332 83 512KB
French Pages 64 Year 2003
Britannicus Racine Livret pédagogique établi par Marie PÉAN, agrégée de Lettres modernes professeur en lycée
HACHETTE Éducation
Conception graphique et mise en pages Couverture et intérieur : Médiamax
Illustration © Hachette Livre – Photothèque
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2003. 43, quai de Grenelle, 75905 PARIS Cedex 15. France ISBN : 2.01.168709.8
www.hachette-education.com Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant,aux termes des articles L.122-4 et L.122-5,d’une part,que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que « les analyses et les courtes citations » dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle,faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite ». Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit,sans l’autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
SOMMAIRE AVA N T - P R O P O S
4
TA B L E
6
D E S CO R P U S
RÉPONSES
AU X Q U E S T I O N S
Bilan de première lecture
.................................................................................................
10 10
Acte I, scène 1 Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 Acte II, scène 6 Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 Acte III, scène 8 Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 Acte IV, scène 4 Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 Acte V, scènes 7 et 8 Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
DOCUMENT
ANNEXE
BIBLIOGRAPHIE
CO M P L É M E N TA I R E
59
64
AVANT-PROPOS Les programmes de français au lycée sont ambitieux.Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…). Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Britannicus permettra d’aborder les formes du langage dramatique en général, de la tragédie en particulier, de s’intéresser à la conception classique du souverain et de l’homme tout en s’exerçant à divers travaux d’écriture. Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois: – motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux; – vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture. Cette double perspective a présidé aux choix suivants: • Le texte de l’œuvre est annoté très précisément,en bas de page,afin d’en favoriser la pleine compréhension. • Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe. • Précédant et suivant le texte, des études synthétiques et des tableaux donnent à l’élève les repères indispensables: biographie de l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte… • Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc), il comprend: 4
– Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre.Il se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre. – Cinq à sept questionnaires guidés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre: l’élève est invité à observer et à analyser le passage;les notions indispensables sont rappelées et quelques pistes lui sont proposées afin de guider sa réflexion et de l’amener à construire sa propre lecture analytique du texte. On pourra procéder en classe à une correction du questionnaire, ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte. – Cinq à sept corpus de textes (accompagnés parfois d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire guidé ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires. Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera,pour vous et vos élèves, un outil de travail efficace,favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.Les programmes de français au lycée sont ambitieux.Pour les mettre en œuvre,il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…). Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Un roman comme Pierre et Jean permettra d’aborder l’étude du genre romanesque (la structure du récit, la notion de personnage, le rôle de la descript i o n , des dialogues) et des registres qu’il met en œuvre (réaliste,fantastique,pathétique, comique), mais aussi des formes de l’argumentation présente dans 5
TABLE
DES CORPUS
Corpus
Composition du corpus
La dramatisation de l’exposition (p. 51)
Texte A :Scène 1 de l’acte I de Britannicus de Racine (pp. 39 à 45). Texte B : Scène 1 de l’acte I de Cinna de Corneille (pp. 52 et 53). Texte C :Scène 1 de l’acte I du Cid de Corneille (pp. 53 à 55). Texte D :Extrait de la scène 1 de l’acte I de Tartuffe de Molière (pp.55 à 59).
Le témoin caché (p. 99)
Texte A :Scène 6 de l’acte II de Britannicus de Racine (pp.91 à 94). Texte B : Extrait de la scène 5 de l’acte IV de Tartuffe de Molière (pp.100 à 102,v.1437 à 1501). Texte C :Scène 8 de l’acte III de On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset (pp.102 à 104). Texte D :Scène 3 de l’acte III de Ruy Blas deVictor Hugo (pp.104 à 108).
L’image du souverain dans le théâtre du XVIIe siècle (p. 141)
Texte A :Scène 8 de l’acte III de Britannicus de Racine (pp.129 à 134). Texte B : Scène 3 de l’acteV de Cinna de Corneille (pp.142 à 144). Texte C :Scène 3 de l’acte IV Nicomède de Corneille (pp.144 à 146). Texte D :Extrait de la scène 5 de l’acteV de Tartuffe de Molière (pp.147 et 148).
6
Perspective, objet d’étude et niveau
Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques
• Le théâtre : genre et registre (Seconde ou Première) • Histoire littéraire (Seconde ou Première)
Question préliminaire Quelle exposition vous paraît la plus efficace ? Pourquoi ?
• Le théâtre : genre et registre (Seconde ou Première) • Histoire littéraire (Seconde ou Première)
Question préliminaire Comment dans les textes A, B et C, la scène à témoin caché infléchit-elle la pièce de manière tantôt tragique tantôt comique ?
Commentaire Vous étudierez les fonctions de l’exposition et les moyens mis en œuvre par le dramaturge pour la rendre vivante.
Commentaire Après avoir examiné les caractéristiques dramatiques de cette scène et étudié le langage de Tartuffe, vous vous demanderez quel est le but poursuivi par Molière. • Le théâtre : genre et registre (Seconde ou Première) • Histoire littéraire (Seconde ou Première) • L’éloge et le blâme (Seconde)
Question préliminaire Quelle est la question politique abordée dans les textes A, B et C ? En quoi le texte D diffère-t-il des autres ? Commentaire Vous mettrez en évidence les oppositions existant entre Prusias et Nicomède.
7
TABLE
DES CORPUS
Composition du corpus
Corpus La peinture des passions (p. 176)
Texte A :Scène 4 de l’acte IV de Britannicus de Racine (pp.165 à 170). Texte B : Extrait des Pensées de Pascal (p.177). Texte C :Maximes de La Rochefoucauld (pp.178 et 179). Texte D :Tableau de Pieter Claesz intitulé Vanité (p.179).
L’évolution du tragique (p. 206)
Texte A :Scènes 7 et 8 de l’acte V de Britannicus de Racine (pp.196 à 199). Texte B : Extrait de Œdipe roi de Sophocle (pp.207 à 209). Texte C :Scène 5 de Huis clos de Sartre (pp.209 à 211). Texte D :Extrait de l’acte 1 de En attendant Godot de Beckett (pp.212 à 214).
8
Perspective, objet d’étude et niveau • Histoire littéraire (Seconde ou Première) • Convaincre, persuader (Première)
Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques Question préliminaire Quels sont les points communs entre l’image de l’homme proposé par Pascal, La Rochefoucauld et le peintre Pieter Claesz ? Commentaire Dans l’extrait des Pensées, quels sont les moyens mis en œuvre par Pascal pour convaincre et persuader son lecteur ?
• Le théâtre : genre et registre (Seconde ou Première) • Histoire littéraire (Seconde ou Première)
Question préliminaire Quelles différentes formes le tragique revêt-il dans ces quatre pièces ? Commentaire Après avoir rendu compte de la relation existant entre Garcin et Estelle, vous étudierez le rôle d’Inès et mettrez en évidence le type de tragique de la pièce.
9
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Bilan de première lec ture (p. 217) a Dans une antichambre du palais de Néron, devant la porte des appartements de l’empereur, à l’aube.
z Agrippine,veuve de l’empereur Claude,est la mère de Néron,fils d’un premier mariage qu’elle avait fait adopter par Claude. Britannicus, fils du premier mariage de Claude, a donc été dépossédé de l’empire au profit de Néron. e Britannicus et Néron n’ont ni la même mère, ni le même père, mais sont frères par alliance. r Le jour où Néron,recevant des ambassadeurs,se lève sous prétexte de l’accueillir,mais en réalité pour l’écarter du trône où elle allait se placer. t Il a fait enlever Junie, l’amante de Britannicus. y Narcisse est en réalité à la solde de Néron, dont il est le confident et l’âme damnée. u Il décide de bannir Pallas,qui est dans le camp d’Agrippine et dont il juge la présence dangereuse. i Néron lui propose de l’épouser mais elle refuse. o Junie, victime d’un stratagème mis au point par Néron, est contrainte de faire croire à Britannicus qu’elle ne l’aime plus.
q Agrippine veut se prémunir contre son fils en renforçant la position de Britannicus, rival politique de Néron, par un mariage avec une descendante d’Auguste.
s Elle lui rappelle qu’il lui doit tout, évoquant les crimes qu’elle a commis pour qu’il parvienne au pouvoir.
d Il feint d’accéder aux volontés de sa mère en acceptant de se réconcilier avec Britannicus, mais en réalité il décide de le faire périr. f Burrhus et Narcisse. g Il lui annonce sa réconciliation avec Néron, qui doit être scellée publiquement lors d’un festin auquel est invitée toute la jeunesse de la Cour.
h Junie ne peut se déprendre d’un sentiment de crainte, elle est agitée d’un « noir pressentiment ».
j Burrhus annonce la mort de Britannicus,empoisonné par Narcisse sur ordre de Néron. k Agrippine comprend que ce premier crime de Néron en annonce beaucoup d’autres ; il sera bientôt un tyran,qui n’hésitera pas à supprimer Burrhus et ne reculera pas même devant le matricide, confirmant ainsi ce qu’avaient annoncé les astrologues. 10
Acte I, scène 1
l Junie se réfugie chez les vestales, sous la protection du peuple qui lynche Narcisse. Néron sombre dans une sorte de désespoir.
m L’avènement d’une tyrannie, avec son cortège de violence et de meurtres.
Ac te I, scène 1 (pp. 39 à 45)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 46 À 50) a Le texte théâtral comporte les éléments suivants : la didascalie initiale qui comporte les noms des personnages classés selon leur rang et leur sexe,accompagnés de la mention du lien ou de la relation existant entre eux. Le lieu est également indiqué : « À Rome, dans une chambre du palais de Néron » ; par chambre, il faut entendre antichambre, lieu de passage et par conséquent de rencontre.Aucune indication de temps ne figure, mais les noms des personnages historiques qui constituent le personnel dramatique suffisent à faire connaître que l’action se déroule dans l’antiquité latine et au premier siècle. Les dialogues comportent quelques didascalies :des indications sur le découpage en actes et en scènes et les noms des personnages qui apparaissent dans la scène,ainsi que la mention du nom du personnage qui prend la parole. Le texte ne contient aucune didascalie à l’intérieur des dialogues si l’on excepte, au vers 125, la mention d’un bruit qui signale une sortie et la venue d’un personnage et qui assure la liaison entre les scènes 1 et 2. Cette indication scénique peut orienter le metteur en scène qui choisira ou non de le faire entendre au spectateur. Les didascalies sont peu nombreuses, ce qui suggère une prééminence du texte sur la mise en scène ou la représentation.
z L’ordre de présentation des personnages dans la didascalie initiale répond à des critères appartenant à un système de valeurs extérieures au monde du théâtre :le rang social et le sexe.Sont nommés d’abord les personnages de rang impérial :Néron,Britannicus, Agrippine,Junie ;puis les conseillers ou les confidents :Burrhus,Narcisse, Albine.Ils sont cités dans l’ordre correspondant à celui des personnages dont ils sont les confidents. À l’intérieur de ces deux catégories,les personnages masculins sont les premiers cités,avant les personnages féminins.En dernier,apparaissent les personnages anonymes qui ne sont pas dotés d’une véritable identité. Chaque personnage est doublé d’un confident, les propos échangés entre l’un et l’autre sont un moyen commode d’informer le public,procédé dramaturgique qui s’inscrit dans la logique de la double énonciation, situation de communication propre au théâtre. La listes des personnages, ou des acteurs comme on l’appelait au XVIIe siècle (l’acteur, étymologiquement, est celui qui agit ; un personnage de théâtre est davantage pensé comme agissant par ses paroles ou par ses actes que comme 11
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
un caractère),révèle les liens qui existent entre eux.Derrière les liens officiels qui les unissent, apparaissent à travers des jeux d’allitérations et d’assonances des rapports qui rapprochent parfois de façon inattendue certains personnages.Ainsi les sonorités suggèrentelles un lien entre Narcisse et Néron – les deux noms ont la même initiale –, de même entre Britannicus et Burrhus. La qualification des personnages met en évidence des différences et des similitudes parfois surprenantes.Britannicus et Agrippine ont une légitimité qui leur vient de leur relation avec l’empereur Claude, extérieur à la pièce, seulement mentionné ;à l’inverse,Néron est défini par sa relation de dépendance à Agrippine, personnage appartenant à la pièce. On voit se profiler le conflit qui va opposer Néron à Britannicus.La pièce met en scène une crise dynastique et est l’histoire de l’affrontement entre l’héritier légitime et « l’usurpateur » Néron.
e Le personnage de Junie est le seul qui n’ait pas de confident. Elle est d’emblée présentée comme un personnage isolé.Par ailleurs,elle n’est définie que par sa relation à un autre personnage de la pièce.Elle va être malgré elle l’élément déclencheur de la crise et cristalliser la rivalité qui existe entre Britannicus et Néron.
r Cette première scène comporte deux tirades, les deux réservées au personnage d’Agrippine.Leur présence tient à la nécessité pour le dramaturge de fournir le plus d’informations possible dans un temps réduit, d’où le recours à la tirade, c’est-à-dire une parole qui n’est ni coupée ni fragmentée par le propos d’un interlocuteur, gage d’une certaine rapidité. Par ailleurs, il est vraisemblable que ce soit Agrippine qui parle le plus puisque c’est elle qui détient le plus d’informations.Les intérêts en jeu sont si importants qu’on ne pourrait imaginer une confidente les évoquer. D’un point de vue psychologique,la tirade n’est pas incompatible avec le caractère d’Agrippine qui,parce qu’elle est autoritaire, a tendance à s’emparer de la parole et à la confisquer. La tirade confère du poids au personnage à qui elle échoit, ce qui est particulièrement net dans le cas présent pour Agrippine.La tirade,qui court toujours le danger d’être artificielle pour le spectateur,rappelle la nature doublement énonciative du théâtre.Certes,à un premier niveau, les paroles énoncées sont des messages que les personnages expriment les uns pour les autres, mais à un second niveau le dialogue théâtral est un message adressé par l’auteur au spectateur. Par ailleurs, il n’était pas rare que les comédiens du théâtre classique exigent du dramaturge des tirades,morceau de bravoure,qui leur permettaient de mettre en valeur leur art, leur présence sur scène. t Les costumes dans la mise en scène de Jean-Pierre Miquel sont sobres.Agrippine semble enfermée dans sa colère, son inquiétude, c’est ce que suggère le fait que son personnage et celui d’Albine se tournent quasiment le dos ! Il est évident que l’on peut imaginer des postures, des costumes différents, il suffit de se reporter par exemple à une photo de la mise en scène d’Alain Françon (p. 62), ou aux commentaires de Gildas Bourdet (p.244) ou de Tola Koukoui (p.248) pour s’en rendre compte. 12
Acte I, scène 1
y u Cette première scène contient des indications de lieu : tout d’abord Rome, nom qui apparaît tant dans les propos d’Agrippine que dans ceux d’Albine.Ce nom est polysémique,il désigne tantôt le peuple romain tantôt l’empire,mais dans tous les cas Rome est symbole de puissance et de grandeur. Rome est aussi l’enjeu de la lutte qui s’engage entre les personnages. Pour un spectateur cultivé du XVIIe siècle, Rome est la référence par excellence.« Rome,c’est la réduction de l’histoire universelle,puisqu’on en saisit la naissance, l’apogée, la décadence et la chute, déroulées sur un millénaire ; modèle de réflexion politique d’autre part,puisque cette cité,devenue un état ou un empire,a connu toutes les formes de régimes politiques. Rome, c’est aussi le lieu d’une langue, la langue noble par excellence, mère et modèle de la langue française qui lui dispute la suprématie européenne dans les échanges intellectuels. Enfin, Rome, c’est depuis la Renaissance la source des arts et des lettres européens avec laquelle la France est entrée en émulation. » (Georges Forestier). Les autres lieux évoqués sont le palais impérial (v. 3), plus précisément l’antichambre où Agrippine a décidé d’attendre son fils (v. 7), et les appartements de l’empereur (v. 4 et 5),antre du pouvoir où Agrippine voudrait pénétrer mais en vain.Le spectateur comme Agrippine en est réduit à ne voir que ce qui se passe devant la porte de Néron et non à l’intérieur des appartements de l’empereur.Le lieu du pouvoir se dérobe à la vue et n’en paraît que plus inquiétant.Agrippine ne souhaite pas retourner dans son appartement (v.5),comme si elle avait conscience qu’il est désormais excentré par rapport au lieu réel du pouvoir. La nature de son inquiétude transparaît dans son propos : « Je veux l’attendre ici ». Le lieu du pouvoir a changé, c’est maintenant l’appartement de Néron. Le fait qu’elle se résolve à faire antichambre donne également la mesure de son inquiétude ; elle s’apprête littéralement à assiéger Néron. Elle n’atteindra véritablement son objectif qu’au début de l’acte IV, c’est-à-dire trop tard. i Les indications temporelles sont de deux sortes, absolues et relatives. Les indications temporelles absolues : – vers 28 « au temps de ses consuls » = les temps de la république, époque heureuse sur le plan politique ; – vers 30 Auguste, vers 40 Caïus = évocation du règne des prédécesseurs ; – vers 60 à 66 : résumé par Agrippine de la manière dont elle a spolié Britannicus et Octavie, les héritiers légitimes de l’empereur Claude ; – vers 25 « Depuis trois ans entiers » = depuis l’adoption de Néron par Claude ; – vers 27 « depuis deux ans » = depuis que Néron a commencé à gouverner. De manière habile, ce sont des pans de l’histoire de Rome qui sont ainsi évoqués. Les temps qui sont évoqués sont antérieurs à celui de la pièce. Ces indications construisent l’arrière-plan historique de la pièce. Les indications temporelles relatives : – vers 1 et 2 « Quoi ? tandis que Néron s’abandonne au sommeil, / Faut-il que vous veniez 13
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
attendre son réveil ? » : la pièce débute avec l’aube (elle s’achèvera à la nuit tombée, cf. vers 1759) ; – vers 10,une action de Néron à l’encontre de Britannicus est évoquée,elle ne sera explicitée qu’aux vers 53 et 54 « Et ce même Néron, que la vertu conduit, / Fait enlever Junie au milieu de la nuit » : il s’agit de l’événement qui déclenche la crise et va la précipiter ; – vers 99 à 114,Agrippine raconte l’événement qui marque le début de sa « tragédie », il s’agit du jour où Néron a clairement marqué sa volonté de s’affranchir de la tutelle de sa mère et de gouverner seul. On apprendra, vers 1198, que ce jour advint six mois après le couronnement de Néron. Ce jour marque la fin d’un temps et l’avènement de temps nouveaux (v. 91) « … le temps n’est plus que Néron, jeune encore, / Me renvoyait les vœux d’une cour qui l’adore, … » Ces indications temporelles constituent à proprement parler le temps de la crise tragique. Ces temps évoqués en sont la genèse.
o Les différents personnages mentionnés dans cette scène sont :Néron (v.1),Britannicus (v. 10),Claudius (v. 17), Auguste (v. 30), les « fiers Domitius » (v. 36), « des Nérons » (v. 38), Caïus (v.40),Junie (v.52),Octavie (v.63),Silanus (v.65),Livie (v.84),Sénèque et Burrhus (v. 114). Agrippine et Albine sont sur scène et dans leur dialogue tous les personnages de la pièce sont mentionnés. D’une manière ou d’une autre, tous les personnages sont présentés dans cette première scène, à l’exception de Narcisse. Les propos d’Agrippine nous font bien connaître sa personnalité ainsi que celle de son fils. Évoquer des personnages historiques qui n’apparaissent pas dans la pièce donne de la profondeur à l’action, cela la situe dans une perspective qui excède le seul sort ou destin des protagonistes. L’action qui se noue, au lieu d’apparaître comme une simple intrigue de palais, prend de l’ampleur en mobilisant des figures connues de l’histoire de Rome. Cela donne ipso facto du lustre à l’action ; Néron,Agrippine, Britannicus sont « les enfants » d’une histoire prestigieuse. C’est aussi une façon de faire intervenir l’histoire, de montrer, de suggérer de quel poids elle pèse sur le présent.
