsi répandus étaient tirés sous la porte, par la troisième personne restée à l’intérieur. Le riz recueilli était stocké pour être distribué chaque jour afin d’être croqué avec ou sans eau. 2- L’usage de la ficelle à nœuds : Au moment de la fermeture permanente des portes durant les « années cailloux », on utilisait la méthode Roger Soufflet du nom d’un Français qui travaillait à la société Jean Lefèvre. L’outil de travail était constitué par une mince ficelle avec un grand nœud. Puis au moment du partage que l’on pouvait facilement connaître à cause du bruit des assiettes en aluminium sur le ciment de la véranda, le filet était négligemment sorti sous la porte en bois. Si par bonheur l’un des plats était posé au milieu du nœud, il suffisait de tirer tout doucement sur la ficelle pour amener le plat sous la porte avant l’arrivée du deuxième groupe d’agents chargés de l’ouverture des portes. En comptant le nombre de plats posés et le nombre de détenus dans la cellule, il était facile de convaincre ceux-ci que l’erreur venait du poseur d’assiettes. Il faut préciser qu’avant l’ouverture des portes le plat subtilisé était déjà sous un carton, ou tout simplement posé sur le pot dont le couvercle blanc complétait le camouflage.
Le service médical 1959. C’est l’année à laquelle le groupe de bâtiments qui allait devenir le bloc Boiro reçut ses premiers pensionnaires. A cette époque il n’existait aucun service médical pour les détenus. 1965. Toujours pas de service médical. Il a fallu le courage d’un chef de poste, en l’occurrence l’adjudant-chef Bayo Souleymane, pour oser attirer l’attention des autorités sur cette situation. Grâce à cette initiative, Niang Séni avait ainsi pu être sauvé alors qu’il en était à son quatrième jour de coma. Cela n’avait été possible que grâce à la visite à Boiro du docteur Najib Roger Accar alors ministre de la Santé, accompagné de El Hadj Sinkoun Kaba, conseiller et homme de confiance du président Sékou Touré. Avant le
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démarrage de ce qui allait être baptisé « complot Petit Touré », en novembre 1965, tous les pensionnaires de Boiro furent évacués dans d’autres prisons à l’intérieur du pays. Quant au courageux chef de poste, il sera accusé, arrêté et exécuté en 1965. 1966-1970, création du service médical. C’est en décembre 1970 que le major Mamadouba Sakho, alors major adjoint à l’infirmerie du camp Boiro fut affecté comme volontaire pour assurer le service médical au bloc. Son prédécesseur le major Diallo, qui aurait été dénoncé par les assaillants du 22 novembre 1970, avait fait partie du groupe des pendus du 25 janvier 1971. En prenant donc service en décembre 1970, le major Sakho avait découvert une situation tragique dans les prisons. En guise d’infirmerie, il trouva un local exigu et dépourvu de tout équipement. Le reste étant tout à l’avenant : − des blessés laissés sans soins, avec des plaies aux bras provoquées par les ficelles de la cabine de torture. Par manque de bandes et de médicaments, plusieurs blessés étaient déjà atteints de gangrène. − dans des cellules de moins de onze mètres carrés, on entassait plus d’une douzaine de personnes. Le manque d’eau et d’air aidant, la gale apparaissait et se propageait par contagion rapide. − les furoncles et les diarrhées étaient le lot de toutes les cellules, sans parler de l’hypertension et de l’insuffisance cardiaque. − un seul infirmier major pour soigner plus de deux mille détenus, éparpillés dans deux camps (Alpha Yaya et Boiro) distants de près de dix kilomètres. Les objectifs étaient clairs. Le major, malgré toute sa bonne volonté, n’était en réalité qu’un arbre servant à masquer la forêt. En voici le programme :
Le matin − Visite des familles des gardes républicains logés dans l’enceinte du camp Boiro. − Visite des détenus du bloc. − Visite des détenus du camp Alpha Yaya.
L’après-midi − Visite des détenus du poste X (à l’intérieur du camp Boiro). − Visite des détenus de la Tête de Mort (à l’intérieur du camp Boiro).
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A titre d’exemple, il est mentionné dans le registre de la main courante du bloc Boiro le 16-11-1970 une visite du major, au cours de laquelle 41 détenus furent visités en 40 minutes. Assurément un record difficile à battre ! Mais en 1970-1971 pouvait-on réellement parler de visite médicale ? La pratique des soins par correspondance étant la seule admise, il fallait diagnostiquer et soigner à distance. Exemple : Le détenu souffrant devait frapper à la porte pour se signaler. La sentinelle suivant son humeur ou l’heure tardive refusait très souvent de se déplacer. C’était toujours pour elle un dérangement. D'ailleurs très souvent pour toute réponse, le fautif était menacé de diète. De rares fois la porte de la cellule était ouverte, et l’on vous demandait de quoi vous vous plaigniez. Si l’appel avait lieu la nuit, on vous promettait de faire la commission au major le matin. Si l’appel avait lieu de jour, le major était informé si toutefois l’appel coïncidait avec le moment de sa visite au bloc. En fin de compte, les détenus avaient cessé de tomber malade la nuit, les dimanches et jours fériés. A tout choisir, la maladie était devenue plus supportable que la diète. C’est ainsi que par réflexe conditionné, toutes les portes restaient silencieuses jusqu’au moment précis où le major franchissait le grand portail du bloc. En effet, il avait à peine porté sa blouse blanche à l’infirmerie que le concert de portes démarrait. Pendant plusieurs années cela avait été une énigme pour lui. Toujours disponible, il attendait l’arrivée de l’homme de garde qui lui annonçait : « cellule n° X, maux de tête, maux de ventre, fièvre etc. » Puis en retour, vous receviez un cornet de un ou deux comprimés d’aspirine, de ganidan, ou de chloroquine, suivant le cas. L’on était très content même si les maux de tête couvaient une hypertension, et la diarrhée une fièvre typhoïde. Comme il fallait s’y attendre, nous étions tous devenus en fin de compte des comédiens et des mimes hors classe. Il fallait apprendre à se rouler par terre en se tordant le ventre, savoir ouvrir de grands yeux et simuler l’évanouissement, l’étouffement ou l’agonie pour ébranler la sentinelle et le chef de poste qui, finalement autorisait le major à se déplacer pour se rendre devant une cellule. Quand nous étions seuls à l’infirmerie quelques années plus tard, le major Sakho me parlait des bouffées de chaleur qui l’agressaient, au moment de l’ouverture des portes. Très souvent, il se rendait compte de la mise en scène, ainsi il entrait dans le jeu pour nous soulager, car il savait que le manque d’air était la cause de beaucoup de nos problèmes. Pour tromper la vigilance de la sentinelle, il se mettait alors à converser avec nous, car chacun en profitait pour exprimer ses doléances. Le bol d’air ainsi reçu était pour nous comme un remontant. Finalement, voyant que la conversation se prolongeait, la sentinelle rejoignait son poste de garde laissant le major en conversation médicale avec nous, ceci en violation des consignes de sécurité. Il devait en retournant au poste de police refermer la cellule derrière lui. Cependant, il lui arrivait très souvent d’oublier de le
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faire. Pendant ces durs moments, le major se trouvait confronté à des difficultés liées au comportement des chefs de poste. Candidat volontaire pour servir au bloc, il s’était retrouvé face à des geôliers dont l’affectation au bloc était motivée pour la grande majorité par leur prédisposition à la torture. La période 1971-1974 fut celle d’une psychose de peur collective. A commencer par les détenus dont la plupart avaient été témoins des pendaisons du 25 janvier 1971, et des discours de Sékou Touré invitant la population à se rendre dans les prisons et massacrer les détenus à la moindre tentative de déstabilisation du régime. Du côté des hommes de garde, certains malgré tout étaient inquiets devant cette série de violences et de massacres qui semblait ne plus s’arrêter. Quant au major, il me confiera plus tard : « Je ne dormais pas la nuit. Affecté au bloc pour soigner et soulager les détenus, je me rendais compte que tout ce que j’avais trouvé en place avait pour objectif la destruction de l’homme ». Par conséquent, j’avais toujours peur que mes conversations lors des visites devant les cellules ne soient mal interprétées par les chefs de poste. Malgré sa bonne volonté et son dévouement, le major se sentait incapable de faire face à cette dramatique situation. Pour y remédier, il prit une première initiative en faisant venir un infirmier de la garde républicaine. Ce dernier s’appelait Kéita Yankaba, il devait s’occuper des injections et des pansements. Puis comme deuxième décision, deux militaires en poste au bloc furent retenus pour subir une formation rapide auprès de Yankaba. Ils avaient pour noms caporal Leno Meno et caporal Kamano Yandi. C’étaient de solides gaillards qui étaient plus aptes à manier la corde autour des coudes et des poignets que d’apprendre à utiliser une seringue. Si les accidents de travail furent fréquents et multiples, contre toute attente, les dégâts furent finalement limités. Malgré tous ses efforts, le nombre et la gravité des cas dépassaient de loin les compétences de l’équipe médicale en place. Face à un tel constat, le major sollicita auprès du capitaine Siaka Touré l’affectation d’un médecin qualifié. La réponse fut favorable à condition d’en prendre un parmi les détenus. Mieux, il avait marqué sa préférence pour le docteur Ousmane Kéita, ancien Directeur général de Pharmaguinée. C’est donc sous forme d’ordre que le chef de poste central enregistra l’affectation du docteur Ousmane Kéita à l’infirmerie du bloc. Ce fut un soulagement pour tout le monde. Avec le temps et de la patience, le service médical fut finalement organisé par docteur Keita, avec la collaboration du docteur Kozel, un dentiste tchèque en détention, et docteur Barry Kandia, un anesthésiste. Grâce aux efforts de l’équipe, un microscope fut installé à l’infirmerie pour les analyses de selles. Finalement, beaucoup de patients de la ville venaient déposer leurs demandes d’analyse à l’infirmerie du camp. La raison était
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simple : les médecins des hôpitaux parlaient toujours du sérieux et de la fiabilité des résultats pour les bulletins établis au camp Boiro. Les familles des gardes, les patients de la ville et les médecins n’avaient jamais su que ces examens étaient effectués par des ouvriers, tailleurs, ingénieurs, ou gendarmes, détenus au bloc Boiro, et qui étaient devenus par nécessité laborantins et infirmiers. Il s’agissait entre autres de : Samba Bangoura, Camara Daouda, Gomez Réné, Camara Himi. Pour soulager les malades souffrant de rage dentaire, le docteur Keita avait réussi à passer commande de matériel dentaire dont des seringues dentaires, différents leviers avec anesthésie. Une fois le matériel mis en place, on avait fait appel au docteur Kozel ancien dentiste à Kankan. Il avait pour mission l’initiation du major. Cependant, à titre exceptionnel et avec accord spécial du commandant Siaka Touré, des malades dont les cas étaient jugés très sérieux étaient transportés de nuit sous forte escorte pour consultation gynécologique, neurologique ou psychiatrique à l’hôpital Donka qui se trouvait face le camp Boiro. Si par malheur le commandant était hors de portée au moment de l’urgence, alors il n’y avait d’autre solution que de s’en remettre à Dieu. Par bonheur s’il était présent, le major devait à chaque fois prendre son courage à deux mains pour lui soumettre les cas jugés très sérieux, en sa double qualité de commandant du camp et membre permanent du Comité Révolutionnaire. Plus d’une fois, des cas signalés étaient restés sans réponse, malgré l’urgence et la gravité de la situation. Dans de tels cas il arrivait que le major respectueux de son serment revienne à la charge une deuxième fois. A une seule occasion, il avait osé insister pour une troisième tentative. Cela avait failli lui coûter cher car pour toute réponse il reçut une demande d’explication, avec réponse à fournir par écrit. Depuis ce jour l’on comprendra qu’il n’ait plus jamais osé récidiver, pour le plus grand malheur des détenus. Tel fut le sort de Mama Aissata Sylla, une ménagère de Kindia, arrêtée à l’occasion du soulèvement des femmes du 27 août 1977. En détention au poste X, elle était finalement morte à l’hôpital Donka après un transit de plusieurs heures à l’infirmerie du bloc. Ce jour-là, le commandant n’était pas à la maison. La malade n’avait pu être admise à l’hôpital que très tard dans la nuit après son retour. Comme un malheur ne vient jamais seul, il n’y avait même pas de lit disponible. Le major avait dû se rabattre sur le bloc Boiro, et c’est un détenu qui avait immédiatement mis son carton par terre pour céder son lit picot. Malgré tout, ce geste de solidarité n’avait pas été utile car de retour à l’hôpital le major n’avait pu que constater les faits, elle était morte. C’était le 24 janvier 1978. L’infirmerie du Camp Boiro initialement réservée aux agents et à leurs familles fut un moment utilisée pour éviter les déplacements à Donka où les détenus étaient toujours exposés malgré toutes les précautions. Le docteur Dimov, de nationalité bulgare, était le médecin consultant. Il avait pour
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mission l’examen des cas jugés très sérieux et signalés au bloc, au poste X et au poste de police du camp Alpha Yaya. C’était une bonne initiative qui avait finalement connu des résultats peu satisfaisants. En effet, beaucoup trop de malades avaient perdu la vie par la faute des hommes de garde à cause du retard mis pour signaler les urgences, quand ils ne refusaient pas tout simplement de le faire. De plus, le docteur Dimov n’avait jamais eu accès au bloc. Quant au major, il n’était pas autorisé à se rendre devant une cellule sans l’accord du chef de poste et en compagnie d’un homme de garde. Ainsi la machine volontairement grippée n’avait jamais pu fonctionner normalement. Finalement, le docteur Dimov n’avait eu à intervenir que dans de très rares cas. C’était d’ailleurs très souvent des détenus expatriés. Il faut préciser que les consultations chez docteur Dimov étaient très souvent suivies de recommandations pour un régime de faveur, à savoir : ouverture de la porte, port de chaussures, plat de salade ou augmentation de la ration de riz. Très souvent, ces prescriptions furent totalement ignorées par le chef de poste qui était en définitif seul habilité à les mettre en exécution.
Quelques interventions à l’infirmerie du bloc : − Phlegmon diffus : Opération pour Bangoura Fodé Momo un jeune chauffeur arrêté en 1977. Sans cette opération, ce jeune aurait très certainement perdu sa jambe. − Prolapsus de l’utérus, remise en place de l’utérus pour Marie Camara, arrêtée à l’occasion de la révolte des femmes du 27 août 1977. − Ascite : Ponction pour Abdou Rada un jeune métis libanais de Coyah qui n’avait malheureusement pas survécu à la prolongation de sa détention. − Quant à Momo Bandé dit Momo le riz, par trois fois il fut déclaré mort dans sa cellule par les hommes de garde. Heureusement pour lui, et pour nous tous, la règle voulait que le major soit le seul habilité à constater les décès. Il se trouve qu’à chaque fois, dès que le major se présentait, il relevait alors la tête et criait « Bandé », en clair « donnez-moi du riz ».
Des scénarios de libération A partir du moment où l’on avait franchi la grande porte d’entrée du camp Boiro, il faut savoir qu’à toute heure, de jour ou de nuit, le détenu pensait à la libération. Et pourtant, le moment de la libération a toujours été
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une surprise pour chacun d’entre nous. De ce fait, chacun l’a accueillie et vécue différemment. A cet effet, revenons sur quelques cas :
Le cas de Diop Alhassane ancien ministre Il faut rappeler qu’il avait été arrêté en 1971 à Labé où il était en mission. Son arrestation avait eu lieu alors qu’il présidait une soirée artistique à la maison des jeunes dite Kolima. Sa libération s’était déroulée comme son arrestation, c'est-à-dire d’une façon inattendue. Il raconte dans une lettre écrite après sa libération, adressée à un de ses anciens compagnons El Hadj Fofana. « Le 25 janvier 1980, à 9 H 00, Siaka Touré est venu en personne me chercher au bloc et me conduire immédiatement à l’aéroport au bureau du commissaire. C’est à ce moment qu’il me dit que j’allais revoir ma famille. Il m’avait alors remis un livre sur le séminaire idéologique des étudiants de l’Institut Polytechnique de Conakry, ainsi dédicacé par le président Sékou Touré : « A mon frère Alhassane Diop, sentiments fraternels ». Embarqué à 13 H 00 dans l’avion d’Air Sénégal, Siaka avait ordonné à l’équipage de décoller alors que l’horaire prévu était 15 H 00. Nous avons donc décollé à 14 H 00 ; arrivés à Ziguinchor à 17 H 00 puis à Dakar à 18 H 00. Voilà comment les choses se sont passées pour ma libération. Pour en arriver là, il a fallu l’intervention de ma femme Adèle auprès de Issa, lequel a vu le président Senghor qui est finalement intervenu auprès de Sékou Touré. Cela se passait en décembre 1979. Le 24 janvier 1980, Sékou Touré téléphone à Senghor pour ma libération le 25 janvier 1980. J’étais très fatigué et surtout je ne voyais plus clair. Il y avait trop de lumière, tout était blanc. » Dakar, le 12 février 1980 Diop Alhassane »
Le cas de Baldé Mariama Dalanda Elle était élève au moment de son arrestation à Labé le 15 septembre 1971. Elle fut détenue à la prison de Kindia et libérée à l’occasion de la victoire du Hafia Football Club le 18 décembre 1977. Elle raconte : « Dans la nuit du 18 au 19 décembre 1977, le chef de poste Cissé était venu nous trouver pour nous dire : Prenez vos bagages on a besoin de vous à
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Conakry. Nous sommes toutes restées sans réaction. A son arrivée dans la salle TF où se trouvaient les garçons, nous avions entendu les détenus crier leur joie. Alors et alors seulement, nous avons compris que le grand jour était enfin arrivé. Nous étions entassées dans un camion bâché, tels des moutons en route pour Conakry. En arrivant au camp Boiro, nous étions toutes fatiguées et à demi paralysées. Il était 23 heures lorsque nous nous sommes retrouvées devant Siaka Touré. Ce dernier nous dit : « A la suite de la victoire de Hafia, le chef de l’Etat a pensé à vous gracier ». Ainsi, les premiers libérés furent déposés à domicile à partir de minuit. Le groupe dit de Labé dont nous faisions partie, fut confié au camp Boiro à l’adjudant-chef Fofana car nous avions besoin d’être remontées. C’est seulement quatre jours après notre libération que l’adjudant-chef Fofana nous conduisit chez le président Sékou Touré pour le remercier. Après les salutations d’usage, Fofana avait pris la parole pour parler à notre place. Sékou Touré avait baissé la tête pendant près de quinze minutes. Il avait même cessé d’écrire pour mieux se donner un air de circonstance. Puis s’adressant à notre groupe, il dit : « Les pauvres innocentes, à partir d’aujourd’hui, je vous adopte comme mes propres enfants ». Il était alors dix heures. Il nous avait invitées à attendre dans la salle jouxtant son bureau et appelé salle du Haut Commandement. L’attente se prolongeant, nous étions finalement en proie à une peur indescriptible car nous pensions qu’on allait nous ramener en prison. Nous évitions même de bavarder par peur des micros qui devaient être très certainement branchés pour nous écouter. En fin de compte, nous nous sommes couchées dans les fauteuils et nous avions fini par nous assoupir. A dire vrai, nous n’avions plus confiance en lui. A l’heure du repas de midi, nous avions été invitées à sa table. L’après-midi, après notre retour au camp Boiro, quelle ne fut pas notre surprise quand nous nous sommes rendu compte que le camp était en effervescence. Les copains et les copines d’enfance avaient envahi le camp pour venir nous saluer. Les gens criaient, certains pleuraient, il y en a même qui tombaient en syncope. Le samedi suivant nous avions pris l’avion pour Labé. Arrivées à l’aéroport nous avions été témoins d’un spectacle indescriptible qui n’avait d’égal que les réceptions de Sékou Touré. A ma descente d’avion, je me souviens encore je tremblais comme une feuille morte, à la vue de mon jeune frère devenu un grand gaillard. De l’aéroport on nous avait conduites à la rivière pour nous purifier conformément à la tradition. Il n’y eut pas de marché ce jour-là à Labé. La ville était sous l’effet d’un indescriptible remue-ménage. Les gens venaient des villages lointains pour nous voir et nous toucher car nous revenions d’un autre monde. » Tous les détenus qui ont eu la chance de survivre et bénéficier de la libération savent qu’entre la prison et le retour à la maison, il existait une formalité incontournable : le transit au bureau du commandant du camp Siaka Touré. Plus que des recommandations, c’étaient des consignes claires
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et sans équivoque qui indiquaient, s’il en était encore besoin, que la libération n’était pas la liberté, sinon tout juste une liberté surveillée. Mais quand vous réussissiez à sortir du pays comme Petit Barry, alors vous aviez le courage de libérer votre mémoire et faire parler votre plume pour oser raconter à une veuve les derniers jours de son époux.
Devoir de mémoire C’est par devoir de mémoire, mais surtout à cause de son caractère pathétique que j’ai décidé de publier la lettre ci-dessous. Lettre de Mamadou Barry dit Petit Barry adressée à madame Touré Sékou Sadibou, une française dont le mari a été son compagnon de cellule à la prison de Kindia avant d’être fusillé le 18 octobre 1971. « Mme C. Touré C’est Nadine qui m’a donné votre adresse. Je n’ai jamais eu l’honneur de vous connaître. Nous ne nous sommes jamais fréquentés. Le destin a voulu que je me trouve en prison avec Touré Sékou Sadibou du 15 août 1971 au 18 octobre 1971. Malgré ces faits connus de tous mes parents et amis, après notre arrestation le 14 juin 1971, Sékou Touré convoqua un grand meeting au palais du peuple « nous venons dit-il de prendre le réseau le plus dangereux et le plus nocif, celui de la 5ème colonne de l’Information ». Reprenant son souffle et se composant un visage de circonstance, il ajouta, « nous n’avions pas suffisamment de véhicules pour procéder à l’arrestation de tous les traîtres. Une jeep fut envoyée pour prendre Touré Sékou Sadibou, et à la grande surprise des gendarmes, on le trouva attablé autour de bouteilles de champagne. Outre Sékou Sadibou, tout le réseau de l’information : les Petit Barry, Costa N’Diaye, Cissé Fodé, etc. C’est donc Dieu qui nous a aidés. Grâce à la fathia, tous ont été capturés au même moment ». Sadibou riait de bon cœur quand on lui racontait les mensonges fabriqués sur notre compte, nous qui ne nous sommes jamais connus auparavant. Durant le temps que nous sommes restés ensemble, Sadibou était très jovial, plein d’humour. Toujours direct, franc, et honnête. Pour meubler le temps, chacun de nous à tour de rôle racontait les choses de sa vie passée. Le détenu ressemble à un homme qui s’est arrêté, à un moment de sa vie, pour s’observer et jeter un regard critique sur son passé. Quand on rêve de liberté, on pense tout naturellement à Paris, à la France. Sékou Sadibou aimait à nous raconter des souvenirs de Paris. De tous les détenus, seul Sow Jules (libéré le même jour que moi et actuellement à Paris) connaissait la capitale française aussi bien que lui. Il évoquait le café de la Paix et ses voyages en province. Jusqu’au dernier jour, il était d’un optimisme
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débordant. Chaque matin, nous procédions à la revue des rêves de la nuit précédente. C’était toujours Claudine qu’il voyait dans ses rêves, Claudine et les enfants. A tout moment, elle lui faisait des signes. Il essayait de la rejoindre, mais des obstacles insurmontables se dressaient sur son chemin. Je me souviens en particulier d’un rêve où il l’avait vue toute habillée de blanc. Signe prémonitoire s’il en est. Ensemble, nous consultions des voyants de circonstance. L’un d’eux se servait d’un chapelet qu’il tenait suspendu à ses doigts, et qu’il balançait de droite à gauche et de gauche à droite. Nous faisions des listikharas (versets que l’on récite avant de s’endormir pour voir en rêve ce qui va arriver). Nous essayions d’analyser les évènements et de prévoir ce qui allait advenir de la Guinée et de nous-mêmes. Avant d’en arriver là, comme tous ceux qui l’avaient précédé à la salle de torture, Sadibou avait fini par accepter la « vérité du ministre. » En effet, quand, à coups de diètes entrecoupées de tortures, Emile Cisse et Mamady Keita eurent raison de sa ténacité et de sa résistance, il finit par lire le texte que les deux inquisiteurs avaient préparé. L’un d’eux, tenant en main la bande enregistrée, regarda Sadibou en face, le souffleta et dit triomphant : « Maintenant chien, je peux te tuer puisque tu as fini de dire ce que nous voulions ». Sadibou, réduit à l’impuissance, les menottes aux poignets, leur répondit par un sourire. Je voudrais que vous sachiez que Sadibou n’était pas le seul à subir ce genre d’humiliation. Nombreux sont les détenus qui ont reçu des coups de poings au ventre ou à la figure, donnés par des gendarmes. Ces faits et ceux que je rapporte m’ont été racontés par Sadibou lui-même. Quand il fut mis à la diète la première fois et qu’on lui donna du papier pour soi-disant rédiger sa déposition avec un topo à l’appui pour l’aider, plus une liste de gens à dénoncer, Sadibou rédigea un long document dans lequel il expliquait dans quelles circonstances il avait connu son homonyme l’actuel chef d’Etat guinéen, comment, à cause de leur « tokoroyah » homonymie, il le reçut et l’hébergea chez lui à Paris, lui assurant gîte et couvert. On dit en Afrique qu’un homonyme est plus doux que la viande de chèvre. Dans cette première déposition donc, Sadibou expliquait que c’est précisément à cause de l’amitié qui le liait à son homonyme, et sur la demande de ce dernier, qu’il accepta de venir s’installer en Guinée et d’y investir 450 millions de francs CFA. Quand Emile Cissé et Mamady Keita prirent connaissance de ce document, ils devinrent furieux. Ils se précipitèrent dans la cellule de Sékou Sadibou. Et alors Emile déclara « tu te fous de nous, si tu as été arrêté c’est que tu es coupable. Ce que tu viens d’écrire voilà ce que nous en faisons » et il déchira le papier. Il remit Sadibou à la diète pour neuf jours. Au 9ème jour, Mamady Keita et Emile Cissé se présentèrent devant lui avec un document rédigé à l’avance. « Nous avons voulu t’aider, Sadibou, car nous ne voulons pas te voir mourir de faim ». Ils le sortirent de la cellule pour lui faire
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respirer un peu d’air, lui servirent une tasse de quinqueliba chaud (pour rincer la gorge) et approchèrent le micro pour l’enregistrement. Sadibou était convaincu qu’on ne nous ferait aucun mal. En tant que malien d’origine et de surcroît citoyen français, il se croyait protégé. « Tu vas voir mon Petit Barry, dans quelques jours, dans quelques semaines, ils vont venir nous prendre, nous envoyer à Foulayah, cité résidentielle près de Kindia pour nous retaper, nous donner à boire et à manger en pagaille et nous libérer ». De cela, il n’a jamais douté. Dans ces lieux de solitude où l’homme a le temps de ressasser son passé, d’évaluer de façon critique sa vie, ses fautes et gestes, Sadibou tira certains enseignements qu’il me confia. J’étais devenu son confident. Il ne se fiait qu’à deux personnes dans la salle, Baldé Oumar (OERS), qu’il appelait « mon beau » parce qu’il était marié à une Malienne, et moi-même. Sadibou, donc, tirait les enseignements suivants : − A sa sortie, il renoncerait définitivement à la Guinée, mais il n’était pas prêt d’oublier ceux qui étaient à l’origine de ses malheurs. − Il comptait aussi se rapprocher de ses parents du Mali. A ce sujet, il me raconta un voyage mémorable qu’il avait fait à Kati, et qui l’avait beaucoup impressionné à cause de la chaleur de l’accueil. − Il avait des projets de nouveaux investissements au Mali, en Mauritanie. Naturellement, comme j’étais devenu son confident et ami, il me proposait de travailler avec lui à la sortie. Je lui répondais invariablement que je ne me sentais aucune vocation particulière pour les affaires. − A tous les vieux de la salle TF (Travaux Forcés), et à l’imam de notre salle, il promit des billets d’avion pour le pèlerinage à la Mecque. Il me racontait par le menu ses différents pèlerinages à la Mecque. Lors de son premier pèlerinage il fit le vœu suivant : Si Allah lui donnait un garçon, il donnerait le nom au Prophète. Claudine conçu. C’était un garçon. Il donna le nom de son père. La deuxième fois, il fit une prière spéciale, s’excusa auprès de Dieu de n’avoir pu tenir sa promesse, et réitéra ses vœux. Claudine conçu encore un garçon : il donna au bébé le nom de son Grand-Père. Ainsi, me précisa Sadibou, j’ai menti deux fois à Dieu, mais je suis sûr qu’il ne m’en veut pas pour autant. Ma femme étant particulièrement prolifique, elle me donnera encore un garçon qui portera le nom de l’Elu. J’avais remarqué que sa conception de la religion était d’une pureté et d’une simplicité admirables. Pour lui, Dieu était un Patriarche formidable qui nous regardait vivre et nous aimait comme ses enfants, s’accommodant de nos défauts et de nos vices, propres à la nature humaine. Alors de temps en temps on pouvait le « rouler ». Comme il n’est ni rancunier, ni vindicatif (contrairement aux hommes), comme
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il est amour, nos peccadilles ne tiraient pas à conséquence. Sadibou savait être bon. C’était pour lui l’essentiel. − Sadibou savait aussi que Ismaël Touré lui en voulait personnellement de n’avoir pas abandonné la compagnie de Balla Camara, après la dislocation de leur groupe. Des membres de ce groupe (Ismaël Touré, Fodéba Keita, Alhassane Diop, Conté Seydou, Barry Baba, Balla Camara, Sékou Sadibou Touré), seules deux personnes ont échappé : Conté Seydou parce qu’il a quitté le pays à temps, et Alhassane Diop libéré après neuf ans d’incarcération sur intervention du président Senghor, après la fameuse réconciliation (Ivoiro-Guineo-Sénégalaise) à la conférence de Monrovia en 1977. En un mot, Ismaël est personnellement responsable de la fin tragique de tous ses anciens amis. − Sadibou savait également que ceux qui avaient juré sa perte s’appelaient : Ismaël Touré, Mamady Keita, Emile Cissé. Sékou Sadibou fait partie des détenus qui furent ligotés dans la cour de la prison de Kindia, jetés dans des camions, et transportés vers des lieux inconnus. Par les judas des portes des cellules où nous nous trouvions enfermés, nous observions cette scène inénarrable. Nous reconnûmes Mamady Keita, tenant une liste à la main. Les hommes chargés de ligoter les détenus portaient des masques noirs. Chaque fois que Mamady Keita ouvrait la bouche pour épeler un nom, le lieutenant Sidi Sakho, chef de la prison que les détenus appelaient « S.S », orientait les feux de sa torche vers la cellule de l’intéressé. Les hommes masqués se précipitaient vers la cellule et s’emparaient du détenu avec une rare brutalité. Cette nuit-là c’était le 18 octobre 1971 vers 2 heures du matin, Sékou Sadibou, Baldé Oumar OERS, Barry Mody Oury, fils de l’Almamy de Mamou, Diallo Oury Missikoun, inspecteur général des affaires administratives, Massa Koivogui, ex-secrétaire fédéral de Macenta et d’autres fils de Guinée furent sortis de la prison dans des conditions telles que leur exécution ne faisait aucun doute. Ainsi la mort surprit traîtreusement Sékou Sadibou, lui qui ne pouvait admettre que l’homme fût inquiétant pour son semblable. Mais ce qui intéressait la Mafia qui avait organisé toutes ces rafles d’hommes, de femmes et d’enfants, c’était le coffre-fort de Sékou Sadibou. Il fut ouvert, on y trouva paraît-il, or, diamant et autres pierres précieuses. La rumeur se propage que la fortune de Siaka Touré a commencé ce jour-là, par le détournement à son profit d’une partie importante des biens de Sékou Sadibou. Ce fut un pillage en règle qui ne laissa rien : vaisselle, tapis, tableaux, etc. Tout les intéressait. Le souvenir que je garde de Sékou Sadibou peut se résumer en un mot : la bonté.
