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French Pages 125 [139] Year 2014
Geneviève Belleville, Ph. D.
Trucs pratiques et motivationnels pour la rédaction scientifique
Assieds-toi et écris ta thèse ! Trucs pratiques et motivationnels pour la rédaction scientifique
Geneviève Belleville
Assieds-toi et écris ta thèse ! Trucs pratiques et motivationnels pour la rédaction scientifique
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Maquette de couverture : Laurie Patry Mise en pages : Mariette Montambault
ISBN 978-2-7637-2031-9 ISBN-PDF 9782763720326 © Les Presses de l’Université Laval 2014 Tous droits réservés. Imprimé au Canada Dépôt légal 1er trimestre 2014 Les Presses de l’Université Laval www.pulaval.com Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque moyen que ce soit est interdite sans l’autorisation écrite des Presses de l’Université Laval.
Table des matières
Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XI 1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 2.
La règle de base : bloquer du temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 2.1 Établissez à l’avance (et réévaluez régulièrement) la durée de vos périodes de rédaction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 2.2 Respectez vos rythmes naturels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 2.3 Éliminez (et non seulement limiter) les distractions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 2.4 Évaluez votre réussite en fonction des périodes de rédaction respectées, et non de votre productivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 2.5 Une fois la période terminée, arrêtez la rédaction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 2.6 Respect des plages de rédaction : soyez intransigeant et rigide . . . . . . . . . . . . . 12 2.7 Prenez des pauses et des vacances libres de toute rédaction . . . . . . . . . . . . . . . 13
3. Définir ses objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 3.1 3.2 3.3 3.4 4.
Les objectifs à long terme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les objectifs précis et hebdomadaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les objectifs de temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les objectifs de projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
20 21 27 28
Les étapes de la rédaction : planifier, rédiger, réviser . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 4.1 La planification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 4.2 La rédaction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
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4.3 La révision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3.1 La structure de l’argumentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3.2 La cohérence de la séquence des idées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3.3 L’argument ou l’idée derrière chaque paragraphe : un paragraphe = une idée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3.4 La nécessité de chaque phrase . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3.5 Le sens de chaque phrase : est-ce la meilleure façon de dire les choses ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3.6 La précision de chaque mot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3.7 L’orthographe, la grammaire et la syntaxe (sans oublier la ponctuation) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
48 49 51 52 52 53 54 54
5. Démystifier l’inspiration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 5.1 Quelques trucs et stratégies pour entretenir l’inspiration . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.1.1 Écrivez régulièrement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.1.2 Le carnet d’idées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.1.3 Le deuil du chapitre terminé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.1.4 Varier les tâches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.1.5 S’arrêter sur une pente descendante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.1.6 Parlez ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.
61 61 62 63 63 64 65
Reconnaître et combattre la procrastination . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 6.1 Reconnaître la procrastination : distinguer les mauvaises herbes des bonnes plantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 6.2 Créer un contexte impropre à la procrastination : empêcher l’apparition de mauvaises herbes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 6.3 Combattre la procrastination : arracher les mauvaises herbes dès qu’elles apparaissent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
7. Un démon appelé perfection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 7.1 Êtes-vous perfectionniste ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 7.2 Le triste sort de la personne perfectionniste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 7.3 Se libérer de son attitude perfectionniste : sortir de la secte . . . . . . . . . . . . . . . 85
IX Table des matières
8.
Les traumatisés de la thèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
9. Parlez-en ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107 9.1 À qui parler ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 9.2 Lisez sur la rédaction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 10. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 Références commentées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
Remerciements
J
e tiens à exprimer toute ma reconnaissance aux personnes qui ont révisé les premières versions de ce texte et qui m’ont suggéré de brillantes révisions : merci à Caroline, Guillaume et Josée pour le temps investi et pour avoir cru en ce projet. Cette confiance m’a donné le courage nécessaire pour le mener à terme. Merci à mes mentors, Charles, André, Stéphane, Jean-Marie et Martin, qui m’ont toujours offert de judicieux conseils et qui m’ont permis de survivre, de m’adapter et même de me plaire dans ce drôle de monde qu’est le milieu universitaire. Merci à mes super étudiantes qui alimentent constamment ma réflexion et qui, par leur dévouement et leur inépuisable enthousiasme, me forcent à me dépasser tous les jours : Katia, Héloïse, Alenka, LeslieAnn, Andréanne, Mylène, Marie-Ève et Flore. Enfin, une grosse boule d’amour à Marie-Josée et à Jules. Si je suis si organisée et efficace au travail, c’est parce que j’ai toujours hâte de finir pour aller jouer avec vous.
1 1. Introduction
Au secours, Maman ! J’ai pas envie d’écrire ! – Tous les étudiants universitaires du monde
L
a rédaction scientifique est l’entreprise la plus intimidante, décourageante et anxiogène de l’expérience académique. Ces sentiments sont partagés par la plupart des membres de la communauté scientifique qui s’affairent à lancer des projets de recherche et à en présenter les résultats : étudiants doctoraux, stagiaires postdoctoraux, chercheurs, professeurs, etc. Lorsque vient le temps d’écrire, tout devient magiquement plus intéressant : les courriels – même les plus insignifiants pourriels –, les réponses aux appels que vous retardez depuis quelques jours, votre page Facebook, le ménage, même le changement de litière du chat. Comment peut-on arriver à écrire, alors ? Et, surtout, comment peut-on arriver à le faire sans que la rédaction ne projette constamment cet aura de torture ou de pire corvée du monde ? Peut-on arrêter de se soumettre à contrecœur aux activités de rédaction
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et simplement retrouver l’envie d’écrire ? Voilà les questions que j’ai souhaité aborder dans cet ouvrage. Ce livre s’adresse aux étudiants universitaires de cycles supérieurs en rédaction. Il s’inspire des conseils que j’aurais aimé recevoir quand moi-même j’écrivais ma thèse, des lectures et des expériences sur la rédaction scientifique acquises au fil du temps et des principes de base en psychologie pour augmenter le rendement et diminuer l’anxiété. Il contient les conseils que je donne maintenant à mes étudiants (qui me laissent croire, à tort ou à raison, que ces conseils sont appréciés). Avec ce livre, j’aspire à vous donner le goût (et le temps) d’écrire plus et d’écrire mieux. Dans le texte, le mot « thèse » est utilisé par défaut, mais je ne fais pas référence qu’aux étudiants au doctorat. Les expériences et les recommandations concernent aussi les étudiants à la maîtrise qui rédigent un mémoire ou un essai. Certaines recommandations pourraient également s’appliquer à la réalisation de tous les travaux longs faits au cours du baccalauréat. Néanmoins, je m’adresse d’abord aux étudiants des cycles supérieurs, pour qui la rédaction est une expérience plus solitaire et moins balisée qu’au premier cycle. Ainsi, quand je parle de thèse, je parle tout aussi bien de mémoire ou d’essai ; quand je parle de directeur ou de comité d’encadrement de thèse, il peut tout aussi bien s’agir d’un directeur du mémoire. Le présent livre a été rédigé en pensant au travail de recherche nécessaire à l’obtention d’un diplôme supérieur en sciences sociales, plus particulièrement en psychologie. Cela dit, la plupart des principes qui y sont décrits peuvent s’appliquer aux étudiants universitaires de n’importe quelle discipline. Ces derniers me pardonneront, j’espère, d’employer principalement, sinon exclusivement, des exemples provenant de la psychologie clinique. En ce qui concerne les difficultés à rédiger, l’approche se veut tant préventive que curative. En ce sens, le livre s’adresse à tous les étudiants présentement en rédaction : de l’étudiant de première année qui se demande avec appréhension comment commencer son projet jusqu’à l’étudiant plus avancé qui a tout fini, sauf sa thèse qu’il laisse traîner depuis plusieurs années, en passant par tous les autres qui cheminent parfois lentement, parfois péniblement, dans cette aventure aussi extraordinaire qu’atroce qu’est le doctorat.
1 3 Introduction
L’approche que je préconise est celle de l’organisation. Je me rends compte que j’acquiers de plus en plus une réputation de personne hyper organisée et structurée. « Sainte-Geneviève-de-l’Organisation », m’a-t-on récemment lancé à la blague dans une réunion... C’est vrai que la méthode, la structure et l’organisation figurent dans le haut de la liste de mes valeurs professionnelles. Je me fie beaucoup aux principes fondamentaux du renforcement (pour élever mon fils d’un an, oui, mais aussi pour me forcer à écrire). Et je crois qu’on peut retirer du plaisir de la rédaction seulement lorsqu’on arrête d’être à la dernière minute et à la merci des dates limites. Mais, attention, je ne suis pas de ces professeurs qui exhortent à en faire toujours plus. Je ne crois pas être austère ni rigide, je ne suis vraiment pas mariée à mon travail ! Bien au contraire. Pour moi, l’organisation est un outil permettant d’atteindre des objectifs professionnels rapidement et efficacement et, surtout, d’avoir le loisir de passer à autre chose. Travailler le moins longtemps possible afin de consacrer du temps de qualité aux autres sphères de sa vie. Être hyper structuré, dévoué et concentré au travail, pour mieux décrocher, relaxer, faire autre chose et lâcher son fou par la suite. Bien travailler aux bonnes heures afin d’avoir ses fins de semaine, ses soirées, ses heures de dîner libres. Arrêter de penser que ça prend une intelligence supérieure à toutes les intelligences supérieures du monde pour réussir. Arrêter de croire que les habiletés de rédaction sont innées – on l’a ou on l’a pas – ou proviennent d’une source d’inspiration occulte accessible seulement aux génies de ce monde. La méthode pour écrire de façon régulière et se garder motivé n’a rien de bien sorcier ni de si extraordinaire ; elle demande seulement de l’organisation et une bonne dose de discipline. L’objectif de ce livre est de vous offrir des stratégies méthodologiques et motivationnelles pour vous aider à entreprendre, à poursuivre ou à reprendre votre rédaction académique. Les trois premiers chapitres seront consacrés aux principes organisationnels de base nécessaires à une rédaction continue, fluide et la moins anxiogène possible. Je vous donnerai des stratégies infaillibles – oui, oui, infaillibles ! – pour augmenter votre productivité. Nous discuterons des façons d’être proactif et intransigeant dans la détermination du temps pour écrire, de l’importance de réfléchir à différents types d’objectifs avant de commencer un travail et de la distinction essentielle entre différentes
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activités, soit la planification, l’écriture et la révision, entrant sous le vocable de « rédaction ». Le chapitre 5 prend le temps de déconstruire le mythe de l’inspiration et vous aidera à revoir vos attentes par rapport à la nécessité de se sentir inspiré dans le processus de rédaction. Les deux chapitres subséquents s’attaqueront aux deux ennemis jurés de l’avancement de la rédaction : la procrastination et le perfectionnisme. Ensuite, nous laisserons une place à ces étudiants malchanceux qui, à cause d’une panoplie de facteurs indépendants de leur volonté, ont un parcours doctoral particulièrement pénible qui empoisonne leur expérience de rédaction. Enfin, le livre se conclura avec une discussion sur l’importance de briser l’isolement et de parler des difficultés vécues en cours de doctorat. Laissez-moi vous faire une confidence. En rédigeant cet ouvrage, je me suis souvent inquiétée du fait que je ne possède pas encore beaucoup d’expérience dans la supervision d’étudiants. Au moment d’écrire ces lignes, aucun de mes étudiants n’a encore déposé et soutenu sa thèse ! En comparaison, plusieurs auteurs que j’ai lus à ce sujet ont beaucoup d’expérience de direction et ont côtoyé de nombreux doctorants... Cependant, je voulais écrire ce livre alors que le souvenir de mes propres études supérieures et de la torture que peut facilement devenir la réalisation d’un mémoire ou d’une thèse est encore frais à ma mémoire. Ainsi, vous me pardonnerez si j’ai inclus certains conseils absurdes ou irréalistes émergeant de mon inexpérience idéaliste. Si, par le plus grand des miracles, le livre connaît du succès et est ré-édité, je vous promets d’infuser les prochaines éditions de plus de sagesse. tion !
Sur ce, bonne lecture, mais surtout... bonne et heureuse rédac-
Ah oui, une dernière chose : l’utilisation de la forme masculine dans le présent ouvrage découle du fait que seuls les hommes ont des difficultés à rédiger et reconnaît la supériorité des femmes dans le domaine de la rédaction. Maaaais non !... c’est pour alléger le texte.
2 2. La règle de base : bloquer du temps
P
our écrire votre thèse et augmenter votre dossier de publication, tout ce que vous avez à faire, c’est de bloquer du temps pour la rédaction.
Simple, non ? Je vous donne mon secret dès maintenant – même pas besoin de lire le reste du livre : pour devenir un auteur prolifique, vous devez réserver une période de temps régulière à la rédaction et instaurer une discipline assez stricte pour la respecter systématiquement sans exception. Tous les auteurs sur la rédaction – dans le domaine tant littéraire que scientifique – s’entendent sur ce point : bloquer du temps de rédaction et s’y soumettre est la clé du succès. Il s’agira pourtant de la consigne la plus difficile que vous n’aurez jamais eu à suivre, de l’habitude la plus difficile à instaurer et à maintenir. En effet, réserver du temps pour la rédaction est un des problèmes, sinon le problème le plus répandu chez les étudiants universitaires et même chez leurs professeurs. Pour l’étudiant aux cycles supérieurs, les périodes de rédaction doivent concurrencer avec les cours, les lectures, les travaux longs, les stages, les assistanats de recherche et d’enseignement, les engagements étudiants, etc. Or, pour toutes ces activités, un
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responsable, un superviseur, un co-équipier, une note sur le relevé de fin de session constituent autant de motivateurs extrinsèques1 qui vous obligent à vous mettre au travail. Pour la rédaction de thèse, vous êtes, plus souvent qu’autrement, laissé à vous-même. Seul à seul avec votre ordinateur, vous pouvez éprouver de la difficulté à vous discipliner, à vous organiser, à gérer vos nombreuses tâches. Il est normal de vous sentir perdu et isolé. Vous devenez votre seul motivateur ; vous ne rendez de comptes qu’à vous-même. Bien sûr, il faudra offrir quelques comptes-rendus à votre directeur ou au comité qui vous encadre une fois de temps en temps, mais cela suffit rarement à offrir la motivation nécessaire pour garder le rythme. La bonne nouvelle, c’est que vous n’êtes pas seul dans cette situation. Vos professeurs aussi souffrent de cette carence rédactionnelle. La plainte peut s’entendre dans tous les corridors de toutes les universités du monde : « On n’a pas de temps pour écrire ! », « Si on n’avait pas tant d’autres tâches, on écrirait bien plus ! », « Vivement la fin de semaine / les vacances / l’année sabbatique, afin que je puisse me rattraper dans mes projets de rédaction ! » Les professeurs ont tous déjà entendu que bloquer du temps de rédaction est la solution à leur problème, mais qu’est-ce qui est le plus difficile : coller ses fesses à sa chaise et faire aller ses doigts sur un clavier pendant deux heures alors que tout son être hurle qu’il voudrait être ailleurs, ou suivre le discours ambiant autour de la machine à café et blâmer la surcharge de travail pour sa propre improductivité ? Un bémol ici : la plupart des professeurs d’université – tout comme une bonne partie des étudiants au doctorat – sont effectivement surchargés de travail. Néanmoins, il est possible d’organiser ses priorités afin que ce ne soit pas les périodes de rédaction qui soient systématiquement sacrifiées au profit d’autres activités. Le sacrifice systématique de la période de rédaction au profit des autres tâches m’apparaît plutôt la preuve que rédiger est une des activités les plus difficiles qui soit.
1. La motivation – l’énergie et la mobilisation des ressources qui mènent l’exécution d’une tâche – a deux types de sources : intrinsèque, lorsque l’exécution même de la tâche suffit à faire ressentir plaisir et satisfaction, et extrinsèque, lorsque la promesse d’une récompense ou la peur d’une conséquence désagréable motive le comportement.
2 7 La règle de base : bloquer du temps
Bloquer du temps pour rédiger est la meilleure stratégie pour adopter un rythme adéquat qui vous permettra d’atteindre vos objectifs académiques (et, oui oui, même rédiger et déposer votre thèse). Comment s’y prendre ? Les étudiants, et je compte ma propre expérience dans le lot, ne sont habituellement pas très bons pour déterminer des périodes de rédaction. Ils attendent d’avoir de longues périodes de disponibilité – un après-midi au complet, voire une journée ou une semaine. Ils ne fixent pas de limite à leur période de rédaction, se fiant sur la fin de l’inspiration ou le sentiment d’être « tanné » pour arrêter. Ils sous-estiment le temps requis pour écrire. Ils ne se sentent pas obligés d’écrire tant que la date limite du compte-rendu n’est pas imminente (et, pour l’écriture de la thèse, les comptes à rendre viennent extrêmement tard dans le cheminement scolaire). Résultat ? La rédaction est entreprise selon un horaire erratique, imprévisible, souvent sous pression. Les sections à rédiger s’accumulent, les délais raccourcissent, l’anxiété et la culpabilité gonflent. Le plaisir de rédiger, l’agréable manipulation intellectuelle des idées, la curiosité initiale qui avait fait choisir ce domaine de recherche s’estompent jusqu’à disparaître. Peu importe où vous vous situez dans cette spirale descendante, vous pouvez décider maintenant – dès maintenant – d’y mettre fin en planifiant tout de suite – oui, tout de suite – votre prochaine période de rédaction. Allez-y : prenez votre agenda. Prenez un rendez-vous avec vous-même. Bloquez une période d’une ou deux heures, aujourd’hui si possible, pas plus tard que demain. Pas de disponibilité ? Essayez avec une demi-heure. Rendez-vous indisponible à ce moment. Encadrez la période entière dans votre agenda. Inscrivez-y « rédaction ». Faites-le avant de poursuivre votre lecture. Évidemment, une seule période ne suffira pas. Maintenant, vous devrez planifier un horaire complet et régulier de rédaction. Cet horaire sera déterminé selon vos propres contraintes et préférences. Je ne peux malheureusement pas vous proposer de recette s’appliquant à tous. Voici tout de même quelques principes à suivre dans l’établissement de votre horaire.
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2.1 Établissez à l’avance (et réévaluez régulièrement) la durée de vos périodes de rédaction Les périodes de rédaction devraient durer assez longtemps pour vous permettre de vous plonger dans votre sujet et d’être relativement productif (nous parlerons plus tard de la bonne façon d’évaluer sa productivité), mais doivent être assez courtes pour constituer une tâche tout de même surmontable les journées où vous n’aurez aucune envie d’écrire. Les périodes de rédaction devraient également être assez courtes pour revenir quotidiennement ou presque. La plupart des auteurs s’entendent pour dire qu’une période quotidienne de rédaction est la meilleure option, et je suis d’accord avec eux. La meilleure durée sera celle qui vous permettra de vous mettre à écrire à tous les jours. Selon le cheminement parcouru et celui qui reste à parcourir, vous aurez plus ou moins d’activités qui entreront en concurrence avec les périodes de rédaction. Lors d’une session particulièrement chargée, vous n’aurez qu’une heure, ou même une demi-heure, par jour à consacrer à la rédaction. Si vous avez plus de temps à consacrer à la rédaction, l’été par exemple, choisissez des périodes plus longues. Attention, cependant, de ne pas exagérer. Soyez honnête : êtes-vous vraiment capable d’écrire six heures d’affilée tous les jours ? Peut-être et c’est tant mieux ; moi, non. Si vous remarquez que vous sautez des périodes de rédaction, que vous commencez beaucoup plus tard que l’heure prévue, que votre rédaction est parsemée de longues périodes d’hésitation, vous devriez en déduire que la durée choisie est trop longue. Rien ne vous empêche de varier la durée des périodes de rédaction en fonction de vos disponibilités : 30 minutes le lundi, 3 heures le mardi, une heure le mercredi, etc. Si vous avez la possibilité de garder une durée fixe tous les jours, cependant, je vous le recommande : cela vous aidera à acquérir une bonne habitude de rédaction. 2.2 Respectez vos rythmes naturels Êtes-vous oiseau du matin ou oiseau de nuit ? À quel moment de la journée êtes-vous plus facilement concentré, plus fatigué ? Si vous dormez peu ou mal une nuit, quand en souffrez-vous davantage : dans les heures suivant le lever, au milieu de la journée, dans les heures précédant le coucher ? Lorsque vous suivez des cours, lesquels semblent les
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plus intéressants ou semblent passer plus vite : ceux de l’avant-midi, de l’après-midi, après le souper ? Le domaine de la chronobiologie nous a appris que nous avons tous certains rythmes naturels qui font en sorte que nous sommes plus ou moins actifs, motivés et productifs à certains moments de la journée. Pour ma part, je suis une personne matinale. J’aime me lever tôt. J’aime arriver au travail avant tout le monde et m’enfermer dans mon bureau pour rédiger. Cela dit, venez m’observer passé midi : je peux fixer l’écran de mon ordinateur d’un air hébété des heures durant sans qu’une seule idée ne me vienne à l’esprit. Écrire une phrase, l’effacer, la réécrire, la ré-effacer... Changer les couleurs d’une présentation PowerPoint sans y ajouter un seul élément d’information supplémentaire... Vous voyez le portrait ? Passé dix-huit heures, on n’en parle même pas ; mon cerveau équivaut à celui d’un mollusque. Pour une de mes bonnes amies, c’est le contraire : les matins sont une torture, mais elle peut facilement avancer la discussion d’un article après avoir soupé. (Quand nous partageons une chambre d’hôtel en congrès à l’étranger, elle me regarde d’un air découragé m’activer le matin et, le soir, je zappe mollement d’un canal de télévision à l’autre d’un air absent alors qu’elle tape furieusement à l’ordinateur.) Découvrez votre propre type chronobiologique et respectez-le. Vous êtes plus productif le matin ? C’est le moment d’y planifier vos périodes de rédaction. Gardez tout le reste – réunions, lecture d’articles, recherches sur Internet – pour vos moments plus inactifs. En préservant vos moments de rendement supérieur pour la rédaction et en planifiant les activités plus faciles aux moments où vous avez moins d’énergie, vous rentabiliserez le temps de vos journées de façon optimale. 2.3 Éliminez (et non seulement limiter) les distractions Rien – absolument rien – ne devrait pouvoir vous déranger pendant une période de rédaction. Et rien – absolument rien – ne devrait entrer en concurrence avec une période de rédaction. Maintenant que vous avez déterminé vos périodes de rédaction, protégez-les farouchement. Vous vous faites déranger ? Reprenez le contrôle : ne vous laissez plus déranger. Désactivez tout de suite l’alerte automati quement de réception de courriels. Fermez la sonnerie des téléphones et fermez votre cellulaire (ne vous faites pas d’illusion avec le mode
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vibration : un téléphone qui vibre est tout aussi attrayant et distrayant qu’un téléphone qui sonne). Fermez votre porte (barrez-la au besoin). Pour certaines personnes chanceuses qui bénéficient d’un grand respect de leur entourage, une enseigne « occupé » sur la porte suffit à prévenir les visites surprises. Pour d’autres, on dirait que l’enseigne n’est qu’une preuve que la personne est bel et bien à son bureau et attire les visiteurs plus téméraires qui frappent discrètement en voulant « juste prendre quelques secondes de votre temps ». Voyez ce qui fonctionnera le mieux pour vous : vous déclarer occupé ou faire comme si vous n’étiez pas là (porte barrée, rideau fermé, lumière éteinte, etc.). Ironiquement, pendant que j’écrivais ceci, mon téléphone a sonné. Normalement, j’aurais répondu même si je suis actuellement en période de rédaction. (On n’est pas parfait ! Honnêtement, j’aspire tous les jours à mettre en pratique moi-même chacun des conseils que je vous donne, mais j’ai mes failles, et la sonnerie du téléphone constitue l’une de mes plus grandes tentations, je l’avoue !) Cette fois-ci, cependant, étant justement en train d’écrire sur l’importance de ne pas se laisser déranger, j’ai appuyé sur la touche de renvoi à ma boîte vocale. Comble du désespoir : l’afficheur indiquait un numéro inconnu et la personne n’a pas laissé de message. Le sentiment d’avoir manqué un appel important fut atroce sur le coup. Mais, vous savez quoi ? La douleur n’est pas demeurée très longtemps et, le temps de raconter l’anecdote, je me sens plus satisfaite d’avoir poursuivi ma rédaction que de m’être laissée distraire. (Même qu’à partir de maintenant je prendrai bien soin d’éteindre la sonnerie de mon téléphone à chaque période de rédaction.) 2.4 Évaluez votre réussite en fonction des périodes de rédaction respectées, et non de votre productivité Vous aviez prévu rédiger pendant deux heures et vous êtes parvenu à garder vos fesses collées à votre chaise devant votre ordinateur avec rien d’autre que le logiciel de traitement de texte ouvert pendant chacune des 120 minutes ? Bravo, vous avez réussi ! Peu importe si vous avez écrit 25, 250 ou 2 500 mots. Il y aura des périodes où vous serez plus productif que d’autres (nous aurons d’ailleurs l’occasion de discuter des trucs pour demeurer le plus productif possible dans
2 11 La règle de base : bloquer du temps
le chapitre sur l’inspiration). Selon votre niveau de fatigue, l’intérêt que vous avez (ou cherchez désespérément) pour certaines sections de votre thèse, la difficulté de la tâche à abattre, les derniers encouragements ou critiques de votre directeur, les dates limites à respecter, le nombre de jours qu’il reste avant le prochain congé et une foule d’autres facteurs sur lesquels vous avez plus ou moins d’influence, votre productivité, en nombre de mots, variera beaucoup d’une période à l’autre. Lors de certains moments précieux que vous bénirez, vous aurez l’impression d’entrer en transe et vos doigts danseront tout seuls sur le clavier pour vous offrir en finale un produit d’une rare créativité et intelligence. D’autres fois, chaque phrase, chaque mot de chaque phrase, vous arrachera un effort surhumain et votre cerveau refusera obstinément de vous fournir la moindre idée originale. La plupart du temps, en réalité, les choses se dérouleront comme suit : vous aurez une certaine difficulté à vous y mettre (avec une certaine appréhension plus ou moins convaincue de ne pas y arriver), vous commencerez de façon prudente, vous attraperez un rythme de croisière intéressant pendant un certain temps, avec certaines embûches ou défis parsemés au travers de votre route. L’important est de respecter scrupuleusement la période de rédaction planifiée, point à la ligne. 2.5 Une fois la période terminée, arrêtez la rédaction Une fois la période finie, arrêtez. Même si vous êtes particulièrement inspiré cette journée-là, ne dépensez pas tout en une fois, n’écrivez pas jusqu’à l’épuisement. À vouloir trop en faire, vous aurez moins d’énergie et de motivation et serez alors plus enclin à laisser tomber les périodes de rédaction au cours des jours suivants. À la place, prenez 15 minutes à la fin de la période pour jeter pêle-mêle sur le papier les idées sur lesquelles vous pourriez continuer toute la journée. Cela vous aidera à recommencer la rédaction les journées où l’inspiration est moins présente. Joan Bolker2 appelle cela to park on the downhill slope, ou s’arrêter sur une pente descendante. Je trouve que c’est une image intéressante pour illustrer le fait d’arrêter de rédiger même quand