q À l’inverse de Britannicus qui est désigné par la périphrase « fils de Claudius » (v. 17), ce qui le présente très clairement comme l’héritier légitime de l’empire,Néron est appelé « l’heureux Domitius » (v. 18), ce qui souligne d’entrée de jeu son illégitimité. Néron n’a pris ce nom que lorsqu’il a été adopté par Claude. Fils de Cnaius Domitius, il s’appelait précédemment Lucius Domitius.Adopté par Claude, il est devenu Nero Claudius, prenant pour nom de famille celui de son père adoptif et pour prénom celui de Nero, qui était un ancien cognomen de la gens Claudia.On remarque également que la phrase interrogative respecte la chronologie des événements : Agrippine a d’abord dû escamoter l’empire à son héritier légitime – « Vous qui, déshéritant le fils de Claudius » – avant de le donner à « l’heureux Domitius ». Enfin, il apparaît clairement qu’il y a eu captation d’héritage de la part d’Agrippine qui,par un coup de force,a installé une situation de non-droit dont elle finira par être victime. 14
Acte I, scène 1
s « Contre Britannicus Néron s’est déclaré ;/ l’impatient Néron cesse de se contraindre ;/ Las de se faire aimer,il veut se faire craindre.»Agrippine signale par trois fois,en trois vers,qu’un changement s’est opéré chez Néron. « Arrivé au carrefour où il doit choisir de continuer sur la voie de la vertu ou de la quitter pour entrer dans celle du vice, il vient, semble-t-il, d’opter pour la seconde solution ». (René Pommier). Mais le personnage, en glissant progressivement vers le crime, révèle sa perversité foncière. Le verbe pronominal « se déclarer » au passé composé marque une action récente qui a des incidences sur la situation présente.Agrippine analyse l’événement qui s’est produit dans la nuit avant de l’expliciter aux vers 50 à 54. Elle interprète l’événement et énonce le principe d’action qui va désormais guider son fils. Néron commence à faire sienne la devise tyrannique par excellence : « Oderint dum metuant ». Agrippine pressent qu’elle assiste à l’émergence de celui que Racine nomme dans sa préface le « monstre naissant ». d Précisons que l’adjectif « triste » dans la langue classique,appliqué aux noms non animés comme dans l’occurrence du vers 99,signifie lugubre,funeste,fatal.Triste tire ce sens du latin tristis,de « funeste augure ». « Ce jour,ce triste jour » est celui où les ambassadeurs vinrent au nom de leurs rois faire allégeance à Néron,et où il manifesta sa volonté d’écarter Agrippine du pouvoir (en l’écartant physiquement du trône où elle s’allait placer).La tirade d’Agrippine est constituée de deux récits qui sont deux analepses puisque dans les deux cas sont présentés des événements qui se sont déroulés dans le passé, dans un temps antérieur à celui où débute la pièce.Le caractère itératif du premier récit est indiqué par le terme « temps » qui désigne un espace temporel suffisamment étendu pour que des événements s’y répétent ;les imparfaits « renvoyait »,« reposait »,« assemblait » évoquent des événements qui se sont répétés. Le second récit est singulatif, il s’attache à décrire l’action survenue « ce jour ». Le terme est déterminé et donc rendu singulier par le démonstratif « ce »,l’épithète antéposée « triste » et la relative du vers 100.Le caractère unique de l’événement est repris et accentué par les verbes au passé simple « fut ébloui », « vinrent », « prépara », « me vit », « laissa », « conçut »,« se leva »,« m’écarta ».Les deux récits s’opposent également en cela que le premier est statique tandis que le second restitue une scène où tout est mouvement.Le caractère statique du premier est suggéré par les noms de lieu : « palais », « assemblée », « sénat ». Le caractère dynamique du second récit est suggéré,lui,par l’évocation d’abord de la rencontre de deux regards (v. 105), ensuite celle des corps « l’ingrat […] se leva, courant m’embrasser, il m’écarta… » Les corps confirment ce que les regards avaient déjà exprimé.Le vers qui contient le verbe « embrasser » annonce le vers 1314 « J’embrasse mon rival,mais c’est pour l’étouffer ».D’un bout à l’autre,la tactique néronienne ne change pas.Dans le premier récit,Néron réfléchit sa gloire sur Agrippine (v. 90) « Néron me renvoyait »,« il se reposait sur moi » ;dans le second récit Néron renvoie la gloire non plus vers Agrippine mais vers lui-même.Dans le premier récit,il y a échange,circulation,mouvement de la gloire qui circule de l’un vers l’autre ;dans le second récit,la gloire devient éblouissement de soi-même.Le premier récit correspond à une situation d’équilibre, de plénitude – du point de vue d’Agrippine ! – et le second raconte le moment de la rupture,lequel est gros d’une crise. 15
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
f L’autre événement,qui paraît à Agrippine d’une exceptionnelle gravité et qui est survenu dans la nuit,est l’enlèvement de Junie.Elle en parle dès sa première prise de parole (v. 10) mais l’explicite plus tard (v. 51 à 54). g Alors que l’événement survenu pendant la visite des ambassadeurs signalait la volonté ou le désir de s’approprier le pouvoir, l’enlèvement de Junie est un passage à l’acte ; il marque le début de la lutte de Néron pour s’émanciper de la tutelle maternelle, pour conquérir son autonomie et exercer pleinement le pouvoir qui est le sien.
h Le conflit au cœur de Britannicus est double :la lutte de Néron contre Britannicus,qui est un instrument aux mains d’Agrippine pour se défendre de Néron (elle le dit très clairement aux vers 68 à 70 : « Il faut qu’entre eux et lui je tienne la balance, / Afin que quelque jour, par une même loi, / Britannicus la tienne entre mon fils et moi »), et la lutte qui oppose Agrippine à Néron.Comme le déclare Racine dans sa seconde préface :« Ma tragédie n’est pas moins la disgrâce d’Agrippine que la mort de Britannicus. » Georges Forestier écrit dans sa préface à Britannicus (coll. Folio) : « Même si Agrippine ouvre et clôt la tragédie,d’abord une Agrippine cherchant à reconquérir son influence et son pouvoir, ensuite une Agrippine persuadée d’être la prochaine victime de son fils, la pièce ne donne pas à voir son écrasement : ses illusions, ses erreurs,ses (fausses) victoires,et ses (vraies) défaites,certes ;mais on ne craint pas pour sa vie,et ni son caractère,ni sa situation ne sont de nature à inspirer la pitié.Il est vrai d’autre part que c’est dans le cadre de sa lutte contre sa mère que Néron brise l’union projetée par elle entre Britannicus et Junie en faisant enlever la jeune fille – la tragédie de Britannicus étant comme enchâssée dans l’histoire de la chute d’Agrippine qui n’en constitue que le cadre – ;mais les relations amoureuses conflictuelles entre les trois jeunes gens s’autonomisent de telle sorte que même pendant le grand débat entre la mère et le fils (acte IV, scène 2), à l’issue duquel celui-ci semble avoir cédé une fois de plus devant “le génie” d’Agrippine et être rentré dans son giron, l’écrasement de Britannicus se poursuit en coulisse : Narcisse est en train de se procurer le poison qu’il rapportera à la scène 4. » Il est intéressant de noter qu’Agrippine imagine différentes sortes d’explications à l’action de Néron, qui sont toutes vraies à des degrés divers (v. 55 à 58) : son amour pour Junie, son sadisme,ou la politique,la dernière motivation étant la plus fondamentale. j À la fin de la scène, le spectateur ignore le rôle de Narcisse, dont on ne connaît le double jeu qu’à l’acte II scène 2. k Le dramaturge a choisi le personnage d’Agrippine pour exposer la situation parce qu’elle est de loin le personnage qui en sait le plus – à l’exception de Néron – sur les relations qui existent entre eux. Elle est à la fois un témoin privilégié et un acteur du drame qui se noue. L’enjeu – le pouvoir sur Rome – est si important qu’il était plus difficile et moins crédible qu’un confident en parlât. D’un point de vue psychologique,il est vraisemblable qu’elle s’inquiète plus que quiconque de l’enlèvement perpé16
Acte I, scène 1 tré par Néron, émoi qui l’amène devant la porte de celui-ci. Faire parler Agrippine dès la première scène assurait un début in medias res plus vigoureux,d’autant plus que le personnage est bouleversé.
l Les confidences d’Agrippine deviennent de plus en plus précises.Elle évoque d’abord de façon très générale les soucis que lui cause Néron puis parle de plus en plus librement à Albine.Tout ce que dit Agrippine consiste à expliciter sa première réplique vers 6 à 14. m Le personnage d’Albine a une utilité dramatique.Informer Albine est un moyen d’informer le spectateur. Les premiers mots d’Albine manifestent son étonnement devant l’étrange comportement d’Agrippine. Cet étonnement fait naître la curiosité et de l’inquiétude chez le spectateur et permet à Albine de donner immédiatement des renseignements nécessaires. En cinq vers est suggérée une ambiance, sont indiqués le lieu, et un lien, mère/fils. Un peu plus loin (v. 15 à 20, et v. 23 à 30) c’est toujours l’étonnement d’Albine qui fait avancer la scène d’exposition. On remarque le grand nombre de phrases interrogatives dans les propos d’Albine,qui relance ainsi le dialogue.L’étonnement du confident est souvent mis à profit dans les scènes d’exposition pour informer le plus naturellement possible le spectateur. On constate également que les propos d’Albine et ceux d’Agrippine sont contradictoires et construisent deux images fort différentes de Néron. w Les indices qui indiquent que la pièce est une tragédie : le statut des personnages (il s’agit de personnages illustres appartenant à une Histoire prestigieuse),le lieu (un palais), l’époque (éloignée dans le temps), la nature du sujet (« de grands intérêts d’État », disait Corneille), le fait que la pièce soit en vers.
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 51 À 61) Examen des textes a Le spectateur est informé de l’enjeu du conflit, une vengeance personnelle qui est aussi un complot politique. On apprend l’identité et les liens qui existent entre les différents personnages,Auguste, Cinna, Émilie. Les sentiments, c’est-à-dire l’état psychogique du personnage à l’origine du complot,sont donnés à voir.L’exposition évoque des virtualités,comme les dangers qu’encourrait Cinna si un ami déloyal éventait la conjuration (v. 28) – ce qui se produira effectivement dans la suite de l’action mais n’aura pas les conséquences que l’on pouvait attendre.Toutefois,cette scène d’exposition ne révèle pas le nom d’Émilie, il faut attendre la scène 2 pour le connaître. De même, la scène ne donne aucune indication de lieu et de temps. 17
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
z Le personnage d’Émilie est souvent présenté comme une furie inhumaine. Mais si l’on observe la composition du monologue et particulièrement à partir du moment où le dilemme a été posé, où elle examine ce qu’elle hasarde et ce qu’elle poursuit, on se rend compte que son amour pour Cinna (v. 21 à 40) tient plus de place que l’expression de sa volonté de venger son père quel qu’en soit le prix (v. 41 à 52). e L’ambition d’une exposition est d’informer, à ce titre le monologue d’Émilie relève du genre épidictique ou démonstratif. Mais pour rendre ce discours plus naturel, il est présenté comme un discours délibératif, dans lequel le personnage s’interroge sur la conduite à tenir.Émilie dialogue successivement avec son désir de vengeance,« Impatients désirs d’une illustre vengeance », « Enfants impétueux de mon ressentiment »,ensuite elle s’adresse à Cinna (v. 21) et pour finir à l’amour (v. 45). Le but recherché est clair, il s’agit de dramatiser, de dynamiser l’exposition. r Le premier vers nous renseigne sur la nature des liens qui existent entre Chimène et Elvire. Le fait que Chimène interroge et évoque un rapport communiqué par Elvire marque que la seconde occupe dans la société un rang moins élevé. Un peu plus loin (v.13),on comprend que vraisemblablement Chimène a dépêché Elvire pour sonder les intentions de son père. On apprend aussi que, des deux prétendants qui recherchent sa main, Rodrigue et Don Sanche, Chimène agrée le premier (v. 4, 11, 12). Rodrigue comme Don Sanche sont des fils des plus prestigieuses maisons d’Espagne (vers 25 à 28). Le père de Chimène préfère Don Rodrigue en raison de la vaillance extraordinaire de son père et de la gloire attachée à cette maison (v.29 à 37).Concernant l’action,le comte est sur le point, croit-il, d’être nommé gouverneur du fils du roi (v. 43 à 48). À l’issue du conseil qui doit assurer la nomination du comte,le père de Rodrigue doit demander pour son fils la main de Chimène à son père (v. 49 et 50). En restituant le discours du comte, Elvire en fait le portrait ; il apparaît comme un personnage impérieux, sensible à la bravoure militaire et à la gloire qu’elle apporte. Il est comme un grand féodal plein de morgue et imbu de lui-même au point de ne pas envisager un seul instant qu’un autre que lui pourrait être nommé à sa place gouverneur de l’infant. Enfin, cette première scène, où tout s’annonce sous les meilleurs auspices pour les deux amants, se voile à la fin d’une sorte de tristesse due à l’inquiétude de Chimène (v. 53 à 56), qui a valeur prémonitoire. t Corneille a essayé de rendre cette scène d’exposition naturelle et vraisemblable en faisant intervenir des motivations psychologiques.Elvire restitue une fois encore à Chimène les propos de son père car celle-ci ne se lasse pas de l’entendre.Il faut ajouter que Chimène est une très jeune fille – quinze ou seize ans –, sa juvénilité explique qu’elle soit si impatiente et si désireuse d’entendre à nouveau une réponse paternelle en tous points conforme à ses désirs. y Madame Pernelle s’adresse successivement à tous les personnages présents sur scène pour les morigéner.Chacune de ses algarades donne lieu à un portrait.À chaque fois,est 18
Acte I, scène 1 mentionné le lien de parenté existant entre les interlocuteurs : « ma bru » (v. 3, 32), « ma mère » (v. 6, 28), « mon fils, votre père » (v. 18), « sa sœur » (v. 21), « monsieur son frère » (v.33).Autour de ce noyau gravite « une fille suivante » (v.13) et un parasite nommé Tartuffe (v.41 et 45 à 48).Chaque personnage de la famille,ainsi que la servante,est défini par un portrait de la vieille madame Pernelle. Seul Tartuffe est décrit par quelqu’un d’autre, à savoir Damis. Les personnages en présence :la fille suivante est qualifiée de « forte en gueule »,le trait qui la caractérise est donc l’impertinence,Damis est « un sot en trois lettres »,sottise imputable à sa jeunesse, Mariane est présentée comme l’ingénue puisque sa grand-mère la qualifie de « doucette », de « discrette », Elmire a tous les attributs de la grande coquette, soucieuse à l’excès de son apparence aux dires de sa belle-mère, enfin Cléante est croqué comme « un prêcheur de maximes », un raisonneur dont la faute consiste à défendre intelligemment le point de vue inverse à celui de Madame Pernelle.
u Le rideau se lève sur une sortie ! Madame Pernelle est sur le point de s’en aller. Cela permet immédiatement de comprendre que la famille est divisée. Madame Pernelle, fâchée, se querelle avec « eux », c’est-à-dire tout le reste de la famille.Toutefois cette dispute,en se cristallisant sur l’appréciation d’un tiers,reste « idéologique ».Aucun conflit n’a encore éclaté mais le terrain est propice. C’est le personnage éponyme de la pièce qui est la pomme de discorde.
i Deux philosophies antagonistes s’affrontent, celle de la majorité de la famille et celle prônée par madame Pernelle. La première, défendue par la jeune génération, est une condamnation de l’hypocrisie.Les tenants de cette philosophie sont d’honnêtes gens qui aiment les divertissements,qui refusent d’être confits en dévotion.À l’inverse,madame Pernelle ne voit dans « l’honnêteté » qu’« une invention du malin esprit » (v. 152). Par ailleurs, madame Pernelle suit aveuglément les maximes de cet intrus nommé Tartuffe qu’elle s’efforce d’imiter en sermonnant les uns après les autres les membres de sa famille. Madame Pernelle,sans le vouloir,discrédite ainsi son point de vue en critiquant de manière excessive ceux à qui elle s’adresse. D’un côté, nous avons donc les gens de bien, les honnêtes gens, et de l’autre celle qui défend une conception dévoyée de la dévotion.
Travaux d’écriture Question préliminaire Dans Britannicus,le comportement étrange et inhabituel d’Agrippine,qui campe à l’aube devant la porte de Néron, suscite l’étonnement d’Albine et nécessite des explications. L’étonnement d’Albine, loin de s’amoindrir, ne fait que croître au fur et à mesure des révélations d’Agrippine, ce qui contraint cette dernière à aller plus avant dans ses expli19
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
cations et à remonter dans le passé.Ainsi Agrippine commence par annoncer l’enlèvement de Junie qu’elle considère comme une attaque contre elle et auquel elle porte un grand intérêt, puis elle évoque le moment qui marque selon elle le début de sa disgrâce. La première scène du Cid s’ouvre par un dialogue entre Chimène et Elvire sa gouvernante. Dès les six premiers vers, l’information essentielle, l’amour réciproque de Chimène et de Rodrigue, nous est donnée. L’intérêt passionné et la joie de Chimène l’amènent à réclamer une fois encore le récit des paroles de son père au bénéfice du spectateur : « Dis-moi donc, je te prie, une seconde fois… » (v. 7), « Apprends-moi de nouveau » (v. 9), « un si charmant discours ne se peut trop entendre » (v. 10). La première scène de Tartuffe est la meilleure illustration d’une exposition en action.Madame Pernelle s’adresse successivement à tous les personnages présents sur scène pour les morigéner. Chaque algarade donne lieu à un portrait.Par ailleurs,dès le premier vers se dessine l’antagonisme qui oppose d’une part la famille (« eux ») et d’autre part madame Pernelle (« je ») alliée à son fils Orgon.Très vite, on apprend que la pomme de discorde est Tartuffe. Le tout se fait sur un rythme de parade entre le moment où madame Pernelle s’apprête à sortir et le moment où elle sort.Enfin Cinna commence par un monologue ;si le personnage d’Émilie confronté à un dilemme apparaît « occupé de [ses] intérêts et de l’intérêt présent des choses », l’exposition n’est pas en action et informe davantage sur les sentiments d’Émilie que sur la situation et les personnages. Le spectateur ne reçoit que des indications minimales. Cette absence de détails tient au fait qu’il s’agit d’un monologue. Commentaire 1. Les fonctions de l’exposition A. Le cadre spatio-temporel L’exposition donne généralement des indications de temps et de lieu,or ici nous n’avons ni l’un ni l’autre.Toutefois la mention du nom d’Auguste permet de situer l’action dans l’Histoire. B. Les personnages et l’action Le locuteur, Émilie, dont on ne connaîtra le nom qu’au vers 110, aime Cinna et hait Auguste (v.18) :Cinna le héros et l’amant ;Auguste dont le nom nous renseigne sur l’état, il est empereur. Émilie nous le peint comme sanguinaire ; Émilie parle d’Auguste mais décrit en réalité Octave. L’origine de la haine d’Émilie nous est donnée (« mon père massacré », v. 11), ainsi que l’enjeu du conflit au cœur de la tragédie : Émilie veut venger le meurtre de son père,assassiné par Octave.Une vengeance personnelle qui s’exerce sur un empereur prend une dimension politique. Émilie a demandé à Cinna d’exécuter son dessein. Les possibles de l’action sont évoqués : la trahison de Maxime, un « ami déloyal », les dangers encourus par Cinna. C. Le code théâtral Par les personnages illustres qu’elle présente, par les grands intérêts qu’elle met en jeu, par l’utilisation de l’alexandrin, l’exposition renseigne sur le code théâtral de la pièce et informe clairement le spectateur que la pièce est une tragédie. 20
Acte I, scène 1 2. Le personnage d’Émilie A. Fonction dramatique du personnage C’est à Émilie qu’est dévolu le rôle de renseigner le spectateur. Seul sur scène à l’ouverture,son personnage est mis en évidence ;il prend ici tout son poids dramatique,alors que le développement de l’action – qui sera essentiellement une affaire entre Cinna et Auguste – le laissera quelque peu en retrait.C’est un personnage inventé par Corneille, qui répond à une nécessité tragique : Émilie est l’amoureuse. De plus, ce personnage est porteur de valeurs cornéliennes, la gloire (v. 49 à 52) et l’amour, entre lesquels il est écartelé. B. Peinture de son caractère Intérêt psychologique de la scène ; le personnage est vu de l’intérieur, le spectateur est introduit directement dans ses sentiments (hérésie des comédiens du XVIIIe siècle,qui supprimaient cette première scène et faisaient ainsi d’Émilie un personnage inhumain !). Exposition rendue plus naturelle, car elle est plus de l’ordre de l’évocation que d’une présentation systématique de faits. 3. Un monologue délibératif A. Un discours très construit Une composition très oratoire : l’exorde (v. 1 à 8) fait office de captatio benevolentiae – il s’agit ainsi de créer une complicité avec le spectateur, que l’on fait entrer dans les sentiments de celle qui parle afin qu’il ne soit pas choqué de l’entendre parler par la suite de meurtre – et qui se conclut par l’insinuation,qui pose le sujet du discours qui va suivre ; dans la narration (v.9 à 20),Émilie envisage successivement « et ce qu’elle hasarde et ce qu’elle poursuit » ; dans la confirmation (v. 21 à 34), elle passe en revue tous les dangers encourus par Cinna,qui l’amèneraient presque,dans la péroraison (v.35 à 40),à renoncer à son projet ; mais elle se reprend au cours d’une réfutation (v. 41 à 44), dans laquelle son projet de vengeance l’emporte, fût-ce au prix de la mort de Cinna, comme le montre la seconde péroraison (v.45 à 52).Cet ordonnancement du discours relève d’une éloquence héroïque, ou d’un discours très maîtrisé. B. Un discours délibératif Ce monologue a des aspects dialogiques, puisqu’Émilie s’adresse successivement à ses sentiments, à Cinna et à l’amour, mais son trait le plus caractéristique est son aspect délibératif ; il prend ainsi une coloration lyrique. L’exposition, qui est par nature épidictique, devient ici un discours délibératif (« que je considère [...] et ce que je hasarde et ce que je poursuis »),qui aboutit à une première décision.Nous sommes ici comme à une ligne de partage des eaux,la pièce tournerait court si le personnage s’en tenait là ! La première partie du discours d’Émilie, jusqu’à la première péroraison, est entièrement consacrée à son amour, vivant et présent ; paradoxalement, c’est son désir de vengeance, lié au souci de sa gloire mais tourné vers le passé,qui triomphera dans la seconde partie,sensiblement plus courte. Le caractère vif et passionné des sentiments est suggéré par l’utilisation de figures de rhétorique, telles l’allégorie (v. 1 et 3) et l’hypotypose (v. 11 à 13). 21
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Dissertation Nombreuses références au passé : Néron est devenu empereur grâce à Agrippine qui a fait déshériter Britannicus (v. 16 à 18, v. 61 et 62) ; rappel des trois années écoulées pendant lesquelles Néron s’est montré aussi vertueux qu’« Auguste vieillissant » (v. 25 à 30) ; rappel de l’autorité qu’Agrippine exerçait elle-même à travers son fils (v. 91 à 96) ; mais aussi : évocation du jour où Agrippine a senti que Néron commençait à l’écarter du pouvoir (v. 99 à 110) et de l’hérédité menaçante (v. 36 à 38). Des références au présent :la transformation de Néron et les menaces qu’Agrippine sent peser sur sa personne (v.11 à 14,v.52 et 53,v.118 à 128) ;l’enlèvement de Junie dans les heures qui précèdent et l’hostilité de Néron contre Britannicus (v. 10, v. 50 à 54). Agrippine incarne le passé qu’elle souhaiterait voir perdurer et en redoute la destruction (v. 33). Néron cherche au contraire à se libérer de ce passé, tant de la tutelle de sa mère que de l’obligation de vertu qu’il s’est imposée pendant trois ans.Mais cette abolition du passé n’est qu’apparente ; ce sont des forces anciennes et profondes qui sont en train d’agir : Néron est entraîné par son hérédité,Agrippine n’est que trop bien imitée. Écriture d’invention Le système d’énonciation est laissé au goût de l’élève. Le récit peut être narré à la 1re personne, par exemple par Agrippine rédigeant ses mémoires ou par un courtisan spectateur des événements, ou à la 3e personne (narrateur omniscient). L’organisation sera chronologique ou non ;des descriptions,commentaires ou réflexions pourront être inclus. On prendra soin d’adapter le ton et le style au type de narrateur retenu.