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Je le revois encore, dominant de sa haute taille la salle TF, les gestes amples et larges, le rire franc, la démarche hâtive de celui qui est pressé de réaliser quelque chose d’important, le regard non pas dominateur ni orgueilleux, mais doux comme le rayon du soleil du petit matin. Lui n’en voulait à personne. Ce qui l’intéressait, c’était de faire fructifier ses affaires et jouir du bonheur de vivre avec sa famille, ses parents, ses amis. Comme tout Africain digne de ce nom, il croyait en l’amitié. Il savait certes qu’Ismaël Touré lui en voulait d’être resté fidèle à ses amis dont Balla Camara, mais il ne pouvait imaginer que cela lui aurait valu la prison et la mort. J’ai pensé qu’il était de mon devoir de vous transmettre le message de Sékou Sadibou. Ses enfants et vous-même Madame, vous ne devez plus pleurer, mais vivre dans le culte du souvenir de votre mari qui fut homme dans le sens le plus noble de ce terme. Je voudrais me hasarder à souhaiter que le premier des enfants de Sadibou qui aura un fils lui donne le nom du Prophète Mohamed. Paix et Salut sur lui et sur tous ceux qui ont souffert et sont morts en martyrs, victimes de la haine et de la folie d’hommes aux mains pleines de sang ». Ce récit aussi douloureux soit-il, est assez éloquent et révélateur, pour prouver aux Guinéens et à tous ceux qui suivaient ce qui se passait en Guinée, que toutes les dépositions étaient orientées et rédigées à l’avance, avant d’être finalement enregistrées après tortures et diètes punitives. Pour comble du raffinement, certains tels que l’ex-ministre Portos, avaient eu l’ultime occasion d’échanger quelques amabilités au téléphone avec le Responsable Suprême de la Révolution, à partir de la salle du Comité Révolutionnaire. Pour d’autres par contre il n’hésitait pas à prendre sa plume pour les inviter à aider la Révolution. Ce fut le cas pour Emile Cissé, le commandant Mara Sékou Kalil, et bien d’autres. Quant au lieutenant Mamadou Kamissoko, ce fut très certainement pour lui une surprise très vite transformée en cauchemar. En effet, que l’on soit ministre, fonctionnaire, paysan ou marchand, l’on pensait tout naïvement que les tortures et autres traitements spéciaux étaient le fait de la seule commission du Comité Révolutionnaire, donc ignorés du président de la république. Mais tout était à présent clair avec la lettre manuscrite qui commençait par : « mon Frère Kamissoko », et qui se terminait par une terrible injonction : « dis-nous donc toute la vérité si tu veux vivre, vivre désormais au sein de ton peuple. Signé Ahmed Sékou Touré ». Ce qui est sûr, c’est que les quelques centaines de survivants parmi les milliers d’arrestations emporteront dans leurs tombes beaucoup d’autres souvenirs qu’ils n’oseront jamais évoquer. C’est comme s’ils avaient honte de continuer à jouir de la vie sans les autres, tous les autres dont les noms se sont retrouvés un jour sur une liste et qui ont été
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extraits des cellules, pour ne plus jamais revenir. Et pourtant Dieu sait qu’ils n’étaient pas moins innocents que les survivants. Pour ma part, sans oublier les derniers compagnons laissés en cellule, j’étais occupé à redécouvrir ma famille. Alors, j’avais pu mesurer combien les miens avaient souffert pendant mon absence.
Les tracasseries d’une famille de détenu A commencer par les enfants, d’innocentes créatures, l’avenir du pays, parce que les parents étaient arrêtés, ils étaient obligés de rester à la maison, car on les montrait du doigt dans les écoles, alors que les grands n’avaient d’autre choix que l’exil. Les miens ont été épargnés parce qu’ils n’avaient pas atteint l’âge de scolarisation, car à l’époque les maternelles étaient très rares pour ne pas dire inexistantes. Mon premier fils, qui avait quatre ans au moment de mon arrestation, portait le nom de mon père Joseph, mais tout le monde l’appelait familièrement Jo, c’était mon compagnon. Nous sortions toujours ensemble les après-midi, pour aller visiter les parents et les amis. Il était toujours sagement couché sur la banquette arrière de la voiture. Quant à sa petite sœur, elle portait le nom de l’épouse du ministre Karim Bangoura, par amitié pour elle, et par respect et admiration pour lui. Esther puisqu’il s’agit d’elle, n’avait que quatorze mois au moment de mon arrestation. Nous habitions une villa sur les hauteurs de l’aéroport. Chaque jour à mon retour du bureau, je la trouvais immanquablement à quatre pattes, en haut de l’escalier du garage en train de m’attendre. Sans montre à consulter, et ne pouvant demander l’heure, j’avais toujours été intrigué par cette ponctualité. J’avais fini par comprendre que son secret n’était autre que son ouïe qui lui permettait déjà à cet âge d’identifier le bruit du moteur de la VOLGA de papa, dès le moment où je quittais la grande route pour attaquer la colline où se trouvait notre maison. Elle avait toujours droit au premier baiser. C’était un bébé adorable, et moi un père comblé, jusqu’à cette fatidique nuit du 22 septembre 1971, où j’avais dû quitter la maison sans les embrasser de peur de les réveiller. Le 23 septembre, un jour inoubliable pour nous tous. Pour Papa qui venait de vivre sa première nuit de prisonnier. Pour les enfants qui ne comprenaient pas l’absence de leur père à la table du petit déjeuner, et surtout pour leur maman qui savait tout mais qui ne pouvait rien leur dire. C’était une situation dramatique qui ne pouvait pas rester sans conséquences pour les enfants. Ma belle-mère, informée par mon ami Madany Kouyaté, était venue de Dalaba dès le lendemain de mon arrestation pour ramener avec elle notre fille traumatisée.
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Alors mon épouse de raconter : « Après chaque arrestation, c’était le même scénario dans toutes les familles. Comme les autres épouses ou parents de détenu, je faisais la tournée des commissariats et des permanences du Parti, afin d’avoir des informations sur le lieu de détention de mon époux. Les recherches étant infructueuses, le doute n’était plus permis, le camp Boiro était la destination finale. Un no man’s land où personne n’osait s’aventurer. Les soirs, j’avais les oreilles, les yeux et toute mon attention rivés sur le poste radio à l’heure des informations de la Voix de la Révolution, la seule et unique radio nationale. Une rubrique retenait principalement mon attention : les dépositions, au cours desquelles les dénonciations étaient suivies immédiatement d’arrestations. Si par bonheur le vôtre n’avait pas fait de déposition, et n’avait pas non plus été dénoncé, alors vous aviez une nuit de répit et 24 heures de sursis, en attendant les prochaines informations de 20 heures, mais aussi et surtout une raison d’espérer, si minime soit-elle. En effet l’on croyait naïvement que celui qui n’avait pas eu à déposer pouvait s’attendre à une libération assez rapide. Et dire que plusieurs détenus ont été fusillés sans même jamais avoir eu à déposer ! Mais de cela, nous qui étions encore en liberté ne pouvions l’imaginer, et encore moins y croire. Si par malheur la déposition passait, alors c’était la consternation, et c’est ce qui était arrivé le 12/11/1971 lorsque j’avais entendu la déposition de mon époux à la radio. A partir de ce moment, il n’y avait plus de doute possible. Il fallait se préparer à toutes les éventualités. Dans un premier temps, l’ami de la famille, le docteur Traoré, était venu prendre notre fils Jo pour l’amener avec lui à Kindia, à l’Institut Pasteur où il assumait les fonctions de Directeur général. Puis il fallait quitter la maison. Fort heureusement, j’avais pu faire une permutation avec un officier de l’Aviation militaire qui avait servi à Dalaba, donc qui connaissait ma famille. Ainsi, à partir de 1972, ma petite famille s’était trouvée engagée dans un processus qui allait devenir un vrai parcours du combattant. En effet, comment oublier ce jour où je fus convoquée au comité du Parti, un acte de divorce avait été préparé, et l’on m’invitait à y apposer ma signature. Bien entendu, je refusai de m’exécuter, et c’est à partir de ce jour que je pris la décision de ne plus me rendre aux réunions du Comité du Parti. En 1973, les ennuis n’étant plus au niveau du Comité, c’est l’administration qui prendra le relais. Malgré les difficultés, je m’efforçais d’être ponctuelle à mon service, celui des « Biens Saisis » où j’avais été affectée. Ce service dépendait directement de la présidence de la République où le secrétariat était en grande partie assuré par mes camarades de promotion. Grâce à elles, je fus informée qu’une lettre avait été adressée au président de la république par monsieur M’Bemba Diakaby, le directeur des services
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rattachés à la présidence. Ce dernier signalait que sa secrétaire était l’épouse d’un membre de la 5ème colonne, dans un service considéré comme stratégique. La réaction ne se fit pas attendre. Par décision n° 535/FPT du ministère de la Fonction publique et du Travail, je fus affectée à Dubréka, une ville située à 50 kilomètres de Conakry. C’était le 6 avril 1973. Nous étions logés à la cité Dufour Hugon (Samorem), après un transit de plusieurs mois au quartier de Matam (Petit Poulet). Ce fut pour moi une surprise et en même temps une grande déception car j’étais impuissante face à une décision que je considérais injuste. Par contre cela semblait être une aubaine pour d’autres. En effet, comme par hasard, c’était le plus proche collaborateur du président Sékou Touré, son secrétaire général Keira Karim qui se préparait à affecter la villa à une de ses parentes. Je décidai de me battre par tous les moyens pour protéger mon acquis. Avec l’aide de mes camarades, un scénario fut vite monté. Finalement, le dénouement avait eu lieu au bureau du président Sékou Touré. C’était une histoire à dormir debout qui avait permis néanmoins à ma famille de continuer à dormir dans la maison. Que s’était-il passé ? J’avais été informée que monsieur Keira Karim avait peur et de son chef hiérarchique et aussi de son épouse. Il n’en fallait pas plus pour inventer un scénario. Ainsi, une fois dans le bureau du président, j’avais dit ce jour le plus gros mensonge de ma vie, et cela avec le plus grand sérieux, en affirmant que monsieur Keira Karim voulait me retirer la maison pour l’attribuer à son (deuxième bureau) à savoir sa petite amie. Lorsque le président demanda si je pouvais le répéter devant son Secrétaire Général, je ne marquai aucune hésitation. Ainsi, fait. Monsieur Keira Karim faillit rentrer sous terre lorsque, le fixant bien dans les yeux, j’avais confirmé mon accusation. Je fus invitée après cela à me retirer, pour éviter sans doute d’être témoin de la défaillance de mon chef hiérarchique. Plus de trente années après, je ne peux m’empêcher de rire, rien que d’y penser. Après ce face-à-face, j’avais réussi à garder la maison tout en me rendant à Dubréka chaque matin, pour revenir l’après-midi après le travail. Au cours de cette même année, mon fils Jo devait quitter Kindia pour revenir à Conakry, chez l’oncle Linséni Bangoura. Quelque temps après, je quittais Dubréka pour revenir travailler de nouveau dans un autre service rattaché à la présidence, mais cette fois-ci à l’Inspection générale des garages du gouvernement, par décision n° 12/SGP du 3 mai 1973.13
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Voir annexe.
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Visite de la famille chez le président Sékou Touré En 1974, sur insistance de ma belle-famille, j’avais sollicité et obtenu une audience avec le chef de l’Etat. J’étais accompagné de ma belle-mère et de l’oncle Louis Gomez. Ce dernier, avant l’indépendance, était l’un des meilleurs et le plus renommé des tailleurs de Conakry. De ce fait, son atelier de couture était une référence. Il se souvenait qu’à l’époque, le jeune et élégant syndicaliste Sékou Touré avait été du nombre de ses clients. Je pense que ces vieux souvenirs ont été en partie à la base de l’initiative de l’oncle pour cette rencontre. La visite eut finalement lieu, mais nouvelle époque, nouvelles fonctions donc nouvelles exigences. L’ancien leader syndicaliste avec la veste planteur kaki était devenu à présent le président de tous les Guinéens, avec la traditionnelle tenue blanche. L’oncle fut gratifié d’un très beau sourire avec évocation de certaines vieilles anecdotes. Comme disent les Anglais : « last but not the least », il fallait bien en venir au vif du sujet. Qu’à cela ne tienne car c’est sans état d’âme que le président dira avec calme et assurance : « c’est le peuple qui l’a arrêté, néanmoins je verrai ce que je peux faire ». C’est sur cette vague promesse du Responsable Suprême de la Révolution que l’audience s’était achevée. Bien entendu, si l’oncle et la maman l’avaient quitté avec un moral rehaussé, en ce qui me concernait je ne me faisais aucune illusion. Je savais que le pire n’était pas à écarter, mais qu’il fallait continuer à se battre pour survivre, et aussi à espérer car en fin de compte, le dernier mot revenait à Dieu le tout-puissant et miséricordieux.
Le courrier En 1975, Aicha Bah, directrice d’école et épouse d’un autre compagnon (Diallo Alpha Abdoulaye Portos, ancien ministre) fut affectée à Labé, une ville située à environ 500 kms de Conakry. Cette mutation était la mise en application d’une décision du gouvernement qui concernait le renvoi dans leur ville natale de toutes les épouses de prisonniers politiques non remariées. Il se trouvait qu’Aicha Bah et moi avions le même correspondant pour l’acheminement des correspondances au bloc, en la personne de l’adjudant-chef Bah Sonkè. Que fallait-il faire pour ne pas interrompre la liaison ? Par bonheur, Aicha faisait la couture pour arrondir ses fins de mois. A l’époque la compagnie nationale Air Guinée desservait Labé. Un merci tout particulier au commandant Chérif Diallo pour les services rendus en acceptant de convoyer des layettes et autres vêtements pour enfants dont les ourlets étaient parfois un peu rembourrés. Il était devenu facteur sans le savoir.
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Le refus du mariage forcé En 1976 ce fut mon tour, car par décision n° 1187/MDS/MT, en date du 23 septembre 1976, je fus mise à la disposition du gouverneur de Dalaba. Un mois après cette décision, je pris mon courage à deux mains pour faire une correspondance au président Sékou Touré Responsable Suprême de la Révolution, rédigée comme suit (extrait) : « Camarade président de la république. Comme je vous l’ai expliqué verbalement, mon affectation dans la région administrative de Dalaba me pose de sérieux problèmes. Etant mère de deux enfants, j’ai en plus cinq frères à ma charge et qui se trouvent tous en classe d’examen. Je vous prie, Camarade Président, de bien vouloir vous pencher sur ce cas social. Si je ne suis pas encore remariée, cela ne dépend pas de ma volonté. Je suis en train de chercher un mari, et je pense que cela se réalisera dans les meilleurs délais. Camarade président, je nourris l’espoir que ma situation fera l’objet d’un réexamen de votre part.»14 Fort heureusement la réaction fut favorable, car par Décision n°1586/MDS/MT en date du 16 décembre 197615, la première fut rapportée et je fus maintenue à mon poste à l’inspection des garages du gouvernement. Puis en mai 1979 ce fut la libération de mon époux ». Au moment où j’écoutais l’évocation de ces souvenirs par mon épouse, je continuais à penser à toutes celles qui n’avaient pas retrouvé les leurs. A ces veuves et ces orphelins dont les maris ou les pères n’avaient été pour moi parfois que des compagnons d’une nuit, avant d’être extirpés de la cellule pour un voyage sans retour. Non, nous n’osions pas dire la vérité. La peur y était pour quelque chose bien sûr, mais cette vérité était difficile à révéler quand, la curiosité, l’impatience et l’espoir d’une épouse ou d’un fils vous dévoraient. Il avait fallu attendre le 9 avril 1984 pour assister en direct à la télévision à l’ouverture de toutes les cellules du camp Boiro. Puis loin des écrans, j’avais pu voir des enfants oser pleurer leur père disparu, et des veuves raconter leur longue et pénible attente, pleine d’espoir, et parfois d’humiliation dans leur lutte pour la survie.
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Voir annexe. Voir annexe.
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L’acharnement Madame Bangoura Karim dont le mari était un ancien ministre raconte : « Le 1er août 1971, Karim a été arraché à ses dix enfants, à sa famille et à ses nombreux amis. Notre dernier fils, Mohamed Lamine, qui avait à peine six ans, croyant qu’il avait voyagé, m’interrogeait souvent sur la date de son retour. En plus de la voix de son père qu’il n’entendait plus, il était intrigué de voir la porte de son bureau, une belle bibliothèque, toujours fermée. En effet, plus de musique, plus de film commenté par Papa, car tous les appareils et tant de belles choses avaient été confisqués. Les questions embarrassantes de mon fils me déchiraient le cœur. Il fallait enfin lui expliquer tout et éviter qu’il ne l’apprenne brutalement. Face à cette nouvelle vie, je m’étais fixé un but : élever dignement mes enfants, accomplir mes multiples devoirs et travailler pour le bonheur de ma famille. Directrice d’école, je m’appliquais afin que mon établissement soit parmi les meilleurs. A la maison, aidée de mes enfants, je confectionnais des layettes, tricotais des parures de nouveau-né ou fabriquais des bonbons glacés. Ces activités me laissaient peu de loisirs pour méditer sur l’injustice et l’arbitraire dont nous étions victimes. Il fallait avoir la foi, la confiance en Dieu pour surmonter l’ostracisme et la méchanceté des uns et des autres. Combien de fois par exemple ne m’a-t-on pas menacée de me vider de la maison pour qu’elle soit remise à une ambassade. En fin de compte, après m’avoir imposé des locataires, je devais également payer le loyer de la partie de ma maison que j’occupais avec mes enfants. C’était, m’expliquait-on, pour prouver que les bâtiments de Karim appartiennent désormais à l’Etat ». Que d’injustice, que de révoltes contenues, que de larmes versées, jusqu’au matin du 3 avril 1984, qui allait marquer la fin de la Première république.
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TROISIÈME PARTIE : Pour eux… pour nous Citation : « Il faut dire que Sékou Touré était convaincu au fond de luimême qu’il avait raison et qu’il n’y avait pas dans son pays de violations des droits de l’homme, qu’à tout le moins tout ce qui s’y faisait à cet égard était fondé »16. Cependant, les lettres manuscrites et les communications téléphoniques reçues par des détenus à Boiro, après une séance de torture ou dans l’antichambre de la diète noire, attestent s’il en était besoin que le président Sékou Touré savait tout de ce qui se passait dans son pays. Peut-être avons-nous une appréciation différente s’agissant des violations des droits de l’homme. Dans ce cas, nous préférons laisser au lecteur le soin d’apprécier et de qualifier les pratiques qui étaient courantes dans les prisons de Guinée.
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Livre Sékou Touré ce qu’il faut - ce qu’il a fait – ce qu’il faut défaire. Edition Jeune Afrique – Collection Plus.
CHAPITRE I Les différentes formes de tortures et de liquidations physiques « Je ne dis pas que le roi ne savai pas : il savait et défendait ce qui se passait devant les journalistes et les organisations internationales. Bien évidemment il en porte la responsabilité. Mais il est tout à fait possible qu’il n’ait pas su dans le détail que les hommes chargés des interrogatoires en profitaient pour régler leurs comptes, pour se livrer à des luttes d’influence, et cherchaient à briser des concurrents éventuels. Pour être juste, il faut dire aussi qu’il laissait torturer et mourir des gens qui mettaient en cause son propre pouvoir » affirme l’ancien ambassadeur de France en Guinée17.
Des liquidations physiques Elles ont été pratiquées systématiquement dans tous les lieux de détention à travers le territoire de 1959 à 1984. Au plus fort de la répression, à savoir les premières semaines qui ont suivi l’agression du 22 novembre 1970, des commissions du Comité révolutionnaire avaient été dépêchées dans les localités frontalières comme Koundara et Mali pour aller interroger et décider directement du sort de plusieurs centaines de personnes, accusées de complicité avec l’agresseur. Ce qu’il faut retenir, c’est que les méthodes de torture et de liquidation étaient multiples. Les formes les plus connues étant : − la pendaison publique − l’exécution par les armes − la (DN) ou diète noire − la mort par le fouet − la mort par la matraque 17
Livre Sékou Touré ce qu’il faut - ce qu’il a fait – ce qu’il faut défaire. Edition Jeune Afrique – Collection Plus.
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l’incitation au suicide l’incitation à la grève de la faim l’injection la noyade les sévices et tortures physiques le kidnapping de bébé né en prison les bébés entrés en prison avec leurs mamans, et les enfants de femmes accouchant en prison. l’épuisement (décès peu de temps après la libération) le traumatisme conduisant au surmenage et parfois à la folie les mauvais traitements entraînant des handicaps et infirmités les tortures psychologiques les liquidations après libération
Citation « Mais il est certain que l’armée a été victime du système. Elle a perdu de très nombreux officiers, y compris des chefs d’état-major, comme Noumandian Keita ou Kaman Diaby. En le confirmant, Sékou Touré m’a dit un jour « je n’ai été vraiment impitoyable qu’avec les militaires et les anciens ministres parce qu’ils avaient trahi un engagement personnel vis-àvis de moi »18. « Le président m’a dit un jour que, pendant les années sombres, il suffisait de trois lettres dénonçant quelqu’un pour qu’il soit arrêté et interrogé ».19 Cependant, comme on va le voir, les victimes dans leur très grande majorité n’étaient pas seulement ministres ou militaires, mais parfois des étrangers, et surtout de simples fonctionnaires, des privés, des ménagères, des élèves, des ouvriers, des artisans ou des paysans arrêtés alors qu’ils revenaient de leurs champs. Et que dire des enfants qui sont marqués pour toute leur vie, car ils sont détenteurs de documents d’état civil portant la mention : nés à Boiro.
18 19
Idem. Idem.
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I - La pendaison Le 25 janvier 1971 est une date inoubliable pour tous les Guinéens. Ce jour-là, les habitants de la capitale croyaient vivre un cauchemar collectif, suite à l’incroyable nouvelle qui avait déjà fait le tour de la ville avant même le lever du soleil. En effet, quatre personnes étaient pendues au pont de Tombo sur l’autoroute. Baldé Ousmane ministre, Barry Ibrahima dit Barry III ministre, Magassouba Moriba ministre, et Keïta Kara commissaire de police étaient les toutes premières victimes de cette nouvelle forme d’assassinat collectif en Guinée. L’autoroute Fidel Castro Ruz - Route Infinie de l’Histoire, ce fut le nouveau nom de baptême inscrit quelques années plus tard, en grosses lettres sur le fronton du pont de Tumbo. Pour tous ceux qui auront demain la lourde mission de réécrire l’histoire de la Guinée, nul doute que cette date sera retenue comme le point de départ d’une série de liquidations publiques dont le mode n’était autre chose que des exécutions extrajudiciaires. Dans la même semaine, toutes les trente-trois autres fédérations du PDG avaient reçu leur « dotation » de prisonniers pour la pendaison publique. Le nombre variait de deux à quatre suivant l’importance de la localité. Pour la ville de Kankan, la deuxième du pays, l’un des préposés à la corde avait eu le mauvais goût de mourir avant la cérémonie. Un télégramme officiel fut envoyé d’urgence à Conakry pour réclamer un remplaçant. La réaction ne se fit pas attendre. La distance étant longue et fatigante par camion, le préposé fut expédié par avion. « Vitesse Sécurité Confort », c’était la devise d’Air Guinée la compagnie nationale. L’avion était arrivé à l’heure et Kankan avait eu droit à ses pendus au complet. Au moment de ces évènements, une équipe du Corps de la paix se trouvait à Kankan. L’un de ses membres un jeune américain, se trouvait sur les lieux de cette macabre cérémonie. Avant de venir dans cette ville, il avait passé quelques mois à Conakry à la Société Nationale D’électricité (SNE). C’est donc avec stupéfaction qu’il vit se balançant au bout d’une corde, un de ses anciens camarades de travail de la SNE qu’il venait de quitter quelques semaines auparavant. Le spectacle étant insoutenable, il fut victime d’une brusque dépression nerveuse. Il se précipita à la poste pour envoyer un télégramme à son ambassade pour demander l’autorisation de revenir à Conakry. Cependant, le message qui fut reçu à l’Ambassade portait les mots (enough-enough-enough) « AssezAssez-Assez » et rien d’autre. Quels tristes souvenirs ? Des parents et amis se souviennent encore avoir identifié sur la potence à Siguiri : Diallo Lamarana. Quant à monsieur Baldé Mamadou de Tougué, il se souvient encore de ce mois de janvier 1971. A l’époque, jeune élève de l’école primaire, il s’était rendu au centre-ville car c’était le jour du marché hebdomadaire. Une
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fois sur les lieux, comme tout le monde il s’était retrouvé confronté à un spectacle qui le marquera toute sa vie. En effet, au milieu des arbres deux potences avaient été installées la nuit et deux corps inanimés se balançaient au bout d’une corde. Il avait réussi à se faufiler auprès d’un vieil homme qui semblait complètement bouleversé. Ce dernier voulait parler et semblait chercher un interlocuteur. Finalement, c’est à lui qu’il s’était adressé en ces termes : « Mon fils, je voudrais te confier un message car toi tu pourras avoir la chance de vérifier ce que je vais dire : Mes cheveux blancs sont le témoignage d’une vie bien remplie, mais je ne pouvais jamais imaginer vivre un spectacle comme celui que nous avons là devant nos yeux. Je te dis et tu peux le retenir : Avec ce qui vient d’être fait, il faudra attendre quatre décennies avant que notre pays ne se relève des conséquences de tels actes ». Quant à Barry Ibrahima Garanké qui fut pendu à Kindia où sa femme se trouvait - elle aussi en détention, cette dernière fut sortie à cette occasion, pour aller effectuer en compagnie de la foule de militants une marche révolutionnaire devant la potence de son époux.