2. Joan Bolker, Writing Your Dissertation in Fifteen Minutes a Day, New York, Holt Paperbacks, 1998.
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on a encore de l’inspiration, pour ainsi reprendre rapidement le même rythme à la période suivante. 2.6 Respect des plages de rédaction : soyez intransigeant et rigide Les plages de rédaction doivent être respectées comme le sont les plages de cours ou les heures de stages. C’est un rendez-vous que vous prenez avec vous-même : vous n’êtes alors pas disponible pour d’autres activités. Annulez-vous des cours pour pouvoir rédiger votre thèse ? Appelez-vous votre superviseur de stage certains matins pour lui dire « désolé, je ne pourrai pas rentrer comme prévu car j’écris ma discussion » ? Laissez-vous tomber vos co-équipiers de cette façon ? Non ? Alors pourquoi faire le contraire ? Les périodes de rédaction sont communément annulées, reportées, mutilées pour faire place aux cours, aux travaux d’équipe, aux stages... Pourtant, retournez voir la constitution de votre programme d’études. Combien de crédits sont alloués au cours, aux stages, aux activités de recherche ? Est-ce que le temps alloué à chaque activité dans votre semaine est proportionnel au nombre de crédits qui y sont attribués dans votre programme ? Lorsque vous voulez bien réussir un cours, vous y accordez le temps de qualité nécessaire pour assister au cours, faire vos lectures et étudier pour l’examen. C’est le même principe pour la rédaction. Peut-être attendez-vous la session d’été, alors que vos cours et vos stages seront terminés, pour rattraper les heures consacrées à la thèse. Je suis bien d’accord pour dire qu’il est plus facile de consacrer du temps à la rédaction pendant l’été. Cependant, j’ai remarqué que trop souvent les étudiants, surtout en début de parcours, idéalisent la période de l’été. Ils voient les mois de mai à août comme une série de journées vides où ils pourront demeurer assis huit heures par jour devant leur ordinateur et où les sections de la thèse se déposeront régulièrement une à une dans leur document comme par magie. Ne tombez pas dans ce piège. L’été, il y a les vacances : les vôtres, bien sûr, mais celles aussi de votre directeur de thèse, du secrétariat, du personnel de la bibliothèque et des services informatiques, etc. Un problème réglé en quelques heures pendant les sessions d’automne et d’hiver peut prendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines, à régler pendant la session d’été. Ensuite, pour se motiver à rédiger, il y a rien de pire qu’une journée
2 13 La règle de base : bloquer du temps
vide à l’horaire, c’est-à-dire une colonne blanche dans l’agenda, sans indications claires de début ni de fin. Allez-vous véritablement consacrer huit heures consécutives à une rédaction assidue ? Et, même si vous réussissez cet exploit, pensez-vous vraiment avoir la motivation de recommencer le lendemain ? Le surlendemain ? Et ainsi de suite pendant tout l’été ? Tous les jours de tout l’été ? Vraiment ? Pour vrai de vrai ? Hmmm... permettez-moi de douter. Pendant l’été, il peut devenir nécessaire d’augmenter le nombre de vos périodes de rédaction, mais, pour votre propre bien, n’en augmentez pas indûment la durée. Rappelezvous le conseil donné au point 2.1 : si vous sautez des périodes pour des raisons plus ou moins valables, si vous avez de la difficulté à commencer à l’heure prévue, si vous entrecoupez vos périodes de rédaction de consultation de courriels, de promenade sur Internet, de jasette avec les étudiants du bureau d’à côté, le constat est clair : vos périodes de rédaction sont trop longues. Enfin, pendant l’été, il y a le soleil, le gazon vert, les terrasses, l’eau rafraîchissante des piscines, l’appel de la plage : vous pouvez – et pour votre propre santé mentale et aptitude à conserver le rendement requis pour réussir votre programme d’études, vous devez – en profiter. Respectez une période de rédaction réaliste et, si vous n’avez rien d’autre prévu à l’horaire cette journée-là, allez jouer dehors ! Voilà qui m’amène à mon dernier conseil. 2.7 Prenez des pauses et des vacances libres de toute rédaction Vous avez le droit et même l’obligation de vous arrêter. Prenez des vacances et des pauses planifiées. Rédigez cinq jours sur sept. En passant, c’est ce que j’entends quand je vous conseille de planifier des périodes de rédaction quotidienne. Pour moi, les fins de semaine demeurent un territoire absolument interdit au travail. J’avoue que je n’ai pas toujours été en mesure de respecter la suprématie des fins de semaine, surtout pendant mon doctorat. Les exigences d’un programme d’études supérieures peuvent être telles que l’on doive sacrifier plusieurs heures de fins de semaine à l’ouvrage. Je vous conseille tout de même de planifier des périodes de rédaction uniquement cinq jours sur sept. Le samedi et le dimanche peuvent devenir des journées idéales pour la rédaction ; si c’est le cas, planifiez seulement trois autres périodes pendant la semaine. Accordez-vous une fin de semaine de trois jours
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lorsqu’un gros projet est terminé. Arrêtez complètement pendant le temps des fêtes (ou une partie du temps des fêtes, puisque les sessions universitaires finissent quand même assez tôt et reprennent assez tard). Arrêtez complètement pendant les vacances. Les gens qui amènent leur portable sur la plage me font toujours pitié : soit vous décidez de travailler et vous le faites dans un milieu propice (climatisé et à l’abri des distractions), soit vous profitez de vos vacances. Travaillez ou profitez, mais ne profitez pas de vos vacances pour travailler. Délimitez clairement vos périodes de rédaction et ne les laissez pas déteindre sur vos périodes d’arrêt, de relaxation, de ressourcement. Loin d’être des caprices ou des indulgences, ces périodes d’arrêt et de repos sont nécessaires pour vous garder productif, motivé et enthousiaste le reste du temps passé au travail. Personnellement, sous les conseils d’un auteur que je vous recommande chaudement, Paul Silva3, je réserve une période de deux heures par jour à la rédaction. Deux heures me semblent vraiment la durée idéale : il m’est toujours possible de réserver deux heures consécutives dans une journée. Deux heures, ce n’est pas tout un avant-midi ni tout un après-midi, ce qui me laisse toujours le temps de faire autre chose. Malgré toutes les exigences de ma profession, je peux me permettre de disparaître deux heures (fermer la sonnerie de mon téléphone et fermer ma boîte de courriels, verrouiller ma porte de bureau) sans trop en payer de conséquences lorsque j’émerge (le nombre de courriels manqués en deux heures demeure gérable, et je ne sens pas que j’ai loupé l’unique occasion incroyable qui arrive une fois dans une vie qui aurait eu une influence définitive sur ma carrière). Et lorsqu’on décide de s’y mettre vraiment et qu’on se coupe du reste du monde (et avec la bonne technique, dont nous discuterons tout au long du livre mais plus particulièrement au chapitre 4), c’est fou, mais absolument fou, la quantité de matériel qu’on peut écrire en deux heures. Et imaginez lorsqu’en plus on répète l’expérience toute la semaine et qu’on accumule dix heures de rédaction productive et concentrée par semaine ! Je vous assure qu’un tel rythme peut vous permettre de rédiger facilement votre thèse dans les délais requis (en plus de réaliser trois ou quatre projets d’articles supplémentaires en bonus). En réservant deux heures par jour 3. Paul J. Silva, How to Write a Lot, Washington, American Psychological Association, 2007.
2 15 La règle de base : bloquer du temps
à la rédaction, vous serez étonné de ce que vous arriverez à faire. Plus jamais vous ne serez à la dernière minute. De façon magique, vous n’aurez plus à déborder sur votre temps personnel pour atteindre vos objectifs. Vous aurez vos fins de semaine à vous et aurez la chance de prendre des vacances. Vous pourrez vous permettre une journée d’école buissonnière de temps en temps (gardez le secret, mais j’en prends en moyenne une par mois). Mieux encore, et vous ne le crierez pas sur les toits car vous allez vous faire regarder de travers par vos collègues, vous remettrez vos projets à l’avance. Vous produirez davantage. Vous apprécierez enfin la rédaction. Le meilleur conseil est maintenant donné, ce n’est pas plus compliqué que ça. Si ma prose ne vous plaît pas, vous n’avez même pas besoin de lire le reste du livre. Pour écrire votre thèse, tout ce que vous avez à faire est de réserver du temps pour la rédaction et de le respecter, de vous asseoir devant l’ordinateur et de taper sur le clavier. Commencez maintenant. Ne laissez aucune exception s’infiltrer. Bloquer une période quotidienne à la rédaction est un truc infaillible pour avancer la thèse de façon efficace, renforcer son sentiment d’efficacité et de compétence, limiter l’angoisse et les questionnements. Commencez maintenant et n’arrêtez jamais.
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Encadré 2.1 Bloquez du temps pour la rédaction 1. Prenez votre agenda et bloquez du temps consacré à la rédaction. 2. Choisissez des périodes assez courtes (par exemple, deux heures). La durée est idéale lorsque vous avez le temps d’atteindre de petits objectifs de rédaction et qu’une fois la période terminée vous pourriez avoir encore envie de continuer. 3. Bloquez du temps tous les jours (c’est-à-dire cinq jours sur sept) ou presque. 4. Écrivez au moment de la journée où vous êtes le plus en forme. 5. Éliminez les distractions de vos plages de rédaction. 6. Évaluez-vous en fonction des périodes de rédaction respectées, et non de votre productivité. 7. Une fois la période terminée, arrêtez d’écrire. 8. Respectez vos plages de rédaction de façon intransigeante et rigide. 9. Prenez des pauses et des vacances libres de toute forme de rédaction (ou de travail).
3 3. Définir ses objectifs
M
aintenant que vous avez réservé de belles périodes de rédaction, il vous faut une méthode pour arriver à les remplir. Il est utopique de penser que vous arriverez à écrire facilement tout au long de votre période de rédaction sans une préparation préalable. Vous avez maintenant réservé un véhicule pour vous rendre à votre destination finale (ce pays mythique appelé Ph. D., ou M.A., ou M.B.A...), mais il faut mettre de l’essence régulièrement pour espérer avancer. Le plein fourni à la prise de possession de la voiture (c’est-àdire la motivation initiale à vous inscrire à un programme d’études avancées, l’enthousiasme originel pour votre sujet de thèse) ne va pas durer très longtemps.
Définir des objectifs, c’est mettre de l’essence dans la voiture, c’est ce qui vous permettra d’avancer tous les jours. Ce n’est certainement pas la première fois qu’on vous parle de l’importance de définir ses propres objectifs dans la réalisation d’un projet de thèse. Cependant, il y a plusieurs types d’objectifs, et tous requièrent une planification sérieuse et attentive. Tous les étudiants que je rencontre connaissent l’importance d’établir des objectifs ; très peu le font de la bonne façon et rares sont ceux qui portent une attention égale à tous les types d ’objectifs.
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Tout d’abord, rappelons-nous les principes comportementaux de base nécessaires à la définition d’objectifs. Un bon objectif est précis, observable, mesurable et réaliste. Un objectif est précis lorsque sa définition et ses implications sont claires : « rédiger thèse » est à peu près le pire objectif que vous puissiez avoir (et pourtant combien de fois l’ai-je vu dans des agendas ou sur des post-it). « Rédiger section sur la prévalence du trouble panique dans la population générale », « Monter le tableau des résultats de l’analyse de variance XYZ », « Faire le plan de la discussion et repérer les articles en appui aux arguments avancés », voilà autant d’exemples d’objectifs précis. Un objectif est observable et mesurable lorsqu’on peut discerner facilement qu’on est en train d’y travailler et, encore plus important, lorsqu’on peut déterminer facilement le moment où il sera atteint. Ça peut paraître évident, mais méfiez-vous. Par exemple, « finir revue de littérature » peut paraître un objectif adéquat, mais comment saurezvous réellement que vous l’avez atteint ? Si vous avez déjà entamé une revue de littérature, vous savez que cette tâche peut rapidement se transformer en un puits sans fond. L’objectif « évaluer les articles mentionnés par PubMed avec les mots-clés prevalence et panic disorder », en ce sens, est mieux formulé, car son atteinte est plus facile à définir. Il est essentiel que vous sachiez le moment précis où vous atteignez l’objectif : c’est un élément primordial pour entretenir votre motivation. Vous devrez passer beaucoup de temps à la définition de vos objectifs, mais ce temps sera rapidement regagné par l’efficacité que vous aurez dans la rédaction. Pour reprendre l’analogie du voyage en voiture, oui, effectivement, on perd du temps à arrêter régulièrement à des stations d’essence pour faire le plein ou encore à regarder la carte. Cependant, et je crois que vous serez d’accord avec moi, beaucoup plus de temps sera perdu si vous tombez en panne d’essence sur le bord de la route ou si vous vous perdez en chemin. Enfin, un objectif est réaliste lorsque vous pouvez l’atteindre, tout simplement. Le plus tôt vous pourrez vous convaincre de cette affirmation, le plus rapidement vous acquerrez une bonne efficacité à la rédaction. Supposons que vous avez réservé une période de deux heures aujourd’hui et que votre objectif est « rédiger la description des participants de l’étude ». La période de deux heures est terminée, et vous n’avez pas fini votre section. Quelle est votre hypothèse pour expliquer la situation ? Soyez honnête : est-ce que des pensées du type « je ne suis
3 19 Définir ses objectifs
pas assez rapide », « je ne suis pas assez bon », « je ne suis peut-être pas fait pour les études supérieures » vous ont traversé l’esprit ? Ces pensées représentent autant de frein à votre réussite. Elles vous rendront anxieux et démotivé et diminueront vos chances de respecter votre prochaine période de rédaction : à quoi bon vous mettre à rédiger si vous n’êtes pas assez bon de toute façon ? Si, pendant une période de rédaction respectée et sans distraction, vous n’avez pas atteint votre objectif, c’est l’objectif qui était « mauvais » et à changer, pas vous. Je crois que ça vaut la peine de le répéter : si vous n’avez pas atteint votre objectif, c’est l’objectif qui est à changer, pas vous. Dépêchez-vous de réviser votre objectif pour la fois suivante. La plupart du temps, le problème réside dans le fait que le temps nécessaire pour atteindre l’objectif est sous-estimé. Quand vous aurez atteint un objectif fixé dans une période de temps déterminée, vous aurez effectivement défini un objectif réaliste. Le but ici n’est pas de se donner à fond sur une courte période de temps, mais d’être constant. La rédaction d’une thèse n’est pas un sprint, c’est un marathon. Arrêtez de vous trouver « pas bon » et concentrez-vous à définir des objectifs atteignables, peu importe ce que « atteignables » signifie à cet instant précis de votre cheminement. Picasso a eu sa « période bleue », moi, j’ai eu ma « période quatre lignes ». À la fin de mon doctorat, j’étais si nauséeuse à l’idée d’écrire ma thèse que j’aurais accepté avec plus d’enthousiasme de récurer les égouts de la ville plutôt que d’ouvrir ce document maudit. C’est alors que je me suis dit : « Écris juste quatre lignes. » Peu à peu, c’est devenu mon mantra, mon but : écrire quatre lignes. Après ces quatre lignes, mon objectif était atteint, et j’avais le choix : soit c’était agréable et je continuais jusqu’à ce que ce ne le soit plus, soit j’arrêtais et j’allais jouer dehors1. Et, croyez-moi, à plusieurs reprises, je me suis rendue à l’université, j’ai écrit quatre lignes, puis j’ai pris le reste de la journée à lire un roman étendue dans le gazon. J’entends déjà vos récriminations : « Franchement, on ne peut pas rédiger une thèse quatre 1.
Cette façon de faire va à l’encontre de celle que je vous propose au chapitre 2, et un peu plus tard au chapitre 5, soit de définir une période de rédaction précise et d’arrêter une fois qu’elle est finie. Cela dit, cette anecdote illustre un moment de mon cheminement académique où j’étais particulièrement découragée par les tâches de rédaction et où, justement, je ne savais pas comment adopter et maintenir de bonnes habitudes de rédaction.
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lignes à la fois, c’est beaucoup trop petit comme objectif ! » Évidemment, cette « période quatre lignes » n’a pas duré éternellement. Elle a quand même duré plusieurs mois, le temps d’apprendre sérieusement à m’écouter davantage et à ré-apprivoiser l’écriture. Cela dit, si certains procrastinateurs invétérés voulaient me prendre au mot, sachez qu’en écrivant véritablement 4 lignes par jour, 5 jours par semaine, 48 semaines par année, cela vous prendra un peu plus de 3 ans pour écrire un document de 150 pages. Ce n’est pas idéal, mais ce n’est même pas si dramatique ! Il y a des étudiants qui étirent leur rédaction encore plus longtemps ! Maintenant, faisons le tour des types d’objectifs que vous aurez à définir. Il y a plusieurs types d’objectifs, tout aussi importants les uns que les autres, et il est essentiel de s’attarder à chacun. Il y a les objectifs à long terme, les objectifs précis ou hebdomadaires, les objectifs de temps et les objectifs de projet. 3.1 Les objectifs à long terme Les objectifs à long terme sont ceux que vous vous fixez pour une session ou pour une période de quelques semaines prédéterminée (par exemple, avant de partir en vacances, je veux avoir accompli ______________). Des exemples incluent « Rédiger le contexte théorique du projet », « Défendre mon projet auprès de mon comité de thèse », « Terminer les analyses et la section résultats », « Soumettre une première version de ma thèse à mon directeur », « Soumettre mon article 1 pour publication », etc. Il ne s’agit pas d’objectifs terminaux, comme déposer votre thèse. J’utilise quand même l’appellation « long terme », car, pour moi, ce sont des objectifs importants à garder en toile de fond, mais ce ne seront pas ceux qui vous aideront à avancer dans le quotidien. Les objectifs à long terme sont les étapes du voyage, pour vous rendre à votre destination finale. Ce sont ceux qui, une fois atteints, vous offrent un sentiment intense de soulagement, de joie et de travail accompli. Ce sont ceux qui méritent deux ou trois jours de congé, une bouteille d’un meilleur vin qu’à l’accoutumée, un nouveau gadget électronique, une razzia chez votre disquaire ou libraire préféré, ou tout autre gâterie qui envoie un message clair : oui, c’était difficile, j’ai réussi et je suis fier.
3 21 Définir ses objectifs
Les étudiants que je rencontre sont habituellement assez bons pour fixer leurs objectifs à long terme de façon précise, observable et réaliste. Cependant, ils arrêtent là et se fient à ces objectifs pour les motiver et leur indiquer quoi faire tout au long de la session. Concrètement, dans leur agenda, on voit des répétitions de l’objectif à long terme dans toutes les périodes de rédaction réservées (lundi : rédiger mon contexte théorique ; mardi : poursuivre la rédaction de mon contexte théorique ; mercredi : poursuivre la rédaction de mon contexte théorique ; jeudi : poursuivre la rédaction de mon contexte théorique ; vendredi : mort par excès d’ennui !). Évidemment, ce n’est pas aidant. Ça vous prend un autre type d’objectifs, que nous abordons dès maintenant en deuxième point. 3.2 Les objectifs précis et hebdomadaires Chaque objectif à long terme doit être décortiqué en une série de petits objectifs précis, comme autant de marches d’un escalier. Je qualifie également ces objectifs d’hebdomadaires, car ce sont des objectifs que vous devriez atteindre chaque semaine. Idéalement, le temps nécessaire pour atteindre un objectif précis serait exactement le temps que vous avez réservé pour une période de rédaction. Ainsi, si je reprends mon exemple de réserver deux heures de rédaction par jour, cinq jours par semaine, un objectif précis devrait être atteignable en deux heures, et vous pourriez vous constituer une liste de cinq objectifs à atteindre dans la semaine. Bien sûr, il peut arriver qu’un objectif requière plus d’une période de rédaction afin de l’atteindre. Mais ne vous laissez pas prendre au piège en rédigeant des objectifs qui prennent régulièrement plusieurs périodes de rédaction. Trop d’étudiants sous-estiment le pouvoir de mettre un crochet dans une case à la fin d’une période de rédaction. Le crochet dans la case est un motivateur incroyable, un renforçateur puissant : pourquoi s’en passer ? Rédigez des objectifs que vous atteindrez à la suite d’une période de rédaction donnée bien respectée, et succombez au plaisir de cocher la case ! Par exemple, supposons que votre objectif à long terme est « Soumettre mon article 1 pour publication ». D’abord, listez le nombre de semaines qui vous restent pour l’atteindre (15 semaines). Ensuite, déterminez toutes les étapes nécessaires à la soumission de l’article :
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(a) construire les tableaux de résultats à partir des analyses, (b) rédiger la section résultats, (c) rédiger la méthode (sections participants, mesures, procédure, traitement, analyses des données), (d) mettre à jour ma revue de littérature, (e) rédiger l’introduction, (f ) rédiger la discussion, (g) rédiger le résumé, (h) soumettre mon manuscrit aux co-auteurs, (i) chercher quelques revues possibles auxquelles soumettre mon manuscrit et les mettre en ordre d’importance, (j) mettre le manuscrit en forme en fonction des directives de la revue, (k) mettre en forme mes références, (l) apporter les révisions demandées par mes co-auteurs, (m) envoyer mon manuscrit à la révision de l’anglais, (n) rédiger la lettre de présentation (cover letter), (o) soumettre et célébrer ! Soyez le plus exhaustif possible : une série d’objectifs du genre « Rédiger l’introduction, rédiger la méthode, rédiger les résultats, rédiger la discussion » ne vous aidera pas. Remarquez également comment les étapes sont formulées de façon à ce qu’il n’y ait pas de période d’inactivité lors de périodes d’attente. En effet, après l’envoi du manuscrit aux co-auteurs (h), vous pourrez vous occuper de choisir la revue à laquelle le soumettre (i), mettre votre manuscrit en forme (j) et vérifier vos références (k). Vous n’avez pas besoin de faire ces étapes avant d’envoyer le manuscrit à vos co-auteurs. De la même façon, profitez du temps où votre texte sera à la révision de l’anglais (m) pour rédiger votre lettre de présentation (n). Soyez efficace dans votre planification. Enfin, la dernière étape est de planifier vos objectifs en fonction du nombre de semaines que vous avez pour les atteindre. Par exemple, semaine 1 : construire les tableaux, semaine 2 : rédaction de la section résultats, etc. Soyez réaliste et comprenez bien une chose : nous sous-estimons tous le temps requis pour réaliser une tâche de rédaction. Soyez généreux dans l’allocation du temps. La rédaction de l’introduction ne se fera certainement pas en une période de deux heures. Et ne faites pas l’erreur de vous réserver une journée complète en vous disant : j’ai huit heures devant moi, je devrais être capable de rédiger mon introduction au complet. Au contraire, découpez cet objectif en plusieurs petites sous-étapes atteignables en deux heures : faire un plan détaillé de l’introduction, rédiger les sections 1.1 à 1.4, rédiger les sections 1.5 à 1.7, réviser le texte (le chapitre suivant, sur les étapes de la rédaction, vous donnera plus de détails à ce sujet). Ainsi, si vous voulez atteindre l’objectif « Rédiger l’introduction » lors de la semaine 5, vous saurez que vous avez besoin de planifier quatre périodes de deux heures dans la semaine. Et pourquoi
3 23 Définir ses objectifs
ne pas en planifier une cinquième, juste au cas où il y aurait des imprévus ? Si vous avez de la difficulté à estimer le temps requis pour atteindre chaque étape, bonne nouvelle ! Cela veut simplement dire que vous êtes humain (et que vous n’avez pas eu cinquante expériences du même genre dans le passé vous permettant d’arriver à une prédiction précise). Respectez seulement les deux principes suivants : générosité dans l’allocation du temps pour chaque objectif précis et révision régulière et systématique des objectifs en fonction des tâches réalisées chaque semaine. Il est possible que vous deviez réviser votre liste de tâches et l’assignation de ces dernières aux différentes semaines plusieurs fois dans le déroulement de votre travail. C’est normal et c’est comme ça que vous apprendrez combien de temps est requis réellement pour chaque type de tâche. Les figures suivantes illustrent les objectifs que j’ai fixés le 28 mars 2011 en prévision de mon départ en congé de maternité le 22 juillet 2011. La première (figure 3.1) énumère mes objectifs à long terme. Vous remarquerez mon niveau d’indulgence variable en fonction des objectifs : pour certains (1 à 3), je voulais absolument soumettre mon texte avant mon départ. Pour d’autres, j’avais de la difficulté à estimer le temps requis en fonction du niveau de travail déjà accompli sur chaque projet, alors j’ai pris comme objectif d’avancer le plus possible les travaux, en me disant qu’une soumission avant mon départ serait un agréable bonus, mais pas une nécessité.
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Figure 3.1 Exemple d’une liste d’objectifs de rédaction Objectifs de rédaction avant départ en maternité 1. Soumettre article TSPT et vol 2. Soumettre article Sommeil et traitement du trouble panique 3. Soumettre candidature NARSAD 4. Terminer première version article Insomnie à l’urgence (soumettre si possible) 5. Terminer première version article Saisonnalité et phases de la lune (soumettre si possible) 6. Plan de rédaction du livre sur la rédaction de thèse (rechercher éditeur ; soumettre résumé si possible) 7. Plan de corrections du projet de synthèse des connaissances 8. Plan de rédaction du projet Gestion du sommeil et traitement de l’anxiété
La figure 3.2 illustre la planification initiale de mon temps. J’ai calculé qu’il me restait 17 semaines avant mon départ. Par la suite, j’ai attribué un nombre de semaines à chaque projet en fonction de l’importance du projet et du travail déjà réalisé. Vous remarquerez que j’avais huit objectifs ; or, je suis une personne qui consacre cinq périodes de deux heures par semaine à la rédaction (j’ai d’autres fonctions à remplir et, moi aussi, je veux profiter de l’été !). Il aurait donc été irréaliste de consacrer du temps chaque semaine pour chacun des projets. Dès la première semaine, j’ai ainsi commencé à attaquer trois de mes objectifs. Chaque fois qu’un autre projet s’ajoutait à l’horaire prévu, je débutais par une période de planification du projet et des étapes réalistes à atteindre en fonction du temps alloué. Le 16 mai 2011, mon plan ressemblait donc à la figure 3.3.
Semaine 17
Semaine 16
Semaine 15
Semaine 14
Semaine 13
Semaine 12
Semaine 11
Semaine 10
Semaine 9
Semaine 8
Semaine 7
Semaine 6
Semaine 5
Semaine 4
Semaine 3
Semaine 2
Semaine 1
Soumettre article TSPT et vol
Soumettre article Sommeil et traitement du trouble panique Soumettre candidature NARSAD Article Insomnie à l’urgence Article Saisonnalité et phases de la lune Livre sur la rédaction de thèse
Planification de la réalisation des objectifs
Figure 3.2
Projet de synthèse des connaissances
Projet Gestion du sommeil et traitement de l’anxiété
3 25 Définir ses objectifs
Planification de la réalisation des objectifs – version gribouillée
Figure 3.3
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3 27 Définir ses objectifs
Si vous rédigez votre thèse, vous aussi avez différents objectifs à long terme à faire avancer en parallèle : rédiger votre introduction générale, votre article 1 (ou chapitre 2), votre article 2 (ou chapitre 3), votre conclusion générale, la mise à jour de votre littérature, etc. Quels sont vos objectifs à long terme d’ici la fin de la session ? Comment y parviendrez-vous ? Dans quel état terminerez-vous votre session ? C’est en déterminant des objectifs à long terme et des objectifs précis et hebdomadaires, observables et réalistes que vous aurez du succès dans votre cheminement académique sans être submergé par le stress, l’anxiété et la culpabilité. 3.3 Les objectifs de temps Le troisième type d’objectifs fait référence à ce qui a été décrit au chapitre 2. Quand vous réservez des périodes de rédaction, vous vous fixez des objectifs de temps. Ils sont d’une importance capitale, car vous déterminerez si vous avez ou non atteint vos objectifs à partir de ceux qui appartiennent à cette catégorie. Imaginons que vous avez réservé une période de deux heures lundi matin dans le but de rédiger les sections 1.1 à 1.4 de votre introduction générale. Si vous êtes demeuré assis devant votre texte et avez tapé sur le clavier, relativement concentré et disposé à la tâche, et que vous avez complètement éliminé les distractions de cette période, vous avez atteint votre objectif. Peu importe si vous avez véritablement rédigé les sections 1.1 à 1.4 comme vous l’aviez prévu. Plusieurs raisons peuvent faire en sorte qu’un objectif précis ne soit pas atteint dans une période donnée. Tel que discuté plus tôt, l’objectif était peut-être irréaliste. Peut-être étiez-vous peu inspiré, la tâche était peut-être plus difficile que ce que vous aviez anticipé, les étoiles n’étaient peut-être pas bien alignées... Vous pouvez explorer les raisons qui font en sorte que l’objectif précis n’ait pas été atteint, mais assurezvous de bien distinguer ce qui est dépendant de votre volonté de ce qui ne l’est pas. Personne n’est productif de façon régulière au moment précis où il le décide. Personne n’est une machine. Certains jours, les phrases s’écriront toutes seules sur la page comme si les fantômes des génies passés de votre domaine avaient pris possession de vos doigts ; d’autres jours, vous aurez de la difficulté à aligner les mots pour faire une phrase complète. Acceptez que votre productivité ne soit pas toujours à la hauteur de vos attentes. Vous vouliez faire deux heures et vous avez fait deux heures ? Vous avez atteint votre objectif, point à la ligne.
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Vous n’avez pas atteint votre objectif de temps ? Vous avez commencé 15 minutes plus tard, le temps d’aller chercher votre café, regardé et répondu à vos courriels sporadiquement pendant la période, discuté de la température ou du dernier examen avec une collègue qui passait vous dire bonjour ? Il est temps pour vous de vous discipliner davantage. L’objectif de temps, lui, relève complètement de votre volonté. Réservez une période de temps raisonnable, éliminez les distractions, avancez la tâche de rédaction prévue ; commencez à l’heure prévue, terminez à l’heure prévue. Il sera toujours temps de répondre à vos courriels ou de retourner voir votre collègue. Soyez intransigeant avec vos objectifs de temps : vous serez étonné de voir la quantité de travail abattu à la fin de la semaine. 3.4 Les objectifs de projet Une fois définis les objectifs à long terme, les objectifs précis et les objectifs de temps, vous aurez l’espace et la motivation nécessaires pour entreprendre avec succès votre tâche de rédaction. Voici maintenant un dernier type d’objectifs qui servira à vous rendre encore plus efficace. Il s’agit des objectifs de projet. Cette section s’adresse davantage aux personnes qui commencent à rédiger leur projet ou à celles qui entreprennent la rédaction d’un article. Commencez toujours un projet par en définir les objectifs, même si ces derniers seront appelés à changer en cours de route. Prenez votre temps pour bien les définir et les préciser : plus ils seront précis et mieux ils guideront le reste de votre rédaction. Une période de rédaction complète de deux heures peut être consacrée à la définition précise des objectifs d’un projet de thèse ou d’article. « Évaluer un traitement pour le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) » est loin d’être précis. Un ou des objectifs précis vous indiqueront comment structurer votre revue de la littérature ou votre introduction. Dans l’exemple précédent, les indications concernent seulement le TDAH et l’idée d’un traitement : vous pouvez vous perdre des années dans la revue de la littérature de thèmes aussi vagues. « Le présent projet de thèse vise à évaluer l’efficacité d’un traitement cognitivo-comportemental du TDAH pour améliorer le fonctionnement des préadolescents (âgés de 10 à 12 ans) qui en souffrent. Plus précisément, l’étude évaluera l’effet du traitement sur la diminution des comportements impulsifs et hyperactifs, l’amélioration
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de l’attention et de la mémoire et la diminution de la détresse psychologique. Enfin, les différences entre les garçons et les filles dans la réponse au traitement seront examinées. » Un tel objectif inspire une revue de la littérature qui aborderait les thèmes suivants : TDAH chez les préadolescents, comportements impulsifs et hyperactifs, attention et mémoire, détresse psychologique, traitement cognitivo-comportemental du TDAH, différences sexuelles. Il vous indique également de ne pas porter trop d’attention à d’autres thèmes associés, mais qui ne sont pas directement en lien avec votre étude (par exemple, le TDAH chez les adultes, les traitements pharmacologiques, les manifestations en fonction de l’âge, etc.). Certains étudiants hésitent à définir des objectifs précis, pour toutes sortes de raisons : ils ne se sentent pas encore en maîtrise de leur projet ou de leur domaine, ils craignent que leur directeur ne soit pas en accord avec les objectifs choisis, ils ont une peur irrationnelle de se tromper d’objectifs et de subir des conséquences dramatiques, etc. La seule raison qui pourrait vous empêcher d’aller de l’avant est de ne pas avoir encore discuté du thème et des grandes lignes de votre projet de thèse avec votre directeur. Dans ce cas-ci, la première chose à faire est de prendre un rendez-vous avec ce dernier le plus rapidement possible. Vous n’avez pas besoin de connaître votre sujet en profondeur pour aller discuter de votre projet : allez lancer quelques idées et voyez ce qu’il en pensera. Une telle rencontre ne sert pas tant à étaler toutes les connaissances que vous avez sur un thème, mais bien à écouter les avis et les conseils que votre directeur aura à ce sujet. Une fois que vous vous êtes entendus sur les grandes lignes, à vous de rédiger les objectifs du projet. Si l’inquiétude vous ravage encore, rien ne vous empêche de soumettre une version écrite de vos objectifs à votre directeur (en précisant qu’il s’agit d’une version préliminaire visant à guider la rédaction du projet et que vous demeurez ouvert à ce qu’ils soient modifiés en cours de route) afin d’obtenir son approbation2. 2.