Ac te II, scène 6 (pp. 91 à 94)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 95 À 98) a Britannicus est avant tout pour Néron un obstacle politique.Britannicus est l’héritier légitime du trône,donc objectivement dangereux pour Néron car il peut à tout moment tenter un coup de force contre l’empereur pour retrouver le trône perdu. D’ailleurs, vers 720 à 723, Britannicus évoque les prémices d’un complot ; au vers 734, il désigne Néron par l’expression « l’ennemi dont je suis opprimé ». À la fin de la scène 4 de l’acte I et au début de la scène 1 de l’acte II, on comprend qu’Agrippine est à la tête d’un clan – ce que confirme le vers 722 – qui appuie les revendications de Britannicus au trône. Ce sont également ces mêmes raisons politiques qui ont motivé l’enlèvement de Junie par Néron.Celui-ci sait qu’un mariage entre Britannicus et Junie,descendante d’Auguste, ne ferait que renforcer la légitimité de son rival. Néron sait aussi qu’Agrippine regarde d’un bon œil ce projet d’union.En enlevant Junie,Néron casse les manœuvres d’Agrippine et neutralise Britannicus.Mais la passion amoureuse va rapidement interférer et Britannicus 22
Acte II, scène 6 va aussi devenir, pour Néron, un obstacle sur le plan amoureux. Le coup de maître de Racine est « d’avoir interposé entre les causes politiques et l’effet tragique des motivations passionnelles parfaitement vraisemblables » (Georges Forestier). Le fait que l’amour que Néron déclare éprouver pour Junie coïncide impeccablement avec ses intérêts a éveillé chez certains critiques des soupçons sur la sincérité de cet amour.Mais qu’importe.Pour Néron, qui a demandé à Junie de l’épouser, offre qu’elle a déclinée par amour et fidélité à son amant, Britannicus est devenu, de fait, un rival en amour et donc un obstacle.
z Dans Britannicus,le nœud est constitué par les volontés,les désirs de Néron,d’Agrippine, de Britannicus et de Junie qui s’opposent les uns aux autres. Les sentiments, les intérêts de chaque personnages constituent un obstacle pour l’autre.Ainsi le désir de Néron,qui veut exercer seul le pouvoir, rencontre-t-il un obstacle en la personne d’Agrippine, qui veut continuer à régner et qui instrumentalise Britannicus à cette fin.Réciproquement, Néron est un obstacle à la soif de pouvoir d’Agrippine.De même,le désir de Néron rencontre un obstacle en Britannicus qui est l’héritier légitime et amant de Junie. Réciproquement,Britannicus rencontre en Néron un obstacle à son bonheur avec Junie et à une éventuelle reconquête du pouvoir. Le désir de Néron se heurte également à l’obstacle qu’est Junie, qui refuse d’agréer sa demande en mariage. Inversement, Junie rencontre en Néron un obstacle à son bonheur. Ces intérêts, ces désirs contradictoires engendreront nécessairement une crise. e Cette scène suit un mouvement decrescendo.La première réplique de Britannicus comporte 19 vers, l’avant-dernière 13 vers et la dernière un vers. Quant à Junie, sa première réplique est de 3 vers et la dernière d’un vers. Le mouvement de la scène montre que l’échange ne peut avoir lieu, qu’il avorte ; le dialogue meurt.Au cours de la scène, il y a presque constamment une forte disproportion entre le poids de la parole de Britannicus et le poids de celle de Junie, sauf au milieu, où la réplique du premier s’étend sur 9 vers et celle de la seconde sur 5 vers.Cette « anomalie » s’explique par la situation d’urgence, Junie se trouve dans la nécessité d’endiguer au plus vite les propos de Britannicus tant leur contenu est dangereux ;la réplique de Britannicus eût été plus longue si Junie n’avait dû l’interrompre. Cette irrégularité dans le mouvement decrescendo lui donne plus de naturel. r Le véritable obstacle aux amours de Britannicus et de Junie est Néron. Mais si au moment de leur entretien Junie sait qui est le véritable obstacle, Britannicus l’ignore et pense que l’obstacle auquel il se heurte est l’affaiblissement de l’amour de Junie alors que l’attitude de Junie n’est que la conséquence du stratagème mis au point par Néron. L’obstacle extérieur qu’est Néron est caché, pour Britannicus, derrière le faux obstacle que semble être l’amour de Junie. t y Britannicus se méprend sur les propos et l’attitude de Junie.Après avoir constaté sa froideur au vers 707,il tente d’expliquer son comportement,successivement par la crainte 23
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
(v. 715 et 719), par sa pusillanimité (v. 716, 717, 718), par l’intérêt, voire des sentiments qu’elle éprouverait pour l’empereur (v. 730, 733-734, 738).Toute l’attitude de Junie lui semble vouloir dire qu’elle ne l’aime plus,c’est d’ailleurs sur cette impression que se clôt la scène (v.73 et 741).Cette méprise de Britannicus ressortit à un quiproquo.S’enclenche une scène de dépit amoureux qui s’étendra jusqu’à la scène 7 de l’acte III, où Junie explique à Britannicus que Néron, caché, assistait à leur entretien et qu’elle était dans l’impossibilité de le détromper.
u Quatre personnages sont présents dans cette scène, mais selon des modalités différentes. La didascalie qui précède le début de la scène annonce trois personnages : Junie, Britannicus, Narcisse. Les deux premiers dialoguent, le troisième, qui assiste à l’entretien entre les deux amants,est muet.Narcisse a un rôle passif :il est celui que Britannicus, qui le prend à témoin de son désarroi à la fin de la scène, sollicite. Par ailleurs, il est une représentation de Néron qu’il matérialise durant l’entrevue des amants.Pendant ce temps, Néron, dont le nom n’est pas mentionné dans la didascalie, « caché près de ces lieux » (v. 679) espionne les deux amants. Néron est hors scène mais il détermine en profondeur l’action. Son regard modifie la teneur du dialogue. Il transforme ce qui aurait dû être une scène de tendres retrouvailles – c’est en effet la première fois que Britannicus revoit Junie depuis qu’elle a été enlevée – en scène de dépit amoureux,voire de rupture. i o Britannicus parle à Junie. Mais contrairement à ce qui devrait se passer, puisqu’il s’agit d’un dialogue, le principe de réciprocité est transgressé ; dans sa réplique la plus longue (v.724 à 728),si Junie s’adresse à Britannicus,elle parle en fait pour Néron.C’est lui qu’elle veut convaincre que Britannicus a parlé contre sa pensée.De ce point de vue, on peut dire que c’est Néron qui mène le dialogue puisque Junie se comporte envers son amant comme Néron le lui a demandé. Le public en sait plus que Britannicus, qui ignore tout de la présence de Néron et de la duplicité de Narcisse, il en sait plus que Junie qui, elle aussi, ignore le double jeu de Narcisse, et plus que Narcisse, qui pour le moment ignore le stratagème de Néron. Le public,qui connaît tout des menées de Néron et de Narcisse,détient le même savoir que Néron qui voit tout et sait tout. Le spectateur expérimente de l’intérieur le sentiment de toute-puissance qu’éprouve l’empereur !
q La situation de Junie est tragique car Junie connaît la machination de Néron mais ne peut rien. Dire ou laisser entendre par un geste, un signe entraînerait la mort de son amant. Pour sauver la vie de celui-ci, elle est contrainte de le désespérer. Britannicus ne sait rien et, à cause de cela, prononce des paroles qui ne peuvent qu’exciter la haine de Néron et qui font souffrir Junie puisqu’il en vient à douter de son amour. Cette scène qui aurait dû être un duo d’amoureux devient une séance de torture où chacun devient le bourreau de l’autre, où le degré de souffrance est proportionnel à l’amour qui existe entre les deux amants ; ce que comprend très bien Néron, comme le montre son commentaire dans la scène suivante. 24
Acte II, scène 6
s Britannicus parle de Néron comme d’un « ennemi trompé » (v. 709), il évoque son « heureuse absence » (v. 711), laisse entendre que sa conduite offense Rome (v. 723) et de nouveau, le désigne par la périphrase « l’ennemi dont je suis opprimé » (v. 734). Peut-être peut-on considérer que l’adjectif substantivé « ces cruels » se rapporte autant à ceux qui ont exécuté l’ordre d’enlever Junie que Néron lui-même. Ces propos révèlent on ne peut plus clairement l’antagonisme qui existe entre les deux jeunes hommes. La parole est ici sans déguisement et non équivoque.Britannicus délaisse les usages en vigueur dans une cour où toute parole se doit d’être prudemment énoncée,ce qui est naturel dans la mesure où il croit parler à l’intérieur d’une sphère privée, intime. d La motivation de Junie est de sauver la vie de Britannicus, fût-ce en le désespérant. Britannicus est mû par l’impatience et le désir de voir Junie d’autant plus qu’elle a été victime d’un enlèvement, violence qui a suscité l’inquiétude de son amant. De plus, ses sentiments sont avivés du fait que voir Junie est devenu désormais une gageure. f Pour avertir Britannicus de la présence de Néron, Junie rappelle la nature des lieux où ils se trouvent en désignant le palais de Néron par une périphrase « des lieux tout pleins de sa puissance »,puis elle utilise une métaphore saisissante au vers 713 :« Ces murs mêmes, Seigneur, peuvent avoir des yeux », enfin elle insiste sur le fait que l’empereur n’est jamais absent de ces lieux (v.714).Dans le premier vers,Junie semble n’énoncer qu’un truisme, si ce n’est que la présence de l’adverbe intensif « tout » suggère qu’il y a de la part de l’énonciateur une volonté d’alerter son interlocuteur. Dans le vers suivant, la métaphore est un exemple,une illustration de ce qui vient d’être dit.Le propos de Junie devient encore plus précis avec le dernier vers et l’on voit bien que Junie ne saurait aller plus loin. Là encore l’adverbe « jamais » devrait alerter un esprit plus délié que celui de Britannicus et davantage rompu au double langage. g La première réplique de Junie ne prend en compte que les dernières phrases prononcées par Britannicus. Il s’agit pour Junie de laisser entendre à Britannicus que Néron les écoute.Mais cette première réplique n’atteint pas son but et réoriente de façon désastreuse le dialogue car Britannicus se méprend sur leur sens ;cela l’amène à parler de la situation politique,à laisser entendre que le pouvoir de Néron n’est pas si bien consolidé et à évoquer la mise en place d’un complot.La deuxième réplique,qui vise à interrompre et à contredire le propos de Britannicus, amène celui-ci à exprimer ses doutes sur l’amour que lui porte Junie au moment où elle lui en donne la plus grande preuve. Sans le savoir,Britannicus fait preuve de cruauté et montre à son insu l’efficacité du piège mis au point par Néron.Le dialogue est traversé par une tension :en voulant rassurer une Junie qui lui paraît effrayée, Britannicus ne l’effraye que davantage, et Junie incitant Britannicus à la prudence l’amène à être plus imprudent encore. h Un nombre significatif de termes évoquent l’acte de parole : « entretien » (v. 694), « Vous ne me dites rien » (v. 707), « Parlez » (v. 709), « je vous parle » (v. 710), « ce cœur qui me jurait » (v.717),« vous parlez » (v.724),« vous m’avez avoué » (v.725), « vous rendiez quelque 25
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
hommage » (v. 727), « vous dicte ce langage » (v. 728), « Ce discours » (v. 729), « pour l’entendre louer » (v.730),« louer l’ennemi » (v.734),« Parlez » (v.741).Cette abondance de termes sur l’acte de parole montre que précisément il fait problème. Les mots appartenant à ce champ lexical de la parole se répartissent en deux catégories, l’une se référant à des discours antérieurs et l’autre au discours présent. La comparaison entre les deux met en évidence une différence, celle qui existe entre un dialogue libre et véridique et un dialogue empêché ou entravé, et qui désigne la présence d’un élément perturbateur, Néron. On remarque que par deux fois, l’une au début et l’autre à la fin de la scène (v. 709, 741), Britannicus intime à Junie l’ordre de parler. Cette objurgation qui ouvre et clôt le dialogue suggère que celui-ci n’a pas vraiment eu lieu. De plus, cela montre que Britannicus éprouve l’étrangeté du comportement et des propos de Junie mais ne remonte pas aux causes.Tandis que Junie ne peut obtempérer à l’ordre de parler (v. 709), Britannicus parle alors qu’il ne le devrait pas (v. 710). Un second champ lexical, celui du regard, est très présent dans cette scène. Le mot « yeux » ne revient pas moins de six fois ; il a des acceptions différentes selon les cas : aux vers 696, 702, 708, le mot désigne la personne aimée, il ressortit au langage de la galanterie influencé par le pétrarquisme.Dans la bouche de Junie,le mot désigne l’espionnage exercé par Néron et donc comporte l’idée de menace, de danger. Ensuite, Britannicus emploie par deux fois le mot « yeux » et une fois le mot « regard ». À chaque fois, les yeux et le regard apparaissent comme des éléments d’un système d’échange ou de communication.Au vers 721,les yeux sont un substitut du discours dans une cour dangereuse où toute parole est imprudente.Britannicus « entend » les yeux comme Néron ;il sait déchiffrer les regards des autres et en partie,mais en partie seulement,ceux de Junie.Plus loin,en demandant à Junie « même vos regard ont appris à se taire ? » (v. 736), Britannicus reprend sans le savoir le propos de Néron,« j’entendrai des regards que vous croirez muets » (v.682).Si cela montre que Junie observe l’interdiction proférée par Néron, cela souligne aussi la proximité, le lien – ils sont frères – qui existe entre Britannicus et Néron.Aux vers 736 et 737,le regard est montré comme ne participant plus au dialogue, il est neutralisé. La seule chose qu’il exprime est le refus d’entrer en relation, de se placer dans une situation de dialogue (versus voir dans les scènes de rencontre l’énoncé ou un équivalent : « Et leur yeux se rencontrèrent » qui permet aux personnages d’entrer en relation).La question de Britannicus « Que vois-je ? » et la réponse qu’il donne,d’abord sous la forme interrogative ne fait que ressortir l’aveuglement de Britannicus.Toute cette scène constitue un développement des paroles prononcées par Néron et Junie dans la scène précédente, par exemple : « Ma bouche mille fois lui jura le contraire. / Quand même jusque-là je pourrais me trahir, / Mes yeux lui défendront , Seigneur, de m’obéir. »
j Le stratagème de Néron souligne sa cruauté,son goût de la tromperie,du mensonge, sa propension au voyeurisme (cf. acte II, scène 2 ) et son sadisme puisqu’il prend plaisir à voir une amante désespérer son amant alors même qu’elle l’aime et qu’il l’aime. 26
Acte II, scène 6
k Britannicus et Junie apparaissent l’un et l’autre comme des victimes innocentes et pures.Britannicus montre sa naïveté.Cependant celle-ci doit être relativisée :d’une part, rappelons qu’il est à la cour depuis peu de temps ; d’autre part, lui aussi sait déchiffrer les regards comme Néron mais ici le dialogue est truqué de façon déloyale. Britannicus ignore les lois qui régissent la vie dans un palais, il n’est pas constamment sur ses gardes, et surtout il méconnaît son adversaire, Néron, dont il sous-estime la malignité. Junie, pleine de dignité, fait face avec courage à la situation intenable à laquelle elle est confrontée. l Britannicus et Junie apparaissent comme des acteurs jouant sous la direction d’un Néron, metteur en scène. Il est, en effet, celui qui a organisé et truqué la rencontre entre les deux amants. C’est lui qui a dicté à Junie ce qu’elle devait dire et faire. Par l’intermédiaire de Junie, il détermine aussi en partie l’attitude et les propos de Britannicus. En surveillant, « des coulisses », la rencontre, il dirige la représentation qu’est devenue cette rencontre. Narcisse, qui est muet, est ici spectateur du drame qui se joue. Cette scène est une mini-pièce de théâtre à l’intérieur de la pièce et constitue une mise en abyme de l’histoire qui se déroule. Elle permet de mettre en évidence le caractère tragique de la situation de Britannicus et de Junie qui apparaissent comme des êtres manipulés et soumis au pouvoir pervers de Néron.Enfin,cette mise en scène de Néron rappelle l’une des composantes de sa personnalité attestée d’ailleurs par les historiens chez le Néron historique, à savoir le fait de se prendre pour un artiste et de se vivre tel. Les dernières paroles supposées de l’empereur contraint de se suicider auraient été : « Qualis artifex pereo ! » m Presque tous les propos de Britannicus créent de l’ironie tragique ; presque tous revêtent la signification contraire de ce que le locuteur veut dire : « quel bonheur me rapproche de vous ? » en fait, cette rencontre sera un malheur pour les deux amants, de même lorsque Britannicus dit « je puis donc jouir d’un entretien si doux », il s’agira d’un moment d’une extrême cruauté ; au moment où il pense que Junie et lui sont seuls : « Nous sommes seuls :notre ennemi trompé,/Tandis que je vous parle,est ailleurs occupé »,Néron pèse de tout son poids sur le dialogue ;loin d’être absent – « cette heureuse absence » – Néron est on ne peut plus présent.Quand Britannicus s’interroge sur ce qu’il croit être un changement de sentiments chez Junie,il demande :« Qu’est devenu ce cœur qui me jurait toujours / De faire à Néron même envier nos amours ? » ;aucune interrogation ne saurait plus être malheureuse ;effectivement Néron est jaloux,et il eût mieux valu qu’il n’enviât jamais l’amour que Junie et Britannicus se portent. Relève encore de l’ironie tragique tout ce que Britannicus dit de Néron, quand il évoque les prémices d’un complot (v. 721 à 723), quand il en parle comme d’un ennemi (v. 730 et 734).Tout ce que dit Britannicus ne peut qu’irriter davantage Néron.Britannicus fait ainsi,à son insu,son propre malheur et celui de Junie. Ironie tragique encore quand Britannicus croit avoir trouvé l’explication du comportement de Junie et évoque l’amour que Junie éprouverait pour Néron au moment où celui-ci lui est le plus odieux. Le dernier vers de la scène (v. 743) est 27
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
également d’une grande ironie tragique. « Britannicus se figure que l’expérience qu’il vient de vivre, lui aura du moins appris à mieux juger les êtres et à ne plus se laisser tromper, alors qu’il ne s’ était encore jamais autant trompé qu’en ôtant sa confiance à Junie pour la reporter tout entière sur le seul Narcisse. [Cet aveuglement]… est tragique parce que dans une large mesure, le mouvement de la scène rend, au contraire, l’erreur de Britannicus logique. » (Études sur Britannicus, René Pommier, p. 110).