II - Le Parti de la violence et des liquidations Le chemin du PDG a été jalonné pendant un quart de siècle par une multitude de crimes odieux. Cela avait commencé bien avant l’indépendance, par des tueries sans précédent, entre factions politiques rivales dans la ville de Conakry, en octobre 1956 et avril/mai 1957. Après l’indépendance, le processus s’est poursuivi à l’occasion des différents complots périodiquement dénoncés. En fin de compte c’était devenu un rituel. A partir de janvier 1971, les exécutions se faisaient avec une fréquence plus accrue et des effectifs de plus en plus nombreux, surtout dans les camps de Boiro, Kindia et Kankan. Si à Boiro les dimensions des cellules empêchaient les grands regroupements, à Kindia par contre la configuration des lieux favorisait des regroupements dans des salles communes qui pouvaient recevoir plusieurs dizaines voire une centaine de détenus. Cette cohabitation et cette communauté de destin rendaient de ce fait les séparations plus dramatiques et pathétiques. A ce sujet écoutons le témoignage d’un survivant de Kindia : Kindo Touré arrêté en 1969 et libéré le 22-11-1973. Il est auteur du livre Complot Kaman-Fodéba, le dernier survivant.
Les préparatifs d’une exécution massive « C’était toujours le même rituel. Le jour précédant les exécutions, le chef de poste se présentait liste en main entre 15 heures et 16 heures. Il
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regroupait alors les détenus dans une cellule ou une salle selon le nombre. Nous sentions un certain énervement chez les hommes de garde dont nous suivions aisément les va-et-vient et les dialogues. Puis sur la table du chef de poste, un agent déposait une grosse pelote de ficelle. Pendant que les uns coupaient la ficelle en morceaux de 2 mètres, d’autres nettoyaient les lampes-tempête, et le chef de poste vérifiait les piles des lampes-torches. Au moment de ces préparatifs, le premier détenu qui avait eu l’occasion de les surprendre grâce au trou de la porte revenait rapidement à sa place visiblement bouleversé. Malgré son mutisme, son désarroi était nettement visible. Puis un second prenait sa place à l’observatoire. C’est ainsi que tout le monde était alerté en quelques secondes. A ce moment, la salle se retrouvait plongée dans un silence de cimetière.
L’angoisse Comment savoir à ce stade du processus qui serait concerné ? En ces moments de tension extrême, chacun se disait :pourvu que ce soit mon voisin et pas moi. Décidément, la solidarité a ses limites face à la peur. Les plus courageux, ou simplement croyants ou résignés, avaient déjà pris leur parti. Ils faisaient leurs adieux tout en implorant le pardon pour tout manquement qui aurait été inconsciemment commis à l’endroit d’un compagnon quelconque. Par la même occasion les messages oraux étaient transmis et les anciennes adresses précisées de nouveau. Le tout se terminait par une étreinte d’adieux. Ce jour, l’unique repas servi était ignoré. Même les prières étaient faites avec la mort en projection. La nuit tombée, on se couchait non pas pour dormir, mais pour méditer ou pleurer en secret sous la couverture à l’abri des yeux indiscrets, comme si on avait honte d’avoir peur de mourir.
Le tri Vers 2 heures du matin, dans le silence et l’obscurité, la porte de la pièce était ouverte avec une inutile précaution. En effet, comme dans un mouvement d’ensemble parfait, les quarante ou cinquante pensionnaires se retrouvaient sur leur séant, les yeux anxieusement rivés sur la porte. Puis dans un silence de mort, le « metteur en scène » donnait alors le coup d’envoi. Dans un premier temps, la vive lumière de la lampe-torche balayait d’un trait les deux rangées de couchettes. Puis le chef de chambre était interpellé pour répondre à la rituelle question : Un tel est-il là ?
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Alors l’intéressé répondait lui-même, « Oui présent ». Ensuite il enchaînait « viens mais surtout ne prend rien du tout. Ce n’est pas nécessaire ». Bien entendu c’était une cruelle et inutile précision. Pendant ce temps, devant la porte, tapis dans le noir, de solides sbires attendaient le condamné dans « l’antichambre de la mort ». Puis à pas lents, sous les regards émus de ses compagnons, le détenu traversait pour une dernière fois la salle. On avait alors l’impression qu’il faisait un parcours dans le « couloir de la mort ». Une fois au-dehors, il était pris dans l’étau d’acier de deux vigoureux bras. A ce moment, la foi, la résignation ou le courage étaient momentanément balayés pour faire place à des gémissements qui très rapidement se transformaient en pleurs. Le malheureux savait en ce moment que le Rubicon était définitivement franchi.
Le départ Les « victimes du jour », solidement ligotées, étaient jetées comme des sacs de poubelle sur les planchers des camions garés de part et d’autre du portail du camp.
L’exécution Une quinzaine de minutes après leur départ, les crépitements nourris et brefs des armes automatiques parvenaient aux survivants en sursis dans la prison. En quelque sorte un Adieu aux armes. C’était terrible, horrible et insupportable à la fois. C’est à des moments comme celui-ci, que dans un égarement total, il arrivait à certains d’entre nous de se demander pourquoi Dieu le tout-puissant et miséricordieux pouvait-il accepter dans ce pays la persistance de tant d’injustices et de cruauté ? Mais malgré tout cela, au lever du jour, nous nous précipitions pour faire notre prière car en fin de compte, nous savions que dans ce pays et en ces lieux Dieu demeurait le seul et unique recours » En parlant des exécutions, les dates qui me reviennent en mémoire sont : − 1. 1959 A Conakry, dans la cour de l’école de Sandervalia, exécution publique d’un jeune homme du nom de Chérif Camara accusé de vol. A Guekedou, arrondissement de Fangamadou : Arrestation de deux personnes accusées d’avoir immolé un enfant pour un sacrifice rituel.
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Condamnés tous les deux à mort, les autorités ont choisi le jour du marché hebdomadaire pour procéder à leur exécution publique. Deux jours après l’exécution de la sentence, l’enfant fut retrouvé dans une rivière, mort par noyade. Le commandant d’arrondissement qui avait lui-même donné le coup de grâce s’appelait Charles Gabriel Camara. − 2. 1960 Janvier à Guékédou : Pour avoir réclamé la restitution des sommes d’argent qui leur avaient été extorquées, les populations du canton de Guelo firent l’objet d’une expédition punitive, au cours de laquelle 37 personnes furent fusillées dont : − Demba Yombouno, conseiller de l’ex-chef de canton − Kamano Saba − Faya Kaba Toumba, etc. Quant à l’ex-chef de canton de Guelo, N’Faly Yombouno, il fut arrêté, jugé et condamné à 30 ans de prison. Il est mort en prison empoisoné 3 mois seulement après son incarcération. L’autorité administrative fit mettre une chaîne sur sa tombe, pour bien signifier qu’il devait épuiser sa peine, même mort.
Les exécutions de personnes accusées de complot 17 mai 1960 à Conakry (mont Kakoulima) − Diallo Ibrahima, Magistrat − Facinet Kombo − Abou Kipé − El-hadj Mohamed Lamine Kaba Imam de Coronthie − Najib Chaoul − Bakélé Sankhon − Barry Amadou dit Téla − N’Padigou Bernard − Bangoura Ibrahima de Coyah − Mamadou Dian dit Brosse − Altary Adolphe −
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1965 à Conakry (mont Kakoulima) − Bayo Souleymane, adjudant-chef, chef de poste au bloc Boiro en 1962 − Keita Mamoudou commandant − Yansané Nènè Momo, agent du Trésor 29 mai 1969 à Conakry (Mont Kakoulima) Des condamnés à la peine capitale le 11 mai 1969, à la suite de ce qui avait été dénommé : « Complot Kaman-Fodéba » − Diaby Kaman, colonel − Diallo Thierno Ibrahima, capitaine − Keita Cheick Mohamed, commandant − Kouyaté Sangban, capitaine − Barry Diawadou, ministre, sorti de cellule sur une civière − Keita Fodéba, ministre − Fofana Karim, ministre − Coumbassa Ali, lieutenant − Diarra M’Bemba, commissaire de police, − Camara Boubacar dit M’Bengue, militaire, sorti de cellule sur une civière Par contumace : − Bah Mamadou, fonctionnaire international − Naby Youla, diplomate Pour la petite histoire, il faut rappeler que l’ambassadeur Naby Youla, après avoir longtemps servi son pays en Europe occidentale, avait choisi l’Afrique et plus précisément le Zaïre comme retraite pour mettre ses compétences à la disposition du président Mobutu Sécé Séko. Ce faisant, il voulait s’éloigner de la Guinée, et espérait ainsi se faire oublier de Sékou Touré. Une fois de plus, ce dernier n’avait pas failli à sa réputation de tueur. En effet, sur son initiative, un groupe de tueurs dirigé par Momo Jo fut dépêché à Kinshasha pour aller éliminer l’hôte du maréchal. Les envoyés spéciaux furent accueillis et désarmés à l’aéroport avant d’être fraternellement hébergés par le gouvernement. Après la visite de quelques sites touristiques, ils furent embarqués quelques jours après pour Conakry, bien entendu sans leur arsenal.
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3 janvier 1971, à Kindia au pied du mont Gangan : Des personnes condamnées le 11 mai 1969, certaines à perpétuité, d’autres aux travaux forcés ou à des peines limitées à quelques années. Elles avaient été arrêtées à l’occasion du « complot Kaman-Fodéba ». Finalement elles furent toutes transférées à la prison de Kindia, et exécutées pour soidisant complicité avec l’agresseur de novembre 1970, alors qu’elles étaient déjà en détention depuis plus de 17 mois. Ce sont : − Baldé Abdoulaye, capitaine − Bah Amadou, lieutenant − Kourouma Mamady, sergent-chef − Sow Mamadou Alpha, caporal − Dramé Mohamed, caporal − Baidi Gueye, Industriel − Maréga Bocar, docteur − Bah Thierno Sabitou, vétérinaire − Diarra M’Bemba, directeur − Bangoura Bassirou dit Bachir, sergent − Camara Ibrahima, caporal − Gbamou Niankoye, caporal − Oularé Tamba Séwa, caporal − Soumaoro Karamoko, caporal − Koivogui Siba, caporal − Bah Tely Oury, caporal − Béavogui Pévé, caporal − Barry Abdoulaye, capitaine − Diop Tidiane, administrateur − Deen Jean Baptiste, ambassadeur − Diallo Alpha Mamadou − Barry Aguibou, architecte − Dramé Hamidou, architecte − Diallo Mamadou Bailo, capitaine − Sow Mamadou Alpha, Soldat − Camara Balla, ministre − Camara Sékou, ministre
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− Achkar Marof, directeur de cabinet − Tall Habib, gouverneur − Koundou Oumar − Soumah Karamoko, caporal − Sow Oumar, parachutiste. Nb : Sow Mamadou Alpha qui était malade, fut transporté sur le lieu d’exécution en brancard. Ce nombre est inférieur au chiffre réel des personnes exécutées, car pour la seule prison de Kindia, plus de 45 personnes furent extraites des cellules à cette occasion pour ne plus jamais y revenir. Exécution du 25 janvier 1971 à Kissössö Mme Camara Loffo ex-ministre
Les exécutions de la nuit du 30 au 31 juillet 1971 A Conakry : au pied du mont Kakoulima − Keita Noumandian, général − Diallo Mamadou, colonel − Barry Mamadou Siradiou, commandant − Bavogui Kékoura, commandant − Camara Diouma, commandant − Zoumanigui Kékoura, commandant − Condé Mamadou, capitaine − Doumbouya Kémoko, capitaine − Fofana Boubacar, lieutenant − Barry Baba, directeur (Soguirep) − Soumah Théodore, directeur (Banque) − Baldé Abdourahmane, directeur Tourisme − Fofana Almamy, ingénieur Energie − Sow, docteur vétérinaire. − Baldé Mamadou Saliou, chauffeur à la (SNE)
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A Kankan − Barry Samba Safé, gouverneur de Kankan − Baldé, commandant de la Gendarmerie de Kankan − Sidimé Mamady, secrétaire fédéral de Kankan − Diané Louis, directeur Ecole de Bordo A Kindia − Barry Bademba, lieutenant − Soumah Karamoko, (directeur SMDR) frère du capitaine Soumah − Tounkara Tibou, ministre − Bah Mamadou, lieutenant, garde du corps de Sékou Touré − Bah Thierno Ibrahima, gouverneur − Bah Bademba agriculteur jeune frère de Bah Thierno n°5 − Diallo Oumar Kounda, gouverneur − Thiam Baba Hady, directeur de Banque − Baldé Ibrahima Bodié, directeur des douanes − Dramé Mohamed, militaire − Aribot Soda, homme d’affaires − Diallo Ouri Missikoun inspecteur − Bah Amadou, commerçant à Dixinn Gare − Pilimily − Diallo Abdoulaye, docteur à Kankan Mamadou Barry dit Petit Barry a vécu cette inoubliable et dramatique nuit, il raconte : « J’étais dans la même cellule que Bah Thierno Ibrahima exgouverneur et ancien chef de canton de Dalaba, et son jeune frère de lait Bah Bademba. Bah Thierno avait fait un rêve la veille. Il nous en avait fait le récit et le commentaire dans la journée. Il était réellement pessimiste. Puis vint la nuit. Quand on est venu les chercher, comme tout détenu qu’on appelle, le premier réflexe avait été de vouloir prendre ses habits. « Inutile avait dit l’agent, Vous n’en avez pas besoin ». Notre cellule avait une petite ouverture vers l’extérieur. Je me suis précipité pour essayer de voir ce qui se passait au-dehors. Je fus alors témoin d’une scène insoutenable et inoubliable. En effet, alignés sans ménagement les uns derrière les autres, les détenus étaient embarqués avec brutalité dans des camions militaires garés dans la cour. C’est à ce moment que je reconnus dans la pénombre la voix de
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Bah Thierno, s’adressant aux agents : « épargnez au moins mon jeune frère. » C’en était trop. J’en avais perdu la raison, au point d’avoir tenté de mettre fin à ma vie le lendemain matin. Mais Dieu ne l’avait pas voulu car le fusil que j’avais dérobé au garde pour la circonstance était vide de munitions. »20
Les exécutions du 18 octobre 1971 A Conakry − Condé Emile, ministre arrêté en juillet 1971 − Bama Marcel Mato, ministre arrêté le 3 août 1971 − Savané Moricandian, ministre arrêté en juillet 1971 − Sagno Mamady, ministre arrêté en juillet 1971 − Keita Fadiala, ambassadeur − M’Baye Cheick Oumar, ambassadeur arrêté le 6 août 1971 − Diallo Souleymane Yala, directeur arrêté en 1971 − Ghussein Fadel, chef de cabinet arrêté en 1971 − Sassone André, directeur Alimag, arrêté en 1971 − Sylla Fodé Saliou, magistrat arrêté en 1971 − Coumbassa Abdoulaye, commissaire A Kankan − Barry Sory, ministre − Barry Abbas, Douanier − Camara Doussou Mory, financier − Keita Kémoko, procureur − Sow Aliou, contributions Diverses − Camara Ali, inspecteur − Camara Fama, douanier − Habas Paul, commissaire de police − Camara Filois, contrôleur du travail − Camara Bakary, président de tribunal − Kaba Mamady, notable (Société Sogonikoun) 20
Témoignage de Mamadou Barry dit Petit Barry après sa libération.
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− Diallo Abdoulaye, docteur chirurgien A Kindia − Sow Mamadou, ministre − Diallo Alpha Amadou, ministre − Diallo Alpha Taran, ministre − Baldé Oumar, secrétaire exécutif O.E.R.S − Camara Baba, gouverneur − Gnan Felix Mathos, directeur de Banque − Koivogui Massa, secrétaire Fédéral de Macenta − Touré Sékou Sadibou, industriel − Barry Mody Oury, fils de l’Almamy de Mamou Baldé Mariama Dalanda, élève à Labé, arrêtée le 15 septembre 1971 et libérée le 19 décembre 1977, se trouvait au camp de Kindia cette nuit-là. Elle raconte : « Le 17 octobre, Baldé Oumar connu sous le nom « Baldé OERS » avait passé toute la journée à remonter le moral de ses co-détenus. Nous étions toutes découragées et démoralisées. Il avait réussi à nous soulager, tant sa foi était grande et ses paroles rassurantes. Foi en Dieu et confiant en l’avenir comme seul peut l’être un innocent et un croyant. Il nous avait confié, entre autres, un rêve fait la nuit précédente. Il avait vu un train dont la locomotive était détachée des wagons. Cela l’intriguait fort, malheureusement nous ignorions tous l’interprétation d’un tel rêve. Nous avions pensé un moment à un départ manqué ou une séparation. La sortie, elle nous obsédait à tel point que tous nos rêves y étaient orientés. Des bruits de brodequins dans la nuit, des ordres que l’on donne, suivis du ronflement de moteurs, puis quelque temps après, des coups de feu sous le mont Gangan situé non loin du Camp. Personne n’avait dormi cette nuit-là. Puis le lendemain, à l’heure du partage du riz, comme les noms des détenus étaient gravés sur les assiettes métalliques, l’agent de service tout naturellement avait tiré du lot toutes celles appartenant aux « voyageurs » de la nuit. Du fin fond de la prison, dans un ultime mouvement d’indignation, une voix s’était écriée : « ils ont tué tous nos enfants.»21 Toujours dans ce même camp de Kindia, où un « mercenaire » livré par Daouda Kairaba Diawara président de Gambie, avait résisté aux balles, on fit passer un char de combat sur son corps pour le punir de son impertinence.
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Témoignage de Mariama Dalanda après sa libération.
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L’opération baptisée « Cheytane 75 » Exécution de six paysans du (PRL) Pouvoir révolutionnaire local de Kaité, dans la section de Kakossa, fédération de Forécariah, à la suite de protestations contre les normes. − Camara Kandet − Camara Bô Abou − El Hadj Camara Momo − Camara Marie − Camara M’Bemba Kanbouba − Keita Facinet
Les exécutions de l’année 1984, les dernières du régime du PDG Janvier 1984 à Benty dans la préfecture de Forécariah Le gouverneur de Forecariah s’était rendu dans la localité de Kaléyiré pour commenter les décisions de la 33ème session du PDG réunie en (CNR) Conseil national de la révolution. Il s’agissait de l’augmentation du montant de l’impôt local ou Contribution au développement rural (CDR) qui passait de 600 à 800 sylis. A cela venait s’ajouter une norme de 60 kg de riz paddy à fournir par personne et par an. Il se trouve que cette exigence de 60 kgs représentait l’autosuffisance alimentaire du paysan. Le refus sera concrétisé par une paire de gifles administrées par un manifestant au représentant du pouvoir central, le commandant d’arrondissement. En guise de représailles, l’ordre fut donné à l’armée de ceinturer la zone concernée, et de mater la révolte. Le tribunal criminel de Forécariah, après des aveux forcés obtenus grâce à la torture, procéda à plusieurs centaines de condamnations à des peines allant de 1 à 10 ans de prison. Il faut préciser qu’au cours des opérations, Fodé Lamine Yansané, un aspirant de police, adjoint du commissaire de Pamelap, avait trouvé la mort à un barrage érigé à Dakhagbé. Auteur présumé du meurtre du policier, le cultivateur Yéli Abou Camara fut exécuté en représailles, devant la mairie de Benty, après un jugement sommaire. Parmi les transférées à Boiro, deux succomberont aux blessures par balles suite aux tirs effectués dans la foule. Une femme enceinte, pourchassée, se réfugia dans la brousse où elle accoucha prématurément de jumeaux. Malheureusement ni elle ni ses enfants ne survécurent.
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Février 1984 à Sinko préfecture de Beyla Un incident était survenu entre les autorités et les femmes. Comme à Benty c’était encore au sujet des « normes » ou impôt en nature. Le gouverneur, ayant pris peur, avait ordonné à la police de tirer dans le tas. Trois femmes sont mortes sur place. Face à la colère de la population, le gouverneur n’avait trouvé d’autre solution que de fuir. Mercredi 21 mars 1984 à Mamou Exécutions au stade : − Bah Hassana, dit Bobo Banga − Diallo Amadou Oury, dit Pierre − Mamadou Lamarana dit Haoussa, vendeur de brochettes − Diallo Baïlo, handicapé (unijambiste) muézin − Thierno Boulliwel, condamné à mort par contumace Suite à un contrôle de police, un citoyen bien connu dans la localité fut arrêté. Cette arrestation déclencha une bagarre entre la police et la population. Finalement le commissariat fut saccagé. On procéda à de nouvelles arrestations. Très rapidement un Tribunal présidé par le ministre de la Sécurité, Sékou Chérif, beau-frère de Sékou Touré, prononça des sentences de condamnation à mort pour cinq personnes. Les quatre condamnés présents dont un handicapé furent fusillés publiquement. Le cinquième était en fuite. Parmi les quatre se trouvait un muezzin qui avait fait une doléance avant l’exécution de la sentence à savoir : lui permettre de faire ses ablutions et une prière de deux rak-ats. Il fut autorisé, et à la fin de sa prière, il dit : « Je peux vous certifier que nous serons les toutes dernières victimes de ce régime.» Ainsi dit ainsi fait, car cinq jours seulement après, on annonçait la mort de Sékou Touré, le 26 mars 1984, à Cleveland aux Etats-Unis.
III- La diète noire ou la condamnation à mort par inanition C’est une pratique extrêmement cruelle et cynique. L’Almamy Samory Touré22 dont Sékou Touré se réclamait être un des descendants avait jadis emmuré un de ses fils qui mourut d’inanition. Il s’agit plus précisément de Diawoulen Karamo qui, au cours d’un voyage effectué en Europe, avait eu 22
Témoignage de Moussa Touré, Petit frère de Petit Touré, tous deux descendants directs de l’Almamy Samory Touré.
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l’occasion de voir et apprécier l’arsenal d’armes à feu des troupes françaises. De retour au pays, il avait pensé bien faire en recommandant à l’Almamy d’éviter une confrontation avec les Blancs. Sur instigation de certains courtisans, ces propos furent considérés comme une trahison et sanctionné comme telle. L’on pourrait trouver là les raisons de la prédilection de Sékou Touré pour cette forme de liquidation. Enfermé seul dans une cellule, sans nourriture et sans eau, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Cette forme de liquidation peu connue du public est à mon sens la plus odieuse et la plus insupportable. Elle est cruelle et odieuse pour la victime, face à une mort lente et douloureuse qu’elle ne peut ni atténuer, ni accélérer. Insupportable pour les survivants, qui assistent impuissants, et surtout qui doivent se comporter comme s’ils ignoraient totalement ce qui se passait à côté d’eux. Bien entendu, pour le pouvoir en place, cette forme d’assassinat avait « l’avantage » de la discrétion. En effet, Boiro était une tombe pour les morts, pour les prisonniers survivants, et les hommes de garde. Toute indiscrétion pouvait être fatale. Sur la base des informations connues à ce jour, il semble que le bloc-Boiro et la prison de Kindia avaient l’exclusivité de la diète noire. A coté des « avantages », il y avait toujours pour le pouvoir des inconvénients. D’abord la limitation dans le nombre, la durée du processus, et surtout et pas des moindres, le manque de discrétion au moment de l’enterrement. La première diète noire remonterait à l’année 1965. En sont morts :
Complot Petit Touré − Touré Mamadou dit Petit Touré, décédé le 31-10-1965 − Touré Kèlètigui, décédé le 2-11-1965
Complot Kaman - Fodéba − Diallo Mouctar, adjudant-chef, décédé en 1969 − Kéita Namory, adjudant-chef, décédé en 1969
Cinquième Colonne (1971) − Fodé Mangaba, planteur − Sagno Mamady, ancien ministre de la Défense
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Groupe Kamissoko – Saa Paul − Kamissoko Mamadou, lieutenant (DN), décédé le 14-03-1974 − Koundouno Saa Paul, lieutenant (D-N), décédé le 14-03-1974
Cas isolé − Cissé Emile, gouverneur de région (D-N) le 15-3-74, décédé le 2303-1974
Complot Peuhl Groupe Telli Dramé Alioune, ministre (D-N) le 15-02-77, décédé le 1-03-1977 Kouyaté Lamine, capitaine (D-N) le 12-02-77, décédé le 28-02-1977 Diallo Telli, ministre (D-N) le 12-02-77, décédé le 1-03-1977 Barry Alpha Oumar, ministre (D-N) le 12-02-77, décédé le 26-021977 − Diallo Alhassane, lieutenant (D-N) le 12-02-77, décédé le 28-021977
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Groupe commandant Sylla − − − − −
Boiro Yéro Goulel (D-N) le 13-03-77, décédé le 30-03-1977 Boiro Demba Botje (D-N) le 13-03-77, décédé le 23-03-1977 Boiro Moussa, (D-N) le 13-03-77, décédé le 30-03-1977 Boiro Yaya, (DN) le 13-03-77, décédé Sylla Ibrahima, commandant (D-N) le 13 03 77, décédé le 31-031977
Groupe Bah Mahmoud − Bah Mahmoud est né en 1940 à Labé. Très tôt exilé en France, il avait fini ses études et était devenu enseignant et technicien de l’alimentation. Au cours d’un voyage qu’il effectua en Guinée à partir de Dakar après plusieurs années d’absence, il fut arrêté à Boké le 21 août 1979, en compagnie de son ami Karamoko Diallo. Ils seront transférés le même jour par avion à Conakry, directement au
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camp Boiro, en compagnie de huit autres personnes qui avaient emprunté le même véhicule pour le trajet Dian-Dian-Boké. Ils étaient au nombre de dix. Dès leur arrivée, ils furent mis à la diète. Habituellement la diète à l’arrivée désignée pudiquement par diète d’accueil durait trois à huit jours, pour faciliter l’interrogatoire. Cette fois, la diète n’a pas été interrompue pour des raisons inconnues. Ainsi, huit des dix passagers sont passés de vie à trépas sans interrogatoire. Diallo Saliou paysan, attaché dans sa cellule dès le 8ème jour de diète et décédé au 18ème jour, le 10 septembre 1979 (cellule 59). Camara Ousmane, paysan, décédé au 19ème jour, le 11 septembre 1979 (cellule 51). Bah Hâdy, paysan, décédé au 20ème jour, le 12 septembre 1979 (cellule 53). Diakité Sékou, paysan, décédé au 20ème jour le 12 septembre 1979 (cellule 54). Manga Moussa, président de Comité du parti, décédé au 20ème jour, le 12, le 13 novembre 1979 (cellule 58) septembre 1979 (cellule 57). Diallo Mallal, paysan, décédé au 21ème jour, le 13 septembre 1979 (cellule 55). Keita Mamadou, paysan, décédé le 21ème jour. Diallo Karamoko, compagnon de Bah Mahmoud, décédé au 22ème jour, le 14 septembre 1979 (cellule 62).
Groupe Kanacé − Barry Toumani, dit Kanassé, un délinquant envoyé à Boiro sur accusation d’une personnalité proche du pouvoir, mis à la diète et décédé en octobre 1979.
Avril 1982 − Après l’assassinat d’une sentinelle à la présidence, arrestation d’un chauffeur de la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG). Barry Alsény, mis à la diète noire à Boiro, décédé en septembre 1983
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IV- La mort par le fouet L’on se souviendra que le jour de l’agression, tous les détenus enfermés à Boiro avaient été libérés par les assaillants. Une fois de retour dans leurs foyers, trois options s’offraient aux anciens pensionnaires en liberté provisoire. A savoir : − Fuir et traverser au plus vite la frontière. − Se présenter au camp Boiro ou à l’une des permanences du Parti. − Se cacher pour attendre et voir la suite des événements. Dans la première catégorie, un seul réussira à traverser la frontière à temps : ce fut le capitaine Soumah Abou, ancien aide de camp du président Sékou Touré. Ce fut une occasion pour son ancien chef, de faire montre de toute sa rancune et sa cruauté. En effet, il fit arrêter plusieurs de ses frères et sœurs qui furent incarcérés à Boiro et à la prison de Kindia. L’unique survivant Soumah Faouly, arrêté en 1971, n’avait été libéré qu’en 1978, paralysé et aveugle. La mort survenue en 1985 était venue finalement mettre fin à son calvaire. Quant à son grand frère le capitaine, il avait pu finalement retourner dans sa patrie après la mort de Sékou Touré et le changement de Régime en 1984, pour mourir au milieu des siens en homme libre. S’agissant de la deuxième catégorie de détenus, après le regroupement, ils avaient tous fait partie du « convoi de la mort » parti de Conakry le 24 novembre 1971 pour Kindia. Les survivants après seulement quelques mois étaient moins d’une dizaine23. Pour ceux de la troisième catégorie, l’attente fut finalement de très courte durée. Il faut savoir que sous le règne du PDG, la délation et la dénonciation étaient considérées comme des preuves évidentes de patriotisme et de militantisme. Ainsi en peu de temps, ils furent tous ramassés puis assimilés aux assaillants. Transférés à la prison de Kindia, ils subirent tous la mort par le fouet ou par la matraque.
La mise en condition Dès leur arrestation, les détenus étaient d’abord complètement déshabillés. Ensuite ils étaient attachés aux pieds, mains derrière le dos jusqu’à ce que les coudes se touchent. A l’arrivée à Kindia, ils étaient mis en diète de plusieurs jours pour accélérer leur épuisement physique.
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Témoignage du commissaire Kindo Touré, l’un des survivants auteur du livre le seul rescapé du complot Kaman Fodéba.