Cela dit, avec certains directeurs, vous voudrez préciser qu’après l’approbation des objectifs vous poursuivrez de façon autonome la rédaction de votre projet. Vous ne voulez pas qu’il pense que vous lui enverrez régulièrement des parties de texte à soumettre à son approbation. Pour plusieurs directeurs – et je me compte dans ce lot –, recevoir des morceaux de textes décousus par ci par là avec une commande de rétroaction urgente est très irritant !
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Si vous écrivez votre projet de thèse, une fois que vous aurez vos objectifs de projet bien définis, vous pourrez plus facilement structurer votre revue de la littérature et la rédaction de votre contexte théorique. Si vous en êtes à un stade plus avancé, que vos données sont recueillies et analysées et que vous êtes prêt à rédiger un premier article, je recommande également de commencer par les objectifs et hypothèses précis de l’article. Par la suite, construisez vos tableaux et figures des résultats précis venant répondre aux objectifs. Une fois ces graphiques en main, servez-vous-en pour rédiger votre section de résultats. Ensuite, attaquez-vous à la méthode : vous saurez éviter les détails inutiles en vous référant continuellement aux résultats que vous avez décidé de présenter pour cet article. En dernier lieu, rédigez l’introduction et la discussion. Commencez par l’introduction, en vous limitant, encore une fois, aux thèmes abordés dans vos objectifs. Passez immédiatement à la discussion pendant que vous avez vos objectifs, vos principaux résultats et les principales études effectuées dans votre domaine bien frais à la mémoire. Terminez avec la rédaction du résumé, la mise en page et la vérification des références. Il n’est pas nécessairement possible de suivre cette séquence si vous êtes à l’étape de rédiger votre projet de thèse. Un conseil cependant : rédigez votre contexte théorique et votre méthodologie en parallèle. Beaucoup d’étudiants consacrent énormément de temps à leur contexte théorique pour ensuite se débarrasser trop rapidement de leur méthodologie. Or, gardez en mémoire que vous serez jugés en plus grande partie sur la méthodologie de votre étude. Le rationnel soustendant votre projet doit être bien mis en évidence dans un contexte théorique détaillé, oui, mais la façon dont vous allez vous y prendre pour atteindre vos objectifs est tout aussi, sinon plus, importante. Qui plus est, les décisions méthodologiques que vous prendrez devront être autant appuyées de réflexions approfondies et de références pertinentes que les affirmations que vous faites dans votre contexte théorique. Définir ces quatre types d’objectifs, c’est avoir la destination finale du voyage, les points de ravitaillement en cours de route, les moyens de transport appropriés et les directions pour se rendre. Définir quatre types d’objectifs peut vous paraître excessif, obsessionnel à la limite, mais je vous garantis que vous rentabiliserez rapidement votre temps en écrivant régulièrement et de façon systématique et efficace.
3 31 Définir ses objectifs
Vous respecterez facilement vos délais. Certains jours, vous vous surprendrez même à apprécier la rédaction. Et vous apprendrez bien vite à ne pas trop étaler en public votre relation positive avec la rédaction, car vos collègues vous prendront pour un extra-terrestre. Cependant, parce que vous aurez atteint tous vos objectifs de la semaine, vous aurez vos fins de semaine libres pour partir en randonnée, lire un roman, kidnapper votre neveu préféré, prendre un cours de cuisine, écouter une saison intégrale de votre émission préférée sans aucune culpabilité. Une dernière recommandation sur les objectifs concerne l’évaluation. Nous avons déjà établi l’importance d’évaluer son rendement en fonction de l’atteinte des objectifs de temps (et non des objectifs à long terme ou des objectifs précis). Cependant, je vous recommande fortement de faire un suivi serré de l’atteinte de tous les objectifs. Dans le pire des cas, cette stratégie ne vous sert qu’à devenir meilleur dans la définition de vos objectifs et du temps requis pour les atteindre. Au mieux, vous serez étonné de la quantité de travail que vous réussissez à abattre dans une période donnée (une semaine, un mois, une année) et vous en retirerez une grande motivation à continuer. Selon les informations que vous recueillez, vous pourrez même découvrir des associations qui vous aideront dans la planification de vos périodes et de vos objectifs de rédaction. Peut-être êtes-vous plus inspiré le lundi et moins le vendredi ? Dans ce cas, vous garderez la rédaction en tant que telle en début de semaine et réserverez les tâches de révision pour plus tard. Peut-être devenez-vous de moins en moins productif quand vous travaillez longtemps sur le même thème ? Apprenez à varier vos tâches dans une même semaine. Suivant les recommandations de Paul Silva3 additionnées de quelques touches personnelles, j’ai créé un fichier SPSS me permettant de recueillir des informations sur mes propres périodes de rédaction. J’y note la date, le jour de la semaine, le projet particulier sur lequel je travaille, le nombre de mots rédigés, une brève définition de l’objectif précis assigné à la période, l’atteinte de l’objectif et la raison si l’objectif n’est pas atteint, l’atteinte de l’objectif de temps (en d’autres mots, le respect de la période de rédaction assignée) et toutes les observations
3. Paul J. Silva, How to Write a Lot, Washington, American Psychological Association, 2007.
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qui me paraissent pertinentes pour m’améliorer. Je vous présente un extrait de cette banque de données à la figure 3.4. Recueillir ces données me prend une minute à la fin de chaque période de rédaction (ou cinq minutes à la fin de la semaine) ; en échange, j’ai accès à une foule de renseignements. Par exemple, lors de périodes où la tâche est la rédaction proprement dite, j’écris entre 208 et 2 782 mots (quand je vous disais de ne pas vous attendre à être systématiquement inspiré...). En moyenne, cependant, j’arrive à écrire 832 mots par période de deux heures. J’ai également pu découvrir que j’atteins plus facilement mes objectifs les mardis et les mercredis, alors que les vendredis c’est la catastrophe : plutôt que de me battre avec moi-même pour être plus productive le vendredi, j’ai appris à réduire mes attentes à l’aube de la fin de semaine et à mettre les bouchées doubles en milieu de semaine. Enfin, une suite d’objectifs trop grands, formulés de façon à ce que je ne puisse pas les atteindre, a fini par miner ma motivation en décembre, si bien que j’ai bousillé deux périodes de rédaction de suite. La bonne nouvelle ? J’ai atteint plus d’objectifs en 2011 qu’en 2010 (année où j’ai commencé à tenir ce registre), ce que j’interprète comme une habileté à définir des objectifs réalistes qui s’améliore avec le temps. Apprenez à vous connaître, à connaître vos habitudes de rédaction : bâtissez à partir de vos forces et respectez vos limites. Modifiez vos objectifs en fonction de votre évaluation : les objectifs doivent vous aider à avancer et faciliter votre rédaction. S’ils deviennent une nuisance ou un obstacle, c’est qu’il y a un problème à corriger. Aucun objectif n’est coulé dans le béton : cela vaut pour tous les types.
Progrès en rédaction
Figure 3.4 3 33 Définir ses objectifs
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Encadré 3.1 Définissez vos objectifs 1. Quel est votre objectif global pour la session (ou pour toute autre longue période de temps prédéterminée) ?
2. Définissez vos objectifs précis et hebdomadaires. a. Quelles sont les étapes nécessaires pour atteindre votre objectif global ?
b. Combien de semaines avez-vous ? ____________ c. Inscrivez la date à laquelle vous vous voulez atteindre chaque objectif précis afin d’atteindre votre objectif global dans le nombre de semaines prédéfini. d. Réévaluez constamment vos objectifs précis et votre calendrier en fonction de votre progression réelle.
3 35 Définir ses objectifs
3. Définissez vos objectifs de temps. a. Bloquez du temps dans votre agenda qui sera consacré à la rédaction. b. Bloquez le nombre de périodes de rédaction nécessaires dans une semaine pour atteindre chaque objectif précis en fonction de son échéance. c. Soyez généreux dans l’allocation du temps. d. Réévaluez constamment vos objectifs de temps en fonction de votre progression réelle. 4. Quels sont les objectifs du projet que vous êtes en train de rédiger ?
N’OUBLIEZ PAS : 1. Un bon objectif est précis, observable, mesurable et réaliste. 2. Si vous n’atteignez pas votre objectif, c’est l’objectif qui est à changer, pas vous.
4 4. Les étapes de la rédaction : planifier, rédiger, réviser
S
i vous avez suivi mes conseils jusqu’à maintenant, vous avez construit votre horaire de rédaction et avez défini de façon précise vos objectifs. Maintenant que vous êtes fin prêt à rédiger, vous vous retrouvez peut-être immobile devant une belle page blanche, le curseur clignotant dans le coin gauche de la feuille comme autant de secondes passées à ne pas être capable de commencer à écrire. Que se passe-t-il ? Vous faites probablement l’erreur de penser que rédiger, c’est écrire une phrase après l’autre sur un sujet donné, au gré de son inspiration, en commençant par le début et en terminant par la fin. Oui, il s’agit bien d’une erreur, car il est bien peu probable qu’une rédaction fluide et régulière résulte de cette façon de faire. Écrire une thèse, c’est comme construire une maison. Une fois que vous avez le terrain et l’objectif bien précis de construire un cottage sur trois étages avec quatre chambres et deux salles de bain, est-ce le moment de poser la première brique ? En fait, c’est plutôt le moment de vous mettre à la planche à dessin (ou d’engager un architecte pour le faire à votre place – mais, pour votre thèse, vous jouerez le rôle de l’architecte). Vous voulez construire un plan détaillé qui vous permettra de définir toutes les étapes de la construction de votre maison. Par la suite, vous voudrez commencer les gros travaux et peut-être coordonner le travail de plusieurs spécialistes en parallèle (plombier, électricien, etc.). Une fois la maison construite, vous vous occuperez de la finition
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(peindre les murs, poser la céramique et le bois franc, mettre des rideaux aux fenêtres, etc.). Quand on parle de rédaction scientifique, on parle en fait de trois étapes bien distinctes : la planification, la rédaction en tant que telle et la révision. Chacune de ces étapes est essentielle à l’amorce de l’étape suivante, et vous devrez accorder autant d’importance à chacune des trois. 4.1 La planification On vous a certainement déjà enseigné l’importance de faire un plan avant de commencer à écrire. Pourtant, je suis toujours surprise de constater que les étudiants ne se servent pas de cet outil de façon optimale, ce qui les aiderait à rédiger par la suite. Car tel est l’objectif ultime du plan : vous faciliter la tâche de rédaction. Un plan bien établi devrait vous permettre de commencer une période de rédaction sans questionnement ni hésitation, sans angoisse ni inquiétudes. Est-ce que ça fonctionne de cette façon pour vous ? La plupart des étudiants qui me soumettent leur plan me présentent quelque chose qui a souvent pu être écrit une vingtaine de minutes avant notre rencontre. Pour un article, je vais voir des plans du genre : 1. Introduction 2. Méthode a. Participants b. Mesures c. Procédure 3. Résultats 4. Discussion
Original, non ? Pour un projet de thèse en psychologie clinique, le plan va ressembler à ceci : 1. Prévalence du trouble 2. Conséquences personnelles et sociales 3. Traitements disponibles 4. Données d’efficacité 5. Objectifs de la présente étude 6. Méthodologie 7. Retombées et implications
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De prime abord, cela a l’air un peu mieux, mais est-ce vraiment un outil qui facilitera la rédaction ? Je ne le crois pas. Si j’ai pour objectif pour la prochaine période de rédaction de faire le point 1 (prévalence du trouble) et que je m’installe devant mon ordinateur, j’ai le même problème de page blanche et de curseur clignotant dans le coin gauche qu’au départ ! Pour faire un bon plan, il faut d’abord y mettre du temps. Le plan à lui seul peut prendre une ou plusieurs périodes de rédaction, selon la longueur du document à produire. Ensuite, le plan doit vous indiquer précisément quoi écrire. Il doit contenir beaucoup de détails. Une fois terminé, il doit vous permettre de vous asseoir et de rédiger pour une bonne période de temps sans interruption. Conséquemment, il doit être précis, énumérer les principales idées de votre argumentation et inclure les références appuyant vos affirmations. Construisez toutes les sections du document en gardant en tête l’objectif du projet (voir, au chapitre précédent, le quatrième type d’objectifs). Enfin, jetez vos idées sur papier l’une après l’autre sans vous soucier de la qualité de la rédaction. Afin d’illustrer le niveau de détails d’un bon plan, regardons quelques exemples. Voici d’abord le plan initial à la rédaction du présent chapitre : Objectif du chapitre : Décrire les étapes de la rédaction (Planifier, Rédiger, Réviser) et souligner l’importance de séparer et accorder une attention particulière à chacune des étapes. 1. Introduction a. b. c.
Rappel des points discutés jusqu’à présent Erreur d’essayer d’écrire la première phrase sur une page blanche Comparer à la construction d’une maison
2. Présenter brièvement les trois étapes + importance de les séparer 3. Planifier
a. Construire un plan b. Importance des détails c. Introduire les références pertinentes d. Exemples
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4. Rédiger a. Jeter ses idées le plus rapidement possible avant qu’elles ne s’en aillent b. Écrire de la façon la plus mauvaise possible ; éloigner le perfectionnisme i. Écrire en franglais, jargon, texto ii. Syntaxe impossible iii. Copier-coller d’autres textes 5. Réviser a. Étape très importante : consacrer beaucoup de temps b. Réviser (pas seulement la langue) i. La précision de chaque mot ii. Le sens de chaque phrase : est-ce la meilleure façon de dire les choses iii. La nécessité de chaque phrase iv. L’argument ou l’idée derrière chaque paragraphe : un paragraphe = une idée v. La structure de l’argumentation vi. La cohérence de la séquence des idées vii. L’orthographe, la grammaire et la syntaxe (sans oublier la ponctuation) c. Moment d’être perfectionniste et obsessionnel
Remarquez que le texte final ne correspond pas exactement au plan qui a été prédéfini : plusieurs changements seront introduits en cours de route. Cependant, ce plan a rempli sa fonction : il m’a permis de savoir quoi écrire et de me mettre à rédiger relativement rapidement, de réussir à déplacer mon curseur d’un côté à l’autre de la page à un rythme régulier. Il est important de ne pas être trop perfectionniste dans la construction du plan et de laisser la place à des modifications potentielles au cours des autres étapes. Pour la rédaction d’un texte scientifique, j’estime que ce plan ne serait pas assez détaillé pour bien remplir sa fonction. Examinons ensemble ce second plan, que j’ai réalisé afin d’écrire la discussion d’un article. (Vous me pardonnerez d’avoir laissé les exemples suivants en anglais, tels qu’ils ont été rédigés au départ. Je les introduis dans ce texte tels quels, car je les voulais les plus représentatifs possible de ma
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démarche du moment. En les traduisant, j’aurais eu peur d’en faire une version révisée et mieux écrite, question de me montrer sous un meilleur jour !) 1. Theoretical implications (link with models presented in the introduction) 2. Clinical implications a. In people presenting insomnia with or without a comorbid condition, CBT-I will have a moderate impact on associated anxiety. This means that CBT-I may be a sufficient intervention for some patients. However, residual anxiety symptoms may exist after treatment. Clinicians should be aware that CBT-I will not necessary eliminate anxiety. b. The major implication is that a careful assessment of residual anxiety should be performed after CBT-I. Clinical judgement should then be used to decide whether or not to continue treatment with more anxiety-focused strategies, as empirical data are not available at this moment to guide that decision. c. The literature tells us that CBT for anxiety disorders will have a moderate impact on concomittants sleep difficulties (Belleville, et al., 2010), and that CBT-I will have a moderate impact on concomitant anxiety. Thus, face with patients presenting comorbid problems with anxiety and sleep of equivalent severity, clinicians may choose a first treatment focus according to the patient’s preference and his or her own competencies, and then carefully assess for residual symptoms of the second problem after treatment. 3. Limitations of the review a. Discussion of publication bias b. The apples and oranges problem : mix of several anxietyrelated constructs. However, limited to general concepts – we did not include, for example, a measure of PTSD specific symptoms in the review, although we recommend that researchers who wish to assess anxiety after CBT-I in that population include it. Also, we looked for differences between constructs : they were none. More specific reviews will be done when the primary data necessary to undertake them become available.
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4. Further studies a. Establish consensus for the assessment of various anxietyrelated aspects in CBT-I. b. Assess the benefits of adding anxiety management strategies to CBT-I in people with or without comorbid anxiety problems. 5. Conclusion
(Retrouvez le texte final de la discussion dans l’article suivant : G. Belleville, H. Cousineau, K. Levrier et M.-E. St-Pierre-Delorme, « Meta-analytic review of the impact of cognitive-behavior therapy for insomnia on concomitant anxiety », Clinical Psychology Review, 31 (4), 2011, p. 638-652.) Ici, les idées sont mieux définies (quoique un effort supplémentaire aurait pu être consacré aux points 1 et 5). Remarquez non seulement la présence des sections de la discussion, mais également la mise en place des idées principales formant l’argumentaire pour chacune d’elles. Évidemment, un tel plan ne se construit pas en quelques minutes. Il faut y consacrer le temps nécessaire pour élaborer et clarifier ses idées, et pour les structurer de façon cohérente. Je me permettrais même d’aller un peu plus loin et de vous proposer un plan encore plus détaillé ayant servi cette fois-ci à la rédaction de l’introduction d’un article : PD is associated with sleep problems. • 67% of PD patients report sleep complaints (Overbeek, van Schruers, Kruïzinga, & Griez, 2005). • 68% of PD patients report moderately or severely impaired sleep (Steen, Chartier, & Walker, 1993). • In a U.S. national representative sample of 5,692 respondents, people with PD endorsed higher levels of insomnia symptoms (K.A. Babson, Feldner, Sacg-Ericsson, Schmidt, & Zlovensly, 2008). • Recurrent insomnia is common among PD patients (Mellman & Uhde, 1989b). • In a sample of 773 individuals with PD recruited in mood and anxiety clinics over 16 years, 66.7 to 91% endorsed difficulty sleeping (Singareddy & Uhde, 2009).
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• Patients with PD and no comorbid depression has reduced sleep efficiency, higher percentage of wake and reduced slow-wave sleep (Arriaga, et al., 1996). • PD patients showed longer sleep latency and lower sleep efficiency ; 8 out of 24 patients had insomnia (Hauri, Friedman, & Ravaris, 1989). • PD patients had lower sleep efficiency and less stage 4 sleep (Sloan, et al., 1999). • Patients with PD had increased sleep latency, decreased sleep time and decreased sleep efficiency (Mellman & Uhde, 1989a). • Although Stein and colleagues famously qualified the sleep of PD patients as “remarkably normal”, they reported a reduction of 25 minutes in total sleep time and 5% in delta sleep compared to controls (Stein, Enns, & Kryger, 1993). Another phenomena : NPA • NPA refer to abrupt awakenings in a state of panic. NPA are non-REM events, usually occurring in the late stage 2 or early stage 3 sleep (Hauri, et al., 1989 ; Mellman & Uhde, 1989a), in the absence of EEG abnormalities. NPA typically last 2 to 8 minutes, and return to sleep is usually difficult (Michelle G. Craske & Tsao, 2005). • 69% have experienced NPA at some time in their lives and 33% experienced recurrent NPA (Mellman & Uhde, 1989b). • One-month prevalence of NPA was 18% and lifetime prevalence was 68% (Stein, Chartier, et al., 1993). • 44% of PD patients reported NPA (Overbeek, et al., 2005). • In a sample of 106 consecutive outpatients with PD, 50.9% experienced NPA at least once in their lifetime (Sarisay, Boke, Arik, & Sahin, 2008). • In a sample of 773 individuals with PD recruited in mood and anxiety clinics over 16 years, 60.9% had experienced NPA at least once in their lifetime ; NPA increased the probability of reporting sleep problems (Singareddy & Uhde, 2009). • 61.1% reported NPA (Schredl, Kronenberg, Nonnell, & Heuser, 2001).
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• 82% of research participants with PD and NPA and 32% without NPA had insomnia (Agargün & Kara, 1998). • Patients with NPA reported more severe current and past sleep difficulties (Michelle G. Craske, et al., 2002). Sleep problems exacerbate anxiety and may even provoke panic attack the following day. • Not getting enough sleep was noted as a recurrent trigger of daytime panic attacks (Mellman & Uhde, 2989b). • Awakenings from NPA leads to sleep deprivation which may worsen symptoms and distress during the day (Agargün & Kara, 1998). • Acute sleep deprivation increased baseline anxiety and anxious responding to a CO2 challenge in nonclinimal participants (Kimberly A. Babson, Feldner, Trainor, & Smith, 2009). Sleep problems are important to address in this population • Patients with NAP had more suicidal ideation than those without (Agargün & Kara, 1998). • Sleep deprivation and insomnia have been associated with increased anxiety levels the following day among healthy individuals (Fernández-Mendoza, et al., 2009 ; Sagaspe, et al., 2006), as well as with increased anxious reactivity (Kimberly A. Babson, et al., 2009) (Babson et al., 2009) and panic attacks (Roy-Byrne, Uhde, & Post, 1986) the following day among individuals with PD/A. • Sleep problems often linger after successful treatment for anxiety (Belleville, Guay, & Marchand, 2011 ; Zayfert & DeViva, 2004) and constitute a risk factor for relapse (Ohayon & Roth, 2003). There are several treatments for PD. • Efficacious in 80% of cases (Clum & Surls, 1993). • SSRI are well-tolerated and safe and considered the pharmacological treatment of choice (Sheehan & Harnett-Sheehan, 1996). • Adverse effects of SSRI include gastro-intestinal problems and sexual dysfunctions (Kinrys & Pollack, 2004).
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• Therapeutic attrition rates from SSRI are high and long-term effects are not well know (Roy-Byrne, Katon, Cowley, & Russo, 2001 ; White & Barlow, 2004). • CBT is the only empirically-supported psychotherapy for PD (Balkom, et al., 1997 ; Barlow, 1997 ; Gould, Otto, & Pollack, 1995). • Success rates of CBT between 70 and 90% (Gould, et al., 1995). Treatment of PD have a weak impact on sleep • CBT for PD has a very small effect on sleep disturbances (Belleville, Cousineau, Levrier, St-Pierre-Delorme, & Marchand, 2010). • In a sample of PD patients receiving CBT with or without buspirone, posttreatment improvements of sleep were found to be greater in the CBT + buspirone group, compared to the CBT alone group. However, the significance of the pre- to posttreatment comparison in each treatment condition was not reported (Bouvard, Mollard, Guerin, & Cottraux, 1997). • In 20 outpatients with PD, sleep was assessed with polysomography, diaries and questionnaires before and after CBT. Only selfreported sleep quality ad percentage of stage 4 showed significant improvement (Cervena, Matousek, Prasko, Brunovsky, & Paskova, 2005). Occurrence of NPA was measured. • Craske and colleagues demonstrated the efficacy of a treatment program for PD patients with NPA. CBT for PD was adapted to address appraisals of nocturnal physiological events, interoceptive exposure focused on sleep and maladaptive sleep behaviors. Immediately after treatment, improvements were observed on selfreported NPA and on satisfaction toward sleep. Ambulatory monitoring of objective sleep parameters showed increased heart rate variability and decreased leg movement after treatment. No data were available on objective sleep continuity or sleep architecture (Michelle G. Craske, Lang, Aikins, & Mystkowski, 2005). • Objective measures of sleep remained unchanged after a treatment with escitalopram (Todder & Baune, 2010). This study examined sleep problems among PD patients consulting ED for non cardiac chest pain who received one of four treatments. Exploratory : explore differential effects of four treatments
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Au moment de l’impression de ce livre, l’article en question n’est toujours pas publié. Ici, le plan a été bâti en deux étapes. Premièrement, chaque argument de l’introduction justifiant l’objectif de l’étude a été décrit. Ensuite les démonstrations empiriques et les appuis de chaque argument ont été énumérés. Ainsi, les informations et les références pour chacune des sections sont en place, ce qui a facilité énormément la rédaction. Avec ce type de plan en main, il a été possible de rédiger l’introduction complète d’un article en moins de deux heures. Remarquez à quel point, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce plan contient beaucoup plus d’information que ce qui sera effectivement rapporté dans le texte final. Après la construction d’un tel plan, la rédaction devient un exercice de synthèse des différentes informations, à la manière de la réalisation d’un casse-tête où l’on place les morceaux aux bons endroits. Une de mes collègues qui a contribué à la révision de ce livre suggère à ses étudiants d’inclure dans leur plan les liens entre les idées, et non seulement les points qui seront abordés. Au fil de ses expériences en direction de thèse, elle a remarqué que faire des liens appropriés est difficile pour la plupart des étudiants. Pourtant, c’est ce qui fait qu’un texte se tient et est intéressant à lire. Réfléchir dès le départ aux liens entre les concepts et les inclure dans le plan permet certainement de faciliter la rédaction subséquente et, en bonus, donne un texte de meilleure qualité. Peu importe le type de plan qui vous convient le mieux, rappelez-vous que de vous en débarrasser le plus vite possible ou de faire un plan générique, c’est-à-dire qui pourrait s’appliquer à plusieurs textes différents (par exemple : introduction, méthode, résultats, discussion), ne sera pas rentable en bout de ligne. Un plan doit servir à faciliter la rédaction. C’est étaler tous les morceaux du casse-tête à l’endroit sur la table et regrouper les couleurs ensemble. Cela prend du temps, mais ce temps est vite rattrapé par l’efficacité que vous acquerrez dans l’étape suivante, la rédaction.