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 99 À 110) a Elmire joue devant trois publics, le spectateur,Tartuffe et Orgon ; les deux derniers sont internes à la scène.Son véritable destinataire est son mari, elle veut lui découvrir la vraie personnalité de Tartuffe. Il est piquant pour le spectateur de voir un grand maître de l’imposture –Tartuffe – démasqué par un stratagème qui le trompe mais qui,à terme, permet le triomphe de la vérité.
z La réponse à cette question est développée dans la première sous-partie du II du commentaire.
e La présence de Rosette est signalée par un cri indiqué dans une didascalie : « Il l’embrasse ; on entend un grand cri derrière l’autel. » Rosette crie au moment où Camille et Perdican s’avouent mutuellement leur amour. L’expression « Nous nous aimons » est répétée, et cette déclaration est scellée par un baiser qui est échangé devant l’autel d’un oratoire, ce qui le sacralise. r Rosette a été victime du malentendu, du conflit entre Camille et Perdican ; elle est aussi victime de leur égoïsme. En effet, l’un et l’autre se sont servi d’elle sans se soucier véritablement de ses sentiments. Rosette découvre que Camille et Perdican s’aiment alors qu’elle-même aime Perdican.On ne badine pas avec l’amour appartient aux Comédies et proverbes. Le titre se présente comme une vérité générale illustrée par la fable sous forme de pièce que jouent les trois personnages. L’amour se venge cruellement d’avoir été défié par les protagonistes ;l’aventure se solde par la mort de Rosette,qui rend à jamais impossible l’amour entre les deux amants.La structure paratactique,la brièveté,la sécheresse de la dernière réplique de Camille saisissent d’effroi le spectateur et font basculer définitivement la pièce dans la tragédie.
t La reine a l’habitude de venir dans ce cabinet (« Tous les jours je viens là, – là, dans cette retraite »,acte III,scène 3,v.262).Ce n’est donc pas la première fois qu’elle entend et voit Ruy Blas mener les affaires de l’État. La reine y apprend la corruption des ministres et la grandeur de Ruy Blas ; elle y découvre qu’il a les qualités d’un roi, à l’inverse de Charles II, qui n’est roi que de nom. 28
Acte II, scène 6
y Comme le montrent les premières répliques,Ruy Blas ignore que la reine l’a observé durant son réquisitoire contre les Grands corrompus.Le dramaturge a retardé la révélation du témoin caché pour ménager un effet de surprise – surprise du spectateur non averti de la présence d’un témoin caché, mais aussi surprise de la reine découvrant la grandeur de Ruy Blas et surprise de Ruy Blas découvrant la présence de la reine,ce qui les amène à l’aveu de leur sentiment réciproque.
Travaux d’écriture Question préliminaire On est frappé par les effets différents produits par le même procédé dans la comédie, le drame et la tragédie.Dans la tragédie,le procédé accroît la tension tragique en montrant la cruauté de Néron envers ses victimes.Junie,prise dans la machination de Néron,devient pathétique.La situation de Junie et Britannicus préfigure leur sort à la fin de la pièce,leur destin de victime est déjà inscrit dans cette scène. Dans la comédie de Musset, la scène à témoin caché aboutit à la mort de Rosette et à la séparation définitive de Camille et Perdican. Rétroactivement, l’issue fatale donne une couleur tragique à l’ensemble de la pièce, qui passe du badinage à un jeu mortel. La scène du témoin caché dans Ruy Blas précède la scène 3 de l’acte III,mais c’est dans celle-ci que l’on en sent les effets.Elle provoque le duo d’amour entre la reine et Ruy Blas, à cause du saisissant effet de surprise éprouvé par Ruy Blas, qui abandonne ses défenses, et déclenche un dialogue lyrique marquant une progression significative dans l’action dramatique. Dans Tartuffe, le stratagème qui consiste à placer Orgon sous la table afin de démasquer Tartuffe confère une tonalité comique à la scène qui s’apparente par moments à une farce. Le comique est aussi subtil, par les jeux de langage qui tiennent à la présence de deux destinataires, l’un dissimulé,l’autre non.Cela amène à la révélation d’un monstre d’hypocrisie qui produit presque de l’effroi chez le spectateur. Commentaire 1. Une scène faussée A. Une scène à témoin caché Apparemment deux personnages en situation de dialogue ; en réalité scène à trois personnages :Elmire,Tartuffe,Orgon.Elmire a mis au point un stratagème pour qu’Orgon sache qui est Tartuffe. La présence d’Orgon est essentielle, elle détermine en profondeur la scène,alors qu’il reste muet et caché aux yeux de Tartuffe.Scène qui possède un fort intérêt dramatique, puisqu’elle doit faire avancer l’action et contribuer de façon significative au dénouement. Orgon, ne comprenant pas ou ne voulant pas entendre les appels d’Elmire, reste sous la table, ce qui permet à Tartuffe de poursuivre son offensive et met Elmire dans un embarras croissant.Par ailleurs,le spectateur se demande jusqu’où Tartuffe ira. 29
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
B. Portée comique de la scène Comique de situation : un mari sous une table pendant que sa femme subit les assauts d’un séducteur. Orgon est en passe d’être fait cocu sous ses yeux ; comique proche de la farce médiévale.Comique du jeu :les didascalies indiquent à plusieurs reprises qu’Elmire tousse.Comique de langage :Elmire s’adresse simultanément à deux interlocuteurs :« je suis au supplice »,v.1497 ;« C’est un rhume obstiné »,v.1499 – Qui est obstiné ? Nul doute que ce soit Orgon plus que le rhume.Alors qu’elle semble répondre directement à Tartuffe qui lui propose « de ce jus de réglisse » (v.1498),elle s’adresse à Orgon,à qui elle reproche son aveuglement. 2. Un langage faux A. Subversion du code galant par le langage de la dévotion Champ lexical de la religion : « béatitude » (v. 1442), « félicité » (v. 1444), « foi » (v. 1451); ainsi que d’autres termes qui, dans ce contexte particulier, deviennent ambigus : « vœux » (v. 1460), « gloire » (v. 1461), « bénin » (v. 1477). Ce champ lexical coexiste curieusement avec celui de la galanterie (« bonheur de vous plaire », v. 1441 ; « soupire », v. 1449). Dans l’acte III,scène 3,le langage religieux était davantage présent,car Tartuffe était moins pressé. Le langage de la dévotion est combattu ici par la force de la concupiscence, qui amène une autre subversion du code galant. B. Subversion du code galant par un matérialisme grossier Tartuffe déclare explicitement sa flamme à Elmire (« Et je ne croirai rien, que vous n’ayez, madame,/ Par des réalités su convaincre ma flamme »).Par ailleurs,il est rare que le galant fasse sa déclaration en présence du mari.Elmire est dans une situation impossible :elle ne peut repousser Tartuffe,en raison des sentiments qu’elle vient de lui déclarer,mais doit freiner ses ardeurs pour se défendre puisqu’Orgon tarde à sortir. Elmire cherche à ralentir les avancées de Tartuffe en vertu du code galant (v. 1453), mais son soupirant est loin des règles de la préciosité ou de celles recommandées dans la «carte du tendre», et ne s’embarrasse guère de préliminaires.Il faut souligner le caractère cru des demandes de Tartuffe : « Je ne me fierai point à des propos si doux, / Qu’un peu de vos faveurs [...] / Ne vienne m’assurer tout ce qu’ils m’ont pu dire » (v. 1448 à 1450), « Et l’on veut en jouir avant que de le croire » (v. 1462), « Pourquoi m’en refuser d’assurés témoignages ? » (v. 1477). 3. Une dénonciation de la fausseté Cette scène faussée amène à une dénonciation de la fausseté de façon naturelle et efficace. A. Un hypocrite démasqué Dans cette scène,Tartuffe révèle sa concupiscence (avec un degré supplémentaire par rapport à la scène 3 de l’acte III). « Elle n’est qu’une faible portion de l’appétit sans limite de Tartuffe » (Classiques Hachette, Le Tartuffe, Notes, questionnaires, bilans établis par B. Combeaud), qui désire non seulement la femme d’Orgon mais encore sa fortune. Le masque dévot qu’il porte n’est pas compatible avec ces appétits charnels et une conduite adultère. Elmire l’a forcé à se démasquer par son stratagème. La duplicité de Tartuffe est également soulignée par la didascalie « C’est un scélérat qui parle », sorte de commentaire 30
Acte II, scène 6 du dramaturge sur son personnage, comme effrayé à l’idée qu’un spectateur puisse rester aussi aveugle qu’Orgon au moment où l’hypocrisie de Tartuffe éclate. Le triple langage (langage religieux, langage galant, langage de la concupiscence) participe d’une fausseté généralisée,dont on peut se demander si elle n’abuse pas jusqu’à son auteur,mais la concupiscence l’amène à dévoiler ses objectifs immoraux et des pensées guère pieuses (« Si ce n’est que le Ciel [...] », v. 1481 ; « ces craintes ridicules », v. 1485). B. Satire de la religion Au-delà de l’hypocrisie d’un personnage, Molière dénonce la fausse dévotion en général ; il ne s’agit pas d’hostilité envers la religion, mais d’indignation envers une conception et une pratique hypocrites. Son propos s’intègre naturellement dans le décours du dialogue. Les vers 1488 à 1491 visent directement la casuistique (cf. VIIe Provinciale) et la direction d’intention, qui prétend rectifier « le mal de l’action » par « la pureté de [l’]intention ». Remarquer ici que Tartuffe n’est pas seul en cause : le pronom indéfini « on » et l’allusion à l’existence d’une « science » évoquent toute une coterie dans laquelle ces pratiques ont cours.Tartuffe continue à parler comme un directeur de conscience (« on saura vous instruire », v. 1493) alors même qu’il bafoue les principes les plus élémentaires de sa religion.L’imposture culmine au vers 1496 :« [je] prends le mal sur moi »,qui peut s’interpréter aussi bien comme la manifestation d’une incroyance totale, ou du moins de l’absence de tout scrupule, que comme la parole d’un Christ dévoyé, bouc sacrificiel se chargeant des péchés d’autrui.
Dissertation 1. Les comédies sont faites pour être jouées A. Les origines Le mot théâtre appartient à la famille du verbe grec theomaï, qui signifie regarder. L’étymologie souligne que le théâtre est avant tout un spectacle fait pour être vu. À l’origine, il s’agit d’éléments visuels, danse, mime, accompagnés de chant dans des cortèges ; le théâtre n’est que dans l’acte de représentation. Les comédies antiques (comiques et tragiques) sont commandées et jouées à l’occasion des jeux, il s’agit alors de cérémonies collectives, auxquelles doit assister la cité. Les pièces sont faites pour être représentées. La commedia dell’arte, héritière du théâtre latin, fait la part belle à l’improvisation à partir d’un simple canevas et de personnages types ;ce théâtre n’existe que dans la représentation. B. Le siècle de Molière Au XVIIe siècle, les pièces de Molière sont souvent des commandes en rapport avec la programmation de divertissements royaux, par exemple La princesse d’Elide (1664) pour les Plaisirs de l’Île Enchantée.Nombre de ces pièces,parce qu’elles font appel à la musique et à la danse, ne sont faites que pour être jouées ; c’est le cas du Bourgeois gentilhomme, qui est une comédie-ballet. De même Esther (…), commandée à Racine par madame 31
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
de Maintenon pour les jeunes filles de Saint-Cyr, comporte des chœurs accompagnés d’une musique composée par Jean-Baptiste Moreau. C. Des nécessités internes À ces nécessités extérieures (origines, commandes, apports d’autres arts), s’ajoutent des nécessités internes. Par exemple, les didascalies occupent une place importante dans le théâtre de Beckett ;certaines scènes d’En attendant Godot comportent moins de répliques que de didascalies,ce qui en souligne la théâtralité.Certains jeux de scène (par exemple avec comique de gestes, comme dans Les Fourberies de Scapin), les apartés, certains types de scène (par exemple avec un témoin caché) appellent la représentation ; à la lecture de la scène 5 de l’acte IV du Tartuffe,par exemple,on peut oublier la présence d’Orgon, ce qui est impossible lors d’une représentation où cette présence est soit visible des spectateurs, soit matérialisée par un objet (ici, une table). 2. Lire les comédies A. Un théâtre fait pour être lu Ce théâtre est rare mais il existe.Musset a écrit Théâtre dans un fauteuil,ensemble de pièces destinées dès l’origine à la seule lecture ; refusant les contraintes de la scène, il prévoit en effet un tel nombre de décors, de figurants et une telle durée que leur représentation lui semble impossible.Par leur ambition,certaines pièces échappent aux normes de la représentation.Ainsi, la représentation du Soulier de satin de Claudel peut demander jusqu’à douze heures et doit transporter le spectateur sur les cinq continents… B. Des morceaux de poésie Des pièces très écrites peuvent se passer de la représentation.Par exemple,Bérénice est une sorte de poème lyrique ; on peut s’interroger à son propos sur le bien-fondé d’une mise en scène. La poésie du théâtre de Racine en général est telle que certains préféreront supprimer la médiation de la représentation (cf. Proust : le petit Marcel s’étonnera d’avoir été déçu, malgré la Berma !). 3. Complémentarité de la lecture et de la représentation A. Ce que la lecture ajoute à la représentation La difficulté de compréhension liée à un état de la langue peut être résolue (en partie) par la lecture, permettant des retours en arrière et des pauses qui rendent possible un travail d’élucidation du sens. Le déroulement de certaines intrigues particulièrement complexes ou la subtilité du caractère de certains personnages peuvent n’être appréciés qu’à la lecture ;par exemple,une représentation du Tartuffe est-elle suffisante pour prendre la mesure de la profondeur du personnage éponyme ? B. Ce que la représentation ajoute à la lecture Les personnages, lorsqu’ils sont incarnés, prennent de l’épaisseur. Dans la mesure où le théâtre est conflit (agôn) entre des forces en présence, les voir en action sur la scène s’impose presque ;on touche là à l’essence dramatique.La représentation peut aussi aider à la compréhension. On assiste à la mise en scène d’une lecture singulière ; un texte théâtral n’est jamais totalement fermé,il laisse toujours de la latitude au metteur en scène, 32
Acte III, scène 8 par exemple dans le choix des comédiens (quitte à enfreindre certaines indications de l’auteur ;ainsi,Louis Jouvet s’était attribué le rôle de Tartuffe,alors que Dorine le décrit « gros et gras » au vers 234), dans le choix d’une tonalité – il peut choisir de grossir ou d’escamoter certains effets.Par exemple,un metteur en scène peut montrer Orgon caché sous la table et se livrant à des mimiques farcesques, ou au contraire le rendre invisible et donner une tonalité plus dramatique à la scène. Les interprétations que les metteurs en scène décident de donner à une même pièce peuvent conduire à des spectacles radicalement différents.Prenons le cas des mises en scène d’Esther par Daniel Mesguisch et par Alain Zaepfel :le premier utilise à la fois des costumes orientaux (entre autres pour le chœur) et des costumes faisant référence à l’époque nazie, induisant donc un rapprochement entre le génocide persan et la Shoah, alors que le second attire l’attention du spectateur sur les conditions de la représentation originelle, ne faisant appel qu’à des comédiennes (y compris pour les rôles masculins) et habillant le chœur de costumes évoquant les jeunes pensionnaires de Saint-Cyr ; l’Esther de Mesguisch mêle une beauté biblique et des événements appartenant à l’histoire moderne,tandis que celle de Zaepfel est rapprochée de l’époque de sa création. Écriture d’invention L’élève peut s’inspirer du style et du ton des préfaces de Racine, à commencer par celle de Britannicus. Dans la continuité de la question préliminaire, il peut arguer de la nature en soi ni comique ni tragique du procédé. Il argumentera sur l’intérêt dramatique de ce procédé dans la tragédie :il permet de faire ressortir la cruauté de Néron,il contribue à renforcer le sentiment de pitié pour les victimes. Il permet aussi d’élaborer une scène de théâtre dans le théâtre, source d’enrichissement par les résonnances qu’elle suscite, qui est une mise en abyme de la catastrophe de la pièce.
Ac te III, scène 8 (pp. 129 à 134)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE a L’irruption de Néron qui vient interrompre l’entretien entre Britannicus et Junie montre qu’il a été prévenu par Narcisse comme celui-ci se proposait de le faire au vers 956 de la scène 6 de l’acte III lorsqu’il voit Junie venir à la rencontre de Britannicus : « Ah ! Dieu ! À l’empereur portons cette nouvelle ». z L’arrivée de Néron place immédiatement Britannicus en position de victime.Néron met brutalement fin à l’entretien intime des deux amants. Britannicus est surpris alors qu’il est aux genoux devant sa maîtresse.Cette posture courtoise,symbole de l’allégeance de l’amant à l’amante,devient ridicule devant un tiers.D’emblée,physiquement ,ce geste 33
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
de soumission place Britannicus en situation d’infériorité vis-à-vis de Néron. L’arrivée de l’empereur montre à Britannicus et à Junie que leurs faits et gestes sont étroitement surveillés. Leur marge de liberté est de plus en plus réduite tant la surveillance exercée par Néron au moyen de Narcisse est efficace.
e De manière on ne peut plus explicite,Britannicus révèle à Néron qu’il sait comment ce dernier a espionné son entretien avec Junie.Si le vers 1064 « je ne sais du moins épier ses discours » pouvait avoir une acception assez large et laisser planer un doute, le vers 1068 « Et ne me cache point pour lui fermer la bouche » lève toute ambiguïté sur ce que sait Britannicus. Néron comprend que Junie lui a tout dit. r Britannicus montre qu’il ne sait pas réserver ses coups, il dévoile tout ce qu’il sait. Il lui manque le sens politique. Il n’y a chez lui aucune traîtrise ni feintise. Mais sa naïveté révèle aussi sa pureté et son innocence.Tout particulièrement dans cette scène,Britannicus correspond au portrait que Racine en donne dans sa première préface. « C’est un jeune homme qui a […], beaucoup d’amour, beaucoup de franchise et beaucoup de crédulité. » En effet, il aime Junie comme la scène précédente,qui met fin à son dépit amoureux,et le début de celle-ci peuvent nous en convaincre, il manifeste une franchise excessive en révélant à Néron ce qu’il devrait taire,il est trop crédule ou naïf,il se fie aux apparences et constamment, il sous-estime la malignité de Néron.
t Britannicus subit toujours les actions de Néron comme le montre ici la manière dont Néron interrompt son entretien avec Junie. Constamment présenté comme une victime,il suscite la crainte et la pitié quand on le voit en butte à la haine de Néron. Sa jeunesse renforce l’émotion qu’il suscite,ce trait est rappelé par Néron qui,d’ailleurs, n’est guère plus âgé,« Vous êtes jeune encore… » (v.1044).Ses caractéristiques,amoureux, franc,naïf en font un être ordinaire et vulnérable à la cour impériale,profondément étranger à cet univers.