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La préparation − Les détenus étaient sortis le matin à partir de 10 heures, pour être ligotés et couchés sur une dalle de béton dont la température augmentait en fonction de la course du soleil. − Puis les victimes étaient arrosées de grésil, un désinfectant huileux, et ensuite enduits de sable. − Vers midi, un tabouret était installé en plein air, sur lequel étaient déposés des friandises, du tabac et des allumettes. − Après ce cérémonial, une horde de malabars surexcités était alors lâchée par le régisseur. C’étaient des criminels classés dans la catégorie de détenus de droit commun. Ils étaient comme une meute de chiens devant un os. Les pauvres victimes étaient alors livrées à leurs bourreaux. Ils étaient munis de nerfs de bœufs constitués de lanières tranchées de caoutchouc. Les coups étaient ainsi assénés jusqu’à ce que mort s’ensuive. Si au départ, les hurlements et les vociférations parvenaient à couvrir les claquements des fouets, à la longue ils s’atténuaient au point que seuls les coups restaient audibles. Bien entendu, à ce stade du processus, les rares bouches qui arrivaient encore à s’ouvrir n’émettaient plus aucun son.
Le salaire de la barbarie Le bourreau qui le premier avait réussi à tuer son « client » était alors présenté comme un « héros ». Après son forfait, il se dirigeait vers le tabouret pour se servir à sa guise et toucher le salaire de la barbarie. Après un moment de repos, on lui livrait sa seconde victime qu’il massacrait avec la même ardeur. C’était une vraie hystérie collective. A la fin de la « boucherie », les cadavres étaient dédaigneusement traînés comme de la répugnante charogne pour être entassés dans un coin avant le passage de la « poubelle » la nuit. Pour justifier ce macabre spectacle, les responsables de la prison disaient que « ces hommes ne méritaient pas les précieuses balles commandées par le PDG, le fouet leur suffisait ». Sans commentaire.
V- La mort par la matraque Ce fut la méthode de liquidation réservée aux chômeurs et autres sanspapiers arrêtés en Gambie et livrés par avion par le président Daouda Kairaba Diawarra quelques jours après l’agression du 22 novembre 1970. Leur nombre avait été grossi par les anciens de Boiro classés « assimilés ».
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Regroupés pieds et mains liés, ils occupaient la salle n°4. Après la mise en condition (diète de plusieurs jours), vers 23 heures, des hommes en treillis matraques en mains se faufilaient dans leur cellule. Alors une nouvelle nuit blanche commençait pour les détenus. En effet, le bruit des coups assénés était amplifié dans le silence de la nuit. Les séances étaient de courte durée car les victimes étaient déjà presque à l’agonie. Puis le lendemain soir, après 20 heures, comme de la charogne, les corps étaient jetés dans un camion pour être acheminés dans une fosse commune au pied du mont Gangan.
VI- L’incitation au suicide par suite de tortures morales − Hermann Seibold, directeur du projet de Bordo à Kankan, de nationalité allemande, est mort au camp Boiro en 1971, au poste X par suicide. Il avait absorbé une dose mortelle de nivaquine suite à plusieurs fausses promesses de libération faites par le capitaine Siaka Touré commandant du camp Boiro. Déclaration de l’adjudant-chef Moussa Kéita, chef de poste24. − Jean Claude Verstrepen, professeur de nationalité belge. Première tentative par pendaison ratée au bloc Boiro en novembre 1971. Suicide réussi, le 02 octobre 1972 au poste X après absorption de plusieurs dizaines de comprimés de nivaquine. − Camara Fodé Mangaba, nationalité guinéenne, planteur revenu de Côte d’Ivoire. Il faisait aussi du négoce entre Conakry et les pays limitrophes. Le port de Boulbinet était son point d’attache pour surveiller ses transactions par voie maritime. Arrêté deux jours après l’agression du 22-11-1970 en compagnie de 5 pêcheurs tous accusés de complicité avec les agresseurs, ils furent incarcérés au camp Alpha Yaya dans des cellules souterraines appelées « 32 escaliers ». Contrairement aux autres détenus, Mangaba était attaché en permanence dans sa cellule. Comme conséquence, il avait commencé par un surmenage qui se transforma en un début de folie car il parlait tout seul à longueur de journée. C’est à cette période, alors qu’ils venaient de boucler 6 mois de détention au camp, qu’on décida de les transférer au camp Boiro. Les deux prisons sont distantes de 15 kilomètres. Une nuit, en mai 1971, ils furent embarqués dans une fourgonnette non bâchée. Parmi ses compagnons se trouvait Sékouna Bangoura le pêcheur. Arrivés à hauteur du quartier Dabondy,
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Témoignage de l’adjudant-chef Moussa Kéita, chef de poste au moment des faits et ayant fait l’objet d’arrestation en guise de sanction.
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Mangaba sauta du véhicule qui roulait à toute allure et se fracassa la tête sur l’asphalte. Fofana Sékou, nationalité guinéenne, ex-gouverneur de région à Labé, suicide raté en 1971, avec des blessures à la tête, par suite des coups de tête donnés sur les barres de fer de la porte métallique de sa cellule. Diallo Amadou, nationalité guinéenne, administrateur, suicide raté par pendaison au bloc en 1977. Docteur Barry Alpha Oumar, nationalité guinéenne, suicide raté, suite à une blessure faite à l’aide de tessons de bouteille en 1976, cellule n° 64 (sera finalement éliminé par diète noire le 12-02-1977). Bangoura Sékouna, nationalité guinéenne, pêcheur, suicide manqué, après découverte par la sentinelle de tessons de bouteille dans son bol de riz, (bloc Boiro 1972). Barry Mamadou, dit Petit Barry, nationalité guinéenne, journaliste, suicide manqué au lendemain de l’exécution de deux de ses compagnons, le 30 juillet 1971. Avait réussi à s’emparer de l’arme de son gardien, pour se tirer une balle dans la bouche. Par chance le chargeur était vide.
VII- L’incitation à la grève de la faim par suite de harcèlements et de tortures morales − Fofana Morigbé, Camp Alpha Yaya 1972. − Barry Sory, tailleur, membre de la famille de Barry Diawadou, arrêté après son retour de Côte D’Ivoire (Camp Boiro poste X).
VIII- Par injection, après une consultation médicale − Thierno Mamadou Alpha, à Kindia (Marabout de Sékou Touré).
IX- Par noyade − Bangoura Karim, ministre jeté dans le fleuve Fatala, à partir d’un hélicoptère.
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X- Par sévices et tortures physiques, coups et blessures, décharges électriques − Paul Stéphen, administrateur, décédé à Kindia le 20-04-1971 à la sortie de la cabine technique. − Bah Boubacar, instituteur à Dalaba. − Diané Mamadou, 1973. − Bah Lamarana, commerçant à Mamou, battu à mort au commissariat de Mamou mars 1984. − L’un des gardes de corps du président Kwamé N’Krumah en exile en Guinée avait été incarcéré à Boiro. Le prototype même de l’agent de protection. D’ailleurs ses compagnons l’appelaient : « le Big ». Il s’était retrouvé à Boiro à cause de sa nostalgie pour son Ghana natal. En effet, après plusieurs mois de séjour en Guinée, ses demandes réitérées pour son retour avaient finalement été considérées par son chef comme un acte de trahison, délit très grave qui le conduisit au camp Boiro. Une fois en prison, cela n’avait nullement altéré ses « pulsions » car il finit par tenter l’impossible : à savoir réussir à s’évader du camp Boiro. Il fut rattrapé au moment où il escaladait le premier mur d’enceinte. Il avait franchi le Rubicond et il devait en assumer les conséquences. Il fut ramené devant sa cellule pour y subir une correction publique pour servir d’exemple. C’est à ce moment qu’il s’écria : « Attention, on ne porte pas la main sur moi ». Passant outre cette mise en garde, l’agent qui était fiché par les détenus comme étant le plus méchant lui administra sur-le-champ une paire de gifles. Ce fut la stupéfaction car il tomba raide mort sur place. « Le Big » fut enchaîné aux pieds, avec les mains liées au dos. Il mourut paralysé dans sa cellule. − Son collègue John n’avait pas eu un sort meilleur. En effet, après quelques années d’exil, John avait été envoyé en mission clandestine au Ghana par son chef qui voulait avoir des renseignements sûrs et de première main concernant la situation au pays. Avec les chefs, la confiance n’excluant pas le contrôle, une autre personne avait été dépêchée pour surveiller l’envoyé. De retour en Guinée après la fin de sa mission, John fut arrêté lui aussi pour trahison, et envoyé à la prison de kindia où il mourut.
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XI- Kidnapping de bébé né en prison Barry Mamadou Alpha et Barry Habibatou, ont été arrêtés le 24 mars 1981. A son arrestation, l’épouse était enceinte de dix mois. Après son accouchement en prison, l’enfant était resté encore quelques mois avec ses parents au camp Boiro. Puis un jour, sans explication, un agent est venu prendre l’enfant pour une destination inconnue. Habibatou fut libérée le 27 septembre 1982, et son mari après le changement de régime le 3 avril 1984. Dès sa sortie, ce dernier traumatisé a choisi l’exil. Habibatou qui est restée en Guinée continue ses recherches pour retrouver son fils.
XII- Enfants en bas âge entrés en prison avec leurs mamans, et enfants de femmes accouchées en détention. − Touré Youssouf : Fils de Touré Mamadou et Alamdia Keita. En 1965, Touré Mamadou et son épouse sont tous deux arrêtés. Alamdia de nationalité nigérienne, était alors enceinte de 4 mois. Après l’accouchement, elle est maintenue en prison avec son enfant alors que son époux est mis à mort par diète noire. L’enfant n’est sorti de prison qu’à l’âge de trois ans, pour être remis à sa famille paternelle. Quant à la maman, elle ne recouvra la liberté qu’en 1970 pour se retrouver séparée de son enfant car elle fut directement renvoyée à Niamey. − Dany de Sainte Marie : fils de Kassé Diariou hôtesse de l’air et d’un Français. (Enfant né en 1971 pendant que sa Maman était en détention) − Kallo Aicha : s’est accouchée le 15 septembre 1971, et fut arrêtée le 18 octobre 1971. L’enfant est décédé en prison. − Diallo Kadiata : épouse de Touré Kèlètigui lui-même arrêté. Elle sera à son tour arrêtée le 19-12-1965, à 02h 00 du matin avec un bébé de 20 jours.
XIII- Physiquement éprouvés et décédés peu de temps après leur libération − Camara Khadi Momo de Kindia. − El-hadj Diallo Dardai, marabout de Moromi dans la Préfecture de Koubia.
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− Kaba Noumouké, ingénieur mort à Conakry sur son tapis de prière, trois mois après la libération. − Kouyaté Mamadouba de Labé. − El-hadj Kaba Alpha, chauffeur, dix jours après sa libération − Rachid Abou Chakra, Libanais. − Robert Souflet, Français, libéré le 14-07-1974, décédé la même année. − Diallo Yaya Bowé, ingénieur. − El-hadj Diallo Algassimou de Labé. − Touré Fodé dit Gros-Fodé, décédé le lendemain de sa libération.
XIV- Par suite de traitements dégradants, conduisant au surmenage et parfois à la folie − Bangoura Ali dit Bonne Collaboration, lieutenant gendarme, Arrêté en 1974 Libéré le 13 mai 1979. − Péma, lieutenant gendarme, arrêté à Fria en 1971. − Sidibé Ibrahima, douanier arrêté en 1971. − Krendé Abdoulaye, Malien. − Diaby Sankoumba, transporteur arrêté en 1977.
XV- Des mauvais traitements conduisant à des handicaps et autres infirmités − Diaby Sékou, gendarme, arrêté en 1972, paralysie totale des membres inférieurs en 1973, guérison partielle au moment de la libération − Bah Tely Oury, agent météo, arrêté en 1971, paralysé du coté droit en 1975, guérison partielle au moment de la libération, décédé en 2002. − Soumah Faouly, jeune frère de capitaine Soumah, arrêté en 1971, libéré en 1978 paralysé et aveugle, décédé en 1985. − Bangoura Korombo, paysan de Benty, arrêté en janvier 1984 et détenu à Forecariah, paralysé quelques semaines après son transfert à Boiro. − Diallo Ibrahima Laho, responsable du Parti à Conakry, Agent à l’Office des Chemins de Fer, arrêté le 8 août 1971, incarcéré au camp Alpha Yaya où il a été soumis à une diète de trois jours, suivie de
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trente jours de régime de demi-ration. Sous l’effet de la torture qui s’en est suivie, a été paralysé le 30 septembre 1971. Transféré plus tard au camp Boiro, fut libéré avec des séquelles. Bah Boubacar dit « Pape » libéré en 1978 physiquement diminué. Diafodé Kaba, libéré paralysé. Dabadou Karamo Sidibé décédé en juillet 2005. Sow Paul, libéré paralysé. Sow Oumar, comptable à Kalédou paralysé à Boiro.
Des cas de détenus ayant perdu la vue en prison Yansané Sékou Yalani, Ancien gouverneur de Région, chef de cabinet Adjoint à la Présidence, au moment de son arrestation, le 29-07-1971. Libéré le 5-10-1980. Soumah Donat, lieutenant de gendarmerie arrêté en 1971 Kaba Mama, infirmier major de l’hôpital de Kankan, membre du Bureau Fédéral du Parti.
XVI- Tortures psychologiques L’ambassadeur André Lewin affirme à juste raison que Sékou Touré téléphonait en effet à certains pour les féliciter d’avoir avoué, et à d’autres pour leur demander de le faire. Il précise que l’on peut voir dans ces interventions curieuses, des actes de torture psychologique ». Ce fut le cas pour l’ancien ministre Diallo Alpha Abdoulaye dit Portos. Ce que le diplomate et ami de Sékou Touré ignorait, c’est que ces interventions, comme par hasard, se situaient toujours après une ou plusieurs séances de « cabine technique ». Tout naturellement, il ignorait aussi que certains avaient eu le privilège rare de recevoir dans leur cellule une lettre personnelle manuscrite de Sékou Touré leur demandant d’aider la Révolution. Ce fut le cas entre autres : − du commandant Mara Sékou Kalil(1972). − du lieutenant Mamadou Kamissoko (1974). − du gouverneur Emile Cissé (1972). − du ministre Diallo Telli pour lequel c’était devenu un acharnement (1976 1977). − de Jean Paul Alata, inspecteur des affaires administratives et financières.
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− de Bah Mahmoud (1979). Cela se passait toujours au moment où les détenus étaient au camp Boiro. Cas du Professeur Kapet de Bana : Un cas digne d’intérêt pour plusieurs raisons : − Réfugié politique camerounais, il avait choisi la Guinée pour échapper à la répression dirigée contre le Parti (UPC) Union des populations Camerounaises au lendemain de l’indépendance en 1960. Il enseignait à l’institut polytechnique Gamal Abdel Nasser de Conakry. − Dans le canevas préparé par le Comité Révolutionnaire, il était accusé d’être un double espion : français et allemand. Cependant, malgré les tortures les plus atroces, il n’a jamais accepté de signer des aveux. − Pendant toutes ses années de détention (plus de 8 ans), a toujours été isolé, et restait seul dans sa cellule. − A toujours refusé les repas de riz servis, ne vivant que de bouillon et de pain. − N’a jamais fréquenté l’infirmerie. − Refus catégorique de se faire coiffer ou raser. Puis un jour, à la surprise générale, le chef de poste Fadama Condé qui se considérait dans l’enceinte du bloc seul maître après Dieu, ordonna aux agents de sortir Kapet de Bana de force de sa cellule. A cause de sa résistance, ils se sont mis à plusieurs pour lui faire violence et le terrasser dans la cour. A l’instar de mes autres compagnons, j’avais assisté indigné et impuissant à cette inqualifiable scène de brutalité. Nous n’étions cependant pas au bout de notre peine car à coups de ciseaux et de rasoir, ils se sont acharnés sur sa barbe et son abondante chevelure. Les cris de l’infortuné étaient comme le râle d’un fauve blessé. Scène pénible de torture physique et morale pour la victime, et un spectacle insupportable pour les autres détenus. Kapet de Bana était toujours cloîtré dans sa cellule, et ne sortait jamais sauf au moment de la vidange quotidienne. Devant une telle scène, je me demandais qui pouvait être gêné par la chevelure de Kapet De Bana ! En tout cas pas les détenus. Cas de El-hadj Baba Camara, Ancien Gouverneur de Région : Musulman convaincu et pratiquant, ses ferventes prières avaient inspiré nombre de ses compagnons qui l’admiraient sincèrement. Confiant et
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optimiste malgré la situation, en bon militant il attendait avec patience et confiance le verdict du Comité Révolutionnaire siégeant à Kindia. Cependant, une nuit vers 2 heures du matin, faisant le gué sous la porte de la salle commune, il se mit brusquement à hurler. Incroyable ! Il venait d’apercevoir sa vieille maman âgée de 85 ans, pliée en deux sous le poids de l’âge, et traînée sans ménagement par un agent. Elle était suivie de sa belle fille, l’épouse de El hadj Baba Camara, et de deux de ses neveux. C’était insupportable et c’est en pleurant que le pauvre cria à l’endroit de sa maman et de son épouse : « Pardonnez-moi, je ne vous ai jamais dénoncées. J’aurais préféré la mort plutôt que de le faire. Oh ! ALLAH, sauve les miens de cet enfer ! Je n’y suis pour rien. » Après une parodie d’enquête qui dura des semaines, avec des brutalités pour les femmes, et des sévices pour les autres, les membres de la famille de El hadj Baba furent tous libérés. Quant à El hadj lui-même, il fut exécuté quelques mois après, dans la nuit du 29 au 30 Août 1971. Cas de Samaké Kékoura dit Pola Kambi de Koronthie : Il avait été arrêté en 1965 (complot Petit Touré). Une nuit, on est venu le chercher dans sa cellule. A sa sortie, il s’était retrouvé avec d’autres détenus en route pour la commission. Arrivés au bureau du commandant du camp, il fut renvoyé dans sa cellule avec comme motif : « ce n’est pas ton tour ». De retour au bloc, une fois sa cellule refermée, il est resté debout derrière sa porte comme s’il était au piquet. Le lendemain matin à l’heure du partage du riz, lorsque sa porte fut ouverte, il était toujours arrêté à la même place. Plusieurs jours après, il était dans la même position et à la même place. Epuisé, sans manger et sans sommeil, il avait fini par s’effondrer, évanoui. Lorsqu’il s’était réveillé après les premiers soins, il avait tout juste pu dire : « mon tour va donc arriver ! ». Samaké Kékoura est mort les jours qui ont suivi, dans la position assise car il n’avait jamais plus réussi à se remettre debout. Cas de Moussa Touré frère de Petit Touré : Un jour alors qu’il était à l’observatoire, sous la porte de sa cellule, il vit un vieil homme arriver au poste de police. C’était aux environs de 13 heures. Il faillit s’évanouir lorsqu’il reconnut son père El hadj Bö Touré. A 14 heures à l’heure de la prière, le vieux refusa de prier sans son chapelet, sa bouilloire, et sa peau de prière retirés au poste de police. « Si je rate ma prière dit-il, Sékou Touré sera seul à en assumer les conséquences ». Il fut satisfait dans la minute qui a suivi. Son séjour fut relativement court pour un pensionnaire de Boiro. Par contre, cela avait semblé une éternité pour Moussa Touré, complètement perturbé par les nuits blanches et les journées à l’observatoire. Le vieux fut libéré après 11 jours de détention. Au moment de partir, il réclama l’argent
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qui se trouvait dans ses poches à son arrivée. Contrairement aux autres détenus qui sont toujours pressés de quitter les lieux, le vieux s’était tranquillement assis pour compter son argent. Répondant à l’agent qui s’étonnait de le voir traîner avant de partir, il rétorqua : « quand je suis arrivé, n’aviez-vous pas eu à compter mon argent ?»
XVII- Liquidation après libération Jean Paul Alata, empoisonné en Côte d’Ivoire après sa libération.
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CHAPITRE II Les charniers et cimetières connus Il s’agit de grandes fosses creusées dans des cimetières et dans des endroits isolés situés sur le flanc des montagnes ou dans les forêts. Elles servaient à ensevelir les corps des détenus victimes de liquidations collectives : exécution, pendaison, fouet, matraque.
1. Conakry 1.1 Le Bloc Boiro : A l’intérieur du Camp Boiro se trouve le Bloc dans l’enceinte même de la prison. Les détenus arrêtés en 1969 parlent de trois albinos enlevés en sacrifice avant le début des arrestations massives fin novembre 1970, dont les corps seraient ensevelis à l’entrée du Bloc Boiro. 1.2 Nongo : Ce quartier résidentiel était à l’époque des faits un village situé dans la périphérie de Conakry, et plus précisément, au Nord-Est de la ville. Exceptionnellement, les corps sont ensevelis dans des tombes individuelles. Cela s’explique par trois raisons au moins : − Le lieu choisi étant un cimetière, les responsables locaux ne pouvaient être mis à l’écart, il fallait donc respecter nos coutumes, à savoir un corps, une tombe. − Les décès n’ont pas eu lieu le même jour. − En 1977 la période de « terreur » étant passée, les exécutions publiques en masse n’étaient plus de mise. − De ce fait, la majorité des tombes concernent des détenus éliminés par diète noire. − Diallo Telly, ex- Secrétaire Général de L’O.U.A − Barry Alpha Oumar, ex Ministre et ex Membre du B.P.N du Parti − Lamine Kouyaté, Capitaine, Commandant du camp de Kindia − Diallo Alhassane, Lieutenant − Dramé Alioune ex Ministre
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Sylla Ibrahima, Commandant, Chef Etat Major Armée de L’Air Traoré Ansoumane dit N’Koro, Pharmacien Boiro Moussa, mécanicien Boiro Yéro Goullel, Paysan Boiro Demba Botje, lutteur Boiro Yaya, ancien combattant Barry Sory de Saramoussaya, Contrôleur au Marché Rada Abdoul, un jeune métis libanais de Coyah Camara Karifa élève Gendarme Kaba Sidiki, Caporal (de retour d’une formation en Libye) Verstrepen Jean Claude, nationalité belge, enseignant.
Groupe Bah Mahmoud − Diallo Saliou, paysan, 1979 − Camara Ousmane, paysan 1979 − Bah Hâdy, paysan, 1979 − Diakité Sékou, paysan 1979 − Manga Moussa, responsable du parti à la base 1979 − Diallo Mallal, paysan, 1979 − Keita Mamadou, paysan, 1979 − Diallo Karamoko, venant de l’extérieur 1979 1.3 Champs de tir de Kissössö Situé à l’époque dans la banlieue de Conakry, sur la route de Kindia, avec le développement de la ville cet endroit est occupé en partie par la base du génie route de l’armée. Il y a en ces lieux trois fosses communes. Première fosse : On a pu identifier entre autres les restes des personnes ci-dessous : − Barrry Ibrahima dit Barry III, ex Ministre − Baldé Ousmane, ex Ministre − Magassouba Moriba, ex Ministre − Kaba Laye, Commerçant de Kankan − Keita Kara de Soufiana, ex Commissaire − Tall Habib, ex Ambassadeur
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− Hadja Camara Loffo, ex Ministre, Membre du Bureau Politique du PDG. Deuxième Fosse : Cette fosse contient des restes qui sont présentés par des témoins comme étant ceux des assaillants débarqués à Conakry le 22 Novembre 1970, et faits prisonniers. Parmi eux, Thiam Mamadou qui avait réussi à prendre le contrôle de la centrale électrique de Tumbo. Troisième Fosse : A l’heure actuelle, faute de témoignages fiables, difficile de pouvoir donner une identité aux différents corps dont les restes se trouvent dans cette fosse
2. Kindia : Ville située à 135 Km de Conakry. Elle a abrité la deuxième « structure » de concentration et de liquidation après celle de Boiro à Conakry. 2.1 Au pied du Mont Gangan Première Fosse : Elle contient les restes des personnes ci-dessous : − Bah Thierno Ibrahima, ex Gouverneur − Bah Bademba, jeune frère de Bah Thièrno Ibrahima, Notable, Agriculteur − Doumbouya Kémoko, Capitaine, ex Aide de Camp du Président Sékou Touré − Kéita Mamoudou, Capitaine, ex-commandant du Camp Boiro − Barry Bademba, militaire, Lieutenant − Bah Mamadou, Lieutenant, ex-Garde de Corps du Président Sékou Touré. Deuxième fosse : Cette fosse contient les restes des corps des Militaires arrêtés à Labé en 1969, dans le cadre de ce qui a été désigné sous le nom de « Complot Kaman – Fodéba ». − Kourouma Mamady, Militaire, Sergent-chef − Diallo Baïlo − Bah Tely Oury, caporal parachutiste − Kéita Ousmane, fils du Commandant Gueye − Oularé Tamba Sewa, Militaire, Caporal − Camara Bigné, Militaire, Caporal − Soumaoro Karamoko, Militaire, Caporal
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Béavogui Pévé, Militaire Caporal Sow Mamadou Alpha, Soldat Bangoura Bassirou (Bachir), Militaire, Sergent Coumbassa Ali, Militaire, Lieutenant Sakovogui Siba, Militaire Niankoye Tefamou Camara Mohamed dit M’Bengue, Militaire Diallo Mouctar, Militaire, lieutenant Kéita Namory, Militaire, Adjudant-chef
2.2 Dans la forêt classée de « Fissa Forè » : Elle a été utilisée pour l’organisation de liquidations massives. L’existence de fosses communes à cet endroit ne fait pas l’ombre d’un doute. Ces fosses contiennent les restes des corps de détenus arrêtés en 1969 et exécutés à Kindia. A ceux-là, il faudra d’autre part ajouter ceux des extradés de Gambie, livrés à l’époque par le Président Kairaba Diawara. Ces derniers ont été nuitamment transportés sur les lieux après avoir subi un traitement des plus inhumains et dégradants. En effet, ils ont été auparavant étouffés, avant d’être mis dans des sacs d’emballage, puis traînés comme des ordures pour être jetés dans les fosses. C’est à cause des différentes bavures que les populations avoisinantes ont pu savoir ce qui s’était réellement passé en ces lieux. Celles de Kouradi, localité située sur la route de Gomba, racontent : « Avant chaque opération, une mission officielle passait pour prévenir les villageois, et leur dire que l’armée aurait des exercices de tirs à effectuer la nuit. Par conséquent ils sont invités à rester calmes, et surtout éviter de sortir pour ne pas être victimes des balles perdues ». Des témoignages dignes de foi existent, confirmant l’existence de trois fosses à cet endroit. Il faut préciser qu’une commission d’enquête s’était rendue sur les lieux en 1984, après le changement de régime. Plus de dix années après ces macabres évènements, elle avait constaté que le sol était encore jonché d’étuis vides de balles d’armes de guerre telles que PM-Ak et P A. (38)
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CHAPITRE III Liste de détenus étrangers exécutés ou morts en détention Allemagne Fédérale : Seibold Hermann décédé en 1971 par suicide à Boiro. Belgique : Verstrepen Jean Claude, décédé le 03-10-1972 par suicide à Boiro (Poste-X). Côte d’Ivoire : Bakayoko Lama, âgé de 37 ans, père Bakayoko Ibrahima, mère Camara Macoulako, décédé le 20-02-1978 à Boiro. Guinée Bissau : − Dabo Abdoulaye, âgé de 37 ans, père Dabo Arafan, mère Dabo Aissata, décédé le 30-O6-1975 à Boiro. − Tavarez Nicolas, décédé le 04-02-1975 à 11 heures à Boiro. Ghana : − John, Garde de Corps de l’ex-Président Kwamé N’Krumah exilé en Guinée, décédé à Kindia. − Un deuxième garde du corps surnommé le big mort à Boiro. Liban : Chaoul Saidou arrêté en 1960. Mali : − Bah Abdourahmane, né en 1933, père : Bah Thierno Yaya N’Bara, mère : Diallo Hawa, décédé le 26-06-1975 à 19h00 à Boiro. − Keita Amadou, décédé le 04-02-1971 à Kindia.
− Sow Ibrahima, père : Sow Mamadou, mère : Diallo Hawa, décédé le 17-06-1977 à Boiro. Sénégal : − Cissé Abdou, décédé le 21-08-1974 à Boiro. − Diouf Daouda, né en 1937, père : Diouf Formane, mère N’Gom Gnilane Sohna, décédé le 04-11-1975 à Boiro. Détenu étranger exécuté : Touré Sékou Sadibou, fusillé le 18-10-1971 à Kindia.