4 47 Les étapes de la rédaction : planifier, rédiger, réviser
4.2 La rédaction À défaut d’avoir trouvé un meilleur mot, j’ai appelé « rédaction » la deuxième étape du processus de rédaction. J’aurais pu l’appeler écriture (ou tapage sur le clavier). En fait, quand les étudiants parlent de rédaction, ils réfèrent souvent à cette étape, qui consiste tout simplement à s’asseoir et à écrire. Ils oublient très souvent, cependant, l’étape précédente de planification et la suivante, celle de la révision, ce qui fait que le processus de rédaction est bloqué et difficile. Ils s’assoient devant leur ordinateur, pleins de bonne volonté, mais ne savent pas quoi écrire (signe d’une mauvaise planification). Ou encore ils savent quoi écrire, mais passent un temps fou à chercher la meilleure façon de formuler leurs idées. Comme s’ils partaient en voyage en avançant d’un kilomètre, puis en reculant d’un kilomètre pour s’assurer de ne pas avoir manqué la bonne sortie d’autoroute. Ils écrivent une phrase, effacent une phrase ; écrivent un mot, effacent un mot (signe d’une mauvaise distinction des étapes de rédaction et de révision). L’étape de la rédaction consiste à coucher ses idées sur le papier le plus rapidement possible, sans s’évaluer ni réviser. Il s’agit de prendre l’idée pendant qu’elle passe dans la tête et de l’écrire de façon juste assez précise pour être capable de se comprendre soi-même. Pour rédiger, vous devez vous permettre d’écrire de la façon la plus mauvaise qui soit : écrire en français, en anglais ou en franglais, utiliser du jargon, du joual ou du slang, formuler des phrases avec des syntaxes impossibles, copiercoller des parties de texte provenant d’autres documents (les vôtres, bien entendu !), etc. Une forme de langage particulièrement détestable, le « texto », qui détruit toute la beauté de la langue française mais qui a l’avantage de s’écrire rapidement, pourrait être utile à cette étape. (C’est probablement la seule fois où vous m’attraperez en train d’accorder un point positif au texto !...) Rédiger de cette façon vous permet de rassembler les idées qui flottaient pêle-mêle dans votre esprit et de les assigner à une section précise du plan. Cela permet également de produire la matière première qui constituera votre thèse plus tard. Cela devrait être un exercice plaisant : des idées et des connaissances, vous en avez. Pour être rendu où vous êtes, il n’y a aucun doute que vous êtes une personne intelligente et créative. Vous êtes intellectuel, vous aimez jouer avec les idées. Peutêtre est-ce le désir de trop vouloir bien faire, la peur de n’être pas assez
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bon ou de ne pas y arriver qui vous paralyse. L’étape suivante vous permettra de raffiner votre travail afin de le rendre impeccable. Pour l’instant, connectez-vous avec la partie créative et intellectuelle en vous et écrivez. Écrivez mal vos bonnes idées. L’important est que ces bonnes idées ne demeurent pas enfermées dans votre esprit. Avec un peu de pratique, et lorsque vous aurez la chance d’être visité par votre muse, vous vivrez l’expérience ultimement agréable et satisfaisante où vos doigts n’arriveront pas à taper assez rapidement pour sortir toutes les idées qui vous viendront en tête. Mais, pour cela, vous devez faire abstraction de votre côté perfectionniste, vos peurs, l’idée qu’il faut bien écrire du premier coup. N’ayez crainte, cependant, toutes ces habiletés seront sollicitées à l’étape suivante. L’étape de la rédaction, c’est l’étape de la liberté, de la créativité, de l’originalité. Entrez dans votre bulle et écrivez. 4.3 La révision Encore une fois, vous connaissez certainement la règle selon laquelle il faut réviser son texte avant de le remettre ; c’est une évidence que vous vous faites répéter depuis la petite école. Pour beaucoup d’étudiants et même de professeurs – moi y compris jusqu’à récemment –, réviser équivaut grosso modo à relire son texte et à corriger ses fautes. Vous y consacrez probablement une petite fraction du temps que vous avez passé à rédiger. Je vais vous inviter à revoir cette conceptualisation. La révision devrait prendre autant de temps, sinon plus, que la rédaction. Si vous avez réussi à mettre de côté toutes vos attitudes perfectionnistes lors de l’étape de la rédaction, vous avez certainement rédigé beaucoup de texte en peu de temps. C’est très bien, c’était là l’objectif. Or, ce n’est que la matière première que vous avez produite ; il est maintenant temps de la sculpter en une œuvre d’art. Plus vous consacrerez de temps et d’importance à la révision, plus vous aurez assez confiance en ce processus pour « mal écrire vos bonnes idées » à l’étape précédente et plus vous produirez une matière première de qualité qu’il sera facile de travailler à la révision. Peut-être êtes-vous quelqu’un qui écrit bien du premier coup, qui a toujours réussi ses travaux de baccalauréat en apportant peu ou pas de révision à la première ébauche du texte. Vous avez peut-être pris l’habitude de vous plonger dans la documentation pendant une longue période, puis, à la dernière minute, vous
4 49 Les étapes de la rédaction : planifier, rédiger, réviser
rédigez d’un trait votre travail du début à la fin, vous corrigez rapidement vos fautes et vous remettez le texte. Cette façon de faire ne vous sera pas utile pour la rédaction de votre thèse. Pensez à la rédaction comme étant la production de la matière première : peut-être produisezvous une matière de plus ou moins grande qualité selon votre talent ou l’inspiration du moment. Peu importe la qualité, il reste toujours l’étape de la sculpture. Un résultat de recherche rapporté par Belcher1 est très évocateur en ce sens : la durée du temps consacrée à la révision est proportionnelle à l’expérience de la personne qui écrit. Surprenant, n’est-ce pas ? On aurait tendance à croire que, plus une personne devient experte dans son domaine, moins elle a besoin de réviser ses écrits. Or, au contraire, plus une personne acquiert de l’expérience dans des activités de rédaction, mieux elle comprend les nombreux aspects de la révision et plus elle y consacre du temps. Voici quelques éléments sur lesquels vous attarder lorsque vous vous attaquez à la révision de votre document. Je les présente du plus global au plus particulier, mais rien ne vous empêche de les appliquer dans l’ordre qui vous conviendra le mieux. 4.3.1 La structure de l’argumentation L’art de l’argumentation est très difficile à définir. Si vous avez un esprit rationnel et scientifique, vous croyez peut-être que vous n’avez pas à argumenter votre projet de thèse ou votre article : vous voulez laisser les faits parler d’eux-mêmes. L’écrit scientifique est objectif et a peu à voir avec un texte d’opinion, n’est-ce pas ? Or, le choix de réaliser une étude plus qu’une autre, l’importance du domaine dans lequel l’étude s’inscrit, la pertinence de l’étude proposée, la méthodologie choisie pour atteindre les objectifs et la façon d’interpréter les résultats sont autant de décisions arbitraires et subjectives. Ces décisions doivent être présentées de façon convaincante pour rallier votre lecteur, pour le convaincre de publier votre article, d’approuver votre projet de thèse ou de vous laisser soutenir votre thèse. C’est pourquoi tout texte scientifique est en fait une argumentation pour défendre un point : votre travail est important, digne d’intérêt et bien fait. 1. Wendy Laura Belcher, Writing your Journal Article in 12 Weeks, Thousand Oaks (California), Sage, 2009.
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Partez toujours de vos objectifs : ils guideront toutes les sections. L’introduction – qu’elle soit plus courte dans le cas d’un article ou plus détaillée pour une thèse ou un projet de thèse – doit énumérer point par point les arguments justifiant la pertinence des objectifs de l’étude. La méthode doit refléter la manière dont vous vous y êtes pris pour atteindre les objectifs. Les résultats comprennent uniquement les données dont vous aurez besoin pour répondre aux objectifs. Enfin, la discussion décrit la façon dont vous avez répondu à vos objectifs (principaux résultats) et dont d’autres l’ont fait avant vous (liens avec littérature), à quoi a servi l’étude (implications théoriques et pratiques), quels ont été vos bons et moins bons coups dans le processus (forces et limites) et ce que vous ferez par la suite (recherches futures). Des erreurs fréquentes dans la structure de l’argumentation incluent : •
Un manque de structure : le texte butine d’une information à l’autre, sans lien évident. Les données de la littérature sont décrites, mais ne sont pas synthétisées dans une argumentation précise visant à soutenir les objectifs. (En passant, coller un marqueur de relation en début de paragraphe ne suffit pas à faire le lien avec le paragraphe précédent. Au contraire, il ne contribue souvent qu’à alourdir le texte.)
•
Des arguments contradictoires : dans une volonté d’être exhaustif, les étudiants présentent souvent tant les résultats qui vont dans le même sens que leurs objectifs que ceux qui vont à l’encontre (par exemple, présenter des études qui ont obtenu des résultats significatifs suivies d’études qui ont obtenu des résultats non significatifs ou contradictoires). Le principe d’exhaustivité est bon, mais vous devez toujours guider votre lecteur dans l’interprétation de toutes ces données. Une liste d’arguments « pour » suivie d’une liste d’arguments « contre » donne un texte confus. Si vous présentez des données qui vont à l’encontre de ce que vous argumentez (c’est-à-dire la pertinence de vos objectifs), vous devez expliquer pourquoi la découverte de ces données contradictoires ne vous a pas empêché de conserver vos objectifs initiaux.
4 51 Les étapes de la rédaction : planifier, rédiger, réviser
•
Des arguments faibles ou circulaires : imaginez-vous dans une cour de justice en train de défendre vos objectifs. Est-ce que tous vos arguments sont défendables ? Est-il possible pour le procureur de la Couronne de ne faire qu’une bouchée de votre défense, de la détruire en quelques mots ? Pire, est-ce que le juge pourrait s’esclaffer et vous renvoyer pour incompétence ? Détachez-vous de votre texte et essayez d’adopter la position contraire (votre étude n’est pas pertinente, votre méthodologie est inappropriée et il existe des hypothèses alternatives à vos résultats). Arrivez-vous à déconstruire facilement votre logique ? Si oui, vos arguments doivent être retravaillés. Attention de ne pas pousser l’exercice jusqu’à perdre toute confiance en la pertinence de votre thèse ; le but n’est pas ici de vous décourager, mais d’améliorer votre présentation. En sciences sociales, la plupart du temps, tout choix est justifié : on peut très bien décider de faire l’étude A, l’étude B, l’étude C ou même l’étude Z, et avoir raison. L’important est de maîtriser l’argumentation qui justifie les choix que vous avez faits. Tout au long de votre programme, prenez des notes sur les raisons qui vous poussent à prendre toutes ces décisions (raisons que l’on oublie facilement au bout de trois, cinq ou sept années d’études). Cela vous facilitera la vie quand vous aurez à justifier ces décisions dans un article ou devant un comité de thèse. Dans le prochain chapitre, je vous suggère de garder sur vous un carnet d’idées : cela peut être un bon endroit pour colliger vos justifications.
4.3.2 La cohérence de la séquence des idées Une fois que vous possédez bien vos arguments, il faut les présenter dans un ordre logique qui amène le lecteur à faire la même démarche analytique que vous (en beaucoup moins de temps) afin que les objectifs de l’étude lui paraissent évidents et justifiés. Un argument doit suivre logiquement celui qui le précède et mettre la table pour le suivant. Lorsque vous révisez votre texte, faites ressortir l’idée derrière chaque paragraphe (s’il y a plus d’une idée par paragraphe, cela est problématique, comme nous l’aborderons au point suivant) et réécrivezla sur une feuille mobile. Découpez chacune des idées et essayez différentes combinaisons de séquences. Laquelle est la plus cohérente ?
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Dans le processus de révision, n’hésitez pas à déplacer des paragraphes afin de découvrir la meilleure séquence. 4.3.3 L’argument ou l’idée derrière chaque paragraphe : un paragraphe = une idée Chaque paragraphe présente une seule idée ou un seul argument. Ce n’est pas la première fois que vous entendez ce principe, mais y portez-vous attention quand vient le temps de réviser ? Dans le feu de l’action de la rédaction, vos idées se sont peut-être bousculées, si bien que plusieurs idées différentes se sont accumulées dans un même paragraphe, le rendant plutôt confus et possiblement trop long. Faites le ménage. Chaque chose à sa place : à chaque idée son paragraphe. Rédiger un texte scientifique n’est pas du tout la même chose que rédiger un texte littéraire, je ne vous apprends rien. La rédaction scientifique est structurée, répétitive et va droit au but, laissant peu de place à l’originalité. C’est pourquoi chacun de vos paragraphes peut reprendre à peu près la même structure : annoncez votre idée, expliquez-la, présentez les appuis qui la défendent et concluez en ouvrant la porte à la prochaine idée. 4.3.4 La nécessité de chaque phrase Maintenant, vous allez porter votre attention sur chacune des phrases, un paragraphe à la fois. Prenez-vous deux phrases pour dire la même chose ? Un bon indice : y a-t-il des phrases qui commencent par « autrement dit » ? Règle générale, ces phrases n’ont pas leur place dans un texte scientifique. Vous devriez être capable de décrire votre idée clairement du premier coup, sans avoir à la répéter autrement. Y a-t-il des phrases qui n’apportent rien de neuf ? Évitez-les à tout prix. Y a-t-il des phrases pleines de mots, mais vides de sens ? En tant qu’étudiant de cycle supérieur intelligent et cultivé, vous avez peut-être l’impression que vous vous devez d’écrire dans un style nébuleux, complexe et hermétique. Ce n’est pas le cas. Soyez clair et direct ; cultivez l’art de la simplicité. Utilisez des phrases courtes, des mots simples. C’est plus difficile qu’il n’y paraît. En fait, expliquer un concept complexe avec des phrases simples nécessite beaucoup plus d’efforts et de révisions que de
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se lancer dans une explication obscure et interminable2. Rappelonsnous les mots d’Albert Einstein « Aussi simple que possible, mais pas simpliste. » 4.3.5 Le sens de chaque phrase : est-ce la meilleure façon de dire les choses ? Une fois les phrases superflues éliminées, les phrases qui restent doivent être super efficaces. Elles doivent contenir le plus d’information dans le moins de mots possible. Vous devez trouver la meilleure façon de formuler chaque phrase. Pour ce faire, n’hésitez pas à varier de modèle. En voici quelques exemples : •
Les phrases simples sont faciles à comprendre.
•
L’utilisation de tirets – un signe de ponctuation introduisant une proposition incise – permet d’inclure des précisions supplémentaires dans une phrase.
•
Le deux-points peut bonifier une phrase : il permet d’insérer une explication, une cause, une conséquence ou une énumération.
•
Le point-virgule permet d’inclure deux arguments contradictoires dans une même phrase ; par contre, il allonge considérablement la phase et doit être utilisé avec modération.
•
Avec une proposition subordonnée en début de phrase, vous introduisez un changement de rythme.
Évidemment, n’utilisez pas différents modèles de façon aléatoire dans le simple but de mettre de la variété dans votre texte. Ce dernier prendra rapidement l’allure d’un collage psychédélique. Les exemples ci-dessus ne sont fournis que pour vous aider à considérer des formulations différentes, afin de pouvoir choisir laquelle est la plus efficace.
2. Personnellement, quand je lis une phrase trop complexe, cela me donne l’impression que l’auteur même ne comprend pas bien le concept qu’il explique. Dans les cas les plus extrêmes, je pourrais soupçonner qu’il tente de cacher son ignorance sous des grands mots et des tournures de phrases tortueuses...
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4.3.6 La précision de chaque mot Une façon d’améliorer davantage l’efficacité de vos phrases est d’évaluer la précision de chaque mot et de vous demander si le mot choisi représente véritablement le plus précisément possible l’idée que vous désirez transmettre. Le mot d’ordre ici est encore de transmettre le plus d’information dans le moins de mots possible. Y a-t-il moyen de remplacer plusieurs mots d’une expression par un seul ? De trouver une formulation plus brève ? De démontrer un argument plutôt que de simplement l’affirmer ? Le tableau 4.1 présente certaines formulations inefficaces et illustre des façons d’y remédier. 4.3.7 L’orthographe, la grammaire et la syntaxe (sans oublier la ponctuation) Une fois à cette étape de la révision, je vous concède que la perspective de relire votre texte attentivement une énième fois, cette fois-ci pour améliorer l’orthographe, la grammaire, la syntaxe et la ponctuation, ne vous enchantera pas. Cette étape est pourtant incontournable. Ne sous-estimez le pouvoir que quelques petites fautes éparpillées dans un texte possèdent pour indisposer votre correcteur. À l’inverse, les correcteurs pardonnent beaucoup plus facilement les problèmes de méthodologie ou de revue de la littérature incomplète dans un texte bien écrit et sans faute. Quelques petits trucs peuvent vous aider : •
Laissez votre travail de côté pendant quelques jours avant de le reprendre pour le corriger.
•
Faites une correction en deux temps : repérage d’abord, puis résolution des problèmes. Lisez votre texte comme si vous corrigiez le travail d’un étudiant dans un cours de français. Imprimez-le et inscrivez vos révisions à l’encre rouge. Soulignez les passages qui accrochent sans chercher à les corriger immédiatement. Une fois cette lecture terminée, reprenez les éléments marqués en rouge un à un pour les réviser plus en profondeur.
•
Commencez par la dernière phrase et remontez à rebours jusqu’à la première. Cela vous permettra de concentrer votre attention sur la forme et de ne pas vous laisser emporter par le contenu.
Les cliniciens doivent inclure l’évaluation des parents dans leur rapport. De façon générale, les médecins utilisent une approche pharmacologique pour traiter l’anxiété.
Les implications cliniques des résultats seront discutées.
Les cliniciens ne devraient pas oublier d’inclure l’évaluation des parents dans leur rapport.
De façon générale, les médecins utilisent souvent une approche pharmacologique pour traiter l’anxiété.
Phrases vides ou imprécises
Utilisation de la forme négative
Répétition d’une idée dans la même phrase
Plus de 90 % des médecins interrogés rapportent proposer une approche pharmacologique à leurs patients souffrant d’anxiété.
ENCORE MIEUX :
Les médecins utilisent souvent une approche pharmacologique pour traiter l’anxiété.
OU
Les résultats suggèrent aux cliniciens de porter attention à l’évaluation du sommeil chez leurs clients dépressifs.
Les saisons affectent l’humeur des personnes souffrant de dépression.
Le cycle des saisons a une certaine influence sur les patrons d’humeur des personnes souffrant de dépression.
Utilisation de mots superflus
L’échantillon
Formulations plus efficaces
Les personnes recrutées dans l’étude
Exemple de formulations inefficaces
Utilisation d’expression pouvant se résumer en un mot
Problèmes
Exemples de formulations inefficaces et suggestions pour y remédier
Tableau 4.1
4 55 Les étapes de la rédaction : planifier, rédiger, réviser
Répétition excessive du même mot
Utilisation de synonymes
Statuer que ce que vous faites est bon / important / pertinent / nouveau sans le démontrer
Problèmes
L’anxiété est très fréquente. Un quart de la population souffre de troubles d’anxiété. Les manifestations d’anxiété incluent des symptômes cognitifs et somatiques. Cette anxiété affecte le fonctionnement quotidien.
L’anxiété est très fréquente. Un quart de la population souffre de troubles anxieux. Les manifestations d’angoisse incluent des symptômes cognitifs et somatiques. Cette nervosité affecte le fonctionnement quotidien.
– À notre connaissance, aucune étude n’a démontré de déficit de la perception du temps chez les insomniaques.
– L’étude de l’insomnie chez les personnes souffrant d’anxiété est importante.
Exemple de formulations inefficaces
Les troubles anxieux, incluant des manifestations cognitives et somatiques d’anxiété, sont présents chez un quart de la population. Ils sont associés à une détérioration du fonctionnement quotidien.
– Les études disponibles ont porté sur la concordance entre les estimations temporelles subjectives et les données objectives provenant de la polysomnographie. La présente étude veut démontrer la présence de déficit de la perception du temps chez les insomniaques.
– Présente chez 70 % à 90 % des personnes souffrant d’anxiété, l’insomnie exacerbe les symptômes anxieux existants, nuit au traitement et augmente le risque de rechute.
Formulations plus efficaces
Exemples de formulations inefficaces et suggestions pour y remédier
Tableau 4.1 (suite)
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4 57 Les étapes de la rédaction : planifier, rédiger, réviser
•
Faites du troc : trouvez une personne qui pourra réviser la forme de votre texte et rendez-lui la pareille. Idéalement, si vous voulez que la personne se limite aux révisions de la forme et non du contenu, trouvez quelqu’un en dehors de votre domaine ou encore précisez bien avec elle le type de révision auquel vous vous attendez. Soyez attentif à choisir une personne familière avec la rédaction scientifique afin qu’elle ne vous fasse pas des suggestions plus littéraires !
•
Regardez autour de vous : peut-être y a-t-il des personnes dans votre entourage qui admirent votre persévérance à poursuivre des études doctorales et qui aimeraient bien avoir la chance de vous aider. Peut-être gravite autour de vous une maman bienveillante, un conjoint amoureux ou une tante institutrice à la retraite à qui il ferait plaisir de pouvoir contribuer à votre réussite en cherchant les coquilles et les fautes dans votre texte.
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Encadré 4.1 Planifiez, rédigez et révisez PENDANT L’ÉTAPE DE LA PLANIFICATION, VOUS DEVEZ :
VOUS NE DEVEZ PAS :
– Prendre votre temps
– Demeurer vague
– Réfléchir
– Commencer à rédiger
– Être précis
– Vous en débarrasser au plus vite
– Inclure vos idées et les liens entre les sections – Inclure vos références
PENDANT L’ÉTAPE DE LA RÉDACTION, VOUS DEVEZ VOUS PERMETTRE DE :
VOUS NE DEVEZ PAS :
– Écrire comme ça sort
– Réviser
– Écrire tout croche
– Vous évaluer
– Écrire avec des fautes – Mal écrire vos bonnes idées PENDANT L’ÉTAPE DE LA RÉVISION, VOUS DEVEZ VÉRIFIER SCRUPULEUSEMENT :
VOUS NE DEVEZ PAS :
– La structure de l’argumentation
– Céder à l’enthousiasme d’avoir fini
– La cohérence de la séquence des idées
– Remettre trop rapidement votre texte
– L’argument ou l’idée derrière chaque paragraphe
– Vous surestimer
– La nécessité de chaque phrase – Le sens de chaque phrase – La précision de chaque mot – L’orthographe, la grammaire, la syntaxe et la ponctuation
– Croire que, parce que vous êtes bon, vous n’avez pas besoin de réviser
5 5. Démystifier l’inspiration
Ê
tes-vous de ceux et celles qui ne peuvent écrire que lorsqu’ils sont inspirés ? Qui pensent (ou qui souhaitent !) qu’un éclair soudain d’inspiration leur permettra d’écrire d’une traite un produit exceptionnel dans sa forme finale ? Qui croient que l’inspiration est essentielle à la rédaction scientifique ? Dans le prochain chapitre, je m’évertuerai à vous faire changer d’idée : cette façon de penser freine votre rédaction. La plupart des étudiants entretiennent une vision plutôt romantique de l’inspiration. Celle-ci est vue comme un élan mystique, ésotérique, presque surnaturel qui pousse une personne à écrire. Dans les faits, l’inspiration est surtout un élément très difficile à contrôler. On attend l’inspiration, on cherche l’inspiration ; on ne peut pas convoquer l’inspiration, ni l’exiger. Voyez-vous où je veux en venir ? Personnellement, je ne veux pas me fier à un élan plus ou moins abstrait, et en grande partie indépendant de ma volonté, pour assurer ma productivité. Vous ne devriez pas non plus. Selon Todd Thrash et ses collaborateurs1, l’inspiration se définit par trois composantes : la transcendance, la motivation et le caractère évoqué. Ainsi, une personne se sent inspirée lorsqu’elle pense à une idée ou une possibilité qui transcende l’ordinaire, le connu, le banal. La personne devient alors motivée à concrétiser sa vision, à traduire son 1. Todd Thrash et collab., « Mediating between the muse and the masses : Inspiration and the actualization of creative ideas », Journal of Personality and Social Psychology, 98, 2010, p. 469-487.
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idée en produit. Jusqu’ici tout va bien. Le problème, c’est le caractère évoqué de l’inspiration. L’inspiration est évoquée, et maintenue, par un stimulus « éclairant », tel qu’une idée, une personne, un objet, un geste ou même un processus obscur. On dira : « Ce voyage m’a inspiré », « Cette discussion m’a inspiré », « Cette lecture m’a inspiré », « Je me suis réveillé particulièrement inspiré ». Et non : « Je me suis efforcé d’être inspiré ». On voit là le côté plutôt passif de l’inspiration. En ce sens, elle n’est pas très compatible avec le travail académique. Ce dernier exige de la discipline, de l’effort continu, de l’organisation, de la persévérance, en un mot, de la proactivité. On ne peut en remettre le succès dans les mains d’un concept aussi volatil que l’inspiration. D’ailleurs, prenons le temps de reconnaître que la rédaction scientifique est bien loin de la rédaction artistique ou littéraire. On ne fouille pas les recoins de l’âme humaine, ce n’est pas une quête de sens, ce n’est pas un art : un article scientifique, une thèse, c’est un rapport d’activités scientifiques. Ce rapport d’activités doit de plus être rédigé selon des règles et des instructions bien détaillées, avec un contenu prédéfini et un format qui l’est encore plus : cela laisse bien peu de place à l’imagination. Ainsi, arrêtez de vous voir comme des poètes, des créateurs, des auteurs dans le sens littéraire du terme : vous écrivez des rapports techniques. C’est plate de même2 ! L’inspiration n’est donc pas nécessaire pour rédiger. Vous devez apprendre à écrire même quand vous ne vous sentez pas inspiré. C’est possible, et même nécessaire pour faire avancer vos travaux de façon régulière. L’effort prime sur l’inspiration pour arriver à un produit fini. Dans la rédaction scientifique, la part de créativité qui est requise est mince, surtout en comparaison avec les besoins de logique, de réflexion, de méthode, de déduction, d’analyse, d’argumentation. Pas besoin d’être inspiré pour être logique ! Il y aura toujours des membres d’une certaine garde qui tiendront à dire qu’ils ne peuvent écrire sans inspiration. Si ça fonctionne 2. Je suis bien prête à admettre que la recherche scientifique repose sur une bonne part de créativité et de quête de sens. Par contre, ces dernières sont sollicitées lors de la réflexion par rapport à un domaine, lors du développement de questions de recherche et de méthodologies qui permettront de faire avancer les connaissances. Pas lors de la rédaction d’un article.
5 61 Démystifier l’inspiration
pour eux, tant mieux ! Mais, avant d’adopter ce mode de fonctionnement, assurez-vous de regarder le tableau entier. Lorsqu’on attend l’inspiration pour écrire, la rédaction se fait fréquemment sous pression, à la dernière minute. Soyons honnêtes : la source d’inspiration devient, plus souvent qu’autrement, l’approche intimidante de la date limite de remise du produit. Le produit final est déposé sans avoir été révisé en profondeur, ce qui laisse une impression de ne pas avoir donné le meilleur de soi-même. On demeure avec un arrière-goût de « j’aurais tellement pu faire mieux si j’avais eu un peu plus de temps ». Moi, ce que je vous propose, c’est une méthode qui minimise le plus possible la pression, les mauvaises surprises et le stress. Mais, pour cela, il faut remettre l’inspiration à sa place et accepter qu’elle ne soit pas toujours au rendez-vous. L’objectif de ce chapitre est donc avant tout que vous adhériez à ces deux principes : 1. L’inspiration ne se pointe pas nécessairement en période de rédaction. 2. Ça ne prend pas d’inspiration pour respecter une période de rédaction. Maintenant que nous avons bien délogé l’inspiration de son piédestal, je peux me permettre de vous donner quelques trucs qui peuvent la favoriser. Car, bien évidemment, c’est plus facile d’écrire quand on se sent inspiré. L’inspiration confère à la rédaction scientifique un caractère agréable et un sentiment de compétence. Thomas Edison a dit que le génie est 1 % d’inspiration et 99 % de transpiration. Si l’on travaille assez fort, on peut écrire à peu près n’importe quoi, mais, quand on est inspiré, le travail est infiniment plus facile. Ainsi, tels des ornithologues patients guettant le passage de l’oiseau rare, on ne peut pas convoquer l’inspiration, mais on peut créer des conditions gagnantes pour l’attirer. 5.1 Quelques trucs et stratégies pour entretenir l’inspiration 5.1.1 Écrivez régulièrement L’inspiration, comme la motivation, vient avec l’action. Il est commun, quoiqu’erroné, de penser que la relation entre la motivation et l’action est séquentielle : on pense que la motivation précède toujours
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l’action. En conséquence, on pense ne pas pouvoir agir parce qu’on n’est pas motivé. En fait, il s’agit d’une relation circulaire : plus on est motivé, plus on agit, c’est évident, mais, plus on agit, plus on est motivé. Ainsi, lorsqu’on ne se sent pas motivé, la meilleure solution est l’action. C’est comme aller au gym : cela nous tente rarement avant, mais la motivation vient en s’y pointant régulièrement. Et on se sent si bien une fois qu’on en sort qu’on planifie volontiers la prochaine séance ! Les psychologues proposent souvent à leurs clients déprimés d’agir « comme si » : comme s’ils étaient en forme, comme s’ils étaient de bonne humeur, comme s’ils se sentaient motivés. Les clients sortent de la rencontre avec un air suspicieux et, surtout, avec l’impression d’avoir payé beaucoup trop cher pour un conseil aussi simple. Ceux qui l’essaient, cependant, ont droit à toute une surprise : le simple fait d’être sorti du lit sans en avoir envie leur a permis de se sentir un peu mieux, le simple fait d’avoir pris leur douche à reculons leur a donné le goût de recommencer le lendemain, le simple fait d’être sorti dehors de peine et de misère a réveillé le désir de faire des choses. Lorsqu’on est immobilisé depuis un certain temps, l’action est la clé pour faire renaître la motivation. Le même principe est vrai pour l’inspiration et la rédaction. La relation est circulaire et, si vous être bloqué depuis un certain temps, la reprise de l’écriture suffira à elle seule pour ramener l’inspiration. 5.1.2 Le carnet d’idées Comme on ne maîtrise pas l’inspiration, celle-ci pourra se présenter dans les moments les plus incongrus : en attendant l’autobus, pendant votre jogging, dans la file d’attente de la cafétéria, pendant la pause-pipi, etc. L’inspiration est pire que votre chat : elle ne se pointe pas quand vous avez du temps pour l’accueillir, mais elle vous guette et vous saute dessus en exigeant toute votre attention dès que vous êtes occupé à autre chose. Gardez toujours de quoi écrire sur vous et notez immédiatement vos idées dès qu’elles se présentent. Le but ici n’est pas que la thèse occupe toutes vos pensées et tous vos moments libres, bien au contraire. Quand certaines idées viendront spontanément, assurezvous simplement de pouvoir les noter. Cela facilitera votre rédaction dans les moments planifiés qui suivront (et lors desquels l’inspiration ne sera pas nécessairement au rendez-vous).