y Néron veut à tout prix éviter qu’un entretien entre Britannicus et Junie n’annule les effets de son stratagème (II, 6) et que les deux amants ne se réconcilient. u Néron parle plus que Britannicus (27/21 vers).La distribution de la parole montre que Néron l’emporte sur son rival mais l’écart suggère que Britannicus fait face et que la joute verbale se déroule entre deux adversaires également déterminés.Junie est de loin celle qui parle le moins (un peu plus de 10 vers).La supériorité de Néron se voit encore dans le fait que c’est lui qui engage le dialogue / les hostilités et c’est encore lui qui met un terme à l’échange.En ayant le premier et le dernier mot,Néron enferme en quelque sorte ses adversaires dans son discours. Symboliquement, cela figure la contrainte qu’il exerce sur eux. Les dernières paroles de Néron sont lourdes de conséquences.Appeler les gardes, c’est-à-dire recourir à la force, marque le passage d’une situation de droit – dans laquelle nous nous trouvions avec le dialogue, fût-il extrêmement violent – au droit du plus du fort. C’est le début de la tyrannie. 34
Acte III, scène 8
i La première réplique de Néron est particulièrement injurieuse pour Britannicus puisque Néron ne s’adresse à lui que pour l’exclure du dialogue – « Prince, continuez des transports si charmants » – (v. 1025). Néron veut ignorer Britannicus, d’abord pour l’humilier, pour lui signifier son peu d’importance et pour s’adresser directement à Junie – « Madame :à vos genoux je viens de le surprendre ».Il poursuit sa manœuvre en commentant l’attitude de Britannicus en présence de Britannicus comme si ce dernier était incapable de parler,de répondre.En procédant de cette manière,c’est-à-dire en sommant Junie de prendre la parole, Néron inverse les rapports qui existent entre les deux amants où Britannicus est le chevalier qui fait allégeance à sa Dame. Outre le fait que Néron veut écraser symboliquement Britannicus sous les yeux de celle qu’il aime, il feint d’instaurer par ses propos une relation d’égalité entre Junie et lui, alors qu’ils constituent une menace voilée contre la jeune fille (v. 1025 à 1027). Implicitement, Néron dit à Junie qu’elle lui a désobéi : accepter les hommages de Britannicus, n’est-ce pas lui laisser entendre qu’il est aimé ? Après la première réplique de Néron, Junie reste silencieuse car elle peut difficilement parler sans évoquer d’une manière ou d’une autre ce qui s’est passé à la scène 8 de l’acte II, aussi Britannicus vient-il à son secours en répondant à sa place, retrouvant du même coup la posture du chevalier servant de sa Dame.Avec l’intervention de Britannicus s’opère un glissement dans le dialogue. Initialement, il devait avoir lieu entre Junie et Néron et il devient un dialogue entre Néron et Britannicus.
o On observe qu’à partir du vers 1037, les répliques de Britannicus et de Néron ont souvent la même longueur. Les répliques employées sont des stichomythies. Les premières,à partir des vers 1037 et 1041,comportent chacune quatre vers.C’est un genre de stichomythie assez rare. On peut signaler que Cinna en offre des exemples dans la scène où Cinna et Maxime s’opposent sur la conduite à tenir vis-à-vis d’Auguste. Les stichomythies dans cette scène entre Britannicus et Néron sont majoritairement plus brèves, de une à deux vers, quelquefois deux vers et demi (v. 1053-1054 ; v. 1055-1056 ; v. 1063-1064 ; v. 1057-1058 ; v. 1059-1060 ; v. 1062-1063). Racine utilise des formes variées de stichomythie pour conserver un certain naturel. Plus les stichomythies sont brèves plus elles traduisent la vigueur de l’affrontement.Il n’y a que dans cette scène que l’on trouve des stichomythies,ce qui rend plus perceptible la violence de l’échange et ce qui suggère que Néron parle ici à visage découvert. q Néron use de la tonalité ironique et cela dès la première réplique (v. 1025 à 1030). Il est encore ironique dans sa réponse du vers 1041 à 1044, dire à Britannicus qu’il est jeune est d’autant plus ironique que Néron a approximativement le même âge.C’est une manière d’affirmer sa supériorité sur Britannicus ;à des âges très proches,l’un se présente comme dépositaire d’un savoir que l’autre ferait bien d’acquérir.Le vers 1065 est lui aussi ironique mais il s’agit dans ce dernier cas d’une ironie involontaire de la part de Néron puisqu’il prétend dire la vérité en pensant que c’est faux or il dit vrai. 35
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
s Néron s’adressait à Junie et excluait Britannicus de l’échange, à son tour Britannicus s’adresse à Néron et exclut Junie de l’échange. Britannicus s’interpose entre Néron et Junie,et rappelle à Néron qui il est.Montrer qu’il a conscience de son rang est une manière pense-t-il de contenir Néron dans certaines limites. Le dialogue passe de l’univers de la galanterie à celui du pouvoir. En faisant référence à son rang,Britannicus déplace les enjeux du dialogue,il s’agit non plus d’un conflit amoureux mais d’une rivalité politique. Cette scène qui se présentait comme relevant du domaine privé s’annonce comme une scène politique. d Le nom Domitius évoque la véritable filiation de Néron qui est le fils d’Ænobarbus et non d’un empereur ;Néron est le nom qu’il porte par faveur depuis son adoption par Claude. En l’appelant Domitius, Britannicus lui rappelle son illégitimité.
f Le fait que le nom « Rome » soit au centre du dialogue à partir du vers 1546 souligne la dimension politique du conflit. On remarque que le substantif se trouve à l’initial des vers, et qu’ il est également fréquemment sujet des propositions. g Sur cette scène 8 de l’acte III pèse tout le poids de la scène 6 de l’acte II. Avant les vers 1066 à 1068, Néron pense que Britannicus ne sait pas que son entrevue avec Junie a été épiée. Néron peut penser que Junie n’a pas eu le temps ou le courage de révéler à Britannicus que leur rencontre était piégée.Tant que Néron pense que Britannicus ignore le chantage exercé sur Junie,il se croit en position de force.Les paroles que Néron adresse à Junie lorsqu’il répond à Britannicus : « Souhaitez-la (son inimitié) c’est tout ce que je puis dire » montrent bien que Néron pense toujours exercer un chantage sur Junie à l’insu de Britannicus. h C’est au moment où Britannicus révèle aux vers 1066 à 1068 qu’il n’ignore rien du chantage exercé sur Junie que se joue son arrestation. Néron ne disposant plus de « son arme », comprenant que Junie a parlé, passant outre son ordre, ne peut qu’arrêter son rival. Démasqué, Néron n’a plus à prendre de précaution et commence à exercer sa tyrannie à découvert.Le vers « Heureux ou malheureux,il suffit qu’il me craigne » est une variante de la devise tyrannique par excellence « Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent ». Cette maxime rend compte de la conception politique qui sous-tend les propos et l’attitude de Néron. j Néron appelle les gardes pour ramener Junie dans son appartement et pour arrêter Britannicus, lequel doit être conduit chez Octavie – les héritiers de Claude, le frère et la sœur – victimes du despotisme impérial sont confinés dans un même lieu.L’intervention des armes montre que c’est désormais le droit du plus fort qui régit la vie politique et publique. À l’inverse de la maxime latine, les toges doivent céder devant les armes. k Racine a mobilisé nombre de moyens pour oblitérer chez le spectateur le souvenir du Néron historique.Albine, Burrhus,Agrippine et même Junie rappellent à maintes 36
Acte III, scène 8 reprises sous quels heureux auspices a commencé son règne. En même temps, Néron demeure constamment énigmatique.On ne le voit jamais sur scène prendre les décisions les plus importantes. L’attitude que Néron observe dans la grande scène 2 de l’acte IV confirme que Néron est un excellent comédien, ce qu’appuie encore le rapport que Burrhus fait de l’assassinat de Britannicus puisque aucun sentiment ne semble affecter l’empereur à ce moment-là.S’agissant de Néron,on ne saurait véritablement parler d’évolution,il s’agit bien plutôt d’une révélation progressive d’une méchanceté native.Méchant depuis toujours, Néron devient un monstre.
l Au vers 1070, Junie s’écrie : « c’est votre frère ». Britannicus et Néron ne sont devenus frères que par alliance, puisqu’Agrippine, la mère de Néron, a épousé Claude, le père de Britannicus. Par la suite, l’adoption de Néron par Claude les ont rendu frères d’un point de vue légal. L’exclamation de Junie renforce la cruauté du coup de force perpétré par Néron.
m Au-delà de leurs différences,des similitudes existent entre Néron et Britannicus.Tous les deux sont jeunes, tous les deux aiment la même femme (de manière très paticulière, il est vrai,en ce qui concerne Néron),tous les deux ont des prétentions au trône ;tout cela accentue le caractère fratricide de leur lutte et en accentue la violence et la cruauté. w Ce sont principalement les noms propres de personnages historiques qui donnent à la scène et à l’ensemble de la pièce d’ailleurs,une couleur romaine :« Domitius » (v.1040) qui fait référence à la gens Domitia à laquelle appartient Néron,« Britannicus » (v.1081), « Junie » (v. 1057), « Néron » (v. 1053-1054), le nom « Rome » répété trois fois, la mention des « Vestales » (v. 1076) et une référence au panthéon romain (v. 1078) à travers l’expression « les Dieux » renforcent l’atmosphère romaine.Comme l’écrit J.Cahen « à côté de ces noms spécifiquement romains,Racine a employé des mots qui sans être spécifiquement romains, tirent du contexte une valeur romaine. » Citons : « rapt » (v. 1048), « divorce » (v. 1048). Le vers 1056 est une reprise de la formule latine « Oderint dum metuant ».
x On constate que le nom Néron est employé par Néron lui-même qui parle ainsi de lui à la troisième personne. Il s’agit de la figure de l’énallage, laquelle se prête particulièrement aux discours de grands personnages. En se nommant de cette manière, Néron s’affirme supérieur à Britannicus qui lui a signifié auparavant qu’il était d’une naissance supérieure, laquelle en faisait l’héritier légitime du trône.
c Les fonctions du nom Rome sont diverses.Rome est d’abord le lieu de l’action,c’est aussi une façon de désigner l’empire (v.1046) ;Rome peut être l’équivalent des Romains et devient ainsi une sorte de personnage placé en position d’observateur et que l’on prend à témoin (v. 1046 à 1052).
v Rome est l’enjeu de l’affrontement. C’est une question politique, de pouvoir qui est à l’origine de l’antagonisme entre les deux personnages. Même si au début de l’acte V (v.1493-1494),Britannicus déclare renoncer presque avec joie à l’empire puisque Néron 37
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
ne s’oppose plus à ses amours avec Junie, à l’acte III, Britannicus est un danger politique pour Néron et le restera, en fait, tant qu’il vivra. La métrique met particulièrement en valeur le nom « Rome » qui est placé à l’initial du vers, avec des effets de répétition renforcés par la proximité (« Rome./ Rome met-elle au nombre de vos droits… » (voir question 13).
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 141 À 150) Examen des textes a La confession de Maxime est une épreuve supplémentaire pour Auguste. Il ne peut la surmonter qu’au prix d’une magnanimité extraordinaire, qui va se manifester par la clémence. C’est cette dernière épreuve qui l’amène à se surpasser et à proclamer : « Je suis maître de moi comme de l’univers ».L’acte d’Auguste provoque une sorte de contagion de la vertu ; cette assomption entraîne dans un mouvement ascensionnel tous les personnages.
z La royauté repose, selon Corneille, sur l’exercice des plus hautes vertus. La clémence manifestée par Auguste est la plus remarquable de toutes. C’est une conception de la royauté très élevée qui se manifeste ici,où un acte presque surhumain de clémence légitime de façon définitive le pouvoir.
e Émilie voulait la mort d’un être qui n’existait plus.Depuis bien longtemps,à Octave, l’homme sanguinaire en partie responsable des guerres civiles, s’est substitué Auguste. Émilie a ignoré ou voulu ignorer ce changement jusqu’au moment où elle est obligée de se rendre à l’évidence. r « Émilie prend conscience qu’Auguste ne se situe plus sur le même plan qu’elle » (Georges Forestier). Par son acte de clémence, marque de sa magnanimité,Auguste s’élève audessus de l’humanité ordinaire, ce qui suscite chez les anciens conjurés une véritable conversion.
t La première réplique de Prusias montre qu’il ne parle pas en roi. La syntaxe de son discours est entièrement déceptive : « Mais », « Et tâchons », « pas », « ni », « ne… que ». Les termes employés montrent qu’il ne songe qu’à la compromission :« donnons quelque chose à Rome, qui se plaint », « tâchons d’assurer la reine ». L’emploi réitéré du « Je » montre que Prusias n’est animé que de préoccupations personnelles et non politiques. y L’apostrophe de Nicomède, « Seigneur » (v. 1317), contraste avec celle, familière, de Prusias, « Nicomède ».Tandis que le roi se place dans une perspective domestique, familiale, Nicomède parle comme un sujet s’adressant à son roi. 38
Acte III, scène 8
u Le champ lexical qui domine la réplique de Nicomède est celui de la royauté : « Roi » (v. 1318), « roi » (v. 1320), « trône » (v. 1321), « Régnez » (v. 1321), « régner » (v. 1326). Ces mots structurent tout son discours.
i Dans la première partie de la scène, Nicomède ne parle pas en fils mais comme un héros, conseiller et appui du roi, qui veut rétablir le pouvoir royal dans sa grandeur. Mais l’entretien dégénère, le ton des interlocuteurs se durcit. Dans la suite du texte, Nicomède répond de façon provocante au roi en lui rappelant que ses décisions importent peu et n’influent guère sur le cours des événements. Nicomède, confiant dans sa valeur, déclare qu’elle le fera roi indépendamment des menées de Prusias. Nicomède parle alors moins en sujet qu’en roi.
o Prusias essaie en vain d’endosser l’habit de roi, il ne parvient qu’à devenir un tyran. Sa parole devient arbitraire et autoritaire. L’alternative qu’il propose à Nicomède, ou « Laodice », ou les « quatre couronnes », équivaut à déposséder Nicomède de ce qui lui revient de droit.Laodice lui a été promise en mariage,et les quatre royaumes constituent son apanage. En clair, Prusias ne comprend rien à ce que veut dire être roi.
q À l’opposé de Prusias qui agit en tyran, Nicomède respecte la liberté de Laodice, qui est reine. C’est ce que montrent les expressions « ne pas l’offenser » (v. 1334), « laissez Laodice en liberté du choix » (v. 1338).
s Un roi ne saurait apparaître dans une comédie qui n’est ni héroïque ni galante ;contrairement à la tragédie,la comédie de mœurs ou de caractères n’est pas un genre assez noble pour que le dramaturge se permette d’y mettre en scène un roi. L’Exempt le remplace donc. d Dans l’éloge du roi fait par l’Exempt, les qualités mises en évidence sont : l’omniscience (« dont les yeux se font jour dans les cœurs », « ses vives clartés », « percé », « des replis de son cœur ») ;l’omnipotence (« d’un souverain pouvoir ») ;la clémence (il « pardonne enfin cette offense secrète » – Orgon était le dépositaire d’une cassette appartenant à Argas qui était dans les rangs des Frondeurs).Le roi devient par ses qualités une image de Dieu.Se trouve ainsi illustrée l’expression « roi de droit divin ». Travaux d’écriture Question préliminaire La tragédie de Corneille est très souvent le lieu d’une réflexion politique.Ainsi, Cinna dramatise une réflexion sur la conquête de la légitimité du pouvoir.Auguste acquiert celle-ci par un acte inouï de clémence. Sa vertu surhumaine lui confère le plein droit de régner, bien qu’il ait conquis le pouvoir par la violence. Nicomède, de Corneille, présente deux figures royales, Nicomède étant l’exemple et Prusias le contre-exemple. Le premier a une conception très haute de la fonction de roi et refuse tout compromis (« Un véritable roi n’est ni mari ni père ; / Il regarde son trône, et rien de plus.», 39
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
v. 1320-1321). À l’inverse de son fils, Prusias veut « mettre d’accord l’amour et la nature » (v. 1315) et s’englue dans des préoccupations domestiques. Nicomède, qui est l’héritier de droit, doit conquérir le trône par l’exercice de la vertu, puisque Prusias semble vouloir l’en écarter au profit d’Attale, son demi-frère. Ces deux tragédies opèrent des variations sur la même question fondamentale de la légitimité du pouvoir. Britannicus, qui est un contre-Cinna, s’intéresse à la même question. Néron, qui détient illégitimement le pouvoir, a semblé le légitimer par trois ans de vertu, mais l’assoit par le crime et perd ainsi définitivement toute légitimité. Il devient une figure du tyran, comme le montrent son propos « il suffit qu’on me craigne » (v. 1054) et le recours à la violence pour neutraliser puis supprimer Britannicus. La condition moins élevée du personnel dramatique d’une comédie ne suppose pas qu’on y développe de grands sujets politiques. À la scène 5 de l’acte V du Tartuffe, il était impossible que Molière mît en scène le personnage du roi ;aussi recourt-il à celui de l’Exempt,qui le représente.Le roi,ici,n’a guère qu’une utilité dramatique de deus ex machina. Mais le dramaturge en profite pour faire l’éloge de Louis XIV, sans la protection duquel jouer Tartuffe eût été impossible. Commentaire 1. Deux figures royales L’un est un roi en exercice, l’autre est jusqu’à cet instant encore l’héritier du trône. A. Prusias prend la parole (v. 1307), ce qui est conforme à son statut de roi. Il ne parle pourtant jamais en roi, jamais il n’a souci du bien commun.Au vers 1327, il y a contradiction dans les termes : on ne saurait être roi par la volonté d’un sujet. « Ce désordre me fâche » (v. 1307) : le roi souhaite le retour à l’ordre qui régnait avant l’apparition de Nicomède, au début de la pièce, quand le pouvoir royal se caractérisait par la compromission avec Rome et la faiblesse devant les volontés d’Arsinoé. « Mais donnons quelque chose à Rome,qui se plaint,/ Et tâchons d’assurer la reine,qui te craint » (v.1309-1310) :ce que propose Prusias,c’est une série de compromissions vagues ;il est le jouet de deux forces, l’une extérieure, Rome, l’autre intérieure,Arsinoé. Il n’y a jamais de projet dans ses propos, il se laisse porter par les événements plus qu’il ne les maîtrise. En fait, comme le laisse entendre la réponse de Nicomède à son père à la fin du vers 1318, celui-ci n’est « roi » que de nom (noter la mise en valeur de ce terme monosyllabique situé en fin de vers et premier mot d’une réplique de Nicomède).N’étant pas réellement un roi,Prusias cède à la tentation de la tyrannie, par exemple quand il propose à Nicomède l’alternative « Choisis,ou Laodice,ou mes quatre couronnes » (v.1328) ;il se montre arbitraire et autoritaire,puisque cela équivaudrait à déposséder Nicomède de ce qui lui revient :Laodice lui est promise et les quatre couronnes sont son apanage.Piqué par la réplique de son fils, Prusias répète deux fois « ton roi » en deux vers (1329-1330),dont la sonorité est rendue plus agressive par l’abondance de dentales et la brièveté des mots employés. B. Nicomède accorde une importance réelle à la fonction royale ; cette haute idée se reflète dès le début de la deuxième réplique (v. 1319), qui s’organise autour des termes « roi » (2 fois), « trône » (1 fois), « Régnez » (1 fois, rejeté en fin de vers pour faire écho 40
Acte III, scène 8 au mot « roi » trois vers plus haut), « régner » (1 fois). Nicomède se projette en tant que roi (v.1326 et v.1353 à 1362 – remarquer la rime entre « roi » et « moi ») capable de tenir tête à la puissance romaine. 2. La mediocritas et le sublime Après l’opposition entre deux visions de la royauté,on découvre l’opposition entre deux caractères incarnant l’un la mediocritas, l’autre le sublime. A. Dans le discours de Prusias, on remarque plusieurs constructions déceptives (« Mais », « Et tâchons », « pas », « ni », « ne… que ») et un vocabulaire bas (cf. l’apostrophe familière – voire bourgeoise – « Nicomède », qui montre que le roi ne se situe ni dans une perspective hiérarchique ni dans une perspective de filiation, et les verbes « me fâche », « tâchons »). Sa parole est narcissique, comme le montrent les quatre occurrences du pronom « je » et l’adjectif possessif dans l’expression « mes quatre couronnes » (v. 1328); la première personne du pluriel n’est jamais un « nous » de majesté,mais un « nous » domestique. Prusias cherche l’accord impossible entre la nature et l’amour, ce qui est incompatible avec la fonction royale.Il présente des similitudes avec des personnages de comédie. Sa colère des vers 1339 à 1343 est presque comique : lui qui avait proposé si solennellement un choix à Nicomède trouve soudain ridicule l’une des options qu’il lui avait soumises. B. Nicomède est l’incarnation du sublime. C’est un héros qui suscite l’admiration. L’apostrophe « Seigneur » (v.1317) s’oppose à la familiarité du « Nicomède » du vers 1307. Nicomède apparaît d’abord comme un conseiller rappelant Prusias à ses devoirs de roi, mais il y a déjà de la sévérité dans ce rappel à l’ordre, puisque Nicomède se permet de reprendre les termes « père » et « mari » employés par Prusias, en les inversant, pour les nier (v. 1320) et même les anéantir (« rien de plus », v. 1321); plus loin, le ton se fera ironique (v. 1344), puis menaçant (v. 1348 à 1362). Il y de l’élévation dans les paroles et les pensées de Nicomède quand il évoque le « véritable roi » (v. 1320-1321). Le sublime se manifeste aussi dans le respect plein de panache que Nicomède manifeste envers la liberté de Laodice, qu’il considère, elle, comme une véritable reine (v. 1331 à 1333 et v. 1338). Devant l’alternative proposée par Prusias,Nicomède tranche sans hésitation (sans perdre l’occasion de souligner l’inconséquence des paroles de Prusias, v. 1335-1336). Il ne se départit aucunement de sa grandeur,mais se montre aussi fin politique,comme l’indique son argumentation des vers 1348 à 1362 :il a vite calculé où se trouve son avantage et a pleinement conscience de sa supériorité. Dissertation 1. La tragédie nous présente des personnages « gigantesques », « boursouflés », « chimériques » A. Les personnages de tragédie Rousseau reproche à la tragédie de ne mettre en scène que des êtres éloignés de l’humanité commune.Personnages issus de la légende,des êtres chimériques :Phèdre,« fille de Minos et de Pasiphaé » ;Thésée,capable d’aller aux enfers et d’en revenir ; Andromaque,princesse 41
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
du cycle troyen.Personnages issus de l’histoire :Néron,Titus,empereurs de Rome ; Alexandre le Grand.Dans ces cas,l’éloignement tient au rang des personnages. B. L’action Liée à la nature des personnages,l’action est éloignée des préoccupations ordinaires ;les situations peuvent sembler exceptionnelles. Une crise dynastique dans Britannicus. La vindicte de Vénus dans Phèdre. Le sacrifice d’Iphigénie exigé par les dieux. C. Des passions exacerbées La folie d’Oreste. L’amour passionnel d’Hermione. La monstruosité de Néron. D. Un langage noble L’usage de l’alexandrin donne de la solennité à tous les propos et les éloigne de la parole quotidienne. L’usage de figures de style : métaphores, hypotyposes… 2. Mais Racine ne peint-il pas les hommes comme ils sont ? A. Les situations Pas si loin des situations ordinaires, sous leur apparence exceptionnelle. Hermione aime Pyrrhus qui aime Andromaque. La difficulté éprouvée par Néron pour secouer le joug maternel.Thésée, un époux volage. B. Les sentiments L’idéal des classiques est de peindre l’homme éternel.Sentiments familiaux :amour paternel (Agamemnon pour Iphigénie), amour maternel (Andromaque pour Astyanax). Rivalités familiales : entre frères (Étéocle et Polynice), entre mère et fils (Agrippine et Néron). Soif de pouvoir ou ambition : Agrippine. Sentiments amoureux : Titus et Bérénice, Hippolyte et Aricie. 3. La tragédie doit-elle être didactique ? Dans cette citation, Rousseau condamne la tragédie en raison de l’impossibilité, selon lui, d’en tirer un enseignement moral. A. La fonction morale est souvent invoquée par les auteurs eux-mêmes Idée de catharsis (effet de purgation des passions produit sur les spectateurs d’une représentation),tirée d’Aristote,et interprétée au XVIIe siècle comme une purification morale. Mais c’est aussi pour répondre à une nécessité sociologique que l’on essaie de faire admettre le théâtre (objet de suspicion pour la religion) par sa fonction morale.Dans la préface de Phèdre, Racine lui-même prétend avoir écrit une tragédie morale. B. Un faux problème La méprise de Rousseau sur la tragédie (et sur la littérature en général) est de la considérer comme un genre didactique, en négligeant sa dimension esthétique : comme tout artiste, le dramaturge produit avant tout de la beauté. Selon la préface de Bérénice, Racine veut « plaire et toucher ». C’est notamment pour toucher davantage le spectateur,pour l’attendrir par le spectacle de l’innocence en butte à la méchanceté,que Racine introduit le personnage de Junie, dont l’une des utilités dramatiques est de susciter du pathétique (caractère élégiaque de l’histoire des amours contrariées de Junie et Britannicus). C’est pour procurer du plaisir au spectateur que l’auteur se conforme aux « règles » ou 42
A c t e I V, s c è n e 4 les transgresse parfois. Les morceaux de bravoure (la description de Troie en flammes, l’enlèvement de Junie) constituent des ornements de la pièce, qui permettent aussi aux comédiens de se mettre en valeur.Enfin,la musique racinienne charme l’oreille,par l’utilisation harmonieuse de belles sonorités,par l’alternance des diérèses et des diphtongues, et par la fluidité et l’élégance de son rythme (« Dans l’Orient désert quel devint mon ennui ! », Bérénice, v. 234 , « Ariane, ma sœur, de quel amour blessée, / Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée ! », Phèdre, v. 253-254). Écriture d’invention L’élève argumentera en évoquant – l’intérêt de l’histoire,qui est pleine de rebondissements (un enlèvement, une amorce de conjuration, une réconciliation (fausse), un empoisonnement), – les sentiments éternels (amour, haine, ambition), qui agitent les personnages, – certains personnages violents, prêts à en venir au meurtre, d’autres émouvants, – diverses statégies de pouvoir, une réflexion politique au sens large, – la musique du vers racinien (s’il pense que c’est un argument pour son condisciple…).