Le personnel médical à Boiro de 1965 à 1984 1- Le personnel local − Diallo en 1965 − Banaro en 1965 − Major Mamadouba Sakho − Keita Yankaba 2- Détenus du corps médical − Docteur Ousmane Keita − Docteur Kozel − Socteur Barry Kandia 3- Détenus formés sur le tas − Camara Daouda, tailleur − Gomez René, ingénieur − Camara Himi, Lieutenant Gendarme − Soumah Mamadouba, ouvrier − Bangoura Samba, ouvrier 4- Hommes de garde formés sur le tas − Caporal Leno Meno − Caporal Kamano Yandi 5- Corps médical de l’hôpital Donka − Dr Bah Mamadou Kaba, gynécologue − Dr Sylla Hadiatou, ophtalmologue
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− Dr Diawarra, psychiatre − Dr Diallo Saliou, médecine générale Est-il nécessaire de rappeler que les quelques pages qui précèdent n’ont fait que survoler une période qui s’étend de 1959 à 1984, et que les noms cités ne représentent qu’une goutte d’eau dans l’océan des victimes du régime de Sékou Touré. La toute dernière question que l’Ambassadeur André Lewin aurait pu poser au Président Sékou Touré s’il était encore vivant aurait pu être : « Monsieur le Président, est-ce que tous ceux-ci mettaient réellement en cause votre pouvoir ? » La réponse en ce qui me concerne est naturellement : Non. En effet, je pense qu’il ne peut y avoir de justification acceptable pour un tel massacre.
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CHAPITRE IV La question Ce qui vient d’être relaté n’est qu’une toute petite fenêtre, ouverte sur deux centres de détention et d’extermination, alors qu’il en existait plusieurs autres à l’intérieur du pays, tels que Kankan, Labé, Forécariyah etc. Le pouvoir instauré par Sékou Touré, et qui a perduré pendant 26 ans, en dépit de nombreux complots régulièrement dénoncés mais rarement prouvés, peut être défini comme un régime totalitaire, c’est-à-dire un pouvoir mettant tout le peuple à la merci d’une idéologie construite par un homme et s’appuyant sur un parti unique, le PDG. Pour sa mise en place et sa consolidation, il s’était singularisé par l’application systématique d’une multitude de méthodes de liquidation physique aussi variées que cruelles, qui n’ont épargné aucune ethnie, aucune religion, aucune classe sociale. La question qui vient donc à l’esprit est de savoir : Pourquoi tout ce massacre ? Pourquoi et comment de 1959 à 1984, la Guinée a-t-elle été le théâtre d’arrestations massives et successives, ayant entraîné la mort de plusieurs milliers de personnes, par pendaison, exécution, diète et autres formes de liquidation ? Comment expliquer à défaut de pouvoir justifier un tel acharnement et une telle cruauté ? On peut avancer plusieurs hypothèses : 1. La fatalité ? Non, Impossible d’accepter une fatalité qui serait caractérisée par un massacre collectif et cyclique, soumettant à la même sanction le Général et le caporal, le professeur et l’élève, le grand commerçant et la vendeuse du marché, le ministre et le planton, l’imam et l’archevêque, le notable et le délinquant. 2. Les pratiques irrationnelles ? Elles ne sont pas à exclure. Par exemple, le nombre de victimes des exécutions du 18 octobre 1971 semble avoir été fixé en fonction de critères purement irrationnels. Compte tenu de
la dispersion des différents lieux d’exécution, la comptabilité des victimes et leur identification nécessiteront beaucoup de temps. Cependant, le 18 octobre étant aussi la date anniversaire de la naissance du Président Houphouët Boigny de Cote D’Ivoire, la coïncidence mérite d’être signalée. D’autre part, il serait intéressant de savoir pour quelle raison et dans quel but Sékou Touré s’était rendu dans la nuit du 1er mars 1977 au cimetière de Nongo, en compagnie de maire Lamina, président du quartier (à l’époque Pouvoir Révolutionnaire Local, PRL), pour faire exhumer le corps de Diallo Telli enseveli dans la journée, et avait demandé de découvrir son visage. De même, comment expliquer la mise à mort par diète noire, deux semaines après la mort de Telly Diallo, plus précisément le 13 mars 1977, de quatre jeunes qui ne se connaissaient pas auparavant. Quatre personnes dont le seul crime, pour ne pas dire la malchance, aurait été de porter le même nom de Boiro. L’irrationnel demeure pour l’instant la seule explication. 3. Coïncidence ou date fétiche ? L’on pourrait se demander pourquoi avoir attendu le 25 janvier 1980 pour faire libérer Diop Alhassane, un de ses anciens ministres, alors que ce dernier avait déjà été convoqué et habillé une première fois au poste de police le 4 novembre 1979 ? En effet on ne peut s’empêcher de penser au 25 janvier 1971, date à laquelle il avait fait pendre trois autres de ses anciens ministres au pont du 8 novembre à Conakry. Pour justifier certains comportements chez Sékou Touré, l’Ambassadeur André Lewin n’écarte pas non plus l’irrationnel. En effet, la mission dont il avait la charge en tant qu’envoyé spécial du Secrétaire Général de l’ONU, d’autres plus puissants et plus prestigieux tels que le Président des Etatsunis, Indira Gandhi alors Premier Ministre de L’Inde, et plusieurs Chefs d’Etats africains, s’y étaient déjà essayés sans succès. A la question d’un journaliste lui demandant : « comment avez-vous procédé avec Sékou Touré ? Vous l’avez ensorcelé ? ». Réponse : « Vous ne croyez pas si bien dire. Un de mes amis africains m’avait raconté que Sékou Touré se serait laissé dire par un marabout qu’un jour prochain, c’était en 1973, un homme blond viendrait changer le cours des évènements en Guinée. Si cette anecdote est vraie, et je n’ai pas de raison de croire qu’elle ne l’est pas, j’aurais été dans l’esprit de Sékou Touré envoyé par le destin ».25 4. Par Hasard ? Non dirait mon ami et grand frère, docteur Ousmane Keita, qui était aussi mon dernier compagnon de cellule à Boiro. Je me 25
Livre Sékou Touré : Ce qu’il fut, ce qu’il a fait, ce qu’il faut faire – Edition Jeune Afrique Collection.
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souviens du jour où il me relata les péripéties d’une mémorable partie de dames qu’il avait livrée avec son ami Sékou Touré, au moment où il n’était pas encore étiqueté « Comploteur ». « Mes relations amicales avec Sékou Touré disait-il, me donnaient très souvent l’occasion d’aller au Palais pour jouer. Un jour, comme c’était mon jour de chance, j’ai eu à mener trois jeux à zéro. J’étais content mais un peu gêné, alors j’avais proposé de jouer le quatrième jeu au quitte ou double, avec la secrète intention de me laisser battre : Réponse de Sékou Touré : « Ousmane, tu crois que moi je peux laisser mon sort au hasard ? ». Malheureusement, docteur Ousmane Kéita avait oublié de me raconter la fin de leur soirée, et moi je n’ai pas cherché à connaître la suite. 5. Alors par calcul ? − En effet, il est plus que troublant de constater que, depuis le début des arrestations fin novembre 1970, les effectifs des hommes de garde en service à Boiro avaient toujours respecté un certain équilibre régional. Grâce aux noms et à la langue parlée, nous avions très tôt compris que les agents provenaient des quatre régions naturelles du pays. La question qui se pose est de savoir pourquoi, avoir systématiquement éliminé des effectifs, les agents originaires de la moyenne Guinée, région d’origine de Diallo Telli, au moment du renouvellement semestriel prématuré du groupe ? En tout cas, comme par coïncidence, quelques jours seulement après la relève, ce fut le déclenchement en juillet 1976 de l’affaire Diallo Telli dite « Complot Peuhl ». − Les cadeaux de Sékou Touré. Ses différents discours étaient consignés dans des ouvrages désignés sous le nom de « Tomes du PDG ». Il aimait les offrir à ses visiteurs dont certains avaient le privilège d’en recevoir avec dédicace. − Le cadeau avant l’arrestation : Le cas de Baldé Oumar en poste à Dakar comme Secrétaire Général de L’OERS, (l’Organisation des Etats riverains du fleuve Sénégal). Après l’agression du 22 novembre 1970, Baldé Oumar est appelé en consultation à Conakry par message. Il en informe alors le Président de la République du Sénégal, pays hôte du siège. Ce dernier lui fit part de ses appréhensions et lui recommanda de différer son déplacement compte tenu de l’exceptionnelle tension qui prévalait en Guinée à ce moment. Cependant, Baldé Oumar répondit qu’il avait obligation de s’exécuter, surtout qu’il n’avait rien à se reprocher. C’est ainsi qu’arrivé à Conakry, il fut reçu sans protocole par le chef de L’Etat qui, après avoir pris connaissance séance tenante du contenu du
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courrier qu’il avait amené, le félicita et le reconduisit jusqu’à l’escalier. Pour son retour, contre toute attente, il rencontra des lenteurs inhabituelles pour la récupération de son passeport au niveau des agents du Ministère de l’Intérieur. Par la suite, ses appréhensions furent vite balayées par la chaleur de l’accueil à la Présidence. Il lui fut même proposé par le Président le poste d’Ambassadeur de Guinée au Sénégal. Au moment de se séparer, le Président lui dédicaça un Tome qu’il lui offrit « pour les bons et loyaux services rendus au pays ». Puis insidieusement, le chef de l’Etat lui demanda alors le numéro de sa chambre à l’hôtel Camayenne, sous le prétexte de lui faire envoyer une voiture pour l’aéroport. Ce qu’il fit d’ailleurs avec empressement. Cependant, à 1 h du matin, il fut réveillé pour se retrouver face à trois gendarmes venus l’arrêter. Il était bouleversé. Malheureusement il n’était pas au bout de ses peines. En effet, le chef de groupe n’était quant à lui préoccupé que par la récupération du tome dédicacé qu’il avait mission de ramener à la Présidence. Baldé Oumar ainsi arrêté fut exécuté le 18 octobre 1971 à Kindia. − Le cadeau après la libération : Ci-joint un extrait de la lettre de Diop Alhassane en date du 12 février 1980 après sa libération. « Le 25 janvier 1980 à 9h00 Siaka Touré est venu en personne me chercher au bloc et me conduire à l’aéroport. C’est à ce moment qu’il me dit que j’allais voir ma famille. Il m’a alors remis un livre sur le séminaire idéologique des Etudiants de l’Institut Polytechnique, dédicacé : « A mon frère Alhassane Diop sentiments fraternels ». Signé Sékou Touré. Alors me revient en mémoire la phrase du Président Houphouët Boigny de Côte D’Ivoire, alors qu’il s’adressait au Président guinéen lors d’une visite en Guinée : « Sékou tu es un mauvais frère, mais un frère quand même ». Comment savoir si c’était ce message qu’il voulait à son tour transmettre à Diop Alhassane ? 6- La rancune ? Elle pourrait aussi expliquer certains comportements. − Un échec non digéré : En effet en 1936, Sékou Touré ne fut pas admis à l’école primaire supérieure Camille Guy de Conakry, il fut donc orienté vers l’école professionnelle Georges Poiret. Comme conséquence, il se sentira toujours humilié de n’avoir pas été reçu à L’EPS. Il en rendra responsable son maître d’école, Fodé Bocar Maréga. La famille Maréga fut mise à contribution plusieurs années après, par l’arrestation de son fils, Docteur Maréga en 1969, et son exécution en janvier 1971.
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− Une élection perdue : En juin 1954, profitant d’une élection législative partielle à la suite du décès du député Yacine Diallo, Sékou Touré s’était présenté à la députation. Il fut battu par Barry Diawadou mais n’oublia jamais cet échec et le fit payer plus tard à la famille de son concurrent avec : − l’arrestation en 1968 de Yaya Barry un frère de Diawadou, exilé en Côte d’Ivoire, revenu en Guinée pour des condoléances après le décès de sa mère. − l’arrestation de Barry Diawadou en avril 1969 et son exécution le 29 mai 1969 au pied du mont Kakoulima près de Conakry. − l’arrestation de son jeune frère Barry Amadou, incarcéré à Boiro une première fois en 1969, puis une seconde fois en 1971. − En plus de l’arrestation des deux frères, leur père L’Almamy Aguibou Barry de Dabola sera quant à lui interdit de séjour chez lui et mis en résidence surveillée en 1969 à Boffa à plus de 500 Km de sa ville pendant plusieurs mois. − Un accouchement fatal : La mère de Sékou Touré est morte après sa naissance au cours d’un autre accouchement, alors qu’elle était à la maternité sous la responsabilité du Docteur Kantara. En représailles, la famille Kantara sera elle aussi mise à contribution : − Par l’arrestation en 1971, de son fils Emile Kantara en service à la société Fria, libéré en 1978. − Celle de son jeune frère, Alain Kantara en 1972, libéré en 1978. − Celle de leur sœur Marie Kantara en 1971, libérée en 1978. − Remise en cause du cumul de postes : En novembre 1962, tenue à Foulayah du séminaire préparatoire du 6ème Congrès du PDG. Trois hauts dignitaires du parti demandent à cette occasion le respect des règles du parti à savoir : − Que les membres du Bureau Politique soient choisis parmi les militants et élus par tous les membres du parti, alors que Sékou Touré voulait coopter Toumany Sangaré et Keita Fodéba qui n’avaient jamais occupé de poste de responsabilité au sein du Parti. − Que les statuts prévoient qu’il ne puisse pas y avoir de cumul de postes pour le Président de la République, avec celui de Secrétaire Général du parti. Cette remise en cause avait été faite par : Bangaly Camara, Tounkara Jean Faragué, Camara Loffo. Conséquences : − Le Conseil National de la Révolution (CNR) convoqué à Kankan en août 1963 est transformé en 7ème congrès extraordinaire, avec pour
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résultats : La réduction du nombre des membres du Bureau Politique (BPN) de 17 à 15, entraînant l’exclusion : de Bangaly Camara et Tounkara Jean Faragué. − Puis le 8 novembre 1964, Bangaly Camara et Tounkara Jean Faragué sont démis de leurs postes de Ministres. Finalement, en 1965 Camara Bangaly et Tounkara Jean Faragué seront arrêtés. Camara Bangaly y laissera la vie et son compagnon Tounkara sera libéré après quelques années. Mais en 1969 Tounkara Jean Faragué sera de nouveau arrêté puis libéré. En 1971 il sera arrêté pour la 3ème fois en compagnie de son épouse, et de sa fille Yolande, et ils seront libérés tous les trois quelques années après. Quant à Camara Loffo, ancien Ministre, elle fut arrêtée en décembre 1970, et exécutée le 25-01-1971. − Des « grandes familles » comme cibles ? On retrouve au niveau des différentes régions de la Guinée des familles plus connues que les autres pour des raisons diverses : − Soit pour de hauts faits enregistrés au cours de notre histoire − Soit pour leur érudition − Soit pour leur fortune − Soit pour leur position sociale pendant la féodalité ou le régime coloniale Nul doute qu’elles ont payé un lourd tribut à l’occasion des différentes vagues d’arrestations. Cette hypothèse trouve ses motivations dans les « manipulations » de l’histoire par Sékou Touré afin d’amarrer sa descendance à celle de L’Almamy Samory Touré qui s’était illustré dans la résistance contre la pénétration coloniale dans notre sous-région. 7- Trompé par son entourage ? Cela n’est pas impossible, si l’on retient l’hypothèse d’une personne qui avait eu l’occasion de discuter librement avec lui ; je veux nommer l’ambassadeur André Lewin lorsqu’il écrit : « Mais il est tout à fait possible qu’il n’ait pas su dans le détail que les hommes chargés des interrogatoires en profitaient pour régler leurs comptes, pour se livrer à des luttes d’influence et cherchaient à briser des concurrents éventuels ». Trêve de supputations : Donnons la parole à trois scientifiques et à deux journalistes, qui ont bien connu Sékou Touré et qui vont nous donner leur éclairage à son sujet. Les deux premiers se sont exprimés au cours d’une émission radio à la (RTG) Radio Télévision Guinéenne à Conakry, le 10 juillet 1984 à 22h30,
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avec comme sujet : « Causeries médicales au sujet de la maladie et de la mort de l’ex- Président Sékou Touré. » 1- Docteur Diané Charles : « Sékou Touré était atteint de syphilis, diagnostic confirmé par nos confrères de l’ex – DDR (Allemagne Démocratique) depuis 1966. Il faut savoir que le syphilitique présente des symptômes qui peuvent échapper aux non-avertis, surtout si le malade occupe un rang social très élevé. Cette syphilis a tout naturellement conduit à la paranoïa. Sékou Touré était un paranoïaque, qui savait ce qu’il faisait. De ce fait, on notait chez lui : − Une agressivité permanente − Une très grande intelligence − Une mémoire phénoménale − Le délire de persécution. » 2- Docteur Conté Seydou, ancien Ministre : « Très tôt nous avions su que Sékou Touré était un malade, mais nous avions pensé qu’on pouvait lui mettre des garde-fous pour le rendre moins nocif. Tout le monde s’était trompé. Sékou était un destructeur de façon fondamentale, un illuminé très prolifique en idées. Il avait le goût du sang.» Ces deux personnalités ont pu échapper à la « machine infernale du système » parce qu’elles ont compris à temps que l’exil était finalement la seule alternative pour éviter ce qu’on appelait vulgairement l’hôtel cinq étoiles de Boiro. 3- Le Journaliste français ami de Sékou Touré. Jacques Vignes raconte : « J’ai connu Sékou Touré avant l’indépendance de la Guinée, alors qu’il était député à l’Assemblée nationale française. En 1960, je lui écrivis pour lui demander de me recevoir en Guinée. Il me répondit aussitôt que je pouvais venir quand bon me semblerait. J’arrivai dans un pays qui, hélas, se débattait déjà au milieu des plus graves difficultés : le riz manquait, les magasins étaient vides, la monnaie nationale, le Franc Guinéen, décroché du CFA, battait de l’aile, à peine né les objectifs du plan quinquennal qui venait d’être lancé s’avéraient hors de portée. Sékou Touré me reçut trois jours après mon arrivée, je lui fis part de mes inquiétudes. Il m’interrompit : « Ecoute dit-il, il faut que tu comprennes la situation. C’est vrai que nous avons commis des erreurs. D’abord nous avons vu trop grand. Nous avons surestimé nos forces ». Un an plus tard, éclatait l’affaire dite du Complot des enseignants, le premier d’une longue et douloureuse série. Lorsque peu après je revis Sékou, je fus frappé par le changement qui, en si peu de temps,
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s’était opéré en lui : il était devenu méfiant, inquiet et, surtout, il avait acquis une extraordinaire suffisance. Plus question pour lui de dire nous nous sommes trompés. Il ne pouvait pas se tromper. Il faut, je crois, chercher par là, dans ce trait dominant de son caractère, la raison principale de l’attitude qui a prévalu chez lui par la suite. Je ne peux pas me tromper. Le guide suprême de la Révolution a toujours raison. Si donc une de ses décisions ne débouche pas sur les résultats escomptés, c’est qu’il existe quelque part un ou plusieurs traîtres qui ont fait capoter l’entreprise. D’où la hantise du complot qui va le conduire peu à peu aux pires excès. Prenons quelques exemples. Un jour la Chine populaire livre à bon compte à la Guinée un lot de machines à coudre, copies exactes d’un modèle Singer. Peu de temps après, toutes ces machines à coudre achetées par des commerçants vont être revendues au Sénégal et en Côte d’Ivoire, puis les cigarettes Milo produites par la manufacture guinéenne, partent en masse pour le Liberia. Cela va déboucher sur le complot des commerçants. Puisque les commerçants trahissent, il faut les éliminer. On ne se demande pas si la méconnaissance de quelque loi économique n’est pas à l’origine de ces fuites, si la faiblesse de la monnaie, les écarts dans les prix ne sont pas la cause des échecs. Non, il y a des traîtres, il faut les punir, et on les punit. Mais à force de se découvrir des ennemis, on finit par suspecter tout le monde. Je me souviens d’un jour, c’était en 1975, ou nous déjeunions ensemble Sékou et moi. Je m’étais permis au cours du repas de critiquer assez sévèrement certains aspects de son régime. Je me souviens de la réflexion qu’il me dit : « Tu ne va pas me trahir toi aussi ! ». Et je me souviens aussi d’un jour où nous avions assisté ensemble à une fête à l’institut Polytechnique. Une jeune étudiante y avait chanté fort bien d’ailleurs un hymne à la gloire du guide suprême. De retour à la présidence, il me confia : « Tu as vu cette fille qui chantait. C’est la fille d’un ministre qui a été arrêté, et qui a été condamné à mort parce qu’il trahissait. Tu as vu, elle ne m’en veut pas. Elle a compris. Elle chante quand même mes louanges ». J’étais terrorisé, mais lui ne semblait pas avoir conscience de ce qu’il pouvait y avoir de monstrueux dans ces paroles. Il était satisfait de constater que les liens familiaux les plus sacrés étaient de peu de chose face à son pouvoir. A la suite de cette affaire, j’ai cessé de me rendre à Conakry » 4- Un Expert en graphologie. Ce dernier a eu à examiner successivement deux échantillons de l’écriture de Sékou Touré. Dans un premier temps, la dédicace en 1975 d’un volume de ses œuvres, dans un second temps une lettre adressée le 5 mars 1968 à Balla Camara, accusé d’avoir des relations trop étroites avec les Français. Un an plus tard, Balla sera arrêté et exécuté. « Le scripteur a une nature entièrement extravertie, impulsive et instinctive. Sa personnalité est imposante, son caractère est fait
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de générosité et de verve communicative. Mais il peut parfois perdre de vue les réalités et se montrer sans pitié ». Plus loin on peut lire aussi. « Le scripteur a certainement une nature paranoïaque, avec tout ce que cela comporte de perturbations chez le sujet. Au tempérament extraverti, à l’audace, l’emphase, l’orgueil, l’ambition démesurée, l’agressivité, et aux dispositions sectaires et tyranniques, s’ajoute un manque complet de sens moral et de respect d’autrui. Il semble croire être une sorte de Juge d’instruction des gens que sa mentalité paranoïaque accuse. Armé de suffisance, il pense sans doute que les autres peuvent bien périr plutôt qu’un de ses principes ». 5- Le deuxième Journaliste (opposant politique au régime de Sékou Touré) : Sous la plume de notre compatriote Siradiou Diallo, alors journaliste à Jeune Afrique. « L’arme que Sékou Touré a maniée avec le plus d’efficacité aura toutefois été le complot. Tous ceux qui avaient le savoir (cadres civils et militaires, intellectuels), la fortune (hommes d’affaires), la naissance (membre des grandes familles) n’étaient que des condamnés en sursis. Tous étaient fichés et programmés pour un complot à venir qui tombait chaque fois à point nommé. Aucun Guinéen n’était à l’abri de l’épée de Damoclès qui pendait au-dessus de sa tête. Ce ne sont ni l’intelligence ni l’habileté manœuvrière, mais tout simplement la chance et le destin qui ont sauvé ceux des intellectuels, officiers, hommes d’affaires ou fils des grandes familles qui ont survécu en Guinée jusqu’au 26 mars 1984, date de la mort de Sékou Touré. L’instrument d’avilissement et de destruction de l’homme a fonctionné sans trêve. Avec un recours à tous les moyens possibles. Plus particulièrement à la technique de la terreur, de l’amalgame et de la fausse vérité. Au total donc, l’arme du complot aura été d’une extrême utilité entre les mains de Sékou Touré. Elle était dissuasive dans la mesure où elle décourageait les candidats à la subversion, et répressive puisqu’elle permettait d’éliminer tous les adversaires réels ou potentiels du régime ». Ainsi la liquidation physique aura été pour le « juge d’instruction », la solution de prédilection pour asseoir son régime et exercer un pouvoir sans partage pendant 26 ans. Tous ceux qui ne pensaient pas comme lui devaient s’exiler s’il leur en donnait le temps ou disparaître. Prises individuellement, chacune des hypothèses que nous venons d’énumérer peut paraître insuffisante. Cependant, prises collectivement, chacune peut expliquer l’inexplicable. En effet, tous ceux qui l’ont pratiqué le disent : Sékou Touré fut une personnalité complexe, inclassable dans une catégorie. De ce fait, son passage à la tête de la Guinée a été pour notre peuple une douloureuse parenthèse historique qu’il sera difficile de refermer.
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Alors pour quels résultats ? Plusieurs décennies ont passé, et très bientôt les Guinéens et les Guinéennes seront appelés à fêter le cinquantième anniversaire de l’indépendance de leur pays. Ce que l’on peut certifier, c’est que tout cela a bien eu lieu dans la Guinée de Sékou Touré. Un massacre programmé, qui a contribué à la liquidation physique de plus de deux générations de Guinéens, dont les cadres civils et militaires représentaient l’élite de notre société, les femmes, les ouvriers et les paysans notre principale force productive. Ce massacre a ainsi privé notre pays de cerveaux et de bras qui sont les moteurs indispensables pour le développement de toute nation. Les problèmes actuels auxquels notre pays se trouve confronté ont en partie leur justification dans l’écrasement méthodique de la presque totalité des pierres qui devaient servir de fondation à la maison Guinée. Le personnage appartient à notre histoire, il revient à nous tous, Guinéennes et Guinéens, la lourde et douloureuse responsabilité de gérer son temps de passage dans cette histoire.
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CHAPITRE V Liste alphabétique de disparus − Par pendaison − Par exécution − Par diète noire − Par suite de sévices − En cellule faute de soins − Peu de temps après la libération − Par noyade − Par suicide La liste qui va suivre concerne des personnes arrêtées entre 1959 et 1984, à l’occasion des différentes vagues d’arrestations massives, consécutives à ce qui était le plus souvent appelé : « complots », « mouvements », « évènements » ou « affaires ». Cette liste est purement indicative de personnes mortes, ou portées disparues, dont j’ai eu connaissance : au camp Boiro pendant ma détention, ou par mes recherches personnelles en prison et hors de la prison. Pour nous aider tous à l’immortalisation de la mémoire des victimes, j’invite tous ceux qui ont eu des parents ou amis disparus à communiquer leurs noms et les renseignements permettant de sauver leur mémoire. Beaucoup de victimes du régime de Sékou Touré ne sont plus de ce monde, et lui non plus. Dans quelques années il n’y aura plus de survivants donc de témoins. Cependant, le peuple de Guinée, lui, demeurera toujours, et un jour l’histoire jugera. Ainsi nous avons connu successivement :
1) 1959-1960 : « Complot Ibrahima Diallo » Motif : Rédaction d’un manifeste pour la création d’un Parti dénommé PPG (Parti Progressiste de Guinée).
Lieux de détention : Conakry, Koundara, Mali, Dabola, Guekédou N’zérékoré et Dalaba. En effet, après quelques mois passés à Conakry, les détenus furent transférés dans des prisons de l’intérieur du pays afin de libérer des places à conakry. Principaux accusés : − Diallo Ibrahima, Magistrat, ancien étudiant en France rentré en Guinée en 1959 ; − El-Hadj Kaba Lamine, Imam de la mosquée de Coronthie à Conakry ; − Diallo Yaya, Ingénieur, ancien étudiant en France rentré en Guinée en 1959 ; − Touré Fodé dit le Gros, ancien étudiant en France rentré en Guinée en 1959 ; − Docteur Rossignol pharmacien ; − Bachelard Pierre pilote d’aéronef ; − Nombre total de détenus au camp camayenne : quarante-quatre (44).
2) Novembre-décembre 1961 : Complot des enseignants Motif : Rédaction d’un mémoire par le syndicat des enseignants concernant une revalorisation substantielle des salaires des enseignants. Lieu de détention : Conakry camp camayenne Principaux accusés : Les 12 membres du Bureau du Syndicat des enseignants qui furent traduits devant la Haute Cour de Justice. Il y eut 5 condamnations. − Keita Koumandian (10 ans) ; − Ray Autra (10 ans) ; − Bah Ibrahima Kaba (5 ans) ; − Niane Tamsir (5 ans) ; − Seck Bahi (5 ans). Ces arrestations ont été suivies par un mouvement de protestation des enseignants à travers tout le pays sous forme de : grève, déclarations publiques, etc. Ce qui entraîna l’arrestation de ceux qui étaient considérés comme les plus irréductibles. − Diallo Kolon, à Labé ; − Sidi Diarra, à Kankan ; − Baldé Mountaga ;
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− Baldé Hassimiou ; − et Fofana Ibrahima. Il y eut également des arrestations d’étudiants pour soutien au corps enseignant parmi lesquels : − Lamine Camara, président des élèves de l’école normale, qui sera arrêté de nouveau en 1971, dans le cadre de la cinquième colonne. Sous la deuxième république, il occupera les fonctions d’Ambassadeur à Paris, puis les portefeuilles des Affaires Etrangères et de la Fonction Publique ; − Cellou Diallo dit Noble, responsable au niveau du comité des élèves ; − Djiba Camara, Surveillant général ; − Goureissi Thiam, maître d’internat. Des arrestations furent opérées également dans les lycées, parmi lesquelles : − Diané Fanta Oumar ; − Diallo Nabica ; − Yansané Kerfalla ; − Béavogui Famoi, élève décédé au camp camayenne le 16-11-1962. Nombre total de détenus au camp camayenne : cinquante-quatre (54)
3) Octobre - novembre 1964 : « affaire des femmes » Motif : Marche des femmes à l’occasion de la rentrée des classes pour exprimer leur colère, car plusieurs enfants déjà scolarisés n’avaient pas pu trouver de places dans les établissements. Lieu de détention : Conakry Principales accusées : Des femmes, ménagères pour la plupart.