5 63 Démystifier l’inspiration
5.1.3 Le deuil du chapitre terminé Le deuil du chapitre terminé est l’impression qu’on ne sera pas capable de commencer un autre chapitre une fois qu’on en a terminé un. Entamer une section subséquente apparaît soudainement comme une montagne, et l’inspiration n’est plus au rendez-vous. Cela peut se produire à la fin de la rédaction d’un chapitre, d’une section ou même à la fin d’un paragraphe. Honnêtement, cela m’arrive systématiquement à chaque fin de paragraphe : une pensée insidieuse et ô combien convaincante qui affirme que je serai absolument incapable d’entamer le paragraphe suivant traverse mon esprit et s’y installe. Mon regard glisse invariablement vers la fenêtre, je bloque, j’ai le désir furieux de regarder mes courriels et, surtout, je n’ai plus la moindre motivation pour rédiger. Systématiquement, après chaque paragraphe. Comment secouer ces pensées négatives ? Premièrement, attendez-vous à avoir de ces pensées : elles sont normales. Cela dit, rappelez-vous que ce ne sont que des pensées. Elles sont fausses et vous réussissez toujours à reprendre la rédaction. Ensuite, reprenez votre plan : si vous avez construit un plan bien détaillé, comme il a été recommandé au chapitre 4, vos idées sont déjà en place. Enfin, écrivez une phrase, peu importe laquelle. Écrivez une phrase en lien avec l’idée du paragraphe. Vous n’avez pas besoin de commencer le paragraphe par sa première phrase : écrivez une phrase, puis construisez autour. Vous devriez arriver à reprendre votre rythme de rédaction. Du moins jusqu’au chapitre suivant. Ou, si vous êtes comme moi, jusqu’au paragraphe suivant. Ensuite, il ne reste qu’à recommencer. Normalisez. Dédramatisez. Commencez. Écrivez. Répétez l’opération. 5.1.4 Varier les tâches Dans un article scientifique ou une thèse, il y a plusieurs sections différentes qui sont plus ou moins faciles à écrire selon les personnes. Pour certaines, rédiger la discussion relève de la torture, alors que la description d’instruments de mesure s’écrit toute seule. Pour d’autres, les idées de l’introduction s’enchaînent aisément, mais décrire des analyses statistiques les rend nauséeuses. Une fois que vous avez construit un plan détaillé de ce que vous avez à écrire, il n’existe aucune
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règle qui vous oblige à commencer par le début et à terminer par la fin. Vous pouvez choisir les sections que vous voulez écrire dans l’ordre que vous voulez. Attention, cependant, de ne pas sélectionner uniquement ce qui vous semble le plus facile : vous serez rapidement découragé par la montagne qui vous restera à franchir. Une bonne stratégie serait de varier le plus possible les tâches de rédaction. Ainsi, une journée où vous vous sentez particulièrement en forme, vous pourrez attaquer une section plus ardue, puis, le lendemain, vous vous récompenserez en écrivant une section plus facile. Aussi, plus vous écrivez dans un domaine, plus vous aurez l’occasion de reprendre ou d’adapter des sections déjà écrites dans un autre document. Par exemple, lorsqu’on utilise le même instrument dans deux études, pas besoin de réinventer une façon nouvelle de le décrire ! Vous aurez le droit d’aller chercher une partie de texte dans un autre document et de l’insérer dans celui que vous êtes en train d’écrire, en faisant simplement quelques modifications au besoin. Ces séances de « copiercoller » font également partie de la rédaction, mais elles devraient être réservées pour les moments où votre niveau d’inspiration et de motivation est vraiment nul. (Ai-je besoin de préciser que vous devez être l’auteur des textes que vous copiez-collez, question d’éviter le plagiat ? Non ? Tant mieux ! Je savais bien que je m’en faisais pour rien...) 5.1.5 S’arrêter sur une pente descendante Au chapitre 2, je vous ai conseillé d’arrêter de rédiger une fois votre période de rédaction terminée. Si vous êtes particulièrement inspiré et que les idées se bousculent toujours, prenez le temps, à la fin de la période, d’écrire brièvement toutes ces idées. Elles vous aideront à reprendre l’écriture la prochaine fois. J’ai emprunté l’expression to park on the downhill slope, ou s’arrêter sur une pente descendante, à Joan Bolker3, pour illustrer le fait d’arrêter d’écrire même quand on est encore inspiré. Le sentiment d’être inspiré, d’être capable et d’être bon vous suivra jusqu’à la prochaine période de rédaction. Si, au contraire, vous avez tout donné en une seule fois, vous aurez peut-être l’impression qu’il ne vous reste plus d’inspiration pour reprendre le travail, que l’ex3. Joan Bolker, Writing Your Dissertation in Fifteen Minutes a Day, New York, Holt Paperbacks, 1998.
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ploit de la dernière fois a peu de chance de se reproduire. Cette impression minera votre confiance et vous freinera. 5.1.6 Parlez ! Parler vous permettra de ventiler vos émotions, de normaliser et de valider votre expérience et d’obtenir un soutien tant moral que matériel, en cas de besoin. C’est ce dont il sera question au chapitre 9. Ici, je veux simplement souligner les bienfaits de parler du sujet sur lequel vous êtes en train d’écrire pour nourrir votre inspiration. Parlez de votre sujet à différentes personnes, et parlez-en souvent. Cela vous amènera à organiser vos idées. Le simple fait de verbaliser ses idées à voix haute permet souvent de faire ressortir les failles dans le raisonnement. De plus, votre interlocuteur vous donnera une rétroaction qui sera des plus utiles pour peaufiner vos idées. Et, qui sait, la discussion qui s’ensuivra fera peut-être naître de nouvelles idées qui garderont votre inspiration bien vivante. Ainsi, parler permet de recueillir des idées nouvelles des autres, mais aussi d’en faire naître chez soi. À défaut d’avoir quelqu’un à qui parler de vos travaux ou si vous êtes particulièrement timide, enregistrez-vous. Verbaliser ses idées, idéalement devant un interlocuteur mais aussi en solitaire avec un enregistreur, permet de mieux les concrétiser et de les pousser plus loin. Donc, parlez, parlez, parlez. Parlez de votre domaine de recherche à votre entourage profane : vous apprendrez à simplifier vos explications. Parlez à vos collègues : ils vous aideront à rendre vos arguments plus solides. Parlez à d’autres chercheurs du domaine : ils vous amèneront encore plus loin dans vos idées. Courez les clubs de lecture, de discussion, de rédaction. S’il n’y en a pas, créez-en un. Présentezvous dans les congrès et les colloques : écoutez les sessions de présentations orales, oui, mais allez également vous promener dans les sessions d’affiches et parlez ! Vous reviendrez des congrès revitalisé et enthousiaste à l’idée d’entreprendre un nouveau bloc de plusieurs semaines d’écriture. En conclusion, j’espère que ce chapitre vous aidera à réduire l’importance que vous accorderez à l’inspiration dans la planification de vos activités de rédaction. L’inspiration est plaisante, oui, mais elle n’est pas nécessaire. Se fier sur l’inspiration pour rédiger peut devenir un obstacle important à l’atteinte de vos objectifs. Parfois, j’ai même l’im-
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pression que d’attendre l’inspiration et d’y accorder une trop grande importance devient une façon socialement acceptable de procrastiner, de remettre la rédaction à plus tard, de ne pas faire l’effort de s’organiser. Alors, pour ceux qui attendent encore leur muse avant de se mettre à l’ouvrage, le prochain chapitre sur la procrastination sera peut-être d’une plus grande utilité. Encadré 5.1 Construisez des conditions favorables à l’inspiration Tout en gardant à l’esprit que : –
L’inspiration ne se pointe pas nécessairement en période de rédaction.
– Ça ne prend pas d’inspiration pour respecter une période de rédaction. 1. Écrivez régulièrement. 2. Conservez un carnet sur vous en tout temps et notez vos idées brièvement dès qu’elles surviennent. 3. Apprenez à reconnaître, à accepter et à surmonter le sentiment de deuil du chapitre terminé. 4. Variez vos tâches de rédaction. 5. Arrêtez d’écrire une fois votre période terminée, même lorsque vous êtes encore inspiré ; à la place, prenez quelques minutes pour préparer votre prochaine période de rédaction. 6. Parlez du sujet de votre rédaction à plusieurs personnes et dans plusieurs contextes différents.
6 6. Reconnaître et combattre la procrastination
L
a procrastination est le fait de remettre à plus tard. Les tâches de rédaction scientifique figurent parmi les activités qui sont le plus procrastinées dans le cheminement scolaire. Pourquoi ? C’est simple. Vous procrastinez parce que vous êtes anxieux. Vous avez peur de ne pas réussir, peur de ne pas être capable, peur de ne pas être bon. L’écriture de la thèse est l’activité la plus encline à provoquer ces peurs. C’est bien normal : il y a énormément de responsabilités qui reposent sur vos épaules, les instructions pour réussir ne sont pas toujours claires, et l’enjeu est déterminant. Ai-je bien terminé ma revue de la littérature ? Serai-je capable de répondre aux questions qui me seront posées ? Suis-je passé à côté d’un aspect essentiel qui invalidera tout mon raisonnement ? Qu’arrivera-t-il si mes résultats ne sont pas significatifs ? Ai-je suffisamment de connaissances sur le sujet ? Arriverai-je un jour à soutenir ma thèse ? Nous nous sommes tous posé ces questions (et d’autres encore bien pires), et les réponses, souvent incertaines, donnent le vertige. Chaque fois que vous ouvrez votre document thèse.doc, c’est comme si vous
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ouvriez en même temps le dossier contenant toutes ces questions, ces incertitudes et l’anxiété qu’elles provoquent. Il devient ainsi beaucoup plus facile de refermer le dossier et de s’en éloigner ou, au mieux, de ne pas l’ouvrir du tout. La procrastination vous amène ainsi un certain soulagement à court terme, car vous n’avez pas à affronter ces questions difficiles dès maintenant. Pas aujourd’hui. Plus tard. Demain. Cet été. Quand j’aurai le temps. Le problème, c’est qu’en n’affrontant pas ces questions, telles des mauvaises herbes dans un jardin, elles demeurent en place, prennent de la force et finissent par tout envahir. Le problème empire de deux façons. La première est bien réelle et externe à vous : si vous n’avancez pas votre travail de rédaction, vous finirez par rater certains échéanciers, ce qui aura des conséquences sur votre cheminement académique. Ainsi, vous avez certains comptes à rendre, que ce soit à vos co-auteurs, à votre directeur de thèse ou à votre direction de programme. Ces personnes finiront par cogner à votre porte et vous mettre de la pression pour que vous leur remettiez un produit terminé1. Le problème empire aussi dans votre tête : plus longtemps vous laissez de côté votre projet de rédaction, plus vous avez l’impression que de vous y remettre vous coûtera trop d’efforts, que ce sera trop difficile, que ce sera une expérience trop désagréable. Votre perception de la difficulté associée à la rédaction d’un document augmente en fonction de l’intervalle de temps qui s’est écoulé depuis que vous y avez travaillé la dernière fois. Quand on a laissé un projet de côté pendant un bon moment, les pensées les plus dramatiques, accompagnées des émotions les plus intenses, y deviennent associées. Vous voyez bien comment s’installe ici un cercle des plus vicieux : plus on retarde les tâches liées à un projet particulier, plus ce projet nous paraît monstrueux. Plus un projet est monstrueux, plus on sera anxieux, plus on voudra éviter d’y participer et plus on procrasti1.
Bien entendu, il est toujours possible d’obtenir des délais. D’ailleurs, dans les départements et les laboratoires universitaires, les délais sont faciles à obtenir. Ils sont distribués avec laxisme et en grande quantité. C’est comme si on ne s’attendait pas réellement à ce que les échéanciers soient respectés, comme si on n’y croyait pas vraiment... Attention, cependant : l’obtention récurrente de délais finira par vous laisser un goût amer ; cela ne sera jamais aussi satisfaisant que de remettre votre travail à temps.
6 69 Reconnaître et combattre la procrastination
nera. Si la procrastination peut apporter à court terme un certain soulagement, à long terme, elle ne fera qu’empirer les choses et contribuera à maintenir votre anxiété et votre malaise. Il vous faut absolument réduire au minimum les comportements de procrastination que vous adoptez. Pour cela, je vous propose trois stratégies : reconnaître la procrastination, construire un environnement impropre à la procrastination et combattre la procrastination. Pour reprendre l’analogie du jardin qu’on ne veut pas laisser envahir par les mauvaises herbes, cela équivaut à distinguer les mauvaises herbes des bonnes plantes, établir des stratégies de jardinage qui empêchent la croissance de mauvaises herbes et arracher les mauvaises herbes dès qu’elles se pointent. 6.1 Reconnaître la procrastination : distinguer les mauvaises herbes des bonnes plantes Il est très probable qu’en tant qu’étudiant aux cycles supérieurs vous soyez devenu maître dans l’art de procrastiner. Je ne parlerai donc pas des occasions évidentes où vous avez passé deux heures sur Facebook plutôt que d’avoir avancé votre discussion, où vous avez traîné au local de l’association étudiante en allant chercher votre café, où vous avez passé votre journée à faire le ménage plutôt que d’ouvrir votre ordinateur. Quelle procrastination d’amateur ! Non, pour surprendre un vieux renard comme vous, la procrastination doit être très rusée et se cacher dans des tâches bien légitimes en apparence. Pour reconnaître ce type de procrastination, il faut vouloir faire son examen de conscience et être très honnête avec soi-même. Il m’arrive souvent de rencontrer des étudiants très performants, très occupés, qui travaillent véritablement d’énormes semaines au-delà de quarante heures. Pourtant, une bonne partie de leurs activités sont en fait des instances de procrastination. Les réduire leur permettrait d’être tout aussi performants, mais en beaucoup moins de temps. Premièrement, demandons-nous ce qui peut entrer dans les activités de rédaction. Vous vous souvenez, au chapitre 2, de ma recommandation de bloquer une période de temps chaque jour à consacrer à la rédaction. En quoi consiste une activité de rédaction légitime et quelles sont les activités associées qui peuvent dégénérer en procrastination ? Les activités de rédaction 100 % légitimes sont celles qui sont
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décrites au chapitre 3 : planifier, rédiger et réviser. Néanmoins, il demeure parfois nécessaire d’inclure d’autres types d’activités. On ne peut pas toujours être en train d’écrire : encore faut-il réaliser les activités dont on fait le rapport ! Ainsi, une période de rédaction peut inclure un objectif de revue de la littérature, des analyses statistiques, de la recherche d’articles, des recherches sur Internet, etc. Pour éviter d’ouvrir la porte à la procrastination, cependant, je vous donne deux conseils. Définissez ces tâches de la façon la plus précise et réaliste possible, afin de ne pas y passer plus de temps que ce que vous aviez prévu et surtout que ces tâches ne viennent pas nuire à votre production écrite. Ensuite, gardez au moins deux périodes de rédaction « pure » ou 100 % légitime (c’est-à-dire planifier, rédiger, réviser) par semaine, question de conserver le rythme. Au fil des années, je me suis rendu compte que la lecture d’articles devenait souvent une activité procrastinatoire chez les étudiants. Ceux-ci ont l’impression de ne jamais en savoir assez pour commencer à écrire. Ils passent alors des semaines et des semaines à lire des articles sans écrire une seule ligne. Bien entendu, il est très important de lire de grandes quantités de documentation scientifique si l’on veut espérer acquérir un bagage de connaissances adéquat. Cela dit, soyez honnête avec vous-mêmes : est-ce que vous lisez parce que vous êtes terrifié à l’idée de ne pas savoir quoi écrire ? Est-ce que la lecture remplace systématiquement l’écriture ? Pour garder un bon rythme de rédaction, je conseille à mes étudiants d’éviter le plus possible de consacrer des semaines entières uniquement à la lecture, mais plutôt d’alterner entre la lecture et l’écriture, même en début de parcours. Commencer votre rédaction vous permettra d’organiser vos idées et de mieux définir vos besoins, ce qui orientera mieux vos lectures. Ne laissez jamais des détails triviaux freiner votre rythme de rédaction. Ne vous mettez jamais en mode attente. Vous avez commandé un article rare qui tarde à arriver ? Travaillez sur une autre section en attendant. Encore mieux : travaillez à partir des informations que vous pouvez tirer du résumé en ligne et confirmez ces informations plus tard à la réception de l’article. Vous avez besoin de rencontrer votre directeur, et ce dernier tarde à vous confirmer un rendez-vous ? Écrivez quand même. Écrivez comme si vous connaissiez la réponse. Rappelezvous qu’il est beaucoup plus facile de réviser un texte déjà écrit que de
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reprendre l’écriture après un temps d’arrêt. Ne laissez jamais un délai postal, un superviseur en vacances, un questionnaire introuvable, une difficulté technique, une grève des employés de soutien ou quoi que ce soit d’autres vous arrêter. Tous ces événements peuvent devenir autant de bonnes excuses pour procrastiner. Trouvez toujours une façon d’avancer quand même. Votre parcours universitaire est rempli de tâches et de responsabilités tout aussi importantes les unes que les autres. Vous avez des cours, des stages, des lectures, des travaux d’équipe, des contrats d’assistance de recherche, pour n’en nommer que quelques-unes. Rappelezvous simplement une chose : vos autres tâches importantes sont importantes, mais pas plus importantes que vos tâches de rédaction. Si vous vous rendez compte que vous sacrifiez systématiquement vos tâches de rédaction pour vous consacrer à vos autres tâches importantes, le constat est clair : vous procrastinez. Le lieu de procrastination par excellence demeurera toujours Internet. Internet est comme une amie qui aurait un trouble de personnalité limite2. Certains jours, c’est la meilleure amie du monde ; d’autres jours, votre pire ennemie. Très égoïste, Internet réclame toute votre attention et vous incite chaque minute à procrastiner. Elle vous épie et sait comment vous joindre : sur votre ordinateur, dans les cafés et les autobus, sur votre téléphone, etc. Elle fera tout pour vous empêcher de l’abandonner : elle vous envoie des courriels, vous propose mille et un sites à consulter, vous fait rire, vous divertit. Toutefois, quand vous arrivez à la quittez, vous voyez bien que vous venez de gaspiller plusieurs heures et que vos travaux ne sont toujours pas avancés. Avec Internet, vous devez naviguer avec prudence pour aller chercher uniquement l’information dont vous avez besoin sans tomber dans ses pièges « dévoreurs de temps ». À vous de construire et de conserver une relation bien encadrée avec elle, selon vos propres termes.
2. Un trouble de personnalité limite, ou borderline, est un trouble mental caractérisé, entre autres, par une grande instabilité dans les relations interpersonnelles, des changements d’humeur brusques et intenses, une difficulté à définir sa propre identité et un malaise intérieur constant se traduisant en comportements explosifs et excessifs.
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6.2 Créer un contexte impropre à la procrastination : empêcher l’apparition de mauvaises herbes Maintenant que vous êtes en mesure de reconnaître toutes vos manifestations de procrastination, même les plus subtiles, nous allons travailler à enrayer ce fléau. Commençons tout d’abord par une approche préventive. Il est plus facile d’éviter la procrastination que de se remettre au travail lorsqu’on se rend compte qu’on procrastine. Ainsi, vous avez tout à gagner à vous construire un contexte absolument impropre à la procrastination. Commencez par votre environnement de rédaction. Définissez un endroit particulier où vous allez passer la plupart de vos périodes de rédaction. Quel est l’endroit le plus propice ? Est-ce à la maison ? À votre bureau ? À la bibliothèque ? L’environnement doit être exempt de distraction. Une fois que vous avez choisi un endroit, rendez-le fonctionnel. De quoi avez-vous besoin pour rédiger ? Un ordinateur, un café, de la musique instrumentale, un babillard pour afficher vos listes d’objectifs ? Tous ces éléments devraient être facilement à votre disposition. Votre environnement de rédaction est exempt de distraction et fonctionnel ? Rendez-le agréable et invitant. Posez un coussin sur votre chaise, une plante sur le bureau, une affiche inspirante au mur, un portrait de gens qui vous aiment bien en vue, etc. Un environnement exempt de distraction ne signifie pas nécessairement qu’il est austère. Il est essentiel que vous vous y sentiez bien et que vous ayez envie de vous y rendre. Vous avez un bel environnement de rédaction fonctionnel ? Pensez maintenant à un second. Il est préférable d’avoir plus d’une option quand vient le moment de s’installer pour rédiger. Ainsi, s’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas avec l’endroit de rédaction de prédilection (par exemple des rénovations impromptues, une panne de climatisation ou un nouveau collègue particulièrement bruyant), vous pourrez aller ailleurs sans que vos objectifs de rédaction en souffrent. Aussi, si vous vous sentez bloqué, il pourra être aidant en soi de changer de lieu pour rédiger, question de simplement changer d’air. Apprenez à dire non. Dans le chapitre 2, nous avons vu à quel point il est primordial de protéger farouchement vos périodes de rédaction. Ce sont des rendez-vous pris avec vous-mêmes où vous n’êtes pas
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disponible pour les autres. Ainsi, lorsqu’on vous réclame pendant une de ces périodes, vous devrez dire non. Et je peux vous assurer que ce sera très difficile. Mais c’est possible et c’est faisable. Encore mieux, cette habileté s’améliore avec la pratique. Plus vous serez reconnu comme étant fondamentalement indisponible lorsque vous rédigez, moins on vous dérangera et plus on respectera votre horaire. Osez être intransigeant, ce sera très payant. Dire non implique une certaine fermeté qu’il faut démontrer même avec ses amis. Il faut bien s’avouer que de refuser d’aller prendre un café avec un collègue après un cours ou de mettre fin à une conversation pour vous mettre à l’ouvrage ne fera pas de vous la personne la plus populaire, la plus funny. Rien ne vous empêche de consacrer une partie de votre temps à des activités sociales et de vous construire un réseau au sein de vos collègues universitaires : au contraire, ces efforts sont des plus bénéfiques. Mais cela ne devrait pas être fait aux dépens de vos périodes de rédaction, dans lequel cas, il s’agit de procrastination. Dans chaque département, il y a un étudiant qui a transformé la procrastination en mode de vie tendance. Un mode de vie qui suscite parfois l’admiration, tant la personne qui l’adopte dégage une attitude zen et au-dessus de ses affaires. Toujours en train de jaser avec tout le monde, cet éternel étudiant vous racontera par la suite comment il a passé une nuit blanche ultra caféinée à produire un document à remettre le lendemain matin. Orateur hors pair, il est passé maître dans l’art de négocier des délais dans la remise de ses travaux. Il appelle tout le monde du département par son prénom, que ce soit les étudiants de tous les niveaux, les professeurs, le personnel administratif, et vous en parlera d’un air entendu. Mais, pensons-y, bien sûr qu’il connaît tout le monde : il passe sa journée à jaser avec ses collègues, à participer à mille et une activités qui deviendront autant d’excuses de ne pas se mettre à l’ouvrage ! Sachez voir au travers de l’illusion. Voulez-vous être cette personne ? Voulez-vous vivre le stress et la fatigue qu’engendre une nuit blanche ? Voulez-vous remettre vos textes en sachant très bien que, même si le résultat est acceptable, vous auriez pu faire beaucoup mieux en vous y prenant un peu plus tôt ? N’aimeriez-vous pas mieux travailler régulièrement avec l’esprit en paix et la certitude que vous arriverez toujours à remettre vos travaux à temps ? Si votre réponse est oui, il
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faudra faire le deuil d’être la personne la plus « au courant » du département. Sans pour autant sacrifier votre vie sociale, il vous faudra apprendre à dire non à certains engagements et certaines activités sociales spontanées qui empiéteraient sur vos périodes de rédaction. Cela dit, plus vous respecterez vos périodes de rédaction avec rigueur et discipline, plus vous aurez de temps libre à consacrer pleinement à vos loisirs et contacts sociaux. Enfin, deux bons moyens d’éviter la procrastination déjà discutés dans les chapitres précédents sont la planification de périodes de rédaction relativement courtes mais régulières (chapitre 2) et la définition d’objectifs réalistes (chapitre 3). Petit rappel : quand un objectif est-il réaliste ? Réponse : quand on peut l’atteindre. Planifiez de courtes périodes de rédaction pour lesquelles vous vous fixez un petit objectif et voyez le résultat. Est-ce que la tâche vous apparaît comme une montagne ? Vous sentez-vous anxieux à l’idée de vous y mettre ? Si la réponse est encore oui, révisez vos objectifs jusqu’à ce que vous vous sentiez assez en confiance pour vous y mettre facilement. Une fois la tâche terminée, félicitez-vous : vous venez de faire échec à la procrastination. 6.3 Combattre la procrastination : arracher les mauvaises herbes dès qu’elles apparaissent Même si vous reconnaissez bien vos manifestations de procrastination et que vous mettez tout en œuvre pour l’éviter, il est presque inévitable qu’un jour vous vous attraperez en train de procrastiner. Ainsi, peu importe le soin qu’on apporte à un jardin, il est certain qu’une mauvaise herbe finira par poindre. Est-il nécessaire que le jardin soit parfaitement exempt de mauvaises herbes pour qu’il soit luxuriant et productif ? Pas nécessairement. Mais la croissance des mauvaises herbes doit être maîtrisée. L’antidote par excellence à la procrastination est l’action, peu importe sa forme. Reconnaissez que vous êtes en train de procrastiner, reconnaissez les effets néfastes de la procrastination et remettez-vous en action. Personnellement, quand ça m’arrive, je lâche un petit cri, frappe dans mes mains ou frappe du pied, question de faire « éclater ma bulle de procrastination » et de me remettre sur la bonne voie. (Voilà
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qui fournira enfin une explication à mes voisins qui entendent des bruits bizarres provenant de mon bureau.) Écrivez une phrase, planifiez une section, définissez un objectif, peu importe. Remettez-vous en action. Rouvrez votre document thèse.doc, reprenez votre pile d’articles, regardez vos résultats d’analyse statistique. Ce n’est pas si pire que vous croyez et, encore plus important, vous êtes capable. Ma recette exclusive pour venir à bout de tout ? Toujours commencer par « Planifier ______ » (planifier rédaction, planifier analyses, planifier affiche, etc.). Vous verrez, c’est merveilleux : vous vous remettez en action avec, en fait, une belle activité de procrastination toute légitime. Planifier, c’est dire « l’étape 1, je vais la faire jeudi (donc pas aujourd’hui), l’étape 2, je vais la faire mardi prochain (donc pas aujourd’hui) et l’étape 3, je vais la faire vendredi prochain (donc, encore une fois, pas aujourd’hui) ». L’air de rien, vous venez d’entreprendre le projet et la prochaine période qui y sera consacrée est beaucoup moins épeurante, car elle est déjà réduite à un petit objectif surmontable. Maintenant que vous savez à quel point la procrastination est néfaste pour votre cheminement et qu’il faut la reconnaître et la combattre, mon dernier conseil serait d’apporter un certain bémol à tout ce dont nous venons de traiter. Gardez une certaine dose d’indulgence. Une trop grande volonté d’éliminer la procrastination à tout prix sera contre-productive et aura pour résultat d’augmenter vos gestes de procrastination. Rappelez-vous le cercle vicieux. Si vous voulez être parfait, vous vous mettez en situation d’échec : la perfection est impossible. Lorsque vous vous créez de trop grandes attentes, vous augmentez votre niveau d’anxiété. Être anxieux vous poussera à éviter la cause de votre anxiété, donc à procrastiner davantage. Ainsi, laissez-vous des chances, des cartes get out of jail free3. Donnez-vous le droit de procrastiner à une certaine fréquence. Et puis, si vous devez procrastiner, faitesle en beauté. Que ça en vaille la peine ! Ne restez pas devant votre ordinateur : aller magasiner ou au cinéma, prendre une bière ou manger une crème glacée, faire du sport ! Il n’y a rien qui marche aujourd’hui ? Parfait ! Allez-vous-en ! L’important, c’est d’être honnête avec vous3. (Intraduisible). Élément du jeu Monopoly, devenu une métaphore pour quelque chose qui permet de se sortir d’une situation non désirée. Source : Wikipédia.
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même : sachez quand vous procrastinez, ne vous bercez pas d’illusion en essayant de rationnaliser votre procrastination et, après vous être laissé aller à une certaine indulgence, reprenez-vous et passez à l’action. Commencez, plongez, agissez. Encadré 6.1 Reconnaissez et combattez vos comportements de procrastination 1. Reconnaître a. Quels sont vos comportements de procrastination évidents (par exemple, Facebook, jasette, ménage) ?
b. Quels sont vos comportements de procrastination subtils (par exemple, lecture d’articles, organisation excessive, attendre après quelqu’un, autres tâches scolaires) ?
2. Empêcher
Quels sont les comportements que vous devrez adopter pour vous empêcher de procrastiner ?
[ ] Améliorer l’environnement de rédaction
Comment ?
6 77 Reconnaître et combattre la procrastination
[ ] Dire non.
À qui ? Dans quelle situation ?
[ ] Mieux planifier les périodes de rédaction.
Comment ?
[ ] Mieux définir les objectifs.
Comment ?
[ ] (Autre façon).
Laquelle ?
3. Combattre
Comment pouvez-vous vous arrêter de procrastiner quand vous vous rendez compte que vous êtes en train de le faire ?
[ ] Définir un signal pour faire « éclater la bulle » de procrastination. Quel est votre signal ?
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[ ] Se remettre en action.
Comment ?
[ ] (Autre façon).
Laquelle ?
7 7. Un démon appelé perfection1
L
Le mieux est l’ennemi du bien.
e perfectionnisme est la recherche excessive de la perfection. Les personnes perfectionnistes établissent des objectifs idéaux la plupart du temps inatteignables et se jugent sévèrement en fonction de leur productivité et de leur rendement. C’est le culte de la perfection. En ce sens, je n’hésite pas à comparer le perfectionnisme à une secte : les idéaux à atteindre sont séduisants, mais complètement irréalistes, on méprise le bien-être de la personne au profit de la doctrine de la perfection, les règles à suivre sont absolues et inflexibles, on croit accéder au nirvana lorsqu’on aura mis suffisamment d’efforts, et l’attitude demeure malgré les preuves de son inefficacité et de ses effets néfastes (comme si la personne perfectionniste avait subi un lavage de cerveau). La perfection est un démon qui sait se cacher sous des
1. Un grand merci à Annie Vallières de m’avoir permis de m’inspirer fortement et même de reprendre en partie un texte non publié pour la rédaction de ce chapitre.