A c t e I V, s c è n e 4 ( p p . 1 6 5 à 1 7 0 )
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 171 À 175) a La distribution de la parole est en faveur de Narcisse (67 vers,contre 23 pour Néron), qui occupe le devant de la scène puisqu’il parle trois fois plus que son interlocuteur, qui n’est autre que l’empereur. Cela nous alerte, s’il en était besoin, sur le poids de Narcisse dans l’action dramatique. z Dans sa première réplique,qui ouvre la scène,Narcisse fait une sorte de compte rendu sur la mission que l’empereur lui a confiée en coulisse – la préparation du poison. En substance, Narcisse dit que tout est prêt, il reste à l’empereur à décider du moment pour mettre à exécution le projet de meurtre.
e Au vers 1423, Néron demande à Narcisse : « Dis-moi, que veux-tu que je fasse ? » On pourrait comprendre cette question comme une façon de signifier « je ne peux rien faire ». On peut aussi la comprendre dans un autre sens ; Néron demande à Narcisse d’approuver la décision de se réconcilier avec Britannicus ou de trouver une solution. Ce que fait Narcisse, qui répond au vers 1450 : « Faites périr le frère, abandonnez la sœur ».
r La très longue tirade d’Agrippine à la scène 2 de l’acte IV constitue une sorte de répertoire des erreurs à ne pas commettre quand on s’adresse à Néron.Narcisse ne prend pas de front l’empereur,il feint de souscrire à sa décision de se réconcilier avec Britannicus. 43
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Il prend soin de ne pas se poser en contradicteur, de ne pas indisposer Néron par une litanie d’ordres et de conseils à la manière d’Agrippine.Il refuse également d’endosser le rôle de conseiller officiel à la manière de Burrhus. Certes Narcisse conseille l’empereur,mais toujours de façon détournée,il n’adopte jamais la posture du conseiller.Il serait maladroit de se présenter comme tel alors que Néron n’a déjà que trop de conseillers et veut s’émanciper de la tutelle de sa mère et de celle de Burrhus.
t Narcisse, comme il le rappelle lui-même au vers 1444, est un ancien esclave affranchi par Claude. Sa condition d’esclave l’a habitué à louvoyer, à être à l’écoute des désirs d’un maître.Ancien esclave, Narcisse recourt à la tactique qui consiste à se soumettre en apparence pour parvenir à ses fins. « Il suggère, sous-entend, masque sa parole et déguise sa volonté d’agir sur Néron ; il est par excellence le personnage officieux de l’ombre et de la dissimulation. » (Gilles Declercq).
y Narcisse ne déteste pas Britannicus.Mais il souhaite sa mort,car il a compris que c’était le désir intime de Néron.Tuer Britannicus,c’est affaiblir Agrippine,la rendre inopérante ;peut-être veut-il prendre sa place.Il est certain,en tous les cas,qu’il ambitionne de retrouver le pouvoir qu’il a eu, comme il le rappelle aux vers 1444 et 1447 où il évoque sa gloire passée :« Moi-même revêtu d’un pouvoir emprunté / Que je reçus de Claude avec la liberté, / J’ai cent fois,dans le cours de ma gloire passée… » De plus,une réconciliation entre Néron et Britannicus pourrait lui être fatale. Britannicus découvrant son double jeu pourrait demander sa tête à l’empereur.
u Aux vers 1401 et 1408, apparaît le connecteur logique « mais ». Dans les deux cas, la proposition introduite par la conjonction de coordination s’oppose au premier énoncé. Gilles Declercq fait remarquer la nature hétérogène des énoncés. Le premier est une déclaration d’intention (« Je me garderai bien de vous en détourner »), le second est un fait (« mais, il s’est vu tantôt emprisonner »). On voit que dans les propos de Narcisse, il y a un jeu sur l’énonciation.La déclaration d’intention est à mettre au compte de Narcisse,tandis que dans le deuxième énoncé le locuteur est effacé, les faits sont présentés comme parlant d’eux-mêmes. Narcisse s’élève contre la décision de l’empereur mais ne se pose pas en contradicteur. La deuxième conjonction de coordination introduit la possibilité d’une vengeance de Britannicus, par empoisonnement, qui est un argument plus fort que celui formulé précédemment aux vers 1402-1403 et qui vient montrer tout ce qu’aurait d’illusoire une réconciliation entre les deux adversaires. Les deux arguments que Narcisse « oppose » à Néron sont : l’emprisonnement est une offense que Britannicus n’oubliera pas de sitôt, le projet d’empoisonnement pourrait lui donner l’idée et les moyens de se venger.Le passage du premier argument au second suggère que le premier est insuffisant, Narcisse éprouve le besoin de consolider son argumentation.
i Narcisse énonce une sentence au vers 1404 :« Il n’est point de secrets que le temps ne révèle ». La tournure impersonnelle et le présent gnomique en sont les principales caractéristiques. Il anticipe ainsi une objection possible de Néron qui pourrait avancer que l’em44
A c t e I V, s c è n e 3 poisonnement prémédité n’est connu que de lui et de Narcisse. Narcisse a recours à un type d’énoncé qui,par sa formulation individuelle,se présente comme une vérité générale, une sorte de « loi » impossible à remettre en cause. De même que précédemment Narcisse faisait ou laissait parler les faits,il se fait ici le porte-parole d’une sagesse et apparaît comme le dépositaire d’un savoir qui a force de loi. C’est encore une façon d’avancer masqué. o Après avoir misé sur la crainte,Narcisse tente d’abord de faire jouer la jalousie (v.14101411) puis le ressort qu’est l’amour-propre (v. 1414, 1415, 1417, 1418 à 1422). q Lorsque Néron dit « On nous réconcilie » (v. 1400), « On répond de son cœur ; et je vaincrai le mien » (v. 1408), Narcisse comprend que derrière le pronom indéfini se cache Agrippine et que l’empereur n’a pas encore vaincu son cœur – comme le laisse entendre le futur. Néron apparaît comme écartelé entre une attitude volontariste et son désir de supprimer Britannicus (voir le vers 1424).Aussi Narcisse s’engouffre-t-il dans la brèche en levant l’anonymat du « on » qui a pour effet d’affoler Néron, ce que montrent ses questions. s Dans la réplique des vers 1418 à 1422 et dans sa dernière tirade, Narcisse fait parler Agrippine, Burrhus et les gens de la Cour. Une fois encore, Narcisse s’efface comme locuteur. Pour reprendre les propos de Gilles Declercq, « Narcisse ne parle pas en son nom propre, il fait entendre successivement la voix des faits, de la sagesse, celle d’Agrippine, de Burrhus, des courtisans. Il bénéficie à la fois de l’efficacité de la parole et de l’innocence du silence ». d Narcisse décrit le peuple romain comme servile, c’est ce que montre la présence du champ lexical de la servitude :« joug »,« enchaînés », « servitude ».Narcisse cherche à dévaloriser le peuple romain pour amener Néron à mépriser ses opinions.Il développe d’abord l’idée que Néron doit agir en maître,ensuite que le peuple est habitué à obéir.Pour étayer ses propos, il se réfère alors à son expérience : Rome a approuvé ses crimes. Enfin, il conclut que le peuple finira par louer les crimes de Néron. Narcisse procède par analogie : si Rome a approuvé ses crimes, il va de soi qu’elle ne peut qu’approuver ceux de l’empereur.Au passage,on mesure l’image dégradée du pouvoir présentée ici,puisqu’un (ancien) esclave devient modèle de conduite pour le maître de Rome. f Narcisse dit à Néron de gouverner sans chercher à se faire aimer, lui donnant ainsi une leçon de réalisme politique. On se reportera utilement à l’article « Péril, conseil et secret d’État dans les tragédies romaines de Racine :Racine et Machiavel » d’AlainViala, in Littératures classiques, n° 26 (janvier 1996). g L’assassinat de Britannicus serait le premier crime de Néron. En franchissant ce pas, l’empereur rompt avec l’image qu’il a donnée de lui dans le passé, il s’aliène définitivement Agrippine et ses conseillers Burrhus et Sénèque.Le meurtre de Britannicus est un point de non-retour ;ensuite,Néron ne pourra plus que s’enfoncer dans la tyrannie,c’està-dire perpétrer d’autres crimes.Par ailleurs,il s’agit ici de commettre un fratricide (puisque 45
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Britannicus est son frère par alliance) et le meurtre d’un proche est encore plus effrayant qu’un meurtre « ordinaire ». h À aucun moment Néron n’assume franchement la réconciliation avec Britannicus, comme le montre l’emploi du pronom indéfini « on » (cf. question 10). Par ailleurs, la brièveté de ses affirmations suggère qu’il ne souhaite pas entrer dans les détails de ce qui apparaît comme un surprenant revirement, sans doute parce qu’il ne se sent guère l’envie d’argumenter en faveur de cette « paix familiale ». De plus, dire en parlant de son cœur « Je vaincrai le mien » laisse assez entendre qu’il n’est pas vaincu. Et Narcisse, qui sait entendre autant que parler, ne manquera pas de s’en rendre compte. C’est trop tard que Néron dit « Je ne le compte plus parmi mes ennemis ».Narcisse s’emploiera à démasquer ce « on », qui cache Agrippine et Burrhus. j Précédemment,Néron tutoyait Narcisse lorsqu’ils étaient seuls.Au début de la scène 4 de l’acte IV,le vouvoiement signale la distance que Néron veut instaurer entre eux.Mais au vers 1423,le retour au tutoiement rend à Narcisse son rôle de confident,de conseiller, ici de complice. Leur complicité sera marquée davantage encore, et comme scellée, par l’emploi de la 1re personne du pluriel dans le dernier vers de la scène. k Ce n’est pas un reste de vertu qui retient Néron de s’engager sur la voie du crime, mais le souci de son image, de sa renommée, comme le montrent les vers 1425 à 1431. Les propos de Néron gardent la trace des arguments de Burrhus (v. 1337 à 1372), par lesquels celui-ci lui représentait les plaisirs attachés à une bonne « fama ». l La dernière tirade de Narcisse évoque le goût de Néron pour les courses de char, la poésie et la scène. Néron aime à se donner en spectacle ; son histrionnisme révèle un amour-propre (au sens moderne) excessif, qui va jusqu’à obtenir les applaudissements par la violence.
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 176 À 181) a Pascal souligne la place qu’occupe l’amour-propre dès la première phrase.Il part d’une définition où amour-propre et homme se confondent, qui établit une identité absolue entre la nature de l’amour-propre et le moi humain.L’homme est défini comme réductible à ce seul défaut. Mais la nature de « l’amour-propre et de ce moi humain » est formulée sous la forme d’une restriction « ne… que… » ; la phrase opère une sorte de rétrécissement, de recentrage sur « soi ». La répétition et la place du pronom « soi » soulignent que tout dans l’homme converge vers la satisfaction de « soi ». La structure même de la phrase suggère l’égocentrisme. z Pascal met au jour le paradoxe qui gît au cœur de la nature humaine par une série d’oppositions : « il veut être grand, et il se voit petit ; il veut être heureux, et il se voit misérable »,etc.La construction de la phrase souligne l’abîme qui sépare les aspirations de l’homme de ce qu’il est en réalité. 46
A c t e I V, s c è n e 4
e Les maximes semblent désorganisées. Cet apparent désordre prétend restituer celui de la conversation. Il s’agit avant tout de ne pas lasser le lecteur, aussi évite-t-on de s’attarder sur quelque considération que ce soit. Ce type d’écriture présente l’intérêt « d’obliger » le lecteur à rétablir de lui-même le lien logique implicite entre les différentes maximes.
r La Rochefoucauld annonce dans les quatre premières maximes le thème de l’amour-propre, puis décrit les passions qui en sont des manifestations. L’amour-propre est à l’origine de toutes les passions, étant lui-même la passion fondamentale.