4) 1965 Complot Petit Touré : Motif : Dépôt au Ministère de l’Intérieur le 11 septembre 1965 des statuts du P U N G (Parti de L’Unité Nationale Guinéenne). Principaux accusés : − Touré Mamadou dit Petit Touré, Commerçant ; − Touré Moussa, frère de Petit Touré ; − Touré Kèlètigui, frère de Petit Touré ;
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− Tounkara Jean Faragué, Ministre, ancien membre du Bureau Politique du PDG ; − Keita Mamoudou, Commandant ; − Bayo Souleymane Adjudant /chef, chef de poste au Bloc ; − Touré (Mme) née Alandia Keita, épouse de Petit Touré ; − Touré fils de Petit Touré et Alandia, né en prison ; − Madame Touré née Kadiata Diallo, épouse de Kèlètigui Touré ; − Touré, Bébé de 20 mois fils de Kadiata Diallo ; − Kaba Sory, Ambassadeur ; − Camara Bangaly, Ministre, ancien membre du Bureau Politique du PDG ; − Koulibaly Waféré, ancien étudiant en France, rentré en Guinée en 1959 ; − Kamano Vincent ; − Yansané Sékou Mouké, professeur. Nombre total de détenus au camp camayenne : quatre-vingtseize (96).
5) 1968 : Elections présidentielles : Motif : Acte de candidature pour les élections présidentielles. Pourtant la Constitution de 1958 stipule : « Tout citoyen majeur est électeur et éligible. » Lieu de détention : Conakry Principaux accusés : − Fofana Boubacar, candidat ; − Kaba Diafodé, candidat ; − Millimono Faya ; − Diallo Koumby. Nombre total de détenus au camp Camayenne : vingt-six (26).
6) Mars 1969 Complot Kaman - Fodéba Motif : Après les putschs militaires du Ghana et du Mali qui ont entraîné la chute des Présidents Kwamé N’Kruma et Modibo Keita, Sékou Touré avait dit publiquement qu’une telle éventualité était exclue pendant
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son régime. Joignant l’acte à la parole, il avait donc pris des dispositions préventives en éliminant les meilleurs cadres de l’armée nationale. Des revendications survenues au camp des parachutistes de Labé ont servi de prétexte, avec la complicité de Emile Cissé à l’époque Directeur d’école à Kalédou (Labé). Lieu de détention : Conakry Principaux accusés : − Keita Fodéba, Ministre ; − Barry Diawadou, Ministre; − Fofana Karim, Ministre; − Kaman Diaby, Colonel – Ministre ; − Camara Bala, Ministre ; − Deen Jean, Ambassadeur ; − Marof Achkar, Ambassadeur ; − Barry Amadou, jeune frère de Barry Diawadou ; − Diop Tidiane, Administrateur en service à la Direction de la Société FRIA ; − Maréga Bocar, Docteur ; − Baidi Gueye, Industriel ; − Bah Thierno Sabitou Docteur Vétérinaire. Nombre total de détenus au camp Camayenne : quatre-vingtsept (87).
7) Mai 1969 : Coup Tidiane Kéita Motif : Le 26 mai, au cours de la visite officielle du Président Zambien, Keneht Kaunda, le Président Sékou Touré est agressé dans sa voiture par le nommé Tidiane Keita. Ce dernier est tué sur place par le chef de la police Guy Guichard sur ordre de Sékou Touré. C’est d’ailleurs la première réelle agression contre sa personne. Principaux accusés : − Le père de Tidiane Keita dont la concession sise au quartier Madina Corniche avait été complètement rasée. − Diallo Alpha Oumar et Bah Boubacar, deux chauffeurs de taxi accusés d’avoir publiquement commenté l’incident.
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8) Septembre 1969 : « Affaire » Almamy David Sylla Motif : Ancien Chef coutumier de Tondon en Basse Guinée, il était accusé d’assassinat sur la personne d’une femme en grossesse du nom de Camara M’Balia. Cette dernière sera plus tard élevée au rang d’héroïne nationale. Principaux accusés : − Almamy David Sylla − Almamy Dedé Sylla son fils
9) 1970 – 1971 : La cinquième colonne Motif : Agression portugaise contre la Guinée le 22 Novembre 1970. Lieux de détention : Conakry, Kindia, Kankan et partout où siégeait une délégation du comité révolutionnaire pour une durée limitée. Principaux accusés : Plusieurs milliers d’arrestations dans tout le pays. Tous les records ont été battus en termes de : − Nombre d’arrestations − Nombre de cadres civils et militaires − Nombre de commissions d’enquête − Nombre de lieux d’incarcération − Nombre de morts − Formes de tortures − Durée d’incarcération : 10 ans pour Keita Ousmane, Diallo Alpha Abdoulaye Portos et Yorro Diarra Nombre total de détenus au camp Boiro : six cent quatre-vingts (680).
10) 1973 : « Affaire » Wanda Oularé Motif : Lors du renouvellement des organismes du Parti, les habitants de la ville de Faranah, dans leur grande majorité, étaient favorables à la candidature de Wanda, un jeune de la cité. Il se trouve que Faranah était la ville d’origine de la famille Touré, par conséquent le poste de secrétaire fédéral du parti devait revenir de droit à Amara Touré, grand frère du Président Sékou Touré. La candidature de Wanda fut donc perçue comme un acte de lèse-majesté. Une délégation gouvernementale envoyée à Faranah par avion ne réussit pas à faire se désister le candidat. Après le retour de la délégation à Conakry, c’est un avion cargo qui était revenu pour prendre le
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concurrent et tous ceux qui étaient considérés comme ses proches. Bien entendu ils furent envoyés au camp Boiro. Principaux accusés : Le candidat et plusieurs dizaines de personnes de son mouvement.
11) 1976 : Complot peuhl ou affaire Telli Diallo et la situation particulière du Fouta : Motif : Prétexte pour arrêter les personnes programmées mais toujours en liberté. Au Comité Révolutionnaire au Camp Boiro, ce nouveau groupe était appelé : la « queue de la cinquième colonne » pour bien marquer la continuité dans les opérations. D’autre part il fallait faire disparaître un homme dont la renommée faisait ombrage à Sékou Touré. Lieu de détention : Conakry, Camp Boiro Principaux accusés : − Diallo Telli, Ministre ; − Barry Alpha oumar, Ministre; − Dramé Alioune, Ministre ; − Camara Sékou dit Philo, Ambassadeur ; − Hadja Bobo Diallo, jeune sœur de Diallo Saifoulaye considéré comme le N° 2 du régime ; − Kouyaté Lamine, Capitaine ; − Diallo Alhassane, Lieutenant ; − Sy Savané Souleymane, Magistrat. Nombre total de détenus au Camp Boiro : Cent quatre (104).
12) 27 août 1977 : Mouvement des femmes : Motif : Révolte des femmes à Conakry et dans plusieurs villes du pays, suite à la suppression du commerce privé, qui a occasionné un marasme économique avec pour conséquence une précarité sans précédent de la vie de la population. Il s’en est suivi la mise à sac des commissariats de police et des brigades de gendarmerie, considérés comme les symboles de la police économique en charge de la répression. Lieu de détention : Conakry Camp Boiro, et maison centrale de Kindia où plusieurs détenus avaient séjourné avant leur transfert à Boiro.
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Principaux accusés : Ce fut en nombre la deuxième importante vague d’arrestations pendant le régime de Sékou Touré, avec en majorité des femmes vendeuses dans les marchés. Nombre total de détenus au camp : six cent vingt-sept (627).
13) 1978 : « Affaire » du stade du 28 septembre Motif : A l’occasion d’un match international de football à Conakry, des enfants resquilleurs sont ramassés aux abords du terrain, enfermés en surnombre dans un camion frigorifique désaffecté transformé en fourgon cellulaire aux portes hermétiques. Après l’ouverture des portes à la fin du match, plusieurs cadavres furent retirés du fourgon. Pour manifester leur colère les femmes organisèrent une marche de protestation. Lieu de détention : Conakry camp Boiro Principaux accusés : Les éléments de la milice nationale − Diallo Ibrahima dit Kankalabé, Responsable des miliciens et plusieurs éléments de la Milice Nationale.
14) 1979 : « Affaire » du professeur Bah Mahmoud Motif : Un jeune professeur du nom de Bah Mahmoud, originaire de Labé et résidant en France depuis plus de dix ans, décide de revenir en Guinée par voie terrestre à partir de Dakar. Il est arrêté à Boké et conduit au camp Boiro. Lieu de détention : Conakry camp Boiro Principaux accusés : Bah Mahmoud, et tous ceux qui se trouvaient dans le camion qui le transportait au moment de son arrestation, une dizaine de personnes.
15) 1980 : Attentat à la grenade Motif : Au cours de la soirée artistique organisée au Palais du Peuple pour commémorer la fête anniversaire du Parti le 14 Mai, une grenade a éclaté près du Président Sékou Touré qui s’en est tiré sain et sauf. Principaux accusés : L’ensemble des éléments du service d’ordre assuré par la milice, la gendarmerie, et quelques officiers de l’armée. Détail particulier : Des agents en civil se sont rendus dans plusieurs écoles primaires pour demander « en toute innocence » aux enfants de préciser si leurs parents avaient assisté à la soirée du Palais du Peuple.
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Lieu de détention : Conakry Camp Boiro Nombre total de détenus : cent cinquante-deux (152).
16) 22 février 1981 : complot de l’aéroport Motif : Explosion d’un engin à l’aéroport de Conakry au moment du retour du Président d’un voyage à l’étranger. L’incident avait été suivi d’une distribution de tracts dénonçant le régime en place. Lieu de détention : Conakry Principaux accusés : Tous les travailleurs de quart ce jour à l’aéroport : civils, militaires, hommes, femmes, et tous ceux qui étaient présents à l’aéroport ce soir-là à l’exception des officiels. Nombre total de détenus : deux cent vingt-quatre (224).
17) Janvier 1982 : « affaire » de Pita Motif : Moctar Bah, un jeune étudiant se préparant à se rendre en Côte D’ivoire, est hébergé par le Commandant Bah Sidi. Lors d’une conversation à deux, il dit à son camarade Bah Moumini de Guèmè : Si Dieu me confiait la gestion du pays, je mettrais Sékou Touré à l’ombre pendant au moins deux ans. Ensuite, je le ferais sortir afin qu’il constate de lui-même les transformations opérées en si peu de temps dans le pays. Les propos furent rapportées au bureau fédéral du parti à Pita en précisant que l’auteur se préparait d’ailleurs à se rendre à l’étranger Résultat : arrestation de Bah Mouctar. Lieu de détention : Conakry Principaux accusés : Commandant Bah Sidi Des membres de la famille de Bah Mouctar et ses camarades de groupe.
18) 1982 : complot des jeunes Libyens Motif : Une lettre anonyme informe les autorités que les jeunes soldats revenus de formation en Libye préparent un coup d’état. Lieu de détention : Conakry Principaux accusés : − Abraham Kabassan Keita, Commandant ; − Kaba Sidiki, Caporal.
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19) Avril 1982 : « affaire » de la sentinelle de la présidence Motif : Assassinat d’une sentinelle en service à la Présidence. Lieu de détention : Conakry camp Boiro Principaux accusés : Camara Ali, Chauffeur à la CBG et plusieurs travailleurs de la Présidence.
20) Mai 1982 : complot des élèves gendarmes Motif : Accusation de tentative de renversement du régime. Lieu de détention : Conakry camp Boiro Principaux accusés : Les élèves, les encadreurs et la Direction. Nombre total de détenus : cent dix (110)
21) 1983 : préparatifs du sommet de l’OUA Motif : Tentatives de sabotage du sommet de L’OUA qui devait se tenir à Conakry Principaux accusés : − Les personnes arrêtées pour sortie ou entrée illégales − Les personnes accusées de détention illégale de munitions de guerre − Les personnes accusées de détention illégale de munitions de chasse Lieu de détention : Conakry Camp Boiro Nombre total de détenus : quatre-vingt-un (81).
22) Janvier 1984 : événements de Samou Motif : Augmentation de l’impôt et des normes de riz à payer par personne et par an, ayant entraîné la révolte de la population. Lieux de détention : Forécariah et Conakry Principaux accusés : Yéli Abou Camara, Cultivateur, et les populations composées de paysans et de pêcheurs.
23) Février 1984 : événements de Seinko Motif : Les mêmes qu’à Samou.
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Principaux accusés : Les populations paysannes A noter que le Samou fait frontière avec la Sierra Leone, et Seinko, avec la Côte d’Ivoire.
24) Mars 1984 : « affaire » Karifa Doumbouya Motif : Préparation d’un complot anti guinéen aux implications multiples. Lieu de détention : Conakry Principaux accusés : − Doumbouya Karifa, Magistrat, l’âme supposée du complot, ancien Conseiller à la Cour Suprême (deuxième République) − Tounkara Jean Faragué qui avait déjà fait trois séjours à Boiro − Sy Savané Souleymane déjà arrêté en 1976 − La France − La Côte d’Ivoire. Nombre total de détenus : cent soixante et onze (171)
25) Mars 1984 : les événements de Mamou Motif : Arrestation d’un jeune citoyen pour défaut de carte d’identité, au cours d’un contrôle de police. Cela se termine par un soulèvement de la population Lieu de détention : Mamou Principaux accusés : − Hassan BAH dit Bobo Banga − Amadou Oury DIALLO dit Pierre − Baïlo DIALLO (muezzin) handicapé − Mamadou Lamarana di Haoussa − Thierno BOULLIWEL, condamné à mort par contumace Ce qu’il faut retenir : C’est que tout cela s’est passé en Guinée, dans un monde bipolaire où les grandes puissances avaient chacune sa zone d’influence dans laquelle le « protégé » pouvait tout se permettre, assuré qu’il était, en cas de nécessité, du veto de son protecteur aux Nations Unies.
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Que dire des nouveaux Etats africains en gestation sous le contrôle de dirigeants adeptes du parti unique, donc de la pensée unique ? C’est ainsi qu’en 1970, après l’agression portugaise du 22 novembre, le pouvoir en place avait procédé à l’arrestation de tous les officiers rescapés de la purge de 1969 (complot Kaman –Fodéba), en un mot tous ceux qui avaient une bonne formation. Ensuite il s’était attaqué à la société civile et aux hauts cadres de l’administration. Après cela, Sékou Touré réussit malgré cette saignée humanitaire à obtenir le soutien de l’OUA et des Nations Unies. Malgré toutes ces arrestations, les exécutions extrajudiciaires et les pendaisons publiques avec dotation pour chacune des 33 préfectures, aucune enquête internationale ne fut ouverte pour vérifier les circonstances de l’évènement, et surtout les conditions de déroulement des procès, et le traitement réservé aux condamnés. Comme conséquences : ce fut l’exile pour des milliers de Guinéens. Mais malgré tout cela, ce fut le silence complet et complice des démocraties et des grandes puissances. Aucun boycott, aucune sanction économique ne fut décidée pour faire pression, comme si cela faisait partie du cours normal des choses. Au nom du respect de la souveraineté des Etats et de la non-ingérence dans leurs affaires internes, ces pays avaient abandonné les Guinéens à leur sort, ne se préoccupant que de celui de leurs ressortissants. Ce sont ces mêmes pays qui aujourd’hui, après avoir favorisé et supporté pendant plusieurs décennies des dictatures et autres pouvoirs sanguinaires, se mettent à parler de la mauvaise gouvernance des dirigeants actuels, et à refouler des migrants qui ne sont finalement que la résultante de leur action politique en Afrique tout au long des dernières décennies du vingtième siècle. Évidemment comme dirait l’autre : le bossu ne voit pas sa bosse. Il se trouve que, parmi les victimes, il y avait des étrangers et même certaines personnes qui avaient la double nationalité. C’est ainsi que des pays tels que la France et l’Allemagne Fédérale se sont battus pour la libération de leurs compatriotes survivants, et si possible la confirmation pour les disparus. Ainsi, afin de permettre aux épouses françaises d’accomplir en France diverses formalités administratives, suite à l’arrestation et à l’incarcération prolongées de leurs époux, l’Ambassadeur André Lewin qui souhaitait avoir une confirmation officielle du Gouvernement, pour lui permettre d’établir des certificats de décès, reçut de Sékou Touré la réponse suivante : Citation : Vous pouvez l’écrire ou le certifier, vous n’obtiendrez rien des autorités guinéennes. Fin de citation.
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Pour les Guinéens, dans un premier temps, c’était la peur, ensuite l’évidence et puis la résignation. Mais jamais l’oubli. Puisse la publication de cette liste, même partielle, permettre à des familles guinéennes et étrangères, de se procurer des informations sur des membres de leurs familles, afin de leurs organiser des prières et des sacrifices traditionnels. QUE LEURS ÂMES REPOSENT EN PAIX ; AMEN.
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A 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.
Abass Paul, commissaire de police exécuté à Kankan le 18-10-1971 Abou Kipé, arrêté en 1960 exécuté à Conakry le 17-05-1960 (Mont Kakoulim) Abouchacra, chauffeur, originaire de Kindia Abouchacra Rachid, Libanais, mort après libération Alata Jean Paul, Français, mort après libération (empoisonné à Abidjan) Altary Adolphe, arrêté en 1960 exécuté à Conakry lé 17-05-1960 Aribot Souleymane Soda arrêté en 1971, exécuté à kindia nuit du 30/31-07-1971
B 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25.
Baba Laye, arrêté en 1970 Bah Abdoulaye, décédé le 6-04-1974 au Camp Boiro Bah Abdourahmane, Malien, né en 1933 de Thierno Yaya N’Bara Bah, et de Adama Hawa Diallo, décédé le 20-06-1975 à 19h00. Bah Alpha Bah Alpha Oumar Bah Alsény, de Boké, décédé à Kindia Le 3-07-1975 Bah Amadou, lieutenant arrêté en 1969 Bah Amadou Bailo, commerçant arrêté en 1971 exécuté en 1971 Bah Amar Bah Bademba, de Dalaba, exécuté à Kindia la nuit du 30/31-07-1971 Bah Bailo, commerçant, exécuté au stade de Mamou le 21-03-1984 Bah Boubacar, instituteur à Dalaba Bah Boubacar Bah Fily, 55 ans, fils de Kaliba Bah et de Kounadi Bah décédé le 506-1975 Bah Hâdy, diète noire à Boiro le 12-09-1979 Bah Jovis Bah Lamarana Bah Malick
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26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39. 40. 41. 42. 43. 44. 45. 46. 47. 48. 49. 50. 51. 52. 53.
Bah Mamadou, décédé le 2-03-1978 Bah Mamadou, âgé de 25 ans, né à Pita de Bah Saliou et de Diallo Diouldé, décédé à Boiro le 21-06-1978. Bah Mamadou, lieutenant, garde de corps, exécuté à Kindia nuit du 30/31-07-1971 Bah Mamadou Diouma, commerçant arrêté en 1971 Bah Mamadou Moussa Bah Mamadou Saidou, décédé le 1-01-1974 Bah Mamadou El-Hadj Dardai Bah Mamadou Bailo, Commerçant Bah Mamadou Aliou, capitaine arrêté en juin 1971 Bah Mamadou El-Hadj, paysan arrêté en 1971 Bah Mamadou, militaire arrêté en 1969 Bah Modibo Bah Mouctar, décédé au camp Boiro le 28-03-1974 Bah M’Baye de Koundara, mort à Boiro Bah Oumar Bah Telly Oury, caporal parachutiste, arrêté en 1969 exécuté à Kindia le 3-01-1971 Bah Thierno, etudiant arrêté en 1971 Bah Thierno Amadou, mort à Boiro le 18-02-1975 à 09h00 Bah Thierno Boubacar Bah Thierno Ibrahima, directeur de Cabinet, arrêté en 1971à Labé, exécuté à kindia dans la nuit du 30/31-07-1971. Bah Thierno Mamadou, (El Hadj) arrêté à l’âge de 75 ans, détenu à Pita puis à Kankan, décédé en Janvier 1973 Bah El-Hadj Mamadou, administrateur, décédé à Kankan Bah Thierno Sabitou, docteur vétérinaire, arrêté en 1969 exécuté à Kindia le 3-01-1971 Bah Saidou, mort le 1-01-1974 Bah Thierno Mamadou, arrêté à l’âge de 75 ans, incarcéré à Pita et Kankan mort en 1973 faute de soins Bah Oumar Bah Yéro, arrêté en 1971, décédé en 1971 Bakayoko Lama, 37 ans, fils de Bakayoko Ibrahima et de Camara Makoulako, de nationalité ivoirienne, décédé à Boiro le 20-02-1978.
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54. 55. 56. 57. 58. 59. 60. 61. 62. 63. 64. 65. 66. 67. 68. 69. 70. 71. 72. 73. 74. 75. 76. 77. 78. 79. 80. 81.
Bakélé Sankon, arrêté en 1960, exécuté à Conakry le 17-05-1960 Bakélé Ousmane, commerçant arrêté en 1960 Balantin, Arrêté en décembre 1970 Baldé, commandant de la gendarmerie de kankan, exécuté à kankan dans la nuit du 30/31-07-1071 Baldé Abdoulaye, capitaine arrêté en 1969 exécuté à Kindia le 3-011971 Baldé Abdoulaye, sous-officier arrêté en 1969 Baldé Abdoulaye, mort le 29-12-1971 à Boiro suite de maladie Baldé Abdourahmane, directeur du Tourisme, arrêté en 1970 exécuté en 1971 Baldé Alhassane arrêté à la frontière en 1971, décédé en 1975 Baldé Amadou, soldat Baldé Hady, garde républicain, arrêté en 1971 Baldé Halima Kaghaka, arrêté à Labé en 1971Baldé Ibrahima, né en 1934, mort le 1-06-1975 Baldé Ibrahima, comptable au ministère du plan arrêté en 1971 Baldé Ibrahima Bodiè, directeur des Douanes arrêté en 1971, exécuté dans la nuit du 30/31-07-1971. Baldé Malan Baldé Mamadou, âgé de 30 ans, décédé le 2-09-1974 Baldé Mamadou Diouma, âgé de 24 ans, fils de Mamadou Hady Baldé et de Baldé Fatoumata, décédé le 29-05-1975 à Boiro. Baldé Mamadou Saliou, chauffeur à la SNE, arrêté en novembre 1970 exécuté dans la nuit du 30/31-07-1971 Baldé Mamadou Saliou, capitaine exécuté à Kankan nuit du 30/3107-1971 Baldé Oumar dit O-E-R-S, ingénieur, exécuté à kindia le 18-10-1971 Baldé Oury, décédé le 23-11-1972 Baldé Thierno Moussa, caporal Baldé Ousmane, ministre pendu à Conakry le Lundi 25-01-1971 Balantin Banga Bobo, commerçant, exécuté au stade de Mamou le 21-031984 Bangoura Abou, décédé le 2-02-1973 Bangoura, employé à Sobragui arrêté en1970, exécuté en 1971
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82. 83. 84. 85. 86. 87. 88. 89. 90. 91. 92. 93. 94. 95. 96. 97. 98. 99. 100. 101. 102. 103. 104. 105. 106. 107. 108.
Bangoura Ali Badara Bangoura Bassirou (Bachir), sergent arrêté en 1969 exécuté à Kindia le 3-01-1971. Bangoura Bilal, 50 ans, chasseur originaire de Boké, décédé à Boiro le 13-10-1973 Bangoura Ibrahima de Coyah, arrêté en 1960, exécuté à Conakry le 17-05-1960 Bangoura Karim, ministre exécuté en 1971 par noyade dans la Fatala Bangoura Kassory, ministre arrêté le 1-08-1971, décédé à Boiro le 812-1974 Bangoura Kerfalla, commerçant arrêté en 1972 Bangoura Lansana (El-Hadj) Bangoura Mamadouba originaire de Boké, décédé en 1974 Bangoura M’Bemba, planteur arrêté en 1972 Bangoura Michel Bangoura M’mah, originaire de Kindia, décédée en 1978 Bangoura Morogbè fils de Bangoura Ali et de Bangoura Binti décédé à Boiro le 3-09-1975 à 19h41. Bangoura Morigbè, décédé à Alpha Yaya en 1972 Bangoura Morigbè, décédé au Camp Alpha Yaya en 1972 Bangoura Mouctar, décédé à Boiro le 19-06-1972 Bangoura Michel Bangoura Mouctar, décédé le 19-06-1972 Bangoura Thierno Ibrahima fils de Bangoura Fodé Mamadou et de Bangoura Mariama, décédé à Boiro le 11-03-1976 à 17h15. Bangoura Thomas Bangoura Thierno, commerçant arrêté en 1965, décédé en 1965 Bangoura Thierno, décédé en 1963 Bangoura Toua, décédé le 15-04-1974 Bankaréya, originaire de Kankan, décédé à Kindia le 19-06-1974 Barry Abass, Douanier, exécuté à Kankan le 18-10-1971 Barry Abdoul Barry Abdoulaye Djibril, fonctionnaire du Ministère des affaires étrangères, disparu à Beyla, tombe retrouvée sur la route de kankan après plusieurs années de recherches faites par son épouse Nadine Barri.(1)
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109. Barry Abdoulaye capitaine, arrêté en 1969, exécuté à Kindia le 3-011971 (au pied du Mont Gangan). 110. Barry Abdourahmane, décédé le 24-04-1974 111. Barry Aguibou, ingénieur architecte arrêté en 1969 exécuté à Kindia le 3-01-1971 (au pied du Mont Gangan). 112. Barry Aliou 113. Barry Alpha Oumar, ministre Membre du Bureau Politique National du PDG, diète noire le 26-02-1977 au bloc Boiro. 114. Barry Amadou (dit Téla), arrêté en 1960, exécuté à Conakry le 1705-1960 115. Barry Amadou Kindi Restaurateur 116. Barry Baba, directeur, arrêté à Conakry dans la nuit du 31-12-1970 ; exécuté à Conakry dans la nuit du 30/31-07-1971 117. Barry Bademba, lieutenant, exécuté à Kindia dans la nuit du 30/3110-1971 118. Barry Bademba, directeur du Service des Contributions diverses, décédé après libération 119. Barry Cellou, douanier, arrête en 1971, exécuté en 1971 120. Barry Diawadou, ministre, arrêté en avril 1969, exécuté au pied du mont Kakoulima le 29-05-1969. 121. Barry Fadia, né en 1927, de Barry Mamadou et de Bah Aissatou, décédé à Boiro le 21-06-1975. 122. Barry Ibrahima, comptable à la SNE, arrêté en 1970 123. Barry Ibrahima dit Barry III, ministre, arrêté en décembre 1970, pendu à Conakry le Lundi 25-01-1971. 124. Barry Ibrahima, secrétaire, exécuté à Kindia nuit du 30/31-07-1971 125. Barry Ibrahima Sory, milicien, arrêté en 1977, décédé en 1977 126. Barry Kenda, caporal, domicilié à Conakry, au quartier Boussoura, arrêté en 1971, décédé à Kindia le 19-05-1971. 127. Barry Malado, décédé le 22-11-1973 128. Barry Mamadou, décédé le 9-10-1974 129. Barry Mamadou, garde républicain, arrêté en 1971 130. Barry Mamadou Oury dit Hitler, Commerçant, exécuté au stade de Mamou le 21-03-1984 131. Barry Mamadou Siradiou, commandant arrêté en 1971, exécuté à Conakry dans la nuit du 30/31-07-1971.
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132. Barry Mody Oury, fils de L’Almamy de Mamou, exécuté à Kindia le 18-10-1971 133. Barry Moumini, garde républicain, décédé à Boiro 134. Barry Oumar, arrêté en 1971 135. Barry Oumar Rafiou, commissaire arrêté en 1971 de Police, décédé à Boiro le 10-05-1975 136. Barry Ousmane, commandant, arrêté en 1971 exécuté à Conakry dans la nuit du 30/31-07-1971. 137. Barry Pierre 138. Barry Sadou 139. Barry Sakamissa, cultivateur originaire de Boké, décédé le 13-021975 140. Barry Samba Safé, gouverneur à Kankan arrêté en 1971, exécuté à Kankan dans la nuit du 30/31-07-1971. 141. Barry Sory, né en 1926, fils de Barry Mamadou et de Diallo Binta, décédé, à Boiro le 15-04-1977. 142. Barry Sory, Tailleur, décédé à Boiro au poste X, en 1974 143. Barry Sory, décédé dans la cellule n° 33 à Boiro le 21-01-1978 144. Barry Sory, ministre à Kankan, arrêté en juin 1971, exécuté à Kankan le 18-10-1971. 145. Barry Tafsir, tailleur, décédé à Kindia le 9-07-1975 146. Barry Tafsir, décédé en 1971 147. Barry Timbi, lieutenant du Génie 148. Barry Toumany dit Kanassé, diète noire à Boiro, décédé en octobre 1979 149. Barry Ousmane, commandant, exécuté en 1971 150. Barry Yaya, professeur d’éducation physique à Labé 151. Barry Yaya, arrêté en 1968 à Kankan, décédé à Kindia 152. Bayo Souleymane, adjudant/chef, exécuté en 1965 153. Béavogui Barré 154. Béavogui Famoi, élève, arrêté en 1961, décédé à Boiro le 16-111962 155. Bavogui Kékoura, commandant arrêté en 1971, exécuté à Conakry nuit du 30/31-07-1971 156. Béavogui Pevé, caporal, arrêté en 1969, exécuté à Kindia au pied du mont Gangan le 3 -01-1971. 157. Béavogui Famoi, étudiant, décédé le 16-11-1962
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158. 159. 160. 161. 162.