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apparences séduisantes, et les perfectionnistes sont des adeptes qui n’ont pas encore vu ou qui refusent de voir son vrai visage. Faites-vous partie de cette secte ? Si oui, il ne faut pas vous juger trop sévèrement. Les manifestations de perfectionnisme sont extrêmement répandues chez les étudiants des cycles supérieurs et, malheureusement, encouragées par l’environnement universitaire et les modèles qui y évoluent. En fait, le milieu universitaire donne souvent l’impression d’un temple voué au culte de la perfection. On y glorifie le travail sans décompte des heures, on y sanctifie les personnes qui se dévouent corps et âme à leurs recherches. Quelle dévotion désinformée ! Comme si une attitude perfectionniste pouvait vous conduire à plus de succès, une thèse plus intelligente, une carrière plus stimulante. Au contraire, une méthode de travail organisée, une habileté à définir des objectifs réalistes et à les atteindre, une bonne connaissance et l’utilisation de vos forces, un équilibre travail-loisir, voilà ce qui vous conduira au succès. La recherche de la perfection, elle, vous mènera constamment et inexorablement à l’échec. Suis-je en train de vous encourager à bâcler vos travaux ? Absolument pas. Bien faire les choses, c’est essentiel. En fait, je n’ai même aucune réserve à vous encourager à faire mieux. Cela dit, vous surprenezvous à essayer de rédiger la meilleure phrase, de trouver le meilleur mot, de concevoir la meilleure méthodologie, d’écrire la meilleure thèse sur le sujet ? C’est là que je vous arrête, car vous foncez directement dans un mur. 7.1 Êtes-vous perfectionniste ? Il est difficile de savoir si l’on est véritablement perfectionniste dans un milieu où tout le monde performe, où les exigences extérieures sont extrêmement élevées, où l’on jongle avec un niveau de détails si subtil qu’on en perd la raison. Une dose raisonnable de perfectionnisme productif, caractérisé par des standards personnels de rendement élevés mais réalistes, n’est pas nocive si elle mène à une perception de défi, de dépassement de soi et un sentiment fréquent de fierté et d’accomplissement. Outre la recherche de la perfection, le perfectionnisme nocif ou improductif se caractérise par plusieurs autres éléments. Pris seul à seul, chacun de ces éléments peut être justifiable dans le milieu universitaire. Cependant, si vous vous reconnaissez dans plusieurs d’entre eux
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et, surtout, si vous sentez que ces caractéristiques vous empêchent de vous mettre à l’ouvrage plutôt que de vous y encourager, vous souffrez probablement d’un perfectionnisme improductif. • Mettez-vous trop l’accent sur les détails ? Minutieuse, méticuleuse, consciencieuse, attentive aux détails, voilà autant de qualificatifs de la personne perfectionniste. Le problème, c’est qu’elle perd souvent de vue le but global de son travail. Trop absorbée par l’arbre, elle ne voit pas la forêt. • Avez-vous une peur démesurée de l’échec ? La personne perfectionniste a tendance à associer l’incapacité à atteindre un but fixé avec le manque de valeur personnelle. Ainsi, l’échec prend une signification beaucoup plus pénible et douloureuse qu’il ne devrait. D’autant plus que, avec ses objectifs grandioses et exigeants, la personne se met constamment en péril d’échouer. Ce n’est jamais agréable d’échouer, mais c’est toujours une bonne occasion de réviser sa façon de travailler. Un « échec », c’est souvent le résultat d’un objectif mal défini. Chez la personne perfectionniste, un « échec » reflète plus souvent qu’autrement une difficulté à définir des objectifs réalistes, pas une faille incorrigible de la personnalité ou une incompétence fatale. • Est-il inconcevable pour vous de faire des erreurs ? La personne perfectionniste associe aussi erreur avec échec. En adoptant une méthode de travail qui vise l’évitement absolu des erreurs, elle est souvent moins créative, prend moins de risques et manque parfois des occasions d’apprendre et de croître. Même si votre programme d’études vous pose beaucoup d’exigences, rappelez-vous que vous êtes toujours un étudiant. Vous êtes encore en situation d’apprentissage et, conséquemment, vous avez le droit à l’erreur. Cela est d’ailleurs vrai pour tous les êtres humains (avec toutes mes excuses aux ordinateurs, robots et autres machines qui lisent ce livre). •
Craignez-vous la désapprobation ? En laissant les autres voir ses faiblesses, la personne perfectionniste craint de ne plus être acceptée. Tenter d’être parfaite est alors une façon de se protéger contre la critique, le rejet ou la désapprobation. Cela peut être vrai dans la relation avec certains directeurs de thèse. Certains directeurs encourageront froidement l’attitude perfectionniste,
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en pensant à tort qu’ils aident l’étudiant à se surpasser. Cela dit, une grande majorité d’étudiants n’ont pas besoin d’instructions de la part de leur superviseur pour adopter une attitude perfectionniste, ils le font très bien de façon autonome... • Adoptez-vous un style de pensée « tout ou rien » ? L’étudiant perfectionniste croit que ses accomplissements sont sans valeur s’ils ne sont pas parfaits. C’est blanc ou noir, parfait ou échoué. Il a de la difficulté à mettre les choses en perspective, à voir les nuances de gris. Recevoir un B alors qu’il a toujours eu des A est perçu comme un échec. Une critique un peu plus négative sur un aspect du projet vient invalider les dix louanges qui ont précédé. Une lettre de refus de publication de la part de l’éditeur d’une revue scientifique devient une confirmation ferme et sans appel de sa propre incompétence. • Votre vie est-elle régie par vos devoirs ? La vie de la personne perfectionniste est souvent structurée comme une liste sans fin d’obligations servant de règles de vie rigides (par exemple, je dois toujours être à mon meilleur au travail, il faut absolument que je réussisse tout ce que j’entreprends, etc.). Avec une telle emphase sur les « je dois », la personne perfectionniste prend rarement en considération ses propres désirs, ses valeurs ou le but ultime à atteindre (par exemple, soutenir sa thèse et obtenir son diplôme, obtenir un emploi, etc.). •
Croyez-vous que les autres ont du succès plus facilement ? Enfin, la personne perfectionniste croit que les autres atteignent leurs objectifs avec un minimum d’efforts, peu d’erreurs et de stress et un maximum de confiance en soi. Ses propres efforts sont, quant à eux, perçus comme étant constamment à renouveler et souvent inadéquats. C’est le cas classique de l’herbe qui paraît plus verte chez le voisin. Cependant, au lieu de penser que le bien-être convoité est le résultat de standards de perfection moins élevés, la personne perfectionniste continuera de croire que, si elle n’est pas heureuse et accomplie, c’est parce qu’elle n’en fait pas assez, qu’elle n’est pas assez bonne, qu’elle est fondamentalement incompétente.
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7.2 Le triste sort de la personne perfectionniste Les attitudes perfectionnistes déclenchent un cercle vicieux où les objectifs irréalistes mènent inévitablement à l’échec. La pression constante et l’échec chronique d’atteindre la perfection réduisent la productivité et l’efficacité. Ce cycle rend la personne perfectionniste très critique envers elle-même, ce qui résulte en une baisse d’estime de soi, de l’anxiété et même de la dépression. À ce moment, la personne perfectionniste peut abandonner complètement l’atteinte des buts qu’elle s’était fixée et en déterminer de nouveaux en pensant : « La prochaine fois, j’essaierai plus fort de réussir. » Une telle façon de penser remet le cercle vicieux en marche. Qui n’a jamais remis l’écriture d’un projet à la session suivante en constatant que la rédaction n’avançait pas comme voulu à la session présente ? Et à la session suivante, plutôt que de remettre en question sa méthode ou sa façon de définir ses objectifs, on reprend la même quête en s’exhortant de simplement travailler plus fort. La solution n’est souvent pas de travailler plus fort, mais bien d’arrêter de travailler dans le vide... Le perfectionnisme peut engendrer toute une gamme d’émotions négatives. La personne est frustrée et irritée de ne jamais respecter ses propres critères. Elle est exaspérée et très anxieuse. Elle a une perception aiguë du temps qui passe : elle a tant à faire et si peu de temps pour y parvenir ! Elle est stressée par le manque de temps. La grisaille de sa vie et le vide qu’elle ressent la dépriment. Objectivement, on remarquera que cette personne accumule les réussites ; mais, pour elle, c’est « normal », « pas aussi bien qu’elle aurait voulu », « pas de quoi en faire un plat »... Jamais de fierté, toujours l’impression de ne pas en faire assez. La personne perfectionniste se demande souvent pourquoi elle persiste et songe à tout abandonner. Au lieu de cela, si fatiguée qu’elle soit, elle en fait encore davantage au lieu de ralentir, elle assume toujours plus de responsabilités. Elle semble persuadée que le bonheur lui viendra éventuellement de la réussite d’une de ses activités. Elle ne comprend pas que sa façon d’aborder les problèmes rend toute satisfaction impossible. Inévitablement, tout ce qu’elle fait est cause de stress. Elle ne peut pas profiter de ses loisirs, car elle se sent toujours coupable et a toujours l’impression de ne mériter ni repos, ni gâterie, ni récompense.
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Elle croit au succès et est persuadée que ses efforts la conduiront au bonheur de l’excellence. Même si elle n’est pas entièrement convaincue d’avoir réussi, elle a l’impression d’aller de l’avant, de se rapprocher du but. C’est ce qui lui permet de persister. Elle voit une lumière au bout du tunnel, un moment privilégié où elle pourra enfin se reposer et jouir de la vie. Elle rêve constamment de sa liberté future. Toutefois, ce moment de paix n’arrive jamais. Et, même s’il arrive, la personne perfectionniste trouve autre chose, se fixe d’autres objectifs plus élevés. C’est le cercle vicieux qui alimente cette attitude. La personne ne croit être correcte que si elle maintient son effort. Et puis, un jour, tout s’écroule. Elle frappe un mur, elle n’en peut plus. C’est la goutte qui fait déborder le vase. Elle considère sérieusement tout abandonner. Après tout, peut-être qu’elle n’est pas faite pour le doctorat. Peut-être qu’elle n’a pas les compétences qu’il faut. Peut-être que cette impression indécollable d’être un imposteur n’est que le reflet de la réalité... Pour moi, cet épisode est survenu vers la fin de ma première année de doctorat. Le trajet en autobus pour me rendre à l’université ne faisait qu’augmenter la boule qui me serrait la gorge. Je me cachais souvent dans les toilettes pour pleurer. À ce moment, j’étais absolument convaincue de ne pas être aussi bonne que les autres, d’avoir atteint le maximum de mes capacités, de ne pas être faite pour le travail universitaire. Et pourtant, l’histoire révélera que je m’en sortirai, que je serai productive, que je finirai mon doctorat, que je terminerai deux postdoctorats et que j’entreprendrai une carrière de professeure d’université. Comment pouvais-je avoir une vision aussi déformée de mes capacités ? La constante recherche du mieux, la définition d’objectifs irréalistes, la comparaison incessante avec les autres ont fini par avoir raison de mon enthousiasme et de ma capacité à reconnaître réalistement mes forces et mes faiblesses. Avec le recul, qu’ai-je véritablement eu à sacrifier pour obtenir ces succès ? Pas mon bien-être, pas mes loisirs, pas mes amis, pas ma famille, pas mon temps libre : seulement mes exigences perfectionnistes. Aujourd’hui, je supervise des étudiants qui font leur thèse de doctorat en psychologie. Rares sont ceux qui n’ont pas encore, la voix étranglée par l’émotion, remis en question leurs compétences et leur motivation à poursuivre leur programme d’études. Selon moi, ce qui
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cloche chez ces étudiants, ce n’est pas leur valeur ou leurs compétences, bien au contraire. Ce sont des étudiants très performants avec qui j’apprécie énormément travailler. Non, ce qui cloche, le plus souvent, ce sont leurs habiletés à se définir des objectifs réalistes et leur difficulté à reconnaître et à diminuer leurs standards perfectionnistes. Une fois que ces problèmes sont attaqués, la motivation, l’intérêt, le sentiment de compétence et la conscience de sa propre valeur reviennent rapidement. Enfin, la personne perfectionniste est très dure envers ellemême. Elle s’auto-déprécie, se juge, se crie des noms. Ce ne sera pas toujours fait de façon ouverte, mais, si l’on entendait ce qu’elle se dit à l’intérieur d’elle-même, on crierait à la violence verbale ! Avez-vous déjà vu un tout-petit faire ses premiers pas ? Imaginez si ses parents étaient debout, à côté, les bras croisés, en train de dire « Bof, performance somme toute ordinaire ; après tout, tu ne cours pas encore. Tout le monde est capable de marcher, pourquoi n’y arrives-tu pas mieux que ça ? Allons ! Force-toi un peu ! Encore tombé ? Ma foi, tu es vraiment malhabile ! Je ne pense pas que tu y arriveras un jour ; aussi bien abandonner tout de suite... » Inconcevable, non ? Si vous étiez témoin d’un tel abus verbal, ne feriez-vous pas tout en votre pouvoir pour faire taire ce parent malveillant et méchant ? Pourquoi le laisser déblatérer ses méchancetés dans votre tête, alors ? Quand un tout-petit commence à marcher, un bon parent s’extasie devant son premier pas. Puis, il s’extasie devant son deuxième. Puis, il s’extasie devant son troisième. Il lui répète qu’il est bon. Il l’encourage, mille fois plutôt qu’une. Chaque pas est un exploit digne d’une médaille olympique. Et comme l’enfant se sent apprécié, aimé, valorisé, encouragé, il poursuit les efforts nécessaires à son apprentissage. Ainsi, pour dépasser vos limites, comme écrire une thèse de doctorat, il faut prendre soin de vous, vous encourager, adopter une attitude bienveillante envers vous-même. La performance viendra de l’expérience, pas en vous tapant sur la tête. 7.3 Se libérer de son attitude perfectionniste : sortir de la secte Inutile de dire que le perfectionnisme est le pire ennemi d’une rédaction fluide et régulière ! Les attitudes perfectionnistes empêchent souvent de commencer la rédaction. Souvenez-vous toujours qu’il est
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plus facile de réviser un mauvais texte qui contient des idées que de rédiger à partir de rien. Cessez de vouloir immédiatement bien écrire. Rappelez-vous les étapes de la rédaction décrites au chapitre 4 : planifier, rédiger, réviser. Il est essentiel d’arriver à faire taire la personne perfectionniste en vous pendant les étapes de planification et de rédaction. Une attitude plus perfectionniste pourra être utile seulement à l’étape de la révision (et seulement si elle demeure tempérée). Si vous êtes hanté par le démon de la perfection, il va falloir un exorcisme. Il est très difficile, mais pas impossible, de se débarrasser de ses attitudes perfectionnistes. L’effort doit être grand et soutenu. Toute l’énergie que vous consacrez actuellement à atteindre la perfection doit être redirigée pour combattre le perfectionnisme. Pendant un certain temps, vous devrez adopter des comportements complètement contraires à ceux que vous croyez nécessaires pour réussir. Cela n’est pas une bataille facile. Commencez tout d’abord par amorcer une réflexion sur vos exigences et vos critères de réussite trop élevés. Il est fort probable que vous ne soyez pas tout à fait convaincu que vos exigences soient excessives. Soyez indulgent. Demandez-vous si vous avez les mêmes exigences pour vos collègues et amis dans la même situation que vous. La réponse est souvent non : on est plus sévère avec soi-même qu’avec les autres. Énumérez les domaines dans lesquels vos exigences sont trop élevées ou carrément irréalistes. Énumérez les avantages qu’il y a à s’efforcer d’y répondre (prestige, travail bien fait, etc.). Énumérez les inconvénients qui résultent de tels efforts (épuisement, absence de plaisir, envie d’abandonner, etc.). Essayez d’imaginer votre vie sans ces pressions. Imaginez ce qui se produirait si vous abaissiez ces critères d’environ 25 %. Estimez grossièrement le temps que vous consacrez à essayer d’atteindre ces critères de perfection. Ensuite, passez à l’action ! Établissez des objectifs réalistes et faisables basés sur vos désirs, vos valeurs et vos besoins. Pourquoi êtesvous toujours dans votre programme d’études, pour obtenir votre diplôme ou pour plaire à votre directeur ? Pour accéder à l’emploi convoité ou pour déposer la meilleure thèse au monde ? Testez vos standards de succès : choisissez n’importe quelle activité et, au lieu de viser 100 %, essayez 90 %, 80 % ou même 60 % de succès. Cela vous aidera à comprendre que l’imperfection ne mène pas nécessairement à
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des conséquences catastrophiques. Évaluez vos succès non seulement par rapport à ce que vous avez accompli, mais aussi en fonction du degré d’appréciation de l’activité. Dans quelle circonstance la rédaction estelle plus agréable ? Quand vous vous dépréciez de ne pas en faire assez ou quand vous vous félicitez de ce que vous avez fait ? Un état d’esprit plus positif lors de la rédaction n’est-il pas une victoire en soi ? Vaut-il vraiment la peine de le sacrifier au profit de quelques degrés de perfection de plus ? Quelle attitude vous rend réellement plus productif : une attitude sévère de perfectionnisme ou une attitude d’encouragements bienveillants ? Affrontez vos peurs derrière le perfectionnisme. De qui avezvous peur ? Quelle est la pire chose qui pourrait arriver si la tâche n’était pas parfaitement accomplie ? Reconnaissez que vous êtes toujours en situation d’apprentissage et que vous avez le droit à l’erreur. Des apprentissages positifs peuvent être acquis lorsqu’on commet des erreurs. Évitez le style de pensée « tout ou rien ». Une tâche imparfaite n’est pas nécessairement un échec ou un travail bâclé. Distinguez les tâches prioritaires de celles qui sont moins importantes ; attribuez moins d’efforts aux tâches moins importantes. Contentez-vous de bien faire la plupart des choses ; choisissez-en seulement quelques-unes que vous ferez très bien. Enfin, récompensez-vous. Rappelez-vous qu’il est difficile de diminuer une attitude perfectionniste. Êtes-vous en train de vous dire quelque chose du genre : « Je ne vais quand même pas me récompenser parce que j’en ai fait moins que d’habitude. Je ne me récompense même pas quand j’en fait beaucoup plus » ? Cela est un bel exemple de raisonnement dur, sévère et perfectionniste, qu’il faut chercher à tout prix à abandonner. C’était difficile pour vous de réduire vos exigences, mais vous y êtes parvenu ? Voilà un comportement nouveau et sain qu’il convient de bien récompenser ! Délaisser vos attitudes perfectionnistes ne fera pas de vous quelqu’un de brouillon, désorganisé, paresseux, bâclé. Au contraire, en abandonnant vos exigences extrêmes, vous serez plus à même de définir et d’adopter une routine de rédaction réaliste et adaptée à vos besoins ainsi que de vous y soumettre avec discipline et rigueur. L’adoption de plus petits objectifs ne signifie pas que vous n’accomplirez pas de grandes choses. Que vous marchiez un pâté de maisons ou tout le
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chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, la distance parcourue avec un pas est toujours sensiblement la même. Vous n’irez pas plus loin en faisant de plus grands pas (au contraire, vous risquerez davantage de vous blesser). C’est la discipline avec laquelle vous alignerez une grande quantité de pas réguliers l’un devant l’autre qui déterminera la distance parcourue. Encadré 7.1 Diminuez les exigences perfectionnistes 1. Êtes-vous perfectionniste ? Mettez-vous trop l’accent sur les détails ?
[ ] Plutôt vrai
[ ] Plutôt faux
Avez-vous une peur démesurée [ ] Plutôt vrai de l’échec ?
[ ] Plutôt faux
Est-il inconcevable pour vous de faire des erreurs ?
[ ] Plutôt vrai
[ ] Plutôt faux
Craignez-vous systématiquement la désapprobation ?
[ ] Plutôt vrai
[ ] Plutôt faux
Adoptez-vous un style de pensée « tout ou rien » ?
[ ] Plutôt vrai
[ ] Plutôt faux
Votre vie est-elle régie par vos devoirs ?
[ ] Plutôt vrai
[ ] Plutôt faux
Croyez-vous que les autres ont du succès plus facilement ?
[ ] Plutôt vrai
[ ] Plutôt faux
2. Nommez un domaine où vous désirez diminuer vos exigences perfectionniste.
3. Énumérez les avantages véritables à maintenir ces exigences perfectionnistes.
7 89 Un démon appelé perfection
4. Énumérez les inconvénients qui résultent de tels efforts.
5. Reformulez votre exigence de façon plus réaliste (par exemple, en abaissant votre critère de réussite d’environ 25 %), en axant le résultat souhaité sur vos désirs, vos valeurs et vos besoins.
6. Que craignez-vous qu’il arrive en diminuant ainsi vos exigences ?
7. Passez à l’action (et revenez plus tard) ! 8. Évaluez les résultats : (a) qu’avez-vous accompli ? ; (b) dans quel état d’esprit étiez-vous ? ; (c) à quel point avez-vous apprécié l’activité ? ; (d) la crainte soulevée à la question 6 s’est-elle concrétisée ?
8 8. Les traumatisés de la thèse
C
Comment appelle-t-on quelqu’un qui remet une thèse moyenne et qui réussit tout juste à la soutenir de peine et de misère ? Docteur.
e chapitre s’adresse plus particulièrement aux personnes qui sont dans un programme d’études supérieures depuis un certain temps et qui vivent de grandes difficultés à faire avancer la rédaction de leur mémoire ou de leur thèse. Que ces difficultés soient dues à des facteurs qu’elles peuvent maîtriser ou non, il n’en demeure pas moins que ces étudiants sont généralement bloqués. Ainsi, pour la rédaction de ce chapitre, j’ai adopté une approche différente. Je suis allée discuter avec d’anciens et actuels étudiants qui ont vécu des cheminements non standards et des difficultés de parcours dans leur programme, particulièrement dans l’avancement de leurs travaux de recherche. Leurs mots spontanés, leur voix, leurs réactions et leurs réminiscences illustrent beaucoup mieux que ma simple prose certains moments pénibles qui caractérisent les études supérieures. J’aimerais beaucoup les remercier publiquement de leur apport incommensurable à ce chapitre, mais, en raison de la délicatesse des sujets abordés, ces
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Assieds-toi et écris ta thèse ! Geneviève Belleville
entrevues ont été réalisées sous le sceau de la confidentialité. Alors, à vous, chers traumatisés de la thèse, un énorme merci pour votre ouverture, votre courage et votre générosité. Plusieurs situations particulières font en sorte que le cheminement conduisant à l’obtention du diplôme peut être encore plus ardu que le parcours standard, lui-même déjà difficile. Certaines personnes décrochent un emploi à temps plein avant d’avoir terminé leurs études ou développent d’autres intérêts, comme l’inscription à un nouveau programme ou le démarrage d’une entreprise. Il y a aussi des difficultés de parcours qui peuvent prendre une ampleur telle qu’elles en deviennent des impasses, comme des conflits irréconciliables avec le directeur de thèse ou son absence prolongée (quand ce n’est pas carrément son départ), le retrait soudain du financement d’un projet ou l’impossibilité de recruter les participants requis pour l’étude. Mon projet, il est juste trop gros. J’étais trop enthousiaste et inconsciente au début. Là, je suis prise avec un recrutement qui n’en finit plus et je ne vois pas le bout. Des fois, j’en veux un peu à ma superviseure : je sais qu’elle était pleine de bonne volonté, mais elle aurait dû voir que mon projet n’était pas réaliste. Elle aurait dû me freiner dans mes ardeurs. On veut tellement plaire au début... Quand tu as des conflits sérieux avec ton superviseur, que ce dernier a des comportements carrément inadéquats, comme des abus verbaux, tu tombes dans un vide. Le directeur de programme a parfois les mains liées : c’est délicat pour lui d’intervenir auprès d’un collègue (des fois, c’est même un ami). Tu peux te tourner vers l’association étudiante ou vers l’ombudsman, mais là, tu pars en guerre et tu ne veux pas devenir l’étudiant revendicateur, l’étudiant-problème. Qui voudra te soutenir dans tes démarches avec un tel statut ? Là, tu es vraiment coincé.
Les personnes qui vivent ce genre d’embûches ont toutes un point en commun : ça fait longtemps qu’elles n’ont pas touché à leur thèse. Elles y ont travaillé ardemment, et tous leurs efforts ont mené à des déceptions amères. On développe un super projet, on s’investit à fond, et puis là, bang ! Plus de financement ! Ma superviseure abandonne cette avenue de recherche. Elle peut se permettre de passer à autre chose, elle ; elle a d’autres projets en cours. Mais moi là-dedans ? Il faut que je recommence un autre projet à zéro ? Pas question !
8 93 Les traumatisés de la thèse
Ces personnes ont mis leur thèse de côté, mais elles ne peuvent arrêter totalement d’y penser. Cependant, la seule idée de s’y remettre leur donne mal au cœur, des symptômes de panique ou carrément envie de pleurer. Écrire ma thèse ? Beurk ! Non, pitié ! J’avais développé une totale aversion ! J’avais déjà eu de la facilité à rédiger dans le passé, mais là, j’étais bloquée. Je passais des journées entières devant mon ordinateur sans avoir écrit une ligne à la fin de la journée. J’avais mal à la tête, j’étais découragée. J’étais convaincue d’avoir perdu l’habileté à écrire. J’étais convaincue que moi, je n’écrivais pas aussi rapidement que les autres. Que j’étais lente. J’avais beau me réserver du temps, c’était certain que j’allais passer les deux premières heures à niaiser et à ne pas commencer mon travail. « C’est une montagne », « ça ne me tente pas », « je ne serai pas capable »... Ces mots-là décrivent mal l’expérience, c’est tellement intense. Tu veux juste pas.
J’ai qualifié ces personnes de traumatisées au départ pour donner un air plutôt humoristique à mon propos. Cependant, plus j’approfondis mes recherches à ce sujet, plus je me rends compte que l’appellation n’est pas aussi exagérée que je l’aurais cru. Sans être un événement traumatique au sens diagnostique du terme, c’est-à-dire un événement où la vie de la personne a été mise en danger, le parcours aux études supérieures peut malheureusement provoquer des émotions intenses d’impuissance et de peur. Des pensées intrusives et récurrentes peuvent empoisonner l’esprit d’un étudiant bloqué : « Il faut que je m’y mette », « Pourquoi tout le monde réussit sauf moi ? », « Pourquoi est-ce aussi difficile pour moi ? », « Je suis vraiment incompétent », « Il faudra que j’affronte mon directeur », « Que va-t-il penser de moi ? », « Je suis réellement coincé », « Je ne vois pas d’issue », « C’est ridicule de penser ainsi ; je devrais pouvoir trouver la solution ». Les manifestations d’évitement de tout ce qui est lié à la thèse sont nombreuses : éviter d’en parler, reporter une rencontre avec le directeur ou un séminaire devant son comité, remplir son agenda de mille et une obligations afin d’être bien certain de ne pas avoir une minute à accorder à la thèse, chasser les pensées qui sont reliées, etc. Je me sens honteuse. Tous mes anciens collègues de cohorte ont fini ; il reste juste moi. Le sentiment de traîner derrière est insupportable. Je ne
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Ces personnes ont mis leur thèse de côté, mais elles ne peuvent arrêter totalement d’y penser. Cependant, la seule idée de s’y remettre leur donne mal au cœur, des symptômes de panique ou carrément envie de pleurer. Écrire ma thèse ? Beurk ! Non, pitié ! J’avais développé une totale aversion ! J’avais déjà eu de la facilité à rédiger dans le passé, mais là, j’étais bloquée. Je passais des journées entières devant mon ordinateur sans avoir écrit une ligne à la fin de la journée. J’avais mal à la tête, j’étais découragée. J’étais convaincue d’avoir perdu l’habileté à écrire. J’étais convaincue que moi, je n’écrivais pas aussi rapidement que les autres. Que j’étais lente. J’avais beau me réserver du temps, c’était certain que j’allais passer les deux premières heures à niaiser et à ne pas commencer mon travail. « C’est une montagne », « ça ne me tente pas », « je ne serai pas capable »... Ces mots-là décrivent mal l’expérience, c’est tellement intense. Tu veux juste pas.
J’ai qualifié ces personnes de traumatisées au départ pour donner un air plutôt humoristique à mon propos. Cependant, plus j’approfondis mes recherches à ce sujet, plus je me rends compte que l’appellation n’est pas aussi exagérée que je l’aurais cru. Sans être un événement traumatique au sens diagnostique du terme, c’est-à-dire un événement où la vie de la personne a été mise en danger, le parcours aux études supérieures peut malheureusement provoquer des émotions intenses d’impuissance et de peur. Des pensées intrusives et récurrentes peuvent empoisonner l’esprit d’un étudiant bloqué : « Il faut que je m’y mette », « Pourquoi tout le monde réussit sauf moi ? », « Pourquoi est-ce aussi difficile pour moi ? », « Je suis vraiment incompétent », « Il faudra que j’affronte mon directeur », « Que va-t-il penser de moi ? », « Je suis réellement coincé », « Je ne vois pas d’issue », « C’est ridicule de penser ainsi ; je devrais pouvoir trouver la solution ». Les manifestations d’évitement de tout ce qui est lié à la thèse sont nombreuses : éviter d’en parler, reporter une rencontre avec le directeur ou un séminaire devant son comité, remplir son agenda de mille et une obligations afin d’être bien certain de ne pas avoir une minute à accorder à la thèse, chasser les pensées qui sont reliées, etc. Je me sens honteuse. Tous mes anciens collègues de cohorte ont fini ; il reste juste moi. Le sentiment de traîner derrière est insupportable. Je ne
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peux plus parler de ma thèse avec personne : j’ai l’impression que tout le monde est condescendant avec moi. J’haïs tellement ça ! Alors, je n’en parle pas.