t – Une écriture fragmentée qui cultive la brièveté (comme le disait La Fontaine,il faut laisser quelque chose à penser au lecteur ; il s’agit de faire entendre en peu de paroles beaucoup de choses). – Emploi du verbe « être » ou de verbes d’état. – Emploi du présent gnomique pour donner une extension maximale au propos. – Usage de la tournure restrictive (déceptive) « ne… que… ». – Des notions précédées de l’article défini. – Usage précieux du superlatif, qui transforme presque en pointe le propos. – Utilisation de métaphore, d’antithèse, de répétitions avec dérivation (vaillant/valeur, chasteté/chaste). y Les moralistes rappellent à l’homme qui il est en mettant au jour sa vraie nature. De même,le peintre rappelle à l’homme sa finitude.Qu’il s’agisse des plaisirs représentés par un flacon de vin, de la richesse symbolisée par une coupe en or, ou bien de l’appétit de savoir évoqué par des livres et une plume, tout est vanité parce que l’homme est soumis à la mort ; c’est le sens des os et du crâne situés à gauche du tableau. Travaux d’écriture Question préliminaire L’homme décrit par les moralistes est le jouet de puissances d’égarement.La Rochefoucauld (maxime 7) montre que ce que l’on pourrait prendre pour l’effet de vertus peut être le fruit du hasard,ou de sentiments mesquins.Il affirme que les vertus ne sont souvent que des vices déguisés (maxime 1). Entre des maximes qui démasquent les comportements humains et les passions, La Rochefoucauld énonce sans vraiment l’expliciter l’origine des différentes conduites de l’homme : l’amour-propre (le mot n’est pas à prendre dans son sens moderne de sentiment vif mais légitime de sa propre valeur, mais dans celui d’amour de soi,d’égoïsme profond).Il est vrai que l’écriture fragmentaire ne suppose pas une argumentation élaborée, c’est au lecteur d’établir la relation de cause à effet. Pascal, lui, s’intéresse directement à la cause principale des illusions où l’homme s’enferme ; l’amour-propre entraîne l’homme à élaborer une stratégie fondée sur le mensonge, qui lui permet de s’aveugler sur l’abîme séparant ses aspirations ou ses prétentions de ce qu’il 47
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
est vraiment (« Il veut être grand et il se voit petit… »). Le propos pascalien est fortement argumenté, comme s’il ne voulait laisser aucune échappatoire à son lecteur et le forcer à voir sa misère. Dans la pratique quotidienne, le désir d’échapper à cette vérité insupportable pousse l’homme à se « divertir », c’est-à-dire à oublier ce qu’il est en se livrant à des activités de toutes sortes. C’est aussi le sens du tableau attribué à Pieter Claesz : un flacon de verre rempli de vin représente les éphémères plaisirs de la vie,une coupe en or la richesse,les livres la « libido sciendi » (déjà vilipendée par Saint Augustin),mais tout cela est dénoncé comme vanité puisque l’homme est soumis à la mort, comme le rappellent le crâne et les os.Qu’il s’agisse du mondain La Rochefoucauld,du janséniste Pascal ou du peintre, tous sont porteurs d’une vision pessimiste de l’homme, qu’ils nous présentent dépouillé de tous ses masques. Commentaire 1. Un discours raisonné Pascal part d’une définition où amour-propre et homme se confondent.L’amour-propre est cause de comportements que Pascal va cerner par une série d’oppositions (cf. examen des textes, questions 1 et 2). L’homme se trouve donc dans une situation sans issue ; c’est l’idée que reprend le terme « embarras », qui est une synthèse de ce qui précède. Pascal évoque ensuite les effets qu’il produit,« car » introduisant une explication,et porte un jugement sur l’homme (2e paragraphe). 2. Un discours pour persuader L’expression de Pascal fait surgir les contradictions qui sont au cœur de l’homme par l’accumulation de constructions binaires (noter le jeu des sonorités « veut » / « voit » qui s’y ajoute), l’alternance de phrases longues et brèves. Il ne craint pas de forcer le trait (abondance de « ne… que… »,de superlatifs,de répétitions (« détruire » / « détruit »),de termes forts : « criminelle », « haine mortelle », « anéantir »…) pour atteindre son objectif, qui est de démasquer l’homme. Sa pensée tantôt se développe en une série d’exemples ou une description méthodique, quasi-scientifique, tantôt se ramasse en un syntagme (« embarras », « illusion volontaire ») pour mieux relancer le propos. Dissertation 1. Les moralistes apparemment défenseurs de la morale Selon le Petit Robert, on entend par morale un ensemble de règles de conduite considérées comme valables, de façon absolue. Les moralistes pourraient être au service de la morale en participant soit à sa transmission,soit à son élaboration.Ce qui pourrait accréditer cette idée : – la confusion entre moraliste et moralisateur (celui qui « fait la morale ») ; – certains auteurs semblent avoir l’ambition de tirer une leçon morale ;ainsi,La Fontaine écrit des fables comportant un récit et une morale (ou moralité) ; – des formes comme la maxime utilisée par La Rochefoucauld peuvent sembler prescriptives (le titre même de son ouvrage peut amener à penser qu’il s’agit d’un recueil 48
A c t e I V, s c è n e 4 de préceptes moraux),certains vers de La Fontaine ressemblent à des sentences (« Apprendre à se connaître est le premier des soins », « Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire, / Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère, / Et tâchez quelquefois de répondre en Normand ». ) ; – un vocabulaire axiologique (qui se réfère à un système de valeurs):vertus,valeur,vaillants, chasteté, amour-propre, défauts, vices, imperfection, mensonge, hypocrisie. 2. En réalité des fossoyeurs de la morale La Rochefoucauld dénonce ce qui passe pour des vertus (maximes 1 et 7) et va même jusqu’à prétendre que nos vertus ne sont souvent que des vices déguisés (« Le refus des louanges est le désir d’être loué deux fois »). Il ne laisse aucune illusion ; pour lui, l’amourpropre (l’égoïsme) est la force à l’œuvre dans tous les comportements humains, sorte d’instinct vital, qui pousse l’homme à faire triompher ses intérêts en toute occasion, par la force ou par la ruse.Il tend donc à relativiser l’écart entre vice et vertu,qui ne correspondront qu’à des degrés divers d’habileté dans les manœuvres que nous inspire l’amourpropre. Pour Pascal, l’homme est le jouet de puissances trompeuses qui l’égarent, en particulier de l’amour-propre (« La nature de l’amour-propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi et de ne considérer que soi… »),qui pousse l’homme à s’aveugler sur sa valeur (« Ainsi la vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle ; on ne fait que s’entre-tromper et s’entre-flatter ») alors qu’il est faible et misérable. Quant à La Fontaine,il constate plus qu’il ne préconise (« Selon que vous serez puissants ou misérables / Les jugements de cour vous rendront blancs ou noirs »). 3. Les initiateurs d’une vision morale Le moraliste est celui qui se livre à une réflexion sur la condition humaine. Sur les décombres de la morale, les moralistes érigent d’autres valeurs : – la lucidité,n’être victime d’aucune illusion ;ce trait est commun à La Rochefoucauld, Pascal et même à La Fontaine ;il faut ne pas être dupe (« C’est sans doute un mal que d’être plein de défauts ; mais c’est encore un plus grand mal que d’en être plein et de ne les vouloir pas reconnaître, puisque c’est y ajouter encore celui d’une illusion volontaire ») ; – la sincérité (« il n’est donc pas juste aussi que nous les trompions et que nous voulions qu’ils nous estiment plus que nous ne méritons »). Mais La Rochefoucauld et Pascal débouchent sur des conclusions différentes :le premier propose un idéal mondain, de force, une morale aristocratique ; le second, après avoir abaissé l’homme, le relève pour lui proposer une voie de salut. En aucun cas, les moralistes ne sont les zélateurs de la morale ; ils en sont plutôt les fossoyeurs. Selon le mot de Pascal, « la vraie morale se moque de la morale ». Invention Dans ce sujet,l’élève a toute latitude pour exposer sa propre vision « optimiste » de la vie et de l’homme. Il pourra essayer de montrer ce que peuvent avoir d’excessif les idées de Pascal et de La Rochefoucauld ou leur formulation. Il peut aussi utiliser les fables de 49
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
La Fontaine,qui exposent une philosophie sans complaisance (se reporter aux fables qui dénoncent des vices) mais plus souriante (se reporter par exemple à la fable « Le songe d’un habitant du Mogol »).
A c t e V, s c è n e s 7 e t 8 ( p p . 1 9 6 à 1 9 9 )
◆ LECTURE ANALYTIQUE DES SCÈNES (PP. 200 À 205) a Racine a recours au récit de Burrhus pour respecter l’unité de lieu.Au début de la première scène de l’acte V, Britannicus explique à Junie que Néron a convié à un banquet dans son appartement toute la jeunesse de la cour ; or tout le reste de la pièce a pour cadre une antichambre du palais de Néron. C’est également pour cette raison qu’il utilise un second récit avec Albine.La confidente d’Agrippine rapporte à celle-ci et à Burrhus ce qui s’est passé à l’extérieur du palais : « [Junie] a feint de passer chez la triste Octavie ; / Mais bientôt elle a pris des chemins écartés,/ [...] Des portes du palais elle sort éperdue », v. 1724 à 1727. Le récit d’Albine fait aussi intervenir le peuple,qui prend Junie sous sa protection ;le mettre en scène était impossible dans le cadre d’une tragédie classique où le nombre des personnages est toujours restreint. À la nécessité de respecter l’unité de lieu s’ajoute celle de respecter les bienséances.Il était impossible que le dramaturge représentât une mort violente sur scène. La mort de Britannicus (récit de Burrhus) comme le lynchage de Narcisse (récit d’Albine) ne pouvaient être qu’objets de récit.
z Les récits de Burrhus et d’Albine, exigés par les mêmes impératifs dramatiques, sont d’une nature différente.Celui de Burrhus est centré sur Néron,tandis que celui d’Albine considère tour à tour tous les personnages de l’action.Le récit d’Albine est factuel,elle y rend compte des événements qu’elle a vus. Dans son second récit, Burrhus ne s’attarde pas tant sur un fait – le meurtre commis par Néron – qu’il n’analyse le comportement de Néron et tire des conclusions quant au tyran que Néron est devenu aux yeux de tous.
e Les récits de Burrhus et d’Albine visent à faire connaître des événements que l’on ne peut représenter.Aucun de ces récits n’a d’intérêt par rapport à la personne du récitant ;le spectateur connaît bien Burrhus et son récit ne nous apprend rien sur lui.Quant au personnage d’Albine,dans la mesure où elle n’a jamais été acteur du drame,il importe peu que le spectateur apprenne à la connaître. Son récit est celui d’un simple témoin, mais s’il n’a pas la beauté et la résonnance d’autres récits raciniens, il n’est pas dépourvu de tout intérêt esthétique. La vision de Junie fuyant le palais et le pathétique que cela suscite ne peuvent qu’émouvoir le spectateur. De même, la vision de Narcisse dont le sang rejaillit sur Junie contribue à assombrir un peu plus encore la fin de la pièce. 50
A c t e V, s c è n e s 7 e t 8
r Le récit de Burrhus vient confirmer les craintes exprimées par Agrippine lorsqu’elle anticipe les événements dans ce qui apparaît comme une sorte de prophétie.Pour Burrhus, le crime de Néron est « un gage trop certain des malheurs de l’État ».Burrhus comprend que Néron est devenu un « tyran », terme qu’il prononce au vers 1712 et qui fait écho aux déclarations d’Agrippine v. 1691-1692. Dans son second récit, Burrhus dépasse le fait, l’assassinat de Britannicus par Néron, pour envisager ses conséquences politiques : « les malheurs de l’État » (v. 1706), la tyrannie de Néron. On remarque que ce second récit est le développement des derniers mots de son premier récit, « César et tout l’État ». Le second récit mêle l’analyse du personnage de Néron à l’annonce de l’avènement de la tyrannie. t La première réplique d’Albine qui ouvre la scène 8 est un résumé extrêmement elliptique des événements dont elle a été témoin.De la brièveté de son propos naît un malentendu :Agrippine comprend que Junie a attenté à ses jours (v. 1720).Albine, pour la détromper, commence son récit. La méprise d’Agrippine rend nécessaires ses explications. La première réplique, de même que le récit d’Albine, se justifient par des raisons psychologiques. Sous le coup de l’émotion,Albine livre l’information brute – « Venez sauver César de sa propre fureur », v. 1718 –, puis entreprend de narrer plus méthodiquement les faits pour mettre un terme à la méprise de son interlocutrice.Albine, en tant que confidente de la reine-mère, a des réactions vraisemblables. Le sort de Néron est au centre de ses préoccupations ;elle ne raconte les événements que parce qu’ils ont des conséquences tragiques pour l’empereur, le fils de sa maîtresse, comme le suggère le vers 1721 : « Pour accabler César d’un éternel ennui ». Le récit d’Albine est consacré à l’évocation du sort de Junie,puisque celui-ci conditionne les réactions ou les sentiments de l’empereur.La tirade d’Albine commence par établir un lien entre la conduite de Junie et ses répercussions sur l’empereur, et se termine par la demande pressante de se porter à son secours, revenant à son propos d’ouverture. Le développement de son récit comporte trois étapes : la fuite proprement dite de Junie et sa prière à Auguste, la protection du peuple et la mise à mort de Narcisse, l’égarement et le désespoir de Néron. y Le récit de Burrhus est centré sur Néron, et le récit d’Albine évoque le sort de Junie parce qu’il intéresse au plus haut point Néron. Dans les deux récits, le personnage de Britannicus est définitivement passé à la trappe. Le héros de la tragédie, la victime, est évacué du dénouement ultime. On peut comprendre la surprise et les réticences de certains contemporains de Racine, et les erreurs d’interprétation que cela a pu susciter par la suite.
u Alors que le récit de Burrhus mettait en évidence la malignité de Néron et en évoquait les implications politiques,le récit d’Albine décrit le désespoir proche de la folie de Néron.Albine parle de son « silence farouche », de ses déambulations erratiques, du seul nom qu’il soit capable de prononcer, « Junie », du repli sur lui-même que suggère son 51
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
incapacité à lever ses regards vers le ciel. L’attitude de Néron est due au fait qu’il a perdu Junie à jamais ; par ailleurs, sans doute commence-t-il à éprouver les remords annoncés par Agrippine, puisqu’il est le commanditaire du meurtre de Britannicus.
i Le moins que l’on puisse dire est que le dénouement de Britannicus est complet.Il fait le point sur l’ensemble des personnages.Le spectateur connaît le sort de Britannicus dès la scène 4 et les circonstances de sa mort à la scène 5. Mais aux scènes 7 et 8, il est fixé sur le sort de Junie et de Narcisse. Dans le dernier vers, le souhait de Burrhus qui fait écho à la prophétie d’Agrippine (v. 1672 à 1694) apparaît comme un vœu pieux ; le spectateur cultivé sait que le crime que Burrhus rejette dans le passé est le premier d’une longue série. Non seulement le spectateur est renseigné sur le sort présent de Néron (désespoir proche de la folie), mais Racine lui suggère aussi l’avenir criminel du personnage. Le protagoniste absent obsède la « rêverie » du spectateur plus que s’il était présent. Il est enfin renseigné sur le sort immédiat de Burrhus et d’Agrippine, qui ont conscience d’être en sursis – ce que l’histoire atteste dans le cas d’Agrippine.
o La mention d’Auguste et la prière que Junie lui adresse rappellent la dimension politique de la pièce.Par une périphrase qui désigne Britannicus,« le seul de tes neveux qui te pût ressembler » (v. 1734), Junie rappelle que Britannicus pouvait prétendre au trône parce qu’il en était l’héritier de droit et qu’il était vertueux. On se souvient que Junie a été enlevée par Néron parce qu’elle était l’unique survivante de la descendance d’Auguste et que son union avec Britannicus n’aurait fait que renforcer les prétentions au trône de son amant (v. 239 à 241).
q La description du désespoir de Néron contribue à resserrer l’action dramatique. Cela rappelle que « l’épisode amoureux » et l’enjeu politique de la pièce sont entremêlés.En effet,Néron a fait enlever Junie pour des raisons politiques,mais la vue de sa captive a éveillé en lui l’amour.Comme le rappelle Georges Forestier,« [Racine] a ainsi interposé entre les causes politiques et les faits tragiques des motivations parfaitement vraisemblables ».
s Le dénouement de Britannicus est nécessaire et ne fait nullement intervenir le hasard. Conforme à l’histoire, cette fin est attendue par le spectateur, qui, s’il ressent de l’effroi, n’éprouve aucune surprise. La mort de Britannicus est la conséquence logique de la perfidie et de la cruauté dont Néron a déjà manifesté plusieurs traits.
d Le dénouement est ouvert ;qu’il s’agisse des déclarations d’Agrippine,du second récit de Burrhus,ou bien encore de celui d’Albine,le spectateur entrevoit les crimes futurs de Néron jusqu’à son suicide.Le fratricide commis par Néron est annonciateur des crimes à venir, y compris l’assassinat de sa mère. La mort de Britannicus est un épisode sanglant qui s’inscrit dans la lutte qui oppose Néron à Agrippine ; en enlevant Junie, en tuant Britannicus,Néron soustrait à sa mère les appuis qu’elle croyait avoir.Pour reprendre les propos de Georges Forestier, « la tragédie de Britannicus est enchâssée dans l’histoire de la chute d’Agrippine, qui n’en constitue que le cadre ». 52
A c t e V, s c è n e s 7 e t 8
f Non seulement le dénouement de Britannicus est complet, puisqu’il statue sur le sort de tous les personnages, mais il est aussi éminemment suggestif, puisqu’il permet d’entrevoir l’avenir criminel du tyran qu’est devenu Néron. La catastrophe excède les limites temporelles de la pièce.« Après avoir concentré le passé dans le drame,Agrippine y appelle l’avenir, de sorte que la brève journée de la mort de Britannicus devient un point de perspective sur toutes les avenues du temps, appelle en cercle autour d’elle les fantômes des années criminelles. [...] Le dramaturge ne promène plus le spectateur à travers les moments immobiles d’un temps immobile, il place le spectateur immobile au centre même du temps » (Thierry Maulnier). g Les cinq scènes (4 à 8) consacrées au dénouement ne totalisent que 157 vers, dont 73 pour les scènes 7 et 8. h Le fait que le dénouement doive être complet entre en conflit avec l’exigence de rapidité. Racine s’emploie à rendre ce dénouement dynamique en faisant des scènes courtes pour créer une impression de vitesse dans la succession des événements ;il ménage aussi quelque effet de surprise avec l’arrivée inattendue d’Albine,porteuse de nouvelles qui intéressent trois personnages désormais hors scène. j La fin des personnages est conforme à leur caractère et à leur état. Junie, symbole de l’innocence,étrangère à la Cour,quitte le monde et trouve refuge chez lesVestales.Narcisse meurt, comme il se doit pour un traître ; le peuple apparaît presque ici comme l’exécuteur d’une vengeance divine, alors que ce même Narcisse n’avait cessé de le peindre comme vil.Agrippine, qui est – il faut s’en souvenir – monstrueusement avide de pouvoir, endosse le rôle de juge. Ce rôle, et celui de future victime, font que l’on oublie son amoralisme et sa part de responsabilité ; le personnage gagne en grandeur et s’attire une part de sympathie que le spectateur lui avait refusée jusque-là.Quant au personnage de Néron, il est devenu ce qu’il était ; devenir un tyran est conforme à sa perversité foncière. La mort de Britannicus est bien celle d’un héros tragique, victime d’une fatalité qui est en réalité le poids de l’histoire. k On peut se demander comment Junie a réussi à quitter le Palatin et comment Albine, demeurée au palais, peut l’apercevoir. l L’entrée de Junie chez les Vestales est le moyen de provoquer la mort de Narcisse. La fuite de Junie a en effet pour conséquence directe le lynchage du traître, au moment où il porte une main sacrilège sur elle. Mais la retraite de Junie est aussi le moyen de la mettre définitivement hors de la portée de Néron.