Boiro Demba, diète noire à Boiro, décédé le 23-03-1977 Boiro Moussa, Diéte Noire à Boiro, décédé le 30-03-1977 Boiro Yéro Goulel, diète noire à Boiro, décédé le 30-03-1977 Boiro Sotto, soldat Broukaya Bernard, sergent-chef, arrêté en 1960
C 163. 164. 165. 166. 167. 168. 169. 170. 171. 172. 173. 174. 175. 176. 177. 178. 179. 180. 181. 182.
Camara Abdoul, décédé le 2-11-1973 Camara Abou dit Kipé, Commis, arrêté en 1960 Camara Abou, décédé le 16-11-1973 Camara Abdoul, décédé le 2-11-1974 Camara Aboubacar Mongalaye, menuisier de Boulbinet, arrêté en 1965 Camara Aboubacar dit M’Bengue, diète noire à Boiro en 1969 Camara Ali, Douanier exécuté à Kankan le 18-10-1971 Camara Ali, Chauffeur, décédé à Boiro septembre 1982 Camara Aliou, décédé au Camp Boiro le 16-04-1973 Camara Alsény, marchand de poisson, arrêté en 1977 Camara Amadou dit Thiam, arrêté le 23-11-1970 à Conakry, pendu en Janvier 1971 Camara Ansou, neveux de Camara Ibrahima Gardien, décédé à Kindia le 10-08-1971 Camara Baba, gouverneur, arrêté en 1971, Exécuté à Kindia le 1810-1971 Camara Bakary, président de Tribunal, exécuté à Kankan le 18-101971 Camara Bakary, chauffeur, président du Quartier Madina SIG Camara Balla, ministre, arrêté en avril 1969, exécuté à Kindia au pied du mont Gangan le 3-01-1971. Camara Balla, lieutenant Camara Bangaly, ministre, Membre du Bureau Politique du PDG, arrêté en 1965, décédé à l’hôpital Donka en étant en détention. Camara Bignè, caporal Camara Bô Abou, originaire du PRL de Kaïté, Section de Kakossa, exécuté en 1975
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183. Camara Boundou, employé de commerce arrêté en 1971, exécuté en 1971 184. Camara Cherif, Tailleur, arrêté le 5-05-1976 185. Camara Chérif, né en 1951, décédé à Boiro le 21-12-1977 à 18h30 186. Camara Chérif, arrêté en 1971 187. Camara Daouda, né en 1933, de Camara Morlaye et de Soumah M’Balou, décédé le 11-08-1975. 188. Camara Diouma 189. Camara Diouma, commandant, arrêté en 1971, exécuté à Conakry nuit du 30/31-07-1971 190. Camara Djibi, décédé le 21-12-1974 191. Camara Djibi, décédé le 29-05-1975 192. Camara Doussoumory, commis 193. Camara Doussoumory, financier, exécuté à Kankan le 18-10-1971 194. Camara Fama, Douanier, exécuté à Kankan le 18-10-1971 195. Camara Famoro, 32 ans, fils de Camara Kékouta et de Sylla Maférin, décédé à Boiro 21-05-1975. 196. Camara Filois, contrôleur du travail, exécuté à Kankan le 18-101971 197. Camara Fodé Laye, agent à la SNE, arrêté le 10-04-1971 198. Camara Fodé Mangaba, suicidé en mai 1971, au cours de son transfert du camp Alpha Yaya au camp Boiro . 199. Camara Fodé, décédé le 21-05-1975 200. Camara FodéYagouba, exécuté en 1971 201. Camara Fodé, décédé le 21-05-1975 202. Camara Fodé dit le « Gros », décédé le jour de sa libération en 1961 203. Camara Ibrahima dit « Vieux Camara », gardien à la Manutention à Conakry, décédé à Kindia le 2-08-1971. 204. Camara Ibrahima, caporal, arrêté en 1969, 30 ans, fils de Camara Morlaye et de M’bambé Camara. 205. Camara Ibrahima Tinè, arrêté pour avoir dit qu’un serpent avait parlé, mort à Kindia le 01-08-1971 206. Camara Kali, 32 ans, fils de Camara Morlaye et de M’Bambé Soumah, décédé 3-08-1975 à Boiro. 207. Camara Kandet, du PRL de Kaïté, Section de Kakossa, exécuté en 1975
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208. Camara Karim, 60 ans, fils de Camara Ibrahima et de Soumah Mamady, décédé à Boiro le 14-03-1976. 209. Camara Khadi Momo, décédé après libération 210. Camara Koué, décédé le 23-04-1975 211. Camara Loffo, ministre, Membre du Bureau Politique du PDG, arrêtée en décembre 1970, exécutée à Conakry au Champ de tir de Sangoya, le 25-01-1971. 212. Camara Madiou, décédé au camp Alpha Yaya le 1-02-1974 213. Camara Mamadou, décédé le 10-02-1975 214. Camara Mamadou, décédé le 1-02-1973 215. Camara Mamadou Maguelenda, de Boké 216. Camara Mamadouba 217. Camara Mamadou Saliou, lieutenant de Gendarmerie, arrêté en 1971, décédé à Boiro au poste X en juin 1976. 218. Camara Mamady, lieutenant, arrêté en 1971 219. Camara Marie, PRL de Kaïté, Section Kakossa, exécutée en 1975 220. Camara Massa, responsable du Parti arrêté en 1971 221. Camara M’Bady Gamba, président de Comité du Parti à Conakry 222. Camara M’Bemba Kankouba, PRL Kaïté, Section Kakossa, exécuté en1975 223. Camara Modè, fonctionnaire du Ministère des AE, décédé à Boiro le 6-08-1974 à 12h40 224. Camara Momo, décédé le 18-12-1971 à Boiro 225. Camara Momo El-Hadj, PRL Kaïté, Section Kakossa exécuté en 1975 226. Camara Momo, pêcheur à Conakry, Matam, décédé en 1976 227. Camara Morlaye, décédé le 24-07-1972 228. Camara Morlaye 229. Camara Massa, Secrétaire Fédéral Macenta, exécuté à Kindia le 1810-1971 230. Camara Moussa, arrêté en 1965 231. Camara Moussa Yéro 232. Camara Naby, décédé à Boiro le 3-08-1975 233. Camara Naby Salou 234. Camara Ousmane, de Boké, diète noire à Boiro le 11-09-1979
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235. 236. 237. 238. 239. 240. 241. 242. 243. 244. 245. 246. 247. 248. 249. 250. 251. 252. 253. 254. 255. 256. 257. 258. 259. 260. 261. 262. 263. 264. 265. 266.
Camara Ousmane, décédé au Camp Boiro le 21-03-1974 Camara Pila, secrétaire, arrêté en 1971 Camara Salou (El-Hadj), décédé le 23-11-1973 Camara Samba, douanier, décédé en 1971 Camara Samba, agent, arrêté en 1971 Camara Sambaténin, décédé le 11-11-1973 Camara Santénin, décédé le 7-10-1975 Camara Sékou, ministre, arrêté en décembre 1970, exécuté en janvier 1971, à Kindia Camara Sény, décédé le 7-08-1975 Camara Soriba Camara Tamba Ousmane, décédé à Boiro le 8-01-1974 Camara Théodor, décédé à Kindia le 8-02-1975 Camara Wowo Camara Yéli Abou, exécuté à Benty en Janvier 1984 Campon Youssouf Chaoul Najib, arrêté en 1960 exécuté à Conakry le 17-05-1960 Chaoul Saidou, Commerçant Libanais, arrêté en 1960 Cherif Hassane, Chauffeur, arrêté en 1971 Cheick Abdoul, décédé le 8-04-1975 Ciba Dopavogui décédé le 22-08-1973 Ciba Diankanamou Ciba Gorovogui, décédé le 25-07-1974 Ciba Nianga Mamou, décédé le 7-08-1974 Cissé Abdou, nationalité sénégalaise, décédé à Boiro le 21-08-1974 Cissé Fodé, ministre arrêté en 1971, décédé à Boiro le 6-08-1973 Cissé Michel Emile, diète noire à Boiro le 15-03-1974, décédé le 2303-1974 Cissoko Mamady Condé Amadou, responsable du Parti à Conakry, décédé à Boiro le 17-04-1975 à 22h10 Condé Bakary, de Kindia, décédé à Kindia le 17-01-1976 Condé Bakary, secrétaire général de Section, arrêté en 1970 Condé Bakary, cultivateur, arrêté en 1971 Condé Bkary, instituteur à Kankan, arrêté en 1971
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267. Condé Diarra, policier, arrêté en 1970, exécuté en 1971 268. Condé Emile, ministre, arrêté en juillet 1971, exécuté à Conakry le 18-10-1971 269. Condé Fatou, arrêtée en 1972 270. Condé Ibrahima, décédé le 21-05-1973 271. Condé Ibrahima, décédé en 1971 272. Condé Mamadou, capitaine, arrêté en 1071, exécuté à Conakry nuit du 30/31-07-1971 273. Condé Mohamed Lamine (El-Hadj) 274. Condé Moussa, arrêté en 1973 de retour de Côte D’Ivoire 275. Condé Moussa, inspecteur de police 276. Condé Ousmane, commandant 277. Condé Sékou, agent à la SNE (Société Nationale d’Electricité), arrêté en 1971 décédé à Kindia. 278. Condé Sory, décédé le 7-03-1975 279. Condé Sory, gouverneur, arrêté en 1971, libéré en 1980, décédé après libération 280. Conté Abou, arrêté en 1973 281. Conté Ansou, commerçant, arrêté en 1971 282. Conté Ansoumane, décédé le 7-02-1975 283. Conté Ibrahima, âgé de 48 ans 284. Conté Kéba, venant de Mamou, décédé le 31-12-1974 285. Conté Mory, âgé de18 ans 286. Conté Ousmane, décédé le 7-02-1975 287. Coulibaly Mamadou (El-Hadj) de Kindia, arrêté en 1971, décédé à Boiro le 10-12-1974 288. Coumbassa Abdoulaye, commissaire, exécuté en 1971 289. Coumbassa Ali, lieutenant parachutiste, arrêté en avril 1969, exécuté au mont Kakoulima le 29-05-1969. 290. Coumbassa Hassimiou, instituteur de Boké, décédé à Boiro le 22-10197
D 291. Dabo Abdoulaye, de Guinée Bissau, fis de Dabo Arafan et de Dabo Aissata, décédé à Boiro le 30-06-1975, âgé de 37 ans.
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292. Danso Alpha 293. Danso Diouma, décédé le 12-01-1975 294. Demarchelier Jacques, Industriel français, arrêté en 1971, libéré le 14-07-1975, décédé après libération. 295. Dembélé Koudjadjé 296. Dembélé Lansana, décédé le 20-05-1974 297. Doumbélé Koussassy 298. Deen Jean Baptiste, ambassadeur, arrêté en 1969 exécuté à Kindia au pied du mont Gangan le 3-01-1971. 299. Diaby Gaoussou, aide-ingénieur, arrêté en 1972 300. Diaby Kaman, colonel, arrêté en avril 1960, exécuté à Conakry au mont Kakoulima le 29-05-1969. 301. Diakité Mamadou 302. Diakité Soriba de Boké, décédé à Boké 303. Diakité Sékou, diète noire à Boiro, décédé le 12-09-1979 304. Diallo, infirmier major du Camp Boiro, Pendu le 25-01-1971 305. Diallo Alpha dit (Milou), décédé à Boiro le Mercredi 16-02-1977 306. Diallo Abdoulaye, docteur à Kankan, arrêté en1971, exécuté à Kindia nuit 30/31-07-1971 307. Diallo Abdoulaye 308. Diallo Aboubacar 309. Diallo Algassimou El Hadj, de Labé, décédé en 1980 après libération 310. Diallo Alhassane 311. Diallo Alhassane, lieutenant, diète noire à Boiro, décédé le 28-021977 312. Diallo Alpha, garde républicain arrêté en 1971. 313. Diallo Alpha Amadou, ministre de l’Information, arrêté en juillet 1971, exécuté à Kindia nuit du 17/18-10-1971. 314. Diallo Alpha Amadou né en 1935, fils de Diallo Cherif et de Diallo Binta, décédé à Boiro le 18-02-1977. 315. Diallo Alpha Mamadou, arrêté en 1969, exécuté à Kindia le3-011971 au pied du Mont Gangan. 316. Diallo Alpha Taran, ministre, arrêté en août 1971, exécuté à Kindia nuit du 17/18-10-1971. 317. Diallo Alseny, de Khougnèwadé, décédé à Kindia 318. Diallo Bobody, financier, décédé le 27-12-1973
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319. Diallo Boubacar Caro, commissaire de police, arrêté en 1971, décédé à Boiro le 15-01-1975 320. Diallo Cherif, décédé le 18-08-1973 321. Diallo Cherif Dalen 322. Diallo Cherif, lieutenant arrêté en 1971, exécuté 323. Diallo Dardai (El-Hadj) de Moromi Koubia, décédé après libération en 1976 324. Diallo Diouldé, décédé le 3-03-1974 325. Diallo Djounnou, professeur, décédé après libération 326. Diallo Fadia, cultivateur de boké, décédé à Boiro le 6-11-1974 327. Diallo Ibrahima Cherif, sous-lieutenant, arrêté à Koubia en 1971 328. Diallo Ibrahima Pilimili, arrêté en 1969 à Labé, décédé à Kindia en 1971 329. Diallo Ibrahima, magistrat, arrêté en 1960, exécuté au mont Kakoulima le 17-05-1960 330. Diallo kaki, décédé le 5-12-1974 331. Diallo Karamoko de Boke, diète noire à Boiro, décédé le 14-09-1979 332. Diallo Kenda de Conakry (Matam) décédé le 22-05-1971 333. Diallo Kindy 334. Diallo Koumby, arrêté en 1968 335. Diallo Koumby, décédé en 1968 336. Diallo Lamarana, arrêté en 1970 employé à la SNE 337. Diallo Malal, de Boké, diète noire à Boiro, décédé le 13-09-1979 338. Diallo Mamadou, colonel, arrêté en 1971, exécuté à Conakry nuit du 30/31-07-197 339. Diallo Mamadou, décédé le 17-04-1974 340. Diallo Mamadou, caporal chef 341. Diallo Mamadou Bailo, capitaine arrêté en 1969, exécuté à Kindia au pied du mont Gangan le 3-01-1971. 342. Diallo Mamadou Bailo, commerçant, exécuté nuit du 30/31-07-1971 343. Diallo Mamadou Billo, décédé le 21-05-1974 344. Diallo Mamadou Boiro, décédé le 11-04-1978 345. Diallo Mamadou Ciré 346. Diallo Mamadou Dian, arrêté en 1960 comptable CFFD 347. Diallo Mamadou Diouldé, militaire, arrêté en 1973, décédé en 1974
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348. Diallo Mamadou Mouctar, adjudant/chef, diète noire à Boiro, décédé en 1969 349. Diallo Mamadou Saliou, Koubia, décédé à Boiro 350. Diallo Mamadou Saliou, décédé le 2-05-1974 351. Diallo Mamadou Samba, capitaine 352. Diallo Mamadou Samba, Soldat 353. Diallo Mamadou Taliby 354. Diallo Mamadou Yéro, décédé le 21-04-1975 355. Diallo Manga, arrêté à Mali en 1965 356. Diallo Modi Tahirou, Boucher, décédé à Boiro 357. Diallo Mouctar, lieutenant, arrêté en 1971 358. Diallo Mouminy, Soldat 359. Diallo Mouminy, garde républicain arrêté en 1971 360. Diallo Moussa, décédé le 9-01-1975 361. Diallo Oumar, médecin à Kindia, décédé après libération 362. Diallo Oumar Kounda, gouverneur, arrêté en 1971 à Mali, exécuté à Kindia nuit du 30/31-07-1971. 363. Diallo Oumar Kindy 364. Diallo Oury Bailo, Soldat 365. Diallo Oury Missikoun, financier, arrêté en 1971, exécuté à Kindia le 18-10-1971 366. Diallo Ousmane, décédé le 19-03-1974 367. Diallo Ousmane, décédé au Camp Alpha Yaya, le 10-02-1974 368. Diallo Pilimili, exécuté le 18-10-1970 369. Diallo Saïkou, né en 1924, fils de Diallo Boubacar et de Diallo Dalanda, décédé, à Boiro le 1-10-1975. 370. Diallo Saikou Yaya de Labé, arrêté à Boké 371. Diallo Saliou de Boké, diète noire à Boiro, décédé le 10-09-1979 372. Diallo Samba, joueur de kori, décédé à Kindia 373. Diallo Seidy, arrêté en 1965 374. Diallo Souleymane, Frontalier, venant de la Côte d’Ivoire, décédé en 1977 375. Diallo Souleymane Yalla, directeur, arrêté en 1971, exécuté à Conakry le 18-10-1971 376. Diallo Souleymane, de Dabola, commerçant, exécuté la nuit du 3010-1971
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377. 378. 379. 380. 381. 382. 383. 384. 385. 386. 387. 388. 389. 390. 391. 392. 393. 394. 395. 396. 397. 398. 399. 400. 401. 402. 403. 404.
Diallo Sidy, soldat Diallo Soriba, cultivateur de Boké Diallo Tafsir, décédé à Kindia le 9-07-1975 Diallo Tahirou, arrêté en 1965 Diallo Tamba Diallo Telli, arrêté en juillet 1976, diète noire le 12-02-1977, décédé le 1603-1977 Diallo Thierno, capitaine, arrêté en 1965 Diallo Thierno Aliou Diallo Thierno Ibrahima, capitaine, arrêté 1969, exécuté à Conakry le 29-05-1969 Diallo Thierno Cellou, militaire arrêté en 1971 Diallo Thierno Mamadou Cellou, inspecteur PTT, arrêté en 1971, exécuté Diallo Thierno Mamadou Oury, décédé le 30-01-1975 Diallo Thierno Mamadou Saliou, décédé le 5-05-1974 Diallo Thierno Mamadou Sanou Diallo Thierno Tahirou (El Hadj) Diallo Yankana, décédé le 22-04-1978 Diallo Yattala, décédé le 8-12-1973 Diallo Yaya Bowè, ingénieur PTT, arrêté en 1960, décédé après libération en 1961 Diallo Yaya Touni, de Labé, arrêté en 1965, décédé à Kindia Diallo Yebbé, Soldat Diallo Yéro Diouma, décédé à Boiro le 2-12-1973 Diallo Yéro Diouma, décédé à Kindia en 1975 Diallo Yéro Diouma, cultivateur de Boké, décédé à Boiro le 7-031974 Diallo Youssouf Dian Mamadou dit « Brosse » Diané Famory, frère de Dianè « net à sec » Diané Ibrahima, commissaire aux Comptes, décédé à Kindia le 2411-1977 Diané Ibrahima dit « Wahabia », arrêté en 1971, décédé après libération
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405. Diané Ibrahima, directeur des Douanes, arrêté en 1971, décédé après libération 406. Diané Kerfalla 407. Diané Louis, instituteur, directeur de l’Ecole de Bordo, arrêté en 1971, exécuté à Kankan nuit du 30/31-07-1971. 408. Diané Mamadou (El Hadj), Inspecteur des Finances, arrêté en 1971, décédé le 24-11-1977 à Kindia. 409. Diané Mamady, décédé en 1973 410. Diané Pierre 411. Diané Sékou dit « Net à Sec » arrêté en 1971, décédé à Kindia à la suite d’une fracture du crâne. 412. Diarra M’Bemba, commissaire de police, arrêté en 1969, exécuté le 29-05-1969 à Conakry (Mont Kakoulima). 413. Diawarra décédé le 23-10-1974 414. Diawarra Fayra, décédé le 5-09-1973 415. Diawarra Gbélia Djèné, responsable nationale du bureau des femmes du PDG, décédée à Boiro suite de sévices. 416. Dieng Boubacar Djeli, arrêté à Mali en 1965 417. Diop Boubacar dit « Diop ENTA » (Entreprise Nationale des Tabacs et Allumettes), décédé à Kindia en 1975. 418. Diop Boubacar dit « Diop Royal Saint Germain », hôtelier, décédé le 21-05-1971 à 17 heures à Kindia. 419. Diop Papa 420. Diop Tidiane, directeur à la Société FRIA, arrêté en 1969, exécuté le 3-01-1971 à Kindia (au pied du Mont Gangan). 421. Diouf Daouda, nationalité sénégalaise, né en 1937, fils de Diouf Formane et de Gnilane Sohna N’Gom DCD à Boiro le 4-11-1975 422. Domania Ibrahima 423. Donzo Stéphan, décédé le 21-05-1974 424. Doré Tiégo 425. Doumbouya Kémoko, capitaine, aide de camp du président, puis gouverneur à Gaoual, arrêté en 1971, exécuté à Conakry nuit du 30/31-07-1971 à Kindia. 426. Doumbouya René 427. Dramé Alioune, ministre, arrêté en juillet 1976, diète noire à Boiro le 16-02-1977, décédé le 1-03-1977.
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428. Dramé, lieutenant, Aviation Militaire, arrêté en 1971, exécuté nuit du 30/31-07, 1971 429. Dramé Hamidou, architecte, arrêté en 1969, exécuté le 3-01-1971 à Kindia au pied du Mont Gangan. 430. Dramé Ibrahima 431. Dramé Lamarana, agent de la Société Nationale D’Electricité (SNE) 432. Dramé Mohamed, caporal, arrêté en 1969, exécuté à Kindia le 3-011971 (au pied du Mont Gangan). 433. Dramé Tibou dit Balance, arrêté en 1961
F 434. Fadiga Moussa, arrêté en 1965 435. Fassou Michel, Douanier, arrêté en 1971, décédé à Boiro le 7-071973 436. Filoi Raphael, arrêté en 1971, décédé à Boiro le 5-01-1974 437. Fofana Aguibou, arrêté en 1965 438. Fofana Almamy, Ingénieur à la SNE (Société Nationale d’Electricité), arrêté en 1970, Pendu en Janvier 1971. 439. Fofana Alsény, marchand de poisson, arrêté en août 1977, décédé à Boiro 440. Fofana Boubacar, lieutenant, arrêté en 1971, exécuté à Conakry nuit du 30/31-07-1971 441. Fofana Karim, ministre, arrêté en 1969, exécuté à Conakry le 29-051969 (Mont Kakoulima). 442. Fofana Korka 443. Fofana Lamine, décédé le 4-04-1978 444. Fofana Lamine, décédé le 13-04-1975 445. Fofana Mamadou, ingénieur, directeur, arrêté le 30-06-1971, exécuté en 1971 446. Fofana Mamadouba, décédé le 6-04-1973 447. Fofana Morigbè, commerçant, arrêté en 1971 448. Fofana Sékou, agent des douanes, arrêté en 1960
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G 449. 450. 451. 452. 453. 454. 455. 456. 457. 458. 459.
Gabriel Antoine, instituteur, arrêté en 1960 Gahetan Adolphe Fodé, arrêté en 1960 Gaïmis Gaspar Garanké Amadou, décédé le 2 9-01-1974 au Camp Alpha Yaya à Conakry Gassama Ansoumane Gassama Ibrahima Gassama Souleymane, âgé de 44 ans, Paysan de Boké, décédé à Boiro le 9-11-1974 Gbamou Niankoye, caporal, arrêté en 1969, exécuté à Conakry nuit du 30/31-07-1971 Ghussein Fadel, chef de Cabinet, arrêté en 1971, exécuté à Conakry, le 18-10-1971 Gropogui Kopi Koikoi, décédé le 15-11-1972 Gueye Baidy, Industriel, arrêté en 1969, exécuté à Kindia le 3-011971 (au pied du Mont Gangan).
H 460. Haba Jules 461. Haba Mamady 462. Habas Paul, Commissaire de police, arrêté en 1971 exécuté à Kankan le 18-10-1971 463. Haidara, Boulanger, décédé à Boiro en 1971 464. Hallar Kanfory (El-Hadj) 465. Hilal Emile, arrêté en 1971, décédé à Boiro le 30-09-1977 à 18h00
J 466. John, Garde de Corps du président Kuamé N’Kruma alors en exile en Guinée, décédé à Kindia.
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K 467. 468. 469. 470. 471. 472. 473. 474. 475. 476. 477. 478. 479. 480. 481. 482. 483. 484. 485. 486. 487. 488. 489. 490. 491. 492. 493. 494. 495.
Kaba Alpha (El-Hadj), commerçant, arrêté en 1971, décédé en 1977 Kaba Aye (El-Hadj), arrêté en 1971 Kaba Diafodé, industriel, arrêté en 1968 Kaba Fodé Lamine « El-Hadj », (Imam de Coronthie à Conakry), arrêté en 1959, exécuté en 1960 Kaba Kaladjo Kaba Kalil, de Kankan, décédé après libération Kaba Lamine, gouverneur de Guekédou, arrêté en 1971, décédé à Boiro en1973 Kaba Laye, commerçant de Kankan, arrêté en 1971, exécuté en Janvier 1971 Kaba Mamadou Kaladjo, Tailleur, arrêté en 1971, décédé en 1972 Kaba Mamadou (El-Hadj), Cultivateur, arrêté en 1971 à Kankan Kaba Noumouké, directeur, arrêté en 1971, libéré en décembre 1977, décédé 2 mois après sa libération. Kaba Sidiki, caporal, décédé à Boiro le 29-12-1982 Kaba Sory (El-Hadj), Cultivateur, arrêté en 1971 Kaba Sory, ambassadeur, arrêté en septembre 1965, exécuté en 1965 Kaboré Ousmane, décédé le 14-04-1974 Kamano Saâ Koti Kamano Saâ Vincent, arrêté en 1965, décédé après libération Kamano Tohomi Kamissoko Mamadou, lieutenant mis à la diète noire à Boiro, décédé le 14-03-1974 Kanfory (El-Hadj) Kanté Abdoulaye Kanté Amara, décédé le 7-09-1975 Kanté Hassana Kanté Kanfory, cultivateur de Boké, décédé le 1-03-1975 Kanté Oury Kanté Sidiki Kanté Soumaoro, paysan de Banko, décédé à Boiro en 1974 Kanté Yaya, décédé le 31-03-1974 Karamba Ibrahima, décédé le 20-04-1974
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496. 497. 498. 499. 500. 501. 502. 503. 504. 505. 506. 507. 508. 509. 510. 511. 512. 513. 514. 515. 516. 517. 518. 519.
Keita Aboubacar, gendarme, arrêté en 1970 Keita Alpha, arrêté en 1971 Keita Alpha, arrêté en 1972 Keita Amadou, citoyen malien décédé à Kindia le 4-02-1971 Keita Cheik Mohamed, commandant du camp de Labé arrêté en 1969, exécuté le 29-05-1969 à Conakry (Mont Kakoulima). Keita Djouba, décédé le 12-04-1975 Keita Facinet du PRL Kaité, Section Kakossa, diète noire à Boiro le 13-09-1979 Keita Fadiala, ambassadeur, arrêté en 1971 exécuté à Conakry nuit du 17/18-10-1971 Keita Fodéba, ministre, arrêté en avril 1969, exécuté à Conakry nuit du 29/30-05-1969 (Mont Kakoulima). Keita Kaba, commissaire, arrêté en 1970, décédé en 1971 Keita Kara de Soufiana, commissaire arrêté en 1970, Pendu à Conakry le Lundi 25-01-1971 Keita Kémoko, procureur à Kankan, arrêté en 1971, exécuté à Kankan le 18-10-1971 Keita Mamadou, paysan de Boké, diète noire à Boiro, décédé le 1309-1979 Keita Mamady, chauffeur, arrêté en 1971 Keita Mamoudou, commandant, arrêté en 1965 exécuté en 1965 Keita Namory, adjudant-chef, arrêté en1965, diète noire à Boiro en 1965 Keita Noumandian, général d’armée, arrêté en 1971, exécuté à Conakry nuit du 29/30-07-1971. Keita Ousmane, fils du commandant Gueye Keita Sékou Kinda, caporal venant de Matam Lido à Conakry, décédé à Kindia le 25-05-1971 Kindi Thierno Ibrahima Koivogui Charles, fonctionnaire du ministère (AE), Frère du capitaine Pierre Koivogui, arrêté en 1971, exécuté en 1971. Koivogui Fodé, décédé le 6-01-1972 Koivogui Massa, secrétaire fédéral du Parti à Macenta, exécuté à Kindia, nuit du 17/18-10-1971.