Enfin, des symptômes d’épuisement – perte d’intérêt, inquiétudes, manque de concentration, irritabilité, émotivité, changements dans le sommeil ou dans l’appétit – sont souvent présents. Un jour, j’ai réalisé que j’avais mis toutes mes énergies, toute mon attention, tout mon être dans mon doctorat. Je n’étais plus qu’une étudiante au doctorat ; je n’étais plus une fille, une blonde, une amie. Je ne faisais plus de peinture, je ne lisais plus, je n’allais plus me promener dehors : je ne faisais que des activités liées au doctorat. Alors, tu imagines quand tu as l’impression d’échouer dans la seule façon qui te reste de te définir ? Si je ne réussis pas là-dedans, qui suis-je ? Je ne suis plus personne, je ne suis plus rien. C’est paniquant. Je me sentais tellement seul. J’avais l’impression que tout le monde fonctionnait bien autour de moi et que j’étais le seul pour qui c’était aussi pénible.
Si vous faites partie des traumatisés de la thèse, la lecture de ce livre ne vous a peut-être pas été utile jusqu’à présent. Peut-être avezvous déjà mis en place toutes ces stratégies, sans succès. Peut-être êtesvous en train de vous démolir davantage : après tout, cela a l’air si facile, pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas pour vous ? Ou encore peut-être êtes-vous en train de cultiver un grand ressentiment envers moi : qu’estce que je connais de votre situation, comment puis-je prétendre vous aider ? Si, pour une raison ou une autre, votre parcours a été bloqué pendant une longue période, le simple fait de réserver du temps pour la rédaction ne résoudra pas votre problème. Vous devez prendre le temps de réfléchir, de regarder la réalité en face et de prendre les décisions qui vous aideront à sortir de cette impasse1. Ces décisions ne doivent pas 1. La consultation d’un psychologue n’est peut-être pas une mauvaise idée à ce stade-ci. Je ne suis pas en train de dire que vous souffrez d’un trouble mental, mais les réflexions que vous devrez entreprendre sont très chargées émotionnellement et les décisions à prendre auront d’importantes répercussions sur votre vie. De plus, si vous êtes encore inscrit à l’université, il existe peut-être un centre d’aide aux étudiants où vous pourrez consulter un psychologue spécialisé dans ce genre de problème, parfois gratuitement. Pourquoi vous en passer ?
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être prises à la légère ou sur un coup de tête ; cependant, si les choses s’étirent en longueur depuis une bonne période, il est temps de reprendre les rênes et de vous donner les moyens de passer à autre chose. En fait, les choix qui s’offrent à vous sont limités et se résument à deux options : finir ou abandonner. Laisser traîner les choses n’est plus une option. Que voulez-vous ? Finir ou abandonner ? La décision doit être prise en fonction de vos valeurs, de vos désirs et du travail accompli jusqu’à maintenant. À quel point est-il important pour vous d’obtenir ce diplôme ? Où se situe l’obtention du diplôme dans l’ensemble de vos valeurs personnelles ? Où se situe ce désir parmi tout ce que vous voulez faire et obtenir dans votre vie ? Pour qui faites-vous ces études ? Pour quelles raisons ? Qu’avez-vous investi jusqu’à présent ? Y en a-t-il plus long de fait que ce qu’il reste à faire ? Quelles seront vos pertes si vous abandonnez ? Il est possible que votre réflexion vous mène à la conclusion que l’abandon du programme d’études est la meilleure solution pour vous. Si c’est le cas, c’est parfaitement légitime. Je ne sais pas si tu peux écrire ça dans ton livre, mais ça me fait encore ch... d’avoir abandonné le doctorat. C’est sûr ! Je voulais tellement finir. Mais regarde, rationnellement, ça n’avait pas de bon sens. C’est pas ça que je voulais faire. J’étais pas pour rester juste par orgueil ! Et puis, je me suis dirigé vers autre chose, plus en accord avec mes valeurs, et je suis bien maintenant. C’était la bonne décision pour moi.
Si vos réflexions vous mènent à la conclusion que l’obtention du diplôme initialement convoité ne fait plus partie de vos priorités, que vous y perdez plus que vous y gagnez, que ce programme d’études ne répond plus à vos aspirations et à vos besoins, coupez les ponts. Avertissez votre directeur de thèse et votre directeur de programme, videz votre bureau et partez. Allez consacrer vos énergies à un projet qui vous tient davantage à cœur ! J’espère de tout cœur que votre mauvaise expérience n’aura pas miné votre confiance et je vous souhaite la meilleure des chances dans toutes vos entreprises futures. Cependant, puisque vous lisez ce livre, je ne crois pas me tromper en tenant pour acquis que vous voulez finir. Vous avez bien réfléchi et, malgré les difficultés, les déceptions et les embûches, ce que vous voulez vraiment, c’est déposer votre thèse et obtenir votre diplôme.
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J’avais beau errer dans le programme sans avancer, pour moi, c’était clair : j’allais finir un jour ou l’autre, aucun doute là-dessus. Ça faisait partie de moi. Un jour, mon superviseur m’a demandé d’évaluer, sur une échelle de 0 à 10, à quel point j’étais convaincue que j’allais finir ma thèse. Sa question m’a fait l’effet d’une douche froide. 10 sur 10 ! Quelle question ! Dans ma tête, j’en avais toujours été convaincue, mais, pour qu’il me le demande, c’est qu’il devait en douter. Ça m’a fait comprendre que je n’adoptais aucun comportement qui me donnait l’air de quelqu’un qui allait finir sa thèse...
Ainsi, vous voulez finir. Prenez bien note que je n’utilise pas le mot « continuer ». « Continuer » ne fait pas partie des options. Vous ne voulez pas « continuer », vous avez assez « continué ». En fait, vous avez probablement « continué » l’équivalent de deux ou trois doctorats. Il est temps de finir. Un jour, un professeur en qui j’avais beaucoup confiance m’a dit qu’il avait un ami qui avait abandonné son doctorat en chemin et que, même s’il avait beaucoup de succès dans son entreprise, il lui était toujours resté un certain regret de ne pas avoir terminé. Ça a été un gros déclencheur pour moi ; je me suis dit, non, je ne serai pas cette personne.
Et voilà, nous venons de définir votre objectif. Votre objectif est de finir votre programme d’études et d’obtenir votre diplôme. Êtes-vous bien d’accord avec ce plan ? Prenez le temps de bien y réfléchir, car cet objectif a des conséquences importantes. « Finir » signifie que vous ne déposerez peut-être pas la thèse que vous aviez prévu déposer (cela impliquerait de « continuer » dans la même direction). Cela signifie peut-être diminuer l’ampleur de la thèse (faire une étude au lieu de deux, diminuer le nombre de participants, abandonner certaines questions, etc.). Cela signifie peut-être l’adoption de nouvelles méthodes de travail qui iront à l’encontre de tout ce que vous avez fait jusqu’à présent. Cela signifie peut-être aller à contre-courant : ne plus faire comme vos collègues de laboratoire, réévaluer les exigences véritables de votre directeur, ne plus adopter les mêmes modèles d’excellence, abandonner certaines autres activités dans lesquelles vous excellez mais qui vous empêchent d’avancer (assistanat et charge d’enseignement, coordination de laboratoire, assistanat de recherche, etc.).
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J’avais fini par acquérir un certain statut privilégié. J’enseignais, j’avais des responsabilités de senior dans mon laboratoire, j’avais accumulé beaucoup de connaissances. J’étais une personne-ressource appréciée ! Ni moi ni personne ne voyait d’avantage immédiat à ce que je finisse !
Si vous êtes actuellement bloqué et que vous ne désirez rien changer dans votre façon de faire, vous continuerez... d’être bloqué. Vous voulez finir ? Vous voulez déposer votre thèse ? Vous voulez obtenir votre diplôme ? Allez-y et prenez les moyens pour y arriver ! Pour mettre les choses en mouvement, il faut déposer une première version de votre thèse à une personne qui a le pouvoir de vous faire avancer dans votre cheminement. Cette personne est probablement votre directeur, mais, dans certains cas, ce sera un autre professeur ou encore votre directeur de programme. Cette version de votre thèse doit être écrite, produite. Notez bien : elle ne doit pas être merveilleuse, elle ne doit pas être fantastique ; strictement entre vous et moi, elle n’a même pas à être très bonne. Elle doit seulement être complète. Osez remettre un document très moyen, mais complet : vous serez surpris de voir à quel point les choses débouleront rapidement par la suite2. Ainsi, votre premier effort consistera à prendre une feuille et à la séparer en deux colonnes. D’un côté, vous inscrirez les étapes qu’il vous reste à franchir pour en arriver à un document complet et, de l’autre, les obstacles actuels qui vous empêchent de franchir l’étape. 2. Voici un secret d’initiés : la plupart du temps, votre directeur de thèse veut autant que vous que vous finissiez. Vous avez dépassé le nombre d’années habituellement accordées au programme ? Votre directeur de programme et le directeur de votre département veulent désespérément vous voir graduer ! D’un point de vue strictement bureaucratique, vous représentez un investissement de ressource qui n’a pas encore porté fruit. On ne veut pas que vous augmentiez les statistiques d’abandons ni que vous continuiez à gonfler la moyenne de temps requis pour le programme. On veut vous « mettre dehors », diplôme en poche, le plus tôt possible ! Ainsi, malgré toutes les indications du contraire, personne ne veut vraiment un document de thèse parfait qui prendra encore plusieurs années à être terminé : on veut aller à votre soutenance ! Remettre un document, aussi imparfait soit-il, c’est signifier que vous êtes prêt à faire ce qu’il faut pour déposer le plus rapidement possible. Laissez le soin à votre directeur de vous indiquer, après avoir lu ce compterendu, les étapes qui restent à franchir pour y parvenir.
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Je me suis assis avec tout ce beau monde, on a brainstormé et j’ai mis mes conditions. Avec tout ce qui m’est arrivé, si vous voulez que je finisse, ça me prend un directeur, un soutien financier pour terminer le projet et l’assurance que je ne serai plus pénalisé pour mon retard. En échange, je m’engage à travailler une journée et demie par semaine sur ma thèse et à remettre une première version à la fin de l’hiver.
Maintenant que vous avez repéré les obstacles qui vous empêchent d’avancer, prenez les moyens de les franchir. Vous avez commencé un travail à temps plein ? Demandez une libération d’un après-midi par semaine pour rédiger votre thèse. Votre recrutement n’avance pas ? Faites les analyses avec l’échantillon que vous avez déjà recruté ou modifiez vos critères de sélection. Le deuxième volet de votre projet vous cause problème alors que le premier est terminé ? Abandonnez le deuxième volet et faites deux articles à partir des données recueillies au premier. Vous avez des conflits irréconciliables avec votre directeur ? Changez de directeur. N’ayez pas peur d’être implacable : le but est de finir. Je travaillais à temps plein et j’étais devenue écœurée d’avoir à consacrer mes soirs et mes fins de semaine à ma thèse. Écrire une thèse, c’est pas un hobby ! J’ai obtenu de mes patrons la permission de prendre les vendredis après-midi de congé pour avancer ma thèse. C’était mieux, mais ça n’avançait toujours pas assez rapidement. Je perdais le fil entre deux séances de rédaction, je perdais beaucoup de temps à me remettre dans le sujet. Un moment donné, j’ai pris une décision : si je voulais finir ma thèse, il fallait que je m’y investisse. J’ai alors pris un mois de congé : deux semaines de vacances et deux semaines de congé sans solde. Là, j’ai avancé, et les choses ont déboulé jusqu’à la soutenance.
La question de changer de directeur est plutôt délicate. Comme me le disait une psychologue travaillant dans un centre d’aide aux étudiants universitaires, il ne s’agit pas d’une décision qui peut être prise à la légère ; cependant, c’est parfois la seule option pour améliorer sa situation. Mon échantillon est peut-être biaisé, mais nous voyons souvent des histoires conflictuelles complexes entre un étudiant et son directeur. Il semble que, dans de nombreux cas, le milieu ne soit pas toujours facilitant face au changement de directeur, et l’étudiant risque alors d’en payer les frais. L’idée est certainement pertinente, toutefois, et dans
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certains cas ça doit se faire, car c’est une question de survie pour l’étudiant. Cependant, le changement de directeur peut impliquer beaucoup de démarches, et l’étudiant a avantage à être accompagné avant de se lancer. Lorsque je discute de la relation d’encadrement, je fais quelques mises en garde à ce sujet et souligne que changer de directeur équivaut pour plusieurs à un divorce. Comme on le sait tous, une séparation, ça ne se déroule pas toujours sainement (malheureusement)... !
Tournez les coins ronds. Peu de superviseurs m’aimeront lorsqu’ils liront ce passage, c’est vrai. Mais vous et moi avons fini d’essayer de plaire à tout le monde : maintenant, vous voulez déposer votre thèse. Pour surmonter la nausée, la panique et les larmes qui se pointent à la moindre pensée de reprendre la rédaction de votre thèse, vous devez baisser considérablement vos exigences. Écrivez à partir de ce que vous avez de fait comme expérimentation et voyez l’évaluation que votre directeur en fera. Parfois, on craint de devoir réparer, disons, une cinquantaine de problèmes avant d’en arriver à une thèse complète, et l’ampleur de la tâche paralyse. Écrivez ce que vous avez fait, point à la ligne, sans vanter ni dévaluer indûment le travail. Peut-être que votre directeur soulignera quatre ou cinq faiblesses qu’il faudra absolument traiter avant d’aller à la soutenance. Prenez ces indications comme une bonne nouvelle (peu importe le ton sur lequel ce rapport vous a été fait – votre directeur vient peut-être de la vieille école où il est de la plus haute importance de ne jamais avoir l’air de vous en accorder une facile). Quatre ou cinq faiblesses, c’est quarante-cinq de moins que ce que vous aviez prévu ! Affirmez-vous et demandez la collaboration de votre directeur. Maintenant que vous avez repéré ensemble les faiblesses à corriger, entendez-vous sur la façon d’y parvenir (et, surtout, qu’est-ce qu’on fait avec des faiblesses qui prendraient encore quelques années à surmonter, comme dans le cas d’un recrutement difficile ?). Il y a des limites à ce que votre bonne volonté et votre autonomie peuvent accomplir : vous avez plusieurs années derrière vous pour le prouver. C’est le moment d’amener votre directeur à participer un peu plus à votre réussite. Oui, cette faiblesse existe ; non, il n’est pas réaliste de la surmonter dans un délai de temps donné. Que faisons-nous maintenant – avec l’accent sur le « nous », signifiant tant votre directeur que vous-même ?
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Un moment donné, il faut demander la collaboration du superviseur de thèse et du directeur de programme. Si on te laisse flotter indéfiniment dans le programme sans que tu avances, il y a quelqu’un quelque part qui ne fait pas sa job. Pour se réveiller, il faut parfois un ultimatum ; par exemple, tu remets ton projet à la fin de la session ou on t’exclut du programme. C’est dur de recevoir ce genre de sommation, mais ça fonctionne ! Tu es au bord du précipice et tu es forcé de prendre une décision. C’est ça qui te fait avancer.
Soyez clair : vous voulez finir et vous êtes prêt à y mettre les efforts nécessaires, mais dans un cadre réaliste qui tient compte de vos efforts passés et de votre situation actuelle3. Vous n’avez pas à attendre docilement les directives. Vous avez beaucoup plus de poids dans les décisions que vous ne le pensez : soyez proactif et proposez des plans d’action et des compromis à votre directeur. Engagez-vous ouvertement. Parlez-en au plus grand nombre de personnes possible. Exigez des résultats de vous-mêmes, posez-vous des ultimatums, demandez-les aux personnes en autorité. Encouragez votre directeur à vous donner une rétroaction honnête. On te laisse aller, toi, t’es autonome ! C’est l’fun de se faire dire ça, surtout au début. Tu te trouves bon. Mais là, t’es autonome, t’es autonome, une minute ! Je suis perdu, là, je ne suis certainement pas autonome ! J’avais besoin d’être encadré, d’être dirigé. J’avais besoin que quelqu’un mette ses culottes et me dise « Ce que tu fais, là, c’est pas correct ». Quand ton directeur te dit tout de suite que tu es bon et qu’il se fie sur ton autonomie, attention, c’est un piège ! Moi, j’ai vécu les deux côtés : un premier co-directeur qui ne me demandait pas de compte et qui me laissait aller et un deuxième co-directeur 3. Voici un autre secret d’initiés : si vous êtes affirmatif et organisé, il y a de fortes chances que votre directeur vous suive. Les étudiants ont généralement le dos large, mais, à part les cas de paresse flagrante, la responsabilité des cheminements interminables ne leur revient pas entièrement. Les directeurs de thèse ont leur rôle à jouer. Le manque de structure et d’organisation, l’inhabileté à prévoir la durée réelle d’un projet de recherche, la vieille école de pensée voulant qu’une direction minimale, voire inexistante, aide à développer l’autonomie, la surcharge de travail, le désintérêt envers les projets étudiants sont autant d’éléments appartenant au directeur qui peuvent avoir un effet important et délétère sur le cheminement de l’étudiant.
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qui me demandait où j’en étais et avec qui je fixais des échéanciers. Au début, j’appréciais beaucoup la liberté et l’autonomie que me conférait le premier : je me sentais adulte ! Mais, finalement, c’est en fixant des appels téléphoniques, des rencontres, des documents à remettre, etc., avec le deuxième que j’ai été forcée à avancer dans les moments moins productifs.
monde.
Rappelez-vous que la rédaction, c’est difficile pour tout le Je suis allée sur un site de citations et j’ai tapé « écriture ». C’est fou que ce j’ai trouvé. Des citations d’Ernest Hemingway, Albert Einstein, toutes allant dans le même sens : c’est forçant et c’est difficile d’écrire. Ça m’a rassurée de savoir que des gens intelligents avaient eu les mêmes problèmes que moi ! J’ai imprimé la page et je l’ai collée au-dessus de mon ordinateur. Quand je bloquais et que je commençais à me dévaloriser, je les relisais et ça me redonnait du courage. On commence une thèse sans nécessairement comprendre les règles du jeu. Moi, je voulais me faire dire que j’étais bonne. Oublie ça ! Dans le milieu académique, on prend ce que tu écris et on te pointe tous les défauts, les problèmes, les sphères non couvertes, les erreurs de logique, etc. À chaque commentaire, j’avais l’impression de me faire bousculer, que les gens n’étaient pas gentils avec moi, qu’on ne m’aimait pas. Maintenant que j’ai passé au travers, je comprends que c’est ça le jeu, c’est ça le processus d’examen et de révision par les pairs. Je comprends aussi que j’ai beaucoup de pouvoir sur les révisions qui me sont proposées : pas besoin de tout changer, pas besoin de tout prendre au pied de la lettre ! Mais ça, je ne le savais pas au début. Je voulais me faire dire : « Quel document merveilleux ! Bravo ! On n’a aucune correction à te proposer, c’est parfait tel quel ! » Inutile de dire que je suis restée bien longtemps sur ma faim...
Récompensez-vous. À ce stade-ci, ça me prenait mes « nananes » pour écrire. Après un objectif atteint, une sortie au restaurant ou au cinéma... J’étais en train de rater l’échéancier qui m’aurait permis d’avoir un certain montant d’argent en soutien aux études, mais j’étais tellement découragée que j’étais prête à perdre cet argent. Et là je me suis dis : si tu obtiens l’argent, tu l’utilises pour partir en voyage. Là, ça voulait dire quelque chose ; là, c’était motivant. Quand j’étais sur le bord de me mettre à
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procrastiner, je m’imaginais les deux pieds dans le sable et ça m’aidait à me résigner à m’y remettre.
Récompensez-vous à l’effort et non au résultat. Si écrire votre thèse est synonyme d’inconfort, de dégoût, d’aversion, si vous n’y avez pas touché depuis des semaines, des mois, voire des années, c’est un exploit de simplement rouvrir le document. Soyez indulgent envers vous-même. Je vous l’ai déjà raconté, mais je crois que ça vaut la peine de le répéter ici : pendant un été où la rédaction de ma thèse me répugnait particulièrement, je m’étais imposé un objectif de quatre lignes par jour. Quatre lignes ! La consigne était claire : tu te pointes à ton bureau tous les matins et tu ne pars pas tant que tu n’as pas écrit quatre lignes. Après ça, peu importe : soit ça va bien et tu décides d’écrire un peu plus (tant que ça demeure relativement plaisant), soit tu te sauves en catimini et tu vas faire l’école buissonnière en bonne et due forme. Mais, surtout, pas de flânage sur Internet, devant l’ordinateur, sur d’autres documents, alors qu’il fait si beau à l’extérieur. Si j’étais pour procrastiner, j’allais le faire de façon efficace, agréable et sans culpabilité. Pas en changeant indéfiniment des couleurs sur une présentation PowerPoint. Si vous vous reconnaissez dans les divers témoignages des traumatisés de la thèse, vous devez apprendre à traiter votre thèse, justement, comme une situation traumatique : l’approche sera difficile et sera une prouesse chaque fois. Réapprivoisez le travail de rédaction en vous y exposant de façon répétée, mais aussi graduelle, à votre rythme. Soyez bienveillant. Soyez votre meilleur ami. Récompensez-vous. Dorlotez-vous. Lors de mon post-doctorat, mes méthodes de motivation n’ont pas beaucoup évolué par rapport à celles que j’avais au doctorat. J’ai hésité longuement (j’ai quand même un peu d’orgueil !), mais il faut que je sois honnête avec vous et que je vous parle de mon système de collants. Si vous feuilletez mon agenda d’avril à août 2008, vous y verrez une série de collants dignes d’une première de classe de la petite école. Alors que l’été de ma deuxième année de post-doctorat était à nos portes, j’anticipais une nouvelle saison estivale de cycles interminables de procrastination et de culpabilité. J’en avais déjà eu une première assez solide pour savoir que mes craintes étaient fondées. Alors, j’ai mis en place un très élémentaire système de collants. Si j’accomplissais mes objectifs de la journée, j’appliquais un collant dans mon agenda, sinon, pas de collant. Après dix collants, j’avais le droit d’aller
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faire une virée chez mon disquaire préféré (sur mes heures de travail, rien de moins !). Après cinquante collants, je m’achetais un iPod. Évidemment, je faisais bien rire ceux qui jetaient un coup d’œil à mon agenda : une grande fille au postdoc avec un agenda tout bariolé de collants multicolores. Il m’est même arrivé de me faire toiser de haut. Quel système infantile ! On est dans un milieu académique, scientifique, sérieux. T’as besoin de ça pour travailler, toi ? Tu n’es pas mue par la simple passion de la découverte scientifique et de l’amélioration du sort du monde par l’avancement des connaissances ? On dirait bien que non... Qu’à cela ne tienne, cet été-là, j’ai réussi à accomplir les tâches que je m’étais fixées (et j’ai bien garni ma collection de CD). Parlez de vos difficultés, brisez l’isolement. Vous n’êtes pas seul à vivre ces difficultés. La minute que j’en ai parlé à quelqu’un et que j’ai compris que non, malgré toutes les embûches bizarres qui ont ponctué mon parcours, je n’étais pas seul à avoir vécu cette situation, que même des personnes que j’admirais avaient vécu exactement la même affaire, les deux bras m’ont tombé. Écoute, je ne peux pas exprimer avec des mots l’ampleur du soulagement. Il faut parler ; c’est ça que je dirais aux étudiants qui se sentent bloqués actuellement. Ne restez pas tout seul dans votre coin ; il faut en parler.
Le soutien social est votre meilleure armure contre des attaques stressantes. Le soutien peut être émotionnel, comme quand quelqu’un nous écoute et nous console, mais aussi instrumental (par exemple, trouver quelqu’un qui fera une relecture d’un texte pour en corriger les fautes ou qui s’occupera du bébé quand vous voudrez rédiger) ou informationnel, comme lorsqu’on ose demander à son directeur des trucs pour surmonter ses difficultés. J’avais l’impression que je ne pouvais pas parler de mes difficultés à rédiger avec mon superviseur. J’ai peur qu’il soit déçu de moi. Au contraire, il a semblé comprendre et m’a aidée à définir les étapes qu’il me restait à franchir. Ensuite, il m’a demandé de lui rendre plus de comptes et il me donnait de la rétroaction sur ma façon d’avancer. C’est sûr que c’est un peu dur sur l’orgueil, mais c’est ça qui marche !
Le chapitre qui suivra abordera plus en détails l’importance de parler de son cheminement aux études supérieures.
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Enfin, gardez espoir. Je ne voudrais pas paraître prétentieux, mais les choses avaient toujours bien fonctionné pour moi. Il me semble que je réussissais bien ce que j’entreprenais. Être bloqué de même, c’était la première fois que je vivais ça. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser que ça allait finir par s’arranger, j’ai toujours gardé espoir. J’ai toujours réussi à préserver mon estime de moi au travers de ces difficultés. Ce n’était pas toujours évident, mais j’arrivais à voir qu’il y avait beaucoup de choses qui ne m’appartenaient pas. Je pense que cette attitude m’a beaucoup aidé. En bout de ligne, je pense que je ne serais pas la personne que je suis aujourd’hui si je n’avais pas franchi tous ces obstacles et tous ces détours au doctorat. Oui, j’ai pris plusieurs années supplémentaires pour terminer, mais j’ai quand même accompli des choses importantes et appris des choses sur moi-même pendant ces années. Tu sais, il n’y a pas que du négatif à avoir un parcours non standard. C’était difficile à réaliser sur le coup, mais, en rétrospective, mon cheminement tortueux et apparemment interminable s’est révélé avoir beaucoup de bons côtés.
Encadré 8.1 Finissez votre thèse
1. Pourquoi voulez-vous finir votre thèse ? 2. Quels sont les étapes qui vous restent à franchir et quels sont les obstacles actuels qui vous empêchent de franchir l’étape ? Quels seraient les moyens de surmonter ces obstacles ? ÉTAPE
OBSTACLE
MOYEN POUR SURMONTER
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3. Prenez rendez-vous avec votre directeur (ou un autre professeur qui peut vous aider à progresser) pour discuter des éléments listés à la question précédente. 4. Posez-vous un ultimatum.
JE M’ENGAGE À FINIR ____________________________________ AVANT_________________________.
5. Trouvez votre phrase inspirante qui vous rappellera que la rédaction est difficile pour tous et que vous êtes capable d’y arriver. Il peut s’agit d’une citation trouvée sur Internet, d’une parole qui vous a marqué, d’un mantra personnel, etc.
6. Récompensez-vous. a. Mentionnez plusieurs récompenses d’ampleur variable (par exemple, livre, musique, cinéma, restaurant, spa, sport, sortie, voyage, etc.). ___________________ ___________________ ___________________ ___________________ ___________________ ___________________ ___________________ ___________________ ___________________ ___________________ ___________________ ___________________ b. Quelles sont vos contingences ? Quels comportements voulezvous récompenser et comment ? (comportement) (récompense) Lorsque j’aurai fait __________________, j’aurai _________________. Lorsque j’aurai fait __________________, j’aurai _________________. Lorsque j’aurai fait __________________, j’aurai _________________. Lorsque j’aurai fait __________________, j’aurai _________________. Lorsque j’aurai fait __________________, j’aurai _________________. Lorsque j’aurai fait __________________, j’aurai _________________.
9 9. Parlez-en !
Q
ue votre cheminement soit standard ou parsemé d’embûches hors de l’ordinaire, l’obtention d’un diplôme d’études supérieures, particulièrement la rédaction de la thèse, n’est pas une entreprise facile. Il n’est pas très réaliste de croire que vous allez pouvoir compter uniquement sur votre motivation intrinsèque, votre passion intérieure, votre soif de connaissances, pour en venir à bout. La rédaction d’une thèse est une activité solitaire et peu renforçante. Pour y parvenir, vous allez devoir compenser avec d’autres activités qui, elles, seront grégaires et renforçantes. Et, par-dessus tout, vous devrez vous rappeler constamment que l’expérience est difficile pour tous. Peut-être pas d’intensité égale ou à tous moments, mais les émotions pénibles associées à la rédaction d’une thèse m’apparaissent de plus en plus comme une expérience universelle. Vous n’êtes pas seul. Maintenant, ne me croyez pas sur parole. Allez vérifier par vous-même. Allez parler – seulement, pas pendant vos périodes de rédaction !
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9.1 À qui parler ? Les personnes qui vous comprendront le mieux seront, évidemment, vos collègues étudiants. Encore plus s’ils sont dans le même laboratoire que vous : vous pourrez ainsi déplorer en long et en large tous les travers de votre directeur ! Sans blague, il peut effectivement être libérateur de discuter des difficultés vécues avec le directeur pour valider ses impressions. Attention cependant à la répétition excessive : cela peut rapidement devenir démotivant. C’est bien beau chialer, mais ça ne change rien à la situation. Un moment donné, il faut se décider : s’adapter à son directeur – un être humain avec bien des défauts comme tout le monde – ou changer de directeur. Parlez aux étudiants de la même cohorte que la vôtre. Vous partagez un parcours similaire, donc probablement des difficultés similaires aussi. Parlez également aux étudiants plus avancés, ceux qui sont encore de votre côté, mais un peu plus loin dans leur cheminement. Vous surprenez-vous parfois à les idéaliser ? À vous dire qu’ils sont bien meilleurs que vous ? Raison de plus pour aller leur parler. Vous avez le droit de les admirer, mais attention de ne pas les mettre sur un piédestal : ce sont des étudiants qui, tout comme vous, vivent des moments pénibles quand il s’agit de rédiger leur thèse. S’ils ont passé quelques étapes supplémentaires par rapport à vous, c’est qu’ils persévèrent et demeurent accrochés au programme, encore une fois, tout comme vous. Allez leur demander comment ils ont vécu les embûches que vous êtes en train de surmonter. Enfin, n’oubliez pas vos collègues plus jeunes ! Allez parler aux étudiants moins avancés que vous. Cela servira deux objectifs : premièrement, vous aurez peutêtre quelques bons conseils à leur donner. Vous permettrez à un étudiant moins avancé de se sentir mieux outillé ou vous-même vous sentirez utile. Si vous avez appris quelque chose en passant à travers d’un moment difficile, n’emportez pas le secret dans la tombe ! Deuxièmement, parler avec un étudiant moins avancé vous permettra de comprendre que vous en avez fait du chemin depuis votre première session d’inscription. Ce ne sont plus les mêmes choses qui vous stressent, vos préoccupations ont changé. Vous en avez appris, des choses ! Vous réaliserez peut-être même que vous êtes moins stressé et plus en contrôle que vous l’étiez au départ.