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 206 À 216) a Pour élucider l’oracle d’Apollon, qui disait de renvoyer de la cité le coupable, responsable de la souillure qui provoque la peste, Œdipe a convoqué Tirésias, le devin aveugle.Alors que le roi lui demande instamment de parler pour révéler ce qu’il sait, 53
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Tirésias refuse.Son attitude ne fait qu’épaissir le mystère pour le roi.Le dialogue entre le roi et le devin devient rapidement un véritable « agôn ».Tirésias reste silencieux malgré les objurgations et la colère d’Œdipe, jusqu’à ce que celui-ci prononce l’accusation qui va le faire sortir de son mutisme : « C’est toi qui as commis ce crime ». z Tirésias accuse Œdipe d’être le coupable,mais Œdipe n’entend pas vraiment la parole du devin ; d’ailleurs il lui demande de la répéter, ce que fait Tirésias. Le tragique tient à ce que le roi est lui-même le coupable qu’il recherche. De plus, l’aveuglement qu’il manifeste ici contribue à renforcer la dimension tragique de l’épisode. e Inès personnifie le regard. Elle est celle qui objective Garcin et Estelle (ils deviennent comme des objets sous son regard),les voyant tels qu’ils sont,tels qu’on peut les voir mais tels qu’ils refusent de se voir.Le destin – insupportable – des personnages est de rester sans fin sous le regard d’autrui.Au-delà, le regard d’Inès est le symbole de tous les regards d’autrui. Garcin résume la nature de l’enfer, lieu où se trouvent les personnages, par la formule « L’enfer, c’est les Autres ». Cet « enfer » est la métaphore d’une conception philosophique bien éloignée de l’imagerie populaire (« le soufre, le bûcher, le gril ») ! r L’action se déroule en enfer mais le décor est celui d’un salon bourgeois, comme l’indique la présence de canapés et d’un bronze.Celui-ci est l’objet pur,ce que l’homme ne peut pas être puisqu’il est conscient,mais ce qu’il devient dans la conscience des autres qui l’immobilisent comme une chose. t Les personnages de la pièce de Beckett sont différents de ceux habituellement mis en scène. Le texte ne comporte pas d’indication sur leur aspect physique ;Vladimir et Estragon sont pauvres (ils se partagent une carotte), mais Pozzo est peut-être riche (il parle de ses terres). Ils sont sur la route et n’ont aucune activité sociale ;ils semblent être des vagabonds qui errent au hasard et attendent on ne sait qui. Ils portent des noms hétéroclites, d’origines slave (Vladimir), française (Estragon), italienne (Pozzo), anglaise (Lucky ;ce dernier étant le plus malchanceux, à l’inverse de ce que son nom indique). Cette hétérogénéité des noms peut autant souligner l’universalité – les personnages représenteraient l’humanité – que l’absence de relation nécessaire entre eux ; dans les deux cas, ils seraient l’incarnation scénique de la condition humaine. y Tout comique n’est pas absent de cet extrait. La banalité du dialogue, l’insignifiance de nombre de répliques suscitent le sourire ou le rire.Les méprises (« Godot » / « Pozzo » / « Bozzo » / « Gozzo »),presque des quiproquos,amusent le spectateur,de même que leur aspect clownesque (jeu avec la carotte,la chaussure,le fouet et la corde).Mais ce comique est indissociable du tragique (ce « Godot » qu’on attend fait inévitablement penser à « God » – Dieu, en anglais). Beckett a créé une sorte de théâtre de l’absurde, où il n’explique rien, ne réfléchit pas sur la condition humaine mais la fait revivre au spectateur.Par ailleurs,il est remarquable que dans une pièce écrite en 1948 (publiée en 1952) l’auteur ne se fasse l’avocat d’aucune solution, contrairement à Sartre, apôtre de l’engagement, ou Camus, chantre de la révolte. 54
A c t e V, s c è n e s 7 e t 8
Travaux d’écriture Question préliminaire La tragédie de Sophocle a une dimension sacrée : un devin est l’un des acteurs de ce premier épisode, son activité de devin est décrite, le nom d’Apollon et les termes « sacrilège » et « souillure » sont prononcés.Le devin,en la personne de Tirésias,a une place essentielle dans la cité.Le spectateur ressent intensément la présence des dieux,il s’agit là d’une sorte de tragique originel,où la notion de culpabilité est centrale.Dans Britannicus, on ne trouve guère que des traces de sacré, qu’il s’agisse du souhait de Burrhus au dernier vers, de l’allusion d’Agrippine à la prophétie des astrologues au début de la scène 7, de Junie allant chez les Vestales et du geste de Narcisse présenté comme une profanation. Mais ce n’est pas tant la présence du divin que l’on ressent, que le poids de l’histoire et de l’hérédité. Le tragique, ici, est plus humain que divin mais l’impression éprouvée par le spectateur n’est pas moins forte. Le dénouement s’ouvre sur de larges perspectives historiques,avec en toile de fond « l’horreur d’une profonde nuit ».Huis clos est le moyen dramatique utilisé par Sartre pour exposer des notions philosophiques.Le sacré est évacué – nous sommes au-delà ! Les hommes sont entre eux,en huis clos,toute transcendance a disparu, de même que toute référence à une quelconque collectivité, ce qui indique que l’aspect politique est également ignoré dans cette pièce.Est développée une réflexion sur autrui,sur l’influence du regard de l’autre,qui s’inscrit dans une réflexion plus large sur la liberté.Mais l’absence d’issue,la perpétuation d’une situation « infernale » renvoient à la condition absurde qui est celle de l’homme,telle qu’elle est perçue par une sensibilité moderne.En attendant Godot est une métaphore de la vie d’où émergent l’idée d’une impossibilité de comprendre le fonctionnement du monde,l’image d’une humanité régressive, l’absence de toute valeur collective, la brutalité des rapports sociaux. La pièce de Beckett crée un sentiment d’attente presque tangible, quasi métaphysique. Commentaire 1. La perte des illusions A. L’impossibilité d’une relation Le couple Garcin-Estelle n’arrive pas à se former.La didascalie « Garcin abandonne Estelle et fait quelques pas dans la pièce » est la traduction scénique de l’impossibilité d’un rapprochement, de même la didascalie « Garcin la repoussant ». Pourtant, la relation GarcinEstelle semblait nouée,comme le montrent les commentaires d’Inès « Si tu voyais sa grosse patte posée à plat sur ton dos » et « Mêlez vos chaleurs », ou les appels d’Estelle « Prends ma bouche ; je suis à toi tout entière », « Mon amour ! ». Bien qu’il s’agisse de la dernière scène de la pièce, les personnages de Garcin et d’Estelle ont encore des illusions sur leur situation et sur la possibilité d’une relation. Le fait que ce soit un trio, deux femmes et un homme,suggère d’emblée la difficulté de créer une relation intime quelle qu’elle soit. La dislocation du couple transparaît dans la réplique où Inès s’adresse d’abord à eux deux 55
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
(« Je vous vois »), puis sans transition à Garcin et à Estelle séparément. Le dramaturge reprend ici une situation banale, voire triviale, mais l’exploite dans une tout autre perspective : il ne s’agit pas de mettre en scène une relation amoureuse, mais l’impossibilité radicale de toute relation. B. Des tentatives vaines Inès,qui imagine que Garcin pourrait se réfugier dans le sommeil,dénonce aussitôt cette solution comme vaine (« je t’empêcherai de dormir »). La dernière didascalie « Ils tombent assis, chacun sur son canapé » traduit l’impossibilité des personnages à se rejoindre, dans l’amour ou dans la haine. Leur posture suggère leur solitude, bien qu’ils soient à jamais trois.Le désir d’échapper à la situation apparaît dans la question de Garcin « Il ne fera donc jamais nuit ? ». Le recours à la violence, qui pouvait sembler la solution ultime, se révèle inefficace.Ainsi, quand Estelle veut tuer Inès, cela n’est que ridicule : « Qu’est-ce que tu fais (2 fois), tu es folle ? Tu sais bien que je suis morte. » 2. Les raisons de l’échec Le thème du regard est central dans cet extrait ; le champ lexical du regard compte 12 termes (« voyais »,« vois », « verras »,« contemple »).Sartre personnifie le regard dans le personnage d’Inès :elle est le regard de l’Autre,qui donne une représentation triviale de l’amour et réifie ses partenaires. A. Une représentation triviale de l’amour « Il a les mains moites ; il transpire. Il laissera une marque bleue sur ta robe », « Mêlez vos chaleurs » : cette description s’oppose aux tentatives d’Estelle de magnifier l’amour (« je suis à toi tout entière », « Mon amour ! »). Inès le présente uniquement comme une réalité physique, comme ce que l’Autre peut en voir. B. La réification Garcin caresse un bronze, ornement fréquent des salons bourgeois du siècle dernier ; il représente l’objet pur, ce que l’homme ne peut pas être puisqu’il est conscient, mais ce qu’il devient dans la conscience des autres qui l’immobilisent comme une chose. Le regard d’Inès objective Garcin et Estelle,qui sont comme des objets devant ses yeux.Inès voit « Garcin le lâche » et « Estelle l’infanticide » comme ils sont,tels qu’on peut les voir,tels qu’ils refusent de se voir.« Garcin le lâche » est quasiment une épithète homérique :Garcin est la lâcheté ;le personnage est figé sous le regard de l’autre.Inès essaie de substituer son regard à celui d’Estelle (« Si tu voyais sa grosse patte ») ; Inès voit ce qu’Estelle ne peut pas voir. Dans la célèbre formule « l’enfer, c’est les Autres », le regard de l’autre est montré comme insupportable. 3. Un nouveau tragique A. L’antiquité revisitée L’enfer appartient à la mythologie ; on trouve également la notion de fatalité (« tout était prévu. Ils avaient prévu… »), le pronom personnel « Ils » semble renvoyer à des puissances infernales. Par ailleurs, l’univers de Huis clos, comme son nom l’indique, est fermé ; aucun salut ne saurait venir de l’extérieur.Inès se présente elle-même comme une sorte 56
A c t e V, s c è n e s 7 e t 8 d’Érynie qui poursuit le coupable de sa vengeance et ne le lâche jamais (« En vain tu me fuis, je ne te lâcherai pas »). Inès devient encore plus monstrueuse quand elle s’assimile à « une foule »,comme si elle devenait à elle seule une multiplicité d’Érynies ;elle tient aussi du chœur antique, qui commente l’action (« Garcin le lâche tient dans ses bras Estelle l’infanticide… »). Survient au milieu de cette antiquité revisitée la vision médiévale de l’enfer, aussitôt niée (« le soufre, le bûcher, le gril… »). B. Une nouvelle dramaturgie Les adverbes « jamais », « toujours » montrent que le supplice est perpétuel.Vouloir sortir de cette situation tragique, c’est tomber dans l’absurde. La tentative d’Estelle qui veut tuer Inès suscite le rire des autres et d’Estelle elle-même. La réconciliation des personnages est provisoire ; la réplique de Garcin « Eh bien, continuons » relance la pièce (effet de symétrie :Garcin est le personnage qui a ouvert la pièce),alors qu’il y a dénouement de la crise dans une tragédie classique.L’absence de conclusion est la dramatisation de l’idée de torture perpétuelle. Le langage des personnages est familier (« sa grosse patte », « elle en crèvera », « les paris sont ouverts »). À la différence de la tragédie en général, la pièce de Sartre est une pièce à thèse ; c’est le drame du « pour-autrui ».Il faut d’ailleurs se souvenir que Sartre voulait intituler sa pièce Les Autres. Enfin, les personnages ne sont plus des caractères ; selon le mot de Sartre luimême « les héros sont des libertés prises au piège ». Dissertation 1. Les personnages A.Agrippine : des passions « énergiques et puissantes » Un être opiniâtre. Campe dès l’aube devant la porte de Néron (ne réussira à le voir qu’à l’acte IV, scène 2). Une femme ambitieuse qui convoite le pouvoir.A imposé son fils par le crime,pour ensuite le manipuler et exercer le pouvoir.Instrumentalise Britannicus pour qu’un jour il « tienne la balance » entre Néron et elle. Prompte à comploter, elle est le chef d’une faction qui compte Pallas dans ses rangs.Elle serait prête à révéler ses crimes pour nuire à Néron et ramener Britannicus sur le trône.Personnage monstrueux,elle se moque éperdument que Néron soit vertueux ou non (v. 43-44). B. Néron : des passions mesquines ? Cherche à s’émanciper du joug maternel.Veut s’approprier le pouvoir ;le renvoi de Pallas, l’enlèvement de Junie et l’emprisonnement de Britannicus sont des actes politiques, en même temps que des étapes de la disgrâce d’Agrippine. Mais Néron est aussi cruel et sournois. Recourra au poison pour supprimer Britannicus. Il est sous l’influence de l’affranchi Narcisse, être servile qui devine et devance les désirs profonds de Néron. 2. L’action A.Présence de l’amour,qui donne une dimension élégiaque à la pièce et qui,sur le plan dramatique, est le déclencheur de la crise. 57
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
B. Confusion de Faguet : le palais est le lieu de l’intrigue mais non l’enjeu de l’action, qui est Rome, c’est-à-dire l’Empire (v. 1044 à 1051). Le sujet est une crise dynastique ; il y a rivalité politique (et,secondairement,amoureuse) entre Néron,l’empereur en titre, illégitime, et Britannicus, l’héritier de droit, évincé. 3. Une tragédie classique (qui n’a rien de bourgeois !) A.Le code théâtral est celui d’une tragédie classique.Le rang des personnages,la langue employée. Le resserrement de l’action dans le temps et l’espace. B. Britannicus est un anti-Cinna, variation sur la question de la légitimité du pouvoir, opposant une réponse machiavélienne à celle vertueuse incarnée par le personnage d’Auguste. C. Une catastrophe tragique (qui n’a rien à voir avec un « drame à la Zola »): mort du héros tragique Britannicus de la main de l’empereur sous les yeux de la Cour,mort symbolique de Junie (qui se réfugie chez les Vestales sous la protection du peuple), mort du Néron (apparemment) vertueux et avènement du monstre (prophétie d’Agrippine, v. 1683 à 1693). Écriture d’invention Quel que soit le parti pris d’interprétation, il ne doit pas être en opposition avec le sens du texte.Le projet de mise en scène de l’élève doit être cohérent.Il choisira à son gré de mettre plus ou moins en valeur tel ou tel trait d’un personnage (la jeunesse de Néron ; la noblesse de Britannicus ou son rôle de victime ; la violence d’Agrippine peut s’exprimer de façon explosive ou contenue ;etc.).Par ailleurs,on admettra une grande liberté dans le choix des décors,des costumes,du jeu des comédiens,de la diction ;par exemple, l’actualisation des costumes et des décors peut être admise si elle est justifiée. Se reporter à l’entretien avec Gildas Bourdet,qui explique ses propres choix dans tous ces domaines.
58
DOCUMENT
ANNEXE
◆ LECTURE TABULAIRE Présence sur scène et nombre de vers par personnage Le chiffre 0 indique que le personnage est présent sur scène mais ne parle pas.
Acte I
Sc. 1
Sc. 2
Sc. 3
Agrippine
92
65
8,5
Albine
36
Sc. 4
Total 165 36
Burrhus
93
93
Britannicus
9,5
43,5
53
Narcisse
0
10,5
10,5
Total scènes
Acte II
128
Sc. 1
Néron
14
Burrhus
0
158
18
Sc. 2 Sc. 3 Sc. 4 95
91
2,5
Sc. 5 Sc. 6 caché caché
358
Sc. 7 Sc. 8 Total 0,5
10
42 0
59
Junie
69
42
1
0
0
0
0,5
2
9
2,5
4
64 83
Gardes Total scènes
213 0
Britannicus Narcisse
54
0 14
154
160
4
59
2
51
3
14
402
DOCUMENT Acte III
ANNEXE
Sc. 1 Sc. 2 Sc. 3 Sc. 4 Sc. 5 Sc. 6 Sc. 7 Sc. 8 Sc. 9 Total
Agrippine Albine Néron
14,5
Burrhus
24,5
34
17
13,5
64,5
0
6
0
6 26,5 12,5* 53,5
9
29
1,5
Britannicus
18,5
17,5
0
12,5
Narcisse Junie
27
23
10,5
51,5
0
0
Gardes 9
63
23
32
30
86 12,5
41
Total scènes 39
64
68
60
14
338
* Sur ces douze vers et demi prononcés par Néron,quatre le sont alors qu’il se croit seul.
Acte IV
Sc. 1
Sc. 2
Agrippine
0,5
144
Sc. 3
Sc. 4
Total 144,5
Albine Néron Burrhus
46
19,5
15,5
23
66,5
88,5 82
Britannicus Narcisse
67
67
90
382
Junie Gardes Total scènes
0 16
190
86 60
DOCUMENT Acte V
Sc. 1
Agrippine
Sc. 2 Sc. 3 Sc. 4 6
32,5
1
Sc. 5 Sc. 6 2,5
27
Sc. 7 Sc. 8 Total 7
Albine Néron 1,5 55
29,5
80,5
46,5
46,5
0
8 15
1
4 12
26
0
81
10
47 59
Narcisse Junie
4,5
8
Burrhus Britannicus
ANNEXE
6,5
12
2,5
35
Gardes Total scènes
39
5
32
47
22
52
288
Total de vers par personnages Néron : 363 vers Britannicus : 240 vers Agrippine : 455 vers Junie : 169,5 vers Burrhus : 286 vers Narcisse : 166 vers Albine : 88,5 vers Total : 1 768 vers À partir de ce tableau de présence des personnages, on peut formuler les remarques suivantes. – Composition :l’acte I est consacrée à Agrippine ;l’acte II est celui de Néron ;l’acte III met en présence les deux rivaux Néron et Britannicus.La crise,latente jusque-là,ne peut qu’éclater.On remarque que la composition de l’acte III est sensiblement la même que celle de l’acte I. Dans les scènes 3 à 6 de l’acte III, on retrouve les mêmes personnages ensemble en scène et presque dans le même ordre que dans l’acte I.Acte III scène 3 / acte I scène 2 : rencontre d’Agrippine et de Burrhus ; acte III scène 4 / acte I scène 1 : dialogue entre Agrippine et Albine ;acte III scène 5 / acte I scène 3 :rencontre d’Agrippine et de Britannicus ;acte III scène 6 / acte I scène 4 :dialogue entre Britannicus et Narcisse. L’acte IV est celui où Néron est successivement face à sa mère, à Burrhus et à Narcisse, les deux derniers personnages incarnant l’un la vertu, l’autre le mal. Dans l’acte V, qui est celui du dénouement,on observe que Britannicus disparaît à partir de la scène 3,Junie 61
DOCUMENT
ANNEXE
à partir de la scène 5, Néron et Narcisse à partir de la scène 7, seuls restent Agrippine et Burrhus, momentanément épargnés par la catastrophe et la commentant. – Agrippine domine la scène,c’est elle qui parle le plus.Absente à l’acte II,elle a un poids dramatique considérable aux actes I et IV.Mais sa parole apparaît comme inefficace puisqu’elle n’empêche pas la catastrophe.La rencontre souhaitée avec son fils dès le début de l’acte I ne se produit qu’à l’acte IV et il est déjà bien tard ; lorsqu’elle le revoit à l’acte V, il est trop tard.Cette rencontre différée contribue à soutenir l’intérêt dramatique puisque les deux « fauves » ne seront en présence l’un de l’autre qu’à la scène 2 de l’acte IV. Ce retardement n’a été rendu dramatiquement possible que parce qu’Agrippine rencontre Burrhus dans les quatre actes où elle apparaît.Celui-ci ou se fait le porte-parole de l’empereur ou fait le point sur ce qu’il sait de ses intentions. – L’acte I est ouvert par Agrippine et se clôt avec Britannicus qui est son allié objectif. Les actes II et III sont ouverts et fermés par Néron qui occupe ainsi une place centrale. C’est au cœur de la pièce que tout se joue. À la fin de l’acte III, Néron a déja remporté « la bataille ».Dans l’acte IV qui s’ouvre sur Agrippine et se ferme sur Néron,l’action est en suspens ;la catastrophe,inéluctable,n’est que retardée.L’acteV est ouvert par Britannicus et fermé par Agrippine,Albine et Burrhus. L’acte V est bien celui des perdants, de ceux qui sont frappés par le déchaînement de la crise tragique, par l’avènement d’un monstrueux Néron. – Néron n’apparaît sur scène qu’à partir de l’acte II. Cela crée un effet d’attente chez le spectateur,d’autant plus qu’il était au centre du discours d’Agrippine.Son entrée est ainsi préparée et fortement dramatisée.Il ouvre l’acte II en compagnie de Burrhus,de même l’acte III, tandis qu’il clôt l’acte II avec Narcisse et l’acte III avec Burrhus. De même, il ferme l’acte IV avec Narcisse. C’est une manière de mettre en évidence que « deux voies s’ouvrent devant lui : […] le Bien ou le Mal ». – On constate que la pièce ne comporte quasiment pas de monologues,à l’exception de celui de Burrhus acte III scène 2.Les quatre vers prononcés par Néron alors qu’il se croit seul, acte III scène 9, et les quatre vers dits par Narcisse acte II scène 8 ne sont pas à proprement parler des monologues. Qu’aucun monologue n’ait été attribué à Néron suggère que le personnage ne se dévoile jamais devant le spectateur. En fait, il est toujours en représentation ; que ce soit devant Burrhus, devant sa mère ou même devant Narcisse, il joue ou triche toujours.Agrippine pas plus que Néron n’a de monologue ; dans la mesure où elle n’a de cesse de montrer aux autres qu’elle décide,elle a toujours, elle aussi, besoin d’un public. – Burrhus et Narcisse apparaissent le même nombre de fois sur scène, sans doute est-ce une manière de souligner les pressions qu’ils exercent alternativement sur Néron.Cependant Burrhus parle beaucoup plus que Narcisse.Tandis que le premier tente désespérement d’arranger les choses par ses discours,le second parle peu,observe – ce qui est conforme à sa nature de traître – et agit, il est l’œil et la main de Néron. Cependant Narcisse est le seul personnage de la pièce qui parle dans les cinq actes.Burrhus,qui est lui aussi présent 62
DOCUMENT
ANNEXE
dans les cinq actes, ne prend pas la parole à l’acte II. La présence de Narcisse est à la fois discrète et continue. – La longueur de Britannicus est dans la norme des tragédies classiques. On note que les actes II,III,V,qui comportent un nombre élevé de scènes,respectivement 8,9 et 8,s’opposent aux actes I et IV, qui bien qu’ils soient les plus longs, ne comptent que 4 scènes. Les actes I et IV sont donc les plus statiques, à l’inverse des actes II, III et V qui sont les plus dynamiques.Si les nécessités de l’exposition expliquent la lenteur de l’acte I,le rythme ralenti de l’acte IV tient au fait que ce dernier succède à l’acte le plus fragmenté et l’un des plus mouvementés de la pièce ; il convenait donc que le dramaturge ménage son spectateur en adoptant un tempo plus modéré ! Le quatrième acte est tout entier constitué de plaidoiries,celle d’Agrippine qui exige de Néron sa réconciliation avec Britannicus, celles de Burrhus puis de Narcisse qui ont la même longueur mais qui ont des objectifs bien différents.Cependant l’intérêt dramatique du quatrième acte ne fléchit pas puisque chaque discours est suivi d’une péripétie ou revirement de Néron qui, soumis à des influences contradictoires,hésite sur la conduite à tenir.L’acteV,le dernier et le plus court de la pièce, est dynamisé par une série d’entrées intempestives – Agrippine, Burrhus, Néron,Albine – et une sortie brusque – celle de Junie –, ce qui traduit l’effervescence des personnages qui pensent arriver au terme de leur peine et le bouleversement que produisent la mort de Britannicus et ses conséquences.
63
BIBLIOGRAPHIE
C O M P L É M E N TA I R E
– Jean-Louis Backés, Racine, Seuil, coll. « Écrivains de toujours ». – Jacques Morel, Racine en toutes lettres, Bordas. – Thierry Maulnier, Racine, Seuil, coll. « Folio Essais ». – Christian Biet,Les miroirs du Soleil,littératures et classicisme au siècle de Louis XIV,Gallimard, coll. « Découvertes ». – Claire Constans, Versailles, château de la France et orgueil des rois, Gallimard, coll. « Découvertes ».