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520. Koivogui Péma, sous-lieutenant de la Gendarmerie, décédé le 3-061972 521. Koivogui Pierre, capitaine, arrêté en 1969, tué au Barrage de Foulaya par un homme en uniforme pendant leur transfert à Kindia en novembre 1970. 522. Koivogui Siba, caporal, arrêté en 1969, exécuté à Kindia le 3-011971 (au pied du Mont Gangan). 523. Kombo Facinet, arrêté en 1960, exécuté à Conakry le 17-04-1960 524. Kompo Youssouf, agent de police, arrêté en 1972 525. Konaté Mamady, chauffeur décédé en 1970 526. Koulibaly Ibrahima, décédé le 14-02-1974 527. Koulibaly Mamadou (El-Hadj), menuisier, Secrétaire Fédéral du Parti à Kindia, décédé le 10-12-1974. 528. Koundou Oumar Bella, sergent de Ghada Woundou, arrêté en 1969, exécuté à Kindia le 3-01-1971 (au pied du Mont Gangan). 529. Koundouno Saâ Paul, lieutenant, diète noire à Boiro, décédé le 1403-1974 530. Kouramodou Mamady, sergent arrêté en 1969, décédé en 1971 531. Kourouma Bouyé, hôtelier, arrêté en 1971 532. Kourouma Charles 533. Kourouma Mamady, sergent-chef arrêté en 1969, exécuté le 3-011971 à Kindia (Mont Gangan). 534. Kourouma Thierno, adjudant de Police, arrêté en 1972 535. Kouyaté Lamine, capitaine, aide de camp du président, arrêté en 1976, diète noire à Boiro, décédé le 28-02-1977 536. Kouyaté Lanciné, capitaine Armée de Terre, arrêté en 1976 537. Kouyaté Mamadouba, de Labé, décédé après libération 538. Kouyaté Sangban, capitaine, arrêté en 1969, exécuté à Conakry le 29-05-1969 (Mont Kakoulima).
L 539. 540. 541. 542.
Lama Michel, sergent Lamine « PZ », commerçant de Kankan Le Soumi décédé le 2-11-1973 Lorofi, Médecin arrêté en, décédé après libération, sa fille épouse de L’écrivain Camara Laye et résidant à Dakar, qui s’était rendue à
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Conakry pour rendre visite à son papa, sera arrêtée à sa descente d’Avion et enfermée au camp Boiro. Libérée par les assaillants le 22-11-1970, elle sera reprise 24 heures après, et transférée au camp de Kindia avec ses autres compagnons dont Diallo Hawa épouse de Pierre Koïvogui. 543. Loua Michel 544. Loua Paul, lieutenant
M 545. Magassouba Moriba, ministre, arrêté en décembre 1970, Pendu à Conakry le Lundi 25-01-1971. 546. Maidifio Joseph Robert, décédé le 22-10-1975 547. Maiga Bilal, décédé le 20-01-1975 548. Makhadi Tidiane, agent de la SNE (Société Nationale d’Electricité) décédé à Boiro 549. Malan Barry de Boké, décédé à Boiro 550. Malan Gassama 551. Malan Mané 552. Malan Sagna, de Sansalé (Boke), décédé le 3-07-1973 553. Mamadou Dian dit « Brosse » arrêté en 1960, exécuté à Conakry le 17-05-1960 554. Mané Bakary, décédé le 10-01-1974 555. Manga Moussa, président Comité du Parti à Dian Dian (Boké) diète noire à Boiro le 12-09-1979. 556. Mansaré Boura, soldat 557. Mara Ahmed Yomba, ministre, décédé à Boiro le 4-03-1975 à 12h00. Le corps fut remis à sa famille. (fait unique). 558. Mara Ibrahima Kékouta, boulanger à Kindia, 559. Mara Sékou Kalil, commandant, chef D’Etat major de L’Armée de Terre, arrêté en 1971, décédé à Boiro le 8-04-1975, des suites d’une injection. 560. Marabout Galant, commerçant, arrêté en 1971 561. Maréga Bocar, docteur, arrêté en 1969, exécuté à Kindia le 3-011971 (au pied du Mont Gangan) 562. Marof Achkar, ambassadeur, arrêté en 1969, exécuté à Kindia le 301-1971 (au pied du Mont Gangan).
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563. Mato Bama Marcel, ministre, arrêté le 3-08-1971, exécuté à Conakry nuit du 17/18-10-1971 564. Matos Ghan Felix, directeur de Banque, arrêté 1971 exécuté à Kindia le 18-10-1971. 565. M’Baye Cheik Oumar, ambassadeur, arrêté le 6-08-1971, exécuté à Conakry nuit du 17/18-10-1971. 566. Millimouno Fara Daniel, décédé à Boiro le 30-04-1978 à 4h30 567. Millimouno Tamba, de Guekédou 568. Mori Oumar, arrêté à Mali (Guinée) en 1965 569. Moussa Yéro Lélouma, décédé à Boiro 570. M’Padigui Bernard, arrêté en 1960, exécuté à Conakry le 17-051960
N 571. Nabé Baba, décédé le 12-06-1874 572. Nabé Ismael, comptable, arrêté en 1971, décédé le 9-06-1973 à Kindia 573. Nadié Amara, décédé le 5-11-1974 574. Najib Chaoul, Pendu en 1960 575. N’Diaye Aliou 576. N’Diaye Lamine, directeur de la Société TUC (Transport Urbain de Conakry) décédé le 11-05-1978 à Kindia 577. Niangamamou, décédé le 7-08-1974 578. Niankoye Tétamou, exécuté le 3-01-1971
O 579. Onivogui Jean, 38ans, fils de Onivogui Doglo et de Sandouno Yalla, décédé à Boiro le 7-11-1975 à 19h10. 580. Onivogui Moussa 581. Ouendéno Tamba, garde républicain, arrêté en 1971, décédé à Boiro 582. Oularé Tamba Séwa, caporal, arrêté en 1969, exécuté à Kindia le 301-1971 (au pied du Mont Gangan).
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P 583. Pévé, décédé le 14-02-1975 584. Pilimili, exécuté à Kindia, nuit du 29/30-07-1971 585. Pori René, directeur de la Société Cycles de Guinée, arrêté en 1970, exécuté à Conakry, nuit du 29/30-07-1971
R 586. Rada Abdou, né en 1952 à Coyah, fils de Rada Mohamed et de Camara Fatoumata, décédé à Boiro le 30-06-1978 à 16h00. 587. Raffi Edile, Commerçant à Kissidougou, propriétaire de l’unique salle de cinéma de la ville, arrêté en 1971, mort la même année.
S 588. 589. 590. 591. 592. 593. 594. 595. 596. 597. 598. 599. 600. 601. 602. 603. 604. 605.
Sagna Ansoumane, décédé le 12-05-1975 Sagna Fodé, cultivateur de Boké, décédé à Boiro, le 14-01-1975 Sagno Kassia Sagno Mamady, ministre, arrêté en juillet 1971, exécuté à Conakry, nuit du 17/18-10-1971 Sakovogui Siba, militaire, arrêté en 1969, exécuté le 3-01-1971 Sall Boubacar, décédé le 3-03-1975 Sall Thierno Sadou, Professeur, décédé à Boiro le 17-06-1973 à 18h30 Sall Labo, arrêté à Kindia en 1971 Samaké Thiékoura, arrêté en 1965 Sampil Abdoulaye, venant de Boké, décédé à Kindia Sampil Mamadou, arrêté en 1970, exécuté à Conakry, nuit du 29/3007-1971 Sampou Youssouf Sané Nathio, cultivateur de Boké, décédé à Boiro le 4-02-1975 Sangaré Toumany Sankhon Bakélè Sano Yanamba Sano, de Beyla, décédé à Boiro en 1971 Santana, décédé le 23-06-1974
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606. Sassone André, directeur de la Société Alimag, arrêté en 1971, exécuté à Conakry nuit du 17/18-10-1971 607. Savané Moricandian, ministre, arrêté en juillet 1971, exécuté à Conakry, nuit du 17/18-10-1971. 608. Seck Faye 609. Seibold Hermann, citoyen allemand, décédé à Boiro en 1971(suicide) 610. Seidi Maurice, commissaire, détenu à Kindia, décédé après libération 611. Seidi Sory 612. Séma, décédé le 17-02-1974 613. Sidibé Ibrahima, douanier, décédé le 17-08-1973 614. Sidibé Malal, décédé le 4-11-1975 615. Sidibé Mamady fils de Sidibé Mory, et de Diallo Dalan âgé de 56 ans, décédé à Boiro, le 17-12-1977. 616. Sidibé Mamady, sécrétaire fédéral du parti à Kankan, arrêté en 1971, exécuté à Kankan, nuit du 30/31-07-1971. 617. Souflet Robert, nationalité française, libéré le 14-07-1975, décédé après libération 618. Soumah Abou, décédé à Boiro le 16-04-1978, à 16h00 619. Soumah Anne-Marie, sœur du capitaine Soumah en fuite, décédée à Kindia 620. Soumah Bassirou, garde républicain, arrêté en 1971 621. Soumah Fodé, arrêté en 1972 622. Soumah Kaly, garde républicain, arrêté en 1971 623. Soumah Karamoko Djoubar, directeur SMDR, arrêté en novembre 1970 624. Soumah Karamoko, caporal, arrêté en 1969, exécuté à Kindia le 301-1971 (au pied du Mont Gangan). 625. Soumah Karamoko, arrêté en 1971, avec son frère Soumah Mamadouba et leur sœur Soumah Hanna, pour les punir à la suite de l’évasion de leur frère le capitaine Soumah libéré du camp Boiro à l’occasion de l’agression du 22-11-1970. Karamoko a été exécuté à Kindia la nuit du 30/31-07-1971 626. Soumah Lamina, garde républicain, arrêté en 1971 627. Soumah Mamadou, planteur, arrêté en 1972 628. Soumah Mamadou Djoubar, administrateur, arrêté en novembre 1971
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629. Soumah Mamadouba, frère du capitaine Soumah en fuite, décédé à Kindia 630. Soumah Mohamed, décédé le 12-11-1973 631. Soumah M’Bemba 632. Soumah Théodor, directeur de Banque, arrêté en 1971, exécuté à Conakry, nuit du 30/31-07-1971. 633. Soumaoro Karamoko, caporal, arrêté en 1969, exécuté à Kindia le 301-1971 (au pied du Mont Gangan). 634. Sow Aliou, agent des Contributions Diverses, exécuté à Kankan nuit du 17/18-10-1971 635. Sow Ibrahima, Nationalité Maliènne, fils de Sow Mamadou et de Diallo Hawa, décédé à Boiro le 17-06-1977. 636. Sow Khaly, arrêté à Mali en 1970 637. Sow Malal, 22 ans fils de Sow Mamadou et de Sow Mariama décédé à Boiro le 20-05-1975 638. Sow Mamadou Alpha, caporal, arrêté en 1969, exécuté à Kindia le 3-01-1971 (au pied du Mont Gangan).-. 639. Sow Mamadou, ministre, arrêté en juillet 1971, exécuté à Kindia nuit du 17/18-10-1971 640. Sow Mouctar, décédé le 8-04-1974 641. Sow Oumar, parachutiste, arrêté en 1969, exécuté à Kindia le 3-011971 (au pied du Mont Gangan). 642. Sow, docteur vétérinaire, arrêté en 1971 exécuté à Kindia nuit du 30/31-07-1971 643. Stephen Paul, directeur de Cabinet, arrêté en 1971, décédé à Kindia le 20-04-1971 à sa sortie de la cabine de torture. 644. Sylla Abdoulaye, décédé à Boiro le 1-05-1978 645. Sylla Adama, décédé le 13-04-1974 646. Sylla Aissata, ménagère de Kindia, arrêté en août 1977, décédée à Boiro le 24-01-1978 647. Sylla Almamy, décédé à Kindia 648. Sylla Almamy David, Ancien chef de Canton, décédé le 12-07-1970 649. Sylla Almamy (El-Hadj) de Kindia, arrêté en août 1977 650. Sylla Fodé Saliou, Juge d’Instruction, arrêté en 1971 exécuté à Conakry nuit du 17/18-10-1971. 651. Sylla Ibrahima, arrêté en 1970, décédé à Boiro le 14-07-1976, à 7h00
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652. Sylla Ibrahima, commandant, chef d’Etat-Major de L’Armée de L’Air, arrêté le 31-08-1973, diète noire à Boiro, décédé le 31-031977. 653. Sylla Ismael, garde républicain, arrêté en 1971 654. Sylla Kanké, ménagère, arrêtée en août 1977 655. Sylla Mamadou, décédé à Kindia le 21-07-1971 656. Sylla Martin (dit Toto Martin), marin, décédé à Boiro en 1974 657. Sylla Momo (El- Hadj), né en 1919 à Kindia, fils de Sylla Fodé Basse et de Camara M’Ma, décédé à Boiro le 7-07-1978 à 15h30. 658. Sylla Naby 659. Sylla N’Bady Gamba, président de Comité du Parti à Conakry, exécuté en 1971 660. Sylla Téory, commandant de Gendarmerie, décédé à Boiro le 20-101971 661. Sylla Théodor, Ingenieur Officier du Génie
T 662. Tall Habib, ambassadeur, arrêté en 1970, exécuté à Kindia le 3-011971 (au pied du Mont Gangan). 663. Tamba Raphael, décédé le 25-02-1975 664. Taridhioué Youma, de Boké, décédé à Boké 665. Tavarez Nicolas, citoyen de Guinée Bissau, décédé à Boiro le 4-021976 à 11h00 666. Teguerein Aldiouma, arrêté à Mali (Guinée), en 1965 667. Thiam Baba Hady, directeur de Banque, arrêté en 1971 exécuté à Kindia nuit du 30/31-07-1971. 668. Tiékoura Samaké 669. Thierno Mamadou, Fonctionnaire, arrêté en novembre 1970 670. Thierno Saîdou, militaire, arrêté en 1971 671. Tola, de Télemelé 672. Tounkara Aboubacar, capitaine, arrêté en 1971, décédé à Boiro le 28-04-1975 673. Tounkara Sékou 674. Tounkara Tibou, ministre, arrêté en juillet 1971, exécuté à Kindia nuit du 30/31-07-1971 675. Touré Alpha, administrateur arrêté en 1965
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676. Touré Ansoumane, décédé en 1971 677. Touré Bachir, arrêté en 1965 678. Touré Bansoumane, gouverneur de Région, arrêté en 1971, décédé à Kindia le 31-05-1973 à la salle TF, à la suite d’une fracture du crâne dit-on consécutive à une chute 679. Touré Ciré (Mme), arrêtée en 1983 680. Touré Fodé, de Kindia 681. Touré Fodé dit Legros, arrêté en 1960, décédé au moment de sa libération 682. Touré Fodé Idrissa, arrêté en 1965 683. Touré Ismael, décédé à Boiro le 15-12-1973, à 20h00 684. Touré Ismael, décédé le 13-04-1975 685. Touré Kèlètigui, commerçant, arrêté en 1969 686. Touré Kèlètigui, arrêté en 1965, diète noire à Boiro le 2-11-1965 687. Touré Kerfalla, en service aux Travaux Publics, exécuté nuit du 30/31-07-1971 à Kindia 688. Touré Kerfalla dit Mikadé, Commis arrêté en 1970 689. Touré Mamadou dit Petit Touré, arrêté en 1965 diète noire à Boiro le 31-10-1965 690. Touré Sékou Sadibou, industriel, Originaire de la république du Mali, de nationalité française, arrêté en Janvier1971, exécuté à Kindia nuit du 17/18-10-1971. 691. Touré Sény (El-Hadj), commerçant, arrêté en 1965 692. Touré Yéro, décédé le 19-03-1974 693. Traoré Ansoumane, dit « Körö », décédé à Boiro le 4-02-1978 à 17h30 694. Traoré Galimou, originaire de Touba (Guinée), décédé le 20-051974 695. Traoré Gassimou 696. Traoré Kassoum, adjudant-chef, de Balato, décédé à Boiro (poste X) le12-04-1974
V 697. Verstrepen Jean Claude, de Nationalité Belge, arrêté en 1971, suicide à Boiro (posteX) le 2-10-1972 à 23h50.
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W 698. Wadié Amara
Y 699. 700. 701. 702. 703.
Yaltary Adolphe Yansané Nènè Momo, arrêté en 1965, exécuté en 1965 Yattara Ali Badara, décédé à Boiro le 12-07-1971 Yattara Kanfory (El-Hadj) Yattara Morseydou, dit « Champion », décédé à Boiro le 25-09-1975
Z 704. Zoumanigui Kékoura, commandant de la Gendarmerie, arrêté en 1971 exécuté à Conakry, nuit du 30/31-07-1971.
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QUATRIÈME PARTIE : Conclusion
Au plus profond de mon accablement physique et moral, j’avais très tôt réalisé que nous étions, nous détenus, des témoins involontaires, malheureux, mais privilégiés du drame collectif que notre peuple était en train de vivre. Par conséquent, j’avais décidé de tout faire pour collecter le maximum d’informations afin de pouvoir témoigner, si Dieu me sortait un jour de cet enfer. Ce modeste document est mon témoignage. Celui d’une victime parmi tant d’autres, connues ou anonymes qui ont séjourné dans les camps de la mort au cours des vingt six années de pouvoir sans partage du PDG et son guide Ahmed Sékou Touré. C’est le récit de huit années de souffrances, et aussi d’expériences dans la plus sinistre des multiples prisons, le bloc Boiro. Ce travail doit être poursuivi et complété par tous ceux qui, sans Haine et sans Esprit de vengeance, doivent apporter leur contribution pour le rétablissement de la Vérité historique. Les Veuves et les Orphelins en particulier, et les Guinéens en général, ont le droit de connaître ce qui s’est réellement passé, et le sort qui a été réservé à tous ceux qui ne sont pas revenus. Victimes, acteurs, ou complices, des témoins de cette longue et pénible tragédie sont encore vivants. Cependant, leur nombre diminue chaque jour. Témoigner est un devoir pour tous, car les disparus doivent être connus avant d’être réhabilités et immortalisés. N’oublions pas que bientôt, il n’y aura plus de témoins vivants. Ce qui s’est passé au camp Boiro et dans les autres prisons de la mort, doit être su, dénoncé et condamné, car ce fut un crime abominable contre l’humanité. Il faut le dénoncer avec force, pour éviter que d’autres ne subissent le même sort en Guinée ou ailleurs dans le monde. A ce stade de réflexion, je ne peux m’empêcher de citer Jacques Vigne, journaliste français, ami et admirateur de Sékou Touré qui a écrit : « A la suite de cette affaire, j’ai cessé de me rendre à Conakry. Trop de choses rendaient impossible la poursuite d’une amitié qui pourtant, pendant vingt ans, s’était arrangée de bien de mécomptes. Car il est vrai que j’ai eu longtemps pour cet homme, plus que de l’admiration et que, au nom de cet attachement, j’ai fermé les yeux sur nombres de bavures. Si j’en parle ici, ce n’est ni pour chercher une excuse, ni pour faire part de mes états d’âme, mais parce que je pense que mon attitude explique celle de nombreux autres. Il y avait toujours quelque chose de passionnel dans les rapports qu’on avait avec ce diable d’homme, et je crois que c’est sur ce mode-là, que la plupart des Guinéens ont vécu les vingt six ans de pouvoir de leur maître absolu. Sékou était à la fois l’homme qu’on admire et qu’on respecte, et l’homme qu’on craint.»26
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Edition Jeune Afrique Livres, collection Plus, page 51.
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Pour ma part, je voudrais faire appel à ces « Nombreux autres » qui sont évoqués plus haut, et leur dire que si tout ce qui vient d’être évoqué dans cet ouvrage a bien eu lieu en Guinée, il faudrait le considérer comme un accident de l’histoire. Il est vrai, un grave accident très regrettable sur le long et difficile chemin de l’édification de notre nation, mais un accident quand même. En effet, lorsqu’on évoque des noms comme : Ponce Pilate, Hitler, Franco, Staline, Pol pot, Pinochet, Mobutu, Idi Amin, Hissen Habré, Saddam Husein, Charles Taylor, Fodé Sankhon et j’en passe, ou des concepts tels que l’apartheid ou la ségrégation, force est de reconnaître que : la discrimination, la persécution, la torture, les massacres et le génocide sont de toutes les époques, se retrouvent sur tous les continents, et ne sont l’apanage d’aucune race. Bien entendu, cela ne peut justifier les crimes commis. Cependant, il montre que ce genre d’accident peut arriver. Seulement, il faut tout faire pour l’éradiquer afin d’en empêcher la récidive. Pour cela, il faut en parler. Je m’adresse donc à tous ceux et à toutes celles qui : − Soit ont cru à la Révolution et l’ont servie loyalement et sincèrement. − Soit dans l’exercice de leur fonction, se sont trouvés à un certain moment amenés à prendre des décisions importantes au niveau d’une instance quelconque du parti. − Soit à un certain moment, ont eu à donner ou à exécuter des ordres incontournables et irréparables. − Ou ont été à un moment quelconque, des témoins impuissants, indifférents, ou parfois coopératifs − Soit étaient tout simplement liés à Sékou Touré par des liens de famille. A tous ceux-là, je dis que la repentance, aussi tardive soit-elle, est toujours un acte libérateur et réparateur. Libérateur pour ceux et celles qui ont été directement ou indirectement concernés, réparateur pour les victimes et leurs familles. Ce que je demande n’est pas facile, je le sais. C’est pourquoi je comprends qu’il y ait : des interrogations, des hésitations, voire des refus pudiques ou systématiques, car il est difficile de se remettre en cause après plus d’un quart de siècle passé au service d’une idéologie et d’un homme. Cependant, au seuil de sa vie, ce même homme a fait à son docteur une confidence qui mérite réflexion pour ceux qui ont été ses collaborateurs ou des exécutants : « Je me souviens des confidences d’un médecin que j’avais rencontré, l’un des derniers à avoir vu Sékou Touré. C’était un médecin expatrié attaché à la société Fria, et qui l’a consulté quelques mois avant sa mort. Le médecin lui ayant dit que son état était très sérieux, Sékou Touré lui demanda : « Est-ce que j’ai quelques mois à vivre encore ? ». Le médecin lui
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a dit : « C’est très difficile à dire, c’est vrai que ce que vous avez est très sérieux, mais, il est impossible de fixer une limite ». Alors le président lui a dit : « j’espère que Dieu me donnera assez de temps pour réparer le tort que j’ai pu faire au peuple guinéen ». « Le médecin m’a dit que c’était la dernière phrase que Sékou Touré lui avait dite ». Ce témoignage a été rapporté par André Lewin.27 Le témoignage de ce docteur à été confirmé en partie le 20 juillet 2007 par Madame Veuve Diallo Hassanatou épouse de Feu Diallo Cellou ancien ministre en Charge des Travaux Publics en 1984. Citation : deux mois avant son décès, le président Sékou Touré lors d’un conseil des ministres, avait déclaré, s’adressant à ses collaborateurs « Vous m’avez fait faire beaucoup de bêtises, mais Dieu jugera chacun de nous. Je suis sûr que je vais mourir dans la paix et vous, vous en subirez les conséquences ». Le ministre Cellou était surpris et si perturbé par la déclaration qu’il n’avait pas pu s’empêcher d’en parler à son épouse à son retour à la maison. Je pense quant à moi, que pour construire un pays, il faut réussir à rétablir les victimes dans leurs droits. Il s’agit en ce qui nous concerne du droit à la vérité. J’en appelle donc à tous les Guinéens et à toutes les Guinéennes, toutes confessions et sensibilités politiques confondues, aux responsables des Institutions de la république, aux hommes en uniforme, aux intellectuels et responsables des syndicats, de la société civile, aux chefs des confessions religieuses, et aux victimes et leurs familles. Rien de stable et de durable ne peut-être réalisé dans notre pays si la fondation de la maison n’est pas consolidée. Je suis persuadé qu’aujourd’hui, les Guinéennes et les Guinéens sont convaincus dans leur grande majorité, de la nécessité et de l’urgence d’un dialogue directe, franc, mais apaisé. C’est pourquoi je dis à mon tour : Assez-Assez-Assez. Pour y parvenir il faut donner aux Guinéens l’occasion de se retrouver ensemble, de parler, de se parler, de se comprendre et de se pardonner mutuellement. N’ayons pas peur d’évoquer notre passé commun, car au lieu de nous diviser, il doit être l’occasion de nous réunir pour mieux nous unir, si toutefois nous sommes décidés à regarder et accepter les vérités, toutes les vérités de notre histoire commune. En effet, qu’il s’agisse des pendus du pont des martyrs et d’ailleurs, des victimes des pelotons d’exécution au pied des monts Kakoulima Gangan, et d’ailleurs, des occupants des tombes du cimetière de Nongo, qu’il s’agisse de ceux des fosses communes de Kissössö, Kindia, Kankan, et autres, ou des victimes de la 49, nous devons savoir que des noms comme 27
Edition Jeune Afrique Livres.
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KOUNDOUNO, DIANE, BANGOURA, BALDE, BOIRO, KAMISSOKO, KABA, FOFANA, BAH, KOUMBASSA, ZOUMANIGUI, KOUYATE, SYLLA, DIALLO, DIABY, GUEYE, GBAMOU, KEITA, TOURE, BARRY, DIOP, SOW, CAMARA, et autres, resteront à jamais gravés dans les mémoires, et seront retenus par l’histoire comme des symboles, et les preuves de massacres systématiques perpétrés contre le peuple de Guinée dans toutes ses composantes ethniques, religieuses, sociales ou professionnelles. C’est pourquoi, le souvenir de ces disparus ne devra jamais s’effacer de nos esprits, car ils sont morts pour que les Guinéens vivent ensemble, libres et unis.
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Témoignages et documentaires
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Lettre du président Sekou Touré adressée à un jeune officier au moment où il était à l’interrogatoire au bureau du Comité Révolutionnaire à Boiro. Il sera mis à la diète noire à la fin de ses séances de torture. Décédé le 14 mars 1974 moins d’un mois après la lettre.
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Sous la pression des épouses françaises, sans nouvelles de leurs maris, l’Ambassade de France n’avait pas d’autre solution que de faire une attestation.
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Calendrier-agenda confectionné sur le papier vide des paquets de cigarettes, distribués aux détenus avec les informations utiles : décès, douche, lessive, ravitaillement, transfert de cellules, etc.
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Il y avait, au niveau du Comité Révolutionnaire à Boiro et à la Présidence de la République, deux cellules chargées de la préparation des questionnaires et de la rédaction des dépositions pour les cadres du parti et de l’Etat pour mieux orienter leur témoignage et aider la révolution.
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Décret de libération de large diffusion qui sera publié dans le journal officiel mais dont le contenu est en contradiction avec l’attestation de libération.
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Document de libération pas diffusé mais qui est indispensable pour le sortant de Boiro
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Extrait du registre du bloc Boiro à la date du 16 novembre 1970, soit 6 jours avant l’agression du 22 novembre 1970 et l’attaque de la prison par les agresseurs.
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Première correspondance reçue à Boiro à laquelle étaient jointes les notes de ma fille et de mon fils.
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Disposition des bâtiments dans le bloc.
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Liste des détenus transférés du bloc Boiro vers la prison de Kindia le 24 mai 1973.
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Si plusieurs autorités étaient habilitées à envoyer des gens à Boiro, une seule personne pouvait ordonner leur libération à savoir le commandant du camp Boiro.
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Seul le commandant Siaka pouvait autoriser le transfert d’un détenu malade à l’hôpital, quel que soit l’urgence ou la gravité du cas.
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Le camp Boiro n’était pas réservé aux seuls détenus accusés de complot. Plusieurs étudiants ou élèves y ont séjourné.
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L’Acte de naissance d’un enfant né à Boiro dont le père et la mère étaient tous deux en détention.
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Camp Boiro Parler ou périr Du fond de sa cellule du Camp Boiro, en novembre 1971, René Gomez avait promis : un jour je témoignerai si Dieu me sort de cette prison. Ce livre nous raconte comment l’auteur et ses compagnons se sont battus, et comment plusieurs d’entre eux ont été froidement et atrocement éliminés. Après la libération, en rendant visite aux veuves et orphelins de ses compagnons disparus, plus que la compassion, il éprouvait comme de la gêne de faire partie des rares survivants. C’est ainsi que tout au long du récit, il s’oublie de temps en temps pour parler des autres, comme s’il voyait l’enfer de l’extérieur : sans haine, se laissant aller vers un destin qu’il regarde avec sérénité. Se souvenir étant une exigence de vérité, l’auteur a décidé d’ouvrir une fenêtre du passé pour l’avenir car il est convaincu que l’on ne peut parler de l’avenir des Guinéens et de la Guinée en passant sous silence une page si importante de l’histoire du pays. A la veille du cinquantenaire de l’indépendance du pays, ce témoignage rappelle à tous les Guinéens que si ces complots imaginaires, ces répressions cruelles et ces emprisonnements arbitraires ont bien eu lieu en Guinée, cette évocation qui refuse toute idée de vengeance n’est faite que pour éveiller les consciences afin que tous ensemble nous disions : PLUS JAMAIS ÇA ! Alsény René Gomez est né le 22 septembre 1936 à Conakry. Il a quitté la Guinée en septembre 1950 et est revenu le 4 novembre 1964 avec un diplôme d’ingénieur en aviation. Il a été incarcéré à Boiro le 22 septembre 1971 et libéré le 13 juin 1979. Ambassadeur au Liberia de 1984 à 1987, ministre à la Présidence de 1987 à 1992, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité de 1992 à 1996 puis ministre de la Justice de juin 2006 à avril 2007.
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ISBN : 978-2-296-04287-2 24 €