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Prenez le risque de parler de vos difficultés avec votre directeur. Je conviens que ce ne sont peut-être pas tous les directeurs qui sont des interlocuteurs idéaux pour une grande conversation à cœur ouvert. Cependant, demandez-vous ce qui vous retient, ce qui vous revient. Peut-être avez-vous peur de paraître incompétent ? Vulnérable ? Craignez-vous de ne plus paraître autonome ? De vous dévaluer à ses yeux ? Ce genre de préoccupations peut vous empêcher de bénéficier de précieux conseils ou d’une aide supplémentaire. C’est certain que le bureau de votre directeur n’est pas l’endroit pour vous épancher en long, en large et en quarante copies sur la misère avec un grand M de l’étudiant. Mais votre directeur peut vous donner un coup de main pour résoudre un problème de revue de la littérature, pour interpréter des résultats contradictoires, pour surmonter un syndrome de la page blanche qui s’étire, pour vous redonner confiance en vos capacités. Parler à sa famille, est-ce une bonne idée ? Bien honnêtement, je crois que ça dépend pour qui. Ce ne seront peut-être pas tous les détails de votre expérience étudiante qui seront accueillis avec le même niveau d’empathie. Même si les membres de votre famille vous aiment et ont votre bien-être à cœur, certaines de leurs interventions pourront ne pas avoir l’effet souhaité. Les exigences du milieu universitaire et des études aux cycles supérieurs sont assez méconnues. La plupart d’entre vous représentez le seul étudiant aux cycles supérieurs de votre famille. Peutêtre êtes-vous le premier de la famille à vous rendre aux cycles supérieurs, ou même à l’université. En 2006, le Québec comptait 193 975 titulaires d’une maîtrise et 40 360 titulaires d’un doctorat1. Cela représentait 3,79 % de la population québécoise de 15 ans et plus (3,14 % pour la maîtrise et 0,65 % pour le doctorat). On tend à l’oublier quand on évolue dans le milieu universitaire – où on a l’impression que tout le monde a un Ph. D. – mais, dans les faits, avoir un diplôme d’études supérieures, c’est très rare. Ainsi, des questions comme « Et puis, ma belle, quand est-ce que tu finis ? » peuvent prendre leur source de la meilleure des intentions, mais elles peuvent devenir très irritantes lorsqu’elles se répètent d’année en année. Il peut aussi être ardu de parler du sujet de thèse et des difficultés vécues à des personnes qui
1. Statistique Canada, http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/societe/education/ etat_scolr/tab4_niv_sco_2006.htm.
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n’ont jamais été exposées au milieu de la recherche2. Je ne suis pas en train de vous dire qu’il faut s’isoler de sa famille pendant les études, bien au contraire ! Cependant, sachez bien identifier les personnes qui sont authentiquement intéressées à comprendre le contexte dans lequel vous évoluez et résignez-vous à vous forger une petite carapace contre tous les « Encore aux études ?!?! Mais quand est-ce que tu vas nous faire des bébés ? ». Ne manquez pas une occasion d’aller discuter de votre sujet dans des événements formels : colloque, congrès, journées de la recherche, etc. Et, une fois sur place, prenez votre courage à deux mains pour aller discuter avec d’autres chercheurs et étudiants. Plusieurs commentaires seront inutiles, oui, quelques-uns seront même décourageants3. Peut-être en attraperez-vous un ou deux qui seront éclairants et utiles. De plus, vous aurez droit à une pratique de « sortie » de vos résultats, de défense de votre argument, de votre thèse. En bonus, être témoin de recherches similaires ou encore d’une phrase écrite par quelqu’un quelque part disant que des recherches futures sont nécessaires sur exactement ce que vous êtes en train de faire vous donnera
2. Lorsque mon grand frère, un fier camionneur, m’a entendue annoncer que j’amorçais des études postdoctorales sur le sommeil, après avoir passé deux ans de maîtrise et cinq ans de doctorat dans le même domaine, il s’est écrié : « Encore le sommeil ? Mais tu n’as pas fini ??? » Pour lui, passer autant de temps à étudier un sujet sans en venir à bout était clairement le signe d’une extrême lenteur ! 3. Pour avoir la chance de mettre la main sur des conseils cruciaux et révélateurs, il faut malheureusement accepter de s’exposer aux autres interventions moins – comment dire... – indispensables. Mon top trois des commentaires les plus savoureux reçus en situation de présentation d’affiches ? En troisième position : Your statistics do not support your conclusions. Good bye. En deuxième position : Inutile de penser appliquer à ce programme de bourses à moins d’avoir 40 articles publiés. Et le meilleur commentaire d’entre tous ? No postdoc proposal yet ? You don’t aim for an academic career, now, do you ? Eh oui, il semblerait que nous hébergions quelques hurluberlus dans notre belle communauté scientifique qui se sont investis de la mission de détruire le travail et les espoirs des autres ! Sérieusement, vous n’avez pas besoin de prêter de l’importance à ce genre de propos. C’est une qualité essentielle que d’être ouvert à la critique, bien sûr, mais souvenez-vous bien que cela ne s’applique qu’à la critique constructive.
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une motivation inégalée pour reprendre ou continuer votre travail de rédaction. Un dernier mot sur les occasions d’échanger dans les congrès. Mon directeur de thèse nous incitait toujours, mes compagnes de laboratoire et moi, à aller discuter avec d’autres chercheurs pendant les présentations d’affiches lors des congrès. Nous détestions cela. Nous n’avions aucune idée quoi dire. Nous avions peur de paraître ignorantes, de poser des questions embarrassantes, de déranger des chercheurs importants... Moi, j’étais terrifiée à l’idée d’apprendre quelque chose qui invaliderait complètement mon projet de thèse en cours. Que d’occasions manquées ! Observez bien les gens dans les prochaines présentations d’affiches auxquelles vous assisterez. Voyez à quel point il y a des présentateurs qui passent des heures entières devant leur affiche sans que personne ne s’arrête. Ou encore quelqu’un s’arrête, lit l’affiche, sourit nerveusement au présentateur et s’éloigne rapidement. Arrêtezvous et parlez ! Échangez avec ces personnes. Parlez de leurs résultats présentés, oui, mais aussi du processus par lequel elles sont passées. Quelles ont été les difficultés rencontrées ? Leurs hypothèses sont-elles les mêmes qu’au moment de commencer le projet ? Ont-elles eu des difficultés de recrutement ? Comment les ont-elles surmontées ? Pourquoi ont-elles choisi tel instrument plutôt qu’un autre ? Si elles avaient à recommencer, que feraient-elles différemment ? Rencontrent-elles des réticences particulières lorsqu’elles essaient de publier leurs résultats ? Si vous êtes gêné d’entamer une conversation avec des chercheurs, repérez les étudiants : ils sont dans la même situation que vous, allez leur parler ! Et, un de ces quatre, ramassez tout votre courage et allez aborder un chercheur particulier dont vous admirez les travaux : vous serez peut-être surpris de constater son accessibilité, son attitude chaleureuse, son intérêt à lui envers vos propres travaux ! Créez votre propre club de rédaction. Formez un petit groupe et planifiez des rencontres d’une heure, autour d’un café ou d’un dîner, où vous discutez de vos objectifs de rédaction, de leur atteinte ou des obstacles qui vous ont empêché de les rencontrer. Commencez par un tour de table où chacun fait un retour sur ses objectifs de la dernière fois puis formule des objectifs à atteindre jusqu’à la prochaine réunion du club. Discutez des objectifs afin qu’ils soient réalistes, précis et mesurables. Félicitez-vous à leur atteinte. Soyez un groupe supportant, mais
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non complaisant. Ne laissez personne demeurer sans rien faire avec des objectifs non atteints plusieurs semaines d’affilée. Une fois que les objectifs de tous sont fixés, prenez le temps qui reste pour ventiler sur la surcharge de travail, l’incompréhension de vos professeurs, les problèmes de photocopieur, le goût infect du café, etc. Attention : si votre club est efficace, cela se saura. Gardez un nombre restreint de participants afin de demeurer productif, quitte à encourager la formation d’un deuxième club. Il y aura peut-être même des professeurs jaloux qui voudront faire partie de votre club, mais ne leur en donnez pas l’accès. Pourquoi ? Pour la même raison qu’on ne laisse pas de filles entrer dans la cabane dans les arbres d’un club de garçons ou qu’aucun garçon n’est admis dans un pyjama-party de filles : pour pouvoir parler dans leur dos en toute liberté ! Peu importe à qui vous parlez, sachez distinguer les bonnes des mauvaises oreilles. Éloignez-vous des personnes qui ne pratiquent pas l’art de la critique constructive (pas besoin d’avoir affaire à un grand maître, mais on doit quand même déceler un certain effort de diplomatie chez l’interlocuteur). Vous êtes déjà probablement très bon pour vous taper sur la tête, pas besoin d’aller chercher de coups supplémentaires ! Cela dit, éloignez-vous également des oreilles trop complaisantes. La validation de l’inertie et de la procrastination ne vous sera pas utile. Quelqu’un qui accepte toujours vos bonnes excuses pour ne pas respecter vos périodes de rédaction ne vous aidera pas à progresser. Enfin, quand tout cela n’est pas suffisant, parler à un psychologue peut vous aider à surmonter des difficultés personnelles qui viennent freiner votre rédaction et parler à un conseiller d’orientation peut vous aider à clarifier votre projet professionnel. La clé du succès pour obtenir le soutien voulu est de parler des bonnes affaires aux bonnes personnes. Besoin de ventiler ? Les collègues sont là. Besoin d’amour inconditionnel ? Allez vers les membres de votre famille. Besoin de direction et d’information ? Voilà le rôle de votre superviseur. Enfin, une fois de temps à temps, parlez à des gens de votre âge qui ne sont pas aux cycles supérieures. Vous ne recevrez peut-être pas de grandes marques d’empathie, mais cela vous aidera assurément à remettre certaines choses en perspective. Ces personnes vous feront peut-être comprendre que vous mettez trop l’accent sur vos études pour vous définir et qu’il existe autre chose que le travail dans la vie.
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9.2 Lisez sur la rédaction À la fin de ce livre, vous trouverez quelques références d’ouvrages sur la rédaction. Lire sur la rédaction permet de dénicher certains trucs pour mieux s’organiser et être plus productif. Cela permet également de maintenir sa motivation en sachant qu’on est loin d’être seul dans sa situation. Une publication très pertinente à ce sujet est les PhD Comics4 (voir la figure 9.1). Un ami m’a fait découvrir ces bandes dessinées une année ou deux avant la fin de mon doctorat. La lecture de ces petites tranches de vie d’étudiants doctoraux m’a vraiment aidée, beaucoup plus que je ne l’aurais cru, à mon grand étonnement. Pour la première fois, je me rendais compte que je n’étais pas toute seule à en arracher et à vivre mille et une frustrations. C’est surprenant, et un peu effrayant, de constater à quel point on se reconnaît dans ce portrait humoristique de la vie universitaire. Je crois qu’il s’agit de la meilleure publication, actuellement, qui transmet ce message : être au doctorat, des fois, c’est poche, tu n’es pas seul, reste motivé.
4. En ligne : http://www.phdcomics.com.
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Figure 9.1 Quelques exemples de PhD Comics
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9.3 Récompensez-vous Je crois que j’ai répété ce conseil dans à peu près tous les chapitres, mais j’y tiens vraiment : récompensez-vous. Construisez-vous un système de récompenses lorsque vous respectez vos périodes de rédaction. Pas besoin d’être très complexe – rappelez-vous mon système de collants décrit au chapitre précédent ! Gardez ces deux prémisses de base en tête : (1) la rédaction d’une thèse est éprouvante et (2) il est peu réaliste d’exiger de vous-même une motivation intrinsèque infaillible à écrire pendant plusieurs années. Le seul principe à respecter est de récompenser l’effort et de ne pas récompenser l’inaction. Quant aux moyens de vous récompenser, seul vous connaissez ce qui vous fait vraiment plaisir. Comment allez-vous vous aider à écrire ? Enfin, malgré l’horaire surchargé typique des étudiants aux cycles supérieurs, gardez du temps pour faire autre chose. Trouvezvous un loisir. Pratiquez un sport. Ayez un endroit, un contexte pour vous changer les idées et parler avec ces autres habitants de la planète Terre qui ne sont pas à l’université. Prenez un cours : peinture, karaté, danse, langues étrangères, cuisine, peu importe ! Faites une activité qui vous plaît, dans laquelle vous n’avez pas besoin de performer. Engagezvous le corps et l’esprit dans quelque chose à des lieues du doctorat. Réservez du temps dans le seul but de vous faire plaisir.
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Encadré 9.1 Derniers trucs pour demeurer motivé : parler et se récompenser 1. À qui pouvez-vous parler :
• De votre thèse de façon intellectuelle ?
• De votre thèse de façon émotive ?
• De vos difficultés à vous organiser ?
• De vos succès ?
• D’autres choses que vos études ?
2. Récompensez-vous. a. Mentionnez plusieurs récompenses d’ampleur variable (par exemple, livre, musique, cinéma, restaurant, spa, sport, sortie, voyage, etc.) ? ___________________ ___________________ ___________________ ___________________ ___________________ ___________________ ___________________ ___________________ ___________________ ___________________ ___________________ ___________________
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b. Quelles sont vos contingences ? Quels comportements voulezvous récompenser et comment ? (comportement) (récompense) Lorsque j’aurai fait __________________, j’aurai _________________. Lorsque j’aurai fait __________________, j’aurai _________________. Lorsque j’aurai fait __________________, j’aurai _________________. Lorsque j’aurai fait __________________, j’aurai _________________. Lorsque j’aurai fait __________________, j’aurai _________________. Lorsque j’aurai fait __________________, j’aurai _________________. 3. Dans quel autre domaine que les études avez-vous l’occasion de vous dépasser et de vous sentir bien envers vous-même ? Si vous n’en trouvez pas, quelle activité, autre que les études, aimeriezvous entreprendre ?
10 10. Conclusion
L
a rédaction scientifique est un casse-tête. Littéralement, un casse-tête. Lorsque vous faites un casse-tête, est-ce que vous prenez le premier morceau de l’image puis tentez de trouver le deuxième ? C’est une stratégie potentiellement efficace pour les cassetêtes de moins de 25 morceaux. Votre thèse, cependant, c’est un cassetête de 10 000 morceaux. Pour faire un casse-tête, vous avez une stratégie. Vous commencez par faire des piles ; vous trouvez les coins, puis les morceaux avec un côté droit, puis ceux d’une certaine couleur, représentant une certaine image, etc. Parfois, tous les morceaux semblent s’imbriquer comme par magie. D’autres fois, tout ce que vous avez fait après trois heures d’ouvrage, c’est trier les morceaux sans en avoir accroché un seul. Est-ce une raison pour abandonner ? Bien sûr que non : un pas vers l’avant, même tout petit, est toujours mieux que de ne pas avancer du tout. Et quand vous y avez travaillé si longtemps que votre vue est trouble et que votre dos souffre, est-ce le moment de vous exhorter à continuer plus fort ? Bien sûr que non, encore une fois : c’est plutôt le moment de prendre une pause et d’aller faire autre chose. Ainsi, la rédaction dans le contexte des études supérieures n’est pas une aventure de tout repos. Néanmoins, il est possible de naviguer
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dans ces eaux plus ou moins troubles et de conserver une bonne santé mentale en suivant ces quelques recommandations : •
Décidez explicitement de consacrer des périodes précises à la rédaction.
•
Passez énormément de temps à la définition de vos objectifs.
•
Si vous êtes bloqué dans la rédaction, posez-vous les deux questions suivantes : – Ai-je un plan assez précis ? – Est-ce que j'essaie de me corriger au fur et à mesure que j'écris ?
•
Ne vous fiez pas trop à l'inspiration. N'attendez pas de vous sentir bien, inspiré ou compétent pour vous lancer dans la rédaction. Le sentiment pendant la rédaction n'est pas garant de la qualité du produit. On peut s'arracher péniblement chaque mot d'un très bon texte et, au contraire, rédiger allègrement un produit médiocre.
•
Combattez férocement la procrastination et le perfectionnisme, tout en conservant une attitude bienveillante envers vousmême. N'oubliez pas que le milieu universitaire représente un lieu de culte par excellence du perfectionnisme, où il est facile de passer maître dans l'art de la procrastination.
•
Parlez. Ne restez pas tout seul dans votre coin.
Dans ce livre, je me suis permise de vous donner une panoplie de conseils, bien évidemment tous plus sages les uns que les autres. Tous ces conseils rassemblés ainsi produisent une image plutôt parfaite et, avouons-le, assez irréaliste de ce que devrait être la rédaction universitaire. Il ne faudrait pas que la stricte application à la lettre de toutes ces recommandations devienne un idéal à atteindre. Si tel est votre but, peut-être vous posez-vous encore plein de questions. « Oui, mais, quand devrais-je combattre la procrastination et quand devrais-je être indulgent ? », « Combien de temps exactement faut-il lire dans son domaine avant de commencer à rédiger ? », « Qu'est-ce qui peut entrer dans une période de rédaction ? », « Suis-je perfectionniste si j'ai quand même envie de déposer la meilleure thèse possible ? », « Je mets tout en application, mais j'ai encore de la difficulté à savoir quoi écrire : suis-je
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normal, docteur ? » Je n'ai évidemment pas la réponse à toutes ces questions et, de façon encore plus importante, je n'ai aucun moyen de savoir ce qui va fonctionner pour vous. Vous seul pouvez trouver la réponse. Observez-vous et compilez les données. Mettez une recommandation en pratique et mesurez-en les répercussions sur la quantité de mots écrits, sur l'avancement de vos travaux, sur votre sentiment face à la rédaction, etc. Ma position est simple. Tout ce qui vous fait écrire plus, écrire mieux et écrire dans un état d'esprit neutre ou positif est bien. Tout ce qui vous fait écrire moins, qui vous fait passer de longues périodes bloqué devant l'ordinateur, qui vous fait percevoir les tâches de rédaction comme une montagne insurmontable est mal. Me permettez-vous un dernier partage ? Ce livre a été rédigé sur une période de deux ans et demi. Pendant cette période, je suis passée de jeune professeure idéaliste, à future maman rayonnante, à maman à temps plein incapable de trouver le temps de seulement prendre une douche, à professeure-maman qui joue à la conciliation travail-famille tout en combattant, souvent en vain, les millions de microbes rapportés de la garderie par le petit trésor. Quelques mois après mon retour au travail, j'arrivais enfin à prendre ma douche tous les jours, mais, côté rédaction, le constat était désolant : j'avais moins de discipline et de rigueur, j'avais beaucoup de difficulté à commencer mes périodes de rédaction à l'heure prévue, je subissais passivement l'invasion des autres tâches importantes sur mon temps de rédaction, etc. J'en suis venue à laisser tomber ces tâches, au point où j'ai sauté systématiquement toutes mes périodes de rédaction pendant deux semaines. Beaucoup de détermination a été nécessaire pour stopper ce courant de laisser-aller et décider : « Là, c'est assez, je reprends les choses en main de façon rigoureuse. » Il m'a fallu revenir à la base et suivre mes propres conseils, c'est-à-dire bloquer du temps, fermer la sonnerie du téléphone, ne pas ouvrir la boîte de courriels, prévoir des périodes de rédaction plus courtes, définir des objectifs plus petits. Mais quel bonheur de reprendre ! Je n'avais jamais réalisé à quel point la rédaction m’avait manqué ! À ma grande surprise, forcer ces périodes de rédaction n’a pas été la torture anticipée, mais a plutôt provoqué une grande joie de retrouver ces moments privilégiés de focus, de solitude, de manipulation des idées, de création. Écrire, c’est difficile, mais ça peut aussi être très plaisant.
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Cela m’amène à mon dernier conseil : faites des choses difficiles ! C’est bon de faire des choses difficiles, comme un programme d’études supérieures, la maîtrise d’un art martial, l’entraînement à un marathon, etc. Ces entreprises procurent un sentiment positif d’accomplissement et de dépassement de soi. Faites des choses difficiles, oui, mais ne tombez pas dans le piège de dire : « Ouf, je trouve la tâche difficile, ça doit être parce que je ne suis pas bon. » Au contraire, vous êtes super de persévérer dans une tâche difficile ! Pensez à votre doctorat ou à votre maîtrise comme une longue traversée à la nage. Vous avez plongé dans l’eau et avez commencé à nager. Évidemment, vous êtes mouillé ! Conclure qu’on n’est pas bon parce qu’on trouve la maîtrise ou le doctorat difficile, c’est un peu comme un nageur qui dirait : « Ah non, je suis tout mouillé, je ne dois pas être assez bon nageur ! » Ça n’a aucun sens, non ? Tout comme l’eau est mouillée, la rédaction scientifique est difficile. Des fois, on avance avec un crawl rapide, d’autres fois, on patauge en petit chien, mais personne ne reste au sec ! L’important, c’est d’avancer, même si l’eau est mouillée. J’espère que cette lecture vous aura donné le goût d’écrire. Écrire, c’est s’exprimer, c’est laisser quelque chose qui dure. Écrivez sur ce que vous aimez. Écrivez plus que ce qui est dû. Écrivez autre chose. Osez laisser un peu de votre personnalité transparaître dans vos écrits. Osez démarrer les projets les plus fous. Sans l’audace d’oser écrire quelque chose de plus que des articles, des rapports et des demandes de subvention, ce livre n’aurait jamais vu le jour. Alors que je rédige ces dernières lignes, je suis encore ébahie de constater comment une petite idée folle – écrire à propos d’un sujet sérieux sur un ton joyeux et désinvolte – a pu faire autant de chemin. Et si vous trouvez que la lecture de ce livre vous a aidé un tout petit peu, vous êtes la preuve vivante que des choses extraordinaires peuvent surgir quand on se décide enfin à coller ses fesses sur sa chaise et à faire aller ses doigts sur son clavier.
Références commentées
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our créer ou maintenir la motivation à écrire, lire sur le thème de la rédaction peut être très aidant. Voici quelques livres qui m’ont été utiles ; la liste ne se veut pas exhaustive. J’aurais aimé pouvoir inclure quelques références francophones. Malheureusement, je n’ai pas encore trouvé d’ouvrages francophones ciblant aussi efficacement le thème de la rédaction universitaire. Ma référence préférée, toutes catégories confondues : Silva, Paul J., How to Write a Lot, Washington, American Psychological Association, 2007. Paul Silva déconstruit dans un style direct et humoristique toutes les excuses qu’on peut se donner pour repousser la rédaction. Il donne quelques conseils très pratiques pour augmenter la motivation à écrire, mais aussi des recommandations pour écrire mieux. Évidemment, comme le livre est en anglais, ces derniers conseils s’appliquent surtout si vous rédigez des articles en anglais. Enfin, l’auteur partage des informations très utiles sur la rédaction d’articles scientifiques, la façon de réagir et répondre à des commentaires éditoriaux et même la rédaction de livres scolaires.
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Livres s’adressant aux étudiants des cycles supérieurs : Belcher, Wendy Laura, Writing your Journal Article in 12 Weeks, Thousand Oaks (California), Sage, 2009. Ce livre alterne conseils et exercices pratiques pour transformer tout texte universitaire, même un manuscrit précédemment rejeté, en un article scientifique publiable et publié. Il inclut des conseils inestimables sur la façon de rendre un article pertinent et attrayant, de choisir la plateforme la plus appropriée où le soumettre et d’augmenter ses chances de le publier. Il offre un cadre très précis pour organiser toutes les étapes de la rédaction jusqu’à la publication. À l’aide des exercices et du calendrier proposés que j’ai suivis à environ 80 %, j’ai transformé l’un de mes articles qui avait d’abord été refusé dans une revue de moindre notoriété et je l’ai fait publier dans une revue prestigieuse de l’American Psychological Association (G. Belleville, A. Marchand, M.-H. St-Hilaire, M. Martin et C. Silva (2012). « PTSD and depression following armed robbery : Patterns of appearance and impact on absenteeism and use of health care services », Journal of Traumatic Stress, 25 (4), 465-468. doi : 10.1002/jts.21726.) Bolker, Joan, Writing Your Dissertation in Fifteen Minutes a Day, New York, Holt Paperbacks, 1998. Écrire sa thèse en 15 minutes par jour ? Personnellement, je n’y crois pas vraiment. Ce titre m’apparaît plus une stratégie de marketing qu’une recommandation réaliste. Cela dit, ce livre, à saveur plus psychologique, est un antidote intéressant au sentiment d’angoisse et à la paralysie qui s’ensuit, entourant la rédaction de la thèse, de l’essai ou du mémoire. Livres sur la rédaction (et l’organisation en général) s’adressant aux personnes désireuses de poursuivre une carrière universitaire : Il existe une panoplie de petits livres pratiques sur le cheminement d’une carrière universitaire. Le contenu de ces ouvrages, que je trouve aidant jusqu’à un certain point, finit par se ressembler. Je vous suggère une liste de ceux que j’ai lus et appréciés, ce qui ne signifie pas nécessairement que ce sont les meilleurs. De façon générale, ces lectures offrent des conseils pratiques sur les stratégies les plus « payantes »
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pour poursuivre une carrière universitaire et peuvent aider à s’organiser et à se motiver. Cependant, ils ont certains côtés que je n’endosse pas : ils peuvent manquer de nuances et être très teintés de la mentalité extrêmement compétitive des universités américaines, où la publication à la chaîne est une question de survie professionnelle. Certains de ces ouvrages deviennent presque des guides sur la façon de donner sa vie à la recherche scientifique. Ainsi, bien qu’ils débordent d’informations pertinentes, il faut quand même prendre leurs conseils en conservant un regard critique teinté de gros bon sens. Feibelman, Peter J., A PhD Is Not Enough ! A Guide to Survival in Science, New York, Basic Books, 2011. Gray, Paul, et David E. Drew, What They Didn’t Teach You In Graduate School. 199 Helpful Hints for Success in Your Academic Career, Virginia, Stylus Publishing, 2008. Johnson, W. Brad, et Carol A. Mullen, Write to the Top ! How to Become a Prolific Academic, New York, Pallgrave MacMillan, 2007. Sites Internet : Pour une source d’information et de motivation moins formelle et en continu, je vous propose la consultation de ces deux sites Internet. Les deux traitent de la « survie » de l’étudiant aux cycles supérieurs, de façon sympathique ou humoristique. Dans les deux cas, il est possible de s’abonner à une liste de diffusion qui permet de recevoir régulièrement du nouveau matériel. Cette caractéristique est intéressante : les abonnés reçoivent ainsi un rappel régulier et agréable sur le thème de la rédaction qui, chaque fois, les exhorte à se mettre à la tâche, rendant ainsi le « flottement » ou la « dérive » de procrastination moins probable. Cela dit, comme ces deux sites fonctionnent depuis longtemps et débordent d’archives, il ne faut pas se laisser prendre à vouloir tout lire, par procrastination ou perfectionnisme ! http://www.abdsurvivalguide.com/ http://phdcomics.com
Trucs pratiques et motivationnels pour la rédaction scientifique La rédaction scientifique est l’entreprise la plus intimidante, décourageante et anxiogène de l’expérience universitaire. Lorsque vient le temps d’écrire, tout devient plus intéressant : les courriels – même les plus insignifiants pourriels –, les appels que l’on retarde depuis toujours, le ménage et même le changement de litière du chat. Comment peut-on arriver à écrire, alors ? Et, surtout, comment peut-on arriver à le faire sans que la rédaction projette constamment cette aura de torture ou de pire corvée du monde ? Peut-on arrêter de se soumettre à contrecœur aux activités de rédaction et simplement retrouver l’envie d’écrire ? Voilà les questions abordées dans cet ouvrage. Ce livre s’adresse aux étudiants universitaires des cycles supérieurs qui rédigent ou auront à rédiger une thèse, un mémoire ou un essai. Il propose des stratégies pour écrire de façon régulière et se garder motivé. Écrit dans un style coloré, humoristique et qui ne trébuche dans les fleurs d’aucun tapis, il aspire à donner le goût (et le temps !) aux étudiants d’écrire plus et d’écrire mieux. Geneviève Belleville est parvenue de peine et de misère à écrire et à déposer sa thèse doctorale en 2006. Professeure de psychologie à l’Université Laval depuis 2009, elle est engagée en recherche et dans la formation clinique des futurs psychologues. Ses sujets d’intérêt sont l’anxiété et le sommeil. À ce jour, elle a publié plus d’une trentaine d’articles scientifiques et chapitres de livres et, à son grand étonnement, elle apprécie la rédaction scientifique un peu plus chaque jour. Elle consacre le moins de temps possible au travail, préférant garder ses soirées et ses fins de semaine pour passer du temps avec sa famille, jouer avec ses chats, faire des marathons d’écoute de Star Wars et profiter des festivals d’été.
Illustration de la couverture : Geneviève Lafleur-Laplante Psychologie